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Nom du fichier
1796, 04-06, t. 21-22, n. 30-36 (19, 29 avril, 9, 19, 29 mai, 8, 18 juin)
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25.90 Mo
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473
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Texte
MERCURE
FRANÇAIS ,
HISTORIQUE , POLITIQUE
ET LITTÉRAIRE
( No. 30. )
Décadi 30 Germinal , l'an 4.
Ce journal , composé de quatre feuilles in- s
et quelquefois de cinq , paraît tous les
DÉCADIS. Il contient deux parties ; l'une
consacrée aux SCIENCES , aux LETTRES et
aux ARTS ; l'autre à la POLITIQUE EXTÉ-
RIEURE , aux séances du CORPS LÉGIS
LATIF , aux NOUVELLES de Paris et des
départemens , ainsi que des ARMÉES de la
République.
Le prix de l'abonnement de ce Journal est de
3ool.pourtrois mois, y compris lesfrais de poste
CALENDRIER
RÉPUBLICAIN.
GERMINA L.
La Lune du mois a 29 jours . Du premier au 30 les jour
croiffent matin & foir de 51 min.
Ere Républicaine.
au midi vrai,
Ere J. PHASES Tems moyen
de de la
L.LUN E. H. M. S.
I primedi ire Décade .
duodi
3 tridi ..
4 quartidi ..
S quintidi .
6 fextidi .
feptidi .
8 octidi
9 nonidi .
10 Decadi.
Vulgaire
21 lundi . I 7 S
22 mardi 2
6.47
23 merc. 628
24 jeudi. 4
69
25 vend. P. L. OS SO
26 fam.
le
28lundi. 8 !
27 Dim. 7h
. 46 m .
3
à
5932
513
du mat.
4.55
29 mardi 7 36
30 merc. 10 4 17
II primedi Ile Décade . 31 jeudi . 11D . Q. 0
12 duodi ...
13 tridi..
14 quartidi .
Is quintidi .
16 fextidi ...
17 feptidi ..
18 octidi ..
19 nonidi..
20 Decadi.
Ivend . 12 le 11 à
2 fame . 13h . 13 m.
4 lundi 15
3 19
41
323
3 Dim. 24 du mat. O 3 5
O 2.47
N.LO
229
2 12
155
138
mardi 161
6mercle
19 à7
7 jeudi. 17 h. 3 m.
Svend . 19 du mat.
9fame . 20
21 primedi IIIe Décad . 10 Dim. 21
O
I 21

49 22 duodi ...
23 tridi ..
24 quartidi
25 quintidi
26 fextidi ...
27 feptidi .
28 octidi .
Ilundi. 22
12 mardi 23
P. Q.
13merc. 24 le 25 à 30
14jeudi.25 h . 35 m .
15vend. 26 du foir.
16 Sam. 27
33
0 17
11 59 57
17 Dim, 28
11 19 33
11 59 18
29 nonidi.
18 lundi . 29 II 59 S
30 Decadi...
' 19'mardi 30 11 58 51
No
30.
MERCURE FRANÇAIS .
DÉCADI 30 GERMINAL , l'an quatrieme de la République.
· Mardi 19 Avril 1796 , vieux style . )
LITTÉRATUE ANCIENN E.
PHILOSOPHIE.
MYTHOLOGIE DRAMATIQUE traduite du grec par
J. B. GAIL, professeur de littérature au collège de
France. Trois volumes in- 16. 4 Paris , chez l'auteur ,
place Cambray
ENCORE
NCORE une traduction du cit . Gail . Les produc
tions de cet helleniste se succedent avec une rapidité
qui laisse à peine le tems d'en apprécier le mérite.
Il les rapproche , il les entasse , et passant tour
à tour d'un classique à l'autre , il semble avoir besoin
de calmer , au moins par des essais , l'impatience
qui l'attire également vers tous . Le public lui doit
beaucoup de reconnaissance pour ses travaux ; il lui
en devrait peut- être encore davantage , si cette impatience
cédait un peu quelquefois au desir . qui ne
serait pas moins fondé , de leur donner toute la perfection
dont l'auteur est capable.
On pourrait regarder le titre de mythologie dramatique
comme assez peu convenable à des ouvrages
dont l'objet n'était que de saisir le ridicule de la
mythologie , et d'enlever à ses fables tout crédit dans
Tome XXI. X
( 328 )
3
l'esprit du peuple. L'écrivain original , par le plan
même qu'il s'était tracé , ne pouvait pas entrer dans
les détails de l'histoire des Dieux ; il fait sans cesse
des allusions aux faits les plus absurdes , et qui prêtent
le plus au comique ; mais il ne les présente que par traits
partiels et sous un seul point de vue. Au reste , en
supposant que le titre de cette traduction soit effectivement
défectueux , le choix des morceaux qui la
composent est en général assez bon et c'est-là l'essentiel.
Les ouvrages de littérature , de sciences et de philosophie
peuvent être divisés en deux grandes
classes , qui se ressemblent peu par leur caractere et
leur importance . Les uns reproduisent sans cesse les
idées des siecles précédens , se renferment dans le
cercle des opinions reçues , les étayent de nouvelles
preuves , les éclaircissent , les présentent dans un
ordre meilleur ou différent ; les autres , pleins d'une
courageuse indépendance , secouent les chaînes du
passé , soumettent à l'examen les opinions les plus
accréditées , ouvrent de nouvelles routes à l'esprit ,
et poussent le genre humain vers un but général de
perfectionnement . C'est à ces derniers que le philosophe
réserve exclusivement son admiration et ses
hommages : il n'estime les premiers qu'autant qu'ils
peuvent concourir à les faire naître , et que par
prit qui les anime , ou la maniere dont ils sont faits ,
ils facilitent le passage d'une lumiere faible à une
lumiere toujours croissante. Comme le bonheur de
l'humanité se mesure toujours sur les progrès de la
raison , le philosophe tient peu de compte de tout
ce qui ne tend pas à les hâter ; et ces génies hardis
l'es
( 323 )
qui renversent de vieilles erreurs , ou ces génies
plus heureux , qui répandent des vérités nouvelles ,
sont pour lui les seuls véritables bienfaiteurs des
hommes.
A ce titre , Lucien doit occuper une place distinguée
dans l'histoire de l'esprit humain.
De son tems , la géométrie , quelques parties de la
physique , et même l'art du raisonnement , qudique
encore dans l'enfance , avaient déja beaucoup trop
occupé les écoles de Platon , d'Aristote , d'Épicure ,
pour que la religion payenne pût avoir aucun crédit
parmi les esprits cultivés . Les Stoïciens seuls la défendaient
cencore avec assez de force ; les Platoniciens
l'avaient singulierement mitigée , et ils commençaient
à fondre leurs opinions dans le christiamisme
; les Péripatéticiens cachaient leur irreligion
sous leurs formes syllogistiques et bizarres ; les Épicuriens
allaient plus nettement et plus franchement
au but ; et quant aux académiciens , il est aisé de voir
qu'ils se moquaient assez ouvertement de leurs Dieux .
Mais ce que tous les hommes instruits méprisaient au
fond du coeur , ce que des esprits philosophiques .
avaient même combattu par des raisonnemens abstraits
et subtils , personne n'avait òsé l'attaquer encore
d'une maniere qui fût à la portée du peuple ;
c'est ce que fit Lucien . Il entreprit pour le polythéisme
ce que Voltaire a de nos jours fait pour le
christianisme . Il savait que les hommes ne respectent
pas long - tems ce dont ils ont pu rire une
fois . Il entreprit donc de faire rire des Dieux . Il lui
suffit pour cela de mettre en scene les cieux et les
enfers Neptune , les Néréïdes , les fleuves , les divi-
X 2
·( 324 )
nités des bois et des campagnes parurent tour à tour
dans ses hardis et cyniques tableaux . Il démasqua
les imposteurs qui se servent du nom des puissances
invisibles pour abuser les esprits crédules. Il plaça
presque sur la même ligne les sophistes qui par des
formules captieuses dénaturent et le mensonge et la
vérité il n'épargna pas même les philosophes ; il
poussa la licence jusqu'à vouloir flétrir les noms les
plus respectables , et l'on peut dire de lui ce que
Chamfort a dit d'Aristophane , qu'il attaqua le vice
avec le courage de la vérité , et la vertu avec l'audace du
vice.
:
ܐ܂
La maniere de Lucien a un caractere particulier
qui mérite d'être observé. Peu de prosateurs ont eu
plus de variété de talent. Le traité de la méthode
d'écrire l'histoire est un modele de retenue et de
sévérité pour l'élévation , l'éclat , la richesse de pensée
et d'expression , rien n'est au- dessus de l'éloge
de Démosthène : les ouvrages les plus brillans d'ima
gination le sont à peine autant que l'histoire véritable
: le traité de la danse annonce un homme profond
dans la connaissance des arts , de leurs effets
et des moyens par lesquels ils les produisent : enfin ,
celui qui a pour titre Toxaris est composé de traits
d'une amitié sublime , racontés de la maniere la plus
naturelle et la plus touchante . C'est - là qu'on trouve
T'histoire d'Eudamidas de Corinthe qui légua en mourant
sa mere à Carixene , et sa fille à Arétas , l'un et
' l'autre ses deux amis . Carixene étant mort cinq jours
après , Arétas prétendit qu'il devenait par- là le seul
héritier ; il réclama les deux legs , et il eut le bonheur
de remplir lui seul des devoirs sacrés , dont les
"
( 325 )
intentions de son ami ne lui avaient accordé que sa
part. Lucien rapporte cette histoire avec beaucoup
de simplicité ; il finit par ces mots qui sont plus dans
sa maniere : Et le peuple admirait qu'un mort eût pu trouver
le secret d'hériter d'un vivant.
Mais ce qui le distingue particulierement , c'est le
genre de plaisanterie qui lui est propre. On voit
qu'il sait prendre tous les tons ; mais celui de la plaisanterie
lui est beaucoup plus familier : il convient
le mieux à sa tournure d'esprit et au but général de
sa'philosophie ; car ce ton , qui serait presque toujours
déplacé quand il s'agit de rechercher et d'éta
blir des vérités nouvelles , est infiniment préférable à
la marche pesante et didactique du raisonnement ,
quand il s'agit de renverser des erreurs .
a En général , le ridicule tient au rapprochement
inattendu d'objets qui n'ont point entre eux de rapport
naturel , et qui par le caractere de leur importance
respective , ou de celle qu'on leur suppose ,
sont l'un très -grand et l'autre très - petit. Dans la comédie
, il tient souvent à des mal - entendus entre les
personnages , d'où résulte pour les spectateurs un
rapprochement d'idées qui n'ont de rapport ni en
elles - mêmes , ni dans l'esprit de ceux qui les énoncent
; mais cette derniere espece est affectée à la passion
, dont le propre est de brouiller et de confondre
tout , parce qu'elle poursuit exclusivement son objet,
et qu'elle s'apperçoit à peine de ce qui l'environne .
Lucien n'a guere eu d'occasion d'en faire usage.
Mais la plaisanterie peut se distinguer en divers
genres , et suivant la nature des objets qu'elle rapproche
, et suivant la maniere dont l'auteur paraît
X 3
( 326 )
affecté lui-même de ce rapprochement. Le caractere
des impressions qu'en reçoit le lecteur dépend beaude
ces circonstances .
coup
Les objets sont plus ou moins près de l'homme ;
Ils ont plus ou moins d'influence sur son bonheur ;
ils touchent plus ou moins aux passions , aux préjugés ,
aux intérêts des individus que la plaisanteric concerne
; elle doit ou ne doit pas influer sur l'état de
leur ame.
L'auteur peut considérer les personnes ou les choses
dont il parle sous différens points de vue. Tantôt les
tableaux comiques qui se présentent à son esprit, sont
pour lui comme un simple spectacle , auquel il ne
prend d'autre part que celle d'une curiosité paisible .
Tantôt ces tableaux font sur son coeur de vives impressions
qui leur prêtent des couleurs nouvelles ; il
se passionne , il s'exalte , il s'irrite même au milieu d'u
rire et de la gaieté.
Il est des idées ou des sentimens sur lesquels personne
ne veut être raillé ; et c'est précisément ceux
qui prêtent le plus au ridicule. Dans l'enivrement
même des passions ou des superstitions, certains avertissemens
secrets font sentir vaguement que leur objet
pourrait bien être absurde ; ce côté faible a quelque
chose de si vif et de si sensible , qu'on ne permet
pas d'y toucher. Mais si- tôt qu'on se dégagé de sa
chaîne , on aimé à faire acte de liberté ; et l'on encourage
d'autant plus les railleries , qu'on les aurait jadis
repoussées avec plus d'indignation . On se plaît surtout
à rire de ce qui faisait peur.
Suivant que les sentimens de celui qui plaisante ,
nous paraissent bons ou mauvais ; suivant que sal
( 327 )
10
maniere comique de voir les choses nous paraît dépendre
d'inclinations aimables ou odieuses , nous en
recevons , et sur- tout il nous én reste des impressions
très-diverses . Tel genre de gaieté épanouit le
coeur ; tel autre le consterne ét le flétrit.
at
1.
.
THO
1:
On lit dans Pascal Diseur de bons maux , mauvais
caractere. Il insiste beaucoup sur cette pensée , qu'il
croit infiniment juste ; il prétend le prouver en disant
que l'homme à bons mots a toujours pour objet
d'affliger quelqu'un. Mais qui jamais a fait de meilleures
et plus sanglantes plaisanteries que Pascal ?
Elles n'ont jamais , je pense , bien réjoui les jésuites ;
et rien ne porte à croire qu'il se les soit jamais
reprochees . Sans doute la raillerie tend à ravaler certains
hommes ou certaines choses ; et même lorsqu'elle
ne s'attache qu'aux choses , elle a toujours
pour objet de ravaler ceux qui les possedent , ou
qui en font leur profit , ou qui les estimeni . Faut- if
conclure de là qu'elle part nécessairement d'un mau
vais coeur ? L'amour des hommes , la vertu , la vraie
bonté ne consistent- ils point souvent à couvrir de
mépris ceux qu'on ne peut ou qu'on ne doit pas
atteindre autrement ? Les traits que Voltaire a lancés
contre le fanatisme et la superstition , ceux de Thomas
Payne contre les rois , les sarcasmes dont Sieyes
accable les absurdités nobiliaires dans son excellent
Essai sur les Priviléges , ne sont-ils pas propres à faire
chérir leurs auteurs ? Il n'y a sans doute que les
oppresseurs et les charlatans qui puissent y trouver
des motifs de haine ; il n'y aurait que les derniers
des esclaves qui pussent désavcuer ces coups portes
par leurs défenseurs .
9
2
90.3
2010
t
X 4
( 328 )
Mais revenons à Lucien. Nous avons dit qu'il avait
souvent dirigé ses attaques contre des objets res
pectés , quelquefois même contre des objets respec- .
tables . On sent déja , d'après cela seul , à quel caractere
général sa plaisanterie doit être rapportée . Mais
une comparaison de cet écrivain avec quelques-uns
de ceux dont la maniere a le plus d'analogie avec
la sienne , le ferait eonnaître beaucoup mieux.
On peut comparer particulierement Lucien à
Rabelais , à Swift et à Voltaire ; il a des traits qui le
rapprochent de chacun d'eux ; il en a d'autres qui
l'en distinguent. Toutes les personnes qui ont lu
Rabelais avec quelqu'attention , savent qu'il n'y eut
peut-être jamais d'esprit plus ferme et plus étendu
de talent plus fécond , d'imagination plus véritablement
comique , de touche en même-tems plus fine
et plus naïve. Mais les préjugés de son siecle qu il
ne voulait pas blesser ouvertement , l'ont forcé de
mettre la raison en masque , comme le disait Boileau ,
de cacher l'indépendance de ses idées sous un langage
de halle , et de s'envelopper d'ordures, afin que
le fanatisme et la superstition ne le prissent que pour
un bouffon sans conséquence . II n'a ni l'élégance
continue , ni la correction , ni le goût , toujours sage
et pur de Lucien : mais sa gaieté est plus franche ;
on voit plus en lui les affections bienveillantes de
l'ami des hommes , sa philosophie vous fait embrasser
un plus grand espace ; et même ce qu'il y a de bon
dans son style proprement dit , est peut- être plus inimitable
et plus excellent .
Swift attaque en même tems les préjugés religieux
et politiques ; il ne frappe qu'en passant sur les vices
( 329 )
particuliers , il sait que pour les combattre d'une
maniere utile , il faut les prendre à leur source , dans,
les gouvernemens et dans les superstitions. Sa plaisanterie
est âpre , amere , sarcastique ; mais son but et
les sentimens quila dictent font toujours estimer l'auteur
; et quoiqu'il laisse le plus souvent dans l'esprit
des images affligeantes , on aime en le lisant à vivre.
avec sa personne . On ne peut toujours en dire autant.
de Lucien.
La maniere de Swift a quelque chose de fort et de
profond qu'on ne trouve pas dans l'écrivain grec ;
mais il n'a ni sa simplicité , ni sa lucidité , ni ses
graces de langue qui saisissent tous les esprits , et qui
en rendant la pensée plus nette pour les hommes
peu cultivés , la rendent aussi plus piquante pour les
personnes d'un goût délicat et difficile .
Quoiqu'il y ait de grandes différences entre Voltaire
et Lucien , c'est pourtant entre eux qu'on pourrait
établir un rapprochement plus naturel , et fondé
sur de plus véritables ressemblances . On sent bien
que nous ne comparons pas génie à génie , et qu'il
est ici question seulement des ouvrages de plaisanterie
de Voltaire , et sur- tout de ses romans philo
sophiques ; genre dans lequel il a montré le plus
toute la supériorité de son esprit et de son talent .
L'un et l'autre paraissent regarder les folies , les
malheurs , les crimes du genre humain comme des
tableaux curieux que leur malignité se plaît à considérer
et à peindre . Ils semblent quelquefois disposés
plutôt à jouir du plaisir d'avoir découvert avec
sagacité , combien tout est affreux ou ridicule dans
( 330 )
les institutions sociales ( 1 ) , qu'à répandre des idées
ou des sentimens qui puissent changer cet état de
choses. Leur plaisanterie après avoir fait rire ,laisse une
empreinte profonde de tristesse ; enfin , ils ont tous
deux cette même tournure leste et vivé , cette élégance
, cette pureté de goût , cette clarté continuelle
qui ne tient pas moins à la forme de leur phrase , où
tous les objets sont détachés les uns des autres ,
qu'à leur maniere de concevoir , où toutes les idées
qui n'entrent pas naturellement dans des cadres
simples , ainsi que celles qui demanderaient des explications
, sont toujours rigoureusement exclues ;
d'où il s'ensuit que leur philosophie approfondit
peu , mais éclaircit toujours , et qu'elle est sur- tout
éminemment propre à devenir bientôt populaire.
Nous ne pousserons pas plus loin ces réflexions :
elles rendraient peut - être le lecteur trop difficile
sur la traduction du cit. Gail , dont cependant
nous voulons dire un mot avant de terminer cet
article .
*
Les morceaux que nous avons comparés avec l'original
nous ont paru généralement traduits avec exactitude
quant au sens : mais pour l'effet, nous ne pouvons
dissimuler qu'il est quelquefois manqué . La
plaisanterie de Lucien qui dépend souvent de la
nuance des mots , de leurs contrastes , d'allusions
fines , est extrêmement difficile à transporter dans une
autre langue . On sait en général combien ce qui est
léger et délicat dans un auteur original devient aisé-
Quant à ce qui regarde Voltaire , nous avons ici principalement
en vue son Candide. Il a montré ailleurs un grand
amour des hommes.
1
( 331 )
ment lourd , et presque grossier chez son traducteur.
Mais c'est sur-tout dans la plaisanterie qu'il y a vraimentquelque
chose de vaporeux et d'aërien qui tient
aux teintes les plus fugitives de l'expression .
Cet art veut sur tout autre un suprême mérite.
Il faudrait presque plus de mérite encore dans celui
qui s'efforce d'en faire passer les beautés d'un idiôme
dans l'autre . On ne doit donc point s'étonner que des
littérateurs , d'ailleurs distingués , n'aient pas toujours
réussi complettement à faire connaître en France un
écrivain qui semblerait cependant devoir être né français
, tant il a de ce fond de saillie et d'insouciance
comique d'esprit , qui long-tems a formé le caractere
de la nation .
Nous ne hérisserons point cet extrait de citations
grecques , inutiles pour ceux qui savent la langue ,
fatigantes pour ceux qui ne la savent pas . Les discussions
qu'exigerait l'examen détaillé soit des principes
généraux de traduction adoptés par le cit . Gail ,
soit de la maniere dont il exprime telle ou telle
idée de son auteur , nous entraînerait trop loin. Il
vaut mieux citer quelques morceaux, qui feront sentir
ce qu'il aurait à faire pour rendre de plus utiles services
dans ce genre de littérature.
Le passage suivant est tiré des Contemplateurs , dialogue
entre Mercure et Caron , que le cit. Gail
croit avoir traduit le premier , mais qui se trouve sous
le titre du Contemplateur , dans la traduction de d'Ablancourt.
Mercure rencontre Caron sur la terre ; il s'en
étonne , et lui demande l'objet de son voyage. Caron
a obtenu un petit congé du dieu des enfers ; il vient
( 332 )
savoir ce qui se passe dans notre monde : il prie
Mercure de lui servir de guide et de lui montrer ce
qu'il y a de plus curieux . Mercure se fait un peu
tirer l'oreille ; il est chargé par Jupiter d'un message
dont il faut rendre compte sur-le champ ; il a
peur des coups de bâton , s'il s'amuse à bavarder.
Cependant il ne peut rien refuser à un ami avec
lequel son métier de conduire les ames aux enfers ,
lui donne des rapports journaliers : en conséquence ,
il s'agit de chercher un lieu élevé d'où l'on puisse
embrasser les différens pays de la terre . Mercure
propose à Caron de prendre dans Homere un moyen
qui semble leur être indiqué tout exprès.
Mercure. Le počte Homere raconte que les fils
d'Alous ( ils n'étaient que deux , ansi que nous , et
encore enfans ) conçurent un jour le projet de déra
einer l'Ossa et le Pélion , et de les placer sur l'Olympe
, se flattant que cela leur ferait une échelle de
mesure pour escalader le ciel . A la vérité , ces deux
jeunes gens ont été punis de leur impieté ; mais nous
qui ne songeons pas à offenser la divinité , qui nous
empêche de bâtir aussi sur leur plan , et d'entasser
comme eux montagne sur montagne pour découvrir
de plus loin ?
Caron. Et nous pourrions , à nous deux , soulever
Ou Ossa ou Pélion , et mettre l'un de ces deux monts
sur l'autre .
Mercure. Eh ! pourquoi pas , Caron ? tu nous croirais
moins de coeur qu'à ces deux pétits enfans , à nous
sur-tout qui sommes des dieux .
Caron. Non ; mais le succès de cette grande entreprise
me paraît hors de vraisemblance .
( 333 )
"
Mercure. Cela doit être pour toi , mon pauvre
Caron , qui ne te doutes pas de la vertu poétique.
Pour l'intrépide Homere , il vous fait tout de suite
en deux vers une échelle pour grimper au ciel , tant
il lui est facile de rouler montagne sur montagne ! Je
suis surpris d'ailleurs que tu trouves cela étrange, toi
qui connais Atlas , qui porte seul le ciel même , et
nous tous avec lui. Il n'est pas que tu ne saches aussi
l'histoire de mon frere Hercule , qui prit la place de
ce même Atlas , et le soulagea pour un moment de
son fardeau , en s'en chargeant lui -même."
Caron. Je sais comme toi ces prodiges ; mais sontils
vrais ? c'est ton affaire , et celle des poëtes .
Mercure. S'ils sont vrais , Caron ! pourquoi des
personnages si graves en imposeraient -ils ? .... Allons ,
commençons par déraciner Ossa , comme nous l'enseigne
dans ses vers notre architecte Homere : puis
roulons par- dessus le Pélion couronné de forêts .
Regarde comme nous avons réussi poétiquement et
en un clin d'oeil.... Montons à présent sur cette hauteur,
et voyons si c'est assez , ou s'il faut y ajouter
encore ...... Qu'est- ce ceci ? nous ne touchons pas
encore à la bâse du ciel ; à l'orient , on découvre å
peine l'Ionie et la Lydie ; à l'occident , l'Italie et la
Sicile ; au nord , on ne voit que les pays arrosés par
l'Ister. D'ici , on apperçoit la Crete , mais bien confusément
. Il me semble , nocher des enfers, qu'il nous
faut encore transporter l'Etna et le Parnasse par-dessus
les autres.
Caron Soit. Mais prends garde seulement que
l'édifice à une hauteur prodigieuse ne s'écroule par
trop de fragilité , et que nous ne fassions aux dépens
( 334 )
de nos têtes un dur essai de l'architecture d'Homere .
Mercure. Du coeur tout ira bien . Transporte ici
l'Etna , et roule dessus le Parnasse . Il faut que je
remonte : voilà qui va le mieux du monde. Je découvr
tout ; monte avec moi , Caron .
Caron. Tends-moi la main , Mercure ; ce que t
exige là n'est pas une petite affaire .
Mercure. Du courage , Caron , puisque tu veux tout
voir. On ne satisfait pas sa curiosité sans risquer quelque
chose. Tiens -moi bien ; prends garde de glisser .
Bien t'y voilà aussi . Comme le Parnasse a deux
cimes , prenons chacun la nôtre et asseyons-nous.
Promene à présent tes regards autour de ce vastė
horison.....
Mercure dessille les yeux de Caron , en lui citant
ces vers d'Homere :
Il est tems que ma main t'arrache le bandeau
Qui du monde obscurci te cachait le tableau .
Reconnais à présent et les Dieux et les hommes ( 1 ) .
Caron . Qu'est- ce ceci ?
Mercure. Ne vois- tu pas bien à présent ?
?
Caron. A merveille ! en vérité , ce lynx si vanté est
aveugle au prix de moi. Daigne à présent m'instruire
et répondre à mes questions. Me permets- tu , pour
te prouver que je connais un peu mon Homere , de
t'interroger avec ses vers ?
Mercure. Où donc en aurais- tu appris , toi qui n'as
jamais vu que la nacelle ?
1
Caron. Cela est bon à dire pour déprimer mon métier ,
mais la vérité est qu'après sa mort je le reçus dans
( 1 ) Iliad. V , vers 127 .
( 335 )
1
ma barque , et l'entendis déclamer quantité de vers ,
dont quelques-uns ont dû se graver dans ma mẻ-
moire . Nous fâmes accueillis à son passage , d'uns
tempête des plus violentes. Il se mit à nous débiter
une tirade de funeste augure pour les passagers . Il
nous disait que Neptune avait rassemblé les nuages ,
et bouleversé son empire , en plongeant dans les flots
un trident qui ressemblait à une fourche ( 1 ) à tourner
les viandes ; enfin , qu'il avait déchaîné tous les
vents. Au milieu de ces idées poétiques , et d'autres
aussi sublimes , voilà les vagues qui se soulevent par
un charme poétique ; une tempête subite jointe à d'épaisses
tenebres menace d'engloutir la nacelle . Le
poëte à des nausées , et nous vomit ces tirades de
vers que son génie lui avait inspirées sur Scylla ,
Charibde et les Cyclopes (2) .
Mercure. Je ne m'étonne pas que tu en aies attrapé
quelques-uns d'un aussi long vomissement.
Caron . Mais dis - moi ; quel est ce Grec
Dont l'énorme grosseur , la mine haute et fiere ,
Surpasse des humains la stature ordinaire (3) ?
Mercure C'est Milon de Crotone , cet athlete si
vanté. Les Grecs le comblent d'applaudissemens parce
qu'il vient d'enlever un taureau , et qu'il le porte
l'espace d'un demi - stade .
→ Caron. Ne mériterai-je pas mieux leurs éloges , moi
( 1 ) Odissée V , vers 291 .
(2) L'original porte : Il nous vomit Scylla , Charibde et les
Cyclopes.
(3 ) Iliad . III , vers 226 .
( 336 )
qui bientôt enleverai Milon lui - même , et le porterai
dans ma nacelle , lorsqu'il ira là -bas , terrassé avant
même d'avoir prévu les coups de la mort , lutteur
plus adroit que lui ! Ce Milon maintenant admiré
si fier de porter un taureau , nous le verrons sans
doute verser des larmes au souvenir de ces couronnes
et de ces applaudissemens . Que penser de cette misérable
vanité ? Se croirait- il mortel ?
Les deux contemplateurs entendent la conversation
de Crésus et de Solon ; et là- dessus Mercure dit
à son camarade :
Tu vois , Caron , comme ce Lydien est choqué de
la franchise du philosophe et de la vérité de ses
discours ; comme il lui paraît étrange qu'un homme
pauvre lui dise librement sa pensée ? Cependant il se
souviendra bientôt de Solon , lorsqu'il se verra prisonnier
de Cyrus , forcé de monter sur le bûcher fatal ;
car j'ai entendu dernierement Clothon lire le livre
des destins . Il y était arrêté que Crésus serait emmené,
captif par Cyrus , qui lui-même périrait de la main de
la reine des Messagetes . Vois-tu cette Scythienne montée
sur un cheval blanc ?
Caron . Oui , par Jupiter.
Mercure. Eh bien ! c'est- là cette Thomyris , qui de
sa propre main tranchera la tête à Cyrus , et la jettera
ensuite dans uné outre ( 1 ) pleine de sang . Vois -tu
aussi le jeune fils de ce malheureux prince ? C'est
Cambyse qui montera sur le trône de son pere , et qui
( 1 ) Outr: est masculin :
Sur des outres glissans bondissaient dans les prés.
DELILLE , Georg.
après
( 337 )
après avoir erré de contrée en contrée dans la Lybie
et dans l'Éthiopie , finira par tomber en démence ,
et mourra pour avoir tué le dieu Apis .
Caron . C'est alors que nous rirons ; mais à présent
qui pourrait supporter la vue de ces mortels pleins
de mépris pour leurs semblables ? Qui croirait que
dans peu , l'un sera captif , que la tête de l'autre sera
plongée dans une outre remplie de sang ? Quel est ,
Mercure cet homme qui porte un diadême , dont
la robe de pourpre est relevée avec une agraffe , à
qui son cuisinier donne un anneau d'or qu'il a trouvé
dans le corps d'un poisson,
Et qui marche tout fier du vain titre de roi?
Mercure. Tu parodies à merveille , Caron. Tu vois
Polycrate , tyran de Samos , qui se croit parfaitement
heureux . Cependant Méandre , ce serviteur qui est
à ses côtés , livrera ce même homme au satrape
Orætès pour l'attacher au gibet. Le malheureux tombera
en un clin - d'oeil dans un abyme de misere . Je
le tiens de la bouche même de Clothon.
Caron . Bien , ma chere Clothon ! tranche hardiment
la tête aux uns , fais mourir les autres sur le gibet , pour
leur apprendre qu'ils sont hommes. En attendant ,
éleve - les afin de rendre leur châté plus terrible , en
les précipitant de plus haut ; pour moi , je rirai bien
quand je les rencontrerai dans ma nacelle , nuds , sans
habits de pourpre , sans trône d'or ...... Qu'est- ce que
cette troupe qui voltige autour d'eux à leur insu ?
Mercure. Ce sont l'espérance , la crainte , la folie
la volupté , l'avarice , la colere , la haine , et de semblables
passions . L'ignorar cé descend jusqu'au milieu
d'eux , se mêle de leurs assemblées , et même , par
Tome XXI Y
( 338 )
plexité , l'inexpérience , l'envie et les autres vices.
Au-dessus de leur tête volent la crainte et l'espérance
la crainte lorsqu'elle s'empare de leurs coeurs
les épouvante , quelquefois même les fait frissonner :
l'espérance qui brille dans les airs , au moment surtout
où ils croient la saisir , s'envole , disparaît , et les
laisse consumés en vains desirs . Ainsi , tu vois Tantale
dans les enfers tourmenté par la soif au milieu des
eaux. Fixe encore ton attention , tu appercevras aussi
les parques tournant une infinité de fuseaux auxquels
est suspendue la vie des hommes par des fils trèsdéliés
ois -tu des especes de fils d'araignée qui
partent de ces fuseaux , et vont toncher la tête de
chaque mortel ?
:
Caron . Je vois une infinité de fils extrêmement
minces et entrelacés , pour la plupart , celui- ci dans
celui-là , celui - là dans un autre.
Mercure. Cela doit être , Caron . Il est écrit dans le
livre des destins que celui - ci sera égorgé par celui-là ;
celui-là par un troisieme ; cet autre héritera de son
voisin dont le fil est plus court ; ainsi de suite : car
voilà l'énigme de ces fils enlacés . Tous les hommes
sont suspendus à un petit fil ; mais dans le nombre ,
vois celui- ci qui éblouit à une si grande élévation :
eh bien dans peu son fil cédant au poids qu'il supportait
, et venant à se rompre il tombera avec un
horrible fracas . Cet autre qui n'est que médiocrement
élevé de terre , tombera sans bruit; ses voisins
entendront à peine sa chûte ,
Caron . Cela est tout- à - fait plaisant , Afercure .....
Je termine ces citations par un petit dialogue des
Dieux , extrêmement piquan: dans l'original , et qui
( 339 )
Jupiter, veut dominer avec le 瑟 ressentiment , la perpeut-
être exigerait moins de corrections dans le
français .
DIALOGUE IX. Naissance de Bacchus. Neptune ,
Mercure.
Neptune . Mercure , Jupiter est-il visible ?
Mercure. Non , Neptune.
Neptune. Annonce-moi toujours .
Mercure. Ne l'importune pas , je te prie. Tu prends
mal ton tems ; tu ne peux le voir à présent.
Neptune. Est- il avec Junon ? ;
Mercure. Non ; c'est bien autre chose.
Neptune. J'entends .... Ganimede est là dedans.
Mercure. Point du tout ; mais il est indisposé.
Neptune. Et d'où lui vient cette indisposition ? Ce
que tu me dis-là me surprend .
Mercure. Elle est telle que je rougis de te le dire.
Neptune. Quoi ! à ton oncle ?
1
Mercure . Il vient d'accoucher , Neptune ,
Neptune. Il vient d'accoucher ! tu te moques. Et de
quoi ? J'ignorais qu'il fût des deux sexes .... Mais je në
lui ai point vu le ventre plus gros qu'à l'ordinaire .
Mercure, Tu as raison . Aussi n'était - ce pas dans le
ventre qu'il portait son enfant .
Neptune. J'entends. C'était encore dans son cerveau,
comme lorsqu'il engendra Minerve : sa tête est mere
quand il veut.
Mercure. Non. C'était dans la cuisse qu'il portait
l'enfant de Semelé .
Neptune. Fort bien ! Le second Jupiter accouche de
toutes les parties de son corps : mais quelle est cette
Semelé ?
( 540 )
Mercure. C'est une Thébaine , l'une des filles de
Cadmus , avec laquelle il avait un commerce amou
reux .
Neptune. Ensuite , Mercure ; il est accouché pour
elle ?
Mercure. Certainement , quoique cela te semble
absurde. Un jour cette Junon , dont tu connais
toute la jalousie , alla trouver Semelé , et lui persuada
perfidement d'engager Jupiter à la venir vóir
avec son foudre et ses éclairs . Le Dieu cédant aux voeux
de son amante , vint armé de son tonnérre , et embrâsa
la maison. Semelé ayant péri dans les flammes ,
Jupiter m'ordonna d'ouvrir le ventre de cette femme
et de lui apporter l'embrion imparfait qui n'avait que
sept mois j'exécutais ordres . Il se fendit la cuisse ,
et y déposa l' qu'au terme. Aujourd'hui , que
le troisieme mois est révolu , il vient d'être délivré ,
et il se ressent des travaux de l'enfantement.

Neptune. Où donc est à présent l'enfant P
Mercure. ANisse. Je l'ai confié à des nymphes qui
l'élevent sous le nom de Dionysius .
Neptune. Ainsi Jupiter est tout à la fois le pere et
la mere de ce Dionysius.
Mercure. Cela est vraisemblable . Mais je vais chercher
de l'eau pour laver sa blessure , et prendre soin
de tout ce dont on a besoin en couche .
Retrouve- t-on dans les morceaux précédens cette
marche libre et facile , cette finesse de trait et de
langage , cette élégance et ce goût exquis que nous
avons dit caractériser l'original ? Les personnes qui
lisent la langue grecque , pourront le vérifier trop facilement
; et ceux qui ne la lisent pas , devineront bien
( 341 )
si cela doit être , puisqu'il s'agit de l'écrivain qui eut
le plus de ces qualités , et dans l'idiôme auquel elles
semblent le plus propres et le plus familieres .
On est surpris que le cit. Gail , en se bornant à la
traduction de quelques morceaux , n'ait pas choisi
ceux qui pouvaient faire le mieux connaître l'esprit
et la tournure de Lucien , comme par exemple : Jupiterle-
Tragique , les Vies à l'encan , la Nécromancie , icqromenippe,
la mort de Perigrinus , etc. , qui sûrement sont
bien préférables , dans cet objet , à des dialogues de
fleuves , de dieux marins et de néréïdes , dont presque
tout le comique disparaît pour nous .
Mais au reste , nous devons toujours , je me plais
à le redire , de la reconnaissance au cit. Gail pour
son zele infatigable , pour son assiduité dans des travaux
difficiles et rebutans , pour sa constance à suivre
l'entreprise qu'il paraît avoir formée de transporter
en France les beautés des écrivains les plus célebres
de la Grece entreprise dans laquelle , avec moins de
précipitation , il finira sans doute par réussir.
C'est une chose remarquable , que les bonnes traductions
dans toutes les langues , ne paraissent gueres
qu'après des ouvrages originaux , où ces langue sont
acquis un grand degré de souplesse et de perfection.
Il paraît que pour bien traduire , il faut plus de talent
d'écrivain que pour rendre ses propres impressions
et ses propres pensées ; et l'on peut soupçonner
pourquoi cela doit être ainsi , quand on songe
que c'est par le moyen de sa langue , que chacun
sent et pense , et qu'avant de prendre la plume , déja
les idées , du moins les idées principales , sont revêtues
de leurs formes originelles . Cette considéra-
Y 3
( 342 )
tion assigne sans doute une place distinguée aux bons
traducteurs ..
Depuis peu , les efforts réunis de quelques savans
ont enrichi notre littérature de plusieurs classiques
grecs. Le cit. Bitaubé nous a donné son excellente
traduction d'Homere ; le cit . Larcher , celle d'Hérodote
et de la retraite de dix mille ; le cit . Ricard , celle
des Morales de Plutarque ( il a commencé les Hommes
illustres ) ; le cit . Massieu , celle de Lucien ; le cit.
Levesque , celle de Thucydide etc.; celle des Tragiques
s'est complettée ; et le cit . Dutheil a refait avec
distinction celle d'Eschille . Le cit. Gail mérite d'être
compté parmi ces hellenistes justement célebres .
On nous annonce encore une traduction d'Aris
tote , dont le cit. Champagne , ancien principal du
collége , ci-devant dit de Louis -le - Grand , doit fournir
une grande partie. Nous espérons que le citoyen
Hennebert , ancien professeur de rhétorique au collége
des Quatre -Nations , n'aura pas abandonné celle
qu'il avait commencée des faits et dits mémorables de
Socrate. Ainsi , la France , même au milieu des orages
sanglans de sa révolution , n'a rien à envier aux nations
étrangeres , pour cette partie de la littérature
qu'on suppose la moins cultivée dans son seinjupor
*
Les récompenses nationales ne sauraient trop ent
courager des travaux si précieux ; car les anciens qué
nous avons surpassés dans toutes les parties des
sciences , et dans presque toutes celles de la phis
losophie , sont encore nos modeles et nos maîtres
dans l'art d'écrire ; et l'on peut les étudier avec fruit ,
même dans les traductions. bal
Ce serait peut-être ici le lieu de faire micux sentir
( 343 )
1
+
dans le détail et par les exemples , quelle est en patticulier
la maniere de Lucien , son art de distribuer
sa matiere , de sorte que chaque tableau soit toujours
net et simple , d'économiser les traits , d'en préparer
l'effet par des mots jettés de loin et comme au
hasard , da placer les mots eux-mêmes de maniere
qu'ils s'éclairent ou se fortifient l'un par l'autre , de
faire sortir la conviction , non d'une forme rigoureuse
- de raisonnement , mais de la seule énonciation et de
l'ordre des idées ; enfin , de rendre sa plaisanterie
d'autant plus vive , que le fond des choses lui permet
le moins de raisonner : mais il nous faudrait pour
cela , plus d'espace que la distribution des objets
dont ce journal s'occupe , ne nous permet d'en
*prendre ; et notre article n'est déja que trop long ,
A
2001 sh
SCIENCES.
10
TABLES portatives de logarithmes , etc. Par FRANÇOIS
-¿CALLET. Édition stéréotype gravée , fondue et imprimée
par FIRMIN DIDOT. Deux volumes grand in-8° . Prix ,
10 liv. A Paris , chez FIRMIN DIDOT , libraire, pour
·A les mathématiques , la marine et l'architecture , rue de
Thionville. ?
Gigs tables contiennent les logarithmes des nom-
Es
bres depuis jusqu'à 108000. — Les logarithmes des
sinus et tangentes de seconde en seconde pour les
cinq premiers degrés , de dix en dix secondes pour
tous les degrés du quart de cercle ; et suivant la nouvelle
division centésimale de dix millicmes en dix
YA
( 344 )
milliemes. Elles sont précédées d'un discours préli
minaire sur l'explication , l'usage et la sommation
des logarithmes , et sur leur application à l'astronomie
, à la navigation , à la géometrie - pratique et
aux calculs d'intérêts , et elles sont suivies de nouvelles
tables plus approchées , et de plusieurs autres
tables utiles à la recherche des longitudes en mer , etc.
Les tables de logarithmes inventées par Jean Neper,
Écossais , ont été successivement étendues et perfectionnées
par Henri Bolggs , Adrien Wlacq , Scherwin
et Gardiner. La nouvelle édition des tables de ce
dernier, revue et augmentée par le P. Pezenas , parut
à Avignon cn 1770 , en un volume grand in-4° .
Des astronomes et des marins engagerent Alexandre
Jombert à en donner une édition portative. Il en fit
en 1783 une édition in - 12 . , au nombre de 6 mille
exemplaires , qui fut revue par le cit. Callet. Cette
édition , la plus correcte sans contredit de toutes
celles qui ont paru , quoiqu'il s'y soit glissé une ving
taine de fautes , étant épuisée aux trois quarts , le
cit. Firmin Didot , devena acquéreur du fonds d'Alexandre
Jombert , s'est déterminé à en donner une
nouvelle édition , en caracteres immobiles . Par ce
moyen , il conserve toutes les pages , pour les imprimer
au besoin , et peut , à chaque édition , corriger
les fautes à l'instant où elles seront découvertes ,
et sans craindre d'en commettre jamais de nouvelles.
Le procédé le plus important et le plus difficile de
cette invention typographique , était de souder ensemble
tant de lettres à la fois pour n'en faire qu'un
seul corps . Le cit . Didot avoue qu'il a éprouvé à cet
égard des difficultés , des contrariétés renaissantes et
( 345 )
*
si bizarres , qu'il en a été quelquefois découragé : il
a lutte contre les difficultés de son art avec le calme
d'un homme accoutumé à les vaincre . Les tables
qu'il publie aujourd'hui , remarquables par la beauté
des caracteres , la forme neite , agréable et distinctedes
chiffres , la justesse des cadres et des filets , la
précision des colonnes et des positions de chiffres ,
en un mot par un caractere d'élégance que nul livre
de mathématiques n'avait eu jusqu'aujourd'hui ,
peuvent être regardées comme un chef- d'oeuvre de
typographic dans un genre dont il est en quelque
sorte le créateur. Pour rendre son édition plus correcte
qu'aucune de celles qui ont paru jusqu'aujour .
d'hui , il a fait lire plusieurs fois les épreuves , avant
de souder et fixer les pages , et depuis elles ont été
encore relues deux fois . Il espere quel intérêt général
engagera tous les mathématiciens , de quelques pays
qu'ils soient , à lui indiquer les fautes qui auront pa
Jui échapper. Il fera publier dans les journaux les
fautes qui auront été reconnues , et il s'engage à fournir
les feuillets corrigés aux personnes qui auraient
eu des exemplaires incorrects .
1
Le cit. Firmin Didot nomme ces tables stéréotypes
( types solides ) et non polytypes , parce que son procédé
n'est pas le même que celui du polytypage ,
dont M. Hoffmann donna à Paris , en 1786 , les premiers
modeles , et dont l'idée très- ancienne , dit-il ,
est ingénieuse . Cependant , ajoute-t- il , je ne crois
pas qu'on soit parvenu à faire par ce procédé aucun
ouvrage important , du moins je n'en connais aucun ,
. et ce que j'en ai vu m'a paru très- peu satisfaisant ,
les caracteres n'ayant pas conservé entr'eux le niveau ,
1
( 546 )
et sur-tout n'étant que rarement bien formés. D'ailleurs
, je doute qu'on puisse parvenir à corriger les
fautes , comme j'y réussis par mon procédé . Peutêtre
n'a-t-on pas encore trouvé le moyen de le perfectionner
, mais en accordant au procédé du polytypage
toute la perfection dont il peut être susceptible
, il sera toujours très - inférieur au mien , puisque
j'emploie le caractere au moment même où il sort
des mains du fondeur , et que le polytypage n'en peut
avoir que la contre-épreuve. "
Les seuls ' ouvrages , dit- on , qui soient sortis des
presses polytypes sont les premiers numéros d'un '
journal polytype des sciences et arts , qui parut en
-1987 , et ces numéros que nous avons vu dans le tems
parurent aux amateurs de la typographie avoir tous
les défauts que remarque le cit . Didot . D'ailleurs ,
une seule faute rendait inutile la page entiere. Le
eft. Didot , au contraire , a trouvé le secret d'enlever
de sa page stéréotype le chiffre , la lettre ou de
-mot défectueux , et d'y substituer la correction né-
' cessaire .
Après avoir appliqué son invention typographique
Faux tables actuellès des logarithmes , et aux tables
-centésimales in -folio calculées par le bureau du cadastre
, dont l'exécution lui avait été confiée par la
commission des travaux publics , il se propose de
stéréotyper Virgile , Horace , et les bons auteurs de
«l'antiquité « sur-tout, dit-il , si jouissant d'un peu plus
de loisir , je puis m'occuper de quelques moyens de
perfection que j'entrevois , et qui me paraissent nécessaires
pour ce genre d'ouvrage . » Il est à desirer
pour l'intérêt des lettres et de ceux qui les cultivent ,
t
( 347 )
que le cit. Firmin Didot se livre bientôt à ce travail.
Ce moyen , le seul peut- être d'avoir en peu de tems
des éditions exemptes de fautes , des meilleurs livres
classiques , et de les avoir à un prix très - modique ,
est bien digne du zele et des soins d'un homme
destiné à porter son art à un haut degré de perfection ,
et ami des lettres qu'il cultive avec talent.
Lettre au Rédacteur sur le Traité élémentaire de morale.
EN
1
rendant compte , citoyen , de ce précieux ou
vrage , vous avez cru ne devoir pas nommer l'auteur ;
mais vous me permettrez d'y suppléer , puisque cela
peut lui être utile. C'est le cit . Paradis de Raymondia,
qui fut long-tems lieutenant- général du bailliage de
Bourg, l'homme le plus cher à son pays , dont le
savoir était admiré comme sa morale , et qui les metr
tait en pratique comme il l'a mise dans son livre. Sa
santé l'obligeait de passer la plus grande partie de
l'année à Nice , et on l'a traité d'émigré. Le dépattement
de l'Ain a trois fois décidé que c'était mal às
propos ; cependant il ne peut rentrer dans une patrie
qui lui est chere , qu'il a servie, et qu'il honore eα,
core ; si en le faisant connaître je pouvais lui pren
curer la justice qui lui est due , vous me pardonueriez
bien le reproche que je vous fais de ne l'avoir
pas nommé 25th
› noid ob oramed T
LALANDE.
64 ANS
Bong i
( 348 )
INSTITUT NATIONAL des Sciences et Arts.
L'INSTITUT
INSTITUT NATIONAL a tenu sa premiere séance
publique le 15 de ce mois , dans une des salles du
Louvre dite la salle des Antiques. La grandeur et k
beauté du local , l'élégance et la richesse de sa décoration
, la présence des membres du Directoire
des ministres , des ambassadeurs des puissances étrangeres
, et d'une foule de spectateurs , la réunion des
savans , des littérateurs et des artistes , et les lectures
intéressantes qui ont été faites , ont donné à cette
séance un éclat qui annonce le rang et l'importance
que doivent occuper dans un Etat libre les diverses
branches des connaissances humaines .
Le président du Directoire a ouvert la séance par
un discours dans lequel il a exprimé avec dignité
les dispositions du gouvernement en faveur des
sciences et des arts . On a remarqué sur tout ce passage
: Le regne de la loi commence ; elle vous couvrira
de son égide ; elle compte sur vétre influence
pour l'éclairer ; la sagesse est si puissante lorsqu'elle
s'exprime avec la force et la grace qui lui conviennent
! Préparez des palmes et des lauriers à nos héros
vainqueurs ; le Directoire vous en assurera le loisir ,
il veut le rétablissement de l'ordre , l'anéantissement
des partis , s'il se peut l'oubli des haines ; la tolérance
est à ses yeux le lien de la société. Il ne sondera
pas les coeurs ; il protégera l'homme de bien ;
il encouragera l'homme utile. "
( 349 )
Dussaulx , président de l'institut , a répondu au
président du Directoire .
Daunou , organe de l'institut , dans un discours
plein d'énergie et d'élégance , a développé les différens
caracteres de cet établissement , et le degré
d'utilité et d'influence qui doit résulter de la réunion
des trois classes qui le composent.
Les sciences mathématiques et physiques , objets de
l'une des classes de l'institut , ont triomphé de bonne heure
des préjugés , et des tyrannies qui avaient entouré leur berceau
et comprimé leur premier essor . Libres avant la fin du dixseptieme
siecle du joug des traditions et des habitudes , guidées
par le génie de l'analyse qui les instruisait à refaire leurs
idées et leur langage , environnées des arts qu'elles éclairaient
, et qui , fécondés par elles , devenaient de plus en
plus leurs tributaires et les instrumens de leurs travaux , on
les a vu multiplier les moyens de sentir et de connaître ,
aggrandir le domaine de la pensée , et s'avancer fierement
dans la voie de toutes les découvertes et de tous les succès.
•75
" Loin d'interrompre le progrès des sciences mathémathiques
et physiques , la révolution , les associant à ses triomphes
, n'a fait qu'enflammer leur activité , et manifester avec
éclat leur puissance. Tantôt les arts chimiques préparant
les exploits de nos légions formidables , dégageaient la foudre
du sein de toutes les substances , pour en armer les mains
de la liberté et de la victoire ; tantôt le génie des sciences ,
se combinant avec le génie de la législation républicaine ,
rétablissait dans les mesures commerciales , cette uniformité
simple et précise , qui doit être le gage de la fidélité des
échanges et le symbole de l'unité politique du Peuple Français.
Au milieu même des plus violens orages , et lorsque ces
sciences bienfaitrices essuyaient aussi des pertes dont elles
ne sont pas consolées , elles reprenaient un nouvel essor ;
( 350 )
renaissaient dans ces établissemens nouveaux se fondaient
sur plusieurs points de la République , et sur- tout dans cette
cité , dés écoles , déja plus illustres dès leur origine , que les
institutions de ce genre n'ont coutume de le devenir aux
jours de leur plus parfaite maturité.
" Il ,, 11 s'en faut bien que les sciences morales et politiques ,
dont la seconde classe de l'institut doit s'occuper aient
pu faire encore un aussi grand progrès parmi nous Le despotisme
, dont la destinée était de les persécuter et ' de ne
pouvoir pas les asservir , avait suscité , déchaîné contre elles
l'intolérance de vingt corporations orgueilleuses , gardiennes
de toutes les superstitions , protectrices de toutes les immo
ralités ; et au milieu de tant d'ennemis puissans , la philosophie
n'était pas toujours , s'il est permis de le dire , bien
vivement défendue par ses plus raturels auxiliaires ; trop
sonvent dédaignée ou peu encouragée du moins , soit par des
littérateurs qui la trouvaient trop abstraite , soit aussi par des
savans qui se plaignaient de rencontrer chez elle moins de
démonstrations que de doutes , et plus de tentatives que d'assertions.
Cependant isolées , presque sans appui , n'ayant ni
écoles publiques , ni livres élé ,nentaires , privées de la plupart
des moyens de propaga ion et d'influence , les sciences
morales et politiques , fortes seulement de l'energie que la
compression provoque , employant tour-à-tour , pour tromper
ou braver la tyrannie , les ressources diverses que l'instinct
de la liberté suggere , ont préparé durant ce siecle l'imposante
révolution qui le termine , et qui rappelle 25 millions
d'hommes à l'exercice de leurs droits , à l'étude de
lors intérêts et de leurs devoirs .
Si les premiers élans de la philosophie, ont éveillé parmi
nous le génie de la liberté , à son tour la révolution vient
d'ouvrir à la pensée une plus féconde carriere . Les orages.
même que nous venons de traverser , ce vaste ébranlement .
ees désastres dont le souvenir doit être interdit à la ven-
E
( 351 )
1
A
geance , et ne doit pas être perdu pour l'instruction , deviendront
sans doute aussi une grande époque dans l'histoire
de l'esplit humain. C'est après des troubles politiques que les
sciences morales se sont enrichies , dans le cours des siecles ,.
de plusieurs immortels ouvrages qui doivent nous sembler
à la fois plus intéressans et plus clairs , depuis qu'ils ont été
commencés en quelque sorte par les trop mémorables événe-.
mens , par les tragiques expériences auxquelles nous avons
assisté. Dans les tems calmes, les passions humaines ne frappent
que faiblement les regards du philosophe , et ne lui donnent
que des sensations plus ou moins obscures ; dans les révo
lutions , dans ce choc terrible , et heureusement peu durable ,
de tous les intérêts , de toutes les vertus et de tous les vices ,
les caracteres se développent , les traits moraux se grossissent,
les facultés de l'homme apparaissent sous des formes plus
prononcées , sous des couleurs plus distinctes , C'est alors
que l'observation , qui commence toutes les sciences en formant
des recueils de faits , peut en appercevoir , en rassembler
, en comparer un plus grand nombre ; c'est alors
que la philosophie , placée plus que jamais en présence de
la nature morale , peut en poursuivre l'analyse , en recréer
la théorie , et s'instruire à ce, spectacle de bouleversemens
et de destructions ; ainsi qu'on voit , dans les sciences physiques
, les savans étendre chaque jour leurs découvertes ,
en déplaçant les élémens de toutes les substances , en s'environnant
des débris de tous les corps et des ruines de la
nature.
" La troisieme classe de l'institut est dévouée à ces arts
créateurs qui semblent les chefs - d'oeuvre de l'industrie humaine
, les derniers produits de toutes les connaissances ,
de toutes les méditations , et dont néanmoins la destinée ,
jusqu'à cce jour invariable , fut de commencer l'instruction de
chaque peuple , de précéder par-tout les sciences physiques
et morales , et d'en préparer le retour. Séduite et cha més
( 352 )
elle-même jar ces arts enchanteurs , la tyrannie ne s'apperçoit
pas des écueils au milieu desquels ils l'entraînent ; elle
se croit couverte de l'éclat des talens , et forte de leur gloire ,
tandis que provoquant peu à peu l'audace de la pensée et
l'énergie des sentimens , les lettres amenent la philosophie
et appellent de loin la liberté.
,, La révolution cependant , alors même qu'elle consom .
mait l'affranchissement des beaux arts , parut d'abord peu
favoriser leurs progrès , et un moment le ralentir . Ce n'est
pas qu'ils n'aient aussi , durant ces années de commotions et
de troubles , offert à la liberté des tributs honorables : souvent
l'éloquence , la poésie , la musique ont pris avec un
éclatant succès le noble aceent du patriotisme ; mais lorsque
de si grands intérêts occupaient tous les esprits , que de si
pressans périls captivaient toutes les pensées , les arts de la
paix pouvaient-ils se promettre , au sein de toutes les discordes
, d'attirer et de fixer sur eux ces regards rémunérateurs
, cet hommage de l'admiration publique , dont l'espoir
est nécessaire au talent pour qu'il soit tout ce qu'il peut être ?
Que dis -je ? distrait lui -même par tant d'événemens , froissé
par les partis , atteint par les malheurs communs , et partageant
sur-tout avec un dévouement assidu les saints devoirs
que la patrie imposait à tous les citoyens , le talent retrouverait
- il assez pleinement , pour ses travaux paisibles et solitaires
, ce loisir calme , ce recueillement religieux , cette
attention immobile et profonde , réclamée peut-être à un
degré encore plus éminent dans les beaux arts que dans les
sciences , et sans laquelle il n'est pas donné au génie de
perfectionner ses ouvrages ?
,, Mais qui mieux que la liberté , par qui tout s'aggrandit
et se régénere , peut rouvrir le temple du goût et recommencer
un siecle de gloire ? Ce peuple qui jadis brilla , dans la
Grece , de l'immortel éclat des arts , était un peuple républisain
; et parmi nous , sous l'empire même de la monarchie ,
c'étaient
'( 353 )
c'étaient encore les leçons et les exemples des nations libres ,
leurs monumens et leur histoire ; c'étaient les pensées , les
sentimens et le génie de la République qui fécondaient les
talens et leur inspiraient des chefs-d'oeuvre . Quelle renaissance
auguste est donc promise à ces arts sublimes , quand
la France est devenue plus que jamais leur patrie , et qu'environnés
d'institutions républicaines comme eux , ils se retrouvent
dans leur antique et naturel élément !
" Il est vrai que l'on a contesté quelquefois l'utilité politique
des beaux arts des hommes qui les idolâtraient ont
feint de redouter leur influence ; mais l'expérience , que de
grands événemens ont donnée , et le progrès qui doit en
résulter dans l'étude du coeur humain ; mais l'établissement
des fêtes publiques,, et sur- tout cette alliance solemnelle que
contractent dans l'institut le goût et la raison la littérature
19
et les sciences , tout annonce que désormais , plus éclairée
et moins ingrate , la philosophie ne méconnaîtra plus dans
les beaux arts ses organes les plus éloquens , et les interprêtes
qu'elle a besoin d'avoir auprès des nations ; elle sentira
tout le prix de l'enthousiasme qu'ils propagent , et sans
lequel il ne s'est opéré rien d'utile et de grand sur la terre .
Si , dans les sciences même les plus séveres , aucune vérité
n'est éclose du génie des Archimede et des Newton sans une
émotion poétique , et je ne sais quel frémissement de la nature
intelligente , comment , sans le bienfait de l'enthousiasme
, les vérités morales saisiraient- elles le coeur des humains
? comment circuleraient- elles privées de ce véhicule ?
comment , dénuées de cette chaleur animatrice , pourraientelles
, au sein d'un grand peuple , se transformer en des sentimens
, en des habitudes , en des moeurs , en un caractere ?
que deviendraient tant de maximes sociales , tant de généralités
abstraites , si les beaux arts ne s'en emparaient pas pour
les replonger dans la nature sensible , les rattacher aux sensations
d'où elles dérivent, et leur redonner ainsi des couleurs .
et de la puissance ?
Tome XXI. Z
´( 354 )
3
" Voilà , citoyens , quelles ont été jusqu'ici parmi nous
et quelles peuvent devenir , sous les auspices de la ltberté ,
les destinées des sciences , de la philosophie et des arts ,
dont l'institut national est appellé à seconder les progrès . "
9
Lacepede , Lebreton et Fontanes , secrétaires des
trois classes de l'institut , ont rendu compte des travaux
de leur classe . Quoique formé depuis peu de
mois , on peut déja juger par le nombre des mémoires,
de l'étendue des travaux de cet établissement.
Collin- Harleville a lu une allégorie en vers , intitulée
: La Grande Famille réunie . C'est un tableau poétique
des différentes facultés de l'entendement qui
sont filles du génie et de la mémoire . On sent combien
un sujet aussi abstrait offre de difficultés à
vaincre à la poésie .
Fourcroy a lu un mémoire très - intéressant sur les
détonations du muriate sur- oxigéné de potasse , lorsqu'il
éprouve une pression ou un choc . Il a observé
que la poudre à canon ordinaire , recevant une vive
percussion , détonne , mais avec beaucoup moins de
violence que le muriate sur oxigénė .
Le citoyen Cabanis a lu l'extrait d'un grand ouvrage sur
les rapports généraux entre l'organisation physique et la morale
de l'homme . Il a montré que la physique animale et
la philosophie rationnelle font ensemble des progrès ; que
c'est par la physiologie qu'il faut arriver à la psychologie ,
et que c'est ainsi qu'ont procédé , dès la plus haute antiquité ,
dans le moyen âge et de nos jours , tous les philosophes
dignes de ce nom . Il a donné ensuite la péroraison de ce grand
et beau travail .
Les besoins moraux naissent des besoins physiques ; les
idées , des sensations ; et le développement des idées , de la
( 855 )
perfection des signes qui expriment les sensations et en fixent
la mémoire.
C'est ce qui a fait dire à Condillac qu'on ne pense point
sans le concours des langues , et que les langues sont des
méthodes analytiques .
Le plaisir , la douleur , la compassion , s'expriment par des
signes pantomimiques , langue universelle qui fait courir l'en- .
fant vers l'enfant . Notre premiere étude est celle de nos instrumens
; la seconde est celle des méthodes . L'éducation physique
et morale dure autant que, la vie .
Les effets du régime . et de la gymnastique , l'étude des
tempéramens , l'analyse des sexes , les observations sur les
différens âges de la vie avancerònt , à cet égard , la véritable
science formée de l'union de la physique et de la
métaphysique.
La médecine touche à de grandes réformes . La philosophie
qui s'appuie sur elle , la perfectionne et la perfectionnera ,
et les progrès de la science de 1 homme physique amélioreront
singulierement l'homme moral . Cette perspective est
une des plus douces récompenses des travaux des sociétés
savantes.
Le cit. Lacépede a lu l'éloge du cit . Vandermonde , qui
fut éleve de Fontaine , fit d'assez grands progrès en géométrie
, s'occupa des arts mécaniques avec succès , et finit par
être professeur d'économie politique à l'école normale , où
ses idées et sa voix fuient peu entendues par ses éleves .
On a entendu avec intérêt un mémoire de Prony
sur le résultat des travaux faits au bureau du cadastre
pour connaître la superficie et la population du territoire
français . Le dénombrement qui a été fait donne
pour les anciens départemens 25 millions 600 mille
habitans sur 27 mille lieues carrées de 25 au degré ,
ce qui fait pour chaque habitant deux arpens et demi
Z 2
(.356 )
de terres labourables , ou quatre arpens en comptant
tout le terrain .
Monvel a lu ensuite , pour Andrieux , une piece
de vers intitulée : Le procès du sénat de Capoue ; trait
historique emprunté, de Tite- Live . Nous l'insérons
à la suite de cette séance .
9
Un éloge historique de Thomas Raynal , morceau
plein de chaleur et de philosophie , par
par Lebreton
secrétaire de la seconde classe ; un discours de Grégoire
sur les rapports mutuels de la liberté et des sciences ; un
mémoire de Cuvier sur la différence des especes des
éléphans d'Asie et des éléphans d'Afrique ; un discours
de Dussaulx servant d'introduction à un voyage
des Pyrénées , et une ode sur l'enthousiasme par
Lebrun , ont partagé tour à tour l'attention et les applaudissemens
du public .
La séance a été terminée par des expériences de
chimie faites par Fourcroy et Vaucquelin .
La multiplicité des lectures et la durée de cette
séance qui a été de plus de quatre hcures , nous engage
à présenter quelques observations . Quand on
accumule ainsi les lectures , il faut nécessairement
restreindre chacune à un petit nombre de minutes .
Ten résulte que le savant ou l'homme de lettres ,
commandé par le tems , et voulant néanmoins intéresser
, ne jette que quelques traits , ne saisit que
les sommités d'un sujet , et ne peut rien donner à
la profondeur et à l'instruction . Le public , devant
lequel on fait passer rapidement cette galerie de
tableaux , n'emporte de chacun qu'un souvenir
confus qui s'efface l'un par l'autre . Il est probable
que l'institut a senti lui- même cet inconvénient , et
( 357 )
qu'il s'en garantira dans ses autres séances publique ..
Nous ajouterons que , quoique la salle soit belle
et décorée avec intelligence , elle est néanmoins trèsingrate
pour le lecteur et pour l'auditeur . On écoute
toujours avec inquiétude ce que l'on a peine à entendre
; on paraît trop oublier que la meilleure police
des assemblées publiques tient à la forme de leur
local . Tant qu'on n'adoptera pas les formes circulaires
ou ellyptiques , les plus favorables à l'organe vocal ,
il sera difficile de commander l'attention .
Au reste , il n'est pas inutile de remarquer en finissant
, que les ministres , les membres du Directoire
et le président sont restés debout pendant que celuici
a parlé , tandis que les membres de l'institut ont
parlé assis ; seulement le président s'est levé quand
il a répondu au Directoire ; ce qui a fait dire à l'un
de nos écrivains qui a rendu compte de cette séance ,
que sans doute le Directoire aura pensé , et cette idée
l'honore , que dans le sanctuaire des sciences , le savoir doit
être au premier rang et le pouvoir au second.
LE PROCÈS DU SÉNAT DE CAPOUE ,
Anecdocte tirée de l'Hist . Romaine. ( TITE-LIVE , décad . 3. liv . I. )
Amenant la terreur du haut des Apennins ,
Lorsqu'il pouvait dans Rome accabler les Romains ,
Annibal s'arrêta dans les murs de Capoue ;
On l'a souvent blâmé ; quant à-moi je le loue .
Vous savez que Capoue était un lieu charmant ,
Un pays de Cocagne , où l'on vivait gaîment ,
Où chacun se livrant à sa chere paresse ,
S'enivrant chaque jour de vin et de tendresse ,
Z 3
( 358 )
49
Dn matin jusqu'au soir riait , dansait , chantait ,
Et puis du lendemain fort peu s'inquiétait.
Que le Ciel me conduise en un semblable gîte ;
Et je ne pense pas que sitôt je le quitte . "
Ne valait-il pas mieux , dans cet heureux sejour
Passer les nuits au bal , jouer , faire l'amour , '
Que de courir le monde , et d'aller à la guerre ,
Tout le jour à cheval , et couchant sur la terre ,
Ou rossant ou róssé , s'estimer un héros ?
Ne me dites donc plus qu'au sem d'un doux repos ,
Annibal ne sut pas user de la victoire ; it..
Il s'y connaissait mieux que vos , faiseurs d'histoire .
Les revers sont communs , le succès peut nous fuir ;
Eh ! qu'est-ce qu'en user , si ce n'est en jouir ?
Mais laissons Annibal , et sa gloire ou sa honte ;
Aujourd hui , mes amis , il faut que je vous conte
Un trait de politique un peu vieux , mais certain .
Tite-Live , avant -moi , l'écrivit en latin ,
Et dans de faibles vers j'essaie à le traduire .
Par les siecles passés notre âge peut s'instruire .
: 0 Dans Capbue autrefois , chez ce peuple si doux ,
S'élevaient des partis , l'un de l'autre jaloux ;
L'ambition , l'orgueil , l'envie à l'oeil oblique ,
Tourmentarent , déchiraient , perdaient la République .
D'impertinens bavards , soi- disant orateurs , t
Des meilleurs citoyens ardens persécuteurs ,
Excitent à dessein les haines les plus fortes ;
Et pour comble de maux , Annibal est aux portes.
Que faire et que résoudre en ce préssant danger ?.
Tu vas tomber , Capoue , aux mains de l'étranger.
Le sénat effrayé délibere en tumulte ;
Le peuple soulevé lui prodigue l'insulte ;
On s'arme ; on est déja près d'en venir aux mains .
Les meneurs triomphaient . Pour rompre leurs desseins ,
( 359 )
Certain Pacuvius , vieux routier , forte tête ,
Trouva dans son esprit cette ressource honnête .
`66 Avec vous , sénateurs , je fus long-tems brouillé ;
,, De mes biens sans raison vous m'avez dépouillé ,
,, Leur dit-il ; mais je vois , dans le tems où nous sommes ,
" Les périls de l'état , non les fautes des hommes .
" On égare le peuple ; il le faut ramener ;
" Il est une leçon que je lui veux donner.
99
J'ai du coeur des humains un peu d'expérience ;
,, Laissez -moi faire enfin ; soyez sans défiance ;
,, La patrie aujourd'hui me devra son salut .
La
peur en fit passer par tout ce qu'il voulut.
Il prend cet ascendant , et ce pouvoir suprême .....
Quand chacun consterné tremble et craint pour soi-même ,
S'il se présente un homme , au langage assuré ,
On l'écoute ; on lui cede ; il ordonne à son gré .
Ainsi Pacuvius , du droit d'une ame forte ,
Sort du sénat , le ferme , et fait garder la porte ,
S'avance sur la place , et sou autorité
Calme un instant les flots de ce Peuple irrité .
'b tqr
Citoyens , leur dit - il , la divine justice
A vos voeux redoublés se montre enfin propice ;
Elle livre en vos mains tous ces hommes pervers ‚'
Ces sénateurs noircis de cent forfaits divers ,
Dont chacun d'entre vous a reçu quelqu'offense . "
Je les tiens renfermés , seuls , tremblans , sans défense ;
Vous pouvez les punir , vous pouvez vous venger ,
Sans livrer de combat , sans courir de danger.it
Contre eux tout est permis , tout devient légitime ;
Pardonner est honteux , et proscrire est sublime ;
Je suis l'ami du Peuple , ainsi vous m'en croirez ;
Et sur-tout gardez - vous des avis modérés . " ,
L'assemblée applaudit à ce début si sage ,
Et par un bruit flatteur lui donue son suffrage. "
I
Z 4
( 360 )
Le harangueur reprend : Punissez leurs forfaits ;
Mais ne trahissez pas vos propres intérêts .
A qui veut se venger trop souvent il en coûte .
Votre juste courroux , je n'en fais aucun doute ,
Proscrit les sénateurs et non pas le sénat .
Ce conseil nécessaire est l'ame de l'Etat ,
Le gardien de vos lois : l'appui d'un peuple libre .
Aux rives du Vulturne , ainsi qu'aux bords du Tibre ,
On hait la servitude , on abhorre les rois .
Tout le peuple applaudit une seconde fois .
" Voici donc , citoyens , le parti qu'il faut suivre .
Parmi ces sénateurs que le destin vous livre ,
Que chacun à son tour sur la place cité
Vienne entendre l'arrêt qu'il aura mérité .
Mais avant qu'à nos lois sa peine satisfasse ,
Il faudra qu'au sénat un autre le remplace ;
Que vous preniez le soin d'élire parmi vous
Un nouveau sénateur , de ses devoirs jaloux ,
Exempt d'ambition , de faste , d'avarice ,
Ayant mille vertus sans avoir aucun vice ,
Et que tout le sénat soit ainsi composé .
Vous voyez , citoyens , que rien n'est plus aisé, "
La motion aux voix est soudain adoptée ,
Et , sans autre examen , d'abord exécutée ;
Les noms des sénateurs qu'on doit tirer au sort
Sont jettés dans une urne , et le premier qui sort
Est aux regards du Peuple amené sur la place .
A son nom , à sa vue , on crie , on le menace ;
Aucun tourment pour lui ne semble trop cruel ,
Et peut-être de tous c'est le plus criminel .
Bien , dit Pacuvius , le cri public m'atteste
Que tout le monde ici l'accuse et le déteste :
Il faut donc de son rang l'exclure , et décider
Quel hemme vertueux devra lui succéder.
( 361 )
@
Pesez les candidats ; tenez bien la balance :
Allons , qui nommez - vous ? ,, Il se fit un silence .
On avait beau chercher ; chacun , excepté soi ,
Ne connaissait personne à mettre à cet emploi.
Cependant , à la fin , quelqu'un de l'assistance
Voyant qu'on ne dit mot , prend un peu d'assurance ,
Hasarde un nom' : encor le risqua-t- il si bas ,
Qu'à moins d'être tout près , on ne l'entendit pas .
Ses voisins , plus hardis , tout haut le répéterent.
Mille cris à la fois contre lui s'éleverent.
Pouvait-on présenter un pareil sénateur ?
Celui qu'on rejettait était cent fois meilleur. "
Le second proposé fut accueilli de même ,
Et ce fut encore pis , quand ce fut au troisieme .
Quelques autres encor ne semblerent nommés
Que pour être hués , conspués , diffamés ....
3
Le Peuple ouvre les yeux , se ravise , et la foule ,
Sans avoir fait de choix , tout doucement s'écoule .
De beaucoup d'intrigans ce jour devint l'écueil ,
Le bon Pacuvius , qui suivait tout de l'oeuil ,
Pardonnez-moi , dit-il , l'innocent artifice
Qui vous fait rendre à tous une exacte justice .
Et vous , jaloux esprits , dont les cris détracteurs
D'un blâme intéressé chargeaient nos sénateurs ,
Pourquoi vomir contr'eux les plaintes , les menaces ?
Eh ! que ne disiez-vous que vous vouliez leurs places !
Ajournons , Citoyens , ce dangereux procès ;
D'Annibal qui s'avance arrêtons les progrès ;
Eteignons nos débats ; que le passé s'oublie ,
Et réunissons-nous pour sauver l'Italie . " ,
On crut Pacuvius , mais non pas pour long-tems ;
Les esprits à Capoue étaient fort inconstans .
Bientôt se ralluma la discorde civile ;
Et bientôt l'étranger , s'emparant de la ville ,
( 362 )
Mit sous un même joug et Peuple et sénateurs .
Français , ce trait s'appelle un avis aux lecteurs .
ANNONCES.
LIVRES
FRANGAI S.
99
les
Délices de la Solitude , par André -Joseph Canolli , avec cette
épigraphe : Tout est ame dans la nature , la loi du plaisir régit
, l'univers . Délices de la Solitude , chap . Ier . Poitiers , l'an 3e .
Volume in- 12 de près de 200 pages , broché . Prix , 20 sous en
numéraire pour Paris , et 24 sous , franc de port ,
départemens ; ou 100 liv . en assignats , pour Paris , et 125 liv .
franc de port , pour les départemens . A Paris , chez le citoyen
Breton jenne , libraire rue du Cherche - midi , n ° . 790 ,
près la Croix-rouge . Il faut affranchir les lettres .
"
, pour
Léopodine , ou les Enfans perdus et retrouvés , traduit de l'allemand
de F. Schulz , avec figures , dessinées et gravées par
Queverdre. Quatre volumes in - 16 . A Paris , chez le même .
Examen de quelques principes erronés en électricité ; par
J. A. Sigaud- Lafond , professeur de physique et de chimie
expérimentale dans l'école centrale de Bourges , département
du Cher. Prix , 100 liv . en assignats , frane de port. A Paris ,
chez Deroy , libraire , rue du Cimetiere - St. -André - des -Arcs ,
a . 15. L'an 4°. ( 1796 ) .
162
Costumes des autorités constituées de la République Française ,
en couleur , dessinés par Simon , gravés par Français . Cette
collection , composée de 12 gravures in- 4° . comprend tous
les costumes dessinés et coloriés d'après les originaux . On a
imprimé sur l'enveloppe qui les couvre , la loi du 3 brumaire.
Prix , fixe en numéraire , 50 sous , franc de port. A Paris , au
bureau du courier de lalibrairie , rue du Marché - neuf, vis -àvis
celle Notre- Dame.
( 363 )
NOUVELLES ÉTRANGERES.
TANDI
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 5 avril 1796.
ANDIS que la Russie et la Prusse cherchent à
s'assurer leurs nouvelles possessions en Pologne par'
tous les actes extérieurs qui peuvent attacher et lier
des peuples , fideles à la religion du serment ; qu'ils
y operent tous les changemens qui doivent les assimiler
, et les incorporer à leurs anciens états ; qu'ils
s'occupent à en régler les limites , à en connaître la
population , en apprécier les ressources , l'Autriche
semble ne regarder les siennes que comme un dépôt ,
et ne les occuper que comme une conquête passagere
; elle laisse tous les établissemens tels qu'elle
les a trouvés ; les institutions , les formes qui s'observaient,
s'observent aujourd'hui ; et dans cette partie
de la Pologne on croirait que la république
existe encore , si de fréquentes requisitions d'hommes
et de denrées , exercées avec la plus brutale insolence
, ne faisaient sentir le joug , et si une multitude
de petites vexations domestiques que se permet
le soldat , qui n'a que le sentiment de sa force , n'avertissaient
sans cesse de la présence d'un dominateur
étranger. On donne différens motifs à cette con-
7
( 364 )
duite de la cour de Vienne . Les uns prétendent que,
mécontente du lot qui lui est échu en partage , elle
ne veut pas sanctionner , par une prise de possession
formelle , la distribution qui a été faite ; et contre
laquelle elle se réserve de réclamer , lorsque les circonstances
lui permettront d'appuyer ses réclamations
d'une force imposante . D'autres prétendent qu'à
cet égard elle a déja pris avec la Russie des arrangemens
, subordonnés à l'exécution du grand projet ,
d'invasion de l'Empire ottoman , que l'on croit être
le principal objet du traité de la triple alliance . On
pourrait présumer en effet que toutes les vues , tous
les desseins de Catherine II sur la Pologne ne sont
pas encore accomplis . On remarque ses ménagemens
pour les Polonais prisonniers à Pétersbourg , et particulierement
pour Kosciusko . Elle l'a fait loger dans
un palais ; elle lui entretient une table de seize couverts
; un des médecins de la cour va chaque jour
s'informer de sa santé . Ces attentions que l'humanité
seule pourrait prescrire , auxquelles pourrait inviter
l'intérêt que des ennemis même , doués de
grands talens , ou de grandes vertus , inspirent lorsqu'ils
sont tombés dans l'infortune , ou cette générosité
qui se plaît à se venger des offenses par des
bienfaits , on les attribue à de nouvelles combinaisons
politiques sur les destinées futures de la Pologne
. Quoi qu'il en soit , Kosciusko y paraît peu
sensible. Il n'écrit pas ; il lit peu ; il passe la plus
grande partie du jour , absorbé dans de profondes
méditations . Au reste , son caractere connu , les
principes qu'il a ouvertement professés , e permettent
pas de croire qu'il puisse se résoudre à concourir
à l'asservissement de sa patrie.
( 365 )
Quelles que soient les vues ultérieures de Catherine
II sur la Pologne , elle n'a point abandonné ses
projets contre l'Empire ottoman . On dit même ,
qu'instruite des dispositions que la France a faites
pour aider les Turcs à s'y opposer , et des prépara
tifs formidables de ceux- ci tant sur terre que sur mer,
elle a jugé convenable d'en accélérer l'exécution ;
qu'en conséquence , elle a formellement déclaré la
guerre au grand - seigneur ; que cette déclaration a été
immédiatement suivie de la marche de trois armées ,
chacune de 50 mille hommes ; que les hostilités sont
commencées ; et que Choczim est déja au pouvoir
des Russes . Nous ne garantissons pas cette nouvelle ;
mais nous ne la croyons que prématurée .
On avait répandu avec beaucoup d'affectation dans
tout le Nord que la Suede ne réunirait point cette
année sa flotte à celle du Danemarck pour protéger
la navigation des neutres ; que non - seulement le mariage
du jeune roi avec une princesse de Mecklenbourg
Schwerin était différé d'une maniere indéterminée
; mais qu'il était question d'une alliance avec
la Russie . Cette derniere nouvelle a été démentie par
le ministre de Suede résidant à Copenhague , d'après
un ordre de sa cour . L'autre ne l'est pas moins authentiquement
. La cour de Stockholm a fait rendre
par le comptoir d'Etat les ordonnances nécessaires
pour les frais de l'équipement d'une escadre qui sera
composée du même nombre de vaisseaux que celle'
de l'année derniere.
De Francfort-sur- le - Mein , le 10 avril.
La cour impériale avait , disait - on , consenti à ce
( 366 )
que le ministre palatin d'Oberndorff se retirât dans
ses terres , et borné à cet exil ia satisfaction qu'elle
se croyait en droit d'exiger pour les griefs qu'elle
lui impute . L'abbé Salabert , muistre du duc
régnant de Deux-Ponts , d'après les pressantes réclamations
de ce prince , devait avoirété mis en liberté
. L'on sait maintenant que ces nouvelles étaient
prématurées . MM . d'Oberndorff et Salabert sont toujours
en état d'arrestation , ainsi que tous ceux à qui
l'on avait supposé quelques intelligences , quelques
relations avec les Français .
L'électeur de Cologne attendait le 22 l'archiduc
Charles , son neveu , à Mergentheim ; tout était préparé
pour sa réception . On apprit qu'un incident
avait retardé son départ. On ignore la nature de cet
incident. S'il n'en survient pas d'autre , on assure
qu'il arrivera prochainement . Sa suite sera de cent
cinquante personnes , ses appointemens sont portés
6000 florins par mois . On prevoit qu'il opérera de
grands changemens dans l'armée .
Quelques avis annoncent que ce nouveau général
ne sera pas seulement accompagné d'hommes destinés .
à diriger les opérations militaires , mais qu il le sera
aussi d'hommes propres aux négociations . On ne
désigne dans ce moment que le ministre d'état impé
rial , comte de Lerbach , qui jouit , dit- on , d'un grand
crédit à la cour de Vienne , quoiqu'on lui suppose un
systême politique opposé à celui que cette cour a
suivi jusqu'à présent.
Le magistrat de cette ville a cru devoir reconnaître
les services que le maréchal de Clairfayt a rendus à
la patrie germanique . L'agent de l'Empire , Pilgeram ,
( 367 )
lui a remis de sa part le diplôme qui lui assure son
droit de bourgeoisie , renfermé dans une boîte d'or
d'une grande valeur , par son poids et par la maniere
dont elle est travaillée . Ce présent était accompagné
de la lettre la plus flatteuse .
ITALIE. De Gênes , le 30 mars ,
Malgré tous les efforts de la coalition , la plupart
des opérations dont le commissaire du gouvernement
français , Salicetti , était chargé , ont réussi . Il a
fait toutes les dispositions nécessaires pour l'ouver
ture de la campagne . Il paraît que l'on y développera
de part et d'autre de grands moyens. On porte à
cinquante mille hommes l'armée impériale , à quarante .
mille l'armée sarde , et à dix mille le renfort que
doit fournir la cour de Naples . La République Française
en opposera un nombre au moins égal . Son
armée se fortifie chaque jour ; et l'on croit qu'elle
s'éleve deja à près de cent mille hommes. La difficulté
des arrivages y a fait éprouver pendant quelque
tems une grande disette . Mais de riches et nombreux
convois de vivres lui sont parvenus ; et l'on
a pris des précautions sûres pour que désormais ses
approvisionnemens n'éprouvent aucun retard .
ESPAGNE. De Madrid , le 1er . avril.
Le dernier traité de paix conclu avec la France
stipule la restitution réciproque de tous les biens et
effets saisis , au moment de la rupture , sur les sujets
des deux nations . Notre gouvernement vient de pren(
368 )

dre des mesures pour accélérer l'exécution la plus
prompte et la plus fidelle de cette stipulation importante
. Elles sont expliquées dans la lettre suivante ,
que le prince de la Paix a adressée au chargé d'affaires
de la République Française .
Lettre du prince de la Paix , premier ministre d'Espagne ,
au chargé des affaires de la République Française.
D'Aranjuez , le 23 mars , 1796 .
Monsieur , conformément aux desirs du roi , mon
maître , tendant à accomplir le plutôt possible toutes
les stipulations du traité de paix avec la République
Française , j'ai eu l'honneur de vous communiquer
quelques doutes qui se présentaient sur la restitution
des effets respectivement séquestrés et appartenant
aux individus des deux nations ; et ayant rendu
compte au roi de la réponse que vous avez bien voulu
me faire au nom du Direccoire exécutif , S. M. a ordonné
que , d'après son contenu , la junte des représailles
proposerait les arrangemens et les moyens propres à
entamer la remise des biens sequestrés en Espagne
aux individus de la nation française.
,, Pour obéir à cet ordre , la junte des représailles
a exposé à sa majesté ce qui lui a paru juste et convenable
pour remplir ses royales intentions ; et sa
majesté , adoptant l'avis de la junte , lui a ordonné
de se charger d'effectuer lesdites restitutions , et à
moi d'en informer le gouvernement français par
votre entremise , ainsi que je le fais en vous communiquant
l'avis de la junte , conçu dans les termes
suivans :
On déclare , en principe général , la levée du
sequestre
( 369 )
séquestre mis dans ces royaumes par voies de représailles
, et à cause de la guerre , sur tous les biens
appartenans aux individus et maisons de la nation
française , et on en donnera connaissance aux intendans
, gouverneurs et autres jugés et tribunaux
du royaume , auxquels ressort l'exécution de cette
mesure .
ས་
13C
,, Les propriétaires français , ou leurs fondés de
pouvoirs , pourront s'adresser aux justices des lieux
d'où ils auront été bannis , ou dans lesquels il aura
été saisi des biens , pour en demander la restitution
ou le recouvrement , qui s'effectuera avec toute la
célérité possible , moyennant qu'ils justifient légale
12015
ment de leurs titres.
» Si les intéressés avaient quelques doutes sur
les effets à eux appartenans , on mettra sous leurs
yeux les inventaires , taxations , ventes , liquidations
qui , par des voies juridiques , ont été faits conformément
à l'instruction de ladite junte de représailles .
approuvée par sa majesté1,4l5e910116620aoûûtt 1793 , afin que
par là leurs doutes puissent être éclaircis..
" Tous les biens , tant meubles qu'immeubles , qui
existent en dépôt ou en administration , seront remis
immédiatement , dans l'état où ils se trouvent , à leurs
propriétaires respectifs.
*T Le produit des biens ou effets vendues , dont le
montant se trouve entre les mains des juges des villes
et bourgs , ou au pouvoir de quelques dépositaires
nommés par eux , sera également restitue aux proprié
taires respectifs , sans autre déduction que les frais
indispensablement résultans du recouvrement de la
garde de ce produit .
Tome XXI.
A a
Y 370
890 60
1.
9 gros ob prices formant créances , les
9. Les pieces
reçus obli.
gations , lettres et autres documens
passes en faveur
des individus français qui se trouveront n'avoir pas
encore été acquittés et qui seront au pouvoir des
Juges , seront rendus aux intéressés , afin que , usant
de leurs droits , ils puissent en répéter le montant
à leurs débiteurs ; bien entendu que le tems qui
$6 a book, agst vo
est écoule depuis leur bannissement
tion de x5 106 store Ja
l'interven-
Catovira..
imotus ali
judicaire du séquestre , ne leur cause aucun
préjudičė, pasi anah 15 ,and is mos el 201
On Teur femettra également les livres et regisdes
comptes qui
99
tres
que
amoty cob letna
".
auront
été´s été saisis
, ainsi e les lettres
et autres papiers
compris
dans les in- ventaires
, en désignant
les numéros
de leurs liasses ahn qu'ils soient munis des meilleurs
moyens
de ré- gler leurs affaires
, et de justifier
de leurs titres de
tréances.
99
faisant
parfe
?
" C'est à quoi se réduit , monsieur , l'avis de la
junte des objet ; et en vous en
represailles sur c
te conformément à l'ordre de sa majesté
je saisis cette occasion de vous renouveller l'assurance
des sentimens avec lesquels , etc.
* On a appris de Cadix" a appris de Cadix l'insurrection qui s'était manifestée
sur la flotte française , commandée par l'amiral
Richery. Luthey del re
mouvement était le partage
du produit des prises . Mais on sait qu'il avait
été excité par le consul d'Angleterre . Quoi qu'il en
soit , Richery l'á reprimé promptement. Les chefs
ont été arrêtés ; et ceux qu'ils avaient égarés et séduits
sont rentrés dans le devoir. witt
( 371 )
"
ANGLETERRI. De Londres , leer, avril.sli
ཞེན་པ་ཚིས །: བྱིས་ པ $
La cherté des subsistances
continue de peser sur
la classe pauvre de la nation , et le gouvernement
paraît fort occupe de chercher les moyens de remédier
à cette calamité . Il s'est tenu un conseil privé ,
où ont été appellés les marguilliers et inspecteurs des
différentes paroisses de la métropole . M. Pitt leur
déclara qu'il était indispensable
d'engager les classes
riches et aisées de chaque paroisse à venir au secours
de la classe indigente , par une contribution volon
taire , distincte de la taxe des pauvres. Ce secours
serait destiné , non à ceux qui sont inscrits comme
pauvres de la paroisse , mais particulierement
aux artisans
et journaliers à qui leur travail ne suffit pas pour
les faire subsister. La taxe du pain continue d'être à
un scheling, 3 sols sterl. pour le pain de quatre livres
( environ 7 sols de France la livre.
L
i
Le lord Hood a été nommé gouverneur de l'hô
pital de Greenwich ( pour les marins invalides ) , à
la place de sir Hugh Palisser , qui est mort dernie
rement. La nomination de lord Hood fait vaquer la
place qu'il occupait à la chambre des communes
comme député de Westminster ; mais on ne doute
pas qu'il ne soit réélu .
INDES CCIDE LES.
Le 8 janvier, le camp des Anglais , dans l'isle de
Saint-Vincent, a été emporté d'assaut par
les
troupes
Aas
( 372 )
de la République. Les Anglais ont perdu toute leur
artillerie , et ont eu à -peu - près 170 hommes de tués ,
blessés et prisonniers ; ils se tiennent sur la défensive
en attendant des secours,
Il regne toujours une grande mortalité parmi les
troupes anglaises , et les corsaires français continuent
à croiser avec le plus grand succès .
Il est arrivé à la Martinique deux vaisseaux et quelques
transports de la flotte de l'amiral Christian , qui
ont échappé au fameux coup de vent. Ces bâtimens
avaient de 2 à 3,000 hommes de troupes , de sorte
que les Anglais ont à présent dans les isles , environ
5 à 6,000 hommes de troupes prêtes à agir . Le capitaine
d'un navire americain , entré le 17 janvier , au
port de Newburg , dans l'Amérique septentrionale ,
et arrivé de la Guadeloupe en 28 jours , rapporte
qu'avant son départ les Français étaient maîtres , de
toutes les parties sous le vent de la Martinique , à
l'exception du fort Bourbon , dont ils se préparaient
de faire le siége .
On se plaint toujours dans cette isle de l'inaction
de l'escadre anglaise , qui pourtant s'est exparée de
la frégate française la Concorde , allant à l'Amérique
septentrionale ; elle a été conduite à la Barbade . On se
plaint sur tout de l'esprit révolutionnaire et patriotique
qui anime les habitans de la Martinique . On
a beau , dit l'officier anglais qui écrit , en déporter ,
ils poussent comme des champignons .
( 375)
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
CORPS LEGISLATIF.
Fin des séances des deux Conseils du 5 au 15 germinal.
-
#
3
Une résolution a été prise sur le rapport de Dubois-
Grancé , relativement à la revision des jugemens rendus
par les conseils militaires . En voici les termes , ou
du moins le sens : Aussi - tôt qu'un jugement aura
été rendu par un conseil militaire , il sera soumis au
général qui aura convoqué le conseil , ou à son successeur
, qui convoquera à l'instant un nouveau conseil
des trois plus anciens ofhciers supérieurs. Ces
tois officiers examineront le jugement ; s'ils le trouvent
conforme aux lois , ils le signeront , et il sera
exécuté dans les 24 heures ; s'ils trouvent le jugement
contraire aux lois , ils le renverront à un conseil de
révision , composé d'après les formes ordinaires . Ces
dispositions seront applicables à des jugemens rendus
contre des soldats encore vivans , ou contre des
citoyens employés dans les armes ; cette forme nouvelle
sera employée pour les jugemens des militaires
prévenus de délits qui n'entraînent pas de peines
capitales. Cette loi exprime tout - à-la-fois le respect
de l'humanité et de l'honneur du soldat français
, elle environne l'un et l'autre de formes protectrices
, et donne ainsi à la justice militaire un
caractere qu'elle ne peut avoir que chez un peuple
républicain , que chez le Français .
Le conseil des Cinq- cents a pris une résolution
d'après laquelle , si elle est approuvée , les promesses
de mandats pourront être reçus en paiement de l'emprunt
forcé.
Des plaintes se sont encore élevées contre Reverchon
, de quelques communes des départemens où il
a été en mission : plusieurs membres du conseil des
Cinq- cents voulurent qu'une commission fât nom-
A a 3
374 )
mée à l'instant pour prendre connaissance de ces dénonciations
: ils motivaient leur demande du grand
prétexte d'assurer l'inviolabilité de la constitution ,
en faisant rechercher et punir toutes les atteintes qui
auraient pu lui être portées . Treilhard a représenté ,
avec la force ordinaire de sa raison , que la marche
qu'on se montrait si empressé de prendre pour punir
ces prétendues atteintes contre la constitution , en
serait une violation cent fois pluss scandaleuse , cent
fois plus dangereuse ; que c'était au Directoire exécutif
que devaient être adressées les plaintes contre
les commissaires , et qu'il était responsable des atteintes
portées à la con titution par ses agens , et les
autorités qui lui sont subordonnées , s'il ne s'empressait
pas de les réparer et d'en poursuivre la punition
. Ces solides paroles de Treilhard ont fait avorter
les desseins empressés qui avaient fait demander
l'établissement d'une commission , sur les plaintes de
quelques juges de paix , de quelques officiers municipaux
nommés peut- être sous l'influence des mouvemens
de vendémiaire , et destitués sous l'influence
de la victoire qui a signalé le pouvoir de la République
dans ces journées mémorables .
Une dénonciation de citoyens se disant les patriotes
de 89 , de la commune de Beausset , á été le sujet de
grandes agitations au conseil des Cinq- cents ; les députės
Cadroi , Guerin , Rouhier , Chambon , Isnard ',
Durand de Maillanne , Chambon et Mariette ont été
les objets de cette dénonciation ; un comité général
a été formé pour en entendre la lecture ; la plupart
de ceux qu'elle inculpait ont parlé pour se justifier.
La Convention a passé à l'ordre du jour sur cette dénonciation
, où il y avait , selon l'usage , plus de déamations
que de faits articules . Isnard a été invité
prendre la parole , lorsque la séance a été rendue
publique , pour faire connaître ce qui s'était passé,
dans le comité. Selon l'obligation imposée à tous
les orateurs de répondre à des dénonciations par des
dénonciations , il a accusé Barras d'avoir auprès de
lui , pour secrétaire , un igorgeur , un cannibale , un br
veur de sang humain , un tuveur de sang dans les crânes
( 375 )
1
es
peuple
་།
d'hommes , ún mangeur , un vendeur de chair humaine.
enfin un monstre méritant toutes les épithetes dont
le fameux cantique du Reveil du a donné l'in
ventaire ; ce qui a donné lieu à cette sortie d'Isnard
contre Barras et son secrétaire , c'est qu'une lettre supposée
écrite à Barras par les patriotes de 89 de la
commune de Beausset a fait supposer que c'était lui
qui avait transmis leur dénonciation au conseil des
Cinq- cents. Barras a écrit pour désavouer la prétendue
lettre des patriotes de Beausset ; après une recherche
scrupuleuse faite dans son bureau , il est
constant que ni cette lettre , ni rien de ce qui a rapport
à cette affaire n'y est entré, ni n'a pu en sortir.
Barras a ajouté qu'il faisait cet aveu par respect pour
la vérité , et sans avoir songé à aucun ressentiment
personnel : la dénonciation des patriotes de Beausset
et la lettre où est consigné le désaveu de Barras ont
été renvoyées à la commission chargée de faire un
rapport sur la situation du Midi. Il est bien instant
qu'un rapport circonstancié fasse connaître les faits
veritables que tant d'exagérations , tant de calomnies
ont couvert de tenebres jusqu'a- présent impénétrables.
"
-----
د ا د
*
Cette dénonciation des patriotes de 89 de la commune
de Beausset , qui a été l'occasion ou le prétexte
de ces mouvemens de l'esprit de parti, toujours si fu
nestes , a eu au moins ce bon effet de convaincre le
conseil des Cinq- cents combien la facilité de faire et
de recevoir des dénonciations contre les membres du
Corps législatif peut fatale à l'influence heureuse
qu'il doit exercer , combien elle peut favoriser les
entreprises de tous ces partis. Sur la proposition de
Chenier , une commission a été chargée d'examiner
de quelles formes devaient être revêtues et garanties
les dénonciations contre des membres de la représentation
nationale ; les députés qui la composent
sont les citoyens Crassous , Thibaudeau , Pastoret ,
Boissy- d'Anglas et Treilhard .
Le rapport si impatiemment attendu sur les socié
tés , réunions , clubs ou associations s'occupant de
questions politiques , a été fait par Mailhe ; il a re-
A 24
( 376 )
monté à l'origine des sociétés dites populaires , et
rappelle les services qu'elles avaient rendus à la liberté
, il a assigné les causes qui avaient accru leur
influence , et démontré comment il était devenu indispensable
de les détruire , comment leur ancienne
existence était incompatible avec l'ordre social . Voici
les principales dispositions du projet de résolution
présenté par Mailhe :
si
Aucune société s'occupant de questions politiques
ne pourra se dans un local appartenant
eunir que
ou loué à un citoyen. Toute société particuliere sera
contraire à l'ordre public ; 10. si elle correspond ou
s'affilie avec d'autres sociétés 20. si elle tient des
séances composées de citoyens distingués , en socié
taires et assistans ; 3° . si elle a des présidens.secrétaires
ou censeurs 4° . si elle établit des conditions pour
l'entrée ; 5º . si elle est composée de plus de 60 citoyens
dans les communes de plus de 100 mille ames ;
de 40 dans celles de 20 mille ; de 30 dans celles de
10 mille.
J
Tout citoyen qui dans l'une de ces sociétés provoquera
le retour à la royauté ou à la constitution de
93 , sera puni de deux ans de fers ; et s'il s'ensuit un
mouvement , il sera puni comme coupable d'attentat
contre la constitution .
L'impression du discours de Mailhe et de son projet
de résolution a été ordonnée .
Séances des deux conseils , du 15 au 25 germinal .
Le Corps législatif a confirmé la liste des jurés faite
par l'administration centrale du département du Nord .
Il a rendu une loi portant que désormais la solde
des troupes et employés à la suite des armées sera
payée en valeur fixe.
Il a ordonné par une autre loi que les traitemens
de tous les fonctionnaires publics seraient réduits à
un taux fixe , et payés en mandats .
Dans quelques départemens , des ouvriers ont refusé
de faire les ouvrages nécessaires à l'exécution des
jugemens criminels . Le Corps législatif a autorisé par
-1
( 377 )
une loi expresse les commissaires du Directoire exécutif
près les tribunaux criminels , à requérir les ou
vriers pour cette espece de travail Tout ouvrier qui
se refusera à cette requisition sera puni d'un emprisonnement
qui ne pourra excéder une décade , ni être
moindre de trois jours.
Une loi a adjoint quatre nouveaux substituts au
commissaire du Directoire exécutif près les tribunaux
du département de la Seine ; la multiplicité des af
faires rendait indispensable cette adjonction qui
n'est contraire à aucune disposition de l'acte constitutionnel.
Le même motif a déterminé le Corps
législatif à ordonner que deux nouveaux commisgreffers
scraient établis près les tribunaux criminel
et de police correctionnelle du même département.
$1
Le Corps législatif a décrété que 17 grenadiers qui
faisaient partie de la garde de la Convention nationale
seraient incorporés dans la sienne . Ces braves
militaires sont le reste de ceux qui demanderent à là
Convention nationale la permission de la quitter un
instant pour aller co battre dans la Vendée ces brigands
catholiques et royaux dont les efforts et les
succès semblaient alors menaçans pour la liberte .
Après avoir contribué aux nombreuses victoires qui
ont fait triompher à la fin la République dans ces malheureuses
contrées , ils sont revenus faire à la repré
sentation nationale un rempart de leurs corps tout
couverts de cicatrices ; ils méritaient sans doute de
rester à ce poste qu'ils ont si bien rempli. Ils se connaissent
en honneur , ces hommes qui ne demandent
à la patrie d'autre récompense des services qu'ils lui
ont rendus que l'honneur de la servir encore .
Le ministre de l'intérieur a été autorisé à prendre
20 millions pour les dépenses affectées à son département
, sur le fonds de 600 millions qui ont été mis à
la disposition du Directoire exécutif ; et celui de la
police générale a reçu une autorisation semblable
pour une somme de six cents mille livres .
Aux termes de l'art . VII de la loi rendue sur le
bureau des longitudes , le cit . Lalande est chargé de
faire un cours d'astronomie-pratique ; ce professeur
( 378 )
l'avait ouvert à l'Observatoire quí est placé à une des
extrémités de Paris ; cet éloignement trompait les
vues de la loi , puisqu'il réduisait à un très -petit nombre
les éleves du cit . Lalande . Il existe au centre de Paris,
au collège des Quatre -Nations , un observatoire superbe
et complet qui a servi au célebre Lacaille . Le
Corps législatif a ordonné que le cours d'astronomiepratique
se continuerait au collège des Quatre Nations
, et qu'en conséquence le professeur qui est
chargé de le faire aurait à sa disposition l'observatoire
connu sous le nom d'Observatoire de Lacaille.
Les différentes résolutions prises par le conseil des
Cinq- cents pour completter la loi sur les mandats ont
été approuvées par le conseil des Anciens ; elles
reglent , comme nous l'avons dit , le paiement des
contributions , des arrérages de rentes viageres , des
fermages , des loyers de maison ; enfin , toutes les relations
du gouvernement avec les citoyens , et toutes
les transactions des particuliers avec des particuliers
sont comprises dans leurs dispositions étendues et
multipliées . Nous avions espéré que nous pourrions
donner dans ce journal le texte même de ces lois
et nous l'avions promis. Mais en faisant cette promesse
, nous n'avions pas songé que l'espace consacré
dans le Mercure aux travaux du Corps législatif était
trop circonscrit pour nous permettre de la tenir,
Toutes les lois relatives aux mandats sont imprimées
dans un recueil commun qui se vend par- tout , et
dont le prix est très-médiocre . L'intérêt qu'a chaque
citoyen ( indépendamment même, s'il faut le dire , de tout
intérêt public 】à ce que l'opération des mandats ait
un succès complet , est pour lui une obligation toujours
présente de se conformer aux moindres dispositions
des lois rendues sur ce sujet. Le prix qu'il
doit donc attacher à les connaître parfaitement lui
fera trouver plus médiocre encore le léger sacrifice
qu'il devra faire pour se procurer le recueil où elles
sont toutes contenues .
Le conseil des Anciens a approuvé , sur le rapport
de l'armée , la résolution qui a fixé la nouvelle forme
des jugemens militaires. Il a aussi sanctionné une
( 379 )
resolution portant que lorsqu'il y aura plusieum
prévenus du même délit , l'accusateur public demandera
la réunion de toutes les poursuites en un seul
acté d'accusation.
Une résolution dont nous avons présenté l'extrait ,
'il y a déja quelques tems , a été également convertie
en loi ; c'est celle qui avait été prise sur le rappert
de Madier , et d'après un message du Directoire
exécutif, pour arrêter l'abus contre - révolutionnaire
qu'on faisait des cloches , sous le prétexte de la libertë
des cultes.
Thibaut a montré au conseil des Cinq- cents 3 écus
de 6 liv. faux , qu'un citoyen arrivé de Calais , a remis
au ministre des relations extérieures , et que celui ri
a fait passer de suite au ministre des finances. Ce
citoyen arrivé de Calais a assuré que ces écus se
fabriquaient à Londres , et qu'il s'en distribuait un
nombre considérable dans toute l'étendue de l'Angleterre.
C'est là une nouvelle création de ce génie
si vanté de Pitt ; informé du plus haut titre de notre
monnaie républicaine , il a cru qu'il était digne de
lui de la discréditer afin d'en retirer une grande
partie avec ses faux écus , et faire par là un bénéfice
immense . Thibaut a présenté un projet de résolution
pour déjouer les manoeuvres que la sublime
politique de Pitt peut employer au sein de la Répu
blique Française , pour y faire réussir son nouveau
plan de fausse monnaie . Ce projet a été renvoyé à
la commission des finances pour acquérir dans un
examen plus réfléchi , une rédaction mieux appropriée ,
au but qu'il doit atteindre, Thibaut , au nom de
cette commission des finances , a reproduit et fait
adopter un projet de résolution qu'il avait déja offert
plusieurs fois à la discussion et , qui avait toujours
été ajourné. Cette résolution porte que les écus de
cinq livres seront reçus dans la circulation à raison de
cinq livres un sol trois deniers tournois ; cette somme
est le prix réel de leur poids . Au nom de la même
commission , Mathieu a fait la premiere lecture d'un
projet de résolution , dont l'objet est de fixer un
ordre de classification des dépenses générales de la
-
--
( 380 )
1
République , et un mode constant pour y pourvoir.
Le conseil des Cinq- cents a ordonné l'impression de
ce projet , ainsi que du rapport dont Mathieu l'a fait
précéder. L'un et l'autre renferment des vues qui
peuvent et doivent être combattues ; la discussion
dont elles doivent devenir le sujet , si elle est bien
faite , peut détruire beaucoup de préjugés en administration.
Eschasseriaux a proposé de transférer à Pezenas
l'école centrale fixée par un décret de la Convention
, à Montpellier ; cette proposition appuyée par
Rouhier , combattue par Lakanal et Goupilleau ( de
Montaigu ) , a été rejettée .
1
Le projet de résolution présenté par Fermond pour
le rétablissement de la loterie a été rejetté à une
grande majorité. Plusieurs députés ont parlé avec
beaucoup de force et de raison contre le systême
des loteries ; mais Drulle est celui qui en a rendu
tous les vices plus sensibles et plus révoltans : il a
prouvé par le raisonnement combien était fausse
l'assertion de Fermond qui avait prétendu que la
loterie était un impôt mis sur les riches , et que leur
avidité payait sans s'en appercevoir, Sans doute ,
c'est le pauvre dont les gains sont si petits , et les
travaux si grands , qui peut être séduit par l'espérance
de devoir au hasard une fortune subite , et qui peut
sacrifier à cette espérance le peu qu'il a ; mais , le
riche qui a déja tant , que peut - il encore attendre du
hasard ? que peut- il en desirer , à supposer que son
extrême avidité lui fasse mettre à ce jeu ? peut- on
dire qu'il lui confie quelque chose , en comparant
ce qu'il avance avec ce qu'il possede ?
Plusieurs citoyens suspendus des fonctions légis
latives en exécution de la loi du 3 brumaire avaient
demandé à toucher le traitement de député . Penieres .
au nom de la commission chargée d'examiner leur
réclamation , présente un projet de résolution qui
leur était favorable . Thibaut et Lecointre Puiraveau
ont combattu ce projet et les raisons par lesquelles
Penieres prétendait le motiver. Lecointre a fort bien.
démontré que le motmême d'indemnité témoignait avec
( 381 )
1
évidence que le traitement
accordé
aux députés
était
affecté à l'exercice
de leurs fonctions
; on n'est en effet
indemnisé
que pour une chose qu'on fait et qu'on
est obligé de faire ; dès qu'il n'y a plus d'obligation
il n'y a plus lieu à indemnité
. Le conseil
des Cinecents
a pensé comme
Thibaut
et Lecointre
Puiraveau
.
* Une résolution
prise sur le rapport
de Bailleuil
porte qu'il sera payé annuellement
une somme
de
2000 liv. à chacune
des veuves
Pétion , Caria
Gorsas , Valahé
, Buzot , Brissot , Phelipeaux
, Salles
et Gardien
; en cas de la mort de la mere , cette
somme
continuera
d'être payée aux enfans , jusqu'à
ce qu'ils aient atteint l'âge de 14 ans . Goupilleau
( de
Montaigu
) a demandé
et obtenu
que le fils de Camille
Desmoulins
, mort pour le pani de la justice
et l'hu
manité, fât compris
dans cette foi destinée
à acquitter
fa justice
et l'humanité
de la nation .
VITA
La discussion s'est rouverte sur le mode de procéder
au jugement de la validité dite ddeess prises faites en
mer; la commission chargée de l'examen de cette
question avait proposé de conférer les jugemens de
ce genre au Directoire exécutif. Rion a demande la
question préalable sur ce projet , et il en a présenté
un autre dont l'impression a été ordonnée . Villera
a proposé de conférer le jugement sur la validité des
prises à un conseil qui exercerait ses fonctions sous
la surveillance immédiate du gouvernement . Cette
discussion a été de nouveau ajournée sur la proposion
de Rouhier ; et a demandé que lorsqu'elle serait
teprise , la commission apportât au conseil des Cinqcents
les lettres de marque qui sont délivrées aux
corsaires . Les termes de ces lettres pourront fournir
des lumieres propres à fixer les esprits sur le point
précis de cette question ; bien poser une question
suffit le plus souvent pour bien la résoudre ; mais
quand on néglige ce soin ou qu'on se méprend sur
la maniere de le remplir , on court le risque de parler
beaucoup sans se comprendre ; on affirme tout et on
n'éclaircit rien ; ces ombres épaisses répandues par
la parole sur les sujets que son audace orgueilleuse
croit approfondir , couvrent les lois d'éternels mys(
382 )
teres , et l'application et l'étude de ces lois deviennent
pour les esprits de nouvelles sources d'erreurs .
Le conseil des Cinq- cents a pris une résolution pour
suppléer à celle qui a été rejettée , il y a deux mois ,
par le conseil des Anciens , relativement aux peres et
meres d'émigrés. Cette résolution porte en substance
peres et meres d'émigrés qui voudront traiter
gré à gré avec la nation , seront délivrés du séquestre
; mais que le séquestre sera remis sur les biens
de ceux qui refuseront de traiter.
que
les
319 320
Ou attendait avec impatience le rapport qui devait
être fait sur les causes des troubles et des malheurs
dont les départemens du Midi ont été le théâtre. Les
discours violens qui avaient provoqué la création de
la commission chargée de ce rapport avaient été
commele signal de nouveaux troubles et de nouveaux
massacres. Il était donc naturel de desirer avec ardeur
que ce qui étalt devenu l'occasion du mal en devint
le remede , lorsque Thibaudeau s'est présenté à la tribune,
le 23 de ce mois , pour
demande
au conseil
des Cinq cents d'éloigner le terme qu'il avait donné
à cette commission pour présenter le résultat de son
travail, les expressions dont il s'est servi ont été
trait de lumiere pour tous les esprits qui n'ont pas
voulu rester dans leurs préventions ; ces expressions
seules ont prouvé combien était inconstitutionnelle
l'existence de cette commission instituée par lin-
Buence de ceux qui se prétendent les gardiens exclusifs
, les vengeurs de la constitution. La commission ,
a dit Thibaudeau , n'a pu se procurer encore toutes
Les pieces relatives aux événemens qui ont eu lieu dans les
départemens du Midi . Là, Treilhard a démontré qu'une
commission occupée d'un semblable soin usurperait
un droit attribué par la constitution au Directoire
exécutif; qu'une pareille commission serait un véritable
comité des recherches , un véritable comité de
sûreté générale , et l'on sait ce que c'est qu'un comité
de sûretégénérale. Treilhard a réclamé le respect de la
constitution dans les attributions qu'elle a faite au
Directoire exécutif , conformément à la nature de ses
fonctions. C'est sur la proposition de cet estimable
1
( 383 )
St
député qu'il a été résola qu'un message serait adressé
au Directoire exécutif pour lui demander des renseignemens
sur l'état où se trouve le Midi , et sur les
causes qui l'agitent. La commission dont. Isnard et
Jourdan avaient obtenu la création a été cassée ; toutes
les pieces officielles dont elle a été faite dépositaire
seront renvoyées au Directoire exécutif.
Beaucoup de journalistes ont cru devoir rendre
compte de cette séance qui a été beaucoup trop tu
multueuse , en détaillant les moindres circonstances ,
et pour les détailler ils les ont exagérées ; nous ne
jugerons pas leurs motifs . Le résultat de cette séance
a été très- bon. Voilà seulement ce que nous nous
croyons obliges d'apprendre . 3
TE
1
༣ ༦

