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1791, 02, n. 6-9 (5, 12, 19, 26 février)
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( No. 6. )
SAMEDI 5 Février 1791 ..
MERCURE
DE FRANCE.
Par MM. MARMONTEL , DE LA HARPE
& CHAMFORT, de l'Académie Françaife
; & par M M. FRAMERY &
BERQUIN , Rédacteurs.
M. MALLET DU PAN eft feul chargé
de la partie politique.
Tous les Livres doivent être adreffés à M. de
la Harpe , rue Guénégaud , n . 245
La Poéfie , à M. Berquin , rue & place du Théatre
Français ;
Les Cartes , Eftampes , la Mufique , & Avis divers ,
à M. Framery , rue Neuve des Petits- Champs , n ° . 12-;
& tout ce qui concerne l'expédition & les Abonnemens
, à M. GUTH , hôtel de Thou , rue des
Poitevins.
Tous les envois doivent être affranchis.
Le prix de l'Abonnement eft de 33 liv.
franc de port par tout le Royaume.
COURS DES EFFETS PUBLICS. Janvier 1791.
EFFETS ROYAUX. Lundi 24 Mardi25.
Adions.
D
Emprant 06
| CHANGES du26.
Am. 49€/
and 256
Merc, 2. Jeudi 27. Vend. 28. Saredi 29. Hm. 215.
2310.80..2250..40. 227565.. 2290.82.. 229085.. 2330.95.
d. Décembres. au pair.11.
Lot. d'Avril
14: 0.4 1420 ... 1430
1440.
460 ......
460..62.460.65.. 469..
I
690 ... 688.
Emprant12t. 142132,
Lor: d'Oubre..
Iso millions
Sans Bulletin ...
Bulletin
Emprunt 120m²
Ad.. 16 18*.
Cadiz16 17ca
Liv.. 111.
Gên.. 104.
Lyon.pte. #
aup.
692.95. 1695. 700.
16.1571

433
Amft. 49
1412 15.15
12.12.
CHANGES du29.
Lond. 13
Hain. 216.
18M´ao1d.d6.,
Cadix.:61704.
Borde Ch ...
Caffe Bfcomp: 4100.20.3990I{
D demi- af..
FauxdeP..
Empr. National.
2010..10.1990..5.. 2040..45 2090..70 2080.95
Liv. 1131
410090. 4150.45.. 417095.. 4260.50. Gên
104
.2120.10..
Lyon. pie
Payeurs,A née
1759, lettre4.
1Pe ..... au pair,1.
( No. 7. )
SAMEDI 12 Février Février
1791 .
MERCURE
DE FRANCE .
Par MM . MARMONTEL DE LA HARPE
& CHAMFORT , de l'Académie Françaife
; & par M M. FRAMERY &
BARQUIN , Rédateurs.
M. MALLET DU PAN cft feul char
de la partie politique.
Tous les Livres doivent être adreffés à M. de
la Harpe , rue Guénégaud , pº . 24 ;
La Poéfie , à M. Berquin , rue & place du Théatre
Français;
Les Cartes , Eftampes , la Mufique , & Avis divers
à M. Framery, rue Neuve des Petits - Champs, no. 127 ;
& tout ce qui concerne l'expédition & les Abonneà
M. GUTH , hôtel de Thou , rue des
Poitevins.
mens ,
Tous les envois doivent être affranchis.
7
Le prix de l'Abonnement eft de 33 liv.
franc de port par tous le Royaume.
PUECBFOLFFéUDI1Evr7RECTi9eSSSS1r..
ROEFYLFuAEnUTd3XSi1..
Mardii
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Amft. 49.
Lond. 25..
Merc. 2. Ham.216..
Mad.. 16180¢.
Actions.
2300.92.. 2300.971. Fête.
Does
Emprunt Oct.
40.63.46..3.
d'AvLroitl.
Lot. d'Octobre
1700.
Id. Décembre 821au pairau pair.
E1m1p4r3u11nm25t³55.
millio.8In.0ds..
1517
2828
700.698..
Cadix 16¹17od.
Liv.. 113
Gên.. 1044
Lyon.pte
Payeurs, Apnée
lettre A. 11790.
Sans Bulletin.
Bullerin
Empru1mn2st0
B.o.r.Cd.he..
Caifle d'Efcompt 390.71 $ 38078..
De, demi att. 2190.85.190.86.
EauxdeP.
NatEimopnraPyle
Pe.
( No. 8. )
SAMEDI 19 Février 1791 .
MERCURE
DE FRANCE .
Par MM. MARMONTEL , DE LA HARPE
& CHAMFORT , de l'Académie Françaife
; & par M M. FRAMERY &
BERQUIN , Rédacteurs.
M. MALLET DU PAN eft feul charge
de la partie politique.
Tous les Livres doivent être adreffés à M. del
la Harpe , rue Guénégaud , no. 24 ;
La Poéfie , à M. Berquin , ruc & place du Théatre
Français;
Les Cartes, Eftampes , la Mufique , & Avis divers
à M. Famery, rue Neuve des Petits- Champs, nº. 127
& tout ce qui concerne l'expédition & les Abonne
meas à M. GUTH , hôtel de Thou , rue des
Poitevins.
Tous les envois doivent être affranchis.
Le prix de l'Abonnement eft de 33 liv.
franc de port par tous le Royaume.
46360 ... 46358.
COURS DES EFFETS PUBLICS Février 1791.
EFFETSROYAUX. Lundi7.
Actions 12180..
1440.
Berun: 04.463.
descabre 82.1.
JOHANGESdu9.
Araft. 494.
Mardi8. Merc.
9
Jeudi 1o. Vend. 11. Samedi 12.
Load. 254
1270 65.2265.62.. 2270.72 2272.771 2230 ...
fam.
215.
Mad. 16.
Cadix 161 16
17
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d'AvaLiol.
Loc, dobre. 700.6.8.. 698
698. 695.
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1415
695.700.700.
15.1445.IS.
12. 20 miltons.
Smae Ballecia..
Buileria..
1460. 8.460
. Bénéf.B
. IP. B. Pe.
48 Lyon. Pe
CHANGES du12.
Amit. 49
Lond
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Ham. 21f.
Mad.. 161769.
Liv.. 1131.
Ga..103
}
Empraat 120in Cadix. 161 1606å
Bords Gl Liv ... 113
Cada Ufcotipa 4340..30. 4310..12, 4291.90..4310.295. 4300.295.4300.29 Gen.. 104.
Do. demi-a. +
Lyon.pte.
EauxdeP.
2172 .61. 2158..55 214045.. 2155.48.. 2147.43 2148.47 ..
Empr. National. pe.
8423
ipPo.P,1P... Pe..
Payeurs, Année
1990, lettreC.
( N °. 9. )
SAMEDI 26 Février 1791 .
MERCURE
DE FRANCE.
Par MM. MARMONTEL , DE LA HARPE
& CHAMFORT , de l'Académie . Françaife
; & par M M. FRAMERY &
BERQUIN , Rédacteurs.
M. MALLET DU PAN eft feul chargé
de la partie politique.
Tous les Livres doivent être adreffés à M. de
la Harpe , rue Guénégaud , n . 243
La Poéfic , à M. Berquin , rue & place du Théatre
Français ;
Les Cartes , Eftampes , la Musque , & Avis divers ,
àM. Framery, rue Neuve des Petits - Champs , n . 127;
& tout ce qui concerne l'expédition & les Abonnemens
, à M. GUTH , hotel de Thou , rue des
Poitevips:
#
Tous les envois doivent être affranchis.
Le prix de l'Abonnement eft de 33 liv.
franc de port par tout le Royaume.
COURS DES EFFETS PUBLICS. Février 1791
EFFETS ROYAUX. Jeudi 17. Vend. 18. Samedi19.
Actions ....
es Do ...
2280.82.. 2287.95..2295..
1442 ... 14471450..
Emprunt Oct46263
463 ..... ...
463
Id. Décembre82Pe. B.aup. Bénéf..
Lot. d'Avril
Lot. d'Octobre
Emprunt 125ms
14
700
700 ..... 703.
147Bénéf. 15415 ...15
Id. 80
millions..1213 ....13 Bénéf. 13413.
Sans Bulletin..
Bulletin..
Empru1mn2s0t.
B.o.r.Cd.he..
1 2 2.2-3
3-34- Ben. 3414.3
101 ΙΟΙ
101.2.
Caifle d'Efcompt. 4297.300.4300.305.
Do. demi- ac ...
52.2158.54.
EauxdeP..
CHANGES du1c.
Amft. 49
Lond
. 25
Ham. 2147-
1618Mfa6dd.
Cadix16176.
Liv .. 1134.
Gên.. 1041.
Lyon. Pe
Payeurs, Annee
1790, lestreC.
Empr. National..pe. aup. P.Pe.
ME ROURE
REGLA
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI ;
COMPOSÉ & rédigé , quant à la partie
Littéraire , par MM . MARMONTEL ,
DE LA HARPE & CHAMFORT , tous trois
de l'Académie Françaife ; & par MM.
FRAMERY & BERQUIN , Rédacteurs ."
M. MALLET DU PAN , Citoyen de
Goneve , eft feul chargé de la partie Hiftorique
& Politique.
SAMEDI 5 FÉVRIER 1791 .
A PARIS
Au Bureau du MERCURE , Hôtel de Thou ;
rue des Poitevins , No. 18.
Avec Privilége du Roi.
C
1
TABLE GÉNÉRALE
Du mois de Janvier 1791 .
ETRENNES 3 | De l'Infurrection Parif. 31
2e. Déjeûné. 4
Charade , En . Logog:
28 Notices.
45
EPITRE.
Charade, Enig, Logog..
Difcours de Marius.
Origine.
Peinture des Idées.
VERS
Pacte
Fédératif
.
Charade
, Enig
. Logog
.
Vues
fur l'enseignement
.
OEuvres
de Jean
Law.
VERS.
Charade , Enig. Log.
99 Notices.
49 La Question du Divorce. 70
58
55 Differtation. 75
Variétés.
63
77
67 Notices.
79
85 Tableau pittorefque . 104
87 Les Heureux Modeles. 109
୨୦
1
92
Spectacles. IIT
114
Principes.
121 Variétés.
131
123 Théatre de la Nation. 152
126 Notices . 156
ERS.
1571 La néceffité du Divorce. 165
Charade, En . Log. 19 Variétés.
Mémoires . 161 Notices .
167
188
A Paris , de l'Imprimerie de Moutard , rue
des Mathurins , Hôtel de Cluni.
KIBLIOTHICA
REGIA
MONAGENSIS.
MERCURE
a
DE FRANCE.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE
LES FRANÇAIS
AUX BORDS DU SCIOTO ( 1 ) .
ÉPITRE
A UN ÉMIGRANT POUR KENTUCKY.
EH bien ! vous allez donc aux bouts de l'Univers,
Feupler du Scioto les rivages déferts ?
Et vous vous embarquez , emportant l'efpérance
De rendre à ces climats ce qu'a pérdu la France
Les Lettres de cachet , les Cenfeurs dits Royaux ,
La Gabelle , la Dixme , & les Droits féodaux ,
La Cour de Parlement, les Couvens, les Chapitres,
Sur-tout les Penfions , le Blafon , & les titres ?;
(1 ) Riviere de Kentucky , au nord- oueft de la Virginie,
dans l'Amérique Septentrionale .
I
A 2.
4
MERCURE
Ce projet très-fenfé vous occupe & vous rit ;
Mais avant de partir , lifez ce qu'on m'écrit ;
C'eft d'Alexandria ; l'anecdote eft nouvelle ;
Le récit vient de loin , & n'eft pas moins fidele.
A
Dans nos beaux jours de gloire & de profpérité ,
Quand ces mots dangereux , Patrie & Liberté ,
Chez nous autres Français n'étaient guere en uſage,
Quand la crainte rendait maint Ecrivain fort fage ,
Enfin dans ce bon temps , où tout allait ſi bien ,
Un jeune raiſonneur , qui ne doutait de rien ,
S'avifa de penfer , & fe permit d'écrire
Qu'il ferait à propos que le Peuple sût lire ; :
Que l'ordre qui jetait un Bourgeois en priſon ,
Ne prouvait pas toujours qu'un Miniſtre çût raiſon ;
Et que la tolérance & la philofophie
Triompheraient un jour du fanatifme impie...
Sa Brochure allait faire un dangereux éclat.
Mais on prévint le mal : nous avions pour Prélat
L'ami de Loyola , l'intrépide Chryſtophe ,
Qui n'était , comme on fait , rien moins que Philo
fophe ;
Phélypeaux trafiquait des lettres de cachet ,
Et Maître Omer Joly concluait au Parquet .
Par un beau Mandement, bien dur, bien fanatique ,
L'Ouvrage déclaré déteftable , hérétique ,
Dans la cour du Palais fut lacéré , brûlé .
L'Auteur, qu'on ménagea , ne fut qu'embaſtillé.
DE FRANCE.
la retraite eût guéri fa tête mal timbrée ;
Il s'échappa , courut de contrée en contrée :
Enfin le malheureux , après mille accidens
Aux bords du Scioto fixa fes pas errans
Bientôt il raffembla des familles fauvages ;
Eparfes dans les bois qui couvraient ces rivages.
Ces farouches humains , inftruits par fes leçons ,
Défricherent des champs , bâtirent des maiſons ;
Et de feu Robinſon évoquant le génie ,
Il vit d'hommes nouveaux naître une Colonie.
Ce n'était pas affez ; il voulut , comme on dit ,
Leur former à la fois & le coeur & l'eſprit ;
Mais que leur apprit- il ? vingt abfurdes chimeres :
»Que les hommes étaient tous égaux & tous freres;
Que les diftinctions , dont chacun eſt jaloux ,
» Devaient n'avoir pour but que l'intérêt de tous ;
Que l'homme étant né libre aviliffait fon être ,
23
.35
» Lorfque dans un autre homme il pouvait voir un
» maître ;
"
Qu'il fallait confulter fur les Loix , fur les moeurs,
» La loi de la Nature écrite en tous les coeurs ;
Er que , malgré l'éclat de la valeur guerriere ,
» Etre utile aux humains eft la vertu premiere «.
Les pauvres Indiens attendris , hébêtés ,
Ecoutaient , admiraient ces puérilités ,
Croyaient pofféder même affez de connaiſſances ;
Et ne foupçonnaient pas les plus belles Sciences ,
A 3
6 MERCURE
La Chicane , le Droit & Civil & Canon ; -
Et la Théologie , & l'efprit du Blafon.
Sainville , au milieu d'eux , vivait libre & tranquille ;
Il voyait à fa voix fa peuplade docile
Lui rendre chaque jour graces de fon bonheur
Et du nom de Français faire un titre d'honneur
»
Mais qui peut étouffer l'amour de la Patrie ?
Des regrets s'élevaient dans fon ame attendrie ;
Errant fur le rivage , & les pleurs dans les yeux :
» Je fuis donc pour toujours exilé dans ces lieux !
France, heureux climat, fi cher à mon enfance,
» De rentrer dans ton fein j'ai perdu l'efpérance !
» J'ai fervi ma Patrie , ils m'en ont éloigné !
Je ne penfe jamais , fans en être indigné ,
Aux gothiques erreurs , aux coutumes bizarres ,
A tout l'abfurde amas des préjugés barbares
» Dont le poids accablait les Français affervis ;
:
Ils riaient de leurs maux, & s'en croyaient guéris.
» Oh ! s'ils ofaient un jour fortir de l'efclavage !
‹ » De vouloir être heureux s'ils avaient le courage !
» S'ils ne gardaient dé joug que celui de la Loi !
» France , le monde alors ferait jaloux de toi,
Mes prieres jainais ne feront exaucées « ,
Un jour qu'il le plongeait dans ces triſtes penſées ,
Des cris tumultueux , pouffés de toutes parts ,
Vers le fleuve foudain appellent les regards.
& A
1
DE FRANCE.
Il voit un bâtiment qui vogue , qui s'avance ;
On gagne le rivage ; on débarque ; on s'élance ;
Sainville accourt ; ô Ciel ! ô furprife ! ô bonheur !
ל כ
ود
Quoi ! ce font des Français ! quel Dieu confola-
» teur ,
Quel miracle inoui dans ces lieux vous envoie ?
» Mes freres , mes amis , que faut-il que je croie ?
» Je ſuis Français auffi ; je fuis né dans Paris ;
Qu'y fait-on ? répondez ; j'aime encor mon pays.
» Hé bien ! fi vous l'aimez , dit un homme à
tonfure ,
Portant d'une croix d'or la brillante parure
» Pleurez fur ce pays , car il eft profané :
» On n'ycroit plus en Dieu ; tout Français eft damné.
>> Ondétruit lesCouvens , on ne veut plus de Moines;
» Des hommes tempérans , utiles , des Chanoines ,
» Pour prix de leurs travaux n'ont qu'une penſion.
» Faire un pareil outrage à la Religion !
Nous prendre tous nos biens ! nous parler de fa-
» laire !
" Et m'appeler Monfieur , comme un petit Vicaire !
" O fcandale ! le Peuple élira fes Paſteurs;
» On ne connaîtra plus les gros Décimateurs.
» Mon Evêché valait cent mille francs de rente ;
» Ils ont eu la noirceur de le réduire à trente ,
Sans Abbaye encore ! .... ils nous ont tout ôté .
>> J'ai contre les Décrets , intrigué , proteſté ,
A 4
8 MERCURE
!
» Et, dans un Mandement conforme à l'Evangile ,
» Exhorté les Français à la guerre civile ,
» Le tout par charité , par un zele chrétien ,
» Pour l'intérêt du Ciel , & non pas pour le mien «.
Un jeune homme criait : » Je plains fort pea les
» Prêtres ;
» Mais m'avoir fait la loi d'égaler mes ancêtres !
» Jadis à coups de lance ils fe font bien battus ;
Puifque je fuis leur fils , j'ai toutes leurs vertus ;
Je fuis plus noble qu'eux , ainfi je les efface.
ל כ
» Comment a-t-on ofé me foutenir en face ,
ב כ
Lorfque mon bifaïeul a bien fervi l'Etat ,
» Que je puis n'être , moi , rien qu'un fot & qu'un
>> fat ?
—>> Ah ! difait un Commis , ma douleur eft mortelle :
» Croiriez-vous bien qu'ils ont fupprimé la Gabelle «< ?
Tous fe plaignaient enfemble , & tous pouffaient
des cris.
De leurs regrets confus , Sainville ému , furpris ,
S'informait , répondait allait de l'un à l'autre :
— » Ah ! vous n'étiez pas là , quel bonheur eft le
» vôtre !
» Non , vous n'avez pas vu la Révolution ;
» Se foulever , s'armer toute la Nation :
» De prendre la Baftille ils ont eu la folie.
» Ciel ! comment ? la Baftille eft prife ? - Ex
» démolie.
DE FRANCE.
-Je ne puis revenir de mon étonnement ;
» Mais où renferme - t - on les Auteurs à préfent ?
- » On n'en renferme aucun ; c'eft une chofe hor
» rible ;
» La Liberté , toujours aux talens fi nuifible ,
» Fait des progrès affreux qu'on ne peut réprimer ;
» On a droit de tout dire & de tout imprimer ;
» On examine tout , on s'éclaire , on raiſonne ;
» On ofera bientôt cenfurer la Sorbonne.
» Les Loix vont diftinguer & borner les pouvoirs ;
ג נ
Montrer aux Citoyens leurs droits & leurs devoirs
» La France ne veut plus s'agrandir par la guerre ,
» Et déclare la paix au refte de la Terre ;
» Le Royaume eſt détruit , abîmé , renversé ,
» Et nous fuyons fans peine un pays inſenſé ,
» Où nous perdons fayeurs, penfions, bénéfices ,
» Où l'on vient d'établir des Juges fans épices.
» Les voilà ces Décrets qui nous ont indignés !
» La Nation les veut ; le Roi les a fignés ;
» Lifez- les ; partagez nos chagrins , nos alarmes «
Sainville lut ; les yçux fe mouillerent de larmes.
» O Ciel ! s'écria -t-il , ô Dieu que je bénis !
» Je pourrai donc encor revoir mon cher pays !
» Et vous l'avez quitté, malheureux que vous êres !
Que venez-vous chercher dans ces triftes retraites?
» Des forêts , des déferts , des champs non cultivés ,
» Et des travaux trop durs pour vos bras énervés ?
*
A s
IA MERCURE
2
» Où retrouverez-vous votre heureuſe Patrie ,
» Et les tréfors qu'elle offre à l'active induftric ?
» Eh ! que lui manquait-il qu'un bon Gouvernement?
»› La Raiſon qui préfide à ce grand changement
» Des Peuples à venir la rendra le modele ;
" Qui peut l'abandonner n'était pas digne d'elle :
Puifque la Liberté renaît dans fes remparts ,
» J'y volę. Adieu, Meffieurs. Vous arrivez; je pars«‹ .
( Par M. Andrieux. )
2
Nota, Cette Piece a été imprimée dans l'Almanach
des Mufes de cette Année ; l'Auteur nous l'a
envoyée avec des corrections & des changemens.
Nos. Lecteurs apprendront avec plaifir qu'il travaille
en ce moment à une Comédie far le même
fujet. On fent d'avance ce que ce fujet pourra
produire fous la plume de l'Auteur de la charmante
Comédie des Etourdis,
DE FRANCE
LES DÉJEUNÉS DU VILLAGE.
III . DÉJEUN É.
LE PRESBYTERE ET L'HOPITAL.
"
J'ÉT 'ÉTAIS tremblante en arrivant à la porte
du Presbytere , reprit Mme. de Clofan
lorfque le cercle du déjeuné fut établi
: dans fon falon. Jeune , fugitive , échappée
de mon Couvent , oferais-je paraître devant
un vieux Curé ? Que dirait-il de moi ? &
que lui dirais - je moi - même ? La fimple
vérité. Ce mot me raffura . Je frappai. Une
vieille femme vint m'ouvrir : Que demandez-
vous , me dit - elle Je demande à
parler à M. le Curé. A cette heure ?
A cette heure même. On m'a dit que
pour lui il n'y avait point d'heure indue ,
-forfque les malheureux avaient recours à
lui. On vous a dit vrai , reprit - elle. A
l'inftant je fus introduite.
-
?
--
-
Le Curé me reçut avec furprife ; mais
avec fon air de bonté. Monfieur , lui dis -je ,
commencez , je vous en fupplie , par recommander
à cette femme de ne dire à
perfonne que je fois dans votre maifon. Il
A 6
12 MERCURE
rappela fa Ménagere , lui dit deux mots
tout bas , & revint m'affurer que je pouvais
être tranquille.
Monfieur , repris -je alors , protégez -moi..
Je fuis une orpheline , malheureuſe à l'excès.
Si vous m'abandonnez , je n'ai plus le
courage de fupporter la vie. C'eſt la réputation
de vos vertus & de votre indulgence
qui amene à vos pieds Philippine Oray de
Vallan.
La réfolution du défefpoir qu'il vit peinte
fur mon vifage , l'emut profondément. II
commença par me calmer , me promit tous
fes bons offices ; & enfuite il me demanda
d'où j'étais ? -De Paris. - D'où je venais ?
-Du Pont - aux - Dames. Pourquoi je
m'étais échappée de ce Couvent ? - Pour
paffer dans un autre , auffi faint , & plus
mon gré. Ce fut-là que je m'étendis. Je
veux , lui dis-je , me dévouer au ſervice
des malheureux ma fituation m'apprend
qu'il n'y a rien de plus facré au monde.
Je fuis pauvre , mais je fuis fiere , & je
veux être libre. Il eft un Ordre que le plus
vertueux , le plus compatiffant des hommes
, un homine à qui vous reffemblez ,
Vincent de Paul , a inftitué pour le foulagement
des pauvres ; c'et l'Ordre des
Soeurs Grifes. Je n'en ai jamais entendu
parler fans attendriffement & fans vénération.
Je ne connais rien de plus noble
que le dévouement de ces filles ; c'eſt parmi
DE FRANCE.
13
elles que je veux me cacher ; & pour cela ,
Monfieur , j'ai befoin de votre affiftance.
Faites une bonne oeuvre en daignant m'y
recommander , je n'ofe dire , m'y préfenter
vous-même.
Il ne voulut pas me fatiguer à lui en
dire davantage ; & après m'avoir fait prendre
un peu de nourriture , il m'envoya me
repofer. Le lendemain , je lui contai une
partie de ce que vous venez d'entendre ,
mais avec une fenfibilité , une naïveté qui
n'eft plus de mon âge , & qui l'intéreffa.
d'être
Il m'avait regardée avec pitié en m'écou
tant ;, & lorfque j'eus fini : A préfent , me
dit il , voulez - vous que je vous explique
votre vocation ? Le jeune homme eft à St-
Lazare , & vous voulez vous rapprocher
de lui. Rien n'eft plus vrai , lui dis - je ;
ma plus douce efpérance ferait de lui faire
favoir que je fuis là. J'y ferai tout le temps
de fa détention ; je l'emploirai , ce temps ,
à mériter , par de bonnes oeuvres
une heureuſe époufe & une heureufe mere ;
& lorfqu'il fera libre , je le ferai moi-même;
car fous la Regle du bon Vincent de Paul ,
on ne s'engage que pour un an. Enfin G
je puis être unie à mon Amant , Dieu permettra
que je lui demande , à l'autel , cette
récompenfe des foins que j'aurai pris de
mes pauvres malades. Si au contraire on
nous ôte toute efpérance d'être unis , l'état
que j'aurai embraffé fera ma confolation
14 . MERCURE
4.
Cette maniere de charmer les ennuis
de l'abſence , ne déplut point au Curé de
Mareuil.
Mais pourquoi , me dit-il , ne pas fignifier
à vos parens cette réfolution louable ?
Ils la traiteraient de fólie , de dépit amoureux
, lui dis-je ; ils en feraient punir celui
qui en eft la caufe , & ils feraient encore
affez cruels pour nous envier la douceur
de nous favoir près l'un de l'autre. Je vous
l'ai dit , ils n'eftiment que l'or ; & le crime
de mon Amant eft de n'en avoir pas. Tirez-
-moi de leurs mains , ou je ne réponds plus
de moi.
Mon enfant , me dit-il , fi vous aviez un
pere & une mere , toute la pitié que m'infpire
votre fituation ne me difpenferait pas
de vous remettre en leur pouvoir : vous
êtes orpheline , & les droits d'un tuteur
ne font pas , je l'avoue , auffi facrés pour
moi. Ce que je vais faire pour vous ne
laiffe pas d'être imprudent ; & quoique
mon âge & mon caractere donnent à ma
conduite affez de gravité , je fens que je
m'expofe à une maligne cenfure . Mais
moins de prudence &plus de bonté , a toujours
été ma devife ; & le courage de bien faire
n'eft pas du courage pour rien. Vous demandez
le plus faint des afiles , vous voulez
embraffer le plus vertueux des états ;
je feconderai ce pieux & courageux deffein.
Reftez ici cachée. Quand je croirai qu'on
"
11
DE FRANCE.
aura ceffé les recherches & les pourſuires ,
je vous menerai au Noviciat des Héroïnes
de la Charité , & je vous y préſenterai
moi-même.
En effet , peu de jours après , j'y fus
reçue fous fes aufpices , comme une orpheline
dont la Providence lui avait , diſait- il ,
recommandé le foin.
7
Me voilà donc Saur-Grife , à quelques
pas de mon Amant . Mais cette relation
d'une maifon à l'autre , dont fe flattait
mon efpérance , était févérement & abfolument
interdite ; & le temps de mon Noviciat
, tout occupé , de minute en minute
de faintes fonctions de mon nouvel état
ne me laiffait pas un inftant de relâche &
de liberté. Ma feule & trifte confolation
était de voir de près les murs où gémillair
Tunique objet de ma penſée.
.
*
Mais le bon Curé de Mareuil ne nous
avait point oubliés. Le bruit de mon évafion
, qui avait rempli le voisinage , ayant
rendu célebre la petite Florette , ma difgrace
avait rejailli fur cet innocent animal.
Mde. de Nuify me déſavouait hautement :
Ma fille n'était point liée avec cette jeune
perfonne; c'eſt uniquement par pitié , difaitelle
, que nous avons eu la complaiſance
de prendre foin de fa petite chienne ; &
pour n'avoir rien qui vienne d'elle , je la
donne à qui la voudra . Donnez - la moi
dit le bon Curé , qui par bonheur ſe trou
16 MERCURE
vait là ; & il fut auffi fon refuge. Mais
c'était- là le moindre des fervices qu'il nous
rendait.
Le Dioceſe de Meaux confine avec de
Dioceſe de Paris ; & dans celui - ci mon
vieillard avait pour ami un Curé de fon
caractere. Ne ferez-vous pas ce Carême de
la retraite de Saint- Lazare , demanda-t-il
à ce Curé ? Si vous en êtes , fouvenez-vous
d'un jeune homme appelé Clofan , qui ,
pour une imprudence dont on a fait un
crime , eft captif dans cette maiſon. Dites
au bien de lui , tâchez de lui adoucir , de
lui abréger fon châtiment ; obtenez qu'on
n'altere pas la bonté de fon naturel , car
je réponds qu'il eft bien né ; & faites-lai
favoir , s'il eft poffible , qu'il trouvera un
confolateur , un ami dans le vieux Curé
de Mareuil..
Ces mots fidélement rendus au Général
de Saint - Lazare , firent une impreffion
d'autant plus favorable , qu'ils venaient
d'un vieillard connu & révéré pour la fainteté
de fes moeurs , & que dans fa prifon
le jeune homme lui - même s'était rendu
intéreffant. .
Le Général le fit appeler , lui demanda
s'il était parent du Curé de Mareuil. Il
répondit qu'il n'avait pas l'honneur de le
connaître. Vous avez cependant , lui dit le
Lazarifte , un véritable ami dans ce vénérable
Paſteur. Enfuite il fe fit raconter
1
DE FRANCE.
ི་

notre petit Roman ; & Clofar fut aufli
fincere qu'il lui était permis de l'ère. Le
pieux Lazarifte penfa qu'il ferait bon d'en
inftruire le Cardinal ; & ce Miniſtre , qui
ne haïffait pas les Hiftoriettes amoureufes
écouta celle-ci avec quelque intérêt. Allons,
dit-il au Général , c'est bien affez de quelques
mois de correction pour une folie de
jeuneffe. A cet âge on eft fi fragile ! Nous
nous en fouvenons , mon Pere , vous &
moi. Glofan fut mis en liberté.
Son premier foin , comme vous penfez
bien , fut d'aller rendre graces à fon libérateur
, & de favoir de lui ce qui s'était
paffé au Couvent depuis fon- abfence. En
entrant dans le Presbytère , le premier objet
qui s'offrit à fa vue , ce fut Florette. Ah !
tu feras toujours pour moi d'un bon préfage
, s'écria-t-il ; & il la tenait dans fes
bras , lorfque le Curé vint à lui .
Généreux vieillard , lui dit - il , vous à
qui je dois la liberté , & peut-être plus que
la vie , vous dont la bonté s'étend jufque
fur cette petite chienne , vous me direz ,
fans doute , des nouvelles de fa Maîtreffe ,
& fi elle est encore prifonniere dans le
Couvent du Pont-aux-Dames ? Elle n'y eft
plus , lui dit le bon Curé. Son tuteur
l'en a donc tirée pour l'enfermer ailleurs ?
Non , elle eft libre ; elle n'eft plus en
fon pouvoir ; elle eſt en sûreté. Vous
me comblez de joie. Et quel eft fon afile ?
-
-
18 MERCURE
#
---
---
C'eft ce qu'il n'eft pas temps que je
vous dife ; auparavant il faut favoir ce que
vous allez devenir . Hélas ! & le fais je
moi - même ? J'ai perdu mon emploi ; &
celui qui me l'avait donné , daignera-t-il encore
, après mon imprudence , s'intéreffer
à moi ? Je vais le retrouver , car c'eſt- là
mon unique efpoir. Mais de grace mettez
le comble à vos bienfaits en m'apprenant
où tout ce que j'aime refpire . Elle eft
bien ; elle vous attend. Si vous en faviez
davantage , vous feriez encore des folies.
C'est à quoi , s'il vous plaît , je ne veux
pas contribuer. Vous êtes jeune , vous avez
du courage & des talens ; procurez - vous
un état où vous puiffiez vivre décemment
! & en gens de bien ; dès-lors elle eſt à vous.
C'est tout ce que je puis vous dire ; & cèla
dit , mon cher pupille , repofez - vous , &
dinons gaîment,
i
C
Clofan, dès le foir même, voulut retourner
à Paris pour folliciter un emploi ; &
en prenant congé de fon généreux bienfaiteur
, il lui recommanda Florette. Oui,
tant que je vivrai , j'en prendrai foin , dit
le Curé ; & fi je meurs , je tâcherai qu'elle
foit bien encore . Si vous mourez , je ne
vivrai plus , lui dit Clofan , car vous aurez
emporté le fecret auquel ma vie eft attachée.
Vraiment , dit le Curé , vous m'y
faites penfer j'allais être cruel en vous
faifant courir ce rifque ; mais je vais vous
DE FRANCE. 19
en garantir. L'ayant donc laiffé feul quelques
momens , & revenant à lui avec un
billet cacheté : Votre fecret eft là -dedans ,
lui dit-il ; ce billet , fi je viens à mourir ,
vous inftruira du lieu où s'eft cachée Philippine
Oray de Valfan. Mais j'exige votre
parole que le billet ne fera ouvert qu'après
ma mort. A préfent , c'eft à vous de voir
fi vous vous fentez la force d'en être le
dépofitaire ; ou fi vous aimez mieux qu'il
--foit remis , comme je le promets , dans les
mains du Noraire que vous m'aurez nommé.
; Choififfez je m'en fie à vous , fi vous répondez
de vous-même.
f
O le meilleur des hommes , lui dit Clo-
I fan en fe jetant à fes genoux , vous faites
à ma probité un honneur dont je fens le
prixy & j'ofe croire en être digne. Mais
à mon âge, & le coeur plein d'une paffion
violente , il y aurait de la témérité à trop
préfumer de mes forces. I eft des fituations
où l'on n'eft plus maître de foi. Ce
billet , dites-vous , me fera retrouver Philippine
Oray de Vallan ; mais je ne dois
l'ouvrir que forfque vous ne ferez plus.
Eh bien , je ne veux pas me le confier à
-moi-même. Vous avez la nobleffe de m'en
offrir la garde ; j'ai celle de la refuſer. Qu'il
foit remis dans les mains du Notaire chez
qui j'ai travaillé ; & il le lui nomma. Ce
I fut alors que le bon Curé s'applaudit avec
joie de ce qu'il avait fait pour lui,
20 MERCURE
#

Je n'ai pas befoin de vous dire avec
quelle rigueur Clofan fut accueilli par le
farouche Pliancour. Il ne daigna le voir
que pour lui déclarer qu'il ne ferait plus
rie pour lui ; & fa porte lui fut fermée.
Cependant comme il avait montré dans 、
fon emploi du zele & de l'intelligence
les Bureaux dont il était connu , obtinrent
qu'il fût rétabli ; mais il le fut mal , & le
plus loin poffible, fur les confins de la Savoie,
dans les montagnes du Dauphiné . Cet emploi
modique & pénible fuffifait à peine
aux befoins d'une vie obfcure & folitaire ;
& il n'aurait jamais penſé à m'offrir un fi
dur état mais cette étoile dominante ,
laquelle j'ai tant de foi , nous fuivait , lui
fur fes montagnes , & moi dans le pélerinage
que l'on m'avait prefcrit au forti
de mon Noviciat.
:
-
C'était par les Sours-Grifes que l'Hôpital
d'Embrun était fervi ; & c'était là
qu'on m'avait envoyée . Jeune encore , mes
furveillantes ne m'y donnaient que les
devoirs les plus modeftes à remplir. Par
exemple , l'un de mes foins était de préparer
les boiffons falutaires & de les porter
aux malades , bien entendu qu'en les préfentant
, j'avais un voile fur les yeux.
Un jour que j'approchais du lit d'un
jeune homme accablé , confumé d'une
fievre ardente....... Vous treffaillez. Eh !
oui , c'était lui-même; car je ne veux pas
DE FRANCE. 21
vous furprendre. Le chagrin , la fatigue ›
les longues infomnies lui avaient allumé
le fang ; & trop mal à fon aife , trop délaiffé
chez lui pour y refter dans cet état,
l'infortuné avait eu recours à nos foins ;
il avait pris dans l'Hôpital une chambre
particuliere, comme faifaient fouvent d'honnêtes
Citoyens.
Un jour donc que je me préfentais , une
coupe à la main & mon voile baiffé , je
le vis détourner la tête , & de fon bras il
écarta languiffamment la coupe que je lui
préfentais. Il faut tâcher , lui dis - je , de
vaincre cette répugnance : un moment de
dégoût n'eft rien au prix de la fanté que
ce breuvage peut vous rendre un peu de
Garage. Ah ! dit - il , j'ai le courage de
mourir , & je n'ai pas befoin d'en avoir
d'autre. Laiffez-moi!
"
Je n'avais entendu fa voix que deux ou
trois fois en ina vie ; & cependant, quoiqu'affaiblie
, quoiqu'altérée par la douleur ,
elleme fit impreffion , mais une impreffion
confufe. Il aurait pu fe rappeler la mienne ,
quoiqu'il l'eût à peine entendue ; mais
pour lui, comme pour moi-même, l'invrai-
Temblance éloigndit trop l'idée de la vérité.
Ce ne fut donc que par un fentiment
d'humanité que je lui dis Monfieur , aur
nom de ce qui vous eft le plus cher au
Monde , ne me refufez pas. Ce que j'ai de
plus cher au Monde , me dit-il , eſt: perdu
22; MERCURE I
pour moi ; je ne la verrai plus , ou fi je
la revois , ce fera, dans les bras d'un autre.
Laillez-moi , laiffez-moi mourir.
A ces mots , je fentis mon émotion
redoubler , mais fans ofer efpérer encore
ce que
j'aurais tant défiré ; & d'une voix
prefque auffi éteinte que la fienne : Pourquoi
, lui dis -je , voulez -vous croire qu'elle
vous foit ravie ? Peut - être au moment
même que vous voulez mourir pour elle ,
ofe-t-elle efpérer de vous revoir & de vivre
pour vous .
Ange confolateur , me dit-il en retournant
vers moi la tête , c'eft donc peu de
vouloir me rappeler à la vie , vous effayez
encore de me rappeler au bonheur ! C'eſt
ici qu'il m'eft impoffible de vous donner
l'idée de ce que j'éprouvai en retrouvant
mon unique bien , & en le retrouvant dans
ce lit de douleur.
Mon premier mouvement eût été de
lever mon voile. Mais dans l'état de faibleffe
où je le voyais , la commotion d'uve
furpriſe auffi foudaine aurait pu lui couter
la vie. Je me retins , & cet effort que je fis
fur moi - même fut fi violent , que j'en fus
accablée. Mes genoux fléchiffaient , la coupe
tremblait dans mes mains. Heureuſement
ma furveillante , Soeur Thérefe , en s'approchant
de nous , me rendit le courage.
Elle repréſenta au malade que ce breuvage
E. était néceffaire ; & moi, reprenant mes
!
1
DE FRANCE. 23-5
elprits Allons , Monfieur , lui dis-je , au
moins pour l'amour d'elle. Ah ! pour l'amour
d'elle , dit-il , que ne ferais -je pas ! A
ces mots il faifit la coupe , & la but d'un
feul trait fans aucun figne de dégoût.
Ma compagne fut fatisfaite de la douceur
avec laquelle je parlais aux malades : c'eſt
par la fenfibilité qu'on leur témoigne , me
dit-elle , que l'on commence à les foulager :
c'eft l'ame bien fouvent qu'il faut guérir
comme la plus malade , fur-tout dans l'âge
où eft celui-ci.
Je crus voir dans cette rencontre le figne
le plus évident de la faveur du Ciel ; &
dès que je fus feule , je lui en rendis grace
à genoux , avec l'effufion d'un coeur pénétré
de reconnaiffance. Mais ce qui m'était
le plus doux , c'était de prévoir à quel point
Clofan ferait touché du moyen vertueux
que j'avais pris de lui refter fidele , & de
me conſerver pour lui.
Soeur Thérele ayant remarqué avec quelle
docilité le malade m'obéiffait , m'en laiffa
prendre foin , mais toujours fous fes yeux
& en furveillante affidue. Ah ! ce ne fut
pas cette fois que mon emploi fut méri---
toire. Et quel devoir , grand Dieu ! eût été
préférable à celui de veiller auprès du lit
de mon Amant !
A la feconde potion que je lui préſentai
: Eft-ce encore , me dit-il , pour l'amour
d'elle ? Oui , c'eft pour l'amour d'elle
24
MERCURE
encore. Ah ! du moins , fi elle le favait !
Si elle favait que c'eft le chagrin d'être
féparé d'elle qui me dévore , & qui m'a
mis dans l'état où je fuis ! Ma Soeur , en
expirant , je vous la nommerai ; vous irez
voir un bon Curé de qui elle eft connue ,
& yous lui ferez dire que je fuis mort en
l'adorant. Quelle fut ma vertu ! ou plutôt
quelle fut la force que me donna la crainte
de le faire expirer fi je me dévoilais ! Je
l'eus cette force incroyable. Non , vous ne
mourrez point , lui dis - je. Mais quelque
jour elle faura tout ce que vous aurez ſouffert
, & fon coeur vous en tiendra compte.
Elle vous faura gré fur - tout du foin que
vous nous aurez laiffé prendre des jours
qui lui font confacrés. Oui , dit- il , confacrés
jufqu'au dernier foupir ; & il tendit
la main pour recevoir la coupe.'
-
Mais tandis que je m'inclinais pour la lui
préfenter , mon voile , en s'éloignant de
mon vifage , le lui laiffa entrevoir dans
l'ombre ; & lui , d'un mouvement foudain ,
il acheva de l'écarter , ce voile qui me trahiffait.
Dieu ! grand Dieu ! c'eft elle !
-
-
A ces mots je crus le voir expirer fous
mes yeux. A mon tour , je pouffai un cri .
Ma compagne accourut, & nous trouva , lui
évanoui de faibleffe , & moi pâle & glacée ,
étendue au pied de fon lit.
Le premier foin de Soeur Thérefe fut de
ranimer fon malade ; enfuite elle m'aida
moi même
DE FRANCE. 25
moi-même à revenir de cette pamoifon ,
qu'elle me reprocha comme un excès de
faibleffe , indigne d'un état où il fallait ,
dit-elle , fe familiarifer avec la douleur & la
mort.
Enfin Clofan fut rendu à la vie ; fes
yeux fe rouvrirent fur moi. Puiflances du
Ciel ! quel regard ! Non , je ne l'oublierai
jamais. Il exprimait l'élans d'une ame qui
aurait voulu , pour paffer dans mon fein ,
fe détacher de ce corps défaillant qu'elle
animait à peine. Il fut quelques momens
fans retrouver l'ufage de la voix ; & dès
qu'il put parler : Raffurez- vous , dit - il à
Sour Therefe ; c'eft une crife que je viens
d'éprouver , & je fens qu'elle eft falutaire.
Ces mots me rendirent la vie. Mais après
cette défaillance , Soeur Thérefe & le Médecin
crurent ne pas devoir l'expofer au
danger d'un pareil accident , fans l'avoir
prémuni des fécours fpirituels ; & ils lui
furent annoncés.
Il en reçut l'avis avec férénité. C'est une
cérémonie augufte , nous dit-il ; vous y affifterez
, mes Seeûrs : vos foins me font fi
doux , fi précieux ! Nous lui promîmes ,
l'une & l'autre , de nous tenir à fes côtés ,
& les yeux , en nous rendant graces , me
prévinrent confufément de ce qui allait fe
paffer?
Ce devoir religieux ayant été pieuſement
rempli , le malade adreffant la parole an
No. 6 Février 1791 . B
26 MERCURE
1 Prêtre qui venait d'attirer fur lui l'attention
du Ciel : Monfieur , lui dit-il , ce moment
, le plus précieux de ma vie , doit
être marqué par mes engagemens les plus
faints , les plus. folennels . Daignez les recevoir.
Je jure devant Dieu , dont la majefté
m'environne , que je ne fouhaite de
vivre que pour fanctifier à l'autel l'amour
dont je fuis confumé ; je jure à celle qui
en eft l'objet de ne refpirer que pour elle ,
& , fi elle y confent , de lui étre uni jufqu'au
tombeau. Ma Soeur , ajouta- t-il en
me tendant la main , voulez - vous bien la
recevoir pour elle , cette foi que je lui engage
peut - être à mon dernier moment ?
Ma compagne , qui croyait voir un commencement
de délire , me dit de lui donner
la main pour ne pas le contrarier ; &
tout le monde fe faifait figne que c'était
le prélude d'un violent accès. Monfieur ,
dit -il au Prêtre , vous m'avez entendus
Soit que je vive , ou que je meure , je viens
en préfence du Ciel , en préfence des chofes
faintes , je viens de prendre pour époufe
Philippine Oray de Valfan ; & l'affiftance
m'eft témoin qu'elle m'accepre pour époux.
Le nom de Valfan , que mon pere avait
pris , n'était pas connu des Soeurs- Grifes ;
mais mon nom véritable , le nom d'Oray ,
comme celui de Philippine , était connu :
Therefe en fut frappés. O Ciel ! me ditelle
tout bas , c'est vous qu'il a nommée !
DE FRANCE. 127
Je gardai le filence tant que nous eûmes
des témoins ; mais quand nous fumes feules :
Que voulez-vous , lui dis-je le Ciel m'amene
ici pour y trouver, au bord du tombeau
, l'Amant que je croyais avoir perdu :
fallait-il lui donner la mort fallait- il refufer
de lui rendre la vie ? Ma Soeur , ne
me trahillez pas S'il meurt, je me dévoue
au fervice des pauvres , & je ne vivrai que
pour eux. Mais fi nous pouvons le fauver,
permettez ce que veut le Ciel , puifque , par
un prodige , il nous a réunis.
Nous le revîmes le foir même. Je lui dis
que Thérefe était dans notre confidence ,
& qu'elle refpectait la fainteté de nos engagemens
; que j'allais en inftruire notre
bon Curé de Mareuil , & le prier d'obtenir
de mon oncle que lui - même il y confentît.
-
Ce fut là le vrai baume qui , coulant
dans fes veines , guérit les plaies de fon
coeur , appaifa l'ardeur de fa fievre , & le
ramena infenfiblement à la vie & à la
fanté.
Jufques à fa convalefcence , ma compagne ,
en tiers avec nous , fut témoin du courage
avec lequel ce bon jeune homme ,' qui me
croyait auffi pauvre que lui , fe promettait
de vaincre l'infortune par fon travail & fa
conftance , en me demandant mille & mille
fois pardon de n'avoir pas des tréfors à
m'offrir. Ah ! c'en était un que fon coeur.
В 2
!
MERCURE 28
Il n'était pas rétabli encore , lorsque le
Curé de Mareuil ayant reçu ma lettre , fe
rendit à Paris chez mon Tuteur , s'en fit
connaître , & avec l'éloquence de la raifon
& de la bonté , l'ayant difpofé à l'entendre
: Monfieur , ajouta -t - il , ce n'eft pas
une opinion vaine , qu'il y ait des mariages
écrits d'avance dans le Ciel ; & de ce nombre
était celui de votre niece avec ce bon
jeune homme que vous avez fi févérement ,
fi injuftement pourfuivi. Malgré vous , &
à leur infu , ce qu'on appelle la deſtinée ,
& ce que j'appelle la Providence , les a
fans ceffe ramenés l'un vers l'autre enfin,
par tout ce qu'il y a de plus faint , de plus
inviolable , ils fe font engagés. Ils vous
demandent votre aveu.
:
Où est-elle donc cette infenfée ? lui demanda
mon oncle. Où eft-il ce raviffeur ?
Laiffez là l'invective , dit le Paſteur , elle
eft injufte; & quand même elle ferait plus
méritée , elle ferait tardive & ne remédie
rait à rien. Votre pupille eft innocente , &
rien n'eft plus pur que fon coeur. Le jeune
homme eft plus qu'innocent , il eft vertueux.
Leur amour eft déjà fans tache devant
Dieu ; & quand il vous plaira , il
le fera devant les hommes. N'attachez
point le blâme à ce que la piété la plús
tendre a fanctifié .
Je vous l'ai dit , mon oncle était dévot.
Monfieur , dit- il au Curé , j'ai rempli
DE FRANCE. 29
mes devoirs de Tuteur , je les ai remplis
en honnête homme ; & ce que j'ai fait pour
fauver ma pupille de fes égaremens , je le
crois irrépréhenfible. Pour elle , je ne puis
la voir des mêmes yeux que vous ; pardonnez
ma fincérité. Vous trouvez innocente
une jeune perfonne qui , à l'âge de
dix-fept ans , s'échappe du Couvent où fes
parens l'ont mife , & court après un amoureux
! Votre morale n'eft pas févere . Vous
trouvez bon que fans l'aveu de fon Tuteur
, elle engage fa foi ; & cet engagement
vous paraît faint ! Je m'humilie devant
vous votre état & vos cheveux
blancs m'impofent le filence , & me commandent
le refpect.
Monfieur , lui répondit en fouriant le
bon Curé , je n'établirai point en maxime
mon indulgence. Je fuis févere quand je
dois l'être. Mais à toutes les regles , même
aux plus inflexibles , il faut fe réferver
quelques exceptions , & ceci en eft une.
Votre niece s'eft échappée d'un Gouvent ,
pour aller prendre , dans un Hofpice encore
plus faint , l'habit & l'état de Sour-
Grife. C'eft auprès du lit des malades qu'elle
a paffé trois de fes plus beaux ans ; c'eft
dans le fond du Dauphiné , occupée à fervir
les pauvres , qu'elle a retrouvé fon
Amant fur le bord du tombeau. Le malheureux
l'a reconnue , & fe croyant à
fon heure derniere , en préfence du Dieu
B
3
30
MERCURE
vivant , il lui a donné fa foi. C'eft ainfi
qu'elle l'a reçue ; & c'eft-là ce que vous
& moi nous devons appeler religieux &
faint.
Mon Tuteur interdit prit alors le ton,
de l'excufe. J'ai voulu , dit-il , je l'avoue' ,
procurer à ma niece un mariage ' avantageux.
Mais enfin , puifqu'elle préfere un
fol amour à tous les autres biens , & qu'il
ne manque plus à fon bonheur que mon
aveu , je le ki donne. Geft tour ce qu'elle
vous demande , reprit le Curé : l'infortunedont
tant de monde a peur , ne l'épouvante
poine; ils auront l'un & l'autre , ou
le courage de la vaincre , on la patience
de la fouffrir une Seur- Grife deit favoir
être pauvre. Non , Monfieur le Curé , dit
mon oncle avec un foupir , non , elle n'eft
point pauvre ; & je vais lui rendre fon bien..
Qu'appelez-vous fon bien , dit le Curé ?
Eft- ce qu'elle en a ? Si elle en a , reprit
mon oncle avec douleur ! Elle a' cent mille
écus comptant , dont les deux tiers ont été
le produit du travail de fon pauvre pere.
Le refle cft le fruit des épargnes que j'ai
faites pour , elle depnis douze ans. Voilà .
des foins bien employés ! Cent mille écus ,.
dit le Curé avec étonnement ! Hélas ! oui ,
dit mon oncle toujours plus défolé , cent
mille écus en or ! Jugez , Monfieur , quel
mariage elle aurait fait fi elle eût voulu mecroire
; & quel regret ce doit être pour
DE FRANCE. 31
moi de la donner à un jeune homme qui
n'a rien. Mais elle l'a voulu , la malheureufe
! Que le Ciel foit loué ! & qu'elle
vienne le recevoir , cet héritage : il eft à
elle ; je le lui ai bien confervé.
(
Le Curé , qui depuis nous a raconté
cette fcene , ne pouvait s'empêcher de foufire
en fe rappelant la défolation de mon
oncle , & le contrafte de fes foupits avec
la joie qu'il lui caufait. Confolez-vous
lai dit-il , Monfieur , de la fortune de
votre niece ; elle en fera un bon ufage.
Elle n'oubliera point, le veu qu'elle avait
fait d'être la fceur des pauvres , & le recours
des malheureux. Il demanda bien
vîte à mes Supérieurs de me rappeler à
Paris , où de grands intérêts exigeaient ma
préfence. En même temps il écrivit à notre
jeune convalefcent de venir le trouver , fitôt
qu'il ferait rémbli.
Clofan árriva faul ; je le fuivis de près ,
& l'an de mes veux écoule me laiffant
libre , le Curé ving me prendre & ine
inena chez mon Tureur. Nons le trouvimes
radouci . Son vollin le Notaire lui
avait fait de fon Circ Péloge le plus confo-
Jant, C'était encore du Curé de Mareuil
que nous venait ce bon office; car en dépofant
le billet dont je vous ai parlé , dans
les mains du Notaire , il s'était informé
fui-même de la conduire , du caractere ,
des moeurs de ce jeune homme ; & n'ayant
B 4
32 MERCURE
rien appris qui ne fût favorable , il avait
prié le Notaire d'employer fes foins à détruire
les préventions de mon Tuteur.
Ce fut par ce même Notaire que fut
préfenté fon éleve , & se fut lui qui
fous les yeux de mon oncle & du bon Curé ,
dreffa l'acte de mon bonheur. Mon oncle
en foupirant, m'y affura fon héritage, & me
promit de n'en rien diffiper : il m'a tenu
parole. Je ne veux pas oublier de dire que
Florette fut l'un des témoins du contrat.
Le Curé nous avait caché à tous les
deux le fecret de notre fortune. Mais l'un
& l'autre nous favions le fecret de nos
coeurs , & celui là nous aurait fuffi ,
L'autre , il faut l'avouer, y ajouta pourtant
quelque chofe. Ah ! s'écria Clofan , lorfqu'il
entendit annoncer les cent mille écus d'héritage
, elle aura donc tout à fouhait ! Mais
je ferai bien plus heureux , bien plus gloieux
qu'elle , car elle ne me devra rien , &
moi je vais tout lui devoir. Je n'admets
point , lui dis- je , cette différence affligeante.
Nous nous fommes mariés pauvres ; il
tombe du Ciel une pluie d'or , nous la ramallons
en commun : nous voilà riches
tous les deux.
Ainfi fut formé ce lien. Trois enfans.
heureuſement nés en ont été les fruits : ils
ont hérité de leur pere ; & quand ma cendre
ira fe mêler à la fienne , ils auront
qu'il m'a laiffé . Ce qu'il m'a laiff , inte
DE FRANCE. 35
amis , c'eft la Terre où nous fommes. Dès
que mon mari l'eut acquife , il y appela le
Garde-Chaffe du petit bois. Il l'y établit
& entouré de ſes enfans , ce brave homme
a vieilli près de nous , avec nous : il vit
encore ; vous l'avez vu ; c'eft ce Concierge
en cheveux blancs ; fes enfans occupent
mes fermes.
L'Abbeffe apprit mon mariage ; elle en
bénit le Ciel . Mlle. de Nuify, mariée après
moi , fut mon amie intime : mes fils ont
époufé fes filles. Le bon Curé qui , dans
fa vieilleffe , était venu ſe repoſer auprès
de moi , les bénit avant de mourir. Ils ont
rempli fes voeux & les miens ; ils font
heureux enfemble. Puiffent - ils l'être auffi
long- temps que nous l'avons été ! c'eſt tout
ce que je leur fouhaite. Mais qu'ils fe gardent
bien d'enfermer leurs enfans ! car les
amours qui arrivent par la porte font bien
moins dangereux que ceux qui entrent par
la fenêtre.
( Par M. Marmontel. }
FIN.
Bi
34 MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.)
J
LEEmot de la Charade eft Culotte ; celui
old
de l'Enigmé eſt Tête-à- Tête ; celui du Logogriphe
eft Foie , où l'on trouve Oie
3110
CHARADE
zon 1 of 7..57 1.075
UN animal qui porte mon premier < ,
Palle fouvent dans mon dernier ,
Faute d'avoir les pieds dans mon entier..
( Par M. Verlhac. )
ch
EN LG ME
SOUVENT QUVENT on ne défire , & toujours on me fuit ;:
Quand j'attrape quelqu un , je le fais marcher vite;
Quelquefois je furprends , quelquefois on m'évite .,,
Et je viens rarement fans faire quelque bruit.
Je puis faire le mal , de même que le bien ;
Je fuis abfolument utile & néceflaire ;
Sa je puis contenter , je pais auffi déplaire ,.
cent chofes qui font , fans moi neferaient rien .
DE FRANCE 3.5
Je vais pendant la nuit auffi bien que le jour ; :
Et quoique quelquefois je catife une dépenſe ,.
On ne peut fe paffer long-temps de ma préfence ,
Et l'on fait fort fouvent des voeux pour mon retour.
( Par le même. ),
LOGOGRIPHE..
SANs jambes , j'ai des piods d'affez laidè figure ,,
Et toujours dans mon poſte , où je fuis câ repos ,,
Quatre femelles fur mon dós
Sont conftamment à la torture? "
Voulez-vous,, cher Lecteur , le fealpel à la main ,,
Ellayer mon anatomic ?
Ce
Commençous : je vous offre un picux Ecrivain ;;
Une mefure ; une herbe ; un terme de Chimic
Un chaffeur hypocrite ; un combat ; un pronom ;;
Un fluide brûlant ; le travail d'un Notaire
Une Sainte ; un-oifeau, le foutien d'un canon zi
que ne fut jamais un vaillant, Militaire ; ♪
L'inftrument d'Arion , dont le fon enchanteur :
Lui fit dans un dauphin rencontrer fon fauveur ;;">
La Nymphe que Phafis ne put rendre fenfible ;
Une étoffe Chinoife ; un très -grand amas d'éaily
Ce qui rend au piéton une ifle inacceffible
En France trois cirés ; la cave d'un vaffeau
Et ce qu'emploic enfip , à la ville , au village ,
Fille qui veut brillers par un joliiconfagesunions
( Par M. Lagiche fils , d'Amiens. Y
I
དཙྩུ ?
36 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
HISTOIRE du très - honorable Docteur
CASTELFORD , pere.du Lord . Vicomte de
Cherington ; contenant une Defcription
ingénue , vraie & naïve du Gouvernement
& des Moeurs actuelles du Portugal ;
traduite de l'Anglais , fur l'original envoyé
du Portugal à Londres , en 1778 2
après la mort du Capitaine Muller ;
dédiée au Lord GEORGE , Vicomte
Townsend, alors Secrétaire d'Etat . Deux
Vol. in-12. A Paris , rue Jacob , vis- àvis
la rue St-Benoit,
EST- CE une Hiſtoire ? eft- ce un Roman ?
L'Auteur ne fera point fatisfait du doute ,
car il infifte , dans la Préface , dans le cours
de l'Ouvrage même , fur la vérité de fes
aventures. De plus , le Livre eft dédié au
Lord Townfend , comme au bienfaiteur
du père de Caftelford , comme à un homme
inftruit de tout ce qui regarde cet infortuné.
Au furplus , qu'importe que ces
aventures foient réelles ou imaginaires ,
DE FRANCE..
37
fi l'Ouvrage eft attachant ? Et s'il ne l'était
pas , la vérité donnerait - elle à ces
aventures l'intérêt dont elles feraient dépourvues
? Mais cet intérêt eft conftant ,
foutenu : voilà ce qui importe au Lecteur ,
& ce qui fera le fuccès de l'Ouvrage. Il
a de plus le mérite d'acquitter ce que
promet le titre , & _de repréſenter fidélement
les moeurs Portugaifes , dont le
détail eft affez peu connu en Europe , &
même en Angleterre. Cette derniere circonftance
paraît d'abord étonnante ; mais
l'Auteur en donne la raiſon : » Nos Voyageurs
, dit - il , ne fe font guere occupés
jufqu'à préfent que des objets
relatifs à notre Commerce , que même
ils n'ont pas eu l'efprit d'éclairer ; au
demeurant , fachant très-peu la Langue
" du pays , les coutumes , & prefque
» tous étrangers aux moeurs & au carac-
» tere des Habitans. Auffi n'y faut-il chercher
que des détails fur les grains , les
vins , l'aloës , la beauté des orangers
و د
ور
""
و د
4
و ر
""
" &c ".
L'Auteur a parfaitement réparé le défaut
& les omiffions dont il fe plaint. Il
ne laiffe prefque rien ignorer fur les moeurs
privées des Portugais , tant en Europe
qu'au Bréfil ; & le fort de fon Héros ayant
été lié à un grand événement politique .
( la deftruction des Jéfuites ) , le récit dans
lequel le Rédacteur des Mémoires de

78 MERCURE
Caftelford fe trouve engagé , expofe &
développe les formes dans lequelles procedent
la Cour & le Gouvernement ; ce
qui acheve le tableau des meurs qu'on.
fe propofait d'exprimer avec fidente se
avec force . Cette peinture fi vive le devient
encore plus par le contrafte des mers
Anglaifes . 11 eft vrai que ce contrafe érait
facile , puifqu'il fuffilai: de placer en regard
deux tableaux entiérement oppofės..
D'une part , tous les vices rous les genres
de corruption & d'immoralité , més d'un
Gouvernement defpotigne & d'une édu
eation , fuperftitieufe ; de Tautre , toutes:
les vertus morales , Phabitude de tous
les fentimens hornetes , les talens , l'inf--
truction , réfultat d'une éducation religieufe :
fans fuperftition , fous un Gouvernoment.
qui ouvre l'ame à toutes les affections gé-
Hércules. Cette Verité que l'Auteur fait
fentir par-tout , & qu'il exprime quelquefois
, tempere, le mépris qu'infirent les
meurs Portugaifes , par un fentiment de
pitié pour une Nation malheureufe à qui
des fuperftitions monacales , favorifées par
le Gouvernement , ont fait adopter des
principes vicieux qu'il n'était pas en fon:
pouvoir de rejeter. Il femble que le Couvernement
, même commence à fentir fa
faute , & qu'il voudrait diminuer l'épaiffeur
de fés ténebre . 1's ordonné la rimpreflion
des bons Livres Français ; ( oni
DE FRANCE 39
CE
.
I
entend affez qu'il s'agit de ceux du fiecle ).
Ha fait plus encore ; il à défendu la réimpreflion
des Livres de myfticité. C'eft
beaucoup ; mais de long-temps it n'ofera fans
doute aller plus loin. La punition d'avoir
aveuglé les hommes , eft de craindre le moment
ou leurs yeux fe rouvriront à la lu
miere. Au furplus , la Révolution Fran
çaiſe a peut- être rendu là fuperftition plus
févere , & le Defpotifme plus attentif. Ill
fe peut que ce qui était vrai quand l'Auteur
Anglais le difait en 181 , ait ceffé
de l'être lorfque fon Traducteur le répete น
en 17994B on
Le fond de cette Hiftoire , ou , fi l'ont
veut de ce Roman , eft peu fufceptible!
d'extrait. Développé , il ferait trop long ; :
reblerrés, il ferait d'un intérêt trop inférieup
à celui de l'Ouvrage. Plufieurs fituations
font netes& attachantes . Caftelford,
victime du Défpotifme en Europe , & du
Fanatime au Brésil Arabelle Dyfon , fa
femme, victime de l'amour: filial, & achetant
, au prix d'un exil éternel , dans une
contrée inconme , là délivrance de fon
pere , vieillard infouciant qu'elle connaif
fait à peines e la refpectable Duchelle de
Melindea nonagénaire & active pour le
bien mélantas routes les fuperftitions
Portugaifes la plus noble & là plus tou
chance bienfaifance , croyant que les pricres :
du pauvres de la veuve & de l'orphelin :
L
40 MERCURE
Jui appartenaient en propre ; tous ces caracteres
pénetrent l'ame d'une tendre admiration.
L'exécrable Prêtre , Prieur de St-
Jean-de-Dieu, auteur des maux de Caftelford
Europe , & fur -tout l'affreux Evêque de
Riojaneiro , vrai Tibere mitré , qui confomme
la ruine de ce même Caftelford en
Amérique , font des portraits tracés de
main de maître .
La plaifanterie n'eft pas plus étrangere
à l'Auteur que le pathétique , & jette
dans fon Ouvrage une agréable variété. La
morale y eft préfentée d'une maniere piquante
, & réſulte
& réfulte pour l'ordinaire du fimple
récit des faits & du choix des circonftances
habilement rapprochées. Mais ce
qui eft fort au deffus des détails de morale
particuliere , c'eft le but vers lequel
l'Ouvrage eft dirigé . Il rend fenfible une
vérité bien importante ; c'eft que le Defpotifme
& la fuperftition deviennent le
fléau de ceux même qui fe font les inftrumens
dans le deffein d'en profiter ; c'eft
que le plus humble Citoyen d'un pays li
bre , foumis à une Religion fans fanatifme
, jouit d'une exiftence plus heureuſe que
les premiers fujets , & fouvent que le Chef
même d'un Empire livré au Defpotifme
& à la fuperftition.
( C ....... )
DE FRANCE. 21
É TRENNES SENTIMENTALES , OU
Choix de Profe & de Poéfie , propre à
former les qualités du coeur. A Falcife ,
chez Bouquet , Imprimeur- Libraire ; & à
Paris , chez les Mds. de Nouveautés.
CE Recueil , fait avec goût , nous a paru
l'un des plus agréables de ce genre. Il
remplit parfaitement fon titre : toutes les
pieces qu'il renferme refpirent la plus douce
fenfibilité. Il eft compofé de morceaux , la
plupart connus , mais épars , & qui , ainfi
raffembles , en produifent mieux leur effet ,
celui de difpofer l'ame à la tendrelle &
d'y répandre une mélancolie agréable . On
ne peut faire connaître ces fortes d'Ouvrages
que par des citations. Nous rappor
ierons une Ballade Ecoffaife , courte , peu
connue , & qui nous a paru d'une finguliere
naïveté.
""
Quand les brebis font dans le parc ,
quand notre vache eft rentrée dans l'étable ,
quand tout le monde jouit du repos , fi
doux après la fatigue , les peines de mon
coeur font couler des larmes de mes yeux
à l'infu de mon mari , qui dort à mes côtés
d'un profond fommeil .
» J'étais tendrement aimée du jeune
42 MERCURE
Jemmy. Il voulait m'avoir pour femmes
mais il n'avait pour tout bien qu'une demicouronne
( un écu ) . Mon Jeminy s'einbarqua
dans l'efpérance d'en faire une guinée ;
& la demi-couronne & la guinée devaient
toutes deux m'appartenir.
"3
Il n'y avait pas encore un an & un
jour que mon bien-aimé était abfent , lorf- .
que mon pere fe rompit un bras , qu'on
nous vola notre vache , & que ma mere
tomba malade. Mon Jemmy était abfent ,
& le vieux Robin Gray vint me faire la
cour.
ود
Mon pere ne pouvait cultiver fon
champ ; ma mere ne pouvait filer. J'avais
beau travailler nuit & jour , je ne pouvais
gagner affez rour leur fubfiftance. Le vieux
Robin les fit vivre ; & la larme à l'oeil , il
me dit O Jenny ! pour l'amour de ton
" pere & de ta mere , veux-tu confentir à
» m'époufer ?
:

....
» Mon pere m'adreffa des paroles dures ?
ma mere ne me dit rien ; mais elle me regarda
en face , tant que mon coeur fet près
de fe brifer. Iis accorderent ma main au
vieux Robin Gray , pendant que mon coeur
était à Jemmy.
"
Je n'étais pas mariée depuis plus de
quatre femaines , lorfqu'un jour , triftement
affife fur le feuil de ma porte , je crus voir
DE FRANCE.
l'ombre de Jemmy. Je m'apperçus que c'était
lui-même , à ce difcours qu'il me tint:
C'eft moi , ma chere Jenny , c'eft moi qui
viens pour t'époufer.
Combien le plaifir de nous revoir fut
mêlé d'amertume I que de chofes nous nous
dîmes ! Je ne lui donnai qu'un feul baifer ,
& lui commandai de s'en aller. Je voudrais
étre morte ; mais il n'y a pas d'apparence
que je meure. O qu'il me fâche d'être fi
jeune !
J'erre comme un fantôme ; je ne travaille
plus. Je n'ofe penfer à Jemmy , car
ce ferait un péché : mais je veux faire mon
poffible pour être toujours bonne envers
Robin Gray ; car ce digne Robin Gray
il fe comporte fi obligeamment envers
moi ! "
On aime à retrouver dans ce Recueil
le Difcours prononcé par le Roi à la
Fédération . Les différens Difcours de ce
Monarque formeraient eux feuls les Etrennes
Sentimentales les plus intéreffantes.
A.
44 MERCURE
SPECTACLES.
THEATRE ITALIEN .
LE charmant Epifode des Etudes de la
Nature, par M. Bernardin de Saint- Pierre ,
intitulé Paul & Virginie , a fourni le fujet
d'un Mélodrame que l'on donne depuis
quelque temps avec beaucoup de fuccès
au Théâtre Italien . L'intrigue , comme on
fait , en eft fort peu compliquée ; cependant
l'Auteur , fans y rien ajouter , a eu
l'art de foutenir l'attention , pendant trois
actes , par des détails très-agréables , & des
tableaux pleins d'intérêt .
Des Critiques féveres & froids pourraient
faire quelques reproches à la conftruction
dramatique de cette Piece , à la maniere
dont la fable eft difpofée. On pourrait re
marquer que le premier acte ne tient en
rien à l'action , que l'expofition commence
au fecond acte , & d'une maniere peu
naturelle , puifqu'il n'eſt pas vraisemblable
que la mere de Paul & celle de Virginie ,
qui vivent enfemble depuis 14 ans , ne ſe
foient pas encore confié leurs malheurs ;
mais ce n'eft pas à la repréfentation qu'il
ferait poffible d'être bleffé de ce défaut
DE FRANCE. 45
1
On
On y eft entraîné par des émotions trop
douces ou trop vives , pour être fenfible
à autre chofe qu'à l'effet des tableaux
qu'on a fous les yeux ; fur- tout celui du
troifieme acte , le naufrage de Virginie &
le dévouement courageux de fon amant
pour la fauver , eft véritablement déchirant.
Nous ne ferons pas d'analyfe de cette piece,
dont l'Auteur a fuivi le Roman pas à pas.
Il y a des chofes très-eftimables dans la
mufique. Elle eft de M. Creitz , Auteur
de celle de la Pucelle d'Orléans On a
remarqué avec plaifir des progrès fenfibles
dans le talent de ce jeune Compofiteur.
Ce nouvel Ouvrage offre plus d'originalité
dans le chant , moins de prétention à l'harmonie
, & plus de connaiffance de la fcene
que le premier. Elle fait honneur à ſon goût
& à fa docilité. Un air de Virginie , le morceau
qui termine le fecond acte & la tempête
, ont fur- tout réuni les fuffrages des
Connaiffeurs & les applaudiffemens du
Public. Mde. Saint - Aubin & M. Michu
rempliffent les rôles de Virginie & de Paul
avec beaucoup de chaleur , d'intérêt & de
fenfibilité.
On a donné auffi avec grand fuccès une
Comédie de M. Fabre d'Eglantine , le
Convalefcent de qualité ; il y peint avec
l'énergie qu'on lui connaît les anciennes
prétentions ridicules & coupables des gens
de la Cour.
46
MERCURE
NOTICES.
Les Chef d'Euvres d'Horace , novellement
traduits en français , avec le latin à côté , & des
notes pour l'intelligence du texte ; précédés de la
Vie d'Horace , extraite de italien d'Algarotti.
2 petits Volumes in - 12 . A Pars , chez Regent &
Bernard , Libr . quai des Auguftins , Nº . 37.
Ce petit Recueil , utile pour les jeunes gens
qui étudent Ho ace , & même pour les hommes
faits qui fe plaifent à le méditer , devait plutôt
s'intituler Choix de Poéfies d'Horace ; car toutes
les Pieces de ce Poëte Philofophe peuvent pafler
pour des Chef - d'Ouvres , mais elles ne font pas
toutes d'un égal intérêt , & ce font les plus intérefantes
qu'on a raffemblées ici.
On trouve chez les mêmes Libraires un affortime..
t de Livres fur les Mathématiques , l'Architecture
, l'Art Militaire, la Phyfique & l'Hiftoire
.
Vie privée du Maréchal de Richelieu , contenant
les amours , fes intrigues , & tout ce qui a
rapport aux diveis rôles qu'a joués cet homme
célebre pendant plus de 80 ans. ; Volum . in - 8 °.
formant 1400 pag. imprim es avec des caracteres
de M. Didot . Prx , 13 liv . 10f. br. pour Paris , &
15. port franc par la Pofte dans tout le Royaume .
A Paris , chez Buiffon , Libr. rue Haute-feuille . ,
Nous reviendrons fur cet Ouvrage curieux.
DE FRANCE. 47
Jugemens remarquables en mieux on en pis , ou
Journal des nouveaux Tribunaux . Ex ungue
Lonem . Année 1791 ; Janvier, ire. Quinzaine.
Au Bureau des Rédacteurs , rue Mazarine , Nº. 47.
Pour faire connaître , d'une maniere franche´
& sure , les Juges & les Tribunaux , il ne faut
que donner une plus grande publicité à des pieces
publiques , à leurs jugemens ; car à l'oeuvre on
connait l'ouvrier. Ce Journal , dont l'objet eft
curieux & utile , fera comme le thermometre des
nuveaux Tribunaux. Il fera la gloire des bons
Jures , & punira les autres du tort d'avoir accepté
des places qui n'étaient pas faites pour eux .
Il nous paraît rédigé dans d'excellens principes.
Conftitution des principaux Etats de l'Europe
& des Etats- Unis de l'Amérique , par M. de la
Croix , Profeffeur de Droit Public au Lycée. 2
Vol. in-8 ° . de près de sco pages chacun . Prix ,
8 liv. br. pour Paris , & 9 liv. port franc par la
Pofe pour tout le Royaume. Chez Buiffon , Lib.
rue Haute-feuille , N° . 20.
Cet Ouvrage eft la Collection des Difcours que M.
de la Croix à prononcés au Lycée , où l'année dernicre
il profeflat le Droit Public . Il y développe
les principes de la Conflitution des divers Etats ,
& les compare à ceux fur lesquels -s établit la
nôtre. Ce farallele fur une mat ere fi importante
& devenue d'un intérêt fi général , eft fait avec
beaucoup de clarté . Ces Difcours re peuvent
manquer d'avoir à la lecture un fuccès égal à
celui qu'ils ont déjà obtenu dans la bouche de
l'Auteur.
48 MERCURE DE FRANCE..
GRAVURES.
15e. Livraiſon des Figures de l'Hiftoire de
France, gravées d'après les deffins & fous la
direction de M. Moreau le jeune , Deflinateur
& Graveur du Cabinet du Roi , & de fon Académie
Royale de Peinture & de Sculpture. A Paris ,
chez l'Auteur , rue du Coq-Saint-Honoré. Prix ,
24 liv. avec le Difcours.
L'Auteur actuel , M. Moreau , avait annoncé ,
en 1785 , que cet Ouvrage n'ayant pas été dans
fes commencemens heureuſement exécuté fous la
direction de feu M. Lebas , il avait cru devoir
fupprimer les 29 premieres Planches avec leurs ditcours
, four les remplacer par 12 autres , dont il
indique les fujets .
Ja Livrai on qu'il publie aujourd'hui eft compofée
de ces douze Numéros , qui rempliffent
Tefpace depuis la fondation de la Monarchie ,
ju'au fupplice de Brunehaut ; & de 4 Cartes
geographiques , avec leur explication.
La Collection complette eft actuellement de
155 Figures , y compris les 4 Cartes ; & le prix
de la toralité cft de 163 liv.
Le nom de M. Moreau , connu par les Froductions
les plus intéreffantes & les plus précicules
, fait fufamment l'éloge de cet Ouvrage,
propre d'ailleurs à fixer des élémens de 10 re
Hiftoire dans l'efprit des jeunes gens par le fecours
des yeux .
EXPITAS.
TABLE.
le Déjeunes du Village.
Charade, Enig. Logog.
Hfioire.
3 Etrennes Sentimentales. 41
Théatre Italien.
34
Notices.
39
44
46. *
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 12 FÉVRIER 1791 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
HOMMAGE DE LA NATION
A JEAN - JACQUES ROUSSEAU.
O D E.
DANS les jours glorieux d'Athenes & de Rome ,
Lorfque la mort jalouſe abattait un grand homme
C'était pour la Patrie un long fujet de deuil.
Sufpendant les travaux & les fêtes publiques ,
Et fes foins domeſtiques ,
Le Peuple allait en foule embrager le cercueil.
Chaque jour inventait quelque nouvel hommage ;
L'époufe , les enfans du Héros ou du Sage ,
Nº. 7. 12 Février 1791. C
$ ༠
MERCURE
Ses amis & les lieux qu'embellit fon ſéjour ,
Tout ce qui, dans les coeurs , retraçait la mémoire ;
Revêtu de fa gloire ,
Appelait le refpect , les bienfaits & l'amour,
France , te voilà libre : un monftre facrilége ,
Des talens , des vertus effrayant le cortége ,
De fonges impofteurs repaiffait ton fommeil ( 1) ,
Sans bruit t'enveloppait , au milieu des ténebres ,
De les langes funebres :
Rouffeau fe fit entendre ; il força ton réveil.
Eh ! puifque tu lui dois ta nouvelle exiſtence ,
Où font les monumens de ta reconnaiſſance ?
Quels prix & quels honneurs ont payé les bienfaits ?
Quoi ! dans cette ifle encor ,fur un tombeau précaire,
Son urne folitaire ( 2 )
Semble fuir les regards des Tyrans inquiets .
Ses jours, qu'il confumait à diffoudre nos chaînes ,
Se traînaient à travers les affronts & les haines ;
( 1 ) Il faut être vrai , même en Poésie. Le Deſpotifme
du Gouvernement Français était doux & mou . Mais
en cela même il n'était que plus dangereux ; il énervait
& abâtardiffait les ames : auffi nous commencions à nous
faire un jeu de la fervitude.
(2 ) A Ermenonville , qui appartient à M. Girardin ,
TELOTERCA
DE FRANCE.
La Mort même l'a vu pourſuivi dans fes bras :
Et nous abandonnons , par un oubli funefte ,
Ce déplorable refte !
Avec la Liberté , nous fommes des ingrats !
Ne pouvant s'arracher au trifte mauſolée ,
Scule avec les regrets , l'époufe défolée
De fouvenirs amers entretient fes douleurs.
Le nom de fon époux et tout fon héritage ;
Et ce feul avantage
D'un barbare deftin adoucit les rigueurs.
Oui ( 1 ), nos Sociétés n'enfantent que des vices ;
Le Sauvage ignorant fait le prix des ſervices :
Il met fes Bienfaiteurs au nombre de ſes Dieux ;
Et ce Siecle , embelli par un mafque perfide ,
Suit conftamment pour guide
L'intérêt concentré dans fes calculs honteux.
Mais quoi ! l'ifle s'ébranle , & la terre s'entrouvre ;
Du Tombeau tout à coup l'abîme fe découvre.
Eft-ce un homme ? eft-ce un Dieu ? ...... tombons
fes genoux .
C'eft Rouffeau: de fa voix l'éloquence terrible
(1 ) Rouſſeau , comme tout le monde fait , prétendait
que l'homme avait été deſtiné à vivre fauvage.
C2
MERCURE
Sur toi , Peuple inſenſible ,
Va fans doute du Ciel appeler le courroux.
» Jeune homme , c'eft toi feul que mon coeur défa-
» voue ;
» Un aveugle tranſport de ta raiſon ſe joue :
» Apprends que notre gloire eft l'ouvrage du temps,
» Ils ont brifé leurs fers , voilà ma récompenfe :
>> Attends donc en filence :
» Crain's d'imiter Rouffeau par des emportemens.
» J'ai vu des Peuples ferfs fous un maître inhabile....
» Dans des Ecrits vengeurs je diftillai ma bile ;
» Et fouvent je courus loin de la vérité :
» Mais du moins , au milieu de mes erreurs fans
"
» nombre , 33
» Je l'aimais dans fon ombre ,
Que j'ornai des couleurs de la réalité.
» Raynal enfin jouit de toute fa Patrie ( 1 ) ;
» Ils ont pleuré Francklin ; une Secte Aétrie
A recouvré les champs , fes droits , une cité.
» La France à l'Univers donne un fublime exemple ;
(4 ) Tout ce que M. l'Abbé Raynal put obtenir fous
l'ancien Régime , ce fut de demeurer à zeo licues de
Paris feulement , en Provence.
DE FRANCE.
$3
» Je vois
» Et quand je la contemple ,
que l'homme eft fait pour la Société. -
» Mais entends-tu ces cris, ces tranſports unanimes,
» Ces éloges , ces dons , ces décrets magnanimes ?
» Mon nom eft proclamé dans le Sénat Français :
» Ceffe enfin , tendre époufe, une plainte importune;
» Il n'eft plus d'infortune :-
- Leve un front abattu ; jouis de mes fuccès.
» Ah ! dans mes traits du moins , que le cifeau fidele
» Exprime mon amour , ma tendreſſe éternelle

