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1789, 09, n. 36-39 (5, 12, 19, 26 septembre)
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ;
CONTENANT
Le Journal Folitique des principaux évènemens de
toutes les Cours ; les Pièces Fugitives nouvelles
in vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyſe des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles
; les Caufes célèbres ; les Académies de
Paris & des Provinces ; la Notice des Édits ,
Arrêts ; les Avis particuliers , &c . &c.
SAMEDI 5 SEPTEMBRE 1789.
A PARIS
Au Bureau du Mercure , Hôtel de Thou ;
rue des Poitevins , No. 18 .
Avec Privilége du Roi.
THE NEW YOR
PUBLICLIR
33584/
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
TABLE
1905 Du mois d'Août
1789.
PINGES
Imitation .
Im -promptu.
FUGITIVES . Mémoires .
Tableau .
3 | La Juriſprudence.
5 Nouvelle.
62
77
102
107
Avertiffement. 49 Tableau. 111
Le Laurier.
50 Sur quelques Contrées . 126
Le Père d'un fupplicié.
73 Penfées . 139
Infeription. 97
Couplets. 98 Variétés.
34, 645 113 .
Vers. 121
Charades , Enigmes & Logog.
SPECTACLES.
5 , 52, 76, 100, ĺ24 . Comédie Françoiſe. 89
NOUVELLES LITTER.Comédie Italienne.
Theatre de Monf.44,93,140.
५०
Effei. 7
Les Amours. 17
Lettres.
Annonces & Notices,
29
46 ,
Sermons.
54
68,94 , 119) 142,
Plan .
60
A Paris , de l'Imprimeric de Moutard
rue des Mathurins , Hôtel de Cluni.
,
MERCURE
DE FRANCE.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE
A M. le Comte de P ..... , fur le refpect
envers les Femmes .
DANS ANS ces temps qu'on vit nos Provinces
Avoir chacune un Souverain ,
Que dans les moindres Bourgs régnoient auffi des
Princes ,
Qui les faifoient gémir fous un fceptre d'airain ;
De la Beauté foible , outragée ,
De braves Chevaliers devinrent les vengcurs ,
Et bientôt l'Europe changée
A ce Sèxe anobli dut la gloire & fes moeurs.
Le refpect appela les Belles
Pour préfider aux Jeux , poar juger aux Tournois ;
Les rubans , les cordons , honneurs offerts par elles,
Flattoient la vanité des Rois ;
Un doux regard payoit les plus brillans exploits .
A 2
4 MERCURE
Dans les tendres Romans qu'on s'empreffoit de lire ,
On ne peignoit jamais qu'un amour innocent ;
L'amour cft vertueux quand la pudeur l'iuſpire ;
Le Héros étoit un Amant ,
Qui , couvert de lauriers , n'envioit qu'un ſourire
De la Beauté fage en aimant.
Qu'ils font grands les Mortels que fon pouvoir entraine
!
Le père du fameux Turenne
Avouoit qu'il devoit fes vertus à l'amour ,
Lorfque de Château-Neuf la Beauté fouveraine
Briloit fon coeur de feux aufi /purs que le jour.
Puiffiez - vous revenir temps heureux , où les Femmes
Dirigeoient la Jeuneffe & formoient les Héros !
Oui , l'amour est facré , quand fes puiffantes flammes
In pirent le devoir , corrigent les défauts.
C'eften vain qu'étonnant par des charmes nouveaux,
Une Belle à plaire s'excite ;
Son pouvoir eft ferdu, fi le refpect la quitte ;
En cheveux blancs, d'amour clie éprouve les maux ;
C'eft un volcan qui brûle fous les eaux.
Lorfqu'arrive l'hiver de l'âge ,
On voit s'enfuir les Tourtcreaux ;
C'eft ainfi qu'un riant bocage,
Attire une foule d'oileaux
Qui le charment par leur ramage ;
Mais fi la grêle & les coups de l'orage
En deffechent tous les rameaux ,
Ils vont chercher un autre om rage ,
Où leur chant plus joyeux rend leurs concerts plus
beaux.
DS FRANCE. S
Un maintien libre amène la licence ;
Le refpect pour le Sèxe eft le foutien des moeurs ,
Et l'amour a fon innocence ,
Quand c'eft par la vertu qu'il règne fur les coeurs.
Combien il cftimoit les Belles ,
Ce Louis fi vanté , dont le bras triomphant
Répandi: tant d'éclat fur fes Peuples fidèles !
Ce fier Vainqueur , foumis près d'elles ,
N'étoit qu'un Berger complaifant :
La Valière en fon Roi ne voyoit qu'un Amant.
Depuis, quel nouveau Code , en défordres fertile ,
A fait donner l'effor aux défirs reicnus !
La Beauté fur fon chat place les Amours nus ,
Regardant la Pudeur comme un jeu puérile ;
La Débauche conduit au Temple de Vénus
Et le refpect humain , qui fupplée aux vertus ,
N'eft qu'une barrière inu ile ;
Plus on eft indiſcret , plus on eft amoureux ;
On chaffe Célalón , & Moncade ( 1 ) eft heureux.
Nos aïeux font pour nous des êtres giganteſques ;
Nous faifons de leurs moeurs des peintures grotel
ques ,
Pour nous enorgueillir de l'éclat de nos jours ;
Mais pour le Sèxe pleins d'eftime ,
Leur gloire s'étendoit en le fervant toujours ;
Puifque le Sère fo ble a befoin de ſecours ,
Ce refpec eft le fceau d'une ame magnanime.
La brillante valeur n'eft que ce for facré
Nourri par les foins des Veftales ;
(1 ) Nom de l'Homme à bonnes fortunes.
MERCURE
Quand leur culte s'eft altéré ,
Que feront d'éclatant nos modernes Candales !
Voyez l'honneur éteint & fes liens rompus ;
Les Héros ne font pas des Mortels corrompus .
Orphite a pris à fa toilette
Des appas féduifans fi propres à toucher ;
Une voiture lefte à fa porte s'arrête ,
C'est l'agréable Atis en habit de Cocher.
Au lieu d'en condamner l'air libre & la pofture ,
Elle fourit à fon afpect ;
Eft-ce chez une fille impure
Qu'Atis vient fe montrer dans ce maintien ſuſpect ?
Que devient la vertu quand s'enfuit le reſpect !
N'en doutons point , nos habits , nos uſages ,
Sont de nos moeurs les fidelles images ;
Et le coflume enfin eft un figne évident
De ce que l'on permet & de ce qu'on défend.
Chez une Femme refpectable
Que le fentiment feul invite à nous charmer ,
La gêne devient douce & la rigueur aimable ;
Des Plaifirs la Troupe agréable
L'entoure fans avoir rien qui puifle alarmer
La naïve Décence à les attraits unie ,
Vouée à fes talens , mais fans les eftimer ;
L'éloge eft le feul tort qu'elle fache blâmer ;
Son efprit vrai , comme fa modeftie ,
Brille en aidant le nôtre à s'exprimer :
On la prend pour modèle , on veut s'y conformer ,
Et celui qu'elle forme eft bonne compagnie.
DE FRANCE.
7
Met-il fon bonheur à l'aimer ?
Il est heureux encor s'il le lui facrific .
Toi qui réunis les attraits
Du fentiment & du génie ,
De ce dernier tableau dont ton ame eft fatfie ,
Dans une épouſe, un jour, tu trouveras les traits ;
Mais tu diras , charmé de ce portrait fidèle ,
Que ta mère fublime a fourni le modèle .
( Par M. Sabatier de Cavaillon. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Bonjour ; celai
de l'Enigme en Caprice ; celui du Logogriphe
eit Boeuf.
CHARADE.
FILLETTE, dont la taille eft faite à mon premier ,
Eprouve , fans mari , le mal de mon entier ;
Mais loin d'en convenir , elle fait mon dernier.
Par M. L... de Moncy. )
ENIGM E.
QUOIQUE je falle peu de bruit ,
Et qu'en ce fiècle d'élégance 14
A
MERCURE
Je refte prefque fans crédit ,
Arifte , vous favez quelle eft mon importance.
Néceffaire à tout l'Univers ,
D'une cruelle deftinée ,
Je fais fupporter les revers ;
J'adoucis par mes foins le plus trifte hyménée ;
Qui me foilède en refpecte les nauds .
Je prête mon fecours à qui m'offre des voeux ;
Je modère l'orgueil , je retiens la colère ;
Et dans un coeur qui me révère ,
Je puis régler l'ambition ;
J'éclaire la dévotion ;
Quand il le faut , je fais obferver le myſtère ;
Je fuis l'erreur & l'indifcrétion.
Cependant, fage Arifte , avec tant d'avantages ,
Il eft peu de mortels qui m'offrent leurs hommages.
Ma préfence importune , on l'évite , on me fuit ,
Et je reçois plus d'une offenſe
Dans prefque tous les lieux où le fort me conduit.
La modération étant de mon effſence ,
Sur un tel procédé je refte fans courroux ;
Et le parti qui me femble fi doux ,
En pareil cas , c'eſt le filence .
( Par Mlle. de G... de Montauban. )
LOGO GRIPHE.
QUOIQU'AGRÉABLE que'quefois ,
Je ne dois pas , Lecteur , être d'un grand ufagė ;
DE FRANCE
Je fatigue bientôt , & fouvent j'apperçois
Que l'on me fait mauvais viſage.
Je pourrois dife davantage
Sur ce fujet , mais il vaut mieux
Te laiffer à loifir combiner tout mon être,
Dans mes dix pieds , tu vois d'abord paroître
Une plante commune en tout temps , en tous lieux ,
Fort utile dans la cuisine ,
Et, je crois même , en Médecine.
Cherche toujours , tu trouveras encor
Une fâcheufe maladic ;
Celui qui d'Ilion alluma l'incendie ,
Et caufa tant de pleurs à la veuve d'Hector ;
Ce qui nous eft néceflaire pour vivre ,
Dont chacun a fans doute égale portion ;
Ce que l'on trouve dans un Livre ;
Ce qu'on ne prit jamais que par dévotion ;
Un Pape ; un Saint ; un vafte Empire ;
Un oifeau ; puis un arbre ; un Prophète ; une fleur ;
Un titre au deffus de Mcffire ;
Un aliment ; une Couleur.
Mais , c'en est trop , tu fouris , tu devine ,
Er me dis auffi-tôt : Que l'aimable Dorine
A le talent de me faire valoir !
Mon Lecteur eſt au fait , je le quitte. Bon foir.
(Par la même. )
A S
10 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
SUR quelques Contrées de l'Europe , ou
Lettres du Ch . de *** , à Madame la
Comteffe de *** . 2 Vol. in- 8 °. , avec
cette Epigraphe :
Quiconque ne voit guère
N'a guère à dire aufi .
>
La Font. Fable des deux Pigeons.
Se trouve à Paris , chez Lejay , Libr.
rue de l'Echelle.
ON
SECOND EXTRAIT .
N ne s'attend guère à trouver en Italie
une image de la liberté . Ce n'est pas
qu'il n'y ait des Républiques ; mais les
plus confidérables , telles que Venife &
Gênes , écrasées par l'Ariftocratie la plus tyrannique
, font bien loin de pouvoir rappeler
cette Liberté , premier attribut de
l'homme , & fource première de fes vertus
comme de fon bonheur. C'est dans une
petite République , à peu près bornée à
l'enceinte d'une ville , qu'elle s'eft réfugiée.
C'eft à Saint -Marin, qu'il faut l'aller chercher.
Saint Marin fixa l'attention du fage
» Addiffon . Tout fier qu'il fe montroit
J
DE FRANCE.
"}
و د
""
-
» d'être né Anglois , on fent que le Peintre
de Caton fe feroit encore honoré du
" titre de Citoyen de Saint-Marin. C'eft
que la Démocratie pure & fimple , qui
» ne peut convent qu'à un très petit
Etat , n'a pas fubi à Saint-Marin la plus ,
légère altération ; c'est que fon Citoyen
» ne voit au deffus de lui que la Loi qu'il
" a faite lui - même , & qu'il fent que fa
Liberté dépend de l'exécution de cette ,
Loi , c'eft que du rocher où il s'affied ,
il jette un ail de mépris fur les cam-
" pagnes peuplées d'Efclaves , dont fa mon-
» tagne eft entourée , &c . «.
"}
"3
ל כ
Quoiqu'Aristocratique , la petite République
de Lucques eft encore un des
afiles de la Liberté. Un feul trait fuit pour
le prouver. Libertà , ce beau mot eſt
» écrit fur la porte de Lucques : Vous le
voyez là en lettres d'or, me dit le Gon-)
falonier alors en exercice ; il eft dans nos
» coeurs en lettres de feu. Je crus être à
» Sparte «<
""
22
Après avoir parlé de Liberté , il n'y a
plus rien à dire fur l'Italie '; il vaut mieux
quitter un inftant notre Voyageur , & l'aller
attendre en Suiffe , où lui -même il brûle
d'arriver. C'est là que la fageffe des Loix ,
hi fimplicité des moeurs, la Liberté de l'homme
, le fpectacle impofant d'une Nature
grande variée , frapperont , enflammeront
fon imagination & celle du Lecteur.
Il paroît qu'avec une ame faite pour fentir
A 6
12 MERCURE
"
"
ce qui eft grand , & un talent capable de
le peindre , M. le Chev. de *** préfère.
encore ce qui eft bon, ce qui eft utile, ce qui
ramène à ces idées primitives d'une vie
libre , égale , fimple & patriarcale , dont il
eft fi malheureux que nous nous foyons
écartés. Aufli s'arrête-t-il avec complaifance
dans les vallées d'Appenzel. Geffner , qui
vivoit alors , & qu'il ne manqua pas de
vifiter , lui avoit dit qu'il devoit plufieurs
tableaux de fes Idylles à de fréquentes promenades
dans ces vallées délicieufes. » On
» ne concevroit pas en effet que la Mufe
paftorale pût les vifiter fans être infpirée.
Figurez-vous , fur une ſurface d'environ
so à 60 lieues carrées , des payſages continuels
& d'une variété charmante. Repréfentez-
vous de riches vallées , ferpen-
» tant avec grace le long d'une chaîne de
» montagnes couvertes de bois , ou meu-
» blées de jolis hameaux . Donnez du
» mouvement & de la vie à ces payfages
par une multitude de fources vives &
de filets d'une eau pure & tranfparente.
Peignez- vous d'innombrables fabriques ,
prefque toutes entourées de grands arbres
, & déployant leur forme pittoref
» que fur des peloufes de la verdure la
plus animée . En général , c'eſt une choſe
à voir qu'une cabane Suiffe avec fon
" toit pendant en faillie : mais les cabanes
» de l'Appenzel font , aux cabanes dur refte
» de la Suiffe , ce que les maifons du char-
1
99
ود
ود
"
"
وو
>
,
DE FRANCE. 13
» mant village de Brook font aux maifons
» des autres villages de Hollande . Elles ont
» une grace , une élégance , une propreté
» fur-tout que je ne me laffois point d'ad-
» mirer........ Ah ! pour le bien péné-
S » trer des charmes de la Nature , il faut
» vivre avec cĺle ; & pour cela , on ne sçau-
» roit être trop loin des Cours , ni trop
près des cabanes de l'Appenzel. Il fant
avoir affez de bonhomie & de fimplicité,
pour plaire à de fi bonnes gens , &
» allez d'efprit pour exciter leurs failliess
" Ce ne font, à la vérité , ni des Charades ,
» ni des Calembours. Ils font affez mal-
"3
33
"
33
"3
22
heureux pour n'avoir aucune idée de ce
» genre d'efprit qui nous a rendus fi cé-
» lèbres . Mais en revanche ils étincellent
de traits , dont le fel attique femble
d'autant plus piquant dans des bouches
Suiffes , qu'un fens jufte & droir eft en
général le caractère diftin &if de cette
fage Nation. Ajoutez à ces agrémens de
l'efprit , la réunion des vertus que fuppofe
le goût le plus vif pour la vie patriarcale.
On croit à la douce chimère
» de l'âge d'or , quand on a pallé quelques
jours dans ces vallons fortunés. O caba-
" nes de l'Appenzel « !
"
و د
"
33
""
Oui , vous préfentez à mes yeux
La ficur des jardins Helvétiques.
Dans mes rêves philofophiques ,
Je la refpire & fuis heureux .
14
MERCURE
Lorfque les plaintes des Efclaves
Viennent retentir dans mon coeur ;
Quand moi -même de mes entraves
Je reflens trop la pefanteur ,
Alors ma compagne chérie ,
La vive Imagination ,
Sur l'aile de l'Illufion
Me porte aux champs de l'Helvétie.
L'Appenzel devient ma Patrie :
J'y trouve l'enſemble enchanteur
Des biens & des vertus que j'aime ,
La paix , des plaifirs fans langueur ,
De la fageffe fans fyftême ;
De Ruth la grace & la candeur ,
De Booz la bonté fuprême ;
Le gage enfin du vrai bonheur
Dans les travaux de Triptolême .
Je vis à l'ombre de vos Loix ,
Sans diftinction , fans richefle ,
Enveloppé dans la fagefie
Du dernier de vos Villageois ...
Du dernier pardon , je m'oublie ;
J'allois prendre , fans y fonger ,
Le jargon de la Monarchic ,
A la fage Démocratie ,
Heareufement trop étranger.
J'oubliois que votre ſemblable ,
L'homme , en Suiffè , n'eft rien de plus,
DE FRANCE. 15
On peut s'y rendre refpectable ,
Mais c'eft à force de vertus .
Simples Bergers , fimples Bergères ,
Et compagnons du même fort ,
Rien au berceau , rien à la mort
Ne diftingue un peuple de frères.
Point de privilége odieux ,
De droits , de rang , & de nobleffe ;
Pas un pofte pour la pareffe ;
Pas un titre pour l'orgueilleux , &c.
Ces vers font auffi agréables que les
idées qu'ils expriment font juftes & philofophiques.
Ce qui leur donne un nouveau
prix , c'eft que l'Auteur , qui écrivoit cela.
il y a vingt ans , auroit pu , s'il eût été
moins éclairé , fe prévaloir des préjugés.
qu'il condamne. S'il eft beau de méprifer
les diftinctions & les priviléges , c'eft fur- ,
tout lorfqu'on en peur jouir ; grace au
progrès des lumières & de la faine raifon ,
une grande partie de la Nobleffe Françoife.
penfe aujourd'hui comme penfoit dès lors le
Panégyrifte des cabanes de l'Appenzel .
L'agrément de ces citations m'en a diffmalé
la longueur ; mais les bornes de ce,
Journal m'avertiffent de les terminer , &
de renvoyer à l'Ouvrage même pour une
infinité d'autres détails également dignes de
plaire aux gens inftruits & aux cours fenbles
. De ce nombre font , entre autres ,
la defcription d'un Maufciée élevé dans
16 MERCURE
---
un château des environs de Berne , à une
jeune & malheureuſe femme , par un Statuaire
fon Amant ; une converfation
pleine d'interêt & de philofophie entre
l'Auteur & le fameux Poëte Haller ; -
l'Eloge du célèbre Geffner , & le portrait
piquant d'un homme fameux par l'immenfité
de fes connoiffances , par la fingularité
de fes fyftêines ,. par la chaleur brûlante
& maintenant par les écarts de fon ima-.
gination ; de M. Lavater , en un mot , Auteur
du Traité fur les Phyfionomies , actuellement
faifeur de Miracles , & conducteur
d'un troupeau d'illuminés , &c .
>
M. le Chey. de *** revint en France
par Ferney. Le fentiment prefque religieux
qu'il éprouva en approchant de cette retraite
, où vieillifoit avec honneur une
Mufe plus que feptuagénaire , prouve qu'il
eft du petit nombre d'hommes affez élevés
eux mêmes pour fentir toute la fupériorité
du génie. Les fots & les petits efprits font
à l'abri de ces émotions. Rien ne leur impofe
: ils font trop au deffous de tout , pour
y appercevoir des différences .
Voici un trait que ceci me rappelle.
Lorfque le célebre Sacchini vint en France ,
la première fois qu'il parut au Concert
Spirituel , il fut apperçu dans une Loge
& applaudi de toute la Salle. On fe levoir ,
on fe preffoit les uns fur les autres pour
le voir. Je trouvai , en fortant , un de nos
DE FRANCE. 17
prétendus Compofiteurs François . » Avez-
» vous vu Sacchini , lui demandai - je ? Qui,
» me répondit- il ; il a le nezfait tout comme
" un autre «..
Notre Voyageur n'en dit fans doute pas
autant du nez de M. de Voltaire ; auffi en
fut-il accueilli comme il méritoit de l'être .
Il lui montra l'efquiffe de ces Lettres qu'il
publie aujourd'hui : l'Apollon de Ferney
écrivit au bas ce jugement , que la modeſtie
de l'Auteur ne lui permit pas de prendre
au pied de la lettre.
Ce Chapelle , ce Bachaumont ,
Ont fait un moins heureux voyage :
Tout eft Epigramme ou Chanfon
Dans ce renommé badinage.
Vous parlez d'un plus noble ton ;
Et je crois entendre Platon ,
Qui , revenu de Syracufe ,
Dans Athène emprunte la Muſe
De Pindare & d'Anacréon .
( Cet Article eft de M. G*** . )
18
MERCURE
ACADÉMIE.
ACADÉMIE FRANÇOIS E.
LE 25 d'Août , jour de la Saint Louis
l'Académie Françoife a tenu , pour la diftribution
des Prix , une Séance publique.
que la réception de M. l'Abbé Barthélemy
a rendue encore plus intéreffante. On a
remarqué dans le Difcours du Récipiendaire
, ce bon goût & cette élégance à la
fois fimple & nobe qui font chérir aux
Amateurs de l'Antiquité les Voyages du
jeune Anacharfis , & cette modeftie qui
fed fi bien fur-tont à ceux qui devroient
le moins en avoir. M. le Chevalier de
Boufflers , Directeur de l'Académie , a répondu
à M. l'Abbé Barthélemy. Son Difcours
, compofé avec efprit , eft écrit avec
la fineffe qui caractériſe le talent de ce
Poëte aimable. Un morceau fur la Grèce ,
& toute la dernière partie de ce Difcours ,
ont fait la plus vive fenfation. M. Marmontel
, Secrétaire - Perpétuel , a annoncé
que le Prix de Poéfie avoit été remporté
par M. de Fontanes. Le fujet propofé étoit
le Rappel des non Catholiques . M. de FonDE
FRANCE. 19
tanes a demandé la permilion de lire luimême
fon Ouvrage. Co Preme a confiné
l'opinion avantageufe que le Public a depuis
longtemps conçue des talens de l'égant
Traducteur de lEffai fur l'Homme.
On y remarque un grand nombre de beaux
vers , & cette mefare qui , fans r dre la
liberté de penfer plus timide , l'empêche
de dégénérer en licence . Il y a long- temps
que l'Académie n'avoit couronné un Poënte
de cette force. Le Prix de Vertu a été décerné
à la Dometique qui fert depuis plus
de quarante ans le Sieur Reveillon . Cette
femme , âgée de foixante- dix ans , dans ces
temps malheureux où la maifon du Sieur
Reveillon for pillée & Liccagée , a donné
les preuves les plus étonnantes d'un attachement
inviolable pour fon Maître ; elle
a oppofé aux Brigands qui dévaftoient la
Manufacture de ce Citoyen utile , un courage
héroïque. Nous regretions de ne pouvoir
pas , à caufe de l'abondance des mtières
, inférer les détails de fa courageufe
conduite , que M. Marmontel a développés
dans un Mémoire fort intéreffant . Le Prix
d'Encouragement a été adjugé à M l'Abbé
Noël , qui avoit concouru pour le Prix de
Poélie , & dont le Poëme avoit obtenu une
mention honorable . Le Prix d'Utilité a été
décerné à M. Gudin , pour fon Ouvrage
fur les Comices de Rome , les Etats- Généraux
de la France, & le Parlement d'An20
MERCURË
gleterre ( 1 ) . Le Prix d'Eloquence , dont le
fujet étoit l'Eloge du Maréchal de Vauban,
eft remis à l'année prochaine , ainfi que le
Prix fondé par M. l'Abbé Raynal. L'Académic
propofe pour fujer du Prix d'Eloquence
de 1790 , l'Eloge de Jean-Jacques
Rouffeau. Cette annonce a été vivement
applaudie.
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
Nous ne ferons qu'indiquer la première &
unique repréſentation qui ait été donnée ( le Mercredi
12 Août ) , des fauffes Préfomptions , ou le
jeune Gouverneur , Comédie en cinq Actes & en
vers , imitée de l'Allemand .
Une vieille folle , qui fe croit aimée par le jeuné
Gouverneur ; un Pupille qui devient amoureux
de la foeur de fon Inftituteur ; un duel entre
F'Elève & le Maître , où celui- ci eft entraîné par ,
l'impétuofité du premier , & où il le comporte
en homme généreux ; un Duc qui s'extafie fur la
conduite du Gouverneur , au point de confentir
au mariage de fon fils avec la foeur de ce Gouverneur
, qui eft un homme très - bien né. Tels
(1 ) Cet Ouvrage fe trouve chez Maradan ,
Libraire , rue Saint -André-des - Arcs , hôtel de
Chateau-Vieux.