PARIS. Nonidi 29 germinal , l'an 4º , de la République.
Il regnait depuis quelque tems dans cette cité une fermen
tation qui , quoiqu'étrangere à la masse du peuple , prenait
chaque jour un caractere plus dangeureux . Des groupes ou
rassemblemens se formaient sur les ponts ddans les carrefours
et auprès des séances du Corps législatif. Là se faisaient les
motions les plus incendiaires . On y provoquait le rétablissement
de la constitution de Robespierre , et la dissolution du
gouvernement actuel ; on cherchait à exciter un mouvement ;
et ce qu'il y a d'assez remarquable , c'est que la direction de
ce mouvement paraissait envelopper tous les partis , excepté
celui des anarchistes.En même-tems des placards signés Babauf,
prêchaient au peuple la grande égalité , le nivellement des fortanes
, c'est-à-dire la destruction de tous les fondemens de la
société . Des pamphlets provocateurs de la sédition, étaient
répandus parmi les troupes cantonnées dans Paris ou aux
environs . La coïncidence de ces manoeuvres avec l'insurrection
des brigands de Sancerre , avec la révolte des équipages du
Havre , et les tentatives des Anglais pour débarquer des émis
grés sur nos côtes , à la veille de l'ouverture de la cam
pagne , ne laisse aucun doute sur le but que l'on s'était
proposé.
Le Directoire a d'abord fait une proclamation pleine de
dignité et d'énergie pour éclairer les citoyens . Il a adressé
un message au conseil des Cinq-cents , pour provoquer upe
( 384 )
-
loi contre les attroupemens et les auteurs de tout, attentat
contre la constitution et le gouvernement. Le conseil a nommé
une commission , et sur son rapport , il a adopté , dáns sa
séance du 27 , une résolution dont voici les principales dispositions
: Peine de mort contre tous ceux qui , par des discours
ou des écrits imprimés , distribués ou affichés , provoqueraient
la dissolution de la représentation nationale ou du
Directoire , ou le meurtre de tous ou aucun des membres
qui les composent , le rétablissement de la royauté , de la
constitution de 93 , cu de 91 , ou de tout gouvernement autre
que celui prescrit par la constitution de 95 fan 3 ) , ou kine
vasion des proprietés publiques , ou le partage des propriétés
particulieres , sous le nom de loi agraire Tout rassemblement
où se feraient les provocations énoncées ci- dessus , prend
le caraacctteerree d'attroupement séditieux. Ceux qui se trouveront
dans ces rassemblemens , après la premiere sommation
faite par le nagistrat , on le commandant de la force armée
et qui resteront , seront punis , savoir : Les étrangers ou
déportés rentrés , de la peine de mort ; ceux qui ayant rempli
des fonctions publiques , ayant été misen cuation du hors
de la loi n'ont pas été acquittés , de la déportation ; tous les
autres , de cinq années de fers .
---
Cette résolution a été portée sur- le- champ'au conseil des
Anciens qui ' a adoptée à l'unanimité dans la même séance
depuis lois les groupes et les attioupemens ont disparu . 83.30
- On se rappelle les fêtes qui avaient été données au général
Jourdan pendant son séjour dans cette commune . Le général
Pichegru a reçu un accueil non moins flatteur. LLee nministre
de l'intérieur lui a donné une fête superbe . 60 couverts
musique , attention delicate , propos ingénieux ; tien n'a été
épargné pour témoigner à ce général l'estime et la reconnaissance
publique . Pichegru qui , comme nous l'avions annoncé,
avait ete nommé à l'ambasade de Suede , après avoir hésité
long-tems s'il accepterait , s'est enfin décidé à refuser ; mais on
croit qu'il ne cessera pis d'être utile à la République .
Lesbrigands qui s'étaient emparés de Saucerre , l'ont bientôt
évacué à l'approche des colonnes républicaines . Ils ont été mis
en déroute et dispersés ; plusieurs chefs ont été tués .
Il ne paraît pas que les négociations de paix aient le succès
qu'on en espérait. On dit que les conditions proposées par
fes puissances sont inacceptables .
AVIS AUX SOUSCRIPTEURS.
N.ous avons différé , jusqu'à ce jour , d'augmenter le
prix de ce Journal , parce que nous nous proposions de
faire incessamment un changement utile dans la rédaction
et dans la partie typographique , et que nous espérions ,
pendant cet intervalle , une amélioration dans les finances
publiques , qui aurait influé sur le prix des labeurs et des
marchandises de toute espece ; mais aujourd'hui que le
plan de ee Journal est fixé , que l'excessive cherté de la
main-d'oeuvre et des matieres premieres continue , que le
décret du 6 de ce mois ( nivose ) a porté le prix de la poste
de 15 deniers la feuille en assignats à 25 sous la feuille en
assignats , ou à 2 sous 6 deniers en numéraire , nous préve
nons les Souscripteurs qu'à compter de ce jour l'abonnement
ést de 300 liv. pour trois mois , franc de port ; seul terme
pour lequel on peut souscrire en cette monnaie.
A
La souscription pour les pays étrangers , conquis ou réunis ,
est actuellement en numéraire , à raison de 50 liv. pour
l'année , 25 1. pour six mois , et 12 1. 10 sous pour trois mois
compris les frais de poste jusqu'à la frontiere , telle qu'elle
existait avant la réunion ou la conquête .
Les Souscripteurs , à Paris , qui ne voudront pas courir le
hasard de la variation du prix de l'assignat , peuvent s'abonner
en numéraire .
Il faut affranchir le port des lettres et de l'argent. Celles
qui renferment des valeurs doivent être chargées,
Nota. Les lettres des départemens , non affranchies , ne
seront pas retirées de la
poste .
On souscrit à Paris , rue des Poitevins , no . 18 , les
leures d'avis seront adressées au citoyen GUTH.
ABLE
Des matieres contenues dans le N°.go
LITTERATURE ANCIENNE.
M
PHILOSOPHIE.
THOLOGIE dramatique , traduite
du grec par J. B. GAIL , Profeffeur de lit
térature au college de Frances Page 321
SCIENCES
.
Tables portatives de Logarithmes , &c. par Fr.
CALLET.
Leure au Rédacteur fur le Tra té élémentaire
de morale.
Inftitut National.
Le Procès du Sénat de Capone.
343
347
348
357
ANNONCES. Livres français. Délices de la folitude.
362
Nouvelles Etrangeres . Allemagne. De Ham
bourg.
Francfort-fur- le-Mein.
Italie. Genes.
Efpagne. Madrid.
REPUBLIQUE FRANÇAISE.
Corps Législatif.
Paris. Nouvelles.
353
365
167
ibid..
374
384
MERCURE
FRANÇAIS,
HISTORIQUE , POLITIQUE
ET LITTÉRAIRE
( N°. 31. )
Décadi 10 Floréal , l'an 4.
Ce journal , composé de quatre feuilles in-8° .;
et quelquefois de cinq , paraît tous les
DÉCADIS. Il contient deux parties ; l'une
consacrée aux SCIENCES aux LETTRES et
aux ARTS ; l'autre à la POLITIQUE EXTÉ-
RIEURE , aux séances du CORPS LÉGIS
LATIF , aux NOUVELLES de Paris et des
départemens , ainsi que des ARMÉES de la
République .
Le prix de l'abonnement de ce Journa! est de
300l . pourtrois mois, y compris lesfrais deposse.
CALENDRIER
RÉPUBLICAIN.
FLOREA L.
La Lune du mois a 29 jours . Du premier au 30 les jou
croiffent matin & foir de 45 min.
Ere J. PHASES
Ere Républicaine.
Tems moyen
au midi vrai
Vulgaire
de de la
L.LUN E. H. M. S.
I primedi Ire Décade . 21 lundi.
11 58 38 2 duodi
22 mardi, 2 58 26
3 tridi .
123 merc.
4 quartidi .
58 14
24 jeudi. 4 58 2
s quintidi. 25 vend.
6 fextidi .
P. L. 11 57 $ 1
26 fam.
7 feptidi
8 octidi .
9 nonidi
10 Decadi.
18 octidi ..
19 nonidi..
20 Decadi..
28 octidi
29 nonidi ..
30 Decadi.
11 56 34
4 lundi 15
mardi 16
11 56 28
N. L. 11 56 23
6
merc. 17 le
7 jeudi. 17 h.
18 à
1156 18
21 primedi IIIe Décad . 10 Dim . 21
22 duodi ...
23 tridi
24 quartidi
25 quintidi
26 fextidi .
27 feptidi .
Svend. 19 du
9fame
. 20
3 m.
11 56 14
mat.
11 56 11
II
11 lundi . 22
12 mardi 23 P. Q.11 56 20
56 8
11 56
S
II 56 4
13 merc. 24 le 25 à 3111 56
14jeudi. 25 h. 35 m. 11 56
Isivend. 26 du foir. 11 56
16 Sam. 27 11 56
17 Dim. 28 11 56
18 lundi . [29 11 56
27 Dim. 7h. 46 m.
28lundi. 8 du mat. 11 57 20
30 merc . 10
11 primedi Ile Décade . 31 jeudi. 11D. Q.11 56.54
12 duodi ..
13 tridi.
14 quartidi .
If quintidi.
16 fextidi .
17 feptidi
Ivend. 12 le 11 à 11 56 47
2 fame. 13 h . 13 m.11 56 40
3 Dim. 24 du mat.
le 3 à o 57 40
11 57 30
29 mardi 7 11 57 11
11 $7
19 mardi 30 11 56 9
MERCURE
FRANÇAIS ,
HISTORIQUE ,
POLITIQUE
ET
LITTÉRAIRE ;
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES .
Du décadi 10 floréal , l'an quatrieme
de la République Française.
( Vendredi 29 avril 1796 , vieux style. )
TOME XXII
A PARIS ,
Au bureau du Mercure , rue des Poitevins ,
n° . 18 .
V
TABLE des Matieres Littéraires du Tome XX .
UES générales sur le nouveau plan de cejournal . Page
De l'Institut national et de ses premieres séances ..
OEuvres de Chamfort ...
Réflexions sur l'exposition des tableaux de l'an 4 ..
Lettres d'Helvétius ....
Coup- d'oeil sur l'état actuel de la scene française ..
Des Banques particulieres ...
Notice sur la vie et les ouvrages de Condorcet ..
Les Chevaliers du Cygne , roman .
Essais sur la Peinture , par Diderot ..
Euvres d'Architecture de M. J. Peyre ..
3 .
13 .
22 . 93.
28 .
75. 80. 213 .
83.
108.
141 .
163.
223. 286 .
231 .
236.
277 .
295 .
303 .
... 341 .
363.
Histoire de Márie Stuart...
Recherches physico - mécaniq. sur la chaleur ..
Sur l'expression en musique ..
Pensées extraites des OEuvres de Chamfort .
La Jérusalem délivrée , en vers français .
Essais de Physique , par M. A. Pictet ...
Table des Matieres Littéraires du Tome XXI.
Tableau des Etats-Unis d'Amérique ..
Les Aventures de Caleb Williams , trad. de l'ang..
Elémens de Géométrie du cit. Legendre .......
La Religion universelle , par Dupuis .
Lettre sur Condorcet par Diannyere..
Hylas , idylle allégorique ..
Lettre d'Helvétius à M. Lefebvre -Laroche ...
Traité analytique de la Méthode , par Develay.
Bibliotheque britannique .
Anecdotes peu connues .
Ode à Vénus , imit . d'Horace .
Notice sur les Monnaies Françaises depuis 1726
jusqu'à l'an 4 .
Voyage au Japon , par Thunberg ..
Patrocle revêtu des armes d'Achille .
Mémoire sur la mer Noire et la mer Caspienne ...
Traité de la Morale et du Bonheur .
Mythologie dramat , trad . du grec , par J. B. Gail ..
Tables portatives de logarithmes , par F. Callet ..
Institut national , premiere séance publique....
3.
20 .
65 .
75. 270.
87 .
93.
129 .
135 .
141.
147-
150.
193.
215.
226.
257 .
282 .
321 .
343 .
348.
1
No.
31.
MERCURE FRANÇAIS .
DÉCADI IO FLORÉAL , l'an quatrieme de la République.
( Vendredi 29 Avril 1796 , vieux style . )
LÉGISLATION.
EUVRES complettes de Montesquieu , nouvelle édition , avec
des notes d'Helvétius sur l'Esprit des Lois . Douze volumes
in- 18. Prix , 18 liv . Deux cents exemplaires
sur papier vélin , 72 liv . — A Paris , chez D¡DOT l'aîné ,
imprimeur, rue Pavée-des- Arcs , nº. 28.
CETTE
ETTE édition très - agréable par le format , la netteté
et la beauté de l'exécution typographique , reçoit
un nouveau prix des additions qui l'accompagnent ;
elles consistent en plusieurs notes d'Helvétius sur
les huit premiers livres de l'Esprit des Lois , et sur l'éloge
de Montesquieu par d'Alembert , et en une cinquantaine
de pages de pensées diverses extraites d'un
manuscrit de Montesquieu , dont une partie avait été
publiée il y a plusieurs années dans le Journal de
Paris.
Les notes d'Helvétius ont été extraites des marges
de son exemplaire de l'Esprit des Lois Ce philosophe
avait , comme beaucoup d'écrivains , habitude d'écrire
en marge des livres qui fixaient son attention
les idées que réveillaient en lui celles de l'auteur ;
quelquefois il ne faisait que marquer avec des traits
A &
4 )
de crayon diversement combinés , et qui n'étaient
perceptibles que pour lui , les diverses idées qu'il
avait en lisant , et qu'il voulait se rappeller ensuite .
Une grande partie de ses livres était couverte de notes
marginales , ou de coups de crayon .
Un de ses amis , légataire de ses papiers et de ses
manuscrits , avait extrait pour son usage , la plupart
de ces réflexions et de ces pensées persuadé que
la publication d'une partie des notes sur l'Esprit des
Lois pourrait être de quelque utilité , il s'est déterminé
à les joindre à cette nouvelle édition , et il les
a fait préceder de deux lettres d'Helvétius au président
de Montesquieu et à Saurin , qui ont paru dans
le n . 20 de ce Journal.
La plupart de ces notes sont extrêmement courtes ,
Elles ne consistent souvent qu'en un seul trait , qui ne
semble placé là que comme un signe de rappel d'un
grand nombre d'autres idées. Des notes plus considérables
, et qui forment quelquefois des morceaux
de discussion assez étendus , n'ayant pu entrer commodément
au bas des pages de cette édition , ont
été mises à part , et composeront , avec un choix de
pensées extraites de ses manuscrits , le dernier volume
de l'édition de ses oeuvres actuellement sous presse ,
et qui est imprimée dans le même format et avec les ' .
mêmes caracteres que l'édition de Montesquieu ..
Nous allons choisir , entre ces notes , celles qui ayant
une liaison moins nécessaire avec le texte , peuvent en
être plus facilement détachées , et paraître ici sous
la forme de pensées diverses . Voici par exemple la
note relative au livre sur la grandeur et la décadence
des Romains . Il ne suffit pas , pour bien
( 5 )
tracer les causes de la grandeur d'un empire , de
bien recueillir les faits , il faut les voir dans leur vrai
point de vue. Souvent on l'ignore ; souvent on cherche
un systême où il n'y en a point ; et presque toujours on
cherche un principe unique où il y en a cent . Dans son
livre sur les causes de la grandeur des Romains , Montesquieu
n'a pas assez connu les hasards heureux qui
ont servi Rome . Il est tombé dans l'inconvénient ,
trop commun aux raisonneurs , de vouloir rendre raison
de tout , et dans le défaut aussi des gens de cabinet
qui oubliant l'humanité , prêtent trop aisément
des vues constantes et des principes uniformes à tous
les corps ; et souvent c'est un homme seul qui dirige
àson gré ces graves multitudes qu'on appelle sénat . "
Ces idées jettent un grand jour sur beaucoup de
choses et beaucoup de livres ; et il n'est point d'homme
instruit et réfléchi à qui ses méditations et son expérience
n'aient dû offrir plusieurs fois le même résultat .
D'Alembert , dans son éloge de Montesquieu , dit
que la celebre reine d'Angleterre qui cultivait la
philosophie sur le trône , goûta , comme elle le devait
, Montesquieu . , Helvétius ajoute en note :
99
Les trois quarts de ces philosophes sur le trône
seraient de pauvres philosophes au rez de - chaussée .
-Plus loin , d'Alembert , parlant de la maladie de
Montesquieu , dit qu'elle devint l'objet de l'inquiétude
publique. « § . M. , ajoute - t - il , pénétrée de la
perte que son royaume allait faire , en demanda plusieurs
fois des nouvelles ; témoignage de bonté et de
justice qui n'honore pas moins le monarque que le
sujet. Helvétius ajoute : Le public est curieux ,
mais il s'inquiete rarement . Dire davantage , c'est exa-
A 3
( 6 )
gérer. Parler ainsi du roi , c'est être peuple. Donner
trop de valeur à un témoignage de bonté , c'est parler
en écolier de rhétorique qui ne connaît la valeur de
rien. D'Alembert parle des éloges qu'avait donnés
à la mémoire de Montesquieu le roi de Prusse :
Prince , dit- il , fait pour sentir les pertes de la philosophie
et pour l'en consoler. , Helvétius ajoute :
Je n'imagine pas qu'un roi , même le roi de Prusse ,
puisse consoler la philosophie de ses pertes , à moins
qu'il ne fasse un meilleur livre que l'Esprit des Lois .
Un livre fait par eux , ou pour eux , n'est pas le chemin
de la gloire durable. " — Voici son jugement,
sur cet écrit de d'Alembert. Cet éloge a la marche
commune à tous les éloges. Il ne fait que louer . Il
est écrit avec pureté , sagesse et correction . Mais il
est long et froid , et ne caractérise pas assez le génie,
de Montesquieu . "
Nous rapporterons ici quelques- unes des notes sur
l'Esprit des Lois , que nous croyons dignes d'être de
la méditation de nos lecteurs.
C'est le peuple dont on adopta les idées , et
quand on est grand ou petit , on dit qu'il faut les
respecter.
" Les préjugés sont des opinions reçues et adoptées
sans raison , et la vérité peut n'être qu'un préjugé
. Alors elle ne sert pas beaucoup.
" La premiere loi de tous les êtres est de satisfaire
à leurs besoins .
" L'état de société ne fait pas ou du moins ne
devrait pas faire cesser l'égalité . Elle devrait l'assurer
et la défendre. C'est à la réflexion à deviner et à
prévoir ce que l'homme doit être et ce que seront un
( 7 )
jour les sociétés quand la raison se perfectionnera .
" C'est parce qu'on veut se mêler de tout , qu'il
faut tant de lois différentes . Quand on ne veut que
protéger les bons contre les méchans , et assurer à
chacun sa propriété , les lois nécessaires ne sont pas
nombreuses , et conviennent aux habitans de la terre
entiere .
,, 'Une définition plus simple et plus vraie de la
nature des gouvernemens est celle- ci . Quand ceux
qui sont gouvernés ne peuvent repousser l'oppres
sion de ceux qui gouvernent mal , c'est despotisme.
Quand ils le peuvent , c'est démocratie . Je ne vois
de différence dans le monarchique et le despotique
que le plus ou le moins de lumieres et de bonne
volonté dans celui qui gouverne.
* ,, La monarchie est une sorte d'aristocratie dont
le roi choisit les membres.
,, Etre gouverné par un sénat que l'on choisit ,
qu'on peut exclure , dont on peut examiner et condamner
les opérations , c'est peut- être le gouvernement
le plus sage , sur-tout si le peuple est instruit.
" Qu'est- ce que des lois fondamentales et des pouvoirs
intermédiaires que l'intérêt et la volonté d'un
seul viole , rend nuls , ou anéantit ? Je vois des
rangs , des dépôts de lois , et point de pouvoirs .
99
- -
Qui ne voit que tout se passe dans les états despotisques
, comme dans les monarchies , où seulement
l'opinion plus éclairée fait conserver plus de
formes ?
,, Montesquieu intitule son III . livre des principes
des trois gouvernemens . Le principe d'un gouvernement
n'est que le ressort qui résulte de sa nature . Ce livre
A 4
( 8 )
entier eût été le même , en lui donnant pour titre :
Conséquences de la nature des trois gouvernemens .
" C'est de la morale bien conçue que doit naître
le bonheur des hommes.
" Quand Montesquieu définit , il dit l'impression
qu'il reçoit en entendant un mot , et il croit faire une
définition .
" Qu'est-ce que l'honneur chez les courtisans , séparé
du revenu pécuniaire ?
" Ce n'est point l'honneur , dit Montesquieu , qui
est le principe des états despotiques.
Lisez l'histoire
turque sous les Ottomans qui aspiraient à être
des héros ; vous verrez le contraire .
" Dans les états monarchiques , les sujets obscurs
sont punis par les lois ; les gens en place par le ca
price du monarque.
,, Il semble bien ridicule de faire un ouvrage pour
enseigner ce qu'il faut qu'on fasse pour maintenir ce
qui est mal . En matiere de gouvernement et d'éducation
, la seule question à examiner , c'est de savoit
ce qui est le plus propre à assurer le bonheur des
hommes.
› Dans les monarchies , la principale éducation
est contradictoire ; et lorsqu'on entre dans le monde ,
on n'y voit enseigner qu'à masquer ses vices , et que
l'art de faire fortune .
,, Faire honneur à l'honneur de tout ce qui est en
usage parmi nous , c'est la manie du systême .
" Il
Il n'y a de fier que l'homme indépendant.
L'esclavage corrompt tout , sur- tout les maîtres.
,, La vertu ne tenait pás au principe des gouvernemens
de quelques peuples anciens , mais à la nou(
9 )
veauté de ces gouvernemens. Il y a dans tous les
genres une ferveur de noviciat.
" La puissance de l'éducation vient de l'égalité des
fortunes , et des moeurs plus concentrées dans la
famille. C'est l'esprit du moine qui n'étant rien par
lui-même s'attache à son corps pour être quelque
chose.
L'amour des lois et de la patrie s'établit dans la
république par la connaissance des avantages de
l'égalité , fortifiée de la haine des tyrans . Mais la
haine cesse après leur destruction .
» Montesquieu parle de l'étendue du génie qu'il
fallut à Minos , Licurgue , Platon . Le vrai génie en
tout genre suit la nature pas à pas , et se regle sur
elle . Gouverner des hommes comme des moines , le
bel éloge ! En insistant sur une seule idée , sur une
seule vertu , on la pousse à l'extrême , mais on ne
fait le bonheur de personne.
,, Tous les peuples ignorans appliquent le remede
au mal , et non à la source du mal.
" Aucune institution ne doit avoir pour but que
la protection de chaque homme. Elles sont mauvaises
dès qu'elles sont autre chose.
" Les lois de Minos , de Licurgue , de Platon , dit
Montesquieu , supposent une attention singuliere de
tous les citoyens les uns sur les autres . C'est à la
loi à veiller , et non à chaque homme.

" Les anciens , ainsi que les modernes , attachaient
une idée de noblesse à l'oisiveté , et c'est la source
de tous les maux dans la politique et dans la morale .
,, L'amour de la république dont parle Montesquieu
, est l'amour du moine pour son ordre ,
( 10 )
qui produit la haine de tout ce qui en differe .
" L'amour de la patrie , dit Montesquieu , conduit
à la bonté des moeurs. Cela n'est pas vrai . Voyez
Sparte. A moins qu'on n'appelle bonnes moeurs l'extinction
de tous les sentimens naturels , l'austérité ,
et la privation des douceurs innocentes de la vie .
-La patrie n'est que les citoyens . En faire un être
réel , c'est occasionner beaucoup de faux raisonnemens.
" L'amour de la démocratie est encore l'amour de
la frugalité , dit Montesquieu ; et quand on connaîtra
le vrai bonheur que la nature destine à l'homme ,
on ne fera plus une vertu de la frugalité .
" Toutes les lois des anciens législateurs peignent
l'inquiétude et l'incertitude de leurs vues.

Solon voulut que chaque citoyen rendît compte
de la maniere dont il gagnait sa vie. Quiconque
ne demande rien aux autres est le maître de ne rien
faire , et n'a point de compte à rendre .
" ALacédémone,tous les vieillards étaient censeurs .
Cela est bon pour fonder un séminaire . Il faut une
bonne police , mais humaine .
99
Quand les lois seront simples , les moeurs le
seront.
" Montesquieu a bien raison de dire que les confiscations
, les lois agraires , les abolitions de dettes
sont des maux infinis . Qu'on juge de la sagesse des
législateurs grecs et romains qui employaient ces
moyens là.
L'honneur , dit Montesquieu , est le principe du
gouvernement monarchique. - Le vrai principe de
ce gouvernement , s'ily en a un , est de servir le roi.
( 1 )
Après cela , les préjugés placent l'honneur où ils
⚫ peuvent .
L'histoire prouve qu'il n'est aucune espece de gouvernement
, où l'appât des confiscations n'ait mis en
danger la vie des meilleurs citoyens. Les admettre
pour quelque crime que ce soit , c'est créer des tyrans
pour enrichir des délateurs .
" Les ministres sont faits pour décider les affaires
quand il y a embarras , et non pour les juger quand
il y a contestation .
" Ce ne sont pas les peines qui diminuent les
crimes ; c'est le genre de vie des peuples et la facilité
des subsistances .
,, Les Romains étaient un peuple bien agité pour
être un bon modele.
,, Dans la monarchie , dit Montesquieu , les grands
sont fort punis par la disgrace. Que devient le
pouvoir des lois quand l'homme du peuple voit son
pareil conduit à l'échafaud pour le même crime qui
envoie un grand en exil ?
99
Que signifie le chapitre entier de Montesquieu
sur les lois somptuaires ? L'égalité des richesses est
une chimere. Le partage des terres ne vaut rien , ni
comme action , ni comme loi.
" Les bons législateurs , dit Montesquieu , ont
exigé des femmes une certaine gravité de moeurs .
Les bons législateurs n'exigent point une certaine
gravité de moeurs . Ils se bornent à établir par des
lois indirectes , la pureté des moeurs , et cela est
plus aisé qu'on ne croit. Avec cette gravité de moeurs ,
la société domestique est dure , impérieuse , tyrannique
. Ce n'est pas là le but d'une bonne législation ,
( 12 )
car ce n'est pas le but de la nature . Que si l'on
me demande comment on établit la pureté des
moeurs par des lois indirectes , je réponds que c'est
en favorisant les mariages et le divorce , en rendant
les successions égales entre freres et soeurs , les charges
non héréditaires , et sur-tout l'institution nationale"
bien éclairée.
› Les anciennes républiques ont réuni le pédantisme
à la tyrannie , et gêné par des lois dures la
liberté de la vie journaliere. C'est que les législateurs
n'ont pas connu les droits et les besoins de l'homme ,
moins encore les moyens d'inspirer la vertu sans
T'ordonner.
Les lois somptuaires annoncent l'impéritie du
législateur , s'il est monarque , et la jalousie si c'est
la multitude qui donne des lois .
" La démocratie périt plus souvent par la faute
des sénateurs que le peuple s'est choisis , que par le
peuple.
99
Nous donnerons dans le numéro suivant un choix
des pensées diverses de Montesquieu , dont la plus
grande partie n'est point encore connue du public,
( 13 )
1
MORAL E.
INSTRUCTION PUBLIQUE.
PREMIERE LETTRE
Sur les moyens de faire servir le théâtre dans l'éducation
publique , adressée aux artistes du théâtre de la Nation.
Le 15 juillet 1793 ( v . st . ).
Par le cit. FRANÇOIS ( DE NEUFCHATEAU ) .
ON
pro-
N nous parle depuis long - tems de l'établissement
d'une éducation publique ; mais dans tous les
jets qu'on a donnés à cet égard , je n'ai pas lu qu'on
ait songé à ti
parti des spectacles , et je crois cependant
qu'ils doivent y servir d'une maniere distinguée
.
Chacun connaît le bel éloge que Voltaire a fait de
votre art lorsqu'il dit , dans un de ses contes , em
parlant des Athéniens ;
La plus belle , à mon gré , de leurs inventions ,
Fut celle du théâtre , où l'on faisait revivre
Les héros du vieux tems , leurs moeurs , leurs passions ;
Le théâtre instruit mieux que ne fait uunn gros livre.
晖J'applaudis à la vérité que renferme ce dernier
vers ; et après y avoir mûrement réfléchi , je persiste
à penser que l'instruction théâtrale peut recevoir
encore une application plus efficace et plus directe
; qu'elle peut se lier avec l'enseignement pu
blic national ; et qu'il ne s'agit , pour cela , que de
( 14 )
rendre plus régulier et de combiner mieux qu'on ne
l'a fait jusqu'à présent , l'emploi un peu trop arbitraire
de nos richesses dramatiques. Nous avons des
(trésors , sachons en profiter. Nous possédons des
diamans , pprenons à les mettre en oeuvre .
J'ai étendu mes vues à tous les grands spectacles ;
mais pour mettre de l'ordre dans mes réflexions , je
ne veux vous parler aujourd'hui que d'un seul , et
de celui qui , le premier , a été perfectionné sur la
scene française Je vais considérer d'abord l'usage
qu'on peut faire , pour l'éducation publique , des
chefs-d'oeuvres que nous avons en fait de tragédies .
On ne peut se dissimuler l'influence qu'onteue en
France nos illustres tragiques. Je ne parle pas de
l'empire que leurs ouvrages , réunis à ceux de tant
d'autres grands hommes , ont assuré par-tout à la
langue française. Je ne parle pas des leçons de déclamation
, de bienséance et de bon goût , que l'on
a pu puiseraux représentations de ces chefs d'oeuvres
dramatiques. Je songe à de plus grands objets , car
nous avons à leur génie des obligations d'un ordre
bien plus relevé . Je veux parler de ces principes , de
cette morale hardie , de cet esprit philosophique ,
dont l'émanation a passé du théâtre dans la société ,
par le secours de ces maximes que de beaux vers
bien récités ont réussi à rendre usuelle et populaire .
On appellait Corneille le Bréviaire des Politiques .
Et si tous ceux qui l'ont suivi n'ont pas la même
profondeur , il en est peu qui n'aient concouru à
former l'esprit et le coeur des Français par le moyen
le plus puissant , qui est l'instruction déguisée en
plaisir.Ne soyons point ingrats , sur-tout envers celui
( 15').
qui , le premier , fit , retenir sur ce théâtre et grava
par- là dans nos coeurs ces fameuses maximes :
L'injustice , à la fin , produir l'indépendance .
Le premier qui fut roi fut un soldat heureux .
Extermincz , grands dieux , de la terre où nous sommes
Quiconque avec plaisir répand le sang des hommes !
Et tant d'autres vers immortels , oracles de l'égalité ,
de la raison , de la morale , tous présens à votre pensée
, et qu'il est inutile de rappeller ici .
Notre amour pour la liberté fut préparé à cette
école . Des pieces de théâtre , faites sous l'oeil du
despotisme , rous ont rendus républicains . Il faut
le dire hautement , et démentir ainsi ces ignorans
Vandales , ces modernes Omars , qui veulent méconnaître
les services des gens de lettres , et qui voudraient
nous faire redevenir barbares ; mais leur amo ur
pour les tenebres n'éteindra pas ce feu sacré qui fut
allumé au flambeau de la littérature , et que les muses
seules peuvent empêcher de s'éteindre .
un
Ce feu déja brillant est susceptible de répandre
plus de lumiere encore . Il est , ce me semble ,
moyen de faire de nos tragédies l'école de l'histoire
et de la politique , et de votre théâtre un institut
national . Et c'est ce que je vous propose . Jusqu'à
présent , ni les acteurs , ni les auteurs eux -mêmes
n'ont paru s'occuper de mettre aucune suite dans les
objets de leurs travaux. Les auteurs ont saisi , dans
le cours de l'histoire , quelques grandes époques , et
ils les ont rendues avec plus ou moins de succès
mais en les prenant au hasard et sans relation entre
elles. De leur côté , les grands artistes qui donnent
la vie à leurs pieces , ne songent qu'à tel ou tel rôle.
( 16 )
De sorte que l'on joue t ntôt une piece romaine et
tantôt une piece grecque ; que l'on fixe au hasard l'attention
des spectateurs sur des héros ou sur des faits
particuliers et isolés , et qu'on n'a p s imaginé de présenter
sur le théâtre un systême d'instruction , régulier,
concordant , un vrai cours de doctrine . C'est précisémentce
systême que je crois praticable , et dont je
vous livre l'idée , relativement au tragique , en attendant
que je publie des vues , également neuves , sur
les pieces des autres genres .
Repassez dans votre mémoire les différentes tragédies
qui figurent sur notre scene avec plus d'avantage
. Vous verrez qu'à l'exception d'un petit nombre
de sujets purement romanesques , de l'invention des
auteurs , qui ne peuvent appartenir à aucun tems ,
aucun lieu , les autres se rapportent ou à l'histoire.
juive , ou à l'histoire grecque ; qu'un plus grand
nombre encore tient à l'histoire romaine et que
enfin , dans ces derniers tems , on a commencé à puiser
dans l'histoire moderne .
Par un hasard heureux ( dont ce n'est pas ici le
lieu de vous développer les causes ) , c'est sur- tout
l'histoire romaine , la plus intéressante , la plus belle
et la plus complette de toutes les histoires , qui a
fourni à nos auteurs le plus grand nombre de sujets .
Ils en ont embrassé les époques les plus marquantes .
Du moins , il en reste bien peu qui ne soient pas
traitées avec un certain intérêt. Je vous invite à profiter
de cette circonstance ; et au lieu de laisser éparses
et sans aucune liaison les belles tragédies que vous
possédez en ce genre , je vous propose d'en former
vae suite instructive , une galerie animée , et , si j'ose
le
( 17 )
le dire , un vrai cours d'histoire romaine en tableaux
et en action . Il ne faut pour cela , qu'assujettir ces
pieces à l'ordre des événemens qui y sont retracés ,
et vous mettre en état de donner successivement
toutes ces tragédies , dans la série exacte de l'histoire
romaine , de maniere qu'on puisse faire marcher de
front le plaisir de venir les entendre au théâtre , et
celui de suivre, au lycée , ou dans le cabinet , les
récits des historiens , les remarques des publicistes ,
les recherches des antiquaires , etc.
Voyez quels nombreux avantages résulteront pour
le public , pour les lettres et pour vous - mêmes , de
ce plan , dont je vous conseille de tenter l'exécution .
Supposons , en effet , que pénétrés de cette idée
et jaloux de vous rendre utiles , en élevant votre art
à sa juste hauteur , vous vous disposez à donner ,
dans le cours de l'hiver prochain , trente ou quarante
tragédies ( car vous en avez tout autant , prises
dans cette riche et magnifique histoire de la plus
colossale et de la plus célebre des nations antiques ) ;
voyez alors l'effet que ce plan peut produire , sous le
triple rapport que je viens de vous indiquer .
1º. D'abord , quant au public , vous lui offrez un
grand moyen d'instruction pour la jeunesse et de
plaisir pour l'âge mûr. Vous liez le spectacle avec les
plans d'études , dont l'histoire romaine fait une si
grande partie. L'enfant à qui l'on fera lire , dans Tite-
Live , dans Tacite , dans Rollin , dans Vertot , les révolutions
romaines burimées avec tant de force ou
peintes avec tant de charme par ces historiens fameux
, cet enfant se fera d'avance un plaisir enchanteur
de venir voir , agir et entendre parler , au théâtre
Tome XXII, B
( 18 )
français , le héros qui l'aura frappé dans sa lecture ,
ou dans sa classe . Les hommes faits qui cherchent
dans Saint- Evremont, Montesquieu , Gordon , Mably,
Gibbon , les causes des progrès et de la décadence
de la république romaine , retrouveront un nouveau
charme à étudier sur la scene les caracteres dominans
qui ont pu influer sur le sort de ce grand empire.
Ce sera le sujet des conversations , des méditations
communes et particulieres ...
Qui ne se plairait pas à suivre de l'oeil ces tableaux
enchaînés l'un à l'autre , dont la succession donnera
des leçons aussi utiles qu'agréables !
J'ai vu des lecteurs rebutés par la sécheresse et
l'ennui des études chronologiques , qui ne sont jamais
parvenus à classer dans leur tête les événemens et
les noms de l'histoire ancienne , de maniere à se
faire une idée un peu nette de l'ordre dans lequel
ces noms et ces événemens doivent être arrangés , ces
lecteurs vous devront tout naturellement la connaissance
que les livres n'ont pu leur procurer . Vous
leur débrouillerez cet antique cahos . Vous attache
rez leur mémoire à leur imagination , tout en for
mant leur jugement par un exercice agréable , et
alors vous justifierez le beau vers du grand homme ,
que j'ai cité en commençant :
livre. Le théâtre instruit mieux que ne fait un gros
Je juge , au reste , du succès dont cette idée est
susceptible , par celui qu'elle a eu déja sur l'esprit
de plusieurs personnes à qui j'ai conseillé de lire nos
bonnes tragédies dans un ordre historique , et d'éclairer
cette lecture par une étude parallele des morceaux
de l'histoire auxquels ces pieces se rapportent.
( 19 )
7
Une mere éclairée , voulant suivre ce plan dans
réducation soignée qu'elle donnait à ses enfans , fit
acheter séparément les pieces de théâtre que je lui
indiquais , et les fit relier dans l'ordre où je pensais
que l'on devait les lire . Leur lecture servait de point
de repos et d'appui aux époques d'un cours d'histoire
universelle . Les jeunes gens pour qui j'avais
imaginé ce genre de récréation savante , en ont tiré
un grand profit . Il eût été à desirer que chaque tragédie
pât être accompagnée de notes et d'extraits
historiques , à peu près dans le goût de ces curieuses
remarques que Voltaire a placées ensuite du Triumvirat.
Il ne faut pas douter qu'on n'entreprenne ce
travail , et qu'il ne forme la matiere d'un excellentrecueil
, si vous donnez l'impulsion à ce nouveau genre
d'études , en adoptant les vues que je viens vous
communiquer.
2º. Vous voyez déja que ce plan ne sera pas moins
précieux aux gens de lettres qu'au public . Ils seront
à portée de voir ce qui peut manquer quelquefois
de fidélité historique aux pieces déja faites , et qui
ne sont pas toutes d'un même degré de bonté. Il
en est quelques - unes qui demanderaient d'être presqu'entierement
refondues . On ne tarderait pas sans
doute à les refaire , l'émulation des auteurs serait
puissamment excitée par le desir de voir briller un
fruit de leur pinceau dans cette galerie de tableaux
dramatiques . Tout peintre veut mettre au sallon.
D'ailleurs , il y a des lacunes dans la suite des traits
de l'histoire romaine que l'on a placés au théâtre , et
ces lacunes à remplir offrent aux gens de lettres une
moisson bien riche encore.
B
( 20 )
Je ne parle jusqu'à présent que des sujets tirés de
l'histoire romaine ; mais on peut donner au génie
un essor bien plus vaste , en se proposant de remplir
un pareil canevas sur l'histoire moderne , qui est
encore presque intacte , et même sur l'histoire grecque ,
dont nous n'avons guere saisi que les tems fabuleux ,
la famille d'Agamemnon , et l'éternel siége de Troye ,
parce que nous avons imité les tragiques grecs , ou
plutôt les fragmens qui nous restent de leurs oùvrages
, De cette immense quantité de pieces de :
théâtre qui firent les délices du peuple Athénien , il
ne nous en est parvenu qu'un infiniment petit nombre .
Les titres d'une foule d'autres ont été conservés ( 1 ) ;
on serait effrayé de leur nomenclature . On verrait
combien nos poëtes sont loin de la fécondité de ces
créateurs du théâtre , Cependant , venus après eux ,
nous trouvons dans l'histoire un champ plus vaste
à parcourir , soit que nous veuillions retracer les variations
, les grandes catastrophes , et les beaux jours et
les malheurs des républiques grecques , et la ligue des
Achéens , etc ; soit que se rapprochant de nous , la muse
tragique nous présente dans les annales de l'Europe
le fanatisme des croisades , le massacre des Albigeois ,
les bûchers de Constance , le schisme de Suede , etc.
Dans les annales de la France , Isabeau de Baviere ,
les Gaises , les Valois , le cardinal de Richelieu , etc .;
et mille autres grands personnages , et mille autres
traits imposans que l'histoire moderne présente à
2
( 1 ) Par Suidas , Stobée , Rygin ; on voit les titres de ces
pieces dans la bibliotheque grecque de Fabricius .
( +1)
""
!
Melpomene , et qui n'attendent qu'un pinceau digne
de les tracer. Un tems viendra sans doute , écrivait
59 Voltaire à Saurin en 1764 , un tems viendra sans
" doute où nous mettrons les papes sur le théâtre ,
» comme les Grecs y mettaient les Atrées et les
Thyestes qu'ils voulaient rendre odieux. Un tems
,, viendrá où la Saint Barthélemy sera un sujet de
, tragédie , et où l'on verra le comte Raymond de
" Toulouse braver l'insolence hypocrite du comte
" de Montfort. ( Voltaire , Correspondance gener.,
tome VII . ) O combien cette idée aggrandit la sphere
tragique et que l'on aurait tort de croire que les
beautés de l'art ont été épuisées par nos prédécesseurs
! C'est l'ignorance qui prononce ce décourageant
axiôme , tout homme de lettres instruit sait qu'il
reste au poëte bien des mines à exploiter. On juge
de leur abondance en lisant les titres nombreux des
différentes tragédies , dont le fameux Milton ( 1 ) avait
annoté les sujets et esquissé les plans qui se sont
conservés dans ses manuscrits à Oxford . On voit qu'il
avait lu exprès toute la Bible et l'histoire de son pays,
dans l'intention de trouver des canevas de tragédies .
Son Paradis Perdu devait originairement être une
piece de théâtre , dont l'ouverture était ce fameux
monologue , qui se trouve à présent au quatrieme livre
de son étonnante Épopée :
Toi , sur qui mon tyran prodigue ses bienfaits ,
Soleil , astre de feu , jour heureux que je hais !
Toi , qui semble le Dieu des cieux qui t'environnent.
etc.
( 1 ) Supplément de Chauffepié au dictionnaire de Bayle
article MILTON ,
B 3
( 22 )
1
On ne lit pas sans intérêt la liste des sujets que
Milton s'était proposé de mettre sur la scene. Il en
est plus de trente pris dans l'histoire d'Angleterre .
Il y en a beaucoup aussi d'empruntés de la Bible ,
parmi lesquels on en remarque de singuliers et de
bizarres (1 ) ; mais il en est d'heureux . On voit qu'il
n'avait pas oublié Athalie , et il indique entr'autres ,
deux sujets fort intéressans , dont un est Naboth
opprimé, et l'autre est Roboam , où l'on dispute touchant
une religion politique . Ces derniers mots sont de
Milton , et donnent une idée des rapports sous lesquels
il envisageait ses sujets . )
"
J'ai cru devoir donner moi-même cet extrait des
pensées du poëte Breton , pour démontrer aux gens
de lettres le parti qu'ils peuvent tirer d'une étude
un peu plus suivie des bons historiens . Ils ont , à
cet égard , des ressources plus étendues que du tems
de Milton , et s'ils peuvent se plaindre encore d'un
défaut de sujets , ils s'accusent eux-mêmes d'un défaut
d'application qui , malheureusement , n'est que trop
commun parmi eux . Le travail et les connaissances
sont plus rares que les talens . Colardeau a perdu son
tems à mettre la prose des autres en vers harmo
nieux , tandis qu'il aurait pu , avec un peu d'instruction
, donner plusieurs chefs- d'oeuvres au théâtre
national , et à Racine un successeur . Quel dommage
qu'aucun ami ne lui ait suggéré l'idée dont je viens
vous entretenir , et que je crois aussi utile aux gens
de lettres qu'au public.
(1) Comme le Déluge et Sodome.
( 28 ) .
1
4.
T

3º . Enfin , j'ai pensé que vous -même vous tourneriez
certainement au profit de votre art les détails
du plan proposé . Les acteurs appellés à instruire ainsi
le public, devront se regarder comme des professeurs
d'histoire et de morale , d'une espece toute nouvelle
. Ils se pénétreront alors du caractere et de
l'esprit des fameux personnages dont ils devront faire
revivre les moeurs , les passions , suivant les beaux vers
de Voltaire que j'ai cités plus haut . Ils donneront à
leur costume plus de fidélité ; ils suivront , dans les
livres , les médailles et les estampes , les diverses
gradations des tems qu'ils voudront peindre . Ils creuseront
leur art à une profondeur plus grande , et ils
en sentiront enfin toute la dignité , lorsqu'ils se souviendront
que ce n'est plus uniquement pour s'amuser
une heure ou deux que l'on va les entendre , mais
qu'en recevant du plaisir , on leur demande des
lumieres ; qu'en même- tems qu'ils sont les enchanteurs
de notre vie , ils deviennent des précepteurs
nationaux , et qu'ainsi leur talent , déja si cher aux
bons esprits , est une portion de la premiere branche
des institutions politiques et sociales , l'enseignement
public .
Je ne préviendrai pas le parti qu'un gouvernement
éclairé , sage et paternel , pourrait tirer de cette idée ,
pour faire servir vos talens à éclairer un peuple libre
en faisant les frais nécessaires pour que les pauvres
citoyens jouissent gratuitement d'une représentation
de la suite des tragédies , qui formeraient un cours
d'histoire. Dans les anciennes républiques , les jeux
scéniques se donnaient par l'autorité des édiles , des
magistrats du peuple ; c'était une partie de la religion
B4
( 24 )
et de la politique .Je ne saurais développer aujourd'hui
toutes les conséquences du projet que je vous confie ,
c'est un germe , qui doit produire des fruits multipliés ;
mais sans précipiter le tems et sans devancer l'avenir ,
sans même chercher à séduire en faveur de mon plan ,
par le détail des accessoires qui viendront s'y lier
ensuite . En voilà , ce me semble assez pour vous déterminer
dès à présent et de vous - mêmes à donner
cette année cet exemple nouveau , qui sera sans doute
imité dans les départemens .
Si vous voulez sonder l'opinion publique , vous
pourriez annoncer , par un prospectus imprimé , la
disposition où vous seriez de vous livrer à cette espece
de travail ; je me flatte que vous auriez beaucoup
de souscripteurs qui retiendraient des loges pour venir
faire cet hiver un cours d'histoire dramatique , et
qu'ainsi vous auriez moins de risque à courir , en
faisant les apprêts d'un pareil établissement. Ce n'est
qu'un essai à tenter , et vous serez toujours à tems
d'y renoncer , si la premiere expérience ne paraît pas
répondre à ce que j'en augure. Quelle qu'en soit
l'issue , la nation vous saura gré d'avoir apprécié le
mérite de cette idée , pour relever encore la gloire
d'un théâtre qui fait tant d'honneur à la France , et qui
était la seule chose qui nous distinguât long- tems
des autres nations .
On fera des objections , et il faut s'y attendre ,
toutes les fois que l'on propose une chose nouvelle .
On dira , par exemple , que nos diverses tragédies
n'ayant pas été composées dans l'idée chimérique d'en
faire un cours d'histoire , elles pécheront , plus ou
moins , par le défaut d'exactitude , d'ensemble , de
4
( 25 )
méthode , et ne rempliront qu'à demi l'objet d'un
prospectus fait dans le sens de ce mémoire . Mais
il est aisé de répondre à cette objection. Les spectateurs
compareraient le poëte et l'historien , et s'il y
a des différences entre l'ouvrage du premier et la
narration de l'autre , l'examen de ces différences et
l'analyse respective de ces deux compositions deviendront
des sujets de réflexion et d'étude extrêmement
utiles . On se plaira à reconnaître ce que l'art du poëte
a dû ajouter , ou ôter au récit de l'historien , et ces
discussions serviront à former le goût et la critique .
Il y a plus . Cette méthode vous fera faire des conquêtes
dans votre propre répertoire . Car il est resté
au théâtre certaines tragédies , telles que l'Annibal ,
qui n'ont pas reparu depuis leur succès primitif, et
qui pourraient ne pas offrir une reprise bien brillante ,
si elles étaient isolées ; mais placées à leur rang dans
cet encadrement suivi des tableaux d'une même
histoire , ces pieces acquerront un prix , on les verra
avec plaisir. Elles deviendront nécessaires . On desirera
même que plusieurs tragédies , trop faibles ou trop
longues , pour paraître sur le théâtre telles qu'elles
existent , soient reprises et réparées par quelques bons
esprits , jaloux de concourir à ce genre nouveau
de plaisir et d'instruction. De ce nombre seraient le
·· Grand- Scipion de Pradon , le Sylla du pere Buffier
le Germanicus de Boursault , et l'Arrie et Pétus de
mademoiselle Barbier, et le Seneque de Tristan , etc. Ces
tragédies et quelques autres , réduites en trois actes
et remaniées pour le style , figureraient très-bien dans
la suite des pieces de l'histoire romaine .
4
Si ce plan vous est agréable , vous me demanderez
1
( 26 )
aans doute de vous indiquer sur-le- champ les titres
des pieces romaines dont se composerait ce premier
cours élémentaire d'histoire en action. Les voici ,
disposés dans l'ordre où les faits ont eu lieu , et où
les tragédies doivent être représentées .
-
Didon , de Lefranc de Pompignan . —— Romulus , de la
Mothe Houdart. Les Horaces , de Pierre Corneille .
Lucrece , du cit. Arnaut. - Brutus , de Voltaire . Scévola ,
de du Ryer. Coriolan , de Laharpe.- Virginie , de Laharpe .
Manlius Capitolinus , de Lafosse . - Régulus , de Dorat.
Sophonisbe , de Voltaire . Annibal , de Marivaux ,
C. Gracchus , de Marie-Joseph Chenier. Jugurtha , de la
Grange Chancel . Marius à Minturne , du citoyen Arnault.
~ Nicomede , de Pierre Corneille . Sertorius du même.
Spartacus , de Saurin . Mithridate , de Racine
-
-
<
-
--
-

- Rome
sauvée , de Voltaire . La mort de Pompée , de P. Corneille .
Caton d'Utique , de Deschamps ( 1 ) . La mort de César, de
Voltaire . Le Triumvirat , du même. Cassius et Brulus ,
--
de Marie - Joseph Chenier .
Marianne , de Voltaire.
-Les Cherusques , de Bauvin .
Fallet.
-
-
Britannicus, de Racine.
ww
--
Cléopatre , de Marmontel.
Cinna , de Pierre Corneille .
Tibere et Serenus , du citoyen
-
· Rhadamiste , de Crébillon .
Othon , de Pierre Corneille .
Éponine, de Legouvé . - Bérénice , de Racine . - Maximien,
Epicaris , de Legouvé .
-
-
de la Chaussée . Stilicon , de Thomas Corneille . Attila ,
de Pierre Corneille .
( 1 ) Il vient de paraître un autre Caton d'Utique par Saint-
Marcel. ( Note du Rédacteur . )
1
( 27 )
$
ANTIQUITÉS.
Extrait d'une lettre de Florence , du mois de janvier 1796 ,
( vieux style ) .
On a fait ces jours -ci une très - grande découverte
d'antiques dans les lieux où l'on devait le moins
espérer d'en trouver , c'est près de la ville de Piperno ,
province de Maretima , dans les montagnes qu'habitaient
les Volsques , et ville municipale des Romains ,
connue sous le nom de Pivernum . Quelques artistes
de ce lieu unis à d'autres des lieux voisins encouragés
par l'espérance de quelque découverte , y ont fait
des fouilles , desquelles on a sur- le- champ retiré des
monumens extrêmement précieux , soit sculptés , soit
écrits ; savoir une statue d'homme , assise , elle a un
manteau qui descend de ses épaules et lui couvre les
cuisses et une partie des jambes ; la tête n'a jamais
été détachée du buste : cette figure d'un ciseau trèssavant
, est grande presque deux fois comme nature .
Il est clair que c'est le portrait de Tibere- César ,
sculpté sous la forme de Jupiter , comme le Nerva
du Muséum Clémentin , et comme les Romains avaient
l'usage de représenter les Augustes ; ce portrait rend
cette statue d'un très- grand prix , en ce que , nonseulement
il est unique , mais encore en ce que les
statues que nous avons de cet empereur , avec têtes
antiques , ne sont ainsi que parce qu'on a placé des
têtes antiques et vraies de Tibere , sur des torses et
des statues d'empereurs , auxquels les têtes mang
( 28 )·
}
quaient , tandis que dans celle que nous décrivons ,
il n'en est pas de même , puisque la tête et le torse
sont d'un seul morceau de très - beau marbre pentelico ,
que les marbriers appellent cipolla statuaire .
On a trouvé de plus , les restes d'une autre statue
de Claude , semblable à celle précédemment décrite ;
beaucoup de parties manquent à celle - ci , peut- être
les trouvera- t on dans la fouille ; au reste , on pourra
réduire cette statue à un très - beau buste colossal ; la
tête et la poitrine sont de la plus parfaite conservation .
De plus deux autres statues , une nue et qui devait
aussi être celle de quelque César , une autre de femme
drapée ces deux statues sont sans tête .
, י
·
On a trouvé aussi de très-belles têtes , la mieux
conservée de toutes , car elle n'a souffert aucun dommage
, est celle de Marc- Aurele , il porte la barbe .
Le travail en est parfait . Une tête pleine de majesté ,
représentantJupiter , est aussi d'un très grand mérite ;
cette tête est presqu'aussi bien conservée que la premiere.
Il y a une tête de Faustine la jeune , femme de
Mare- Aurele , qui étant voilée , et dans un âge dėja
éloigné de la jeunesse , indique qu'elle a été sculptée
après sa mort , et son apothéose , car elle ressemble
parfaitement , tant par les traits du visage que par
le voile qu'elle porte sur la tête , aux portraits de
Faustine la jeune que nous présentent ses médailles
quand elles portent l'inscription Diva Faustina. Une
autre belle tête de femme semble appartenir au siecle
précédent , c'est peut-être le portrait d'Octavie , fille
de Claude et de Messaline , et la malheureuse épouse
de Néron. Si cette conjecture est fondée , ce monu
ment est d'une rareté singuliere .
( 29 )
Toutes ces sculptures , et beaucoup de très-savantes,
inscriptions trouvées dans le même lieu ( mais qui
ne sont pas encore transportées à Rome ) prouvent
que le local dans lequel s'est fait la fouille était le
forum de l'antique ville municipale de Pivernum , dans
lequel on avait érigé les portraits des Césars , comme
aussi ceux des bienfaiteurs , et des protecteurs de
la ville municipale , desquels on a trouvé les piedsd'estaux
avec inscriptions . On continue toujours la
fouille , et si on en tire quelque chose de nouveau ,
je vous en ferai part dans mes feuilles , suivantes .
MÉLANGES.
LETTRE sur le Gouvernement civil de Lock ( 1 ) .
La nouvelle édition de la traduction française du
gouvernement civil de Locke , publiée il y a quelques
mois (2 ) , m'a fait faire des recherches sur le Philosophe
Anglais , sur son Gouvernement civil et sur la traduction
de cet ouvrage .
Le nom de Locke rappelle autant les vertus que
les talens de celui qui le porta . Je ne parlerai pas
des services qu'il a rendus à la métaphysique et à l'enfance
. Mais je dirai qu'un des plus beaux traits de sa
vie est peut -être d'avoir combattu , à quatre reprises
( 1 ) Le fonds de cette lettre se trouve dans le Moniteur du
6 germinal . Les additions que l'auteur y a faites nous ont engagé
à la réimprimer ici .
(2 ) Royer , libraire , maison Bullion ; in -4 ° . , in -8 ° . , et
in- 12.1
( 30 )
différentes , en faveur de ce qu'on appelfait alors la
tolerance . Ses lettres sur cet objet lui attireront à
jamais la reconnaissance des amis de l'humanité.
JA
En 1666 , il dressa pour la Caroline un systême de
législation très- imparfait , et publia en 1690 son excellent
Traité du Gouvernement civil . Aussi l'histoire
nous apprend- elle que pour la législation de la Caroline
, il fut comme forcé d'adopter les idées de ses
principaux propriétaires ; au lieu qu'il suivit l'impulsion
de son génie en composant le Gouvernement
civil. On est redevable de ce dernier ouvrage aux
erreurs d'un chevalier Filmer , qui prétendait que les
sujets naissent esclaves de leur prince. Locke le refuta
d'abord directement , mais bientôt il développa les
Principes contraires.
Mably ( 1 ) rend une éclatante justice au Gouvernement
civil. Il conseille de le lire et de le relire plusieurs
fois . Mais personne n'en a mieux apprécié le
mérite que les citoyens Lacretelle l'aîné èt Garat le
jeune ; le premier observe , dans un discours sur l'objet
de la morale ( ) , que c'est dans le Gouvernement civil
que Locke a le plus consacré de vérités importantes ,
et qu'il a le mieux étouffé dans leurs racines les
préjugés tyranniques qui s'appuient de toutes les
vérités les plus imposantes . Il est beau , ajoute - t-il ,
» d'avoir appris à la raison humaine en quoi consiste
" sa véritable force , il est plus beau d'avoir rappellė
» à l'homme son indépendance et ses droits . Il était
(1) Euvres posth . de l'étude de la politique .
(2 ) Encycl. méth. Logique , etc. tom. IV , pag. 811 .
*
( 31)
de la destinée de Locke de rétablir deux grandes
", vérités que les hommes méconnaissaient depuis
des siecles , et de leur donner tout l'empire
19 d'axiĝmes, L'une tient à la métaphysique , et elle
" en est le fondement ; c'est que nous n'av
n'avons
" point d'idée qui ne nous soit donnée par les sens :
" L'autre beaucoup plus importante , tient à la morale
et à la politique , c'est la souveraineté du
" peuple, "
+
3
Le citoyen Garat , esquissant à l'école normale
l'histoire de l'art analytique de l'entendement humain
, regarde le Gouvernement civil de Locke comme
un des premiers et des plus beaux fruits de cet art
précieux.
“ Locke , dit-il , avait commencé en tâtonnant son
livre de l'Entendement humain. A peine il l'a ache.
" vé , qu'à ses propres yeux il est comme un autre
homme ; cet esprit qui avait été si long- tems sans
" oser traiter aucun sujet , se porte successivement
sur plusieurs matieres très - diverses , et dans toutes
il porte non pas l'orgueil , mais la confiance de
, les traiter d'une maniere neuve . Jamais cette confiance
ne fut trompée. Le premier sujet qu'il traite
avec ce sentiment de la force qu'il vient d'acquérir
, c'est la plus importante de toutes les ques
,, tions pour le genre humain , c'est la recherche des
,, fondemens légitimes du gouvernement civil , et il
, les trouve , il les fait voir aux tyrans et aux esclaves ,
,, les uns étonnés , les autres épouvantés , dans les
" droits naturels de l'homme. En découvrant ainsi
les vrais fondemens de la société , cet homme , si
modéré , ébranle les fondemens de tous
* sage ,
( 32 )
les trônes de l'Europe . C'est dans le Gouvernement
" civil de Locke qu'ont été puisés en partie les prin-
" cipes de ce Contrat Social qui a si puissamment con-
,, tribué à la révolution française . ",
Mais pourquoi J. J. Rousseau a - t-il si peu parlé de
Locke comme écrivain politique ? Les réflexions spécieuses
qu'il a faites (1 ) contre le chap . VI du Gouvernement
civil prouvent qu'il en avait fait une étude
sérieuse.
Le Philosophe Anglais n'ayant pas , comme Grotius ,
appuyé ses principes sur des poëtes ( 2 ) , ni comme Montesquieu
, traité simplement du droit positif des gouvernemens
établis , ne méritait - il pas d'être cité avec éloge
entre ces deux publicistés ?
Le Gouvernement civil peut servir d'introduction au
Contrat Social. Je voudrais donc qu'il fût mis entre
les mains de notre jeunesse républicaine . Elle trouvera
dans la constitution française , ou dans les ouvrages
de nos auteurs , la réfutation des erreurs qui
ont échappé à Locke .
Par exemple : si elle lit au chap . V que . la naissance
, l'alliance , d'autres bienfaits et d'autres engagemens
de cette nature , obligent aussi à révérer d'une façon particuliere
certaines personnes , l'art . 3. de la Déclaration
des Droits lui aura appris que l'égalité n'admet aucune
distinction de naissance , aucune hérédité de pouvoirs . Si
un peu après , Adam lui est représenté comme ayant
reçu dès le premier moment de sa création toute sa
( 1 ) Discours sur l'inégalité , etc. note 12 .
(2)
Émile . tom. IV .
force
( ૩૩ )
force et toute sa raison , la 113. Tettre persanne lui
fera douter qu'Adam ait été le premier de tous les
hommes. Enfin , si Locke lui donne à entendre dans le
3. chap . que l'esclavage est un état de guerre continuě
entre un légitime conquérant et un prisonnier , J J. lui
prouvera par la force d'une admirable logique (:) que
le droit d'esclavage est nul , non-seulement parce qu'il est
ililégitime , mais parce qu'il est absurde et ne signifie rien .
La traduction française du Gouvernement civil qui
se réimprime encore aujourd'hui malgré ses imperfections
, est la seule que nous ayons . David Mazel ,
ministre réfugié , qui mourut à Londres en 1725 , en
est l'auteur. Il la publia à Amsterdam en 169i . Elle
fut réimprimée à Geneve en 1794 , et à Bruxelles en
1749 et 1754 sans aucun changement.
En 1755 , le gouvernement de la Hollande ayant
témoigné le desir que cet ouvrage de Locke se répandît
dans la nation , un anonyme revit la traduction
de Mazel sur la cinquième édition anglaise ; il
y ajouta quelques notes et 36 lignes qui avaient été
passées on ne sait pourquoi. D'ailleurs , loin de corriger
Mazel , le nouvel éditeur le défigure quelquefcis.
En voici un exemple :
Mazel avait ainsi traduit le commencement du
chap. VI. Dieu ayant fait à l'homme une certaine
cicatrice , à qui , selon le jugement que ce grand
" créateur en a fait lui même , il n'était pas bon d'être
seul , l'a mis dans la nécessité et lui a inspiré le
desir de se joindre en société . 1
(1) Contrat Social , chap . IV , liv . Ier,
Tome XXI.
( 34 )
Voici les corrections de l'éditeur d'Amsterdam :
Dieu ayant fait l'homme , etc. , il l'a mis dans l'obli "
gation , la nécessité et la convenance qu'il lui a inspirée
avec le desir de se joindre en société. Cependant cette
édition de 1755 a été reproduite mot à mot , et cinq
ou six fois , par des libraires français ou étrangers . Ils
ont de même reproduit toutes les fautes qui se trouvent
dans les citations latines .
Il serait à souhaiter qu'une plume exercée traduisit
de nouveau cet ouvrage , ou au moins qu'un éditeur
instruit corrigeât véritablement la traduction de
Mazel. Quant aux notes de l'éditeur hollandais , le
progrès des lumieres les a rendues inutiles .
Je remarquerai en finissant que Linguet , en 1767 ,
dans sa Théorie des Lois civiles , déclare ne pas savoir si
le Gouvernement civil de Locke a été traduit en français.
Cette ignorance était- elle excusable dans un homme
qui travaillait sur une matiere aussi importante , et
dans un tems où il existait au moins cinq éditions
de la traduction de Mazel ?
26 germinal , l'an 4 de l'ère républicaine.
POÉSIE.
LA MATINÉE D'AUTOMNE.
N ON loin du fortuné rivage .
Où s'éleve un temple à l'amour ,
Mirtil des pasteurs du village
Avait prévenu le retour .
Le coeur rempli de sa Laurete ,
( 35 )
Après la plus belle des nuits ,
Pour aller cueillir quelques fruits
Il avait quitté sa retraite .
L'air était calme et le ciel pur ;
L'astre brillant qui nous éclaire
Lançait déja sur l'hémisphere
Des torrens de pourpre et d'azur.
La nature , à peine éveillée ,,
Semblait sourire à son auteur ,
Et sur la prairie émaillée
Zéphire errait de fleur en fleur
C'était l'instant qui suit l'aurore.
Tout annonçait un jour serein .
Sur l'herbe l'on voyait encore
Briller les perles du matin .
Une mer de brouillards s'étendait sur la plaine
Et le sommet des longs côteaux ,
Qu'aux rayons du soleil on distinguait à peine ,
Comme une isle , aŭ lointain , semblait sortir des eaux ..
Echappés de leurs bergeries ,
Les troupeaux légers et nombreux ,
A l'envi , couraient aux prairies ,
Et laissaient le berger loin d'eux .
Mille oiseaux , de leur aîle agile ,
Allaient , venaient , se poursuivant ,
Où , comme un trait , en se jouant ,
Plöngaient dans le brouillard mobile .
D'autres , s'élevant jusqu'aux cieux
Et planant auprès du tonnerre ,
Par leurs concerts mélodieux ,
Semblaient vouloir porter aux dieux ,
Les purs hommages de la terre .
A ce spectable ravissant ,
Le berger , long-tems immobile ,
( 36 )
Éprouvait ce charme tranquille
Qu'on n'exprime pas mais qu'on sent .
Puis cédant , tout- à-coup , au transport qui l'enflamme ;
Puissé-je , ô dieux !, dit-il , célébrer vos bienfaits ,
,, Comme ils ont pénétré mon ame !
" Que ces lieux ont pour moi d'attraits !
Qu'elle est belle cette contrée
,, Dans la parure diaprée
Que l'automne offre à mes regards !
" Quelle profusion dans toutes ses largesses !
» Quel amas d'utiles -richesses
,, Eclate ici de toutes parts
}
» Oh ! mille fois heureux le sage
,, Qui connaît le grand art de régler ses desirs
Et cultivant lui-même un petit héritage
Par la main des vertus voit filer ses plaisirs !
Il s'endort doucement au sein de l'espérance ,
, Nul souci , nul remords ne trouble son sommeil ,
Et , quand le jour renaît , il charme son réveil
Des projets de sa bienfaisance .
Mais plus heureux celui de qui le tendre coeur ,
Sous la chaîne qu'il a formée ,
9. Dans le coeur d'une épouse aimée
,, Répand et double son bonheur !
Idole de mes jours ! vertueuse bergere
Qui regne sur Mirtil , en le comblant de biens ,
› A tes yeux qu'il est doux de plaire
Autant que tu sais plaire aux miens !
"
Oui , depuis que l'amour unit nos destinées ,
Depuis que dans tes bras l'hymen m'a couronné ,
,, Tu l'as dit , je le sens nos ames enchainées
Ne conçoivent pas même un ad plus fortuné.....
" Et vous portraits chéris d'une mere adorée ,
" Jeunes amis , êtres charmans ,
(.3% )
" Que vos courses , vos jeux , vos doux embrassemens
Font goûter de plaisir à mon ame enivrée !
" Je reviens au déclin du jour ;
Vous m'appellez de loin , vous m appellez sans cesse...
" Vbs cris à ma Laurette annoncent mon retour ;
,, Elle vole à Mirtil.... délicieuse ivresse !
Je vous tiens réunis dans les bras de l'amour.
L'heureux berger chantait encore ;
Laurette à ses regards s'offre avec ses enfans....
Le matin , rafraîchi par les pleurs de l'aurore ,
N'offre pas d'objets plus touchans .
" O mon ami ! dit-elle , ô moment plein de charmes !
Tu m'aimes .. tes enfans .. Ah ! viens ! embrasse -nous ! ",
Mirtil ne parlait pas , il les regardait tous ,
Et ses yeux attendris laissaient couler des larmes .
Imitation d'Horace , liv. IV , ode III , à Melpomene.
Quem tu , Melpomene , etc.
GELUI ELUI que ton oeil amoureux
Caressa , Melpomene , à sa naissante aurore ,
N'ornera point aon front poudreux
Du laurier immortel dont l'athlete s'honore.
Aux jeux des Grecs par ses exploits
Il n'ira point briguer un suffrage frivole ;
Ni confondant Forgueil des rois
Les conduire en vainqueur aux murs du capitole .
Mais le Tibre et ses fraîches eaux ,
L'ombre épaisse des bois et leur vaste silence ,
Du chant des filles de Lesbos
Lui feront à loisir moduler la cadence.
La souveraine des cités ,
Rome fixe mon rang dans la troupe choisie
( 38 )
Des poëtes les plus vantés ,
Et dérobe mon nom à la dent de l'envie .
Muse , de mes chants nouveaux
Qui tempere les airs et regle l'harmonie ,
Du cygne aux habitans des eaux
Tu prêtes , quand tu veux , la douce mélodie !
Pour moi , c'est un de tes bienfaits ,
Si du doigt le Romain me montre à mon passage ;
Si l'on me vante , si je plais ,
Ce talent précieux est encor ton ouvrage.
ANNONCES.
LIVRES FRANCAIS.
Peinture des Idées , ou Critique sur les Grammaires , ouvrage
élémentaire à l'usage des écoles , des instituteurs et de tous
ceux qui étudient les langues . Un volume an- 8 ° . imprimé sur
beau papier. Prix , 150 liv . franç de port par la poste , ou
1 liv . 16 sous en numéraire . A Paris , chez Morin , libraire
et commissionnaire , rue Christine , nº . 12. Le prix sera invariable
jusqu'au 30 pluviose.
Traité d'Economie politique , contenant le produit et le droit
des communes , les intérêts de la population , de l'agriculture
, des arts , du commerce , de la navigation , des finances
et de la justice , du militaire et de la politique ; par un
membre de plusieurs acadèmies . Trois volumes in - 8 ° . Prix
600 liv. en assignats franc de port.
Cet ouvrage , qui remplit parfaitement son titre , et qui renferme
une foule de recherches très curieuses , parut pour la
premiere fois en 1789 ; mais l'ancien gouvernement en défendit
la vente . A Paris , chez le même.
Damocles , tragédie en cinq actes et en prose ; par F. M,
Klinger . Traduite de l'allemand ; imprimée en beau caractere ,
Prix , 12 sous en numéraire , ou 125 liv . en assignats , franç
de port par la poste . A Paris , chez le même.
Del Contratto Sociale , o Principi del Diritto Politico ; di
1
( 39 )
J. J. Rousseau , citadino di Genevra. Traditto dal francose ,
dal G. Mennini , romano. A Paris , chez le même .
Il faut affranchir les lettres et les fonds , et bien écrire son
adresse .
Grammaire élémentaire et mécanique à l'usage des enfans de
7 à 14 ans , et des écoles primaires ; par le citoyen Charles'
Panckoucke . A Paris , chez Pougin , imprimeur-libraire , ru
des Saints - Peres , nº . 9. Plassan , rue du Cimetiere - Saint-
André-des-Arts . Gides , palais Egalité , galeries de pierres,
nos . 13 et 14. Prix , 15 sous en numéraire .
--
Cet écrit est sur-tout remarquable par la clarté des défi
nitions , la distribution des matieres , la simplicité des notions
présentées à l'enfance , la correction du style . Le plan de
l'auteur est neuf , et tout entier à lui . Extrait du rapport
fait au conseil des Cinq- cents dans la séance du 24 brumaire
l'an 4 .

Henriette et Emma , ou l'Education de l'Amitié , aveď cette
épigraphe :
“O charme de la vie , amitié tendre et pure on As have
Vos droits seront tout puissans sur mon coeur, ni
Je ne cherche que vous dans la nature ; amiq O
Par-tout où vous réguez je trouve le bonheur.
In- 12 de 260 pages , jolie impression . Prix , r liv? en numé
raire , ou en assignats au cours . A Paris , chez le directeur de
la Décade philosophique , rue Therese.
642
-Suite des Proverbes Dramatiques du cit . Larmontelle . VII .
et VIII . volumes complettant cet ouvrage , et qui manquent
à ceux qui n'ont que les six premiers volumes . A Paris , chez
l'auteur , chez le cit . Lafosse , graveur , rue du Petit - Carous
sel , no . 536 , Prix , 1000 liv. en assignats , ou 6 liv. en numéraire
.
Histoire Romaine depuis la fondation de Rome jusqu'à la
bataille d'Actium ; par N. Rollin . Cet ouvrage paraît chaque
semaine par cahier in -8 ° . de trois feuilles chacun . On publie
en ce moment le sixième cahier. Prix de la souscription ,
6oo liv, pour Paris , et 700 liv. pour les départemens , franc
de port. A Paris , chez Hautbout-Dumoulin , libraire , cloitre
Honoré,
C4
( 40 )
NOUVELLES ÉTRANGERES .
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 15 avril 1796 .
La nouvelle de la prise de Choczim par les Russes
8
ne s'est point confirmée. Mais la marche des trois
armées , envoyées par Catherine II vers les frontieres
ottomanes , n'est pas douteuse . L'une de ces armées
est commandée par Subor , frere du favori actuel ;
les deux autres par Suvarow et Romanzow. Ces deux
généraux sont déja connus ; tous deux ont été les objets
de la reconnaissance fastueuse de leur souveraine.
On prétend que leurs talens , particulierement
ceux de Romanzow , sont fort inférieurs à leur répu
tation ; on dit que ce dernier n'a dû tous ses succès
qu'à des officiers subalternes qui achetaient sa protection
, en le laissant jouir de la gloire de leurs talens .
On en cite une preuve singuliere : c'est qu'il ne reconut
pas
à Berlin , dans une fête militaire que lui don
nait le roi de Prusse , le plan d'une des batailles qui
l'avaient le plus illustré. Quant à Subor, il est probable
que son premier titre au commandement dont il est
revêtu est le crédit de son frere . Cependant , comme
il est Cosaque , on peut croire que l'impératrice l'a
choisi pour flatter sa nation , dont elle cherche par
toutes sortes de moyens à échauffer le zele et l'affec
tion .
( 41 )
Quoi qu'il en soit , on ne doute point à Pétersbourg
que ces trois généraux n'obtiennent de prompts et
faciles succès . L'idée d'un revers ne peut entrer dans¦
l'esprit de Catherine II , ni des adorateurs de sa for
tune , qui croient qu'ayant vaincue elle ne peut cesser
de vaincre.
être trompais leur confiance et la sienne pourrait
Les calculs d'une politique trop circonspecte et
trop timide , qui réglaient les opérations de quelques
cabinets de l'Europe , ont laissé long-tems un libre
ecu's à l'ambition de cette princesse . Les mieux intentionnés
en faveur des Turcs ; ceux qui s'en disaient
les alliés , les amis , n'ont jamais opposé à ses entreprises
qu'une médiation , qui , n'étant soutenue que
par des raisonnemens , ou des ruses diplomatiques ,
ne pouvait être respectée .
Il paraît qu'un systême plus noble , plus généreux ,
plus convenable aux intérêts réels de toutes les puissances
, sans en excepter celles que Catherine a associées
à ses projets , a enfin prévalu . Les troupes nombreuses
que le roi de Prusse fait passer dans ses nou
velles possessions en Pologne ; les armemens extraordinaires
que prépare l'Espagne ; le concert des cours
du Nod qui ont conservé leur bonne intelligence ,
malgré les intrigues ourdies par là Russie pour les
diviser les dispositions connues de la République
Française tout fait présager que la Porte ne sera pas
réduite à ses propres moyens , qu'elle recevra des
secours directs , ou que du moins des diversions
puissantes partageront l'attention et les forces de ses
ennemis.
On a cherché , et l'on est parvenu à lui en susciter
( 42 ),
*
elle-même d'inquiétantes dans le sein des Etats
soumis à sa domination . Passan Oglou persiste dans
sa rébellion. Fier de la protection et des encouragemens
de la Russie , il a rejetté le pardon que le grandseigneur
lui a fait offrir ; et il annonce qu'il va marcher
sur Constantinople , de concert avec les Russes .
Pour repousser ce pacha rebelle , une armée de
40 mille hommes se rassemble dans les environs d'Andrinople.
Trois mille janissaires , formés à la discipline
européane ; un corps de cavalerie asiatique de
sept à huit cents hommes ; quatre compagnies de
canonniers , long- tems exercés sous la direction d'officiers
chrétiens , font partie de cette armée . Elle est
commandée par le nouveau Beglierbey de Romélie ,
Le grand- seigneur , pour investir d'une considération
plus imposante ce général , lui a permis de loger à
Andrinople dans le palais , exclusivement réservé
jusqu'alors au grand- visir , lorsqu'il se rend dans cette
ville pour se mettre en campagne avec l'étendard de
Mahomet.
Aureste , toutes les mesures de défense ou de précaution
que peuvent exiger les circonstances diffi
ciles où se trouve la Porte , et qui paraissaient avoir
été ralentios , se suivent maintenant avec la plus
grande activité. On assure qu'une alliance offensive
et défensive vient d'être conclue avec les Perses, qui
doivent faire une invasion dans les possessions russes
en Asic.
Quelques expressions de la note circulaire , adressée
pai M. de Bernstorff , aux ministres danois dans les
Cours étrangeres , relativement à la reconnaissance
solemnelle dé M. Grouvelle , en qualité de ministre
( 43 )
plénipotentiaire de la République Française près du
oi de Danemarck , ont paru exiger une explication
M. Grouvelle l'a demandée , et M. de Bernstorff s'es
empressé de la lui donner. Voici la correspondance
qui a eu lieu à ce sujet ,
Le citoyen Grouvelle , ministre plénipotentiaire de la République
Française en Danemarck , à son excellence M. le comte de
Bernstorff, ministre du conseil d'état de S. M. danoise et du
departement des affaires étrangeres.- Copenhague , le 27 ventôse
, l'an 4 de la République,
Les feuilles allemandes , monsieur , ont inséré l'extrait
d'une instruction , qui paraît avoir été adressée circulairement
par vous aux ministres de Danemarck près les différentes
cours , et qui concerne la résolution prise par le roi de donner
au caractere de ministre plénipotentiaire de la République
Française , avec lequel je réside depuis deux ans et demi
en cette cour , la publicité convenable , en m'admettant à
son audience particuliere. J'ai tout lieu de regarder cet extrait
comme authentique , et à ce titre je me vois dans le cas de
vous en entretenir un moment .
" De quelques réflexions que soient susceptibles le prin
cipe et l'esprit de ce paragraphe , mon dessein n'est point
du tout de le commenter ; ainsi que le gouvernement , qui
m'envoie , je porte jusqu'au scrupule le respect de l'indépendance
des gouvernemens , et même les égards pour leurs
convenances particulieres . Autant la manie tracassiere et
tyrannique de demander à tout propos des explications
officielles serait contraire à ses principes , autant elle répugne
à mon caractere . Incidenter sur une phrase , attacher à chaque
mot une importance diplomatique , personnaliser la moindre
discussion , assaisonner d'arrogance et de fiel l'ennui d'une
pesante controverse épistolaire ; c'est un rôle que nous avons
vu jouer nagueres à certains agens brouillons , faisant des
querelles faute d'affaires , ne sachant servir une cour qu'en
insultant l'autre , et représenter leur nation que par ses vices .
Le ridicule et le mépris se sont attachés à eux leur exemple
n'est bon à rappeller que parce qu'il est bon à fair. Comme
la République Française met sa gloire à suivre un systême
contraire à celui des puissances qui avouent de tels ministres
je m'honore d'avoir contrasté avec eux dans tous mes procédés
,
( 44 )
Mais , monsieur , je n'ai pu me dispenser d'arrêter mon
attention sur la conclusion qui termine l'extrait de votre instruction
ci -dessus mentionnée ; et voyant que ce résultat se
trouve énoncé en termes qui , par leur acception trop genérale
, peuvent prêter à des interprécations abusives , j'ai
pensé qu'il convenait de m en entendre amicalement avec
yous .
En parlant de mon admission et de la reconnaissance
publique de mon caractere , vous dites que cette démarche
est isolée , et ne signifie rien que ce qu'elle est en elle - même , etc.
Ne craignez-vous pas que les malveillans ne s'obstinent à
voir dans cette maniere de s'exprimer une sorte de restriction
, de réserve implicite ; qu'ils n'aillent jusqu'à supposer
qu'elle fait allusion à je ne sais quelle autre déclaration ou
démarche antérieure , qui aurait pu être faite vis - à- vis des
mêmes cours auxquels vos ministres ont dû tenir ce langage
autorisé ? que même , vous attribuant la publication , ils ne
donnent bientôt une sorte de crédit à leurs fâcheuses induc
tions ? Sans doute , vous verriez avec peine que le public
les accueillit , car , quelque forcées qu'elles paraissent , elles
blessent l'idée que la cour de Danemarck veut toujours donner
de la franchise de ses procédés . Qu'après avoir tant retardé
une démarche devenue nécessaire à sa propre considération ,
autant qu'à la dignité de la République , elle fut encore
soupçonnée de vouloir secrettement en amortir le bon effet ,
et atténuer ce que cette démarche peut avoir d'avantageux
pour la France ; ne serait -ce pas un véritable inconvenient ? Je
n'ai besoin que d'indiquer le point par lequel ceci intéresse
votre réputation.
" Mais , d'autre part , monsieur , le gouvernement frangais
, qui , assis sur une constitution nouvelle , prend sa
place parmi les puissances de l'Europe , ne peut qu'être
singulierement attentif à ne laisser aucun nuage sur sa consistance
, aucune ombre à sa digniié , aucun prétexte aux
détracteurs de ses droits . Il connaît l'influence de l'opinion ,
et ne doit rien négliger pour la rectifier , quand ses adversaires
font tout pour la corrompre. Enfin , quelque supérieur
qu'il soit à de vaines défiances , quoiqu'il procede en tout
avec la sécurité que donnent la force et le courage , le gouvernement
français , par l'intérêt même qu'il met à ses Faisons
avec le Danemarck , ne saurait voir d'un oeil indifférent ce
qui pourrait leur porter atteinte .
99
L'abus qu'on peut faire en cette occasion de votre écrit ,
lui serait sensible ; et il n'est pas douteux qu'il ne reçûo
r
( 45 )
,
avec une extrême satisfaction quelque témoignage contraire
à un tel travestissement de vos intentions. Un gouvernement
loyal ne donne jamais de désaveu , parce qu'il n'avance
que laité . Un gouvernement sage dédaigne souvent les
fausses rumeurs ; mais un gouvernement bienveillant , ou seulement
impartial , ne refuse pas des éclaircissemens demandés
dans des vues amies.
9
" C'est-là , monsieur , ce qui m'oblige à vous représenter
mon devoir le plus sacré ; ce devoir , quelquefois pénible ,
de prévenir tout ce qui peut troubler la bonne harmonie
entre deux Etats qui plus que jamais doivent rester
unis. Si les considérations personnelles étaient de quelque
poids , j'ajouterais , que , pour moi- même , ceci n'est pas
sans importance : et peut- être les antécédens de mon admission
ont été assez épineux , pour que les suites en soient
dégagées de contrariétés , du moins autant qu'il dépendra
de cette cour. Je soumets les premieres réflexions à votre
prudence : j'abandonne la derniere à votre délicatesse , etc. " ?
Signé , GROUVELLE .
Réponse de M. de Bernstorff.
Monsieur , je suis reconnaissant et très - sensible aux
sentimens exprimés dans la lettre que j'ai eu l'honneur de
recevoir de votre part : ils augmentent mon estime ; et ,
quoique je ne sache rien ajouter à ce que je vous ait dit
de bouche , j'entre avec plaisir dans vos souhaits ; et je ne
balance pas à vous donner des explications amicales , même
sur des objets , qui n'admettent pas de discussions minis
térielles . L'instruction , que j'ai donnée à quelques ministres
du roi à plusieurs cours étrangeres , est de ce nombre :
elle est devenue publique sans notre aveu ; elle n'est rien
moins qu'une déclaration à ces cours : nous n'en avons fait
aucune. C'est une simple instruction officielle , uniquement
destinée à l'information de ceux à qui elle est adressée ,
qui se rapporte à la correspondance antérieure , qui est par
faitement conforme à la vérité , et qui , ne respirant que
la justice rendue à la constitution française actuelle , ne peut
certainement pas nous compromettre avec elle , mais plutôt
avec ceux qui ne l'aiment point cela est d'une évidence
parfaite , que j'affaiblirais , si je voulais l'expliquer davantage.
" Vous savez d'ailleurs , que votre admission a été sans
la moindre réserve , absolument dans les formes usitées et
les plus solemnelles que nous connaissions . Nous ne faisons
jamais les choses à demi ; et , comme vous êtes témoin de
*
( 46 )
"
nos démarches et de nos procédés , j'aime fort à vous adopter -
aussi comme juge , et je compte sur votre impartialité .
Comptez de même sur la haute considération avec laquelle je
suis , monsieur , etc.
Copenhague , le 19 mars , 1796.
Signé , BERNSTORFS .
De Francfort-sur- le- Mein , le 20 avril.
Les espérances de paix auxquelles on aimait à se
livrer dans toute l'Allemagne , et particulierement
dans les contrées qui sont ou peuvent devenir le
théâtre de la guerre , se sont soutenues tant qu'il y
a eu quelques incertitudes sur l'arrivée de l'archiduc
Charles . Ce nouveau général , parti de Vienne le 6
de ce mois , arriva ici le 10 , et , le 12 , il se mit en
route pour Mayence , où son quartier général est
établi. A sa sortie de Vienne , une foule immense laccompagnait
, en lui souhaitant à haute voix d'heureux
succès . Des prieres publiques , auxquelles la
cour doit assister , ont été ordonnées pour implorer
, en faveur de ses armes , la protection divine .
Ainsi , la reprise des hostilités ne paraît plus douteuse
; il est même présumable qu'elle n'a été différée
que parce que de part et d'autre on avait besoin
d'un délai pour préparer tous les moyens d'attaque ,
ou de défense , et rassembler les immenses approvisionnemens
de tout genre qu'exigent des armées
nombreuses .
-
L'Autriche a éprouvé à cet égard de très - grands embarras.
Le prêt de quelques compagnies a manqué pendant
plusieurs jours ; l'hôpital établi à Wisbaden , et qui
sertaux armées du haut et du bas Rhin , s'est trouvé privé
des fonds nécessaires à son entretien ; pour faire cesser
(-47 )
cette pénurie , qui donnait lieu à de violens mur.
mures , on a été obligé d'ouvrir à Ulm un emprunt
de deux millions de florins . Mais cette faible ressource
sera promptement épuisée. Où en trouvera-ton
d'autres ? En tems de paix , le militaire coûtajt
à l'empereur soixante et dix millions , qui forment
à-peu-près le total des subsides fournis par l'Angleterre
. Mais cette dépense est au moins quadruplée en
tems de guerre .
Au reste , on remarque un mécontentement gé
néral parmi les Autrichiens . Les officiers se plaignent
hautement des injustices criantes qu'ils éprouvent ,
et de la direction désastreuse des affaires. . Si l'empereur
, disait l'un d'eux , ou plutôt ceux qui abusent
de sa faiblesse , croient que nous sommes des csclaves
, ils se trompent . La révolution française nous
a appris à réfléchir un peu sur nos droits politiques ,
et il ne serait pas fort prudent de nous pousser à
bout. On ne trouve dans les troupes aucun zele ,
aucun empressement ; toutes , au contraire , paraissent
se voir avec regret dans la nécessité de combattre
encore .
C'est probablement en réfléchissant sur ces cir
constances que quelques personnes prétendent , malgré
toutes les apparences , que les négociations ne
sont point rompues . Les comtes de Lehbach et de
Trautmansdorff et le baron de Thugut sont , disentelles
, chargés de les suivre , et de préparer le traitė
de paix.
( 48 )
ITALIE. De Gênes , le 10 avril.
Depuis plusieurs mois les Français avaient annoncé
qu'ils se proposaient de s'approcher de Gênes , et
d'établir à Voltri , qui n'en est distant que de 6 lieues,
une division de leur armée . Ce projet s'est effectué .
Les partisans de la coalition ont feint de voir dans
ce mouvement le dessein de surprendre la ville ; et
pour le persuader au peuple , ils se sont empressés de
provoquer des mesures extraordinaires . Le gouvernement
a résolu de faire venir deux mille hommes de
milice de la riviere de Gênes , pour augmenter la
garnison. Il a publié un décret pour faire sortir de
la ville tous les étrangers qui n'auraient pas été par
ticulierement autorisés à y résider . Tous les matelots
sont obligés de coucher à bord ; il est défendu d'entrer
dans la ville avec aucune espece de cocarde .
+
Il avait été proposé d'établir une junte de cinq
membres , qui aurait eu la haute police , qui aurait
fait arrêter et exiler sans forme de procès , et sans en
rendre compte.
Cette proposition , faite par le chef du parti des
aristocrates dévoués à la coalition , le sénateur Bernard
Pallavicini , avait été adoptée à l'unanimité par
les collèges du gouvernement ; mais elle a été rejet
rée par le petit conscil , dont les membres ont craint
d'être eux-mêmes les premieres victimes d'un tribu
nal , dont le pouvoir devait être si arbitraire.
On a cru trouver moins d'inconvéniens , moins de
motifs de frayeur dans le renouvellement d'une loi
qui ordonne aux inquisiteurs d'Etat le droit d'emprisonner
,
( 49 )
prisonner , d'exiler , ex informatà conscientiâ , les gens,
sans aveu et les perturbateurs de la paix publique.-
Ce n'est point à ces mesures intérieures que les
partisans de la coalition se sont bornés , pour accréditer
les alarmes qu'ils répandent . Le général Beaulieu ,
d'après l'invitation de quelques - uns d'entr'eux , a fait
dire au gouvernement de mettre la ville en état de
défense contre les Français , et que bientôt il marcherait
à son secours . En effet , l'on a appris que les Autrichiens
étaient à la Bochetta ; mais les vues de l'aristocratie
sont trompées .
Le peuple redoute bien moins les troupes françaises
que les troupes impériales ; la tradition a conservé ,
jusques dans les dernieres classes , le souvenir des
horreurs que celles - ci commirent en 1747.
Lorsque les Français se sont approchés de Gênes ,
les nobles ont fait démeubler leurs palais ; lorsqu'on
a su les Autrichiens à la Bochetta , les pauvres ont
mis en sûreté leurs effets et leurs denrées .
D'après ces dispositions , l'ouverture de la campagne
ne peut être éloignée . La fonte des neiges a
fait disparaître l'obstacle qui pouvait la retarder
encore .
ANGLETERRE. De Londres , le 10 avril.
Samedi dernier, M. Boyd réunit , à la taverne de Londres,
un certain nombre de négocians pour delibérer Sur Fétat actuel
des finances de l'Angleterre , et sur la mesure adoptée récemment
par la banque , de réduire les escomptes . On convint
après une assez longue discussion , de nommer un comité
composé de sept membres qui furent chargés de voir
le chancelier de l'échiquier , et d'avoir avec lui une conférende
à ce sujet ; leurs noms sont , MM. Boyd , Palderman
Lulkington , l'alderman Anderson , Ingi , Georges , Ward ,
et un autre dont le nom nous est inconnu,
Tome XXII,
D
( 30 )
Ils se sont rendus chez M. Pitt avec lequel ils ont en
une conférence d'à -peu-près une heure et demie . On a exposé
que le commerce de l'Angleterre étant fort étendu et la
circulation du papier de banque fort resserrée , les négocians
éprouvant an embarras d'autant plus grand dans leurs affaires ,
que la banque venait de réduire elle -même ses escomptes , le
comité n'a trouvé , pour parer à cette situation fâcheuse ',
d'autre moyen que de créer pour un tems limité , qui ne pourrait
excéder une année , avec l'approbation du parlement , et
sous la surveillance de 25 commissaires , un papier-monnaie
qui pût soutenir le crédit public ; ce papier pourrait être payé
à vue et il serait pour cela fait un fonds suffisant ) , et il produirait
un intérêt raisonnable au porteur. Cette proposition
que le comité fit , d'un accord unanime , engagea une longue
discussion surel étatactuel du crédit public . M. Pitt fit le plus
gracieux accueil aux membres , les reconduisit lui- même avec
kes marques de bienveillance les plus sensibles , et lear promit
de prendre cet objet dans la plus prompte et la plus sérieuse
considération .
Avant - hier 10 , les ministres de sa majesté ont communiqué
les notes officielles qu'en va lire , à tous les ministres,
étrangers résidant en cette cour.
Note adressée à M. Barthelemy par M. Wickham , le 8 mars 1796.
« Le soussigné , ministre plénipotentiaire de sa majesté
britannique aupres des cautons suisses , est autorisé à communiquer
à Mi. Barthelemy le desir qu'a sa cour d'etre instruite
par son canal , des dispositions de la France relativeu ent
à l'objet d'une pacification générale. Ii requiert en conséquence
M. Barthelemy de lui communiquer par écrit , et après
avoir fait les recherches nécessaires , sa reponse aux questions.
suivantes :
1º . Y a- t-il en France quelques dispositions à ouvrir
une négociation avec sa majesté et ses alliés , pour le rétablissement
d'une paix générale , à des conditions justes et
convenables , en envoyant pour cet effet des ministres à un
congrès dans le lieu qui sera fixé par la suite ?
2 ° . Serait-on disposé à communiquer au soussigné les
bâses générales d'une pacification , telles que la France voudrait
les proposer , afin que s majesté et ses alliés pussent
ensuite examiner de concert si elles sont telles qu'elles puissent
servir de fondement à une négociation de paix .
3º. Ou bien aurait - on le desir de proposer quelqu'autre
moyen de parvenir au même but , celui d'une pacification
générale ?
( 51)
" Le soussigné est autorisé à recevoir de M. Barthelemy
la réponse à ses questions et à la transmettre à sa cour ;
mais il n'est en aucune maniere autorisé à entrer avec lui en
négociation ni en discussion sur ces objets . "
Berne , le 8 mars.
Signé , W. WICKHAM .
Note adressée à M. Wickhampar M. Barthelemy , le 26 mars 1796.
Le soussigné , ambassadeur de la République Française
auprès du corps helvétique , a communiqué au Directoire
exécutifla note que M. Wickham a bien voulu lui adresser ; il
a ordre d'y répondre par un exposé des dispositions et des
sentimens du Directoire exécutif.
› Le Directoire desire ardemment de procurer à la Répu
blique Française une paix juste , honorable et solide. La
démarche de M. Wickham aurait causé au Directoire une
satisfaction réelle , si la déclaration même que fait ce ministre ,
de n'avoir ni ordre , ni pouvoir de négocier , ne donnait
pas lieu de douter de la sincérité des intentions pacifiques
de sa cour . En effet , s'il était vrai que l'Angleterre commençât
à comprendre ses véritables intérêts , et qu'elle desirât de
rouvrir pour elle-même les sources de l'abondance et de la
prospérité si elle voulait de bonne foi la paix , proposeraitelle
un congrès , dont le résultat nécessaire serait de rendre
toute négociation interminable ? Ou voudrait- elle se borner
à demander , d'une maniere vague , que le gouvernement
français indiquât toute autre maniere quelconque de parvenir au
même but , celui d'une pacification générale ?
Cette démarche n'aurait - elle d'autre obiet que d'obtenir
pour le gouvernement britannique l'impression favorable
qui accompagne toujours les premieres ouvertures faites pour
Ja paix ? Et n'aurait- elle pas été accompagnée de l'espérance
que ces ouvertures ne produiraient aucun effet ?
Quoi qu'il en soit , le Directoire exécutif , dont la politique
n'a d'autre guide que la franchise et la bonne-foi , suivra
dans ses explications , une conduite entierement conforme à
ses principes . Cédant au de ir ardent dont il est animé ,
de procurer la paix à la République Française et à toutes les
nations , il ne craindra pas de la déclarer ouvertement. Chargé
par la constitution de l'exécution des lois , il ne peut faire
ou entendre aucune proposition qui y serait contraire . L'acte
constitutionnel ne lui permet de consentir à aucune aliénation
de ce qui , d'après les lois existantes , constitue l●
territoire de la République .
D 2
152 )
» Quant aux pays occupés par les armées françaises , et
qui n'ont pas été unis à la France , ils peuvent , ainsi que
d'autres intérêts politiques et commerciaux , devenir le sujet
d'une négociation qui offrira au Directoire le moyen de prouver
combien il desire d'arriver promptement à une heureuse
pacification .
Le Directoire est prêt à recevoir , sous ce rapport ,
toute ouverte qui sera juste , raisonnable et compatible avec la
dignité de la République . ",
De Basle , le 6 germinal , an 4 de la République Française ,
( 26 mars 1796. ) Signé , BARTHELEMY .
Note du ministere, anglais. «
La cour de Londres a reçu , par son ministre en Suisse ,
la réponse aux questions) qu'il avait été chargé d'adresser à
M. Barthelemy , relativement à l'ouverture d'une négociation
pour le rétablissement de la tranquilité générale .
3.99 La cour a vu avec regret combien le ton et l'esprit de
cette réponse , la nature et l'étendue des demandes qu'elle
scontient , et la maniere de les annoncer étaient éloignés de
toute disposition à la paix . have ha
On y avoue la prétention inadmissible d'approprier à
la France tout ce que les lois y existant actuellement peuvent
avoir compris sous la dénomination de territoire français . A
une pareille demande , on ajoute la déclaration expresse
qu'on ne fera ni n'entendra aucune proposition qui y serait
contraire et cela , sous le prétexte d'un reglement intérieur ,
dont les dispositions sont absolument étrangeres à toutes les
autres nations.
i
99 Tant qu'on persistera dans ces dispositions , il ne restera
au roi qu'à poursuivie untel guefre juste et nécessaire.
Losque ses ennemis manifesteront des intentions plus
pacifiques , S. M. s'empressera en tout tens d'y concourir ,
en se prêtant , de concert avec ses allies , à toutes les mesures
qui seront jugées les plus propres à rétablir la tranquillité
générale sur des conditions justes , honorables , et permauentes
; soit par Fétablissement d un congrès , qui a été si
souvent et si heuren sement le moyen de rendre la paix à
l'Europe soit par une discussion préliminaire des principes
qui peuvent être proposés de part oa d autre comme la bâse
d'une pacification générale ; ou enfin par Fexamen impartial
de tout autre moyen qu'on pourra indiquer à S. M. pour
Larriver à de but salutaire . "
Downing- Street , le 10 avril 1796..
( 53 )
Cette noté n'est point signée . La date porte le nom de la
rue de Londres , où logent M. Pitt , et M. Grenville ministre des
affaires étrangeres .
Le vice -amiral Cornwallis a été solemnellement acquitté à
Portsmouth , le 8 de ce mois , par la cour martiale chargée
de le juger. La sentence porte qu'après avoir entendu les
charges portées contre lui et sa défense , l'opinion de la cour
est que le retour du vice -amirał dans les ports d'Angleterre
après avoir reçu l'ordre d'aller aux Barbades , est une faute de
desobéissance. Il est néanmoins acquitté sur ce fait , à raison
des circonstances. Pour ce qui concerne le reproche de
n'avoir point arbore son étendart sur la frégate Astrée , la
cour a declaré que le fait n'était point prouvé. Ce, jugement
a reçu des applaudissemens nombreux le vice-amital n'a
point paru emu , et chacun fait l'éloge de la fermeté qu'il a
montree pendant tout le cours du procès .
Le général Abercombrie s'était démis de la place de commendant
en chef dans le Bengale ; le genéral Clarke vient.
être nommé pour le remplacer. Le géneral Harris aura le
gouvernement de Madias . Le général James Stuart est nommé
commandant en chef de Bombay.
Dans l'une des dernieres séances du parlement , le ministre
Dundas , en montrant le danger de tenchiera la constitution.
actucile des colonies , présema les calents suivanso
Les propriétés coloniales auglaises dans les lades occi-.
dentales sont estimées de 70 à 80 millions , dont 20 millions.
propriétés britanniques . de
13
L'importation en productions des isles a été , en 1795 ,
de 8 millions 881 mille 673 liv , sterl , quint produit au trésor
Somme de 1 million 624 mille 176 liv . st. unc
the x
Ce commerce d importation a employé 634 vaisseaux
du port de 153 mille tonncaux , et a nourri & mille marins .
L'exportation des objets manufacturés de la Grande-
Bretagne aux isles , a été , en 1794 , de 3 millions 743
mille liv. sterl .
Si l'on ajoute à cette somme la valeur de 7 mille vaisseauxqui
ont été employés à ce commerce , elle forme un capital de
7 millions 700 mille liv . sterl .
Rzir
2017099
yusual vol. ali