» Pour ce pays heureux qu'avait choifi mon coeur ,
»Que toujours je cherchais en dépit de l'orage.
» Au delà du nuage ,
» De loin j'appercevais ſa future ſplendeur.
» Où font ces hommes vils qui , fuyant la lumiere ,
» D'obſtacles renaiflans hériffaient ma carriere ?
» En abuſant des Loix , ils m'avaient outragé.
» Tout un Peuple établit fur leurs ruines même ,
» Ma gloire & mon ſyſtême.
»Des maux que j'ai foufferts , je ſuis affez vengé.
» Des ennemis publics quel eſt donc le délire ( 1 ) ?
» La Raifon a changé la face de l'Empire ,
( 1 ) Bien des gens croient que Rouffeau a condamné
54
MERCURE
» Et prefcrit des devoirs avant moi peu connus.
» Ils veulent aujourd'hui qu'à foi -même infidele ,
» Ma plume criminelle
» Ait protégé l'orgueil de ces Grands difparus .
C
→ Yous , qui d'un Peuple entier portez en vous
» l'image ,
ל כ
" O Peres de la France , achevez votre cuvrage ;
» Placez la Liberté fur le Trône des Loix.
» Etpuiffe, à fon aſpect , jufqu'aux bornes du Monde,
» Pâlir la troupe immonde.
»Des Tyrans inhumains , parés du nom de Rois !
ל כ
1
Que ne puis-je avec vous , dont la vertu m'en-
» flamme ,
» Chercher la vérité , la puiſer dans votre ame !
» Mais on m'appelle : il faut defcendre aux fombres
» lieux ,
» Où Brutus & Caton , Decius & Defilles ,
» Dans nos triftes afiles ,
» En parlant des Français , fe confolent entr'eux «<,
(Par M. Paris , de l'Oratoire. )
d'avance plufieurs opérations de l'Affemblée Nationale ;
ils ont , fans doute , mal faili les opinions de ce Philofophe
, ou les rconftances de la Révolution .
DE FRANCE.
$ 5
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Gharade eſt Bateau ; celui
د
de l'Enigme eft Pluie ; celui du Logogriphe
eft Chevalet de violon , où l'on trouve Luc
Velte, Aché, Lut, Chat, Lute , Cela, Lave,
Acte, Luce, Alete, Chevet , Lâche, Luth, Ea,
Cha, Lac, Eau, Alet, Eu, Leucate , Cale,
Lacet.
CHARADES ,
Sur l'Air : Vous qui d'amoureuſe aventure.
A MILE. É ... H ... DE BOLOGN I.
POURun
OUR une amoureuſe aventure "
Mon premier eft un mois charmant ;
Souvent dans votre chevelure ,
Mon fecond flotte élégamment .
Cherchez , devinez , devinez ; mais pour mieux me
.comprendre ,
Mon tout eft l'objet qui regne par le plus beau droit :
Il est celui que tout coeur vendre
Défire à l'inftant qu'il vous voit.
C 4
56
MERCURE
A MM L. L... T ... DE GINÎ ▼
L'INSTAN
' INSTANT où l'on vous voit paraître ,
Coute à la raiſon mon premier ;
Car auffi-tôt l'on veut vous être
Ou mon premier ou mon dernier.
Cherchez , devinez , eſpérez , eſpérez fans ceffe ;
On fait mon entier pour voir un objet accompli ;
Dès qu'on vous voit , mon entier ceffe ,
Et le voeu du coeur eft rempli.
MLLE. DE M... DE LAUSANNE.
QUAND UAND Votre bouche me prononce,
En foupirant l'on me répond :
Car, de Miere , en vous tout annonce
Le chef-d'oeuvre de mon fecond.
Cherchez mon premier dans l'enfant que nous peint
votre vue ,
Il eft mon fecond , cet enfant , en régnant fur
vos pas ;
Mon tout , dès qu'on vous à connue ,
Se renverrait jufqu'au trépas .
( Par M. V... de G ... )
གོ ༦༧༩
DE FRANCE.
$7
ENIG ME.
ON ne voit pas les plus parfaits Amans
S'aimer toujours d'une égale tendreſſe ;
Ainfi que les plaiſirs l'amour a ſes tourmens :
D'où vient que l'on fe boude entre Amant & Maîtreſſe
?
L'Amitié même , au fein de fes épanchemens ,
Voit ſe brouiller des amis dignes d'elle ;
Dans les noeuds de l'Hymen fur- out on fe querelle.
Jufqu'ici, chers Lecteurs, vous ne me trouvez points
Je le crois bien ; je fuis la méfintelligence ,
Et c'eft elle pourtant ( il faut noter ce point )
A qui je dois ma fragile exiftence.
Je confole l'amour par ma douce influence ;
En les rendant plus vifs , j'ajoute à ſes plaiſirs ;
Il m'invoque en fecret , le coeur gres de foupirs ,
Lorſqu'il craint d'abuſer trop long-temps les défirs
Par une feinte indifférence.
Sans avoir calculé le prix de mes faveurs ,
Il s'expofe au befoin d'en chérir les douceurs ;; .
Il met alors en moi toute fon efférance.
( Par un Abonné. )
C
S
$8
MERCURE
.
LOGO GRIPHE.
JE fuis un vice , il faut en convenir ,
Un vice affreux , & que l'on doit haïr ;
De l'indolent , ordinaire apanage ,
Dans les cités plus commun qu'au village.
Avec grand foin , jeune homme , évite- moi ,
Si tu veux dans la fuite occuper un emploi.
De mes fept pieds dérange la ſtructure ,
Tu trouveras ce qu'à faire en meſure
Apprend à fon Eleve un bon Maître à danfer ;
Un inftrument propre à pulvériſer
Be fucre & le tabac ; un ton de la mufique ,
Avec un mot chronologique ;
Je t'offre encor le titre le plus doux
Auquel afpire un vertueux époux ;
Ce que fait tant gémir maint Ecrivain vulgaire ;
Et ce qu'on trouve enfin trop court au Séminaire .
( Par un Abonné. )
༦.༧༩
DE FRANCE. 59
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
VIES des Surintendans des Finances , &
des Contrôleurs- Généraux ; depuis ENGUERRAND
de MARIGNY jufqu'à nos
jours. A Paris , chez Debray , Libraire ,
au Palais - Royal. 3 Volumes in - 12.
Prix , 7 liv. 10 f.
ور
و ر
""
و ر
و د
UN homme de Lettres , & , qui plus
eſt , d'efprit ', a dit de cet Ouvrage :
C'est vraiment une Hiftoire à peu près
complette des Surintendans des Finan-
» ces , puifqu'elle commence par Enguerrand
de Marigny , qui fut pendu , &
» finit par l'Abbé Terray , qui méritait
de l'être «. Du temps de ce dernier , la
mode en était paffée : elle régna long-temps ;
& cette place fi délicate l'était bien davantage
, il en faut convenir , lorfqu'elle
était fujette à cette efpece de refponfabilité.
Elle l'était d'autant plus , que cette
refponfabilité était arbitraire , & n'était
point prononcée par la Loi , généralement
& pour tous , mais exercée particuliérement
contre tel ou tel Miniftre , prévaricateur
ou non , felon la fantaisie du
Defpotifme.
C 6
do MERCURE
Enguerrand de Marigny , premier pendu
de cette lifte , ne le fut point pour caufe
de concuffion. Il avait , à la vérité , engagé
Philippe le Bel à voler fon Peuple en
l'accablant d'Impôts , à le friponner en
altérant les monnoies ; mais ces peccadilles
, communes à tant d'autres Surintendans
, font effacées en quelque forte par
l'admiffion aux Etats-Généraux qu'il procura
aux Députés des villes . C'eſt le prémier
pas vers cette Liberté que les villes
& les campagnes n'ont reconquife toute
entiere que cinq fiecles après.
Ce fut la haine de Charles de Valois ,
oncle du Roi Louis Hutin , fucceffeur de
Philippe , qui vint à bout de renverſer
Enguerrand , de le faire arrêter , juger &
pendre , non pour avoir volé ou dilapidé
les Finances , mais parce que la femme
& la foeur de cet infortuné Miniftre furent
accufées d'avoir eu , pour le fauver , récours
à des fortiléges , & d'avoir envoûté
le Roi , Meffire Charles , & autres Barons ' ;
e'eft-à-dire fait faire leur figure en cire , pour
exercer fur eux des fortiléges , crime que
dans ce temps-là on parvenait à prouver
tout comme un autre.
Gérard de la Guette , qui ne fr envoûter
perfonne , mais qui fut foupçonné ,
fous Philippe le Long , d'avoir détourné
à fon profit une fomme équivalente à
vingt milions d'aujourd'hui , mourut dés
DE FRANCE.
3
fuites de la queftion où il fut mis fur un
cheval de bois , après avoir jufqu'à la fin ,
quoique coupable , protefté de fon innocence.
Son corps n'en fut pas moins traîné
par les rues , & porté à Mont-Faucon
comme l'avait été celui de Marigny.
Pendu & porté à Mont- Faucon , c'eft
ce que fut encore fon fucceffeur Pierre
Remy , voleur de la même fomme ; mais
qui fupporta moins bravement la queftion
, & ne fut condamné qu'après avoir
avoué fon crime. On a remarqué que ces
fourches patibulaires avaient porté malheur
à tous les gens en place qui s'en étaient
mêlés. Marigny les fit élever , & y fut attaché
le premier. Pierre Remy les fit rẻ-
parer , on vient de voir ce qui en arriva
& long-temps après , Jean Monier , Lieutenant-
Civil , y ayant fait mettre la main ,
s'il n'y fut pas pendu , comme les deux
autres , y fit du moins amende honorable .
Jean de Montaigu , fous Charles VI ,
fut porté & fufpendu , après avoir eu
la tête tranchée, pour fpoliation du Tréfor
public. Pierre des Effarts , alors Prévôt de
Paris , fut chargé de le faire arrêter &
exécuter ; & ce même Pierre des Effarts ,
après avoir été Surintendant des Finances ,
s'étant avifé de vouloir enlever le Roi &
le Dauphin , fut pris , décapité , & fon
corps pendu au même gibet où il avait
fait attacher celui de Montaigu.
62
MERCURE
Pierre de Gyac , fous Charles VII ,
condamné pour concuffion & autres méfaits
, eft jeté dans la riviere avec une
pierre au cou. Camus de Beaulieu fon
fucceffeur , eft affaffiné fous les yeux du
même Roi , qu'il volait de même.
,
Remarquez bien que depuis Enguerrand
jufqu'à Beaulieu, pas un de ces Miniftres ne
finit par une mort naturelle. Jacques Coeur,
célebre par fes immenfes richelles & par
les grands fervices qu'il rendit à Charles
VII , excità l'envie & la cupidité par les
premieres , & ne fut payé des ſeconds que
par l'exil.
Voici enfin un Surintendant qui meurt
dans fa place & dans fon lit ; c'eſt Florimond
de Robertet , Miniftre du bon Roi
Louis XII & de François I. Mais Semblançai
, fucceffeur de Florimond , fut
moins heureux . Il eut la faibleffe d'accorder
aux inftances de la Comteffe d'Angoulême
, mere du Roi , cent mille écus promis
au Maréchal de Lautrec , qui commandait
en Italie ; ce qui fit manquer la
campagne . Semblançai fut obligé d'avouer
ce qu'il avait fait de cette fomme ; mais
la Comteffe le démentit hardiment , & jura
fa perte. Elle eut la baffeffe & la noirceur
de fouftraire fes quittances par le moyen
d'une de fes femmes , qui vivait avec le
Secrétaire de Semblançai . Alors elle importuna
le Roi fon fils , jufqu'à ce qu'il
DE FRA N ČE. 63
l'eût fait arrêter & nommé des Commiffaires
pour le juger. Le procès dura cinq
ans , fans qu'elle fe refroidît fur fa vengeance
, qui fut enfin fatisfaite , & Semblançai
pendu .
Gilbert Bayard mourut de chagrin ,
enfermé dans une prifon , fous Henri II ,
pour s'être permis quelques plaifanteries
fur l'âge de Diane de Poitiers : les meres ,
les femmes & les maîtreffes de Rois ont
plus d'une fois été fatales aux Miniftres
des Finances ; mais de quoi s'avifait celuici
, de remarquer que la belle Diane avait
bien fa quarantaine ?
Rien que la mort n'était capable
D'expier ce forfait ; on le lui fit bien voir.
Là fe termine ce qu'on pourrait nommer
l'ere critique des Surintendans des
Finances ; aucun depuis ne paya de fa
tête fes malverfations , fa facilité , ni fes
refus . Ce n'eſt pas qu'on n'eût pu rechercher,
par exemple , cet Artus de Coffé , dont
la femme , préfentée pour la premiere fois
à la Cour , un an après la nomination de
fon mari la Surintendance , dit fi naïvement
à la Reine : » Ma foi , nous étions
» ruinés fans cela , Madame ; car nous de-
» vions cent mille écus . Dieu merci , nous en
fommes acquittés , & nous avons gagné
» de plus cent mille écus pour acheter
و د
MERCURE
:
و د
quelque belle terre «. Il y avait là de
quoi faire le procès à un Miniftre roturier
; mais Artus de Coffé était trop grand
Seigneur pour cela . La Reine & toute la
Cour ne virent que du côté plaifant la
franchife de la femme , & le déconcertement
du mari .
99
:
Bien prit encore de n'être pas né Bourgeois
à ce François d'O , l'un des Miniftres
les plus fripons & des plus effrénés
diffipateurs qui aient eu le maniement de nos
Finances c'eft à fon fujet que Sully dit ,
dans fes Mémoires , " que Henri IV , dans
» fes plus grands befoins , ne put jouir du
privilége de partager fes propres revenus
» avec le Surintendant « : mais malgre fon
luxe fcandaleux , fa dépenfe royale dans
des temps de calamités , fes pilleries évidentes
& connues , comment armer , pour
affaires d'argent, la févérité des Loix contre
un homme qui avait été , fous Henri III ,
premier Gentilhomme de la Chambre ,
Chevalier des Ordres , Gouverneur de Paris
& de l'Ile de France ; qui avait même
eu l'honneur d'être mignon du Roi , &
qui , à cette derniere dignité près , les conferva
toutes auprès de Henri IV , avec
celle de Surintendant des Finances ?
Une époque bien remarquable dans
'Hiftoire de ce Miniftere , c'est celle où
naît enfim , après une longue routine , un
fyftême d'adminiftration des Finances ;
DE FRANCE. 65
21
$
c'eft celle du Miniftere de Sully : elle eft
ici traitée avec détail & avec foin . L'article
de ce grand homme eft un très bon
extrait de fes Mémoires ; un extrait de cet
extrait , ferait infuffifant ou fuperflu. Il y
a trop à dire fur l'ami de Henri IV , pour
en parler en peu de mots. Par une raiſon
contraire , on doit paffer rapidement en
revue la plupart de ceux qui le fuivirent
, l'honnête & faible Préfident Jean
nin , & Schomberg , la Vieuville , Marillac ,
à qui l'on ferait même embarraffé pour
donner des épithetes qui leur fuffent propres.
On peut s'arrêter un moment au Marquis
d'Effiat , qui joignit , comme Sully
qu'il fembla prendre pour modele , à de
grands talens pour l'adminiftration intérieure
, la valeur guerriere & l'art des
négociations. Peut - être ne lui manqua
t - il , pour faire d'auffi grandes chofes ,
qu'un Roi dont on pût être l'ami.
Bullion , Bouthiller , Bailleul , d'Emery
ne fervent que de tranſition jufqu'à Nicolas
Fouquet , fameux par fa difgrace ,
& par l'amitié de Péliffon & de La Fontaine.
Que d'apprêts pour le renverfer , &,
qu'on nous pardonne ce mot , que de platitudes
on fit faire au grand Roi ! La
Cour ne fut que ce qu'elle a toujours été ,
baffe & flatteufe pendant la faveur du
Miniftre , lâche & perfide après fa chute.
$ 6 MERCURE
"
Au moment où il fut arrêté , il était environné
d'une foule de Courtifans qui femblaient
fe difputer l'honneur d'en être regardés.
D'Artagnan l'arrête de la part du
Roi. » Auffi - tôt , dit l'Hiftorien , & on
le croira fans peine , cette foule de Courtifans
difparut : il n'en refta pas un feul ,
pour le confoler ou le plaindre « . Par une
faute très - fimple de typographie , on lit
dans le texte Courtifanes au lieu de Courtifans
, & l'on fourit involontairement de
cette méprife pardonnable.
Après Colbert qui lui fuccéda , & qu'il
fuffit de nommer pour fa gloire , viennent
un le Pelletier , un Pontchartrain , un
Chamillard , dont les noms ne rappellent
que faibleffe & médiocrité ; un Delmarets
, qui du moins fut le premier à rendre
un compte public de la fituation des Finances
de l'Etat ; un Noailles , Préfident
du Confeil des Finances , trop fage pour
la Cour , fur- tout pendant la Régence
& qui aima mieux quitter fa place , que
d'adopter les projets féduifans & ruineux
de ce Law , qu'il fuffit auffi de nommer
pour fa honte.
>
Le refte , jufqu'à l'Abbé Terray , n'offrirait
qu'une lifte très - aride. Quant à ce
dernier Miniftre , fur lequel il n'y a qu'une
voix , fa vie , qui eft fort étendue dans cet
Ouvrage , eft moins intéreffante par ce qui
lui eft particulier , que par le tableau qu'elle
DE FRANCE. 67
préfenté des dernieres années d'un regne
où l'accroiffement fimultané des attentats
du Defpotiſme & de l'aviliffement du Defpote
, amenait à grands pas la Liberté.
On y voit à quoi tenait quelquefois
cette réſiſtance des Parlemens , dont ils faifaient
tant de bruit. Par exemple , on préfente
à l'enregiſtrement des Edits d'augmentation
de taxes , de fufpenfion de rembourfemens
: le Parlement refufe. Le Roi
infifte & le menace d'en venir aux dernieres
extrémités. Cela regardait les payemens
de l'Hôtel de Ville. C'était un épouvantail
que les derniers Contrôleurs-Géné
raux avaient imaginé pour mettre Meffieurs
à la raiſon , parce que plufieurs d'entre eux
avaient beaucoup de rentes fur la Ville...
Le Parlement obéit.
On y voit encore l'abus toujours croiffant
des vexations & des vengeances miniftérielles
, qui ont à la fin provoqué les
vengeances populaires ; & la liberté d'écrire
violée jufqu'à faire mettre à la Baftille
l'Avocat Darigrand , pour avoir ofé ,
dans quelques Mémoires & dans un Ouvrage
intitulé l'Anti-Financier , dévoiler les
injuſtices , les fourberies & les extorfions
de ce qu'on appelait la Finance .
-
Le me. Volume eft terminé par une
piece très curieufe ; c'eft l'état du dernier
bail des Fermes renouvelé par ce
Miniftre, Au moyen des croupes & des
$ 8 MERCURE
penfions dont , à l'exception de cinq places ;
toutes les autres étaient chargées , il n'en
reftait à la Compagnie qu'environ les deux
tiers. On peut penfer que la famille du
Miniftre n'eft pas oubliée fur cette lifte :
elle n'y eft pourtant que pour une demiplace
& pour environ 33,000 liv . de pen-
Gon. La Famille Royale y eft bien pour
51,000 liv. c'est- à-dire que , fous le nom
des auguftes perfonnes qui la compoſaient
leurs protégés & protégées fe partageaient
cette fomme.
,
Enfin , le Roi lui-même ( & c'eft furtout
fous un Prince , étranger de tout
temps à ce qui avait avant lui dégradé
le trône , qu'il eft permis , qu'il eft bon
de le dire ) ; le Roi Louis XV eft für
cette lifte pour une place entiere ; & l'on
fait qu'il en avait auffi une d'Adminif
trateur des Poftes. » Lorfque le Con-
" trôleur - Général lui parla du nouveau
bail , & lui en fit connaître tout ce
» qui était onéreux pour les Fermiers , le
Monarque , ne faifant pas attention que
» l'affaire était très-bonne pour lui comme
» Souverain , s'en plaignit comme particu-
» lier , & dit que les places des Fermiers
و ر
"
ود
و د
généraux étaient bien détériorées , qu'il
» ne favait pas s'il garderait la fienne «.
Finiffons le coeur fe fouleve ; la
plume tombe d'indignation & de dégoût.
Si Louis XV avait connu les Mémoires
DE FRANCE. 699-
de Duclos , fon Hiſtoriographe , y aurait-il
lu fans rougir le trait fuivant ? Une compagnie
de Traitans ayant préſenté à l'honnête
Rouillé du Coudray , Membre du
Confeil des Finances , fous le Régent ,
une lifte des Affociés , où il trouva des
noms en blanc , il leur en demanda la
raifon ; ils lui répondirent que c'étaient
les places dont il pouvait difpofer. » Mais
fi je partage avec vous , leur dit - il ,
» comment pourrai-je vous faire pendre ,
» au cas que vous foyez des fripons « ?
ANTIQUITÉS Nationales ou Recueil de
Monumens , pour fervir à l'Histoire générale
de l'Empire Français , tels que
Tombeaux, Infcriptions , Statues , Vitraux,
Frefques , &c. tirés des Abbayes , Monaf
teres , Châteaux , & autres lieux devenus
Domaines Nationaux ; préſenté à l'A)
femblée Nationale , & favorablement accueilli
par elle : par A UBIN - LOUIS
MILLIN. 1. & 2 ° . Livraiſons. On
foufcrie à Paris , chez M. Drouhin ,
rue St-André-des- Arts , Nº. 92,
re
C'EST une idée heureuſe & utile que
celle de fouftraire à une deftruction prochaine
70 MERCURE
*
les monumens les plus curieux de la Féodalité
expirante , ceux du Monachifine ,
ceux qu'une fuperftition groffiere ou une
piété peu éclairée avait multipliés dans
un grand nombre d'églifes & d'Abbayes
&c. Plufieurs de ces monumens font des
chef- d'oeuvres de Sculpture , de Peinture .
Leur confervation importe aux Arts , comme
celle des monumens plus groffiers & plus
antiques importe à leur Hiftoire. La confervation
des coftumes , des uſages , n'eſt
pas moins intéreflante pour l'Hiftoire des
Moeurs & de la Société. C'eft un foin
dont les Anglais s'occuperent à l'époque
de la deftruction des Ordres monaftiques ; &
les Ouvrages de Selden , de Struth & de
tant d'autres , placés dans toutes les Bibliotheques
, atteftent l'intérêt qu'ils attachent
au fouvenir de leurs antiquités. Le
Citoyen libre , l'homme éclairé fe plaifent
à jouir du contrafte de l'ignorance &
des lumieres , de la fuperftition & de la
philofophie , de la fervitude & de la liberté.
L'Artifte , l'Antiquaire , l'Hiſtorien ,
le Philofophe trouvent également dans ces
collections l'objet de leurs recherches , ou
l'aliment de leur curiofité.
Cette premiere & certe feconde Lìvraifons
offrent le plan & le deflin de la Baftille
des ftatues qui exiftaient au , moment
de fa prife ; celui de la tour de
Mont-Lhéri ; enfin celui de tous les moDE
FRANCE. 71
numens , tableaux , ftatues de l'églife des
Céleftins .
La Baftille n'offrait rien de curieux
qu'elle - même & fon Hiftoire politique ;
mais comme le Livre intitulé la Baftille
dévoilée , ne laiffe rien à défirer à cet égard ,
l'Auteur des Antiquités ne s'eft permis
qu'une courte notice fur ce château , &
cet article ne lui a fourni que trois ou
quatre deffins, Cette prifon n'était point
embellie par les chef-d'oeuvres des Arts .
t Les Soufcripteurs ne s'attendent pas non
plus à en trouver dans la tour de Mont-
Lhéri . Mais les Amateurs de notre ancienne
Hiftoire , des vieilles anecdotes , des droits
féodaux , trouveront à fe fatisfaire dans
la notice. Mont - Lhéri, fous S. Louis, était
au coeur de la France. Cette conquête avait
été la grande ambition de Philippe I , qui
fe plaignait d'avoir été travaillé & tout
envieilli des maux & des inquiétudes que ce
château lui avait caufés.
L'Evêque de Paris avait le droit de fe
faire porter, à fon introniſation , par le Seigneur
de Mont- Lhéri. Les autres Evêques
eurent , d'après cet exemple , la prétention
d'être portés fur les épaules des premiers
Seigneurs du Royaume. Elle leur
réuffit , & les Seigneurs eurent la fottife
ou efprit de tourner en honneur cette
fervitude honteufe. C'eft de là que les
Montmorenci prirent le titre de' premiers
Barons de la Chrétienté.
72
MERCURE
L'article fuivant offre une moiffon plus
féconde ; c'eft celle des Céleftins de Paris ,
églife très riche , dotée par plufieurs de
nos Rois , ornée des ouvrages de pluſieurs
bons Artiftes , tels que Germain Pilon ,
excellent Sculpteur Français , Simon Matheï
, bon Peintre Napolitain , & plufieurs
autres. Quatorze ou quinze planches font
confacrées aux gravures de ce que cette
égliſe offre de curieux , & la defcription
n'eft pas encore finie.
Un abrégé de l'Hiftoire de ces Moines ,
leurs différens coftumes , une foule d'anecdotes
piquantes , quelques bonnes rufes
monaftiques , de courtes & agréables notices
fur les différens perfonnages enterrés
dans cette églife , en un mot une grande
variété d'objets amufe & intéreffe le Lecteur.
Mais ce qui eft le plus divertiffant
pour un Philofophe , c'eſt le ridicule & la
vanité des épitaphes , la plupart ornées
de ces titres brillans que reçoivent les morts
de l'orgueil des vivans .
Là fe trouvent enterrés à côté des Princes,
certains perfonnages qualifiés de grands hommes,
& dont on n'avait jamais lu ni ouï citer
le nom avant de le voir dans leur épitaphe.
Là un Traitant , Zamet , fils d'un
Cordonnier Lucquois , & mort Confeiller
de Louis XIII , eft qualifié de Meffire
, de Chevalier , & fur-tout loué pour
La magnificence.
1.
Un
DE FRANCE. 1
.72
Un autre apprend bien à la poſtérité
qu'il était Duc , mais ne dit point ce qu'était
fon bifaïeul. L'Auteur des Antiquités
fupplée à ce filence par des preuves
hiftoriques que le feu Duc defcendait affez
récemment, de ce Tiers - Etat fi honni , avant
que ce Tiers-Etat fe fût apperçu qu'il était
la Nation Françaife. Au refte , cette variété
ne fe borne pas à ceux qui étaient de grands
perfonnages , ou fe donnaient pour ' tels .
Elle avait gagné les bons Bourgeois de
la Capitale , & les Céleftins avaient fu en
tirer un grand parti. C'eft plaifir de voir
combien d'honnêtes Parifiens , Tréforiers ,
Médecins , Apothicaires , avaient jugé à
propos d'apprendre à la Poftérité leurs noms
de baptême & de famille , le jour de leur
naillance & celui de leur mort : rien de
plus. Leur modefte ambition fe contentait
de cette humble immortalité qui n'importunait
nullement le quartier Saint-
Antoine.
و
Il n'en est pas de même de M. de
Trevelec enterré dans la chapelle de
Gêvres. Celui - ci , outre tous les titres
de Baron , Comte , Chambellan du Roi
d'Efpagne , s'était avifé de mettre dans
fon épitaphe toute fon hiftoire & fes fairs
privés. Deux tables de marbre blanc
d'une énorme longueur, y fuffifent à peine.
Elle tiendrait douze ou quinze pages . L'Auteur
des Antiquités , moins prodigue de fon
N°. 7. 12 Février 1792.
D
2
74
MERCURE
papier que les Céleftins de leur marbre
n'en copie que quelques circonftances. M.
de Trevelec y fait le récit très- détaillé de
trois batailles contre les Maroquins. Mais
ce qui charma M. de Trevelec plus que
les victoires auxquelles il avait pu contribuer
, ce fut un honneur fignalé qu'il redu
Général Marquis de Lede , dans
une grande occafion , comme on va voir .
çut
" Une nombreufe Cour, vers cing heures
du foir , fe rendit chez le Marquis de Lede.
Son Excellence y gracieufa beaucoup le
Baron de Trevelee , & lui demanda enfuite
s'il aimait la biere. Il lui répondit
qu'il l'aimait beaucoup , & qu'il s'y était
facilement accoutumé dans fes campagnes
de Flandres. Là- deflus , le Marquis de Lede
fit apporter de la biere d'Angleterre , & ordonna
de préfenter le premier verre au
Colonel , Baron de Trevelec ; & lorfqu'il
fut rempli , le Général fe tourna vers les
Officiers Généraux & autres , & leur dit :
Meffieurs , je compte que vous ne laifferez
pas boire Monfieur tour feul. Auffi- tôt
tous s'emprellerent de prendre des verres,
Le Baron de Trevelec envoya , dans le
temps , le précis de cette anecdote à Don
Miguel Fernandez Durand , Marquis de
Toloza , alors Miniftre de la Guerre , qui
en fit la lecture à Sa Majefté Catholique ,
& c. ".
Voilà un de ces honneurs après lefquels
DE FRANCE.
75-
on ne devrait plus être fujet à la mort ; mais
on meurt , & on eft enterré aux Célestins ,
dans une chapelle cbfcure , où perfonne ne
fonge à vous , ni à votre verre de biere, juſqu'à
ce que la vente des biens nationaux mette
ce grand fait en évidence . Au refte , il n'y
a que quinze ans de perdus pour la gloire
du defunt , Monfieur le Baron de Trevelec
n'étant mort qu'en 1773. Il est très -heureux
pour ce brave Gentilhomme de n'avoir
pas pouffé fa carriere jufqu'à ce momentci.
Il y avait loin de fes idées à la Déclaration
des Droits. Il eft probable qu'il
n'eû: ni parlé ni agi dans le fons de la
Révolution.
Après M. le Baron de Treveled , on ne
peut plus parler des honneurs mondains
fi ce n'eft pour en faire voir le néant.
1
L'Auteur des Antiquités n'en manque
pas l'occafion. Après avoir rapporté les épitaphes
un peu longues de plufieurs perfonnages
enterrés dans la chapelle de Gèvres
il rappelle , d'après les Mémoires de Saint-
Simon , un bon mot , ou plutôt un trait
de malignité d'un Duc de Gèvres , qui facrifiait
fa vanité au plaifir d'humilier celle
d'autrui. Il faut avouer , dit-il un jour au
Maréchal de Villeroi , que vous & moi
nous fommes bien heureux ; vous avez époufé
une Créqui , & moi une Luxembourg.
Delà des charges , des dignités , des biens
fans nombre. Et qu'étaient les peres de
"
D 2
76 MERCURE
nos peres , dit le Maréchal : Des Secrétaires
d'Etat , répondit le Duc. Mais c'est là qu'il
faut nous arrêter ; car qu'étaient les peres
de ces Secrétaires d'Etat ? De petits Commis.
Et de qui venaient-ils ? Le vôtre d'un
Vendeur de marée ; le mien d'un Porteballe
, & peut-être de pis . Meffieurs , ajɔuta-
t- il , en s'adreffant à la compagnie qui
les entourait , n'ai - je pas raifon de dire
que M. le Maréchal & moi nous fommes
bien heureux « ?
Un plaifant de cette efpece , dans plufieurs
Maifons qui fe difent grandes , ferait
un perfonnage fort importun. Heureufement
il y en a peu.
Nous ne doutons pas que le Public , qui
n'aime point la Féodalité , mais qui aime
les Arts , & qui s'intéreffe aux entrepriſes
utiles , n'eucourage celle de M. Millin .
Elle le mérite fous tous les rapports , &
pour le projet même , & pour la maniere
dont il eft exécuté , tant par lui que par
les Artiftes fes collaborateurs .
( C ...... )
DE FRANCE. 77
1
NOTICES.
Tribut de la Société Nationale des Nouf Soeurs ,
ou Recueil de Mémoires fur les Sciences , Belles-
Lettres & Arts , & autres Pieces lues dans les
Séances de cette Société ; Ouvrage périodique ,
dont on publie un Cahier de 4 feuilles & démie
dimpreffion , le 14 de chaque mois , depuis le 14
de Julllct. On foufcr.t chez Onfroy , Libraire ,
rue St- Victor ; & chez Née de la Rochelle , au
bout du quai des Auguftins , près le Pont Saint-
Michel.
Nous annonçons à la fois les 6 premiers Cahiers
de cet Ouvrage , qui ne nous a pas été
connu dans le temps où il a paru. On trouve dans
tous des morceaux précieux fur divers fujets
compofés par les Auteurs les plus diftingués dans
les Sciences , dans la Littérature & dans la Polfie ,
tous Membres de cette Société. On remarque dans
la 6e . Livraiſon un Recueil de Quatrains faits
par M. Cubieres , fur nos Poëtes vivans les plus
connus. Forcés de nous borner dans ces courtes
Notices , nous ne citerons que le dernier , cui
peut donner l'idée à la fois du ton , du caractere
& de l'efprit de l'Auteur.
M. DE LA HARP EL.
Du Poëte & de l'Orateur
Il fait revivre les Loix fages .
Il a critiqué mes Ouvrages;
Des fiens je fais l'admirateur.
D 3
78 MERCURE
Hifloire de la Révolution de 1789 , & de l'éta
bliffement d'une Conftitution en France ; précédée
de l'expofé rapide des adminiſtrations fucceflives
qui ont déterminé cette Révolution mémorable ;
par deux Amis de la Liberté. A Paris , chez Clavelin
, Libr. ruc Haute-feuille , N ° . s , près St-
André- des Arts. Tomes I , II & III in - 8° . de
plus de 40 pages chacun. Prix , 10 liv . 16 f.
pour Paris , & 12 liv. 6 f. rendus francs par la
Pofte dans tout le Royaume.
a
Cet Ouvrage , dont les deux premiers Volumes
ont paru l'année dernière , eu beaucoup de
fuccès & méritait d'en avoir. On y trouve , par
un accord affez rare , beaucoup de fageffe dans
le plan & les idées , avec beaucoup de chaleur
dans le ftyle & dans l'expreffion. On voit à
l'exactitude des faits racontés , que les Auteurs font
contemporains des événemens qu'ils décrivent ;
mais à leur fang froid , à l'impartialité qu'on
remarque prefque par - tout , on croirait que les
objets dont ils parlent fe font paffés il y a cent
ans.
Les deux premiers Volumes conduisent l'Hiftoire
de la Révolution jufqu'au premier voyage
du Roi à Paris . Le troifieme fe termine aux détails
de la fameufe journée du 6 Octobre . Les
Auteurs annoncent que la publication des pieces .
relatives à cette affaire , a feule retardé celle de
ce Volume. Les fuivans n'éprouveront pas ce
même délai.
Plan d'Education préfenté à l'Affemblée Nationale
, au nom des Inflitutcurs publics de l'Oratoire.
Brochure in- 8 ° . A Paris , chez Volland,
Libr. quai des Auguſtins.
DE FRANCE.
79
L'Education publique , dont l'Affemblée Nationale
doit bientôt s'occuper , eft un objet trop
important pour qu'on ne doive pas défirer de le
voir entourer de lumieres. L'expérience que les
Sociétés de l'Oratoire on : acquife dans cette partie
, doit donner une préfomption favorable de
leurs vûes à cet égard. Ce n'eft pas qu'il n'y ait
peut-être beaucoup à dire fur ce Plan propofé en
leur nom ; mais on doit être sûr d'y trouver au
moins d'excellentes chofes ; & c'eft en recueillant'
les diverfes idées qu'on peut parvenir à former
l'enſemble le plus approchant de la perfection.
Recherches fur les Coftumes & fur les Théatre's ,
tant anciens que modernes , &c. avec des Eftampes
en couleur & au lavis , deffinées par M. Chéry ,
& gravées par M. Alix. Le prix de la Soufcription
pour l'année , compofée de 48 feuilles d'impreffion
& de 48 Eftampes , eft de 48 liv. pour
Paris , & 14 liv. franc de port par tout le Royaume.
Il faut affranchir le port des lettres & de,
l'argent cette condition eft de rigueur. A Paris ,
chez Drouhin , Editeur & propriétaire dudit Ouvrage
, rue St-André-des -Arts , Nº . 92 , en face
de la rue de l'Eperon. 6e. Livraiſon & fuite.
>
Cet Ouvrage , dont nous avons déjà parlé en
détail , fe continue avec le même foin & le même
fuccès. On eft étonné de lire dans les derniers
Numéros , que Le Kain n'avait pas bien faifi le
caractere du rôle de Néron. On regardait cependant
ce rôle comme un de ceux qu'il avait le plus
profondément conçus. Quand on contredit à ce
point une opinion fi générale & fi bien établie ,
il faudrait au moins motiver la frenpo.
8. MERCURE
MUSIQUE.
'Abonnement de Harpe , ou Recueil périodique ,
compofé de morceaux de tout genre, avec accomp.
par MM. Krumpholtz , Delamaniere , Deleplanque
& F. Pétrini ; Nº . 12 & dernier.
Ce Recueil fe continue cette année . Il en paraît
tous les mois un Cahier de 10 ou 12 Planches .
Prix , féparément , 3 liv. Soufcription pour douze
Numéros , 24 liv. port franc. A Paris , chez M.
Nadermann , Luthier , Facteur de Harpes de la
Reine , rue d'Argenteuil , Butte St- Roch , Nº . 16.
Les Soufcripteurs dont l'Abonnement a fini le
15 Janvier , font priés de le renouveler avant le
15 Février , pour ne pas éprouver d'interruption.
Les lettres doivent être affranchies.
N°. 12 du Journal de Violon , par une Société
de Profeffeurs , compofé de morceaux de tout
genre. Il en paraît un Cahier de 8 pages le 15
de chaque mois. Prix , féparément , 2 liv. 8 fous.
Abonnement , 18 liv. port franc.
Journal de Guitare , ou Choix d'Airs nouveaux ,
pincé & doigté , marqués pour l'inſtruction ; par
M. Porro. Les Cahiers de 6 Planches de Mufique
paraiſſent le 15 de chaque mois. Les Soufcripteurs
recevront gratis les Etrennes de Guitare avec
le premier Cahier . Prix , féparément , 2 liv.; les
Etrennes , 7 liv . 4 f.; la foufcription , 18 livres
port franc.
Les Délaffemens de Polymnie , ou les Petits
Concerts de Paris , contenant des Airs nouveaux
DE FRANCE. $1
> ' de tous les genres avec accomp de Clavecin &
Violon ou Flute. Chaque Cahier de 8 Planches
qui paraît le 15 du mɔis , 2 liv . 8 f. Abonnement ,
18 liv. port franc.
On fouferit pour tes trois Journaux , qui ſ●
continuent cette année , chez M. Porro feul , rue
Tiquetonne , Nº . 10 , à Paris.
GRAVURES.
Portrait de Benjamin Franklin , Compagnon
Inaprimeur , Miniftre Plénipotentiaire des Quatorze
Etats - Unis de l'Amérique Septentrionale ,
né à Boſton le 17 Janvier 1706 ; mort en Avril
1790 , à Philadelphie ; avec cette Légende latine :
Eripuit cælo fulmen fceptrum que tyrannis.
Et cette Légende françaiſe : -
L'amour de la Patrie & de la Liberté.
Ce Portrait , fupérieurement gravé , d'une reffemblance
frappante , & orné d'accefloires extrêmement
agréables , peut faire pendant avec celui
de J. J. Rouffeau , par Ingouf, & que nous avons
annoncé derniérement chez M. Defer de Maiſonneuve
, Libr . rue du Foin -St-Jacques.
Il ferait difficile de réunir deux plus grands
Hommes , & deux amis plus ardens de la Liberté .
Le Portrait de Franklin a été deffiné & gravé
fous la direction de M. Jabin , chez lequel il fe
vend , place du Carroufel , N° . 4.
C'eſt auffi chez lui que fe trouve la Collection
des Portraits de MM. les Députés. Nous n'en
connaiffons pas de mieux exécutés . Il en paraît
actuellement 200 recueillis en un Volume. Prix ,
avec le titre hiftorié , 100 liv.
$2
MERCURE
56c. Livraifon d'Eftampes , contenant les Nu--
méros 82 à 86 du Département de Paris ; & les
Numéros às de celui de la Seine & de l'Oife ,
( St - Cloud . ) Prix , 18 liv .
Cette Livraison fait partie de l'Ouvrage intitulé
Voyage pittorefque de la France , avec la
defeription de fes 83 Départemens ; Ouvrage .
national , dédié au Roi , & orné d'un grand
nombre de Gravures , exécutées avec beaucoup
de foin , d'après les deffins des meilleurs Artiftes ;
par une Société de Gens de Lettres. Grand infolio.
A Paris , chez le Sr. Lamy , Libr . quai des
Auguftins.
Cet Ouvrage , où la beauté des caracteres employés
dans le texte , la grace & le fini du deffin ,
Feffet & le burin celleux de la gravure fe
diffurent l'avantage , a encore le mérite d'être
un Ouvrage national . Depuis que nous avons
une Patrie , nous devons voir avec plus de
plaifir nos cabinets & nos portes- feuilles ornés
de la defcription de notre pays , que de ces Eftampes
infiquifiantes qui ne rappellent aucun
fouvenir. La France d'ailleurs contient une affez
grande quantité de beaux morumens & de fites
agréables pour fournir au Definateur des affects
au moins aufli intéreflans que ceux de l'Italie &
de la Suiffe . C'est à M. Née , déjà connu avan→
tageufement par la Gravure du Voyage pittoref
que de la Suiffe , que l'on doit cette nouvelle
entrepriſe qui doit lui faire encore plus d'honneur.
Tableau de la France , divifée par Départemens
, avec le nom du Chef - lieu & celui de
chaque District ; préfenté à l'Aflemblée Nationale
le 23 Décembre 1790. Cette Carte , réduite
dans un rond de 5 pouces 3 lignes de diamètre ,
DE FRANCE. 83
foutenu fur une bafe d'architecture , forme un
chef-d'oeuvre dans ce genre par la beauté de fon
exécution . Au bas de la Carte eft placé par ordre
alphabétique , le nom des Chef-lieux avec leur
diftance de Paris, Prix , 3 liv .
Se vend à Paris , chez Aubert , Graveur d'Ecriture
, rue St-Jean - de- Beauvais , №º, 2 ; & chez
les Marchands de Nouveautés.
Les Auteurs de l'Atlas National de France ,
viennent de mettre en vente les nouvelles Cartes
Topographiques des Départemens de la Marne ,
Haute - Marne & Ardennes ; & une rouvelle
Carte de France , divifée en Régions , Départemens
& Districts , avec défignation des Métropoles
, Evêchés , Tribunaux , & une Table alphabétique
indicative du rapport des Départemens
aux ci-devant Provinces.
Ces Cartes font traitées avec autant de foin que
celles qu'ils ont déjà miſes au jour , & méritent
d'autant plus la confiance des Français , que ,
traitées fous les yeux du Comité de Conftitution
pour la divifion du Royaume , elles font encore
vérifiées à ce Comité avant d'être mises en vente ,
Elles fe vendent au Dépôt de cet Atlas & du
Cabinet Bibliographique , rue de la Monnoie ,
No. 5. Prix , 2 liv, 10 f. chaque Département en
papier ordinaire , & 3 liv. 12 f. en papier d'Hol-
Jande ; la Carte de France , 2 liv . 10 f. en fimp'es
filets , 2 liv. 16 fous avec teintes , 3 livres files
doubles & teintes , & 4 liv. en papier d'Hollande
filets adoucis.
+
On fouferit pour l'Atlas entier au même Dépôt
& au Bureau dudit Atlas , rue Serpente , N° . if ;
& chez Me. Lienard , Notaire , quai d'Orléans ,
Ifle St-Louis..
MM. les Soufcripteurs font priés de faire reti
rer ces Cartes.
1
$4 MERCURE DE FRANCE.
A VIS.
On a mis en vente , rue de Condé , Nº. 7 ,
la Suite des Mémoires de Richelieu , compofés
fous les yeux du feu Maréchal , dans fa Bibliotheque
, par M. Soulavie. Dans les trois dernieres
Livraiſons , dont nous rendons compte , l'Auteur
traite de l'intérieur de la Cour de Louis XV. On
voit fept ans de lutte de ce Roi né pieux contre
les Courtifans , qui s'efforçaient de le débaucher.
On y voit l'Hiftoire des Dames de Mailly & de
Vintimille , fes deux premieres Favorites . Suit
l'adminiftration du Cardinal de Fleury ; la confpiration
, dite des Marmcuzets , contre lui ; les
affaires étrangeres , & la politique des Princes du
Sang pendant le Defpotifine. Il faut voir , dans
l'Ouvrage , les Ducs d'Orléans maintenir l'oppofition
; les Condé , l'autorité militaire & abfolue
' du Monarque ; & Conti , Parlementaire, travailler
à la bonne intelligence entre le Miniftre & la
Magiftrature .
On défirerait connaître le lieu de la réfidence
en France de M. Dupuy du Chalay , lequel était ,
en 1756 , à St -Pierre de la Martinique , & que
l'on préfume être repalé en France . On aurait
quelque chofe de très - intéreffant à lui communiquer
, ou à fes héritiers. S'adreffer à Bordeaux ,
en affranchiffant les lettres ou paquets , au Sieur
Pierre Fidele Hoften , rue du Mirail
-
de celle Cauff - Rouge.
ODE.
TABL E.
Charade, En . Log .
Vies des Surintendans .
49 Antiquités.
Notices.
sel
, au coin
69
77
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 19 FÉVRIER 1791 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LE JALOUX ,
ROMANCE PASTORALE.
L'hiver dé -fole la cam-
Andante graziofo.
pagne , la nei-ge tombe à gros flo.
N°. 8. 19 Février 1791 . E
86 MERCURE
CL
cons , & du fom - met
1
de la montagne
, mugifent les froids aqui.
: lons jeune
ber ger, jeu- ne fillette
, de mon foyer rapprochezvous
je vous di- rai fur ma mu -
fette ,
HBLIOTHECA
ALGIA
DE FRANCE. 87
Ja
l'hiftoire d'un amant ja-loux.
Σ
SILVANDRE un jour vit fa Bergere
Sortir feulette du hameau ;
Elle avait nris robe légere ,
Jolis rubans , gentil chapeau :
A cet afpect , voilà - Silvandre
En proie à fon jaloux fouci :
Grands Dieux que doit-il en attendre ?
Pourquoi s'être parée ainfi ?
E 2
88 MERCURE
1
;
DANS fa marche mystérieuse ,
L'Amant la fuit , le coeur ému
Enfin la charmante coureufe
Entre fous un berceau touffu .
Sous un berceau ! ... tout fe décide
Comment douter après cela ?
Amante volage & perfide !
C'est un Berger qui t'attend-là.
D'ABORD , à travers le feuillage ,
De fes deux yeux il veut les voir ;
Mais , ô malheur ! l'épais branchage
Confond encor ce trifte efpoir.
L'oreille au guet , foufflant à peine ,
Le corps penché , les bras tendus ,
Le pauvre Amant refte à la gêne ,
Et n'entend que des mots confus.
JUGEZ fi l'épreuve eft cruelle !
Mais que devient notre jaloux
Lorfqu'à la fin , la Paftourelle.
Laiffe échapper ces mots fi doux :
ל כ
20
Quoi tu me fuis , petit farouche ?
Approche donc , voilà ma main :
» Viens prendre un baiſer fur ma bouche ;
» Viens te repoſer ſur mon ſein « ,
DE FRANCE NĆE 89 ..
fi doute s'il dort ou s'il veille ;
Il croit qu'un fonge le féduit ,
Quand d'un baifer à fon ' oreille
Réfonne le funefte bruit :
Oh ! pour le coup , dans fa colere ;
Il brife , enfonce le berceau ,
Et fait bien peur à la Bergere ,
Qui careffait un jeune oiſeau .
INGRAT ! cette injure , dit-elle ...
L'ingrat rougit , tombe à genoux :
Soins fuperflus ! rien de la Belle ,
Rien ne défarme le courroux .
Quel parti prendre ? Le coupable
Au défefpoir s'abandonna ;
Et cette Amante inexorable ...
Le lendemain lui pardonna.
( Par M. Reynier , de Lidge. )
E 3
MERCURE
ALLÉGORIE.
UN vieil Arbre, orgueilleux de fes vaftes rameaux,
Etouffait , fous fon ombre, un peuple d'Arbriffeaux.
Je protége votre faibleſſe ,
Leur difait-il , & fi les vents
Ont épargné votre jeuneſſe ,
Vous le devez à mes foins bienfaifans.
Notre faibleffe eft ton ouvrage ,
Reprit l'un d'eux ; c'est ton feuillage
Qui nous fait végéter ignorés & rampans .
Lejour n'eft rien pour nous , & nos fruits languiffans
Se donnent , à regret , au Maître du Bocage.
Le Maître entendit ce langages
Il élagua le Protefleur :
Il leur rendit le jour , dégagea leur racine
De la Ronce gourmande & de la.noire Epine ;
Et bientôt du Soleil la féconde chaleur ,
En ranimant leur feve renaiffante ,
Fit cueillir à leur Bienfaiteur ,
Sur leur tige reconnaiſſante ,
Et des fleurs & des fruits qui firent fon bonheur.
Par M. Regnet , Avocat , Citoyen
de Briquebec. )
DE FRANCE.
91 .
Explication de la Charade , de l'Énigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LES Les mots des Charades font Maitreſſe
Chercher, Adieu ; celui de l'Enigme eft Raccommodement
; & celui du Logogriphe eft
Pareffe, où l'on trouve Pas, Rape, Ré, Ere,
Pere, Preffe, Repas.
CHARADE.
Si tu veux être aimé, ne fois pas mon premier ;
Toute cuifine eft froide où manque mon dernier ;
De tes poumons dépend le jeu de mon entier .
( Par M. Mouſeau de Maleſſet, )
ÉNIGM E.
EMBLEME du Soleil , j'en redoute le jour ;
Mon regne eft dans la nuit ; on m'y voit tour à tour
Naître ou mourir , au gré du befoin , du caprice :
Ses ténebres , fans moi , feraient un dur fupplice.
Mon étre eft faible , un rien me l'ête ou me le rend;
Mince & fans embor point, je fuis graffe pourtant;.
Dans les triftes lenteurs d'une longue agonie ,
Comme toi , cher Lecteur , j'abandonne la vie.
E 4
92 MERCURE
La dédaigneufé Eglé répugne à me toucher ;
Eglé, vous avez tort ; je prêche pour les Bellos ;
J'attire l'inconftant , & lui brûle les ailes .
Puis -je mieux t'épargner le foin de me chercher ?
Si tu lis , en veillant , cet ouvrage éphémere ,
Je prête à tes regards un fecours néceffaire.
( Par M. Mich list , Homme de Loi
à Chavanat. )
LOGOGRIPHE.
Jr.I fuis tout rond avec ma tére ,
Je le fuis audi fans ma téte ;
Chaca me veut avec ma tête ,
Chacun me poffede fans tête ;
Je fuis dans ce moment très -rare avec ma tête ,
Je fuis dans tous les temps très-commun fans ma tête ;
Je fais frappé quand j'ai ma tête ,
On me frappe aufſi ſans ma tête ¿
On me préfente avec ma tête ,
Et l'on me cache fans ma tête ;
Je porte d'un bon Roi l'image avec ma tête ,
J'offre de ..... le portrait fans ma tête .
Par un Abonné. )
DE FRANCE.
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
VOYAGE aux fources du Nil , en Nubie
& en Aby finie, pendant les années 1768 ,
1769 , 1770 , 1771 , 1772 ; par JAMES
BRUCE , traduit de l'Anglais par J. H₂
CASTER A. 2 Vol. in- 8° . A Paris ,
Hôtel de Thou, rue des Poitevins.
L'ABYSSINIE eft une des portions du
vafte continent d'Afrique la moins connue
des Européens. On fait que les célebres
Voyageurs Danois qui devaient vifiter cette
contrée après avoir parcouru l'Arabie
moururent avant d'avoir rempli le principal
objet de leur miflion & que M. Nicbuhr
, le feul d'entre eux qui foit revenu
en Europe , ne put pénétrer en Abyflinie.
Ce Voyage de M. Bruce a donc l'avantage
de préfenter & de réunir un grand
nombre d'objets , prefque entiérement nouveaux
pour la plupart des Lecteurs.
C'est lui-même qui va rendre compte
de la diftribution de fon Ouvrage.
Il eſt diviſé en cinq livres qui compoferont
le même nombre de volumes.
Es
少年MERCURE
Mon départ d'Egypte , dit - il , eft fuivi
de l'examen détaillé du Golfe d'Arabie
jufqu'à l'Océan Indien de hon Voyage
à Mafuah ; de quelques idées fur le premier
Peuple qui habita l'Atbara & l'Abyfinie
de conjectures fur le langage
de ce Peuple ; de l'Hiftoire des premiers
ages du Commerce de l'Inde de la fondation
de l'Empire d'Abyflinie , & de fes
diverfes Révolutions jufqu'à l'ufurpation
des Juifs , l'an goo de l'ere chrétienne.Voilà
ce qui compofe le premier volume.

-
Le fecond commence avec le rétabli
fement de la race de Salomon , dont l'Hif
toire eft puifée dans les Annales dAbyí
finie , & paraît ici pour la premiere
fois , traduite de la langue Ethiopienne.
J'ai dépofé l'original de ces Annales dans
le Mufæum Britannique , pour fervir aux
Savans & au Public.
Le troifieme renferme le détail de
mon Voyagerde. Madnah à Gondar ; les
moeurs & les coutumes des Abyfliniens ;
deux tentatives pour remonter aux fources
du Nil ; la defcription de ces fources , &
généralement tout ce qui a rapport à ce
fleuve fameux & à fes débordemens ...
Le quatrieme volume contient mon retour
des fources du Nil à Gondar , les
Campagnes de Sébraxos, & les Révolutions
qui en furent la fuite ; mon retour par le
Royaume de Sennaar & le Beja , c'eft- àDE
95
FRANCE.
dire , le défert de Nubie , & mon arrivée
à Marseille .
Enfin le cinquieme volume eft entiérement
confacré à l'Hiftoire Naturelle.
Ce court précis fuffit pour faire fentir
l'étendue & l'importance de cet Ouvrage.
Il ne s'agit ici que des deux premiers
volumes , que les autres fuivront bientôt.
. La variété des objets ne permet pas de
rendre un compte détaillé de ces deux
premiers volumes. L'Auteur , parcourant
l'Egypte & les côtes de la mer Rouge
voyage ayant à la main les Cartes anciennes
& modernes , les Géographes des
différens fiecles , les Hiftoriens , les Voyageurs
anciens & nouveaux. Il éclaircit leurs
obfcurités , il rectifie leurs méprifes , attaque
ou confirme leurs conjectures , propofe
les fiennes , & entremêle d'obfervations
intéreffantes le récit de fes aventures
perfonnelles. Ici , les événemens fervent à
peindre les moeurs des différentes peuplades
que vifite le Voyageur, dans un pays habiré
par des Chrétiens , des Mufulmans , des:
Copthes , des Maures , des Arabes , & c.
C'eft à la defcription de la Haute-Egypte
que ce volume eft particuliérement confacré.
L'Auteur revient à Jidda , port de la
mer Rouge , où il s'embarque pour fon
Voyage d'Abyffinie , principal objet de fa
million & de fon livre .
Jidda eft une ville Arabe , célebre par
E 6
96
MERCUR
fon commerce ; & c'eft dans ce chapitre
que fe trouvent raffemblées les obfervations
les plus intéreffamtes que M. Bruce at
faites fur ce fingulier Peuple. Il raconte ,
fur la barbarie de ces Arabes , plufieurs
traits qui font frémir ; & cependant
comme plufieurs Peuples barbares , ils
joignent à cette férocité un refpect religieux
pour l'hofpitalité & pour leurs promeffes.
Il eft vrai que ce refpect qui fait
la fûreté des Chrétiens , forme une partie
du revenu de ces Arabes . Des Chrétiens
font - ils naufrage ils réclament les droits .
de l'amitié , & nomment tel ou tel Arabe
avec lequel ils font liés . Si l'Arabe eft abfént
, les amis ou fes voifins aident les
naufragés à fauver ce qu'ils peuvent du
vaiileau , & l'un d'eux fait un cercle à terre
avec la pointe de fa lance , où l'on dépofe
tout ce qui doit être refpeété. Au milieu
de ce cerele , le Chrétien eft auffi en fûreté
que dans une citadelle. On ne connaît
pas un feul exemple de la violation d'un
fi fimple afile. Ce drcit de protection eft
une des propriétés de plufieurs Sheicks ;
& quand ils marient une de leurs filles ,
ils leur donnent en dot le droit de protéger
quatre ou cinq Chrétiens.
Cette même bonne foi fe montre d'une
maniere encore plus fiappante dans la maniere
dont l'Auteur a vu faire le Commerce
à Jidda.
DE FRANCE.
97
Il y avait dans le port neuf vaiffeaux
Anglais venant de l'Inde , dont la plupart
valaient deux cent mille livres fterling chacun.
Un Marchand Turc offrir d'acheter
les neuf enſemble. Les échantillons furent
vifités , & toutes ces riches marchandifes
furent tranfportées à travers les déferts
de l'Arabie , par des hommes avec qui
perfonne ne voudrait fe trouver en raſe
campagne. Ce n'eft pas tout. Deux Cour
tiers Indiens vinrent dans le comptoir pour
conclure le marché ; l'un traitant pour les
Capitaines Anglais , & l'autre pour le
Marchand Turc. Ils s'affirent à terre fur
un tapis , & au bout de vingt minutes
employées à fe toucher réciproquement les
doigts , le marché des neuf cargaifons fut
conclu , fans qu'ils fe fuffent fervis de
plume ni d'encre. Ce qu'il y a de plus remarquable
, c'eft qu'il ne fut pas compté
d'argent. Un fimple particulier , qui ne poffédait
rien que fa réputation , devint refponfable
du payement des riches cargaifons
de neuf vaiffeaux. Ce Courtier délivra
un certain nombre de facs de groffe
toile , remplis de ce que l'on fuppofait
être de l'argent. Il avait marqué fur chaque
fac ce qu'il était cenfé contenir , & appofe
fon cachet fur la ficelle qui liait le fac. Ces
facs furent pris pour ce qui était écrit
deffus , fans que perfonne en eût ouvert
un feul ; & de tels facs font reçus conMERCURE
ramment dans toute l'Inde , auffi · lỏng--
temps que la toile peut durer .
M. Bruce remarque comme une fingularité
, qu'à Jidda , c'eft-à-dire dans le
pays où a vécu Mahomet , il y a moins
de polygamie que dans tous les autres
pays Mahométans. C'eft l'effet de différentes
caufes qu'il indique ; puis il en prend
occafion d'attaquer une opinion vulgairement
reçue & accréditée en Europe par
le Docteur Arbuthnot , que la polygamie
eft toujours nuifible à la population . Il
fuppofe que , par une loi conftante &
uniforme de la Nature , i naît par-tout
à peu près autant de femmes que d'hom
mes . Il jugeait du refle de l'univers par
l'Europe.
Mais M. Bruce a vérifié qu'en Armé
nie , en Syrie , depuis Monful ou Ninive ,
jufqu'à Alep & à Antioche , il naiffait au
moins deux femmes pour un homme ; que
de Laodicée jufqu'à Sidon , la proportion
du nombre des femmes qui naiffent eft à
celui des hommes comme de trois , ou au
moins , de deux & trois quarts à un ;
qu'enfin de Suez au détroit de Babel-
Mandel pays qui comprend les trois
Arabies , il y a toujours quatre femmes
pour un homme. Lorfque j'étais , dit ik ,
dans l'Arabie Heureufe , l'Iman de Sana ,
qui n'était pas vieux , avait quatre-vingthuir
enfans vivans , dont quatorze feule-
·
DE FRANCE.
༡༡
ment étaient des garçons. Le Prêtre du
Nil en avait foixante - dix & phts , dont
plus de cinquante filles. M. Bruce entre
dans le détail des moyens qu'il a 'employés
pour le procurer les preuves de ce qu'il
avance .'
Mahomet a donc approprié fa Loi au
climat & au Peuple pour lefquels elle était
faite ; & les femmes Arabes ayant des enfans
à l'âge de onze ans , & ceffant d'engendrer
à vingts la Loi qui regle les mariages
ne peut être la même dans ces pays , que
dans ceux où les femmes font nubiles à
ans & ne ceffent d'être fécondes juf
qu'à quarante-cing .
L'Hiftoire ancienne de l'Abyffinie occupe
une partie de ce fecond volume . Mais
cette partie pafaît encore moins fufceptible
d'extrait que la premiere. Cette terre
dut être un des principaux afiles où les
hommes fe réfugierent au temps du déluge.
Sans doute le fouvenir de ce terrible
événement les retint long-temps fur leurs
montagnes. On ne conçoir point par quelle
induftrie , ni avec quels inftrumens inconnus
à toutes les Nations , ils parvinrent à
fe creufer des demeures , non moins commodes
qu'admirables dans des rocs immenfes
de marbre & de granit , qui font
confervées en grand nombre toutes entieres
jufqu'à ce jour , & qui femblent devoir
refter de même jufqu'à la fin des fiecles.
IGO MERCURE
Avec le temps ils étendirent leur colonie
jufqu'à Atbara , où nous favons , d'après le
témoignage d'Hérodote , qu'ils cultiverent
les Sciences très-anciennement & avec
beaucoup de fuccès. Il eft probable qu'ils
defcendirent enfuite jufqu'à Móroë , où on
trouve dans les montagnes des cavernes de
la même forme.
L'Auteur explique par les influences du
climat , les directions dans lefquelles ils
s'étendirent , & formerent les différentes
Hordes de cet ancien Peuple pafteur , qui
finit par être un Peuple conquérant . Bientôt
leurs progrès vers le Sud en firent
un Peuple commerçant. L'Arabe devint
leur voiturier , & ils parvinrent à faire tout
le commerce de l'Afrique & de l'Inde.
C'eft dans l'Ouvrage même qu'il faut lire
toute l'Hiftoire de cet ancien commerce.
C'est un des morceaux les plus confidéra
bles & les plus utiles de ce fecond volume
, où l'Auteur jette un grand jour fur
divers paffages obfcurs de l'Ecriture fainte
& des anciens Auteurs.
*
DE FRANCE. ΙΘΙ

LA CHAUMIERE INDIENNE , par
Jacques- Bernardin Henri DE ST-PIERRE.
Miferis fuccurrere difco . VIRG .
De l'Imprimerie de Monfieur. A Paris ,
chez Didot le jeune , Libraire , quai des
Auguftins, Prix , 30 fous , & fur papier
vélin , 3 liv.
CET Ouvrage intéreffant d'un Auteur
ser d'intérefler toujours , parce qu'il vit
avec la Nature , qu'il la fent , qu'il fair
la peindre & la faire fentir à fes Lecteurs ,
a moins d'étendue , mais , dans un autre
genre , ne mérite pas moins de fuccès que
Paul& Virginie. C'eft un Conte , fi l'on
veut , & mêine un Conte Indien , mais
qui contient beaucoup de vérités , bonnes
à faire circuler en Europe.
Une Société de Savans Anglais entreprend
d'aller par tout le Monde chercher
des lumieres fur les Sciences , pour éclairer
les hommes & les rendre plus heureux.
Vingt Affociés fe partagent la Terre , &
partent , chacun avec up gros volume de
Queftions à réfoudre , dont le nombre montait
à 500. Chacun devait , en ontre , ſe
procurer les plus anciennes éditions des
102 MERCURE
Livres favans de tous pays , les manufcrits
les plus rares , ou de bonnes copies de ces
manufcrits. Les fonds étaient faits par une
Compagnie riche , qui croyait faire ainti
beaucoup de bien aux Sciences , & par
conféquent aux hommes.
Le plus favant de ces Docteurs , envoyé
par terre aux Indes Orientales , dont il
poffedait la Langue , vifite d'abord toutes
les parties de l'Europe qui fe trouvent fur
fon chemin ; enfuite il paffe en Turquie
puis en Egypte , en Arabie , en Perfe , &
enfin dans les Indes . Sa Collection d'éditions
, de manufcrits , de copies , d'extraits
& de notes , compofait alors quatre-vingtdix
ballots , pefant enfemble 9540 livres ;
& quand il voulut fe rendre compte de ce
qu'il en pouvait tirer pour la folution des
queftions infcrites dans fon Livre , il fe
reconnut avec douleur dans l'impoffibilité.
d'en réfoudre une feule.
Les Brames de Benarès lui apprirent
pour le confoler , que le Brame fupérieur
de la Pagode de Jagrenar , près l'une des
embouchures du Gange , était lui feul capable
de répondre à toutes ces questions.
}! part pour cette Pagode avec une fuite ,
des préfens & fon Livre. Chemin faifant
il penfe à ce qu'il doit demander au Chef
des Brames . I fe détermine à une férie
de trois queſtions , auxquelles le Rédacteur
du gros Livre n'avait pas peníé..
DE FRANCE.
103
Il arrive après dix jours de marche ;
ayant rempli toutes les formalités néceſſaires
pour être admis dans la Pagode , &
devant le Collége des Brames , préſidé par
leur Chef, il propofe à celui - ci les trois
queftions fuivantes , qu'on pourrait nommer
fondamentales dans la recherche de la :
vérité.
Par quel moyen peut - on connaître la
vérité Réponse du vieux Docteur Indien :
La vérité ne fe peut connaître que par
" le moyen des Brames «. Et tous les Brames
de s'incliner , d'admirer & d'applaudir.
- Où faut-il chercher la vérité ? Réponse :
» Toute vérité eft renfermée dans les Livres
facrés dont les feuls Brames ont l'intelligence
« Même admiration , mêmes applaudiffemens.
ود
"
-
"
Faut-il communiquer la vérité aux hommes
? Réponse : » Souvent c'eft prudence
de la cacher à tout le monde ; mais c'eft
» un devoir de la dire aux Brames " . Le
Docteur Anglais perd patience , & le récrie
fur ces réponſes. Un grand tumulte
s'éleve. Le Grand- Prêtre l'appaife , & fe
retire en difant Les Brames ne difpu-
» tent point comme les Docteurs dé Europe
«.
»
, כ
L'Anglais reprenait triflement le chemin
de Benarès , avec tout fon cortége , lorfqu'un
violent orage le force d'abandonner
les bords du Gange & de s'enfoncer dans
100
MERCURE
les terres. La nuit furvient , des torrens de
pluie inondent la campagne. On apperçoit
dans le lointain une lumiere & une cabane.
Un de fes gens y court pour allumer fon
Hambleau, & revient tout effrayé , en criant :
N'approchez pas , il y a un Paria. Ce mot
répand l'effroi dans toute la troupe ; on
explique au Docteur ce que c'eft qu'un
Paria , Indien de la derniere Cafte , de
cette Caſte réputée fi infame qu'il ne fui
eft pas permis d'approcher des habitations
Indiennes , & qu'il eft permis de tuer un
Paria fi l'on en eft feulement touché. L'An
glais , à qui toutes Caftes font égales, laiffelà
fa fuite , & entre dans la chaumiere.
Qu'y trouve-t-il ? le bonheur & la fageffe.
Le bon Paria, retiré loin des hommes , avec
fa femme , fon enfant , fon chat & fon
chien , aimé de tous ceux qu'il aime , feul
avec eux & la Nature , reçoit de fon mieux
le Voyageur , lui raconte fes aventures , &
répond à fes queftions avec un fens fi
droit, une fimplicité fi touchante, que l'ame
en eft attendrie , en même temps que l'ef-.
prit eft perfuadé.
La Nature , la Nature , & toujours la
Nature ; c'eft - là toute la doctrine de ce
pauvre & bon Paria. C'eft fon réfuge dans
le malheur, c'eft le feul Livre qu'il étudie ;
c'eft -là qu'il a cherché la vérité , & qu'il
l'a trouvée c'eft-là qu'il invite l'Anglais
qui l'interroge à la chercher comme lui.
DE FRANCE
105
.
, Mais comment & par quel moyen ? →
Avec un coeur fimple. Et quand on a
découvert une vérité , faut - il la dire aux
autres hommes ? Il faut la dire aux hommes
qui ont un coeur fimple, c'eſt- à - dire ,
aux gens de bien qui la cherchent , & non
aux méchans qui la repouffent.
"3

Ces folutions , fi différentes de celles de
l'orgueilleux Chef des Brames , rempliffent
l'ame du Docteur Anglais, d'une douce
perfuafion & d'une joie intérieure qu'il
n'avait jamais connues. Il entend pour la
premiere fois la raifon revêtue de fes graces
naïves , & de ce ftyle figuré qui eft celui
de la Nature. La vérité eft comme la
rofée du Ciel : pour la conferver pure ,
il faut la recueillir dans un vafe pur.....
Moins on tient de place , plus on eft
à couvert : une feuille fuffit au nid de
l'oifeau-mouche ; & fur-tout cette belle
comparaifon , où la fublimité de l'image
égale la jufteffe de la penfee : Le malheur
reffemble à la montagne noire de
Bember aux extrémités du Royaume brûlant
de Lahor : tant que vous la montez,
... vous ne voyez devant vous que de ftériles
» rochers ; mais quand vous êtes au fom-
» met , vous appercevez le Ciel fur votre
tête , & à vos pieds le Royaume de
Cachemire ",
130
"3
"3
39
.
Enfin il part avec regret de cette chaumiere
, féjour de la véritable fagelle , afle
106 MERCURE
d'un bonheur fi rare & pourtant fi facile.
Il s'embarque pour l'Angleterre , & dépofe
dans le Mufaum Britannique fes 90
ballots de manufcrits : mais il garde pour
fon ufage les trois réponſes du Paria fur ·
la vérité.
·
Tel eft le cadre de ce Conte philofophique,
dont je n'ai pu indiquer que les principaux
traits. On fent quelles couleurs y a
dû répandre le talent naturel & vrai de M.
de Saint Pierre. Chacun de fes Ouvrages
prouve que le véritable fecret de l'Art
d'écrire eft dans la même fource , où fon
Paria invite à chercher la vérité ; c'eſt-àdire
, dans l'étude de la Nature , & dans
la fimplicité du coeur.
On reconnaît fon talent defcriptif dans
la peinture qu'il fait de la Pagode de Jagrenat
, de fes immenfes avenues , de fes
bâtimens magnifiques ; des danfes & des
cérémonies qui accompagnent l'entrée du
Docteur Anglais , & de l'audience qu'il
obtient du Chef des Brames ; dans celle de
l'orage nocturne dont il eft affailli à fon
retour ; dans l'oppofition heureuſe entre
l'habitation fuperbe des Brames & l'humble
chaumiere , & le jardin champêtre du
Paria; dans la maniere dont ce malheureux,
à qui l'entrée de la ville était interdite de
jour , dépeint la vifite furtive qu'il y avait
faite pendant la nuit, vifite où , témoin des
maux que les hommes accumulent fur eux
DE FRANCE. 107
en s'entaffant par milliers dans une même
enceinte , il avait puifé des réſultats fi confolans
pour lui , qu'un préjugé barbare
écartait de toute affociation humaine ; enfin
dans les amours fingulieres entre ce bon
Paria & une jeune Bramine , qu'il rencontre
la nuit parmi des tombeaux , & qu'il
arrache à la néceffité de fe brûler vive fur
le bûcher d'un vieux mari .
C'est pour pleurer fa mere que la jeune
Bramine vient d'abord dans ce lieu de
douleur , où elle apporte , fuivant l'ufage,
des vivres & des fruits fur la tombe. Le
Paria n'y venait que pour fe nourrir ,
comme fes pareils , de ces mets funéraires.
Il eſt touché des larmes qu'il voit répandre.
Les yeux de ces deux infortunés fe
rencontrent. La jeune Bramine fe couvre
de fon voile & fe retire. La nuit fuivante,
le Paria commence à employer un langage
fort'ufité dans ces contrées ; c'eft celui des
fleurs. Il met fur la tombe de la mere
des pavots qui témoignent la part qu'il
prend aux regrets de fa fille. Ces pavors ,
arrofés pendant fon abfence , l'enhardiffent
à y joindre des foucis , qu'il retrouve arrofés
de même . Il ofe y ajouter une foulfapatte
, la plus noire de toutes les fleurs
de l'Inde , comme l'expreffion d'un amour
humble & malheureux . La foulfapatte n'eft
point arrofée & fe deffeche fur la tombe.
Le lendemain , il y met , en tremblant
4.
>
108 MERCURE
L
une tulipe , dont les feuilles rouges & le
coeur noir exprimaient les feux dont il
était brûlé ; mais la tulipe refte dans l'état
de la foullapatte. Il ne perd point courage
un bouton de rofe avec fes épines
devient l'interprete de fes efpérances , mêlées
de beaucoup de craintes : cette offrande eft
mal reçue le bouton de rofe eft rejeté
loin du tombeau.
Alors , laiffant toute allégorie , il fe décide
à parler lui-même ; il fe jette aux pieds
de celle qu'il aime , en lui préfentant fa
rofe. Mais il eft arrivé un nouveau malheur
à la jeune Bramine : le vieillard qui
l'avait épousée vient de mourir : il faut
qu'elle fe faffe brûler avec lui. Le Paria
met en ufage l'éloquence de l'amour pour
dérober à la fuperftition eette intéreffante
victime. Il la perfuade , l'emmene , & la
rend auffi heureufe qu'il devient heureux
par elle. L'Anglais , témoin de ce bonheur,
joignit aux trois réponſes du Paria cette
maxime gravée par la Nature dans le coeur
de tout homme fenfible : On n'eft heureux
qu'avec une bonne femme.
Une raifon folide , une fageffe aimable ,
une douce philantropie , forment en général
le caractere de ce petit Ouvrage , où
l'on apprend à aimer l'homme de la Nature
, & à détefter trois fortes de préjugés
qui ont fait bien du mal aux hommes ;
les préjugés religieux , politiques & littéraires.
A
DE FRANCE. 109
A propos de ces derniers , il faut lire
avec attention l'Avant -Propos de la Chaumiere
, & les Notes qui le fuivent. L'Auteurydifcute
quelques matieres intéreffantes.
Il contredit l'opinion commune qui attribue à
l'esclavage tremblant devant le Despotisme,
l'invention de la Fable ; comme fi un Sultan,
dit-il, ne ſe trouverait pas plus offenfé
de fe voir peint fous l'emblême d'un chathuant
ou d'un léopard , que d'après nature.
Il remarque que ce font les Peuples les
plus rapprochés de la Nature , & par conféquent
les plus libres , qui ont le plus
aimé à orner la vérité de fables ; il conclut
que ce furent plutôt les Sages qui inventerent
l'Allégorie & l'Apologue , pour mé
nager la faibleffe de l'entendement humain ,
peu fait en général pour fupporter l'éclat
immédiat de la vérité , comme l'oeil humain,
fans la paupiere que nous donna la
Nature , ne pourrait fupporter l'éclat de
la lumiere. Elle nous donna auffi l'ignorance
pour fervir de paupiere à notre ame.
C'eſt par le moyen de l'ignorance » que l'ame
" s'ouvre par degrés à la vérité , qu'elle
» n'en admet que ce qu'elle en peut fup-
" porter , qu'elle s'entoure de fables , qui
" font comme autant de berceaux à l'aide
defquels elle la contemple .
"
و د
On voit qu'il ne parle pas de l'ignorance,
comme préférable au vrai favoir , c'eſt-à-
N°. 8. 19 Février 1791 . F
MERCURE
dire à la connaiffance de la vérité ; mais
comme du point d'où l'ame doit partir pour
acquérir cette connaiffance , fans paffer par
l'erreur & par les préjugés. Il différencie
nettement l'ignorance d'avec l'erreur , &
l'erreur d'avec la fable. » L'ignorance eſt
le repos de notre intelligence....... "
ود
Elle est un bien , puifque nous la te-
» nons de la Nature ; l'erreur , au con-
» traire , eſt l'ouvrage de l'homme ; elle eſt
toujours un mal ; c'eft une fauffe lumiere
» qui luit pour nous égarer...... La fable
eft le voile de la vérité , & l'erreur en
eft le fantôme «.
99
Il propofe enfin dans une note de nouveaux
argumens en faveur de fa théorie des
marées. Ils paraiffent mériter un examen
férieux ; & fans m'ingérer à décider hors de
ma compétence , j'oferai dire qu'on me
paraît jufqu'ici avoir plutôt injurié que
réfuté ce fyftême.
Non noftrum eft inter vos tantas componere lites.
Les Savans de profeffion déclament contre
tout fyftême qui n'eft pas le leur , fans
daigner l'examiner & quelquefois fans l'entendre
les efprits routiniers ne veulent plus
rapprendre ce qu'ils croient une fois ſavoir ;
les bons efprits interrogent , écoutent
examinent ils ont une trop jufte idée des
profondeurs de la Nature , & des bornes
DE FRANCE. 111
de la raifon humaine , pour croire & fou→
tenir que l'une n'a plus de fecrets qui ne
foient connus à l'autre. Que fait - on ? Ce
qui n'eft aujourd'hui qu'un paradoxe ,
pourrait bien ne le plus être un jour. Certains
Colléges de Brames littéraires pourraient
avoir traité en Paria de la Littérature,
tel Ecrivain qui , dans fa retraite modeſte
& ifolée , aurait découvert , avec un coeur
fimple & dans la feule contemplation de
la Nature , des vérités ignorées ou méconnues
dans leurs Pagodes .
P. S. Le brigandage des contrefaçons
devient de plus en plus intolérable. Ce
dernier Ouvrage de M. de Saint - Pierre a
eu le fort des précédens . Il a été contrefait
huit ou dix jours après fa publication .
L'Affemblée Nationale qui vient d'affurer
les droits des Auteurs dramatiques , rendra
fans doute inceffamment la même juſtice
aux autres Auteurs & aux Libraires. Il eſt
temps de ne plus confondre la liberté inconteſtable
& abfolue de publier ſes penfées
, avec celle de voler le fruit des penfées
& la propriété des autres. Toutes ces
éditions furtives font d'ailleurs pleines de
fautes. C'eft chez M. Didot le jeune que
fe vendent les feuls exemplaires qui méritent
confiance , tant de la Chaumiere Indienne
que de Paul & Virginie.
F 2
112 MERCURE
·
SPECTACLES.
THEATRE ITALI E N.
ON continue avec beaucoup de fuccès
l'Opéra de Paul & Virginie , ainfi que la
Comédie du Convalefcent de qualité , dont
nous devons une courte analyfe à nos
Lecteurs,
Un grand Seigneur d'autrefois eft fujer
à la colere & à la goutte. La premiere de
ces maladies excite en lui de fréquens accès
de l'autre fon Médecin a voulu le guérir
de toutes deux. En conféquence il l'a - confiné
, en 1788 , dans une Terre ifolée au
pied d'une montagne , fans lui permettre
aucune communication avec perfonne , fi
ce n'eft avec fon Homme d'affaire , qui ,
pour faciliter la cure , ne lui a dit que ce
qu'il a voulu. La Révolution s'eft faite : il
n'en fait pas un mot , & il arrive au moment
où on l'attend le moins. On conçoit
tout l'imbroglio qui réfulte du ton trèsnouveau
que tout le monde prend avec
lui ; & comme perfonne ne peut le douter
de fon ignorance , il refte long-temps fans
être éclairci. Un honnête Citoyen de la
campagne , fort riche , vient lui demander
fa fille en mariage pour un fils qu'il a &
DE FRANCE. 113
qu'il aime beaucoup . Le Seigneur veut faire
jeter M. Gaultier par les fenêtres ; il fait
écrire une lettre au Lieutenant de Police ,
& lui demande une Lettre de cachet pour
faire enfermer à la Baftille le pere & le
fils. Il eft indigné contre fa fille , qu'il croit
toujours Chanoineffe , quoi qu'elle puiffe
lui dire , de ce qu'elle a la baffeffe d'aimer
un Bourgeois , & fur- tout de ce qu'elle
veut l'époufer.
Ce M. le Marquis doit 200 mille francs ,
que fon Créancier vient lui demander
très - incivilement à fon avis. Il croit l'appaifer
en lui promettant de faire avoir à
fon neveu un Prieuré ; à l'un de fes fils
un Emploi aux Fermes ; à l'une de fes.
filles une Penfion fur le clair de la Lune
efpece de revenu très- inconnu de l'ancien
Gouvernement , qui réfultait d'une fraude
légale , convenue entre l'Adminiſtration &
I'Illuminateur des rues de Paris, Le Créancier
ne fe paye pas de ces promeffes devenues
chimériques. Il menace , on le rebute
: il s'emporte , & fait mettre à exécution
une Sentence qu'il a obtenue au grand
étonnement du Seigneur , qui comptait toujours
fur fon crédit au Parlement.
Enfin le Médecin revient , & prend le
parti d'éclaircir tous ces événemens à fon
malade , plus malade que jamais . Il lui
apprend , lui développe & juftifie la Révolution
avec l'éloquence de M. Fabre
F 3
114 MERCURE
d'Eglantine , Auteur de cet Ouvrage. Le
Marquis , plus atterré que perfuadé , s'adoucit
néanmoins , lorfque ce même M.
Gaultier vient infifter pour avoir fa fille.
Il a acheté la dette du Marquis , dont il
empêche par conféquent la faifie ; il la lui
offre comme préfent de noce , & ne demande
point de dot. On préfente le futur,
& le Marquis fe détermine tout-à- fait en
lui voyant les deux épaulettes & l'uniforme
de Chef de Divifion de la Garde Nationale
: il le prend pour un Colonel.
Ce cadre rappelle un peu celui d'Epiménide
; mais M. d'Eglantine a donné la
couleur qui lui eft propre à ce tableau . It
eft tracé avec énergie , & plein de traits
d'un effet sûr . Peu d'Auteurs aujourd'hui
réuniflent au même point le fel & la verve
comique.
ON vient de donner au même Théatre
Le Franc Breton, petite Comédie charmante,
tirée d'un Conte de M. Marmontel , qui a
paru dans ce Journal l'année derniere, Nos.
deniers,
40 & 45. Le Conte eft exactement fuivi ;.
mais l'Auteur l'a mis au Théatre avec la
maniere qui lui eft propre , & il y a répandu
des détails pleins de grace & de fenfibilité..
Cette Piece eft de M. Dejaure , connu par
plufieurs autres Ouvrages intéreffans qui
ont eu tous beaucoup de fuccès. Elle eft
parfaitement jouée.
DE FRANCE. 115
NOTICES.
L'OBSERVATEUR FRANÇAIS , ou le
Publiciſte véridique & impartial .
L'Auteur de cette Feuille , deftinée à un petit
nombre de Lecteurs , les fuppofe parfaitement
au fait des chofes , des perfonnages , des projets ,
des relations politiques . Affez d'autres donnent
les détails , copient les pieces juftificatives : l'Obfervateur
a toujours les yeux ouverts fur la marche
lente de la Conftitution , fur l'adminiftration.
confufe des Municipalités , fur l'inquiete activité
des Sections , fur les erreurs des Tribunaux , fur
la geftion des Départemens , fur l'indifcipline de
l'Armée. A côté de ces malheurs néceffaires , à la
fuite d'un bouleverſement général , l'Obfervateur
placera les excellentes Loix forties du fein orageux
de la Puiffance légiflatrice , la publicité que
l'Adminiſtration Municipale donne à fes démarches
, les avantages qui naiflent de la furveillance
trop minutieufe des Sections , Fapplication
laborieufe des nouveaux Juges , le zele patriotique
des Départemens , la noble réfiflance des
Corps Militaires , intacts aux fuggeſtions des perturbateurs
de l'ordre.
La Soufcription eft ouverte au Bureau, rue Chriftine
, à Paris , chez L... P ... Couret , Imprimeur ::
il en paraîtra par ſemaine deux feuilles de 8 pag.
in-4° . à deux colonnes , für beau papier , en
caracteres neufs ; de maniere que l'on aura cha
que année deux Volumes de 4 à 500 pages chacun
; on promet même de donner des Supplémers .
lorfque l'importance des matieres paraîtra l'exiger..
On peut fouferire pour fix mois feulement , à
116 MERCURE
raifon de 12 liv. on payera l'Abonnement d'une
année 24 liv. On prie les perfonnes de Province
de s'adreffer à MM . les Directeurs des Poftes ,
ou aux principaux Libraires mais pour ne pas
apporter d'interruption dans le fervice , il futhra
de mettre la fomme de 12 ou 24 liv . au Bureau
de Pofte le plus voifin de l'endroit qu'on habite ;
on pourra même fe difpenfer d'affranchir le port
de la lettre & de l'argent . L'adreffe doit être
ainfi mife , fur le registre & fur la lettre d'avis :
A M. L. P. Couret , Imprimeur Libraire , rue
Chriftine , No. 2 , à Paris .
MM. les Auteurs , Libraires , Graveurs , & c . qui
défireraient annoncer leurs Ouvrages & les Nouveautés
de leur Masafin , font priés d'en faire
remettre un Exemplaire à l'adreffe ci - deffus ;
F'annonce & l'analyfe feront inférées fuivant
l'ordre où elles feront parvenues au Bureau on
offre l'échange de ce Journal contre tel autre
lors même que la Soufcription ferait d'un prix
bien inférieur. On peut auffi foufcrire à Orléans ,
chez M. Couret , rue du Colombier , N° .74 , feul
chargé de la Correfpondance pour cette ville .
Etrennes Financieres , ou Recueil des Matieres
les plus importantes en Finance , Banque , Commerce
, &c. ze. Année , par M. Martin . 1 Vol.
in- 8 ° . de 360 pages Prix , 4 liv . 10 f. br. &
livres port franc par la Pofte dans tout le
Royaume. A Paris , chez l'Auteur , rue des Vieux
Auguftins , No. 26 ; & les Libraires du Palais-
Royal.
Cet Ouvrage , en s'étendant fur les Décrets
de l'Aflemblée Nationale relatifs à la Finance ,
au Commerce , & c . n'en devient que plus intéreffant
, & mérite à d'autant plus jufte titre te
fuccès qu'il a obtenu dès fa naiffance.
DE FRANCE. 117
L'Education de Henri IV , ou Hiftoire fidele
de la jeuneffe de ce grand Roi , depuis fa naiſſance
jufqu'à fa 19e. année , & le jour terrible de la
Saint-Barthélemi , où fon Gouverneur a été tué :
par M. D*** . Béarnais. 2 Vol in- 8 ° . ornés de
6 Eftampes , traitées avec les mêmes foins que
celles de l'Hiftoire Univerfelle. Prix , 9 liv. br.
Pour que la premiere Edition puiffe devenir
un Ouvrage précieux , tant par la beauté de fon
exécution , que pour le choix des Epreuves , on
ne l'a tiré qu'à icoo Exemplaires . A Paris , chez
Duflos, Graveur , rue St -Victor , Nº . 151 , là 3e.
porte cochere à gauche en entrant par la Place
Maubert.
Tout ce qui concerne ce Roi chéri a droit de
nous intéreffer , & l'Hiftoire de fa jeuncffe que
nous annonçons , y prétend encore plus par la
maniere dont elle eft exécutée. On y trouve avec
plaifir plufieurs détails peu connus , & ceux qui
le font davantage paraiffent rajeunis par la ma
niere de l'Auteur . Le ftyle en eft agréable , &
la partie typographique très-foignée. Les Gravures
font dignes du crayon de M. Mariller & du burin
de M. Duftos.
.
P. S. La 18e . Livraiſon de l'Hiſtoire Univer,
felle , par Figures , eft au jour , & eft traitée
avec les mêmes foins que le N° . précédent.
C'est une de ces belles entrepriſes qu'on ne
faurait trop encourager pour le foutien des Arts..
Moyens pour accourcir les opérations de la
perspective , par M. Lahure , Architecte . Brochure
in-4 . avec des Planches. A Paris , chez l'Auteur ,
rue de la Chanverrerie , No. 21 .
118
MERCURE 1
Tout ce qui peut contribuer à perfectionner
les Arts , à en facil ter l'étude , a droit d'être
accueilli avec empreffement , & nous croyons
que l'Ouvrage de M. Lahure doit être fort utile
aux Artiftes. Eux feuls font en état d'en juger .
Etrennes du Parnaffe , avec Mélanges de Littérature
françaife & étrangere , avec plufieurs
Manufcrits trouvés à la Baftille par les foins du
Rédacteur , dans lefquels eft celui du Mafque de
Fer par M. Baude de la Croix. A Paris , chez
Belin , Libr. rue St-Jacques , près St-Yves.
Ce Recueil n'eft que depuis deux ans entre
les mains de M. Baude. On y trouve des morceaux
en vers , en profe , de tous les tons & de
tous les goûts. Celui que l'Auteur paraît prifer
davantage eft la copie d'un Manufcrit de l'homme
au Mafque de fer , trouvé ( à ce qu'il affure )
dans la Baftille. Ce prifonnier fameux était , felon
M. Baude , le Duc de Monmouth ; & il eft fi
sûr de fon fait , qu'il prétend que la famille de
ce Duc lui a envoyé un Manufcrit pareil pour
faire piece de comparaifon. Il eft un peu étrange ,
d'après cela , que le fecret de cette captivité ,
qui avait toute une famille dans la confidence ,
ait été gardé fi long- temps , & foit encore aujour
d'hui un myftere .
M. Baude fe plaint , avec raifen , de la négligence
de fon Imprimeur , qui a laiffé échapper
beaucoup de fautes typographiques . Il a le
même droit de fe plaindre de fon Copifte ; la
maniere dont il a muti'é quelques pieces , prouve
qu'il ignore les regles de la verfification.
On y trouve, au refte , plufieurs morceaux fort
agréables.
DE FRANCE.
119
Tableau des Biens à vendre , rue St-Magloire ,
près celle Salle-au-Comte , quartier St-Denis.
Neuf Tableaux ont été fournis dans le courant
du mois dernier.. Leur collection préfente , 1 ° .
l'enſemble des Biens particuliers à vendre à Paris ,
aux environs de Paris & dans les Provinces ; 2º.
le détail des Domaines Nationaux mis en vente
dans les Diſtricts de Verfailles , de Goneffe , de
Saint-Germain-en- Laye, de Corbeil , de Montfortl'Amaury
, de Pontoife , de Mantes , d'Etampes ,
de Meaux , de Rofoy & Coulommiers, de Nemours,
de Senlis , de Nogent-fur-Seine , de Bar-fur-Aube ,
de Bar-fur-Seine , d'Epernay , de Chartres , de
Châteaudun , de Dreux , d'Orléans , de Neuville ,
de Pithiviers , de Bourges , de Romorentin , 'dé
Sens , du Mans , de Mamers , de Frefnay , de
Châtillon - les-Dombes , de Bourg , de Trévoux ,
de Mont- Luel , de Pont - de- Vaux , de Vezoul ,
d'Iffoudun,, de Châteauroux , de Tours , de St-
Etienne , de Befançon , de Quingey , de Vannes ,
de Ploërmel , d'Hennebond , de Rochefort , de
Digne , de Forcalquier , de Sifteron , de Caftelane ,
de St- Claude , de Dole , de Poligny , d'Aubenas ,
´de Carentan , de Béziers , & de Lodeve.
>
Il paraît deux Tableaux par femaine . On foufcrit
au Bureau. Prix , 30 liv. par an , 18 liv . pour
fix mois , & 12 liv. pour trois mois. Pour la Province
, 42 , 24 & 15 liv . franc de port.
GRAVURES.
Plan de la ville de Perpignan , Capitale de la
ci -devant Province de Rouffillon , aujourd'hui
Chef- lieu du Département des Pyrénées Orien120
MERCURE DE FRANCE.
tales ; par M. A.... Moithey , Ingén. Géographe.
A Paris , chez l'Auteur , rue de la Harpe, Nº. 109.
Prix , 1 liv . 4 f..
Nouvelle Carte de France , fuivant fa nouvelle
divifion en 8 ; Départemens , décrétée par l'Affemblée
Nationale ; dreflée fur la même échelle
que celle des Provinces de France de Guil . de
Lifle , afin de faciliter la comparaifon de l'état
ancien de ce Royaume avec fon état préfent ;
par Dezauche , Géographe du Roi , fucceffeur des
Sicurs de Life & Phil. Buache , ier . Géographe
de Sa Majefté , & de l'Académie Royale des
Sciences.
Cette Carte , qu'il faut diftinguer de toutes
celles qui ont été publiées , indique les Chefslicux
de chaque Département ; ceux des différens
Diftricts le font par un aftérifque. Elle indique
aufi la nouvelle Divifion eccléfiaftique en 83
Métropoles & Evêchés , ca en défignant le lieu
dans chaque Département. L'on peut fe la procurer
également fous cette nouvelle divifion . Prix ,
enluminée , 2 liv. A Paris , chez l'Auteur ,
des Noyers.
rue
TABL E.
ROMANCE pafiorale 85 La Chaumiere Indienne . 101
Allégorie. 90 Théatre Italien.
Charade, En. Log.
Voyage.
9 Notices.
931
112
115
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 26 FÉVRIER 1791 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS ..
A Dona HENR. Mag . Y. déC . en lui
renvoyant la Galathea de MICHEL
CERVANTES ( 1 ) .
OU les trouver ces charmantes Bergeres
Dont on nous fait un portrait fi flatteur
Réuniffant gaîté , graces légeres ,
Et fleur d'efprit au charme d'un bon coeur ;
" − ( 1 ) Cette bagatelle , compofée d'abord en vers Eſpagnols
, a été traduite par l'Auteur même : on s'apper-
Gevra peur - être en la lifant que nos Mufes Frauçaiſes
a'accompagnent guere leurs Amans en pays étrangers.
Note de l'Auteur.
N°. 9. 26 Février 1791.
G

MERCURE
Joignant encore aux dons de la Nature
Ces Arts piquans , dont l'aimable impofture
Sait embellir jufques à la Beauté ?
De fimples fleurs compofent leur parure ,
Mais où le goût unit , d'une main sûre
Et l'élégance & la ſimplicité.
2
Si quelquefois , au bord d'une onde pure ,
La danfe vient amufer leur loifir ,
Leur pied léger , fidelę à la meſure ,
Sans la toucher , effleurant la verdure ,
Semble voler fur l'aile du Zéphir ,
" Et fur la trace appeler le plaifir.
Comme avec art l'aiguille induftricufe
Sait, fous leurs doigts , nuancer les couleurs
Entre leurs mains la toile eft argueilleufe
De fe couvrir & de fruits & de fleurs :
D'un fil trompeur tel eft l'adroit preſtige :
Dans nos bofquets , la rofe fur fa tige
Ne brille pas d'un aufli vif éclat ;
En longs feftons , la grappe fur la treille
Ne fe peint pas d'un fi tendre incarnat.
Plus d'une fois , à leur fraîche ur vermeille ,
De ces tiflus ignorant la merveille ,
Flore voulut en remplir fa corbeille ;
L'Amant de Flore en careffa l'émail
Du bout de l'aile ; & dans fon vol , l'abeille ,
En bourdonnant , y perdit fon travail.
BIBLIOTHECA
REGIA.
MONACENSIS.
DE FRANCE.
123
Quel charme encor , lorfqu'un tendre délire
De Polymnie empruntant les accens ,
Dans des couplets que le coeur feul infpire ,
Et qu'accompagne une touchante lyre ,
De leur quinze ans nous peint les doux tourmens!
Talens heureux dont la vertu fecrete
Fixe à leur Cour un long eſſaim d'Amans
D'Amis auffi fi l'amitié difcrete
Peut allumer d'auffi vifs fentimens !
>
Où les trouver ces charmantes Bergeres ?
Que de couleurs , hélas ! trop menſongeres ;
Dans ce tableau que Miguel ( 1 ) nous peignit
Où les trouver ? au pays des chimères ,
Ou bien aux lieux qu'Henriette embellit.
( Don Gaspar Mévolhon , Guard. del
Corps, Compania Flamenca. )
( 1 ) Michel Cervantes , Auteur de Don Quichotte
de Galathée , des Nouvelles , & c.
Gi
24
MERCURE
LA SOCIÉTÉ DÉLICIEUSE ,
FABLE.
>
JE vis dans un féjour tranquille ;
'Ah Dicu , qu'il a pour moi d'attraits !
La bonté règne en cet afile
Et ne s'en éloigne jamais.
On n'y connaît point l'artifice ;
Ainfi que chez mos bons aïeux ,
La fineffe s'appelle un vice ,
L'hymen n'y fait que des heureux,
Les femmes fentent la folie
De fe déchirer fans pitié ,
Ou de maſquer la perfidie
Sous les dehors de l'amitié.
C'eft dans ce féjour agréable
Que s'eft fixé le vrai bonheur.
mes Amis ! plaignez mon coeur ;
Je ne vous conte qu'une Fable.
( Par un Abonné , de Guife. )

DE FRANCE. 125
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Gharade eft Hautbois ; celui
de l'Énigme eft Chandelle ; celui du Logogripho
eft Ecu .
CHARADE.
JE fuis dans mon premier agréable aux jalour ,
Et je fus de tout temps incommode aux filoux.
Pour fa sûreté , l'un avec grand foin me fcelle ;
L'autre , plus dangereux , par un tour clandeftin ,
Me force pour jouir des tréfors que je cele ;
L'un , l'autre je trahis , car tel eft mon deftin .
Semblable au Dieu Janus , je poffede deux faces
Qui ne fauraient jamais voir le même horizon ;
En allant & venant , je rends parfois un fon
Qui fouvent dérangea maint tours de pafle-paſſes.
Venons à mon fecond , il eft d'un grand ufage
Pleut- il , ou fait-il beau ? que je fuive tes pas ;
C'eft ainfi que raifonne un bon & vieil adage :
De lui , mon cher Lecteur , oh ! tu feras grand cas
Quand des fiers Aquilons l'âpre & bruyante haleine
Chaffera brufquement les Zéphirs de la plaine.
:
G 3
726
MERCURE

Mon tout fur chamaré d'ornemens fuperflus ,
Naguere d'un grand prix , mais qu'on n'eftime plus .
ON
( Par M. Lavialle de Mafmorel ,
Citoyen de Donzenac. )
ÉN IGM E..
N ne contefte point ma très-haute importance ;
A Berlin , à Madrid , en Chine comme en France ,
On m'aime on me careſſe , on n'a d'yeux que'
pour mor ,
,
Et tout cela vraiment fans trop favoir pourquoi ,
Puifqu'en vrai petit monfire , & pour m'inftruire
au crime ,
De ma mere parfois je fais une victime .
Je fuis affez fouvent d'un naturel pervers ;
J'ai freres à foifon dans ce vafte Univers ;
Notre race eft antique & même très-connue ;
Notre pere époufa la premiere venue ;
Auffi fut-il, dit-on , attrapé comme un fot :
Tu feras fin , Lecteur , fi tu trouves le mot ;
Je veux encor t'aider : du Dieu de la tendreffe
Ote les attributs , ôte ce qui te blefle ,
Il ne restera plus qu'un enfant comme moi ,
Et tel que fut celui qui maintenant eſt cft Roi.
( Par le même. )
+
DE FRANCE
. 117
LOGOGRIP
HE.
1
LECTEUR ,
ECTEUR , tu vois en moi le fils de la Déeffe
Que jadis on exclut des noces d'un grand Rof
Ennemi du repos , je m'agite fans ceffe
Pour forcer l'Univers à vivre fous ma loi.
Mon tout eft vraiment déteftable :
Voyons fi dépecé , je ferais plus aimable.
On trouve en mes fept pieds un précieux métal
Un écumeur d'étangs , quadrupede animal ;
Ce qui fauva ton chef aux jours de ton enfance }
Une des fept couleurs fort à la mode en France ;
Ce qu'on trouve fouvent au milieu du chemin j
Qui toujours y déplaît , fur-tout au fantaſſin ;
La piece qui d'un chat eft la plus néceſſaire ;
Ce
que tout homme honnête en public n'oſe faire §
Le fymbole qui peint l'aimable Dieu du vin 3
L'enveloppe d'un fruit qui te noircit la main ;
Ce que l'ardent Damis va donner à ſa mere ;
De la chevre & du cerf la pâture ordinaire ;
Une ville où naquit un célebre Ecrivain ,
Qu'artofe la Dordogne au fond du Limoufin ;
Deux notes ; une fleur dont , en un jour de fête ,
La jeune Amarillis fe couronne la tête .
Dévine donc , Lecteur , je ne dirai plus rien :
Cherche en moi l'ennemi de tout homme de bien.
{ Par le même. ) ·
G 4
128
MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
DISCOURS fur le Plaifir & la Douleur
par M. PANCKOUCKE , Entrepreneur
de l'Encyclopédie.
CET Ouvrage préfente , dans un perit
efpace , un grand nombre d'obfervations
que l'homme inftruit aime à fe rappeler , &,
que des Lecteurs moins verfés dans l'étude
de la Nature , doivent être bien aiſe de
trouver recueillies.
L'Auteur confidere le principe du Plaifir
& de la Douleur , la Senfibilité , dans les
enfans , dans les adultes , dans les vieillards ,
& dans certains accidens de la vie qui femblent
la détruire ou du moins la fufpendre.
Il la confidere dans les animaux , tantôt
dépourvue d'entendement , & tantôt réunie
à une intelligence & à des qualités
morales qui les rapprochent de l'efpece humaine.
Il la confidere enfuite dans l'homme.
fauvage , & enfin dans les différentes conditions
de l'homme civilifé : ici ce ne font
plus feulement les caufes du Plaifir & de
la Douleur qui occupent fon attention ,
mais celles d'un état plus habituel & plus
DE FRANCE. 129
conftant , le bonheur ou le malheur de
l'homme.
On fent combien un coup d'oeil rapide
fur la Nature vivante , lui fait découvrir
de détails curieux & intéreflans : ils ne le
font pas moins dans les notes que dans le
& ils font tous écrits d'un ftyle vif
& animé. J'en vais donner quelques exemples
.
texte ;

