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1791, 11, n. 45-48 (5, 12, 19, 26 novembre)
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19.90 Mo
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465
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Texte
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI ;
J
COMPOSÉ & rédigé , quant à la partie
Littéraire , par MM. MARMONTEL
DE LA HARPE , CHAMFORT , tous
trois de l'Académie Françaife , & M.
GINGUENÉ ; & par MM. FRAMERY &
BERQUIN , Rédacteurs.
M. MALLET DU PAN, Citoyen de Gerêve,
e feul chargé de la partie Hiftorique &
Politique.
SAMEDI 5 NOVEMBRE 1791 .
A PARIS ,
.
Au Bureau du MERCURE , Hôtel de Thou .
rue des Poitevins , No. 18.
335371
UBLIC
LIBRARLE
GÉNÉRALE
Du mois d'Octobre 1791 .
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1005
Le Petit Malheureux.
L'Ecole de l'Amitié.
Charae , En . Log .
6 Spellacies.
33
36
41
3 Voyage.
291 Notices .
49 Relation. 70
Le Temps & l'Amour. ၂၁
Charade , Enig . Legog.
Spectacles. 72
51
Eloge civique.
Notices.
541
72
IMPROMPTU.
"Charide , Enig. Log:
ES Adieux à Paris .
Chardas, Enig & Lug •
oyages & Mémo res .
STATUTS.
Charade , Enig . Lepog .
Vie du Capit. Thurot.
REGRETS.
Almanach des Mufes.
851 Mémoire. 125
89 Spectacles. III
91 Notices.
118
1211 121 Voyage.
144
1 , Spectacles . 149
133 Notices .
152
17 Jean Calas. 182
16 Notices . 189
1631
A Paris , de l'Imprimerie de Moutard , rue
des Mathurins , Hôtel de Cluni .
MERCURE
DE FRANCE.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
QUATRAIN
Pour être mis fur la porte de l'École des
Sourds & Muets .
AMATEURS , qui venez admirer les merveilles
Que le Ciel à la Terre a daigné révéler ,
Vous verrez qu'en ces lieux on entend fans oreilles ,
Et que fans langue on fait parler.
( Par M. l'Abbé Dourneau. )
A 2
4
MERCURE
L'ÉCOLE DE L'AMITIÉ ,
CONTE MORAL.
Seconde Partie.
CE ne fut pas , comme vous croyez
bien , fans un failillement de furpriſe & de
joie , que je vis Alcime introduit & comme
initallé chez ma mere. Il n'y fut pas d'abord
aufli affidu , ni auffi occupé de moi
que je l'aurais voulu ; mais bientôt s'établit
entre ma mere & lui une liaiſon plus
étroite , & moi-même je fus admife dans
cette douce intimité . Peu à peu je devins
pour lui l'objet d'une attention particufiere
; & je m'apperçus que ma mere voulait
bien , fans inquiétude , nous laiffer
caufer tête à tête , lorfque d'autres foins
l'occupaient.
,
Dans notre premier entretien
il me
parla , ou pour mieux dire , il me fit parler
de mes compagnes ; & fur chacune d'elles
il voulut favoir mon fentiment , foit , ditil
, en bien , foit en mal ; car c'eft ainfi
qu'on eft fincere.
En bien , lui dis - je , il m'eft facile de
vous en dire ma penfée ; mais en mal , ne
DE FRANCE.
ferais je pas indifcrete & me fiérait - il
d'être , à mon âge , affez hardie pour juger
mes pareilles & pour les cenfurer ? Je vous
fais bon gré , me dit - il , de cette réferve
timide. Mais n'ofez-vous pas quelquefois
vous dire en fecret à vous même ce que
vous avez obfervé du caractere de vos
amies ? Eh bien , en me parlant , croyez
que vous ne parlez qu'à vous - même :
votre fecret fera tout aufli bien gardé. Rien
ne me flattait plus que cette confiance , fi
elle devenait mutuelle , & je ne demandais
pas mieux que d'en faire les premiers
frais.
Je parcourus donc , avec lui , le cercle
des jeunes perfonnes qu'il voyait chez Mad.
d'Olme , & j'effayai de les lui peindre au
naturel dans l'une , la bonté , la complaifance
, la candeur , mais la mollette &
l'indolence ; dans l'autre , la vivacité de
l'efprit & du caractère , mais des caprices,
de l'humeur , un air trop réfolu , un ten
trop décidé , & quelquefois dans fes faillies
un peu d'étourderie & de légèreté ;
dans celle - ci , de la fageffe , mais de la
diffimulation , une volonté froide qui ne
cédait jamais , & une eftime d'elle -même
qui quelquefois allait pour nous jufqu'au
dédain ; dans celle-là , un coeur délicat &
fenfible , ouvert à l'amitié , plein de chaleur
& de franchiſe , mais jaloux , inquiet
& facile à bleiler ; enfin dans toutes , un
A ;
MERCURE
mélange de qualités que la Nature femblait
avoir affociées comme l'ombre avec
la lumiere , afin qu'il n'y eût rien de
parfait.
Et favez - vous d'où vient ce mélange
qui vous étonne ? C'eft , me dit- il , qu'en
nous le principe & le germe du bien &
du mal font les mêmes. Rien qui s'allie
plus naturellement que la bonté & la faibleffe
, que la candeur & l'imprudence
que l'envie & l'émulation. Dans une ame
fenfible , tout peut être excellent , tout
peut devenir déteftable ; & felon la culture
, les mêmes qualités tantôt dégénerent
en vices , tantôt Heuriffent en vertus . C'eft
cette finité des vertus & des vices , qui,
dans l'étude de nous - mêmes , doit fans
ceffe nous alarmer . Ce font les paffions
analogues à notre caractere , & , pour ainfi
dire , voilines de notre coeur , qui font pour
nous à craindre ; & l'inquiete vigilance
du Hollandais qui travaille à fes digues ,
eft un apologue pour nous . Combien même
eft fouvent fragile & mince la digue qui
protége l'innocence & l'honnêteté ! Combien
peu il s'en eft fallu quelquefois qu'un
homme de bien n'ait été méchant & coupable
; ou qu'une femme , que l'eſtime &
La vénération publique environnent dans fa
vieilleffe , n'ait été livrée au mépris ! Ah !
défiez - vous , croyez - moi , des plus beaux
dons de la Nature ; & à côté des qualités
DE FRANCE. 7
aimables dont elle vous aura douée ', regardez
bien à celles qui les touchent de
près ce font des ferpens fous des fleurs.
Oui , j'y regarderai , lui dis- je ; & j'efpere
bien que ma mere , & mes amis , fi
je puis en avoir de fages , y regarderont
avec moi.
Ici ma mere interrompit le tête à tête ;
& moi , recueilli en moi-même , je com
mençai mon examen . Plus je m'étudia
plus j'appris à me craindre. Ah ! difais - fe,
il a bien raifon , le naturel le plus heureux
a fes écueils. La route du devoir
eft un fentier étroit , gliffant , bordé de
précipices , où l'on ne doit marcher à mon
âge qu'à pas tremblans. Dès - lors je fus
en défiance & des louanges qu'on me donnait
, & de l'opinion que j'avais de moimême
, me gardant de mon amour-propre,
comme d'un flatteur dangereux ; & ma
mere, qui s'apperçut de l'air férieux & réfléchi
que j'avais avec mes compagnes , y
reconnut le fruit de cette premiere leçon .
La feconde roula fur un objet moins
férieux. Si vous n'aviez , lui demandai-je ,
qu'un cenfeil à donner à une perfonne de
mon âge , que lui recommanderiez - vous ?
- De favoir s'occuper , me dit - il ; car
l'oifiveté & l'ennui de foi - même eft de
tous les périls le plus redoutable pour elle.
Il est un temps , lui dis- je , où une femme
eft affez occupée de fes devoirs , pour n'a-
A
4
8 MERCURE
il
voir pas à craindre d'être oifive : tous fes
momens font bien remplis. Mais pour moi,
par exemple , pour celles de mon âge.
eft des heures qui feraient vides , fi on ne
les employait pas à fe donner quelques
talens ; & j'ai cru remarquer que ces talens
frivoles n'avaient pas votre eftime. Vous
n'aimez pas la danfe , vous faites peu de
cas du chant .
J'aime la danfe , me dit -il , mais au vilage
& fous l'ormeau ; c'eft - là qu'elle eſt
l'expreffion d'une gaîté fimple & naïve.
Je l'aime auffi fur un Théâtre où elle varie
avec art les mouvemens , les attitudes , les
caracteres de la beauté : c'eft une peinture
vivante, c'eſt une fculpture animée : le Gladiateur
, le Faune antique, ne me font pas
plus de plaifir que les Veftris ; je crois
voir dans Guimard la Galathée de la Fable,
& la Diane dans Heinel. Mais au bal , &
dans les perfonnes de votre état & de votre
âge , la danfe me femble aujourd'hui trop
artificielle & trop étudiée ; elle ne difmule
pas affez les leçons qu'elle a prifes :
fon élégance la dépare , fa régularité gâte
le caractere d'ingénuité , de candeur qu'on
aime à vous attribuer ; & lorfqu'une fille
bien née eft parvenue à fi bien danfer
elle fait dire d'elle qu'elle danfe trop bien.
J'aimerais qu'on dansât pour fon amufement
, fans penfer que l'on eût ni des
émoins , ni des rivales. Je veux bien ceDE
FRANCE. 9
pendant que l'art fe mêle un peu de régler
les pas , le maintien, les mouvemens de fon
Eleve , mais jamais au delà des fimples
bienséances ; car l'épithete la plus jufte
qu'on ait donnée aux Graces eft celle de
Décentes ; & tout ce qui rappelle les
Nymphes , plutôt que les Graces , ne me
femble pas digne de votre émulation .
D'ailleurs la danfe n'a qu'un temps trèsfugif
vous ne danferez plus dès que
vous ferez mere ; & les agrémens que
j'etime font ceux qu'on peut encore avoir
en vieilliflant.
Dès ce moment , vous penfez bien que
je me propofai de négliger la danfe.
Et le chant , lui demandai - je avec un
peu d'émotion ? Le chant , dit-il , eft donné
par la Nature à l'homme , comme à l'oifeau
, pour rejouir les ennuis de fa folitude
, & plus encore pour adoucir & pour
égayer fes travaux aufli ai - je un plaifir
fenfible à entendre le Laboureur chanter
en creufant fon fillon , ou le Pafteur en
gardant fon troupeau , ou le Bûcheron dans
la forêt fur la vieille cime d'un chêne, ou
les Villageoifes filant enſemble à la veillée
du hameau ; ou les Arrifans , dont les voix,
en cadence & à l'uniffon , font retentir
leur atelier.
Dans ces chants infpirés par la feule
Nature , je reconnais , fiñon le figne de la
joie , au moins l'oubli des peines , ou leur
A S
10 MERCURE
foulagement. Mais dans vos Concerts , où
l'on chante pour faire briller une voix que
l'art fouvent a eu bien de la peine à rendre
docile & flexible , ce chant qui flatte
mon oreille , ne va point à mon ame : la
joie & la douleur , tout y eft feint ; je
n'y vois que l'art . Je fais bien qu'il eft
raviffant pour des oreilles plus fenfibles ;
qu'il donne à la beauté un charme inexprimable
; qu'il embellit la laideur même ;
on le dit , je le crois. Mais ce n'est qu'au
Théâtre que j'aime à le voir applaudi .
C'est donc pour nous , luï dis - je , un
temps perdu , que d'avoir formé notre oreille
& perfectionné notre voix ? Non , me ditil;
dans la retraite , & parmi les travaux
qui conviennent à vos pareilles , un beau
chant peut trouver fa place : il eit délicieux
dans un cercle d'amis , ou dans un foupé
de famille , & rien n'eft fi touchant que
la voix d'une mere qui concerte avec fes
enfans . Mais ce chant , je le veux facile &
naturel , fans appareil & fans fpectacle.
En général les talens folitaires , les talens
de Minerve font ceux que je chéris .
Si je vous entends bien , lui dis- je , les
talens de Minerve font le fuſeau , l'aiguille ,
le rouct , la navette : tout cela eft bien
mécanique ! Ajoutez , me dit-il , le crayon ,
le pinceau , le don de bien penfer , celui
d'exprimer fa penfée avec un naturel aimable
; n'en eft- ce point affez pour occuper
d'heureux loifirs ?
DE FRANCE. II
Ici , lui dis-je , vous me femblez introduire
les Mufes dans la Cour de Minerve.
Oui , me dit - il , comme j'y admets les
Graces , & même les Plaifirs lorfqu'ils font
innocens . Je ne reproche aux Mufes que
d'être vaines & bruyantes , fouvent évaporées
, un peu trop libres quelquefois ; &
pour le fexe dont la pudeur eft la qualité
diftinctive , je les veux chaftes & modeftes :
c'est ainsi que Minerve aime à les raffembler.
Autour d'elle , on les voit décemment
occupées à cultiver dans leurs Eleves l'intelligence
naturelle ; à leur former l'efprit,
la raifon & le goût ; à développer leurs
idées , à les étendre , à les claffer , à y répandre
la lumiere ; à leur enrichir la mémoire
d'une inftruction faine & folide ; à
perfectionner en elles le fentiment du beau
moral , foit en frappant leur imagination
des peintures de la vertu , de la bonté
de l'innocence , foit en exerçant dans leur
ame ce précieux inftinct de fenfibilité que
la Nature a mis en nous. Mais ni dans fes
études , ni dans fes productions , l'école
de Minerve ne fe donne en fpectacle ; &
c'eft en quoi elle differe de celle d'Apollon,
qui cherche l'éclat & le bruit..
Ainfi , lui dis - je , vous reléguez tous
nos talens dans la retraite ; & ceux qui
dans le monde peuvent donner encore un
nouvean luftre à la beauté , ou fuppléer
à la beauté même , vous y attachez peu
A 6
12 MERCURE
de prix. Cependant on les compte parmi
les dons de plaire. De plaire ! A qui , reprit
Alcime aux pallans ? Ah ! croyez ,
Delphine , qu'en applaudiffant celle qui
charme tout le monde , plus d'un fe dit :
Ce n'eft pas elle qui daignerait me rendre
heureux ; ce ne ferait ni de fon ménage ,
ni de moi , ni de fes enfans qu'elle daiguerait
s'occuper . A ce propos , je me rap
pelle un Anglais , qui , en voyant l'une de
nos Françaifes , bien vive , bien brillante
bien amufante dans un foupé , » Il n'y a
" rien de plus joli , dit- il ; mais à la maison ,
" que fait-on de çela « ? A la maifon
Mademoiselle , c'eft la fageffe de l'efprit ,
l'égalité du caractere , ce font des moeurs
& des goûrs fimples , des talens cultivés .
fans oftentation , des agrémens fans vanité,
qu'on veut trouver dans fa compagne ; car
on ne la prend que pour foi.
ور
-
,
Quelques vifites que reçut ma mere interrompirent
cet entretien ; mais la leçon
avait été bonne , & je n'en perdis pas un
mɔt. Je voyais clairement que rien d'ambitieux
ne ferait de fon goût. Je n'en fus
P oint furprife lui- même il était fi modefte
& fans regret je renonçai à tout ce
qu'on appelle des fuccès dans le monde.
Mais je crus voir auffi que pour vivre à
fon gré , je devais vivre uniquement pour
lui , dans fon intérieur domeftique ; je me
confultai fur ce point , & je n'eus pas
DE FRANCE. 13
même befoin de courage pour m'y réfoudre.
J'ai réfléchi , lui dis-je quand je me retrouvai
feule avec lui , j'ai réfléchi au
plan de vie que deit , felon vous , fe tracer
une femme honnête & raifonnable : c'eft
celui d'une vie obfcure & fédentaire dans
l'intérieur de fa maifon.
Vous êtes , me dit-il en fouriant , plus
févere que moi ; & pour vous & pour vos
pareilles , je vous demande plus d'indulgence.
» A quoi faire , nous dit Montai-
" gne , ces pointes élevées de la Philofophie
, fur lefquelles aucun être humain
ود
ne peut s'affeoir , & ces regles qui ex-
» cedent notre ufage & nos forces « ? Je
penfe comme lui , qu'il faut que la vertu
fe mefure à notre faiblefle . Je ne dirai donc
point à une honnête femme de s'enfermer
dans fa maifon , de renoncer au monde ,
ni de fe refufer aux amufemens de fon
âge , pour le livrer à fes devoirs fans aucune
diffipation ; car la folitude , à la longue
, ferait trifte & pénible , & le devoir
lui-même , fans détention & fans mélange ,
finirait par être ennuyeux. Mais je lui dirai
qu'une vie habituellement retirée eft celle
que lui deftine la Nature , & par conféquent
celle qu'il s'agit d'embellir ; que le
devoir a des intervalles , & qu'il veut des
délaffemens ; mais que foi même avec foimême,
il faut faveir remplir ces vides fans
dégoûr , fans ennui , fans befoin de fe dif14
MERCURE
fiper , & de fe répandre au dehors ; que
le défoeuvrement a perdu plus de femmes
qu'aucun des vices qu'on leur impute ; que
celle qui chez elle ne fait jamais que faire,
eft bien fouvent tentée d'aller mal faire
ailleurs ; que même la plus vertueufe , en
fe prodiguant , fe dégrade ; que dans le
monde , ce qu'il y a de plus eftimable &
de meilleur en foi , n'a fon prix qu'autant
qu'il eft rare ; & que rien de vulgaire n'eft
long- temps eftimé. Il femble , ajoutait- il ,
que l'innocence foit ternie des regards de
la multitude ; & la beauté qui va fe produifant
de cercle en cercles de Spectacle
en Spectacle , a je ne fais quel air de s'étaler
qui fait rougir. En un mot , foyez
sûre , me répétait le Sage , qu'on ceffe de
confidérer une femme qu'on voit par-tour;
que fi elle efface fes pareilles , fa pourfuite
les importune ; que fi elle ne fait pas envie ,
elle fera bientôt pitié ; & qu'après avoir
fatigué le monde de fa préfence , elle fera
forcée d'aller vieillir dans l'abandon .
‚Voilà , lui dis - je , des peines bien cruelles
pour le tort innocent dé ne pas favoir reder
chez foi.
Que ne puis - je , reprit Alcime , vous
expliquer tous les malheurs que ce malheur
entraîne ! Obfervez feulement qu'une
femme ennuvée fe voit fans ceffe à la merci
d'une Société fans laquelle elle ne peut
vivre. Dans le monde , les complaifantes
DE FRANCE. 15
& les complaifans affidus ne font pas , entre
nous foit dit , ce qu'il y a de plus eftimable.
Il faut pourtant qu'elle s'en accommode
, car elle n'a point à choifte ; &
voyez dans ces liaibns ce qu'elle devient
elle-même : combien elle dépend , combien
elle eſt eſclave de tout ce qu'a befoin d'affembler
autour d'elle fon inquiete oifiveté .
,
Voyez au contraire une femme dont les
loifirs font variés & agréablement remplis
par des occupations & des goûts folitaires :
comme elle eft libre , indépendante , &
comme après fes devoirs fatisfaits elle
jonit avec délices de fes talens , de fes
études , & des Arts qu'elle a cultivés . Le
payfage qu'elle deffine , le vallon qu'elle
ombrage de fes crayons , le ruiffeau qu'elle
y fait couler , lui retracent les beautés
Timples , les voluptés de la Nature . La
Aeur que fon aiguille colore & fait fleurir,
s'en bellit fous les yeux , comme la fleur
des champs fous les yeux de l'Aurore ; & ,
fon ame féduire croit en refpirer le parfum .
Tout ce que l'efprit & le goût , tout ce que
le brillant génie des Poëtes , tour ce que
l'ame des Orateurs , tout ce que les études
& la raifon des Sages ont répandu d'intéreffant
dans les Livres qui l'environnent ,
eft à fa jouiffance ; elle n'a qu'à choifr :
complaifans fans être importuns , ils arrivent
à la minute , ils s'loignent de même
dès que l'on n'en veut plus , en attendant
16 MERCURE
qu'on les rappelle ; enfin des plaiſirs de la
vie , ce font les feuls qui s'accommodent à
la diverfité des goûts . Une ame indolente
s'y laifle aller comme au courant paisible
d'une onde mollement errante à travers de
belles campagnes : une ame vive y trouve
une variété , une mobilité d'images , une
affluence de fentimens qui exercent fon
activité ; la mélancolie s'y nourrit de douces
rêveries & de tendies réflexions ; la gaîté
y jouit de fes propres faillies , & fourit
elle-même aux tableaux qu'elle a peints :
chacun s'y choifit à fon gré une fociété
d'amis , & un cercle d'amufemens. Jamais
aucun palais magique n'a réuni autant de
charmes que ce cabinet enchanté , où l'élite
de tous les âges & de toutes les Nations
, les favoris de la Nature , les plus
grands Maîtres dans l'art de plaire & d'émouvoir
, de penfer & d'inftruire , femblent
fe difputer , s'envier les regards d'une
femme qui aime l'étude , & qui donne à
ce plaifir pur les intervalles de fes devoirs.
C'eft elle qu'on défirera & qu'on chérira
dans le monde. Elle y paraîtra rarement
; mais la confidération la plus flat--
teufe l'y attendra ; les hommages du Culte
iront au devant d'elle. Sa modcftie aura
beau voiler la lumiere dont fon efprit fe
fera pénétré , les couleurs dont il fera teint,
& toutes les richeffes qu'il aura recueillies ;
aux graces de fon naturel , fe mêleront à
DE FRANCE. 17
fon infçu les fruits d'une heureufe culture .
Mais ni fes fuccès dans le monde , ni les
amufemens qu'elle y aura trouvés ne l'auront
rendue infenfible aux délices de fa
retraite . Si elle fe forme à elle- même une
fociété , ce fera une eftime éclairée & févere
qui prendra foin de la choifir. L'amitié
, ce bien précieux & fi doux pour les
ames pures , en affortira les liens ; & l'accord
des efprits , des goûts , des caracteres ;
la confiance mutuelle que s'infpirent les
gens de bient, en feront l'attrait & le
. charme . Les hommes les mieux renommés ,
les femmes les plus vertueufes , tout ce
que les meurs & le goût , la raifon , l'efprit
, la fageffe , ont de plus épuré , briguera
l'honneur d'y être admis ; & dans
le choix elle n'aura que l'embarras du
nombre & de l'empreffement.
Vous concevez qu'après ce nouvel entretien
, j'eus grande envie de devenir celle
qu'il venait de me peindre .
Je priai ma mere de me donner un Maître
de Deffin , à la place de mon Maître
de Danfe ; de me permettre de paffer avec
une Brodeufe habile le temps que je paffais
avec mon Maitre de Mufique ; & lorfqu'elle
me demanda raifon de ce changement
dans mes goûts : Ceux- ci , lui dis-je,
n'ent pas befoin d'admirateurs ; on peut les
cultiver pour foi , on peut les aimer pour
eux-mênies ; & auffi fimples que durables ,
MERCURE
on peut dans tous les temps en jouir feule
à peu de frais .
Ma mere voulut bien permettre qu'Aleime
composât pour moi un cabinet de
Livres à fon gré & à mon ufage . Le choix
en fut exquis ; & dès que j'eus goûté les
charmes de l'étude , je fus certaine que de
ma vie je ne ferais acceffible à l'ennui .
Mes lectures furent pour nous une fource
abondante d'entretiens variés , mais tous
dirigés vers mon but , c'est - à - dire , aux
moyens les plus sûrs de lui plaire & de me
rendre tous les jours plus intéreffante à fes
yeux.
Je voulus favoir quelle était dans une
jeune femme la qualité qu'il eftimait le
plus. La modeftie , me dit - il ; car il n'eft
point de caractere que cette vertu n'embelliffe
, ni de défaut qu'elle n'efface , ou
qu'elle ne falle oublier. Dans une Reine ,
elle donne une grace infinie à la Majefté ;
dans une Bergere , elle pare & ennoblit la
rufticité même ; elle apprivoife & adoucit
l'envie que blefferait l'éclat des talens ou
de la beauté ; elle défarme la malice , &
lors même qu'elle fe montre feule & dénuée
des agrémens de l'efprit & de la
figure , elle fe fait encore aimer .
Ah ! fon éloge eft dans mon coeur , lui
dis-je ; & ce font là pour moi des vérités.
de fentiment.
L'attrait , ajouta- t-il , en eft fi bien connu,
DE FRANCE.
19
que le vice lui-même , quand il veut nous
féduire , n'a pas de plus doux artifice ; &
plus adroit que la vertu , fouvent il fait
mieux qu'elle , paraître modefte & craintif.
Souvenez -vous , Mademoifelle , qu'une
femme renonce aux avantages de fon fexe ,
lorfqu'elle perd le caractere d'une timidité
touchante. L'empire de la force que la
Nature a donné à l'homme , ne peut fe
balancer que par celui de la douceur. De
quoi vous fervirait la fupériorité de la
raifon , de la fageffe , fi elle n'était pas
attrayante ? Et fans le charme que lui prête
un efprit liant & facile , une tendre &
timide voix , un oeil encore plus éloquent,
quel ferait fon pouvoir ? L'homme eft orgucilleux
& farouche : c'eft un lion que la
Nature vous donne à dompter , à réduire ,
à rendre enfin docile & doux ; c'eft à vous
de l'apprivcifer.
J'entends mes compagnes , lui dis - je ,
s'avertir de ne pas laiffer prendre aux
hommes trop d'afcendant . Il eft , me répondit
Alcime , un afcendant que laiffe
prendre la faibleffe , & c'eft celui dont les
hommes abufent. Il en eft un que la modeftie
paraît céder fans réfiftance , mais
qu'elle cft sûre d'obtenir & de garder à
notre infçu , en n'exerçant fur nos efprits
d'autre pouvoir que celui d'une raifon fage,
armée de douceur , de complaifance & de
bonté. C'eft en ne combattant jamais qu'elle
triomphe ; elle regne en obéiffant .
20 MERCURE
Je ne vous donne là , mon ami ' , qu'une
faible idée des entretiens qui , fous les yeux
d'une mere attentive , fe paffaient entre
lui & moi .
La plus galante des Coquettes n'eft pas
plus empreffee à faire devant fon miroir
l'effai des parures nouvelles qu'elle vient
de choifir , que je l'étais moi - même à faire
fur mon ame l'effai des confeils vertueux
que je venais de recevoir ; & je n'étais
contente que lorfque mes penfées , mes
goûts , mes fentimens s'accordaient avec les
leçons.
Il difair que de bonnes moeurs ne pouvaient
être que des moeurs fimples ; que
le bonheur vivait de peu ; qu'il ne fe confervait
pur , & fain , & durable , que par
cette frugalité dans nos goûts & dans nos
défirs ; qu'il fallait de bonne heur couper
racine aux vices dont le luxe était l'aliment
, & qui tous avaient pour principe
la molleffe ou la vanité ; qu'aucun d'eux
n'étant naturel , aucun , dans fa naiffance,
n'était incorrigible ; que s'ils le devenaient ,
c'était en vieilliffant; que les caprices n'étaient
le plus fouvent qu'un refte d'enfance
gâtée ; que les fantaifies étaient la
maladie d'une ame oifive & d'une tête
vide ; que la femme qu'elle attaquait , fans
celle tourmentée de befoins renaiffans ,
avait le fort des Danaïdes ; que la mode
était , dans le monde , une puiffance irréDE
FRANCE. 21
tible & à laquelle il fallait obéir , mais
avec cette condefcendance involontaire &
retenue qu'on a pour une folle dont on eft
dépendante , & qu'on n'ofe contrarier. Il
difait que dans une femme l'oftentation des
richeffes , le goût de la dépente , la prodigalité
, n'avait fur l'avarice que l'avantage
de répandre ce qu'on n'aurait pas fu donner
; qu'il n'y avait point de fuperflu dans
les mains de la bienfaifance ; & que , pour
un coeur généreux , jamais l'économie n'épargnerait
affez pour fuffire à tous fes befoins.
Il difait qu'il fallait favoir éviter
les mauvais exemples fans faire femblant
de les fuir ; que l'indulgence , qui était la
feur & la compagne de la bonté , devait
aufli toujours être à côté de la fageffe ;
que le fourcil de la colere ou de l'orgueil
enlaidiffait la beauté même ; que le dédain.
n'était qu'une arme de parade , trop fragile
pour la faibleffe , inutile pour la vertu ;
le fafte de la fierté était en nous ce
qu'était dans les hommes la jactance de
fa bravoure ; que l'aflurance avait plutôt
l'air d'appeler le péril que de le méprifer ;
que la hauteur qui commandait la déférence
& le refpect , était fouvent mal obéie ;
que la hardieffe en défiant le blâme , ne
faifait que le provoquer ; qu'une dignité .
fimple & naturelle était la Reine des bienféances
, & celle à qui jamais perfonne ne
fe permettait de manquer : enlin que le
que
22 MERCURE
vrai figne d'une vertu paiſible & sûre d'ellemême
, était l'égalité d'une humeur douce
& calme , & la candeur d'un front ferein .
Quelquefois il me parlait auffi des devoirs
d'une épouſe & de ceux d'une mere :
c'était alors que mon coeur palpitait de la
plus douce émotion .
L'amitié , difait - il , bien plus & bien
mieux que l'amour , fait le lien d'un bon
ménage un feu que la jeuneffe & la
beauté auraient allumé feules , ne tarderait
pas à s'éteindre , fi une amitié pure & fainte
n'avait foin de l'entretenir : elle en prolongera
le charme , & le remplacera lorſqu'il
en fera temps.
L'art de rendre l'intérieur de fa maiſon
riant & attirant pour fon mazi , fera , pourfuivait-
il , le grand art d'une femme : fes
foins , fes complaifances , tout le liant de
fon efprit , toute la bonté , la gaîté , l'aménité
de fon caractere , tous les fecours
qu'elle peut tirer du commerce de l'amitié ,
toutes les jouillances qu'elle peut réunir
dans le cercle de fes amis , pour y retenir
fon époux & l'accoutumer à s'y plaire
doivent fe diriger vers ce but important.
Mais le fuccès , pour en être affuré , demande
une conftance rare.
Il obfervait que chez les Anciens , dans
le Temple de l'Hyménée , on n'expofait
pas feulement l'image de Vénus ; qu'on l'y
représentait accompagnée des Mufes , enDE
FRANCE. 23.
vironnée des Graces , fur- tout ayant à côté
d'elle la Déeffe Perfuafion ; car , difait- on,
les Mufes ont le don d'accorder les efprits.
des jeunes époux , comme elles accordent
la lyre , les Graces font conciliantes ; &
c'eft par la douceur & le charme de la parole
que deux coeurs s'attirant l'un l'autre
s'accoutument & fe complaifent à n'avoir
qu'ane volonté.
Alcime aurait voulu que le nouvel époux ,
prit foin d'environner fa femme de bonnes
moeurs , de bons exemples & de faines inftructions
, comme on voit , difait- il , celui
qui éleve des abeilles raffembler autour
de leurs ruches & fur les bords d'un clair
ruiffeau , les plantes , les arbuftes , les arbres
à fleurs les plus propres à leur offrir
des fucs d'une faveur exquile & d'un parfum
délicieux. Mais fi l'époux y manque , la
femme y doit pourvoir. La Société , ajoutait-
il , la plus défirable pour elle ne fera
point celle des hommes ; car les hommes
quoi qu'ils en difent , font rarement pour
une jeune femme des amis défintéreffés ; &
quand même leurs intentions , leurs affections
feraient pures , leurs moeurs & leurs
maximes ne le font pas toujours. Je ne
l'invite pas non plus à fe lier étroitement
avec de jeunes femmes ; car elles font ,
comme elle , dans l'âge des épreuves ; &
des liaiſons trop intimes la rendant refponfable
des torts de fes amies , fa propre ré24
MERCURE
putation aurait des risques à courir. D'ail
leurs , malgré ces airs de tendreffe exaltée ,
qui font aujourd'hui à la mode , & qui
donnent des fcènes de fenfibilité , les jaloufies
de toute efpece font fi communes
parmi les jeunes femmes , qu'une amitié
inaltérable , entre elles , eft un phénomene
trop rare , trop merveilleux pour y compter.
C'eft donc parmi les femmes for le
déclin des ans , & dont la jeunelle innocente
doit faire honorer la vieillefle , que je
l'invite à choifir des amies dont les moeurs
communiqueront leur caractere à fa Société ,
leur dignité à fa maifon , leur confidération
à fon âge. On la jugera d'après elles ; &
pour décider l'opinion publique en fa faveur
, leur témoignage refpecté devancera
celui des ans. Le ton donné par leur fageffe
, fera chez elle une loi de décence ;
& il en bannira tous ces airs libres & négligés
qui s'introduifent dans le monde ,
& qu'on y reçoit , difait- il , avec trop d'indulgence
& de facilité . Enfin elles lui fauron:
gré de fes empreflemens & de fes
préférences ; & leur amour- propre n'ayant
plus rien à démêler avec le fien , fon amitié
fer payée d'un fincere & tendre retour .
L'écueil qu'il redoutait le plus pour
une jeune femme , c'eraient les torrs , les
vices & les travers de fon époux . Rien de
plus féduifant & de plus dangereux , difaitil
, que l'exemple d'un mari qui enfeigne
DE FRANCE.
25
à fa femme le luxe , la difiipation , la
molleffe , la volupté. Un âge imprudent &
facile , enclin par la Nature à l'imitation ,
le fera plus encore par la complaifance &
l'amour ; & je regarde comme un prodige
la jeune femme qui réfifte aux féductions
d'un époux vicieux , s'il en eft aimé. C'eftlà
cependant le triomphe qu'elle doit remporter
& fur lui & fur elle-même. Se conferver
modefte & réfervée , avec un mari
libertin ; oppofer fans affectation le goût
de la retraire & de l'économie à celui des
plaifirs bruyans & ruineux; être occupée
de fes devoirs à côté de celui qui néglige
les fiens ; le tendre bon & vertueux , s'il
eft poffible ; au moins ne lui laiffer aucune
excufe , s'il ne l'eft pas ; ce font -là fes
devoirs ; & ils portent leur récompenſe : car
fa plus douce confolation des torts de fon
mari , fera d'en être elle - même innocente
& d'avoir mis toute fon étude , tous fes
foins à l'en corriger.
trop
>
Cependant qu'elle prenne garde à ne pas
T'humilier les bleffures de l'amourpropre
fent difficiles à guérir ; j'en ai même
vu d'incurables. S'il eft jaloux naturellement
& vaguement , c'eft un mal dont il faut
le plaindre , & auquel il faut compatir.
S'il eft jaloux d'un feul objet , s'il l'eft
long- temps & fans remede , ce fera le tort
de la femme, I Foffenfe , il eft vrai ; fes
foupçons , fes alarmes font pour elle une
No. 45. 5 Novembre 1791 .
NO.45 B
26
*
MERCURE
injure ; eh bien , qu'elle s'en venge , comme
il eft beau de s'en venger , en lui prouvant
qu'il eft injufte. N'eft- ce pas un triomphe
qu'un jaloux confondu ? Si , pour ne pas
le raffurer , on cherche des excufes , je
n'en reçois aucune l'eftime d'un mari ,
le repos domèstique , font des biens que
pour rien au monde il ne faut laiffer en
péril.
Mais elle-même , fi elle eft jaloufe , &
fi elle l'eft avec raifon : Ah ! c'est alors
qu'elle a befoin de toute fa conftance &
de tout fon courage . Si fon amour outragé
s'irrite , fi elle s'abandonne à fes reffentimens
, file reproche amer, ou fi le noir
dépit empoisonne fes plaintes & fe mêle
à fes larmes , tout eft défefpéré. Les Grecs ,
lorfqu'ils facrifiaient à Junon nuptiale
ôtaient le fiel de la victime. C'eft fur- tour
à la jeune époufe que s'adreffe certe leçon .
Qu'une femme , difait un Sage , dans
» le moment que la colere la domine &
la défigure , fe regarde dans fon miroir
» & qu'elle voie fi ce n'eft pas ainfi que
fa rivale doit défirer qu'elle fe montre
" à fon époux « . Oui , croyez moi , foit
pour gagner un foir pour le
retenir , foit pour le ramener ; douceur
indulgence & vertu , voilà vos forces véritables.
La Fable d'Apollon & Borée eft faite
pour vous.
و د
و د
""
coeur
, ”
J'écoutais tout cela fans trouble & fahs
î
DE FRANCE. 27
effroi , bien fûre que jamais mon coeur me
ferait mis a de telles épreuves.
Il fe reprochia cependant l'auférité de
fes leçons & avec un regard charmant
par fa douceur : Je vous prêche là , me
dit-il , une morale bien févere ! Oh non !
lui répondis-je , aucun de ces devoirs ne
m'épouvante. J'y vois la gloire d'une femme,
& , fmon fon bonheur , au moins des
adouciffemens pour l'amertume de fes peines.
Mais , ajoutai je en foupirant , j'efpere
que mon coeur n'aura point à fubir de fi
rudes épreuves. Non , me dit - il , j'ofe
répondre que vous n'aurez jamais que des
devoirs doux à remplir.
·
و
Il en vint à ceux d'une mere : & que
ne puis-je vous exprimer avec quelle délicateffe
& quelle effufion de fenfibilité il
m'en fit l'aimable peinture ! Il n'en omir
aucun ; mais le point fur lequel il infifta
le plus , ce fut fur le précepte du relpect
que l'on doit à la préfence des enfans.
On fait , dit-il , que le plus bel empire
& le plus glorieux, comme le plus pénible ,
c'eft de fe poffeder foi - même , & de favoir
le modérer. Cette domination habituelle
fur les mouvemens de notre ame eft le
principe de toutes les vertus : elle eft la
fauve-garde des bonnes moeurs , des bienféances
, du repos domeftique ; elle eſt la
fûreté de l'homme avec lui-même , & des
hommes enfemble. Mais dans aucune
1
B 2
28 MERCURE
fituation de la vie elle n'eft plus indifpenfable
que dans celle des peres & des meres ,
environnés de leurs enfans . Rien de leur
e temple n'échappé , ni à l'obſervation , ni
à l'imitation de cette enfance curieufe &
docile , de cette adolefcence vive & déjà
fufceptible de durables impreflions ; &
autant l'exemple du bien leur fera faturaire ,
aurant & plus celui du mal leur fera-t- il
pernicieux car il n'aura ni correctif , ni
préfervatif , ni remede ; l'autorité Pinprime
, l'habitude l'approfondit le refpect
même le confacre ; & ni autour d'eux ,
ni en eux-mêmes , aucune voix ne s'éleve
pour le blâmer.
Mais je m'apperçois , mon ami , reprit
Madame de Néray , que mon Hiftoire fe
prolonge ; & vous devez être impatient
d'apprendre quel en fera le dénouement.
Pardon. Jamais on ne craint d'ennuyer en
faifant parler un Alcime ; mais à préfent
que c'eft moi qui parle , je vais abréger mon
récit.
(Par M. Marmontel. )
La fin au *. Mercure de Décembre.
DE FRANCE. 29
1
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent .
LE mot de la Charade eft Courtisane ;
celui de l'Enigme eft Miroir ; & celui du
Logogriphe eſt Janvier, où l'on trouvę An ,
Vie, Vrai, Vin, Ivre, Jean, Rien, Eu, Vire,
Aire , Navire, Ravin , Rave, Nue, Rive, Juin,
Air, Eau, Jan, Ré, Ver, Rue, Jeu, Ane, Ire.
CHARADE.
Mon premier eft charmant : je voudrais vous
le faire ;
Mais étaný mon fecond', je n'en viendrais à bout.
Aimer eft un mal néceffaire ;
Pour être aimé , cela dépend du goût :
N'allez pas néanmoins crier : O téméraire !
Charlotte, il m'eft permis de chercher à vous plaire
Sans mériter mon tout,
(Par M. Verlhac , Maître-ès-Arts &
de Penfion à Brive. )
ÉNIG ME.
ous fommes trois freres en France.
L'un de nous trois , felon certains Savans ,
B 3
30 MERCURE
En Grece a reçu la naiffance ;
Mais on ne convient pas du temps.
Par droit d'extenfion , au défaut d'une abfente ,
Deux de nous réunis , préfident aux Forêts ;
L'un des deux , mis avec excès ,
Produit une voix moins fonnaute.
Le troisieme eft plus ufité ,
Il regne à la fin de l'Eté . `. Ja o,
Lecteur , fi ta recherché eft vaine ,
Ne t'en prends pas à nous ; ton défir curieux
Peut être fatisfait fans peine :
Tu nous as tous trois fous les yeux.
( Par le même. }
LOGOGRIPH E.
UNIQUE'objet de tout Navigateur ,
Je tiens dans mon milieu fa jufte récompenfe .
Ma premiere moitié coule avec abondance ;
Ajoutez-y mon pied , je procure au Buveur
Un foupir trop forcé qu'on trouve fans ma tête.
Mon tout pris à rebours , cher Lecteur, quel excès !
Qu'à me deviner on s'apprête ;
Vous dirai-je encor plus ? trop ... c'eft trop , je me
tais .
( Par le même. )
DE FRANCE. 31
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
HISTOIRE du départ du Roi , des Evénemens
qui l'ont précédé & fuivi ; avec le
Recueil des pieces juftificatives , le Rapport
des fept Comités réunis , les Opinions de
MM. Péthion, Salles , Barnave, Duport,
&c. &c. &c. Volume in - 8 ° . de 494 pages.
Prix, 41. 4f. pour tous les Départemens.
A Paris , chez Devaux , Libr - Impr. au
Palais - Royal.
A UCUNE fituation politique ne reffemble
à celle où nous nous fommes forcément
trouvés depuis la fuite du Roi. Dans les
différentes mesures que l'on a prifes , l'Hiftoire
démêlera mieux que nous ce qui appartient
à la Nation , & ce qui eft l'effet
des intrigues & des paffions particulieres .
Ce grand événement , dont les premieres
caufes font peut- être encore ignorées , &
dont la plupart des Spectateurs n'ont apperçu
que les circonftances extérieures ,
forme dans notre Révolution l'époque la
plus importante ; ou plutôt elle a formé ,
32 MERCURE
dans une partie de l'opinion publique ,
une feconde Révolution , complétive de la
premiere , qui n'avait attaqué que le Defpotifme.
Il fera dans tous les temps d'un extrême
intérêt de connaître la conduite de l'Af
femblée Nationale dans cette occafion , les
réfolutions partielles qu'elle a prifes , la
maniere dont cette affaire lui a été rapportée
, dont elle a été traitée par les différens
Orateurs , & les motifs qui ont
fervi de bafe au Décret qu'elle a prononcé.
Le Recueil que nous annonçons eft un
dépôt très intéreffant de pieces authentiques
réfervées pour l'Hiftoire , & qu'elle
pourra comparer avec ce qu'on ne fait pas
encore , quand le temps des révélations
fera venu .
VARIÉTÉS.
CONSEILS donnés pour prévenir la difficulté
qu'on pourrait avoir de faire moudre pendant
l'hiver prochain ; par M. LERGI ,
ancien Profeffeur en Droit , & Inflituteur
public.
EN 1775 & 1788 , le vent a foufflé du Nord
& du Nord-Eft , les 7 3més, de l'année. La fé-
A
DE FRANCE. 33
chereffe devint générale dès le commencement
du printemps ; la terre ne fut arrofée que par
quelques pluies orageufes & nomentanées qui
eurent lieu entre la St -Jean & la mi- Juillet , encore
ce ne fut que par cantons . Ces mémes plaies
qui famblerent avoir atrofé profondément la
terre , ne firent que groffir pour un inftant les
rivieres , & empêcherent d'appréhender on plutôt
de prévoir cette horrible difette d'ean , qui ,
jointe au froid glaçant & continuel de la bife ,
réduifit les habitans des campagnes , & la plu
part de ceux des villes , à vivre , les uns de
pommes de terre , les autres de pain de fon
& d'autres à moudre le grain avec des moulins à
tabac.
Or , le vent a´eu cette année- ci la même direction
qu'en 1775 & 1788 ; l'automne femble
même plus froid , & la bife continue de fouffler :
tout cela doit nous faire craindre les effets d'une
difette d'eau prefque certaine pour le mois de
Décembre fuivant , avec un hiver probablemene
rigoureux. Je dis prefque certaine can,
fuppofé qu'il nous vienne quelques pluies dans
les fix femaines prochaines , ne venant point
ce qui eft probable , auffi abondamment que
celles occafionnées par les orages , elles ne ferviraient
qu'à humecter la furface defléchée à un
pied de profondeur dans les cantons ' arides ; &
celles qui pourraient venir après les fix femaines ,
feraient fa s doute converties en neiges par le
froid de l'atmosphere ; lefquelles , féjournant
long-temps fur la terre , ne rempliraient , qu'après
un parfait dégel , les lits des rivieres . Nous
devons tellement appréhender les fuites de cette
féchereffe , que dans quelques cantons l'on va
déjà moudre à dix à onze lieues de chez foi.
34
MERCURE
Comme nous pouvons encore compter fu
quelques femaines d'un air allez tempéré pour ne
pas glacer le peu d'eau qui nous refte , il et
je penfe , très-à-propos que les perfonnes qu
ont da bled commencent dès à préfent à faire
moudre pour l'hiver. Il y a des moulins en quantité
fur les petites rivicres , dont la plupart laiffent
perdre une grande partie de leur eau faute
de pratique. C'eft par eux , ce me femble , qu'on
doit commencer ; & ceux qui ne font point à
proximité de ces moulins , feraient très bien
d'occuper jour & nuit leurs moulins à vent , qui
comme on le fait , ne font pas d'un auffi grand
fecours que les premiers.
-
Si les effets deviennent , comme je le fouhaite ,
contraires à mes conjectures , les peines qu'on fe
fera données ne feront point perdues ; mais elles
feront feulement prématurées.
A St-Fargeau , le 3 Octobre 1791.
NOTICES.
La Raifon de la Loi , mife en évidence par la
fimple expofition de fes motifs ; Ouvrage propre
à éclairer tous les Citoyens de la France fur leurs
droits , leurs devoirs & leurs intérêts dans les dif
férens actes de la vie ; par F. M. Verneuil , l'un
des Juges du Département de Paris . Prix , 3 liv.
rel . A Paris , chez Nyon l'aîné & fils , Libr. rue
du Jardinet. Vol . in- 12 de 408 pages.
Cet Ouvrage eft propre à convertir les per
fonnes de bonne foi qui n'auraient pas affez fenti
le mérite de notre nouvelle Conftitution ; c'est
beaucoup aflurément de faire voir l'accord qui
regue entre la Raiſon & la Loi .
DE FRANCE. 35
Hiftoire apologétique du Comité Ecclefiaftique de
Afemblée Nationale , par M. Durand Maillane ,
Député du Département des Bouches du Rhône .
Volume in-89 . de 380 pages. Prix , 3 liv. 12 f.
br. , & 4 liv. 4 1. franc de port par la Pofte . A
Paris , chez Buition , Imp- Lib. rue Haute-feuille ,
N °. 20.
Tous ceux qui ont fuivi de près les opérations
de l'Affemblée Nationale , n'auront pas befoin
de cette apologie pour les approuver ; mais elle
leur fervira pour répondre d'une maniere péremptoire
aux inculpations qui font faites quelquefois
à ce Comité , par les ennemis du bien public.
Antiquités Nationales , ou Recueil de Montmens
, pour fervir à l'Hiftoire générale & particuliere
de l'Empire Français ; tels que Tombeaux ,
Inferiptions , Statues , Vitraux , & c. tirés des
Abbayes , Châteaux & autres lieux ; par A. L...
Millin. 11e. Livraiſon. On foufcrit à Paris , chez
M. Drouhin , Editeur & Propriétaire dudit Ourue
Chriſtine , Nº. 2 . vrage ,
Cet Ouvrage , utile pour les Amateurs & les
Curieux de chofes rares , ne pouvait manquer d'être
ac ueilli ; jouit pleinement du fuccès qu'il
mérite .
Vertherie, Roman en 2 Vol . in- 12 de 260 pag.
chacun ; par M. P .. Perrin , avec Frontifpice. Se
trouve à Paris , chez Louis , Libr . & Commiffionnaire
en Librairie , rue St-Severin , N° . 29 .
Ce petit Ouvrage , écrit dans le flyle épiftolaire
& dans le goût naif du charmant Auteur
du Voyage Sentimental , ne peut manquer d'être
goûté da Public , & d'avoir du fuccès.
36 MERCURE DE FRANCE.
MUSIQUE.
Duo concertins pour deux Violons ; par J...
Félix Mofel , Eleve d'ignace Pleyel , & premier
Violon du Duc de Tofcane . Evreier, Frix ,
7 liv. 4 f. port franc . A Paris , chez M. Porro`,
rue Tiquetonne , N °. 1o ; & à Lyon , chez M.
Garnier , place de la Comédie.
GRAVURES.
Ouverture des Etats - Généraux à Versailles , le
5 Mai 1789 , avec une partie de la liste des Dépurés
, par ordre alphabétique au bas.
Conflitution de l'Aflemblée Nationale , & Serment
des Députés qui la compofaient à Verfailles
le 17 Juin 1789 , avec la fuite de la liste alphabétique
des Députés à l'Affemblée Nationale.
-Deux Eftampes faifant pendant ; deflinées d'après.
Nature par J. N. Moreau le jeune , Daffinateur
& Grayeur du Cabinet du Roi , & de fon Aca~
dénie de Peinture & Sculpture. Se trouvent à
Paris , chez l'Auteur , rue du Coq - St-Honoré.
Prix , 8 liv . chacune.
*
Ces deux Eftampes , dont le coup d'oeil eft
augufte & impofane pour tous les bons Français ,
font on ne peut pas plus foignées dans leur exécu
tion ; elles ne peuvent qu'ajouter à la réputation
de l'Auteur, & doivent obtenir le plus grand fuccès.
TABLE.
QUATRAIN.
L'Ecole de l'Amitié, že. P.
Charate , En. Log.
31 Hifloire. 31
Variétés.
29 Notices.
32
34
MERCURE
HISTORIQUE
E T
POLITIQUE .
ALLEMAGNE.
De Hambourg, le 21 Octobre 1791.
ONNa parlé , dans le temps , d'une ouverture
faite à la Cour de Copenhague par
celle de Pétersbourg , & dont l'objet con- *
fiftoit à amener la première à un projet
de déclaration commune , touchant les affaires
de France . Cette communication a
réellement eu lieu : voici une copie authentique
de ce modèle de déclaration ,
remis le 13 Septembre au Ministère Danois
par l'Envoyé Ruffe , & dont les Ambaffadeurs
& Miniftres refpectifs de l'Impératrice
& d'autres Puiffances à Paris
euffent fait ufage.
cc Les évènemens , qui , depuis deux ans , ſe
fuccèdent en France , ont dû exciter néceffaire-
No. 45.5 Novembre 1791 .
A
( 2 )
ment l'attention férieufe de toutes les Puiffances
de l'Europe . Inftruites des voies de contrainte ,
& des violences qui ont précédé & luivi lạ
Sanction accordée par le Roi de France aux-
Décrets de l'Afemble Nationale ; Elles ont
cependant fufpendu jufqu'à ce moment leur
jugement , fur le degré de conviction & de la
libre volonté de S. M. Très -Chrétienne. Mais
comme ce Prince a fait tout ce qu'il a pu pour
fe mettre en liberté , on ne fauroit plus douter
de fon état d'arreftation , & de la violence qui
a été portée à fa confcience & à fa volonté.
Cette preuve , & le nouvel attentat commis
contre la Perfonne du Roi , de la Reine , du
Dauphin , de la Fille & de la Soeur de S. M.
Très Chrétienne , infpirant de juftes allarmes.
à leur égard , fur les entreprifcs ultérieures de
la Faction dominante , les Souverains Alliés par
le Sang , & unis d'amitié à ce Prince , animés
d'ailleurs par des confidérations qui dérivent de
leur devoir de veiller à la confervation des droits
& de l'honneur de leurs Couronnes , & au maintien
de l'ordre & du repos public en Europe
fe font empreffés de le concerter ; & ils font
convenus de ne différer plus long - temps de déclarer
publiquement les fentimens & les réfolutions
que leur preferivent des motifs aufli puiffans ,
& auffi refpectables . »
cc
L'Impératrice qui , d'après fes principes
connus de juftice & de générofité , prend une
part fincère à ce concert , a autorifé en conféquence
fon Miniftre accrédité auprès de S. M
Très - Chrétienne , de déclarer en son nom &
en celui de tous les Souverains avec lefquels.
Elle a concerté fes démarches , qu'Elle regarde
la caure du Roi Très- Chrética comme la enne
637
propre qu'Elle exige que ce Prince & fa Famille
foient mis immédiatement en pleine liberté ,
avec faculté de pouvoir fe rendre où il le jugera
convenable ; S. M. I. comprant que l'on refpectera
l'inviolabilité de toutes ces Perfonnes
Ropales , & qu'on leur rendra tout le refpect
que peuvent attendre les Princes de leurs Sujets ,
d'après les principes des droits de la nature &
des gens. Elle déclate qu'Elle prendra , avec
tous les Souverains , qui s'intéreffent au fort
du Roi Très-Chrétien , les mefures les plus efficaces
pour venger d'une manière éclatante
les attentats que l'on pourra fe permettre ultérieurement
contre la fûreté , la Perfonne ou
l'honneur de ce Prince , de la Reine & de la
Famille Royale ; qu'Elle ne reconnoîtra comme
ure Conftitution valable , & comme Loix du
Royaume , que celles qui feront revêtues de
laffentiment libre du Roi , jouiffant d'une liberté
entière & parfaite ; enfin , & dans le cas
où l'on s'opposeroit à ces juftes demandes ,
Elle concoutra par tous les moyens en fon
pouvoir , pour mettre fin au fcandale de l'ufage
illegitime d'un pouvoir , qui n'eft autre chofe
qu'une anarchic , & qui a tous les caractères
d'une rébellion ; attendu qu'il importe à tous
les Gouvernemens J'enprémunir le genre humain
pour fon propre bonheur, & d'arrêter l'effufion
du fang que le défordre fait couler chaque
jour.
23
Le Ministère Danois éluda de s'expliquer
cathégoriquement fur cette invitation.
Du moins , on affure que le Comte
de Bernstorf répondit que S. M. D. , en
La qualité de Monbre du Corps Germa-
A &
( 4 )
nique , attendroit la déclaration de l'Empereur
, après quoi elle manifeſteroit fa
réfolution propre d'agir de concert avec
les Princes d'Allemagne.
La conduite de la Cour de Vienne , dont
P'unique but a toujours été de fe délivrer
de la néceffité d'intervenir d'une manière
ouverte dans les affaires de France , & qui
n'accéda à la déclaration de Pilnitz que
par formalité de bienféance , a préparé
l'effet qu'a dû avoir , au moins pour le
moment , l'apparence de libre confente .
ment , dont Louis XVI a revêtu l'acceptation
de fa Couronne . Nulle Puiffance ne
pouvoit fe montrer mécontente du fort de
ce Prince , lorfque lui-même fe déclaroit
fatisfait on a dû le croire plus alarmé des
fecours que quelques Puiffançes lui préparoient
, que de fa fituation au milieu de
l'anarchie. Ainfi , il eft indubitable que le
projet de déclaration , rapporté plus haut ,
t abandonné jufqu'au moment où dé
nouveaux malheurs , à - peu-près infaillibles,
pourront la rendre néceffaire , & peut être
infiniment plus dangereuſe.
Toutes les Gazettes ont bêtement copié
la belle anecdote d'un avis trouvé fous
l'affiette du Roi de Suède , & par lequel
plufieurs régimens lui déclaroient qu'ils ne
ferviroient point contre la France , & que
l'Affemblée Nationale de Suède avoit feule
*
droit de déclarer la guerre. Si ce billet
avoit eté réellement écrit , on y eût reconnu
l'ouvrage d'un de ces Miffionnaires
François , que les Révolutionnaires chargent
de foulever les Peuples étrangers , & de
tyrannicider les Souverains. Aucun Suédois
n'eût été capable d'une auffi groffière ignorance
, & cet avertiffement n'auroit prouvé
autre chofe , finon qu'un Egrefin à la folde
d'autres Egrefins étrangers , avoit gagné
quelque valet pour gliffer ce billet fous le
couvert de S. M. S.; mais ce n'eft là qu'un
conte patriotique le Gouvernement Suédois
vient de le déméntir formellement
en faifant obferver qu'il exifte en Suède
des Etats du royaume , des Diètes , & point
d'Affemblée Nationale , & qu'enfuite l'acte
d'affurance de 1789 donne au Roi le droit
très-pofitif de faire une guerre offenfive &
défenfive , comme S. M. le juge convenable
aux intérêts du royaume.
:
De Vienne , le 22 Octobre.
L'Empereur , accompagné de l'Archiduc
François , eft revenu le 12 dans cette réfidence
, où il n'étoit attendu qu'après le 20 .
A fon arrivée , il a trouvé deux Députés
du Tyrol , chargés de le fupplier de conferver
à leur province fes anciens privilèges
, & de révoquer le fyftême de confcription
militaire , introduit par Jofeph II.
A 3
+
FRANCE.
De Paris , le 23 Octobre 1791.
SECONDE ASSEMBLÉE NATIONALE .
Du dimanche 23 octobre , féance du foir.
Effrayés des émigrations , les amis de la conftitution
, féant à Verfailles , follicitent , par une
adreffe ,l'adoption & la prompte exécution du fage
projet de loi de M. Briffot. Déciété qu'on paffera
à l'ordre du jour , réclamations , tumulte :
« Nous ne devons ni accorder l'initiative à ces
fociétés , ni admettre leurs pétitions collectives ...
Il faut s'entourer de toutes les lumières poftibles
. » La majorité s'eſt décidée pour ces fortes
de lumières ; & malgré de nouveaux débats , on
a renvoyé au comité des fecours une pétition
de la même fociété ,, fur un moyen d'éteindre
la mendicité que tout décuple.
Du lundi , 24 Octobre.
On a recommencé l'interminable difcuffion fur
les prêtres affermentés-& non - affermentés .
M. Saladin vouloit que des.commiffaires recueilliffent
tous les renfeignemens , & formaffent
un projet de décret de tous les projets préfentés.
-- La queftion préalable.
Les troubles paroifibient à M. Freffenel être
produits , d'un côté , par l'inciviſme & le fanatife
; de l'autre , par l'intolérance & la perfécution
; comme fi ces derniers n'étoient pas invilme
, & n'avoient pas aui leur fanatifmet
( 7 )
Il ne voit , d'une part, que des hypocrites qui
ne regrettent que les abus dont ils s'engraifoient ,
& fe couvrent du manteau de la religion pour
attaquer la conflitation , qui a fupprimé ces
abus ; & de l'autre , de foi-difant patriotes qui,
avides des dépouilles de leurs adverfai es , & -
poffédés du plus violent d . fir de dominer , étalent
un patriotisme faltueux & tapageur , & fous le
manteau civique , veulent écrafer de la maffe .
populaire tout ce qui refifte au jeu de leurs
paffions ; là , des méchans qui conduilent une
troupe d'aveugles ; ici des ambitieux qui commandent
à des efprits faux... ( Divifien incomplette
, où l'on ne trouve pas des milliers de
piêtres vertueux , qu'aucun abus n'engrailoit ,
qui gémiffent du fchifme dont la caufe unique
eft dans le fatal ferment; qui fe font immolés
à leur confcience , & qui , dépouillés , ruinés ,
calomniés , perfécutés & réfignės , n'implerent
que la liberté du cuhe , promife par les nouvelles
loix. )
L'opinant a foutenu que toute meſure rigoureufe
cu générale feroir impolitique , injufte &
cruele , que les piètres non- jureurs n'étoient
pas réfractaires à la loi ; & il a propofé douvar
les églifes , chapelles , cratoires à tout prêtre
voulant dire la meffe , que tout culte foit
Ibre pour ceux qui le paieront , lauf les loix de
police.
Quelqu'un lui a oppofé les perfécutions qu'éprouvent
les prêtres conftitutionnels dans le département
de l'Ardêché , où ils font , a -t-il
dit ,
fcandaleufement décriés , où l'on dreffe pour
eux des potences , ou soo hommes réunis ont
empêché le remplacement d'un curé : « Entendez-
vous , Meffieurs les endormeurs , s'eft écrié
A 4
( 8 )
M. Taillefer ? Et des murmures & l'ordre du
jour ont fait juftice de la tolérance de M.
Freffenel.
M. Pontard , évêque , a lié le fyftême perturbateur
des prêtres non- affermentés aux projets
de contre-révolution des émigrés ; a beaucoup
égayé l'Affemblée de la dévotion des nobles
& des dames , de leurs neuvaines , qui durent
actuellement les 12 mois de l'année . Aux éclats
de rire qui retentiffoient dans la falle , գո
étranger n'eût pas foupçonné que le fang eft
prêt à ruiffeler dans les provinces . Enfin , le
grand remède de M. l'évêque feroit d'avoir de
l'argent , qu'on paffât aux évêques quelques penfrons
franches pour attirer , accueillir ,
accueillir , multiplier
les jeunes prêtres jureurs : « Nous remplacerons
tantôt celui-ci , tantôt celui là ( nouveau
genre d'élections ) , & nous fommes fûrs de couler
à bas ce fyftême . » Une voix a renvoyé ce projet
au comité de commerce.
Suivant M. le Montey , le temps & le mépris
ne font pas fuffifans contre des maux trop ervenimés
: сс Quand le fanatifme a couvert les
êtes de fon crêpe ardent , tous les objets fe
dénaturent. Le crime eft une vertu , la réfiltance
un devoir , & la hache une palme qui
defcend des cieux... Il ne faut ni déraciner avec
violence toutes les plantes fufpcctes , ni compromettre
la dignité des loix par un retour impolitique...
La conftitution porte que les citoyens
ont le droit d'élire ou de choisir les miniftres
de leur culte , l'Etat ne peut donc les
forcer à en accepter malgré eux... Des paroiffes ,
des cantons entiers veulent conferver leurs pafteurs .
Eh bien qu'ils les gardent . La conftitution les
y autorife. On attendra leur demande pour leur
( و )
:
en donner qui foient affermentés ; mais juſqueslà
, les paroiffes doivent payer les pafteurs qu'e les
tiendront de leur caprice , & non pas de la loi .
Ou je m'abufe , ou ce régime ne leur conviendra
pas long- temps ; elles feront bientôt ou
jurer ou partir des prêtres qu il faudra payer...
Les prêtres qui refufent le ferment profeffent
une doctrine chagrine & turbulente , & traitent
d'ufurpateur le clergé de la loi... Il faut un
tribunal qui puniffe fûrement & promptement . »
L'opinant a conclu ainfi liberté des cultes
protégée ; prêtres remplacés fur la demande des
communes point de traitement fans certificat
de ferment civique; jugement motivé de tout
perturbateur par le tribunal de police correctionnelle
, exécuté provifoirement ; pour peine ,.
contre les prêtres , privation de traitement , déportation
pour deux années ; dans les cas graves ,
détention préalable , & renvoi du jugement rendu
au directoire , & de l'avis du directoire au miniftre
, qui rendra compte à l'Affemblée nationale
; puis une adreffe aux François . Cette opinion
& ce projet applaudis ont obtenu les honneurs
de l'impreffion .
:
M. Coulon a reproduit des idées rebattues ,
& fes conclufions ont été liberté de culte en
payant poursuite de toute voie de fait ou
prédication incivique ; tout prêtre perturbateur,
falarié , privé du traitement , non falarié , grêvé
de 1200 liv. d'amende , & faute de paiement ,
12 ans de gêne. Quelles proportions !
"
Un M. Huré , habitant de Pont - fur-Yonne ,
offre par écrit , figné de lui , 100 francs , &
fon bras « pour être TYRANNICIDE . » Mention
de l'offre au procès- verbal , fans improbation
.
A S
( 10 )
Le miniftre de la guerre annonce une perte
de 900,000 liv . , fi l'Affemblée ne s'occupe
d'un contrat réfilié , relatif aux travaux du fɔit
de Querqueville , à la rade de Cherbourg . On
renvoie la lettre au comité de légiflation , &
l'on ajourne la difcuffion fur les prêtres à
jeudi .
Du lundi , féance du foir.
De nombreuſes adreffes ont gafpillé le temps ,
comme à l'ordinaire. C'eft un mémoire qui commence
par ces mots : « Elite de la France , dignes
fucceffeurs de la première rofe de la liberté déjà
épanouie & qui ne fe flétrira jamais ... » C'eſt
le département du Nord qui fo.licite le rétabiiffement
du droit aboli de parcours ; ce foar des
curés affermentés qui font la demande défiotéreffée
d'une loi contre les prêtres non- affermentés ;
des citoyens de la Vendée qui dénoncent des
émigrations confidérables , & que les émigrés
ont vendu leur bled & emporté le numéraire
opération qui ne les aura pas enrichis .
Du mardi , 25 Octobre..
Un grand nombre de ckoyens de la fection
du Palais- Royal , demandent à être admis , pour
faire des pétitions relatives aux fubfiftances . On
les renvoie au foir. Qulqu'un a defiré qu'ils
faffent réduits à dix. Tandis que cette motion
étoit mile aux voix , d'autres invoquoient la
préalable , & plufieurs membres ont vivement
apaftrophé le préfident . M. Coutton a demandé
la parole contre lui ; les tribunes & partie de
Affemblée ont applaudi . A la vue de ces corrélations
évidentes entre la falle & les galeries
beaucoup de membres fe font mis à crier
( 11 )
« formons-nous en comité général » ! Il nous
feroit impoffible de donner à nos lecteurs une
idée du vacarme qui en eft réfuité.
On fe précipite , on fe coudoie , on s'infcrit
pour la motion de comité général , au milieu
des clameurs à l'ordre... place au bureau , fans
réfléchir qu'un comité général , tel que la conf.
titution ftatue en effet que so membres f. ffiſent
pour l'obtenir , n'auroit eu d'autre objet que de
vider les tribunes ; car alors l'Allen blée ne peut
'rien décréter. Le préfident s'eft couvert ; les
huiffiers ont fait tout qu'ils pouvoient pour ràmerret
le calme. M. Coutton a gémi de voir que
fes infirmités ne le difpenfoient pas de monter à
la tribune. Le préfident & lui fe font expliqués .
C'étoit par un inat-entendu que la queftion préalable
n'avoit pas été mife aux voix avant la
queftion principale . Enfin l'Affemblée eft paffée
à l'ordre du jour , non fans de nouveaux brouhah
is & de bruyans applaudiffemens des galeries ,
malgré la loi chaque fois rappelée , qui défend
d'applaudir.
>
Après la proclamation des membres du comité
militaire , eft rentré dans la difcuffion får
les émigrans , à l'égard defquels M. Briffot
venoit de difpofer les opinions à la rigueur , par
la lecture d'adreffes où l'on propofcit les mcfures
les plus cruelles , entr'autres , celle de
pendre dans les 24 heures les émigrés qui feroient
ptifonniers de guerre .
Organe de la raiſon , de la juftice , & du
département du Jura , M. Champion a televé
l'infidélité des rapports faits à l'Affemblée , prouvé
que loin de vouloir répandre le fang François ,
fes Bernois fe conduifoient , envers nous ; en
bons alliés. Obligés de raffembler es troupes four
A 6
( 12 )
3
I
s'opposer au foulèvement qu'on cherchoit à fomenter
chez eux , ils ont prévenu les départemens
& les diftricts voifins de la néceffité de
cette mesure. Le commandant des troupes Bernoifes
s'eft plaint amicalement des moyens odieux
employés pour foulever le pays de Vaud , &
nous a conjurés d'écarter tout ce qui pourroit
troubler l'harmonie entre eux & nous . Ces lettres
ont été affichées dans toutes les municipalités.
M. Briffot n'a oppofé que des anecdotes, apocriphes
à des vérités notoires . Quant à Genève ,
cet atome de république nous prêta , l'année dernière
, fans intérêt , des bleds dont nous manquions
. Voilà les outrages que nous avons à
venger. Ils font confignés dans nos coeurs , &
pour les fiers habitans du Jura l'ingratitude eft
une lâcheté. On trouve mauvais qu'il ait été
imprimé à Genève des pamphlets contre notre
révolution ! Quoi ! vous regardez la liberté de
la preffe comme la fauve garde de vos droits ,
& vous voulez l'enlever à vos voifins ? Paris
vomit , chaque jour , des libelles contre toutes
les autorités , & vous prétendez vous ériger en
cenfeurs des preffes de Genève ! Philofophes intolérans
vous êtes libres & ne voulez pas que
les autres le foient , vous parlez en defpotes !
« Le canton de Fribourg , a dit un membre ,
a fait défendre aux foldats Fribourgeois d'affifter
aux affemblées des amis de la conftitution de
Strasbourg ; l'état de Fribourg s'eft donc déclaté
contre la conſtitution . » J'ai parlé de Berne ,
a répliqué M. Champion ; d'ailleurs , on peut
aimer la conftitution fans aimer les clubs ; je
conclus à ce qu'on entende , non des folliculaires
, mais des députés inftruits des faits , &
( 13. ).
qui les fubftituent à des déclamations impolitiques
contre toutes les puiffances étrangères .
M. Fauchet a foutenu que deux officiers Suiffes
ont été perfécutés dans le canton de Berne , il
y a huit jours , pour avoir pris part à la fête
deftinée à folemnifer l'achevement de la conftisution
; que leurs biens ont été annotés , qu'on
les a décrétés de prife - de - corps ; que dans le
château de Chillon il y a une foule de citoyens
attachés à notre révolution , qu'ils font dans des
cachots affreux où pénétre l'eau de la mer... On
ne peut réunir une plus craffe ignorance à plus
de mauvaife-foi , Ces décrets de prife- de- corps ,
cette foule de prifonniers ont auffi peu de réalité
que l'eau de la mer dans le lac de Genève.
B
Un autre eccléfiaftique s'eft étayé d'une vieille
lettre de Verſailles pour prouver qu'on a payé
de Paris à Bar- le-Duc , 600,000 liv . pour des
chevaux achetés par M. d'Artois , en Suiffe.,
Admirateur de la profonde politique & de la
haute éloquence de M. Briffot , M. Dalmas en
adoptoit la théorie & en repouffoit les conféquences
, ce qui eft dire qu'un profond politique
fe paffe de logique . L'opinant hait toute
violation des loix , dédaigne les forfanteries
chevalerefques d'une poignée de factieux fans
chefs , fufpend toute détermination jufqu'au
rapport miniftériel du 1er. novembre , prohibe
la fortie des grains & des munitions ,
veut que
les officiers foient remplacés & les déferteurs
jugés.
M. Dumolard trouvoit de grandes lumières
dans toutes ces opinions , mais point de réfultat .
Il indiquoit une férie de queftions ; l'ordre du
jour les a étouffées .
Quelques femmes dont on ignore les noms &
( 14 )
Pétat , fe difant les citoyennes de la fection du
Luxembourg , font admifes à la barre , dénoncent
des infultes faites à un prêtre affermenté
de la paroiffe de S. Sulpice , lurent que l'opinion
publique défigné comme auteurs de ces délits ,
non-prouvés , des prêtres non- affermentés qu'ellés
nomment . Le préſident répond à ces dénonciatrices
: « Mefdanes , la nature vous deftine à
être la confolation des hommes , laiffez -leur le
foin des affaires politiques » , & leut accorde les
honneurs de la féance ... On croit prefqué affifter
'à une audience de municipalité , de tribunal de
police ou de commifaire de quartier.
Revenu à la queftion des émigrans , raffaré
par la nullité de gens que la mifère ramenera
& qui laiffen: feurs femmes & leurs enfans pour
otages ; entre ceux qui nous crient : aux armes,
& ceux qui nous difent : dormez , M. Ronjou
n'apperçoit , au lieu d'orage , qu'un météore
artificiel ; mais il n'en faut pas moins punir un
délit qui diminue notre profpérité publique .
Aucun fonctionnaire ne doit fortir du Royaume
fans un congé du miniftre ; on fommera le régent
éventuel & les émigrés de rentrer en France
dins le délai d'un mois ; on fera le procès aux
officiers & foldats défertés depuis l'amniftie .
De lieux communs alambiqués , fur les droits
"de l'homme , la juftice , la tyrannic & les citconftances
, M. Condorcet a tiré on ne fait quel
droit , à temps , de la patrie quittée fur le
citoyen qui s'eft choisi une autre patrie ; durant
fequel droit , il a foutenu qu'on ne pouvoit employer
fes richeffes , ni porter les armes contre
fa première patrie , fans mériter d'être puni
comme traître & affaffin . Après avoir imputé au
gouvernement tous les outrages que reçoit le
( 15 )
nom Frarçois , & traité les princes & la nobieffe
de la lie de la nation qui ofe encore s'en
nommer Pelite, il a propofé de décréter ce qui
fuit : Tout François qui aura prêté le ferment
civique confervera , même dans l'étranger , la
plénitude de fes droits de citoyen , ainfi que
ceux qui , dans un certain délai , foufctiront
chez l'envoyé ou le conful de la nation l'engagement
de maintenir la conftitution , & déclareront
qu'ils la regardent comme une loi émanée
d'un pouvoir légitime ( précaution & formule
mal - adroites dans un ufurpateur , & honteufes
pour toute puiffance réellement légitime ). Tout
émigré qui n'aura pas en outre figné l'obligàtion
, pour 2 ans , de n'entrer dans aucun fervice
étranger fans y être autorisé par un décret
fanctionné, de ne poiter les armes ni contre la
nation , ni contre aucun de fes pouvoirs confritués
, fera déclaré ennemi de la nation ; fes
biens feront confiiqués ou féqueftrés . On réglera
les droits des femmes , des enfans , des
créanciers par une loi. ( Ces actions réputées
criminelles jufqu'au derhier jour du 24. mois ,
changeront de nature fi l'émigré ne s'engage
dans un fervice ennemi que le lendemain ; tele
eft la jufteffe mathématique des principes moraux
de nos Solon qui font une loi générale
far chaque évènement particulier , & déclament
contre la tyrannie. )
M. Vergniaud a longuement differté de l'homme
focial , de pacte , de devoirs mutuels ; a qualifié
les princes & la nobleffe de « miférables pygmées
qui , dans un accès de délire , hafarderoient de
parodier les Titans dans leurs efforts, contre le
ciel » ; a dit que « les Rois favent qu'il n'y a
pas de Pyrénées pour l'efprit philofophique ...
( 16 )
que les émigrés calomnient tous les jours
Louis XVI .... que la préfence des Bourbons à
Pilnitz étoit un crime ; qu'il falloit délivrer la
nation de ce bourdonnement continuel d'infectes
altérés de fang. Le projet de triple taxe lui a
paru fondé en juftice , la patrie étant libre de
fixer à fon gré le prix de fa furveillance . Enfin
l'opinant a répondu à la fenfibilité de Louis XVI:
Brutus immola des enfans traîtres à la patrie ;
il eft digne du Roi d'un peuple libre de fe montrer
aflez grand pour acquérir la gloire de
Brutus ». Ses conclufions ont été de fommer
les émigrés de rentrer , de punir les déferteurs ,
& de foumettre le ci- devant Monfieur à la loi
conftitutionnelie fur la régence.
SA
Auff machiavelifte , M. Paftoret a concilié
les droits de l'homme & les loix contre les émigrans
, au moyen des temps extraordinaires ; &
à ce propos il a cité Montefquieu , le voile jeté
fur la liberté , l'habeas corpus fufpendu , la loi
martiale , a impitoyablement abufé de ces exemples
faux , de ces applications abfurdes déjà rabachés
dans le corps conftituant , & réfutés.
M. Paftoret n'a vu dans les princes & les
nobles , échappés au fer des affaffins & à la
torche des incendiaires , que « des mécontens
qui ne peuvent s'aclimater à une conftitution
qui a eu la perfidie d'exclure du premier rang
l'intrigue & Topulence , pour y placer deux divinités
long - temps obfcures , le talent & la
vertu ; il a nié que l'impôt fuffit pour acquitter
le citoyen , la confommation habituelle & le
fervice perfonnel lui ont paru des dettes facrées .
D'après ces paradoxes dignes des ' courtifans de
la populace ou d'un Tibère , les émigrés princes
& nobles doivent être fommés de rentrer dans le
( 17 )
plus court délai fous les peines les plus rigou
reufes .
On a généreusement décrété l'impreffion de
tous ces verbiages , aux frais de la nation obérée ;
fermé la difcuffion , & fixé la féance de vendredi
pour lire les divers projets préſentés .
Du mardi , féance du foir .
--
On a renvoyé au comité colonial les doléances
d'un opprimé de l'Amérique , en riant beaucoup
des naïves faillies d'un membre qui prétendoit
que le cas étoit urgent , & qui reprochoit à fes
collègues de ne favoir ni écouter ni fe taire ,
& d'être tous furieux pour parler ; au comité
des pétitions celles d'officiers de diverfes cathédrales
qui fe plaignent du décret qui fixe leur
retraite à 200 liv ; au même comité , une
adreffe du procureur de la commune de la ville
de Séez , qui dénonce à l'Aſſemblée l'intolérande
de M. Feffier , député , & évêque du départe-
-ment ( de l'Orne ) ; évêque dont M. Fauchet
a pris la défenſe en fubftituant l'honneur de fon
fuffrage à la difcuffion des faits , en difant qu'il
étoit trop tolérant ; & en réclamant l'ordre du
jour. Aux comités de commerce & d'agriculture
réunis , la pétition de citoyens de l'arrondiffement
du Palais - Royal , relative aux fubfittances
; - & aux comités compétens des liaffes
de délations contre les prêtres non - affermentés
toujours réfractaires . Le refte du temps a été
rempli par les élections & proclamations des
membres des comités colonial & de marine .
--
Du mercredi , 26 octobre.
L'Affemblée a d'abord décrété l'urgence , &
enfuite renvoyé à fon comité des pétitions
( 18 )
un arrêté du d'rectoire de Thionvil'e , du 12
de ce mois , qui caffe les élections de 30 curés
affermentés comme illégales ; le même déciet
maintient provifoirement les 30 curés en poffeffion
de leur nouvel état , avant de rien exami
ner , & déclare que la fanction royale n'y eſt
pas néceffaire.
Certain curéjuré d'Aurillac écrit qu'on le vexe ,
- qu'il ne lui eft plus permis de faire fonner fa
mefle paroifliale , que la garde & les tambours
précèdent , en triomphe , les proceffions folemnelles
des prêtres non -affermentés , & a femblent
braver l'Affemblée nationale. » I demandé à fe
retirer ainfi que fes collègues , fi les autres ne
font pas forcés de s'éloigner. Claneurs difcordantes
; enfin , l'ordre du jour.
M. Tarbé notifie que le Roi a nommé aux
cinq places de commiffaires de la confervation
foreftière , MM . Geoffroy , Debonnaire de Forges ,
Boucault , Gibert des Molières & Desjobert.
L'on paffe à la difcuffion far les prêtres.
2
Après avoir oblervé que par la liberté des
opinions religieufes , la conftitution ne peut en
tendre que la liberté de tout culte public , l'opinion
ayant toujours été libre tant qu'on ne
l'a pas manifeftée , M. Ducis a ' Léduit le préb'ême
à ces termes : « Ea donnant la liberté
à tous les cultes , empêcher qu'aucun ne de-
-vienne partie conftituante de l'ordre focial. »
M. Fauchet a invité l'Affemblée à réprimer
la révolte des prêtres non-alfermentés contre la
conftitution. Ses expédiens ont d'abord été , en
promeffe , liberté , tolérance , juftice , fagefle
& fermeté. Point de perfécution ; « Oppofons
nos écrits à leurs écrits nos vérités à leurs
erreus ; notre philofophie à leur fanatifme ,
"
r
( 19 )
notre charité à leur haine, » Voici de fa charité :
Il faudroit nager dans le fang ; c'eft leur plus
douce & leur plus familière efpérance . En comparaifon
de ces prêtres ( tous les non-affermentés
) , les athées font des anges. » Le charitable
M. Fauchet a propolé de fufpendre le traitement
des prêtres qu'il calomnic . Če moyen lui paroît
jufte , convenable & efficace. Mais leur traitement
eft une modique indemnité d'offices qu'on
leur a enlevés... Cela eft faux ; ce font eux qui
les ont quittés en haine de loix . Mais ils ont
fuivi leur confcience... ils n'en connoiffent que
pour aller aux crimes ; il ne faut donc plas payer
ces confciences... & enfuite a la tolérance la plus
entière eft la feule digue affez forte pour les
contenir . » On le fent rougir en tranferivant de
pareilles atrocités enimiélées d'hypocrifie .
ככ
-
L'évêque du Calvados a foutenu que l'acte
conftitutionnel ne mettoit pas les penfions des
prêtres non affermentés , au rang des denies
nationales ; que des loix réglémentaires peuvent
fe réformer ; que la nation y gagneroit 30 millions
; puis il a cité l'évangile malheur aux
riches & aux oppreffeurs ! Son étrange équité
n'accordoit de perfion alimentaire qu'aux vicillaids
infirmes ; encore l'empoifonnoit elle de
Pallégation gratuite de cette ingratitude qui balbale
des imprécations contre les bienfaiteurs .
Pour joindre comme toujours l'abfurdité à la
barbarie , l'opinant a dit , au même inftant :
« vous en verrez les trois quarts revenir de bonne
grace ».... Et ce il faut convenir que la plupart
referont cuiraffés dans leur confcience ».......
Mais la nation gagnera les deux tiers des traiterens.....
La f.im chaffera ces loups dévorans
de la bergerie... Ces restes de prétres trouveront
720 )
des falaires dans la ferveur d'un premier moment....
Le bon -fens & l'intérêt prouveront au
peuple qu'il vaut mieux garder fon argent .... Il
affluera aux églifes conftitutionnelles où il trouvera
plus de majefté ; il reviendra fur le tombeau
de fes pères invoquer le Dieu qui lui
envoya de faintes, loix ainfi la fanction du
ciel fera donnée aux inftitutions fraternelles de
la liberté ... Nous ne triomphons de la répugnance
à citer ces phrafes , que pour nous difpenfer
de les caractériſer .
>
« Ne craignez pas , a - t-il pourfuivi , que la
lifte civile vienne à leur fecours . Le Roi confond
fon intérêt avec celui de la conftitution ; il fe
dégoûterà de prêtres qui torturent fa confcience...
Il fe débarraffera de cette vermine de la couronne...
Le fanatiſme eft mis à nud ; fes convulfions
hideufes , fon décharnement & fon
acharnement le rendront un objet d'horreur à
tout le monde . » -- On a demandé , à grands
cris , l'impreffion du difcours de M. Fauchet.
M. Quatremère & d'autres s'y oppofoient ; M.
Lacroix a cru devoir folliciter les oppofans à fe
montrer pour qu'on les connût. On a traité
l'orateur d'intolérant , d'incendiaire , fon opinion
de harangue de club ; mais l'impreffion n'en a
pas moins été décrétée , au milieu des applaudiffemens
.
M. de Vaublanc combattant la déportation
& la fuppreffion des traitemens , a dit que les
penfions dont M. Fauchet vouloit décharger le
tréfor public font une dette , qu'autant vaudroit
le décharger tout-à- coup des frais du culte ; &
il a borné fon projet à la punition des factieux.
& des perturbateurs avérés .
Un évêque demandoit à répondre à M. Fau
( 21 )
chet pour que le peuple n'imputât pas aux prêtres
& aux évêques affermentés les principes odieux
de cet opinant ; un autre a dit qu'en imprimant
le difcours de l'évêque du Calvados on mettroit
le comble au défordre ; des cris ont ramené
l'ordre du jour. Quelqu'un a propolé d'obliger
les prêtres non- affermentés à jurer , le dimanche ,
en préfence du peuple , des municipaux & du
Saint Sacrement , qu'ils ne troubleront jamais la
tranquillité publique , & de condamner ceux qui
s'y refuferont , à porter fur le fein gauche un
écriteau ou fe liront ces mots : Prêtre fufpect de
fédition ; de punir tout prêtre perturbateur de
trois jours de prifon , pendant lefquels on lui
propoferoit de fortir du royaume , & dans ce
cas de lui accorder un mois , s'il ne préfère être
renfermé pour la vie. Eclats de rire , tumulte ,
débats ; on proclame les membres du comité de
légiflation ; lecture d'une lettre du miniftre de
la guerre qui rend compte de l'élargiffement
des 4 foldats détenus à Blois ; & la difcuffion
fur les prêtres eft renvoyée à demain.
'Du mercredi , féance du foir.
Proclamation des membres des comités d'agriculture
& des décrets , & harangue , à la
barre , de M. Rovère , agent- affocié des Mainvielle
, Tournal , Jourdan &c . , ſe difant député
des deux états-unis d'Avignon & du Comté
Venaiffin .
L'orateur eft venu dénoncer M. l'abbé Mulot
, qui long-temps protecteur des braves brigands
méritoit bien d'en être la victime dès
qu'il afpireroit à les punir. M. Rovère a fait
l'éloge de M. Verninac , a dit que M. le
Scène des Maifons avoit partagé les fautes de
( 22 )
M. Mulot ; & il a accufé celui- ci d'avoir porté
la défolation dans un état oùì , en fa qualité decommiffaire
médiateur , il auroit dû ramener le
caline ; d'avoir exercé un pouvoir arbitraire
menacé du cachot les repréfentans du peuple
violé les propriétés , défarmé les gardes nationales
, furpris la ville de Sorgues , où un officier
municipal a été malacré fur le feuil de
fa porte , où 30 patriote ont été emprisonnés ;
forcé le maire & la municipalité de Sorgues de
s'avouer coupables de tous les crim.cs ; d'avoir
voulu furprendre la ville d'Avignon , de s'en
être fait porter les clefs dans la nuit du 15 au
16 ; d'y voir confpiré avec les ariftocrates au
moyen d'intrigues , d'affiches & de rules pieufes
qu'ont détaillées les adreffes lues à l'Aſſemblée...
Cette differtation de droit public tirée des rapports
de M. de Menou a conftamment offert
comme patriotes , les fpoliateurs des églifes , les
voleurs , les oppreffeurs , les affaffins , le coupetêtes
& fes fatellites , & a fini par ces mots :
«ils ont combattu pour la liberté ; ils ont imité
les François ; leur récompenfe eft la calomnie ,
la prifon , l'exil & la mort. »
>
Vos commettans ÉTOIENT NOS AMIS , lui
a répondu le préfident ... Un peuple ne peut reprendre
la liberté , fans éprouver les horreurs.
de Fanarchie... » Il a promis juftice & paix ,
& M. Rovère a reçu les honneurs de la féance .
On a demandé , un peu tard , que le député
montrât fes pouvoirs . Dorénavant ceux qui fe
préfenteront feront tenus de les produire . Le
tout eft renvoyé au comité des pétitions .
Du jeudi , 27 octobre.
M. François de Neufchâteau , député , malade ,
( 23 )
adreffe à l'Aſſemblée une lettre de la commifliongénérale
de St. Domingue , lettre partie des Cayes
le premier feptembre , arrivée à Bordeaux par le
navire le Ferme , portant que les nègres efclaves
fe font attroopés dans les plaices voitines de Cap ,
ont mis le feu par-tout ; que les troupes en ant
tué une centaine & diffipé le refte ; mais que le
complot paroît général dans la colonie . -- Les
comités de marine & colonial ont ordre de s'occuper
fur- le- champ de ces déplorables effets de
nos fystêmes , & de nos exemples.
-- à :
Après une nuée de détails minutieux , on a
procédé à la feconde lecture de l'importante.
loi par laquelle l'Affemblée , confidérant les
immortels fervices d'Honoré- Riquetti Mirabeau , ›
décrète que les frais de fes funérailles feront i
fupportés par la nation. Veut- on enlever à
Mirabeau l'honneur d'être mort infolvable
s'eft écrié M. Roulière » ? M. Goujon a obfervé
que la famille démentoit publiquement cette infolvabilité.
Un quatrième a préféré les fervices :
de l'immortel aux immortels fervices ... Il faut
payer les dettes avant d'être généreux , difoit
quelqu'autre qu'on n'écoutoit pas . On a mis : fe
ront acquittés , au lieu de fupportés , qui fentoit le
fardeau , & l'on eft revenu aux prêtres .
Un membre a propofé de me faire qu'une feule
question de celles des émigrans & des prêtres
non-jureurs , fous l'afpect commun de pertur
bateurs.
;
}
i
M. Lequinio a lu le début d'une adreffe en
fyle populaire , où il difoit aux François : ce votre
citime nous a portés au haut de la montagne, d'où
nos regards s'étendent fur tout le Royaume... ?
Nos pofftlions , nas propriétés font difperfées.
fur fa furface... Vous , habitans de la campagne ,
( 24 )
qui fupportez les chaleurs de l'été , les rigueurs de
l'hiver... »
Malgré le plaifir affez neuf pour les quatrevingt-
dix centièmes des membres , de s'entendre
traiter de propriétaires , des éclats de rire & les
cris : à la prochaine légiflature , ont interrompu la
lecture de cette bucolique légiflative . L'on a
écouté plus patiemment M. Baignoux qui s'eft
élevé contre les moyens tranchans & afiatiques
de M. Fauchet.
L'évêque métropolitain conftitutionnel de
Bourges , M. Torné a prononcé un très- long
difcours fréquemment applaudi . Cet orateur a
d'abord promis d'être tolérant , non -feulement
dans fon exorde , comme fes prédéceffeurs à la
tribune , mais auffi dans fes conclufions ; & il a
tenu parole . Il s'eft chargé de réfoudre trois queftions
quelles font les caufes du mal ? Quelle en
eft la nature ? Quels en font les remèdes ?
« La recherche des caufes éloignées nous mêneroit
trop loin , a-t-il dit , ce feroient des vues
anticipées de révifion de certains décrets conftitutionnels
; il ne m'eft pas permis de vous les préfenter.
Un aveu fi remarquable , qui place la
racine du mal dans la conftitution même , peut
fervir d'excufe aux réticences , aux demi-vérités ,
aux apparences de mauvaiſe- foi , aux contradictions
de l'éloquent orateur ; d'autant plus que
les- caufes éloignées ou premières font ici des caufes
actuelles , permanentes , auxquelles fon état
d'évêque affermenté & fa logique de légiflateur
non-conftituant l'empêcheront de toucher.
Aufli n'a t- il vu de coupable principal que le
gouvernement qui , felon lui , a la manie d'affoiblir
fes propres refforts , afin qu'on le croie paralyfé