DE FRANCE. 21
font les principaux caractères , les refforts effentiels
de cette Comédie , dont le fonds eft fingulièrement
romanefque , dont le ftyle eft plus que
négligé , & qu'on n'a pas voulu bien entendre.
LE Mercredi , 19 du même mois , on a repréfenté
pour la première fois Ericie ou la Vejtale ,
Tragédie en trois Actes.
Ericie aimoit Ofmide ; mais Aurèle fon père
l'a facrifiée à l'avancement de fon fils , es la
forçant d'entrer au nombre des Veltales . Ericie
maudit les voux qu'elle a prononcés , quand
Ofinide trouve le moyen de s'introduire dans le
Temple de Vefta , lai rappelle fes ferruens , ranine
on amour , & l'engage à le fuivre. Peadant
leur converfation , le feu facré s'éteint ; &
ane jeune afpirante , effrayée de ce malheur &
de l'afpect d'un homine, révèle auffi -tôt le fecret
fatal. Ericie , qui s'accufe elle - mène devant la
Gde, Prêtrale , eft remife au G. Pontife , fon Juge
faprême. Dans ce Juge , elle reconnoît Aurèle fon
père , quifrémit en la reconnoiffant à fon tour. Au
rele a perdule fils qui l'a rendu barbare ; il a cherché
des confolations dans le Ministère des Autels
, & il n'eft parvenu au Pontificat que pour
devenir une feconde fois le bourreau de la file.
La fituation du père & de la fille eſt très -inté,
reffante. Elle le devient davantage quand Ofide
reparoît reproche à Aurèle fes torts affreux ,
reçoit les adieux d'Ericie , & emploie tour à tour ,
auprès d'Aurèle , la menace & la prière en faveur
d'Ericie . Aurèie écoute en filence , regarde
Olamide , s'attendrit , & fe retire . Le malheureux
Amant forme alors le projet d'enlever Ericie à main
arméc. On conduit Ericie au lieu de fon fupplice.
Elle eft en proie , ainfi qu'Aurèle , aux mouvemens
les plus douloureux. La Grande - Prêtrefle
22 MERCURE
hâte le barbare facrifice ; Ericie s'avance vers
fon tombeau , Ofnude paroît fuivi d'une troupe
de Romains armés ; ii plaide fa caufe devant le
Pe pe effrayé de ce qu'il appelle fon audace
facrilège ; il veut enlever fon Amante ; Ericie au
défe poir , voit le Peuple prêt à facrifier for
Amant ; elle renouvelle l'aveu de fon amour
poignarde ; Olmide fe faifit du fatal couteau
s'en frappe , & tombe auprès d'Ericie .
,
Cette Tragédie eft imprimée depuis 1769 , 8
des raifons de police en ont empêché la re
préfentation fur la Scène Françoile , où elle avo
été reçue avant fon impreflion. Depuis , elle a
trouvé une rivale redoutable dans Mélanie , Pièce
dont le but moral eft plus fenfible , plus direct
& par conféquent plus fufceptible d'un grand
effet , qu'un Ouvrage qui ne marche à fes fins
que par des voies détournées . Les Auteurs d'E
ririe & de Mélanie ont eu les mêmes intentions
ils ont voulu , l'un & l'autre , s'élever contre le
criminel orgueil de ces parens infenfés , qui pouvoient
impunément immcler une partie de leurs
enfans à l'autre , & qui, en fe vouant à la haine
de ceux qu'ils facrifieient ainfi , ſe vouoient en
même temps au mépris de ceux pour lefquels ils
confommoient le facrifice. On doit des éloges à
l'Auteur d'Ericie , on en doit davantage à celui
de Melanie, parce qu'à l'avantage d'avoir préfenté
fon fujet en face , il joint la fupériorité du ftyle.
Ericie a produit peu d'effet ; ce n'eft pas qu'il
n'y ait de très -belles données dramatiques , des
mouvemens tragiques d'un grand intérêt ; mais
deux perfonnages feulement y développent leurs
caractères , & il en résulte un peu de monotonie
dans la marche des fcènes. Le dénouement d'ailleurs
n'eft point fatisfaifant. La mort d'Ofmide ,
qui fuit immédiatement celle d'Ericie , offre un
fpectacle qui outre - paffe ce qu'au Théatre on
DE FRANCE. 23:
-
appelle la pitié , & il.a excité des murmures. On
fort applaudi des vers de fentimens , des idées
fortes , & des détails très bien exprimés. Il a
panqué à cet Ouvrage d'être repréſenté il y a
ingt ans ; à cette époque , il auroit , à coup für ,
btenu le plus grand fuccès ; ce qui alors auroit
aru vigoureux ferme & courageux , paroît
sjourd'hui naturel & fimple , parce que les temps
pnt changés ; Et habent fua fata libelli.
,
ANNONCES ET NOTICES.
LES Vaux d'un Citoyen , Difcours adreffé au
Tiers-Etat de Bordeaux , à l'occafion des Lettres
de Convocation pour les Etats-Généraux de 1789 .
Brochure in- 8 ° . de 64 pages ; par M. de S *** ,
Médecin à Bordeaux , Député aux Etats -Généraux .
A Bordeaux ; & à Paris , chez Godefroy , Libr
quai des Auguftins,
ROYEZ , Libraire , quai & près des Auguftins ,
diftribue quelques notes de Livres les plus recherchés
& les plus propres aux circonftances , foit
fur le Gouvernement , les Finances , les Réformes
kles Etabliffemens utiles , foit fur l'Hiftoire de
France : il vient encore de raſſembler une Collettion
intéreffante pour ceux qui veulent ſuivre &
comparer l'Hiftoire des grandes Révolutions chez
les différens Peuples : favoir , les Variations de
la Monarchie Françoife dans fon gouvernement
civil , politique & militaire , 4 Vol 12 liv . ; = les
Révolutions du Droit François , in - 8 ° . , § liv.
Etat ancien & préfent du Gouvernement & Police
24- MERCURE DE FRANCE.
=
François , par le Marquis d'Argenſon , in- 3º .
4 liv .; Révolution des Empires, par Renaudot,
2 Volum. , 7 liv. La dernière Révolution de
Suède , par Sheridan , in - 8 ° . , 6 liv.
Celle par
- Vertot ; d'Angleterre , 6 Vol . nouvelle édition
continuée jusqu'à ce jour , 18 hiv . , &c. Plus , la
Collection des Anecdotes hiftoriques des différens
Pays , des Républiques , &c. à 5 liv. le Volume.
Le même Libraire tient auffi les Ouvrages Militaires
les plus faits pour les Citoyens , comme
l'Esprit Militaire , 3e . édition , 4 lv. La Morale
propre au Militaire François , in - 12 , 2 liv . Il a
les meilleurs Ouvrages fur la Chafle & la Pêche ;
le Manuel du Chafleur , avec les Fanfares de
Chaffe ; l'Art de nager , par un Plongeur , &c.
le Traité du Scaphandre , ou l'Art de fe tenir
fur l'eau , &c. &c .
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Le Nouvellifte Univerfel , Numéros 1 , 2 , 3. A
Paris, chez l'Auteur, rue Neuve des Pétits - Champs,
N° . 166 ; & chez M. Vaufleuri , Libraire au Palais-
Royal.
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fur l'Affemblée Nationale ? Les frais de tous les
papiers font énormes. On a eu deffein de mettre
ies Lecteurs en état de fe fatisfaire à peu de frais ,
en raſſemblant dans un feul Ouvrage les matieres
éparfes dans tous les autres. Le prix eft de 6 liv.
par mois , & de 7 liv. 10 f. pour la province ,
franc de port.
EPITRE.
TABLE.
Charade, Enig. & Logog.
Sur quelques Contrées.
3
Académie Françoise..
Comédie Françoiſe.
Ial Annonces & Notices.
20
23
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
SUÈDE.
De Stockholm , le 10 août 1789.
APRES la prise d'Hogfors , il s'est passé
une affaire particulière , dont la singularité
mérite attention . Le détail authentique
de cet incident , et ses pièces justificatives
, ont été rendus publics , dans
la teneur suivante :
« A la prise d'Hogfors , le 18 Juillet , où
le Roi se trouvoit en personne , les Chasseurs
du Lieutenant - Colonel Drufva , à la
poursuite des Ennemis , firent prisonnier
un Lieutenant au Régiment de Skosesk ,
qu'ils amenèrent au Roi . Ce Prince fit traiter
le Prisonnier , Lieutenant , avec l'humanité
des Nations policées. S. M. lui fit rendre son
épée ; et ayant appris de lui-même que les
Chasseurs ne lui avoient rien pris , Elle fit
donner une gratification à ces braves Guerriers
, aussi désintéressés que valeureux .
"
"
Le Roi voulut faire une galanterie an
No. 36. 5 Septembre 1789. A
( 2 )
Prince Labanoff , Ancien Colonel du régiment
de Skosesk , neveu du feu Comte de
Panin , élevé en Suède , et qui , pendant la
campagne de l'année dernière , témoigna beaucoup
de politesse aux Prisonniers Suédois . »
« Sa Majesté ordonna au Baron de Klingsporre
, son Aide-de - Camp-général , d'écrire
une lettre très-polie au Prince Labanoff, et
de renvoyer l'Officier captif sur sa parole. Le
surlendemain , 20 , un Trompette , accompagné
d'un Officier Suédois , reconduisit le Prisonnier
Russe. Arrivés aux postes avancés de
l'Ennemi , à 5 verstes de ceux des Suédois 1
le Trompette sonna et appela ; mais on ne
lui répondit qu'avec des décharges redoublées ,
des Cosaques et Chasseurs , et , malgré un
second appel , la fusillade continua. »
« Les Officiers et le Trompette furent
obligés de revenir. Le Roi étoit encore à
Hogfors , et alloit repartir pour le camp de
Likala , lorsqu'on vint lui rendre compte de
la réception de son Trompette. Sa Majesté
supposant qu'une si étrange réception n'avoit
d'autre cause que la licence accoutumée des
hordes barbares et indisciplinées qui composent
les troupes légères des Russes , et que
Jurs Officiers mêmes ne peuvent contenir ,
ordonna au Baron de Klingsporre d'écrire une
lettre au Prince de Nassau , qui commande
la flotille Russe , alors stationnée à l'embouthure
du port de Frédéricsham , l'instruire de
ce qui s'étoit passé , en ie priant d'envoyer
la lettre au Prince Labanoff, et de charger
un vaisseau parlementaire de cette commis-
´sion. Le Roi étoit persuadé qu'avec un Commandant
tel que le Prince de Nassau , on
ne risquoit point de voir violer les droits de
la guerre ; le Prince de Nassau ayant l'hon-
*
( 3 ) C
neur d'ê re connu personnellement du Roi ,
depuis le voyage de Sa Majesté à Spa , et
ayant eu celui , pendant le siége de Gibraltar,
d'être en correspondance avec S M. Le Roi
ajouta à la lettre du Baron de Klingsporre
quelques mots de sa main , cù S. M. lui faisoit
un reproche gracieux de ce qu'il portoit
les armes contre Elle , en le priant d'engager
les Ennemis à respecter ce Trompette et les
lois de la guerre . Le Parlementaire fut reçu
avec toutes les politesses usitées chez les Nations
policées , et comme l'on est accoutumé
d'en user entre François et Anglois. »
« Un Ollicier envoyé de la part du Prince
de Nassau , arriva quelques heures après ,
avec des complimens du Prince et du Chevalier
de Litta , Commandant en second
qui avoit eu aussi l'honneur d'être connu di
Roi , pendant le sé our de ce Monarque à
Milan. L'Officier , décoré de la Croix de Saint-
Louis et de celle de Cincinatus , fit les excuses
au Prince de ce qu'il ne répondoit pas
sur- le-champ , mais étant lui - même sous les
ørdres du Comte Moussin Poutschkin , il en
avoit envoyé demander la permission à ce
Général. Le 29 Juillet ( 12 de vieux stile ) ,
un vaisseau parlementaire Russe apporta une
lettre du Prince de Nassau au Roi , une réponse
à celle du Baron de Klingsporre , et une
copie de la réponse du Général Moussin
Poutschkin au Prince de Nassau. n
« Cette dernière lettre n'est qu'un long et
vélément manifeste contre la personne même
du Roi de Suède : on y remonte aux causes
de la guerre , et l'on y dit en termes exprès ,
que cette guerre entreprise par le Roi de
Suède , sort , par sa nature , des règles communes
, et qu'à peine peut-elle prendre la dé-
A ij
( 4
nomination de guerre. Il est même question
dans cette lettre de la prétendue conjuration
pour incendier la flotte Russe à Copenhague ,
et de l'affaire d'un Armateur Suédois , com .
plètement ignorée à l'armée du Roi , et dont
on a d'autant plus de raison de récuser l'authenticité
, que S. M. n'ayant pas voulu donner
des lettres de marque , il n'existe véritablement
, en ce moment , pas un seul Armateur
avoué . Ce reproche d'ailleurs seroit bien
frivole , puisqu'il est très - connu qu'un Souverain
peut punir des exactions de ses Armateurs
; mais qu'il est difficile de les empêcher.
Cette raison même a décidé le Roi à refuser
des lettres de marques demandées , puisque
d'ailleurs il fait la guerre à une Puissance
qui , au plus , a 7e vaisseaux marchands .
Toute cette lettre d'ailleurs est du style du
manifeste de l'année dernière ; mais il n'y
est fait aucune mention du Trompette , ni
des actes contraires aux lois de la guerre .
Tout ce procédé prouve que les Moscovites
d'aujourd'hui ne sont pas , en tout , revenes
des anciens préjugés barbares , et qu'il n'est
ni permis , ni possible de faire avec eux la
guerre , avec cette générosité qui distingue
les guerres des autres Nations »
« Aussi les barbaries qu'ils ont exercées
dans le Savolax , leurs vexations , leurs cruau
tés en tout genre , contrastent- elles d'une
manière frappante avec la douceur , l'humanité
et la bonne discipline qui règnent dans
le camp des Suédois , où , au milieu du pays
ennemi , on voit les troupeaux entrer dans
leurs camps , être payés , et les maisons des
Particuliers respectées et gardées les Russes
, au contraire , tirent sur les châteaux
des Particuliers , les brûlent , détruisent à
:
( 55 ))
coups de canons les Eglises pendant le Service
Divin , et même les hôpitaux où leurs propres
Soldats blessés étoient soignés des Sué
dois. »
Le Billet écrit de la propre main dų
Roi au Prince de Nassau , portoit en
substance :
«<
8
« Je m'adresse à un Chevalier François
, qui va chercher la gloire par-
« tout où se trouvent la guerre et les
« dangers , pour le prier d'engager mes
« Ennemis à respecter les lois de la
« guerre . Tâchons , autant qu'il est en
« nous , d'en adoucir les calamités . Lorsque
j'eus le plaisir de vous voir à Spa,
<< et que vous ine promîtes de venir me
<< voir un jour , je ne croyois pas que
<< vous viendriez si bien accompagné ;
<< mais j'espère que nous nous efforce-
« rons de vous recevoir convenable-
« ment , et je vous prie d'être persuadé
que je vous conserverai les sentimens
* que vous me connoissez . »
Copie d'une Lettre du Baron DE
KLINGSPORRE , Aide-de-camp-général
du Roi , au Prince DE LABANOFF.
« Le Roi mon Maître m'a ordonné de
vous envoyer , sur sa parole , M. Sibelef,
Lieutenant dans le régiment que vous avez
commandé , fait Prisonnier dans l'affaire qui
s'est passée hier entre ses troupes et celles de Sa
Majesté Pimpératrice de toutes les Russies . »
A iij
( 0)
Sa Majesté saisit cette occasion avec plai
sir , pour soulager un Officier qui a fait son
devoir en brave homme; et qui , quelque tien
traité qu'il seroit , comme Prisonnier du Roi de
Suede , pourroit pourtant regretter sa Patrie .
Vous voudrez bien , M. le Prince , regarder
cette attention de la part du Roi , comme une
preuve de sa façon de penser , et de șa bienveillance
envers vous , ayant passé quelque
temps dans ses Etats ; et je suis d'autant plus
charmé d'être chargé de ses ordres , qu'ils
me procurent l'occasion de me rappeler dans
votre souvenir , espérant que des temps plus
tranquilles me fourniront celle de cultiver une
ancienne connoissance , et de vous témoigner
de bouche l'estime particulière et la considé
ration parfaite avec laquelle j'ai l'honneur
d'être , elc.
Copie d'une Lettre de M. le Baron DE
KLINGSPORRE au Prince DE NASAU
SIEGEN , du quartier général
de Kymenegard , le 20 Juillet 1789.
Les troupes de Sa Majesté le Roi mon
Maître ont fait Prisonnier de guerre , en l'atfaire
d'Hogfors , le 18 de ce mois , un Officier
Russe , à qui le Roi a bien voulu accorder
la grace de retourner , sur sa parole , en
sa Patrie : l'ayant fait partir ce matin , escorté
d'un Officier , de deux Dragons et d'un Trompette
, avec une lettre de ina part au Prince
de Labanoff, Officier général dans les troupes
de Sa Majesté l'Impératrice de toutes les Russies
, il est arrivé aux postes avancés que ,
malgré que le Trompette a sonné l'appel à
deux différentes reprises , les Vedettes y postés
ont fait feu dessus ; chose inouie , et dont
( 7 )
le Roi ne reconnoit aucunement ces usages
établis dans les armées des Puissances de
l'Europe. »
« Le Roi croyant , M. le Prince , que vous
commandez en chef l'escadre de Sa Majesté
Impératrice de toutes les Russies , et se rappelant
avec plaisir de vous avoir connu dans
des temps plus tranquilles , m'a ordonné d'avoir
l'honneur de vous écrire de sa part , pour
vous exposer ce fait , persuadé que vous voudrez
bien , M. le Prince , donner des nouvelles
au Général , comminandant en chef l'armée
Russe , qui ne pourra pas manquer d'y mettre
ordre. Je vous supplie , Monsieur , d'accepter
les assurances de la plus parfaite considération
avêc laquelle j'ai l'honneur d'être , etc. »
Copie d'une Lettre du Comte Mous-
SIN POUTSCHKIN au Prince DE
NASSAU , datée du camp général
près du village de Kovola , le Juil
let 1789.
18
« Je suis à même aujourd'hui , mon Prince
de vous communiquer mes idées sur les lettres
que le Baron de Klingsporre , Aide - de- campgénéral
du Roi de Suède , vous a adressées , et
principalement sur l'apostille de la main de ce
Prince qui l'accompagnoit , et je me presse de
Vous les transmettre . »
« La guerre qu'il a plu au Roi de Suède de
nous intenter , sort , par sa nature , des règles
communes adoptées par les Nations . Sa Majesté
Suédoise n'a pu la susciter qu'en violant à
la fois , et sans aucun sujet de notre part , et
les sermens des Traités solennels qui la
lioient vis - à - vis de nous , et ceux de ses engagemens
envers sa propre Nation. Entre-
A iv
( 8 )
T
prise ainsi contre toute sorte de foi , cette
guerre à peine peut- elle en prendre la dénomination.
Elle est dénuée de tout motif national
, et sur- tout de la sanction nationale ,
qui étoit indispensable pour la légitimer des
son origine . Le respect dû aux têtes couronnées
m'empêche de qualifier les causes motrices
de cette gucrte ; elles se présument fortement
d'après ce que je viens d'exposer cidessus
, et ceux qui combattent pour une pareille
cause en sont les complices , ou les
victimes de la séduction ou de la contrainte
qui les y ont entraînés. Cependant l'humanité
et la justice doivent par-tout exercer leurs
droits : ces vertus ont guidé toute la conduite
de l'Impératrice ; Elle les a sur- tout manifestées
dans les égards scrupuleux qu'Elle a observés
pour les droits neutres , non- seulement
en ne troublant point leur sécurité chez elle
mais en assurant la liberté de leur commerce
et de leur navigation , conformément aux principes
qu'Elle a une fois avoués , et auxquels
le Roi de Suede a été un des premiers à adhérer.
Que l'on compare ces procédés avec le complot
, aussi horrible qu'avéré , tramé par un Ministre
avoué de Sa Majesté Suédoise , d'incendier
l'escadre Russe stationnée à Copenhague ,
et avec elle une résidence d'un Souverain
qui avoit reçu ce Ministre sous la sauvegarde
sacrée de la bonne foi publique , et
l'enlèvement récent d'un vaisseau neutre , dans
un port neutre , exécuté par un Armateur Suédois
, de la manière la plus traitreuse et la
plus perfide : l'on ne sera point embarrassé
de décider si c'est à ceux- ci à recevoir des le
çons d'humanité et de générosité de la part d'un
Ennemi qui en ignore les premiers principes ,
+
( 9 )
A
ou du moins qui met si peu de scrupule à n'en
suivre aucun . »
« Voilà , mon Prince , à mon avis , la réponse
que Votre Altesse a à faire aux reproches
, aussi choquans qu'injustes , qu'on nous
fait dans les missions étranges qui vous ont
été adressées. Pour vous épargner la peine
d'entrer dans tous ces détails que renferme
cette lettre- ci , je vous laisse le maître d'en
envoyer une copie entière au Baron de Kings-
-porre , en vous contentant de vous référer à
son contenu dans le billet dont vous l'accompagnerez.
»
<<
mê-
Quant aux choses personnelles à vous ,
mon Prince , que contient l'apostille du Roi de
Suède , il dépend absolument de Votre Altesse
d'y répondre tout ce qu'Elle jugera & propos ,
ou de n'y pas répondre du tout . Nous savons
aussi bien que Sa Majesté Suédoise , que l'amour
de l'honneur et de la gloire vous guide ;
mais nous croyons que , lorsque cet amour
vous expose à des dangers réels , vous y
lez un motif plus noble et plus sérieux que
celui que le prétendu compliment de ce Prince
laisse à entendre , et que ces sentimens d'admiration
, de zèle et de respect , dont vous
avez déja donné des preuves à l'Impératrice ,
joints à ceux d'estime et d'amitié que vous
avez pour ses Sujets , ont été les vrais motifs
qui vous ont déterminés à lui offrir vos services
, et à en partager les périls avec nous. »
Copie d'une Lettre du Prince DE
NASSAU à Sa Majesté le Roi de
Suède , datée de Frédéricsham , le 18
Juillet 1789.
64
J'ai dû passer à M. le Comte de Pouts-
Av
( 10 )
chkin la lettre que Votre Majesté a donné ordre
de m'adresser ; j'envoie à M. le Baron de
Klingsporre la réponse de ce Général. Les
bontés , Sire , dont Votre Majesté m'a comblé
, m'ont fait envisager avec une peine extrême
, le parti qu'Elie a pris d'attaquer les
Etais de Sa Majesté l'Impératrice , dans un
moment où cette Auguste Souveraine , comptant
sur la solidité de ses Traités avec Votre
Majesté , avoit totalement dégarni les frontières
, pour porter ses forces contre des Barbares
qui lui faisoient une guerre injuste :
ayant eu le bonheur d'être admis à son seṛ-
vice , je sentis dès-lors que je serois dans le
cas de porter les armes contre Votre Majesté ;
mais mon devoir et, mon dévouement entier
pour Sa Majesté l'Impératrice m'y oblige , et
je tâcherai Sire , de m'y conduire de manière
à mériter l'opinion etl'estime que Votre
Majesté a daigné m'accorder. J'ai l'honneur
d'être , avec le plus profond respect , etc. ».
Copie de la Lettre du Prince DE
་ ་
NASSAU au Baron DE KLINGSPORRE
, datée de Frédéricsham , le
18 Juillet 1789.
Ayant été obligé de communiquer à M.
le Général en chef Comte Poutschkin la lettre´
que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire , je
m'empresse de vous faire passer la copie
de la réponse qu'il vient de me faire . Je vous
prie , Monsieur , d'agréer les assurances des
sentimens de la plus parfaite considération
avec lesquels je suis , etc. n
Le Gouvernement å rendue publique ,
en ces termes , la relation de la victoire
( 11 )
remportée , le 20 Juillet , par le Brigadier
de Steding sur le Corps Russe aux ordres
du Général Schültz.
« Le 20 Juillet au soir , le Colonel de Stedingk,
Chef de Brigade , se mit en mouvement
pour attaquer les troupes ennemies près
du Pont de Pouiko et de Parkowaki , sous les
ordres du Lieutenant- Général Russe Baron
de Schultz. Le Major Gahn s'avança avec la
grosse Artillerie et 180 hommes jusqu'au Pont
de Pouiko . Un Capitaine arec 105 hommes
eut ordre de faire une fausse attaque contre
le flanc droit de l'Ennemi . Le Colonel de
Stedingk , lui-même , se porta avec mille
hommes et 4 pièces de campagne au village
de Hildula , en passant un chemin étroit qui
traversoit le bois , dans la vue d'envelopper
le flanc gauche de l'Ennemi . En même tenips ,
les chaloupes-canonnières canonnèrent Laita-
Silda. Ce ne fut qu'à un quart de lieue de
Parkumaki, que l'Ennemi commença d'opposer
de la résistance au Colonel de Stedingk;
mais il fut environné par nos troupes. Pres
de ce dernier village . il campoit un bataillon
de Grenadiers et 3 Compagnies de Chasseurs.