D 3
( 54 )
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE..
CORPS LÉGISLATIF.
Séances des deux conseils , du 25 germinal au 5 floréal.
Dans la séance du 26 germinal , on a fait lecture ,
dans le conseil des Cinq - cents , d'un message du Directoire
exécutif, par lequel il demande une loi centre
les malveillans qui chaque jour violent ou éludent la
constitution , provoquent l'avilissement des autorités
constituées , le rétablissement de la royauté et celui
de la constitution anarchique de 93 , qui prêchent
dans les groupes le massacre des membres du Corps
législatif et du gouvernement. Les autorités constituées
, dit le Directoire , peuvent bien faire arrêter
ces factieux , et les faire traduire devant des juges ;
mais ceux- ci , faute de lais , sont obligés de les tenvoyer.
Sur le champ , le conseil a nommé une commission
de cinq membres , pour examiner le message et présenter
un projet de résolution . Ces membres sont a
Treilhard , Mathieu , Camus , Daunou et Crassous .
Le lendemain , Treilhard , au nom de cette.commission
, a fait son rapport. Après avoir exposé les
manoeuvres et les efforts que faisaient les royalistes
et les anarchistes pour exciter des séditions et renverser
le gouvernement républicain , il a présenté
un projet de résolution qui a été adopté unanimement
, et porté sur - le- champ au conseil des Anciens
qui l'a ratifié avec la même unanimité . Quoique nous
ayions déja rapporté , daus notre précédent numéro ,
quelques dispositions de cette loi , elle est d'un ordre
trop important pour n'en pas mettre le texte sous les
yeux de nos lecteurs . Ils le trouveront à la fin des
seances.
Le conseil des Cinq- cents devait , dans la même
idance , ouvrir la discussion sur les sociétés qui s'oe~
$
( 55 )
cupent de questions politiques ; mais sur la motion
de Chenier, cette discussion a été ajournée jusqu'après
le rapport de la commission de la classification
des lois , chargée d'examiner les délits qui peuvent
résulter de la presse.
Gamus , organa de cette commission , a fait le 28 ,
un rapport sur le message qui réclamait la surveillance
du conseil sur les auteurs , imprimeurs et colporteurs
d'écrits anonymes.
Il ne s'agit point ici , a - t- il dit , de la loi concernant les
abus de la liberté de la presse ; mais seulement d'atteindre
les auteurs des écrits incendiaires , et d'empêcher qu'on ne
puisse les afficher , colporter et distribuer impunément.
D'abord , il est impossible , sans porter atteinte à la
liberté de la presse et au commerce de la librairie , de faire
des lois générales contre les auteurs et imprimeurs d'auvrages
quelconques. Il s'agit uniquement ici des journaux ,
gazettes et autres feuilles périodiques .
Si l'auteur de ces derniers écrits se permet des provecations
de la nature de celles désignées dans la loi d'hier ,
il doit être puni , et c'est aux imprimeurs , colporteurs , etc. ,
ale faire connaître ; et si ceux- ci out imprime , colporté ces
écrits sans s'être assurés du nom de Tanteur , ils doivent être
également punis . Or , ici il y a deux cas :
1º . Les ouvrages périodiques doivent porter le nom des
auteurs ; et ceux qui les impriment sans cette désignation ,
en deviennent responsables .
2º . Si l'auteur s'est permis des provocations , il faut
prendre des mesures pour l'atteindre . S'il est atteint , seul il
sera puni ; si on ne peut l'atteindre , les imprimeurs , colporteurs
et distributeurs seront punis , sinon de la même peine ,
du moins d'une peine très-grave .
Le projet de résolution qu'il a présenté a été adopté
et par le conseil des Cinq - cents et par celui des
Anciens . Nous le rapporterons ci -après .
Le gouvernement de la république batave avait
fait offrir , l'année derniere , par la voie de ses ambassadeurs
extraordinaires à la République Française,.
comme un témoignage de son estime et de sa parfaite
amitié , la maison dite la Vieille-Cour avec ses
dépendances , pour son ministre près la république
batave . En réciprocité , le gouvernement français a
( 56 )
&
fait offrir à la république batave la maison dite Croïd'Havre
, pour y Toger ses ambassadeurs et ministies.
Le conseil des Cing - cents a confirmé cette destination
.
Le Directoire a annoncé , par un message du 30 ,
qu'au moyen des rentrées de l'emprunt forcé , faites
jusqu'à ce jour , le montant des assignats qui restent
en circulation est réduit à 25 milliards,
Un message du Directoire apprend aux deux conseils
, dans leur séance du 2 floréal , que l'armée d'Italie
vient d'ouvrir la campagne par une victoire signalée.
Cette nouvelle est accueillie par les plus vives acclamations."
On savait que ce n'était - là-qu'un prélude , et qu'une
plus grande action devait avoir lieu. En effet , un
second message de 5 , a annoncé une nouvelle victoire
plus éclatante que la premiere.
Les deux conseils déclarent que l'armée d'Italie ne
cesse de bien mériter de la patrie. Voyez ci - après les
Pieces officielles . )
Le conseil des Cinq - cents , sur le rapport de Fer-
* mond , au nom de la commission des finances , avait
"adopté un projet d'instruction ' tendant à faciliter
l'exécution de la loi du 28 ventose sur les mandats
* tenitoriaux ; le conseil des Anciens l'avait rejettée .
Une nouvelle rédaction a été faite , et elle a été approuvée.
2
Le conseil des Anciens avait rejetté une résolution
de celui des Cinq cents relative à la surveillance de
la trésorerie nationale , sur le fondement que cette
surveillance était attribuée exclusivement à une commission
nommée parle conseil des Cinq cents , tandis
que la constitution attribue cette surveillance au Corps
législatif . Le conseil des Cing - cents a présenté une
autre résolution , par laquelle cette commission sera
nommée par les deux conseils . Elle a reçu la sanction
de celui des Anciens .
Ce conseil a adopté une autre résolution qui met
200 millions , valeur fixe , à la disposition du ministre
de la guerre.
Le Directoire avait demandé 50 millions pour le
( 57 )
#
ministre de la marine . Il lui en a été accordé 30 provisoirement.
Sur le rapport de Fermont , le conseil des Cinqcents
a adopté une résolution portant que les 2 mil
liards 400 millions de mandats , créés par la loi da
*28 ventôse dernier , seront composés comme il suit :
- En mandats de 500 francs , 700 millions ;
mandats de 100 francs , 500 millions ; en mandats
de 50 francs , 400 millions ; en mandats de 20 francs,
300 millions ; en mandats de 5 francs , 300 millions ;
cn
en mandats de 1 franc , 200 millions . Le reste des
(dispositions est relatif à la confection des mandats..
Une seconde résolution porte que le type des
mandats sera formé de deux timbres secs , dont le
premier représentera un citoyen récevant la mon
maie républicaine des mains de Minerve , foulant à
ses pieds le flambeau de la discorde. Le second
timbre représentera une Cérès associant à ses travaux
un citoyen qui lui donne la nouvelle monnaie répu
blicaine en échange d'une épée qu'il reçoit d'elle.
,
Le Directoire exécutif demande à être autorisé
d'employer la légion de police qui est à Paris , par
tout où le besoin du service l'exigera, Cette demande
est convertie en motion par Talot , et l'autorisation
est accordée .
Loi du 27 germinal relative aux délits contre la sûreté intericire
de la République , etc.
Art. Ier. Sont coupables de crime contre la sûreté inté
rieure de la République et contre la sûreté individuelle des
citoyens , et seront punis de la peine de mort , conformément
à l'article 612 du code des délits et des peines , tous ceux
qui par leurs discours ou par leurs écrits , soit inprimes
soit distribués , soit affichés provoquent la dissoluon de
la représentation nationale ou celle du Directoire Exécutiiz
ou le meurtre de tous ou aucuns des membres qui les composent
, ou le rétablissement de la royauté ou celui de la
constitution de 1793 , ou celui de la constitution de 1791 , ou
de tout gouvernement autre que celui établi par la constitution
de l'an 3 , acceptée par le peuple français , ou l'invasion des
propriétés publiques , ou le pillage , ou le partage des pro(
58 )
priétés particulieres sous le nom de loi agraire , ou de toate
antre maniere.
La peine de mort , mentionnée au présent article , sera
commuée en celle de la déportation , si le jury déclare qu'il y
a dans le délit des circonstances attenuantes .
" II . Les délits exprimés dans l'article précédent seront
poursuivis immédiatement par le directeur du jury , faisant les
fonctions d'officier de police , de la maniere prescrite par
T'article 243 de l'acte constitutionnel , et soumis à des jurés
spéciaux d'accusation et de jugement , conformément aux
dispositions du titre 13 du code des délits et des peines.
III . Les directeurs du jury d'accusation procéderont
sous peine de forfaiture , à l'instruction de ces affaires , sana
délai , sans discontinuation , et toutes affaires cessantes .
IV. Immédiatement après la traduction des accusés aux
tribunaux criminels , le président du tribunal les entendra ou
commettra un juge pour les entendré : il procédera de suite
la formation du tableau des jurés , et convoquera le jury
de jugement pour un jour très-prochain , et sans attendre
fépoque ordinaire de l'ouverture des sessions. La contravention
à cet article est une forfaiture , et punie comme
telle .
19 V. Tout rassemblement où se feraient des provocations
de la nature de celles mentionnées en l'article Ier,, prend
le caractere d'un altroupement séditieux. Les bons citoyens qui
en sont les témoins arrêteront les coupables , ca , s'ils sont
trop faibles , ils avertiront la force armée la plus voisine .
VI. Tous ceux qui se trouveront dans ces rassemblemens
seront tenus dese retirer aussi-tôt après la premiere sommation ,
qui leur en sera faite par le commandant de la force armée .
Ceux qui resteraient , après cette sommation , seront saisis
et punis , savoir :
Les étrangers ou déportés , rentrés en France , de la
peine mentionnée en l'article Ier de la présente résolution .
Ceux qui ayant rempli des fonctions publiques , soit au
choix du peuple , soit à tout autre titre , et ayant été mis
en accusation ou hors de la loi , n'ont pas été acquittés
par un jugement , de la peine de déportation ; et tous
autres de la peine de cinq années de fers .
VII. Si les attroupés opposent la résistance à la garde
qui se met en devoir de les arrêter ; la résistance sera vaincue .
« VIII. Ceux qui , n'ayant pas obéi à la sommation prescrite
par l'article précédent , auront été saisis , seront pour
suivis et jugés en la forme et de la maniere preserites par
les articles 2 , 3 , 4 et 5 ci- dessus.
( 39 )
IX. Tonte personne qui paraîtra en publie , portant
un signe de ralliment autre que la cocarde nationale , sera
arrêtée et punie d'une année de détention , par voie de police
correctionnelle ; celles qui , portant ces signes , seront arrêtées
dans les attroupemens , seront poursuivies de la maniere
prescrite en l'article 8 , et s'ils sont dans le cas de la peine
des fers , ils seront punis d'une peine double. "
Loi du 28 germinal relative aux auteurs , imprimeurs , colpor、
teurs d'écrits périodiques , etc.
Art. Ier . Il ne doit être imprimé aucuns journaux
gazettes ou autres feuilles périodiques que ce soit , distribué
aucun avis dans le public , imprimé ou placardé aucune
affiche , qu'elles ne portent le nom de l'auteur ou des auteurs
le nom et l'indication de la demeure de l'imprimeur.
II. La contravention à cette disposition , soit par le
défaut de mention du nom de l'auteur , ou du nom et de la
demeure de l'imprimeur , soit par l'expression d'un faux nom
ou d'une fausse demeure , sera poursuivie par les officiers de
police , et punic indépendamment de ce qui pourrait donner
lieu aux poursuites dont il sera parlé ci-après , d'un emprisonnement
par forme de police correctionnelle du tems de
six mois pour la premiere fois ; et en cas de résidive , du tems
de deux années .
III. S'il est inséré dans les écrits mentionnés ci - dessus
quelqu'article non signé , ou extraits ou supposés extraits de
papiers étrangers , celui qui fait publier le journal ou autre
écrit sous son nom , en sera responsable .
" IV. Les mêmes peines seront appliquées aux distributeurs
, vendeurs , colporteurs et afficheurs d'écrits imprimés
en contravention à l'article précédent,
19 V. Les auteurs qui se permettraient de composer , et
généralement toutes personnes qui imprimeraient , distribueraient
, vendraient , colporteraient , afficheraient des écrits
contenant des provocations déclarées criminelles par la lot
du 27 germinal présent mois , seront poursuivis de la maniere
qui est portée dans ladite loi contre les auteurs de ces provocations.
VI. Ceux qui seront trouvés vendant , distribuant , col
portant ou affichant aucun desdits écrits , seront arrêtés et
conduits devant le directeur du jury d'accusation ; ils seront
tenus de nommer les personnes qui leur ont remis lesdits
écrits ; les personnes déclarées seront successivement appellées,
( 60 )
jusqu'à ce que le directeur du jury parvienne à l'imprimeur ou
à l'auteur.
VII. Dans le cas où l'auteur sera arrêté , il se . a poursuivi
et jugé conformément à la loi du 27 germinal , .a 14 , et puni
des peines portées dans ladite loi ,
2 VIII . Dans le cas où l'auteur ne serait poi t indiqué par
Jes imprimeurs , vendeurs , distributes colorteurs et affi
cheurs , ainsi que dans le cas où les indications qu'ils auraient
données se trouveraient fausses , o porteraient soit sur un
étranger , soit sur une persoane non domiciliée , ils seront
punis de deux années de fers . En cas de récidive , ils seront
punis de la déportation.
29 IX. Si le jury déclare qu'il y a dans le délit des circons
2nces atténuantes , la peine prononcée par l'article précédent
contre les personnes y dénommées , pourra être commuée en
une détention par forme de police correctionnelle , qui ne
pourra être moindre de six mois ,
X. Lesdits imprimeurs , distributeurs , vendeurs , colporteurs
et aficheurs , arretes , en exécution de la présente
loi , ne seront juges , et ils ne pourront en aucun cas être ,
mis en liberté qu'après le jugement de l'auteur , s'il a été
denoncé et saisi , ou après que l'inutilité des recherches pour
e découvrir et le saisir aura été constatée , soit par un proces
verbal de perquisition , soit par la déclaration des imprimeurs,
distributeurs , vendeurs , colporteurs et afficheurs , que l'aus
teur leur est inconnu .
-PARIS . Nonidi 9 floréal , l'an 4° . de la République.
Les esprits ne sont occupés que des succès brillans qui ont
signalé l'ouverture de la campagne . Deja ' l'on avait appris
que le commodore Sidney Smith avait été pris dans la grande
rade du Havre . On l'a amené à Paris , et il a été conduit surle-
champ à la maison de l'Abbaye . On ne sait point s'il sera
traité comme simple prisonnier , ou s'il ne sera pas regarde et
traité comme incendiaire.
C'est au moment que ce prisonnier est arrivé en cette commute
, que 1 on a reçu la nouvelle d'une premiere victoire,
remportée par l'armée d'Italie . Elle a été bientôt suivie d'une
seconde plus importante , et le lendemain d'une troisieme . On
ne peut rendre la sensation que des succès aussi rapides ont
1
( 61 )
produits sur tous les coeurs républicains . Nous nous
d'en donner les détails officiels .
hâtons
ARMÉE D'ITALIE . Le général en chef de l'armée d'Italie au Dis
rectoire exécutif ; au quartier- général de Carcare , le 25 germinal
, an 4.
--
--
La campagne d'Italie a commencé . J'ai à vous rendre compte
de la bataille de Montenotte . Après trois jours de mouvement
, pour nous donner le change , le général Beaulieu
a fait attaquer , par une division de dix mille hommes , la
droite de l'armée appuyée sur Voltry. Le général Cervoni
qui y commandait , ayant sous ses ordres la 70e . et la goe
demi-brigades , soutint le feu avec l'intrépidité qui caractérise
les soldats de la liberté . Je ne pris pas le change sur les vérttables
intentions des ennemis . Dès l'instant que je fus instruit
des circonstances de l'attaque de droite , j'ordonnai au général
Cervoni , d'attendre la nuit , et de se replier , par une marcha
forcée et en cachant son mouvement à l'ennemi , sur mon
centre , qui était appuyé sur les hauteurs de la Madone de
Savone. Le 21 , à quatre heures du matin , Beaulieu en
personne , avec 15,000 hommes , attaqua et culbeta toutes
les positions sur lesquelles était appuyé le centre de l'armée
à une heure après midi , il attaqua la redoute de Monte - Lezino
qui était notre dernier retranchement . Les ennemis viurent
plusieurs, fois à la charge , mais cette redoute , gardée par
1,500 hommes , était iniprenable par le courage de ceux qui
la défendaient ; le chef de brigade Rampon , qui y commun
dait, par un de ces élans qui caractérise une ame forte et formée
pour les grandes actions , fit , au milieu du feu , prêter le
sciment à sa trompe de mourir tous dans la redoute . Les en
nerais passerent la nuit à la portée du pistolet . Pendant la nuit .
de général Laharpe , avec toutes les troupes de la droite , prit
poste derniere la redoute de Monje- Lezino . A une heure après
ninuit , je partis avec les généraux Bettier et Mussena , ie
commisssaire Salicetti , et une partie des troupes du centre
et de la gauche. Nous nous portâmes par Altace , sur le flane
et le derriere de l'engeti . Le 22 , à la pointe du jour
Beaulieu , qui avait reçu du renfort, et Laharpe , s'attaquerènt
et se choquaient avec vigueur et différens succes , lois que le
général Massena parut , en semant la in sit et l'épouvante sur
le flanc et le derriere da l'ennemi , où commandait M. Ara
geuteau ; là déroute de Pennemi a été complette : deux de
ses généraux , Roccavina et Argentehu , ont été grievement
blessés. La perte de l'ennemi , e pone ende trois à quatre
( 62 ),
mille hommes , parmi lesquels plus de 2,500 prisonniers ,
un colonel , huit ou dix officiers supérieurs et plusieurs drapeaux
. - Quand j'aurai reçu tous les rapports , et que je serai
moins commandé par le travail , je vous enverrái une relation
détaillée , qui pourra vous faire connaître ceux à qui la patrie
doit une reconnaissance particuliere . Généraux , officiers
et soldats , tous ont soutenu , dans cette journée mémorable ,
la gloire du nom Français. Signé , BUONAPARLÉ .
Le général en chef de l'armée d'Italie au Directoire exécutif; au
quartier-général de Carcare , le 26 germinal , an 4.
Je vous ai rendu compte que la campagne avait eté ouverte
le 20 du mois , et je vous ai instruit de la victoire signalée que
l'armée d'Italie a remportée aux champs de Montenoble ; jai
aujourd'hui à vous rendre compte de la bataille de Millesimo .
"
Après la bataille de Montenotte , je transportai mon quartier-
général à Carcare ; j'ordonnai au général divisionnaire
Laharpe de se porter sur Sozello , pour menacer d'enlever les
huit bataillons que l'ennemi avait dans cette ville , et de se
porter , le lendemain , par une marche rapide et cachéc
dans la ville de Cairo . Le général Massena se porta , avec sa
division , sur les hauteurs de Dago ; le général divisionnaire
Angereau , qui était en marche depuis deux jours , avec la
69. et la 39. demi-brigades , attaqua dans la plaine de Carcare ;
le général de brigade Menard occupa les hauteurs de Elestro ;
le générale brigade Joubert , avec la 1ere , brigade d'infan
terie légere , occupa la position intéressante de Sainte-Marguerite.
Le 24 , à la pointe du jour , le général Angereau ,
avec sa division , força les gorges de Millesime , dans le tems
que les généraux Menard et Joubert chasserent l'ennemi de
toutes les positions environnantes , et envelopperent , par une
manoeuvre prompte et hardie , un corps de quinze cents gre
nadiers autrichiens , à la tête desquels se trouvait le lieuté
nant-général Provera , chevalier de l'ordre de Marie-Therese ,
qui , loin de poser les armes et se rendre prisonnier de
guerre , se retira sur le sommet de la montagne de Cossaria,
et se retrancha dans les ruines d'un vieux château , extrêmement
fort par sa position. Le général Angereau fit avancer
son artillerie ; l'on se canonna pendant plusieurs heures .
A onze heures du matin , ennuyé de voir ma marche arrêtée
par une poignée d'hommes , je fis sommer le général Provera
de se rendre. Le général Provera demanda à me parler ;
mais une canonnade vive qui s'engageait vers ma droite ,
'obligea à m'y transporter. Il parlementa avec le général
( 63 )
Angereau pendant plusieurs heures ; mais les conditions qu'il
voulait uletant pas raisonnables , et la nuit approchant , le
général Augereau fit former quatre colonnes , et marcha sur
le château de Cessaria . Déja l'intrépide général Joubert , gre
nadier pour le courage ,,
et bon général par ses connaissances
et ses talens militaires , avait passé avec sept hommes dans
les retranchemens ennemis , mais , frappé à la tête , il fut renversé
par terre : ces soldats le crurent mort , et le mouvement
de sa colonne se rallentit . Sa blessure n'est pas dangereuse.
-
La seconde colonne commandée par le général Bonnel ,
marchait avec un silence morne et armes sur le bras , lorsque
ce brave général fut tué au pied des retranchemens ennemis .
La troisieme colonne , commandée par l'adjudant-général
Quenin , fut également déconcertée daus sa marche , ung
balle ayant tué cet officier général . Toute l'armée a vivement
regretté la perte de ces deux braves officiers . La nuit qui
arriva sur, ces entrefaites , me fit craindre que l'ennemi ne
cherchat à se faire jour l'épée à la main. Je fis réunir tous les
bataillons , et je fis faire des épaulemens en tonneaux et des
batteries d'obusiers à demi-portée de fusil .
-
Le 25 , à la pointe du jour , l'armée sarde et autrichienne
et l'armée française se trouverent en présence ; ma gauche ,
commandée par le général Angereau , tenait bloqué le général
Provera plusieurs régimens ennemis , où se trouvait , entre
autre le régiment Belglioso , essayerent de percer mon centre.
Le général de brigade Menard , les repoussa vivement ; je lui
ordonnai aussitôt de se replier sur ma droite , et avant une
heure après-midi , le général Massena déborda la gauche do
Leanemi , qui occupait , avec de forts retranchemens et de
vigoureuses batteries , le village de Dégo. Nous poussâmes
nos troupes légeres jusqu'au chemin de Dégo à Spino . Le
général Laharpe marcha avec sa division sur trois colonnes
serrées en masses ; celle de gauche , commandée par le
général
Causse , passa la Barmida , sous le feu de l'ennemi ,
ayant de l'eaujusqu'au milieu du corps , et attaqua l'aile gauche
de l'ennemi par la droite . Le général Cervoni , à la tête de
la seconde colonne , traversa aussi la Barmida , sous la prosection
d une de nos batteries , et marcha droit aux ennemis.
La troisieme colonne , commandée par l'adjudant- général
Boyer , tourna un ravin , et coupa la retraite à l'ennemi.
Tous ces mouvemens , secondés par l'intrepidité des troupes
ét les talens des différens généraux , remplirent le but qu'on
en attendait. Le sang-froid est le résultat du courage , et le
courage est l'apanage de tous les Français . L'ennemi , enve- -
( 64)
---
--- Penloppé
de tous les côtés , n'eut pas le tems de capituler ; nos
colonnes y semerent la mort , l'épouvante et la fuite.
dant que , sur notre droite , nous faisions les disposisions pour
Fattaque de la gauche de l'ennemi , le général Provera , avec
le corps de troupes qu'il commandait à Cossaria , se rendit:
prisonnier de guerre. Nos troupes sacharnerent , de tous
côtés , à la poursuite de l'ennemi . Le général Laharpe se mit
à la tête de quatre escadrons de cavalerie , et les poursuivit
vivement. Nous avons , dans cette journée , fait de sept à
neuf mille prisonniers , parmi lesquels un lieutenant -général ,
vingt où trente colonels ou lieutenans - colonels , et pre › qu'en .
entier les régimens suivans :
Corps francs. Trois compagnies de Croates ; un bataillon de
Pélégrini , Stein , Villiem , Schroeder , Teutsch .
Quatre compagnies d artillerie ; plusieurs officiers supérieurs
du génie , au service de l'empereur , et les régimens de
Montferrat , de la Marine , de Suze et quatre compagnies de
grenadiers , au service du roi de Sardaigne.
Vingt- deux pieces de canon , avec les caissons et tous les
autolages , et quinze drapeaux.
L'anemi a eu de 2,000 à 2,500 hommes tués , parmi lesquels
un aide-de-camp colonel du roi de Sardaigne .
Le citoyen Rey , aide-de camp da general Massena , a eu
un cheval tué sous lui , et le fils du général Lalrarpe a eu son
cheval blessé .
Je vous ferai part , le plutôt qu'il sera possible , et lorsque
j'aurai reçu les rapports des détails de cette affaire glorieuse ,
et des hommes qui s'y sont particulierement distingués .
Je vous demande le grade de général de brigade pour le
citoyen Rampon , chef de la 21 ° . demi-brigade . Le chef de la
9. ayant été tué , j'ai nommé , pour le remplacer , le citoyen
Lasne , chef de brigade à la suite . Signé , BUONAPARTÉ .

P. S. Le défaut d'espace ne nous permet pas de
les dépêches officielles de la troisieme action.
rapporter
Nous dirons seulement , que le 28 , Beaulieu , à la tête,
de 7 mille Autrichiens , hommes d'elite , a attaqué à la pointe
du jour , nos soldats qui se reposaient des fatigues des combats
de la veille . Ils ont d'abord forcé le poste de Dégo . Mais bientôt
nos colonnes se sont ralliées , l'ennemi a été repoussé , on
leur a fait 12 ou 1500 prisonniers , et tué Soo hommes . L'ennemia
replié les postes de Voltry et de la Bocchetta , et paraît
se retirer au- delà d'Acqui.
LENOIR DE LAROCHE , Rédacteur..
N".
32.
MERCURE FRANÇAIS .
Jing
sol
DÉCADI 20 FLORÉAL , Ian quatrieme de la République.
( Lundi 9 Mai 1796 , vieux style . )
ÉCONOMIE POLITIQUE. ,
LETTRE sur le Franc , le double Franc et les cing Francs.
OnN demande souvent , 1º. pourquoi on a changé
le titre et le poids de nos monnaies d'argent ; 9. pourquoi
l'on n'a pas conservé au franc la valeur exacte
de l'ancienne livre tournois ? ... La réponse à ces
deux questions , qui n'en forment réellement qu'une ,
présentée de deux manieres différentes , se déduit
aisément de la Notice sur les Monnaies françaises , insérée
dans le Mercure du 10 germinal de cette année .
Il sera cependant utile d'y répondre directement, et
je vais le faire .
1º . Pourquoi a- t- on changé le titre et le poids de nos
monnaies d'argent ?
Rép . Pour les mêmes raisons qui ont fait changer ,
je ne dirai pas le systême , parce qu'il n'y en avait
pas ; mais la multitude incohérente de nos poids et
mesures . Car il faut rappeller ici que les, monnaies
sont à la fois la mesure des transactions commerciales
et des poids fixés par les lois .
Jusqu'à l'Assemblée conventionnelle , nos monnaies
n avaient eu aucuns rapports connus avec les
Tome XXII, E
( 66 )
autres mesures ; je dis rapports connus , parce que
ces rapports étaient exprimés dans un jargon absurde
ot familier à peu de personnes. Leurs poids n'étaient
pas des parties aliquotes des poids ordinaires : de
sorte que l'on peut dire avec vérité qu'il n'y avait
aucune analogie entre nos monnaies et nos mesures .
Le nouveau systême métrique, proposé par l'académie
des sciences , et adopté par l'Assemblée constituante
, a embrassé dans sa généralité les monnaies
qui sont une des mesures les plus usuelles ; et il en
a fait des poids réels , c'est-à- dire des multiples précis
du gramme , notre unité de poids . D'après ce travail ,
nous aurons , comme les Grecs , des poids usuels dans
nos pieces de monnaies .
Le franc républicain est une monnaie réelle
tandis que l'aucien franc n'était qu'une monnaie de
compte ; il a donc fallu lui assigner un poids multiple
du gramme. Ce multiple non fractionnaire le
plus approché de la livre tournois , que le franc doit
remplacer, s'est trouvé cinq ; le franc a donc pesé
cinq , le double dix , et les cinq francs vingt- cinq
grammes. On s'est arrêté en montant à cette derniere
piece , sans s'élever jusqu'aux six francs , parce que
le nombre 5 est un diviseur du module de l'arithmé :
tique décimale , et que 6 n'en est pas un,
Quant au changement de titre proposé par les académiciens
, il est encore un résultat de l'arithmétique
décimale , car on a fixé à un 10. la portion de cuivre
alliée aux métaux précieux . Ce changement a produit
un avantage réel pour la fabrication de nos
monnaies d'argent , celui de rapprocher leur titre du
titre des piastres d'Espagne ; et par conséquent , de
( 87 )
n'exiget presque que la fusion pour tranformer célle
ci en especes de France . Nos anciennes monnaies d'argent
depuis 1726 contenaient sur un total de 1000 parties
, go6 parties de fin , tandis que les piastres fabri
quées depuis 1712 n'en contiennent que 892. Ayant
fixe aŭ dixième l'alliage des monnaies de la répu
blique , leur titre s'est trouvé abaissé à goo , et par
conséquent plus approché dé celui des piastres.
go. Pourquoi n'a- t- on pas conservé au franc la valeur
exactè de l'ancienne livre tourhois ?
Rep..... Le titre et le poids du franc ont été déterminés
d'aprés les bâses sigement établies dans la
téponse à la premiere question ; et sans chercher ni
identité , ni aucun rapport précis dé valeur avec la
livre tournois : si l'on eût àgi autrement , on se serait
éloigné dusystème général des poids et mesures dent
les monnaies font partie.
Le résultat du poids et du titre assignés au frane
a donné une quantité d'argent égale à célle qu'aurait
tontenue une pièce d'argent à l'ancien titte et de la
valeur d'une livre tournois avec trois deniers . Cetté
piece n'a pas existé ; mais toutes les valeurs de lá
livre tournois et de ses fractions existaient numériquement
, ou d'une maniere abstraite . Il a donc été
nécessaire d'assigner au franc la valeur d'une quanfité
d'argent égale à la sienne , et prise dans l'échelle
de la livre tournois et de ses fractions , lorsqu'on a
été obligé de les comparer l'un à l'autre .
Quelques personnes jalouses de la perfection apparénté
du nouveau systême de métrologie , autant que
de sa perfection réelle , auraient desiré que l'on ne
int aucun compte de la petite fraction trois deniers ,
E
( 68 )
2 ou un centieme de franc , dont la valeur du franc
surpasse celle de la livre tournois . On est de leur
avis pour toutes les transactions commerciales qui se
font , ou qui se feront. Quant à celles qui ont précédé
la fabrication des monnaies républicaines et
qu'il faut réaliser depuis cette fabrication , il en doit
être autrement.
En effet , ces personnes n'ont pas vu , ou ne veulent
pas voir , que le gouvernement , par exemple , ayant
de tems immémorial passé des marchés , contracté
des dettes , assigné des gages et des pensions , en
livres tournois , ou en franc d'ancienne valeur , aurait
perdu un centieme sur tous ses marchés et toutes les
liquidations , du jour où il aurait été forcé de payer
ses créanciers en francs républicains .
A l'époque où j'écris , cette perte serait considérable,
et ne profiterait qu'à des créanciers qui n'y ont
aucun droit , et qui même ne pouvaient jamais espérer
cet avantage .
*
Je me résume , et je dis , 1 °. que les monnaies étant
une mesure , les francs ont dû faire partie de la savante
métrologie française ; 2 ° . que leurs poids et leurs
titres ont été déterminés d'après l'échelle décimale
et relativement aux piastres espagnoles qui alimentent
nos hôtels des monnaies ; 3. que le poids assigné au
franc républicain et à ses multiples , étant un multiple
entier , c'est-à- dire , non fractionnaire du gramme,
rend ces pieces susceptibles de faire les fonctions de
poids à peser pour les usages ordinaires du commerce
; 4. enfin , que la quantité d'argent contenue
dans le franc d'après le poids et le titre déterminés
par la métrologie nouvelle , égalant celle qu'aurait
( 69 )
renfermée une piece d'argent d'une livre tournois et
trois deniers , si elle eft existé ; le franc doit avoir
cette valeur lorsqu'on l'emploie à solder des conventions
exprimées en livres tournois .
LITTÉRATURE.
EXTRAIT d'un Mémoire sur la réunion des Littérateurs et
des Artistes dans l'Institut Français , et sur l'esprit qui
-doit les animer ; lu à la troisieme classe , le 13 nivôse
de l'au 4 , par le cit . MONGEZ , membre de l'Institut.
BACON,
ACON , ce beau génie qui , semblable au Jupiter
d'Hesiode , a fait éclore de son vaste cerveau là connaissance
de tous les degrés de perfection dont l'esprit
humain est susceptible , avait proposé de rapprocher
les travaux des littérateurs de ceux des ar
tistes . Cette réunion était sollicitée ardemment par
l'esprit philosophique qui distingue le siecle près
de nous échapper. L'utilité en avait été généralement
sentie ; car il s'était forme à Paris et dans les
provinces
plusieurs associations , dans lesquelles on
voyait les savans rapprochés des artistes et des litté
teurs . Cependant , malgré les avantages évidens et
nombreux que devait opérer cette réunion ; malgré
la conviction intime de tous ceux à qui les talens
ou la réputation acquise donnent une grande influence
sur l'opinion , on ne pouvait espérer cette heureuse
réforme de la part de l'ancien gouvernement .
Toujours étranger à l'opinion publique par son
4
E 3
( 79 )
attachement servile aux anciennes formes ; toujours
esclave de ses agens qui réagissaient sans relâche
contre lui , pour le retenir dans une ignorance et une
inertie favorables à leurs desseins ambitieux ; toujours
guidé par ceux des membres des académies qui
cultivaient moins assiduement les muses que les dispensateurs
des graces , et qui redoutaient dans les
changemens la perte de leur faveur , ou de leur prépondérance
, le gouvernement ne pouvait pas même
entrevoir la possibilité d'une amélioration dans les
compagnies littéraires .
Tout est heureusement changé une terre libre ne
peut être gouvernée que par des hommes instruits.
Ce choix sera toujours le résultat nécessaire du plus
grand nombre des élections ; lorsque des factions
atroces et puissantes ne présenteront plus aux électeurs
des candidats ineptes et immoraux , qu des
chaînes et des poignards. Les rênes du gouvernement
sont déposées entre les mains de citoyens , à qui
leurs lumieres et leurs connaissances marquent des
places dans l'institut , non pour y siéger honorifiquement
, mais pour en partager les travaux et la gloire.
Leurs premiers regards se sont portés sur les débris,
des anciennes associations. littéraires et artielles . Ils
ont voulu rallumer ce foyer de lumieres , qui avait
préparé depuis long- tems la chûte des fanatiques et
du despotisme . Mais ils ont vu dès le vestibule de
l'édifice littéraire , qu'il serait incomplet , s'il ne rase
semblait les trois classes d'hommes qui travaillent à
étendre le domaine de la raison et du génie , les
savans., les littérateurs et les artistes. Tel un beau,
jour de floréal , un jour ardemment desiré par Cérès
( 71 )
et Pomône , n'est pas uniquement l'effet de la viva.
lumiere du soleil ; il veut encore être tempéré pat
la douce haleine du zéphire.
Les classes de l'institut que les sciences diverses
revendiquent d'une maniere mieux prononcée , s'oc
cuperont sans doute à rechercher les avantages de
leur rapprochement. Pour nous , littérateurs et are
tistes réunis dans la même classe , étudions les heu
reux effets de cette institution philosophique . Commençons
nos travaux par cette recherche . Qu'elle
ne soit point oisive ; mais qu'elle serve à déterminer
avec précision l'esprit qui devra nous animer , et
présider aux secours que la société et le gouvernement
se promettent de nos assemblées.
L'homme né imitateur , parce que l'étude de tous
les arts et de toutes les sciences doit commencer
par l'imitation, a cherché dès les premiers instans à
peindre les phénomenes de la nature qui affectaient
les sens , et les pensées qui l'agitaient à cette vue.
Il a fait plus ; il a donné des traits et un corps à des
êtres allégoriques , ou abstraits , qui n'existerent
jamais que dans son imagination. C'est à peindre ces
êtres fantastiques et les êtres réels , qu'il employa
d'abord le geste , seule langue universelle. Ilyjoignit
bientôt des assemblages de sons articulés , appellés
mots. Le chant et la poésie , toujours associés chez
les peuples sauvages , aiderent la mémoire et fixerent
les tableaux des anciens événemens ; leur emploi a
donc cu le même but que celui de la déclamation .
Jusques- là l'homme n'avait exprimé ses pensées et
£ 4
: ( 73 )
1

ses souvenirs qu'à l'aide de ses organes . Bientôt il
s'élança hors de cette étroite sphere . Il demanda
de nouveaux moyens de communication aux corps
sonores , aux substances colorées , au marbre même
qu'il parvint à dépouiller des parties étrangeres à son
objet principal . Sa noble hardiesse fut couronnée du
succès ; et il fut à la fois le mélodieux Orphée , l'ingénieux
Dibutade , et l'audacieux Prométhée . Ainsi
les mêmes besoins , le même instinct firent éclore la
pantomime , les langues , la grammaire pratique , la
déclamation , la poésie , le chant , la peinture et la
sculpture.
Art brillant et utile qui élevez des palais somptueux
pour les représentans des peuples libres ; qui préparez
des asyles salubres pour l'indigence et le malheur ,
et qui construisez enfin des séjours commodes pour
l'heureuse médiocrité ; on ne distingue pas aussi
facilement votre berceau , parmi ceux des autres arts
L'analogie cependant vous assigne dès les premiers
âges une place au milieu de vos émules .
Au moment où un artiste voulut retracer un évé◄
nement du siecle de ses ayeux , il consulta la mémoire
des vieillards et de ceux qui par goût reportaient
souvent leurs pensées sur les tems écoulés , sur les
usages de leurs ancêtres , et sur les rustiques monumens
qui en consacraient le souvenir. Telle fut l'origine
de l'étude des antiquités .
Ces rapprochemens des diverses sections de potre
classe leur ont fait découvrir une source commune et
presque simultanée . J'ai dû rappeller ici leur filiation ,
parce que , d'elle seule dériveront les avantages que
leur réunion produira dans ce lieu.
( 73)
Y

Les artistes qui peignent à l'aide des couleurs ,
ou du ciseau , s'échaufferont aux accens des poëtes .
Quoiqu'ils ne tracent qu'un moment précis , et que
les descriptions poétiques embrassent le passé , le
présent et l'avenir ; cependant le même feu ' doit
animer les uns et les autres . Le génie poétique brillera
sur le marbre et la toile. Ainsi , vous fâtes poëtes ,
peintres immortels , dans le déluge , dans la chûte
de la manne , dans le frappement du rocher , dans
les vastes fresques du Vatican . Vous le fûtes doublement,
ô vous ! Michel - Ange , audacieux peintre de
la chapelle Sixtine , et majestueux sculpteur des
tombeaux de Médicis et de Jules II.
Réunis aux architectes , les peintres et les sculpteurs
se ressouviendront que l'école romaine et la
florentine ne séparerent jamais l'architecture des arts
qui ont le dessein pour but principal . Nous reverrons
dans leurs productions, ces nobles fabriques auiorment
les tableaux du Poussin et ceux de Paul Véroneze ,
où elles sont admirées , quoique souvent déplacées ."
Ils jouiront sans pelle des longues recherches de
ces littérateurs , qui interrogent jour et nuit l'antiquité
pour leur retracer les usages et les costumes
des peuples qui ont brillé alternativement sur notre
hémisphere. Ces connaissances donneront aux productions
des artistes la vérité et la dignité , dont on
gémit de trouver souvent dépourvues les écoles vénitienne
et flamande.
Les discussions grammaticales et celles qui s'ouvriront
sur les langues anciennes , ne seront point
cisives pour eux. La métaphysique des idées qui
( 74 )
sont produites par les sensations , éclairera les artistes
sur la réaction nécessaire des idées sur les sens . Elle
leur donnera de grandes lumieres sur la maniere
d'exprimer dans les traits de leurs héres les affeetions
secrettes des coeurs et des esprits ; science
qui a fait appeller le Dominiquin , le peintre des
affections.
Ils devront encore davantage à la déclamation
eet art qui sait tout peindre , soit par le geste seul ,
soit par la voie unie au geste . He transporteront
sur leurs toiles les observations fines et spirituelles
des Roscius et des Bathylles modernes.
4

Isolés jusqu'à ce jour , les musiciens et les maîtres
de la déclamation acquerront dans la société des
autres artistes et des littérateurs un degré de perfec
tion , dont leur modestie les empêchait de se croire
susceptibles. L'accent de la vérité , cet accent que
l'art imite avec tant de peine , parce qu'il ne l'avait
pas soupçonné , sortira de cette bouche qui en décla
mant , ou mieux , en chantant ses vers , rallumera le
beau feu qui les avait inspirés .
Cet accent précieux frappera l'imagination du
musicien observateur qui en fera l'ornement de son
récitatif , et de l'artiste judicieux qui le fera retentir
sur la scene.étonnée .
C'est encore pour ce dernier artiste que l'antiquaire
semble errer toujours parmi les ruines. C'est pour
rendre complette l'illusion qui transporte les spectateurs
à Mycenes , dans Argos , ou sur les bords hospitaliers
de la Tauride , que ce littérateur observe et
recueille avec tant de soin les monumens , même
( 75 )
L
ceux dont le patit volume fait naître souvent le dédain
de quelques - uns des écrivains qui prennent
exclusivement l'imagination pour guide . Uue observation
de ce genre mérite d'être rappellée ici. Nous
n'avions vu jusqu'à ce jour l'odieux Néran distingué
sur la scene des autres empereurs romains par aucun
signe particulier. Un jeune artiste , qui étudie les
costumes , avec d'autant plus de soin qu'il les a dessinés
avant de chausser le cothurne, Talma , l'a signalé
par ce caractere habituel de mollesse , tant reproché
au meurtrier d'Agrippine , par cette portion de vêtement
dont les Romains ne couvraient leur col et leur
poitrine, que lorsqu'ils étaient malades , ou qu'ils
avaient à se plaindre d'une santé faible et délicate.
Combien leur sera favorable la connaissance intime
des tragiques et des comiques grecs , ou romains !
Les amateurs des langues anciennes leur en communiqueront
les trésors..
Enfin , ces artistes si chers à nos yeux et à nos
oreilles , apprendront des grammairiens à moduler le
chant et la déclamation selon la véritable expression
des idées. Les uns, éviteront ces suspensions au moins.
oiseuses , qui partagent une pensée complexe ; et les
autres craindront le reproche, fait souvent , avec jus
tice, à la tourbe des compositeurs étrangers , celui de
rapprocher des mots ennemis , ou des idées incohé-,
rentes.
Tels sont les avantages que les artistes trouveront
dans leurs, communications habituelles avec les lit
térateurs,
Filles de Mnemosyne , les muses sont scurs , ct.
( 76 )
elles se prêtent un mutuel appui . La présence des
artistes , leurs observations , la discnssion de leurs
ouvrages et de leurs opinions , produiront aussi des
effets, sensibles sur les travaux des littérateurs .
On a fait à l'auteur de l'art poétique latin le reproche
, peut- être trop rigoureux , d'avoir réuni , dans
une seule comparaison , les procédés de deux arts
différens , de la forge et du tour :
Et male TORNATOS INCUDI reddere versus .
Plusieurs autres poëtes n'ont pas choisi dans les
arts avec plus de précision leurs métaphores , ni
celles qu'ils ont empruntées si fréquemment des phénomenes
de la lumiere et de l'ombre . Forcés par la
nature de leurs travaux d'étudier ces divers phénomenes
, les artistes initiés dans les secrets du clair
obscur rectifieront ces légeres erreurs . En faisant
connaître aux poëtes la magie de la peinture , ils
leur ouvriront une source féconde de comparaisons
justes et brillantes .
Les poëtes devront encore davantage aux artistes
qui embellissent la scene et qui animent les orchestres .
Ils donneront constamment à leurs drames une
marche favorable à la mélodie . Ils feront revivre la
césure antique , ou les repos symmétriques placés dans
les complets et strophes de même mesure , si ardemment
desirés par nos musiciens célebres , et si heureusement
pratiqués par Métastase , le Quinault de
Florence et de Vienne . Je dois évoquer ici ton ombre
illustre , chantre immortel d'Iphigénie , d'Alceste et
d'Armide . Nourri dans la lecture de Sophocle et
d'Euripide , Gluck avait acquis par la méditation de
( 77 )
leurs chefs - d'oeuvre et par l'étude de la langue harmonieuse
dans laquelle ils sont écrits , une connaissance
de la scene et un tact délicat , dont les poëtes
qui associaient leurs travaux aux siens ressentiront
souvent d'heureux effets . On peut citer encore l'estime
sentie que Voltaire accordait aux conseils de
Lekain .
Familiers avec les beautés simples et sublimes de
l'antique , les philologues et les antiquaires les rappellerout
souvent aux poëtes. Ceux- ci auront sans
doute à rendre aux premiers un service aussi impor
tant , celui de les engager à offrir avec eux , selon
l'expression d'un ancien philosophe , des sacrifices
aux Grâces , trop négligées par le plus grand nombre
des érudits.
Vous serez encore admis à brûler cet encens avec
les poetes , vous qui cherchez à découvrir dans les
principes des langues , ces combinaisons métaphy
siques que les créateurs des idiomes n'apperçurent
jamais distinctement ; mais que l'instinct et le besoin
leur inspirerent à leur insu , et pour ainsi dire malgré
cux .
Mais les connaissances pratiques des artistes seront
encore plus utiles aux érudits , pour expliquer et sétablir
les textes des auteurs anciens, relatifs aux beaux
arts. On a déja vu entrer dans cette carriere le sculpteur
Falconnet , recommandable par l'intelligence de
la langue, latine . Heureux s'il eût pu se défendre de
l'esprit de systême , écueil si fertile en naufrages !.
Le moment est arrivé , où les architectes et les antiquaires
doivent se réunir pour rétablir les entre(
78 ) )
Colonnemens serrés des Romains ; et pout fixer avec
une réservé judicieuse l'emploi de cet ancien et sévere
Dorique , tant prodigué depuis l'époque récente
où il a été découvert dans les ruines de Pestum ,
d'Agrigente et de Syracuse .
Les érudits imploreront aussi votre secours , émules
d'Amphion , pour dissiper les ténebres sous les
quelles est encore cachée cette musique des Grecs ,
dont on a vanté les effets prodigieux . Peut - être en
tetrouverons-nous avec vous le systême , dans les
chants consacrés en Italie par Grégoire , par Ambroise
, et transportés dans les Gaules avant Charlemaghe
par les évêques des Lyonnaises et de la Novempopulanie.
La culture des langues anciennes et étrangerés à
ête partagée jusqu'à ce jour entre les érudits et les
grammairiens ; et cependant ces deux classes de fit
térateurs furent toujours placées dans des académiet
différentes, Réunies dans l'institut , elles concourfont
aux mêmes travaux. Elles jouiront même de là
faculté d'étudier l'origine des sensations et des idées,
dont la connaissance ne peut leur être étrangere , dant
une classe qui doit fraterniser particulierement avet
Ja nôtre , et qui semble , à plusieurs égards , en faire
une partie intégranté .
Ainsi , tour-à-tour guides et voyageurs , les littėtateurs
et les artistes se prêteront des secours mutuels
, qu'ils ne pouvaient attendre que d'une réunion
Projettée depuis si long- tems par Bacon et les autres
philosophes.
L'assiduité à nos séances , les communications
habituelles produiront sûrement les heureux effets
( 79 )
que je viens de décrire ; mais le tems ne les vertw
que successivemenr éclore , et il comptera entre le
moment où je parle et celui où nous les ressentirons
tous , une succession de mois , peut- être même
d'années , que nos desirs voudraient abréger .
Il pourra être accompli , un souhait aussi louable ,
si nous cherchons dès cet instant à créer dans nous
J'esprit qui nous animera alors , et qui n'aurait été
que le fruit de l'expérience et du tems . Cet esprit
est facile à peindre d'après les observations que vous
venez d'entendre . Chacune de ces observations vous
en a offert quelques traits . C'est ainsi qu'un physicien
judicieux pressent , en parcourant une suite de
faits et d'expériences , la loi qui les a produits .
Je vais rassembler en un seul groupe tout ce que
doit offrir à la sagacité de l'observateur , notre classe
livrée à l'activité de ses travaux divers. Ce tableau
sera le résultat des réflexions précédentes , sans en
être la répétition .
La langue française est devenue la langue de l'Eu>
rope savante et polie , plutôt à cause de sa préci
sion , et de la barriere invincible qu'elle oppose à
l'obscurité et à l'amphibologie , que des conquêtes
du fastueux Louis XIV , ou des productions litté
saires du siecle dans lequel il a eu le bonheur de
régner.
Cependant elle peut encore se perfectionner, et
étendre son vaste domaine. Les grammairiens travailleront
à régulariser cette hardiesse d'expression ;
cette audace dans les rapprochemens , fruits heureux
et nécessaires de l'immense révolution qui s'est opérée
( 80 )
dans les idées , les préjugés et les intérêts . Mirabeau
lui-même eût renoncé aujourd'hui à ces mots extraor
dinaires , à ces mouvemens exagérés qu'il croyait
alors nécessaires pour soulever contre ses oppresseurs
une masse inerte et engourdie ..
Elle s'enrichira véritablement notre langue , en
empruntant des langues anciennes l'art des inversions
et des mots plus sonores et plus harmonieux ; en
s'élevant avec les langues orientales à une hardiesse
de comparaison , et à une variété de tours , qui semblent
avoir toujours effrayé sa timide circonspection.
Un des favoris de Melpomene a fait dans la famille
Arabe , cet essai auquel nous applaudissons tous les
jours. Les traducteurs d'Homere , d'Eschyle et de
Juvenal nous prouveront encore qu'avec du travail
et du goût , on reproduit heureusement sous des
traits français les plus difficiles des auteurs anciens .
:
Nos poëtes peuvent faire plus ; ils conserveront à
ceux de l'antiquité le rythme et les formes poétiques
capables de faire oublier un instant les anciens chefsd'oeuvre
et de faire croire à l'originalité des traductions
telles sont les Géorgiques . Emules de Pindare
, d'Eurypide et de Térence , vous consacrerez
vos chants à inspirer l'amour d'une patrie devenue
libre , à exciter la haine pour les tyrans , les fanatiques
et les persécuteurs , et à présenter sans cesse les
exemples des vertus sous les emblêmes des ris et des
jeux .
Rechercher dans les arts des anciens , ceux que
nous nous applaudirions de faire revivre ; dans les
usages de leurs républiques , ceux que la nôtre peut
adopter ; dans leurs monumens enfin , tout ce qui
doit
( 81 )
doit produire une illusion entiere sur nos scenes ,
dans nos tableaux et nos sculptures ; c'est l'esprit qui
animera les érudits et les antiquaires .
Possédant au milieu de nous le restaurateur de
l'école française , le Nestor de la peinture , nous écouterons
ses avis avec ce respect religieux qui faisait
recueillir aux anciens les dernieres paroles des héros
et des sages . Ses éleves et ceux des Coustous propageront
l'étude des antiques . la sévérité des principes
et la recherche du beau idéal , sur lequel on a tant
écrit ; mais que l'on aurait peut- être fait mieux sentir
en le définissant , la belle nature généralisée . Si
d'impies blasphémateurs ou des artistes sans génie
osent dire encore , après les Boucher et d'autres.
maîtres dont l'oubli presse déja les noms , que la
nature , que le modele seul ( pour me servir de leur
ignoble expression ) doivent fixer les regards des
peintres et des sculpteurs ........ Que l'antique est
roide et glacé .…………………. Que de notre classe sortent
à - la fois et les belles productions qui les démentiront
en augmentant la gloire de notre école , et
les écrits solides qui foudroyeront ces nouveaux
titans .
Combien de dignes émules des Vitruve et des
Palladio a fui la célébrité , parce que le hasard , ou
l'intrigue , souverains distributeurs des travaux dansles
monarchies , n'ont point demandé de monumens
publics à leur génie ! Toujours appuyé sur l'opinion
de ses compatriotes et quelquefois sur celle des étrangers
, qui sont pour nous la postérité , le gouvernement
français ne demandera des plans grandiôses et simples
à - la-fois , qu'aux architectes connus par d'utiles,
Tome XXII. F
182 )
écrits , ou de sages principes . Ceux de notre classe
veilleront sans cesse à seconder ses vues et à repousser
loin de lui par leurs conseils la médiocrité hardie qui
assiege toujours l'entrée des palais .
Les fêtes nationales et le retour de nos freres triomphans
, vous imposeront de nouveaux et d'aussi glorieux
travaux , à vous modernes Tyrtées , dont les
accens belliqueux ont couvert de héros les champs
de Jemmapes et de Fleurus . Une carriere moins brillante
, mais plus difficile peut - être , vous reste encore
à parcourir. Assis sous l'olivier paisible , nous écouterons
avec émotion vos chants qui célébreront et
la douceur d'une paix glorieuse ; et les attraits de la
fraternité civique ; et le bonheur accordé aux vertus
seules ; et ces principes de justice éternelle , indépendans
des opinions politiques et des cultes .
Voilà l'esprit qui doit inspirer chacune de nos
sections. Leur réunion sera embellie par cette bienveillance
générale qui paie le juste tribut d'estime
à toutes les especes de travaux destinés soit à étendre
l'empire des lumieres , soit à guider les talens , soit à
propager l'amour de la république . Cette bienveil
lance habituelle , cette constante obligeance ( ah !
pourquoi n'adopterions-nous pas ce mot , qui peint
la plus belle affection des ames vertueuses ! ) feront
de notre classe et des deux autres de l'institut une
seule famille. Nous réaliserons et mettrons en action
cette brillante école d'Athenes où le génie de Raphaël
réunissait , il y a deux siecles , les sciences , les lettres
et les arts.
( 83 ).
}
1
+
BIOGRAPHIE.
NOTICE sur la vie et les ouvrages de CONDORCET , par
ANTOINE DIANNYERE , associé de l'Institut national ,
avec cette épigraphe : Multis ille bonis flebilis occidit
, nulli flebilior quàm mihi . HOR. Se trouve à
Paris , chez PIERRE-F. DUPLAIN , libraire , cour du
Commerce, rue de l'Ancienne- Comédie- Française . In - 8 ° .
de 50 pages. L'an IV de la République .
Le numéro 21 de ce journal contient déja un travail
assez étendu sur le même objet , par le citoyen
Lalande ; travail qui lui attira , de la part du citoyen.
Diannyere , une lettre pleine de raison que nous
avons insérée dans le numéro 26 .
Nos lecteurs ont vu dans ces deux morceaux des
détails qui feront regretter long - tems un homme qui
avait consacré sa vie à faire connaître et aimer la vérité
et la liberté.
Nous extrairons de la notice du cit . Diannyere les
traits qui ne se trouvent point dans sa lettre , ou qui
ont échappé à la sagacité du cit. Lalande .
On remarque dans la Correspondance de Voltaire les
espérances que lui faisait concevoir le génie naissant
de Condorcet. Vous verrez de beaux jours , lui écrivait- il
en 1769. Vous y contribuerez , et vous enjouirez . VoUS EN
JOUIREZ. Voltaire ne prévoyait pas la récompense que
devait recevoir Condorcet pour avoir contribué à
faire luire les jours de la liberté sur sa patrie.
F 2
( 84 )
En 1776 , Condorcet avait mis dans un ordre naturel
les Pensées de Pascal , et les avait accompagnées
de notes qui , appuyées sur des faits et des raisonnemens
incontestables , relevaient l'homme que Pascal
avait voulu abaisser , et montraient que ses crimes ,
ses vices , sa faiblesse sont le résultat des institutions
sociales , et non une preuve de l'existence de Dieu
et de la vérité du christianisme . Pascal fut vaincu par
un adversaire digne de lui , et auquel il aura les plus
grandes obligations . L'éloge de Pascal qui se trouve
en tête de cette édition , est un des meilleurs de
Condorcet.
Voltaire faisait beaucoup de cas de cette édition
des Pensées de Pascal ; les anciennes ne lui offraient
que Pascal-janséniste . Il appelait celle - ci Pascal-
Condorcet. En faisant réimprimer l'éloge , il y avait
ajouté une préface, dans laquelle il disait : « L'homme
» frivole , ou faible , ou ignorant , qui osera le lire et
,, le méditer , sera peut- être étonné d'être changé en
un autre homme.... C'est un portrait fidele bien
" plutôt qu'un éloge .... Ce philosophe véritable
9, tient Pascal dans la balance ; il est plus fort que
,, celui qu'il pese. "
On est étonné de ne voir aucune mention de cet
éloge dans la collection des OEuvres de Pascal , donnée
l'abbé Bossuet.
en 1779 par
Condorcet joignant le talent du style aux connaissances
les plus profondes dans toutes les sciences ,
fut bientôt désigné pour devenir secrétaire de l'académie
des sciences ; quand il fut donné pour adjoint
à Grandjean de Fouchy , il remercia le janséniste
Guettard de lui avoir accordé sa voix . Celui- ci lui
( 85 )
1
répondit : Si vous ne la méritiez pas , vous ne l'auriez
pas eue , car je ne vous aime pas .
Le cit. Diannyere en racontant cette anecdote
prête à Guettard ces mots : Car je vous hats . Ils nous
paraissent trop durs pour être sortis de la bouche
d'un dévot qui rendait justice à un philosophe .
Condorcet dans beaucoup d'ouvrages éclatans avait
inspiré la haine du despotisme et l'amour de la
liberté , et montré aux hommes leurs droits et les
moyens de s'en assurer la jouissance. Il vit dans la
révolution l'heureux moment où les philosophes
pourraient réaliser leurs plus cheres espérances.
Aussi publia - t - il nombre d'écrits pour la diriger ou
la justifier. Que n'a-t-il pas fait , par exemple , pour
obtenir l'organisation de l'instruction publique ? On
trouve ses idées sur cette importante matiere dans la
Bibliotheque de l'Homme public , dans la Chronique du
mois , dans ses Rapports à l'Assemblée législative . Condorcet
a péri sans voir ses effets couronnés d'aucun
succès. Et en ce moment même , l'organisation de
l'instruction publique est à peine entamée.
Il faut lire dans la notice même l'intéressant tableau
de la France au moment de la fuite de Louis XVI .
Ce fut alors que Condorcet, par un discours lu dans
une société nombreuse , et applandi avec transport ,
prouva que la royauté est une institution anti -socialé,
et que les avantages qu'on lui suppose sont iilusoires.
Sept à huit départemens nomment notre philosophe
à la Convention nationale . Mais bientôt il vit
se former dans son sein deux partis qui , avec des
talens et des qualités bien différentes , voulaient la
F 3
( 86 )
république. Il croyait encore au milieu du mois
,, de mai 1793 , qu'il était possible de contenir Robers-
" pierre par la peur , de renfermer dans ses devoirs
‚ la municipalité de Paris , et de sauver la liberté en
,, lui attachant tous les Français par des lois justes .
,, I gémissait sur les maux de sa patrie , sans les
" croire incurables ; il finissait cependant par me
dire Personne n'est sûr de vivre six mois . ( Notice ,
pag. 35. )
-
Je ne puis me refuser au plaisir de transcrire
l'éloquente apostrophe du cit . Diannyere à la femme
héroïque qui reçut Condorcet honteusement pros
crit.
Vous qui l'avez accueilli sans le connaître , et
seulement parce qu'il était malheureux , qui l'avez
gardé six mois presque malgré lui , dont il ne s'est
» séparé que malgré vous , et qui , témoin de sa douceur
, de sa bonté , de sa patience , de son courage ,
de son attachement à ses amis , de son amour pour
sa femme , pour sa fille , de son dévouement pour
sa patrie , aimez tant à parler de lui , et n'en parlez
jamais sans répandre des larmes ; vous qu'il
appellait sa seconde mere, et avec laquelle il pleurait
en baisant le portrait de sa fille ; vous à qui
,, il disait : Il faut que je vous quitte , vous êtes hors de
" la loi ; et qui lui répondiez Nous ne sommes pas
hors de l'humanité. Femme magnanime , vous ne
" voulez pas qu'on vous nomme , mais la postérité
,, saura que sans vous , cette belle esquisse des progris
" de l'esprit humain n'eût pas été faite ; elle saura tout
" ce que Condorcet a fait chez vous , et tout ce que
➜ vous avez fait pour lui ; et votre nom , uui alors
( 87 )
au sien et à celui de quelques autres , attestera
" qu'au milieu de nos malheurs nous avions du moins
quelques personnes qui avaient plus de vertu que
nous n'avions de faiblesse , de lâcheté . ""
Il n'est plus cet homme intéressant , dont la philosophie
, aussi sage que ferme , eût pu exercer une
si salutaire influence sur la fin de la révolution et sur
l'établissement d'un gouvernement . Profitons de ses
réflexions sur ce qui a été fait et sur ce qui reste à faire ,
imprimées vers la fin de 1789. Il s'agissait alors de
détruire les causes de l'anarchie dont la France était
menacée . Il existe encore des restes de cette affreuse
anarchie que nous n'avons pas su éviter. Invitons ,
comme Condorcet , tous les amis du bien public ,
qui ont quelqu'empire sur l'opinion , à se réunir
" pour prêcher la morale et pour prouver au peuple
qu'il ne peut exiger plus que ce qui lui a été ac-
" cordé , ou sans courir risque de tout perdre , ou sans
» manquer à la justice , 99
99
99
Le cit. Diannyere parle dans deux endroits de sa
notice ( pag. 13 et 40 ) de l'opinion de Condorcet
sur l'Unité du Corps législatif, de maniere à faire croire
que ce grand publiciste ne verrait peut -être pas avec
plaisir sa division actuelle en deux conseils ; mais
on sera persuadé du contraire en se rappellant que
Condorcet dans sa 2. lettre à Mathieu Montmorau.
( 7bre 1789 , pag . 16 ) , conviens que tout ce qui
,, n'accorde pas le droit de voter sur les lois à des
,, hommes qui ne seraient pas choisis uniquement
par la nation ou par des électeurs nommés par
-elle , peut- être plus ou moins sages , conduire à
des décisions plus ou moins raisonnables ; mais
1
F4
( 88 )
"3
99 il n'en résulte ni danger pour la liberté , ni violation
du droit d'égalité des citoyens , ni division
,, de la nation en plusieurs classes , ni aucun des
maux que l'établissement de deux chambres ayant
séparément une part égale à la législation , peut
" entraîner après lui. " Il dit aussi à la Convention
nationale , dans le rapport sur le plan de constitution
du comité , « qu'il est des moyens de partager une
,, assemblée unique en deux sections qui n'eut rien.
de contraire à la liberté , ni même à l'unité entiere
› du pouvoir. "
J'aurais desiré que l'auteur de la notice eût déve
loppé davantage l'injustice des persécutions dont la
faction aristocratique accabla Condorcet dans les
premieres années de la révolution . Sans elles peut-être
jamais Roberspierre ne fût parvenu à rendre le législateur-
philosophe suspect à un peuple dont il était
l'ami le plus pur et le plus désintéressé . On ne saurait
trop répéter que c'est à la fureur de l'aristocratie et à la
tiédeur de beaucoup d'hommes à talens, que l'on doit
une grande partie des malheurs de la révolution .
Cette considération n'a pas échappé à l'intéressant
auteur de la Notice sur le vertueux Malesherbes .
Beaucoup de lecteurs remarqueront l'éloge que
fait le cit. Diannyere des talens oratoires et de l'immense
popularité de Danton . Si ces talens et cette
popularité eussent eu pour bâse des vertus réelles ,
la mort de cet hercule de la révolution eût sans
doute excité des regrets plus durables . Mais l'impression
momentanée qu'elle a faite a pu être occasionnée
par la singularité de voir périr comme ennemi
de la révolution celui qui en avait été un des plus
ardens soutiens.
J
( 89 )
Du reste , cette notice fait autant d'honneur au
coeur du cit. Diannyere qu'à ses connaissances . Il y
trace une analyse aussi exacte que rapide des nombreux
ouvrages de Condorcet qui pourraient former
14 ou 15 volumes in - 8° . Plusieurs n'ont été d'aucune
utilité , ceux par exemple sur les assignats et sur les
monnaies . Mais le cit . Diannyere observe avec raison
que la postérité prononcera entre leur auteur et ceux
qui ne les ont pas adoptés ; elle dira si ce qu'ils ont
fait était le mieux possible dans les circonstances où
ils étaient, et si de toutes les propositions possibles
celles de Condorcet étaient les plus sages et les plus
exécutables . Ne puis-je pas ajouter que le systême trop
tardif des mandats est déja un hommage rendu à la
mémoire de Condorcet.
MORAL E.
Instructions élémentaires sur la Morale , ouvrage qui a été
jugé propre à l'instruction publique par le Jury des
livres élémentaires et le Corps législatif , et qui a obtenu
une récompense nationale par la loi du 11 germinal
l'an 4. Par le cit. BULARD . Un volume in- 18. Prix ,
100 liv. et 125 liv. franc de port. A Paris , chez
CAILLOT , libraire , rue du Cimetiere- St.- André , nº. 8.
Voici le plan de ce petit ouvrage , qui n'est pas
moins recommandable par la clarté des idées que par
la précision du style et l'évidence des principes qui
y sont développés .
( 90 )
L'auteur l'a divisé en six parties.
Dans la premiere , il expose les notions générales
et élémentaires dont il est bon que les enfans aient
une idée suffisante ; telles que la définition et l'objet
de la morale , les qualités iuhérentes à la nature de
l'homme , le principe de ses actions , la raison , la
conscience , etc.
Dans la seconde , il parle de Dieu , de l'homme ,
de l'immortalité de l'ame , de la société et du gouvernement.
"Dans la troisieme , il trace le tableau des vertus.
et des avantages inestimables qu'elles procurent
l'homme .
Dans la quatrieme , il expose les défauts , les vices ,
les crimes , et tous les maux qu'ils causent.
Dans la cinquieme , il traite des devoirs de la vie
publique.
Dans la sixieme , de ceux de la vie privée , tels que
les devoirs des époux , des pere et mere , des enfans ,
des proches ou des membres d'une même famille ,
des amis , des maîtres et des serviteurs .
Ce plan , comme on le voit , est tracé naturellement
par les différens rapports que l'homme a ayec
ses semblables , et avec la société , et par les avantages
qui en résultent. La forme interrogative que
l'auteur a choisie , c'est - à - dire celle par demande et
par réponse , a sans doute l'avantage d'être plus abrégée
, de fixer l'attention des enfans sur les questions
dont on veut leur donner la solution , de graver dans
leur mémoire des maximes courtes , et d'établir entre
les maîtres et les éleves une communication plus
( 91 )
directe , plus familiere et plus favorable à l'instruction
.
Mais , d'un autre côté , cette forme ne s'oppose- telle
pas aux développemens si nécessaires pour bien
entendre les principes d'une science ? s'accorde - telle
avec la marche la plus naturelle des idées , avec
cette analyse qui , allant toujours du simple au composé
, est un guide sûr qui conduit sans interruption
les esprits d'une vérité à une autre ? Cette série des
idées et des preuves n'est - elle pas continuellement
rompue par des demandes et par des réponses , qui souvent
ne se lient pas aux demandes et aux réponses
qui précedent. Le maître qui interroge n'arrange -t-il
pas ses opérations de maniere à préparer les réponses
dans le sens qu'il desire ? et est- on bien sûr que la
réponse que l'on met dans la bouche de l'éleve , soit
toujours celle qu'il aurait faite lui-même s'il eût été
libre de répondre d'après ses propres idées ? Énfin ,
cette forme ne rappelle - t- elle pas celle de ces catéchismes
si absurdes , si dogmatiques , si tranchans ,
dont on obsédait l'esprit de l'enfance , et qui ont tant
contribué à le nourrir de préjugés et d'erreurs ? Ces
considérations nous paraissent bien puissantes pour
exclure le systême d'instruction par demandes et par
réponses.
Nous pourrions en trouver la preuve dans cet ou
vrage mêmè . Dans la seconde partie , l'auteur place
le chapitre de Dieu avant celui de l'homme . Si l'on considere
l'ordre intellectuel et moral dans son univer
salité , Dieu est sans contredit le premier anneau de
la chaîne innombrable des êtres ; mais quand il s'agit
d'amener des enfans , et même des éleves plus ayan(
92 )
eés à la connaissance de ces vérités sublimes , connaissance
qui n'offre que des mots et des abstractions
inintelligibles , si elle n'est sentie et raisonnée , ne
faut- il pas auparavant leur avoir expliqué ce que c'est
que l'homme , quelles sont ses facultés , sa place , sa
destination au milieu de la nature et des êtres qui
l'environnent ? S'il est une échelle qui puisse nous
élever jusqu'à l'idée d'un Être suprême , ordonnateur
des mondes , le premier échelon doit être posé
en nous - mêmes ; c'est en méditant sur notre organisation
intellectuelle , sur les rapports que nous avons
avec les autres êtres , et que ceux - ci ont avec nous ,
en considérant l'ordre immuable qui regne dans l'univers
; que nous pouvons généraliser assez nos idées ,
pour arriver de sentimens en sentimens , d'indices
moraux en indices moraux jusqu'à l'extrême probabilité
de l'existence de Dieu . C'est donc par l'homme
que doit commencer toute espece d'instruction mozale
et politique , ou l'on risque de n'apprendre à
ses élevés qu'à croire sur parole .
Ceci deviendra plus sensible en citant la premiere
question que fait l'auteur : Qu'est- ce que Dieu ? A quoi
il suppose que les éleves doivent répondre : C'est
PÊtre suprême par qui tout existe. Remarquez d'abord
que l'auteur suppose déja la conviction de l'existence
de Dieu , acquise ; et qu'il franchit d'un saut la question
la plus difficile qui puisse exercer la sagacité
des esprits les plus instruits et les plus profonds , et
sur laquelle peut - être on n'aura jamais d'autres
preuves , que des preuves de sentiment. Qu'est - ce
que Dieu ? Après s'être convaincu de son existence ,
quel serait l'homme assez audacieux pour faire cette
( 93 )
question , et surtout pour entreprendre d'y répondre ?
Ce n'est pas ainsi que Rousseau a procédé dans la
profession de foi du vicaire Savoyard , le meilleur ouvrage
qui ait été fait sur la question si délicate de
l'existence de Dieu. Il s'est bien gardé de supposer
ce qu'il fallait démontrer , et encore moins de chercher
à expliquer ce qui sera toujours inexplicable .
La question qui termine ce chapitre n'est pas moins
surprenante.
"
D. Que doit- on penser de ceux qui négligent d'adorer
Dieu , ou qui l'adorent d'une maniere différente de la
nôtre ? ""
R. Ceux qui négligent d'adorer Dieu , manquent
au premier devoir des hommes vertueux , etc. "
Il faut avouer que cette question est pour le moins
indiscrette , si elle n'est pas insidieuse. Demander à
un enfant , à un jeune homme , ce qu'on doit penser
de ceux qui négligent d'adorer Dieu , c'est l'accou
tumer à n'estimer les hommes que sous le rapport
des idées religieuses ; c'est jetter déja dans son ame
le germe de la haine et de l'intolérance . L'auteur a
beau ajouter après, que nous devons aimer les hommes
quels que soient leur culte et leur croyance , l'enfant ,
d'après la leçon du maître , regardera toujours celui
qui néglige d'adorer Dieu comme un homme non vertueux
, ce qui est lier l'idée de vertu à celle de religion
; idée qui peut très - bien être séparée . Mais au
fond qu'est-ce négliger d'adorer Dieu ? est- ce ne lui
rendre aucun culte apparent : celui qui l'adore en
esprit et en vérité , lui rend peut - être le culte le plus
digne de lui. L'auteur entend-il parler de ceux qui
font profession ouverte d'athéisme ? Si la liberté des
( 94 )
cultes est au nombre des droits qu'il faille respecter ,
celle de croire ou de ne pas croire est du même
genre. Dans tous les cas , on voit combien de pareilles
questions sont déplacées , et peuvent donner
à des enfans des idées fausses et même dangereuses .
Ce que nous venons de dire s'applique également
au chapitre de l'immortalité de l'ame , où l'auteur présente
cette série de questions : Qu'est- ce que l'ame ? →
L'ame est- elle distincte du corps ? En quoi consiste la
vie du corps ? En quoi consiste la vie de l'ame ? et autres
de cette espece . L'auteur suit toujours la même
marche ; il suppose toujours comme démontré le
point même de la difficulté , méthode qui n'est sûrement
pas la meilleure pour diriger l'esprit humain
dans la recherche de la vérité.
1
En faisant ces observations , nous sommes loin de
croire que l'idée de l'existence de Dieu et de l'immortalité
de l'ame , ne soit une idée très- belle et trèsutile
. Elle a fait la consolation et le bonheur des plus
grands philosophes de l'antiquité ; elle plaira toujours
aux ames sensibles , aimantes et vertueuses . Mais nous
avons voulu prouver que ces questions , d'une métaphysique
hardie, ne sont point à la portée des enfans ;
que ne pouvant jamais les soumettre à une preuve
rigoureuse , parce qu'elles échappent aux sens qui
sont les instrumens de toutes nos idées , il vaut
mieux s'en abstenir que de les discuter d'une maniere
peu satisfaisante . Il sera toujours dangereux d'appuyer
la morale sur les idées religieuses , parce que les
opinions religieuses étant extrêmement variées , ce
serait communiquer la même variarion aux principes
de la morale qui sont invariables , quand on les
( 95 )
fonde sur la nature et les rapports de l'homme.
Quoi qu'il en soit , ces instructions élémentaires ,
à l'exception des chapitres que nous venons d'indiquer
qu'il aurait fallu supprimer , ou traiter d'une
autre maniere , contiennent des idées saines sur la
morale , exposées avec simplicité et douceur ; ce
n'est ni l'austérité du stoïcisme , ni le relâchement
des Epicuriens . Si elles ne remplissent pas parfaitement
le but du concours , elles en approchent , et
peuvent être également utiles aux enfans et aux
maîtres , surtout si ceux ci savent suppléer ou
corriger ce qu'il peut y avoir de défectueux ou de
supérieur aux notions de l'enfance.
-
M.
POÉSIE.
SILENE. Églogue traduite de Virgile.
A muse , qu'instruisit la mase de Sicile ,
S'essaya la premiere aux doux chants de l'Idylle . "
Elle n'a point rougi d'habiter dans les bois ;
Poëte ambitieux , je célébrais les rois.
Mais Phoebus Suis toujours la route accoutumée ,
Poëte des pasteurs ; sur l'herbe parfumée ,
" Que ta frêle musette , à tes troupeaux heureux ,
Fredonne quelques airs qui soient simples comme eux . "?.
Assez d'autres , Varus , au milieu des batailles ,
Diront de nos Romains les tristes funérailles ;
La campagne , à jamais est l'objet de mes chants ;
Cependant , s'ils sont lus de quelqu'ami des champs ,
Il entendra par-tout , nos vallons , nos bruyeres ,
Célébrer tes exploits et tes vertus guerrieres ;
A
·
( 96 )
O Varus ! et quels vers plus aimés d'Apollon ,
Que les vers consacrés par ta gloire et ton nom ?
Avançons ; sous sa grotte obscure et souterreine
Cromis et Mnasilus apperçurent Silene ;
Du poids d'un long sommeil ses yeux étaient vaincus ,
Et son sang fermentait toujours plein de Bacchus ;
Sa couronne échappait à sa tête lassée ,
Et sa cruche pesait sur l'anse renversée .
Ils l'abordent ensemble , et leurs mains avec art
De guirlandes de fleurs enchaînent le vieillard ;
( Car dédaignant leurs voeux et leur âge encor tendre ,
Il les trompa souvent de l'espoir de l'entendre. )
Églé , la belle Églé , vient se joindre à leurs jeux ,
S'approche , et quand Silene ouvre déja les yeux ,
Elle folâtre encor , et d'une main tremblante
Écrase sur son front une mure sanglante ;
"
Mais lui : Rompez ces noeuds , dit avec un souris
,, Le vieillard , c'est assez que vous m'ayez surpris ,
" Quelques chants vont payer ma liberté nouvelle ;
,, Bergers , des chants pour vous ; un autre prix pour elle.,,
Il commence , à l'instant près des faunes assis
Vous auriez vu jouer les tigres adoucis ,
La forêt tressaillir ; les chênes du Riphée
Furent moins attentifs aux chants du grand Orphée ;
Le Pinde admire moins le dieu puissant des vers .
Il chantait la nature et le jeune univers ,
Les atômes errans dans les plaines du vuide ;
Les germes dispersés , le feu d'abord liquide ,
L'un l'autre se heurtant , l'un à l'autre enchaînés ,
De leur hymen fécond les mondes émanés ,
Des élémens rivaux , l'alliance et la haine :
Bientôt il leur impose une regle certaine ;
De la terre affermie il sépare les eaux ,
Et des cieux rayonnans allume les flambeaux ;
Fait
( 97 )
Fait descendre la pluie , ou l'éleve en nuages ;
A sa voix , les forêts se couronnent d'ombrages
Dans la plaine inconnue et sur les monts naissuns
Errent de loin en loin leurs rares habitans ..
Mais tout change ; la terre a disparu sous l'onde ,
Et de cailloux vivans Pirrha peuple le monde ;
Il chante de Japhet le fils audacieux ,
Et Saturne apportant à nos premiers aye'ax
Ce siecle de bonheur , regretté d'âge en âge ,
Hilas qu'Hercule en vain redemande av rivage .
Hilas s'écriait-il , Hilas ne répond pas !
Le rivage alarmé répete encor Hilas .
Silene consola d'une amour effrenée
Du vertueux Minos l'épouse infortunée .
Malheureuse , quel trouble a donc saisi tes sens ?
Les filles de Pretus , de faux mugissemens
Souvent ont effrayé la timide bergere ,
2
Et cherchant sur leurs fronts une corne étrangere ,
Elles ont craint le joug qui soumet les taureaux ;
Mais chastes cependant , au milieu des troupeaux ,
Dans la génisse aimée , une erreur moins fatale ,
Leur montrait leur pareille , et non pas leur rivale .
Triste Pasiphaé , tout accroît ton tourment ;
Tu le cherches , il fuit , et ton farouche amant,
Quand la montagne en vain retentit de ta plainte ,
Étendu sur la mousse et le mol hyacinthe ,
Rumine pesamment l'herbe pâle et les fleurs.
O nymphes des forêts , déesses des chasseurs ,
Vous le reconnaîtrez à sa corne indomptée ,
Vous verrez de ses flanics la blancheur argentée !
O nymphes , fermez - lui tous les sentiers du bois !
Mais en vain , insensible à tes pleurs , à ma voix ,
Il suit une genisse au vallon de Gortine.
Variant les accords de sa lyre divine ,
Tome XXII.
( 98 )
Le maître de Bacchus chante les pommes d'or ,
Qui d'une vierge agile ont rallenti l'essor .
Des soeurs de Phaeton , sous une écorce amere ,
Il étouffe la voix qui redemande un frere .
2
Sur les bords du Permesse il a conduit Gallus ;
Le voyez -vous errant sur ces monts inconnus
Devant lui se lever les nymphes d'Aonie ,
Et les cheurs d'Apollon cesser leur harmonie ?
Entendez -vous Linus le front paré de fleurs ?
Reçois ces chalumaux de la main des Neuf- soeurs ,
,, Ce sont ceux du vieillard qui chantait dans Ascrée ;
Des bois thessaliens dis la source sacrée ,
,, Pour qu'Apolion ,'fixé par tes divins concerts ,
, Préfere un jour leur ombre aux bois qui lui sont chers . " ,
Dois-je oublier ici cette nymphe perfide
Coupant un cheveu d'or d'une main parricide ?
La peindrai-je au milieu de cent gouffres bruyans ,
Ceignant son sein de lis de monstres aboyans ,
Et ses chiens affamés plus craints que les oiages ,
Dévorans un navire et vivans de naufrages ?
Tairai -je à son époux dans les festins assis ,
Philomele servant les membres de son fils ,
Des malheurs de Progné conservant la mémoire ,
Et contant aux deserts sa déplorable histoire ?
Dirai-je quel prodige attriste sa beauté ,
Comme elle s'étonna de sa légereté ,
Et rasa son palais de ses aîles naissantes ?
Le vieillard répéta ces hymnes ravissantes ,
Dont l'heureux Eurotas entendit les accords ,
Quand le divin Phobús méditant sur ses bords ,
L'harmonieux Laurier les chante et les répete !
Ainsi chanta Silene aux accens du poëte
Les vallens sont émus , et portent jusqu'aux cieux
Ces accords qui charmaient les bergers et les dieux .
( 99 )
Le soir les interrompt ; et l'Olympe avec peine
Voyait finir le jour et le chant de Silene .
FLINS.
1
ANNONCES.
LIVRES FRANÇAIS.
Essai de Littérature , par Joseph de la Serrie , avec des
planches dessinées et gravées de la main de l'auteur ; brochure
in - 8 . de 80 pages. A Paris , de l'imprimerie de
Dupont. 1796 .
Ces essais de littérature , imprimés avec beaucoup de soin ,
et ornés de jolies gravures , contiennent des épîtres , des
idylles , un poëme intitulé Aglaore , le tout moitié prose et
moitié vers . L'auteur qui est très -jeune , annonce un amateur
idolâtre des arts , de la nature et de la philosophie .
Sa prose est douce , harmonieuse , et ses vers faciles , et quelquefois
brillans . On trouve dans ces essais de la sensibilité ,
de la mélancolie et du talent. Il est aisé de voir que l'auteur a
été persécuté dans la révolution . Ses tableaux se ressentent
souvent de la situation de son ame , et n'en sont que plus intéressans
. Qui ne serait disposé de pardonner aux malheureux
les souvenirs amers de leurs souffrances ; le tems est proche ,
où ces souvenirs s'adouciront et viendront s'effacer et se perdre
dans un sentiment plus doux , celui de l'oubli de nos maux
passés et de la gloire et du bonheur de notre patrie.
Les Soirées Littéraires , ou mélanges de traductions nouvelles
des plus beaux morceaux de l'antiquité , de pieces instructives
et amusantes , françaises et étrangeres , d'anecdotes sur les
auteurs et leurs écrits , etc. , etc. Deux volumes in -8 ° . L'an IV
de la République . A Paris , chez Morin , libraire et commissionnaire
, rue Christine , nº . 12 .
Cet ouvrage aura une suite , et se distribue par cahiers ,
G 2
( 100 )
Les Amours de Léandre et de Héro , poëme de Musée le grammairien
, traduit en français avec le texte grec , la version latine
, des notes critiques et un index ; par J. B. Gail , professeur
de littérature grecque au collège de France . Uny1 yolume
grand in- 8º. L'an IV.
Idylles et autres pieces de Théocrite , traduites en français par
le même , avec le texte grec et la version latine . Un gros
volume in-8°.
Le même contenant seulement la traduction française .
Deux volumes in - 18 , de l'imprimerie de Didot , avec des
gravures dessinées. par Barbier , Moreau et Chaudet .
A Paris , chez l'auteur au collège de France , place Cambrai.
Le Calendrier Républicain , poëme , lu à l'assemblée publique
du Lycée des Arts , le 10 frimaire de l'an III ; suivi d'une
ode au Vengeur , et de quelques autres poemes sur les vic
toires de la République en Italie , en Espagne , en Allemagne ;
sur la conquête de la Hollande ; sur la paix avec la Toscane ,
et d une douzaine d'hymnes civiques ou chansons . Par le poëte
de la Révolution , Dorat-Cubieres , auteur du Voyage à la
Bastille , en vers et en prose ; des Rivaux au cardinalat , ou
Pasquin et Mauri , poëme héroï- comique en quatre chants ;
des cinq poëmes intitulés : les Etats - Généraux de l'Olympe ,
de l'Europe , de l'Eglise , du Parnasse et de Cythere ; de
l'Epitre au Grand- Inquisiteur , de I Inquisition dénoncée , de
la Méprise pontificale , des Châteaux en Espagne des émigrés
, du général Tonneau , du Pape malgré lui , du Danger
des Couvens , de la Lettre de saint Jérôme à une Dame
romaine ; de la baronne de Chantal , ou les Dangers de la
dévotion , en trois actes et en vers ; des Journaux d'à - présent
; du Banquet des six Rois ; du poëme des Abeilles ;
des Portraits de Mirabeau , de Lepelletier , d'Athanase Auger ,
de Cerutti , et de plusieurs autres ouvrages patriotiques et
philosophiques composés depuis la révolution , Prix , 60 liv.
A Paris , chez Tessier , libraire , rue de la Harpe , nº . 151 ,
vis-à- vis celle du Foin , an IV de la République .
On ne sait pas si Dorat- Cubieres est le Poëte de la Révolution
, mais à en juger par le titre de cette brochure, on voit
du moins qu'il en est le plus fécond.
101 )
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE..
De Hambourg , le 25 avril 1796.
L'IMPERATRICE de Russie a fait notifier à la cour de
Suede le mariage du grand - duc Constantin , son
petit-fils , avec la princesse Anne Federowna de Saxe-
Cobourg. Cette communication amicale semblait
propre à détruire tous les bruits que l'on avait répandus
sur ses desseins contre un pays auquell'on
supposait que son ambition voulait depuis long- tems
faire éprouver à- peu - près le même sort qu'à la Pologne
. Mais ces apparences de bonne intelligence ne
se sont pas soutenues. Un courier extraordinaire dépêché
par le baron de Fledings , ambassadeur suédois
à Pétersbourg , a annoncé que Catherine II fajt
rassembler une armée sur les frontieres de la Finlande ,
que l'on dit devoir s'élever à soixante mille hommes ,
que six bataillons de ses gardes- du - corps sont déja en
marche pour cette destination , et qu'elle a donné les
ordres les plus précis ponr accélérer l'armement
d'une escadre.
Quels sont les véritables motifs de ces préparatifs
hostiles ? Doit- on les chercher dans la résolution que
la cour de Stockholm a manifestée de remplir ses engagemens
avec le duc régnant de Mecklembourg
G 36
( 102 )
Schwerin pour le mariage du jeune roi . Déja le ministre
de Russie a déclaré , qu'indépendamment des liens du
sang , la sûreté du Nord , et celle même de la couronne
de Suede , oblige l'impératrice d'exiger la rupture de
ces engagemens , et de poursuivre l'accomplissement
de ceux que le feu roi Gustave Ill avait pris avec elle ;
et en conséquence desquelies elle a dirigé l'éducation
de la jeune princesse , sa petite- fille , à qui elle
a fait apprendre la langue suédoise .
J
On ne peut se le dissimuler : la préférence donnée
par la Suede à l'alliance avec le duc de Mecklembourg
est plus que désobligeante . Catherine ,
habituée aux complaisances , aux adulations de
presque toutes les cours de l'Europe , qui non seulement
est négligée , mais qui voit même son alliance
rejettée par celle à qui il semblait que sa puissance
dût être plus particulierement redoutable , doit
éprouver tout le chagrin de l'orgueil humilié . On
pourrait donc croire qu'un sentiment de vengeance
n'est point étranger aux mouvemens militaires qu'elle
a ordonnés vers les frontieres de la Suede , et qu'il a
du moins accéléré l'exécution des projets de sa cupidité
et de son ambition .
Quoi qu'il en soit , le cabinet de Stockholm qu'elle
n'a pu séduire par des démonstrations de bienveillance
, vient de prouver qu'il ne peut être intimidé
par des démonstrations menaçantes. Il a pris avec
la plus grande promptitude toutes les mesures nécessaires
pour repousser vigoureusement l'attaque qu'il
peur prévoir. L'armée entiere de Finlande a reçu
ordre de se rassembler sous la forteresse de Louisa
qui touche l'extrême frontiere de la Finlande russe ,
( 103 )
dont elle n'est séparée que par la riviere de Kymene ;
tous les officiers sont obligés de rejoindre leurs corps
au plutôt ; et tout se prépare pour que la garnison , de
Stockholm soit prête à marcher au premier signal .
On travaille aussi avec une activité étonnante à équiper
deux flottes ; l'une de vaisseaux de ligne , et l'autre
de bâtimens plats pour agir sur les côtes .
Tandis que de si formidables obstacles s'élevent
en Suede contre les envahissemens que Catherine II
peut méditer , il paraît que l'on veut lui disputer
ceux qu'elle a consommés en Pologne . Nous ne parlerons
pas des discussions qui existent relativement
à la demarcation des limites entre les puissances copartageantes
. Ces discussions pourraient sans doute
se terminer facilement. Mais une insurrection formidable
s'annonce ; et si les sentimens de la liberté , de
l'amour de la patrie ne sont pas étouffés dans le coeur
des Polonais , on peut prévoir qu'elle aura de rapides
succès . Huit mille d'entr'eux , échappés aux Russes
lors de la prise de la Podolie , et réfugiés sur le ter
ritoire ottoman viennent de s'avancer jusqu'à
Szwanseck près de Kaminieck , conduits par les généraux
Denizko , Hollizko et Liberadeski , tous trois
célebres , tous trois recommandables par leur devouement
à la cause publique . Ils ont répandu un manifeste
par lequel ils appellent aux armes leurs concitoyens
; et leur donnent l'espérance d'être soutenus
par la Porte.

Les opérations de cette puissance ont dû être suspendues
pendant le ramaham , carême des Musul,
mans , observé avec une exactitude si sévere , que
les journées entieres suffisent à peine aux exercices
G4
( 104 )
}
pieux , et qu'il ne reste aucun moment que l'on puisse
´employer aux affaires . En conséquence , on n'a point
de nouvelles récentes des troupes qui étaient en
mouvement pour se rendre à Andrinople . On sait
seulement que leur marche et que les autres dispo
sitions militaires de la Porte ont éveillé les inquiétudes
du ministre de Russie . Il a demandé quel en
était l'objet. On lui a répondu que tous les préparatifs
dont il s'alarmait étaient nécessités par la persé
vérance de Passan-Oglou dans sa rébellion ; que c'était
contre ce pacha que devait marcher l'armée rassemblée
sous les murs d'Andrinople ; et que pour
le tranquilliser complettement , la Porte l'assurait
que pas un homme de cette armée ne passerait le
Danube . Peu satisfait de cette réponse , M. Kotschubey
a demandé la permission d'envoyer à Andrinople
un homme de confiance pour prendre connaissance
de la véritable force ottomane ; et l'on dit qu'il a
obtenu cette permission . Cette condescendance estelle
un trait de politique ? n'est- elle qu'un acte de
faiblesse D'après quelques rapports qui assurent
Passan- Oglou a accepté le pardon qui lui a été
offert , et qu'il a promis de faire payer au district de
Widdin les impositions auxquelles il s'était toujours
refusé , on doit croire que toute la conduite du Divan
ne tend qu'à donner le change sur ses véritables intentions
, jusqu'à ce qu'elle ait completté toutes ses mesures
, non- seulement
pour entrer en campagne avec
avantage contre les Russes , mais aussi pour se concilier
la faveur de ses sujets , peu disposés à une
guerre nouvelle , et parmi lesquels la disette des
objets de premiere nécessité a excité de grands méque
( 105 )
contentemens. Ses efforts. pour ramener l'abondance
ont eu du succès ; et l'on est déja assuré que le pain
ne manquera pas , et se soutiendra à un prix modique.
De Francfort-sur- le - Mein , le 39 avril.
Le grand conseil de guerre , dans lequel le plan
des opérations pour la prochaine campagne a été
arrêté , devait se tenir à Manheim. L'archiduc Charles
l'a convoqué à Mayence . Tous les généraux divisionnaires
y ont été appellés . Le général Wurmser a reçu
aussi ordre de s'y rendre . Il paraît que les princi
paux efforts des Autrichiens se porteront vers le Bas-
Rhin . Pour les seconder , l'électeur de Mayence a
fait lever 2,400 hommes de nouvelles recrues dans
ses états ; il a aussi ouvert un emprunt de 600,000 fiorins
. Mais personne ne s'empresse d'y contribuer.
On sait que la chambre impériale de Wetzlar avait
demandé à l'empereur « quelle devait être sa conduite
au cas que les Français pénétrassent de nouveau
jusqu'à elle , et que la ligne de démarcation ne
fût plus respectée ? Sa majesté impériale , dans la
réponse qu'elle a donnée à cet égard , s'est plaint du
peu de confiance de la chambre en Dieu et dans le
courage des troupes autrichiennes."
99
On mande de Vienne que le comte Manfredini y
est arrivé de Florence avec la mission de demander
l'intervention de la cour impériale sur une difficulté
assez grave qui s'éleve dans ce moment entre le roi
de Naples et le grand - duc de Toscane . Ce dernier ,
en conséquence de la neutralité qu'il a adoptée , a
( 106 )
refusé le passage , par ses états , aux troupes napolitaines
; le roi de Naples a déclaré , dit - on , qu'il voulait
obtenir ce passage de gré ou de force. On est
dans l'attente du parti que l'empereur prendra dans
cette occurrence .
ITALIE. De Gênes , le 20 avril
Le citoyen Faypoult , nouveau ministre de France
près notre République , est ici avec son épouse , son
secrétaire et toute sa suite .
Il s'est présenté à l'audience du doge , en habit
simple , suivi d'officiers et de négocians français établis
ici ; il lui a parlé en ces termes :
1
\
Sérénissime doge , le Directoire exécutif de la République
Française m'a choisi pour résider auprès de la république
de Gênes , en qualité de ministre plénipotentiaire .
Je viens de sa part assurer le sérénissime gouvernement ,
du vif'intérêt que la République Française prend à la prospérité
et la sûreté de la nation génoise . Ce sentiment est
une conséquence de l'estime naturelle et réciproque des
deux peuples , qui se sont signalés par leur courage et leur
énergie , lorsqu'ils ont eu à défendre ou à recouvrer leur
liberté. D'autres motifs aussi importans doivent , contribuer
à affermir pour toujours la bonne harmonie qui regne
entre Gênes et la France ; c'est le voisinage des deux pays ,
P'industrieuse activité de leurs habitans , l'antiquité de leurs
liens commerciaux et politiques , et finalement la situation
du territoire de Gênes , limitrope des deux puissances, qui ,
depuis si long- tems , méditent de les diviser , et celle de
la France , qui n'a aucun avantage à s'aggrandir à ses dépens.
La nation génoise et son gouvernement peuvent donc
être assurés des constans et continuels bons offices de la
mation française ; et en revanche , le gouvernement français
1
( 107 )
aua
droit de s'attendre à une réciprocité loyale et sincere de
la part du gouvernement de Gênes , et d'être persuadé qu'il
ne protégera jamais ces Français perfides qui sont
jourd'hui l'objet du mépris de tout l'univers , de ces émigrés
qui ont ignominieusement pris la fuite de leur patrie
pour conspirer contr'elle .
" Le Directoire , qui connaît toute l'étendue des devoirs
qui lui sont imposés par la confiance d'une grande nation ,
d'une nation libre , généreuse et magnanime ; le Directoire ,
qui a détruit le reste des ennemis qui troublaient encore la
tranquillité de la France , et dont les mesures énergiques garantissent
déja à toute l'Europe l'inaltérable affermissement
de sa constitution , doit et veut être fidele et sincère dans ses
rapports avec les nations étrangeres ; il veut que la justice et
la vérité soient la base de la diplomatie ; il croit enfin qu'il
est digne de la grandeur et de la générosité nationale de ne
pas borner ses soins aux intérêts de la France , mais de leg
étendre au bonheur des nations qui se montreront amies sinceres
des Français . Elles pourront donc à l'avenir considérer
sa justice et sa puissance comme une égide tutélaire de leur
conservation .
99
J'ai l'honneur de remettre au sérénissime doge més lettres
de créance , et de l'assurer que , dans l'exercice de mes fonctions
, je serai toujours animé du desir sincere d'être personnellement
agréable au sérénissime gouvernement de Gênes ,
et d'obtenir la confiance et l'estime de la nation génoise . "
Il a été dit dans quelques feuilles étrangeres que le gou
vernement français avait adressé de fortes plaintes à la répu •
blique de Venise , sur le séjour qu'on accordait au prince ,
l'aîné des freres de Louis XVI , sur són territoire , et qu'il
avait demandé son éloignement de Véronne . Ce rapport n'est
pas exact , et suivant les lettres de Venise , voici le fait.
Le ministre des relations extérieures , Charles Lacroix , a
témoigné , mais en particulier et non officiellement , au noble

( 108 )
Querini , ministre vénitien à Paris , quelque surprise sur
l'asyle qu'on donnait au ci - devant comte de Provence ; ce
que le noble Querini ayant communiqué au sénat ; ce ministre
a eu ordre de répondre en substance : Que la république
ne refusant jamais l'hospitalité à qui que se soit , se tenait
néanmoins dans les bornes des bons égards ; que d'ailleurs
l'ancien comité de salut public avait témoigné au sénat sa
satisfaction de ce que ce prince se tenait plutôt dans les états
vénitiens qu'ailleurs ; qu'ainsi , le sénat se flattait , que le
Directoire exécutif voudrait bien à cet égard ne point s'écarter
des principes et des sentimens déclarés par l'ancien comité. ›
Le ministre Lacroix instruit en particulier , et non officiellement
, de cette façon de penser du gouvernement vénitien , a
témoigné y acquiescer .
7
Les lettres de Corse s'accordent à dire que le drapeau
tricolor est arboré dans cette isle , et que l'insurrection
y est commencée. Le gouverneur avait
envoyé 400 hommes de milice pour forcer les habitans
du canton de Borgnone au paiement de leurs
contributions. Les paysans , au nombre de 3000 , ont
cerné et désarmé les 400 hommes , et fusillé trois des
chefs qu'ils avaient gardé en ôtage . Plusieurs autres
cantons ont suivi cet exemple et , sur la requisition
du vice-roi , les habitans du cap de Corse et de Bastia
ont refusé de marcher contre les rebelles. Des magasins
considérables ont été brûlés à Fiorenzo , dont
les habitans sont aussi en insurrection . Un bataillon
corse a disparu tout entier à l'instant où on voulait
le faire embarquer pour Ajaccio . Ces favorables dispositions
des Corses en faveur des Français , sont attribuées
au rapport fait en faveur des Corses émigrés ,
et à la confiance que le gouvernement a accordée à
leurs compatriotes Buonaparte et Salicetti.
( 109 )
ESPAGNE. De Madrid , le 15 avril.
La cour d'Espagne continue à donner des preuves
de la loyauté avec laquelle elle a souscrit à une pacification
qui doit être d'autant plus durable , qu'elle
est fondée sur l'intérêt commun qui détermine cet
état , ainsi que la France , à résister aux projets ambitieux
de la Grande-Bretagne . La cession de la partie
espagnole de Saint - Domingue a été effectuée ; les
biens des Français proscrits sont rendus , et des mesures
sont prises aujourd'hui , d'un commun accord,
pour rétablir les relations habituelles de commerce
entre les deux peuples .
Une lettre du citoyen Dhermand , chargé des affaires
de la République Française en Espagne , en date
du 15 germinal , an 4 , annonce qu'il a obtenu du gouvernement
espagnol le libre transit des marchandises
des fabriques françaises , destinées pour Cadix . Le
Prince de la Paix lui a écrit , à ce sujet , ce qui suit :
Extrait de la lettre du Prince de la Paix au chargé des affaires de
la République Française.
D'après la note que vous m'avez adressée le 3 février
sur le libre passage des marchandises françaises par les douanes
d'Agreda et de Victoria jusqu'à Cadix , je me suis informé
comment l'Espagne en avait agi pendant la guerre précédente
de l'Angleterre avec la France . Le ministre des affaires doe
mestiques m'a donné les instructions nécessaires à ce sujet.
J'en ai informé le roi , qui n'a vu aucun inconvénient à ce que
le transit desdites marchandises soit accordé avec les mêmes
formalités usitées pendant la présente guerre de l'Angleterre
avec la France ; en conséquence , vous en instruirez votre
gouvernement. "
( 110 )
Le général Pérignon , ambassadeur de la République
, est arrivé à Madrid le 22 du mois dernier.
Son entrée dans cette capitale n'a point été marquée
par un apparat fastueux . Elle a reçu du peuple
espagnol un caractere plus auguste et plus touchant.
Son empressement , ses signes de joie , ses salutations
étaient aussi agréables pour cet ambassadeur , que
désespérantes pour les émissaires que nos ennemis
avaient répandus sur son passage . L'affluence du
peuple , dans la cour et sous le péristille de l'hôtel
qui lui était destiné , était considérable . Descendu de
voiture , il lui fut difficile , mais bien doux , de percer
cette foule qui , par des cris de vive la République Française
! et de vive son ambassadeur ! exprimait librement,
et à- la - fois , le sentiment de son fection , et de celui
de ses véritables intérêts .
Le soir même et le lendemain , ces airs chéris qui
conduisent toujours nos phalanges républicaines à la
victoire , ont été exécutés par les musiques des corps
civils et militaires , avec une précision si parfaite ,
que je suis persuadé qu'ils seraient propices aux
armes espagnoles unies aux armes de la République .
Ces hommages , également honorables pour le peuple
qui les a spontanément décernés , et pour l'ambassadeur
qui les a reçus avec autant de noblesse que de
modestie , doivent être regardés comme un triomphe
de la République sur les lâches détracteurs qui intriguent
vainement pour éloigner d'elle les nations
et leurs gouvernemens .
Notre flotte destinée pour la Méditerranée doit être
composée de 23 vaisseaux de ligne , quinze frégates'
et quatre corvettes. Un armement aussi formidable
~
( 11 )
ne peut laisser douter que l'intention de notre cabinet
ne soit de faire respecter sa neutralité par l'Angleterre
, qui n'a pu voir qu'avec beaucoup de dépit
la paix particuliere qu'il a faite avec la France , et son
attention à en faire exécuter toutes les stipulations .
SUISSE. De Basle , le 19 avril.
L'ambassadeur de la République Française a remis
au canton de Basle une note du Directoire , relative
aux projets d'invasion qu'il connaissait au prince de
Condé . Nous transcrivons ici cette piece , et la réponse
qui y a été faite.
Déclaration du Directoire exécutif à l'état de Basle ; Paris ,
6 germinal.
Le Directoire exécutif ayant été informé que l'année
derniere il avait existé un plan d'attaque contre les frontieres
de la France , dont l'objet avait cté de porter le
corps des émigrés , sous les ordres du prince de Condé ,
d'abord dans le Frickthal , et de ce point , traversant le
territoire , du canton de Basle , d'effectuer ensuite une invasion
dans les départemens. du Haut- Rhin , du Mont-
Terrible , du Doubs et du Jura ; que ce pian , loin d'être
abandonné vient d'être repris , et qu'il se fait maintenant
de nouveaux préparatifs pour le mettre à exécution ; que
les preuves matérielles de ce fait ont été mises sous ses
yeux avec les noms , qualités et professions de plusieurs
bitans de la Suisse , qui emploient avec une ardeur trèscoupable
leur influence et leur credit pour faire réussir
un projet si contraire à l'amitié , qui depuis si long-tems
unit les deux peuples que les intentions connues d'une
partie des magistrats et des citoyens les plus influans de la
ville de Basle , ne sont pas faites pour rassurer le Directoire
, puisqu'il est notoire qu'ils traitent avec autant de
défaveur les amis de la République Française qu'ils marquent
de complaisance et de prédilection pour tout ce qui concerne
le service des armées de l'empereur , et pour lui
procurer de l'argent ; qu'ainsi tout doit faire présumer que
dans le cas où les armées ennemies oseraient tenter Fin
י
( 112 )
vasion projettée , et à cet effet , auraient violé le territoire
du canton de Basle , elles ne trouveraient aucune résistance
efficace , et que les magistrats composant le gouvernement
de cette ville se borneraient à chercher dans la
faiblesse de leurs moyens de résistance , un prétexte pour
couvrir une aussi sérieuse atteinte portée à la neutralité ,
et pour se mettre à l'abri des suites qu'elle pourrait entraîner
contr'eux ; qu'ainsi il n'existe pas , quant à présent ,
de garantie suffisante que ladite neutralité sera respectée .
9. Le Directoire , convaincu qu'il est de son devoir de
faire cesser cet état d'incertitude , et de savoir , s'il peut
compter sur la sûreté des frontieres de la république , correspondantes
au canton de Basle , déclare aux magistrats
de cette ville et canton , que dans le cas où l'ennemi continuerait
à faire des dispositions hostiles pour exécuter son
plan d'invasion , et où ils ne prendraient pas de précautions
énergiques , suffisantes et non suspectes , pour defendre leur
propre territoire , et maintenir le respect dû à la neutralité ,
il a résolu de prendre toutes les mesures que les circons
tances lui commanderont pour garantir les départemens
frontieres de toute espece d'insulte , et qu'il les rend
responsables des suites fâcheuses qui pourraient résulter des
opérations militaires .
La présente déclaration sera remise officiellement au
gouvernement de Basles .
Lettre des magistrats de Basle au citoyen Barthélemy , ambassadeur
de la République Française auprès des cantons suisses.
ger-
Votre excellence nous a adressé , avec sa lettre du 15
minal ( 5 avril ) , un écrit du Directoire exécutif , qui semble
être un arrêté extrait de ses registres . Nous passons
sur une forme aussi inusitée , parce que nous devons supposer
que c'est par erreur qu'on nous l'a envoyé de cette
maniere , et croire que le gouvernement a voulu uniquement
nous faire connaître par son ministre des affaires étrangeres ,
le résultat de ses délibérations . Mais si la forme de cet écrit
nous a paru étrange , sa teneur a dû nous paraître bien plus
étrange encore , comme votre excellence en sera convaincue
par notre réponse.
que
le corps
" Le Directoire exécutif nous dit des émigrés
a le projet de tenter une invasion par notre territoire
. Il ne nous appartient pas de révoquer en doute les
preuves qu'il a en main ; mais nous devons pourtant observer
qu'à l'ouverture de chaque campagne le bruit d'un tel projet
s'est
( 113 )
s'est répandu dans le public , sans que jamais il ait été mis ♣
exécution ; en sorte que réellement nous ne savons point
encore si ces bruits n'étaient qu'une ruse de guerre , ou si
ce dessein n'a été abandonné que parce que l'on a douté de
son succès , ou parce que d'autres circonstances , regardées
comme essentielles et sur lesquelles on comptait , ont été
attendues en vain ; ou enfin , ce qui est bien plus vraisemblable
, parce que le cabinet de Vienne , qui respecte notre
neutralité , a défendu de troubler le repos d'un peuple indé
pendant , qui , depuis plusieurs siecles , content de ses propres
traités , n'a jamais pris la moindre part aux dissentions des
grandes puissances de l'Europe . D'ailleurs , nous assurons
qu il n'y a actuellement aucune espece de danger ; le corps
des émigrés est assez loin de nos frontieres ; ses forces ne
sont point suffisantes pour le plan qu'on leur suppose , et on
ne remarque aucune des dispositions et des préparatifs que ce
-plan exigerait.
Le deuxieme article de la note du Directoire , relatif
à la défense de notre territoire , exige de nous sous ce
rapport une garantie suffisante. Aucun peuple neutre ne peut
en donner une telle. Si les puissances belligérantes , avec
leurs forteresses , leurs lignes formidables , leurs armées et
la réunion de toutes leurs forces , ne peuvent souvent protéger
leurs propres provinces contre une invasion ennemie ,
un peuple neutre le peut bien moins , et le rassemblement de
ses soldats , loin de lui gaïantir sa sûreté , ferait naître nécessairement
la méfiance . D'ailleurs , les dépenses qu'exigerait
une telle mesure , sont bien au- dessus de nos forces , chaque
jour plus affaiblies par le malheur des tems . Mais il est une
autre espece de garantie , qui l'emporte selon nous sur celle
que l'on pourrait fonder sur des forces militaires réunies ;
et cette garantie est dans la promesse des puissances et dans
leur intérêt ; elle est dans la ferme résolution qu'ont prise
à l'unanimité les cantons suisses , de ne point s'écarter des
principes de scrupuleuse neutralité qu'ils ont héritée de leurs
ancêtres , et dans la connaissance intime qu ont leurs voisins
de cette résolution ; elle est dans les difficultés que le
lui- même opposerait au passage , puisque le parti agresseur
pays
aurait sa retraite coupée sans espoir, par l'arrivée des contingens
de nos confédérés , prêts à venger avec autant d'ardeur
une insulte faite à notre neutralité , qu'ils sont religieux à
l'observer.
" Nous venons aux reproches que fait le Directoire aux
magistrats de Basle et à quelques bourgeois de notre canton
Tome XXII. H
ރ
( 114 )
et d'autres cantons . Une dénonciation vague est sans exem.
ple . L'opinion et la volonté du souverain dans les républiques
se manifestent par les résolutions qu'il prend solennellement,
et non pas par la façon de penser de quelques particuliers
. Bien plus , quelques divergentes que puissent être
en elles ces opinions individuelles , néanmoins elles convergent
toutes en un point commun , et ce point est l'amour
de la patrie et la conviction que la plus stricte neutralité est
le fondement de notre existence politique . On nous gagne
par la droiture , la bienveillance et l'amitié ; nos coeurs s'alienent
par des reproches vagues et des démonstrations de
méfiance. Que serait- ce , si une telle méfiance avait pour cause
de simples nouvelles données par des hommes qui , par des
vues coupables , inspirées par la vengeance , la haine ou
l'ambition , auraient exagéré ce qui en soi était insignifiant ,
auraient peint avec des couleurs violentes ce qui était indifférent
, et auraient tû ce qui pouvait faire connaître le véritable
esprit de nos vues et de nos démarches politiques ?
Enfin , le Directoire nous rend responsables des opérations
de la guerre. Nous savons que tout gouvernement a à
répondre des fautes qu'il fait avec connaissance de cause , par
l'oubli de ses devoirs et de ses sermens ; mais , tranquilles et
calmes d'après nos principes , orgueilleux du sentiment de
franchise et d'immuabilité , seule boussole de toutes nos négociations
, nous nous chargeons de cette responsabilité :
nous ne sommes tous qu'un , et nous pouvons compter nonseulement
sur les habitans de notre canton , mais sur tous les
membres de la confédération .
1 Votre excellence , pendant le cours de sa mission difficile
, a été animée pour nous de sentimens biens différens ,
et le Directoire lui a tout récemment exprimé à ce sujet sa
satisfaction . Nous ne doutons nullement que , présentée par
vous , la réponse que nous vous envoyons , d'après une délibération
avec les représentans du corps helvetique , ne soit
favorablement accueillie .
,, Nous prions Dieu de vous accorder son saint et puissant
appui. 29
Basle , 9 avril 1796.
Signé , les bourguemestres et les conseillers de la ville et
canton de Basle .
Le citoyen Barthelemy a dénoncé une femme nommée
Rippel qui favorisait les émigrés .
( 115 )
Il a été ordonné à cette femme de ne plus souffrir
qu'ils se rassemblassent chez elle ; de ne plus s'immiscer
dans leur correspondance , sous peine d'être
privée de son droit de citoyenne , et d'être expulsée
de la ville . Les lettres qui lui seront adressées seront
ouvertes et lues , en sa présence , en plein sénat .
ANGLETERRE. De Londres , le 29 avril.
L'escadre de sir Edward Pellew croise maintenant près
des côtes de France à l'embouchure de la Loire , non loin
de Nantes .
Sir Edward Pelley a débarqué beaucoup d'armes et de
munitions pour les royalistes de cette contrée qui ont refusé
l'argent qui leur a été offert , en lui déclarant qu'ils n'avaient
besoin que d'armes.
Les ainiraux Duncan et Pingle , ont fait voile avec leur
escadre pour la Norwege , afin d'y chercher la flotte hollandaise
sortie du Texel .
L'amiral Mann , après avoir escorté jusqu'à une certaine
hauteur la flotte marchande de la Méditerranée , est retourné
dans les parages de Cadi , pour y attendre la sortie
de la flotte française de l'amiral Richéry.
Il paraît une proclamation du roi , qui défend qu'aucun
étranger venant directement des ports de France , ou de
ceux qui sont sous la domination des personnes exerçant
actuellement le pouvoir en France , soit débarqué par quelque
bâtiment que ce soit , dans aucun autre endroit où port du
royaume , que Yarmouth , Harwich , Douvres , Southampton
et Gravesend , sans la permission expresse de sa majesté.
Cette défense ne s'étend point aux ambassadeeuurs étrangers ,
ni à leur suite , ni aux personnes qui sont actuellement au
service des Anglais.
La princesse héréditaire d'Orange , invitée par le roi de
Prusse , son pere , à faire un voyage à Lerlin , quitta jeudi
dernier avec son fils , âgé de trois ans , le palais de Hamptoncourt
, accompagnée du prince et de la princesse d'Orange
et de l'envoyé prussien Jacobi , qui fait tous les arrangemens
nécessaires pour ce départ. Elle arriva le premier de ce
mois à Yarmouth , où elle reçut les complimens de la ré
gence ainsi que les honneurs militaires . Elle demeurera dans
Ня
( 116 )
!
la maison de sir Edmund jusqu'à l'arrivée de la frégate destinée
à escorter le paquebot prêt à la recevoir.
La gazette ministérielle du 4 de ce mois contient des
dépêches de Trinconomale , dans l'isle de Ceilan , du 10
octobre . Elles annoncent la prise des forts hollandais Batticalo
, Puntovedro et Molictipoë , dans la même isle , ainsi
que de Finland -Manar et Chiusura. La feuille d'aujourd'hui
donne des détails plus circonstanciés sur la reddition de Malaca,
qui a eu lieu le 17 août . Les Anglais n'y ont pas rencontré
la plus légere résistance ; tous les forts , hérissés de canons ,
leur ont été remis . De leur côté , ils ont fait flotter à côté
du pavillon britannique celui des hollandais : la garnison de
ces derniers , composée de cent soixante hommes , a conservé
ses armes , et les vainqueurs se sont contentés de placer
un commandant anglais à Malaca. Cette conquête , dit l'amiral
Rainier , dans son rapport , est d'autant plus considérable ,
qu'elle assure le commerce des Anglais par le détroit de
Malaca et la mer de la Chine .
D'après les nouvelles que donnent les généraux Harvey et
Duncan , la flotte hollandaise , sortie du Texel , a dirigé
sa course non vers Bergen , mais aux Indes orientales .
"
JA
REPUBLIQUE FRANÇAISE.
CORPS LÉGISLATI F.
{ Séances des deux conseils , du 6 au 15 floréal,
Le conseil des Cinq- cents sur le rapport d'une commission
ad hoc passe unanimement à l'ordre du jour
2 sur le message du Directoire , qui demandait de confier
au ministre de la justice les opérations préliminaires
à lajradiation définitive de la liste des émigrés ,
attribuée par la loi du 28 pluviôse à celui de la police
générale .
Le rapporteur a fait sentir que rapporter cette loi ,
ces erait tomber dans une versatilité toujours condamnable
dans des législateurs et supposer au conseil un
artierc- pensée qui ne fut jamais dans son esprit . I
a ajouté qu'on ne doit jamais rapporter une loi sans
( 117 )
utilité et même sans nécessité . Ces principes ont obtenu
, comme ils le devaient , la sanction générale .
Le conseil des Anciens approuve la résolution qui´
porte que l'armée d'Italie ne cesse de bien mériter
de la pat ie , et celle qui désigne les timbres dont
serout frappés les mandats territoriaux ,
Un membre fait un rapport sur l'instruction relative
au nouveau mode de vente des biens nationaux .
Il annonce qu'elle est purgée de tous les vices qui
défiguraient l'ancienne , et que le conseil avait été
forcé de rejetter . L'orateur en se fondant sur des raisons
de nécessité absolue en propose l'adoption . Elle
est approuvée .
Lakanal appelle l'attention du conseil des Cinqcents
, sur l'article Ier . du réglement de l'institut national
, portant la publicité de toutes les séances , et
en développe les inconvéniens . Il est appuyé par
Doulcet qui dit qu'il en résultera que chacun de ses
membres voudra faire de l'esprit , courir après la rénommée
et prononcera des discours boursoufflés . La
disposition de cet article est rapportée.
Le projet de résolution en faveur des veuves et
enfans des représentans du peuple morts victimes de
la tyrannie , est présenté de nouveau par Bailleul ,
et adopté.