"
( 25 )
lylé par la conftitution . Sur la feconde queftion
il penfe qu'aucun genre d'erreur n'eft crime
que le fang des fedtaires en feroit la graine ; que
le plus fage eft de méprifer. Le modique traitement
laiffé aux prêtres non - affermentés n'eft pas
un châtiment , mais un bienfait . Il s'eft récrié
contre la féroce mesure d'affamer tant de citoyens
ce feroit un opprobre en législation , & en morale
une horreur ; cependant il croit que « cette cruelle
parcimonie auroit la dureté du corfaire , fans
avoir l'iniquité du vol.
Quant aux facremens adminiftrés dans les mai
Cons , M. Torné les tient pour auffi licites que des
bals , des feftins , des concerts , des fpectacles ,
des jeux ou des évocations magiques ... Il y a
loin de cette éloquence morale à celle des Fénelon
, des Boffuet.
« Le prêtre affermenté , a- t-il repris , a toute
liberté d'être abfurde dans fa croyance , implacable
dans fa haine , infociable avec les rivaux
de doctrine ; mais qu'il s'abftienne de toute fédition
, ou bien j'appellerai fur la tête les ven
geances de la loi. Vous prononcez la condamnation
de cette fecte effentiellement effrénée ;
qu'on banniffe ces peftes publiques de leurs
paroifles , qu'on les entaffe dans les chefs- lieux ...
Je vous remercie , pour mon compte , de ce
que vous voulez renforcer ainfi dans le fiége
de ma métropole , le foyer d'aristocratie , de
calomnie & de mendicité... Point de punition fans
jugement , point de jugement fans procédure...
Mais des procédures , des témoins , font chofe
impoffible... Dieu foit loué le mal n'eft dong
pas auffi grand qu'on le dit ... Parlez de févérité
j'invoquerai la préalable ; protégez & puniffez
j'applaudis d'avance... Ces traits peuvent aider
No. 45. 5 Novembre 1791. B
( 26 )
á faifir le genre des moyens oratoires de l'évêque
de Bourges .
Ses conclufions ont été de lever toutes les entraves
mifes au culte des non-affermentés de
pourvoir aux regifires civils des morts , naiſſances
& mariages de rendre au gouvernement fa
vigueur contre les perturbateurs du repos public ;
& il s'eft flatté de l'espoir que la claſſe des nonaffermentés
s'éteindra , parce que , dit-il, « un
culte libre & non ſalarié , tend naturellement à
fa deftruction . » On a demandé & décrété l'impreffion
de ce difcours..
Les municipaux de Longwy ont arrêté une
voiture au chiffre du Roi ; le diftrict , le departement
& le corps législatif en font une affaire
d'état , dont le miniftre de l'intérieur devra rendre
compte .
Du jeudi , féance du foir.
4
Les gardes nationales deftinées à la défenſe
des frontières , écrivent qu'on retient fur leur
paye s fols pour l'habillement , fols pour
le pain , & qu'il ne leur refte que 6 fols pour
vivre & pour blanchiffage , poudre , pommade,
cire à fouliers , chauffage , &c. Au comité militaire.
M. Duportail demande qu'il foit réfervé des
emplacemens & bâtimens nationaux pour le département
de la guerre , à Metz , à Thionville,
ailleurs. C'eft autant à déduire de l'hypothèque
des affignats .
Aux comités militaire & des do
maines.
--
L'agent du tréfor public , M. Turpin a notifié
à l'Affemblée qu'au lieu d'avoir à payer à
MM. Haller & le Couteulx de Lanoraye, banquiers
à Paris , 4,705,138 liv. , dont ils s'étoient dé(+
27 )
darés créanciers de l'Etat , d'après un atrết dù¸
confeil du 7 novembre 1790 , l'Etat a , au
contraire , des créances confidérables à exercer
contre eux , & que ledit agent les pourlivra
par les voies judiciaires.
Organe des comités colonial & de marine , un
membre a rapporté ce qu'on favoit des troubles ,
de St. Domingue , & a dit que les forces de la
colonie confiftent en un bataillon de Normandie
, an bataillon d'Artois , une brigade d'artil
lerie , formant environ 1500 hommes , avecle
régiment du Cap & la garde nationale ; que
celles des Ifl :s- fous-le- vent confiftent en ua
1 vaiſſeau de 74 canons , deux fiégates , deux
corvettes & un avifo , le tout pouvant doucer
au befoin 600 hommes . Le, filence de M. de
Blanchelande porte les comités à douter un peudes
dernières nouvelles ; cependant ils propofent
d'expédier des forces impofantes dès qu'on aura
des avis officiel . Qu.lqu'un vouloit que l'on
envoyât 6,000 hommes de troupes pour fauver
40,000 blancs livrés à la merci de 18,000 hommes
de couleur & de 600,000 negres.
Les nouvelles paroiffent fufpectes à M. Briffot,
attendu qu'elles ne peuvent venir que des colons
& du pouvoir exécutif. Des mulâtres cu des
negres feroient bien plus digues de fa confiance.
Il a dit férieufement à fon auditoire qui l'a
écouté fans huées : » la caufe des féditions ( du
26 août ) eſt dans le décret ( du 24 Septembre )
qui a humilié les hommes de couleur . Ses
conclufions ont été d'ajourner la quefiɔn à
mercredi , jour où il promettoit d'indiquer une
grande mesure qu'il ne jugeoit pas à propos de
développer dans le monient.
M. Tarbé a relevé la contradiction des dates ,
-B⋅ 2
( 28 ))
& prie M. Briffor de s'expliquer . Celui- ci a nié
ce qu'il venoit de dire , & s'eft rejette fur le
défarmement de quelques gens de couleur fans
propriété , dont il a bien-vite fait une impru
dence générale , un acte de defpotifme aveugle ,
qui prive la colonie des feules forces qui puiffent
contenir les nègres ; & il a traduit la grande
mefure en un moyen qu'il n'a point révélé , de
rétablir la paix dans les colonies.
Un membre eft parti de la Phénicie , de
quatre & enfuite de deux mille ans , pour arriver
aux droits de l'homme , à l'infurrection reconnue
le plus faint des devoirs , & a invité l'Aflemblée
à être conféquente à fes principes en Antérique
comme en Europe . D'auffi lumineux débats ont
provoqué l'ordre du jour.
On a dévoré jufqu'au bout linu ile lecture
d'une lettre de M. Tifot à fes commettans , par
laquelle il abdique fa dignité de député des braves
brigands d'Avignon , en les affurant qu'il s'eft acquitté
de fa miffion d'une manière honorable .
Óà a renvoyé aux comités diplomatique & militaire
une adrefle des municipaux de Marfcille ,
portant que des officiers Saiffes , du régiment
d'Erneft , accufés d'affaffinat , recufent les ti
bunaux François ; & une adreffe des amis de la
conftitution de Strasbourg qui preffe l'Affem-.
blée d'obtenir des puiſſances étrangères`unc éclatante
réparation des outrages que la cocarde aux
trois couleurs & l'uniforme national reçoivent à
Ettenheim .
Les membres des comités des décrets & de '
divifion , avoient é.é proclamés le matin ; ceux
des comités de fecours & de domaines le font
ce foir ; & la féance eft levéc.
(( 291 )
Du vendredi, 28 octobre.
Perfuadé que des rôles de départemens ne font
pas des millions , M. Jacob Dupont a donné fes
idées fur les rôles des municipalités . On l'a adjoint
au comité des contributions.
Adreffe de l'affemblée électorale de Carpentras
fur les horreurs commifes par Jourdan &
fon armée , & fur la conduite de M. l'abbé
Mulot. Au comité des pétitions .
Nouvelles plaintes des amis de Strasbourg ,
d'outrages reçus à Ettenheim .
Longs , minaticux & très impolitiques détails
publiés du manque de fufils , de fournimens ,
de vivres préparés à lieu fixe , à jour marqué, & c.
qu'éprouvent dans prefque tous les départemens
les gardes rationales envoyés aux frontières. Le
plaifir d'inculper , de tourmenter le miniftre de
la guerre , aveugle la plupart des membres fur
le danger de pareilles indifcrétions dont tant de
folliculaires feront les échos jufques dans l'étran
ger. On attaque de tout, côté M. Duportal &
ies bureaux, qu'on prétend infectés d'ariftocatie
, ce qui fait dire ingénieufement : il faut les
purger, Le befoin de crier devient une fureur
qu'il rende compte dans trois jours , demain
fur-le-champ , à la barre..... C'est parfaitement
Je moquer de nous , obferve M. Audrein. Ne le
mandez que lorfu'il y aura fur le bureau de quoi
L'écrafer , dit l'évêque conftitutionnel du Cher ;
car aujourd'hui chacun entend à fond le mili
taire , comme les municipaux & le directoire de
Château - Thierry , qui atteftent au corps légiflatif
qu'un bataillon armé de bâtons , faute
d'autres armes , a marché toute une matine
par la pluie , s'eſt trouvé très- embarraſlé à cer-
.
B
3
130)
taine , hauteur où deux toutes différentes fuzi
étoient ordonnées , a été forcé d'attendre jufqu'à
6 heures du foir pour dejeuner avec du pain
chaud , & eft deja formé à la tactique de l'a
marche
9
Comme les galeries applaudifoient toujours
plus à mesure qu'on s'échauffoit davantage
contre le miniftre , M. Goffuin a informé l'Alfemble
que luf & fes collègues du département
du Nord, ont dû fournir soo paires de fouljers
au bataillon de gardes nationales deftiné pour la
garnifon de Gravelines , extrême frontière , ar
rivé nuds - pieds à Douai ; un député du Puyde
Dôme a dit qu'on donne aux gardes natio
nales des fufils utés , à culaffe percée , dont les
batteries n'ont point d'arrêt , prêts à crever dans
leurs mains ; M. Guadet , qu'ils n'ont pas trouvé
les fafils qui devoient être à Blaye , & qu'un
ordre du miniftre avoit fait tranfporter à Saintes :
& voilà comment on livre vos décrets au
ridicu'e.... & vous vous étonnèz des manoeuvres
de vos Catilina tonfurés , de l'infolence de vos
émigrés . L'opinant a propofé de décréter que
le miniftre de la guerre a perdu la confiance de
la nation . Les tribunes opinoient des mains avec
un bruit exprimable . On fe croiroir prefque
au club de la fociété fraternelle. Enfin , il eft
décrété que M. Durortail viendra demain faire.
un rapport fur ces bâtons & fur ces fouliers , à
deux heures ; & que le comité militaire fera le
fien à midi fur les queftions qu'il conviendra
d'adreffer au miniſtré .
L'ordre du jour étoit la lecture de tous les
projets relatifs aux émigrans , M. Briffot a tâché
de la remplacer par trois queftions , petite rufe
qui n'auroit favorifé que le fien : «
: << y aura til
{
( 31 )
*
an décret nominativement contre les princes y
en aura-t-il un contre les fonctionnaires publics
déferteurs ? y en aura- t- il un contre les imples
emigrans ?... » Après vingt motions qui toutes
manifeftoient l'embarras de l'Aſſemblée & ne l'en
tiroient pas , on a demandé tour -à- tour la priorité
pour les projets de MM. Briffot , Condorcet,
Vergniaud , Robecourt & Coulture , & l'on s'eft
décidé pour celui de M. Condorcet , qui a été
ajourné à lundi .
---
En attendant , M. Girardin a propofé de décréter
que l'Affemblée nationale fera dans trois
jours , & dans le lieu de fes féances , une proclamation
pour requérir Louis-Jofeph-Staniflas-
Xavier , prince François , de rentrer dans le
royaume, & que s'il ne fe conforme pas à la
réquisition , il fera cenfé avoir abdiqué fon droit
à la régence. Vainement M. Ramond a-t-il
demandé qu'on remît au lendemain une difcuffion
de cette importance : « il eft impoffible de
remettre à demain l'exécution de l'acte conftitutionnel
, lui a répondu M. Girardin ; vous
n'avez déjà que trop tardé à remplir votre devoir
& votre ferment. » Quelqu'un vouloit qué les
oppofans fuffent traités en ennemis de la conftitution
. Réclamations , décret qui ftatue que
perfonne ne fera entendu ; & la motion de M.
Girardin eft adoptée , fauf rédaction .
Le miniftre de la marine venoit d'annencer à
PAffemblée que la tendre follicitude du Roi pour
les colonies avoir porté Sa Majesté à décider que
deux bataillons feront embarqués à Bieft , fans
délai , pour S. Domingue,
Du vendredi , féance du foir.
Une députation de la commune de Nantes a
B 4
( 32 )
fait lecture d'un arrêté de cette commune , pris
le 11 octobre , relativement au décret dus qui
rejetta les réclamations des Nantois fans prononcer
fur les opérations des autres communes
du département , quoique l'irrégularité des élections
y fût la même. Nous tranfcrirons l'éffentiel
de l'arrêté vraiment remarquable.
Il y eft dit : « que la juſtice ne peut avoir
deux poids & deux mefures ; qu'aucune puiffance
ne fauroit légitimer l'exiftence d'un corps électoral
dont les élémens ont été corrompus ; que
toutes les élections des affemblées primaires des
campagnes du département font , de l'aveu des
commaires vérificateurs , frappées des plus choquantes
irrégularités... que le décret fûrpris au
corps législatif , les de ce mois ... établit une
guerre ouverte & défaftreufe entre les campagnes
& la ville ; que tout moyen de conciliation
devient impraticable entre une commune qui
n'a plus de repréfentans , ni à l'affemblée législative
, ni dans fon département , ni dans fon
diftrict , & des électeurs enivrés des fuccès de
leurs premières violences ; que la ville demeure
expofée , fans défenfe , à toutes les miférables
tracafferies d'adminiftrateurs qu'elle ne peut reconnoître
& qu'elle ne reconnoîtra jamais ; que
dans cet état , qui rompt , en quelque forte,"
pour elle l'unité de l'empire François , fa mu
nicipalité ne doit plus demeurer refponfable des
obftacles qu'elle peut rencontrer dans l'affiette.
de fes
contributions
.
Qu'elle avoit droit d'invoquer
les bienfaits de la conftitution ; que les
violences exercées par les adminiftrateurs du
département lui font déjà appercevoir qu'elle n'a
fait que changer d'oppreffeurs... »
« Le confeil-général de la commune , fort de
J
33 ) Ti juftice de la caufe ne voulant confulter ,
dans fa défenfe , que fon devoir , fon honneur
& les intérêts immédiats d'un peuple célèbre par
fon patriotifme , éctafé des facrifices qu'il a faits
à la révolution... charge expreflement fes commiffaires
- députés ... de demander leur admiffion
à la barre de l'Affemblée nationale pour y
expofet eux - mêmes & fans intermédiaires les
moyens de réclamation de la commune de Nantes
contre les opérations de prétendu corps électoral
du département de la Loire inferieure , leur
recommandant de ne ceffer leurs réclamations
que lorfque par la forcz ils feront empêchés de
les continuer ; la com nunc fe réſervant , dans
ce dernier cas , d'épuiler tous les autres moyens
qui refteront en fon pouvoir pour parvenir à
obtenir la juftice due à la cité de Nantes. »
Sgné au régiftre , Daniel Kervegan , maire , &
M. L. Menard , fecrétaire - greffier.
A la lecture de cet acte , qui ne tend à rien
moins qu'à frapper d'illégalité l'élection des légiflateurs
vérifiés pour un département , & par
conféquent de nullité toutes les opérations de
Aflemblée jufqu'à ce jour , l'orateur a ajouté
que le département eft fans organifation , que
les hauts jurés & le plus grand nombre des 18
membres du département renouvelles , ont refusé
& ne font point remplacés , que le raffemblement
du corps électoral cft commandé par une nouvelle
élection des membres de la légiflature ,, des deux
hauts - jurés , de plufieurs adminiftrateurs & d'un
Préfident du tribunal criminel . Il a conclu en,
imp orant l'envoi de commiffaires , chargés de
vérifier les faits . Débats véhémens .
MM. Baignoux , Recquet & d'autres , voulofent
que le maire & le procureur de la commune
B
S
( 34 )
de Nantes fuffent mandés à la barre pour y être
cenfurés ; on obfervois qu'un décret défendoit
aux villes d'avoir des députés à Paris ; M. Couf
tard a dit que la ville de Nantes défapprouvoit
les démarches d'une poignée de factieux... Les
députés ont reçu les honneurs de la féance , &
l'affaire a été revayée au comité des pétitions .
Des lettres de Sainte - Lucie dénoncent les commiffaires
arr vis pour l'exécution du décret du 8
mars dernier aux Ifles - du -Vent , comme inftigateurs
d'une contre- révolution provifoire. Le comité
colonial fera fon rapport inceffamment,:
Du famedi , 29 octobre.
M. Briffot a la des extraits certifiés par la
municipalité du Havre , de lettres du Cap , du
25 feptembre , dont voici la fubftance . Deux
cens dix- huit plantations à fucre ont été incendiées
par les negres . On dit qu'ils font au nombre
de 50,000. Leur camp principal eft à fix millest
du Cap , dans des retranchemens garnis de
canons . Les Hliandois & les Espagnols font
fufpectés de leur avoir fourni des munitions,
Trois cens blancs ont été maffacrés . « Suivant
moi , écrit le correfpondant , tout eft perdu.
Les blancs fe retireront dans le Continent ; alors
la colonie de St. Domingue fera comme celle
de St. Vincent quand elle étoit poffédée par les
Caraibes. » Des lettres du Havre difent que tous
les armemens font fufpendus , tous les magafis
fermés , , que tout eft dins la confternation .
Quelqu'un a ouvert l'avis de prier le Roi
d'envoyer des fecours ; un autre membre s'eft
répandu en tardives & ftériles doléances fur les ,
funeftes fuccès des amis des noirs , & des fcélérats"
waveftis en philofophes . Les comités colonial &
( 35 )
de marine rendront compte demain à l'Aſſemblée
de ce qu'elle vient d'entendre .
de
Au milieu de tant de fujets de douleur ,
terreur , & de remords pour tous ceux qui partagèrent
l'épidémique manie des innovations défaltieufes
, un membre a trouvé le fang- froid ,
mais c'eft M. le Cointre , d'entretenir le corps
légifl.tif refponfable de la France à la Fiance
entière , de la voiture aux chiffres du Roi arrêtée
à Longwy , que le voyageur , M. de Cuberville ,
a dit avoir achetée . M. le Cointre a révélé à
Europe que les malies ou la vache de cette
voiture contenoient des habillemens & des fourrures
à l'ufage de la femme du premierfrère du
Roi » ( nouveau genre d'urbanité que les crocheteurs
& les Lans culottes prennent encore
pour du civifme ) . Le prudent législateur exigeon
que le miniftre recherchât , « sil eft vrai qu'
ait été vendu des carrofles appartenant à Stanislas
Xavier , ou non ». On eſt paſſé à l'ordre du
jour.
·
Le comité militaire a patiemment articulé la
ferie de queftions à faire au miniftre fur les ma
lencontres des gardes nationales , & fur les fortificatio.
s de Sarre- Louis que des lettres d'amis
avoient affuré ne pouvoir réfifter trois jours.
L'évêque du Cher & l'ex - capucin M. Chabot
ont raifonné d'armes , de foldats , d'officiers
& fidelle à l'ordre , le miniftre eft venu répondre
aux mile & une queftions.
Sarre- Louis a 70 canons & ne manque à préfent
que de ces ouvrages qu'on ne fait que fur
la menace d'une attaque. Les marches contradictoires
font des erreurs de copiftes. Les gardes
nationales n'ont pas marché plus long temps que
des troupes de ligne . Quant aux armes , fanr
B 6
( 36 )
niment , habillement , c'eft l'affaire des officiers
généraux & des corps adminiftratifs , d'après les
décrets . Enfuite , le miniftre ayant provoqué
d'autres interrogations des membres de l'Affemblée
, a dit « s'ils s'y refufent , ils me permet
tront de croire que c'eft la malveillance qui les
excite & non le vrai patriotifme ... Murmures ,
vacarme ; réponse que le préfident queftionne
feul ; l'ordre du jour.
Entre l'importante affaire de la voiture &
Finterrogatoire du miniftre , en avoit remis les
prêtres fur le tapis . M. Ramond avoit pefé le
bien & le mal des opérations de l'Affemblée
conftituante. Il a foutenu qu'on n'a pas le droit
de dire au payſan : « paye du prix de ton pain
ta part de contribution pour le culte de l'état ,
& va chercher & payer encore les feuls ſecours
fpirituels auxquels tu croyes , loin de tes champs
négligés »... Ces mots ont excité la plus violente
tempête. Il prêche la contre -révolution , des principes
anti-conftitutionnels ; à bas de la tribune , à
l'ordre , à l'abbaye... Le préfident a dit qu'il n'y
avoit ni decence ni fraternité dans l'Affemblée ;
on l'a pris à partie ; il s'eft excufé en ajoutant
qu'on épuifoit fes moyens phyfiques.
M. Ramond a établi que les évêques & prê
tres fermentés étoient trop utiles à la conftitution
pour que leur falaire ne fût pas une dette facrée ,
& il a propofé de répartir les fommes deftinées à
tous les cultes , de manière à en aflurer un payé
à toute congregation , compofée au moins de so
citoyens actifs. Il a obfervé que tout culte presbytérien
ou faus hiérarchie coûte plus ; qu'en religion
, comme en politique , la démocratie eft toujours
beaucoup plus chère . Sur fa propofition de
déclarer nationaux tous les fonds de tous les
( 37 )
#
cultes , ce qui feroit difparoître une inégalité
choquante de nos loix nouvelles , on lui a dit que
les proteftans d'Alface ne l'avoient pas chargé de
ce voeu. Son difcours & ſon projet de décret n'ont
point obtenu les honneurs de l'impreffion.
La féance d'ailleurs n'a produit que le décrét
fuivant , fauf rédaction :
« L'Aſſemblée Nationale confidérant que l'hé
ritier préfomptif de la couronne eft mineur , &
que Louis-Jofeph-Staniflas Xavier , prince françois
, premier appelé à la régence , eft abfent du
royaume ;
« En exécution de l'art . II de la Section III
de la conftitution françoife , requrert Louis-Joa
feph-Stanifias Xavier, de rentrer dans le royaume
dans le délai de ............ à dater du jour de
la notification qui lui fera faite de la préfente
réquifition ; & déclare que , dans le cas ou Louis-
Jofeph - Stanifas Xavier , prince françois , ne
feroit pas rentré à l'expiration du délai fixé , il fera
cenfé avoir abdiqué fon droit à la régence
conformément à l'art . II ci - deffus cité . »
« L'Aſſemblée nationale charge le pouvoir
exécutif de notifier à Louis -Jofeph- Staniflas Xavier
la préfente réquisition ; & le miniftre des
affaires étrangères rendra compte , fous huit
jours , à l'Affemblée nationale , des mesures qu'il
aura prifes à cet égard .

« L'Affemblée nationale décrète que la préfente
requifition fera portée dans le jour au
Roi. »
Du dimanche, 30 octobre.
Après de longs débats pour favoir fi l'on s'oc
cupera des colonies , ou de la fommation à faire.
( 38 )
Louis-Stanif is-Xavier , prince François , &
d'incroyables difcuffions fur ces questions : le
lieu des féances de l'Affemblée législative eft- il
la falle du manége ou la ville de Paris ? Quei
fera le lieu de fa proclamation ? Quel fera le
délai accordé ? Se fervira- t on du pouvoir exécutif?
Il a été décrété : 1 °. que par le lieu de
Les féances , l'Affemblée entend la ville de Paris
f quoique l'acte conftitutionnel en lui déférant
la police du lieu de fes féances , ne lui ait pas
délégué la police de Paris ) ; 2°. que le délai
fera de deux mois ; 3 ° . que la proclamation fe
fera dans trois jours , à compter de celui où fera
rendu le décret ( rendu bier ) ; 4 ° . que les miniftres
rendront compte dans trois jours de l'exécution
de cette loi ( fans qu'il foit fait aucune
mention du Roi , même fous la dénomination
civique ou néologique de pouvoir exécutif ).
Nos légiflateurs attachent déja fi peu d'importance
à leurs fonctions , visiblement déchues
jufques dans l'opinion populaire , qu'à peine
s'eft - il réuni 212 votans pour difpofer de la
préfidence , autrefois la première place de l'univers
; & que 112 voix ont porté M. Vergniaud
au fauteuil , où M. Ducaftel l'a inftalé en l'embraffant
au bruit de quelques éclats de rire ,
couverts d'afficieux applaudiffemens.
Le miniftre de la marine a écrit à l'Aflèmblée :
Je n'ai pas encore de nouvelles officielles de
Saint Domingue ; mais celles du 25 fep- embre ,
venues per la voie d'Angleterre au Havre , ne
Jaiffent plus de doute fur le fort des malheureux
habitans de cette colonie, Sa Majefté a ordonné
L'envoi très - prompt de 2,400 hommes , & des
Réparatifs de plus grands fecours , s'il en eft
( 39 )
befoin pour fauver les triftes reftes des poffcfons
coloniales . Je ferai paffer inceffam meat un
apperçu des dépenfes néceffaires . »ל כ
Un membre de comité a relu tout ce qu'on
avoit lu la veille , en guife de rapport , & fes
conclufions vagues ont été de décréter ce que le
Roi venoit de notifier d'une manière plns préciſe .
Alors M. Briffot a pris la parole , & s'eſt efforcé
de répandre l'impartial fcepticifme de l'ami des
noirs fur les nouvelles reçues . Il a tâché de prouyer
qu'elles étoient doutentes , exagérées , invraifemblables
, les faits contradictoires , impoffibles.
L'une de ses preuves a été que l'homme
dont on a des lettres , a écrit contre les nègres ;
une autre, que la principale lettre eft datée
du Cap François & d'Hifpaniola . M. Tarbé , qui
tenoit la lettre , lui a dit que cette double dare
ne s'y trouvoit pas ; M. Briffet a répondu qu'l
parloir de celle qu'il avoit lus , & i a pourſuivi
La déclamation de Jacobinière.
« Comment , a-t-il dit , auroit - on pu compter
218 fucreries dévastées ? so , oco nègres peuventils
le réunir , fe fortifier fans chefs , fans difcipline
? On ne dira pas qu'un blanc ou un mulatre
ont pris part à ce fratricide... Les Hollandois
ne fourniſſent rien fans argent ( foit , mais les
amis peuvent payer ) . Les Efpagnols compromettroient
leurs propriétés ..... Faites avec moi an
rapprochement affez fingulier . Par quelle fataé
les nouvelles de cette cataſtrophe arriventelles
au moment où nos émigrations deviennent
plus confidérables ; où une députation , dans un
hommage plus qu'ordinaire au pouvoir exécutif, a
proteſté contre un décret que vous avez rendu 2.
Ne feroit- ce pas une ramification d'un de ces ,
grands plans que nous avons déjà renversés , &
( 40 )
que nous renverferons encore Corclufion !
qu'il faut envoyer des commiffaires dans les colonies
, mais des commiffaires patriotes , autorifés
à réarmer les hommes libres de couleur.
On a demandé l'impreffion de ce difcours. Mi
Tarbé vouloit que l'orateur le déposât fur le bu
reau & l'y paraphât ne varietur vingt cris ont
accufé M. Tarbé d'infulter l'Affemblée . L'im
preffion à été décrétée , & fur le refte , l'ordre du
jour.
Des mesures de prévoyance valent mieux que
des mesures actives , felon M. Guadet , qui trèsprévoyant
, lorsque le mal eft peut -être confommé
, a commencé par déprimer les troupes de
ligne pour exalter les gardes, nationales , comme
plus patriotes . Il a mis le comble à fa maladreffe
fraternelle , en recommandant les citoyensfoldats
, clubiſtes de Bordeaux , qui s'étoienr
déjà offerts pour aller faire exécuter le décret du
15 mai ; & il a fini par propofer d'ordonner que
les vaiffeaux en défarmement à Breft reſtent en
état , pour le cas de befoin , & d'envoyer alors
moitié gardes nationales , moitié troupes de ligne.
Quelqu'un a relevé l'obfervation de M. Briffot,
que l'auteur de la lettre avoit écrit contre
les nègres ; & s'eft écrié eje demanderai
à mon tour , ce qu'eft M. Briffot ? un homme
qui a écrit pour les noirs .... A la fuite d'un
affreux tapage excité par cette remarque , l'on
a répliqué à ce membre qui alléguoit le plas
puiffant motif de réculation pour tout légiflateur
honnête , que M. Briffot et le représentant de
la nation . Toutes ces vues fi profondes d'hom
mes - d'Etat formés dans les clubs & dans les
cafés , qui , depuis un mois , coûtent plus d'un
demi million au peuples ce babil infignifient
( 41 )
s'il ne défefpéroit les ames fenfibles qui fe
peignent des milliers de colons égorgés , & le
tiers du royaume plongé dans la plus horrible
mifère par d'impudens rhéteurs , n'ont finalement
abcui qu'à pafler à l'ordre du jour , qu'à laiffer
agir le meilleur des Rois fans le remercier , fans
approuver , & fur la refponfabilité de fes mi
niftres qu'on dénoncera encore.
Nos lecteurs pères de familles n'apprendront
pas avec indifférence que MM . Paftoret , Cé
ratti , Condorcet & Fauchet , ont été nommés
membres du comité d'inftruction publique.
Le dernier maffacre d'Avignon , du 16
Octobre & jours fuivans , n'eft que trop
certain ; nous avions même diminué le
nombre des victimes , dans la fauffe perfuafion
que les premiers rapports étoient
exagérés . Cependant , les bourreaux fe font
retournés ; par une farce digne d'eux , &
pour affoiblir la première impreffion de
cette cataſtrophe , ils ont fait répandre
qu'elle étoit imaginaire. L'un des bouchers
de cette ville infortunée , le Gazetier Tournal
a annoncé que la nouvelle de ce carnage
étoit une rufe. Sur la parole de ce
miférable , la Gazette Univerfelle , & dix
autres Folliculaires de cette efpèce ont
imprimé qu'aucun meurtre n'avoit été commis
depuis la mort de Lefcuyer. « Que pour
» fauver les prifonniers de la fureur du.
» Peuple , les Chels du Parti populaire
( 42 )
> avoient répandu le bruit qu'ils étoient
» égorgés , & qu'à l'abri de cette heureuſe
impofture ils les avoient fait évader. En
conféquence de cette belle idée , on avoit
» fait enfoncer les portes des prifons , &
» fait répandre du fang ( d'agneaux appa-
» remment ) pour donner le change au
» Peuple. »
Quels qu'aient été les torts des Chefs
(ajoutent les confrères de Tournal, amis
» du Coupe-tête ) , ils les ont tous expies par
» une conduite à- la- fois fi profonde , fi pos
» litique , & fi heureufe. »
On ne fait qui l'emporte dans la fabrication
de ce paragraphe , de la profondeur
de la bêtife ou de la profondeur de la fcélérateffe.
C'eſt ainfi qu'on écrit maintenanț
en France ; tels font les moyens , les appuis,
Jes Apôtres de la Conftitution , les Juges
des fouverains , les Régénérateurs du Globe
Une fable fi groffière ne feroit
pas bonne,
même pour des Soldats ivres , politiquant
dans un Cabaret. Les miférables qui la
répètent & l'accréditentà Paris , font dignes
de fe laver dans un bain de fang. Mais
qu'on ne s'y méprenne pas ; depuis deux ans,
ils font le même métier , & à chaque crime ,
leur tâche et d'infulter à la pudeur pu
blique , de corrompre la confcience de
leurs Lecteurs , & de détourner l'exécration
Nationale de la tête des fcélérats .
Ce conte atroce eft la feule rufe qu'il
1
( 43 )
y ait dans le carnage d'Avignon. Peu après
T'avoir répandu , les brigands font revenus
à un autre ftratagême ; ils ont publié une
prétendue relation où ils avouent une partie
des meurtres qu'ils attribuent au Peuple,
& au fils de Lefcuyer , en ajoutant qu'ils
ont fait élargir tous ceux contre lefquels
il n'y avoit ni Décret ni accufation . Ceft
reconnoître la vérité entière ; c'eſt dire
qu'ils ont fait égorger tous leurs ennemis
tous ceux de leurs adverfaires qu'ils avoient
accufés & enfermés , & qu'ils ont relâché
ceux defquels ils n'avoient rien à craindre.
Mais nous avons des preuves bien autrement
pofitives , dans des lettres fignées
d'Avignon même , en date du 19, du 21 , du
23 , où l'on nous détaille , où l'on nous
confirme cette boucherie , telle que
nous l'avons précédemment racontée.
Cent autres perfonnes ont reçu des informations
auffi authentiques. Si les hypocrites
affaffins de plus de cent infortunés ,
certainement bien innocens de la mort de
Lecuyer , puifqu'ils étoient emprisonnés
depuis le 21 Août , euffent été élargis , ils
feroient arrivés fur les terres de France.
A Villeneuve , à Orange , à Courthaifon ,
au St. Efprit , leurs amis , leurs parens émigrés
, auroient fu cette miraculeufe déli- .
vrance. Or , dans toutes ces villes on avoit
le 25 la certitude du maffacre. Le Rédacăteur
du Courier de Villeneuve , Gazette
644
exacte , qui ne s'eft jamais trompée fans
fe rétracter , & qui avoit eu la bonne foi
de rapporter le roman de Tournal, écrit
ce qui fuit , en date du 25. Cet article
inftructif fait connoître les motifs & la
trame du complot qui a amené ces nour
yeaux forfaits.
L'horrible baûcherie du 16 & des jours
fuivans n'eft que trop certaine ; plus de 100
perfonnes des deux fexes ont été immolées de
Lang-froid à la vengeance des monftres qui fe
font emparés du Gouvernement de cette ville.
Le nombre des victimes feroit bien plus grand
fans doute , fi beaucoup de gens n'avoient trouve
les moyens de fe foultraire à la futeur de ces
Cannibales . C'eft en vain que les fcélérats vou
droient donner le change fur la caufe, & les
fuites de tous ces mallacres , en faifant publier
par leur Journaliste , comme à l'époque du 21
Août dernier , qu'il y avoit un complot pour
les égorger , & que c'eft le peuple qui s'eft porté
à ces excès après la mort de Lefcuyer. Nous
avons acquis affez de preuves fur ces évènemens ,
pour dévoiler à nos Lecteurs tous ces myſtères
de fcélérateffe . »

« Un mannequin , que les Chefs de la Faction
Avignonnoife avoient fait fabriquer eux -mêmes ,,
donna lieu aux maffacres du 10 Juin 1790.
La mort de Lavillaffe & Anfelme , qu'ils fireat
affaffiner à Vaiſon , a été le fujet e apparence dela
guerre barbare & fanguinaire contre Carpentrass
la réfiſtance & la fermeté de la Municipalité . ?
pour s'oppofer à leurs entrepriſes vexatoires , a
été le prétexte des emprifonnemens du 21 Août, l
& de tous les troubles qui ont fuivi cette époquej
( 45 )
enfia un projet de deftruction de la Munici
palité & de fon Parti , affreufement combiné
a été la caule de ces derniers maffacres . »
cc« On doit fe rappeller les murmures & les
menaces d'une partie de leurs Satellites , qui'
vouloient être payés de ce qu'on leur avoit,
promis , fur le produit des ventes qui fe faifoient
journellement , & des moyens que les .
Chefs de la Faction avoient employés pour appåfer
les plus mutins . Cs clameurs , & les ,
demandes en reddition de compte qui avoient
frappé fouvent leurs oreilles , l'arrivée prochaine
des Commiffaires , le rejet de M. Verninac
, leur Patron , le voeu de tous les Citoyens
honnêtes qui defirent l'entrée des troupes .
de ligne pour voir finir ces vexations , ' tout leur :
préfagcoit le triomphe certain de la Municipa
lité , & par conféquent leur anéantiflement.
Jouant de leur refte , ils ont voulu tout facrifier
, tout immoler à leur vengeance , & à,
leur ambition . Il fe tint en conféquence , quel
ques jours avant le 16 , un Comité fecret cu
tous les Chefs des brigands affiftèrent. La quefton
d'égorger tous les Prifonriers & les per-
Danes attachées au Parti de la Municipalité y
fû agitée & réfolue ; mais il falloit un prétxte.
Lefcuyer , lui- même , fertile en expédiens
le propofa ; mai en le préfentant il ne laiffa
pis ignorer à fes Collègues , qu'il pouvoit leur
devenir finefte ; il ne penfoit pas dans ce
moment qu'il feroit lui même la première victime,
de fon affreux projet , qui fut accueilli .
I canfiftoit à provoquer une affemblée tumultueufe
de Citoyens aux Cordeliers , & à y
exciter le trouble par le moyen de leurs émiffaires
. Comme il devoit s'enfuivre néceflaire(
46 )
ment une effuſion de fang , ils prenoient ée
prétexte pour dire qu'il y avoit un complor
formé pour affaffiner les Patriotes , & qu'il
falloit fe venger fur ce qu'ils appellat Ariftocrates
; ce projet fut applaudi & exécuté, 5-
:
« Le projet d'affemblée réuffit en eftet , au
moyen du placard qui fut affiché le Dimanche
matin , & par les foins qu'avoient pris leurs
émilaires pour faire faire ce raffemblement . Si
cette aflemblée n'eût pas été combinée à deſſein
il auroit été facile fans doute de la féparer
avant même qu'elle fût formée ; puifqu'on fonnoit
le tocfin à neuf heures du matin aux Cordeliers
, & que le meurtre de Lefcuyer n'eut
lieu que vers midi ; mais on vouloit du fang
répandu , & on laiffa faire. Cependant l'affenbléc
devint plus nombreufe qu'on ne croyoit ;
les femmes des Payfans , des artifans , s'y rendirent
en foule on s'échauffe fur les déprédations
des chefs de la faction & des Adminiftrateurs
provifoires ; on veut qu'ils rendent
compte des ventes qu'ils ont faites , on veut
qu'ils repréfentent la caiffe d'argenterie enlevée
en dernier lieu au Mont de- piété . Pendant que
toutes ces motions fe fuccèdent avec une rapidité
étonnante , quelques- uns de l'affemblée le
détachent pour aller chercher les Chefs de tous
les brigandages , & le fort tombe far Lafcuyer
qu'on rencontre dans la rue. En entrant dans
laffemblée il fe vit perdu ; il fut même ſi affecté
de cette idée , qu'il n'eut pas la force de
répondre à aucune queftion . Ayant pourtant
repris un peu fes fens , il voulut menacer ,
mais il n'étoit plus temps ; le peuple excité, &
qui le confideroit comme un des principaux auteurs
de tous les maux qu'il fouffie depuis un
( 47 )
an , lui tombe deffus , l'affaffine , crie victoire
& s'enfuit. »
Nous ne rappellerons pas le premier maffacre
qui eut lieu lorfque le barbare Jourdan
fit tirer ſur une troupe de Citoyens fans armes ,
que le hazard ou la curiofité avoit raffemblés
aux Cordeliers . Il foffit de dire , fans entrer
dans les détails affreux de toutes ces fcènes d'herreurs
,, que cette mort , comme Lefcuyer l'avoit
prévu lui-même , a été le prétexte de la fanglante
tragédie du 16. La réuffite du projet de
ces fcélérats leur avoit paru fi certaine que les
liftes des perfonnes profcrites étoient toutes
prêtes. Il eft faux que le peuple ait commis ces
atrocités ; les avenues du palais étoient gardées
avec le plus grand foin , & perfonne ne pouvoit
en aborder ; les chefs étoient préfens euxmêmes
à cette boucherie horrible , qui s'eft
faite pendant le filence de la nuit. Officiers
municipaux , notables , citoyens de tout état ,
femmes , filles , enfans , au nombre de quatrevingt
, ont été maffacrés dans le palais , après
une mûre réflexion & dé ibération . Il y a eu
d'autres victimes le lundi & le mardi , & plufieurs
ont été affaflinés dans leurs propres maifons
, en présence de leurs femmes & de leurs
onfans.
Tels font les chefs- d'oeuvres de profon
deur , de politique & de génie , par lesquels
les généreux protégés de nos patriotes Folliculaires
, ont expié le tort d'avoir faccagé
une Province , incendié 600 Maifons , pillé
des Villes & des Bourgs , affaffiné des centaines
de leurs compatriotes défarmés , violé
des femmes , maffacré des enfans , ré(
48 )
duit à cinq mille Habitans fans pain , une
Ville floriffante de 30,000 ames , & chaffé
tous les Propriétaires qu'ils n'ont pû égor
ger ; le tout à la plus grande gloire de la
Conftitution Françoife , & par horreur'
pour les conquêtes dont elle a fi efficacement
abdiqué le droit.
Dans le nombre des Martyrs fe trouve le
plus refpectable vieillard , M. de Nolhac
Curé de St. Symphorien , ancien Supé
rieur des Milions , univerfellement eftimé
par fes connoiffances , par fa charité , par
fa douceur.
Les portes d'Avignon font toujours fermées
: on ne peut en fortir que clandeftinement.
D'ailleurs , on eft inftruit par les
Fugitifs , que les Brigands continuent à
emprifonner tout ce qui leur eft fufpect ,
que le Commandant général a mis en état
de défenſe le Palais , rempli de munitions
de guerre & de bouche , & qu'il ne veut
fouffrir ni l'entrée des troupes de ligne
Françoifes , ni celle de le Scène des Maifons
, l'un des trois nouveaux Commiffaires
arrivés à Orange. Pour expliquer
cette ingratitude des Jourdan & complices
envers leur illuftre ami qui célébra , avec
tant de gloire , leur civilme , leurs vertus
leur fenfibilité , à l'Affemblée Nationale , il
faut favoir que ce Monfieur le Scène , & les
deux collègues,fe fervirent des brigands pour
forcer par la terreur la réunion à la France.
Cette
( 49 )
Cette grande entrepriſe confommée , il a
fallu détrôner les brigands , pour fubftituer
le fceptre de l'Affemblée nationale au
fabre de Jourdan. Delà la méfintelligence.
Voilà les fcènes de Machiaveliſme , par
lefquelles on eft parvenu à arracher Avignon
& le Comtat au Pape , & au Peuple
même de cette malheureufe Contrée. Elle
eft la proie que fe difputent les le Scene &
les Jourdan. Nous verrons quelle fera
maintenant la marche des Miniftres , &
comment celui de la Juftice fe lavera du
reproche d'avoir abandonné à de pareils
Médiateurs le fort de deux cents mille
Etrangers , d'avoir concouru à leur donner
, malgré eux , un autre Souverain ( 1 ) ,
quoiqu'il ne pûtignorer la violence exercée
fur les opinions ; d'avoir fouffert que ces
ridicules Plénipotentiaires fe préfentaffent
en Alliés d'une bande de mal- faiteurs , &
d'avoir abandonné au glaive de ces der
niers , depuis la réunion de malheureux
Citoyens dont la France devoit au moins
(1 ) M. de Menou,dans fon dernier rapport, énonça.
formellement que le garde-du-fceau opinoit entièrement
à la réunion . Quelques jours aupara
vant il avoit promis toute fon affiftance à des
députés du Comtat & d'Avignon , contraires à³
la réunion. Aufli ont- ils ceffé de le voir depuis
ce moment.
Ne. 45. 5 Novembre 1791. C
( 48 )
duit à cinq mille Habitans fans pain , une
Ville floriffante de 30,000 ames , & chaſſé
tous les Propriétaires qu'ils n'ont pu égor
ger ; le tout à la plus grande gloire de la
Conftitution Françoife , & par horreur
pour les conquêtes dont elle a fi efficacement
abdiqué le droit.
Dans le nombre des Martyrs fe trouve le
plus refpectable vieillard , M. de Nolhac ,
Curé de St. Symphorien , aicien Supérieur
des Minions , univerfellement eftimé
par fes connoiffances , par fa charité , par
fa douceur.
Les portes d'Avignon font toujours fermées
; on ne peut en fortir que clandeftinement.
D'ailleurs , on eft inftruit par les
Fugitifs , que les Brigands continuent à
emprifonner tout ce qui leur eft fufpect ,
que le Commandant général a mis en état
de défenſe le Palais , rempli de munitions
de guerre & de bouche , & qu'il ne veut
fouffrir ni l'entrée des troupes de ligne
Françoifes , ni celle de le Scène des Maifons
, l'un des trois nouveaux Commiffaires
arrivés à Orange. Pour expliquer
cette ingratitude des Jourdan & complices
envers leur illuftre ami qui célébra , avec
tant de gloire , leur civisme , leurs vertus
leur fenfibilité , à l'Affemblée Nationale , il
faut favoir que ce Monfieur le Scène , & fes
deux collègues ,fe fervirent des brigands pour
forcer par la terreur la réunion à la France.
Cette
( 49 )
Cette grande entrepriſe confommée , il a
fallu détrôner les brigands , pour fubftituer
le fceptre de l'Aflemblée nationale au
fabre de Jourdan. Delà la méfintelligence.
Voilà les fcènes de Machiavelifme , par
lefquelles on eft parvenu à arracher Avignon
& le Comtat au Pape , & au Peuple
même de cette malheureufe Contrée. Elle
eft la proie que fe difputent les le Scene &
les Jourdan. Nous verrons quelle fera
maintenant la marche des Miniftres , &
comment celui de la Juftice fe lavera du
reproche d'avoir abandonné à de pareils
Médiateurs le fort de deux cents mille
Etrangers , d'avoir concouru à leur donner
, malgré eux , un autre Souverain ( 1 ) ,
quoiqu'il ne pût ignorer la violence exercée
fur les opinions ; d'avoir fouffert que ces
ridicules Plénipotentiaires fe préfentaffent
en Alliés d'une bande de mal- faiteurs , &
d'avoir abandonné au glaive de ces der
niers , depuis la réunion de malheureux
Citoyens dont la France devoit au moins
(1) M. de Menou, dans fon dernier rapport, énonça.
formellement que le garde-du -fceau opinoit entièrement
à la réunion , Quelques jours auparavant
il avoit promis toute fon affiftance à des
députés du Comtat & d'Avignon , contraires à
la réunion. Aufli ont- ils ceffé de le voir depuis
ce moment.
No. 45. 5 Novembre 1791. C
( 50 )
protéger les vies , puifqu'elle s'emparoit
de leur pays.
Tous les bons efprits , tous les vrais Citoyens
avoient prévu la cataſtrophe dont la
Colonie . Françoife de St. Domingue eft
maintenant le théâtre. Les premiers avis de
cet épouvantable défaltre furent apportés ,
il y a quinze jours , par le Triton , navire
appartenant à M. Begouen du Havre. Ce
Négociant , très eftimable Député à la précédente.
Affemblée Nationale , envoya ici
le rapport de fon Capitaine , qui avoit
appris d'une goëllette fe rendant à la Martinique
, que les Nègres s'étoient révoltés .
dans la plaine du Cap, & que dix mille
d'entr'eux avoient péri dans une action
contre les troupes de cette ville . Ce carnage
invraifemblable difcrédita la nouvelle
à fon arrivée : on fe, hâta de la rejet -
ter ; les Folliculaires , les Déclamateurs &
les Fripons , inféparables affociés , pro-,
noncèrent que St. Domingue jouiffoit d'une
tranquillité inaltérable depuis la régénération
conftitutionnelle
Malheureuſement , cet horofcope fut
démenti huit jours après. Le navire le
Ferme , parti des Cayes le 1er. Septembre ,
& entré vers la mi- Octobre dans la rivière
de Bordeaux , confirma l'avis du foulève ,
ment des Noirs : entr'autres informations ,
apporta une lettre il de l'Affemblée Colo-
2
( zx )
niale, en date du 23 Août , àla Munici
palité des Cayes. « Les quartiers du Limbé
» & de l'Acul , plaine du Cap , mandoit
» l'Affemblée ,font le théâtre de la révolte.
» Les Nègres efclaves , attroupés en nom→
» bre confidérable , incendient par- tout les
» habitations , égorgent les Blancs , & fe
» faififfent des armes à feu. Il paroît que
» le complot eft général dans la Colonie .
» Une centaine de Nègres ont été tués
» dans une première attaque faite par les
» troupes forties du Cap , & c . »
•Quoique ce rapport fût foutenu par
beaucoup de lettres particulières , les-Amis
des Noirs , & les Optimistes , affectèrent de
le recevoir avec dérifion ; ils perfi:adèrent
à l'infouciance égoïfte de Paris qu'on pou
voit dormir en paix , & que la fable de St.
Domingue étoit l'ouvrage des accapareurs
de fucre, & du Pouvoir exécutif.
Enfin , Samedi dernier , des nouvelles
plus pofitives & plus alarmantes ont aggravés
la confternation des Colons , &
fourni un nouveau texte au fcepticifme
étudié des méchans , ainſi qu'à celui d'une
foule de fots , dont l'incrédulité eſt toujours
en raifon inverfe des motifs légitimes
de crédibilité. La frégate Angloife
la Daphne ( Capitaine Gardner ) , partie de
la Jamaïque , le to Septembre , avec les
dépêches du Gouvernement , ayant relâ--
ché au Capy en a fait voile le 25 dư
C 2
( 52 )
même mois. Arrivé en Angleterre , le Capitaine
a fait fon rapport à l'Amirauté ;
fes dépêches ont été envoyées au Roi à
Windfor , le 25 Octobre . Parmi les lettres
particulières qu'il a apportées , il s'en trouve
une de M. Bryan Edward , riche Planteur
de la Jamaïque. Il écrit du Cap , le 25 Oc
tobre , à fon Correfpondant à Londres ,
« que la Colonie de St. Domingue eft
» menacée d'une ruine entière ; que 50,000
» Noirs ou Mulâtres révoltés ont incen-
» dié 218 plantations à fucre ; que 400
» Blancs ont péri dans une action contre
» les rebelles retranchés à fix milles du Cap
>> dans un camp fortifié ; qu'ils ont & des
» fufils & des canons , qu'on foupçonne
> leur avoir été fournis par les Hollandois.
» & les Efpagnols . Le Cap eft d'ailleurs
>> affez bien agardé. »
Cette lettre tranfmife par MM. Collow
de Londres , à leur maifon du Havre ,
fut Samedi au Miniftre de la Marine & à
l'Affemblée nationale. On a vu dans la notice
de la féance de ce jour- là , qu'après avoir
froidement renvoyé ces informations à fon
Comité Colonial , le Corps Légiflatif jugea
plus important de s'occuper des fourrures ,
de la vache , du carroffe de Monsieur ,
arrêtés à Longwi , par refpect pour les Dé-i
crets , & de harceler le Ministre de lal
guerre. Le lendemain , J. P. Briffot , dé
Bita du verbiage dont fes Collègues dé(
53 )
crétèrent l'impreffion ? Pourquoi , dit- il ,
cette lettre de M. Edward n'auroit- elle pas
eté fabriquée au Havre ? I réfultoit des
commentaires de cet homme , que la nouvelle
étoit fauffe , parce qu'elle étoit invraif
mblable. Avec cette manière de raiſonner ,
écrivoit Montefquieu , il n'y auroit plus
d'hiftoire. Etoit-il vraisemblable que J. P.
Briffot feroit nommé un des Légiflateurs
de la France , & qu'après fes déclamations
incendiaires en faveur de la liberté des
Noirs , après les efforts enragés & foutenus
pour préparer la catastrophe actuelle ,
après fes calomnies perfévérantes contré
les Planteurs , on fouffriroit qu'il ouviît le
bouche dans le Corps Légiflatif , le jour
même où l'on apprendroit,la ruine de la
Colonie ? Au rette , il a découvert dans les
dépéchés de la Daphné , des combinaiſons
Ariftocratiques de contre révolutions , aimi
que fon affocié Condorcet y a découvert le
deffein de former au Roi un Empire d'Outre-
mer , où ily aura des Mattres et des Efclaves.
- Telles font les confolations que des Légiflateurs
verfent für quatre millions de
François , que la catastrophe de St. Domingue
laille fans travail & fans pain , fur
cent mille Familles ruinées , fur la perte
de 70 millions dans la balance de notre
Commerce , fur la deftruction de nous
Commerce Maritime,
C 3
( SA )
Cen'eft pas fans doute d'après la parole de
deux hommes aufli décriés que Briffot &
Condorcet , qu'on fe raffurera. La fécurité
artificieufe de ces deux Perfonnages font aut
contraire un puiflant motif d'appréhenfion.
Avant hier , lundi , le Miniftre de la Mat
rine a reçu de M. Barthelemi , Chargé d'Af
faires à Londres , la confirmation des avis
déplorables arrivés famedi , confirmation
contenue dans le rapport qu'a publié le
Ministère Anglois par la Gazette de Lon
dres , Feuille du Gouvernement où l'on
n'insère jamais que des nouvelles officielles .
Suivant cet extrait , le mal eft encore plus
grand; car on yannonce cent cinquante mille
Nègres révoltés , & une partie des troupes
de ligne conjurée avec eux . Ce ne peut être
le Régiment da Cap dont la conduite a
toujours été exemplaire ; ainfi cette trahifon
des foldats , fi elle exifte , concerne les
deux bataillons d'Artois & de Normandie
qui fignalerent leur arrivée au Port au
Prince , par leur complicité dans l'affaflinat
de M. Mauduit.
Au départ de la Frégate Angloife , l'opulente
plaine du Cap étoit en flammes . Les
Nègres ont adopté pour chanfon favorite
le refrain Vive la Fayette Vive Grégoire 1:
bons amis des Noirs , défenfeurs de leur li-.
berté. Suivant les apparences , on a eme
ployé des Mulâtres & même des Européens
à fomenter cette rébellion. Un grand nom
133 )
:
bre de Blanes ont été égorgés fur leurs ha
bitations. Le refte s'eft réfugié au Cap ;
beaucoup de Familles ont paffé à la Ja
maïque. Le Gouverneur de cette ifle, Milord
Effingham, & le Commodore Affleck qui
commande l'Efcadre en ftation , com
pofée d'un vaiffeau de cinquante canons ,
de cinq frégates & de trois floops , n'ont
pû accorder lés fecours que leur a demandé
St. Domingue: ils ont befoin de toutes leurs
forces dans une crife , dont le développement
fe propagera peut- être fur toutes les
Antilles auffi , le Gouvernement Britannique
va-t-il , fans delai , y faire paffer des
troupes & des vaiffeaux. Les Efpagnols ont
également , dit-on , & par le même motif,
refufé des fecours. Quant au foupçon qui
accufe les Hollandois d'avoir fourni des
argies & des canons aux Nègres , il eft
évident que ce funefte tranſport , ne peut
avoir été l'ouvrage que de quelques Armateurs
avides , & gagnés par les véritables
Moteurs de la révolte. On a vu
dans la dernière guerre , & dans toutes
les guerres , cette claffe de fpéculateurs
Hollandois vendre des munitions aux ennemis
de leur patrie. Au furplus , Milord
Effingham a , dit-on , écrit qu'il connoiffoit
le fil de cette trame , & fans doute il
l'aura falt connoître au Gouvernement
Anglois. Le filence de M. de Blanchelande
qui commande au Cap , & celui de la
"
C4
( 56 )
"
Colonie même depuis la fin d'Août , ajouté
aux craintes fur l'étendue de cette cataftrophe
, qui aura co -incidé avec le moment
où la nouvelle du départ & de l'arreftation
du Roi fera parvenue à Saint - Domingue.
On ne peut penfer fans frémir aux fuites
incalculables de cette infernale confpiration.
Elle va ébranler la France entière : fes conire-
coups nous préparent des évènemens
terribles toutes les Puiffances Maritimes
yont reffentir les bienfaits de nos Théories
& des affreux Confpirateurs qui en ont fi
heureufement tranfplanté l'influence dans les
Colonies.
Les Pianteurs ont délibéré dans une féance
tenue Dimanche à l'Hôtel de Maffiac , &
jenis aujourd'hui au Roi , une Adreſſe
portée par 300 d'entr'eux. Ils dévouent à
la déteftation publique cette Société
Amis des Noirs , qui vont être regardés
comme des traîtres à leur patrie. Cette indignation
n'eft que trop légitime ; mais
les Colons n'ont- ils aucun reproche à fe
faire? Par leur enthouſiaſme infenfé pour
la Révolution , par l'efprit de délire qui
les a conduits à introduire auffi le faint
devoir de l'infurrection , fur une terre peuplée
de cinq cents mille efclaves , n'ontils
pas fervi d'inftrumens à leur perte ? Ne
Font- ils pas creufée par cet empreffement
à brifer parmi eux tout Gouverne(
8 )
(
ment , à abjurer la protection du Roi ,
chaffer les Commandans , a débaucher des
troupes , à s'ériger auffi en Légiflateurs fouverains
, à faire méprifer leur autorité par
leurs divifions , & à fe donner le régime
qui devoit néceffairement amener la cataftrophe
dont ils gémiffent?
Qu'ils y réfléchiffentbien : ils font perdus
fans reffources , s'ils ne rétablient fans
délai le Gouvernement central , unique ,
& vigoureux , dont ils ont eu l'imprudence
de fe délivrer. Ils ne peuvent être fauvés
que par une Dictature. Qu'ils fe hâtent de
diffoudre cette Affemblée Coloniale qui
prolongera inévitablement leur anarchie ,
& qui rendra leurs maux incurables . On
a témoigné le defir de former avec les
Anglois un pacte de garantie pour la sûreté
'des Colonies ; mais , penfe - t - on que le
Ministère Britannique fera affez dépourvu
de jugement , pour s'allier au Gouvetnenient
monstrueux que vient d'adopter
St. Domingue ? Qu'on ne s'en flatte pas.
Ce nouveau triomphe des la Fayette , des
Sieyes , des Dupont , des la Rochefoucault ,
des Condorcet , des Gregoire , des Tracy ,
des Monneron , des Briffot , fut prédit par
M. Malouet , lorfque ces perfides déclamateurs
firent rendre le Décret du 15 Juin.
Il ne vous reste plus , leur dit ce fage Députě ,
'qu'à élever un trophée aux amis des Noirs,
Ci
avec les débris de vos plantations , de vos
vaiffeaux et de vos manufactures. Eh bien !
cette prophétique annonce de la fageffe
fut traitée avec mépris par tous les charlatans
philofophiques ; ils la liveèrent aux
huées des Galeries , & à la dérifion de leurs
coupables Journaliſtes.
M. de Montmorin a remis lundi foir le
portefeuille des Affaires Etrangères. M. de
Leffert en eft chargé par interim ; car M. de
Ségur l'aîné , qui au refus de M. de Mouftier
4 refus forcé par les intrigues de ceux
qui gouvernent le Confeil avoit d'abord
accepté la place , a enfuite donné fa démiffion.
Il n'a pu fupporter l'idée d'être
livré à des opprobres , femblables à ceux
que M. Duportail efluya philofophiquement
famedi dernier , & il a fort bien
compris qu'un homme digne de fa place ,
& pourvu de quelques fentimens nobles ,
n'auroit jamais la moindre influence dans
un Cabinet , dont les Membres font aguerris
contre les procédés les plus humilians ,
& contre les galeries.
Le Dey d'Alger vient de déclarer la
guerre à la France , en faifant des demandes
extravagantes , dont il exige réponſe dans
quarantejours. Après ceterme, fes Corfaires
ont ordre de courir fur nos bâtimens. Il
a annoncé quepuifque les François avoient
( 59 )
détrôné leur Roi , il les regardoft comme
fes ennemis.
Pendant les divers périodes de la Révo
lution , fes Panégyriftes nous ont excédé
de lieux communs fur la prochaine ceffation
des défordres. « C'eft un paffage ,
» difoient-ils ; c'eft le prix de la liberté
>> c'est l'acquérir à bon marché ; la Confti-
» tution achevée , les troubles les
» excès , les défobéiflances , les infur
» rections difparoîtront. Laiffez finir la
» Conſtitution , & nul Empire ne fera plus
tranquille & plus floriffant. » Leur objectoit-
on l'impuiffance du Pouvoir exén
cutif? « Attendez , répliquoient - ils , le Co-
» mité de Conftitution va le rendre plus
» puiffant que jamais. Le Roi fera le plus
» grand Roi de l'univers ; MM. Paftoret,
» Cerutti, & tous les phrafiers du coin le
» proclameront tel il ne régnera point
» par la force , mais par l'amour ; & le
» faint empire de la Loi , foutenu d'un
» civisme pur , régnera feul fur les Gou
>> vernans & fur les Gouvernés . »
A toutes ces fottifes de Tribune & de
Gazettes , oppolez le tableau qu'offrent
tous les huit jours l'hiftoire de l'Aſſemblée
Nationale & celle du royaume . Quel cadre
que celui de la femaine dernière ! quelle
accumulation de fcènes anarchiques ! Ici
des Gardes Nationales marchant aux fron
C6
( 60 )
ères avec des bâtons & fans fouliers ; là
d'autres Gardes qui fe plaignent qu'on leur
fa't manger le pain trop chaud , & qu'ils
font obligés de marcher par la pluie. Les
uns affirment que les Arfenaux fent vides ;
M. Duportail affure qu'ils font pleins :
des clabauderies des Dénonciateurs , des
répliques du Miniftre , il ne réfulte qu'une
vérité , celui de l'épouvantable confufion
qui plane fur la France , comme un ouragan
fur les flots . Un jour , c'eft Avignon
ruiffelant de fang , fous le fer des Auxi-
Jiaires de l'Affemblée Conftituante ; le
lendemain , c'eft Rochefort en émeute , &
Les Ouvriers du port forçar t la Municipalité
de reployer fon Drapeau rouge ; enfuite ,
c'est le Peuple de Lille qui ne veut point
troquer fon argert & fes affignats contre
des chiffons de papier appellés billets de
confiance ; qui s'attroupe , menace , &
dont une garnifon entière eft obligée de
prévenir l'explofion ; c'eft le cours des fubfiftances
arrêté , interrompu en cent lieux
différens ; à Paris , autant de vols que de
quart d'heure dans la journée , & point de
voleurs punis ; nulle Police ; des Tribunaux
furchargés ; des prifons qui ne fuffifent
plus à la quantité des Délinquans ;
prefque tous les hôtels fermés ; la confommation
annuelle diminuée de plus de deux
cents cinquante millions dans le feul fauxbourg
St. Germain ; 20,000 coquins , re-
·
( 61 )
pris de juftice , paffant le jour , la marque
fur le dos , dans les tripots , les fpectacles ,
au Palais Royal , à l'Affemblée Nationale ,
dans les cafés ; des mikiers de mendians
infeftant les rues , les carrefours , les places
publiques; par - tout l'image de la plus profonde
& de la moins attriftante misère
car elle fe joint à l'infolence : point d'argent
, pas même de fous : des nuées de
déguenillés qui fubfiftent de la vente du
papier-monnoie , frappé à tous les timbres ,
énis par qui en veut émettre , déchiqueté
en particules , vendu , donné , rendu en
lambeaux , plus fale que les malheureux
qui en commercent , & repréfentant les premiers
âges du monde , avant la connoiffance
des métaux & l'ufage des monnoies. >
Portez vos regards fur toutes les branches
; une armée fans Officiers ; des remplacemens
rebutés par les Soldats ; ceux- ci
haraffés de la durée du défordre où on les
a plongés ; une marine abandonnée de
tous ceux que l'étude & l'expérience pra
tique luer rendoient néceffaires ; des Corps
Adminiftratifs ou haïs , ou méprifés , &
tous impuiſſans ; des Tribunaux fans activité
& fans confidération ; des impôts partout
repouffés , leur répartition élémen
taire n'étant pas même achevée dans les
Départemens , dont un grand nombre demandent
un pouvoir fupérieur aux Loix,
£ l'on veut atteindre les Contribuables .

( 62 )
Enfin , pour comble , voilà une colonie
qui feule valoit dix provinces , à -peu-près
anéantie . Ces faits font fous les yeux de
tout le monde : ce qui l'eft moins , ce font
les événemens particuliers qui chaque jour
atteftent l'anarchie univerfeile. Nous en
choififfons quelques traits entre ceux que
nous offrent nos correfpondances .
par
On fe rappelle , par exemple , ce convoi
d'argent expédié au Gouvernement de
Soleure par un Banquier de Paris , au mois
de Juin dernier , faifi à Bar- fur - Aube , relâché
ordre de l'Affemblée , & repris de
nouveau dans la haute Alface où il eſt encore.
Le Département du haut Rhin vient
de tenter un dernier effort pour faire ceffer
cette criminelle violation du droit des Gens.
Sa délibération eft inftructive & curieufe :
voici dans quels termes il s'adreffe aux cou
pables Détenteurs de ce dépôt étranger
appartenant à un Etat fouverain ; Déten
teurs qu'il appelle Concitoyens !
« Le Confeil des finances de Soleure a prêté
Te 15 Octobre 1788 , aux fieurs Rougemont ,
Hottinger & Compagnie , Banquiers à Paris ,
une fomme de 80,000 écus de fix livres , rembourfables
en espèces de même nature ; la Société
de ces Banquiers s'eft diffoute en 1791 , &
le 17 Juin dernier les fieurs Rougemont , Hottinger
& Compagnie ont remboursé ladite fomme
au fieur Merian de Bâle , fondé de pouvoir de
J'Etat de Soleure ; les 80,000 écus de fix livres
ont été expédiés le même jour la Loi du 2
161 )
Jain défendoit la fortie du numéraire , le convoi
a été arrêté à Bar fur Aube le 22 ; l'Aſſemblés
Nationale inftruite de cette arreftation , charge
par fon Décret du so Jullet le Miniftre de l'iptérieur
, de donner les ordres néceffaires pour
l'expédition & le départ des espèces monnéyées
appartenantes à l'Etat de Soleure , & retenues
à Bar fur Aube , à l'effet , y eft-il dit , qu'elles
foient conduites sûrement à leur destination , En
conféquer ce de ce Décret le convoi eft parti de
Bar fur Aube , & eft arrivé fans difficulté à
Efferts , de- là il a été conduit à Belfort , où il
eft encore déposé.
"3
« L'on a cherché à vous perfuader , que ce
Décret a été surpris à l'Affemblée Nationale
qu'il faut attendre que l'Aflemblée Nationale
ait donné une nouvelle Loi , qui prononce fur
le tranfport de ce numéraire arêté à Belfort
que l'argent était deftiné aux émigrés ; er fin ,
que la même fomme pourroit être payée à l'Etat
de Soleure en papier monnoie de France . »
Cbfervez , Concitoyens , que ce n'eft qu'a
près une vérification exacte des pièces justificatives
du prêt & du remboursement , fur la
demande réitérée de l'Etat de Soleure , après
s'être affuré , que la fomme reclamée appartenoit
réellement à cette république , que l'Af
femblée Nationale a rendu le Décret du 30
Juillet. Obfervez que 1 Affemblée Nationale ne
peut prononcer deux fais fur le même objet ,
La Loi du 30 Juillet a été rendue pour tous les
Départemens ; elle dait être exécutée comme
Loi du royaume , le Miniftre de l'intérieur eft
chargé de donner les ordres néceffaires pour
l'expédition & départ des espèces appartenantes
à l'Etat de Soleure, Ce Miniftre a ordonné le
16464 )
tranfport de ces effèces le 16 Septembre dernier
; il a été inftruit le 29 du même mois des
nouveaux obftacles , que notre Commiffaire a
rencontré à Belfort , dans l'exécution de ces
ordres ; il a répondu le 6 de ce mois , & c'elt
ainfi , qu'il termine fa lettre : « requerez les
« forces qui vous feront néceffaires pour en impofer
& pour vaincre la réfiftance ; ilet
temps de faire connoître aux réfractaires qu'au-
« cune force n'égale celle de la Loi , & à nos
evo fins , que fon empire leur affure dans le
royaume , ainfi qu'à nous , liberté , sûreté &
Juftice . » Obfervez en outre , que T'on eut
manqué aux conventions expreffes , faites avec
J'Etat de Soleure de le rembourfer de la même
manière dont le prêt s'étoit effectué , en acquittant
la créance en papier- monnoye .
сс
ל כ
François , la Loi a prononcé , vous avez
juré de la maintenir toute entière , & vous ne
ferez point infidèles à votre ferment. ( Içi beaucoup
de phrafes fentimentales fur la Loi. ) "
Le Directoire arrête , que Monfieur Metzger
,
membre
du Directoire
du District
de Colmar
, fe tranſportera
derechef
à Belfort
, pour
faire expédier
inceffammeut
les 489,000
liv. en
efpèce
monoyées
, & les 3,000
liv . pour
inté
rêts , qui y font dépofées
en 17 caiffes
. »
ce Ordonne aux Municipalités fituées fur la
route que tiendra le convoi , de l'eſcorter d'un
Jien à l'autre , juſqu'à ce qu'il foit parvenu aux
frontières , le Directoire les rend perfonnellement
responfables de tous les événemens qui
endroient , par leur fait , à retarder la marche
du convoi. "
ce Autorife ledit fieur Commiffaire à réquérir
( 65 )
la force publique , pour escorter jufqu'aux fron
tières les espèces monnoyées dont s'agit. »
« Et fera la Loi du 1er Août , relative à
l'arrestation faite defdites 480,000 liv . à Bar
fur Aube , publiée & affichée de nouveau , à
la diligence des Procureurs - fyndics des Districts . »
Arrête en outre , que la préfente adreffe ,
imprimée dans les deux langues , fera publi'e &
affichée dans toutes les communes du Département.
»
сс
<< Fait à Colmar en Directoire du Département
du Haut - Rhin , le 6 Octobre 1791. »
Le Général Luckner a envoyé main-forte
au Directoire , & tout faifoit craindre
celui- ci ne fût contraint de l'employer.
que
Dans une autre lettre écrite d'une ville.
du Département du bas Rhin , en date du
29 Octobre , on lit :
сс
Les défordres étoient parvenus à leur comb'e
à Bouxviller. Sous le nom de la liberté , une
partie des habitans , & précisément ceux qui ont
peu ou point de propriété , fe font permis des
excès de tout genre . Les mutins avoient fu mettre
dans leurs intérêts des Gardes nationaux , & la
Municipalité ne pût ou ne voulût point les réprimer.
On en étoit déjà venu à des voies de
fi , & on voyoit arriver le moment où l'on
s'entr'égorgeoit fans pitié . Dans cette alarme ,
on fit venir des Gardes nationaux de Dfaffonhofen
, bourg diftant de 3 lieues ; il en vint so ;
mais à peine furent ils arrivés , qu'au lieu d'aider
à rétablir l'ordre & la tranquillité, ils le rangèrent
du côté des féditieux , dont le parti fut auffi
embarraffé par le détachement de Soldats de Salm-
Salm qui étoit à Bouxviller. Ainfi renforcés , les
( 66 )
matins entrerent de force ouverte dans plufieurs
maifons particulières , fortèrent les caves , burent
les meilleurs vins , & en gâtèrent beaucoup : un
particulier perdit pour environ 480 liv. de vin ,
Non contens de ces exploits , ces perturbateurs
fe portèrent auffi dans des jardins , & y commirent
les plus grandes dévaftations . Ces faits
ayant été dénoncés au Diftrict de Saverne , &
au Département du Bas - Rhin , ils envoyèrent
des Commiffaires . Sur leur rapport , deux des
principaux auteurs de troubles furent mis en
prifon ; on fit partir le détachement de Salm -Sim ;
Je Maire & toute la Municipalité furent dépofés
& remplacés par d'autres . Depuis cette époque
la tranquillité eft rétablie . La nouvelle Marici
palité montre du zèle & de la fermeté ; elle a
fait des changemens utiles dans la compofition de
la Garde nationale . »
« Il est arrivé à Bouxviller 360 Gardes ma- .
tionaux Volontaires , pour la défenfe des frontières
; une partie de cette troupe eft très - mal
équipée , & prefque nue. »
Les Miniftres Luthériens , anciens décimateurs
, font dans une fituation bien pénible . Les
dîmes leur font ôtées depuis le commencement
de cette année. A la vérité , plufieurs Décrets
& notamment celui du 1er . Octobre 1790 , leur
afferent une jufte indemnité fur le pied de l'évaluation
du produit de ces dîmes ; mais ces Décrets
ne font pas exécutés ; ces Miniftres font,
obligés de continuer leurs fonctions ; leurs Paroiffiens
out enlevé gaîment les dimes , qui étoient
leur unique falaire . »
Paris , le 23 Octobre 1791 .
« Je n'ai pas vouk , Monfieur , patler ici laus vous
( 67 )
faire part de quelques traits , qui prouvent que
claffe de payfans conferve des fentimens vertueux,
& que beaucoup d'entr'eux ne font , ni dans le
fens de la révolution", ni contens de la profpérité
qu'elle leur affure . »
« Bon Poltevin , quoique fujet à des atraques
de goutte , je me détermine , comme toute la
Noblesfe , à abandonner mes foyers . Les Paylans
du voifinage informés que je cherchrois de Pare
gent , & le doutat de mon projet , font venus
me trouver & m'offrir ce qu'ils avoient ramaflé à
la fueur de leur front. L'un m'a remis 3,600 liv. ,
dont partie en papier , en me demandant en grace
de partager avec moi la perte de l'escompte & de
he porter fur mon billet que 3,5coliv . Un fecond
m'a tenu le même langage , en me preffant vivement
d'accepter 1,500 liv . en affignats . Un troifème
m'a compté 600 liv. en argent , m'a priể
de les accepter fans intérêt , & de les lui rendre
en eſpèces . Tous m'ont dit : « vous allez foutenir
la bonne caufe ; fi vous réuffiffez , nous nous
en reffentirons comme tout le monde . Si les
thofes continuoient d'aller de train qu'elles vont ,
nous ferions tuinés , nos enfans iroient mendier
leur pain. Nous les élevions en travaillant , actuellement
cela n'eft plus poffible. »
cc
« Plufieurs autres font venus auſſi m'offiir de
petites fommes , & me témoigner leur chagrin de
n'en avoir pas davantage . Tous , les larmes aux
yeux , me fouhaitoient un heureux voyage , un
Prompt retour , & me difoient ; « ah , Monfieur !
nous ferons bien des voeux pour vous revoir
bientôt . Apportez-nous le bonheur dont nous
jouifions avant cette Affembléc J'achèverai
de peindre , d'un mot , le défintéreffement , le
généreux deûr de m'obliger , les fentimens anti(
68 )
révolutionnaires de ces refpectables laboureurs ,
en ajoutant ici qu'ils ne dépendent en rien de moi
ni de ma famille. »
« J'ai l'honneur d'être , &c. »
D. G.
( Ce trait n'eſt pas le feul du même
genre ; rous en connoiffons de pareils en
Bretagne & en Normandie. )
De... en Bretagne , le 18 octobre 1791 .
Je ne fais , Monfieur , fi le temps eft venu
où l'on peut oppofer des faits à des déclamations
oratoires . Il a été démontré que les frais de
jultice gratuite , coûreroient bien plus à l'Etat
fous le régime actuel , qu'ils ne faifoient fous
l'ancien ; on a repliqué que cela étoit compenfé
bien au-delà par le bien qui en résulteroit pour
le Peuple , & fur-tout pour celui des campagnes,
Voici , Monfieur , mot pour mot , ce que m'écrit
là-deffus un de nos Greffiers actuels. »
« J'ai eu , Monfieur , l'honneur de vous due
que je trouve de la différence dans les prix
des appofitions du feeau du temps des Greffiers
Seigneuriaux d'avec ceux du temps actuel. Jugezep
, Monfieur , fur la vue des mémoires de l'un
& de l'autre temps. » A
Les Griffiers Seigneuriaux pour une fimple
appofition de fceau d'une journée de travail ,
& jufqu'à une lieue de distance , avoient , y
compris le délivrement de l'acte , 31. 46.
Une feuille de papier pour la
minute & une pour le délivrement
étoient un objet de • •
Total du régime ancien
22
3 1. 91.
7
( 69 )
Voici les droits de pareil acte fous celui ci :
Droits du Juge de Paix lorfqu'il
paflera plus du traitement
« Droit du Greffer
« Droit d'enregistrement cc
es Papier de la minute , une feuille
feulement
cc
• •
Papier du délivrement , une
feuille
« Droit du délivrement au Greffier
3 1 .
ود
2
"
35
41.
33 8f.
I
81. 121.
« Suivant le Code de la Justice de Paix
les Parties font forcées à un acte de reconnoif
fance & levé des fcellés rapportés par le Juge
de Paix dont les droits font les mêmes que
ceux détaillés ci -deffus , cet acte qui n'avoit pas
Tieu fous l'ancien régime , double la fomme de
8 liv. 12 fols , de forte que chaque appofition
du fceau , y compris la levée , monte au total
à 17 liv. 4 fols . »
« Ainfi , Monfieur , cet acte , qui coutoit
fous les Juftices Seigneuriales 3 liv. 9 fols , en
coûte cinq fois autant fous ce régime , à un
fous près. Ce font là , Monfieur , des vérités
inconteftab'cs , tirées du Code de la Juftice de
Paix ,d'un Décret additionnel du 27 Février 1791 ,
& de la Loi relative aux droits d'enregistrement
des actes du 19 Décembre 1790 ; cinquième
Section de la troifième claffe . »
Un de mes intimes amis , qui jouit dans
fon canton de l'eftime univerfelle m'a affuré
plus d'une fois que pendant l'efface de quarante
ans qu'il avoit exercé les fonctions de
Juge Seigneurial, il n'en avoit pas retiré la fomme
( 70 )
do cent louis , & les Jufticiables , j'en fuis
garant , ne l'en dédiroient pas , il a cédé aux
defirs de tous ceux qui le connoiffoient , & dans,
une feule année , il aura 18 cents liv . que fon
défintéreffement ne lui faifoient pas ambitionner.
Un autre Juge auffi très - honnête , homme que
j'ai queftionné fur une caufe pendante à ces,
Tribunaux gratuits , m'a dit qu'au fien de pareilles
caufes auroient pu être jugées , & vidées
pour douze ou quinze francs , & qu'il étoit perfuadé
qu'elles coûteroient aujourd'hui cent vingt
livres a moins. »
De ..... département de la Drôme, ce 21 octobre.
"
« Depuis onze jours ; nous avons un raffemblement
dans notre ville de 1080 Volontaires
Nationaux , logés chez les Citoyens , & particulièrement
chez ceux qui gémiffent du bouleverfement
général : cette compofition fait pitié ; les
villes , bourgs & villages fe font purgés. Ces
foutiens de la Conftitution commencent déjà à
s'ennuyer du métier ; un bon nombre eft deferté
& retourné vers fes Dieux Penates , ou on les
envoyé chercher par les Cavaliers de maréchauffée
. Aufſi , voilà déjà trois revues du Commiſfaire
& du Général abfolument infructueufes ,
parce que malgré l'ordre donné, y paroît qui veut.
Ce libre arbitre et une fuite de notre régime régénérateur.
On a choifi pour Officiers des Com--
pagnies , des gens dont plufieurs ont été reconnus
filoux ; les autres , voleurs pris fur le
fair & bannis ; d'autres chaffés de différens Regimens.
Ils ont nommés enfuite pour Chefs
MM. Gouvion , Vaubois , & Borton , tous trois
( 71 )
Capitaines dans le Régiment de Grenoble , artil
leric ; on nous fatte da doux efpoir d'é le dé
barraſſé le 27 courant de ces nouveaux- hôtes .
Si jamais cette troupe fe trouve dans le cas de
paroître devant l'ennemi , un vol d'étourneaux .
fur lequel on tire un coup de fuft ne fe difperferar
pas plus vite. »›
"
Les nouvelles publiques vous auront appris
le dernier mallacre fait à Avignon , d'une quantité
confidérable de Citoyens & d'Officices Municipaux
, d'après les ordres du fameux Jourdan
, furnommé le coupe-tête. Le Public blâme
beaucoup M. de Ferrière , Maréchal de- camp ,
commandant les troupes de lignes à Sorgues ; on
dit hautement qu'il protège ce Jourdan , & qu'il
règne entre lui & l'Abbé Mulot la plus grande .
méfintelligence ; cc Général , qui n'a jamais.commandé
& présidé que des Clubs , n'a point la
confiance des troupes , Vous ne ferez pas fâché
peut- êtic, de connoître la généalogie de ce Jour
dan , ainfi que celle de fes crimes ; ce brigand .
s'appelloit , de fon nom de famille , Jouve; il a
commis , dans fa jeuneffe , plufieurs vols &
meurtres qui l'obligèrcent à fe fauver , il fe fit.
enfuite contrebandier ; dans ce nouvel état , foutenue-
par -fa-bande , il a volé , il a affaffiné ,
& a fini par être pris & conduit dans les prifons
de la commiffion de Valence , où fon procès
lai fut fait par M. Hartal préfident , & actuel
lement membre du Tribunal de Caffation . Convaincu
de tous fes crimes , il fut condamné à
être rompu vif. La veille de fon exécution il
fit le malade , les Juges furent tellement fa dûpe
que par humanité , ils lui firent ôter les fers dont
il étoit chargé , il profita de cette liberté pour
:
( 72 )
fe fauver pendant la nuit . Il fe réfugia à Paris ;
fous le nom de Jourdan , & trouva moyen d'être
employé dans les écuries de M. le Comte d'Artois
; c'eft de-là qu'il a pris un nouvel effort
toujours digne de lui , mais ce qui a lieu d'étonner
, ce font fes liaifons intimes avec tant
de gens aujourd'hui en place , qui jo.iffoient,
autrefois de l'eftime des gens honnêtes. Mais
grand Dieu ! dans quel fiècle fommes - nous ? »
« J'ignore fi la nouvelle légiflature jouit à
Paris d'une grande confidération . Tout le monde
crie , & témoigne hautement fon mécontentement.
1 « On eft d'accord ici , & généralement , que
fi la contre-révolution n'a pas lieu à mains armées
, il ne fe paffera pas fix mois fans qu'elle
fe falle d'elle-même , tant par le defpotifme des
Municipalités , des Diftricts & des Départemens ,
& encore plus par les affignats dont perfonne
ne veut. Il ne paroît plus de numéraire , toutes
les denrées font à un prix fou , ainfi que les
marchandiſes ; le nombre des miférables augmente
tous les jours , & on ne doute pas que
l'hiver ne nous amène des querelles inteſtines,
Les Numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France , du deux Novembre,
font : 27 , 35, 6 , 790 54.
MERCURE
DE FRANCE.
7 2
SAMEDI 12 NOVEMBRE 1791 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE,
V IRGINIE
A SA MERE DEVENUE AVEUGLE.
ROMANCE.
AIR Comment gofiter quelque repos ? &c.
L
C'EN eft donc fait ! tes triftes yeux ,
Las font fermés à la lumiere ;
C'en eft donc fait ! ma pauvre mere
Plas ne verras l'Aftre des cieux :
Plus tu ne verras ta famille ,
77
Nos jeux , nos plaifirs innocens .
Du moins à fes foins careffans ,
Ton
coeur reconnaîtra ta fille ( bis ) .
N. 46. 12 Novembre 1791 . C
38
MERCURE
A te fervir jufqu'au trépas ,
Je confacre mon plus bel âge
1
Et je renonce au mariage ,
S'il faut m'arracher de res bras .
Dût-on m'offrir une couronne "
Loin de toi , je n'en voudrais pas :
Toujours je guiderai tes pas ;
Je fuis ta fidelle Antigone ( bis ).
ASSEZ long- temps tu fus l'appui
De mon enfantine faibleffe :
Il eft jufte que ta vieilleſſe ,
Sur moi fe repofe aujourd'hui.
Ton jeune fils , mon digne ere ,
N'aurait pas de plus ( 1 ) cher einploi
Que de partager avec moi
Ce doux & pieux miniftere ( bis ).
> LE jour , au gré de tes défirs
Je lirai , chanterai fans ceſſe.
Puiffe l'accent de ma tendreffe
Charmer l'ennui de tes loifirs !
Si , dans la nuit , ta voix m'implore ,
Mon coeur faura m'en avertir
A mon zele pour te fervir
201
213
20
Tu croiras qu'il eft jour encore (bis ) .
( Par M. B** Lamothe , à Château- du-Loir.)
( 1 ) L'Auteur , ci- devant Receveur général de la Régie,
attend un remplacemer:,
DE FRANCE, 39
EN VOI
De l'Építre d'une Novice à une Religieufe ,
à M. de la Harpe:
AU Peintre heureux de Mélanie ,
De cet eſſai l'hommage eft bien acquis.
Ses tableaux font touchans & fon goût eft exquis ,
Il reçut fes pinceaux de la main du Génie . Π
J'ai voulu m'échauffer au feu de fes rayons ,
Me rendre , en l'imitant , fa touche familiere ,
Et pour mieux faifir fa maniere ,
Raffembler les débris de fes doctes crayons.
Heureux , en retraçant les erreurs du faux zele ,
Quand ma faible palette effaye à colorer
De longs foupirs du Cloître une image fidele ,
Si pour imiter mon modele
Il m'eût fuffi de l'admirer !
( Pur M, de Saint- Ange, >
Ca
40 MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LELe mot de la Charade eft Courroux ; celui E
de l'Enigme eft les Accens ( aigu , grave &
circonflexe) ; celui du Logogriphe eſt Port,
où l'on trouve Or, Po, Rot, Trop.
CHARADE.
PLus l'on avance en mon dernier
Et plus l'on chérit mon premier :
Craignez l'effet de mon entier.
7
"
( Par M. de Moncy l'aîné. )
É NIG ME.
JE fers l'Amour & le Commerce ;
Je fuis chafte , quoique je berce
Toujours un homme dans mes bras ;
L'ingrat dort & ne m'aime pas ;
Mais le Public me rend féconde :
Pour lui je fais le tour du Monde.
DE FRANCE. 41
Avec cinq pieds je dois toujours trotter ;
Souvent en ville on me fait arrêter ;
Cruellement on échange mes filles ;
On me les prend affreufes ou gentilles ,
Comme une troupe on les range à l'inſtant ;
Chacune après trouve fon logement.
Qui croirait que , par un fentiment tendre
Avec ardeur on leur ouvre le fein ?
Si de me voir on conçoit le deffein ,
Aux grands chemins il faut aller m'attendre.
( Par un Abonné. )
LOGO GRIPHE.
CERTAIN faquin ,
freluquet importun ,
A l'oeil vif, au nez fin , à la démarche alerte ,
Part le matin , fouvent à jeun ,
Pour aller à ma découverte :
Me trouve - t-il ? fans compliment ,
Il faut foudain que je dégîte ;
Son Maître , me dit-il , eſt là qui nous attend :
Allons , marchons , & vîte & vîte !
Pour aller où ? c'eſt aux noces , ma foi ;
Car on me jette des dragées
Qui , loin d'être de bon aloi ,
Bien fouvent font empoisonnées .
C 3
MERCURE
Sije les prends , je fuis perdu ; -
On me faifit , on me transporte
Dans un réduit , où me mettant tout nu ,
On me force à valfer , Dicu fait de quelle forte .
Je pirouette avec beaucoup d'ardeur ;
Et pendant que dure ma danfe ,
On a beau m'arrofer & le dos & la panfe ,
On ne m'en voit pas moins deffécher de chaleur.
Après cela , tourment d'une autre efpeçe :
. On me tiraille , on me dépece.
Tu voudrais bien, je gage, en faire autant, Lecteur,
Me difféquer , me manger jufqu'au coeur ;
Hé bien ! me voilà prêt ; en as- tu le courage ?
De mes fix pieds en faiſant le partage ,
Tu trouveras fans peine & fans difficulté ,
Un infecte rampant ; un chemin ufité ;
Une ville de Normandie ;
Un Prophete , dit -on , encor tout plein de vie ;
Le fédiment du vin ; '
Ce qu'en français comme en latin
On enfeigne à maiɛte marmaille ,
Qui vous l'apprend vaille que vaille ;
Une note ; & ce qui ſouvent
Fait d'un fot un homme favant.
( Par M. R... Juge de Paix du Canton
de Coffe Le Vivien . )
DE FRANCE.
43
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
LES RUINES , ou Méditation fur les
Révolutions des Empires ; par M. Volney,
Député à l'Assemblée Nationale de 1789.
A Paris , chez Defenne , Impr-Libr. au
Palais Royal; Volland , Libr. quai des
Auguftins & Plaffan ' , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins , No. 18.
UN jeuneVoyageur , après avoir parcouru
la Turquie , l'Egypte , la Syrie , frappé
des maux qui affligent l'efpece humaine ,
& qui dans ces climats ont anéanti les
grands Empires , é : onné du contraſte de
Jeur ancienne population , & de la dévaftation
actuelle , s'arrête dans une ville
prefque abandonnée fur les bords de l'Oronte
, à quelque diftance de Palmyre , dont
il contemple de loin les débris. Là , fur
d'autres ruines , celles d'un temple qui fut
jadis dédié au Soleil , & dont le parvis
eft maintenant occupé par les cabanes
de quelques Payfans Arabes , il fe livre
à une mélancolie profonde , qui devient
2
C
4
44 MERCURE
par degrés un recueillement religieux.
Bientôt fa rêverie fait place à des penſées
grandes & aufteres. Vingt peuples fameux
ont exifté dans ces contrées. Il fe peint
l'Affyrien fur les rives du Tigre , le Caldéen
fur celles de l'Euphrate , le Perfe régnant
de l'Indus à la Méditerranée . Où font- ils ces
remparts de Ninive , ces murs de Babylone ,
ces palais de Perfépolis , ces temples de
Balbec & de Jérufalem ? Où font ces
flottes de Tyr , ces chantiers d'Arad , les
ateliers de Sidon , & cette multitude de
Matelots , de Pilotés , de Marchands ? Et
cependant ces Peuples étaient livrés à des
fuperftitions cruelles ou aviliffantes , tandis.
qu'aujourd'hui , poffédées par un Peuple de
croyans, un Peuple qui fe dit faint , elles ne
préfentent plus que de vaftés ,folitudes. Plein
de ces penfées dont la fucceffion produit en
fon ame un retour vers l'Europe & vers fa
Patrie , fes yeux fe rempliffent de larmes ; il
lui femble qu'une néceffité funefte , une aveugle
fatalité régiffent le fort des mortels , &
il s'abandonne à une affliction voifine du
défefpoir. Tout à coup un bruit frappe fon
oreille, & du feindes tombeaux, le Voyageur
croit voir fortir un Spectre . C'eft un Génie
dont la voix fe fait entendre , &
lui apporte
des inftructions confolantes . Il lui montre la
juftice des Cieux toujours invariable , & les
Loix de la Nature toujours les mêmes ,
Dieu prodiguant les bienfaits de la terre
DE FRANCE.
45
à ceux qui la fertilifent. Pourquoi feraitelle
féconde fous les pas de ceux qui la
ravagent, dont l'avidité pille le Laboureur ,
ou qui font des Loix deftructives de l'Agriculture
? Quelle était cette infidélité qui
fonda des Empires par la prudence , les
défendit par le courage , les affermit par
la juftice ? Quelle eft cette vraie croyance ,
cette fainteté qui confifte à détruire les
cultures , à réduire la terre en folitude ?
Dieu devait-il réparer par des miracles les
fautes des mortels , reffufciter les Laboureurs
qu'on égorge , relever les murs qu'on
a détruits ? &c. &c. Et de- là ces dogmes
odieux de l'ignorance ou de l'hypocrifie :
le hafard a tout fait , le Ciel avait tout
décrété .
·
1
Touché des fentimens du jeune Voyageur,
uniquementoccupé du bonheur des hommes,
le Génie alors le tranfporte dans une région
fupérieure , d'où il lui montre une moitié
de notre globe , une partie de l'Europe
de l'Afrique , & fur tout cette portion
de l'Afie où s'éleverent autrefois de fi puiffans
Empires. Il lui développe les caufes
de la profpérité & du malheur des Nations
, les principes des Sociétés , l'origine
des Gouvernemens & des Loix , & enfin
les vices qui entraînerent la ruine des
anciens Etats . De l'amour de foi , éclairé ,
bien ordonné , naquit le bonheur individuel
, & enfuite le bonheur focial ; de
C s
MERCURE
l'amour de foi , aveugle & mal ordonné ,
naquirent d'abord tous les maux individuels
, & depuis tous les maux politiques.
Partout où les Loix conventionnelles fe
trouverent conformes aux Loix de la Nature,
une grande profpérité fut le figne & la
récompenfe de cet accord. Là , les hommes ,
jouiffant de la liberté & de la fûreté de
leurs perfonnes & de leurs propriétés ,
purent déployer toute l'étendue de leurs
facultés , toute l'énergie de l'amour de
foi-même; & lorfque , dans certains lieux ,
à certaines époques , les Peuples réunirent
l'avantage d'être bien gouvernés à celui
d'être placés fur la route de la circulation
la plus active , il fe forma chez eux des
entrepôts floriffans de commerce , & des
fiéges puilfans de domination. Telles furent
les caufes qui amenerent fur les rives du
Nil & de la Méditerranée , du Tigre & de
l'Euphrate , les richeffs de l'Inde & de
l'Europe , qui les y entafferent , & accrurent
fucceffivement la fplendeur de cent Métropoles.