Le Général de Schultz lui même' , étoit posté
avec le Lieutenant- Colonel Toll, et 2 Com- ·
pagnies de Chasseurs près du Pont de Pouiko ;
de sorte que toute la force de l'Ennemi faisoit
11 à 12 cents hommes. Les Cosaques , qui
avoient vu le Corps du Colonel de Stedingk
en marche , et qui avoient jugé de sa force
d'aprésta longueur de sa colonne , sans penser
an peu de largeur du chemin , rapporterent
qu'elle alloit à 3 mille hommes . Cette information
mit le Général de Schiltz dans la
plus grande confusion : il donna ordre que
A vi
( 12 )
chacun se défendît dans son poste jusqu'à la
dernière extrémité ; ce qui fut effectivement
exécuté . L'Ennemi avoit garni Parkumani et
le village voisin : nos troupes y trouvèrent
une si vigoureuse résistance , que le régiment
d'Ostro -Bothmie commença à plier . Le Lieutenant-
Colonel de Numme s et plusieurs Of
ficiers de ce régiment é: oient malheureusement
restés fort malades à Jorocs . Immédiatement
après que l'action eut commencé , le
Major Comte Oxenstierna et quelques autres
Officiers furent blessés . Ainsi il n'y avoit
alors nulle apparence que hous remporterions
la victoire ; mais la fermeté de nos
froupes et la valeur de leurs Chefs , obligèrent
enfin l'Ennemi de prendre la fuite , en abandonnant
son camp , ses canons , ses bagages ,
etc. , qui tous tombérent entre nos mains.
Si nous avions eu un peu plus de Cavalerie ,
pas un seul homme des troupes Russes n'eût
échappé ; mais les 40 Dragons , que le Colonel
de Stedingk avoit amenés avec lui , étoient
fort harassés par les attaques réitérées. En
attendant , le Major Gahn et le Capitaine
Duncker s'étoient dejà avancés jusqu'au Pont
de Pouiko , à 3 quarts de lieue de Parkumaki ,
lorsque l'Ennemi prit le parti de se replier
sur ce village ; mais il étoit déja occupé par
Mos gens . Le Major Gahn fit promptement
réparer le Pont , et poursuivit l'Ennemi . Ce
fut ici que le Général Baron de Schultz prit
lui même la fuite , et resta enfoncé dans
un Mar is , d'où les Paysans et des Cosaques
le retirérent. Le Lieutenant-Colonel Toll
se défendit long- temps , quoiqu'il lui fût impossible
d'échapper ; et il ne se rendit que
lorsqu'il ne lui resta plus qu'un seul homine
près de son Artillerie. Ainsi notre victoire
( 13 )
fut complète. La perte de l'Ennemi conista
en 5 Officiers et 200 Soldats tués , 4 Officiers
et 130 Soldats blessés , Prisonniers ; 15 autres
Officiers et 300 Soldats , non blessés , Prisonniers
en tout , 654 hommes. Les Trophées
que nous avons pris , sont , 5 canons de
fonte , 2 Drapeaux , 16 chariots de munitions
, une caisse d'instrumens , un équipement
complet pour 1000 hommes , avec le camp
pour un bataillon et 6co fusils . Le Brigadier
en chef de Stedingk, qui a vu avec
admiration la conduite intrépide du Lieutenant-
Colonel Toll, fait éprouver , tant à lui
qu'aux autres Officiers Prisonniers , parmi
lesquels sont aussi les Aides - de - Camp du
Baron de Schultz , les procédés les plus honnêtes
il leur a fait rendre leurs équipages
de campagne , et il leur a accordé la plus grande
liberté sur leur parole. Nous avons perdu
dans cette action le Capitaine de Dragons
Linderantz , 38 Bas - Officiers et Soldats tués ;
11 Officiers et 138 Soldats blessés . »
:
Quant à l'affaire de Likala , d'où le
Général Major de Kaulbars s'est retiré ,
inopinément , en voici les circonstances;
elles prouvent que cette retraite mala
-droite n'a entraîné aucunes suites fâcheuse.
« Suivant les derniers avis des opérations
de l'armée Suédoise en Finlande , le Général
Major de Kaulbars s'étoit mis en marche de
Heinola , le 15 juillet , pour occuper le poste
de Caipias , à l'effet de couvrir le flanc gauche
du Roi ; mais après une attaque qui ne réussit
point , il jugea à propos , le 16 au matin ,
de se retirer , non - seulement de Caipias , mais
( 14 )
aussi d'Uttismalm èt de Kowalla , et même
au- delà du Pont plus loin encore en arrière
jnsqu'à Warela , directement contre les ordres
que lui avoit donnés par écrit le Lieutenant-
Général Baron de Siegroth , qui commandoit
dans l'absence du Roi pres de Likala Par
cette retraite , non-seulement la communication
avec le Général-Major Kaulbars fut
coupée , mais , lorsqu'il eut abandonné encore
le Pont près de Warela , l'armée se trouva .
absolument à découvert sur ses arrières , et
le Pont près d'Anjala etoit sans defense. Cependant
, l'on remédia à cette situation critique
, le Lieutenant-général de Platen ayant
garni les défilés entre Viala et Memmela.
Dans ce temps , le Roi étoit encore occupé
près d'Hogfors , à eloigner davantage l'Ennemi
de ce passage important qu'il avoit
dû récemment abandonner ; mais S. M. revint
immédiatement à Likala avec ses troupes , et
fit des dispositions pour prévenir les inconvéniens
ultérieurs que pouvoit entrainer
ne retraite si précipitée. En attendant , l'on
fut informé que le Général Major de Kaulbars
-stoit replié encore plus loin. Par là , la
position à Likala devenit infiniment dangereuse
; et le Roi dut se préparer à une
prompte retraite , après avoir préalablement
donné ordre au Comte de Hamilton , qui
commandoit le Corps destiné à défendre
Jes défilés entre Viala et Memmela , de se
réunir avec une partie de son monde et la
Cavalerie du Roi aux troupes que commandoit
le Général de Kaulbars , en lui ôtant
sur le champ le Commandement de ce Corps .
Ensuite , le Comte de Hamilton devoit`marcher
à PEnnemi , dont l'avant-garde avoit
déja été vue près d'Anjala , jusqu'où M. de
萨
( 15 )
Kaulbars avoit rétrogradé. En se retirant de
Likala , l'arrière garde , composée des Gardesdu-
Corps du Roi , étoit conduite par le
Lieutenant-Général Baron de Siegroth : le
Commandement du Corps de bataille fut
confié au Lieutenant Général de Platen ; et
le Roi lui-même , à la tête du Régiment de
West-Bothnie , accéléroit la marche. On passa
la rivière près de Memmela dans le meilleur
ordre. La retraite de l'Ennemi fut aussi
prompte et inattendue que son irruption ; et
an depart de cet avis l'armée Suédoise avoit
déja garni les hauteurs , qui dominent la
plaine près de Warela , et s'y étoit logée
dans des barraques . En quittant le passage de
Likala , l'on n'avoit proprement rien perdu ,
parce que , maître de celui d'Hogfors , le
chemin vers Frédérischam étoit toujours ouvert.
Ce fut dans cette situation que le Roi
reçut l'agréable nouvelle de la victoire du
Colonel de Steding, »
Le Contre-Amiral Liljehorn , dont la
division n'a pas obéi aux signaux dans le
dernier combat naval , a été débarqué
Carlscrona , mis aux Arrêts , et interrogé.
Rien ne transpire encore de la Procédure.
Le Duc de Sudermanie a remplacé
les malades de sa flotte par des Matelots
frais , et il a renforcé son Artillerie
d'un grand nombre de canons , nouvellement
fondus , qu'on a conduits à bord
des vaisseaux .
Par ordre exprès du Roi , on a publié , dans
les Gazettes de cette capitale , le Manifeste
que le Général Russe Comte Moussin Poutschikin
fit publier , le 11 Juillet , en entrant
( 16 )
་
en Savolax . Dans cette étrange Proclamation ,
on affecte de ne reconnoître que le Gouvernement
et le Peuple Suédois , sans faire d'autre
mention du Roi que celle - ci . « L'Impératrice
« n'a pour but , que de se procurer une satisfaction
convenable de CELUI , qui , contre
« les Lois fondamentales de la Suède , et sans
« la participation des Etats du royaume , a
« commencé la guerre ; d'établir une paix
durable , et d'écarter tout ce qui par la
suite pourroit occasionner une séparation
« par des moyens arbitraires , etc. On y exhorte
aussi les Finois à se mettre sous la
« protection de Sa Majesté Impériale. »
«<
«
POLOGNE.
De Varsovie , le 10 août.
La restauration de l'Etat s'affermit de
jour en jour par les décrets successifs de
la Diète . Elle a mis dans ses délibérations 1
un ordre et une célérité qu'on ne connoissoit
pas encore. Ce qui regarde
les revenus publics , étant aujourd'hui
terminé , les Etats ont porté leur attention
sur l'armée , sur les économies à
apporter dans ce Département , sur les
appointemens des Grands Généraux , et
sur la suppression ou conservation de
différentes Charges Militaires . Le nombre
de Généraux-Majors , employés dans
l'armée de la Couronne , a été fixé à huit ;
chacun aux appointemens de 12 mille
florins.
( 17 )
Parmi les Officiers de mérite que les Etats
ont recommandé à S. M. pour ces places ,
sont M. Zabielo , Nonce de Livonie , et M.
Kosciuszko ; le premier qui a déja le grade
de Général- Major , a passé dix années au
servi e de France ; le second a servi en Amérique
, d'où il est revenu avec le grade de Brigadier.
Sa Maj . a recommandé aux Etats le
Prince Joseph Poniatowski son Neveu , qui ,
après avoir servi avec distinction dans l'arinée
de l'Empereur , vient de donner sa démission
, pour consacrer son zèle à sa Patrie.
Les Etats ont prié S. M. d'assigner Elle- même
à ce Prince une place dans l'armée , de la
manière qu'Elle jugera convenable .
Tous les magasins Russes sont maintenant
transférés hors de notre territoire,
et les dépenses occasionnées par cette
translation ont été exactement payées
aux Habitans. Pour l'avenir , la République
s'en tient invariablement aux principes
dont elle a fait remettre la Déclaration
au Cabinet de Pétersbourg ; savoir
, 1 ° . qu'aucun détachement Russe ,
plus fort de 500 hommes , ne traversera
la Pologne ; que ce passage se fera aveç
les précautions requises par l'Etat , et
sous la conduite de ses propres Commissaires
, ainsi que la chose se pratique dans
les Cercles d'Allemagne ; enfin , qu'aucun
détachement ne jouira de cette faveur ,
si elle n'a été demandée en forme , avec
désignation précise du nombre d'hommes
et des noms des Commandans , et
18 )
obtenue par l'Ambassadeur Russe à Varsovie.
M. Potocki , Nonce de Podlachie , est
parti , le 7 , pour Constantinople , avec
une suite de go Personnes , en qualité
d'Envoyé Extraordinaire : un Cortège
brillant et nombreux l'a accompagné
jusqu'à une lieue de la capitale . Le 1er .
de ce mois , M. Potocki , Statroste de
Tlumack , s'est mis en route pour Stockholm
, où il sera revêtu du même caractère
; enfin , M. Malachowski , Staroste
d'Opoczno , s'est rendu à Dresde ,
aussi en qualité d'Envoyé Extraordinaire.
Notre Corps Diplomatique est
donc aujourd'hui complet et en activité ,
et la République , effacée vingt ans en
Europe , est représentée maintenant auprès
de toutes les principales Puissances ,
si l'on en excepte les Cours de France et
de Madrid.
Nos derniers avis de l'Orient annoncent
que le Prince Potemkin s'est dégarni
de 8 régimens , pour renforcer la
garnison d'Oczakof.
Vers le milieu de Juillet , on avoit
reçu à Oczakof la nouvelle que 6 vaisseaux
de guerre Ottomans , ayant mouillé
près de Sudak dans la Crimée , les troupes
qu'ils portoient avoient fait une
descente , dévasté plusieurs lieux , et emmené
600 Russes .
( 19 )
Les fréquentes recrues pour la guerre
Cont occasionné , dans la province de
Kiowie , une révolte ; on a été obligé d'y
envoyer trois régimens qui ont arrêté les
Chefs , et forcé les autres à l'obéissance.
L'intérieur du pays est dépourvu de
troupes.
ALLEMAGNE.
De Vienne le 17 Août.
Le Lieutenant Vernati , Envoyé par
le Général, Prince de Saxe Cobourg
est entré ici, le 12 , précédé d'un Employé
des postes et de huit Postillons sonnans
du cor : il est descendu à l'Hôtel du Conseil
Aulique de Guerre , et a fait au Comte
de Wallis , chargé des fonctions de Président
de ce Conseil , en l'absence du
Maréchal de Haddick , le rapport d'un
avantage considérable , remporté sur les
Turcs , près de Focksani , par l'armée
combinée , Autrichienne et Russe. Auparavant
M.Vernati avoit remis ses dépêches
à l'Empereur . La Cour a publié,
en deux Feuilles d'impression , le récit
de cette action importante , et celui , reçu
au même temps , d'un succès du Prince
de Hohenlohe , au défilé de Bozan , en
Transylvanie . Voici la substance de ces
deux Relations :
Le Séraskier Dervisch Mechmet , posté avec
( 20 )
environ 30,000 hommes , près de Foksan , se
proposoit d'attaquer le Prince de Cobourg ;
mais ce Général , prévenn à temps de ce dessein
, rassembla 16,000 hommes , auxquels
se joignirent 4 , coo Russes sous les ordres du
Général Suwarof, et marcha au-devant de l'En
nemi . Le 30 Juillet , on atteignit et l'on attaqua
avec succès un des principaux Corps Ottomans .
Le lendemain , on passa la rivière de Putna , et
après une altaque très- vigoureuse , on força
le gros de l'Ennemi à abandonner son camp ,
et à se retirer. Le service hardi de notre Cavalerie
et celui de nos canons ont principalement
contribué à dérouter les Spahis . Un
parti de Janissaires se retrancha dans le couvent
de Samuel , et le défendit opiniâtrément
jusqu'à ce que le détachement entier eût été
tué. On s'est emparé également du couvent
de Focksani. On évalue la perte des Turcs à
1,500 hommes : plusieurs ont péri dans la rivière
de Putna , et 96 ont été faits prisonniers .
Tout leur camp , les munitions abandonnées ,
10 canons , 16 drapeaux , les bagages , fourrages
, caisses , etc. sont tombés entre les mains
des Vainqueurs. Le Colonel Comte d'Auersperg
et le Lieutenant- Colonel d'Orelly ont été
tués à l'assaut du couvent de Samuel . Nous
avons eu 25 hommes tués , et 70 blessés . Oh
ignore la perte des Russes . L'armée ennemie
s'est retirée à Busco , et le Prince de Cobourg
campe sur le champ de bataille abandonné .
La seconde relation du Prince de Hohenlohe
porte que , a les 2 et 3 Août , les Turcs,,
au nombre d'environ 13,000 honimes , se présentèrent
aux défilés de Tomesch et de Bozan ;
'ils attaquéèrent les détachemens qui y étoient
postés le Prince de Hohenlohe vint à leur
secours , se mit à la tête de la Cavalerie , char(
21 )
gea l'Ennemi , et l'obligea de s'enfuir dans le
plus grand désordre. On lui a pris 2 drapeaux ,
20 chariots chargés , 100 chevaux et un grand
nombre de boeufs. »
Hier on a chanté un Te Deum en actions
de graces , dans l'Eglise Paroissiale de la
Cour.
Le même Supplément officiel rend aussi
compte d'une affaire de poste , le 4 Août , aux
environs de la montagne d'Allion , dans laquelle
les Turcs , au nombre de 6 à 7000
hommés , tant Infanterie que Cavalerie , ont
été repoussés avec perte. Ce rapport a été
envoyé par le Géneral - Major de Vetsey , qui
commande près de Méhadie .
Toutes inquiétudes ont cessé sur la
santé de l'Empereur , dont le rétablissement
avance chaque jour , et qui a repris
ses exercices et ses occupations ordinaires.
Il n'en est pas de même du Maréchal
de Haddick retombé malade , et
* qui revient ici , obligé de quitter l'armée ,
dont le Maréchal de Laudhon prendra
le commandement général . Ce grand Capitaine
será remplacé , en Croatie , par
- les Généraux de Ligne et de Vins .
P.S. L'Empereur a envoyé au Prince
de Cobourg Ordre Militaire de Marie-
Thérèse. On assure aujourd'hui que l'Armistice
avec les Turcs est levé en Servie.
( 22 )
୮
GRANDE - BRETAGNE.
De Londres , le 25 août.
Le voyage du Roi est le seul objet ,
en ce moment , qui occupe la curiosité.
Après quelque séjour à Exéter , ce
Monarque et sa Famille sont arrivés au
château de Saltram , près de Plymouth ,
et à Plymouth même , le 17. Une foule
immense se pressoit sur leur passage :
à leur entrée , ils trouvèrent le Corps
Municipal en robes de cérémonie , a
Garnison et la Milice du Comté de
Devon sous les armes ; les canons du
ført et des remparts mêlèrent leurs salves
aux décharges des troupes. LL. MM .
accompagnées du Duc de Richmond et
de son frère Lord George Lenox, Gouverneur
de la place , visitèrent d'abord
les chantiers , et montèrent ensuite sur
l'Impregnable de 98 can . , où elles restèrent
une heure. Une multitude de
barques décorées escortoient la leur ;
l'un de ces petits bâtimens chavira au
retour , et perdit 12 passagers . L'escadre
de huit vaisseaux de ligge sous les ordres,
du Commodore Goodall étoit dans la
Baie , et le lendemain , 18 , elle passa
en revue devant S. M. , qui se trouvoit
à bord de la frégate le Southampton ,
ainsi que la Famille Royale. L'escadre,
en deux divisions , leur donna le spec·
( 23 )
tacle d'un combat naval simulé. La ligne
d'une des deux divisions fut coupée ,
formée de nouveau , coupée encore ,
et renouvela deux fois l'engagement .
Tous les vaisseaux se réunirent ensuite ,
et firent une salve générale .
Le 20 , le Roi visita la citadelle et
les magasinsdes vivres, examinant chaque
partie dans le plus grand détail . Après
avoir inspecté les fortifications , il descendit
dans les souterrains qui l'environnent
devant lui , défilèrent ensuite
tous les ouvriers du chantier en uniforme ,
au nombre de 4000 , chacun portant le
signe de sa profession . Autour de la
barque de S.-M. , on a distingué une
chaloupe à rames , conduite par six
jeunes filles , vêtues de blanc , et qui
manoeuvroient avec la plus grande dextérité.
LL. MM. se sont rendues , le 21 ,
à Mount Edgecumbe, chez le Lord de
ce nom , d'où Elles sont retournées à
Saltram .
L'escadre du Commodore Goodall
prend des provisions fraîches pour remettre
en mer , et croiser pendant trois
semaines.
PAYS -BAS.
De Bruxelles , le 30 août 1789.
On se rappelle que l'Empereur
( 24 )
ayant révoqué , en 1787 ceux de
ses Règlemens qui avoient porté atteinte
aux privilèges politiques et civils
des provinces Belgiques , confirma
la réunion des séminaires Episcopaux
à celui de Louvain qui subit une réforme
. Le Clergé Brabançon a opposé
une résistance opiniâtre à cette mesure
, et au perfectionnement des études
qu'on fait à l'Université de Louvain
depuis des siècles. Les Edits , les châtimens
, les Soldats n'ont pu rallentir cet
enthousiasme , qui , en effet , ne peut être
combattu que par la persuasion . Le
Gouvernement à imité la prudence du
feu Roi de Prusse dans un cas à-peuprès
semblable . Sa Principauté de Neuchâtel
étoit troublée par un schisme sur
l'éternité des peines : le Clergé et le Public
ne vouloient point de peines temporaires
. Eh bien, dit Frédéric, puisque
les Neuchâtelois veulent être damnés
éternellement , je n'y mets point d'opposition.
De même , libre à chacun , maintenant
, d'étudier la Théologie à Louvain
ou ailleurs .
« En conséquence , par un Edit émané le
14 , les Séminaires Episcopaux sont rétablis ,
et le Séminaire- général de Louvain ne servira
dorénavant qu'aux Elèves de Théologie qui
iront faire volontairenient leur cours de cette
science dans ladite Université . Les Religieux
ne pourront cependant pas enseigner dansleurs
cloîtres ;
1
( 25 )
doitres ; mais ils ont la liberté d'envoyer leurs
Novices , soit à Louvain , soit dans les Seminaires
Episcopaux respectifs . Enfin , l'Empereur
déclare que les indults , accordés ci- devant
par les Souverains Pontifes , à l'Université
de Louvain , pour la nomination aux Bénéfices
, auront la même vigueur qu'avant l'Edit
de leur suppression en 1783. »
La ville de Liège vient d'offrir , en
miniature , une révolution dont celle
de la France a probablement fourni
la circonstance . Depuis quelques années ,
on étoit fort mécontent des Chefs de
la Municipalité , et de plusieurs abus ,
qui , inutilement , excitèrent des réclamations
et des troubles , il y a quatre
ans. Le feu couvoit sous la cendre ; il
s'est ranimé à la nouvelle des derniers
événemens de la Monarchie Francoise .
Verviers , Bourg de la Principauté de
Liège , célèbre par sa Fabrique de draps
fins , a donné le signal en arborant des
Cocardes vertes et blanches . D'autres
petits lieux ont réclamé contre certaines
impositions , et contre leurs Municipaux .
Tout le Plat- Pays s'est armé, ainsi que la
ville de Liège. Le Prince-Evêque , à l'approche
de l'orage, adressa une exhortation
très- pastorale à son Chapitre, en l'invitant,
le 13 , à souscrire à l'égale répartition
des impôts entre les divers Ordres. Le
Chapitre , non moins prudent , adhéra
acette proposition , nonobstant laquelle
les habitans n'en ont pas moins aboli
No. 36. 5 Septembre 1789.
B
( 26 )
le Règlement de 1684 , source des mécontentemens
, cassé la Régence et
substitué aux Bourguemestres en place ,
MM. de Fabry et de Chestret qui
depuis long - temps jouissoient de la
confiance publique. Le Conseil Municipal
a été changé en entier ; la Milice
Bourgeoise a pris la Cocarde , et a reçu ,
les armes à la main , son Evêque désarmé
, qui est venu sanctionner l'ouvrage
de cette journée du 18. On a
même poussé la prévenance pour S. A. S.
jusqu'à s'atteler à son carrosse ; après
quoi il a été libre de retourner à sa maison
´de campagne. On écrit que cela n'a pas
coûté de sang, par la raison très simple que
personne n'en avoit à verser ni à payer ,
pour s'opposer à la réforme , dont on
à remercié Dieu par un Te Deum
solennel .
Il s'est passé en Hollande deux petites
scènes d'une autre genre. Un Patriote
de Rotterdam , Marchand de vin ,
et antagoniste décidé de la Cocarde Oran
ge , se voyant inquiété , le jour de l'aniversaire
de la Princesse d'Orange , par
le Peuple qui vouloit le forcer à prendre
ce signe dominant , tira son couteau
et en frappa mortellement un des spectateurs.
Cet homicide enflamma le Peuple
qui , ne pouvant se venger sur le meurtrier
, assez heureux pour s'être évadé
cassa les vitres des maisons accusées d'ap-
"
( 27 )
partenir à d'anciens Patriotes : deux de
cesé ifices furent saccagés . Sur -le-champ ,
la Régence fit armer les Compagnies
Bourgeoises , rétablit l'ordre , et défendit
le lendemain , sous les plus graves peines ,
de maltraiter qui que ce fût , avec ou
sans Cocarde.
Au milieu du mois , le Commandant
de la Haye , averti que quelques Volontaires
du ci - devant Corps Franc de
Wesop , s'étoient pourvus d'armes , d'un
drapeau , et s'assembloient secrètement
pour s'exercer , ordonna à la garnison
du lieu de désarmer ces Messieurs , qui
remirent , sans résistance , leurs fusils ,
sabres , tambours , et jusqu'à leurs cartouches
.
Madame la Princesse d'Orange ayant
quitté Berlin , le 11 , a été accompagnée
jusqu'à Brandebourg par le Roi son frère ,
et est arrivée , le 21 , au château de Loo
en Gueldres.
La Gazette de Berlin , du 12 , a renfermé
l'article suivant , inséré dans cette
Feuille , par autorité ( 1 ).