Thomas Payne fait hommage d'un ouvrage de su
composition sur la décadence du systême des finances
en Angleterre . Il s'attache à prouver que le gouvernement
anglais est insolvable , et il détruit les bases
surlesquelles il appuie son crédit . Mention honorable .
Barbé- Marbois fait au conseil des Anciens le rapport
sur la résolution relative aux prises maritimes .
Quand même on objecterait , dit il , que les tribunaux
de département , chargés de prononcer sur les causes
de ce genre , n'ont pas une connaissance assez profonde
du droit des gens , ce ne serait en quelque sorte
rien dire ; car leurs jugemens joindront à la promptis
tude et à l'impartialité , l'avantage d'etre portés d'après
la connaissance des lieux et des personnes . Il
conclut pour l'adoption ; décrété .

Doulcet rappellant le trait à jamais mémorable de
H 3
( 118 )
l'armée d'Italie , où quinze cents Républicains one.
fait le serment de mourir plutôt que de livrer un poste
attaqué par quinze mille Autrichiens , ajoute que
la derniere victoire a fait connaître bien des héros ;
mais qu'elle a fait aussi des martyrs à la liberté , et ik
demande que la commission chargée de préseuter
le mode de célébrer la fête des victoires , y joigne
celui d'honorer les défenseurs de la patrie , morts
dans les derniers combats livrés par cette armée ,
Cette proposition est accueillie à l'unanimité.
Lors de la pacification de la Vendée , une amnistie
avait condamné à l'oubli la révolte des rébelles
qui se soumettront aux lois de la Republicus,
et cette grace avait été ratifiée par la loi du 8 floréal
; mais il s'éleve des difficultés dans l'applica
tion de la loi des individus condamnés prétendent
être compris dans l'amnistie . Le Directoire
par un message provoque l'explication de cette
loi . La commission qui a examiné la question propose
un projet de résolution conçue en ces termes &
La loi du 8 floréal n'est applicable qu'aux individus
qui depuis l'amnistie ont été constamment
soumis aux lois de la République , et pour des
faits relatifs à la rébellion . Elle est adoptée .
Camus déclare que les états des dépenses des bus
reaux des divers ministeres gressissent d'une ma
niere effrayante . Pour remédier à ce mal , il veur
qu'en fixe un maximum qu'il porte à huit mille francs.
Beffroy dit que la question est celle-ci : Réduira - t- on
les traitemens ou le nombre des employés ? It pense
qu'il serait plus convenable de supprimer des emplois
inutiles que d'établir un maximum pour cet objet .
Treilhard voudrait qu'on affectât à chaque ministre
une somme déterminée pour les dépenses de leurs
bureaux .
Camus s'empare de cette idée , et fait résoudre que
les dépenses des bureaux du ministere de l'intérieur
n'excéderont pas cent mille francs par mois .
Le conseil des Anciens donne sa sanction à une
#ésolution qui rapporte la loi du 23 brumaire rela(
rig )
tive aux enfouissemens des matieres d'or et d'argent ,
diamans , bijoux .
La discussion s'ouvre dans celui des Cinq - cents sur
les prêtres réfractaires. Durach parle contre le projet.
Il observe que le législateur ne doit pas punir en
1766 le refus de prêter un serment exigé en 1790 ,
que ce serment tenait à une constitution civile du
clergé , loi aussi dangereuse que ridicule , et qui à
été solemnellement reconnue incompatible avec le
gouvernement républicain. Ne craignez -vous pas , dit
ce membre , de ranimer le fanatisme , de rallumer les
feux de la guerre civile ? La constitution ne vous défend
elle pas de ressusciter ces lois barbares qui ont
fait tant d'ennemis à la République ?
Camus interrompt la discussion pour être entendu
sur les finances. Cet incident produit le plus grand
trouble dans l'Assemblée , au point que le président
est forcé de se couvrir. Le calme rétabli , Camus rend
compte des manoeuvres employées pour discréditer
les mandats. I annonce que la commission fera un
prompt rapport sur les moyens d'accélérer l'échange
des assignats , et il demande qu'il soit fait un message
au Directoire , pour savoir de lui quels moyens
il a employé pour assurer aux porteurs de mandats
les biens nationaux qu'ils voudront acquérir. Le message
est arrêté. On revient à la discussion sur les
prêtres on parle pour et contre le projet. La déclaration
d'urgence fait le sujet de nouveaux débats
elle est néanmoins reconnue , et une partie des articles
de la nouvelle loi est adoptée . La discussion
sur le reste est renvoyée au lendemain.

Le Directoire envoie un message en faveur des
femmes et enfans indigens des émigrés , et invite le
conseil des Cinq- cents à s'occuper de leur sort . Il
demande aussi une loi prohibitive du commerce
de la poudre à tirer , sans autorisation du gouver,
nement, Une commission est nommée pour faire un
rapport.
Dans plusieurs départemens , le fanatisme dévore
les campagnes , les magistrats et les bons citoyens
< ne déploient souvent qu'um zele inutile , parce qu'ils
H 4
( 120 )
se trouvent sans force pour arrêter les désordres ; il
importe de faire à ce sujet une loi repressive contre
la malveillance ou l'insousiance de ceux qui négligent
de faire le service de la garde nationale . Ce message
du Directoire est encore renvoyé à une commission ..
On reprend la discussion du projet contre les
prêtres qui ont refusé ou retracté les sermens qui
leur ont été prescrits . Le 3 ° . article qui frappe de la
déportation ceux contre lesquels cette peine a été
prononcée par arrêtés de départemens , excire quelques
débats , parce qu'on y voit de l'arbitraire . L'article
est renvoyé à la commission , de même que
plusieurs amendemens , l'un portant exception en
faveur des prêtres qui se sont mariés , ou qui combattent
aux frontieres ; l'autre qui veut que les déportés
soient conduits de brigade en brigade aux
frontieres à leurs frais ou à ceux de la République s'ils
sont dans le besoin .
Goupil- Préfeln fait au conseil des Anciens le rapport
sur la résolution relative au séquestre des biens des
peres et meres d'émigrés . L'orateur établit d'abord
que la justice n'est que l'emploi de la bienveillance
universelle appliquée par une raison droite à régler
les conflits qui peuvent s'élever entre les intérêts des
particuliers. Il appuie cette définition du suffrage de
Cicéron et de Seneque La conséquence qu'il en tire ,
c'est que la puissance publique ne peut imposer de
charges quelconques qu'à titre d'intérêt commun , et
qu'elle ne peut dépouiller aucun individu , même
pour l'intérêt commun sans une indemnité préalable .
Il passe ensuite à l'examen de la question . Le sé
questre n'est selon lui qu'une saisie provisoire , qui
par mesure de sûreté générale suspend l'exercice des
droits de la propriété . Or , n'est - ce pas la sûreté publique
qui veut que le numéraire restant en France
ne puisse en sortir pour aller se perdre dans les mains,
de ses plus farouches ennemis ? Sans doute , un petit
fils peut être émigré sans laveu de son ayeul ; mais
qui vous assurera que ce dernier aura la fermeté nécessaire
pour lui refuser des secours pécuniaires sil
connaît le tableau de la misere du coupable . Toutes,
( 121 )
les fois donc que le séquestre est la senle mesure
d'assurer le repos public , elle devient nécessaire .
Mais , dit- on , faut il punir l'innocent pour le cou-
`pable ? Non , il ne le faut pas ; mais le séquestre n'est
que provisoire , et il n'est pas une punition. Le rapporteur
conclut pour l adoption de la résolution.
Le mode de contribution pour l'an IV , fait au
conseil des Cinq- cents objet de la discussion.
Simeon prononce un discours en faveur de l'impôt
en nature . Tout systême de contribution a ses avantages
et ses inconvéniens. Le paiement en argent
donne naissance à une foule d'injustices et de vexations.
Quelie que soit la récolte , bonne ou mauvaise
, il faut toujours payer la même somme en
argent. Celui en nature au contraire , est proportionné
aux productions . Le contribuable a - t- il reçu
beaucoup ? il paie beaucoup . Reçoit- t il peu ? ib
paie peu. La grêle a - t - elle dévasté ses moissons ?
i ne paie rien . Fst-il un systême plus conforme
aux regles de la justice ? Mais dit - on , la contribution
en nature , donne naissance à une foule
de dilapidations : oui sans doute , mais il faut par
de bonnes lois , rigoureusement exécutées , enchaîner
la cupidité des dilapidateurs .
Béfroy succede à Siméon , et parle dans le même
sens ; il s'attache moins à développer les principes
et les avantages de l'impôt en nature qu'à réfuter
les objections qu'on oppose à sa perception . On
parle beaucoup des frais de transports et d'em
magasinement. Ceux qui font de telles objections
ignorent ou feignent d'ignorer les frais énormes
que le gouvernement est obligé de faire , pour
transporter dans les grandes communes qu'il faut
approvisionner les bleds achetés . Ainsi dans tous
les systêmes , les frais de transport seront considérables.
Ces deux discours seront imprimés .
Sur la proposition de Camus , organe de la commission
des finances , le conseil s'est formé en
comité général .
On s'y est occupé des moyens de donner aux assignats
un écoulement plus prompt et plus facile , ca
les admettant à l'acquisition des domaines nationaux
à cent capitaux pour un . Ce projet a été rejetté par
la question préalable . Camus , rapporteur de la commission
, a annoncé qu'elle combinerait avec le ministre
des finances un mode pour accélérer l'échange ,
soit en hâtant la fabrication des mandats , soit en
faisant échanger contre des récépissés de la trésorerie à
raison de trente capitaux pour un.
Un membre fait lecture pour la 3e . fois du projet
relatif au classement des dépenses. Celles qui ont
rapport à l'administration générale de la République ,
devront être acquittées par le trésor public ; celles
qui sont particulieres à un département ou à un
canton , devront l'être au moyen des sous additionnels
aux contributions .
La discussion allait s'ouvrir, lorsque Camus , chargé
du rapport sur la loi d'amnistie , réclame la parole
et l'obtient. Il dit que celle qui a été rendue n'est
ni complette , ni claire , ni précise . Il ne s'agit pas de
savoir s'il y aura une loi d'amnistie . Cette question
est résolue par la loi du 4 brumaire ; mais si ellesera
générale , c'est- à dire , si on violera les principes
qui veulent que toute loi soit générale. Il conclut
en proposant que l'amnistie s'étende sur tous les
délits commis pour cause de la révolution depuis
le 14 juillet 1789 , jusqu'au 4 brumaire . Impression et
ajournement.
Le Directoire annonce qu'il ne reste en circulation
que 24 milliards d'assignats , et qu'il n'est encore sorti
du trésor public que 150 millions de promesses de
mandats , dont cinquante sont rentrés .
Lanjuinais entretient le conseil des Anciens de la
résolution qui regle la maniere de procéder dans les
affaires criminelles où le témoignage des militaires
est néessaire . Il observe que l'article 1er . laisse indécise
la question de savoir s'il n'est pas dangereux de faire
quitter à des militaires les postes dont la garde leur
a été confiée pour les faire comparaître devant des
jurés de jugement. Il trouve d'ailleurs que la résolution
fourmille d'inconstitutionnalités , et il en propose
le rejet. La discussion est ajournée .
( 123 )
PARIS. Nonidi 19 floréal , l'an 4º . de la République.
Le conseil des Cinq- cents qui s'était formé en comité génés
ral pour délibérer sur les moyens de donner du crédit aux
mandats , en diminuant la masse des assignats a rendu sa
séance publique , et a adopté une résolution dont voici les
dispositions principales :
1º . Le paiement des biens nationaux pourra être fait avec
les assignats de dix mille et de deux mille francs , à 30 capitaux
pour un ; mais seulement pour solde d un quart du dernier
tiers du montant de l'adjudication .
·
2º . Ces assignats ne seront admis en paiement , qu'à condition
qu'ils seront déposés , dans le delai d'une décade
pour le département de la Seine , et de deux décades pour
les autres départemens , dans les bureaux d'enregistrement et
d'adjudication .
30. Tous les assignats , ainsi consignés ou déposés , seront
bâtonnés , et il en sera delivré aux porteurs des récépissés
qu'on admettra en paiement des biens nationaux , comme ik
est spécifié par un article précédent .
4°. Ces assignats consignes , qui ne seront pas employés en
paiement des biens nationaux , seront échangés contre des
mandats , conformément à la loi du 28 ventôse ; ceux qui
n'auront pas été consignés dans les délais , seront nuls .
5º. Il sera rendu compte , toutes les décades , de la quan
tité de ces assignats , employée en paiement de biens nationaux
, à l'effet de réduire d'autant la fabribation des mandats .
6º. Ces assignats qui se trouvent dans des dépôts judiciaires
, seront censés consignés . Ceux qui sont sous les
scellés seront déposés dans les dix jours de la levée des
scellés ; leurs séries et leur quantité seront constatées .
70. Ceux de ces assignats qui n'auront pas été employés en
paiement de biens nationaux , ne pourront être échangés
contre des mandats qu'après l'échange de toutes les coupures
inférieures.
Cette résolution a été portée par un messager au conseil des
Anciens , qui l'a rejettée à lunaminité .
On discute dans le conseil des Anciens la résolution concernant
le séquestre des biens des parens d'émigrés . On croit
que le conseil qui a déja rejetté une résolution dont le fonds
des dispositions était semblable , pourrait bien ne pas donner
sa sanction à celle - ci .
1
( 124 )
Les trois mois de la présidence du citoyen Letourneur , étant
expirés , le Directoire exécutif , suivant les formes constitutionnelles
, a choisi le citoyen Carnot pour le remplacer.
Dans la nuit du 9 au 10 de ce mois , le feu a pris dans une
des maisons où sont établis les bureaux de la marine . On s'en
est apperçu à quatre heures du matin ; des secours prompts ont
été portés ; le feu n'a consumé que quelques meubles , et
quelques papiers peu importans du secretariat .
Le Directoire exécutif s'était apperçu que des malveillans et
fauteurs de trouble et d'anarchie , travaillaient à corrompre ,.
par des écrits incendiaires et des manoeuvres coupables , l'esprit
de la légion de police . C'est ce qui l'avait déterminé à
demander au Corps législatif d'être autorisé à mettre cette
troupe à sa disposition. Lorsqu'on lui a donné ordre de
partir , le second et le troisieme bataillon cazernés à l'Estrapade
, ont refusé d'obéir. On a fait venir plusieurs corps de
troupes cantonnés dans les environs de Paris , pour les cerner.
Ils ont été désarmés et licenciés ; les plus mutins ont été
arrêtés . Une commission militaire a été nommée pour les
juger. Dans le même-tems le bataillon qui était à Versailles
donnait le même exemple de révolte . Il a été traité de la même
maniere . On les conduit à Metz sous l'escorte de forts déta--
chemens . Si l'on méconnaissait les manoeuvres des agens de
l'étranger , on aurait qu'à lire la lettre suivante .
Extrait d'une lettre de Basle , en date du 4 floréal , an 4 de la Rép.
• ci - devant prévôt-général de la maréchaussée , connu
à . .. , où il a une soeur , maîtresse de Malseigne , lorsque
les carabiniers étaient en garuison dans cette ville , est arrivé
il y a environ trois semaines , de Paris à Rheinfelden .
Cet émissaire de la coalition est venu annoncer au ministre
impérial en Suisse , à Viczam et an camp de Condé , que tout
était préparé à Paris et dans quelques départemens pour une
insurrection : que les terroristes , les désorganisateurs se
réuniront aux royalistes de Véronne , à ceux de 1791 et
aux montagnards orléanistes ; qu'on avait répandu de l'argent
parmi les troupes ; que la derniere heure du gouvernement
francais et du Corps legislatif allait sonner ; qu'avant un mois
là constitution de 1793 remplacerait celle de 1795 ; que
F'anarchie la plus complette serait la suite de ce grand événement
, et qu'alors le moment favorable de faire luire un
nouveau soleil serait arrivé , Comme il se trouve un errata
dans la prédiction de ..... .. , depuis le message du Directoire
et le decret des deux conseils , il se propose de re(
125 )
tourner sous peu de jours à Paris , par les gorges et les bois
du département du Mont-Terrible , pour savoir pourquoi
les stipendiaires de Pitt sont dans l'inaction , après avoir empoché
l'argent qu'on leur a distribué .
Pour extrait conforme :
Le ministre de la police générale . Signé , COCHON .
Prévôt , chef de la premiere demi-brigade de la légion
de police , est arrêté ; il paraît qu'il est complice de l'insubordination
de cette troupe . La seconde demi brigade , commandée
par le citoyen Poultier , a tenu une conduite bien differente
: quoiqu'il ne soit pas question de la faire partir , elle
a offert au Directoire d'aller par-tout où il y aurait des périls
à affronter : notre poste , a - t - elle -dit , sera par- tout où nous
servirons la patrie et la liberté . Le 3. bataillon de cette demibrigade
, cantonné à Choisy voulait partir pour mettre
les révoltés à la raison .
>
Le Directoire a chargé le général en chef de témoigner à
cette demi-brigade , combien il était satisfait de sa conduite
et de son dévouement dans les circonstances actuelles .
SUITE DES NOUVELLES DE L'ARMÉE D'ITALIE .
Le général en chef de l'armée d'Italie , au Directoire exécutif;
au quartier-général de Lezegno , le 3 floréal , an IV.
J'ai à vous rendre compte de la prise de Céva , du combat
de Mondovi , de notre entrée dans cette place .
Le 27 , le général divisionnaire Angerean partit de Montelezimo
et attaqua les redoutes qui défendent l'approche du
camp retranché de Céva ; 8 mille Piémontais les défendaient .
Les colonnes , commandées par les généraux Beyraud et
Joubert , se battirent tout le jour et se rendirent maîtres
du plus grand nombre . La perte de l'ennemi est évaluée de
3 à 400 hommes ; nous avons perdu le chef de la 39º . demibrigade.
L'ennemi craignit d'être tourné par Castellino ; il évacua la
nuit le camp retranché . Ala pointe du jour , le général Serrurier
entra dans la ville de Céva , et l'on investit la citadelle . Nous
avons trouvé dans la ville de Céva quelques ressources pour
nos subsistances .
L'armée piémontaise , chassée de Céva , prit des positions
au confluent de la Cursaglia et du Tanaro , ay nt sa droite
appuyée sur Notre-Dame de Vico , et son centre sur la
Bicoque . Le 1er . floréal , le général Serrurier attaqua la
droite de l'ennemi par le village de Saint-Michel. Il passa le
pont sous le feu des ennemis , les obligea , après trois heures
1
( 125 )
de combat , à évacuer le village mais le Tanaro n'étant
point guéable , la division qui devait attaquer la gauche
de l'ennemi , ne put l'inquiéter que par des tirailleurs . L'ennemi
se renforça sur sa droite , ce qui décida le général
Serrurier à la retraite , qu'il fit dans le meilleur ordre :
chacun , à la nuit , se trouva dans sa position . La perte de
Tennemi doit être d'environ 150 hommes.
La position de l'ennemi était formidable ; environnée de
deux rivieres rapides , profondes et tortueuses , il avait coupé
tous les ponts , et avait garni leurs bords de fortes batteries :
nous passâmes toute la journée du 2 à faire des dispositions ,
et à chercher réciproquement , par de fausses manoeuvres
cacher nos véritables intentions.
à
A deux heures après minuit , le général Massena passa le
Tanaro près de Céva , et vint occuper le village de Lezegno .
Les généraux de brigade Gnieux et Piorella s'emparerent du
pont de la Torre ; mon projet était de me porter sur Mondovi ,
et d'obliger l'ennemi à changer de champ de bataille ; cepenant
le général Colli , craignant l'issue d'un combat qui eût
été décisif sur une ligne aussi étendue , se mit , dès deux heures
après minuit , en pleine retraite , évacua toute son artillerie ,
et prit le chemin de Mondovi . A la pointe du jour , les
deux armées s'apperçurent , le combat commença dans le
village de Vico ; le général Guieux se porta sur la gauche de
Mondovi ; les généraux Florella et Dommartin attaquerent
et prirent la redoute qui couvrait le centre de l'ennemi ;
dès- lors l'armée sarde abandonna le champ de bataille ; le
soir même , nous entrâmes dans Mondovi
L'ennemi a perdu 1800 hommes , dont 1300 prisonniers ,
un général piémontais a été tué , et trois sont prisonniers ;
savoir , le lieutenant-général , comte de Leire ; le comte des
Flayes , colonel des gardes du roi de Sardaigne ; M. Matter ,
colonel-propriétaire du régiment de son nom , et 4 autres
colonels ; 11 drapeaux et 8 pieces de canon , dont 2 obusiers
et 15 caissons.
Les généraux , officiers et soldats ont parfaitement fait leur
devoir. Le général Despinay a rendu de grands services ,
ainsi que le général divisionnaire Berthier , chef de l'étatmajor
, chez qui les talens égalent l'activité , le patriotisme
et le courage.
Toute l'armée regrette avec raison le général de division
Stengel , blessé mortellement en chargeant à la tête d'un de
ses régimens de cavalerie .
Le 20. régiment de dragons , à la tête duquel a chazgé
le citoyen Murat , mon aide-de- camp , chef de brigade , s'est
distingué. Signé , BUONAPARTE.
( 127 )
P. S. Demain je vous enverrai un de mes aides- de-camp
vous porter vingt-un drapeaux , parmi lesquels il y en a quatre
des gardes - du- corps du roi de Sardaigne .
1
Extrait de la lettre écrite de Lézegno , le 4 floréal , an IV de la
République Française , par le commissaire du Directoire exe-
'cutifprès l'armée d'Italie , aux citoyens membres du Directoire
exécutif.
Citoyens directeurs , encore des victoires remportées par
l'armée d'Italie en voici les détails :
Le général Colli , chassé du camp retranché de Céva , et
commandant en personne un corps de douze mille hommes ,
s'était retiré derriere la riviere de Cursaglia , étendant sa
ligne depuis le confluent du Tanaro jusques sur les hauteurs
de Mondovi . Se voyant poursuivi , d'après les dispositions
faites pour l'y attaquer , il prévint encore , le 2 , ce combat
par sa retraite ; mais il fut atteint sur les hauteurs en avant
de Mondovi , par le général Serrurier.
Là , s'est engagée une action assez vive ; mais forcé par nos
troupes , l'ennemi a été mis en déroute , et nous à abandonné
huit pieces de canon et deux obusiers , le tout de campagne
. La ville de Mondovi a été , d'après cela , cernée ,
et la garnison s'est rendu à discrétion . L'armée a fait , ce jourlà
, à l'ennemi plus de quinze cents prisonniers , parmi les
quels un lieutenant-général , un brigadier , et presque tout
le régiment des gardes du roi de Sardaigne ; lui a pris dix
drapeaux , et on peut porter , au moins , à quatre cents le
nombre de ses tués ou blessés .
On travaille à l'inventaire des magasins laissés par l'ennemi
on y trouve principalement du blé et des fourages . Tous
rapports faits assurent que le général Colli s'est retiré avec
ses troupes derriere - Astouza , du côté du Coni , Chérasco
et Fossano.
les
La ville de Mondovi nous fournit des ressources en subsistances
et en transports .
Bientôt le général en chef menera l'armée à de nouveaux
triomphes : toujours même zèle de sa part , même prudence ,
même habilité dans ses opérations militaires. Je ne saurais
aussi trop vous faire l'éloge de la conduite du général Berthier ,
chef de l'état-major : ses talens , son activité , son énergie
lui méritent , à juste titre , la confiance du gouvernement.
On assure que nos succès répandent la plus grande inquiétude
dans le gouvernement de Turin . Beaucoup d'arrestations
ont eu lieu : il paraît qu'on y craint de la fermentation .
Salut et fraternité . Signé , SALICETTI .
P. S. Je dois vous faire connaître encore le chef de brigade
Murat , aide- de - camp du général Buonaparte : toujours
( 128 )
en marche contre l'ennemi , cet officier a constamment èmployé
, dans toutes les actions qui ont eu lieu , un courage
et une audace militaire au-dessus de tout éloge.
Le général en chef de l'armée d'Italie , au Directoire exécutif; auquartier-
général de Cherasco , le 8 floréal , an IV.
Après la bataille de Mondovi , les ennemis passerent la
Sture , et prirent leurs positions entre Coni et Cherasco ;
cette derniere ville , forte par sa position au confluent de la
Sture et du Tanaro , l'est aussi par une enceinte bastionnée ,
très-bien palissadée et fraisée .
La journée du 4 fut employée à passer l'Elero , et à jetter
de nouveaux ponts sur le Pesio ; le soir , l'avant- garderriva
à Carru. Le lendemain , après quelques escarmouches de cavalerie
, nous entrâmes dans la ville de. Bene .
Le général Serrurier se porta , le 6 , avec sa division , à
la Trinité , et canonna la ville de Fossano , quartier- général
du général Colly. Le général Massena se ro.ta contre Cherasco
; il culbuta les grandes gardes des ennemis . : j'envoyai
le général Dujard , et mon aide - de- camp ( Marmont ) , chef
de bataillon , officier de la plus grande distinction , pour réconnaître
la place , et placer les batteries d'obusiers pou: couper
les palissades . L'ennemi tira quelques coups de canon et évacua
la ville en repassant la Sture . Nous avons trouvé 28 pieces de
canon , des magasins très - considérables : cette conquête est
pour nous de la plus grande conséquence ; elle appuie la droite,
et nous offre de grandes ressources en subsistances .
tems est aujourd'hui très - mauvais , il pleut à verse ,^ je fais
jetter des ponts de bateaux sur la Sture ; l'ennémi s'est , dit- on ,
retiré à Carignan pour couvrir Turin , dont je suis à 9 lieues .
――
― Le
Fossano vient de se rendre ; le genéral Serrurier vient d'y
entrer. Le général Angereau marche sur Alba , et j'attends ,
à chaque instant , la nouvelle de la prise de cette place . - Alba
est à nous j'ai donné 1 ordre au général Angereau d'y jetter
sur-le-champ plusieurs ponts de bateaux , afin de pouvoir
passer le Tanaro , qui est d'une largeur et d'une rapidité considérable
; nous sommes ici dans le plus beau pays de la terre .
Signé , BUONAPARTE . Pour copie conforme , le chef de
Tétat -major- général . Signé , ALEXANDRE BERTHIER .
P. S. Le roi de Sardaigne demande la paix ; un armistice a
été conclu avec lui , et il a remis pour caution de sa foi , les
places de Coni , Tortone et Alexandrie . Buonaparté marche
sur le Milanez . Les détails au numéro prochain .
Errata . Page 74 , ligne 29 , ou sur les bords hospitaliers ,
lisez ou sur les bords inhospitaliers .
LENOIR DE LAROCHE , Rédacteur
No.
33.
MERCURE FRANÇAIS .
DÉCADI 30 FLORÉAL , l'an quatrieme de la République.
( Juedi 19 Mai 1796 , vieux style . ) .
PHILOSOPHIE ET HISTOIRE.
Troisieme lettre sur l'ORIGINE DES CULTES , à un Souscripteur
du Mercure.
Du premier abord je vous ai transporté chez les
Grecs pour y suivre Hercule dans ses courses ; tandis
que j'aurais dû vous conduire sur les bords du Nil
pour étudier l'Osiris Egyptien , prototype de l'Hercule
de Thebes en Béotie . Mais j'ai voulu vous attacher
par l'attrait des fables grecques dont votre
jeunesse a été enivrée . C'est pour cela encore que
j'emprunterai des Grecs les mythologies dont je vous
entretiendrai dans cette lettre. Vous y verrez les
Athéniens jaloux des Béotiens , chanter le Soleil sous
l'emblême d'un de leurs prétendus rois , de Thésée.
La vie de ce phantôme mythologiqué ayant été placée
par Plutarque au nombre des vies des hommes illustres
, formerait une objection très - forte contre les
opinions du cit . Dupuis ; heureusement que l'historien
, dans le prélude de cette vie , prévient qu'elle
est mêlée de fables dénuées de toute vraisemblance.
D'ailleurs , Strabon ( liv. I , pag. 19 , ) appelle les malheurs
de Thésée , et les travant d'Hercule , des aven
Tome XXII. I
( 130 )
tures mythologiques. Cherchons donc ses malheurs
dans les mêmes régions où nous avons retrouvé les
travaux du fils d'Alcmene , c'est -à- dire dans le ciel .
La fable de Thésée commence par son combat
contre un guerrier redoutable , porteur de massue
( Diodor. sic . 4. 59. ) . Le héros la porta toute sa vie
comme un trophée de sa victoire : tel Hercule parut
toujours couvert de la dépouille du lion de Néméc .
L'analogie est plus grande encore entre les deux
premiers travaux de ces deux amis. Ils sont fixés tous
deux au commencement de l'année solsticiale , au
signe du Lion , à l'époque où le Taureau ouvrait l'année
équinoxiale , c'est-à- dire , environ 3,000 ans avant
l'ère vulgaire . Ne changez donc pas les poles de
l'éclyptique sur le globe de Dupuis , et substituez
seulement Thésée à Hercule . Ce dernier a vaincu le
Lion , ou le signe du Zodiaque ; Thésée a vaincu le
Paranatellon du signe , ou l'Hercule , autrement l'Ingeniculus
, cette constellation boréale armée d'une
massue , qui par son coucher du matin fixe le lever
du Soleil au Lion . Thésée triomphe ensuite du brie
gand Synnis et la fille de ce brigand , la belle
Périgone , ou Erigone , le rend pere du jeune Ménalippe
. Périgone est la Vierge - céleste , qui est appellée
aussi Cérès. Cérès unie à Neptune produisit le cheval
Arion ou le Pégase , qui est nommé Ménalippe dans
d'autres traditions. Le lever de Pégase qui accompagne
le coucher de la Vierge et celui du centaure
Chiron , a donné lieu à cette fable , absurde dans
tout autre systême d'explication. Ce second travail
de Thésée ne differe que par l'objet de la victoire .
• Hercule triomphe de l'hydre gissante sous la Vierges
( 131 )
mais Thésée combat le pere d'Erigone , ou Icare ,
c'est- à- dire , le Bouvier qui est placé au - dessous
d'elle. C'est encore à l'imitation d'Hercule tuant
le sanglier d'Erymanthe , que Thésée dans son troisieme
travail triomphe de la laye de Crommyon . Là ,
Thésée combat aussi les Centaures et les Lapithes .
La correspondance entre les quatrieme , cinquieme
et sixieme travaux de Thésée et ceux d'Hercule n'est
pas facile à établir ; parce qu'il nous manque quelques
données pour cette partie . Diodore en fait aussi
l'énumération ; le combat contre Scyron qui forçait
les voyageurs à lui laver les pieds , et qui les précipitait
ensuite dans la mer ; le combat contre Cercyon
qui défiait , comme Antée , tous ses hôtes à la lutte ;
enfin , le combat contre Procuste , qui forçait les
étrangers à égaler la mesure d'un lit de fer , soit en
tiraillant leurs membres , soit en les coupant. Il
compte pour le septieme , la victoire sur le taureau
de Marathon , c'est-à - dire , sur le même taureau du
septieme travail d'Hercule , que Thésée immole à
Apollon surnommé Delphinien , par allusion au Daur
phin , Paranatellon du Taureau. K
Ici , les historiens grecs nous laissent dans un vide
total pour les huitieme et neuvieme travaux . Mais
ils nous transportent rapidement à la victoire de
Thésée sur le Minotaure , c'est -à- dire , à l'arrivée du
Soleil au Taureau équinoxial au lever des Hyades
et des Pléyades , au coucher d'Orion et de la Chevre
ou d'Egée , au lever d'Ariadne ou de la couronne
Boréale et de 1hésée , ou du Serpentaire , qui le suit
en montant sur l'horison précédé du navire Argo .
Telles sont les bâses astronomiques du dixieme tra-
1 2
( 13 )
1
vail , ou de l'histoire très-fabuleuse de la défaite du
Minotaure et de l'abandon d'Ariadne . Les sept Hyades
et les Pléyades sont les quatorze jeunes Athéniens
auxquels le fils du Taureau , soit le Minotaure , soit
Orion , était si redoutable ; car Orion , selon l'observation
de Théon , paraît toujours mettre en fuite et
poursuivre les astres qui se couchent avant lui .
On peut remplir par conjecture la lacune du huitieme
travail qui correspondait au Belier . L'expédition
d'Hercule contre les Amazones commençait à
ce signe. Plutarque parle aussi des combats de
Thésée contre les Amazones , dont une des plus
célebres fut Antiope qui le rendit pere d'Hyppolite ,
ou du Cocher qui se leve à la suite d'Andromede et
de toutes les femmes qui figurent sous le nom d'Amazones
parmi les paranatellons du Bélier .
Les Gemeaux du onziemie travail de Thésée , sont
les Dioscures ou les Tyndarides , freres d'Helene ,
contre lesquels il fit essai de sa valeur ; ce qui fournit
à la Théséide un chant sur l'enlevement d'Hélene
par ce héros . C'était à ce chant qu'était liée la fiction
' de Cerbere , qui s'est déja trouvé dans le onzieme
travail d'Hercule ; et l'outrage fait à la femme de
Pluton , ou d'Aidoneus , par Thésée et Pirithous : nouvel
accord entre le poëme de Thésée et l'Héracléide .
La mort de Thésée , précipité dans la mer par
Lycomede , termine l'année solaire solsticiale et la
Théséide. En effet , le Serpentaire , dit Théon , se
couché au lever du Cancer ; et le Serpentaire , suivant
le même Théon , est Thésée . Ce héros meurt
donc , et tombe au sein des flots , après son combat
contre les Gemeaux , ou contre les Dioscures. Le
( 133 )
poëme finit au moment où disparaît le héros , et où
finit la révolution , amenée par le triomphe du Soleil
sur l'Ingeniculus , Porte-massue , objet du premier
combat de Thésée .
" Voilà donc encore un héros , ou un prince , qu'il
faut retrancher de l'histoire , dit le cit . Dupuis , et
qu'il faut renvoyer au pays des fictions , à qui il appartient.
› Si les Grecs , au lieu de placer ces fictions savantes
dans leur ancienne histoire , ou dans les premiers
âges de leur civilisation , auxquels on ne peut
sigement les rapporter ( car un peuple ne commence
point par faire de grands poëmes astronomiques )
les eussent renvoyées à leur ancienne mythologie ; ils
auraient apperçu dès - lors qu'il y avait un grand vide
entre les histoires les plus connues chez eux , et l'âge
des fables. Les deux ou trois premiers siecles , qui
précedent l'âge où vivaient Hérodote , Hésiode et
Homere ( on fait communément vivre le dernier 850
ans avant l'ère vulgaire ) , doivent être regardés chez
eux comme la renaissance des lettres , puisqu'ik
n'existe pas de monumens littéraires plus anciens.
Les tems au contraire où l'on fit les fables , qu'Homere
et Hésiode réchaufferent , ou qu'Hérodote et
les autres écrivains ont conservées , paraissent nécessairement
appartenir à une époque où l'Astronomie
et la Poésie fleurissaient avec beaucoup d'éclat.
Donc ce siecle était le dernier , qui fermait la marche
d'une suite d'autres , qui avaient eu beaucoup de
lumieres ; car le bel âge de la poésie et des sciences
est presque toujours le dernier des siecles de litté
rature . Ainsi , on devait reconnaître une lacune im-
1 3
( 134 )
mense , entre la renaissance des lettres au tems
d'Hésiode et d'Hérodote , et le terme de leur gloire ,
dans l'âge où l'on faisait la Théséide , l'Héracléide
et les autres poëmes astronomiques dont nous avons
parlé ( sur Osiris et sur Isis ) , et qui tous remontent
au tems où le Taureau était le premier des signes ,
c'est-à - dire , plus de 2,500 ans avant l'ère des Chrétiens
. Voilà donc un siecle de littérature , dont le
souvenir était perdu , et que nous avons retrouvé
dans le dépôt confus de l'ancienne mythologie des
Grecs. ",
Après avoir effacé des pages de l'histoire le héros
Thésée , y laisserons - nous Jason et les Argonautes ,
dont un a été déja renvoyé aux espaces du ciel étoilé ,
Hercule ? ce serait le sommeil d'Annibal à Capoue ."
Attaquons courageusement ce nouveau phantôme
mythologique , et conduits par le cit . Dupuis nous en
triompherons encore . Mais ce ne sera point en Grece
que nous chercherons ses pas , ce sera dans la
Thrace : là nous trouverons l'explication astronomique
de la fable de Jason , vainqueur du Bélier à
Toison-d'or , ou du signe , qui , par son lever héliaque ,
annonçait l'arrivée du Soleil au Taureau équinoxial.
Cette fable remonte aussi à plus de 3000 ans "avant'
l'ère des Chrétiens ; et nous pourrons la suivre sans
changer les poles de notre globe ; parce que le Taureau
ouvre encore l'année .
9
Plusieurs poëtes ont chanté cette fable , Orphée
de Trace , Apollonius de Rhodes qui vivait sous
Ptolémée Evergete , et Valerius Flaccus dont le
poëme est dédié à Vespasien . C'est le premier qui
nous servira de guide , parce que son ancienneté le
((135 )
rend plus voisin des traditions primitives . Orphée ,
Chantrede Thrace , passe pour avoir communiqué
aux Thessaliens la poésie et les chants sur le Soleil
du Printems , dont le lever était précédé du Bélier ,
qui semblait naître à l'orient de la mer Noire , et des
régions où les Thraces plaçaient la Colchide ; tandis
que l'on voyait descendre au couchant Jason , dans
les eaux de la mer qui baigne les côtes de la Thessalie .
Aussi parait-il qu'Orphée était placé dans un pays
qui a le Pont-Euxin à l'Orient , et au couchant la
mer de Thessalie , sur laquelle s'embarqua Jason
pour aller à la conquête du Bélier , qui brille aux
cieux le matin , vers les régions orientales où l'on
plaçait la Colchide ,
Le poëme de la Toisen- d'or nous a été annoncé
dans le neuvieme travail d'Hercule et dans le neu .
vieme malheur de Thésée , placés sous le Bélier. C'est
de- là que le premier est parti avec Jason pour la
Colchide ; il monte avec lui le navire Argo , et il
délivre une fille exposée à un monstre marin. Tout
cela arrive dans le ciel à l'époque où le poëte chante
Jason et la conquête du fameux Bélier , qui par son
dégagement des feux solaires annonçait l'entrée du
Soleil au Taureau , c'est- à - dire , le renouvellement
de l'année solaire , de la nature génératrice , ou du
printems . On voit le soir à cet instant le navire Argo
qui acheve son lever et qui s'éleve sur la voûte
céleste , suivi du Serpentaire, appellé Jason . On voit
à l'horison se lever avec le Serpentaire , le centaure
Chiron qui l'avait instruit , et sa lyre que précede
T'Hercule céleste , un des héros du poëme . Au cou
chant , les Gemeaux ou les Dioscures annoncent en
( 1360)
se plongeant dans la mer immédiatement après le
Soleil , I arrivée de cet astre au Taureau ,
L'aspect du matin est encore plus riche : le Bélier
annonce le jour , accompagné des Pléyades , de
Persée , de Méduse et du Cocher qui précede son
char ; tandis que Jason , ou le Serpentaire , placé au
couchant à la suite de la Vierge céleste , fait monter
à l'orient Méduse , constellation la plus voisine du
Bélier à toison- d'or , et qui semble lui livrer ce
précieux dépôt , sur lequel elle repose , et qu'elle
amene sur l'horison.
Voilà le fonds astronomique projetté dans le Planisphere
, no. 12 , et qu'Orphée a brodé si ingénieusement
dans ses Argonautiques. Ce n'est plus la
course annuelle du Soleil que l'on chante ici , c'est
la seule époque de l'ouverture de l'année équinoxiale
, époque marquée par deux phases , l'une du
soir qui précede immédiatement cette ouverture ,
l'autre du matin qui l'effectue. Admirons l'étonnante
fécondité de l'imagination qui animait ces chantres
divins , il y a trente siecles , et suivons Orphée un
des plus anciens.
Le poëme s'ouvre par une invocation au Dieu du
Soleil , ou Apollon , le vainqueur de Python , le
Dieu des oracles , adoré sur les sommets du Parnasse .
Inspire-moi , dit-il , divin Phébus , je vais chanter ta
puissance.... Ce vers annonce clairement que le héros
de cette fable est le Soleil vainqueur de l'Hiver ,
cette saison de tenebres et de frimats que ramené
tous les ans Python ou le Dragon du Pole , et dont
le terme est le Bélier dont Jason va faire la conquête.
( 137 )

Orphée raconte d'abord la priere que lui fit jason .
qui était venu le chercher en Thrace , où il était
occupé à charmer par les sons de sa lyre les tigres
et les lions ... Fils de Calliope , lui dit Jason , vous
qui regnez sur les Bistoniens , écoutez le fils d'Eson ,
roi de Thessalie ... Il l'invite à se joindre à lui et aux
autres héros qui ont formé le dessein de traverser
l'Euxin , d'aborder aux rives du Pont , et sur les
bords du Phase . Il espere que sa lyre charmera leurs
travaux , et que sa sagesse les guidera au travers des
dangers de cette périlleuse entreprise . Orphée le suit,
et le premier héros qu'il apperçoit est Hercule , ou
la constellation qui monte avant la Lyre ; ensuite
Typhis , ou Canopus , pilote du vaisseau Argo ( c'est
le nom de la belle étoile du gouvernail ) . Il reconnaît
aussi les Dioscures qui descendaient dans les flots ,
au moment où Phorbas , ou le serpentaire Jason s'élevait
à l'orient.
.
Les autres compagnons de Jason se trouvent presque
tous dans le ciel étoilé , Céphée , Augias déja celebre
dans l'Héracléide , où leurs peres et leurs fils tiennent
une place remarquable , Astérion , Coronus .
Deucalion . On y trouve Calaïs et Zéthus , qui sous
le nom des fils de Borée sont inscrits dans les Gemeaux
. Nouvelle preuve des vérités astronomiques
cachées sous les tableaux de la mythologie .
Au coucher du soleil dans le signe du Taureau
Jason fait jurer à ses compagnons de ne point revenir
dans leur patrie sans avoir conquis le fameux
Bélier , et il immole un taureau , allusion au premier
signe parcouru à l'époque à laquelle Jason , ou Ophiucus
se leve le soir. Le vaisseau part , et l'on découvie
( 138 )
1

les sommets du mont Pélion , les lieux qu'habite le
centaure Chiron , et l'antre de Pholoë. Chiron , recommandable
par sa justice , touchait alors sa lyre .
( La Balance est voisine du Centaure , et la Lyre se
leve avec lui. ) Pélée invite les Argonautes à descendre
, pour voir le jeune Achille , éleve de Chiron.
et fils de Thétis . Ici le poëte décrit le centaure Chiron ,
tel qu'il est représenté dans sa constellation , où il
préside à l'Automne , et où il tue un animal féroce .
Chiron offre aux héros les fruits de sa chasse , les
présens du Dieu des vendanges ; et il donne à Orphée
la peau d'une panthere. Tout cela est écrit dans le
ciel. Mais Chiron ne fait ce présent au poëte de
Thrace , qu'après avoir chanté sur sa lyre le combat
des Centaures et des Lapithes , qui a déja fait le sujet
du troisieme chant de l'Héracléide . Orphée rivalise
avec lui , et chante les fables Cosmogoniques , du
Chaos , de Jupiter , de Bacchus et des Géans .
Les Argonautes se rembarquent , passent à la vue
de Samothrace , isle fameuse par les mysteres des
Cabires et des Dioscures , ils traversent l'Hellespont
et entrent dans l'Euxin. Le poëte mêle à ce récit
géographique les fables qui ont rendu célebres ces
différens lieux . On visite ceux qu'habitait la déesse
Cybele dont le char était traîné par des lions , et le
mont Dindyme . Alors Hercu e perd le malheureux
Hylas , qu'il appelle iuutilement. Enfin , les Argonautes
abordent près du fleuve Thermoden , et du
pays des Amazones , dans les mêmes régions où
arrive Hercule dans son neuvieme travail . Ce travail
répond au signe du Bélier , lequel se leve au coucher
de la Balance , à la suite de la Vierge et du Lion , et
ة ي ب ر ع ل ا
*
( 139 ).
au moment où finit la nuit , qui précede le jour équinoxial.
Après avoir chanté l'état du ciel au commencement
de cette nuit tant desirée par les peuples fatigués
des déluges de l'automne , des froids rigoureux et
des longues ténebres de l'hiver , Orphée chante
l'aurore du jour équinoxial , sujet de la seconde
partie de son poëme des Argonautiques . — Tiphys
venait de périr par la dent d'un sanglier. On se
rappellera que ce héros , appellé dans d'autres fables
Canopus , est le pilote du vaisseau Argo , et qu'il
mourut de la morsure d'un serpent ou d'un scorpion
c'est- à- dire , du signe avec lequel se leve dans la
fable d'Hercule le sanglier d'Erymanthe. Ainsi , le
serpent et le sanglier d'Erymanthe ( la grande Ourse ) ,
deux paranatellons de la Balance et du Scorpion ,
tuent le pilote d'Argo ; aussi se trouve- t - il dans la
partie inférieure du méridien , la plus basse de l'uni ,
vers , au lever du Bélier.
Voilà donc Jason , ou le Serpentaire parvenu au
Scorpion , sur les mêmes plages où arrive Hercule à
la fin de son huitieme travail , au coucher de la
Vierge , à l'instant où le Soleil entre dans le Bélier
à toison - d or dont Aëtès est possesseur. Ce prince ,
fils du Soleil , regnait sur les bords du Phase et de
l'Araxe , où il avait suspendu à un hêtre cette riche
dépouille . Jason s'offre pour aller seul en députation
vers ce roi de la Colchide . Il trouve sa famille effrayée
d'un prodige qu'il avait yu en songe . C'était un astre,
brillant tombé du ciel dans le sein de Médée , sa
fille , encore vierge . Elle l'avait reçu et conservé dans
son sein , et s'était avancée vers les bords du Phase ;
>
( 140 )
"
mais les eaux du fleuve avaient entraîné l'astre dans
l'Euxin. La circonstance du coucher de la Vierge , le
matin , suivi de celui de Jason , et du lever du fleuve
d'Orion et du lever de Méduse , font la bâse de cette
vision , qui annonce à Aëtès la fatale conquête de
son Bélier.
Effrayé de ce songe, Aëtès vole appaiser le Phase. Il
monte sur son char , accompagné de Chalciope , veuve
de Phryxus et de Médée , ses deux filles . Absyrthe ,
son fils , ou le Cocher , demeurait à quelque distance
de là . Aëtès se présente aux Argonautes et à Jason
que ses filles et lui rencontrent le premier , avec tout
l'appareil éclatant qui environne Apollon son pere .
Il montait un char doré comme le sien ; une couronne
rayonnante ceignait sa tête lumineuse ; et il
tenait un sceptre brillant comme l'éclair. Il adresse
aux Argonautes un discours menaçant . Mais Jason ,
sans être intimidé , lui expose la mission dont l'a
chargé Pélias , fils de Neptune , d'apporter à Jolcos la
riche toison du bélier de Phryxus .
Aëtès la leur promet , à condition que l'un d'eux
accomplira une entreprise périlleuse qu'il leur proposera
. Cependant le jeune Argus , fils de Phryxus
et de Chalciope , vient en secret soutenir le courage
des Argonautes , en leur annonçant que les projets.
perfides formés contr'eux par son ayeul Aëtès n'auraient
aucun succès ; et en leur découvrant l'amour
dont brûle pour Jason sa tante Médée , qui par ses
enchantemens peut leur fournir de puissans secours .
Si nous jugions le poëme d'Orphée , nous lui
reprocherions un moyen aussi puérile . Mais nous
n'avons ici à examiner que ses bâses astronomiques .
( 141 )
Ivre d'amour pour Jason , Médés subjugue les Taureaux
qui vomissaient des flammes ; elle détruit ung
moisson de Dragons produits par les dents du Serpent
qui avaient été semées ; et elle donne la gloire
de ces hauts faits à son amant. Elle fait plus ; sana
craindre la colere d'Aëtès , elle se réfugie déguisée
dans le navire Argo ; et là après avoir donné à Jason
les marques les moins équivoques de tendresse ,
elle lui offre les moyens de triompher de tous les
obstacles .
Le palais d'Aëtès était renfermé dans une ville
placée sur sept éminences : nombre égal à celui des
orbites planétaires . On y voyait briller le temple
d'Hécate , la grande divinité du pays , et dont Médée
la prêtresse , connaissait les redoutables mysteres .
Dans un bois voisin du temple , planté d'arbres de
différentes especes et d'herbes vénimeuses , se trouvait
le Hêtre sacré auquel était suspendue la toison
du bélier de Phryxus . Au pied de cet arbre veillait
sans cesse un serpent horrible , semblable au dragon
du jardin des Hesperides . Orphée et Médée s'unissent
pour offrir à Hécate un sacrifice , et elle leur apparaît
avec des spectres effrayans. Ensuite Jason , les Dioscures
et Médée s'approchent du serpent , qui siffle
et s'agite en tout sens . Mais Orphée l'assoupit par
les sons de sa lyre . Aussi - tôt Jason par le conseil de
Médée s'empare de la Toison et l'emporte vers le
navire Argo .
Ici , devrait finir le poëme , puisque le but du
voyage est rempli ; mais dans l'enfance des lettres
on raconte jusqu'au plus petit détail , comme en
usent les enfans dans leurs faibles récits . Orphée
( 142 )
2
chante donc encore les suites de la fureur d'Aëtès ,
et le retour des Argonautes .
9
Le roi de la Colchide apprend la fuite de sa fille ,
et il envoie à sa poursuite son cocher Absyrthe
comme Cadmus et les fils d'Inachus firent la recherche
d'Europe et d'Io leur soeur. Médée le fait
périr sur les bords du Phase , et jette ses membres
déchirés dans le fleuve ; ainsi fut précipité dans l'Eridan
l'audacieux Phaeton ( le Cocher ) .
Les Argonautes avaient suivi en allant toute la
côte méridionale de l'Euxin ; mais leur retour se fait
en s'élevant vers le nord de l'Asie . Cette marche
est une allusion évidente à celle du Soleil , depuis
son arrivée au Bélier : avant cette époque , il parcourait
les régions méridionales ; depuis le printems
il éclaire les Hyperboréens, les Sarmates , les Getes , les
Scythes et les Cimmériens ; jusqu'à ce qu'il revienne
à l'équinoxe d'automne sur lequel est placé le Serpentaire
ou Jason , dont le domicile est aussi le
terme de la course des Argonautes . Enfin , ces héros
arrivent sur les bords de l'Achéron , ou sur le fleuve
des Enfers , qu'ils se préparent à franchir en se
purifiant.
Le pilote les exhorte à accomplir ce dernier tra
vail , c'est- à - dire , en langage astronomique , que
le Soleil arrive à la ligne qui sépare l'empire de
la Lumiere de celui des Ténebres , ou au voisinage
de l'équinoxe d'automne , près duquel on plaçait le
Styx , fleuve des Enfers . ( Jul. Firm . Astron . , liv . VIII ,
ch . 12. ) C'était aussi à cette époque que l'on célébrait
la descente des amés aux Enfers , et les Mysteres
de Cérés et de Proserpine , auxquels fait allusion
1
( 143 )
le reste du poëme des Argonautiques d'Orphée . Nous
quitterons ici le chantre de la Thrace , parce qu'il ne
chante plus la naissance du jour équinoxial ; et qu'il
s'abandonne à des détails géographiques absolument
étrangers à l'état du ciel. Nous ne recommencerous
pas davantage la course des Argonautes avec Apollonius
de Rhodes , ni avec Valerius Flaccus leurs
poëmes ne sont que des imitations récentes de celui
d'Orphée .
Cette lettre sera terminée par une réflexion du
cit . Dupuis , qui fera oublier sa monotonie....
Pélée invite les Argonautes à visiter le jeune
Achille , éleve de Chiron et fils de Thétis . Cette
circonstance nous prouve que les poëmes d'Homere
se lient à celui des Argonautes et au poëme de
l'Héracléide . Or , comme ceux- ci incontestablement
remontent à plus de 2,500 ans avant l'ère chrétienne ,
il s'ensuit que la fiction de la guerre de Troye remonte
à la même époque . Ainsi , l'antiquité de la fable de
l'Illiade et sa nature , la classent à tous égards parmi
les poëmes Cycliques des Argonautiques , des Dionysiaques
, de l'Héracléide , de la Théséide , et conséquemment
ils la reportent plus de 2,500 ans avant
l'ère vulgaire . Donc l'Illiade est un très-ancien poëme,
renouvellé des Grecs , mais des anciens Grecs , qui
2,500 ans avant l'ère chrétienne , faisaient des chants
sur la Nature. "
1
( 144:)
BIOGRAPHIE.
Extrait de la Notice historique sur CHRÉTIEN- GUILLAUMELAMOIGNON
MALESHERBES ; par JEAN - BAPTISTE
DUBOIS. Deuxieme édition. A Paris , de l'imprimerie
du Magasin Encyclopédique , rue Honoré , vis - à- vis
Saint-Roca , nº. 94.
CHRÉTIEN -
GUILLAUME-
.
HRÉTIEN - GUILLAUME - LAMOIGNON MALESHERBES
est né le 6 décembre 1721. Son éducation fut faite
chez les jésuites . Il vit encore le P. Porée , et il parlait
souvent de tout ce qu'il devait à ses entretiens
et à ses conseils . Guillaume de Lamoignon son pere ,
mort en 1772 , voulut , qu'appellé par son nom à rem◄
plir les premieres places de la magistrature , il s'y
préparât par l'étude approfondie de l'histoire et de
la jurisprudence. Bientôt il le fit nommer substitut
du procureur- général, Malesherbes n'avait pas encore
24 ans lorsqu'il fut pourvu d'une charge de
conseiller au parlement , dans la quatrieme chambre
des enquêtes , le 3 juillet 1744. Il 'succéda à son pere
dans la place de premier président de la cour des
aides , le 14 décembre 1750 , après y avoir été reçu
en survivance le 26 février de l'année précédente .
On trouve dans un recueil précieux des marques
du courage , de la philosophie et de l'éloquence qu'il
déploya dans cette importante place . Ce recueil est
intitulé : Mémoire pour servir à l'histoire du droit public.
de la France , ou Recueil de ce qui s'est passé de plus intéressant
( 145 )
téressant à la cour des aides depuis 1756 jusqu'au mois de
juin 1775 , avec une table générale des matieres . Bruxelles,
in- 4° . 776 pages .
En 1763 , dans l'affaire de Varennes , sur laquelle il
avait fait les remontrances les plus fortes , obligé
d'entériner les lettres de grace qui étaient accordées
contre toute espece de droit et de justice , il prononça
de son tribunal ces paroles remarquables aux
accusés qui étaient à ses pieds : Le roi vous accorde
des lettres de grace , la cour les entérine ; retiréz- vous ,
la peine vous est remise , mais le crime vous reste . Et les
accusés jouissaient de la plus haute faveur .
La même année , il disait au prince de Condé , envoyé
par le roi pour forcer au silence les magistrats
qui réclamaient contre les impôts : La vérité , monsieur
, est donc bien redoutable , puisqu'on fait tant d'efforts
pour l'empêcher de parvenir au trône ?
J
En 1770 , il disait au roi : « On a donc persuadé à
" votre majesté que c'était par la terreur qu'il fallait
,, régner sur les ministres de la justice ? Daignez songer
, sire , que la crainte est le partage des ames
viles , et considérez dans quelle classe d'hommes
,, il faudra choisir ceux que vous donnerez pour
,, juges au peuple...... Quelle serait la sûreté des
» citoyens , si les magistrats , de qui dépendent leur
,, fortune , leur honneur et leur vie , avaient à craindre
,, sans cesse le ressentiment des dépositaires de l'au-
" torité arbitraire ? Quelle serait la redoutable puis-
" sance de celui à qui votre majesté confierait la dispensation
de ces proscriptions ? ",
Mais c'est sur- tout dans les fameuses remontrances
de 1775 qué Malesherbes réunit tous les moyens de
Tome XXII.
K
( 146 )
1
sa raison et de son éloquencé pour abattre le despo
tisme en découvrant sa face hideuse , et pour ap-.
peller les regards de la nation sur ses droits imprescriptibles.
C'est près de quinze ans avant les premieres
années de la révolution qu'il demandait une
constitution et une représentation nationale. Le citoyen
Dubois prouve cette assertion par des citations plus
intéressantes les unes que les autres . Elles démontrent
le sentiment profond de l'amour de la liberté que
Malesherbes défendit hautement , lorsqu'on n'osait pas
encore prononcer son nom.
La même année et le même mois où il devint président
de la cour des aides , il reçut de son pere ,
alors chancelier de France , la direction de la librairie
, espece de ministere créé pour enchaîner les pensées
et paralyser les talens . Il ne dépendait pas de
Malesherbes d'annuller les lois destructives de la liberté
de la presse ; mais c'est au courage avec lequel
il brava lui - même les efforts des ennemis de la raison
que la France dut l'Encyclopédie , les ouvrages de
Rousseau et de tant d'autres philosophes qui écrivirent
pendant cet intervalle. M. de Malesherbes , dit
Voltaire dans sa lettre à M. d'Argental , du 14 octobre
1763 , n'avait pas laissé de rendre service à l'esprit
humain en donnant à la presse plus de liberté qu'elle n'en
ajamais eue. Nous étions déja presqu'à moitié chemin des
Anglais.
Deux ans avant la révolution , au moment où il
croyait que sa voix ' serait entendue avec plus de faveur
, Malesherbes présenta au roi et au ministre un
mémoire fort étendu sur cette précieuse liberté , sans
laquelle il pensait qu'il ne pouvait exister de liberté
.
( 147 )
réelle pour aucune nation . Des motifs louables l'empêcherent
de le faire imprimer. Mais on ignore dans
quelles mains en est tombé le manuscrit.
Le 12 juillet 1775 , il donna sa démission de la premiere
présidence de la cour des aides , et dans le
même mois , il fut nommé ministre et secrétaire d'état
à la place de la Vrilliere .
Écoutons le cit. Dubois justifier Malesherbes d'avoir
accepté des places dont les fonctions accoutumées
répugnaient le plus à ses principes . « Cette conduite ,
,, dit-il , peut paraître énigmatique à ceux qui n'ont
pas connu Malesherbes, ou aux ames indifférentes qui
prennent l'égoïsme pour guide , et se dissimulent à
" elles-mêmes leur nullité , en se persuadant qu'elles
», s'éloignent par principes des emplois qui ont le
plus besoin des lumieres et du courage des gens
de bien. Ils n'ont été que trop nombreux dans la
" révolution , ces hommes tiedes et faibles , qui sous
" le prétexte que le gouvernement n'était pas tel
qu'ils l'auraient desiré , mais en effet parce que la
révolution ne leur paraissait pas dirigée dans le
sens de leur intérêt particulier , ont évité soigneuse-
" ment des fonctions dans lesquelles ils auraient pu
99
»
99
être utiles . C'est à eux , en grande partie , que
, nous devons les malheurs qui nous ont fait gémir
pendant si long - tems , et l'audace active des mé-
" chans a dû presque toute sa force à leur inertie .
" Malesherbes pensait , ou plutôt sentait bien autrement
que ces égoïstes apathiques . Accoutumé à
" tout rapporter au bien public, et à ne compter pour
" rien tout ce qui pouvait contrarier ses goûts ou
19 ses intérêts personnels , il était fortement persuadé
K 2
( 148 )
99
qu'il était de son devoir de saisir toutes les occasions
de faire le bien et d'empêcher le mal . Ils
" nous perdront , me disait- il souvent , dès les com-
" mencemens de la révolution , ces petits messieurs ,
», qui , après avoir été les premiers à favoriser un changement
de choses , déclament dans les soupers où ils
" forment leur opinion contre les institutions nouvelles ;
• cela ne ressemble d'abord qu'à la bouderie d'un enfant
gâté ; mais attendez , et vous verrez . "
"
Malesherbes s'occupa pendant son ministere de la
suppression des lettres de cachet. Il se fit ouvrir les
prisons d'Etat. Il sollicita lui -même tous les renseignemens
favorables aux détenus , et bientôt ils respirerent
un air libre . Il attribua ensuite la distribution
de ces lettres à une espece de tribunal composé des
magistrats les plus probes dont l'opinion devait être
unanime et fondée sur des motifs bien constatés .
Mais bientôt les menées de l'intrigue ayant forcé
le vertueux Turgot , son ami , à quitter le ministere ,
il crut qu'il ne devait plus rester à un poste d'où il
était si facile de renverser l'homme de bien , et
donna sa démission le 12 mai 1776.
"
Il entreprit à cette époque des voyages dans les
différentes contrées de la France , de la Hollande
et de la Suisse , où il recueillit avec discernement
et avidité tout ce qui pouvait intéresser les sciences
ét les arts . Le recueil de ces notes eût été du plus
grand interêt , mais elles ont été confondues dans
la foule des papiers enlevés par de barbares révolutionnaires
, comme pieces importantes pour son
procès.
En 1785 et 1786 , il composa deux excellens mé(
149 )
moires au sujet de l'état civil des protestans en
France . I attendait que le succès couronnât ses
efforts . La marche rapide de l'opinion l'en dispensa
bientôt. Il fut rappellé au conseil , et n'y rent que
pour satisfaire au besoin qu'il éprouvait de dire des
vérités utiles . Plus d'une fois en effet il y énonça
des opinions courageuses qui donnerent de l'ombrage
aux hommes qui avaient la soif du pouvoir .
Leurs intrigues neutraliserent bientôt tous ses efforts ,
et il sé vit réduit à écrire tout ce qu'il voulait persuader.
Telle fut l'origine de deux mémoires qu'il
présenta au roi sur la situation de la France et les
moyens de remédier aux maux qui la faisaient gémir.
Louis XVI ne lut alors aucun de ces deux mémoires ,
mais ils lui firent verser des larmes tardives et inutiles
dans un moment où il ne lui était plus possible d'en
profiter.
1 Privé de tour moyen d'éclairer ceux entre les mains
desquels résidait le pouvoir , Malesherbes sollicita
vivement et obtint enfin la permission de se retirer.
A l'instant même , il se livra sans réserve aux occupations
qui avaient toujours fait le bonheur de sa
vie. Passant les soirées et la plus grande partie des
nuits à étudier et à lire , le jour , une bêche à la
main , il parcourait ses jardins et ses bois , distribuait
les travaux , observait le résultat de ses expériences ,
en ordonnait de nouvelles , et chacun de ses pas ,
chacune de ses démarches , avait toujours pour but
P'utilité publique. Il avait préparé les matériaux
d'une foule de mémoires qu'il aurait successivement
publiés . Il attachait une grande importance à celui
sur la maniere d'utiliser les différentes especes de landes .
K 3
( 150 )
Le cit. Dubois le soumettra au public , dès que ses
loisirs lui permettront de le rédiger. Il trace une
analyse fort étendue de l'intéressant mémoire sur les
moyens d'accélérer les progrès de l'économie rurale en
France , imprimé en 1790 par ordre de la société d'agriculture.
Malesherbes consumait ainsi paisiblement le reste
de sa carriere , au milieu de ses bois et de ses
cultures , lorsqu'un événement vint l'arracher à sa
famille et à ses travaux . Louis était traduit au tribunał
de la nation assemblée dans ses représentans. Louis
est malheureux ; il est abandonné à toute sa faiblesse .
Malesherbes ne consulte que son coeur , et écrit au
président de la Convention nationale cette lettre si
connue qui sera un monument éternel de sa reconnaissance
et de son courage .
Après avoir rempli le pénible ministere de défenseur
de Louis XVI , Malesherbes retourna dans son
habitation champêtre . Il n'y jouit pas long- tems d'un
calme précieux . Un jour du mois de décembre 1793 ,
il apperçut dans une allée de ses jardins un groupe
d'hommes à la tête desquels étaient trois membres
d'un comité révolutionnaire de Paris . Ils menaient
à leur suite la municipalité , pour mettre en arrestation
et amener à Paris , le gendre et la fille de
Malesherbes . Ceux - ci partirent , et il resta avec ses
petits enfans . Le lendemain de nouveaux satellites
se présenterent avec une nouvelle liste de proscription
qui embrassait à la fois Malesherbes et ses petits
enfans . Dès la nuit même on le conduisit à la maison
d'arrêt des Madelonnettes avec son petit- fils Louis - le-
Pelletier , tandis que ses autres petits enfans furent
( 152 )
dispersés dans des prisons différentes . Il demanda
d'être réuni avec toute sa famille. La maison d'arrêt
de Port- Libre fut accordée pour cette triste réunion.
Les malheureux habitans de cette prison furent consternés
de douleur en le voyant entrer. Leur premier
mouvement fut de lui céder une place d'honneur au
milieu d'eux . Cette place que vous m'offrez , dit -il , elle
appartient à ce vieillard que j'apperçois , car je le crois
plus âgé que moi.
Le gendre de Malesherbes , le vertueux le Pelletier-
Rosambo périt le premier . Le lendemain ( floréal ) ,
les satellites de la mort viennent arracher à leur
douleur , Malesherbes , sa fille , sa petite-fille et l'époux
de cette jeune personne . C'est dans ce moment plein
d'horreur que la fille de Malesherbes , si digne de
lui et qui lui ressemblait à tant d'égards , fit ses
adieux à la cit. Sombreuil , qui avait sauvé la vie de
son pere au 2 septembre , et lui dit ces paroles
touchantes que l'histoire doit conserver : Vous avez
eu la gloire de sauver votre pere , j'ai du moins la
consolation de mourir avec le mien .
Elle allait se terminer , cette vie si précieuse
" aux amis du bien et de l'humanité , et Malesherbes
› se montre encore lui- même ....... Ses mains sont
2 liées , il s'achemine vers le tombeau ; déja il allait
franchir le seuil de sa prison , pour monter sur
" la fatale charette qui l'attend ; il s'entretenait avec
» ceux qui se trouvaient près de lui ; ses yeux naturellement
faibles et dont l'un clignotant sans cessé ,
" entrevoit à peine les objets , n'apperçoivent point
les obstacles qui sont devant lui : son pied inal
› assuré heurte contre une pierre qu'il rencontre :
K
4
( 152 )
Voilà , dit Malesherbes à son voisin , ce qui s'appelle un
mauvais présage ; un Romain à ma place serait rentré.
,, Et il continue sa marche en riant.
" Cette gaieté inaltérable , qui formait l'un des
" traits les plus remarquables et les plus heureux de
" son caractere , ne se démentit jamais ; elle tenait à
" des causes qu'il peut être instéressant de rapporter
pour ceux qui aimeront à connaître Malesherbes ,
,, et pour ceux qui l'ont connu .
99
» Un tempérament robuste , et qui l'eût été
" encore davantage , si Malesherbes n'en avait abusé
,, par des travaux forcés et par des veilles prolongées ,
,, contribuait sans doute à entretenir en lui cette sérénité
précieuse ; mais il la devait sur- tout à la force
,, de sa raison et à l'activité de son imagination . L'une
, l'avait engagé de bonne heure à briser les liens
" des préjugés et des habitudes qui enchaînent trop
" souvent les hommes les plus éclairés ; l'autre ,
,, secondée de la mémoire la plus tenace et la plus
„ étonnante , lui présentait et rapprochait sans cesse ,
" avec célérité , ce que l'expérience de tous les siecles
apprenait sur chacun des objets qu'il avait à con-
,, sidérer. Il les réduisait ainsi promptement à leur
• juste valeur , et conséquemment il ne pouvait
éprouver aucun sentiment exagéré , aucun de ces
sentimens qui conduisent à l'enthousiasme ou à la
,, crainte . "
Les sciences et les arts utiles occupaient particulierement
ses loisirs ; mais il était prodigieusement
instruit en littérature . Ce n'était donc pas pour flatter
sa vanité et décorer leurs listes du nom d'un homme
puissant , que les trois académies et la société d'agri(
153 )
1
culture l'avaient admis. Il avait été nommé à l'académie
des sciences en 1750 ; à celle des inscriptions
et belles - lettres , en 1759 ; et à l'académie française ,
en 1775.
Malesherbes est mort âgé de 72 ans 4 mois et
13 jours. Il n'avait eu que deux filles , et le seul
héritier mâle qu'elles lui aient donné est Louis - le-
Pelletier Rosambo , jeune homme de la plus belle
espérance .
Gette notice , gage de l'amitié et de la reconnaissance
du cit. Dubois , mérite d'être, lue par tous les
hommes éclairés et par toutes les ames sensibles .
VARIÉTÉ S. *
Choix des Pensées diverses de MONTESQUIEU , extraites
d'un manuscrit , et insérées dans le tom . XII de la nouvelle
édition de ses Euvres imprimées par Didot . ( Voyez
le numéro 31 de ce Journal . )
J'ADVE
'AI vu les galeres de Livourne et de Venise , je n'y
ai pas vu un seul homme triste . Cherchez à présent
à vous mettre au col un morceau de ruban bleu pour
être heureux .
J'ai eu d'abord pour la plupart des grands une
crainte puérile ; dès que j'ai eu fait connaissance , j'ai
passé presque sans milieu jusqu'au mépris.
-
Je n'ai presque jamais eu de chagrins , et encore
moins d'ennuis . Ma machine est si heureusement
construite que je suis frappé par tous les objets assez
vivement pour qu'ils puissent me donner du plai(
154 )
"
sir , pas assez pour qu'ils puissent me donner de la
peine .
J'ai été dans ma jeunesse assez heureux pour m'attacher
à des femmes que j'ai cru qui m'aimaient.
Dès que j'ai cessé de le croire , je m'en suis détaché
soudain.
L'étude a été pour moi le souverain rèmede contre
les dégoûts de la vie , n'ayant jamais eu de chagrin
qu'une heure de lecture n'ait dissipé .
Je m'éveille le matin avec une joie secrette ; je
vois la lumiere avec une espece de ravissement. Le
reste du jour je suis content.
Je suis presque aussi content avec des sots qu'avec
des gens d'esprit , et il y a peu d'hommes si ennuyeux
qui ne m'aient amusé très - souvent. Il n'y a rien de
si amusant qu'un homme ridicule .
Rien ne m'amuse plus que de voir un conteur ennuyeux
faire une histoire circonstanciée , sans quartier
je ne suis pas attentif à l'histoire , mais à la
maniere de la faire .
Je me souviens que j'eus autrefois la curiosité de
compter combien de fois j'entendrais faire une petite
histoire , qui ne méritait certainement pas d'être
dite ni retenue . Pendant trois semaines qu'elle occupa
le monde poli , je l'entendis faire deux cents
vingt-cinq fois , dont je fus très-content.
Pour la plupart des gens , j'aime mieux les approuver
que les écouter.
Je n'ai jamais voulu souffrir qu'un homme d'esprit
s'avisât de me railler deux jours de suite .
Quand je me fie à quelqu'un je le fais sans réserve,
mais je me fie à très- peu de personnes.
( 155 )
Ce qui m'a toujours donné une assez mauvaise
opinion de moi , c'est qu'il y a fort peu d'états dans
la république auxquels j'eusse été véritablement
propre.
Quant à mon métier de président , j'ai le coeurtrèsdroit.
Je comprenais assez les questions en ellesmêmes
; mais quant à la procédure je n'y entendais
rien. Je m'y étais pourtant appliqué ; mais ce qui
m'en dégoûtait le plus , c'est que je voyais à des
bêtes le même talent qui me fuyait pour ainsi dire .
Ma machine est tellement composée que j'ai besoin
de me recueillir dans toutes les matieres un péu
abstraites. Sans cela , mes idées se confondent ; et si
je sens que je suis écouté , il me semble dès - lors que
toute la question s'évanouit devant moi . Plusieurs
traces se réveillent à la fin ; et il résulte de là qu'aucune
trace n'est réveillée .
1
Quant aux conversations de raisonnemens , les
sujets sont toujours coupés et recoupés ; je m'en tire
assez bien.
Je pardonne aisément par la raison que je ne sais
point haïr. Il me semble que la haine est douloureuse.
Lorsque quelqu'un a voulu se reconcilier avec
moi , j'ai senti ma vanité flattée , et j'ai cessé de regarder
comme ennemi un homme qui me rendait le
service de me donner bonne opinion de moi.
Dans mes terres avec mes vassaux , je n'ai jamais
voulu qu'on m'aigrît sur le compte de quelqu'un.
Quand on m'a dit : Si vous saviez les discours qui ont
été tenus ! Je ne veux pas les savoir , ai -je répondu.
Si ce que l'on voulait rapporter était faux
je ne voulais pas courir le risque de le croire : si
...
( 156 )
c'était vrai , je ne voulais pas prendre la peine de
hair un faquin.
A l'âge de 35 ans j'aimais encore .
J'ai assez aimé de dire aux femmes des fadeurs et
de leur rendre des services qui coûtent si peu.
Il m'est aussi impossible d'aller chez quelqu'un
dans une vue d'intérêt , qu'il m'est impossible de
voler dans les airs .
7 Quand j'ai été dans le monde , je l'ai aimé comme
si je ne pouvais souffrir la retraite ; quand j'ai été
dans mes terres , je n'ai plus songé au monde .
Je suis , je crois , le seul homme qui ait fait des
livres ayant sans cesse peur de la réputation de bel
esprit ceux qui m'ont connu savent que dans les
conversations je ne cherchais pas trop à le paraître ,
et que j'avais assez le talent de prendre la langue de
ceux avec lesquels je vivais .
J'ai eu le malheur de me dégoûter très souvent des
gens dont j'avais desiré le plus la bienveillance.
Pour mes amis , à la réserve d'un seul , je les ai
tous conservés .
* J'ai eu pour principe de ne jamais faire par autrui
ce que je pouvais faire par moi -même. C'est ce
qui m'a porté à faire ma fortune par les moyens que
j'avais dans mes mains , la modération et la frugalité
, et non par des moyens étrangers , toujours bas
et injustes.
1
Avec mes enfans , j'ai vécu comme avec mes amis.
Quand on s'est attendu que je brillerais dans une
conversation , je ne l'ai jamais fait. J'aimais mieux
avoir un homme d'esprit pour m'appuyer qu'un sot
pour m'approuver.
( 157 )
Il n'y a pas de gens que j'aie plus méprisés que
les petis beaux esprits , et les grands qui sont sans
probitė .
Je n'ai jamais été tenté de faire un couplet de chanson
contre qui que ce soit.
Je n'ai jamais paru dépenser ; mais je n'ai pas été
avare ; et je ne sache pas de chose assez peu difficile
pour qui je l'eusse faite pour gagner de l'argent.
Ce qui m'a beaucoup nui , c'est que j'ai toujours
trop méprisé ceux que je n'estimais pas.
Je me souviens qu'en sortant d'une piece intitulée
Ésope à la Cour , je fus si pénétré du desir d'être plus
honnête homme , que je ne sache pas avoir formé
une résolution plus forte . Bien différent de cet ancien
qui disait qu'il n'était jamais sorti du spectacle
aussi vertueux qu'il y était entré .
J
4
Il y a autant de vices qui viennent de ce qu'on ne
-s'estime pas assez , que de ce que l'on s'estime trop.
Les gens qui ont peu d'affaires sont de très -grands
parleurs ; moins on pense , plus on parle ; ainsi , les
femmes parlent plus que les hommes . A force d'oisiveté
elles n'ont point à penser. Une nation où les
femmes donnent le ton est une nation parleuse.
La raillerie est un discours en faveur de son esprit
contre son bon naturel.
Il y a certains défauts qu'il faut voir pour les sentir
, tels que les habituels .
L'héroïsme que la morale avoue ne touche que
peu de gens c'est l'héroïsme qui détruit la morate
qui nous frappe et cause notre admiration.
Par-tout où je trouve l'envie je me fais un plaisir
( 158 )
de la désespérer. Je loue toujours devant un curieux
ceux qui le font pâlir.
Les ouvrages qui ne sont point de génie ne prouvent
que la mémoire ou la patience de l'auteur.
La dévotion est une croyance qu'on vaut mieux
qu'un autre .
Je souhaite avoir des manieres simples , recevoir
des services le moins que je puis , et en rendre le
plus qu'il m'est possible .
Le mérite console de tout.
J'ai oui dire au cardinal Imperiali : Il n'y a point
d'homme que la fortune ne vienne visiter une fois
dans la vie . Mais lorsqu'elle ne le trouve pas prêt
à la recevoir , elle entre par la porte et sort par la
fenêtre.
Remarquez bien que la plupart des choses qui nous
font plaisir sont déraisonnables .
La raison pour laquelle les sots réussissent toujours
dans leurs entreprises , c'est que ne sachant pas et ne
voyant pas quand ils sont impétueux , ils ne s'arrêtent
jamais,
Les livres anciens sont pour les auteurs ;
veaux , pour les lecteurs.
les nou-
Je n'aime pas les petits honneurs . On ne savait
pas auparavant ce que vous méritiez . Mais ils vous
fixent et décident au juste ce qui est fait pour vous .
Si je savais quelque chose qui me fût utile , et qui
fût préjudiciable à ma famille , je le rejetterais de
mon esprit. Si je savais quelque chose qui fût utile
à ma famille , et qui ne le fût pas à ma patrie , je chercherais
à l'oublier . Si je savais quelque chose utile
à ma patrie , et qui fût préjudiciable au genre humain ,
je le regarderais, comme un crime,
( 159 )
J'ai fait en ma vie bien des sottises , et jamais de
méchancetés.
Les Français sont agréables , se communiquent ,
sont variés , se livrent dans leurs discours ; ils se promenent
, marchent , courent , et vont toujours jusqu'à
ce qu'ils soient tombés .
Quand je vois un komme de mérite , je ne le décompose
jamais . Un homme médiocre qui a quelques
bonnes qualités , je le décompose toujours.
J'ai la maladie de faire des livres , et d'en être honteux
quand je les ai faits .
Les auteurs sont des personnages de théâtre.
Je n'aime pas les discours oratoires . Ce sont des
ouvrages d'ostentation.
La plupart des hommes sont plus capables de
grandes actions que de bonnes .
Le peuple est honnête dans ses goûts , sans l'être
dans ses moeurs .
Une belle action est celle qui a de la bonté , et
qui demande de la force pour la faire .
Si l'on ne voulait qu'être heureux , cela serait bientôt
fait ; mais on veut être plus heureux que les
autres ; et cela est presque toujours difficile , parce
que nous croyons les autres plus savans qu'ils ne
sont.
Les gens qui ont beaucoup d'esprit tombent souvent
dans le dédain de tout .
Je hais Versailles , parce que tout le monde y est
petit ; j'aime Paris , parce que tout le monde y est
grand.
La timidité a été le fléau de toute ma vie . Elle
semblait obscurcir jusqu'à mes organes , lier ma
( 160 )
langue , mettre un nuage sur mes pensées , déranger
mes expressions. J'étais moins sujet à ces abattemens
devant des gens d'esprit que devant des sots . C'est
que j'espérais qu'ils m'entendraient ; cela me donnait
de la confiance . Dans les occasions , mon esprit
comme s'il avait fait un effort , s'en tirait assez bien .
J'ai toujours vu que , pour réussir dans le monde ,
il fallait avoir l'air fou , et être sage.
Je n'ai jamais aimé à jouir du ridicule des autres .
J'ai été peu difficile sur l'esprit des autres . J'étais ami
de presque tous les esprits , et ennemi de presque
tous les coeurs .

Le succès de la plupart des choses dépend de savoir
combien il faut de tems pour réussir.
Deux beautés communes se défont ; deux grandes
beautés se font valeir . C'est l'effet d'un mérite
extraordinaire d'être dans tout son jour auprès d'un
mérite aussi grand .
Je suis amoureux de l'amitié .
M *** parlant des beaux génies perdus dans le
nombre des hommes , disait : Comme des marchands ,
ils sont morts sans déplier ,
Je ne sache pas encore avoir dépensé quatre louis
par air , et fait une visite par intérêt .
Je disais sur les amis tyranniques et avantageux :
L'amour a des dédommagemens que l'amitié n'a pas .
On ne saurait croire jusqu'où a été dans ce siecle
la décadence de l'admiration.
Les gens d'esprit sont gouvernés par des valets , et
les sots par des gens d'esprit .
Ce qui manque aux orateurs en profondeur , ils
vous le donnent en longueur.
Les
( 161 )
Les quatre grands poetes ; Platon , Mallebranch ,
Shaftesbury , Montaigne .
Il faut avoir beaucoup étudié pour savoir peu.
La dévotion trouve pour faire de mauvaises actions
des raisons qu'un simple honnête homme ne saurait
trouver. 3 200
J'aime mieux être tourmenté par mon coeur que
par mon esprit .
Si un Persan ou un Indien venait à Paris , il faudrait
six mois pour lui faire comprendre ce que c'est
qu'un abbé commendataire qui bat le pavé de Parissa
Je fais faire une assez sotte chose ; c'est ma généa ,
logie.
k
Louis XIV, ni pacifique , ni guerrier avait les
formes de la justice , de la politesse , de la dévotion ,
et l'air d'un grand roi. Doux avec ses domestiqués ,
libéral avec ses courtisans , avide , avec ses peuples ,
inquiet avec ses ennemis , despotique dans sa famille ,
roi dans sa cour , dur dans les conseils , enfant dans
celui de la conscience , dupe de tout ce qui joue les
princes , des ministres , des femmes et des dévots ;
toujours gouvernant et toujours gouverné ; malheureux
dans le choix , aimant les sots , souffrant les ta
lens , craignant l'esprit ; sérieux dans ses amours ; et
dans ses derniers attachemens , faible à faire pitié ;
aucune force d'esprit dans les succès ; de la fermeté
dans les revers , du courage dans sa mort . Il aima la
gloire et la religion , et on l'empêcha toute sa vie de
connaître ni l'une ni l'autre . Il n'aurait eu aucun de
ces défauts s'il avait été un peu mieux élévé , ou s'il
avait eu un peu plus d'esprit.
J'avoue peu mon goût pour les anciens . Cette anti-
Tome XXI . I
>
( 162 )
quité m'enchante et je suis to jours prêt à dire avec
Pline C'est à Athenes que vous allez respecter les
Dieux riov qe
:
J'ai admiré plusieurs critiques faites contre les
anciens , mais j'ai toujours admiré les anciens. J'ai
étudié mon goût , et j'ai examiné si ce n'était point
un de ces goûts malades sur lesquels on ne doit faire
aucun fonds. Mais plus j'ai examiné , plus j'ai senti
que j'avais raison de sentir comme j'ai senti.
Lorsque je goûte un plaisir , je suis affecté , et je
suis toujours étonné de l'avoir recherché avec indif
férence. 119 Jo
Je ne hais pas de me divertir en moi - même des
hommes que je vois , sauf à eux de me prendre à leur
tour pour ce qu'ils veulent.
TH
Je disais à Mare. Duchâtelet : Vous vous empêchezde
dormir pour apprendre la philosophie. Il faudrait
au contraire étudier la philosophie pour apprendre
à dormir. This
Je n'ai gueres donné mon jugement que sur les at
teurs que j estimais , n'ayant gueres vu , autant qu`il
m'a été possible , que ceux que j'ai cru les meilleurs .
Ma file disait très -bien . Les mauvaises manieres
ne sont dures que la premiere fois .
La France se perdra par les gens de guerre.
Quand on a été temme à Paris , on ne peut pas être
femme ailleurs.
Quand on court après l'esprit , on attrape la sottise.
Les ecclésiastiques sont les fistteurs des princes ,
quand ils ne peuvent pas être leurs tyrans.
Les grands seigneurs ont des plaisirs ; le peuple
a de la joie.
1
( 163 )
J'aime les maisons où je peux me tirer d'affaire
avec mon esprit de tous les jours.
j'ai
Je n'ai point êté fâché de passer pour distraît , cela
m'a fait hasarder bien des négligences qui m'auraient
embarrassé . Dans les conversations et à table ,
toujours été charmé de trouver un homme qui voulût
prendre la peine de briller. Un homme de cette es
pece présente toujours le flanc , et les autres sont
sous le bouclier . 1.
Aimer à lire c'est faire un échange des heures d'ennuis
que l'on doit avoir en sa vie contre des heures
délicieuses.q essive vst abs .
Je ne puis comprendre comment les princes croient
si aisément qu'ils sont tout , et comment les peuples
sont si prêts à croire qu'ils ne sont rien .
On demandait à Chirac , sile commerce des femmes
était mal sain . Non , disait-il, pourvu qu'on ne prenne
pas de drogue, mais je reviens que le changement
b
est une drogue
.
J
S'il m'est permis de prédire la fortune de mon our
vrage , il sera plus approuvé que lu. De pareilles
lectures peuvent être un plaisir , elles ne sont jamais
un amusement.
J'avais conçu le dessein de donner plus d'étendue
et de profondeur à quelques endroits de mon Esprit
des Lois. J'en suis devenu incapable . Mes lectures
mont affaibli les yeux , et il me semble que ce qu'il
me reste encore de lumiere n'est que l'aurore du jour
où ils se fermeront pour jamais .
L
( 164 )
1 ANNONCE S.
LIVRES FRANCAIS.cariad
Abrégé élémentaire des principes de l'économie politique , par
le cit. Garnief auteur de la Propriété considérée dans ses
rapports avec le droit politique et traducteur des aventures
de Caleb Williams . Un volume in- 12 , beau papier. Prix ,
300 liv en assignatss A Paris , chez H. Agasse , libraire , rue
des Poiteyins , no . 18. 4.b up
#
J'ai pensé , dit l'auteur dans l'avertissement , que , dans
un moment où l'on paraît enfin, songer à cette dette sacrée
dont chaque génération est chargée envers celle qui se prépare
à lui succéder , où l'on offre journellement à la jeunesse des
livres clémentaires sur toutes les sciences qui doivent entrer
dans son éducation , des élémens de l'économie politique ne
seraient pas sans utilité .
312
Cess élémens
sont
écrits
avec
beaucoup
de
méthode
et
une
grande
clarté
; ils
serviront
à
initier
les
commerçans
dans
l'étude
de
la
science
si importante
de
l'économie
politique
, et
les
personnes
qui
ont
fait
des
progrès
dans
cette
science
y
verront
avec
intérêt
les
principes
certains
qui
en
sont
la
bâsé
,
réunis
en
un
volume
de
moyenne
grosseur
. Nous
reviendrons
sur
cet
ouvrage
,
que
l'on
peut
appeller
classique
dans
ce
genre
.
19
Le Sérail , ou histoire des intrigues secretes et amoureuses
des femmes du grand-seigneur ; édition ornée de huit gravures
, par J. Grasset Saint- Sauveur. Deux volumes in- 18.
Prix , 350 liv . franc de port.
Lx
A Paris , chez Deroi , libraire , rue du Cimetiere - Saint-
André- des -Arcs , nº . 15 , l'an IV.
( 105 )
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ཝཱ་
ÉTATS - UNIS D'AMÉRIQUE.
De Philadelphie , le 10 mars 1796.
DEPUIS long-tems les navigateurs américains se
plaignent des vexations qu'ils éprouvent de la part de
ceux de l'Angleterre , qui ne se bornent point à s'emparer
de leurs vaisseaux et de leurs propriétés ; c'est un
fait connu , et mille exemples l'attestent : ils exercent
des violences sur leurs personnes . Le congrès s'occupe,
dans ce moment , des moyens d'en arrêter le cours.
Il a été proposé , en la chambre des représentans ,
de charger le pouvoir exécutif d'envoyer en Angle
terre des agens ad hoc , pour obtenir la délivrance de
tous ceux des marins qui ont été enlevés de force à
bord de nos bâtimens , et qui sont maintenant sur
ceux de cette puissance.
Le traité de commerce que le gouvernement de ce
pays a conclu avec le roi de la Grande- Bretagne est
toujours le sujet des plus vives discussions dans les
législatures particulieres. Le moment est arrivé où le
congrès va s'en occuper. Le président des Etats - Unis
vient d'en faire remettre une copie devant la chambre
des représentans .
M. Livingston , un des membres de cette chambre,
L 3
( 166 )
a déposé sur le bureau un projet de résolution portant
: Que le président sera invité de mettre sous
ses yeux une copie des instructions qui ont été données
au ministre des Etats - Unis qui a négocié ce
traité , ainsi que la correspondance et les documens
qui y sont relatifs . ,,
ETX
A
New- Yorck , le 18 mars. Ou apprend , par des lettres
écrites de l'isle de Sainte - Croix , que les vaisseaux de
guerre anglais ont reçu ordre de s'emparer de tous les
bâtimens neutres allant ou revenant des ports des
établissemens hollandais , et que déja un grand nombre
de danois ont été pris sous ce prétexte .
Le capitaine Brigt , commandant le navire l'Otsego ,
venant des Indes orientales , a annoncé la perte du
vaisseau anglais le Diomede , qui a péri le 31 juillet
dernier, près l'isle de Ceylan : il a couté bas après avoir
touché sur un rocher ; l'équipage a été sauvé par la
frégate l'Héroïne.
L'acceptation de l'acte constitutionnel d'un peuple
qui , depuis six ans , fixe sur lui les regards de l'u
nivers étonné , est un événement qui doit sans doute
intéresser tous ceux qui ont le bonheur de tenir à ce
peuple magnanime par les liens du sang , dans quelque
contrée que la fatalité des circonstances les ait re .
légués . Aussi le consul de la nation Française , dans
l'état de New -Yorck , jugeant qu'il était de son
devoir d'informer officiellement ses concitoyens des
lois constitutionnelles et fondamentales de la prospérité
futuré de la France , les a invités à se trouver
aujourd'hui au consulat pour en entendre la promulgation
solemnelle .
( 167 )
Cette journée étant un jour de fête pour tous ceux
qui s'honorent du nom français a été annoncée , au
lever de l'aurore , par une salve générale des bâtimens
de guerre de la République actuellement en station
dans le port de New-Yorck , ornés du pavillon tricolor
et des banderolles de la liberté. A midi' le
consul s'est rendu à bord du Scipion pour y lire la
constitution aux braves marins qui en sont les dé
fenseurs et les plus fermes soutiens. Mille cris d'ap
plaudissement et une nouvelle salve d'artillerie ont
manifesté la joie de ces généreux républicains .
Ensuite le consul est revenu au consulat , où s'était
déja réuni un nombre considérable de Français que
l'amour de la liberté et leur attachement à la Répu
blique y avait attirés. Il leur a adressé un discours
dont voici un passage :
Quel spectacle étonnant et sublime ! C'est au
sein des orages politiques , dont ils ont constamment
été enveloppés ; c'est au milieu des torches et
des poignards des fanatiques et des factieux , dont
ils avaient à se garantir , que nos intrépides législateurs
ont tracé ces lois , dont la douceur et la justice
honorent l'humanité , et qui , par leur sagesse ,
semblent n'avoir pu être conçues que dans le calme.
de la profonde réflexion , et dans l'absence de toutes
les passions . "
A trois heures , les consuls de France , d'Espagne
et de Hollande , accompagnés de plusieurs officiers
du gouvernement civil et militaire de New-Yorck
d'un grand nombre de citoyens américains et de tous
les Français qui se sont trouvés en état de contribuer
à cette fête patriotique , se sous rendus dans la salle
7
1
L4
( 168 )
d'assemblée publique. Il y a eu repas et concert ; on
a porté des toasts républicains .
y
ALLEMAGNE,
De Hambourg , le 10 mai 1796 .
Le cabinet de Stockholm a jugé à propos d'envoyer
à Pétersbourg un agent extroordinaire pour
faire connaître ses dispositions pacifiques , et obtenir
sur les desseins de l'impératrice une explication
formelle et précise . Cet agent est le comte de Steen--
bock. Jusqu'à- présent on ne connaît point le résultat
de la mission dont il est chargé . En attendant ,
on ne se ralentit sur aucune des mesures de défense
qui ont été précédemment ordonnées . On dit même.
que le régent doit se rendre à Carlscrone pour accélérer
l'armement qui s'y prépare. Au reste , le gou
vernement , à la disposition duquel on a déja mis
de grands moyens pecuniaires , trouvera de puissantes
ressources dans le patriotisme des Suédois . Il paraît .
que le plus parfait accord regne entre toutes les
classes des citoyens sur les sentimens que l'on doit à
la Russie ; que tous sont révoltés de ses prétentions ,
indignés de son orgueil , et qu'ils sont prêts à marcher
pour repousser ses tentatives , défendre leur
sûreté , et soutenir leur honneur et leur indépendance.
Des écrits nombreux entretiennent , échauffent
ce zele patriotique , dont on cite un exemple
que nous nous empressons de rapporter. Des paysans
finlandois , assemblés dans un marché de chevaux
ayant oui dire que le gouvernement voulait en faira
ouï
+
( 169 )
acheter en grand nombre , en ont offert 700 en pur
don , et ont proposé leurs services personnels contre
les Russes .
Il est présumable que la cour de Stockholm , à qui
de si heureuses dispositions semblent devoir inspirer
beaucoup de confiance et de sécurité , n'acceptera
, pour éviter une rupture avec la Rursie , aucune
condition qui pourrait , nous ne disons pas blesser ,
mais seulement effleurer sa dignité , ou ses intérêts .
Elle a trop de prévoyance , trop de sagesse ; elle
connaît trop bien le génie et les vues du cabinet de
Pétersbourg pour ne pas sentir qu'en éloignant , par
les condescendances même les plus légeres , les plus
indifférentes en apparence , les dangers du moment ,
elle ne ferait que rendre plus certains et plus terribles
les dangers de l'avenir .
On mande de Constantinople que la révolte vient
d'éclater dans une partie de la Turquie asiatique , et
livrer la Porte à de nouvelles inquiétudes et à de
nouveaux embarras . Le pacha d'Acre , que le caractere
le plus féroce à fait nommer Gezzar ou le Carnacier
, destitué par le grand- seigneur , que ses cruautés
avaient justement irrité , s'est mis à la tête d'une
horde de brigands , à l'aide desquels il s'est emparé
des villes de Giaffa et de Rama , dépendantes du
pacha de Damas , et porte dans ses malheureux pays
la dévastation et le carnage. Voici ce que l'on raconte
de ce monstre sanguinaire : Il était , il y a
30 ans , bey du Caire . Il se révolta contre le fameux
Aly- bey , gouverneur de l'Egypte , et parvint à le
faire emprisonner. Mais les autres beys se réunirent
contre lui , et le forcerent de se réfugier à Damas , où
( 170 )
il s'établit cafetier. Lors de la derniere guerre contre
les Russes , le pacha de Damas , qui connaissait ses
talens militaires , le chargea de fortifier et de de
fendre le port de Bayruiti . Ce fut là qu'il fit enterrer
vivans un très - grand nombre d'hommes , et qu'il ac-.
quit le surnom odieux sous lequel il est connu . Cependant
le compte que le capitan pacha , qui l'avait
connu en Egypte , rendit de ses opérations , disposa
en sa faveur , et le grand- seigneur le nomma gouverneur
d'Acre et pacha de Tyr et de Sidon. Il paraît
que sa prospérité , loin d'adoucir ses moeurs , n'a fait
que les rendre plus barbafes encore . On doit croire
que la Russie ne manquera pas d'entretenir , et de
soutenir , autant qu'elle le pourra , cette nouvelle
diversion. Elle emploie tous les moyens pour sus
citer des embarras à la Porte ; c'est elle sans doute
qui a formé le parti qui existe à Constantinople , et
dont l'objet est d'aigrir le peuple contre le gouvernement
et le grand- seigneur. Ce qui ne s'était point
vu jusqu'à-présent , on les attaque l'un et l'autre dans
des libelles répandus avec profusion . On empoisonne
toutes leurs vues ; on critique toutes leurs operations ;
on leur reproche de donner une préférence éclatante.
à tout ce qui est étranger , et particulierement aux
Européens . On représente cette préférence comme
extrêmement dangereuse , et sur tout comme injurieuse
aux véritables musulmans . On n'a point remarqué
jusqu'à présent que ces suggestions perfides
aient eu quelque succès. Cependant on ne peut se
dissimuler , qu'appuyées sur quelques faits généralement
connus , elles ne soient propres à exaspérer
un peuple orgueilleux , accoutumé à une estime ex(
171 )
V
clusive pour ses moeurs et ses usages . On ne doute
pas que la Porte ne cherche et ne trouve des moyens
de se venger de fes hostilités secretes de la cour de
Pétersbourg dans l'insurrection qui s'est annoncée en
Podolie. Cette insurrection commence à s'organi
ser sous le lien d'une confédération , dont le comte
Oginsky , ci - devant grand- écuyer de Lithuanie ', et
Kociol qui s'est déja fait connaître dans la derniere
révolution , sont les chefs principaux , de maniere
à donner des espérances aux amis de la liberté , et
des inquiétudes à Catherine II . Quoi qu'il en soit ,
cette princesse multiplie journellement ses vexations
dans le pays qu'elle a usurpé , elle en fait enlever
les hommes , l'argent et l'or. Elle a mis en requisition
tout ce qui existe en Lithuanie de ces métaux monnoyés
ou non monnoyės .
De Francfort-sur- le - Mein , le 10 mai.
On avait répandu que le duc de Brunswick devait
commander une armée de 60 mille hommes , destinée
à défendre , pendant la prochaine campagne .
la neutralité des pays enclavés dans la ligne de dé
marcation. On faisait entrer dans la composition de
cette armée 35 mille Prussiens , 15 mille Hanovriens ,
5 mille Brunswickois , et autant de Hessois . Le rassemblement
d'une force aussi considérable donnait
lieu à beaucoup de conjectures sur les motifs vẻ-
ritables qui avaient pu y donner lieu. Mais on sait
maintenant que les préparatifs du roi de Prusse
avaient été fort exagérés . Les troupes que ce prince
fait marcher vers la Westphalie ne montent pas à
plus de 18 à 20 mille homines.
( 172 )
1
Jamais , disent les nouvelles de Vienne , les différens
bureaux du ministere n'ont été en aussi grande
activité , les expéditions de couriers pour Pétersbourg
et Londres plus fréquentes , ni les vues du cabinet
impérial plus impénétrables . Le différend survenu
entre la Suede et la Russie a fait mouvoir de nouveaux
ressorts , et si le Nord est de nouveau embrâsé ,
on peut croire que l'Autriche aura contribué à allumer
l'incendie .
7
Les princes et les émigrés français , qui , depuis un
certain tems n'étaient plus en faveur à la cour ,
reparaissent maintenant sur la scene. Le duc de Polignac
, qui arrive de Pétersbourg , et St- Priest , sont
les grands moteurs de leurs affaires. Ils ont aussi un
ministre secondaire ici , dans la personne de Choiseul
-Gouffier. Le duc de Polignac a obtenu une audience
particuliere de l'empereur. Il a eu ensuite
une conférence de plus de deux heures avec les principaux
ministres. Il est chargé , de la part de Catherine
, d'enrôler des émigrés pour la marine russe .
Polignac est en outre porteur d'une quantité , de brevets
et , ce qui est mieux , d'une somme de cent mille
ducats pour être distribuée parmi ceux de ses com
patriotes qui se rendront à Cherson.
La négociation du marquis Manfredini n'a pas été
heureuse . On assure que l'empereur ne veut pas reconnaître
la neutralite du grand - duc de Toscane .
De Rastadt , le 28 avril.
Le comte de Lille ( Louis XVIII ) vient d'arriver à
l'armée de Condé . Il a dit au Prince : Ce n'est pas le
( 173 )
roi qui vient commander son armée ; c'est le premier gentilhomme
du royaume qui vient servir sous les ordres du
descendant du Grand-Condé.
ITALIE. De Véronne , le 21 avril.
Le 13 de ce mois , le marquis Carlotti , noble véronais
, alla signifier à Monsieur , de la part du sénat de
Venise , que l'asyle qui lui avait été accordé cessait ,
et qu'il eût à sortir des états de la république dans
le plus court délai.
A cette notification qui lui fut faite directement
sans qu'aucun avis l'en eût prévenu , sans qu'aucun
intermédiaire l'y eût préparés, il répondit : Je partirai
, mais j'exige deux conditions ; la premiere , qu'on me
présente le livre d'or , où ma famille est inscrite , afin que
j'en raie le nom de ma main ; la seconde , qu'on me rende
l'armure dont l'amitié de mon ayeul Henri IV a fait pré
sent à la république.