Les Peuples devenus riches , appliquerent
le fuperflu de leurs moyens à des travaux
d'utilité commune & publique , & , ce fut
là, dans chaque état , l'époque de ces ouvrages
dont la magnificence étonne l'efprit ; de
cest puits de Tyr , de ces digues de l'Eu-
-phrate , de ces fortereffes du Défert , de
ces aqueducs de Palmyre , &c.
DE FRANCE. 47
P.
L'Auteurpalle enfuite au développement
des manx politiques qui minent par degrés
les Etats , & les conduisent au delpotilme ,
& à cet état de chofes ou le Peuple ne voit
plus dans fes chefs qu'une faction d'ennemis
publics. Il applique les principes à tous
les grands Empires de l'Affe, & il voit ces
Empires décroître , s'affaiblir , s'anéantir ,
lorfque les loix phyfiques du coeur humain
sy trouverent enfreintes & audacieuſement
Violées. Pendant que le jeune homme rempliffait
fon efprit des leçons du Génie
bienfaifant qui daigne l'inftruire & l'éclairer
, des tourbillons de fumée & de flammes
s'élevent des bords de la mer Noire & dans
les champs de la Crimée ; affligé , il regarde
Je Génie bienfaiteur , qui lui apprend le
fujet de ces combats. Le Gouvernement ,
la Religion , les
Mours
, le Fanatifme
réciproque des Ruffes & des Turcs , qui ,
dans leurs prieres , affocient le Ciel à leurs
fureurs en lui demandant fa faveur &
la victoire. Prieres facriléges , retombez fur
la terre , s'écrie le Génie avec véhémence ,
& Vous Cieux , repouffez des voeux homicides.
Cette fuperftition lui rappelle toutes
celles des deux Peuples ennemis , & renforçant
ici les traits dont il a peint plus haut
la tyrannie , il recueille tous ceux qui caractérifent
le Defpotifme Ottoman . Le jeune
homme , qui retrouve en Europe & dans
notre fiecle les mêmes crimes , les mêmes.
C 6
48
MERCURE
"
11
erreurs qui ont détruit les anciens Empires
de l'Orient , croit que l'homme eft deſtiné
à renouveler fans ceffe le même cercle
d'égaremens & d'infortune . Cette idée le
jette dans une profonde confternation . Son
guide s'en apperçoit & combat cette
méprife funefte. Il fait repåffer fous fes
yeux les différentes époques de l'Hiftoire.
Il lui montre qu'au moins les malheurs
du genre humain n'ont point été perdus
pour fon inftruction . Il combat fur- tout
Pidée d'une perfection rétrograde 2 par
laquelle les Tyrans s'attachent à détruire
l'efpérance d'une perfection progreffive. Il
lui rend fenfible tous les progrès de la
Société , par la comparaifon des fiecles paffés
& des temps modernes , par la deftruction
d'un grand nombre de préjugés politiques
& religieux , parles hafards heureux qui ont
fait tourner à l'avantage des Peuples certains
abus , certains inconvéniens ; fur-tout par fe
bienfait divin de l'art de l'Imprimerie . A ces
motifs de confolation , le Voyageur oppofe
le tableau affligeant que préfente encore la
Société fur la plus grande partie du globe ;
L'Afie entiere enfevelie dans les tenebres
le Chinois gouverné par des coups de
bambou l'Indien accablé de préjugés ,
enchaîné par les liens facrés de fes Caftes ,
l'Arabe affaibli dans l'anarchie de fes
Tribus , l'Africain dégradé de la condition
d'homme , les Peuples du Nord réduits à
2

DE FRANCE. 49
celle des troupeaux , jouets de grands propriétaires
, &c.
La douleur & l'affliction qui pénetrent
le Voyageur , excitent un nouveau degré
d'intérêt dans l'ame du Génie , & anticipant
de quelques années fur le fiecle prêt
à naître , il le fait jouir du plus grand
tableau qu'ait préfenté la Révolution
Françaife.
Au fein d'une vafte cité , dans de mouvement
prodigieux qu'excite une fédition
violente , on voit un Peuple innombrable
s'agiter & fe répandre à flots dans les
places publiques. Quel eſt donc , difentils
, ce prodige nouveau ? Quel eft ce
fléau cruel & myftérieux ? Nous fommes
une Nation nombreufe , & nous manquons
de bras ! Nous avons un fol excellent , &
nous manquons de denrées ! Nous fommes
actifs , laborieux , & nous vivons dans
l'indigence ! Nous payons des tributs .
énormes , & l'on nous dit qu'ils ne ſuffiſent
pas ! Nous fommes en paix au dehors
& nos perfonnes & nos biens ne font pas
en fûreté au dedans ! Quel eft donc l'ennemi
caché qui nous dévore ?
>
Et des voix parties du fein de la multitude
, répondirent : Elevez un étendard diftinctif
autour duquel fe raffemblent tous
ceux qui , par d'utiles travaux
entretiennent
& nourriffent la Société , & vous
connaîtrez l'ennemi qui vous ronge.
MERCURE
L'étendard ayant étélevé , le trouva
tout à coup partagé en deux corps iné
gaux , & d'un afpect contraſtant : d'un ,
innombrable , offrait dans la pauvreté génér
rale des vêtemens , & l'air maigre & hálé
des vifages , les indices de la mitere, & du
travail , Pautre petit groupe › fraction
infenfible , préfentait , dans la richeffe
des vêtemens , & dans l'eurbonpoint des
vifages les fymptômes du Hoifir & de
L'abondance,
musigih u snemey
n
4 .
Ces deux corps en préfence , front à
front , s'étant confidérés avec étonnement ,
- je vis , d'un côté , naître la colere & l'indignation
, de l'autre , une espece d'effroit,
& le grand corps dit au plus petit : Pourquoi
êtes -vous féparés de nous ? n'êtes - vous
donc pas de notre nombre? Non , répondit
le groupe vous êtes le Peuple ; nous
autres , nous fommes une claffe diftinguée ,
qui avons nos Loix , nos-ufages , nos droits
particuliers.
!!
Le Peuple.
20 13
Et quel travail exerciez-vous dans notre
fociété ?
་ ་
La Claffe diftinguée .
ub to
Aucun nous ne fommes pas faits pour
travailler.
DE FRANCE.
Le Peuple.
Coinment avez - vous donc acquis cos
richelles ?
La Claffe diftinguée.
' , '
En prenant la peine de vous gouverner.
Le Peuple.
Quoi ! voilà ce que vous appelez gouverner
? nous fatiguons , & vous jouiffez !
nous produifons , & vous diflipez les
richefles viennent de nous & vous
les abforbez ! Hommes diftingués , clafle
qui n'êtes pas le Peuple , formez une
Nation à part , & gouvernez- vous vousmêmes.
Alors le petit groupe délibérant fur
ce cas nouveau , quelques - uns dirent : 11
faut nous rejoindre au Peuple , & partager
fes fardeaux & fes occupations , car ce font
des hommes comme nous; & d'autres dirent :
Ce ferait une honte , une infamie de nous
confondre avec la foule : elle est faite pour
nous fervir.
Et les Gouverneurs civils dirent : Ce
Peuple eft doux & naturellement fervile ;
il faut lui parler du Roi & de la Loi , &
il va rentrer dans le devoir. Peuple , le Roi
veut , le Souverain ordonne.
52
MERCURE
Le Peuple.
Le Roi ne peut vouloir que le falut du
Peuple ; le Souverain ne peut ordonner que
felon la Loi.
Les Gouverneurs civils.
La Loi veut que vous foyez foumis.
Le Peuple.
La Loi eft la volonté générale , & nous
voulons un ordre nouveau.
Les Gouverneurs civils.
Vous ferez un Peuple rebelle .
Le Peuple.
Les Nations ne fe révoltent point : il n'y
a de rebelles que les Tyrans .
Les Gouverneurs civils.
4
Le Roi eft avec nous , & il vous preſcrit
de vous foumettre .
Le Peuple.
Les Rois font indivifibles de leurs Nations.
Le Roi de la nôtre ne peut être chez
vous ; vous ne poffédez que fon fantôme.
Et les Gouverneurs militaires s'étant
avancés , dirent : Le Peuple eft timide ,
il faut le menacer ; il n'obéit qu'à la force :
Soldats , chútiez cette foule infolente.
DE FRANCE.
53
Le Peuple.
Soldats , vous êtes notre fang , frapperezvous
vos freres ? Si le Peuple périt , qui
nourrira l'armée ?
Et les foldars , baiffant leurs armes , dirent
à leurs Chefs : Nous fommes auffi le Peuple ,
montrez - nous l'ennemi .
Alors les Gouverneurs Eccléfiaftiques
dirent : Il n'y a plus qu'une reffource ; le
Peuple eft fuperftitieux , il faut l'effrayer par
les noms de Dieu & de la Religion . Nos
chers freres, nos enfans , Dieu nous a établis
pour vous gouverner.
Le Peuple.
Montrez - nous vos pouvoirs céleftes.
Les Prêtres. ›
Il faut de la foi ; la raiſon égare.
Le Peuple.
Gouvernez - vous fans raifonner ?
Les Prêtres.
Dieu veut la paix ; la Religion prefcrit
l'obéiffance.
Le
Peuple.
La paix fuppofe la juftice : l'obéiffance
veut connaître la Loi.
$4
MERCURE
Les Prêtres.
-On n'eft ici- bas que pour fouffrir.
Le Peuple.
Donnez - nous l'exemple.
"
Les Prêtres.
Vivrez-vous fans Dieu & fans Rois ?
·Le Peuple..
Nous voulons vivre fans Tyrans.
Les Prêtres.
12
Il vous faut des médiateurs , des intermédiaires.
Le
Peuple.
Médiateurs auprès de Dieu & des Rois ,
Courtifans & Prêtres , vos fervices font trop
difpendieux : nous traiterons déformais directement
nos affaires .
Et alors le petit groupe dit : Nous
fommes perdus , la multitude eft éclairée.
Et le Peuple répondit: Vous êtes fauvés ;
car , puifque nous fommes éclairés , nous
n'abuferons pas de notre force ; nous ne
voulons que nos droits ; nous avons des
reffentimens , nous les oublions ; nous étions
efclaves , nous pourrions commander ; nous
ne voulons qu'être libres , nous le fommes,
DE FRANCE. 55
Continuant alors de dévoiler au jeune
Voyageur cet avenir fi heureux & fi prochain
, le Génie lui montre le même Peuple,
l'Affemblée de Légiflateurs choifis pour
pofer les bafes de la Société fur la juſtice ,
f'égalité , la liberté. Ce fpectacle fait couler
de les yeux des larmes d'attendriffement
& de joie ; & s'adreflant au Génie , il s'écrie
: Que je vive maintenant , car déſormais
j'ai tout espéré,
Cependant le cri folennel de la Liberté
& de l'égalité reveillent par- tout toutes les
claffes des Tyrans civils & facrés qui
trompent les Rois & oppriment les Peuples .
Ils forment une ligue contre l'ennemi commun
; mais la Nation libre garde le filence ,
& fe montrant toute entiere en armes , elle
tient une attitude impofante.
Ici M. Volney , affuré de l'intérêt de
fes Lecteurs , & continuant à faire du merveilleux
un ufage auffi heureux que hardi ,
ouvre à leurs yeux une fcène non moins
attachante & non moins dramatique. Il
fuppofe que pour diffiper entiérement les
alarmes far les deftinées , futures du genre
humain , le Génie le rend préſent à une
Affemblée générale de toutes les Nations.
Il voit réuni dans une vafte enceinte tous
les Peuples de l'Univers , qu'il caractériſe
tous par la différence de leurs traits & de
leurs coftumes. L'objet de cette Affemblée
n'eft point le même que celui de la précé56
MERCURE
dente. Dans la premiere partie de fon
Ouvrage , l'Auteur fait l'hiftoire du Defpotifme
politique. La feconde eft dirigée
contre le Fanatifme religieux . Il paffe en
revue tous les fyftêmes de Religion , toutes
les Sectes ; Mufulmans , Chrétiens , Juifs ,
Perfes , Brahmines , le Houre , le Sintoiſte ,
le Chinois , Sectateur de Fô , le Siamois
Sectateur de Sammonokodon , le Tibétain ,
adorateur de la , & c . &c. & c. enfin les
Nations Sauvages qui , n'ayant aucune des
idées des Peuples policés fur Dieu , ni fur
l'ame , ni fur une autre vie , ne forment
aucun fyftême de Culte.
La recherche de la vérité eſt l'objet de
cette Affemblée . Tous prétendent la pofféder:
elle leur a été révélée par Dieu même.
Tous alleguent leurs miracles , leurs
Martyrs tous veulent l'être & mourir
pour leur Religion .. Cette ardeur étant
commune à tous , n'eft donc pas une
preuve de la vérité , puifque chacun d'eux
prétend la pofféder exclufivement. Alors
on procede avec ordre. Un Muſulman
obtient la parole. A peine a-t-il ouvert la
bouche , que des Mufulmans d'une autre
Secte le récufent & le réfutent. Enfin
l'un d'eux parvient à faire entendre les
dogmes de Mahomet ; il s'éleve contre la
plupart de ces dogmes une réclamation
générale. Un Théologien Catholique prouve
que la Religion de Mahomet n'eft pas
DE FRANCE.
ST
J
révélée , puifque la plupart des idées qui
en font la bafe exiftaient long-temps avant
elle. Le Catholique n'eft pas mieux traité
par le Rabbin ; tous deux le réuniffent aux
Mufulmans pour traiter les Parfis d'idolâtres .
Les Brames , à qui leur Religion même
erdonne le filence fur leurs dogmes refafent
de les révéler ; mais quelques Européens
, qui , dans ces derniers temps ,
ont eu connaiffance de leurs Livres , ayant
révélé leurs rites & leurs myfteres , il s'éleva
de toutes parts des murmures mêlés d'éclats
de rire qui interrompirent l'Orateur. Un
Lama du Tibet prétend que cette Religion
n'eft qu'un mélange de l'ancien Paganifme
des Occidentaux , mêlé groffiérement à la
doctrine fpirituelle ; & fur l'expofé qu'il
fait de cette doctrine , il s'attire un reproche
à peu près pareil d'un Théologien Catholique.
Alors le Lama prouve aux Chrétiens ,
par leurs Auteurs mêmes, que cette doctrine
était répandue dans l'Orient plus de mille
ans avant le Chriftianifme.
>
Ces difputes ayant excité dans l'Affemblée
un grand tumulte , les Législateurs , après
avoir obtenu filence non fans peine
réduifent la queftion à favoir comment fe
font tranfinifes de Peuple à Peuple toutes
les idées métaphyfiques devenues opinions
religieufes. Ils invitent les hommes de
l'Affemblée qui fe font occupés de ces
études, à lui faire part de leurs lumieres.
S MERCURE
Alors s'avance un groupe formé d'hommés
qui abandonnent leurs divers étendards ;
(chaque Religion, chaque Secte avait le fien )
& qui , fans arborer d'étendard particulier,
s'avance dans l'arene ; & l'un d'eux prend
la parole.
L'Orateur, prenant la Société à fon origine
, établit que dans les premiers temps ,
l'homme a modelé fes idées de l'Etre
fuprême , fur celle des puiffances phyfiques
qu'il a perfonnifiées par le mécanifme du
langage & de l'entendement. Il en réſulta ;
dans les fiecles de cette groffiere ignorance ,
que la Divinité fut d'abord variée &
multiplie , comme les formes fous lef
quelles elle parut agir chaque être fut
une Puiffance , un Génie , & l'Univers ,
pour les premiers hommes , fut rempli de
Dieux innombrables .
A la feconde époque , les befoins de
l'Agriculture ayant amené l'obfervation
& la connaiffance des cieux , les idées
prifes dans un fyftême aftronomique , firent
envifager fous un nouveau point de vue
les Puiffances dominatrices & gouvernantes
, & alors s'établit le Sabéifme ou culte
des aftres.
Les progrès de l'Aftronomie ayant fait
faifir les rapports entre telles étoiles ou tel
groupe d'étoiles , & la faifon de telle ou telle
production de la terre , ou l'apparition de
tel animal , cette production & cet animal
DE FRANCE. 59
devinrent des fymboles dont le nom fut
avec le temps une fource d'erreurs & d'é
quivoques de - là le culte des animaux ,
c'eft-à-dire l'idolâtrie. "
*
Cependant il fe faifait chaque jour de
nouveaux progrès dans les Sciences , & de
fyftême du monde ſe développant graduellement
aux yeux des hommes , il s'éleva
dans les pays où les Prêtres étaient Aftronomes
, diverſes hypothefes fur les effets
& fes agens , & ces hypothefes devinrent
aurant de fyftêmes théologiques. On
obferva que toutes les opérations de la
Nature , dans fa période annuelle , fe réfumaient
en deux principales , celle de
produire , & celle de détruire ; on vit dans
la Nature deux puiffances contraires , une
puillance de fécondité , de création
4
une
autre de deftruction & de mort. C'eft la.
doctrine du Dualifme , d'où des Génies, des Anges découle celle
de bienfaiſance , de
fcience & de vertu , & celle des Génies '
des Anges d'ignorance , de méchanceté ,
de vice.
Les idées , en s'éloignant de leur fource ,
produifirent celle d'un nouveau Ciel , d'un
autre Monde , & c .
Enfin les analyfes favantes d'une Phyfique
perfectionnée ayant fait découvrir ,
dans la compofition de tous les corps , un
feu élémentaire, ou qui paraît l'être , de
nouveaux fyftemes de Théologie firent de
60 MERCURE
Dieu un Etre à la fois effet & caufe
agent & patient , principe moteur & chofe
mue ; d'autres le féparant de la matiere
l'appelerent ame intelligente , efprit , &
les Religions anciennes découlerent d'une
de ces deux fources .
"
Ici l'Auteur appuie fes idées de toutes
les reffources d'une vafte érudition . Plufieurs
de ces idées ne feront point nouvelles
pour la plupart des hommes inftruits ;
mais ce qui lui appartient & ce qui plaira
à tous , ce font les développemens qu'il
leur donne , & l'intérêt qu'il fait y
répandre. Cependant l'étendue qu'il leur
donne paraîtra fans doute exceffive & trop
hafardée. Il fera attaqué à la fois par les
partis Erudits & les Théologiens .
"}
Clamore incendunt calum Troëfque Latinique.
Ceux qui ont lu ou qui liront l'Ouvrage
de M. Volney, fentiront que ce vers s'applique
particuliérement à un des Chapitres
de fon Livre, où l'Auteur paraît avoir été
emporté trop loin par l'efprit fyftématique.
Cette fois les Théologiens pourront avoir
de leur côté quelques Philofophes , avantage
auquel depuis affez long-temps ils ne font
plus accoutumés, M. Volney doit s'attendre
à être fortement réfuté ; mais fans doute il
s'eft muni d'armes fuffifantes contre fes
adverfaires : il doit avoir le fentiment de
fa
DE FRANCE. FI
fa force , & fe flatter comme un des perfonnages
de l'Enéide.
Se fatis ambobus Teucrifque venire , latinifque.
Revenons à l'Orateur de M. Volney ,
dont le difcours a . mis en fureur tous
les Théologiens de toutes les Sectes. Les
Législateurs ramenent la paix : un groupe
d'hommes Sauvages & fimples font fentir
aux Docteurs l'inutilité de leurs connaiffances
, & les embarraffent par des
argumens que leur fimplicité même rend
péremptoires. Les Légiflateurs ayant fait
fentir que les caufes de ces diffentimens
n'existaient pas dans les objets eux-mêmes
mais dans l'efprit de ceux qui conteftaient ,
en concluent que fi les hommes veulent
vivre en paix , il faut tracer une ligne de
démarcation entre les objets vérifiables
c'eft-à- dire qu'il faut ôter tout effet civil
aux opinions théologiques & religieufes .
Ce réfultat , défagréable aux Prêtres
excite leurs réclamations , auxquelles on
réplique par le récit de la conduite qu'ils
ont tenue dans tous les fecles & dans tous
les pays. Convaincus de la justice de ces
reproches , ils avouent leurs crimes , qu'ils
excufent fur la fuperftition des Peuples
& fur les befoins d'être trompés , comme
les Rois juftifient leur defpotifme par la
difpofition des Peuples à la fervitude , deux
Nº. 46. 12 Novembre 1791 .
D
62
?
MERCURE
profondes vérités que les Légiflateurs re-
Commandent au fouvenir des Nations.
Cet Ouvrage, fruit des méditations de plufieurs
années , avait été commencé au moment
où M. Volney , de retour en France ,
eut publié fon Voyage de Syrie . La Révolution
Françaife , en nourrillant les idées
dont le germe était foutenu dans fon
Voyage , a mis le talent de l'Auteur au
niveau de fon fujer . Son talent s'eft élevé
avec les circonftances qui ont fait paffer
fous fes yeux le tableau des grands événemens
qu'avait preffentis la fagacité . Si
qelques efprits féveres s'étonnaient de
l'emploi qu'il a fair du merveilleux dans
un Ecrit de ce genre , rempli de vérités
aufteres , & quelquefois même abftraites ,
on pourrait répondre que peut-être n'existaiti
pas d'aurre moyen d'en adoucir la
fechereffe , de les rendre fenfibles , & de
faire briller d'évidence celles que , fans cet
artifice , il eû fallu développer longuement ,
avec fatigue pour fes Lecteurs & pour luimême
. Egalement riche d'imagination &
d'érudition , l'uſage fobre & mefuré qu'il
fait de l'une & de l'autre n'eft pas le
moindre éloge qu'on puiffe faire de fon
Ouvrage , quoiqu'elles n'y foient toutes
le; deux qu'un mérite bien fubordonné
à celui de la Philofophie forte & profonde
qui a dicté cet excellent Ecrit.
( C ...... )
DE FRANCE. G3
SPECTACLE S.
N.ous avons promis de parler indiftinctement
de tous les Théâtres ; cependant
nous ne nous preffons pas d'entretenir le
Public de tous ceux qui s'élevent chaque
jour ; ce ferait courir le rifque d'annoncer
aujourd'hui le début de celui dont il faudrait
dans un mois annoncer la chuté . Le
Théâtre du Marais , rue Culture Sainte-
Catherine , eft loin d'avoir à craindre ce
revers ; il a lieu d'efpérer , au contraire ,
que mieux connu des véritables Amateurs .
ils oublieront l'éloignement où il eft du
centre , pour aller y voir jouer la Comédie
avec un enfemble bien rares & y jouir
de talens qu'on ne fe douterait pas d'y
rencontrer.
On vient d'y donner la premiere repréfentation
d'Eugéniz , Drame de M. Eeaumarchais
; c'eft fur-tout cet Ouvrage qu'il
eft bon d'y voir , parce qu'il a été trèsbien
établi ailleurs , & qu'on ne juge
jamais auffi bien que par comparailen.
Nous ne dirons rien de la Piece ; de cel
Dramé fi intéreffant & fi moral , qui parle
tant à l'efprit & au coeur , qui arrache tant
de réflexions & de larmes . Nous remarquerons
feulement que l'Auteur a nourri
Di
64 MERCURE
davantage les fcènes ; qu'il a reftitué ou
refait plufieurs paffages retranchés pour
fatisfaire à l'impatience Françaiſe , inais .
dont la fuppreffion donnait au dialogue un
air fee & décharné . Mais c'eft fur-tout des
Acteurs dont nous avons à rendre compte.
Nous ne croyons pas qu'on ait l'ideo
d'un Acteur plus parfait que M. Batiste ,
chargé du rôle du Comte Clarendon ..
T'aille, figure , maintien , nobleffe ; organe
intéreffant & fonore ; diction pure , intelligence
, fageffe & profondeur,, il a tout ce
qu'on peut défirer à la Scène. Nous avons
mis la fagelle au nombre de fes qualités ;
& en effet, malgré la chaleur de fon ame,
à laquelle il fait fe livrer quand il le faut ,
cette fageffe regle toujours fes mouvemens:
avantage bien rare au Théâtre , où l'on
connaît peu de milieu entre l'emportement
& la froideur. Nous n'avons vu perfonne
dire les à parte d'une maniere auffi fublime
& au vraie. N'ayez pas peur qu'il
tourne le dos au perfonnage avec lequel
il fe trouve en Scène , pour l'empêcher
d'entendre ce qu'il ne doit dire qu'à luimême
, ou qu'il s'avife de l'adreffer au
Public. L'extrême vérité qu'il a dans ces
momens , i la tranfporte dans toutes les
parties de fon rôle. En un mot , nous
croyons qu'il n'eft point de Théâtre dont
M. Batifte ne fît la gloire , & où il ne
tiut le même rang qu'à celui du Marais .
Madame Batifte y joue Eugénie avec
DE FRANCE. 65
infiniment de grace , d'intérêt , de fenfibilité
, & dans le grand pathétique avec une
force que le rôle exige & qu'on y a fouvent
défirée . Sa figure & ion organe ajoutent
encore au plaifir que fait fon talent.
. Ce ferait faire à Madame Forgeot , cidevant
Mad. Verteuil , une forte d'injure
que de s'étendre fur les éloges qu'elle inérite.
Ce n'eft pas à ce Théâtre que le Public
de Paris la voit pour la premiere fois .
Elle s'eft montrée à celui des Italiens ,
s'y eft fait une réputation qui n'eft point
altérée ; mais nous ofons croire qu'ici fon
talent fe développe davantage , en parcourant
un Répertoire mieux compofé. Les
bons rôles ne font pas feuls les bons Acteurs
; mais ils ne nuifent pas au talent
de ceux qui en ont.
&
J
Nous dirons la même chofe de M. Valeroy
, qu'on a vu aufli au Théâtre Italien
mais dont le talent , fur celui du Marais
montre des reffources bien plus étendues .
L'Acteur qui joue le pere d'Eugénie
quoiqu'accoutumé aux rôles comiques ,
montre dans celui - là une parfaite intelligence
& une profonde fenfibilité . Tous
Les Acteurs de cette Troupe , que nous ne
connaillons pas encore , font dignes de
paraître avec ceux que nous venons de
citer ; nous n'avons plus qu'à former vi
regret , c'est que ce Théâtre ne foit ps
encore connu autant qu'il mérite de l'ètre.
D ;
66 MERCURE
VARIÉTÉS.
FETE CHAMPÊTRE célébrée à Montmorency,
en l'honneur de J. J. RouSSEAU,
avec les Difcours qui ont été prononcés
le jour de cette Fête , & la Pétition faite
précédemment par les Habitans de la ville
& du canton de Montmorency, à l'Affemblée
Nationale , pour obtenir à cet illuftre
Fondateur de la Liberté , les honneurs
deftinés aux Grands Hommes. Publiée par
la Société des Amis de la Conftitution
établie en cette Ville. Se trouve à Paris,
chez Denné , Libraire , au Palais-Royal;
& àMontmorency, chez Chérot &Neyries.
C'EST le 25 Septembre que cette Fête
a éré célébrée. Le grand nombre de Citoyens
de Paris qui s'y font trouvés , & les
récits qu'on en a lus dans les Journaux ,
nous difpenfent d'en efquiffer ici la defcription
. Ele eft faire de maniere à n'en
laiffer défirer aucun détail dans cette Brochure
de 50 pages , que doivent fe procurer
tous ceux qui aiment à recueilli
DE FRANCE.. 67
ce qui intérelle la mémoire des Grands.
Hommes.
Les Habitans de Montmorency fe font
fait en cette occafion un honneur infini.
En parlant de ces réparations tardives
que reçoit l'Auteur d'Emile , la Poftérité
dira : Ailleurs on vota des honneurs à J. J.
Rouffeau ; c'eft à Montmorency qu'on les
fui a rendus .
Ils ne fe borneront pas à cette feule
Fête , la Société a arrêré , 1 ° . que chaque
année , le Dimanche qui fuivra le 14 Juillet
, elle tiendrait une Séance au lieu où
eft érigé le Monument confacré à Jean-
Jacques Rouffeau ; que là feraient publiquement
rappelées toutes les actions vertuenfes
qui auraient été faites dans le
Canton pendant le courant de l'année , &
que , fuivant leur nature , il ferait , on act
cordé des honneurs civiques à leurs Auteurs
, ou une mention honorable de leurs
noms dans le Procès- verbal.
Ces fortes de Prix de vertu , qui peuvent
avoir des avantages dans les campagnes
, y auront peut - être aufli quelques
inconvéniens ; mais graces du moins foient
rendues aux Habitans de Montmorency ,
pour n'avoir fouillé ces Prix d'aucune idée
pécuniaire , pour avoir penfé , en dignes .
Admirateurs , en vrais Difciples de Jean-
Jacques , que la vertu ne fe paye point
avec de l'or !
... MERCURE
NOTICES.
" MOUTARD , Libr-Impr. rue des Mathurins--
Sorbonne , vient de mettre en vente.

Les Tables alphabétique & chronologique de
Hiftoire Univerfelle , moderne ; s Vol. in - 8 °.
faifant les Tonies ( XXI , CXXH , CXXIII ,
CXXIV & CXXV & la fin de cette impor ante
Collection . Le prix de ces S Vol. eft de 20 liv.
pris à Paris , & de 23 liv. 10 f. rendus francs
de port dans les Départemens..
Il a paru en 1783 , un Supplément au Tome
XXXVI de l'Hifloire ancienne , intitulée Histoire
Romaine , éclaircie par les Médailles , un Vol.
in-8 ° . de 691 pages , avec Figures , dont le prix
eft de liv . en brochure .
Comme plufieurs Soufcripteurs ont négligé de
fe procurer dans le temps ce Volume , il les prévient
qu'il lui en refte encore quelques Exenplaires.
On peut le procurer chez lui l'Hiftoire Univerfelle
complette , en 125 Volumes brochés ,
moyennant 500 liv . ; & pour en faciliter l'acquifition
, on a la liberté de faire cette emplette
en 4 ou 5 Livraiſons , c'eſt -à- dire, en prenant feu
lement 20 ou 30 Vol . à la fois , à la volonté des
Acquéreurs il prévient qu'il lui refe peu d'Exemplaires
complers. MM. les Soufcripteurs qui
ot négligé de fe compléter , font priés de le
faire tres-ince flamment , autréinest ils ri queront
de refter incomplets .
:
Le prix des Volumes féparés eft de 4 1. 10 f.
DE FRANCE. 6.9
Hiftoire d'Angleterre , depuis l'avénement de
Jacques Ier. jufqu'à la Révolution ; par Catherine
Macaulay Graham ; traduite en français , &
augmentée d'un Difcours préliminaire , contenant
un précis de toute l'Hiftoire d'Angleterre ,
juſqu'à l'avénement de Jacques Ier. ; & enrichie
de notes par Mirabeau . 2 Vol . in- 8 ° . de 400 p.
chacun. A Paris , chez Gattey , Libr. au Palais-
Royal.
La réputation de Mistriff Macaulay eft déjà
fuffifamment établie ; le nom de Mirabeau qui
a préfidé à cette Traduction , doit achever d'af
furer fon fuccès .
Abrégé de l'Histoire Univerfelle , par M. A. J..
Rouftan , Miniftre de l'Eglife Helvétique à Londres
. 9 Vol. grand in- 12 . Prix , 18 liv. brochés ,
francs de port. A Paris , chez Defrais , Libraire
quai des Auguftins , Nº . 35 .
Cet Ouvrage , long - temps attendu , paraît :
enfin avec des corrections & des augmentations
confidé: ables faites par M. Rouftan lui - même..
On trouvera cet Abrégé plus complet que les
Elémens d'Hiftoire de l'Abbé Millot. L'Auteur a
eu foin d'y faire marcher de front l'Hiftoire des
Peuples contemporains. Cet Abrégé eft divifé en.
Hiftoire Ancienne & en Hiftoire Moderne .
Hiftoire des progrès & de la chute de la Répu
blique Romaine , par Adam Ferguſon , Profeffeur
de Philofophie Morale à l'Univerfité d'Edimbourg..
Ouvrage traduit de l'Angla's , & orné de Cartes .
7 Vol . in- 12 de 460 pages chacun. Prix , 3 liv.
Volume relié. Se trouve à Paris , chez Nyon.
MERCURE
"
l'aîné & fils , Libr . rue du Jardinct - Saint - Andres
des -Arts.
Cer Ouvrage , fuffifamment recommandé par
le nom de fon Auteur , eft digne de la réputation
de cet Ecrivain Philofophe.
Tarif des Droits que doivent payer toutes les
productions & marchandifes venant de l'Erranger
, & celles exportées du Royaume à l'Etranger
, à leur entrée & fortie du Royaume , fuivant
les Décrets de l'Affemblée Nationale , des 31
Javier , 1er . Février & Mars 1791. Prix ,
15 f. br . A Paris , chez Nyon l'aîné & fils , Lib.
rue du Jardinet,
Co Tarif, de forme portative & très - exact ,
ne peut manquer d'être accueilli fur - tout par
Ceux qui en doivent avoir un befoin journalier.
Mémoires concernant l'Hiftoire , les Sciences ,
les Arts , les Maurs , les Ufages ; & c des Chinois
; par les Miffionnaires de Pekin . Tome XV,
in-4 ° . de 16 pages . A Paris , chez Nyon l'aîné
& fils , Libr. rue du Jardinct .
Ce Volume préfente le portrait du P. Amyot ,
auquel on a beaucoup d'obligations Four fes
recherches profondes fur tout ce qui intérefle
l'Empire de la Chine .
Tome III des Conftitutions des principaux
Etats de l'Europe & des Etats- Unis de l'Amérique
, par M. de la Croix , Profeffeur de Droit
public au Lycée. Volume in-8 ° . de 440 pages.
DE FRANCE.
71
Prix , 4 liv. br. & liv. 10 f. franc de port par
la Pofte . A Paris , chez Buiffon , Impr- Libr . rue
Haute-feuille , Nº. 20 .
Ce Volume n'eft pas inférieur aux deux premiers
, dont nous av ns déjà rendu compte avec
les éloges qu'ils méritent.
Détail fidele & fuccinct de ce qui s'eft paffé
à la Martinique pen tant le temps de la guerre
cvile , qui à défo, é cette Ifle infortunée
trouve chez Depain , Imprim- ib. Cloître Saint-
Honoré.
Se
Deux Lettres , dont l'une écrite de la Martinique
au Camp du Gros - Morne , l'autre de ce
dernier endroit à la Martinique , & une Procla
mation compofent cette Brochure de 100 pages.
Elle eft propre à donner des renfeignemens véridiques
fur les troubles qui ont déchiré nos
Colonies.
GRAVURES.
Portrait de M. de Voltaire , peint par Garneray
, & gravé par M. Alix. Sevend à Paris ,
chez M. Drouhin , rue Chriftine , N° . 2 .
La reffemblance parfaite de ce Portrait n'eft
ras , à beausoup près , fon feul mérite . Le faire,
de M. Alix , Eleve de M. Janinet , dans le genre
de la Gravure en couleur , eit infiniment pré- ì
cieux , & le rend fupérieur à tous fes rivaux. I
Ce Tableau , car c'en eft un véritable , eft digne
d'orner le cabinet de tous les Amateurs de Gravure
, comme il ornera fans doute celui de tous
les amis de Voltaire , de tous les partifans de la
Philofophie & du goût.
72 MERCURE DE FRANCE.
A VIS.
"
DEVIGNE , Chimifte -Expert dans l'Art de la
Vitrification des Métaux ancien Emailleur de
Londres & de Paris , a l'honneur de prévenir
MM. les Emailleurs en Bijoux d'or , qu'il continue
de fabriquer des Emaux opaques & tranfparens
; il traitera favorablement MM. les Amateurs
qui voudraient acquérir quelques connaiffances
dans cette partie , foit théoriquement ,
foit par pratique .
Il demeure Boulevart de l'Hôpital , près la
Barriere de Fontainebleau , à Paris.
Le Sr. HENNION , rue de la Harpe , No. 124,
a l'honneur de prévenir fes Commettans , qu'il
continuera de recevoir leurs Rentes établies fur
l'Hôtel de Ville de Paris , & par- tout ailleurs
en les leur faifant tenir , partie en argent , fuivant
les conventions faites entre eux ; il en fera
de même pour les Départemens.
IRGINIE.
Envoi.
TABL E.
Charade , Enig, Log.
Les Ruines .
37 Spectacles.
39 Va iétés.
4 Notices .
431
MERCURE
HISTORIQUE
E T
POLITIQUE.
ALLEMAGNE.
De Berlin , le 28 Octobre 1791..
n
CETTE Capitale a perdu l'éclat que les
dernières Fêtes lui avoient donné , par le
départ du Duc & de la Ducheffe d Yorck,
de la Princeffe d'Orange , de fa nouvelle
belle- fille & du Prince Héréditaire fon
fils , qui nous ont quitté le 17. Le Duc
& la Ducheffe d'Yorck fe rendent à
Londres par Brandebourg & Ofnabrück.
La Princeffe d'Orange retourne à la Haye
avec fa Famille. Les autres Princes &
Etrangers , que la cérémonie des deux
mariages a fait féjourner ici quelques
femaines , font auffi repartis.
Le feu Roi qui gouvernoit fes Minif
tres , n'en changeoit prefque jamais . Sa
Nº 46. 12 Novembre 1791.
D
( 74 )
confiance une fois donnée , il favoit obliger
ceux qu'il appelloit à l'Adminiftration
fuprême , à la mériter. Les mutations font
beaucoup plus fréquentes fous le nouveau
règne. Voici encore un déplacement. M.
de Maufchwitz fe retire avec une penfion
de 3 mille écus , & cède fon Département
au Miniftre d'Etat de Werder , 'Chef du
Département des Accifes & des Douanes.
Ce dernier eft remplacé , dans fon Adminiſtration
, par M. Struenfee , frère de l'infortuné
Miniftre de ce nom , qui périt fur
l'échaffaud , à Copenhague , en 1772. M.
Struenfee , efprit délié , travailleur , trèsverfé
dans les matières de , finances & d'économie
commerciale , étoit Directeur de
la Compagnie maritime..
Beaucoup de gens foupçonnent ici que
M. le Comte de Hertzberg fera rappellé
tôt ou tard aux fonctions actives du Miniftère
il eut dernièrement avec le Roi
une longue conférence , qui a fort intrigue
les ambitieux & le Parti Autrichien ( car
il exifte ici un Parti Autrichien ) . Après
46 ans de travail continu dans l'Adminif
tration publique , après trente ans de Préfidence
dans le Cabinet , après avoir été
honoré de la longue confiance , & legataire
de la politique de Frederic II , un
Miniftre pouvoit fe croire inamovible .
Les caufes de la retraite de M. de Hertzberg
aboutiffent toutes à une feule , la fidélité
73 )
fi
de cet homme d'Etat aux maximes & aux
plans invariables de Frédéric-le-Grand. H
s'oppofa à la Convention de Reichenbach ,
qu'il ne voulut figner que fur l'ordre pofitif
du Roi. Dans cet acte préliminaire ,
vague & fi précipité , il vit la ruine des
projets concertés depuis deux ans en faveur
des Ottomans. Il preffentit qu'aufli-tôt les
troupes Pruffiennes retirées , & l'Empereur
délivré de la crainte d'une guerre formi
dable , on laifferoit languir l'exécution du
Traité définitif ; que , pendant ces délais ,
les Ruffes battroient les Turcs ; que , pour
fauver ceux- ci , il faudroit armer contre
les premiers , comme on avoit armé contre
l'Empereur ; qu'alors ce Monarque n'ayant
plus fur les bras la Révolution de Brabant
& les armées Prufliennes , fe préfenteroit
fous la forme de fimple Allié de la Ruflie ;
qu'alors la Convention de Reichenbach
deviendroit caduque par le fait , & que,
de toutes parts , la Porte feroit forcée de
recevoir des conditions onéreuses , dont
la bafe équivoque , arrêtée à Reichenbach ,
prêtoit à toutes fortes d'extenfions. L'évènement
à juftifié cette prévoyance : le
plan d'équilibre, dans le Nord & le Leyant,
à fait place à des combinaifons précaires ,
qui ne tarderont pas à ramener de nouvelles
hoftilités & de nouvelles invafions . M. de
Hertzberg n'ayant point participé à ce tracas
, on la repréfenté à Berlin comme un
D2
( 76 )
Miniftre trop patriote , trop vigoureux ( ce
qu'on appelle turbulent ) , trop Pruffien, &
fur-tout trop ennemi de la Maifon d'Autriche.
Il n'a pas voulu furvivre au fyftême de
Frédéric II , & a rendu le Département des
affaires étrangères , ainfi que nous l'avons
rapporté dans le temps. Le refte de fa vie
fera confacré à écrire la vie pragmatique
du feu Roi , pour laquelle il s'eft réſervé
l'ufage des Archives . On fait que l'agriculture
eft encore une des occupations
favorites de ce Miniftre : il reste Directeur
général de la culture de la foie nationale
; il en a recueilli lui -même d'auffi
belle que celle du Piémont , & avec
laquelle on fabrique , dans le royaume
même , des fatins des ferges , des
velours , des bas , dont le goût , le laftre
& la bonté atteftent l'intelligence des ou
vriers , & celle de M. Mayet , Infpecteur
général de ces fabriques.
Nous avions parlé du dernier diſcours
prononcé à l'Académie par M. de Hertzberg
fur les Révolutions . Il a parlé de celle
de France dans l'efprit fuivant , que la
politique ne permettoit pas de développer
en pleine Académie .
« Nous fommes actuellement Spectateurs de
la fameufe Révolution Françoife , la plus extraordinaire
de toutes celles qu'on connoît dans
l'Hiftoire, & par laquelle la Nation Françoife
exeisée pas les Philofophes du temps , veut fe
( 77
donner la meilleure Conftitution poffible , &
furpaffer même celle de l'Angleterre , en uniffant
ou en mêlant la Monarchie avec la République ,
& en affurant le Pouvoir Législatif à la Nation ,
& le Pouvoir Exécutif au Roi , ſubordonné
cependant aux Repréfentans de la Nation . Ce
n'eft pas à moi , ni de ce lieu à préjuger du
prix & du fort futur de cette Révolution ; mais
je crois qu'on fera d'accord avec moi , que fi
elle peut fervir à corriger & à mitiger les abus
de la précédente Monarchie Françoile , peut- être
plus ariftocratique que defpotique , à diminuer
le fardeau de la Nation , par une meilleure
économie & l'extinction des trop grandes dettes ,
& à rendre même le Gouvernement par la forme,
devenue plus Républicaine , plus modéré , à
l'égard de l'Etranger , moins conquérant , &
plus porté , d'accord avec l'Angleterre & la
Pruffe , à maintenir l'équilibre du pouvoir , &
la tranquillité générale de l'Europe , par les
grands moyens que la France poffède . Il auroit
cependant été à fouhaiter que cette Révolution
cût été exécutée avec moins de violence & d'ef
fervefcence du Peuple , fans trop dégrader la
dignité & la Perfonne du Souverain , qui repréfente
la Nation au-dedans & au- dehors , fape
abolir la différence de la naiffance & des grades ,
utile & néceffaire dans toutes les formes de
Gouvernement , pour entretenir l'émulation , &
pour préparer les hommes au fervice de la
Patrie ; fans pouffer trop loin les droits de
l'homme , & fans les rendre arbitraires , & fujers.
au defpotifme Démocratique , plus dangereux que
celui de la Monarchie. »
« La Nation Polonoife , excitée fans doute par
l'exemple de la Françoife , vient de donner un nou
D 3
( 78 )
vel exemple d'une Révolution , exécutée avec plus
d'ordre & de modération , & qui peut rendre
cette Nation & fa Conftitution auf heureufe
que fa fituation locale le permet , fi elle fait la
pourfuivre & en faire ufage avec la même modération
& fageffe an- dedans & au dehors , qu'elle
a fait naître , & l'a mife en mouvement & en
première exécution . »
co Il n'est pas fort à craindre que d'autres
Nations de l'Europe fuivent fi-tôt l'exemple &
le modèle de la Révolution Françoife . Toutes
en ont vu la précipitation & les grands inconvéniens
. Aucune n'a un caractère auffi bouillant
& effervefcent que la Nation Françoiſe ; aucune
ne fe trouve à cette heure fous un fardeau &
un Gouvernement auffi pefant . Tous les Gou
vernemens préfens de l'Europe , fur-tout les
Monarchiques , font devenus modérés ; ils fe ,
diftinguent par l'ordre & par la vigueur , &
s'approchent peu - à- peu de la douceur du Gouveinement
Républicain , qui en plufieurs endroits
eft plus dur que celui de la Monarchie .
Même le Gouvernement Pruffien qui par préj gé
&. par manque de forme & de connoiffance ,
paffe chez l'Etranger pour defpotique , eft peutêtre
un des plus doux & des plus juftes , comme
je l'ai prouvé dans une differtaton particulière
de l'année . 1789 , & dans toute la fuite de mes
differtations académiques , par l'exemple des )
dernières années du règne de Frédéric H , &
des premières années du règne de Frédéric- Guilluume
II. »
De Vienne , le 27 Cobre.
Dimanche 16 de ce nois , l'Ambaſſa(
79 )
deur de France eut une audience particulière
de l'Empereur , dans laquelle il remit
à S. M. I. fes nouvelles lettres de créance .
Le même jour , S. M. admit auf le Nonce
du Pape , l'Amballadenr de Ruffie , & plufeurs
Miniftres Etrangers . Le Marquis
de Lucchefini a pris congé de l'Empereur ,
& retourne à Berlin ; d'où il eft apparent
qu'il ira reprendre à Varfovie fon pofte
d'envoyé Extraordinaire .
-
Les Commiffaires Tures font en chemin pour
fe rendre à Belgrade . Auffi-tôt après leur ani- à
vée , on leur remettra cette place ou cominande
en attendant le Général Comte de Kolorsrat--
L'Evêché de Belgrade fera érigé en Archevêché
; la Porte deftine cette place à l'Evêque de
Pathmos. Orfova a été rendu Orlova a été rendu , au Commif
faire Tarc Omir Pacha le 6 de ce mois .
98)
Un Paylan de Tyrnova , fur la frontière extrême
du Bannat , a découvert dans fon champ
un Tréfor , compofé des pièces fuivantes :
10. 869 pièces d'argent , pefant enfemble 10 liv .
& 8 onces ; la plupart de ces pièces ont l'em , `
preinte des têtes des Empereurs Philippe , Decius
Gordien & de l'Impératrice Julie ; les
revers offrent des emblêmes de la Dacie & de
la Panonie ; 2 , une Agrafe d'or ties - fin en ouvrage
boffelé , pour ferrer la ceinture que portoient
les Dames Romaines 30° . une chaîné
d'or d'un pied & demi montée en émeraudes ;
4°. un Lare ou Dieu tutélaire d'argent fio , de .
la hauteur d'un pied. Ce tréfor a été remis , par
fon Poffeffeur , a la Chambre de Témefvar qui
le fait conduir ici .
D 4
( 80 )
De Francfort-fur-le- Mein , le 31 Octobre.
:
La Diète de Ratisbonne a repris fes
Séances le 17 , fans qu'il ait été queſtion
de l'affaire des Princes , propriétaires de
terres Seigneuriales en France. On infère de
ce filence , & de celui de l'Empereur dont
la réponſe au dernier Conclufum eft encore
à venir , qu'on va entreprendre une Négociation
on tracaffera ainfi par Mémoires
durant l'hiver ; après quoi les circonftances
à venir ameneront une folution définitive.
Le Traité d'Alliance , conclu entre les
Cours de Vienne & de Berlin , eft arrêté ,
ainfi que nous l'avons dit antérieurement ,
& doit être figné au premier jour. Nous
avons rendu compte de la notification de
cette Alliance , à la Diète de Ratisbonne ,
par le Comte de Goërtz , Miniftre Pruflien ,
qui s'eft empreffé de défavouer les bruits
Circulans d'échanges projettés . Il eſt poffible,
affez probable même qu'il en a été queltion
, & qu'on defire quelques tranfactions !
de ce genre ; mais les circonftances , mais
la politique , mais des intérêts fuprêmes ,
ne permettent pas de les confommer actuellement.
En conféquence , & pour prévenir
de plus fort les conjectures & les craintes ,
le Baron dé Jacobi , Miniftre de Pruffe à
Vienne , a remis au Prince de Kaunir une
( 81 )
Note , pour propofer de la « part de S. M.
» Pruffienne
les deux Cours s'enga- , que
> gent mutuellement
à prendre la Garantie
» de la Conftitution
, Germanique
, & des
» Droits de l'Empire , pour une des bafes
» de leur future Alliance . » Sur le champ ,
& par une contre-Note , le Cabinet Autrichien
a adhéré à la Déclaration
on eft
convenu d'en informer les Cours d'Allemagne
, afin de diffiper les ombrages . Le
Miniſtère Pruffin a déjà pris les devants à
ce fujet , en déclarant à l'Electeur Palatin :
= cc Que S. M. Pruffienne a appris avec un fenfible
déplaifir , que le bruit d'un nouveau Projet
d'échanger la Bavière , comme le réfultat de la
Convention convenue à Pilnitz entre l'Empereur ,
& le Roi de Pruffe , commençoit à ſe répandre
dans l'Empire & à y trouver de la croyance ; que,
S. M. devoit faire contredire formellement, ce
bruit malicicufement inventé , puifqu'Elle ne fe
départiroit jamais des engagemens de la paix de
Tefchen , ni de la ligue Germanique ; enfin qu'Ele
étoit convaincue , que ce bruit & d'autres faulletés
de la même eſpèce tomberoient d'eux-mêmes
auffi-tôt que le Public auroit appris , que les liaifons
, au fujet defquelles l'on avoit fi mal - à- pro-,
pos conçu des alarmes , avoient précisément pour
objet & pour condition le maintien de la Conft
le bien - être de tution Germanique & le foin pour
chaque Membre individuel de l'Empire.
22
( 82 )
FRANCE.
De Paris , le 3 Novembre.
SECONDE ASSEMBLÉE NATIONALE.
Du lundi , 31 Octobre ..
Sur la lecture du procès - verbal , l'ex- capucin
M. Chabot , qui avoit gardé un prudent filence ,
lors des interpellations du miniftre de la guerre ,
a bravement recommencé à l'infulter abfent
& a foutenu qué M. Duportail ne s'étoit point
juſtifié , n'avoit fait que divaguer & répondre
avec beaucoup d'impertinence & peu de folidité.
On eft paflé à l'ordre du jour.
" Le décret relatif à S. A. R. MONSIEUR
quoique déjà rendu fi ſouvent , a été renvoyé
au comité diplomatique , chargé d'en rapporter
une nouvelle rédaction dans la féance. C'eft
fuivre le précepte de Boileau : « Vingt foisfur
le métier, remettez votre ouvrage ». Enfin ,
orateur a occupé l'Aſſemblée de l'inftitution des
jarés .
un
Détruifant dans fes conclufions ce qu'il établit -
dans fon préambule , ou plutôt referrant les
contraires dans la même phrafe , & l'éloge le
plus hyperbolique , & le démenti formel de cet
éloge , M. le Montey a dit que fon ame s'étoit
émue , en parcourant ces pages immortelles qu'un
génie bienfaifant femble avoir tracées pour accélerer
la maturité d'un grand peuple ; que les
auteurs du code des jurés ont rempli la tâche
du génie ; que ce monument eft vafte , fublime 2
( 83 )
conçu avec force , & qu'il indique une profonde
connoiffance du coeur humain ; mais quand il a
voulu pénétrer dans l'intérieur de ce bel étabillement
, en effayer le méchanifme , en fuivre
les ofcillations , il a bien vite apperçu des mouvemens
inégaux , il a entendu crier les refforts
il a tremble qu'au moment des réfutats l'adion
ne får interrompue. Quel oeuvre du génie ! M.
le Montey a traduit enfuite fes métaphores incohérentes
en expreffions plus intelligibles , &
2 fait au même code des jurés , de honteux,
reproches qu'on ne feroit pas à une rapsodie de
code barbouillée à la hâte par un clerc d'au
cien procureur. Nous ne les tranferirons que
pour que nos lecteurs puiflent juger de l'excellence
des chefs - d'oeuvres admités , & de la logique
des loungeurs.
On n'y a pas pourvu à l'incapacité de figner,
ni à ce qu'une procuration pour rendre plainte
ne foit point fubftituée à une autre au préjudce
de l'accufé . Il n'y eft fait mention ni du ferment
des expeits , ni de la préfence des parties
plaign , ntes , ni du remplacement de l'officier de
folice empêché ou malide. Tout prévenu d'un
délit de nature à mériter une peine infamante
y conferve fa liberte en donnant, caution , &
pis le mot de ce que feront , vaudront &
pourront les cautions . Dans certains cas les
accufes tireront au fort , & il n'eft ftatué ni
comment , ni devant qui ils theront au fort ,
ni ce que feront ceux qu'on n'arrêtera qu'après
ce fort tiré... Hait articles de M. le Montey ,
qui pourra lui - même , un jour , y en ajouter
quarante , & l'ambulance des tribunaux crimi
nels repropofée par MM. Jofae & Goffuin , ort
été renvoyés au comité de légiflation , ce qui
D 6
( 84 )
nous
menace de tous les raifonnemens pour
& contre fi longuement reflaffés dans l'Aflemblée
conftituanté .
Au nom du comité militaire , M. Albite á
felicité la nation de la folie des officiers émigrés
qui , en defe tant , font devenus les régénérateurs
de l'armée ; & il a propoſé de décréter ,
fur le reinplacement , d'abord l'urgence , puis
une vingtaine d'articles qu'on a ajournés à trois
jours , pour paffer aux éinigrans.
Dévoré du defir d'étaler fon éloquence le
premier , chacun s'étoit inferit fur la lifte de
la parole , au- deffus de ceux qui le précédoient ,
ou avoit effacé les noms de fes collègues , pour
mieux placer le fien, de manière que cette auguſte
lifte n'offroit qu'un indéchiffrable griffonage
. Après le tumulte analogue à ce mode
d'infcription , on eft parvenu à faire une nouvelle
lifte , & MM . Gentil & Ifnard ont attaqué le
projet de M. de Condorcet.
M. Gentil ne vouloit admettre ni ferment,
ni déclaration de gens qui fe font un jeu du parjure.
Il obfervoit que les taxes pécuniaires n'atteindroient
Fas les émigrés , qui n'ont que de vieux
parchemins; il b'âmoit l'Aflemblée conftituante
de n'avoir pas licencié l'armée il foutenoit
que cette Affemblée n'avoit hélité , que parce
que fon heure:fe audace & fon génie fembloiert
F'avoir abandonnée vers fon déclin . « Que la
ligue de Coblentz , s'écrioit- il , nous débarraffe
du venin qui commandoit nos armées . »
on crie à l'opinant qu'il divague un décret crdonne
de l'écouter. Il bat encore la campagne ;
le vaca rme lui coupe la parole : « Je cède à la défaveur
vous me montrez , dir-il ; mais je défie
qui que ce foit de me prouver que je fois forti de
que
Ici
( 85 )
la queftion. Je me connois en raisonnement auffi ,
bien que vous. »
« Je demande à la France , à l'Aſſemblée ,
s'eft écrié M. Ifnard , Provençal , s'il eft quelque
citoyen qui ne croie pas que les princes font
des confpirateurs , & méritent d'être punis .
ל כ
Vous ne le demandez qu'à la moitié ( nous
ne favons fi c'étoit de la France ou de la
falle ) , lui a dit M. Léopold... Le préfident a
déclaré que tout membre qui fuppoferoit que
la falle a un côté droit & un côté gauche feroit
rappellé à l'ordre , & a repréſenté à M. Ifnard
qu'on ne difcutoit pas en forme d'interrogatoire.
C'est une figure , a répondu l'orateur. On
a beaucoup ri de fa figure. Il s'eft plaint d'un
voifin qui parloit de charlatanifme , les éclats
de tire ont recommencé . Du refte , il a borné
fes raifons à cenfurer le projet de ne point articuler
des péines fpéciales contre les Princes :
сс Quoique nous ayons détruit la nobleffe , ce
vain fantôme épouvante encore les ames pufillanimes
... Il eft temps que le niveau d'égalité
que nous avons placé fur la France prenne fon'
niveau , fon à - plomb. C'eft la longue impunité
des grands criminels qui a pu rendre le peuple
bourreau. Oui , LA COLÈRE DU PEUPLE , COMME
CELLE DE DIEU , N'EST TROP SOUVENT QUE
LE SUPPLÉMENT TERRIBLE DU SILENCE DES
LOIX... "
De pareilles horreurs , dont le fonds eft l'af
faffinat juftifié par le facrilège , & l'application
un appel aux coupe- têtes érigés en fuppléans des
juges & en émules de la divinité , ont été couvertes
d'applaudiflemens .
Enfin , les Gaulois , Manlius & les oies du
Capitole , ayant conduit M. Ifnard de la Roche
( 86 )
Tarpeyenne en Allemagne : « Où , depuis 3 ans ,
nous récompenfons les forfaits de nos Patriciens
avec des charriots d'or ; il a conclu qu'ils jureroient
d'une main , & aigu feroient leur épée
de l'autre , & a propofé de ne plus rien payer
aux énigrés , & de charger un cómité de recueillir
de fujets d'accufation .
M. de Condorcet a contr'eux très-mal défendu ce
qu'il nommoit plaifamment ma loi ; il excafoit par
l'égalité fa réticonce au fujet des princes , & prêtoit
au ferment une efficace indépendante de toute
croyance en Dieu . De violens murmures ont
accueilli cette combinaifon d'athéilme & de
probité ; & la queftion préalable a fait juftice de
fa loi.
Pour la dernière fois peut - être , on a remanié
& redéciété le décret du 28 , qui fomme Louis-
Stanias-Xavier , Prince François , de rentrer
dans le royaume , fous le délai de deux mois , s'il
ne veut être cenfé avoir abdiqué fon droit à la régence
; & l'on y a joint les deux difpofitions fui-"
vantes :
le
L'Affemblée nationale décrète qu'en exécution"
du décret du 28 de ce mois , la proclamation dout
la teneur fuit fera imprimée , affiche & publiée ,
fous trois jours , dans la ville de Paris , & que
pouvoir exécutif fera rendre compte à l'Aemblée
nationale , dans les trois jours fuivans , des mefures
qu'il aura prifes pour l'exécution du préfent décret
. »
CC
Proclamation .
Louis- Jofeph- Staniftas - Xavier, prince françois
, l'Affemblée nationale vous requiert , en
vertu de la conftitution Françoife , titre III , chapitre
II , fection III , art. 11 , de rentrer dans
( 87 )
le royaume dans le délai de deux mois , à corafter
de ce jour ; faute de quoi , & après l'expiration
dudit délai , vous ferez cenfé avoir abdiqué votre
droit éventuel à la régence. »
Le miniftre de la marine eft venu faire « avec
une vive fatisfaction , » un rapport de l'état actuel
de l'armée navale , où le trouvent 246 bâtimens ,
dont 86 vaiffeaux de ligne , 78 fégates , 47 corvettes
, 7 chaloupes- canonniéres , 28. flûttes ou gabatres
, des magafins bien approvifionnés , &
80,000 officiers- mariniers & matelots... Il eſt
vrai que leur raffemblement feroit dangereux , tant
qu'on n'aura pas rétabli la fubo: dination dans les
équipages. Le Bey d'Alger a brufquement manifélté
des intentions hoftiles; mais on va négocier,
& un armement eft ordonné à Toulen. »
A M. Bertrand a fuccédé M. de Montmorin.
On attendoit de ce miniftre , depuis plufieuis
jours , un rapport dans lequel feroient renfermées
les répontes des puiflances étrangères à la
notification du Roi , & l'expofé des difpofitions
actuelles de ces puiffances . En effet , après avoir
rendu compte de trois négociations particulières ,
& non achevées M. de Montmorin a lu les
pièces & les détails fuivans : l'hiftoire doit les
recueillir.
,
Lettre de notification du Roi aux Puiffances
Etrangères.

« L'Affemblée nationale vient de me préfen-
→ ter l'acte conſtitutionnel qu'elle a décrété , &›
je me fuis déterminé à l'accepter , parce que
je dois le regarder comme le réfaltat des veux
de la grande majorité de la Nation . Je m'em--
preffe de faire part de cet évènement à Votre
Majeſté , connoiſſant l'intérêt qu'elle prend à
35
"
20
( 88 )
23
la profpérité de la monarchie françoife , ainfi
» qu'a tout ce qui me concerne perfonnellement .
» Je prie V. M. d'être bien perfuadée que ce
changement opéré dans la conftitution fran-
ร çoife ne change en rien mon defir de rendre
» de plus en plus inaltérables les liens qui exiftent
» entre nous , ainfi qu'entre nos nations ref-
-pectives. »>
25
Lettre circulaire aux Ambaffadeurs & Miniftres.
сс « Je m'empreffe de vous informer , Monfieur,
que le Roi vient d'accepter l'acte conſtitutionnel
qui lui a été préfenté par l'Affemblée nationale .
La lettre ci-jointe a pour objet la notification de
cet évènement . Vous voudrez bien la remettre
dans la forme accoutumée . » •
Je vous adreffe trois exemplaires de l'acte
conftitutionnel . Vous voudrez bien en remettre
un officiellement à ( le nom du miniftre ) , en le
priant de le préfenter à ( le nom du fouverain ) .
Vous ferez le même ufage de la lettre que le Rei
a adreffée à l'Affemblée nationale . »
« Les détails dans lefquels le Roi entre dans
cette lettre , Monfieur , expliquent fuffitamment.
les différens motifs qui ont déterminé fon acceptation
. Sa Majefté , comme elle l'a dit elle- même,
eft convaincue que le nouvel ordre de chofes qui
vient de s'établir eft conforme au voeu de la
majeure partie de la nation ; & ce voeu , elle n'a
point héfité de le prendre pour règle de fa conduite
elle ne veut règner que pour le bonheur
de la France ; fon bonheur perfonnel en eft inféparable
, & elle fe complait dans la douce idée
d'y avoir contribué , en faiſant le facrifice d'une
portion de fon anciente autorité , & en n'exer-
:
( 89 )
fant déformais d'autre empire que celui de la
loi. »
« Telles font , Monfieur , les confidérations
fur lefquelles vous vous appuierez , fi l'on entreprend
de difcuter avec vous les bafes & le but
de notre nouvelle conftitution . Vous obferverez
que le Roi n'a jamais fait confifter fon
bonheur dans l'exercice d'une autorité plus ou
moins étendue : La Majeſté ſera au comble de fes
voeux , fi les restrictions mises à celle qu'elle a
exercée jufqu'à préfent , rempliffent le but que
l'Affemblée nationale s'eft propofé . D'ailleurs ,
les moyens de réparer les défauts que l'expérience
fera appercevoir dans la conftitution , ont été
prévus , & il y a lieu d'efpérer qu'i's powront.
être employés fans que le royaume foit expolé à
de nouvelles fecouffes. »
ec
Il eft , Monfieur , un point de la conſtitution
qui doit fixer particulièrement l'attention de
toutes les puiffances de l'Europe , c'eſt la renonciation
de la nation françoife à toute eſpèce de
conquête. Les conféquences qui résultent de cette
difpofition font fi évidentes , que je m'abſtiens
d'en faire le commentaire : elles feront fenties par
tous les amis de la tranquillité générale , qui déformais
fera l'objet de notre fyftême politique . »
ce Je vais , Meffieurs , a continué M. de Montmorin
, vous faire connoître les réponses qui ont
éré faites à fa Majeſté , & la manière dont fa
notification a été reçue dans les lieux dont la diftance
a permis que nous ayons des nouvelles. »
Rome. Comme il n'y a perfonne d'accrédité
à Rome , on s'eft borné à envoyer à l'agent qui
y`réfide fans caractère , la conftitution & la lettre
(90 )
du Roi à l'Affemblée , afin qu'il les fit connoître
dans le public.
Vienne. La lettre de notification a été remiſe
le 16 de ce mois à l'eropercur par M. de Noailles ,
ambaffadeur de France à Vienne , dans une audience
particulière . S. M. I. a répondu « qu'elle
fouhaitoit la fatisfaction du Roi & de la Reine ;
que tous les hens qui l'uniffoient au Roi le mettoient
dans le cas de defirer le maintien de la bonne
intelligence avec la France , qu'elle fuppofoit que
les autres cours feroient comme elle après avoir
connu légalement les intentions du Roi.
La lettre de l'Empereur , en réponſe à celle
du Roi , n'eft pas encore arrivée , mais il eſt à
préfumer qu'elle ne tardera pas , & qu'elle contiendra
à peu près les mêmes chofes que S. M. I.~
a dites à M. de Noailles.
Conftantinople. La diftance ne m'a pas permis
de recevoir aucune nouvelle de cet empire.
Efpagne. Selon une dépêche adrefiée au chargé
d'affaires de la cour de Madrid , & dont il m'a été
remis copie , M. le comte de Florida Blancha a eu
ordre de déclarer au fieur d'Urtubize , chargé des
affaires de France : que le Roi catholique ne
fauroit fe perfuader que les lettres de notification
du Roi très - chrétien aient été écrites avec
uae pleine liberté phyfique & morale de penfer
& d'agir , & que jufqu'à ce que S. M. puiffe .
fe perfuader , comme elle le defire bien fincè
rement , que le Roi , fon coufin , jouiffe, réellement
d'une pareille liberté , elle ne répondra pas
à fes lettres ni à aucune autre chofe où l'on prendra
le nom royal dudit fouverain .
On a , ajoute- t-il , cherché à infinuer plufieurs
1
( 91 )
fois que le Roi catholique defiroit fe perfuader
de la liberté du Roi fon coufin , en le voyant
éloigné de Paris & des perfonnes foupçonnées de
lui faire violence . L'intention de S. M. , pourfuit
M. de Florida Blancha , eft que vous vous expliquicz
dans le même fens avec M. de Montmorin ,
afin de prévenir toute équivoque fur la manière
de comprendre ce que mandera M. d'Urtubize.
N. B. Le compte rendu par le chargé d'affaires
eft conforme à ce qui vient d'être rapporté. Il
ajoute que M. de Florida Blancha l'avoit aſſuré
que S. M. catholique étoit bien éloignée de voaloir
troubler la tranquillité de la France,
Le Roi a pris les mefutes qu'il ajugées les plus
propres à rétablir la communication avec le Roi
d'Espagne ; S. M. s'en eft occupée perfonnellement
, & elle attend avec confiance l'effet des
moyens qu'elle a pris.
Naples. Nous n'avons pas de nouvelles encore.
Angleterre. La réponſe du Roi d'Angleterre eft
du 6 octobre , elle porte ce qui fuit : « Nous
avons reçu la lettre que vous nous avez adreffée
le 19 feptembre ; nous y avons vu , avec le
plus grand plaifir , les affurances de la continuation
de votre defir de rendre de plus en
plus inaltérables les liens qui exiftent entre nous ,
auffi bien que la juftice que vous rendez à nos
fentiniens , & au vif intérêt que nous ne cefferons
jamais de prendre , à tout ce qui vous regarde
perfonnellement , & au bonheur de votre maiſon
& de vos fujets . 32
Turin. « Le chargé des affaires de France a
été plufieurs jours avant de pouvoir remettre
l'expédition au miniftre des affaires étrangères ,
qui étoit malade. Il paroît , par fa lettie du s
(1920 )
de ce mois , qu'au moyen d'une explication fur
une erreur de protocole qui a été réparée furle-
champ , la réponſe de Sa Majefté farde ne
tardera pas. »