( 1 ) L'article contre lequel réclame M. le
Comte de Hertzberg , est sorti originairement
d'un de ces Bulletins manuscrits faits à Paris ,
et achetés par les Gazettes étrangères. Deux
ou trois de ces Bulletins rédigés par des Gens
de Lettres , le sont avec la décence et la circonspection
que doivent s'imposer les Narrateurs
de nouvelles , dont ils n'ont pas le temps
Bij
( 28 )
« On a lu ici , avec autant de surprise que
d'indignation , dans la Gazette de Leyde
dans le Journal- général de l'Europe , et d'autres
Papiers publics , un article dans lequel il
est dit : « Que M. le Comte de Hertzberg, Ministre
d'Etat du Roi de Prusse , devoit avoir
écrit à un de ses amis à Paris , une lettre reçue
le 18 Juillet, dans laquelle ce Ministre avoit annoncé
le renvoi de M. Necker , et la révolution
qui devoit arriver à Paris . Il faut être un calomniateur
aussi vil qu'effronté , pour inventer un
mensonge aussi atroce ; et M. le Comte de
Hertzberg défie qui que ce puisse être , de
produire et de déposer, dans un endroit neutre ,
une lettre de cette nature. M. de Hertzberg
n'a de correspondance à Paris , et même rarement
, qu'avec le Comte de Goltz , et avec
trois ou quatre Gens de Lettres , et il est sûr
de n'avoir écrit à personne à Paris dans le cours
de vérifier l'authenticité. Mais plusieurs Gazettes
étrangères , vivant de scandales et d'impostures
, se gardent bien de leur donner la préférence
. Elles choisissent toujours ceux dont
la partialité et les anecdotes calomnieuses piquent
le plus la curiosité. Ainsi , en quinze
jours , une fausseté , méprisée à Paris , a fait
le tour de l'Europe , et s'y est accréditée . Dans
ces Bulletins , on distribue les rangs , les brevets
d'innocence et de crime , de génie et de
sottise : aucune réputation n'est à l'abri de cette
légèreté , et l'homme du royaume le plus vertueux
n'est pas assuré de n'être point traduit
comme un scélérat dans les Gazettes . La liberté
de la Presse remédiera en France à ces
Publications clandestines , contre lesquelles
les Offensés étoient sans ressource.
( 29 )
du mois de Juillet . On a très-mal - a- propos
supposé qu'il avoit prédit la révolution qui
devoit arriver ; et on ne rend justice , ni à sa
politique , ni à ses sentimens , en publiant des.
fausselés aussi absurdes et aussi palpables. "
L'Electeur Palatin a fait marcher sur
ses frontières , du côté de la France , le
régiment des Chevau · Légers de Linange,
et a défendu la sortie des grains de toute
espèce.
On écrit d'Anhalt- Zerbst , qu'il règne dans
cette Principauté , quelque fermentation , et
que le Prince s'est adressé au Roi de Prusse
pour lui demander des secours militaires . Sa
Majesté Prussienne lui a envoyé des Commissaires
, chargés de prendre connoissance
des plaintes des Sujets ; plaintes très - vives
depuis plusieurs années , et que le caractère
du Prince , frère de l'Impératrice de Russie
n'étoit pas propre à calmer.
FRANCE.
De Versailles , le 2 septembre.
Nous ne reviendrons pas à l'opiniâtre
dissention , qui tint licu de délibération ,
le 23 , sur la Motion de M. de Castel-
Lane ; « Nul ne peut être inquiété pour
ses opinions religieuses , ni troublé dans
l'exercice de sa religion . Comme, définitivement
, il fut résolu que cette liberté
s'étendroit à toutes les opinions , même
religieuses , pourvu que leur manifestation
ne troublât point l'ordre public
Bių
( 30 )
établi par la Loi ; c'est cette Loi à faire ,
qui seule déterminera l'indépendance
des divers cultes ou leur subordination au
culte dominant. Ainsi le débat n'a , dans
le fait , amené qu'une résolution prélimi- .
naire sur une question , dont le point
fondamental est encore à statuer. M. le
Comte de Virieux et M. Rabaud de
Saint-Etienne défendirent les deux systêmes
contraires : nous n'avons pu nous
procurer l'opinion écrite du premier de
ces Députés ; on trouvera celle du second
dans le Supplément
.
Le Dimanche soir , 23 Juillet , on prononca
sur la plainte du Procureur du
Roi de Falaise , contre le Parlement de
Rouen. Les uns , sans discuter le fond ,
voyoient avec peine une Assemblée législative
transformée en Tribunal d'évocations
d'autres la jugèrent compétente
à défendre l'indépendance des Citoyens
dans la rédaction de leurs cahiers
; de troisièmes , en blâmant les
expressions attribuées au Procureur de
Falaise , blâmoient également l'intervention
juridique du Parlement dans une
affaire où il étoit partie , et ces différens
avis ont abouti à l'Arrêté suivant :
L'Assemblée Nationale persistant dans son
Arrêté du 23 Juin , déclare qu'aucun Citoyen
ne peut être inquiété à raison des opinions
ou projets par lui présentés , des abus par lui
dénoncés , soit dans les Assemblées élémentaires
, soit dans son sein ; déclare la procé(
31 )
dure instruite par le Parlement de Rouen
contre le Procureur du Roi de Falaise , nulle
et attentatoire à la liberté nationale ; sur le
surplus des demandes du Procureur du Roi ,
le renvoie à se pourvoir où , ainsi et pardevant
qui il appartiendra. »
Dans la Séance du Samedi soir 22 , le Comité
d'Informations et de Recherches , soit
Comité des Douze , annonça , par l'organe
de son Rapporteur , que jusqu'ici ses fonctions
avoient été sans effet , et qu'il se bornoit
à dénoncer un Ouvrage Périodique , dans ,
lequel se trouvoient insérées une Lettre affreuse
au défunt Gouverneur de la Bastille ,
et la Réponse non moins affreuse de ce Gouverneur.
Ces deux Missives , dont l'authenticité
n'est point reconnue , et dont il seroit
surprenant qu'on eût rencontré les niinutes
réunies , ont pour objet l'envoi d'un Prisonnier
expédié par le Gouverneur. L'Assemblée
pensa , avec M. le Vicomte de Mirabeau , que
les brochures périodiques ou non périodiques ,
ne méritoient pas son attention , " et qu'il falloit
les laisser vendre , et les lire rarement .
DIX-SEPTIEME SEMAINE DE
LA SESSION.
Quand on jette un coup- d'oeil rétrograde
sur les quatre mois déja écoulés depuis l'ouverture
de l'Assemblée Nationale , sans qu'on
y ait pleinement décidé un seul titre de la
Constitution , une seule résolution sur l'état
déplorable de l'Administration des Finances ,
un seul point d'Economie publique ou provinciale
, fondamentale , on admire la force
d'inertie qu'oppose un grand Etat aux se-
Biv
( 32 )
Cousses les plus violentes , le jeu d'événemens
qui ont donné aux affaires une impulsion décisive
, avant qu'aucune Loi l'eût réglée on
déterminée , et , pardessus tout , on s'etonne
de l'empire que prennent les circonstances
sur les Corps politiques , créés pour les diriger.
La semaine qui vient de s'écouler nous
offrira un intérêt médiocre ; mais , enfin , on
y a du moins achevé le long prélude de la
Constitution.
Du Lundi 24 AOUT 1789. Mention faite
des Adresses de félicitation et d'adhésion de
plusieurs Villes et Communautés , le trouble
de la Séance précédente engagea M. Périsse
du Luc , l'un des Députés de Lyon , à demander
qu'aucune Motion , Amendement , ou
sous-Amendement ne fût mis aux voix , avant
que dix Membres au moins , aient opiné pour
Ou contre.
Quelques Députés appuyèrent cette proposition
, qui fut néanmoins rejetée , comme pouvant
donner lieu à des longueurs interminables
, et gêner la liberté de l'Assemblée.
L'article XIX du Projet de Déclaration des
droits étant mis en délibération , M. Rahaud
de Saint-Etienne l'interrompit par des observations
contre l'inviolabilité des résolutions
de l'Assemblée .
A son avis , chez presque tous les Peuples ,
les Jugemens et les Délibérations importantes
se répétoient ou se discutoient dans deux
Chambres ; enfin , toute Assemblée législative
pouvoit recommencer ou amender ses
Décrets .
D'après ces principes , il pouvoit remettre
en discussion l'article arrêté la veille sur la
liberté du Culte ; article essentiellement vi(
33 )
cieux , sur- tout dans la clause qui ne permet
la liberté de Culte , que sous la condition trèsvague
de ne point troubler l'ordre public……….
On ne laissa point l'Opinant terminer ses
réflexions ; il fut obligé de les ramener à l'article
XIX , et proposa la rédaction suivante :
» Tout homme ayant le droit de penser
librement , a le droit de manifester ses opi-
´ « nions , sous la condition de ne point nuire
« à autrui. »
·
M. le Duc de Lévis proposa une rédaction
pareille ; d'autres , des rédactions analogues.
M. le Duc de la Rochefoucault demanda
que les restrictions à la liberté de la Presse
fussent renvoyées à la Constitution ...... Il
appuya très -fortement l'avis de M. Rabaud
sur la condition exprimée dans plusieurs rédactions
, de ne point troubler l'ordre public.
On ne peut connoître , dit - il , les immenses
combinaisons de l'ordre public , toutes ses
ramifications , ni ses branches différentes . Un
Ecrivain seroit toujours accusé d'en léset
quelques- unes On n'écriroit plus sans crainte .
Il est d'usage que les hommes publics se regardent
comme laant partie de l'ordre public.
Qui troubleroit l'un , attaqueroit l'autre..
A la moindre vérité , on crieroit que l'ordre
public est troublé. Ainsi , il proposoit en ces
termes l'expression de l'article : « La libre
communication des pensées et des opirions
« est un des droits les plus précieux de
l'hon me. Tout Citoyen peut donc par-
« ler , écrire , imprimer librement , sauf à
répondre de l'abus de cette liberté , dans
les cas prévus par la Loi.
Chaque Opinant offroit sa rédaction particulière
; M. Robers- Pierre excluoit toutes res
trictions , et citoit les Américains . Un Député
В v
( 34 )
Ecclésiastique de Metz fitoit son Cahier
où , par respect pour la religion et les moeurs ,
on réclame la conservation d'une censure.
Malgré le voeu général de passer aux voix ,
M. l'Evêque d'Amiens obtint la parole , et
pressa les considérations du Préopinant contre
la licence de la presse , contre les outrages ,
si souvent renouvelés , même sous le régime
censorial , envers les moeurs et la religion.
M de Mirabeau opina à substituer le mot
réprimer au mot restreindre , employé dans
plusieurs rédactions.
« On vous laisse l'écritoire , dit - il , quoique
vous puissiez écrire des lettres calomnieuses.
Il en est de même de la liberté de la presse.
Celui qui en abusera sera puni . Il faut done
exprimer dans votre rédaction une répression
et non une restriction , qui suppose une anticipation
au droit. Il faut punir le délit , non
gêner les hommes pour prévenir la faute d'un
seul , non restreindre la liberté de tous , de
peur qu'un seul en abuse . »
Cet Amendement fut adopté , ainsi que la
rédaction de M. de la Rochefoucault : celle
du sixième Bureau regardée comme nonavenue.
L'article XX de la Déclaration fut ensuite
mis au creuset , analysé , discuté , contredit ,
défendu. Dix -sept rédactions différentes se
présentoient ; pas une ne fut admise , et sur
l'avis de M. de Lally , cet article XX , le seul
des 24 qui composoient le Projet du sixième
Bureau qu'on ait conservé , fut admis en sa
1eneur primitive , que voici :
La garantie des droits de l'Homme et du
Citoyen nécessite une force publique ; cette
force est donc instituée pour l'avantage de
( 35 )
tous , et non pour l'utilité particulière de
ceux auxquels elle est confiée. »
Une Députation de la Garde Bourgeoise de
Versailles venant présenter le plan d'une souscription
patriotique , a terminé la Séance , un
Noble de la Prévôté et Vicomté de Paris étant
entré dans cette souscription pour 20 mille
livres , sur son revenu annuel de 26 mille .
Du Lundi au soir , 24 Aour. Séance de
rapports comme la plupart de celles du soir.
On a rendu compte d'une plainte du régiment
de Hesse-Darmstadt , en garnison à Strasbourg
au moment du dernier trouble , et envoyé
à quelques lieues de la ville par ordre
de M. de Rochambeau . Les Soldats ayant participé
au désordre général , on les a fouillés
sans leur trouver aucun effet dérobé. Le régiment
réclame contre son éloignement et
contre les dépenses qu'il lui a occasionnées. Le
Le Corps étant rentré dans l'ordre , et à
Strasbourg , l'Assemblée a arrêté qu'il n'y
avoit lieu à délibérer.
On a rapporté ensuite l'affaire de M. François
de Neuchâteau ( Voyez le dernier Journal ,
article Paris. ) Elle a été renvoyée au Comité
des Douze , pour en rendre compte dans
quinzaine.
En 1776 , M. Boncerf, Auteur de l'Ecrit
intitulé Inconvéniens des droits Féodaux ,
fut décrété par le Parlement de Paris , et son,
ouvrage brûlé . M. le Comte de Sérent a demandé
, au nom de cet Auteur , la cassation
de ce Décret , les opinions se sont réunies à
décider qu'il n'y avoit lien à délibérer , vu la
nécessité où l'on se mettroit de prendre en
considération, toutes les réparations parti
culières.
B vi
(
( 36 )
Du Mardi 25 Aour. Fête de S. Louis , et
vacances.
:
Du Mercredi 26 AOUT. On poursuivit la
'discussion des derniers articles de la Déclaration
des droits MM. Périsse du Luc , Robers-
Pierre , Target , la Chaise , l'Archevêque
d'Aix et bien d'autres , demandèrent des changemens
, et s'étendirent en réflexions sur chacun
des chefs proposés : de ces deux opinions
diverses , sur des matières qui se prêtent et
qui se prêteront à des raisonnemens infinis ,
jusqu'à la fin des siècles , résultèrent les quatre
articles suivans :
XIII. Chaque Citoyen a le droit par luimême
ou par ses Représentans de constater
la nécessité de la contribution publique , de la
continuer librement , d'en suivre l'emploi , et
d'en déterminer la qualité , l'assiette , le mouvement
et la durée .
XIV. La Société a le droit de demander
compte à tout Agent public de son administration
.
-
XV . Toute Société dans laquelle là garan
tie des droits n'est pas assurée , ni la séparation
des pouvoirs déterminée , n'a pas de
Constitution.
XVI. La propriété étant un droit inviolable
et sacré , personne ne doit en être privé , si
ee n'est lorsque la nécessité publique legalement
constatée l'exige évidemment , et sous
la condition d'une juste et préalable indemnité
.
Avant que ce dernier article fût arrêté ,
M. le Comte Mathieu de Montmorency en
proposa un qui , sans doute , méritoit une
longue et mûre délibération . Il s'agissoit d'attribuer
au Peuple le droit de revoir et de
( 37 )
changer la Constitution , toutes les fois que
les abus , le changement des moeurs et des
circonstances paroîtroient l'exiger. La crainte
de l'instabilité des Lois , qui détache le Citoyen
de l'amour de la Patrie , en le détachant
de l'amour de sa Constitution . qui fait
errer l'intérêt social au gré de l'opinion , qui
livre l'existence de l'Etat à toutes les factions
auxquelles on assigne le droit efficace de la
troubler par des innovations ; cette crainte ,
disons - nous , n'alarmoit point l'Opinant , qui
demanda à l'Assemblée si elle vouloit donc
des Lois éternelles ? Divers Membres jugèrent
que cette Motion devoit être regardée comme
article de Constitution , et non de Déclaration
des droits ; en conséquence , il fut décidé
qu'il n'y avoit lieu à délibérer pour le présent.
Nous supprimons les détails des discussions
sur les derniers articles adoptés , parce qu'ils
appartiennent évidemment au droit social ,
plutôt qu'au droit naturel , et que par consé
quent , ils deviendront l'objet de Lois formelles
, dont la rédaction ramenera peut-être
les mêmes débats .
Avant la fin de la Séance , on reçut une
Lettre de M. Necker , qui témoignoit ses regrets
de ne pouvoir , par cause de maladie ,
sé rendre aujourd'hui à l'Assemblée , à laquelle
il enverroit demain le travail qu'il
desiroit lui soumettre .
Du Jeudi 27 Aour. Après la lecture de
l'extrait des Adresses et actes d'adhésion ?
M. d'Harambure , l'un des Députés de Touraine
, a rendu compte que la ville de Tours
s'étoit engagée à garantir , pour l'année prochaine
1790 , le payement de deux millions
( 38 )
deux certs mille livres , somme équivalente
de ses impositions , en douze termes égaux ,
dont le premier en Janvier 1790 ; et de plus ,
à faire remettre au Trésor Royal , avant
cette époque , le payement des six derniers
mois de l'année courante , montant à onze cent
mille livres. Cet acte d'esprit public a été
vivement applaudi , et a mérité les remercîmens
de l'Assemblée ; qui , en adoptant l'offre
de la Touraine , a ordonné l'impression et
l'envoi dans toutes les Provinces de cette
généreuse délibération.
L'ordre du jour étoit de s'occuper des articles
additionnels à la Déclaration des Droits ,
déja discutée et arrêtée ; mais M. Bouche a
représenté la nécessité de passer , sans délai ,
à la Constitution , et spécialemennt à l'organisation
des Assemblées Municipales et Provinciales.
Cetse Motion a été soutenue par M. Mongin
de Roquefort, et , après lui , par M. Bureau
de Puzy, Député de la Noblesse d'Amont , et
dont le discours , aussi vrai qu'énergique , doit
être rapporté sans retranchement .
« L'Assemblée Nationale a reconnu d'une
manière solennelle les droits sacrés que tous
les hommes apportent dans la société , et qu'ils
ne peuvent jamais perdre; conséquemment elle
a contracté avec la France, avec l'univers , l'engagement
d'appuyer la Constitution que l'Etat
attend d'elle , sur les bases immuables de la
sagesse , de la justice et de la vérité . »
" En m'applaudissant , Messieurs , d'être le
premier à vous féliciter  sur cet heureux début ,
je ne puis empêcher qu'un sentiment d'inquiétude
et de crainte n'altère , n'affoiblisse
même en moi les douces espérances que votre
1/
( 39 )
entrée dans la carriere a fait concevoir à tous
les bons François .
«
»
Je considère qu'avant de commencer le
majestueux édifice d'une Constitution sans
tache , il vous a fallu d'abord sapper jusque
dans ses fondemens le colosse gothique , barbare
, incohérent de notre ancienne organisation
. Quelques parties de ce vieux monument
auroient pu , aur vient dû , pour l'utilité publique
, être encore conservées pendant quelques
instants : elles ont cédé à la commotion
générale ; elles ont été entraînées par
l'écroulement des parties voisines , et la destruction
totale de l'édifice a été consommée . »
« Aussi voyons- nous , dans ce moment ,
les Lois oubliées ou méprisées ; l'autorité
publique et les Tribunaux méconnus ou impuissans
; les sources qui alimentoient le Trésor
National détournées ou taries ; le Peuple
livré aux excès de la licence qu'il prend pour
la liberté ; les troupes sans frein et sans discipline
, appelant leur désordre du patriotisme
, menacent la Nation de la dissolution totale
de l'armée. Tous les liens qui attachoient
l'Etat au Prince , la Cité au Gouvernement ,
les Citoyens aux Citoyens , sont ou relâchés ,
ou détendus , ou brisés . Enfin , les Représentans
du Peuple François , au milieu des ruines
de notre institution politique , contemplant
avec étonnement l'immensité et la confusion
de ses débris , n'ont point encore préparé ,
n'ont pas même amassé tous les matériaux
qui doivent succéder à ce monceau de décombres
, et la Nation , à peine échappée aux
fureurs du despotisme , est menacée de périr
dans les convulsions de l'anarchie. »
" En crayonnant ce tableau , je n'ai pas ,
Messieurs , je ne puis avoir la coupable in(
40 )
tention de répandre un jour défavorable ou
douteux sur la sagesse des mesures que vous
avez prises. Ce que vous avez fait , vous l'avez
dû sans doute . Il est des circonstances que la
prudence humaine ne sauroit prévoir , mais
qu'elle doit saisir ; et quand de vieux et déplorables
préjugés , qui trop long - temps firent
la honte et le malheur de la France , sont
venus d'eux - mêmes s'offrir à la destruction
que vous en méditiéz , vous ne pouviez permettre
qu'ils échappassent , sans craindre de
vous rendre coupables.
»
a De nouveaux malheurs ont été l'effet de
cette révolution à jamais mémorable ; le Peuple
n'a plus mis de bornes à ses prétentions.
Le souvenir de son ancienne oppression l'avoit
rendu cruel et féroce ; à peine calmé , la
prompte justice qu'il a obtenue de vous , et
qu'il n'osoit espérer , l'exalte et le rend injuste
; et le sentiment trop apprécié de ses
propres forces , va peut être le rendre séditieux.
»
« Au milieu des nouveaux orages qu'annonce
cette effervescence , comment les Représentans
de la Nation trouveront - ils le
calme nécessaire pour méditer la Constitution
et les Lois qui doivent régir un grand
Peuple , et assurer son bonheur ? Comment
interroger des Provinces agitées , consternées
désolées par la sédition et par les ravages ?
Comment connoître leurs maux , leurs voeux ,
leurs localités , leurs besoins ? Comment y
faire recevoir , y faire respecter les Lois nouvelles
qui doivent remplacer celles qui déja
n'existent plus ? »
Cependant , Messieurs , voici le moment
où une harmonie parfaite , une correspondance
presque continuelle entre les Provinces
( 41)
et vous , deviernent indispensables pour remplir
les divers objets de votre mission : vous
ne pouvez vous la prometire , cette harmonie ,
vous ne pouvez compter sur la régularité et
sur l'exactitude de cette correspondance , vous
ne devez attendre aucune utilité de toutes
denx , que vous n'ayiez préalablement régé
néré l'ordre et la force publique anéantis , et
le seul moyen efficace que j'apperçoive pour
y parvenir , c'est l'organisation des Municipalités
et des Assemblées Provinciales ; c'est
la prompte formation des unes et des autres . »
Je ne m'attacherai point à développer
les avantages qui doivent résulter de ces établissemens
. Il doit suffire de vous indiquer
rapidement les principaux , pour vous les faire
saisir tous ; et d'abord vous considérerez que
ces Assemblées seront autant de dépôts qui
recevront de vous l'ordre public , la force
l'activité , les lois ; qui les verseront , qui les
propageront , qui les affermiront dans toutes
les parties de l'Empire.
"}
" A votre tour , vous en recevrez les éclaircissemens
, les renseignemens , les instructions
de détail , que les cahiers des Députés
n'ont pu contenir , à cause de la précipita
tion avec laquelle la plupart de ces cahiers
ont été rédigés , à cause sur- tout qu'à cette
époque , l'esprit public qui s'est développé
depuis , n'existoit point encore . »
«Vous jugerez que ces corps vraiment représentatifs
de la totalité des intérêts des Peuples ,
jouiront bientôt de toute leur confiance ; que
vos décrets , transmis par ces organes , sans
devenir plus respectables , seront néanmoins
plus respectés ; et de là , vous conclurez l'urgente
nécessité de créer au plus tôt ces ins(
42 )
trumens nécessaires à la perfection de vos
travaux.
« Sans doute , vous ne serez point arrêtés par
l'inconvénient presque
nul d'une inversion
dans l'ordre convenu des matières que vous
avez à traiter , et vous ne sacrifierez point au
stérile amour de la méthode , l'amour du
bien public , qui peut résulter de la disposition
dont je soumets l'examen à votre sagesse.
»
:
« Ce n'est point , Messieurs , une proposition
nouvelle que j'ai l'honneur de vous
faire il y a quelques jours qu'un honorable
Membre de cette Assemblée me devança dans
cette intention ; c'est sa motion que je rappelle
aujourd'hui ; je l'appuie , et je demande
qu'il me soit permis d'offrir à l'Assemblée
Nationale le projet d'arrêté suivant :
« L'Assemblée Nationale arrête , qu'aussi-
» tôt qu'elle aura établi les principes fonda-
» mentaux qui doivent former la base de la
» Constitution , elle s'occupera de l'organi
» sation des Assemblées provinciales et mu-
» nicipales ; et qu'immédiatement après qu'elle
» aura rempli cet objet , le Roi sera supplié
de convoquer les unes et les autres
K
» et de les mettre en activité . »
+
а déduit
M. Deschamps a suivi M. de Puzy ; mais
en opinant qu'avant tout , on fixa les principes
de la Monarchie et du Gouvernement
François , d'après le voeu général des Cahiers.
M. le Vicomte de Noailles
le tableau du passé et de l'avenir
quis que l'on remît en force les pouvoirs
constitutifs , en concluant à l'avis amplifié de
M. Bouche, c'est à- dire , à la formation des
Tribunaux , des Municipalités , des Assemet
re(
43 )
blées Electives et Provinciales , des Milices
Nationales de l'Armée , etc.
Plusieurs avis subséquens ont été interrompus
par la demande d'entendre le rapport
du Comité Constitutif, lorsque M. Mounier
a appuyé de nouveaux argumens , la Motion
de M. Deschamps , en prouvant que les principes
de la Constitution , fondemens de tous
Corps politiques , devoient précéder la formation
des Municipalités et des Assemblées
Provinciales .
M. Camus a cru toucher le point de solu
tion , en demandant la lecture des articles
unanimes des Cahiers , qui doivent déterminer
les principes de la Monarchie . M. Fréteau
a fait cette lecture.
ART. I. Le Gouvernement François est un
Gouvernement Monarchique .
II. La personne du Roi est inviolable et
sacrée.
III. Sa Couronne est héréditaire de mâle
en mâle.
IV. Le Roi est dépositaire du pouvoir exécutif.
V. Les Agens de l'Autorité sont responsables.
VI. La sanction royale est nécessaire pour
la promulgation des Lois .
VII. La Nation fait la Loi avec la sanction
royale.