Cette faculté , dit-il en parlant de la
Senfibilité eft le principal attribut de
l'ame ; c'eft par elle que l'homme s'éleve
aux plus fublimes fpéculations , & qu'il eft
parvenu à dominer fur la Nature entiere
& fur lui-même. Cette qualité n'eſt point .
immuable ; elle eft fufceptible , comme
toutes les autres qualités relatives , d'ac-.
croiffement & de diminution , de divers
degrés de force & d'intensité ; elle differe.
d'homme à homme & d'individu à individu ;
elle va en augmentant de l'enfant à l'adulte
, de l'adulte à l'âge viril ; à cet âge ,
elle s'arrête quelques inftans , & va toujours
en décroiffant de l'âge viril à la vieilleffe,
& de la vieilleffe à la décrépitude .
Confidérée phyfiquement , elle varie fuivant
l'âge , le tempérament , le climat , la
nourriture : moralement , elle prend toutes
les nuances que l'éducation individuelle &
l'éducation fociale font naître & développent
en nous ; car l'homme de la Nature
& celui des Sociétés civilifées , font , re-
G S
30
MERCURE
lativement à la Senfibilité & à fes développemens
, deux êtres , pour ainfi dire , différens
; & fi l'on devait calculer la durée
de la vie fur le nombre des jouillances
il y a tel homme des grandes Capitales ,
qui , dans le cours de fa vie , aura plus
joui que dix mille Sauvages dans le même
efpace de temps “.
-
» Si les animaux , dit-il ailleurs , recherchent
le Plaifir & fuient la Douleur , fi
plufieurs donnent des fignes d'intelligence ,
pouvons nous douter qu'ils ne poffedent
une certaine portion de cette précieufe .
étincelle , fource du bonheur & du malheur
? Le vif attachement que la plupart
montrent pour leurs petits ; les peines.
qu'ils reffentent lorfqu'on les leur enleve ;
les combats , les fureurs auxquels ils fe.
livrent pour les défendre ; leur induftrie ;
les rufes que la plupart font obligés d'em- :
ployer pour le procurer leur fubfiftance ; laprévoyance
de plufieurs , les guerres qu'ils
fe font entre eux , les plans concertés de
plufieurs efpeces confidérables ; les voyages
, les émigrations de plufieurs autres ;
les cris qu'ils font entendre lorfqu'on les
fait fouffrir , les convulfions de leur mort ;"
l'attachement que nous témoignent plufieurs
animaux domestiques , leur obéiffance
à nos volontés , le développement de leurs
facultés , leur fidélité , les fervices qu'ils
nous rendent , tout ne nous indique-t-il
DE FRANCE.
pas des êtres doués de fentiment & d'une
certaine intelligence « ?
C'eft pour nous plus qu'un phénomene ,
c'eft un prodige que la conftance des Sauvages
dans les totirmens. Voici comment
l'Auteur la décrit & l'explique : » Un Sauvage
, dans les fupplices , paraît un être
d'une nature plus qu'humaine. C'eft un
Heros , du premier ordre , qui brave fes
bourreaux , qui provoque la douleur , qui
combat contre elle , & qui met toute la
gloire à la vaincre «.
Ici la peinture des atrocités que le Sau
vage exerce fur fon ennemi vaincu & prifonnier
, fait frémir la Nature ; & au milieu
de ces tourmens horribles , " le Héros
chante , défie . fes bourreaux , cherche à
augmenter leur furie , en leur reprochant
de ne pas favoir venger leurs , peres qu'il a
maflacrés «. Vainqueur dans ce combat de
la douleur contre la Senfibilité , le Sauvage
expire , meurt fans qu'on ait pu fouvent
lui arracher une feule larme , ni le moindre
foupir.
".
Telle eft l'efpece humaine dans fon plus
haut degré d'énergie & d'atrocité : mais il
eft un état où elle femble encore plus dépravée
; c'eft lorfque , par les habitudes de
la civilifation , ayant perdu cet excès de
courage , elle n'en conferve pas moins cet
excès de férocité. L'homme à la fois lâche
& cruel , & plus cruel encore par fa lâcheté
même , eft l'opprobre de fon efpeco
132
MERCURE
Quel eft, fe demande l'Auteur, quel eft
l'appui & le foutien du Héros Sauvage
dans des momens auffi cruels la crainte
de la honte , la crainte d'en couvrir la
Tribu à qui il appartient , la crainte d'imprimer
à fes égaux une tache ineffaçable
Ainfi l'effet le plus étonnant du pouvoir
des caufes morales , de la force de l'opinion
, cette conftance auprès de laquelle
celle d'un Régulus , d'un Scévola , d'un
Zopire n'eft rien , fe trouve chez des hommes
de complexion faible , & prefque abfolument
privés du fens moral. Ce phénomene
, attefté par les Voyageurs & reconna
par les Hiftoriens , ferait inconcevable fi
la fenfibilité du Sauvage était la même que
celle de l'Européen. » Mais , obferve l'Auteur
, l'air que les Sauvages refpirent eft
rempli de brouillards , de vapeurs humides ;
leurs fleuves , leurs rivieres n'étant point
contenus , & fe livrant au caprice de leurs
Bots & à l'impétuofité des vents , fe répandent
fer les campagnes , & y dépofent une
vafe putride & mal-faine : les végétaux ,
les arbres preflés les uns contre les autres,
fervent , dans ces pays incultes & agreftes ,
plutôt de rempart à la terre que d'ornement.
Au lieu de ces ombrages frais &
délicieux , de ces allées à perte de vue, qui
fe croifent dans tous les fens , & que préfentent
aux Voyageurs étonnés les belles
forêts de France & d'Allemagne , celles de
DE FRANCE.
133
l'Amérique , dans leur fombre épaiffeur ,
ne fervent qu'à intercepter les rayons du
foleil , & à empêcher l'action de la chaleur
bienfaifante de cet aftre. Le Sauvage
participe de cette nature humide : fon fang
a fort peu de chaleur , fes humeurs font
épaiffes , fon tempérament phlegmatique ,
&c. «. A cette caufe puiflante du climat ,
l'Auteur ajoute celle de la vie habituelle
des Sauvages. Ils font agiles fans être
forts , & cette agilité tient plus de l'habitude
que d'une vigueur naturelle. Ils en
font redevables à la néceffité & à l'exercice.
habituel de la chaffe , & cet exercice habituel
donne à leurs fibres plus de roideur
& moins de fenfibilité ",
"
L'Auteur , après avoir décrit la miférable
condition du Sauvage : C'eft cependant,
dit-il , cet état de haute mifere qu'on n'a
pas craint d'élever au deffus de celui des
Nations les plus civilifées ; & dans ce fiecle
de lumiere , ce paradoxe incroyable a
trouvé quelques partifans .
,
Plus bas , en parlant du Bonheur : » On
ne peut l'eftimer , dit- il , que par la qualité
de fenfations agréables dont on jouit ; & la
Nation qui , toutes chofes égales d'ailleurs ,
aura fu multiplier & varier le plus fes
jouiflances , me paraîtra , à tous égards , la
plus heureufe & la plus digne d'envie.......
Ce Philofophe ancien , qui remerciait les
Dieux de l'avoir fait naître Grec plutôt
134
MERCURE
que Barbare , & Athénien plutôt que Citoyen
de toute autre ville Grecque , avait
donc grande raifon , puifqu'Athenes. était
alors le centre du goût , de l'urbanité , des
Beaux-Arts , & de toutes les jouiffances.
Il n'en eft pas moins vrai , & l'Auteur
en convient , que prefque par-tout le Plaifir
& la Douleur, & par conféquent le Bonheur
& le Malheur, fe compenfent ; car en
même temps que l'homme apprend à jouir,
il apprend à fouffrir : c'eft à lui feul qu'eft
réfervés la faculté de perfectionner ou de
dépraver fon inftinet , de rafiner fes feng
on de les altérer , de fe donner des goûs
factices , de multiplier fes befoins , fes
jouiffances , fes pallions , fes privations
de fe créer des biens & des maux de caprice
, & de changer fes fantaifies en défirs,
en regrets , & en tourmens réels .
Les animaux , même les plus dociles à
F'inftrusion , apprennent peu de chofe ;
ni nos biens ni nos maux fantaftiques ne
leur font connus ; & pour eux le Flaifir &
la Douleur peuvent également fe mefurer
fur le degré de fenfibilité dont la Nature
a doué leurs efpeces. Mais du côté des
organes , en peut aauuftfhi fuppofer dans
l'homme la balance égale entre le bien &
le mal phyfique , je ne crois pas qu'il y
ait de mème pour le bien & le mal moral
une jufte compenfation ; & fi l'homme s'eft
fait une infinité de plaifirs dont les animaux
DE FRANCE. 135
2
$
font privés , il s'eft fait encore un bient
plus grand nombre de douleurs & de peines
dont les animaux font exempts. La cupidité,
l'ambition , l'envie , les jaloufies de l'amour
& celles de la vanité , les regrets du paffé,
les inquiétudes & les terreurs de l'avenir
les mille efpeces d'efclavages que les paffiens
nous impofent , & fur-tour le befoin
de vivre hors de foi dans l'opinion" : voilà
les triftes priviléges de l'efpece humaine fur
toutes les espèces vivantes d'où l'Auteur
a conclu avec tous les Sages , que c'eft dans
une médiocrité de défirs & de jouillances
que la vie humaine donne le moins de
prife au Plaifir & à la Douleur , fur-tout
à la Douleur , dont les caufes font plus
fécondes .
Tel eft le réfultat des obfervations &
des réflexions dont ce petit Ouvrage est
rempli ; mais il a fur tout le mérite de
denner lieu à des méditations encore plus
étendues que l'objet qu'il embraffe ; & je
puis dire , d'après moi-même , qu'il produit
l'effet des bons Livres , celui de donner
à penfer. -
Qu'eft- ce, en effet, que le principe de cette;
fenfibilité qui , pour tous les étres vivans ,
eft la mefure commune du Plaifir & de la
Douleur ? C'eft l'énigme de la Nature , &
peut-être le plus profond de fes fecrets .
Depuis que l'efprit humain fe fatigue à
vouloir percer ce myftere , il a eu deux
136
MERCURE
grandes idées celle d'une ame univerfelle
répandue dans la matiere Mens agitat
molem ; & celle d'un mécanifme univerfel.
foumis à d'éternelles loix .
Mais autant ces deux hypothefes font
d'abord impofantes par leur fimplicité &
par leur étendue ; autant , à l'examen & à
l'épreuve de l'analyſe , elles ſe trouvent
dénuées de confiftance & de folidité.
Un mécanifine tel que celui du Monde,
combiné fans intelligence , & tous fes.
mouvemens réglés par des Loix fans Légiflateur
! Une ame unique & fimple unie
à la matiere , indivifiblement la même dans
le boeuf qui rumine , & dans l'homme qui
penfe , dans Newton & dans un infecte ,
dans le tigre & dans la colombe , dans
Marc- Aurele & dans Néron ! Ce font -là
bien évidemment des chimeres philofophiques
, & auxquelles je doute que jamais le
bon fens ait pu croire de bonne foi.
Er cependant quel eft ce principe de vie,
cet élément de fenfibilité , qui , répandu
dans la Nature , y femble univerfellement
& graduellement diftribué , non feulement
à des millions d'efpeces d'animaux , depuis
l'infecte jufqu'à l'homme , mais aux plantes,
mais aux corps mêmes que l'on appelle
inanimés ?
C'eſt un étonnant phénomene en Chimie
que ces fympathies mutuelles, ces mutuelles
antipathies , qu'on voit fi conftamment réDE
FRANCE.
137
>
gner entre les élémens des corps ; ces amities
inaltérables qui les font fe chercher ,
s'attirer & s'unir ; ces inimitiés invincibles
qui les rendent infociables ; ces médiations
conciliantes qui , de l'un de ces élémens
forment le lien de deux autres ; enfin ces
goûts de préférence qui les font fe quitter
& rompre une alliance mal affortie , pour
en former une autre qui a pour eux plus
d'attrait ; car ce n'eft point- là le Roman ,
mais bien l'Hiftoire de la Chimie ; & dans
les mixtes qu'elle analyfe ou qu'elle com- :
pofe elle - même , elle ne voit fans ceffe
qu'affinité ou éloignement , prédilection ou
répugnance.
C'eft un prodige encore plus frappant
dans les plantes , que cette apparence d'inftinct
qui leur fait humer avec choix les
fucs qui leur font analogues ; inférer leurs
racines dans les veines du roc pour y fucer
le fein de leur mere commune ; étendre &
plier leurs rameaux comme il leur eft le:
plus commode ; s'attacher à l'appui qui
peut les foutenir , lorfqu'elles fentent leur
faibleffe ; fe féconder en s'uniffant , quand
les deux fexes en font diftincts ; ouvrir leur
fein à la rofée ou aux doux rayons du
foleil , & les fermer au fouffle d'un vent
froid qui vient les glacer.
-
Jufque là , ni les minéraux , ni les végétaux
ne nous donnent que des fignes confus
de fenfibilité ; & nous en inférons qu'ils
138
MERCURE
ne font fufceptibles , ni de plaifir , ni de
douleur. Mais lorfque , par une gradation
imperceptible , le même inftinct paffe d'un
regne à l'autre , & que l'être animé le plus
reffemblant à la plante, l'huître , attentive
à fermer fes écailles dès que le péril la
menace , & occupée à fe nourrir , ajoute.
au foin de fe conferver le défir de fe reproduire
, & en invente le moyen ; lorf
que l'abeille dans fa ruche , l'araignée fur
fes filets , le formica- leo dans fon petit
abîme , nous donne fi vifiblement des fignes
de fagacité , d'induftrie & de prévoyance
; lorfqu'enfin , d'efpece en efpece ,
le caractere de l'animal commence à fe
moralifer par le mélange des qualités de
l'ame & des facultés de l'efprit ; lorfque
dans la fociété & la police des caftors ,
dans l'équité , la bienveillance ou l'averfion.
de l'éléphant , dans fes reffentimens & fa
reconnaiffance , dans l'amitié , le dévoue-.
ment & la fidélité du chien qui venge la
mort de fon maître , ou qui expire fur fon
tombeau , l'ame de la brute eft à peine
inférieure à celle de l'homme ; comment
expliquer ces degrés prefque infinis d'inftinct
, de fenfibilité , d'intelligence même ,
fans admettre dans la Nature un élément
de plus , un principe de vie qui , répandu
comme le mouvement , comme lui tranfmiffible
, comme lui foumis à des loix , fe
divife & fe diftribue en quantités graduelDE
FRANCE. 139:
lement & infiniment inégales , pour animer
les corps difpofés à le recevoir ?
Il n'eft plus temps de biaifer fur la nature
de l'ame des bêtes : la force de l'analogie
, l'évidence de l'induction nous réduit
à l'alternative , ou d'attribuer à la matiere
, le fentiment & la penfée , ou d'admettre
dans l'animal un principe de vie , de
fenfibilité , d'intelligence auffi immatériel
que dans l'homme lui - même. L'ame du
chien de challe n'eft pas plus mécanique
que celle du Chaffeur.
!
Il ne s'agit plus que de voir fi la matiere
en mouvement, quelque fubtile qu'on
la fuppofe , quinteffence d'atome , extrait de
la lumiere , nous femble fufceptible d'entendement
, de fenfibilité , de volonté ; fi
les fibres du cerveau d'Homere & les fluides
qui l'humectaient , compoferent feuls
l'Iliade. Je n'en crois rien : j'aime donc mieux
donner, aux corps organifés un principe de
vie qui foit diftinct du mouvement , &
analogue à la penfée. Ce principe , cet .
élément eft incompréhenfible fans doute ;
& la raison en eft bien fimple : c'eſt qu'il
ne tombe fous aucun de nos féns. Mais il
en eft de même de la lumiere pour les
aveugles - nés , & pour nous de tous les
objets où nos fens ne peuvent atteindre..
Par exemple , le mouvement n'eft - il pas
incompréhensible dans fa caufe , tout évident
qu'il eft dans fes effets ? Qui l'a dé140
MERCURE
fini ? qui jamais le définira , ce principe ,
cet élément d'activité , qui , répandu dans
la matiere , & divifible à l'infini comme
elle , n'eft pourtant pas matériel ; qui agit
fur les corps , & qui n'eft point un corps ;
qui les pénetre dans tous les fens & dans
toute leur étendue , & n'eft point étendu
lui-même ; qui s'infinue dans toutes leurs
parties , & qui n'eft point compofé de parties
; qui ne fe détache de l'un que pour·
paffer dans l'autre , & tantôt fe partage ,
tantôt fe tranfmet tout entier ; qui commence
, croît , diminue , fe diffipe , fe
réunit, toujours en obfervant d'invariables
loix ; dont les quantités font des fommes
inaltérablement égales au produit des maffes
multipliées par les viteffes , & qui , mefuré
fur l'efpace , calculé par
le temps ,
n'eft dans fon exiſtence , ni fucceffif comme
le temps, ni étendu comme l'efpace : qu'eft-ce
donc , dis-je , que le mouvement ? une fubftance
? Non , car la fubftance exifte en ellemême
, & il n'exifte que dans les corps.
Un mode ? Non , car il eft tranfmiflible ,
& les modes ne le font pas. C'est donc je
ne fais quoi de réel , d'incompréhensible ;
c'eft ,fi l'on veut , une force invifible & inhérente
à la matiere , mais foumife à des
loix conftantes , & par conféquent émanée
d'une puiffance créatrice ; car un être incréé
ferait indépendant ; & rien au monde n'eſt
évident , fi cet axiome ne l'eft pas.
DE FRANCE. 141
Si donc ce principe d'activité , cet élément
immatériel qui eft comme l'ame de
tous les autres , mais l'ame purement phyfique
, c'est-à-dire , le grand mobile du mécanifme
univerfel ; fi le mouvement , dis-je ,
eft un je ne fais quoi que l'évidence de
fes effets me force d'admettre fans le comprendre
; pourquoi répugnerais-je à reconnaître
dans la Nature un autre élément
divifible & inétendu comme lui , qui ferait
le principe de l'action intellectuelle ,
& qui aurait auffi fes degrés d'énergie &
d'intensité
Car de deux chofes l'une ; ou à chaque
nouvelle organiſation d'un être deſtiné à
être vivant & fenfible , d'un ciron , par
exemple , ou de tel autre infecte , il faut
que l'Eternel renouvelle l'ouvrage de la
Création , pour lui infinuer une ame ; ou
que dans la Nature circule un élément de
vie , comme un principe d'activité , lequel,
docile à des loix prefcrites , fe diftribue aux
corps faits pour être vivans , dans la mefure
& la quantité affignée pour chaque
efpece , & relative à fes . befoins .
De ces deux hypothefes , la derniere eſt
au moins la plus fimple , la plus facile à
concevoir ; & dès qu'elle eft admiſe , toutes
les apparences de difcernement & de
choix dans les minéraux , dans les plantes ,
toutes les apparences de fenfibilité , de
crainte, de deur , de prévoyance dans l'a142
MERCURE
nimal , deviennent des réalités ; chacun
aura reçu fa portion imperceptible de l'élément
intellectuel ; chacun fera doué de
ce degré de fenfibilité néceffaire à fon
exiftence. Ainfi l'élément de la vie , graduellement
diftribué , & combiné par d'éternelles
loix avec celui du mouvement
aura produit parmi les animaux cette diverfité
merveilleuſe d'inftinct qui finit par
toucher de fi près à l'efpece humaine.
Mais à l'égard de celle-ci , l'hypothefe
que je propoſe la diftinguera-t-elle affez ?
& fi l'ame de l'homme eft de même nature
que celle de l'animal & de la plante ,
quelle fera la différence d'un être périffable
& d'un être immortel ? La différence
de volonté dans l'Etre créateur , torfqu'il
les a doués & prédeſtinés l'un & l'autre ;
la même caufe qui a commandé l'exiftence
au néant , la même cauſe qui a
imprimé le mouvement à la matiere , im
acte fimple de cette volonté qui a dit à
la lumiere de l'éclair de fe diffiper , de
s'éteindre , & à la lumiere du foleil d'être
à jamais tariffable & à jamais incorruptible
; de cette volonté qui a dit au
mouvement d'être perpétuel & invariable
dans les fpheres céleftes , & d'être paffant ,
fugitif , evanefcible dans notre pouffiere
terreftre. Qu'a - t - il fallu de plus qu'une
premiere loi pour fixer dans ces aftres une
quantité de fumiere qui , une fois accuDE
FRANCE. 143
mulée , ne fe diffiperait jamais ? Que faut-.
il de plus pour douer de l'immortalité une
ame dans laquelle un entendement perfectible
, une fenfibilité réfléchie , une volonté
libre formeraient un être moral ,
d'une espece éminente & unique dans
l'univers ? L'homme eft évidemment le plus
accompli des êtres fublunaires ; & dans fa
fphere au moins il peut fe regarder comme
le chef- d'oeuvre de la Création , Il n'eft
donc pas étonnant que celui qui l'a doué
de tant de qualités fublimes , qui lui a
réfervé les prodiges d'une intelligence éclairée
, les longs fouvenirs , les leçons d'une
expérience tranfmife , l'invention , la mé̟-
ditation , la connaiſſance du paffé , la prévoyance
de l'avenir , les progrès des lumieres
& ceux de l'induftrie ; que celui
qui lui a dit en le créant : Je n'accorde
qu'à toi la liberté morale , la vertu , le
génie , & l'idée de ton Auteur ; que ce-
Tui-là , dis - je , ait voulu que l'ame de
T'homme fût , dans fon élément , comme
font les étoiles dans l'élément de la lumiere
, ifolée & indestructible.
Dans la Nature, tout eft prodige pour
qui n'obferve que les effets ; mais tout
' eft fimple dans fa caufe ; & que l'être
créé foit immortel ou périffable , l'un &
l'autre eft l'effet d'une premiere loi.
( Par M. Marmontel. )
€44
MERCURE
DE l'Organiſation des Spectacles de Paris,
ou Effai fur leur forme actuelle , fur les
moyens de l'améliorer par rapport au
Public & aux Acteurs , &c. A Paris
chez Debray, Libraire , au Palais-Royal ;
Buiffon , rue Haute-feuille ; & chez les
Mds. de Nouveautés,
PERSONNE n'ignore à quel excès étaient
parvenus fous l'ancien Régime les abus de
toute efpece dans l'Adminiſtration des différens
Théatres de la Capitale , les vexations
que l'Opéra , ridiculement appelé
l'Académie Royale de Mufique , exerçait
fur des Théatres inférieurs , celles des Comédiens
Français fur les petits Spectacles ,
la tyrannie des Acteurs fur les Auteurs ,
les prétextes ridicules & les préjugés abfurdes
qui protégeaient tous ces abus. Les
plaintes , les réclamations que le Defpotifme
même n'avait pu étouffer , ont éclaté
avec une nouvelle force , à la naiffance de
la Liberté ; & on fait quelle Anarchie_dangereufe
pour la Capitale il en eft réfulté ,
pendant quelque temps , en ce genre comme
dans tout le refte. Tout étant abfurde , il
a fallu tout changer. C'était donc un fervice
à rendre non feulement aux Amateurs
DE FRANCE.
145
teurs des Spectacles , mais même au Public
tout entier , de préfenter aux Dépofitaires
des pouvoirs publics le tableau de tous
ces abus , l'Hiftoire abrégée de tous les
Théatres , le point de vue fous lequel
chacun d'eux devait être enviſagé , les
réformes néceffaires ou utiles , & c . C'eſt ce
que fait M. Framery , qui , ayant travaillé
avec fuccès pour différens Théatres Lyriques
, & ayant été lui - même intérellé
dans un grand Théatre de ce genre , connaît
à fond l'adminiſtration intérieure de
tous. Mais il ne fe borne pas à l'indication
de ce que ces adminiftrations peuvent
avoir de défectueux. On ne lui reprochera
point de détruire fans édifier. Il expole
fes vues & fait fentir les avantages
des réformes qu'il propofe . Il fait marcher
de front l'intérêt du fervice public , celui
des Auteurs , celui dès Acteurs , trois intérêts
jufqu'ici différens , mais qu'il s'agit
de rallier pour l'utilité générale. Peut-être
après la lecture de fon Chapitre fur l'utilité
d'un fecond Théatre , les Comédiens
Français s'effrayeront - ils moins d'en voir
établir un fecond. Il leur rappelle que
Londres a un grand nombre de Théatres
qui font tous floriffans ; que la concurrence
de deux Acteurs qui jouent la même
Piece fur deux Théatres , tourne au profit
des deux Troupes. Lorfqu'on donnait à
·N°. 9. 26 Février 179ă... H
146 MERCURE
l'Opéra Iphigénie en Aulide , quelque prodigieufe
différence qu'il y ait entre la Tragédie
chantée & la Tragédie déclamée ,
cette même Iphigénie , donnée dans le même
temps , avait un plus grand nombre de
Spectateurs , quoique les Amateurs de l'un
& l'autre genre ne foient pas en général
les mêmes.
Mais une preuve encore plus fenfible du
peu qu'ils ont à craindre de la concurrence,
c'eft que dans le temps où il n'y avait à Paris
que trois Théatres , quana , par les abus du
Régime exclufif & de l'autorité dont jouiffaient
les Comédiens Français , ils perfécutaient
l'établiffement naiffant des petits
Spectacles aux boulevarts , les parts des
Acteurs Français fe montaient tout au
plus à huit ou dix mille livres par an. Au,
jourd'hui , que les grands & petits Theatres
ont renversé une partie des obftacles
qu'on leur oppofait , & que Paris en_contient
un grand nombre , les parts des Francais
ont monté jufqu'à trente mille livres .
Sans doute elles n'approcheront pas de cette
fomme cette année - ci , mais cela tient à
d'autres caufes connues. Toujours eft - il
vrai que la multiplicité des Spectacles , loin
d'être nuifible à chacun d'eux , ne fait qu'en
propager le goût & multiplier les Spectateurs.
L'Auteur avait confacré un Chapitre à
DE FRANCE. 147
l'examen du titre de propriété des Comédiems
réunis en fociété. Le Décret de l'Af
femblée Nationale , en faveur des Auteurs
& du Public , a heureufement diminué l'intérêt
de ce Chapitre. Mais il rcfte à décider
plufieurs autres queftions intérellantes pour
les Acteurs , les Auteurs , les Amateurs du
Théatre , & l'Auteur les difcute avec clarté ,
bonne foi & modeftie , telle eft la queftion
fur les avantages des Théatres en direction
& des Théatres fociétaires , celle des
avantages ou des inconvéniens des penfions
accordées aux Acteurs , enfin la queſtion
plus importante fur la cenfure des Pieces
de Théatre. On fent combien la folution
de cette derniere queftion eft embarraf-
Lante ; le moyen que M. Framery propofe
a du moins l'avantage de concilier des
opinions contradictoires, en attendant qu'elle
foit éclaircie,
F
9
H 2
148 MERCURE
SPECTACLES.
LeThéatre de Monfieur occupemaintenant,
rue Feydeau, une Salle nouvelle, qui , comme
toutes les autres , effuie beaucoup de critiques
, mais qui , mieux que la plupart
en impofe à ces mêmes critiques , & fatisfait
le Public en général par des beautés
d'un ordre fupérieur : elle eft de MM . Le
Grand & Molinos.
Nous attendions , pour en parler à nos
Lecteurs , que ce Théatre nous offrît quelque
Nouveauté intéreflante. La chute de
la premiere Comédie , & le peu de fuccès
de l'Opéra qu'on y a donnés , ont éloigné
ce moment. Mais la Troupe de Comédie
vient de s'y relever par une charmante
petite Piece, intitulée les Porte-feuilles . Un
de ces Marchands d'argent qui obftruent
l'approche du Palais- Royal, a volé à M. de
la Corée un Porte-feuille qui contient cent
mille écus. C'eft toute la fortune. Le même
homme a pris à M. Blondeau un autre
Porte -feuille qui contient 30,000 francs.
Celui - ci ne perd pas la tête. Il devine fon
voleur , le fuit , le rencogne dans une allée,
& le force à lui rendre ce qu'il a pris , &
le laiffe aller. L'homme a rendu , en effet ,
DE FRANCE.
142
à M. Blondeau un Porte-feuille , mais ce
n'eft pas le fien ; c'eft celui de M. de la
Corée. Blondeau , caractere fingulier & un
peu brufque , mais généreux & noble ,
n'héfite pas. Il arrive chez le vieillard plus
malheureux que lui ; il trouve le défefpoir
dans la maifon , & y rapporte le bonheur
en rendant le Porte- feuille . Son action
honnête eft récompenfée fur le champ. Le
voleur était réfugié chez M. de la Corée ;
il y eft furpris , & eft obligé de rendre le
fecond Porte- feuille .
M. Blondeau , Juge de Paix de fa Section
, a un fils qui , dans une bagarre , a
fauvé la vie à la fille de M. de la Corée ,
il y a un an. Les deux jeunes gens n'ont
pu fe retrouver depuis ce temps ; mais ils
ne fe font pas oubliés. On juge bien que
les Porte-feuilles font employés à les unir.
Des détails charmans , des traits heureux
, un dialogue vif & ferré , une marche
rapide & claire. forment le mérite de cet
Ouvrage , & ont affuré fon fuccès. Il eft
de M. Collot d'Herbois , qui déjà , fur
plufieurs autres Théatres , a donné des
preuves d'un véritable talent .
ON a donné fur le Théatre de l'Opéra
une nouvelle Tragédie lyrique , intitulée
Cora. Elle a peu réuffi . Nous n'entrerons
dans aucun détail , à moins qu'elle ne fe
releve dans l'opinion publique. "
H }
150 MERCURE
1
NOTICES.
Supplément du Contrat Social.
( Ce qui rend pénible l'Ouvrage de la Légiflation
, eft moins ce qu'il faut établir que ce qu'il
faut détruire. ) CONTRAT SOCIAL , Liv . II, Ch . 10.
Par M. P. Ph . Gudin . 1 Vol . in- 89 . A Paris ,
chez Maradan & Perlet , Libr . rue St -André-des-
Arts , Hôtel de Châteauvieux.
On a regardé comme une hardieffe , d'avoir
intitulé cet Ouvrage Supplément au Contrat Social
; on a cru y voir la prétention de lutter
contre Rouffeau de talent & de ftyle , tandis que
celle de l'Auteur , n'a été que de fuppléer à ce
que ce grand Philofophe n'avait pas pu dire dans
fon temps .
On n'a pas pris garde que tout ce
qu'on écrit de nos jours fur la Lég flation , n'eft
qu'un Supplément au Contrat Social , quoiqu'il
n'en porte pas le titre. Si Rouffeau avait pu tout
dire , on n'aurait plus rien à y ajouter. Au refte ,
fi le titre de cet Ouvrage a excité contre lui un
examen févere , c'eft en faire affez l'éloge que
de dire qu'il s'eft montré capable de le foutenir.
On voit que M. Gudin a profondément médité
l'Ouvrage de Rouffeau , qu'il était digne de le
commenter & d'y fuppléer .
Memoires de la Vie privée de B. Franklin ,
écrits par lui-même , & adreffés à fon fils ; fuivis
d'un Précis hiftorique de fa vie politique , écrit
par un Anglais ; & de diverſes Pieces relatives à
ce Pere de la Liberté. 1 Vol. in - 8 °. d'environ
DE FRANCE.
151.
350 pages. Prix , 3 liv. 12 f. br. &
liv.
4
2 fous
franc par la pofte. A Paris , chez Buiffon , Libr.
rue Haute- feuille , Nº. 20.
Nous reviendrons fur cet Ouvrage.
Traité complet fur les Abeilles , avec une Méthode
de les gouverner , telle qu'elle fe pratique
à Syra , Ine de l'Archipel ; précédé d'un Précis
hiftorique & économique de cette Ifle , &c.; par
M. l'Abbé Della Rocca , Vicaire - Général de
Syra ; 2 Vol. in- 8 ° . avec Figures en taille-douce.
Les 2 derniers Volumes font fous preffe. A Paris ,
chez Régent & Bernard , Libraires , quai des
Auguftins , à côté de la rue Pavée ; & chez Bleuet
pere , Lib. Pont St-Michel .
Ce Traité des Abeilles manquait à la France ,
& même à l'Europe , où , malgré l'abondance
d'Ouvrages fur cette matiere , on ne trouve rien
de complet & de fatisfaifant. M. l'Abbé Della
Rocca rend encore à la France un plus grand
fervice , en lui faifant connaître la Méthode
dont on fe fert dans le Levant pour élever les
Abeilles , Méthode démontrée par l'expérience ,
très préférable à la nôtre. Cet Ouvrage , qui
contient en outre , comme acceffoires , plufieurs
obfervations très - curieufes fur différens objets
d'Agriculture , formera 4 Volumes. Leur fuccès
nous paraît affuré.
-
On trouve auffi chez Régent & Bernard un
Affortiment de Livres fur les Sciences & Arts ,
principalement fur les Mathématiques , l'Architecture
& l'Art Militaire ; une nouvelle édition
de la Maiſon Ruftique , 2 Vol. in-4° . avec Fig.
Prix , 24 liv.
152 MERCURE
Traité d'Agriculture , concernant la maniere
de cult ver fans feu les Plantes étrangeres , dans
le nouveau Châflis phyfique de M. Mallet , l'inventeur
avec la defcription de ce nouveau
Châffis , augmentés de plus des deux tiers & de
deux Planches , gravées en taille-douce , pour en
faciliter la co: ftruction , dans laquelle il fera
démontré les moyens de rendre les panneaux en
bois auffi folides que s'ils éta ent en fer. Brochure
in- 4° . Prix , 24 liv . avec un autre Traité fur
l'Agriculture en grand , & des Plauches de charrues
Flamandes. A Paris , chez Laurent junior ,
Libr. rue St-Jacques , vis -à-vis celle des Mathurins
; & chez M. Beraud , Négociant , rue St-
Honoré , près du paffage St-Roch , No. 212 .
Dans cette nouvelle édition , l'Auteur donne
la culture des Plantes étrangeres les plus intéreffantes.
Les quatre parties différentes de fon Châffis
repréfentent l'Europe , l'Afie , l'Afrique & l'Amé÷
rique , par rapport aux Plantes rares qu'on y
cultive ; favoir , les Ananas , le Cédrat , les Jafmins
de Malabar , ceux du Cap de Bonne- Efpérance
& ceux de Tofcane ; les différens Cafiers ,
les Cannelliers , les Girofliers , les Muf- ad ers
& les arbres de Thé. Sous tous les panneaux
du Châffis , on placera des vignes qui donneront
des raifins fuperbes & múrs , tous les mois
de Mai , fans déranger ces Plantes rares , qui
végetent en deffous.
L'Auteur joindra à cet Ouvrage un Traité
concernant la culture des Arbrifleaux choifis qui
entrent dans les Orangeries.
DE FRANCE.
153
Jean Calas , Tragédie en cinq Actes & en
vers , repréſentée fur le Théatre de la Nation
le 18 Décembre 1790 , précédée d'une Préface
hiftorique fur J. Calas , & fuivie d'un nouveau
se. Acte ; par M. J. L. Laya. Prix , 30 fous . A
Paris , chez Maradan & Perlet , Hôtel de Châteauvieux
, rue St-André- des-Arts .
Cette Piece , qui fait un très -grand effet à la
repréfentation , peut en faire beaucoup auffi à la
lecture . La diverfité des dénouemens que l'Auteur
a effayés pour terminer cette Tragédie , prouve
moins l'incertitude de fon imagination & de fon
talent , que l'extrême difficulté de mettre un pareil
fujet fur la Scene Françaife . Nous ne fommes
pas encore familiarifés avec les fupplices &
les bourreaux , & on peut émouvoir nos coeurs
Lans cet appareil . Au furplus , cet Ouvrage confirme
les idées flatteufes qu'on avait déjà conçues
du talent de M. Laya.
Affemblée Nationale de la France , ou Collection
complette de tous les Difcours , Mémoires
, Motions , Projets & Adrefes à l'Aflemblée
Nationale , avec toutes fes réfolutions & délibérations
fur la Conftitution Françaife ; rédigée
par un Député. Tomes XIII & XIV. Prix ,
3 liv. 10 f. pour Paris, & 4 liv. franc de port
par la Pofte dans tout le Royaume . A Paris
chez Maradan & Perlet , Libraires , Hôtel de
Châteauvieux , rue St-André- des -Arts .
On trouve à la même adreffe les douze premiers
Volumes , & le Difcours de M. Necker ,
à l'ouverture des Etats - Généraux , fervant d'Introduction
à cette Collection , à raifon de 3 liv.
10 fous par Volume pour Paris , & 4 liv.
Poftc. par
la
154 MERCURE
GRAVURES.
La nouvelle Carte de France , diviféc en 8 ;
Départemens , fuivant le Décret de l'Aflemblée
Nationale , fanctionné par le Roi le Mars 17905
enluminée de maniere à en faire fa fir , au pre→
mier coup d'oeil , Fétendue & les limites par des
couleurs différentes , lefquelles fe détachent les
unes des autres , & fe diftinguent facilement par
leurs variétés . Cette Carte et la plus grande &
la plus détaillée qui aura paru jufqu'à préfent en
6 feuilles , pour être inférée dans le plus grand
in-folio , & les compléter par fa nouvelle divifion .
Elle fe délivrera , le 20 février , chez Defuos ,
Ing. Géog, & Libr . du Roi de Danemarck , rue
St-Jacques , No. 254. Le prix en fera de 18 liv,
Les Amateurs qui défireront avoir ces 6 feuilles
aflemblécs , qui formeronts pieds de hauteur &
autant de largeur , offre un tableau général de
la France & de fa nouvelle divifion , & eft faite
pour être placée dans les Salles & Bureaux d'Affemblées
Municipales , de Diftricts & de Départemens
, on pourrait même dire qu'elle y eft réceflaire
, elle fera de 21 liv . rendue franche de
port par-tout le Royaume.
Le St. Deftos ayant fait graver plufieurs Cartes
de France , divifées en 83 Départemens , & de
d fférentes grandeurs pour les Cabinets & B bliotheques
; comme auffi trois fortes d'Atlas , grand
in-folio , petit in-folio & in 4 ° . dont chacun des
Départemens fe vend féparément , il en diftribue
gratuitement le Catalogue à ceux qui défireront
en faire l'acquifition .
DE FRANCE. 155
A VIS..
D'après le Décret de l'Affemblée Nationale
du 13. Janvier dernier , qui porte : Article III
que les Ouvrages des Auteurs vivans ne pourront
être repréfentés fur aucun Théatre public dans
toute l'étendue de la France , fans le confentement
formel & par écrit des Auteurs , fous peine
de confifcation du produit total des repréſentations
au profit des Auteurs ; MM . les Auteurs
Dramatiques affemblés , pour avifer aux moyens
de mettre ce Décret à exécution , ont arrêté ce
qui fuit:
1. Qu'il ferait établi à Paris un Bureau cen
tral fur le plan proposé par M. Framery , lun
d'eux , à l'effet de correfpondre avec les différentes
Troupes de Spectacles du Royaume.
2 °. Que ce Bureau fera tenu par M. Framery ,
qu'ils nomment leur Agent général , & auquel ils
déleguent tous leurs pouvoirs , par une procuration
fpéciale , paffée par-devant M. Rouen , Notaire ,
à Paris , & fignée de chacun d'eux , pour traiter
en leur nom avec les Entrepreneurs de Spectacles
de toutes les villes de la France , & re evoir
pour eux, fous valable garantie , les émolumens
qui leur font dus .
3 °. Que l'Agent général fera valoir les droits
de ceux qui ont figné la procuration , à compter
du jour de la proclamation dudit Décret dans
chaque viile du Royaume.
En conféquence de l'arrêté ci-deffus , tous les
156 MERCURE DE FRANCE.
Auteurs & Compofiteurs Dramatiques qui vou
draient jouir des avantages du Bureau , font
avertis qu'ils doivent fe préfenter chez M. Rouen,
Notaire , à Paris , rue Neuve-des- Petits- Champs ,
vis-à -vis celle d'Antin , N ° . 78 , pour y prendre
connaiffance de l'Acte de procuration & des conditions
qui y font énoncées ; & après l'avoir
figné , s'adreffer à M Framery , même rue Neuvedes-
Petits-Champs , vis - à - vis celle Chabanais ,
No. 117 , pour y figner auffi l'état des Ouvrages
pour lefquels il devra les repréfenter.
N. B. Le Bureau ne pouvant exercer fur le
champ que les droits de ceux qui auront figné
la procuration avant le 8 Mars , ceux qui laifferaient
paffer cette époque , n'y feront admis que
pour le mois fuivant & par un nouvel Acte , се
qui augmentera les frais à leur charge.
TABL E.
121 De l'Organisation . 144
123 Spectacles. 148
125 Notices.
150
1281
VERS.
Fable.
Charale, En. Log.
Difcours.
MERCURE
-
HISTORIQUE
E.T
POLITIQUE.
ALLEMAGNE,
De Hambourg , le 19 Janvier 1791 .
Si la paix ne fe rétablit pas pendant
l'hiver entre la Porte Ottomane & la Ruffie ,
indubitablement , celle- ci aura à foutenir
des efforts plus redoutables . Le pavillon
Anglois flottera fur la Baltique & dans.
la Méditerranée. Toutes les difpofitions.
de la cour de Berlin préfagent les évènemens
qui éclateroient au printems . Elle
fait réparer la fortereffe de Pillau , on la
fortifie de redoutes du côté de la mer. De
nouveaux ordres ont fait paffer encore un
train d'artillerie & des munitions dans la
Pruffe Orientale. Les préparatifs qui, fe
font en Pologne font préfumer que l'armée
de la République fera employée dans
No. 6.5 Fever 1791.
( 2 )
trois mois ; on établit des, magafins de
vivres & de fourrages. A ces deffeins la
Ruffie oppofe des careffes au Roi de Suède ,
des raffeniblemens de troupes en Livonie ,
& des nomenclatures militaires dans les
gazettes de Hambourg & de Hollande ,
copiées enfulte par d'autres gazettes , &c.
On a amorcé , dit - on , le Roi de Suède ,
par la promeffe de le porter au trône de Pologne
& de lui faire recouvrer la Poméranie
; mais fi ce prince avoit la foibleffe
de fe laiffer entrainer à de pareilles illufions
, & de montrer à l'Europe une femblable
inconféquence , le Danemarck fe
détacheroit immédiatement de la Ruffie ,
& la balance feroit encore au défavantage
de la dominatrice du Nord ; car la perte
d'un allié, tel que le Danemarck , dont
les forces font entières , ne feroit pas rachatée
par la conquête d'une alliée totalement
épuifée .
Les gazettes à la folde des Ruffes nous
ont donné de magnifiques états de fes
armées , & des recrues qui remplaceront
les vuides. Ce qu'il y a de clair dans ces
prétendus dénombremens , c'eft qu'avant
la guerre , les différentes armées Ruffles
réunies formoient un total de 412 mille
hommes , y compris ce grand nombre de
troupes irrégulières & de Barbares qui entrent
dans l'état militaire de cette Puillance.
On fit une levée d'hommes au commen(
3 )
cement des hoftilités , & aujourd'hui cette
armée immenfe eft fondue à 243 mille hom
mes. Pour remplir ce déficit , on a ordonné
une levée par confcription , de 67 mille
hommes. On laifle à penfer quel fléau eft
l'ambition qui nécelite des efforts fi deftructeurs
, dans une contrée qui compte à
peine vingt habitans par lieue quarrée , &
où il faut en quelque forte dépeupler une
province entière pour repeupler un régiment.
De Vienne , le 20 Janvier.
Le plus authentique des avis reçus ici
de la prife d'Ifmail , a été apporté par
un courier du Général d'Enzenberg , qui
commande en Valachie. Cet Officier rapporte
en ces termes , les détails que lui
manda le commandant Ruffe , quatre jours
après l'expédition.
« Le général Suvarow , que les victoires près
de Fokfan & de Martineftie ont rendu célèbre ,
arriva le 16 décembre devant Ifmail : le corps
d'armée qui affiégeoit cette place étoit de 25,000
hommes ; il en prit le commandement , le paffa .
en revue , & le prépara à l'entrepriſe par un difcours
énergique. Il fixa d'abord l'expédition au
20 décembre ; mais divers arrangemens néceffaires
la firent remettre au 22. Avant le jour ,
le général répartit le corps d'attaque en fept colonnes
, chacune de 2,500 hommes , & fit donner
le fignal à 4 heures so minutes du matin .
Ces diverfes colonnes fe portèrent aux endroits
qui leur avoient été défignés , avec la même ar-
2
A 2
( 4 )
:
deur que les troupes rules avoient montrée à la
prife d'Oczakof. Les affiégés foutinrent les preiniers
chocs avec un courage inébranlable ; ils
forcèrent deux fois les affiégeans à fe retirer .
Les colonnes revinrent à la charge : à cette troifième
attaque , les Turcs cédèrent à deux colonnes
, dont l'une étoit commandée par le général
Ribas ciles pénétrèrent dans la place , &
renverferent tout ce qui fe préfentoit . Les autres
colonnes les fuivirent avec une impétuofité incroyable
; les Turcs en défordre fe défendirent
en défefpérés ; de 18,000 hommes , dont la garnifon
étoit compofée , la majeure partie périt par
le feu & le fer . Les Ruffes ont perdu dans ces
trois atraques près de 5,0co hommes , au nombre
defquels font beaucoup d'officiers . Le général
Suvarow fait le plus grand éloge du général
Ribas , & lui attribue le fuccès de l'entrepriſe .
On a trouvé dans la place 250 canons , beaucoup
d'autres munitions de guerre , plus de 200
étendarts , & pour environ un mois de vivres .
Les prifonniers hommes & femmes montent à
6000 perfonnes ; le commandant en fecond eft
de ce nombre ; le Pacha en chef a été tué . La
fotrille rufe a détruit le même jour 17 tschaïques
turques. Le grand- vifir , inftruit de la perte d'lfmail
, a envoyé des ordres aux garnifons daus
les petites places fur les deux rives du Danube , "
de les abandonner & de venir le joindre.
Très-vraisemblablement , cette conquête
mettra fin à la campagne. Elle a donné
lieu à une remarque dont on pourroit
contefter la juftelle. On les Turcs , dit - on ,
fe défendent en défefpérés comme a Oczakof
& a finail ; où ils cèdent houteufe(
5 )
ment comme à Bender , à Akièrman ,
Kilia , à Ifaccia : c'eft l'effet , ajoute-t- on ,
de la terreur qu'infpirent les Ruffes aux
Ottomans , & que les premiers ont foin
d'entretenirpar quelques boucheries de loin
en loin , femblables à celle d'Ifinaïl. Ce
raifonnement captieux auroit quelque force ,
fi l'on ignoroit le mobile victorieux que
les Rules favent employer auili bien que
le fer. Ifmail & Oczakof ont été défendues
courageufement, parce qu'elles l'étoient par
des chefs incorruptibles. On a acheté la
reddition de Bender & d'Akiernian , dent
les commandant célébroient en fi beaux
termes la valeur toute puiflante du prince
Potemkin. Quant à Kilia & Ifaccia , ce
font des places bonnes à défendre contre
des Tartares ; mais incapables de réfifter
huit jours à une artillerie médiocre.
Nos régimens Allemands s'éloignent des
frontières ottomanes , dont la garde eft laiffée
aux troupes de limites , deftinées à ce
fervice. Les Piénipotentiaires travaillent à
Sziftove , d'où le marquis de Lucchefini
' eft allé un moment au quartier général
da Grand - Vifir. L'ambatiadeur ottoman
qui fe rend à Berlin , eft arrivé à Temefwar
le 29 décembre .
Les brufques innovations du dernier Enipereur
cédent journellement aux réclamations
qui s'élevèrent à fa moit, & à la fage politique
du gouvernement actuel , qui fent
1
A 3
( 6 )
qu'on ne doit pas manier les hommes
comme le fer. Sur la demande des
Etats de Gorice & de Gradifca , on vient
de rétablir l'ancien gouvernement de ces
provinces ; le comte Raymond de la Tour
a prêté ferment en qualité de capitaine
provincial. Les réclamations du Mantouan
étoient fort étendues : voici les articles
accordés.
1º. Séparation entière du Milanès particulier ,
& reftitution de 4 diftricts de la province de
Cafalmaggiore,; 2 ° . Diminution de prix du fel ,
du tabac , du roffolis & de l'aquavita . Par la diminution
du fel , le tréfor fait un facrifice de
100,000 florins de revenus ; 3 ° . remboursement
par le Milanès de la fomme de 300,000 florins ,
à caufe des couvens & des fondations fupprimés ;
4º. rétabliſſement du féminaire épifcopal & des
chaires de théologie ; 5 ° . rétabliffement des priviléges
dont jouiffoient les colléges ; 6 ° . rétabliflement
du droit de patronat qu'avoient des
feigneurs particuliers ; 7. réforme dans le tarif
de douane ; on l'exécutera de concert avec les
Etats , qui , en général , feront confultés dans
tout ce qui fera relatif à la légiflation , &c .
Depuis quelque temps , l'adminiftration
étoit occupée des moyens d'arrêter la cupidité
des ufuriers. Plus de 80 projets ont
été examinés fur cet objet ; on prétend
même qu'un de ces plans avoit pour auteur
Sa Majefté elle-même , qui a 'bien voulu
le foumettre à la chancellerie de la cour
& le retirer enfuite , quand elle apprit
( 7 )
que fon exécution offriroit trop de diffi
cultés. Enfin l'adminiftration a arrêté un
fyftênie qui vient d'être fanctionné & publié.
D'après ce plan , les fonds publics ne
pourront recevoir des capitaux qu'à trois
& demi & 4 pour cent ; les particuliers
pourront accepter 6 pour cent ; le commerce
aura à cet égard & pour fes fpéculations
les mains libres ; l'ufage des lettres
de change entre fimples particuliers eft
interdit. On demande actuellement , comment
les banques publiques pourront fe
foutenir contre les particuliers à qui il est
permis de prêter à 6 pour cent ?
Le baron de Jacobi , miniftre de Pruffe , a eu
une audience particulière de l'Empereur ; ou en
ignore encore l'objet ; mais on préfume que la
cour de Berlin defire que S. M. I. faffe des
démarches auprès de l'Impératrice de Ruffie pour
l'engager à accepter les propofitions des puiflances
médiatrices . Cette conjecture peu vraisemblable
n'a , cependant , pour fondement , que le départ
d'un courier de l'ambaffadeur de Rufie , avec un
mémoire de notre cour.
Une partie des bagages du Roi & de
la Reine de Naples ont été chargés &
font en route pour l'Italie. On croit que
leurs majeftés partiront du 22 au 28.
De Francfort-fur le Mein , le 25 Janvier.
S'il pouvoit manquer quelque fingula-
A
A
( 8 )
rité a ux divers opérations relatives à l'affaire
de Liège , on la retrouveroit dans le
dernier incident qui a préfenté l'apparence
d'unfchifme entre les puiffances exécutrices
& la cour de Berlin. Les premières fe font
crues en droit de regarder comme caduc
le plan arrêté par le College Electoral ,
puifque , par une faute dont ils doivent
maintenant fentir l'énormité , les Etats &
la Municipalité de Liége n'y avoient pas
adhéré en conféquence , ils ont procédé
à l'exécution rigoureufe des décrets de la
Chambre Impériale. De fon côté M. Dohm
a confidéré le projet de Francfort comme
le feul admifiible , & il s'eft cru fondé à
en réclamer l'exécution . Tel a été le motif
de fa lettre du 13 au Maréchal de Bender.
On s'étonnera fans doute qu'une controverfe
de cette importance n'ait pas été
prévue , qu'on n'ait pas réglé de concert
la forme & l'étendue de cette expédition ,
enfin , que le foin de mettre d'accord des
brouillons , entraîne tant de rufes politiques,
& de moyens contournés entre les principales
Puiffances de l'Empire. '
Par un autre ftratagême non moins digne
d'obfervation , avant que M. de Bender pût
recevoir la lettre de M. Dohm qui lui eft
parvenue le 16, elle étoit imprimée à Liége ,
& couroit toute la Ville les jours précédens.
Auffi-tôt la faction abattue a repris fes
efpérances , & comptant fur l'appui immédiat
de la Pruffe , elle a tenté une explo(
9 )
fion. Des attroupeniens fe font formés
on a repris la cocarde , on a même tiré
des coups de fufil ; divers Municipaux refiés
à Liége ont repris leur écharpe ou fe font
préfentés à l'Hôtel- de-Ville. Un peloton
de Cavalerie Autrichienne a diffipé bientôt
l'attroupement , non fans avoir bieffé quelques
perfonnes on dit même que deux habitans
ont été tués. Toutes les troupes ont
été fous les armes la nuit du 14 au 15 ;
mais ce mouvement n'a eu aucunes fuites.
Des explications & correfpondances auxquelles
a donné lieu la lettre de M. Dohm .
entre ce Miniftre & le Réfident Pruffientà
Liége d'une part ; & MM. de Bender &
de Keull de l'autre , il réfulte que , par
un mal entendu , là midive miniftérielle)
n'eft parvenue que le 16 à M. de Bender!
Le différend elt actuellement porté aux
-deux, cours de Vienne & de Berlin , dont
les décifions éclairciront peut - être le niyftère
de cette tracafferie.
FRANCE.
De Paris , le 26 Janvier.
ASSEMBLÉE NATIONALE.
Prefidence de M. de Mirabeau.
Fin de l'opinion de la Coudraye fur l'organiſation
de la marine.
Il convient de relever ici une équivoque de
A S
( 10 )
la langue Françoife , qui fait défigner fous le
même nom celui qui commande un vaiſſeau de
l'Etat , & celui qui commande un vaiſſeau marchand.
Cette erreur a influé fur l'opinion , de
beaucoup de perfonne à qui la marine eſt étrangère
& particuliérement dans la capitale . Trompé
par la fimilitude des mots , & connoiffant mal
la différence des emplois , ils ont penſé nonfeulement
qu'un capitaine & un lieutenant de
navire marchand pouvoient au befoin fuppléer
le capitaine & le lieutenant d'un vaiffeau de
guerre ; mais d'après cette idée ils ont même
trouvé les capitaines marchands bien modérés
de ne prétendre qu'aux poftes de lieutenans dans
l'armée navale . Les Anglois qui connoiffent tous
la mer & les vaiffeaux , favent auffi l'énorme
diftance qui fépare ces deux états . Ils ne défignent
les capitaines des navires marchands que par le
nom de maître , fi ce n'eft quelquefois en leur
parlant & par couttoifie ; & jamais les fubalternes
de ces navires qu'ils nomment aides - maîtres ne
font qualifiés lieutenans ou enfeignes . Nous
cûmes long - temps en France le même ufage
tomme on le voit dans l'ordonnance de la marine
de 1681. Mais le nom de capitaine fubftitué
à celui de maître a eu fur le commerce
une influence importante & que je ne dois pas
taire . C'eft en changeant le nom que l'on a élevé
les prétentions . Le titre a produit une nouvelle
manière de vivre , il a repouffé la févérité de
l'économie , & ce fait doit être compté parmi les
caufes qui ont rendu notre navigation plus chère
que celle d'aucune autre nation du monde . Une
telle réflexion eft digne de toute votre attention ,
& clie fuffiroit à duriger votre jugement fur l'a(
II )
malgame du commerce & de la marine militaire
que l'on vous propofe .
·
Enfin je ferai une dérnière obfervation qui
Temble avoir échappé à votre comité de marine
puifqu'il n'en a fait aucune mention . C'eſt que
le mélange des officiers du commerce fur les
vaiffeaux de guerre a toujours fortement mécontenté
la claffe fi précieuſe , fi néceffaire des
maîtres des vaiffeaux de guerre. Les hommes
exclufivement confacrés au fervice de l'Etat
parvenus à leur emploi par leurs veilles , par de
longs fervices , par leurs actions de guerre , fans
aucune perspective que la confidération & un
afiez modique entretien ; ces hommes habitués
à commander à des équipages nombreux , qui
concourent fi puiffamment à former les matelots ,
à les inftruire à l'activité , à la difcipline , à l'adreffe
, à l'intelligence , à la bravoure qui conviennent
pour la guerre ; ces hommes honorés
pour ces talens recommandables & rares , cheris
des officiers militaires qui en connoiffent le prix ,
ont toujours fupporté impatiemment d'être commandés
par desfofficiers marchands . Ils ont penfé
ils ont dit qu'ils méritoient la préférence lorfque
T'on voudroit chercher ailleurs que dans le Corps
de la marine un fupplément d'officiers . Ils ont
obfervé qu'on leur confioit habituellement & avec
fuccès le commandement des gabares pour le
cabotage . Cette réclamation fi jufte , fi bien fondée
, fi conforme d'ailleurs à vos décrets fur le
fervice militaire de terre feroit fans objection ,
fi une difpofition trop étendue à cet égard ne
tendoit à priver la marine d'excellens maîtres pour
ne fournir que des officiers de talens médiocres.
Cependant , & je dois le dire , certes le plan du
comité blefferoit leur orgueil & la juftice ; il pren
A 6
( 12 )
droit fur les égards & fur la confideration que
tes hommes refpe&tables ont droit d'atterdie ,
Généralement parlant ,, fans application particulière
, il n'eft point en effet de capitaine de vailfeau
qui ne fe repofât plus en fureté en confiant
le commandement d'un quart à fon maître d'équipage
à des hommes tels que les Leduff & les
Rebour qu'à des officiers marchands fi peu crercés
à tenir un polte dans une ligne , ou à faire
les premières dipofitions de defenfe dans une
furprife .
Je m'arrête , parce qu'après avoir démontré la
futleté de l'idée principale , il feroit inutile de la
fuivre dans toutes celles qui en dérivent . Faire
cinq à fix mille enfeignes de vailleau , n'eft- ce pas
ôter toute confidération augrade d'enfeigne ? Deux"
cens feulement à la vérité feroient payés par l'état ,
mais digués tous fous le même titre , roulant
enfenible pour le commandement , la paie formeroit
donc entr'eux la feule différence ; & l'on
conduiroit ainfi à l'habitude de ne confidérer effentiellement
que la paie . Combien ne feroit pas
funefte l'éducation des afpirans que l'on vous
propofe , & qui ne tend qu'à former des hommes
alertes , feulement adroits à tous les travaux de
la main , là où il faut effentiellement des hommes
froids , réfléchis & habitués à faire ufage de toutes
les facultés de leur ame . Combien ne feroit pas
défavorable & barbare l'idée d'éloigner , de dépouiller
les lieutenans de vaiffeau , actuellement
en poffeffion d'un grade acquis par leur fervice
pour en revêtir des fous- lieutenans , plus âgés , il
eft vrai , mais certainement moins inftruits &
moins propres aut commandement. Qu'est- ce que
f'échafaudage & cette échelle d'ancienneté d'après
lefquels les rangs des officiers de chaque grade
( 13 )
foit entretenus , feit furnuméraires feroient uniquement
reglés fur le temps de mer ? Ainfi tel
cfficier , débarqué pour les bleffures ou par maladie
; & qui rejoindroit fon yaiffeau après fa
guérifon , pourroit fe rembarquer fous les ordres
de ceux qu'il commandoit, auparavant . La durée
d'une campagne dépend- elle donc de l'officier ?
Dépend- il de lui d'aller à la mer quand & auffi
long- temps qu'il lui plaît ? Sans doute il eft bon
de favorifer la pratique , mais au- delà d'un certain
terme ce n'eft plus elle qui donne les qualités
& l'inftruction . En faire l'échelle unique ou
principale de l'autorité & du commandement ,
c'eft une défectuofité dans les corps à talens , ce
feroit une abfurdité dans la marine .Comment enfin
a-t-on pu vous préfenter le projet d'après lequel ,
moyennant un temps aflez court confacré à l'état ,
on parviendroit aux décorations & aux récompenfes
par une navigation dévouée à la fortune
& à fes affaires particulières . Faire compter pour
noitié ou deux tiers le temps donné au commerce
, c'eft affoiblir de moitié ou de deux tiers
le mérite du temps confacré à l'état ; c'eft jetter
un dépris fur les décorations & les récompenfes.
Qu'une politique faine rappelle au moins l'avantage
de payer , plus paifiblement , en confidération
& par l'opinion , ce qu'il faudroit payer avec
moins de fruit en argent & en charges réelles .
Avant de quitter la tribune , je dois faire
mention d'un mémoire qui a été récemment diftribué
fous ce titre ; » développement d'un projet
de décret pour l'organisation d'une marine natio
nale . Si M. Chapelier ne l'avoit pas annoncé
d'avance comme l'ouvrage d'une députation de
capitaines de navires du commerce , ..la fource
n'en auroit pas été moins reconnue à la nature
( 14 )
des demandes , & à la forme des raiſonnemens .
Je n'abuferai point du temps de l'Affemblée
pour difcuter & repouffer cette indécente diatribe .
Un feul point me femble demander d'être relevé
, c'est l'accufation faite aux officiers miliaires
d'avoir abufé des armes qui leur étoient
confiées pour vexer & mettre en fuite le come
merce. Il eft facile , lorfqu'on ne craint point
de bleffer la vérité , d'avancer ainfi de ces propofitions
vagues & de répandre la calomnie.
Mais je défie de citer un feul fait de ce genre
appuyé de preuves , ou d'après la connoiffance
duquel , s'il y en a eu , le coupable n'ait été
puni. Si les officiers de marine euffent pu ourblier
, qu'en effet leur feule deftination étoit la
protection du commerce , les ordonnances le leur
euffent lévérement rappellé . Pendant 23 ans que
j'ai fervi dans la marine , j'ai conftamment avec
des bâtimens de guerre aidé ceux du commerce
en fecours d'hommes , de vivres , de munitions ;
mais il eft vrai , que trop fouvent , les plaintes
des matelots contre les capitaines des bâtimens
de commerce , fur la nourriture & le traitement ,
ont été pour ceux- ci des occafions de redouter
la préfence des bâtimens de guerre .
A l'égard de l'inftruction pratique que le mémoire
attribue fi éminemment à la navigation
marchande , il feroit bien a defirer , fans doure
que le féjour dans les rades & dans les magafins
de commerce , augmentat l'expérience pour
la mer , les naufrages deviendroient moins fréquents
& la conduite des convois feroit plus
facile . La mémoire attache moins de prix à la
théorie , & je reconnois en effet toute fon inutilité
pour des capitaines marchands qui navi
guent fouls & fans ordre , qui ne font a la voile
( 15 )
que pour parvenir à un port. Cependant je faifirai
cette occafion pour les inviter publiquement
à fe réligner enfin à rendre leur navigation plus
fure par quelque obfervations aftronomiques , &
notamment par la foible étude néceffaire pour
favoir obferver la longitude . Ce fujet me préfente
une réflexion & ce fera la dernière. L'Affemblée
nationale compte douze cents députés ;
tous les états , toutes les profeffions ont concouru
à cette formation , Bordeaux , Marſeille ,
Nantes , la Rochelle , le Havre , Dunkerque , & c.
ont cu leurs repréſentans , ont délégué leur confiance
, & il n'existe pas parmi nous un feul capitaine
de navire de commerce ... Et ce font
ceux-là qui fe difent remplis d'inftruction & de
favoir ; qui méconnoiffans l'activité & les talens .
déployés de toutes parts dans la guerre dernière ,
parlent d'humiliations & de défaftres , afin de
fe propofer eux - mêmes au commandement des
vaiffeaux & des armes. Je vous le répète , Meffieurs
, fi le plan du mémoire que je repouffe ,
fi celui même de votre comité étoit admis , la
France n'auroit plus de marine militaire.
Suite des articles décrétés le 22 et le 23
janvier fur la procédure par Jurés.
TITRE I I I.
Fondtions particulières du préfident .
Art. Ier . « Le préfident , outre les fonctions
de jage qui lui font communes avec les autres
membres du tribunal criminel , eft de plus perfonnellement
chargé d'entendre l'accusé au moment
de fon arrivée , de faire tirer au fort les
jurés ; de les convoquer, de les diriger dans l'exer(
16 )
cice des fonctions qui leur font affignées par ›
loi ; de leur expofer l'affaire , meme de leur
rappeller leur devoir : il préndera à toute l'inftruction
.
II . » Le préfident du tribunal peut prendre
fur lui de faire croire ce qu'il coira utile pour
découvrir la vérité , & la loi charge fon houncur
& fa confcience d'employer tous les efforts
pour en favorifer la manifeftation ».
TITRE I V.
Fonctions de l'accufateur public.
Art . Ir. « L'accufateur public fera principalement
chargé de pourfuivre les délits fur les
actes d'acculation , admis par les premiers jurés.
Les articles II & III font ajournés .
IV. » L'accuſateur public aura la furveillance
fur tous les officiers de police du département :
en cas de faute légère de leur part il les avertita
; en cas de faute plus grave il les déférera
au tribunal criminel , lequel felon la nature de
la faute , prononcera les peines correctionnelles
déterminées par la loi .
V. Si l'accufateur public eft inftruit qu'un
officier de police foit dans le cas d'être pourfuivi
pour prévarication dans fes fonctions , il
décernera le mandat d'amener , recevra fes éclairciflemens
; & s'il y a lieu , il donnera au directeur
du juré la notice des faits , les pièces &
la déclaration des témoins , pour que celui - ci dreffe
l'acte d'accufation , & le pistentera au juré , le
tout dans la forme ci-deilus preferite.
( 17 )
T ITRE V.
Des fonctions du commiffaire du Roi.
« Art. Ier . Dans tous les procès criminels ,
foit au tribunal de diſtrict , foit au tribunal criminel
, le commiffaire du Roi prendra communication
de toutes les pièces & actes , & afliftera à
l'inftruction .
» II . Le commiffaire du Roi pourra toujours
faire aux juges , au nom de la loi , toutes les
réquifitions qu'il jugera convenables , defquelles il
fera délivré acte .
כ כ
, III . Lorfque le directeur du juré ,
ou le
tribunal criminel , n'auront pas jugé à propos de
déférer à la réquifition du commiffaire du Roi ,
l'inftruction ni le jugement n'en pourront être ni
arrêtés , ni fufpendus , fauf au commifaire da
Roi du tribunal criminel à fe pourvoir en caffation
après le jugement qui va être détaillé ciaprès
.
2
TITRE V I.
Procédure devant le tribunal criminel.
!
Art. Ier. Nul ne pourra être pourfuivi criminellement
& jugé , que fur une accufation
rçue par un juré , allifté de huit citoyens .
II. Si le juré a déclaré qu'il y a lieu à
accufation , le procès & l'accufé , dans le cas où
il fera détenu , feront envoyés , par les ordres
du commifiaire du Roi , au tribunal criminel du
département , & ce , dans les vingt- quatre heures
de la fignification qui lui aura été faite de l'ordonnance
de prifc-de-corps..
( 18 )
ל כ
III. Néanmoins , dans les deux cas ci- après :
favoir , fi le juré d'accufation eft celui du lieu où
eft établi le tribunal criminel ; ou fi l'accusé eft
domicilié dans le diftrict où fiége le tribunal ,
l'accufé aura le droit de demander à être jugé par
l'un des tribunaux criminels des deux départemens
les plus voisins .
» V. L'accufé ne pourra cependant exercer ce
droit , qu'autant que le tribunal criminel , qu'il
eft autorisé à décliner dans les deux cas ci - deflus ,
fe trouve établi dans une ville au - deffous de
40,000 ames .
» V. Lorfque l'accusé le trouvera dans l'un
des deux cas mentionnés dans l'article III cideffus
, l'ordonnance de prife- de - corps , après
avoir énoncé l'ordre de le conduire dans la maiſon
de juftice du tribunal criminel du département ,
dénommera en outre les villes des deux tribunaux
criminels les plus voifins , entre lefquels
T'accufé pourra opter.
» VI . Dans les cas mentionnés ci deffus ,
l'accufé eft détenu dans la maifon d'arrêt , il
notifiera au greffe fon option dans les vingtquatre
heures de la fignification qui lui aura été
faite de l'acte d'accufation : après lequel temps ,
il fera envoyé à la maifon de juftice , foit du
tribunal direct , foit de celui qu'il aura choiſi .
» VII . Si , dans les mêmes cas l'accufé n'avoit
pu être faifi fur le mandat d'envoi de l'officier de
police , mais feulement en vertu de l'ordonnance
de prife-de-corps , il fera conduit , par celui qui
en eft porteur , devant le juge de paix du lieu
où il fera trouvé , pour y paffer la déclaration
de l'option dont il vient d'être parlé , ou de fon
refus de la faire , de laquelle déclaration le juge
( 19 )
de paix gardera minute & délivrera expédition
au porteur de l'ordonnance .
» VIII. Le porteur de l'ordonnance , après
avoir remis l'accufé dans la maifon de juftice du
tribunal direct , ou celui qu'il aura choifi , remettra
également au greffe la déclaration de
l'accufé ainfi que l'ordonnance de prife - de-corps ..
» IX. Le greffer donnera connoiffance de ces
deux actes à l'accufateur public ; & fi le tribunal
que l'accufé a préféré , n'eft pas le tribunal
direct , l'accufateur public fera notifier ces actes
au greffe de ce dernier tribunal ; & fur la réquifition
qu'il en fera , par l'acte même de notification
, les pièces lui feront renvoyées .
» X. Dans tous les cas , vingt- quatre Leures
au plus tard après l'arrivée de l'accufé & la remife
des pièces au greffe , il fera entendu par le pré-
-fident , en préfence de l'accufateur public & du
commiffaire du Roi ; le greffier tiendra note de
fes réponſes , laquelle fera remife au préfident
pour fervir de renfeignement feulement .
» XI. Tout accufé pourra faire choix d'un ou
deux amis , ou confeil , pour l'aider dans fa défenfe
; finon le préfident lui défignera un confeil;
mais il ne pourra communiquer avec l'accufé ,
que deux jours après qu'il aura été amené .
XII . Le premier de chaque mois , le préfident
du tribunal criminel fera tirer au fort
douze jurés ſur la lifte , de laquelle il fera parlé
au titre XI.
» XIII . Le 15 de chaque mois , s'il y a quel
que affaire à juger , le juré du jugement s'affemblera
fur la convocation qui en fera faite le ƒ de
chaque mois .
· » XIV. L'accufateur public , auffi -tôt après
( 20 )
qu'il aura été entendu , fera tenu de faire fes
diligences de manière que l'accufé puifle être jugé
à la première affemblée du juré qui fuivra fon
arrivée.
» XV. Si l'accufateur public ou l'accusé ont
des motifs de demander que l'affaire ne foit pas
portée à la première affemblée du juré , ils préfenteront
leur requête en prorogation de délai
au tribunal criminel , lequel décidera fi cette
prorogation doit être accordée.
XVI Si le tribunal criminel juge qu'il y a
lieu d'accorder la demande , ce délai ne pourra
néanmoins être prorogé au - delà de l'Affemblée de
jurés , qui aura lieu le 15 du mois fuivant .
» XVII . La requête en prorogation de délai
fera préfentée avant le s de chaque mois , époque
de la convocation du juré.
» XVIII . Le nombre de douze jurés fera abfolument
néceffaire pour former un juré de jugement
.
cc
» XIX . Le juge , en préfence du públic & du
commiffaire du Roi , de l'accufé & de l'accufateur ,
fera prêter à chaque juré féparément le ferment
fuivant : « Citoyens , « vous jurez & promettez
» d'examiner avec l'attention la plus fcrupulente
» les charges portées contre un tel...., de n'écou
» ter ni la haine ou la méchanceté , ni la crainte
» ou l'affection ; de vous décider d'après les té-
و ر
moignages & fuivant votre confcience & votre
» intime & profonde conviction , avec l'impar-
» tialité & la fermeté qui conviennent à un homme
jufte & libre , & de ne communiquer avec
perfonne que vous n'ayez fait votre déclara-
و ر
» tion » ?
( 21 )
» XX. Le ferment prêté , les jurés prendront
place tous enfemble fur des fiéges féparés du
public & des parties , & ils feront placés en face
de l'accufé & des témoins .
» XXI . De ce moment , & tant qu'ils feront
dans l'auditoire , ils ne pourront communiquer
avec perfonne par écrit , parole ou gefte , jufqu'à
ce qu'ils aient fait leur déclaration , fauf les éclairciffemens
qu'ils pourront demander , fuivant la
forme qui va être expliquée ·
5 .
Du lundi , 24 janvier.
Malgré d'affez vives oppofitions , M. Nérac
eft parvenu à lire des nouvelles des Colonies ,
& une pétition du commerce de Bordeaux , appuyée
a - t- il dit , par le département , le diftrict
& la municipalité . En voici la fubftance :
» La pofition des Colonies empire chaque jour.
Saint-Domingue eft dans une agitation générale ,
& la Martinique dans une entière défolation .
Les fecours décrétés ne font pas encore partis .
Des vaiffeaux armés depuis long- temps dépériffe
dans l'inaction ; les ennemis de la révolution
s'applaudiffent de leurs fuccès ; toute la France
eft étonnée , & il femble qu'on le foit fait un
jeu barbare du maflacre de nos frères & de la
ruine de la Métropole . Le prédéceffeur du miniftre
actuel , preflé d'envoyer des forces pour
rétablir l'ordre à la Martinique , avoit expédié
le vaiffeau le Ferme , commandé par M. Rivière ,
qui , d'après fes inftructions , fans doute , vient
d'y manifefter les principes les plus inhumains .
Ce n'étoit pas fur de vains preffentimens que la
municipalité de Breft s'oppofoit au départ de oe
( 22 )
vaiffeau , & à l'enlèvement des armes qu'il n'a
portées que pour livrer aux noirs & pour augmenter
le carnage . M. Rivière a refulé d'entendre
les députés du commerce qui venoient vers
lui comme fupplians , il a tiré fur eux , il enveloppe
St. Pierre du côté de la mer , pour que
perfonne n'échappe au fer homicide . Peut- être
la Martinique n'eft elle plus qu'un monceau de
ruines & de cendres .
Les auteurs de l'adreffe finiffent par propoſer
la plus prompte exécution du décret du 29 novembre
dernier , l'envoi direct à Saint-Domingue
des forces deftinées à cette Colonie ; & , vu la
lenteur de ces moyens , d'expédier fur - le- champ
un vaiffeau de ligne chargé de porter les décrets ,
les ordres du Roi , le général & les commiflaires
; ou dont le capitaine , connu par fon dévouement
à la conſtitution , reçoive la miflion
particulière de gouverner la Martinique jufqu'à
l'arrivée du général & des forces décrétées ,
» afin qu'elle ne foit plus foumufe aux ordres
fanguinaires que l'on fait figner à M. de
» Damas « ; enfin d'ordonner que MM. Rivière
& Damas viennent rendre compte de leur conduite.
»
M. Nérac à fortement infifté pour lire un
procès-verbal qu'il affuroit contenir les preuves
des faits dénoncés ; l'adreffe & le procès - verbal
ont été renvoyés au comité colonial & le rapport
ajourné à l'une des prochaines féances du foir.
En attendant le nouveau régime des contributions
, la commune de Strasbourg a été autorifée
à faire percevoir à fon profit ,, fur le détail
des boiffons , la moitié des droits perçus jufqu'à
la fuppreflion du droit d'Umgeld.
Après la lecture d'annonces de preſtations de
( 23 )
fermens' ecclefiaftiques , applaudis des cafuiftes ,
des galeries , la difcuffion s'eft ouverte fur divers
arricles du tarif des traites. Le texte en érant
plus néceffaire aux négocians , que l'historique
des débats ne fauroit l'être à l'efprit de légifla
tion & au commerce , nous nous bornerons à
Its tranfcrire par la fuite en leur entier.
Du mardi , 25 janvier.
Malgré le Décret qui ftatue que les députations
des corps adminiſtratifs & de la commune de
Paris , feront les feules admifes à la barre , une
adreffe des quarante-huit fections de la capitale
n'en a pas moins demandé que leurs députés y
fuffent admis pour déduire , un peu tard , les
faits fur lefquels elles établirent la dénonciation
des ci-devant Miniftres . Le Préfident s'eft reffonvenu
du Décret ; mais M. Bouche a prétendu que
les quarante-huit fections de Paris font véritable-"
mert la commune ; ce principe a paru d'autant
plus inconftitutionnel, qu'il auroit des conféquences
directes contre la toute puiffance & l'irreſponſabibité
du corps conftituant , & rentreroit dans l'axiome
Fade J. J. Rouffeau qui dit expreffément , que les
droits du peuple ne fe délèguent point , que les
Députés d'un peuple ne peuvent être fes repréſentans
, que dès que le peuple a des repréfentans il
n'eft plus libre ( contrat focial , chapitre XV ) .
Auffi M. Regnault de Saint-Jean d'Angély s'eftil
empreffé de prouver que les fections ne pofsèdent
plus le pouvoir qu'elles ont délégué au confeil
général de la commune , aux municipaux ,
aux repréfentans qui feuls ont le droit d'ordonner ,
d'agit , de haranguer au nom des commettans ;
& Ton eft paffé à l'ordre du jour.
En rappellant les troubles excités à Chinon à
· ( 24 )
l'occafion des rôles d'impofitions , le décret par
léquel l'Affemblée avoit ordonnée la formation
d'une nouvelle municipalité , la démiflion de
cette municipalité faute de pouvoir fe concilier.
avec le Maire qui réunit les deux dignités de,
Maire & de Juge de paix , M. Vernier a propolé,
au nom des comités des rapports & des finances ,
de décréter que le roi fera prié d'envoyer des
troupes à Chinon , que les officiers municipaux
feront invités à reprendre leurs fonctions , & que
le Maire fera tenu d'opter entre les fonctions municipales
& celles de juge . M. Goupil de Pr.feln
a obfervé que dans un écrit intitulé : code de
la juftice de paix , on lit que les Procureurs ne
peuvent être juges de paix , qu'ainfi l'a décisé le
comité de conftitution , quoiqu'il n'y ait point
de Décret à cet égard . Il a réclamé contre cette lgiflation
des comités . Si vous tolérez de pareils
abus , a dit M. Regnault , il s'établira une jurifprudence
des comités mille fois pire que la jurif
prudence des tribunaux .
M. d'André a penfé qu'il étoit inconftitutionne',
& même contradictoire de preferire chacun des
actes du pouvoir exécutif refponfable , que les
miniftres ne s'occuperoient jamais d'eppaiter les
infurrections , tant qu'on s'adrefferoit unique- ;
ment à l'Affemblée & qu'elle décideroit de tout )
par des décrets d'exécution ; que fur-tout dans
les circonstances actuelles qui néceffitent une force'
rapide & fure , c'eft au pouvoir exécutif que les
adminiftrateurs doivent demander les troupes dont'
ils ont befoin ; qu'ainfi l'incomptabilité des fonctions
municipales & de celles de juge font l'objet
d'un décret général , & que l'affaire particulière
de Chinon doit être renvoyée au pouvoir exécutif.
Il eut été plus conféquent à ces principes de
wwA
demander
( 23 )
demander deux décrets généraux ; car renvoyer
l'affaire de Chinon au Roi , c'eft décréter l'oppofé
de ce que defiroit M. d'André ; c'eft toujours
fuppofer la néceffité d'un décret pour que le
Roi agiffe.
Un député de Chinon a juftifié les municipaux ,
contre lefquels le peuple a été conftamment excité
par des factieux , fous le prétexte de la détention
de quelques individus pour des délits de
police . Ces magiftrats n'ont fufpendu leurs fonctions
que par l'impoffibilité de les exercer. On
a même été jufqu'à les menacer de la potence.
A Chinon comme ailleurs les faux patriotes ne
refpirent que le crime & l'impunité. Les conclufions
de M. d'André ont été textuellement
décrétées .
Trois décrets particuliers ont divifé la ville
d'Angers en huit paroiffes , la ville d'Auxerre en
quatre , & la ville de Sens , de concert avec
l'Evêque du département de l'Yonne , en quatre
paroifles ; en fupprimant & incorporant toutes
celles qui excédoient ces nombres , & ne confervant
que les feules défignées par les décrets .
Le rapporteur du comité eccléfiaftique M. Verrier
( ci-devant bénédictin ) a dit que M. le cardinal
de Loménie avoit fecondé de tous fes
moyens la nouvelle circonfcription , & que M.
l'Evêque d'Angers n'avoit mis au décret que
Punique condition de l'exécuter fuivant les formescanoniques.
Sur ce qu'on propofoit d'abord de
ne divifer cette ville qu'en fix paroiffes , un Curé
d'Angers a obfervé qu'il faudroit de plus grandes
églifes & des prédicateurs à la voix de Stentor ;
on l'a contraint de quitter la tribune en lui
eriant honnêtement qu'il battoit la campagne ;
• No. 6.5 Février 1791.
B
T
+
26 )
cependant Angers confervera deux paroiffes de
: plus.
On a repris la difcuffion fur le tarif des droits
de traite que nous donnerons ailleurs dans fon
enfemble . Les débats fur les articles décrétés n'ont
offert rien de remarquable , qu'au fujer des toiles
blanches de chanvre & de lin que le comité ne
taxoit qu'à 3 liv. le quintal , que MM. Boutidou
& Merlin vouloient impofer à 100 liv. ,
M. Begouen à 60 liv . , & que l'Affemblée a
taxées a 75 liv.; vingt-cinq fois autant que
le comité qui n'a pas dit toutes les raiſons .

M. Barnave a terminé la féance par un dire ,
fubftitué au rapport qu'un décret avoit demandé
la veille au comité colonial , relativement à une
adreffe du commerce de Bordeaux . Il a jugé que
la marche décrétée , fans conduire à de nouvelles
mefures , retarderoit , celles qu'il a dit avoir été
prifes & être enfin prêtes à le réaliſer . « Les
forces deftinées à Saint- Domingue , font à l'Orient
; celles deftinées à la Martinique , font à
Breft ; toutes font prêtes à s'embarquer, Les
comminaires de la Martinique doivent être partis
ce matin , & le nouveau Gouverneur doit partir
demain. Que demande de plus la ville de Bordeaux
? Le rappel de M. Damas ? Il a été voté
par un décret , & M. de Behague va le remplacer.
Les commiffaires qui accompagnent ce nouveau
gouverneur, ont obtenu , de la part des deux partis,
les témoignages de confiance les plus prononcés...
Ils examineront la conduite de M. Rivière ; ils ont
la réquifition des forces , & pourront feuls les
faire mouvoir... D'ailleurs , les relations qui nous
font parvenues font directement contradictoires .
Le parti de Saint -Pierre accufe M. Damas d'avoir
armé les nègres , & M. Damas écrit qu'il les a
·( 27 ).
contenus ; ils s'accufent mutuellement d'avoir
refufé des propofitions de paix. Le feul parti fage
eft de preffer les mesures qui ont été adoptées...
Le comité colonial vous invite à ne pas donner
par de nouvelles réfolutious un motif de rctarder
celles qui ont été adoptées , & prie l'Affemblée
de le difpenfer du rapport dont elle l'a
chargé hier ».
Atteftant l'éxactitude des détails énoncés par le
préopinant , M. le Chapelier a déclaré l'intention
du Comité colonial de préfenter dans quatre jours
un projet de Décret pour l'envoi des Commiffairesconciliateurs
à Saint -Domingue. » Nous avons
effectivement réfolu un cnvoi de Commiffaires , a
repris M. Barnave , mais nous n'avons cru devoir
l'accélérer ; parce que fi nous retardons ce projet
de huit jours , les nouvelles de l'arrivée du Décret
du 12 Octobre nous parviendront , probablement
dans l'intervalle . M. le Chapelier s'en tenoit à fes
quatre jours , & s'effrayoit de la huitaine ; l'Affemblée
a ajourné le projet à huit jours , ſuivant
les conclufions de M. Barnave.
Du mardi , féance du foir.
Après l'annonce de quelques fermens d'eccléfiaftiques
, avidement applaudis , le préfident a lu
une lettre du Roi , qui fait part à l'Affemblée que
fa majefté a remis à M. de Leffart le département
de l'intérieur , confié par interim à M. de Montmorin
. On a lu auffi une adreffe de Marſeille , qui
demande que les rois de France ne puiffent déformais
époufer qu'une Françaife . Ces co- législateurs
Provençaux ne déterminent pas encore dans quel
diftrict les rois feront tenus de fe choifir librement
une époufe.
Le chef du tribunal des dix a remis à l'Affem-
B 2
( 28 )
blée une note de 64 procès criminels , jugés par ce
tribunal provifoire . Il s'y loue beaucoup de la décence
du public , qui n'a plus applaudi dès qu'il a
fu que la loi interdit toute marque d'approbation
ou d'improbation .
M. Chaffey ayant dit que le comité eccléfiaftique
ne pourroit faire que le lendemain , fon rapport
fur l'exécution du décret relatif au dernier
ferment civique , M. de Foucault a demandé à
quelle heure , & prié que ce ne fût pas avant dix
heures. M. Voidel a dénoncé un projet caché dans
cette queftion . Offenfé de la remarque injuricufe
de M. Voidel , M. de Foucault a voulu en avoir
raifon , & a réclamé la loi conftitutionnelle &
celle de l'honnêteté , qui défendent également de
préjuger des intentions . Quelqu'un a fait la motion
de mettre à l'ordre du jour la très - curieuſe
lettre , où M. de Macaye , donnant fa démiflion
comme membredu comité des recherches, acunfigné
l'état actuel de ce comité. L'Affemblée n'a écouté
ni l'un ni l'autre , & a réfervé fon attention pour
M. Chaffey , que le comité eccléfiaftique avoit
chargé d'un rapport fur les évènemens d'Amiens ,
dont voici la fubftance .
Par un accord que le rapporteur convient ne
point être en état d'expliquer , ce qui ne l'empê
che pas de le fuppofer , les prêtres de la ville
d'Amiens ont publié des écrits contenant leur
opinion individuelle fur le ferment , & d'une conformité
littérale . Ces écrits avoient pour titre :
Formule du ferment prêté par M. le curé de.......
D'autres , corrigés à la main , portoient : Formule
du ferment à prêter..... Tous énonçoient que
ces prêtres ne cefferoient jamais de donner le
précepte , & l'exemple de l'amour de la patrie &
de la charité fraternelle ; chacun y difoit : » Sou(
29 )
mis à JÉSUS- CHRIST , qui ordonne de rendre à
Céfar ce qui appartient à Céfar , je jurc de veiller
avec foin fur la parciffe qui m'cft confiée , d'être
fidèle à la nation , à la loi & au Roi , d'obéir aux
décrets de l'Affemblée nationale , fanctionnés par
le Roi , excepté ce qui tient effentiellement à la
religion catholique , apoftolique & romaine , dans
laquelle je veux vivre & mourir « .
Le département de la Somme a renvoyé cet
écrit à l'accufateur public , avec ordre d'en pourfuivre
les auteurs , fous le règne de la liberté
même des opinions religieufes . La municipalité
a fait une proclamation , & a commis un ecclé
fiaftique pour exercer provifoirement les fonctions
des curés qui n'avoient prêté que ce ferment
, afin de pourvoir « autant que poffible aux
fecours que les fidèles ont droit d'attendre » .
Quelques membres du côté droit ont follicité
M. Chaffey de lire cette proclamation ; il a sèchement
invité ceux qui vouloient en argumenter à
la lire eux-mêmes. M. l'abbé Maur, à demandé
qu'on défendit à M. Chaffey d'improvifer. Le
rapporteur a prié M. l'abbé Maury de lui apprendre
à improvifer ; celui- ci lui a répondu que
cela ne lui étoit pas poffible , & de longues rumeurs
ont retardé la fin du récit de l'affaire
d'Amiens.
Comme on s'y attend bien , le prêtre nommé
d'office par la municipalité , n'a pas voulu céder
la place au curé , qui l'a fait affigner devant le
nouveau tribunal . Cette étrange conteftation a
été plaidée avec beaucoup d'appareil . M. Chaffey
a prétendu que le plaidoyer de l'avocat du curé,
qu'il appelloit plaifamment l'ancien curé , étoit
préparé d'avance & combiné avec le commiffaire
du Roi & le tribunal ; des murmures l'ont averti
B :
( 30 )
que ces affertions auroient cu befoin de preuves .
Attendu que la deftitution des prêtres nonaffermentés
n'a pas été prononcée , le tribunal a
décidé que tous les curés d'Amiens continueront
à exercer leurs fonctions . M. Chaffey a penfé
que le tribunal auroit dû fe reconnoîte incompétent
, & renvoyer cette affaire aux corps adminiftratifs
qu'il y avoit une extrême indécence à
Laifler calomnier les légiflateurs de la France ,
fans interrompre le citoyen & le nagiftrat qui
fe livroient à ces infolentes déclamations ; & il
a propofé de décréter l'exécution des décrets
précédens , l'approbation du département , & le
renvoi des pièces au comité des recherches .

M. l'abbé Maury a obtenu la parole , & ne
pouvant prononcer entre le curé , & le prêtre
commis par les municipaux , fans avoir entendu
les deux parties , il s'eft borné à rappeller à l'Affemblée
des principes généraux , qu'elle devroit
contamment prendre pour règles de fes déciſions .
Ces principes , a- t-il dit , étoient respectés dans
les temps barbares d'où nous fortons. On ne fe
permettoit pas dans ces temps déplorables , de
rendre des jugemens fur requête , fans avoir conftitué
en demeure les parties intéreffées , fans les
avoir entendues . Je n'examinerai point l'autorité
judiciaire de cette Affemblée ; mais je ne croirai
jamais qu'elle puiffe , fans infpiration , ſe permettre
de juger un particulier fans l'entendre.... Il
m'eft impoffible de reconnoître dans un décret
qui intérelle un ou plufieurs citoyens , autre choſe
qu'un décret fur requête or jamais une loi ne
peut être rendue fur requête ; car malgré la puiffance
dont vous vous inveſtiffez , ce décret feroit
révocable par fa nature .
( 31 )
Je paffe à ma feconde obfervation . L'objet
dont il s'agit appartient-il aux corps adminiftratifs
Les parties & leurs défenfeurs font fans
intérêt , je ne plaide que pour l'ordre public ; je
demande fi les corps adminiftratifs peuvent s'interpofer
entre deux citoyens , s'ils font chargés de
l'application de vos loix quand il ne s'agit pas de
l'impôt ? Si leur opinion vous eft favorable a
Amiens , prenez garde qu'ailleurs il n'en foit pas
de même ; alors , par votre comité , vous demanderez
que les juges prononcent & que les adminiftrateurs
fe tailent... Ici plufieurs voix fe font
écriées : ( c'eft une infolence effroyable . M. le préfident
rappellez l'orateur à l'ordre ).
Continuant de démontrer que cette querelle
particulière préfentoit une grande queftion de
droit public. « Si vous entendez , à poursuivi,
M. l'abbé Maury , que les corps adminiſtratifs
prononcent entre deux compétiteurs , vous êtes
les maîtres de rendre ce décret ; mais alors vous
auriez un grand oubli à réparer , fi le fyftême
philofophique des théologiens du comité eccléfiaf
tique étoit admiffible »…………. .... M. Maffieu , curé de
Sergy , a cru plaifant d'obferver que les théologiens
du comité valoient bien les théologiens de
Facadémie Françoiſe.
Je reviens à la queftion , a repris M. l'abbé
Maury , & je ne réponds point en ce moment au
prédéceffeur de l'évêque de Verfailles . ( Le préfident
l'a rappellé à l'ordre ) . Toute loi demande
un juge pour l'appliquer , a dit l'orateur . Si cette
vérité ne vous a pas frappés , nous vivons fous le
plus intolérable defpotifme , fous le defpotifme
des loix arbitraires... Il s'agit de deux particuliers
dont l'un demande à être maintenu dans les fonctions
, & l'autre à exercer la miflion ſpirituelle
B 4
( 32 )
:
qu'il a reçue de la municipalité ; vous leur- devez
à tous deux un jugement , & les corps adminif
tratifs ne peuvent pas juger ; ils font les collecteurs
de l'impôt , les exécuteurs des loix fiſcales ,
& non les juges de l'état des citoyens
ב כ
« Le troifième objet de ma diſcuſſion eſt relatif
au renvoi au comité des recherches d'une
caufe portée , prématurément peut -être , au tribunal
d'Amiens . Ici mon admiration pour le
comité eccléfiaftique diminue beaucoup , & voici
les confidérations courtes que je fupplie cette,
augufte Affemblée d'écouter jufqu'au bout. La
gloire du comité eccléfiaftique eft compromife.
Jufqu'à ce jour , il ne nous a propofé que des
idées neuves. Eh bien ! le projet de décret du
renvoi au comité des recherches d'une caufe dont
an tribunal eft faifi , eft copié littéralement fur
les lettres -patentes de Richelieu pour ôter le procès
de Marillac au parlement de Paris , & le renà
la commiffion de Ruel. Je ne croirai pas
que le corps législatif puifle vouloir dépouiller les .
juges du peuple , d'une caufe dont ils font faifis
pour en inveftir , qui ? Le comité des recherches » ,
voyer
A ces mots , M. Dubois des Guays a demandé,
qu'on envoyât M, l'abbé Maury en prifon à l'abbaye
pour le punir de fes farcafines contre les comités.
de l'Affemblée .«Ce renvoi au comité des recherches ,
a continué l'orateur , ne peut étre fondé ſur uné
formule de ferment prononcé ou à prononcer . La
différence du fupin au gérondif ne doit pas être rem
voyée à ce comité. Mais en le laiſſant , fi vous
l'approuvez , ajouter ce nouveau flcuron à fa
couronne , j'obſerve que le décret dont on preffe
l'exécution , eft du lendemain de la délibération du
tribunal d'Amiens , qui ne pouvoit s'y conformer
avant qu'il fut rendu ... Je demande la queftion
préalable fur le projet de décret ».
. ( 33 )
M. Barnave , que fa qualité de Calvinifte difpenfoit
peut - être de montrer du zèle , contre le
clergé catholique , s'eft livré à ſa froide véhémence
. Appuyant fur les inductions de connivence
entre les eccléfiaftiques & les magiftrats
d'Amiens , & révélant une fureur facrilège , préte
à provoquer une guerre civile , M. Barnave a
décidé que ce n'étoit pas la confcience qui réfiftoit
au ferment , mais « le deffein de fripper
l'opinion des hommes par ce qu'elle a de plus
fenfible ».
« La fageffe de vos difpofitions eft évidente ,
incontestable , a-t - il dit affirmativement à l'Affemblée
. Le fait dénoncé n'eft point relatif à une
conteftation entre particuliers , capable de donner
ouverture aux tribunaux . Les corps adminiſtratifs
font feuls compétens pour l'exécution des loix ;
& les tribunaux ne peuvent prendre aucune connoiffance
des conteftations élevées fur les mefures
qu'ils auront adoptées à cet égard. Donc , d'après
ce fimple expofé des principes , il eft évident que
le projet de décret qu'on vous préfente eft bon ». cc Mais се n'eft pas le véritable but où l'on tend
en s'oppofant
à la loi. Ce qu'il importe de voir d'un bout du royaume
à l'autre , c'est un petit nombre de factieux , qui regrettent
leurs privilé- ges , leurs droits oppreffeurs
... Ce n'eft pas fé- rieufement
de la compétence
d'un tribunal , du pouvoir temporel
ou fpirituel , c'eft de la tem- poralité des biens eccléfiaftiques
qu'il s'agit ……. ».
M. de Foucault s'eft écrié : « Vous ne dites que
des fottifes ». M. de Lautrec a demandé que
M. Barnave fût rappellé à l'ordre ; mais l'orateur
n'en étoit pas encore au principal motif de ſa
diatribe .
« Jamais , a - t - il dit , vous n'avez rendu un
B S
1
( 34 )
grand décret , fans qu'on abusât du nom des
chofes les plus facrées parmi les hommes . Ce
mot de monarchie , fi cher à tous les François ,
n'a-t-il pas été invoqué, quand vous avez rendu
des décrets contre la tyrannie ? Le mot propriété ,
n'a-t-il pas étéinvoqué, toutes les fois que vous avez
rendu des décie s contre les ufurpations qui avoient
\ réduit au néant la fortune publique pour créer de fes
débris des fortunes privées ? Ne vous étonnez donc
pas qu'on cherche à s'armer contre vous du nom facré
de lareligion , quand vous détruifez les abus qui
la profanoient...Votre crime eft d'avoir enlevé à des
individus les abus dont ils jouiffoient , & rendu
au culte le refpect & l'autorité qu'il avoit perdus.
Une autre fecte s'élève , elle invoque la conftitution
monarchique ; & fous cette aftucieuſe
égide , quelques facticux cherchent à nous entourer
de divifions , à attirer les citoyens dans
des pièges , en donnant au peuple un pain cmpoifonné...
».
MM. de Murinais , Malouet , plufieurs autres
membres du côté droit cherchent à fe faire entendre
& ne peuvent y parvenir. « Ce n'eft pas
ici le moment , pourfuit M. Barnave , de traiter
ce qui concerne cette infidieufe , perfide & factieufc
affociation ... ». M. Malouet s'élance à la tribune
& y apoftrophe vivement l'orateur . » Mettez
à l'ordre M. Malouet l'intendant , s'écrie M. Charles
de Lameth ( cherchant une arme de plus dans la
haine que le peuple attache au mot intendant ) . Metecz-
le à l'ordre ; il fait le fpadaffin dans la tribune»,
« Le moment n'eft pas arrivé , reprend M.
Barnave , de vous entretenir de cette affociation .
Sans doute les magiftrats , chargés de veiller à la
tranquillité publique , auront pris les précautions
qu'exige cette tranquillité. Sans doute le comité
des recherches inftruira bientôt l'Aſſemblée de ces
1
I
( 35 )
manoeuvres factieufes , de ces diftributions
pain à moitié prix ... Il vous dénoncera nominati
vement les chefs de cette faction.., J'ai cru devoir
parler de ces faits ( fans en prouver aucun ) ,
parce qu'il eft évident que tant d'audace ... que
des manoeuvres auffi hardies , ne pouvoient avoir,
d'efpérance que dans les mouvemens qu'on fe
propofe d'effectuer , au moyen du refus du ferment
des eccléfiaftiques ... Point de foibleffe dans notre
conduite... Il ne faut pas commencer par févir
contre des pafteurs , contre des hommes fimpies
ou trompés , que leur intérêt attache au nouvel
ordre de chofes ; mais par la deftitution de tous,
les évêques d'un bout du royaume à l'autre
ceux qui font membres de l'Affemblée nationale
& qui n'ont pas prêté leur ferment , devroient
être déjà remplacés dans tous les départemens .
Le peuple , les fidèles demandent de nouveaux,
prélats ... Ils donneront aux pafteurs l'inftitution
canonique. En fuivant cette marche , nous fui-,
vrons le voeu du peuple. Quand les pafteurs feront
féparés de ces protecteurs perfides qui leur donnoient
des inftructions menfongères & coupables ,,
ils ne s'oppoferont plus à ce que réclame leur
bonheur & celui des fidèles . Hâtons - nous donc de
fuivre la véritable marche ; évitons fur - tout un
mouvement rétrograde qui conduiroit le royaume
& nous dans un abîme de maux. Plufieurs
voix du côté droit fe font écriées : oui , vous...
vous ; mais non la religion , le royaume , la
tranquillité publique.
.. 33.
« On employoit ces grands mots , a répliqué
M. Barnave , quand vous avez décrétés que les
biens eccléfiaftiques , appartenoient à la nation... ».
On n'a pas décrété cela , lui a- t- on réparti . En
effet, être àla difpofition, ou être la propriété , font
B6
( 36
avoit pour
deux chofes très -différentes . L'orateur a dit qu'il
lui la raiſon , la vérité , & le voeu du
peuple ; & il a conclu l'adoption du projet dé
décret , une nouvelle loi d'exécution , & le remplacement
le plus prompt des évêques . Le côté
gauche & les galeries l'ont accompagné triomphant
à fa place . Les femmes des tribunes ont
failli les faire écrouler fous le tintamarre de leurs
trépignemens d'alégreffe , & de leur claquemens'
nerveux .:
-M. de Murinais ayant voulu fe plaindre d'une
accufation fi grave , intentée fans preuves contre
une fociété de citoyens eftimables , toute la gauche
a demandé à grands cris que la difcuffion fût
fermée ; c'eft -à-dire , que perfonne ne s'avisât
de troubler la gloire de M. Barnave. « Je demande
, a répris M. de Murinais , qu'on pour- '
fuive le membre qui a appellé le coutelas des
affaffins fur la tête des hommes honnêtes , & je
dénonce la fociété des Jacobins .
» Je requiers , a ajouté M. Malouet , que la
liberté , la sûreté , ne foient pas impunément
outragées dans cette tribune ; que la dénonciation
de M. Barnave foit confignée au procès- verbal ,
qu'il la dépofe fur le bureau , & que l'Affemblée
nous donne un tribunal . Jamais vous ne verrez
ceffer les défordres , tant que le club dominateur
régnera fur la France : je le dénonce formellement.
Des cris affreux interceptoient chaque phrafe de
M. Malouet , enfin ce vacarme indicible s'eft
terminé par le décret que voici :
« L'Affemblée nationale , inftruite d'un jugement
rendu le 20 de ce mois par le tribunal du
diftrict d'Amiens , fur l'exécution d'une délibération
du directoire du département de la Somme ,
en date du 17 du même mois , au fujet du rem-
·
!
( 37 )
placement des eccléfiaftiques fonctionnaires publics
refufant de prêter le ferment preferit par la loi
du 26 décembre précédent ; après avoir entendu
le rapport qui lui a été fait par fes comités de
conſtitution & eccléſiaſtiques :
» Décrète que l'exécution de la loi du 26 dé◄
cembre dernier appartient aux corps adminiftratifs
& aux municipalités , fauf aux tribunaux à
prendre connoiffance des cas portés aux articles
VI , VII & VIII de ladite loi ;
comme non -
» Déclare le jugement du tribunal du diſtrict
avenu ; approuve la conduite du
directoire du département de la Somme , le charge
de procéder au remplacement des eccléfiaftiques
fonctionnaires publics refufant de prêter le ferment
preſcrit par la loi du 26 décembre dernier ,
conformément à l'inftruction de l'Affemblée du
26 de ce mois ;
» Au furplus , renvoie au comité des recherches
, tant la dénonciation que le directoire du
département a arrêté de faire à l'acculateur public
dudit tribunal , par fa délibération du 17 de
ce mois , que celle faite le 20 du même mois au
même directoire , pour , du tout , être rendu
compte à l'Affemblée .
Du mercredi , 26 janvier .
L'Affemblée ayant d'abord écouté l'annonce
des fermens prêtés par les eccléfiaftiques d'Alençon
& d'Evreux ; & ayant été informée que M. l'évêque
d'Orléans avoit foufcrit à cette preftation , M.
Chaffey l'a conduite à l'hiftoire d'un vicaire- général
de l'archevêché de Paris , qui , fuivant lui ,
s'étoit abfenté pour refus des difpenfes de bancs.
( 38 )
L'affaire étant portée au comité eccléfiaftique ,
M. Chaffey a lu en fon nom un projet de décret .
M. de Juigné conteftoit les faits allégués par le
rapporteur , & fe difpofoit à les expliquer ; mais
on n'a voulu entendre aucune contradiction .
M. de Cazales a cependant obtenu la parole,"
mais feulement fur le fond du décret .
ce« Quand la prévoyance eft inutile , a dit cet
orateur , elle eft le plus funefte préfent qu'on
puifle avoir reçu . Je n'ai jamais autant fenti
cette vérité que dans le moment où je fuis monté
à la tribune '; car il m'eſt tout à- la - fois impoffible
de ne pas prévoir combien peu j'aurai de fuccès ,
& de ne pas vous dire cependant combien de
malheurs vous menacent. L'Affemblée nationale
a voulu donner au clergé , une conftitution qui fut
accommodée au nouvel ordre de chofes qu'elle a
établi ; mais il n'a pu être dans fon intention
d'attenter à la jurifdiction fpirituelle de l'églife .
Le titre même , donné à cette constitution , annonce
que fon intention n'étoit point d'exercer
des droits qui ne lui appartiennent pas . Cependant
votre conftitution civile du clergé a -t - clie
ou n'a-t- elle pas attenté à l'autorité fpirituelle ?
Je n'entrependrai point de décider cette question ;
l'impatience de l'Aſſemblée , m'annonce d'ailleurs
qu'elle ne le fouffriroit pas outre cela , toute
ma fcience théologique fe borne à favoir qu'en
matière de dogme , notre devoir eft de nous foumettre
à ceux qui ont reçu leur miffion & leur
autorité de l'églife ou de Dieu même ».
De violens murmures ont ici interrompu M. de
Cazalés , qui , une heure entière , & à chaque
phrafe , a eu à foutenir les clameurs , les repioches
, les interpellations de tout genre , par lef
quelles on lui difputoit la liberté de le faire en39
tendre : « vous êtes hors de la diſcuſſion , crioit
M. Gouttes , « « Rappellez M. Cazalès à l'ordre
, ajoutoit M. Dumetz ; » l'ordre du jour
étoit le mot dé M. Guillotin. « On nous fait
perdre le temps , point de catéchisme , vous prêchez
la guerre civile , difoient avec colère
MM. Babey , Lavie & Dumetz », Donnez-moi
la parole , ajoutoit ce dernier , je réfuterai M.
de Cazalès en deux mots .
Toutes ces clameurs ont conduit à une épreuve ,
pour délibérer fi l'on permettroit ou non à M. de
Cazales de continuer. » Laiffez - les faire , obfervoit
M. l'abbé Maury ; nous aimons leurs décrets
, il nous en faut encore trois ou quatre.
La parole étant accordée à M. de Cazales ; à la
première phrafe , MM. Regnault , Lavie , Biauzat
, Dumetz ont de nouveau troublé l'audience ,
& effenfé la liberté du corps législatif ». Vous.
n'ofez pas feulement nous entendre ; leur obfervoit
M. l'abbé Maury. Enfin , le vacarme a laiffé
un inftant de repi à M. de Cazalès qui l'avoir
Loutenu avec autant de modération que de patience
, & fans laiffer échaper une parole injuricufe
.
"
La religion , a-t-il pourſuivi , fe maintient par
la contradiction . Vous chaffercz les évêques , les
curés , des lieux où ils exerçoient leurs paiſibles
& bienfaifantes fonctions , & vous n'aurez pas
vaincu ; vous n'en ferez qu'au premier pas de
la perfécution qui s'ouvre devant vous . Doutezvous
que Rome , que l'églife catholique , les
évêques chaffés de leurs diocèfes n'excommunient
ceux qui auront été mis à leurs places ? ( Ces
mots ont excité de longs éclats de rire ) . Doutez-
vous que la plus grande partie des fidèles
( 40 ) .
ne demeure attachée à leurs anciens paſteurs ?
Alors le fchifme eft dans toute la France ; le
peuple doutera de la validité des facremens qui
fui feront adminiftrés. Il cherchera & ne trouvera
plus les bienfaits de cette religion qui , faififfant
l'ame dès le berceau , répand fur la vie
entière tout ce qui peut en adoucir les amertumes
. . . . Alors fe multiplieront les victimes
de la révolution ; vous ferez des milliers de
coupables. Les catholiques perfécutés fuivront
dans les déferts , dans les cavernes , les pafteurs
dont ils voudront entendre encore la voix confolante
& recevoir les fecours fpirituels. Ils feront
réduits à cet état de mifere & d'oppreffion ,
où ils gémiffoient fous le règne des defpotes de
Fempire Romain . . . . Jufqu'ici , je ne vous
ai parlé que des maux qui accompagneront la
réfiftance paifible qu'on vous a jufqu'à préfent
oppofée ; mais fi des hommes féditieux fe couvrant
du manteau facré de la religion , profitent
de vos erreurs pour attaquer tout votre ouvrage
, renverser toutes vos lois ; s'ils répanden
les brandons du fanatifme au milieu d'hommes
avides à les faifir ; que feront alors des légiflateurs
impies & barbares , qui . pour ne pas revenir
fur un décret dont l'injuftice & les dangers
leur font démontrés , ont voulu livrer le peuple
aux horreurs d'une guerre civile & religieufe ?
Non , fi vous êtes vraiment les repréſentans &
les pères du peuple , vous ne facrifierez pas des
milliers de victimes au faux orgueil de ne pas
fufpendre l'un de vos décrets ; vous ne reflemblerez
point à ces defpotes , dont la maxime eft
de ne retracter jamais leurs volontés cruelles ;
mais quand vous feriez perfuadés de la juſtice &;
de la bonté de votre loi , ofez en comparer
( 47 )
les avantages avec les dangers que vous avez
à redouter. Il eft des lois bonnes en elles - mêmes ,
qui , dans les circonftances où elles font propofées
, compromettent le falut de l'empire ».
» Si vous ne voulez pas être refponfables des
malheurs incalculables qui peuvent réfulter de
votre perfiftance à faire exécuter des lois que
l'églife réprouve ; fi vous voulez marquer de la
manière la plus folemnelle votre refpect pour l'é
glife catholique , votre amour pour ce peuple
dont le bonheur vous cft confié , vous prierez
le roi de prendre les meſures , de fuivre toutes .
les formes canoniques pour que votre conftitutution
civile foit exécutée avec le concours &
l'aveu de l'égliſe de France ».
» Rendez hommage au principe, qui veut qu'en
matière fpirituelle rien ne puifle être exécuté
fans le concours de l'églife . Eh ! pourquoi ne
demanderiez - vous pas un concours que vous êtes
sûrs qu'on ne vous refufera pas »
CC
» ?
ice Avouez franchement que vous avez erré , &
qu'éclairé par l'églife vous vous foumettez à fa
doctrine avec la foumiffion que lui doivent tous
Les fidèles ; mais dans tous les cas gardez- vous
de précipiter l'exécution rigoureufe de vos décrets.
Si vous n'adoptez pas cette mefure , la
feule fage , la feule raifonnable , la feule religieufe
, la feule humaine , vous fuivrez en tout
l'exemple qu'a donnée l'Angleterre quand elle s'eft
féparée de l'églife Romaine , avec cette différence
que le parlement d'Angleterre commença
par établir le principe & en fuivit les conféquen--
ces, & que l'aflemblée nationale fait exécuter les
conféquences d'un principe qu'elle n'ofe avouer.
Je crois done , meflieurs , que fi vous aviez un
vrai defir de la paix vous adopterez le projet que
142 )
je vous propofe. Je demande que l'affemblée nationale
fufpende l'exécution de fon décret du 27
novembre ; je demande qu'elle prie le roi de fuivre
toutes les formes canoniques qui feront néceffaires
pour que fon décret fur la conftitution
civile du clergé foit exécuté de l'aveu &
avec le concours de l'églife de France , & que
ce décret foit précédé d'un préambule dans lequel
l'affemblée apprenne à la nation que c'eſtpar
refpect pour l'églife , que c'eft par amour
pour les peuples qu'elle a confenti à fufpendre
Rexécution du décret qu'elle avoit rendu «<,
- » Si vous n'adoptez pas , comme tout femble
me l'annoncer , la meſure de fagcffe , de modération
que je propofe , je déclare en mon nom ,
je déclare au nom de la minorité de l'affemblée
nationale , que nous ne prenons pas de part au
décret que vous allez rendre ; que , fidèles à la
foi de nos pères , fidèles à l'églife dont nous
ne voulons pas ceffer d'être les enfans , nous ne
nous féparons pas de la communion catholique ;
que nous continuerons de reconnoître pour nos
feuls & légitimes pafteurs ceux que la violence ,
aura chale de leurs fiéges , & auxquels l'églife
n'aura pas retiré la jurifdiction qu'elle leur a
donnée «.
M. de Mirabeau a remplacé M. de Cazales ,
en proteftant qu'il ne vouloit lutter » ni de chaleur
, ni de déclamation , ni d'éloquence » avec
le préopinant , dont il a qualifié le difcours de
longue & violente fortie , abfolument opposée à
la chofe publique & à la tranquillité. « Il feroit
trop ailé de vous prouver , a - t -il dit , que ,
» le déplorable état qu'il vous a préfenté fe trou-,
» veroit bien mieux réalisé dans la mefure rétrograde
qu'il vous propofe . Car enfin M. de
( 43 )
-
33
Cazel's n'ignore pas que , les opinions con-
» traires à celles de fon parti , ont auffi bien
» la majorité dans la nation que dans cette affemblée
même » . 95
"
גכ
30 -7
« Vous n'avez qu'a rafembler vos vrais
» commettans par bailliages , s'eft écrié M. d'Ef
prefmenil ; & vous verrez fi vous avez
parmi eux la majorité . J'avoue , a repris
» M. de Mirabeau , que je ne penfois pas ,
» dans ce moment , à nics commettans - raf
femblés par bailliages ». Puis écartant toute
conféquence défobiigeante , il a relevé le propos
de M. l'abbé Maury : laiffez rendre ce décret ;
nous en avons befoin ; il a trouvé le mot profond
, mais peut- être indifcret , & a fini par dire
que ceux qui préfentent une fuite de pronostics
affreux , prenoient peut - être leurs voeux pour
leurs efpérances.
сс
L'opinant a invité le côté droit à attendre
les malheurs avec autant de calme que lui ; il
s'eft tranquillifé fur l'autorité de l'affemblée , la
fermeté & la fageffe de la nation , & fur les
adhéſions & les hommages conftans de toutes les
parties de l'empire . Paffant enfin au projet de
décret du comité eccléfiaftique , il en a trouvé
les nouvelles difpofitions fages & douces , & a
fupprimé celles qui ne faifoient que confirmer
des décrets antérieurs . Le côté droit ayant déclaré
ne prendre aucune part à la délibération
le décret mis aux voix a été adopté tel que nous
le tranfcririons , s'il n'avoit reçu une autre rédaction
le lendemain .
Du jeudi 27 janvier.
Sur la lecture du procès-verbal , M. Guillaume
a oblervé que le décret rendu la veille enlevoit
( 44
aux eccléfiaftiques abfens du royaume le bénéfice
du délai que leur avoit accordé le décret du 27
novembre dernier . Le mécompte vient de ce qu'on
applique aux prêtres le décret du 18 décembre ,
où il ne s'agit que de fonctionnaires civiis & du
fcrment ordonné le février ; l'un laiffe deux '
mois aux évêques & curés pour revenir de l'étranger
dans leur diocèfe on dans leur cure , l'autre
ne donne qu'un mois pour prêter le ferment en
pays étranger ; or , le décret ultérieur a tout
confondu. M. Guillaume a relevé cette confufion ,
& il a démontré que le décret de la veille avoit
été dirigé contre M. l'archevêque de Paris pour
le dépofléder promptement de fon fiége .
« J'en tire la preuve , a - t - il dit , du décret
même dans lequel on lit , article II : Dans les
départemens où il y aura lieu de remplacer des
fonctionnaires publics ecclefiaftiques , il ferd
d'abord , de préférence à toutes opérations même,
commencées , procédé au choix de l'évêque ; & le
département de Paris , qu'cu n'a pas voulu vous
nommer , eft le feul où il ait actuellement un
corps électoral en activité. Je tire une autre
démonſtration , de ce qui vous a éte expofé au
commencement du rapport ( de M. Chaffey ) . On
vous a dit que le fervice du fecrétariat de l'évêché
de Paris manquoit abfolument , qu'avanthier
on avoit refufé des difpenfes promifes la veille ,'
& que dès-lors il étoit urgent d'y pourvoir. Cependant
ce fait fut démenti à l'inftant même par
M. de Juigné l'aîné ( qu'on refuſa d'entendre ) ;
& je puis vous attefter que j'en ai depuis vérifié
la fauffeté ».
MM. d'Eftourmel , d'André , Martineau ont
appuyé les conclufions de M. Guillaume , & le
décret ayant été renvoyé au comité cccléfiaftique ,
( 45 )
M. Chaffey en a lu plus tard une nouvelle rédaction
, adoptée par l'Affemblée en ces termes :
«L'Affemblée nationale , après avoir entendu
le comité eccléfiaftique ,, décrète :
Art. 1. Auffi-tôt après l'expiration du délai
prefcrit par le décret du 27 novembre dernier ,
il fera procédé au remplacement des eccléfiaftiques
fonctionnaires publics qui n'auront pas prêté le
ferment.
".
II . Dans les départemens où il y aura actuellement
un évêque & des curés à nommer
les aflemblées électorales s'occuperont d'abord de
Télection de l'évêque ; après quoi les électeurs fe
retireront dans le chef-lieu de leurs diftricts refpectifs
, pour y faire l'élection des curés .
» Ill. Dans les départemens où les délais accordés
à l'évêque ne feront pas expirés , les
affemblées électorales de chaque diftrict procéderont
fur- le-champ à l'élection des curés.