affaires de France
fecrétaire d'état des
Suède. « Le chargé des
étant malade , a adreffé au
affaires étrangères de Suède la lettre de noti
ficat on & les pièces qui y étoient jointes. Le
paquet iui a été renvoyé tous le prétexte que
le Roi n'étant pas libre , on he reconnoiffoit
pas de miffion de France : cette nouvelle n'eft
arrivée qu'hier. Le Roi m'a donné l'ordre d'écrire
au chargé d'affaires , & de lui preferire d'infifter'
de nouveau fur la réception de la lettre de notification
, dans l'efpérance que le Roi de Suède ,
plus éclairé fur le véritable état des chofes
autoit changé de réfolution ; dans le cas contraire
, Sa Majefté lui ordonne de quitter Sto-:
ckholm fans prendre congé. »
Portugal. « Nous n'avons pas encore de nouvelles
. »
Venife . «Pas de nouvelles . »
"
Provinces- Unies. « Leurs Hautes-Puiffances
remercient le Roi pour la notification qu'il leur
a faites elles témoignent à Sa Majeſté le vif
intérêt qu'elles prennent à tout ce qui concerne
fa perfonne , ainfi qu'au bien être & à la profpérité
de la monarchie Françoife ; elles font fenfibles
au defir du Roi de rendre i altérables les
rapports qui fubfiftent entre la France & la République
; elles affurent qu'elles mettront tous
leurs foins à cultiver ces relations , & à cimenter
de plus en plus les heureux ' iens qui uniffent la
nation françoife à la nation batave . »
( 93 )
Suiffe . Le chargé des affaires de France en
Suiffe eft allé lui même à Zurich remettre au
directoire de ce cauton la lettre du Roi , par
laquelle Sa Majefté notifie au corps helvétique
fon acceptation de l'acte conftitutionnel. Il mande
qu'elle y a été reçue avec autant de plaifir que
d'empreilement , & que le directoire va en donner ,
felon l'ufage , communication à tous les états de
la Suiffe . »
Genève. « La république de Genève a témoigné
, dans la réponſe au Roi , prendre le plus
vif intérêt à l'évènement que Sa Majesté a bien
voulu lui annoncer , proteftant qu'elle mettroit
toujours au rang de les propres avantages tout
ce qui pourra procurer au Roi la plus grande
fatisfaction , & à la nation françoife la plus grande
pro périté.
>>
« Il n'eft peut être pas hors de propos de remarquer
ici , que nous avons eu à nous louer
de cette république dans le cours de la révolution
, fous tous les rapports du bon voifinage
& dans toutes les occafions où elle a pu nous
rendre quelques fervices de ce genre, »
се
Grifons , Valais, « Il eft d'ufage que la république
des ligues grifes & celle du Valais faffent
part au corps helvétique des affaires importantes
& qui intéreffent toute la confédération , avant de
répondre aux puiflances étrangères . On n'a donc
encore aucune répouie de ces deux états . »
A
Pruffe. Après avoir accufé la réception de la
lettre du Roi , le Roi de Prufle ajoute : « La
part que je preads a tout ce qui intéréffe votre
Majesté , en telle qu'elle eft en droit d'attendre
de l'amitié fincère que je lui ai vouée : - ces
meines fentimens peuvent lui être un sûr garant
( 94 )
tamment à
du parfait retour avec lequel je répondrai confceux
dont elle a bien voulu me
Benouveller l'affurance dans cette occafion . »
'Dannemarck.ce La lettre au Roi de Dannemarck
cft arrivée à Copenhague le 4 de ce
mois . M. de la Houze ayant une attaque de
paralyfie , la envoyée par fon fecrétaire de légation
au miniftre des affaires étrangères qui
étoit à la campagne . Ce miniftre a promis de
mettre la lettre du Roi fous les yeux de fa
Majesté Danoile , & s'eft borné à répondre qu'il
efpéroit de notre nouvelle conftitution que l'ordre
& la tranquillité renaîtront inceffamment en
France ; & que l'ancien amour des François
pour leurs Rois éclatera plus que jamais pour
le bonheur de fa Majefté & celui de la nation. »9
2
06
:
Ruffie. « Il n'y a point encore de nouvelles. Il
ne peut pás y en avoir d'ici à huit ou dix jours
en fuppofant la plus grande diligence des couriers
. »
Electeur de Mayence. « La lettre de notification
a été remife à ce prince par M. Okelly
S. A. E. a reçu la lettre , mais a évité toute
explication fur fon objet, »
Electeur de Trèves . « La réponſe porte que
J'électeur a reçu la lettie par laquelle le Roi lui
a notifié fon acceptation de la conftitution , &
que S. A. E. prendra toujours l'intérêt le plus
vif & le plus fincère à tout ce qui peut arriver
a fa Majefté & à fa famille royale ; & que pour
te refte , la pofition préfente de fa Majefté impofe
le filence à S. A. E. »
Electeur de Cologne. « Point de réponſe.
Etesteur de Saxe. La réponſe porte : « Agrééz
( 95 )
mes remertimers de la lettre par laquelle vous
avez bien voulu me faire part de la détermina
tien que vous avez prife d'accepter la conftitntion
qui vous a été préfentée par la nation . Les
liens du fang qui nous aniffent , autant que mes
fentimens pour votre Majeflé , lui fort garans
de la part que je prends à tout ce qui la touche,
& des voeux que je ferme en
pour fa
royaume. »
toute occafion
félicité conftante & celle de fon
»
Electeur Palatin . « Point de réponſe .
Deux-Ports. Elle eft arrivée ce marin . La réponfe
porte : « J'ai reçu comme une marque de
confiance & comme une nouvelle marque de la
haute bienveillance dont votre Majefté m'honore
, la lettre par laquelle elle m'a fait part des
démarches qu'elle vient de faire . Daignez , Sire,
agréer les voeux fincères que je forme pour votre
profpérité celle de votre mailon royale , &
veuillez bien être perfuadé que rien n'altérera
jamais les fentimens du plus profond respect &
d'attachement , &c. »
Duc de Branjwick. Sa réponſe porte : « Sire ,
j'ai reçu la lettre que votre majefté n'a fait
l'honneur de m'écrire , en date du 19 septembre
dernier , par laquelle elle m'a fait favoir fon
acceptation de l'acte conftitutionnel , qui lui a été
préfenté au nom de la nation Françoife . Je fupplie
Votre Majefté d'agréer mes très -refpectueux remerciemens
, de ce qu'elle a eu la bonté de me
faire pait de la détermination qu'elle a prife à
ce fujet, & je faifis avec empreffement cette
occafion de lui offrir l'hommage de mes voeux ,
pour tout ce qui peut intéreffer le bonheur de
( 96 )
votre majefté , celui de fon augufte : maiſon ,
de la Nation entière . »
&
Parme. « La lettre a été remife , on attend
réponſe. »
Bruxelles. « Leurs Alteffes Royales , les gouverneur
& gouvernante des Pays- Bas ont témoigné
être fenfibles à cette communication ;
& ont affuré que tous leurs voeux étoient pour
la tranquillité générale , & pour le bonheur de
ía majefté .
Pologne. « La lettre de notification a été remiſe
dans les formes accoutumées on attend la réponfe
inceffamment, »> I
« Tet eft , meffieurs , l'effet qu'a produit
jufqu'à ce moment l'acceptation de la conftitu
tion par la majefté . Tout annonçoit la réunion
de la plus grande partie des puiflances de l'Europe
contre la France ; l'intérêt qu'inſpiroit la
fituation du Roi en étoit le motif & le lien.
Sa majesté en acceptant la conftitution , & plus
encore peut- être par fes foins perfonnels , a
éloigné le danger qui nous menaçoit , & je puis
vous dire que rien n'annonce en ce moment aucune
entreprise à laquelle de grandes Puiffances
prendroient quelque part. »
« Je me livre , meffieurs , d'autant plus volontiers
à la fatisfaction de vous , donner cette
efpérance , que je ne crains pas , en remplifiant
ce devoir , de paroître chercher l'occafion de me
faire valoir. Les démarches perfonnelles de fa
majefté pouvoient feules avoir cet heureuxeffet ;
elles l'ont obtenu , & la reconnoiffance lui en eft
due toute entière. »
« Le
( 97 )
« Le Roi s'occupe , avec un intérêt peut - êtré
plus particulier encore , du foin de ramener &
de réunir dans un même efprit de paix & d'attachement
à la patrie tous les François que les
circonftances en ont éloignés . Ses voeux , fes
démarches , foit publiques , foit particulières ,
tendent fans , ceffe à procurer ce rapprochement
auquel fon coeur eft fi intéreflé pour le bon
heur général & pour le fien propre. Mais , mef-.
fieurs , le Roi a befoin d'être aidé dans cet urile
& vertueux dcffein . De fages loix , le rétabliſ
fement de la tranquillité publique , la certitude
de trouver la plus grande fûreté perfonnelle &
une protection toujours efficace pour les propriétés
, voilà les promeffes dont le Roi doit accompagner
fes exhortations preffantes aux François
abfens de rentrer dans leur patrie. Mais ces
moyens ne font pas tous au pouvoir du Roi ,
& les écrits pervers qui l'outragent chaque jour ,
& qui reftent impunis , peuvent faire douter que
l'autorité foit refpectée , & que la confiance foit
rétablie. Les infinuations perfides & vraiment
criminelles dont on fe fert pour inſpirer de la
défiance fur les intentions de fa majefté peuvent
rendre douteuse , au- delà des frontières ,
paix au nom de laquelle elle invite tous les
François à fe réunir. Ce n'eft pas , je le fais ,
le véritable patriotisme qui cherche ainfi
à décourager le Roi , ou à répandre des doutes
fur la fincérité de fes intentions , puifque ceux
que l'on regarde comme les ennemis de la conftitution
tiennent le même langage . Je fais que
ce reproche ne doit être adreffé qu'à ces hommes
dont les troubles & les diffentions forment tout
le patrimoine & fondent toutes les espérances ;
& peut-êrre ces mêmes hommes ne cherchent - ils
N°. 46. 12 Novembre 1791 .
E
cette
оц
( 98 )
à répandre des inquiétudes dans le peuplé que
dans la vue de le porter à des mouvemens capables
de provoquer les événemens qu'ils affectent
de prédire . Le voeu général eft pour le retour
de l'ordre , de la tranquillité & du refpect dû aux
pouvoirs conftitués ; mais ces vérités peuvent elles
être connues à de grandes diftances , fi des actes
publics n'en offrent la preuve ? »
se Au furplus , Meffieurs , cette émigration ,
qui eft devenue une eſpèce de maladie , & dont
fans doute il eft à defirer de voir finir le cours ,
eft plus affligeante qu'elle n'eft inquiétante . Le
Roi a fait cfier le motif qui pouvoit lier : les
puiffances étrangères à la caufe des François
éloignés de leur patrie , & de ce moment que
pourroient tous leurs efforts , en fuppofant même
qu'ils euflent le projet de les diriger contre
elle ? »
Dans les provinces belgiques on ne leur
permet aucun raffemblement . Le gouvernement
de Bruxelles a même , depuis peu , redoublé
de précautions pour éviter tout ce qui pourroie
donner prétexte à regarder comme hoftile l'hospitalité
qu'il leur accorde. »
A Coblentz , où ils paroiffent être en plus
grand nombre , ils font fans armes . Quelque
part enfin qu'ils priffent une contenance véritablement
hoftile , le devoir du miniftre des affaires
étrangères feroit d'en avertir le Roi, &
de concert avec les répréfentans de la nation
fa Majefté prendroit les mefures néceffaires pour
faire ceffer ou pour venger , contre ceux qui
la fouffriroient , une agreffion qui feroit alors
caractérisée . Mais , je le répète , Meffieurs ,
nulle entrepriſe hoftile , appuyée par des troupes
de grandes puillances , ne paroît à craindre en
( 99 )
ce moment , & je préfume que c'eft le feut
objet fur lequel vous attendiez des éclairciffemens
du miniftre des affaires étrangères .
La fin au Journal prochain.
Du mardi , premier novembre.
"
Adreffes par centaines , renvoyées aux co
mités .
M. Goupilleau a fait une forte de crime miniftériel
à M. de Montmorin , de ce que dans le
compte rendu de la fituation politique des Puiffances
de l'Europe , & de leurs relations avec
la France , ce miniftre n'a point parlé des négo
ciations qu'il doit avoir entamées auprès des Cantons
Suilles pour en obtenir que les 41 foldats
Suiffes , du régiment de Château -Vieux , condamnés
aux galères pour leur criminelle infurrec
tion à Nancy , participent au bénéfice de l'amnif
tie. Le dénonciateur a demandé qu'on remît les
pièces au comité diplomatique , & que ce comité
für chargé de faire un rapport fur la conduite du
miniftre.
cc
« Tous les bons citoyens , a dit M. Audrein ,
doivent s'intéreffer à ces malheureuſes , victimes
d'une cruelle vengeance . » c Quoique le mi
niftre aît donné la démiflion , s'est écrié un autre
membre , il demeure toujours refponfable ; il ne
faut pas que la refponfabilité ne foit qu'un épouvantail
». - Le renvoi a été décrété au milieu
des tranfports de joie des tribunes & d'une partie
de l'Affemblée , qui fembloient favourer déja le
-plaifir de voir le miniftre remplacer un des Suiffes
aux galètes.
Le département du Tarn fe plaint de l'énor-
E 2'
888570
(.100 )
que le corps
lémité
des nouvelles contributions . Après quelques
débats nés de la jufte crainte
giflatif ne foit bientôt affailli de pétitions en dégrèvement
, les doléances ont été renvoyées au
comité compétent , avec la claufe , que la perception
ne fera , pour cela , nullement interrompue.
Plufieurs membres du comité des affignats &
monnoies s'en étant retirés , l'Aſſembléc eft convenue
de procéder à leur remplacement à l'iffue de
la féance .
M. Briffot a lu une lettre d'un fieur Grelet , foldat
, parti du Cap le 14 août , qui affure qu'alors
tout y étoit tranquille , qu'il n'y avoit de trouble
que de Blanc à Blanc , entre les amis de la conftitution
& les agens du defpotifme ... Au comité
colonial.
Un membre du comité de la caiffe de l'extraor
dinaire a dit que , le 30 feptembre , il y avoit en
caffe 32,524,952 liv.; complettant les 1200
millions dont l'émiffion étoit décrétée ; & en outre
30,803,099 liv. qui reftoient à échanger contre
les billets de la caiffe d'efcompte ou promeffes
d'affignats ; qu'aux 32 millions il falloit ajouter
100 millions en affignats de 51. dont l'émiffion avoit
été décrétée par l'Affemblée conftituante ; & qu'on
n'avoit plus que ces 132,524,952 liv. pour ac
quitter 126,265,314 liv. jufqu'au 28 octobre ;
que depuis cette époque jufqu'au premier novembre
, on a fait d'autres dépenfes , & qu'il ne refte
en caille que 2,525,000 liv . pour fatisfaire aux
befoins extraordinaires & aux liquidations . Il a
fini par propofer une émiffion de 300 millions
en affignats des liv. , en affurant qu'elle donneroit
une nouvelle vigueur à l'agriculture &
u commerce qui toujours ont reçu un grand au
( 101 )
- accroiffement à mefure de l'émiffion des affignats
Tout fe prouve ainfi .
M. Condorcet bornoit l'urgence à 90 millions
pour les befoins de ce mois . M. le Cointre vou
loit qu'on émit 600 millions . Occupons - nous du
recouvrement des impôts , difoir M. de Vaublanc
qui portoit le doigt dans la plaie. Les befoins de
ce mois font de 119 millions , obſervoit M. Guiton
de Morveau ; il faut rembourfer les cautions
nemens de finance & de nombreuſes liquidations .
Les rôles des contributions ne font pas encore
faits dans beaucoup d'endroits . La fabrication de
300 millions en affignats des liv . demande 300
jours... Et les conclufions ont été d'en émettre
pour cette fomme.
Des débats plus verbeux que lumineux ont
abouti au décret d'urgence & à un fecond qui a
mis en circulation jufqu'à 1,400 millions en y
comprenant les 1,300 millions émis par l'Affeinblée
conftituanté ; a ordonné de fabriquer pour
300 millions d'affignats de 5 liv . qui ne fortitent
des archives qu'en vertu de nouveaux décrets ; &
deftiné les 100 millions en affigeats de 5 liv . qu'a
décrétés l'Affemblée conftituante , à retirer de
la circulation les affignats de soo liv. & au - deffùs ;
en ajournant le furplus à huitaine .
Le garde- du - fceau a demandé quel feroit le
mode d'exécution du décret relatif à la proclamation
à faire à l'égard de Louis - Xavier , prince
François . Cet objet qu'on auroit cru terminé après
tant de rhabillage , a été renvoyé au comité de
légiflation .
Du Mercredi , 2 Novembre.
Un ficar Bolredon , citoyen François
révélé difcrettement au public , en l'écrivant
E 3.
( 102 )
l'Affemblée nationale qui en a fait faire aujour
d'hui la lecture , tout ce qu'il a découvert en fe
mêlant , dans l'étranger , parmi les aristocrates &
les émigrans . Voici l'abrégé de les fréien es
obfervations que nous pafferions fous filence , fi
lies ne pergnoient l'auditoire qui les a patienment
écoutées & chaudement applaudies.
« La vile de Varennes , mande ce précieux
interprête des princes , eft entièrement dévouée
à l'ariftocratie . M. Ba fontaine , ancien interdant
de M. Condé , y a fait élire une municipalité
à fa fantaific . Le vertueux M. Sauffe eft
remplacé par un ariftocrate. Les gardes nationales
fout ariflocrates auffi. Tous lui ont offert
( au fieur Bolredon ) un paffeport , comme à
trois gardes du corps émigrés avec lui , par la
forêt deDun , fous la couduite du nommé Gentil ,
maréchal - ferrant , qui en a paffé plus de 300. »
« Tous les payfans du vo finage des frontières ,
éprouvent une joie furprenante des émigrations ,
& font des voeux pour le fuccès des projets des
prin.es. On adreffe le narrateur à M. Défoteux ,
major- général de l'armée. Il faut avoir quatre
répondans genti shoinnies pour être admis au
nombre des émigrans qui prennent les armes.
« Les louanges feintes que je donnois à, ces
projets dit l'honnête citoyen ) leur firent penfer
que je pourrois être habile à remplir une pl. ce
dans une des compagnies rouges à Coblentz , »
By arrive. Cette ville eft tou e électrifée d'ariftogratie
. Il échappe fouvent aux princes , dans des
accès de fureur , de dire :j'ai fait de mon Roi
mon ame , & comme un corps fans ame nefauroit
vivre , je perdrai plutôt la vie que de voir ainfi
d'shonorer mon pays. « Vrai langage d'enfans
prodigues qui détournent les yeux , pour ne pas
( 103 )
voir une mère patrie qui leur tend les bras. »
Ce confident des fureurs des Princes , l'ingé
kicúz auteur de ces moralités civiques , part pour
Trèves , y voit des prêtres émigrés devenus
foldats du Pape ; eft amené à Luxenbourg pat
M. Déforeux qui , enchanté de fon ftyle , le
prend pour fecrétaire. Fidèle à fa patrie , en
homme probe , le fecrétaire recueill : des notes
contre fon bienfaiteur , & contre les princes dont
la fureur eft de faire du Roi leur ame , & de
vouloir qu'on ne déshonore pas leur pays.
Plan d'attaque , par la chauffée des Romains ,
derrière Pabbaye d'Orval ; ils s'y rendront incognito,
Condition très - fecrette , que le Roi
fe mette en perfonne à la tête des troupes. S'il
ne le fait pas , il court lui-même des risques.
-- On ira droit à Dun ; ils comptent fur Metz ,
& difent ( à qui veut l'entendre , par excès de
rufe aristocratique ) qu'ondeur ouvrira les portes
à leur arrivée . Le commandant de Lo gwy ,
lieutenant - colonci des huffards , & M. Crécy ,
major de la porte de Bourgogne font du complot ;
ils ont beaucoup de fous-officiers dans leurs intérêts
, & la plus grande partie des commiflaires
des guerres , notamment le commifire- ordennateur
de Metz. La plupart des officiers non
émigrés font infe its au nombre des émigrans..
→ Le régiment Suiffe qui eft à Serre- Louis , a
écrit une lettre aux prinbcs, je l'ai vue'; ces.
Saiffes y difent qu'ils leur tendent les bras &
qu'ils feront toujours fidèles au Roi. -- Le commandant
de la garde volontaire foldéc de Longwy
le nomme de Launay , eft parent du gouverneur
de la Baftille , & aufli traître que lui. »
-Hs ont conçu un projet , en cas qué les autres
ne puillent séfar ; c'eft fimplement d'empoi
--
E
4
( 104 )
fonner toutes les fources ... Mais ils ne pourront
empoisonner ni tarir la véritable fource de
la liberté. (Ce paffage eft applaudi aver onthoufiafme
) . Le délicat & véridique patriote, a copié
quelques lignes d'une lettre de M. d'Artois à
M. Défoteux , où l'on a lu ,› entre autres
phrafes Je compte fur le fidèle DUPORTAIL, »
Le copilte n'a pu tout tranfcrire ', n'ayant eu que
e temps de fe fauver , non fans quelque danger
de perdre la vie , fes louables intentions érant
découvertes. Mais l'eût - on pendu commence
qu'on appelloit , fous l'ancien régime , un eſpion
la gloire civique l'auroit amplement dédomniagé
de ce petit accident. « J'ai été obligé , pourfuit-
il , de faire à pieds 12 lieues en 6 heures ;
inais il eſt aifé d'oublier toutes les peines , quand
on peut être utile à fa patrie . » ain qua
CC
>
Ces notes ont paru de ia plus haute impor
tance à quelques hommes d'Etat de l'Affemblée.
On les a renvoyées , ainfi que toutes les profondes
réflexions qu'elles ont fait naître , aux
comités militaire & diplomatique , & le fieur
Bolredon a reçu les honneurs de la féance . Sa
lettre , on le voit , eft une nouvelle machine:
dirigée par les maîtres contre M. Duportail , &
en faveur du projet de J. P. Briffot far les
émigrans.
Un membre a renouvellé tous les reproches
auxquels le miniftre de la guerre fera bientôt
condamné à répondre deux fois par féance , &
a demandé l'inconftitutionnel envoi de commif
faires choifis dans l'Affemblée . M. Ducos a débité
une amplification de collège , & propofé de dé
créter que ce miniftre , refponfable de fes ordres ,
le foit auffi des moyens d'en furveiller l'exécu
tion , & rende compte dans trois jours. M. Gi
( 105 )
rardin a foutenu qu'il étoit faux que les gardas
nationales ne fuilent pas armés , & s'eft déclaré
le champion du patriotifmé de MM. Lückner &
de Rochambeau. L'avis de M. Goujon étoit q'os
pouvoit très -couftitutionnellement envoyer des !
commiffaires en bornant leur miffion à vérifier
les faits , dont on doutera inftant d'après . .
Le tout au comité militaire .
On a fait lecture d'une lettre de M. Chare
rier de la Roche , datée de Lyon fa patrie . Cert
évêque métropolitain , affermenté , de Rouen , i
donne fa démiffion , & déclare qu'il veut fuivre
l'exemple de trente autres évêques du cultel
falarié qui ont déjà adreffé leur démiffion an
Pape . Cette démarche eſtimable a été fort mal
reçue, & l'on eft paffé , d'affez inauvaife humeur ,
à l'ordre du jour. D. 1 5. M
MM. Wilhems & Soër offrent encore des
millions à gagner à l'aide d'un fecret relatif au
monnoyage du métal des cloches . Its prétendent
qu'un anonyme mal intentionné leur a promis
200,000 liv. , & même dix fois plus , s'ils gar
doient leur fecret . Is auront peut être la géné
rofité de ſe contenter des frais de leur voyage.
Lecture de leur mémoire qui n'évente pas le
fecret ; après quoi chacun eit allé diner.
Du jeudi , 3 novembre..
"
17
· Mardi , l'Aflemblée avoit unanimement décrété
T'envoi d'un rapport du miniftre de l'intérieur
fur les fubfiftances , à tous les départemens . Ce
mémoire propofoit un comité composé de 21
membres du corps légiflatif , choifis chacun par
fon département , pour s'occuper , de concert
avec le miniftre , de l'emploi des fommes avanrées
à ces 21 départemens , les feuls qui aient
EsS
I
( 106 )
réclamé des fecours . Her , un décret fufpendic
l'envoi du rapport , fur l'obfervation de M. de
Condorcet qu'un pateil comité pourroit devenir ›
le noyau d'une feconde chambre. Perfonne ne ,
fis l'objection bien plus grave , mais elle cût.
fuppofér de vraies lumières & de la bonne foi,
que ce comité de co- miniftres acheveroit de
confondre tous les pouvoirs , & détruiroit toute l
refponf.bilité . Les éternels renvois aux comités
mêberont l'Affemblée à ce but , à cette confufion
, au pur defpot fine , fans qu'aucune inftitution
extraordinaire en ait averti la prudence ,
publique diftraite par des chimères.
la : On a fait le &ure d'une adreffe des négocians
& des capitaines du Havre , commençant , pari
cfs mots : St. Domingue n'est plus.
ruine de la France eft confommée. Que lesi
prétendus , amis des Noirs , ces implacables ennemis
des Blancs , vantent leurs fuccès ; car ils,
avoient des émiffaires , & l'on a vu des Blancs
la tête des Noirs . Finiffant par des offres
réelles de concourir , à tout prix , au falut de la
colonie , cette lettre n'a d'abord excité que le
cui à l'ordre du jour. Quelqu'un n'a pas rougi
de dire qu'elle pouvoit n'avoir été dictée que
dans Pintention de favorifer une opération de
commerce. Deux épreuves , dont une douteufe ,
ont produit le décret d'écouter la lecture jufqu'au
bout ; une tro frème délibération n'a donné que
la ftérile mention honorable , fi fouvent proltituée.
M. La Croix tenoit bon pour l'ordre du
jour. D'autres crioient au pouvoir, exécutif.
Enfin l'Affemblée a décrété le renvoi au comité
colonial .
On a proclamé M. de Vaublanc vice - préfi
dent. Des non non ont couvert la voix de ceux
( 107 )
qui vouloient qu'on énonçât le nombre des vo
tans . « Nous devons être 200 pour délibérer
à dit un membre ; élire , c'eft aufì délibérer……. »
La falle a retenti d'éclats de rire. Il s'eft trouvé
que 196 votans avoient fuffi pour élire.
1 Un membre a fait un rapport , fut la queftion
du ministre de la juftice , à l'égard du mode
& de la formule à fuivre pour la proclamation
des décrets non -fan&tionnés. « Dire que le Roi
concourt à la législation par la fanction des
loix , ce feroit , a prétendu le rapporteur , atta
quer de front le grand principe de la féparation
des pouvoirs La conftitution s'eft bien gardée
de remettre la volonté nationale à l'obftination
dur feul homme... Il n'eft pas permis d'ignorer
que l'exécution de ces fortes de lor eft indépendante
DE TOUT CONSENTEMENT . 65-
5. Le rapporteur a eu la bonhomie de craindre
que MONSIEUR ne pût objecter à l'Affemblée :
Sans doute , vous avez le droit de me reque
tir de rentrer dans le royaume , mais vous
ne pouvez pas fubftituer un mandat d'exécu
tion arbitraite , à celui qui a été décrété dans
si la conſtitution . Votte déact ne peut porter
os atteinte à mes droits. Vous devez agir non
• feulement en vertu de la conſtitution , mais
d'après les formes prefcrites par clle » . Nous
he doutons pas que le prince François & l'Eu
rop: ne fourient à la fcrupuleufe légalité de la
fommation que l'Affemblée législative ne veut
ni ne peut faire fanctionner par le Roi , le tout
pour micex féparer tes pouvoirs. Les conclufions
du rapporteur ont été qu'il n'y avoir pas lieu à
délibérer ; & fans la remarque économique d'u
membre , la nation alloir payer les frais de
Vimpreffion de ce rapport hur un objet dignie
E6
? 108 )
""
de l'attention la plus ferieufe ». On a décrésé
les conclufions .
Il a fallu de nombreuſes délibérations , un
Tumulte fcandaleux , & prefque l'appel nominal ,
pour favoir fi M. Audrein herois écouté; & M.
Audrein n'a dit , au fujet des prêtres , que ce
qu'on avoit répété vingt fois , excepté cette
naïveté à force d'entendre mal parler de la
conftitution , le peuple finira par en mal penfer ..
MM. Fauchet & Genfonnet le font partagés le
refte de la féance .
« La tolérance des poiſons , a dit le premier ,
eft la plus grande intolérance contre la fociété...
Accufer d'intolérance celui qui ne veut pas qu'on
paie les empoisonneurs , c'eft le comble du ridi
eule.... On m'accule d'avoir déployé une éloquence
cruelle , je n'ai été ni éloquent , ni.
cruel , mais feulement jufte & fenfé ..... Eft- ce
contraindre des hommes à mourir de faim ; que
de les obliger à vivre de leur propriété & de leurs
travaux.... Je fellicite pour les pauvres.... les
fommes immenfes prodiguées à des hommes
eififs , inutiles & dangereux.... Le grand fecret
de la tranquillité & de la liberté , eft une religion
univerfelle qui ne damne que les méchans ;
cette religion eft celle de St. Paul..... celle de
la conftitution . , ... Les loups dévoreront les
agneaux paisibles , à moins que le lion de la
garde nationale ne veille fans ceffe fur eux...
3
Ce charitable évêque du Calvados , qui n'eft.
pas éloquent , mais jufte & fenfé , a raconté que
acofemmes avoient laj idé un curé jureur de Caen,
& qu'elles l'auroient pendu à la corde de la lampe
de l'églife , fi la garde nationale ne le leur eût
arraché. Métamorphofant ces femmes , égarées
par des exemples patriotiques , en autant de
( 109 )
prêires réfractaires , il s'eft écrié : « qui pour
roit , après cela , écouter tranquillement la be
nignité avec laquelle on vous propoſe des ménagemens
envers des prêtres qui s'empreffent de
tuer les hommes pour les damner plus vite ? »
Salon lui , la nation, a fatisfait aux obliga
tions qu'elle a contractées en prenant les biens
du clergé, dès qu'elle a foin des pauvres & payé
les jureurs. Il faut être philofophe tout- a-fait..
Un demi- philofophe eft une caricature de la
railon. Il est beau de voir des hommes s'atten
drir fur le fort d'une foule de fainéans qui
dévorent 30 millions , pris fur les fueurs du
pauvre , tandis qu'on les voit froids fur la mifère
du peuple.... Il ne faut pas que ces prêtres
( non - affermentés ) meurent de faim pour ne
pas trabir leur confcience ; qu'ils travaillent
le commerce & l'agriculture lur offrent des
reffources . St. Paul filoit des tentes , St. Luc
étoit médecin.... » On devine les applaudiffe
mens des galeries , l'indignation des gens honnêtes
, & les conclufions de l'inquifiteur croffé.
M. Genfonnet s'eft chargé de prouver que
sous les moyens propofés étoient abfurdes , tyranniques
& illutoires ; il a imputé les troubles
aux fonctions civiles des prêtres , à ce civifine
qui traire bêtement d'ariftocrates , seux qui révèrent
leur ancien curé , & aux loix réglémentaires
qui ont violé la déclaration des droits. I
a combattu les mefures de M. Fauchet comme
atroces , celes de M. Ramond comme inconféquentes
, la déportation comme propre à faire
abhorrer la conftiturion ; & plus fage dans fes
prémiffes que fes collègues les plus modérés , il
a propofé 17 articles dont voici la teneur :
Certificats municipaux de ferment civique
( flo )
fans quoi nel traitement ; police municipale dans
les affemblées religieules ; amendes & fix ans de
prifon pour prédications jugées féditieuſes ( par
des gens qui peuvent être d'une autre religion
on des perlécuteurs ) ; comptes judiciaires rendus
au corps législatif tous les trois mois ; le miniftre
de la guerre , les troupes de ligné & la gendar
merie nationale appellés à concourir au fuccès
de ces loix de paix agens civils pour conftater
les naifances , les mariages , les morts , & pour
Péducation fouftraite aux eccléfiaftiques ; fuppreffion
des fours- grifes , des feurs de la cha
tité... L'impreffion eft décrétée , & le comité
préfentera dans huit jours un réfumé de tous les
projets.
לכ
• Un décret définitif a mis les funérailles d'Hol
noré- Riquetti Mirabeau à la charge de la nation
Du vendredi , 4 Novembre.
Qui n'auroit pas fuppofé les gardes nationale's
définitivement & complettement organisées
Voilà cependant que le miniftre fait à l'Affem
blée huir queftions , d'après lefquelles il paroît
que prefque rien n'avoit été prévu dans l'ouvrage
de M. Rabaud le prédicateur , & d'autres gé
néraux de ce mérite , qui mirent toute notre population
laborieufe en force publique . M. Due
portail demande fimplement : 1 °. quel fera le
terme de l'engagement des citoyens enrôlés dans
hes bataillons de garde nationale ? 2. Quelle
doit être la peine de ceux qui abandomeront
leurs drapeaux ? 3 °. Les officiers & fous- offi
ciers ont- ils le droit de fe retirer en donnant
leur démiffion ? 4°. De quelle manière feront
ils remplacés . Le département de la guerre
doit-il payer le séjour des gardes nationales lerfqu'il
eft de plus de trois jours dans le même endroit
? 6°. Les logera- t-on dans les cafernes ?i
Le département de la guerre fera- t- il tenu de
pourvoir à ces frais 70. Fournira-t il le bois
& la lumière aux gardes nationales cafernées ?
89. Admettra-t - on à la folde les furnuméraires :
destinés aux remplacemens ? Au comité militaire,
-
Réduirez-vous le nombre des municipalités , a
dit un membre ? Grand tumulte. Le renouvelle
ment des municipaux ne nuira - t-il point au travail
, déjà fi lent , de la répartition des impôrs 3
Au comité de divifion qui fera fon rapport
demain.
M. Godard , député de Paris , eft mort 3. 24
députés aflifteront à fes funérailles .
Une lettre du miniftre de la marine détaille un
peu la conduire du Dey d'Alger. Après tant de
facrifices faits au defir de vivre en paix avec ce
Dey , jufqu'à lui laiffer , ou payer les prifes
jufqu'à lui faire conftruire un bricq à Toulon
en dédommagement d'un bâtiment Algérien brûlé
fur les côtes de Provence par une frégate Napolitaine
, dépenfe de plus 800,000 liv . , la France
eft menacée d'hoftilités malgré un traité centenaire
. Au mois de mai dernier , le nouveau Dey
nous demanda un bâtiment de guerre pour porter
fon ambaffadeur à Conftantinople. Le Roi en fit
ordonner l'armement . Mais bientôt le Dey donna
la préférence à l'Espagne pour le même fervice .
Le conful François ayant fait des repréſentations ,
le Dey le menaça de le mettre à la chaîne , traita
dürement le chancelier du Confulat , lui dit que
les François n'étoient plus ce qu'ils étoient autrefois
, les accufa d'infidélité , d'impofture , &'
précendic que dette nation n'avoit plus de Rei,
( rz )
Aux moyens conciliatoires , le Roi a trouvé
bon d'ajouter l'ordre d'armer une frégate & des
corvettes ; l'augmentation de la dépenſe fera de
F, 318,316 liv . On a lu la lettre que le miniftre
écrit au Dey. Il y nomme , comme à l'ordinaire
, le Roi des François : Sa Majesté Impériale
& le Dey : très - illuftre & magnifique Seigneur.
Ces titres ont beaucoup égaye de graves hilo
fophes qui fe qualifient entr'eux de fublimes ,
d'auguftes, de législateurs de l'univers. « Cette manière
d'écrire eft indigne de la nation » , s'eft écrié
M. Taillefer, qui vouloit abfolument qu'on prêt
de promptes mefures pour réprimer l'infolence du
Dey , déclarer la guerre à la régence d'Alger ,
& détruire ce repaire de brigands. La lettre écrite
au nom du Roi à qui eft délégué le foin de veiller
à la sûreté extérieure du Royaume , & qui feul
peut entretenir des relations politiques au- dehors
(acte conftitutionnel , ch. IV , art . I , fect . III ,
art. I ) , a été renvoyée au comité diplomatique où
elle fera corrigée.
Tiendra- t- on des féances du foir pour expédier
les pétitions ? M. Girardin a demandé que les
pétitionnaires ne fuffent admis qu'après avoir
fait connoître leurs adreffes & leur perfonne au
comité compétent , au préfident ou au bureau .
Quelqu'un a obfervé qu'il y avoit des plaintes
en escroquerie contre un de ceux qui ont reçu
les honneurs de la féance . Nous ne décrirons pas
le tumulte auquel a mis fin un décret qui deftine
lés féances des dimanches aux pétitions ; mais
nous dirons qu'au moment même l'Affemblée a
bonnement accueilli une pétition , fans la renvoyer
à dimanche .
M. Breard anommé rapport de L'affaire d'Avi(
113 )
gnon , un récit informe , aride , inexact , de tout
ce qu'on a déjà lu dans l'Affemblée fur cetre
malheureuſe ville . Echo de M. Rovère , des trois
médiateurs il a exalté M. Verninac , donné du
louche à M. le Scène , inculpé M. Mulot , &
conclu à ce que celui - ci foit mandé à la barre .
M. Robin a fait un pompeux éloge du patriotifme
de M. Mulot. M. Gaftellier veut qu'on le
puniffe s'il eft coupable , pour apprendre à l'Europe
que l'Affemblée rend une égale juftice au
Ample citoyen , aux princes , & même à fes
membres ; & , à ce propos , il répète , au fujet
du peuple qui devient bourreau pour fuppléer ,
comme la juftice divine , le filence des loix ,
vertueufes maximes de M. lfnard qu'il appelle ,
du plus grand férieux , un orateur fort éloquent...
Alors , s'eft engagée une difcuffion qui , bientôt ,
a dégénéré en tumulte horrible ,'' pour favoir fi
M. Mülot feroit mandé ou entendu , s'il parleroir
à la barre ou à la tribune , & quel délai on lui
accorderoit . *
les
Le ministre de l'intérieur s'eft permis d'infor
mer l'Affemblée que M. Mulot étoit fur le point
d'arriver à Paris . « Un miniftre peut - il prendre
Ja parole » Un bruit affreux de clameurs , de
mouvemens , d'agitation gefticulante a fuivi cette
queſtion. A moins de fe battre , nos législateurs
ne pouvoient pas faire plus de vacarme. M.
Lacroix tient tête au miniftre qui pourtant
reprend la parole & finit par ajouter : « J'ai
rempli mon devoir en ufart de món droit . » Un
décret mande à la barre le fieur Valentin Mulot
dans la quinzaine , & enjoint au miniſtre de rendre
compte , fous trois jours , des mesures prifes à
Pégard d'Avignon & de Carpentras.
( 114 )
Du famedi , s novembre.
Les objets renvoyés aux comités devant le
reproduire , nous n'indiquerons que ceux qui ,
plus développés , donnent quelque idée de la
marche embarrallée de l'Affemblée ,
Un rapport de M. Guérin , fur la pétition
des ci-devant employés aux barrières de Paris ,
& le projet de décret tendant à leur accorder
un provifoire alimentaire jufqu'à la fin du tra
vail du comité des penfions , après les débats &
les clameurs qu'excitent aujourd'hui les questions
les plus fimples , ont été remis au comité des
penfions , qui , pour économiser le temps , eft
chargé d'en faire un nouveau rapport ſous trois
jours.
A propos du plan d'un monument à ériger
fur le terrein de la Baftille , lorfque la nation
aura des fonds de refte, le préfident avoit , jeudi
dernier , affuré à un artifte que a file laurier
des arts s'entrelace avec des feuilles de chêne
fa verdure eft éternelle » . Ce matio , quoiqu'un
décret eût réservé toutes les pétitions pour le
dimanche , l'académie ci-devant royale de peinture
eft venue protefter , par l'organe de fon
orateur , qu'elle préférera toujours un rameau
de laurier à un rameau d'or », Elle s'eft plainte
des calomnies débitées contre la prétendue ariftocratie
academique ; rappellant que fes fuffrages
ont défigné un graveur non-académicien pour la
nouvelle monnoie , fa justice & ſon défintéreſfement
dans le rapport qu'elle a fait au fujet
de la ftatue de J. J. Rouffeau , elle a dit que
Tégalité conftitutionnelle n'étoit que celle des,
droits & non celle des talens ; que rejetter dans
( 115 )
la foule les artiftes qui fe font diftingués , ee
feroit éteindie toute émulation ; que la tête des
talens eft dans l'académie , que ce fera cette
tè.e , encore un coup , qu'il faudra couro : n.r ;
que les académicieus fe fenuroient fort honorés
d'être jugés dignes , par leurs rivaux , d'avoir
part aux encouragemens décrétés , mais que leur
délicateffe leur impofoit le devoir de s'abftenir
de juger. Ces députés ont eu les honneurs de
la léance , & la pétition a été renvoyée , avec,
applaudiffemens , au comité des fecours publics
.
M. Clavière , admis à la barre , a lu un long
mémoire fur les finances , où il a établi que la
tactique des inquiétudes y feroit le plus grand
mal . Selon ce judicieux manipulateur , les affignats
ont fauvé la France ; les affignats qui ont
heureufement remplacé le numéraire métallique ;
mais l'Aflemblée conftituante à eu tort d'admettre
dans les achats de biens nationaux d'autres
titres que des affignats , des titres qui peuvent
en altérer confidérablement l'hypothèque . Les
reconnoiffances reçues dans ces ventes montoient,
a- t-il dit , à la fin de feptembre , à 80 millions.
Chacun de ces millions ébréche l'hypothèque.
Les résultats de M. de Montefquiou lui paroiffent
hafardés , puifqu'on ne connoît pas les
demandes qui pourront être faites . M. de Montefquiou
prouve que les moyens d'acquitter , que
furniffent les biens nationaux , furpaffent la
dette , de ico millions ; « mais en oppofant à
ce calcul ce qu'il peut y avoir d'cxagéré par le
défaut de réalifation des ventes on peut de
mander ce que fignifient 100 millions d'excédent ?
On n'a guère que le trentième de la fomme totale
>
( 116 )
pour couvrir les accidens de la non - réaliſation……..
Il n'y a que des probabilités . »
Il ne feroit pas impoffible , a poursuivi du
plus grand férieux , M. Clavière , que la liberté
donnant un grand effor à l'induftrie commerciale ,
les biens nationaux reſtaſſent fans demandes…….
Cet état feroit l'avant coureur d'une grande
profpérité. » Mais les adjudications n'atteindroient
pas aux fommes néceffaires . Ily a ténébres
fur le montant de la dette ; il y a ténébres ſur
le montant des reffources , & c'eft dans cette
incertitude qu'on propofe des remboursemens
dont on ignore la valeur ?
A en croire la délicateffe de M. Clavière , on
peut fufpendre un paiement à terme , fans violer
fon engagement , lorfqu'il ne s'agit pas d'atermoyer
, mais d'une fufpenfion de rembouriemens
entrepris & décrétés fans connoiffance de
caufe . Ces affertions font l'équivalent de celle-ci :
Faites de faux comptes , embrouillez , gâtez
les affaires en foutenant effrontément que vous
les arrangez , que vous les entendez ; décrétez
folemnellement que vous payerez ; enfuite dédarcz
que vous ne faviez ce que vous faiſiez j
fufpendez vos paiemens promis à termes ,
Vous n'aurez ni trahi la confiance publique , ni
dérobé le falaire que le peuple vous paye des
reftes de fa misère , pour que vous metticz de
l'ordre dans fes finances , ni violé vos engage
mens , fi vous avez la prudence de ne point
atermoyer , de n'indiquer aucun terme prefix à
ces rembourfemens décrétés & fufpendus de peur
d'épuifer les affignats. »
Ces nouveaux ax:ômes de loyauté , de probité
légiflative , ces étranges moyens de folva(
117 )
de toute
bilité ont conduit M. Clavière à proposer à
Affemblée , de fufpendre le remboursement
dette nationale non - conftituée , à
l'exception des créances dont le capital & l'intérêt
n'excéderont pas 2,000 liv .; de fixer une
époque au - delà de laquelle de femblables créances
ne feront plus admifes , fauf à ceux qui auront
à les répéter , à fe pourvoir devant les légiflatures
qui n'en décréteront alors le paiement , fi elles'
en reconnoiffent la légitimité , que comme dépenfe
extraordinaire ; & de décréter qu'on ne
recevra en paiement de domaines nationaux achetés
que des affignats ou des espèces effectives .
Cette habile combinaiſon de faillite publique
la mieux caractérisée a reçu des applaudiffemens.
Le préfident en a complimenté l'auteur , qui a
remporté les honneurs de Pimpreffion & de la
féance.
M. de Montmorin s'eft juftifié de la négligence
qu'on lui imputoit à l'égard des 41 foldats
de Château-Vieux. Sa correfpondance a prouvé
que les cantons Suiffes ne font pas auffi preffés
que nos patriotes , de délivrer des criminels jugés
& condamnés aux , galères.
Honorable mention de l'offre que fait à la
patrie M. Monneron de Nantes , d'un vaiffeau
pour transporter 400 hommes à St. Domingue
où il perd la majeure partie de fa fortune , au
moment où M. Claviere pronoftique le grand effor
de l'induftrie commerciale.
Les maires & autres municipaux peuvent-ils
être élus à la place l'un de l'autre ? Réduira-ton
le nombre des municipalités ? Comment renouveller
les municipaux dans les endroits où ils
font les feuls qui fachent lire , oùì même ils ne
favent pas écrire ? ... Diffon bruyante & vide.
( 118 )
- Un maire peut- il être élu membre d'un département
avant d'avoir rendu fes comptes ?...
Violens murmures , attendu qu'il s'agit du maire
de Paris, Si nous remplaçons les municipaux
qui connoiffent les propriétés , nous n'aurons pas
de contributions pour 1792 ... Longs brouhahas ;
la préalable termine une délibération qu'ailleurs.
on nommeroit du vacarme .
M. de Leffart a communiqué , par ordre du
Roi , à l'Affemblée , les extraits fuivans de
lettres de l'ambaffadeur d'Angleterre au miniftre
de France , & d'un gouverneur Anglois à l'amirauté
de Londres :
Lettre de l'Ambaffadeur à M. de Montmorin.
« Je vous envoie copie d'une lettre écrité
par le Lord Effingham , gouverneur de la Jamaïque
, le 7 feptembre dernier. Le Roi mon
maître a approuvé la conduite qu'a tenue ce
gouverneur en envoyant tou : 1 : s fecours dontpouvoit
le pafler , pour foutenir le gouverne
ment de Saint-Domingue. »
Lettre du Lord Effingham au Comte de Chatam ,
Premier Lord de l'Amirauté.
MILORD ,
Je fuis fâché d'avoir à vous mander des
nouvelles affligeantes de la fituation de nos voifins
de l'ifle Saint-Domingue. Le fieur Bugnet
nous a été envoyé par le commandant du Cap ,
& le président de la commiffion générale de la
Colonic , pour nous demander des lecours . Les
Noirs ont pris les armes , & détruit toutes les
habitations jufqu'à só milles du Cap. Les gens
de couleur , publiant tout fujet d'animofité , le
( 119 )
font réunis aux blancs avec trente mille noirs
qui font reftés fidèles ; ils font retranchés au
Cap , près de manquer de vivres. Je leur ai
envoyé 500 fufils & 1,400 livres de balles , &
leur ai permis d'acheter de la poudre & autres
provifions....
cc
Signé , Lord EFFINGHAM , Gouverneur de la
Jamaïque.
Le 7 Septembre 1791 .
M. Aubert a propofé de voter des remercîmens
au Lord Effingham ; M. Goujon , à la na
tion Angloife ; M. Baert , qu'on priât le Roi de
remercier le gouverneur Anglois, Remercierat-
on ? Quel tera le mode de remercîment ? Au
comité colonial ; au comité diplomatique ; la
queftion préalable ..... « Le premier fentiment
dont des légiflateurs doivent le garantir , c'eft
celui de l'enthoufialme , a dit M. Coutton.
Vous délibérez plus long-temps pour remercier
qu'on n'a délibéré pour vous rendre fervice
seft judicieufement écrié M. Emmery » . Enfin
l'Allemblée « déclare configner & configne effectivement
dans fon procès - verbal l'expreffion de
la reconnoiffance que lui infpirent le procédé
généreux du lord Effingham & l'approbation qu'a
bien voulu donner la nation Angloife à cet acte
généreux , & charge le pouvoir exécutif de faire
parvenir au miniftre de la marine Angloile , ainfi
qu'à lord Effingham , l'exttait de fon procès - verbal
relatif à ce fait .
c
גכ
Du Dimanche , 6 Novembre.
Organe des comités colonial & de marine réums
, un membre a déclaré , pour toute ſubſtance
d'un rapport ordonné , que les comités n'ayant pas
d'autres détails à expofer que ceux qui étoient déjà
( 120 )
connus , ne pouvoient propofer aucune mefure
déterminée ; mais qu'il falloit prier le Roi d'envoyer
des fecours plus confidérables aux colopies ,
& que le miniftre fût tenu d'en rendre compte fans
délai .
« La conftitution , s'eft écrié M. Merlin , me
femble établie far des bafes qui s'entre- détruilent.
Toujours le pouvoir exécutif s'efforcera d'atténuer
le pouvoir législatif. On envoie trois mille
hommes & des munitions qui nous manquent en
France , pour venger la querelle des blancs & des
noirs... La méditerranée va voir nos flottes protéger
le commerce François , contre un ennemi
(le Dey d'Alger ) qui , s'il l'étoit réellement , ne
feroit pas affez dangereux pour qu'il vous forçât
à engloutir le numéraire qui vous refte. Dans l'in
térieur , les prêtres factieux néceffitent , dit-on ,
de rappeller les troupes des frontières . Des arrêtés
impolitiques de directoires mettent les citoyens
aux mains avec les troupes de ligne... Dans ces
circonftances , on vous demande d'autorifer le
miniftre à envoyer de nouvelles forces co Amerique.
Ah! mon ame indignée s'eft refufée à votre
arrêté d'hier qui vote des remerciemens à la nation
Angloife pour le foin qu'elle a pris de s'unir
à des hommes , pour river lesfers d'autres hommes;
aujourd'hui vous voulez vous hâter de referrer
cette chaîne & vous oubliez que c'est par de
faintes infurrections que vous avez rompules vôtres.
Soyez donc confequens avec vous - mêmes , ou
attendez-vous , avec vos principes d'aujourd'hui ,
>
applaudir bientôt Léopold & les autres tyrans du
monde , quand ils auront anéanti votre liberté...
Le miniftre doit veiller à la sûreté de vos ifles:
contre ceux qui voudroient s'en emparer ; mais
jamais

( 121 )
jamais contre des hommes à qui la conftitution
dit qu'ils étoient nés libres , & qu'i's demeureoient
tels " .... Au milieu des murmures d'une
partie de l'Allemblée & des applaudiffemens rcdoublés
des galeries , ce nouveau Roberfpierre a
conclu à la préalable .
M. Cambon a tâché d'oppofer des lettres d'inconnus
aux lettres officiel es d'Angleterre , & il
a piétendu que l'invitation au Roi d'augment r
Tei voi des troupes , étoit inconftitutionnelle , &
nuifcit à la refponfabilité . En vain , quelqu'un de
raifo: nable a-t- il dt : «J'aimerois mieux que la
refponfabilité reçût une atteinte , & que nos
colonies fuffent fecourues promptement. » L'excapucin
M. Chabot a fait fermer la difcuffion ,
& M. Coutton , applaudi des tribunes , a entraîné
l'Affemblée à paffer , encore une fois
à l'ordre du jour , fur un fujet auffi défaftreux.
Un M. Bertrand de Nifmes eft venu juftifier
, à la barre , le régiment ci- devant Dayphiné
, qui , après avoir chaflé ſcs officiers , perfifte
dans la plus coupable infubordination ; &
demander qu'il foit fuifis à l'exécution de la loi
martiale dont ce régiment eft menacé . A la fuite
d'un de ces débats qui anéantiffent tout efpeir
de difcipline , fur la propofition de M. Dumas ,
l'Affemblée a décrété que la pétition du fieur
Bertrand fera renvoyée au comité militaire , &
que le pouvoir exécutif, compromis avec des
foldats rebelles , fera connoître demain , & les
ordres donnés , & les motifs de ces ordres.
L'ex- capucin , M. Chabot , vouloit qu'un article
additionnel fufpendit la loi martiale : « En
filant pendre 30 miniftres , réparerez- vous , difoit-
il , l'affaffinat d'un régiment ? » --- Grands
battemens de mains des galeries co - délibérantes .
Nº. 46. 12 Novembre 1791. F
( 1224)
On veut , a repris M. Chabot , éloigner de
cette affemblée & les foldats & l'opinion publique.
»› -- « Je demande que l'opinant foit rappellé
à l'ordre , a dit M. Dumolard. » M. Dumolard
a été accueilli par des huées.... C'eſt
ainfi que le Roi conftitutionnel eſt le chef fuprême
de l'armée .
Un courrier extraordinaire du directoire du
département de Maine & Loire , avoit apporté
de triftes nouvelles . Trois à quatre mille payfans ,
d'abord méprifés parce qu'ils n'étoient munis que
de chapelets ; enfin redoutés , depuis qu'ils font
armés de faux , de piques & de fufils , animés
de fureurs facrées , ouvrent , à coups de hache ,
les églifes de campagne , fi pieufement fermées
par la loi de la liberté ; & des prêtres nonaffermentés
y font le fervice divin . Pour exciter
le courroux de l'Affemblée contre ce peuple & fes
pateurs , le tolérant & véridique directoire traite
ceux-ci d'incendiaires , d'ennemis fanguinaires ;
difent qu'on affaffine les prêtres conftitutionnels ;
que les villes anonymes font affiégées
près d'être réduites en cendre , & que les pres
non- conformistes dirigent tous ces crimes , &
pourroient fort bien finir par opérer une contrerévolution
. Mais comme s'il capioit une adreffe
envoyée de Paris , l'ignorant ou difcret écrivain
ne nomme ni les lieux , ni les perfonnes .
&
MM. Delaunay , Cambon , Goupilleau ont à
l'envi renchéri fur ce tableau fimple ; & le dernier
a fuppofé l'auditoire affez ftupide pour croire
que les prêtres ayent perfuadé aux payfans de la
Vendée qu'ils feroient invulnérables s'ils combattoient
pour la religion , - - Troubles pareils dans
les départemens du Nord. Dans celui de la Loire
inférieure , un curé falarié cft most avec des lymp
† 123 )
tones de poifon . Dans le département de Lille
& Vilaine , un prêtre a tué un citoyen d'un soup
de piftolet. Autant de phrafes , autant de dénonciations
fans aucunes preuves . Evidemment ,
on voit dans ces rapports concertés , dans ces
contes infenfés , un levier propre à foulever quelque
mefure violente contre les prêtres non- affermentés
-
Voilà , dit M. Ifnard , ou conduit l'impunité...
à la déforganifation fociale. Nous fommes
entraînés par je ne fais quel fyftême de tolé
ranee dont la nation s'indigne avec raiſon. De la
tolérance pour ceux qui ne veulent tolérer ni la loi
ni votre conftitution ! ... C'eſt quand les flots du
fang François auront groffi les flots de la mer ,
que l'on viendra vous infpirer de l'indulgence . II
eft temps que l'orgueil de l'encenfoir & de la
ziare s'abaiffe , comme l'orgueil du diadême , devant
le fceptre de la fouveraineté du peuple....
( Applaudiflemens univerfels ) . Ce fyftême
défordonnateur est né là , dit un autre membre en
montrant le côté droit ; & il eft fanctionné à la
cont de Rome.. Il faut des meſures vigourees
prifes hors de la loi , ajoute un troilême
Exterminateur au nom des droits de l'homme
- Il faut faire arrêter tous les prêtres nonaffermentés
, s'écrie un quatrième? -- Oui ,
oui ; aux voix , aux voix. Quelqu'un invoque
l'ordre du jour ! -- Qu'on le rappelle à l'ordre ,
dit M. Lacroix. -- Qué fon nom foit inferit dans
le procès-verbal. L'ordre du jour. C'èft une
infamie . -- L'avis de M. Merlin eft que l'Affemblée
prononce mardi fans défemparer . Non.....
Ici le tapage a été interrompu par l'audience accordée
à M. Bertrand de Nîmes ; après laquelle on
a decrété que mardi prochain , le comité de légif
14
---
ל כ
--
F 2 }
( 224 )
lation préfentcroit un projet fur les moyens de ré
primer les prêtres ( 1 .
Le refte de la léance n'a plus été rempli que
de harangues & d'adreffes..
"
Ce fut Mercredi 2 de ce mois, que les
Colons de St. Domingue , fe réuniſfant
ordinairement à l'hôtel de Malliac , préfentèrent
leur Adreffe au Roi . I's étoient tous
vêtus en noir , au nombre de plus de 100 .
L'un d'eux , M. Cormier , homme d'un
vrai mérite , & qui , depuis la Révolution,
a profeffé , avec zèle & courage, les opinions
fages que l'expérience rehabilitera ,
portoit la parole , & dit à Sa Majesté :
SIRE ,
Les nouvelles arrivées de Saint- Domir gue
» ont porté la confternation parmi les Colons
de cette malheureuſe contrée. »
« Pleins de confiance dans les fentimens que
Votre Majefté leur a témoignés , & dans fa fol
» licitude paternelle , dont elle a donné à tous les
François des preuves fi touchantes , ils ont configné
leurs inquiétudes & leurs voeux dans l'adreffe
qu'ils ont l'honneur de lui préſenter . » !
alls fupplient Votre Maj fté de vouloir bien
» la prendre en conſidération . »
Le Roi , trés- ému , répondit en ces
termes :
La Colorie doit être affurée du vif intérêt
(1) Le comité n'étant pas prêt , ce projet ne
fera rapporté & difcuté que jeudi,
( 125 )
» que je prends à elle , il ne m'eft point parvenu
» de détails officiels , j'cfpère encore que les maux
» ne font point auffi grands que les nouvelles répandue
femblent l'annoncer : je ferai prendre
toutes les mesures pour porter les plus grands
& les plus prompts fecours . »
Sa Majefté adreffant enfuite la parole à
plufieurs Colons , leur exprima fon affliction,
& chercha à verfer des confolations
& des efpérances dans leur ame. I a Députation
fe rendit enfuite chez la Reine.
M. Cormier dit à cette Princeffe :
3.
MADAMI
Dans une grande infortune , nous avions
befoin de voir Votre Majefté , pour trouver
» tout à - la- fois des confolations , & un grand
* exemple de courage. »
« Les Colons fe recommandent à la protection
de Votre Majefté. »
Ne doutez pas , répondit la Reine d'une
voix altérée ne doutez pas de tout l'intérêt
qe je prends à vos malheurs ; afiurez - en .....
la Colonie. Le Roi ne négligera aucuns moyens
» de faire porter……………….. »
;
L'excès de l'émotion ayant intercepté le
fte de la réponſe de S. M.; au fortir de
la Meffe cette Princeffe ajouta à ce qu'elle
avoit dit à la Députation ,
« Meffieurs , il m'a été impoffible de vous
répondre ; mais la caufe de mon filence vous
» en dit aflez , »
Les Colons fe rendirent enfuite auprès
de M. le Dauphing & de-là chez cette Princeffe
qui unit à toutes les vertus de fon
F3
( 126 )
fexe , cette tranquille & invariable fermeté
de caractère , apanage d'un bon efprit &
d'une ame pure."
« J'ai fenti vivement , Meffieurs , répondit
» Madame Elifabeth , les malheurs arrivés à la
» Colonie . Je partage bien fincérement l'intérêt
» que le Roi & la Reine y prennent , je vous
prie d'en affurer tous les Colons. »
Voici l'Adreffe remife au Roi.
сс
SIRE ,
« Les colons des Iles Françoifes d'Amérique
actuellement à Paris , viennent répandre dans le
fein de Votre Majefté leur profonde douleur ,

Nos propriétés font ravagées ; une panie
de nos frères font égorgés ; les autres font réduits
à défendre leurs jours contre des hommes
auxquels la féduction a mis le fer à la main , &
que l'ivreffe du fang a rendus furieux , »
Dans notre défefpoir , nous tournons nos
regards vers la mère -Patrie. ... ɔɔ
« C'eft de fon fein que font partis es
coups....
2 CC
ל כ
Depuis trois ans on s'étudie fans relâche
à lancer au milieu de nous le germe du trouble
& de la révolte . En vain nous multiplions nos
efforts pour échapper aux embuches : une fociété
que des étrangers & des hommes pervers ont
créée pour notre ruine , & pour l'humiliation de
la France , en affociant à fes travaux l'ignorance
& la crédulité , nous inonde d'écrits incendiaires
promène les émiffaires dans nos ateliers , elle
furprend enfin à l'Affemblée Nationale un Décret
imprudent , qui jetté parmi nos Nègres , interprété
par la perfidie , les nourrit Fillufions &
de funeftes efpérances , achève de brifer entre
( 127 )
eux & nous les liens de l'obéiffance & de la
foumiffion . »
« Où donc exiftera pour nous l'autorité tutélaire
, fi nous recevons la déſolation & la mort
de cette même Patric à laquelle nous confacrons
es fruits de nos travaux , que nous enrichiſſons
du produit de nos cultures , & qui nous doit
paix & protection ? »
« Au moment où cet horrible complot vient
d'éclater , l'affemblée générale de Saint - Domingue
, après avoir pris les mesures qu'elle
croyoit fuffifantes pour garantir la Colonie de
l'influence du funefte décret du 15 mai , s'étoit
hâtée de renouveller fes fermens à la France ;
elle avoit juré avec enthouſiaſme au milieu des
applaudiffemens des Citoyens , foumiffion à la
Métropole , loyale & fidèle cxécution des engage .
mens individuels ; & pendant que nos frères fe
livroient à l'effufion du patriotifme , l'abîme étoit
creuſé ſous leurs pas. »
Cependant les hommes qui trament ces
complots ofent encore fe couvrir du maſque
d'une hypocrite humanité ; c'eft nous qu'ils
accufent de barbarie , lorfqu'ils abreuvent de
fang notre terre natale ! »
Ils infultent à notre douleur par les cou
ronnes civiques qu'ils fe font décerner...
Périffent, les Colonies ! ont- ils dit à la tribune
de l'Aflemblée Nationale : & ce voeu prophé
tique retentiffant dans l'autre hémisphère , a été
le fignal de notre deſtruction . »
A peine ont- ils entraîné l'Affemblée Nationale
dans une erreur momentanée , qu'ils ont
redoublé leurs efforts pour en preffer los
effets . >>
F 4
( 128 )
Et nous les dénoncerons to jours en,
vain ! »
tice !
Et nous ne pourrons jamais obtenir juſ-

Et l'opinion égarée pourroit accorder quel
q'influence fur la fortune publique , à ces véritables
ennemis de la France & de l'humanité ! »
« Et nous verrions peut- être encore notre
deftinée dépendre de leurs intrigues !
לכ
Sire , notre caufe eft celle de toutes les
Colonies de l'Amérique ...... Notre caufe eft...
celle du Commerce François , qui ne peut féparer
fa ruine de notre ruine . Notre
caufe eft celle des Créanciers de l'Etat , que ces
événemens expofent à voir leurs fortunes anéan
ties par une banqueroute univerfelle ...
Notre caufe eft celle de fix milions d'hommes
occupés directement ou indirectement par la
Navigation , le Commerce & l'approvifionnement
des Colonies . ... Notre caufe eft celle
de la Monarchie , dont la fplendeur décheoit
par la privation de nos richeffes , & dont a
puillance maritime eft détruite , fi nous périf
fons. »
Sre , vous êtes le chef fuprême de la Puiffapce
exécutive , vous êtes le Confervateur de
la paix publique , le Gardien des propriétés ;-
nous fupplions Votre Majefté de prendre les
Colonies Françoifes fous fa fauve - garde ; nous
vous fupplions , fi notre ruine abfolue n'eft pas:
encore commencée , d'oppofer votre aurorité aux !
nouvelks tentatives de ces hommes qui ne front
Pas fatisfaits avant d'avoir comblé notre mifères ,
nous demandons de puiffans. fecours pour nos
fères prêts à fuccomber : nous demandons.
contre les auteurs de ces complots , les infor(
129 )
mations les plus févères , & la plus éclatante
juftice , »
Signés , Cormier ; Lalive , Introducteur des
Ambasadeurs ; Fontenilles ; Butler ; Patrice
Butler ; Ste.-Luce ; Hoften ; de Perfan , pour Con
fis ; Roche-Jaquelein ; Dupré ; F. Tftart ; Roberjot
du Defert ; d'Acofta ; Lefer ; Henri de
Geofre de Chavagnac , pour la mère , & pour
Charles , Augufte & Raimond de Geoffre , fes
trois fères ; de Lartor ; Reynaud ; de la Galif
fonniere ; Turpin de Jouhé ; Peyrac ; Abraham ;
le Cher Euftache de la Houffaye ; Lidebat ; d'A
quin ; Regnaud de Châteaudun ; de la Tramblaye ;
P. A. Dumouftier; de Paroy ; Bérard ; Duval ;
Lefer de Boanaban ; Abraham , jea e ; Arnault ;
Thenet ; Jochaud ; Laboiffier; Lefer de Bonnaban
; Durfort de Duras ; A. F. Perin ; Bocquet
deFrévent; Séjournet ; de Chalendray ; Vignier;
Guillaudeu -Duplifi ; Sainte-M:fme ; St.-Félix ;
Simonete de Maisonneuve ; Bellemarre ; Mont
Heart Duruy-Mortbran ; d'Crmenan ƒ de Greydon-
Monrexos , fifant pour les frères ; Maffiac ;
Grand ; A. J. M. N. de Bruny , pour M. Des
baye ; L. Trinquant ; M gallon ; Belin-Viller
neuve ; Bellanger ; A. Roberjot- Lartigue ; Aimé
Gutier; Dufourcy-Lantilhac de Sediere ; Gouve
Gabeuil L. Digneron ; Roberjot- Lartigue ;
Bauduy ; Chaftenove ; Bongars - Maffic ; Courrejolles
; l'Abbé Leclerc de St. -Etrain ; Deflandes ;
M. Dupuy-Montbrun ; Hyacinthe de Chabanon
Abbé de Paroy 5 de Villeblanche ; Charles de
Chabanon , Venanlt de Charmilly ; de Nafon
de Maillé Parouty ; Eftur- Thener ; Roftaing ;
Lafite ; Soulée ; Laborde de Merreville ; Pardaillan
; de Vezien Fournier de Bellevue ; Fourmier
de Bellevue Butler-Cormier; de Jaffaud- ;
F S
( 130 )
Butler; Malouet; Thévenin de Mélizey ; de Bat
tre ; de Soubira ; de la Garde ; de Chabaud.
Pendant que les Colons confternés recevoient
de LL. MM . & de la Famille
Royale , les témoignages d'un intérêt
paternel & fi touchant , les Briffot , les
Condorcet , & leurs échos dans le Corps
Légiflatif , s'amufoient à tourner le poignard
dans la plaie fanglante & déchirée
des Planteurs. Rufe de commerce ; - maneuvre
d'Accapareurs ; —·faux commis au
Havre ; fpéculation de tyrannie et de ca
lomnie ; impofture pour éternifer la traite,
et river les fers des Nègres ; —projet de contre-
Révolution concerté avec les Emigrans ;
-
-
-
par
entreprife fecrette pour fonder au Roi un
Empire d'Outre-mer; -à l'ordre du jour !
-Ces nouvelles font des fables de tyrans ;
que les Miniftres envoyent des fecours
s'ils le veulent ; ne nous en mêlons pas ;
ils nous répondront de leurs démarches.
Ce langage atroce étoit commenté
les Folliculaires de tout format , aux ordres
de ces fenfibles & vertueux Républicains.
Dans un ſtyle benin , ces Copiſtes de menfonges
comniandés , tournoient en dérifion
une cataſtrophe qui prive fix millions
de François de leur fubfiftance : ils faifoient
venir une lettre de Bordeaux , écrite , difoient-
ils , de Jérémie à l'extrémité de
la Colonie , & en date du 1. Septembre.
Parce que les Nègres n'étoient
pas encore
( 131 )
maîtres de S. Doniingue entier, que 600 habitationsfeulement
étoient détruites, & quelques
centaines de Blancs maffacrés , ces
honnêtes Journaliſtes eftimoient qu'il falloit
étre fans inquiétude , & qu'après sout
la révolte n'auroit aucun fuccès.
Obfervez , pour faifir l'efprit du temps ,
que s'il eût agi d'une chiquenaude reçue
par un Prêtre Conftitutionnel , de coups
de bâton donnés à un Ami des Noirs , ou
d'un fac de 1200 livres envoyé à M. le
Comte d'Artois , toutes ces plumes empoifonnées
n'auroient ni affez de glaives , ni
affez d'échafauds, pour venger les malheurs
de l'Empire.
Nous ne pouvons encore fixer l'opinion
fur l'étendue du défaftre de St. Domingue ;
aucun avis du Gouverneur , de l'Affemblée
Coloniale , des Habitans , n'eft encore parvenu
dans les Ports du Royaume. Quelques
lettres égrénées paroiffent dénuées d'authenticité
, ou font d'une date arriérée , &
ne donnent aucune lumière. On a argumenté
de ce filence en faveur de la fauffeté
des premières nouvelles , fans confidérer
qu'il en étoit vraisemblablement la confirmation
; car un péril extrême peut feul
expliquer la réferve forcée du Gouvernement
du Cap .
Quelles qu'en foient les caufes , les informations
officielles itératives , & le grand
nombre de lettres particulières arrivées à
F 6
( 132 )
Londres , ne permettent pas un doute raifonnable
fur la réalité d'une révolte défaftreufe
des Negres , dans la plaine du
Cap; fur les dévaftations , fur les meurtres ,
fur des combats , fur les alarmes , fur les
fecours demandés , fur les progrès du mal
jufqu'à la mi- Septembre. Ces faits généraux
ne font malheureufement que trop conflans :
les détails fourniffent des récits moins
uniformes , & peuvent à quelques égards
laiffer foupçonner des exagérations.
Nous tirerons la preuve de cette opinion
, des lettres apportées en Angleterre ,
d'abord par la frézate la Daphné , partie de
la Jamaïque le 10 Septembre , de la rade
du Cap François les , & entrée le 26
Octobre à Spithéad ; enfuite par le paque
bot le Carteret ( Cap. d'Auvergne ) , qui a
appareillé le 20 Septembre de la Jamaïque,
& qui eft arrivé le 26 Octobre à Falmouth.
Voici le dépouillement des principales let
tres dont ces deux bâtimens étoient chargés :
elles font adreffées à différentes Mailons
de Commerce qui les ont publiées à la
Bourfe , & enfuite dans les Feuilles publiques
. A la date du 2 Novembre , le Gouvernement
n'avoit rien fait inférer encore
dans la Gazette de Londres ; on nous ainduit
en erreur à cet égard ; mais la lettre
officielle de Milord Effingham, tranfmife
à l'Ambaffadeur d'Angleterre , & qu'on a
Jue plus haut , fupplée à ce filence Peut8133
être , lorfqu'on lira ce Journal , les incerti
tudes feront- elles diffipées par des nouvelles
directes de la Colonie. Dans le doute ,
nous nous reprocherions d'omettre ces
premières inftrictions , fi intéreffantes pour
un nombre inimene de Citoyens .
сс
« Le compte rendu à l'Amirauté par le Capi
taine Gardner , de la frégate la Daphné qui a
quitté la Jamaïque le 10 Septembre , annonce une
Carrection effrayante parmi les Nègres de Saint-
Domingue , réunis au nombre de 35,000 à 40,000
dont cinq mille ont des armes à fen. Is ont détruit
plus de 200 Sucreries , & un grand nombre de
Cafeyères : tous los Blancs qu'ils ont rencontrés
ont été maffacréș . »
Lettre écrite de Kingflon à la Jamaïque, le 6 Sept.
« Rien de nouveau à vous apprendre depuis má
dernière lettre , excepté l'infurrection alarmanté
des Noirs aux environs du Cap François , dont le
Gouverneur & l'Affemblée ont requis ros fes
cours. Par les derniers avis , plus de 50 fucreries
dans la p'aise du Cap fort in endiées , les cafes
à bagafie détruites , & un nombre confiderabie
d'Habitans & de Negrès égorgés. On craigsoft
la réunion des Gers de couleur aux Tefor
gens ; mais au contraire ils ont livré leurs f.mmes
& leurs enfans en otage , formé un Corps , attaqué
les Révoltés , & fait fur eux 80 prifonniers
qu'on a immédiatement exécutés au Cap,
« I. faut attribuer ce défafre en partie à la défurion
des Habitans , qui fe font divifés en parris
différens , ainfi que la Métropole ; & en partie
encore aux belles difcuffions fur les droits de
homme , fuivant la doctrine de M. Paine, dont
L'égalité abfolue eft le fondement. En adoptant
134 )
3
cette théorie , les Colons François fort tous devenus
Gouverneurs; perfonne ne veut être gouverné
, ni reconnoître de fubordination . J'espère
que cette application férieufè que font les esclaves
des dogmes de M. Paine , fervira de leçon à toutes
les Nations, ainfi qu'à leurs Colonies. »
Lettre du Cap du 25 Septembre ( apportée par la
Daphné. ) 1
« L'infurrection des Nègres eft parvenue au
degré le plus alarmant . 135,000 font révoltés. Les
Elpagnols ont refufé tout fecours. L'Amiral Affleck
a envoyé de la Jamaïque doux frégates & un
brigantin , ainfi que 500 fufils ; mais ce ſecours
eft infuffifant . 200 fucreries font détruites . Les
Habitans maudillent l'Abbé Grégoire & l'Affemblée
nationale . -- La Daphné met aujourd'hui à la
voile pour Portſmouth , & la Blonde , commandée
par le neveu de l'Amiral Affleck , appareiliera dans
peu de jours pour la Jamaïque je m'y embarquerai,
»
:
(On a lu dans le dernier Journal , p . 52 ,
l'extrait de la lettre envoyée par M. Brian
Edward , datée auffi du Cap le 25 Septembre
. Elle contient à- peu-près les mêmes
détails que la précédente . )
A ces diverfes dépêches , quelques Papiers
Anglois en ajoutent une da Commodore
Affleck lui-même , qui dit s'être rendu
à St. Domingue avec la Blonde & l'Alert ,
dans l'efpoir de donner quelque fecours ;
ce fecours lui ayant paru impoffible , il
étoit revenu à la Jamaïque . Il fait monter
à 35 mille le nombre des Infurgens , cam
( 1350)
pés à fept milles du Cap ; il ajoute que
les troupes avoient refufé de tirer fur eux ,
que 300 Habitans étoient maffacrés , &
200 habitations faccagées . Cette lettre.
n'ayant point été publiée officiellement , il
nous refte des doutes fur fon authenticité.
Outre les dépêches , la Daphné a encore
apporté la Gazette de Kingfton , qui eft
celle du Gouverneur & de l'Afemblée
générale. Nous avons cette Feuille fous
les yeux ; voici ce qu'elle renferme.
De Kingston , à la Jamaïque , 3 Septembre 1791 .
Mercredi dernier , M. Bugnet , Membre de
l'Affemblée générale de la partie Françoiſe de
S. Domingue, arriva ici dans un bâtiment François
parti du Cap , pour nous apprendre que les
Nègres efclaves s'étant revoltés , ravageoient les
habitations & maffacroient les Blancs qui fe trouvoient
à leur portées En conféquence , les Blancs
ne croyant pas avoir des forces fuffifantes pour
les réduire , en ont envoyé folliciter dans toutes
les Ides voifines . M. Bugnet a apporté des lettres
de M. de Blanchelande , Gouverneur , & de M.
de Cadufch , Préfident de l'Aſſemblée Coloniale ,
tant pour le Gouverneur que pour les Membres
de l'Affemblée Coloniale de la Jamaïque . Comme
cette Aſſemblée ne tenoit point fes féances , la
lettre qui lui étoit adreſſée a été remiſe à M.
Georges French , Secrétaire , qui en a ſur-le-champ
donné avis aux Membres qui fe trouvoient en
ville . Ces derniers fe font auffi- tôt aflemblés au
nombre de huit . Voici la lettre de M. de Cadufch,
qui leur étoit adreffée, »
( 136 )
Du Cap , 24 Août 1791.
Meffieurs , la ruine de S. Domingue femble
inévitable . En an inftant cette belle contée ne
fera qu'un monceau de cendres . Déja fes Habi
tans ont bigné de leur fang la terre qu'ils avofene
fertilifés à la fueur de leur front...... Dans cet
moment même , les flammes confument.ces prosi
ductions qui contribuoient à affurer la fplendeur
de l'Empire François . Les défolatcurs de nos
propriétés nous environnent des feux de la guerre ,
& nos cfclaves font armés pour notre deftruc
tion . La Philofophie , qui ne devroit donner que
des confolations à l'homme , a porté chez ʼn us.
le défelpoir. Sans fecours & reduite à la dernière
extrémité, la Colonie de Saint- Domingue
cherche des amis & des protectcars parmi les
Puiffances qui l'entourents ... Nous ne vous di
fons rien de votre intérêt particulier & des risques
que your courez vous mêmes . Cette trompeufe
philantropie , dangereufe pour le régime polítique
qui nous eft commun , peut apporter chez vous
les mêmes calamité , fi le mal n'eſt pas foudain
arrêté. Nous réclamens la générofite quf carac
téife votre Nation , & nous vous demandons
des fecours avec franchiſe & confi net . »
c
Dans ces Centimens , l'Aff mb'ée génér de a
député M. Baghet , l'an de fes Membres ; pour
vous expofer la fituation de la Clopie. I vous
préfentera , pour autorifer la miffion , is
1º. « L'acte qui nous conftitue les vrais rel
préfent ins de S. Domingue ;
2.
O
сс Si commiffion ; »
3' Une proclamation
pour folliciter des fe- Cours des Puiffances voilines. »
J'ai l'honneur d'être , &c.
Signé P. DE CADU'S CH , Préfident
( 137 )
.
« M. Bugnet a rapporté que , dans la matinée
du 23 Août , les Nègres de habitation
Chabaud , fituée à 4 lieues du Cap Francois ,
au Haut- Limbé , le révoltèrent contre les Blancs
de la même habitation , les maffacrèrent & mirent
Loudain le feu aux bâtimens & aux cannes . De- là
ils s'avancèrent vers le Cap. Is furent joints
par les Nègres qu'ils rencontrèrent fur leur route
& dans les habitations qu'ils traversèrent . Les
Blancs , qui ne purent pas fe fauver dans la
ville , furent également égorgés . Toute cette
journée n'offrit qu'une fcène de défolation &
d'horreur. Les Blancs fuyaient de tous les quartiers
de la plaine pour le réfugier dans la ville. »
Les rebelles marchèrent fans s'arrêter julqu'à
2 milles du Cap. On croit que le foir ils
étoient déjà au nombre de . 1500. Pendant ce
temps- là les Habitans de la ville , craignant que
les gens de Couleur ne fuffent les principaux
auteurs de la confpiration , prirent des mefures
pour s'affurer d'eux : mais les Mulâtres fe rendirent
fans aucune réſiſtance , livrèrent leurs
femmes & leurs enfans pour garans de leur fincérité
, & s'offrirent pour aller à la pourſuite
des rebel'es. On balança à accepter cette offie ;
mais enfin on les arma au nombre de 600
qui partirent avec deux Compagnies d'infanterie
& un corps de cavalerie . Ils rencontièrent le
même jour les Nègres dans la plaine du Cap .
Le combat ne dura pas long - temps , les Nègres
pritent la faite. 100 d'entreux farent tués fur
la place , & on en prit 80 qu'on mit à mort .
en arrivant au Cap . On dit que ces barbares
ont entièrement brûté une foixantaine d'habitations
; mais on ne favoit pas encore , au
départ de M. Bagnet , le nombre des Blancs
qu'ils avoient tués, »
( 138 )
« Ils étoient encore en force ; cependant ils
fe retiroient vers les montagnes , brûlant & ravageant
toutes les habitations qu'ils traverfoient ;
ce qui faifoit craindre que la révolte ne devînt
générale.
כ כ
« Le Gouverneur de la Jamaïque a foudain
tenu un Confeil , auquel ont afliſté l'Amiral
Affleck , le Major Général Williamfon , ainfi
que M. Bugnet & quelques autres François . En
conféquence , on a accordé à M. Bugnet la permiffion
d'acheter des armes , des munitions &
des provifions . Nous ignorons fi on leur fournira
d'autre feçours .. Cette malheureufe nouvelle
ne nous offre pour le moment qu'une obfervation
importante ; jam proximus ardet paries, »
Le paquebot le Carteret , parti de la
Jamaïque après la Daphné , a confirmé
les premières informations , & fait connoître
quelques particularités nouvelles ,
contenues dans les lettres , dont voici
Pextrait.
cc --
Port-Royal, à la Jamaïque le 8 Septembre.
« La plus défaftreuſe révolte a éclaté à St.
Domingue. Les Nègres ont égorgé nombre de
Blancs , & totalement détruit s des plus riches !
fucreries dans la plaine du Cap. Les Blancs
qui ont pu échapper fe font réfugiés dans
ville. Nous avons reçu une Députation del 'Af
femblée Coloniale ; on n'a pû leur fournir des
troupes qu'elle demandoit avec inftance ; mais
on leur a fourni des armes , des balles & des
provifions. >>
« Deux frégates & un floop de guerre appareillent
demain pour le Cap , où je pafferai
fur l'un de ces bâtimens , afin de conftater par?
moi- même l'état des choſes, »
4
( 139 )
La maifon de Londres , à laquelle cette
lettre étoit adreffée par le Carteret , en a
reçu une feconde du même Correfpondant,
par la Daphné qui , ( on ne doit pas l'oublier
) partie de la Jamaïque le 10 Septembre
, n'a fait voile du Cap que le 25.4
·Du Cap , le 24 Septembre.
Je vous informai le 8 , par le paquebot que
je paffois à St. Domingue fur une des fiégates:
envoyées par notre Gouverneur dans cette rade ,
avec ordre d'y déployer fon pavilion , pour effrayer
les rebelles . 15,000 d'entr'eux , armés ,
font à cinq mil'es de cette ville. Depuis un mois
on les a laiffé fe fortifier & s'affermir , fans
avoir tenté aucune entrep rife fuffifante pour les
déloger . Ils ont incendié & ravagé devant eux ,
jufqu'à ce jour , 221 fucreries & environ Goo
cafeyères. On ne compte pas ici plus de 800
hommes de troupes réglées : le refte font des
milices dont une partie n'a pas d'armes on
en a demandé avec des munitions aux Colonies
voifines. M. de Blanchelande , Gouverneur
pafle pour être divifé d'opinion avec les Partis.
qui règnent ici ; & je ne compters réelle-ment
pas comment il peut agir. Lui & les autres
Officiers en autorité , fuppofés Ariftocrates, font:
exposés à la jaloufic défiante des Démocrates , ›
bien plus puiffans.
""
Les Nègres ont tenté de s'emparer du Cap
& de l'incendier. Heureuſement on les a repouflési
avee une perte confidérable . On porte à 4,000 .
le nombre de leurs morts ; mais je crois cet état
font exagéré. Je regarde comme étant dans un
danger éminent, cette malheureufe Colorie qui
ne peut recevoir de la Métropole que des fecours™
tardifs. On a pratiqué une eftacade autour de la
( 140 )
ville ; les rues font garnies de chevaux de frife .
$.x
potences font dicflés fur une des places. Je
n'imagine pas un plus trifte fpectacle de défolation
& d'horreur. »
::
On affure qu'au Port au- Prince les Mulâtres
fe font réunis aux Nègres ici ils font restés
fidèles , & agiffent contre les Révoltés, » ult
De Kingston , le 17 Septembre.
Samedi dernier , le S hooner le Zenon eſt
arrivé du Cap en cinq jours , avec des lettres
pour S E. , & pour l'Amiral. SE. Il confirme la
ruise de la plaine du Cap , & le maffacre des.
Blancs . Les rebelles ont tenté une entrepriſe
fur la ville du Cap ; mais un Corps nombreux
de Gens de couleur & de Nègres libres , raffemblé
& commandé par M. de Rouvray , les
a repouflés avec perte de 4000 d'entr'eux ; le
nombre des prifonniers eft confidérable ; on en
a fur-le- champ exécuté plufieurs . Cette déraite
a fuípendu les maffacres & les dévaſtations ultérieures
quelques-uns des Révoltés ont mis
bas les armes ; les autres fe font réfugiés dans
les bois. Les Paroifles épargnées dans le Nord
de la Colonie font le Cap , le Dondon ; le
Fort Dauphin , & Ouanaminthe..
« Nombre d'Habitans de St. Marc , des Gonaïves
, & de l'Artibonite , avec 200 Soldats)
des bataillons d'Artois & de Normandie fe font>
poftés dans le Morne des Gonaïves , qui féi
pare la partien Nord de celle de l'Ouest . Le
Port-au Prince eft dans les plus vives alarmés 3
quoique les Esclaves n'y foient pas encore ouver
rement révoltés . Un Corps de troupes tant réglées!
que de milice , ne quitte pas les armes .
Beaucoup de Familles Françoifes font ar
rivées ici , & l'on en attend un plus grand
nombre » .
%
Jubil
( 441 )
Le Miniffre de la-Marine qui , dans cette
triſte circonftance , a donné les preuves les
plus eftimables de fa fenfibilité , de fon
zèle , de fon activité , a fait paffer fans
délai dés ordres dans nos Ports. Quelques
bataillons vont s'embarquer tout de fuites
On expédiera les fecours en Soldats & en
Vaiffeaux , à mesure qu'ils feront prêts , &
fans attendre de convoi général . Divers
régimens ont , dit- on , refufé de s'embar
quer. Si les équipages & les Soldats continuent
à être infectés de l'efprit de licence
qui rend leurs fervices fi dangereux , la
Colonie eft irrémédiablement perdue , foit
par les fuites du danger où elle fe trouve
enveloppée , foit par la néceffité où l'on
Paura mife , de fe donner au premier Protecteur
qui fera en état de la défendre. On
ne pense pas fans frémir que dans prefque
tous nos Ports , ces Sociétés qui , en fubvertiffant
l'Etat , ofent prendre l'hypocrite
fobriquet d'Amis de la Conflitution , ont
été fimultanément les Promoteurs , de l'indifcipline
des Corps Militaires & de
Marine , & les trompettes des Amis des
Noirs.
Le Gouvernement Anglois a fait partir
tout de faite un paquebot pour la Ja
maïque , avec des dépêches à Milord
Eingham, que nos imbécilles Folliculaires
nomment puérilement Monfieur Effingham ,
pour fe donner un air de dignité Répu
( 142 )
blicaine. Sans doute , on aura remarqué
, & le Gouvernement Britannique ne
laiflera pas échapper l'affectation avec
laquelle , au lieu de remercier le Roi & le
Miniftère , l'Affemblée Nationale a adreffé
l'expreffion de fa, gratitude à la Nation Angloife
: conime fi la Nation Angloife gou
vernoit la Jamaïque , donnoit des ordres
au Gouverneur , décidoit de fecours à refufer
ou à donner ! I
J'ofe prendre fur moi d'affurer qu'aux
yeux du Peuple Anglois , ce contours étudié
fera confidéré comme une espèce d'infulte
faite au Roi d'Angleterre. Ce Monarque
eft d'un caractère affez élévé pour la dér
daigner ; mais les Etrangers y appercevront
certainement où un enfantillage de Collége,
où le deffein de ne reconnoître d'autre Souverain
& d'autre Gouvernement , que les
Nation's.
P. S. Au moment où nous finiffons les
extraits précédens , nous apprenons qu'il
eft arrivé hier , Lundi , des dépêches officielles
de M. de Blanchelande , & des lettres
particulières du Cap ; les unes & les autres
en date du 2 Septembre , par confequent
antérieures à celles qu'on a reçues par l'Angleterre.
Elles ne confirment que trop l'in
cendie & le faccagement univerfel de la
plaine du Cap depuis le Port Margotjufqu'à
Jacquezi. Cette opulente Contrée , cet
édifice de richeffes agricoles & Commer
7x435)
ciales , fruit de deux fiècles d'induftrie &
de travaux , et un monceau de cendres ,
détrempées dans le fang. Les autres détails
font à peu près les mêmes que ceux dont
nous avons fait mention : la Colonie invoque
, & attend avec anxiété , les fecours
des Anglois , des Efpagnols , & de la Métropole.
On ne rendrà pas le défefpoir des
Colons , des Négocians , des Villes maritimes
, dont cette cataſtrophe renverſe la
fortune.
Second P. S. M. de Blanchelande , dont la
lettre défigurée par les Feuilles publiques , eft
maintenant fous nos yeux , ne laiſſe aucun doute
fur le projet d'une confpiration générale , qu'on
fourçonne avoir été tramée par des Blancs Philantropes,
envoyés de France pour occafionner cette
abominable Révolution . Elle a éclaté le 22 Août
dans la plaine du Cap , entièrement incendiée
de l'Oueſt à l'Eft , depuis les Paroifles de Plaifance
& du Borgne exclufivement , juſqu'à celle
du Trou & de Vallière , auffi exclufivement. Divers
poftes extérieurs ont été établis ; mais l'Affemblée
Coloniale , contre le premier avis de M. de
Blanchelande , a refufé de le laifler fe mettre en
plaine avec le Régiment du Cap , réduit par les
détachemens à fix cents hommes . La terreur fundée
qu'on a des efclaves renfermés dans la Ville ,
foyer du complot , a fait avorter ce moyen d'écra
fer les révoltés qui continuent à faccager la plaine
fans empêchement. Le Gouverneur Eſpagnol de
St. Domingo a ptomis d'envoyer quelques troupes
fur les frontières . M. de Rouvray , Maréchal
de Camp, commande soo hommes à l'Et pour
( 144 )
--
garantir le Fort Dauphin & autres Paroiffes non
entamées. 3co Soldats du Port au- Prince gardent
les Gorges des montagnes , afin de préferver la
partie Oueft & Sud de la Colonie. M. de Blanchelande
fe plaint des troupes patriotiques peu pénétrées
de l'efprit d'ordre & de difcipline. Il avoit
dreffé une Proclamation pour faire rentrer les Nèdans
le devoir : l'Affemblée Coloniale s'eft
oppolée à cette mefure. On apperçoit dans cette
lettre l'affreux danger de ce conflict conftitution
nel d'autorités . M. de Blanchelande demande
15,000 fufils , &c .
gres
Une lettre de M. Taufia en date du premier
Septembre manifefte la crainte que les Nègres du
Cap he foient dans le complet. Plufieurs autres
lettres confirment ces alarmes : elles ajoutent que
les Mulâtres même ont participé à la trame ; mais
qu'à la vue du faccagement , & craignant pour
Jeurs propriétés , ils fe font réur is aux Blancs . Les
Révoltés ont un étendard fur lequel on a gravé
le mot de liberté , & les Droits de l'Homme .
"
Enfin , hier au foir , Mardi , on a lu à l'hôtel
de Maffiac , une lettre du Cap , adreſſée à M.
Fouache du Havre & en date du 25 Septembre.
Elle cor firme ce qu'on a lu dans les lettres
Angloifes de la même époque : on a forcé les Révoltés
à lever plufieurs de leurs petits camps ;.
mais le camp principal formé d'environ 15000
Nègres , eft toujours à la Petite Anfe fur l'habitation
de Galiffet. Les autres ont gagné le
-pied des Mornes . La révolte a gagné les hauteurs
de Léogane , & du Port-au- Prince. Dans
cette dernière Ville , les Mulâtres fe font réunis
aux Nègres , & ont forcé les Colons à ratifier le
Décret du 15 Mai , & à y ajouter encore d'autres
-conceflions .
60
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 19 NOVEMBRE 1791 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LE PRINTEMPS .
I D Y
1
L L E.
-L'AQUILON loin de nous a porté fes ravages ,
Le doux Zéphir a chaffé les frimas .
Et le Soleil difperfant les nuages ,
Da feu de les rayons échauffe nos climats :
L'air retentit de chantons d'a'égrelles
Par tout l'agréable gaité
Succede à la fombre trifteffe
Par-tout à mon oeil enchanté
S'offre l'heureux tableau de la fécondité :
Ainfi quand de noires tempêtes
Avec furie ont grondé fur nos têtes ,
Après une nuit de terreur ,
N°: 47. 19 Novembre 1791 . E
74 MERCURE
L'Aftre du jour dans fa fplendeur
Paraît aux portes de l'Aurore ,
Confole l'homme , & ranime fon coeur
Pour le Dieu puifant qu'il adore .....
Comme l'amour renaît au retour du Printemps !
Les oiſeaux à l'envi répetent fes accens ;
Sous l'humble toit qui la vit naître ,
L'Hirondelle vient donner l'être
A des petits , qui viendront à leur toar
Chanter dans cet aimable afile
Leurs tranfports & l'hô e tranquille
Qui laiffe en paix le fruit de leur amour .
Entendez le Serin ; fon langoureux ramage
Attendrit fon Amante au fond de ce bocage ;
Le Roffignol , preffé par l'amoureux défir ,
Appelle tendrement fa compagne chérie ,
Ils s'envolent enſemble au bois , à la prairie ,
Et fans.ceffe avec eux emmenent le plaifir.
Que votre f rt eft bien digne d'envie !
Heureux oifeaux , jamais la jaloufie
Ne vient troubler votre bonheur ;
Vous vous aimez toujours avec la même ardeur ,
Toujours vous chér ffez yotre jeune famille ,
Elle eft l'objet de vos foins les plus doux :
Tantôt à vos cô.és je la vois qui fautille ,
Tantôt elle s'effaie à voler avec vous.
Tel qu'il eft dans les bois l'amour eft au village ,
On n'y connaît que fon fimple langage ;
DE FRANCE.
75
L'Amante fans détour entretient fon Amant ,
Et jamais fon aveu n'eft fuivi du ferment ;
Elle aime c'eft affez , elle fera fidelle ;.
Mais à la ville , hélas ! tout n'eft que fauffeté ,
Et plus on prend l'air de la vérité ,
Plus on eft près d'être infidelle :
Dans ce féjour affreux le plaifir corrupteur,
En féduifant l'efprit empoifonne le coeur.
Petits oiſeaux , tendres Bergeres ,
Que vous êtes heureux ! quelles font nos miferes !
Auffi- tôt que nous fommes nés ,
Livrés fouvent à des mains étrangeres ,
Hélas ! nous n'avons point de meres ,
Au plus cruel exil nous fommes condamnés ....
Vous dont l'ame infenfible au cri de la Nature ,
De l'amour maternel étouffe le murinure ;
Vous qui facrifiez danswos lâches défirs.
Le doux titre de mere à d'indignes plaifirs ,
De vorre cruauté craignez la récompenfe ..
Peut-être vos enfans verront votre tombeau
Avec la même indifférence
Que vous avez vu leur berceau ....
•Mais chaffons loin de a
e nous ces funeftes images ,
La Natura m'appelle ; & fes rians ouvrages
Offrent à mes crayons le plus riche tableau :
De tous côtés , elle étincelle
Des charmes les plus féduifans :
Le bon Lyfis foutir la revoyant fi belle ;
E 2
76
MERCURE
Mais il ne peut rajeunir avec elle ,
Et cette idée attrifte fes vieux ans.
Si tu coulas tes jours au fein de l'innocence ,
Sage vieillard , ne craius pas de mourir ,
Un bonheur qui pour toi ne doit jamais finir ,
De tes vertus fera la récompenfe.
Jouis en paix du fpectacle fi beau
Qui vient égayer ta vieilleffe ;
Vois tes brebis bondir fur ce côteau ,
Vois la campagne & la richeffe
Et fois long-temps encor l'ornement du hameau .
Difparaiffez , ô Tempé ! Theffalie !
féjour trop délicieux ,
?
Vous qu'embellit la Poéfie
Des attraits les plus gracieux !
Les Aquilons & les orages
Refpecterent toujours vos vallons enchantés.
Difparaiffez : vos brillans payſages រឺ
Fatiguent mes regards trop long-temps arrêtés ;'
La Nature à mes yeux eft bien plus féduifante
Alors que les Zéphirs , des frimas blanchiffans ,
Ont chaffé l'horreur impofante :
C'eſt à l'Hiver qu'on doit le chaime du Printemps .
Avec quel doux plaifir je reyois la verdure l
Ce Soicil bienfaifant , ce ciel pur & ferein yo
Cette fraî . heur d'un beau mating
Agiffent fur mes fens comme fur la Naturë.
G
Avec quel vif tranſport fur un tronc dépouilié ,
DE 77 FRANCE.
Je vois ici renaître le feuillage !
Là le gazon , des pleurs de l'Aurore móuillé ,
Des plus riches rubis me montre l'alleinblage ;
Plas loin far fon frêle rameau ,
I
Je vois briller le bouton de la Rofe ,
Er la fleur du Lilas nouvel'ement écloſe ,
Exhale fes parfums auprès d'un jeune ormeau
Que je plantai le jour que ma Maîtreffe ,
En s'uniffant à moi couronna ma tèndreſſe.
Dans ces jardins tant furchargés de ficurs ,
Dans ces parcs qu'aligna la'trifte fymmétrie ,
Qu'un mortel indolent froidement s'extafie !
J'aime bien mieux ces bofquets enchanteurs ,
Le tapis de cette prairie ,
Et le défordre heureux de fes fimples couleurs .:
D'un verger l'utile parare ,
10
Du Roffignol les tanfports & les chants ,
D'an clair rail au le languiffat murmure ,
Flattent mon coeur & penetrent mes fens....
Calme délicieux que j'ignorai long- temps ,
Tu me fuivras dans le paifible afile , 1
Où loin des plaifirs de la ville , chrie !
Dont le charine eft fi trompeur ,
50
Je vais goûter une volupté purednoj od va
C'eft , eu contemplant la Nature
Que l'homme trouve le bonheur,
"
4
& t
nicy Par un Abonné. )
E 3
78
MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade el Orage ; celui de
l'Enigme et Malle ( du Courrier ) ; & celui
du Logogriphe ett Lievre, où l'en trouveVer
Rue, Vire, Elie, Lie, Lire, Re, Livre.
CHARADE.
Tr
EL qui fait mon premier
Enfile mon dernier
Pour faire mon entier.
( Par un Abonné. )
ÉNIGM E.
AH fe fépare qui voudra ;
Loin de nous Thorreur du divorce ; "
C'eft l'union qui fait la force
Et toujours elle nous plaira.
Nous fomities deux notre partage
Eft d'avoir même volonté. ( To
Qui nous contemple voit l'image
De l'innocente volupté.
C
TI
DE FRANCE. 79
Que la Belle , la Dulcinée
De nous craigne de s'approcher :
Nulle n'eft auffi bien tournée ,
Nulle n'eft fi ferme au toucher.
Nos formes font toutes jolies ,
Mignones , & bien arrondies.
L'Art fe plut à nous modeler.
Joints d'une étreinte mutuelle ,
Sur un fil , dans notre ruelle ,
On nous voit tous deux nous rouler. [
L'on s'agite , l'on fe trémoulle ,
On s'éleve , on s'abaile , on pouffe
Repouffe alternativement :
Toujours plus frais , chaque fecouffe.
Nous donne un nouveau mouvement. )
Ni l'un ni l'autre ne fe laffe ,
Nous ne pouvons nous défunir ;
Et dans les tranfports du plaifir,
Si par accident le fil caffe ,
Sur un autre on nous voit courir ;
La nouvelle ardeur qui nous pouffe ,
Nous élance encore plus haut ;
C'eft foubrefaut fur foubrefaut ;
Et le tout vient d'un coup de pouce.
( Par l'Auteur du Bouquet à M. Necker. >
E
4
MERCURE
LOGOGRIP ME.
ON peut me voir différemment ;
A me donner un feus phyfique
Lecteur , je fuis le complément
De plus d'un travail mécanique.
Pour me difcerner fans effort ,
Cherche l'objet de maint Artifle ,
Par exemple , de l'Ebénifte
Dans les ouvrages de rapport.
Au fens moral , confidérée
Dans ma plus noble acception ,
Je régnais au fiecle d'Aftiée ;
C'eft une belle fiction !
Pour être , au vrai , mieux défiguée ,
Je vais découvrir à tes yeux
Mon immuable deftinée :
Mon regne eft fixé dans les Cieux ;
Rarement j'habite la Terre ;
Quand l'inconftance des humains.
Me livre conftamment la guerre ,
Mes foins pour le bonheur fant vains ;
Si quelquefois de Thyménée
J'immortalife les ardeurs ,
Ma rivale attiédit les cours
Trop fouvent dans moins d'une année ;
DE FRANCE. $1
Le choc de divers intérêts
Détruit bien yîte mon Empire ;
Le monde ainfi dans le délire ,
Méconnaît toujours mes bienfaits.
De cinq pieds , la feule ordonnance
Peint la douceur de mes attraits ;
Si tu décompofes mes traits ,
Crains de profaner mon effences,
Quand le tiffu de mon entier
Te préfente l'affirmative ,
Par un contrafte fingulier ,
Il t'offre auffi la négative ;
Je hais toute divifion ;
Refpecte donc ma contexture ;
Je dois pataître toujours pure
Sans la moindre altération.
( Par M. Révial de Narbonne .)
)
Es
MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LA Caufe du Pape , avec la Réfutation
d'un Ouvrage imprimé fous le titre d'Entretiens
familiers de deux Curés du Département
de l'Orne ; par M.L.....
POUR le Pape : Réponse à un fougueux
Ecrit ; par M. L... A Paris , chez les
Libraires qui vendent les Nouveautés
.
Nous réunions dans un même Article
ces deux Brochures du même Auteur &
fur le même objet. Leur date les rend
curieuſes ; c'eft en 1791 qu'un Français
qui même affure qu'il n'eſt pas Eccléfiaftique
, foutient l'autorité du Pape dans.
toute la plénitude qui ne lui eft accordée
que dans les pays qu'on nomme d'Obédience
; juftifie les Réferves , les Expectatives
, les Apps lations , les Difpenfes , &c.
comme étant de droit divin ; prétend qu'
eft de foi de regarder & de traiter les Hérétiques
comme nos ennemis , & que c'eft
un crime de communiquer avec eux. En un
mot , ces deux Feuilles font écrites comme
elles auraient pu l'être par un Docteur de
DE FRANCE. 85.
Univerfité de Coimbre , ou par un Inquifiteur
de Goa , avec cette différence
qui n'eft pas moins finguliere que tout le
refte , que dans une difcuffion polémique
& théologique , il n'y a ni colere, ni injures ,
ni amertume ; que l'Auteur combattant
un Apologifte de la Conftitution civile du
Clergé , qu'il trouve attentatoire à l'auto -`
rité & à la doctrine de l'Eglife , s'exprime
toujours avec le fang froid d'un homme
qui expliquerait une théorie mathématique,
& nous cite gravement toutes les rêveries
de l'ancienne Théologie , celles même qui
font tombées en défuétude , comme on
déduirait des corollaires de Géométrie. Il
eft impoffible de délirer plus tranquillement
, & de montrer dans la déraifon une
conviction plus calme & plus entiere :
voilà donc où nous en fommes encore !
Oui , beaucoup d'hommes en font là an
1.8 . Siecle ; tel eft le fruit de la funefte
éducation confiée aux Prêtres d'un bout
du Royaume à l'autre. Pauvre efprit humain
Quand tu as été fauffé dès l'enfance,
qu'il eft difficile de re redreffer ! &
que ceux qui s'étaient exclufivement attribué
le droit de conduire nos premieres
années favaient bien ce qu'ils failaient !
-C'ett une espece de prodige que l'on ait
pu renverfer cette terrible puillance fondée
fur les premieres habitudes. Er à qui le
devons-nous ? Ne nous laffens point de le
E 6
MERCURE
répéter à l'Imprimerie , qui femble , en
vérité , un préfent du Ciel , & qui feule
a mis la Philoſophie à portée d'éclairer les
hommes.
Un des argumens dont fe fert M. L....
pour prouver que la Conflitution civile
du Clergé eft contraire à la Religion , c'eſt
qu'elle force les Prêtres & les Evêques à
communiquer avec les Hérétiques reçus
aujourd'hui dans tous les emplois. Il s'appuie
de ce paffage de l'Evangile : Que
celui qui n'écoute pas l'Eglife foit traité
comme un Païen & un Publicain . » Il faut
donc ( dit-il que tout rebelle à l'Eglife,
tel qu'un Proteftant , foit regardé par
» un Catholique comme un proferit , puif-
" que Dieu l'a prononcé , & que Dieu
" ne parle pas en vain le Proteftant eft
dans l'état d'abjection tant qu'il reftera
» dans fon aheurtement & fon opiniâtreté
"
23
و ر
M. L..... me paraît mal appliquer le
paffage de l'Evangile , qui fignifie feulement
que le Prote'tant où l'Hérétique doit
être hors du fein de l'Eglife ; c'eſt-à- dire ,
ne participer à rien de ce qui tient à la
Communion eccléfiaftique : mais cette prof
cription fpirituelle ne touche point à l'état
civil & politique . Il eft étrange qu'il faille
rappeler fi fouvent une vérité fi palpable.
Remarquez encore qu'il faut bien que
l'Eglife n'ait pas pris à la lettre , même
DE FRANCE. 85
dans le fens fpirituel , les paroles de Jésus-
Chrift ; car elle n'exclut ni ne profcrit
nos Publicains . On a toujours très bien
reçu dans l'Eglife & leur perfonne & furtout
leur argent , felon cette autre parole
de l'Evangile , où l'on trouve tout ce qu'on
veut Faites vous des amis de la Mam-.
mone d'iniquité.
"
Pourquoi n'y aurait-il pas ( dit M. L ... )
» une Hiérarchie entre les Evêques ? La
» Théologie enfeigne qu'il y en a même
» une dans le Ciel , qui fe dit de la fubordination
entre les divers Choeurs, des
Anges . Selon Saint Denis , il y a neuf
Choeurs ou Ordres des Efprits bienheu-
» reux , divifés en trois Hiérarchies : en
» terre , le Pape , les Archevêques , les
Evêques , les Curés compofent la Hié-
» rarchie de l'Eglife ".
"
"
Je ne m'y oppoſe pas , & il peut y avoir
de bonnes raifons pour qu'il exiſte des
degrés dans l'autorité eccléfiaftique comme
dans le pouvoir civil. Je crois cependant
qu'on a bien fait de fupprimer la diftinction
des Evêques & Archevêques qui n'était
pas des premiers fiecles , & qu'il ferait
difficile de fonder fur aucune différence
réelle ; mais ce qui m'étonne , c'eft qu'on
appuie cette Hiérarchie non pas fur des
raifons de convenance & d'utilité , mais
fur l'analogie des Choeurs céleftes . La Hiérarchie
du Paradis n'a été révélée à per86
MERCURE

fonne ; elle n'eft pas de foi ; le Pere Eternel
lui feul fait ce qui fe paffe à ſa Cour
& il eft permis de demander à St. Denis
d'où il tenait fes mémoires fur les neuf
Choeurs des Anges & les trois Hiérarchies.
St. Paul a été plus diferet : il avait tout
vu , lui , & il a eu la fageffe de ne rien
dire. Peut-être a-t-il eu peur du proverbe :
A beau mentir qui vient de loin , & c'eſt ,
venir de loin que de defcendre du 3 ° . Ciel .
On trouve ici une diftinction plaifante
& qui pourra paraître neuve à propos
d'un paffage de l'Evangile de St. Jean
dans lequel Jéfus - Chrift dit d'abord à
Pierre : Paiffez mes agneaux ; & enfuite,
Paiffez mes brebis : fur quoi l'Auteur nous
donne l'explication fuivante : " Pourquoi
Jéfus - Chrift s'eft - il fervi des termes
» d'agneaux & de brebis , quand il a or-
» donné à Pierre de les paître ? Parce que
les agneaux font tous les Fideles , & que
les brebis font les Pafteurs mêmes , &
» que Pierre eft le Patteur & des agneaux
» & des brebis. «.
23
Il faut que l'envie de plaire au Pape
& d'établir fa fuprématie ait rendu bien
fubtil l'efprit de fon défenfeur. Je ne fais
ce que le Saint Pere, penfera de ce fingu
lier commentaire ; mais je doute que les
Evêques , qui fe font toujours regardés
comme Pafteurs , foient contens d'être
métamorphofés en brebis par la baguette
DE FRANCE. 87
magique de M. L... encore s'il en avait
fait les chiens du troupeau dont le Pape
eft le Pafteur ; la Hiérarchie aurait , ce
me femble , été mieux oblervée . Mais de
Pafteurs devenir brebis ! c'eft , à peu près ,
( fi l'on ofait badiner fur un fujet fi grave )
devenir d'Evêque Meunier. D'ailleurs , les .
brebis & les agneaux ont toujours été en
très - bome intelligence ; au lieu que les
quailles de nos Evêques fe font fouvent
plaintes d'être tondues de près par leurs
Pafteurs. D'après toutes ces réflexions , je
doute que la nouvelle glofe de M. L .....
falle fortune dans la facrée Faculté.
Il vent prouver que la Conftitution civile
du Clergé touche au fpirituel , & voici :
comme il raifonne : On a enlevé à des .
"3