Cette réponse déplut sans doute au noble vénitien
Pringli , podestat de Vérone . Il protesta contre elle ,
et le lendemain il renvoya le même noble véronois
porter au roi sa protestation. F'ai répondu hier , dit ce
prince , à ce que vous m'avez déclaré au nom de votre
gouvernement ; vous m'apportez aujourd'hui une protestation
de la part du podestat ; je ne la reçois point ; je ne
recevrais pas davantage celle du sénat ; j'ai dit que je partirais
, je partirai en effet , dès que j'aurai reçu les passeports
que j'ai envoyé chercher à Venise ; mais je persiste
dans ma réponse ; je me la devais , et je n'oublie pas que
je suis roi de France.
En conséquence , le roi a pris aujourd'hui la route
( 174 )
de l'armée de Condé ; il y arrivera comme gentilhomme
français , et il restera en cette qualité jusqu'à
ce qu'il puisse y paraître différemment sans blesser
les considérations politiques qui le retenaient à Vérone
.
F
HOLLANDE. De la Haye , lo 4 mai.
L'assemblée nationale batave poursuit ses travaux
avec beaucoup de zele et d'assiduité . Il lui avait été
proposé des mesures pour rétablir dans la province
de Frise la tranquillité qui avait été troublée par les
partisans de l'ancien régime , et pour étouffer dans
quelques villes importantes , telles que Rotterdam
les germes de division que les mêmes hommes cherchaient
à y développer. Elle a cru devoir s'en rapporter
à la surveillance , à la sagesse et au zele des
autorités locales , et n'intervenir dans ces troubles
domestiques que par des conseils et des exhortations.
4. Elle s'est occupée des moyens de se procurer l'argent
nécessaire pour faire face aux dépenses qu'exige
la défense de la république . Elle a approuvé en conséquence
une résolution prise en comité général ,
portant qu'il sera écrit une lettre circulaire aux provinces
respectives , avec la demande d'une somme de
soixante millions de florins , afin de subvenir à tout ce
qui sera nécessaire dans l'année courante pour l'armée
, la marine , etc .; pétition à laquelle elle desire
qu'il soit satisfait à trois échéances ; la premiere , au
c . juin ; la seconde , au 1er septembre ; la troisieme ,
au 1er décembre prochain l'assemblée laissant à
l'administration des provinces respectives les moyens
( 175 )
pour rassembler cette somme , mais les exhortant
ne point prendre des dispositions insuffisantes , ni
demi -mesures , etc.
Le ministre de la République Française , le titoyen
Noël , avait démandé l'exécution des articles du traité
d'alliance relatifs anx émigrés .
L'assemblée a adopté une proclamation , où elle
proteste de son zele et de l'union entre les deux ré
publiques , et décrete , à la suite , que tous émigrés
français , c'est - à- dire tout individu qui , ayant quitté
la France depuis 1789 , n'est point muni d'un passe
port en regle , ni reconnu par les ministres et agens
de la République Française , seront tenus de quitter
le territoire batave dans l'espace de quinze jours après
la publication de la présente loi , sous peine d'être
saisis et punis suivant l'exigence du cas .
Dans la séance du g mai , le cit . Blok fit une proposition
qui donna lieu à de longues discussions.
Elle était relative aux dangers dont ce député croyait
la patrie menacée par les vues qu'on pouvait supposer
à la maison de Brandebourg , pour le rétablissement
de la famille stadhoudérienne ; par le rassemblement
d'une armée de 60 mille hommes en Westphalie et
sur les frontieres de la république , composée de
troupes prussiennes, hanovriennes , hessoises et brunst
wickoises ; par le nouvel emprunt de six millions et
demi sterling , que le ministere britannique venait
de faire ; emprunt , qui vraisemblablement n'avait
d'autre but que de soutenir et de seconder par ces
moyens les opérations de l'armée en question , etc.
Il proposa en conséquence de nommer une commission
, composée d'un petit nombre de pers
«
( 176 )
1
sonnes , et chargée 1 ° . , de demander au comité de
la guerre des informations exactes sur l'état présent
de défense de la république ; d'en prendre même
inspection sur les lieux ; et de concerter avec le même
comité ainsi que d'exécuter les mesures nécessaires
pour repousser une aggression hostile au dehors .
2º . D'indiquer à l'assemble nationale les mesures les
plus convenables contre les ennemis intérieurs , dans
le cas de l'approche de troupes ennemies contre la
patrie , afin que , si l'on était assez malheureux de
devoir succomber à la force , ils n'eussent pas lieu
de se réjouir de notre défaite . ,,
Les députés Vreede , Bosch et Valckenaer ajou
terent à cette proposition celle de donner dans ces
circonstances de plus amples pouvoirs à l'assemblée ,
qu'il ne lui en a été accordé par le réglement de sa
convocation, et de convoquer de nouveau à cet effet les
assemblées primaires par une proclamation , dont le
dernier proposa un projet. Il a été nommé une come
mission , pour examiner l'une et l'autre de ces propo
sitions et en faire rapport . Ensuite l'assemblée approuva
le projet d'une déclaration de guerre contre la
Grande- Bretagne , qui avait été remis à une séance
précédente. A la séance du 3 mai , le député Staphorst
informa l'assemblée , que le traité additionnel
entre les Républiques Française et batave , relatif aux
50 millions qui doivent encore être payés à la premiere
en vertu du traité d'alliance , avait été conclu
et signé , de la part de la France , par le ministre Noël ,
et de notre côte par les députés Staphorst et van der
Hoop. Ce traité , dont un secrétaire fit ensuite lecture
, contient en substance , qu'en tems de guerre
il
( 177 )
fl sera payé annuellement trois millions en rabais au
cette somme à la France , et en tems de paix six millions
. En vertu des pleins-pouvoirs , ce traité n'a
pas besoin de ratification.
ANGLETERRE. De Londres , le 28 avril.
--
de
La banque refuse l'escompte même aux meilleures maisons ,
et même à celles qui ont pris des engagemens pour faire venir
des grains . Il en résulte une méfiance universelle sur la solidité
de cette grande machine de papier. Elle refuse même d'es
compter les billets gagnans de la loterie , quoiqu'ils n'aient
que trois mois d'échéance , et quoique ces effets soient publics
et nationaux. Elle a escompté pour cent cinquante liv . sterl . seulement
à la maison la plus solide , qui lui avait envoyé des
effets pour huit mille liv. sterl . Jugez de sa situation . On prépare
93 navires pour aller chercher du grain à Pétersbourg . On
en attend , et on en tire de toutes parts , et même du cap
Bonne-Espérance , où la recolte a été très-abondante . A
l'occasion du nouvel emprunt de 7 millions et demi de liv .
sterl . , M. Pitt a fait , le 18 de ce mois , dans la chambre des
communes la déclaration suivante : Qu'il n'existait point d'objet
plus intéressant que celui dont il voulait occuper l'attention du
parlement qu'il s'affligeait infiniment d'être forcé , par le
service de l'état , à augmenter encore la grande charge des
dépenses publiques que d'un autre côté il était satisfaisant
pour lui de pouvoir peindre la prospérité et les richesses du
pays sans cesse croissantes : que jamais puissance n'avait soutenu
une guerre ni aussi pénible ni aussi étendue que l'est celle
où l'Angleterre se trouve engagée ; que la derniere déclaration
de l'ennemi imposait la loi d'examiner avec exactitude les
moyens qu'a la Grande -Bretagne pour continuer une lutte
du succès de laquelle dépendent , disait-il , ses intêrêts les
plus chers ; que le parti de l'opposition s'était depuis longs
tems appliqué à abaisser ces moyens et ses richesses ; mais que
lui saurait prouver aux Français qu'ils avaient en vain compté
sur l'épuisement des finances de l'Angleterre .
Pour trouver l'intérêt annuel de ce nouvel emprunt , qu'il
portait à 575,900 liv . sterl . , M. Pitt proposa une augmentation
de la taxe sur le vin , à raison de 20 liv. par tonneau ; il calcula
que l'importation de cette liqueur montant à 30,000 tonneaux
par an , ce seul impôt rapporterait 600,000 liv . sterl.
Tome XXII . M
1
( 178 )
RÉPUBLIQUE FRANÇAISL
CORPS LÉGISLATIF.
Séances des deux conseils , du 15 au 25 florial.
·
Dumolard fait au conseil des Cinq cents un
rapport relatif à l'attribution donnée au tribunal criminel
, d'instruire la procédure contre les prévenus
d'assassinats commis à Lyon. Il parlait depuis plus
d'une heure , lorsque le conseil manifesta son impa.
tience d'entendre les nouvelles officielles d'Italie .
Mais le président le ramene au calme en lui apprepant
qu'il n'y a dans les messages du Directoire ,
rien qui concerne cet objet. Le rapport de Dumolard
tendant à rendre aux juges naturels la connaissance
de ces délits , sera imprimé , et la question est
ajournée.
Chénier occupe de nouveau le conseil de la commune
de Lyon. Il s'agit de savoir si conformément
au message du Directoire , il annullera tous les certi
ficats de résidence délivrés dans cette commune
depuis 1793 jusqu'à l'arrivée des représentans du
peuple Poulin et Despinassy. Lyon , dit Chénier
par son influence , par ses relations commerciales
par sa position topographique , a fixé les plus cheres
espérances des émigrés et des prêtres rebelles à la
loi. Il forme un point de communication entre Paris
et les départemens méridionaux ; voisin des frontieres
de l'Est , il est le refuge naturel des émigrés rentrés
par la Suisse et les montagnes du Jura . Il reste donc
( 179 )
à examiner si les principes et les circonstances p .
mettent l'adoption de cette mesure . Le rapporteur
établit que les principes seraient violés et que les
circonstances ne l'exigent pas . Il propose de passer
à l'ordre du jour , motivé sur les lois rendues contre
les émigrés et les prêtres réfractaires ; ce qui est
adopté.
Montmayou , organe de la commission des finances ,
présente un moyen de retirer de la circulation les
assignats de dix mille et de deux mille liv. Il consiste
à les faire consigner pour Paris , dans le cou
rant d'une décade , et pour les départemens dans
deux , à peine d'annullation , et à les admettre à
trente capitaux pour un , au paiement du dernier
quart des domaines nationaux. Ce projet est converti
en résolution .
Alphonse , dans le conseil des Anciens , propose
d'adopter la résolution portant que les notaires déposeront
tous les ans le répertoire de leurs actes au
greffe civil des tribunaux de département . Elle est
sanctionnée , de même que celle qui continue les
secours accordés aux réfugiés de l'ouest et des colonies
.
La discussion s'y ouvre sur la résolution relative
au séquestre des biens des peres et meres d'émigrés.
Muraire la combat ; Bonnesoeur l'appuie . Elle sera
continuée le lendemain .
Daubermenil fait résoudre au conseil des Cinqcents
que le 10 prairial prochain il sera célébré dans
toute l'étendue de la République une fête de la victoire.
Le Directoire est chargé de l'exécution .
Drulheprésente la rédaction de la résolution sur les
M 2
( 180 )
1
1
prêtres réfractaires . Voici les amendemens adoptés :
1. L'article III qui maintenait la déportation prononcée
contr'eux par arrêtés de départemens , sur
la demande de six citoyens , est rejetté par la question
préalable. 2 °. Les prêtres mariés sont exceptés
des rigueurs de la loi. Ceux qui sont aux armées ne
le sont pas , la plupart étant allés s'y cacher. 30. Les
sexagénaires et les infirmes ne seront reclus que jusqu'à
la paix .
Une commission était chargée de faire un rapport
sur le décret qui accorde à Descartes les honneurs
du Panthéon . Chénier , qui en est l'organe , propose
de fixer au 10 prairial , la célébration de cette
fête.
Mercier prend la parole : C'est au moment où la
physique , enfin dégagée du systême des tourbillons ,
marche d'un pas rapide aux plus grandes découvertes ,
que vous irez pórter au Panthéon les cendres d'un
homme qui est l'auteur du systême du plein , de la
matiere subtile , et qui loin d'embrasser la nature ,
n'en a pas saisi le premier trait . Pendant combien de
tems la France ne fut - elle pas servilement attachée
aux visious de Descartes ?
Ici l'orateurfait une sortie vigoureuse contre les abus
de la philosophie. Funeste philosophie , s'écrie- t il ,
c'est toi qui as formé le calus sur l'ame de tous nos
égorgeurs ! Ils ont cessé d'être hommes du moment
qu'ils ont cessé de sentir les remords . N'a-t on pas
ouvert les portes du Panthéon à ce grand corrupteur
de la morale , à ce vil flatteur qui encensa les grands
et les rois , et qui se montra leur esclave jusques dans
son Brutus on perce son génie monarchien. Voltaire
( 181 )
dans ses écrits , n'épargna ni le juste , ni l'honnête ,
ni le sacré , et bien différent d'Hercule qui tua le
Centaure sans blesser Déjanire , il n'a pu frapper la
superstition sans blesser la morale .
L'orateur termine , en demandant que le Corps
législatif ne se constituant point corps académique ,
et laissant Descartes vivre ou mourir dans ses ou
vrages , rapporte son décret qui lui a ouvert le Panthéon.
Après avoir entendu de nouveau Chénier et quelques
débats , le conseil ordonne l'impression des
deux discours , et ajourne le projet .
Chez les Anciens , Rousseau , au nom de la commission
ad hoc , donne les motifs qui doivent les
déterminer à rejetter la résolution qui retire de la
circulation les assignats de dix et de deux mille liv .
Impossibilité de l'exécuter , injustice pour les porteurs
et nouvel aliment pour l'agiotage ; tels sont les
moyens. Le conseil déclare à l'unanimité qu'il ne
peut l'approuver.
La discussion reprend sur le séquestre des biens
des peres et meres d'émigrés ; deux orateurs sont
entendus . Le conseil ajourne ensuite la discussion
et approuve la résolution qui institue une fête de la
victoire pour le 10 prairial .
Corend- Fustier ouvre le lendemain la séance , en
faisant usage des mêmes argumens qu'ont déja
employés les adversaires de la résolution pour montrer
son injustice . Poultier parle dans le sens contraire.
Tronchet prouve l'identité de celle qui a déja
été rejettée et de celle -ci , et fiait en exprimant son
voeu ; que la bâse de notre législation soit toujours ,
M 3
( 182 )
liberté , égalité , sûreté, propriété. On réclame la clôture
de la discussion . Elle est fermée . La question
mise aux voix , une premiere et deuxieme épreuve
paraissent douteuses . On se détermine pour l'appel
nominal qui est renvoyé au jour suivant , et à la
pluralité de 108 voix contre 94. La résolution est
admise .

Le tribunal criminel du département de la Seine
demande au conseil des Cinq cents si d'après le nouveau
projet d'amnistie qui lui a été présenté , il doit
suspendre les procédures pendantes relatives à la
révolution . Quelques membres y voient une arrierepensée
, et sur leur motion l'on passe à l'ordre du jour .
Le Directoire l'invite à déclarer par une loi si les
fonctionnaires publics qui ont épousé des soeurs de
femmes d'émigrés sont compris dans la loi du 3 brumaire
, et s'ils doivent cesser leurs fonctions . Renvoi
à une commission de cinq membres.
Daunou présente un rapport sur la composition
du tribunal de cassation . Impression et ajournement.
On discute la question de la contribution fonciere
< et du mode de paiement des fermages pour l'an IV..
Plusieurs opinans pensent qu'on doit faire la perception
, moitié en nature et moitié en mandats .
Dubois Crancé demande que l'impôt soit perçu en
nature au bout de chaque champ. C'est la dîme
s'écrient Camus , Fermont , Bailleul et plusieurs
autres. Ils veulent qu'une pareille décision ne se
prenne qu'avec maturité. Le conseil ferme néanmoins
la discussion , et arrête que les contributions pour
Tan IV seront payées moitié en nature et moitié en
mandats. *
1
( 183 )
La séance du lendemain s'ouvre par la discussion
sur le projet de résolution tendant à autoriser les
membres du bureau central des cantons de Paris ,
Lyon , Bordeaux et Marseille , à décerner des mandats
d'amener , à interroger les prévenus dans les
24 heures , et les renvoyer ensuite devant les juges
de paix. Fabre déclare que ce projet est inconstitutionnel,
puisqu'il détruit la démarcation des pouvoirs .
Doulcet dit que les royalistes et les anarchistes emploient
le fer , le feu , le poison , pour détruire en
masse ou en détail les Républicains. Ils ne sont pas
d'accord entr'eux , mais ils coïncident dans la même
fin , la destruction du gouvernement.
1
Un message du Directoire oblige d'interrompre la
discussion . En voici la substance :
"6
Citoyens , un horrible complot devait éclater
demain dès la pointe du jour. On devait égorger
tous les membres du Corps législatif et du gouvernement
, l'état - major de l'armée de l'intérieur , et
livrer cette commune au massacre et au pillage .
" Le Directoire , informé du lieu où les scélérats
tenaient leur comité de révolte , a donné ordre de
les arrêter . Plusieurs l'ont été en effet ; et c'est avec
douleur que nous vous annonçons que parmi eux se
trouve un de vos collegues , le citoyen Drouet , pris
en flagrant délit . Si vous jugez que le Directoire
doive faire apposer les scellés sur ses papiers , nous
vous prions de manifester votre intention. "
On reprend la séance à six heures du soir . Sur le
rapport de Camus , le conseil convertit en résolution
le dernier message du Directoire. Ainsi , les exconventionnels
non réélus , les fonctionnaires publics et
M 4
( 184 )
1
militaires destitués ou suspendus , et les amnisties du
4 brumaire seront tenus de quitter Paris dans trois fois
24 heures.
la
ques-
Après une vive discussion , il rejette par la
tion préalable un projet de résolution tendant à ce
qu'une femme puisse remplir une place de professeur
aux écoles centrales . Des membres ont prouvé qu'il
était contraire à l'acte constitutionnel.
La discussion s'ouvre sur le projet de résolution
concernant les droits successifs des enfans nés hórs
de mariage . Les orateurs pour et contre sont entendus ,
et les lumieres suffisantes n'étant point encore répandues
sur cette question qui tient autant aux moeurs
"qu'à la législation , on réclame l'ajournement qui est
adopté.
Le conseil des Anciens a approuvé les mesures
prises par les Cinq- cents , contre les auteurs et complices
de la nouvelle conjuration . Legendre a voulu
persuader qu'elle était l'ouvrage des royalistes . Les
uns lui ont répondu par le sourire de la pitié ; les
autres se sont indignés de le voir chercher à pallierainsi
les crimes des anarchistes . Il a également sanctionné
la résolution relative aux individus obligés de
sortir de Paris dans trois fois 24 heures .
Le conseil des Cinq cents après s'être occupé de
quelques affaires particulieres , discutait le projet
sur les changemens à faire au code hypothécaire ,
lorsqu'il est arrivé un message du Directoire .
Il annonce qu'on n'a pas encore pu prendre connaissance
de tous les papiers trouvés chez Baboeuf ,
l'un des chefs des conjurés ; mais ceux qui ont été
lus suffisent pour faire connaître quel était l'horrible
plan de cette bande de scélérats .
( 185 )
Un comité de révolte était formé sous le nom de
comité insurrecteur de salut public ; les conspirateurs
devaient s'emparer des portes de Paris , de la trésosorerie
, de la monnaie , et de tous les magasins publics
et particuliers où se trouvaient des provisions de
bouche ou des munitions de guerre . On devait ensuite
proclamer le code anarchique de 1793 , et c'eût été là.
le signal de l'égorgement du Directoire exécutif et du
Corps législatif.
:
On a trouvé divers autres cris de mort dans cet
acte épouvantable Mort aux autorités qui donneraient
quelqu'ordre mort à quiconque opposerait
quelque résistance : mort aux étrangers de toutes les
nations. On eût massacré ensuite les proscrits ; on a
trouvé les listes de ces proscrits toutes dressées , ainsi
que celle des maisons qu'on voulait livrer au pillage.
Des placards étaient préparés , on les a trouvés
aussi déja imprimés ; l'un porte ces mots en gros caracteres
Constitution de 1793 , liberté , égalité , bonheur
commun. Sur l'autre on lit : Ceux qui usurpent la souveraineté
doivent être mis à mort par les hommes libres . Un
autre enfin contenait un appel aux patriotes persécutés
et réfugiés , et aux militaires destitués qu'on
excitait au meurtre en leur promettant de les réintégrer
dans leurs grades .
Le tocsin eût sonné ; des noyaux devaient partir de
toutes les sections ; les guidonsétaient faits ; on y avait
inscrit constitution de 1793 : ces noyaux devaient se grossir
des femmes , des enfans qui s'y seraient joints , et
marcher sous la conduite des chefs des conjurés ,
qui s'étaient partagé les sections. Ils se flattaient ,
enfin , que bientôt la terreur ferait tout plier sous leur
joug.
( 186 )
Pour donner à ces mouvemens quelqu'apparence
d'une autorité légale , une convention devait être formée
on a trouvé écrits les noms de ceux qu'on eût
appellés à la composer , et parmi ses noms est celuide
Baboeuf.
On eût fait reconstruire la salle des Jacobins aux
frais et par la main de ceux qui l'avaient détruite , est-il
dit dans le plan .
44
Restaient les armées ; les conjurés n'avaient pas
emis de songer aux moyens de les tromper . Des
femmes et des hommes déguisés , sous prétexte de
lear porter des couronnes civiques , se seraient introduits
dans les camps ; des distributions de vin et d'ar
gent eussent été faites ; des prostituées leur eussent
été envoyées , et au milieu de l'ivresse et de la débauche
on leur eût distribué des libelles infâmes : ces
derniers , ainsi que d'autres , remplis de calomnies
atroces contre le gouvernement , ont été trouvés chez
Baboeuf qui les a reconnus et avoués. On y a enfin
trouvé une note qui prouve la profonde perversité de
ces conspirateurs : ils y divisaient l'armée en deux
classes ; la premiere , composée de lâches qu'ils espéraient
séduire en leur promettant le retour dans
leurs foyers ; la seconde , de scélérats qu'ils comptaient
mener par l'appât du butin .
Le Directoire termine en annonçant que déja 15
chefs sont arrêtés ; qu'il tient tous les fils de ce complọt,
et que les bons citoyens peuvent être tranquilles .
Le conseil a ordonné l'impression de ce message ,
et s'est formé en comité général pour entendre la lecture
de celui concernant le scellé apposé sur les papiers
de Drouet.
( 187 )
Maleville , organe d'une commission ad hoc , entretient
le conseil des Anciens d'une résolution du 4 floréal
, qui casse un arrêté du représentant Bailly , qui
prononce sur des contestations élevées entre des acquéreurs
de biens dépendans de l'abbaye de Senones.
Elle est approuvée.
Colombel a fait également sanctionner une autre
résolution, qui détermine quels sont ceux auxquels la
loi du 8 floréal, concernant la pacification des chouans,
est applicable.
Villers , au nom de la commission des dépenses »,
fait résoudré , par celui des Cinq- cents , qu'il sera mis
cent millions valeur fixe à la disposition du ministre
de l'intérieur pour les dépenses ordinaires , extraordinaires
et secretes du Directoire exécutif. Le Directoire
afait sentir que cette demande était d'une grande
importance pour le bonheur de la République . C'est
ici un acte de confiance , a dit le rapporteur , mais il
a trop bien justifié celle que vous avez en lui , pour
que vous ne lui en témoigniez pas dans le moment
où il vient de déjouer la conspiratien la plus atroce.
1
On a lu ensuite dans le comité secret le message
relatif à Drouet. Le Directoire demandait s'il pouvait
faire lever les scellés apposés sur ses papiers . On
a passé à l'ordre du jour motivé sur les articles 113
et 145 de la constitution , desquels il résulte qu'il en
a le droit.
Le Directoire , pour éclairer de plus en plus la nation
sur les détails de la conspiration , a envoyé au
conseil les deux pieces les plus importantes ; la premiere
est le plan de cette conspiration déja connu.
Les conjurés youlant que l'insurrection fût générale
1
( 188 )
devaient envoyer dans les départemens des agens
pour y répéter les mêmes scenes qu'à Paris . La seconde
est une lettre du nouveau comité de salut public à ses
agens des douze arrondissemens. Il s'excuse de ses
lenteurs apparentes , en disant qu'il ne suffit pas de
gagner la bataille , mais qu'il faut encore s'assurer les
moyens de profiter de la victoire . Il termine par déclarer
qu'il est tems de presser le mouvement.
Le conseil s'est ensuite occupé d'un projet de Fermond
, tendant à ce que les acquéreurs des domaines
nationaux puissent payer le quart de leurs acquisitions
en assignats à trente capitaux pour un .
Celui des Anciens a approuvé la résolution qui rétablit
les 24 officiers de paix de Paris .
Pieces relatives à la conspiration , envoyées par le Directoire
au conseil des Cing- cents .
Premiere piece. Il faut tuer le Directoire , les sept ministres ,
le général de l'armée de lintérieur et son etat - major , le
commandant temporaire de Paris et son état - major ; il faut
s'emparer des salles des deux conseils , faire main-basse sur
tous ceux qui s'y rendront ; fermer les barrieres ; s'emparer
du télégraphe du Louvre et de celui de Montmartre ; se
rendre maître de la riviere ; il ne faut pas oublier l'arsenal de
Meudon , ni le parc d'artillerie , ni les fusils qui sont aux
Feuillans et sous la salle du conseil des Cinq- cents .
On s'emparera des administrateurs et de tous les employés ,
afin de couper toute communication entre les tyrans ; les
insurgés occuperont les ponts , ce qui est très -important ; on
ne laissera point entrer de nouvelles troupes dans Paris . Les
braves militaires qui y sont actuellement , seront invités à se
rendre , sans chefs , au milieu de leurs amis . Les hussards , les
dragons et les cavaliers pourront garder leurs chevaux et leur
équipement.
Tous et chacun des braves défenseurs qui auront contribuć
( 189 )
à renverser les tyrans , seront nourris chez les particuliers
comme en 1789.
Il sera organisé de petites armées révolutionnaires , qui
seront chargées de protéger les approvisionnemens de Paris :
les deux tiers seront composés des troupes de ligne , et l'autre
tiers des gardes sédentaires .
Lorsque les tyrans auront été abattus, il faudra opérer surle
- champ l'insurrection du peuple , qui doit être générale. Le
peuple sera invité à se venger de ses propres ennemis , qui
se sont fait assez connaître.
Le peuple déléguera tous les pouvoirs ; et quiconque , au
mépris de sa souveraineté , exercera une autorité , sera mis
à mort sur-le-champ. 1
Il faut prévenir toute réflexion de la part du peuple ; il faut
qu'il fasse des actes qui l'empêchent de rétrograder. Si quel
que royaliste voulait résister , il sera sommé de remettre ses
armes ; s'il résiste , il sera formé une colonne de patriotes
armés de torches allumées , afin que les flammes vengent la
souveraineté du peuple.
Tous les é range s se constitueront prisonniers dans leurs
sections respectives , sous peine d'être mis à mort. Sera pas
reillement mis à mort quiconque se montrera l'ennemi du
peuple.
1
Le peuple sera mis en possession des logemens les plus
commodes. Assez long-tems il a été trompé sur ce point si
important.
Afin de rendre l'insurrection générale , il faut expédier des
gens sûrs et énergiques , sur tous les points de la France , à
Arras , à Béthune , à Valenciennes , à Metz , à Strasbourg , à
Grenoble , à Montpellier , etc. etc.
Il faut faire arrêter le général Hoche , le général Muller ,
etc. On saisira les armes des invalides . Tous les fourbisseurs
seront tenus de céder leurs armes ; les boulangers
seront sommés de fabriquer du pain avec toute la farine
qu'ils ont , sinon ils seront accrochés à la lanterne la plus
voisine. Tout citoyen , quel qu'il soit , sera pareillement
sommé d'apporter , chez les boulangers , toutes les farines
et le riz qu'il pourra avoir chez lui , sinon il sera mis à la
lanterne .
Pour ne pas rendre cette sommation illusoire , il sera fait
des visites domiciliaires très - rigoureuses . Les marchands de
vin et d'eau- de-vie seront tenus de fournir à ceux qui auront
renversé les tyrans , tout ce dont ils auront besoin s'ils
n'obéissent , ils seront accrochés au réverbere..
( 190 )
Tous les militaires qui , après la juste punition des tyrans ,
voudront retourner dans leurs foyers , en auront la faculté : il
leur sera délivré une attestation , par laquelle il sera constaté
qu'ils ont tenu leur serment d'anéantir la tyrannie.
J'avais oublié de fixer le prix pour l'habillement et l'équi
pement des cavaliers . Ils auront pour leur cheval 800 liv . , et
pour leur habillement 400 liv . Ils recevront ce prix après
l'insurrection .
Pour copie conforme.
Le ministre de la police générale .

Signé, COCHON.
Seconde piece. Le Directoire du salut public , à ses agens dans
les douze arrondissemens de Paris . Le 18floréal.
Jamais conjuration ne fut si sainte ; jamais conjuration n'eut
d'agens plus dignes de la confiance du peuple ; jamais on ne
travailla plus dans le secret , ni plus heureusement. En vain
les tyrans veillent contre nous leurs efforts sont vains ,
peuvent rien découvrir. Avec des hommes tels
ne pouvons plus garder de réserve .
ils ne
que vous , nous
5
En insurrection , il faut être plus que téméraire. Voici ce
qui a nécessité des longueurs apparentes dans l'exécution de
notre projet.
Nous voulons que cette insurrection soit la derniere : nous
avions voulu que le manifeste insurrectionnel garantît au malheureux
peuple , la distribution des biens des conspirateurs
et qu'il fût logé et meublé à leurs frais. Mais , pour obtenir
cet heureux résultat , il faut que les pouvoirs passent entre les
mains des plus purs démocrates . C'est ce point délicat qui nous
a le plus embarrassés .
Voilà pourquoi nous avions déja fait imprimer un premier
manifeste au nombre de trente mille exemplaires , dans lequel
il était question d'une Convention , qui , d'accord avec le
Directoire insurrecteur , aurait terminé la révolution .
Mais nous avons cru ensuite qu'il valait mieux rappeller les
soixantes-huit ex - membres de la Convention , ardens montagnards
, qui en avaient été chassés et déclarés inéligibles . Cependant
, nous ne nous dissimulions pas que ces montagnards
étaient coupables pour avoir coopéré à tout ce qui s'est passé
depuis le 9 thermidor , pour avoir laissé démolir le sanctuaire
de la liberté , pour avoir même accepté des missions du gouvernement
, et pour n'avoir pas protesté contre le code populicide
de Boissy .
Nous voulions qu'il leur fût adjoint un membre par département
, qui aurait été choisi par nous . Nous nous sommes con(
191 )
certés avec ces montagnards qui , d'abord , avaient accepté '
toutes les conditions que nous leur avions imposées.
Mais bientôt ces ex -conventionnels se sont rétractés ; et
n'ont pas voulu qu'il leur fût adjoint aucun nouveau membre ;
leur but était de substituer leur domination à celle que nous
aurions renversée .
Voilà ce qui nous a arrêté . Il est malheureux que des circonstances
, que nous ne pouvons encore vous expliquer , nous
forcent à ne pouvoir nous passer d'eux; mais il faut ou vraincre, ou mourir.
P. S. Le 18 , à 6 heures du soir , nous apprenons à l'instant ,
que les montagnards se rendent enfin à nos argumens : il faut
accélérer l'heureux moment de l'explosion .
Pour copie conforme.
Le ministre de la police générale. Signé , COCHON.
$
PARIS. Nonidi 29 floréal , l'an 4º . de la République.
On a vu dans le récit des séances , les messages du Direetoire
, et les pieces qu'il a déja adressées au Corps législatif ,
les principaux détails de l'affreuse conspiration qui était sur le
point d'éclater , et qui a été si heureusement prévenue par la
vigilance des mesures du Pouvoir exécutif. Jamais plan n'avait
été conçu ´d'une maniere aussi vaste ; jamais effets ne devaient
être plus terribles , c'était l'anarchie dans toute sa férocité et
dans toute son horreur. Le regne de Robespierre n'aurait rien
été auprès de l'avenir qui nous était réservé.
On assure que c'est un des conjurés lui- même qui , épouvanté
de la suite de crimes qui devait produire cet horrible
complot , est allé lui -même le révéler ; ce qu'il y a de sûr ,
c'est que depuis long-tems le gouvernement avait l'oeil sur les
projets et les mouvemens des anarchistes ; on prétend que le
ministre de la police eu suivait la trace , et que trois fois le
fil des recherches s'était rompu . Ce n'est qu'après que Cochon
a éloigné de ses bureaux des agens équivoques , que le fil s'est
renoué et a conduit à d'utiles découvertes .
Il n'est pas inutile d'observer et de suivre les différentes.impressions
que cet événement a produites sur l'opinion. D'abord
le jour que le Directoire révéla l'existence de ce complot par
une proclamation affichée , et par son message au conseil des
Cinq- cents , le public fut d'une extrême surprise . Accoutumé
à voir les grandes secousses ', s'annoncer et se préparer par
de
( 192 )
longs avant-coureurs , il eut peine à croire à une conspiration
dont aucune trace ne l'avait frappé . C'était précisément le secret
dans lequel celle - ci avait été tramée , qui devait la rendre plus
dangereuse , et exciter en lui plus d'intérêt de ce qu'elle avait
été découverte avant son explosion . Cependant les personnes
un peu clairvoyantes n'étaient pas sans inquiétudes sur les
mouvemens qui se préparaient en silence. On savait qu'il se
faisait des rassemblemens secrets d'anarchistes . On avait vu
des distributions de vin se faire presque gratuitement sur les
quais , les ponts et dans les carrefours , des militaires s'étaient
répandus et avaient voula forcer les marchands à prendre les
mandats pour valeur numéraire ; la rebellion d'une partie de
la légion de police , était un effet dont la cause tenait à un
plan plus vaste ; mais on était loin d'imaginer qu'on marchait
sur la mine , et moins encore qu'elle fût à la veille d'éclater.
Bientôt la publicité des pieces et du plan même de la conspiration
trouvé dans les papiers de Baboeuf , n'a plus laissé de
doute sur son existence . Mais les dispositions à l'incrédulité
étaient si fortes dans certaines personnes , que ne pouvant
plus se refuser à l'évidence des preuves , on a cherché à se
rendre moins facile sur la possibilité des moyens d'exécution .
On conçoit bien que des hommes aussi féroces qu'extravagans
aient pu former l'idée de renverser le gouvernement actuel et
de rétablir Ir constitution de 93 , en brisant tous les obstacles
qui pouvaient s'opposer à leurs infâmes projets. Mais comment
concevoir qu'ils aient pú se flatter du succès ? Où étaient leurs
moyens , leurs trésors , leur armée ? Ceux qui se sont complus
dans cet excès de scepticisme , en faisant regarder ce plan comme
l'ouvrage du délire , et par conséquent peu digne de l'appareil
qu'a déployé le gouvernement pour le déjouer , ceux - là ont-ils
donc oublié que les massacres de septembre se sont faits par
une poignée de brigands , en plein jour , au milieu d'une villé
immense , et en présence d'un peuple frappé de terreur ? Ontils
oublié que le 31 mai s'est opéré avec des moyens bien inférieurs
aux effets qu'il a produits , que cet attentat s'est exécuté
au milieu de la force armée de toutes les sections qui croyaient
défendre la Convention , tandis que les chefs seuls et quelques
centaines d'hommes armés étaient les agens de cette conspiration
? Ne sait - on pas ce que peut l'audace dans une révolte
qui devait éclater au milieu des tenebres ? A- t-on calculé le
nombre de complices dévoués à cet exécrable complot et qui
devaient agir simultanément , la puissance de la crainte , de
l'étonnement , de la surprise et du désordre qui devaient naître
d'une explosion aussi inopinée , la facilité que donne un premier
( 193 )
mier succès pour donner l'impulsion à un mouvement' plus
considérable . Quand les moyens d'exécution n'auraient pas éte
aussi assurés que les conspirateurs avaient pu se le promettre ,
leur projet en existe - t-il moins ? En est-il moins épouvan
table ? Fallait-il , pour y croire , attendre qu'ils eussent porté
par-tout le fer et la flamme , pillé , égorgé des milliers de ci
toyens , et renversé les autorités constituées ?
Ces raisonnemens ont été faits par tous les gens sensés , par
tous les amis de l'ordre et du gouvernement. Alors s'est élevé
une dispute assez étrange sur le parti auquel il fallait attribuer
cette conjuration , Les uns se sont opiniâtrés à en accuser.
les
royalistes ; les autres , les anarchistes exclusivement. Cetté diversité
d'opinion n'a rien qui doive étonner , en raison de la
diversité d'intérêts et de partis qui agitent encore les esprits
dans cette commune qui a toujours été le foyer le plus ardent
des passions révolutionnaires. Ce qu'il y a de plus raisonnable
à dire , c'est qu'il est difficile de se persuader que les royalistes ,
qui, d'après le plan écrit de la conjuration , devaient en être les .
premieres victimes , eussent concoura eux - mêmes à se faire
égorger. Il est bien vrai que les anarchistes et les royalistes vont
au même but , celui de détruire le gouvernement actuel , mais
ils ne s'accordent ni pour l'intention , ni pour les moyens . Ce
que veulent les anarchistes , c'est du pouvoir et de l'argent ;
l'avenir les occupe peu . Ce qu'attendent , ce qu esperent les
royalistes , c'est que l'anarchie ramenera la royauté , et ils ne
voient pas , les insensés , qu'ils périraient sur la route.
Quoi qu'il en soit , tout ce qu'il y a de bons citoyens , d'ames
honnêtes , d'amis sinceres de la constitution , ont applaudi à
la conduite ferme et célere du Directoire et du ministre de la
police ; on sent le besoin de se rallier au gouvernement , et
le gouvernement doit sentir lui -même le besoin de se fortifier
de la force de l'opinion ."
Voici la liste , qu'un journaliste assure être officielle , de ceux
qui ont été arrêtés . Drouet, taembre du Corps législatif ; Laignelot
, ex-conventionnel ; Mansard , ex - adjudant-général ;
Boudin , Didier , Dartés , Baboeuf , Germain , Clerck, Ricord ,
Buonaretti , A. Figué , Dufour , Pilet , secrétaire d'Héron ;
J. Julien. Il y a , dit le même journaliste , des ordres pour )
arrêter Morelle ; Félix Parrein , rue de la Tacherie ; Goulon ,
rue Amelot ; Facré ; Jorry , rue de Bievre ; Vadier ; Rossignol ,
général ; Rossignol , son frere ; Gazin , Amar , Chrétien, Lefranc ,
Paris , Lepelletier Saint- Fargeau ; Meuguet , place de Grêve ;
Mounier , rue de la Vanerie ; Fion , Reys , Choudieu , Péché ,
Lamy , Masset , rue Honoré . “
Avant-hier vers quatre heures après -midi , Amar a été arrêté
Tome XXII. N
( 194 )
dans une maison où il s'était caché , et a été conduit chez le
ministre de l'intérieur , qui , après l'avoir interrogé l'a envoyé à
l'Abbaye . On parle de transférer dans une autre prison tous ceux
qui sont dans celle- là comme complices de la conspiration . Il
est certain qu'il y a un mandat d'arrêt contre Robert Lindet, qui
paraît être un des chefs les plus actifs de cette conspiration .
ARMÉE D'ITALIE . Premiere lettre du général Colly , commandant
en chefl'armée du roi de Sardaigne , au général commandant
en chefl'armée française en Italie . Au quartier - général , ce
23 avril 1796.
Ayant appris que sa majesté , le roi de Sardaigne , vient
d'envoyer à Gênes des plénipotentiaires pour y traiter de la
paix , sous la médiation de la cour d'Espagne , je crois
général , que l'intérêt de l'humanité exigerait , pendant le tems
que dureront ces négociations , que les hostilités fussent suspendues
de part et d'autre .
Je vous propose , en ccoonnssééqquueennccee , un armistice , soit
illimitée , soit pour un tems fixe , à votre choix , dans la
vue d'épargner l'effusion inutile du sang humain .
J'ai l'honneur d'être très - parfaitement , général , votre
très-humble et très- obéissant serviteur . Signé , COLLY.
Pour copie conforme. Le général en chef, signé, BUONAPARTE.
Réponse du général en chef de l'armée d'Italie , au général
Colly , commandanten thef l'armée du roi de Sardaigne.
.
Le Directoire exécutif , monsieur , s'est reservé le droit
de traiter de la paix . Il faut donc que les plénipotentiaires du
roi , votre maître , se rendent à Paris , ou attendent , à Gênes
les plénipotentiaires que le gouvernement pourrait envoyer.
La position militaire et morale des deux armées , rend toute
suspension d'armes pure et simple impossible. Quoique je
sois , en particulier , convaincu que le gouvernement accordera
des conditions de paix raisonnables à votre roi , je ne
pnis , sur des présomptions vagues , arrêter ma marche ; il
est cependant un moyen de parvenir à votre but , conforme
aux vrais intérêts de votre cour , et qui épargnerait une effusion
de sang inutile , et dès-lors contraire à la raison et
aux lois de la guerre ; c'est de mettre en mon pouvoir deux
des trois forteresses de Coni , d'Alexandrie , de Tortone ,
à votre choix . Nous pourrons alors attendre , sans hostilités ,
la fin des négociations qui pourraient entamer : cette proposition
est très -modérée ; les intérêts mutuels qui doivent
exister entre les Piémontais et la République Française , me
portent à désirer vivement de voir éloigner de votre pays .
les malheurs de toute espece qui le menacent.
Signé , BUONAPARTE.
( 195 )
Deuxieme lettre
du
talie!!
Colly , au général en chef de l'armée
Française , en Italie. - Au quartier - général de l'armée
Piémontaise , le 26 avril 1796.
J'ai communiqué à la cour de Sardaigne , général , la lettre
que vous m'avez écrite , en réponse de celle que je vous avais
adressée pour vous notifier l'envoi d'un plénipotentiaire , de
la part du roi , à Gênes , chargé d'y faire des ouvertures de
paix , et pour vous inviter , en attendant leur résultat , à
épargner l'effusion du sang humain , par une suspension
d'armes. 1
7
Je suis autorisé par S. M. le roi , à vous dire maintenant
que le ministre français à Gênes , auquel le plénipotentiaire
s'est adressé pour lesdites ouvertures de paix , lui a déclaré
n'avoir ni à Gênes , aucune " personne autorisation pour
entrer en semblables négociations, mais qu'il fallait s'adresser
au Directoire exécutif, à Paris , lequel seul en avait le droit.
Sur quoi le plénipotentiaire a dit y diriger ses ultérieures
démarches à l'effet dont il s'agit . En attendant que , par ce
moyen qui ne peut être employé à moins que d'apporter
quelque délai , on puisse arriver à une conclusion qu'on espere
de l'ouvrage salutaire de la paix entre les deux Etats ,
le roi vesirant toujours qu'on puisse épargner de part et
d autre les calamités de tout genre qu'entraînent les hostilités ,
n'a point hésité à donner son consentement à ce que la suspension
d'armes proposée , que vous vous êtes montré disposé
d'accepter sous certaines conditions , puisse avoir lieu ,
et être arrêtée sans retard .
En conséquence , S. M. m'ordonne de vous déclarer,
qu'elle consentira à mettre en votre pouvoir deux de ses forteresses
, savoir : celle de Coni et de Tortone , comme vous
l'avez demandé , pendant que dureront les négociations dont
on va s'occuper , et suivant le mode dont on conviendra
au moyen de quoi toute hostilité cessera dès -à- présent , jusqu'à
la fin desdites négociations : et au cas que , par les difficultés
qui pourraient naître de la situation actuelle de l'armée alliée ,
on ne pûr remettre , comme dessus , la place de Tortone ,
S. M. s'est déterminée d'offrir , au lieu de celle - ci , la for
teresse de Desnout ; qu'à l'exception de la remission de ces
deux places , les choses resteront in statu quo , pour ce qui
regarde les pays occupés par les armées respectives , sans
qu'elles puissent outrepasser la ligne des limites qui sera fixée,
respectivement , et le tout de la maniere qui sera convenu
plus spécifiquement entre nous . Signé COLLY. A
Pour copieconforme . Signé, le général en chef, BUONAPARTE.
N
( 166 )
Conditions d'une suspension d'armes arrêtée entre les arméesfrançaise
" et piémontaise , par le général en chef de l'armée française , en
Italie , Buonaparte , et M. le baron de la Tour ; lieutenantgénéral
de cavalerie , au service du roi de Sardaigne , et M.
le marquis de Costa , colonel , chef d'état -major , chargé par
le roi de Sardaigne de traiter avec le général en chef de l'armée
française. Au quartier -général de Cherasco , le 9 floréal, az 4.
Art. Ier . Toutes les hostilités cesseront entre l'armée
française , en Italie , et l'armée du roi de Sardaigne , à dater
du jour où les conditions ci- dessous seront remplies , jusque
cinq jours après la fin des négociations qui s'entament pour
parvenirà une paix definitive entre les deux puissances , savoir :
La place de Coni sera occupée par les Français , le 9
florcal , ou 28 avril de la présente année ; laplace d'Alexandrie
le sera également par les Français , en attendant celle de Tor
tone , le plutôt possible , et au plus tard le 11 floréal ,
30 avril ; laquelle place d'Alexandrie ne pourra être occupée
par l'armée française , que jusqu'à ce qu'on aît pu lui remettre
la place de Tortone .
,
II. L'armée française restera en possession de ce qu'elle a
conquis , savoir tout le pays qui se trouve au- delà de la rive
droite de Sture , jusqu'à son confluent dans le Tanaro ; et
de- là , suivant la rive droite de ce fleuve , jusqu'à son embouchure
, dans le Pô , pour le tems que les troupes fran
çaises occuperont' Alexandrie mais lors que cette place
sera rendue aux troupes du roi de Sardaigne , par l'occupation
de celle de Tortone par les Français , la limite continuera
du confluent de la Sture dans le Tanaro , jusqu'à la
hauteur d'Asty , sur la rive droite dudit feuve ; ensuite ,
le grand chemin qui conduit à Nizza de la Paille , et de ce
dernier lieu à Cassigny , servira de démarcation ; de- là ,
passant la Bormida sous Cassigny , l'armée française sera en
possession de la rive droite de la Bormida , jusqu'à son embouchure
dans le Tanaro , et enfin , de - là jusqu'au confluent
de cetfleuve dans le Pô .
III . La ville et citadelle de Coni seront remises entre les
mains des troupes françaises , ainsi que la ville et citadelle
de Tortone , avec l'artillerie , munitions de guerre et de
bouches qui s'y trouvent , et dont il sera dressé iuventaire ;
il en sera de même , pour la ville et citadelle d'Alexandrie ,
qui seront provisoirement occupées par les Français : jusqu'à ce
qu'ils soient en possession de la place et citadelle de Tortone .
IV Les troupes françaises auront la faculté de passer le
Pô sous Valence .
V. Il sera accordé le passage , par le chemin le plus court ,
aux courriers extraordinaires , aides - de- camp ou autres offi(
197 )
ciers que le général en chef de l'armée française voudrait en
voyer à Paris , ainsi leur retour. que pour
VI. Toutes les troupes , officiers et équipages de guerre
à la solde du roi de Sardaigne , qui font partie de l'armée
Autrichienne en Italie , seront compris dans ladite suspension.
VII. La citadelle de Céva sera remise , avec son artillerie
munitions et vivres ; sa garnison se retirera en Piemont.
VIII . Il sera dressé , dans les places de Coni et de Tortone
, ou celle d'Alexandrie occupées provisoirement dans
le cas ou la place de Tortone ne pourrait pas être remise
dans le moment aux Français , un acte d'état de l'artillerie ,
armes, outils et munitions de guerre et de bouches , dont la
République Française tiendra compte au roi de Sardaigne ,
c'est- à-dire , de rendre l'artillerie , et de payer , au prix
de l'estimation , les munitions , soit de bouche , soit de
guerre , qui pourront être consommées .
Il en sera de même pour celles de la place de Céva,
Les troupes de ces places se retireront en Piémont ,
armes et bagages et tous les honneurs de la guerre.
avec
Signé à la minute , lieutenant-général , DE LA TOUR ; colonel
, COSTA et BUONAPARTE.
Pour copie conforme . Signé , le général en chef, BUONAPARTE
Extrait de la lettre du général en chef , au Directoire exécutif.
La ville de Coni vient d'être occupée par nos troupes ; il
y avait dedans cinq mille hommes de garnison,
Mes colonnes sont en marche ; Beaulieu fuit , j'espere
l'atteindre.
Les troupes de la République viennent à l'instant d'entrer
dans la citadelle de Céva , et je viens de recevoir du roi de
Sardaigne , l'ordre pour qu'on nous livre la ville et citadelle
de Tortone.
Signé , BUONAPARTE.
Salicetti , commissaire du Directoire exécutifprès l armée d'Italie .
au Directoire exécntif. Au quartier-général de Cherasca
le 10 floréal , an 4 .
Citoyens directeurs , je vous ai rendu compte , par ma
derniere lettre , de la demande d'une suspension d'armes
faite par le roi de Sardaigne, ainsi que de la réponse du général
en chef , que si , sur les trois places de Coni , Alexandrie
et To tone le roi de Sardaigne voulait provisoirement ca
céder deux à la France , il prendrait sur lui de consentir à
l'armistice.
Ces propositions , dont l'avantage était si évident pour la
France , et qui lui assuraient le Piémont , ont été acceptées.
Le roi de Sardaigne a envoyé , àcet effet , à Cherasco , auprès
du général en chef , le général Latour , commandant en chef
ses troupes , et le général Buonaparte , après avoir mis préa(
198 )
lablement en discussion , avec moi et ses officiers supérieurs ,
les avantages qui pourraient en resulter pour la France , a
conclu l'armistice . Non- seulemant il a obtenu à la France les
forts de Tortone , Coni ou Alexandrie , mais encore Géva ,
les villes de ces différentes places , l'artillerie , les munitions
de guerre et de bouche qui s'y trouvent , la possession de
tous les pays conquis , et même de tout ce qui se trouve en
deçà de la Sture , la rive droite du Tanaro jusqu'à l'embou
chure du Pô , le passage des troupes par le Pô sous Valence .
Le général en chef Vous fait passer copie des conditions de
cette suspension d'armes.
En ce moment déja Coni est occupé par nos troupes ; demain
Céva , Alexandrie ou Tortone le seront pareillement.
Tant d'avantages obtenus par une simple artistice font esperer
, citoyens directeurs , votre approbation .
L'armée redouble , tous les jours , de courage : le général
en chef sait diriger son ardeur : l'alarme est générale
chez nos ennemis . Nous avons les moyens de pousser la
guerre , marchons , et bientôt toutes les puissances d'Italie ,
forcées d'avouer la supériorité de nos armes , demanderont
elles -mêmes à recevoir la loi que vous voudrez leur faire subir.
Salut et fraternité . Signé , SALICETTI .
Extrait d'une lettre du général Buonaparte , au Directoire exécutif,
le 17 floréal , an 4.
L'armée d'Italie a pris hier possession de Tortone : c'est une
très - belle forteresse qui a coûté plus de 15 millions au roi
de Sardaigne . Nous y avons trouvé 100 pieces de canon de
bronze , et des cazemates pour 3000 hommes.
Je vous ai mandé , par mon aide - de - camp Murat , que nous
avions occupé Coni et Céva . Nous avons trouvé ces places dans
un état de défense respectable , et richement approvisionnées .
Le lendemain de la suspension d'armes , l'armée s'est
mise en mouvement. Beaulieu a évacué toutes ses positions ,
et a passé le Pô à Valence avec toutes ses troupes . Le genéral
Massena est arrivé à Alexandrie assez à tems pour s'emparer
des magasins que les Autrichiens ne pouvant emporter
avaient vendus à la ville .
Le roi de Sardaigne a intimé aux Napolitains Fordre de
rendre la place de Valence , et ils l'ont remise à la garuison ,
piémontaise.
Il me serait utile d'avoir trois ou quatre artistes connus
pour recueillir les monumens des beaux- arts .
Extrait du rapport fait au Directoire exécutifpar le ministre de la
marine et des colonies , sur la situation actuelle des Isles-du-Vent,
Je viens aujourd'hui fixer vos regards sur les armées de la
( 199 )
République aux Antilles. Déja vovous savez avec quelle valeur,"
avec quelle intrépidité elles ont reconquis , sur les Anglais ,
les isles de la Guadeloupe et de Sainte - Lucie . Ces établissemens
sont actuellement inexpugnables , graces aux soins , au
zele et au patriotisme de tous les Français qui les habitent.
Agens du Directoire exécutif , généraux , officiers , soldan ,
cultivateurs , tous n'ont qu'un même esprit , tous n'ont qu'un
seul et même vou , celui de consolider le gouvernement
républicain et d'anéantir les Anglais . Tous ont travaillé avec
le même enthousiasme à l'établissement des fortifications et
des batteries qui défendent aujourd'hui les côtes de nos isles .
Tous sont déterminés à s'ensevelir sous les ruines , plutôt que
de souffrir que l'étranger vienne leur dicter des lois .
Depuis la conquête de la Guadeloupe et de Sainte- Lucie
l'armée de la République s'est constamment occupée à inquiéter
l'armée anglaise , par des débarquemens partiels sur la
Grenade , sur Saint-Vincent , sur la Martinique . Elle a diminué
les forces de l'ennemi , dans les trois isles , de plus de
8000 hommes depuis un an ; et au moment de la date des
dernieres dépêches , qui transmettent ces détails intéressans ,
uos troupes tenaient bloqués , dans un fort de Saint- Vincent
les fuyards de l'armée anglaise , qu'elles avaient mise en pleine
déroute dans les deux combats des 20 nivôse et 1er , pluviôse .
Ces combats avaient duré depuis 3 heures du matin jusqu'à
7 heures du soir ; et les Républicains , après avoir laisse le sol
de St. -Vincent jonché d'ennemis morts , leur avaient enlevé
oute leur artillerie et leurs magasins de vivres et munitions .
Je voudrais avoir à n'entretenir le Directoire que des succès
de nos armées ; mais toujours vrai dans mes récits , je dois
exciter ses regrets sur la perte de 300 Républicains , dont la
mort est encore une leçon terrible pour les Anglais , et doit à
jamais honorer les héros qu'elle a frappés . Quelques Français
des Isles-du-Vent , indignés de voir le drapeau britannique sur
les forts de la Martinique , conçurent le hardi projet d'aller
l'enlever et le remplacer par le drapeau tricolor. Ils firent leur
débarquement , et soit hasard , soit trahison , ils rencontrerent
un corps de troupes composé d'émigrés , anglais et royalistes ,
forniant plus de 3000 , qui les entoura et les somma de se
rendre . Une décharge générale de mousqueterie fut la réponse
cette sommation . Bientôt un combat terrible s'engagea , pendant
lequel nos braves se distribuerent en chargeurs et tireurs ;
enfin , accablés par le nombre , ils foncerent avec le sabre et la
bayonnete : ils réduisirent , dans cette affaire ; l'armée anglaise
à moins de 1500. Mais tous nos Républicains resterent sur le
champ de bataille : Plutôt la mort que l'esclavage , tel était leur
cri de guerre dans ce combat terrible ; c'est celui de tous les '.
(*200 )
hommes qui occupent , aujourd'hui , les Antilles françaises.
Pendant quelques instans , l'esprit public avait été affaibli par
Tinfluence des événemens d'Europe ; mais le récit de la victoire
du 13 vendémiaire ; mais la connaissance de la loi du 3 brumaire
, ont rendu aux patriotes leur energie primitive .
L'armée républicaine ne s'est pas bornée à harceler les Anlais
dans leurs isles , et à defendre les possessions françaises ,
elle a distribué des troupes sur les établissemens hollandais dans
ces parages , et les a , par ce moyen , garantis de l'invasion des
ennemis communs . Enfin , les agens du Directoire , portant au
loin leurs regards , ont su que nos isles de Saint-Domingue et
de Cayenne éprouvaient des besoins , et ils leur ont fait passer
des secours . C'est assez vous dire , citoyens directeurs , que la
partie administrative est dans un état aussi satisfaisant que la
partie militaire . Tout est soigné dans nos colonies , et jamais
la culture des terres n'y a présenté de résultat plus satisfaisant.
Je n'entreprendrai point de vous faire la nomenclature de
tous ceux des Français des Antilles , qui ont acquis des droits à
Ja reconnaissance publique. , soit par leur intrépidité dans les
combats , soit par les efforts heureux et constans qu'ils ont
faits pour encourager l'agriculture , et hâter les progrès de
finstruction dans ces climats . Ces efforts sont tels , que la
Guadeloupe qui coûtait , dans l'ancienne administration ,
cinq millions par an à la France , suffit aujourd'hui à toutes
ses dépenses ordinaires et extraordinaires.
Ces heureux résultats sont particulièrement dus aux soins
des agens Victor Hugues , Giraud et Lebas , qui ont été secondés
par le général Boudet , et par l'ordonnateur Villégegu.
Signe , TRUGUET .
P. S. Le général Buonaparte poursnit le cours de ses victoires
. Il vient de passer le Pô dans le duché de Plaisance ;
par- là Beaulieu , qui croyait que les troupes republicaines passeraient
ce fleuve à Valence , a été tourné par le jeune général
qui l'a battu et mis en déroute . Le duc de Parme s'est soumis
à toutes les conditions que les Français ont voulu lui im
poser. La paix est conclue avec le roi de Sardaigne.; le
traité a été envoyé au conseil des Cinq - cents .
-
GAGA
ERRATA du numéro 3g . Page 84 , ligne 26 ; en ~~1779 par
Tabbe Bossuet , lisez en 1779 par l'abbé- Bossut. 137
Page 87 , ligne 26 ; lettre à Mathieu Montmórau , lisex
lettre à Mathieu Montmorenci .
LENOIR DE LAROCHE , Rédacteur..
No. 34
MERCURE FRANÇAIS .
DÉCADI 10 PRAIRIAL , l'an quatrieme de la République.
( Dimanche 29 Mai 1796 , vieux style. )
PHILOSOPHIE RATIONELLE.
Projet d'Élémens de Métaphysique. Toulouse , 1793 .
Sous ce titre modeste , cet ouvrage est fait pour devenir
un véritable traité de métaphysique philosophique
, et présenter un tableau complet de Fétat
présent de cette science. Il doit être composé de
dix livres. Nous n'en possédons encore que deux.
Le premier traite de l'analyse des différentes facultés
qui composent la faculté de penser ; et le second,
de la maniere dont nous apprenons à rapporter nos
sensations aux corps qui en sont les causes ; ou ,
comme s'exprime l'auteur , de la maniere dont le
sentiment se transforme en sensation ; car il ne donne
que le nom de sentiment à la perception de la sensation
. tant qu'elle n'est qu'une simple affection de
peine ou de plaisir , qu'une modification de notre moi :
et il ne lui applique le nom de sensation que lorsque
par une opération de jugement , il se joint à ce sentiment
une connaissance de sa cause additionnelle ,
lorsque nous savons le rapporter aux corps extérieurs
d'où il nous vient.
Ce commencement fait bien desirer la suite . Il est
Tome XXII.
( 202 )
brillant de la plus saine raison , et entierement remarquable
par la force de tête avec laquelle l'auteur
suit la chaîne des idées d'une longue déduction .
On y trouve établies et démontrées ces grandes
vérités qui enfin commencent à être généralement
senties et adoptées .
Que connaître réellement une chose quelconque ,
c'est en appercevoir les différentes parties et leurs
12pports.
Que par conséquent , le seul moyen de connaître,
c'est de décomposer , d'analyser.
Que l'analyse n'est pas moins le moyen d'enseigner
que celui d'apprendre ; car , comme le dit très - bien
l'auteur , quand le maître instruit , il faut que l'éleve
s'instruise. Il ne peut donc y avoir qu'une méthode ;
c'est la méthode analytique.
Que posséder une science , c'est avoir la connaissance'
d'une collection de faits et de leurs liaisons ,
de maniere à sentir comment ils dérivent tous d'un
premier fait qui est leur origine commune .
¿ Que la métaphysique raisonnable est la science de
l'origine et de la génération de nos idées .
Que dans cette science , le premier fait , celui audelà
duquel on ne peut remonter , celui qu'on ne
peut même définir faute d'antécédent , celui enfin que
nous connaissons tous , mais que nous ne pouvons
connaître que par l'expérience que nous en avons ,
c'est le sentiment ; car la faculté de penser n'est autre
chose que celle de sentir.
Que le sentiment devient successivement souvenir ,
rapport , jugement , réflexion , besoin , desir d'être."
Enfin , que toutes nos idées , nos passions , nos affec(
203 )
tions , nos connaissances ne sont que le sentiment
transformé .
Que c'est par le sentiment de la résistance que le
sentiment se transforme en sensation , c'est- à- dire que
nous apprenons à le rapporter aux corps , et que
nous connaissons leur existence.
Enfin , que ces corps n'existent pour nous , que
par leurs rapports avec nous , et qu'ainsi nous
ne connaissons rien que les affections que nous éprouvons
, que notre sentiment , lequel par conséquent
est tout notre être .
Après un tel début , il ne reste plus à notre auteur
qu'à achever et détailler l'histoire du sentiment ; et
nous lui devrons un traité complet de métaphysique ,
philosophique , sur- tout s'il veut bien respecter la
limite que lui -même a si bien posée entre l'ancienne
et la nouvelle métaphysique . Cette ligne de démarcation
, c'est la faculté de sentir. Le point de départ
des deux sciences , c'est le premier fait , le sentiment.
Mais l'ancienne s'occupe des causes du sentiment et
de son origine ; et la nouvelle , de ses effets et des
conséquences qu'on en peut tirer pour l'éducation ,
la grammaire , la morale , etc. etc. Il nous paraît singulierement
essentiel de ne pas mêler un seul instant
ces deux sciences ensemble ; et pour cela , nous osons
le dire , c'est presque un désavantage d'être très-versé
dans l'ancienne métaphysique ou du moins d'en faire
trop d'usage.
Puisque l'ouvrage , dont nous venons de donner
une idée n'est pas encore terminé , nous nous empresserons
de soumettre à son auteur deux questions
dont nous espérons qu'il nous donnera la solution
( 204 )
dans le livre III . qui est destiné à expliquer la génération
des idées . Elles nous paraissent d'une importance
majeure , et nous ne les avons encore trouvées
résolues nulle part d'une maniere satisfaisante .
Premiere question . Nous convenons bien
que le sentiment
devient successivement sensation , mémoire ,
comparaison , rapport , réflexion , desir , inquiétude ,
passion , etc. , comme le disent tous les analystes .
Mais n'est- ce point multiplier sans nécessité les
trasmutations du sentiment ? Il nous semble qu'on
pourrait les ranger toutes sous ces quatre classes ,
sensations , souvenirs , rapports et desirs ; et qu'on
peut composer toutes nos idées quelconques , soit
connaissances , soit affections par les diverses combinaisons
successives de ces quatre élémens , tantôt en
les séparant , tantôt en les réunissant. Ainsi , la faculté
de penser ou de sentir ne serait composée que
de la sensibilité , de la mémoire , du jugement et de
la volonté.
la sensa-
Deuxieme question . Nous voyons bien que
tion de résistance est la premiere et la seule qui nous
donne la connaissance des corps. Mais n'est - ce point
à elle aussi que commence l'exercice de notre jugement
? N'est- elle pas la premiere et la seule qui nous
fournisse deux perceptions simultanées et cependant
distinctes , et par conséquent la possibilité d'une
comparaison ? D'où il résulterait que c'est à elle que
commence notre connaissance , et que tant que nous
ne l'avons pas approuvée , nous ne percevons que
des affections de plaisir ou de peine dont nous ne
saurions tirer aucun résultat. Voici les raisons qui
nous portent à le croire.
( 205 )
Tout le monde convient que sans la connaissance
des corps , une sensation est une simple modification
de notre moi , qui ne porte avec elle aucune
connaissance .
Il n'est pas moins sûr que pour comparer deux
perceptions , il faut les avoir en même tems et les
distinguer.
Or , supposons qu'après avoir eu successivement
plusieurs sensations , mais non celle de résistance ,
nous en ayons deux ensemble , par exemple l'odeur
de rose et l'odeur d'oeillet. Si nous nous rappellons
que nous ne savons pas d'où elles nous viennent ,
qu'elles ne nous donnent aucune connaissance 9
qu'elles ne sont pour nous que de simples modifications
de notre moi , nous déciderons , je pense , avec
Condillac , qu'elles se confondront , qu'elles formeront
ensemble une modification de notre moi , composée
si l'on veut , mais qui nous paraîtra unique , et
qui ne saurait nous donner lieu à aucune comparaison
.
Maintenant si avec l'odeur de rose nous percevons
le souvenir de celle de jonquille , la même chose
doit arriver . Car nous ne saurions distinguer un souvenir
ou la perception d'une sensation passée , d'une
sensation présente . Quand nous éprouvons ce souvenir
, nous devons croire éprouver la sensation
même . Le souvenir de l'odeur de jonquille doit donc
se confondre avec l'odeur de rose et faire avec elle une
modification unique comme a fait l'odeur d'oeillet ,
comme ferait l'odeur de jonquille elle- même . Ainsi ,
point encore de comparaison .
Il en est nécessairement de même si nous éprou-
0 3

"
J
( 206 )
vons en même - tems deux souvenirs . Et comme nous
ne pouvons éprouver ensemble que des sensations
et des souvenirs , il paraît que jamais il n'y aura de
commencement à l'action de notre jugement jusqu'à
ce que nous éprouvions la sensation de résistance
ou plutôt celle d'effort. Celle - là étant par sa nature
double et relative entre l'effort et l'obstacle , et
nous faisant éprouver le sentiment de résistance , si
l'obstacle subsiste , et celui de mouvement s'il cede ,
il paraît que là commence réellement la comparaison .
Là est placée notre premiere connaissance qui sera
suivie de bien d'autres .
Ces réflexions demanderaient à être plus détaillées.
que nous ne pouvons le faire ici . Mais le philosophe
que nous consultons est trop versé dans ces matieres
pour avoir besoin de longues explications. Au reste ,
qu'il consente ou non à nous donner les éclaircissemens
que nous desirons , nous ne faisons pas moins
bien des voeux pour qu'il acheve un ouvrage qui doit
faire beaucoup d'honneur à son auteur et beaucoup
de bien à la science qu'il traite .
Cet auteur est le cit . Larouminiere . associé à la seconde
classe de l'institut national , section de l'analyse des
idées , professeur aux écoles centrales .
Ceux qui connaissent la difficulté de bien s'entendre
sur ces sujets qui demandent une grande exactitude
ajouteront sans doute à nos souhaits , le desir qu'il
paraisse encore un autre bon ouvrage , à - peu - près
sur le même plan , et où sans doute les mots ne
seront pas pris précisément tous dans la même acception
, et que des deux , on fasse une bonne synonymie.
Il pourrait en résulter une nomenclature non
( 207 ).
pas absolument méthodique , car alors la science
serait complette , mais au moins généralement cons
venue et adoptée , et ce serait un très- grand avantage
. Nous desirerions avoir cette derniere obligation
à l'institut national dont l'influence pourrait beaucoup
à cet égard .
INSTRUCTION PUBLIQUE.
Ouverture des Écoles Centrales à Paris .
ENFIN,
NFIN , nous avons une instruction publique . L'installation
des Ecoles centrales , dans cette commune ,
s'est faite le 1er . de ce mois au ci - devant collége des
Quatre-Nations . Cene serait pas avoir fait assez pour
le Peuple Français que d'avoir fondé sur les ruines
de la monarchie un gouvernement conservateur et
protecteur de ses droits : quelque grande , quelque
complette que soit la révolution , elle n'aurait fait que
précipiter la génération qui doit nous succéder , dans
un nouvel abyme de malheurs , si , après avoir fait
une constitution libre , l'on eût tardé plus long - tems
à mettre en activité des établissemens capables de
former des hommes pour la liberté .
Le bonheur des nations se compose non seulement
du perfectionnement de leur organisation sociale,,
mais encore des rapports qu'il faut établir entre cette,
organisation et les dispositions dans lesquelles elles
doivent la recevoir : ainsi , le grand ouvrage de la
régénération des empires n'est consommé et ne peut
être consolidé qu'à l'époque où les moeurs publiques
1.
04
( 208 )
1
et les habitudes privées se trouvent dans un parfait
accord avec les lois fondamentales de l'Etat .
Ces vérités profondément senties par tous les
hommes éclairés , qui sont aussi les plus sinceres
partisans de la constitution républicaine , leur faisaient
attendre avec la plus grande impatience le
jour où les écoles d'instruction publique devaient
s'ouvrir.
Les ennemis de la liberté , d'un autre côté , sachant
trop bien que l'ignorance est la compagne de la servitude
, et qu'il suffit de pouvoir tromper le peuple ,
pour parvenir bientôt à l'asservir , triomphaient d'avance
de la perte d'un tems qui n'était pas employé
à l'instruction des citoyens . Ils redoutaient le moment
de la mise en activité des écoles nationales .
Ils espéraient de nous voir retomber à la fois dans
la barbarie et sous le joug . Cet espoir coupable est
encore déçu , et le voeu des vrais amis de la liberté
et de la république est enfin exaucé .
La patrie a fait , avec le plus grand scrupule , le
choix de ceux à qui elle va confier ses plus belles
espérances. Les professeurs des Ecoles centrales vont
commencer leurs leçons . Ils apprendront aux enfans
de la république à connaître les biens inestimables
que la liberté leur assure , à sentir tout le prix d'une
vie réglée par les principes de la morale , éclairée par
le flambeau de la raison , protégée par la liberté et
l'égalité sociales , et enfin embellie par les sciences
et les arts.
Quelques années ont été perdues pour cet objet
important , mais cette perte n'est pas encore irréparable.
Si la semence d'une instruction verbale et
( 209 )
positive n'a pas encore été confiée à cette terre régénérée
, le sol du moins a été bien préparé pour la
recevoir ce sont d'assez hautes , d'assez frappantes
leçons que celles que nous avons reçues des événemens
dont nous avons été les témoins . Ce tems
a du moins servi à combattre une multitude de
préjugés invétérés , à rompre la plupart de nos habitudes
serviles , à nous apprendre ce que valaient les
hochets de la vanité , la chimere de la noblesse ,
l'orgueil des rangs , la vanité des titres , à connaître
tout ce que des priviléges ont d'injuste et d'odieux .
Enfin , à faire tomber de dessus les yeux des trois
quarts de la nation le bandeau du mensonge et du
fanatisme religieux .
Mais il n'y avait plus un moment à perdre ; les
années qui viennent de s'écouler depuis que les
écoles publiques sont fermées , sont la cinquieme
partie du tems que la nature accorde à la durée de
chaque génération . Quels reproches n'auraient pas
à se faire ceux qui par une coupable indifférence ,
ou par l'oubli d'un si saint devoir que celui de profiter
des secours qu'un gouvernement paternel et
bienfaisant leur donne pour élever leurs enfans , négligeraient
de les conduire aux sources de l'instruction
! Ils se montreraient aussi mauvais citoyens que
peres dénaturés , puisque ce n'est qu'en rendant les
hommes dignes de la liberté qn'on affermira la république
sur des bâses inébranlables , qu'on mettra en
jeu le véritable moble du gouvernement actuel ,
l'opinion publique éclairée , et puisqu'enfin le progrès
seul des lumieres peut préserver nos successeurs
, non- seulement des dangers de l'ignorance ab(
210 )
solue , mais de ces exagérations fanatiques , de ces
erreurs monstrueuses , de ces déplorables excès que
le déchaînement des passions , la corruption des
moeurs , l'aveuglement et la présomption du demisavoir
ont fait naître , et qui ont causé tous nos malheurs.
Les citoyens seconderont donc avec zele et de tout
leur pouvoir cette grande et importante magistrature
que vont exercer les professeurs de l'instruction
publique . Sous quels plus heureux auspices pouvait
elle s'installer ? Au dehors , la révolution poursuit
sa marche triomphale malgré tous les obstacles
qu'on lui oppose , et les efforts de l'Europe liguée
contre elle ; elle humilie l'orgueil des rois en leur
faisant sentir la force et la supériorité de nos armes
jusques sous les murs de leur capitale ; elle commande
l'admiration à tous les peuples , et même à
nos plus cruels ennemis , par l'héroïsme que ses défenseurs
empruntent de l'invincible amour de la
liberté. Au dedans , elle terrasse les factions , elle
déjoue les espérances et les trames perfides des partisans
de la royauté , elle confond les conspirations ,
et enchaîne les fureurs des sanguinaires partisans de
l'anarchie ; que lui reste -t-il à faire ? A assurer en
héritage à nos descendans la récompense de nos sacrifices
, et le dédommagement de tout le sang versé
de nos jours pour la cause de la liberté ; à hâter
enfin , par le moyen d'une solide instruction donnée
à tous les citoyens , le moment où les glorieuses destinées
du Peuple Français seront enfin finies dans le
sein de la prospérité , du repos et du bonheur..
Telle est une partie des réflexions qui ont été dé(
211 )
veloppées dans les discours prononcés à l'ouverture
des Ecoles centrales. Dans le premier de ces discours ,
le cit . Nicoleau , président du département , a exposé
, d'une maniere simple , mais touchante , les
avantages de la nouvelle instruction publique comparée
à l'ancienne . Il a parcouru les différentes
branches de l'enseignement , qu'il a caractérisées , et
a fait sentir qu'elles devaient toutes concourir à former
l'homme , le citoyen et le républicain .
1
Le citoyen Garat , au nom du jury d'instruction
dont il est membre , a pris la parole , et dans un discours
de méditation , mais improvisé avec cette facilité
et ce talent dont il avait donné tant de
preuves
dans son cours aux Ecoles normales , il a embrasse
un plan plus vaste . Après avoir montré , dans un
tableau rapide et à grandes masses , les différens
obstacles qui ont retardé les progrès de l'esprit humain
, il s'est arrêté sur le seizieme et dix - septieme
siecle. Jamais il n'y eut tant d'écoles et tant de docteurs
, et jamais si peu de science et de vérités . C'est
qu'une fois que les professeurs s'étaient persuadés
qu'ils savaient tout , ils devenaient les ennemis de
toute découverte , de toute vérité nouvelle . Il a cité
pour exemple la scholastique qui s'est opposée longtems
à l'établissement de la philosophie d'Aristote,
Quand celle - ci eut été introduite dans les écoles ,
elle s'opposa à son tour à la philosophie de Descartes
, qui une fois admise combattit avec la même
opiniâtreté la philosophie de Newton , lorsqu'elle
eut subjugué par l'évidence l'opinion de l'Europe
savante .
A la suite de ces considérations , il a indiqué deux
1
( 212 ).
époques les plus favorables à l'instruction . La premiere
serait celle où les connaissances humaines
seraient parvenues au plus haut degré de perfectionnement
; alors les principes de chaque science étant
connus et fixés , il y aurait véritablement des données
sûres et invariables pour l'instruction ; cette idée
est vraie ; elle est grande ; mais comme la perfectibilité
de l'esprit humain ne saurait avoir d'autres
bornes que celles où l'investigation de toutes les vérités
serait acquise , et que mille causes physiques ,
morales et politiques peuvent arrêter la marche de la
perfectibilité , et souvent la faire rétrograder , il est
probable que nous sommes encore loin de cette
époque .
La seconde , brillante d'espérance , mais moins
rapprochée de l'éclat de la premiere , serait celle où
les sciences auraient déja acquis un grand développement
, où elles seraient sur le chemin de la vérité et
des grandes découvertes , et recevraient une grande
impulsion des mains de la liberté , qui leur rouvrirait
la barriere ; cette seconde époque est celle où
nous sommes Le cit . Garat a présenté l'état actuel
des connaissances humaines , et a fait entrevoir quelle
allait être la rapidité de leurs progrès , sur les pas
de l'analyse et de la double langue de l'algebre et
de la géometrie , et sous les auspices d'un gouvernement
libre . En parlant des progrès qu'avaient faits
les sciences exactes , il était impossible qu'il ne rappellât
pas à l'estime et à la reconnaissance publique ,
deux hommes les plus faits pour concourir à leur
avancement , les citoyens Lagrange et Laplace ; tous
deux étaient présens comme membres du jury d'ins(
213 )
truction. Le second vient de publier un ouvrage trèsintéressant
sur le Systême du Monde , dont l'éloge est
venu naturellement se placer dans la bouche de
Garat. Quoiqu'il n'ait point nommé ces deux mathematiciens
célebres , le public les a reconnus aux premiers
traits , et il a témoigné par ses applaudissemens
le plaisir qu'il avait de rendre un hommage éclatant
à la supériorité de leur mérite ..
Le cit. Fontanes , l'un des professeurs de belleslettres
aux Ecoles centrales , s'est chargé d'être l'interprête
de ses collègues , auprès du département , du
jury et du public . En parlant sur un sujet où le fonds
des idées semblait devoir être épuisé , il a prouvé
-
}
}
que le talent savait découvrir de nouveaux rapports ,
et donner une nouvelle forme aux idées qui appar
tiennent aux mêmes motifs . En rappellant les an
ciennes révolutions , il a remarqué que les législateurs
de l'antiquité s'étaient attachés à ne point
rompre d'une maniere trop brusque les habitudes
et les moeurs des peuples , afin que la jeunesse n'apprît
point à mépriser la science des vieillards . Il y a sans
doute de la vérité dans cette observation , Mais elle a
eu quelques exceptions , dont le succes prouve qu'il
est des circonstances où un législateur doit avoir le
courage de briser les anciennes institutions , pour en
recréer de nouvelles . Tel fut Licurgue , par exemple.
On sait qu'à l'époque où il donna ses lois à Sparte, les
Lacédémoniens étaient amollis et corrompus par le
luxe , les richesses et l'inégalité des conditions . Il
ne construisit pas moins sa législation sur un plan
tout neuf , et entierement opposé aux anciennes
habitudes , et ses lois ont duré plus de six siecles .
( 214 )
J
Une remarque plus juste qu'a faite le cit . Fontanes ,
c'est qu'en révolution , il ne faut jamais comparer
ni les époques , ni les peuples . Ce qui pouvait convenir
aux petites républiques de Sparte , d'Athenes ,
et même à celle de Rome , ne serait point applicable
sur la fin du 18. siècle , à un grand peuple qui cultive
les arts et les sciences , qui a une nombreuse
population , un sol étendu , et beaucoup de richesse
et d'industrie .
On a regretté qu'en citant Rousseau et ses erreurs
politiques , il n'ait pas gardé envers lui la mesure de
justice dont Rousseau était digne malgré ses erreurs .
Il l'a accusé d'avoir écrit tout au plus pour la petite
république de Salente , sans avoir le style de Fénelon .
Quand Rousseau composa son Contral Social , il n'avait
sous les yeux d'autres modeles que les républiques
de la Grece et de Rome ; il était excusable de n'en
pas imaginer d'autres , et cette erreur lui fut commune
avec Mabli . Il eut tort sans doute de croire
que la liberté ne pouvait se trouver dans le gouverfement
représentatif; mais il n'en est pas moins vrai
que le Contrat Social renferme une foule d'excellens
principes , qu'il a détruit de grandes erreurs politiques,
et a mis les peuples sur la route de la liberté . Quant à
son style , ce n'est point celui de Fénelon , mais c'est
Je sien. Ces deux grands écrivains sont sous ce rapport
assez riches dé leur propre fonds , pour qu'aucun
objet de comparaison puisse nuire, ni à l'un , ni à
l'autre , et le cit . Fontanes qui sait écrire aussi , a le
sentiment du goût trop délicat et trop juste pour
refuser à Rousseau ce genre de mérite .
Il a très-bien caractérisé la République Française ,'
( 215 )
quand il a dit qu'elle réunissait les beaux arts d'Athenes
, la valeur de Rome et l'industrie de Carthage;
c'est de la combinaison de ces trois rapports que
doit se composer son existence politique , civile et
littéraire . Ce discours écrit avec pureté et énergie
a été universellement applaudi ; il est une preuve
de plus que l'art de la poésie que le cit. Fontanes a
cultivé avec succès , est un excellent maître pour écrire
en prose.
A la fin de cette séance , le président du département
a annoncé que tous les cours d'instruction
s'puvriraient le 11 de ce mois à l'école des Quatre-
Nations et à celle du Panthéon , les deux qui soient
encore en activité .
Voici l'ordre des cours et des leçons , ainsi que le
nom des professeurs .
-
PREMIERE SECTION.
Tous les jours , excepté le quintidi et le décadi.
Langues anciennes , depuis neuf heures du matin jusqu'à
dix heures et demie . Professeurs ; Gueroult , aux Quatre-
Nations ; — Binet , au Panthéon.
Histoire naturelle , depuis dix heures et demie jusqu'à midi.
— Professeurs ; Brogniard , aux Quatre -Nations ; --- Cuvier ,
au Panthéon.
Dessin , depuis midi jusqu'à une heure et demie. — Professeurs
; Moreau , aux Quatre -Nations ; Bachelier , au -
Panthéon .
DEUXIEME SECTION.
Mathématiques , tous les jours impairs , depuis neuf heures
jusqu'à onze. Professeurs ; Lacroix , aux Quatre-Nations ;
Labey , au Panthéon.
( 216 )
Physique et chymie , tous les jours pairs , depuis neuf heures
Jusqu'à onze. Professeurs ; Brisson , aux Quatre - Nations ;
Deparcieu , au Panthéon .
Le nonidi , la leçon de mathématiques aura lieu depuis
neuf heures jusqu'à 10 heures et demie ; et la leçon de physique
depuis dix heures et demie jusqu'à midi .
Ces deux leçons seront une récapitulation de toutes celles
de la décade.
TROISIEME SECTION..
JOURS IMPAIRS. Grammaire générale , depuis neuf heures
jusqu'à onze. Professeurs ; Domergue , aux Quatre-Nations ;
Duhamel , au Panthéon.
-

Histoire , depuis onze heures jusqu'à une heure. ― Professeurs
; Millin , aux Quatre-Nations ;
théon .
-
- Boisjoslin , au Pan-
JOURS PAIRS . Législation , depuis neuf heures jusqu'à onze.
-Professeurs ; Grivel, aux Quatre-Nations ; - Lenoir- Laroche,
au Panthéon .
Belles -lettres , depuis onze heures jusqu'à une heure. - Professeurs
; Fontanes , aux Quatre - Nations ; Sèlis , au Panthéon.
Le nonidi , la leçon de la grammaire générale aura lieu
depuis neuf heures jusqu'à dix ; celle des belles -lettres , depuis
dix jusqu'à onze ; celle de la législation , depuis onze jusqu'à
midi ; et celle de l'histoire , depuis midi jusqu'à une heure.
Les leçons de ce jour seront une récapitulation de celles de
la décade .
1
.
BIOGRAPHIE .
( 217 )
4
BIOGRAPHIE.
Notice sur la vie du cit. PINGRÉ , lue à la séance publique
du Lycée des Arts ( 30 floréal an IV ) , par ET. P. VENTENAT,
bibliothécaire du Panthéon , et membre de l'Institut
national.
EN prononçant le nom de Pingré , les citoyens qui
composent cette respectable assemblée , cherchent
sans doute dans cette enceinte ce vieillard vénérable ,
assidu aux séances du Lycée des Arts ; cet homme
simple dont la longue carriere a été une pratique
constante de toutes les vertus , ce savant modeste
que chacun faisait remarquer à ceux qui ne le connaissaient
pas , et qui seul ignorait l'éclat de sa réputation.
Collégue du cit . Pingré , et son ancien confrere
le Lycée des Arts a cru devoir me choisir pour honorer
la mémoire d'un de ses membres avec qui j'ai eu
le bonheur de vivre pendant plusieurs années , et
que je regretterai à jamais comme un fils regrette
un tendre pere . Puissé - je faire passer dans l'ame
de mes auditeurs les sentimens dont la mienne est
pénétrée !
Alexandre- Guy Pingré , membre de l'Institut national
et de plusieurs sociétés savantes , l'un des bibliothécaires
du Panthéon , naquit à Paris , le 4 septembre
1711 .
Dès sa plus tendre jeunesse , le desir de tout savoir ,
Tome XXII, P
( 218 )
ĭ
la vivacité de ses reparties firent concevoir les plus
heureuses espérances. Ses parens , convaincus que
tout ce que le ciel a fait naître de plus excellent dégénere
bientôt , si l'éducation , comme une seconde
mere , ne conserve et ne perfectionne l'ouvrage que la
ature lui confie , aussi- tôt qu'elle l'a produit , se
harirent,de l'envoyer au collège de Saint-Vincent de
Ce fut dans cette école renommée par les tasvert
is de ceux à qui elle était confiée ,
jeune Pingré annonça par l'activité de son
par sa facilité pour le travail sans laquelle
tivité ne peut subsister , par une mémoire prodiet
sur-tout par sa passion pour l'étude dont
ses maîtres se virent obligés plusieurs fois de modérer
l'ardeur , que la nature avait formé en lui un de ces
hommes rares destinés à faire époque dans leur
siecle .
"
Parvenu à l'âge où l'homme se décide pour un
état , Pingré n'hésita point à préférer celui qui favorisait
son goût dominant pour l'étude , et qui semblait
devoir resserrer les liens de l'estime et de l'attachement
qui l'unissaient à ses maîtres . Il entra dans
la ci- devant congrégation des chanoines réguliers de
France .
La théologie fut pendant long-tems la seule science
à laquelle il s'adonna . Cette science , exposée d'une
maniere qui lui est peu favorable dans les écrits des
scholastiques , présente un aliment au génie dans
l'étude de l'histoire , de la chronologie et des langues
savantes . Pingré fut chargé de l'enseigner , et il
s'acquitta de cet emploi honorable avec la plus grande
distinction .
( 219 )
Une vie entierement consacrée à l'étude et à la
retraite fut bientôt troublée par ceux même à qui
leur état faisait un devoir de la respecter et de l'imiter
. Pingré n'adoptait point les sentimens ultramontains
des évêques qui dominaient alors le clergé.
Son attachement aux libertés de l'église gallicane
était un présage du zele qu'il a montré , lorsque le
feu sacré de la liberté française a éclairé le crépuscule
de ses jours. Il fut enveloppé dans les persécutions
qu'un gouvernement despote , excité
par des
prêtres fanatiques , fit éprouver , en1745 , à des
hommes savans et vertueux , dont tout le crime consistait
à préférer l'exposition de la doctrine chrétienne
par les Peres , à celle qui avait été donnée
depuis peu par le jésuite Molina . On chercha d'abord
à humilier Pingré , en le faisant descendre d'une
chaire de théologie , pour donner des leçons sur les
principes de la langue latine . Pingré , inaccessible
aux sentimens de l'amour- propre et de la vanité
croyant être toujours à sa place , pourvu qu'il fût
utile , ne témoigna aucun mécontentement. Le zele
avec lequel il remplissait ses nouvelles fonctions
déconcerta les projets de ses ennemis. La calomnie
leur fournit de nouvelles armes , et ils accuserent
Pingré d'enseigner à des enfans une doctrine suspecte
; dans l'espace de quatre ans , ils obtinrent
contre lui cinq lettres de cachet . A peine était-il arrivé
dans un domicile , qu'il lui fallait en sortir pour
passer dans un autre.
Les sciences et la philosophie eurent la gloire de
mettre fin à une persécution si révoltante . Un des
premiers anatomistes de ce siecle , un célebre phy-
P 2
( 220 )
9
sicien , Lecat, chirurgien en chef de l'hospice de santé
de Rouen , connut le mérite de Pingré , et trouva le
moyen d'arrêter le cours et l'effet des ordres arbitraires
. Il le fit recevoir , en qualité d'astronome ,
membre de l'académie qu'il avait fondée . Pingrė
jaloux de justifier un choix aussi honorable , commença
, à l'âge de 38 ans , à étudier l'astronomie , et
dès -lors cette science obtint sur toutes les autres
auxquelles son génie était également propre , une
préférence marquée . Son premier travail fut le calcul
de l'éclypse de lune arrivée le 23 décembre 1749.
La Caille l'avait également calculée à Paris ; mais il
se trouvait entre les calculs des deux astronomes une
erreur de quatre minutes de différence . La Caille reconnut
que c'était lui qui s'était trompé . Un homme
d'un mérite ordinaire aurait pu ressentir de l'humeur ,
ou aurait éprouvé quelques sentimens de jalousie ;
la Gaille , au contraire , conçut de l'estime pour le
nouvel astronome , et devint son ami .
Le çit . Lemonnier , dont le zele pour l'astronomie
saisissait toutes les occasions de faire des prosélytes ,
après avoir lancé Lalande dans la carriere , engagea
Pingré à s'y faire connaître par le travail le plus pénible
qu'un astronome pût entreprendre ; ce fut de
calculer un almanach nautique pour déterminer les
navigateurs à observer les longitudes par le moyen
de la lune , en les dispensant de la partie qui est
la plus difficile , qui est celle des calculs qu'exige
cette méthode . Pingré calcula donc pour 1754 son
état du ciel , où le lieu de la lune était déterminé
tigoureusement sur les tables d'Halley , pour midi et
pour minuit. L'année d'après , Pingré préféra les tables
( 221 )
des institutions astronomiques du cit. Lemonnier , et
il calcula les lieux de la lune dans la précision des
secondes . Je doutais l'année derniere , dit - il dans la
préface de cet ouvrage périodique , qu'un seul homme
pât suffire pour calculer , dans toute la précision possible
, les mouvemens de la lune ; je n'en doute plus
maintenant , et c'est d'après ma propre expérience .
La modestie de Pingré ne lui permettait pas de dire
qu'il était presque le seul qui pût faire une expérience
pareille . Lorsqu'il fut question des calculs de
la connaissance des tems , Lemonnier voulait que
ce travail fût confié à Pingré . Lalande lui fut préféré.
Consolons - nous de cette erreur ( c'est l'expression
qu'emploie Lalande lorsqu'il parle de cette anecdote
) , puisque cet ouvrage , qui eût absorbé tout son
tems, nous eût privé de travaux plus- utiles . Ne pourrions
- nous pas ajouter qu'un pareil ouvrage , qui
convenait à des calculateurs , ne devait point occuper
de grands astronomes .
Pingré s'ouvrit alors une nouvelle carrieré qu'il a
fournie avec la plus grande distinction ; c'est celle du
calcul des cometes . La détermination des orbites cométaires
est le problême le plus difficile de l'astronomie
, celui qui exige le plus de calculs et de sagacité ,
à cause des différens cas qui embarrassent le calcul ;
mais Pingré n'était jamais embarrassé , et il a calculé à
lui seul plus d'orbites de cometes , que tous les astronomes
ensemble , pendant un pareil intervalle de
tems ; comme on peut le voir dans l'immense ouvrage
de sa cométographie qui a paru en 1784 , deux volumes
in- 4° .
En 1760 , le passage de Vénus sur le disque du
P 3
( 228 )

Soleil , qu'on attendait pour le 6 juin 1761 , engagea
les puissances et les académies à envoyer des astronomes
dans les différentes parties du monde . Pingré
fut chargé d'aller dans la mer des Indes , et il choisit
sa position à l'isle Rodrigue . La relation de ce voyage ,
quant aux observations astronomiques , est imprimée
dans les mémoires de l'académie des sciences. Nous
croyons devoir les passer sous silence , en óbservant
seulement que le ciel fut nébuleux au moment où
Pingré commença son observation , et que son voyage
fut utile à l'astronomie , à la géographie et à la
marine .
550
La science de l'astronomie est immédiatement liée
avec celle de la navigation . La connaissance des
astres et leur cours est absolument nécessaire à celui
qui , embarqué sur un frêle vaisseau , parcourt le
vaste empire de l'Océan , et affronte la fureur et l'inconstance
des flots . Qu'il me soit permis de citer à
l'appui de ce que j'avance le fait suivant , quoiqu'il
soit déja connu. En quittant le cap de Bonne Espérance
, le capitaine du vaisseau sur lequel Pingré était
monté , l'infortuné Marion , dont la fin tragique a été
la même que celle du célebre Cook , dirigeait sa
route trop avant vers le nord . Pingré s'apperçut de
cette fausse manoeuvre , et eut le courage de la faire
observer au capitaine . Marion , qui n'aimait point à
recevoir de leçons , menace l'astronome de le faire
jetter à l'eau. Pingré , comme un autre Themistocle ,
lui répond froidement : Vous pouvez le faire , mais
profitez auparavant de l'avis que je vous donne.
Pingré , qui n'était pas moins versé dans la connaissance
des tems , que dans celle des astres , con(
223 )
tribua à la perfection du savant ouvrage intitulė
l'Art de vérifier les dates . La Caille un des
plus étonnans astronomes qui aient paru , avait
calculé les éclypses de dix- neuf cents ans , pour
la premiere édition . Pingré soumit ces éclypses
à de nouveaux calculs dans la deuxieme édition
donnée par D. Clément. Il enchérit même sur les
travaux de son collégue , en calculant les éclypses de
mille ans avant l'ère vulgaire . L'académie des inscriptions
les a publiées dans le XLII . volume de ses
mémoires , quoique Pingré ne fût pas un de ses
membres ; mais cette compagnie savante crut qu`un
travail immense , si important pour la chronologie ,
devait mériter à l'auteur cette honorable exception.
En 1767 , Courtanyaux forma le projet de vérifier
les horloges marines dont Leroy l'ainé s'occupait
depuis 1754. Pingré l'accompagna en Hollande avec
le cit. Messier , et publia l'année suivante un volume
sur ce voyage .
1
Pingré fut encore choisi par l'académie des sciences
en 1769 et en 1771 , pour vérifier si les montres des
célebres artistes Leroy et Berthoud assuraient avec
précision aux marins la connaissance des degrés de
longitude auxquels ils peuvent se trouver. Le but
de ces voyages était de la plus grande utilité . En effet ,
connaître tous les jours sur mer le lieu précis où l'on
est , éviter dans cette estimation des erreurs qui s'accumulent
jusqu'à cent lieues et au delà , ne plus risquer
d'échouer durant l'obscurité de la vuit contre des
terres dont on se croit encore fort éloigné , déterminer
avec la plus grande facilité la position des isles , des
côtes dont on ne connaissait point encore lasituation
P 4
( 224 )
avec une précision suffisante ; tels sont les fruits qu'on
doit attendre des instrumens à l'aide desquels on
peut déterminer les longitudes sur mer . L'Europe ,
l'Afrique et l'Amérique furent le théâtre de la gloire
astronomique de Pingré .
Le premier voyage , appellé le voyage de l'Isis ,
du nom du vaisseau que commandait Fleurieu , a
été un des plus importans qu'on ait faits pour la
géographie . Pingré a travaillé à la rédaction qui en
fut publiée en 1773 , deux volumes in-4° . ; il a eu
également la plus grande part à la relation qui parut en
1778 , deux volumes in -4 ° . , du second voyage appellé
voyage de la Flore , du nom du vaisseau que commanmandait
le cit . Verdun .
1
Les services que Pingré avait rendus aux sciences
et à la marine , déterminerent le gouvernement à le
nommer astronome- géographe , à la place du savant-
Delisle . Ce fut aussi vers le même-tems que la congrégation
de France à laquelle il appartenait , sensible
à l'honneur que le nom de Pingré faisait rejaillir .
sur elle s'empressa de lui donner des preuves de
son estime . Elle le nomma chancelier de la ci - devant
université ( 1769 ) et bibliothécaire de Sainte - Genevieve
( 1772 ) , aussi - tôt que la vacance de ces places
lui permit d'en disposer. Elle lui avait fait construire
un observatoire en 1755 , et lui avait procuré tous
les instrumens qui pouvaient lui être nécessaires .
Pingré a donné la traduction de plusieurs voyages
espagnols , dont quelques- uns sont encore inédits .
Il a publié en 1786 celle des astronomiques de Manilius
. Ce poëte écrivait sous Auguste . L'obscurité du
texte , la diversité des éditions , la difficulté du sujet
( 225 )
que l'auteur s'était proposé de traiter , avaient obligé
plusieurs savans qui avaient entrepris de le traduire ,
de renoncer à leur projet. L'académie qui connaissait
le mérite de Pingré , engagea cet homme laborieux
à donner une nouvelle édition du poëte latin ,
et à faire passer dans notre langue les beautés que
l'on remarque souvent dans les astronomiques . En
effet , les descriptions des constellations extrazodacales
, et celles des douze signes avec lesquels elles
se levent , sont entremêlées d'épisodes intéressans ,
et celui d'Andromede a été jugé digne de Virgile
par plusieurs savans critiques . Pingré a joint à
la traduction de Manilius , celle d'Aratus qui
avait également emprunté le langage d'Uranie . —
L'ouvrage du poëte grec , intitule les Phénomenes ,
quoique peu estimé des modernes , eut néanmoins
un grand succès dans son tems , puisque Ciceron
crut devoir l'adapter à la muse latine . Pingié en a
donné la traduction d'après le texte de l'orateur
romain .
-
Le ci-
Pingrẻ travaillait depuis long- tems à une histoire
de l'astronomie du 17. siecle , dans laquelle il voulait
rassembler et calculer une quantité immense
d'observations éparses dans les ouvrages du dernier
siecle et dans beaucoup de manuscrits.
toyen Lemonnier , qui lui avait inspiré ce projet ,
lui avait communiqué les manuscrits de Bouillaud.
Pingré reprit , en 1786 , cet ouvrage qu'une longue
suite de travaux avait interrompu . Il rédigea les matėriaux
nombreux qu'il avait recueillis , et l'ouvrage fut
terminé en 1791. L'auteur était alors âgé de 80 ans .
Le cit. Lalande en rendit compte à l'académie , au
( 226 )
mois de février de la même année , avec un enthousiasme
qui prouvait le mérite de l'ouvrage, et qui hono .
rait le rapporteur. L'Assemblée nationale accorda un
secours pour l'impression de cet immense travail qui
est à moitié faite , et qui le serait entierement sans les
circonstances difficiles dans lesquelles s'est trouvé le
gouvernement.
Pingré a travaillé à la construction de plusieurs
cadrans ; mais celui qu'il a fait à l'hôtel de Soissons
6u à la Halle - au - bled , en 1764 , rappellera à jamais
le souvenir de ce savant modeste . Qu'on se représente
une colonne de 25 metres de hauteur ( 80 pieds ) .
C'était sur ce plan défavorable , que Pingré devait
construire le cadran que lui demandait la ville de
Paris , par l'organe du prévôt des marchands . Il n'y
en avait encore aucun parmi ceux qui avaient été
décrits jusqu'alors , qui pût convenir à cette colonne ."
Le génie de Pingré surmonta toutes les difficultés
et il exécuta celui qui frappe souvent nos regards ,
sans exciter peut- être l'attention qu'il mérite . Le
cit. Lalande en a donné la description dans l'encyclopédie
méthodique , d'après l'ouvrage publié par
l'auteur en 1764.
? On ne peut lire sans étonnement le récit des travaux
astronomiques de Pingré. Un tempérament
robuste lui permettait de se livrer sans relâche et
sans éprouver aucune espece de fatigue à la passion
ardente qu'il avait pour l'étude . La plus grande partie
de la journée y était consacrée , et le changement
d'occupation était le seul délassement qu'il connût.
C'était dans l'étude des langues hébraïque , grecque ,
latine, et de la plupart des langues vivantes , toutes
( 227 )
très-familieres à Pingré , que cet homme, véritablement
digne du nom de savant , cherchait des objets de
récréation et semblait puiser de nouvelles forces. Il
est parvenu à un âge très - avancé , sans éprouver
aucune des incommodités de la vieillesse . Depuis
deux ans il avait presque renoncé aux calculs astronomiques
, mais il continuait toujours ses observations
météorologiques . Elles ont été commencées en
1749 , et n'ont été interrompues que 3 jours avant
sa mort. L'étude des auteurs du siecle d'Auguste qu'il
n'avait cessé de lire une heure par jour , tout le tems
de sa vie , faisait sa principale occupation dans ses
dernieres années. Je crois même pouvoir avancer
qu'on trouvera parmi ses manuscrits un commentaire
d'Horace , ce poëte sensé , ce philosophe aimable dont
l'étude convient à tous les âges ; ce critique judicieux
dont les pensées sortent , pour ainsi dire , du sein de
la nature , toujours dictées par la vérité , relevées et
embellies par la vivacité des figures et la grandeur des
images .
L'étude de la botanique procura aussi de nouvelles
jouissances au cit. Pingré , et cette science aimable
sema de fleurs les derniers pas de sa longue carriere.
Son génie accoutumé à planer dans les régions
célestes , ne dédaigna point de descendre et de
s'arrêter sur la surface de la terre. Les végétaux que
nous foulons sans cesse aux pieds , lui parurent aussi
admirables , que ces globes de feu et de lumiere
suspendus sur nos têtes , et dont il avait si souvent
mesuré le cours , calculé la distance et la situation
réciproque. Le tableau de la nature est toujours imposant
aux yeux du sage , quel que soit l'aspect sous
( 228 )
lequel il se présente ; et Pingré a avoué plusieurs
fois que s'il se fût adonné plutôt à la science des
végétaux , Flore lui eût fait quelquefois négliger
Uranie .
Pingré s'était toujours intéressé aux progrès des
sciences et des arts ; aussi son ame fut- elle profondémentaffligée
dans cesjours de deuil et de consternation
où des hommes savans et vertueux' , à qui la reconnaissance
aurait dû élever des statues , étaient traînés
au supplice , où l'ombre même du savoir et de la
vertu était un crime aux yeux des tyrans qui en se baignant
dans le sang de la France , condamnaient jusqu'aux
larmes qu'arrachait au sentiment de la justice
et de l'humanité , le spectacle affreux de l'innocence
opprimée et de la nature outragée .
Pourquoi l'ami de la liberté ne peut - il effacer
des pages de l'histoire cette longue suite de crimes
qui ont souillé le berceau de la révolution ? Ah ! sans
doute , la postérité détournera ses regards de ces
scenes d'horreur , pour les arrêter sur les hommes
qui ont eu le courage d'opposer une digue à ce torrent
destructeur qui menaçait de tout engloutir ; sans
doute , elle éprouvera quelque sentiment d'admiration
en contemplant une société d'artistes qui ,
réunis dans cette enceinte , décernaient , au milieu
des acclamations d'un public éclairé , des couronnes
aux victimes de la tyrannie ! Puisse la protection qu'un
gouvernement juste accorde aux sciences , réparer
bientôt les pertes qu'elles ont essuyées ! Déja , la
formation des écoles centrales , le choix des professeurs
distingués qui doivent y propager les lumieres
, la réunion de plusieurs artistes et savans en
( 229 )
sociétés libres , les voyages projettés dans l'intérieur
de la France et dans toutes les parties du globe ,
l'établissement de l'Institut national font concevoir
les plus flatteuses espérances , et promettent à la
France dans les connaissances humaines la supériorité
qu'elle s'est déja acquise par la force de ses
armes .
Les savans , à qui le gouvernement avait confié le
soin d'élire, parmi les artistes et les hommes de lettres,
les membres qui devaient composer l'Institut national
, s'empresserent de rendre justice au patriarche
de l'astronomie , et ce choix fut universellement
applaudi . Pingré a bravé pendant tout l'hiver , les
injures du tems , pour assister aux séances du nouvel
établissement. Il était présent à celle du 6 floreal ;
le 7 , il éprouva une grande faiblesse ; le lendemain
la fievre se déclara , et il succomba le 12 à 4 heures
du soir , âgé de 84 ans 7 mois 26 jours , sans avoir
perdu un instant ni sa présence d'esprit , ni sa douceur
, ni sa tranquillité ordinaire . Quelques heures
avant qu'un sommeil éternel fermât ses paupieres ,
il répondit à un ami qui lui demandait s'il souffrait ;
non je ne souffre pas , mais je sens que je me meurs ;
et un instant après il ajouta , en citant un passage
d'Horace : A l'âge où je suis , je dois quitter la vie ,
uti conviva satur. ( 1 ) ; comme l'on quitte la table après
un grand festin .
( 1) İndè fit ut rarò qui se vixisse beatum
$
Dicat et exacto contentus tempore vita
Cedat uti conviva satur reperire queamus .
HOR . Sat. I , lib . 1.
( 230 )
t
Nous n'avons parlé que des talens du cit . Pingré.
Ceux qui ont eu le bonheur de vivre avec lui ont
été à portée de connaître et d'apprécier les qualités
de son coeur. Le célebré Franklin , pendant son
séjour en France , recherchait sa société. Il existait
une grande conformité de sentimens et de caractere
entre ces deux hommes , nés dans des hémispheres
différens , et le courage avec lequel Pingré a résisté
aux persécutions ecclésiastiques , le zele qu'il a montré
en se déclarant le partisan de la révolution française
, semblent prouver qu'il eût peut- être déployé
une énergie semblable à celle du Solon américain ,
s'il se fat trouvé dans les mêmes circonstances .
Quelques écrivains ont imprimé que Pingré
était sujet à des distractions ; mais ceux qui l'ont
connu , savent qu'elles étaient volontaires. Il y avait
recours , pour éviter de répondre à des questions
inutiles , ou pour ne pas être fatigué de conversations
oiseuses .
La philosophie ne reprochera jamais à Pingré
son attachement constant à la religion chrétienne ,
puisque toute sa vie il eut en horreur le fanatisme .
Sa piété était trop éclairée pour lui permettre ou de
Lucrece avait déja dit , liv. 3 :
Cur non ut plenus vitæ convivd recedis ?
Belle image que la Fontaine a empruntée :
Je voudrais qu'à cet âge
On sortit de la vie , ainsi que d'un banquet ,
Remerciant son hôte , et qu'on fit son paquet.
Libe8 , fab. Iere,
( 231 )
vouloir asservir l'opinion de ses semblables , ou
d'oser condamner leur conduite . Il était né bon ,
simple et très- tolérant. Jamais la jalousie n'eut accès
dans son coeur ; aussi a - t- il joui d'un avantage que
peu d'hommes de lettres ont partagé ; il n'a pas
eu d'ennemis , et il a été constamment aimé et estimé
des savans , sur- tout de ceux qui suivaient la
même carriere .
Épître
SUR
POÉSIE.
au cit. BOISJOSLIN , sur l'emploi du tems.
UR les bords de la Saône , heureux dans ma retraite ,
Possédant plus de biens qu'il n'en faut au poëte (1) ,
Ma volage pensée au milieu de Paris
Court retrouver encor tous ceux que j'ai chéris ,
Ces premiers compagnons des goûts de ma jeunesse ,
Qui préféraient aux rangs , aux dons de la richesse ,
Les rêves de la gloire , à cet âge si chers ,
Une heureuse indigence , er l'amour et les vers .
Boisjoslin , c'est à toi qu'aujourd'hui je m'adresse.
Nous aimons tous les deux les arts et la paresse ;
Peut-on nous en blâmer ? Sans nous , assez d'auteurs
De leur fécondité fatiguent les lecteurs !
Il est doux de rêver ; il l'est si peu d'écrire !
Plus d'un Liniere encore appelle la satyre .
Mais tout a son excès ; n'attendons pas trop
On railla justement le sommeil de Contard .
Exerçons la pensée , elle croît par l'usage.
( 1 ) Cette piece a été composée en 1792 .
tard.