» IV. Les évêques qui ont été élus juſqu'à ce
jour , & ceux qui le feront dans le courant de la
préfente année , ne pourront s'adreffer à leur
métropolitain , ou à tout autre évêque de leur
arroudiffement , qu'autant que ceux - ci auront
prêté le ferment preferit par le décret du 27 novembre
dernier ; & dans le cas où aucun des
évêques de l'arrondiffement n'auroit prêté le ferment
, ils s'adrefferont au directoire de leur département,
pour leur être indiqué l'un des évêques
de France qui aura prêté le ferment , lequel pourra
procéder à la confirmation canonique & à la confécration
, fans être tenu de demander la permiffion
de l'évêque du lieu ».
Au nom du comité des finances , M. de Montefquiou
a fait décréter que l'ordonnateur du tréfor
public dreffera , fous liuitaine , les tableaux des
( 46 )
dépenses de 1790 & 1791 , & que quand aux
rembourfemens exigibles & à l'arriéré de fon département
, il en remettra l'état & les pièces au
directeur-général de la liquidation .
On a lu une lettre de la fociété des amis de
la conftitution monarchique , où ils fe plaignent
à l'Affemblée des outrages que leur a prodigués
M. Barnave dans la féance de mardi foir , &
demandent d'être entendus à la barre . M. de
Clermont-Tonnerrè eſt monté à la tribune . Des
cris perçans ont invoqué Tordre du jour , & l'ordre
du jour a été décrété. Indigné de ce déni de
juftice , M. Malouet en a fait fentir la tyrannie.
Une voix partie du côté droit , en dominant fur
le plus violent tumulte , a dit aux membres de
la gauche : « Vous êtes des lâches . Si vous avez
raifon , pourquoi craindre de rous entendre » ?
cc
Au milieu de la difcuffion du tarif des traites ,
M. Malouet a été informé & a dit à l'Affemblée
´que la maiſon de M. de Clermont - Tonnerre étoit
menacée d'une exécution populaire . Aufſi-tôt des
clameurs ont demandé l'ordre du jour : « Je vous
dénonce , a repris M. Malouet , les odicufes fuites
de ces dénonciations calomnieufes . . . . ( Parlez
modérément , lui a dit M. Babey qui n'avoit pas
donné ce fage confeil à M. Barnave » )..
сс« Ne devez -vous pas protection à ceux que
perfécutent depuis longtemps les auteurs des
troubles qui regnent dans le royaume , a repris
M. Malouet , à travers les éclats de fureur qui
lui impofoient filence . Je prie M. le préfident
d'ordonner de prompts fecours , & l'Aſſemblée
de décréter que la municipalité eft refponfable de
tout ce qui arrivera . Cette férocité , Meffieurs ,
eft lafuite d'une lettre fortie du club des Jacobins
lettre répandue dans tout le royaume , & dans
( 47 )
laquelle on annonce que le club monarchique
prépare une contre- révolution . Si l'on croit que
les atrocités font l'épouvantail des honnêtes gens ,
on ſe trompe ».
M. Voidel a témoigné la crainte que l'Affemblée
ne prît « des mefures indifcrètes fur la dé-
-nonciation d'un feul membre qui peut- être a été
trompé ». Son avis étoit de mander le maire &
le commandant de la garde nationale . On lui a
obſervé que s'ils font déjà dans l'endroit menacé
ils y mettront l'ordre ; que s'ils n'y font pas , il
-ne faut pas les retarder. Lorfque nous fommes
venus , s'eft écrié M. Faydel , on nous a promis
sûreté ; fortons de cette ville fi ces promeffes ne
font pas exécutées ». Quelqu'un a prétendu que
la municipalité n'avoit aucun befoin d'ordre pour
faire fon devoir . On a écrit au maire , & décrété
trois articles du tarif des traites.
сс
Enfuite, M. Bouchea profité d'un moment de filence
pour annoncer que, la maifon de M. de Clermont-
Tonnerre n'avoit céffé d'être dans la plus grande
tranquillité ; que l'arrivée du maire y avoit feule
attiré cinquante à foixante curicux ; on lui a
nié ces affertions ; il a parlé vaguement de témoins
occulaires . L'ordre du jour a de nouveau
fermé la bouche à M. Malouet ; M. Chaffey
a lu la feconde rédaction du décret que nous
avons tranfcrit plus haut , concernant les eccléfiaftiques
, & la féance a été levée.
Du jeudi , féance dufoir.
Après la lecture d'annonces du ferment de quelques
prêtres , le préfident a lu une lettre de M.
Bailly, contenant tout ce que ce maire de Paris
avoit fait dans la matinée pour le maintien de la
paix dans la capitale. A dix heures , il s'eft tranf(
48 )
porté à la barrière de Sève , où l'on difoit que les
contrebandiers menaçoient les chaffleurs ; il n'y a
pas trouvé de tumulte , mais des commis & des
chaffeurs défolés d'être en trop petit nombre
pour empêcher que des bandes plus nombreuses
ne fiffent la contrebande impunément. M. le
Maire en a conclu que la néceffité d'affurer la perception
, exige des mefures promptes & févères ,
qu'il n'a pas prifes. On lui a dit que quelques
pauvres s'étoient raffemblés à la porte de M. de
Clermont - Tonnerre ; il a d'abord été tenté d'y
aller ; mais comme il n'y avoit point de défordre
, il eft revenu chez lui , d'où l'avis du préfident
l'a porté à fe rendre chez M. de Clermont-
Tonnerre. Tout y étant dans le plus grand calme
, averti qu'il y a du tumulte au fauxbourg
Saint-Antoine , il arrive à l'hôtel de ville , &
voit des gardes, nationales & des officiers municipaux
qui avoient fauvé un particulier dénoncé
à la fureur d'une populace cruelle , par les feuilles
de l'ami du peuple , de Marat , dont M. le maire
tolère la proclamation quotidienne. Pas la moindre
réflexion fur l'homicide licence de la preffe :
le malheure . x fauvé mourra vraisemblablement
de fes bleffures. C'est à ce terme que finiffent
les travaux efficaces & la lettre de M. Bailly ;
lettre qu'on a renvoyée au comité des finances ,
fuivant l'avis de M. Demeunier , pour les
mefures à prendre contre la fraude , & aux
comités de conftitution & des recherches pour ce
qui les concerne.
M. de la Chèze s'eſt avisé ſeul de requérir
enfin une loi contre les libelles incendiaires & la
liberté indéfinie de la preffe , qui venoit encore
de faire ffaffines un citoyen. L'humanité de M.
de la Chèze a eu pour récompenfe les huées des
galeries
( 49 )
galeries , & le lendeinain un député journaliſte
a imprimé que M. de la Chèze avoit proposé
de fupprimer la liberté de la preffe , comme il
eût propofé de fupprimer le feu qui occafionne
des incendies. C'eft l'incendie précisément & non
le feu que vouloit éteindre M. de la Chèfe . Nous
fommes autorifés à relever cette imputation philofophique
& civique du journaliſte député .
Sur la propofition de M. Defmeuniers , l'Affemblée
a établi & organifé un tribunal de commerce
à Paris .
M. Merlin a préfenté fept articles , concernant
les affiches des hypothèques , deftinés à lever
les difficultés & les doutes qu'ont fait naître
les articles XXII , XXIII & XXIV du décret
des 6 & 7 feptembre dernier für l'organiſation
de l'ordre judiciaire. L'intérêt général de ces
difpofitions de formalité rigoureufe ne les rend
pas fufceptibles d'un extrait . Nous les donnerons
la femaine prochaine.
Du vendredi 28 janvier,
Un aumônier de la garde nationale , maire &
turé d'Ormenil , en Normandie , jure , & dénonce
au corps législatif toutes les manoeuvres des eccléfiaftiques
& de fon évêque pour renverser la
conftitution , en détournant ce triple fonctionnaire
public de prêter le ferment civique ...
M. l'abbé Bourdon a raconté qu'un M. Mourillon
, curé de Menoux , nommé par les électeurs
à l'évêché du département de la Creufe ,
a fait un fuperbe difcours , en prêtant le ferment
à fon inſtallation conftitutionnelle . Il a démontré
que l'Affemblée , en s'emparant des biens de
-L'églife , en changeant l'ancienne divifion des
diocèles , & fur- tout en lui procurant un évêché ,
N°. 6. 5 Février 1791 .
C
C
( 52 )
n'a fait qu'exercer le droit légitime dont la nation
l'avoit revêtue..
,
M. de Clermont Tonnerre a pris la parole
pour remercier l'Affemblée des précautions qu'elle
avoit cru devoir recommander à fon égard. « Je
dois aufli rendre juftice au peuple , a - t- il dit.
En fortant de chez le commillaire j'ai parlé
au milieu de plus de deux mille perfonnes ; dix
à douze voix ont crié à la lanterne . C'étoit une
bien petite minorité . Les autres citoyens m'ont
donné des témoignages d'intérêt & d'attachement .
M. Bailly avoit attefté la pureté de mes intentions.
J'ai marché à pied près de deux cens pas ,
& fuis remonté tranquillement dans ma voirure
pour revenir ici . Il paroît démontré qu'il devient
déformais de plus en plus difficile , d'exciter le
peuple de Paris contre les citoyens que les calomniateurs
lui dénoncent ».
Un membre a démenti la réunion des deux
mille perfonnes , en s'appuyant de la lettre de
M. Bailly , quoique les faits allégués fuftent
poftérieurs à la retraite de M. Bailly. On s'eft
dérobé aux repliques , en criant à l'ordre .
On a tiré au fort les 42 départemens qui doivent
concourir à la formation du tribunal de
caflation , & M. le Chapel er a fait rendre le
décret fuivant :
« L'Affemblée nationale décrète que les électeurs
des départemens des Deux - Sèvres , du Lot ,
du Cantal , de la Gironde , de Seine & Loire ,
de l'Aude , du Finistère , du Doubs , de l'Eure ,
des Ardennes , du Gard , de Saone & Loire , de
la Creufe , de l'Aifne , des Bouches du Rhône ,
de la Vienue , du Bas-Rhin , de Seine & Marne
, de la Seine intérieure , de l'Izère , de l'Avei-
, du Morbihan , de l'Oife , de la Côte d'Or,
·( 51 )
-
de l'Aube , du Calvados , du Pas - de - Calais , de
la Dordogne , des Hautes -Pyrénées , de la Seine
& l'Oife , des Hautes Alpes , de l'Ain , de la
Meurthe , de la Meufe , des Baffes - Alpes , de
la Drôme , du Rhône & Loire , de la Manche,
de l'Allier , de la Mofelle , de la Haute-Saone,
de la Marne , procéderont pour cette fois à l'élection
des membres qui compoferont le tribunal
de caffation , conformément aux décrets rendus
pour la formation de ce tribunal ;
» Décrète en conféquence que les électeurs
des fufdits départemens fe raffembleront aufli - tôt
après la publication du préfent décret , pour procéder
à l'élection ; & que les électeurs qui fe
trouveront raffemblés pour l'exécution des décrets
de l'Affemblée nationale , procéderont à l'élection
des membres du tribunal de caffation , quoiqu'ils
n'aient pas été fpécialement convoqués à
cet effet .
Le préfident a fait lire deux lettres , l'une à
lui adreffée par M. de Montmorin , & l'autre
( traduite du latin ) de Léopold II, par la grace
de Dieu , Empereur , &c . à Louis- Augufte , Roi
très - chrétien. Nous avons déjà tranfcrit celle de
fa majefté impériale ; voici la lettre du miniftre
des affaires étrangères :
M. LE PRÉSIDENT ,
« Le Roi m'a ordonné de communiquer à
TAffemblée nationale la lettre que la majefté a
reçue de l'Empereur , relativement aux réclamations
des princes & des différens membres de
l'empire germanique , qui ont des poffeffions en
Alface . fai Thonneur de vous envoyer ci-jointe
une traduction fidèle de cette lettre , dont l'original
eft en latin . Sa majefté avoit d'abord penfé
C2
( 52 )
qu'il fuffifoit que j'en donnaffe connoiffance au
comité diplomatique de l'Aflemblée nationale ,
ce que je fis alors ; mais les différentes verfions
de cette lettre qui fe font répandues dans le
public , & les alarmes qu'elles paroiffent y avoit
caufécs , ont fait juger à fa majefté qu'il étoit
néceffaire que j'en donnaffe à l'Aſſemblée nationale
une communication publique & authentique
. Le Roi m'a en même temps ordonné
d'informer l'Affemblée que cette démarche offcielle
& prévue depuis longtemps du chef de
l'empire , avoit été précédée & fuivie des explications
les plus amicales & les plus fatisfaifantes
de Léopold fecond. Je dois également faire connoître
à l'Affemblée , que les difpofitions des
autres principales cours de l'Europe , loin de
préfenter des vues hoftiles à notre égard , ne nous
annoncent au contraire que le defir de maintenir
avec nous l'harmonie & la bonne intelligence . Le
Roi , en m'ordonnant de donner à l'Affemblée nazionale
ces notions générales & tranquillifantes ,
eft bien éloigné de vouloir la détourner des mefures
de prudence & des précautions qu'elle pourra
dans fa fageffe déterminer de lui propofer. Il est
trop important d'écarter des premiers momens de
la formation de notre conftitution , jufqu'à l'apparence
des troubles extérieurs , pour que des précautions
, peu néceffaires dans d'autres circonftances
, ne foient pas convenables dans un moment
où des bruits répandus & accrédités , dans des intentions
peut- être fort différentes , n'en concourent
cependant pas avec moins d'efficacité à alarmer les
efprits & à troubler la tranquillité publique.
Le département qui m'eft confié me permet trop
rarement des communications avec l'Affembléce
nationale , pour que je ne faififfe pas avec empref
( 53 )
fement cette occafion de la fupplier d'être bien
perfuadée que je ne cefferai d'avoir devant les
yeux les devoirs que m'impofent les marques de
bienveillance & d'eftime dont elle m'a honoré.
Ces fentimens de fa part me font d'autant plus
précieux & d'autant plus néceffaires , que la nature
des affaires que je fuis obligé de fuivre , prête à
tous les genres d'inculpations qui , préſentées par
les perfonnes même les plus étrangères à la marche
des affaires politiques , peuvent ne pas paroître
dépourvues de vraisemblance . Les juftifications
feroient cependant toujours difficiles , fouvent impoffibles
, & quelquefois criminelles : je dis criminelles
, parce que je regarderois comme telles
toutes publications qui , n'ayant pour objet que
de difculper le miniftre , pourroient compromettre
la chofe publique . Telle feroit la pofition dans laquelle
fe trouveroit fouvent le miniftre des affaires
étrangères , s'il n'étoit affuré de la confiance des
repréfentans de la nation . Honoré déjà des preuves
de cette confiance , j'ofe en demander la continuation
, bien certain de la mériter toujours par la
droiture & la pureté de mes intentions , ainfi que
par mon attachement à la conftitution . Je fuis
avec refpect , &c.
Signé , MONTMORIN.
сс
Quelques voix ayant demandé l'impreffion de
certe lettre , que nous ne nommerons pas miniftérielle
; la politique de M. Rewkell s'eft alarmée
d'une parcille propofition . « Elle ne fera que
trop publiée , a- t -il obſervé ; mais l'Affemblée ne
doit pas faire imprimer une lettre où M. de Montmorin
annonce que l'Empereur écrit tout autrement
que Léopold »,
C 3
( 54 )
M. Merlin a ajouté que ce diplôme de l'Em
pereur n'auroit jamais été connu , fi M. de Montmorin
eût pris les mesures efficaces qui étoient
prefcrites an pouvoir exécutif, fi , depuis fix femaines
, il eut ouvert les négociations avec ics
princes poffeffionnaires en A Care.
Les raifons des propinaus , qui feppefcient
un peu trop qu'on ne lit au mor de que le procès
-verbal , & qu'il fuffit d'ouvrir une négoci.-
tion pour la terminer à fa fantarie , ont au contraire
décidé M. d'André pour l'impreffion . li a
penfé que la nation verroit « que la lettre qui
déjà lui a donné des inquiétudes vagues , n'ift
qu'un diplôme de la chancellerie de l'empire , &
non point une déclaration des fentimens perfonnels
de Léopold ; que cette lettre lui a été dictée
par les électeurs de l'empire ; qu'elle n'eft er fin
qu'une fimple formalité . Quant aux reproches
fits au miniftre de n'avoir pas ouvert des négo
ciations avec les princes poffeffionnaires en Alface
, il cft certain qu'il a été envoyé des négociateus
de part & d'autre .
M. Rebwel a manifefté de nouveau fes terreurs
du danger de « confacrer par l'impreffion
cette phrafe de M. de Montmorin qui diftingue
les fentimens de l'Empereur , de ceux de Léopold ,
de peur , a- t- il dit , que les princes de l'empire
ne forcent Léopoldà agir comme empereur » ;
& il a jugé que la lettre de M. de Montmorin
étoit une impéritie politique . Auf l'ordre du
jour l'a -t-il laifiée dans l'impénétrable obfcurité ,
oui git naturellement tout ce qu'un décret n'appèle
pas aux honneurs des preffes de l'Affemblée..
Pour demander qu'on ajcutât quarante - cinq
mille fufils aux cinquante mille que M. Duportail
a très - exactement délivrés aux Gardes na
( 55 )
tionales , en exécution du décret du 18 décembre ,
M. de Menou a péroré fur les circonftances &
fur les bruits de guerre. « S'il exiftoit , felon lui ,
une nation , ou du moins des chefs d'une nation
affez infenfés pour entreprendre une guerre fembiable
, ils peuvent être furs qu'elle ne fera pas
terminée , comme celles qui troublent à chaque
inftant l'Europe , par des traités perfides & infidicux
; mais que ce fera une guerre à mort "
& que nous jurerons de détruire ceux qui voudroient
nous attaquer » . Outre ces 97 mille
fufils , nous en avons encore plus de 200 mille
d'un nouveau modèle , deftinés aux troupes de
ligne . En tout le nombre des futils qui font
dans les magafins de la nation cft de 150,000
mille. Le décret adopté expofe furabondamment
les difpofitions propofées par M. de Menou . Un
amendement de M. Duquefagy a fubftitué le
miniftre de l'intéreur à celui de la guerre , malgré
fon patriotifime , pour l'envoi des fils ; la
prudence de M. Robespierre a demandé qu'on
y joignit des munitions & de la poudre , & a
pofé pour maxime d'état , que les comités doivent
Surveiller les miniftres & no pas les flatter .
M. Alexandre Lameth a annoncé que les comités
réunis pour s'occuper de la furcté des
frontières & de l'intérieur du royaume , avoient
pris deux fortes de mefures ; que les unes doivent
être permanentes , & d'autres fpécialement deftinées
à cet inſtant- ci ; qu'il alloit rendre compte
des premières , & que M. de Mirabeau étoit
chargé du fecond rapport.
« Le remplacement des eccléfiaftiques , a dit
M. Alexandre Lameth , cft propre à calmer les
inquiétudes de la nation . Il existe une action &
une réaction continue entre ceux qui nous fuf-
C 4
( 56 )
extent des troubles au-dehors , & ceux qui paroiffent
les fomenter au - dedans . Dans l'efpoir de
voir ce royaume travaillé par des diffentions ,
nos ennemis du dehors n'oferoient fe livrer un
feul inftant à leurs projets infenfés ... Tout ce
que nous avons pû concevoir de réel , ce font
les intentions hoftiles des François réfugiés , &
les réclamations des princes poffeffionnaires en
Alface ; en fuppofant que ceux- ci préféraffent
aux négociations que le Roi eft chargé de fuivre
avec eux , une ligue , une guerre , dont ils effuyeroient
tous les défaftres : en fuppofant que
ceux-là pourfuiviffent des projets qu'une vengeance
facrilège peut leur infpirer , les uns & les
autres ne font pas redoutables par eux-mêmes...
Nous ne pouvons raifonner que fur des conjectures
vagues. Une révolution qui a détruit
dans une grande nation le pouvoir abfolu , fouslequel
elle gémiffoit depuis plufieurs fiècles , doitfans
doute infpirer de vives alarmes à tous ceux
qui , dans l'europe exercent un pouvoir abfolu ...
Leurs foldats , leurs fatellites mêmes ne peuventils
pas recueillir près de nous ces idées de liberté
que le penchant de la nature rend victoricufes
aufi -tôt qu'elles font conçues ?... Quelques obfervateurs
fuperficiels ou aveuglés par leurs préventions
& leurs voeux coupables , induiſent de
quelques exemples récens que notre liberté court
les plus grands dangers ; comme fi nous pouvions
être comparés a un peuple égaré par le fanatifme ,
qui fe rangeoit fous la plus violence tyrannie
au moment où il fecouoit le joug d'une tyrannie
plus tolérable ! ... Qui ne voit que nous vainctions
par l'opinion ceux que nous ne pourrions
vaincre par les armes ? Peut - être devons - nous
craindre davantage l'effet des inquiétudes que
1
( 57 )
ز
peut donner à des nations jaloufes l'accroiffement
de propriété qu'on n'obtient jamais que par la
liberté mais de ces nations les unes font menacées
de troubles , les autres prodiguent à l'ambition
de leurs chefs leur fang & leurs tréfors ;
les autres , au faîte de la plus brillante profpérité ,
font accablées d'une dette effrayante ; les autres
s'occupent d'étouffer les germes de liberté qui
Le manifeftent parmi elles . Quand tous ces apperçus
ne fuffiroient pas pour calmer nos alarmes ,
nous aurions de grands motifs de fécurité dans
la morale politique que nous avons profeſſé :
les puiffances voifines favent que nous ne formerons
jamais des ligues contre elles ; d'ailleurs
notre pofition leur eft repréſentée comme trop
défaftreuſe , par des relations menfongères , pour
qu'elles puiffent craindre de notre part aucun
projet hoftile... Mais quand nous n'aurions à
craindre que les attaques d'une poignée de bri,
gands , c'en eft affez pour troubler notre fi
tuation ; cependant ces conjectures vagues ne
Lauroient motiver un genre de préparatifs dont
l'appareil paroîtroit menaçant ; c'eft affez de
prendre des mefures fimples , & qui touchent de
près aux principes & à l'achèvement de la conftitution
. Or ces mefures fimples & non menaçantes
font toutes dans un projet de décret
l'orateur a lu , & que l'Affemblée a adopté .
que
M. de Mirabeau a pris la parole , au nom
des comités diplomatique , militaire & du comité
des recherches réunis . Paffant habilement
de la théologie paffée à la politique du moment ,
le rapporteur a propofé des expédiens qui fe
concilient avec ce qu'on doit à la crédulité , à
l'ignorance même & à la prudence . « Des citoyens
liés par le même ferment , fentinelles les
Cs
I
( 58 )
uns des autres , fe communiquent leurs efpérances
& leurs craintes : fi nous voulions raffurer les
François , nous leur dirions : ayez plus de confiancé
en vous-mêmes. Sur quelles contrées fe
portent vos alarmes ? La cour de Turin ne facrifiera
pas une alliance utile ,, au foutien de
quelques haines particulières. La Suiffe libre ne
foutiendra ni le defpotifme ni des confpirateurs ,'
ni des rebelles . Léopold a auffi fes détracteurs
& fes ennemis , & de vaftes frontières à défendre .
L'Angleterre... je ne veus exalterai point à une
fécurité profonde ... je ne dirai point qu'elle s'eft
réjouie quand nous avons proclamé la grande
charte de l'humanité retrouvée dans les décombres
de la nation ; que les Anglais ont applaudi
à notre liberté , parce qu'ils en ont le fentiment;
que du fein de cette terre glacée il fortiroit un
volcan qui engloutiroit le miniftre & la faction .
qui oferoient entreprendre d'affujettir les peuples
& de les rendre aux fers qu'ils auroient brifés...
Ce n'est donc pas une guerre ouverte que je
crains , mais les menées fourdes dont on pourroit
fe fervir pour s'opposer à notre profpérité ... Déjž
Fon a pu efpérer de nous voir tomber dans un
dégoût égal pour la liberté & pour l'efclavage ,
de nous voir éteindre dans une forte de marafine
politique ... Mais il ne refte plus de place
à la charlatanerie ; cette conception qui auroit
mérité l'aprobation de l'ancienne diplomatie ,
aujourd'hui peu redoutable. Moins libres que
nous , nos voifius regardent en fecret le fpectacle
de notre révolution , comme l'objet d'une
pérance qui leur cft commune . Confervez le
refpect de vos propres forces . N'avez - vous point
une armée , lorfque tous les citoyens font foldats
? N'avez - vous point de l'or , lorfqu'au
B( 59 )
moindre péril toutes les fortunes particulières font
prêtes à fe verfer dans le tréfor - public ?
aux
De ces reffources , de ces certitudes M. de
Mirabeau a bien voulu paffer aux illufions ,
exagérations de l'ambition de fervir fon pays , &
aux peut- être. « Peut-être auffi les ennemis de
la Révolution , fatigués de leur impuiffance ,
ont-ils pris leurs efpérances pour la réalité , leurs
menaces pour des attaques ; peut- être encore des
factieux qui ne cherchent qu'à exécuter des projets
qu'ils cachent fous les noms de paix , d'ordre
, de monarchie . ( on applaudit comme à une
victoire ) Peut- être ont- ils efpéré de parvenir
au terme qu'ils fe font propofés dans de grandes
agitations populaires ; & ce combat de l'intérêt.
& de l'ambition contre le patriotifine peut faire
concevoir de juftes alarmes ... Ne nous diffimulons
pas qu'un autre danger nous affiège . Par--
tout les fonctionnaires publics font élus : que
» le peuple , en furveillant fes mandataires , apprenne
donc à les honorer , & que la force
» turbulente de la multitude cède au respect pour
la loi ( cette diffonnance , arrachée par une
fagcffe de précaution , n'a pas excité les batte-
» mens de mains des galeries « ) . Alors , jufqu'au
fignal du danger donné par les fonctionnnaires
publics , le citoyen dira : l'on veille pour moi ;
je peux vaquer en paix à mes occupations ; car .
la véritable liberté n'a point de terreurs , elle
fe refpecte affez pour ne rien trouver redoutable
» .
כ כ
Cependant , a repris M. de Mirabeau , en
enchanteur qui fait paroître & difparoître à fon
gré les vérités & les chimères , cependant ces
craintes exagérées ne font pas dénuées de tout
fondement . Il eft trop vrai que les préparatifs de
C. 6
( 60 )
quelques complots ont été faits fur les frontières
de la Savoie , qu'on enrôle en Suiffe , qu'on a
cherché à faire entrer quelques Princes d'Allemagne
dans ces projets , qu'enfin les réfugiés françois
ont des agens chez les peuples étrangers pour
décrier notre Conftitution dont ils reçoivent euxmêmes
des bienfaits . Tous ces mouvemens ne
méritent point nos alarmes ; mais il faut les
compter pour quelque chofe , & raffurer ceuxmêmes
qui s'alarment fans raiſon » .
D'après , ce rapport , l'orateur a propofé d'orgarifer
le reste de l'armée , d'employer â l'extérieur
des hommes , qui ne compromettent pas nos
intérêts par des doutes fur nos fuccès » , qui s'élèvent
à la hauteur des fublimes idées qui ont produit
la révolution , qui ne foient pas les confidens
de l'ariftocratie ; de déterminer le taux des penfions
de retraite de tous les agens du pouvoir
cxécutif, en cas de remplacement ; enfin de porter
l'armée au pied de guerre , ainfi qu'on l'avoit
déjà décrété. Ayant dit un nombre incroyable de
fois & fous toutes les formes , foit à la nation
foit à la majorité de l'Affemblée , de ne rien craindre
, de n'avoir pas la moindre alarme , &c , il a
terminé la période oratoire par ce trait : « Ne
craignez pas que vos voifins regardent ce raffem-
» blement de troupes comme une menace . Non ,
"
une guerre injufte ne feroit pas le fruit de la
» renonciation faite , il y a fix mois , par le
» Peuple François à toute guerre offenfive , par
» un peuple qui voudroit élever un autel à la paix
» fur les ruines du defpotiſme , & qui ne veut fe
» fervir que contre les tyrans des armes qui ont
» été employées à la conquête de la liberté ». Un
projet de décret a fuivi ce rapport.
Il sardoit à M. Goupil que cette nouvelle loi
( 61 )
,
füt fanctionnée , afin d'infpirer aux mal - intentionnés
« une terreur ſalutaire , pour eux & four
so la nation . Moins preffé , M. de Montlaufier
a demandé l'ajournement , en infinuant que de
graves légiflateurs n'étant pas des foldats dans
La délibération , l'ardeur martiale ne valoit pas
le flegme & la réflexion dans le confeil « Nous
» fommes tous a-t-il dit , réfolus de facrifier ,
» s'il le faut , notre fang pour la défenfe du
Royaume ; mais ce feroit facrifier le fenscommun
que de vouloir délibérer fur des objets
» que l'on ne connoît pas ». On ne s'eft point
arrêté à cette objection . M. de Noailles à foutenu
l'avis de M. Goupil. En vain M. de Toulongeon
vouloit- il féparer le projet de décret de M.
Alexandre Lameth de celui de M. de Mirabeau
la queftion préalable les a déclarês effentiellement
indivifibles .
i
» J'obſerve , a dit M. Malouet , que plufieurs
vues intéréffantes du rapport qui vous a été lu ,
ne fe trouvent point comprifcs dans le décret . -
M. de Mirabeau a placé parmi les caufes des troubles
intérieurs , & parmi les moyens de les étouffer
, la ceflation de l'influence de la multitude
fur les fonctionnaires publics . fclon M. de Mirabeau
, le peuple ayant choifi fes mandataires , il
eft tems qu'il s'en rapporte à eux ( on a interrompu
M. Malouet ). Je vous fupplie , a - t- il
repris , de confidérer que fi les moyens de furveiller
le peuple fe trouvent placés hors de la conftitution
, il en résultera une anarchie effroyable...
Les mefures les plus directement propres à rétablir
la tranquillité , fortent toutes de la réflexion
très-lumineufe de M. de Mirabeau . Il eft fûr
qu'enfuite il n'y a plus lieu aux mécentens que
Vous préjugez ennemis de la révolution ,
( 62 )
former aucune plainte , du moment où vous
aurez ftatué que , pourvu qu'ils ne réfiftent point
aux lois , ils éprouveront la rtanquillité que doit
a Turer la conflitution . Cela ne peut arriver tant
que le Royaume entier fera divifé en autant d'affemblées
d'atroupemens ... » Dans le bruit horrible
qui a coupé la parole à M. Malouet , on
n'a diftingué qu'une voix du côté gauche qui
citoit le club. monarchique ; inftitution paisible
lachement perficutée par des féditieux , & à laquelle
il ne fuffifoit pas à fes détracteurs d'avoir
inputé des diftributions de pain empoisonné ;
métaphore qu'on pourroit appeler une bonnefortune
de la calomnic..
---
M. Malouet infiftant inutilement fur une conféquence
néceffaire des principes contenus au rapport
, a prié M. de Mirabeau de réduire lui-
» même fa propofition en décret » je ne fçais
point mettre des réflexions en décrets a répondu
M. de Mirabeau. Cette propofition fe placera
dans la fuite de vos travaux ordinaires ... Qu'attendons
nous ? On ne doit pas renfermer
dans des décrets une encyclopédie de morale ».
Après ce dialogue , chaque article des deux
décrets a été mis aux voix de la manière la plus
expéditive . Le dernier de M. Lameth a fenible
à M. Le Chapelier vouloir divifer en deux la
garde nationale ; il en a demandé l'ajournement.
M. de Mirabeau a attefté que l'intention du
comité n'étoit point d'opérer cette divifion . De
longs débats ont amené un ajournement à lundi.
Nous tranferirons dans huit jours les décrets
adoptés.
Du famedi , 29 janvier.
Une lettre de M. du Portail , miniftre de la
9 .
( 63 )
guerre , a informé l'Affemblée d'une délibération
des adminiftrateurs du département de la Drôme ,
qui , le 20 de ce mois , arrêtèrent d'envoyer un
détachement de 150 hommes de garde nationale ,
au fecours de Carpentras. Cette démarche d'humanité
a fort déplû à M. du Portail , qui motive
en ces termes fa réfolution , dans fa lettre
au directoire du département de la Drôme.
сс
J'ai mis , Meffieurs ; fous les yeux du Roi
la lettre que vous m'avez fait l'honneur de
m'écrire lé 20 de ce mois , & votre délibération
du 19 , par laquelle vous avez arrêté de faire à
la ville d'Avignon les plus fortes repréſentations
fur les projets hoftiles contre les peuples du
Comtat , & d'envoyer en même- temps un fecours
de 150 honumes de gardes nationales à Carpentras
, pour aider cette ville à repouffer les attàques
des Avignonois ; vous avez de plus invité
les départemens voifins à imiter votre exemple
afin de prévenir les malheurs dont le pays
Venaiffin eft menacé , & empêcher qu'il ne
s'étende aux communautés limitrophes .
כ כ
Quoique Sa Majefté ait remarqué avec fatis
faction que cette délibération ne vous a été dictée
que par la follicitude que vous canfe le maintien de
la paix dans votre département , & par les fentimens
d'humanité que vous infpire la pofition
dangereufe de voifins ; elle n'en a pas moins été
frappéc des conféquences infiniment graves que
pourroit avoir une femblable mefure .
" En effet , Meffieurs , en vous déterminant
à joindre la menace aux repréfentations que vous
avez faites à la municipalité d'Avignon , en prenant
fur vous de donner un fecours de troupes
aux habitans de Carpentras , vous avez fait , ce
me femble , un acte de fouveraineté , vous avez.
( 64 )
ufé d'un pouvoir que la loi ne vous a pas donné ,
& qu'elle a réfervé tout entier au pouvoir législatif
, réuni au pouvoir exécutif fuprême . Si vous
y réfléchiffez , vous reconnoîtrez ailément combien
il eft contraire aux principes de la conftitution
, qu'nn corps chargé de l'adminiftration
d'une portion de l'état , fe mêle des diffentions
de peuples étrangers , prenne entr'eux un parti ,
paroiffe ainfi décider de la légitimité de celui qu'il
embraffe & le foutienne à force ouverte : ce n'eft
qu'à l'Aſſemblée nationale & au Roi qu'il appartient
de montrer à la nation quels font fes amis
& fes ennemis.
ל כ » Obfervez encore , Meffieurs , que les départemens
qui vous environnent , pourront , d'après
votre exemple , fe croire les mêmes droits que
vous ; & s'ils étoient mus par des impulfions
contraires ; s'ils croyoient voir la juſtice dans un
autre parti ; s'ils vouloient comme vous maintenir
par la force celui qu'ils auroient adopté ,
vous vous rencontreriez les armes à la main
d'abord fur terre étrangère pour agir hoftillement
les uns contre les autres , & peut-être bientôt
vous poursuivricz - vous jufque fur vos propres
foyers , où vous auriez attiré les horreurs de la
guerre civile dont il feroit impoffible d'arrêter les
fuites funeftes .
» J'espère beaucoup que ces malheurs n'arri
veront pas , mais il réfulte toujours de la réfolution
que vous avez prife , un inconvénient
inévitable. Lorfque vous envoyez des gardes
nationales tenir garnifon fur un territoire étranger
, vous ne pouvez , fans faire un tort nota-.
ble au plus grand nombre , leur refufer une folde :
vous vous mettez donc dans la néceflité de lever
à cet effet , de votre propre autorité , un ſubſide
( 65 )
fur votre département , ou , fi vous pensez que
l'adminiftration générale doive y pourvoir , vous
grevez le tréfor public d'une dépense à laquelle
la nation n'a pas coefenti .
» Je n'étendrai pas d'avantage ces réflexions ;
elles fuffifent , Meffieurs , pour que vous jugiez
que le Roi n'a pu approuver les mesures que-
Vous avez priſes ; en conféquence Sa Majefté
vous ordonne de retirer fans délai du pays Ve-
Baiffin , tout fecours de troupes que vous y
auriez envoyées ; de vous borner aux précautions
que la prudence exige pour préferver votre paysdes
diffentions qui agitent vos voifins , & d'attendre
ce que l'Affemblée nationale jugera à
propos de décider , & les ordres que Sa Majefté
croira alors devoir vous donner.
و و
Depuis le départ de votre lettre , vous aurez
été informés , Meffieurs , que l'Aſſemblée nationale
a décrété que les troupes envoyées à
Avignon en feroient retirées , & que Sa Majesté
a fur- le- champ donné des ordres pour fa prompte
exécution de ce décret : une pareille meſure vous
annonce que le corps législatif a été loin d'ap
prouver que des François fe foient trouvés mêlés
aux attaques que les peuples d'Avignon & du
Comitat le font faites , & qu'il eft entiérement
dans les principes qui ont dicté les ordres du Roi
que je viens de vous tranſmettre
T
339
DU PORTA IL.
Après le renvoi de la lettre du miniſtre aux
comités diplomatique & d'Avignon , & la lecture
de quelques adreffes , l'ordre du jour a ramené
la difcuffion & des redites fur le tabac.
Nonobftant l'évidence des raisonnemens , par
lefquels M. l'abbé Maury avoit précédemment
combattu le comité , M. Ræderer a perfiſté dans

( 66 )
fa théorie de liberté indéfinie , & l'a appuyée de
la déclaration des droits de l'homme . On fe flatte
à tort de trouver 30 millions dans l'impôt fur le
tabac , fans vifites , fans vexations . Les barriares
étant aux frontières , un code même fanguinaire
n'empêcheroit pas la contrebande. Plus d'humanite
, plus de liberté , fi chacun ne peut cultiver
ou vendre du tabac. M.Ræderer a fini parfoumettre
les queftions fuivantes aux lumières de l'Affemblée :-
une régie nationale en aura -t - elle exclufivement
la fabrication ? En aura- t-elle le débit excluſif 2
Le tabac étranger fera-t- il prohibé ?
Confidérant la culture du tabac comme l'une
de celles qui ne fourniffent ni engrais à la terre
ni aliment aux beftiaux , vraie richeffe de l'agriculture
, M. de Delley d'Agier , a demandé qu'on
diminuat graduellement , au moyen des primes ,
la culture de cette plante parafite dans les provinres
ou elle a lieu ; & qu'on ne décidát rien
fur le tabac avant d'avoir diſcuté les droits d'entrée
dans les villes . Cet orateur qui a parié toujours
avec tant de diftinction , de netteté , de
véritables lumières fur les impofitions , a ren-,
verfé de nouveau la métaphysique de M. Radere ,
& montré le prodigieux avantage qu'ont les connoiffances
pofitives , aidées d'un efprit jufte &
du talent de l'expreffion , fur les obfcurs lieux
communs des têtes vuides d'idées , qui prennent
des fyftèmes rebattus pour des principes.
M. de Mirabeau a préfenté une opinion contraire
à celle du comité , & répété moins éloquemment
, moins clairement , ce qu'avoit dis
avant lui M. l'abbé Maury .
Vente exclufive du tabac au profit du tréfor
public , à raison de 48 fous la livre & de 3 fous
Fonce ; la culture du tabac interdite dans tour
( 67 )
le royaume , nonobftant tous ufages établis
ceffation abfolue de cette culture dans les pro- '
vinces où elle a lieu , mais au bout de fix ans ;
dépenfe de l'y augmenter d'ici là ; une indem-:
nité pour ces provinces réglée par l'Affemblée ;
tels font les élémens du plan de M. de Mirabeau ,
qui , de plus , a promis un code pénal de prohibition.
MM. de Cazalès & l'abbé Maury fe font
trouvés cette fois d'accord avec M. de Mirabeau
ou plutôt M. de Mirabeau eft entré dans le fens
de leur précédente argumentation fur cet objet..
On a ajourné la difcuffion à vendredi pro--
chain .
Du fumedi , féance du for.
""
Entre les adrefles lues dans cette foirée , on
en remarque une du département du Doubs
qui , dans les termes d'un patriotifme fumant ,
denonce des enrôlemens confidérables que font
les ennemis de l'état à Yverdun & dans plufieurs
autres parties de la Suiffe . On a fort applaudi
à cette découverte & décrété l'impreffion de l'adreffe
. Eft-il permis à un département qui touche la
Suiffe , de ne pas favoir que dans tous les cantons
& fpécialement dans celui de Berne que l'on défigne ,
les enrôlemens étrangers font févèrement défendus,
qu'on ne tolère jamais les enrôlemens clandef
tins , & qu'il faudroit une délibération exprefle
du Souverain pour les autorifer ? Que le dépar
tement du Doubs produife cette délibération
ou la preuve de fon exiſtence , & nous retracterons
le jugement que nous venons de porter
fur cette adreffe incendiaire . Elle cft une
infulte au Corps Helvetique allié de la France ,
& il eft furprenant que pas un membre de l'affemblée
n'ait daigné le remarquer..
( 68 )
Immédiatement après , on a entendu le tambour
, au fon duquel on a vû entrer une partie
nombreuſe du bataillon du fauxbourg Montmartre
, portant le bufte de Défilles entouré de
drapeaux & de lauriers . C'eſt un hommage de
l'artifte , M. Barbier : un créolc , M. Mulnier ,
en a fait les frais ; M. de Gouy a prononcé un
difcours de circonftance ; le préfident lui a répondu
avec une grande pompe d'expreffions ; on
a décrété l'impreffion du difcours de M. de Gouy,
& fa demande que le bufte fût déposé aux archives
. La mufique a eu fon rôle dans ce fpectacle
inufité donné au corps conflituant : elle
a joué deux airs d'opéras comiques , analogues
à la circonftance , & le ça ira , ça ira , les
ariftocrates à la lanterne. Au fon de ce dernier
vaudeville , les galeries pleuroient de joye.
Le fpectacle terminé ; M. Camus a pris
la parole pour dire qu'inutilement on avoit
invité plufieurs fois M. de Vauvilliers à remplir
les fonctions de député , auxquelles il eft appellé
par la mort de M. Poignot , décédé , il y a
15 jours. ( M. de Vauvilliers , eft premier
fuppléant de la députation de Paris . ) D'après
fon filence , M Camus a demandé l'admiffion
de M, Lavigne , fecond fuppléant , dont le patriotifne
eft éprouvé.
Plufieurs membres ont trouvé M. Camus beaucoup
trop preflé d'écarter M. de Vauvilliers ,
& n'ont pas entendu le prendre pour arbitre du
patriotisme. M. Regnault de Saint - Jean - d'Angely
a calmé l'impétuofité de M. Camus , en
lui demandant les preuves de fa million & de
fes allégués . Il a demandé le renvoi de l'affaire
au comité de verification : l'affemblée l'a
ainfi ordonné .
( 69 )
Du Dimanche 30 janvier.
M. Gregoire a quitté le fauteuil en annonçant
que la majorité abfolue lui donnoit , enfin
pour fucceffeur M. de Mirabeau . Le premier
acte de ce nouveau préfident a été d'inftruire
l'affemblée d'une lettre de M. de Montmorin ,
qui annonce la preftation du ferment par les
ambaffadeurs de S. M. à Rome & à Naples :
M. le cardinal de Bernis , en prêtant le ferment
que prefcrivent les décrets , a ajouté ; fans
prétendre manquer à ce que je dois à Dieu &
au roi. Là -deffus , M. Goupil a fait trois exclamations
fur le fanatifme religieux , pour demander
que le ferment de M. le cardinal de
Bernis fut annullé , & qu'on priât le roi de lui
retirer l'ambaffade de Rome .
M. Regnault à fait encore ici l'office de modérateur
, en demandant le renvoi de la difficulté
aux comités de conftitution & diplômatique ;
mais , fur l'avis plus conforme à la loi , de
M. d'André , on a renvoyé le ferment au
pouvoir exécutif , chargé de maintenir la lettre
du décret .
On a lu enfuite une adreffe des maîtres de
pofte , qui cffrent mille poftillons & mille chevaux
, pour conduire aux frontières des trains
d'artillerie & des bagages contre l'ennemi .
Sur le rapport de M. Fermont , on a décrété
enfuite que les timbres porteront le nom de
département auquel ils font deftinés , à l'exception
des lettres de change , billets à ordre ,
& autres actes fous feing - privé , pour lesquels
on fera libre d'employer des papiers timbrés de
quelque département que ce foit .
Un rapport ajourné fur le traitement des
170 )
feptuagenaises , penfionnaires de l'état , a terminé
da féance.
Les viciffitudes du club monarchique
établi depuis quelque temps dans cette capitale
, feroient en d'autres temps & fous
un autre régime , un évènement inapperçu ;
mais que fous le régime de la liberté la
plus fublimée , à côté de cette fameufe
déclaration des droits de l'homme , qui
légitime tout ce que la loi n'a pas défendu
, en préfence d'un décret du légiflateur
, qui , en faiſant rouvrir une fociété
accufée de turbulence , a proclamé le droit
indéfini qu'ont les citoyens de fe réunir ,
il ait paffé dans la tête d'un club particulier
, de profcrire toutes les fociétés qui
ne recevroient pas de fa fuprématie le don
des langues , l'infpiration civique , le gage
de fraternité, & l'auréole de la foumiflion ,
un pareil incident prouve combien nous
-fommes encore plongés dans la première
enfance de la liberté. Il prouveroit encore
qu'au lieu de loix , & de conftitution ,
nous n'aurions que des factions , dont la
pluspuiffante impoferoit le joug après l'avoir
brife , en fe jouant de la liberté , comme
Cromwel fe jouoit de la maffe de l'orateur
du Lomg Parlement.
La municipalité le foumettant à la loi , qu'ele
avoit bleffée en jettant l'interdit fur le club mo
( 71 )

narchique , venoit de reconnoître fes torts , & de
proclame que cette fociété pouvoit reprendre fes
féances. Ce Club en tint une le 22 , dans une falle
deftinée à de petits fpectacles, & baptifée hyperboliquement
du nom de Vauxhall d'été , par imitation
du Vauxhall de Londres , auquel la falle
françoife reffemble , comme M. Cerutti à Montef
quieu. Il n'étoit pas difficile de prévoir que le club
monarchique feroit bientôt livré au bras féculier
des Jacobins & de fes adhérens. En effet , dès le
lendemain , le maître maçon , entrepreneur de ce
rendez-vous de défoeuvrés des deux fexes , avec
lequel la fociété avoit paffé un bail en forme , lui
fignifia que les papiers incendiaires crioient après
lui , maçon , que les fyndics de fes créanciers
s'alarmoient , & qu'il la prioit de fe tranſporter
ailleurs . Il revint à la charge le lendemain , en citant
la fermentation , fi grande que la garde de fon
quartier ne viendroit pas à fon fecours en cas d'accident
; bref il finit par refufer d'ouvrir fa falle ,
en dépit du bail , & entretint le public dans les
journaux de fon civifine , de fon respect pour
l'opinion & du voeu de ſa ſection .
En même-temps le club monarchique fut dénoncé
aux Jacobins , dénoncé dans les fections , dénoncé
dans les feuilles patriotiques, comme une réunion de
confpirateurs qui diftribuoient du pain à un fol la
livre. Ce prétexte étoit une impofture : depuis fa
première - clôture , la fociété n'avoit pas diftribué
de pain. Il lui reftoit 11549 liv . , montant des
contributions volontaires de fes membres ; elle
arrêta de remettre cette fomme au procureurfyndic
de la commune , afin que les fections en
fiffent elles - mêmes la diftribution , d'après la lifte
des pauvres déjà infcrits qu'on leur délivreroit .
M. Cahier , procureur-fyndic , refufa de recevoir
( 72 )
ce dépôt de bienfaifance , & les fections de le
diftribuer.
On n'entendroit qu'imparfaitement la favante
combinaiſon de ces refus , fi l'on n'apprenoit que
le jour même , 24 , le club des Jacobins avoit arrêté
& expédié à tous les départemens le manifefte
fuivant :
De Paris , le 24 janvier 1791 .
FRÈRES ET AMIS ,
On pourroit peut -être égarer les citoyens de
vos contrées , par le récit d'un très - petit évènement
qui s'eft paffé à La Chapelle , banlieue de
Paris , aujourd'hui lundi 24 de ce mois ; on
pourroit vous dire que la chofe publique eft en
danger , ne le croyez pas ; cependant notre follicitude
pour tout ce qui intéreffe la patrie ,
nous engage à vous écrire afin de vous raffurer
fur les alarmes qu'on cherche à répandre dans
l'ame de tous les citoyens . Quelques chaffeurs ,
préposés à la garde des barrières ont , dans une
difputc affez vive , tué ou bleffé dix ou douze
pelonnes , fous prétexta d'empêcher la contrebande
. On en a arrêté plufieurs , & déjà ils ont
déclaré qu'on les avoit payés pour commettre le
crime dont ils fe font rendus coupables ; mais
nous ne devons pas vous diffimuler que nous
fommes auffi menacés des troubles que cherche
a excitet une fociéié connue fous le nom drs
amis de la conftitution monarchique ; nous pe
les redoutons pas , fans doute ; mais comme il
eft bon de furveiller les ennemis de la révolution ,
nous avons délibéré que nos féances fe tiendront
tous les jours , jufqu'à nouvel o.dre , & tous
nos braves collégues , dans un mouvement de
patri otifie
( 73 )
1
"
patriotifme auffi prompt que celui d'une infur
rection inopinée , ont fait le ferment folemnel
de furveiller les ennemis de la chofe publique
de les dénoncer à tous les bons patriotres & de
fe rallier tous , dans un moment de calamité
au drapeau de la liberté , pour la défendre &
pour la maintenir .
Nous fommes , & c.
>
VICTOR BROGLIE , préfident ; VILLARS ; G.
BONNECARRERE ; ALEXANDRE BEAUHARNOIS ;
VOYDEL , fecrétaire.
Extrait du procès - verbal de la féance du lundi
24 janvier 1791 .
t
Aprés des débats également utiles & précieux
pour la tranquillité publique , fur la morion d'un
bonorable membre que tous les amis de la conf-
Zitution fiffent le ferment de défendré de leur
fortune & leur fang tout citoyen qui auroit le
courage de fe dévouer à la dénonciation des
traîtres à la patrie & des confpirateurs contre la
liberté , à l'inftant la fociété entière a prêté ce
nouvean ferment , & a arrêté unanimemement ,
qu'il en fut fait mention dans fon procès-verbal .
VICTOR BROGLIE , préfident ; VILLARS ;
ALEXANDRE BEAUHARNOIS ; VOYDEL ; G.
BONNECARRERE , fecrétaire .
Ce ferment , plus conforme aux deffeins d'une
affemblée de conjurés , qu'à une affociation qui
prend le titre d'amie d'une conftitution libre , fut
rempli le lendemain 25 à l'Affemblée nationale
par M. Barnave. On le rappelle qu'à propos de
je ne fais quel curé d'Amiens , dont on débattoir
le remplacement , cet honorable député dénonça
le club monarchique , en qualifiant fes membies
No. 6. Février 1798. D
( 74 )
de traitres & de facticux , qui vendoient au peuple
un pain empoisonné,
Auffi-tôt cette foule de vaicts-journaliſtes , que
Je club des Jacobins a la foibleffe & l'imprudence
de fouffrir à la fuire , & d'honorer de fon utile
protection , n'eurent plus le choix des impoſtures.
Ils informèrent le peuple que les monarchiens
avoient foudoyé les chaffeurs pour tuer la nation
à la Chapelle , qu'ils préparoient une rentrée triomphante
aux princes fugitifs , que M. de Clermont-
Tonnerre avoit reçu des millions pour corrompre
la multitude , que M. Malouet répandoit de faux
brefs du pape pour foulever les provinces , &
cent autres horreurs ridicules , qu'on hurloit dans
les rues par amour de la conftitution .
Heureufement , le peuple n'a
pu obéir
au mouvement qu'on efpéroit lui donner ;
les perturbateurs en ont été pour leurs dénonciations
& leurs affiches. La maifon de
M. de Clermont- Tonnerre fut très - réellement
menacée le 16, non par la multitude , mais
par les motionnaires chargés de l'expédition
, & par les exécuteurs qui les accompagnént.
Des Journaliſtes , décriés il eſt
vrai , parmi toutes les claffes raifonnables ,
ont nié ce fait : il eft certain : en voici
les circonstances avérées.
L'attroupement avoit commencé à onze heures
& demie. M. de Clermont averti à dix , par
un billet de fa femme étoit forti fur le champ
de l'Affemblée pour se rendre auprès d'elie ;
i avoit trouvé à peu- près deux cens perfonnes ,
Farmi lesquelles une douzaine feulement parut
( 75 )
être très - échauffée , & cria à la lanterne ,
ilfaut brûlerfa maifon . Il voulut les haranguer ,
& leur propofa de venir s'expliquer avec lui à
la fection : il fe mit en marche ; la troupe s'accrut
& prît cette direction . Dans cet intervalle ,
M. Malouet qui étoit defcendu de la tribune ,
fe rendit chez M. de Clermont avec M.
Tourniol , député de la Marche : ils trouvèrent
effectivement le calme rétabli , il n'y avoit plus
que quelques curieux à la porte. Pendant que
ces meffieurs vifitoient madame de Tonnerre ,
M. Bailly fe préfenta à la porte , & trouvait
l'orage difipé , il alla au faubourg Saint-Antoine ,
où l'on effayoit de pendre un homme. En
reffortant de chez M. de Clermont avec M. de
Tourniol , M. Malouet vit la troupe de curieux
plus nombreufe ; un homme affez bien vêtu ,
mais dont la figure étoit enflammée de colère
fe mit à crier c'est lui , voilà le B. qui a dénoncé
le peuple ; j'étois à l'Affembléc”, je l'ai
vú. Les deux députés montoient en voiture ;
la troupe les entoura , 1 fureur s'accrut on
ouvrit les deux portières , & on fe précipita fur
ces mefieurs pour les en aracher M. Maloust
Ieur dit froidement , malheureux qu'allez - vous
vous fare ? Deux hommes vigoureux & honnêtes
s'emparèrent des portières , les fermèrent
& le cocher fouetta fes chevaux.
Meffieurs Maloud & Tourniol revenus à l'Af
femblée , entendrent M. Bouche aflurer loya
ement qu'il ne s'étoit rien paffé . Ils voulurene
Pinterrompre pour raconter les faits ; mais
n'y cut pas moyen de fe faire entendre .
-- M.
de Clermont parut. l'inftant d'après , il alloit
rendre compte de tous les détails de cette feèse ,
des efforts inutiles des motionnaire , de fes ex-
D 2
( 76 )
plications , ' avec la foule qui l'avoit conduit de
chez lui vers le commiflaire ; auffi- tôt qu'on le
vit , on leva la féance .
On voit par tout ce qui précède que ,
fi la maifon de M. de Clermont & fa per- .
fonne , & celle de M. Malouet , font ref
tées intactes , on le doit à la prudence du
peuple , moins immoral , moins factieux ,
moins violent que fes inftigateurs ; mais ,
faute d'emplacement , le club monarchique
eft fermé de nouveau. La protection
de la loi & de fes miniftres , eft fi impuiffante
, les droits du citoyen fi facilement
attaqués , que peu de propriétaires
oferunt recevior une fociété , contre laquelle
on reprendra l'armie des profcriptions.
Cependant , elle eft loin de fe
décourager. Il eft à croire qu'elle attaquera
M. Barnave & le club des Jacobins devant
les tribunaux, Les dénonciateurs &
les dénoncés font engagés d'honneur à ce
duel jadidique , qui interelle d'ailleurs , la
liberté & le maintien des loix.
On a vu avec quelle habileté , les auteurs de
la lettre des Jacobins à leurs frères , ont artiftement
lié leur fentence contre le club Monarchique
, à l'affaire des chaffeurs , dout plufieurs ,
affirment- ils , ont avoué avoir été payés . Cotte
accufation et démontrée fauffe par une déclaration
publique du 29 , fignée au nom des huit
comp gaics de chaffeurs , par leurs capitaines , qui
out dénoncé au greffe les auteurs & diftributeurs
de la lettre des Jacobins , & requis l'office de
Faccufateur public , La municipalité a également
( 77 )
détruit cette calomnic , par une proclamation
affichée , où elle attefte que des informations les
plus détaillées , il ne réfulte rien qui puiffe fonder
le moindre foupçon de corruption contre les chaffeurs
. Il eft vérifié aujourd'hui que ces militaires ,
requis pour une faific de contrebande , attaqués ,
fufillés , & ayant vu tomber à leurs côtés un des
leurs mortellement bleffé , n'ont répondu à cette
aggreffion que par une décharge , qu'autorifoit le
droit de la défcufe perfonnelle .
La fociété monarchique compofée de
8 à 900 perfonnes , a repouflé non moins
victorieufement l'attaque de fes accufateurs,
en publiant la lettre fuivante :
* Aux correfpondaus de la fociété des amis de la
couftitution monarchique.
C'eft avec l'indignation la plus vive que nous
avons lu la lettre , rendue publique par une fociété
qui fe dit amie de la couftitution , & fignée
par plufieurs de fes membres.
Nous déplorons l'évènement malheureux arrivé
à La Chapelle , & nous ne l'appelleront pas un
très-petit évènement , parce que la mort & les
blcfix.es de plufieurs citoyens & foldats , & l'infraction
faite à la loi ne font pas un très- petit
évènement , aux yeux des amis de la fociété monarchique.
Nous déclarons à ceux qui difent que la fo
ciété des amis de la conftitution monarchique
cherche à exciter des troubles , qu'elle ne s'eft
réunie que pour s'oppofer de tout fon pouvoir
à ce que les troubles exiftaffent ; nous donnons
aux auteurs de cette calomnie le démenti le plus
formel ; nous les défions d'en fournir une preuve ,
ni même un indice , & nous les attendons aux
tribunaux.
( 78 )
Puiffe bientôt quelque délateur , encouragé
par le ferment qu'ont fait tous les Jacobins de
Te défendre de leur fortune & de leur fang , nous
attaquer ouvertement devant la loi ; nous lui
devrons le triomphe de la vérité,
Nous déclarons qu'anis de la constitution
monarchique , décrétée par l'Affemblée nationale.
& acceptée par le Rei , notre feul ctime , celui
que nous avons commis & que nous commettrons
conftamment , eft de ne pas ployer la tête
fous le joug des Jacobins . Nous annonçons à
teus ceux qui ne veulent obéir qu'à la loi , que
les amis de la conftitution monarchique périront
tous avant de reconnoître une puiflance qui n'eft
pas celle de la loi.
Erançois , demeurez paifibles fpectateurs de
cette lutte entre deux clubs dont l'un veut régner
& l'autre n'être pas efclave . Nous vous jurons
que les Jacobins nous laifferont en fin tranquilles ,
ou qu'il fera démontré à toute l'Europe que les
Jacobins regnent fur la France , & que nous
étions derniers hommes digne d'une véritable
liberté .
DUBERGIER , préfident ; HAMELIN , vice- préfident
; CORMIER , HAUTEFORT , DE ROSSY ,
D'AGIER , STANISLAS DE CLERMONT -TONNERRE
, membres du directoire .
Depuis , plufieurs fections fe font enore
occupées de juger la fociété monarchique
; l'on affure qu'elles l'ont dénoncée
à la municipolité , ainfi que M. de Clermont-
Tonnerre. En même temps , l'orateur
du peuple , l'ami , du peuple , & toute la
hole des vautours charges de poursuivre
les proyes qu'on leur défigne , ont fonné
e tocfin ; on a battu les carrefours & les
79 )
des
cabarets ; alarmé les efprits foibles par
annonces de contre-révolution , & renouvellé
en un mot , toutes ces manoeuvres
populaires qu'on fiffleroit en Angleterre ,
& qui ont mis ici pendant trois jours , la
garde nationale fur le qui vive.
Nous ne ferons qu'une feule réflexion
fur cet acharnement à effacer dans le
royaume , toute autre fociété , toutes autres
maximes que celles des Jacobins . Ils
s'effrayent fans bornes à l'image d'une contre-
révolution ; tout homine fage partagera
leurs craintes ; mais s'il existe un moyen
de la rendre inévitable , c'eft le defpotifme
exercé fur l'opinion , c'eft la volonté particulière
, c'eft la force populaire fubjuguant
l'autorité de la loi , & enchainant les citoyens
par des fers fur lefquels , ainfi qu'aux
prifons de Gênes , on écrit le mot de
liberté. Les tyrans doivent être convaincus
par l'exemple de leurs prédéceffeurs , qu'on
ne dompte pas ainfi avec violence , la penſée
& les mécontentemens. Dans les jours de
révolutions , dans le choc des partis , celui
qui prédomine doit fe garder d'appéfantir
le fceptre au contraire , la prudence lui
commande de laiffer un libre foupirail à
l'opinion & aux murmures ; fans quoi ils
`ne tardent jamais à fermenter plus dangereufement,
& à produire une exploſion. Si
les moyens légaux de faire entendre fes
plaintes , de demander les réformes que
l'expérience & la raifon peuvent indiquer,
:
( 80 )
---
de dénoncer les excès , d'oppofer le voeu
de la loi & les droits de la liberté à l'oppreffion
, par qui & contre qui qu'elie
Foit exercée ; fi les affemblées légitimes ,
fi les difcuffions de fociété , fi les pétitions
libres , font prohibées , à la face de la conftitution
qui les autorife , on provoque les
reffources du défefpoir , & l'indépendance
que produit l'injuftice. Tant que la conftitution
aura le voeu libre du peuple ;
auli long- temps que l'expérience en prouvera
la bonté , aucuns clubs ne prévaudront
contr'elle . Elle n'a befoin d'être maintenue
par la terreur des armes , des inquifitions
, des menaces , des délations , des
fermens fanguinaires , que lorfqu'on tremblera
de la voir s'écrouler fous l'empire irrefiftible
des lumières , & de la vraie connoiffance
de la liberté : c'eft en proclamer
les vices & la foibleffe , que l'entourer des
tuteurs ordinaires du defpotifme. Ainfi
veut- on une contre -révolution certaine ?
Qu'on pourfuive à fubftituer l'autorité d'une
faction à celle de la loi , & qu'on interdife
aux citoyens qui , en y foumettant leurs
ations , n'ont jamais pu fe ravir le droit
de la difcuter , qu'on leur interdife la faculté
légitime de s'en plaindre fi elle les
offenfe.
Pour ne pas perdre de temps , & faire oublier
l'école de la lettre circulaire aux départemens ,
on a fur- le- champ occupé la crédulité publique
d'une nouvelle confpiration , découverte par le
club des Jacobins. Cette fois , le théâtre n'est
( -81 )
pas à Jalès , à Turin , à Nice , en Savoye , en
Brabant , à Yverdun , à Sarbrück , à Trèves ,
Lyon , en Alface au à Rouen : Paris eft le lieu
de la fcène on devoit cnlever le Roi ; rien de
plus certain ; voici les preuves . D'abord , on a
dénoncé le complot aux Jacobins qu'on ne trompe
jamais; 45 feuilles du matin & du foir ont appris
au peuple cette decouverte à ces autorités , fe
joint un voyage de Mefdames tantes du Roi ,
qui ne penvent voyager , comme on le fent , fans
qu'on ait eu le projet de transférer le Roi luimême.
Les écuries de S. M. à Verfailles &
celles des Princes fes frères renfermoient des
chevaux , qu'on eut trouvé il y a fix mois
comme aujourd'hui : vérification faite , on a
reconnu à Versailles quatre cents chevaux ; ainfi
plus de doute d'une confpiration . Ajoutez un
raffemblement prodigieux de Maréchauffée à
Paris , ( quoiqu'il foit bien avéré que ce raffemblement
le réduit à uu nombre de cavaliers , auxquels
l'infpecteur général rend fes comptes en ce
moment ) , & vous aurez la démonftration géométrique
du complot d'enlever le Roi.
Mefdames partent , en effet , au premier
jour , & vont faire un voyage à Rome.
Leurs paffeports font délivrés ; on parle ,
mais avec moins de certitude , du prochain
départ de M. de Penthièvre . Les clubs font
intervenus comme de raifon dans le voyage
de Mefdames , & ont menacé de leur oppofition.
Nous ignorons fi les tantes du Roi
auront la liberté de voyager , ou fi on les
réduira à celle de refter à Paris ; mais elles
paroiffent fe croire affurées de partir le 14.
Dimanche dernier , les Electeurs de Paris
ont nommé à la cure de St. Sulpice le
( 82 )
Père Poiret , fupérieur de l'Oratoire : on
dit qu'il formera fon Clergé des prêtres
de fa communauté. Il faut un grand courage
, pour aborder ainfi , en pareille occurrence
, une paroiffe chargée de vingt
mille pauvres , ne vivant en quelque forte ,
que de la confiance , fi bien méritée , qu'avoit
obtenu M. de Pancemont aujourd'hui dépouillé,
confiance que les perfonnes aifées &
charitables de ce quartier n'accordent pas
indiftinctement. M. le cardinal de Loménie
a prêté le ferment à Sens , dimanche dernier
la plus grande partie de fon clergé ,
& de celui d'Auxerre qu'embraffe fon nouveau
diocèfe , l'a imité. Ce prélat n'ayant
pu réullir à replonger la France dans le
defpotifmie , eft perfuadé que la confcience
même doit fléchir fous l'autorité dominante
, quelle qu'elle foit ; ainfi M. de
Brienne n'eft point inconféquent , comme
fes ennemis affectent de le lui reprocher.
M. l'Evêque d'Orléans , ainfi qu'on l'a vu,
a auffi adhéré au ferment pur & fimple.
Les fonctionnaires publics du diftrict de
Bourmont , près de Barle Duc, ont juré ,
à l'exception de deux ; mais plusieurs avec
des restrictions .
A Nancy , à Arras refus abfolu de tous les
fonctionnaires publics. A Dijon 9 fur 160 ont
prêté le ferment : il eft certain que , dans les
neuf, le trouve un habitué , arrêté dernièrement
chez des filles publiques . A Blois , trois fur
trente ; à Strasbourg deux curés fur 40 fonctionpaires
publics ; à Besançon fept fue 123 ; à Metz
( 83 )
fept fur la totalité du clergé ; à Saintes aucun ;
à Clermont à -peu - près la moitié ; à Amiens dix
curés fur douze ont prêté le ferment reftrictif;
à Dole tous ont prêté le ferment de M. l'évêque
de Clermont.
Pour apprécier à quel point on calomnie
les Journaux qui s'intitulent Patriotiques
& pour fixer l'opiniou du public fur le mérite
particulier de ces productions , on nous
permettra de citer le morceau fuivant , tiré
des Annales Patriotiques , par une fociété"
d'Ecrivains Patriotes , & dirigé par MM.
Mercier & Carra . N° . 480 ,
du 25 Janvier.
» On nous aprend que plus de deux mille officiers
de notre armée , au licu de prêter le ferment
civique viennent d'envoyer leur démiffion
au miniftre de la guerre. Tant mieux : les
braves fous- officiers connus par leur prtriotifme
les remplaceront , comme les eccléfiaftiques
vraiment pieux & pleins de l'efprit faint du civilme
vont remplacer les cafards mitrés , croſſés
& les ftupides curés qui refufent infolemment
d'obéir aux loix facrécs de la nation ».
« On nous annonce , d'un autre côté , que le fa-*
cripant Bender prend à la folde de fon maître
un grand nombre de déferteurs françois qu'il
paie à raifon de vingt fous par jour , avec l'argent
bien entendu que les ariftocrates fugitifs
lui font paffer à cet effet. Tant mieux encore :
quand ces déferteurs françois , après avoir
extrait une partie des fommes que les ariftocrates
fugitifs ont volées à la nation , viendront
à jetter les yeux fur les drapeaux aux trois couleurs
nationales , leur coeur fera ému au tendre
fouvenir de la patrie ; ils fe rappelleront que
pus les enfans de cette belle patrie ne doivent
( 84 )
combattre déformais que pour les droits de
l'homme , pour l'égalité , la juſtice & la liberté
ils rougiront d'ètre devenus , par une lâche tra
hifon , les vils cfclaves de l'infàme maiſon d'Autriche
, & les inftrumens odieux des vengeances
du fadaffe Condé , du crapuleux d'Artois & du
faquin Calonne ; & faifant foudain volte face ,
ils fe joindront à leurs frères de France , &
tourneront leurs armes avec fureur contre les
hordes ftupides & barbares du tolpache Bender .
Tel fera certainement le réfuitat des mancuvres
facriléges qui tendent à faire égorger des
François par des François , pour affervir également
les vaincus & les vainqueurs à l'ambition'
d'un tyran étranger & à l'oppreffion de quelquesvagabons
, foi -difant princes ou nobles , obérés
de dettes , couverts de crimes & d'opprobres .
Non , non , lâches que vous êtes , vous ne
réuflirez pas mieux par ce moyen que par tous
ceux que votre rage & votre démence vous ont
fuggérés : non , non , vil efclave bâtonné de l'hypocrité
Léopold , infolent Bender ! tu ne parviendras
pas à entamer une nation, fière & libre , que
la providence a rendue déformais facrée , & par j
fes lumières , & par fon courage & par fa divine
conftitution . Miférable croate , tu ofes menacer ...
Qui les François ! vingt- cinq millions de François
libres ! Tremble plutôt toi - même , & apprends
que dans vingt - quatre heures cent mille de ces
François répandus dans la Belgique peuvent y ..
rétablir le chapeau de la liberté , & en chaffer
pour jamais tes Autrichiens , tandis que cent mille
autres François , te pourfuivant fur les frontières ,
enverront ta tête à Paris , pour montrer à l'univers
entier comment on punit les fatellites das
tyrans ». C...
4
MERCURE
HISTORIQUE
E T
POLITIQUE.
ALLEMAGNE.
De Vienne le , 27 janvier.
L'Empereur a placé l'Archiduc François
à la tête du Département des Finances & de
la Banque , dont le Comte Rodolphe de Choteck
, homme de mérite , eft le préfident
effectif. Entre les objets d'adminiſtration
intérieure , celui de l'approvifionnement de
la capitale , occupe principalement les foins
du Gouvernement. Il a fait acheter beaucoup
de grains dans la Haute-Autriche &
d'autres parties de l'empire , pour les tranfporter
ici . D'un autre côté , un Règlement
concernant le commerce des bleds , en a
interdit la liberté indéfinie comme ne
favorifant que les accapareurs. Cette loi ,
publiée le 11 , prefcrit aux marchands un
Tyftême de formalités limitatives. Il n'eft
pas aifé de difcerner toutes les caufes du
renchériffement des denrées dans la capitale :
N°. 7. 12 Février 1791 . E
2
( 86 )
l'épuifement où la guerre a laiffé quelques
Provinces voisines eft une des principales.
Il eft d'autant plus preffant d'y porter remède
, que chaque jour la ville s'aggrandit :
on y a bâti l'année dernière 346 maiſons
nouvelles , & le dernier récenfement a
prouvé que fa population s'élève à 320,000
habitans.