Evêques des fonctions facrées dans lef-
» quelles ils avaient été inftitués par le
» Vicaire de Jéius-Chrift; c'était une grace
» de Dieu & du Saint-Siége Apoftolique " .
"
Eh ! mais M. I..... , h vous êtes fort
favant dans le Droit canonique , vous ne
me paraiſſez pas um fort bon Logicien..
On n'a enlevé aux Evêques ni ces fonctions
facrées , ni ces graces de Dieu & du
Saint - Siege. Le pouvoir civil ne s'étend
pas jufque- là , & n'y a pas penſé. Ces
graces & ces fonctions font attachées au
caractere épifcopal , & non pas au lieu
où on les exerce. L'attribution de ce lieu
eft inconteſtablement à la difpofition du
*
J
88 MERCURE
Souverain , puifqu'elle eft une conféquence
de fa nomination , & que cette nominarion
lui appartient par le Concordat de
Léon X & de François I. Il eft vrai que
des gens malins dirent alors , comme on
fait , que le Pape & le Roi s'étaient donné
réciproquement ce qui ne leur appartenait
pas ; mais ce n'eft sûrement point M. L....
qui fera de l'avis de ces mauvais plaifans ,
& pour lui tout ce qu'un Pape a réglé ,
eft certainement bien réglé or , par le
fait , la nomination à tous les Evêchés appartenait
réguliérement au Souverain , de
l'aveu même de l'Eglife ; le Roi était alors
ce Souverain , aujourd'hui c'eft la Nation ;
mais quel que foit le Souverain , les droits
de la Souveraineté font les mêmes. Les
Evêques , quoiqu'ils s'intitulaffent Evêques
par la grace de Dieu & par la bénédiction
du Saint- Siége , l'étaient donc d'abord par
la nomination Royale dont les Bulles du
Pape , portant la miffion apoftolique , n'étaient
qu'une conféquence. Et qui peut .
nier que celui qui a le pouvoir de donner ,
n'ait auffi celui d'ôrer ? Ces deux facultés
font inféparables ; donc fi le Souverain ne ?
veut plus qu'un tel foit Evêque en tel lieu
de fa domination , il a droit de l'empêcher,
comme il n'a pas celui d'empêcher qu'il
foit Evêque ailleurs . Le Pape a tant d'Evêchés
à donner , même parmi les Infideles
, in partibus Infidelium ! mais malDE
FRANCE. 89
hetreufement on ne fe foucie plus guere
de la couronne du martyre.
"2
Lors de la confécration d'un Evêque,
" on lui met un anneau pour lui faire.
comprendre qu'il vient de contracter un
» mariage avec l'Eglife au gouvernement
" de laquelle il eft appelé : voilà une
» union fainte qu'aucune puiffance hu-
» maine ne peut rompre ".
Et que devenait donc cette union quand
un Prélat troquait un Evêché de 330༠ mille
livres de rente pour un de 60 mille livres ?
Quelle puiffance rompait cette union ? Celle
du Roi , affurément , qui donnait le nouvel
Evêché , & l'Eglife alors ne s'en plaignait
pas . Il eft clair que ce mariage fpirituel
était , quoi qu'en dife l'Auteur , fufceptible
de divorce.
L'Auteur ne met pas beaucoup de réferve
ni de difcrétion dans le choix des
exemples qu'il amaffe en faveur de cette
fuprématie du Pape qui eft de droit divin :
il en eft que la prudence aurait pu écarter
pour ne pas rappeler de trop fâcheux
fouvenirs , tels que l'abfolution de notre
Henri IV, & toute la conduite de la Cour
de Romé à l'égard de ce bon & grand Roi.
On a foin de nous citer ici la lettre par
laquelle l'Archevêque de Bourges & d'autres
Prélats s'excufaient auprès du Pape
d'avoir reçu l'abjuration du Roi de France,
& de lui avoir donné l'abfolution dans
go MERCURE
l'Eglife de Saint - Denis. Cette lettre commence
ainfi : Après avoir humblement baife
vos bienheureux pieds , &c. Si le Saint Pere
par hafard , avait la goutre , comine un
vieux Pape y eft affez fujet , ne devait- il
pas rire un peu en lui-même de les bienheureux
pieds ?
Il ne faut pas omettre l'explication fa- ,
vamment allégorique des cérémonies qu'en
cbferve au couronnement du Pape. » Elles .
» infinuent combien le Pape doit pofféder
» de fcience & de vertu . On lui met une
» ceinture de foie où pend une bourfe de
" ´pourpre , contenant douze fachets de
30
pierres précieufes , & du mufc. La cein-
" ture fignifie la continence , la bourfe
» marque l'aumône , les pierres précieufes
les douze Apôtres , le mufc la bonne
» odeur de Jéfus Chrift. A la ceinture
» pendent fept clefs & fept fceaux , fignifiant
les fept dons du Saint-Efprit , fui
vant lefquels le Pape doit ufer du pou-
» voir d'ouvrir & de fermer , & c . «
ל כ
Les beaux emblêmes ! la bourſe fignifie
donc l'aumône ? c'eft apparemment celle
qu'il reçoit ; car toute la Chrétienté eft
en poffeffion de la lui faire de temps immémorial
. Il eft vrai que la charité eft un
peu diminuée ; les temps font durs , & la
bourfe doit être moins remplie qu'autrefois
; mais il y a encore de quoi vivre
honnêtement. Quant au mufc , qui eſt
DE FRANCE.
91
-
l'odeur de Jéfus Chrift , je ne fuis pas
trop content du choix ; le mufe n'eft guere
en odeur de fainteté du moins parmi
nous autres profanes. Il me femble que
Magdeleine avont mieux choifi les parfums
dont elle arrofa les pieds de Jéfus Chrift.
Voyez le dérail qu'en fait l'Evangile ; ce
font les parfums les plus fuaves de la Syrie
& de l'Arabie. J'en conclaerais que les
femmes le font toujours mieux connues el
parfums que les Docteurs : en un mot, je
ne faurais me faire à ce que Jésus- Chrift
fente le mufc.
Pour ce qui eft des fept dons du Saint-
Ffprit , je ne me fouviens pas trop quels
ils font ; mais je voudrais bien favoir lequel
de ces dons agilfait dans les Borgia ,
les Boniface , & tant d'autres dont nous
connaiffons l'hiftoire édifiante.
que
L'Auteur fait auff , comme on sy attend
bn , le plus long & le plus pompeux
éloge de la vie monaftique. A l'Hif
toire , à l'Hiftoire : c'eft une terrible chofe
T'Hiftoire : c'est bien dommage que
les Prêtres n'aient pu l'anéantir. Combien
ils doivent maudire cette damnable invention
de l'Imprimerie , & regretter le temps
où eux feuls favaient hire ! J'imagine qu'ils
ont dû fouvent parodier les vers d'Arnol-.
phe , quand il fe défefpere d'avoir permis
qu'on apprît à écrire à fa pupille ; qu'ils
ont dû dire
92 MERCURE
Voilà , Peuples , à quoi l'écriture vous fert ;
L'art , contre notre avis , vous en fut découvert.
-
Auffi n'était ce pas un fot qué celui
d'entre eux qui difait , dans les commencemens
de l'Imprimerie : Si nous ne la détruifons
pas , elle nous détruira.
M. L...... , apparemment pour égayer le
férieux de fa differtation , cite parfois des
vers; par exemple , ceux du Poëme de la Re-'
ligion fur la puiffance des Clefs. Il prétend
que le langage de Racine le fils peut être
appelé divin ; bien des gens appliqueront
plutôt certe épithere au langage du pere :
Gloria Patri , difait Voltaire. L'Auteur
ajoute Si le langage de Racine peut être
appelé divin , je crois que le mien , fans
» avoir les mêmes graces ni la même énergie
, ne doit pas étre regardé avec indifférence,
puifqu'il tend à prouver , comme
Racine a voulu le faire , que rien n'égale
la puiffance fpirituelle du fucceffeur
» de St. Pierre «.
""
93
??
و د
""
Je crois , moi , que l'Auteur pourrait
bien fe tromper , au moins fur les temps
& fur les lieux , & qu'à toute force il
ferait poffible qu'en France , & au 18°)
Siecle , on regardat avec allez d'indifférence
un Panégyrique de la grande puiffance
Papale , qui rappelle la Chanfon du
Charlatan de Moliere :
DE FRANCE. 23
O la grande puiffance
De l'orviétan !
C'était encore le bon temps que celui
où une moitié de l'Europe appelait le Pape
le Vicaire de Dieu ; & l'autre moitié
l'Antechrift. Aujourd'hui l'on ne croit
pas plus l'un que l'autre. Nous avons un
Cantique de l'Abbé Pellegrin , qui a pour
titre La Paffion de Notre Seigneur Jefus-
Chrift, furPair : Tout cela m'eft indifférent.
J'ai bien peur , quoi qu'en dife M.L .....
qu'un Traité fur la Suprématie du Pape
ne fe chante aujourd'hui fur le même air.
:
Au refte , on a prodigué dans ces deux
Brochures une érudition effrayante ; c'eft
une chofe incroyable que tout ce qu'on
y cite de Conciles , de Peres , de Théologiens
, de Commentateurs , &c . cela fait
trembler. On connaît ce mot d'un ancien
Philofophe, en voyant un buffet magnifiquement
garni de vaiffelle : Que de chofes
dont je n'ai pas befoin ! Un homme fenfe,
en voyant cet étalage fi riche d'une fi
pauvre érudition , pourrait dire : Que de
chofes qu'on eft heureux de ne pas favoir !
Je me fouviens qu'un foir, chez Mad . Dudeffant
, au milieu d'un grand cercle , M.
D. B. qui avait de l'efprit & des connaiffances
, mais dont la converſation n'était
fouvent qu'une métaphyfique fort em94
MERCURE
1
brouillée , parla long - temps fans que perfonne
l'interrompit ou lui répondit , attendu
qu'on n'y comprenait rien. Madame
Dudefiant , qui fe permettait quelquefois
des faillies allez vives , fe leva de fon
fauteuil en arcade , qu'elle appelait fon
tonneau Je prends Dieu à témoin , ditelle
, que je ne donnerais pas un petit éca
de ma poche pour favoir tout ce que Monfieur
vient de nous dire.
( D ..... )
RAPPORT SUR L'OPÉRA , préfenté au
Corps Municipal, le 17 Août 1791 , par
J. J. LEROUX , Officier Municipal ,
nommé Adminiftrateur au Département
des Etablifemens publics , le is Février
dernier. A Paris , chez les Marchands
de Nouveautés .
SANS répéter ici toutes les Deferiptions
que l'on a faites de l'Opéra de Paris , il
eft certain qu'il n'exifte point en Europe
de Spectacle plus magnifique , plus varié ,
plus fait pour exciter la curiofité des Erran-
∙ gers , pour contribuer à les fixer dans la
·Capitale. Il n'en e point dont les récentes
foient auffi fortes , & cependant elles fent
-toujours au deffous de la dépense. Cela
DE FRANCE. 95
paraît un phénomene ; il eft expliqué quand
on a lu ce Rapport , rédigé avec beaucoup
d'ordre & de netteté par un Adminiftrateur
, qui , ayant mis dans la gestion de
cet Etabliffement plus d'économie & de
furveillance qu'aucun de ceux qui l'ont
géré avant lui , eft plus en état que per- -
fonne d'attefter que , malgré tous les foinspoffibles
, le fort du Spectacle de l'Opéra
eft toujours de dépenfer plus qu'il ne
reçoit.
Il ne peut donc fe foutenir par luimême.
Après avoir tiré cette conféquence
de la comparaifon des recettes & dépenfes
de onze années , comparaifon qui fixe le
déficit annuel à 362,977 liv. 10 f. 7 den.
M. Leroux examine s'il eft de l'intérêt de
la Capitale & de la Politique de conferver
l'Opéra. Il réfout affirmativement cette
queftion , & prouve de la maniere la plus
claire que la Commune de Paris eft fortement
intéreffée à la confervation de ce
Spectacle.
L'Opéra dépense annuellement près de
onze cent mille liv. Cette fomme , fournie
en général par des gens aifés , palle en
fractions dans des milliers de mains. Elle
fait vivre plus de cinq cents perfonnes
attachées au Spectacle , & un bien plus
grand nombre dont elle pave l'induftrie
ou encourage le commerce. Non feulement
le goût que les Etrangers , & fur-tout les
96 . MERCURE
Anglais ont pour notre Opéra , contribue
à faire circuler en France plús de numéraire
; mais les modes & les parures qu'il
fait naître font la fource la plus féconde
de ce genre d'impôts indirects que nous
levons fur les Nations voifines . Les Sujets
de ce Théâtre , fur- tout ceux de la Danfe,
reçoivent dans d'autres grandes Villes de
l'Europe le prix de leurs talens , & le
rapportent dans la Capitale où ils les ont
acquis & perfectionnés .
ود
On regardait autrefois l'Opéra comme
faifant circuler plus de vingt millions dans
Paris . Ne portons cette fomme qu'à huit
millions. » Je demande , dit M. Leroux,
» à tous ceux qui connaillent le prix d'une
» telle circulation , fi une Ville à laquelle
» on propoferait de prêter cette fomme
chaque année , ou de lui en acheter des
marchandifes , ne confentirait pas volon
tiers à faire une remife de quatre pour-
» cent , qui produirait- 320 mille liv. «
"3
ور
"
La Commune doit donc foutenir l'Opéra
; & c'est à elle que ce fein appartent
, puifque ce Théâtre eft la propriété ,
ce que l'Auteur du Rapport prouve fans
réplique. Eft - il de la dignité de la Municipalité
de Paris d'avoir l'entrepriſe de
l'Opéra ? Oui fans doute , puifqu'il y và
de l'intérêt public. Les premiers Magiftrats
de la Grece & de Rome ne trouvaient
pint au deffous d'eux d'avoir l'Intendance
des
DE FRANCE. 97
des Spectacles. Mais eft - il de l'intérêt
de la Commune que la Municipalité
garde cette entreprife , & qu'un ou plufieurs
de fes Membres foient chargés de
l'Adminiftration ? C'eft autre chofe . M.
Leroux démontre évidemment que cette
Adminiſtration eft trop compliquée , qu'elle
exige des connaiſſances trop étrangeres à la
plupart des Officiers publics , qu'elle exige
le plus fouvent une célérité dans les opérations
trop incompatible avec des délibétations
municipales , pour que la Municipalité
ne doive pas remettre à ' quelqu'un
un fardeau qu'elle ne peut porter fans fe
nuire à elle-même.
A qui donc le confiera - t - elle ? y nommera
-t- elle fimplement un Prépofé ? Les
inconvéniens font fans nombre & fe préfentent
d'eux-mêmes. Il faut donc qu'elle
le livre à des Entrepreneurs , en s'en réfervant
toutefois la propriété & la furveillance
; il faut qu'elle éloigne avec foin
ceux qui , par une cupidité aveugle , fe
raient en apparence des propofitions avan
tageufes & rifqueraient le fort de ce
Spectacle enfin , puifqu'il importe à la
profpérité de la Capitale , il faut que la
Municipalité faffe des facrifices pour le
foutenir.
"
Le Rapporteur propofe des conditions
N°. 47. 19 Novembre 17914
F
98
MERCURE
dont le but est de fauver à la Municipa
lité plus de moitié du déficit qu'elle acquitre
annuellement , de laiffer aux Entrepreneurs
l'efpoir d'un bénéfice proportionné
à leurs foins , & d'affurer à la ville
de Paris la confervation de fon Opéra.
Il infifte avec raifon fur la néceffité de
placer avantageufement ce Théâtre , qui a
beaucoup perdu depuis fon éloignement
du centre de la Ville , & qui ne peut que
perdre davantage encore , s'il reste à la
porte Saint-Martin , depuis qu'un fi grand
nombre de Spectacles s'élevent de tous
côtés dans les quartiers les plus favorables.
Il recommande auffi , pour l'intérêt de la
juftice & pour celui même de l'Adminif
tration , là confervation intacte des penfions
anciennes , acquifes par les Auteurs
ou Acteurs par des travaux qui en font
une propriété facrée , & l'uſage d'en af
furer toujours aux conditions ordinaires ,
pour conferver le principal lien qui attache
les Sujets à ce Spectacle , préférablement
à tous les autres.
De tout ce qu'on a écrit für l'Opéra ,
ce Mémoire eft ce qui en donne l'idée la
plus jufte , non pas relativement aux Arts
qui y brillent à la fois & dont il encourage
les progrès ; mais relativement à l'inrérêt
de la Commune de Paris , à fon inuence
fur la richeffe & la profpérité de
DE FRANCE. 199
cette Ville immenfe , invinciblement liée
à celle de tout l'Empire.
SPECTACLES.
LE repos des anciens Théâtres , ou le
peu de fuccès de leurs tentatives , nous
laiffe le temps de parler de ceux qui viennent
de s'élever. Celui de la rue de Louvois
, qui s'eft montré d'abord affez faible
dans la Comédie , mais en annonçant la
prétention de rivaliſer avec tous ceux dont
le Chant eft l'objet principal , paraît déjà
capable de foutenir , à beaucoup d'égards
cette prétention. Ses premiers effais avaient
réuffi , mais fans amener cette foule qui
ne fuit que les Ouvrages ou les Acteurs
de marque. Nantilde & Dagobert , Piece
d'un Auteur diftingué , d'ailleurs écrite
avec beaucoup d'efprit , & ornée d'une
très-jolie mufique , a commencé la fortune
de ce Théâtre , & en a fait connaître les
Acteurs . Celle qui l'a fuivie , en excitant
un puiffant intérêt , & en mettant plu
fieurs Sujets à portée de déployer des talens
qu'on ne leur connaiffait pas , a achové
de mettre ce Théâtre fur un pied trèseftimable
, & de lui donner une confiftance
F 2
100 MERCURE
qui le rend digne de lutter contre tout au
tre du même genre , au grand avantagè
de l'Art , & des jouiffances du Public. On
devine déjà que c'eft de Zélia que nous
voulons parler. Nous allons dire un mot de
l'intrigue.
Cette Piece eft imitée du Théâtre Allemand.
La Piece originale a été traduite
en Français par l'Auteur même de l'Imitation
; mais cette Imitation eft infiniment
perfectionnée . Montclam , marié depuis
peu d'années , eft obligé de paller en Amérique.
Pendant fon abfence , la ville que
La femme habite eft ravagée par l'armée
ennemie il a lieu de croire qu'il a perdu
fa femme & fa fille dans ce défaftre. Il
poule , en Amérique , Zélia qu'il enleve
à fes parens , & qu'il amene en Allemagne
Sur la nouvelle que fa premiere épouſe
vit encore, il quitte Zélia pour la chercher ;
mais c'eft en vain . Certe derniere , accablée
de douleur par fon abfence , cherche une
Dame de compagnie dans le fein de qui
elle puifle s'épancher. On lui préſente une
Dame & fa fille ; c'eft juftement la premiere
femme & la fille de Montclam , qui
a changé de nom. C'est ce même jour qu'il
arrive. Nous ne fuivrons pas l'Auteur dans
les dérails de fcènes extrêmement touchantes
que fait naître cette fituation ; nous
nous contenterons de dire que Zélia fe
DE FRANCE. 101
voyant forcée de céder la place à l'ancienne
.époufe , prend le parti de fuir. Avant de
pouvoir effectuer ce deffein , elle fauve la
vie à fon époux , qui croit ne pouvoir
fortir que par la mort de l'embarras que
lui caufe le choix entre deux femmes qu'il
adore . Tout le Village , comblé des bontés
de Zélia , s'oppofe à fa fuite : fa rivale
même , qui a eu le temps de lui accorder
fon eftime , y joint fes inftances . Elle cede
enfin , & laiffe entrevoit pour Montclam
des jours partagés entre l'amour & l'amitié.
Cette Piece , dont les fituations font
très -attachantes , eft écrite avec beaucoup
de foin ; elle eft de M. Dubuiffon , connu
par des fuccès dans plus d'un genre , &
fur plufieurs Théâtres. La mufique a également
réuni tous les fuffrages . Elle eft
fort travaillée , & fait beaucoup d'honneur
à M. Deshayes qui en eft l'Auteur.
Ce qui contribuera fans doute à rendre
durable le fuccès de ce Drame , c'en l'enfemble
fingulier avec lequel il eft joué ,
& le talent particulier que Mad. Ducaire
y déploie. Cette Actrice a un grand caractere
, une intelligence profonde , & une
extrême fenfibilité. Avec un peu plus de
fimplicité dans les geftes ,fon maintien & la
diction, ce fera certainement une des grandes
Actrices de ce genre. Cette fimplicité peut
aifément s'obtenir avec un peu d'étude fur
F3
102 MERCURE
elle - même ; mais fes moyens naturels ne
s'acquerraient pas. On ne faurait donc
trop encourager un Sujet qui peut s'élever
bientôt au premier rang , & qui donne déjà
des preuves d'un talent extraordinaire.
L'efpace ne nous permet pas de parler
avec détail d'un autre Ouvrage , Alix de
Beaucaire , donné avec grand fuccès fur le
Théâtre de Mlle. Montanfier ; nous dirons
feulement que ce fujet , un peu commun
puifqu'il rappelle à la fois Inès de Cafiro,
Agnès & Olivier, la Pantomine de la Forêt
noire , & plufieurs autres , n'en a pas paru
moins touchant , foutenu par une muſique
parfaitement affortie aux paroles; mais nous →→
devons dire que prefque tout le 3º . Acte ,
qui préfente des tableaux du plus grand
intérêt , eft entiérement neuf & de l'effet
le plus frappant. Cette partie feule de la
Piece méritait de lui obtenir tout le fuccès
qu'elle a eu , & fur lequel nous aurons
peut-être l'occafion de revenir.

DE FRANCE. 103
VARIÉTÉS.
Nous avons parlé plus d'une fois avec
,
de juftes éloges des Chocolats de M. Duthu,
dont nous pouvons garantir l'excellence &
la falubrité; nous nous empreffons d'accueillir
l'Avis qu'il nous envoie concernant
une légere augmentation fur le prix de cer
aliment. Il faut que cette augmentation
foit indifpenfable , puifqu'elle eft propofée
par M. Duthu , qui nous a toujours paru
facrifier tout au défir de fatisfaire le Public,
& à l'ambition de fe diftinguer dans fon état.
+
A VIS
Du Sr. Duthu , Fabricant de Chocolat , rue
St-Denis , vis- à- vis Sainte-Opportune..
J'ai toujours cherché les moyens de donner
mes Chocolats au meilleur compte poffible. Le
prix des fubftances qui le compofent fervait de
bafe à ceux que j'avais adoptés. Ces fubftances
font depuis long-temps confidérablement renchéries
, & je me voyais dans l'alternative d'altérer
la qualité de mes Chocolats , ou d'en hauffer le
prix je n'ai pas Halancé dans ce choix , & ceux
qui m'honorent de leur confiance , ne me fauront
pas mauvais gré d'avoir préféré ce dernier parti.
J'annonce en conféquence qu'à compter du 1er.
Octobre dernier , mes Chocolats de premiere
104 MERCURE
qualité font augmentés de 6 fous par livre de 16
ences ; & ceux de feconde & toisieme qualités ,
le font de $ fous.
Il s'en faut de beaucoup que je trouve le
moindre bénéfice à cette augmentation néceffitée
par les circonftances : il en viendra d'autres
peut être plus favorables , & je mettrai plus
d'empreffement encore à en faire part au Public.
Je ne puis à préfent que lui promettre les foins
que j'ai toujours apportés dans le choix ( 1 ) &
la préparation du cacao . Je continuerai de ménager
le degré de feu ( 2 ) , de maniere à ne
jamais altérer aucune des parties de ce fruit
bienfaifant. Les Médecins n'ignorent pas que c'eft
de la confervation parfaite de ces parties , & de
leur mixtion exacte que dépend fur-tout la falubrité
du Chocolat. Je tâcherai du moins ,
redoublant de zele , que leur bonté dédommage
de ce renchériffement auquel je fuis forcé.
3
en
( 1 ) N ne fuffit pas de choifit le cacao d'une bonne
efpece , & de prendre garde qu'il ne foit ni mélangé ni
avarié ; il eft encore effentiel de faire attention à fou
degré de maturité. Le cacao qui n'eſt pas mûr ( & ily
en a beaucoup dans le Commerce ) fe trouve plus ou
moins aftringent ; ſon uſage alors peut devenir très- nuifible.
( 2 ) Une chaleur trop forte rancit le beurre du cacao ,
agit fur la fubftance mucilagineufe de cette espece d'amande,
& détruit le principe tonique de fon parenchyme.
Avec du cacao ainfi dénaturé , on ne peut faire qu'un
Chocolat mal fain & de mauvais goût.
DE FRANCE. 105
ON
NOTICE S.
N mettra en vente , Lundi prochain 21 Novembre
, Hôtel de Thou , rue des Poitevins , la
47. Livraifon de l'ENCYCLOPÉDIE.
Cette Livraiſon eft composée de la huitieme
Livraifon des Planches d'H fteire Naturelle , contenant
la fin des Quadrupedes , la fuite des Ine
felles , & 26 f uilles & démie de Difcours fur la
Defcription des Oiseaux , par M. l'Abbé Bonnataire
i de l'Hiftoire , Tome IV , 2e . Partie , par
M. Gaillard , de l'Académie Françaife ; de la Chirurgie
, Tome V , 2e. Partie ; de l Hiftoire Naturelle
, contenant les Infedles , Tame VI , irc.
Partie , par M. Olivier , Docteur en Médecine';
de la Médecine , Tome III , 1re Partie.
Le prix de cette Livra fon eft de 38 liv . en
fuilles , & de 40 liv . brochée ; favoir :
8e Livraifon des Planches & Hiftoire Naturelle
, compofée de cent , à 4 f. ci ...... 20 1.
Difcours , & la brochure ......
Un Volume de Difcours , à ,
Un Volume à ....
I
6
Brochure des 4 demi-Volumes .
TOTAL.....
2
40 1.
Le port de chaque Livraifon eft au compte des
Sou : cripteurs.
106 MERCURE
L'Ami des Citoyens , Journal fraternel , par
J. L. Tallien . Ce Journal , rédigé par l'Auteur
des Placards portant le même titre , paraît depuis
le 1er. Octobre , des Mercredi & S.medi ,
& contient une feuille de 16 pages d'ir preflion ,
format in - 8 ° . On y rapporte les nouvelles de
Paris & des Départemens avec fidélité & impartialité.
Le récit des faits eft accompagné de
quelques réflexions courtes & inftructives . Le
prix de la Soufcription eft de liv , pour trois
mois , 9 liv. pour fix , & 18 liv. pour l'année ,
franc de port pour tout le Royaume.
S'adreffer à Paris , chez MM. Grandville &
Boucher, rue du Jardinet ; chez M. Lachapelle ,
rue de la Vieille- Monnoie , Nº . 23 ; chez M.
Pichard jeune , rue Dauphine , No. 11 ; & chez
M. Tallien , rue de la Perle , Nº . 17. C'eſt à
cette derniere adreffe qu'il faudra envoyer les
lettres & paquets francs de port.
On pourra fe procurer , aux mêmes adreffes
les Affiches de l'Ami des Citoyens , pour lefquelles
on foufcrit auffi moyennant 3 liv . pour
trois mois pour un feul Exemplaire , & 12 liv.
pour 100 Exemplaires rendus francs de port
dans tout le Royaume. On prie les perfonnes
qui foufcriront pour les Affiches , d'indiquer d'une
maniere préciſe le nombre d'Exemplaires qu'elles
défireront à chaque N.
Icones Plantarum Syria , rariorum defcriptionibus
& obfervationibus illuftrate ; Auctore Jacobo
- Juliano La Billardiere , M. D. Decas fecunda.
Impenfis Auctoris ; proftat Parifiis , apud
Prévost , Auguftinorum ripâ Théoph . Barrois ,
jun. Auguftin. ripâ , Typog. Circ. foc, Gallica
DE FRANCE. 107
Comedia , viâ N ° . 4. Argentorati .... Armand
K enig Taurini . Fratres Reycends Francofurti .
Narrentrapp & Venner.
Les Amateurs d'Hiftoire Naturelle trouveront
cette defcription fort exacte .
Supplément au Traité de la Chaffe au fufil,
contenant des additions & corrections importantes
. Brochure in - 8 ° . de 110 pages . A Paris , de
Imprimerie de P. F. Didot le jeune ; & le vend
chez M. Théophile Barrois le jeune , quai des
Auguftins , No. 18. Prix , 24 f.
L'Ouvrage dont on annonce ici le Supplément,
Vol. in- 8 ° . de plus de 600 pag. avec 9 Planck,
en taille-douce , fe vend chez le même Libraire..
Cet Ouvrage eft très- utile pour les Chaffeurs ,
pour toutes les inftructions dont ils peuvent avoir
befoin pour chaffer utilement , & généralement
pour toutes les perfonnes qui font dans le cas
de manier le fufil ou autres armes à feu.
GRAVURE'S.
...
J. J. Rouffeau , peint par Garnerey , & gravé
par M. P. M. Alix . Se trouve à Paris , chez
M. Drouhin , rue Chriftine , NF. St. G.
Prix , 6 liv.
Ce Portrait fait pendant avec celui de Volta're
, que nous avons annoncé dans le dernier
N. , & ne mérite pas moins d'éloges ; peut-être
même le faire en efl -il encore plus précieux . Ces
Eftampes - Tableaux femblent devoir être infépa108
MERCURE DE FRANCE.
rables , & font dignes , tant pour leur belle exé
cution que pour les grands perfonnages qu'ils
repréfentent , d'orner les cabinets les plus curieux.
A VI 3.
LE Sr. Planche , Libr . à Paris , rue Neuve de
Richelieu Sorbonne, N°. 3 , a l'honneur de prévenir
MM . les Soufcripteurs au Cod. Univerfel &
méthodique des Loix qui régiffent la France depuis
1789 , que lorsqu'il á acquis le fonds de cet
Ouvrage , il a pris l'engagement d'en compléter
la Collection jufqu'à la fin de la Législature
conftituante. D'après les matériaux qui lui reftent
à faire imprimer , il affure que ce Code fera
complet en 12 Volumes in - 8 ° . de 30 feuilles
chacun Le Tome VIIL, dont il fait la premiere
Livraiſon, comprendra les Loix du mois de Juin
479 , & celles additionnelles qui n'étaient pas
encore fanctionnées ; les Tomes IX & X termineront
l'Ouvrage ; il ne faudra plus que les
Tables générales par ordre de matieres & chronologique.
Il prie MM . les Soufcripteurs de voo
loir bien lui faire paffer le montant de la foufcription
des Tomes IX & X ; la derniere Livraifon
du Tome VIII paraîtra vers le 20 da préfent.
LE
Printemps
TABLE.
Charade , En. Logog.
La Caufe du Pape .
Rappore.
73 Spectacles . 99
82
78
Variétés. TOZ
Notices.
941
105
MERCURE
>
IHISTORIQUE
ET
POLITIQUE.
Simini
ALLEMAGNE.
De Hambourg, les Novembre 1791.
19
EN obfervant les preuves multipliées d'in
térêt , que la Ruffie & la Suède ont ouvertement
donné à la caufe des Princes
François, dépouillés des droits inviolables
de leur naiffance , de leur patrimoine , de
Phéritage de leurs pères , des propriétés les
plus facrées , même de celles qui , telles
que le Clermontois , repofoient fur la
garantie des Traités publics ; aux malheurs
de la Nobleffe qui les a fuivis , en fuyant
les ruines de fes châteaux embrâfés , &
laiffant fes biens au pillage ; aux dangers
de S. M. T. C. & de fa Famille difper
fée ; à la diffolution de l'Empire François
où , fous le nom dérifoire de Gouverne
N° . 47. 21 Novembre 1791. G
( 146 )
#
ment Monarchique , on a inftitué une Ré
publique informe , une Démocratie anarchique,
fubverfive de tout ordre focial : en
obfervant , difons - nous , cette conduite
foutenue des deux principales Puiffances
du Nord , depuis fix mois , on a dû s'attendre
qu'elles n'en refteroient pas à de
fimples démonftrations. Les Souverains
qui gouvernent ces deux Etats ne font pas
du nombre de ceux qu'on féduit par des
apparences , qu'on intimide par des
exagérations , ni qu'on peut fe flatter de
retenir dans l'irréfolution , par les détours
d'une politique embrouillée.
Les projets de l'Impératrice de Ruffie
& du Roi de Suède , projets dont la faifon
feule paroît avoir retardé l'exécution , font
maintenant plus dévoilés, Les Princes
François avoient , depuis quelque temps, un
Envoyé à Stockholm ( le Baron d'Eſcars ),
& tin Envoyé à Pétersbourg ( le Comte
Efterhazy ) . On remarquoit de fréquentes
expéditions de Couriers , & des conférences
multipliées. Le 17 Octobre , le
Comte de Stackelberg , Miniftre de Ruffie
à Stockholm , & l'un des plus actifs comme
des plus adroits Négociateurs
eut un
long entretien avec le Roi de Suède dans
T'hôtel du Sénéchal , Comte de Watchmeifzer.
Ce Seigneur , le Secrétaire d'Etat
Frank , le Lieutenant- général Baron de
Taube , & M. de Hackanfon , y réglèrent
( 147 )
avec M. de Stackelberg , fous les ordres &
en préfence du Roi , les articles d'une
alliance entre les deux Cours , dont l'on prétend
que l'un des principaux objets eft de
fecourir les Princes Frères de Louis XVI, &
rétablir en France le Gouvernement Monarchique.
Des Couriers furent expédiés
le foir même dans l'Etranger. Enfin , deux
jours après , le 19 , le Traité d'alliance
fut figné formellement par le Baron
Armfeld , de la part de la Suède , & par
le Comte de Stackelberg , du côté de la
Ruffie. La nouvelle de cette réunion , que
le dépériffement toujours croiffant des
affaires publiques en France , a probablement
accélérée , & celle du but commun
où vont tendre les Puiffances contractantes
, font répandues avec une forte d'affu
rance . Quant aux claufes particulières de
l'alliance , on en parle moins pofitive
ment. Des rapports vraisemblables nous
annoncent que l'Impératrice a promis un
contingent de 12000 hommes de troupes
effectives , & un fubfide annuel de 300
mille roubles ( 1500,000 livres tourn. ) ;
que S. M. S. pourra employer ces fecours
hors de fes Etats , dans un cas prévu , &
comme il lui femblera bon ; enfin , que la
Ruffie s'engage à garantir la Conftitution
de Suède , enfemble l'acte de fûreté du
3 Avril 1789 , & la tranquillité au dedans
& au dehors , durant le féjour du Roi de
Suède dans l'étranger,
G &
( 148 )
Il ne faut pas fe diffimuler que plus d'une
Puiffance feroit excitée à accéder, ou accédera
fpontanément à ce concordat. Une
fcène de cette nature dépend prefqu'entierement
de l'acceptation manifefte des premiers
rôles. On remarque une intimité
foutenue entre le Cabinet de Pétersbourg
& M.de Galvez, Miniftre d'Efpagne auprès
de l'impératrice. Tout indique des deffeins
concertés entre le Gouvernement
Efpagnol , & les deux Cours du Nord
aujourd'hui confédérées. On préfume ,
non fans fondement , que la réponſe de
I'Impératrice de Ruffie à la notification de
M. de Montmorin , au fujet du facrifice
qu'a fait le Roi de France aux inftitutions
du Corps qui s'eft fait & appellé Conftifera
conforme à celles des Rois
d'Efpagne & de Suède. M. Genêt , Chargé
d'affaires de France à Pétersbourg , reçut
fon paquet le 10 Octobre. Comme il lui
eft défendu d'approcher de la Cour & des
Miniftres , défenfe que les Gazettes de fon
pays ont rendue par le terme bénévole
d'infinuation , on craint qu'il ne foit réduit
à faire parvenir fa dépêche miniſtérielle
par un billet d'envoi. Nulle apparence ,
d'ailleurs , qu'il puiffe prolonger fon féjour
à Pétersbourg.
tuant ,
C
A
De Berlin , le 6 Novembre.
Nous avions cu raiſon de rejetter le
$ 4
( 149 )
bruit d'une réduction dans l'armée Pruffienne.
On fonge fi peu à une mefure femblable
, qu'au contraire il arrive chaque
jour des recrues nombreufes , que l'on fait
paller à leurs régimens refpectifs . Nous
jouiffons d'une paix profonde ; mais le
Gouvernement ne perd pas de vue , que
de l'Automne au Printemps , les conjonc
tures actuelles de l'Europe pourront exiger
qu'on foit prêt à tout évènement.
Comme ce ne feroit plus vers le Nord
ou le Levant que l'horifon fe couvriroit ,
& que nous n'avons plus d'affaires à dé
mêler avec la Ruffie & la Pologne , on a
reconduit à Graudentz les munitions de
guerre envoyées au New- Farhwaffer:
Le nouveau Miniftre , M. de Struenfee
a été introduit le 31 du mois dernier au
Confeil d'Etat. On fe pronet beaucoup
de l'intelligence expérimentée de cet Ad
miniftrateur.
Les lettres d'Jaffy en date du 16 & dự
18 Octobre , ont apporté ici la nouvelle
certaine de la mort fubite du Prince Poi
temkim. Convalefcent de la fièvre putridè
maligne dont il avoit été atteint , il ſe faifoit
tranfporter dans un lieu plus fain qu'Jaffy
pour éviter une rechute : elle l'a furpris
dans la route ; fubitement , il s'eft trouvé
mal , probablement par l'épanchement d'un
abcès , affez ordinaire après la fièvre
putride on l'a defcendu de voiture , en
G 3
1.150. ).
plein champ , où il eft expiré entre les
bras de fa nièce la Comteffe Branitzka ,
épouſe du Grand-Général de la Couronne,
en Pologne.
Ainfi a fini la carrière d'un homme ,
qui fut un exemple éblouiffant des plus
grandes faveurs de la fortune . Son tempéramment
infatigable , fa force corporelle ,
fa conformation prefque gigantefque
lui promettoient une plus longue vie : il
meurt victime du climat ; car les fatigues
lui fervoient de délaffemens . Sa naif-
Lance étoit loin de le porter à la hauteur
où il s'éleva. L'Europe connoît les caufes
fecrettes & publiques de fon avancement :
ces anecdotes ne font pas du domaine de
Hiftoire Générale. La durée foutenue de
la faveur inouïe dont l'Impératrice ho
nora ce Favori , dans un pays où l'on monte
aux dignités & où l'on en defcend fi fréquemment
fur les marches d'un échafaud , eft
auffi remarquable que cette faveur même.
Perfonne n'eut d'ennemis plus ardens , de
jaloux plus haineux que le Prince Potemkim :
il réfifta à toutes les cabales ; il ne fut trahi
par aucun des Favoris fubalternes dont il
opéra l'avancement . Son ambition démefurée
, ion caractère audacieux , fes dépenfes
fabuleufes , enfantèrent les dernières
guerres de la Ruffie contre la Porte Ottomane
. Nul homme en place n'a été auffi
prodigue ; plufieurs Souverains ne pofsèdent
C
pas les revenus qu'il a diffipés , & Fon fon
desoit une belle Colonie avec la valeur
des récompenfes dont fa Souveraine paya
fes fervices . Son fafte étoit celui d'un Satrape
de la Cour de l'ancienne Sémiramis .
Au milieu de l'hiver & des glaces
de la Néva , fa table étoit fervie des primeurs
les plus recherchées , cultivées par
des Jardiniers Anglois , entr'autres de cérifes
, dont chacune coûtoit un rouble. Son
orgueil étoit à la hauteur de fa fortune :
Peu de Monarques furent plus dédaigneux ,
plus fuperbes à leur Audience. Des Gentilshommes
Livoniens d'une très- grande nailfance
, appellés à Pétersbourg pour affaires
importantes , m'ont affuré avoir été préfentés
à ce Vifir tout puiffant , tandis qu'il
jouoit aux cartes avec fes Nièces , dans
le coftume le plus négligé. A peine levat-
il les yeux fur eux ; il continua fa partie ,
& les congédia par un léger falut. Les
baffeffes des Courtifans auprès de lui égaloient
fon infultante indifférence ; mais
fous les dehors d'un Scythe , il cachoit une
ame forte & un efprit civilifé. Plus poli
avec les Etrangers , lorfqu'il daignoit les
entretenir , fa converfation étoit inftructive.
On ne fournit point une carrière fi
rapide & fi long temps foutenue , fans de
grands talens , ni fans un caractère prononcé.
Maître de l'Empire , il en a accru
l'affoibliffement interne & la gloire exté
G4
( isi )
freure. Sa préfence à l'armée fembloit le gage
des fuccès, & ce n'étoit point un Capitaine du
premier ordre , mais hardi dans les plans ,
opiniâtre dans l'exécution,fertile en moyens,
fouple ou terrible à propos , rarement
daiffoit-il une réfiftance en arrière ; rien ne
lui coûtoit pour la furmonter. Généralement
, on a fuppofé à ce Triomphateur
le
cipanté indéplet de s'affurer une Prinqui
le mît à l'abri
des des des Cours , & de la Sibérie.
En effet , il avoit jetté fes vues fur la Moldavie
, enfuite fur l'Ukraine , un moment
fur la Courlande. Quoique fon efprit entreprenant
& fes fuceès fayorifaffent cetté
ambition , divers obftacles ont toujours
contre-carré fes vaftes entreprifes. Mal avec
Je Grand Due qu'il menageoit peu , il devoit
craindre de furvivre à l'Impératrice , &
quoique cette Princeffe promette d'étonner
encore long- temps l'Europe , on peut
regarder la mort prématurée du Prince
Potemkin , raffallié de jouiffances , comme
le dernier trait de fon étoile .
a
Le Prince Potemkin , décédé à l'âge de
52 ans , étoit originaire de Pologne , où il
faifle entr'autres à fes héritiers , la riche terre
de Smila qui renferme plus de 30,000 Serfs :
fon énormé fucceffion s'élève de 35 à 40 mil
lions de roubles. ( 175 ou 200 millions de
livres tournois. ) Décoré de tous les Ordres
de Ruffie il l'étoit encore de ceux de
A
t
1153 )
Pruffe , de Pologne , de Danemarck &
de Suède. On feroit un volume de la nomenclature
des Dignités & des Emplois ,
dont il étoit revêtu . Feld- Maréchal &
Commandant en chef de toutes les Armées
Ruffes , Chef- Général de la Cavalerie ,
Chef des Flottes fur les mers Noire , Cafpienne
& d'Azof ; Sénateur & Préfident da
Confeil de guerre , Gouverneur- Général de
Katarinaflaf & de Tauride, Adjudant général
& Chambellan actuel de l'Impératrice
Infpecteur général des Armées , Colonel dé
la Garde Preobafinski , Chef du Corps des
Gardes à cheval , d'un Régiment de Cuiraffiers
de fon nom , des Dragons de Pétersbourg
& des Grenadiers de Katarinaf
laf ; Chef de tous les Atteliers d'Armes & des
Fonderies ; enfin , Grand Hetman des Cofaques.
Voilà affez de dépouilies pour faire
la fortune de douze individus . Cependant ,
celui qui les réuniffoit, fuffifoit à toutes par
fon infatigable activité , & par la feule
influence de fon , nom fur les fubalternes.
Une femblable concentration de pouvoirs
eft néceffaire dans un Empire immenfe &
defpotique ; la pofition de l'Impératrice
augmentoit encore cette néceffité ; car , en
plaçant autant de forces dans les mains d'un
feul fujet fidèle , elle ôtoit des armes à ceux
qui ne l'étoient pas , & qui pouvoient deve
nir Chefs de Faction.
En confidérant impartialement les dé-
Gs
8x54 )
fauts & les qualites de Potemkin , mais furtout
la hardieffe , l'étendue de fon efprit ,
la trempe de fon ame qu'aucun obftacie ne
rebutoit , & cette conftance à braver fans
relâche les fatigues de la guerre , celles de
voyages prodigieux fans ceffe renouveliés ,
Tintempérie des climas & des faifons , enfin
les doubles travaux de l'Homme d'Etat &
du Général d'armée , on conviendra que
cet Homme extraordinaire fut un phénomène
dans nos temps de petiteffe , de dégradation
morale & phyfique, de Héros de
Gazettes , & de Grands Honimes en paroles.
M. Ifland , l'un de nos Auteurs dramatiques
eftimés , vient de publier une Tragédie
intitulée les Cocardes , dans laquelle il
peint , avec des couleurs fortes , les fauffes
idées de liberté , & les horribles fuites qu'entraîne
leur application . Cette pièce de théâtre
dont la Révolution Françoife forme le
texte , fait ici une profonde fenfation.
Il exifte dans le monde deux maladies
morales , également redoutables ; l'une eft le
fanatifme religieux ; l'autre , le fanatifme politique
. En lifant l'Hiftoire, on eft embarraſfé
de juger lequel de ces deux fléaux mérite
la préférence. Le fanatifme politique , prefque
toujours accompagné du mépris de
tous les devoirs de la morale , des remords
de la confcience , & des fentimens reli
( 255. )
gieux , eft beaucoup plus atroce dans fes
moyens , & a des effets plus étendus ; mais
on le défarme auffi plus facilement par la
crainte , qui atteint rarement le fanatifme
religieux comme dans les fiècles avilis il
fe trouve encore plus d'hypocrites de liberté
que d'entoufiaftes fincères , le canon exorcife
ces démoniaques , qui n'ont pas le ciel
en perfpective. Le fanatifme religieux cft
éclipfé ; il nous refte le populaire . Il faut
attaquer celui - ci avec les armes qui ont
fait fuccomber le premier ; dévoiler fes
rufes , fes friponneries , fon charlataniſme ,
fon jargon , fes vertus de treteaux , fes
menfonges , fes abominables reſſources
couvertes du mafque du patriotifme , fa
tendreffe hypocrite pour le Peuple , qu'il
careffe comme les bouchers careflent les
taureaux avant de les égorger. A côté de
lui , on représenteroit fes dupes , fes difciples
hébêtés , cette foule de petits tyrans
qu'il enivre les pour porter au crime , & c.
Les Chefs de ces troupeaux d'imbéciles &
de furieux ont débuté comme Mahomet ;
il ne leur manque que fon fabre & fon
génie. Or , la vileté de leurs moyens , la
médiocrité de leurs talens , & la baffeffe de
leur caractère , rapprochés des calamités
qu'ils répandent fur la fociété, peuvent former
d'excellens tableaux dramatiques , qui
frappoient le Peuple mieux que les mei
leurs raifonnement.
G
( 156 )
De Francfort-fur-le- Mein , le 10 Novembre,
Fles
Les fpéculations & les radotages que
multiplie en Allemagne la deftinée future
de la Révolution Françoife , avoient pris
dernièrement une tournure décidée. Il étoit
certain que nulle Puiffance ne fe mêleroit
de l'anarchie d'Outre- Rhin , & qu'on laifferoit
les Oppreffeurs & les Opprimés , les
bourreaux & les victimes , les Fripons &
les honnêtes gens , les Propriétaires
indigens avides , fe difputer les débris de
cette Monarchie , abîmée par tous les fléaux
que peut enfanter l'efprit humain , retombé
dans une enfance délirante . Aujourd'hui ,
les raifonnemens commencent à changer
de face , & l'on reprend le texte des conjectures
menaçantes . - Quelques faits ifolés
fervent d'appui à ces oifeufes combinaiſons.
On affure , par exemple , & cette allégation
eft affez vraisemblable , qu'il eft arrivé desnièrement
à Vienne deux Couriers , l'un
de Stockholm , & l'autre de Pétersbourg ,
avec des dépêches qui preffent l'Empereur
d'expliquer , enfin , & cathégoriquement
fes intentions , pour le foutien des bafes
du Traité de Weftphalie. La même démarche
a été faite auprès de plufieurs autres
Cours on s'en eft occupé dans le Cabinet
de Vienne. Peut être accélérera - t- elle ce
Conclufum , éternellement attendu par Ia
( 157 )
Diète de Ratisbonne , qui a repris for
activité , fort peu active . Elle ne fera rien
qu'à la fuite de l'Empereur , dont les né
gociations enchaîneroient long - temps un
Corps moins enchaîné par fa compofition ,
par fes diffentimens , par la diffemblance
des intérêts .
La Députation extraordinaire du Cercle de
Franconie a ouvert fes Séances le 27 Octobre
à Nuremberg, pour délibérer fur divers objets
-particuliers . Le 8 Novembre , une Députation
ordinaire fe fera rendre compte de l'état de la
Caiffe ; l'Affemblée Générale du Cercle aura
lieu le 1er. Novembre . Parmi les objets qui feront
traités dans cette Affemblée , on affure qu'il
fe trouve un projet de convention à conclure
avec les Cercles de Suabe & du Haut- Rhin
& relative aux circonftances actuelles . On s'occupera
auffi férieulement de la fituation des
pauvres , & de l'amélioration de l'état des Juifs
dans ce Cercle.
La Commiffion Impériale avoit déjà
lancé un Décret le 8 Juillet contre plufieurs
auteurs & fauteurs des troubles de
Liège ; elle a donné le 19 d'Octobre , un
fecond Décret par lequel , elle mande à
comparoître devant elle , 35 autres perfon
nes fugitives & faifit provifoirement leurs
biens ; au nombre de ces perfonnes fe trouvent
le Prince Ferdinand de Rohan , qui a
joué le rôle de Régent , & les Comtes de
Beloës , de Cannebourg , de Berlo , & de
Berlaimont.
( 158 )
PAYS- B A S.
De Bruxelles, le 12 Novembre 1791 .
L'opiniâtreté des Etats de Brabant n'a
été ébranlée ni par les déclarations comminatoires
du Gouvernement , ni par les
Arrêts du Confeil Souverain. Ce Tribunal
a eu beau faire exécuter folemnellement
& en pompe , le 22 Octobre, la
Sentence par laquelle il ordonna la lacération
de la proteftation des Etats , cet
acte n'a produit d'autre effet que d'amufer
les Amateurs . Deux jours avant , le 20 ,
fur l'ordre précis des Gouverneurs généraux,
une Députation des Etats avoit été
forcée d'infinuer la Sentence dans leur
Protocole ; mais le 29 , cette Aſſemblée
arrêta une proteftation itérative plus forte
que les précédentes . A trois repriſes , &
fous peine d'une amende de mille patagons
par jour , jufqu'à obéiſſance défini
tive , le Confeil de Brabant les a fommés
d'exhiber leurs regiftres , afin d'y biffer
leurs proteftations : amende & fommation,
tout a été inutile. Enfin , cette guerre inconcevable
vient de prendre une espèce
de caractère par la lettre fuivante , adreffée
le 7 aux Etats affemblés .
« Très- Révérends , Révérends Pères en Dieu,
Nobles , chers & bien amés , comme vous n'avez
pas accepté les divers arrangemens qui vous ont
( 159 )
té facceffivement propofés pour & au nom de
l'Empereur , dans la vue de terminer la difficulté
que vous avez élevée fur la compofition
du Confeil de Brabant , telle qu'elle a été
arrêtée pour remplacer le Confeil que vous avez
inftitué pendant les troubles , nous vous faifons
la Préfente , pour vous dire le terme
moral qui vous a été accordé à cet effet , par
notre dépêche du 3 Août dernier , vient de cefler ,
à compter de ce jour . Nous vous déclarons en
conféquence :
que
1°. Que l'Empereur a réfolu de ne plus
admettre aucun tempéramment ni moyen de conciliation
dans cette affaire ; »
« 2°. Que Sa Majeſté a renoncé à faire rentrer
dans fon Confeil de Brabant ceux des Confeitlers
de ce Tribunal , qui , en 1789 , ont paffé en la
même qualité au Grand Confeil ;
20
« 3°. Qu'en échange , Sa Majesté entend
auffi de ne plus admettre dans fon Confeil de
Brabant les cinq Confeillers qui ont fervi dans
le Confeil qui a fiégé dans le Brabant pendant
les troubles , fous un Serment incompatible avec
celui qu'ils avoient prêté à Sa Majesté , à moins
que , par la voie de la juftice réglée , que Sa
Majesté leur laifle ouverte , felon la Conftitution
, dont elle ne fe départira jamais , il ne foit
prononcé que Sa Majesté y eft tenue. A tant ,
très-Révérends , Révérends Pères en Dieu , Nobles ,
chers & bien-amés , Dieu vous ait en fa fainte
garde,»
3
Bruxelles , le
novembre 1791 .
Paraphé Cr. Vt. ( Signés MARIE & ALBERT ;
contre-figné L. C. Vandevel.
Cette dépêche de LL. AA . RR. eft de
mature à prolonger long-temps encore le
( 160 )
différend ; ce jugement des cinq Confeil
lers , intrus par la forcé en 1789 , formera
un nouvel aliment de trouble , & à la
faveur de cet épifode , les Etats pourfuivront
leurs tracafferies. On ne peut
douter qu'ils ne foient excités à la réfiftance
par des Etrangers , auxquels il importe
de fufciter des affaires au Gouvernement
Autrichien. Comment expliquer autrement
un conflict , dont l'iffue feroit inévitablement
fâcheufe pour les Etats & leurs
partifans , s'ils étoient abandonnés à leurs
propres forces ? On alimente la fermentation;
il s'eft fait quelques raffemblemens
de bandits fur les Frontières ; raffemblemens
au fujet defquels , il a été envoyé
des ordres très-févères aux Commandans
des différentes villes du Brabant , & des
Officiers de juftice.
Le Gouvernement , par les mêmes vues ,
a adopté une mefure importante , propre
à déconcerter les Factieux & les Brouillons
, foit dans les Pays -Bas , foit dans les
Provinces Unies. Il a propofé au Baron de
Hop , Miniftre des Etats Généraux , un
concert entre les deux Pays pour le main
tien de leur tranquillité refpective. Le 22
Octobre , L. H. P. ont délibéré à la Haye
far cette ouverture , d'après la propofition
du Statdhouder , & ils ont réfolu
De charger le Baron de Hafreen , feur Miniftre
à la Cour de Vienne , d'affarer à la pre
( 161 )
.des
mière occafion cette Cour , que LE. HH. PP.
donneront avec la plus grande fatisfaction ,.
preuves de leur defir fincère de concourir efficacement
à refferrer les liens d'amitié , qui fubfiftent
fi heureufement entre S. M. I. & cet
Etat , ainsi qu'au maintien de l'ordre & de la
tranquillité publique dans les Pays- Bas voifins ,
fous la Souveraineté de Sa Majefté & le Gouvernement
de Bruxelles : & qu'au cas que Sa
Majefté Impériale jugeât convenable de prendre
de concert quelques mesures communes , pour
remplir ce but , LL. HH, Puillances font difpofées
, de leur côté , à entrer en négociation à
ce fujet , en tel endroit que S. M. I. choifiroit
à cet effet ; s'affurant que le voifinage des deux
Etats & la parité de circonftances , où ils pourroient
fe trouver tous les deux , démandent des
mefures réciproques. 35
сс
Il a été arrêté en même- temps « d'envoyer
copie de cette réfolutions aux Miniftres de
LL. HH. PP. à Bruxelles , à Londres & à Berlin ,
pour en communiquer le contenu de la manière la
plus confidentielle aux Miniftres de ces Cours ref
pectives , ainsi que d'en faire donner ici , par
leur Greffier , connoiffance à Milord Spencer ,
Miniftre-Plénipotentiaire d'Angleterre ; à M. dé
Bilfinger , Chargé des Affaires de Pruffe ; & à
M. de Buol , Chargé des Affaires de l'Empereur.
»
Cette réfolution a été apportée ici le 23
du mois dernier ; les négociations qui
doivent amener ce lien de sûreté entre les
deux Etats font très-avancées.
Les Gazettes Françoifes débitent beau
( 182 )
2
coup de fottifes fur l'Empereur , fur les
difpofitions , fur la conduite du Gouver
nement des Pays- Bas envers les Emigrans
François . Ces hiftoires font bonnes à amufer
les cabarets de Paris , & le peuple de toutes
les conditions. Il n'y a rien de changé dutout
dans l'hofpitalité qu'on accorde à ces Emigrés.
Les mêmes Feuilles ont prêté des réponſes
burlesques à l'Empereur , lorfque M.
de Noailles lui a notifié l'acceptation de la
Conftitution Françoife par Louis XVI.
S. M. I. fe borna à dire affez féchement ,
qu'elle répondroit au Roi de France. Le
Comte de Vaudreuil & le Général de Berchiny
, arrivés à Vienne à la fin d'Octobre,
au nom des Princes François , ont renouvellé
des démarches très -actives , concertées
avec celles de diverfes Puiffances. On
ne peut guères révoquer en doute ce dernier
fait , après les dernières lettres de l'Impératrice
de Ruffie à S. M. I. , lettres poftérieures
à l'acceptation du Roi de France .
Cette Princeffe a rappellé à l'Empereur,
les dépêches qu'elle en avoit reçu pendant
le féjour de ce Monarque en Italie , &c
après l'aireftation de Louis XVI ; les fentimens
qu'il avoit témoignés , & les démarches
qu'il demanda. Les déclarations
de M. de Romanzofà Coblentz & à Worms
furent le réfultat de cette correspondance
; déclarations que l'Impératrice regards
comme des engagemens pofitifs , en exhor(
183 )