VIII. Le consentement national est nécessaire
à l'emprunt et à l'impôt. 1
IX. L'impôt ne peut être accordé
tenue d'Etats Généraux à l'autre.
X. La propriété sera sacrée .
que d'une
XI. La liberté individuelle sera sacrée .
M. de Virieux a dit : Voilà le vou clair de
la Nation : il a préexisté à nos débats , et il
( 44 )
ne peut rester de dissentiment que sur la rédaction
même de ces articles , déterminés
d'avance par nos Constituans .
M. Péthion de Villeneuve , au contraire ,
s'est opposé à toute précipitation. Il a distingué
deux classes d'articles , les uns d'une
utilité reconnue , les autres d'une utilité douteuse
.
Sur ces entrefaites , M. le Président a reçu
le Mémoire de M. le Directeur - général des
Finances , annoncé la veille . On en a fait la
lecture en ces term :
RAPPORT de M. NECKER , Premier
Ministre des Finances , lu à l'Assemblée
Nationale le 27 Août 1789.
MESSIEURS ,
» J'aurois pa depuis quelques jours vous annorcer
l'iffue vraisemblable de l'Emprunt que
vous avez décrété , fi l'état de ma fante me l'ar
voit permis . Je profite d'un premier moment de
convalescence pour vous rendre le compte qui
vous est dû.
Il n'a été porté au Trifor royal , depuis l'époque
de l'ouverture de cet Emprunt jufqu'à préfent
, qu'une forme de deux millions fix cents
mille livres ( 1 ) , & la recette des derniers jours
a été fi modique , qu'on peut confidérer le fuccès
de ce : Emprunt comme entièrement manqué .
J'ai craint ce malheureux évènement , du moment
que je fus informé de votre Délibération du 9
( 1 ) La gé éreuſe foufcription faite à Bordeaux ,
nou encore réalifée , n'eft pas compriſe dans cette
fem.ne.
( 45 )
Acût ; mais je cachai
fo.geeufement mon fentimet
, afin de ne pas contrarier , par une o
atic pée , la chance d'un
mouvement favorable opinion
à
l'Emprunt.
L'expérience et toujours en aide à l'efprit natuel
& aux calculs du jugement ; ainfi , pour vous
guide dans vos
délibérations futures , vous défirerez
de
connoître pourquoi votre Emprunt n'a
point eu de fuccès.
J'avois été auffi loin qu'il étoit poffible pour
Phonneur du crédit
national , en vous
propofant
d'ouvrir un
Emprunt à cinq pour cent , dans le
temps qu'au prix des Effets publics fur la place ,
les
Capitaliftes
pouvoient
trouver des
placemenst
à plus de fix & demi pour cent .
Cependant , cet
intérêt de cinq pour cent , avec les petits encou
ragemens de détail qui y étoient joints , avec
l'affurance du
remboursement , avec
l'honorable
publicité
promiſe aux
témoignages de zèle & de
confiance que
donreroient les Prêteurs ; toutes
ces
conditions
réunies avoient fait une
impreflion
telle , que dès le même jour où mon plan fut
connu à Paris , je reçus ure
foufcription d'un
milion de la part d'une feule
Perfonne ; & il
n'eft pas un Notaire , pas un
Burquier , pas un
Agent dans ces fortes
d'affaires , qui ne fût prêt
à donner à
l'Emprunt un
mouvement tel ,
voyant Trente
millions portés au Tréfor Royal
qu'en
en peu de jours , on eût pu croire que le crédit
de la Nation avoit dès ce
moment une lime
inconnue. Demi pour cent
retranché fur l'intérêt ,
femble peu de chofe
abftraitement ; mais dans
les affaires de finances , & dans
beaucoup d'autres
, toutes les fois que l'on paffe la dernière
ligne , on change , on altère tout.
Cependant ,
Metheurs , vous ne vous étiez pas bornés à retrancher
ce demi pour cent ; excités par le jufte
fentiment de la confiance dûe à l'Aſſemblée Na(
46 )
tionale , vous avez retranché jufqu'aux plus pe--
tits détails propres à fervir de véhicule au fuccès
de l'Emprunt ; vous n'avez même pas cru néceffaire
d'indiquer le terme du rembourſement ;
enfin , vous n'avez pas voulu faire honneur aux
Prêteurs de leur confiance , & ce refus de votre
part a donné lieu à un raiſonnement bien fimple.
L'Affemblée Nationale , a - t- on dit , a proinis
d'être fidèle à tous les engagemens de l'Etat ;
les fonds qui proviennent de ces engagemens ,
offrent des placemens d'argent de Six à Sept pour
cent , & cependant c'eft par le fimple calcul de
notre intérêt qu'elle veut que nous portions notre
argent dans un Emprunt de quatre & demi pour
cent. A-t-elle donc changé d'opinion fur la protection
due aux anciens engagemens de l'Etat ?
& fi elle n'en a point changé , pourquoi paroîtellé
certaine qu'entre deux intérêts également folides
, nous quitterons , par fimple calcul , le fix
ou le fept pour le quatre & demi ? Que fi
contraire , elle avoit changé d'opinion , notre con .
fiance dans fes principes , notre confiance dans tout
ce qui émaneroit d'elle , feroit justement altérée ;
& nous n'avons plus qu'à attendre les dernières
réfolutions , & nous tenir jufque- là dans la réferve
générale qu'infpire une défiance confuſe &
une inquiétude fans guide.
• au
Enfin , Meffieurs , il faut bien le dire , quoique
j'y fois pour quelque chofe ; mais je me regarde
comme tellement confondu dans la , chofe
publique , & par mes fentimens & par mes facrifices
, que je puis parler aujourd'hui de moi
comme d'un étranger. Je vous dirai donc , Meffieurs
, en répétant les difcours du public , que
la confiance s'eſt altérée , lorſqu'on a vu dans
une affaire de finance , dans une affaire du genre
de celles que j'ai long-temps adminiftrées avec
un peu de réuffite , que vous êtes féparés de mon
( 47 )
opinion , & que vous l'avez fait fans avoit cru
feulement utile de débattre un moment avec moi
les motifs de votre réfolution. Je vous donne ma
parole d'honneur, Meffieurs , que je n'en ai reffenti
perfonnellement aucune peine : je juge de vos
fentimers par les miens , & mon refpect m'affure
de votre bienveillance. Spectateur de plus
près du cours de vos Délibérations , je fais que
les raifonnemens auxquels le public s'eft livré ne
fort pas fondés ; mais on ne peut fe diffimuler
qu'à une certaine diſtance , ces raiſonnemens étoient
dirigés par des vraisemblances.
Mais laiffons -là le paffé. Que faut- il faire à
préfent ? j'avouerai que des difficultés fans nombre
fe préfente t à moi. Il n'y a qu'à reprendre,
dira-t- on peut être , le projet d'Emprunt tel qu'il
avoit été adopté au Confeil du Roi ; mais reve
nir de l'intérêt de quatre & demi à celui de cinq ,
n'eft pas la même choſe que fi l'en eût faifi tout
de fuite le point fufceptible de réuffite . La confiance
de tous les Prêteurs eft composée de calculs
pofitifs & d'efpérance , & cette efpérance
n'eft plus la même , lorfqu'avant d'arriver à l'intérêt
de cinq pour cent , on a vu clairement qu'un
intérêt inférieur n'attiroit pas l'argent. Il rejaillit
d'ailleurs , il faut en convenir , un peu de défaveur
fur les opérations publiques , lorfqu'une
première erreur eft commife : il n'eft aucun fentiment
qui n'entre dans le crédit ; il eft fimple
dans fes effets , mais il est très-composé dans fes
élémens. Enfin , le moment d'une première impreffion
, le moment de l'ouverture du crédit
national , ce moment dont on pouvoit beaucoup
attendre , ce moment eft perdu , & ce n'eft plus
qu'avec la froide & tranquille réflexion qu'il faut
tratter. Il eſt donc arrivé malheureuſement que
pour avoir voulu trop bien faire , vous avez manqué
l'occafion de remplir votre premier Emprunt
( 48 )
avec cette célérité dont les effets fonrincalculables ,
avec cette célérité & cette furabondar.ce qui cachent
le dernier terme du crédit , & qui maintiennent
ce vague d'imagiration fi nécefiaire au
ménagement de toutes les forces morales.
Un jour viendra , Meffieurs , où toutes ces
obfervations ne paroît ort que des idées fubti'es
tout fera réel , tout fe a démonté , tout fe a
foumis aux calculs les plus fimples , quand l'or- .
die fera parfaitement établi , quand cet ordre
fera connu de toute la N. tion , quand la Conftitution
, gardienne de ces arrangemens falutaires
fera po ée & affermie ; mais dans ce moment- i
il faut encore on ne peut fe le diffimuler ,
faut encore pour tout , le fecours de l'espérance.
il
Je me flatte , Meffieurs , que vous me pardonnerez
toutes ces réflexions relatives à la nonréuffite
de votre Emprust : je reffens de cette
contrariété un chagrin inexprimable , & ce fentiment
m'arrête plus long- temps que je ne de
vrois fur une circonftance irreméd able. Il fant
que nous cherchio s tous enfemble à préferver
les finances du déferd e dans lequel elles font
près d'être plongées ; il faut que nous écartions ,
s'il eft poffible , le dar ger qui menace les fo:-
tunes , danger preffant , puifque l'inftance des befoins
s'accroit chaque jour , & que le dernier
terme des reffources s'avance à pas précipités.
Je connois pa faitement les inconvéniens
& les rifques attachés à préfenter des projets
, à faire aucune eſpèce de propofition dans
de pareilles circonftances ; mais fi des motifs
perfonnels avoient pu me guider , je n'aurois pas
cédé à vos bontés , je n'aurois pas renonce à
ma retraite , je ne ferois pas revenu me pla-`
cer au milieu de la tempête. Je regarde ma
vie miniftérielle , pendant fa du ée , comme un
vrai facrifice , & dans ce facrifice je dois comprendre
( 49 )
prendre & je comprends fanté , repos , réputa
tion , bienveillance publique même , le plus cher
de mes biens ; car au milieu des malheurs on
ne peut plus calculer l'opinion des hommes :
quelquefois ils s'en prennent au dernier qui a
agi , au dernier qui a parlé ; & , mûs impérieufement
par le préfent , l'égide du paffé ne fert
plus à performe. Mais je laiffe à l'écart toutes ces
confidérations , & fans aucune combinaiſon perſonnelle
, obéiſſant aux lois du devoir , je me
mettrai en avant toutes les fois que j'appercevrai
dans cette conduit : le plus léger avantage pu
blic.
Le fuccès de toute espèce d'Emprunt dans
ce moment- ci , Meffieurs , eft très-incertain ;
cependant il n'eft aucune circonftance où il fût
plus de l'intérêt de tous les particuliers , de chercher
à fauver l'Etat par un acte univerfel de zèle
& de confiance . Mais , foit par un défaut de
lumières , foit par un manque d'efprit public
foit plutôt par ce fentiment qui fait que perfonne
ne veut agir pour la chofe commune , que
dans les mêmes proportions où les autres agiffent
, il devient, je crois , néceffaire , après avoir
perdu le moment de l'abandon , d'exciter davantage
l'efprit de calcul .
Je vous propoferois donc , Meffieurs , d'examiner
s'il ne conviendroit pas d'ouvrir un Emprunt
, non-feulement à Cinq pour cent d'intérêt
, mais en y ajoutant encore , pour en
couragement , la faculté de fournir pour moitié
de la mife , les effets publics portant Cinq pour
cent d'intérêt , exempts de toute retenue .
Je propoferois que l'Emprunt fût de Quatrevingts
millions , rembourfable en dix années , à
raifon d'un dixième chaque année ; mais vous
obferverez que la moitié étant payable en Effets
publics , il n'en réfulteroit qu'un fecours effectif
No. 36. 5 Septembre 1789.
C
( 50 )
de Quarante millions pour le Tréfor royal . Cette
addition au premier projet d'Emprunt eft néceffaire
, à mesure que nous approchons du mois
de feptembre , puifqu'il devient alors raifonnable
de porter fes vues un peu plus loin.
Il réfilteroit des difpofitions qu'on vient de
vous propofer , qu'en affignant un rembourſement
fucceffif au nouvel Emprunt , cette faveur
fe trouveroit applicable non -feulement aux
capitaux effect fs qu'on y auroit deftinés , mais
encore aux Effets publics qui auroient é é donnés
en payement pour une moitié. Mais ces
Effets publics font effentiellement partie de ceux
dont le rembourfement n'a été que fufpendu :
ainfi ce feroit un commencement de juftice envers
les perfonnes qui en font les propriétaires
; d'ailleurs , il réfultera surement de vos dif
pofitions , la détermination d'un fonds quelconque
applicable à une Caiffe d'amortiffement ; ainfi
votre difpofition préfente ne feroit qu'une anticipation
fur vos arrangemens prochains.
Les Effets qui feroient reçus pour moitié dans
la mife du nouvel Emprunt , éprouvent une
grande perte à la Bourfe , & cette perte formeroit
un avantage pour les prêteurs , puifqu'ils
feroient bien certains que votre Emprunt , fous
le titre d'Emprunt National , que votre Emprunt
rembourfable à des époques fixes , fe maintiendroit
à-peu- près au pair , & qu'il vaudroit audelà
, lorfque les difpofitions générales qui établiront
bientôt un ordre conftant dans les finances
, feront affurées pour toujours .
Ceux qui ont déja fourni le peu de fonds portés
au Tréfor royal peur l'Emprunt à Quatre
& demi pour cent , auroient à fe plaindre , s'ils
' avoient pas la faculté de jouir de la faveur
plus grande attachée à votre fecond Empruna.
( 51 )
Vous trouverez surmont jufte de les autorifer
à faire la converfion qu'ils defireront .
Je m'empreffe maintenant de faire connoître
à l'Affemblée Nationale que , dans l'état préfent
des chofes , dans le cours actuel des opinions
ni l'Emprust dont je viens de donner l'idée , ni
aucun autre , ne pourra pleinement réuffir , fi vous
ne déterminez pas la confiance par une fuite de
délibérations , & par une marche foutenue qui
relève les efprits de leur abattement ; & je crois
de mon devoir de m'expliquer en cette occafion
avec la plus parfaite franchiſe .
Vous avez mis la dette publique fous la fauvegarde
de l'honneur & de la loyauté Françoife . Ces
belles paroles ont retenti jufqu'aux extrémités
de l'Europe ; & quand les repréfentans d'une
Nation ont pris un engagement fi folennel , ce
feroit leur faire outrage que de vouloir les y
confirmer au nom même de la fageffe , de la
raifon & de la politique . Mais ce qu'il eft indifpenfable
de dire , Meffieurs , c'eft qu'a jourd'hui
votre noble & vertueufe déclaration ne
fuffit plus pour affurer le crédit public. La première
condition néceffaire pour fonder la con→
fiance , c'est la certitude d'un accord entre les
revenus & les dépenfes de l'Etat ; & le dépé.
riffement de plufieurs revenus , joint à l'existence
d'un ancien déficit , répandent une alarme rafonnable
. On vous demande donc avec inftance
au nom de la tranquillité publique , de faire l'examen
& le choix le plus diligent des moyens propres
à mettre l'equilibre entre les revenus &
les befoins de l'Etat. Il n'eft pas néceffaire que
votre travail foit porté à fa dernière perfection ;
il est encore moins néceffaire que vous l'arrêticz
définitivement : mais il eft indifpenfable que la
Nation puiffe juger inceffamment de la folidité
de vós projets , & que les efprits fortent d'une
"
Cij
( 52 )
incertitude qui entretient la plus funefte défiance.
Le temps qui fe paffera entre la publicité de vos
plans & l'époque où vous les arrêterez définitivement
, vous procurera le fupplément de lumiè
res qui naît de la contradiction , & cette mar
che aura toutes fortes d'avantages . Je crois ,
Meffieurs , qu'en vous livrant fans relâche aux
recherches & aux difcuffions qu'une affaire fi
importante exige , & en divifant vos travaux
avec mé hode , vous pourriez , en très - peu de
temps , affecir les première bafes de la confiance ;
& dès ce moment le grand & preffant intérêt
que vous paroîtriez y mettre , auroit beaucoup
d'influence fur le crédit.
par
Il ne vous échappera pas , Meffieurs , qu'en
vous occupant de l'équilibre entre les recettes
& les dépenfes fixes de l'Etat , il eft indifpenfable
que vous apportiez la même activité à la
recherche & au choix des reffources néceffaires
pour arriver fans trouble & fans malheur à l'époque
de la régénération conftante de l'ordre .
Il s'eft joint à l'embarras provenant d'un déficit
qui n'eft pas encore réparé , celui qui eſt occafionné
la diminution fenfible des revenus , &
par les achats confidérables de grains faits pour
le compte du Roi dans l'Étranger . Il devient
bien néceffaire que l'étendue des befoins extraordinaires
pour cette année & pour la fuivante ,
vous foient parfaitement connus , & que vous
voyez à l'avance quelles difpofitions il conviendroit
d'adopter, fi l'Emprunt ne réuffiffoit pas ,
& quelles reffources il faudroit y joindre s'il
avoit le fuccès qu'on doit efpérer ; car il ne faut
rien projeter à demi , & il importe de ne laiffer
aucune prife aux erreurs & aux triſtes conjectures.
La Caiffe d'Efcompte , dans d'autres temps ,
auroit beaucoup aidé le Tréfor royal , en lui
( 53 )
faifant des avances fur l'Emprunt que vous dé
terminerez ; mais elle a déja fecouru les finances
autant qu'il étoit en fon pouvoir , & la rareté
inouie de l'argent effectif , fuite inféparable
du difcrédit , épuifant fa caiffe , elle ne peut
plus offrir que des reffources bornées . Il feroit
de la plus grande importance que l'Affemblée
Nationale prit inceffamment une connoiffance approfondie
de cet établiffement , & qu'elle ap-
Felât , dans un Comité , quelques - uns des Admi
niftrateurs de cette Caiffe , remplis de zèle pour
la chofe publique ; ils font en état , par leurs lumières
, d'indiquer à l'Affemblée Nationale par
quels moyens on pourroit augmenter le crédit
& la circulation de leurs billets. L'on examineroit
, dans ce même Comité , les divers projets
qui ont été donnés pour l'établiffement d'une
Banque Nationale , & certainement il naîtroit de
cette réunion d'opinions & d'idées , des réſultats
Talutaires & favorables au crédit.
On pourroit encore difcuter dans ce Comité
des finances , ou dans tout autre , les moyens
qui ont été employés en Hollande , pour ſe procurer
un grand fecours d'argent momentané
tantôt par un prêt proportionné à l'étendue de
chaque fortune , tantôt par un fimple don réglé
dans les mêmes rappors. Ce genre de fecours
celui de l'Emprunt , celui de la Caiffe d'Efcompte
& de tout autre établiffement pareil , offrent
une perſpective de reffources infiniment fupérieures
à celles dont on auroit befoin pour arriver
paifiblement jufqu'à l'époque du rétabliſſement de
l'ordre. Je demande donc en grâce qu'on ne défefpère
encore de rien . Une grande Nation peut
dominer toutes les difficultés toutes les fois
qu'elle eft unie avec fon Roi pour défendre la
juftice , la tranquillité & le bonheur. Combien
d'idées de tout genre ne vous feront pas appor
,
Güij
54 )
rées , du moment qu'on vous verra occupés des
finances , avec cette énergie qui donne du courage
à tout le monde ! en verra naître l'émulation
géné ale , & cette émulation patriotique
deviendra peut - être le premier fignal de la
renaiffance du crédit.
Je conçois facilement , Meffieurs , ce que la
Béunion de vos lumières peut opérer pour le falut
des finances , du moment que vous vous livrerez
fans réserve à cet importante entrepriſe . Mais
tous vos efforts deviendroient inutiles , fi , de
concert avec Sa Majefté , vous n'arrêtiez pas le
dépériffement des revenus . Vous le favez , Meffieurs
, l'on emplcie avec trop de fuccès la fraude
& la violence pour fe refufer au payement des
impôts, & il eft plufieurs droits d'une reffource
majeure , qui femblent menacés d'une ruine totale.
Il est donc indifpenfable pour le crédit , pour la
tranquillité publique , pour le maintien d'un ordre
fans lequel tout tombe en diffolution ; il eſt indifpenfable
, dis -je , que vous réunifiez tous vos
moyens , toutes vos forces pour affurer le recouvrement
des impôts , & pour le mettre à l'abri
des atteintes injuftes & des réfiftances illégales.
L'activité du pouvoir exécutif devient de plus en
plus néceffaire , & il ne faut compter fur aucune
efpèce de confiance , fi les mesures les plus fages
les plus fermes , ne font pas adoptées pour
fauver l'état des horreurs de l'anarchie. Réfléchiffez
, Meffieurs , qu'au milieu de ces craintes
tous les biens , tous les avantages , ceux même
de la liberté , ne font plus eftimés comme ils
méritent de l'être .
Je dois , en rappelant les défordres mu'tipliés
dont vous avez connoiffance , fixer votre principale
attention fur l'impôt du fel . Il n'y a pas
un moment à perdre pour prendre à cet égard
une delibération provifoire. La contrebande dans
( 55 )
plufieurs provinces fe fait à main armée , & les
défenfeurs des revenus du fifc , hors d'état d'y
oppofer une réfiftance fuffifante , fe font la plupart
difperfés . Le peuple , dans d'autres endroits .
a contraint les gardiens des greniers publics , à
lui diftribuer le fel au prix qu'il a fixé lui- même .
Il faut s'étonner que , dans la plus grande partie
du Royaume , l'ordre établi par les lois n'ait pas
encore été renverfé ; mais chaque jour l'exemple
gagne , & vous favez , Meffieurs , ce qui vient
de fe paffer à Verfailles même , autour de vous
& fous les yeux du Roi . Il importe que vous
confidériez fans retard , fans aucun délai , ce qu'il
convient de faire dans de pareilles circonstances ,
& je vais vous foumettre en abrégé les réflexions
que la fituation préfente des affaires m'a fuggérées.
Je doute , Meffieurs , qu'un décret de l'Affemb'ée
Nationale , foutenu du pouvoir exécutif , dans
l'état de balancement & de contradiction cù ce
pouvoir fe trouve aujourd'hui , fût fuflifant pour
rétablir par- tout l'impôt du fel , tel qu'il exiftoit
avant la fubverfion de l'ordre ; & quand il feroit
poffible d'y parvenire, trouveriez-vous conforme
aux lois de la juftice & de la bonté , que Sa Majefté
déployât contre fes Sujets toute la puiffance
des armes , dans un moment où vous n'avez pas
l'intention de maintenir à l'avenir l'mpôt du fel
felon fon ancienne conftitution ! Le peuple qui
ignore vos intentions , & qui doit refpecter les
lois établies , s'eft rendu coupable , fans doute ,
par fes infurrections ; mais le Roi , Meffieurs ,
qui a connoiffance de vos difpofitions futures ,
répugne , avec rafon , à faire ufage de moyens
rigoureux pour le rétabliffement d'un ordre de
chofes qui ne doit être que paflager.
En même temps , d'autres grandes difficultés
fe préfentent. Il ne fe oit pas de votre prudence
de fupprimer en entier l'impôt du fel ,
Civ
( 56 )
fans avoir en le temps d'examiner mûrement de
quelle manière un revenu de foixante millions
peut être remplacé convenablement , & fans avo.r
la connoiffance des refources auxquelles il faudra
recourir pour fuppléer aux befoins de l'Etat ; &
vous aurez à prendre en confidération l'effet que
pourront faire cette année , fur les revenus territoriaux
, les mouvemens populaires qui tendront
encore pendant long-temps à baiffer le prix du
pain & celui des grains . Une multitude de circonftances
qui n'échapperont pas à votre fagacité
, femblent inviter en beaucoup de chofes à
une marche très - prudente & très - circonfpecte .
Cependant il faut prendre un parti , & promptement
; car le pis de tout feroit le dépériffement
graduel d'un revenu , par le feul effet du défordre
de Timpunité. Le Roi , fixant fon attention
fur toutes ces difficultés , vous invite , Meffieurs ,
à confidérer s'il ne conviendroit pas , s'il ne feroit
pas néceffaire de fixer dès -à- préfent la vente du
fel à fix fols la livre dans tous les greniers de
Gabelle où il fe diftribue à plus haut prix ; cette
'difpofition occafionneroit une diminution de revenus
de trente milions , mais l'accroiffement de
la confommation , effet de la réduction du prix ,
atténusroit cette perte. L'on trouveroit encore
un dédommagement dans la diminution de la
contrebande , qui feroit infiniment moins excitée ,
fi le prix du fel étoit réduit à fix fols. Une
partie même de cette contrebande , à la vérité la
moindre de toutes , celle entre les pays de grandes
& petites Gabelles , n'exifteroit plus du tout , &
il réfulteroit de ces difpofitions une économie
importante fur les frais de garde. Le prix du fel
une fois réduit à fix fo's par un décret de l'Affemblée
Nationale , fanctionné par Sa Majefté ,
les réclamations qui pourroient s'élever , même
contre ce prix , feroient fi peu nombreuſes & fi
( 57 )
révoltantes , qu'il deviendroit facile de les réprimer.