Le Prince Potemkin , & le Général
Suvarof, ont ajouté dans leurs dépêches
officielles , de nouvelles relations de la prife
d'Ifmail , à celles des lettres particulières.
On fe noye dans ces récits auxquels la
Cour de Pétersbourg vient de joindre fon
bulletin officiel , en attendant une hiftoire
plus détaillée.
S'il faut en croire le Prince Potemkin ,
fes Généraux ont fait égorger 21,000 Turcs
de la garnifon ou habitans de la place , &
fait 11,000 prifonniers. Pour punir les
Ottomans de leur réfiftance , on les a paffés
au fil de l'épée , & on a livré la ville au
pillage. On rétrograde de 12 fiècles , en
lifant ces épouvantables exemples de férocité.
Nous verrons peut-être bientôt des
Généraux fe glorifier d'avoir lavé leurs
pieds dans un bain de fang. Tant d'inhuimanité
déshonore tant de bravoure , &
quel eft le peuple qui ne frémiroit de voir
s'étendre l'influence d'une domination
qui renouvelle les excès de la guerre la
plus fauvage: Plufieurs François ont affifté
& combattu , en qualité de volontaires ¸ à
I
1
( '872 })
cette langlante expédition. Ce font entr'autres
les Comtes Roger de Damas , de Langeron
& le jeune Duc de Fronfac. Le premier
qui commandoit un corps de chaf
feurs s'eft diftingué dans l'une des attaques ,
& a été fecondé du courage de fes deux
compatriotes. Dans leurs récits , les Ruffes
ne font aucune mention de leur perte, que les
lettres particulières portent à7000 honimes ,
dont trois Généraux-Majors , & deux cents
cinquante Officiers de tout grade.
+
Suivant quelques avis de la Valachie ,
le Général Suwarof étoit retourné à fon
camp , pour attaquer enfuite Braïlow ;
mais cette nouvelle n'eft point encore confirmée
, & l'on penfe plus généralement
que la campagne finira avec la prife d'If
mail. Le Grand-Vifir , que les gazettes enferment
dans le Mont Hémus , a raffemblé
toutes fes forces à Siliftrie , où il
attendra commodément le cordon , qui ,
fuivant toutes les apparences , récompenfer
fon inconcevable inaction , ou fon infortune
, fi cette inaction a été l'ouvrage de la
néceflité. Le bruit a couru que les Miniftres
Plénipotentiaires avoient quitté Sziftove
; le Gouvernement n'a aucun avis officiel
de leur départ.
2:
De Francfort -fur- le -Mein , le 1er Février
On n'eft point encore informé de l'effet
qu'aura produit la prife d'Ifmaïl , fur les
E2
(( 88 ) )
puiffances alliées ou près de s'allier avec
la Porte Ottomane. D'une part 9 elle peut
ébranler leur confiance & leur faire abandonner
les Turcs aux conditions que voudra
leur prefcrire l'Impératrice de Ruffie ;
de l'autre , elle tend à leur prouver le danger
des progrès de cette conquérante , &
fa néceflité de cimenter une union capable
de les retarder . Déjà l'on apprend que
la commiffion des affaires étrangères à Varfovie
, vient d'être chargée par la diète d'écrire
à l'ambaffadeur de la République à
Conftantinople , de figner le traité projetté
entre elle & la Porte Ottomane , d'agir fans
l'intervention d'aucun autre miniftre , & de
fe rendre à tout congrès de pacification
où l'intérêt de l'Etat l'appelleroit. Cette commiffion
a auffi recu l'ordre de déterminer les
préparatifs de défenſe contre les ennemis de
la Porte , & de les regler fur ceux qui ont
été faits par le Roi de Pruffe.
Il n'eft pas indifférent , dans une conjoncture
qui peut menacer la tranquillité
du Nord & de l'Allemagne, de remarquer
que l'affaire de Liége a affoibli le lien de
la ligue Germanique. Le foutien que le
cabinet de Berlin à donné , non-feulement
aux demandes politiques du parti populaire
à Liège , appui que l'équité feroit
loin de défavouer ; mais encore aux voies
de fait commifes par cette faction au mois.
d'août 1789 & depuis ; l'autorisation dont
la Pruffe a paru favorifer cette infurrec((
89 ))
tion , qui de droit appelloit les tribunaux
de l'Empire à en connoître ; fa perfévérance
à la regarder comme légitime , en
s'oppofant au rétabliſſement même provifoire
de l'ancien ordre de chofes , ont
aliéné plufieurs membres de cette union.
L'électeur de Mayence qui en fut un des
appuis les plus actifs , paroît fur-tout s'être
reffenti de cette politique de la Prufſe .
Il vient de changer fon miniftère , compofé
de perfonnes agréables à la cour de
Berlin , & de les remplacer par des fujets
beaucoup plus détachés des intérêts de cette
puiffance.
En attendant que les deux cours de
Vienne & de Berlin fe concilient fur la
future deſtinée des Liégeois , les commiffaires
directoriaux , réduits à deux , M. de
Kempis pour Cologne & de Grein pour
Juliers , ont fait exécuter les mandemens
de Wetzlaer dans toute leur plénitude. L'ancienne
magiftrature & le confeil-privé du
Prince-Evêque ont été réintégrés. M. Dohm
n'étoit point encore à Liège le 26 janvier.
Tous les Tréfonciers formant la majorité ,
qui s'étoient refugiés à Aix-la-Chapelle, font
de retour. Une de leurs premières opérations
, a été d'exclure du chapitre, au titre
des ftatuts capitulaires , la minorité de leurs
collègues , qui , au lieu de fe rendre , dans
le tenips , à la convocation du chapitre à Aixla-
Chapelle, fe coalifèrent avec les infurgens .
E 3
( 90 )
1
Nos lettres dernières de Bruxelles ne
nous apportent d'autre nouvelle que l'arrivée
de M. le comte de Clairfait , qui
prendra le commandement général des
troupes dans les Pays- Bas , lorfque M. de
Bender retournera à Luxembourg. Quant
à M. le comte de Mercy , il ne quittera
point Bruxelles avant le printemps , & il
eft très-douteux qu'il revienne en France.
Les deux factions de Vonck & Van der
Noot fe harcélent d'hoftilités ; il fera plus
difficile au gouvernement de leur infpirer
Famour de la concorde , qu'il ne l'a été
d'anéantir la révolution qu'elles avoient
opérées de concert.
L'Angleterre n'offre aucun évènement
depuis la prorogation du parlement , qui
auta repris fes féances le 1er. de ce mois.
Le feul fait digne d'être rapporté , eſt relatif
à la guerre des Anglois dans l'Inde
contre Tippoo-Saïb. Les avis officiels apsportés
par le navire le Houghton , parti de
Madras le 21 feptembre , & publiés par la
cour le 22 janvier , ont appris que le général
Meadows , au départ du bâtiment , s'étoit
déja rendu maître des provinces de Catoor ,
Da:aporam , Combetour , & de Dingigai
, appartenantes à Tippoo - Saïb . Le
gouvernement de Bengale cft parvenu à environner
ce prince d'ennemis , en formant
u traité d'alliance avec les Margttes & le
( 91 )
D
Nizam ( Soubah du Décan. ) Ces informations
authentiques renverfent la fable d'une
défaite du général Meadows , annoncée
d'après de prétendues lettres de l'Ile de
France , par la Gazette Univerfelle , & autres
Feuilles femblables , qui ne mettent aucun
difcernement à recueillir les fauſſetés courantes.
FRANCE.
De Paris , le 9 Février.
ASSEMBLÉE NATIONALE
#
Préfidence de M. de Mirabeau.
Décret relatif à la fureté du Royaume.
rendu dans la féance du vendredi 28
anvier.
20 L'affemblée Nationale , après avoir entenda
le rapport des Comités Diplomatique , Militaire
& des Recherches , fur les moyens de pourvoir à
la fûreté tant extérieure qu'intérieure du Royaume
, décrète ce qui fuit :
» Art. I. Le Roi fera prié de donner des ordres
pour preffer l'organiſation de l'Arinée , & pour
que les différens corps de troupes foient incef
fament portés au complet.
"" II. Pour être en état de porter au pied de
guerre tous les régimens de l'armée auffitôt que
les circonftances l'exigeront , on s'affurera de
cent mille foldats auxiliaires deftinés à être répartis
dans ces Régimens.
III. Les auxiliaires feront engagés pour trois .
ans , fous la condition de rejoindre aufitôt qu'ils
E 4
( 92 )
en feront requis , les Corps qui leur auront été
défignés pour y fervir fous les mêmes loix & ordonnances
, & avec le même traitement que les
autres Militaires .
Cette réquifition fera faite par les Corps
adminiftratifs , en conféquence des ordres qui leur
feront adreflés par le Roi , lefquels ordres ne pourront
être donnés qu'en cas de guerre , & en conformité
d'un Décret du Corps légifl.zif.
» IV. Il ne fera reçu à contracter l'engagement
de Soldats auxiliaires , que des perfonnes domiciliées
, ayant au moins dix-huit ans , & pas plus de
40 ans d'âge , & réuniffant d'ailleurs toutes les
qualités requifes par les ordonnances militaires ;
on admettra de préférence ceux qui auront ſervi
dans les troupes de ligne.
» Les auxiliaires feront libres de contracter des
engagemens dans l'Armée , & alors ils feront remplacés
dans les auxiliaires .
» V. Les auxiliaires recevront pendant la paix :
trois fols par jour , & il fera fait un fonds extraordinaire
de so liv . par homme pour leur équipement
à leur arrivée au Corps , lorfqu'ils feront
tenus de rejoindre : ils jouiront dans le lieu de
leur domicile des droits de Citoyens actifs pendant
le temps de leur engagemenr , quand même
ils ne paieroient pas la contribution exigée , fi
d'ailleurs ils rempliffent les autres conditions requifes
, & il leur fera affuré une retraite après un
certain nombre d'années de fervice ; le Comité
Militaire prefentera inceffamment à l'Affemblée
des vues fur cet objet.
» VI. Les Municipalités recevront les foumiffions
des perfonnes qui fe préfenteront pour contracter
l'engagement d'auxiliaire ; ils les feront
parvenir , à mesure qu'ils les recevront , au Directoire
de leur Diſtrict ; ceux - ci les feront paffer
( 932 ))
fans délai au Directoire de leurs Départemens
pour être adreffées par eux au Miniftre de la guerre.
so L'Affemblée Nationale décrète :
21 °. Que les Comités des Penfions & Diplomatique
réunis feront chargés de faire , dans trois
jours , un rapport fur les penfions de retraite qu'il
convient d'accorder aux agens du Pouvoir exécutif,
dans les pays étrangers , en cas de remplacement.
32°. Que le Roi fera prié de donner des ordres
pour porter au complet de 750 hommes par bataillon
, trente Régimens d'infanterie , & au complet
de 170 hommes par efcadron , vingt Régimens
de troupes à cheval , dont huit de quatre
efcadrons , & douze de trois efcadrons , pour
lesdites troupes , être réparties dans les Départemens
duBas-Rhin & du Haut Rhin , des Ardennes
du Nord , de la haute Saône , du Doubs , du Jura ,
du Var , de l'Isère , des hautes & des baffes
Alpes.
53 °. Que le Miniftre de la Guerre préfentera
inceffamment l'état de la dépenſe extraordinaire
qu'exigera cette augmentation de troupes , avee
le train d'artillerie & l'attirail des campemens
proportionné , & tous les autres préparatifs né
ceffaires à un fyftême de purè défenſe » .
Du lundi 31 janvier.
Le préfident a mis fous les yeux de l'Affemblée
une lettre de M. François d'Efcars , Dé-,
puté de Châtelleraud , qui , ne s'étant probablement
jamais fuppofé que Député de fon Bailliage
aux états - généraux de France , & non le repréfentant
de tout l'empire à l'Affemblée nationale ,
annonce qu'il a remis fes pouvoirs à fes commettans
, ob on Luiged 1 207
M. de Liancourt a refidu compte , au nom
Es
( 94 )
du comité de mcdicit , de principes adoptés auff
par les comités de conftitution , eccléfiaftique &
d'impofition. La manière dont ces comités & le
rapporteur ont enviſagé les devoirs de l'Affemblée
ou de la loi dans l'exercice de la bienfaisance publiqué
, les a conduits « néceffairement à penfer
que tous les fonds appartenans aux hôpitaux ,
aux maifons de charité , aux aumôres dotées ou
fondées , réunis en un centre commun , ne doivent
plus avoir qu'une attribution commune » .
Telles ont été les périphrafes dont M. de Liancourt
a fait précéder la propofition de déclarer
que , les biens des hôpitaux & de tous les inftituts
de ce genre , font à la difpofition de la
nation .
«Votre comité de mendicité ) n'ignore pas ,
a-t-il dit , que cette idée effraie quelques bons
efprits , que des ennemis de la choſe publique s'en
fervent déja pour perfuader à la claffe malheu
reufe que nous propofons à l'Affemblée d'enlever
le patrimoine des pauvres ». Pour expofer les
motifs de fa demande , le rapporteur eft remonté
à l'égalité des droits , & prefque , mais fans
J'avouer explicitement , à la communauté d'un
feul revenu public, fruit de tous les travaux indi
viduels ; il a foutenu qu'en aliénant les biensfonds
des hôpitaux , oh en augmenteroit les produirs.
M. Andrieux a demandé qu'on s'occupât d'abord
de l'impôt, afin d'avoir des moyens réels de
fecourir les malheureux. « Si vous décrétez que
les biens-fonds des hôpitaux font des propriétés
nationales , a dir M. Bouche , tout effrayé , vous
répandrez les plus vives alarmes parmi le peuple,
Rien ne preffe. Les hôpitaux ne font ils pas
adminiftres d'une manière fure , honnête , tan-
-
( 95 )
2
quille ? Les jurés , les impôts , la garde nationale
appèlent votre attention . Ajournez cet objet à la
fin de la conftitution ou à la prochaine légiflature .
Rien ne peut mieux raffurer les pauvres ,
féricufement répondu M. de Liancourt, que de voir
oc la nation s'emparer du droit de leur donner des fecours
» . Sur l'avis de M. de Tracy , on a ajourné
le tout après que l'impôt fera entièrement décrété ,
& on a repris la difcuffion du tarif des traites .
M. Démeunier a fait adopter une difpofition
générale qui érige en loi de l'état un tarif
annexé au procès-verbal fur l'exportation & l'importation
; nous le tranfcrirons avec le refte.
Le préfident a communiqué à l'Affemblée la
trifte nouvelle du naufrage du vaiffeau l'Amphitrite
près de l'Orient . De 108 perfonnes qu'il
Tortoit , 105 ont péri . Les Députés de l'Ile - de-
France font de ce nombre. On a ajourné au lendemain
la claffification des vins à impoſer à
leur fortie du royaume , & la féance a été
levée .
Du mardi , 1. Février
26
M. Duquesnoy a eu l'humanité de rappeler à
la majorité de l'Affemblée, l'infortuné M. Trouard
de Riolles , détenu depuis fi long-temps EN SECRET,
dans les prifons de l'abbaye , SANS DÉCRET . Il devoit
être jugé par le Châtelet , puis par le tribunal
des Dix ; tous les tribunaux qui pouvoient pro
noncer fur fon innocence n'exiftent plus ; il demande
que l'un des fix tribunaux de Paris le
juge . Mais la détention des malheureux , innocens
ou coupables, ne dure jamais trop pour le tocar de
M. Veidel , qui , de fang-froid , a obfervé qu'aucun
tribunal n'étoit invefti du pouvoir de juger
A nomoy ni 25 ,emy od E sob sai
( 96 ).
les crimes de lèze- nation . Que n'ajoutoit- il qu'il
n'y a pas encore de lois , de code fait pour ce
crime indéfini ! Nous fommes à mardi , fon avis
a été que l'Affemblée s'occupât lundi prochain
de l'établiffement d'un tribunal provifoire qui
jugera de la vie & de la mort , ce qui ne fera ,
dans le fait , qu'une commiffion des électeurs .
Sa propofition a été adoptée .
Après avoir dénoncé de faux brefs du Pape ,
M. Camus a annoncé un brûlement de 150,000
liv . d'affignats , faite hier avec toutes les formalités .
Enfuite il s'eft plaint de la lenteur de quelques
liquidations d'offices de judicatures . M. Odier-
Maffillon a fait alors un rapport & lu un projet
de décret fur ces objet , où l'on accordoit un
Inouveau délai aux créanciers des ci-devant compagnies
judiciaires , pour quelques liquidations
en retard. Ce délai a vivement impatienté M.
Camus .
20
Il y a néceffairement de la mauvaife - foi ,
a dit M. Lanjuinais , de la part d'un trèsgrand
nombre de compagnies qui refuſent de
fe faire liquider. On attend la contre- révolution
; on donne des ordres pour faire retirer
les états déjà , envoyés ; on cherche à s'oppofer
» à la prompte émiffion des affignats. Il eft
inoui qu'une grande nation foit forcée par quel-
၁ ques individus «. L'Affemblée a fupprimé le
délai , & les autres articles ont été décrérés .
On a repris la difcuffion du tarif des traites ,
& fur le rapport de M. Goudart , la partie relative
aux droits de fortie que payeront les vins
a été décrétée ainsi que nous la tranfcrirons avec
la totalité de cette loi,
*
Entre les liquidations d'offices de magiftrature ,
les droits fur les vins , & la portion de judicature
197
qui regarde les contumaces dont l'Aſſemblée s'eſt
Occupée le moment d'après , le préfident a lu une
lettre du procureur de la commune de Sens , qui
annonce comme le triomphe de la religion & du
patriotifme , que le cardinal Evêque de cette ville
a prêté le ferment , le 23 janvier , & qu'il ne
s'y eft pas trouvé un feul prêtre réfractaire aux
décrets . Le côté droit & les galeries ont applaudi
de toutes leurs forces au civilme de l'ex- principal
miniftre , qui n'aguère paffoit pour un tyran ;
car telle eft du blanc ou noir , la logique de
l'eftime publique dans les temps de révolution .
M. de Vauvilliers , trop eftimé pour être applaudi
, ayant donné fa démiffion formelle de la
place de premier fuppléant ; M. Lavigne , juge
de Paris , a été admis à remplacer M. Poignot,
& a prêté le ferment en qualité de député de la
nation.
)
Quand on en eft venu à l'article de la confifcation
des biens de l'accufé condamné par contumace
, M. Regnier & M. Tronchet ont préfenté
des amendemens en faveur de la femme
& des enfans de l'accufé . M. Duport les a
adoptés , en obfervant que s'ils n'étoient pas
dans la rédaction , ils avoient été dans l'intention
des rédacteurs. Invoquant la queftion préalable
far l'article , M. de Montlaufier s'eft indigné de
la propofition de confifquer les biens d'un malheureux
accufé qui n'eft encore convaincu d'aucun
crime , qui peut n'être qu'intimidé , & de
ruiner fa femme & fes enfans.
M. Duport s'eft appuyé fur l'intérêt qu'a la
fociété de la feule manière qui reftoit en fon
pouvoir , un accufé qui eft au moins coupable
du délit de fe fouftraire au jugement. Ne craignant
pas affez peut-être de décéler dans des loix générales
, un deffein particulier contre les prétendus
.(
( 98 )
" ennemis de la révolution contre ceux qui ne
fléchiont pas fous le joug defpotique des fac-
Dieux , M. Duport a déclaré que cet article étoit
deftiné pour d'autres que pour les malheureux
ouvriers , auxquels M. de Montlaufier s'intéreffoit.
» Il eft fpécialement deſtiné a- t - il dit , à ces hommes
riches , à ces grands propriétaires de terre ,
qui , après avoir commis de grands forfaits , ( on
ne les fuppofe pas encore jugés ) , après avoir
répandu le trouble & la défolation dans leur patrie
, peuvent fi facilemcur s'éloigner . Certes
il feroit commode & agréable pour de tels hommes
, après avoir fatisfait leurs criminelles paffions
, de jouir en pays étranger , avec une impunité
tranquille , de leurs biens adminiftrés par
leur famille ou par leurs amis , & dont les produits
leur parviendroient par-tout «<.
M. l'abbé Maury a vu plus d'ait que de vérité
dans les réponses de M. Duport . Il a relevé la
diftinction qu'avoit établie celui - ci entre la faifie
& la confifcation . » Si l'on ne voit dans cette
queftion , a-t- il ajouté , que ce qui concerne les
criminels d'Etat , on facrifie tous les autres accufés
à la rigueur de principes applicables feulement
à des cas très - rares . L'erreur vient de ce
qu'on prend le jugement par contumace pour
un véritable jugement ; & cependant il fe rend
fur la plus légère inftruction , fans confrontation
, fans récolement des témoins . La confifcation
, en Angleterre , a pour objet d'inspirer
le plus grand refpect pour les lois ; mais cette
première vue morale du légiflateur ne doit jamais
aller jufqu'à l'injuftice & à la barbarie . Quelle
injuftice , de dépouiller de fes biens un accufé
par contumace , tandis qu'on ne l'en dépouilleroit
pas par un jugement véritable ! .. Si vous
ne voyez que les criminels d'Etat , faites une
( 99 )
exception qui les concerne ; mais fi vous voyez
les accafés en général , obfervez que vous ne
rappellerez jamais les coupables par une femblable
difpofition , & que vous puniffez les innocens
qui n'ont eu que la foibleffe de le défier des
circonftances ; vous leu ôtez , en outre , les
moyens de le défendre ; vous les forcez , en quelque
forte, à commettre des crimes pour exifter
M. l'abbé Maury a conclu à ce que , dans
aucun cas , les biens de l'accufé ne puffent être
faifis ou confifqués . Mais la question préalable ,
a écarté cette conclufion , & l'article XIV a été
ajourné & renvoyé aux comités de conftitution
& de jurifprudence criminelle . Voici ceux qu'on
a décrétés :
.
TITRE I X.
Des Contumaces.
co.
» Art. I Si , fur l'ordonnance de prife - decorps
ou de fe repréfenter en juftice , l'accufé ne
comparoît pas & ne peut être faifi , le Préfident
du Tribunal criminel rendra une ordonnance
Fortant qu'il fera fait perquifition de fa perfonne ,
& que, chaque Citoyen eft tenu d'indiquer l'endroit
où il fe trouve.
II. Cette ordonnance , avec copie de celle
de prife-de-corps , fera affichée à la porte de l'accufe
& à fon domicile élu , ainfi qu'à la porte de
l'églife du lieu de fon domicile , ou à la porte de
l'auditoire pour ceux qui ne font pas domiciliés ;
elle fera egalement notifiée à fes cautions , s'il en
a fourni.
III. Cette ordonnance fera proclamée dans
les lieux ci-deffus énoncés pendant deux dimanches
confécutifs , à peine de nullité ; paffé ce temps ,
Tes biens de l'accufé feront faifis.
( 100 )
55 IV Huitaine après la dernière proclamation ,
le Préfident du Tribunal rendra une feconde
ordonnance , portant qu'un tel ... eft déchú du
titre de Citoyen françois , que toute action en
juftice lui eft interdite pendant tout le temps de fa
contumace & qu'il va être procédé contre lui ,
malgré fon abfence. Cette ordonnance fera
fignifiée , proclamée & affichée aux lieux &
dans la même forme que deflus .
» V. Après un nouveau délai de quinzaine ,
le procès fera continué dans la forme qui eft prefcrite
pour les accufés préfens , à l'exception
toutefois que les dépofitions des témoins , reçues
par écrit , feront lues aux Jurés.
» VI . Aucun confeil ne pourra fe préſenter
pour défendre l'accufé contumax fur le fond de
fon affaire ; feulement s'il eft dans l'impoffibilité
abfolue de fe rendre , Il enverra , par un fondé
de procuration fpéciale , fon excufe , dont la
légitimité pourra être plaidée par fes amis , & décidée
par le Tribunal .
» VII. Dans le cas où le Tribunal trouveroit
l'excufe légitime , il ordonnera qu'il fera furfis à
l'examen & au jugement pendant un temps qu'il
fixera , eu égard à la nature de l'excufe & à la
distance des lieux.
» VIII . Les condamnations qui interviendront
contre un accufé contumax , feront exécutées ,
en les infcrivant dans un tableau qui fera fufpendu
au milieu de la place publique .
» IX. L'accusé contumax pourra en tout temps
fe repréſenter , en fe conftituant prifonnier , &
donnant connoiffance au Préfident de fa comparution
; de ce jour , tous jugemens & procédures
faites contre lui feront anéanties , fans qu'il foit
befoin d'aucun jugement nouveau : il en fera de
même s'il eft repris & arrêté,
( 101 )
» X. Il rentrera égalemement dans tous fes
droits civils à compter de ce jour ; fes biens lui
feront rendus , ainfi que les fruits de ceux qui
auront été faifis , à la déduction des frais de régie
& de ceux du procès .
» XI. Il fera de nouveau procédé à l'examen
& aa jugement de l'accufé contumax qui fe fera
repréfenté ; néanmoins les dépofitions écrites des
témoins décédés pendant fon abſence feront
communiquées , pour y avoir tel égard que
de
raifon.

» XII. Dans le cas même d'abfolution , l'accufé
qui a été contumax , n'obtiendra aucune
indemnité ; le Juge pourra lui faire une réprimande
pour avoir douté de la juftice & de la
loyauté de fes Concitoyens .
XIII. Pendant toute la vie de l'accufé , tant
qu'il fera contumax , le produit de fes biens faifis
fera verfé dans la caiffe du Diftrict ; néanmoins
s'il y a une femme & des enfans , un père & une
mère qui foient dans le befoin , ils pourront de◄
mander la diſtraction à leur profit d'une fomme
foit annuelle , foit capitale , lequelle fera fixée
par le Tribunal criminel , ainfi qu'il fera réglé par
la fuite ».
>
M. le Préfident ayant lu l'ordre du jour pour
la féance du foir , & l'affaire de Nîmes n'y étant
pas comprife , M. de Marguerittes , maire de
Nîmes , a demandé la parole & a dit :
» J'ai l'honneur de représenter à l'Aſſemblée
que par un décret du 2 feptembre , elle a ordonné
qu'il feroit furfis à la nomination de la munici
palité de Nimes , jufqu'après le rapport qui fera
fait très-inceffamment des troubles qui ont agité
cette ville . Depuis cette époque , je me fuis conf(
102 )
tamment adreffé au comité pour preffer ce rapport ;
enfin , on m'a dit la femaine dernière , qu'il étoit
prêt , & que M. Lacour d'Ambefieux , préfident
du comité , avoit écrit à M. l'abbé Grégoire
( alors président de l'Aflemblée ) pour demander
le bureau , dans la féance du foir , du mardi , premier
février. Je vois cependant cet ordre interverti
, & je prie l'Affemblée de me permettre à
ce fujet quelques réflexions .
» Les officiers municipaux de Nimes font reftés
conftamment à leurs places , tant qu'ils ont cru
leur préfence utile pour maintenir la tranquillité ,
& leur honneur intéreffé à ne pas abandonner des
fonctions pénibles & dangereufes : parvenus , le
11 novembre , au terme preferit par la conftitution,
pour le renouvellement d'une partie de la municipalité
, ils ont dû regarder leur tâche comme
remplie , & defirant de trouver le calme après tant
d'orages , ils ont pris la réfolution de fe démettre
tous a la fois , pour être remplacés par de nouveaux
officiers municipaux , plus heureux peutêtre
, mais non mieux intentionnés : privés , fans
avoir été entendus, du droit de requérir les troupes ,
& par conféquent des moyens d'empêcher le mal ,
de prévenir les excès , de s'opposer aux voies de
fait renouvellées chaque jour contre des citoyens ,
notamment contre le fieur Vimont , confeil des
accufés détenus dans les prifons , & menacé de
la fatale lanterne , s'il ne quittoit pas la ville fous
14 heures. Ces magiftrats ne pouvant être d'aucune
utilité à leurs concitoyens opprimés , ne doivent
pas fupporter plus long-temps une manière
d'exifter , trop humiliante pour les pères du peupie
, & trop peu analogue à leurs fentimens :
d'ailleurs , quelques officiers municipaux ayant
été profcrits , le petit nombre qui refte en fose
( 103 )
tions eft hors d'état de fuffire aux travaux cou
rans , & plufieurs objets importans font arriérés ,
ee qui met la chofe publique en fouffrance.
Je dois cacore faire obferver que depuis le
mois d'août , les accufés décrétés de prife - de-
Corps n'ont pu être admis à leurs faits juftificatifs :
que M. Folacher , avocat & électeur , détenu
depuis cinq mas , dans une prifon empruntée ,
à trente lieues de fa patrie , n'eft point parvenu ,
malgré des actes réitérés qu'il a fait fignifier , les
8 & 27 feptembre , à M. le Procureur du Roi ,
à prêter fon premier interrogatoire ; je dirai enfin
qu'une pareille conduite eft trop contraire à la
conftitution , à la déclaration des droits de l'hemme,
à cette loi bienfaifante qui , réformant ce que notre
ancien code avoir de révoltant , a voulu que la
juſtification de l'accusé marchât de pair avec fon
accufation , pour que l'Affemblée ne mette pas
un terme aux fouffrances de tant d'infortunés &
à des abus qui révoltans .
Je ne propofe pas cependant de changer
l'ordre du jour qui vient d'être décrété , mais je
Supplie l'Affemble d'ajourner à jeudi ſoir fans
faute , le rapport de l'affaire de Nimes.
>
Il est vrai , a dit M. Muguet de Nanthou ,
que le comité eft prêt à faire le rapport ; mais
ce matin les députés du département du Gard
font venus demander le renvoi , vu les circonftances
& la néceffité d'éclaircir un fait d'ailleurs
M. de Marguerites eft convenu lui- même , devant
7 à & perfonnes , que le rapport peut mettre
le feu dans fon pays .
. و ر
:
Je commence , a répondu M. de Marguerites ,
par déclarer qne M. Muguet vient de rendre
compte d'un fait qui m'eft entièrement inconnus
nous fommes feize députés du département du
( 104 )
Gard : combien fe font rendus an comité dés
rapports ?
" Six ou fept , a dit M. Muguet . Eh bien !
nous fommes feize , a repris M. de Marguerites ,
donc ce ne font pas les députés , mais la plus
petite partie des députés du département. Je
viens enfuite à une allégation qui m'affecte fenfiblement
.
כ כ » Il y a un mois que je follicite auprès du
comité, le rapport de l'affaire de Nîmes ; on m'a
promis qu'il feroit fait inceflamment , & cependant
je n'ai pu l'obtenir encore ; quatre députés
de Nimes ayant demandé au comité la nomination
de commiffaires pour vérifier les différentes
pièces en préfence des parties , MM. Merle &
Dumets ont été nommés : je me fuis rendu huit
jours de fuite pour travailler à cette vérification ;
perfonne n'a paru ; la vérification n'a pas eu lieu ;
ceuxqui l'avoient réclamée , s'y font enfuite refufés .
Le comité d'ailleurs fe trouvant affez inftruit, a jugé
En nouvel examen inutile & fuperflu . Comme j'infiftois
pour vérifier au moins l'existence des différentes
pièces remifes aux divers comités , M. Maguet
me dit vous voudricz donc à préfent retarder
le rapport , vous qui l'avez tant preffé !
Si peu , lui répondis- je , que je fuis prêt à ré-
Fondre ce foir fi l'on veut ; mais enfuite M. le
Rapporteur me dit avec franchiſe : <<< Je vais
vous parler clair . On ne croit pas devoir faire
le rapport en même- temps qu'il fera queftion
de la preftation du ferment des fonctionnaires
eccléfiaftiques ; j'obfervai alors que le rapport
n'exciteroit pas des mouvemens puifqu'il eft attendu
avec impatience ; mais que le jugement pourroit
mettre le feu , s'il étoit tel que des lettres
particulières l'avoient annoncé à Nîmes, En effet
( 105 )
on a écrit dans cette ville que , malgré les efforts
du maire , la municipalité feroit caffée AVEC IGNOMINIE
, ( quoique fans doute le comité des rapports
n'ait fait part à perfonne de fon projet de décret ) .
Cette nouvelle a indigné le plus grand nombre des
habitans qui connoiffent la vérité , & rendent
hautement aux officiers municipaux la juftice
qui leur eft due . D'ailleurs pour çaffer une municipalité
, il faut une information complette &
légale ; il faut prononcer un jugement , & l'Affemblée
a déclaré qu'elle ne s'arrogeroit pas le pouvoir
judiciaire.
Vous fortez de l'ordre de la difcuffion , a dit
le président à M. de Marguerites . »
ל כ
J'y rentre de fuite , M. le préfident , je ne veux
pas affliger l'Aflemblée par un détail des événemens
malheureux qui ont eu lieu dans ma trifte patrie.
J'affecterai affez fa fenfibilité lorfque je parlerai
dans la difcuffion qui aura lieu après le rapport.
Dans ce moment , je me borne , en réponſe à
l'allégation de M. Muguet de Nanthou , à dire ,
que plutôt de vouloir faire naître de nouveaux
troubles , perfonne n'eft plus intéreflé que les
officiers municipaux au maintien de l'ordre ; je
dis que les cinq premiers officiers municipaux
poffèdent plus de 15 à 1800 cens mille livres de pro
priétés aux environs de Nîmes , que nous y avons
notre famille & nos enfans, & que par conféquent
, nous avons le plus grand intérêt au maintien
de la tranquillité. On vobsadit , Meffieurs ,
que j'étois convenu , que le rapport de l'affaire de
Nîmes exciteroit des troubles : ce n'eft pas le
rapport qui eft à redouter , mais unjugement de
circonftance qui cafferoit des magiftrats intègres ,
& flétriroit des opprimés , en prononçant une amniftié
, quand ils ne réclament qu'un jugement ,
( 106 )
légal , & dans les formes prefcrites pat la conf .
titution.
J'ai toujours été fi éloigné de folliciter une
décifion qui pût , dans les circonftances actuelles ,
avoir des fuites dangereufes , que j'ai propofé
moi- même au comité , d'adopter les deux difpofitions
fuivantes ; rien n'étant plus inftant que
d'accueillir les plaintes des détenus , il faut leur
accorder un élargiffement provifoire , à la charge
par eux de fe repréfenter à la première réquintion
, ou les faire transférer de fuite à Montpellier
, pour y être admis , fans délai , les uns
à la preuve de leurs faits juftificatifs , & le fieur
Fohacher , à prêter un premier interrogatoire attendu
depuis cinq mois. La feconde difpofition
confiftoit , d'après la démiffion du plus grand
nombre des officiers municipaux & l'absence des
autres , à procéder au renouvellement de l'autre.
municipalité , & prouver que ce n'étoit pas la
crainte qui détruiroit cette dernière propofition :
que j'ai offerte au comité. J'ai annoncé que je ne
donnerois pas ma démillion ; & j'offre à l'Affemblée
de refter feul , en ma qualité de maire ,
pour fubir la peine de caffation , s'il y a lieu ,
& procurer le plaifir de cafler le chef de la
municipalité de Nîmes.
Le côté gauche a demandé l'ajournement. M.
Alexandre de Lameth a dit , qu'on ne preffoit
le rapport de l'affaire de Nimes , que parce.
qu'elle reveilleroit des idées de proteftantiſme &
de catholicifme , dans un moment où l'on apprend
que la grande majorité des fonctionnaires
eccléfiaftiques s'empreffoit de prêter le ferment :
( Cela n'eft pas vrai , a-t-on crié à droite : ),
» Je perfifte à demander l'ajournement , a dit
» M. de Lameth. Et moi , a répliqué M. de Mai(
107
garites , je demande la liberté provifoire , ou
» la tranflation des prifonniers à Montpellier ,
» & je réclame , dans cet inftant , une décifion
quelconque au nom de la juftice & de l'humanité
; ce préliminaire rempli , je confens ,
» au renvoi & à l'ajournement » .
ככ
לכ
MM. l'évêque de Nîmes , l'abbé Maury & d'Ffprémenil
ayant demandé la parole pour un amendement
, la majorité de l'Affemblée a réclamé à
grands cris d'aller aux voix ; M. le préfident a
mis aux voix l'ajournement , il a été décrété &
la féance a été levée fur-le -champ .
Du mardi , féance du foir.
M. Barnave , à la fuite d'un court exposé des
motifs déterminans , a lu un projet de décret pour
appaifer les troubles des colonies , portant qu'il
fera envoyé trois commiffaires civils à Saint-
Dominigue , deux à là Guyane Françaiſe & à la
Cayenne , avec tous pouvoirs , même celui de
- fufpendre l'exécution des jugemens au criminel ;
& que la nouvelle Affemblée coloniale ne pourra
exécuter fes arrêtés avant des inftructions qu'on
fe prépare à lui donner.
Tour-à-tour interrompu par les perſonnalités
de M. Dillon , par les railleries du Préfident &
par des murmures , M. Malouet n'a pu que préfenter
quelques confidérations détachées , morcelées
, fur le danger de perdre les colonies . « Vous
n'ignorez , a-t-il dit , ni la dernière infurrection
de Saint- Dominigue , ni quels en ont été les
moteurs & les inftrumens . C'eft d'après cela que
je foutiens que nos colonies font en danger. Si
l'Affemblée avoit voulu s'occuper promptement
de leurs relations avec la métropole , nous n'au
rions pas vu l'efprit d'inquiétude & d'exagéra-
}
( 108 )
tion y exciter des défordres . Je ne m'oppoſe point
à l'envoi des commiffaires , mais je me plains de
ce qu'on les envoie fans inſtructions connues du
corps législatif. Sont- ce des commiffaires du Roi
ou de l'Affemblée ?... ( Ils ne peuvent jamais être ,
a répondu le Préfident , que des commiffaires de
la nation , décrétés par l'Aſſemblée & nommés
par le Roi ) ... S'ils partent fans inſtructions , que
feront-ils a repris M. Malouet ? s'ils partent
avec des inftructions , pourquoi ne les connoiffons-
nous pas ? Jamais vous n'aurez de colonies ,
fi l'Affemblée ne s'explique définitivement fur
les relations des colonics & de la métropole ».
сс
9
Quant à Cayenne , a - t-il pourſuivi , je fuis
peut-être le feul membre de cette Aſſemblée qui
y foit allé ... ( Une voix a dit tout haut : vous
feriez bien d'y retourner. Cette indécence n'eût
pas été impunie dans un jeu-de-paume ou dans
une taverne chez tout peuple policé . L'orateur
Pa méprisée & a continué) . M. le rapporteur eft- il
inftruit de ce qui fe paffe à Cayenne ? Envoie- t- on
des commiffaires fans favoir pourquoi dans une
petite colonie où l'on n'entend pas vos décrets
où l'on a regardé le gouverneur comme un defpote
, parce qu'il vouloit exercer le droit d'approuver
ou d'improuver les décrets de l'Affemblée
nationale ? Elle ne produit que 60,000 liv.
d'impofitions , elle coûte à la métropole 105,000
liv. , ces détails valent bien , je penfe , la peine
d'être communiqués. Pourquoi les inftructions
ne fom- elles pas faites ? »
M. Dillon , donnant gratuitement les torts du
farcafme à des réponses que plus d'aménité n'eût
point affoiblies , a dit que c'étoit au pouvoir
exécutif refponfable à donner aux commiſſaires
qu'il
( 109 )
qu'il nomme des inftructions conformes aux décrets
,
31 M. Barnave a dit que le Comité colonial avoit
encore befoin de deux féances pour achever fes
inftructions , ouvrage très -étendu,; que ce Comité
le réuniroit à celui de conftitution , & qu'ils
les difcutcroient enfemble avant de les préfenter
à l'Affemblée.
avec eux : сс
ce L'amendeinent de M. Malouet a crié le
Préfident , a pour but de retarder les commiffaires
M. Malouet a répété que fon avis étoit
qu'il feroit à propos d'envoyer les inftructions
jamais , a- t- il ajouté , un Préfident
» n'a le droit de faire dire à un opinant ce que
celui- ci n'a pas dit. Chacun peut énoncer fon
» opinion. J'ai voulu , non pas faire un amen-
» dement , mais dire qu'il eft fàcheux... » Au
milieu des murmares le Préfident a repris le parole
: On pourroit demander , a-t - il dit , à M.
» Malouet , & fon amendement eft qu'il eft fâ-
» cheux ». Et la falle a retenti d'applaudificmens
& d'éclats de rire . On ne cite ici de pareils
traits que pour caractérifer la forte d'efprit qui
domine fouvent dans une Affemblée , occupée
des graves intérêts d'un Royaume livré à toutes
les calamités de l'anarchie . Le Décret propofé
par M. Barnave a été littéralement adopté.
M. Camus a continué le rapport du Comité
des penfions fur les feptuagénaires , & un Décret
, en neuf articles , leur a diſtribué . 905,012
liv. , 15 fols , 7 deniers , fomme qui leur fera
payée provifoirement à titre de fecours pour les
années 1790 & 1791 , en déduisant toutefois
de leur portion à recevoir , les 600 liv . ou autres
No. 12. Février 1791. F
( 110 )
fommes qu'ils auront touchées pour 1798 , comme
penfion , gratification ou fecours ; & leur contin
gent pour 1791 leur fera payé , une première
oitié au mois de juillet prochain , & la feconde
au 1. janvier 17915 moyennant quoi ils ne recevront
ni penfion , ni traitement , ni gratifica
tion quelconque.
Au nom du Comité militaire , M. de Bouthillier
a fait adoptet , prefque fans débats , une
ordonnance fur les maffes déſtinées à l'entretien
des différentes parties de l'armée de ligne.
Du mercredi , 2 février.
M. Vernier a propofé d'autorifer le Départe
ment du Gard à faire un emprunt de 150,000 liv.
Cette propofition a paru inconftitutionelle à M.
Régnaut de Saint - Jean - d' Angély. Il feroit à
craindre en effet que chaque Département ne
finit par trouver dans un deficit local , le germe
d'une révolution partielle . Peu alarmé de ce qui
peut offrir les grandes divifions de la France
comme autant de petits Etats confédérés , M.
Rabaut de Saint- Etienne a foutenu la demande ,
en alléguant que les ennemis du nouveau régime
difent calomnieufement que tout va mal , que
les canaux s'engorgent , que les chemins fe dégradent
, qu'on ne répare rien . Le principe conftitutionnel
n'ayant point décidé fur-le -champ la
queftion , elle a été renvoyée aux Comités des
finances & de constitution .
Une lettre du Directoire a annoncé que les
électeurs , de toute religion , raffemblés à Rouen
fuivant les formes nouvelles , ont nommé le curé
de Choify - le-Roi au fiège métripolitain du Dé(
II)
partement de la Seine inférieure , à la place de-
M. le Cardinal de la Rochefoucault , Archevêque
de Rouen . On applaudit , & M. Duport lit des
articles de fon ordonnance criminelle fur les
jurés .
لو
M. Roberfrierre s'élève contre la propofition
de décréter que trois jurés fuffiront pour abfoudre
; il réclame l'unanimité comme le complément
de la certitude morale. « L'Angleterre & l'Amérique
, a -t - il dit , n'ont - elles pas adopté cette
fage pratique , & c'eft avec raiſon ; car il n'eft
peut- être pas extraordinaire de voir la raifon
» du côté de la minorité... » M. de Montlaufier
honore de fes applaudiffens cette naïveté
qui , dans la bouche de l'orateur , étoit bien , à
tous égards , fans conféquence. » Il peut arriver
, a pourfuivi M. Roberfpierre , qu'une
grande incorruptibilité , une grande fermeté
» d'ame , enfin une grande étendue de lumières
» portent quelques hommes à réfifter à ce qui
entraîne le plus grand nombre ».
Ayant obfervé , pour réfuter le préopinanti
qu'en Amérique & en Angleterre l'unanimité eft
requife pour abfoudre comme pour condamner,
ל כ
les jurés , a dit M. Barnave , y font obligés
» de le réduire à une feule opinion ; ainfi l'unanimité
apparente , preferite par la loi , n'eft
» véritablement que la majorités; car dans l'obli
gation d'avoir un même avis , c'eft la mino-
» rité qui cède . Je ne pense pas que vous foyez
difpole à admettre cette forme que la bonne
» foi repouffe
35
כ כ
se J'aurois defiré la preuve légale , a dit M.
» de Folleville ; vous l'avez abrégée , vous y、
» avez fubftrué la volonté du juré , la preuve
morale, fi évidente que tout le monde la faj-
F 2
( 112 )
fiffe , que perfonne ne puiffe s'y refufer ;
» vous voulez donc l'unanimité ? » On n'a
réfuté cet argument qu'en fermant la difcuffion ,
& en décrétant les articles de M. Duport , où
l'on ne verra pas fans étonnement que les jurés
, avec infiniment moins de moyens d'éducation
, de pratique & légaux , que les anciens magiftrats
, jugeront du fait , de la conviction , de
J'excufe & de l'atténuation du crime , fans rendre
compte de leur jugement de pur inftinct arbitraire
. Voici ces articles :
XVIII. Le préfident avertira les jurés de fe
retirer dans leur chambre ; ils y resteront fans
pouvoir communiquer avec perfonne ; le premier
inferit fur le tableau fera leur chef.
» XIX . Le juré n'aura à prononcer que fur
ce qui eft porté dans l'acte d'accufation , quelle
que foit la dépofition des témoins .
» XX. Il aura à prononcer d'abord fi le délit
eft conftant ou non ; enfuite , fi l'accufé eft ,
ou non , convaincu .
» ( XXI. La rédaction renvoyée au comité) .
» XXII. L'opinion de trois jurés fuffira pour
faire déclarer , foit que le délit n'eft pas conftant
, foit que l'accufé n'eft pas convaincu , foit
qu'il y a lieu à l'excufe ou à l'atténuation ..,
- XXIII . Lorfque les jurés fe trouveront en
état de donner leurs déclarations , ils feront
avertir les juges & commifiaire du Roi , lefquels
pafferont dans la chambre du confeil , où le
chef du juré fe rendra pareillement , les jurés
'fuccefivement , & , en l'abfence les uns des autres
, feront , chacun devant eux , leurs déclarations
de la manière qui fera expliquée.
( 113 )

Du jeudi , 3 février.
-
Sur l'obfervation faite par M. d'Arnaudat ,
qu'un décret a déjà ordonné aux évêques d'accorder
gratis les difpenfes de mariage aux degrés
prohibés ; & que , d'après les anciennes ordonnances
les non catholiques doivent encore
s'adreffer , pour cet cbjet , à la chancellerie , &
payer des droits de inaic d'or & autres , PAR
femblée nationale , faifant fes loix à plufieurs
repriſes , a décrété que les difpenfes de mariage
aux degrés prohibés feront accordés gratuitement
à tous les François .
> Au nom des comités féodal & d'aliénation
M. Merlin a propofé d'ajouter au décret rendu
fur le rachat des droits feigneuriaux , des articles
adoptés fans débats , dont voici la fubftance . Les
ci-devant feigneurs recevront le prix décrété pour
le rachat de leurs droits fur les biens devenus
nationaux , fur la vente même de ces biens , fans
pouvoir rien prétendre à titre de droits échus en
vertu defdites ventes . Les décrets précédens & lé
prix de la derniè ; e vente ferviront de baſe à la
liquidation . Ils remettront leurs pièces juftificatives
au directoire du district du lieu de la vente ,
celui- ci les enverra , avec fon opinion , au département
, qui adreffera le tout vérifié à la direc²
tion générale de liquidation . Il en fera de mêmé
pour tout droit que la nation doit racheter . Dans
le cas d'expertife , le directoire du district nommera
l'un des experts , le particulier nommera
l'autre , & le tiers - export fera nonmé par le directoire
du département ; difpofitions qui paroiffent
peu claires , & tenir plus du pouvoir arbitraire
que de la juflice diftributive.
Nos légiflatcurs dérogent fouvent , ainfi que
F3
( 114 )
le faifoient les miniftres , à leurs propres loir
générales . Un décret avoit défendu de vendre
des portions de bois au -deffous de cent arpens .
Sur l'avis des directoires du département de la
Sarthe & du district de Mamers , qui trouvent
plus avantageux de vendre que de conferver , &
fans nul examen public des preuves , l'Affemblée
déclare aliénables les bois d'Avennes & de Grattefac
d'environ 144 arpens ; & l'on rentre dans la
difcuffion des jurés .
La formule des déclarations de jurés fur mon
honneur & ma confcience , a excité de plus longs
débats que certaines loix conftitutionnelles . MM.
Lanjuinais , Merlin & Roberfpierre ne vouloient
pas du vieux mot honneur qui fent le gentilhomme
, la féodalité , la monarchie , le préjugé ,
la barbaric , & qu'ils fuppofoient incompatible
avec le patriotifme & les vertus d'aujourd'hui ..
M. de Folleville a pris la pasole . « Perfonne ,
a - t - il dit , ne fe diffimulera , j'espère , que le
gros de la nation , dont je fuis , ne s'eft pas
encore élevé au degré de philofophie auquel
M. Merlin me paroît être parvenu , & un tef
amendement , s'il étoit admis dans l'Affemblée
nationale , la couvriroit d'un ridicule meffaçable ,
& je ne dis pas trop , en me fervant de cette
expreflion , un ridicule ineffaçable ; je ne connois
qu'un feul moyen de la lui éviter & à M. Merlin,
c'eft de donner une plus grande extention à fon
amendement , & je demande en conféquence la
radiation de toute formule de ferment . J'appuie
cet amendement fur les préceptes renfermés
dans un livre que M. Didot va réimprimer , &
dont l'Aſſemblée nationale a accepté la dédicace .
Le diyin auteur de ce livre nous y dit qu'il
n'appartient qu'aux payens de jurer fur tout ,
( 115 )
сс cc oui ou non ».
35
mais qu'un chrétien doit fe renfermer pour toute
affertion dans ces mots : « Telle chofe eft
telle chofe n'eft pas » , Cette
formule commandée aux difciples de Jésus- Chrift
eft encore la feule qui convienne à un peuple libre
& régénéré . Prenez garde , Meffieurs , qu'en vous
efforçant de tendre les refforts moraux dans toute
leur intenfité , vous ne parveniez à les relâcher.
totalement & même à les anéantir » .
M. d'André a penfé que les jurés qu'on prendra
, felon lui , le plus fouvent parmi le peuple
entendront par confcience des fentimens religieux ,
& par honneur des fentimens de probite & de
vérité . Il en arrivera ce qu'ils voudront ; mais
Phonneur & la confcience feront du moins dans
le décret .
M. l'abbé Maury regrettoit les hors de cour &
les plus amplement informé , qu'il croyoit plus
utiles , plus juftes , plus moraux que ces abfclutions
, faute de preuves fuffifantes , après lef
quelles on voit dans les cafés , en Angleterre
d'honnêtes voleurs fe vanter d'avoir échappé à la
corde ; il a cité des cas où l'on nuircit beaucoup
à la fociété en rendant à fes fonctions publiques
un fauflaire non- convaincu . Mais M. Roberf-"
pierre a répondu que ce feroit altérer l'inftitution
très-délicate des jurés , & donner de Pautorité à
des conjectures qui ne peuvent fonder un jugement
; comme fi les déclarations & fubti'ies diftinctions
qu'on attend de jurés ignorans , incxpérimentés
, étrangers à l'étude des loix , & des
hommes , n'étoient pas autant de jugemei is fondés
für des véritables conjectures dont on appellera
le réfultat , conviction morale.
Les articles lûs ont été décrétés tels qu'ils
fuivent :
F4
( 116 )
» Art . XXIV . Chaque juré paffera d'abord
fa déclaration fur le fait , pour décider s'il y a
délit conftant , ou non . Si cette pure déclaration
eft affirmative, il fera , immédiatement après , fa
déclaration fur l'accufé , pour décider s'il eft convaincu
ou non ; fi cette feconde déclaration eft
affirmative , il fera , immédiatement après , fa
déclaration fur les circonftances d'atténuation ou
d'excufe qui auroient pu être indiquées par le
préfident .
כ כ » XXV. Ceux des jurés qui auront déclaré
qu'il n'y a pas de délit conftant , n'auront pas
d'autre déclaration à faire ; & ceux qui n'auront
pas trouvé l'accufé convaincu , n'auront pas à
s'expliquer fur l'objet de la troifième déclaration :
leurs voix feront toujours comptées à la décharge
de l'accufé fur la feconde & la troifième décla- .
ration .
» XXVI. Chaque juré prononcera les diverfes
déclarations ci - deflus dans la forme fuivante : il
mettra la main fur fon coeur , & dira : << fur mon
honneur & ma confcience , il y a délit conftant ,
ou bien , le délit ne me paroît pas conftant , l'accufé
eft convaincu , ou bien , l'accufé ne me paroît
pas convaincu » ; la même forme fera obfervée
lorsqu'il y aura lieu à la troisième déclaration
.
» XXVII. Nous donnerons cet article demain
.
» XXVIII. Cela fait , les jurés feront rappelés
, & en leur préfence il fera fait ouverture des
boites , les boules feront comptées , les jurés rentreront
dans l'auditoire , & après avoir repris leurs
places , le chef du juré prononcera , en leur nom ,
la déclaration du juré en ces termes : « fur mon
honneur & ma confcience , la déclaration du juréê `
( 117 )
eft , ou les déclarations du juré font , &c . »
» XXIX. Cette déclaration fera reçue par le
greffier , fignée de lui & du préfident.
"3 XXX . Tous les co - accufés compris dans le
même acte d'accufation , feront jugés par le même
juré .
ככ XXXI. S'il y a plufieurs co-accufés , le tribunal
déterminerà celui qui fera le premier préfenté
au débat , en commençant toujours par le
principal accufé , s'il y en a un' ; les autres coaccufés
y feront préfens , & pourront y faire leurs
obfervations ; il fera fait enfuite un débat pour.
chacun d'eux , fur les circonftances qui lui feront
particulières ».
» XXXII . Si l'accufé eft déclaré non convaincu
du fait porté dans l'acte d'accufation , &
qu'il ait été inculpé fur un autre par les dépofitions
des témoins , l'accufateur public pourra demander
au préfident de faire arrêter le prévenu .
A l'occafion du nouveau fait , le préfident , après
avoir pris du prévenu les éclairciflemens qu'il
voudra donner , pourra , s'il y a lieu , le repvoyer
devant un juré d'accufation avec les témoins
, pour être procédé à une nouvelle accufation
, & , s'il y a lieu , ordonner qu'il fera de
nouveau arrêté .
» XXXIII . Dans ce cas , le juré d'accufation
fera celui du diſtrict dans le chef dieu duquel
fiège le tribunal criminel .
30 XXXIV. Si l'accufé eft convaincu du fait
porté dans l'acte d'accufation , il pourra être
pourfuivi pour raifon de ce fait , mais il ne
pourra être puni qu'autant que celui - ci mériteroit
une peine plus forte que le premier , auquel cas
il fera farfis à l'exécution de la première peine ,
jufqu'au jugement de la feconde accufation . ,,
FS
( 118 )
" XXXV. Si la dépofition d'un témoin eft
évidemment fauffe , le préfident d'office en dreffera
procès - verbal , & pourra , fur la réquifition
de l'accufateur public ou de l'accufé , le faire
arrêter fur - le - champ , & le renvoyer par - devant
le juré de district du licu , four prononcer fur
l'accufation dont l'acte , dans ce cas , fera dreffé
par le préfident lui - même .
TITRE VIII.
Du jugement & de l'exécution .
" Art . Ir . Lorsque l'accufé aura été déclaré
non-convaincu , le préfident prononcera que l'accufé
eft acquitté de l'accufation , & ordonnera
qu'il foit mis fur- le-champ en liberté.
» II . II en fera de même fi les jurés ont décidé
que le fait a été commis involontairement
ou fans intention de nuire .
» III. Lorfque l'accufé aura été déclaré excufable
, il en fera ufé ainſi qu'il fera réglé dans le
code pénal.
» IV. Tout particulier , ainfi acquitté , ne
pourra plus être repris , ni accufé pour raiſon du
même fait.
» V. Lorfque l'accufé aura été déclaré convaincu
, le préfident , en préſence du public , le
fera comparoître , & lui donnera connoiffance de
la déclaration du juré .
» VI. Surcela le commiffaire du Roi fera fa
réquisition pour l'application de la loi .
3 VII. Le préfident demandera à l'accufé s'il
n'a rien à dire pour fa défenfe ; lui , fes amis ou
confeils ne pourront plus plaider que le fait eft
faux , mais feulement qu'il n'eft pas défendu ou
qualifié crime par la loi , ou qu'il ne mérite pas
( 119 )
la peine dont le commiffaire du Roi a requis
l'application .
Du jeudi , Seance du foir.
En ordonnant que les difpenfes de mariage
aux dégrés prohibés , fe délivreront gratis , l'Affemblée
paroiffoit avoir préjugé la queftion même
de ces prohibitions , qu'elle n'eft point décidée à
maintenir . M. Moreau a demandé que ce ne
fût qu'une difpofition provifoire ; la rédaction
doit en être changée en conféquence .
Malgré le décret qui ftatue que les corps adminiftratifs
auront feuls le droit d'être admis à
la barre , il s'y préfente ane députation des auteurs
lyriques , & l'orateur y réclame gravement
pour les Orphées modernes , une place à côté des
peintres , des fculpteurs , des gens - de- lettres ,
des favans , à qui l'augufte diète a promis fa protection
& déféré les honneurs de la féance. Il
a célébré la fupériorité de fon art ; il a cité
Socrate , Platon , Pithagore , Defcartes , Condillac
, Montefquieu , J. J. Rouffeau , Athènes ,
Thèbes , Lacédémone . Après avoir déploré « la
ftupidité de notre ancien régime ( la ftupidité du
fiècle de Louis XIV ) il a conçu le projet medefte
de rendre les Allemands & les Italiens ,
nos admirateurs & nos tributaires , car « vous
» nous avez défendu de conquérir les nations
» par la force ; mais vous faulez nous confer-
כ כ
ver les moyens de les conquérir par les arts
» & notre génie ». L'orateur a confeillé à l'ACfemblée
d'établir des fêtes nationales , & de ce don-
» ner à l'allégreffe publique un caractère de
» majefté qui en augmente la jouiffance » .
A
Le préfident a répondu à ce chef - d'oeuvre
d'éloquence , en fuivant la mufique des camps aux
F 6
( 120 )
temples , des palais au théâtre , du milicu des
aftres dans la morale ; & enfin dans la légiflature
; & le tout fera imprimé aux frais de la
nation .
Après cela , l'Affemblée s'occupe d'une infurrection
d'écoliers dont M. Vieillard l'entretient
au nom du comité des rapports . Les profèffeurs
du collège des arts de Poitiers renoncerent
à leurs fonctions le 21 janvier , ne voulart
pas prêter le ferment. Les corps adminiftratifs
procédèrent , le 28 , à l'inftallation d'autres profeffeurs
; mais l'univerfité avoit déjà inftallé un
principal proteftation des deux parts . Les écoliers
n'ont pas voulu reconnoître les profeffeurs
du choix des adminiftrateurs ; infubordination ,
rumeur , proclamation municipale ; enfin le fervice
des claffes eft fufpendu . M. Vieillard conclut
à ce qu'il foit décrété , que les profeffeurs
commis par les corps adminiftratifs exerceront
provifoirement , ignoraus ou non , duffent - ils
n'avoir pas un écolier , & que toutes autres nominations
font déclarées non - avenues .
M. Dumouchel , recteur de l'univerfité de
Paris , & M. Sallé de Choux ont objecté au rapporteur
des décrets , portant expreflément qu'il
ne fera fait aucun changement aux maifons d'éducation
jufqu'à leur organifation genérale . Mais
il y a des décrets pour & contre , & la fageffe
du moment eft de donner raifon aux corps adminiſtratifs
. Les conclufions de M. Vieillard ont
été décrétées .
Du vendredi , 4 février.
M. Defpatys de Courteuil , chargé du rapport
de la nouvelle démarcation des paroiffes de Paris ,
a jugé convénable d'égayer aridité du ſujet
( 121 )
par l'hiftorique des procédés ou des avantures
des commiffaires démarcateurs . Il s'eft plaint que
les dames de l'Hôtel - Dieu ont refufé de leur
ouvrir leur choeur , & il a mis en oppofition cette
conduite anti- patriotique , avec le civilme des
religieufes de l'abbaye Saint-Antoine qui , felon
lui , ont eu pour eux les plus grandes complaifances
, au point ce de faire , a-t-il dit , tout ce
que nous avons voulu On a ri aux éclats
foit du ftyle de l'orateur , foit du plaifir de l'entendre
ridiculifer des religieufes , foit des progrès
de la décence & du goût des bonnes - moeurs
fous le régime de la liberté. Le préfident n'a pu
fe difpe afer d'obferver que cette gaieté étoit déplacée
au milieu d'une Affemblée délibérante .
23.
On avoit ajourné , à ce matin , la queſtion .
de la libre culture du tabac. M. de la Rochefoucault
a annoncé que le comité perfiftoit dans fes
idées développées , famedi dernier , par M. Raderer;
que le réſultat d'une conférence qui a eu
liea au comité diplomatique , entre M. de
Mirabeau & les députés des départemens du Haut
& du Bas- Rhin , avoit été le defir commun
qu'il ne fût pas néceffaire d'affeoir pour l'état un
revenu fur une prohibition de culture & de fabrication
contraires aux principes de la liberté ;
nouvelle preuve que M. de Mirabeau
fe contredit jamais. Le comité a penſé
que l'Aflemblée ne s'occupereit point de la
queftion ajournée , puifque fous peu de jours ,
dès après-demain , fi l'on veut , les comités concertés
préfenteront l'état au vrai des beſoins &
des moyens du tréfor public, état qui démontrera
aux incrédules qu'on peut fe paffer d'un
impôt fur le tabac ( on pourroit donc alléger
de 30 millions l'énorme fardeau qui menace les
ne
( 122 )
terres ) . En acceptant l'heureux augure de M.
de la Rochefoucault , cet efpoir flatteur que le
préfident a qualifié de certitude , on a mis le nouvel
ajournement aux voix , & il eſt paflé fans
difcuffion .
Il n'a plus été queftion que de vingt- cinq ar
ticles fur les jurés , qu'on auroit tous décrétés ,
par affis & levé , d'après une fimple & rapide
lecture , fi M. Garat , l'aîné , ne fe fût élevé
contre l'article qui ordonne que , dans le cas
d'erreur évidente de la part des jurés , les juges
en adjoindront trois aux douze pour donner
une feconde déclaration à la majorité des fix
feptièmes. M. Garat , l'aîné , difoit qu , l'ufage
Anglois , Blakftone & la raifon vouloient également
alors un nouveau juré . M. Duport n'a
nié que l'ufage Anglois . M. Pethion s'oppofoit
à ce que les juges prononçaffent ainfi du fait
même évident. M. d'André foutenoit le principe
que lorfque douze jurés ont prononcé fur un
fait , il n'y avoit plus d'examen à faire ; mais
il adoptoit l'article comme ne dérogeant au principe
qu'en faveur de l'humanité ; comme fi la
juftice , la ranon , l'évidence , l'humanité , pou
voient être ici hors du principe . M. Barnave
fouhaitoit que les juges délibéraflent de la néceffité
d'une adjonction de trois jurés , avant que
Ja déclaration des douze fût publique , afin que
le peuple cût dans les jurés une confiance plus
étendue.
Du famedi , 5 février .
Nos lecteurs fe rappellent le généreux intérêt
que témoignèrent M. d'André & M. Malouet
aux maux qu'enduroient les prifonniers détenus à
Aix. Aujourd'hui la municipalité d'Aix s'élève
( 123 )
contre l'allégation , & protefte qu'elle fait jouir
les prifonniers de tous les agremens poffibles ,
que leur accès eft libre à tout le monde , qu'on
leur permet de danfer , de faire de la mufique ,
de prendre même des leçons d'efcrimes . Le procèsverbal
perpétuera le fouvenir de cette humanité
municipale. On eft rentré dans la difcuffion fur
la juftice criminelle & les jurés .
Ou
Il s'eft agi d'abord des demandes en dommages
que peut former un accufé déclaré innocent.
M. Reynier & M. Chabroud vouloient que , dans
les cas peu fréquens où l'accufé n'auroit aucun
moyen de recours contre un dénonciateur ,
non- exiftant ou infolvable , la fociété fe chargeât
de l'indemnité. Si le juge peut la décerner ou la
refuſer , a dit M. Buzot , le fecond de ces deux
jugemens inculpera l'innocent abfous, & le taux des
indemnités deviendra le thermomètre de la répu →
tation du juge , M. Martineau a prétendu que des
accufés déformais , promptement expédiés , n'auront
aucune indemnité à requérir de la fociété
les inconvéniens de l'accufation étant le prix que
tout citoyen paie à la sûreté commune . Mais il
n'a point prouvé que les jugemens par jurés.
expédieroient les accufés beaucoup plus vite..
A l'opinion de M. Martineau , M. Lanjuinais
a joint une hypothèſe qui attefte qu'il rend juſtice
à l'immoralité du fiègle des lumières . Décrétez
a-t-il dit en d'autres termes , des indemnités , &
certains hommes s'en feront une forte de penfion
viagère en perfectionnant l'art des accufations
lucratives . Il a demandé qu'elles ne fuffent pas
accordées plus de huit fois . Les éclats de rire &
le murmure auroient couvert le bruit de vinge
fonnettes . Le préfident ayant enfin mis aux voix
la queftion : Ea fociété doit- elle , dans tous les
( 124 1
cas , une indemnité aux accufés ? Un décret a
prononcé la négative. Quelqu'un a demandé que
le comité fut chargé de préfenter les cas où il y
auroit lieu à une indemité ; cette propofition a
été écartée par l'ordre du jour . De manière que ,
contre toute logique , une décifion partielle &
conditionnelle , s'eft trouvée être une décision
générale & abfolue .
On interrompt la difcuffion pour annoncer que
M. l'abbé Marolles , député & fecrétaire , a été
élu , par le peuple , évêque du département de
T'Aifne.
: сс
Paffant au titre X , à l'infcription fur la lifte
des jurés « Il eſt poffible , a dit M. Duport ,
qu'à l'avenir , tout citoyen actif puiffe être
inferit ; mais nous avons penſé qu'aujourd'hui ce
feroit compromettre l'inflitution , & infpirer peu
de confiance aux accufés , que de leur donner
pour juges , indiftin &tement tout citoyen actif.
D'un autre côté , n'admettre que les perfenes
éligibles à la légiflature , feroit exclure une infinité
d'hommes éclairés ; car ce n'eft pas dans les
deux extrêmes de la fociété qu'il faut choifir ceux
qui doivent être exempts des grandes paffions :
mais dans la claffe mitoyenne » ,
D'après ces maximes , M. Duport comprend
les jurés parmi les citoyens éligibles aux adminiftrations
de diftricts & de départemens .
S'élevant à d'autres principes , M. de Cazales
a foutenu que les feuls propriétaires étoient les
éritables citoyens , & qu'on ne devoit nommer
jurés que des hommes éligibles à la légiflature.
( En effet , la fociété n'eft formée que pour le
maintien des propriétés , & nos jurés décidant
arbitrairement de la vie & de la mort fur leur
conviction morale , feront de bien redoutables
( 125 )
légiflateurs , relativement au fait qui doit emforter
le droit même naturel ) . Le comité n'exige
pour être adminiftrateur & conféquemment juré ,
qu'une contribution de 10 l . qui fuppofe so 1 .
de revenu , & pour être légiflateur il fuffira
d'avoir un revenu de 240 à 250 liv . Ce taux
ne donne pas lieu de craindre le vice des richeffes
; mais il n'infpire plus de confiance . Impolera-
t-on des fonctions onéreuses & gratuites à
l'homme qui n'a que so liv . de rente ? Cependant
, felon M. Thouret , le fyftême s'écroulera ,
fi l'on paie les jurés . Ferez- vous dépendre la
vie d'un accufé de la conviction d'hommes qui
n'auront aucun caractère d'indépendance ? Je ne
crois point qu'un propriétaire foit plus vertueux ;
mais il est préfumé avoir une éducation plus
généreuse , & la pratique des vertus lui eft plus
facile . L'indigence n'exclut pas la vertu ; mais
on ne fonde pas une inftitution commune &
durable fur des prodiges . Il s'agit bien moins
d'un droit que d'une charge réelle ; je demande
qu'elle ne foit pas fupportée par ceux pour lefquelles
elle feroit intolérable . Si ce n'étoit
s'écarter de l'opinion dominante , j'exigerois cent
piftoles de revenu . En Angleterre il faut dixlivres
fterlings pour être juré ; cette loi date de
1693 ; dix livres fterlings d'alors valent aujourd'hui
plus du double , auffi les Anglais fe plaiguent-
ils de ce que le tarif eft fort au- deffus de
cé qu'il devroit être . En Amérique , on exige des
jurés les mêmes qualités que des afpirans à la
légiflature .
M. Malouet a defendu la même opinion.
Pas un feul homme a effrayé M. Roberf
pierre. Que ne confie - t - on auffi à un feul
homme toutes les fonctions publiques & tou(
126 )
כ כ
ככ
a- t- il
tes les élections ! « Il ne faut pas ,
ajouté , que les factions connues fous les noms
» de démocrates , d'ariftocrates & d'impartiaux
puiffent , en abufant de la partialité d'un feul
» homme , fe faire , fous le voile de la justice ,
» une guerre auffi lache que dangereufe . Chacun
doit être jugé par fes pairs , bien ou mal élevés
, tout citoyen actif a le droit d'être juré »
Le rapporteur n'a repris la parole que pour fe
répéter . M. Malouet à très -judicieufement obfervé
que ces divagations oratoires ne réfutoient
nullement M. de Cazalès. La queftion préalable
pulvérifant les raifons
33
Intact & on l'a décrété .
l'article cft demeuré
M. l'abbé Bourdon & M. l'abbé Maury ont
demandé que les eccléfiaftiques fuflent exclus des
jurés , comme on les avoit exclus des places adminiftratives
, comme ils s'excluoient eux - mêmes
de la Tournelle pour ne pas juger à mort des criminels
, comme fpécialement chargés d'un faint
miniftère ac paix , de charité , de miféricorde .
Mais on femble vouloir que le facerdoce faccombe
également fous les privations & les
outrages , dont on l'accable , & fous les droits &
les honneurs mal -affortis qu'on lui défère. M.
Barnave , qui n'hélite jamais à prononcer du fort
des prêtres catholiques , a cxigé qu'en leur quilité
des citoyens ils puffent etre jurés ; autrement
, a-t-il dit , ce feroit « renouveller un ordre
privilégié que nous avons détruit , & qu'on
» cherche vainement à reproduire » .
(Dans huit jours nous tranfcrirons les articles
décrétés avec leur fuite . )
Du famedi , féance du foir.
Par un décret rendu fur la propofition de M.
( 127 )
Chaffey , l'Affemblée a interdit à tous les corps ,
maifons , communautés , tant eccléfiaftiques que
laïques , auxquels on a confervé l'adminiſtration
provifoire de leurs biens , de faire des baux audeffus
de neuf années , fous peine de nullité,
De cette difpofition , on a paffé à un autre
demande de M. Chaffey , favoir s'il faut défendre
la prédication aux eccléfiaftiques qui n'ont
pas prêté le ferment ? On préfume bien que e
comité eccléfiaftique & M. Chaffey , fon rapporteur
, étoient pour l'affirmative . M. de Foucault'
l'a combattue. M. Regnauit de Saint- Jean d'Angely
bornoit le ferment aux eccléfiaftiques falariés
par la nation . Auffi - tôt , M. Treilhard a livré
la guerre à cet amendement , en argumentant en
faveur du comité .
" Les raifonnemens de M. Treilhard , a dit
ironiquement M. de Montlauzier , font tellement
preflans , que je fuis forcé de demander
qu'on défende aux ccclefiaftiques de rien dire
de rien imprimer , de confeffer , de célébrer la
meffe , & aucun office divin
Les amendemens étant tous repouffés par la
majorité , le décret du comité a paffé à l'affirmative
, fans que le côté droit participât à la déli- ,
bération . Je prens la liberté de demander , a,
dit M. de Follevi.le , file comité permet à un
particulier d'exercer privativement , dans fa famille
& avec fes domeftiques , la religion catholique
, apoftolique & tomaine 23 °
Au milieu des murmures qui ont fuivi ce farcafine
, le préfident l'a relevé comme inconftitu .
tionnel'& dangereux. Il a rappelié M. de Folleville
à l'ordre on lui en a difputé le droit ; il·
l'a exercé aux applaudiflemens de la majorité.
1
( 128 ).
Sur le rapport de M. Vieillard , l'Affemblée a
enfuite décrété qu'on délivreroit des reconnoiffances
de liquidation aux titulaires qui fe font
fait liquider. Jufqu'ici , leur montant s'élève a 16
millions , 463 mille livres .
Du dimanche , 6 février.
La féance à commencé par quelqus- uns de ces
décrets particuliers , qui , n'en déplaife à M. Démeunier
, ne font pas des loix ; car une loi eft.
une règle générale , dont ces ftatuts de détail
ne font que l'application particulière. Le premier
a. fixé , fur le rapport de M. de Cernon , lindemrité
à accorder aux porteurs de brevets de retenue
; le fecond , préfenté par M. Camus , autorife
à augmenter de dix millions l'émiflion des
affignats de 100 liv. On a ajourné la demande
qu'a fait le rapporteur d'une émiffion de plus pctits
billets de so à 25 liv . Ainfi fe vérifie ce qu'avoient
annoncé les antagonistes des affignats ,
qu'infailliblement on feroit forcé inceflamment
d'en fabriquer pour les moindres fommes . Nous
en verrons de fix francs , j'ai la témérité de le
penfer & de l'écrire . Nous voilà donc au point
où en étoient les Anglois , il y a un demi-fiècle ,"
& après avoir touché , comme eux , l'extrémité du
cercle , il faudra , comme eux , proferire ces petits
billets , lorfque l'ufage en aura fait fentir les
inconvéniens .
Immédiatement après , M. de Montefquiou a lu
un nouveau rapport du comité des finances , deftiné
évidemment à contredire celui que préfenti
M. le Brun , le mois paffé . Ce dernier , armé
du courage de la vérité , avoit bravé les pallions
qu'elle offente ; M. de Montefquiou les a careftées
, même fans art. Dans un ſtyle redondant
[ 12.9mmoncé que tout étoit
de déclamations , il a annoncé que tout étoit
connu , & que fes apperçus équivaudroient prefque
la certitude..
Ces apperçus confiftent dans un double tableau ,
fuivant lequel , en 1791 , on n'aura beſoin que de
522 millions de recette , indépendamment de 60
millions que produira le revenu des domaines
nationaux.
La recette fera couverte par 55 millions de fels
& de tabacs en magafin , qui fe vendront sûrement
l'année prochaine ; par foixante- cinq millions
produit des poftes & domaines , & par jo2 millions
de contributions directes & indirectes . A
celles- ci , il faudra , de plus , ajouter la dépenfe
des départemens , qui fera de 59 millions , ni
plus ni moins , quoiqu'on n'ait pas même les élémens
des dépenfes totales qu'entraîneront ces
éabliffemens nouveaux.
Arrivé à cette hauteur , M. de Montefquiou a
tranfporté le public d'un coup de baguette , de
Tavenir dans le paffé : il a fait voir dans la ftupeur
'de l'ancien régime , un fubfide néceflaire de 605
millions , & un déficit de 65 millions ; donc la
nation gagnera cent millions par an , ce qui étoit
à démontrer , & ce qui eft démontré par A.
plus B.
« Ces vérités , a dit férieufement le rappor
teur , font inconteftables. Perfonne ne s'aviféra
de croire que j'embellis mes tableaux . Oui ,
Meffieurs , 1eo millions de moins à payer , &
plus de déficit , plus d'anticipations , plus d'ar-
» rièrrés . Les rentes font au courant , la justice
» eft gratuite, les offices font remboursés ».
A la noble hardieffe de ces affirmations ,
M. de Montefquiou a ajouté celle d'avancer que ,
fans la révolution , c'eft -à - dire fans lui , jamais
le déficit ni la banqueroute n'euffent été préve
( 130 )
hus. Il eft beau d'entendre M. de Montefquion ,
ci -devant courtifan à Verfailles , parler avec ce
profond mépris , des reffources de la France ancienne
& des talens de fes prédéceffeurs en finance :
il eft curicux d'entendre M. de Montefquiou , cidevant
flatteur de M. Necker , car jamais il ne
fut fon ami , affurer qu'à l'époque du moi de
mai 1789 , où ce miniftre montroit article par
article , aux Etats- Généraux , les moyens fimples
& sûrs de combler le déficit , M. Necker
étoit un impofteur , Ea fiaiffant , M. de Montef
quiou a dit qu'après lui , on pouvoit tirer le rideau ,
que les légiflatures fuivantes n'auroient qu'à fe
coucher , car la fcience des finances étoit défor
mais fixée au point de perfection.
Nous invitons tous les amateurs à comparer ce
rapportavec les états précédens du même comité des
finances , & avec les premières obfcurités arithmétiques
de M. de Montefquiou. On pourra choisir
entre toutes ces bafes difcordantes ; car il y en
a pour tous les goûts . Il fera également utile de
confronter M. de Montefquiou avec MM , le Bran
& Ddelay d'Agier , membres comme lui du
comité des finances.
Nous entreprendrions ce travail , fi le temps
nous le permettoit ; au défaut de ce travail de
concordance , nous nous bornerons à relever deux
affertions de M. de Montefquiou.
Il a évalué la dime à 130 millions : elle n'en
a jamais rendu 80. Uae exagération fi violente
dans un compté de finances , devoit être foutenues
de preuves , car qui que ce foit , avant le rapporteur
, n'avoit ofé hazarder une parcille éva-
Juation.
porte à l'actif 60 millions de revenus que
diront les biens eccléfiaftiques en 1791. Pour
( 131 )
apprécier la certitude de ce revenu
il faudroit
favoir quel il a été en 1790. Or , il s'eft répandu
& accrédité que , la fomme des revenus eccléfialtiques
de 1790 & de la fin de 1789 , verſée au
tréfor public , eft de VINGT- SEPT MILLE FRANCS .
M. le Brun , dit on , en a donné la preuve au
comité des finances , & vouloit dénoncer ces délapidations
à la tribune : fes collégues ont empêché
cette démarche . Si ce fait n'eft pas exact
nous ferons les premiers à le démentir , comme
à le confirmer , fi on ne le détruit pas..
?
Le rapport de M. de Montefquiou a été
écouté au milieu des éclats de rire d'une part ,
& des applaudiffemens de l'autre : on lui a
accordé l'honneur de l'impreffion , refufé dans le
temps à M. le Brun ; c'étoit adopter de confiance ,
& fur parole , cet écrit ; car M. de Montefquiou en
a gardé pour lui feul & fon comité les preuves
juftficatives . Qui que ce foit n'a même fongé à les
lui de mander , ni à entreprendre la moindre difcuf
fion . Le feul M. Duquesnoy a pris la parole pour
demander qu'afin de lever tous les doutes , on
fit imprimer l'état de fituation du Trelor Public
au premier Mai 1789 le tableau de ce qui
y eft entré depuis , & celui des fommes qui en
font forties.
Le pas étoit gliffant , & le défilé dangereux ;
on s'en eft tiré par la queition préalable . Un
inftant après , M. Barnave , pouflé par une heureufe
réflexion , & craignant le parti qu'on pourroit
tirer de ce refus d'éclairer le public par la pu
blication des états demandés , s'eft levé , en avere
tiffant l'audience que la motion de M. Duquesnoy
n'étoit repouffée que comme prématurée ; mais
que dans le temps , & au jour de la clôture des
( 132 )
féances , l'Affemblée rendroit fes comptes à a
Nation.
Les bravo multipliés ont récompensé l'orateur
de fon adreffe , & la féance a fini par de nouveaux
décrets fur les Jurés .
une
Lorfqu'au mois de juin dernier ,
faction criminelle verfoit le fang à Avignon
, & formoit de quelques têtes fumantes
, une guirlande de la nouvelle couronne
qu'elle offroit à l'Affemblée nationale
de France , nous traçâmes le vrai caractère
de cette faction : tous fes actes ont
fucceffivement juftifié l'opinion que nous
'en avions donnée , tandis qu'une populace
de publiciftes échapés de la forêt de Bondy ,
& de philofophes à piques , proclamoient
les forfaits d'Avignon comme la preuve des
progrès de l'efpèce humaine , & des conquêtes
de la vertu.
On fe rappelle que les Journaux & la
Tribune de l'Affemblée nationale retentirent
du panégyrique de ces brigands. On
nous cita les droits du peuple , précitément
dans le fens où Cartouche, citoit les
droits de l'égalité naturelle. L'énergie du
crine fut transformée en énergie de la
liberté ; on mit en maxime , qu'un attroupement
de féditieux pouvoit très-légitimement
fe rendre maître de lá fouveraineté
, que cet attroupement repréfentoit la
Nation ,
( 133 )
Nation , & que la Nation , réduite à
la lie de la fociété , avoit le droit de
pendre les citoyens , de difpofer de l'autorité
fuprême , d'expulfer à force ouverte
tous les propriétaires ; après s'être débarraffée
de la majorité, de la former elle- même ;
de paffer de la potence au fcrutin , & au
mépris de toutes les formes de civilifation
, d'offrir la volonté d'une bande d'affaffins
, comme le voeu du peuple.
9
M. Pethion , en particulier , affociant
fa gloire à celle de ces féditieux , en
peignit l'héroïfme civique , des mêmes
traits dont l'hiftoire nous peint les Guillaume
Tell les Gracques le Prince
a Orange & Washington. Il démontra par
les profondeurs de la métaphyfique des
Jean de Leyde & des Manganiello , que
les Avignonnois étoient dans le vrai fens
de la liberté , qui confifte à pendre , a voler ,
& à profcrire pour fe rendre le plus fort,
& à établir la puiffance du piftolet comme
le plus fain , comme le plus beau des titres à
la fouveraineté .
Nous avons vu les élèves de cette doctrine
, les refpectables objets des généreux
foins de M. Bouche, & des Souverains conftitués
à Aix fous le modefte fobriquet
d'Amis de la Conftitution , nous les avons
vus aller glorieufement de crime en crime ,
intéreffer l'Affemblée nationale , trompée
par leurs protecteurs , obtenir des forces
Nº. 7. 12 Février 1791 .
G
( 134 )
militaires pour les débaucher , porter leurs
brigandages de proche en proche , attaquer
ouvertement l'indépendance , la fûreté , les
propriétés du comté Vénaiffin ; y femer
la défolation par d'infâmes intrigues , ou
par des expéditions qui retracent la guerre
des Huifites ; enrôier des foldats François
fous leur bannière , les conduire au pillage
& au meurtre , envoyer l'éloge de leurs
forfaits à leurs auxiliaires les Journaliſtes ;
deux cents bouches facriléges vanter les
conquêtes de ces fcélérats , & féliciter la
France d'acquérir en eux des concitoyens.
Et cette magnifique contrée jouiffoit , il
y a un an , des bienfaits de la nature , de la
paix , du Gouvernement le plus doux !
Libres d'impôts , d'emprunts , régis par
des loix dont de légers changemens euffent
aifément corrigé les imperfections , ces peuples
, au milieu de nos calamités , n'avoient
qu'à borner leûr vigilance au foin
de s'en préferver on eut cherché auprès
d'eux le calme & la fûreté ; leur profpérité
fe fut accrue par nos malheurs.
ya
Les vues infernales de quelques intriguans
ont feules bouleverfé cette contrée
en lui procurant le bienfait d'une révolu
tion. Pour l'opérer , on a promis à quelques
hommes flétris , à des aventuriers ,
les honneurs de la démagogie & les premières
places d'Avignon , s'ils parvenoient
à trahir leur patrie , à la vendre à une Puif(
135 )
fance étrangère. Aufli- tôt le règne du crime
a remplacé celui de la félicité publique. La
pefte ne fait pas de plus rapides ni de plus.
terribles ravages : une fuite d'attentats & de
calamités , que les malédictions du ciel
auroient peine à raffembler dans le cours
des fiècles fur la nation la plus coupable ,
ont frappé en ſix mois cette terre de promilion;
ils l'ont frappée pour l'intérêt de
quelques miférables , auxquels des loix
juftes n'euffent deſtiné que l'échaffaud. Méditez
ce terrible exemple , peuples auxquels,
les ennemis de l'humanité ofent le propofer.
comme un chef- d'ouvre de philofophie ;
confidérez le fort qui vous attend , & que
chaque famille apprenne à calculer ce que
lui coûtera la témérité des novateurs .
Dans fon opinion fur la fouveraineté
d'Avignon , M. l'abbé Maury a reniarqué
qu'on ne fe foulève prefque jamais contre
les tyrans , & que la bonté , la douceur ,
trop fouvent voifine de la foibleffe , en
hardit toujours les infurrections & les
révoltes. En effet , c'eft à l'inftant où Avignon
recevoit du Pape les plus grands
bienfaits publics , qu'elle a donné le modèle
de la plus facrilege ingratitude. Il faut
dire & redire , ajoute le même Orateur ,
que le bled envoyé par le Pape aux
Avignonnois , pour les empêcher denourir
de faim,fut vendu au profit d'une faction qui
employa le produit à fomenter une infurrec-
}
G. 2.
( 134 )
militaires pour les débaucher , porter leurs
brigandages de proche en proche , attaquer
ouvertement l'indépendance , la fûreté , les
propriétés du comté Vénaiffin ; y femer
la défolation par d'infâmes intrigues , ou
par des expéditions qui retracent la guerre
des Huifites ; enrôier des foldats François
fous leur bannière , les conduire au pillage
& au meurtre , envoyer l'éloge de leurs
forfaits à leurs auxiliaires les Journaliſtes ;
deux cents bouches facriléges vanter les
conquêtes de ces fcélérats , & féliciter la
France d'acquérir en eux des concitoyens.
Et cette magnifique contrée jouiffoit , il
y a un an , des bienfaits de la nature , de la
paix , du Gouvernement le plus doux !
Libres d'impôts , d'emprunts , régis par
des loix dont de légers changemens euffent
aifément corrigé les imperfections , ces peuples
, au milieu de nos calamités , n'avoient
qu'à borner leûr vigilance au foin
de s'en préferver : on eut cherché auprès
d'eux le calme & la fûreté ; leur profpérité
fe fut accrue par nos malheurs.
Les vues infernales de quelques intriguans
ont feules bouleverfé cette contrée
en lui procurant le bienfait d'une révolu
tion. Pour l'opérer , on a promis à quelques
hommes flétris , à des aventuriers ,
les honneurs de la démagogie & les premières
places d'Avignon , s'ils parvenoient
à trahir leur patrie , à la vendre à une Puif(
135 )
fance étrangère. Aufli- tôt le règne du crime
a remplacé celui de la félicité publique. La
pefte ne fait pas de plus rapides ni de plus.
terribles ravages : une fuite d'attentats & de
calamités , que les malédictions du ciel
auroient peine à raffembler dans le cours
des fiècles fur la nation la plus coupable ,
ont frappé en ſix mois cette terre de promilion
; ils l'ont frappée pour l'intérêt de
quelques miférables , auxquels des loix
juftes n'euffent deftiné que l'échaffaud . Méditez
ce terrible exemple , peuples auxquels
les ennemis de l'humanité ofent le propofer
comme un chef- d'ouvre de philofophie ;
confidérez le fort qui vous attend , & que
chaque famille apprenne à calculer ce que
lui coûtera la témérité des novateurs.
Dans fon opinion fur la fouveraineté
d'Avignon , M. l'abbé Maury a reniarqué
qu'on ne fe foulève prefque jamais contre
les tyrans , & que la bonté , la douceur ,
trop fouvent voifine de la foibleffe , en
hardit toujours les infurrections & les
révoltes. En effet , c'eſt à l'inftant où Avignon
recevoit du Pape les plus grands
bienfaits publics , qu'elle a donné le modèle
de la plus facrilege ingratitude. Il faut
dire & redire , ajoute le même Orateur ,
que le bled envoyé par le Pape aux
Avignonnois , pour les empêcher de niourir
de faim,fut vendu au profit d'une faction qui
employa le produit à fomenter une infurrec-
G. 2.
( 136 )
tion contre le Pape, & que l'argent du Souverain
forma le premier tréfor des rebelles .
Si l'Affemblée nationale eut écouté les
repréſentations de juftice & de prévoyance ,
qu'oppofèrent MM. Tronchet , Malouet ,
Maury, Clermont- Tonnerre , aux artifices
des conquérans d'Avignon , fi elle eût abardonné
à elle - même cette ville indigne
d'une invafion , le Comtat n'eut point été
faccagé , on n'auroit pas vu l'uniforme
François trempé du fang des femmes &
des enfans à Cavaillon , ni des foldats
jures chargés du butin ravi fur des étrangers.
Un décret tardif a retiré nos troupes
de cette caverne de meurtriers ; mais il n'a
prévenu ni expié leurs brigandages ; car ,
par une fatalité déplorable , depuis un an ,
le fecours de la force publique & la prctection
de la loi ne fe font déployés , parmi
nous , qu'après les excès qu'ils auroient
dû réprimer.
par-
Aux protections patriotiques dont on
couvroit ici les affains d'Avignon , fe
réunirent pour l'infortune du Comtat &
la honte de la France , les démarches du
département des Bouches du Rhône , &
des Jacobites d'Aix, Leur correfpondance
intime avec Avignon , les cutiares dont
iis accabloient l'affemblée repréfentative
du Comtat , la Hétriffure qu'ils ofoient
imprimer à fes déclarations publiques , la
rebellion qu'ils encouragedient ouverte(
137 )
ment dans les villes & villages de cette
province , leurs proclamations incendiaires ,
leurs fentences dictatoriales contre les Comtadins
; ce manifefte du premier janvier
dans lequel le directoire d'Aix intime
une puiffance étrangère , que fon pouvoir
eft ufurpé , que lui directoire ne restera
pas Spectateur tranquille de cette ufurpation
, & qu'elle ait à prévenir les démarches
ultérieures dont il la menace ; cette autre
déclaration de guerre du mois précèdent,
où le club d'Aix fignifie à la même affem--
biée , » que le François a folemnellenient
» juré protection & fecours , fans diftinc-
» tions de fecte ni de contrée , à tout homme
» cpprimé par fon feniblable ; & qu'en
conféquence , la fainte coalition des amis
» de l'humanité , va niettre fin aux excès
» de Fademblée repréfentative , & faire
» difperoltre de la furface du globe des
» monftres qui la fouillent «, tous ces ades
ridicules de fouveraineté qui rappellent le
ftyle dont les Envoyés Ruffes fe fervoient
en Pologne , ont amené la dernière cataftrophe
du Cointal .
»
Nous obferverons à cette cccafion , qu'en
approuvant les motifs généraux de la fettre
de M. Duportail au département de la
Drôme , ( voyez le n ° . précédent , page 63,)
cn s'étonnera que ce Miniftre , ou le miniftère
, ait gardé un filence invincible fur
les menaces & les décrets du département
G3 !
( 138 )
d'Aix , qu'il n'ait pas également inftruit
l'Affemblée de cette violation du droit
des gens , des conféquences qu'elle pouvoit
entraîner , & de la néceflité de mettre fin
à cette guerre révoltante ; on s'étonnera de
la difcrétion avec laquelle M. Duportail
annonça les défordres dont le régiment de
Soiffonnois étoit l'objet ; on s'étonnera que
des miniftres du Roi de France n'ayent
pris la parole , que pour contrarier un mouvement
généreux d'humanité.
Sans légitimer l'envoi de fecours à Carpentras
fait par le département de la Drôme ,
on applaudira aux fentimens qui infpirèrent
cette démarche ; ce furent ceux de
la compaffion , de l'équité, de l'indignation .
La lettre du département à la municipalité
d'Avignon , honore la nation Françoife.
( Nous la tranferirons dans l'inſtant ) . L'intérêt
même de fa fûreté , obligeoit a engager
cette partie du Dauphiné à fermer enfin une
école de brigandages , dont les difciples
répandus fur la frontière , l'ont épouvantée
du fpectacle des meurtres & des pillages .
L'ardeur de marcher au fecours de Carpentras
fut univerfelle dans le département .
300 volontaires de Nions & du Buis s'y
tranícortèrent , après avoir nommé par acclamation
, le brave M. d'Albert de Rions
pour leur commandant. Les départemens
du Gard & de l'Ardèche ont adhéré aux
difpofitions de celui de la Drôme. Orange
( 139 )
f
même , dont la protection inconfidérée
envers Avignon , contribua à enhardir les
fanguinaires factieux de cette ville , partage
aujourd'hui l'horreur univerfelle qu'ils ont
infpirée. Dans leur mécontentement , les
Avignonnois ayant redemandé à la garde
nationale d'Orange , le préfent qu'ils lui
avoient fait de deux pièces de canon , on
leur a exhibé un compte de 400 mille
francs , confumés en frais de garde pour
eux , en leur fignifiant qu'après ce compte
foldé , on leur rendroit leurs pièces de
canon.
L'expofé que nous venons de préfenter
eft fondé fur des pièces juftificatives , authentiques
elles ferviront à l'hiftoire du
temps préfent , & à completter cet article .
Voici d'abord une relation exacte des évènemens
depuis le faccagement de Cavaillon
inclufivement , jufqu'au fiège levé de
Carpentras.
De.... en Provence , le 20 janvier 1791 .
כ כ
Après l'incurfion que des brigands fortis
d'Avignon avoient faire , le 10 décembre dernier,
dans le territoire de Cavaillon , le comté Vénailfin
le trouvoit fans cefle agité par les intrigues
de la faction Avignonoife. L'affemblée reprétentative
n'oublioit rien pour conferver le corps £-
dératif dans toute fon intégrité : mais elle commença
à s'appercevoir qu'on ne pourroit bientôt
-plus réfifter ; c'eft pourquoi dans une déclaration
du 2 décembre , elle dit : « que tout vau exprimé
partiellement , & à l'infçu des repréfentans
G4
( 140 )
du peuple , feroit nul & illégal , comme étant
une furprise criminelle faite aux membres de
Etat , & l'effet préparé de quelque tumulte &
des clameurs d'une faction aveugle ou défefpérée.....
Que folliciter ce vou partiel & le légiaimer
, c'eft confacrer l'anarchie , exciter la révolte........
C'eft donner à l'univers un funcfte
exemple , qui finiroit par divifer les plus grands
empires , les partager en une infinité de fractions
incohérentes , anéantir les fociétés les mieux
cimentées , & réduire le genre humain en hordes
fauvages & ennemies…………….. L'affemblée proteſte
enfuite de fa fidélité envers S. S. contre toute
fcifion de fon territoire , contre toute entrée ou
approche coactive de troupes ».
« Elle prévoyoit l'effet des entreprifes d'Avignon
, & du vif intérêt que prenoit à cette ville le
directoire du département des Bouches du Rhône.
Ce fut d'après les inftigations de celui - ci & les
intrigues de la municipalité Avignonoife , qu'on
arbora les armes de France à Lille & en quelques
autres lieux . Ils furent auffi- tôt mis fous la
protection de ce directone . L'aflemblée repréfentative
parvint à les faire 18n.trer dans le dévoir.
Alors on eut recours à la force ouverte .
Les municipaux d'Avignon ayant contraint , par
des amendes , les habitans des communautés qui
· leur étoient dévouées , à marcher , & ordonné à
une troupe de brigands , avec quatre pièces de
canon , de les accompagner , réfolurent de faire
attaquer Cavaillon . Malheureufement plufieurs
foldats de Soiffounois & de Penthievre s'étoient
fonlevés contre leurs officiers , & n'hélitèrent
point à feconder ces voies hoftiles . Ils fe mélèrent
avec les brigands, les encouragèrent, & furent
le 10 de ce mois alhillir Cavaillon . Il y eut
une fufillade Tez vive . M. Bounard , qui comman(
141 )
doit les affiégés , malgré fon petit nombre de foldats
, foutint l'attaque avec intrépidité . La ville
étoit fans artillerie , & l'ennemi fe fervit de la
fienne avec autant de facilité que de fuccès . Les
portes furent brifées ; on entra en foule , & la
garnifon ayant mis le drapeau blanc , on lui accorda
une capitulation , qui fut auffi - tôt violée .
On faccagea plufieurs maiſons , & on en pilla
un grand nombre . Tous les défenfeurs furent
emmenés à Avignon , par ordre de M. Patrix,
chefdes brigands . Plufieurs perfonnes des deux fexes
& de tout âge ont été affaffinées : on regrette entr'autres
M. de Roftan , capitaine au Corps-Royal
d'artillerie , cruellement affaffiné après la capitulation
.Hy a eu beaucoup de bleffés parmi les affaillans .
A la première nouvelle de cet événement ,
l'affemblée ordonna un raffemblement de milices ,
dont 300 hommes le portèrent en avant , pour
couper les ponts & empêcher les Avignonois
d'arriver. Ils partirent de nuit ; & fe trouvant
près d'un bois taillis , ils crurent découvrir une
embufcade. L'arrière- garde tira fur l'avant- garde,
& la confufion fe mit parmi eux. Malheureuſement
M. le chevalier de Soichande , qui les accompagnoit
, voulut profiter de la circonftance
pour s'évader ; on tira deffus ; on l'arrêta , & au
moment qu'il rentroit dans Carpentras , il fut
perçé de coups de bayonnettes . Il expira à trois:
heures du matin , & la populace ivre traîna
indignement fon cadavre fur la claie . En vain fiton
des efforts pour l'empêcher ; cette populace.
en devint plus furieufe ; l'indifcipline gagna les
milices. Les chefs ne furent plus obéis.. Une terteur
panique s'empara des efprits . On ne voulut
plus ni fe défendre ni attaquer ; & dans vingt- 1
quatre heures tous les liens du gouvernement
GS
1
( 142 )
furent rompus. Les membres de l'affemblée repréfentative
furent rigoureufement confignés aux
portes . Ils venoient de terminer leurs féances par
une protcftation , où ils déclaroient comme nul,
tout acte terdant à faire changer de domination
au comté Vénaiffin , & rappelloient leur déclaration
du 2 décembre , & finiffoient par implo
rer cette juflice immuable & éternelle , dont tout
peuple innocent attend fa vengeance.
La confufion & le défordre augmentoient ; les
milices fe retirèrent , & la ville de Carpentras
n'a eu d'autre reffource que d'arborer les armes.
de France . Le peuple ne vouloit point s'y prêter
; la crainte feule lui a fait fouffrir cet acte
illégal . Les autres villes & lieux fe font déterminés
avec encore plus de répugnance . Tout le
monde a pris la fuite ; les députés à l'affemblée
repréfentative fe font évadés . La faction avignonoife
en avoit proferit plufieurs , fur - tout M. le
Baron de Ste-Croix , dont le zèle & le patriotisme
ne s'étoient jamais démentis . L'état du Comtat eft
déplorable ; l'anarchie la plus complerte y règne .
Les campagnes font infeftées par les brigands , &
les Avignonois , non contens d'avoir , avec des
troupes & des canons , forcé les habitans d'exprimer
un vou contraire à leurs fermens & à leurs
intérêts , veulent encore opérer la ruine totale de
cette malheureufe province ; elle eft inévitable ,
l'Affemblée nationale ne prend des moyens
prompts & efficaces pour la fauver » .
P. S. Les prétendus amis de la conftitution
d'Avignon , viennent de publier ure relation du
fiége & de la prife de Cavaillon. Ils en parlent
comme d'un exploit qui doit immortalifer leur
ville. Tous les faits font altérés dans cette relation
pleine d'atroces calomnies & de mensonges
révoltans. La feule vérité qu'on y trouve eft la
( 143 )
préſence de MM . Duprat & Mainvielle , officiers
municipaux d'Avignon , à ce fiége qui devroit
les couvrir d'un eternel opprobre . On ajoutera
qu'une partie de la milice de Lille s'eft expatriée
plutôt que d'être parjure , & a fuivi M. de Garcin ,
fon brave & loyal colonel. Ils ont été très - bien
reçus à Apt , où l'on exerce une hofpitalité géné
reufe envers les émigrans du comtat ; M. de
Supporte , maire de cette ville , n'oublie rien
pour
adoucir leur trifte fort.
Du même lieu 24janvier.
environ .
« La ville de Carpentras ayant mis fur fes
portes les armoiries de France , auroit dû fe croire
à l'abri de toute attaque de la part des avignonois ;
mis ceux - ci , après avoir femé la divifion dans
les communautés du Comtat Venaiffin , vouloient
en détruire la capitale , afin de mieux affervir le
pays. Ils firent fortir de leurs murs
4000 brigands , parmi lefquels s'étoient encore
mêlés des foldats de Soiffonnois , avec 10 pièces
de canon & un mortier . Leur chef étoit toujours
le ficur Patrix , avec fes acolythes ordinaires
les fieurs Duprat & Mainvielle , officiers municipaux
d'Avignon. Ils fe placèrent , le 20 , au bois
de Gigondas , d'où ils tirerent , fans aucun fuccès ,
plufieurs coups de canon contre Carpentras . Une
groffe pluie , accompagnée d'un vent impétueux ,
étant furvenue , & les milices Comtadines , qu'on
avoit forcées de marcher,fe débandant, les affaillans
prirent le parti de la retraite , en pillant ce qu'ils
rencontroient . Ils avoient amené un grand nombre
de charrettes pour emporter le butin qu'ils comp
toient faire dans la ville. Le maire d'Orange
youlant détourner ces brigands , ils finirent par,
épondre , la guerre & le pillage ».
" On ne peut douter que s'ils cuffent réuffi , la
G. 6
( 144 )
plupart des villes & bourgs du Comtat auroient
éprouvé le fort de leur capitale ; & que d'autres
brigands s'étant joints à eux , ils fe feroient portés
fur les territoires voifins de la France. Le directoire
du département des bouches du Rhône ,
après avoir délibéré d'envoyer des cominisfaires.
pacificateurs , fut enfuite rétracté , difant que tout
feroit terminé avant leur arrivée . Le directoire
de la Drôme paroît fe déclarer en faveur des
opprimés & de la juftice. Le bas Comtat eft un
défert ; chacun à fui . Les habitans de Vaifon ont
laiffé cette ville dépeuplée , & en ont emporté
jufqu'à leurlinge. Lesbrigands d'Avignon viennent
de faccager encore la Chartreufe de Bonpas , d'où
ils ont enlevé la vaiffelle , le linge , 10,000 francs ,
& tout ce qu'ils ont pu charger fur les voitures
qui les fuivent , pour tranfporter leur butin »,
Copie d'une lettre écrite par le directoire du département
de la Drôme , à la Municipalité d'Avignon
.
A Valence, le 20 janvier 1791.
Meffieurs , c'eft avec le plus grand étonnement
que nous avons lu votre lettre du 16 de ce mois.
Vous penfez , dites - vous , que tous les départemens
de France , voifins du Comtat , verront ,
avec plaifir, défarmer la ville de Carpentras , &
ne la plaindront nullement des malheurs qu'elle
pourroit s'attirer par fon refus , de rendre les
armes , & de fatisfaire aux indemnités que vous
& vos alliés prétendez être en droit de lui demander.
C'est-à-dire , que fi les habitans de cette ville ,
qui font aufli fouverains & auffi indépendans que
ceux de la vôtre , ne mettent pas bas les armes au
premier fignal de votre volonté , malgré le danger
qu'ils peuvent appercevoir à fe livrer fans défenſe
( 145 )
à la merci d'un vainqueur irrité ; s'ils ne fatisfont
pas aux indemnités que vous prétendez pour vous
& pour vos alliés , dont vous ne donnez point la
caufe , & que vous pourriez étendre à votre gré
contre des adverfaires défarmés , vous êtes difpofés
à l'affiéger , à la foumettre , à la faccager ,
même à expofer , pour cet effet , la vie de ceux
de vos concitoyens qui fuivront ce funefte projet ,
& à livrer les citoyens de Carpentras à toutes les
horreurs du pillage & du carnage ; & vous préſumez
que les départemens de France , vos voisins
verront , avec plaifir , ces horreurs ? Non , meffieurs
; les françois , quoique agités par quelques
mouv mens inteftins , ne reconnoîtront & ne fuivront
jamais ce nouveau code du droit des gens ,
& ne fauroient y applaudir chez leurs voifins .
Sans entrer , quant à préfent , dans l'examen des
gricfs que vous prétendez avoir contre la ville de
Carpentras , nous fommes convaincus que , pour
prévenir les violences dont ils font menacés , l'Affemblée
des repréfentans de la nation françoife , fi
la diftance des lieux permettoient de l'inftruire ,
enverroit , fans délai , des fecours efficaces , non
dans aucune vue offenfive contre le parti d'Avignon
, mais dans l'objet de lui épargner , de même
qu'au parti oppofé , les crimes & barbaries qui
accompagnent prefque toujours une guerre paffionnée
& inteſtine ; & après avoir employé fes
forces pour empêcher l'effufion du fang , & les
autres fcènes d'inhumanité que votre lettre doit
faire craindre , elle interpoferoit fa médiation &
fes bons offices pour reconcilier les deux partis .
Dans les conjonctures actuelles , le mal étant
preffant , & les pouvoirs légiflatifs & exécutifs
françois fe trouvant trop éloignés pour y appliquer
le reméde prompt qu'il exige , nous venons y fuppléer
de toutes nos forces.