tant l'Empereur à perfifter dans fes pre
miers fentimens.
FRANCE.
De Paris , le 10 Novembre 1791 .
SECONDE ASSEMBLÉE Nationale.
Fin du Rapport lu par M. de Montmorin à la
Séance du Lundi 31 Octobre.
A côté de ces motifs de fécurité , je dois
Meffieurs , vous en préfenter , finon d'inquié
tude pour le moment , de dignes au moins d'une
grande attention . »
·
« Je ne faurois vous diffimuler qu'il exiſte
de la part de toutes les puiffances étrangères
une défiance extrême à l'égard de la France ,
& dont les François , que le defir de s'inftruire,
ou leurs affaires conduifent dans les pays étran
gers , éprouvent journellement les effets . Ce tre
défiance eft telle , que plufieurs cabinets de
l'Europe avoient conçu l'idée de brifer , par une
ligue commune , tous les rapports des nations
étrangères avec nous . Ce projet , impraticable
fans doute , devoit être repousé par toutes les
puiffances commerçantes , mais il peut vous
donner une idée de l'inquiétude qu'infpire aux
nations étrangères toute communication avec
Dous. Il faut en chercher la caufe & en calculer
les effets . »>
Les rapports des nations fuppofent des égards,
& un refpect mutuel pour leurs différentes formes
de gouvernement ; s'il en eft use qui veuille chang
( 164 )
N
ger fa conftitution , elle doit fe renfermer dans
fon territoire , & ne pas prétendre faire adopter
aux autres les principes qu'elle a pris pour bafe
de la fienne. »
« C'eft ainfi qu'on a vu l'Angleterre & la Hol
lande éprouver de grandes révolutions , & faire
refpecter la conftitution qu'elles s'étoient donnée ,
parce qu'elles refpectoient elles - mêmes celle des
autres . On nous accufe de chercher à propager
nos principes , à foulever les peuples contre les
autorités qui les gouvernent ; je fais que ces
accufations font injuftes , fi on les fait porter
fur la nation & le gouvernement ; mais il n'eft
que trop vrai que des individus , même des
fociétés , ont cherché à établir dans cette vue
des correfpondances chez des peuples voifins de
nos frontières ; il n'eft que trop vrai que prefque
tous les princes , & prefque tous les gouverne
mens de l'Europe , font périodiquement infultés
dans des journaux incendiaires. Croyez , mef
fieurs , que ces journaux & ces libelles désho
norent & rendent odieux le nom François dans
les pays étrangers. Les véritables ennemis de la
conftitution & de notre repos , ont grand fain
de les y faire parvenir , & ce moyen eft un de
ceux qu'ils emploient avec le plus de fuccès contre
nous. Lorfque dans plufieurs occafions , qui ne
deviennent malheureufement que trop fréquentes ,
j'ai porté des plaintes de vexations qu'avoient
éprouvé des François , ou même lorfque j'ai
voulu leur faciliter l'accès des lieux ou leurs
affaires les appelloient , on m'a répondu en m'envoyant
quelques exemplaires de ces journaux ,
& en me demandant fi on pouvoit prendre trop
de précautions contre les individus d'une nation
qui toléroit une pareille licence , »
( 165 )
1
Cet état de chofes vous paroîtra, fans doute;
mériter de fixer votre attention ; mon deſſein
n'eft pas de vous donner , pour le moment
des inquiétudes que je n'éprouve pas moi- même ;
mais chacun de vous fentira que fi la France fe
maintenoit dans une pofition qui feroit regardée
comme injurieufe à la plus grande partie des puiffances
de l'Europe , il feroit impoffible de ne pas'
prévoir des malheurs , & pour nos relations , commerciales
& même pour notre tranquillité . »
« Telle eft , Meffieurs , notre fituation politique
dans fes rapports généraux avec les puiffances
étrangères ; j'espère que vous approuverez les
bornes dans lefquelles j'ai cru devoir me renfermer.
>>
« Il eft des détails qu'une affemblée nombreuſe,
& pour fa propre dignité & pour l'intérêt public ,
ne doit pas demander au miniftre des affaires
étrangères . S'il parloit toujours en citoyen exempt
de craintes , il infpireroit une confiance que quelquefois
il ne partageroit pas ; & s'il vous rapportoit
les détails journaliers de fes correspondances ,
il s'expoferoit à provoquer une funefte défiance
fans aucune utilité pour la patrie. Ces principes ,
Meffieurs , ont toujours été la règle de ma conduite
; & après avoir , peut-être avec quelque courage
, employé pendant deux années tous mes foins
à diffiper les alarmes qu'on ne répandoit dans le
peuple que pour l'agiter , j'ai eu la fatisfaction de
voir les évènemens juftifier ce que j'avois fi conftamment
avancé . Il eft d'ailleurs un thermomètre
par lequel , fans interroger le miniftre des affaires
étrangères , une grande nation peut connoître à
chaque inftant fa fituation politique . Ce thermomètre
eft l'état des finances , de fon crédit public ,
( 166 )
de fon armée , de fa marine & de fa tranquillité
intérieure. »
« Cet état eft-il tel qu'on peut le defirer ? La
nation eft respectée ; fon alliance eft recherchée ;
fes droits font maintenus. Cette vérité , 1Meffieurs ,
ne vous échappera pas , & la France jouira bientôt
de toute la confidération due fans doute à une
grande nation courageufe & libre , mais que ce
pendant elle n'obtient que lorfqu'elle peut la com
mander. Je vous préfente , Meffieurs , ces réflexions
fur les inconvéniens de demander trop de détails au
miniftre des affaires étrangères , avec d'autant
plus de confiance , qu'elles ne peuvent avoir pour
objet de rendre plus facile l'exercice d'une place
que je vais ceffer d'occuper . Dès le mois d'avril
dernier j'avois donné ma démiffion à S. M.; mais la
diſtance qui me féparoit de celui qu'elle m'avoit def
tiné pour fucceffeur , me força de continuer mon
travail jufqu'à la réception de fa réponſe qui fut
un refus. Depuis je ne trouvai plus ou placer
ma démiffion ; & l'efpérance d'être encore de
quelque utilité à la chofe publique & au Roi ,
put feule me confoler de la néceffité d'y reſter aú
milieu des circonftances qui en rendoient les
fonctions fi pénibles pour moi. Aujourd'hui fa
Majefté a daigné agréer ma démiffion . Le rap
port qu'elle m'a ordonné de vous faire , eft le
dernier devoir que j'ai à remplir envers les repréſentans
de la nation , comme miniftre des affaires
étrangères ; & je me félicite , en terminant
ma carrière miniftérielle , de pouvoir vous
donner l'efpoir d'une paix que vous aiderez le
Roi à maintenir & à confolider par la ſageſſe
de vos décrets . »>
On a décrété l'impreffion de ce rapport qui
a reçu des applaudiſſemens,
( 167 )
Du lundi , 7 novembre.
On a commencé la femaine par un bordée
de pétitions , malgré le décret qui les envoid
toutes au dimanche . Celle entr'autres des
toyens
de Paris , qui follicitoient un décret interptatif,
c'eft-à -dire , fubverfif de celui des 34 &
3 août dernier fur l'organiſation de la arde.
nationale parifienne foldée , a été vigoureufchent
foutenue des poumons & de la béquille deM.
Coutton , qui demandoit une fufpenfion proj
foire , vu , difoit- il , que les compagnies u
centre étoient à la veille d'être diffoutes par une
ordonnance municipale. Quelques membres on
intéreffé la juftice & la reconnoiffance de l'Affemblée
à prévenir cette diffolution.
Au milieu de bruyantes contradictions , M.
la Croix a obtenu un décret portant que le
comité militaire feroit fon rapport fur le provifoire
, féance tenante : « A préfent , a- t - il
dit , demandez la queftion préalable » ; & il a
fait de grands faluts ironiques aux oppofans
vaincus ; quant à la pétition principale , relative
au féjour des compagnies ; elle a été ajournée
à trois jours.
Nouvelles fraîches , & trop vraies , pour que
perfonne s'amufe à les prouver , des troubles
violens que caufent les prêtres non- affermentés
du Calvados , foutenus d'une lettre horrible ,
incivique , de M. de Leffart , qu'on a eu la
mal -adrefle de lire , & qui ne contient que les
principes les plus fages , les plus conftitutionnels ,
où ce miniftre recommande la tolérance ,
liberté des cultes , le jugement légal des per
la
( 168 )
turbateurs M. Fauchet s'eft élancé en criant £
« Tout à Gaen dans une combuſtion épsuvantable
C'eſt une fuite de la lettre de M. de
Leffart. in demande des fecours à Falaife ; on
enter du canon... » L'Aſſemblée eft pallée
l'ord du jour.
Un apport fur les évènemens arrivés à Marfeille
du 16 au 23 octobre , a produit un décret
qui donne que le pouvoir exécutif prendra
des formations fur la conduite des officiers du
régient Suiffe d'Erneft , dénoncés par la munipalité
; l'Affemblée narionale ſe réſervant de
prndre le parti qu'elle jugera convenable , d'après
cs informations ; ce qui préfage au moins un
Econd rapport. En attendant les informations ,
es officiers ont été le fujet de déclamations
défavorables. M. la Croix & d'autres ont
acculé d'intentions perfides , de menaces de
faire marcher les foldats contre les citoyens , M.
Olivier , lieutenant- colonel , parce qu'il s'eft perinis
d'écrire en ces termes à la municipalité de Marfeille
, qui confignoit arbitrairement & indéfiniment
le régiment : « Lorfque l'on configne une troupe ,
on la regarde comme punic... Je ne puis pas
enfermer continuellement ma troupe qui , dans
toutes les occafions s'eft bien montrée , & a
maintenu la fûreté publique... Nous espérons ,
en conféquence , que vous voudrez employer
tous les moyens que la loi vous donne , pour
prévenir que les foldats & officiers du régiment
ne foient attaqués de la manière la plus indigne
par de mauvais citoyens apoftés pour nous infulter
& tomber enfuite en grand nombre fur nous . Ces
faits étant reprouvés par la loi , & de tels attroupemens
étant contraires au repos des bons
citoyens
((469 )
choyens , je vous déclare que , d'après les dé
marches que vous ferez aujourd'hui pour piét
venir ices fortes de faits , fi un foldar quel
conque eft attaqué & fuivi par un attrouponent,
je ferai marcher le nombre de onde nécellaire
pour le dégager. »
1
Les municipaux ont répondu à cette lettre :
« des militaires ne doivent pas calculer leurs conmodités
quand il s'agit d'obéir à la loi . Il
ne vous appartient pas de déployer la force ch
cas d'attrouppement contre les foldats ... Toute
forcearmée eft effentiellement obéifante . IneyouÊS
appartient pas de faire un pas fans la réquifition de
laloi. Après vous avoir parlé le langage de la raiton,
bous allons vous parler le langage de l'autorité » .
Puis , prenant le ton d'un exorcifte , la muni-
Icipalité configne de nouveau le régiment au
Rom dela nation , de la loi du Roi ( toujours
chef fuprême de l'armée ) ; M. Olivier obéit doclement
; & les galeries d'applaudir.M
7
Mais M Bazire veut que cetto correfpondance
coûté des fommes à la nation , il veur
que la haute- cour nationale foit convoquée pour
juger M. Olivier. Clameurs annonce de nouveaux
faits qui ne viennent pas ; la difcuffion
eft fermée; on crie plus que jamais ; 'épreuves
douteuses . Plufieurs membres font rappellés¹ à
l'ordre. L'un d'eux die au préfident : « Je m'homore
d'être sappellé às l'ordre 3ɔ ' c'eſt un deſpotifme
affreux d'empêcher atofi de parler Le
préhilent met aux voix l'honneur d'être rappellé
à l'ordre , & la préalable termine le débat , le
projes du comité étant adopté ſauf rédactros.
left ordonné à la tréfoterie nationale de payez
* poa , doe liv ? à t'hôtel des invalides !
M. Tarbe anonce qu'il n'y a plus que ou
No. 47. 19 Novembre 1791 . H
( 170 )
3 départemens qui n'aient pas notifié l'achèvement
de leurs rôles ; il en compte pour 280
millions . Mais les diſtricts n'ont pas fait les
leurs ; les municipalités encore moins ; d'ailleurs
les diftricts correfpondent trop négligemment , à
cet égard , avec les départemens . Il eſt vrai que
le miniftre a écrit : Sa Majefté defire , &c.....
Quel nerf d'adminiſtration !
Un rapport & 20 articles fur le mode de
remplacement des officiers de l'armée , ont donné
lieu à une difcuffion , où M. Taillefer a trouvé
le projet du comité militaire bon & bien digéré,
& a dit que la baſe en étoit impuiſſante & dangereufe
; que l'article XII tournoit le dos d fon but ;
que l'article XVIII étoit barbare ; or , la baſe
eft un ferment , meſure tant vieille & décréditée ;
l'article XII taye tout non-jureur ; & l'article XVIII
ftatue la deftitution par le feul fait de l'abfence
fans congé.
M. de Jaucourt adoptoit le certificat municipal
de civiſme , tout en établiſſant qu'on ne le refufe
à perfonne ou qu'on n'oferoit le donner à des
hommes de 18 ans, Du refte , il vouloit qu'on
prorogeât jufqu'au 1. janvier 1792 l'exécution
du décret du 28 feptembre qui , comme on fait ,
fufpend & dément tous les principes conftitutionnels.
7
Admirateur de l'idée heureuse d'appeller les
gardes nationales à remplacer les officiers émigrés ,
quand tout François eft garde national ; M. le
Montey a obfervé que le comité admettoit aux
emplois de fous - lieutenans , des citoyens âgés
de 18 ans , pourvu qu'ils en euffent 21 ; &
fur le témoignage de la majorité des compagnies
des gardes nationales , à les prendre à l'époque
où ces compagnies n'étoient pas toutes formées ,
( i )
& malgré l'impoffibilité de recueillir cette majo
tité... L'étrange difcuffion d'un projet fi bien
digéré , a été interrompue par des lettres du
miniftre de la marine , renvoyées au comité , &
par une lettre des commiffaires de la tréforerie
qui articulent un déficit , pour le mois dernier ,
de 19,730,187 liv.; demande 21,720,643 liv .;
plus 2,665,378 liv . , pour dépenses de 1790 ,
payées en octobre 1791 ; plus 5 millions pour
tenir lieu des produits des domaines nationaux
durant le préfent mois ... Total , 29 millions
386,021 liv.
La fin de la féance n'a produit que le décret ſuivant
:
cc L'Aſſemblée nationale , après avoir décrété
l'urgence , confidérant que nulle troupe ne peut
féjourner , à moins de trente mille toifes du
corps législatif fans fon confentement exprès ,
décrète que les fept corps qui vont être formés
de la partie foldée de la garde nationale parihenne
, feront provifoirement fixés à Paris , &
n'en pourront être éloignés fans un décret du
corps légiflatif. ( Et le Roi eft le chef fuprême
-de l'armée. )
"
Il fera curieux un jour de ſe reſſouvenir des raifons
oftenfibles , qui déterminèrent la légiflature à
s'entourer d'aufli près d'une force armée , compofée
des premiers foldats de la révolution .
Du mardi , 8 novembre
Le ministre de lasmarine a fait part à l'Affemblée
des ordres du Roi pour fecourir les
colonies , des motifs d'évaluer les frais à
10,370,072 liv . ; d'une lettre de M. de Blanshelande
, du 2 feptembre , & d'une proclama
H &
( 172 )
tion ( fupprimée ) que ce gouverneur auroit
adreffée aux Nègres révoltés , où il leur offioit ,
au nom du Roi , le pardon ou la morte
M. Rouillere a demandé que perſonne ne fût
entendu fur la queftion des fonds à décréter ,
avant le rapport des comités colonial & de marine.
сс Ce ne font , a- t- il dit , que des moyens
que l'on emploie pour enrayer la befogne , &
pour écarter la queftion des émigrans . On a
renvoyé les lettres au comité colonial .
pas
Finiffons les émigrans , s'eft écrié M. Lacroix.
M. Ducaftel , organe du comité de législation ,
a diftingué les fugitifs des émigrés , afin de ne
blefier la déclaration des droits , fuivant laquelle
l'émigration n'eft pas un délit ; fubtilité
qui rappelle les judicienfes obfervations de M.
de Clermont- Tonnerre , fur l'ufage qu'on a fu
faire du mot indéfini de propriété , pour dépouiller
le clergé , & c. fans portes atteinte aux droits facrés
de l'homme & dulcitoyen.
CC
1
Ces fugitifs , mal- a- propos nommés émi
grans , a dit le rapporteur , fe raffemblent pour
nous affervir & nous perdroient s'ils pouvoient
nous vaincre. Quand ils ne feroient pas des con
jurés ; ils feroient au moins très -foupçonnés de
L'étre , La nation ne peut tolérer cette incertitude.
Vous avez le droit de preferire un terme à leur
rallenbiement, Sils fe divifent , ils effaceropt
Leur crime par leur obéiffance . S'ils dédaignent .
votre pouvoir, il fera évident qu'ils fe révoltent,
qu'ils demeurent réunis pour réalifer d'odieux
projets qu'ils ont conjuné : contre la patriel, &
qu'ils font fujets à la peine de ce ctime ; cette
psine eft la mort ( applaudiffemens ) . Ne frapper
que les chefs , ce feroit une mefure inconftitutionnelle
, vu l'égalité mais ils feront les pre(
173 )
miers pourſuivis & condamnés ....... Il fe peut
qu'ils donnent l'exemple de l'obéiffance . Fafie le
ciel que nous ne foyons jamais obligés de punir
!... La loi proposée est un mode efficace fous
tous les rapports ; elle eft jufte dans fon principe....
Elle annonce également le pardon & la
mort .... ( On y retrouve l'effentiel de la proclamation
de M. de Blanchelande aux Nègres
qui égorgent leurs maîtres . Un pareil rapprochement
fera mémorable dans l'hiftoire de nos
fophiftes ).
L'Affemblée s'eft hâtée de décréter le premier
article, pour le fabriquer un titre , un droit , & fe
mettre dans la néceffité d'adopter les autres . « Les
émigrés échapperont à toute accufation perfonnelle
» , ont obje &té MM . Lemontey & Crestin
défolés de la difficulté de conftater d'une manière
légale un raffemblement criminel dans l'étranger.
M. Lacroix levoit ce fcrupule , en exigeant une
déclaration motivée de l'abſence ; le refus lui fervoit
de preuve .
CC
« Je Loutiens , a dit un membre , que le comité
de légiflation s'est élevé à la hauteur des
fonctions que vous lui avez confiées . Tous les
autres projets attaquoient l'émigration , ce droit
dont le génie de la révolution , Mirabeau penfoit
qu'il n'appartenoit à aucun légiflateur d'em-
Fêcher les citoyens de jouir » . Il s'étonne que
Fen craigne de manquer de preuves . Effectivement
elles ne font pas plus difficiles à faire que
dee pareilles loix. Il voit des tas de lettres , une
foule de témoins. Fuffent- elles anonymes , fuffnt-
ils auffi dignes d'estime & de foi que le
fieur Bolredon , la loi frappera sûrement . E
nos envoyés dans les cours étrangères s'écrie le
Hollandois M. d'Averoult , maintenant légiflateur
--
H 3
( 174 )
He France !... (Honorable fonction civique d'envoyés
! M. d'Averoult , expulfé de fon pays natal ,
leur promettra-t- il. tant par tête de prince , ou
d'émigré du pays des droits de l'homme ? )
Plus ingénu , M. Coutton veut que tous les
François qui ne rentreront pas en France avant .
le premier janvier 1792 , foient réputés en état
de raffemblement jufqu'à la preuve du contraire,
& provifoirement poursuivis & punis comme conf
pirateurs. Tous les codes préfument l'innocence
jufqu'à la preuve du crime : l'opinant préſuppoſe
le crime , & punit de mort en attendant qu'on
lui prouve l'innocence des victimes , contre lefquelles
fa frayeur , ou fa haine a fait une loi ,
tout exprès pour les trouver coupables . Elt- il
une lociété d'hommes connus , d'hommes jouiffant
de quelqu'eftime acquife , d'où l'on n'eût
été exclu pour une telle doctrine , avant la régénération
philofophique ? Mais peuplez des galeries
de fouverains fans morale , de Néron fans
culottes ; & vous aurez lieu d'être furpris que
tous leurs courtians ne foient pas des Narciffe.
Voici de la logique de M. Gundet. I repouffe
du code d'un peuple civilifé cette loi monítrueufe
; il avoue qu'à moins de bleffer les principes
éternels de la justice , il eft impoffible d'em
ployer certaines meſures , & finit par dire : « La
preuve le compofera , pour le tribunal comme
pour nous , de la notoriété publique... Vous
avez atteint votre but... Ne délibérons plus 3-
ik
eft urgent que la loi foit portée ; abrégez le délai ;
fixez-le au premier décembre prochain . »
Indigné que des princes nourris fi chèrement par
leurpatrie en trament la ruine pour conferver de
vaines prérogatives ( fur des ruines ) , M. de Vaublanc
qui femble avoir oublié l'immenfe patrimoine
( 175 )
des Bourbons , tremble qu'ils ne s'affutent l'im
punité en s'éloignant des lieux de raffemblement ;
& conclut que la loi eft infuffifante , s'ils peuvent
s'y dérober , ( par une rufe lâche & perfide ) .
Le bon M. Blanchon demandoit une nouvelle
invitation aux François , avec garantie de toute
sûreté s'ils rentrent . Perfonne , fauf M. Blanchon
, ne s'eft occupé de cette sûreté que le régime
actuel ne garantit qu'aux fcélérats .
M. Grangeneuve exige qu'ils donnent des cautions
. Plufieurs voix lui crient : « ho ! ho ! tous
les aristocrates le rendroient leurs cautions » , --'
M. Carnot veut que la loi défigne nominativement
MM. de Mirabeau cadet , de Bombelles
de Calonne , d'Autichamp , de Bouillé , de Rokan
; & l'on crie : oui , oui , fans fe douter
qu'un fait , qu'un nom tue une loi ; parce qu'elle
ne peut jamais être qu'une difpofition générale
fur des intérêts généraux & des évènemens
venir.
сс
Qui trop embraffe mal étreint , dit alors un
autre membre ; je ne conçois pas comment on
n'eft point effrayé de la multitude de procès- cri
minels qu'il faudroit juger » . Enfuite il a prétendu
que la conviction intime de la France , de l'Euope
& de la postérité , eft une preuve morale
fuffifante pour l'homme d'état. « Vous devez
renoncer à la haute cour nationale , aux tribunaux ,
aux formes judiciaires ; votre premier devoir eft
de fauver l'empire confié à votre follicitude... Le
jugement que vous avez à rendre ( fans juges ,
fans formes , fans preuves , fans jugement ) fera.
CANONISÉ par toute l'Europe ... Il eft temps que
la loi fe déploie , qu'elle atteigne , qu'elle frappe
les chefs ... "
M. Garran de Coulon 'eſt montré fort ſcan-
H 4
( 176 )
dalifé de ces maximes defpotiques ; & pour les
éviter , il comparoit la loi à faire , à la loi martiale
, qui fufille les gensfur une fimple réquis
tion ) ; il fubftituoit , en homme profond , s
mots attroupés , attroupement , aux mots raffemblés
, raffemblement , & bien perfuadé qu'un juré ,
auffi fagement élu que les membres de l'Allemblée
, aura la même certitude qu'elle des crimes
des émigrés & fur- tout des princes , & que cet
excellent juré ne fera , quant aux témoins , embarraffe
que du nombre; I regrettoit qu'on cût déja
décrété un délai de deux mois , attendu qu'au
jourd'hui l'on jugeroit . M. Garran de Coulon fe
pafferoit volontiers de décret d'accufation,
Enfin , au milieu du tumule , des fureurs les
moins déguifées , les articles font fucceffivement
amendés , envénimés , adoptés ; mais'on y reviendra
encore dans la prochaine féance . -- Dans le cours
grageux de celle- ci , M. Amelota informé l'Affemblée
, par une lettre qu'on y a lue quoiqu'elle ne
füt adreffée qu'au préfident du comité des affigrats
, que le fervice de la caillede l'extraordinaire
& celuide la tréforerie nationale manquerontjendi,
fl'on ne compre les allignats néceffaires aux ateliers
du numérotage & de la fignature reliés défouvrés;
il eft difficile d'être plus près de les pièces.
Manquer même de papier ! Les commiflaires y
fourvoiront.
Du mercredi , 9 novembre.
M. Briffot lit le procès-verbal & le décret fur
les émigrans. Seront - ils dès- à- préfent déclar's
coupables , ainfi que le veat M. Fauchet ; \ oa
réputés prévenus d'attentats , comme l'énonce élégamment
la rédaction que vient de lire M. Briffor?
( 177 )
sou ne feront- ils déclarés tels qu'après te premier
janvier ? On nous difpenfera de fuivre la fatidicule
& bruyante difcuffion qui s'eft élevée à
à ce fujet. Une falle de collége ou des centaines
d'écoliers fe querellent & font à chaque inftant
fur le point de fe prendre aux cheveux , leur
coftume plus que négligé , leurs mouvemens em
portés , le brufque paffage des clameurs aux
huées , offrent une image , fans doute peu convenable,
mais malheureulement trop peu chargée
du fpectacle que nous n'entreprendrons m de
peindte ni de comparer.
>
La première caufe da trouble d'aujourd'hui ,
a été la propofition qu'a eu le courage de fire
M. Quatremère , de lire à l'Affemblée un article
de l'acte conftitutionnel , & de la déclaration
des droits de l'homme . Au moment de les violet ,
il étoit tout fimple qu'on refurât de les entendre.
Enfin le vacarme eft devenu fi ſcandaleux , que
le préfident , qui fembleroit devoir s'accoutumer.
à ces tempêtes & aux violentes apoftrophes , a
reproché à plufieurs membres des cris indécens.
Mais il n'a pas évité le reproche de contribuer
lui- même au tumulte , en refufant la parole là
tel qui ne réclamoir que du reſpect pour la loi
jarée . Le principal combat étoit entre M. Navier,
au jugement de qui le filence impofé de forde
M. Quatremère , paroiffoit une tyrannie odieufe ,
& M. Lacroix qui parcourant tout le côté gauche ,
excitoit les admirateurs à baffouer M. Navier ,
que la majorité triomphante a bravement accablé
de farcafmes , de huées & de complimens ironiques.
En dirigeant des batteries auffi meurtrières
qu'on pouvoit fur les émigrés , on s'eft affeetueufement
occupé de leurs créanciers . Cependan
HS
( 178 )
...
M. Garran de Coulon qui difoit : « vous vous
placez entre la fraude & l'injuftice . . . . Il eft
extrêmement coûteux d'affujettir le créancier....
à des droits d'enregistrement extrêmement coûlteux
; eft parvenu à borner les précautions
prifes , à leur égard , aux mots créanciers légitimes
, qui laiffent aux juges le foin d'apprécier la
légitimité des titres . Il elt probable que légitime
créancier fignifiera plus d'une fois patriote.
Malgré d'affez aigres contradictions , le comité
qui doit pefer le fort des prêtres , a obtenu un
nouveau délai jufqu'à famedi. La raifon technique
de M. Leopold étoit qu'un bon décret « ne fe
commande pas comme une paire de fouliers . »
>
--
Un membre a propolé de répartir fur tous les
François émigrés , les 20 ou 30 millions de dépenfe
extraordinaire , qu'exigent les fortifications
& la défenſe des frontières . On lui a crié :
<<donnez-nous- en les moyens . » Un autre eft
revenu à l'impofition double & a dit : « je
pourrois m'appuyer de l'exemple de l'Angleterre.
En 1784 , il fut porté un bill dans le parlement
d'Irlande , qu'aucun publicifte de l'Europe
n'a contefté ; il portoic une impofition double
contre ceux qui ne confommoient pas fur le fol
de l'Irlande les productions que ce fol fait naître ,
parce qu'il eft reconnu , en économie politique ,
que l'homme doit la confommation générale au
fol qui la produit ». (Il eft faux que ce bill ait
jamais eu force de loi en Irlande , puifqu'il fut
rejetté au parlement. )
« Le grand avantage de notre conftitution ,
ajoutoit tendrement M. du Bayet , c'eft de nous
promettre un grand nombre d'étrangers qui
viendront s'établir dans notre heureuſe patrie &
acheter des biens nationaux ». Mais s'ils favent
( 179 )
que dès qu'ils iront paffer quelques mois chez
vous les taxerez au double , ils n'accourront
pas en aufli grand nombre .
eux™,
:
M. Lafource dénonce que nos Catilina des
frontières vont faire des orgies à Bâle , à Worms
& rentrent avec des projets faneftes ; M. Goffuin
, que des patriotes de Maubeuge ont été
écharpes & conduits à Mons par des Autrichiens ,
& qu'il a fallu configner les braves de Mau
beuge pour les empêcher d'aller affiéger Mons.
Long verbiagefur les limites , & petit article
qui défend auxiofficiers & o foldats de les paffer
même momentanément. 4
Le miniftre de la guerre a écrit à l'Affemblée
pour affurer que la loi marciale qu'on at
fait craindre pour le régiment de Dauphiné
n'aura lieu qu'au défaut devmoyens plus doux ;
que l'ordre en étoit donné à M. de Montef
quiou qui fuccède, dans la neuvième divifion ,
à M. d'Albignac accufé par un dénonciateur
ignorant auquel on a cru fans examen , à M.
d'Albignac occupé de l'exécution du décret relatif
à Avignon.
*
Des lettres du département , du diſtrict & de
la municipalité de Bordeaux expriment la confternation
où les nouvelles des Colonies ont
jitté le commerce , la marine & la ville ; &
offrent des hommes , des munitions , & des
vaiffeaux. Leurs députés feront admis demain.
Rentré dans la difcuffion du projet de décret
concernant les fonds à faire pour fecourir les
Colons , M. Leremboure a justement attribué les
troublés des Colonies aux principes d'une fauffe
philantropie . Il a excité de violens murmures
du côté gauche , en difant qu'il y a de l'injuftice
, parce que les cfclaves font la propriété
H
( 180 )
dos Colons. La divifion de ceux- ci , en gribes
crates & patriotes lui a offert une autre caule
des troubles. Fréquemment rappellé à l'objet de
a difcuffion , aux finances , il a témoigné du
roguer de ce que la proclamation adreflée aux
nègres par M. de Blanchelaude , fupprimée
comme impolitique , par l'affemblée coloniale ,
ne parloit que du Roi , qu'au nom du Roi , &
non des repréfentans de la nation qui eft le feul
Louverain ( pour 600,000 nègres ! ) fes , craintes
ont paru porter fur l'abus poffible de trop de
forces contte le patriotifie la liberté la conf
titution . Il a conclu au paiement des millions
diaberdi, & qu'on ne donnât le refte que lorfqu'on
aura le svou de l'Affemblée, coloniale. I
M. Merlot n'a fait que ¡paraphrafer des idées
arfa vieilles que vagues mais il renvoyé
très humainement, un rapport fr preffanti, sau
premier décembre. Saifiant ce répit , M. Briffor
seft écrié j'appuye la motion. Je provoque
la lumière qui doit diffiper cet amas de ténèbres
qui nous enveloppent » Il a promis de réfuter
les calomnies débitées contre les amis der hat
manité par les négocians du Havre , par Ml de
Blanchelande ; par un des préopinans. Imper
le malheur des bolonies aux amis de l'humas
nité , c'eſt the calomnie , atrose. Jes, fom,
merais tous les accufateurs. Jefuis prêt à porter
ma tête fur un échafaud , fi l'on peut me prou
ver que j'aie écrit une ligne dans les colonies ,
que j'y ait aucune correfpondande Jerveuz
que le régime des colonies s'humanifefans
doute; mais ce n'eft pas par lelang de mes frères &
je me croirais un monftre horrible , fi j'avois pu
fouffer ad'oreille d'un noir de fe révolter contre
fa mature; je ferois de premier à la ramener,
13
( 181 )
& left odieux que ceux qui connoiffent ma
morale , qui connoiffent celle de MM. Péthion ,
Clavière & Grégoire , ) nous aient ainfi calom
niés... Je demande, que le comité fuit chargé
de faire , au premier décembre , un rapport
fur les caufes des troubles des colonies ; & à
cette épaque , je me propofe de dévoiler & de
prouver quels font les vrais auteurs de ces
troubles ».
On voit que M. Briffot aime à
digérer en paixota i calomnie. Il confondral fes
accufateurs dans vingt jours , le plus tard qu'il
pourra. Ne fuffifoit- il pas qu'un feuillet de fes ouvrages
arrivât, en tornet d'or viétan , àS. Domingue
pour y répandre cette fièvre homicide que les
Grégoire , les Péthion , bles Clavières , les Roberfpierre
, les, la Fayette & hui , nomment égalité
, liberté, humanité ?
--
.
1
Plus adroit & fans s'ampfer à juftifier ceux
que toute la terre accufera bientôt , un autre
ami des colons s'eft attaché à leur couper les
vivres , à les priver de l'efpoir d'une prompte
défenſe , par un moyen indirect qui ſemblât.
ne toucher ni aux blancs ni aux nègres fuivant
lui. Los notifications du miniftre font inconftitutionnales
; ce fetoit renverfer: de fond - en
comble , la conftitution , que de délibérer fur
Ja remife d'une lomme indifpenfable pour fecourir
des gens qu'on égorge , des millions de Fran
çois qu'on ruine , lorfque cette fomme n'eft pas
demandée par un écrit figné du Roi , contre- figné
du miniftre ; ce feroit compromettre la Majefté
du pouvoir légiflatif avec qui le pouvoir
exécutif doit avoir des relations plus folemnelles
que ces billets volans par lefquels le Roi indique
fon heure. « Je ne vois aucun inconvé(
182 )
nient à retarder votre décifion ... 33 Prenez
Meffieurs , l'attitude qui vous convient à l'égard
du pouvoir cxécutif « ( On croit entendre encore
le grand & vertueux Mirabeau , dire qu'il
n'eft pas de la dignité de l'Affemblée d'aller entourer
le Roi menacé d'une horde d'aflaflins.
A Verfailles , il s'agiffcit des jours du Monarque
& de fon époufe ; il s'agit aujourd'hui de
tout le peuple François . )ov .
La queftion préalable eft invoquée , & adoptée
quant à préfent. Voici la dernière rédaction du décret
contre les émigrans :
L'Aflemblée nationale , conſidérant que Ja
tranquillité & la fûreté du royaume lui com
mandent de prendre des mefures promptes &
efficaces contre les François qui , malgré l'am
niftie , ne ceffent de tramer contre la conftitu
tion françoife , & qu'il eft temps enfin de pünir
févèrement ceux que l'indulgence n'a pu ramener
aux devoirs & aux fentimens de citoyens libres ,
a déclaré qu'il y a urgence pour le décret fuivants
& le décret d'urgence préalablement rendu , a décrété
ce qui fuit :
# 1
« Art. I. Les françois raſſemblés au-delà des
frontières du royaume , font dès ce moment dés
clarés fufpects de conjuration contre la patrie.
c . II. Si au 1. janvier prochainils font encore
en état de ra¶lemblement , ils feront déclarés coupables
de conjuration ; ils feront puniscomme tels
& punis de mort . »
CC
« III. Quant aux princes françois & aux fonc
tionnaires publics , civils & militaires , qui l'étoient
à l'époque de leur fortie du royaume , leur
abfence à l'époque ci - deffus citée du premier janvier
1792 , les conftituera coupables du même
( 183 )
"
crime de conjuration contre la patrie , & ils
feront punis de la peine portée dans le précédent
article . »
IV. Dans les quinze premiers jours du même
mois , la haute- cour nationale fera convoquée ,
s'il y a lieu . »
« V. Les revenus des condamnés par contumace
, feront , pendant leur vie , perçus au profit
de la nation , fans préjudice des droits des femmes,
enfans & créanciers légitimes . »
« VI. Dès- à- prefent , tous les revenus des
princes françois abfens du royaume feront fequeftrés
, nul paiement de traitement , penfion
ou revenu quelconque ne pourra être fait directement
ou indirectement auxdits princes , leurs
mandataires ou délégués , jufqu'à ce qu'il en
ait été autrement décrété par l'Affemblée nationale
, fous peine de refponfabilité & de deux
années de gêne contre les ordonnateurs &
payeurs, »
Aucun paiement de leurs traitemens & penfions
ne pourra pareillement , & fous les peines
ci-deffus portées , être fait aux fonctionnaires
publics , civils & militaires , penfionnaires de l'Etat,
émigrés , fans préjudice de l'exécution du décret
du 4 janvier 1790. »
« VII. Toutes les diligences néceffaires pour la
perception & le fequeftre décrétés par les 2 articles
précédens , feront faites à la requête des procureursgénéraux-
fyndics des départemens , fous la pour
fuite des procureurs-fyndics de chaque diſtrict
où feront lefdits revenus ; & les deniers en provenant
feront verfés dans les caiffes des receveurs
de diftrict , qui en demeureront comptables . »
Les procureurs -généraux- fyndics feront par
venir , tous les mois , au miniltre de l'intérieur ,
«
( 184 )
qui en rendre compte auffi chaque mois à l'Affemblée
nationale , l'état des diligences, qui auront
été faites pour l'exécution de l'article cidelius
. »
ce VIII. Tous fonctionnaires publics abfens
du royaume fans caufe légitime , avant l'amniftie
prononcée par la loi du 15 feprembre 1791 ,
font déchus de leurs plices & de tout traitement
, fans déroger au décret du 18 septembre
1790 ; tous fonctionnaires publics qui ont ,
fans canfe légitime , abandonné leur poſte avant
J'amnistic , font privés de leurs places pour
toujours. »
M
« IX. Tous fonctionnaires publics abfens du
royaume fans caufe légitime , depuis l'amnistie ,
fot auffi déchus de leurs places & traitemens , &
en outre , des droits de citoyen actif. »
ce X. Aucun fonctionnaires public ne pourra
fortir du royaume fans un congé du miniftre
dans le département duquel il fera , fous la peine
portée dans l'article ci deffus . Les miniftres feront
tenus de donner tous les mois à l'Affemblée
nationale , la lifte des congés qu'ils auront délivrés.
»
« Et , quant aux officiers- généraux , officiers ,
fous-officiers & foldats , foit de ligne , foit de
gardes nationales en garuifon fur les frontières ,
ils ne pourront les dépaffer , même momentanément,
fous quelque prétexte que ce puiffe être ,
fans encourir la peine portée par le précédent
article »
« XI. Tout officier militaire , de quelque
grade qu'il foit , qui abandonnera fes fonctions
fans congé ou déiniffion acceptée , fera réparé
coupable de défertion , & pani comme le foldat
déferteur, s
( ( 185 ) )
« XH. Conformément à la loi du...... il
fera formé une cour martiale dans chaque divi::
fon militaire , pour juger les délits militaires.
commis depuis l'amniftie ; les accufateurs publics
pourfuivront , comme coupables de vol , les
perfonnes qui ont enlevé des effets ou deniers
appartenans aux régimens françois . Le miniftre.
fera tenu d'envoyer aux cours martiales la lifte
des officiers qui depuis l'amniftic , ont quitté leurs
drapeaux fans avoir obtenu une permiflion ou congé
préalable . »
« XIII . Tout françois qui , hors du royaume ,
embaûchera & enrôlera des individus pour qu'ils
fe rendent aux raflemblemens énoncés dans les
articles I & II du préfent décret , fera puni
de mort . La même peine aura lieu contre
toute perfonne qui commettra le même crime en
France . » .
« XIV. L'Affemblée nationale charge fon
comité diplomatique de lui propofer les meferes
que le Roi fera prié de prendre , au nom de la
nation , à l'égard des puiffances étrangères limi
trophes , qui fauftrent fur leur territoire les raffemblemens
des François fugitifs. לכ
« XV. L'Affèmblée nationale déroge expreffément
aux laix contraires au préfent décret. »
On a nommé les commillaires qui iront porte
le décret à la fanction.
Du jeudi , 10 Novembre.
Les cent millions en affignats de cinq livres ,
destinés à être échangés pour d'autres allignats ,
font prefque tous en circulation , & l'on n'a cependant
brûlé que pour 60 millions de ces derniers.
M. Amelot explique à l'Affemblée que ,
( 186 )
dans des momens preffans , la trésorerie nationale
n'a fu prendre que de ceux - ci . Sa lettre eft
renvoyée au comité.
M. Emmery a rendu compte de l'affaffinat
d'un courier parti pour Calais , & chargé des
malles de Londres & de Paris . On l'a volé..
Les habitans de Dunkerque y perdent plus de
300,000 liv . Ce malheur a fait differter fur la
gendarmerie nationale dont l'organiſation eût été
retardée fans danger , fi les novateurs ne s'étoient
hâ: és d'abolir la maréchauffée ; imprudence qui¸
fit d'eux autant de complices de tous les crimes
qu'un meilleur ordre auroit prévenus . Ici s'eft
engagée une longue diatribe dialoguée contre
le miniftre de la guerre. M. la Croix y a brillé .
comme à l'ordinaire ; mais plus éloquent encore ,
un autre memble a poliment dit que le miniftre
viendroit toujours dans l'Affemblée avec la même
effronterie. Les galeries & une partie de la falle
ont vivement applaudi cette affronterie , & l'oratour
a déclaré , de fou chef, que le miniftre
avoit pe du la confiance publique , & lui a pourtant
donnéjufqu'au premier janvier pour organiſer
la gendarmerie .
23 annonce
Un arrêté de la commune de Sainte- Menehould
« qui fans doute , a dit le lecteur en ſe
rappellant le retour de Varennes , a quelques
droits à la reconoiffance publique
que le bataillon de gardes nationales de Seine
& Marne , fatigué par des marches & des contremarches
, n'a pas trouvé les armes fi ſouvent
promifes ; motif de découragement pour des ci-
Loyens moins patriotes . Ou donnez des armes ;
ou licenciez les bataillons , difoit le rapporteur.
Nouveaux foudres qui grondent fur la tête dé
vouée du miniftre . M. l'abbé Audrein. l'aggable
( 187 )
d'une maffe énorme de chefs de plainte ( vingt
fois réfutés ) ; il eft incapable ou perfide.
-- M.
la Croix demande au comité de légiflation un.
mode affuré pour mettre à exécution la refponfabilité
contre les miniftres ... Tel eft notre François
moderne .
L'évêque conftitutionnel de Rennes , M. le
Coz prend la parole : « Nous fommes ici , dit- il ,
pour faire avancer le char de la conftitution ,
& nous ne travaillons qu'à le faire reculer &
à le culbuter... Jufqu'ici vous avez harcele le
pouvoir exécutif. Je regarde comme de vrais
perturbateurs de la France , ceux qui , du matin'
au foir, viennent aboyer contre les miniftres ».
Aboyer ! on jette les hauts cris , & M. la Croix
fe retrouve dans for élément. Il a obtenu que le
préfident rappel- ât l'évêque à l'ordre , il a voulu
y mettre le préfident pour avoir rempli cette demande
fans perdre du temps à confulter l'Affemblée
; & il y a été rappellé lui- n.ême en vertu
des droits conftitutionnels du fauteuil . Triomphe
éclattant d'un côté , rumeur tonnante de l'autre :
« nous tendons malheureufement , à bouleverfer .
l'empire, a repris M. Leco , que des clameurs :
à la tribune , à la tribune , y avoient porté , &
que les huées des mêmes membres y ont affailli » .
M. Lecoz a foutenu que des expreffions i jurieufes
aux miniftres dégradoient les légiflateurs ;
qu'il fal oit juger de fang- froid & fur des preuves.
M. de Vaublanc a dit que fi l'Affemblée n'accucilloit
pas des dénonciations vagues , elle n'en
recevroit que de motivées , & fe trouveroit dans
l'attitude impofante qu'elle doit avoir . « Vous
compromettez en pure perte la majesté du corps
législatif & la dignité du pouvoir exécutif. »
L'opinant parloit ainfi , en fa qualité de bon ci(
188 )
toyen. Cette majefté & cette dignité ont été ap
plaudies avec tranfport par les amis de la mo
narchie.
Un bataillon demande à l'Affemblée la permiffion
de fe choisir un chef dès qu'il en rencontrera
un , deux élus ayant refufé ; un autre bataillon
biû'e' d'aller aux frontières ; un troiſième veut
paler des frontières à S. Domingue , « pour aller
prouver aux defpotes Efpagnols , &c... » Celui- ci
eft renvoyé au miniftre , & l'on s'occupe de
la loi provifoire fur le remplacement des officic : s.
сс
M. Albitte a défendu le projet du comité militaire
, en affurant que les membres de ce comité
font prêts à mourir , s'il le faut , pour la
berté, civisme lonable qui ne rend pas une loi
meilleure ; que les municipatx chargés d'affifter
anx revues des régimens de ligne , y feroient
des commiffaires , & qu'ainfi ils n'attaqueroient
point la conftitution , qui défend aux municipaux
de s'immilcer dans le militaire ; que le Roi n'a
l'initiative qu'en fair de guerre... On a lu tous
les projets de décrets , & préféré cclui de M. de
Jaucourt.
Trois députés de la ville de Bordeaux , MM.
Grammont, Vignes & Lefebvre font admis à la
barre. Le premier a peint la défolation de cette
ville , rappellé qu'elle a donné « un grand exemple
dans la révolution » ; & il a offert , au nom des.
Bordelois , leurs vaiffeaux , leurs bras & les
reffources qui leur reftent . Le préfident a dit
à la députation que Bordeaux ne perdoit rien.
de fa gloire , que « l'Affemblée s'occupe avec
la plus vive follicitude du deftin des colonies»
( vive follicitude qui l'a fait paffer éternellement ,
impitoyablement , à l'ordre du jour ) . - Mention
honorable ; mais refus formel de l'impreffion ac(
189 )
cordée à tant de harangues , & M. Ducos ayant
prié l'Affemblée « non pas de prendre elle- même
en confidération , mais d'inviter le pouvoir exécutif
à prendre en confidération l'offre des Botdelois.
It ne lui a été répondu que par des
כ כ
murmures .
Le reste de la féance a été rempli de débats
infignifians fur le mode de remplacement des officiers
. «Il fautun examen ……… Point d'examen... Vous
n'aurez que des officiers ignorans , fans éducation ,
fans expérience...Le patriotilme fuffit ...On ne doit
pas favoir l'algébre pour être lieutenant . Les
nobles étoient- ils mieux élevés , plus inftruits que
les gardes nationales ? N'admettez que les citoyens-
foldats inferits pour la défenfe des frontières.
Et les départemens auxquels on n'en
a pas demandé ! ... Le fervice des villes a formé
d'excellens officiers . Oui , fur- tout ceux qui
ont courageufement combattu le fanatifme des
prêtres réfractaires , &c. » L'effentiel de ces vues
profondes le trouvera dans les articles décrétés ;
mais ce qu'on n'a pu y mettre , c'est le vacarme
inoui qu'a produit le fecond article .
--
D'abord le préfident , l'ayant mis aux voix ,
l'a tenu pour adopté. Le côté gauche la dit n'avoir
pas entendu, Quelqu'un a voulu obferver que l'intention
devoit être de ne compofer l'armée de ligne
que debons citoyens, On lui a dit que c'étoit parler
contre l'article ... A l'ordre... Pappel nominal...
des vociférations à frémir d'horreur. ?Vos
fonctions ... votre dignité ... le filence ... une augufte
Affemblée.. cependant fi vous voulez ..>> Les
non, non du côté droit couvrent la voix du préfident.
Prononcer le décret... Confulter l'Affemblée...
Aux voix à l'ordre... Cent perfonnes fontforties
depuis que le décret eft rendu... il ne l'eft
--
( 190 )
pas... il left... Levez la féance . Si je lá
levois au milieu du tumulte , je croirois déshonorer
l'Affemblée. -- M. la Cépède veut qu'on
décide s'il y aura une autre épreuve : oui , ouis
non , non. M. Grangeneuve accuſe la minorité
de mauvaiſe foi , d'indécence ; & le préfident
de précipitation . Une foule de membres affiégent
le bureau , grands geftes , contorfions , coups
de poings fur la table , applaudiflemens & huées.
M. Briche obferve que ce tumulte dure depuis
plus d'une heure ... Le prix d'une heure de féance
nourriroit dix pauvres familles pendant
toute l'année . Enfin nouvel épreuve , & le décret
en fort en ces termes :
ce L'Afemblée nationale , délibérant fur la
propofition du Roi , énoncée dans la lettre du
miniftre de la guerre , en date du 16 de ce mois,
concernant le remplacement des emplois vacans
dans l'armée ; confidérant qu'il eft indifpenfable
d'effectuer promptement ce remplacement , décrète
qu'il y a urgence. »
CC.
« L'Affemblée nationale , après avoir entendu
le rapport de fon comité militaire , décrète ce
qui fuit :
« Art. I. L'exécution du décret du 28 fep-
-tembre dernier , qui fixe le mode d'admiffion ,
par la voie de l'examen , aux emplois de fousfieutenant
dans l'armée , demeure fufpendue julqu'au
premier février prochain , époque à laquelle
le remplacement devra être fait . »
43
« Sont exceptés de la préfente difpofition les
remplacemens à faire dans les corps de l'artil
lerie & du génie . 30
" ce II. Le décret du premier août dernier
concernant le remplacement des emplois vacans
( 191 )
dans Farmée , continuera d'être exécuté jufqu'à
l'époque du premier février prochain .
-
ɔɔ
La moitié des fous lieutenances actuellement
vacantes dans l'armée , continuera , juſqu'au
premier février 1792 , d'être accordée aux
fous-officiers des troupes de ligne , fuivant ce
qui eft preferit par l'article du décret du premier
août dernier : l'autre moitié fera donnée
ades citoyens actifs & à des fils de citoyens
actifs de chaque département. »
Du vendredi , 11 Novembre.
Après avoir effacé du préambule du décret
d'hier fur le remplacement des officiers les mots :
Sur la propofition du Roi , énoncée dans la lettre du
miniftre; gravefujet de quelques débats , l'Amblée
a décrété , d'urgence , que la caiffe de l'ex-
-traordinaire verfera dans le tréfor , pour combler
le déficit d'octobre , 19,730,187 liv .; & de
plus , 21,720,643 liv . pour les dépenſes particulières
de 1791 payées audit mois. Total ,
41,450,830 liv .
63
Un membre du comité des monnoies a prié
l'Affemblée d'autorifer bien vite la trésorerie
nationale à prendre , par forme d'emprunt , 25
millions d'affignats des liv. , à la charge de les
rembourfer en d'autres affignats . Nouveaux débats
qui rempliroient dix pages. Il étoit cependant
queftion d'épargner près de 20 pour 100 ,
environ 5 millions d'efcompte . Sur la propoftion
de M. Lacroix , on a décrété que tous les
projets des comités feront imprimés & diftribués
avant d'être foumis à la difcuffion ; & que la
trésorerie recevra provifoirement 10 millions
le refte étant ajourné à lundi .
( (1192 )
C
t
Le fieur Garnery , libraire de Paris , a adreffé
à l'Affemblée la dédicace ſuivante :
сс Légiflateurs , la conftitution eft l'EVANGILE
des François , elle deviendra la bonne- nouvelle
de tous les Peuples ; elle éclaire déjà l'Eſpagne
& l'Italie , par les exemplaires qu'on y en a
répandus. Je l'ai fait imprimer en papier véling
vous ne pouvez vous difpenfer d'agréer le premier
exemplaire , qui eft du au Souverain. Le
Roi aura le fecond. » Ce préfent d'un écu ,
le ftyle emphatiquement impertinent , extravagant
, impie , de ce billet familier dicté par
quelque clubifte ivre d'eau-de- vie , ont été applaudis
comme un trait fublime de bon goût ,
de décence , de génie & de civiſme.
14
« Cette lettre eft fi courte , & contient de
fi bons principes , s'eft écrié M. Garran de
Coulon , que j'en demande la tranfcription littérale
dans le procès - verbal. -- « Nous ſommes
les repréfentans du fouverain , mais non le fouverain
, objectoit férieufement M. Chéron .
Le libraire a fait CE DON à la nation dans
Les représentans , a' répondu M. Merlin » . -- « Il
eft de fait que le repréfentant eft autant & le
même que le repréſenté , a dit un autre ❤.
Tant de propos dignes du fujet ont conduit
à une mention honorable de l'hommage dans le
- procès, verbal..
--
On lit une lettre de la municipalité de Caen ,
dont voici la fuftance :
Depuis quelque temps , une foule d'émigrans
& de ci-devant nobles fe- réuniffoient myftérieufement
dans les places publiques , y faifoient
des cavalcades , & fembloient , par leur arrogance
, annoncer das projets hoftiles. Les prêtes
non- affermentés
( 193 )
3 .
non- affermentés avoient reçu l'ordre fi jufte de
quitter leur paroifle ; mais d'après la lettre incendiaire
du ministre de l'intérieur , ils fe font
préfentés dans les églifes où les curés conftitutionnels
leur ont fourni les ornemens , & , ont
été infultés par les gens qui accompagnoient ces
prêttes non-jureurs .
Vendredi 4 novembre , M. Bunel , ci- devant
curé de la paroifle de St. Jean , y dit la meffe
à huit heures , avec le confentement préalable
du curé conftitutionnel. L'églife étoit pleine , le
fanctuaire & le choeur remplis de ci- devant nobles
& de leurs domestiques , qu'on soupçonnoit
armés de piftolets , & qu'on foupçonnoit apoftes
pour exciter da trouble. M. Bunel annonça qu'il
ditoit la meile le lendemain à la même heure .
Quelqu'un demanda un Te Deum en action de
graces . Le confeil- général de la commune écrivit
M. Bunel de ne pas dire la meffe promiſe ; il
fe foumit à la réquisition municipale ; mais ce
changement étant ignoré , une affluence confidé
rable de monde le rendit à la paroiffe . Un offi
cier de la garde nationale & quelques patriotes
inquiers d'un raffemblement légitime , entrèrent
dans l'églife , queftiontèrent fept à huit domeftiques
accufés d'avoir provoqué un grenadier ;
ceux- ci dirent : & vous venez chercher probablemeur
ce que vous trouverez ; nous avons
plus de force que vous , nous vous chafferons
de l'églife ». Un jeune homme voulut défarmer
un garde nationale venu pour rétablir l'ordre , &
reçut plufieurs coups de bayonnettes qui le renverferent.
D'autres tirèrent , dit-on , des coups
de piftolets ; le tambour - major de la garde nationale
les chargea à coups de fabre. Arrivent
les municipaux , les grenadiers & les chaffeurs
N °. 47. 19 Novembre 1791 . I
( 194 )
avec le drapeau rouge , non déployé ; quatre
perfonnes furent bleflées , & le calme fe rétablit.
Le district vint fe réunir à la municipalité.
Une troupe de ci-devant nobles armés eft
raffemblée fur une place ; l'officier- major y va , Jes fait entrer dans la maifon commune. On les
interroge féparément . Il eft d'abord décidé qu'ils
feront élargis ; mais une lettre anonyme trouvée ,
à propos , fur l'un d'eux annonce une coalition ;
ils font emprisonnés au château , au nombre de
82 , pour leur sûreté , & en attendant des ren-
Seignemens. Autre découverte , dans les pochos
de l'un des coaldés ; c'eſt un plan de contrerévolution
, de force active choilie parmi les citoyens
dits honnêtes , de remplacement des autorités
conftitutionnelles
ou les conjurés patoi
fent compter fur des juges , fur des adminiftrateurs
; plan qui devoir s'exécuter lundi procham
fous les ordres de MM. du Rozel & d'Héricy
détenus ,
ر ت
Sur tout cela , le diftrict & la commune ont
arrêté l'apport des armes de tout étranger dans
les 24 heures , & la fufpenfion de fonctions des
prêtres non -affermentés. Les adminiftrateurs du
département oat tous refufé de figner cet arrêté ,
excepté M. Richier . Les municipaux poursuivent
L'interrogatoire & ont formé un comité de furveillance
.
Que voit-on' dans ce procès - verbal , infedé
du fanatifine perfécuteur Des cavalcades , des
projets imaginés ; un prêtre qui dit la meffe dès
qu'on le lui permet , qui s'en abftient dès qu'on le
lui défend contre toute juftice ; des catholiques qui
veulent rendre graces au ciel de la liberté des
cultes , qu'on foupçonne armés , qu'on fuppofe
apoftés pour exciter du trouble , quoiqu'ils duffent
( 195 )
être les feules victimes du trouble ; une affluence
confidérable qui prouve du moins que la perfécution
n'a pas pour elle la volonté générale
des citoyens dits honnêtes ; des patriotes inquiets
qui fe mêlent où ils n'ont que faire ,
queftioncent , menacent , donnent des coups de
fabre & de bayonnettes ; des gardes nationales
qui n'ont pas le droit d'entrer armés dans le
Parterre d'un faltinbanque fans réquifition expreffe
, & qui viennent mettre l'ordre dans une
églife , cù l'on ne craint que le trouble & les
outrages ; des nobles armés qu'un officier conduit
paiſiblement à la maifon commune ; des lettres
anonymes , des plans abfurdes trouvés , à point,
dans la po he de ceux qu'on veut accufer , comme
on calomnia M. de Voifins & tant d'autres, après
les avoir incarcérés ou maffacrés ; one manoeu
vre de clubs pour perpétuer l'anarchie , & perdre
des juges & des adminiftrateurs qui ne font pas
dans les principes de MM. Fauchet , Ifnard, &e?
Mais perfocne n'a paru entrevoir des probabilités
auffi frappantes . M. Cambon a demandé
la prompte convocation d'une haute- cour nationale
; MM. Guadet , Couthon & Merlin , que l'on
décrétât , fur- le- champ , qu'il y a lieu à accufation
contre les prévenus ; quoique M. Lagrevole
affirmat que l'écrit ne portoit aucune fignature
de municipaux ni d'adminiftrateurs. « La
volonté de la nation s'eft fait entendre , a die
un membre ; il nous vient de toute part des
pétitions contre les prêtres non- affermentés 5
& ce membre a impitoyablement reffaflé tout
ce qu'on avoit débité fur les 30 curés mal élus ,
& rétablis de force à Thionville , au nom de la
liberté des cultes.
« Pourquoi la proclamation contre M. Louis
I 2.
( 196 )
"
Xavier, prince, François , qui devoit être exécutée
dans trois jours , n'eft- elle pas encore
faite , s'eft écrié M. Goupilleau ? Pourquoi le
miniftre n'en rend-t-il pas compte ? » De viclens
murmures lui ont reproché fon indifcrétion &
coupé la parole . On cherchoit quel rapport ily
avoit entre les curés intrus de Thionville foutenus
de bayonnettes , M. Bunel obéiffant &
réfigné au defpotifme municipal , le retard d'une
proclamation impolitique , & les gentils - hommes
de Caen ; M. Lacroix & l'ex-capucin M. Chabot
n'ont pu faire cette intéreffante découverte .
сс
Convoquons au plutôt la haute cour nationale
contre des criminels de lèze - nation , a
dit M. Ifnard ; c'est notre feule reffource . Il
faut enfia fortir de fon fourreau ce nouveau
glaive des loix qu'a forgé la liberté . Marchons
en fouverains . Lorfqu'on
tient , comme nous , les rênes de l'Empire , on
ne doit connoître ni crainte ni pitié ..
Ne vous laiffez pas épouvanter par la grandeur
de votre propre action... Que les chefs des féditieux
montent fur l'échafaud ; & vous verrcz
tout le refte mordre en frémiffant le frein de la
loi , mais s'y affujettir ». Applaudiffemens &
bravos redoublés .
MM. Ducaftel, & Lacretelle qui fuccède à M.
Godard , ont vivement infifté pour que l'on attendîndes
preuves. « Songez , difoit M. Lacretelle
, au danger qu'il y auroit à ce que l'Affemblée
, devenue grand-juré , prît , dans de femblables
circonstances , un caractère de faction ».
--
Après cet avis digne d'un bon efprit , nous
laifferons crier MM. Lacroix , Garran de Coulon ,
Chabot Grangeneuve , & paffant un trait de
plume fur trois mortelles heures de tapage ,
( 197 )
nous en viendrons au décret ainfi conçu
« L'Affeinblée nationale décrète que des expéditions
en forme des interrogatoires manufcrits
& autres pièces & renfeignemens énoncés dans
le procès- verbal du confei - général de la commune
& du directoire du district de Caen , ſe-,
ront envoyées inceflamment par le confeil - général
de la commune de Caen au corps légif
latif ; & cependant les perfonnes arrêtées continueront
de refter en état d'arreftatiɔn juſqu'à
ce que l'Affemblée nationale en ait autrement
décrété . »
L'Affemblée nationale charge le pouvoir
exécutif d'expédier , fur- le-champ , un courier
extraordinaire vers la municipalité de Caen
pour avoir les copies collationnées des différentes
pièces énoncées au procès- verbal du confeil gé
néral . 5
Décrète enfin que le miniftre de l'intérieur
viendra demain rendre compte à l'Affemblée
s'il a ou non connoiffance des évènemens qui
oat cu licu dans la ville de Caen.
Du famedi , i2 novembre.
23
Peu après l'ouverture , M. Bagire a cru faire un
acte de profonde politique , en divulguant & dénonçant
à l'Affemblée une lettre , qu'il a dit
être adreffée par un ancien receveur- général des
fermes de Paris , à un receveur des fermes du dé
partement de la Côte d'Or . En voici l'effentiel :
сс
Continuez , mon cher ami , à mettre la même
» adreffe à favorifer le paffage de nos employés
chez nos émigrans . N'envoyez pas des gens
mariés , ils éventeroient la mêche en écrivant à
leurs femmes. Les 63 font arrivés à Coblentz .

1
3
( 198 ).
30 On en cft très- content. Expédiez ceux deDijon &
des directions voisines . On eft fort content dë
M. Tardy; il les fait paffer avec beaucoup d'art ,
Faites -leur des avances que vous porteiez fur
leur commifion . Je vous envoie soo livres .
Si nous parvenons à réunir 25,0co homn.es
à Cobleniz , les connoiffeurs affurent que l'armée
des gardes nationales fera bientôt chal-
» fée jufqu'à Paris . Eles y feront étillées pendant
que les Princes entreront dans les Piovinces
toutes difpofées à fe remettre fous la
» protection du Roi. La contre - révolution eft
» certaine , L'Affemblée nationale eft dans le plus
grand difcrédit , & n'attendra pas qu'on la
challe ». Paris , le 30 Octobre. Signé , VARNIER,
M. Bazire a folli.ité l'ét,billement d'un comité
defurveillance ( autrement dit de recherche);
& n'a pas révélé comment cette lettre avoit été interceptée
. On a demandé que fon auteur fût mis
en état d'arrestation , & mené de municipalité en
municipalité , à la bare . Cet epifode a été fuivi
d'exclamations , de périphrafes , d'une difcuffion
fermée , de la préalable repoutlée , d'une confufion
indicible . On a décrété que le fieur Varnier
Leroit traduit à la barre , & le tumul: e a redoublé.
On a lu une autre lettre du directoire du département
du Haut- Rhin . Haine de la conftitution ,
découragement des gardes nationales , retard des
contributions , infurrections journalières ; le direç
toire impute tout cela aux prêtres non- affermentés,
«Quelques moyens généraux que prenne l'Affemblée
, écrivent ces dociles adminiftrateurs , il eft
indubitable que fi fon décret contrarie notre arrêté,
adapté aux localités , il ne nous fera plus poffible
de répondre de la tranquillité de notre département
». L'arrivée des miniltics a détourné la lec
( 199 )
ture de cet arrêté ; & le garde- du-fceau a pris la
parole.
Le Roi , a-t- il dit , m'a chargé de vous
lire la note des décrets auxquels il a donné fa
fanction ». Cette note contenoit entr'autres le
décret relatif à MONSIEUR . « Quant au décret fur
Ies émigrans , a poursuivi M. Duport du Tertre
Je Roi l'examinera. »
Il est devenu très - difficile de donner à l'Affemblée
une apparence de ce calme que le corps lé
giflatif conflituant devoit à l'accord de les chefs
dans les momers cu ayant tout préparé , il croyoit
fa vanité intéreffée à ce qu'il pafsât à l'ordre du
jour . On crioit , & bien fort : à l'ordre dujour.
Le miniftre a voulu lire des obfervations fur le
décret noa- fanctionné , rendre compte des mefures
qu'avoit prifes le Roi ; le vacarme a été
au comble. Eft- il de la dignité législative d'entendre
un meffage qui n'eft pas ligné du Roi ?
« Le moyen de maintenir votre dignité , difoit le
préfident , feroit de garder le filence. » Oui
mais le moyen de garder le filence ?
--
.4.
« La conftitution donne au Roi le droit de
ucto , a dit M. Réboul ; mais il ne doit pas nous
en communiquer les motifs ». Non , non
cui , oyi, J'appuye , s'eft écrié M. Cambon ;
& difpofant d'un tour de main , de l'opinion de
l'Europe , il a dit : « Au refte , ce que vient de
faire le Roi , prouvera aux détracteurs forcenés
de nos inftitutiors , qu'il eft libre au milieu de
fon peuple
. Comme s'il n'étoit pas auffi dans
le caractère de Louis XVIde préférer de paroître
libre à paroître injufte & dénaturé ; comme fi , en
fuppofant qu'on voulût forcer un prifonnier à
figner la ruine , l'opprobre ou la mort de les fières
& de fes enfans , ou à leur faire un piége de fon
4
( 200 )
eachot , fon refus ne feroit pas un nouveau retentiffement
du bruit de fes chaînes ! Nous ne
péfons ici ni les faits , ni les décrets , ni les hommes ;
mais la logique de M. Cambón & les bruyans applaudiffemens
qui lui ont été prodigués .
Le préfident ferme la bouche au miniftre en lui
difant : cferai-je ?... Cet oferai -je eft un fcandale .
- Vous avez le droit de tout repréfenter » s'écrient
des membres indigués . Que le miniftre
parle au nom du Roi , qu'il rende compte...
Fordre... à l'abbaye ... ( On voit qu'il exifte encore
quelque différence entre la liberté du Roi &
de celle du préfident. )
A
De peur d'en trop dire , on s'occupe des troubles
du Calvados. M. de Leffart ne fait rien . M.Fauchet
dit que le directoire du département eft fulpect ,
le procureur-général l'objet de la haine publique ;
qu'ils avoient follicité l'éloignement du régiment
d'Aunis malgré la municipalité. M. de Leffart de
clare précisément le contraire ; or , le régiment
étant patti la veille des troubles , M. Fauchet ne
vante plus la municipalité.
La queftion relative aux prêtres alloit être agitée
; mais on ne penfe plus qu'au fieur Varnier. I
loge à Paris. M. Bazire attefte que la lettre eft
écrite & fignée par M. Varnier , il fe porte accufateur...
Le décret d'accufation eft rendu .
Un décret l'a mandé à la barre , un fecond
l'a conftitué en état d'arrestation , Peut - on l'écouter
? Grande queftion de droit public . M. Lecroix
décide que non ; M. Cambon décide qu'oui.
M. Varnier comparoît , on l'interroge , il répond
:
co Je fuis de Saint- Dizier. --- A Paris depuis
⚫ fix mois. Mon nom eft Varnier. J'étois 101 --
receveur des traites ; jë n'ai plus d'état. -- Je
( 201 )
--
11 Je connois
Mon père étoit
ne connois point M. Tardy.
» M. Noirot . J'ai 30 ans .
procureur du Roi . Je n'ai aucune connoif-
J'en ai à Dijon.
..
» fance à Coblentz . -- --
» Je ne connois ni l'écriture ni la fignature de
» cette lettre . On a voulu imiter mon écriture ;
» elle eft mal imitée . »
On lui a fait écrire quelques lignes , fon nom)
des chiffres ; & on l'a confié à la garde . Ses réponfes
fuffisent pour le faire mettre en état d'açcufation
, a dit un membre . Envoyez -le à l'Abbaye
, ou vous n'aurez pas le temps de le fauver ,
a dit un autre. ( Quelle idée du règne de la
liberté ! ) Quelqu'un vouloit que des commiffaires
accompagnaffent M. Varnier jufqu'à
la priton :: « Ce n'eft à des membres de l'Àffmblée
d'accompagner UN ÊTRE DE CETTE ESPÈCE
s'eft écrié M. Merlin. M. Dumolard ,
qui le rappelloit à l'ordre , a été affailli de huées
à caufe de la foibleffe de fa voix.
כ כ
,
-
pas
Divers décrets ont , 1 ° . levé la fufpenfion du
décret d'accufation ; 2 °. ordonné l'appofition des
fcellés fur les papiers du prévenu ; 3 ° . tout difpofé
pour une prompte convocation de la hautecour
nationale ; 4° . étendu l'accufation aux fieurs
Tardy & Noirot; 5 ° . dépofé la lettre & les effais
d'écriture , aux archives ; 6º . recommandé à un
officier municipal la sûreté de l'accufé ; & l'Affemblée
a bien voulu attendre l'avis qu'il étoit parvenu
, fans danger , dans la priſon de l'Abbaye.
l'étendue qu'a emporté l'analyfe des
dernières Séances de l'Affemblée nationale,
nous force de remettre quelques réflexions ,
Is
( 202 )
nées de la nature des débats fi longs , f
oifeux , fi vides de raifon , qui ont amené
le fameux Décret contre les Emigrans,
Quant au Décret lui - même , il eft une
nouvelle preuve du mépris de fes Auteurs
pour la Conftitution , & ce qui eft
pire, pour la juftice , la prudence , la liberté.
Par nos nouvelles Loix , l'Affemblée n'étoit
autoriféc qu'à accufer devant la Haute Cour
Nationale , les Emigrans qu'elle jugcoit
coupables de confpiration publique. Là
expiroient fes droits : ceux qu'elle ufurpe
doivent faire frémir tous les amis de la
liberté. Scn Décret eft à la fois une Accufation
, une procédure , & un jugement.
Emigrés , raffembiés , fufpects , accufés ,
convaincus , punis de mort ; voilà le précis
de ce Fetfa , digne de la plume fanguiraire
de Philippe II , dont l'exemple a été
fi heureufement propofé par J. P. Briffot
à l'imitation de l'Affemblée Légiflative ( 1 ).
( 1 ) J'ai relevé fréquemment les traits multipliés
d'ignorance , qui échappoient dans la précédente
Affemblée à la plupart des Orateurs , qui
parlcient de tout fans fe douter de rien . C'eſt
encore pire aujourd'hui . Dans fon difcours fur
les Emigrans , Briffot dit : C'étoit la tête de
Maurice que le Duc d'Albe ne ceffa de poursuivre.
Or , Maurice né en 1566 de Guillaume le
Taciturne & de fa feconde femme Anne de Saxe,
avoit juſtement SEPT ANS lorſque le Duc d'Alle
( 203 )
Ce Décret illégal étoit donc une ufur
pation , & une tablette de profcrits . Quand
avec une puiffance toute neuve , on eft
réduit à de femblables moyens pour foumettre
fes ennemis , & cela en face d'une
Déclaration des Droits de l'Homme , on
annonce fa caufe comme étant près de
périr.
. Il eft peu vraisemblable
que les Auteurs
de ce projet de St. Barthelemy juridique ,
en aient férieufement
conçu ou eſpéré
l'exécution. Auffi l'on eft balancé entre le
doute fi ce Décret avoit un autre objet ,
que de placer le Roi entre le reffentimient
populaire , & la néceffité de faire égorger
fes Frères & les Royaliftes
; ou bien , s'il
étoit rendu pour provoquer un refus de
fanction , qui pût fervir de preuve à la
liberté du Roi. Nous avons déjà vu dans
le cours de deux ans & demi , tant de
Comédies
de cette efpèce , jouées par des
Hiftrions politiques , que celle- ci pourroit
fort bien avoir été concertée entre un ou deux
Miniftres dont les fentimens font connus ,
& les Dictateurs de la Démagogie
actuelle.
Cependant la fureur de celle- ci affoiblit le
quitta les Pays- Bas en 1573. Briffot a pris le
Prince Maurice pour fon père Guillaume. Voilà
Jes .Citations de nos Législateurs , & leur fcience
dans l'Hiftoire ,
I 6
( 204 )
pas
foupçon de connivence, Le refus du Roi a
excité une tempête aux Jacobins , dans les
Clubs , dans les Cafés , & parmi toutes les
troupes légères de la République. On a
remiué pour obtenir quelque émeute : on
parle d'incidens que nous n'avons pu vérifier
encore, & fur lefquels , par conféquent ,
nous garderons actuellement le filence ( 1 ) .
Il n'eft befoin d'être Prophête pour
prédire que , les difpofitions du Décret ne
font que retardées , & qu'on prépare des
tournures contre lefquelles l'éloquence de
M. le Garde- du-Sceau fera vraisemblablement
infuffifante. Déjà Briffordans fa Feuille
qu'il appelle le Patriote François , a dit
le 13 ; « l'ordre du jour eft le falut de l'Etat ,
» & l'Affemblée faura le fauver fans le Roi,
» & malgré les Miniftres qui lui donnent des
>> confeils auffi pervers. »
Le lendemain de l'emploi du Veto fufpenfif
, les Miniftres ont fait répandre les
Pièces fuivantes.
PROCLAMATION DU ROI.
Du 12 Novembre 1791 ..
« Le Roi n'a point attendu jufqu'à ce jour,
pour manifefter fon improbation fur le mouvement
qui entraîne & qui retient hors du
(1 ) On affure que Lundi , S. M. ayant voulu
monter à cheval , elle s'est trouvée confignée à la
porte , & qu'on ignore de qui les Sentinelles
avoient reçu cet ordre .
1205 )
Royaume , un grand nombre de Citoyens Fran
çois .
cc
و د
«Mais après avoir pris les mefures convenables
pour maintenir la France dans un état de paix
& de bienveillance réciproque avec les Puiffances
Etrangères , & pour mettre les frontières
du Royaume à l'abri de toute invafion , Sa
Majefté avoit cru que les moyens de la perfuafion
& de la douceur feroient les plus propres
à ramener dans leur Patrie , des hommes que
les divifions politiques & les querelles d'opinions
en ont principalement écartés . »
cc
Quoique le plus grand nombre des François
émigrés n'eût point paru changer de réfolution
depuis les proclamations & les démarches
du Roi , elles n'avoient cependant pas été entièrement
fans effet ; non-feulement l'émigration s'étoit
ralentie , mais déjà quelques-uns des François er
patriés étoient rentrés dans le Royaume , & le
Roi fe flattoit de les voir chaque jour revenit
en plus grand nombre . »
1
« Le Roi plaçant encore fon efpérance dans
les mêmes mefures , vient de refufer fa fanction
à un Décret de l'Affemblée Nationale , dont
plufieurs articles rigoureux ( 1 ) lui ont paru contrarier
le but que la Loi devoit fe propofer , &
que réclamoit l'intérêt du Peuple , & ne pouvoir
pas compatir avec les moeurs de la Nation &
les principes d'une Conftitution libre . »
« Mais Sa Majefté ſe doit à elle-même & à
(1 ) Le mot eft doux. Rigoureux ! un décret
qui prononce la mort & la confifcation contre
tout François qui fera dans l'Etranger au mois
de Janvier prochain ! ( Note du Rédacteur. )
( 206 ).
ceux que cet acte de la prérogative Royale
pourroit tromper fur fes intentions , d'en renouveller
l'expreffion pofitive , & de remplir , autant
qu'il est en elle , l'objet important de la Loi
dont elle n'a pas cru devoir adopter les moyens. »
se Le Roi déclare donc à tous ceux qu'un elprit
d'oppofition pourroit entrainer , raffembler
Qu retenir hors des limites du Royaume , qu'il
voit non-feulement avec douleur , mais avec un
profond mécontentement , une conduite qui
trouble la tranquillité publique , objet conftant de
fes efforts , & qui paroît avoir pour but d'attaquer
les Loix qu'il a confacrées par fon acceptation folemnelle
.
Ceux-là feroient étrangement trompés , qui
Luppoferoient au Roi une autre volonté que celle
qu'il a publiquement manifeftée , & qui feroient
d'une telle erreur le principe de leur conduite &
la bafe de leur efpoir , de quelque motif qu'ils
aient pu la couvrir à leurs propres yeux. Il n'en
exifte plus aujourd'hui . Le Roi leur donne , en
exerçant la prérogative fur des mesures de rigueur
dirigées contre eux , une preuve de fa
liberté , qu'il ne leur eft permis ni de mécon
noître , ni de contredire ; & douter de la fincérité
de fes réfolutions , lorfqu'ils font convaincus
de la liberté , ce feroit lui faire injure .
Le Roi n'a point diffimulé la douleur que lui
ont fait éprouver les défordres qui ont eu lieu
dans le Royaume ( 1 ) , & il a long-temps cherché
( 1 ) Sans doute le Roi ne l'a pas diffimulée ;
mais fes Miniftres l'ont diffimulée pour lui , car
ils ont gardé , depuis un an , un filence profond
fur ces défordres , lorfqu'ils ne les ont pas protégés.
( Note du Rédacteur. )
( 207 )
P
à crone que l'effroi qu'ils infpiroient, pouvoir
feul retenir hors de leurs foyers un fi grand
nombre de C toyens ; mais on n'a plus le droit
d'accufer les troubles de fa Patrie , lorfque , par
une abſence concertée & des taſſemblemens fufpects
, on travaille à entretenir dans fon fein
l'inquiétude & l'agitation . Il n'eft plus permis
de gérie fur l'inexécution des Loix & fur la
foiblefe da Gouvernement , lorſqu'on donne
foi même l'exemple de la défobéiffance , & qu'on
ne veut pas reconnoître pour obligatoires les
volontés réunies de la Nation & de fon Roi. »
« Aucun Gouvernement ne peut exifter , fi
chacun ne reconnoît l'obligation de foumettre fa
volonté particulière a la volonté publique ( 1 ) .
Cette condition eft la baſe de tout ordre focial ,
& la garantie de tous les droits ; & , foit qu'on
veuille confulter fes devoirs ou fes intérêts ,
peut-il en exifter de plus réels pour des hommes
qui ont une Patrie , & qui y laiffent dans fon
fein leur famille & leur propriété , que celui
d'en refpecter la paix
d'en partager les deftinées
, & de prêter fon fecours aux Loix qui
veillent à fa fûreté . »
« La Conftitution qui a fupprimé les diftingtions
& les titres , n'a point exclu ceux qui les
poffédoient , des nouveaux moyens d'influence &
( 1) Qui fans doute , lorfque la volonté publique
le fonde fur la juftice , & fe manifefte
en liberté , légalement , régulièrement , fans bri
gands , fans lanternes ,fans attroupemens féroces ,
fans defpotifme populaire , fans têtes coupées
fans torches , fans profcriptions.
(Noté du Rédacteur. )
( 208 )
des nouveaux honneurs qu'elle a crées ( 1 ) ; &
fi , loin d'inquiéter le Peuple par leur abſence ,
& par leurs démarches , ils s'empreffoient de
concourir au bonheur commun , foit par la confommation
de leurs revenus au fein de la Patrie
qui les produit , foit en confacrant à l'étude des
intérêts publics , l'heureuſe indépendance des
befoins que leur affure leur fortune , ne feroientils
pas appelés à tous les avantages que peuvent
départir l'eftime publique & la confiance de leurs
Concitoyens ? »
сс
Qu'ils abandonnent donc des projets que
réprouvent la raifon , le devoir , le bien général
& leur avantage perfonel . François , qui
n'avez ceffé de publier votre attachement pour
votre Roi , c'eft lui qui vous rappelle dans
votre patrie ; il vous promet la tranquillité
& la sûreté au nom de la Loi dont l'exécution
fuprême lui appartient ; il vous les garantit
au nom de la Nation avec laquelle il elt inféparablement
uni , & dont il a reçu des preuves
touchantes de confiance & d'amour . Revenez :
c'eft le voeu de chacun de vos Concitoyens
c'eft la volonté de votre Roi ; mais ce Roi qui
vous parle en père , & qui regardera votre re-
(1 ) Ils font très- pofitivement exclus par le fait
de ces moyens & de ces honneurs , & ils le font
par la Conftitution qui a facrifié les Propriétaires
au nombre & à la multitude . Comment
M. Duport peut-il fire ufage d'un femblable
argument, à la vue des hommes qui templiſſent
l'Affemblée , les Départemens , les Régimens
les Municipalités , les Tribunaux !
( Note du Rédacteur. )
2
( 209 )
tour comme une preuve d'attachement & de
fidélité , vous déclare qu'il eft réfolu de défendre
par tous les moyens que les circonftances pourroient
exiger , & la sûreté de l'Empire qui lui
eft confiée , & les Loix au maintien deſquelles
il s'eft attaché fans retour , »
« Il a notifié fes intentions aux Princes fes
frères ; il en a donné connoillance aux Puilfances
fur le territoire defquelles fe font formés
des raſſemblemens de François émigrés . Il ef-
Fère que fes inftances auront auprès de vous le
fuccès qu'il a droit d'en attendre. Mais s'il étoit
poffible qu'elles fuffent vaines , fachez qu'il n'eft
aucune réquifition qu'il n'adreffe aux Puiffances
étrangères qu'il n'eft aucune loi jufte , mais
vigoureufe , qu'il ne foit réfolu d'adopter plutôt
que de vous voir facrifier plus long- temps
à une coupable obftination le bonheur de vos
Concitoyens , le votre & la tranquillité de votre
Pays.
Fait à Paris , le 12 Novembre 1791 .
Signé , LOUIS.
Et plus bas , DELESSART .
LETTRE DU ROI aux Princes François
, fes Frères.
Paris , le 16 Octobre.
ee J'aurois cru que mes démarches auprès de
Vous , & l'acceptation que j'ai donné à la Conf
titution , fuffifoient , fans un acte ultérieur de
ma part , pour vous déterminer à rentrer dans
le Royaume , ou de moins à abandonner les
projets dont vous paroiffez être occupés . Votre
conduite depuis ce temps devant me faire croire
que mes intentions réelles ne vous font pas
bien connues , j'ai cru devoir , à vous & à
( 270 )
moi de vous en donner l'affurance de ma propre
main. »
Lorfque j'ai accepté , fans aucune modication
, la nouvelle Conftitution du Royaume ,
le voeu du peuple & le defir de la paix m'ont
principalement déterminé ; j'ai cru qu'il étoit
temps que les troubles de la France euffent un
terine ; & voyant qu'il étoit en mon pouvoir
d'y concourir par mon acceptation , je n'ai pas
balancé à la donner librement & volontairement
i
ma téſolution eſt invariable . Si les nouvelles
Loix exigent des changemens , j'attendrai que
le temps & la réflexion les follicitent je fuis
déterminé à n'en provoquer & à n'en fouffrir
ancun par des moyens contraires à la tranquil,
lité publique & à la Loi que j'ai acceptée . »
?
Je crois que les motifs qui m'ont déter
miné , doivent avoir le même empire fur vous,
Je vous invite donc à fuivre mon exemple,
Sì , comme je n'en doute pas , le bonheur &
la tranquillité de la France vous font chers
vous n'héfiterez pas à concourir par votre con
duite à les fire renatre ; en faifant ceffer les
inquiétudes qui agitent les efprits . , vous contribuctez
au rétablitlement de Tordre , vous al
Lurerez l'avantage aux opinions fages & modérées
, & vous fervirez efficacement le bien
que votre éloignement & les projets qu'on vous
fuppofe ne peuvent que contrarier. »
29
Je donnerai mes foins à ce que tous les
François qui pourront rentrer dans le Royaume ,
y jouiffent paifiblement des droits que la Loi
leur reconnoît & leur affure. Ceux qui voudront
me prouver leur attachement , ne balan
ceront pas. Je regarderai l'attention férieuſe que
vous donnerez à ce queje vous marque , comme
( 211 )
une grande preuve d'attachement envers votre
frère & de fidélité envers votre Roi , & je vous
faurai gré toute ma vie de m'avoir épargné la
néceflite d'agir en oppofition avec vous , par
la réſolution invariable où je fuis de maintenir
ce que j'ai annoncé . »
-
Signé LOUIS.
LETTRE DU ROI à Louis Stan flas
Xavier, Prince François , Frère du Roi .
Paris , le 11 Novembre 1791.
je
« Je vous ai écrit , mon Frère , le 16 Oc
tobre dernier , & vous avez dû ne pas douter
de ines véritables fentimens. Je ſuis étonné que
ma lettre n'ait pas produit l'effet que je devois
en attendre . Pour vous rappeler à vos devoirs ,
j'ai employé tous les motifs qui devoient le plus
vous toucher. Votre abfence cft un prétexte
pour tous les malveillans , une forte d'excufe
pour tous les François trompés qui croyent me
fervir en tenant la France entière dans une inquiétude
& une agitation qui font le tourment
de ma vie. La Révolution eft finie , la Conftitution
eft achevée , la France la veut
la maintiendrai ; c'eft de fon affermiffement
que dépend aujourd'hui le falut de la Monar
chie. La Conftitution vous a donné des droits ;
elie y a mis une condition que vous devez
vous hater de remplir. Croyez-moi , mon Fière ,
repouffez les doutes qu'on voudroit vous donner
fur ma liberté . Je vais prouver par un
acte bien folemnel , & dans une circonstance
qui vous intéreffe , que je puis agir librement.
Prouvez- moi que vous êtes mon F.ère & François
, en cédant à mes inftances Votre véri
table place eft auprès de moi . Votre intérêt
( 212 )
vos fentimens vous coníeillent également de venir
la reprendre ; je vous y invite , & , s'il le faut ,
je vous l'ordonne . »
יד
Signé , LOUIS.
LETTRE DU Ro1 à Charles- Philippe ,
Prince François , Frère du Roi .
Paris , le 11 Novembre 1791 .
* Vous avez sûrement connoiffa ce du Décret
que l'Affemblée Nationale a rendu relativement
aux François éloignés de leur Patrie , je ne crois
pas devoir y donner mon confentement , aimant
me perfuader que les moyens de douceur rempliront
plus cfficacement le but qu'on fe propofe
, & que réclame l'intérêt de l'Etat . Les
diverfes démarches que j'ai faites auprès de vous ,
ne peuvent vous laiffer aucun doute fur mes
intentions ni fur mes voeux. La tranquillité publique
& mon repes perfonnel font intéreffés à
Votre retour. Vous ne pourriez prolonger une
conduite qui inquiète la France & qui m'afflige ,
fans manquer à vos devoirs les plus effentiels .
Epargnez- moi le regret de concourir à des mefures
févères contre vous ; confultez votre véritable
intérêt ; laiffez-vous guider par l'attachement
que vous devez à votre pays , & cédez
enfin au voeu des François & à celui de votre
Roi. Cette démarche de votre part fera une
preuve de vos fentimens pour moi , & vous affurera
la continuation de ceux que j'ai toujours
eus pour vous . »
Signé , LOUIS.
Par la manifeftation des actes qu'on
vient de lire , le Ministre dirigeant a fans
( 213 )
doute eu l'intention louable de contrebalancer
les efforts , les criailleries , les manoeuvres
des Anti - Monarchiques. Cette
démarche , néanmoins , n'a point prévenu
des qualifications & des motions atroces
contre le Roi perfonnellement. - Quant
'à l'effet de ces exhortations aux Emigrans ,
on peut relire les réflexions que nous fournit
dans le tems la première Proclamation . Il eft
impoffible de rédiger rien de moins adroit ,
de plus contraire au but , de fervir plus
inconvenablement les intentions du Roi .
A quels enfans le Miniftre - directeur
compte-t-il de parler , en leur promettant
la tranquillité et la sûreté au nom de la
Loi , dont la fuprême exécution appartient
à S. M.? Et l'on écrit ces lignes à l'inf
tant où 83 Gentilshommes font incarcérés ,
deux tués, & plufieurs bleffés à mort à Caën ,
précifément parce qu'ils n'ont pas émigré ; à
l'inftant où, dans le Languedoc , une tyrannie
audacieufe , jointe au fanatifme des Protef
tans , défarme les Catholiques par force onverte
; à l'inftant où les antropophages qui
ont dévoré M.Guillin , viennent d'être mis en
liberté. On les écrit, au milieu des périodes
fumantes de M. Ifnard , & de vingt autres
exterminateurs de fa force , qui ne parlent
dans l'Affemblée Nationale que de fang ,
d'échafauds , de juftice populaire ? Ce font
des Miniftres qui n'ont ni la force ni le
( 214 )1.
pouvoir de faire punir un Soldat rebelle ,
qui promettent leur protection à cette foule
d'Officiers , dont on a , pendant un an entier
, provoqué l'expulfion par tous les
moyens imaginables , en les livrant fans
défenfe à la merci de leurs Soldats excités
contre eux , & qu'aujourd'hui , par un rafinement
échappé à Tibère , on entend punir
de mort, comme déferteurs des fonctions
qu'on les a forcés d'abandonner ,
en pointant fur eux la bayonnette de leurs
Soldats ? En vérité , cette argumentation
oratoire , fur laquelle la fignature du Roi
n'interdit de m'étendre , infpire peu d'ef
time pour l'intelligence du Miniftre - rédacteur.
Quoi qu'il en dife , l'émigration continue
; je dis plus , elle s'aggrave : l'épidémie
gagne tous les états . Il ne faut pas fe le
diffimuler ; dans la fituation miférable de
la France , un Aventurier hardi raffemblesoit
fous fes drapeaux cent mille hommies
avec de l'argent. Qu'eft- ce donc lorfque
cette réunion voit trois Princes à fa tête ,
& porte fur les mobiles du défeſpoir , du
reffentiment, & de l'honneur profondément
bleffé ? C'eft par de tous autres moyens
qu'il faudroit combattre ce danger ; mais
les hommes manquent à ces moyens.
Un Etranger impartial nous a tracé
( 215 )
dernièrement le tableau fuivant des moutvemens
& de la fituation des Emigrés.
De Bruxelles, le 9 Novembre 1791 .
« Vous faites fagement de ne pas croire
mot de ce qui fort à Paris de ces
égouts , nommés Feuilles patriotiques
, ou anti -patriotiques , conftitutionnelles
, ou contre - révolutionnaires . Cette
écume fait vomir de dégoût les Etrangers
vous redevenez abfolument barbares.
Nos Gazetiers de l'Empire font des Solon's
à côté de vos Barbouilleurs périodiques .
Lorfque vous trouvez dans ce fatras un
fait hardiment avancé , pariez qu'il eft
faux ; je fuis de moitié , & notre fortune
eft faite. »
Quel déluge de fottifes on imprime
dans votre capitale fur les Emigrans François
& fur les fecrets des Puiffances étrangères
! Comment les gens fenfés , s'il vous
en refte , foutiennent ils , depuis fix mois ,
l'infipide-répétition de tant de contes bleus,
& l'hiftoire de ces armées invifibles , de
ces flottes à la voile , de ces fecours immenfes
arrivés , & qui n'arrivent point ;
& ces fanfaronnades burlefques , & toutes
ces annonces prématurées de deffeins à
venir que la raifon permet de conjecturer;
' mais que la bonne foi défend de préfenter
comme autant de certitudes ? Les Ecrivains
qui prennent de femblables -
( 216 )
Bertés , nuifent plus à la caufe des Princes
& des Emigrés François , que leurs plus
niortels ennemis . Vous n'avez aucune idée
de la dérifion que ces hiftoires jettent fur
leurs projets elles font la fource de mille
défiances , & deviendroient celle d'une incrédulité
univerfelle ; car on s'ennuie à la
fin d'entendre fans ceffe des prédictions
qui ne fe vérifient point , & la promeffe
d'évènemens qui ne tiennent jamais parole.
Voilà vos têtes françoifes , toujours à la cave
ou augrenier ; elles n'ont jamais la patience
de laifler mûrir les affaires de ce monde. »
« Je ne vous parle pas des impertinentes
bêtifes que recueillent vos Gazetiers Démocrates
, de ce mélange de férocité & de
baffeffe infolente , avec lequel ils traitent les
Frères du Roi, & des milliers d'hommes recommandables
que le crime, & le véritable
honneur , celui qui confifte à ne fupporter
ni l'opprobre , ni l'injuftice , ont exilés de
leur patrie. Apparemment ces Feuilles publiques
font rédigées par les laquais con-
'gédiés de vos Emigrans. »
« Pour étourdir le Peuple qui com
mence à fe laffer de tant de bienfaits dont
l'a accablé la régénération , ils lui repréfentent
vos Princes délaiffés de toute la
terre ; les Emigrés dans le défeſpoir , dans la
misère , & le découragement ;' leurs projets,
comme des chimères , & ceux qui y participent
, comme autant de fous . »
« Ce
( 217 )
2
« Ce portrait eft fort bon à mettre fur
la porte de quelque Club. Je vous
donnai , il y a plufieurs femaines un
apperçu véritable de la fituation des Émigrés
François . Elle a pris , depuis , plus de
couleur : je ne dénigre ni ne flatte , & vous
verrez qu'il faut prendre un milieu entre
les defcriptions grotelques de vos Nouvelliftes
, infectés de l'efprit de parti. »
« Les Emigrés ne font ni dans l'aifance ,
ni dans le befoin. Aucun de ceux qui
manquenr de reffources ne refte fans fecours
fuffifans. Une partie des Officiers feroient
les plus à plaindre , s'ils n'avoient fu régler
leur vie für leur fituation . J'ai de nouveau
vifité les divers établiffemens , & je n'ai
pas vu fans attendriffement , le courage
tranquille avec lequel ceux qui les compofent
, favent fupporter la mauvaiſe fortune.
Les Chefs , les Emigrés riches qui font
affociés à leur fort , leur donnent l'exemple
des privations. Vous ne reconnoîtriez pas
ces François fenfuels , dont l'Epicureïſme
a tant fervi à vos Révolutionnaires. Frugalité
, patience , gaîté , fubordination
horreur de jamais fe foumettre au defpotifme
effréné de leurs Oppreffeurs , voilà
à peu d'exceptions près , ce que j'ai obfervé
par -tout. >>>
« Ces difpofitions ont jetté de profondes
racines elles repofent fur un fentiment
vif du malheur : les hommes les plus
No. 47. 19 Novembre 1791 .
K
( 218 )
amollis ne le fupportent plus , lorfqu'il ,
arrive à l'excès & qu'il eft joint à l'humilfation.
Vos Rhéteurs infenfés , vos
rapfodiftes
, vos Folliculaires prennent foin d'entretenir
ces fentimens , par les infamies
qu'ils répandent fur les Emigrans . Lorfque
ceux- ci s'entendent appeller tous les jours ,,
brigands ,fcélérats, Catilinas, traîtres dignes
de mille morts , hommes pervers à livrer aux
vengeances du Peuple qui fuppléent aux
Loix , penfez-vous qu'ils foient bien tentés
d'aller rejoindre des Compatriotes fi aimables
, & de fe rendre à des Ennemis fi
généreux ? Un pareil folécifme n'eft pas.
dans les règles de la nature. Ainfi , tenez
pour certain que , quand votre Affemblée ,
vos Jacobins , & vos Précepteurs publics
n'auroient pas chaffé cent mille . François
de leurs foyers , le langage , les débats
les Décrets d'aujourd'hui,& la continuation
manifefte de l'anarchie, les en chafferoient. »
#
>
« J'ai obfervé fort , peu de politique ,
d'ergoterie , d'attention aux nouvelles de
France , dans ces divers rendez - vous . If
parou
que Chefs & individus , fe font
prefcrit la loi de la réferve à ce fujet
pour éviter des fujets de conteftation , &
qu'on fe renferme dans une ftricte obéiffance
aux Princes , & dans l'expreffion d'un
éternel attachement au Roi. En un mot ,
ceux de ces Corps nouveaux que je connois
, ont infiniment plus de police & de
( 219 )
difcipline, qu'on ne devoit en attendre d'une
jeuneffe bouillante & des circonftances . La
plus grande égalité eft la baſe du ſervice :
j'ai vu des Lieutenans - Colonels fimples
Caporaux . >>
« Le nombre d'Emigrés incorporés a
beaucoup augmenté depuis ma dernière
lettre. Suivant l'état authentique que j'ai
eu fous les yeux , il fe trouve d'Aix -la-
Chapelle à Luxembourg , 12600 Gentilshommes
ou Militaires , & 2800 non- Nobles
enrégimentés . Voilà pour nos Provinces
Belgiques. De Neuwied à Coblentz ,
& de Coblentz à Worms & à Manheim
les raffemblemens font infiniment confidérables
; mais je ne les connois pas avec
précifion. A la fin d'Octobre , il arriva
encore 300 Emigrés à Coblentz feul . »
« J'ai ouï dire que toute diftinction de
Société , de grade , de faveurs , étoit fupprimée
entre les Gentilshommes & ceux
qui ne le font pas. Il eft certain qu'à capacité
, ou à expérience égales , on ne
connoît plus de préférence . Les Princes
cependant , ont confervé dans les chofes
de forme , les ufages Monarchiques , &
P'on doit approuver cette réferve à ne pas
confacrer par leur exemple , des nivellemens
démocratiques qui feroient difparoître les
grades & les rangs. »
que « Il n'eft pas exactement vrai , ainfi
je vous le mandai dans ma précédente let-
K 2
( 220 )
tre , que les Emigrés non- Nobles foient
exclus de l'incorporation . J'ignore fi elle fe
différencie par les conditions ; ce feroit une
déteftable politique ; ou fi les Gentilshommes
font réunis féparément , ou fi l'on
confond toutes les claffes dans les mêmes
enrôlemens . Les doutes à cet égard femblent
levés par les deux pièces fuivantes
qui m'ont été communiquées. La première
que voici , eft une note circulaire des Gentilshommes
Flamands émigrés » .
c6« Les Gentilshommes de la Province de Flandres
regarderoient comme injurieux , & offenfant pour
ux, que leurs Compatriotes non- Gentilshommes
puffent douter un inftant , du defir qu'a toute
la Nobleffe , de les voir fe réunir à elle pour
concourir enfemble & également au rétabliſſement
de la Religion détruite , & de la Monarchie renverlée
, & à combattre les défordres qui font la
fuite néceffaire de l'anarchie & de la confufion
dans laquelle la France eft plongée , & dont
bientôt la Flandre e menacée. L'exemple de
plufieurs Provinces , & nommément du Deuphiné
, déterminera fans doute ces Meffieurs à
une démarche qui ne peut que tendre au rétabliſſement
du bon ordre & de la tranquillité , à faire
rentrer les brigands & les fcélérats dans le néant
dont ils font fortis , & qui , depuis plus de deux
ans , ont couvert la France de crimes qui font
horreur au refte de l'Europe
כ כ
« La pièce fuivante eft une lettre écrite
par les Gentilshommes du Dauphiné à
"
( 221 )
7
MM. les non - Nobles de la même province..
·Coblentz , le 15 Septembre.
MESSIEURS ,
« L'affaire dont vous nous avez parlé au fujet
des Emigrans Dauphinois qui attendent à Berne
une réponse décifive de notre part , nous a patu
d'une trop grande importance pour prendre fur
nous de la réfoudre fans l'avoir préalablement
foumife au Confeil des Princes , où elle a été mûrement
difcutée .
לכ
« Hier 14 , Monfeigneur le Comte d'Artois
a fait appeller MM . les Gentilshommes du Dauphiné
en Corps , & leur a dit , tant au nom de
MONSIEUR qu'au fien propre : «
qu'ils étoient
très-fatisfaits du zèle & de l'attachement à
« la bonne cauſe que montrolent MM. les Emigratis
non-Nobles de Grenoble , qu'ils defiroient
& connoître leurs noms & leur nombré , ainfi
* que de ceux qui fuivront uh fi bon exemple ;
a que fi ces MM . pouvoient parvenir à fe trouver
« réunis en nombre conſidérable , comme on l'an-
« nonce, ils pourroient former une ou pluſieurs
Compagnies , auxquelles les Princes fe fe-
«roient un plaifir d'accorder tous les fecours
é d'inftruction militaire qu'ils pourroient defirer ;
« qu'en attendant , ceux déjà fortis de France
« pouvoient à leur gré refter en Suifle ou tel
« autre lieu qui leur conviendroit , ou venir
« auprès de leurs perfonnes. » M. le Comte
d'Artois a ajouté : « Qu'une fois la Monarchie
" & l'Autorité Royale rétablies , MONSIEUR &
lui emploieroient tous leurs foins auprès du
« Roi , pour obtenir de lui les récompenfes que
« mérité le dévouement de MM. Ies Emigrans
EC
cc
CC
cc
K
3.
( 222 )
non-Nobles du Dauphiné , & que fans doute
seils mériteront encore plus par leur zèle & leur
« courage. »
CC
Quant à ce qui nous regarde , ces MM .
peuvent être affurés que nous les verrons arriver
avec un plaifir infini ; & que nous les recevrons
avec toute la cordialité de bons Compatriotes ;
que nous ne leur difputerons jamais que l'henneur
de porter ou recevoir les premiers coups ,
& ne rivaliferons avec eux qu'en amour pour
notre légitime Maître , en exactitude à la difcipline
militaire , & foumiffion abfolue aux moindies
volontés de ros généreux Princes. »
Nous fommes , &c. Signée de la Nobleffe du
Dauphiné, actuellement à Coblentz .
« Les non- Nobles trouveront à fe placer
d'abord, probablement, dans la petite Gendarmerie
qu'on s'occupe de recréer. Les
Gardes du Corps ne font pas encore montés
en totalité il s'eft fait des achats de
chevaux conſidérables. La Maifon- Rouge
eft à Newvied, ou par fa bonne conduite ,
elle a mérité l'affection généra e des Habitans.
>>
« Je ne m'apperçois guères de ce prétendu
réfroidi ement dans l'Emigration ,
dont parlent vos Gazettes. Chaque femaine,
il arrive des bandes nombreuſes de François
du Tiers-Etat , du Quercy , du Périgord ,
de la Picardie , de la Normandie , du Limoufin
, de l'Auvergne. Il paroît qu'on en
attend de toutes les Provinces , en nombre
confidérable. It eft , au refte , tout fimple,
( 223 )
qu'il paffe moins de Gentilshommes , puifqu'une
grande partie eft déjà émigrée.—
Des Soldats & des Bas- Officiers de divers
Régimens continuent à partir. Plus de 150
Bas-Officiers ou Soldats de Dillon font à
Coblentz , où l'on va recréer ce Régiment
Irlandois. Il y a eu la même défertion dans
Royal Suédois. Le 24 Octobre , cinq Officiers
du Régiment de la Couronne , emmenant
avec eux 52 Bas- Officiers & Soldats ,
arrivèrent à Tournay. Quelques jours auparavant
, on en avoit reçu 13. Tous ces Soldats
entrent déguifés , ou font déguisés en
entrant fur notre territoire . Le Cartel avec
la France nous obligeroit à reftitution.
- J'ai ouï dire qu'une partie de Salis-
Samade , Suiffe , étoit venue joindre les
Princes ; mais je n'affure pas pofitivement
ce fait. >>>
« Le traitement des François dans les
Pays- Bas n'a pas varié du tout ; mais on
ne fouffre aucun raffemblement armé. Dix
ou douze des Compagnies cantonnées à
Ath , étant trop refferrées ; on les a diftribuées
à Soignies , Mons & les environs. -
Le Corps de la Marine qui eft à Anghien
étoit , àla fin d'Octobre , de 600 perſonnes ,
commandées par MM. d'Heclor & de Soulanges
. »
« Je vous certifie que les Princes ont
abondamment d'argent. Une feule Maiſon
d'Amfterdami eft chargée de leur payer
h
( 224)
300,000 florins par nois : elle a acquitté
le mois d'Octobre : j'en fuis certain. L'organiſation
générale achevée , toutes les
Compagnies feront payées par les Princes.
On dit que les Hollandois ont vendu des
canons & des chevaux de trait : ce font des
Quï- dire . >>
A
<«< Vendredi dernier 4 , un détachement
des Gardes nationaux des environs de
Meaux , en garnifon à Maubeuge , &
d'environ 150 perfonnes , fe rendit au Bois
Bourdon , frontière à une licue & demi de
Mons. Elle attaqua le pofte Autrichien
compofé de ro Hulans , de fix Chaffeurs &
trois Cavaliers de la Maréchauffée de Brabant.
Ceux- ci repoufsèrent le détachement
& firent cinq prifonniers. Le Commandant
de Mons fortifia le pofte de deux Compagnies
d'Infanterie. Le Dimanche 6 , les
Gardes nationaux revinrent en force on
fe battit ; quinze d'entr'eux furent tués , &
plufieurs bleffés. Nous perdîmes auffi quelques
Autrichiens. On a garni tous les
Villages des frontières & renforcé les
poftes , & c . »
« Les Princes fe comportent à Coblentz
avec une fageffe exemplaire. Je fuis bien
trompé fi M. le Comte d'Artois n'honore
pas un jour la France : il n'a plus rien des
défauts qu'on lui reprochoit à Paris ; il
réunit l'amour du travail , l'application ,
la connoiffance des affaires, une éloquence
( 225 )
vive & naturelle , de la précifion dans l'expreffion
, & la plus grande févérité de
moeurs . ))
« Le Colonel Sinclair , Anglois , qui a
fait le métier de partifan dans la défunte
armée Brabançonne , a offert aux Princes la
levée d'un Corps de Chaffeurs Royaux.
Cette propofition eft, dit- on , acceptée ; les
Chefs font nommés : ce font d'abord
M. Sinclair , Colonel- Propriétaire , M. de
Menars , Colonel - Commandant , & M.
Ramfay , Ecoffois , Lieutenant - Colonel .
On lève actuellement ce Corps qui fera de
1200 hommes . »
« L'attachement que je porte à la France
me fait trembler fur les difpofitions que
j'entrevois dans tous les Partis. N'efpérez
pas ramener , ni défarmer les gens de ce
côté- ci
tant que la Souveraineté du
Royaume fera livrée à ceux qui en ont
ufurpé l'exercice . Leurs fureurs , leur imprévoyance
, leur inhabileté , & la vanité
féroce qui les attache à toutes les injuftices.
qu'ils ont faites , vous préparent une guerre
civile , dont les conféquences amèneront le
defpotifme ou la diffolution de l'Etat . >>
P. S. « Dans ce moment , on reparle
plus que jamais d'un Congrès prochain à
Aix-la -
Chapelle . »
Les troupes Françoifes , au nombre d'environ
4000 hommes , fous les ordres de M.
( 226 )
de Choifyfont entrées le 7 dans Avignon ,
fans éprouver de réfiftance. Les brigands divifés
entr'eux , avoient précédemment, évacué
le Palais, reftitué les vivres qu'ils avoient
volés , & retiré leur Artillerie . On n'a point
défarmé ces fcélérats : quelques lettres , cependant
, rapportent qu'auffi tôt entré , M.
de Choify afait fermer les portes de la Ville,
& qu'un jeune Niel qui a furvécu à fon frère
& à fa mère , égorgés dans le dernier maffacre
, s'eft jetté aux genoux du Commandant
, en follicitant vengeance. Nous ver
rons fi ce voeu fere rempli. Un pardon
mettroit le comble aux fouillures, dont on ne
lavera jamais les Artifans , les Exécuteurs ,
les Complices infâmes des longues horreurs
auxquelles ia France doit ia poffeffion présaire
d'Avignon & du Comtat.
L'Affemblée générale des Planteurs &
Négocians de Londres intéreffés au Commerce
des Indes Occidentales , a envoyé
une députation à M. Pitt , pour réclamer
des fecours à la Jamaïque & autres Ifles
Angloifes. Le Gouvernement va y faire
paffer cinq Régimens qu'on embarquera
fur des frégates de 44 canons . Les
Planteurs ont demandé que cette affiftance
s'étendît , au befoin , fur St. Domingue ,
dont on n'a aucunes nouvelles ultérieures.
Lettre au Rédacteur du Mercure Politique.
le 14 Octobre 1791 .
J'ai lu , Monfieur , à la page 87 du n°
Paris ,
( 227 )
41 de votre. Journal , en date du 8 Octobre ,
qu'on avoit , à ma demande , fupprimé le ferment
de catholicité exigé pour la Croix de St..
Louis ; cette fuppreffion ( qui n'eft affurément
pas dans les principes que j'ai montrés à l'Affem-›
blée nationale ) ayant été décrétée , j'ai demandé
que les Officiers François , non Catholiques Romains,
& qui n'auroient pu avoir la Croix de St.
Louis qu'en faifant un faux ferment , & étoient
exclus de l'Ordre du Mérite Militaire , affecté
aux étrangers , fuffent admis à porter la décoration
militaire, lorfqu'ils auroient le temps de
fervice fixé par la Loi , quand même ils auroient
quitté. »
ec
L'impartialité dont vous faites profeffion ,
Monfieur, me fait efpérer que vous voudrez bien
inférer ma lettre dans votre prochain nº . &c. »
ESTOURMEL , ci - devant Député du Cam
brefis à l'Affemblée nationale.
Autre Lettre au Rédacteur.
MONSIEUR ,
3 Odobre 1791 .
Puifque j'ai rendu compte. à mes véritables
Cominettans , la Nobleffe de Saintonge , des mo
tifs qui,m'ont déterminé à ne pas entrer à l'Affemblée
nationale , à l'époque à laquelle mon titre de
Suppléant. m'y appelloit ; craignant que , mes rai
fons ne foient pas affez généralement connues , &
bien fidèlement interprétées , j'ai l'honneur , de
prier de vouloir bien rendre publique par la
voie de votre, Journal la Note ci-jointe.
Vous
1
« Le 39 Juin 1791 , je reçus avis de. M. de
Richier , Député de la Nobleffe de Saintonge ,
abfent par congé , que fa fanté , mauvaife de
( 228 )
puis long- temps , ne lui permettoit pas abfolu
ment de venir reprendre fon pofte . J'écrivis furle-
champ pour avoir le procès-verbal de l'Affemblée
de la Nobleffe de Saintonge , dans laquelle
j'avois été nommé Suppléant de fes Députés aux
Etats Généraux ; je reçus ce procès - verbal ;
mais dans quel moment ? Celui de l'état d'arreftation
du Roi , de fa fufpenfion de toute fanction ,
La fanction n'étant plus invoquée pour l'exécution
des Décrets . Ne trouvant pas de femblables,
pouvoirs dans mes Cahiers , mon feul guide
je n'ai pas cru dans pareille pofition , devoir faire"
ufage du titre honorable de la confiance de la
Nobleffe de Saintonge qui me donnoit le droit
d'entrer aux Etats- Généraux . Tels ont été , Monfeur
, mes motifs , fondés , j'ofe le croire
mes vrais devoirs . »
« J'ai l'honneur d'être , & c.
TURPIN DEJOUHÉ , Capitaine de Vaiffeau ,
Directeur de l'Ecole & Elèves de la Marine.
P. S. Le dépouillement des Scrutins pour l'élection
du Maire de Paris n'eft pas achevé au
moment où nous terminons ce Journal. MM.
Péthion & la Fayette ont réuni le plus de fuffrages
; mais ce qu'on connoît des votes , ne
taille pas douter que le premier ne réuniffe la
majorité abfolue . Ses Collègues Jacobins , Reederer
& Prieur font élus , le premier , Procureur-Syndic
du Département ; & le fecond , Vice- Préfident
du Tribunal Criminel . M. Roberſpierre , on le
fait , eft Accufateur public.
( A la Semaine prochaine quelques obfervations
fur le Rapport intéreffant de
M. de Montmorin. 】
}
MERCURE
DE FRANCE
.
SAMEDI 26 NOVEMBRE 1791 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
F. RAG MEN T
DU VI. LIVRE DE L'ÉNÉ I DE.
DESCRIPTION DE L'ANTRE DE LA SIBYLLE.
Excifum Euboica latus ingens rupis in
Antrum , &c.
IL eft us Antre obfcur , dont les cavités fombres
S'enfoncent dans le roc, y prolongent leurs ombres,
De cent côtés ouverts cent vaftes foupiraux
Des Oracles divins font les bruyans échos .
Les Troyens approchaient de la voûte, facrée.
» Confultons les Deftins , dit la Vierge infpirée
No. 48. 26 Novembre 1791 . G
110 MERCURE
Il en eft temps : voici , voici le Dieu « .- Soudain
Une fureur divine a paffé dans ſon ſein .
Son fouffle eft haletant ; fes cheveux fe hériffent.
Mus d'une fainte horreur , tous fes membres fré
miffent.
Sa voix tonne , mugit , & n'a plus rien d'humain.
" Pour te frayer des morts le ténébreux chemin ,
Troyen , adreffe au Ciel ta priere touchante «.
Elle dit ; & foudain une froide épouyante
Des Troyens éperdus a glacé les efprits.
» O toi , dit le Héros , ô toi qui de Pâris
Contre le fils d'Eacque armas la main timide !
Toi, par qui j'ai des mers tenté le gouffre humide,
Chez le Maure indompté vu fiuir l'Univers ,
Foulé la Syrte inculte & fes fables déferts !
Le beau ciel d'Aufonie enfin rit à ma vue :
Affez des Dieux fur nous la vengeance étendue
A frappé les Troyens. Sauvez , fauvez , grands
Dieux !
D'un Peuple fugitif les reftes malheureux .
Toi , qui de l'avenir dévoilas les myfteres ,
Vierge fainte ! ( mes voeux ne font point téméraires )
Que l'heureux Latium nous ouvrant les cités ,
Repoſe d'Ilion les Deftins agités .
"
A la triple Phoebé je veux fonder un Temple ,
Et nos derniers neveux, inftruits par mon exemplo,
A l'honneur de Phoebus célébreront des jeux .
Toi-même , Vierge pure , affociée aux Dieux
DE FRANCE. III
Tes Livres , déposés dans les faints tabernacles ,
Feront parler encor la voix de tes Oracles.
Mais ne nous tranfmets point tes faints commnandemens
,
Sur des feuillets légers , faibles joucts des vents.
-Il dit , & foudain de fes cavernes fombres
,
Parle ».
La Prêtreffe infpirée a fait parler les Ombres .
Un prophétique inſtinct au hafard la conduit :
Life veut échapper au Dieu qui la pourfuit.
Le Dieu victorieux la dompte , la tourmente
Et met la vérité dans fa bouche écumante ..
Les cent portes de l'Antre , ouvertes à la fois
De la Sibylle enfia font retentir la voix.
» O toi , qui de Neptune épuifas la colere ,
Des maux encor plus grands t'attendent fur. la
Terre.
Ces champs , ces champs heureux d'Amate & de
Turnus ,
Combien tu gémiras de les avoir connus !
Mars s'éveille ; fon cri feme au loin l'épouvante,
Et le Tibre é umant roule une onde fanglante.
Les Grecs , le Xante , Achille , un autre Simoïs
Tous les maux d'Ilion font ici reproduits.
La haine de Junon en tous lieux t'eft préfente.
De qui , dans ta mifere humblement fuppliante ,
De qui n'iras-tu point mendier les fecours ?
Un hymen à venger , de nouvelles amours
G &
112 MERCURE
Du fang qui va couler font la fource fatale .
Déploie une conftance à tes malheurs égale.
Des Grecs , ( qui l'eût pu croire ? ) oui , des Grees
aujourd'hui
Combattront pour Enée , & feront fon appui «.
C'eſt ainſi que du Dieu la myſtique interprete
Par les accens , que l'Antre en mugiſſant répete ,
Déguife , en l'annonçant , l'obſcure vérité ;
Du ficin qui l'aflervit fon efprit tourmenté
Frémit fous l'aiguillon, & s'échauffe & s'embrafe,
A peine elle fortait de cette longue extafe :
31 O Vierge , dit Enée , il n'eſt point de malheur
Dont l'aspect imprévu puiffe étonner mon coeur.
J'oferai tout braver ; mais puifque ce rivage
Vers le noir Acheron m'ouvre un libre paffage ,
Puifque l'Averne ici fait refluer fes eaux ,
Permets que fur tes pas, par des fentiers nouveaux ,
J'aille au féjour des morts chercher l'ombre d'un
pere .
J'ai fu le dérober aux périls de la guerre ;
Sous un fardeau fi cher mes pas ont chancelé :
A fuivre mes deflins par l'amour appelé ,
Il a 【fi près héias ! du terme de la vie)
Et du Ciel & des mers affronté la furie .
Ses ordres tout- puiffins vers toi m'ont envoyé.
O Vierge ! pour nous deux j'implore ta pitić.
DE FRANCE. 113
Tu peux tout ; des Enfers gardienne facrée ,
C'eft à tes foins qu'Hécate en a comntis l'entrée !
Si le Chantre de Thrace, & fes touchans accords ,
En faveur d'Euridice ont attendri les morts ;
Si des fils de Léda l'er: ante deftinée
Eft du Ciel aux Enfers tour à tour ramer ;
Ce que Théfée , Alcide , avant nous ont ofé ,
Au fang de Jupiter fera-t - il refufé ? &c.
( Par M. de Chabanon. )
VERS à Mlle. Jo LY.
DIGNE d'un meilleur temps , inimitable Actrice ,
Vous faites les beaux jours du Théâtre Français :
Contat vous applaudit du fond de la couliffe ;
Vous d fférez de genre & non pas de fuccès.
Volez toutes les deux de victoire en victoire ;
Ne reffufcitez plus nos triftes Nouveautez ;
De l'Auteur du Tartufe embellifez la gloire :
Ce triomphe et brillant , & vous le méritez .
( Par un Abonné. )
Explication de la Charade , de l'Énigine &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LEmot de la Charade eftBanqueroute: celui
de l'Enigme eft Emigrant ( Jeu ) ; celui du
Logogriphe eft Union , où l'on trouve Qui
Non.
G3
114
MERCURE
CHARADE.
LE premier eft un fondement ;
Le fecond au chant fe rapporte ;
Le tout ne craint aucunement
Que fon cheval ou s'abatte ou s'emporte..
( Par Mlle. Nic. Court... )
QUE
ÉNIGM E.
UE men teint foit blanc ou noir ,
Je n'en fuis pas moins piouante ;
On me prend le matin , on me quitte le foir ,
Quoique je fois très - attachante .
Quand la modefte Marton
Apperçoit quelques lacunes
Au deffous de fon menton ,
Vite j'arrive , & le Canton
N'offre plus de clair de Lunes ,
Mais c'eft affez , me direz-vous ;
Encore un mot , & je m'arrête :
Le mérite eft mince chez nous
Quand on n'a point de tête.
( Par la même. )
DE FRANCE 115
LOGO GRIPHE.
ON lan la qu'ils font infenfés ,"
Tous ces gens ..... qui menacent !
Lon lan la qu'ils font infenfés !
Ils auront du mal affez .
Pourront-ils jamais , quoi qu'ils faffent ,
Mc forcer ? non , j'en
La vertu de ma ceinture
ponds ;
Leur donnera bien de la tablature .
Neuf pieces compofent mon fonds.
On y trouve , & j'en fuis très - fiere ,
Notre Pouvoir exécutif ,
Et de fon fils la tendre mere ;
Ce qui retient un courfier trop rétif ;
Une teinte lugubre ; une plante revêche
Qui ne fe laiffe pas toucher impunément ;
Ce qu'on rejette quand on pêche ;
Deux arbres ; un pronom ; ce qu'attire l'aimant ;
L'organe qui filtre la bile ;
L'oifean qui fur un pied fetient long-temps debouts
Du Dieu Sylvain le domicile ;
Ce que feront , & puis c'est tout ,
Les Emigrés. Je fuis au bout.
( Par la même. )
G.4
116 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ÉLOGE hiftorique de Louis-Jofeph- Staniſlas
le Féron , premier Commandant de la
Garde Nationale de Compiegne ; par M.
Chabanon l'aîné , de l'Académie Françaife
, de celle des Infcriptions, &c. A
Paris , chez les Libraires qui vendent les
Nouveautés.
ON
"
.
و
N peut compter parmi les bienfaite
de la Liberté , la jufte diftribution de la
louange publique. Réfervée autrefois.
prefque exclufivement au rang , à la naiffance
aux grandes places elle était
accueillie froidement par des hommes qui
ne pouvaient y prétendre , qui entendaient
célébrer des vertus & des talens auxquels
ils ne croyaient guere , ou tout au plus ,
vanter des fervices rendus au Gouvernement
pour obtenir fes récompenfes , & non pas
à la Nation pour mériter fon eftime.
Ces idées , quoique peu développées dans
des hommes peu réfléchis , nen exerçaient
pas une influence moins réelle ,
défavorable au Panégyrifte comme à fon
>
DE FRANCE.
117
Héros : nul intérêt commun n'attirait à eux
ni l'Auditeur ni le Lecteur. La liberté feule
pouvait créer cet intérêt qui anime tout ,
qui paye d'un fentiment intime tous les
fervices rendus à l'Etat , qui regarde comme
une propriété nationale toure vertu , coup
talent , en quelque lieu , de l'Empire que
P'un ou l'autre fe foit développé. La mort
du jeune le Féron , qui fut une calamité
pour fes Concitoyens à Compiegne , fut
reffentie douloureufement , même dans la
Capitale , quoiqu'occupée alors des plus
grands intérêts. En le voyant pleuré ou
regretté par ceux qu'il avait fervis fur un
théâtre fi refferré , on fut touché de la mort)
prématurée d'un jeune homme qui donnait
de grandes efpérances à la Patrie. Honoré ,
à Compiegne de deux Eloges publics
un ami a fenti le befoin de rendre un
troifieme hommage à fa mémoire. Mr.
Chabanon , lié avec lui par les mêmes
principes , par la paffion de la liberté &
de l'égalité qui les animait l'un & l'autre ,
a répandu quelques fleurs fur la tombe,
de fon ami.
Après avoir fait valoir les actions publiques
du jeune le Féron , il le fait ai
mer en révélant tous les fentimens hon-¡
nêtes qui ne fe manifeftent guere qu'aux
yeux de l'amitié. Tel fut , entre autres ,
Fempreffement avec lequel le jeune let
Féron fatisfit au Décret qui abolit la No
G f
118 MERCURE
bleffe ; il avait , dit M. C…………. , l'inſtinc
naturel de l'égalité ; & le Décret qui
l'établit entre les Citoyens , ne fit que
promulguer une Loi déjà reconnue &
fanctionnée dans le fond de fon coeur.
Cependant le Féron était donné d'une
grande ambition , & cette paffion fut le
mobile de fa vie entiere.
و
Quel eft donc , dit M. C ... ce fentiment
fi puiffant qui obtient de l'ambitieux
l'abnégation volontaire d'une diſtinction
telle que la nobleffe ? Quel eft ce fentiment
? Une humanité éclairée , qui fait trouver
plus de plaifir à fe rapprocher de fes
femblables , qu'à les dominer par fa naiffance.
Quel eft ce fentiment ? La confcience
d'une grande ame , qui , remife au niveau
de tous , fe rend compte des moyens qu'elle
trouve en foi pour s'élever. Arrachons à
Porgueil du Noble l'aveu que diffimule
fa réticence polie. Sa prétention mife à
nu , énoncée dans toute fon infultante
franchife , eft d'avoir, fur un grand nombre
d'hommes , un droit de mépris, bien avéré ,
bien reconnu ; cependant , tandis qu'il
exerce au deffous de lui ce droit d'humiliante
fupériorité , le Noble d'une claffe
fupérieure le foule & l'humilie lui - même.
Ol'admirable fyftème d'organiſation morale
& politique ! dont le vice de l'orgueil eſt
le principe & le mobile , où le mépris
de degrés en degrés , le tranfmet &
DE FRANCE. 119
s'échange , où la clafle infirme fupporte
feule le fardeau de tous les mépris , où ,
vers le faîte enfin , comme vers la fin d'un
cône alongé , un petit nombre d'hommes
jouit feul de l'abaiffement de tous les
femblables . O fainte égalité détruit cet
édifice élevé par la folie , & remets tous
les hommes à ce niveau qui les avertit de
s'aimer.
>
Une autre fingularité non moins grande
c'eft que le Féron avait été poullé par
les circonstances à devenir Courtilan. C'était
l'effet de cette même ambition. Il avait
obtenu une lieutenance dans les Gardes
d'un des Princes Français . Jamais homine
n'avait mis plus de difconvenance entre fon
état & fon caractere. On en jugera par ce
trait. C'eft fon ami qui parle.
:
Nous nous promenions enfemble des
la galerie de Verfailles. Il vit paffer an
des Favoris du Prince qu'il fervait . Il le
couvrit d'un regard de mépris , accompagné
de paroles injurieufes que je pouvais feul
entendre. Etonné de cette brufque fortie
je lui en demandai la raifon : ce miférable ,
me répondit- il , n'eft occupé qu'à pervertir
les moeurs de mon Prince. Eh ! quoi
dira-t- on , les moeurs de le Féron étaientelles
à tel point féveres .... Eh ! faut- il
tant de févérité pour s'indigner qu'un vieux
Courtifan donne à l'un des enfans du
trone les premieres leçons du vice , &
G6
120 MERCURE
qu'il foit doté de riches penfions pour falairs
de fa coupable inftruction ?
L'Orateur arrive au moment où la
Révolution ouvre à fon jeune ami une carriere
plus brillante . Il déploie dans l'efpace
de deux ans toutes les vertus de la
Liberté. Il fauve plufieurs Citoyens , prévient
divers défaftres , répare plufieurs calamités
, protege fes ennemis perfonnels en
s'expofant lui - même au danger , nourrit
lui même les familles pauvres de ceux
que la fûreté publique le forçait d'emprifonner
dans les premiers troubles.
En voyant ces effets de la Liberté fur
une grande ame , on eft porté à croire ,
dit M. C....... , que cette paflion occupe
le centre de nos affections les plus
belles , qu'elles y repondent , & que de ce
centre d'activité partent les mouvemens
qui leur font tranfmis , & l'ardeur dont
elles fe fentent enflammées . Nous ne tranfcritons
de ce morceau que la réflexion fuivante
, qui peut en fournir plufieurs autres..
L'excellence de la Liberté n'eft guere
plus conteftée que celle de la vertu même ,
& ce qui les rapproche encore davantage
c'eft que le vice eft l'ennemi naturel de
l'une & de l'autre. Que l'on cite un feul
homme , un feul homme de bien , qui ,
placé entre la Liberté & le Gouvernement
abfolu , ait fenti pencher vers celui- ci la
préférence de fes défirs ; s'il exifta jamais,
DE FRANCE. 121
l'auteur d'un choix fi bizarre , Feftime &
l'admiration du moins n'ont pas confacré
fa mémoire, & tandis que la Liberté conduit
en triomphe après elle des millions
de Héros qu'elle immortalife , le Defpotifme
dévoue fes partifans , fes lâches fatellites
à une honteufe obfcurité , ou à une
Liberté pire que l'oubli ...
+
J'ai vu des Militaires Français , pourſuit
M. C .... , colorer à leurs propres yeux
du beau nom d'amour pour leur Roi ,
leur répugnance pour la Liberté . Aveugless
que vous êtes , qui penfez qu'un Roi ,
pour être heureux , doit être tout puiffant ,
lifez donc l'Hiftoire de Marc- Aurele ,
de ce Prince à qui l'on n'en : compare
aucun autre : il venait au Sénat dépofer:
l'excès de fon autorité, courber majestueufement
, fous le joug de la Loi , cette tête ,
la premiere du monde : il demandait à la
Loi de reftreindre les pouvoirs ; & c'eſt
en fe faifant un Monarque moins puifant
qu'il s'eft créé le plus grand de tous les
hommes & vous plaignez la condition
de Louis XVI , lorſqu'on l'égale à celle du
fage Antonin!