Enfin , le prix du fel fenfiblement diminué ,
le prix du fel rendu uniforme dans tous les pays
de Gabelle , une telle difpofition procureroit aux
peuples un fi grand avantage , qu'avant de porter
plus loin vos vues , vous pourriez attendre , fans
inconvénient , jufqu'au réfultat de l'étude approfondie
que vous ferez fans doute des diverfes
reffources & des différens befoins de l'Etat.
Les autres droits qui compofent les revenus
du Roi , n'étant pas attaqués d'une manière auffi
générale que les droits de Gabelle , il fuffira probablement
d'une manifeftation pofitive des intentions
de l'Affemblée Nationale , pour en maintenir
le recouvrement jufqu'à l'époque où vous
aurez pris une détermination éclairée fur toutes
les branches du revenu public .
Il eft impoffible , Meffieurs , que le crédit fleuriffe
dans un pays expofé à des infurrections continuelles
; & comme il n'eft point d'acte plus libre
que celui de la confiance , elle ne peut naître ,
elle ne peut s'affermir qu'au milieu de la paix
& de la tranquillité intérieure. Ainfi , tout ce
que vous ferez , Meffieurs , pour rétablir ce
bonheur , facilitera les Emprunts , en rendant à
la circulation fon activité . Vous vous rapprocherez
donc de beaucoup de ce but fi défirable , lorfque ,
par des difpofitions fages , vous mettrez le recouvrement
des impôts à l'abri de l'agitation dangereufe
qui fe fait fentir par-tout aujourd'hui.
Je me réfume , Meffieurs . Le befoin inftant de
l'Etat , la condition néceffaire de tou e eſpèce de
crédit , c'eft , je le crois , que vous réuniffiez toutes
vos forces pour affurer le recouvrement des impôts
; c'eft que vous tranquillifiez les prêteurs &
les créanciers de l'Etat , en vous occupant publiquement,
& fans aucun délai , des moyens qui pour.
ront établir un accord parfait entre les revenus &
Cv
( 58 )
les dépenses ; c'eſt que vous preniez en même
temps connoiffance de l'étendue des reffources
dont il fera néceffaire de faire ufage pour arriver ,
fans malheur & fans trouble , au moment du
rétabliffement général de l'ordre . De grandes difficultés
le préfentent au milieu du difcrédit actuel &
du refferrement inoui de l'argent ; mais il faut les
attaquer dans leur enfemble , il faut les faifir , il faut
s'en emparer, il faut les vaincre . Si un premier
moyen e fuffit pas , s'il manque même , il faut
fans duragement en chercher un autre ; car
dans les affaires intérieures d'un Royaume , une
Nation qui agit comme en entier par fes repréfentans
, a des reffources incalculables . Elle a le
le grand avantage de pouvoir déte miner d'une
manière certaine ce qui eft jufte ; elle a le grand
avantage d'être foamife ar feules contradictions
qui naitlent des chofes mê.nes . L'effentiel eft donc
que l'on foit perfuadé , par l'effet invincible de la
vérité , que l'Affemblée Nationale eft pénétrée de
la néceffité de régler fans délai les finances , &
d'y appliquer tous fes moyens & toutes fes forces.
Alors , Mefleurs , tous les bons Citoyens , & il
en est beaucoup , animés du même zèle , viendro
: vous feconder , & l'efpérance renaîtra de
toutes parts. Le fyftême rigoureux d'économie
que vous avez deffein d'adopter de concert avec
le Roi , fera un grand effet , quand vos idées à
cet égard feront fixées , & quand vous les aurez
fait connoître.
Je ne crois pas , Meffieurs , que les recherches
& les travaux auxquels vous aurez à vous livrer,
en adoptant les confidérations que je vous préfeate
, retardent la marche grande & importante
que fuit aujourd'hui l'Affemblée Nationale ; mais
fi cette marche fe trouvoit un moment ra'entie
par les nouveaux objets dont un danger preffant
vous invite à vous occupeř , l'intérêt que vous
( 59 )
auriez pris à la fituation actuelle des affaires accroîtroit
auprès de la Nation le mérite de vos travaux.
Les hommes inquiets de leur fortune, font
des juges févères , & il faut les raffurer fur leur
exiſtence préfente , pour les difpofer à mettre du
prix aux biens qu'on leur promet pour l'avenir.
Ainu , dans le temps même où vous ne paroîtriez
occupés que des finances , vous feconderiez d'avance
toutes les vues générales qui font aujour
d'hui le principal objet de vos délibérations . Les
Miniftres du Roi , sûrs des intentions Sa Majefté
, prennent au fuccès de vos travaux le p'us
jufte & le plus véritable intérêt. Ainfi , lorfque
vous croirez utile de vous concerter avec eux ,
lorfque vous trouverez de la convenance à vous
concerter en particulier avec le Miniftre des finances
, vous trouverez de leur part l'empreſſement
le plus grand pour correfpondre à vos vues : ce
n'eft pas trop aujourd'hui de la plus forte ligue
en faveur du bien public. Ne rejetez donc , Mef
fieurs , ne rejetez aucun fecours , mais fur - tout
foyez unis pour atteindre au rétabliffement de
l'ordre dans les Finances : ce que vous voudrez ,
animés par un même fentiment , par un même
intérêt , par un même efprit , vous l'obtiendrez ; "
le public , témoin de l'accord & de la fincérité
de vos efforis , dès ce moment en prévoira le
fuccès : l'on y croira d'avance , & la tranquillité
prendra la place de la défiance & de l'inquiétude.
Je prie l'Affemble Nationale de me pardonner
fi , preffé par l'inftance des affaires , & affoibli
par une maladie dont je fuis à peine convalefcent ,
je n'ai pu lui exprime qu'imparfaitement mes
idées ; je les foumets à fes lumières , & j'apire
principalement à iui préfenter un hommage cof
tant & refpectueux de mon dévouement fans réferve
au bien de l'Etat & au ferv.ce du Roi.
Cvj
( 60 )
Ce Memoire a entraîné moins de difcuffions
que les probalités né pouvoient le faire croire.
M. Dupont , en renouvelant le projet d'une tontine
qu'il avoit déja propofé à l'époque de l'emprunt,,
a opiné à la fuppreffion entière des Gabelles
, & à les remplacer , dans les Provinces ,
par un impôt équivalent.
Cet avis n'a été foutenu de perfonne . M. d'André
a demandé la divifion des objets du Mémoire ,
& l'examen exclufif de l'emprunt , pour le moment.
Vicomte de Mirabeau , fe fondant fur
les limites des connoiffances de l'Affemblée ,
matière de Finances , s'en eft rapporté entièrement
au Mémoire , qu'il falloit , a- t- il ajouté ,
renvoyer aux Bureaux , & fanctionner le lendemain.
en
M. l'Evêque d'Autun a développé les preuves
de l'urgente néceffité de l'emprunt , & de l'anéantiffement
du crédit , la réduction des revenus publics
, en particulier du produit des impofitions , la
perte énorme qu'éprouvent les Fonds publics à la
Bourfe , la baiffe , non moins onéreufe des changes
avec l'Etranger , & enfin , l'impuiffance où l'on s'eft
trouvé de remplir un foible emprunt de 30 millions
, garanti par l'Affemblée Nationale. Il a
infifté avec autant de force fur le refpect des
engagemens publics , fur la néceffité de voter l'emprunt
proposé par M. Necker , d'en abandonner le
mode au pouvoir exécutif , d'affurer les Créanciers
de l'État , par une Déclaration formelle , qu'il ne
fera fait aucune réduction fur les intérêts de la
dette publique , & d'établir un Comité pour examiner
les autres propofitions du Mémoire .
M. de Mirabeau a demandé la divifion de cette
Motion , & qu'on fe borrâ: aux articles de l'impôr,
de fon mode , & de la Déclaration fur la dette publique.
MM de Lally , de Liancourt , & l'Ache-
#
A
( 61 )
vêque d'Aix , ont adhéré à cette obfervation :
les premiers articles de la Motion de M. d'Autun
ont été admis , & renvoyés au Bureau de rédaction
.
Du Jeudi au foir , 27 Aour. CeBureau a rapporté
l'Arrêté du matin , que l'Aſſemblée a confirmé
en la teneur fuivante :
« L'Affemblée Nationale délibérant fur les pro-
« pofitions qui lui ont été faites , au nom du Roi ,
« par le premier Miniftre des Finances déclare
« l'emprunt de trente millions fermé décrète.
« l'emprunt de quatre-vingt millions , moitié en
« argent , moitié en papier , tel qu'il a été pro-
« pofé, & laiffe le mode de l'emprunt au pouvoir
« exécutif. »
L'Affemblée Nationale renouvelle fes Arrê-
« tés , du 17 Juin & Juillet , & elle déclare , en
« conféquence , que , dans aucun cas & fous au-
« cun prétexte , il ne pourra être fait aucune re-
« tenue , ni réduction quelconque fur aucune des
« parties de la dette publique. »
Du Vendredi , 28 AOUT. Mention faite des
Adresses , etc. M. Mounier , au nom du Comité de
Conftitution , a propofé les fix articles fuivans du
premier Chapitre desLois à faire , fur la nature de la
Monarchie Françoife.
1°. Le Gouvernement François eft Monarchique.
Il n'y a point en France d'autorité fupérieure
à celle de la Loi ; le Roi ne règne que par elle ,
& quand il ne commande pas au nom de la Loi ,
il ne peut point exiger l'obéiffance . 2 °. Aucun
acte de législation ne pourra être confidéré comme
Loi , s'il n'a été fait par les Députés de la Nation ,
& fan&tionné par le Monarque. 3 ° . Le pouvoir
exécutif fuprême réfide exclufivement dans la
main du Roi. 4° Le pouvoir judiciaire ne doit
jamais êt e exercé par le Roi , & les Juges aux(
62 )
quels il eft confié , ne peuvent être dépoffédés
de leurs offices pendant le temps fixé par la Loi ,
autrement que par les voies légales . 50. La Couronre
eft indivifible & héréditaire de branche en
branche & de mâle en mâle , par ordre de primogéniture
; les femmes & leurs defcendans en
font exclus. 6 °. La perfonne du Roi eft inviolable
& facrée ; mais les Miniftres & les autres
Agens de l'autorité royale font refponfables de
toutes les infractions qu'ils commettent envers
les Lois, quels que foient les ordres qu'ils aient
reçus.
Nous ferons excufés par nos Lecteurs de reftreindre
à quelques lignes le rapport des difcuffions
qui ont fuivi , en leur apprenant que celle
des deux premiers articles seulement a amené
49 rédactions différentes , qu'on a toutes lues . M.
Guillotin en préparoit une cinquanůème . De plus, il
a été propofé fept amendemens , & quinze fousamendemens
, fans que la Séance ait eu d'autre
réſultat que de renvoyer encore la difcuffion.
Dans le nombre prodigieux des Rédactions
différentes de celle du Comité , on a diftingué celle
de M. Rouffier.
« La France eft un Etat Monarchique , dans
» lequel la Nation fait la Loi , & le Monarque la
» fait exécuter. Certe féparation des pouvoirs
» conftitue effentiellement la Nation Françoife. »
Lorfque l'agitation des efprits , et le bruit violent
de l'Aflemblée eurent permis de mettre une
queftion quelconque en délibération , on adj.gea
la- priorité à la rédaction du Comité , c'est-à- dire ,
l'avantage d'être difcutée la première .
M. le Comte de Croix demanda , qu'en conformité
du Règlement , elle ne fût arrêtée définitivement
qu'après trois jours de lecture et d'examen :
le fort de cet avis paroiffoit encore incertain ,
( 63 )
lorique M. le Préfident a déterminé l'Affemblée
à remettre la déciſion au endemain.
Du Vendredifoir , 28 AOUT. Dans le nombre des
Rapports qui ont occupé exclufivement cette
Séance , on a diftingué ce ui de l'affaire des qua re
Particuliers de Mariembourg , dont on avoit attribué
la détention à M le Comte d'Eftérazy.
Pièces en main , M. le Duc du Châtelet a prouvé
que ce Commandant n'avoit eu aucune part directe
ni indirecte à cet emprifonnement , & il s'eft
autorifé de ce fait , pour requérir que le Comité
de Rapports n'accusât perfoane devant l'Ailemblée
& le Public , avant d'avoir entendu la défefe
préalable du Prévenu.
On a examiné , fans rien décider , un Projet
d'Arrêté du Comté des Subfiftances , tendant à
ordonner la libre circulation des Gains dans l'intérieur
, & à prohiber leur exportation à l'Étranger,
provifoirement. M. de Cuftines a vainement
détaillé , dans un très- long Mémoire , les préceptes
des Economistes en faveur de la libre exporta→
tion. Cette doctrine n'a point été accueillie.
Du Samedi , 29 Aour. Avant qu'on entamât la
question prefcrite par l'Ordre du jour , M. le
Comte de Crillon a demandé la délibération fur les
principaux objets du Mémoire de M. Necker
concernant la confolidation des Impôts actuels ,
la fixation du prix du fel à fix fots la livre , dans
les Pays de Grande-Gabelle ; enfin , un Comité
qui organife les Affemblées Provinciales & les
Municipalités . Perſonne n'a appuyé cette Metion
qui a fait place immédiatement à un Dif
cours de M. le Vicomte de No..illes , fur la queftion
du jour. Ce Député a demandé qu'on délibérâ::
10. fur la Sanction Royale , après l'avoir
définie ; 2° . fur fon degré d'énergie , dans les
( 64 )
Actes Législatifs ; 3°. fur les cas & fur le mode
de fon emplci ; enfin fur la nature du Pouvoir législatif
, fur la permanence ou périodicité de fes
Affemblées , fur fa divifion en deux Chambres
ou fur fon unité.
2
On ne pouvoit embraffer le fujet d'une manière
plus vafte ; elle l'étoit au point , que la
plupart des opinions ont dema de la divifion
de ce cercle immenfe de problêmes politiques .
M. le Comte de Lameth , prenant la Motion
par la fin , a propofé de traiter d'abord du Pouvoir
législatif.
1
La Décaration des Droits l'a déterminé , a
objecté M. Mounier ; il s'agit maintenant de déterminer
la nature du Gouvernement , & d'abord
celle de la Sanction Royale. M. de Virieux
, a réclamé l'Ordre du jour , c'est - à- dire ,
la confécration de l'Autorité Royale quelconque.
M. Guillotin a fubordonné cette queftion à
celle de la Légiflature entière. Ce principe l'a
conduit à demander la formation d'un Comité
chargé de rédiger un plan général , & la difcuffion
préliminaire des articles préfentés , fans la
faire fuivre d'aucune décifion. Il a fini par réclamer
contre les Affemblées du Soir , trop
échauffantes , & nuifibles au physique comme
au moral.
Cette Motion complexe n'a eu aucun fuccès :
on a arrêté de délibérer fur celle de M. de Noailles
; mais feroit - elle traitée dans ſon intégrité , ou
réduite à fes trois premiers points concernant la
Sanction Royale ?
M. Redon , opinant à ce dernier avis , trouvoit
la queftion réfolue dans les Cahiers , exprimant
généralement le voeu de la Sanction
Royale. M. Pethion de Villeneuve interprétoit
ces mêmes Cahiers qui , fuivant lui , ont laiffé
( 65 )
aux Repréfentans la iberté de choisir le Veto
abfolu , ou le Veto fufpenfif. MM. Populus
Mirabeau , de Caftellane , Barnave , appuyoient
cette opininion , & demandoient l'examen de
tous les points de la Motion réunis. MM .
Defchamps , Pifon du Gallard , Mounier , & plufieurs
autres , fe retranchoient dans la queſtion de
la Sanction Royale , & divifoient la Motion.
" Qu'est ce qu'un Veto fufpenfif, a demandé
» M. Mounier ? Qu'est-ce qu'un droit d'empêcher
, qui n'empêche pas ? Une Sanction , qui
» ne feroit exercée que provifoirement , devien-
» droit illufoire ? Ces deux mots impliquent contra-
» diction. Leur adoption nous jeteroit bientôt
» dans la Démocratie ; & d'ailleurs , à quelle
» page de nos Cahiers , trouvons- nous ce Veto
» fufpenfif? Nos Commettans nous ont preſcrit
» de faire la Loi , avec la Sanction , avec le con-
» cours du Roi. On ne peut fe permettre d'in-
» terpréter un voeu auffi clairement expri-
» mé . »
M. d'Eprémefnil a également invoqué fon
Mandat , & propofé que chaque Votant repréfentât
fon Cahier pour juftifier fon Opinion .
D'après cela , a dit M. de Mirabeau , le Préopinant
auroit p envoyer fon Cahier à l'Affemblée
, au lieu d'y venir lui-même . Il eſt vrai
a-t-il ajouté , que nous n'aurions pas eu le plaifir
de l'entendre.
On a enfin paffé aux voix , & une grande
majorité a décidé la divifion de la Motion , c'eftà
-dire , de réduire l'examenà ces trois Chefs.
» Qu'est- ce que la Sanction Royale ? eft- elle
» néceffaire à tous les Actes Législatifs ? en quel
» cas , & de quelle manière doit- elle être em-
» ployée ?
( 66 )
Supplement à l'Assemblée Nationale .
Opinion de M. RABAUD DE SAINTETIENNE
sur la Motion de M. le
Comte DE CASTELLANE .
Nul homme ne peut être inquiété pour ses opinions , mi
troublé dans l'exercice de sa Religion .
MESSIEURS ,
Puifque l'Affemblée a décidé que le Préopinant
étoit dans la queſtion , il m'eft permis de
le réfater , & de relever les principes dangereux
qu'il a exposés.
Il a bien voulu convenir qu'on n'a aucun droit
à pnétrer dans les perfées intimes des hommes ,
& certes il n'a pas énoncé une vérité bien remarquable
& bien profonde ; car il n'eft jamais
venu à l'efprit d'aucun tyran d'entrer dans le fecret
des penfées ; & l'efclave le p'us efclave conferve
très certainement la liberté que le Préopinant
digre accorder à des hommes libres .
Il a ajouté que la manifeftation des pensées
pouvoit être une chofe infiniment dangereufe
qu'il étoit néceffaire de la farveiller , & que la
Loi devoit s'occuper d'empêcher que chacun pût
manifefter trop librement fes penfées ; que c'étoit
ainfi que s'établiffoient les Religions nouvelles
; il n'y manquoit que de nommer fur- lechamp
un Tribunal chargé de ces fonctions de
furveillance .
Or , je dis à mon tour que cette Opinion
ainfi énoncée , feroit propre à nous jeter de nou
veau fous le defpotifme de l'inquisition , fi l'opinion
publique que le Préopinant a invoquée ,
ne condamnoit hautement la fienne .
Ce langage eft celui qu'ont toujours tenú les
( 67 )
intolérans , & l'Inquifition n'a pas eu d'autres
maximes. Elle a toujours dit , dans fon langage
doucereux & ménagé , que fans doute il ne faut
point attaquer les penfées , que chacun eſt libre
dans fes opinions, pourvu qu'il ne les manifefte pas ;
mais que cette manifestation pouvant troubler l'ordre
public , la Loi doit la furveiller avec une attention
fcrupuleufe ; & à la faveur de ces principes
, les intolérans fe font fait accorder cetre
puiffance d'infpection , qui , durant tant de fiècles
, a foumis & enchaîné la penfé .
Mais avec une telle maxime , MESSIEURS ,
il n'y auroit point de Chrétiens. Le Chriftianifme
n'exifteroit pas , fi les Païens , fidèles à ces maximes
qui , à la vérité , ne leur furent pas inconnues
avoient furveillé avec foin la manifeftation des
opinions nouvelles & continué de dé larer
qu'elles troubloient l'ordre public.
"
9 L'honneur que je partage avec vous Mef
fieurs , d'être Député de la Nation & Membre
de cette augufte Affemblée , me donne le droit
de parler à mon tour , & de dire mon avis fur
la queſtion qui vous occupe.
Je ne cherche pas à me défendre de la défa
veur que je pourrois jeter fur cette caufe , importante
, parce que j'ai intérêt à la foutenir
& je ne crois pas que perfonne doive être fufpecté
dans la défenfe de fes droits , parce que
ce font fes droits . Si le malheureux efclave du
Mont-Jura fe préfentoit devant cette augufte Affemblée
, ce ne feroit pas la défaveur ni le préjugé
qu'il y feroit naître ; il vous infpirercit ,
Meffieurs , le plus grand intérêt. D'ailleurs je
remplis une miffion facrée , j'obéis à mon cahier ,
j'obáis à mes commзttans. C'est une Sé échauf
fée de trois cent- foix..nte mille habitans , dont
plus de cent vingt mille font Proteftans , qui a
chargé fes Députés de folliciter auprès de vous
( 6868 ))
le complément de l'Edit de Novembre 1787.
Une autre Sénéchauffée du Languedoc , quelques
autres Baillages du Royaume ont exposé le
même voeeu , & vous demandent pour les non-
Catholiques la liberté de leur Culte (1 ).
C'eft fur vos principes que je me fonde , Meffieurs
, pour vous demander de déclarer , dans un
article , que tout Citoyens eft libre dans fes Opinions
, qu'il a le droit de profeffer librement fon
culte , & qu'il ne doit point être inquiété pour fa
Religion.
Vos principes font que la liberté eſt un bien
commun & que tous les Citoyens y ont un
droit égal. La liberté doit donc appartenir à tous
les François également & de la même manière .
Tous y ont droit , cu nul ne l'a : celui qui la diftribue
inégalement , ne la connoît pas celui qui
attaque , en quoi que ce foit , la liberté des au
tres , attaque la fienne propre , & mérite de la
perdre à fon tour , indigne d'un préfent dont il
he conneît pas tout le prix.
Vos principes font que la liberté de la penfée
& des opinions est un droit inalienable &
imprefcriptible. Certe liberté , Meffieurs , eft la
plus facrée de toutes ; elle échappe à l'empire
des hommes ; elle fe réfugie au fond de la confcience
, comme dans un fan&tuaire inviolable où
nul mortel n'a le droit de pénétrer ; elle eſt la
feule que les hommes n'aient pas foumise aux
lois de l'affociation commune la contraindre
eft une injustice , l'attaquer eſt un facrilége.
Je me réserve de répondre aux argumens que
(1) Ici une foule de Députés fe font écriés
que leurs cahiers portoient le même vou . Tour ,
Lous, fe font écriés plufieurs autres.
( 69 )
l'on pourroit faire pour dire que ce n'eft poin
átta juer la confcience des Diffidens , que de leur
défendre de prof fr leur cu'te ; & j'espère de
prouver que c'eft une fouveraine injuftice , que
c'eft artaquer leur confcience & la violer , que
eeft être intolérant , pe : fécuteur & injufte , que
c'eft faire aux autres ce que vous ne voudriez
pas qui vous fût fait.
Mais ayant l'honneur de vous parler , Meffieurs
, pour vous prier de faire entrer dans la
Déclaration des Droits un princip certain &
bien énoncé , fur lequel vous puifliez établir un
jour des Lois juftes au fujet des non- Catholiques ,
je dois parler d'abord de leur fituation en
France.
Les non-Catholiques ( quelques-uns de vous ,
Meffieurs , l'ignorent peut-être ) n'ont reçu de
l'Edit de Novembre 1787 , que ce qu'on n'a pu
leur refufer. Oui , ce qu'on n'a pu leur refufer ;
je ne le répète pas fans quelque honte , mais ce
n'eft point une inculpation gratuite , ce font les
propres termes de l'Edit. Cette Loi , plus célè
bre que jufte , fixe les formes d'enregiſtrer leurs
naiffances , leurs mariages & leurs morts ; elle
leur permet en conféquence de jouir des effets
civils , & d'exercer leurs profeffions...... &
c'est tout.
C'eft ainfi , Meffieurs , qu'en France , au dixhuitième
fiècle , on a gardé la maxime des temps
barbares , de divifer une Nation en une cafte favorifée
, & une cafte difgraciée ; qu'on a regardé
comme un des progrès de la légiflation , qu'il fût
permis à des François , profcrits depuis cent ans,
d'exercer leurs profeffions , c'eft-à- dire , de vivre ,
& que leurs enfans ne fuffent plus illégitimes. Encore
les formes auxquelles h Loi les a foumis ,
font -elles accompagnées de gênes & d'entraves ;
& Fexécution de cette Loi de grace a porté la dou:(
70 )
leur & le défordré dans les Provinces où il exifte
des Proteftans. C'eft un objet fur lequel je me
propoſe de réclamer lorfque vous ferez parvenus
à l'article des Lois . Cependant , Meffieurs ( telle
eft la différence qui exifte entre les François & les
François ) ; cependant les Proteftans font privés
de plufieurs avantages de la Société cette croix ,
prix honorable du courage & des fervices rendus
à la Patrie , il leur eft défendu de la recevoir ;
car, pour des hommes d'honneur , pour des François
, c'eft être privé du prix de l'honneur que de
l'acheter par l'hypocrific. Enfin , Meffieurs , pour
comble d'humiliation & d'outrage , profcrits dans
leurs penfées , coupables dans leurs opinions , ils
font privés de la liberté de profeffer leur Culte.
Les Lois pénales ( & quelles Lois que celles qui
font pofées fur ce principe , que l'erreur eft un
crime ) ! les Lois pénales contre leur Culte n'ont
point été abolies ; en plufieurs Provinces ils font
réduits à le célébrer dans les déferts , expofés à
toute l'intempérie des faifons , à fe dérober comme
des criminels à la tyrannie de la Loi , ou plutôt
à rendre la Loi ridicule par fon injuſtice , en l'éludant
, en la violant chaque jour.