( 232 )
Les vers comme l'amour vont si bien au jeune âge !
Mets-le à profit , crois- moi ; tout fuit , cher Boisjoslin ,
Et trop tôt le talent a ses jours de déclin .
Quand il naît , tout l'accueille , on aime son aurore .
Rappelle-toi ces jours où commençant d'éclore ,
Ta muse qui brillait des plus fraîches couleurs ,
Orna d'attraits nouveaux la déesse des fleurs ,
Alors que ton crayon , pur et brillant comme elles ,
Accroissait du printems les graces immortelles ( 1 ) .
O jours d'enchantemens ! l'espérance à tes yeux
Ouvrait dans un ciel pur ces lointains radieux ,
D'où la gloire , au travers de cent miroirs magiques ,
De son temple élevé fait briller les portiques .
La course était immense et ne t'effrayait pas .
Quel obstacle en entrant a rallenti tes pas
Tu m'as trop imité : les plaisirs , la mollesse ,
Dans un piége enchanteur ont surpris ta faiblesse.
La gloire en vain promet des honneurs éclatans ;
Un souris de l'amour est plus doux à vingt ans ;
Mais à trente ans la gloire est plus douce peut-être.
Je l'éprouve aujourd'hui : j'ai trop vu disparaître
Dans quelques vains plaisirs aussi -tôt échappés ,
Des jours que le travail aurait mieux occupés.
O dans ces courts momens consacrés à l'étude ,
Combien je chérissais ma douce solitude !
J'y bornais tous mes voeux , et charmant mon loisir ,
Chaque heure fugitive y laissait un plaisir.
Là , d'un air recueilli , mais sans être farouche ' ,
Le silence pensif et le doigt sur la bouche ,
Écartait loin de moi les vices , le malheur ,
( 1) Fragmens d'un poëme sur les Paysages , imprimés dans
les recueils , il y a quelques années .
Les
( 233 )
Les dégoûts et l'ennui pire que la douleur .
Alors independant et même un peu sauvage ,
Ma muse ne cherchait qu'un solitaire ombrage ,
On venait , quand Vesper a noirci le coteau ,
S'asseoir sur les débris des tours d'un vieux château ;
Ou rêvait au milieu de ces tombes champêtres
Qui du hameau voisin renferment les ancêtres .
Quelquefois plus riante elle prnait un verger .
Un jour , dans les cieux même eile osa voyager.
Les Alpes , le Jura l'appelaient sur leurs cîmes ,
Elle aimait à descendre au fond de leurs abymes ,
Dans ces antres sacrés d'où sort la voix des Dieux ,
D'où montaient jusqu'à moi les sons mystérieux ,
Ces accens inspirés que dans un saint délice im
L'enthousiasme peut seul entendre et redire.g
Tels étaient mes plaisirs , tels ont été les tiens , I
Et nos illusions nous donnaient tous les biens .
Malheur au vil mortel , malheur à l'amant même
Qui méconnaît des vers la puissance suprême !
Ce grand art , dont l'éclat souvent m'enorgueillit ,
M'embellissait l'amour par qui tout s'embellit . n
Ah ! du moins si ton coeur à l'amour s'abandonne
Raconte en vers heureux les plaisirs qu'il te donne .
Tel Parny de nos jours a charmé tous les coeurs
Ovide son exemple est tout fait pour tes moeurs )
Caressait à la fois et sa muse et Corinne .
Trop heureux si rempli de sa flamme divine ,
Et comme lui neuf fois couronné par l'Amour ,
Avec grace aux Neuf- soeurs tu fais encor ta cour.
Sois son émule en tout , et dans ta double ivresse
Aime et sers aussi bien la gloire et ta maîtresse .
Que n'es- tu près de moi ? Les lieux d'où je t'écris ,
A l'amant , au poëte , offriraient des abris .
Tu chantais le printems : ses beautés m'environnent .
Tome XXII.
h
ዲ T
( 234 )
Du front de cent coteaux que les vignés couronnént ,
Mon regard abaissé sur d'immenses moissons
Voit des Alpes au loin resplendir les glaçons ,
Deux fleuves en fuyant dans leurs eaux réfléchissent ,
Une antique cité que les arts enrichissent.
Quel contraste ! en ces champs peuplés d'heureux troupeaux
Des cruels ( 1 ) triumvirs ont flotté les drapeaux.
Là fut placé leur camp , là des vierges modestes
D'un palais des Césars foulent aux pieds les restes .
Ces débris sont lear temple , et leurs pieuses mains
Cultivent quelques fleurs sur des tombeaux romains . (2)
Ici plus d'une fois rêva l'auteur d'Émile ,
Et cet antre écarté fut , dit-on , son azyle (3) .
Ami de la nature il aimait ces beaux lieux .
Qui peindra ces tableaux qu'ont admirés ses yeux
Four Delille ou Vernet qu'ils seraient favorables !
Jadis la poésie , au siecle heureux des fables ,
Eût dit qu'en ces vallons , dans le mois des amours ,
Les nymphes à dessein reprenant leurs atours ,
De la Saône à mes pieds par le Rhône entraînée ,
Viennent orner le lit et fêter l'hyménée..
Un jour , ô jour fatal ! les nymphes dans les pleurs
Rejetterent soudain leurs couronnes de fleurs .
( 1 ) Les triumvirs ont campé sur les hauteurs qui dominent
Lyon vers le couchant. Un village voisin en a conservé le
nom de Trives .
(2) Un couvent de la Visitation était encore placé sur les
débris d'un palais des empereurs romains .
(3 ) Rousseau aimait passionnément les rives de la Saône et
les maisons de campagne voisines de Lyon . Il préférait surtout
celle de Poivre , connue sous le nom de la Fretta. Il y
passait , en été , des journées et des nuits entieres .
( 35 )
Plus de jeux ! plus de chants ! les deux fleuves gémirent ;
De lamentables voix sur les eaux retentirent ,
Qui de ces deux amans , l'un par l'autre immolés ,
Annoncerent la mort aux vallons désolés .
Thérese et Faldoni ! vivez dans la mémoire !
Les vers doivent aussi consacrer votre histoire .
Héloïse , Abeillard , ces illustres époux
Furent- ils plus touchans , aimaient-ils mieux que vous ?
Comme eux l'amour en deuil à jamais vous regrette.
Qu'il console votre ombre et vous donne un poëte .
Viens ami , leurs malheurs sont dignes de tes chants.
Ta voix qu'instruisit Pope en tes plus jeunes ans ,
Des bosquets de Windsor ressuscita la gloire ( 1 ) .
Jeune tu vis les champs embellis par la Loire.
Mais cenx où je t'invite ont encor plus d'appas ,
Comme on voit quand l'hiver a chassé les frimats
Revoler sur tes fleurs l'abeille rahimée ,
Qui six mois dans sa ruche a langui renfermée .
Ainsi , revole aux champs , muse , fille du ciel
De poétiques fleurs compose un nouveau miel..
Laisse les vils frelons qui te livrent la guerre ,
A la hâte et sans art pétrir un miel vulgaire .
Pour toi , saisis l'instant. Marque d'un oeil jaloux
Le terrein qui produit les parfums les plus doux .
Reposant jusqu'au soir sur la tige chérie ,
Exprime avec lenteur une douce ambroisie .
Épure - la sans cesse , et forme pour les cieux
Ge breuvage immortel attendu par les Dieux .
Par le cit. FONTANES , membre de l'Institut national ,
et professeur de littérature aux Écoles centrales.
( 1 ) La traduction en vers du poëme de Pope , intitulé
forêt de Windsor.
( 236 )
ANNONCES.
LIVRES FRANCAI S.
Le Courier des Enfans , ouvrage périodique , destiné à l'instruction
et à l'amusement de la jeunesse . Contenant un
mélange de petits contes , dialogues , drames , anecdotes ,
fables , idylles et romances , où la morale et l'instruction
sont toujours cachées sous le voile transparent, d'une fiction
légere et amusante . Les cahiers paraissent régulierement de
quinzaine en quinzaine depuis le 1er janvier dernier ( v . st . )
L'abonnement pour quatre mois , à partir du premier numéro ,
est de 3 liv . en numéraire , ou de 500 liv . en assignats . A
Paris , chez Gouzi - la -Roche , libraire , cloître Honoré ; et ,
par lettres , au citoyen Jauffret , rue de Vaugirard , près le
Luxembourg , no . 110. Les abonnemens des pays étrangers
et réunis ne sont reçus qu'en numéraire ; et les lettres ,
qu'autant qu'elles sont affranchies.
Théâtre de Seneque , nouvelle traduction , par M. L. Coupé .
Deux volumes in- 80. Chez Fuchs , libraire , rue des Mathurins
, maison de Cluny . Prix , 000 liv . et 2200 liv. franc de
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broché en carton , 6000 liv.
Nous ferons connaître cette traduction qui manquait à la
littérature française.
Découvertes faites sur le Rhin , d'Amagétobrie et d'Augusta
Ranracorum , anciennes villes gauloises dans la Séquanie rauracienne
, par A** .; avec des digressions sur l'histoire des Rauraques
, le Mont - Terrible et la Pierre Pertuis , par C. D***_
Un volume in- 18 . Porrentruy , 1796. Prix , 2cc liv . , et 2101.
franc de port. A Paris , chez le même.
( 237 )
La Séduction , ou histoire de Lady Revel ; nouvelle édition
traduite librement de l'anglais , par M. D**** , Un volume
in - 12º . broché. Lausanne , 1795. Prix , 200 liv . , et 225 liv .
franc de port. A Paris , chez le même .
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, par l'abbé Spallanzain , professeur d'histoire naturelle
dans l'université de Pavie ; traduits de l'italien , par G. Toscan ,
bibliothécaire du Muséum national d'histoire naturelle ,
Am. Duval , secrétaire de la légation française , à Naples et à
Malte , avec des notes de Faujard . Volume in-8° . de plus de
-trois cents pages , beau papier , belle impression avec
deux gravures . A Paris , chez le directeur de l'imprimerie
des sciences et arts , rue Thérese , butte des Moulins. Prix ,
400 div . en assignats , et 450 liv . franc de port dans toute la
République. Il faut affranchir les lettres et l'argent .
Les personnes qui ont souscrit , mais qui n'ont pas payé le
port , peuvent retirer ce volume au bureau en présentant leur
quittance ; les autres souscripteurs ont dû recevoir ce volume.
franc de port.
L'ouvrage entier sera composé de six volumes , dont quatre
ont déja paru en italien . Les volumes de la traduction paraîtront
successivement , et seront annoncés dans tous les papiers
publics ; on n'en payera le prix qu'au moment où on les
retirera.
Adélaïde de Clarence , ou les malheurs et les délices du sentiment
; lettres écrites des rives lémantines , recueillies et publiées
par F. Vernes de Geneve , auteur de la Franciade , du
Voyageur sentimental , etc. Deux volumes in -8° .., beau papier ,
impression soignée. Prix , 25 francs en mandats , ou en assignats
à 30 capitaux , port franc dans toute la République .
A Paris , chez le directeur de la Decade philosophique , rue
Thérese. Ce roman est propre à augmenter la réputation
de l'auteur déja connu par des ouvrages agréables .
-
!
Q. 3
Y 238 )
}
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ÉTATS - UNIS D'AMÉRIQUE .
De Philadelphie , le 16 mars 1796.
TANDIS que le traité de commerce conclu avec
yeux
l'Angleterre excite dans toutes les parties de notre
république de justes réclamations , celui qui vient de
l'être avec l'Espagne , et qui est maintenant sous les
du sénat , paraît devoir réunir tous les suffrages.
Le pl zélé patriote américain disait , il y a quelques
jours , un de nos sénateurs , n'aurait pu en concevoir ,
en rédiger un plus favorable à l'honneur et à la
puissance des Etats- Unis. Ce traité est l'ouvrage de
M. Pinckney.
On vient de publier le traité de paix et d'amitié
conclu le 5 septembre 1795 , entre les Etats - Unis
d'Amérique et le dey et la régence d'Alger. Ce traité ,
aussi favorable à notre commerce qu'aucun traité fait
entre les nations barbaresques et les états chrétiens '
est divisé en 22 articles , Il a été signé à Alger par
Joseph Donaldson , autorisé à cet effet , et il a été
ratifié ici par le président du congrès . Par un article
qui y est joint en appendice , Hassan - bacha , dey
d'Alger , promet d'observer fidelement toutes les
clauses du traité , à la condition que les Etats - Unis.
paieront annuellement la valeur de 12 mille sequins
( 139 )
algériens en munitions navales ; et si les Etats -Unis
en envoyaient une plus grande quantité , la valeur
én serait payée en argent comptant par la régence .
7
New-Yorck , le 22 mars.
La cherté et la rareté de toutes les choses néces
saires à la vie se font sentir chaque jour davantage
; jamais , dans ce pays , les denrées n'ont été à
si haut prix , et jamais la quantité n'en a été si peu
proportionnée à la demande. La farine est dans cette
ville au prix énorme de 15 dollars le barril ; le prix
s'accroît encore chaquejour, et , dans quelques parties
des Etats - Unis , il est presque de 20 dollars . Des
personnes qu'on assure bien informées , croient qu'il
n'y a pas en ce moment , dans les Etats-Unis , plus
de grains qu'il n'en faut pour notre consommation .
Un grand nombre d'individus sont déja tellement
effrayés à cet égard , qu'ils croient que cet objet
mérite toute l'attention du congrès , et qu'il peut,
être utile d'arrêter par un embargo toute exportation
ultérieure de grains et de farine . La récolte , disentils
, n'aura lieu que dans quatre à cinq mois d'ici ,
et si l'exportation , continuant comme par le passé ,
la récolte prochaine vient à manquer , ou est médiocre
, nous serons dans une détresse générale.
On espere cependant que, malgré toutes ces craintes .
vraies ou exagérées , le congrès ne se livrera pas à
des mesures imprudentes dont l'expérience de toutes
les nations et de tous les âges n'a que trop prouvé les
dangers , et que l'on sait assez bien aujourd'hui , avec
un peu de réflexion , être plus propres à amener la
disette qu'à en préserver.
1
( 240 )
C'est une chose très-remarquable que les Anglais
continuent toujours d'enlever nos matelots en aussi
grand nombre qu'auparavant , pour le service de la
guerre contre la France ; et cela , sous le prétexte
que ces matelots ne prouvent pas assez bien qu'ils
sont citoyens des Etats- Unis ; il n'y a pas de jour
où l'on ne reçoive quelque nouvelle de ce genre .
Nous avons appris , ces jours- ci , que le neveu du
colonel Parker , membre du congrès pour la Virginie ,
a été enlevé du vaisseau du capitaine Brown , dont il
est contre-maître , et séquestré à bord d'un vaisseau
de guerre anglais . En voyant l'impunité de ces actes ,
on se demande si cette pratique est autorisée par quelqu'article
secret du traité d'amitié , de commerce et de
navigation , qui vient d'être conclu entre les deux
pays ; et si elle ne l'est pas , pourquoi souffrons - nous
si long-tems ces insultes individuelles et ces attentats
à l'indépendance de la nation ?
La majorité de la chambre des représentans au congrès
s'occupe maintenant des moyens de faire cesser
toutes ces insolences anglaises . On a été scanda
lisé , dans cette discussion , d'entendre MM . Smith ,
Sedgwick et Goodhue , parler sur cet objet d'une maniere
très - légere. Il est probable que , s'ils avaient
été pressés eux- mêmes à bord d'un vaisseau de guerre
anglais , ils trouveraient la chose un peu plus grave ;
mais comme la majorité de la chambre des représentans
sait bien qu'un matelot a le même droit qu'un
membre du congrès d'être protégé dans sa personne
et sa propriété , elle va donner à la discussion de cette
affaire toute la suite et l'énergie qu'elle mérite,
( 241 )
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 20 mai 1796.
Il était difficile de croire que la marche hostile
des troupes russes vers les frontieres de la Finlande
n'eût d'autre motif que le mariage du jeune roi de
Suede avec la princesse de Mechlenbourg - Schwerin .
Ce mariage , nous l'avons déja observé , a dû déplaire
à Catherine II : il suffisait qu'il fût contraire à ses
desirs , qu'elle regarde comme devant être des lois
dans une cour où son influence était autrefois dominante
, pour qu'elle s'en tînt offensée . Mais pour venger
une offense de ce genre , il n'était pas présumable
qu'à la veille d'exécuter les grands projets
qu'elle médite depuis long-tems , elle provoquât ellemême
une diversion qui , affaiblissant ses moyens
multipliant ses embarras , ne pouvait que rendre ses
succès plus difficiles et moins prompts. C'est par des
ressentimens d'un ordre supérieur , par des considérations
de la plus haute importance dans son ' systême
politique , qu'elle s'est portée à cette démarche,
ainsi qu'on peut s'en convaincre en lisant la note
suivante remise par son ministre à la cour de
Stockholm .
·
L'impératrice ayant donné l'ordre à M. le comte
d'Ostermann de prévenir M. l'ambassadeur de Suede
que la mission de M. Schwerin ne pouvant être
agréable à S. M. , ne serait point admise ; le chargé
d'affaire a l'ordre de déclarer que le motif de ce
refus est fondé autant sur les procédés de M. le ré(
242 ) }
gent , que sur les principes de son systême politique
à l'égard de la Russie ; les uns et les autres
étant diamétralement opposés aux liens de parenté
d'amitié et de bon voisinage , qui seuls ont établ¹
dans l'origine ces sortes de missions ; étant d'ailleurs
hors d'usage entre des cours qui n'étaient point
unies entr'elles par des liens de cette espece , ou qui
l'étant , ne prenaient aucun soin de les cultiver et
d'en remplir les déveirs ; que c'était dans cette position
que la cour de Suede s'était mise vis - à - vis de
celle de la Russie depuis que M. le duc de Sudermanie
, qui tient les rênes du gouvernement , non
content d'avoir manqué formellement à S. M. I. , en
cherchant à la surprendre par des ouvertures et des
propositions insidieuses et illusoires , s'était livré à
des liaisons publiques avec l'Assemblée des Français ,
et avec ceux qui ont solemnellement insulté à la mémoire
du feu roi , en érigeant un monument à son
exécrable assassin ; que S. M. I. n'ignorait ni le motif
, ni l'objet de ses liaisons ; qu'il était de notoriété
publique que M. le régent avait reçu tout récemment
des Français une somme d'argent pour être employée
à des armemens , et qu'il était en pleine négociation
avec eux pour un traité d'alliance , dont les principales
stipulations étaient dirigées contre la Russie ;
de sorte que S. M. I. avait lieu de s'attendre à une
prochaine rupture de la part de la Suede , à moins
que la majorité du roi , qui , heureusement pour le
repos de ce royaume et celui du Nord , ne se trouvait
pas éloignée , n'empêchât et n'évitât cette fâ
cheuse extrêmité . "
D'après cette piece , il semble qu'on peut prévoir
( 243 )
quelle pourra être l'explication que recevra le négociateur
suédois envoyé à Pétersbourg. Pour prix
de la paix , qu'elle voudra bien accorder , Catherine II
n'exigera-t-elle pas que les rennes du gouvernement
de la Suede ne soient plus dans les mêmes mains ,
et que le cabinet de Stockholm renonce à ses liaisons
politiques avec toutes les puissances qu'elle
regarde comme contraires aux vues de son ambition ,
et particuliement avec la République Française ? Il
paraît évident qu'elle ne s'est armée que pour opérer
cette révolution , d'ailleurs si importante pour elle
dans les circonstances où elle s'est placée , puisqu'elle
lui assurerait le concours , ou du moins l'inaction de
la Suede , que l'on est autorisé à penser qu'elle persistera
à vouloir l'obtenir de gré ou de force ; et
peut-être n'est-ce que pour y parvenir plus sûrement
qu'elle n'a point encore ouvert la campagne contre
les Turcs.
Quoi qu'il en soit , rien ne paraît changé , ni dans
les résolutions du gouvernement , ni dans les dispositions
du plus grand nombre des Suédois . S'ils ne
desirent pas la guerre , tout porte à croire du moins
que , pour l'éviter , ils ne se courberont pas honteusement
sous un joug étranger , qu'ils n'entreront pas
dans des liaisons que réprouvent leurs plus anciens
éngagemens , comme leurs intérêts les plus évidens .
Cependant l'on apprend qu'il y a à Stockholm un
parti formé par les intrigues de la Russie , et payé
par elle pour décrier le régent et ses opérations ;
mais ce parti , quoiqu'assez considérable , donne peu
d'inquiétudes aux véritables amis de leur patrie , qui
resteront toujours et plus nombreux et plus forts que
les amis des Russes.

( 244 )
Les Polonais , soumis à la Russie , avaient pu croixe
qu'ils avaient éprouvé toutes les vexations que le
despotisme peut imaginer ; mais le despotisme est inépuisable
en ce genre : Catherine II vient d'en donner
la preuve. Elle a ordonné que tous les parens ayant
des filles qui ont atteint l'âge de 10 ans , seraient tenus
de déposer la dot de ces enfans dans les caisses
impériales ; elle se charge de leur choisir elle-même
des maris. Jamais on ne montra plus de mépris pour
les sentimens de la nature , et les droits consacrés
chez tous les peuples civilisés ; jamais on ne fit sentir
d'une maniere plus douloureuse aux hommes leur
esclavage. Les Polonais craindront la confiscation
d'une partie importante de leurs biens ; ils n'oseront
se livrer à aucun mouvement ; leurs filles mariées à
des Russes , auront des enfans qui ne réconnaîtront
d'autre patrie que celle de leurs peres. Ainsi , par
ce plan profondément barbare , Catherine espere de
contenir la génération présente , ' et d'en préparer
une nouvelle qui sera naturellement portée à reconnaître
sa domination , ou celle de sa postérité. Ce
plan s'exécutera-t-il ? La plus violente , comme`la
plus juste indignation s'est manifestée , lorsque l'on
en a eu connaissance ; mais cette indignation sera
stérile , si les cabinets de l'Europe , intéressés à s'opposer
aux vuès ambitieuses de la Russie , négligent
d'en profiter.
De Francfort-sur- le- Mein , le 20 mai.
Il a été tenu un conseil de guerre à Mayence , dont
voici le résultat :
+
L'armée du prince de Condé restera aux frontieres
( 245 )
du canton de Bâle pour défendre les bords du Haut-
Rhin ; celle du feld - maréchal , comte de Wurmser
sera renforcée par l'armée combinée de Saxe et de
Suabe , et agira offensivement sur l'Alsace et la Lorraine
, pendant que la grande armée impériale du
Bas -Rhin , divisée en deux colcnnes , l'une composée
des troupes d'infanterie , se portera sur Dusseldorff ;
et l'autre , de cavalerie et grenadiers , passera le Rhin
et la Moselle , attaquera par les derrieres Bonn , Cologne
et Dusseldorff , pour cerner les Français dans
cette derniere ville , ou les forcer à la retraite .
Les généraux des deux armées ont visité avec soin
leurs lignes et les ouvrages qui les défendent . Malgré
toutes ces dispositions , et d'autres non moins détisives
qui annonçaient l'ouverture prochaine de la
campagne , quelques personnes la croyaient encore
fort éloignée ; plusieurs même pensaient qu'elle n'aurait
pas lieu. Les nouvelles des désastres successifs
éprouvés si rapidement en Italie par les armées sarde
et autrichienne , ne pouvaient que les confirmer dans
cette opinion . N'était- il pas à craindre , disaient- elles ,
que ces désastres , trop éclatans pour que l'on pût les
dissimuler , ne portassent le découragement dans les
autres armées , et n'augmentassent le mécontentement
du peuple , tandis qu'une noble émulation , une généreuse
confiance animeraient les armées françaises
et le peuple dont elles défendent la cause ? N'était-il
pas à craindre que le sceptre de l'Allemagne ne fût
aussi facilement brisé que venait de l'être le sceptre
qui pesait sur l'Italie . Elles se rappellaient toutes les
pertes que la maison d'Autriche a faites depuis le
commencement de ce siecle , parquatre traités qu'elle
( 246 )
s'est vue obligée de souscrire. Les royaumes de
Naples et de Sicile , les places de la côte de Toscane ,
les forteresses de Navarre et de Tortone avec leurs
dépendances , détachés de ses possessions par le traité
de 1738 ; Belgrade , Sabach , la Servie , toute la Valachie
, par le traité de Belgrade de 1739 la Silésie et le
comté de Glatz , pour le traité de Breslau ; et enfin par
le traité d'Aix -la- Chapelle de 1748 , les duchés de
Parme , de Plaisance , le Vige-Vanasque , le Pavesan
et le comté d'Enghierra. Elles pensaient que ces démembremens
, que ne peuvent atténuer ni l'acquisi →
tion de la Toscane , compensée par la cession de la
Lorraine , ni les usurpations faites en Pologne , contrebalancées
par celles des autres cours partageantes ,
et ceux que viennent d'opérer si brusquement les
armes françaises , devaient apprendre à cette maison
orgueilleuse à se défier de la fortune , et l'engager
à ne pas s'exposer de nouveau à ses caprices. Ce
pendant il ne paraît pas que ces considérations aient
fait impression sur le cabinet de Vienne. L'archiduc
Charles , que l'on disait avoir été rappellé , n'a fait
qu'un voyage de deux jours à Manheim ; et l'on a
reçu de Vienne les rapports suivans , sous la date du
er. et du g de ce mois .
Vienne , rer . mai. C'est le comte Hardigg , capitaine
de cavalerie , qui a apporté au cabinet les dernieres
nouvelles des désastres en Italie . On dit que le géné
néral Argenteau est arrêté ; et l'on prétend qu'une
erreur commise par ses adjudans , dans la distribution
des ordres que le général Beaulieu avait donnés
par écrit , a beaucoup contribué à la défaite des Impériaux
. On est d'une inquiétude extrême sur le sort
de la Lombardie .
( 247 )
i
Ces malheurs causent ici une sensation d'autant
plus fâcheuse , qu'ils viennent au moment de l'ouverture
de la campagne , où les succès étaient nécessaires
pour encourager les troupes et prévenir lest
plaintes du peuple . Le bruit court cependant qu'il
n'en a pas moins été envoyé ordre à l'armée du
Rhin d'annoncer sans délai aux généraux Français la
rupture de la trêve , et de commencer les hostilités.
On dit , dans les cercles de Vienne , que le gouvernement
français serait assez incliné à traiter séparément
avec le cabinet de Vienne et celui de Turin ,
à l'exclusion du cabinet de Saint -James ; mais l'on
ajoute que l'empereur a annoncé qu'il ne se dépar
tirait point des engagemens pris avec le roi de la
Grande- Bretagne..
Dans le dessein de réparer aussi promptement que
possible la perte essuyée en Italie , et renforcer encore
l'armée impériale dans cette contrée , l'ordre a été
envoyé au général Wurmser de faire partir sur- lechamp
pour la Lombardie , 4000 hommes des troupes
de l'Autriche antérieure . En même- tems , il a été
donné ordre à six bataillons de la Hongrie , savoir ,
2 de Mitrowski , 2 de Guilai éta de Jellaschich , de
se mettre aussi-tôt en route pour la même destination.
Afin d'accélérer leur marche , l'on a pris des mesures
pour que leurs fusils , havresacs , etc. soient transportés
sur des charriots. Ces troupes ne feront séjour
que le quatrieme jour .
Comme l'experience a prouvé que dans un pays
difficile et montueux comme l'Italie , les arquebusiers
sont de la plus grande utilité , l'on s'occupe de la
prompte formation d'un corps de 400 hommes de
( 248 )
cette espece de troupes , tous gens choisis , et qui ont
signalé leur adresse dans la derniere guerre contre les
Turcs.
S. M. a très- souvent de longues conférences avec
M. le comte de Clairfayt , où assistent toujours ses
deux adjudans - généraux , Lambertie et Rollin. Cette
réunion a lieu dans la superbe maison que le comte
de Clairfayt a achetée dans un des fauxbourgs de
Vienne .
On croit généralement que ces démarches tendent
à engager le feld-maréchal à reprendre le commandement
de l'armée du Rhin , les avantages qu'il a
remportés sur la fin de la derniere campagne , et les
mauvais succès des armées depuis sa retraite , le font
regarder comme le seul homme capable d'arrêter les
progrès de l'ennemi , et de reconquérir les Pays - Bas ,
unique plan qui occupe entierement le cabinét
de Vienne ; cette résolution hardie est confirmée
par la nouvelle promotion qu'on vient de faire de
J. comte de Dietrichstein , chancelier , et le comte de
L. d'Harrach , conseiller suprême du gouvernement
des Pays-Bas.
En attendant une décision à l'égard du comte de
Clairfayt , il est certain qu'il est à la tête des opérations
militaires , car il reçoit toutes les dépêches venant
de l'armée du Rhin , et après y avoir ajouté ses notes ,
elles sont envoyées au comte de Lascy , ministre.de
la guerre .
ITALIE. De Milan , le 9 mai.
Un courier arrivé ici sur les dix heures du matin a apporté
la funeste nouvelle du passage du Pô par les Français . Aussitôt
le désordre et la confusion ont éclaté dans toute la ville ;
les émigrations et les envois d'effets précieux hors de la ville
sont
( 249 )
sont immenses , et il part tant de monde qu'on ne trouve plus
de chevaux à la poste.
Enfin , aujourd'hui à midi ét demi , la cour est partie ,
l'archiduc et l'archiduchesse ont pris à ce qu'on croit , la
route de Bergame ; mais on présumé qu'ils changeront de
route , attendu que celle -là est peu sûre depuis que les Français
sont à Lodi et à Cassano .
Il paraît que la cour de Milan était instruite d'avance des
dangers dont elle était menacée par l'intrépidité française ,
puisque dès le 7 de ce mois elle avait fait partir les jeunes
princes pour Mantoue , sous la conduite du bailli Valenti
Gonzague , leur gouverneur , et la jeune archiduchesse avec sa
gouvernante .
16 De Venise , 2 mai. Dès qu'on a su le renvoi du comte de
Lille , on n'a pas
douté ici que l'invasion
de la Lombardie
ne
fût très-prochaine
, et l'on a pensé que le gouvernement
vénitien
ne voulait pas laisser de prétexte aux Français pour entrer
sur son territoire . Il est probable et l'on annonce même
que la plupart des émigrés seront renvoyés.
Le principal objet du gouvernement , dans les circonstances
actuelles , est de maintenir le bon ordre et là tranquilité en
terre ferme , où il y a beaucoup de mécontens . A cet effet ,
il va nommer un provéditeur général extraordinaire , dont l'autorité
sera très-étendue , et qui pourra prendre toutes les résolutions
qu'exigeront les circonstances , sans dépendre d'aucun
tribunal il résidera à Véronne. On croit que le choix tombera
sur S. C. Zaccarie Valaresso .
De Turin , le 5 mai. On cherche à connaître les circons
tances qui ont forcé le roi de Sardaigne à conclure un armistice
par lequel il se livre aux Français . On assure qu'après la
bataille de Mondovi , le général Colli écrivit à la cour qu'il
lui était impossible de tenir plus long-tems devant les Français
, avec une armée découragée et réduite presque de
moitié. Ce fut alors que le roi et son conseil , sur les représentations
du prince de Piémont , se déciderent à faire demander
une suspension d'armes , quoique Beaulieu fût alors
en marche pour venir attaquer les Français . Le général français
ne pensait à rien moins qu'à accorder un armistice .
Cependant pour ne pas donner simplement une réponse néga
tive , il proposa les conditions portées par le traité , ne croyant
pas qu'elles pussentê tre acceptées . Dans cet intervalle , Cherasco
fut enlevée par un coup de main ; ensorte qu'il ne restrait
plus de place ni de poste retranché entre l'armée française et
Tome XXI, R
(1250 ) E
Turin . Le général français vit arriver le baron deda Tour, qui
lui apprit que S. M. Sarde avait signé les conditions de l'armistice
et avait donné les ordres pour qu'elles fussent remplies
le plutôt possible . Le roi de Sardaigne n'ayant plus
une armee suffisante pour couvrir Turin , voyait autant de
danger a rester dans cette ville qu'à en sortir . Les habitans:
crizient la paix , la paix , et probablement n'auraient pas
voulu soutenir un siége . La reddition de la capitale aurait
entraîné peut-être celle des autres places , et le roi de Sardalgae
aurait vu tout le Piémt conquis et révolutionné . On
cre que la cour de Turin se flatte d'obtenir un dédommagement
en Lombardie , et qu'elle offrira son alliance aux Fran
cais . Il est vrai que ceux-ci n'ont pas besoin du concours des
Piémontais pour achever cette conquête ; mais ils peuvent
avoir intérêt à les mettre en guerre avec l'empereur , etc.
Le ministre de l'empereur, le comte Gerardini , est retourné
ici . Cela donne lieu à beaucoup de conjectures . Mais comme
la cour de Turin n'est point en guerre avec l'empereur , il est
tout simple qu'un ministre ne quitte point son poste sans un
ordre expres de sa cour.
De Gênes , le 9 mai . Tous les rapports s'accordent à dire que
les généraux français font observer la plus exaete discipline :
malgré l'armistice ils levent des contributions assez modérées
dans la partie du Piémont qu'ils occupent.
Les domaines de l'empereur sont traités moins favorablement.
Les fiefs impériaux , dont plusieurs appartiennent à
des nobles génois , sont imposés assez fortement. Ils ont
fait des représentations pour être exempts de toute contribution
; et ils s'appuient d'un décret de la Convention qui en
exempte les propriétés gênoises , dans quelqu'état qu'elles se
trouvent mais c'est un décret de faveur ; et la conduite de
ses feudataires à l'égard de la France a prouvé depuis qu'ils
ne le méritaient pas. Leurs propriétés seront probablement
imposées comme toutes celles qui se trouvent en pays ennemi .
Le nouveau gouverneur de Livourne , pensionnaire de la
cour de Naples , qu'il a long-tems servie , montre une par
tialité décidée pour les Anglais . Dernierement il leur a laissé
prendre sous le canon de la place un corsaire français , quoiqu'il
eût promis de le protéger et de ne pas souffrir que 'le
territoire du grand -duc fût violé. Les Français exigeront sans
doute une prompte réparation . On disait même qu'ils avaient
dėja signifié au grand- duc de fermer son port aux vaisseaux de
guerre anglais .
( 51 )
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
CORPS LÉGISLATIF.
Séances des deux conseils , du 25 floréal au 5 prairial.
Le Directoire exécutif envoie par un message au
conseil des Cinq cents , un grand nombre de pieces
à la charge du député Drouet , ainsi que l'interro
gatoire subi par ce dernier. Le président annonce
qu'on lui a remis deux lettres venant de la Suisse ,
adressées à Drouet , portant sur la suscription , service
de la République Française , et contresignée Bascher.
Le conseil se forme en comité général pour entendre
la lecture de ces pieces . Son résultat a été la nomination
d'une commission à laquelle seront renvoyées
toutes les pieces à la charge de Drouet , et qui fera
son rapport sur la question de savoir s'il y a lieu à
accusation contre ce représentant du peuple.
Un membre demande si dans les ci- devant fonċtionnaires
publics obligés de sortir de Paris , dans
le délai prescrit par la loi du 21 floréal sont com
pris ceux qui ont été suspendus de leurs fonctions
d'après la loi du 3 brumaire . On observe que cette
question n'en est pas une pour quiconque connaît
la valeur des termes , et qu'il y a une grande différence
entre un homme destitué , et un homme suspendu
qui peut rentrer en exercice au premier instant
où la loi du 21 ne frappe que les fonctionnaires destitués
et non suspendus ; et celle du 3 brumaire ne
faisant que suspendre , il en résulte que ceux qu'elle
atteint, ne sont pas dans le cas de la précédente . Le
conseil passe à l'ordre du jour.
On procede au scrutin pour la nomination de la
commission relative à Drouet . Ses membres sont
Daunou, Camus, Treilhard , Doulcet , Berlier , Besard
et Soulignac.
Rouyer reproduit son projet de résolution tendant
R &
( 252 )
t
à établir sous les ordres du Corps législatif une force
armée qui tiendrait lieu provisoirement de la garde
départementale non encore organisée .
Doulcet trouve ce projet inconvenant. On vous
parle , dit- il , d'avoir auprès de vous une force armée
pour assurer le calme de vos délibérations ; ce calme
dépend de vous . Si quelquefois il est troublé par
l'effervescence des passions qui s'enflamment ici , les
troupes qui nous entourent n'y feront rien . Ce ne
serait pas d'ailleurs sans danger qu'il existerait dans
Paris un corps considérable de troupes ayant des
chefs particuliers , et un mot d'ordre à part . Le premier
devoir du général en chef de l'armée de l'intérieur
est de veiller à la sûreté de la représentation
nationale. Or , ce serait compromettre cette sûreté
que de distraire les troupes du Directoire et du
général en chef. Premier inconvénient. Un autre qui
n'est pas moins grand , c'est la confusion dans les
ordres donnés .
Lorsqu'en germinal et en prairial , la Convention
fut assiégée et égorgée , pourquoi la foule des bons
citoyens qui étaient accourus pour la défendre , futelle
si long-tems paralysée ? Ce fut le défaut d'ordre
et de point de ralliement. La même close arriverait
ici , Car je vois deux commissions composées
chacune de cinq membres , deux présidens dont les
ordres manqueraient au moins d'ensemble . Il ne faut
pas délibérer quand il s'agit d'exécution , et celle- ci
ne peut-être confiée qu'à un chef unique.
Enin , si le Corps législatif a une troupe privilégiée
qui ne reçoive ses ordres que de lui , on ne
manquera pas de l'assimiler à la garde prétorienne ,
et de monter l'opinion publique contre elle . Doulcet
réclame l'ordre du jour qui est adopté.
Dubreuil , organe d'une commission , présente un
projet de résolution conçu en ces termes :
Le conseil considérant que la justice et l'humanité
réclament la prompte exécution des décrets rendus
en faveur des héritiers des condamnés , des personnes
rayées de la liste des émigrés , des détenus ,
et de tous ceux à qui des effets ont été enlevés
( 253 )
*
d'une maniere contraire aux lois ; que si des circonstances
impérieuses n'ont point jusqu'ici permis
de satisfaire entierement à cette dette nationale ,
les besoins pressans de plusieurs citoyens qui se
trouvent dans le cas d'une juste réclamation , ne
permettent pas qu'on differe plus long - tems de rendre
à tous une justice qui leur est due déclare qu'il
y a urgence , et prend la résolution suivante : Il
sera mis à la disposition du ministre des finances ,
une somme de douze millions valeur fixe , pour effectuer
le remboursement du prix des objets mobiliers
qui n'ont pu ou ne pourront être rendus en nature aux
héritiers des condamnés , aux personnes rayées de la
liste des émigrés , et autres qui d'apres les lois sont
fondées à faire des réclamations . Cette résolution
est adoptée. 7
Le conseil des Anciens entend un rapport relatif
au décret d'accusation lancé le 28 mars 1793 contre
les membres des autorités constituées de Longwy
en consentant à la reddition de cette place , dit le
membre , organe de la commission ad hoc , ils n'ont
cédé qu'à la force , et anssi - tôt qu'ils furent libres
ils se hâterent de protester contre une adhésion ar,
rachée par la violence , en présence d'une armée
ennemie forte de cent mille hommes . Une résistance
inutile de la part de ces administrateurs eût exposé
les habitans de Longwy à une expédition miljtaire
. C'est pour épargner le sang français qu ils ont
tenu la conduite qu'on leur reproche dans la suite
comme une lâcheté , mais qui n'était en effet qu'un
acte de prudence commandé par la nécessité .
1
14
Enfin , y a- t il eu un coupable dans cette affaire ?
Ce fut le commandant de la place qui porta depuis
sa téte sur l'échafaud. Le rapporteur propose l'ap
probation de la résolution qui rapporte le décret
d'accusation dont il s'agit. Son projet est adopté .
P
Pastoret appelle à celui des Cinq cents son attention
sur la question intentionnelle prescrite par
le code des délits et des peines. L'institution des
jures , dit l'orateur , est celle qui honose le plus la
révolution . La philosophie la réclamait , le despo
R 3
( 954 )
tisme la craignait. Elle ne put être dénaturée que
par la loi du 22 prairial. Comment se fait il qu'au
jourd'hui la sainteté de cette institution soit profanée
? Si les maximes véritables de la justice criminelle
étaient suivies , il n'y aurait que quatre ques
tions . L'action a- t elle eu lieu ? L'action a - t - elle été
commise par le prévenu ? A- t - elle été commise avec
intention et volontairement ? I demande qu'il soit
nommé une commission pour examiner la loi du
3 brumaire en ce qui concerne la question intentionnelle
, et présenter la série des questions à soumettre
aux jurés . Adopté.
Le Directoire écrit . Nous venons d'arrêter et signer
un traité de paix , le 28 de ce mois , avec le roi de
Sardaigne , négocié au nom de la République Française
, par le ministre des relations extérieures , et
au nom du roi de Sardaigne , par les chevaliers de
Revel et de Tousso , revêtus de pouvoirs , sous la
date du 29 avril. Nous vous le taisons passer pour
être examiné et ratifié par vous , conformément à ce
que prescrit la constitution . Le conseil se forme en
comité secret pour en entendre la lecture . Il nomme
une commission pour lui en faire le rapport ; et le
lendemain , sur le rapport de Syeyes , il ratifie le
traité et l'adresse au conseil des Anciens .
A la suite du comité général , il a reçu huit nouvelles
pieces relatives à la conspiration ,trouvées dans
un mur. L'une de ces pieces est la proclamation
insurrectionnelle signée par les membres du comité
insurrecteur , et scellée du sceau de ce comité : Onles
renvoie à la commission chargée d'examiner les pieces
de Drouet.
Bordas , au nom d'une commission , fait un rapport
sur un message du Directoire , relatif aux témoins
qui ne comparaissent pas devant le directeur dujury,
ou devant les jurés de jagement. Il expose combien
une telle négligence est contraire à la marche de la
justice et peut compromettre les prévenus , et il présente
un projet dans lequel il propose de punir de
la peine de la détention , les témoins qui sans
empêchement légitime ne comparaîtront pas le jour
259 T
ret à l'heure qui leur sont indiqués par l'assignation.
Ajournement.
Le Directoire rend compte des mesures qu'il a
prises pour activer la rentrée entiere de l'emprunt
force. Cinquante- quatre départemens ont procédé
régulierement , et les rôles y sont en plein recouvrement.
Tout porte à croire qu'à la fin du mois de prairial
, le Directoire pourra apprendre au conseil son
recouvrement entier . Il demande à être autorisé de
ne faire de rapport sur cet objet que le 30 prairial.
Adopté.
Il envoie au conseil des Anciens de nouvelles pieces
concernant la conspiration . On y distingue une
lettre de Baboeuf , où il est dit : Regarderiez vous
comme indigne de vous de traiter avec moi de puissance
à puissance ? Sans doute la sainte conspiration
des patriotes vous fait trembler. Mais quelle est-elle ?
La lutte des opprimés contre les oppresseurs , de la
vertu contre le crime. Quand il me sera permis de
développer les sentimens qui m'animent et le rôle
important qui m'avait été confié par les patriotes , vous
verrez que je ne suis qu'un des anneaux de la longue
chaine de la conspiration ; elle s'étend dans tous les
départemens . En me frappant , vous ne faites qu'irriter
toute la démocratie de la France . "
Ce conseil s'était formé hier en comité secret pour
entendre la lecture du traité de paix avec la Sardaigne
et de la résolution relative à ce sujet. Le résultat
de sa délibération a été la formation d'une commission
chargée de lui présenter un rapport , et l'on
eassure qu'aujourd'hui le traité a été ratifié .
C'est Dumas qui en a fait le rapport. Son discours
offrait un tableau habilement tracé de notre situation
à l'égard des différentes puissances de l'Europe .
Dumas y a parlé de la guerre en homme du métier ;
il a vanté les plans de campagne , celui qui les a
conçus et ceux qui les ont exécutés . Il a payé un juste
tribus d'éloges aux héros du Nord et aux vainqueurs
de l'Italie . La ratification du traité a été adoptée à
P'unanimité ( Voyez- en la teneur dans les Nouvelles
•fficielles. ) R 4
1256 )
&
L'ordre du jour, appellant le renouvellement du
bureau ; Lebrun a obtenu la majorité des suffrages .
Les quatre nouveaux secrétaires sont les cit. Lacuée ,
Valville , Prost et Olivier Gerentemen
Une résolution*du ret . prairial autorise le Directoire
à ne rendre compte du recouvrement ultérieur
de l'emprunt forcé qu'au 30 prairial . Approuvé.
Une autre accorde au commissaire archiviste une
somme de 50 mille livres valeur fixe pour les dépenses
des archives nationales . Elle est également sanctionnée
.
Defermond est porté à la présidence dans le conseil
des Cinq- cents ; Mailhe , Delaunay ( d'Angers ) ,
Eschasseriaux l'aîné et Pelet ( de la Lozere ) aux places
de secrétaire . itutia n *
Dubreuil fait arrêter que la loi du 13 fructidor qui
met en vente toutes les maisons nationales situées
dans l'enceinte de Paris , en y comprenant les monasteres
, suspendue par un décret postérieur , sera
exécutée ; que les adjudicataires seront envoyés en
possession , sauf à l'administration à réprimer les
fraudes qui se seraient glissées dans les acquisitions.
Villers reproduit la proposition relative au traitement
des membres de l'Institut national des sciences
et arts , La commission a considéré quelle était la nature
de cette nouvelle dépense. Elle pense que l'économie
doit cesser, quand l'intérêt général le commande.
Si les ennemis des sciences et arts existaient
encore , ils ne manqueraient pas de dire que l'on veut
rétablir des corporations justement proscrites , que
les sciences sont nuisibles à un état libre ; mais nous
leur avons répondu par des faits , comme à ceux qui
soutenaient qu'une vaste république est une chimere .
Vous êtes convaincus que rien n'est plus favorable à
la prospérité d'un état que les sciences et les arts .
Villers présente un projet de résolution , d'après lequel
chaque membre de l'Institut aurait un traitement de
1,500 liv . valeur fixe. Impression et ajournement ...
L'on agite la question de savoir si le code hypothécaire
sera rapporté , ou seulement purgé de ses
vices . Après quelques débats , il est arrêté qu'une
( 257 )
nouvelle commission s'occupera uniquement des in
convéniens qu'il peut renfermer , on such ab
"
*
Camus présente et le conseil adopte la rédaction
définitive de la disposition de la loi , qui ordonne à
tous ceux qui ont porté les armes dans les départemens
infestes par les chouans et les vendéens , quor
que soumis aux lois de la République depuis l'am
nistie et la pacification , et qui se trouveraient dans
le département de la Seine , d'en sortir dans trois
fois 24 heures à compter de la publication de la prés
sente et l'on se forme de nouveau en comité géné-
' ral : en voici le résultat . Tous les assignats au- dessus
de too liv . seront remboursés jusqu'au 25 de ce mois
pour Paris , et jusqu'au 10 du mois prochain pour tes
départemens , à raison de trente capitaux pour un
Passé ces délais , ils he seront remboursés qu'à raison
de cent capitaux pour un. in
5854Texte sur la résolution des assignats, winla
Le conseil des Cinq -cents , tonsidérant que la sur
abondance du signe monétaire en occasionne la dépré
ciation ; que , dans la vue d'en diminuer la masse et
d'établir un juste équilibre entre le papier- monnaie
et les denrées et marchandises il a été ordonné
par la loi du 28 ventôse dernier , que les assignats
seront retirés à trente capitaux pour un et échangés
Contre des mandats , spécialement affectés sur les do
maines nationaux , et susceptibles d'être réalisés à
chaque instant par la délivrance qui serait faite aux
porteurs des domaines nationaux à leur convenance ,
sur de simples soumissions , avec dépôt du quart du
prix desdits domaines ;
*
30
Considérant que la malveillance et l'agiotage cherchant
à profiter des délais inévitables de la fabrication
des mandats , pour répandre des inquiétudes sur
l'exécution de la loi du 28 ventose dernier , et que
le concours momentane des promesses de mandats et
des assignats nuit à ces deux papiers , et multiplie lés
chances et les spéculations de l'agiotage an
Considérant enfin que la fabrication des promesses
de mandats permet d'accélérer l'échangé proposé , et
(( #58 )
voulant prévenir tous les doutes at raffermir la con
fance , déclare qu'il y a urgence.
Le conseil des Cinq - cents après avoir déclaré l'urgencei
prend la rérolution suivante :
TAr Jer. En conformité dé la loi du 28 ventôse dernier,
il sera procédé à Paris , et dans les differentes
communes de la République , à l'échange des assignats
à trente capitaux pour un contre des mandats ou
promesses de mandats . II . Cet échange sera terminé
le 25 prairial , présent mois , pour le département
de la Seine , et le 10 messidor prochain pour
les départemens , passé lesquelles époques les
assignats au- dessus de 100 liv . cesseront d'avoir cours
de monnaie, et ne pourront plus être échangés contre
des mandats ou promesses de mandats qu'à raison
de cent capitaux pour un. III . Le Directoire exécutif
est chargé de faire effectuer l'échange des
mandats contre les assignats chez les notaires de la
commune de Paris , et chez les receveurs des deniers
publics dans toutes les autres communes , et par tous
les moyens qui pourront faciliter et accélérer, cet
échange. IV. L'échange des assignats de 100 liv, et
1001
au-dessous sera indiqué par une nouvelle loi et dans
un délai suffisant , à trente capitaux pour un , sans préjudice
néanmoins de l'échange des assignats de cinquante
sols et au-dessous , qui aura lieu contre des valeurs
métalliques , conformément à la loi du 28 entôse
dernier. V. La loi du 28 ventôse sera exécutée ,
quant à Fannullation des mandats , en présence du
porteur et en tout ce qui n'est pas contraire à la
présente .
f
esh
Le conseil des Anciens a approuvé la résolution . !
Le cit. Dussaux lui a fait hommage d'une 3 editions
de sa traduction de Juvenal , imprimée par
Didot , et augmentée de notes nouvelles .
#
0
Le conseil des Cing-cents arrete la vente des biens
des détenus , condamnés ou déportés , qui ne seront
pas réclamés dans trois mois , et il charge une, comission
de lui présenter un nouveau mode d'exécu
tion sur la loi du a thermidor sur le paiement des
fermages.
>
( 259 )
PARIS . Nonidi 9 prairial , l'an 4º . de la République.
Depuis que le Directoire exécutif a découvert l'horrible
conspiration qui devait livrer de nouveau la France à toute la
fareur du parti anarchique et révolutionnaire , chaque jour les
preuves de cet affreux complot se multiplient, chaque jour les
pieces que le Directoire fait publier par la voie de l'impression ,
etadresse au Corps législatif, apportent de nouvelles lumieres ,
et éclairent la profondeur de l'abyme que des mains perfides
creusaient en silence. D
Il est certain que les branches de cette conjuration s'étendaient
dans les départemens. Les pieces découvertes l'annonçaient
, et les nouvelles arrivées de diverses communes l'ont
confirmé Les principaux chefs des conjurés avaient des corres
pondances établies avec leurs associés de l'intérieur , et il est
plus que probable qu'ils en avaient avec l'étranger ; on assure
qu'on a trouvé dans les papiers de Baboeuf des indices qui prou
vent que l'original du plan de la conspiration était en anglais ,
et que ce n'est que la traduction qui a été publiée . Il n'y aurait
rien en cela d'étonnant. Depuis le commencement de la révolution
, l'Angleterre nous a fait la guerre la plus lâche et la plus
déshonorante , d'intrigues , de corruption , d'agiotage , de
révolte et de séditions . Elle se couvre aux yeux de l'Europe
d'un opprobre éternel ; mais il y a long-tems que les gouvernemens
ambitieux et corrompus , ont perdu le sentiment de
toute espece de morale et même le sentiment de la honte .
Quoi qu'il en soit , malgré la vigilance et la fermeté du
Directoire , et l'arrestation d'un grand nombre de conjurés
il paraît que leurs partisans ou plutôt leurs complices , beaucoup
plus nombreux qu'on se l'était d'abord imaginé , n'ont
pas perdu toute espérance. Des groupes ont continué à se
montrer sur les quais et le Pont-au-Change ; des patrouilles
les ont dissipés . Des hommes ont rôdé pendant la nuit autour
des murs de l'Abbaye , munis darmes et d'échelles de corde ,
ce qui a fait présumer qu'ils voulaient faire évader les prisonniers
; on les a arrêté ; et pour prévenir toute tentative de ce
genre , Drouet , Baboeuf er les principaux complices de l
conspiration ont été transférés au Temple ! On a cherché à
exciter des mouvemens dans le fauxbourg Saint - Antoine
et dans quelques atteliers . Des détachemens de la force armée
en ont par-tout imposé aux perturbateurs , dont les principaux
ont été arrêtés . Enfin , en dépit de l'audace des provocateurs au
trouble et à l'anarchie , l'ordre et le calme reguent dans cette
*Commune .
( 260 )
Pare , commissaire du Directoire exécutif, auprès de l'administration
du département de la Seine , a été destitué ; on
assure même qu'il a été arrêté . Le Directoire a également destitué
plus de 50 de ses agens dans les départemens , dont quelques-
uns ne sont pas , dit- on , étrangers à la conspiration . On
sait combien il avait été trompé dans les choix qu'on lui avait,
surpris. Mais à mesure qu'il est éclairé par l'experience et par
l'opinion , ilsent le besoin d'épurer ses choix et de les assortir
au but qu'il s'est proposé , d'éteindre tout esprit de parti , et
d'affermir l'ordre dans l'intérieur.:
де
On a fait une remarque assez singuliere ; c'est que tous
les journaux qui étaient salariés par le gouvernement , et qui
le sont plus , sont précisément ceux qui l'attaquent en ce
moment avec le plus d'amertume , tandis que ceux qui paraissaient
lui être le plus opposés , louent sa conduite , et sont
devenus ses plus chauds defenseurs .
Par une proclamation du 4 de ce mois , le Directoire a
annoncé que l'échange des assignats contre les mandats , commencerait
le 16, chez tous les notaires etles 12 percepteurs des
contributions . On commencera par les assignats de 10,000 1 .
de 2,000 , de 1,000 , etc. , jusqu'à ceux de 100 l , exclusivement.
7
On ne sera pas fâché de trouver ici quelques détails sur
Gracchus Baboeuf , qui est devenu une sorte de personnage
plus important par son audace , que par ses talens . Voici ce
qu'on lit dans une feuilles
François - Noël Baboeuf est né dans la commune de Saint
Quentin ; il doit être âgé d'environ 36 ans. Son pere , pauvre
employé dans les gabelles , lui avait fait apprendre à écrire , et
il a une belle écriture. En 1777 , il quitta la maison parternelle
, et chercha de l'emploi en qualité d'écrivain ou copiste
auprès de différentes personnes ; il n'en trouva pas , tant à
saison de sa grande jeunesse , que parce qu'il ne présentait pas
de garans Cependant la plus extrême misere le pressait ; il
était absolument nud. On lui offrit , par pitié , une place de
domestique dans un château près de Roye il l'accepta . Il servit
dans cette maison l'espace d'environ trois ans . Le ci-devant
seigneur du lieu faisait alors irenouveller un terrier . Baboeuf
écrivait biens on l'employa au terrier ; il ne manquait pas de
pénétration, il s'appliqua, et devint assez bon feudiste .
ces entrefaites , il fit un enfant à une femme-de - chambre du
châteeu , et l'épousa . Ses nouvelles connaissances féodales
J'ayant rendu insolent, il fut chassé . Sorti de sa nouvelle condition
, il plaida contre son maître , et perdit son procès . Insstruit
dans la partie féodale , il résolut de voler de ses propres
ailes il se fixa à Roye , et se déclara çommissaire à terriers .
Sur
Une dame de Paris lui confia la rénovation du terrier d'un
.
C
( 261 )
1

Le
petit fief qu'elle possédait aux environs de Roye ; il le fit , reçut
les arrérages des cens et droits , n'en rendit aucun compte ,
fut pris à partie par cette dame , et perdit son procès .
ci-devant prieur de Saint-Aurin , près Roye , lui confia également
la rénovation du terrier de son prieuré ; il le fit , plaida
contre le prieur , et perdit son procès . Le ci- devant marquis
de Soyecourt voulant faire renouveller les terriers de ses /
terres , lui en confia la direction . Il commença cet ouvrage ;
mais les lettres insolentes qu'il écrivait aux vassaux , ayant fait
porter des plaintes contre lui , le marquis de Soyecourt voulut
lui retirer sa confiance : cela déplut à Babauf, il plaida et perdit
son procès. Depuis cette époque , jusqu'en 1789 , il vécut
d'écriture qu'il faisait pour les gens de campagne Dans les premiers
tems de la révolution , il débuta par colporter et faire
signer dans les campagnes un écrit incendiaire ; il fut arrêté et
conduit dans les prisons de Paris . Une amnistie publiée par la
premiere Assemblée constituante lui rendit sa liberté . Il fit
alors un journal qu il abandonna bientôt, faute de souscripteurs.
- Lors des assemblées primaires de 1792 , tenues sous le couteau
de septembre , il fut nommé électeur du département de
la Somme. L'assemblée électorale le fit ensuite administrateur
du district de Montdidier. Au bout de deux mois , il commit
dans la vente des biens nationaux un faux matériel ; il fut mis
en justice , s'évada et fut condamné à 12 années de fers . Ce fut
alors qu'il quitta décidément le département de la Somme , et.
alla se confondre dans la foule à Paris . Ses écrits l'y firent arrêter;
il fut conduit et renfermé dans la citadelle d'Arras , mais l'amnistie
de brumaire dernier , lui rendit encore sa liberté.
-
au
ARMÉE D'ITALIE . Le général en chef de l'armée d'Italie ,
Directoire exécutif. Quartier-général de Plaisance , 20 floral
, an IV.
Je vous ai annoncé , citoyens directeurs , par ma derniere
lettre , la retraite de l'armée autrichienne , qui a passé le Pôà
Valence ; elle s'était fortifiée le long de Loggogna , de Terdoppio
et de Tesin , afin de défendre l'entrée du Milanais.
Après différentes marches et différens mouvemens militaires
et diplomatiques , pour lui faire penser que je voulais
passer à Valence , je me transportai par une marche forcée à
Castel Saint- Giomei , avec 5,000 grenadiers et 1,500 chevaux.
A II heures du soir , le chef de bataillon d'artillerie Andressy
et l'adjudant-général Frontin parcoururent avec 100 hommes
de cavalerie , la rive du Pô jusqu'à Plaisance , et arrêterent
cinq bateaux chargés de riz , d'officiers , de 500 malades , et
de toute la pharmacie de l'armée . A 9 heures du matin ,
nous sommes arrivés au Pô , vis -à-vis Plaisance ; il y avait , de
--
( 262 )
l'autre côté , denx escadrons de hussards qui faisaient mine de
vouloir nous disputer le passage ; nous nous précipitâmes dans
les bateaux , et abordâmes de l'autre côté après quelques
-coups de fusils , la cavalerie ennemie se replia... Le chef de
brigade Lasne , aussi brave qu'intelligent , est le premier qui a
mis pied à terre. Les divisions de l'armée , qui étaient en
échelons à différentes distances , ont précipité leur marche , du
moment que le mouvement a été démasqué , et ont passé dans
la journée. Cependant Beaulieu , instruit de notre marche ,
se convainquit , mais trop tard ,, que ses fortification du Tesin
et ses redoutes de Pavie étaient inutiles ; que les Républicains
Français n'étaient pas si ineptes que François Ier . Il ordonna à
un corps de 6,000 hommes et 2,000 chevaux , de se porter à
notre rencontre et de s'opposer au debarquement , ou de nous
attaquer , lorsque nous ne serions pas encore formés ; il s'est
trompé dans son calcul . Sur le midi , j'appris qu'une division
ennemie était près de nous , nons marchâmes ; les ennemis
avaient 20 pieces de canon et étaient retranchés dans le village
de Fombio. Le général de brigade Dallemagne , avec les grenadiers
, attaqua sur la droite ; I adjudant- général Lanus sur la
chaussée ; le chef de brigade Lasne , sur la gauche : après une
vive canonnade , et une vive résistance assez soutenue , l'ennemi
dut songer à la retraite ; nous l'avons poursuivi jusques
sur l'Alcida ; il a perdu une partie de ses bagages , et 300 chevaux
, 500 morts ou prisonniers , parmi lesquels plusieurs
officiers . Pendant la nuit , un autre corps d'Autrichiens de
5,000 hommes , qui était à Casal , partit à 4 heures du soir,
pour venir au secours de celui de Fombio ; arrivé près de Codogno
, quartier- général du général Laharpe , où il arriva à
deux heures après minuit , il envoya des tirailleurs qui culbuterent
nos vedettes . Le général Laharpe monta à cheval pour
s'assurer de ce que ce pouvait être ; il fit avancer une demibrigade,
l'ennemi fut culbuté et disparut; mais un malheur irréparable
pour l'armée , le général Laharpe , frappé d'une balle ,
tomba mort sur le coup . La République perd un homme qui
lui était très-attaché ; l'armée , un de ses meilleurs généraux ; et
tous les soldats un camarade aussi intrépide que sévere pour
la discipline . Le général Berthier se rendit sur-le-champ à Codogno
; il a poursuivi l'ennemi , lui a pris Casal , et une grande
quantité de bagages. La 70. demi-brigade et le général Menars
se sont parfaitement conduits . Le succès du combat de
Fombio est dû en grande partie , au courage du chef de brigade
Lasne. Je recommande au Directoire , le fils du général Laharp e
pour avoir une place de lieutenant de cavalerie . Je demand
la confirmation de l'adjudant-général Frontin qui , non com
pris dans le travail de prairial , n'a pas gessé de servir aveccom
--
( 263 )
rage. Le passage du Pô est une des opérations les plus essen» -
tielles il y avait des paris que nous ne le passerions pas de
deux mois . Signé , BUONAPARTE.
Le géneral en chef de l'armée d'Italie , au Directoire exécutif.
Quartier-général de Lody , le 22 floréal , an IV....
Je pensais , citoyens directeurs , que le passage du Pô serait
l'opération la plus audacieuse de la campagne , tout comme
la bataille de Millezimo , l'action la plus vive ; mais j'ai à vous
rendre compte de la bataille de Lody.
le 21 ' Le quartier-général arriva à Cazal , à trois heures
du matin à neuf heures , notre avant-garde rencontra les
ennemis défendant les approches de Lody. J'ordonnai aussi
tôt à toute la cavalerie de monter à cheval , avec 4 pieces.
d'artillerie légère qui venaient d'arriver , et qui étaient at
telees avec les chevaux de carosse des seigneurs de Plai
sance. La division du général Augerreau , qui avait couché à
Borghetto ; celle du général Massena , qui avait couché à Cazal
se mirent en marche. L'avant-garde , pendant ce tems-là , culbuta
tous les postes des ennemis , et s'empara d'une piece
de canon ; nous entrâmes dans Lody , poursuivant les ennemis
, qui déja avaient passé l'Adda sur le pont. Beaulieu
avec toute son armée , était rangé en bataille ; 30 pieces de
canon de position défendaient le passage du pont. Je fis placer
toute mon artillerie en batterie ; la canonnade fut très -vive
pendant plusieurs heures ; dès l'instant que l'armée fut arrivée
, elle se forma en colonne serrée , le deuxieme bataillon
des carabiniers en tête , et suivie par tous les bataillons
de grenadiers , au pas de charge , et aux cris de vive
la République ! L'on se présensa sur le pont qui a cent toises
de longueur ; l'ennemi fit un feu terrible ; la tête de la
colonne paraissait même hésiter : un moment d'hésitation
eût tout perdu ; les généraux Berthier , Massena , Cervoni
Dallemagne , le chef de brigade Lasne et le chef de bataillon
Dupat le sentirent , se précipiterent à la tête , et déciderent
le sort encore en balance .
Cette redoutable colonne renversa tout ce qui s'opposa à
elle ; toute l'artillerie fut sur-le- champ enlevée ; l'ordre de
bataille de Beaulieu fut rompu ; elle sema de tout côté l'épouvante
, la fuite et la mort ; dans un clin d'oeil , l'armée
ennemie fut éparpillée . Les généraux Rusca , Augerreau et
Berraut passerent , dès l'arrivée de leurs divisions , et achevérent
de décider la victoire .
La cavalerie passa l'Adda à un gué ; mais ce gué s'étant
trouvé extrêmement mauvais , elle éprouva beaucoup de retard
; ce qui l'empêcha de donner. La cavalerie ennemiè essaya
, pour protéger la retraite de l'infanterie , de charger
7 ( 264 )
nos troupes , mais elle ne les trouva pas faciles à épouvanter,
La nuit qui survint , et l'extrême fatigue des troupes , dont
plusieurs avaient fait , dans la journée , plus de dix lieues ,
ne nous permirent pas de nous acharner à leur poursuite ;
l'ennemi a perdu 20 pieces de canon , 2 à 3000 hommes
morts , blessés et prisonniers . Le citoyen Latour , aide - decamp.
capitaine du général Massena , a été blessé de plusieurs
coups de sabre ; je demande la place de chef de baaillon
pour ce brave officier. Le citoyen Marmont , mon
aide- de- camp , chef de bataillon , a eu un cheval blessé sous
lui ; le citoyen Marois , mon aide-de-camp , capitaine , a
eu son habit criblé de balles ; le courage de ce jeune officier
est égal à son activité .

Si j'étais tenu de nommer tous les militaires qui se sont disingués
dans cette journée extraordinaire , je serais obligé de
nominer tous les carabiniers et grenadiers de l'avant-garde ,
et presque tous les officiers de l'état- major ; mais je ne dois
pas oublier l'intrépide Berthier , qui a été , dans cette journée ,
canonnier , cavalier et grenadier . Le chef de brigade Sugny ,
commandant l'artillerie , s'est très - bien conduit.
Beaulieu fuit avec les débris de son armée ; il traverse , dans
ce moment- ci , les états de Venise , dont plusieurs villes lui
ont fermé les portes.
*
Quoique , depuis le commencent de la campagne , nous
ayons eu des affaires très-chaudes , et qu'il ait fallu que l'armée
de la République payât souvent d'audace , aucune cependant
n'approche du terrible passage du pont de Lody. ,
Si nous n'avons perdu que peu de monde , nous le devons à
la promptitude de l'exécution et à l'effet subit qu'ont produit
, sur l'armée ennemie , la masse et les feux redoutables
de cette intrépide colonne .
Je vous prie de confirmer le citoyen Monnier adjudantgénéral
, qui sert en cette qualité , quoique non compris
dans le dernier travail ; je vous demande la place de capitaine
pour le citoyen Rey , aide - de - camp du brave Massena ,
et pour le citoyen Thoiret , digne adjudant-major du troisieme
bataillon des grenadiers . Dès l'instant que nous resterons
deux jours dans le même endroit , je vous ferai passer
le rapport des hommes qui se soirt particulierement distingués
dans cette célebre journée . Le commissaire du gouvernement
a toujours été à mes côtés ; l'armée a des obligations
réelles à son activité .
Signé , BUONAPARTE .
PS. Toute la Lombardie est à nous . Beaulieu est retiré à
Mantoue . -L'armistice est rompue sur le Rhin ; les hostilités
-
doivent commencer le 12 de ce mois.
LENOIR DE LAROCHE , Rédacteur.
N°. 35.
MERCURE FRANÇAIS .
DÉCADI 20 PRAIRIAL, l'an quatrieme de la République.
Mercredi 8 Juin 1796 , vieux style . )
SCIENCES.
Exposition du systême du Monde , par PIERRE SIMON
LAPLACE , de l'Institut national de France et du Bureau
des longitudes. A Paris , à l'imprimerie du Cercle- Social ,
rue du Théâtre-Français , n° . 4. ( 1 ) .
Sorr que l'on considere dans l'ouvrage que nous
annonçons l'importance et la grandeur du sujet , le
nombre , l'ensemble , les liaisons et la certitude des
résultats , les observations anciennes et les découvertes
modernes qu'il rappelle , la réunion enfin des
( 1 ) Quoique cet extrait ait déja paru dans le Moniteur , nous
n'avons pas la petite prétention de chercher à faire mieux ,
ou de faire en d'autres termes . Il n'en est pas des ouvrages
de sciences , comme des ouvrages de pure littérature et de
goût , où la différence entre la maniere de sentir en produit
souvent une dans la maniere de juger. Mais ici il s'agit dé
l'analyse d'un ouvrage dont l'exposition des principes et des
vérités qu'il renferme , n'est susceptible d'aucune contestation
. Si cette analyse est intéressante et complette , pourquoi
refaire ce qui est bien fait ? Cette tâche que nous aurions remplie
avec grand plaisir sans doute , n'eût fait que retarder is
tribut d'éloges que nous devons au célebre auteur de l'exposijion
du systême du Monde . ( NOTE DES RÉDACTEURS . )
Tome XXII.
S
( 466 )
+ travaux de tant d'hommes de génie dont il est le produit
, on se sent également frappé d'étonnement et
d'admiration de la hauteur à laquelle il a été donné
à l'esprit humain de s'élever.
r
Quel prodige en effet que l'homme s'élançant par
son génie du point imperceptible qu'il occupe dans
l'univers , dans les profondeurs de l'espace ; mesurant
, dans l'immense etendue des cieux , les distances
respectives des astres qui roulent sur sa tête ;
traçant , à l'aide des observations , et d'après la connaissance
qu'il a acquise des lois de la nature , ' le
cours de ces astres ; s'élevant aux lois des mouvemens
planétaires , de ces lois au grand principe de
la pesanteur universelle , et redescendant enfin de
ce principe à l'explication complette de tous les phé
nomenes célestes jusque dans leurs moindres détails !
Voilà , dit l'auteur dont nous rapportons les express
sions , ce que Pesprit humain à fait dans l'astronomie
; nous ajouterons qué telle est la carrièré qu'il
s'est tracée , et qu'il a parcourue.