Quelque agréable que foit la lecture de
cet Ecrit , nous aurions peut- être négligé
d'occuper le Public d'une production peu
volumineufe , fi elle n'eût été rehauffée à
nos yeux par un fingulier contraſte , entre
la maniere dont l'Auteur parle de la Li
722 MERCURE
berté & les effets affligeants pour lui-même,
dont elle eft , finon la caufe , au moins
l'occafion. Ceux qui ne croyent pas à la
vertu auront quelque peine à concevoir
que M. Chabanon , au moment où fa
ruine , déjà commencée , eft achevée par
le défaftre de Saint-Domingue , écrivé à
l'un de fes amis , ces propres paroles.
Ceux qui accufent de ce malheur la Révolution
, font des fous cu des hommes
ftupides. Elle a pu y contribuer , mais la
caufe véritable eft le féroce entêtement des
Colons à vouloir changer les hommes en
bères pour le fervice de leurs fucreries .
Ces gens - là admettraient le procédé chimique
qui changerait en or le fang humain.
Ce qui enrichit l'Etat & mọi , diraient
ils , eft de toute juftice , & d'une
politique fupérieure. Si la terre leur refte ,
ils tenteront encore d'y mettre des efclaves.
Je doute que cela leur réuffiffe.
-
Ce peu de lignes fait voir qu'il n'eft pas
vrai que tous les Colons fe reffemblent .
( C...... )
DE FRANCE. - 123
SPECT A CLE S.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE .
L'OPERA de Diane & Endymion fut
donné , en 1784 , allez pour être apprécié
par les Amateurs , trop peu pour les
fatisfaire. L'Auteur du Poëme ( Mr. de
Liroux ) a reconnu lui-même les défauts
qui avaient alors empêché fon fuccès . Le
principal était dans le troifieme Acte , pour
lequel il n'avait pas ménagé une affez grande
partie de l'intérêt , & qui était écrasé par
le fecond. Il a fait à fon Ouvrage des
corrections heureuſes. Ifménie , au fecond
Acte , n'eft maintenant en quelque forte
qu'agréée parmi les Nymphes de Diane
qui la conduifent dans le Temple , & la
féparent des Bergers & des Bergeres fes
compagnes , dont elle reçoit les adieux .
C'est au troifieme Acte que Diane veut la
forcer de prononcer le voeu de renoncer à
l'Amour , qu'Ilménie s'évanouit au pied
de l'Autel , & que l'Amour vient la fauver
en jetant l'effroi parmi les Nymphes & dans
le coeur même de la Déelle.
224
MERCURE
M. de Liroux a lieu de fe féliciter de
fes efforts pour rendre au Public l'une
des plus agréables productions de M. Piccinni
, l'une de celles où il a femé le plus
de mélodie , & dont il a le plus foigné ,
non feulement les parties principales , mais.
tous les acceffoires. Remife au Théâtre
avec ces changemens , le Jeudi 17 de ce
mois , elle a complétement réuffi . On a
paru fentir vivement le mérite des principaux
morceaux de Mufique , & l'enſemble
du Spectacle l'élégance & la forme
antique des coftumes , le nombre & la
richeffe des Ballers , la beauté des décorations
& des machines , tout a concouru
au fuccès de ce charmant Ouvrage.
mouvement ,
поп ,
Le rôle de Diane eft le plus beau , celui
dont le ftyle eft le plus élevé , le plus
noble. C'est une Déeffe faible & paflionnée,
mais c'est toujours une Dé: ffe. L'Air de
rien ne peut brifer ma
chaine , qu'elle chante à la fin du premier
Acte ; celui dont le chant doux , le mou ,
vement modéré , l'accompagnement brillant
& gracieux peignent , au commencement,
du fecond Acte , l'efpérance à laquelle fon
coeur fe livre ; la cavatine expreffive & pathétique
du 3. , Je vais punir l'objet que
j'aime , & fur- tout l'Air admirable qui la
fuit , ceffe d'agiter mon ame , Air plein d'agitation
, de paffion , de feu , ont reçu les
applaudiffemens les plus vifs & les plus
DE FRANCE. 125
mérités. Mlle . Maillard a mis dans ces dif
férens morceaux le mélange néceffaire de
nobleffe , de force & de fenfibilité. Le bel
Air d'Ifinénie , au premier Acte , Funefte
Oracle , incertitude affreufe ! & celui de
bravoure qu'elle chante dans le dernier
Divertiffement , font ajoutés , & parodiés
de l'Italien , l'un de la premiere Olimpiade
de M. Piccinni , l'autre de fon fecond
Alexandre aux Indes ; car il a compofé
deux fois en Italie chacun de ces deux
grands Opéras. Mad. Ponteuil a été fort
applaudie dans ce rôle. Celui d'Endymion
n'eft pas confidérable ; mais les morceaux
qu'il chante font très- agréables , & dans le
caractere qui convient. Ils font rendus avec
beaucoup d'expreffion par M. Rouffear.
L'entrée de l'Ainour , au 3 ° . Acte , la fym
phonie qui l'annonce , la Gloire qui l'apporte
, le cortége qui l'accompagne , l'Air
qu'il chapte , & la maniere piquante dont
il est rendu par Mademoiſelle Gavaudan ,
forment une Scène magique , qu'on ne
fe laffe point d'applaudir. Le Duo d'Endymion
& d'Ifménie , celui de Diane & de
l'Amour , l'excellent Trio entre les deux
Amans & Diane , le Chocur des Nymphes ,
reçois nos voeux , foeur d'Apollon , l'Ou
verture , & la plupart des Airs de Danfe .
ont une variété , une fraîcheur de ſtyle
une richelfe d'idées musicales qui laiffent
à peine concevoir comment , dans fa nou
126 MERCURE ·
veauté , cet excellent Ouvrage , malgré fes
défauts , n'eut pas le plus brillant fuccès.
Dire que les Ballets , qui font en trèsgrand
nombre , font exécutés par MM.
Veftris , Nivelen , Didelot , par Miles.
Saulnier , Miller , Coulon , & ç .; c'eſt
annoncer qu'ils réuniffent toute la perfection
dont ce feul Théâtre en Europe donne
depuis fi long- temps des modeles . Mais rien
n'eft au deffus deMile.Saulnier dans fon rôle
de premiere Nymphe de Diane. La beauté
de fes formes , la nobleffe & la fierté de
fon air , de fes attitudes , la grace févere
de fa démarche & de fes moindres mouvemens
, font , ainfi que fon coftume , fidéle
ment modelés fur l'Antique. Elle paraît
prefque nue , & fon afpect repouffe toure
idée de licence. Elle rappelle ces belles
Spartiates , qui , fur les bords de l'Eurotas ,
n'étaient , felon l'expreffion de Rouffeau ,
couvertes que de l'honnêteté publique. On ne
doit pas compter fur le même voile aux
bords de la Seine , & fur- tout à l'Opéra ;
mais on peut dire que Mlle. Saulnier , dans
cet habit court , léger & tranfparent , eft
vêtue de décence & de fierté .
Le foin avec lequel cet Opéra eft remis
dans toutes les parties, fait infiniment d'hon
neur aux Sujets , aux Directeurs , & à
l'Adminiſtration , qui ne négligent rien
pour foutenir contre la difficulté des temps
DE FRANCE. 117
ceSpectacle, fi important pour la Capitale,
& fi intereffant pour le progrès des Arts.
LE Théâtre du Marais vient d'obtenir
un nouveau triomphe, & dans un genre où
la montré jufqu'ici des prétentions moins
élevées. La Tragédie de Trafime & Timagene
, qu'on y a donnée le Jeudi 16 de ce
mois , a pleinement réuffi .
La Scène fe paffe à Samos. Deux partis
fe font difputé le Trône. Hircan a été
vainqueur du pere de Timagene , qui le lui
difputait ; Timagene lui- même a été pourfuivi
par des affaffins on croit qu'il a
fuccombé. Cette erreur le fauve. Trafime,.
ami intime de Timagene , & parent d'Hircan
, n'a point voulu prendre de parti dans
cette guerre civile où fervait fon pere. Il
n'a voulu combattre ni contre fon pere ni
contre fon ami. Inconfolable de la mort
de ce dernier , il a cru recueillir fa cendre ,
& lui a fait élever un tombeau . Timagene
était près d'époufer Ericie , Princeffe Lydienne.
En partageant la douleur de Trafime
, elle lui infpire un violent amour
qu'il combat d'autant moins que la prétendue
mort de fon ami lui permet plus
d'efpoir. Cependant Timagene reparaît fecrétement
, & fe confie à Trafime. Combats
>
128
MERCURE
-
terribles entre l'amour & l'amitié . Hircan,
qui favait très-bien que Timagene n'était
pas mort , conçoit quelque foupçon de fon
arrivée. Il envoie chez Trafime un certain
Memnon , vil & ambitieux fcélérat , qui a
conduit toute cette intrigue. Ce Memnon
pour irriter le coeur de Trafime contre fon
ami Timagene, lui perfuade que ce Prince a
tué fon pere dans le combat. Trafime le
croit , fans doute un peu trop légérement,
& ne refpirant que la vengeance , il déclare
que Timagene eft dans fon palais . C'en
eft affez pour Memnon , qui prend les
précautions néceffaires pour le faire arrê
ter. Mais enfuite , dans une très belle
fcène , Timagene fait voir à Trafime, fans
y être provoqué , que loin d'avoir aflaffiné
fon pere , il a fait tous les efforts pour le
fauver. Trafime , furieux contre lui-même
& contre Memnon , donne la mort à ce
traître ; mais il ne peut le rencontrer qu'après
que fon ami eft dans les fers d'Hircan.
Il va s'accufer à lui dans fa prifon.
Il y eft rencontré par Ericie , à qui Memnon
, en mourant , a fait un nouveau
menfonge en accufant Trafime de n'avoir
vu qu'un rival dans fon ami. Tout s'éclaircit
; & Trafime , pour prouver fa candeur
& fes remords , va fe préfenter luimême
au fupplice en place de Timagene.
Il eft reconnu ; mais il obtient d'Hircan ,
qui l'aime & qui lui deftine le Trône , la
DE FRANCE. 129
grace de fon ami , en menaçant le Tyran
de fe percar à fes yeux.
Cette Piece n'eft pas à l'abri de la critique
, ni pour la contexture , où l'on trouve
plufieurs invraisemblances , ni pour le ftyle,
qui a paru en général fort négligé . Mais
nous n'infifterons pas fur des reproches
qu'une feule repréſentation ne nous permettrait
pas d'appuyer ni de difcuter, nous
ne remarquerons que ce qui a frappé davantage
, comme une foule de beaux vers
& de très-belles fituations , dont l'Auteur
a tiré grand parti. Cet Auteur eft M. Dubuiffon
, le même à qui l'on doit le Drame
lyrique de Zélia , dont nous parlions derniérement
avec les éloges qu'il mérite.
M. Ratifte , cet excellent Acteur comique,
montre auffi un très grand talent dans
la Tragédie. Nous ne devons pas cependant
diffimuler que ce genre n'eft pas encore à
ce Théâtre au niveau de la Comélie il
ne donne guere que des espérances ; mais
on peut s'en rapporter au zele de l'Entrepreneur
du foin de les juftifier.
Les décorations ont paru très-belles , &
les coftumes aufli riches que bien foignés.
130
MERCURE
VARIÉTÉ S.
DEPEUPUIISS la réunion des opérations du Comité
d'Aliénation de l'Affemblée Nationale à celles de
la Caifle de l'Extraordinaire , M. Amelot , Commiffaire
du Roi à ce Département , a bien voulu
s'occuper des moyens de ne point interrompre la
publicité donnée , par le Tableau des Biens à
vendre , aux publications & adjudications qui ſe
pourſuivent dans les différens Diſtricts du Royaume
; les affiches de ces publications & adjudications
continuent d'être réunies au Bureau des
Biens à vendre , rue Saint- Magloire , où l'on
peut en prendre communication. Ce Tableau ,
qui paraît deux fois par femaine , contient en
même temps l'annonce des Biens particuliers qui
font en vente , & fur chaque article les renfeignemens
font communiqués au Bureau. Le prix
della Souſcription , pour Paris , eſt de 15 livres
pour trois mois , 24 v. pour fix , & 36 livres
pour l'année ; & pour les Départemens , 18
30 1. & 48 liv. franc de port.
DE FRANCE .
131
NOT*ICE S.
Juftification de M. de Favras , prouvée par
les faits & par la procédure . 2 Vol. in- 8 ° . avec
Gravure . Prix des 2 Volumes avec la Gravure
3 liv . 12 fous ; le Mémoire feul avec Portrait ,
1 liv. 16 f. Se trouve à Paris , chez l'Auteur ,
rue Chabanois , N ° . so ; Potier-de Lille , Imp-
Lib . rue Favart, No.5 ; & chez Defray , Lib.
quai des Auguftins , N. 35, [
Il eft peut-être aifé de juftifier M. de Favras ;
mais il pourrait être plus difficile de préfenter
pleinement fa juftification fans inculper quelques
autres perfonnes. On conçoit que l'Ecrit que
nous annonçons ne peut manquer d'exciter un
vif intérêt.
Traité d'Architecture - pratique , concernant la
maniere de bâtir folidement , avec les obfervations
néceffaires fur le choix des matériaux , leurs
qualités & leur emploi fuivant leur prix fixe à
Paris & autres endroits , d'après un tableau de
comparaifon , le falaire des Ouvriers , & c. Ouvrage
néceffaire aux Architectes , Experts & Entrepreneurs
, &c. 1 Vol. in -8 °, par J. F. Monray ,
ancien Appareilleur , &c. Se trouve à Paris , chez
Régent & Bernard , Libr. quai des Auguftins
No.
37.
Cet Ouvrage , atile à tous les Fatrepreneurs
de Bâtimens , & même à ceux qui aiment ou qui
font dans le cas de faire bâtir, ne peut manquet
d'avoir du fuccès ,
132 MERCURE DE FRANCE.
Le Conteur, un Volume in-12 de 364 pag. Prix,
25 f. A Paris , chez Brunet , Libr. Place de la
Comédie Italienne.
Ce Conteur , tout en s'annonçant fans préten
tion , ce qui eft une forte de mérite, eft fait tout
à la fois pour amufer & inftruire & doit être
reçu au moins comme une agréable diſtraction.
L'Amitié trahie , ou les Mémoires d'un Négo
ciant ; traduits de l'Italien , d'après la feconde
édition , revue & corrigée par l'Auteur . Prix ,
1 liv. A Paris , chez Brunet , Libr. Place de la
Comédie Italienne.
41
Ces Mémoires , écrits avec une forte d'élégance
, ne font pas moins attachans par la vérité
du ftyle , & doivent être lus avec plaifir.
Etrennes d'Efope aux Français , compofées de
Fables choifies de cet Auteur , mifes en Chanfons ,
avec Figures , deffinées & gravées par M. Chevalier
; format in- 24, relié en veau , doré fur
tranche , avec filet . Prix , 3 liv . Se trouvent
Paris , chez Defray , Libr. quai des Auguftins ,
N°. 35 .

Ce petit Recueil peut être mis avec confiance
entre les mains de l'aimable adolefcence qu'on
inftruit affez facilement en chantant. Il eft fait
pour lui plaire , & à ce titre, il doit avoir du fuccès
FRAGMENT.
"Vers a Mbe Joly,
Charade, En . Log.
Eloge hiftoriqne.
TA B.L. E.
109 Spectacles.
113 Variétés.
114
116 Notices
123
334
MERCURE
HISTORIQUE
E T
POLITIQUE,
POLOGNE.
De Varfovie , le 30 Octobre 1791.
LES délibérations de la Diète , depuis fa
rentrée , n'avoient offert aucun objet d'intérêt
public , affez important pour mériter
d'être recueilli . Différens projets font fur
le bureau ; entr'autres celui de la vente des
Starofties ; inceffamment ils feront mis en
difcuffion définitive . Il eft aifé de fentir
qu'à la fuite de changemens confidérables
dans les Loix politiques d'un Etat , l'acti
vité du Corps Législatif doit tendre à les
affermir , beaucoup plus qu'à les étendre ;
car les innovations après les innovations
finiflent toujours par fubvertir les réformes
utiles. Il eft important que la République ,
pénétrée de cette vérité , ne cède
pas faci
No. 48. 26 Novembre 1791. L
( 230 )
lement à cette manie des petits efprits &
des têtes légères , qui confiſte à faifir tout
ce qui eft fpécieux , & à entaffer des nouveautés
prématurées.
Cette obfervation ne peut - être appliquée
à la dernière décifion de la Diète , le
20 de ce mois , qui a opéré la difficile réunion
des Commiflions de la guerre & du
tréfor dans les deux Etats de Pologne &
de Lithuanie. On fait qu'iis fe trouvèrent
unis par l'élection de Jagellon au
Trône de Pologne en 1386 ; mais le
Grand Duché refta dans une indépendance
prefqu'entière du Gouvernement de Pologne
. Il ne forma une feule & même
République que fous Sigifmond II : les
deux Nations fe foumirent aux mêmes
Loix , fous la réferve que la Lithuanie
compoferoit une Province particulière , &
conferveroit fes Tribunaux , fes Miniftres
d'Etat , & fon armée. Aujourd'hui , on
vient de réunir les deux Adminiftrations
fous les conditions fuivantes.
ec 1 ° . La Commiffion de la guerre & du tréfor
des deux Nations fera compofée d'un nombre
égal d'individus Polonois & Lithuaniens ; cette
égalité du nombre fera obfervée pour les emplois
qui feront créés en commun pour les deux
Pays . "
co 2°. Il y aura par la fuite autant de Miniftres
& d'Employés Civils pour la Lithuanie que pourla
Pologne. "
"
3 °. La présidence de la Commiffion de l
( 231 )
guerre & du tréfor alternera entre les Polonois
les Lithuaniens. »
4. La Caiffe du tréfor où font verfées les
Contributions de la Lithuanie reftera dans la Lithuanie
. »
сс
5. Les conteftations de la Commiſſion du
tréfor , qui ont rapport à la Lithuanie , feront
décidées par unTribunal qui fera établi dans la Lithuanie
, & compofé d'individus qui ne feront pas
Membres de cette Commiffion. »
Les Plénipotentiaires Turcs pour le
Congrès de pacification , arrivés à Jaffy
le premier de ce mois , font le Reis Effendi
& Ifmed Bey qui ont affifté au Congrès
de Siftove , & Duri Effendi. Le_Dragoman
de la Porte eft le Prince
Morufi . Les Plénipotentiaires
--
Ruffes
font les Généraux Sameilow & Ribas . Le
Congrès eft actuellement ouvert. Auffi-
tôt après la mort du Prince Potemkin ,
le Général Kaminskoi a pris le commandement
de l'armée Ruffe , jufqu'à l'arrivée
de nouveaux ordres de l'Impératrice : l'ar
mée s'eft retirée de la Moldavie vers le
Niefter.
ALLEMAGNE.
De Vienne, le 13 Novembre 1791 .
Depuis l'avènement de l'Empereur à la
Couronne , on s'eft entretenu d'un changement
prochain dans le régime du Mi
L2
{
( 232 )
niftère intérieur. Aujourd'hui , on conjec
ture qu'inceffamment le Confeil d'Etat
fera rétabli dans la forme qu'il eut fous
Marie-Thérèfe , & qu'il fe tiendra en préfence
de l'Empereur & de l'Archiduc
François. Deux nouveaux Membres viennent
d'y être admis : ce font le Comte de
Colowrath , premier Chancelier de Juftice
, & le Comte de Zinzendorf, préfident
de la Chambre des Comptes. Le
Public préfage auffi des innovations plus
importantes dans quelques branches de
l'Adminiſtration intérieure , en particulier
dans l'organiſation des Etats Provinciaux.
Ceux de l'Autriche intérieure ont ouvert
le 24 Octobre leur Affemblée générale ,
& l'Empereur leur a fait remettre fes
propofitions. Ce qu'on dit de leur nature
eft , felon l'ufage , plutôt prophétique
qu'hiftorique. Suivant un plan qu'on attribue
au célèbre Publicifte Sonnenfels ,
ces Etats Adminiftratifs feroient compofés
avec plus d'égalité , & l'on rendroit aux
campagnes & aux Bourgeoifies affez d'influence
dans leur repréfentation , pour
balancer celle des deux Etats du Clergé
& de la Nobleffe , & pour leur fournir le
moyen de défendre feurs intérêts , ſans
opprimer ceux des autres claffes . On fent
combien ces projets utiles & juftes en euxmêmes
, font d'une délicate exécution ; a
quelles conféquences ils pourroient con
( 233 )
duire , & avec quelles précautions il faut
les opérer. Ils n'euffent entraîné qu'une
foible partie de ces rifques , il y a dix ans,
ou du moins ils n'auroient pas alarmé la
prévoyance du Gouvernement ; mais
l'exemple du bouleversement de la France
nuit à toutes les réformes falutaires , parce
qu'en France on a tout détruit au lieu de
corriger , & que les Souverains , ainfi que
les premières claffes de l'Etat , craignent
de fubir le fort du Roi de France , & de
l'ancienne hiérarchie de ce royaume. Cependant
, le concours des caufes qui y ont
produit ces évènemens , n'existe parmi
nous qu'à un moindre degré , & les mêmes
vues dans le Monarque ne feroient probablement
point récompenfées par la
fubverfion totale de fon autorité légitime
.
Différentes promotions fucceffives ont
borné depuis quinze jours le cercle de la
curiofité publique. L'Empereur a conféré
onze Grands'Croix de St. Etienne , & créé
trois Commandeurs du même Ordre , qui
font les Barons de Martini , de Spielman:
& de Kienmayer Le Prince Antoine -
Efterhazy , Capitaine des Gardes de Sa '
Maj. Imp. , eft nommé Général d'Artillerie
, & le Comte d'Efterhazy , ci- devant
Député Hongrois au Congrès de Sziftowe ,
Ambaffadeur à Naples.
Le 23 du mois dernier , Belgrade a été
L
3:
( 234 )
remis folemnellement aux Commiffaires
Ouomans , chargés de recevoir les clefs de
cette fortereffe. C'est le même jour qu'on
reçut à Pétersbourg la nouvelle de la
mort du Prince Potemkin décédé le 16.
Auffi- tôt , le Comte Besborodko , Miniftre
d'Etat & principal Membre du Cabinet , a
préparé fon départ pour Jaffy , où il dirigera
les négociations de paix.
De Francfort-fur- le- Mein , le 17 Novembre.
Le dernier Traité d'Alliance entre la
Ruffie & la Suède , ayant été porté à la
ratification de l'Impératrice , on n'en connoîtra
exactement la teneur , qu'après l'exécution
de cette formalité. Il ne femble
plus douteux que cette convention foit la:
pierre angulaire d'un concordat général ,
dont l'hiver applanira ou développera les
difficultés. Quoi qu'en difent ceux qui déclament
avec une violence fi imprudente ,
contre les moyens de préparer la fin des
malheurs de la France par des tranfactions
préliminaires , & d'épargner à ce Royaume
une guerre civile & extérieure , on préfume
que la faifon fera remplie par des négocia
tions. Le bruit d'un Congrès général &
prochain à Aix - la - Chapelle , s'accrédite
plus fortement. Déjà , des avis.de Stockholm
, y envoyent en qualité de Miniftre
Plénipotentiaire de Suède , le Comte de
*
7235 ) J
Ferfen , Colonel Propriétaire du Régiment
Français Royal- Suédois , & qui a réfidé à
Vienne depuis le départ du Roi de France ,
dans lequel il joua un rôle important . On
annonce encore qu'il fera en même- temps
accrédité auprès du Gouvernement géné
ral des Pays Bas , & que le Comte d'Oxenf
tiern réfidera auprès des Princes François ,
avec un caractère public. Ces nominations
ne font pas encore affez conftatées , pour
que nous prenions fur nous d'en confirmer
la certitude.
On continue le long du Rhin , des
achats confidérables de foin , de bled &
d'avoine , dont la deftination eft ignorée.
Par-tout on découvre des mesures de prévoyance.
Nos dernières lettres de Berlin
nous apprennent qu'on conferve fur le
pied de campagne, une partie de l'Artillerie
à cheval qui eft à Landsberg , ainfi que les
Coras de Henckel & de Hohenlohe , quoique
cantonnés actuellement.
M. de Saint- Priest , ancien Miniftre
d'Etat de France que les Gazettes envoyoient
à Stockholm , eft parti le zo de
Varfovie pour Drefde , & doit être à Berlin
en ce moment.
I 4
( 236 )
сс
GRANDE- BRETAGNE.
De Londres , le 16 Novembre.
Nous rapportâmes la femaine dernière ,
que les Planteurs & Négocians intéreffés
au commerce des Colonies occidentales ,
avoient pris dans leur Affemblée générale
la délibération de requérir les fecours du
Gouvernement. Sur la première réponſe
du Miniftre , l'Affemblée s'eft rouverte
le 8 ; M. Long lui a fait le rapport fuivant.
Que le Comité s'étoit rendu auprès du
Chancelier del'Echiquier , & du Secrétaire d'Etat ,
pour folliciter un fecours immédiat les Indes
pour
Orientales , par une augmentation des forces militaires
& navales ; que le Miniftre , après avoir
témoigné le defir que tous les détails contenus
dans les lettres particulières fur cet évènement
lui faffent communiqués , avoit demandé d'une
manière particulière que les Propriétaires & Mats
chands des ifles Occidentales donnaffent un
exact des forces qu'ils jugeroient être néceffaires
pour la fûreté des ifles , en diftinguant le danger
relatif des différentes ifles , & la quantité des
troupes qu'il faudroit envoyer à la Jamaïque ,
auffi bien que dans les ifles fur & fous le vent ;
qu'en même temps il avoit dit, que fon opinion
étoit que les dépenfes devoient être fupportées
par l'ifle particulière qui auroit befoin d'un renfort
additionnel , & c . »
état
L'Aflemblée après avoir entendu ce rapport ,
prit les réfolutions fuivantes :
1° . Que cette Affemblée ne pouvoit point
prendre fur elle de décider fur le danger com【
(237 )
paratif des différentes ifles des Indes Occiden
tales dans la crife actuelle , ni de confeiller le
déplacement d'aucune partie des troupes qui y
font ftationnées ; car quoique la Jamaïque foits
beaucoup plus expofée aux fuites de l'infurrec-l
tion de St. Domingue , cependant la difpofition
à la mutinerie qui a éclaté depuis fi peu de
temps à la Dominique , & la fituation précaire
des affaires dans les ifles Françoifes fur le vent ,
font craindre avec raifen que fi l'on retiroit une
partie quelconque des forces qui font dans nos
ifles fur le vent , cesmêmes ifles ne fullent expofécs
aux plus grande dangers . »
2°. Que pour les raifons déjà déduites dans
les réfolutions de la dernière Aflemblée , il eft
fur-tout à defirer que le Gouvernement faſſe
un acte oftenfible qui puiffe convaincre nos
Nègres , que les Miniftres de S. M. voient le:
danger , & qu'ils font difpofés à le repouffer.
Qu'il paroît qu'il eft prudent de prendre des
mefures immédiates , pour mettre tout- à- fait au
complet les régimens qui font actuellement dans
nos ifles fur le vent , & pour envoyer tel furcroît
de forces navales & militaires dans les ifles Britanniques
Occidentales en général , que le Gou--
vernement jugera devoir être néceffaire pour leur
confervation. »
CC
3 °. Que les Colonies Britanniques des Indes
Occidentales plantées & formées par des Sujets
Britanniques , & cultivées par le moyen des
efclaves Nègres tirés d'Afrique , non - ſeulement
fous la fanction du Corps Législatif , mais enr
couragées à cette culture par des actes répétés , »
& par fes déclarations , s'étant toujours montrées
fidèles & zélées dans leur attachement pour la
Mère-Patric , & par leurs impofitions intérieure ,
L. S
( 238 )
& par les droits mis au marché fur leurs productions
, fupportant au moins leur jufte portion
du fardeau public , elles ont droit en commun.
avec toutes les autres Parties de l'Empire , à
la protection du Gouvernement Britannique ;
protection qu'elles ne doivent point acheter à
chaque danger particulier qui les menace , mais
qui eft uniformément due à leur fidélité conftante ,
& qui doit être proportionnée aux dangers dont
elles font menacées . »
сс
4°. Que le danger qui menace actuelle
ment les Colonies des Indes Occidentales , attaque
leur exiſtence immédiate , ainfi que le
gros capital que des Sujets B.itanniques y ont
placé; que ce danger ne doit pas être imputé
ni à la faute des Colonies , ni des Capitaliftes ,
mais qu'il vient feulement des tentatives qu'on
a imprudemment faites pour renverser le fyftème
qui avoit fervi de fondement à l'établiſſement
des Colonies , & fous lequel elles ont profpéré
jufqu'ici , & pour faire fupporter en même temps
de la manière la plus injufte à ces Colonies les
maux plus immédiats , réſultant d'une mesure qui
à la fin influeroit d'une manière funefte fur le bienêtre
de tout l'Empire . »
CC
5°. Que le Comité qui a préſenté les dernières
réfolutions , foit prié de fe rendre chez
le Miniftre avec les Préfentes , & de lui faire
part des détails particuliers qu'on aura pu acquérir
fur l'infurrection de St. Domingue , & de communiquer
le plutôt poffible le réflat de cette
Bouvelle démarche auprès du Miniſtre , à l'Affemblée
général .
P
Lorfqu'il reçut ces réfolutions , le Secréaire
d'Etat , Lord Grenville, affura les Plan¬
( 239 )
teurs qu'il mettroit leurs demandes fous
les yeux du Roi , & qu'on feroit paffer
un renfort aux Indes occidentales. Cependant
, dans fa réponſe officielle , faite Samedi
dernier , le Miniftre réduit ce renfort
au tranfport d'un régiment de la Bar
bade à la Jamaïque. On préfume , il eft
vrai , que ce régiment fera immédiatement
remplacé par des forces envoyées
d'Europe ; force qu'on évalue à 12 ou
1500 hommes. Cette lenteur dans les décifions
du Gouvernement fur un objet fi
alarmant , femble cacher l'attente de touvelles
ultérieures , ou celle du parti que
prendra la France. On parle d'envoyer un
Commiffaire à la Jamaïque , & l'on nomme
à cette million M. Evan-Nepean , fous - Secrétaire
d'Etat , homme d'un vrai mérite
& d'une expérience confommée.
FRANCE.
De Paris , le 17 Novembre.
SECONDE ASSEMBLÉE NATIONALE.
Du Dimanche , 13 Novembre.
Le procès - verbal de la féance d'hier portoit
que le veto appliqué au décret contre les émigrans
, prouvoit que le Roi eft libre au milien
de fes peuples. Tout n'a pas paru vrai dans cette
pentée. On a frémi de voir qu'une Aflemblée
de législateurs philofophes confentit à ce que les
Feuples appartinffent aux Rois . Auffi de inûres
réflexions ont- elles fait fubftituer aux mots : jes
L 6
( 240 )
peuples , qui fentent l'efclavage 3 les mots ":" du¹
peuple Français. C'eft ce qu'on appelle être aux
petits foins pour le bonheur de la nation .
M. Becquey a rendu compte des nouveaux
troubles furvenus à Chaumont , département de
la Haute-Marne . Des grains arrêtés par le peuple
, la loi méconnue , la gendarmerie nationale
elle-même menaçant de le joindre aux féditieux,
la générale n'attirant que des furieux qui redou
blent le mal ; des adminiſtrateurs mis en fuite
& qui demandent un régiment : telle eft la
fubftance des faits & du rapport qu'on a renvoyé
au pouvoir exécutif.
M. Charles de Bourbon Montmorency , autre .
ment Alexandre de Créqui , ſe difant né en 1737 ,
d'un premier mariage ( fecret ) de Louis XV ( 1)
& d'une princeffe Allemande , qui depuis époufa
Alphonfe de Créqui , lorfque Louis XV eut épousé
a fille du Roi de Pologne ; s'eft plaint de qua-
Lante emprifonnemens , dont le dernier a duré
neuf ans dans un château près de Stettin , d'ou
il n'eft forti que grace à l'humanité de l'Affemblée
conftituante. Dépouillé de fes biens , de fon
état , de fon nom , par les intrigues de M. Blanchefort
de Créqui , il affure que les titres font dans
les archives de la couronne , & il réclame tous
fes droits ( qui ne tendroient peut être à rien
moins qu'à le fubftituer à Louis XVI, iſſu d'un
fils du fecond it ) . Au refte , i porte , a - t -il
(1 ) Comment un homme a - t - il le front de
fe prétendre pé de Louis XV & en 1737 , d'un
mariage antérieur à celui qui unit publiquement
ce prince , âgé de 15 ans , à la fille de Stanislas ,
en 1725 ? C'eft fuppofer une étrange ignorance
Ses auditeurs
( 245 )
dit , fur fon corps , certaine marque ineffaçable,
qui le fera reconnoître à l'inftant du dénoue →)
ment. M. Chabot , affailli d'applaudiffemens &
de huées , s'eft écrié que la lifte civile devroit'
fervir à indemnifer ceux que le pouvoir exécutif
perfécuta jadis ; qu'elle fert à alimenter les relfources
des émigians ; que les princes font des
enfans nationaux .
On fe rappelle avec quelle impudence , un
fieur Bolredon dit dernièrement à l'Affemblée ,
que M. de Launay , actuellement à Longwy ,
eft un traître . Eh bien ! aujourd'hui M. de
Launay demande à être confronté avec fon accufateur
, & fa demande n'a aucune faite , -
Mais , en revanche , MM. Drouet & Guillaume ,.
citoyens affez famés de Varennes , font venus
réclamer la promeffe de l'Affemblée conftituante
qu'ils feroient placés officiers dans l'armée de
ligne. Leur pétition a été renvoyée au comité militaire
, couverte de tous les honneurs des galeries .
Dès commiffaires des Sections de Paris , inė
conftitutionnellement délégués pour s'occuper de
l'adminiſtration des fubfiitances , dévolue
pouvoirs légaux , ont péroré fur cette matière ,.
& porté des plaintes très -aigres contre la muni- ,
cipalité , contre le miniftre & le département..
Le préfident les a exhortés à la confiance , &;
leur mémoire a été remis aux comités d'agrie
culture , de commerce & de légiftation,
Du lundi , 14 novembre.
aux
Le miniftre de la marine a écrit au préfident
de l'Aflemblée , en lui envoyant la lettre fuivante
de Sa Majeſté :
Ce 14 novembre.
« Je fuis informé , M. le préfident , que ,
fur la demande que le miniftre de la marine
( 242 )
faite , par mes ordres , & fous fa refponfabilité ,,
d'une fomme de 10,370,912 liv . pour faire face
àla dépense d'un armement extraordinaire qu'exige
la fituation défaftreufe où fe trouve réduite la
colonie de Saint- Domingue , l'Affemblée a décrété
qu'il n'y a pas lieu à délibérer , attendu la
forme inconftitutionnelle dans laquelle ellea été
inftruite de cet armement. »
C
« Je ne vois aucun article dans la conftitution
qui prefcrive une forme différente de celle
qui a été fuivie dans cette circonftance par le
miniftre de la marine , & que l'Affemblée conftituante
a confacrée , en décrétant , avant & depuis
l'acceptation de la constitution , toutes les
demandes de la même nature , préſentées par
une lettre du miniftre , adreffée , par mon ordre ,
au préfident. L'Affemblée législative elle- même
a fuivi cet exemple , en accordant , le 8 de ce
mois , un fonds de 500,000 liv. en faveur des
invalides , fur la feule demande du miniftre de
la guerre , »
*
Je ne puis pas diffimuler combien je ferois
affecté de voir que , dans un moment où le
falut de l'empire eft en danger , cù le meurtre
& l'incendie ravagent la plus férieufe de nos
colonies , menacent d'une ruine totale les manufactures
, le commerce & l'agriculture , l'Affemblée
pût fe fonder fur une pare lle difficulté
pour furfeo'r à délibérer fur un objet d'u e fi
haute importance ; les voeux & les inquiétudes
des principales villes du royaume , manifeftées
par leurs adreffes , n'annoncent que trop combien
l eft preffent de porter les remèdes les plus
efficaces à un mal auffi grave , dont les fuites
compromettroient effentiellement la fubfiftance
( 243 )
1
du peuple , qui fera toujours l'objet de ma vigi
lance & de ma plus vive follicitude . »
сс
J'espère qu'une confidération auffi majeure
déterminera l'Affemblée à ne pas différer plus longtemps
de décréter les fonds extraordinaires dont
j'ai chargé le miniftre de la marine de lui faire la
demande. »
Signé , LOUIS. Par le Roi , DE Bertrand .
M. Tarbé a repréſenté que les formes étant
remplies , rien ne s'oppofoit plas à ce qu'on
s'occupât fur- le- champ du fort des colonies .
Quelques membres n'en ont pas moins demandé
l'ordre du jour. Il a cependant été enjoint aux
comités de faire leur rapport fur la lettre du
Roi.
M. Quatremère en a fait un fur les pétitions
des artiftes non -académiciens & des membres
« de cettejurande royale connue fous le nom d'académie.
La difcuffion de fes conclufions a été
ajournée à mercredi .
Alors le rapporteur des comités colonial &
de marine a relu le projet de déc: et , qu'on
avoit de nièrement renvoye fons le prétex e , fi
bien refuté par le Roi , du défaut de formalité
dans la dema de pour laquelle toute la France
confternée .xerçoit incontestablement la plus manifefte
iniciative. Plufieurs membres n'ont pas
héfité de couv.ir encore leurs nouve les vues dilatoires
, d'une perendue néceflité d'impreffion
& de diftribution . L'un d'eux a dit que , fous
l'extérieur féduifant de la bonne- foi , le miniftre
de la guerre renouvelloit toujours les actes
de perfidie Qu'on envoie du moins autant
de gardes nationales que de troupes de ligne ».
Par amendement , M. Merlin propofoit que
la fomme für réimpofée , dans des temps plus
: cc
( 244 )
Heureux , fur les coloniese Il eft indécent
difoit-il , que le laboureur , le peuple qui ne
profitent en rien de ces dépenses exceffives , les
paient... Perfonne que les colons ' n reffentira
les avantages... C'eſt une cafte privilégiée , le
commerce , des hommes riches , dont l'efprit
commercial perdroit la patrie , fi on les écoutoit...
On veut faire des colonies un royaume à part ,
& l'on fait pourquoi... La métropole , me dit - on !
les colonies n'y tiennent pas du tout, Elles font
leurs loix... Et nous mangeons pour elles la
fubfiftance du laboureur , du pauvre peuple qui
ne prend ni café , ni fucre. »
:
Tous ces traits civiques ont été vivement applaudis
des galeries , & d'une foible partie de
fa falle Quelques voix crioient à l'école
d'autres il faut être bien ignorant pour tenir
de pareils propos . M. Tarbé a dédaigné de difcuter
une opinion auffi extravagante. L'ex- capucin
, M. Chabot , rappelloit M. Tarbé à
Fordre. On a pourtant , & le préfident lui -même ,
tenté , mais en vain , de mettre l'amendement
de M. Merlin aux voix. Enfin la rédaction de
M. la Croix a été décrétée en ces termes :
ce L'Aflemblée nationale , après avoir entendu
le rapport de fes comités des colonies & de marine
, & délibérant fur la propofition du Roi portée
en fa lettre du 14 novembre 1791' , contre-fignée
par le miniftre de la marine , décrète ce qui fuit :
« L'Aſſemblée nationale accorde la fomme de
10,370,912 liv . demandée par le Roi pour les
fecours à porter à Saint-Domingue , & pour y
Frétablir l'ordre ; fur laquelle fomme qui fera fupportée
par les fonds deftinés aux dépenfes extraor
dinaires , il fera mis fans délai à la diſpoſition du
miniftre de la marine , celle de 3,456,970 liv
( 245 )
14 fous 4 den., & le furplus au commencement
de chaque mois , à raifon du douzième à partir.
du premier décembre prochain ; de l'emploi de
laquelle fomme le miniftre rendra compte à l'Affemblée
nationale. ».
""
Le comité chargé de faire une loi contre les
prêtres , ayant travaillé jour & nuit , & ne pouvant
convenir d'aucune baſe , fon rapporteur s'eft
dit malade , & le fuppléant eft venu lire un
projer que les membres du comité ont trouvé
déteftable. Ce projet confpué attachoit tout :
traitement ou penfion à un certificat de ferment
civique , livroit la police intérieure des églifes
à l'arbitraire de municipaux ( fouvent d'une autre
religion ) ; les autorifoit à condamner à des amendes
du double dés contributions , & c . Aux yeux des
meneurs , le tort de ce projet étoit d'être trop
foible. Il n'y a pas eu lieu à délibérer ; mais
M. Ifnard n'en a que plus librement déployé fon
éloquence meurtrière. Nous allons rendre fes
principaux moyens .
Plufieurs bons efprits , a- t-il dit , penfene
qu'il ne peut y avoir de loi particulière contre
les prêtres , & voici leur argument, Ou les prêtres
ne font qu'héréfiarques , ou ils font perturbateurs s
s'ils font fealement héréſiarques , vous ne pouvez
pas faire de loi contre eux , parce que la li
berté des opinions & des cultes eft une des ›
loix fondamentales de l'état . S'ils font pertur-...
bateurs , la loi eft faite , maintenez-la . » Il a
prouvé , felon lai , le vice de ce dilemme , en
établiffant qu'un prêtre perturbateur eft beau
coup plus coupable qu'un autre , & en confidérant
la religion comme l'inftrument de crime
Je plus dangereux ; enfuite il a raifonné ainfi :
3
Quelle loi devez-vous porter ? Il n'y a
(' 246. )!

qu'une feule peine applicable à ce délite; c'eft
l'exil hors du royaume ( les galeries ont violem
ment applaudi cette loi-peine )... Ce font des
peftiférés qu'il faut renvoyer dans les lazarets de
Rome & de l'Italie... Si vous les puniffez d'une i
autre manière , ti vous leur laiffez la faculté de
prêcher , de meffer ( grands éclats de rire ) ,
de confeffer, quevous nepouvez leur ôter , d'après
la liberté des cultes , ils vous feront plus de mal
qu'ils n'en firent jamais... Le prêtre méchant eft
le pire de tous les hommes. Mais , dira-t- on , ›
il ne faut pas perfécuter les prêtres ; punir n'eft
pas perfécuter... On ne fait des martyrs qu'en
puniffant des hommes faints , ou des fanatiques
de bonne-foi ... Les ennemis de notre conftitution
font des hypocrites avides... Ne craignez
pas d'augmenter la force des émigrans ... Le
Frêtre eft , en général , auffi lâche que vindicatif...
Toutepacification eſt déformais inutile...
Le fanatifme ne peut vivre dans l'atmosphère
de la liberté... Ce monftre eft déja bleſſé per la
philofophic...... L'univers applaudira à votre
triomphe... Les prêtres ont vendu le ciel au
crime... Frappez avec rigueur fur cette claffe
d'hommes... J'ai démontré la justice de cette
mefure ; je vais en démontrer la politique. »
Une grande révolution s'eft opérée en France ;
elle n'eft pas terminée. La crife créatrice eft finie ;
la crife confervatrice va commencer. » Il a peint
en Angleterre , dans les Pays-Bas , en Amérique ,
la liberté achetée par des flots de fang ; a dit
que so années de calamité avoient conduit les
Anglois au fantôme de liberté dont ils fe glorifient.
« Croyez-vous , s'eft - il écrié , que la révolution
françoife , la plus étonnante qu'ait éclairé
le foleil , révolution qui tout-à-coup arrache
"
3
( 247 )
au defpotifme fon fceptre de fer , à l'ariftocratie,
fes verges , à la théocratie fes mines d'or ; qui
déracine le chêne féodal , foudroie le cyprès parle
mentaire , renverfe le pied- d'eftal de la nobleffe ,
défarme l'intolérance , déchire le froc , étouffe ,
la chicane , détruit la fifcalité ; qui va peut-être,
forcer toutes les couronnes à féchir devant ks.
loix , & verfer le bonheur dans le monde en-,
tier , s'opérera paifiblement ( grands applaudif- ,
femens ) non il fant un dénouement à la révolution
françoife... Prévenez- en la marche avec.
courage avant que l'enthouſiaſme foit refroidi.
Si vous laiffez à la mifère le temps d'appercevoir
les haillons , vous ne ferez peut être plus les
maîtres... Nous ne fommes déjà plus ce que nous
étions dans la première année de la liberté . Les
affaires particulières détachent les citoyens de
l'intérêt public . ----Provoquez des arrêts de mort .
Frappez du glaive de la loi . Liviez des
batailles .-- Ecrafez tout de vos victoires . -- C'eſt :
au commencement d'une révolte que vous devez
être trachans. - HEUREUSEMENT LOUIS XVI
N'A PAS EMPLOYÉ CES MOYENS ( quel aveu ! ) ;
nous ne ferions point ici , & la nation ploieroit ›
encore fous lejoug. »
104
--
--
Mais cette attocité qu'il appelle rigueur , forfait
dans le defpotifme , eft juftice dans le véritable
fouverain , le peuple : «Elle fera couler du fang ,
je le fais ; mais fi vous ne la déployez pas , i! en
coulera davantage ... Vous feriez les premières
victimes ; vous vous trouveriez en butte à tous
les coups ... MON DIEU , c'est la loi ; je n'en ai
pas d'autre ; je n'en veux pas d'autre . » Et il
chaffoit du royaume tous les prêtres non - affer- `›
mentés , fur la moindre plainte , & condamnoit
248 )
a la mort tous ceux que leurs perfécuteurs pour
roient convaincre .
On a demandé l'impreffion de ce difcours ,
& l'envoi dans les départemens . L'évêque conftutionnel
de Rennes , M. le Coz a voulu parler
comme citoyen , comme prêtre ; il a traité cette
harangue de code d'immoralité , d'anarchie &
d'athéifme , qui tendoit à priver un peuple ruiné
des dernières confolations ; M. Bazire a crié :
le prêtre à la barre . Les galeries ont redit en
chorus : à la barre. Quelqu'un a dit : nous ne
fommes pas ici en Sorbonne..
Un décret a divifé le comité en 4 fections
qui , mercredi , préfenteront chacune fon rapport
& fon projet de loi contre les prêcres .
Du mardi , 15 Novembre.
Sur 343 votans , 257 voix ( environ le tiers de
I'Affemblée ) ont porté M. de Vaublanc à la préfidence
.
Le prétexte du défaut de la fignature du Roi
fufpend encore le paiement qu'exige l'armement à
oppofer aux entrepriſes des Algeriens . Mais le
comité diplomatique nous donnera jeudi des extraits
de gazettes arrangés par M. Briffot , qui
jetteront la plus grande lumière fur les relations
mutuelles de la France & de toutes les Puiffances .
Divers autres objets ayant été lus , débattus ,
& remis à des comités qui le reliront encore , &
qui provoqueront de nouveaux débats , nous nous
bornerons à quelques mots fur les deux décrets
rendus dans cette féance .
Le premier force un reffort qui n'a pas reçu
de la conftitution une énergie proportionnée à
L'effet qu'on femble en attendre. Qu'cit- ce que
7249 )
la refponfabilité pécuniaire & non- définie d'ad
miniftrateurs n'ayant , la plupart , d'autre propriété
que leur traitement alimentaire , à l'égard
de tout un département : celle d'un directoire ,
à l'égard de fon diftrict ; & celle de municipaux ,
créatures de la multitude , à l'égard d'une commune
furchargée & armée ? S'ils le démettent , où
fera le réfultat des comptes périodiques à jour
fixe ?
Le fecond tuera les moeurs , l'induſtrie , le commerce
& l'armée , en faisant fermenter dans toutes
les têtes la ruineufe manie d'être officier de ligne 3
en tranfportant des patriotes de 18 ans , des corpsde-
gardes nationaux attenant à la boutique de leur
père , dans les garnifons corrompues ou perfonne
ne les furveillera ; en donnant des égaux obfcurs
pour chefs à de vieux foldats , accoutumés
à refpecter des noms illuftrés par des races immé
morialement vouées à l'état militaire .
Par le premier décret , il eft ordonné ; 1º . que
dans les départemens où la réparrition des contri
butions n'aura pas été faite entre les diftricts , elle
fera faite par le confeil du département , dans quinzaine
, fous les peines de forfaiture portées dans la loi
du 28 août ; 2°. que les diftricts répartiront , dans
quinzaine , entre les municipalités , faute de quoi,
des commiffaires y pourvoiront ; 3 ° . que fi les
municipalités ne font auffi leur répartement dans
la quinzaine fuivante , des commiffaires accélèreront
l'opération ; 4°. que les frais de commiffaires
feront retenus fur les traitemens , & qu'il fera
rendu compte du tout , de quinzaine en quinzaine
, des directoires aux directoires , des départemens
au miniſtre , & du miniftre au corps
légiflatif.
Par le fecond , confiftant en deux articles
( 250 )
additionnels à la loi fi fouvent rémaniée fur
le remplacement des officiers de l'armée , il eſt
ftatué ce qui fuit :
« Art. III . Ne pourront prétendre aux emplois
réservés aux gardes nationales par l'article
précédent ,, que les citoyens & fils de citoyens ,
âgés de 18 ans & au- deſſus , qui auront fait un
fervice perfonnel & continué dans les gardes nationales
depuis & compris le premier Janvier 179
jufqu'à ce jour. »
« IV. Les gardes nationales inferits pour fe
rendre aux frontières , en vertu du décret du 20
juin dernier , & qui font entrés dans le bataillon ,
feront admiffibles aux fous- lieutenances , quelle
que foir l'époque à laquelle ils font entrés dans la
garde nationale. »
Du mercredi , 16 novembre.
Quoique l'acte conftitutionnel ait établi que
les députés aux législatures ne repréfentent aucune
partie de la France , mais la nation entière
( ch . Î . fect . III . art. VII ) ; que nul corps armé
ne peut délibérer ( tit. IV . de la force publique ) ;
que les autorités conftituées n'admettront que
des pétitions individuelles ( tit . I. §. III ) ; un
bataillon des volontaires nationaux du département
de Rhône & Loire , qui paroît fe prendre
pour la nation , écrit à l'Affemblée : à nos auguftes
repréfentans , & lui demande d'être envoyé
au fecours des colonies . « Le climat de l'Amérique
, difent ces braves volontaires , eft propre
à la liberté. Que les corps Américains foient
étonnés en voyant des citoyens François d'Europe
fous l'uniforme aux trois couleurs , fe
joindre aux troupes de ligne , pour y affermir le
drapeau chancelant de la liberté »... ( A propos
762519
d'efclaves révoltés qu'il faut rappeller au devoir) !
ce Si l'on n'envoie que des troupes de ligne
a dit un membre , elles feront entièrement fubordonnées
aux chefs ( l'inconvénient eft certainement
risible ) ; au lieu que des gardes nationales
partageront la confiance des citoyens
ferviront utilement la patrie , & ne porteront
point la défolation dans ces centrées . » On a
renvoyé l'adreffe au pouvoir exécutif, & il en
fera fait mention honorable .
$
M. Audrein a paraphrafé les aventures de curés
affermentés , inftallés par force , & chaffés par les
paroiffiens fur qui de civiques voisins font accourus
faire deux décharges en l'air , dont deux
hommes ont été tués ; jeu de mots qui a beaucoup
fair rire. Cela prouveroit à d'autres , qu'il
n'eft pas de loi plus ouvertement violée , que la
constitution qui donne aux citoyens « le droit
d'élire ou choifir les miniftres de leur culte ( tit . I.
§ . III . ) ». Mais M. Audrein n'y a vu qu'un
moyen de provoquer une loi plus cruelle contre
les prêtres.
4
ce Dans la même féance > a eu le noble courage
de dire M. Laureau , j'ai entendu deux
motions capables de faire perdre tout efpoir à
la patrie ; l'une , d'abandonner nos colonies ;
l'autre , d'expulfer du royaume quiconque n'a pas
notre opinion religieufe . Au moment où nous
agitons le dé dont la fortie va nous donner
ou la paix ou la guerre intérieure , des clameurs
populaires tendent à ſubſtituer l'opinion, vulgaire
à celle du législateur... à nous conduire à une
loi qui feroit plus funefte que la révocation de
l'édit de Nantes... Que , fi ce jour de calamité
arrive , les maux qu'il caufera puiffent retomber
7252 )
Tar la tête de leurs auteurs ! Quand une nation
qui a renoncé aux conquêtes tiré l'épée , c'eft
fon fang qu'elle fait couler... Je n'abandonnerai
pas le rôle honorable de fon législateur , pout
celui de fon perfécuteur. Je fais la motion que
toute propofition incendiaire ennemie du calme
d'efprit , fource pure des loix , ne foit pas même
écoutée……… » . Des fentimens fi eftimables n'ont
produit que des murmures , & le cri : A l'ordre
dujour... L'Affemblée s'y eft trouvée .
M. Brival a dénoncé la dernière proclamation
du Roi, comme féduifante , mais contraire à la
conftitution . Cette odieufe dénonciation a fagement
été repouffée en dépit de M. Briffot qui effayoit
d'en relever l'extrême importante. On a fait
lecture d'une lettre de l'aſſemblée coloniale de
Saint - Domingue , à l'Aſſemblée nationale . Le
Voici :
cссe Cent mille Noirs fe font révoltés dans la
partie du Nord ; plus de zoo fucreries font incendiées
; les maîtres font maffacrés ; & fi quelques
femmes font épargnées , leur captivité eft
un état pire que la mort même ; déjà les Nègres
ont gagné les montagnes , le fer & le feu y
montent avec eux ; un nombre immenfe de ca
feyères eft auffi la proie des flammes : celles qui
reftent touchent au moment de leur deftruction.
De toutes parts , femmes , enfans , vieillards
échappés au carnage , abandonnent leurs retraites,
& cherchent fur les vaiffeaux le feul afyle qui
Jeur eft affuré . »
nous Trop foibles pour réfiſter à ce torrent ,
avons demandé des fecours aux infulaires les plus
voifins s'ils arrivent affez tôt pour préven
notre anéantiffement , ils ne ramèneront pas la
fource
( 253 )
fource de nos richeffes elle eft tarie pour ja
mais.
« Nous ne vous dirons pas quelle cauſe a
produit nos malheurs , vous devez affez la connoître
; ce que vous apprendrez de nous , c'eft
que , s'il faut périr , nos derniers regards fe tourneront
encore vers la France , nos derniers voeux
ferent pour elle. »
« Les membres de l'affemblée générale de la
partie Françoife de S. Domingue. Signés, Cadusch
préfident ; Poncignon , vice- préfident ; Millochue,
Petit- Champaux , Meailles , Lux , fecrétaires. »
: Plufieurs membres ont demandé le fenvoi de
cette lettre au comité des colonies , & mention
au procès-verbal. L'Affemblée ne décidoit rien .
Enfin fur d'inftantes repréfentations , on a décrété
qu'on répondroit à l'affemblée coloniale.
Les quatre fections du comité de législation ,
ont lu chacune fon projet de loi contre les prêtres.
Serment, civique exigé des non-affermentés ; en
cas de refus , lifte des réfractaires , déchéance
de fonctions & de traitement , dénomination de
prêtresfufpects de révolte , exil , détention , gêne ,
les peines portées au code pénal , & du tout
comptes rendus aux directoires , au miniftre , au
corps législatif... Eufin ni humanité , ni juftice ,
ni prudence , ni liberté des confciences . Voilà
ce que ces projets ont d'analogue entr'eux. 'Trois
défèrent aux directoires de diftri &t le droit de
condamner , d'exiler , d'emprifosner , l'attribution
judiciaire , au mépris de l'acte conſtitutionnel
qui , répétant ce que difoient même les anciennes
loix du royaume , a du moins implicitement or
donné que « les citoyens ne peuvent être diftraits
desjuges que la loi leur affigne ( ch. V. art . IV ) ».
S'il eft vrai que tout décret eft une loi , il peut
No. 48. 26 Novembre 1791, M
(1254 ) :
l'être qu'un directoire foit un tribunal . Ces difpofitions
de pur defpotilme ont été applaudies
d'une partie de la falle & des galeries évidem
ment co-délibérantes .
Un des articles remarquables du premier projets
de celui qu'a lu M. François de Neufchâ
teat , & qui a obtenu la priorité , l'article XV
porte : Les décrets de l'Affemblée nationale
conftituante , des 12 24 juillet , & 17 novem
bre 1790 , continueront d'être exécutés , mais
avec les modifications fuivantes que l'achevement
de la conftitution rend aujourd'hui néceffaires :
1º. La formule du ferment civique fera fubftituée
au ferment provifoire prefcrit par lefdits décrets' ;
20. le titre de conftitution civile du clergé n'ex-
Primant
pas te la véritable nature de ces loix &
zappellant une corporation qui n'eft plus , fera
fupprimé & remplacé par celui de loi concernant
les rapports civils & les règles extérieures du
culte catholique en France ; 3 ° . Les évêques ,
curés & vicaires ne feront plns défignés fous la
qualité de fonctionnaires publics , mais fous celle
de miniftres du culte catholique falariés par la
nation. Cet article a excité des applaudiffemens
univerfels.
>
Pour bien faifir l'efprit dominant , il eft bon
de ne pas ignorer les efforts inutiles qu'a mula
tipliés , au milieu des interruptions & des huées ,
M. le Montey , dans l'efpoir d'obtenir qu'il fût
décrété que tous les citoyens à qui la loi de
mande te ferment purement civique , pourront
le faire précéder de la déclaration qu'ils jugeront
convenable , relativement à leur croyance religieufe
. Ses raifons déduites avec tous les mes
nagemens dus au fanatifme , étoient que beaucoup
d'anciens pafteurs , révérés de leurs paroiffions ,
sroyoient la conftitution du clergé identifiée à
( 255 )
la conftitution de l'état , & qu'elle touchoit au
fpirituel.Iajoutoit qu'on doite défefpérer de jamais
faire prendre le change ni rétrograder les habitans
des campagnes fur la religion leur plus importante :
affection civile & morale ». Des clameurs ont
repouffé la fage propofition de M. le Montey.
L'Affemblée n'a décrété que le premier article ,
qui foumet tout eccléfiaftique , autre que ceux.
qui le font conformés au décret du 27 novembre
1790 , à prêter & figner , dans la huitaine ,
devant leur municipalité , le ferment civique de
l'acte conftitutionnel.
Comme chargé , par interim , du département
des affaires étrangères , M. de Leffart a lu les
réponſes que le Roi a reçues de l'Empereur ( un
plaifant a demandé de quel Empereur ? ) , des
Rois de Sardaigne & de Pologne , du Grand- Duc
de Toſcane , du Duc de Saxe-Gotha , & de la
ville de Dantzick . Par - tout le même defir de
la profpérité de Louis XVI , de fon augufte
famille & de la France ; rien de direct fur la
conftitution. On a accueilli de murmures , une ›
partie des dépêches de l'Empereur & du Roi de
Sardaigne , dont voici la teneur :
·
1
Réponse de l'Empereur. Vienne le 23 octobres
a Très féréniffime & très puiffant prince. :
Seigneur , notre cher frère , coufin & allié
l'ambaffadeur de votre Majefté nous a remis les
lettres par lefquelles elle nous notifie fon acceptation
de la nouvelle conftitution qui lui a été »
préfentée . Plus nous fommes étroitement unis
par les liens du fang , de l'amitié , de l'alliance
& du voisinage , plus nous avons à coeur la
confervation de votre Majefté & de fa famille.
royale , de même que la dignité de fa couronne
M.2
( 256 )
& le falut de la monarchie Françoife. Ainfi ;
nous defirons avec une affection fincère que le
parti que votre Majefté a cru devoir prendre
dans l'état actuel des chofes , ait le fuccès qu'elle
attend , qu'il réponde à fes voeux pour la félicité
publique , & en même - temps que les caules
qui font communes au Roi & aux Princes , &
qui , par ce qui s'eft paffé dernièrement , ont
donné lieu à de finiftres augures , ceffent pour
l'avenir , & que l'on prévienne la néceffité de
prendre des précautions férieufes contre leur
retour. »
Réponse du Roi de Sardaigne au Roi , datée de
Turin , le 9 novembre.
Monfieur mon frère & coufin , j'ai reçu la
lettre qu'il a plu à votre Majefté de m'écrire le
25 du mois de feptembre . La juftice qu'elle rend
à mes fentimens , en ne doutant pas de l'intérêt
que je prends conftamment à tout ce qui la
concerne perfonnellement , ainfi qu'au bonheur
de fa maifon & de fes fujets , me fera toujours
de la plus grande fatisfaction . Je prie votre
Majefté d'être également perfuadée de ma fenfibilité
aux nouvelles affurances qu'elle veut
bien me donner de la continuation de fon amitié
. Celle que je lui ai vouée ne fauroit jamais
fe démentir mi s'aitérer , & rien ne pourra diminuer
mon empreffement à l'en convaincre . »
Informé que la lettre de l'Electeur de Mayence
contenoit des proteftations , le Roi l'a renvoyée
fans l'ouvrir. Cette nouvelle a amené de grands
battemens de main de la falle & des galeries."
Le miniftre a enfuite rendu compte des démarches
du Roi auprès de l'Empereur au fujet
( 257 )
des raffemblemens des émigrans ; & les bravos
ont recommencé .
Après M. de Leffart , M. Duportail a prouvé
que , la plupart des directoires n'entendoient rien
a l'organiſation de la gendarmerie nationale , &
le garde-du - fceau ,
, que l'amniftie avoit heureufement
délivré tous les bandits révolutionnaires ,
Ainfi s'eft terminée la féance .
Du jeudi , 17 novembre.
M. Chabot s'eft porté expreflément dénonciateur
de la dernière proclamation du Roi , qu'il
accufoit le miniftre d'avoir eu l'impudence de
faire diftribuer par le bureau de l'Affemblée.
Quelques membres fuppofoient cette question
ajournée ; mais de courts débats ont amené
l'ordre du jour ; & après divers objets renvoyés
aux comités ou au pouvoir exécutif , on a repris
la difcuffion fur les prêtres.
Les articles II & III du projet de M. Fran
fois de Neufchâteau ayant été adoptés comme
nous les tranferirons , l'évêque conftitutionnel
de Bourges , M. Torné , a invoqué la préalable
fur le quatrième , qui privoit de tout traitement
les prêtres qui refuferoient de prêter le ferment
civique . Il à foutenu que cet article étoit conraire
aux principes de l'humanité ; que l'acte
conftitutionnel donnoit le titre de citoyen Fran
çois à tout étranger fans exiger de ferment
civique ( on lui a crié c'ef faux ) ; qu'on devoit
traiter les prêtres non-affermentés en étrangers .
Sa réponse aux clameurs a été : « ils ne font
pas citoyens actifs , mais citoyens François ( on
lui a de nouveau crié : c'eft faux ) ; que la conftitution
Françoife n'exige le ferment civique que
pour impofer une forte d'épreuve à celui qu'elle
M
3
( 258 )
ne reconnoft qu'à cette condition citoyen acti ...
• Ce raifonnement a excité le plus violent & le
plus long orage. L'opipant a été accufé de né
débiter que des héréfies conflitutionnelles . On
demandoit qu'il fût mis à l'ordre ; on réclamoit
la parole contre le préfident .
CG
·0
Meffieurs , a dit M. Torné , mon intention
n'étoit pas de jetter du trouble dans l'Affemblée ;
je me fuis trompé ; je me rappelle à l'ordre moimême
». M. Bazire vouloit qu'on fermât la
difcuffion ; on lui objectoit qu'elle n'étoit pas
-ouverte, c Pourquoi y a-t- il tant de tumulte
dans ce côté que je ne veux pas nommer le côté
droit , demandoit M. Lacroix ? Je fuis fâché
de la dépenfe de poumons que vient de faire M.
Lacroix , a répondu quelqu'un ; c'eft une des
tribunes qui s'eft permis des huées » . M. Chabot
a pris à partie le préfident ; & plufieurs membres
du côté gauche ayant imité M. Chabot ,
un décret a décidé que perfonne ne feroit entendu
contre le préfident ; & l'on a fait lecture
d'une lettre des députés des citoyens actifs de
Bordeaux , actuellement à Paris , contenant des
nouvelles apportées par un courier extraordinaire ,
& arrivées à Bordeaux par le navire la Baſſepointe
, appartenant à M. Gradis , & parti du
Cap le 9 octobre.
*
Cette lettre , qui confirme les défaftres du
nord de St. Domingue , étoit accompagnée de la
déclaration du capitaine , & chargeoit les députés.
d'exprimer les alarmes des Bordelois fur le fort
des Colons. M. Vergniaud a craint que la déclaration
du capitaine ne fit des impreffions plus
fâcheufes , fi on la lifoit feule , que fi l'on entendoit
en même- temps les députés, à qui d'autres
pièces donnoient plus d'efpérances , & il ren(
259 )
voyoit tout aux comités pour attendre leur rapport.
L'Affemblée doit prendre toutes les précautions
poffibles pour éclairer l'opinion publiqué
d'une manière bien pofitive , a dit M. Genfonné ,
perfuadé de même qu'un rapport éclaireroit
mieux que la lecture de pièces originales . -- Aux
comités. 2 'T. 7
Le miniftre de l'intérieur a communiqué les
dépêches que le Roi a reçues de MM. Cham
pion , d'Albignac & le Scène- des- Maifons , commiffaires
civils envoyés dans le Comtat. Elles
font du 12 novembre. M. le Montey les a lues.
n ! Ils mandent que la priſe de poffeffion de Carpentras
& d'Avignon , s'eft faite paisiblement
avec la dignité qui convenoit à la cérémonie » .
Les municipaux ont prêté le ferment , le peuple
a crié vive la nation ! vive le Roi ! Carpentras
eft tranquille . Un parti anti - patriote y voyoit
de mauvais oeil 24 députés à l'affemblée étectorale
, & la multitude ignorante & abuſée les
traitoit de brigands , parce qu'ils vivoient avec
ceux qu'on étoit accoutumé à appeller ainfi ».
Ce parti avoit formé un club , dominoit la municipalité
; les patriotes s'éloignoient ; mais l'arrivée
des commiffaires a tout fait rentrer dans
Fordre.
TE
M. de Choify fe porta le 7 à Avignon à la
tête des troupes , & n'y trouva pas un homme
armé. Les commiffaires s'y rendirent le 83 Padmi
Biftration provifoire leur remit les clefs . Le 9 , la
commune convoquée prêta le ferment . Mais un
crêpe funèbre couvroit Avignon. Pères , époux ,
femmes , enfans éplorés , tous fe jettoient aux
pieds des commiffaires & leur redemandoient des
Parens qu'on fuppofoit encore en vie dans les
Prifons & que bientôt on fut avoir été maffacrés .
M4
( 260 )