Ainfi , Meffieurs , les Proteftans font tout pour
la Patrie; & la Patrie les traite avec ingratitude ;
ils la fervent en Citoyers ; ils en font traités en
profcrits : ils la fervent en hommes que vous avez
rendus libres ; ils en font traités en efclaves . Mais
il exifte enfin une Nation Françoiſe , & c'eſt à elle
que j'en appelle , en faveut de deux millions de
Citoyens utiles , qui réclament aujourd'hui leur
droit de François. Je ne lui fais pas l'injustice de
penfer qu'elle puiffe prononcer le mot d'intolérance
; il eft banni de notre langue , ou il n'y
fubfiftera que comme un de ces mots barbares &
furannés dont on ne se fert plus , que parce que l'idée
qu'il préfente eft anéantie. Mais , Meffieurs , ce
( 71 )
n'eft pas même la Tolerance que je réclame ; c'eft
la liberté. La Tolérance ! le fupport ! le pardon !
la clémence ! idées fouverainemant injuftes eavers
les Diffidens , tant qu'il fera vrai que la différer ce
de Religion , que la différence d'opinion n'eft pas
un crime. La Tolérance ! Je demande qu'il foit
profcrit à fon tour ; & il le fera , ce mot injuſte ,
qui ne nous préfente que comme des Citoyens
dignes de pitié , comme des coupables auxquels
on pardonne , ceux que le hafard fouvent , & l'éducation
ont amenés à penfer d'une autre manière
que nous. L'erreur , Meffieurs , n'eft point un
crime celui qui la profeffe , la prend pour la
vérité ; elle eſt la vérité pour lui ; il eft obligé de
la profeffer , & nul homme , nulle fociété n'a le
droit de le lui défendre.
Eh ! Meffieurs , dans ce partage d'erreurs & de
vérités que les hommes fe diftribuent , cu fe
tranfmettent , ou fe difputent , quel eſt celui qui
oferoit affurer qu'il ne s'eft jamais trompé , que la
vérité eſt conſtamment chez lui , & l'erreur conftamment
chez les aurres ?
Je demande donc , Meffieurs , pour les Proteftans
François , pour tous les Non- Catholiques du
Royaume , ce que vous demandez pour vous :
la liberté , l'égalité de droits . Je le demande
pour ce Peuple arraché de l'Afie , toujours errant
, toujours profcrit , toujours perfécuté depuis
près de dix - huit fiècles , qui prendroient nos
moeurs & nos ufages , fi , par nos Lois , il étoit
incorporé avec nous , & auquel nous ne devons
point reprocher fa morale , parce qu'elle eft le
fruit de notre barbarie & de l'humiliation à laquelle
nous l'avons injuftement condamné .
Je demande , Meffieurs , tout ce que vous demandez
pour vous que tous les Non-Catholiques
François foient affimilés en tout & fans ré-
Serve aucune à tous les autres Citoyens , paro
( 72 )
qu'ils font Citoyens auffi , & que la Loi , & que
la liberté , toujours impartia'es , ne diftribuent point
inégalement les actes rigoureux de leur exacte
juftice .
Et qui de vous , Meffieurs ( permettez - mai
de vous le demander , qui de vous oferoit ) , qui
voudroit , qui mériteroit de jouir de la liberté ,
s'il voyoit deux millions de Citoyens contrafter ,
par leur fervitude , avec le fate impoſteur d'une
liberté qui ne feroit plus , parce qu'elle feroit inégalement
répartie ? Qu'auriez - vous à leur dire ,
s'ils vous reprochoient que vous tenez leur ame
dans les fers , tandis que vous vous réſervez la
liberté ? Et que feroit , je vous prie , cette ariſtocratie
d'opinions , cette féodalité de penfées , qui
réduiroit à un honteux fervage deux millions de
Citoyens , parce qu'ils adorent votre Dieu d'une
aut e manière que vous ?
Je demande pour tous les Non- Catholiques ce
que vous demandez pour vous : l'égalité des droits,
la liberté; la liberté de leur Re igion , la liberté
de leur Culte , la liberté de le célébrer dans des
maiſons confacrées à cet objet , la certitude de
n'être pas plus troublés dans leur Religion que
vous ne l'ê es dans la vôtre , & l'affurance parfaite
d'être protégés comme vous autant que
vous , & de la même manière que vous , par la
commune Loi .
Nation Ne permettez pas , Meffieurs
généreufe & libre , ne le fouffrez point , que l'on
vous cite l'exemple de ces Nations encore intolérantes
qui profcrivent votre Culte chez elles . Vous
n'êtes pas faits pour recevoir l'exemple , mais pour
le donner; & de ce qu'il eft des peuples injuftes
il ne s'enfuit pas que vous deviez l'être. L'Europe ,
qui afpire à la liberté , attend de vous de grandes
leçons , & vous êtes dignes de les lui donner. Que
ce Code que vous allez former , foit le modèle
de
( 73 )
de tous les autres , & qu'il n'y refte aucune tache.
Mais fi les exemples peuvent être cités , imitez
Meffieurs , celui de ces généreux Américains qui
ont mis à la tête de leur Code Civil la maxime
facrée de la liberté univerfelle des Religions ; de
ces Penfylvaniens , qui ont déclaré que tous ceux
qui adorent un Dieu , de quelque manière qu'ils
l'adorent , doivent jouir de tous les droits de Citoyen
; de ces doux & fages Habitans de Phila lelphie
, qui voient tous les Cultes établis chez eux ,
& vingt Temples divers , & qui doivent peut-être
à cette connoiffance profonde de la liberté , la
liberté qu'ils ont conquife.
Enfin, Meffieurs , je reviens à mes principes ,
ou plutôt à vos principes ; car ils font à vous :
vous les avez conquis par votre courage , & vous
les avez confacrés à la face du monde , en déciarant
que tous les hommes naiſſent & demeurent libres
& égaux.
Les droits de tous les François font les mêmes ,
tous les François font égaux en droits.
Je ne vois donc aucune raifon pour qu'une partie
des citoyens dife à l'autre : Je ferai libre , mais vous
ne le ferez pas.
Je ne vois aucune raifon pour qu'une partie des
François dife à l'autte : Vos droits & les nôtres
font inégaux ; nous fommes libres dans notre
confcience , mais vous ne pouvez pas l'être dans
la vôtre , parce que nous ne le voulons pas.
Je ne vois aucune raifon pour que la Partie
opprimée ne puiffe lui répondre : Peut - être ne
parlériez-vous pas ainfi , fi vous étiez le plus petit
Hombre ; votre volonté excluſive n'eft que la Loi
di plus fort , & je ne fuis point tenu d'y obéir.
Cette Loi du plus fort pouvoit exifter fous l'empire
defpotique d'un feul , dont la volonté faifoit
l'unique Loi ; elle ne peut exifter fous un Peuple
libre , & qui refpecte les droits de chacun.
N°. 36. 5 Septembre 1789.
D
( 74 )
Non plus que vous , Meffieurs , je re fas ce
que c'est qu'un droit exclufif ; je ne puis reconncître
un privilége exclufif en quoi que ce foit :
mais le privilége exclufif , en fait d'opiniors & de
cule , me paroît le comb'e de l'injuftice . Vous ne
pouvez pas avoir un feul droit que je ne Paie ; fi
vous l'exercez , je dois l'exercer ; fi vous êtes libres
, je dois être libre ; fi vous pouvez profeffer
votre Culte , je dois pouvoir pro effer le mien ;
fi vous ne devez pas être inquiétés , je ne dois
pas être inquiété ; & fi , malgré l'évider ce de ces
pri : cipes , vous nous défendiez de profeffer notre
Culte commun , fous prétexte que vous êtes beaucoup,
& que nous fommes peu , ce re feroit que
la Loi du plus fort ; ce feroit une fouveraine injuftice
, & vous pé :heriez contre vos propres principes.
Vous ne vous expoferez donc pas , Meffieurs
au reproche de vous être contredits dès les premiers
momens de votre Légiflature facrée , d'avoir
déclaré , il y a quelques jours , que les
kommes font égaux en droits , & de déclarer
aujourd'hui qu'il font inégaux en droits ; d'avoir
déclaré qu'ils font libres de faire tout ce qui
e peut nuire à autrui , & de déclarer aujour
d'hui que deux millions de nos concitoyens ne
font pas libres de célébrer un culte qui ne fait
aucun tort à autrui,
Vous êtes trop fages , Meffieurs , pour faire
de la Religion un objet d'amour- propre , & pour
fubftituer à l'intolérance d'orgueil & de domination
, qui , durant près de quinze fiècles , a
fait couler das torrens de fang , une intolérance
de vanité. Vous ne ferez pas furpris de ce qu'il
eft des hommes qui penfent autrement que
vous , qui adorent Dieu d'une autre manière
que vous ; & vous ne regarderez pas la dìverfité
des pensées comme un tort qui vous eft
( 75 )
fait. Inft uits par la longue & fanglant : expé
rience d.s fècles , inftruits par les fautes de vos
Pères & par leurs malheurs méjés , vous direz
fans doute : Il eft temps de dépofer ce glaive
féroce qui dégoutte encore du fang de nos Concitoyens
; il eft temps de leur rendre des droits
trop log-temps mecontus ; il eft temps de bri--
fer les barrières injuftes qui les féparoient de
nous , & de leur faire aimer une Patrie qui les
profcrivoit & les chaffoit de fon fein.
Vous êtes trop fages , Meffieurs , pour penfer
qu'il vous étoit réfervé de faire ce que n'ont
pu les hommes qui ont exifté pendant fix mille.
ans ,Ide réduire tous les hommes à un feul &
même culte. Vous ne croirez pas qu'il étoit réfervé
à l'ASSEMBLÉE NATIONALE , de faire d f
paroître une variété qui exiſta toujous , ni que
vous ayez un droit dont votre Dieu lui-même
ne veut pas faire ufage.
Je fupprime , Meffieurs , une foule de motifs
qui vous rendroient intéreffans & chers deux
millions d'infortunés. Ils fe préfenteroient à vous
teints encore du fang de leurs pères , & ils vous
montreroient les empreintes de leurs propres
fers . Ma Patrie eft libre , & je veux oublier
comme elle , & les maux que nous avons partagés
avec elle , & les maux plus grands encore
dont nous avons été feuls les victimes. Ce que
je demande , c'est qu'elle fe montre digne de la
liberté , en la diftribuant également à tous les
Citoyens , fans diftinction de rang , de naiffance
& de Religion , & que vous donniez aux Diffidens
tout ce que vous prenez pour vous- mê.
mes .
Je conclus donc , Meffieurs , à ce qu'en atten
dant que vous ftatuiez fur l'abolition des Lois
concernant les non-Catholiques , & que vous les
Dij
( 76 )
affimiliez en tout aux autres François , vous faffiez
entrer dans la Déclaration des Droits cet arti¬
cle :
Tout homme eft libre dans fes opinions ; tout
Citoyen a le droit de profeffer librement fon Culte ,
& nul ne peut être inquiété à cause de fa Religion.
Après avoir fini , l'Auteur de l'Opinion
ajouta ces paroles :
MESSIEURS ,
J'efpère de ne m'être pas attiré la défaveur
de l'Affemblée , lorfqu'obligé par mon cahier
d'exprimer le voeu de mes Commettans , je vous
ai demandé la liberté du Culte pour une nombreufe
partie de vos Concitoyens , que vos principes
appellent à partager vos droits. J'ai cru
même devoir à la dignitetouchante de leur caufe ,
de dépouiller un inftant le caractère augufte de
Repréfentant de la Nation , que j'ai l'honneur de
partager avec vous , pour prendre en quelque
manière celui de Suppliant. Il me fembloit que les
maximes que nous avions entendues rappeler dans
cette Séance avoient rendu néceffaire ce la gage ,
& que je devois intéreffer votre humanité par le
fentiment , après avoir effayé de la convaincre
par la raifon,
:
J'ai cependant une obfervation importante à
ajouter c'eft que le Culte libre que je vous demande
, eft un Culte commun. Tout Culte eft néceffairement
un Culte de plufieurs . Le Culte
d'un feul eft de l'adoration , c'eft de la Prière .
Mais perfonne de vous n'ignore que nulle Religion
n'a exifté fans Culte , & qu'il a toujours
confifté dans la réunion de plufieurs. Des Chrétiens
ne peuvent pas le refufer à des Chrétiens ,
fans manquer à leurs propres principes , puif(
77 )
que tous croient à la réceffité duCulte en commun .
J'ai une autre obfervation non moins importante
à faire c'est que l'idée d'un Culte commun
eft un dogme , un article de foi. C'est donc
une opinion religieufe , dans toute la jufteffe de
l'expreffion. Il vous eft done impoffible de priver
les non- Catholiques de leur Culte ; car il
vous eft impoffible de gêner la liberté de leurs
opinions.
Il seroit difficile de traiter un objet
aussi sérieux avec plus de sentiment.
Cependant , M. Rabaud a trouvé des
Antagonistes, et son opinion a été rejetée.
Ne seroit - ce point parce qu'il lui a
donné trop de latitude , et ne pourroit-on
pas considérer cette grande question
sous un point de vue élémentaire , qui
semble n'avoir pas été envisagé dans le
débat ?
Ou la Religion est utile auaux Etats .
ou elle ne l'est pas. Si elle est inutile , il
est superflu de s'occuper des différences
d'opinion , de tolérance , de culte . On
ne doit pas plus permettre aux adhérens
de telles ou telles idées religieuses
d'en solenniser la consécration au son
des cloches , dans des édifices publics ,
en distinguant une classe de personnes
spécialement chargées du Service Divin ,
qu'on ne permet aux Académies d'attrouper
le Peuple sous leurs étendards ,
pour entendre des prédications , et
célébrer des mystères scientifiques . Déclarer
la Religion inutile , c'est la dé-
D iij
( 78 )
clarer sans influence quelconque sur
l'ordre social . Ainsi , que le Peuple
adore un Dieu , ou un Chat , la liberté
de son adoration ne peut être restreinte
par le Législateur , dont l'autorité n'atteint
pas les actions indifférentes . Maist
si chacun reste maître de se prosterner
chez soi devant un Fétiche , et d'adresser
des prières au Démon , il n'a pas plus
de droit à demander un culte public ,
que n'en auroient les Magnétiseurs , les
Newtoniens , ou les Faiseurs d'évocations
à la lune . Encore , la société seroit- elle
forcée à l'intolérance et au despotisme,
en proscrivant des Assemblées , oùle Culte
Religieux outrageroit les moeurs et le
maintien de la sûreté publique ...
Reconnoît- on une utilité quelconque
dans l'Institution Religieuse ( Nous disons
te , car le mot de nécessité exciteroit
aujourd'hui trop de clameurs. ) ? Il faudra
bien déterminer sous quels rapports
elle est utile . Toute doctrine n'est pas
l'appui de la morale , le frein de la foiblesse
, la consolation du malheureux .
La Religion devant servir de supplément
à la force des lois et des moeurs , le
Législateur n'en autorisera le culte public
, qu'autant qu'elle remplira ce but.
Le sera-t-il indifféremment par toutes les
opinions religieuses ? l'une , comme celles
des Carthaginois , ordonnera le sacrifice
des enfans à la Divinité ; l'autre , comme
celles des Mexicains , prescrira les ho(
79 )
de
locaustes humains ; une troisième ,
damner et de brûler les hérétiques ; une
quatrième , comme le Musulmanisme ,
de faire la guerre aux infidèles. Pas une
superstition infàme , pas un dogme antisocial
, pas une pratique licencieuse qui
ne réclamât la liberté du culte , si ,
d'après les maximes qu'on a soutenues ,
il suffisoit d'avoir une opinion , pour
la professer dans un temple , avec tous
les rites qui en cemposeroit la célébration
religieuse .
Admettre un culte public , c'est avouer
l'importance d'une Doctrine religieuse ;
par conséquent , ses dogmes ne peuvent
être indifférens. Toute religion conforme
à l'intérêt public ne sauroit être privée
du droit de se montrer , de réunir ses
sectateurs , et de célébrer ses pratiques ;
mais , qui déterminera son caractère ?
L'opinion publique ? elle a produit la
St. Barthelemi . Les lumières ? ont- elles
empêché , en 1780 , cent mille fanatiques
d'embrâser Londres quatre jours entiers?
Au seul Législateur appartient cet examen.
S'il est éclairé , la liberté n'a rien
à craindre . S'il ne l'est pas , la Nation
le sera encore moins que lui , et l'intolérance
des Sectes le corrompra , sans
qu'il existe aucun moyen de prévenir
cette calamité.
Ainsi , l'institution d'une Religion est une
loi , oula plus inutile des absurdités. Si elle
est une loi , elle embrasse,dans une protec-
Div
( 80 ).
tion égale , toutes les opinions religieuses
innocentes ; mais la société ne laissera
jamais sans danger , chaque troupe de
Sectaires Novateurs, ériger des autels publics
à toutes les folies de l'esprit humain.
La liberté ne peut être une offense à
la raison , et elle seroit la déraison
même , si elle , consistoit à ôter aux
lois toute surveillance sur les actions ;
ear un culte public est un acte , et non
une opinion.
On a reproché souvent , en France
à l'Angleterre , ses lois contre les Catholiques
: nous ne sommes pas appelés à les
justifier ; mais les Anglois ont mille fois
répondu à ce reproche qu'on répète tous
les jours. Ils n'ont pas rejeté le Catho-
Hiçisme comme religion , mais comme
doctrine politique , qui leur paroissoit
incompatible avec leur Constitution ;
comme doctrine qui soumettoit ses adhé
rens à une suprématie étrangère ; qui
leur défendoit de prêter serment de fidélité
au Souverain ; qui impliquoit une
obéissance passive et de droit divin au
Roi ; qui avoit opposé ce dogme à tous
les efforts de la liberté , enfanté des
révoltes et des conjurations fréquentes
contre la Constitution , et opéré le
massacre d'Irlande , la conspiration des
Poudres , et tous les complots armés
en faveur des Stuarts. Sans prononcer
sur la justice de ces anathemes , il est
évident que s'ils étoient fondés : l'Anglo(
81 )
terre étoit sage d'éloigner un culte aussi
contraire à ses institutions politiques.
Par occasion , nous releverons ici une ,
de ces assertions , dont les Auteurs
persuadent la vérité , à force de la répé
ter . En rendant compte du débat sur la
Motion de M. de Castellane , une Feuille
périodique , estimée , a demandé comment
la liberté religieuse étoit respectée
en Angleterre , où l'on pend un homme
qui dit la messe . Il nous semble qu'il n'est
guère permis d'ignorer qu'au mois de Juin
1780, le Parlement unanime dans les deux
Chambres , abolit solennellement toutes
les anciennes Lois pénales contre les Prêtres
Catholiques ; que ce Bill mémorable
souleva Edimbourg, et arma cent mille incendiaires
à Londres ; que , déployant
cette fermeté stoïque qui convient à des
Législateurs, les deux Chambres, assaillies
par ces frénétiques , persistèrent unani-.
mement dans leur glorieuse résolution ;
y persistèrent malgré l'incendie de leurs
maisons , les outrages faits à plusieurs
Membres , et la terreur universelle . Le
Roi , également inébranlable , jura qu'il
perdroit la Couronne , plutôt que de
sanctionner la révocation du Bill , qui
fut confirmé peu de jours après . Une,
scène aussi récente et aussi honorable
devroit nous rendre plus circonspects a
accuser le Parlement Anglais d'intolérance
.
Dy
( 82 )
Dans la Séance de Lundi 31 , M. l'Evêque
de Langres , élu Président , Samedi soir , à la
pluralité de 499 voix , a remercié l'Assemblée ,
qui a reçu , en même temps , le compliment
de M. de Clermont- Tonnerre.
On a communiqué à l'Assemblée plusieurs
lettres menaçantes , écrites du Palais -Royal ,
contre un nombre de Députés, à qui l'on reproche
de soutenir l'Aristocratie ; reproche qui ,
souvent mal appliqué , est devenu un signal de
persécution et de tyrannie contre ceux à qui ,
dans le fait, on n'a aucun tort à reprocher, mais
qui ont le courage de ne pas sacrifier leurs opinions
, la liberté, et l'Etat , à l'inipétuosité d'un
enthousiasme irréfléchi. Nous rendrons compte
de cette Délibération , dans laquelle l'Assemblée
a décidé de s'en remettre à la sauvegarde
des esprits justes , et du bien qu'elle se
propose d'effectuer.
De Paris , le 3 Septembre.
DECLARATION DU ROI , concernant
un Emprunt National de quatrevingts
millions , payables moitié en
Argent , moitié en Effets Royaux ;
donnée à Versailles le 28 Août 1789.
Le Roi ayant fait connoître à l'Assemblée
Nationale les raisons qui devoient l'engager
a substituer un autre Emprunt à celui qu'Elle
avoit déterminé le 9g de ce mois , et lui ayant
proposé d'adopter par préférence un Emprunt
de quatre-vingts millions , portant cinq pour
cent d'intérêt , remboursable en dix années ,
et dont la moitié de la mise seroit payée .
en Effets royaux ; l'Assemblée Nationale a
( 83 )
delibéré cet Emprunt par le Décret suivant :
Voyez l'article de l'Assemblée Nationale . )
Raconter quelques minuties auxquelles
on donne de l'importance vingtquatre
heures , et dont le souvenir meurt
le lendemain , ce ne seroit pas remplir
l'attente du Public. Les faits plus sérieux
exigent une recherche préalable , et il
> n'est aucunement sûr de les présenter
quelquefois dans leur vérité . Une notice
de quelques lignes peut renfermer tout
ce que l'histoire de cette Capitale a of
fert la semaine dernière .
L'Hôtel - de-Ville a renouvelé les anciennes
défenses contre les attroupemens
, ce qui n'a pas empêché celui d'un
grandnombre de domestiques sans places,
formant des demandes , ou plutôt des
Motions , car ce mot Anglois a fait en
France une fortune populaire. Samedi
soir , il s'éleva à la Halle atix farines ,
une émeute où un Commissaire faillit
être sacrifié. Le lendemain l'Hôtel - de-
Ville défendit les émeutes par un Placard
, sous les peines ordinaires . La discussion
de la Sanction Royale à Ver--
sailles ayant échauffé ici beaucoup de
têtes , Dimanche soir , le Palais - Royal
prit la chose en délibération . On demandoit
l'expulsion de plusieurs Dé
putés de tout Ordre , spécialement d'une
partie de ceux du Dauphiné , au zèle et
aux talens desquels , par parenthèse , on
Dvj
( 84 )
"
doit les prémices de la liberté Françoise .
On parloit d'amener le Roi à Paris.
ainsi que M. le Dauphin. Les accusations
se mêloient aux raisonnemens , et
l'on exhortoient tous les Citoyens vertueux
, tous les Patriotes incorruptibles ,
à se transporter sur- le-champ à Versail--
les . M. de la Fayette prit des mesures
pour empêcher l'exécution de ce projet ,
et heureusement les personnes qui l'avoient
formé s'en désistèrent pour le
moment ; mais ils ont continué leurs
assemblées au Palais-Royal .
Les Gardes-Francoises sont incorporés
dans les casernes des différens Districts.
Ils ont exigé le payement de leurs
anciennes casernes , y compris l'Hôpital,
ainsi que des meubles qui s'y trouvoient ,
et c'est l'Hôtel- de- Ville qui solde cette
demande , évaluée à 1,030,000 liv . On
nous a certifié que 300 Gardes - Suisses
, au plus , avoient abandonné leur
régiment .
Le projet de Municipalité , dressé par
les Commissaires des Représentans de la
Commune , présenté à l'Assemblée Générale
, et ensuite aux Districts où il est
encore , est divisé en 19 Titres , et ter-´
miné par un Règlement sur les premières
Elections à faire pour constituer la Municipalité
; ce Code particulier d'une
seule ville du Royaume , ne peut être
transcrit en entier dans un Journal , où
l'on se borne à recueillir ce qui concerne,
( 85 )
les intérêts généraux de l'Etat. Nous nous
en tenons à analyser rapidement les
Titres les plus intéressans.
9
-
La nouvelle Municipalité aura tous les pouvoirs
d'Administration et de Jurisdiction cidevant
attribués à l'Hôtel-de - Ville , tant dans
Paris qu'au dehors . La Banlieue sera comprise
par la suite dans son territoire , si cette
réunion est jugée convenable , ou nécessaire .
La Jurisdiction embrassera toutes les parties
de la Police , celles de la Voirie , le service
des Postes , pour en assurer l'exécution et le
secret ; la surveillance de tous les établissemens
publics , les subsistances et approvisionnemens
et généralement tous les objets sur
lesquels reposent la sureté , la liberté et la
tranquillité des Citoyens. Elle fera , dans
Paris , l'assiette , la répartition et la perception
de toutes les impositions personnelles et
réelles , même la recette des droits d'entrée ,
et connoîtra de toutes les contestations relatives
aux objets ci-dessus . L'Administration
de la Ville de Paris sera composée
de trois cents Membres , élus librement par
les Districts , et appelée Assemblée Générale
des Représentans de la Commune de Paris.