Il n'appartenait qu'à une main savante de présenter
, comme il devait l'être , ce grand ensemble de
découvertes , et en nous montrant la maniere don't
ces vérités naissent les unes des autres , de nous donner
la vraie méthode qu'il faut suivre dans l'investigation
des lois de la nature . Sous ces deux rappors .
la plume ne pouvait être en meilleures mains que
dans celles du cit . Laplace , déja célebre en Europe
par ses hautes connaissances dans l'analyse et dans la
géométrie transcendante ; il lui convenait même plus
qu'à tout autre de traiter ce beau sujet , puisqu'associant
sa gloire à celle qu'ont obtenue les savans
( 257 ) "
qui l'ont précédé , il a completté la démonstration
du vrai systême du Monde , en ramenant à la loi de
la pesanteur universelle plusieurs des principaux
phénomenes célestes , qui jusqu'à -présent avaient
paru s'y refuser.
Il est difficile d'analyser un ouvrage qui , dégagé
des calculs , n'est lui -même qu'une savante analyse
de toutes les découvertes dont l'astronomie s'est enrichie
depuis les tems les plus anciens jusqu'à nos
jours . Les progrès qu'ont fait les sciences mathématiques
, l'heureuse application de l'algebre à la géo.
métrie , de continuelles et innombrables observations
, ont porté dans les trois derniers siecles cette
science au plus haut degré de perfection. C'est à
ceux qui sont familiers avec ces sublimes connaissances
, dont la réunion nous serait ici nécessaire , à
s'empresser de faire connaître un ouvrage qui honore
la nation , afin que , pour cette fois , ce ne soient
pas des étrangers qui , en le traduisant avant qu'il
ait été apprécié en France , nous apprennent le secret
de nos richesses . Quant à nous , dont ce travail surpasse
les forces , et qui n'avons jamais plus douloureusement
senti notre ignorance que lorsque nous
avons osé entreprendre cette lecture , nous nous contenterons
d'annoncer le plan général de l'ouvrage.
L'exposition du systême du monde est divisée en
cinq livres .
Dans le premier, l'auteur présente le tableau des
mouvemens apparens de tous les corps célestes , tel
qu'il a pu s'offrir aux premiers observateurs ; il traite
des mouvemens apparens du soleil , de la lune , des
planetes , des cometes et des étoiles ; de la figure de
S
( 268 )
la terre , de la variation de la pesanteur à sa surface ;
du flux et du reflux de la mer , de l'atmosphere terrestre
et des réfractions astronomiques.
Comparant , dans le second livre , les diverses apparences
des mouvemens des corps célestes , l'au
teur s'y éleve à la considération de leurs mouvemens
réels il y traite du mouvement de la terre sur son
axe et autour du soleil , et des apparences dues à ce
mouvement ; du mouvement réel des planettes et des
cometes , des lois de ce mouvement , et de la figure
elliptique des orbes qu'elles décrivent ; enfin , des lois
du mouvement des satellites autour de leurs planetes.
Maintenant , quelles sont les forces principales
qui retiennent les planettes , les satellites et les cometes
, dans leurs orbes respectifs ? Quelles forces
particulieres troublent leurs mouvemens elliptiques ?
Quelle cause fait rétrograder les équinoxes , et mouvoir
les axes de rotation de la terre et de la lune ?
Par quelles forces enfin les eaux de la mer sont- elles
soulevées deux fois par jour ? La supposition d'un
seul principe dont tous ces effets dépendent , -est
digne de la simplicité et de la majesté de la nature .
La généralité des lois que présentent les mouvemens
célestés , semble en indiquer l'existence ; déja même
on entrevoit ce principe dans les rapports de ces phėnomenes
avec la position respective des corps du
systême solaire ; mais pour l'en faire ressortir avec
évidence , il faut connaître les lois du mouvement
de la matiere.
L'exposition de ces lois est l'objet du troisieme
livre , dans lequel l'auteur développe les principales
découvertes qu'on a faites en mécanique , sur l'équi(
269 )
libre et le mouvement d'un systême de corps solides
ou fluides , et animés de forces quelconques .
Après avoir ainsi exposé dans les livres précédens
les lois des mouvemens célestes , et celles de l'action
des causes motrices , l'auteur traite dans le quatrieme ,
de la théorie et du principe de la gravitation universelle
, à raison des masses et réciproque au quarré
des distances ; et pour montrer comment tous les phénomenes
du système solaire confirment cette théorie
et découlent de ce grand principe , il les range dans
trois classes : la premiere ' embrasse les mouvemens
des centres de gravité des corps célestes autour des
foyers des forces principales qui les animent ; la seconde
comprend tout ce qui concerne la figure et
les oscillations des fluides qui les recouvrent ; et la
troisieme , les mouvemens de ces corps autour de
leur centre de gravité. L'auteur prouve dans ce quatrieme
livre , en comparant ces divers phénomenes ,
que non - seulement ils sont tous représentés jusques
dans leurs moindres détails par la loi de la gravitation
universelle , mais que même la théorie devançant
l'observation, nous a fait connaître les inégalités
séculaires et périodiques des planetes et des satel
lites , fondées sur cette seule loi de la pesanteur. Ici
l'auteur a eu à traiter particulierement du mouvement
elliptique des corps célestes , de la marche des
planetes , et de la pesanteur à leur surface , des perturbations
des mouvemens elliptiques , des planetes ,
des cometes , de la lune , et des satellites de Jupiter,
de la figure , de la terre , des planetes , et de l'anneau
de Saturne , des atmospheres , des corps cé-.
lestes , du flux et du reflux de la mer , des oscilla-
S. 3
1.270 )
tions de l'atmosphere , de la précession des équinoxes
, de la nutation de l'axe de la terre et de la
libration de la lune . Le dernier chapitre de ce livre
présente des réflexions générales sur le principe de
la pesanteur universelle et sur la maniere dont il a
été employé par les géometres.
Le cinquieme et dernier livre est un précis historique
de l'astronomie dans les tems les plus anciens ,
en Caldée , en Egypte , chez les Grecs dans l'école
d'Alexandrie , chez les Arabes , les Chinois , les
Perses , et en Europe dans nos tems modernes . L'autear
fait l'histoire de la découverte de la pesanteur
universelle ; il présente des considérations sur la disposition
du systême planétaire qui , par l'identité de
direction de ses mouvemens , indique qu'une cause
générale les a déterminés , et dont les rapports avec
les étoiles nous montrent l'univers dans une étendue
qui étonne et confond l'imagination. Il combat ,
comme insuffisante pour l'explication des phénomenes
, et même comme leur étant contraire , l'hypothese
par laquelle Buffon a essayé de remonter à l'origine
des planetes et des satellites. Il présente luimême
une nouvelle conjecture qui suppose que
l'atmosphere solaire a pu , par l'effet d'une excessive
chaleur , s'étendre au- delà des limites du systême
planétaire , se refroidir , se condenser ensuite et
abandonner à ses limites successives des zônes fluides
qui , par leur condensation , ont pu produire les planetes.
Dans cette hypothese , les satellites et les
anneaux devraient pareillement leur origine à l'aban
don et au refroidissement d'une partie de l'atmosphere
de leur planete .
A
( 271 )
W
Quoique cette hypothese satisfasse à tous les phénomenes
du systême solaire , l'auteur ne la présente
qu'avec la plus grande modestie et cette défiance ,
dit- il , que doit inspirer tout ce qui n'est pas un
résultat de l'observation et de calcul . Il indique les
travaux qui devront occuper les astronomes et les
géometres futurs pour perfectionner de plus en
plus le plus beau monument de l'esprit humain , et le
titre le plus noble de son intelligence ,
astronomie.
Enfin , il termine ce grand ouvrage par recommander
de conserver et même d'augmenter ces hautes connaissances
, qui ont rendu d'importans services à la
navigation et à la géographie , qui ont dissipé les
craintes occasionnées par les phénomenes célestes
extraordinaires , et détruit les erreurs nées de l'ignorance
de nos vrais rapports avec la nature .
On voit par ce simple exposé , quelle réunion
d'efforts et de travaux à été nécessaire pour arriver à
d'aussi grands résultats . Que de nuits passées à observer
les astres pendant plusieurs siecles Combien de
jours consacrés aux plus profondes méditations par
les hommes de génie à qui nous les devons ! On se
sent pénétré pour eux d'un sentiment mêlé de respect
et de reconnaissance ; et lorsqu'on se rappelle que
la persécution de l'envie , et celle plus cruelle encore
du fanatisme , ont été souvent la seule récompense
de la vérité , découverte au prix de tant de peines ,
on est attendri autant qu'indigné, Mais la justice des
siecles met également à la place qui leur appartient ,
les grands hommes et ceux qui les ont persécutés . La
gloire des Galilée et des Ticho-Brahé sera immortelle ,
tandis que l'inquisition , en forçant le premier de se
S 4
( 272 )
rétracter après l'avoir mis en jugement , et le ministre
Walchendorp en persécutant le plus grand des observateurs
après l'avoir obligé de quitter sa retraite , se
sont voués à l'exécration de la postérité la plus reculée .
Ainsi , les noms d'Hypparque et de Ptolemée chez
les Grecs , d'Albatenius chez les Arabes , de Ulugh-
Beigh
de
chez
les
Perses
,
de
Copernie
,
de
Huyghens
,
de Kepler , de Newton , vivront éternellement dans
la mémoire des hommes ; et il n'y aurait qu'une révolution
dans le globe , capable d'anéantir toutes les
connaissances humaines , qui pât les faire oublier
L'auteur non-seulement rend hommage à ces génies,
du premier ordre ; mais il ne laisse échapper aucune
occasion de relever les travaux de tous ceux qui ont
ajouté à leurs découvertes ou qui en ont completté
la démonstration , Nous pourrions citer un grand
nombre d'astronomes célebres , mais nous renvoyons
à l'ouvrage même , en nous bornant à rappeller
encore une fois les noms de Copernic , de Ticho ,
de Galilée , de Descartes ....... Descartes qui , malgré
quelques erreurs , a rendu de si importans services à
l'esprit humain ; du célebre Huyghens , de Kepler ,
de Neper , à qui l'on doit l'heureuse invention des
logarithmes , du grand Newton , de Cassini , de
Bradley , illustre à jamais par lá découverte de l'aber--
ration des fixes , et de la nutation de l'axe de la terre ;
parmi nos contemporains , nous citerons Euler et
Clairaut , d'Alembert , à qui l'on doit la méthode de
ramener les lois du mouvement à celles de l'équilibre
, et la belle théorie à l'aide de laquelle il a
vérifié la lode la pesanteur relativement à la précésion
des équinoques , et à la putation de l'axe de la
( 273 )
terre ; analyse qui l'a conduità déterminer jusqu'aux
dimensions de la petite ellipse que décrit le pole de
la terre ; Delambre , qui a formé d'excellentes tables
de Jupiter , de ses satellites , de Saturne et d'Uranus ;
Legendre , qui par une ingénieuse analyse , a déterminé
la figure d'une masse homogene de fluide en
'équilibre , en la supposant douée d'un mouvement
de rotation ; enfin , nous ne passerons point sous
silence cet homme celebre , qui seul suffiirait pour
assurer à la France, glorieuse de le posséder, la supériorité
dans les sciences mathématiques , Lagrange ,
qui , entr'autres ouvrages , a réduit la recherche du
mouvement d'un système de corps quelconque , à
l'intégration d'équations différentielles , et qui parlà
a soumis la mécanique entiere aux procédés de
l'analyse ; qui , le premier , a fait voir que le singulier
phénomène de la coïncidence des noeuds de l'èquateur
de la lune avec ceux de son orbite , est une
suite de l'attraction terrestre , et que son analyse
conduit à une explication compleite de tous les mouvemens
observés dans le sphéroïde lunaire .
L'auteur , avons -nous dit , à associé sa gloire à celle
des savans qui l'ont précédé : nous regretterons de
ne pouvoir donner à l'article qui concerne ce qui
appartient à lui seul dans l'exposition du systême đu
Monde , l'étendue qu'il devrait avoir ; nous nous
bornerons à faire observer que la théorie du flux et
du reflux de la mer , fondée sur la loi de la
pesanteur
universelle , en ayant égard à toutes les circons -
tances dont dépend ce phénomene , était le problême
le plus épineux de la mécanique céleste , et que l'auteur
l'a résolu complettement. C'est encore à lui que
( 274 )
Fon est redevable de l'explication des inégalités singur
lieres observées dans les mouvemens de Jupiter et de
Saturne. Il a prouvé qu'il existe dans la théorie de
Saturne une grande inégalité dont il a fixé la période
que le mouvement de Jupiter est pareillement soumis
une inégalité correspondante , affectée d'un signe
contraire , dont la période et les lois sont les mêmes ,
et que c'est à ces deux inégalités, auparavant incon-,
mues que l'on doit rapporter le ralentissement apparent
de Saturne , et l'accélération apparente de Jupiter.
L'auteur a prouvé encore le premier , par les plus
savans calculs , que l'équation séculaire de la lune ,
était due à l'action du soleil sur ce satellite , combinée
avec la variation de l'orbe terrestre . La belle
et difficile explication de ce phénomene qui faisait
exception à la gravitation universelle , et qui en est
devenue une des preuves les plus frappantes , jointe
à l'explication qu'il a donnée de toutes les inégalités
observées dans les mouvemens des satellites de Jupiter
, a fermé le cercle des démonstrations géométriques
qui ramenent tous les mouvemens célestes à la
grande loi de l'univers.
le
Sous le rapport de la composition de l'ouvrage ,
systême du Monde est un livre très -bien fait. Les
proportions convenables sont gardées dans toutes
ses parties les phénomenes , leur explication , et la
marche de l'esprit humain y sont enchaînés avec
méthode , et exposés avec autant de clarté qu'une
matiere aussi relevée le comporte , et qu'il était possible
de les présenter sans le secours de l'analyse le
style en est pur , simple et noble ; le ton est par- to ut
digne du sujet,
1275 )
Il y a sûrement un grand mérite à avoir aussi -bien
ordonné et aussi , savamment rempli un si grand
tableau . Dans tout l'ouvrage , regne cette sage et rarë
économie de paroles qui atteste la richesse du fond ,
la netteté des idées et le bon sens de l'écrivain . Sa
philosophie se montre dans le soin qu'il met à éviter
le ton dogmatique , même pour les faits dont personne
ne dispute plus , mais qui ne sont pas rigoureusement
démontrés .
On sent le respect profond qu'il porte à la vérité ,
dans le scrupule qui l'engage à avertir ses lecteurs de
se défier des idées qu'il leur présente , lorsqu'elles në
sont pas un résultat immédiat du calcul et de l'obser
vation ; ce scrupule se montre sur-tout , et d'une ma→
niere bien frappante , dans la maniere dont il parle de
son systême sur la formation des planetes et de leurs
satellites , comme nous l'avons déja remarqué. Les
mains paternelles sont toujours si prêtes à présenter
avec confiance et avec orgueil , ce qui fut leur ouvrage
, qu'il faut estimer beaucoup un auteur qui ne
mit jamais en balance les productions de son esprit
avec l'amour de la vérité ; il faut l'aimer , lorsque
les traits vraiment caractéristiques du génie , la modestie
et la simplicité sont encore ceux qui le distinguent.
L'auteur annonce qu'il doit publier , sous le titre
de Traité de mécanique céleste , un autre ouvrage qui
sera comme le complément et la preuve de celui- ci ;
c'est là que seront exposés tous les procédés analys
tiques et les diverses théories qui conduisent à la
démonstration géométrique de ces mêmes résultats.
En attendant , il nous semble que cette exposition
( 276 )
du système du Monde , présentée sans le secours d'e
T'analyse doit satisfaire pleinement les savans qui ,
ayant franchi les difficiles chemins qui conduisent
aux expressions les plus simples et les plus générales
des lois qui servent à l'explication des phénomenes
de la nature , n'ont besoin qu'on leur présente , ou
qu'on leur rappelle que des résultats qu'ils peuvent
toujours vérifier , et qu'ils seraient obligés d'aller
puiser dans leurs sources , s'ils ne les trouvaient past
rassemblés avec ordre dans un seul ouvrage ; elle con--
vient encore parfaitement aux hommes qui , sans être
profondément versés dans les sciences mathématiques ,
les connaissent cependant assez pour s'intéresser à
leurs progrès , pour vouloir connaître les découvertes
dont on leur est redevable , et jouir de tous
les développemens de l'intelligence humaine , quoique
hors d'état de suivre les calculs qui y ont conduit.
Que manque- t- il , après cette lecture , à cette
derniere classe de lecteurs que l'auteur a eu principalement
en vue ? La preuve de ces grandes vėrités
! Mais dans l'impossibilité où sont la plupart
des hommes , de se livrer à ces hautes sciences
qui exigent , de la part de ceux qui les cultivent ,
une étude presqu'exclusive , ils peuvent tenir cette
preuve pour acquise de la part d'un homme tel qué
l'auteur , écrivant pour le monde savant , à côté de
Lagrange , et dans le sein de l'institut national français
.
Lorsque l'immortel ouvrage des principes mathématiques
de Newton parut , Locke , frappé de la grandeur
et de l'importance de ces vérités nouvelles , demanda
1
( 977 )
Huyghens s'il pouvait admettre la preuve de ces
résultats qu'il était hors d'état de vérifier par lui
même. Huyghens ayant répondu affirmativement
Locke lut le livre , et parvint à se faire une idée nette
du système de la gravitation universelle , et àjouir de
la beauté de cette découverte , pour avoir cru , Sur
parole , Huyghens et Newton .
A. M. EYMAR.
LITTÉRATURE.
LES SOIRÉES LITTÉRAIRES , ou Mélanges de traductions
nouvelles des plus beaux morceaux de l'antiquité ; de
pieces instructives et amusantes , françaises et étrangeres
, qui sont tombées dans l'oubli ; de productions , soit
en vèrs , soit en prosé , qui paraissent pour la premiera
fois en public ; d'anecdotes sur les auteurs et sur leurs
écrits, etc. etc. Premiere année , tome I et II. A Paris ,
chez MORIN , libraire , rue Christine , nº . 11 .
CE recueil est le résultat de longues études d'une
société de gens de lettres qui ont consacré leur vie
à la lecture approfondie des productions utiles et
agréables , de tous les âges et de tous les peuples .
Tous les morceaux , et même tous les Ouvrages des.
anciens qui figureront dans cette collection , ont été
traduits par les auteurs. Aux productions les plus
agréables de la Grece , ils joindront ce que les Latins
offrent de plus curieux et de plus rare. Une partie
de l'ouvrage sera consacrée à la littérature qui remonte
au bas empire. Depuis cette époque , en des(
278 )
cendant successivement à l'histoire Bysantine , as
reflux des lettres en Italie après la prise de Constantinople
par Mahomet II , depuis le regne de Fran
çois Ier, en France jusqu'à nos jours , ils promettent
de déterrer les monumens les plus précieux , soit en
vers , soit en prose , sans cependant s'assujettir à
l'ordre des tems. Leur troisième objet sera la littéra
zure du jour. Tous les opuscules qu'ils imprimeront
n'auront pas encore paru , à l'exception peut- être de
quelques morceaux des rédacteurs , et ces morceaux
eux-mêmes , soigneusement corrigés . auront un caractere
nouveau . Ils se proposent d'ajouter à cette parzie
l'examen des nouvelles pieces de théâtre qui leur
paraîtront les plus intéressantes .
Cette entreprise embrasse done la littérature ancienne
, celle du moyen âge , et celle de nos contémporains.
A la tête des hymnes , des odes , des idylles ,
des épigrammes , etc. , se trouvera un précis historique
de chacun de ces genres , de leur origine , de leurs inventeurs
, de leurs progrès , des auteurs ét des peuples
qui s'y seront particulierement distingués .
Rien de plus propre qué ce plan à entretenir ou
à ranimer parmi nous le goût de la bonne littérature .
Il est bien rempli dans les deux volumes que nous
annonçons. Les premiers morceaux qui se présentent
sont les opuscules d'Homere , que l'on ne peut citer
sans se rappeller , comme nos auteurs , ces vers de
Boileau :
On dirait que pour plaire , instruit par la nature ,
Homere ait à Vénus dérobé sa ceinture :
Son livre est d'agrémens un fertile trésor ;
Tout ce qu'il a touché , se convertit en or.
( 279 )
MS
Ce dernier éloge est applicable à ses moindres
morceaux. Les opuscules d'Homere sont principales
ment des hymnes à Venus , à Bacchus , à Pallas ,
Mercure , à Vulcain , à Apollon , à Neptune , à Jupi
ter , etc. Je citèrai celui dans lequel il célébre la mett
de tous.
"
" Je chanterai la terre , mere de tous ; cette grande
déesse établie sur des fondemens si durables , et
" qui jouit de tant d'honneurs , qui nourrit dans son
" sein tout ce qui existe tout ce qui marche sur sa
, surface , tout ce qui hage dans les eaux , tout ce
quivole dans les airs. Cette multitude innombrablė
d'êtres vivans , ô déesse ! ne se soutient que par
vos bienfaits. C'est par vous qu'existent les mof
tels , heureux de leurs enfans et de vos dons ; c'est
» de vous que dépendent la vie et la mort du genre
» humain . On est digne d'envie quand on peut så¹
tisfaire vos regards favorables ; on est sûr alors de
vivre dans la plus délicieuse abondance ; on trouve
" ses campagnes et ses terres remplies de richesses ;
,, la fécondité se répand sur les troupeaux ; les mois-
27 sons deviennent la source d'intarissables trésors .
,, Ceux que vous regardez avec tant de faveur et de
,, complaisance , gouvernent encore par de bonnes
,, lois les villes qui produisent les plus belles femmes ;
,, la félicité se perpétue dans leurs familles ; leurs
fils couverts de gloire se livrent à tous les plaisirs
➜ ravissans de la jeunesse , et leurs filles , que la joie
,, anime , vont en folâtrant former des chants ou
,, danser sur l'émail des prairies . Vous ne cesserez ,
ô déesse ! d'honorer ces mortels heureux , et de
verser sur eux vos dons à pleines mains.
( 280 )
Je vous salue , o mere des Dieux ! glorieuse
épouse du ciel azuré et brillant de tant d'étoiles !
» En faveur de mes chants embellissez aussi ma car-
" riere ; et moi, par reconnaissance , je publierai vos
bienfaits par des chants nouveaux . " ·
On sait qu'Homere mena une vie très - pauvre , puisqu'il
fut réduit à mendier son pain et l'hospitalité
de ville en ville . C'est ce que prouvent les fragmens
suivans,
A ceux qui exercent l'hospitalité.
Jettez les yeux sur un malheureux qui ne trouve
ni hospice , ni demeure , ô vous qui habitez la belle
a ville d'une nymphe favorite de Junon , auprès de
", ces rians coteaux dorés , dont les racines sont
baignées de l'onde pure et divine d'un fleuve délicieux
, de l'Hermus , à qui l'immortel Jupiter a
,, donné le jour ! »,
Aux habitans de Cumes.
,, Donnez l'abri et l'hospitalité à un indigent , ô
,, vous qui habitez la belle ville de Cumes , dont la
grande Junon est la protectrice , qui cultivez les
" vallons que l'altiere Sardine voit du haut de ses
" forêts , et qui buvez l'onde divine de l'Hermus ,
" illustre fils de Jupiter ! ",
A la ville de Cumes , étant sur le point d'y retourner.
" O mes pieds , reportez-moi rapidement à la cité
,, de ces hommes aimables , qui ont l'esprit si prompt
" et l'ame si sensible ! ,,
Les Cuméens ne furent pas long- tems aimables
pour lui , comme nous le voyons par le morceau suivant.
Contre
( 281 ) (
,,, pure
Contre les Cuméens .
Helas que Jupiter m'a imposé une destinée
cruelle ! J'ai sucé en naissant le lait de ma respec-
" table mere à Smyrne d'Eolie , bâtie jadis sur les
bords rians de la mer , dans les lieux où coule l'onde
de Mélète . Mais les muses , charmantes filles
de Jupiter , m'engagérent à quitter avec elles le
séjour de Smyrne , pour aller chanter les louanges
de Cumes et des hommes qu'elle renferme dans
» son sein . Mais ces hommes barbares mépriserent
mes vers et les accens de ma yoix sacrée . Mal-
,, heur à ceux qui m'ont fait cet outrage , et qui ont
voulu me nuire ! ce ne sera pas impunément qu'ils
, auront formé contre moi des projets sinistres . Moi,
cependant, quel que soit le sort que les Dieux me
,, réservent , je suis décidé à le souffrir avec cou-
,, rage , et à étouffer mes peines . Mais jamais mes
pieds ne fouleront plus les pavés sacrés de Cumes ;
", mon coeur s'y refuse , et j'aime mieux aller bien
" au-delà chercher un asyle dans quelque terre étran
" gere . "
Seneque a dit qu'un spectacle digne de la Divinitė
était celui d'un homme de bien aux prises avec l'ad--
versité. C'en est un non moins intéressant pour elle
que celui du génie aux prises avec l'ingratitude . Depuis
Homere , chaque siecle en a fourni des exemples.
Nos auteurs terminent leur notice sur l'hymne par
une mention distinguée des hymnes de l'église . La
révolution française , par quelques hymnes qu'elle a
fait éclore , ne méritait- elle pas de figurer dans cette
nomenclature ? Espérons que l'affermissement du
Tome XXII. T
( 282 )
gouvernement républicain en produira encore d'au
tres , qui assureront aux poëtes français un rang distingué
dans ce genre .
Vient ensuite la traduction des oeuvres d'Hésiode .
Voici comme nos auteurs ont rendu la fable de l'É
pervier et du Rossignol , dans le Ier chant des Euvres
et des Jours.
Un Épervier avait saisi un Rossignol harmonieux :
" il l'emportait dans les nues , et l'innocent oiseau
percé d'une serre barbare , pleurait amerement.
,, L'impérieux Épervier lui tint ce langage : Malheu
" reux , pourquoi cet inutile effort et ces vains cris ?
Te voilà retenu par une puissance plus forte que
la tienne , et tu vas où je te mene malgré l'empire
de tes accens : il m'est aussi facile de faire un
souper de toi , que de te rendre la liberté. C'est
" une folie de se battre contre une force supérieures
car non-sealement on n'obtient pas la victoire ,
", mais on voit aggraver ses peines par la nouvelle
" insulte qu'on reçoit. C'est ainsi que parla l Éper-
,, vier au vol étendu et rapide . "
Le Franc de Pompignan , dont nos auteurs ne par
lent pas , me paraît , dans sa traduction ou imitation
en vers du Ier, chant de ce poëme , faire mieux conmaître
le génie du poète grec.
Un robuste Épervier , dans ses griffes aiguës
Portait un rossignol jusqu'au plus haut des nues.
Le jeune et faible oiseau déja percé de coups ,
Tâchait de l'attendrir par les chants les plus doux ;
Quel est donc ton espoir , dit l'animal farouche ?
Crois-tu que de tes sons le ramage me touche ?
La force m'a rendu le maître de ton sort ,
( 283 )
Je puis te laisser libre ou te donner la mort.
Du stupide Épervier , prétentions cruelles
De mesurer ses droits au pouvoir de ses aîles !
Je regrette que dans la notice sur le poëme didactique
, nos auteurs aient passé sous silence le poème
de Rosset sur l'Agriculture . Ces notices , malgré leur
briéveté , doivent indiquer les meilleurs ouvrages ,
sur-tout dans les genres utiles.
Les amateurs de Martial trouveront dans ce premier
Volume une traduction nouvelle de ses plus
belles épigrammes. Pour donner une idée précise
de ce genre , les auteurs rapportent une épigramme
grecque , une épigramme latine et une épigramme
française. Rien de plus ingénieux que cette maniere
de caractériser ces trois peuples , et de marquer leur
différence dans l'économie de ce petit poëme. Voici
les trois exemples :
Parmi une foule d'autres épigrammes de l'Authologie
ou du Recueil des fleurs grecques , on trouve
celle - ci sur une statue de Vénus par Praxitele , et
que Voltaire a traduite avec sa maniere large et libre :
c'est Vénus qui parle.
Oui , je me montrai toute nue
Au dieu Mars , au bel Adonis ,
A Vulcain même , et j'en rougis ;
Mais Praxitele où m'a-t- il vue ?
Au lieu de tirer un exemple , pour les Latins , de
Martial , dont nous allons traduire les plus jolies épi
grammes , nous rapporterons celle qu'un poëte latin
moderne a faite sur la princesse d'Eboli , maîtresse
de Philippe II , roi d'Espagne , et sur le jeune favori
T2
( 284 )
du même monarque : la maîtresse et le favori étaient
tous deux borgnes.
Parve puer , lumen quod habes concede puellæ ,
Sic tu cæcus amor , sic erit illa Venus.
O jeune enfant donnez à cette jeune fille le seul oeil qui
vous reste. Vous serez l'aveugle Amour , elle sera Vénus.
Voici enfin une épigramme française .
A voir la splendeur peu commune
Dont un faquin est revêtu ,
Dirait-on pas que la fortune
Veut faire enrager la vertu ?
L'épigramme grecque est voluptueuse ; la latine
spirituelle la française , piquante . Telles sont les
nuances qui distinguent en général la maniere des
trois peuples dans ce genre de littérature ; ce qui a
fait dire que les épigrammes grecques manquaient de
sel , que les latines en avaient souvent trop , et que
les françaises en auraient bien plus encore si elles
n'étaient pas retenues . Les Grecs ne cherchaient que
la grace ; les Romains , un trait inattendu ; les Français
ne cherchent qu'un bon mot .
La littérature du moyen âge commence par des
extraits des oeuvres du capitaine Lasphrise , Annibal
de Lortigue , Pierre Deimier , Sfondrate , Daniel
Heinsius , ctc . Le capitaine Lasphrise était un guer
rier-poëte du tems de François I. , ou de Henri II ,
sans avoir , comme il le dit lui - même , courtisé le
grec , ni fréquenté Tibulle , Ovide , le Tasse ou Pétrarque
, ni pratiqué d'autres regles que celles de la
mere- nature ; il défie qu'on atteigne jamais à son
ouvrage. Ses vers roulent presque tous sur l'amour.
( 285 )
Ce sont des stances , des chansons , dés élégies , des
épigrammes , des satyres , etc. Voici un sonnet remarquable
par sa singularité. Depuis le second vers jusqu'au
dernier , tous commencent par la répétition du
dernier mot du vers précédent. C'est une façon dont
notre capitaine se vante d'être l'inventeur.
Fallait-il que le ciel me rendît amoureux ,
Amoureux , jouissant d'une beauté craintive ,
Craintive à recevoir la douceur excessive ,
Excessive au plaisir qui rend l'amant heureux ?
Heureux si nous avions quelques paisibles lieux ,
Lieux où plus sûrement l'ami fidelle arrive ,
Arrive sans soupçon de quelque ame attentive ,
Attentive à vouloir nous surprendre tous deux ,
Deux beaux amans d'accord qui s'en meurent d'envie ,
D'envie leur amour sera tantôt finie ;
Finie est la douceur que l'on ne peut plus voir ,
Voir , entendre , sentir , parler , toucher encor
Encore crois - je bien que je ne suis plus or ,
Or crois que ma moitié est loin de mon pouvoir.
Annibal de Lortigue était contemporain et rival
du capitaine Lasphrise . Il a défendu les femmes contre
les sarcasmes injurieux de Juvenal : il s'emporte avec
fureur contre cette discourtoisie :
Aristote soutient qu'un corsage douillet ,
Qu'une chair molle et tendre , un teint frais comme oeillet ,
est plus capable de régir un empire que les hommes
les plus robustes et les plus forts . Combien de femmes
ont délivré les héros des plus grands dangers !
Une femme tira du dédale de Crete
L'invincible Thésée . Une pucelle encor
Fit gagner à Jason la riche toison d'or.
T 3
( 286 )
Les plus grands dangers n'épouvantent point ce
sexe que l'on voudrait faire passer pour timide.
Une vierge , vestale , arrêta de sa main
L'audace et la fureur d'un grand tribun romain .
Annibal de Lortigue cite toutes les héroïnes de
l'antiquité .
Une femme fonda la cité de Carthage ;
Et du tems des Troyens uue amazone encor
S'arma contre les Grecs pour secourir Hector .
Je laisse à part Lucrece , Hippolyte , Camille et
Sophonisbe . Les femmes excellent dans la littérature
autant que dans la guerre et l'administration des
Empires.
La femme plus que nous est capable de lettres .
Maintes femmes jadis ont confondu leurs maîtres .
Telles sont Léontia , Amérie , Afrania , Hortense ,
Lélie , Axiothée , etc. Ce sont- elles qui donnent de
l'esprit aux hommes , et ce n'est que quand on a goûté
les plaisirs de l'amour dans leurs bras qu'on cesse
d'être sot.
Car l'amour féminin consume la sottise..
Cette apologie des femmes , disent nos auteurs , renferme
des rapprochemens très - piquans , et beaucoup
de traits curieux que l'on ne trouve pas dans ceux qui
ont traité ce sujet.
On connaît davantage Sfondrate et Heinsius . Nos
auteurs présentent par extraits le poëme du premier
, sur l'enlevement d'Helene. Pour le second ,
ils tracent le plan de la tragédie intitulée Herodes
infanticida , et en citent plusieurs morceaux. Ils promettent
de donner par la suite une traduction de
( 287 )
son éloge de l'Ane , qu'ils trouvent bien supérieur
l'éloge de la Folie , d'Erasme. Ce jugement m'étonne
autant que celui de Voltaire et d'Alembert sur cette
plaisanterie pleine de gaieté et de raison qui peutêtre
survivra seule aux autres ouvrages de son auteur.
Voltaire , dans le Dictionnaire philosophique , l'appelle
un lieu commun , assez insipide ; mais on peut
croire qu'il n'avait pas lu l'original . C'est ainsi qu'il
a avancé que Milton , dans sa défense pour le Peuple
Anglais , soutint en mauvais déclamateur la cause d'un
peuple victorieux , tandis que ceux qui l'ont lue la
trouvent aussi bien raisonnée que bien écrite.
"" nais
99
D'Alembert a fait un raisonnement tout-à-fait singulier
, pour justifier son opinion contre la latinité
des modernes . Depuis qu'on a mis en français
l'éloge de la Folie par Erasme , dit - il , je ne conpersonne
qui ne trouve cet ouvrage fort insipide.
Dans la nouveauté cependant il eut un grand
, succès , par la beauté prétendue de la latinitė ,
dont tout le monde croyait être juge , quoique
" personne ne pût l'être . Sans doute , la traduction
de Gueudeville dont parle d'Alembert , était bien
faite pour donner une idée médiocre du chef- d'oeuvre
d'Erasme . Cependant elle a été réimprimée nombre
de fois , preuve non équivoque de l'excellence de
l'original , qui se lit encore avec plaisir dans une
copie aussi imparfaite . Est-il vrai encore que l'éloge de
la Folie n'a eu du succès que dans sa nouveauté ? Au
tems de Bayle , on en comptait cent éditions , plus ou
moins . Barbou , en France seulement , l'a réimprimé
deux fois , et nous en avons deux traductions diffé-
T4
( 288 )
rentes depuis celle du bouffon et grossier Gueudeville.
Il y a des vues morales dans plusieurs articles de
la littérature moderne .
Un auteur peu fortuné a tracé l'histoire de son assignat.
Celui ci , après avoir été hamadryade , rose.
colombe , plante , procura du linge aux hommes ,
et leur enseigna le moyen de faire du papier avec
ce même linge , pour transmettre leurs pensées et
leurs sentimens aux races futures . A peine sorti de la
presse , il tomba dans les mains pures d'un homme
généreux qui le donna à une beauté modeste et
malheureuse . Il n'y put demeurer long - tems . Bientôt
il passa dans celles d'un usurier , d'un dissipateur ,
d'une courtisane . Enfin , il dit à l'auteur peu fortuné
Travaillez , c'est la premiere loi de la nature.
Celui- ci reçut l'avis comme une leçon consolatrice
pour les gens de lettres . Et en effet beaucoup , dans
les circonstances présentes , peuvent et doivent en
profiter.
Cette historiette rappelle le louis d'or , par un
nommé Isarn , qui périt dans la fleur de l'âge . Voyez
le recueil de pieces choisies , publié par la Monnaie en
1714 , tome II , page 243.`
Une piece d'un plus grand intérêt est intitulée
Stanislas , ou le Jeune Solitaire. C'est le commentaire.
des belles réflexions de Sulpitius à Cicéron , pour le
consoler de la mort de sa fille . Paris était devenu
odieux au jeune solitaire qui venait de perdre un
ami . Il en sortait fréquemment pour se promener
dans la campagne . Un jour il se trouva insensiblement
St.-Maur. Après avoir lu quelques traits de la con(
289 )
solation de Cicéron et la lettre de Sulpitius , après avoir
dit avec ces grands hommes que rien n'est stable
dans l'univers , il jette la vue sur l'horison , et découvre
le château de Beauté , destiné par un roi
victorieux et sensible à la charmante Agnès Sorel , et
qui ne présente plus que des ruines ; celui de Vincennes
, jadis embelli par la présence de la plus estimable
infante de la Castille , et où l'on ne voit maintenant
que les débris , soit du despotisme abatty ,
soit de la grandeur éclypsée . La , tristesse de notre
solitaire lui procure un pénible sommeil. A son réveil
il apperçoit un vieillard conduit par une jeune fille .
L'empreinte du chagrin qu'il apperçoit dans ses traits ,
l'engage à lui adresser la parole . Ce bon vieillard
venait contempler la maison de son protecteur qu'il
désespere de revoir . Il jette les yeux sur le livre que
tient le jeune solitaire . I le félicite , à son âge ,
d'aimer Cicéron... Car , dit- il , c'est non- sculément
" le plus grand écrivain , mais encore l'homme le
plus sage qui ait , paru dans le monde ...... Après
" avoir amerement gémi sur les ruines de sa patrie ,
,, il tombe sous le glaive des tyrans ; on l'outrage ,
,, on l'insulte encore après sa mort : en expirant
ainsi , n'était-il pas bien malheureux ? Non , mon
enfant. Sa vertu lui restait ; sa conscience ne lui
faisait aucun reproche..... "
Tout à coup le vieillard pâlit , sa voix s'éteint , au
même instant la jeune conductrice répand des larmes.
Un cultivateur qui vellait près de - là au labour de
son champ , s'approche et déclare au jeune solitaire
que ce sont deux victimes du tems , que la faim cause
leur faiblesse . Ils font revenir l'homme de bien et le
( 290 )
conduisent dans la maison du cultivateur qui était voisine
de ce lieu. Bientôt celui- ci l'engagea à y habiter.
Le jeune solitaire qui a une fortune honnête , se
propose d'obtenir la charmante pupille , petite- fille
du vieillard , et d'acquérir une propriété auprès du
cultivateur. Ses parens y consentent . Il va donc
faire part de son voeu le plus cher au bon vieillard ,
et il desire qu'il partage son habitation et sa fortune.
On trouve dans le deuxieme volume une traduction
, par J. F. Fontalard , du poëme de M. Wieland ,
intitulé l'Amour accusé. Il y a beaucoup de philosophie
et de gaieté dans ce poëme en quatre chants .
Je ne parlerai pas d'un essai en vers sur les moyens de
plaire en amour , par J. A. Ségur le jeune . Ce sujet a
été approfondi par Ovide et notre Gentil Bernard ; de
nouveaux essais en ce genre ont bien de la peine à
se faire lire .
Je terminerai cet extrait par une anecdote sur un
mandarin chinois , rapportée dans le volume Ier . ,
Page 276.
Dans le tems qu'Henri III regnait en France , c'està-
dire en 1582 , la Chine était encore ouverte aux Européens
, et le savant jésuite Ricci avait trouvé le moyen
de se faire considérer , non-seulement des Mandarins ,
mais encore de l'empereur de cette belle contrée……...
Parmi ceux qui goûterent la science lumineuse de
eet étranger , était un favori de l'empereur , élevé
depuis peu à la dignité de vice- roi de Nankin . Il
mena Ricci dans son gouvernement , toujours de plus
en plus ravi de la profondeur de son génie , et de
l'extrême facilité avec laquelle il parlait la langue
( 291 )
chinoise . Il le fut bien davantage , quand ce savant
lui développa les principes de la religion chrétienne.
Il allait l'embrasser , mais il était retenu par l'habitude
qu'ont les Chinois de se marier pour un an , pour
un mois , pour un jour , pour une heure . Il montre
à Ricci la plus belle femme qui eût encore frappé ses
regards ; elle parle , et son esprit égale sa beautė.
Vous voyez , dit le Mandarin au savant , ce qui m'empêche
d'adopter votre religion . Voilà mon idole ',
ma seule divinité . Mais hélas , elle va m'échapper
dans huit jours , mon mariage expire et je la perds !
Le bruit de sa beauté est parvenu aux oreilles d'un
mortel plus fortuné ses trésors vont triompher da
mon amour. Si vous la perdez , lui répond Ricci , elle
n'est donc plus un obstacle à la religion que je vous
annonce. Vous ne connaissez pas les Chinois , reprend
le Mandarin ; chez nous la volupté seule console de
la volupte ; et en perdant cette belle , j'en vais chercher
une autre,
On voit qu'il y a de la variété dans les soiréės
littéraires. L'utile s'y trouve mêlé à l'agréable . Elles
feront passer des soirées intéressantes à ceux dont
les journées sont consacrées à discuter de grands
intérêts , ou à régler d'importantes affaires. La profonde
érudition des rédacteurs fait espérer que l'idtérêt
de cet ouvrage ira toujours en croissant.
( 292 )
VARIÉTÉ.
LETTRE AUX RÉDACTEURS .
ITOYENS ,
12 prairial , l'an IV.
J'ai lu le journal où vous rendez compte de la premiere
séance des Ecoles centrales . Je vous remercie
de la maniere trop flatteuse dont vous parlez d'un
discours fait à la hâte , et qui eût été moins médiocre
si j'avais eu le tems de le méditer. Mais permettezmoi
de vous observer que je n'ai point reconnu mes
opinions dans celles que vous me prêtez . Je n'ai nulle
part voulu parler de Rousseau . Je n'ai désigné que
Mably. J'ai même rappellé les entretiens de Phocion ,
ce qui devait lever toute équivoque. Convenez que
les vues politiques renfermées dans ces entretiens ,
et d'autres ouvrages du même auteur qu'on a tant
vantés , ne s'élevent pas au- dessus de celles de la
république de Salente , et que les instructions touchantes
de Mentor ont plus de charmes que l'austérité
pédantesque de Mably. Quoique mon goût particulier
me porte vers l'auteur de Télémaque , plus que vers
celui d'Emile , je sens tous les égards qui sont dus
au génie de ce dernier. Aurais- je osé dire de lui ?
Cet homme à qui on pardonne d'avoir outragé des noms
plus grands que le sien , parce qu'il a répandu des maximes
de vertu et de liberté dans ses ouvrages. Une pareille
phrase ne peut convenir qu'à un écrivain politique
qui admire médiocrement Tacite , qui méprise Ro-
*
( 293 )
bertson , et méconnaît le mérite de cette introduction
à l'histoire de Charlesquint , où le meilleur esprit a
répandu tant de lumières sur le chaos des lois féodales ,
et le droit public de l'Europe moderne . Elle convient à
Mably qui ne craint point d'avancer que le peintre
de Charles XII , ' dans ce beau morceau d'histoire ,
un des plus parfaits modeles de la prose française ,
n'est qu'un fou qui court après un autre fou ; et qu'en
un mot , Voltaire n'a jamais vu plus loin que le bout de
son nez . Tels sont les termes de Mably . Je les transcris
fidelement , et je voudrais pouvoir les effacer pour
l'honneur de sa mémoire . Il me semble enfin que
les bons esprits et les gens de goût qui ont lu
cet auteur avec quelqu'attention n'ont gardé toute
leur estime que pour ses observations sur l'histoire
de France .
A l'égard de l'observation que j'ai faite sur les
législateurs anciens comparés aux modernes , c'est
un fait historique que personne n'ignore . Vous me
dites que Lycurgue changea toutes les institutions
qui existaient ayant lui , et leur en substitua de
novelles qui ont duré six cents ans ; mais sans
m engager dans une querelle d'érudition fort inutile ,
sans chercher avec vous s'il n'y eut qu'un seul
Lycurgue , ou s'il y en eut plusieurs , et dans quel
tems ils ont vécu , je vous accorde que le législateur
de Lacédémone est celui dont on place l'existence
huit cents cinquante ans , ou environ , avant l'ère
vulgaire . Vous savez mieux que moi que ce Lycurgue
descendant des Héraclydes , respecta les autels des
Dieux et des demi - Dieux honorés dans la Grece ,
et qu'il tira même une grande partie de ses lois de la
( 294 )
Crete , si l'on en croit l'antiquité. Il songea si peu à
détruire les anciennes traditions , que , suivant quelques-
unes , il répandit le premier les poëmes d'Homere
dans la Grece . Des gens même qui voient
tout dans Homere , et avec autant de raison pour le
moins que ceux qui voient tout dans Lycurgue ,
n'ont pas manqué de nous apprendre que le poëte
avait servi de modele au législateur. Vous êtes
Trop instruits pour ignorer que les institutions de
Lycurgue recurent en divers tems des modifications
importantes. Platon et Plutarque après lui , nous
attestent que , cent vingt ans après l'époque où
on fait vivre ce législateur , on créa les éphores
pour opposer leur autorité à celle des rois , et du
sénat de Lacédémone . Enfin , le gouvernement de
Lycurgue ne subsista point pendant six siecles ,
comme vous paraissez l'insinuer ; je ne compte gueres
plus de quatre cents ans entre sa mort et les victoires
d Epaminondas , dont le génie terrassa celui de
Sparte à Leuctres et à Mantinée . Je pourrais même
vous observer qu'avant ces jours de leur décadence ,
les Spartiates ne méritaient plus d'être offerts comme
des modeles des moeurs républicaines . Je n'en veux
pour preuve que ce Lysandre qui établit le gouvernement
des trente tyrans à Athenes , et dont
l'avarice et la férocité l'ont fait mettre en parallele
avec Sylla par l'auteur de la Vie des grands hommes
en remontant plus haut encore , on trouverait peutêtre
dans la Laconie des coutumes et des idées fort
contraires aux vertus que nous attribuens à ses habitans.
Il me suffit d'observer que Lycurgue , au moins
dans les institutions religieuses dont j'ai voulu parler ,
( 295 )
ne fit aucune innovation essentielle , et que le tems
n'a gueres plus respecté son ouvrage , que celui de
tant d'autres législateurs à qui nous accordons moins
de génie.
Recevez les assurances de ma haute estime .
FONTANES.
>
OBSERVATIONS des Rédacteurs .
Nous remercions le cit . Fontanes d'avoir expliqué
ses intentions , et nous avons du plaisir à avouer
notre méprise. Il en résulte que nous avons un motif
de plus d'estimer l'auteur , et que Rousseau a un
censeur de moins . Si une méprise pouvait être excu
sable lorsqu'elle est partagée , nous dirions que
beaucoup d'auditeurs s'y étaient trompés comme
nous ; et cela peut arriver aisément , lorsque quelques
traits fugitifs d'un discours prononcé , peuvent être
applicables à l'un comme à l'autre de deux auteurs ,
dont les opinions sur I , démocratie se sont si fort
rapprochées que nous avons même cité Mably , en
parlant de Rousseau .
Quoi qu'il en soit , nous mettrons un peu moins
d'intérêt à défendre Mably que l'auteur d'Emile et
du Contrat Social. L'austérité de caractere et l'humeur
brusque et sauvage du premier se sont communis
quées trop souvent à son style ; et nous pensons ,
ainsi que le cit. Fontanes , qu'il est bien loin , comme
écrivain et comme philosophe , de l'élégance , de
l'aménité et de ce charme de philantropie que l'on
( 296 )
trouve dans Fénélón . Mais celui qui a fait les Entretiens
de Phocion , les Principes des Lois , le Traité des
Négociations , celui du Droit Public de l'Europe , et surtout
les excellentes Observations sur l'Histoire de France
dont le cit . Fontanes lui -même a parlé avec estime ,
n'est-il pas jugé aujourd'hui avec une sévérité qui
paraît tenir de l'injustice ? Peut- on refuser à l'auteur
de tant d'écrits estimables le mérite d'avoir montré
uné grande austérité de principes au milieu de la
plus excessive corruption , et une profondę admiration
pour les anciennes républiques au milieu de la
dégradation de la servitude et des abus du pouvoir
arbitraire dont il avait prévu la chûte prochaine . Les
amis de la liberté ne lui feront pas ce reproche , et
nous sommes convaincus que le cit . Fontanes pense
à cet égard comme tous les amis de la liberté .
Nous ne sommes pas plus curieux que lui d'engager
une querelle d'érudition , fort inutile , sur le point
de savoir s'il ya eu un ou plusieurs Lycurgues , lequel
a été le législateur , s'il a emprunté ses lois de la Crete ,
et combien de tems ont duré ces lois. Nous n'avons
voulu rappeller qu'un point de fait d'une vérité historique
, c'est que Lycurgue , en créant ses nouvelles
institutions , tourna le dos aux anciennes habitudes ,
et planta sa législation sur un sol neuf. S'il fallait
recourir à des autorités , nous citerions un témoignage
qui serait à nos yeux de quelque poids , c'est celui
de Xénophon qui assure positivement que ce législateur
ne prit aucun modele chez ses voisins , et adopta un
systême entierement opposé ( 1) .
(1 ) Rép. de Sparte , ch. Ier. , traduction de Gail .
Nous
( 297 ).
Nous ne nous occuperons pas de rechercher si
Lycurgue, était un descendant d'Hercule , fils de Jupiter
et d'Alcmene . Nous avons perdu un peu le goût des généalogies
, et il est probable que les Cherins de ce temslà
auraient été assez embarrassés d'établir cette filiation
, à laquelle il paraît que Lycurgue lui -même attachait
peu de prix ; car les historiens nous apprennent
que quoiqu'il fût du sang des rois qui régnaient à Lacemone,
qu'il n'eût tenu qu'à lui de l'être , néanmoins il
préféra à la royauté la gloire de fonder une république
sur des lois dont l'observation et la durée firent des
Spartiates le peuple le plus étonnant qui ait existé
dans l'antiquité . Il est vrai que l'austérité de ses institutions
déplut fort aux riches et aux grands de son
tems ; ils firent tous leurs efforts pour s'opposer à
leur établissement . Il y eut même un combat dans
lequel Lycurgue perdit un oeil' ; mais il ne triompha
pas moins des obstacles , et il est devenu , chez les
anciens et les modernes , plus célebre par ses institutions
, que par sa descendance très- fabuleuse des
Héraclides , et par ses droits à la royauté qu'il sut
sacrifier à la liberté de son pays.
Quant à la durée de ses institutions que nous avions
portée à plus de six cents ans d'après nos souvenirs
historiques , nous aurions encore quelque raison de
croire que nous ne nous sommes pas trompés . Rollin ,
qu'il est bon de citer encore , pense qu'elles ont
subsisté sans altération pendant plus de cinq cents
ans ; car Plutarque ne regarde pas l'établissement
des éphores comme une innovation dans la constitution
, parce que loin d'être , dit- il , un relâchement
de la discipline de Lycurgue , cette création n'en
Tome XXII. V
( 298 )
fut réellement qu'une extension ( 1 ) ; en quoi cependant
on pourrait n'être pas de l'avis de Plutarque .
S'il fallait en croire Cicéron , que nous pourrions
supposer meilleur juge que nous de la législation de
Sparte, les lois de Lycurgue auraient duré sept cents ans,
sans éprouver de changement . Voici comme il s'exprime
, dans son discours pour Flaccus , en parlant
des Spartiates Soli toto orbe terrarum septingentos
jam annos amplius unis moribus et numquam mutatis
legibus vivunt . Mais il y a apparence que Cicéron ,
dans ce passage , a un peu usé du privilége des
orateurs qui chargent ordinainairement le tableau
lorsqu'ils veulent produire un contraste .
t.
Au reste , que les lois de Lycurgue n'aient duré
que quatre cents ans , ou qu'elles en aient duré
sept cents , comme le prétend Cicéron , c'est pour
nous un point de fait très-indifférent à éclaireir . Nous
ne sommes point de ceux qui voient tout dans Lycurgue .
Plusieurs fois nous nous sommes élevés dans ce
journal et ailleurs , contre la manio d'aller chercher
dans les républiques de la Grece et de Rome , des
principes et des regles applicables à notre gouvernement.
Ceux qui ont un peu étudié l'histoire des révo
lutions anciennes et modernes , et qui en ont recherché
les causes et observé les effets , savent très- bien
qu'elles ont toujours été plus ou moins dépendantes
des circonstances des tems , des lieux , de la situation
politique , morale et religieuse , dans laquelle les
peuples se sont trouvés , et sur- tout du degré de
(1) Plut. , Vit. Lycurg. , pag. 58 , édit . de Xilandre.
( 299 )
lumieres auquel ils étaient parvenus . Il pourrait trèsbien
se faire que Lycurgue eût respecté les autels`des
Dieux et des demi- Dieux . Il avait affaire à un peuple
peu éclairé , très- superstitieux , et qui croyait aux
oracles . L'autorité religieuse était réunie à l'autorité
civile et politique ; ceux qui gouvernaient étaient à
la fois pontifes et magistrats ; il n'y avait point de
collège de prêtres , faisant classe à part dans l'Etat ,
se croyant indépendant de sa puissance , et moins
encore disposé à lui résister et à lui nuire . Les anciens
ne l'eussent pas mieux souffert que nous . Lycurgue
qui connaissait les préjugés de son siecle sut , en
homme habile , les mettre à profit pour donner
plus de force à ses institutions. Il fit approuver ses
lois par l'oracle et jurer les Spartiates de les observer.
Si Lycurgue eût été le législateur des Français , il est
propable qu'il n'eût pas eu recours aux oracles . Il
n'aurait pas mieux respecté les priviléges des prêtres ,
qu'il ne respecta les priviléges des grands de Lacédémone.
Le cit . Fontanes sait tout cela bien mieux
9 que nous et sur- tout l'aurait exprimé avec l'élégance
et le talent dont il fait preuve dans toutes ses productions
.
V
( 300 )
POÉSIE.
Chant du banquet républicain pour la fête de la Victoire ,
par LEBRUN , de l'Institut national ; musique de CATEL ,
du Conservatoire .
Nunc est bibendum , nunc pede libero
Pulsanda tellus .....
HORACE.
O JOUR d'éternelle mémoire ,
Embellis- toi de nos lauriers !
Siecles ! vous aurez peine à croire
Les prodiges de nos guerriers.
L'ennemi disparu , fuit ou boit l'onde noire .
Sous des lauriers que Bacchus a d'attraits !
Enivrons ; mes amis , la coupe de la gloire
D'un nectar pétillant et frais :
Buvons , buvons à la victoire ,
Fidelle amante du Francais ,
Buvons , buvons , etc.
! Liberté préside à nos fêtes ;
Jouis de nos brillans exploits . "
Les Alpes ont courbé leurs têtes ,
Et n'ont pu défendre les rois :
L'Eridan conte aux Mers nos rapides conquêtes.
Sous des lauriers que Bacchus a d'attraits !
Enivrons , mes amis , la coupe de la gloire
D'un nectar pétillant et frais :
Buvons , etc.
;
( 301 )
L'Adda , sur ses gouffres avides ,
Offre un pont de foudres armé : .
Mars s'étonne ! mais nos Alcides
Dévorent l'obstacle enflammé.
La victoire a pâli pour ces coeurs intrépides .
Sous des lauriers , etc.
Tout cede au bras d'un Peuple libre ,
Les rochers , les torrens , le sort :
De ces coups dont gémit le Tibre ,
Le Sud épouvante le Nord.
Des balances de Pitt nous rompons l'équilibre .
Sous des lauriers , etc.
Sa gaîté , fille du courage ,
Par un sourire belliqueux ,
Déconcerte la sombre rage
De l'Anglais morne et ténébreux .
Le Français chante encore en volant au carnage .
Sous des lauriers que Bacchus a d'attraits !
Enivrons , mes amis , la coupe de la gloire
D'un nectar pétillant et frais :
Buvons , buvons à la victoire ,
Bientôt nous boirons à la paix.
Buvons , buvons , etc.
Rival de la flâme et d'Éole ,
Le Français triomphe en courant :
Pareil à la foudre qui vole
Il renverse l'aigle expirant ;
Le despote sacré tombe du capitole.
Sous des lauriers que Bacchus a d'attraits !
Enivrons , mes amis , la coupe de la gloire
D'un nectar , etc.
V 3
( 302 )
Vils
tyrans , qu'un
flatteur caresse 9
Pâles d'un stérile courroux
Frémissez de notre allégresse .
Mais vous , Peuples , rassurez - vous ;
Partagez du Français la triomphante ivresse .
Sous des lauriers , etc.
Sous la main de nos Paraxiteles ,
Respirez , marbres de Paros !
Muses ! vos lyres immortelles
Nous doivent l'hymne des héros :
Il faut de nouveaux chants pour des palmes nouvelles .
Sous des lauriers , etc.
ANNONCE S.
LITTÉRATURE ÉTRANGERE .
Facts addressed to the serious attention of the People of Great-
Britain , etc. , ou Faits présentés à la sérieuse considération
du Peuple de la Grande- Bretagne , concernant les dépenses
de la guerre et l'état de la dette nationale , avec cette épigraphe :
Flagitio abditis damnum , ( HOR. ) . Par William Morgan , de
la société royale de Londres. Troisieme édition ; in -8° . de
48 pages. A Londres , chez J. de Brett Piccaditty. 1796 .
A Review of Dr. Pricès Writenge on the finances of Great-
Britain , ou Examen des écrits du Dr. Price sur les finances
d'Angleterre ; par William Morgan , etc. Deuxieme édition ;
in-8°. 2 sch . 6 den .
M. Morgan a ajouté à cet examen , 1º. les trois plans que
le D¹ . Price , son oncle , avait communiqués à M. Pitt , en
1786 , pour l'extinction de la dette nationale ; 2 ° . un compte
de l'état véritable du revenu public et de la dépense depuis
l'établissement du fond consolidé jusqu'à l'année 1791 ; 3º , et
( 303 )
un supplément pour complettér ce compte jusqu'en 1795 ,
dans lequel il a placé le tableau de la dette publique au commencement
de 1796.
A View of the relative state of Great-Britain et France , etc. ,
ou Tablean de l'état comparatif de la Grande- Bretagne et de
la France au commencement de l'année 1796. Deuxieme édi
tion. Prix , ' 2 schell . 6 den . A Londres , chez de Brett.
LIVRES FRANÇA Í s.
Essai sur la situation politique de l'Europe , suivi d'observa
tions et d'anecdotes sur le général Dumourier et sur ses mémoires.
Brochure in-8 ° . de 24 pages . Prix , 15 liv . et 5 liv .
de plus par la poste. A Paris , chez Couret-Villeneuve , li-.
braire , rue des Saints - Peres , nº . 9. L'an IV.
Cette brochure qui n'a que peu de pages , et dont l'auteur
ne s'est pas nommé , est d'un homme exercé sans doute à
porter un coup- d'oeil pénétrant sur les intérêts politiques de
l'Europe . Les talens militaires de Dumourier , ses campagnes,
ses fautes , son caractere y sont appréciés avec justice ét impartialité.
Cette brochure , très- bien écrite d'ailleurs , mérite
à tous égards d'être recherchée . Elle fait suite aux mémoires
de Dumourier.
Zilia , roman pastoral , par la cit . Beaufort ; avec romances
musique de Lambarelie. Un volume in - 12 . A Paris , chez
l'auteur rue Saint- Georges , chaussée d'Antin , nº . 19 ;
Desenne , palais Egalité ; et Mercier , rue du Coq - Honoré ,
n°. 120. 1796.
Etheliade , ou la recluse du lac , par Charlotte Smitth ; traduit
de l'anglais par M. de la Montague . Quatre volumes in- 12 .
Prix , 1000 liv . , et 1200 liv . franc de port . A Paris , chez
Fusch , libraire , rue des Mathurins , maison de Cluni. 1796.
V 4
( 304 )
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 30 mai 1796.
LA cour de Stockholm a fait annoncer à celle de
Schwerin qu'elle se trouvait dans la nécessité de différer
le mariage du jeune roi . C'est la santé de ce
prince qui est la cause avouée de ce retard . La cause
secrette , et qui probablement est la seule , on la trouve
dans le desir de donner à la Russie une marque de
déférence . On a donc été fort étonné d'apprendre
quelques jours après cette notification , que le baron
de Budberg , que l'on pouvait regarder comme le mi- .
nistre de l'impératrice , puisqu'il en remplissait toutes
les fonctions , quoiqu'il n'en eût pas déployé le caractere
, quittait Stockholm , et retournait à Pétersbourg.
On a dû voir dans ce brusque départ une
nouvelle preuve de mésintelligence , et un présage
presque certain de la guerre . Cependant quelques
bateliers s'étant adressés au régent pour savoir s'ils
pouvaient sans risque faire le voyage de Riga , en ont`,
reçu une réponse affirmative , qui raffermit dans leurs.
conjectures les politiques , amis de la paix .
"
On mande de Copenhague le fait suivant , qui
ajoute aux preuves que les Anglais donnent depuis
( 305 )
long- tems de leur peu d'égards pour le droit des
nations :
Un brick armé hollandais mouillait avec un cutter
français et quatre prises , aux mouillages d'Egwog et
de Fahrsund , près de Christiansand : pendant que
plusieurs autres vaisseaux de guerre anglais se tenaient
en station à la hauteur du port , une frégate
et un brick de la même nation ont eu l'audace d'y
entrer , et d'enlever les bâtimens hollandais et français
. L'équipage du brick hollandais s'est sauvé à
terre , mais les officiers ont été faits prisonniers. L'escadre
, dont la frégate fut détachée pour exécuter ce
coup violent , était composée , dit - on , de 15 vaisseaux
de guerre , tant Russes qu'Anglais . Le lieutenant- colonel
Bick qui commande sur cette côte , en a fait surle-
champ un rapport au collège de la généralité ;
celui - ci l'a d'abord envoyé au premier ministre
Bernstorff. Le ministre de France , Grouvelle , avait
aussi reçu , sur cette événement , une estafette de la
part du vice-consul .
On doute d'autant moins que le gouvernement danois
ne mette beaucoup d'énergie à poursuivre la
satisfaction de cet attentat , qu'indépendamment de
ce que le soin de sa propre dignité lui en fait un
devoir , il paraît disposé à saisir toutes les occasions
de resserrer la bonne intelligence qui subsiste entre
lui et le gouvernement français . On a une nouvelle
preuve de cette disposition dans le choix qu'il vient
de faire , dit- on , du chambellan Wattersdorff , cidevant
gouverneur de ses isles en Amérique , pour
son ministre à Paris.
L'empereur a imité les deux cours avec lesquelles
( 306 ).
1
il a partagé la Pologne . Il vient de prendre solęmnellement
possession de son lot. C'est le baron de
Margolick qui l'a représenté dans cette cérémonie ,
et qui a reçu , en son nom , le serment de ses nou .
veaux sujets .
Le baron de Vins , qui commanda , pendant la derniere
campagne , l'armée coalisée en Italie , a été
nommé général en chef de la force armée dans les
deux Gallicies , et réside à Cracovie .
Cette ville offre un spectacle de tolérance qui doit
beaucoup plaire aux regards du philosophe .
Les Catholiques et les Grecs y vivent dans la meilleure
intelligence. La semaine derniere , un Grec
mourut ; il avait fait trois legs considérables ; l'un
pour les pauvres Catholiques . le second pour l'église
allemande , et un troisieme pour l'église grecque . Les
partisans des trois religions ont accompagné le corps
ensemble et religieusement jusqu'à l'endroit de sa
sépulture .
I On mande de Thorn que le 1 ". de ce mois il y
est arrivé huit individus arrêtés à Varsovie : ils étaient
escortés par un fort détachement , et ont été aussi- tôt .
déposés dans une des prisons . Voici leurs noms : le
ci-devant général-lieutenant Gielgud , le ci- devant
inspecteur et général- major Grabowski , le chabellan
Grosmanni , un nommé Dunkerquen , les négocians
Rose et Braun , etc .; on a mis le scellé et enlevé tous
les papiers qui se sont trouvés chez eux . Ce qui a
donné , dit- on , lieu à cette arrestation , c'est que le
cabinet de Berlin a été informé par des Polonais qui
se sont fixés dans le Brandebourg , qu'il se tramait .
encore quelque projet pour faire éclater de nouveaux
( 307 )
troubles en Pologne . En conséquence , outre ceite
mesure , l'on a redoublé les précautions à Varsovie
tous les postes ont été renforcés , et des patrouilles
nombreuses parcourent les rues . Cependant jusqu'à
l'époque du 30 avril , la tranquilité n'avait pas cessé
de régner.
L'on écrit de la Volhinie , que le général en chef
Suwarow est déja arrivé à Tulczyn , château appartenant
au comte Potocki , qui s'est rendu fameux par
la confédération de Targowitz dont il était le chef.
Des lettres de Varsovie du 4 , portent que
l'on a
reçu dans cette ville la nouvelle que les troupes
russes , sous les ordres du général Valerien Subow ,
continuent avec succès leurs opérations contre les
hordes de Persans vagabonds . Elles se sont déja emparées
de la place importante de Derbent , située sur
les bords de la mer Caspienne , dans la partie septentrionale
de la province de Sirvan. Cette forteresse
est environnée de toutes parts de hautes montagnes
, et c'est la seule issue par laquelle on puisse
pénétrer de ce côté dans la Perse ..
Les lettres de Constantinople portent que , malgré
les grands préparatifs hostiles que fait la Porte , le
divan paraît desirer que la guerre ne s'allume pas
dans ce moment ; elles ajoutent que l'influence de la
Russie est prédominante . La derniere partie de ce
rapport paraît être démentie par les nouvelles suivantes
, que nous sommes fort éloignés de garantir
dans tous les détails , mais qui , en en supprimant ce
qui peut paraître exagéré , suffisent cependant pour
faire croire que c'est la France qui jouit à Constaninople
d'une véritable prépondérance .
( 308 )
Il y a quelque tems que l'escadre française s'empara,
dans l'Archipel , de deux bâtimens prussiens ,
et que l'ambassadeur de Prusse fit de vains efforts
pour en obtenir la restitution . Cependant le ministre
Verninac a cru devoir ensuite établir une commission
de négocians français pour examiner cette affaire.
Cette commission vient de déclarer que les bâtimens
étaient de bonne prise ; en conséquence , ils seront
mis en vente incessamment avec tout ce qu'ils contenaient.
Les bâtimens pris ont été amenés ici par la frégate
française le Rossignol , la même qui échappa à la chasse
que lui donna l'escadre anglaise sous le canon du
château de Smyrne . Les Turcs ont fait aussi- tôt après
l'acquisition de cette frégate , ainsi que d'une polacre
; et maintenant ils sont occupés à armer ces deux
bâtimens pour courir sus aux navires des puissances
en guerre qui ne voudraient pas respecter la neutralité
de la Porte . Cette acquisition et cet armement ne
se sont faits qu'à l'instigation du ministre français , et
les ministres de la Porte , ort , à ce qu'on assure , appuyé
et approuvé le jugement rendu contre les bâtimens
prussiens . Unė pareille condescendance envers
les Français indispose , comme on peut le croire,
les cours alliées .
Une autre affaire , qui a eu lieu ces jours - ci , a dân
encore augmenter le mécontentement déja très - prononcé
des ministres de ces cours . Le ministre français
avait fait arrêter , dans la maison même de l'internonce
impérial , un individu allemand qui était sous la protection
de cet ambassadeur, et il le fit conduire par ses
propres janissaires à l'hôtel de France. Ce ne fut
J
( 309 )
qu'après des instances réitérées , que M. le baron de
Herbert put faire relâcher cet individu ; mais malgré
toutes ses représentations près la Porte , il ne put
obtenir la satisfaction qu'il réclamait.
Le bruit se répandit , il y a quelque tems , que les
Russes s'étaient emparés de Choczim . Voici ce qui y
a donné lieu : Le pacha de cette place , informé que
les Russes rassemblaient des forces aux environs de
Zwanixcs , expédia aussi- tôt un courier à Constantinople
, pour y demander des secours en cas d'attaque
; il ajoutait qu'il n'avait pas assez de troupes
pour se défendre . Le divan , ombrageux comme de
raison , crut voir dans cette demande du pacha une
intention perfide de livrer Choczim aux Russes ; et au
lieu de lui envoyer des troupes , il dépêcha vers lui
un capigi- bachi avec l'ordre de lui couper la tête ;
mais le pacha , prévenu à tems , se hâta de passer chez
les Russes .
De Francfort-sur-le- Mein , le 30 mai.
Les dernieres nouvelles que l'on avait reçues de
Vienne avaienr fait présager la prochaine rupture de
l'armistice . Elle a été en effet annoncée aux généraux
français par les généraux autrichiens , et c'est demain
ou après que les hostilités doivent recommencer . Les
mesures prises de part et d'autre , et pour l'attaque
et pour la défense , sont également formidables ;
mais la disposition des esprits ne peut être la même .
Quelques précautions que l'on ait prises pour empêcher
que les nouvelles d'Italie ne parvinssent
jusqu'aux armées impériales qui sont sur le Rhin , ou
( 310 )
I
pour les leur présenter d'une maniere favorable , fl
paraît que la vérité a pénétré dans leur camp ; et en
considérant quelle est l'espece d'hommes dont elles
sont composées , quel est l'intérêt qui peut les animer,
on est porté à croire qu'elles sont fort décou
ragées ; les mêmes observations faites sur les armées
françaises donnent un résultat absolument contraire .
C'est avec inquiétude , c'est avec effroi que l'Allemagne
attend les premiers événemens de la campagne
; on croit qu'ils seront décisifs .
La cour de Vienne a donné des ordres pour faire
passer des renforts à l'armée de Beaulieu . On les
tire de la Styrie , de la Carinthie , de la Carniole et
du Tyrol ; et on les fait avancer à marches forcées .
Mais ces mesures sont trop tardives , et les revers
éprouvés en Italie paraissent irréparables .
On mande de la même ville qu'il y a eu de grands
changemens dans le ministere . Le baron de Thugut ,
ci-devant ministre des affaires étrangeres , a été nommé
ministre du cabinet ; le comte de Lehrbach lui
succede dans le département des affaires étrangeres ;
le comte de Rochenhan , chancelier de cour , est
nommé ministre des conférences ; et le comte de
Colloredo , grand - chambellan .
ITALIE. De Milan , le 11 mai.
La cour partit lundi de Milan à une heure après-midi .
L'archiduc et l'archiduchesse pleuraient. La multitude qui
remplissait les rues et les places de la cathédrale et de la
cour , parlait tout bas , mais ne donna aucun signe de tristesse
ni de joie. Les Minalais qui ont suivi la cour sont en
bien petit nombre. Il n'y a d'émigrés que Pazzi et d'autres
personnes qui arrêterent Semonville , et les rédacteurs de
la gazette ministérielle .
( 311 )
Aujourd'hui après dîner , il y avait au cours de Porte-
Romaine , une foule innombrable qui s'y était rendue dans
l'idée de voir arriver les Français . On apperçut d'abord
un petit nombre de cocardes nationales ; mais bientôt
elles se multiplierent tellement , qu'elles semblaient
naître de la terre ou pleuvoir du ciel ; la moitié des spectajeurs
en étaient décorés. Hier on a ôté les armes impériales
de plusieurs édifices publics. On a affiché au palais de
la cour un avis portant liaison à louer , les clefs chez le
commissaire Salicetti. Beaucoup de nobles ont fait dégalonner
leurs livrées et ôter leurs armoiries des voitures et des maisons .
Les milices civiques font de nombreuses patrouilles et maintiennent
la tranquilité et le bon ordre . Leur formation avait
été ordonnée dès dimanche , par un édit au nom de l'empereur
; mais personne ne voulait y entrer et les courtisans
seuls se faisaient inscrire ; depuis le départ de la cour , les
représentans de la ville ayant renouvellé l'ordre , tout le
monde veut faire le service , et ce qu'on n'avait jamais vu
jusqu'à présent , les nobles , les conseillers , les notables de
toute espece servent aussi comme simples soldats .
Il vient d'arriver des commissaires français pour faire préparer
des logemens ; cela donne lieu de croire que les troupes
arriveront demain . Depuis deux jours notre ville est entieres
ment changée ; on y voit une union , un mouvement , unë
liberté qui y étaient inconnus auparavant .
1
Le 14 mai. A l'approche des armées françaises , le gouvernement
s'est rendu à Mantoue après avoir établi une junte
provisoire pour la direction générale des affaires . Cette junte
est composée des trois présidens du tribunal suprême , du
tribunal d'appel et de celui de premiere instance , ainsi que
du président du magistrat . Elle est obligée de référer au gouvernement
dans les cas importans où il n'y a pas urgence ,
autant que les circonstances de la guerre pourront le permettre
.
La milice bourgeoise de cette ville a été mise en activité de
service pour le maintien de la tranquillité publique .
Aujourd'hui l'arbre de la liberté a été planté en grande céré
monie sur la place du Dôme.
On attendait d'un moment à l'autre l'arrivée de l'armée française
, commandée par le général Massena ; en conséquence ,
la municipalité et les autres corps administratifs sont allés audevant
d'elle , à la porte de Rome ; et en effet sur les 11 heures
du matin , le général Massena a fait son entrée publique dans
la ville , à la tête d'un corps de troupes.
( 312 )
Les généraux français font observer par- tout la plus exacte
discipline , et la peine de mort est infligée à tous les militaires
qui se permettraient quelqu'insulte grave contre les
habitans.
De Venise , le 13 mai.
Le duc de Modene s'est retiré dans cette ville , àccompagné
de sa soeur. On dit qu'il a emporté des trésors considérables .
Notre gouvernement a nommé , selon l'usage , deux deputés
nobles pour l'accompagner. Mais il est douteux qu'il les accepte
; et l'on présume qu'il se renfermera dans l'incognito .
Il vient de paraître tout- à-coup dans la mer Adriatique une
flotille de corsaires français patentés , qui enlevent tous les
bâtimens romains et napolitains.
RÉPUBLIQUE BATAVE.

ASSEMBLÉE NATIONAL E.
DE LAHAYE 9 le 22 mai.
Du 8 mai. Les séances de l'assemblée nationale batave ont
été depuis quelques jours d'un grand intérêt . Plusieurs membres
ont fait des motions tendant à augmenter l'étendue des pouvoirs
de l'assemblée et à modifier le réglement d'après lequel
elle a êté convoquée . Cette affaire a été renvoyée à l'examen
d'une commission . Des discussions relatives à l'armement des
citoyens ont donné une durée de sept heures à sa séance du 6
de ce mois . L'armement a été décrété , ainsi qu'une adresse
à la nation batave , et une missive aux autorités constituées sur
le même objet.
Il s'agissait d'une émeuté ou soulevement armé , qui venait
d'avoir lieu dans la ville d'Amsterdam , ainsi que d'une mesure
prise sous l'approbation du président de l'assemblée nationale
, pour rétablir l'ordre dans cette grande ville . Une partie
des compagnies de canonniers de la milice bourgeoise y avait
commis de si grands excès , en assommant des citoyens et
en se permettant d'autres violences , que la municipalité en
avait ordonné le désarmement par une ordonnance publiée
le 10 mai . Il s'en était ensuivi , que les mêmes canonniers ,
au nombre d'environ 300 hommes , s'étaient rassemblés ,
avaient pénétré dans la maison- commune ou hôtel - de -ville ,
avaient forcé la chambre du conseil , menacé les membres ,
mis sur - tout la vie du président en danger , refusé toute
obéissance
( 313 )
1
obéissance aux autorités constituées , forcé également la prison
criminelle , en avaient retiré deux prisonniers appartenant à
la cavalerie bourgeoise , et détenus pour avoir mortellement
blessé un citoyen paisible , il y a quelques mois ; qu'ils s'étaient
fait ouvrir de même la maison - de -force , et en avaient
fait sortir un ci-devant membre de club , condamné à y être
enfermé pour trouble apporté à l'ordre public. Une partie
de la cavalerie bourgeoise , même un nombre de la milice ,
bourgeoise à pied , avaient paru ne point vouloir s'opposer à
ces désordres : c'était dans ces circonstances que quelques
membres de la municipalité d'Amsterdam étaient venus demander
des forces militaires , pour prévenir le bouleversement
de l'ordre public dont la ville était menacée , et que
l'administration provinciale de Hollande , à qui appartient le
droit de disposer des troupés dans son enceinte , pour le
maintien du repos et la repression des émeutes ou révoltes ,
s'était adressée au président , pour obtenir son consentement,,
afin d'employer , dans l'occasion presente , une partie de la
garnison de la Haye , à laquelle il ne peut être donné des
ordres sans l'aveu du président de l'assemblée nationale ; il
l'avait donné , et en rendit compte à l'ouverture de la séance :
les citoyens Vreede , Valokenaer et quelques autres crurent
pouvoir censurer la conduite du président , donnant entre
autres pour raison , que des querelles civiles , des contestations
entre bourgeois ne devaient pas être appaisées par la
force militaire . Ce ne fut pas le sentiment du très -grand
nombre de l'assemblée , qu'un tel principe fût applicable au
cas où la vie même des autorités constituées avait été mise
par une troupe armée dans le danger le plus évident : une
pluralité de 69 voix contre 27 justifia pleinement la conduite
du président , qui pendant le tems de ces longues et vives
discussions conserva sa place avec tranquillité , et ne répondit
qu'en très- peu de mots au moment qu'on alla procéder à
l'appel nominal .
Dans la même séance il a été résolu de rendre mobile l'armée
de terre de la république , etc.
Du 15. L'assemblée nationale batave s'est long-tems occupée
de deux questions importantes :
1º. De savoir si Beurnonville aurait le généralat de l'armée
batave , conformément à l'article du traité qui porte que
les forces combinées des deux républiques seront commandées
par un commandant français ;
20. Si larmée combinée serait mise incessamment en
activité .
Tome XXI . X
( 314 )
Cette derniere proposition a été décrétée dans la séance
du 12 mat.
Da 17. Sur une nouvelle lettre , que le général de Beurnonville
avait écrite pour demander une prompte disposition ,
et dont le comité de la confédération fit part à FAssemblée
à l'ouverture des délibérations , il fut résolu de conférer à ce
général le commandement en chef de l'armée batave , à l'exception
de cinq mille hommes , qui resteraient à la disposition
de l'Assemblée nationale de cette république .
Du 20. Le même général annonce qu'il a fait marcher pour.
Amsterdam un bataillon d'infanterie et un escadron de hussards
, après en avoir prévenu la municipalité de cette ville ;
il prie ensuite l'assemblée de considérer s'il ne serait point
utile d'y envoyer un commandant temporaire , tel qu'il s'en
trouve à Bréda , à Gorcum , etc .; de choisir ce commandant ,
non parmi les 25 mille Français à la solde de la Hollande ,
mais dans les corps qui sont dans la Belgique ou ailleurs . Après
de longs débats , cette proposition a été renvoyée au comité
d'union , en vertu du résultat d'un appel nominal , qui adonné
43 voix , contre 41 , en faveur du renvoi .
La municipalité d'Amsterdam a fait quelques démarches pourexempter
la ville de recevoir garnison ; mais le général Beurnonville
lui a répondu que le plan de campagne qui venait
d'être formé ne permettait pas de changer cette mesure ; qu'il
allait tracer une ligne depuis le Heider jusqu'au Dollat ; qu'en
conséquence , il était indispensable de placer à Amsterdam.
douze à quatorze cents hommes ; que le quartier-général serait
à Groningue , et que du reste il ne prétendait se mêler d'aucune
dissention intestine. On attend incessamment à Amsterdam
les troupes annoncées ; il a été préparé pour elles des casernes
pourvues du nécessaire .
-
ANGLETERRE. De Londres , le 30 avril.
On a fait un relevé de tous les vaisseaux marchands que les
Français nous ont pris , ainsi qu'à nos alliés , dans le cours
de la guerrre actuelle , jusqu'à la fin de l'année derniere . Il
en résulte que les Français se sont emparés de 2099 bâtimens
, dont 119 seulement ont été repris , et qu'ils n en ont
perdu que 319. Ainsi le nombre de leurs prises excede le
nôtre de 1491.
D'après le relevé de la liste du café Lloyd , en 1794 , il
résultait que , depuis le 1er . février 1793 jusqu'au 26 décembre
1794 , les Français avaient pris 957 bâtimens ainsi , dans
le courant de 1795 , ils en ont pris 1142 .
( 315 )
Du 4 mai. On sait quelle vive opposition a essuyé en Amérique
le traité conclu entre M. Jay et lord Grenville . Le
24 mars , la chambre des représentans a pris une résolution
dont l'objet est d'obtenir une copie des instructions données
à M. Jay , relativement à ce traité . Le président des Etats-
Unis a fait à cette demande une réponse dans laquelle il insiste
sur la prudence et le secret necessaires aux négociations
extérieures . Il prétend que reconnaître à la chambre des
représentans le droit d'avoir communication de tous les
papiers relatifs à une négociation étrangere , serait établir un
dangereux exemple ; que l'examen des papiers demandés net
peut offrir à la chambre rien qui appartienne immédiatement
à sa connaissance , à moins qu'elle n'ait en vue quelqu'acte
d'accusation , ce que la résolution de la chambre n'a point
exprimé. Son excellence déclare qu'il ne prétend refuser
aucun des éclaircissemens que le bien public peut exiger , et
que dans le fait , tous les papiers concernant spécialement la
négociation étaient mis sous les yeux de la chambre avec le
traité . Il a conelu en refusant de souscrire à la demande de la
chambre des représentans.
La réponse du président a été immédiatement rapportée à
un comité de toute la chambre .
Du 6. L'amiral Pringle , montant le Tremendous , de 74 canons
, a mis à la voile dimanche matin pour le cap de Bonne-
Espérance. Les bâtimens destinés pour les Indes partent sous
le convoi de Brunswick , de 74 , et du Trident , de 64.
Le lord Macartney est rappellé . Il doit être maintenant en
route pour revenir en Angleterre .
Suivant la liste de Lloyd , quatre bâtimens de la derniere
flotte expédiée pour les Indes occidentales ont été pris par les
Français .
Plusieurs bâtimens de la flotte partie le 1er . mai de Portsmouth
pour Québec , ont été capturés par le Patriote , corsaire
français de 14 canons. Ce corsaire a pris , entre le 28 avril et
le 4 mai , huit bâtimens , savoir : La Loyanté , de Stockton ; la
Liberté , de Sunderland ; la Recouvrance , de Whitby ; le Kent,
de Londres ; la Diane , de Lynn ; l'Atlas , idem ; les Amis ,
de Sunderland ; la Navigation , de Londres .
C'est le même corsaire qui , il y a environ trois semaines ou
un mois , a fait plusieurs prises dans Mount-Bay.
Du 20. Le roi s'est rendu hier à 9 heures au parlement , et
l'a prorogé. Aujourd'hui il en a fait proclamer la dissolution .
C'est une forme usitée pour le maintien de la prérogative à l'expiration
de la 7. et derniere année de la session parlementaire.
X :
( 316 )
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
CORPS LÉGISLATIF.
Séances des deux conseils , du 5 au 15 prairial.
La loi du 3 brumaire dit que les freres et beauxfreres
d'émigrés , et les allies aux mêmes degrés ne
pourront remplir aucune fonction administrative ,
municipale ou judicaire. Cette disposition a fait naître
dans plusieurs départemens la question de savoir si
les époux des soeurs des femmes d'émigrés sont compris
dans cette loi . Le Directoire à qui elle a été
proposée , n'ayant pas jugé être dans le cas de la résoudre
, s'est adressé au conseil des Cinq - cents , qui
sur la proposition du rapporteur de la commission
ad hoc , passé à l'ordre du jour , motivé sur ce que
l'intention de la Convention n'a pas été de les y
comprendre , attendu que c'est une maxime constante
que l'affinité n'en produit pas une autre .
Les commissaires surveillans de la trésorere nationale
pour le conseil des Cinq cents , sont Camus ,
Fermond , Monnot , Colombel et Balland .
Un membre , par motion d'ordre , dénonce toutes
les dilapidations et les actes arbitraires dont se rendent
coupables depuis long-tems les huissiers dans la
signification et l'expédition des exploits . Il demande
qu'il soit pris au plutôt des mesures repressives contre
ces abus. Une commission est nommée pour examiner
ces observations.
Dauchy , au nom de la commission des finances ,
soumet à la discussion le projet relatif au paiement de
la contribution foncière pour l'an IV. Il porte en
substance qu'elle sera de trois cents millions , comme
l'année précédente , et payée moitié en nature ,
moitié en mandats . Dubois - Dubays demande par.
amendement que le paiement soit fait entierement
en mandats , sur le prix de la valeur du froment en
( 317 )
1790. Thibaut et Bourdon l'appuient , parce que
cette mesure leur paraît propre à rendre les mandats
nécessaires aux propriétaires et aux fermiers . Elle est
adoptée.
Bef oy , organe de la même commission , dit que
la malveillance prétend que l'échange des assignats
contre les mandats à trente capitaux pour un , tel
qu'il a été réglé par le Directoire , ne pourra s'effectuer
du 16 au 25. Il déclare qu'il y a dans Paris
cent trente - un bureaux , et qu'en admettant seize citoyens
par heure , à chacun d'eux , on peut échanger
par jour près de six milliards , et qu'ainsi l'échange
total peut être consommé dans les quatre premiers
jours , en supposant même que tous les assignats en
circulation soient à Paris . Impression.
En exécution de l'article CCLVII de la constitution ,
le tribunal de cassation se présente à la barre pour
rendre compte de l'état de ses jugemens depuis le
1er. germinal de l'an passé , jusqu'au 30 ventôse dernier
; il y en a eu 2679 , dont voici les principaux :
la section des mémoires en a admis 484 et rejetté 436 ,
celle des contestations a reçu 510 requêtes , elle en
a rejetté 105 ; la section civile a prononcé 190 cassations
et rejetté 400 demandes environ ; la section cri
minelle en a prononcé 247 et rejetté 500 .
Il est beau pour des magistrats fideles , a dit ensuite
l'o.ateur , le jour où le compte de ce qu'ils ont fait
leur est demandé ; voici le nôtre : nous le rendons
à vous , au peuple , à la loi . Nons attachons avec plaisir
le gage de notre zele au berceau de la République ;
il est orné des trophées de la victoire , ceux de la
justice doivent y ajouter un nouvel éclat .
Le président : Le conseil a entendu le compte que
vous venez de lui rendre ; il le fera examiner.
La députation se retire .
Mathieu : Cette démarche ne doit point être un vain
cérémonial ; il faut que vous examiniez le compte
qui vient de vous être rendu j'en demande l'impression
et la distribution à tous les membres. Adopté.
Une députation du tribunal de cassation vient
rendre compte au conseil des Anciens des travaux de
X 3
( 318 )
ce tribunal . Il a pendant l'année qui a commencé au
30 ventose de l'an III , et fini au 3o ventôse de l'an IV ,
2679 jugemens .
Si vous veillez à la confection de la loi avant qu'elle
soit rendue , a dit au conseil l'orateur de la députation
, nous veillons à son application lorsqu'elle est
faite. Cette analogie , en nous montrant nos devoirs ,
nous offre des modeles à imiter.
Le tribunal de cassation , a répondu le président ,
a traversé avec honneur la révolution entiere , Continuez
la même marche , citoyens . Le conseil regrette
que la constitution ne lui permette pas de vous inviter
à sa séance.
(
Le compte rendu par le tribunal de cassation sera
mprimé.
Sur le rapport de Thibault , au nom d'une commission
, le conseil approuve la résolution qui met
une somme de cinquante millions à la disposition du
ministre de l'intérieur. Le conseil s'est décidé pour
l'approbation , sur le compte que lui a rendu sa commission
que les fonds précédemment mis à la disposition
du même ministre avaient été employés .
Diverses commissions sont chargées d'examiner plusieurs
résolutions que le conseil des Anciens a reçues
aujourd'hui de celui des Cinq - cents .
La commission à laquelle est renvoyée la résolution
qui accorde des délais pour la réclamation des
biens des condamnés et déportés , ou pour la répétition
de la valeur de ces biens lorsqu'ils auront été
vendus , sera composée des citoyens Lanjuinais , Ysabeau
, Delâtre , Lafond et
Lanjuinais a trouvé que cette résolution contenait
des articles violateurs des principes .
Sur le rapport d'une commission , le conseil a
approuvé une résolution qui fixe à Lille l'école centrale
du département du Nord .
Poultier , au nom d'une commission , fait un rapport
sur la résolution qui appelle six anciens membres de
la Convention nationale , à completter le Corps légis(
319 )
latif. Voici comme le rapporteur justifie la résolution
:
Le Corps législatif est-il complet ? Non. Une liste
dressée par deux commissions successives , prise dans
le conseil des Cinq- cents , et vérifiées par le conseil
lui -même , constate qu'avant le 15 brumaire il y avait
dix-neufplaces vacantes dans le Corps législatif, dont
io par démission , 2 par mort et 7 par les nominations
au Directoire ou aux ministeres .
Le Corps législatif doit- il être completté ? Oui , car
ces places ont vaqué avant le 15 brumaire.
Par qui ces places doivent - elles être remplies ?
Par ceux des ex -membres de la Convention qui ont
réúní le plus de voix dans l'assemblée électorale ,
après ceux qui ont été définitivement elus . C'est la
disposition précise de la loi du 30 vendémiaire .
Il ne restait au rapporteur qu'à proposer d'approuver
la résolution ; mais auparavant , il a voulu
répondre à une objection qui avait été faite d'avance :
on avait dit que les places vacances appartenaient aux
députés de la Corse et des colonies qui n'étaient point
encore arrivés en Fiance .
Poultier a soutenu le contraire , en disant que les
députations de la Corse et des colonies avaient été
comprises dans le complément général du Corps législatif
, opéré le 4 brumaire par l'assemblée électorale
de France . Les places , a- t-il ajouté , des nowveaux
députés de la Corse et des colonies sont provisoirement
occupées dans le Corps législatif par les
anciens députés de ces pays à la Convention nationale
. D'ailleurs , les démissionnaires ou les morts
qu'il s'agit de remplacer n'appartenaient pas plus à
la Corse et aux colonies qu'aux départemens continentaux.
Ce ne sont point des députations particu
lieres qu'il s'agit de completter , mais le Corps législatif
, c'est-à- dire l'autorité qui représente la France
entiere .
Quelques journaux avaient publié que les six membres
qui sont appellés à completter le Corps législa
tif, étaient impliqués dans la conspiration de Baboeuf.
X 4
( 320 )
A
Les renseignemens pris chez le ministre de la police
ont prouvé que c'était une calomnie .
La commission propose d'approuver la résolution .
Le conseil en ajourne la discussion à 24 heures après
l'impression du rapport.
Doulcet , au conseil des Cing - cents : C'est demain
la fête des victoires ; la constitution a sagement voulu
que le Corps législatif ne pût assister à aucune cérémonie
publique ; mais il n'y a aucun de nous qui
ne desire pouvoir prendre part individuellement à
la fête des victoires . Je demande qu'il n'y ait pas de
séance demain . Adopté.
On réclame contre la résolution sur la contribution
fonciere après de longs débats , le conseil y persiste,
et autorise néanmoins le Directoire à percevoir cette
contribution en nature dans les lieux où il le jugera
convenable pour l'approvisionnement des armées .
La fête des victoires a été célébrée aujourd'hui
avec beaucoup de pompe. Le teurs n'était peut-être pas au oncours
des spectaconsidérable
qu'on
l'a vu dans des occasions semblables . A dix heures
du matin , une salve d'artillerie a annoncé cette solemnité
. A midi , une autre salve s'est faite , et le
Directoire , accompagné des ministres , des ambassadeurs
et de diverses s'est avancé dáns le champ rités constituées ,
Mars . Au centre de ce
champ était une plate - forme où le Directoire et son
Cortége ont trouvé des siéges richement décorés . La
statue de la Liberté s'élevait entre deux Victoires ou
renommées des parfums brûlaient sur des trepieds
antiques .
Des peupliers symmétriquement plantés dans le
champ , et liés par des guirlandes de feuilles de
chênes , portaient les noms des quatorze armées républicaines
, des régimens qui les composent et des
départemens . Le talus qui entoure le champ était
garni de tentes . L'armée de l'intérieur a fait diverses
évolutions et manoeuvres. Le président du Directoire
a couronné les drapeaux des quatorze armées . Des
symphonies , des chants civiques et des décharges
d'artillerie ont précédé , accompagné et terminé la
cérémonie .
( 321 )
Sur le rapport d'une commission particuliere , le
conseil arrête dans sa séance du 11 , que l'exception
contenue dans l'art . VI de la loi du 22 fructidor
an 3 n'est pas applicable à ceux des ecclésiastiques
qui par leur âge étant sujets à la réclusion ont neanmoins
préféré la déportation , et en ont fait la déclaration
conformément à l'art. II de la loi du 28 août
1792 ; ainsi , leurs biens seront rendus à leurs héritiers,
Regnier fait au conseil des Anciens un rapport sur
la résolution qui porte que les demandes en cassation
formées contre les jugemens d'arbitrage forcé , rendus
en matiere de biens communaux avant le 1er , vendémiaire
de l'an IV , ont toujours pu et doivent être
admises par le tribunal de cassation , et accorde un
nouveau délai de 3 mois , pour se pourvoir en cassation
contre ces jugemens.
La commission a trouvé que la résolution était
extrêmementjuste . Le recours en cassation pour raison
de la violation des formes , est un principe constitutionnel
, consacré même par le code anarchique de
1793. Cependant le tribunal de cassation avait douté
jusqu'à présent s'il pourrait admettre des demandes
coutre les jugemens rendus par arbitrage forcé en
matiere de biens communaux . Ce doute des juges
eux-mêmes a arrêté les citoyens qui avaient à former
de pareilles demandes. Les délais pour se pourvoir
en cassation sont passés , et la loi interprétative que
l'on rendrait aujourd'hui ne serait d'aucun avantage ,
si l'on ne les relevait de la proscription qu'ils n'ont
encourue que par leur incertitude et, par l'embartas
où se trouvent les juges eux- mêmes , de la nécessité
de l'article 2 de la résolution qui accorde un nouveau
délai de 3 mois , à compter de la publication de la
nouvelle loi , pour se pourvoir en cassation .
La commission propose d'approuver la résolution.
Le conseil l'approuve. dena
Il donne également sa sanction à la résolution du
11 , interprétative de la loi du 22 fructidor , relative ,
ment aux biens des prêtres déportés .
La citoyenne Drouet expose au conseil des Cinqcents
que depuis le moment de l'arrestation de son
{
( 321 )
époux , elle n'a cessé de solliciter la permission de
le voir. Elle s'est adressée successivement pour cet
objet au Directoire et au conseil qui se sont renvoyés
l'un à l'autre sa pétition . Elle demande qu'on détermine
l'autorité qui doit en connaître. Renvoi au
Directoire.
Un membre dit qu'une loi du 22 frimaire an III ,
ordonne que plusieurs bâtimens et jardins adjacens
au Muséum d'histoire naturelle y seront réunis .
Comme cette réunion est très -urgente pour l'utilité
de cet établissement , il propose d'autoriser le Directoire
à acquérir , soit par achats , soit par échanges
, lesdits bâtimens énoncés dans la loi ci - dessus .
Cette proposition est adoptée .
Le conseil des Anciens entend le rapport fait par
Regnier sur la résolution qui porte que les demandes
en cassation formées contre les jugemens d'arbitres
forcés , rendus en matière de biens communaux avant
leer, vendémiaire de l'an IV , ont toujours pu et
doivent être admises par le tribunal de cassation , et
accorde un nouveau délai de trois mois pour se pourvoir
en cassation contre ces jugemens . La commission
trouve que la résolution est juste , le recours en
cassation pour la violation des formes étant un principe
constitutionnel , et propose de l'approuver ; ello
est adoptée .
L'ordre du jour appellant dans le conseil des Cinqcents
la discussion sur les prévenus de massacres dans
la commune de Lyon . Darrac dit que la commission
a été partagée d'opinions . Dumolard a rendu compte
de celle de la majorité ; il va parler de celle de la
minorité , mais il annonce qu'il sera long. Le conseil
ajourne la discussion , et s'occupe des dépenses locales
qui doivent se prendre sur les sous additionnels.
Le projet de la commission , après avoir souffert
un grand nombre d'amendemens , est adopté .
L'article des hôpitaux lui est renvoyé sur l'observation
de plusieurs membres , qu'il ne serait pas juste
que la nation s'étant emparée de leurs biens chargeât
les départemens de leur entretien .
Pastoret : Le Directoire vous a obsérvé dans son
( 323 )
message , que le code pénal renferme à la vérité des
peines contre les tentatives à l'homicide et à l'empoisonnement
, mais qu'il ne parle nullement des
tentatives aux autres crimes. Je vous propose d'arrêter
que toute tentative à un crime , manifestée par
des actes extérieurs , et suivie d'un commencement
d'exécution , sera punie comme le crime lui - même ,
si elle n'a été suspendue que par des circonstances
indépendantes de la volonté du délinquant . Ce projet
est adopté sans discussion .
On reprend ensuite la discussion sur le projet de
résolution relatif aux massacres et assassinats commis
à Lyon. Rien n'est décidé.
Le conseil des Anciens s'est occupé de la résolution
relative au complément du Corps législatif. Après
avoir Bou entendu plusieurs orateurs pour et contre
Boudin a paru le déterminer par une observation qu'il
a faite . Le Corps législatif , a -t - il dit , d'après le rapport
qui lui a été fait par les commissaires aux archives
, s'est reconnu complet ; et en se constituant
d'une maniere définitive , il s'est divisé en deux conseils
. Ainsi , la loi du 30 vendémiaire ne peut plus
avoir d'application . La résolution a été rejettée .
PARIS.Nonidi 19 prairial , l'an 4° . de la République.
Le Public s'occupe moins en ce moment des détails et des
pieces volumineuses relatives à la conspiration Baboeuf , que
d'intérêts qui le touchent plus directement . Ce qui , dans
d'autres tems , aurait absorbé toute son attention , n'en affecte
que la plus petite partic . Il n'est question que de l'échange
des assignats . Cette opération se fait avec beaucoup de tranquillité
. Il paraîtrait même , au peu de monde qui se présente
à chaque bureau , que l'on met peu d'empressement à cet
échange ; cela vient de ce que l'on a eu la sage précaution de
multiplier les bureaux d'échange , de ce que l'échange se fait
en assez grosse somme , et du délai convenable pour l'effectuer.
Il était difficile que cette opération se fît sans opérer une
rupture dans la balance des valeurs dans les transactions com
( 324 )
merciales . Les assignats continuent à se discréditer dans la
proportion du discrédit des mandats contre lesquels ils sont
échangés , et ceux - ci ne sont dans un si grand état de baisse
que par une multitude de causes parmi lesquelles il faut comp
ter les combinaisons d'un agiotage qui ne prendra fin que par
le retour du numéraire , seul signe invariable , des échanges .
Aussi le plus grand nombre des vendeurs ne veulent- ils plus
vendre qu'en argent ; et véritablement , sans les besoins urgens
du gouvernement qui n'a que du papier , il serait avantageux
de faciliter par les. moyens les plus prompts la circulation
du numéraire , et d'éteindre toute espece de papier.
Au milieu des embarras de notre position , les espérances
et les inquiétudes se portent sur le Rhin . Tout le monde est
convaincu que la paix est dans nos succès , et que la paix sera
le meilleur ministre des finances. Les bons amis de la liberté
et de la République , qui déja avaient fait battre l'armée d'Italie
avant que la campagne. fût ouverte , n'ont pas manqué de
répandre le même bruit à l'égard de nos armées du Rhin. II
y a plusieurs jours que ces officieux confidens de la renommée
débitent que nous avons essuyé un échec violent , et
perdu 20 mille hommes ; car ils y mettent l'autorité du calcul.
Rien n'est plus dénué de vérité et même de vraisemblance
qu'un pareil bruit , et nous sommes sûrs , au moment où
nous écrivons , qu'il n'est arrivé aucune nouvelle officielle du
Rhin . Nos braves défenseurs ne laisseront point protester la
lettre - de-change qu'a tiré sur eux l'armée d'Italie .
Traité de paix entre la République Française etle roi de Sardaigne.
La République Française et S. M. le roi de Sardaigne , également
animés du desir de faire succéder une heureuse paix à
la guerre qui les divise , ont nominé ; savoir le Directoire
exécutif , au nom de la République Française , le citoyen
Charles Delacroix , ministre des relations extérieures ; et S. M.
le roi de Sardaigne , messieurs les chevaliers de Revel et de
Tonso , pour traiter , en leur nom , des clauses et conditions
propres à rétablir et consolider la bonne harmonie entre les
deux états , lesquels , après avoir échangé leurs pleins pouvoirs
respectifs , ont arrêté les articles suivans :
Art. Ier. Il y aura paix , amitié et bon voisinage , entre la
République Française et le roi de Sardaigne . Toutes hostilités
cesseront entre les deux puissances , à compter du moment
de la signature du présent traité .
II . Le roi de Sardaigne révoque toute adhésion , consentement
, et accession patente ou secrete , par lui donnés à la
enalition armée contre la République Française , à tout traité
( 325 )
d'alliance offensive ou défensive qu'il pourrait avoir conclu
contr'elle , avec quelque puissance ou état que ce soit . Il ne
fournira aucun contingent en hommes ou en argent , à aucune
des puissances armées contre la France , à quelque titre et
sous quelque dénomination que ce soit .
III. Le roi de Sardaigne renonce purement et simplement
à perpétuité , pour lui , ses successeurs et ayans cause , en
faveur de la République Française , à tous les droits qu'il pourrait
prétendre sur la Savoie , les comtés de Nice, de Tende et de
Beuil. - IV. Les limites entre les états du roi de Sardaigne et
les départemens de la République Française , seront établies sur
une ligne déterminée par les points les plus avancés , du côté
du Piémont , des sommets , plateaux des montagnes et autres
heux ci -après désignés , ainsi que des sommets ou plateaux
intermédiaires , sa oir , en commençant au point où se reunissent
les frontieres du ci -devant Faucigny , duché d'Aoust
et du Valais , à l'extrémité des glacieres ou Mont- maudits
10. les sommets ou plateaux des Alpes , au levant de Col
Mayor ; 2º . le petit Saint-Bernard , et l'hôpital qui y est situé ;
30. les sommets ou plateaux du Montalban , du Col de
Crisance et du Mont-Iseran ; 4 ° . en se détournant un peu
vers le sud , les sommets ou plateaux de Gelst et du Gros-
Caval ; 5. le grand Mont- Cenis , et l'hôpital placé au sud- est
du lac qui s'y trouve ; 6º . le petit Mont-Cenis ; 7°. les sommets
ou plateaux qui séparent la vallée de Bardonache du Val
des prés ; 8 ° . le mont Genêvres ; 9° . les sommets ou pla
teaux qui séparent la vallée de Guieres de celle des Vaudois ;
10. le Mont de Viso ; 11º . le Col Maurin ; 12º . le Mont de
l'Argentieres ; 13º . la source de l'Ubayette et de la Sture ;
14° . les mentagnes qui sont entre les vallées de Sture et de
Gesso , d'une part , et celle de Saint- Etienne ou Tinea , de
Saint-Martin ou de Vesubia , de Tende , ou de Roya , de
l'autre part ; 15 ° , la Roche - Barbon , sur les limites de l'état de
Gênes.
Si quelques communes , habitations ou portions de territoire
desdites communes , actuellement unies à la République Française
, se trouvaient placées hors de la ligne frontiere ci-dessus
désignée , elles continueront à faire partie de la République ,
sans que l'on puisse tirer contr'elles aucune induction du présent
article. V. Le roi de Sardaigne s'engage à ne pas permettre
aux émigrés ou déportés de la République Française ,
de s'arrêter ou séjourner dans ses états .
――
Il pourra , néanmoins , retenir à son service les émigrés
seulement des départemens du Mont-blanc et des Alpes-marie
( 326 )
times , tant qu'ils ne donneront aucun sujet de plaintes par
des entreprises ou manoeuvres tendantes à compromettre la
sûreté intérieure de ladite République .
·―
VI . Le roi de Sardaigne renonce à toute répétition ou action
mobiliaire qu'il pourrait prétendre exercer contre la République
Française , pour des causes antérieures au présent traité.-
VII . Il sera conclu incessamment , entre les deux puis.
sances , un traité de commerce , d'après des bâses équitables .
et telles qu'elles assurent à la nation française des avantages au
moins égaux à ceux dont jouisssent , dans les états du roi de
Sardaigne , les nations les plus favorisées .
En attendant , toutes les communications et relations commerciales
seront rétablies .
retirer. --
VIII . Le roi de Sardaigne s'oblige à accorder une amnistie
pleine et entiere à tous ceux de ses sujets qui ont été poursuivis
pour leurs opinions politiques . Tous procès qui pourraient
leur avoir été suscites à ce sujet , ainsi que les jugemens qui
y sont intervenus , sont abolis , tous leurs biens , meubles et
immeubles, ou le prix d'iceux , s'ils ont été vendus, leur seront
restitués sans délai. Il leur sera loisible d'en disposer , de rentrer
et demeurer dans les états du roi de Sardaigne , oude s'en
IX. La République Française et S. M. le roi de Sardaigne
, s'engagent à donner main- levée du séquestre de tous
effets , revenus ou biens saisis , confisqués , détenus ou vendus
sur les citoyens ou sujets de l'autre puissance , relativement
à la guerre actuelle , et à les admettre respectivement à l'exercice
légal des actions ou droits qui pourraient leur appartenir.
-X. Tous les prisonniers respectivement faits , seront rendus
dans un mois, à compter de l'échange des ratifications du présent
traité , en payant les dettes qu'ils pourraient avoir contractées
pendant leur captivité . Les malades et blessés continueront
d'être soignés dans les hôpitaux respectifs : ils seront
rendus aussi -tôt leur guérison . XI. L'une des puissances
contractantes ne pourra accorder passage sur son territoire à
des troupes ennemies de l'autre puissance. XII. Indépendamment
des forteresses de Coni , Céva et Tortonne , ainsi
que du territoire qu'occupent et doivent occuper les troupes
de la République , elles occuperont les forteresses d'Exiles ,
de l'Assiette , de Suze , de la Erunette , du château Dauphin
et d'Alexandrie à laquelle derniere place Valence sera
substituée , si le général en chef de la République Française le
préfere . — XIII . Les places et territoires ci -dessus désignés
seront restitués au roi de Sardaigue , aussi-tôt la conclusion du
traité de commerce entre la Republique et S. M. , de la paix

-
( 387 )
-
-
--
générale et de l'établissement de la ligue des frontieres
-XIV. Les pays occupés par les troupes de la République ,
et qui doivent être rendus en définitif, rentreront sous le gouvernement
civil de S. M. sarde , mais resteront soumis à la
levée des contributions militaires , prestations en vivres et
fourages , qui ont été ou pourront être exigées pour les
besoins de l'armée française . XV. Les fortifications d'Exiles ,
de la Brunette , de Suze , ainsi que les retranchemens formés
au- dessus de cette ville , seront démolis et détruits aux frais
de S. M. sarde , à la diligence de commissaires nommés à cet
effet par le Directoire exécutif. Le roi de Sardaigne ne
pourra établir ou réparer aucunes fortifications sur cette partie.
de la frontiere. XVI. L'artillerie des places occupées , et
dont la démolition n'est pas stipulée par le présent traité ,
pourra être employée au service de la République , mais elle
sera restituée , avec les places , et à la même époque , à
S. M. sarde . Les munitions de guerre et de bouche qui s'y
trouvent , pourront être consommées sans répétition ,
pour le service de l'armée républicaine . XVII . Les troupes
françaises jouiront du libre passage dans les états du roi de
Sardaigne , pour se porter dans l'intérieur de l'Italie , et en
revenir. XVIII . Le roi de Sardaigne accepte , dès-à -présent ,
la médiation de la République Française , pour terminer définitivement
les différends qui subsistent depuis long-tems entre
S. M. et la République de Gênes , et statuer sur leurs préten
tions respectives. XIX. Conformément à l'article VI du
traité conclu à la Haie , le 27 foréal de l'an III , la république
batave est comprise dans le présent traité. Il y aura paix et
amitié entr'elle et le roi de Sardaigne toutes choses seront
rétablies entr'elles sur le pied où elles étaient avant la présente
guerre . XX. Le roi de Sardaigne fera désavouer , par son
ministre près la République Française , les procédés employés
envers le dernier ambassadeur de France . — XXI . Le présent
traité sera ratifié , et les ratifications échangées , au plus tard ,
dans un mois , à compter de la signature du présent traité .
Fait et conclu à Paris , le 26 floréal de l'an IV de la République
Française , une et indivisible , correspondantau 15 mai
1796. Signé , CH. DElacroix , le chevalier DE REVEL ,
--
-
chevalier DE TONSO .
le
Pour expédition conforme , Signé , CH. DELACROIX .:
ARMÉE D'ITALIE . Buonaparte , général en chef de l'armée d'Italie
, à ses freres d'armes. Au quartier-général , à Milan ,
leier . prairial an IV.
-
Soldats , yous vous êtes précipités , comme un torrent , da
( 328 )
---
-
-
-
haut de l'Apennin ; vous avez culbuté , dispersé tout ce qui
s'opposait à votre marche. Le Piémont , délivré de la tyrannie
autrichienne`, s'est livré à ses sentimens naturels de
paix et d'amitié pour la France . Milan est à vous , le pavil
lon républicain flotte dans toute la Lombardie . Les ducs de
Parme et de Modene ne doivent leur existence politique qu'à
votre générosité . —- L'armée qui vous menaçait avec tant d'orgueil
, ne trouve plus de barriere qui la rassure contre votre,
courage ; le Pô , le Tessin , l'Adda , n'ont pu vous arrêter un
seul jour ; ces boulevards vantés de l'Italie ont été insuffisans :
vous les avez franchis aussi rapidement que l'Apennin . Tant
de succès ont porté la joie dans le sein de la patrie ; vos représentans
ont ordonné une fête dédiée à vos victoires , célébrées
dans toutes les communes de la République. Là , vos
peres , vos meres , vos épouses , vos soeurs , Vos amantes se
réjouissent de vos succès , et se vantent avec orgueil de vous
appartenir. Oui , soldats , vous avez beaucoup fait , ..
mais ne vous reste - t -il plus rien à faire ? .... Dira-t-on de nous
que nous avons su vaincre , mais que nous n'avons pas su profiter
de la victoire ? La postérité nous reprochera- t- elle d'avoir
trouvé Capoue dans la Lombardie ? .... Mais je vous
vois déja courir aux armes ; un lâche repos vous fatigue ; les
journées perdues pour la gloire , le sont pour votre bonheur...
Hé bien ! partons , nous avons encore des marches forcées à
faire , des ennemis à soumettre , des lauriers à cueillir , des
injures à venger. - Que ceux qui ont aiguisé les poignards '
de la guerre civile en France , qui ont lâchement assassiné nos
ministres , incendié nos vaisseaux à Toulon , tremblent..l'heure
de la vengeance a sonné . Mais que les peuples soient sans
inquiétude ; nous sommes amis de tous les peuples , et plus
particulierement des descendans des Brutus , des Scipion et
des grands hommes que nous avons pris pour modeles . Rétablir
le capitole , y placer avec honneur les statues des héros
qui le rendirent célebre ; réveiller le peuple romain engourdi
par plusieurs siecles d'esclavage ; tel sera le fruit de vos victoires
; elles feront époque dans la postérité ; vous aurez la
gloire immortelle de changer la face de la plus belle partie de
de l'Europe. Le Peuple Français libre , respecté du monde
entier , donnera à l'Europe une paix glorieuse , qui l'indemnisera
des sacrifices de toute espece qu'il a fait depuis six ans ;
vous rentrerez alors dans vos foyers , et vos concitoyens diront
en vous montrant : Il était de l armée d'Italie .
Signé , BUONAParte .
LENOIR DE LAROCHE , Rédacteur .
No. 36.
MERCURE FRANÇAIS .
DÉCADI 30 PRAIRIAL , l'an quatrieme de la République.
( Samedi 18 Juin 1796 , vieux style . )
LITTÉRATURE ÉTRANGERE.
Des Femmes de l'Indostan qui se dévouent aux flammes
dans le bûcher de leurs Maris . Extrait du Voyage de
M. HODGE dans l'Inde , depuis 1780 jusqu'en 1783 .
Morceau traduit de l'anglais .
PENDAN ENDANT que je remplissais à Benarès les devoirs
de ma place , j'appris qu'on devait , sur les bords de
la riviere , faire le sacrifice d'une femme aux mânes
de son mari. J'avais souvent entendu parler de cette
horrible coutume des Indiens , le peuple le plus doux
et le plus aimable de la race humaine . Les voyageurs
en ont rapporté plusieurs exemples . Mais ceux que
j'ai lus n'en parlent que comme d'une sorte de privilége
réservé aux classes élevées de la société , et
qui peut être l'ouvrage de la vanité mêlée aux préjugés
superstitieux .
M. Holwell , dans l'ouvrage intéressant qui a pour
titre : Événemens historiques relatifs à l'Inde , s'exprime
ainsi sur cette pratique barbare . A la mort du grand
législateur et prophête des Indiens , Bramah , ses
veuves inconsolables de sa perte résolurent de ne
pas lui survivre , et s'offrirent elles - mêmes comme
Tome XXII. Y
( 330 )
victimes volontaires à son bâcher funebre. Les
veuves des Rajahs , premiers officiers de l'Etat , ne
voulant pas être soupçonnées de moins de fidélité et
d'affection , suivirent l'héroïque exemple des veuves
de Bramah. Les Bramines , tribu nouvellement établie
par le grand législateur , déclarerent que les ames
de ces héroïnes avaient à l'instant même fini le cours
de leurs transmigrations , et atteint le premier degré
de leur purification . Alors , les veuves des Bramines
réclamerent le droit de faire le sacrifice de leurs
formes mortelles à Dieu et aux mânes de leurs époux .
Ainsi , les actes d'enthousiasme de quelques femmes ,
devinrent une coutume générale . Les Bramines ont
ensuite donné à cette coutume un caractere de religion
; ils ont institué les formes et les cérémonies qui
doivent accompagner le sacrifice , et l'ont soumis à
des conditions qui en font un acte volontaire de
gloire , de piété , de courage.
M. Holwell dit ensuite expressément qu'il a été
témoin de plusieurs de ces sacrifices , et raconte en
particulier , et avec détails , l'histoire d'une jeune
veuve de Cossimbuzar , d'environ 18 à 19 ans , mere
de trois enfans , deux garçons et une fille , dont l'aîné
n'avait pas 4 ans. On entourait cette malheureuse
femme ; on lui montrait ses petits enfans ; on la pressait
de vivre pour eux. Tout fut inutile ; et tandis
qu'on lui peignait avec les couleurs les plus effrayantes
les tourmens de la mort qu'elle allait souffrir , elle ,
d'un air calme , et avec un visage serein mit son doigt
dans le feu , l'y tint pendant long-tems . Ensuite d'une
main elle prit un charbon , le plaça sur la paume de
l'autre main , y jetta de l'encens , et présenta aux
( 331 )
?
Bramines cette fumigation. Alors quelques - uns de
ses amis lui fixent entendre qu'on ne lui permettrait
pas de se brûler elle - même . Cette nouvelle parut
l'affliger beaucoup pendant quelques instans ; mais
bientôt elle répondit d'un air très - résolu , que sa
' mort était en son pouvoir , et que si on ne lui permettait
pas d'être brûlée suivant les principes de sa
caste , elle se ferait mourir de faim . Ses amis n'ayant
rien à lui répondre furent obligés de consentir à sa
mort.
J
La femme que j'ai vu brûler était de la caste ou
tribu des Bhyse ( négocians ) . Il semble que cette
classe devrait se soumettre avec moins de facilité
à des sacrifices impérieusement exigés par l'orgueil
du rang. D'ailleurs , le refus de s'y soumettre n'est
pas puni de l'infamie comme dans les castes supérieures.
Mais que ne peuvent la force de l'exemple ,
et la honte de l'infériorité ? - En avançant vers les
bords de la riviere , à l'endroit où la cérémonie devait
avoir lieu , je vis dans une bierre le corps d'un
homme couvert d'une toile blanche : il était 10 heures
du matin . Je trouvai là un petit nombre de personnes
rassemblées qui ne me paraissaient point touchées
du spectacle qui se préparait . Je puis même dire que
je vis en elles la plus grande indifférence . Après
avoir attendu long - tems , je vis paraître la malheureuse
femme , accompagnée des Bramines et de ses
parens , et approchant au bruit des instrumens de
musique ; la marche de cette procession était lente
et solemnelle . La victime s'avançait d'un pas ferme
et son air était calme et plein de dignité . Elle s'approcha
du corps de son mari , et s'arrêta quelque tems
+
Y 2
( 332 )
:
devant lui ; ensuite elle adressa , avec beaucoup de
sang- froid , la parole à ceux qui étaient près d'elle ,
et on ne remarqua pendant tout ce tems , ni dans
le ton de sa voix , ni dans ses gestes , aucune sorte
d'altération : elle tenait dans sa main gauche une
noix de coco , pleine d'une couleur rouge ; et trempant
dans cette couleur le second doigt de sa maindroite
, elle en marquait ceux qui étaient près d'elle ,
et à qui elle voulait donner une derniere preuve
d'intérêt comme j'étais presqu'à ses côtés , elle m'observa
très-attentivement , et me marqua de son doigt
sur le front. Elle pouvait avoir environ 24 ou
25 ans ; âge où la beauté des femmes de l'Inde est
généralement passée. On voyait encore combien elle
avait été belle . Son visage était petit , et de la forme
la plus élégante . Ses bras et ses mains étaient sur- tout
d'une grande beauté : elle était couverte d'une longue
robe blanche. Le théâtre du sacrifice était élevé
sur les bords de la riviere , environ à cent verges du
lieu où nous étions alors. Le bûcher était composé
de branches seches , de feuilles , de joncs . On avait
pratiqué une porte sur l'un des côtés , et l'intérieur
était voûté . Près de la porte était un homme tenant
un flambeau allumé . Depuis l'instant où la femme
arriva jusqu'à celui où l'on enleva de la bierre le
corps du mari , il s'écoula environ une demi - heure
qu'elle passa à faire des prieres avec les Bramines , à
donner des marques d'attention à ceux qui étaient
autour d'elle , et à s'entretenir avec ses parens ; elle
s'avança , accompagnée du chef des Bramines , à la
suite du corps ; et au moment où on le mit dans le
bâcher , elle s'inclina vers tous ceux qui l'entouraient,
( 333 )
et y entra sans dire un mot . A l'instant la porte fut
fermée . On mit le feu au bâcher ; il fut bientôt enflammé
, et on y jetta encore une immense quantité
de bois sec. Ce dernier acte de la cérémonie
fut suivi de longs et nombreux applaudissemens de
la multitude , en ce moment très- considérable , et
qui était transportée de joie . Quant à moi , on concevra
facilement de quels sentimens de douleur et
d'effroi je fus long- tems pénétré .
Dans d'autres parties de l'Inde , comme le Carnatique
, cette affreuse coutume est accompagnée dans
Fexécution , de circonstances plus horribles encore.
On creuse , dit-on , une fosse dans laquelle on place
une grande quantité de matieres combustibles , auxquelles
on met le feu , et après qu'on y a jetté le
corps du mari , la femme se précipite elle -même dans
cette masse enflammée. En d'autres lieux , оп
construit un bûcher extrêmement haut , on y place
la femme à côté du mari , et on y met ensuite le feu.
La nature est tellement révoltée de l'horreur de
cette coutume , que les détails les plus exacts et les
plus authentiques suffisent à peine pour engager à
y croire . J'avouerai que quelque degré d'incrédulité
se trouvait mêlée dans cette occasion avec la cu-
* riosité , et que le desir de constater un fait si extraordinaire
, est ce qui m'a le plus déterminé à en être
le témoin .
Y 3
( 334 )
PHILOSOPHIE ET HISTOIRE.
Quatrieme lettre sur l'ORIGINE DES CULTES ,
du cit. DuPULS.
Si vous voulez posséder la clef de toutes les mytho
logies , ne vous lassez pas , citoyen , de suivre le Soleil
dans sa course et dans ses différens rapports avec le
globe que nous habitons . C'est lui qui a été le véritable
objet de tous les cultes , sous quelque forme
qu'on l'aie déguisé . Je vous l'ai montré fort et toutpuissant,
à Athenes , en Béotie et en Thrace . Trayersez
actuellement la Méditerranée , abordez à Alexandrie
, remontez le Nil jusqu'à Memphis. Là , vous
verrez encore le Soleil adoré sous le nom d'Osiris .
( Martianus Capella de Nupt. Philol . , lib . II , cap . 2. )
Entre la multitude des noms que l'oracle célebre de
Claros, cité par Eusebe ( Præp . Evang. , lib . III , c . 15 ) ,
donne au soleil , on lit celui d'Osiris , roi des Astres et
du feu éternel, qui engendre l'année et les saisons , qui dispense
les pluies et les vents , et qui ramene l'aurore et la
nuit.
Cet Osiris , l'époux d'Isis , la grande Divinité des
Égyptiens jusqu'au tems des Ptolémées où il fut remplacé
par Sérapis , était le Soleil bienfaisant et fécond.
Il était le Dieu du labourage , le bienfaiteur des
hommes qu'il enrichissait des dons de la Divinité ,
Celle - ci , dit Jamblique ( chap . 39 ) , varie ses noms à
raison de ses différentes opérations , et prend en particulier
celui d'Osiris , quand elle verse sur nous ses
( 335 )
4
bienfaits. C'est l'activité fécondante qu'exprimaient
ses statues symboliques , soit qu'on le peignît sous
l'emblême d'un homme prêt à exercer sa faculté génératrice
, soit qu'on le représentât sous l'emblême
du Taureau , signe céleste qui ouvrait le printems , et
avec lui toutes les sources de vie de la nature . C'estlà
l'origine des fameuses Pamylies , ou fêtes Ityphalliques
, célébrées en l'honneur d Osiris , et adoptées
par les Grecs dans le culte de leur Dieu à tête et à
pieds de Taureau , c'est- à - dire de Bacchus . On por .
tait dans ces fêtes l'image du membre viril , comme
dans les Phalléphories de la Grèce . On le regardait
comme le symbole du principe , source de tous les
êtres .
Le Phall is d Osiris et des Pamylies égyptiennes
n'était donc pas une représentation obscene , comme
l'ont reproché stupidement , et les premiers Chrétiens
aux Payens , et les missionnaires ignorans aux sectateurs
indiens du Lingam . Quel but aurait eu le
triple Phallus des Pamylies égyptiennes , s'il eût été
´l'emblême d'une obscénité ? Pour trouver sa véritable
signification , il fallait remonter , selon Plutarque ,
( de Iside , pag. 365 , ) aux premieres cosmogonies ;
c'était , suivant lui , de représenter les trois élémens ,
terre , air et feu , sortis de l'élément primitif , de
l'eau , qui avait été l'origine de toutes choses. Remarquons
que l'on retrouve ici et la cosmogonie de
Thales qui l'avait puisée en Égypte ; et celle des
Perses dont les prieres sont adressées souvent à l'eau ,
comme à un principe de génération dans la nature ;
et enfin celle des Juifs et des Chrétiens . Aussi dans
les pompes d'Osiris on portait un vase rempli d'eau ;
1
f
Y 4
( 336 )
car Osiris , époux d'Isis , était encore le Nil fécondant
la terre égyptienne. Voilà le grand Démiourgos qui
agissant sur le principe humide , seve des plantes et
semence des animaux , était à la fois le Dieu - créateur,
le Dieu- fécondant et le Dieu- conservateur de la nature
. Comme le Dieu de Moyse , en s'unissant au
principe spirituel , ou à l'ame du monde , il avait
fécondé le chaos et organisé l'univers .
C'est assez vous avoir entretenu d'idées abstraites ,
et de ces vastes emblêmes des principes de l'univers ,
dont la connaissance était ensevelie dans les souterreins
qu'habitaient les prêtres égyptiens . Je vais fixer
votre attention sur les voyages mytho - astronomiques
du Soleil , Dieu - Fécond , ou d'Osiris . Elle sera captivée
par les fables égyptiennes , dont la forme contraste
d'une maniere piquante avec celle des fables
grecques , auxquelles la course solaire a pareillement
servi de canevas . Chez les Grecs et les Thraces ,
leurs maîtres , le Soleil est un conquérant , un guerrier
fort et vaillant , dompteur de monstres et de brigands.
Sur les bords du Nil , on va le peindre , ne
voyageant que pour instruire les mortels , bâtissant
des villes et créant les arts , inventant l'agriculture et
portant dans les campagnes la connaissance des grains
utiles avec celle des instrumens aratoires ; enfin , présentant
par-tout le spectable ravissant de l'ordre , de
la justice et du travail .
Avant que de suivre Osiris dans ses voyages , imitons
le pilote prudent qui prépare et étudie d'abord
sa course sur les cartes , pour se livrer ensuite à l'Océan
avec sécurité. Étudions l'Océan de la mythologie ,
c'est-à-dire , le ciel astronomique , ses monstres et ses

( 337 )
écueils. Le regne de la lumiere commençait avec le
printems ; et il était remplacé à l'automne par le
regne des tenebres. Les époques de ces deux regnes
formaient la grande division des signes supérieurs et ,
inférieurs , celle du monde éthéré et du monde sublunaire
, celle des six mille ans de jour et des six-mille
de nuit , celle du déluge du feu , ou de l'embrâsement
estival de l'univers , et du déluge a'eau , ou
des pluies hyemales , etc. , etc. Osiris était peint
avec des cornes de taureau , comme Bacchus ; c'étaitlà
son symbole caractéristique . Ce symbole nous
apprend que le Soleil , ame de cet emblême , ouvrait
le printems et l'année équinoxiale , placé dans le
signe du Taureau , lorsqu'on le chantait en Egypte
sous le nom d'Osiris . Conservons encore le globe du
cit. Dupuis , avec les mêmes poles de l'écliptique ;
contentons - nous d'abaisser le pole arctique à la latitude
de Memphis , ou à 30 degrés environ .
Le Taureau occupait l'entrée du printems , ayant
sous ses pieds Orion et le grand - chien Sirius , et sur
sa tête le Cocher qui porte la Chevre ( en grec , Aiga ) ,
femme de Pan. Près de là , sur la route même du
Soleil , se trouvaient les Gémeaux appellés souvent
Triptoleme et Apollon . Regardons- nous le second
équinoxe et le vénimeux Scorpion ; là , nous appercevons
au midi de l'écliptique le Centaure perçant
un loup ; et au nord , l'Hercule céleste ( l'Agenouillé ,
Ingeniculus , ) avec la lyre d'Apollon que les muses ,
dont le nombre égalait celui de ses cordes , ont placée
dans le ciel. On a projetté ces constellations sur le
planisphere d'Osiris , nº. 9 .
Le coucher béliaque ( celui qui accompagne , où
( 338 )
1
suit immédiatement le coucher du Soleil ) de Sirius ,
étoile adorée en Egypte sous le nom d'Anubis , marquait,
au tems de Servius et de Columelle , le dernier
jour d'avril , et le calendrier des pontifes romains
fixe au lendemain le lever de la Chevre , femme de
Pan , qui fait partie du Cocher. C'est pourquoi on
voit sur le Taureau , dans le planisphere égyptien de
Kircher , une figure de pan avec sa flûte à sept tuyaux.
Le coucher d'Orion était aussi marqué sous le Taureau
dans les calendriers anciens . C'est sous ce signe
qu'il a été projetté dans le planisphere d'Hercule , avec
le nom de Busiris , amant et ravisseur des Atlantides
ou des Pléiades . Quant aux constellations projettées
à l'équinoxe d'automne , Hygin ( liv . IV , chap . 13 , ) ,
Eratostene , et la sphere indienne de Scaliger , placent
le Loup au nombre des paranatellons du Scorpion. ,
Eratostene case aussi l'Ingeniculus sous ce signe , et
Geminus y place la Lyre.
Il a fallu ajouter ici à la démonstration du globe
céleste , l'autorité des anciens astronomes , pour faire
reconnaître sans équivoque les principaux personpages
qu'emmene à sa suite le Soleil , ou Osiris , dans
ce voyage , entrepris pour répandre les découvertes
les plus précieuses à l'hum nité , et principalement
les découvertes relatives à l'agriculture .
Osiris , au rapport de Diodore de Sicile , ( liv . Ier. ,
chap. 10 et 11 ) , part accompagné de deux de ses fils ,
Anubis , à tête de chien ; Macédon , à tête de loup ; de
Pan , avec ses satyres ; de Triptolème , à qui il avait
enseigné l'agriculture , et d'Apollon , qui jouait dẹ
sa lyre . Il avait chargé Hercule de rester dans l'intérieur
de l'Égypte pour y commander ses armées ; il avait
( 339 )
placé Busiris , fils de Neptune , près des bords de
la mer , et Antée , sur les confins de 1 Éthiopie ,
pour garder les frontieres de son empire. Le gouvernement
de l'état fut confié à sa femme Isis , à qui
il donna pour conseiller le sage Mercure .
Tous les personnages que je viens de nommer sont
des spectres mythologiques , dessinés sur les constellations
équinoxiales décrites ci - dessus ; ou il faut , si
on leur donne une existence historique , leur accorder
des vies de neuf cents à mille ans , telles que les
vies tout aussi merveilleuses des patriarches hébreux.
Chacun d'eux en effet a enrichi la société de plusieurs
et des plus utiles découvertes ; et , ce qu'il y aura de
plus extraordinaire à croire pour nous , qui savons
que plusieurs siecles s'écoulent entre les époques de
deux découvertes importantes , ces personnages les
auront faites simultanément. Osiris avec sa soeur et
épouse Isis , qui sera le sujet d'un autre poëme , travaillerent
à civiliser les hommes. Ils les empêcherent
de se dévorer , en leur apprenant à se nourrir de
froment et d'orge . Isis leur en apprit l'usage ; et Osiris ,
la culture . Elle inventa les lois , unique bouclier
des faibles ; son époux bâtit Thébes aux cent portes ,
appellée depuis Diospolis,et le temple dédié à son pere
Ammon. On attribuait aussi à Bacchus la construction
du même temple , en l'honneur de Jupiter-Ammon,
dont il était fils nouvelle analogie entre Bacchus
et Osiris . Celui- ci éleva d'autres temples pour les
autres divinités , créa leur culte et la hiérarchie sacerdotale.
Les artistes et les inventeurs des arts utiles
trouverent dans Isis et dans son époux , de zélés protecteurs.
Sous leurs auspices le fer fut transformé en
( 340 )
glaive , en soc de charrue ; et l'or devint l'ornement
des temples. Mais l'art qui dut le plus à Osiris , fut
l'agriculture ; ce roi découvrit la vigne , la cultiva ,
et sut à la fois exprimer et garder la boisson délicieuse
qu'elle fournit aux mortels .
9
Sous le regne d'un prince ami des arts , ils s'éveil -
lent tous à-la-fois . Mercure inventa les caracteres
alphabétiques , donna des noms aux choses , et au
culte ses formes pompeuses il fut le pere de la
littérature ; il observa le premier la nature et l'har
monie des sons et des cieux ; il inventa les exercices
gymniques , la lutte et les arts qui donnent au corps
de la force et de la grace . Enfin , il inventa la lyre .
Tant et de si importans services rendirent Mercure
cher à Osiris , qui l'honora de sa confiance , et qui
en fit à-la-fois son secrétaire et son conseiller .Apollon ,
frere d'Osiris , trouva le laurier , de même que le
prince avait trouvé le lierre ( nouveau rapport entre
Bacchus et Osiris ) . Pan fut singulierement honoré
en Égypte , où l'on bâtit en son honneur la ville de
Chemmis , ou Panople. Triptoleme et Maron , deux
autres compagnons d'Osiris , étaient très-instruits ;
le second dans la culture de la vigne , et le premier
dans celle du bled , du labourage et des moissons .
4
La gloire d'avoir civilisé son peuple ne suffisant
pas à l'ame active d'Osiris , il voulut étendre ses bienfaits
, et en particulier la culture de la vigne , de
l'orge et du froment , sur toute la terre habitée . II
était persuadé qu'il serait placé au rang des immortels
, s'il parvenait à améliorer le sort des hommes
et à les civiliser. Osiris conduisit d'abord son armée
vers l'Éthiopie , où vinrent à sa rencontre des Satyres
( 341 )
-

qui par leurs danses grotesques l'amuserent beaucoup
; car ce prince aimait les ris et les jeux. Aussi
conduisait-il avec lui des musiciens et entr'autres
neuf soeurs , appellées Muses , distinguées par leur
goût , par leur talent pour la musique , et par une
instruction qui s'étendait à tous les arts et à toutes
les sciences . Elles étaient sous la direction d'Apollon ,
qui en reçut le surnom de Musagete , ou conducteur
des Muses . L'arrivée du roi d'Égypte en Éthiopie fut
marquée par l'établissement de l'agriculture et par la
construction des villes.
Pendant qu'il s'occupait à civiliser les Éthiopiens ,
le Nil se déborda aux approches du solstice et au
lever de Sirius . Ce fleuve se répandit dans les plaines
d'Égypte , et y produisit un déluge qui aurait fait
périr tous les habitans sans l'assistance d'Hercule
qui l'arrêta par des digues , et le fit rentrer dans son
lit
De l'Éthiopie Osiris passa en Arabie . Après avoir
cotoyé la mer Rouge , il pénétra jusques dans les
Indes et dans les contrées les moins habitées et les
plus reculées de l'Orient. Il bâtit dans l'Inde une
ville qu'il appella Nysa , du nom de la ville d'Égypte
où il était né. Il y planta le lierre , et y laissa
assez de traces de son passage , pour que les Indiens
demeurassent persuadés qué ce Dieu était né chez
eux . Osiris visita ensuite les autres peuples de l'Asie ,
traversa l'Hellespont , et vint en Europe , où il tua
Lycurge ( de Lycos , loup , ) , roi de Thrace , qui s'opposait
à ses projets bienfaisans . Il y laissa Maron
pour présider à la culture de la vigne ; et il donna à
son fils Macédon le pays appellé depuis Macédoine.
( 342 )
Parvenu à l'Attique , il y établit Triptoleme , qui
enseigna la culture du bled. Enfin , chargé des dons
qu'il avait reçus de l'univers reconnaissant en échange
de ses bienfaits , il revint en Egypte , et y reçut les
honneurs divins avec l'immortalité. Isis et Mercure
s'occupetent à y perpétuer son culte par l'établissement
d'un cérémonial religieux , par des mysteres et
des initiations où l'on célébrait sa puissance bienfaisante.
Au milieu de sa gloire , Osiris fut attaqué par
Typhon , son frere et son ennemi , qui lui ôta la vie
dans le mois où le Soleil parcourait le Scorpion . Ce
lâche assassin coupa son corps en morceaux , qu'il
dispersa dans le désert . La veuve affligée les recueil .
lit tous , excepté les parties sexuelles . On ne peut ·
méconnaître ici le principe fécondant qui n'a plus
d'énergie pendant les six mois de tenebres , ou les
six préfectures de l'empire d'Arhiman , ou de Typhon .
Mais Isis épousa bientôt après son fils Horus , qui
l'aida à venger la mort d'Osiris sur Typhon et ses complices.
Osiris est mort , c'est-à-dire , le Soleil a perdu sa
fécondité à l'équinoxe d'automne . L'Égyptien superstitieux
remplaçait alors son culte par celui d'Isis ,
ou de la Lune. Imitons - le pour 'jetter de la variété
dans cet extrait ; suivons Isis dans les courses qu'elle
fait pour retrouver son époux , celui qui la rendait
féconde. Porphyre ( Euseb. Præb . Evang. , liv. IV ,
cap. 9 ) nous dit qu'Isis était la Lune. Plutarque
observe ( de İside , pag . 372 , ) qu'Isis et la Lune étaient
représentées par la même image ; que les cornes dont
le front d'Isis était chargé , étaient celles dn crois
( 343 )
sant de la Lune ; que ses habits noirs retraçaient
l'obscurité du disque lunaire et la partie ombrée de
cet astre , dans les phases voisines de la nouvelle
Lune et dans son occultation ; enfin , que la Lune
était invoquée pour les plaisirs de l'Amour auxquels
présidait Isis . Il est donc bien prouvé que le nom
d'Isis était le nom sacré ; et celui de Lune , le nom
vulgaire du même astre .
Dans la langue cophte , qui est l'ancien égyptien ,
la Lune s'appellait Io . Les Argiens , colonie des
Égyptiens , lui conservaient encore ce nom ; et la fable
de la vache Io fut la broderie de la Lune fécondée
par le Soleil dans le signe du Taureau . Les anciens
croyaient que la fécondité de la terre était due à un
principe humide ( Plutar. de Iside , pag. 368 , ) qui descendait
de la Lune , et que celle- ci recevait du Soleil . Ils
avaient aussi affecté les signes du zodiaque à chacune
des Planetes , la Terre exceptée ; et ils appellaient
domiciles du Soleil et de la Lune , le Lion et le Cancer
, tandis que Mercure , Vénus , Mars , Jupiter et
Saturne occupaient chacun deux signes pour leur
domicile ; comme on le voit à la planche n° . 1. Cette
division était trop petite pour suffire à toutes les
rêveries des astrologues et aux influences prétendues
des astres sur les êtres sublunaires . On soudivisa
chaque signe en trois parties de dix degrés chacune ;
appellées Décans ; chacun de ces décans fut consacré
à une planete , et devint le lieu de son exaltation
. Le domicile était donc le signe entier affecté
à la planete , et le lieu de l'exaltation fut vu des
décans . Voyez la planche no . 3.
La Lune avait son exaltation dans le Taureau , signe
( 344 )
1
printanier , signe fécondateur. C'était dans ce signe ,
où le Soleil ouvrait et fécondait réellement l'année ,
qu'il était censé donner à la Lune le principe fécondant
qu'elle versait sur le monde sublunaire . Voilà
le mariage d'Osiris et d'Isis ; voilà l'origine des
symboles du Taureau donnés à tous les deux ; voilà
le principe fécondant , ravi par la mort d'Osiris à Isis .
ou son veuvage ; voilà enfin la cause des regrets
d'Isis , et de ses courses pour retrouver son époux ,
c'est-à-dire , pour recouvrer le principe humide et
générateur qu'elle doit rendre à la terre au printems .
Suivons la dans ces courses .
1
.
Plutarque raconte qu'Osiris , de retour de ses
voyages , fut invité à un repas par son frere Typhon .
Celui- ci promit de donner un coffre très - précieux
à celui des convives dont la stature serait égale à la
longueur du coffre . Plusieurs s'y étendirent sans
succès ; mais quand Osiris s'y fut placé , Typhon et
les conjurés fermerent et clouerent le coffre . Ils y
firent même couler du plomb fondu ; et ensuite ils
jetterent ce coffre dans le Nil , qui le porta à la mer.
Le même écrivain nous donne ( de Iside , pag. 367 , )
l'état du ciel à cette époque . Le Soleil occupait le
Scorpion , c'est-à-dire le signe qui fixait à cette époque
reculée , l'équinoxe d'automne , limite du regne de
la lumiere et du regne des ténebres. La Lune , ajoutet
- il , était pleine alors , et par conséquent dans le
Taureau , opposé au Scorpion ; car la Lune n'est
jamais pleine que dans le signe qui est placé à l'autre
moitié du zodiaque , et vis - à-vis du Soleil . La Lune
pleine se leve immédiatement après le coucher du
Soleil. A cette époque , le Taureau ouvrait la nuit ,
comme
( 345 )
comme il avait ouvert le jour six mois auparavant.
Aussi , dans les fêtes lugubres de la mort d'Osiris ,
portait-on un boeuf d'or , couvert d'un crêpe noir .
Le point du départ et des courses d'Isis ( Planisphere
, no . 10 ) est donné . Le Soleil est placé dans le
Scorpion , et la Lune pleine dans le Taureau . Osiris
est mis à mort par Typhon , génie ennemi de la
lumiere , spectre à jambes de Serpent , qui associe
à sa conspiration une reine d'Éthiopie . Cette reine
désigne les vents , selon Plutarque. -Le Scorpion
a pour paranatellons les serpens du pole et du serpentaire
qui fournissent les attributs de Typhon dans
le planisphere égyptien du nº . 5 ; et de plus Cassiopée ,
reine d'Éthiopie , dont le coucher produit les vents
d'automne.
.. Osiris descend au tombeau , ou aux enfers . Alors ,
suivant diverses traditions , il prend le nom de Sérapis
, nom grec formé de Tombeau et d'Apis ; il change
même de nature , et il devient Sérapis , le même
spectre mythologique que Pluton , ou Adés . →
C'est ici un symbole de l'union du Soleil au Serpentaire
, dont il emprunte les formes dans son passage
aux signes inférieurs , où il prend les noms de roi
du Tartare.
À l'époque de ce triste passage , au 17. degré du
Scorpion , la Lune est pleine dans le Taureau .
Isis pleure la mort de son époux ; l'Égypte pleurait
l'éloignement du Soleil , l'accourcissement des jours ,
le dépouillement de la terre Voilà , dit Plutarque
( de Iside , pag . 366 ,) , quels sont les maux périodiques
qui résultent de l'absence du Soleil , et qui attristént
l'homme .
Tome XXII. Z
( 346 )
Pendant cette absence , la Lune va régler désormais
le cours de la nature. Tous les mois , són disque
plein nous présentera dans un des signes supérieurs
une image, quoique très-affaiblie , du Soleil . Elle commence
son empire dans le premier signe où il avait
le siége de sa fécondité : signe qui , en vertu de la
distribution des élémens dans le zodiaque , était consacré
à la terre , tandis que le Scorpion , occupé alors
par le Soleil , était consacré à l'élément de l'eau .
La troisieme nuit après la mort d'Osiris , les Égyptiens
vont à la mer , en criant qu'ils l'ont retrouvé. Ils y
forment en terre délayée avec de l'eau une image
sacrée de la Lune ; mélange relatif à la nature des
deux grandes divinités .
Le coffre qui sert de cercueil à Osiris est jetté dans
le Nil. Les Pans et les Satyres , habitans de Chemmis
située sur les bords de ce fleuve , s'apperçoivent
les premiers de cette mort , l'annoncent par leurs
cris , et répandent par- tout le deuil et l'effroi . — La
Lune était dans le Taureau : ce signe a sous lui le
fleuve d'Orion , appellé le Nil ; au-dessus , Persée ,
Dieu de Chemmis , et le Chevrier qui fournit à Pan
ses attributs .