On Frémit au fouvenir de tant de forfaits ; puiffe
leur épouvantable image répandre une falutaire
horreur fur les principes de théorie qui pourroient
les renouveller ! Le père tué fous les yeux du fils ,
la mère égorgée fur les fils palpitans , des femmes
enceintes éventrées , toutes ces malheureuſes victimės
hachées , amoncelées , dans un trou profond
, recouvertes de trop peu de chaux pour être
confommées , ce trou qu'on nomme glacière , muré
afin d'arrêter des exhalaifons peftilentielles...
M. de Montey fuccombe à une pareille lecture .
Il fond en larines . M. Ifnard s'eft chargé de la
continuer. 7555
Le récit de ces atrocités , le fpectacle de ce trou
dont le mur eft en partie abatta , le cris de ven
geance de 300 familles ont fait une telle imprefon
fur les troupes , qu'il eft devenu inſtant de
mettre en état d'arreftation ceux qui cxerçoient
l'autorité à l'époque de ces crimes . On a done
arrêté les Mainville , Tournal , Jourdan , Pétavin
, plufieurs autres , & le jeune Lecuyer qui ,
à 16 ans , a tué , lui feul , fept prifonniers . Les
Duprat & Mende font échappés , on les pourfuit,
Le nombre des perfonnes maffacrées eft
inconnu ; mais il eft conftant que dù 16 au 17
octobre , il en périt beaucoup que , depuis on
en égorgea de fang- froid , par centaines ; que les
églites ont été dépouillées , &c.
Trois juges enquêteurs provifoires feront élus
par les fections , & recevront les dépofitions en
préfente de deux notables . Les commiflaires terminent
leur lectie en demandant des inftructions
& en febplaignant des calomnies qu'ils affurent
avoir été débitées jufqu'au, fein de l'Aſſemblée
pationale , contre M. Abbé Mulos& eux- mêmes
Par « un intrigant couvert du mépris univerfel
261 )
Et ils conjurent l'Affemblée d'attendre leur compte
pour appuyer fon jugement.
Quelqu'un s'eft hâté de demander le rapport
(l'abolition ) du décret qui a mandé M. Mulot à
la barre; d'autres ont dit que M. Mulot ne devoit
rendre compte qu'au Roi , en qualité de commiffaire
du Roi. Tout a été renvoyé au comité de
légiflation .
-
On a lu des lettres de M. de Blanchelande ,
des 13 , 15 , 25 & 30 feptembre . Il agit de concert
avec l'Affemblée coloniale . La province du
nord eft dans le même état ; mais la terreur des
habitans des campagnes diminue ; ils fe défendent.
Ceux de la grande plaine ont abandonné les paf-
Tages , ont fui chez les Espagnols ; il y en a eu
beaucoup d'égorgés . Les bataillons de Normandie
& d'Artois font dans la plus grande.
infubordination. Les gens de couleur offroient
de fecourir les blancs en partageant le pillage
à condition qu'on leur donneroit les deux tiers
de ce qu'ils fauveroient . L'équipage du Borée
eft en état d'infurrection . Au Port- au-Prince
une capitulation a appaifé les gens de couleur
unis aux nègres. Nul fecours de la part des Efpagnols
; les Anglois ont envoyé soo fufi's ,
quelques munitions , quelques vivres. Si les nègres
de la ville fe révoltoient , tout feroit incendie
M. de Blanchelande impute les troubles au décret:
du 15 mai , & mande « il me feroit plus aifé:
de commander cert mille hommes des anciennes:
troupes de lignes que deux mille hommes de:
troupes patriotiques . »
Ces diverfes pièces ont été remifes au comité:
colonial , & l'on a repris l'article IV du projet :
contre les prêtres que M. Torné a combattu
par la diftinction de tout code humain & juft
M
S
1262 )
entre l'innocent & le coupable , le fcrupuleux &
le féditieux ; par la raison que tout traitement
qu'une loi conftitutionnelle met au rang des
dettes nationales , ne peut être , de bonne foi ,
foumis à des conditions arbitraires en vertu d'une
loi fubféquente , par l'extrême importance d'écou
ter la justice de tous les temps , & non l'efprit
du moment. Des murmures l'ont interrompu.
M. François de Neufchâteau a comparé la nation
« à un père de famille qui auroit un champ ou
Famperoient des reptiles venimeux » , & a conclu ,
au miicu des applaudiffemens , que ce père doit
det ui e ces reptiles , & non les nourrir du fang
de fes enfans .... Le vacarme étoit au comble ,
& s'eft prolongé de manière à faire dire à M.
Vergiaud, que de pareils erages étoient bien
plus dangereux que Worms & Coblentz . Il propofoit
des moyens de police qui n'ont pas en de
fuite , & le quatrième article a été décrété au
"bruit des tranfports de joie des galeries . Voici
les trois articles décrétés . :
« II . A l'expiration du délai ci -deffus , chaque
municipalité fera parvenir au directoire du déper
tement › par la voie du district , un tableau des
eccléfiaftiques, domiciliés dans fon territoire , en
diftinguant ceux qui auront prêté le ferment civique
, & ceux qui l'auront refufé . Ces tableaux
ferviront à former les liftes dont il fera parlé
ci-après . »
« III. Ceux des miniftres du culte catholique
qui ont donné l'exemple de la foumiffion
aux loix & de l'attachement à leur patrie ,
en prêtant le ferment de fidélité preferit par le
Décret du 27 novembre 1790 , & qui ne l'ont
pas rétracté , font difpenfés de toute formalité
nouvelle. Ils font invariablement maintenus dans
( 263 )
"
tous les droits qui leur avoient été attribués par
les décrets précédens. The
}
IV. Quant aux autres eccléfiaftiques , aucun
d'eux ne pourra déformais toucher , réclamer
ni obtenir de penfion ou traitement fur le
trefor public , qu'en repréfentant la preuve
de la preftation du ferment civique , conformément
à l'article premier ci- deffus . Les tre
foriers , receveurs on payeurs qui auront fait
des paiemens contre la teneur du préfent décret ,
feront condamnés à en reftituer le montant , &
privés de leur état .
Du vendredi , 18 novembre.
M. Lacepède , que 114 voix ont élu vicepréfident
, a occupé le fauteuil durant cette féance .
Tandis que la municipalité de Caen , après
avoir obtenu le départ d'un régiment , la veille
d'ane perfécution publique , travaille à recueillir
des preuves de la grande confpiration d'émigrans
reftés en France qui en avoient tous le projet
dans leur poche pour qu'on pût l'y trouver au
moment ou on les arrêteroit les adminiftrateurs
du département du Calvados , inftruits , par les
journaux , que l'Affemblée nationale étoit mal
informée ; lui écrivent qu'ils ont penfé que.
-l'arrêté municipal ne devoit être figné que par
ces municipaux ; & que quant à l'ordre donné
contre les prêtres , ils ont cru ne devoir pas le
figner parce qu'il violoit les principes de la
juftice & de la liberté fur lefquels eft fondée la
conftitution Françoife. Ces adminiftrateurs demandent
l'envoi de commiffaires chargés de vérifier
les faits , & promettent « des renfeignemens
au fujet de certains agitateurs du peuple » pour
mettre Aflemblée à même de juger en connois 1
M&
( 264)
fance de caufe. Leur adreffe eft remife au comité
de légiflation .. ) 23176 3 27
Un membre defiroit une féance du foir , d'autres.
en youloient deux ou trois par femaine afin
d'expédier des rapports, « Pour le dégoûter des
féances du foir , a dit quelqu'un , il fuffit d'examiner
les décrets rendus dans ces féances par l'Af
femblée conftituante ». Il oublioit que plufieurs de
Ces décrets nocturnes forment les bafes de la conftitution
. Après beaucoup de temps perdu à parler
des moyens de l'économifer , on eft paflé à l'ordre
du jour..
Au nom des.comités colonial & du commerce ,.
M. Tarbé a déclaré qu'ils avoient cru ne pouvoir
mieux inftruire l'Affemblée du contenu des pièces.
à eux renvoyées , qu'en les lui lifant au lieu d'un
rapport. It a donc lu une lettre , du 14 feptembre
, de M. de Blanchelende , qui répète ce qu'on
fait déjà , & le concordat que. les gens de couleur
ont , forcé les blancs du Port-au - Prince à
figner , où ces premiers ont donné toute l'exten-
Lon imaginable aux droits que leur faifoit entrevoir
le décret du 15 mai , & déclaré infâme
& nul le jugement porté contre Ogé & autres.
Convenu que les blancs obferveront fans reftriction
les loix rendues par l'Affemblée natio
nale ; que les gens de couleur auront voix confultative
& délibérative , qu'ils n'ont pris les
armes que pour le préparer à une jufte défenfe ;:
égalité entre les blancs & eux , entre leurs femmes
& celles des blancs ; liberté de la preffe ; Te
Deum en mémoire de cette heureuſe réunion
du 11 feptembre 1791 , & envoi du concordat
l'Affemblée , au Roi , aux, 83 départemens.
La falle a retenti d'applaudiffemens . On a lu
enfuite la déclaration du capitaine du navire la
Mage pointe. Parti du Cap le 9 octobre , arrivés 2
( 265 )
fe 14 novembre à Bordeaux , il rapporte que les.
habitans qui ont voulu fe réfugier chez les Ef
pagnols , en ont été repouffés ; que l'on évalueà
4 à mille le nombre des règres tués ; que
la putréfaction de tant de cadavres multiplie les
maladies jufques dans la ville du Cap . L'Aſſem
blée s'en est tenue , pour le moment , aux mefures
que le Roi a prifes , & a chargé fon
comité diplomatique de s'occuper de l'infraction
faite , par les Espagnols , au traité de 1777 ;
& elle eft paffée au cinquième article du projet.
fur les prêtres .
ACC
Après de longs débats où les ames , droites &.
fenfibles , & les vrais amis du peuple & des .
bonnes loix , n'ont vu qu'avec peine le peu d'influence
des opinions d'un membre. qui difoit
« effaçons cet article de notre code ; effaçonsles
, au nom de l'humanité , ces difpofitions
cruelles. Le premier intérêt des loix eft leur
propre coníervation ; de M. Thorillon qui
avoir la généreufe hardieffe de repréfenter que
deftituer un prêtre de fa place , pour refus du
ferment , c'étoit une peine ; le priver enfuite de
tout traitement , c'en étoit une feconde , quoiqu'il
n'y eût qu'un même refus ; que joindreencore
à ces deux peines une troifième , fans
nouveau délit , & une troifième «. qui attaque
la sûreté de l'individu & fon exiſtence civile &
morale ce feroit une cumulation d'actes injuftes
, barbares , impolitiques , parce qu'ils multiplieroient
les germes de révoltes , inconftitutionnels
par toutes les raifons qu'avoit déjà
déduites M., Torné..
D'autres membres n'ont relevé l'arbitraire dé--
féré , contre les prêtres , aux directoires illégalement
fubftitués au pouvoir judiciaire , que de
( 266 )
peur que les directoires ne fuffent moins à portée
de févir , ou moins difpofés à la rigueur que
les municipalités ; M. Coutton propoloit Fexil
provifoire ; M. Garran de Coulon des cautions
ou un année de détention ; M. Bagire préféroit
l'emprisonnement au mot plus vague détention z
M. Ifnard , l'exportation hors du royaume , attendu
qu'il vaux mieux avoir la faculté de ſe
promener autour du royaume , que d'être renfermé
entre quatre murailles ». M. Goffuin
craignoit que l'étranger ne nous envoyât auffi
des prêtres qui font , a - t-il dit , de très - mauvais
Lujets. J'appuye de toutes mes forces l'amendement
de M. Ifnard , s'eſt écrié M. Albite ; &
j'appelle barbares & atroces , les fophifmes qu'op
pofe à cet article une fauffe philofophie ». Pour
concilier toutes les opinions , un membre a ima
giné de réunir l'exil & la prifon , idée qui a fort
égayé une partie de l'auditoire : une prifon à dix
lieues du domicile paroiffoit à l'orateur devoir
concilier ces deux avantages .
за сс
сс
Mettez : «tour miniftre d'un culte quelconque ,
convaincu , difoit M. Lequinio ........ » Mais ce
caractère de généralité inféparable de toute loi ,
cette néceflité de conviction effentielle à tout
procédé légal , auroit réduit à rien un projet de
décret où l'on vouloit fe borrer aux prêtres catholiques
, motiver des pourfuites par un refus ,
établir des peines & des preuves fur des intentions
& des fufpicions , & diftinguer une claffe
plus particulièrement foumife aux autorités conftituées.
Ainfi des directoires pourront affamer
exiler , bannir , incarcérer un pafteur affailli
d'ennemis de fa religion , qui feront une émeute
pour le perdre , & ne le traduire devant les tribunaux
que lorsqu'il n'aura pas ſubi docilement
( 267 )
la peine infligée fans jugement préalable......
& cela malgré l'acte conftitutionnel qui dit ' expreffément
Tous les citoyens font égaux aux
yeux de la loi..... Elle doit être la même pour
tous , foit qu'elle protège , foit qu'elle puniffe....
Nul ne peut être puni...... qu'en vertu d'une loi
légalement appliquée ( Déclaration des droits de
l'homme & du citoyen , art. VI & VIII ) ;
Les mêmes délits feront punis des mêmes
peines fans aucune diftinction de perfonnes.....
La conftitution garantit , comme droits naturels
& civils.... , la liberté à tout homme d'aller
de refter , de partir , fans pouvoir êtrè arrêté ni
détenu , que felon les formes déterminées par la
' conftitution' ( Tit . I. § 3 ) . Les adminiftrateurs
( directoires ) ne peuvent rien entreprendre fur
l'ordre judiciaire ( Tit . III , ch . IV , fect . II ,
art . III ) . L'application de la loi fera faite par
des juges ( Tit. III , ch . V , ait. IX ) -- Sous
AUCUN PRÉTEXTE , les fonds néceffaires à l'acquittement
de la dette nationale , ne pourront
être ni refufés ni fufpendus . Le traitement des
miniftres du culte catholique PENSIONNÉS , confer
vés , élus ou nommés en vertu des décrets de
l'Affemblée nationale conflituante , fait partie de
la dette nationale ( Tit. V , art. II ) . Voici les
articles qui ont été décrétés :
--
« V. Outre la déchéance de tout traitement
ou penfion , les eccléfiaftiques qui auront refufé
de prêter le ferment civique , ou qui le rétracteront
après l'avoir prêté , feront , par ce refus
même , ou par cette rétractation , réputés fufpects
de révolte contre la loi & de mauvaiſes intentions
contre la patrie ; & comme tels , plus particulièrement
foumis & recommandés à la furveillance
de toutes les autorités constituées . »
"
7268 )
e VI. En conféquence , tout eccléfiaftique
ayant refufé de prêter le ferment civique , ou
l'ayant rétracté après l'avoir prêté , qui fe trouvera
dans une commune où il furviendra des
troubles dont les opinions religieufes feront le
prétexte , pourra être éloigné provifoirement du
lieu où les troubles feront furvenus , en vertu
d'un arrêté du directoire du département , fur
l'avis de celui du diſtrict , fans préjudice de la
dénonciation aux tribunaux , fuivant la griéveté
des circonstances . >>
cссc VII. En cas de défobéiffance à l'arrêté du
directoire du département ', les contrevenans feront
pourfuivis dans les tribunaux , & punis
dans le chef- lieu du département , d'un emprifonnement
dont le terme ne pourra excéder celui
d'une année de détention . »
ée VIII. Tout eccléfiaftique qui fera convaincu
d'avoir provoqué à la défobéiffance à la loi &
aux autorités conftituées , fera puni de, deux.
années de détention . »
Du famedi , 19, novembre.
M. Cambon , organe du comité de la tréforerie
, à qui un premier projet analogue avoit
été renvoyé , en a reproduit un fecond portant
ordre aux miniftres de préfenter , d'ici au 1 .
décembre prochain , l'apperçu des dépenfes de
1792 , & des comptes détaillés des fommes affectées
à leurs départemens pour l'année 1791 ,
& du reftant de 1790. M. Lafont-Ladebat a lus
enfuite un rapport fur le même objet ; les conclufions
légiftatives en reparoîtront dans une autre:
féance ; il eft bon d'en offrir ici les élémens
arithmétiques. Voici le tableau qu'il a mis fous
les yeux de l'Affemblée , des dépenses de l'année:
1791 , telles que les a arrêtées l'Affèmblée.conf
૧૫ )
( 269 )
tituante qui , felon lui , « n'a peut - être pas donne
aux moyens ordinaires toute la latitude qu'ils
devoient avoir » ; annonce affez claire de l'infuffifance
des contributions décrétées , & du
befoin imminent de les augmenter.
$
Il porte rº. les dépenfes du culte à 153,847,600l .;
dont 72,600,000 l. de penfions , & c. ; 2 ° . & 3 ° . les
dépenses de l'intérieur & de la juftice , réunis , à
112,801,188 livres ; 4°. celles de la guerre , à
100,712,000 livres ; 5°. celles de la marine , છે
40,500,000 liv.; 6 °. les affaires étrangères , à
6,300,000 livres ; 70. les penfions , rentes &
intérêts , à 227,753,577 livres ; total de ces
Lept articles , 641,914,365 livres .
Paffant aux dépenses extraordinaires (autres que
les rembourfemens ) , illes évalue à 79,591,2481.3.
& , depuis la nouvelle légiflature , à 23,770,912 l . ;
les rembourfemens & liquidations jufqu'au 31.
octobre , à 554,197,063 livres ; & les rembour
femens & liquidations à faire jufqu'au 31 décembre
, à 100 millions ; total de ces quatre derniers
articles , 757,5 19,223 livres.
•-757,519,223
;
Or , les deux fommes réunies font la maffe
énorme de 1,399,433,588 livres , pour 1791 .
Les contributions foncière , mobiliaire. ( patriotique
) & autres fources ordinaires devoient
fournir 495 millions les fels & le tabac , 29.
millions ; les fois additionnels des départemens
59,807,687 livres ; total 583,807,687 livres .
Ainfi , à compter la contribution patriotique , & c.
au nombre des moyens ordinaires , ce qui ne
feroit pas exact , il y auroit encore eu , en 1791 ,
un vide égal à la différence de 583,807,687 liv . ,
à 641,914,365 livres , montant de ce qu'on a
nommé les dépenfes ordinaires , c'eft - à - dire un
déficit de plus 8 millions . Perfonne n'ignore que
( 270 )
le déficit , au moment de l'ouverture des Etats-
Généraux , avoit été fixé à 57 millions . Mais
paffons à l'extraordinaire tant en dépenfes qu'en
non-recettes , que l'anarchie fyftématique menace
de rendre beaucoup trop ordinaires , pour qu'on
ne s'occupe pas d'y pourvoir autrement que par
des expédiens à la journée .
De 524 millions de contributions ordinaires
qui , le 31 octobre , devoient avoir été verſés
au tréfor public , M. Lafont-Ladebat obferve
qu'il n'en étoit rentré que 64,946,060 liv . zit
fuppofe que , de ce jour au 31 décembre , la
recette , fur 1791 , s'élève à 80 millions ; la
caiffe de l'extraordinaire feroit donc 380 millions
d'avances , qui , joints aux 815,626,616 liv .
dépensées ou évaluées juſques- là , & 26 millions
de reconnoiffances provifcires de liquidation délivrées
en paiement de biens nationaux , forment
une fomme de 1,221,626,616 liv. d'avances
faites par la caiffe de l'extraordinaire en 1791 ;
& comme eile a avancé , en 1790 , celle de
563,734,210 livres , il fe trouve que ,
31 decembre prochain elle aura fourni
1,785,360,826 liv.
-Les recettes qui devoient aller à 45 ou - 48
millions par mois , ne fe font élevées , da 18
mai 1789 au 31 octobre 1791 , qu'à environ
11,500,000 liv. par mois , ce qui préſente un
déficit dans les recettes ordinaires ( prouvées infuffilantes
) de 900 millions .
On a décrété l'impreffion & la diftribution.
des rapports de MM. Cambon & Lafont-Ladebat;
ajourné la difceffion à mardi prochain , & con→
facré les mardis , jeudis & famedis aux finances. →
Le fieur Varnier a écrit à l'Affemblée qu'il
eft au fecret depuis 8 jours , que tout détenus
( 271 )
doit être interrogé dans les 24 heures , d'après
la loi . Il imploroit la permiffion de voir fa rère .
M. Lacretelle en a conclu que la loi fur les
fonctions de grand-juré que l'Affemblée exerce
pour les délits de lèze -nation , eft incomplete ,
& a propofé d'en régler les formes ; d'où il
feroit évident , qu'un citoyen auroit été longtemps
au fecret en vertu d'une loi non encore
achevée. M. Coutton a follicité la prompte ofganisation
de la haute- cour nationale , « pour
que M. Varnier pût adreffer fes réclamations
à fes juges naturels. » Voilà donc un homme
accufé , jetté dans un cachot pour crime de
lèze-nation avant que fes juges naturels foient:
connus , foient créés , avant que la loi qui doit
le juger ait reçu la forme effentielle . Un membre
a plaint M. Varnier de fe trouver « victime
d'une circonftance malheureufe & nouvellé .
Les rifées du côté gauche ont couvert le voeu
de la pitié.
Après avoir décrété qu'on feroit le foir même
les tirages des hauts -jurés & des quatre grandjuges
, on s'eft refouvenu qu'ils ne pourroiens
opérer que fur les pourfuites des deux procurateurs
- généraux , dont le tirage doit fe faire
devant deux commillaires du Roi ; meffage au
Roi , & ordre au comité de préſenter demain la
proclamation néceſſaire.
Les tribunes & quelques amis des noirs ont
applaudi l'annonce & la lecture d'une lettre de
M. Péthion , qui a l'honneur de faire part à
l'Allemblée qu'il eft maire de Paris , fupplic
l'Affemblée d'honorer de quelque bonté celui
que les citoyens de Paris ( environ 6,000 , fur
97,000 ) ont honoré de leur confiance. M.
Coutton y voit l'élévation d'un homme connu
( 272 )
par fes bons principes , & par fon zèle pour le
bien public » ; & demande l'infertion au procès
-verbal & une lettre de fatisfaction . Cette
correfpondance avec un fimple maire , paroît à
M. Mazurier , bleffer la dignité de l'Affemblée
qui auroit , il est vrai , 44,733 lettres pareilles
à écrire . On n'a décrété que l'inſertion , & l'on
eft paffé au neuvième article du projet relatif
aux piêtres .
M. François Neufchâteau a vu dans Rapin
Thoiras , & en Angleterre , depuis Alfred le
grand , des communes refponfables les unes pour
les autres des frais de la force publique en cas
d'émeute ( ce qui n'a aucun rapport à l'article qui
déclare folidaires les citoyens d'une même commune
) ; & le principe configné dans la loi
martiale. M. Garran de Coulon a comparé
les comtés d'Angleterre à nos départemens ( qui
diffèrent d'une commune comme 83 , de 44,733 ) â
& n'a trouvé dans la loi martiale que la fofidarité
des municipaux & des citoyens requis &
réfractaires... De ces débats incohérens eft réfulté
l'article décreté tel que le voici :
ce IX. Si , à l'occafion des troubles religieux ,
il s'élève , dans une commune , des féditions
qui néceffitent le déplacement de la force armée ,
les frais avancés par le tréfor public pour cet
objet , feront fupportés par les citoyens domiciliés
dans cette commune , fauf leur recours
contre les chefs , les inftigateurs & les com
plices des émeutes . »
Du famedi , féance dufoir.
M. l'abbé Mulot , introduit à la barre , a
prononcé , pour La juftification , un plaidoyer de
( 273 )
quelques heures , dont nous ne pourrons donner
qu'une idée fort abrégée .
Il ne confifte d'abord qu'en répétitions des
allégués de MM . Verninac & le Scène des Maifons
, & enfuite dans le récit des derniers forfaits
des brigands , fi loués , fi protégés , ſi bien employés
auparavant par les médiateurs.
M. Mulot ne fe difculpera jamais , non plus
que fes collègues , de fa coalition avec une horde
de fcélérats , pour forcer la réunion d'un Etat
étranger à la France ; mais il a fort bien démontré
qu'il ne méritoit aucun des reproches
dont ces mêmes fcélérats l'ont accablé depuis ,
parce qu'il refufoit d'aller avec eux jufqu'au bout
de leurs entrepriſes.
Après de vifs débats fur la queftion de favoir fi
M. Mulot devoit ou non jouir de l'intégrité de
fes droits , un décret a renvoyé toutes les pièces
au comité des pétitions ; M. Mulot eft monté
à la tribune , a prêté le ferment comme député , &
a pris la place parmi les légiflateurs ,
Du dimanche , 20 novembre .
Malgré tous les dangers dont feroit évidemment
menacée la hiérarchie des pouvoirs conftitués
, fi l'Affemblée ou les comités entretenoient
des relations , non pas notoires , générales & purement
législatives , mais directes & particulières ,
avec les adminiftrateurs & les municipalités ;
l'Aſſemblée a décrécé que tous fes comités pourront
correſpondre avec tous les corps adminiftratifs
, chacun pour les objets qui le concernent ;
mais qu'ils ne donneront aucune déciſion . Peutêtre
n'y aura -t- il bientôt que le mot décifion de
banni de cette correfpondance qui n'eft point
dans l'efprit de la conftitution . Encore n'a-t- on
( 274 )
vu là qu'un décret de difcipline , par conséquent,
exempt de fanction ; quoique toute correfpondance
fappofe des réponfes, & qu'autorifer cellesci
, ce ne foit nullement fe borner aux actes intérieurs
de l'Aſſemblée .
Des députés de la fection de Paris , dite des
Lombards , font venus féliciter l'Affemblée du
décret contre les émigrans , mais avec des tournures
oratoires d'un civiſme qu'il n'eſt pas déplacé
de caractériſer par une courte citation .
« Le lion , fier de fa force , peut s'endormir;
mais quand on l'outrage , fon réveil eft terrible .
Vous arrivez ; votre lageffe fufpend une jufte
fureur jufques-là concentrée , prête à faire explofion
. On fe difoit les repréfentans du fouverain
font ici , agiront-ils comme ils le doivent ,
ou le fouverain fera- t- il obligé d'agir lui-même ? ...
Vous la difcutez cette question ( des émigrans )
avec autant de fagacité que de fageffe ... Enfin,
ce décret eft rendu , & tout-à- coup partent de
cette enceinte des applaudiffemens précieux ; car
ils font infpirés par des coeurs purs & défintéreflés.....
Ün malheureux évènement que nous
voudrions effacer de l'hiftoire ; un atrentat contre
quelques - uns de vous , un crime de lèze - majesté
nationale a été commis dans le fanctuaire
de la liberté , dans le temple de la nation , &
il eft refté impuni ! ....... Votre indulgence enchaîne
nos bras fans pouvoir étouffer notre indignation....
Si jamais vous aviez besoin d'être
foutenus par la force.... , voyez tous les citoyens
de la fection des Lombards ; ils jurent de fe
montrer dignes de vous ; que pourroient-ils vous
dire de plus ( grands applaudiffemens ) ? »
Un membre s'étoit d'abord récrié contre cette
adreffe inconftitutionnelle ; mais M. Lacroix y
( 275 )
a reconnu le langage de la liberté & de la vé -´
sité. -- Si la conftitution défend aux fections
de délibérer des pétitions collectives , eile ne
leur interdit pas de délibérer des adreffes , a
ajouté M. Mégalien. Cependant il a fallu de
longs débats avant de favoir fi l'on feroit mention
honorable de cette harargue de la force à
la fageffe. Après beaucoup de tumulte , la
mention honorable a été décrétée comme en
tiomphe.
Des amis de la conftitution , de Bordeaux ,
écrivent à l'Affemblée , par un courier extraordinaire
, que l'affemblée coloniale a feule fomenté
l'infurrection des nègres pour avoir l'occafion
d'appeler les Anglois ; & ils engagent le
corps légiflatif à veiller à ce que les forces expédiées
pour Saint- Domingue , ne fervent pas
aux perfides vues de l'affemblée coloniale , &
que les gens de couleur ne foient pas les victinies
de leur propre générofité . Cette lettre engage
la légiflature a envoyer à Saint - Domingue
des commiffaires pris dans fon fein & affure
que toute la confiance de la nation les y accompagnera.
M. Briffot a renouvellé fa motion d'ajourner
le rapport au premier décembre , & s'eft offert
à le faire. On lui a répondu que les députés
de l'affemblée coloniale alloient arriver , qu'ils
étoient déjà à Saint-Malo . cc N'en attendez
pas de lumière , à dit M. Briffot ; fi c'étoient
des mulâtres , vous pourriez en recevoir d'eux ;
mais il n'en arrivera pas de long- temps . » M.
Dubayet lui a fuppofé des correfpondances dans
les colonies , & a demandé que M. Briffot fût.
adjoint au comité colonial . Décrété que la difcuffion
s'ouvrira le premier décembre.
1
( 276 )
L'expérience a juftifié les réflexions &
les pronoftics que nous partageâmes avec
tous les bons efprits , à l'époque du ferment
impofé aux Eccléfiaftiques , pour les
forcer d'adhérer à la Conftitution civile du
Clergé , ou de renoncer à leurs bénéfices.
Interprétations tortionnaires de ce ferment ;
fureurs populaires appellées fur les Prêtres
non-jureurs ; confufion d'idées , mépris de
la Juſtice & de la Loi , par lefquels oes
Prêtres , libres de ne pas jurer , ont été
qualifiés , cònfidérés , traités comme réfractaires
; tout principe de tolérance fubverti
; Eglifes ouvertes par la Loi , & fermées
par la multitude ; excès infâmes répétés
, & impunis , contre des Perfonnes de
fexe , contre des Religieufes dignes de la
vénération publique , Décrets fur Décrets
pour confirmer , abroger , étendre , modifier
, réprimer ; autant de perfécutions que
de Loix inutilement deftinées à les prévenir
; violences qui , en divers lieux , tels
que Nifmes & Montpellier , ont pris le
caractère de la fcélérateffe ; haines religieufes
reffufcitées ; ici des Pafteurs chaffés
à force ouverte ; là des Pafteurs maintenus
ou repris , malgré l'autorité civile ;
les Peuples divifés entre leurs anciens Chefs
fpirituels & les nouveaux ; fcandales , troubles
, animofités , anarchie dans l'Eglife
comme
( 277 )
comme dans l'Etat , telles ont été les fuites
prévues de ce ferment , coup porté à la
Conftitution , & qui a mis un fanatifine
tyrannique & l'intérêt aux prifes avec l'enthoufalme
& le défefpoir.
ސ
Lorfque toutes les Refigions font également
fibres & protégées , il eft poffible
de maintenir la paix entr'elles , par l'indif
férence du Gouvernement à tous ceux de
leurs actes qui n'offenfent point la tranquillité
publique ; mais l'Affemblée Natio ÷
nale n'avoit plus cet avantage . Cependant ,
il eft à croire que les défordres , l'oppref
fion , les réfiftances euffent pris fin , fi l'on
avoit rigoureufement & de bonne heure
maintenu la liberté des Cultes , & laiffé
aux Citoyens le droit de fuivre les Paf
teurs , en poffeffion de leur confiance . Le
Département & la Municipalité de Paris ,
enfin pénétrés de cette vérité , firent le
mois dernier , ouvrir des Eglifes
Catholiques non- conformiftes ; depuis cet
inftant , la paix n'a point été troublée ;
mais ce retour à la Loi & à la Juftice ,
recommandé par le Miniftre de l'intérieur
aux Départemens , a occafionné dans plufieurs
de nouveaux troubles .
aux
Il eft impoffible de s'en déguifer la
caufe , lorfque , d'une part , on a vu des
Directoires & des Municipalités retarder ,
refufer même l'exécution de ces mefures ; &
de l'autre , des mouvemens fufcités à Caen, à
Nº. 48 , 26 Novembre 1791. N
( 278 )
1
Tours , à Montpellier , à Limoges , en vingt
autres endroits où les non- conformistes
commençoient à rentrer dans leurs Eglifes.
Cette liberté menaçoit d'une folitude complette
les Temples deffervis par les Prêtres
Conftitutionnels ; elle choquoit, l'intolérance
des Clubs ; elle étoit confidérée par
leurs partifans comme une offenfe à leur
droit d'opprimer. Il falloit de nou
veaux prétextes . contre les Prêtres affermentés
: on les a fait naître : l'ouverture
des Eglifes a été troublée par des
violences fuivant la règle éternelle
on les a attribuées aux non-conformiftess
leurs perfécuteurs ont dreffé des procèsverbaux
; on peut juger de leur fidélité par
Ceux qui ont été tranfmis de Caën & de
Montpellier. De toutes parts , on a vu fondre
à l'Affemblée Nationale des dénonciations
accumulées ; les perturbateurs ont
accufé leurs victimes de femer le trouble:
c'eft encore & toujours , l'apologue de
la Fontaine :
Je fondis de ce pré la largeur de ma langue.
Ce concert de fictions , cet échauffement
de commande a coïncidé jufte avec
les difcours qui préparoient à la Tribune
de nouvelles rigueurs contre les Prêtres
non - affermentés. Il faut peu de fagacité
pour faifir le but évident de ce comméage.
Les délateurs , les Pétitionnaires des
Départemens avoient leur fil à Paris. s
( 279 )
paroiffient invoquer l'Affemblée , & c'eft
de l'Affemblée que fortoient les formulesd'invocations
: même ftyle , mêmes motifs ,
mêmes châtimens requis , foit dans les
harangues des Dénagogues , foit dans
les Adreffes de leurs échos. Un grand
nombre des principaux Décrets de l'Affemblée
dite Conftituante , furent emportés
par la même combinaifon . Elle
donne l'initiative des Loix à chaque peloton
de Citoyens , à chaque Société qui
vient exprimer , en termes violens , fon voeu
anticipé fur la Loi méditée : les Instigateurs
de ces déclamations , admifes & lues fans
vérification de fignatures , les préfentent enfuite
comme le voeu du Peuple , comme
des dépofitions en faveur de l'avis qu'ils
projettent de faire décréter : avec ce fecours,
ils donnent l'impulfion aux efp its pare!-
feux , ils électrifent les ames foibles , ils
réduifent au filence les gens modérés &
réfléchis .
Cette groffière tactique , dont l'effet, eft
immanquable dans une Affemblée populaire
, publique , tumultueufe , dégagée
de toute efpèce de contrôle , a amené le
dernier Décret contre les Prêtres non-affer
mëntés.
On aura obfervé que , dans l'hiftoire
des imputations faites à ces malheureufes
victimes , auxquelles on arrache le dernier
lambeau , la dernière dépouille que l'i
1
N 2
( 289 )
gratitude publique avoit refpectée , on n'a
prouvé pas un feul des prétendus délits , fur
lefquels on appuye ces inhumaines difpofitions.
Nul Prêtre fpécifiquement nommé;
nul cas de défobéiffance ou de fédition ,
formellenient attribué à tels ou tels d'entr'eux
; nulles preuves écrites ; nuls témoi
gnages , finon ceux des Clubiftes , & de
quelques Municipaux coalifés avec eux :
on ne cite aucune information légale , on
ne défigne pas même les dates ; ce font
les Prêtres en général qui par- tout excitent
des revoltes , & qui troublent l'ordre pu
blic. Ce trouble est toujours fuppofe être
le fruit de leurs inftigations : le cri de trouble
a été le pivot de toutes les déclamations
incendiaires . Perfonne n'a demandé
en quoi confiftoit le trouble ; car , appeller
de ce nom l'exercice que font un ou plufieurs
Citoyens de leurs droits légitimes ,
eft un protocole de tyrannie. Dans le fens
des difcoureurs qui ont amené le Décret ,
les perturbateurs font ceux qui aux termes
de la Loi , ouvrent leurs Eglifes particulières
, & y célèbrent leur culte les
Citoyens paifibles , au contraire , font ceux
qui empêchent ou qui troublent cette célébration.
Dans le rapport imprimé de MM. Gallois
& Genfonné , Commiffaires civils envoyés
dans le Département des deux Sèvres
& de la Vendée , on lit : « Nous
( 281 )
л
crûmes qu'aux yeux de la Loi , on ne peut
être en état de révolte , qu'en s'y mettant
fui-même par des faits precis , certains &
conftates , & que ir les fidèles n'ont pas
de confiance dans les Prêtres affermentés ,
ce n'eft pas un moyen de leur en infpirer
davantage , que d'éloigner de cette
manière les Prêtres de leur choix . » A
Pexpofé de ces principes judicieux , les
Commiffaires qui ont exécuté leur miffion
avec prudence & .impartialité , n'ont
joint l'allégation d'aucun fait pofitif &
prouvé contre tels ou tels Prêtres de la Vendée.
Il eft vrai qu'ils reprochent à l'Evêque
de Luçon , à les Grands - Vicaires , aux
Prêtres de la Miffion , un plan & des inftructions
circulaires pour préferver les Fidèles
de toute Communion avec les Intrus ,
& pourvoir fecrettement à l'adminiftration
des Sacremens.
Ces moyens qui agiffent fans doute fur
les confciences , pourroient auffi agir fur
les actions ; mais on n'y découvre aucune
invitation à la révolte , ou à l'infraction
de l'ordre civil. Dans les temps de perfécution
, les Pafteurs de toutes les Religions
les ont employés. Des inftructions
fyftématiques de même nature , répandues
dans leurs troupeaux ,par les Miniftres Calviniftes
, furent un crime aux yeux des
Confeils de Louis XIV. Entendroit - on
les imiter aujourd'hui ?
N 3
( 282 )
Pour ramener la paix , ou du moirs pour
ôter tout prétexte de la troubler , l'Affemblée
Nationale avoit le choix ou de retirer
la Conftitution civile du Clergé , on de
fupprimer le ferment de Novembre 1790.
Au défaut de l'une ou de l'autre de ces
réfolutions , elle pouvoit impofer à tous
les Prêtres officians de tous les Cultes fans
diftinction , l'obligation générale d'un ferment
purement civil de refpecter la loi &
l'ordre public.
L'on a préféré de rendre la Conftitu-
Hon haïffable à tous les adhérens du Culte
Catholique Romain , d'enlacer les Prêtres
non- Conformistes dans un ferment à deux
tranchans , & d'ouvrir les portes à la ty
rannie la plus arbitraire.
En 1789 , l'Aemblée Conftituante déclara
que les biens de l'Eglife étoient à fa difpofi-
27
tion , & en décida la vente. Par le ferment du
Novembre 1790 , elle priva de leur état
tous les Eccléfiaftiques confcientieux . Perfonne
affurément ne lui reprocha d'en avoir
fait trop peu des Citoyens dépouillés de
leurs biens , dépoffédés de leurs fonctions ,
fans égard à l'âge , aux vertus , aux fervices ,
à tous les titres qui en rendoient la plupart
recommendables & facrés , dévenoient
des objets de pitié : ils ne le furent
point pour des Révolutionnaires féroces ,
qui , arrivés du néant à la fortune & à
Fautorité , trouvoient n'avoir jamais affez
( 283 )
fait de malheureux , & dont l'étude
conftante fut de livrer aux outrages de
la multitude , les victimes auxquelles ils
laiffoient la vie pour pleurer leur ruine .
Cependant , un fcrupule d'humanité détermina
l'Affemblée Conftituante à affigner
aux Prêtres non affermentés un traitement ,
bien modique à la vérité , mais à rigueur
fuffifant pour les empêcher de mourir de
faim. Ce pécule , cette efpèce d'aumône
faite à des Citoyens dont on venoit de
dévorer toutes les propriétés , & de ravir
toutes les reffources , fut garanti par l'Acte
Conſtitutionnel . Dans le titre V , art. II ;
ces penſions furent déclarées faiſant partie
de la dette Nationale , dont les fonds ne pourroient
être jamais ni refufes ni fufpendus.
Aujourd'hui , l'Affemblée Conftituée ne
reconnoît plus ni cette dette , ni cet engagement
, mis néanmoins au deffus de fes
atteintes. Elle impofe un ferment à ses
créanciers , & confifque leurs créances
s'ils ne fe foumettent pas à cette prefta
tion. Elle feroit donc auffi maîtreffe d'ac
quitter ainfi fes dettes envers les divers états
de la Société , en en fubordonaant l'acquittement
à des formules juratoires. Et
quelle Loi a fait du ferment civique , une
condition du refpect à garder à la foi &
aux engagemens publics ? Quel exemple
d'immoralité ! quel motif de terreur pour
tous les créanciers publics Sileft ainfi
NA
( 284 )
permis au Corps Législatif de difpofer des
propriétés , malgré les Loix qui les garantiffent
, fous prétexte de s'aturer du dévouement
des Citoyens à la Conſtitution ,
où eft la claffe de propriétaires que fa poli-.
tique entreprenante ne pourra pas atteindre?
Les Etrangers , nombre de rentiers regnicoles
ne prêtent point de ferment civique.
Se croiroit-on en droit de les y forcer fous
peine de confifcation ? Les penfions des
Prêtres dépouillés font dans une catégorie
encore plus facrée. Si parmi eux , il en eft
de turbulens , vous ne pouvez porter la
main fur la propriété du coupable , qu'après
un jugement légal .
Cette partie du Décret eft donc évidem
ment illégale , immorale , injufte elle
porte un caractère d'autant plus odieux ,
qu'elle affujettit point les Prêtres des
autres Religions . Un Rabbin , un Miniftre
Calvinifte , un Pafteur Luthérien ne font
point tenus à ce ferment civique ; leur refus
ne les prive ni de leur état , ni des créances
qui peuvent leur appartenir dans la dette
nationale.
Pas plus qu'eux , les Prêtres Catholi
ques non affermentés ne font Fonction,
naires publics , & Serviteurs falariés du
Public. La Loi les a confidérés comme
des ufufruitiers légitimes & dépouillés
auxquels la Société doit une indemnité.
Sans cette indemnité jufle et préalable , la
( 285 )
Déclaration des Droits de l'Homme eft
un arfenai d'impoftures..
t Quant au ferment en lui- même , il embraffe
l'Acte conftitutionnel tout entier. Or,
dans cet Acte , entr'autres difpofitions qui
répugnent à la confcience d'un Eccléfiaftique
Catholique Romain , fe trouve
l'élection des Miniftres du Culte faite
par le Peuple. De tous les articles de
la Conftitution civile du Clergé , c'eft le
plus contraire peut- être aux principes de
la Religion Catholique ; car il n'y a pas
dans fon Hiftoire , un feul exemple de
Curés élus par le Peuple ; & fi le Peuple
concouroit
autrefois au choix de fes
Evêques , c'étoit uniquement en manifef
tant fon defir pour telle élection a faire ,
ou fon confentement à telle élection faite
mais jamais il ne fit cette élection . "
.
I eft donc évident que les mêmes
motifs qui ont entraîné les refus du ferment
du 27 Novembre 1790 , militent
contre celui , de l'article 33 du titre 2 de
Acte conftitutionnel ; l'élection populaire
confirmée par cet Acte , ne pouvant pas plus
être confidérée par les Eccléfiaftiques , comme
un réglement temporel , qu'il ne l'étoit
dans la Conftitution civile du Clergé.
Si les Auteurs de ce Décret n'avoient eu
autre but que le foin de la tranquillité
publique , & de s'affurer de l'obéiffance des
Eccléfiaftiques à la Conftitution , ils au-
NS
( 286 )
1
roient admis la modification que plu
feurs Membres éclairés avoient propofée :
ils euffent autorifé les Prêtres à jurer le
refpel de la Loi , fous la réferve de leurs
opinions religieufes . Mais cet amendement
a été rejetté avec fureur . On a donc évidémment
voulu placer le Clergé non - comformifte
entre la famine , ou l'aviliffement
& le déshonneur : on a fpéculé en finances
fur le parjure , & compté les économies
par le nombre d'hommes confcientieux qui
préféreroient l'indigence à l'abjuration.
A ces caractères , il eft aifé de reconnoître
la main perfécutrice des Sectes rivales,
( Sectes à la tête defquelles je place l'Athéif
me ) du Proteftantifme qui ne cache point
fes entreprifes de domination exclufive , &
de ceux des Prêtres Conftitutionnels qui ,
tels que les Chabot & les Fauchet , veulent
régner feuls fur les fcandales & l'oppreffion
de l'Eglife Catholique ( 1 )
Le principe de ce Décret en explique
les differentes claufes. Aux Dragonnades
près , les Edits de Louis XIV ne contenoient
pas de pires ftatuts . C'eft dans un
Empire , où l'on a prétendu retrouver les
droits de l'homme & fanctifier la liberté;
celt en offrande aux mânes de Voltaire
( 1 ) Il faudroit rendre juftice aux fentimens
fages qu'ont manifeftés quelques- uns des Eccléfaltiques
de l'Affemblée nationale
tels que
MM. Champion ," Torné , le Coz.

( 287 )
& de JJ Rouffeau , canonifés comme
les Apôtres de la tolérance , qu'on déclare
Jufpeels de révolte , et de maugaifes intentions
tous les Prêtres auxquels on ôte le pain,
s'ils ref fent un ferment que la Loi n'im
pofe qu'à ceux des Citoyens qui veulent
exercer les droits politiques ! Et fur ces
Soupçons & ces intentions , un Directoire
auquel la loi interdit toutes fonctions judiciaires
, pourra arbitrairement chaffer de
fa demeure le Miniftre du Dieu de paix &
de charité , blanchi à l'ombre des Autels !
Et par-tout où il furviendra du trouble
pour des opinions religieufes , fut-il fufcité
par les Fuftigateurs effrénés des vertueufes
Filles de la Charité , par les bandits
armés de nerfs de boeufs qui , à Nifries
& à Montpellier , ont infulté fix mois entiers
à la pudeur & à la liberté , les Prêtres
non-affermentés feront punis du banniffement
on les ravira à leurs Familles dont
ils partagent la fubfiftance ; on les enverra
errer dans les grands chemins , abandonnés
à la pitié ou à la férocité publique , du moment
où un fcélérat excitera du trouble pour
le leur imputer !
La plume fe refufe à approfondir de pareilles
Loix : on recule de dix fiècles en
les lifant : ou plutôt , on fe retrouve dans
celui auquel étoit refervée la honte de
préconifer fes lumières & fa douceur , à
N 6
( 288 )
côté des moeurs de la barbarie , & des raftmens
du defpotifme.
Si le Roi fanctionne ce Décret , il eſt
aifé de le prévoir , ce fera un brûlot de
plus lancé dans l'incendie général. On
n'ofe entrevoir la chaîne d'oppreffions
d'atrocités , & de défordres , qui en feront
les déplorables fuites.
La totalité des articles qui doivent compofer
cette nouvelle Loi n'eft pas encore
décrétée mais avant hier Lundi , l'Affemblée
, à la fuite d'une de ces tempêtes qu'on
appelle difcuffion , a ajourné indéfiniment
l'article XV , qui pouvoit à quelques égards
fervir de correctif aux précédentes difpofitions
. Il confiftoit à révoquer la formule
du ferment du 27 Novembre 1790 , à fupprimer
le titre de Conftitution civile du
Clergé , & à ôter aux Evêques , Curés
Vicaires , le caractère de Fonctionnaires
publics.
Le Miniſtère des Affaires étrangères refte
encore vacant . M. de Leffart , dit- on
penſe à s'en charger ; mais ce bruit méritet-
il quelque confiance ? Devient - on Chef
d'un Département qui exige néceffairement
des études , des connoiffances , une
expérience préalables , comme on prend
un bénéfice fans fonctions ? L'efprit dans
cette carrière peut - il fuppléer à la pratique
& aux notions pofitives ? Et dans quelles
circonftances un Miniftre tout neuf abor(
289 )
dera-t- il cet écueil ! Sûrement les amis de
M. de Leffart ne lui ont pas donné un fi
funefte confeil . M. Garnier , ancien Procureur
au Parlement , & Membre du Département
de Paris , qui devoit , à ce qu'on
ajoute , remplacer M. de Leffart dans le
Miniftère de l'intérieur , a refufé cene périlleuse
diftinction . Il paroît que les Affaires
étrangères ont été . inutilement propofées
à différentes perfonnes . On annonce la démiffion
de M. Duportail. Lorfqu'en effet ,
on n'eſt utile ni au Roi ni à la chofe publique
, & que malgré fa nullité , on ne
peut échapper à des dégoûts ignominieux ,
on fait fagement de fe retirer. Nous l'a
vons dit antérieurement ; la Conftitution ,
la nature de l'Affenblée Légiflative , l'efprit
du moment , & les efforts toujours
croiffans de la Faction républicaine , font
incompatibles avec l'exiſtence d'aucun Miniftère
Royal.
M. Péthion , nouveau Maire de Paris ,
a réuni 6728 fuffrages fur 10,632 votans .
M. de la Fayette , fon concurrent , en a
obtenu 3126 ; M. Fréteau , 181 ; M. d'Or
mefon , 158 ; M. Roberfpierre , 100 ; M.
Dandré , 77 ; M. Camus , 44 ; M. Tron→
chet , 18. Plus , 115 voix perdues. Paris
renfermoit , au mois de Juin dernier ,
85,000 . Citoyens actifs ; ainfi , l'Election
du Chef de la Municipalité , s'eft faite
par la huitième partie feulement de cette
( 290 )
population politique. A la feconde nomination
de M. Bailly , le fcrutin ne renferma
que 14,000 votans : le nombre de Citoyens
qui participent à l'exercice de ce droit
Conftitutionnel , va donc en décroiffant. Il
ne s'en eft trouvé que 7000 à la nomination
des Electeurs qui ont choifi les Députés à la
Légiflature. Par-tout les Affemblées primaires
, ou Municipales , fontdéfertées dans
la même proportion. Et voilà ce prétendu
voeu général , cette fallacieuſe repréfenta
tion de la volonté publique , qui fait le titre
desargumentateurs populaires ,par l'autorité
defquels le plus bel Empire de l'Europe eft
voué à la défolation d'une interminable
anarchie ! Après les fervices qu'a rendu
M. de la Fayette à la Révolution , & aux
Parifiens en particulier , levoilà récompenfé
par l'affront d'un refus folemnel. Encore ,
i fon ardeur irréfléchie leur avoit procuré
le bonheur , il pourroit fe confoler
de leur ingratitude. Que penfer du patriotifme
, ou du difcernement d'une Capitale,
qui place à la tête de fon Adminiſtration ,
un des hommes dont le fyftême a été de faire
périr nos Colonies , plutôt que de facrifier
un principe, & qui le nomme au moment
mêmeoù S. Domingue fe couvre de cendres
& de ruines , & nage dans le fang verfé par
les protégés de ces Inftituteurs homicides ,
qui , dans les deux Mondes , ont formé des
écoles de carnage & de deſtruction..:
(-291 )
/
Nous avons dit que M. Raderer étoit
nommé Procureur - Syndic du Départe
nient ; M. Roberfpierre , Accufateur public
; M. Prieur , Préfident du Tribunal
criminel. Les principales autorités civiles
& judiciaires , font donc aujourd'hui dans
les mains des Jacobins. On fe rappellera
que nous avons conftamment répété
qu'une Conftitution effentiellement démocratique
, où l'on trouve , d'un côté , un
Roi ifolé & fans pouvoirs; de l'autre, un
Peuple immenfe gouverné par une Affemblée
affranchie de tout contrôle & de toute
refponfabilité , nous conduiroit rapidement
à l'effacement de tout Gouvernement
Monarchique. Qu'on apprécie maintenant
la valeur des promeffes , des efpérances ,
des trigauderies de cette clique d'Intrigans
corrompus , qui , liés aux Républicains
pour fubvertir tous les intermédiaires
toutes les barrières au defpetifme populaire
, s'en font détachés un moment par
un intérêt fordide , & qui , à l'aide de
deux ou trois miférables reffaffemens, qu'ils
nommoient Revifion , ont faité le Gouvernement
de le maintenir fur la pointe
de l'équilibre , tandis que les Jacobins
en fecoueroient la bafe.
4
Nous avons été à-peu-près feuls , à ne
point douter de la certitude des nouvelles
déplorables , apportées , le mois dernier , en
( 292 )
40
Angleterre par la frégate la Daphné : on ne
bâtit point de pareilles fables dans des rapports
officiels. Pendant que les Amis des
Noirs , les Folliculaires leurs échos , les
Révolutionnaires honteux , les Egoïftes ,
les Déclamateurs épuifoient leur fagacité
à démentir la catastrophe de St. Domingue,
& faifoient croire à la foule que la nouvelle
en étoit fabriquée par les Marchands
de fucre , les informations authentiques
font arrivées. Deux avifos expédiés par
M. de Blanchelande , quatre dépêches de
ce Général , cinq cents lettres particulières
reçues par les Colons ou par les Négocians
de nos ports ; enfin , les dépofitions affermentées
de plufieurs Capitaines , & les
procès-verbaux de l'Affemblée Coloniale
ont détruit toute efpérance & toute incertitude
. On parcourt avec effroi ces épouvantables
relations : voici le précis des
quatre lettres de M. de Blanchelande , &
d'autres pièces authentiques .
« La révolte des Nègres efclaves de la partie
du Nord de Saint- Domingue , a continué pendant
tout le roi de Septembre , & continuoit
encore le 10 Octobre . »
Les Efpagnols de la Havane & de San-Domingo,
n'ont pas envoyé les fecours qu'on leur
avoit demandés . »
La Jamaïque a envoyé foo fufils & trois corvettes
; mais n'a pu fournir un feul homme.
23
« La Colonie s'eft trouvée réduite à ces
moyens de défenſe naturelle , »
1
293 1
сс
Il y a eu diverfes réunions de Nègres dans
différens poftes . Le Gouverneur en a auffi établi
plufieurs de troupes de ligne & patriotiques . »
« Au Port-Margot , le polte commandé par
M. Vallerot , s'eft foutenu avantageufement , &
a tué 600 Noirs . »
« Les bourgs du Dondon & de la Grande R vière
ont été abandonnés par leurs Habitans , dont
une partie a été mallacrée ; l'autre s'eft retirée
thez les Efpagnols , qui les ont mal reçus . Les
Nègres fe font établis dans ces deux quartiers
& ils en tiroient leurs vivres pour les camps qu'ils
avoient formés dans la plaine .
כ כ
« Les Ouvriers du Cap & ceux qu'on appelle
Petits -Blancs , & autres gens mal- intentionnés
dont la ville fourmilloit , dennoient beaucoup
d'inquiétude au Gouverneur . Ils ont propofé de
marcher contre les Noirs , à condition qu'on leng
donneroit les deux tiers de ce qu'ils fauveroient,
L'Affemblée Générale a rejetté cette propofition
avec horreur. »
Des détachemens du régiment d'Artois &: de
Normandie gardoient les derrières du Cap , dans
la montagne des Gonaïves , pour empêcher, la
communication avec les autres parties de la Cofonie
ces deux régimens , arrivés dernièrement
de France , inquiètent le Gouverneur , par leur
défaut de fubordination & de difcipline .
« Il s'eft fait beaucoup de forties contre les
Nègres , depuis le 1. jufqu'au 25 Septembre ;
& , dans toutes , il en a été tué un nombre confidérable
. »
ee M. de Rouvray , Maréchal - de - Camp , &
M. de Touzard , Lieutenant-Colonel du régiment-
du - Cap , ont marché avec 800 hommes
( 294 )
fur le camp des révoltés , établi aux habitations
Duplaa & Bullet ; ils en ont tué une
grande quantité.
ל כ
« M. de Rouvray , forcé enfuite de quitter
le commandement par maladie , a été remplacé
par M. d'Affas. »
« Dans ces différentes attaques de poftes
on a perdu peu de Soldats & de Dragons Patriotes
; M. de Neufvi , Chevalie de Saint-
Louis , & Capitaine d'Artillerie , a été tué ; M.
de Fontanges , Officier- Général , commandant
aux Gonaïves , a eu un coup de feu à l'épaule .
33
« Le 22 Septembre , quelques Dragons Pa
triotes s'étant abouchés avec des Nègres révoltés
-qui fe plaignoient du defpotifme de leurs Chefs ,
il parut qu'une proclamation pourroit faire un
bon effet ; en conféquence , le Gouverneur
d'accord avec l'Aſſemblée Générale , en fit une ,
& un détachement de Dragons , alla en porter ,;
une grande quantité d'exemplaires au lieu convenu
; mais les Dragons ayant dépallé la limité
fixée , pour recevoir la réponſe , cela pccafionna
un combat les Dragons furent enveloppés par
la Cavalerie Nègre , il y en eut cinq de tués. »
« Le 17 Septembre , le Général avec 1200
hommes de troupes Patriotiques & de Ligne ,
formant deux divifions commandées par M. de
Cambefort & Touzard, marchant fur deux colonnes
avec fix pièces de canons attaqua
le camp
les Nègres s'étoient retranchés à deux lieues du
Cap , fur les habitations Gallifet & d'Agoult,
ils les difpersèrent facilement , après leur avoir
tué 100 hommes. L'artillerie des Nègres étoit fr
mal fervie , qu'il n'y a en qu'un feul chaffeur pa
triote bleffé à cette expédition ; les Nègres pourfuivis
, ont gagné les montagues ; mais dans la

( 295 )
crainte qu'ils ne vinflent une feconde fuis former
des camps au même endroit , le Général a
fait rafer les bâtimens de ces deux habitations. »
Le même foir , M. de Cambefort ayant fu
que quelques fuyards de Gallifet , avoient joint
les révoltés du Morne- Rouge , attaqua ce pofte
avec 150 hommes de Cavalerie ; il y rua 40
Nègres , & y prit une pièce de canon. Un des
principaux Chefs des Nègres périt à cette attaque 5
on fut obligé de rafer les bâtimens des habitations
d'Hericourt , le Normand & Butler, »
« On atrouvé dans les camps que l'on a forcés,
des lettres écrites par les Chefs des révoltés , qui
annoncent qu'ils font fatigués & qu'ils manquent
de munitions. »
« Les gens de couleur fe fontréunis dans toute
la partie du Nord , en nombre confidérable , aux
Blanes ; auffi l'Affemblée générale étoit - elle
difpofée à accueillir toutes leurs demandes avec
bonté , elle leur a permis de s'aflembler & de
goccuper immédiatement de toutes leurs pétitions.
Enfin , fuivant une lettre de M. de Joyeufe
commandant la Marine au Cap , du 26 Septembre
, l'Aflemblée générale a accordé le titre
citoyen actif à tout homme libre , de quelque
couleur qu'il fût.
22 J
La révolte des Nègres a été fomentée par
les Mulâtres de la grande rivière & du Trou ; on
croit que ce font eux qui , lors de la première
révolte , furent condamnés par contumace , ainfi
que leurs parens. L'Affemblée générale les a
relevés du jugement rendu contr'eux , & s'eft
engagée de folliciter leur grâce auprès de l'Affemblée
Nationale & du Roi ; mais les Nègres
révoltés n'ont point voulu fes prendre pour Chefs ,
& n'en ont pris que parmi les gens de leur couleur.
23
( 296 )-
Suivantla déclaration du Capitaine Dupin , le
nombre des fucreries brûlées cft de deux cents .
Celuides caféteries de 3 cents , & celui des Blancs
tués ou maffacrés de cinq à fix cents. Le nombre
des Noirs tués dans les attaques , ou qui ont péri
fur les échafauds eft de 4 à 5 mille . Les Blancs
étant excédés de fatigue , & l'air étant infecté
par le grand nombre de cadavres épars fur la
terre , il y avait beaucoup de malades au Cap ,
Quil en périfoit journellement. L'armée affo
ble eft obligée de fe tenir fur la défenfive
& de fe préferver des incurfions des Noirs . Le
jour de fon départ ( le 9 Octobre ) , ils étoient
encore en armes dans toute la plaine , & il étoit
impoffible de prévoir le terme de ces malheurs . ·
La Colonic réclame les fecours les plus prompts &
les plus grands. »
Il eft arrivé fix Commiffaires de l'Affem-
Diee generale de Saint- Domingue ; favoir , MM .
Cougnac-Mion , Millet , le Bugnet , Chefneau
de la Mégrière , la Gourgue & de Sainte-
James. »
Les gens de couleur libres du Port - au -Prince
s'étant railemblés en armes à la montagne de la
Chubonnière , les Gardes Nationales & troupes
de ligne , allèrent pour les difperfer , mais ils ont
éprouvé un échec , & plufieurs habitations ont été,
incendiées. Les gens de couleur après cet avantage ,
ont propoféun concordat que les Blancs ont arrêté ;
ils ont enfuite réuni cur force armée à celle des
Blancs , & on a chanté un Te Deum en raifon de'
cette réunion , ɔɔ 1
M. J. B. P. , fecond Capitaine du navire
la Filcité , de Bordeaux , écrit du Cap , le 8 Octobre
, à M. la Bouche , à Bordeaux. ןכ
Qu'il paroît que les Nègres veulent fe
( 297 )
« rendre , qu'ils ont fait des fignaux pour parler ,
« de manière qu'un particulier a été aficz hare
di , pour aller fans armes près de leur camp. cc
lis ont demandé leur grace , que M. I : Gé-
« néral leur a accordée , difant , qu'ils étoicat
& au défeſpoir de tout ce qu'ils avoient fait
contre les Blancs , qu'un Blanc étoit l'auteur
de leur révolte . Le lendemain , le même par
« ticulier leur a porté quantité d'exemplaires de
« la Proclamation du Général : ils ont demandé
« deux jours de délai [ our la communiquer àtout
« leur parti. ככ
Il réfulte des lettres particulières que
toute la plaine du Nord depuis le Port
Margot au Trou , a été laccagée . Les Nègres
ont égorgé environ 450 Blancs ,violé & tué
les femmes. & les filles , fcié des habitans
entre deux planches , & malfacié jufqu'aux
enfans à la mamelle . La jeune & jolie
Madame Bayon , âgée de 19 ans , s'eft poignardée
entre deux Nègres qui fe prépan
roient à la déshonorer. Nombre de petits
Blancs , de Matelots ou Soldats que la
France a vomi fur cette terre infortunée
pour en achever la perte , s'étoient unis à
la rébellion . Plufieurs de ces Blancs vient
teints leur vifage avec 1 : fuc du Genipa . Un
de ces fcélérats qui commandoit les Nègres
raffemblés au Camp de Galifet , avoit établi
le fauteuil qui lui fervoit de trône , dans
le beau fallon de l'habitation du Maître. A
chacun de fes côtés étoit un baril de poudre ,
( 298 )
pour faire fauter la maiſon en cas de danger
fubit. Pendant que fes complices faifoient
carnage , il ſe délaffoit des fatigues de la
guerre avec un ferail de femmes Blanches ,
Noires , Mulâtreffes , dont il s'étoit entouré.
Divers Nègres ont donné des exemples héroïques
de fidélité , en fe laiffant tuer plutôt
que de fuivre les rebelles. Un Nègre de
M. Buller , nommé Janot , a égorgé lui feul
60 Blancs. On a porté au Gérent de l'habitation
de Galiffet , ſon enfant tranfpercé
d'une pique , après avoir été arraché des
entrailles de fa mère maffacrée.
Dans une lettre du Cap en date du 10
Septembre , écrite par un Membre de l'Affemblée
Générale , on lit ;
« Nous avons envoyé à San - Domingo , le
Préfident a répondu : »

<< Vous demandez des fecours au nom de
votre Roi ! & il eft prifonnier ! vous l'avez
détrôné. Au nom de la Religion ! vous l'avez
» anéantic , vous avez profcrit les Miniftres...
» Au nom du Pacte de famille ! Il n'en exiſte
plus , votre Nation a méprifé les traités . »
cc
Le Préfident Eſpagnol a ajouté : « Je fais
un raffenb'ement de Troupes pour empêcher
» que vous & vos Nègres n'entriez dans les
Etats du Roi mon Maître , & j'y ajoute 200
Lanciers qui , tous fidèles & braves , fauront
empêcher que perfonne n'entre. »

La plupart des avis confirment cette réponte
du Gouvernement Espagnol , qui ,
en effet , n'a permis l'entrée de fom terci
( 299 )
toire qu'aux femmes & aux enfans . Per
fonne ne juftifiera la dureté de cette conduite
; mais il eſt affreux que nos défordres
, nos maximes atroces l'horrible
licence de nos troupes , les excès commis
antérieurement à St. Domingue , l'anéantiffement
de l'autorité légale dans cette
Colonie , & la fotte effervefcence des habitans
qui expient maintenant leur imitation
de nos folies populaires , aient prefcrit
aux Efpagnols d'abandonner à fon fort un
territoire ainfi peftiféré.
A peine étoit-on revenu de la première
douleur qu'infpire cette cataſtrophe , dont
le remède , nous le difons avec crainte ,
aggravera peut-être les malheurs de la Colonie
, que le Miniftre a reçu la nouvelle
officielle de ceux de la Martinique , de la
Guadeloupe, & de Ste.Lucie. Les troupes &
les Matelots ont rompu tous les freins , chaffé
leurs Officiers , commis les plus horribles défordres.
M. de Behague leur a heureuſement
échappé : il a fui on ne fait où : quelques
avis indirects le difent arrêté par les rebelles
a Ste. Lucie. Ainfi , il n'eft plus permis de
douter d'un plan combiné de fubverfion
générale dans les Colonies , pour exécuter
Te voeu de MM. Roberfpierre , Grégoire ,
Brifot , Clavière , Condorcet , & autres amis
de l'humanité . Ainfi fe vérifient les annonces
, fi indignement repouffées , de ceux
qui ont prédit que cet Empire alloit tomber
( 300 )
en lambeaux. Que tous les Fropriétaires
y réfléchiffent bien il exifte en France
quinze millions de Nègres , quinze millions
d'indigens , de défouvrés , d'aventuriers
de foldats licentieux , de brigands qu'aucune
autorité ne contient , de miférables
fans pain , dont la Révolution a mis les
paffions en liberté , affranchi & armé les
bras , augmenté les defirs & les befoins. A
côté d'eux font des hommes pour qui nuls
droits , nulles propriétés , nul ordre public,
nulle autorité , nuiles Loix ne font facrées ,
& dont la théorie ainfi que les efforts vont
à renverfer , avec le fer & la flamme ' ,
les fondemens même de la Société . Il n'y
a pas un inftant à perdre pour empêcher
que la France entière ne foit bientôt
réduite , à l'état de nos Ifles , ou du Comtat .
Les foibles Pouvoirs crées par la Confti
tution ne peuvent plus arrêter le torrent : il
groffit & fe déborde de toutes parts. Nous
avions rapporté l'Arrêté du Département
du Haut- Rhin , & les mesures prifes pour
arracher enfin des mains des habitans de
Béfort , ce convoi d'argent appartenant à
l'Etat de Soleure , arrêté en Juin à Bar-fur-
Aube , libéré par Décret de l'Affemblée ,
refaifi dans le Sundgau , & détenu à Béfort .
malgré les Loix , les ordres Ministériels ,
Les réquifitions itératives. Le Commiffaire
du Département du Haut - Rhin qui s'eft
tranfporté à Béfort pour y faire exécuter
la
( 301 )
la Loi , a couru le rifque de fa vie , ainfi
que les hommes de confiance qu'il avoit
amenés pour le chargement des caiffes. Il
a été forcé de renvoyer ceux - ci , fecrettement
, par la pofte , pour les fouftraire à la
rage de la populace. Lecture des Décrets
& des Arrêtés du Départenient , exhortations
d'obéir à la Loi , tout a été méprifé ,
par la multitude armée & attroupée , contre,
laquelle fe brifent les autorités conftituées
Par-tout les honnêtes gens , les Citoyens
paifibles foupirent après l'ordre , la tranquillité
, la sûreté. La plupart des villages
font dans un état déplorable : leurs Officie s
Municipaux n'entendent rien à l'adminif
tration , & font privés de tous moyens de
fe faire refpecter . La police eft entièrement
perdue ; la Gendarmerie Nationale n'ofe
pas agir ; les moeurs de la claffe inférieure
du Peuple fe dépravent de plus en plus .
Chaque jour apporte le récit de quelque
fcène atroce. La femaine dernière , à l'occafion
d'une querelle pour des grains , le
Maire de Melun a failli être malfacré : on
la tiré criblé de coups , des mains de la
populace ; il eft encore malade , On annonce
de nouveaux malheurs a Montpellier : les
troubles religieux s'aggravent dans plufieurs
Départemens ; le refus des impôts
continue opiniâtrement ; & ce qui eft plus
effrayant encore , cette anarchie toujours
croiffante ne fait naître que de fériles
No. 48. 26 Novembre 1791 .
( 302 )
regrets , ou des moyens entre les mains des
maechans de l'augmenter encore.
2 .
A tant de circonftances , qui , à l'approche
Lua hiver fur- tout,, rendent plus menaçante
l'entière déforgani ation de la France , privée,
de tout Gouvernement effectif , fe joint encore,
l'extenfion qu'on a donnée à la dernière amnistic.
Qu'en eût aboli des procédures commencées far
des délations , & fondées fur des indices , contre
des hommes accuféspar l'efprit de parti , de deffeins
hoftiles à la Conftatution; qu'on eût fait grace.
à des féditieux , à des infurgens , dont la turbulence
n'avoit produit aucuns forfaits ; qu'on
eft, enfin libéré des hommes fufpects , & non
epnvaincus de violences criminelles , cette indulgence
n'eût offenfé ni la juſtice , ni l'ordre public.
Mais , fur le prétexte de cette ampiftie pour des
crimes d'Etat , on a ouvert les priſons à des ſcébérats
, fouilés des meurtres , des attentats , des
brigandages les plus horribles . Jamais aucun Etat
n'offait l'exemple d'une femblable impunité
Autant vaudroit lâcher des Ménageries de bêtes
féroces. On le rappelle qu'au commencement de
T'année , une troupe de bandits dévaftoit les Pars
de Chantilly , ce féjour fi bien peint par M.
e Buffon , lorfqu'il a dit que tout y refpiroit les
nobles goûts du Maître. Pour arrêter ces brigandages
, qui duroient depuis plufieurs mois ,
on plaça à Chantilly: un détachement de
Berry , Cavalerie. On fe fouvient encore qu'une
Patrouille de ces Cavaliers ayant tenté d'écarter
par les voies de la douceur , une troupe de ces
brigands , ceux- ci, aflaffi èrent le Maréchal- des-
Logis , un Brigadier des Chaffes de M. le Prince
de Condé, & b'effèrent prefque mortellement M.
deBonneval. Trois des meurtriers furent arrêtés ,
( 3༠ རྟ )
& traduits devant le Tribunal de Seiflis. Autant
qu'on l'a pu , on a fait traîner l'inftruction du
procès. Enfin , M. le Garde- du- Sceau a écrit
au Commillaire du Roi à Senlis , que les Affaffins
de trois Citoyens fe trouvoient compris dans l'amniftie,
& qu'll falloit les emettre en liberté ;
ce qui a été exécuté fans autre formalité. -- Er
l'en ofe reprocher à M. le Prince de Condé fon
abfence du Royaume! Et M. le Garde - du - Sceau
le mera e de l'indignation du Roi s'il ne vient
pas jouir de la protection des Loix ! Ce Miniftre
a-t- il donc promeffe des Meurtriers qu'il a fait
élargir , qu'ils ne viendront pas égorger le Maître
de Chantilly , s'il le hafardoit à y revenir, comme
ils ont affaffiné les défenfeurs de fes propriétés .
Les Annales du temps font devenues un
Greffe criminel : elles fuppléent bien forblement
, il eft vrai , au filence des Loix
& de la Juftice publique. Nous avions
rempli cette fonction falutaire , en pourfuivant
depuis quinze mois , à la face de
toute la France , les monftres qui ont porté
le fer & le feu à Avignon & dans le Comtat
, chaffé les
Propriétaires , conquis cette
province fur fon Souverain légitime , arraché
le voeu des Peuples par une chaîne
de cruautés , entaffé autant d'impoftures
que de crimes , & afluré à leurs Protec
teurs de l'Affemble Conftiturante la poffeffion
des débris fanglans d'une contrée jadis
fi floriffante. Eh bien ! je paffois pour ca
łomnier ces vertueux Patriotes ; j'étois un
O 2
( 304 )
Ariftocrate , un Papifte , un Contre- Révolutionnaire
; mais les Jourdan & Confors
étoient glorifiés par nos Tribuns & leurs
Gazetiers , comme des amis zélés de la
Liberté , comme de généreux défenfeurs
des Droits de l'Homme , comme de refpectables
apôtres de la Révolution. Auffi- tôt
leurs derniers forfaits ont-ils été perpétrés ,
que leurs amis de Paris fe font hâtés de les démentir.
Sans le courage & l'humanité de M.
de Choify, qui a fait fouiller ces foffes clandeftines
dans lefquelles ils avcient précipité
vivantes , ou hachées en morceaux, les
victimes de leur férocité , ce nouveau bienfait
de la Révolution , déguifé , atténué ,
révoqué en doute par trente Journali ftes ,
fût refté dans l'obfcurité. Il eft devenu
impoffible de réfifter à cent familles éplorées
qui ont follicité vengeance. Le Gazer
tier Tournal , Mainville , Lecuyer fis ;
Peytavin , Major Général de ces brigands ;
Raphel dont ils avoient fait un Juge , &
8 autres malfaiteurs ont été arrêtés. Jour
dan Coupe- Tête eft également en prifon :
il avoit fui ; pourfuivi par un piquet de
Huffards , il le jetta dans la Sorgue , &
tira un coup de piftolet fur M. Bigonet fiis ;
ce jeune Avignonois plein de courage l'a
renverfé , défarmé , faifi . On cherche actuellement
les autres Chefs , qui , malheureufement
, auront eu le temps de s'évader.
Une partie des Révolutionnaires a affecté
( 305)
'une vive douleur des énormités commifes
par ces fcélérats ; mais cette douleur
falloit la déployer avant la dernière tragédie,
il falloit la déployer lorfque les Patriotes
d'Avignon entaffoient forfaits fur forfaits ,
lorfque leurs Envoyés recevoient les honneurs
de la Séance , & les compliniens du
Préfident de l'Affemblée conftituante
lorfque les Lameth , les Menou , les Bouche ,
les Péthion , les Roberfpierre , tyrannifoient
infolemment les opinions des Maury, des
Malouet , des Clermont- Tonnerre , de tous
Ceux qui racontoient les brigandages de
ces tigres , il falloit fe montrer fenfible ,
lo fque les plafonds de l'Aflemblée retentiffoient
de leurs panégyriques ; lorfqu'un
te Scène des Maifons infultoit M. l'Abbé
Maury , pour démontrer à l'Auditoire la
fimplicité & la bonhommie de fon ami
Jourdan , dont il avoit fait le compagnon
de fes travaux ; lorfqu'un Verninac ofoit,
traiter d'Ariftocrates & d'ennemis de la
Révolution , ceux dont les lumières avoient
percé à jour ce repaire , aujourd'hui fermé,
par des excès qui feront la honte éternelle
du fiècle ; lorfque M. Duportail refufoit
de redemander les Déferteurs du régiment
de Soiffonnois , affociés à ces forfaits , &
s'y affocioit fui-même par ce refus ; forfqu'enfin
on les a provoqués , payés , recompenfes
, foutenus , uniquement afin
d'opérer la réunion. Il faut rougir de ces
cougjr0
3
( 306 )
gémiffemens tardifs : ce ne font pas les
derniers remords auxquels doivent s'attendre
tant d'hommes foibles ou féduits , qu'a
égarés le délire de la Révolution . Pour
moi, dont les Jourdan & complices avoient
dévoué la tête à la mort , dans des imprimés
que je conferve comme un titre de gloire ,
je n'ai point careffé leurs mains fouillées de
fang , & il m'appartient fans doute de pleurer
des calamités dont mes efforts n'ont
pur arrêter le terme.
Il n'eft sûrement aucun fupplice trop
grave pour le châtiment des Chefs qui font
arrêtés . Eh bien ! on parle déjà de les comprendre
dans l'amnitie . Briffot vient de
l'invoquer hautement pour eux ; il plaide
leur défenfe. Il a ofe imprimer , il y a
quatre jours , que le dernier carnage exécuté
par fes amis d'Avignon , étoit le crime
de l'Ariftocratie ; comme il inprimoit que
les Nobles faifoient brûler leurs Châteaux ,
comme il imprime en ce moment que
les Colons ont foulevé leurs Nègres , &
fait détruire leurs propriétés. Et cette exécrable
démence eft celle d'un des Légiflateurs
de la France ! Et c'eft la Nation qui
a produit Montefquieu , Fénelon & d'Aguelfeau
, qui continue à la tolérer !
Lettre au Rédacteur du Mercure Politique.
Paris , 21 Novembre 1791 .
Nous apprenons avec furprife ,"Monfieur ,
( 307 )
que dans le Mercure de France du 5 Novembre
1791 , pages 70 & 71 , vous avez inféré une
lettre injurieufe aux Volontaires Nationaux du
Département de la Drôme , réunis pour le former
en Bataillon , en laiffant ignorer & le nom
de l'Auteur de la lettre & le lieu d'où elle a
été écrite , votre complaifance à l'imprimer dans
le Journal que vous redigez , nous a paru bien
officieufe . Ces Soldats généreux méprifent fans
doute des calomnies groffières fuggérées par la
haine & l'efprit de parti ; mais s'ils font indiférents
à des traits qui ne fauroient les atteindre 3
nous qui fouvent avons été témoins de leur
zèle à faire obferver les Loix , de leur exactitude
à remplir leurs devoirs de Soldats Patriotes
, de leur empreffement à voler au fecours
de l'Etat lorfqu'il a été menacé , nous vous affurons
que leur conduite eft irréprochable , que
le nombre de ceux qui fe font préſentés excède
le nombre qui avoit été demandé , que leurs
Chefs font dignes d'occuper les places auxquelles
ils ont été nommés , & comme Soldats
& comme Citoyens ils méritent l'eftime des
hommes vertueux. Nous espérons obtenir la
même faveur que vous avez accordé à l'Auteur
de la lettre offenfante qui a excité notre récla
mation , & que vous voudrez bien l'inférer dans
votre prochain numéro . » ´
Les Députés du Département de la Drôme , à
l'Aemblée Nationale.
ESPYEARD , FLEURY , GUILLARD , SAUTAYRA ,
DAGIER , DOCHIER.
1
En publiant fans délai la lettre qu'on vient
de lire , nous donnons à MM. les Députés &
( 308 )
au Bataillon du Département du Drôme , une
preuve des égards que nous leur devons , ainfi
qu'a la juftice . Nous pourrions demontrer que
la lettre dont ils fe plaignent avec raiſon , &
dont on nous avoit trop légèrement attefté l'authenticité
, n'a vu le jour qu'à caufe du récit.
qu'elle contenoit fur 1 vie de Jourdan. Nous
avions biffé d'abord prefque en entier les injuftes
inculpations faites au Bataillon des Volontaires de
la Drôme ; c'est par une inadvertance abfolument
indépendante du Rédacteur, qu'on a laillé fabfifter
quelques phrafes injurieufes . Quelles que foient
nos opinions politiques , nous faifons une profafion
invariable de n'époufer jamais les paffions ,
encore moins de fervir les allégations fauffes
d'aucun Parti , & notre premier devoir eft de
démentir des erreurs offenfantes , lorfqu'on nous
a fait malhonnêtement concourir à leur publicité.
Afin de rendre plus complette la déclaration
qu'on vient de lire , nous y joindrons l'extrait
fuivant , d'une lettre que nous ont adreffée ,'
de Montelimart le 12 de ce mois, quelques Officiers
du Bataillon outragé :
tc La convocation des Volontaires s'eft faire
à Valence le 12 Octobre ; plufieurs Municipalités
n'en étoient inftruites que par le bruit public
; elles y ont envoyé, »
Le nombre des Volontaires étoit plus que
fuffifant pour le complet des Bataillons , & les
Commiffaires fe font vûs forcés , de renvoyer
Pexcédent . »
« Il n'y a eu de revues paffées , que celles
exigées par la Loi ; & tous les Volontaires Te
font rendus a l'heure indiquée par le Général. »
( 309 )
ee Nul Volontaire du fecond Bataillon , n'a
été redemandé ni ramené par la Ge darmerie
Nationale. Cinq il eft vrai font , partis fans
congé , mais c'eft depuis le 21 Octobre , de
cinq deux font rentrés & ont dit ne s'être abfentés
, que pour aller chercher des vêtemens
qu'effectivement ils ont rapportés . Voilà des
faits .
P. S. M. de Leffart a définitivement accepté
les Affaires étrangères..
?
Par des lettres du 15 , on apprend que
Montpellier eft un théâtre d'affaffinats . Cette
ville eft dans la défolation : des fexagé
naires ont été égorgés. L'élection du
Maire qui déplaifoit aux Proteftans &
aux brigands a occafionné ces nouveaux
malheurs,
Pour completter les Pièces relatives aux
calamités de St- Domingue , nous tranfcrirons
ici l'énergique Adreffe
que les
Citoyens de Nantes ont préfentés à S. M. -
SIRE ,
« Toutes les claffes de Citoyens d'une des
plus grandes villes du Royaume viennent chercher
auprès de vous des confolations aux male
heurs affreux qui les accablent ; ils viennent
verfer dans votre fein paternel leurs alarmes
fur le fort de leurs fières , de leurs amis . Il
n'eft plus poffible , Sire , de douter des excès
horribles qui ont dévasté la plus floriſſante Co(
310 )
lonie de l'univers ; déjà la partie du Nord eſt
détruite , les Nègres , armés de poignards aiguilés
par une fecte prétendue de philantropie ,
ont égorgé leurs Maîtres , ont incendré leurs
propriétés ; enhardis par leur nombre , par leur's
fuccès , ils menacent les villes & les deux autres
parties de la Colonie ; peut - être dans le moment
où nous verfons des larines fur les mânes des malheureufes
victimes , le refte des Colons , errant
fur une terre dévaftée , y périt de faim & de
misère .
« Nous venons , Sire , exprimer à Votre Majefté
tous les fentimens qui nous agitent dans une pareil
e calamité ; nous venons implorer vos fecours
& votre protection pour des hommes réduits au
défefpoir. Nous vous demandons l'expédition la
plus prompte de Soldats , d'armes & de vivres.
Comme Père de vos Peuples , vous ne vous refaferez
pas ; comme Chef fuprême de la Nation , vous
pouvez , vous devez l'ordonner , »
« Des monftres que la France recèle encore
dans fon fein ont médité & fait exécuter de fangfroid
ces affreux attentats ; leurs écrits ont porté
le fer & le feu dans un pays dont les richelles au
roient fuffit pour rendre à l'Empire ſon ancienne
fplendeur. Nous appellons , Sire , anathême &
vengeance far leurs têtes. Le tiers de la Narion ,
réduit à la mendicité par l'exécution de leur infernal
complot, ne les laiffera pas impunis . Il
eft temps , Sire , de faire ufage de l'autorité que
la Nation a dépofée en vos mains , pour la purger
de ces monftres fanguinaires , pour faire
ceffer les meurtres & le carnage . Cette invocation
que nous arrache le fentiment de notre
douleur , déplaira , nous le favons , à cette ſecte
de factieux , qui , dans fes principes abominables,
1
ة ر ي د م
( 311- hi
a médité le renversement de la Conftitution , le
bouleversement de l'univers ; mais nous parlons
à notre Roi , à notre père ; c'eft dans fon fein
que nous épanchons nos douleurs , & notre amour
ne peut nous tremper fur l'accueil qu'il fera ài
nos instances.
cc. Dans notre détreffe , Sire , & quoique menacés
d'une ruine totale , le falut du refte de
nos frères l'a emporté dans nos coeurs fur tout
autre fentiment. Nous leur expédions par trois
navires , prêts à faire voile de notre port , tout
ce que nous pouvons nous procurer dans notre
vile , de fufils d'épreuve , de balles & autres
munitions , de tentes , de toiles , de vêtemens
& de vivres ; le paiement de tous ces objets fera
fait par le produit d'une foufcription qui a été
auffi-tôt remplie qu'ouverte . Chaque Citoyen
fans confulter les facultés , n'a vu que les fecours
dont fes frères avoient befoin (1 ) ..
39
Votre Majefté , Sire , a éprouvé bien des
chagrins fur le fort des Colonies . Tous les bons
François y ont pris part ; vous ne les aban-
I
(1 ) Au départ des Députés , famedi ſoir 12 ,
le premier envoi expédié & compofé de tout ce
qu'on a pu fe procurer dans le premier moment ,
confiftoit en 100 tentes de 8 hommes chaque ;
3006 fufils éprouvés , avec leurs bayonnettes ;
1 baril de pierres à fufils ; 1 baril de tire -burres ;
300 caiffes de cartonches ; 300 pantalons ; 300
chemiſes ; 300 paires de fouliers ; 500 fabres
& baudriers ; 400 gibernes ; 4000 livres de
poudre à canon ; 20,000 livres de bifcuit . Les
autres envois feront expédiés le plus promptement
poffible.
\
( 312 )
"
donnerez pas à leur défefpoir , & faurez compatir
à leurs malheurs . » Suivent les fignatures
d'un très-grand nombre de Citoyens.
Lecture faite de l'adreffe des Citoyens de
Nantes , FOrateur a ajouté :
« Sire , les Maris de Nantes ont chargé
M. Darbefeuille , leur camarade , d'offrir à
Votre Majesté l'embarquement de 150 a 200
des leurs , pour concouri au falut de la Colonie
& au rétabliffement de l'ordre . »
Le fieur Blin , Imprimeur en Taille-
Douce , a eu l'honneur de présenter à
S. M. , le 14 de ce mois , les 42 , 43 &
44es. livraifons des Portraits des Grands
Hommes , Femmes Illuftres , et Sujets mémorables
de l'Hiftoire de France. Cette
Collection à laquelle nous avons donné
des éloges mérités , & qui foutient fa répus
tation , fe trouve chez l'Auteur , Place
Maubert, nnoº.. 17.
Les Numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France , du feize Novembre,
font : 35 , 6 , 82 , 44 , 59.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le