( 146 )
Dans cette intention , nous vous interpellons ,
meflicurs , au nom de la nation françoife , de
fufpendre tout acte d'aggreffion & d'hoftillité contre
la ville de Carpentras , & tout autre lieu du
Comtat , jufqu'à ce que l'Affemblée nationale , à
qui nous rendons compte de votre lettre & de vos
démarches , dir pris une détermination quelconque,
relativement à la fituation alarmante de cette province.
Nous faifons , par ce courier , la même interpellation
aux citoyens de Carpentras , & nous
vous déclarons que dans le cas où , contre toute
attente & au mépris de notre interpellation , vous
vous portericz , meffieurs , directement ou indirectement
à quelque acte d'aggreffion ou de violence,
ou que vous n'auriez pas employé tous les moyens
poffibies pour l'empêcher , vous vous expoferiez à
attirer , fur vous perfonnellement , & fur vos complices
, l'indignation & la vengeance de la nation
françoiſe , au nom de laquelle nous vous interpellons
.
Et afin de donner , à notre interpellation , le
poids qu'elle mérite , confidérant que , d'après
votre lettre, & les autres inftructions qui nous
font parvenues , les citoyens de Carpentras font
les menacés , & que le parti avignonois eft le
menaçant ; nous vous informons que nous faifons
marcher un détachement de troupes nationales du
département de la Drôme , qui fera renforcé en
cas de befoin , & auquel nous donnons l'ordre
exprès de fe borner à prendre les précautions défenfives
fuivant l'exigence des cas .
Nous avertiffons , en même-tems , les départemens
des bouches du Rhône , celui du Gard &
celui de l'Ardèche , afin qu'ils aient les yeux ouverts
fur les événemens qui pourroient fe paffer a la fuite
( 147 )
des divifions de votre province , & qu'au befo
ils donnent la main à nos troupes nationales .
Nous espérons , mefiicurs , que les mesures ,
qui nous paroiffent conformes aux loix divines &
humaines , mérite ront votre approbation , & pourront
ramener , dans votre belle contrée , l'ordre
& la paix.
Dans le fatras de leurs inpoftures , les
Avignonois n'ont pas manqué de calomnier
le régiment de Seiffonnois , de l'accufer
de manquer au civisme , d'ariftocratie
, d'inimitié contre la révolution ; car ,
aujourd'hui , à entendre les folliculaires &
les rhéteurs , il n'y a de patriotes & de
vrais révolutionnaires que les pillards &
les affaffins. A l'arrivée de fon colonel ,
M. de la Tour Maubourg , ce régiment a
quitté cette exécrable ville ; il eft aujourd'hui
à Montelimar . Il a exprimé fon horreur
pour les forfaits des quelques déferteurs
de ce corps , par la déclaration fuivante
faite au commandant.

Avignon , le 11 Janvier 1791 .
5כ NOTRECOMMANDANT,
S'IL eft douloureux pour nous de voir
quelques- uns de nos Camarades entraînés par
des confeils Fervers , franchir tout-à-coup les
bornes que leur prefcrivait la noble profeffion
des armes , pour aller commettre des horreurs
& brigandages à Cavaillon , nous fomunes.
jaloux auffi de montrer à la France entière que
non-feulement nous défapprouvons une conduite
auffi affreufe , & fi oppofée à la miffion impor(
148 )
tante que nous avons à remplir mais encore que.
les fentimens nobles qui nous ont toujours
guidé , nous défendent de fouffrir parmi nous
des hommes qui ont eu la lâcheté d'abandonner
leurs Drapeaux & qui fe font fouillés des
crimes les plus noirs . »
"
« Nous réclamons , au contraire , envers cux , au
nom de l'honneur , au nom de la patrie outragée ,
au nom de la réputation du Régiment de Soiffonnois
, la rigueur des lois , la juftice pour
punir une conduite auffi infâme , & des attentats
auffi horribles . »
« Nous demandons qu'il en foit fait un
exemple impofant , non pas tant pour punir le
criminel , que pour faire connoître à toute l'armée ,
notre averfion pour le crime. Nous aurons alors
la fatisfaction de ne les plus voir fans cefle ,
fous nos yeux , nous accabler d'injures les plus
attroces , ainfi que nos Officiers , ne pouvant
par efprit de bon ordre , & par amour pour la
paix dans des circonftances aufli critiques , réprimer
de femblables outrages , le mépris
éternel que nous en faifons ajoute à notre
gloire. Mais de vrais Soldats François ne font
pas accoutumés à les endurer. »
» Voilà , notre Commandant , l'expreffion de
nos coeurs, daignez la mettre fous les yeux denotre
bon Roi & de l'Augufte Affemblée nationale dont
nous réclamons la justice.
ל כ
Les Grenadiers , Chaffeurs & Fusiliers
du Régiment de Soiffonnois.
Ceux qui parcourent les Feuilles du jour ,
y auront vu affirmer , la femaine dernière ,
que Mesdames Tantes de S. M. ne quitte
roient point la Capitale ; que le comité des
Recherches l'avoit ainfi prononcé , & le Roi
( 149 )
après le comité des Recherches. Les plus
bavards de ces Périodistes démontrèrent, par
une colonne de galimathias , que la liberté
de changer de lieu confifte dans la faculté
de refter en place ; que par conféquent la
défenfe de voyager eft une preuve de refpect
pour le libre arbitre du citoyen , &
qu'au furplus , Mesdames faifoient une
exception à la loi , par leur caractère de
Princeffes du fang royal. Obfervez bien
que ce beau raifonnement fortoit des
mêmes plumes qui , chaque jour , appellent
la Reine , la femme du Pouvoir Executif,
& qui remettent les Princes du
fang royal au niveau des mendians du coin.
La famille royale n'eft que fimple citoyenne ,
lorfqu'on entend lui refufer les égards dus
à fa naiffance ; mais on lui rend fes diftinctions
lorfqu'il faut la priver des droits
naturels du citoyen . Vivent les Cafuiftes de
la religion démocratique !
Ce voyage de Mesdames eft affurément ,
& fous tous les rapports , la chofe du
monde la moins intéreflante. Cependant ,
les fentinelles de la liberté , & différentes
Sections de Paris , ont penfé que la Conf
titution feroit en danger , fi les Tantes du
Roi fe déplaçoient. La puiffance légiflative
des Sections , continuellement affemblées
& délibérantes , & décrétantes , malgré la
loi , a dénoncé ce voyage à la Commune.
Dans fa prudence , & par refpect pour le
principes de la liberté conftitutionnelle , la
( 150 )
Municipalité a refufé des paffeports aux filles
de nos Rois . Le Maire de Paris & fon
cortège font allés dimanche dernier notifier
à S. M. les inquiétudes & le voeu de la
capitale . » Cette demande , a répondu le
» Roi avec fermeté , eft inconftitutionnelle.
» Quand vous me montrerez un décret de
» l'Affemblée nationale , fanétionné par
» moi , qui interdife les voyages , je dé-
>> fendrai ames tantes de partir . Jufqu'alors ,
>> elles funt libres de fortir du royaume ,
>> comme les autres citoyens « . Le départ
des princeffes paroît fixé du 14 au 20. L'infpecteur
de portes chargé de leur affurer des
relais , eft parti la femaine dernière .
Les journaliſtes ayant imprimé que M.
Malouet étoit le directeur du voyage de
Mefdames , ce député nous a priés de rendre
publique la déclaration fuivante.
»
» On a dit hier au comité de marine , pendant
que je n'y étois pas , & l'on a imprimé dans
des libelles сс que j'allois habituellement à Bellevue
, & que j'avois des conférences fecrètes avec
Mefdames je mépriferois cerre impofture ,
comme beaucoup d'autres , fi elle ne tendoit à
compromettre des princetfes auguftes , dont la
haute vertu mériteroit nos fefpects , quand même
elles n'auroient pas d'autres droits à nos hommages,
Je déclare donc que je fuis allé , il y a
quatre ans , pour la première fois , à Bellevue ,
& que je n'y fuis pas retourné depuis ; qu'il y a
erreur ou menfonge de la part de ceux qui foutiennent
le contraire ».
» Dès le mois de juin 1789 on avoit payé dés
( 151 )
porteurs - de - chaifes , qui fe tenoient à la porte
des Etats - Généraux , & me montroient aux paffans
, en leur difant qu'ils me portoient toutes
les nuits chez M. le comte d'Artois , à qui je n'ai
famais eu l'honneur de parler , & chez Madame
de Polignac , que je n'ai jamais vue ; ils s'adreffèrent
pour cette confidence au nommé Biffon ,
mon domeftique , qu'ils ne connoiffoient pas :
celui - ci , aidé d'un de fes amis , leur répondit
de manière à leur faire avouer qu'ils avoient eu
ordre de répandre ces impoftures . Il eft probable
qu'elles fe renouvellent aujourd'hui par les mêmes
moyens & d'après la mêine impulfion ; car il y
avoit dès ce temps- là des gens à grands projets
& à grandes manoeuvres .
Signè MALOU E T.
Paris , 3 février 1791 .
Les lettres ont perdu le 30 de janvier,
M. de Rulhières, de l'Académie Françoife ,
& l'un de nos meilleurs écrivains . Il étoit
du petit nombre de ceux dont les vapeurs
de la révolution n'avoient pas dérangé la
raifon. M. de Rulhières connoiffoit les
hommes & l'hiftoire : ami de la liberté ,
il favoit en difcerner les limites , & en
craindre les excès : il n'étoit point un de
ces efprits foibles qu'on entraine avec des
déclamations , ni un de ces efprits faux
aux yeux defquels des arguties métaphyfiques
effacent la loi de l'expérience . M.
de Rulhières a peu écrit , mais rien de
médiocre. Son petit poëme des Difputes
eft digne de Boileau ; & il eft plein d'une
( 152 )
raifon plus étendue que celle de ce célèbre
Satyrique. Ses Eclairciffemens hiftoriques
fur l'etat des Proteftans en France ,
font un livre claffique , également précieux
par la folidité des recherches , par l'inté
rêt des faits , & par la faine critique de
l'auteur : on n'y trouve pas une tirade ,
pas une déclamation ; aufi , cet ouvrage
aura -t-il dans tous les temps , le mérite
qui l'a diftingué aux yeux des fages de
toutes les nations. Ses voyages dans le
Nord , & l'exercice des fonctions politiques
, avoient formé M. de Rulhières à un
autre genre d'inftruction , que celui qu'on
recueille dans les bureaux d'efprit , dans les
lycées , & aux ballets de l'Opéra. Son hiftoire
manufcrite de la révolution qui arracha
le fceptre à Pierre III, & fit de fon
cadavre le marchepied duquel fon époufe
monta fur le trône , étoit connue par des
lectures particulières .
pour
M. de Rulhières avoit enfuite donné
pendant à cet énergique tableau , celui de la
révolution de Pologne & des caufes du démembrement
de cette République. Riche
d'excellens matériaux & des plus fures corref
pendances, ilavoit faifi & peint les véritables
couleurs de cet évènement. M. de Rulières
avoit aufli raffemblé une foule de decumens
relatifs à l'hiftoire de la révolution de France ,
& fpécialement aux forfaits exécrables &
impunis des 5 & 6 octobre 1789. Sa mort ་
fubite nous a privé de ce travail important.
( 153 )
Le fcellé a été mis fur fes papiers ; on les a enlevés
enfuite , fans que les amis & les parens
de l'auteur en ayent été, dit-on,les dépofitaires
. On a comparé M. de Rulhières à Tacite :
cet éloge nous paroit exagéré. Mais il y a de
belles places au- deffous de l'hifto ien Romain
, & M. de Rulhières en occupera une
des plus eminentes.
La même femaine a enlevé un artifte
diftingué , M. Falconnet , célèbre par fa
fameule ftatue de Pierre le Grand , & qui joignoit
le génie de fon art au talent de l'exercer.
On a de lui différens ouvrages d'un goût.
très - pur ; mais qui fe reffentent quelquefois
de l'amour du paradoxe.
La preftation du ferment Eccléfiaftique dans
les Provinces , continue d'offrir la même proportion
genérale , c'eft - à - dire , de deux refufans
contre un fermentaire . L'Alface , la Bretagne ,
l'Artois , le Berry , l'Anjou , la grande partie
de la Normandie , la Lorraine , &c . préfentent cette
difparité , foit dans les villes , foit dans les campagnes.
A Lyon , un feul curé , & le féminaire
des Sulpiciens ont refufé le ferment on affure
qu'au contraire , aucun curé de Bordeaux ne veut
le prêter. Nous ignorons quelles ont été les
difpofitions des fonctionnaires publics , dans le
refte de la Guyenne , en Languedoc , en Provence ,
en Dauphiné. On fe hâte de remplacer les Evêques
; M. le cardinal de la Rochefoucault , qui
a formellement refufé fa démiflion , l'eft à Rouen
par le curé de Choify- le - Roi , près Paris . Ce
prélat , de la création des électeurs Normands ,
a concouru avec M. l'abbé Grégoire , qui sûre(
154 )
ment trouvera , fans retard , dans un autre fiége ,
la récompenfe de fon civifme , & de la délicateffe
de les diftinctions fur le ferment. Un de fes collègues
à l'Affemblée nationale , non moins fervent que
lui contre fon ancien ordre , l'abbé de Marolles ,
eſt déjà élevé à l'épifcopat du département de l'Aifne .
C'est ce même abbé qui , dans le ftyle du chriftianifmeperfectionné,
dit l'autre jour à l'Aſſemblée nationale
, que les écrits de M. le cardinal de Rohan
étoient auffi méprifables que fa perfonne . On
voit par l'évènement , que M. l'abbé de Marolles
n'a pas perdu fon temps. C'eft prématurément
qu'on a annoncé la promotion de M. l'abbé
Sieyes à l'évêché du département du Var : ce
métaphyficien politique n'eft encore qu'adminif
trateur du département de Paris , ainfi que M..
l'évêque d'Autun . En voyant cette pluie des bienfaits
de la faveur populaire , de places , de couronnes
, de traitemens utiles , fertilifer le zèle
des fauteurs les plus défintéreffés de l'établiſſement
actuel , on fe rappelle l'énergique vérité
qu'à prononcé un de nos plus grands orateurs ,
en difant : » Légiflateurs de quelques journaux
» ferviles , vous regardez comme de bons Fran-
» çois tous ceux que la révolution a enrichis ,
» tandis que vous dénoncez comme de mauvais
patriotes tous les citoyens qu'elle a ruinés .
Le directoire du club monarchique
pourfuit , en effet , fes dénonciateurs devant
les tribunaux . C'eft une grande tâche ,
car plufieurs fections ont uni leurs anathè
mes à ceux de M. Barnave & du club des
Jacebins.
Chacune de ces fections accufatrices a rendu
fentence & fait publier fa décifion . On ap(
rss )
préciera l'efpèce de régime fous lequel nons
vivons & cette tyrannie de cent mille autorités
illégales , qu'on ofe appeller dérifoirement
un Gouvernement populaire , par l'arrêté de
la fection des Thuileries , daté du 27 janvier.
On y déponce affirmativement la fociété
Monarchique , comme ayant diftribué
trente mille cartes de diftribution de
pain , & enrôlé 40 mille pauvres . On auroit
une idée imparfaite de l'exactitude de cette
arithmetique , fi l'on ignoroit que la fociété
monarchique a en effet , diftribué
vingt-cinq cartes, & envoyé aux fections
une lifte de 2548 femmes , enfans ou infirmes
, qui réclamoient ſa bienfaiſance . Eh
bien ! fa fection dénonciatrice a fait afficher
dans le reffort de fa domination , fes chiffres
calomnieux , & livré par les expreffions
les plus emportées , les membres du
club , à la fureur de quiconque lira fur les
murs cette affiche incendiaire. Ajoutez
qu'en même-temps , on crioit dans les rues
& dans les lieux publics , une lifte préten- .
due des membres de cette fociété , lifte
qui littéralement formoit une table de
profcription . Si telles font les manoeuvres
de la liberté , quelles font celles du defpotifme
? Auffitôt cette lifte répandue , les
Feuilles publiques n'ont plus été chargées
que du défaveu de nombre de perfonnes
infcrites fur ce regiftre mortuaire , fans
partenir au club monarchique. Plufieurs
ap(
156 )
membres de celui dit de 1789 , MM. le
Chapelier , la Cofle , Démeunier , Regnault,
d'Eymar , fe font empreffés de repouffer
dans un ftyle pompeux cette calorie , qui
pouvoit en être une également pour le club
monarchique. Celui de 1789 l'a même
honoré d'un décret en forme , rendu au nom
de l'art focial, dont ces 1789 ont retrouvé
le fecret perdu depuis Platon. On vient
de jouer la nullité , les prétentions , &
l'importance ridicule de ces docteurs affociés
, dans une brochure extrêmement piquante
, intitulée le Club de 1789 aux Énfers
c'eft un tableau d'après nature de
cette obfcure coterie , qui n'a jamais eu l'a
plomb , la conféquence , la marche fyftématique
des Jacobins. Toutes ces guerres
de clubs font pitié à la raifon ; mais nous
en verrons bien d'autres avec le temps.
M. Ducluzeau de Chenevières , ci - devant pro- :
cureur au parlement , dont on avoit annoncé l'établiffement
dans le N' . 4 de ce journal , demeure
petit hôtel de Cluny , rue des Mathurins , N° 10.
Les Numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France , du premier Février ,
font : 7 , 49 , 71 , 76 , 22.
MERCURE
HISTORIQUE
Ꭼ Ꭲ .
POLITIQUE.
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 3 Février 1791 .
APRÈS nombre d'incertitudes & de
variations , enfin on vient d'arrêter à Copenhague
le plan de la nouvelle banque
publique en efpèces. Son capital fera 'de
deux millions & quatre cents mille rixdalers
, divifé en 6000 actions de 400 rixdalers
chacune ; elle s'ouvrira au premier
Juillet prochain . La Suède eft encore
plus embarraffée que le Danemack dans.
fes arrangemens de finance. Le 10 Janvier
il fut notifié à Stockolm , que les obligations
pour les dettes de l'Etat , ne feroient
point acquittées à l'époque fixée
& que la rente de trois pour cent ceffera
au to Mars. On a autorifé le comptoir.
N°. 8. 19 Février 1791.
911
H
( 158 )
d'amortiffement à eniprunter un million
de rixdalers renibourfables dans dix ans ,
en efpèces fonnantes .
Il eft aifé d'appercevoir , d'après cette
fituation , combien ces deux Etats du Nord
feroient imprudens de fe livrer aux intrigues
des Puiffances étrangères , & d'oublier leurs
vrais intérêts au point de s'attacher à ceux
d'une ambition , qui les précipiteroit
de nouveau dans les malheurs de la guerre.
Rien de plus incertain encore que celle dort
les diffentimens de la Prufte & de la Ruffie
menacent le Nord & le Levant de l'Allemagne
. Des deux parts il fe forme quelques
préparatifs. L'Impératrice fait travailler
aux fortifications de Revel & de Riga ;
elle parle d'affenibler une armée formidable
en Livonie ; elle crée des Amiraux
& diftribue des décorations . La Pruffe ,
rappelle les fémeftriers ; ceux de la garnifon
de Berlin doivent rejoindre au 6
Avril , mais cette difpofition n'eft relative
qu'aux revues de Potzdam , Berlin , Magdebourg
& de Weftphalie , qui auront lieu
comme à l'ordinaire . On a formé un cordon
de troupes légères . en Siléfie , pour
empêcher l'exportation des grains : cordon
que les Gazettes appellent une armée d'cbfervation.
Toutes ces fottifes militaires des
papiers publics ne méritent jufqu'ici aucune
confiance ; les Puiffances intéreffées
à foutenir la Porte Ottomane , jouent à
'(-1591 )
1
huis clos une partie d'échecs avec la Ruffie ;
il feroit affez téméraire de décider à qui
reftera la partie ; mais on peut gager fix
contre un , qu'elle ne fera pas verfer une
goutté de fang.
De Vienne , le 2 Février.
Pour l'amufement de la Cour de Naples ,
on a fait manoeuvrer devant elle , le 21
Janvier , les bataillons de grenadiers de
notre garnifon , & le 27 , la cavalerie exécuta
fes évolutions à Simmering , fous les
ordres du Général Comte de Kinsky. On
ignore le moment précis du départ de
LL. MM . SS . , qui doivent être bien fatiguées
de divertiffemens . Nous avons
vu ici le mois dernier , un étranger connu
de l'Europe entière : c'eft M. de Calonne
ancien Miniftre des Finances de France .
Arrivé le 22 , il ne s'eft arrêté ici que deux
jours & eft reparti le 24 ( 1 ) .
"
(1) Cette nouvelle certaine dément la fauffeté
de celle imprimée dans plufieurs Feuilles de Paris ,
répertoires de bruits ridicules , enfantés par l'efprit de
parti. Suivant ces Gazetiers , l'Empereur ayant
défendu à M. de Calonne de venir à Vienne , ce
Miniftre avoit profité de l'avis .
H 2
( 160 ).
Le Comte de Cobentzel , Ambaſſadeur àla Cour
de Pétersbourg , quitte ce pofte pour devenir
adjoint du prince de Kaunitz , Chancelier d'Etat.
Le Comte de Scilem , chef de la Juſtice , fe retire
à caufe de fon grand âge ; il fera remplacé par le
Comte Cavriani. Le grand Chambellan , prince de
Rojenberg , eft défigné pour premier Miniftre en
Tofcane.
On eft affez généralement perfuadé que
la prife d'Ifmail finira la campagne . Les
dernièrs fuccès des Ruffes ont prodigieu
fement affoibli leur infanterie les trois ; .
corps d'armée fous les ordres des Géné
raux Suvarof , de Repnin & de Gallitzin
ont grand befoin de recrues & de repos :
ces troupes achèveroient de fe fondre entièrement
dans de nouvelles entrepriſes , &
après tant de conquêtes il ne refteroit plus
un régiment pour les garder. Qu'on apprécie
d'après cela , le difcernement de ceux
qui font franchir les défilés du Mont
Hémus à cette armée dépérie , & qui lui
ménagent une entrée folemnelle à Conftantinople
, dans trois mois , jour pour
jour. Quelques Gazetiers ont annoncé un
prétendu fiége de Varna , & enfuite la
prife de cette place par l'Amiral Oufchakof.
Il faut être aufli ignorant que ces nouvelliftes
, pour faire ainfi au milieu de Décembre
, manoeuvrer une efcadre , & former
un fiége maritime fur la mer Noire ,
que la faifon rend abfolument impratica(
161 )
ble depuis la fin d'Octobre. On fait que
nulle navigation n'eft auifi dangereufe, même
durant l'été. -- La plupart des lettres particulières
confirment que la prife d'Ifmaïi a
coûté au moins 12,000 morts ou bleffés
au vainqueur , qui a perdu la fleur de fon
infanterie. 17 Officiers généraux font morts
ou bleifés ; plus de 160 de l'Etat Major
ont péri ; ainfi le fiége a été auffi meurtrier
qu'une bataille opiniâtre.
Notre pofition entre la Ruffie & la Prufle
enfante chaque jour des conjectures fur l'avenir.
La guerre venant à éclater entre ces
deux Puiflances , ( ce que l'on eft encore
loin de croire ) on fe demande fi l'Empereur
garderoit ou non la neutralité ? Peutêtre
le Confeil même du Souverain feroit
embarraílé de répondre à cette queſtion.
De Francfort-fur- le-Mein , le 8 Février.
Les explications demandées , le 2 Janvier,
par la Cour de Berlin à celle de Vienne
au fujet des affaires de Liége , repofoient
fur deux principes cu deux prétextes. Le
premier , que les Princes-Directeurs étoient
feuls en droit de terminer ce différend ; le
fecond , que leur iffue devoit être réglée
fur les articles dreffés à Francfort. Laréponfe
de l'Empereur a été fimple & claire . L'intervention
de ce Monarque ayant été invoquée
par trois Electeurs , ainfi que par les
H 3
( 162 )
Princes - Evêques de Liége & de Wurtzbourg
, & formellement requife par la
Chambre de Wetzlar , il n'a pu refufer de
faire exécuter par fes troupes les jugemens
de ce Tribunal : cette exécution étant achevée
au moment où la réclamation de
S. M. P. eft parvenue à Vienne , l'Empe
reur fe voyoit à regret hors d'état de fatisfaire
aux demandes de la Cour de Berlin.
Celle-ci , dit- on , a renouvellé fes inf
tances ; mais elles font trop peu motivées
par la conftitution Germanique , pour ac
quérir plus de crédit. Il eft certain que les
fylêmes de M. Dohm ont compromis le
Roi de Pruffe d'une manière infiniment
ficheufe , en le mettant en oppofition directe
avec les loix de l'Empire , en le privant
de fa fonction de Co -Exécuteur , & en aliés
nant les principaux membres de l'union Germanique,
Les Sophifmes de M. Dohm & ſa
follicitude pour les intérêts du Bourgmeſtre
Fabry , creature de la Pruffe depuis trente
ans , ne peuvent prévaloir fur les droits les
plus inconteftables du corps Germanique.
On n'accufera pas ce Publicifte de les méconnoître
; mais l'on s'étonne qu'il les ait
oubliés.
Chaque Etat de l'Empire eft indépendant
dans les actes de fa Souveraineté territoriale ;
il peut changer fon Gouvernement comme
il lui plaît , pourvu que ces changemens.
n'offenfent ni les garanties , ni l'union Ger
( 163 )
f
manique mais toutes lesfois qu'il s'élève des
différends entre les Membres du même Etat,
qu'ily a des voies de fait , contre lefquelles
une partie rend plainte aux Tribunaux de
l'Empire , ceux-ci font inveftis par la loi du
droit de juger le procès. Tel a été le cas de
Liége.
La fentence prononcée , les Princes de
chaque Cercle font obligés de la faire exécu→
ter , fi la Chambre Impériale le requiert. Au
lieu de fe foumettre à cette réquifition lé
gale , le Roi de Pruffe s'eft rendu Juge des
jugemens du Tribunal , il s'eft érigé en arbitre
, a refufé fon concours a fes co-exéca
teurs , a retiré fes troupes , & a fini
par abandonner
l'exécution aux Electeurs Palatin &
de Cologne. Privés de cet appui , ceux-ci
oit appelé le concours des Eleteurs de
Trèves & de Mayence, & enfin celui de Léopoli
, non en fa qualité d'Empereur ; mais
dans celle de repréfentant des anciens Ducs
de Bourgogne. Ce Prince , en obéiffant au
décret de réquifition , a fait ce que la Pruffe
a refufé de faire , & comme la Chambre Impériale
avoit eu le droit inconteftable d'exiger
fon intervention , il a eu le droit inconteftable
d'y déférer.
Quel fondement légitimepeut donc refter
aux plaintes de la Pruffe ? Qui l'a empêchée
de remplir les devoirs , qu'à fon refus
le Tribunal de l'Empire à impofé à
l'Empereur : S'enfuivroit-il que , parce que
H4
( 164 )
cette puiffance a voulu refter paffive , fa
réfiftance aux Decrets doit enchaîner le
Corps Germanique , anéantir les fentences
de fes Tribunaux , & faire plier les volontés
de la confédération à celle d'un feul Prince?
Unfyftême auffi extraordinaire & auffi dangereux
décèle des préventions bien extraordinaires
dans M. Dohm. Il réclame les points
arrêtés à Francfort , tandis que ni lui -même ,
ni fa Cour ne les ont ratifiés ; tandis que les
Liégeois ont perfifté à ne pas y adhérer. Il
arrive par le fait , qu'en entraînant le Cabinet
de Berlin à des mefures contraires à
l'exécution des décrets , à une guerre d'arguniens
contre la Chambre , contre les
Princes exécuteurs , contre l'Evêque de
Liége , & à l'abandon de fon intervention
exécutrice , M. Dohm a rendu le plus funefte
fervice aux Liégeois. Cette conduite prive
aujourd'hui la faction qu'il foutenoit , de
l'appui légal qu'il pouvoit donner à fes
orétentions. Il cft très-vrai encore que par
la publication anticipée de la lettre de
M. Dohm au Général Bender, on avoit ranimé
l'effervefcence populaire , & on laiſſe à
penfer comment une femblable démarche a
été confidérée du refte de l'Empire.
Quoi qu'en difent les gazetiers , la Pruffe
ne fera pas plus arbitre que l'Empereur ,
du procès de Liège . Il faut être fans la
moindre notion de la conftitution Germanique
pour , faire dépendre le rôle de
( 165 )
l'une ou de l'autre de ces deux puiffances ,
de la conciliation de leurs vues. Leur volonté
particulière ne peut être féparée de
celle des autres princes appellés à l'exécution
, ni en différer , puifque la Chambre
Impériale leur a tracé le cercle. C'étoit
donc une vaine fimagrée que la foumiffion
fans bornes des Liégeois à l'Empereur feul ,
& une fauffe politique que leur invocation
des fecours de la Pruffe.
La cour de Vienne , ou celle de Berlin ,
ne pourra fervir les Liégeois que lorsqu'on
traitera du fond même de leurs démêlés
avec le Prince Evêque . --- Les députés que
le parti dit populaire a envoyés à Vienne
n'ont pu obtenir la permiflion d'y déployer
leur caractère .
2
L'adminiftration de la Principauté , eft
entièrement rétablie , telle qu'elle exiſtoit
avant les violences du 18 août 1789. Les
magiftrats dépoffédés ont repris leurs places
; les Régences des villes & du plat-pay .
ont été réintégrées .. Non - feulement , cer
révolution n'a été accompagnée d'aucu
réfiftance ; mais elle s'eft faite en pluſieur
lieux aux acclamations des habitans , qui
en quelques endroits , ont eux-mêmes chafft
les magiftrats qu'on leur avoit donnés. Le
peuple en général , le véritable peuplequ'on
peut égarer quelque temps feulement,par des
illufions , & par l'effervefcence du fanatifme
, eft foulagé du poids des calamités
HS
( 166 )
dont la durée des troubles l'accabloit. Cm
pent en induire que les auteurs de tes
diffentions trompoient le public , en fe
difant les organes de la volonté générale..
Heureufement , leur règue a été court
car il étoit difpendieux. L'Etat refte grévé
d'une dette de 13 millions de rixdalers ,
fans compter les frais d'exécution qui s'éleveront
à 10 millions.
On peut remarquer , comme une leçon
utile aux peuples , qu'en moins de huit
ans , l'Europe a vu quatre fois la liberté
punie d'avoir oublié fon caractère , en voulant
opérer à force - ouverte , c'est-à- dire
par les armes même de la tyrannie , des
révolutions que le temps pouvoit amener
fans violence , qu'aucune oppreflion ne
mécefitoit , & que le vice de leurs movens
ont renversées à leur naiffance.
En 1782 , Genève deftitua fes magiftrats.
à main-armée , & renouvella fon gouver
tement. La force avoit opéré ce changeent
, une force fupérieure le rendit inute
, & priva le peuple d'une partie de fes
lus beaux privileges . li les a recouvrés lorf
que l'expérience a démontré que , la raifon
des bayonnettes & des lanternes , n'a jamais
donné un titre légal & durable aux peuples ,
non plus qu'à ceux qui les gouvernent.
Quelques années après nous vîmes le
parti patriote en Hollande , non content
davoir énervé les prérogatives du Stathou(
167 )
*
der , & affuré la réforme de ce qu'elles
avoient d'abufif , fe livrer aux voyes de
fait de toute efpèce , caffer les régences le
fufil à la main , menacer les magistrats de
la potence , faire une guerre acharnée à
fes adverfaires , & finir par amener leur
triomphe. En envahiffant la Hollande , les
Pruffiens firent valoir à leur tour ,, la logique
du nombre & de la force , & fubjuguèrent
ceux qui fix mois auparavant fubjuguoient
la faction Stathoudérienne.
*
Les évènemens du Brabant font trop
récens , pour être rappellés : ceux de Liège
nous fourniffent un dernier exemple ana
logue.
Il en réfulte une grande & falutaire vérité
, qui devroit fervir de maxime éternelle
aux peuples & aux Rois. Ne fais
pas à autrui ce que tu ne voudrois pas
qu'on te fit. La faine politique eft ici d'accord
avec l'évangile . Voulez - vous établir
la liberté , banniffez la contrainte de vôtre
arfénal , & fouvenez- vous que la violence
du grand nombre n'a jamais fourni
à l'Univers d'autre fpectacle , que celui
d'une légion de tyrans , adorés un moment
par les fourbes & les ames ferviles ; &
iôt ou tard chatiés par des opprimés.
On a traduit en Allemand Fouvrage de
M. Burke fur la révolution de France , &
l'un de nos écrivains les plus diftingués ,
M. Brandes , fecrétaire-privé de la chan-
H 6
( 168 )
cellerie d'Hanovre , vient de traiter le même
fujet , & dans les mêmes principes. Sans
faire grace aux abus monftrueux qu'avoient
introduits en France le temps , la foibleffe
du gouvernement , le defpotifme illimité
des miniftres , l'ariftocratie des courtiſans ,
l'infuffifance & l'inefficacité des principes
fondamentaux , la diffolution des refforts
politiques , & le vice d'une autorité abfolue
privée du feul pivot folide de toute.
puiffance , de la force de la loi , l'auteur
fe demande ; 1º . pour régénérer le royaume
, un changement total étoit - il néceffaire
dans fa conftitution ? 2 °. Ce changement
pouvoit- il s'opérer fans révolution ,
c'est-à-dire , fans le concours d'un peuple
entier , mis fous les armes , & paffant en
un jour de la fervitude politique à la fouveraineté
la plus abfolue : 3 ° . La Conftitution
décrétée eft- elle adaptée au caractère ,
aux moeurs , au période de civilifation des
habitans , & aux befoins du Royaume ?
M. Brandes refout négativement ces trois
queſtions.
2
D'après l'examen rigoureux des opérations
publiques depuis la fin de Juillet
1789 , il ne découvre ni plan , ni préparations
ni cohérence dans ce travail
légiflatif : » On découvre à chaque page
» dit-il , qu'il a été l'ouvrage , non de la
» préméditation & du fang- froid , mais
» celui des circonftances. Les établiffe(
169 )
» mens enfantés par des convulfions ont
>> rarement quelque durée.-- La postérité
>> croira-t-elle que dans un fiècle éclairé ,
» on ait porté le mépris de la balance des
» pouvoirs , juſqu'à rejetter la diviſion du
» Corps légiflatifen deux chambres , juf-
» qu'à refufer au Roi le droit négatif ,
» jufqu'à exclurre fes Miniftres de l'Affem-
» blée nationnale « ?
M. Brandes blâme févérement le ferment
de maintenir la conftitution , parce
que , felon lui , on ne doit jamais imprimer
le caractère de l'infaillibilité & de
l'éternité à des inftitutions variables par
effence , & d'un efficace encore indéterminée.
» Il faut prendre garde , ajoute-t-il,
» de limiter les objets des fermens hu-
» mains , dans le cercle où la mémoire
» peut s'étendre «.
L'article de la liberté de la preffe offre
plufieurs obfervations profondes : l'auteur
remarque avec fagacité , que les lumières
fervent quelquefois à éclairer l'efprit , fans
former le caractère , & que jamais les idées
nouvelles n'ont changé celui de la pre-.
mière génération , qui les applique toujours
fauffement , & les adopte par imitation
, fans en être pénétrée.
Cet ouvrage où M. Brandes analyfe en
philofophe & en politique , les principales
queftions qu'on a fi brufquement décidées
en France , obtient parmi nous un très(
170 )
s'ébranle
par
grand fuccès. Le phlegme Allemand ne
le fafte des décla fi vite
pas
mations , ni ne s'enivre par les vapeurs de
l'alchymie politique. Au refte , M. Brandes
prêche à des convertis : on ne citeroit pas
en Allemagne , non plus qu'en Angleterre ,
en Suiffe , en Italie , en France même , un
feul écrivain diftingué par fes connoiffances
en légiflation , qui-ne penfe comme notre
compatriote.
Le titre de cet ouvrage , imprimé à Jena ,
eft Confidérations politiques fur la Révolution
qui s'eft operee en France .
GRANDE-BRETAGNE.
De Londres , le 9 Février.
Il n'eft plus douteux , qu'a moins d'un
changement dans les difpofitions du cabinet
de Pétersbourg , nous aurons en mer après
l'équinoxe , une efcadre faite pour en impofer
à la marine Ruffe toute entière ;
marine dont il n'a été queftion dans le
monde , que par l'affiftance de nos conftructeurs
& de nos officiers. Mylord Hood
commandera cette efcadre , dont le nombre
de voiles eft encore indéterminé. 18
vaiffeaux de ligne font en commiſſion à
Portsmouth , où vont auffi fe rendre de |
Plimouth , le Gibraltar de 80 canons , le
( 171 )
02
e
C3
Swiftfure & Hannibal de 74. L'amiral
Hood montera le Victory de 100 canons.
On a ouvert dernièrement de nouvelles
maifons de rendez-vous pour les matelots
volontaires. --Le 3 , la frégate le Niger ,
commandée par le capitaine George Ber
keley a appareillé de Portsmouth pour les
Antilles , où elle tranfporte un comité d'ingénieurs
chargés de vifiter les fortifications
des ifles Angloifes.
Le 2 , les eaux de la Tamife ont tellement
groffi à la marée montante , que
plufieurs rues voisines de ce fleuve & les
villages qui le bordent ont été inondés .
Ce débordement a également ſubmergé les
prairies de la partie du comté d'Effex qui
touche la Tamife. Cette crue fubite eft la
plus confidérable que l'on ait vue depuis
1763. Le même jour & la veille , à la fuite
de coups de vent impétueux , les eaux de
la mer , les rivières , les lacs ont monté en
Hollande à une hauteur effrayante : à force
d'activité , on eft parvenu à garantir de
tout accident les digues & les éclufes ; mais
les parties baffes d'Amfterdam , de Rotterdam
, & la campagne des environs de
Harlem ont été inondées .
Les premières Séances du parlement , depuis fa
rentrée le 1er de ce mois , n'ont rien offert à la
curiofité , finon le rapport fait aux communes
d'une pétition originale de M. Horne- Tooke contre
la dernière élection de la ville de Weftminfter.
( 172 )
M. Horne Tooke , bien connu par les fingularités
de fa vie politique , & par divers écrits bizarres
, dans lefquels on remarque beaucoup plus
d'imagination que de raifon , un grand talent à
défendre des paradoxes , & une érudition fouvent
mal employée , eft un de ces hommes dont le
patriotime confifte à faire du bruit , à occuper
la fcène , & dont la verve feroit complettement
amortic fi perfonne ne les regardoit. A la dernière
élection du parlement , il fe mit fur les rangs
pour Weftminster , & concourut très -défavantageufement
avec M. Fox & Mylord Hood , les deux
candidats élus. Le petit nombre de voix qu'il
étoit parvenu à recueillir , ne lui laiffoit pas le
moindre efpoir , même en prouvant l'illégalité de
beaucoup de fuffrages , d'expulfer l'un ou l'autre
de fes concurrens . Auffi , fa pétition n'a - t - elle
pas eu cet objet. Au lieu de demander l'applic.-
tion des loix très - fages , relatives à la vérification
des votes , & d'établir par des preuves de fait ,
l'invalidité des fuffrages qu'avoient nommé les
représentans actuels de Weftminster , M. Horne
a conftruit fur ce texte une batterie contre la
repréſentation parlementaire en général ; il a
rempli fon mémoire de digreffions , d'injures aux
Communes , & de farcafmes contre quelques - uns
de leurs membres .
La chambre ayant nommé un comité choisi pour
examiner cette pétition , on en fit le rapport
famedi dernier. M. Horne - Tooke réquis par le
président de juftifier les motifs de fa requête ,
en imita le ftyle & les écarts . Son difcours fut
une fuite d'épigrammes & de hors -d'oeuvres . Rappellé
vingt fois au fond de la queftion par le
président , il lança de nouveaux farcafines . On le
( 173 )
1
1
mit à l'ordre , on le cenfura ; il finit burleſquement
par en appeller à un autre tribunal.
La difcuffion fur le rapport du comité s'étant
renouvellée lundi dernier , M. Horne reparut ,
affifté de M. Fitzgerald fon confcil , qui plaida
le fond de la pétition ; mais fans l'appuyer d'autre
preuve , que de celle des violences commifcs par
les différens partis dans les élections de 1780 &
1784. Le comité répliqua que cette preuve d'analogie
étoit inadmiffible , & qu'on ne pouvoit juger
de la validité de l'élection de 1790 , par les évènemens
de l'élection de 1780 .
>
Cette déduction finie , M. Powys demanda la
délibération fur l'avis du comité qui , en reconnoiffant
parfaitement légitime l'élection de M.
Fox & de Mylord Hood , opinoit unanimement
à déclarer la pétition de M. Horne- Tooke , frivole
& vexatoire . M. Burke trouvant cette décifion
beaucoup trop douce , demandoit que la
chambre punit les outrages qu'elle venoit de recevoir
du pétitionnaire : M. Martin vouloit qu'on
le traitât comme un libellifte , & M. Courtenay
qu'on le punit par le mépris. Ce dernier avis &
celui du comité ont prévalu .
FRANCE.
De Paris , le 16 Février.
ASSEMBLÉE NATIONALE.
Opinion de M. de Cazalès fur les conditions
d'eligibilité des Jures , prononcée dans la
feance du famedi 5 Février .
Je crois qu'il eft inutile de répondre aux vaines
déclamations du préopinant ; déclamations qu'il
( 174 )
croit populaires & qui font loin de l'être , çar
s'il étoit poffible qu'il obtint le fuccès qu'il en
efpère , l'Affemblée Nationale porteroit une loi
bien funefte à la liberté des peuples.
Sans doute qu'il n'eft pas néceffaire d'apprendre
à l'Affemblée Nationale que les propriétaires ne
ne font pas une claffe de la fociété , mais qu'ils
font la fociété elle-même , que c'est par la propriété
, , que c'est pour la propriété que la fociété
a été fondée , & que s'il eft de justice rigoureufe
que tous les fujets de la loi , foient égaux
devant elle , il est également jufte , il eft conforme
à toutes les règles d'une bonne économie politique
, il eft néceffaire pour le grand avantage
des jufticiables , pour le plus grand avantage des
adminiftrés , que les places d'adminiftrateurs &
de juges , que l'exercice de toutes les fonctions
publiques ne foient confiées qu'à des propriétaires.
Ceux là feuls , font fous la main de la
loi , ceux-là feuls , peuvent offrir une refponfabilité
foncière ; eux feuls peuvent fournir caution
de leur bonne conduire.
Votre comité vous propofe d'appeller à remplir
les fonctions de juré tous les citoyens éligibles
aux places de département & de diftrict ; moi ,
je pense que vous devez faire fupporter cette
charge , que vous devez reftraindre l'exercice
de ces redoutables fonctions , aux citoyens qui
réuniffent les qualités néceffaires pour être élus
membres du corps législatif.
J'examinerai I office de juré relativement à
l'intérêt de celui que l'on force à l'exercer , je
l'examinerai relativement à l'intérêt de ceux qui
font foumis à fon jugement , & de ce double
examen naîtront les raifons fur lefquelles j'appuyerai
mon opinion .
( 175 )
11 eft néceffaire de fe rappeller que pour être
membre de la légiflature , il fuffit de payer une
impofition directe d'un marc d'argent , ce qui
fuppofe une propriété de 520 liv . de rente ; &
250 liv . de rente ne font pas cette extrême
richeffe , corruptrice de ceux qui la poffedent ,
dont votre rapporteur à l'air de craindre les pernicieux
effets .
certes
Qu'on eft éligible aux places de diftricts & de
départemens , quand on paye une contribution
de 10 liv. , ce qui fuppofe une propriété de so
liv. de rente .
Les fonctions de juré doivent être gratuites .
La fainteté de fon inftitution , a dit un de fes
plus zélés défenfeurs , feroit profanée , fa
dignité avilie , fa moralité corrompue , le jour
ou l'argent deviendroit un reffort néceffaire à
» fon activité » .
-La fociété ne peut impofer des fonctions grasuites
qu'aux citoyens dont la propriété fufit à
les nourrir , car c'eft une loi de la nature , antérieure
à toutes les conventions fociales & plus
fortes qu'elles , qui veut que tout homme vive !
C'eft contrarier directement cette loi , c'eft ordonner
une chofe évidemment injufte , c'eſt porter
une loi dont l'exécution eft impoffible , que
de vouloir que des hommes à qui le prix de leur
temps cft néceffaire pour leur fubfiftance , le dor
ment gratuitement a la chofe publique , so liv .
de rente ne peuvent nourrir celui qui les poffède .
Les fonctions de juré doivent être gratuites 3
vous n'avez donc pas le droit de les impoſer à
des citoyens qui n'ont que so liv . de rente . Si
vous adopticz le projet de votre comité ,
vous feriez défobéi , ou les jurés vendroient la
juftice qu'ils feroient chargés d'adminiſtrer ; car
ou
( 176 )
il faut que tout homme vive : votre loi feroit
leur complice , & c'cft ainfi que de mauvailes
loix , c'eſt ainfi que des législateurs ignorans , pro-
Voquent , néceffitent les crimes qu'ils font cnfuite
dans l'obligation de punir.
Si au prix du temps vous joignez les frais
de déplacement , néceflaires pour tout citoyen qui
n'habitera pas le chef- lieu du département , non
raifonnement prendra une nouvelle force ; vous
fentirez encore avec plus d'évidence qu'il eft impoflible
d'impofer une parcille charge à un homme
qui n'a que o liv . de rente ; vous fentirez coinbien
il importe au fuccès de l'inſtitution des ju- ,
rés qu'ils foient choifis parmi des citoyens Lifes ,
parmi des citoyens dont la fortune foit u-dulus
de l'étroit néceffaire ; vous craindrez que votre
loi , fe trouvant en contradiction avec l'intérêt
particulier , fe trouvant en contradiction avec la
loi plus impéricufe du befoin , ne foit conftamment
éludée & que cette inftitation tant vantée ,
dout , fur la fei de nos philofophes modernes ,
nous attendons de fi grands bienfaits , ne fe detruife
d'elle-même ; ne fe détruife par cela feul
que le plus grand nombre des citoyens appellés
à en exercer les fonctions fe refufent à les remplir.
De quel intérêt n'eft-il pas pour l'accufé ? de
quel intérêt n'eft -il pas pour la fociété toute entière
? que le plus grand pouvoir que des hommes
puiffent exercer fur des hommes , ce terible
pouvoir de difpofer fur fa confcience informée d'après
fa conviction morale , de la vie & de l'honncur
des citoyens , ne foit confié qu'a des hommes
que leur fortune rend indépendans & défintéreflès
; qui placés entre la richelle & la pauvreté
n'ont ni les vices de l'une ni les befoins de l'u(
177 )
tre , qui vivent dans cet heureux état de médiocrité
ou fe trouvent , quafi toujours , les lumières ,
le courage & la vertu ? Non , que les hommes y
naiffent meilleurs , mais ils y reçoivent une éducation
plus généreufe , non qu'ils y foient plus
vertueux , mais la pratique de la vertu leur eft
pius facile ; heureufe médiocrité dont l'indépendance
eft l'apanage diftinctif , & qui met également
à l'abri de la crainte & de la féduction .
Ce n'eft pas que je croye impoffible l'alliance
de la pauvreté & de la vertu. Je fais qu'il eft
des hommes qui font indigens & ne font pas
achetables , mais ces hommes font ràres ! mais
ces vertus font difficiles ! & ce n'eft pas fur des
vertus difficiles que des législateurs doivent comp--
ter , & ce n'eft pas fur des prodiges que l'espèce
humaine doit être calculée.
En un mot , fi les fonctions de jurés devoient
être lucratives , je vous confeillerois d'y appeller
de préference les citoyens les plus indigens ; mais
fi ces fonctions font une véritable charge pour
ceux qui les exerceront avec intégrité , n'en impofez
le devoir qu'à des citoyens aifés ; mais fi
vous voulez que les mains des jurés foient pures
comme la juftice qu'ils adminiftreront , n'appellez
à en remplir les fonctions que des hommes audeffus
du befoin . 1
Si je difois toute ma pensée , fi je concluois
confequemment à mes principes , je demanderois
que pour être inferit fur le tableau des jurés , il
fut néceffaire de poffeder au moins cent piftoles
de rente ; mais puifque , felon l'energique expreffion
de Montaigre , la vérité de maintenant
n'eft pas ce qui eft vrai , mais feulement ce qu'il
eft poffible de perfuader , je me reftrains à demander
que ceux- là feuls puiffent être jurés qui réu(
178 )
niront les conditions néceffaires pour être éligible
à FAflemblée nationale .
Si à la force de ces raiſons il étoit néceflaire
de joindre l'autorité de deux feuls peuples qui
pratiquent l'inftitution des jurés , je vous dirois
qu'en Angleterre il faut , pour pouvoir être juré ,
jouir de 10 livres sterlings de rente , c'est -à- dire ,
240 livres de notre monnoye ( le ftatur qui a
fixé cette fomme eft de la quatrième année de
Guillaume & Marie de 1693 ) & 240 livres de
rente à cette époque équivalent à 5 ou 600 liv.
de rente d'aujourd'hui .
Tous les jurisconfultes anglais fe plaignent de
la modicité de ce tarif , & l'ufage a tellement
prévalu fur la loi , que les juges choififfent toujours
pour jurés des propriétaires infiniment plus
riches.
Dans les états unis d'Amérique , dans ce gouvernement
d'où vous aimez à entendre citer les
loix , dans ce gouvernement que vous aimez à
prendre pour modèle , on exige pour être juré
les mêmes facultés que pour être membre de la
légiflature .
Si vous en ordonnez autrement , vous verrez
fe réalifer l'inquiétude , que n'ont put s'empêcher
de temoigner les auteurs mêmes de l'inftitution
des jurés , qu'elle ne pût pas s'établir en France ,
ou fi elle s'établit , alors fe vérifiera ce dire populaire
, « que les hommes riches , que les hommes
" puifans échappent toujours à la punition qu'ils
» ont meritée . »
Suite des décrets fur la procédure par Jurés.
XXVII . Il fera dépofé fur le bureau deux
boîtes , l'une blanche & l'autre noire , & après
( 179 )
chacune de ces déclarations , chaque juré en
témoignage dépofera , à cet effet , dans la boîte
blanche une boule blanche , & une boule noire
dans la boîte noire ; la boule blanche exprimera
l'opinion favorable à l'accufé ; la noire , celle
qui lui fera contraire.
» VIII. Les Juges prononceront enſuite & fans
défemparer la peine établie par la Loi , ou acquiteront
l'Accufé , dans le cas où le fait dont il eft
convaincu , n'eft pas defendu par elle .
» IX. Les Juges donneront leur avis à haute
voix en préſence du Public , en commençant par
le plus jeune & finiffant par le Préfident .
" X. Si les Juges font partagés pour l'application
de la Loi , l'avis le plus doux paffera ; s'il y
a plus de deux avis ouverts , ou fi deux juges
font réunis à l'avis le plus févère , ils appelleront
des Juges du Tribunal du District pour les
départager .
XI. Le Préfident , après avoir recueilli les
voix , & avant de prononcer le jugement , lira
le texte de la Loi fur laquelle il eft fondé,
» XII. Le Greffier écrira lé jugement , dans
lequel fera inféré le texte de la Loi , lu par le
Préfident .
» XIII. Lorſque le jugement aura été prononcé
à l'accufé , il fera furfis pendant trois jours
àfon exécution.
» XIV. Le condamné aura le droit de le pourvoir
en caffation contre le jugement du Tribunal ;
à cet effet il fera tenu dans le fufdit délai de trois
jours de remettre fa requête en caffation au
Greffier , lequel lui en délivrera reconnoiffance .
Celui- ci remettra la requête au Commiffaire du
Roi , qui fera tenu de l'envoyer auflitôt au Mi(
180 )
wiftre de la Juſtice , après en avoir délivré reconnoiffance
au Greffier.
» XV. Le Commiffaire du Roi pourra également
demander , au nom de la Loi , la caffation
du jugement ; il fera tenu , dans le même délai
de trois jours , d'en paffer fa déclaration au
Greffe , & d'envoyer auffitôt fa requête au Miniftre.
XVI. Les demandes en caffation ne pourront
être fondées que fur la violation des formes
prefcrites , à peine de nullité , foit dans l'inftruction
, foit dans le jugement ou fur la fauffe application
de la Loi.
» XVII. Les requêtes en caffation feront adreffées
directement au Miniftre de la Juſtice , lequel
fera tenu , dans les trois jours , d'en donner
avis au Préfident , & d'en accufer la réception au
Commiffire du Roi , qui en donnera connoiffance
au condamné & à ſon Conſeil .
» XVIII . Dans le cas où la demande en caffation
aura été préſentée par le condamné , elle ne
pourra être jugée qu'après un mois révolu , à
compter du jour de la réception de la requête ; &
pendant ce délai , le condamné pourra faire parvenir
au Tribunal de Caffation , par le Miniftre
de la Justice , les moyens qu'il voudra employer.
» XIX . Le Tribunal de Caffation confirmera
ou annullera le jugement. Dans ce dernier cis il
exprimera , dans fa décifion , le motif de la caffation
, & renverra le procès à un Tribunal
criminel .
» XX. Dans le cas où l'on fe pourvoiroit contre
le fecond jugement , fi le Tribunal de caffation
trouve qu'il préfente les mêmes motifs de caffation
,
( 181 )
tion , il en référera à la Légiflature. Celle - ci
déclarera quelle eſt la véritable ſignification de la
Loi ; le Tribunal de Caffation fera tenu d'y conformer
fa décifion ; & en cas qu'il y ait lieu d'annuller
le jugement , il renverra à un nouveau
Tribunal Criminel .
» XXI. Le Miniftre de la Juftice enverra fans
délai la décifion du Tribunal de Caffation au
Préfident du Tribunal Criminel & au Commiſfaire
du Roi , lequel en donnera connoiffance
l'accufé & à fon Confeil.
» XXII. Lorsque le jugement aura été annullé
, l'accufé fera toujours renvoyé en perfonne
devant le Tribunal Criminel indiqué par le Tribunal
de Caffation .
» XXIII . Dans le cas où le jugement aura été
annullé , à raiſon de fauffe application de la Loi ,
le Tribunal Criminel rendra fon jugement fur la
déclaration déjà faite par le Juré , après avoir
entendu l'accufé ou fes Confeils , ainfi que le
Commiffaire du Roi.
» XXIV . Dans le cas où le jugement aura
été annullé à raiſon de violation ou d'omiffion de
formes importantes dans l'examen & la déclaration
du Juré , l'accufé , ainſi que les témoins , feront de
nouveau entendus pardevant les Jurés qui feront
affemblés à cet effet .
» XXV . Paffé le délai de trois jours , mentionné
en l'article XVI , s'il n'y a point cu de
demande en caffation , ou dans les vingt - quatre
heures après la réception de la décifion qui aura
rejetté cette demande , la condamnation fera
exécutée .
» XXVI. Cette exécution fe fera fur les ordres
du Commiffaire du Roi , qui aura le droit à cet
effet de requérir l'affiſtance de la force publique.
No. 8. 19 Février 1791. I
( 182 )
; ) - » XXVII . La décifion des Jurés ne pourra
jamais être foumise à l'appel ; fi néanmoins le
Tribunal étoit convaincu que les Jurés fe font
trompés , il ordonnera que 3 Jurés feront adjoints
aux douze Jurés pour donner une nouvelle déclaration
, à la majorité des fix feptièmes .
» XXVIII . A cet effet , ' après avoir formé le
tableau du Juré , il en fera toujours tiré au foit
trois au plus , lefquels feront placés féparément
dans l'auditoire ; ils prèteront ferment lorfqu'ils
feront requis de fe joindre aux autres Jurés .
»XXIX . Ce nouvel examen ne pourra avoir licu
que dans le cas feulement où l'accufé auroit été
déclaré convaincu , & jamais lorsqu'il aurcit été
acquitté.
XXVIII . Le filence le plus abfolu fera cbfervé
dans l'auditoire ; les témoins & les défenfeurs
de l'accufé feront tenus de s'exprimer avec
décence & modération . Si quelque particlier s'écattoit
du refpect dû à la juftice , le préfident
pourra le reprendre , le condamner , à une amiende ,
& même à garder prifon jufqu'au tems de huit
jours , fuivant la gravité du cas .
XXIX . Lorsqu'un accufé aura été acquitté ,
il pourra préfenter requête , pour obtenir de la
fociété une indemnité , fur laquelle requête il
fera ftatué par le tribunal criminel. ( Ajourné. )
XXX . Le tribunal criminel fera compétent pour
connoître des intérêts civils réfultans des procès
oriminels , & le jugement fera fans appel.
TITRE X.
De la manière de former le Juré d'accufation.
Art. I. Le Procureur- Syndic & les Membres
du Directoire de chaque District formeront
tous les trois mois la lifte des Citoyens qui
( 183 )
doivent fervir le Juré dans les accufations ; elle
fera envoyée à chacun des Membres qui en
fera partie.
« II. Cette lifte fera compofée de trente
Citoyens éligibles aux Adminiftrations de District
& de Département.
» III Le Tribunal de Diſtrict indiquera celui
des jours de la femaine , qui fervira à l'Affemblée
du Juré d'accufation..
» IV . Huitaine avant le jour , le Directeur
du Juré fera tirer au fort , en prefence du
Commiſſaire du Roi & du Public , huit Ciroyens
fur la lifte des trente , pour en former le
tableau du juré d'accufation .
ככ »V.S'ilyalieud'affemblerlesJurésd'accufation
, ceux qui doivent le compofer , feront
avertis , quatre jours d'avance , de fe rendre
au jour fixé , fous peine de 30 f. d'amende ,
& d'être privés du droit d'éligibilité & de fuffrage
pendant deux ans.
2+
133 VI. Lorfque les Citoyens infcrits fur la
lifte des trente , formée par le Procureur- Syndic
& le Directoire , prévoiront pour l'un des jours
d'Affemblée du Juré quelqu'obftacle qui pourroit
les empêcher de s'y rendre , s'il arrivoit qu'ils y
fuffent appelés par le fort , ils en donneront
connoiffance au Directeur du Juré deux jours
au moins avant celui de la formation du tableau
des huit , pour lequel ils défirent d'être excufés .
¿
» VII. La valeur de cette excufe fera jugée
dans les vingt- quatre heures par le Tribunal de
Diſtrict.
9 le
» VIII. Si l'excufe eft jugée fuffifante
nom de celui qui l'a préfentée , fera retiré du
nombre de ceux fur lefquels le tableau des hui
I 2
( 184 )
fera tiré au fort . Si elle eft jugée non - valablé ,
fon nom fera foumis au fort.
» IX . S'il eft du nombre des huit défignés
par le fort , il lui fera fignifié que fon excufe a
eté jugée non -valable , qu'il eft fur le tableau
des Jurés , & qu'il ait à fe rendre au jour fixé
pour l'Affemblée. Copie de cette fignification
fera laiffée à la perfonne à fon domicile , & il
fera tenu d'en donner reconnoiffance .
X. Tout Juré qui ne, fera pas rendu fur la
fommation qui lui en aura été faite , fera condamné
aux peines mentionnées dans l'article V. Sont
exceptés de la préfente difpofition ceux qui
feroient retenus pour caufe de maladie.
XI . Dans tous les cas , s'il manquoit un des
Jurés au jour indiqué , le Directeur da Juré le
fera remplacer par un des Citoyens de la Ville ,
pris au fort dans la lifte des trente , & fubfidiairement
parmi les éligibles .
TITRE X I.
De la manière deformer le Juré dujugement.
» Art. I. Tout Citoyen éligible faux adminiftrations
de Département & de District le fera
infcrire avant le is de Décembre au plus tard ,
de chaque année , comme Juré de jugement , fur
un regiftre qui fera tenu à cet effet par le Secrétaire
- Greffier de chaque District .
» II. Le Procureur- Syndic du Diſtrict enverra
dans les 15 derniers jours de Décembre , unc
copie de regiſtre au Directoire de Département ,
& en fera remettre un exemplaire à chaque Municipalité
de fon arrondiffement .
» III. Ceux qui auront négligé de le faire
infcrite pendant le mois de Décembre au plus
( 185 )
tard , feront privés des droits d'eligibilité & de
fuffrage à toute fonction publique , pendant le
cours de l'année fuivante.
» IV. Ne pourront êrre Jurés les Officiers de
police , les Juges , les Commiffaires du Roi ,
Accufateur public , les Procureurs- générauxfyndics
& Procureurs-fyndics des Adminiſtrations ,
Les Membres des Directoires de Département &
de District , ainfi que tous les Citoyens qui ne
font pas portés fur la lifte des éligibles .
» V. Sur tous les citoyens éligibles infcrits dans
les registres des Directoires , le Procureur - généralfyndic
du Département en choifira , tous les trois
mois , deux cents qui formeront la liste du Juré
du jugement . Cette lifte fera imprimée & envoyée
à tous ceux qui la compoferont.
» VI. Un citoyen ne pourra , fans confentement
, être placé plus d'une fois fur la lifte ,
pendant les trois mois que fon nom fera fur la
lifte , pendant la révolution d'une année ; & fi ,
pendant les trois mois que fon nom fera fur la
lifte , il a affifté à une affemblée de Jurés , il
pourra s'excufer d'en remplir une feconde fois
les fonctions le tout à moins qu'il n'habite la
ville même du Tribunal crimineſ.
» VII. Nul ne pourrra être Juré de jugement
dans la même affaire où il auroit été Juré d'accufation
.
» VIII. Lorſqu'il s'agira de former , le premier
de chaque mois , le tableau des douze Jurés , ainfi
qu'il eft dit art . XII , titre IV , le Préfident du
Tribunal criminel , en préſence du commiſſaire
du Roi & de deux officiers municipaux , lefquels
prêteront le ferment de garder le fecret , préſentera
a l'accufateur public la lifte des deux cents Jurés ;
celui- ci aura la faculté d'en exclure vingt fans
1 3
( 186 )
donner de motif ; le refte des noms fera mis dans
le vale , pour être tiré au fort , & former le
tableau des douze Jurés.
» IX. Le tableau des douze Jurés de jugement
fera préfenté à l'accufé , qui pourra dans.
les 24 heures récufer ceux qui le compofent. lis
feront remplacés par le fort .
X. Lorfque l'accufé aura exercé vingt récu
fations , celles qu'il voudroit présenter enfuite
devront être fondées fur des caufes dont le Tribunal
jugera la validité .
» XI. Cette récufation de vingt Jurés pourra
être faite par plufieurs co - accufés , s'ils fe concertent
enfemble pour l'exercer ; & s'ils ne peuvent
s'accorder , chacun d'eux féparément pourra
réguler dix Jurés .
ל כ
> » XII . Dans ce dernier cas chacun d'eux
récutera fucceflivement un des Jurés , jufqu'à
ce que la faculté de récufation foit épuilée .
» XIII. Lorfque les citoyens inferits fur la
lifte des deux cents , formée par le Procureurgénéral-
fyndic , & arrêtée par le Directoire , prévoiront
, pour le 15 du mois fuivant , quelqu'obftecle
qui pourroit les empêcher de fe rendre à
Paffemblée du Juré , ils en donneront connoiffance
au Préfident du Tribunal criminel , deux jours au
moins avant le premier du mois , pendant lequel .
ils defirent d'être exculés.
» XIV. La valeur de cette excufe fera jugée
dans les vingt -quatre heures , par le Tribunal.
criminel..
» XV. Si l'excufe eft jugée fuffifante , le
nom de celui qui l'a préfentée , fera retiré du
nombre de ceux fur lefquels le tableau des douze
fera tiré au fort ; fi elle cft jugée non - valable ,
fon nom fera foumis au fort .
( 189 )
prife- de- corps , indépendamment des prifons qui
pourront être établies comme peine .
» II. Les procureurs - généraux- Syndics veilleront
, fous l'autorité des directoires , à ce que
ces différentes maifons foient non-feulement füres ,
mais propres & faines , de manière que la fanté
des perfonnes détenues ne puiſſe être aucunement
altérée .
III. La garde de ces maifons fera donnée
par le directoire , fur la préſentation de la municipalité
du lieu , à des hommes d'un caractère
& de moeurs irréprochables , lefquels prêteront
ferment de veiller à la garde de ceux qui leur
feront remis , & de les traiter avec douceur &
humanité .
IV. Les gardiens de maifons d'arrêt , maifons
de juftice , ou geoliers de prifons , feront
tenus d'avoir un regiftre figné & paraphé à toutes
Ics pages par le préfident du tribunal.
» V. Tout exécuteur de mandat d'arrêt , d'ordonnance
de prife - de- corps , ou de jugement de
condamnation à prifon , fera tenu , avant de remettre
la perfonne qu'il conduit , de faire inferire
en fa préfence fur le regiftre l'acte dont il eft
porteur. L'acte de remife fera écrit de fuite . Le
tout fera figné tant par lui que par le gardien
ou geolier , qui lui en donnera copie fignée pour fa
décharge .
םכ »VI.Nulgardienougeoliernepourrarecevoir
ou retenir aucun homme , qu'en vertu
des mandats , ordonnances ou jugemens dont il
vient d'être parlé , à peine d'être pourſuivi comme
coupable du crime de détention arbitraire.
» VII . Le registre ci - deffus mentionné comtiendra
également , en marge de l'acte de remife ,
Fa date de la fortie du détenu , ainf que l'or-
Is
( 190 )
donnance ou le jugement en vertu defuels elle a
eu lieu.
» VIII . Dans toutes les villes ‹ ù il y aura ,
foit une maifon d'arrêt , foit une maifon de
juftice , foit une prifon , un des officiers municipaux
du lieu fe : a tenu de faire , au moins deux
fois par femaine , la vifite de ces maifons .
כ כ
la
» IX. L'officier municipal veillera à ce que
nourriture des détenus foit fufflante & faine ;
& , s'il s'apperçoit de quelque tort à cet égard
contre la juftice ou l'humanité , il fera tenu d'y
Pourvoir par lui - même , ou d'y faire pourvoir
par la municipalité , laquelle aura le droit de
condamner le geolier à l'amende , même de demander
fa deftination au directoire de département
, fans préjudice de la poutfuite criminelle
contre lui , s'il y a lieu ..
» X. La pokec des maifons d'arrêt , de juftice
& de prifon appartiendra à la Municipalité du
lieu .
ל כ » XI. En conféquence , fi quelque détenu
ufoit de menaces , injures ou violences , foit à
l'égard du gardien ou geolier , foit à l'égard des
autres détenus , l'officier Municipal pourra ordonuer
qu'il fera refferré plus étroitement , renfermé
feul , même mis aux fers en cas de furcur
ou de violence grave , fans préjudice de la pourfuite
criminelle , s'il y a lieu ..
» XII. Les maifons d'arrêt cu de juftice feront
entièrement diftinctes des prifons. qui pourront
être établies pour peine , & jamais un homme
condamné ne pourra être mis dans la maifon d'arrêt
; ni un homme arrêté , même décrété , dans
ne prifon.
(La fin dans huitjours . )
¡
( 191 )
Du mardi , 8 février.
Avant de préfenter un projet de décret fur le
traitement des eccléfiaftiques , fonctionnaires publics
déplacés ou dépoffédés pour refus du ferment
, M. Lanjuinais , organe du comité eccléfiaftique
, a tâché de prémunir l'Affemblée contre
une imprudente générofité qui pourroit coûter
trop cher. Puis écartant les vicaires & les prédicateurs
, qui , n'ayant que des places amovibles
, paroiffent bien au comité fufceptibles d'être
impitoyablement dépouillés , mais non d'obtenir
un traitement quelconque , il a fixé le maximum
des curés à 500 liv . de fecours annuel & viager ,
dont il ne vouloit encore les laiffer jouir que ,
ככ
lorfqu'ils auroient fait ceffer toute inquiétude
3 à l'égard de leurs fucceffeurs cc. Quant aux
évêques non-affermentés , un décret les traite
comme ayant donné leur démiflion , ainfi que
les curés , & un autre décret a fixé le maximum
des évêques démis à 10,000 liv . Le comité traite
les directeurs des féminaires , les profeffeurs , &c.
comme les curés .
M. Fermont trouvoit ces principes fimples &
raifonnables . M. Prieur s'eft indigné de voir
qu'on donnoit 10,000 liv . aux évêques qui
felon lui , ont donné l'exemple de la rebellion
& féduit les pafteurs , tandis que les pasteurs
féduits n'auroient que soo liv . il a réclamé
un ajournement pour l'intérêt public & pour la
juftice . Sans prononcer fur les évêques , M.
Camus accordoit les 500 liv. aux curés , pourvu
qu'ils préfentaffent un acte formel de déminion,
ce qui eft reconnoître affez mal-adroitement un
article de la doctrine du clergé , que les décrets
16
( 192 )
du pouvoir civil n'ont pu opérer la démiffion ,
puifqu'on offre d'en payer une volontaire .
» Il ne faut pas croire , a dit M, Voidel .
que l'Affemblée ait voulu faire du ferment une
lei impérative . Elle a donné aux ecclésiastiques
la faculté de refuſer , en donnant leur démiffion .
Celui qui ne prête pas le ferment n'eſt pas rebelle
s'il donne fa démiffion , au contraire , il
obéit à la loi , qui lui a ordonné d'opter . Le
rebelle eft celui qui , malgré fon refus de prêter
le ferment , veut continuer d'exercer fes fonctions
, qui défobéit à la loi , qui diftribue des
mandemens incendiaires , qui féduit les pafteurs «<...
M. Voidel a demandé qu'on adoptat le projet
de décret , où qu'il ne fût ajourné qu'à un terme
très-prochain.
« Vous avez pris l'engagement de traiter les
eccléfiaftiques qui refuſeront le ferment , comme
autant de démiffionnaires , a répondu M. Marzineau
. Exiger une démiffion c'est une injuſtice ,
eft vouloir les fruftrer prefque tous du traitement
qu'on feint de vouloir leur accorder , que
vos décrets leur affurent & qu'on ne peut, conféquemment
leur refufer ». Des murmures du
côté gauche ont averti l'opinant que fon équité
tenoit de l'indifcrétion. Les mots ambigus : qui
feront remplacés , fubftitués à ceux-ci : qui fe démettront
, ont paru fuffire à la politique de M. le
Chapelier. M. Treilhard a délayé les proportions
arithmétiques de M. Prieur , & répété les remplacés
de M. le Chapelier , & la difcuffion a
été fermée .
Après cette étrange délibération , l'Aſſemblée a
décrété que les curés remplacés recevront , dujour
que leurs fucceffeurs entreront en fonction , up
ecours annuel de 500 liv. fi , à raiſon d'autres
( 193 )
bénéfices , ils n'ont pas sco liv . de traitement.
M. Buzot diftinguoit très - pertinemment les
démiffions d'évêques pour infirmités & leurs démiffions
déduites , par un décret , d'un fimple
refus de prêter tel ou tel ferment ; mais il vouloit
qu'on réfléchît fur la queftion de favoir fi ,
dans les deux cas , ils méritoient un traitement
égal . M. Voidel a dit qu'il falloit une loi de
juſtice & non pas de colère ; & fa circonfpection
n'a produit qu'un ajournement indéfini .
L'ordre du jour a amené la difcuffion fur la
hautecour nationale . Toute cette inftitution
conforme au premier plan du comité , a été décrétée
avec une promptitude étonnante. On n'eût
fait que lire les articles & s'affeoir & fe lever
pour les adopter , fi quelques membres ' cuffent
interrompu ce torrent de loix capitales par des
obfervations particulières que nous indiquerons ,
& qui ne les ont que très-peu ou point du tout
modifiées .
M. Matouet a vainement objecté à M. le Chapelier,
rapporteur du comité de conftitution , qu'il
propofoit d'ériger la haute- cour , avant d'avoir
conçu les loix d'après lefquelles ce tribunal devra
juger : « vous dites à tort , pour vous appuyer
d'un exemple , que nous avons organisé le juré,
quoique nous n'ayons pas décrété le code pé-
» nal. Il y avoit un code pénal fubfiſtant ; & il
» n'en exiſte aucun pour les crimes de lèze -na-
» tion dont jugera la haute-cour. Vous inveftiffez
le corps législatif d'un droit d'accufation
» illimité ».
5
Nous ne tranfcrirons pas les raifonnemens de
M. Roberfpierre fur la néceffité d'établir la hautecour
à Paris parce qu'une grande maffe d'opinion
publique est un contre -poids indiſpenſable
( 194 )
ככ
au danger imminent de la corruption » ; raifonnemens
que M. d'André a fi bien rétorqués ,
que le côté gauche a murmuré de lui entendre
dre que , co Topinion publique n'eft trop fouvent
qu'une opinion populaire très - dangereufe
».
JJ
M. de Foucault s'oppofoit à l'article qui flatue ,
qu'il ne fera point tenu régiftre des dépofitions
des témoins entendus à la barre de l'Ailemblée
nationale , accufateur public auprès de la hautecour.
M. le Chapel er a donné pour motif à cet
article , le defir de conferver l'impartialité des
témoins & de leur lailer la faculté de fe rétracter.
a
M. Fréteau penfoit que le prévenu devoit étre
admis à fe juftifier a la barre . Si l'on entend ,
dit M. Garat , l'ainé , PAffemblée jugera , & en
faifant l'office de juré d'accufation , elle ne doit
pas juger. D'ailleurs , ajoutoit M. le Chapelier ,
le fpectacle impofant du corps légift.tif intimideroit
l'innocent . La queftion préalable a fabré
tous les amendemens , excepté celui qui a réduit
à 15 jours le mois que le comité donnoit aux
accufés , pour récufer des juges qui pourroient arriver
de près de deux cens lieues . On ne s'occupera
de la définition du crime de lèze -nation
& du code pénal que lorfque la haute - cour fera
décrétée . Il ne fera décidé fi le Roi peut oti
non fe
porter accufateur , que dans la feconde
partie du travail , en attendant , le corps légiflatif
accufera feul , fon accufation n'aura nul
befoin de fanation & aura l'effet d'un décret de
prife-de- corps , d'une lettre- de- cachet ; les dépofitions
ne feront pas enregistrées , & l'accusé ne
kera point écouté de l'Affemblée accufatrice.
Voici ce terrible décret conftitutionnel.:
( 195 )
ce Art. Ier. La haute-cour nationale fera com--
Fofée d'un haut juré & de quarante grands juges ,
qui dirigeront l'inftruction & qui appliqueront
la loi après la décifion du haut juré fur le
fair.
J
» II. Lors des élections pour le renouvellement
d'une légiflature , les électeurs de chaque département
, après avoir nommé les repréfentans
du corps législatif, éliront au fcrutin individuel &
à la pluralité abfolue des fuffrages , deux citoyens
ayant les qualités néceffaires pour être députés au
corps légiflatif ; lefquels demeureront infcrits fur
le tableau du haut juré pendant tout le cours de
cette légiflature .
III . Chaque nouvelle légiflaturé , après avoir
vérifié les pouvoirs de fes membres- dreffera la
lifte des jurés élus par les départemens du royaume ,
& elle la fera publier .
» IV . La haute-cour nationale connoîtra de
tous les crimes & délits dont le corps législatifjugera
néceffaire de fe rendre l'accufateur . Nulle
autre affaire ne fera portée à la haute- cour nationale..
» V. La haute- cour nationale ne fe formera
que quand le corps légiflatif aura porté un décret
d'accufation .
» VI. Elle ſe réunira à une diftance de quinze
lieues au moins du lieu où la légiflature tiendra
fes féances. Le corps légiflatif indiquera la ville.
ou la haute-cour nationale s'affemblera .
כ כ »VII.Ledécretducorpslégislatifportantaccufation
, n'aura pas befoin d'être fanctionné par
le Roi.
» VIII . Le decret du corps légiflatif portant
accufation , aura l'effet d'une ordormance de prifede-
corps.
( 196 )
IX. Avant de porter le décret d'accufation ,
le corps légiflatif pourra appeller & entendre à fa
barre les témoins qui lui feront indiqués , il ne
fera point tenu d'écritures des dires des témoins
. Mais après que le décret portant accufa
tion aura été rendu , les témoins feront entendus
par les quatre grands juges , & leurs difpofitions
reçues par écrit.
X. Lorfque le corps légiflatif aura décrété
qu'il fe rend accufateur , il fera rédiger l'acte
d'accufation de la manière la plus précife & la plus
claire , & il nommera quatre de ſes membres pour,
fous le titre de grands procurateurs de la Nation ,
faire auprès de la haute cour nationale la pourfuite
de l'accufation .
-
» XI. Les quatre grands juges qui préfideront
à l'inftruction , feront pris parmi les membres du
tribunal de caffation : leurs noms feront tirés au
fort dans la falle où la légiflature tiendra publiquement
les féances ; le Roi fera invité d'y envoyer
deux commiffaires. Le plus ancien d'âge
de ces quatre juges fera préfident.
» XII. Le haut juré convoqué fera de trente
membres , & le juré effectif fera de 24 , dont 6
feront de réferve.
∞ XIII. Les accufés auront quinze jours pour
déclarer leurs récufations.
» XIV. L'accusé ou les accufés auront la faculté
d'exercer fans donner de motifs , le double
de récufations accordées par le décret fur la procédure
par jurés .
30
XV. Auffi- tôt que les récufations auront été
propofées & le haut juré déterminé , les grands
juges feront convoquer les trente membres
dont il fera compofé , lefquels feront tenus de fe
rendre, dans quinze jours après la notification du
( 187 )
» XVI. S'il eft du nombre des douze qui doi→
vent compofer le Juré , il lui fera fignifié que
fon excufe a été jugée non- valable ; qu'il eft fur
le tableau du Juré , & qu'il ait à fe rendre au
jour fixe pour l'affemblée du Juré. Copie de cette
fignification fera laiffée en outre aux officiers
municipaux du lieu de fon domicile , qui feront
tenus d'en donner connoiffance .
» XVII . Tout Juré qui ne fe fera pas rendu
fur la fommation qui lui en aura été faite , fera
condamné en so livres d'amende , & à être privé
du droit d'éligibilité & de fuffrage pendant deux
ans . Sont exceptés de la préfente difpofition , ceux
qui feroient retenus pour caufe de maladic.
→ XVIII. Dans tous les cas , s'il manquoit un
des Jurés au jour indiqué , le directeur du Juré le
fera remplacer par un des citoyens de la ville ,
pris au fort dans la lifte des deux cents , & fubfidiairement
parmi les éligibles ..
Du lundi , 7 février 1791 .
cette
A la fuite de quelques décifions peu intéresfantes
, M. Ræderer a fait une récapitulation générale
de tous les articles décrétés fur l'impôt
du timbre , auquel il a été apporté quelques:
changemens. Un mot Anglois mal traduit avoit
perfuadé qu'en Angleterre les lettres de change
tirées fur l'étranger étoient affujetties à l'impôt ,
ce qui eft exactement le contraire . Or ,
erreur de langue influoit fur une des loix originales
, que le comité avoit données à la France.
M. Martineau a demandé & obtenu que les
lettres - de-change tirées de l'étranger pour repaffer
chcz l'étranger foient en France exemptes de
l'impôt . On a décrété auffi que les négocians qui
ont fait timbrer leurs regiftres de l'ancien timbre,
I 4
( 188 )
pourront le faire contre- timbrer de nouveau en
payant l'excédent du droit actuel fur l'ancien .
Un membre a obfervé , fur les doléances des
parcheminiers , que la confommation du parchemin
fera plus confidérable comme plus libre ,
puifque fans payer autant que ci - devant , on pourra
le faire timbrer à fon gré , au lieu de papier &
pour toutes les expéditions. Le comité de liquidation
a été chargé de s'occuper des indemnités
dues aux notaires de Paris à qui leurs finances
tenoient lieu de l'impôt d'enregistrement . Les
anciens adminiftrateurs des domaines s'étant
plaints d'un décret antérieur , & ayant prétendu
que leurs places étoient inamovibles , & même
héréditaires ; par un article additionnel l'Affemblée
a fupprimé l'ancienne adminiſtration des
domaines , compter du 10 de ce mois , & décrété
que le Roi fera prié de nommer deux
nouveaux commiffaires pour concourir à cette
adminiſtration avec les huit précédemment nommés.
On a repris la difcuffion ou plutôt la lecture
des articles fur les jurés , qui ont été décrétés
par affis & levé prefque fans nulle obfervation ,
tels qu'on les donnera dars huit jours .
TITRE XII.
Des prifons & maifons d'arrêt.
» Art. I. Il y aura auprès de chaque tribunal
de diſtrict une maifon d'arrêt pour y retenir ceux
qui y feront envoyés par un mandat d'officier
de police , & auprès de chaque tribunal criminel
une maifon de juftice pour détenir ceux contre
lefquels il fera intervenu une ordonnance de
( 197 )
1
a
1