La pleine lune suivante arrive dans les Gemeaux ,
enfans qui président aux oracles de Didyme , et dont
l'un , appellé Apollon , est le Dieu de la divination .
Isis voyage pour chercher le coffre fatal . Elle
rencontre d'abord des enfans qui l'avaient vu ; ellė
les interroge ; et depuis cette aventure , les enfans
reçoivent le don précieux de prophétie .
Isis apprend qu'Osiris est entré sans le savoir dans
la couche de sa soeur . Elle en trouve la preuve dans
( 347 )
}
la couronne de Mélilot qu'il a laissée chez elle . A
l'aide de ses chiens , Isis cherche l'enfant qui en est
né ; elle le trouve , l'éleve , et se l'attache sous le
nom d'Anubis , son fidele gardien . Les paranatellons
du Cancer , domicile de la Lune , sont , la
couronne d'Ariadne , ou de Proserpine , composéè
de feuilles de mélilot , le chien Procyon et le grandchien
, dont une étoile est appellée Étoile d'Isis . Le
grand- chien lui - même ou Sirius , fut adôré en Égypte
sous le nom d'Anubis .
Les paranatellons du Lion , domicile du Soleil ,
ou d'Adonis , dieu de Byblos , sont le fleuve du Verseau
, et Céphée , roi d'Éthiopie , appellé Regulus ,
ou simplement le roi . A sa suite se levent Cassiopée
sa femme , ou la reine d'Éthiopie , Andromède sa
fille et Persée son gendre : tous paranatellons en
partie de ce signe , et en partie du signe suivant.
Isis se transporte à Byblos , et se place près d'une
fontaine , où elle est rencontrée par des femmes de
la cour d'un roi . Le roi et la reine veulent la voir.
Elle est amenée à la cour , et on lui propose d'y
remplir les fonctions de nourrice d'un fils du roi.
Isis accepte.
Devenue nourrice , Isis allaite l'enfant pendant la
nuit ; mais par un prodige étrange ellë ne place pas
pour cela son sein dans la bouche du nourrisson {
c'est le doigt qu'elle y insinue . Ensuite elle consume
par le feu toutes les parties de son corps qui étaient
mortelles . Enfin , elle s'échappe sous la forme d'une
hirondelle , et se pose près d'une grande colonne å
laquelle tenait le coffre dépositaire des restes de son
époux. Eratosthene donne à la Vierge du zodiaquè
Z 2
( 348 )
le nom d'Isis . On peignait , de toute antiquité , dans
ce signe une femme qui allaitait un enfaut ; cet en
fant ne peut être que le jeune fils d'Isis , dont elle
accoucha vers le solstice d'hiver , et que les spheres
arabes appellent Jésus . Les paranatellons de la Vierge
sont le mât du vaisseau céleste , le poisson- hirondelle
et une partie de Persée , gendre du roi d'Éthiopie . ,
La Balance était le dernier des signes supérieurs , et
la pleine lune de ce signe précédait l'entrée du Soleil
au Taureau , époque où le Soleil se réunissait à elle
pour commencer une nouvelle année équinoxiale .
Les paranatellons de la Balance sont nombreux : on
y trouve Persée , gendre et fils du roi , d'Éthiopie ;
Bootès , ou le Bouvier que l'on appellait le nourricier
d'Orus ; le fleuve d'Orion qui se couche le matin;
le porc d'Érymanthe , ou l'ourse céleste , chien
de Typhon ; et le dragon du pole qui fournit à Typhon
ses attributs. Ayant découvert le coffre précieux.
Isis s'en empare , quitte Byblos , montée sur
un navire avec le fils du roi , dirige sa route vers
Boutos ( allusion au Bootès ) , où était le nourricier
d'Orus , et tarit le matin un fleuve d'où s'élevait un
vent trop fort. Elle dépose le coffre fatal dans un
endroit écarté . Mais il est découvert par Typhon
qui- chassait au clair de la lune et poursuivait un
porc . L'assassin reconnaît le cadavre de son rival
et le coupe en quatorze morceaux.
รี
Ces quatorze divisions du cadavre d'Osiris peignent
énergiquement le génie particulier des Égyptiens
, esprit observateur des phases de la nature , si
différent de l'esprit des Grecs qui ne les portait qu'à
embellir. Les prêtres-astronomes d'Égypte désignaient
( $49 )
mystérieusement par ces quatorze divisions , les quatorze
jours qui s'écoulaient depuis la pleine lune.de
la Balance jusqu'à la lune suivante , qui ne devenait
nouvelle que dans le Taureau où elle retrouvait le
Soleil. Pendant cet intervalle de tems , elle perdait
chaque jour une portion de la lumiere qui avait rempli
la totalité de son disque.
Isis rassemble les quatorze morceaux du cadavre
de son époux , leur donne la sépulture , consacre le
Phallus que l'on promenait aux Pamylies , fêtes du
printems , époque de la réunion d'Osiris et d'Isis .
Alors Osiris est revenu des enfers au secours d'Orus
son fils et d'Isis son épouse à laquelle il se réunit
contre Typhon. Mais il reparaît sous la forme d'un
loup , ou d'un cheval , selon d'autres traditions. -
L'entrée du Soleil au Taureau est marquée par le
lever du soir du Centaure , homme- cheval ; par le
lever du Loup , et par le coucher héliaque ( coucher
simultané avec celui du Soleil ) d'Orion , appellé
astre d'Orus , qui se trouve alors uni au Soleil printanier
dans son triomphe sur les Ténebres ou sur
Typhon.
Isis avait rejoint le terrible Typhon , après avoir
déposé le coffre précieux dans un endroit écarté.
C'est pourquoi elle fut d'abord privée de son ancien
diadême par son fils , lorsqu'elle voulut se réunir
à Osiris prêt à combattre Typhon . Mais elle reçut
bientôt de Mercure un casque à forme de tête de
taureau , qui lui en tint lieu . Alors Qrus sous les
traits d'un guerrier , et tel que l'on peint Orion , combat
et défait le lâche Typhon qui avait attaqué son
pere sous la forme du Serpent du Pole , ou du fa-

1.
Z 3
( 350 )
F
}
meux Python, Ainsi voit- on , dans Ovide , Apollon
défaire Python , au moment où lo , après avoir reçu,
les faveurs de Jupiter , est métamorphosée en vache
et transportée dans le Taureau- céleste où elle de-.
vient Isis .
A la nouvelle Lune , oy Néoménie du printems ,
au moment où le Soleil et la Lune sont réunis avec
Orion , ou l'astre d'Orus , l'année équinoxiale finit
et recommence . La nouvelle Lune qui s'est rajeunie
dans le Taureau , ne se montre de nouveau que sous
la forme du croissant et dans les Gemeaux , domicile
de Mercure . Alors Orion uni au Soleil , précipite
le Scorpion son rival dans les tenebres , et le
fait coucher toutes les fois qu'il reparaît avec le
Soleil le matin. Le jour prolonge sa durée , et les
germes du mal sont détruits. Ainsi , dans le poëme
de Nonnus , Typhon est vaincu à la fin de l'hiver ,
dès que le Soleil parcourt le Taureau , et que l'astre
d'Orus , ou Orion , paraît dans les cieux . Ainsi , dans
Ovide , après la métamorphose de Lycaon en loup ,
arrive le déluge , suivi, de la victoire d'Apollon sur
Python , le Dragon du Pole .
Ici se termine la légende sacrée d'Isis . Ses courses
sont de même nature que less voyages et les conquêtes
d'Osiris, Le ciel étoilé , a été le champ de ces
voyages célebres dans l'antiquité ; mais ce ne fut qu'à
l'époque très- reculée , où le Soleil ouvrait l'année ,
placé dans le signe du Taureau .
( 35 )
LIT
RATURE
.
Élégies de Tibulle , avec des notes et recherches de mytho
logie , d'histoire et de philosophie ; suivies des Baisers
deJean second. Traduction nouvelle , adressée du donjon
de Vincennes , par Mirabeau l'aîne , à Sophie Ruffey
avec 14 figures ; trois volumes in-8° . A Paris , chez
Bozerian , quai des Augustins , no . 33. 2
CES trois volumes forment un des plus agréables
recueils qui aient paru depuis long- tems . Les deux
premiers contiennent des traductions de deux poëtes
intéressans , avec des notes curieuses , savantes et philosophiques.
Le troisieme offre des contes , des nouvelles
traduites ou imitées de différens auteurs , qui
respirent le bon goût et la volupté . Tous ces morceaux
sont le fruit du loisir et de la captivité d'un
homme célebre par les malheurs d'une jeunesse
bouillante , par son génie , son éloquence et le rôle
important qu'il a rempli dans le commencement de
la révolution . C'est dans sa prison qu'il les travaillait
; c'est de là qu'il les adressait à une amie aussi
infortunée que lui , qui les a copiés de sa main , et
qui en a disposé avant sa mort , Les estampes mêmes ,
au nombre de 14 , ont été composées par Mirabeau ;
il écrivait à son amie : "6 Je t'envoie , ma tendre en-
** Afted
fant , les sujets d'estampes que j'ai composées
" pour mettre à la tête de chaque livre de cet ouvrage
. J'espere que tu en seras contente . "1
(
Z 4
( 352 )
Tibulle , l'ami d'Ovide et d'Horace , estimé de ses
contemporains , est du petit nombre de ces poëtes
charmans , qui ont su , par la peinture vraie de leurs
goûts , de leurs plaisirs et de leurs affections passionnés
, se faire un nom auquel seront toujours attachés
des souvenirs agréables . Avec l'expression
d'une sensibilité touchante , il nous a transmis en
vers élégans , pleins de grace et de délicatesse , les
sentimens les plus chers de son coeur ; et les soupirs
qu'il exhale sur l'infidélité de ses maîtresses ,
intéressent encore les amans qui ont à craindre ou
gémir comme lui de l'inconstance des leurs . C'est
Tibulle qu'on relit toujours dans ces instans de bonheur
ou de désespoir , de tendresse ou d'emportement
, qu'un amour heureux ou trompé fait desire r
de prolonger ou d'oublier après la jouissance .
Mirabeau , flétri par des malheurs qui avaient leur
source dans une passion que traversaient tous les
obstacles , éprouvait dans les fers où elle l'avait jetté
cette mélancolie profonde qui le repliait sur tous
ses sentimens . On l'avait séparé d'une femme qui
l'aimait. Il cherchait dans Tibulle un aliment à ses
feux , une consolation à ses peines . Avec une ame
ardente , il avait les talens d'un grand écrivain , et
les dispositions essentielles à quiconque veut faire
parler un poëte dont le caractere passionné avait
quelqu'analogie avec ses propres sentimens. Il ne
lui manquait que les moyens que fournit une langue
iche , variée , pleine d'harmonie , qui a plus de
ressource que la nôtre , pour rendre toutes les nuances
des passions , et en exprimer l'énergie .
Notre idiôme chaste et timide , trop souvent em(
353 )
ployé à n'exprimer qu'une galanterie froide et spirituelle
, traduit mal cette passion que les anciens
nous ont peinte avec l'accent et l'expression d'une
sensibilité vraie , qui parle encore plus aux sens qu'à
l'imagination.
Dans les lettres de Mirabeau à sa Sophie , qui ont
paru après sa mort , on voit qu'il ressentait l'amour
avec les transports d'une grande sensibilité physique ,
Mais on voit aussi que son esprit cherchait quelquefois
à l'exprimer avec la tournure métaphysique
d'un romancier , ou avec le ton recherché d'une
exaltation peu naturelle ; trop souvent employée par
Rousseau dans son Héloïse ,
Les anciens , plus près de la nature , en retraçaient
les sentimens avec plus de vérité. Ne s'étant point
fait un art de séduire pour tromper les femmes , ils
peignaient en images le trouble des sens , et n'exprimaient
que ce qu'ils sentaient. Ils ne se donnaient
point la peine d'habiller , en jargon sophistique , une
passion qui n'eût eu de réel que la vanité ou l'ambition
d'afficher une conquête nouvelle .
Dans les républiques , il est peu de ces désoeuvrés
qui , pour tromper leur ennui , sont jaloux de
la réputation d'hommes à bonnes fortunes , qui , méditant
à loisir des moyens d'attaque , savent feindre
ce qu'ils n'éprouvent pas , et ne cherchent dans leur
jouissance que des triomphes d'amour-propre. Tibulle
éprouvait des passions vraies . Ses vers les
offrent avec l'expression juste du sentiment.
Mais s'il plaît dans sa langue par le charme et la
molesse de son style , est- il aussi aisé de le faire
connaître dans la nôtre avec des avantages équiva(
354 )
lens ? Mirabeau y a- t- il réussi ? Cette traduction
nouvelle , dit l'éditeur , a le rare mérite de réflé-
» chir sur toutes les beautés de l'original. Tibulle ,
sous la plume du nouveau traducteur , parle français
avec la même grace et la même molesse : c'est
la même chaleur dans le sentiment , la même vie ,
a le même coloris dans l'expression.
19
Voilà de belles espérances. Comment sont- elles
remplies ? Pour qu'un poëte nous plaise , nous exigeons
de lui , idées , images , sentimens. Nous exigeons
que l'une de ces trois choses domine plus ou
moins dans ses vers , selon le genre de poëme , le
genre de sujet qu'il adopte . Mais toutes trois , dans
les dégrés différens qui conviennent au genre , doivent
concourir à nous intéresser , à nous émouvoir. C'est
un effet nécessaire qu'un traducteur en prose est dans
l'obligation de produire , autant que son idiôme le
permet. Quant au rithme et à l'harmonie qui augmentent
cet effet , la nécessité n'existe que pour les traducteurs
cet vers . Dans le genre élégiaque de Tibulle,
c'est sur tout le sentiment qui l'anime qu'il faut s'étudier
à bien rendre . Les idées et les images n'y sont
qu'accessoires . Voyons si Mirabeau a réussi à copier
fidelement son modele.
Nous avons déja une traduction de Tibulle par
Longchamps , donnée en 1776. En rapprochant les
deux copies de dioriginal , le public jugera mieux de
l'une et de l'autre
TIBULLE. Elégie V.
Asper eram , et benc dissidium me ferre loquebar ;
At mihi nunc longè gloria fortis abest.
( 355 )
Namque agor , ut per plana citus sola verbere turben ,
Quem celer assuetâ versat ab arte puer.
Ureferum , et torque , libeat ne dicere quidquam
Magnificum post hâc : horrida verba doma.
Parce tamen per te furtivi fædera lecti ,
Per Venerem quæso , compositumque caput.
LONGCHAMPS .
Telle était ma fierté , qu'à m'en croire j'allais braver
cette rupture . Ah ! qu'il a fui loin de moi cet orgueilleux
courage ! Le sabot est - il plus tourmenté que
je le suis , quand sur l'arêne applanie , il tourne sous
les coups précipités d'un enfant rompu à cet exercice
. Brûle et déchire un coeur féroce , mets un frein
à l'arrogance de mes paroles , et contrains désormais
mon orgueil à se taire . Mais non , pardonne , je t'en
conjure par Vénus , par ta beauté réparée , par cet
engagement que tes faveurs ont cimenté .
MIRABEA U.
4
J'étais intraitable , et je me vantais de braver une
rupture... Mais , hélas ! que cette gloire , que ce faux
courage est maintenant loin de moi ! Mon coeur est
plus agité que le sabot qui tourne sous les coups
`d'un enfant agile. Brûle -moi , cruelle , et multiplie
mes tourmens ; réprime , punis, mon orgueil ; que
je n'ose plus affecter de superbes dédains , ni teniɛ
de fiers discours.. Delie , épargne-moi cependant,
je t'en conjure par Vénus , par ta beauté , et par tes
sermens prononcés tant de fois dans de furtives nuits ,
et scellés de tant de caresses.
I
( 356 )
TIBULLE .
Ille ego cum tristi morbo defessa jaceres
Te dicor votis eripuisse meis.
Ipse te circum lustravi sulphure puro
Carmine cum magico procubuisset anus.
Ipse procuravi , ne possent sava nocere
Somnia , ter sancta deveneranda mola.
Ipse ego velatus filo , tunicisque solutis
Vota novem Trivia nocte silente dedi.
Omnia persolvi : fruitur nunc alter amore
Et precibus felix utitur ille meis .
At mihi felicem vitam , si falva fuisses ,
Fingebam demens , sed renuente Deo..
LONGCHAMP S.

1. Je suis toujours ce Tibulle , dont les voeux t'ar
rachent au lit des douleurs où t'enchaînait une maladie
cruelle . C'est au souffre que j'allumai par trois
fois , que tu fus purifice , dès que la magicienne eut
annoncé ses présages . Mes pieuses offrandes ont par
trois fois prévenu l'effet de tes songes funestes . Couvert
d'un voile de lin et d'une tunique flottante , j'avais
offert des voeux à Diane dans le silence de neufnuits
consécutives ; et ces voeux , je les ai tous acquittés
. Cependant un autre est heureux ! Le fruit
de mes prieres est d'avoir comblé mon rival . Espoir
insensé que le ciel désavoue , en sauvant ma Delie ,
j'osais compter sur le bonheur !!
MIRABEAU.
Ne suis-je pas toujours celui dont les voeux et les
( 357 )
soins obtinrent ta guérison , lorsqu'une maladie funeste
avait abattu tes forces et consumé tą beauté ?
Tout le monde le dit... C'est moi qui brûlais près
de Delie , ces parfums purs , tandis que la magicienne
savante proférait ses chants prophétiques.
C'est moi dont les sacrifices offerts avec tant de ferveur
t'ont délivré de tes songes cruels : c'est moi
qui , couvert d'une robe de lin éployée neuf fois
dans le silence des nuits , invoquai Minerve : je me
suis acquitté de tous mes voeux ... Et un autre jouit
de ton amour ! Et tu lui prodigues ces charmes que
tu dois à mes prieres ... Insensé que j'étais ! Je me
disais : Ma vie sera trop heureuse , si Delie recouvre
la santé ; je le disais , et les Dieux m'ont trompé !
1
"
Ces morceaux que j'ai pris au hasard fourniraient
à un poëte latin beaucoup de petites chicanes de
détails sur la scrupuleuse exactitude des deux traductions
. Mais il faut s'arrêter à une observation
générale ; c'est que ceux qui n'entendront point par
faitement la langue de Tibulle , retrouveront plus
son esprit , son caractere et son élégance dans Mirabeau
, que dans l'autre traducteur. On le lit avec plus
d'intérêt. L'on y sent mieux le mouvement de la
pensée et du sentiment de l'original. Avec plus de
liberté , la marche du style a plus de naturel . Sa
période a plus de rondeur , 'de plénitude et de variété
; ce qui n'est pas un médiocre avantage dans
une traduction d'auteur élégiaque , qui , par la nature
du vers hexamêtre et pentamêtre , doit toujours offrir
un sens fini au bout du second vers . S'il faut beaucoup
d'art dans le poëte pour éviter la monotonie
cet art est bien plus important dans la prose , qui
n'a pas les mêmes ressources d'harmonie .
t
1
( 358 )
On peut reprocher à Mirabeau des négligences de
style. Il étend , il développe quelquefois trop la
pensée de son auteur , mais il conserve toujours son
esprit , et paraît s'être bien pénétré de sa situation , de
ses sentimens ; ce qui produit la même illusion que
s'il les avait éprouvés lui- même. Ce genre de mérite
est rarement celui d'un traducteur ordinaire .
Je ne m'arrêterai point aux notes qui sont à la
suite du texte de chaque Élégie . Elles sont considerables
, et intéresseront sûrement le lecteur. Elles
sont remplies d'une érudition choisie , qui apprend
à connaître les moeurs , les coutumes , les usages civils
et religieux des anciens , et même leurs superstitions .
Les citations y sont peut- être prodiguées ; mais le
choix en est fait avec goût.
Le second volume du recueil est terminé par là
traduction des 13 Baisers de Jean second , un des
poëtes latins modernes le plus aimable , le plus dėlicat
et le plus voluptueux . Il naquit à la Haye en
1511 , et mourut à Utrecht à 25 ans . On connaît l'imitation
qué Dorat a donnée de ses Baisers . Rien n'est
plus froid , ni plus maniéré . La traduction de Mirabeau
offre mieux la véritable peinture d'une amè
brûlante d'amour , que les ornemens recherchés d'un
poëte qui n'avait que de l'esprit .
1
On ne lira pas sans beaucoup de plaisir les contes
et nouvelles qui forment le troisieme volume. Tous
ces morceaux ont été traduits , ou imités , ou extraits
avec goût de différens auteurs . La lecture nous en à
parue intéressante , et donne de Mirabeau l'idéé
d'un écrivain qui tiendra toujours un rang distingué
dans notre littérature .
( 359 )
POÉSIE.
Chant civique pour la fête des Victoires et de la Recon
naissance.
AIR : Jeunes amans cueillez des fleurs , etc.
Vou
"
ous qui dans le feu des combats
Volez de conquête en conquête ;
Vous aussi , sages magistrats
Venez embellir cette fête ;
Bons citoyens , braves ' guerriers ,
Partagez notre jouissance ;
Venez recevoir les lauriers
Des mains de la Reconnaissance.
Venez , vous qui dans le malheur
Trouvâtes un ami sincere ;
Venez , vous qui d'un bienfaiteur
Éprouvez les bienfaits d'un pere ;
Et vous qui devez tant d'amour
Aux auteurs de votre naissance
Venez tous , en cet heureux jour ,
Célébrer la Reconnaissance .
"
( Bis. 1
( Bis. )
Jeunes amans , par des bienfaits
Gagnez le coeur de vos bergeres ;
La vertu passe leurs attraits ,
La bonté nous les rend plns cheres
Espérez un tendre retour
De votre fidelle constance ,
Si l'on résistait à l'Amour ,
On cede à la Reconnaissance.
{ Bis . 】
( 360 )
Voulez-vous un bonheur parfait ,
Suivez la voix de la nature ;
Dans vos coeurs gravez le bienfait ,
Sachez pardonner une injure :
On redouble l'inimitié
Par une funeste vengeance ;
On fait refleurir l'amitié
Par la douce Reconnaissance .
Rien n'est plus vil , plus odieux
Que le péché d'ingratitude ;
Du plaisir d'être généreux
Il éteint l'heureuse habitude .
Ah ! puissent les remords cruels
Des ingrats dévorer l'engeance ,
Quand nous élevons des autels
A la douce Reconnaissance !
Mais faut -il , pour quelques méchans ,
Que la vertu se décourage ?
Faut-il étouffer ces penchans
Qui fixent le bonheur du sage ?
La noble générosité

Porte en elle sa récompense ;
Il est beau d'avoir mérité
L'estime et la reconnaissance .
( Bis. )
( Bis. )
( Bis . )
S'il est doux de faire le bien
Dans une simple métairie ,
Chers amis.... sentez -vous combien
Il est doux d'aimer sa patrie ?.
Sur tous les hommes à la fois ,
Vous qui semez la bienveillance ,
Républicains , amis des lois ,
Recevez ma reconnaissance .
( Bis. )
Et
1
( 361 )
Et vous qui du sein des malheurs
Pleurez un antique esclavage ;
Vous qui de nos soldats vainqueurs
N'osez admirer le courage ;
Voyez enfin de leurs travaux
Naître la paix et l'abondance ;
Voyez le terme de vos maux ,
Cédez à la reconnaissance .
Français , jouis des vains efforts
Que font les rivaux de ta gloire ;
Sois généreux , s'ils ont des torts ;
Sois juste au sein de la victoire .
Chaque peuple alors recevra
Le prix de ta douce alliance ,
Et l'humanité te devra
La plus haute reconnaissance .
( Bis . )
( Bis. ) .
Par le cit. FON..... de Lyon.
ANNONCES.
LITTÉRATURE ÉTRANGERE.
▲ Journey in the year 1793 , etc. , ou Voyage fait en 1793
dans la Flandre , le Brabant , l'Allemagne , la Suisse . Par
C. Este . Un volume in-8 ° . Prix , 6 schell. A Londres ,
chez de Brett.
A Collection of state papers , ect. , ou Recueil de pieces officielles
, relatives à la guerre actuelle de la Grande - Bretagne
et d'autres puissances de l'Europe contre la France , etc.
Trois volumes in - 8 ° . Chez le même.
On attribue ce recueil à lord Lauderdale .
Tome XXII. A a
( 382 )
NOUVELLES ÉTRANGERES .
ON
ALLEMAGNE,
De Hambourg , le 10 juin 1796.
N mande de Stockholm qu'un courier arrivé le
12 de ce meis de Pétersbourg , a apporté des nouvelles
pacifiques , et que la bonne amitié et l'harmonie
sont rétablies entre la Russie et la Suede . Dėja
M. de Rosenstein a reçu ordre de dégréer la flotte
qui est à Stockholm ; et le gouvernement a fait annoncer
officiellement à la bourse que les marchands
et négocians pouvaient continuer leurs affaires de
commerce sans aucune espece de crainte.
1
Cependant la grande flotte doit mettre à la voile
le 24 de ce mois. Les chirurgiens destinés à cette
flotte partent du collége royal de médecine pour se
rendre à Calrskrone , et les régimens commandés
pour cette destination n'ont point interrompu leur
marche.
Quelles sont les conditions qui ont été proposées
à la Suede , et qu'elle a bien voulu accepter , pour
recouvrer la bienveillance de Catherine II ? C'est ce
que l'on ignore . Mais la promptitude et la vigueur
des mesures du cabinet de Stockholm pour repousser
l'attaque dont il paraissait menacé , doivent faire présumer
qu'il n'aura point acheté la paix par des sacri(
363 )
fices qui pourraient blesser son indépendance et sa
dignité , ou froisser d'anciens engagemens que ses
intérêts les plus évidens ne peuvent lui permettre
de négliger.
Quoi qu'il en soit , on doit s'attendre que Catherine
II , délivrée de cette diversion , va se livrer avec
plus d'activité à l'exécution de ses projets contre la
Porte.
}
C
Mais il paraît que cette derniere puissance cédant
enfin aux leçons de l'expérience , pourra opposer aux
Russes des armées redoutables , non- seulement par
leur nombre , mais aussi par leur discipline . Elle a
envoyé des officiers français aux troupes qu'elle rassemble
en Asie , pour former ces troupes aux manoeuvres
de la tactique européenne ; et elle attend
avec d'autant plus d'impatience ceux qui accompagnent
le nouvel ambassadeur de la République
Française , Aubert Dubayet , qu'elle a engagé quelques-
uns de ces utiles instructeurs qui étaient à son
service à passer à celui du Sophi de Perse , son allié .
Au reste , les armes , les munitions s'accumulent dans
ses arsenaux . Il doit lui en arriver de Marseille une
très- grande quantité , que des négocians se sont engagés
à lui livrer.
De Francfort-sur-le-Mein , le 10 juin.
Le 21 du mois dernier la rupture de l'armistice fut
annoncée au général français par la lettre suivante
du général baron de Kray , remise au commandant
des avant- postes .
Monsieur le général , S. A. R. Mgr . l'archiduc Charles ,
général en chef de l'armée impériale et royale du Eas - Rhin ,
A a 2
( 364 )
et de celle de l'Empire , m'a fait connaître que , quel que soit
le desir de S. M. l'empereur d'épaigner à l'humanité souffrante
les calamités d'une nouvelle campagne ., les dispositions
peu accommodantes du Directoire français l'obligeaient
à supprimer ses intentions pacifiques , et à reprendre les
armes pour terminer une guerre désastreuse qui répugne à
ses sentimens .
En conséquence de quoi , j'ai l'honneur de vous prévenir
que, l'officier porteur
de la présente , a l'ordre de rester
chez vous jusqu'à Texpiration du terme de dix jours , à compter
de son arrivée à vos avant-postes , d'après les conditions
stipulées de l'armistice , et que la suspension d'armes cessera
au moment que ce terme sera écoulé. Vous voudrez bien ,
monsieur , avoir la complaisance de me constater l'arrivée de
l'officier , et d'accuser la réception de la présente notification
.
Les armées françaises ont déja répondu à cette lettre
de maniere à faire présager à la cour de Vienne les
mêmes chances en Allemagne qu'en Italie . Les nouveaux
revers qui la frappent sur les bords du Rhin ( 1 )
lui donnent lieu de se repentir vivement d'avoir
rompu la suspension des hostilités , et doivent faire
obtenir quelque prépondérance au conseil qui , à la
nouvelle des défaites rapides essuyées sur les bords
du Pô , de l'Adda , etc. , fut donné dans un comité
secret à l'empereur , d'entrer en négociation pour
obtenir la paix . On dit que l'auteur de ce conseil
salutaire est le comte de Collowrath , ministre directorial.
On doit croire , d'après les mutations nombreuses
que l'empereur a faites dans les différentes parties de
l'administration , qu'il a pensé que la cause de ses
disgraces était dans l'impéritie ou la mauvaise
volonté de ses agens . Il a destitué tous les membres
"
( 1) On trouvera à l'article de Paris les rapports officiels de
nos saccès en Allemagne.
( 365 )
du conseil de guerre ; mais ceux qui les remplacent
n'ayant pas fait changer la fortune , ce prince doit
être détrompé ; et reconnaître enfin que des soldats
républicains qui combattent pour la conservation
de leur liberté , de leur indépendance , pour la
défense d'intérêts qui leur sont connus et qu'ils ont
tous appréciés , doivent avoir un ascendant invincible
sur des soldats qui ne le sont devenus que par
besoin ou par contrainte, et dans le plus grand nombre
desquels en conséquence il ne peut exister aucun de
ces sentimens , aucune de ces affections qui exaltant le
courage , l'amour des succès jusqu'à l'enthousiasme ,
font que l'on n'est retenu par aucun danger , ni déconcerté
par aucun obstacle . S'ils s'avancent quelquefois
aux combats avec quelqu'intrépidité , c'est qu'ils .
mettent une grande confiance dans leur nombre , ou
dans l'habileté des chefs qui les commandent. Mais
lorsque des désastres successifs ont détruit ou seulement
affaibli cette confiance , leur principal et peutêtre
leur unique mobile est le soin de leur conservation
: ils n'affrontent plus la mort ; ils ne cherchent
qu'à la fuir. Les faits suivans confirment ces observations
: Lorsque les trois grenadiers Wallons , qui étaient
ici en garnison , sé sont mis en route pour Mayence ,
la mort et le désespoir étaient peints sur la figure
de tous les officiers ; les soldats n'ont pu être rassemblés
que très - difficilement ; les officiers ont été obligés
de chercher , à différentes reprises , dans les maisons
bourgeoises où ils étaient logés ; plusieurs se
sont jettés par terre , refusant de marcher , en disant
qu'il aimeraient mieux être tués à l'instant , puisqu'on
voulait les mener à la boucherie. Les esprits
A a 3
( 366 )
étaient tellement échauffés , que les officiers n'ont pas
osé employer la rigueur , et ce n'est qu'à force de
prieres et de caresses qu'ils ont enfin réussi à rassembler
leur monde.
ITALIE. De Livourne , le 30 mai.
La conduite des émigrés français , et encore plus la crainte
du ressentiment de la République Française , ont déterminé
le grand- duc à les chasser de cette ville ; ils ont eu ordre
d'en sortir dans l'espace de trois jours , et de ne pas en
approcher de plus de dix mille .
Trois Français qui se sont sauvés de Corse , où ils étaient
prisonniers , apportent la nouvelle de la prise d'Ajaccio par
les insurgens . Leur nombre s'étant considérablement augmenté
, Zampolino , qui les commande , les a fait marcher
sur cette place et s'en est emparé ainsi que du fort . Ils y
ont arboré le drapeau tricolor : cette conquête est d'une grande
importance , parce qu'ils y ont trouvé des munitions dont ils
manquaient , et qu'ils pourront recevoir plus aisément des
secours de France on dit que les deux tartanes parties de
Marseille et chargées de poudres et d'armes , sont arrivées à
bon port.
aller
Le vice-roi est parti de Bastia avec un corps de troupes ,
pour attaquer les insurgens ceux - ci l'ont laissé avancer
vers Corte , et ont intercepté les convois de vivres destinés
pour les Anglais.
Il paraît que les Corses , trompés par Paoli , se sont réunis
de bonne - foi au parti français , et que bientôt il ne restera
aux Anglais que les places de guerre ; ils ont dans ce momentci
des troupes suffisantes pour dissiper des montagnards mal
armés ; mais comme ils ne peuvent se fier aux habitans des
villes , ils n'osent les dégarnir , et ils seront bientôt réduits à
rester sur la défensive .
On dit que les insurgens ont le projet d'attaquer San-
Fiorenzo si les Anglais perdent ce port , ils seront obligés
de quitter la Méditerranée ; les Français leur fermeront alors
tous les ports d'Italie . Ce qui encourage les Corses à l'in
surrection , c'est de savoir que des Corses sont à la tête de
l'armée d'Italie , et que cette armée est victorieuse . Ils croient
que
la République Française n'abandonnera jamais la Corse .
SUISSE. De Basle , le 28 mai,
On verra , par les pieces suivantes , que le Direc(
367 )
toire de la République Française a eru devoir provoquer
, de la part du canton de Basle , des assurances
plus précises sur les mesures relatives à la conservation
de sa neutralité , que celles que renferme sa
réponse à la déclaration que lui remit , lé 5 du mois
dernier , M. Barthélemy.
Lettre de M. Barthelemi , ambassadeur de la République Française
, au canton de Basle , du 20 floréal , an IV de la République
Française , 9 mai 1796.
MAGNIFIQUES SEIGNEURS ,
Les ordres du Directoire exécutif de la République Française
m'obligent de rappeller l'attention de votre louable
état sur les circonstances et les motifs qui ont dicté la déclaration
et les motifs que j'ai été chargé de vous remettre de
sa part le 16 germinal dernier ; la réponse que vous y avez
faite , messieurs , n'a point rempli son attente . Chargé de
Ja défense du territoire de la République et du soin de sa
gloire , le Directoire exécutif a dû aller au-devant des événemens
; il a dû faire échouer , en vous les dénonçant ,
les projets des enne mis de la France et de sa constitution
républicaine ; il a dû vous inviter à prendre des mesures ca
pables de le rassurer , de faire respecter votre neutralité
et il vous a fait demander quelles étaient ces mesures . Si
les termes de sa déclaration étaient séveres , c'est que l'objet
en était grave ; c'est que l'expérience des tentatives et des
projets déja plus d'une fois déconcertés de nos ennemis
lui donnait le droit de concevoir des inquiétudes et des soupçons
; c'est que des rapports positifs lui annonçaient qu'on se
disposait à les renouveller ; c'est qu'encore dans ce moment
il a besoin d'être rassuré sur les sentimens plus qu'équivoqués
de plusieurs états helvétiques , dont quelques-uns n'ont pas
craint de mettre en doute l'existence de la République Française
, en refusant de se prononcer spontanément sur l'acceptation
des lettres de créance de son ambassadeur , et en reculant
l'époque de leur détermination par d'outrageans et ridicules
délais . Lorsqu'un gouvernement aussi puissant que celui
de la République Française est ainsi méconnu , lorsque cette
méconnaissance est fondée sur les ménagemens qu'on croit
devoir à des coupables fugitifs , dont toutes les démarches
ne tendent qu'à opérer des déchiremens dans leur patrie ,
contre laquelle ils sont en conspiration permanente , en mêmetems
qu'elles ne tendent qu'à entraîner dans leur chûte les
A a 4
( 368 )
états assez aveugles pour se laisser égarer par eux ; lorsque
des cantons suisses , d'anciens alliés de la France , osent tenir
une conduite si répréhensible , est-il donc aussi étrange que le
Directoire exécutif arrête pour un moment les regards de la
bienveillance , pour ne porter sur vous que ceux de l'inquiétude
? Il est encore d'autres considérationss sur lesquelles
je ne crois pas avoir besoin de m'étendre ici ; elles sont
pénibles sans doute ; et tiennent à la garantie que la République
Française a besoin de trouver dans les sentimens et les
affections des gouvernemens et des peuples des états neutres .
Telles sont , messieurs , as vues qui ont animé et animent
encore le Directoire exécuuf. J'attends de vous , dans le plus
bref délai , une explication franche et amicale , capable de
dissiper les doutes et de ramener sur votre état les sentimens
de sa bienveillance. Il m'a donné ses ordres pour ma direction
ultérieure dans le cas que votre réponse ne remplirait pas ce
but. Je prie Dieu , etc.
Lettre de l'État de Base à M. Barthelemi , ambassadeur de la
République Française . Du 11 mai 1796.
Nous voyons avec une peine bien véritable , par la lettre
de votre excellence du 20 floréal , que nos sentimens semblent
être méconnus , et que nous soyons dans le cas de voir
suspendre les dispositions de bienveillance du Directoire
exécutif de la République Française . Dès que la guerre a été
déclarée , nous promimes la neutralité , et depuis ce tems
elle a été constamment l'objet de nos soins , de notre zele et
de notre sollicitude ; et aucun sacrifice ne nous a coûté pour
la maintenir en proportion des dangers auxquels elle s'est
trouvée , dans de certaines époques , exposée . Rien ne nous
afflige plus profondément que lorsqu'on paraît douter de la
loyauté de notre conduite et de la pureté de nos intentions ,
puisque l'une et l'autre forment la bâse la plus solide de notre
honnenr , de notre indépendance et de notre tranquilité .
Nous prions V. E. d'assurer le gouvernement , dont elle tient
ses pouvoirs , que nous ne nous départirons jamais des principes
que nous ont transmis nos prédécesseurs , et que notre
plus grande ambition est d'en remettre le dépôt intact à ceux
qui nous succéderont. C'est le premier devoir de nos places ,
et le vrai moyen de nous concilier la confiance et la reconnaissance
de nos concitoyens . Il s'en faut bien au reste que
depuis notre lettre du 9 avril nous nous soyons bornés à de
simples voeux pour le maintien de notre neutralité . Nos inquiétudes
relatives à cet objet ayant été communiquées au mi-
2
( 369 )
en
nistre impérial , il nous a écrit , par ordre de l'empereur , que
certainement il n'avait pas la moindre pensée d'agir , ni de
permettre que les émigrés agissent contre les cantons ,
portant atteinte à la neutralité de leur territoire . Nous avons
fait préparer nos signaux et nos canons d'alarme , qui , à cause
de l'armistice et de la saison de l'hiver , avait été mis hōrs
d état de service : or , il est généralement connu que par ce
moyen l'on rassemble en fort peu de jours une très-grande
force. Nous avons fait exercer nos milices , et elles sont prêtes
à marcher au premier signal . L'on a renouvelé aux contingens
des autres cantons qui se trouvent dans le nôtre , la
consigne expresse de redoubler de vigilance aux postes qui
leurs sont confiés. Les représentans du corps helvétique ,
députés auprès de nous pour prendre connaissance de l'état
des choses , et pour agir au nom de toute la confédération
et avertir à tems leurs commettans de tout danger qui pourrait
s'approcher de nos contrées , ne laisse rien échapper de
ce qui peut consolider le repos de la commune- patrie . Nous
avons écrit nous-mêmes à nos co -alliés pour leur rappeller les
traités qui nous lient , et nous venons d'en recevoir l'assurance
unanime que tout est prêt pour voler à notre secours et
défendre nos frontieres . Nous finissons en priant V. E. de
transmettre ces détails au Directoire , et le prémunir sur-tout
contre les rapports exagérés que l'excès du zele à le servir
pourrait lui faire parvenir. Il doit être aussi dans le plan de ses
ennemis de tâcher de surprendre sa religion.
Enfin , le canton de Schwitz s'est réuni à la majorité
, et sous peu de jours l'ambassadeur français doit
recevoir une lettre de félicitation qui constatera ,
dans la forme la plus authentique , la reconnaissante
de la République Française par tout le Corps helvétique
et l'admission de son ambassadeur,
Le conseil de Basle vient de décider , à l'unanimité ,
d'envoyer à Paris M. Ocho , devenu grand tribun de
l'Etat pour porter au Directoire exécutif l'assurance
des dispositions de bon voisinage et d'attachement
que le gouvernement de Basle , pris en masse ,
jamais cessé de manifester pour la République Française.
n'a
Du 2 juin. L'avant - garde du corps de Condé a reçu
l'ordre de remonter le Rhin , et de reprendre sur les
derrieres la position qu'il avait l'année derniere.
( 370 )

Cette troupe , dont les Autrichiens paraissent fort
embarrassés , a excité dans le Brisgaw une haine générale
qui a éclaté dans plusieurs rixes sanglantes .
De Rome , le 25 mai.
Le 11 de ce mois , le pape , après avoir fait sa priere dans
La basilique de Saint-Pierre se mit en route pour Terracine ,
accompagné de monsignor Bandi , son aumônier sécret , et
de monsignor de la Porta , trésorier- général . Mais attendu
les circonstances actuelles , S. S. avant de partir , chargea la
congrégation d'état de pourvoir aux mesures de circonstances ,
avec injonction de ne rien décider sans l'avis et la présence du
cardinal Albani , doyen du sacré college .
Pendant l'absence de S. S. il arriva à la secrétairerie d'étar
divers couriers dépêchés de Bologne , de Ferrare , du fort
Urbin et d'autres places . Les gouverneurs demandaient des
instructions sur la maniere dont ils devaient se conduire dans
le cas que les troupes françaises qui s'avançaient en Italie se
présentassent.
En conséquence , la congrégation d'état se rassembla le
mardi matin , et adressa à S. S. une supplique , par laquelle
elle lui demandait de revenir promptement à Rome , vu les
circonstances graves du moment. S. S. répondit qu'elle allait
revenir sur-le- champ , et en effet elle arriva ici hier dans
l'après-midi , et peu après il fut expédié des instructions
aux légats et vice - légats des places de l'état ecclésiastique .
Le 12 , au matin , le cardinal Hertzan , ministre de l'empereur
, partit par la route d'Ancone , où il devait s embarquer
pour Trieste ; mais s'étant trouvé très- incommodé à la poste
de Bacano , il se vit contraint de revenir à Rome . Cette capitale
, et sur-tout la prélature , sont dans une agitation inquiete ,
difficile à peindre.
Les agitations , les perplexités se sont accrues de jour en
jour, parce que de jour en jour on apprenait que tous les
obstacles s'applanissaient devant les Français ; et que l'on prévoyait
que la rapidité prodigieuse de leurs progrès les amenerait
dans peu aux portes de cette capitale . Le pape voulant
prévenir cette invasion probable , a pris le parti de recourir à
la négociation ; et a député vers , le général Buonaparte , le
sénateur Rezzonico et le marquis Massimi . Le chevalier
Dazarra , ministre d'Espagne , les accompagne ; et l'on espere
que sa médiation que le pape a réclamée, contribuera à adoucir
les conditions du traité qui doit se conclure avec les Français .
On dit que le général Buonaparte demande l'Apollon du
( 371 )
-
Belvedere , le Lacoon , et 50 tableaux choisis dans l'étendue
des états du pape , et 40 millions en monnaie ou en argenterie.
La cour de Naples non moins effrayée que celle de
Rome , quoiqu'elle ait plus de moyens de défense , mais
qui a pris à la guerre contre la France une part plus ostensiblement
active , cherche aussi à éloigner la juste vengeance
des vainqueurs . Elle a donné ordre à tous ses ministres dans
les différentes résidences d'Italie , de se concerter à cet effet
avec le prince Belmonte , nouvellement arrivé de Madrid &
Venise , ( 1)
ESPAGNE . De Madrid , le 20 avril.
2
On mande de Cadix qu'outre l'escadre considérable de
l'amiral Solano , qui est prête à mettre à la voile , on équipe
avec la plus grande activité douze autres vaisseaux de ligne ,
avec différentes frégates , pour la Havane . On fait à cette
occasion une grande levée de matelots dans ce département,
et on attend de Barcelonne un grand nombre de troupes qui
doivent y être débarquées .
On a ordonné aux commandans de nos escadres , lorsqu'ils
feront arborer le pavillon royal , de placer le pavillon de la
République Frençaise au même endroit où était placé autrefois
le pavillon de la France.
Le 19 , neuf vaisseaux de guerre anglais se présenterent
à la vue de notre port.
L'escadre française commandée par Richery est dans notre
rade.
On attend bientôt un riche convoi de Lima . Déja le vaisseau
le Saint-Gabriel , qu'on croyait avoir péri avec d'autres
vaisseaux après la tempête dont ils furent assaillis vers le détroit
de Bahama , est arrivé à Cadix , le 17 du mois dernier ,
chargé des trésors de Carthagene dans l'Inde . Tous les jours
il arrive de nouveaux bâtimens . On a appris seulement que
la frégate la Calypso a péri dans cette bourrasque , mais l'équi
page et la cargaison ont été sauvés .
Le général Pérignon , ambassadeur de la République Française
, est arrivé dans cette capitale , et a déja reçu la visite
des ambassadeurs et ministres des puissances alliées ou neutres .
Le roi lui a fait présent , par le ministere du prince de la
( 1 ) On trouvera à l'article de Paris les rapports officiels
des événemens qui ont eu lieu dans la partie d'Italie qui est
le théâtre de la. guerre .
1
( 372 )
Paix , d'un superbe carosse avec les chevaux richement harnachés
, et de deux très-beaux chevaux de main . Il fait tous
les préparatifs nécessaires pour être présenté en cérémonie au
roi à Aranjuez , et lui remettre ses lettres de créance . ‹ˆ
Le département de la guerre vient de publier une ordonnance
relative à une nouvelle levée de quintès ( milices ) qui
sera portée à 60 mille hommes . Ces troupes sont destinées à
completter les régimens qui ont servi dans la derniere guerre ,
et n'ont pas été licenciés .
On apprend des trois départemens de la marine , de
Cadix , du Férol et de Carthagene , que tous les gens de mer
du voisinage de ces ports , ont été mis en requisition , et
que
l'on Y arme les meilleurs vaisseaux .
Il file continuellement des troupes qui vont s'embarquer à
Cadix , ou renforcer le camp de Saint- Roch.
On attend incesssmment la publication d'une bulle du pape ,
qui réunira ou abolira divers couvens de moines , de sorte
qu'il n'y aura plus , dans chaque cité , qu'une seule maison
du même ordre.
ANGLETERRE. De Londres , le 24 mai.
Quoique notre feuille paraisse tous les jours , dit le Morning-
Chronicle , il nous est impossible de suivre les Français
dans leur marche victorieuse . A peine avons- nous annoncé
la défaite d'un général , la réduction d'une ville ou la conquête
d'un pays , que nous apprenons une nouvelle victoire
, plus belle , plus étonnante encore que celles qui l'ont
précédée. Ainsi , la relation que nous présentâmes hier des
succès les plus glorieux , sera suivie aujourd'hui de celle
de succès encore plus admirables et plus décisifs : nous disons
décisifs , car elle a décidé du sort de leur glorieuse campagne .
En effet , elle leur ouvre l'Italie entiere , et nous ne doutons
pas qu'ils ne reçoivent successivement l'hommage de tous les
princes de cette contrée , et qu'ils ne leur dictent des conditions
d'après lesquelles il leur sera permis de garder leur
territoire , comme nous sommes assurés que les vainqueurs
déployeront dans l'exercice de leur puissance une modéra--
tion capable de faire rougir de honte ces gouvernemens qui
ne parlent que de leur justice et de leur humanité , lorsqu'à
en juger par le partage de la Pologne et l'expulsion de son
chef , leur seule regle de conduite consiste à s'emparer du
territoire des vaincus. Les lettres de Buonaparte et de Salicetti
, peindront beaucoup mieux les effets prodigieux de l'enthousiasme
qui anime les armées françaises , et qui a fait du
( 373 )
combat livré sur le pont de Lodi un des plus beaux faits d'armes
des tems modernes . On ne saurait disconvenir que par-tout.
où l'homme combat pour sa liberté , il le fait avec une énergie
et une valeur absolument inconnues à ces hommes -machine
qui ne sont mûs que par le ressort de l'obéissance et de la
discipline. Ce n'est pas le Français , quelque brave qu'il soit
naturellement , mais l'homme libre qui a réduit l'Italie dans
l'espace d'un seul mois , et nous osons prédire que rien ne
pourra résister à ce torrent , si la folie des cours et des cabinets
de l'Europe continue de vouloir s'opposer à l'affermisse-
'ment de la liberté en France .
Grand Dieu ! quelle époque dans les tems et dans l'histoire
que celle dont nous sommes les témoins ! Quoi ! les vents
sont changés , et nous conservons toujours nos anciennes
armures Bien plus , au moment d'être abandonnés par tous
nos alliés , et de rester seuls sur la brêche , exposés aux dangers
d'une guerre que les Français nous accusent d'avoir provoquée
, nous nous endormons sous la main d'un ministre
qui depuis trois ans révolus nous berce avec des contes : nous
avalons à longs traits la coupe empoisonnée de l'espérance .
Ah ! puisse être éloignée la ruine d'un peuple qui , dans le
moment même où nous écrivons , choisit les valets des lords
et les sycophantes des ministres pour être ses représentans
dans le sénat de la nation ! Ne désespérons pas du salut de
ce peuple , et croyons qu'il sortira enfin de sa léthargie.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
CORPS LÉGISLATIF.
Séances des deux conseils , du 15 au 25 prairial.
Dumolard , organe d'une commission , expose
dans le conseil des Cinq cents l'insuffisance des
pensions des religieuses. On demande le renvoi
à la commission des finances , et il est arrêté de
même que celui du message du Directoire qui écrit
au conseil , que les bâses du traitement des fonctionnaires
publics et des employés sont telles , qu'il
est impossible qu'ils soutiennent leur existence .
Defermont , au nom de la commission des finances :
( 374 )
Les malveillans et les agioteurs ont répandu le bruit
que l'échange des assignats contre les mandats n`aurait
pas lieu aujourd'hui ; eh bien ! il y a 136 bureaux
ouvers et en activité à Paris ; il y en a un au Bourg-
Egalité , et un autre à Franciade. L'échange se fait
depuis ce matin 9 heures. On a beau calomnier le
gouvernement et dire qu'il cherche à entraver les
ventes des domaines nationaux ; il faut apprendre au
public que déja plusieurs receveurs qui ont abusé
de leur ministere viennent d'être arrêtés ; savoir , un
à Paris , deux à Bordeaux , et qu'ils vont être traduits
en jugement. Les ennemis de la France n'aiment
pas les mandats , et il est naturel qu'ils fassent tout
pour les discréditer ; mais la brave armée d'Italie les
échange contre des millions en numéraire , et si tous
les bons citoyens secondaient les efforts du Corps
législatif et du gouvernement , nous n'aurions jamais
à regretter , comme on l'insinue , l'aliénation des
domaines nationaux . Je demande le renvoi à une
commission . Adopté .
Sur la motion de Duprat , le conseil nomme une
commission pour examiner la question de savoir comment
seront punis les commissaires du Pouvoir exécutif
qui prévariqueront dans leurs fonctions , ainsi
que ceux qui se permettraient de faire ou d'ordonner
des visites domiciliaires suivant d'autres formes et
dans d'autres cas que ceux prescrits par les lois constitutionnelles
.
On annonce un message du Directoire relatif à
Drouet. Le conseil se forme en comité général pour
en entendre la lecture .
Celui des Anciens approuve une résolution portant
que les listes générales des émigrés qui étaient
déposées ci-devant aux secrétariats des administrations
de district , le seront à l'avenir à celui des administrations
municipales . Il adopte également celle qui autorise
l'archiviste à remettre au Directoire le paquet
cacheté déposé par Boissy-d'Anglas , qu'il a déclaré
contenir des articles secrets conclus entre la République
et diverses puissances Enfin , il autorise l'acquisition
des bâtimens et terreins , dont la réunion
( 375 )
au Muséum d'histoire naturelle a été ordonnée par /
le décret du 21 frimaire an III .
4
Plusieurs membres ayant dénoncé aux deux conseils
certains receveurs des domaines nationaux , qui
de concert avec des agioteurs , ont faussement attesté
le dépôt qu'ils devaient faire du quart en mandats
du prix des biens nationaux qu'ils se proposaient
de soumissionner. L'administration des domaines
nationaux demande aujourd'hui au conseil des Cinqcents
des moyens repressifs de ces prévarications.
Daunou présente un projet de résolution qui a
pour but dee ne permettre au Directoire de nommer
aux places vacantes dans les administrations de département
et de canton , que dans le cas où il ne
resterait aucun membre de ces administrations . L'im
pression du rapport est arrêtée ,
Real fait proroger jusqu'au 1e , fructidor prochain
l'exécution du code hypothécaire.
Le Directoire exécutif demande d'être autorisé à
faire passer à la distance de dix myriamêtres de
Paris dix mille hommes de troupes destinées , tant
au remplacement de celles sorties de cette commune
qu'au service des armées.
Hermand fait part au conseil de l'impossibilité de
trouver des instituteurs et institutrices pour les écoles
primaires , si on ne leur accorde pas un traitement
fixe. Il propose un projet de résolution , qui porte
en substance que ce traitement sera reglé par les
administrations de canton , levé sur les contribuables
par sous additionnels , et que les bâtimens destinės
à l'instruction , seront réparés aux frais des cantons .
Les parens doivent aussi payer pour leurs enfans une
rétribution annuelle déterminée par l'administration
centrale .
Bailleul réclame l'ajournement , parce que par une
résolution qui n'a pas encore été discutée par le conseil
des Anciens , les dépenses de l'instruction publique
ont été mises à la charge des départemens .
L'ajournement est prononcé .
Camus , au nom de la commission de la trésorerie,
prend la parole : Vous avez mis , dit-il , à la disposi(
376 )
tion de la trésorerie une somme de 600 millions valeur
fixe ; mais ces fonds sont épuisés. Elle a remis
aux notaires de Paris , pour l'échange , 268 millions ;
en sorte que sur les 600 millions elle n'en a réellement
pas dépensé 300 , puisqu'il lui reste encore
environ 59 millions . Mais il ne faut pas attendre le
dernier moment ; la commission vous propose de lui
donner de nouveaux fonds. La malveillance a cherché
, par tous les moyens possibles , à discréditer le
mandat ; nous croyons qu'il importe de déclarer que
les 2 milliards 400 millions ne sont point dépensés ,
comme l'ont insinue certaines feuilles mensongeres ,
ni même sur le point de l'être , puisqu'il n'y a pas
encore six cents millions de promesses en circulation.
Il est également faux que la trésorerie paie au
cours ; elle paie toujours en valeurs fixes . Mais ,
dira t on , pourquoi ne voit - on que des promesses et
point de mandats ? N'est- ce pas encore un piége qu'on
nous tend ? Que les citoyens se rassurent : il ne sera
émis de promesses qu'autant que la loi le porte , et
elles seront retirées à mesure , › et remplacées par les
mandats.
Je vous propose de mettre à la disposition de la
trésorerie un nouveau fonds de 600 millions pour
fournir tant aux échanges qu'aux paiemens à faire en
exécution des lois . Adopté.
Beffroi , au nom de la commission des finances , a
la parole : Le discredit des mandats ne vient , dit- il ,
que des doutes qu'on a sur l'exécution de la loi du
28 ventôse. La commission s'occupe des moyens de
leur donner un écoulement par lespatentes ; elle vous
présentera incessamment ses vues à cet égard. Quant à
présent , elle a pensé que vous deviez activer la rentrée
des mandats par les soumissions faites , faciliter
l'exécution des lois des 28 ventôse et 6 floréal , mettre
les soumissionnaires à même de remplir leurs engagemens
, et les faire entrer en jouissance des objets
dont ils se sont rendus acquéreurs .
En conséquence , il présente un long projet de
résolution dont voici les dispositions principales :
1º. Ceux qui , conformément aux lois des 28 ventôse
( 377 )
1
tôse et 6 floréal , ont fait des soumissions , seront
tenus d'acquitter , dans les dix jours de la publication
de la présente , le second quart du prix de
l'objet dont ils se sont portés acquéreurs .
2º. Ceux qui à l'avenir feraient des soumissions
en exécution des lois précitées , seront tenus d'effectuer
le second paiement dans les dix jours de la soumission.
3º . La date de la quittance du second paiement
déterminera l'entrée en jouissance de l'acquéreur ;
et les fruits à percevoir depuis cette époque lui appartiendront.
4°. Tout soumissionnaire qui n'aura point satisfait
aux deux premiers articles , sera déchu de sa soumission
; et , s'il avait des concurrens , celui qui avait
le plus soumissionné après lui , pourra reprendre son
rang , mais sera tenu d'effectuer le second paiement
dans les trois jours , aux conditions portées aux articles
ci- dessus .
50. Les administrations de département seront responsables
de tout retard apporté dans l'exécution des
lois des 28 ventôse et 6 floréal .
6°. Le Directoire exécutif prendra toutes les mesures
convenables pour l'exécution de la présente .
Perrin (des Vosges ) déclare que c'est en vain que
le Corps législatif aura de la fermeté , si les citoyens
se jouent des lois , et si les marchands refusent les
mandats. Il demande que le Directoire soit invité
de tenir la main à l'exécution de l'article de la loi
du 28 ventôse , qui prononce des peines contre ceux
qui refuseraient les mandats. La discussion sera continuée
.
La joie était répandue dans tout le conseil et dans
les environs de la salle . Les plus heureuses nouvelles
circulaient de bouche en bouche sur un nouveau
triomphe de nos invincibles armées . Les détails officiels
étaient attendus avec une vive impatience. Un
message du Directoire arrive : le plus grand silence
regne de toute part . Un secrétaire fait lecture du
message. Il annonce que la campagne vient aussi de
s'ouvrir au Nord sous les plus heureux auspices .
Tome XXII, Bb
( 378 )
L'armée de Sambre et Meuse brûlant depuis longtems
d'imiter l'armée d'Italie , a aussi marqué ses
premiers pas par un triomphé . D'éclatans succès
ont été obtenus au même instant sur les deux rives
du Rhin.
Le 12 prairial , le corps de l'armée , commandée
par Jourdan , s'est porté sur le Hondsbruck , et a chassé
l'ennemi de ses positions , qu'il a vainement tenté de
reprendre le 13 .
Le général Kleber s'est porté sur la rive droite ; il
a attaqué l'ennemi le 13 , et l'a completement battu ;
il l'a contraint d'abandonner ses positions sur la Sieg ,
et lui a fait perdre 2400 hommes , dont 2000 prisonniers
, parmi lesquels un état - major tout entier ,
et plusieurs officiers de marque . Les Républicains
se sont signalés par des prodiges de courage et d'intrépidité.
Le Directoire espere que cette victoire est le
prélude de nouvelles victoires non moins importantes
, et qui forceront l'ennemi à une paix dont il
a éloigné les bienfaits .
Doulcet demande la parole . Il commence par féliciter
nos armées de leurs immortels triomphes . Il les
montre depuis l'Italie jusqu'au Nord de l'Allemagne ,
étonnant l'Europe par des prodiges sans cesse renouvellés
. Il se rend l'organe de la reconnaissance nationale
à leur égard , et demande que le conseil
s'empresse d'exprimer un sentiment qui est dans le
coeur de tous les bons citoyens , et de déclarer que
l'armée de Sambre et Meuse n'a cessé de bien mériter
de la patrie.
Doulcet s'indigne ensuite de ce que , tandis que
les peuples sont pleins d'admiration pour la gloire
du nom français ; tandis que la plupart des rois sollicitent
l'amitié et l'alliance de notre nouveau gouvernement
, une poignée de factieux et de scélerats
couverts du sang qu'ils ont versé , et altérés de celui
qu'ils veulent encore répandre , osent prêcher contre
la constitution et les autorités établies par elle , les
plus infâmes calomnies.
Il déchire d'une main hardie le voile que des mains
officieuses cherchent à étendre sur les crimes des
( 379 )
anarchistes et sur les machinations qu'ils préparent.
Il les montre sur nos places publiques poussant au
pillage et à l'assassinat les crédules qu'ils égarent ,
appellant le massacre des conseils et du Directoire ....
( Quelques murmures se font entendre ; quelques
voix timides essaient de révoquer ces faits en doute. )
Doulcet conclut en demandant que le conseil or- .
donne l'impression du message du Directoire , et
déclare que l'armée de Sambre et Meuse n'a cessé
de bien mériter de la pattie . Cette proposition est
adoptée à l'unanimité .
Camus annonce que l'échange des assignats pendant
ces quatre derniers jours s'est élevé à quatre milliards
.
Rouyer , organe de la commission des inspecteurs ,
annonce qu'il y aurait eu cette nuit une explosion
dans Paris , si le gouvernement et le général en chef
n'eussent fait marcher à propos des troupes contre
les insurrecteurs qui se réunissaient dans la rue Verte
fauxbourg Antoine.
Le conseil des Anciens approuve plusieurs résolutions
plus ou moins importantes , et entre autres
celle qui porte , que lorsque des ascendans ou descendans
seront condamnés en même tems à la mort ,
et exécutés , et qu'il sera impossible de constater le
prédécès , le plus jeune sera censé avoir survécu .
Legrand propose les réflexions de la commission
dont il est membre , relativement à la résolution qui
attribue au bureau central de Paris la surveillance
des contributions directes. La mesure paraît inconstitutionnelle
à la commission , cet objet étant du ressort
du département. D'ailleurs , le bureau , composé
seulement de trois membres , ne pourrait suffire
à ce travail. Il conclut pour le rejet ; ce qui est
adopté.
Froger , Philippe Delville et Delamarre dénoncent,
dans la séance du 21 du conseil des Cinq- cents , un
attentat à la représentation nationale dans leurs pcrsonnes.
Des inspecteurs de police se sont présentés
chez eux , ce matin , avec des mandats d'amener du
bureau central , sous prétexte qu'ils étaient ex- con-
Bh 2
( 380 )
ventionnels et sujets à la loi du 21 floréal . - Montmayon
a dit être instruit qu'il existait aussi contre
lui un mandat d'amener ; il a vu là plus que de la
méprise , c'est-à- dire qu'il y a vu de la malveillance ,
et il a demandé que les scellés fussent apposés surle-
champ sur les registres du bureau central .
Dumolard a vu aussi dans ces faits un attentat à la
représentation nationale . Il a demandé qu'on ne s'écartât
pas de la constitution , et qu'on s'informât par
un message auprès du Directoire , des mesures qu'il
a prises ou qu'il a dû prendre pour réprimer cet
attentat , et en faire poursuivre les auteurs.
Tallien a déclaré que , depuis un mois , des mouchards
étaient attachés sur les pas des représentans du
peuple , et pénétraient jusques dans leurs sociétés
les plus intimes . Il a dénoncé , comme des royalistes
et des correspondans des princes , plusieurs des principaux
chefs de la police . Il a ensuite ajouté Je vois
avec douleur , depuis trois mois , la réaction qui s'opere.....
Aussi-tôt Henri Lariviere , Doulcet , André Dumont ,
Cadroy , Penieres , Thibaudeau se précipitent à la
tribune , et demandent la parole . La délibération est
suspendue pendant quelque tems . Enfin , le président
rétablit l'ordre et maintient la parole à Tallien ,
qui , un peu interdit de cette opposition , s'écrie qu'il
a acquis le droit de dire son opinion , parle , parle ,
parle de son civisme , de son courage dans des circonstances
non moins périlleuses , et finit par appuyer
la motion de Dumolard .
Thibaudeau l'appuie aussi , comme la seule convenable
à la dignité du conseil . Mais il répond à Tallien
que la réaction est l'ouvrage de cette faction conspiratrice
dont on a saisi les principaux conjurés avec
les preuves matérielles du délit ; de cette faction qui
a assassiné au 2 septembre et au 31 mai . Ses émissaires
, ajoute- t il , s'agitent encore autour de vous ;
ils cherchent à vous effrayer par des menaces et des
déclamations , afin de sauver de grands coupables .
Oui , c'est encore cette faction qui a vraiment réagi
depuis le 15 vendémiaire , et qui s'est emparée de la
victoire remportée par la Convention . J'appuie la
( 381 )
motion de Dumolard ; quand vous aurez les renseignemens
que vous demandez , il sera tems alors de
discuter quels sont les véritables réacteurs .
Le conseil s'est fortement prononcé pour l'opinion
de Thibaudeau et contre celle de Tallien . Il a adopté
la motion de Dumolard .
Le conseil des Anciens donne , dans sa séance du
21 , sa sanction à plusieurs résolutions. Les deux plus
importantes sont celles , 1º . qui déclare que l'armée
de Sambre et Meuse ne cesse de bien mériter de la
patrie . 2 ° . Qui surseoit provisoirement à toutes actions
et poursuites résultantes de la loi du 10 juin
1793 sur le partage des biens communaux , et maintient
dans leur jouissance les possesseurs de ces terreins.
Il rejette celle qui fixait en mandats le mon
tant des droits d'enregistrement et la valeur des
droits du timbre . Le lendemain , il approuve la résolution
qui oblige les soumissionnaires de biens.
nationaux à acquitter , dans le délai de dix jours , à
compter de la publication de la loi , le second quart
du prix des objets dont ils se seront portés acquéreurs
; et sur le rapport de Tronchet , il ratifie encore
celle portant que toute tentative de crime , manifestée
par des actes extérieurs , sera punie comme le
crime même.
Le 22 , le conseil des Cinq-cents , après s'être formé
en comité général , a rendu sa séance publique pour
procéder au scrutin sur la question de savoir s'il y
avait lieu ou non à l'ajournement de l'affaire de
Drouet. Un secrétaire donne lecture de deux messages.
Dans le premier , le Directoire annonce au
conseil que le roi de Sardaigne a ratifié le traité de
paix conclu avec lui. Dans le second , il donne la
nouvelle des brillans succès que nos armées viennent
de remporter sur le Rhin . On n'avait porté qu'à
douze cents le nombre des Autrichiens tués dans la
journée du 13 ; il est de trois mille . Le 14 , notre
armée les a forcés à abandonner le poste important
de Kélerat ; et le 16 , le général Kleber les a attaqués,
de nouveau , et a remporté sur eux une victoire complette
. Il a pris douze canons , tous les caissons , des
Bb 3
( 382 ).
magasins considérables de vivres , de munitions et
de fourages , et fait trois mille prisonniers . Le combat
n'a pas été long , mais d'une vivacité extraordi
naire. Jamais infanterie ne marcha avec plus d'ardeur
; jamais cavalerie ne brava avec autant de cou
rage une cavalerie plus nombreuse.
L'armée d'Italie consolide également ses victoires
par de nouveaux succès. Le Mincio a été passé à la
nage par nos grenadiers , et les Autrichiens effrayés
ont abandonné leur quartier général. Nos troupes
sont à Véronne ; toute l'Italie est évacuée , et déja
notre avant- garde campe sur les frontieres d'Allemagne.
Dumolard dit que les expressions manquent pour.
exprimer les sentimens d'estime , d'admiration et de
reconnaissance dont les membres du conseil sont.
pénétrés pour nos défenseurs , et il fait arrêter que
ces braves armées ne cessent de bien mériter de la
patrie.
Il a été résolu , à la grande majorité , qu'il n'y avait
pas lieu à ajournement dans l'affaire de Drouet . La
discussion s'étant de suite ouverte sur la question ,
si la dénonciation serait admise , la résolution sur
l'affirmative a été prise à la presqu'unanimité.
Le Directoire a envoyé un message relatif aux
mandats d'amener, lancés par le bureau central contre
plusieurs représentans . Ce bureau a déclaré que
c'était l'effet d'une erreur. Néanmoins le Directoire,
a recommandé au ministre de la police de faire les
recherches nécessaires pour savoir la vérité . Le ministre
Cochon assure que le baron de Batz n'est point.
employé dans ses bureaux , et qu'il n'a qu'à se louer
du zele et des talens de Dossonville , dénoncé par
Tallien .
Detorcy à fait au conseil des Anciens le rapport
sur la situation actuelle de Paris . Il donne le détail
de la nouvelle conspiration qui devait éclater dans
le faubourg Antoine . Les séances des 23 et 24 n'ont
au surplus produit aucun résultat important.
Le Directoire appelle l'attention du conseil des
Cinq-cents , dans sa séance du g5 , sur les abus qui
1
( 383 )
1
commencent s'introduire dans l'institution des
jurés ; si le Corps législatif ne s'empresse d'y remédier
, bientôt elle dégénérera en arbitraire par la maniere
dont les questions sont présentées au jury .
Renvoi à une commission. La discussion sur l'effet
rétroactif donné à la loi qui appelle les enfans naturels
au partage des successions de leurs peres et meres
est reprise . Riou parle contre le projet de résolution
tendant à le supprimer ; et Dumolard , en faveur de
ce projet. La question n'est pas encore décidées
Aucun rapporteur ne demandant la parole au conseil
des Anciens , il leve la séance après la lecture du
procès -verbal.
NOUVELLES OFFICIELLES.
ARMÉE DU RHIN . Le général de division Kleber , commandant
Paile gauche de l'armée de Sambre et Meuse , au général en
chefJourdan. -Au quartier-général de Siegberg , le 14 prairial
, an IV.
f
Je t'ai rendu compte dans ma derniere , mon cher camarade
" que , le 12 , le corps d'armée s'était porté dans la
position entre Portz et le château de Bensberg , ce qui faisait
sept grandes lieues de marche . Ce même jour , le général
Lefebvre eut deux petites affaires d'avant-postes ; l'uno , dans
les montagnes aux environs de Bensberg ; l'autre , sur l'Acher ,
entre Troisdorff et l'Ohmar . Nous eûmes quelques blessés.
Le 13 , à quatre heures du matin , le corps
d'armée se
mit en marche sur deux colonnes : l'avant-garde , aux ordres
du général Lefebvre , avait ordre de forcer le passage de
l'Acher , en avant de Troisdorff , à l'Ohmar et à Lonrath ;
d'enlever Siegberg, et de remonter ensuite la rive droite de la
Sieg ,, pour prendre une position vers Happenschoss , afın
d'être le lendemain à même de passer la Sieg au-dessus de
Blankemberg , pour attaquer de revers la position d'Ukerath ,
en cas que l'ennemi voulût y tenir .
La deuxieme division , commandée par le général Colaud ,
avait ordre de forcer le passage de la Sieg sur les deux points.
de Meindorff et Menden , de remonter la rive gauche de cette
riviere , et de prendre position en avant de Busdorff.
Bb 4
( 384 )
L'ennemi occupait et l'Acher et la Sieg , où il s'était forte -
ment retranché . Vers les neuf heures du matin , les deux divisions
étant en mesure , commencerent l'attaque avec impé
tuosité , forcerent les passages et chasserent par-tout l'ennemi
de ses retranchemens . Une partie de l'avant-garde du général
Lefebvre , charge les ennemis jusqu'aux portes de Siegberg ,
s'empare immédiatement après , de la ville et du pont sur la
Sieg , quoique défendu par l'artillerie .
La seconde division , aux ordres du général Colaud , coupe
en deux le corps qui défendait la Sieg , et en jette une partie
contre le Rhin ; mais comme la canonnade était vive du côté
de Siegberg , il se dirige , conformément à son ordre , de
Hute sur Busdorff , afin de soutenir 1 avant- garde du général
Lefebvre , et se contente de laisser deux bataillons pour
observer le petit corps ennemi qu'il laisse sur les derrieres ,
et qui ne tarda pas à se retirer par la route du Rhin sur
l'Intz .
Dès que j'eus la certitude que la division du général Colaud
s'avançait à grands pas , je fis passer la Sieg , au gué , à la
cavalerie du général Lefebvre , commandée par le général
d'Hautpoul , afin de poursuivre l'ennemi ; à cette cavalerie
vint se joindre aussi-tôt celle de la division du général Colaud ,
à la tête de laquelle se trouvaient les adjudans- généraux Ney
et Ormancey. On avance , et par-tout la cavalerie autrichienne,
quoique bien supérieure en nombre , cede du terrein . Alors
le premier régiment de chasseurs , commandé par le chef
d'escadron Richepanse , en atteint une partie à la hauteur
d'Héneff , et dans ce village , il ordonne la charge , et en
fait un carnage horrible. Ce commandant a donné , dans cette
action , des preuves du plus grand sang-froid au milieu des
dangers , et d'une intrépide audace : en poursuivant la cavalerie
, il tombe sur un poste d'infanterie , fait faire halte à ses
chasseurs , ordonne le feu de peloton , et en chassant l'ennemi
, il sait vaincre aussi l'obstacle qu'on voulait mettre à
sa poursuite. Enfin , les Autrichiens par-tout vaincus
retirent avec précipitation , et vont se jetter dans la position
formidable d'Ukerath . Une forte marche et quatre heures de
combat ne me permirent point de laisser poursuivre davantage
, et d'autant moins encore , que cette position , inattaquable
de front , exigeait de grands détours pour la tourner
par ses flancs ; ainsi , l'infanterie de l'avant-garde du général
Lefebvre , continuant sa route toujours sur la rive droite
de la Sieg , passa la nuit à la position d'Happenschoss , et la division
du général Colaud , sur les hauteurs en avant de Busdorff.
se
( 385 )
Il ne m'appartient sans doute pas , de faire l'éloge des généraux
, mes collaborateurs , mais il m'est difficile de ne point
exprimer la satisfaction que j'ai éprouvée , en voyant le zele
et l'activité de chacun d'eux ; l'ensemble qu'ils surent mettre
dans les opérations dont ils étaient chargés , et l'ordre qu'ils
firent réguer par- tout dans leur colonne , même au milieu du
combat.
Les officiers d'état -major se sont pareillement distingués :
par-tout ils ont donné l'exemple aux troupes . Le citoyen
Vi on , adjoint de l'adjudant - général Cayla , avec dix ordonnances
seulement , a fait prisonnier de guerre le poste entier
de l'Ohmar.
Le citoyen Bevalet , adjoint de l'adjudant - général Ney , par
une charge exécutée à propos , protégea le passage de la Sieg,
commandé par le géneral Lorge , sur le point de Menden ;
son chapeau a été criblé de balles .
Beurmann , mon aide- de - camp , reçut un coup de sabre sur
le poignet , mais il fit mordre la poussiere à celui qui le lui
avait donné.
Auguste Damas , aussi mon aide - de - camp , eut son cheval
blessé.
L'artillerie légere s'est conduite à la maniere ordinaire , avec
audace et intelligence . Ses batteries toujours bien dirigées ,
servies avec la plus grande célérité , ont fait beaucoup de mal
à l'ennemi .
Les noms de tous les officiers et soldats qui ont eu occasion
de se distinguer dans cette journée , ne m'étant pas encore
connus , je les ferai adresser dans le jour , au général Ernouf ,
par mon chef d'état- major.
La perte de l'ennemi peut être estimée à 2400 hommes , au
moins , dont plus de 1000 prisonniers , parmi lesquels se
trouvent un major et plusieurs officiers ; ils seront transférés ,
dans la journée , à Bonn .
Nous avons eu dans le nombre de nos blessés , deux capitaines
du 1er . régiment de chasseurs , de la valeur la plus distinguée.
Ce sont les citoyens Matthieu et Huduy ; le premier
a reçu quatorze coups de sabre , dont plusieurs mortels ; une
balle traversa l'avant -bras du second."
Signé , KLEBER.
Extrait d'une lettre du général de division Kleber , au général en
chefJourdan . Le 15 prairial , an IV.
--
Je t'ai rendu compte , mon camarade , dans mon rapport
d'hier , qu'après le combat de la Sieg , l'ennemi s'était retiré
( 386 )
dans son camp d'Ukerath , et que la division aux ordres du
général Lefebvre , devait passer la nuit sur la rive droite de la
Sieg , à la hauteur de Happenschoss , et celle aux ordres du
général Colaud , sur les hauteurs d'Heneff,
Ainsi , pour attaquer l'ennemi le lendemain par le flanc et
de revers , le général Lefebvre reçut ordre de passer la Sieg
au- dessus de Blanckenberh , et le général Colaud , de se
diriger sur Jungrath , pour arriver de- là sur la chaussée par
la traverse , en laissant toutefois quelques bataillons à Wurth ,
et quelques postes mêlés d'infanterie et de cavalerie , le long
du ravin , à la droite de ce village . Ces mouvemens , quoiqu'extraordinairement
pénibles , à cause des chemins presque
extraordinairemens pénibles , à cause des chemins presqu'impraticables
, s'exécuterent parfaitement. Vers les 4 heures
après midi , les colonnes déboucherent , presqu'en mêmetems
par la droite et par la gauche , sur les hauteurs derriere
Ukerath ; et , certes , si les ennemis avaient voulu s'obstiner
á rester dans leur position , aucun d'eux n'échappait ; mais ,
parfaitement éclairés par leurs hussards , ils ne tarderent pas
à s'appercevoir de notre maneuvre , et ils se retirent sur
Altenkirken , ne laisssant sur les hauteurs derriere Ukerath ,
que deux ou trois escadrons pour protéger leur retraite .
Les deux divisions se sont donc établies , à trois quarts de
lieue d'Ukerath , dans une position très- avantageuse . Depuis
le départ de la Wipper , les troupes n'ont fait que marcher et
combattre .
Signé , KLEBER. "
Le général de division Kleber , commandant le corps d'armée sur
la rive droite du Rhin . au général en chef Jourdan. Au
quartier-général , de Hachenbourg , an IV.
-
-
Le succès obtenu sur la Sieg , le 13 de ce mois , par le
corps d'armée dont le commandement m'est confié ; n'était ,
mon cher camarade , que le précurseur de plus grands triomphes
. Je t'ai rendu compte , le 14 , de la maniere dont
nous obligeâmes l'ennemi d'abandonner la position d'Ukerath :
depuis , il s'était porté dans celle d'Altenkirken , derriere la
Viesback , position non moins formidable que la premiere ,
et où le prince de Wirtemberg s'était renforcé de troupes
fraiches .
Obligé de séjourner le 15 , pour donner du repos à la
troupe , et le tems nécessaire aux convois de subsistances.
d'arriver , je me bornai , ce jour , à faire faire une forte
( 387 )
1
reconnaissance ; elle était commandée par le général d'Hautpoult
; il chassa l'ennemi de Weyerbusch , et poussant en
avant jusqu'aux hauteurs d'Altenkirken , il découvrit le camp
ennemi , que plusieurs habitans du pays lui assurerent être de
20 mille hommes.
Le 16 , à quatre heures du matin , l'avant-garde du géné
ral Lefebvre avait ordre de se mettre en mouvement , et de
diriger sa marche sur Altenkirken ; il é ait chargé d'attaquer
cette position .
1
La tête de la deuxieme division , aux ordres du général
Colaud , devait suivre , à une demi-lieue , la queue de celle
du général Lefebvre , et se mettre en bataille , en seconde
ligne , dans la position en avant de Weyerbussen , dès que la
premiere con mencerait son attaque , afin de la soutenir.
Le général Lefebvre culbuta d'abord tous les avant-postes de
l'ennemi , et dès qu'il eut débouché sur les hauteurs opposées à
celle d'Altenkirken , une canonnade des plus vives s'eS'engagea
de part et d'autre . Le général Lefebvre , à qui la position
ennemie était parfaitement connue , pour y avoir combattu
l'année derniere , partage aussi -tôt sa troupe en trois colonnes,
donne le commandement de celle de gauche au général .
Souliz , celui de la droite au chef de la 25. demi- brigade
d'infanterie légere ( le cit . Brunet ) , et de sa personne reste,
à celle du centre avec le général de brigade Leval . Les deux
colonnes de droite et de gauche avaient ordre de déborder
les aîles de l'ennemi , de les tourner ; la colonne du centre
était chargée de l'attaque du front. Toutes ces dispositions
s'exécuterent avec le plus grand ensemble : par-tout on entend
battre la charge ; par-tout on voit gravir les colonnes sur
des hauteutrs presqu'inabordables ; par -tout enfin on voit dé
ployer la plus grande audace et la plus grande intrépidité.
L'ennemi oppose à cette attaque la plus vigoureuse résistance
; mais enfin la bayonnette triomphe , et des charges de
cavalerie , exécutées à propos et avec valeur , achevent sa
défaite', qui bientôt se change en déroute la plus complette.
Trois mille prisonniers , parmi lesquels se trouvent les trois
bataillons du régiment de Jordis en entier , avec leur colonel
et tous leurs officiers , quatre drapeaux , douze pieces de
canon , quantité de caissons d'artillerie , partie des équipages
tombés à notre pouvoir , sont les trophées de cette éclatante
journée. Ce combat n'a duré que deux heures , mais il était
d'autant plus vif et plus sanglant pour l'ennemi . On ne vit
jamais infanterie marcher et attaquer avec plus d'ordre ,
jamais cavalerie ne méprisa davantage l'ennemi........ { Ici
et
( 388 )

le général nomme les divers corps qui ont agi , en indiquant
leur ordre de bataille ) .
....... La division du général Colaud , rangée en seconde
ligne , n'a pu être que témoin du combat , mais l'ardeur que
les troupes manifestaient pour en venir aux mains , était le
sûr garant qu'elles auraient pareillement triomphé , s'il avait
été nécessaire ou prudent de contenter leurs desirs .
Je ne puis rendre compte des morts et des blessés de l'ennemi
; mais , de notre côté , je puis affirmer que notre perte
n'a pas été considérable .
Le citoyen Cunot , adjoint à l'adjudant- général Ormancé ,
a eu son cheval tué .
Demain , je continue ma marche , j'espere en annoncer le
résultat par de nouveaux succès .
Je viens d'apprendre , à l'instant , qu'on a trouvé à Hachen.
bourg , douze mille rations de pain cuit , quantité de farine
et de fourages.
L'adjudant-général Ney , chargé de flanquer la droite de la
division du genéral Colaud , s'est emparé des magasins de Dierdorff,
consistant en six cents sacs d'avoine , et quarante mille
rations de fourages ces prises arrivent bien à propos , dans
un pays désert , et où les transports sont de la plus grande
difficulté.
Le général de division Bonnard , qui avait ordre de mar
cher à Lintz par la route du Rhin , et de se porter de- là snr
Will-Bach , avec deux bataillons et un escadron , vient de
m'apprendre qu'après avoir forcé les défilés fort étroits , et
malgré la résistance opiniâtre de l'ennemi , il est arrivé à sa
destination .
Salut et amitié ,
?
Signé , KLEBER.
ARMÉE DE SAMBRE ET MEUSE . Extrait d'une lettre du général
en chefMoreau , commandant l'armée du Rhin et Moselle , au
Directoire exécutif. -Au quartier-général , à Artzheim , le
21 prairial , an IV.
Citoyens directeurs , l'ennemi a évacué hier dans la nuit
Tripstadt et Kaiserlautern , Neustadt et Spire , et s'est retiré
dans les environs de Manheim . La poursuite nous a donné
150 ou 200 prisonniers . L'armée occupe à présent la position
de la Speyerbach.
Le quartier- général se porte aujourd'hui à Edickhoffen .
Je vous donnerai , par le courier prochain , des détails plus
( 389 )
.
étendus sur notre situation ; depuis trois jours , je n'ai pu descendre
de cheval.
Jamais nos affaires n'ont été en si bon état sur le Rhin .
Salut et respect ,
Signé , MOREAU .
ARMÉE D'ITALIE . Buonaparte , général en chef de l'armée , au
Directoire exécutif. Au quartier-général de Peschiera , le
13 prairial , an IV.
-- Le
Après la bataille de Lody , Beaulieu passa l'Oglio et le
Mincio : il appuya sa droite au lac de Garda , sa gauche sur la
ville de Mantoue , et plaça des batteries sur tous les points
de cette ligne , afin de défendre le passage du Mincio.
quartier- général arriva , le 9 , à Frescia . J'ordonnai au général
de division Kilmaine de se rendre , avec 1500 hommes de
cavalerie et 6 bataillons de grenadiers , à Desinzanno . J'ordonnai
au général Rusca de se rendre avec une demi - brigade
d'infanterie légere , à Salo . Il s'agissait de faire croire au général
Beaulieu , que je voulais le tourner par le haut du fac ,
pour lui couper le chemin du Tyrol en passant par Riva . Je
tins toutes les divisions de l'armée en arriere , de sorte que
la droite , par où je voulais véritablement attaquer , se trouvait
à un jour et demi de marche de l ennemi . Je la plaçai derriere
la riviere de Chenisa , où elle avait l'air d'être sur la défensive ,
tandis que le général Kilmaine allait aux portes de Peschiera ,
et avait , tous les jours , des escarmouches avec les avantpostes
ennemis , dans une desquelles fut tué le général autrichien
Lieptay. Le 10 , la division du général Angereau
remplaça à Desinzanno celle du général Kilmaine , qui rétrograda
à Lonado , et arriva la nuit à Castiglionne . Le général
Massena se trouvait à Mont- Chiaro , et le général Serrurier à
Montze. A deux heures après minuit , toutes les divisions se
mirent en mouvement , toutes dirigeant leur marche sur
Borgetto , où j'avais résolu de passer le Mincio . L'avant-garde
ennemie , forte de trois à quatre mille hommes et de dixhuit
cents chevaux , défendait l'approche de Borgetto . Notre
cavalerie , flanquée par nos carabiniers et nos grenadiers qui ,
rangés en bataille , la suivaient au petit trot , chargea avec
beaucoup de bravoure , mit en déroute la cavalerie ennemie ,
et lui enleva une piece de canon . L'ennemi s'empressa de
passer le pont et d'en couper une arche ; l'artillerie légere
engagea aussi- tôt la canonnade. L'on racommodait avec peine
le pont sous le feu des batteries de l'ennemi , lorsqu'une cin-
-
( 390 )
quantaine de grenadiers , impatiens , se jettent à l'eau , tenant
leurs fusils sur leurs têtes , ayant de l'eau jusqu'au menton .
Le général Gardanne , grenadier pour la taille comme pour
le courage , était à leur tête.
Les soldats ennemis croient revoir la terrible colonne du pont
de Lody; les plus avancés lâchent le pied : on raccommode alors
le pont avec facilité , et nos grenadiers , dans un seul instant
passent le Mincio , et s'emparent de Valeggio , quartier- général
de Beaulieu , qui venait seulement d'en partir . Cependant
les ennemis ébranlés , en partie en déroute , étaient
rangés en bataille entre Valeggio et Valla-Franca . Nous nous
gardons bien de les suivre. Ils paraissent se rallier et prendre
confiance , et déja leurs batteries se multiplient et se rapprochent
de nous : c'etait justement ce que je voulais . J'avais
peine à contenir l'impatience , ou , pour mieux dire , la fureur
des grenadiers.
Le général Angereau passa , sur ces entrefaites , avec sa division
; il avait ordre de se porter , en suivant le Mincio , droit
sur Peschiera , d'envelopper cette place , et couper aux
ennemis les gorges du Tyrol ; Beaulieu et les débris de son
armée se seraient trouvés sans retraite .
Pour empêcher les ennemis de s'appercevoir du mouvement
du général Angereau , je les fis vivement canonner
du village de Valeggio ; mais les ennemis , instruits par leurs
patrouilles de cavalerie , du mouvement du général Angereau
, se mirent aussi-tôt en route pour gagner le chemin
de Castelnuova.
Un renfort de cavalerie qui leur arriva , les mit à même
de protéger leur retraite . Notre cavalerie , commandée par
le général Murat , fit des prodiges de valeur ; ce général
dégagea lui-même plusieurs chasseurs que l'ennemi était sur
le point de faire prisonniers .
Le chef de brigade du dixieme régiment de chasseurs
Leclerc ) s'est également distingué. Le général Angereau ,
arrivé à Peschiera , trouva la place évacuée par l'ennemi .
Le 12 , à pointe du jour , nous nous portâmes à Rivoli ;
mais l'ennemi avait passé l'Adige , et enlevé presque tous
ses ponts , dont nous ne pûmes prendre qu'une partie. L'on
évalue la perte de l'ennemi , dans cette journée , à 1500
hommes et 500 chevaux , tant tués que prisonniers parmi
ces derniers se trouvent le prince Coutlo , lieutenant-général
des armées du roi de Naples , commandant en chef la cavalerie
napolitaine. Nous avons pris également cinq pieces de
dont deux de 12 , et trois de 6 , avec sept ou canon 2
( 391 )
huit caissons chargés de munitions de guerre. Nous avons
trouvé à Castelnuova des magasins , dont une partie était déja
consumée par les flammes . Le général de division Kilmaine a
eu un cheval blessé sous lui.
Voilà donc les Autrichiens entierement expulsés de l'Italie .
Nos avant-postes sont sur les montagnes de l'Allemagne , etc.
Buonaparte , général en chef de l'armée d'Italie , au Directoire
Au quartier-général exécutif. à Milan , le 20 prairial ,
an IV.
-
CITOYENS DIRECTEURS ,
Après le combat de Borgetto , le passage 'du Mincio , la
prise de Peschiera , et la fuite de l'ennemi dans le Tyrol ,
nous avons investi la ville de Mantoue .
Le 16 , à cinq heures du matin , le général Dallemagne
avec le chef de brigade Lasne se porterent avec six cents
grenadiers sur le fauxbonrg de Saint- Georges . Je me rendis
à la Favorite , superbe palais du duc de Mantoue , à une
demi - lieue de la forteresse . Je fis avancer une demi - brigade
avec le général Serrurier , pour soutenir le général
Dallemagne qui , ayant apperçu l'ennemi dans les retranchemens
de Saint-Georges , l'avait attaqué , et s'était rendu
maître du fauxbourg et de la tête du Pont. Déja , malgré
la mitraille de la place , les grenadiers s'avançaient en tirailleurs
sur la chaussée . Ils prétendaient même se former
en colonne pour enlever Mantoue ; et quand on leur montra
les batteries que l'ennemi avait sur les remparts ; à Lodi ,
disaient-ils , il y en avait bien davantage : mais les circonstances
n'étant pas les mêmes , je les fis retirer . La journée
a été assez belle pour une affaire d'avant-poste , et extrêmement
intéressante pour nous . L'ennemi a perdu cent hommes
tant tués que prisonniers .
Le général Angereau était parti , à la pointe du jour , de
Castianne Mantonanne.
Après avoir passé le Mincio au- delà du lac , il se porta sur
le faubourg du Cheriale ; il enleva les retranchemens , la
tour , et obligea les ennemis de se retirer dans le corps de
la place de Mantoue . Un tambour de douze ans , dont je
vous enverrai le nom , s'est particulierement distingue ; il a
grimpé , pendant le feu , au haut de la tour pour en ouvrir
les portes.
pas vous taire un trait qui peint la barbarie qui
Je ne dois
( 392 )
regne encore dans ces contrées . A Saint-Giorgio , il y a un
couvent de religieuses ; elles s'étaient sauvées , car il était
exposé aux coups de canon. Nos soldats y entrent pour s'y
réfugier et prendre poste. Ils entendent des cris ; ils accourent
dans une basse-cour , enfoncent une méchante cellule , et
trouvent une jeune personne assise sur un mauvaise chaise ,
les mains garotées par des chaînes de fer. Cette infortunée
demandait la vie ; l'on brise ses fers : elle a sur sa physionomie
22 ans . Elle était depuis quatre ans dans cet état ,
pour avoir voulu s'échapper , et obéir , dans l'âge et le pays
de l'amour , à l'impulsion de son coeur. Nos grenadiers en
eurent un soin particulier. Elle montre beaucoup d'intérêt
pour les Français ; elle a été belle , et joint à la vivacité du
climat la mélancolie de ses malheurs . Toutes les fois qu'il
entrait quelqu'un , elle paraissait inquiette ; l'on sut bientôt
qu'elle craignait de voir revenir ses tyrans . Elle demanda en
grace à respirer l'air pur : on lui observa que la mitraille pleuvait
autour de la maison. Ah ! dit- elle , mourir , c'est rester
ici.
P. S. Le défaut d'espace ne nous permet pas de rapporter .
la dépêche de Buonaparte , dans laquelle il rend compte des
soulevemens de Milan et de Pavie , et de la punition qu'il en
a tirée .
Une division de l'armée d'Italie traverse la Valteline , pour
fermer les gorges du Tyrol , et empêcher les Autrichiens de
rentrer en Italie .
Sur le Rhin , il paraît que les Autrichiens évacuent le
Hundstruck , repassent le Rhin , et se replient sur Manheim
et sur Mayence. "
Les chefs des chouans continuent à venir déposer leurs
armes et à se soumettre aux lois de la République . Nantes
n'est plus en état de siége .
1
Hier 28 , le représentant Drouet a été conduit des prisons.
de l'Abbaye au conseil des Cinq - cents , où il a été entendu
dans sa défense . Il était escorté d'un détachement de cavalerie.
Le jardin des Tuileries était fermé dès le matin . De
fortes patrouilles étaient sur pied . Tout a été tranquille.
LENOIR DE LAROCHE , Rédacteur.
I
AVIS AUX SOUSCRIPTEURS.
Nous avons différé , jusqu'à ce jour , d'augmenter le
prix de ce Journal , parce que nous nous proposions de
Faire incessamment un changement utile dans la rédaction
et dans la partie typographique , et que nous espérions ,
pendant cet intervalle , une amélioration dans les finances
publiques , qui aurait influé sur le prix des labeurs et des
marchandises de toute espece ; mais aujourd'hui que le
plan de ce Journal est fixé , que l'excessive cherté de la
main-d'oeuvre et des matieres premieres continue , que Ie
décret du 6 de ce mois ( nivôse ) a porté le prix de la poste
de 15 deniers la feuille en assignats à 25 sous la feuille en
assignats , ou à 2 sous 6 deniers en numéraire , nous prévenons
les Souscripteurs qu'à compter de ce jour l'abonnement
est de 300 liv . pour trois mois , franc de port ; seul terme
pour lequel on peut souscrire en cette monnaie .
La souscription pour les pays étrangers , conquis ou réunis ,
est actuellement en numéraire , à raison de 50 liv . pour
l'année , 25 1. pour six mois , et 12 1. 10 sous pour trois mois
compris les frais de poste jusqu'à la frontiere , telle qu'elle
existait avant la réunion ou la conquête.
Les Souscripteurs , à Paris , qui ne voudront pas courir le
hasard de la variation du prix de l'assignat , peuvent s'abonner
en numéraire .
Il faut affranchir le port des lettres et de l'argent. Celles
qui renferment des valeurs doivent être chargées.
Nota. Les lettres des départemens , non affranchies , ne
seront pas retirées de la poste.
On souscrit à Paris , rue des Poitevins , nº . 18 ; lea
lettres d'avis seront adressées au citoyen GUTH .
TABLE
Des matieres contenues dans le N°. 31
கு
LEGISLATION.
UVRES complet es de MONTESQUIEU
nou elle
a
avec des notes d'Helvétius
sur l'Esprit des Lois .
MORALE.
Page
Instruction publique. Premiere Leurs sur les
moyens de faire servir le théâtre dans l'édu
cation publique , etc..
ANTIQUITÉS.
Extrait d'une Lettre de Florence , du mois de
Janvier 1796. [ vieux style . ]
MELANGES.
27
Lettre sur le Gouvernement civil de Locke. 29
ANNONCES. Livres français.
Ode III. à Melpomene..
36
37
Nouvelles Etrangeres. Allemagne. De Ham
bourg.
Francfort-sur-le-Mein.
Italie. Genes.
Angleterre. De Londres.
REPUBLIQUE FRANÇAISE.
Corps Légiftatif.
Paris. Nouvelles.
49
46
48
49
54
63
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le