I
mandement des grands juges, dans la ville quifera
défignée .
le
» XVI. Les grands juges adrefferont , pour
faire notifier , leur mandement aux procureurs gé.
néraux-fyndics des départemens , où auront été
nommés les hauts jurés convoqués .
» XVII . La forme de convoquer le juré & de
procéder qui eft établie pour les jurés ordinaires ,
fera fuivie pour le haut juré.
» XVIII . Le commiſlaire du Roi auprès du tribunal
du district , dans le territoire duquel la
haute-cour nationale s'affemblera , fera , auprès
d'elle , les fonctions de commiffaire du Roi ; elles
feront les mêmes refpectivement à l'inſtruction &
áu jugement , que celles qu'il exercera auprès du
tribunal criminel ordinaire ».
A la fin de ces articles . M. de Saint - Fargeau a
demandé quelques femaines , au nom du comité ,
pour le code pénal , mis à l'ordre du jour même
par le comité central & par un décret , immédiatement
après la haute - cour nationale. M. de
Noailles a demandé l'organiſation des gardes nationales
. Plufieurs voix ont crié : l'impôt , l'impôt.
M. de Crillon propofoit un travail du coinité
de mendicité , ou les mines & minières .
D'autres crioient le tabac , le tabac . Au milieu
d'un tumulte indicible M. Démcunier
annonçoit un rapport fur les municipalités centrales
..... La féance a été levée .
Du mardi , féance du foir.
Après la lecture d'adrefies flatteufes & d'annonces
de fermens applaudies comme des raretés ,
M. Charles de Lameth a dit qu'il y avoit dans le
corridor de la falle une députation des Quinze-
Vingts qui demandoit à être introduite . Plufieurs
( 198 )
membres ont d'abord préjugé que c'étoit une
nouvelle fcène préparée , lorfqu'elles ont entendu
M.Merle obferver que l'affaire des Quinze- Vingts
avoit déja été préfentée au comité des rapports ,
& que lui - même , rapporteur , & le comité
avoient penfé , après un mur examen , qu'elle
devoit être renvoyée aux tribunaux . A cette objection
M. Charles de Lameth a répondu que , ce
qui s'étoit paffé au comité ne pouvoit nuire au
droit facré de pétition , plus facié encore quand
des infortunés le réclament . Il a donc été décidé
que la députation de ces aveugles feroit admife à
la barre , malgré le décret qui n'y admet que
celles des feuls corps adminiftratifs .
a
On n'en a pas moins entendu auparavant une
déation de la municipalité de Paris . M. Pub
Mulet , fon orateur , à peint , en ftyle civique ,
l'affreufe fituation de la capitale , l'horrible depotifme
qui l'enrichiffoit , la révolution & la liberté
pour lesquelles les Parifiens ont facrifié cet avantage
faux & corrupteur ; & les nombreux créanciers
de la commune qui fe plaignent & touchent
pas un fou. Selon lui , Paris a perdu ce que
les autres Départemens ont gagné ; mais le tréfor
municipal eſt épuifé , la ville doit encore 1,200,000
liv . pour les travaux du Champ- de - Mars à l'occafion
de la fédération ; il refte en outre près
de quatre millions à payer pour les dépentes
de la révolution . Enfin la commune cft
hors d'état de diftribuer 300,000 livres , impatiemment
attendues par les fections pour les
pauvres incapables de travailler. L'oratcar a demandé
que Paris ne payât pas de plus forts droits
fur les confommations que les autres vilks du
royaume ; que la municipalité fût admife à prouver
combien étoient exorbitans & illegitimes les
( 199 )
1
droits qu'elle a payés jufqu'ici ; & un fecours de
fix millions à compte de 15 millions , qu'il a
prétendu être dus par le tréfor public à la commune.
M. l'abbé Mulot n'a pas indiqué les titres
de cette créance.
Pour conclufion d'une réponfé très -pompeuſe ,
le préfident a admis la députation aux honneurs
de la féance .
L'oratour des Quinze - Vingts a dénoncé des
fpoliations imputées à M. le cardinal de Rohan.
dans leur adminiftration , contre lefquelles le
parlement avoit fait ,de vigoureufes réclamations,
mais que des arrêts du confeil avoient perpétuées ..
Le préfident a débité de la réthorique fur l'infirmité
des plaignans , leur a dit que les bienfaits
du defpotiline n'ont jamais été foutenus 22
éclairés , & qu'un aveugle fans guide devroit,
être un fpectacle inconnu parmi des nations policées.
Entendez la loi ; & file fpectacle de
fa création vous cft ravi , dites aux infortunés.
qui vous ont députés , que leurs plaintes ont pé
nétré jufqu'à nous ».....
L'Affembléc a renvoyé,
la petition des Quinze - Vingts , non aux tribunaux
où elle alloit de droit ; mais , pour caufe ,,
au comité des rapports .
M. de Bouthillier a annoncé un rapport &
un projet de décret fur l'engagement ou le dégagement
militaire. M. Lanjuinais a dit que ce
rapport fur le recrutement refpiroit un air qui
n'étoit pas celui de la liberté , & que le ftyle en
feroit effrayant pour la nation ; il demandoit
l'ajournement ; mais M. Alexandre de Lameth a
raffuré l'auditoire. « Puifque j'ai la parole , a -t - il
ajouté , je profiterai , Meffieurs , de cette occafon
pour vous annoncer que j'espère que le zèle
foutenu des membres du comité militaire , mer
"
( 200 )
tra les travaux qu'il lui refte à faire à même de
vous être bientôt foumis , & que dans un mois
ou fix femaines , il pourra vous demander luimême
fa deftruction > & apprendre à la nation
entière que le moment approche où l'Aſſemblée
nationale verra fe terminer fes immenfes travaux
. Je demande que le rapport du comité ſoit
mis le premier à l'ordre du jour » .
On a décrété un titre & demi de ce rapport ,
dont l'article généralement utile à connoître ,
ftatue ce qui fuit :
TITRE II.
» Art . I. Dans toutes les troupes on n'engagera
à l'avenir de recrues que depuis l'âge de
dix-huit ans accomplis , jufqu'à celui de quarante
ans en temps de paix , & juſqu'à quarante- cinq
ans en temps de guerre , pourvu toutefois que
ceux qui auront ce dernier âge ayent précédemment
fervi , & qu'ils foient encore en état de
remplir la durée entière d'un engagement. Ceux
qui s'engageront avant l'age de dix - huit ans , ne
pourront , malgré les difpofitions de l'article cideffus
, le faire que du confentement de leurs
pères , mères ou tuteurs , s'ils en ont : fans ce
confentement l'engagement fera nul ; à dix- huit
ans ils le pourront fans aucune intervention de
famille , & ils ne feront plus admis à aucune
réclamation . Les préfentes difpofitions n'auront
point d'effet rétroactif pour les Soldats déjà engagés
dans l'Armée .
Du mercrede 9 février.
Le préfident a fait lecture d'une lettre du 3
juiller 1790 , miraculeufement échappée du naufrage
du vaiffeau l'Amphy: rite , & adreffée à M. le pré(
201 )
0
fident de l'Affemblée nationale de l'empire François
par les gardes nationales de l'Ile de France. Cette
dépêche, qu'une faveur célefteà ſauvée des gouffres
de l'Océan , où le vaiffeau & ce qu'il portoit font
reftés enfevelis , femble avoir été dictée par quelque
journaliſte de Paris . C'eſt le defpotifme affreux,
le meilleur des Rois , une jufte vengeance , la
cocarde patriotique qui forme à l'inftant un peuple
de frères & de héros de la liberté. Ce font là
bas comme ici , des moteurs criminels , des complots
pervers , des confpirations dévoilées tous
les matins , une joie impie , de coupables fuccès
d'aristocrates qui n'aboutiffent à rien , des intentions
, un coupable filence , qui cachent des noirceurs
infernales ; heureusement l'illufion eft de
courte durée , les citoyens reviennent de leur
erreur , la confternation rentre dans l'ame des
defpotes ; les foldats font des citoyens , le courage
des gardes nationales diffipe les complots , le
décret du 8 mars met le comble au bonheur , &
ce qui n'a pas eu lieu chez nous , la régénération
n'eft fouillée d'aucune effufion de fang.
"
M. Merlin a fait décréter fix nouveaux articles
faifant fuite aux décrets fur les droits féodaux .
Ces derniers concernent le droit de troupeau à
-part , en ordonnent l'abolition , fi ce droit n'a
pas eu pour caufe une conceffion de fonds en
propriété ou à titre d'afage , ou une remiſe de
droits déclarés rachetables , & enjoignent aux
fermiers dudit droit aboli de ne payer qu'aux municipalités
, les portions de leurs fermages échues
depuis la publication du décret du 9 mai 1790 .
Sur la propofition de M. Rabaud de Saint-
Etienne , l'Affemblée adopte de veritables errata ,
qui feront fanctionnés pour rectifier le décret fur
la gendarmerie nationale , titre VI , article I.
( 202 )
Après ces mots : Celle de la connétable , il fera
ajouté : Et celles des voyages & chaffes du Roi.
Après ces mots : Sont également fupprimés , il
faus ajouter ces mots- ci : Et elles continueront
à faire partie de la geddarmeria nationale , dans
Laquelle elles restent & demeurent incorporées
pour les officiers , fous - officiers & cavaliers étre
placés chacun dans fon grade & fon rang . Titre
Jer , article VII , après ces mots : Sera portéjuf
qu'au nombre de..... il fera ajouté ceux - ci :
3455 hommes , y compris les compagnies de la
ci- devant robe- courte.
Conformément aux conclufions d'un rapport
qu'a fait M. Delatre , au nom des comités de
marine & de commerce , des inquiét : des qu'une
fociété de naturaliftes a répandues , en préfentant
le retour de M. de la Peyroufe comme retardé
par une force majeure , l'Affemblée a décrété
de prier le roi d'ordonner un armement qui aille
à la recherche de ce navigateur , en faifant de
nouvelles découvertes.
De jeudi 10 février.
Les vainqueurs de la baftille affiègent le comité
des penfions pour en obtenir quelques marques
d'honneur. On n'a pas d'idée de la continuité de
leurs follicitations , a dit M. Camus , qui vouloit
qu'on chargeât le comité de conftitution de faire
un rapport à ce sujet , ou que du moins la décifion
négative fùt confignée dans le procès verbal .
M. Regnault de Saint-Jean d'Angély a répondu
que , fi ces vainqueuas oublioient que leurs députés
ont fait à la barre , une folemnelle abdication des
honneurs qui leur avoient été déférés , l'Affemblée
fe fouvenoit de cette démarche généreuse , &
1203
ne devoit pas la démentir par fon procès - verbal ;
fur fa motion on eft paffé à l'ordre du jour .
Quoique n'ayant pas du temps de reſte à donner à
la conftitution & à des loix générales , l'Affemblée
s'eft occupée des héritiers de Jean Thiéry . Il laiffa ,
dit - on , à Venife une fucceffion qui s'élevoit
en 1676 , à vingt- cinq ou trente millions , capital
parfaitement bien connu de M. Régnier , le rapporteur
ce qui , avec les intérêts feroit aujourd'hui
plus de 160 à 170 millions , fans avoir
égard à la différence confidérable de la divifion
du nfarc , qui porteroit la fomme à près de
400 millions. Mais Jean Thiéry a laiffé deux
mille fucceffeurs , fans compter l'ariftocratie de
Venile , qui retient les fonds & les intérêts peutêtre
par droit d'aubaine. En 1782 , une commiffion
établie par arrêt du confeil pour juger
cette affaire , débouta les prétendans , qui fe font
adreffés au comité des rapports , comptant fur
l'équité , la puiflance & les loisirs de l'Affemblée.
Il eft plus évident que l'importation de ces millions
conviendroit à la France , fur-tout en numéraire
, qu'il ne l'eft que la demande foit fondée
en juftice ou même en politique . On n'a pas moins
décrété le renvoi de l'inftance pendante devant
ladite commiffion , au premier tribunal de Paris ,
où il fera procédé & itatué fur les droits des parties
, fauf l'appel ; & que le Roi prendra les mesures,
convenables pour procurer l'entière exécution des
jugemens qui interviendront .
On a décrété , fur le rapport de M. Vieillard ,
organe du comité de judicature , que les oppofitions
faites fur les biens propres des titulaires
nom des créanciers des compagnies , font
nulles ; que
les oppofans feront tenus d'en donner
main-levée dans le mois qui court , & d'en opérer
au
( 204 )
la radiation à leurs frais , fous peine de payer des
dommages & intérêts fixés à pour cent du prix
des offices , & plus fuivant les pertes prouvées .
Un autre décret , rendu à la réquisition de
M. Lanjuinais , a ftatué que les immeubles
réels des fondations de meffes & d'autres fervices
établis dans les églifes paroiffiales ou fuccurſales
, ſeront vendus comme biens nationaux
& qu'il fera payé aux piêtres deffervans
l'intérêt à 4 pour cent de la vente de ces
biens ; que les ventes déjà faites font validées à
la même charge. « Ce n'eft pas affez , a dit M.
» Fermont , de vendre les biens des fondations
» régies par les fabriques , il faut que tous les
immeubles dépendans des fabriques foient ven-
» dus , puifque la nation poufvoit déformais au
culte public . Le comité eccléfiaftique a été
chargé de difpofer fes batteries pour affurer promptement
à la nation cette nouvelle conquête.
ל כ
L'ordre du jour appelloit un rapport quelcon
que fur les befoins de l'année courante ; mais
M. de Montefquiou en a follicité l'ajournement
jufqu'après la diftribution de tableaux qui s'impriment.
M. Vernier défiroit qu'on fixat fur -lechamp
le taux des impofitions pour l'année 1791 ,
quoiqu'on n'ait encore que de vagues apperçus
de plufieurs dépenfes . « Si vous attendez , difoitil
, que vous foyez en état de fixer précisément
le montant de vos befoins , vous attendrez julqu'à
la fin de votre conftitution . N'avez -vous pas
la caiffe de l'extraordinaire qui vous met à l'abri
des inconvéniens ? Si la fomme que vous décréterez
eft trop foible , on y puifera ; fi elle eft
trop forte , on y verfera des fonds » . En vain
M. de Cazales , après avoir demandé que les
comités militaire & de la marine préfentaffent
l'état
( 205 )
l'état des dépenses de leurs départemens , s'eft
récrié fur l'étrange propofition de décréter les
impôts avant de favoir combien il en faut , for
l'art d'atténuer les befoins pour amener un déficit
qui détruira les reffources , fur la facilité de puifer
dans la caiffe de l'extraordinaire , & fur ces terreurs
de la vérité , fur cette lâche & coupable
complaifance pour un peuple qu'on abute , par
lefquelles on mange fes capitaux fans établir fes
revenus on creufe un précipice fous des efpérances
illufoires , & l'on y accumule ane dette
de milliards.. M. de la Rochefoucault a répondu
pofément que le temps étoit venu de fixer les
contributions , que le comité étoit de l'avis de
M. Vernier , que dans la crife actuelle il vaadroit
mieux , s'il y avoit de l'incertitude , refter un
peu au- deffous que de s'élever au - deffus . Et
Topinion de M. de Montefquiou eft devenue
un décret .
>
' cc
M. Dupont a fait un rapport fur les taxes à
l'entrée des villes , dont l'allégement ajoutera
encore à l'impôt direct , ce fléau des champs &
du pauvre ; cette panacée des économistes , ce
privilège odieux des gens à porte- feuille . Selon
le raporteur , le royaume payoit , par ces taxes ,
46 millions au gouvernement , & Paris 28 millions.
Le comité réduit les 46 millions à 24 , &
les 28 millions de Paris à 10 millions . Ce fera
donc 22 millions ( de 46 à 24 ) qu'il faudra remplacer.
M. Dupont a rangé les villes fous huit
claffes , d'après leur population évaluée uniformément
fur le pied de 30 fois le nombre des naiffances.
La taxe , à Paris , fera de 18 livres par
tête , au lieu de 40 livres 10 fous . Celles des
villes des claffes inférieures , feront de 12 , 10 ,
No. 8. 19 Février 1791 . K
( 206 )
8 , 6 , 4 , 2 liv. , & pour les dernières de io fous
par tête , chaque année. Les villes de moins de
2500 ames ne payeront aucune taxe . Les dépenfes
municipales s'impeferont en fous par livre
additionnels , & la contribution ' foncière & mobiliaire
compenfera les trop- perçus & les déficit
des taxes . La nation indemnifera les villes engagiftes
ou conceffionnaires d'octrois fupprimés .
Les débats éclairciront le refte.
M. Victor de Broglie a informé TAffemblée
que les commmiffaires envoyés dans les départemens
du Haut & Bas - Rhin , pour y procurer ,
par la perfuafion & tous les autres pouvoirs
l'obéiffance aux nouvelles loix , y ont éprouvé de
grandes difficultés , qu'on les y a infultés , menacés
, que la garde nationale les a préfervés de
violences perfonnelles ; que les corps admifiratifs
& particulièrement le directoire du départemeat
du Haut - Rhin oppofent une réfiftance
inattendue aux ordres intinés par les commillaites
de la nation . Il a requis la réunion des comités
des rapports , militaire , de conftitution , diplomitique
& des recherches , pour battre ces obftacles.
L'Affemblée a décrété la motion de M:
Victor de Broglie , & a levé la féance .
Da jeudi , féance du fuir.
Ceux qui favent que des envoyés extraordi
naires de tous les peuples de l'univers font venus
un jour offrir les hommages au corps
conflituant , ne révoqueiont pas ch dourg la
réalité de la milion des Quakers François , qui
fe font préfentés ce foir a la baire. Is put rupulcufement
obftivé qu'ils devoient demeurer
( 207 )
couverts , & leur orateur a dit qu'une partie de
leurs frères demeure en Languedoc , que plufieurs
autres ont quitté l'Amérique pour venir à Dunkerque
s'occuper de la pêche fous la protection
de l'ancien régime , dont le defpotifme peuploit
ainfi le pays de citoyens utiles .
tion :
Le préfident dans fa réponſe a d'abord fait efpérer
que la France régénérée deviendroit ane
heureufe Penfylvante, Puis il a dit à la députa-
« comme fyftême philantropique , vos
principes obtiendront notre admiration....... Si
nous les confidérons comme des opinions , leur
examen ne nous regarde plus. Comme principes
religieux , votre doctrine ne fera pas l'objet de
nos délibérations . Les rapports de chaque homme
avec l'être d'en haut font indépendans de toute
inftitution politique . Entre Dieu & le coeur ,
quel gouvernement oferoit être l'intermédiaire ?
Comme maximes fociales , vos réclamations doi
vent être foumifes à la difcuffion du corps lé
giflatif. Il examinera fi la forme que vous ob
fervez donne à la filiation de l'espèce humaine
Fauthenticité que la propriété & les bonnes
moeurs rendent indifpenfable .......... › Eſtimables
citoyens , vous l'avez prêté ce ferment civique ,
qui eft bien plus une jouiflance qu'un devoir.
Vous n'avez pas pris Dieu à témoin ; mais une
confcience pure n'eft -elle pas un ciel fans nuage ,
´un rayon de la divinité ?
M. de Mirabeau cède l'honneur de préfider
à M. Emmery , ex-préfident ; mais celui- ci ayant
voulu opiner dans la difcuffion qui s'eft ouverte
fur le recrutement , M. Arthur Dillon l'a prié
de quitter le fauteuil comme opinant . M. Merlin
a pris le fauteuil , & M.. Emmery s'élançant à la
K 2
( 208 )
tribune
Suiffes.
, y a déclaré qu'il ne vouloit que des
Pour mettre tout d'accord , & facrifiant les mots
aux idées , M. de Bouthillier propofoit l'expédient
affez commun aujourd'hui du mot ci - devant.
Un décret d'ajournement a terminé la féance .
Du vendredi 11 février.
Sur le rapport de M. de Curt , au nom du comité
de marine , l'affemblée a décrété qu'il fera fait un
fonds de 8,991,238 1. pour les frais de l'expédition
ordonnée Pour les ifles du Vent , dont 100,800 1.
pour le traitement annuel des commiffaires & du
fecrétaire de la commiffion , leur paflage payé
d'ailleurs ; 2,368,850 liv . payables fans délai ,
6,662,408 liv . , à raiſon d'un douzième par
mois , à compter du premier janvier dernier."
M. le Chapelier portoit le traitement des membres
du tribunal de caflation & du commiffaire
du roi à dix mille livres . L'Affemblée a décrété
8,000 liv . pour les juges & pour le commiffaire ,
moitié fixe , moitié en droit de préfence , & le
tiers pour le greffier , avec les droits d'expédition
qu'une loi déterminera. Ces juges , ainfi que ceux
de diſtrict , auront pour coftume un habit noir ,
un manteau court , & au bout d'une écharpe aux
trois couleurs dites nationales , une médaille dorée
où le liront ces monofyllabes : la loi . Un député
journaliste a trouvé que ce coftume annonceroit
la fainteté des fonctions des juges . Le commiffaire
du roi aura de plus un chapeau relevé , gance
& bouton d'or. Nous tranfcrirons la femaine prochaine
les autres articles décrétés , avec ceux
dont la rédaction définitive a été renvoyée au
comité de conftitution .
( 209 )
1
0
[
On a repris la difcuffion fur les taxes des entrées
dans les villes , & M Aubry du Bouchet
a combattu le fyftême de M. du Pont , en avan--
çant que les contributions foncière & mobiliaire ,
les traites , le timbre , l'enregistrement & la
vente des domaines nationaux fuffiront fubvenir
aux befoins de l'état , & il a propofé une
régie chargée de répartir proportionnellement
l'impôt entre les départemens , les diftricts , les
municipalités . L'impreffion développera le refte .
pour
Un fecrétaire a proclamé la nomination d'un
M. Deville , curé de Saint -Paul , à l'évêché du
département des Pyrénées orientales . Enfuite ,
M. Muguet de Nanthou a fait , au nom des
comités réunis , le rapport le plus mefuré qu'il
lui eft poffible , des obftacles qu'éprouvent les
commiffaires envoyés par l'Affemblée dans les
départemens du Haut & du Bas - Rhin . A l'en
croire fur parole , ces commiffaires ont été précédés
de calomnies répandues avec le plus grand
foin. Tous les corps de Strasbourg leur ont
donné des témoignages de refpect , excepté le
département du Bas -Rhin , L'une des caufes des
inquiétudes de l'Alface , a dit le rapporteur ,
étoit les affemblées qui fe tenoient à Strasbourg ,
de quinze cents à deux mille particuliers , fous
le nom de citoyens catholiques , apoftoliques &
romains , autrement , de l'union .
Les commiffaires s'étant rendus au département
pour y faire vérifier leurs pouvoirs , les adminiftrateurs
leur ont préfenté une pétition de cette
affemblée , « dans laquelle ils réclament tous leurs
5 prétendus droits , c'eſt- à- dire , le renverfement
» de tous les décrets de l'Affemblée nationale «.
ל כ
Le département du Bas-Rhin dénonce les com
*
K 3
( 210 )
miffaires au miniftre de la guerre , & fe plaine
de ce qu'ils veulent correfpondre directement avec
les diftricts & les municipalités , procédé qui détruit
la hiérarchie conftitutionnelle des pouvoirs.
:
A Colmar , les municipaux invitent les gardes
nationales à donner une garde d'honneur aux
aituteurs refponfables , fuivant la définition de
M. Muguet. Le commandant fait refufer cette
garde quelques citoyens s'offrent à la former.
Quelle et la furprife des dictateurs d'aniver au
milieu d'une ville, immerfe qui crie : Vive M. le
comte d'Aracis ! vive le roi ! les commiffaires
à la lanterne ! M. le rapporteur n'a pu diffimuler
ces avanies . Ils déclarent qu'ils n'ont pas
befoin de garde entourés de concitoyens ; mais
un fieur Stokmeyer , à la tête « d'un certain
nombre de citoyens dévoués » écarte la foule ,
bicfle quelques individus , entre autres , M. Ma- •
lzi , chevalier de Saint -Louis & beau- frère du
procureur général - fyndic du département ; le
commandant de la garde nationale refufe le fecous
requis , en donuant la démiffion ; & comire
fila nation aristocrate de Colmar ſe piquoit
d'être moins fanguinaire & foumife aux loix que
la nation démocrate du Quercy , &c. & c . Tout
o refta là , & la nuit fut affez paiſible.
Le lendemain , on fut qu'on argumentoit au
collège fur le ferment des prètres . Les commiflaires
y volent , argumentent , convertiffent huit profeficurs
qui jurent , & les écoliers font enchantés
du décret. M. Muguet allure que « les commiffaires
ont laiffé Colmar tout - à- fait tranquille ,
& font partis au milieu des acclamations du
peuple , qui a reconnu fon erreur » ; mais le
directoire du Bas - Rhin les chicane toujours far
و د
( 211 )
сс
leur miffion dictatoriale . Ils fe plaignent fur- tout
d'une compagnie de chaffeurs de Colmar , « qui
porte l'uniforme de M. d'Artois , & la cocarde
» blanche » .
Par un décret rendu fur ce rapport , comme
fur requête , fans nulle preuve contradictoire
Taflemblée approuve la conduite des commiffaires
qu'elle appelle commiffaires du Roi , quoiqu'on
les ait conftitutionnellement définis commiffaires
de la nation , décrétés par le corps législatif &
nommés par le Roi ; les autorife à concípondre
fans intermédiaire avec tout corps & tout officier
public ,. fufpend provifoirement les adminif
trateurs du département du Bas - Rhin , excepté
l'un d'entre eux ; charge les commifiaires de
les remplacer , en choififfant des membres du
département & des diftricts du Haut - Rhin , ce
qui fubftitue un choix arbitraire aux éius des adminiftrés
; ordonne l'élection de deux évèques -
pour les deux départemens ; 'approuve tous ceux
qui ont refpecté les commilaires ; décerne une
lettre de fatisfaction au ficur Stokmeyer , & charge
le miniftre de la juftice de rendre compte d'un
jour à l'autre au corps légiflatif, de toute procédure
commencée relativement à ces troubles .
Du famedi , 12 février.
Au nom du comité des finances , après un rapport
fur la contribution patriotique d'abord libre
& depuis forcée , M. le Couteulx a lu un projet
de décret par lequel celle des eccléfiaftiques , ci- -
devant bénéficiers , devoit fe proportionner au
traitement établi pour eux , le 1. janvier 1791 ,
& le trop-payé déduit des derniers payemens.
M. Martineau , M. Regnault de Saint - Jean-
K 4
( 212 )
d'Angely & M. l'abbé Gouttes ont objecté que la
loi étoit générale , qu'elle avoit demandé le quart
du revenu réellement touché ; que toutes les
claffes de citoyens fupportoient des pertes & qu'on
ne leur en tenoit aucun compte. M. l'abbé Gouttes
s'eft écrié qu'il ne falloit pas anéantir la libéralité
des donateurs . Combien de formes spécieufement
jultes & honnêtes , peut prendre une froide
inhumanité ! De toute patt , la queftion préalable
, fondant fur le projet de décret de M. le
Couteulx , l'a fait impitoyablement rejéter .
Après le décret de la veille , relatif aux troubles
d'Alface , cent voix avoient demandé & obrenu
que la queftion du tabak fut mife , contre
tout ordre , à l'ordre d'aujourd'hui . Ces voix
avoient en cela fuivi l'impulfion que venoient de
donner aux efprits les réticences de M. Muguet
au fujet de l'effet qu'on pouvoit efpérer ou craindre
d'un décret fur le tabac , au milieu des troubles
de l'Alface . Un extrait ne fauroit tout
rendre .
Dans ces conjonctures , M. de Deley d'Agier ,
à qui deux épreuves ont enfin accordé la parole ,
a très - énergiquement représenté ce qu'une décifica
fur cette matière lui paroifoit avoir d'ef
fravant. Prématurée , fi elle eft favorable à la prohibition
, honteufe , fi elle repouffe le régime prohibitif
, el'e peut , difcit-il , compromettre la majetté
du corps législatif.... Des murmures affreux ,
& les cris : à l'ordre , à l'ordre dujour , partis du
coté gauche , ort couvert la voix de l'opinant .
« J'obferve à l'Affemblée , a dit le préfident avec
» un ris fardonien , que fa majefté pourroit plu-
» tôt être troublée par les murmures , que par
» la difcution fur le tabac » .
( 213
Reprenant fon difcours , M. de Deley d'Agier
a rappellé ces engagemens dictés par la fageffe au
corps légiflatif, de fang-froid. « Nous devons
encore attendre ce plan général , a- t- il dit en
» ſubſtance . Rien ne périclite . Malgré l'entiere
» liberté toléréé , le tabac continue d'alimenter le
» tréfor public plus fructueufement que tous les
» autres impôts . La prudence , votre gloire , le
" falut de la conftitution qui en eft inféparable ,
» vous preſcrivent impérieufement une fage reɔɔ
tenue » .
» li ne s'agit pas , a répondu M. de Broglie ,
de conferver un privilège à une province , mais
de le réclamer pour tout le royaume . Le préopinant
ne s'eft pas apperçu qu'il manquoit dé confidération
pour l'Affemblée, en foupçonnant que
fes décrets pouvoient être influencés par les circonftances.
Je foutiens moi , & je ne crains pas
d'être défavoué , que l'Affemblée fera toujours
libre , & qu'elle ne prononcera jamais que d'après
la juftice & la raifon.
55
La queftion du tabac eft relative à l'univerfalité
de la France , a dit M. Rædercr. Fût- elle.
tout entière en révolte , votre comité des contributions
n'en changeroit pas pour cela d'opinion .
Aucune confidération particulière ne doit vous déterminer.
Le comité ne vous dira pas un mot
pour les intérêts de l'Alface ; il ne veut vous convaincre
que par l'effet des principes & non par la
peur ».
Ces grands principes de M. Raderer ont con
fifté dans une répétition de lieux communs en faveur
de la liberté indéfinie de la culture & de la
vente. Il eft paffablement curieux d'entendre un
membre du corps légiflatif, s'exprimer comme l'a
KS
( 214 )
?
¿
fait M. Roederer en parlant des vifites domiciliaires
: Nul-ne les fouffriroit aujourd'hui , a -t- il
afarme , quand même une loi les ordonneroit ;
car cette loi feroit coupable & non la résistance».
On a déciété que le difcours feroit imprimé ;
c'étoit en ajourner la difcuffion . Douze perfonnes
avoient demandé la parole , & l'on a prononcé
fur le fond de la queftion fans vouloir entendre
ou fans pouvoir écouter qui que ce foit.
M.de Deley d'Agier a pris l'Aflemblée de délibérer
fur les quatre derniers articles , du comité
avant de décréter le premier . Deux épicuves ont
paru douteufes ; on a procédé à l'appel nominal
fur cette queftion : difcutera- t -on le premier article
avant les derniers ? Une majorité de 372 voix
contre 464 a décidé pour l'affirmative , & puifant
dans les droits de l'homme la liberté d'avoir 30
millions de moins de revenu public & celle de
fubftituer le tabac à nos moiffons & à nos vignes ,
en a décrété l'article premier en ces termes :
сс
ce Art. I. A compter de la promulgation du
préfent décict, il fera libre à toute perfonne de
caltiver , fabriquer & débiter du tabac dans le
royaume »
Du dimanche 13 février.
Un décret qui ordonne le paiement des gages
arriérés dfis aux anciens officiers municipaux fupprimés
. Un autre décret qui fait rendre gorge au
diftlict de Baftia en Corte , fequel s'eft emparé
du collège de cette ville ; un troifieme Atatut qui
*renvoie l'exécution des décrets relatifs à la gendarmerie
nationale , jufqu'après les divifions à
fire par départemens , ont précédé l'annonce de
Ja nomination de nouveaux évèques à Angers , à
St. Claude , & au département de l'Indre. Encore
( 215 )
C
un ciré , député à l'Affemblée nationale , &
diffident de la majorité de fes collègues , dont le
patriotifme défintéreffé lui rapporte an ban
Evêché. Ce curé eft M. Guil ot ; l'évêché eft
celui de St. Claude dans le Jura.
L'Affemblée étant revenue à la difcuffion finale
fur le tabac ; le cornité a propoféde taxer 25 1. par
quintal , fur le tabac étranger en feuilles . M.
Péthion a folliaté une réduction du droit à
12 livres pour le tabae venant d'Amérique , &
M. Malouet a repréfenté , dans le même But
les confidérations politiques qui nous lient à
l'Amérique ; il a adopté la réduction à 12 lv. ,
& opiné à affranchir le tabac Américain qui feroit
apporté par les vaiffeaux François.
,
MM. Charles Lameth & de Noailles ont
combattu cet avis de MM. Makouet & Pétion .
Ils ont fait paffer l'article du comité , conçu en
ces termes :
II. L'importation du tabac étranger fabriqué ,
continuera à être prohibée .
III. Il fera libre d'importer par les ports qui
feront défignés , du tabac étranger en feuilles ,
moyennant une taxe de 25 liv . par quintal .
Tous navires François qui importeront directement
du tabe de l'Amérique , ne feront
aftreints qu'aux trois quarts de ce droit ».
La féance a été levée .
L'opinion de M. de Cazales fur les conditions
qui doivent rendre un Citoyen éligi-
K 6
( 216 )
gible aux fonctions de Juré , a été abfolument
défigurée dans tous les journaux : fon
importance nous a engagés à la receuillir
exactement , telle qu'on vient de la lire . Si
quelque chofe prouve l'étourdiffement
univerfel des efprits , & le défaut de réflexion
qui nous a fait admettre ou rejetter
les bafes effentielles de la liberté politique
c'eft l'efpèce d'indifférence , c'eft la précipitation,
avec laquelle de toutes parts on
a adopté ce mode de Jury ; c'eft encore
la profonde incurie qui a accompagné la
difcuffion , l'établiflement du Tribunal
effrayant qu'on vient de conftituer fous le
titre de Haute Cour Nationale . On a décrété
en deux heures fon exiftence & fa compcfition.
Pas le moindre examen des principes
de cette inftitution ; aucun débat : tous les
partis fe font rangés filencieufement à
l'avis du Comité ; perfonne n'a paru foupçonner
qu'il fut même fufceptible de contradiction.
Cependant , M. Bergaffe avoit
préfenté fur cette matière , d'une gravité fi
menaçante , des confidérations férieufes.
Le lecteur en retrouvera l'extrait , accompagné
de nos propies réflexions dans le
45 n° de ce journal , 6 novembre 1790. »
» Si ce Tribunal , difions nous en con-
» cluant , n'eft pas de force égale à l'Accu-
» fateur , & indépendant de fon influence ,
>> fi par la nature même de fon inftitution ,
217 )
» il ne peut aufli lui-même commander à
» l'opinion , comptez d'avance les préva-
>> rications que lui dicteront la lâcheté &
» l'intérêt affurez-vous que to ut innocent
» pourſuivi par une faction de minantė , au
» nom de l'Affemblée nationale , portera
» fa tête fur l'échaffaud . »
:
Le moindre incident public , la queſtion
de circonftance la plus futile , entraîne
parmi nous des volumes de difcours &
d'imprimés. Eh bien ! On vient d'ériger
une de ces Cours de juftice , fous lef
quelles la liberté gémit & fuccomba dans
tous les Etats où fon organiſation ne lui
affuroit pas une parfaite indépendance
& dans la France entière , dans la France
régénérée par les lumières , il ne s'eft
trouvé que deux hommes dont l'attention
ait inutilement cherché à fixer fur
cet objet celle des Citoyens.
?
Le voyage de Mefdames , Tantes du
Roi , eft devenu une affaire publique ,
de
la dernière gravité. Le voeu du Roi , celui
de fes parentes , l'autorité facrée de la Loi ,
celle encore plus facrée de la liberté naturelle
, ont fléchi devant la raifon des Convenances.
Les fections ont délibéré , & tranché
la queſtion. Pour donner plus de force
a leurs Arrêtés , faniedi dernier , des
femmes du Peuple , que les Journaux appellent
les Dames de la Nation , furent déci(
218 )
dées par les motionnaires en plein air &
par les infligateurs plus difcrcts , à fe tranfporter
le lendemain à Bellevue , pour y
enlever Meflames de leur demeure & les
conduire à Paris. Cette répétition des hauts
faits du 6 octobre fut prévenue par l'aver
tiffement envoyé aux Tantes de S. M., Elles
vinrent coucher à Paris , & y font encore ,
toujours réfolues à ufer de leur droit de
Citoyennes & de leur faculté, loco - motive.
La Municipalité jaloufe de ne pas fe compromettre
, avoit imaginé un biais ailez
curieux elle arréta de refufer des pafleports
, parce que Meflames , connues de
tout le royaume , n'avoient pas befoin de
ce certificat , & que le corps municipal
n'a pas la puiflance de permettre ou de
défendre un voyage quelconque , fans y
être autorifé par la loi . Le confeil géne
ral de la coninune ratifia cette décifion ;
mais elle a été bientôt infuflifante. Trentedeux
fections , armées de leurs décrets ,
ont apporté lundi 15 , à la Maifon Conmune
, une pétition à l'Aflemblée nationale
contre le départ de Mefdames , &
Fabfence des Princes du fang. A l'instant ,
le confeil généra! a envoyé cette pétition
à l'Affemblée nationale , qui l'a renvoyée
à fes Commiffaires conftitutionnels , en
ordonnant qu'elle fut imprimée.
Toutes ces démarches ont été précé(
219 )
dées des plus grandes opérations dans les
clubs patriotiques des Jacobins , de Sève ,
de Verfailles ; ils ont annoncé par leurs
journaux , que leur volonté étoit que Mefdames
- ne fortiffent point de Paris , &
qu'ils frappoient le voyage de ces princeffes
du fceau de l'impoffibilité. On nous
a certifié , que dans le club de Verfailles ,
un officier municipal dont nous tairons
le nom , avoit fait la motion expreffe ,
de faire paffer aux Jacobins , une adreffe
à l'Affemblée nationale , dans laquelle on
réclameroit les diamans du Roi & ceux
de la Familie Royale , comme appartenans
à la couronne. Ces différentes idées nous
paroiflent placer la Monarchie Françoiſe ,
précifément au point où étoit celle de Suède
en 1756...
Il femble que , lorfqu'on follicite la
violation d'une loi auffi fondamentale que
celle des droits de l'homme , on føit difpenfé
de s'étendre en raifonnemens. Cependant
, plufieurs fections , entr'autres
celle de la Bibliothèque du Roi , fe font
érertuées à démontrer la légitinuité de l'arreftation
de Mefdames. On les confidère
aujourd'hui par les circonftances , comme
Princeffes du fang, après leur avoir formellement
ôté ce titre, & avoir déclaré l'égalité
abfolue de tous les êtres vivans dans les
83 départemens , à l'exception du Roi . Les
Si memb loaƆ torch no oral

(( 220 )
Princes du fang ne font donc plus , aux yeux
de la loi , que de fimples & très-fimples
citoyens. Par quel preftige ceux qui ont
porté la loi , en requièrent-ils l'interverfion ?
Ou la Famille Royale eft une Famille privée
dans l'Etat , & toute atteinte à leur liberté
légitime , eft une Acte d'oppreffion
qui peut frapper chaque Citoyen . Ou la
Famille Royale a un rang dans l'Etat , &
en cette qualité , la Loi aura déterminé ſes
diftinctions , fes droits , & fes devoirs.
Cette Loi n'exifte , ni ne peut exifter fans
choquer les principes même de la Conftitution
; d'où il refulte qu'à l'exemple de
l'ancien Gouvernement & de tous les Gouvernemens
abfolus , on voudroit introduire
fur les ruines de la Baftille , les Décrets
de circonftance , & l'arbitraire des
à propos. L'intérêt de Mefdames n'eft que
fecondaire dans cette difcuffion . Prenez-y
garde , Efprits foibles pour qui le lait de la
liberté eft uine liqueur enivrante : Jam prox
mus ardet Ucalegon. Si la loi ne peut prctéger
même les Tantes du Roi , lequel de
nous ofera dormir tranquille ?
L'héritier du Trône en Angleterre ne
peut quitter le Royaume : cette loi eft fage;
elle doit être imitée dans toute Monarchie
conftitutionnelle ; mais en Angleterre , les
autres perfonnes qui appartiennent au fang
Royal , n'ont befoin pour voyager que de
l'autorisation de leur Chef domeſtique , du
( 221 )
le
Monarque. Cependant , chaque Membre
de la Famille Royale reçoit un traitement
particulier de la Nation.
Nous avics prévu que la preftation
du ferment eccléfiaftique rencontreroit de
vives oppofitions dans les provinces Méridionales.
Un très - petit nombre de fonctionnaires
publics a adhéré à ce formulaire
dans la Guyenne. On n'en nomme
que 25 fur 400 dans le diocèfe de Bordeaux.
En Languedoc la proportion des
fermentaires eft d'environ d'un fur dix. Il
ne s'en eft trouvé aucun à Alais ; le
feul Aumônier de la garde nationale a
juré à Nîmes , & il a eu dans le diocèfe
24 imitateurs , fur 177 eccléfiaftiques fonctionnaires.
A Montpellier , à Toulouſe ,
à Uzès , les réſultats font auffi défavorables
au ferment , un feul Prêtre a juré
dans tous les départemens de la Lozère
( le Gévaudan ) . Les eccléfiaftiques Bretons
perfiftent prefque tous dans leur refus,
ainfi que ceux d'Alface. Au contraire ,
dans le voifinage de Paris , un affez grand
nombre a adhéré à la formule ; beaucoup ,
il eft vrai , en la reftreignant dans les limites
de M. l'Evêque de Clermont. 30
Paroiffes des environs de Vannes en Bretagne
fe font coalifées pour réfifter à la
preftation , & empêcher l'exécution du décret
le rapport de cette infurrection a
été fait lundi dernier à l'Affemblée na(
222 )
tionale ; mais elle ne s'eft pas encore occupée
de celle de Milhau en Rouergue ,
dont voici les particularités certaines.
Le tribunal du diſtrict ayant publié , le 24 janvier
, la loi qui ordonne le ferment , dès le lendemain
il fe forma un attroupement de femmes ,
bientôt diffipé par les foins même du curé de
Milhau. Cette émeute fe renouvella le 25. Une
multitude des deux fexes s'étant portée à la maifon
commune , elle exigea qu'on lui remit les
exemplaires de la loi , en annonçant le deffein
de les brûler. Les officiers- municipaux effayèrent
de calmer le peuple , & pendant qu'ils y travailloient
, une députation de citoyens , demanda à
s'aflembler au nombre de deux cens , aux termes
de la loi , pour délibérer fur la circonitance . Le
réfultat de cette affemblée , autorifée par la municipalité
, fut une pétition , où on la requéroit
de fufpendre l'exécution du décret.
A l'inftant où cette réquifition étoit portée à la
maifon commune , une partie du peuple devenue
féditieufe s'y introduifit , fe jetta fur le maire , le
prit aux cheveux , le frappa, & le blefla au vifage.
On lui attribuoit des propos iraprudens ,
entr'autres d'avoir défigné les femmes attroupées
comme étant les C .... du curé. On parvint a
dégager cet of ier des mains des infurgens , qui
exigèrent fa démiflion & celle de M. Montt ,
autre municipal qu'on dit Calvinifte . L'un &
Fautre abdiquèrent fur- le - champ . Vainement , le
directoire du diflrict informé du tumulte , s'ef-
Força de l'appafer ; le peuple perfiſta a demander
l'incendie du décre:, & à notifier qu'il ne
fouffriroit ni le ferment ni l'expultion d'aucun
( 223 )
"
eccléfiaftique en place. On obligea le maire &
M. Montet à fe rendre fur la place publique.
Monté fur le piédeftal de la croix le premier
défavoua & excufa les propos qu'on lui pretoit ;
il renouvella fa démillion , & fut imité par fon
collégue.
Le 26 , le confeil général de la commune arrêta
de prier le directoire du département , de repréfenter
à l'Allemblée nationale les funeftes conféquences
de la loi fur le ferment , & un furfis
à fon exécution . Le directoire du diftrict paffa
dans le même efprit une délibération , dans laquelle
elle expofe que la même fermentation cft
près d'éclater dans toutes les municipalités de
fon reffort , que la loi allarme & trouble les
confciences , que la plupart des officiers municipaux
des villes & de la campagne fe difpofent
à donner leur démiffion , plutôt que de participer
à l'exécution du décret « Si contre hos
efpérances , ajoute le directoire , le département
fe refufoit aux réclamations , nous ferions obligés
de renoncer à des places dont les fonctions
dans cette circonfance , feroient fi évidemment
contraires à la volonté générale du peuple que
nous repréfentons » .

Le département , en mettant les procès - ver
baux fons les yeux du Roi , s'eft borné à fupplier
S. M. de lui indiquer les moyens de prévenir
de nouveaux défordres .
Cette rebellion à la loi , les mouvemens
de Vannes , des potences qu'on affure avoir
été dreffées à Montpellier , pour intimider
les officiers civils chargés d'exécuter le
décret ; les événemers de Colmar dont
( 224 )
9
M. Muguet de Nanthou nous a tracé la
mignature font de nouvelles preuves
d'anarchie. L'empire de la loi eft effacé
par le dogme de la fouveraineté populaire ;
on a tant dit & redit à la tribune de l'Af
ſemblée nationale , que l'infurrection étoit
le plus faint des devoirs , qu'il fuffit main
tenant d'une révolte pour établir le droit
de fe révolter. S'il faut appaifer ces troubles
par la force militaire , ou par des caf
fations arbitraires d'officiers populaires , qui,
ainfi qu'on vient de l'ordonner pour l'Alface
, feront remplacés par d'autres adminiftrateurs
hors de la nomination du peuple
, nous touchons aux derniers retranchemens
de l'autorité publique , & nous
y touchons au début d'une conftitution
fondée toute entière fur la puiffance abfolue
du peuple , & fur la dépendance de
fes répréfentans.
Nous avons été inftruits authentiquement,
depuis la publication du dernier
n°. de ce journal , que les manufcrits de
M. de Rulhière , mis d'abord fous le fcellé ,
font aujourd'hui entre les mains de fes
héritiers , & des perfonnes auxquelles quelques-
uns de ces écrits devoient être remis
après la mort de l'auteur.
La lettre fuivante forme une nouvelle
preuve juftificative, du récit que nous avons
préfenté des tragédies d'Aix. Nous en
devons la publication à l'intérêt que doit
( 225 )
T
infpirer l'affreufe oppreflion fous laquelle
gémiffent fes fignataires .
Aux prifons d'Aix , ce 30 janvier 1791 .
« Nous avons lu , Monfieur , dans le Mercure
du famedi 22 janvier , une lettre qui vous avoit
été écrite d'Aix , & dans laquelle on vous a fait
un récit circonftancié des événemens défaftreux
qui ont affligé cette ville depuis le 12 décembre .
" Nous y voyons que les détails de la ſcène
affreufe qui fe pafla fur le cours , après la réu-'
nion des amis de la conftitution & ceux nommés
les anti - politiques , d'ailleurs dictés par la plus
exacte vérité , pêchent fur la manière dont étoit
armé le grouppe des malheurenx officiers de la
garniſon , réduits à fortir d'un lieu paiſible à travers
mille dangers .
> » Nous avons affirmé & nous affirmerons
par le ferment facré , fi juftement refpecté dans
un état dont l'homme eft le guide , qu'aucun de
nous ne portoit des piftolets , que les épées avoient
été tirées , non pour attaquer perfonne , mais
pour en impofer à la multitude , & que le feu le
plus violent pourfuivit ces victimes de l'erreur
populaire jufqu'à la place des Carmélites .
Deux de nos camarades furent grièvement
bleffés par les coups de fufils , ainfi qu'un officier
de la maréchauffée & deux autres , dont le major
du régiment , par les pierres . Le rapport des chirurgiens
conftatera tous ces faits . Un feul de nos
Meffieurs , convalefcent & très - foible encore ,
la fuite d'une longue maladie , n'ayant pas d'épée
fous le coftume aifé que fon état exigeoit ,
portoit un pistolet fur lui , depuis qu'un particulier
de la ville , nommé Viquier , avoit été attaqué
la nuit en fe retirant chez lui .
( 226 )
>>Voilà une vérité que nous vous prions d'énoncer
dans votre prochain numéro . Il cft effentiel
que l'on fache que de braves gens , dont le dévouement
au bon ordre & à la fûreté des citoyens
avoit été fi long - temps recounu , ont pu être
malheureux , mais jamais coupables .
" Le mémoire véridique & juftificatif que le
régiment s'emprcfle de préfenter a l'Ailemblée
nationale & au public , trompé par les récits
erronés , diffipera , nous ofons l'efpé: er , tous
les preftiges de la plus injufte prévention »,
Signés VALLIX , capitaine ;
LATOUR
, CORRIART ,
LAMBERTYE , Lieutenants;
BROSSARD , D'Y PRES ,
TOPO MNET,fous - lieutenans .
Lettre au Rédacur.
MONSIEUR ,
« Dans une proteftation fignée Montbran &
Marconnay , & interée dans la gazette de Paris
du dimanche 13 février , il eft dit :
» Dans la crainte trop bien fondée que M. de
Ferriere , député de la nobleffe du bailliage de
Saumur , n'ait adhéré au décret portant fupprelfion
de la nobletfe héréditaire , non - feulement
nous déclarons ne prendre aucune part à cette
coupable adh fion , mais encore nous proteftons
, &c . ”
» Je n'ai point adhéré au décret du 19 juin
1790 , qui fupprime la nobleffe héréditaire ,
parce que ce décret cft & fera toujours contraire
à mon opinion particulière , individuelle ; parce
que , quand bien même ce décret ne feroit pas
( 227 )
contraire à mon opinion particulière , individuelle ,
je ne me croirois pas autorifé à prononcer fur
une propriété fi chère à mes commettans . Nonfeulement
je n'ai point adhéré au décret qui fupprime
en France la nobleffe héréditaire ; mais je
l'ai combattu , & m'y fuis oppofé autant qu'il
étoit en moi ; j'ai joint mes réclamations à celles
de tous les gentilshommes qui fe trouvoient à
la féance ; & voyant que ces réclamations n'étoient
point écoutées , ainfi qu'eux , je n'ai pris aucune
part à la délibération . Le décret prononcé , j'en
ai rendu compte à mes commettans . Mes lettres
exiftent ou doivent exifter entre les mains de
MM. de Rabreuille & de Chacé ; d'après leurs
leurs réponſes , j'ai fait ce que j'ai cru devoir
faire . ».
A Paris , ce 15 février 1791 .
DE FERRIERES , député
l'Affemille nationale .
. M. l'abbé Grégoire eft nommé Evêque
de Blois , & un autre curé , non moins
fameux par l'impétuofité de fon zèle , M.
Royer , curé de Chavannes , Evêque du
département de Ain. Ces promotions
gâtent un peu la gloire de ces réformateurs
défintéreffés , à qui l'amour pur de
la primitive églife dictoit feul , à les entendre
, leur empreffement à concourir à
la ruine de leurs confrères , & au foutien
du nouveau ferment.
D'après des informations inexactes , nous
attribuâmes , il y a quinze jours , la lettre
( 228 )
de l'Electeur de Mavence à M. le Cardinal
de Rohan , à M. le Baron d'Alberg,
Coadjuteur de cet Archevêché de l'Empire.
Nous fommes inftruits avec certitude
, que cette lettre eft l'ouvrage de
P'Electeur lui-même.
"
P. S. M. le Brun vient de publier dans le
Moniteur du 15 février , une lettre relative à la
mention que nous avons faite du dernier rapport
de M. de Montefquiou . Nous la donnerons
à nos lecteurs la femaine prochaine . M. le Brun
nomme plus que févère notre critique de ce rapport.
Elle eft , en effet , très - févère , parce que
le rapport cit très-férieux , & que le premier intérêt
de la nation , comme fon premier droit , eft
d'attendre cette févérité d'opinion fur toutes les
queftions publiques ; mais , plus févères envers
nous-mêmes que nous ne l'avons été envers M.
de Montefquiou nous retracterions nos erreurs ,
avec autant de force que nous avons relevé les
fiennes . M. le Brun ne nous fournit dans fa lettre ,
aucuns moyens de reparation ; bien au contraire ;
nous y trouvons des motifs très- puiflans de perfifter
dans notre opinion . M. le Brun dit n'avoir pas entre
tenu le comité des finances des 250,000l . verfés dans
la caille de l'extraordinaire , comme produit du
revenu des domaines nationaux ; mais il nous apprend
qu'on a dit le fait à la tribune de l'Aflemblée
nationale , an mois de janvier , & cet eftimable
député ne paroît pas douter de fa cettitude
, puifqu'il effaye d'expliquer les caufes de
cet énorme déficit .
Les Numéros fortis au tirage de la Loteria
Royale de France , du feize Février ,
font : 6 , 36 , 3 , 84 , 77.
MERCURE
HISTORIQUE
E T
POLITIQUE.
ALLEMAGNE.
De Vienne , le 9 Février 1791 .
OU le congrès de Sziftove tient fes opérations
très-fecrettes , & nous livre aux
conjectures qu'on prend pour des nouvelles
; ou les informations qu'on en reçoit
prouvent , fi elles font fidèlles , que les négociateurs
changent d'idées toutes les femaines.
Un jour on nous dit que les conférences
font dans une extrême activité ; le lendemain
on nous apprend qu'elles fe rallentiffent. Ici
l'on marche de concert ; là on ne s'accorde
fur rien. A peine une propofition eft elle
mife en difcuffion & adoptée , qu'on nous
cite immédiatement une autre propofition
qui la renverfe. Les gazettes vivent de ces
contradictions qui doivent peu étonner ;
N°. 9. 26 Février 1791 . L
( 230 )
car elles prennent leur fource dans la politique
des cours intéreflées , & s'accréditent
24 heures par la crédulité publique. Il réfulte
de tant d'incertitudes que nous ne faons
à peu près rien de l'état de ce Congrès, &
cela doit être ; mais l'ignorance où on laiffe
le public prouve du moins que rien encore
n'eft terminé . On répand depuis quelques
jours , que notre Plénipotentiaire , le Ba
ron de Herbert a réclamé , comme une
conféquence de la convention de Reichenbach,
la garant e de tous les traités préexiftans
entre la couronne d'Autriche & la
Porte Ottomane ; qu'il a préfenté cette
condition fous le caractère d'un ultimatum ;
& que de leur côté , les Miniftres Ottomans
ont requis de l'Empereur
un engagement
formel de ne donner aucun fecours aux
ennemis de la Porte , ni dans cette guerre
ni dans celles qui peuvent fuivre. --- Ces
demandes ne choquent pas la vraifeniblance
, mais , fi elles font réclies , elles confrment
qu'on eft loin encore de terminer le travail.
Le comte François d'Ffterhazy
, député de
la Hongrie au Congrès , s'eft rendu le 31 du mois dernier à fa deftination
.
Quelques lettres de Conftantinople , en
date du 18 Décembre , annoncent la dépofition
du Grand -Vifir ; cette difgrace a
donc précédé la prife d'Ifmaïlow , dont
le Pacha Séraskier devoit remplacer le premier
Miniftre actuel Ce Séraskier étant
( 231 )
péri dans le fiége , on ne fait à qui ce pofte
périlleux du Vifirat fera conféré. Si celui
qui l'occupe a été jugé digne de perdre
fa place avant le 18 Décembre , les évènemens
poftérieurs le feront probablement
juger digne de perdre la tête .
Le 30 janvier , le Baron de Muhl , Miniftre
Réfident pour l'Electorat d'Hanovre ,
a eu une audience de l'Empereur , dans laquelle
il remit à S. M. fes lettres de créance
comme Miniftre Piénipotentiaire du Roi
d'Angleterre , Electeur d'Hanovre.
Les priviléges refpectifs des différentes
religions en Hongrie ont rencontré de nombreufes
difficultés . C'eft pour les applanir,
que l'on vient de réformer l'art. 13 de l'édie
de l'Empereur à ce fujet. «Comme les principes
de la religion catholique, a-t-on définitivement
décrété , ne permettent pas de la
quitter pour embrafer une des religions
évangéliques reçues par les traités de paix ,
les cas de changement de religion feront
propofés d'abord à S. M. , & il eft défendu
rigoureufement de perfuader , de quelque
manière que ce puiffe être , les catholiques
de quitter leur religion , pour embraffer le
proteftantifme » .
Un certain club de Paris avoit adreffé des
lettres apoftoliques aux Francs-Mâçons de
cette capitale & de Brinn , dans lesquelles
on les exhorte à répandre la bonne doctrine ,
à établir l'art focial par l'opinion d'abord ,
L 2
( 232 )
& enfuite fi befoin eft , & pour le plus
grand bien de l'humanité , par le fer & par
le feu , comme cela fe pratique ailleurs avec
fuccès . Nos Francs -Maçons ont pris lecture
de ces lettres de créance . & indigités qu'on
ofit les prendre pour des prêtres politiques ,
ils ont remis ces belles dépêches au Gouvernement.
L'Empereur fe fera couronner Roi de
Bohême à Prague , comme il l'a été à Presbourg
, en qualité de Roi de Hongrie . On
fe rappelle que fon prédéceffeur s'étoit
difpenfé de ces formalités facrées , auxquelles
les peuples font plus attachés qu'on
ne penfe. Cette cérémonie aura lieu au
mois d'Août prochain. On parle d'un
voyage plus prochain de S. M. 1. en Tofcane
, & l'on préfunie , uniquement par
conjeure , que de Florence elie fe rendia
enfuite à Bruxelles . Le trajet eft un peu
long, & l'on ne découvre aucunes conjonc
tures affez preflantes , pour appeller ainfi le
Chef de l'Empire à parcourir la moitié de
l'Europe.
Au commencement de janvier , eft mort à
Len-berg , le noumé Pulnarovis agé de 120
ans , 7 mois & 23 jours . Ce vicillard a confervé
jufqu'à la fin l'ouïe & la vue & une affez
bonne mémoire ; i mangecit beaucoup d'acides ,
buvoit de l'eau , & ne faifoit ufage de l'eau -devie
que comme médicament ; il fe baignoit fréquemment
en été , & fe frottoit le corps en hiver
avec de la neige.
( 233 )
1
De Francfort-fur-le- Mein , le 15 Février.
Le Prince - Evêque de Liége s'eft rendu,
fous le nom de Comte de Looz , dans fa
réfidence d'où il s'étoit banni depuis le
mois d'août 1789. Il a féjourné du 4 au
6 à Mayence , & par Coblentz & Bonn
il est arrivé à Liège , où fon entrée a été
accompagnée de ces acclamations populaires
, de ces témoignages d'allégrelle qui
feroient la plus douce récompenfe de la
vertu, fi la multitude n'étoit pas habituécàles
prodiguer, fans difcernement , à ceux qui l'é-
Farent en l'entretenant de fon pouvoir, c'efta-
dire de celui dont ils entendent jouir
fous fon nom , comme elle les prodigue
fouvent aux ennemis même de la liberté
légitime. Sans doute , il eft à croire que
beaucoup de Liégeois diflimulent leurs
fentimens ; mais il ne paroit nullement
que la majorité du peuple regrette la régé- ·
nération tumultueufe , dont on lui avoit
fait goûter les charmes. Il eft encore moins
vrai , qu'il fût opprimé fous le gouvernement
mixte du Prince , quoique la conftitution
politique laiflat des défauts à corriger.
La tranquillité n'a point été troublée
depuis le rétabliffement des anciennes magiftratures
. Les fix cent répréfentans de la
généralité du peuple , & qui font divifés
en feize chambres ou tribus , fe font af
L 3
( 234 )
femblés , dans les anciennes formes , le
30 janvier. Ceux qui avoient prêté le ferment
, dit civique , aux infurgens pendant
leur fouveraineté , l'ont abjuré , & tous
ont fait celui de maintenir l'ancienne conf
titution , aujourd'hui rétablie . Voilà fans
doute un ferment bien prématuré ; car fi
l'examen de fond des queftions en litige ,
amenoit un changement dans les loix
fondamentales il faudroit alors réformer
ce qu'on a juré de maintenir. L'Af
femblée , dans la même féance , vota une
adrefle à l'Empereur , & une au Prince-
Evêque .
,
Le général de Bender , ayant fait imprimer fa
correfpondance avec M. Senfft de Piljac , réɓdent
Pruffien à Liege , ces dépêches ont lévé tout
nuage fur celle de M. Dohm , du 13 Janvier , imprimée
& repandue à Liège , avant d'être parvenue
au feld maréchal Autrichien . Suivant l'affirmation
de ce dernier , prouvée d'ailleurs par l'attestation
publique du baron de Lilien, directeur général des
poftes de l'Empire , la lettre de M. Dohm n'arriva
que le 16 à Bruxelles . A cette date , le maréchal
de Bender l'avoit déjà reçue imprimée , de Liège :
il regarda celle- ci comnie fuppofée , & défavoua
l'avoir reçue . » Quant à la lettre que M. de
Kheull vous a renvoyée , ajoute M. de Bender
» au réfident Pruffien , il l'aura fait , fans
doute , pour n'y plus rencontrer de ces expreffions
, qui donneroient droit de vous en
» demander l'explication & c. »
"
33
La vivacité qu'a mis M. de Senfft dans
fes dépêches & dans fa conduite , eft
( 235 )
"
loin d'avoir été approuvée à Berlin
s'il eft vrai , ainfi que le bruit s'en
accrédite , que le Roi de Pruffe a formel-,
lement défavoué les démarches de fon
réfident , la publication de la lettre de M.
Dohm , & même la correfpondance de ce
Miniftre. Nous ne croyons pas que ce
défaveu s'étende jufqu'à ce dernier article ;
mais il paroit certain que l'ardeur de M.
de Senfft a femblée déplacée , & qu'il eft
rappellé . Nous n'avions donc pas trompé
nos lecteurs , en les prémuniflant contre
ces fables de gazettes qui armoient déjà
la Pruffe en faveur de Liège , & qui prédifeiert
à ce fujet un embrafenient de
l'Allemagne. Nous affurâmes , au contraire ,
& l'évènement l'a vérifié , que le Roi de
Pruffe aimeroit mieux perdre les bonnes
graces d'une demi-douzaine de Demagogues
Liégeois & de puiffans gazetiers , que
celles de l'Empire germanique.
En nous confirmant dans cette opinion ,
nos lettres de Berlin du 7 de ce mois , nous
7
informent que la garnifon de cette capitale
a reçu ordre de préparer fes équipages
de campagne , afin de fe mettre en marche
fi les circonftances l'exigeoient. Le général
de Schlieben , ayant par fa mort furvenue
le mois dernier , laifié vacant le commandement
du corps d'armée Poméranien , S.
M. P. en a difpofé en faveur du général
de Schonfeld, le même qui a eu l'infortune ,
L
( 236 )
---
de mene: foixante mille patriotes Brabançons
au combat. --- Le Roi de Prufe
a chargé le Miniftre Baron de Heinitz , de
lui propofer des artiftes , auxquels cn confiera
l'exécution de la ftatre équestre de
Frédéric le Grand ; S. M. ayant ordonné
l'érection de ce monument. Dans fa dernière
féance , tenue le 3 , l'Académie des
Sciences de Berlin a reçu au nombre de
fes membres , le général de Schlieffen ,
commandant de Wefel , l'un des meilleurs
Hellenistes de l'Allemagne , & dont on a ,
entr'autres , un ouvrage eftimé fur l'origine
de l'ancienne nobisfe ?
SUISSE .
De Laufanne , le 18 Février.
Les romans dont des folliculaires étrangers
, placent la fcène dans nos contrées ,
ne valent pas la nouvelle Héloïfe . Ces abfurdes
fabriquans de troubles , de révoltes ,
& de calamités publiques , ont beau fe
faire écrire, par des laquais apparemment ,
des bulletins de notre turbulence , ils n'ont
pas eu le bonheur de renconter encore un
leal affabinat , une infurrection , un crime
politique dans nos heureux climats . Nous
continuons & être tranquilles , parce que le
gouvernement eft jufte , & le peuple éclairé.
Un de nos plus fages écrivains Helvétiques
, a judicicalement obfervé qu'on

( 237 )
peut calculer le bonheur des nations par la
rareté des évènemens qu'elles fournillent à
P'hiftoire (1 ) . Puillions nous mériter longtems
l'éloge de cette bienheureufe ftérilité
!
Elle n'eft pas l'avantage de nos voifins .
Genêve plongée depuis 20 ans dans des
troubles toujours renaiffans , fans qu'aucun
de fes citoyens pat rendre compte des avantages
qui ont balancé cette longue calangité ,
Genêve vient d'éprouver une nouvelle fecouffe.
A peine l'harmonie y fut rétablie
en 1789 , qu'il entra dans la tête de quelques
factieux fubalternes, d'imiter la révolu
tion de France , & de renverfer la république.
Outre les citoyens & bourgeois qui ,
feals ont droit de former le confeil fouverain
, elle renferme des natifs fils d'étrangers
adinis à l'habitation , ces étrangers
reçus habitans moyennant une légère finence
, des domiciliés autres étrangers fou
mis à une fimple permiffion momentanée
de réfider dans la Ville ; enfin les payfans
du petit territoire de l'état. Ces claflifications
exiftent depuis plufieurs fiècles , à la
réferve de celle des domiciliés, confacrée en
1782. Jufqu'en 1770 , elles n'avoient point
(1) M. Ifelia fécrétaire d'état à Bafie , dans fon
Hiftoire de l'humanité , ouvrage Allemand dont
Facteur de la félicité publique a tiré la plupart de
fes principes & de les preuves .
I s
( 238 )
participé pour leur compte , aux troubles
de la République , concentrés entre le
gouvernement & les citoyens.
Suivant le régime de toutes les corporations
municipales de l'Empire , auquel
Genève appartint autrefois , les droits de
bourgeoifie offenfoient , jufqu'à l'oppreffion
, ceux de la liberté civile. D'odieux
privilèges de commerce , des diftinctions
vexatoires , & l'amour de la liberté qui
devient une feconde nature dans les Républiques
, foulevèrent les natifs en 1770 .
Les citoyens n'eurent pas de peine à les
contenir ; mais ils abufèrent de la victoire ,
en exilant plufieurs des chefs de ce parti ,
dont quelques individus furent tués. On
youlut adoucir cette tragédie par plufieurs
conceffions ; on en avoit déjà fait d'antécédentes
en 1768 ; on les augmenta à chaque
nouveau code , & comme la République
en a changé fept fois depuis 20
ans , la très - grande partie des injuftices
fifcales & mercantiles , fous lefquelles gémiffoient
les natifs & les habitans , difpaxurent
fucceffivement . Outre des réceptions
annuelles, à chaque confection de nouvelles
loix on avoit admis un certain nombre de ces
Genevois a la bourgeoifie : les plus anciennes
générations de natifs y furent même , dernièrement
, incorporées en entier , & l'anée
dernière , il s'étoit fait encore une
N
( 239 )
aggrégation de plus de cent natifs ou ha
bitans.
Ce fyftême de réceptions graduelles
laiffoit néanmoins , fubfifter la ligne
fondamentale qui fépare les citoyens &
bourgeois des autres claffes , en réſervant
aux premiers le droit exclufif de former
le confeil fouverain , & d'être éligibles aux
emplois publics.
C'eft plois ette ligne que des intriguans entreprirent
en 1789 , de brifer entiérement.
Ils ouvrirent la déclaration
des droits de .
l'homme , & ils y virent clairement qu'ils
avoient jufqu'ici été des efclaves fans le
favoir ; que le comble de l'opprobre
&
de l'infortune étoit de vivre heureux , protégé
par des loix inviolables , maintenu
par
dans la jouifiance de l'égalité & de la liberté
civiles , fi l'on ne joignoit à ces avantages
l'exercice de la fouveraineté
; qu'en
conféquence
, dût le fang ruiffeler , l'indépendance
de l'Etat s'anéantir , & la Ré
publique être fubvertie , ils devoient , furle-
champ , forcer les Magiftrats & les citoyens
à leur donner la conftitution
Françoife.
Ces projets , d'abord méprifés , &
renfermés dans un très-petit nombre d'individus
, s'aggrandirent
par les foins qu'on
prit de les propager : on parvint à en infefter
les campagnes , & fa lie du peuple
laquelle on promit un diplôme de fouveraineté
, fans diftinction de natifs , d'ha-
20
1
L 6
{ 240 )
bitans , de payfans , de domiciliés & d'étrangers
. Enforte que le premier vagabond
entré dans Genève , pourroit le mois fuivant
y voter un plébicite , on décréter une
alliance.
Ii faut apprécier , maintenant , la conformité
de cette prétendue imitation du
régime François , ou plutôt le délire ,
fi ce n'eft la fourberie des imitateurs. La
Nation Françoife eft fouveraine ; mais par
une conféquence du Gouvernement repréfentatif,
le citoyen actifqui paye 3 liv. d'impofitions
directes , n'exerce d'autre acte de
la fouveraineté publique , que celui de
concourir dans les affemblées primaires ,
à nommer des Electeurs , qui exclufivement ,
choififfent les repréfentans du peuple & les
autres fonctionnaires publics.
A Genève , le confeil fouverain , compofé
de tous les citoyens & bourgeois ,
exerce par lui-même le pouvoir légiflatif,
il fanctionne toutes les loix , décréte tous
les impôts , fubfides , & emprunts ; il
exerce le pouvoir confédératif , prononce
fur les alliances , ftatue fur la guerre & la
paix ; enfin il nomme , fans intermédiaire ,
à toutes les magiftratures de l'Etat.
Tels font les pouvoirs , conformes à une
démocratie fagement limitée , que des co-
P ftes des journaux de Paris , des commentateurs
, favamment dirigés , des droits
de Thonime , veulent étendre , à Genève , à
( 241 )
cette maffe fans intelligence & fans propriété
, que les Anglois nos maîtres , ont
énergiquement qualifiée , par le terme de
Mob , terme qui annonce le refpect du
peuple , infoleniment outragé par les factieux
qui ofent le confondre avec la populace.
-
Il réfalteroit de cette folie politique , que
le confeil légiflatif de Genève feroit peuplé
de 5 ou 6 mille fouverains , dont la majorité
n'auroit peut-être pas un écu de propriété
foncière , ni dix ans , dix jours peut-être de
domicile dans la république. Ainfi tous les
propriétaires , tous les citoyens par droit de
naiilance qu'elle renferme, feroient dominés
par la multitude des Prolétaires ; ce confeil
fouverain d'où les plus violens troubles publics
n'ont pu bannir une décence religieudeviendroit
le théâtre des orgies
politiques de la foule , qui ' trafiqueroit
avec le premier fcélérat du dehors ou du
dedans de la liberté de la patrie. Si ce
fuccès là eft entré dans les efpérances de
quelques fa tieux, elles prouvent deleur part
une fpéculation fort jufte, & une prévoyance
très commune; car , perfonne ne doutera de
la certitude de ce réfultat.
fe 2
Six mille fouverains faifans des loix , décrétant
des impôts , & élifant tous les Magiftrats
dont la plupart font amovibles ; fix
mille fouverains dont les deux tiers au
moins appartiendroient à ces claffes popu(
242 )
laires , que le cens des législations les plus
démocratiques , écarta de tout temps des
affemblées du peuple , feroient une nouveauté
digne du fiècle : elle perfectionneroit
la corruption de la démocratie.
Si la honte d'adopter un pareil gouvernement
dans une république célèbre par fes lumières,
faifoit penfer au régime repréſentatif,
il faudroit brûler les ouvrages d'un des plus illuftres
citoyens de Genève ; il faut mettre en
pouffière une conftitution dont il célébra les
principes; il faut fe réfoudre à autant d'années
de difcorde pour inftituer & affermir cette
nouveauté , qu'il en a fallu pour y arriver : la
génération actuelle peut prendre les habits de
deuil & les léguer à fes neveux ; mais qui
ofera croire les citoyens de Genève affez
dégénérés , pour foufcrire à une fi aviliffante
dégradation , & paffer du rôle de
coopérateurs immédiats aux droits éminens
de la fouveraineté , à celui d'Electeurs de
leurs répréfentans ? L'éxiguité de la République
a rendu pratiquable , quoique órageux
, fon gouvernement qui fera bon dès
qu'on aura pourvû à le rendre fiable ; la
même caufe doit exclure à jamais du milieu
d'elle , cette délégation du pouvoir fouverain
, qu'il feroit auffi difficile de bien circonfcrire
que de contenir.
Quelque parti qu'on adopte, fi cette intrufion
de la foule dans le confeil fouverain eft
arrachée , elle entraînera fur la république
( 243 )
3
les calamités d'une difcorde interminable ,
de tumultes renaiffans , & de factions
vénales. Les premiers auteurs de cette
entrepriſe fentent bien , ils conjecturent
avec un artifice digne d'eux , que cet
état de chofes amènera inceffamment le
defir & le befoin d'une autre domination .
Auffi , la plupart des journaux patriotiques
débités à Paris , annoncent les féditieux
qui marchent à ce but , comme travaillant
à fe réunir à la conftitution françoiſe..
Ces mouveniens ayant entretenu à Genève
, depuis quelques mois , une affez
grande agitation , on a cru les calmer par
un nouveau code , où en étendant les prérogatives
du confeil fouverain , & celles du
citoyen , on fixe le fort des autres claffes
par des conceffions que jamais elles
n'euffent ci-devant ofé efpérer ; on admet
à la Bourgeoifie tous les natifs actuels; on a
multiplié les bienfaits envers les habitans de
la ville & de la campagne ; on lie tous les
intérêts à la chofe publique par des avantages
que la prudence jugeroit peut - être
immodérées. Eh bien ! c'eft à la publication
de ce travail légiflatif, que quelques
factieux , aidés de la plus vile multitude ,
ont redoublé d'ingratitude & de manoeuvres
féditieuſes. Vers le milieu du mois dernier ,
ils fe confédérèrent dans leurs cercles , par
un ferment criminel de n'accéder à aucune
autre conftitution qu'à celle qu'ils ont faite ,
( 244 )
& de fe défendre mutuellement contre les'
tribunaux , s'iis ofoient les rechercher. Coplant
le Courier d'Avignon , ils jurèrent à la
face de l'Etre-Suprême qui créa les hommes
libres , et fur l Autel de la patrie , de regarder
comme traîtres à la patrie ceux qui les
abandonneroient . Vainement , les Magif
trats , par une proclamation paternelie , ef
favèrent de les ramener à leurs devoirs . Journellement,
la ville étoit le théatre de quelque
infoience de leur part. Les citoyens trop
patifs confidércient avec une efpice de
Técurité imprudente ces dangereufes agitations.
Elles fe font aggravées le 12 & les
jours fuivans.
Pour hâ:er l'exécution de leurs deffeins , quelques
natifs , joints aux habit ins & étrangers coaliés
ne gardoient plus de mefure : ils affectoient de
fe montrer menaçans & faifoient craindre une fédition
ouverte . Le ſamedi 12 , une bande d'entr'eux
fe répandit dans les rues , & alla chauter fous les
fenêtres de plufieurs magiftrats d'air de mort ,
ça ira . Ce premier mouvement ayant été diffipé ,
les infurgens en nombre beaucoup plus considé
rable le répétèrent le lendemain. M. Cayla, Pun
des chefs actuels du gouvernement eut la frmeté
de paroitie au milieu d'eux , & malgré
Patrocité des propos que l'on tenoit autour de
lui , de difliper l'attroupement & de le faire
taire . Nombre de citoyens étoient accourus ; i
s'éleva une querelle entre Pun d entr'eux & un
natif ; celui - ci fut blefé mortellement . Cet incident
ranima la fureur de fon parti qui vint à
T'hôtel -de-ville demander la tête de l'honnicide , "
C
( 245 )
3
1
& enfuite fon arreftation on l'emprifonna , en
effet , pour enlever tout prétexte de violence ,
& effacer tout foupçon de partialité .
Depuis plufieurs jours , le gouvernement étoit
requis par un grand nombre de citoyens d'agir
virilement , & de prendre des mesures pour la
sûreté & la tranquillité publique . Tout annonçoit
le danger immédiat dont elles étoient menacées.
Le lundi matin , 14 , les magiftrats
décidèrent de faire prendre les armes à la ville
entière , fuivant l'ufage conftant & la loi de la
république en pareil cas . Vers midi , cette déci- '
fion fut publiée à fon de trompe , & fans obftacle ;
mais , lorfqu'à deux heures les tambours fe mirent
en mouvement , la populace leur ferma le paffage.
On efpéra le leur ouvrir , en les faifant eſcorter
par an magiftrat & so hommes ; mais cette
mefure n'intimida point les féditieux : la crainte
de verfer du fang avoit fait préférer les voies
de perfuafion , elles furent inutiles . Alors , le
gouvernement fit fonner le tocfin ; des magiſtrats
le rendirent dans tous les quartiers , foit pour
calmer la multitude , foit pour foutenir l'armement
général . Une partie du régiment des volontaires
& du refte des citoyens , une fois à leur
place d'armes , on parvint avant la nuit , & fans
aucune violence , à diffiper tout attroupement.
La nuit fut calme ; mais le lendemain 15 ,
on vit paroitre à la porte de Suiffe , un grand
nombre de gens de la campagne , arrivés de cette
partie du territoire de La République qui fe
trouvée enclavée dans le pays de Gex , dépar- s
tement de l'Ain. Ils demandèrent l'entrée en
ville . Pendant qu'ils affiégeoient le dehors , leurs
auxiliaires du dedans fe rendirent en foule vers
la porte menacée. Elle étoit gardée par 80 hom246
)
mes , moitié volontaires , moitié de la garniſon :
la bonne contenance de ce pofte empêcha les
féditieux de l'inveftir de plus près , & rendit
infructueufes les tentatives d'efcalade qu'on voulut
ménager aux payfans . Quelques magiftrats de
police , efcortés d'un détachement arrivèrent
enfuite fur les lieux , non fans beaucoup de
peine ils y lurent , avec autant de difficultés
une proclamation , qui invitoit tous les citoyens
& bourgeois à fe rendre dans leurs cercles , pour
délibérer fur les mefures convenables . A la fin ,
Pindignation & le péril commun en armèrent
4 à 500. Quelques inftaus auparavant , la crainte
de plus grands malheurs avoit dicté un ordre précipité
& imprudent d'ouvrir la porte à ces payfans :
Pincertitude des réfolutions rendoit la crife encore
plus dangereufe . Heureusement , la fermeté de la
plupart des magiftrats, le zèle des citoyens de bonne
volonté , la prudence & le courage des officiers
civils ou militaires qui les dirigeoient , amcnèrent
un dénouement paifible . M. Michely du
Creft , ci devant major au régiment Suifle de
Diesbach , & actuellement l'un des principaux
magiftrats de la République , ayant vu de l'hôtelde-
ville cent citoyens armés fur la promenade
voifine , defcendit , fe mit à leur tête l'épée à
la main , marcha au fauxbourg de St. Gervais
théâtre de la fédition , furmonta toute oppofition
fans voics de rigueur , pénétra jufqu'à la
porte affaillie , la fit ouvrir , & chaffa les payfans
qui fe hâtèrent de prendre la fuite . Au meme
inftant deux autres détachemens fe rendirent
maîtres des ponts du Rhône qui joignent la ville
au fauxbourg , & empêchèrent les mutins de fe
réunir . Un autre corps de cent homines , pré-
·
(247 )
A
I
toja
06:
>
cédés de deux chefs du gouvernement , d'un
magiftrat de police , & de M. du Roverav ,
ancien procureur général , fit battre la générale.
M. du Roveray qui , juíqu'alors , s'étoit oppofé
aux mefures qu'exigeoit la tranquillité publique ,
en appercevant la néceffité lut une nouvelle
proclamation qui enjoignoit à chacun de fe rendre
en armes dans fon quartier , fes foins
furent utiles dans la circonftance . On conduifit
quelques pièces de canon à la porte de
France , & à cinq heures & demie du foir , tous
les poftes furent garnis , la ville balayée , & Fordre
rétabli , fans aucune effufion de fang. Parmi ceux
dont le zèle & le patriotifine ont été les plus utiles
dans cette journée , on doit nommer M. de Rochemont,
aide-major des volontaires , quimontra autant
de courage que de fang-froid & de modération ,
& M. la Motte l'un des commiffaires de la
bourgeoifie , exilé en 1782. Sacrifiant tout reffentiment
à fa patrie , il a fortement contribué
par fon exemple à l'armement fi néceffaire des
citoyens .
>
D'après ce récit , on jugera que l'état
de Genève eft encore très- critique , & qu'à
moins d'un concert parfait entre le gouvernement
& les citoyens , concert que les
conjonctures du dedans & du dehors leur
preferivent impérieufement , cette République
offrira bientôt l'image d'Avignon ,
dont les horreurs ont commencé précifément
de la même manière & par les mêmes
motifs.
Nous avons été forcés d'étendre lepiéan
( 248 )
bule de ce récit , pour rendre intelligible
la caufe des évènemens qui en font l'objet.
Nous ajouterons que , l'acquifition de la
bourgeoifie , autrefois très - chère , eft maintenant
à la portée de tout homme qui
peut acquitter les charges publiques , &
payer une finance qui n'équivaut pas à
5 ou 600 francs tournois. Aucun cens
ne fut plus modique dans les Républiques
où le peuple exerce par lui -même
les premiers droits de la fouveraineté.
Nous nous étions impofé la loi de garder
le filence fur les nouveaux troubles de
Genève ; mais nous avons crû néceflairé
de prévenir l'effet des impoftures d'un
grand nombre de feuilles publiques .
GRANDE-BRETAGNE.
De Londres , le 16 Février.
Les vaiffeaux qui formeront l'efcadre de
l'Amiral Hoodfe rendent fucceffivement à Spithéad
autôt qu'ils fort armés. Plufieurs nonvelles
maifons de rendez-vous pour enrôler
des matelots , ont été ouvertes à Portfmouth
, & à Gofport. On ne peut annoncer
encore quelle fera la force de cet armement
, ni fa deflination précife ; mais nous
ne craignons pas de répéter qu'il aura la
( 249 )
"
Ruffie pour cet objet , fi cette puiffance
n'accède pas à une pacification équitable.
L'efcadre de l'Amiral Cornish envoyée
aux Antilles , pendant notre differend avec
Efpagne , vient d'arriver à Spithéad. 3
'Lundi 14 , M. Burke fit dans la chambre
des communes , la motion de terminer le procès
de M. Haftings , par les trois charges déjà préfentées
, par celle qui regarde les contrats ,
penfions , & traitemens alloués dans l'Inde par
Faccufé.
Ainfi , de 22 charges d'impsachement , on fe
réduit à quatre , dent trois ont abforbé trois
années de harangues & de procédures . M. Burke
répéta , jufqu'à fatiguer fes auditeurs , fes déclamations
& les argumens précédens fur la nature
, comine fur la pourfuite de ce procès. Il
attaqua , avec morofité , M. Erskine le plus célèbre
de nos avocats , qui s'étoit cppelé à la continuation
de l'impeachment. cc Ce Monfieur ,
» dit M. Burke , peut être très -verſé dans la
pratique des cours inférieures de juftice ; mais
eft incapable de juger des matières plus élevées .
» eft auffi compétent à apprécier le temps né-
» ceffaire à l'achèvement d'un auffi grand procès ,
qu'un lapin qui porte fix fois par an , le fe-
Toit à juger du temps néceffaire à la procréation
d'un éléphant
ל כ
23
55.
M. Burke juftifia enfuite , par une ferie de
fophifines , l'éternelle durée de ce procès , en
promettant toutes fois que la dernière charge
n'occuperoit l'audience que fept jours ,
( 250 )
M. Pox appuya cette motion , qui rencontra
de violens antagoniſtes dans MM. Erskine , Baftárd
, Ryder , Jekyll , fir John Jarvis , M. Luf
hington & divers autres. Tous s'accordèrent à
regarder comme une dérifion & un outrage à
la juftice , cette pourfuite d'un gouverneur done
tous les plans cenfurés par l'impéachement , forment
aujourd'hui la règle de conduite de fon fucceffeur
& du gouvernement prefcrit dans l'Inde
par la métropole . Iis propoferent par amendemens
, les uns d'ajourner la queftion , les autres
'de ceifer le procès , M. Ryder de fuivre l'inftruction
, fans recevoir aucune charge additionnelle.
Ce dernier amendement fut rejetté par 161 voix
contre 79 , & les précédens à une plus grande
majorité encore . M. Pit feconda la motion originelle
, & maltraita M. Jekyll par des farcafmes
peu ministériels .
C'eft à M. Haftings que l'on doit le
projet d'une alliance de la compagnie des
indes avec le Nizam El- Molouk , & les
Marattes , ainfi que les premiers moyens de
l'effectuer. Par ce traité , dont le gouvernement
a reçu copie , les parties contractantes
s'allient définitivement & offenfivement;
les Marattes & le Nizam garantiffent
à la Compagnie toutes fes poffellions avant
la guerre , & vice verfâ. Les deux Puiffances
indiennes s'engagent à fournir chacune douze
mille hommes de cavalerie à l'armée Angloife
. Le Roi a récompenfé les deux négociateurs
qui ont conclu ce traité , en
créant Chevaliers Baronnets. Ces graces
( 251 )
+
1
font un étrange contrafte avec la pourfuite
criminelle du premier auteur de cette
politique , qui affure à la Compagnie
la prépondérance la plus décifive dans
l'Inde ( 1) .
(1 ) Quelques- uns de ces bateleurs- journaliers
qui m'honorent fix fois par femaine de leurs calomnies
, ſe font crus bien forts en oppofant mon
opinion fur les poemes de M. Burke dans l'affaire
de M. Hastings , aux éloges que j'ai donnés
à fon livre fur la révolution de France. Cela
eft en cffer auffi inconféquent que de célébrer
la Henriade de Voltaire , & de méprifer fo
poëme de la guerre civile de Genève. Cela eft
encore aufli inconféquent que d'admirer le grand
Condé , trois fois vainqueur des Efpagnols , & de
le blâmer lorfqu'il s'allic avec nos ennemis. M.
Burke eft un homme de génie ; je perfévère à
penfer qu'il a fait un fort mauvais ufage de fon
talent , dans le procès qu'il fuit avec acharnement
, & qu'à l'obfcurité , aux métaphores
près de fon ftyle , fon dernier ouvrage
fans méthode & trop diffus , eft un livre claffique
pour tous les peuples libres qui ont confervé
l'ufage de la raiſon .

( 252 )
FRANCE.
De Paris , le 23 Février.
ASSEMBLEE NATIONALE.
Fin des articles décrétés fur la procédure
par Jurés.
TITRE XIII
Des moyens d'efurer la liberté des Citoyens
contre les détentions illégales ou autres aces
arbitraires.
» Art . I. Tout homme quelle que foit fa
place ou fon emploi , autres que ceux à qui la
Loi donne le droit d'arrestation , qui donnera ,
fignera , exécutera l'ordre d'arrêter un Citoyen ,
ou qui l'arrêtera effectivement , fi ce n'eft pour
le remettre fur- le- champ à la Police , dans les
cas déterminés par la préfente Loi , fera puni
comme coupable du crime de détention arbitraire.
» II. Nul homme , dans le cas où fa détention
eft autorifée par la Loi , ne peut être conduit
que dans les lieux légalement & publiquement
défignés par l'Adminiftration du département
pour fervir de maifon d'arrêt , de maifen
de juftice ou de prifon , fous la même peine
contre ceux qui le conduiroicat , détiendroient ou
prêteroient leur maifon pour le détenir.
» III. Quiconque aura connoiffance qu'un
homme eft détenui illégalement dans un lieu ,
eft tenu d'en donner avis à un des officiers mu-
Licipaux
( (1253 ) ..
on f
D
33
mcipaux , ou au juge de paix du canton. Il
pourra auffi en faire fa déclaration , fignée de
lui , ' au greffe de la Imfunicipalité ou du juge de
"Paix up solnogi' rola muloq
nu , V.Ces officiers publics , d'après la con
noiffance qu'ils en auront , feront tenus de fe
tranfporfer auffitôt & de faire remettre en liberté
la perfonne détenue , à peine de répondre de leur
négligence , &
coupables de détention arbitraire , s'il eft prouvé
qu'ils avoient connoiffance de la détention."
» V. Perfonne ne pourra refufer l'ouverture
de la maison pour cette recherche en cas de
-réfiftance , l'officier municipal ou le juge de paix
pourra le faire aflifter de la force nécellaire , &
tous les citoyens feront tenus de préter main-
- forte. ¡
emême
d'être
pourſuivis
comme
"8
1 712 J 201
VI. Dans le cas de détention légale , l'officier
municipal , lors , de fa vifite dans les anaifons
d'arrêt , de juftice ou prifons , examinera ceux
qui y font détenus , & les caufes de leur détenon
tout gardien ou geolier fera tenu , à
fa réquifition , de lui repréfenter la perfonne de
J'arrêté , fans qu'aucun ordre puiffe l'en difpenfer
; & ae , fous peine d'être poursuivi comme
coupable du crime de détention arbitraire.
t
VII. Si l'officier municipal , lors de fa vifite
, découvroit qu'un homme eft détenu fans
que fa détention foit juftifiée par aucun des actes
mentionnés dans les articles V & VI du titre
XII, en dreffera fur- le- champ procès- verbal ,
fera conduire le détenuà la municipalité , laquelle ,
après avoir de nouveau conftaté le fait , le mettra
définitivement en liberté , & dans ce cas pourfuivra
la punition du gardien ou geolier .
VIII. Les parens ,soifins ou amis de l'ar
N° . 9. 26 Février 1791. M.
(( 254 )
rêté , porteurs de l'ordre de l'officier municipal ,
lequel ne pourra le refufer , auront auffi le droit
de le faire repréfenter la perfonne du détenu ,
& le gardien ne pourra s'en difpenfer qu'en juftifiant
de l'ordre exprès du juge, inferit fur fon
regifre , de le tepir au fecret, majdan
IX. Tout gardien qui gefuferoit de montrer
au porteur de l'ordre de l'officier municipal la
perfonne de l'arrêté , fur la réquifition qui lui
en feroit faite , ou de montrer l'ordre du juge
qui le lui défend, fera pourſuivi , ainſi qu'il eſt
dit article! VI & autres, tuo mdmh
5X. Pour mettre les officiers publics ci-deffus
défignés à portée de prendre les foins qui viennent
d'être recommandés à leur vigilance & à
leur humanité , lorfque l'inculpé fera mené devant
les officiers municipaux , ainsi qu'il eft dit
article VI du titre II , ceux- ci , après avoir pris
note du mandat d'amener , entendront l'inculpé ,
& les plaintes qu'il pourroit faire des violences
ou injures exercées contre lui en l'arrêtant : ik
en drefferont procès - verbal , & l'enverront au
juge de paix .
1
» XI. Lorfque le prévenu aura été envoyé à
la maifon d'arrêt du diftrict , copie du mandat
fera remiſe à la municipalité du lieu , & envoyée
à celle du domicile du prévenu , s'il eft connu ,
celle-ci en donnera avis aux parèns , voiſins ou
amis du prévenu .
» XII. Le Directeur du Juré donnera égale-
'ment avis auxdites Municipalités de l'ordonnance
de prife- de - corps rendue contre le préven ,
fous peine d'être fufpendu de les fonctions.
» XIII. Le Préfident du Tribunal criminel fera
tenu , fous la même peine , d'envoyer auxdites
·( 255 )
I
肛。
Municipalités copie du jugement d'abfolution ou
de condamnation du prévenu..
XIV. Il fera tenu à cet effet , dans chaque
Municipalité , un regiftre particulier pour y tenir
note des avis qui leur auront été donnés « .
Nota. Il fera fait un titre particulier pour les
procès de faux , de banqueroute , de péculat , de
concuffion & de malverfation dans le maniement
des deniers , & c.
Articles additionnels fur le titre des coutumaces .
Art. I. Tout accufé qui s'évadera des maifons
d'arre: ou de juftice , fera regardé comme
coutumace , & il fera procédé contre lui ainti
qu'il vient d'être dit.
» II. Toute peme portée dans un jugement de
condamnation fera preferite par 20 années, à compter
de la date du jugement.
III. Après la mort de l'accufé , prouvée légalement
, ou après so années de la date du jugement
, fes biens feront reftitués à fes héritiers
légitimes mais après vingt ans , les héritiers
-pourront être provifoirement envoyés en poffelhion
des biens , en donnant caution «.
Du lundi , 14 février.
M. le Brun a fait un rapport fur les recettes
-& les dépenfes du tréfor public , dont la conclufion
a été que , pour fubvenir aux befoins du
mois courant , il faut 72 millions à prendre dans
la caiffe de l'extraordinaire. Le préfident a dé
claré ne pouvoir mettre aux voix un objet de
cette importance avant que l'Affemblée fut complette.
M. Vernier a infifté, en difant que les
befoins étoient fi preffans , qu'on ne pouvoit attendre
le moment où le compte général feroit
M 2
( 256 )

foumis à l'examen , & il a demandé qu'on délivrât
au moins 15 à 16 millions en affignats pour
ne pas toucher aux 16 millions de numéraire qui
font dans le tréfor. La délibération étant différéc
, M. Camus a annoncé des brûlemens d'affignats
, & ea a promis de périodiques , d'hebdomadaires
, en affurant qu'on en brûleroit bien
davantage, fi le travail d'en décharger les regiſtics
n'étoit très- long. Sur la demande de M. de la
Chaife qu'on tint registre des numéros des affignats
brûlés , & fur celle de M. de Folleville
qu'il fut fait un tableau comparatif des affignats
émis & des affignats rentrés , M. Camus a promis
tout ce que l'on défiroit , & il a propófé , au
nom du comité des penfions , un décret en exécution
de celui du premier décembre 1790 , relatif
au payement dû aux porteurs de brevets de
retenue .
La fociété des amis de la conftitution deLoches ,
-a écrit une lettre circulaire aux municipalités du
département , en leur offrant tous les fenfeignemens
& fecours dont elles auront befoin , pour
-terminer promptement le grand ouvrage de l'affiette
de la contribution foncière de 1791 ; nonfeulement
dans les féances de cette faciété , mais
en envoyant de les membres fur les lieux . M.
de la Rochefoucault fait part à l'Affemblée de la
circulaire , & l'Aſſemblée en ordonne une mention
honorable dans fon procès - verbal .. Ainfi les
clubs rivalifent déjà les municipalités , & fe fubdi-
Viferont entre eux les pouvoirs admisiſtratifs &
exécutifs . ,
*
M.. Merlin a fait adopter par affis & levé ,
.huit articles fur la féodalité , d'après lefquels les
communautés d'habitans ont la faculté de ne
payer , pour le rachat des banalités , que les
( 257 )
fommes principales qu'elles ont reçues pour l'établiffement
defdites banalités ; les formalités féodales
d'ajour , clain , &c. font fupprimées , les
confignations à faire autrefois dans les mains des
officiers feigneuriaux , fe feront fans frais aux
greffes des diftricts ; deux notaires ou un notaire
& deux témoins fuffifent pour la validité des
donations & des teftamens , & les notaires &
huiffiers pour les autres actes ou exploits , fuivant
le droit commun du royaume , fans nulle intervention
d'échevins ou d'officiers feigneuriaux ; ' les
actes de faifie , &c. fe feront devant les nouvelles
municipalités ; & font abolies toutes loix
& coutumes à ce contraires , ainfi que les redevances
de bairie , de vaine pâture & de hefferie
, fauf celles qui dérivent de conceffions de
fonds ou de remifes de droits déclarés rachetables .
Apropos d'un mandement de M. l'Evêque d'Ypres,
mandement dénoncé comme un crime, le même ,
M. Merlin a demandé que les comités diplomatique ,
& eccléfiaftique préfentaflent , fous trois jours,
des mesures propres à arrêter les efforts des Evê
ques étrangers dont les diocèfes s'étendent en
France. L'Affemblée érant en nombre compétant ,
M. le Brun eft revenu , le moins finiftrement ,
qu'il a pu , au chapitre de la véritable fitua
tion du tréfor national .

Au mois de mai 1789 , il y avoit , a - t - il dit ,
58 millions en caille . La recette s'eft élevée depuis
à milliard 159 millions ; ( on verra
bientôt ce qu'il entend par recette ) ; & la
dépenfe , à i milliard 178 millions , fort ainfi
évaluées , l'une & l'autre , à 25 ou 30 millions '
près , employés à l'acquit des charges dans les
départemens ; charges qui ne font connues que
M 3
( 258 )
le compte des régiffeurs & receveurs partipar
culier .
Les revenus ordinaires ont
donné ( en 27 mois ).
L'emprunt national.
Les reftes d'empruns des
pays d'Etat

486,000,000 fiv..
30,903,600
• 6,912,850
Les rentrées inattendues
Lacontribution patriotique.
Il reste à acquitter d'anticipations
28,400,000 1 .
On a verfé en affignats
L'abonnement des biens nationaux

Ainfi la recette ne va donc
qu'à • •
1,632,600
3,474,900
$84,616,000
5,000,000
1,118,537,950 . 1..
On ne parle pas des billets de la caiffe d'ef
compte foldés en affignats . Le rapporteur , après
avoir indiqué très -fommairement les principauxarticles
de dépenfe extraordinaire , & celle du
mois de janvier , ajoute que , la recette a été
à-peu-près comme on l'avoit prévue , qu'au 1º.-
février , il y avoit en caiffe 38,517,000 liv . ; qu'en
ce moment , il feroit queflion de toucher au numé
raire effectif qu'il faut ménager & qu'en confé- '
quence il demandoit que la caide de l'extraordinaire
verfat immédiatement 72 millions dans le tréfor
public . Sa propofition eft auflitôt décrétée , &.
l'on paffe au tabac. Après une très -lègère dif
cullion , les articles fuivaus ont été adoptés :
IV. Le tabac en feuilles provenant de
l'étranger pourra être mis en entrepôt dans les
magalius de la régie qui feront deſtinés à cet
ufage , & réexporté à l'étranger fans payer ucune
droit,
( 259 )
» V une régie nationale fera fabriquer &
vendre du tabac au profit du Tréfor public ,
& fera allujécie aux mêmes droits que les patticuliers
Dovreg
-Du tabac , M. Vieillard rappelle l'Affembeck
au clergé , par un rapport des troubles du département
du Morbihan , troubles qu'il impute ,'
fans fournir de preuves , aux eccléfiaftiques. Il
n'a communiqué que le réfumé d'une adreffe envoyée
aux comités par le directoire du départe
ment. Le peuple y eft en fermentation , peu de
prêtres y jurent , & des pétitions de citoyens
s'oppofent à ce que le ferment réprouvé de la
majorité de l'églife y foit prêté.
Le rapporteur a enfuite prétendu qu'on avoit
fait croire au peuple Breton , qu'il n'aura plus , mi
curés soul recteurs , ni évêques ; que les enfans ne
feront plus baptifés , que les fidèles ne recevront
plus les facremens au moment de la mort : cependant
que les pétitionnaires des villes & les payfans '
même sexpriment en de tous autres termes. Ils
difeng très clairement , non qu'ils n'auront ni
curés yumi : élêques ; ni facremeus , mais que
l'abfolution & la miffion d'un prêtre & d'un
évêque fort kailies , fi ce n'eft pas l'églife qui leur
donne les pouvoirs qu'ils aiment leur évêque
& leurs curés que ceux qu'on voudroir mettre
às leuroplice feront regardés comme intrus ,
conine ailégitimes ceux qui prêtent le ferment
comate des apoftats féparés de réglife - catholique
, " & par conféquent fans pouvoirs. Its
veulent que l'on he fapprime aucune paroiffe ,
foutiennent que les biens donnés au clergé fous
lae garantie de toutes les loix divines & humaines
lui ont été enlevés fans le confentemente
du peuple & contre fes mandais jurés ; qu'is
P
M
4
( (269 ) )
C
voyent avec indignation & horreur la vente des
biens de l'églife & leurs acquéreurs ; que l'Afy
femblée nationale doit fe aéracter , que toutes
les innovations décrétées ne pouvoient avoir lieu ,
fan un bref du pape ou meine un concile général
; que s'obliger par ferment à maintenir ces .
décrets , c'eft attaquer la foi , détruire la , religioncatholique
; qu'on ne peut , fans violer la confcience
, exiger un ferment pour le maintien de
loix à faire & inconnues ; que l'Affembice ,
décrétoit le mariage des prêtres , is divorce
l'abolition des facremens , on fe trouveroit avoir
prêté un ferment contraire à la foi, àla taifon , &c.i
Les maximes de ces, Bretons ont excité quelquesa
éclats de rire « Il eft indécent de rire quand la moitié
du peuple eften infurrection , a dit M. de Cazales ». :
Ces pétitions , a pourfuivi M. Vieillard, fout an- ›
noncées comme formées par vingt paroifles , on n'y
donne au directoire que deux jours pour répondre.
Le directoire de Vannes a demandé à la ville de
l'Orienti , 4 canons & 50 hommes 15co militaires
fe font mis en marche. De jeunes gens .
font allés à l'évêché ( quelqu'un a dit : armes de
fabres nuds ) pour faire prêter le ferment à l'évêque
; au lieu de fe montrer , il s'eft lauvé par la
petite porte du jardin & s'eft caché dans le grenier'
d'une cabane . Enfin on affirme , fans le prouver,
que les trois évêques de Saint- Pol - de- Léon , dec
Tréguier & de Vannes excitent les prêtres & les
nobles de la Bretagne à la révolte . La , conclu
fion a été de décréter que le Roifera prié d'envoyer :
des troupes ; qu'on enverra des commiffaires ,
comme en Alface ; que les tribunaux informeront ;
que les officiers municipaux de Sulzau , fignataires .
de l'une des pétitions , demeureront fufpendus ,
( 261 )
orce
od
dre
gens
Eve
그다
Cr,
S
7
& feront remplacés ainfi que les commiffatres l'ordonneront
que le miniftre de la juſtice rendra
compte , de jour à autre , des informations ; &
que les trois évêques viendront fur-le - champ à
la fuite de l'Affemblée nationale .
Envain M. de Cazalès a-t-il repréſenté que
donner aux commiffaites le droit de remplacer
des municipaux , c'eft empiéter fur les droits du
peuple ; qu'on ne pouvoit , avec juftice , mander
trois évêques contre lefquels il n'y a rien de
prouvé que ce feroit imiter le defpotifme miniftériels
qu'il falloit informer avant de juger &
de punir... La queftion préalable l'a réfuté péremptoirement
, & le décret a été adopté fans
la moindre modification .
1
Du lundi , féance du foir.
Une députation de docteurs aggrégés de la faculté
de droit de Paris , eft venue offrir à l'Affemblée
un plan d'enfeignement de droit public ,
dont on n'a cité que des maximes d'anarchie ; &
dénoncer une ordonnance barbare de Louis XIV
de 1679 , confirmée par un arrêt du parlement
en 1765 , qui leur défend d'enfeigner le droit
public & canonique , fous peine de 3000 livres
d'amende , en ne le permettant qu'aux profeffeurs
. M. le préfident leur a répondu que , comme
maîtres éclairés de l'art , ils devoient juger des
décrets mieux que perfonne ; que bientôt le droit
public & privé fera mêlé dans les vaſtes ruines
dont l'Affemblée s'entoure ; qu'il n'en reftera
plus que ces vérités éternelles , principes de toute
régénération durable. « Nous avons déjà fourni
une affez ample matière à l'enfeignement géné
ral...... Vous êtes les prêtres de la juftice.....
сс
Μ
MS
S
1 262 )
your empêcherez qu'elle ne foit fouillée par des
coutumes infenfées ... Avant toutes les facultés ,
if exiftoit une grande faculté , celle de tout enfeigner.....
L'efprit de nos loix eft de tout développer
. Ces traits caractérifent Fefprit du
moment. L'Affemblée accepte l'hommage , & kes
docteurs aggrégés ont l'honneur d'aflifter à la créa
tion des loix.
M. de Mirabeau annonce que M. Duport lui
fuccède dans la préfidence . Enfuite M. Pifon du
Galland entreprend , au nom du comité des domaines
, un long rapport fur Paliénation du domaine
de Fenefirarges , rapport qu'il auroit été
plus fimple de réduire à fes conclufions , pu
qu'on n'y a mis , comme dans tant d'autres
que les allégations favorables à ce qu'on voufoit
conclure, fans les balancer d'aucune objection
quelconque. L'aliénation au rapporteur a paru dénuée
detoute validité , parce que le domaine engagé
m'a été payé que d'un bon qu'il a prétendu c
torqué à la bienfaifance du Roi. Allant au- delà de
fon texte , il a foutenu que M. de Polignac devoit
au tréfor public 800,000 liv . montant de la liquidation
fixée fur l'avis de M. de Calonne , de
l'indennité d'un droit de buitaine dépendant du
fief de Puy-Paulyn à Bordeaux ; & il a propofé
de décréter que les domaines aliénés foient rendus
à la nation' , & que le contrôleur des reftes
& bons d'état actionne M. de Polignac , en répé◄
tition de la totalité , ou de la partie payée des
800,000 liv .
M. de Foucault a dit que , fi l'on commençoit
le trop fameux livre rouge , on devoit l'achevers
qu'avant le 4 mai 1789 , le Roi avoit le
droit univerfellement reconnu d'ufer de libéralité
& de munificence. ( Jamais , jamais , le fout
( 263 )
k
18,
YOS
.
écriées quelques voix . ) Les Etats - généraux avoicet
été chargés de demander que le Roi rentrat dans
tous fes domaines aliénés à vil prix ; le comité
des domaines ne fut inftitué que pour revoir les
contrats de vente où le Roi auroit été lézé ; il
étoit fingulier qu'on allât précilement chercher
une vente payée avec un bon , aves un effet regardé
juſqu'a préfent comme de l'argent comp
tant. D'après ces confidérations , M. de Foucault
a invoqué la queſtion préalable .
M. de Cuftine a demandé que tous les dons
conftatés par le livre , rouge fuilent également
reftitués au tréfor public. La falle a retenti d'applaudiffemens
. M. de Cazalès s'eft élevé contre
une action rétroactive donnée à des loix nouvelles
, dont la févère juſtice ne feroit pas de la
générofité de l'Affemblée , fur-tout à l'égard de
perfonnes qui maintenant ont perdu toute faveur,
qui errent loin de leur patrie , & dont la fomme
de 800,000 liv. , donnée par la libéralité du Roi
en confidération de places que les moeurs d'alors
rendoient infiniment difpendieufes , abforberoit aujourd'hui
le patrimoine . Il a conclu à la rentrée
du domaine de Féneftranges , mais à ce qu'on
n'ordonnat point de poursuivre M. de Polignac ,
pour la reftitution d'une fomme repréfentative
d'un droit fupprimé.
I
Après avoir rappellé la motion de M. de Cuf
tine , le préfident a ajouté que plufieurs membres
demandoient la divifion . M. Rewbell & M.
Charles de Lameth fe difputant vivement la parole
, M. de Mirabeau a impofé filence au fecond
, & le premier a voulu borner la diſcuſſion
à la feule affaire de Féneftranges. On a mis
aux voix la motion de paffet à l'ordre du jour.
Le président voyant M. Charles de Lameth 18-
M 6
( (~264 )
patient de parler , lui a dit ne me montrez
point de chaleur , vous avez la parole . J'entends
fort bien de nombreuses réclamations de l'ordre
du jour ; mais fi le nom de M. Lameth cft fur
le livre rouge , je le trouve parfaitement à l'ordre
du jour ».
Celui -ci a témoigné avoir fenti qu'on défignoit
indirectement les 60,000 livres pour lefquelles
Madame fa mère eft fur le livre rouge . Il a dit
que fa mère , fille & foeur d'officiers qui avoient
rendu de très -grands fervices à l'état , avoit des
droits fans doute à des gratifications ; qu'au furplus
, fon intention étoit , & il prenoit l'engagement
de rendre à la nation cette fomme, qui avoit
fervi à fon éducation & à celle de fon frere. Des
battemens de mains l'ont reconduit à fa , place,
fans qu'on ait accepté fon offre..
M. l'abbé Grégoire a propofé de déclarer M
de Calonne , comme miniftre prévaricateur , folidairement
refponfable des 800,000 livres . M.
Chabroud a trouvé dans la refponſabilité poſté,
rieurement décrétée , un droit acquis antérieurement
de poursuivre M. de Calonne , & le décret
a réuni les conclufions du rapporteur fans reftriction
, et l'amendement de M. Grégoire,: , :
L'orateur d'une députation de 32 des 48 .fections
de Paris , conduite à la barre par M.
l'abbé Mullot , a fupplié avec emphafe a les organes
de la France , de confirmer la liberté
que la commune prétend aflurer à Mefdames ,
Tantes du Roi , de refter à Paris lorfqu'elles
veulent voyager , & de porter une loi fur le
mode particulier d'existence de la dinastie régnante
. La harangue a fini par ces mots : «
Le Roi.... ne croit pas qu'il lui foit permis de
retenir la famille ; fouffrirez-vous que son coeur
(( 265 ))
»
-ait des craintes à concevoir dans l'attente de votre
loi ? Le préfident a vaguement énoncé
quelques nouveaux rapports entre les principes
de la liberté des individus , & les exceptions qu'il
pourroit y avoir pour la famille régnante il a
dit que puifque le nom du Roi étoit joint à celui
de la Nation , sun ordre durable affuroit le
bonheur du Monarqué. &c.
ד
b
Du mardi , 15 février.
On a repris la difcuffion fur les taxes des
entrées des villes ; MM. Sinéti , Rey & de Boiflandri
ont combatu le plan du comité , & prétendu
que ce genre d'impôt étoit inconftitutionnel ,
contraire à la déclaration des droits de l'homme,
plus à charge au pauvre qu'au riche , accompa
gné de vifites , de peines pour fautes d'inadvertance
ou d'ignorance , nuifible à l'agriculture ,
à l'industriel, au commerce M. de Boiflandria
obfervé que cet impôt ne fera fupporté que par
45500,000 individus fur 25 millions d'ames ; que
file vin ne payoit pas 4 à 5 fous aux portes
de Paris , lo peuple en boiroit davantage ; que
le projec des licences ou patentes promis par le
comité, atteindra les confommations , fans taxes
d'entrée , qui font de véritables impofitions déguifées
fur les campagnes ; « que le temps des abus
& des inquifités eft palle , les privilèges détruits ;
que les villes , autrefois exemptes de la taille ,
payerono le triple & le quadruple des campagnes
par les contributions foncières & mobiliaires , proportionnées
aux loyers , le timbre , l'enregiſtrement
& les patentes -
>
A l'objection que Paris délivré de ces droits ,
feral trop peuplé Forateur a répondu que Paris
ad'immenses pertes à réparer, Lui objecte- t-on
( 266 )
que les claffes inférieures ne payeront aucun impôt
fi les confommations font libres , que tel
ouvrier qui paie so francs de droits , fou par
fou , n'aura pas la faculté de débourfer so liv.
d'impôt direct ? Il répond que cela même prouve
l'immoralité des taxes. S'inquiete- t-on du moyen
de les remplacer ? Il s'écrie qu'il feroit bien
étrange « que la nation Françoife qui , dans l'efclavage
, fupportoit 7 à 800 millions de charge ,
» ne pût pas , après être devena libre , pourvoir
» à un fupplément de 24 militons , lorfque fes
» contributions annuelles feront réduites à 5 à
» 600 millions >>>
20
сс
Une lettre du département du Loir & Cher ,
apprend à l'Affemblée qu'ils ont nomuné M. l'abbé
Grégoire à l'évêché de Blois
Des députés extraordinaires de Haguenau demandent
à prendre , au comité des recherches ,
communication des pièces dans lesquelles ils
font inculpés. Un arrêté , digne de ce comité,
portoit qu'il ne feroit rien communiqué
aux accufés. M. de Foucault a demandé qu'on
caffât l'arrêté , & qu'on fupprimât tous les comités
des recherches . On a ordonné la communi❤
cation , & la motion de M. de Foucault a été
repouffée par les négatives du côté gauche &
par l'ordre du jour.
M. Roederer ayant effayé de juftifier les droits
d'entrée , en alléguant le deffein de fuppléer é
Tétat d'infertilité où la féodalité à réduit les
terres , a confenti à ce qu'on ne difcutât ces droits
qu'après avoir examine celui des patentes s propofition
qui eft auffi -tôt paffée en décret. En
conféquence M. d'Alarde a lu un rapport, dont
le réfultat étoit la fuppreflion de toutes les maît
triles & jurandes,, & l'obligation de payer unr
( 267 )
patente pour exercer toute forte de profeffion
patente plus ou moins chère , fuivant le taux du
Joyer. « Autrefois le travail étoit un droit régalien
, maintenant il eft un droit national , a dit
M. Begouen. Ces patentes ramèneront les jours
où l'on s'énorgueilliflcit de vivre fans rien faire,
noblement ; au lieu d'en donner aux travailleurs ,
il faudroit y foumettre les oififs . J'invoque la
queftion préalable fur le projet du comité ».
M. d'André a répondu à M. Begouen que les
idées philofophiques égaroient fouvent en légiflation
, & que le travail du laboureur étoit im
polé. Le remboursement des jurandes inquiétoit
M. de Folleville ; mais il aura été bien rafluré
par les calculs de M. de la Rochefoucault. Ce
ci-devant duc lui à pofitivement affirmé qu'il ne
faudroit que 22 millions aux perruquiers , de 15
à 16 millions pour le reste , & qu'ainsi le total
des jurandes n'excéderoit pas 40 millions à rembourfer.
Le temps prouvera la jufteffe de cette
évaluation & préciſe , à deux ou trois millions.
près.
Du mardi, féance du foir.
·M. Alexandre de Beauharnois a lu , au nem
du comité militaire , fix articles additionnels qu'on
a décrétés fans difcuffion : ils font relatifs à l'avancement
des colonels & lieutenants- colonels au
grade de maréchal - de camp.
Au nom du même comité , M. Dubois de
Crance a fait un rapport fur les invalides qui
formentune maffe de penfionnaires de l'Etat , d'environ
28,000 hommes dont 1860 , tant officiers ,
fous - officiers que foldats , font entretenus à l'hô
tel . Il a propofé de fupprimer l'hôtel , & de donmer
à chaque foldát 270 liv. 10 fous ; aux fons
( 268 )
1
officiers 300 liv .; aux maréchaux -des -logis 422 1.
.3 fous deniers ; aux lieutenans 600 liv.; aux
capitaines 800 liv.; aux commandans de bataillons
1000 liv.; aux lieutenans - colonels 1200 1 .
&& demain l'hôtel fera vacant ». Il n'y reftera
que le gouvernement & ce qu'on appelle manicrots
ou moines-lais , « a dit le rapporteur ».
Il veut qu'on donne 100 liv . de plus , par an ,
aux manchots , aux aveugles , &c. Au tefte il a
très-généreufement plaint ces vieux militaires de
devoir achever leur carrière dans la fubordination
dont ils s'honoroient ; après avoir loué la
manificence de Louis XVI, il a philofophiquement
diftingué le fafte de l'édifice , de l'utilité
de la chofe & de l'intérêt des individus , oubliant
trop que la gloire des empires a aufli fon
fafte louable lorfqu'il peut durer des fiècles &
faire l'admiration du monde ; M. Dubois de
Crancé a propofé 83 hofpices de la patrie , un
dans chaque département ; il a dit que l'hôtel
des invalides ne raffembloit que les foldats du
& que ces hofpices recueilleroient les folaats
de la patrie , diftinction qu'on laiffera juaux
militaires . Enfin , il a infinué que la
municipalité pourroit acheter l'hôtel des invalides
, & en feroit une caferne ou un hôpital ; tel
eft le génie créateur moderne .
M. l'abbé Maury a invité l'Aſſemblée à ajourner
la difcuflon à mardi prochain , & promis des
obfervations fur ce projet . Il s'eft élevé contre
l'idée de vendre l'hôtel des invalides à la municipalité.
Savez- vous , a-t - il dit , comment elle
achète ? comment elle paie ? quel est l'état floriffant
de fes finances ? Il a rendu hommage à
la prévoyance qui veut procurer à la ville de
Paris de vaftes hôpitaux , dont Paris aura bien((
269 )

IK
tôt befoin. «Cet établiffement , a - t- il pourfuivi ,
» a fervi d'exemple à . toute l'europe ; en fulti-
» fierez - vous la fuppreflion légitimerez - vous
la barbare de rejetter de leur honorable afyle
و د
ל כ
a
des militaires invalides , pour leur donner tine
» pention à tant par bras perdu? comme fi an
» homine qui a un bras de moins pouvoit vivre
» avec 100 , liv. de plus lorfqu'if eft folé ?
M. Dubois de Crance vouloit rapprocher l'ajournement
, de crainte des manoeuvres des málveilude
lans . M. de Noa lles a cru répondre au farcafme.
de M. Tabbé Maury , fur les vaftes hôpitaux.
deformais néceffaires a la capitale , en difant que,
fous l'ancien régime, plufieurs malades couchoicht"
dans un même lit à l'Hôtel - Dieu . La difcuffion
eft ajournée à mardi prochain .
J
a
Du mercredi , 16 février.
: ·
Après l'annonce de l'élection d'un curé feptuagenaire
, à la place de M. l'Evêque de Chartres ,
dont le refus du fermeut eft pris pour une démif-
C fion libre & canonique & les phrafes des
Electeurs provinciaux fur les vertus civiques ,
& les cheveux blancs du Paſteur , on a repris la
difcuffion fur les patentes
Déformais le citoyen laborieux , induftrieux
s'il ne peut payer , en décembre , de deux à trois
vingtièmes du prix de fon loyer pour acquérir une ,
patente annuelle , n'aura plus le droit d'exercer
aucune profeflion , ni de travailler ni de vendre
pendant toute une année ; & nos philofophes appellent
cela détruire les privilèges & le régime
pfohibitif, établir la liberté & le bonheur fur l'éga
lité des droits . Nous tranſcrirons ailleurs dans leur
ordre définitif les articles qu'on a décrétés avec
ceux qui ont été renvoyés au comité,
( 270 )
2
Du jeudi , 17 février
1
Après l'annonce de quelques fermens d'eccléfiaftiques
, M. Camus a rappelle a l'Affemblée
que , les délais accordés aux fonctionnaires publics
& aux penfionnaires abfens , pour prêter leur
ferment , étoient expirés , & il a propofé de
conftater le nombre de ces abfens , & les dettes
qu'ils ont laiffées en France . Un décret a renvoyé
cette vérification au comité des finances qui
devra prafenter , dans la femaine prochaine , un
état de la radiation des traitemeus conformément
aux loix du 22 décembre & 14 janvier,
Sur la propofition de M. Cernon , l'Affemblée
a décrété que les officiers comptables fupprimés
par le décret des 12 & 14 novembre 1790 ,
pourront fe reti -er . par - devant , l'ordonnateur du
tréfor public , y faire arrêter provifoirement leurs
comptes , conftater leur beration que s'ils ne
doivent rien au trefor , fur la décharge provifoire
ducit ordonnateur , il leur fera délivré par
le commiflaire au Roi , directeur général de la
liquidation , une ou plufieurs reconnoiffances proviloites
de fihanec jufqu'à la concurrence de moitié
de la finance de lar office , qui feront reçues en¨
paiement de biens nationaux , biens qui demeureront
garans de tout refte de dette prouvé lors
de Parrêté définitif des compres , & garans autli
des créances pour lefquelles on auoit fait oppofition
avant la délivrance des reconnoiffances ,
après l'épuifement des créances du tiélor publi ;
que les compenfations opérées avec les recettes ,
en contravention aux décrets , emporteront privation
du remplacement des finances qui reterout
dues. Les receveurs particuliers remettront
au commiffaire les confentesiens & quicus délivrés
( 271 )
་།་
a
esc
par les receveurs généraux , vifés de l'ordonnateur.
On a repris la difcuffion fur le droit de patente
, & les débats n'ont rien offert d'important.
M. Martineau avoit craint les charlatansen ›
pharmacie , M. Ræderer les ignorans & les fripons
en ferrurerie & jufques dans le métier des
ramoneurs ; on avoit répondu que les patentes
n'exclueroient pas les réglemens , M. l'abbé Gouttes ,
fiftoïque à l'égard de la ruine de l'églife , s'eft
généreufement ou dramatiquement attendri fur le
fort des perruquiers qu'on promet de rembourfer.
A propos de l'obfervation de M. de Tracy que
des cultivateurs acherent des moutons ou des
boeufs dans une faifon & le vendent dans une
autre , uniquement pour en avoir l'engrais , M.
Ræderer a differté de l'effence du commerce qui ,
felon lui , n'eft ni vendre ni acheter , mais
acheter & vendre ; & ce cas particulier échappera
probablement aux patentes . Les articles décrétés
manifefteroht aflez l'efprit de cette difcuffion
. Nous les donnerons tous enfemble.
M. le Chapelier vouloit qu'on renvoyât aur
comités réunis des penfions & d'impofition à
ftatuer fur le fort des pères de famille employés
à la perception des droits fur les beiffons qui vont
être fupprimés ; mais M. Ræderer a vivenient
follicité l'Affemblée de ne laifler aucune influence
au dernier de ces-comités. Un décret a renvoyé
au premier feul la motion de M. le Chapelier.
Deux lettres ont annoncé , l'une l'élection de
M. Laurent , curé , député à Affemblée natio
nale , à l'évêché du département de l'Alliery &
l'autre , la démiflion de M. de Vaudreuil & de
M. de la Coudraie de leur place de membres du
comité de marine ,
"
-( 272 )
Du Jeudi , Séance du soir.
n
Une lettre des gardes nationales de Saint-
Malo , a rendu compte à l'Affemblée , des efforts
qu'ils ont faits pour le faifir des brigands qui
infeftoient les environs de cette ville . Quatrevingt-
fix perfonnes ont été arrêtées après avoir
tiré fur ces gardes & fur les troupes de lignes
réunis ; leur procès s'inftruit . Deux foldats du
régiment de Strasbourg , artillerie , étant tombés
entre les mains des bandits , s'en font tirés fans
fe fervir de leurs armes contr'eux . On a décrété
que le préfident donneroir des témoignages
de fatisfaction aux foldats & aux gardes nationales.
!
Madame Monfard , époufe d'un préfident au
parlement de Befançon , M. Drocroy & M. Chall
lot , capitaines au régiment de Meftre-de- Camp ,
cavalerie , furent acculés , vers la fin de Janvier ,
d'enrôlemens pour une contre- révolution . Eux &
plufieurs citoyens ont été décrétés & conduits dans
les prifons de Baume ; le tribunal de Baume a
renvoyé cette affaire au comité des recherches ,
comme criminels de lèze - nation , & M. Voidel l'a
rapportée aujourd'hui d'une manière qui paroitroit
bien étrange s'il n'avoit acquis le droit de ne
plus furpendre. « II fe trouve , a - t- il- dit , quel-
» que différence dans les dépofitions des té-
» moins ; on ne voit pas qu'il y ait eu ni en-
» rôlement fait ni argent donné ; & le principal
» témoin cft fous le poids de deux décrets de
» prife-de-corps ». Mais il ,ne convient pas à
l'Aflemblée de prononcer fur l'accufatition , ( quoiqu'elle
ait vingt fois prononcé fur des acculations.
infiniment plus graves , jugé , puni, abſous, caffé des
magiftrats , des régimens , fans écouter les deux
сс
( 273 )
1
Ex
parties , & juftifié les accufés des forfaits des s
& 6 Octobre ) . M. Voidet affure d'ailleurs que
-la force publique eft infuffifante à Baume
pour un jugement de cette rature aveu de
l'abjection & de la dépendance du plus grand
nombre des tribunaux ; & il demande que les
I prifonniers foient transférés à Besançon pour y
être jugés en dernier reffort.
1
4

t
L'appel cft ouvert à tous les accufés , s'eft écrié
M. d'André ; pourquoi ceux - ci ne fe pourvoiroient-
ils pas en appel à un des tribunaux de l'arrondiffement
? M. de Tracy à répondu de la
loyauté de M. Chaillot , qu'il connoît parfaitement.
Un décret à joint l'amendement , ſauf
appel à la motion inconftitutionnelle du rapporteur
.
M. l'abbé Mulot , à la tête d'une députation
du confeil - général de la commune de Paris , s'eft
préfenté à la barre , pour folliciter une meilleure
loi que celle que nous avions avant le
règne de la liberté contre la fureur du jeu . L'ora-
-teur as dit que l'on comptait actuellement à Paris
splus de trois mille maifons de jeu , qu'on jouoit
dans les places publiques , fur. les quais , fous les
-yeux de l'Affemblée , fous les yeux du palais du
meilleur des rois .... funefte reffource de milliers
de miférables fans moeurs , fans confcience ,
fans ouvrage , qui les corduit au vol , au meurtre
, au défefpoir , au fuicide . « Vous avez guéri
ر و د
toutes les plaies de l'empire , a - t-il ajouté ;
votre fageffe ne laiffera pas s'invétérer un mal
qui feroit perdre aux François tout le fruit de
Vos bienfaits ». Lé préfident a répondu que
¿l'Aſſemblée voyoit avec fatisfaction les motifs
qui animent la commune a promis un remède
au mal , & a offert à la députation les honneurs
de la féance.
,
( 274 )
Dans ce que M. Alquier a donné enfuite pour
un rapport des troubles de Tabago , le comé
colonial , dont il étoit l'organe , les a tous attribués
à M. de Jobal , commandant de cette île ;
& les injures étoient des preuves , l'accufé mériteroit
de perdre la tête. Tous les éloges ont été
réſervés a un avocat , à M. Bofgne , qui , fur la
nouvelle de ce qui venoit de fe paffer en France ,
le 14 juillet , voulut former un comité patriotique.
-On devine que les membres de ce: Club « ont été
conftamment attachés aux principes d'ordre dif-
Lficiles à conferver dans les premiers momens
- d'une révolution . MM. Grélier & Guys en
furent élus , l'un préfident & l'autre vice- préfident ;
M. Bofgne en fut fécrétaire. Mais « à Tabago ,
» comme en France , obſerve M. Alquier, les
» officiers militaires virent avec peine fe déployer
» l'énergie de la liberté ».
00
-337
כ כ
Dans la nuit du 2 au 3 Mai , le feu a mis le
comble aux malheurs de la colonie. Mais le rapporteur
, qui fait fi bien le décompte fecret entre
les officiers & le cantenier , ne dit rien des fcélérats
qui réduifirent presque toute la ville de
Tabago, en cendres . Les habitans réunis engagèrent
les foldats à repaffer en France , ceux - ci pairent
avec eux , comme otage , M. de Saint-Léger,
tréforier de la colonic & commandant des volontaires
nationaux. M. Alquier impute abfolument
tour à M. de Jobal , commandant. Il lui reproche
du defpotifme , de la pufillanimité , de la dureté ;
& après avoir appellés.homme fans caractère , il
lui prère in en actère . intriguant & erfide , parce
que M. de Jobat a protefté contre les arrêtés de
l'atlemblée de Tabago, au u de les fanctionner ;
& pour avoir , ce que rien ne prouve dans le
Tapport , défunis les habitans & les foldats da
2750)
1.
ST
régiment de la Sarre dont le roi à fait paffer une
partie à Tabago , pour avoir dit aux foldats que
Tes habitans avoient beaucoup d'armes & 15 mille
cartouches , & à l'affemblée coloniale que les foldats
menaçoient du pillage fi les habitans refufoient
le prêt des troupes. La concluſion a été
d'annuller les jugemens rendus contre les particuliers
accufés & condamnés , de rétablir l'honneur
de MM. Grelier & Guys , & de l'avocat Bofgne
& d'ordonner le rappel de M. de Jobal.
"
Regrettant beaucoup de devoir opiner fur des
objets qu'on met en délibération fans prévenir
perfonne , & plus encore de n'avoir pas lu le
mémoire annoncé par M. de Jobal , M. Malouet
a dit qu'il eût été à defirer que le patriotisme ne
Le für pas manifefté , dans les colonies , par des
infurrections , qu'un fimple expolé ne fuffifoit
point pour inculper un tribunal & un gouvernement.
M. Malouet a fait lecture , au milieu des
plus violens murmures , d'une note de M. de
Bouillé , du conquérant de Tabago : il demande,
au nom de la colonic , que l'Aflemblée ni le
miniftre ne prononcent qu'après avoir pris les
informations néceffaires , que Ton nomme un
confeil militaire & civil pour informer fur les
caufes de l'infurrection des troupes en garnifon
au Fort-Louis .
M. Emmery a crû devoir attefter le civiſme de
M. de Jobal , & s'eft écrié ; comment pourriezvous
condamner fur parole un fr honnête homme
?... Nos expreffions ne rendroient pas l'indécence
des éclats de rire qu'ont fait partir cesmots
honnête homme. Les galeries mêmes en ont
témoigné de la honte , en applaudiffant à M. Emmery
qui repréfentoit qu'on ne fauroit juger
à deux mille lieues la conduite d'un accufé , dont
SULLO
( 276)
ni lui ni perfonne ne peut faire entendre la
juftification . Mais M. Veidel a obſervé que le
rappel de ce commandant n'étoit point un jugement
, une condamnation , mais une précaution.
Après avoir attefté qu'il avoir toujours connu M.
de Jobal pour un bon militaire , M. Arthur- Dillon
n'en a pas moms déclaré que , dans les circonftances
actuelles ; il croyoit M. de Jobal incapable
d'être à la tête de cette colonie ; il lui a
imputé d'avoir encouragé les foldats à l'infubordination
, au point qu'ils l'ont menacé lui-même ,
ce, qui dément le titre de bon militaire ; mais
n'a-t-on pas va des gentils-hommes faire, incendier
leurs châteaux par pure ariftocratic ? M.
Dillon a cité des déclarations extrajudiciaires ,
écrites , fignées , mais non probantes . If a cependant
déclaré qu'il ne fe portoit pas accufateur ;
il a penfé que le jugement rendu contre l'avocat
& conforts étoit dans l'efprit des loix anglais
qui font encore fuivies à Tabago , & a'conclu
a ce que M. de Jobal fut tenu , d'afler rendre
compte de fa conduite aux commilaires envores
2à la Martinique. Le décret a combiné les con
clufions du rapporteur & cet amendement , & a
autorifé le commandant général des îles , du Vert
à remplacer M. de Jobal ; s'il le juge néceffaire.
Le Roi fera prié de donner des ordres ch conféquence.
f Du vendredi , 18 février.
Le décret rendu la veille difpenfoit de patente
les marchands de menús comeftibles fans boutique
ni échope ; M. Bouche a réfléchi qu'un baut
coupé en petits morceaux peut fe vendre comme
un menu comestible ; une nouvelle rédaction previendra
l'équivoque, Quelqu'un a demandé un
article
1 03 :
at have 277 ) chri
article particulier pour les loueurs d'hôtel - garnis
; M. Régnault lui a répondu que le décret
les défigne nominativement , & qu'on ne refait
pas un décret du jour au lendemain . ce qui n'eft
pourtant pas fans exemple...
Une lettre du Garde du fceau annonce que le
Rot ne croyoit pas devoir fanctionner le décret
fur la lifte civile : d'après la lettre de Sa Majefté ,
du 8 juin dernier , cette fanction paroît inutile
au Garde du fceau ; mais il ouvre l'avis d'inférer
la lettre du Roi dans le décret .
Après quelques adjudications légiflatives de
biens nationaux , M. de Montefquiou a lu un projet
de décret fur les fonds à faire pour les dépenfes
publiques de 1791 , dont les tableaux étoient
diftribués , dépenfes qui ont déjà exigé tant de
millions pour janvier & février. La prudence de
M. Camus a fait ajouter à ce décret un cinquème
article , qui lui a valu des applaudiffemens
& que l'enfemble de la conftitution rendoit
fuperflu .
-
En entendant nommer , dans le premier article
, les, enfans trouvés & les dépôts de mendicité
, M. de Liancourt n'a pu réſiſter à la tentation
de propofer que la paternelle follicitude du
corps légiftif embraffat indiftinctement tous les
enfans trouvés du royaume , comme tous les
mendians ; qu'ils fuffent tous entretenus aux dépens
du tréfor public ; ce qui mettoit naturellement
toutes les fondations qui les nourriffent ,
en divers endroits , d'abord à la difpofition , bientôt
au nombre des propriétés de la nation , & le
lendemain en vente. Mais l'idée n'a pas paru
affez mure. M. d'Eftourmel ne voyoit pas qu'il
No. 8. 19 Février 1791. N
( 278 )
füt fait mention des dettes des pays d'Etat dans
l'apperçu M. de Montefquion l'a tranquillité en
obfervant qu'elles feront l'objet d'un rapport féparé
de fon travail , & qu'elles ne montent qu'à
150 à 160 millions . L'effentiel eft de fixer les
dépenfes un peu au- deffous du befoin, Voici le
décret rendu fans difcuffion . férieufe :
CC Art . I. Il fera fait fonds, au tréſor public
en 1791 , tant par les . revenus ordinaires de l'état
que par les impofitions générales & communes ,
1. d'une fomme de 282,700,000 liv, pour acquitter
toutes les dépenfes attribuées au culte ,
à la lifte civile , aux apanagiftes , aux dépattemens
des affaires étrangères , de la guerre , y
compris les auxiliaires & la gendarmerie nationale
, de la marine & des colonies , des ponts &
chauffées , aux miniftres & au conſeil , aux bureux
& frais d'adminiſtration du tréfor public ,
de la caiffe de l'extraordinaire , de la liquidation ,
générale & de la comptabilité ; aux primes &
encouragemens pour le commerce , à l'école des
menus & aux dépôts publics , au jardin & à la
bibliotheque du Roi , aux univerfités , académies
& travaux littéraires , aux invalides & aux quinze-
-vingts , aux enfans- trouvés , & aux dépôts de
mendicité , aux frais de l'Affemblée nationale ,
de la Haute - Cour nationale & du tribunal de
caffation. 2 ° . D'une fomnic de trois cent deux
millions pour acquitter le traitement des éccle-
-fiaftiques & religieux des deux fexes harpprimés ,
le fecours accordé aux appanagiftos en faveur
de leurs créanciers ou pour indemnité , les penfions
de l'Etat , celles accordées aux Hollandois ,
& les intérêts de la dette publique , tant perpétuelle
que viagère conftituée ou non-conftituée,
( 279 )
lefquellos deux fommes réunies , montent à cing
cent- quatre- vingt -deux millions fept cent mille
liv. ; fe refervant l'Aſſemblée nationale de fta.
tuer fur les dettes particulières aux provins
ci- devant Pays -d'Etats , fur les fonds qui pour-,
roient leur être appliqués ».
« II. La caille de l'extraordinaire devant , en
exécution du décret du 6 décembre , verfer au
tréfor public 60 millions fur les revenus des domaines
nationaux , qu'elle eft chargée de rece
voir ; le Comité de l'impofition préfentera à l'Affemblée
les moyens de fournir au tréfor public.
en 1791 , la fomme de 522 millions pour completer
celle néceffaire aux dépenfes ci - deſſus ».
« III. Indépendamment des fommes ci-deffus ,
il Tera pourvu à un fond particulier de 55 millions
300 mille livres pour acquitter les dépenfes
de l'adminiftration de la juftice & des frais
de prifonniers , des Corps adminiftratifs , des
grands chemins , des entretiens de bâtimens publics
, de la perception des impots & des fecours
accordés aux hôpitaux ».
·.
ce IV. La caille de l'extraordinaire fera les
avances néceffaires pour acquitter en 1791 ,
1º. la fomme accordée par le décret du .
pour être diftribuée à titre de fecours aux 83 Départemens.
2. Celle qui fera décrétée pour les
travaux extraordinaires dans les ports maritimes .
3. Celle des atteliers entretenus à Paris . 4º . Les
frais attachés à la prolongation ou au renouvellement
de l'Affemblée nationale . 5. Les fonds :
d'équipement des auxiliaires . 6 °. La dépenfe
d'augmentation de l'Armée & des approvifionnemens
y relatifs . 7. Les trois millions qui reftent
à acquitter pour reparer nos fortereffes . 8 ° . L'ex-
}
N 2
( 280 )
pédition extraordinaire décrétée pout les ifl
d'Amérique , le . . . . • 1793
ce 9° . Une réserve de 20 millions pour fur
pléer aux dépenfes refultantes de l'apurement d
tous les comptes , le tout conformément au
différens décrets qui feront rendus par l'Aſſem
blée nationale » .
ce V. Le décret fur les dépenfes de la préfente
année 1791 , n'emportera l'approbation
d'aucun article de dépenfe particulière , aucune
dépense fur les fonds publics ne pouvant être
faite & allouée que d'après les décrets que l'Affemblé
a rendus ou rendra fur chaque article ».
L'abbé Volfius , profeffeur d'éloquence à Dijon
, & frère d'un membre de l'Affemblée nationale
, a été élu à l'évêché du Département.
Les adminiftrateurs du même Département
prient le corps conftituant de pefer dans fa fageffe
, les inquiétudes multipliées que leur cauſe
le projet du voyage de Mesdames , Tantes du
Roi. L'ordre du jour a fait juftice de ce defpotilme
patriotique.
Du famedi , 19 février. -1
L'Affemblée renvoie au comité d'agriculture &
de commerce l'examen d'un caroffe qui porte
cinq perfonnes & route fans chevaux , d'un bat-.
toir de grains qui difpenfera de payer des batteurs
en grange ; & au comité de falubrité un
fpécifique contre l'épilepfic . Deus nobis hac
otia fecit.
Calomnié par une espèce de fou de Marſeille ,
M. d'André méprifoit les calomnies ; mais une
fociété d'amis de la conftitution a fighé un de
( 281 )
ces libelles ou l'honorable membre eft civiquement
traité de confpirateur , de contre -révolutionnaire.
Il a demandé que le comité des rapports
rendît inceffamment compte de cette affaire.
M. d'André veut être ou juftifié , ou livré aux
tribunaux & s'il eft innocent que le calomniateur
foit puni . Le rapport fera fait la femai
ne prochaine , dans l'une des féances du foir,.
Sur la propofition de M. Vernier , au nom
du comité des finances , il a été décrété que du
jour du décret qui a fupprimé l'adminiftration
des haras , les frais n'en font plus à la charge
du tréfor public ; qu'on prendra ceux de nourriture
& de garde fur la vente des étalons , & que
pour indemnifer les gardes de la non -jouiflance
des privilèges pendant l'année 1790 , les directoires
de département donneront à chacun d'eux
une gratification de 120 liv . , où ce que ces gardes
n'auront pas reçu du montant de cette
fomme.
Des juges de paix entretiennent épiftolairement
Affemblée de leur propre admiration four
J'utilité de leur miniftère. On annonce des preftations
de fermens eccléfiaftiques , & l'élection
d'un curé à l'évêché de Limoges .
M. Duchâtelet , organe du comité diplomatique
a lu un rapport fur trois fabricateurs de
faux billets de la banque de Vienne , qui font
arrêtés à Huningue, que le miniftre de l'Empereur
réclame , que le miniftre du Roi de France avoit
ordonné de livrer , & que le tribunal du diſtrict
retient en attendant la décifion de l'Affemblée
nationale . Ce fait a préfenté une grande queftion
de droit public à la politique de M. Regnault de
Saint-Jean - d'Angely . Les loix du bon voifinage ,
N 3
( 282 )
Féternelle juice , le refpe&t du aux liaifons &
aux conventions qu'aucun déctet n'a rompucs ,
Tufage réciproque invoqué par le miniftre , un
der paudent de paix , avoient porté le comité à
conclure à l'extradition des transfuges . M. Regrault
a craint que· les defpotes dont nous
fomics entourés abufent de ce prétexte de
rufage , pour réclamer tous les amis de l'humanité
, les ardens promoteurs de la liberté , les
miffionnaires des droits de l'homme . Il a nommé
ceux de fes compatriotes qui font en Angleterie
cc
des François flétris par l'opinion publique » ;
enfuite il a demandé que les étrangers arrêtés
à Huningue , ne foient rendus que lorsqu'on
préfentera un décret de prife- de - corps.
M. Rewbell a nié l'existence d'un ufage conditionnel
, & exigé communication d'un procès
de tribunal à tribunal . «Si des François établiffoient
une fabrique d'affignats à Bâle
Yous les réclameriez , a dit . M. d' André.
Si l'on attendoit une procédure , ce délai ne
pourroit-il pas vous devenir funefte »? Comme
tout fe dit à préfent , M. Biauzat n'a
furpris perfonne , quand il a foutenu que l'obe
fervation de M. d'André portoit à faux , ce qu'il
étoit plus aifé d'affirmer que de démontrer . Aufli
M. Bauzat s'eft - il borné à la remarque , que
des transfuges arrêtés , même fur la fimple requifition
d'un miniftre , ne font plus nuifibles ..
Quelqu'un a avancé qu'un faux- monnoyeur
François ayant été réclamé auprès du tribunal
de Bruxelles , ce tribunal avoit refufé de le
rendre & avoit répondu qu'il confentoit à lui
faire fon procès i l'on vouloit envoyer les té
( 283 )
moins. Cette anecdote étrangère à l'espèce actuelle
, où il s'agit d'une réclamation de fouverain
à fouverain , non judiciaire , mais diplomatique ,
a néanmoins fufpendu tout-à-coup l'énergie que
les raifons de M. Duchâtelet & de M. d'André,
empruntoient & des affignats & des circonftances
extérieures. On a renvoyé le projet de décret
au comité , & chargé celui de conſtitution de
préfenter une loi fur les formalités de l'extradi
tion des transfuges réclamés . Ainfi , chaque cas
nouveau , quoique décidé par les loix cxiftantes
, ou par des conventions , amène une nou→
velle loi , fur laquelle il eft décidé .
Un député Breton a lu une lettre de la mu--
nicipalité de Vannes fur les malheureux événemens
du 13 de ce mois . Cette lettre remplie de
déclamations , ne contient aucun détail des faits ,
rien de précis , nulle preuve. Le fanatifme &.
la fureur des prêtres y font des allegations vagues
qu'aucun témoignage pofitif & juridique
n'attefte . « Ils ont des coeurs de bronze . Tout
ככ
fentiment d'humanité leur eft étranger . Leur
20 feul defir eft de nous plonger dans toutes les
horreurs de la guerre civile. Il feroit trop
» long de vous détailler les perfides moyens qu'ils
mettent en ufage .... Ces prêtres fanatiques
» & fanguinaires cherchent à renouveller les fore
faits du cardinal de Lorraine en prêchant' lemeurtre
& le carnage au nom d'un Dieu de
» paix , en béniffant des glaives pour égorger
» des milliers de citoyens.. Dans une des paroifles
révoltées , un prêtre à dit une meffe
» dans laquelle ila mêlé mille imprécations con-
» tre l'Affemblée nationale & les adminiſtrateurs
du département. Il a enfuite fait baifer le
BJ'
N4
( 284 )
1
» crucifix à tous ceux qui s'apprêtoient à partir
pour l'expédition fanglante.... ».
On ne cite ni la paroiffe , ni ce prêtre fanatique.
Il eft clair que l'Ecrivain municipal a
emprunté fon érudition de la tragédie de Charles
IX ; puifqu'il cite le cardinal de Lorraine
béniffent des poignards à Paris , tandis qu'au mo
ment de la Saint-Barthelemy , le cardinal de Lor
raine étoit à Rome.
Enfin 150 hommes du régiment de Walsh &
600 gardes . nationales de l'Orient ont diffip!
Fattroupement , fait des prifonniers & fauvé i
vie aux adminiftrateurs . L'Aflemblée a décrété
des remercimens au régiment de Walsh , aux
gardes nationales , & renvoyé la lettre & d'autres
pièces qu'on n'a pas lues , aux comités des
rapports & des recherches .
On gardera une grande défiance de ces premiers
rapports , en obfervant qu'immédiatement
après , M. Bicupat n'a pas hifité de dénoncer
M. l'évêque de Clermont ( l'un des prélats
de France de qui les vertus font plus univerfellement
reconnues ) comme ayant fait diftribuer
à Clermont où les électeurs devoient s'affembler
, une lettre imprimée qui ne tendoit
» à autre chofe qu'à ce qu'on vient d'annoncer
» de la part d'un autre département , mais qui
» heureufement n'a pas eu d'effet » . '
Tout le côté droit s'est écrié : celi n'eft pas
vrai. M. Biauzat a' répondu « elle fe vend ă
la porte de la falle ». MM . de Murinais , de Foucault
, d'Eprémefnil ont demandé qu'on fit lecture
de cette lettre . M. Varin a dit que l'Af
femblée n'avoit pas befoin' d'en entendre la lecture
pour favoir quelles intentions l'ont dictée.
» L'Aflemblée ne doit pas fouiller ' fes faces
( 285 )
ar de la lecture de ces libelles , a ajouté M. La-
» vie. Je demande l'ordre du jour. M. de 1
Foucault a obfervé que c'étoit l'ufage reçir ,
quand on calomnioit quelqu'un , que l'on paffär
immédiatement à l'ordre du jour ; & qu'il n'é---
toit pas furprenant qu'il en fût ainfi pour un
homme autant au - deffus de la calomnie de M..
Bauzat que M. l'évêque de Clermont . Pour fe
difculper M. Biauzat fort de la falle , y rentre
en criant : la voilà , la voilà ; & jette un papier
fur le bureau. Le côté gauche s'oppoſe obſtinément
à ce qu'on le life , & l'ordre du jour eft
l'unique preuve de la véracité de M. Biauzats
Au nom du comité des contributions , M. de
la Rochefoucault a fait un rapport général des
moyens de fournir aux dépenfes publiques de
1791. On avoit décrété , la veille , 641 millions
comme montant des befoins de l'année
courante , y compris 59 millions dans le tréfor
public , pour tenir lieu du produit de l'adminif
tration des domaines nationaux qu'elle recevra ,
ce qui réduit les befoins à 85 millions . Voici
les rentrées avec lesquelles on y fubvient :
Forêts nationales , 15 millions ; Salines , 3
millions ; vente du tabac & du fèl , 20 millions
; rentrée des fommes dues par les Américains
, 5 millions ; contribution patriotique
34,500,000 livres ; contribution foncière , frais
déduits 280 millions ; contribution mobiliaire ,
60 millions ; enrégiftrement , 41,500,000 livres
; hypothèques , 5,500,000 livres ; droit de
patente , 18 millions ; timbre , 22 millions.;
douanes , 20 millions ; poftes & meffageries ',
12 millions ; poudres & falpêtres , 800 mille
livres ; raffinage de l'or & de l'argent , 120,000
NS
( 286 )
livres ; .droits d'entrées des villes ou remplace--
ment 21 millions ; 2. loteries , 10 millions.
>
Le rapporteur a dit enfuite que le peuple fup- .
Fortoit , fous l'ancien régime , la charge énorme
de 766,764,000 livres qu'il ne payera ,
cette année que $70 millions; que c'est donc
uu foulagement de 196 millions , 764 mille:
livres . Il y a joint la contribution des privilé- .
giés , l'a évaluée 36 millions , a conclu que « le
foulagement véritable des anciens contribuables .
fera de 232 millions , 764 mille livres. »
כ כ
ל כ

Heureux de voir que le comité mettoit les
contributions à un taux fi bas , que le timbre ,
les patentes , & même l'impôt fur les terres
étoient fufceptibles de donner , fans gêne , so
millions de plus , M. de Crillon , le jeune , a
ouvert l'avis de renoncer aux droits d'entrées .
M. Fermont appuyoit cette opinion ; mais M. de
Cazalés a prétendu prouver que les propriétaires
des terres payeroient en maffe 455 millions ,
& il en a conclu qu'il falioit s'occuper d'abord
de décider quelle feroit la fomme qui porteroit
fur les terres. C'étoit auffi la motion de M. de
Folleville. Elle a été fontenue par M. Malouet ,
qui vouloit qu'on décidât fi les terres fuppor
teroient une taxe d'un tiers , d'un quart , d'un
cinquieme de leur produits parce qu'en décrétant
300 millions on n'auroit pas fait le plus
difficile , la répartition , fur-tout aujourd'hui que ,
population richeffe , facultés mobiliaires ,
toutes les bafes font inconnues . L'orateur a
craint que chaque département ne tâche de fe
fauftraire à l'excès de fon contingent d'impofition
.
сс

.
«Epuifons d'abord tous les impôts indirects , a
répondu , en fubftance , M. de Crillon le jeune . Le
( 287 )
travail ne fera pas long ». Puis il a propofé de
diminuer les charges en offrant un rembourſement
forcé de rentes perpétuelles , & un rembourſement
volontaire de rentes en viager, « Ce
remboursement , difoit-il , fera toujours facile
à effectuer , tant que les affignats auront une
71
valeur inférieure aux Domaines nationaux , &
par la baiffe qui s'eft opérée dans l'intérêt de
» l'argent . »
»
ל כ
-13
7
( Nous ne difcuterons ni la facilité d'un remboufement
forcé , ni le fait de la baiſſe dans,
l'intérêt de ce qu'on nomme proprement l'argent ,
mais l'infériorité de valeur des affignats à l'égard
des biens- fonds , ne donneroit- elle pas , en dernière
analyfe , l'efpoir ruineux d'une reffource
établie fur la terreur générale d'une plus pro-,
gen
fonde mifère prochaine , ou la terre fera du moins,
une valeur après toutes les calamités poffibles ? ) .
M. de Cazalés a trouvé que la propofition,
fi leste de M. de Crillon rappeloit une faillie de.
M. Fox. On crageroit au parlement d'Angle- .
terre l'état des finances de la France : « comp-
""
1
J
tez -vous pour rien , dit-il , la faculté qu'a la .
France de faire banqueroute ? » Après avoir
traduit les mots remboursement forcé par le.
mot banqueroute , leur fynonimé dans les circonftances
actuelles , M. de Cazalés a regarde la
contribution foncière comme le plus mauvais
des
impots
par la fomme qu'il exige à la fois ,
par fa perception plus économique , il est vrai
mais plus goureufe , & parce qu'il diminue
les , confommations . Ce fut en l'allégeant que
Sufly Effufcita la France. IF y eut des impôts
indirects fur le luke , fur les commodités recherchées
, qui n'effrayerent perfonne ; les propriétaires
plus affés confommerent davantage , &
N- 6
( 288 )
le royaume s'éleva bientôt à une étonnante profpérité.
Après avoir prédit que fi l'on ne fixoit
le taux de l'impofition foncière , on éprouveroit
des pertes quigointes aux 600 millions d'affignats
défa mangés dans une année , ameneroient d'énormes
embarras ; M. de Cazalès a demandé
qu'on déterminât une proportion modérée de cet
impôt, afin de pouvoir ou augmenter , ou reftraindre
au befoin , le produit , fans recourir à l'expédient
des emprunts.
M. de Crillon a prouvé la juftice & l'utilité
des rembourfemens forcés de manière à s'attirer
des applaudiffemens . Eh confirmant de tout le
poids de fon fuffrage , les calculs de M. de la
Rochefoucault , M. Anfon a répondu à M. de
Cazalès , que des 600 millions d'affignats , il y
en avoit 170 payés à la caille -d'efcompte , 130
d'anticipations éteintes ' ; le refte eh arrérages de
rentes dûs depuis vingt mois & aujourd'hui, acquittés
. Il a dit que tout cela faifoit prefque soo
millions ; conféquemment il n'y auroit que 100
millions , & le prefque de plus , mangés , i les
170 millions de la caiffe - d'efcompte , n'avoient
pas été , en grande partie , avancés pour des
befoins urges du moment ; fi une portion des
anticipations ne correfpondoit pas à l'année défignée
, fi ... fi ... M. de Rochebrune s'eft
offert à démontrer que les calculs de M. Anfon
n'étoient que des contes de peau-d'âne' ; & M. de
Cazalès a relevé des mécomptes , des exagérations
, & fait monter les befoins de l'année à
718 millions .
M. de Cernon ayant promis un tableau des
recettes & des rembourfemens ; « par qui fera- t - il
figné , a demandé M. de Rochebrune» ? Parle comité
des finances , a dit M. de Cernon. Que kes
( 289 )
2
membres du comité ceffent d'être inviolables , ou
que le tableau foit figné par M. Dufresne , a
repris M. de Foucault , dont Fordre du jour a
écarté la propofition . M. de la Rochefoucault
s'engage à produire demain ce tableau démonftrátif.
t
9
On paffe aux droits d'entrée , & M. le Chapelier
effrayé des alarines que peut concevoir le
peuple du droit de patente décrété , tandis que
les anciens impôts fe maintiennent , entraîne les
voix à la fuppreffion des entrées . M. de la Chaife
proroge la fuppreffion au mois de juin , parce
que les magafins font pleins de marchandifes qui
ont acquitte des droits . Qu'elle ait lieu demain
dit M. de Cazales , fi-non infurrection l'opérera
fûrement avant le terme décrété . Comme
député de Paris & de la nation , M. de Saint-
Fargeau répond à celle - ci de fa capitale « elle
a donné l'exemple de l'infurrection contre le defpotifme
; elle donnera l'exemple de fon refpect
pour la loi ». Le décret final fupprime , à compter
du premier mai prochain , tous les impôts perçus
à l'entrée des villes , bourgs & villages du
royaume , fauf à s'occuper des moyens de les
remplacer .
Dufamedi , féance du foir,
'On a d'abord écouté la lecture d'une lettre du
commiffaire du roi , du diſtrict de Vannes , qui
dans un ftyle moins poëtique que celui de la municipalité
, rend compte de l'infurrection , du combat
, de la retraite des infurgens des environs .
Un député de Bretagne à joint à cette pièce une
autre lettre du directoire du département , qui
n'apprend rien de plus , ni n'éclaircit aucunement
les faits.
I
I
( 290 )
Depuis les crimes , commis à Nîmes , M. de.
Marguerittes , maire de cette ville , M. Boyer,
fubftitut du procureur de la commune , les veuves,
des citoyens maffacrés , les opprimés perdus dans
les cachots , ont , inutilement , follicité , huit mois,
entiers , un rapport , un jugement , & la vengeance
des loix contre les coupables . Soutenus par
des intérêts puiffans , ceux-ci étoient
parvenus à
faire ,, fans ceffe , écarter cet examen. Qu a vu ,
la femaine dernière , avec quelle. énergie M , de
Marguerittes rappella cet inconcevable deni de juf
tice ; les protecteurs des accufés de Nîmes réuffi-,
rent encore à leur faire , accorder la grace d'un,
ajournement. M. Boyer , dont le zèle eft digne
des plus grands éloges , & qui a porté , dans la
pourfuite du crime, une courageufe persévérance ;,
M. Boyer , fubftitut du procureur de la commune
de Nîmes , & qu'il faut le garder de confondre avec
un gazetier du même nom , dreffa alors une nou
velle pétition à l'Affemble Nationale, au nom de 14
veuves qui pleurent leurs maris ,affallinés , & de
feize innocens plongés dans les cachots . Enfin ,
cette requête effrayante fit prononcer , mardi
dernier , que
le rapport feroit mis à l'ordre de ce
foir.

C'eft M. Alquier qui l'a débité : il a duré près
de cinq heures : fon étendue & la nature nous
forcent à en renvoyer la fubftance au moment où
nous rendrons compte de la difcullion qui doit le
fuivre . Nous nous borgerons aujourd'hui à obferver
, qu'après le rapport de M. Chabroud ; celuide
M. Alquier eft le plus extraordinaire , & , c'cftbeaucoup
dite , de tous ceux qu'on a entendus à
la tribune . Plufieurs ont été trop évidemment ,
ou des vengeances de l'efprit de parti , ou des
( 291 )
3
:
boucliers contre les loix . M. Alquier n'a trouvé de
coupables que les catholiques maffacrés depuis
long - tems , telles font les confolations qu'obtiemment
les veuves , les orphelins , les propriétaires
incendiés ou pillés . Suivant M. Alquier , ce
font les prêtres , car il faut des prêtres aujourd'hui
par-tout où l'on cherche à excufer des attentats ,
ce font les prêtres qui ont embrâfé Nîmes , c'est -àdire
, qui ont fait piller les maifons catholiques ,.
le couvent des capucins , & affaffiner deux cents
citoyens catholiques , par les calviniftes . Diffimulant
ces brigandages & ces meurtres , M. Alquier.
n'a compati qu'à la mort de dix-neuf proteftans ,
dont douze furent tués les armes à la main , & les !
-autres égorgés dans la fureur du défefpoir . Plus de
mille citoyens catholiques ont difparu depuis ces
jours d'horreur ; M. Alquier ne s'en inquiète point ;,
il ne fonge qu'à fétrir la mémoire des victimes , &
à obtenir une amnifie pour leurs affaffins . La fincérité
du rapporteur ne peut être foupçonnée
mais il eft permis de dire que fon comité a été
bien infidellement fervi dans fes recherches . Les
adreffes de la municipalité , les requêtès des veuves ,
les mémoires des prifonniers , les écrits , tous fignés
du procureur-fyndic , dix relations circonftanciées ,
appuyées de preuves que perfonne n'a même entrepris
de contre dire ; tous ces documens paroiffent
avoir été inconnus à M. Alquier : il a eu le malheur
de former fon opinion fur les dépofitions des
affaffins , & fur les verbaux des jacobins de Nîmest
7
La conclufion du rapport eft auffi étonnante que
fa contexture. Le comité après avoir innocenté
tous ceux à qui la voix publique attribue les atrocités
de Nîmes , invoque , néanmoins , la ceſſation
de toute pourfuite ; c'est-à-dire , qu'il demande
grace pour ceux qu'il affirme n'avoir mérité que
( 292 )
des éloges. Nous avons vu la même fingularité
dans le rapport de l'affaire de Nancy , & de plufieurs
autres , analogues . L'équité , néanmoins ,
force d'obferver , que fi les tribunaux s'occupoient
de punir tous les maffacres & les brigandages
qu'enfante l'anarchie , on mettroit en deuil le
royaume entier.
M. le rapporteur a conclu à ce que , vu la négligence
de la municipalité à publier la loi martiale
, lors des troubles du mois de mai , le roi fur
fupplié de faire procéder à l'élection d'une nouvelle
municipalité ; à ce qu'il fut raffemblé , à cet effet ,
à Nîmes , les forces néceffaires pour le maintien de
la tranquillité; à ce que l'Affemblée nationale in
vite les citoyens de cette ville à vivre en frores , -
& à oublier le paffé ; à ce que l'information ſe:t
déclarée comme non avenue ; enfin , à ce que ks
prifonniers foient mis de fuite en liberté mais
il fera informé devant le tribunal de Montpellier,
contre ceux qui ont tiré fur le drapeau rouge .
La difcuffion du rapport a été ajournée à mardi
prochain.
Du dimanche 10 févriers
Chaque féance s'ouvre , depuis quelque tems ,
par une dénonciation d'évêque. Celui de Dijon a
cu fon tour ce matin . Le département de la côte
d'Or a envoyé une lettre de ce prélat , en le qualfiant
d'incendiaire , fuivant les expreffions coníacrées.
Enfuite , M. Camus a prononcé , en VI ar
ticles , la deſtruction des gouvernemens militaires ,
lieutenances générales , lieutenances de roi ,
places , gouvernemens qui n'oblige oient point
( 293 )
----
·
à réfidence ; & ce , à partir du premier janvier
de la préfente année. Les appointemens arriérés
feront payés jufqu'au 31 décembre 1790. Les
porteurs de brevets de retenue , feront liquider
l'indemnité qui peut leur être due. Les titulaires,
pourvus en récompenfe de leurs fervices , feront
confidérés comme penfionnaires , & pourront envoyer
leuis mémoires au comité des penfions. Les
articles de M. Camus fout devenus un décret de
l'Affemblée .."
Immédiatement ; après , on a fait lecture de
la lettre fuivante de S. M.
2
« MONSIEUR LE PRÉSIDENT ,
» Ayant appris que l'Affemblée Nationale à
donné à examier au comité de conftitution une
question qui s'est élevée à l'occafion du voyage
de mes tantes , je crois à propos d'informer l'Affemblée
que j'ai appris ce matin qu'elles étoient
parties hier au foir à dix heures . Comme je fuis
perfuadé qu'elles ne pouvoient être privées de la
liberté qui appartient à chacun d'aller où il
veut , j'ai cru ne devoir , ni ne pouvoir incttre
aucun obftacle à leur départ , quoique je ne voie
qu'avec regret leur ,féparation de moi ».
'Sur -le-champ , M. Camus , le vifage enflamé,
a , demandé qu'on diminua de la lifte civile , le
traitement que la nation fait à Mefdames . Quelques
applaudiffemens , étouffés par d'honorables murmures
, n'ont pu faire réuffir le voeu de M. Camus,
M. Martineau , fon confrère , & non pas fon
émule , a pris la parole :
» La motion qui vient de vous être faite , n'cht
conforme ni à la dignité de cette affemblée ni à ſa
juftice ; & je n'ai qu'un mot à dire pour vous la
faire écarter ; c'eft que la lifte civile paroît défini
( 294 )
tivement fixée pour tour le tems du règne de
Louis XVI. S'il existe un doute fur ce que j'a
vance , je demande la repréſentation du décret.
Ainfi , à partir de la lettre feule du décret , je
décrète , je demande que l'on paffe à l'ordre du
jour ».
Quelques murmures de la gauche & des galeries
n'ont pas empêché , qu'à une très-grande m. jorité ,
Favis de M. Martineau ne 'devint celui de l'Af
femblée .
Le nouveau décret de M. Camus fur les
penfions , & encore nn bordereau de finance , la
par M. de Montefquiou , ont terminé la féance.
Nous les renvoyons au journ 1 fuivant.
Voici le décret rendu fur le droit de patente
dans les différentes féances , dont nous venous de
rendre compte.
L'art. Jet , portant fuppreffion des droits perçus
fur les boiffons & c. a été ajourné.
II. A compter de la même époque , ( premier
avril prochain ) , les offices de perruquiers , barbiers-
étuviftes , les droits de réception de maî
trifes & jurandes , ceux du collège de pharmacie ,
& tous privileges de profeflion , fous quelque
dénomination que ce foit , font fupprimés .
L'article II fixoit le mode de liquidation & de
remboursement des fommes par eux verfées aux
tréfor public , pour les provifions de leurs offices ,
( Ajourné ) .
IV. Les particuliers qui ont obtenu des maî
trifes , jurandes , ceux qui exercent des profeffions
en vertu de privileges ou brevets , remettront au
commiffaire chargé de la liquidation de la dette
publique , leur quittance de reception , pour être
procédé à la liquidation des indenmités qui leur
( 295 )
-
font dues , lefquelles indemnités feront réglées
fur le pied des fixations de l'édit du mois d'août
1776 & autres fubféquens , & à raifon des fommes
verfées au tréfor public , fous les déductions
ei-après déterminées ..
V. Les citoyens reçus dans les maîtriſes &
jurandes depuis le premier avril 1790 , feront
rembourlés de la totalité dés fommes versés au
tréfor publi . A l'égard de ceux dont la profeffron
eft antérieure à l'époque de quatre années ,
il leur fora fait déduction d'un trentieme par
année de jouillance ; cette déduction néanmoins
ne pourra s'étendre au-delà de deux tiers du prix
total ; & ceux qui jouiflent depuis par l'édit d'août
1776 , & autres fubfequens . Les rembourfemens
ci-deffus énoncés feront faits par la caille de
l'extraordinaire.
VI. Les fyndics des corps & communautés d'artifans
& marchands , feront tenus de fournir leur
compte de geftion aux Municipalités , lesquelles
les vérifieront , & formeront létat général des
dettes actives & paffives de chaque ceimunauté:
ledit état fera envoyé aux directoires de diftrict
& de département , qui , après vérification , le
feront paller au commiflaire du Roi chargé de la
liquidation de la dette publique.
VII. Les fonds exiftans dans les caiffes des
différentes corporations feront verfées dans la
caiffe du diftrict , qui en rendra compte à celle de
l'extraordinaire ; les propriétés , foit mobiliaires ,
feit immobiliaires , defdites communautés feront
vendues dans la formie preferite pour l'aliénation
des biens nationaux , & le produit defdites ventes
fera pareillement verfé dans la caiffe de l'extraordinaire..
VIH. A compter du premier avril prochain ,
( 296 )
il fera libre à tout citoyen de faire tel commerce ,
ou d'exercer telle profeflion , art ou métier qu'il
trouvera bon , après s'être pourvu d'une patente ,
& en avoir acquitté le prix fuivant les taux ciaprès
déterminés , & en fe conformant aux réglemens
qui pourront être établis .
IX, Tout particulier qui voudra fe pourvoir
d'une patente , en fera , dans le mois de décembre
de chaque année , à la Municipalité de fon domicile
, fa déclaration , laquelle fera inferite fur un
regiftre à fouche. Il lui en fera délivré un certificat
qui contiendra fon nom & la valeur locative
de fon habitation . Il fe préfentera enfuite chez
le receveur de la contribution mobiliaire , auquel
il paiera le prix de la patente , fuivant le taux ciaprès
fixé ; ce receveur lui en délivrera quittance
au dos du certificat & de la quittance , qui feront
dépolés & enregistrés aux archives du district : il
lui fera délivré au fecrétariat du dire&tore la
patente pour l'année fuivante .
Les déclarations , certificats , quittances & patentes
, feront fur papier timbré , & conformes
aux modeles annexés au préfent décret.
X. Ceux qui voudront exercer une profeflion ,
art ou métier quelconque pendant la préten e
année , feront tenus de le préfenter à leurs Mu
cipalités avant le premier avril prochain , & de
remplir les formalités prefcrites par les articles
précédens font exceptés du préfent décret les
cultivateurs ou propriétaires , pour la vente de
leurs beftiaux , denrées ou productions , autres
néanmoins que les vins ou boiffons qui feront
vendues à pintes & à pot .
La jouiffance des patentes qui leur feront délivrées
, commencera au 1. avril prochain ; &
les prix en feront fixés aux trois quarts des
( 297 )
0
1
1
1
patentes , qui , dans la fuite , feront accordées
pour une année.
XI. Les particuliers qui , dans le courant d'une
année , defireront fe pourvoir de patentes , en
auront la faculté , en rempliffant les formalités
preferites par l'article IX , & en acquittant le
droit pour le reftant de l'année , à compter du
premier jour du quartier , dans lequel ils auront
demandé des patentes .
>
XII . Le prix des patentés annuelles , pour
tous les commerces , arts , metiers & profeffions
eft fixé , fous les exceptions ci - après , à raifon du
prix du loyer ou de la valeur locative des maifons
, atteliers & boutiques de ceux qui les demanderont
; & dans les proportions fuivantes :

Deux fols pour liv. du prix du loyer jufqu'à
400 liv . jufqu'à 800 liv . , & 3 f. pour liv. audeffus
de 800 liv.
( 71)
XIII. Les manufacturiers , fabicans , négocians
, banquiers , commiffionnaires , agens &
courtiers de change , marchands , maîtres artifans
, maîtres ouvriers , maîtres de jeu de
paume ou de billard , gens tenant hôtel & chambres
garnies , perruquiers , coëffeurs loueurs de
chevaux & de carroffes , & généralement toutes
perfonnes faifant le commerce , ou exerçant une
profeffion , art ou métier quelconque feront
affujetties à fe pourvoir de patentes , & ne pourront
, à compter du premier avril prochain ,
continuer leur commerce ou profeffion , fans
avoir fatisfait aux formalités ci- devant pref
crites.
XIV. Les boulangers qui n'auront pas d'autre
commerce ou prófeffion ne paieront que la moi
rié du prix des patentes , réglé par l'article XII du
préſent décret.SEND 20
( 298 )
XV. Les médecins , chirurgiens , accoucheurs
& fage-femmes , ne feront point affujettis a fe
pourvoir de patentes , mais fe conformeront aux
règles qui pourront être preferites pour l'exercice
leur profeffion .
XVI. Les marchands & marchandes , tevendeurs
& revendeuſes , vendant dans les rues ,
halles & marchés publics , ne feront point tenus
de fe pourvoir de patentes , pourvu qu'ils n'aient
ni boutiques ni échoppes , & qu'ils ne faſſent aucun
autre commerce , à la charge par eux de fe
conformer aux réglemens de police.
XVII. Les particuliers qui voudront réunir à
leur commerce , métier ou profeflion la faculté
d'exercer les profeffions de marchands de via ,
braffeurs , limonadiers , diftillateurs , vinaigriers ,
marchands de bierre & de cidre, anbergiftres , hotelliers
donnant à boire & à manger, traiteurs , reftaurateur;
ceux même qui n'exerceront que les profeffions
ci-deffus dénomées acquitteport le prix des
patentes fur le pied ci -après ; favoir , 3f. 6d . pour l .
du prix du loyer jufqu'à 400 liv .; 4 f. 6. den.
depuis 400 liv . jufqu'à 80 liv.; & Sff. au- deffus
de 800 livres ; mais le prix de ces patentes ne
pourra pas excéder le taux de 30 liv . , pour les
marchands de vin des villes & de campagne dont
le prix du loyer eft au -deffous de 200 liv.
XVIII. Il fera délivré des patentes à termes ,
pour un , deux ou trois mois aux propriétaires
Teulement qui voudront vendre du vin de leur crû
en détail dans les villes , bourgs & campagnes ,
pendant un tems limité . Le prix defdites patentes
Lera de trois livres par mois ; elles ne feront délivrées
qu'après les formalités preferites , & que
Le prix en aura été acquitté entre les mains des
contributions mobiliaires & d'habitation : mais.co
( 299 )
E
patentes ne pourront être accordées pour plus, de
Fix mois dans le cours de l'année ; au-delà de ce
terme , elles feront réputées annuelles,, & feront
payées comme telles .
XIX. Les particuliers qui exerceront la profeffion
de colporteur dans les villes, campagnes,
foires ou marchés , feront tenus de fe pourvoir
de patente , après avoir rempli les formalités
prefcrites le prix en fera fixé fuivant les propofitions
de l'article XII ; mais il ne pourra être
au -deffous de 10 livres pour les marchands portant
la balle , de so liv . pour ceux qui emploieroient
à leur commerce un cheval ou autre bête
de fomme., & 80 liv. pour une voiture, quand
même le prix du loyer de leur domicile établi-
Toit une proportion inférieure. Lefdits colporteurs
ou marchands forains feront tenus , lorfqu'ils
en feront requis , de juftifier de leur domicile
et de leur . taxe mobiliaire et d'habitation
nième de représenter leur patente aux officiers
municipaux des lieux où ils exerceront leur com-
2
merce.
XX . Il fera alloué 2 fols pour livre fur le
prix de chaque patente au profit de la caiffe de
la commune , laquelle rétribution Tera acquittée
jufqu'à concurrence , à l'acquit de fes dépenfes
particulières les officiers municipaux tiendront
la main à ce qu'aucun particulier ne s'immifce
dans l'exercice des profeffions affujetties à des
patentes par le préfent décret, fans avoir rempli
les formalités prescrites , et avoir , acquitté le
droit .
XXI. Tout particulier et colporteur qui fer
le commerce , ou exercera une profeffion , a
ou métier quelconque , fans avoir rempli les for
malités prefcrites , & s'être pourvu de patente
L
( 300 )
féra condamné à une amende du quadruple du
prix fixé pour la patente dont il auroit dû fe
pourvoir. Lefdites amendes feront payées, entre
les mains du receveur de la contribution mobifiaire
, lequel en versera moitié dans la caiffe de
la commune , pour être appliquée à fes dépenfes
perfonnelles , & fe chargera en recette de l'autre
moitié pour en compter au tréfor public .
XXII. L'Affemblée nationale fe réferve de
ftatuer fur les formes dans lesquelles feront
conftatées les contraventions au préfent décret,
& fur celles dans lesquelles elles feront jugées
& pourfuivies.
XXIII. A compter du premier avril prochain ,
les droits perçus fur les boiffons , à la vente en
détail ; ceux connus fous le nom d'impôt & billot
, de devoirs de Bretagne , d'équivalent de
Languedoc, de Mafphaneng en Alface , le privilège
de la vente exclufive des boiffons dans
les ci-devant provinces de Flandres , Artois ,
Cambrefis et Hainault , les inventaires , les
droits perçus des allant & venans à la vente en
revente en gros à la circulation font abolis .
Sont exceptés de la préfente difpofition les droits
d'entrées dans les villes , qui continueront d'être
acquittés provifoirement , comme par le paſſé .
La fermentation qu'on avoit exc'tée au
fujet du voyage de Mefdames , n'a heureufement
amené aucun attentat . fur , leur
liberté. Samedi foir , néanmoins , les motions
à la belle étoile , les décifions législatives
des cafés , les libelles lûs dans les |
groupes avoient recommencé. Des femmes
da
( 301 )
du peuple fe rendirent même à Bellevue ',
foit pour y préfenter requête aux tantes du
S. M. , foit pour leur commenter les droits
de l'honime & leur impofer la loi de la
réfidence. Quoi qu'il en foit de ces différentes
verfions , ce cortège auquel on avoit
laiffé le paffage libre , ne trouva plus Mef
dames à Bellevue. Elles en étoient parties
une heure auparavant : les chevaux du Roi
les condulfirent je fqu'au premier relais fur la
route de Fontainebleau , cù elles arrivèrent
en quatre heures. Elles ont voyagé la nuit
entière , car le lendemain à 6 heures du feir,
le courier de Lyon , à ce qu'on affure , les a
rencontrées à Autun. Elles ont évité Dijon,
& auront fuivi très - probablement la route
de Genève par Châlons- fur-Saône , Mâcon
& Bourg. A l'exception d'une feule , toutes
les grandes municipalités de cette route ,
avant maintenu dans keur fein , l'ordre , la
paix , le refpect de la loi ; leurs gardes nationales
s'étant toujours fouvenues , que
prépofées au maintien de la liberté de tous ,
elles le font auffi à l'inviolabilité de chaque
citoyen , on doit efpérer qu'aucun fcandale
ne troublera le paffage tranquille des filles
de Louis XV. Malgré leur départ , le
Royaume & la conftitution font encore debout
; mais , que penfer des agitations créés ,
dans cette circonftance ? Et quel état de
chofes que celui où la fécurité publique ,
fans laquelle tous les avantages fociaux font
Nº. 9. 26 Féprær 1796 ~ Ο
( 302 )
des infortunes , peut être ébranlée par des
incidens de cette espèce ?
Lundi dernier , M. Barnave fit la motion
d'une loi particulière,à laquelle feroient affi
jertis tous les membres de la Dynaftie régpante.
Pour foumettre un ou plufieurs
citoyens à une loi particulière , il faut que
ees citoyens foient diftingués du refte de
la nation , par quelques prérogatives exclufives
qui leur impofent des devoirs propres.
Ainsi , il eft à croire qu'en déterrainant
ces derniers , on déterminera auffi les
droits de la Famille Royale ; car les devoirs
dérivent des droits , fuivant les loix éternelles
de la juftice. Les femmes en France ne font
point d'ailleurs de la dynaftic , puifque la
loi les déclare inhabiles à la fucceffion at
trône. M. Barnave , dont la motion , envifagée
fous ce rapport , n'eft pas fans convenance
, auroit peut- être pû la motiver plus
heureufement. Ilfe récria fur ce que la réfolu
tion deMefdames avoit dévancé la loi demandée
par les fections de Paris. Comment ce
légiflateur ignore -t-il que les loix de circonftance
; font l'apanage du plus inique
defpotifme , qu'on rendroit arbitraires &
illufoires les droits les plus facrés , fi à
l'inftant où le citoyen veut les exercer , on
oppofoit à fa liberté légitime , un décret
rendu fur le temps ? En vérité , plus nous
avançons , plus les notions de la liberté civile
& politique fe dégradent & s'effacent .
M- Barnave peignit enfuite l'ingratitude
( 303 )
de Mefdames , couvertes des bienfaits de la
nation , & dont la fortune repofe fur fa
générofité. C'eft beaucoup exagérer la reconnoiffance
. Si la révolution n'a dépas
pouillé les tantes du Roi de leurs propriétés ,
elles ont un patrimoine aufli indépendant
que celui de M. Barnave ; elles le poffèdent
par hérédité , & abfolument diftinct de
par
leur traitement fur la lifte civile. Quant à
cette lifte , & à ce traitement , nous penfons
qu'en effet , ils réfultent exclufivement de
lagénérofité nationale , s'il eft démontré que
Louis XVI , fucceffeur de trente & un Rois
héréditaires , dont la nation reconnut éternellement
la légitimité , n'eft autre chofe
qu'un particulier fans état & fans fortune ,
que le peuple a élevé fur le pavois , en lui
faifant une dot pour fa royale fubfiftance
& celle de fa famille.
La municipalité de Paris a publié la lifte
nominale de 664 eccléfiaftiques , curés , chapelains
, vicaires , confeffeurs , profeffeurs,
fimples prêtres , aumôniers des bataillons ,
des couvens , & de quelques hôpitaux , qui
ont prêté le ferment civique. Nous ne pou
vons indiquer la proportion de leur nombre à
celui des eccléfiaftiques qui ont perfifté dans
deur refus. La grande pluralité des eccléfiaftiques
du départenient de la Creffe
s'eft foumife au ferment , ainsi que l'évêque
de Viviers & une partie nombreuſe de
fon diocèfe . Parmi ceux qui y ont adhé304
)
ré en d'autres lieux , on en compte un
nombre très-confidérable qui fe font renfermés
dans le ferment reſtrictif de M. l'évêque
de Clermont. Une lettre de Bretagne du
17 nous informe qu'à peine un eccléfiaftique
fur 20 y a rempli la formule. Le Dauphing
paroît être la feule province méridionale ,
où les fermens aient trouvé un certain nombre
d'adhérens. Dans le diocèfe d'Aire en
Galcogne , de 198 fonctionnaires publics ,
huit feulement ont fait le ferment pur &
timple , & fix avec les réferves de A. Pévêqe
de Clermont.
Dans le récit des troubles de Vannes fait
à l'Affemblée nationale , les informateurs
ont cité une adreffe de plus de 20 paroiffes
contre divers décrets de la conftitution
eccléfiaftique. On fait que la troupe
mandée de l'Orient pour prévenir les défordres
, n'empêcha pas que l'évêque ne fût
Pobjet de violences outrageantes. Quant
aux combats poftérieurs entre les troupes &
les payfans , fi ces derniers fe font aflemblés
en afines , & ont tenté de donner l'appui de
la violence à leur pétition , ils font évidem
ment criminels , & ne peuvent juftifier
d'aucun prétexte cette infurrection . Celleci
n'étoit excufable , que , dans le cas où le
département auroit voulu difperfer par
la force des affemblées légitimes. Alois ,
feulement , s'ouvroit le recours au droit de
éfitance contre l'oppreffion , ftatué par les
droits de l'homme , & par la première loi
( 305 )
2
du humain. Encore , fon application
genre
eût été coupable , s'il reftoit d'autres moyens
de faire entendre fes réclamations . On annonce
auffi de grands troubles àUzès ; les cathon ,
ques & les proteftans en préfence , & près de
s'égorger ; mais ces premiers avis font trop
vagues pour en faire une mention plus détaillée.
L'oppofition fe manifefte , en beaucoup
de lieux , moins à la preftation des fermens
refufés fur le théâtre de ces réſiſtances , qua
la démiffion & au remplacement des eccléfiaftiques
dépouillés par la fuite de leur
refus. Ah ! quel compte auront à rendreà
l'humanité & à la patrie , ceux qui font
parvenus à divifer les intérêts des deux religions
dans le midi de la France , à les
oppofer l'une à l'autre , à détruire les liens
de fupport , de fraternité , de concorde qui
les unifloient , & qui ont perfuadé aux uns
qu'il étoit temps de dominer , & alarnié
les autres fur la perte de leur fupériorité
religieufe.
Ön prépare une tragédie de Rienzi au
théatre François. Perfonne n'ignore l'hif
toire de ce Romain , qui , en 1348 , renouvella
le tribunat dans fa perfonne ,
voulut rendre la liberté à fa patrie , & finit
fes jours à l'échafaud . Entre les mains d'un
homme de génie , ce fujet pourroit fournir
un grand intérêt , un grand tableau , & des
leçons ; mais pour l'adapter au goût actuel
, il fera néceffaire de le gâter. A la
03
( 306 )
vue des drames politiques qu'à enfanté
Ja révolution , on eft pénétré de la juftetle
du reproche que J. J. Rouffeau faifoit au
théâtre. » Pour plaire aux peuples , dit- il , il
» faut des fpectacles qui favorifent leurs
» penchans , au lieu qu'il en faudroit qui
» les modéraffent. Les fpectateurs feroient
» bientôt rebutés , fi le Peintre n'avoit foin
» de flatter leurs paffions. Ainfi , le théatre
» purge les paflions qu'on n'a pas & fo
» mente celles qu'on a. Ne voilà-t- il pas
» un remède bien admirable «<?
Si la tragédie de Charles IX eût exifté
après la St. Barthélsmi , ou au temps des
dragonnades , elle auroit peut- être diminué
l'excès du faratifine ; mais , la faire , la
repréfenter à l'époque d'une indifférence
abfolue de religion , & à l'inftant où la
fureur populaire fe déchanoit contre le
Clergé , c'étoit fe mettre à la fuite d'un
fanatifme regnant , pour lui retrouver des
armes dans les cendres d'un fanatifine
éteint. Les prologues de Quinaut & les
rimes républicaines d'aujourd'hui femblent
être far la même ligne , & dénoncent le
même efprit. Le théâtre étoit ci - devant
une école de baffes adulations envers
les Rois ; il cft devenu l'école des bafteffes
envers le peuple . De nos leçons dramatiques
, celle qui feroit le plus de circonftance
, eft la fublime fcène de Ma- .
homet et de Zopire.
( 307 )
Je viens après mille ans changer ces loix groffières;
J'apporte un joug plus noble aux nations entières .
A ces vers du faux Prophete , Zopire
répond :
Tu veux , en apportant le carnage & l'effroi ,
Commander aux humains de penfer comme toi.
Tu ravages le monde , & tu prétends l'inftruire..
Je confeille aux Comédiens ci - devant
du Roi , & maintenant de la nation , de
bannir cette pièce de leur répertoire. Mahomet
n'eft pas reffufcité ; mais il a laiflé de
petits bâtards.
Nous avons parlé d'un arrêté du club
de 1789 , où il net à l'inder le club monarchique.
Ce dernier a rendu la botte
dans fon Journal , où il avertit que l'arrêté
de ce puiffant club de 1789 , fi célèbre
par fa nullité , cutrage autant la raison
univerfelle , que la Lingue et la conftitution
Françoife . La fentence porte qu'elle a été
rendue fur les conclufions de M. de Condorcet
, l'un des Pontifes de la fociété de
perfedibilité. Veut - on favoir ce que cet
Académicien penfoit de la démocratie &
des conftitutions analogues , il y a fix ans ,
moins trois mois , jour parjour ? Ouvrons
le 15. volume des oeuvres du Roi de
Pruffe , à qui M. de Condorcet écrivoit
en ces termes , pas trop clairs , le 25
mai 1785.
« Je n'ofe défirer que Votre Majefté daigne
sjetter les yeux fur un difcours ou j'ai expofé
8
( 308 )
33
les principes & les résultats de l'ouvrage ,
(Effai fur les probabilités ) dégagés de tous les
appareils du calcul. Je prendrai feulement la
→ liberté de lui parler de deux de ces réfultats .
» L'un conduit à regarder la peine de mort , &c.
» Le fecond résultat cft l'impoffibilité de par-
» venir , par le moyen des formes auxquelles les
décifions peuvent être affujetties , à remplir les
» conditions qu'on doit exiger , à moins que ces
» décifions ne foient rendues par des hommes
» très - éclairés d'où l'on doit conclure que le
35
ל כ
bonheur du peuple dépend plus des lumières
» de ceux qui le gouvernent que de la forme des
conflitutions politiques ; & que plus ces formes
font compliquées , plus elles fe rapprochent de
la démocratie , moins elles conviennent aux
» nations , où le commun des citoyens manque
» d'inftruction ou de temps pour s'occuper des
affaires publiques ; qu'enfin il y a plus d'efpé-
» rance dans une monarchie que dans une république
, de voir la deftruction des abus
» s'opérer avec promptitude & d'une manière
tranquille.
"
לכ
" Les conféquences peuvent être importantes,
» ne fût- ce que pour les oppofer à cette espèce
d'exagération qu'on a voulu porter dans la
philofophie ».
30
35
Tum vera voces . Lucret. "
Lettre au Rédacteur.
Paris , le 17 février.
« Permettez , Monfieur , queje me ferve de la
voie de votre journal pour faire celler les bruits
& les propos hafardés qui fe répandent fur la
fituation des finances de Mesdames , tantes du
Roi, & pour rendre publiques leurs intentions . Je
( 309 )
dois à la vérité de déclarer que ces princeffes ont
donné les ordres les plus précis , non - feulement
pour régler & folder à l'ordinaire les mémoires
des ouvriers , marchands & fournieurs , pour
acquitter , comme par le paflé , les appointemers
& traitemens des officiers de leur maifon , mais
encore pour continuer de fuite le paiement des
gratifications & pentions qu'elles font à un grand
nombre de familles , & je dois auflì dire & affurer ,
que ce dernier article de leur bienfaifince , loin
de fupporter une diminution , vient d'être augmenté.
ALLIOT DE MASSEY , Tréforier général de
MESDAMLS .
Autre Lettre au Rédacteur.
Paris , le 13 février 1791.
Je viens de lire , Monficur , dans le N° .
du Mercure de France une pièce de vers intitulée :
Les françois aux bords du Scioto , épitre à un
emigrant au Kentuck. Je me plais à rendre juftice
aux talens poëtiques de fon auteur ; j'ai trouvé fon
épitre remplie de fel , de finetic & de gaîté ; mais
les fleurs de la poëfie ne fuffiffent pas pour dé
tourner de leur projet des François malheureux ,
dont l'émigration cft fondée fur des motifs moins
coupables , moins ridicules , moins infenfés même
que ceux qu'il leur prête » .
« Moi , qui ai connu ce projet que vraiſemblablement
je mettrai en exécution , je lui répondrai
( fi vous me le permettez par votre o
gane foit en mon nom , foit' pour un collegue
& un ami qui fe félicite tous les jours d'avoir pris
ce parti , & qui furement ne me défavouera
pas . je lui répondrai , dis - je , que nous ne
nous embarquons pas dans l'efpérance de rendre
( 310 )
à ces climats les lettres de cachet , la gabelle ,
la dixme , les droits féodaux , le blafen & les
titres ».
« Je lui répondrai qu'il fut un tems ( & ce
tems n'eft pas encore bien éloigné ) où il y avoit
quelque courage à réclamer coatre ces abus ;
parce que la mn feftation publique de fes opinions
à cet égard étoit accompagnée de quelque
danger ... Eh bien , c'eft à cette époque que
mon ami , que moi avons fait entendre notre
voix ».
« Immuable comme la raifon & la vérité que
nous avons toujours cherché à prendre pour
guides , nos opinions n'ont jamais varié ».
« Certes , il feroit précieux de voir débarquer
fur les rives fauvages & lib.es du Soto , des
François , réclamant les privileges exclusifs &
les abus de la fodalité ; de voir une poignée de
fugitifs cherchant à fubitituer aux loix des fagas
législateurs de l'Amérique , de ces fiers conquézans
de la liberté , des ufages gothiques qui
fe
perdent dans la nuit des tenis & des fiècles
barbares ! »
сс
« Non , non , jamais une idée auffi folle ne
troubla notre railon : non encore une fois , fi
nous quittons cette France qui nous fut fi chère ,
cette France aux deftinées de laquelle notre
Bonheur fera toujours lié , cetto France enfin ,
dont nous ne fortirons qu'en répandant des torrens
de larmes , ce ne peut être que pour trouver
un pays où l'on refpecte les loix ; un pays , où
le feud malheur d'être un noble , ( quelles qu'ayent
été d'ailleurs vos moeurs , votre conduite & vos
opinions politiques ) ne foit pas une raison pour
être en bite à tout ce que la haine la plus injufte
, la vengeance la plus implacable , ont
d'accablant pour des êtres fenfibics ».
( 311 )
Nous cherchons un pays où ( n'en déplaiſe
à l'auteur de l'épitre ) l'on n'ait pas le droit de
tout dire & tout imprimer , cù des feuilles incendiaires
diftribuées avec impunité , répandues
avec profufion , n'abufent pas éternellement la
crédulité du peuple par les fables les plus abfurdes
, ne le rennent pas continuellement d. ns
une agitation qui ne peut que lui être funefte ,
ne lui défignent pas les victimes de fon aveugle
fureur , & ne cherchent pas à dénaturer fon caractere
doux & ſenſible , pour en faire , au lich
d'un peuple libre & fier , le plus feroce de tous
les peuples ».
» Nous cherchons , puifqu'il faut le dire
une patrie ; car nous voyons avec la douleur la
plus vive , que nous ne pouvons appeller de ce
nom fa ré le pays qui nous a vu naître ; puifque
les loix ( quelqu'avantageules qu'elles puiffent
être pour la majorité de la nation , ) font néanmoins
impuiffantes ou mucttes à notre égard ,
pour proteger nos perfonnes & nos propriétés » .
« Nous cherchous ... mais je dois , Monhieur
, refpecter vos momens . Une fimple lettre
ne deit pas être un volume : & fi , très-malheureufement
, j'ai dans ma tête les matériaux d'un
volume fur ce trifte fujet , ce ne peut être ici
a place ».
Je me hâte donc de finir , en affurart Moniur
Andrieux que , ce ne fera qu'en gémiffant
que nous nous déterminerons à quitter la France ;
que nous ne la quitterons que parce que nous
'y trouvons ni fùreté i protection ; que bien
loin de tenter de tranfporter dans des contrées
libres & heureuſes , les abus contre lesquels nous
avons éré les premiers à réclamer dans notre
propre pays , nous n'y porterons au contraire
que l'amour , que la pallion même de la vraie
liberté & de l'égalité , ainfi que le refpect le plus
( 312 )
profond & la foumiffion la plus abfoluc aux
loix
de
D. R. , Député à l'Afemblée nationale .
Il nous fut impoflible dans le tenips
placer la lettre fuivante , écrite au Roi
par les dragons du régiment de Noailles ,
que commande M. de Galiffet , à la fuite
de quelques défordres dans lefque's ce
corps étoit tonbé , à l'exemple de tant
d'autres.
SIRE ,
« L'honneur fut toujours l'apanage de tous
les régimens qui ont porté les armes pour défendre
l'état & votre perfonne facrée . Plufieurs
d'entr'eux le font écartés de ces loix , dans un
moment où ils auroient dû redoubler de zèle :
les dragons du régiment de Noailles font de ce
nombre. On peut ignorer leurs fautes , mais ils
ne peuvent fe les cacher à eux - mêmes ; & c'eft
pour les expier qu'ils viennent fe jetter aux pieds
de Votre Majcité ; daignez leur en accorder le
pardon , ils vous jurent une fidélité éternelle &
2 toute épreuve ; puiffent-ils trouver l'occafion
de répandre leur fang pour le foutien d'un trône
dont la grandeur de votre ame , relève la
fplendeur.
» C'est le voeu de ceux qui feront jufqu'à
feur dernier foupir , avec les fentimens d'admiration
qu'infpirent vos vertus , de Votre
Majefté ,
Les Dragons du régiment de Noailles.
La lettre du régiment au Président de
l'Affemblée nationale exprimoit le même
repentir , avec la même énergie , & l'affu
rance d'un entier dévouement au maintien
de la conftitution,
1
SUPPLEMENT à l'article de Paris & aux nouvelles
444 étrangères.
Du jeudi 17 février 1791.
LUND!
UNDI
dernier
, la diligence
de Lille
fut
arrêtée
à fon
départ
, dans
les rues
de Paris
. Elle
portoit
du numéraire
à
Lille
: dans
l'inftant
, il fut reçu
qu'elle
recéloit
les trésors
de
-Mefdames
, qui , pour
plus
de commodité
, les faifoient
aller
à Rome
par
la route
de la Flandre
. La foule
s'ameuta
; la
fection
voifine
prêta
fon
appui
à l'arreftation
. La voiture
contenoit
environ
260
mille
liv. en efpèces
, foit
pour
le prêt
des
troupes
, foit
pour
des
négocians
de Lille
. Cette
verifi
cation
ne calma
ni la fureur
des
foupçons
, ni l'activité
de la
Section
. Celle
- ci , au mépris
de toutes
les loix
, de toute
police
, de toute
sûreté
, fit conduire
les facs
dans
fon enclos
.
Des
adminiftrateurs
de la police
municipale
s'étant
rendus
en
écharpe
fur les lieux
, & ayant
réclamé
le dépôt
, la volonté
de la Section
l'emporta
fur la puiffance
des officiers
de la loi.
·Cette
ſcèue
mit
tout
le quartier
en effervescence
.
Le jour même , un négociant connu , établi à Paris ;
devoit faire paller des piaftres & des lingots , pour la va
leur de cent mille francs , à fes correfpondans de Strasbourg.
Inftruit de l'aventure de la diligence de Lille , il retourna au
bureau de celle d'Alface , & retira fon envoi. Il étoit en
fiacre un efpion alla avertir le corps - de-garde voifin . Aullitôt
il le vit arrêté à fon paffage , invefti de fufiliers , mené
chez le commiffaire au milieu de huit grenadiers ; du commiffaire
chez lui ; de chez lui auprès du courtier de change qui
avoit négocié les lingots ; & après cette agréable & civique expé
dition de 7 on 8 heures , on lui permit d'aller fe coucher &
d'emporter fon argent. Il faut efpérer qu'inceffamment la
liberté le perfectionnera , jufqu'à exiger des citoyens qu'ils
exhibent dans les rues , le bordereau de ce qu'ils ont en
poche.
M. Duport a emporté la préfidence fur M. Tronchet. Les
nouveaux fecrétaires font MM. Pethion , Vouland & de
Sillery. Ces offices ont tellement perdu.de leur importance,
( 2 )
qu'à peine 380 électeurs ont concouru cette ſemaine aux
nominations.
Lundi 14. Demande d'un fecours extraordinaire de 72-
millions pour le tréfor public , par M. le Brun , au nom
du comité des finances. Les 72 millions font accordés fans
difcuffion .
Nouveaux articles décrétés fur le tabac . Enfuite un rapport
par M. Vieillard d'une dénonciation du département
de Morbihan . Les payſans des environs de Vannes fe dont
réunis à préfenter une pétition , où ils réclament la con- |
fervation de leur évêque , du chapitre , & des rectears , &t.
Le département , & le rapporteur après lui , attribuent ces moavemens
à l'influence des évêques , des féminaires , des infinuations
, des intentions. En conféquence , décret qui décide
Sun envoi de troupes , de commiffaires fur les lieux , une
information , & qui mande à la fuite de l'Allemblée nationale
les évêques de Vannes , Treguier & St. Paul de Léon. La
Frances & nous ajoutons l'Europe , n'a aucuns paſteurs plus
recommandables par leurs vertus & par l'exercice rigoureux
des devoirs de l'épifcopat.
Séance du foir. Décret qui dépouille M. de Polignac de
la terre domaniale de Feneftranges , dont l'échange et déclaré
nul , comme ayant été le prix d'un don du roi de
1,200,000 liv. De plus , ordonné de poursuivre M. de Polignac
, jufqu'à reftitution de 800,000 liv. qu'il a touchées
pour valeur d'un droit de péage cédé a S. M. fous le ministère
de M. de Calonne. Ce miniftre eft déclaré folidaire
du remboursement.
-Du mardi rs. Difcuffion fur les droits à impofer aux en-
-trées des villes . Le projet du comité a été ruiné par divers
opinans , entr'autres par M. de Sinetti . L'ajournement a été
décrété , peut- être nous verrons le comité reparoitre triom
phant après fa culbute , ainfi que dans l'affaire du tabac.
Autre projet fiscal d'un droit de patente à impoſer aux
arts & métiers , en délivrant le commerce des jurandes &
maîtrifes. Encore une deftruction de décidée , & décret
préalable qui ftatue qu'il y aura un droit de patente . Le
fylleme des économistes , avec fes hypothefes les plus déeriées
, devient chaque jour la loi de l'Etat , & compofe fon
économic politique.
!
1:
SUPPLEMENT à Particle de Paris & aux Nouvelles
étrangères.
Du jeudi 24 février 1791,
EN confirmant tous les faits que nous avons rapportés
plus haut , nos lettres de Genève du 18 , nous apprennent
que la République eft préfervée pour le moment des dangers
qui la menaçoient. La généralité des citoyens auxquels
fe font joints un nombre confidérable de Natifs fages & patriotes
, ont fecondé les mesures néceffaires du Gouvernemente
les gardes Bourgeoifes font en pleine activité , & la force
publique eft en état de déconcerter tous projets ultérieurs ,
fi chacuu fe pénètre des fuires horribles qu'ils pourroient entraîner.
Les Puiflances intéreffées à ce que l'indépendance de
la République refte inviolable , & qui lui ont donné , en
diverles occafions , des preuves d'un intérêt fecourable , ne
verroient pas avec indifférence les atteintes dont cette indépendance
pourroit menacée.
On a nommé dans quelques Feuilles publiques , deux Princes
de l'Empire qui ont tranfigé de leurs droits fupprimés en
Alface ; c'eft-là une des anticipations de l'efprit du jour , qui
annonce conftamment , pour le préfent , un avenir incertain .
Ces deux Princcs paroiffent en effet , être entrés dans quelques
négociations ; mais , fans l'aveu de l'Empire , feroient - ils maî-
[ tres d'une tranſaction définitive ?. En attendant la folution de
ce problême , les autres Princes Eccléfiattiques & féculiers continuent
à s'agiter pour cet objet. Il y a eu de nouvelles notes
remifes à la Diète , nous les ferons connoître par la fuite. Ceux
qui voient dans ce démêlé une guerre prefqu'immédiate , ne
connoiffent guère ni l'Affemblée nationale de France , ni le
corps Germanique .
Quelques-uns de ces libelles périodiques , diftribués au
peuple deux fois par jour , fonnèrent le tocfin mardi matin ,
en annonçant le départ de Monfieur & de Madame. Les voitures
étoient chargées , difoient ces execrables boute-feux ;
elles alloient rouler pendant la nuit , & Monfieur emporte
( 2 )
l'argent de la nation . Cent harangues échauffèrent les efprits
toute la journée fur, ce texte , dans les différens lieux publics .
Vers fix heures , une multitude confidérable fe porta au Luxem
bourg pour empêcher , ditoit - elle , Monfieur de partir . Ce
Prince dînoit chez Madame de Balbi en nombicute compagnie
, & ne fut pas peu furpris de l'arrivée de tant de curieux
. Il les défabula fur les fables atroces qui les mettoient
en mouvement , & leur promit de ne jamais quitter le Roi.
Un détachement de cavalerie étoit arrive ; Monfieur & Madame
le rendirent en voiture aux Thuileries , fous l'efcorte
de ces cavaliers & fuivis de la multitude , qui fe disperta
enfuite infenfiblement. Aucune efpèce de préparatifs ni de
prétexte ne fondoit cette agitation interminable , qui trouble
fans ceffe le tranquillité publique , & qui apparemment convient
aux vues de ceux qui la fomentent.
Sans confidérer que fa démarche tendoit à accroître la fetmentation
, en en juftifiant le but , une députation de la
commune , vint folliciter inftamment auprès de l'Affemblée
nationale une loi qui fixât les devoirs des Princes : quant a
leurs droits , d'où découleroient ces devoirs , la commune n ca
parle pas. Elle demandoit en outre , une feconde loi qui confifqua
les biens, ou au moins les revenus des émigrans acturis
& à venir. L'alternative de la peine eft d'une équité furp e
mante , dans un prejet de loi qui nous replace à l'époque de
plus violent defpotilme de Louis XIV , & qui le furpane
même en en généraliffant l'exercice . L'Affemblée nationale
renvoya la députation à une autre féance .
Lundi 21. Motion de M. Barnave , analogue à l'objet précédent,
M. Martineau y ajoute la demande d'une loi conte
les riches propriétaires émigrans , en forte que les droits de
la liberté foient réfervés aux pauvres exclufivement . M. de
Foucault obferve qu'aucune loi ne retiendra des hommes que
les loix ne protègent ni ne peuvent protéger , & que l'ararchic
livre à tout genre de violences . M. Péthion peint la
minorité comme révoltée contre la majorité , & lui artiou
les troubles & les défordres. Indigné de cette accufation ,
M. Malouet déclare que , puifqu'on ne peut exprimer des
opinions différentes de celles de la majorité , ( prépares
d'avance au club des Jacobins ) , fans être aceufe de révnitz ,
il renonce à la parole pour toujours dans l'Affemblée . M
d'André & M. Péthion interpretent la déclamation de t
dernier ; on renvoye la motion de M, Barnave au comite de
Constitution.
( 3 )
Malgré M. de Crillon qui prétendoit déjouer les vendeurs
d'argent , en fabriquant des affignats de 30 & de 25 liv. , ce
qui étoit précifément le für moyen de leur faire encore plus
beau jeu , l'Affemblée décrète qu'on s'en tiendra aux affignats
de so liv.
Mardi 22 Février. Nouvelle requête de M. Bonne-Savardin ,
opprimé depuis dix mois , par un emprifonnement perpétué
au milieu des chants de la liberté , renvoyé de juges en
juges , & demandant enfin un tribunal définitif. Quelques
patriotes humains crient à l'ordre du jour. M. d'André ,
révolté , démontre la cruauté de ces délais il obtient que
le comité de conflitution foit de nouveau chargé d'organiſer
un tribunal provifoire.
:
en
Lecture d'une lettre du département du Gard , qui annonce
la guerre civile fur le point d'éclater à Uzès & aux
environs , les gardes nationales de Jalès & d'autres lieux ,
préfence d'autres gardes nationales proteftantes , & c M.
Vouland attribue ces mouvemens à une lettre particulière de
M. l'évêque d'Uzès . On fait lecture de cette lettre : elle contient
un récit exact , mais amer , de la féance où le ferment
fut impofé aux eccléfiaftiques .
Séance du foir. M. de Margueritres , parlant à la barre ,
en qualité de maire de Nîmes , mandé , comme on s'en forvient
, au mois de mai dernier , a rempli la féance par un
difcours noble , démonftratif & très- détaillé fur le rapport
de M. Alquier. On a ajourné l'ultérieure difcuffion .
Du Mercredi 23 février. Lecture d'une lettre de la Municipalité
de Morer , qui témoigne fes regrets de n'avoir pu outrevifer
les paffeports de Mefdames à leur paffage ; c'étoit
fon deffein , & elle le regardoit comme un devoir , puifque
fes chers concitoyens des fections de Paris s'oppofoient à ce
départ ; mais cent chaffeurs de Lorraine ont mis obftacle à
leur refpect civique pour la loi & la liberté , en failant ouvrir
les portes du bourg. Renvoyé aux comités de conftitution
& des recherches.
M. le Chapelier propofe la loi de fon comité fur la réfidence
de ce qu'il appelle la dynaftie régnante. Le Roi ,
comme premier fonctionnaire public , fera tenu de réfider
( 4 )
auprès de la légiflature ; l'héritier préfomptif ne pourra voyager
dans le royaume fans la permiffion du Roi , ni hors du
royaume fans un décret du corps législatif. Tous les fonctionnaires
publics tenus à refidence fixe , fauf une permiffion
de s'abfenter. La difcuffion eft ajournée à vendredi.
Décret qui ordonne l'envoi de troupes & de commiffaires
dans le département du Gard , & information contre les
auteurs des troubles. Les milices de Jalès le font emparées de
St. Ambrois & ont enveloppé 150 dragons de Lorraine.
P. S. Il vient de fe répandre la nouvelle que MESDAMES
ont été arrêtées à Arnay- le- Duc.
: .
LIVRES NOUVEAUX.
ABREGE de la Procé- pour fervir de réponſe
dure criminelle, inftruite à M. de Mirabeau ; avec
au Châtelet de Paris , une Réfutation de l'opifur
la denonciation des nion de M. l'Evêque
faits arrivés à Verfailles , d'Autun , fur la vente
dans la journée du 6 des biens domaniaux.
Octobre 1789 , conte- A Paris , chez Laurens
nant les pieces les plus ue Saint- Jacques , vis-àintéreffantes
, relative - vis celle des Mathurins
mentà cette Procédure ; Traité complet de la
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porte cechere au com
de la rue Bouttebrie.
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valier des Loix ; par M.
Hourcuftremé , Avocat ;
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& fe trouvent à Paris ,
chez les Marchands de
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à M. le Monnier , Médecin
du Roi ; par M.
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l'Ordre du Roi , Docteur
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fur le rapport
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& fuivi d'un
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M. de Calonnenale , chez chez Baudoin
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Sciences , & imprimée
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franc de port , tant pour Paris que pour la Province.
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Directeur des Poftes . On fouferit Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins. On s'adreffera au fieur GUTH
Directeur du Bureau du Mercure.
LIVRES NOUVEAUX.
RÉPONSE de M. du reftauration de l'Art de
Chilleau , ancien Gou- guérir , lues à la féance
ve neur Général deSaint-
Doiningue , à l'article
qui le concerne dans la
prétendue juftification
de M. de la Luzerne ,
Miniftre de la Marine ,
ali ancien Gouverneur
de Saint Domingue ,
envoyée , le 18 Juin , au
Comité des Rapports de
Peffemblée Nationale.
Nouveau Plan de
Culture , de Finance &
d Beonamis , &c. envoyé
Afemblé Ntionale ,
le 10 Septembre 1790.
Se trouve à Paris , chez
Debray , Libraire , au
Palais Royal , galeries de
bois , no. 134:
publique de la Société
de Médecine , le 31
Août 1790 , & préfentées
au Comité de Salubrité
de l'Affeniblée
Nationale , le 6 Octobre ,
& c. Par Jean - Gabriel
Gallot , Médecin de
Montpellier , Membre
de plufieurs Académies ,
&c. A Paris , de l'Imprimerie
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jeune , chez Croullebois
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venue grande fille , Ouvrage
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aventures & fes révolutions
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jufqu'au 14 Juillet 1799 ,
l'époque de fa majorité,
& le jour du Pacte fédé-
Projet de réforme fur
l'exercice de la Médecine
en France , par M. Antoine
Petit , Docteur- ratif ; dédié à MM . de
Régent de la Faculté de
Médecine de Paris , de
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vince. Il faut affranchir le port de l'argent & de
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peut avoir lieu que pour l'aunéc entiere.
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