-L'Administration Journalière des objets ,
la Jurisdiction qui y est attachée , seront confiées
à 60 Membres , pris dans les trois cents
et qui, répartis en divers départemens , forme..
ront le Conseil de Ville . Le soin d'établir
l'harmonie dans ces départemens , et de donner
des décisions provisoires dans les circonstances
urgantes , appartiendra à un Bureau de
Ville , composé des principaux Officiers du
Conseil de Ville , qui seront au nombre de 21 .
L'Assemblée de ce Bureau sera compléte
-
( 86 )
-
quand il sera composé de 9 Membres.
L'Assemblée générale des trois cents ne siégera
que pendant les mois de Juin et de Décembre
; c'est - elle qui examinera tous les
comptes rendus par le Conseil et le Bureau
de Ville , qui fera les réglemens nécessaires , etc.
Chaque année , il sortira de cette Assemblée
un des cinq Membres appartenans à chaque
District , de telle manière qu'elle soit entièrement
renouvelée en cinq ans. Le Conseil
de Ville sera composé du Maire , du Commandant-
Général , de huit Echevins , du Procureur-
Général , de huit Présidens de départemens
, et de 39 Conseillers de la Ville , Assesseurs
, formant le nombre de 60. Tous
les Membres du Conseil ne pourront rester
en place que le temps fixé à chacun , au titre
de leur département. Ils seront élus au scrutin
par l'Assemblée Générale , et pris dans son
sein . Ils ne pourront être en même temps
Députés à l'Assemblée Nationale ; si aucun
d'eux étoit élu , il seroit tenu d'opter.
Le
Bureau de Ville sera composé , ainsi que nous
Pavons dit , de 21 Officiers du Conseil de
Ville. Il s'assemblera régulièrement tous les
15 jours , et plus souvent , s'il est nécessaire ,
sur la convocation du Maire..
T Le Maire sera le Chef de la Municipalité ,
Président né du Tribunal contentieux de
tous les départemens , etc. Il sera élu pour
deux années ; il pourra être continué pour
le même temps sans pouvoir , dans aucun cas ,
être réélú qu'après un intervalle de quatre
années . L'Election du Maire sera faite par la
Généralité des Citoyens assemblés en Districts
, sur une présentation de 3 Membres du
Conseil de Ville , qui sera faite au Scrutin ,
trois jours à l'avance par l'Assemblée Géné--
( 87 )
-
- rale des trois cents. Celui des trois présentés
qui aura eu le plus de suffrages d'un plus
grand nombre de Districts , sera élu Maire,
Il se retirera par -devant S. M. pour avoir
son agrément , prêtera serment à la Com,
mune , et un autre entre les mains du Roi.
-Le Commandant -général sera le Chef des
forces Militaires qui seront toujours subordonnées
au pouvoir civil : il veillera à ce
que les différens Corps de la Milice Bourgeoise
soient bien tenus et convenablement exercés.
Il fera l'inspection et revue de la Milice Bourgeoise
une fois l'année , à jour fixé pour cela
par le Bureau de la Ville ; mais il ne pourra
commander un service extraordinaire , sans
en prévenir le Bureau, en la personne du Maire.
Dans le cas de contravention à la Discipline
, il pourra ordonner les arrêts , ou condamner
à une prison de huit jours au plus ,
et même casser les Officiers , Bas - Officiers ,
etc. , en prenant cependant , quan: à ceux-ci ,
l'avis du Bureau de Ville . — Tous les délits
contre la Discipline Militaire qui méritent des
peines plus graves , seront réprimés , et punis
par des Conseils de Guerre , composés d'un
nombre égal de Membres du Conseil de Ville
et de Militaires . Le Commandant -Général
sera élu pour trois ans , dans la même forme
que le Maire , et par les Districts, et pourra ›
être continué seulement pendant trois autres
Tous les travaux de la Municipalité
, dont l'exercice doit être confié au
Conseil de Ville , seront divisés en buit départemens
, et en un Tribunal contentieux ,
ainsi qu'il suit : 1 ° Subsistances et approvisionnement
de Paris ; 2 ° . la Police ; dans cet
article sont compris tous les Spectacles , la
Librairie , etc. 3°. direction des établisseannées.
---
( 88 )
-
mens publics ; 4°. travaux publics ; ici se trouve
l'inspection des maisons d'arrêts , commodes ,
décentes et sures pour les personnes prévenues
de crime , avant que leur emprisonnement
soit légalement ordonné ; 5°. les Hôpitaux ;
6. domaine de la Ville ; 7°. impositions ; 8°.
Gardes Nationales Parisiennes , enfin , le Tribunal
contentieux connoîtra au civil de toutes
les affaires concernant la Police. Chaque département
sera composé d'un Président et
d'un certain nombre d'Assesseurs : les Prési
dens seront en exercice pendant 3 ans seulement
, excepté celui du Domaine de la Ville
qui pourra être continué pendant trois autres
années , et celui de la Police qui sera 4 années
en exercice ; ils seront tous nécessairement
pris dans le Conseil de Ville . Les Assesseurs
seront 5 ans en place , sans pouvoir
être prorogés. - Nous passons tous les titres
concernant les fonctions des différens Officiers
de la Municipalité , pour en venir à celui
des Assemblées de District , de leurs Comités
et Officiers , qui paroît être le plus censuré ,
comme devant former 60 Municipalités dis
tinctes dans la Ville. Ce titre donc , qui est
le XVI , ordonne que les Assemblées de
District seront convoquées annuellement ,
pour les Elections ordinaires des Magistrats ;
et dans tout autre temps , pour les Elections
extraordinaires . Chaque District aura un,
Comité , composé d'un Président , d'un Vice-
Président , du Commandant de Bataillon du
District , d'un nombre de Membres , tel que
le Comité ne puisse être moindre de 16 personnes
, ni supérieur à 24 , et d'un Secrétaire-
Greffier avec appointemens , tous élus
par les Citoyens du District. Les Comités
s'assembleront au moins une fois tous les 15.
-
( 89 )
-
jours , pour se concerter sur leurs opérations.
Les Membres de chaque Comité seront
chargés de la police de leur quartier , en te
qui concerne le nettoiement, l'illumination, etc.
-
Toute personne arrêtée pour délit contre
l'ordre public , sera conduite au Secrétariat
du District ; elle sera interrogée , et relâchée ,
s'il n'y a lieu de détention ; si le délinquant
doit être retenu , il sera conduit en prison.
Si le cas ne donne ouverture qu'à une
amende , ou indemnité pécuniaire , la personne
arrêtée sera renvoyée , en payant l'indemnité ,
ou l'amende qui sera arbitrée , ou en fournissant
la caution qui ne pourra excéder la
somme de 600 liv. Si le delit exige une caution
plus forte , le Membre du Comité renverra
l'affaire au Département de la Police .
Les autres Titres traitent des lois géné
rales sur les Elections , les sermens , etc.
-
-
Nous ignorons complètement le sort
de ce Projet qui compte beaucoup de
Partisans et de Détracteurs. Lorsque les
Lois auront déterminé la responsabilité
des opinions écrites , et que leur liberté
ne sera plus menacée par ceux qui ne
souffrent , en ce moment , aucune contradiction
à leurs systêmes , ni la moindre
modification de leurs découvertes politiques
, il sera possible de hasarder quelques
idées sur ce Projet et d'autres. Jusqu'alors
la prudence oblige à se rappeler
le mot plaisant d'un Seigneur Anglois
pendant la dernière maladie de
Cromwel. Comment se porte le Protecteur?
lui demandoit-on . « Je ne sais ,
répliqua-t-il ; les uns le disent mort ,
<<
( 90 )
les autres le disent vivant : pour moi ,
« je ne crois ni l'un ni l'autre . »
Dans le nombre des récits qui alimentent
l'oisiveté , ou la curiosité générale ,
il s'en est répandu un , il y a quelque
temps , que nous allons transcrire comme
un rapport douteux , sur lequel cette
notice nous procurera peut-être des
éclaircissemens.
« A son arrivée à Saint- Domingue , M. du
Chilleau , Gouverneur de cette Colonie , rendit
une Ordonnance qui permet aux Etrangers
d'aborder la côte du Sud. On rapporte
que l'Intendant , suivant un systême contraire ,
fit casser l'Ordonnance , et qu'en conséquence
M. du Chilleau fût rappelé. Son successeur
M. de Peynier , partit de Brest , il y a sept
semaines , sur la fregate l'Engageanle , pour
prendre le commandement de la Colonie . M.
du Chilleau , à ce qu'on débite encore , ne l'a
pas attendu , et s'est embarqué sur un navire
Marchand ; mais ce n'est pas tout. On veut
que le Comité de Saint - Domingue ait soutenu
M. du Chilleau , demandé son retour à
la Colonie , et qu'il l'ait obtenu ; que , d'un
autre côté , les Négocians d'un grand port de
mer , vivement affectés d'une seconde Ordonnance
de M. du Chilleau , qui autorise l'importation
des farines étrangères , se disposoient
-à le faire arrêter , et à ne pas souffrir son retour
à Saint Domingue . A ces dispositions ,
par trop viriles , le Comité de Saint- Domingne,
toujours d'après le rapport que nous citons
sans le garantir , a menacé les Négocians de
faire saisir au Cap leurs bâtimens . Cette represaille
a eu son effet , et il est à croire qua
M. du Chilleauira , ou n'ira pas à Saint- Do--
( 91 )
mingue , suivant que le Gouvernement en ornemer
donnera ( 1) »
Quelques Ecrivains ont applaudi aux
Brigandages commis dans les Provinces
sur les Personnes et sur leurs Propriétés.
Ils ont mis en principe qu'on ne pouvoit
être libres sans incendies , sans meurtres ,
sans pillages. Parce que ces crimes accompagnent
souvent les révolutions , ils
en concluent qu'ils y sont nécessaires.
Autant vaudroit imprimer que pour reconstruire
une maison , il est indispensable
de faire périr , ou de dépouiller ceux
qui l'habitent . Le Comité des Electeurs-
Unis de la Ville et Sénéchaussée de Lyon,
a adopté d'autres maximes , en décrétant
l'Arrêté suivant.
Que tous Etrangers non domiciliés , ou qui
n'auroient domicile que depuis trois mois
dans le ressort de la Sénéchaussée de Lyon ,
doivent être tenus de comparoître par - devant
les Syndics des paroisses , ou les Juges de
police des villes et bourgs , dans le délai de
irois jours , à l'effet de produire les certificats
dont ils seroient munis , ou de déduire les
motifs de leur séjour dans le lieu où ils se
trouveroient ; que si leurs certificats ou les
motifs de leur translation sont jugés valables ,
il leur sera donné des passe - ports pour continuer
leur route , ou une autorisation pour
prolonger librement leur séjour ; mais que faute
(1 ) Depuis que ceci est écrit , on a annoncé
le débarquement de M. du Chilleau en Angleterre.
( 92 )
par eux d'avoir comparu avant l'expiration
des trois jours , ils pourront être arrêtées
par les Patrouilles , traduits devant les Juges ,
interrogés et traités selon que le cas le
portera.
Qu'une fois délivrés de tous Etrangers
suspects et mal intentionnés , les villages ,
bourgs et villes de la Sénéchaussée où néanmoins
il arriveroit des désordres , ne pourront
, sans manquer à l'honnenr , ne pas dénoncer
quiconque , en les commettant , associeroit
le lieu de sa naissance ou de sa
demeure à la honte et à la flétrissure qui
sont attachés au nom de séditieux et de
rebelle .
Que tout Citoyen dont les actions ou les
discours tendroient à donner une fausse idée
de la liberté , qui ne fut jamais autre chose
que le pouvoir de faire tout ce que les Lois
ne défendent pas , sera livré à la vengeance
des fois qu'il auroit outragées , et au ressentiment
de la Patrie qu'il auroit troublée.
Que ceux qui , à l'aide de la séduction et
du mensonge , faisant partager à d'autres
personnes et leurs excès et leur licence
croiroient trouver l'impunité dans le nombre
de leurs complices , doivent exciter contre
eux et contre leurs compagnons coupables
les efforts combinés du patriotisme et de la
force militaire ; et qu'à cet effet, les troupes
du Roi , de ce Monarque à qui les Etats-
Généraux viennent de décerner le titre de
RESTAURATEUR DE LA LIBERTÉ FRANÇOISE ,
seront appelées et employées pour disperser
ces ennemis du bonheur public , et pour
rendre plus efficaces les soins des généreux
Citoyens qui déja se sont armés pour les
éloigner et les punir.
Que le droit sacré de propriété , ce droit
( 93 )
saint , respecté et respectable dans tous les
temps , est mis sous la sauve-garde des villes ,
bourgs et villages ; qu'en ce moment sur-tout
il y est mis sans distinction d'ordre , d'état
ni de rang , puisque la réunion de tous les
Ordres a opéré la réunion de tous les inté
rêts , et que ce dépôt , devenu inviolable à
tant de titres , n'est pas uniquement confié
à la surveillance des Municipalités , qu'il est
commis de plus à la fidélité , à la religion
et à la défense de tous et un chacun les
habitans du ressort de cette Sénéchaussée .
Que ceux qui attenteroient désormais aux
propriétés d'autrui , prévenus maintenant des
piéges tendus sous leurs pas , instruits de la
fausseté des bruits semés autour d'eux , ne
sauroient être réputés de bonne-foi , ni coupables
par ignorance ; qu'ils sont proscrits
d'avance et voués à l'opprobre ; qu'en détruisant
les propriétés , ils se rendent coupables
envers ceux mêmes qui n'en ont pas ,
puisqu'ils arrêtent cette continuité d'échanges
entre l'homme industrieux et l'homme propriétaire
, qui les met tous deux dans une
heureuse et perpétuelle dépendance ; qu'ainsi ,
rompant la chaîne qui unit tous les Membres
de la Société , ile méritent d'être arrachés de
son sein.
Que les vrais Patriotes continueront de
prêter obéissance à toutes les Lois actuelle
ment existantes , et de payer toutes les redevances
et impositions , en attendant celles
que , avec la sanction du Roi , décréteroit
PAssemblée Nationale , qui a acquis trop
de droits à la reconnoissance de la Nation ,
pour ne pas en avoir à sa confiance .
Qu'au nom de la Religion et de la Patrie ,
les Citoyens de toutes les classes sont rappelés ,
( 94 )
dans les villes , à leurs foyers et à leurs ateliers
; dans les campagnes , aux travaux de l'agriculture
; qu'ils sont tous invités à cette
tranquillité calme , qui seule , dans l'ordre
de la société , comme dans celui deĦa nature ,
annonce et promet de beaux jours ; à dé
noncer tous écrits ou imprimés qui seroient
distribués furtivement ; à fuir'les assemblées
trop nombreuses , à éviter tout ce qui pourroit
amener le tumulte dans les lieux publics ;
en un mot , à écarter tout ce qui pourroit
retarder le grand oeuvre de la Constitution
et de la régénération de l'Etat.
En conséquence , le Comité invite tous
les Juges et Officiers de Police à rendre des
Ordonnances conformes aux présens Arrêtés ,
à renouveler et faire exécuter les Lois de
Police , relatives aux vagabonds , aux attroupemens
, aux cafés et lieux publics , à requérir
le secours de l'autorité pour faire respecter
les Lois et maintenir l'obéissance qui
leur est due.
Et sera la présento Délibération imprimée
et affichée , tant dans la Ville et Faubourgs
de Lyon , que dans les villes , bourgs et
villages de la Sénéchaussée , et adressée à
MM. les Curés , pour qu'ils puissent concourir
, par leurs exhortations , au rétablis
sement de l'ordre et de la tranquillité.
Délibéré à Lyon , le 10 août 1789 ; et
ont signé tous les Membres. Par le Comité ,
DE LA CHAPELLE , MAKET DE S. PIERRE ,
Secrétaire.
LETTRE AU RÉDACTEUR.
MONSIEUR ,
» Dans le N° . 34 de votre Journal , on n'a pas´
( 95 )
re du compre exactement des principes que j'ai
pra feffés dans la Séance ds 11. Appelé par l'ordre
de mon infcription fur la lifte de M. le Préfident
, pour parler le premier contre le projet
d'Arrêté qui propofcit la converfion de toutes
les dîmes en rentes pécuniaires rachetables , j'ai
dit qu'adopter ce projet indiflinctement , c'eût
été reconnoître les dimes Eccléfiaftiques pour des
droits de propriété ; que cependant j'étois en
état de démontrer qu'on ne pouvoit les confidérer
que confine des impofitions ; qu'ainfi il
falloit diftirgu.r les dimes laïques d'avec les dimes
eccléfiafiques , ce les-là racherables , fupprimer
celles-.i.....A ces mois , une foule de voix partant
du banc du Clergé , me crièrent que ce n'étoit
poin -là la queftion ; j'infiftai , mais inutilement :
le bruit recommença , & il me fut impoffible
de continuer. J'abandonnai donc la tribune , mais
après avoir protefté que je ne pouvois confentir
au rachat de la dime eccléfiaftique , & en d
mandant qu'on laiifât cet article à l'écart , puifqu'on
n'avoit pas le courage d'en entendre la
difcuffion , fauf à y revenir dans un temps plus
calme , &c. n
MERLIN , Député de Douay,
MM. les Officiers , ci-devant au service des
Etats -Unis de l'Amérique , et porteurs des
certificats du Register- Oflice en leur nom ,
signés Joseph Nourse , et dont le payement
des intérêts à six pour cent l'an , sont indiqués
payables chez M. Grand , à Paris , sont
prévenus que les arrérages de ces intérêts ,
jusqu'au premier Janvier 1789 , vont être payés
au bureau de M. Grand et compagnie , Banquiers
à Paris .
MM. les Officiers , porteurs desdits titres ,
sont priés de les apporter en original audit
·( 96 )
ét
bureau , et il leur sera payé la somme qui
leur sera due sur leur quittance à triple , pour
ne valoir que comme une seule et même ,
sur la mention qui sera faite sur les susdits
titres ou payemens , qui sera affichée .
MM. les Officiers absens auront la bonté
de faire passer leurs titres susmentionnés aux
personnes auxquels ils donneront leur confiance
à Paris , pour recevoir lesdits intérêts
échus , et de les munir d'une procuration pardevant
Notaires et légalisée , et qui sera laissée
és mains de M. Grand et Compagnie.
On peut dés -à-présent se présenter tous les
jours non féries , à leur bureau , rue neuve
des Capucines , depuis neuf heures du matin
jusqu'à midi , et depuis cinq heures de l'aprèsmidi
jusqu'à huit heures du soir.
On voudra bien y demander M. Corsange,
P. S. Une Dame de Versailles nous
prie d'instruire le Public , que la femme
pendue après la libération du parricide
qu'on alloit exécuter , vit encore, et que ,
la Milice Bourgeoise de Versailles n'eut
aucune part à cette évènement. Nous
n'avions point parlé de cette Milice ,
mais de la multitude rassemblée autour
de l'échafaud.
Les Numéros sortis au Tirage de la
Loterie Royale de France , le 1er. Septembre
1789 , sont : 88 , 33 , 37 , 18 , 35.
MERCURE
DE FRANCE
SAMEDI 12 SEPTEMBRE 1789.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉP . IT RE
-
A un jeune Poëte ,fur l'amour de la Gloire
& le danger des Paffions.
floc age deliciis.
Fortis omiffis
Hor. Ep. 6 Liv. I.
Non, le Pinde n'eft pas le jardin d'Epicure . ON
Ce n'eft pas fur un lit de plume ou de verdure
Que la Gloire t'attend , ce prix des longs travaux ,
Des veilles du Poëte , & du fang des Héros.
Tandis qu'un vil Créfus gliffe en vain dans le
monde ,
Comme l'infecte en l'air , ou l'écume fur l'onde ;
La Gloire nous fait vivre où nous ne formes, pas ,
Devance l'avenir , & fùrvit au trépás .
Nº. 37. 42 Sept. 1789,
B
26 MERCURE
relle?
Toi que trouble fon nom , qui te fens né pour elle ,
Veux- tu cendre ton front d'une paline iimnmmoorrtteel!let
Que toujours fon fantôme occupe tes regards ;
Fatigue tes rivaux à la lutte des Arts ; F
Secoue , avant le jour , les pavots de Morphée..
Crains fur-tout, crains Circé, douce & cruelle Fée
Qui t'offre , en fouriant , un micl envenin: é.
Malheur à l'Ecrivain que ce filtre a charmé !
D'un efprit mâle & ferme il énerve, la trempe,
Sur les fleurs du plaifir le pareffeux qui rampe“,
Gémit fouvent bleffé du ferpent des remords,
Yois le Dieu des Talens t'ouvrir tous les tréfors :
Vois le prix qui t'attend . Quel eft- il ? La louange .
L'Hôte ailé des étangs végète dans la fange ;
Mais , fier de fon deftin , l'Aigle , au plus haut
des airs ,
Lutte contre les vents , & fixe les éclairs .
Crois-moi ; la Volupté , dangereufe Syrène ,
Nuit plus que cent rivaux & leur jalouſe haine.
Jeune Athlète , ah frémis , & redoute bien moins
Les couleuvres du Pinde , & l'hydre des befoins,
Si l'Indigence , hélas ! complice de l'Envis ,
ļ
Souffle & glace la lampe où veille le Génie ,
Cette lampe , regrets ! flambeau de l'Univers ;
L'ame du moins s'épure au creufet des revers.
Mais d'ivreffe & d'erreur , imprudente nourrice
La Volupté nous berce entre les bras du 12
Vice
Et de fon fouffle impur, fléau de nos beaux ans
Sèche & brûle en fa fleur le germe des talens,
DE FRANCE: 29
La mer a moins d'écueils que le cours du bel âge.
Peignez-vous un vaiffeau , qu'au milieu de l'orage
L'onde attaque au dehors , & la flamme au dedansă
Cette image eft la vôtre , ô jeunes imprudens ,
Qui , brûlant d'une flamme en paffions féconde ,
Errez fans gouvernail fur l'océan du Monde !
Si l'erreur vous permet d'entendre encor ma voix ,
Ah ! n'aimez pas du moins au hasard & fans choix.
Non , ce n'eft point l'amour, c'eſt un poiſon perfide
Que préfente au Théatre une nouvelle Armide
Qui , pour mieux irriter la foif de nos défirs ,
Joint l'attrait des talens à l'attrait des plaifirs .
Toi , qu'un charine impofteur retient fous la bas
guette ,
Tu n'es plus homme ; non : ta raiſon eft muette.
Va , la bourſe à la main , payer ces doux accens ;
Sur ces pas filégers verfe l'or & l'encens :
Sèche de dons ces pleurs ; mais ne crois pas qu'on
t'aime.
Donne ;.de tes préfens le moins cher , c'eft toimême.
Donne encore , & jouis : pleure après , fi tu veux.
Ah ! jamais, me dis-tu, l'hommage de mes voeux
N'ira ramper aux pieds d'une beauté vénale ,
Ni d'un amour honteux afficher le fcandale,
Mais ftoïque amateur d'un ftudieux loifir ,
Dois-je fermer mon ame à tout autre plaifir ?
Ne puis-je affocier , par un noud légitime ,
Les Arts & les Amours , le bonheur & l'eftime ?
B &
28 MERCURE
Si l'homme cut en partage & la force & les Loix ,
Lafemme n'a pas moins fon domainc & fes droits.
Elle tient fon pouvoir des mains de la Nature.
Sa force cft détournée , & n'en eft que plus sûre ;
Elle va droit au coeur. L'inhabile Ecuyer.
Pique & tourmente en vain l'impétueux courfier ,
Qui , fans marcher au but, fe cabre & s'effarouche :
Mais qu'une main légère interroge la bouche ,
Son orgueil fi fougueux s'apprivoife foudain ,
Et fans peine obéit aux mouvemens du frein.
Tel eft l'art du beau Sexe à gouverner notre amę.
Qu'il eft doux , j'en conviens , de trouver une
femme
Qui , moderne Pallas , n'ufe de fon pouvoir
Que pour femer de fleurs la route da favoir ;
Qui , jalouſe du ſoin de votre renommée ,
Ouvre à vos doces fons une oreille charmée
Jouit de vos fuccès qu'elle entend publier ,
Et oint le prix du mirte à celui du laurier.
Oui , la gloire par elle eft encore embellie.
Telle on vit , de nos jours , l'immortelle Emilie
Du Chantre de Henri confoler les travaux ,
Animer ce grand homme à des fuccès nouveaux
Enlacer le compas aux cordes de fa lyre ,
Oppofer une égide aux traits de la fatire,
Et lui fermant l'oreille aux cris des envieux ,
Sur le char de Newton l'enlever dans les cieux.
Mais ce bonheur , fi doux & fi cher à tout âge ,
Dans la maturité , récompenfe du Sage ,
DE FRANCE. 29
Du Talent , jeune encore ,
eft rarement le prix.
Que je plains le Poëte éperdument épris
D'une femme à la fois & tendre & vertueule ,
Senfible par penchant , par honneur rigoureuſe ,
Qui tour à tour appelle & rejette fes voeux ,
Le rend en même temps heureux & malheureux ,
Qui lui défend l'eſpoir & fouffre qu'il eſpère ,
Le glace quelquefois par un regard févère ,
Par un regard plus doux lui promet du retour
Et commande à la fois le refpeét & l'amour !
Hélas ! malgré lui - même , infidèle à la Gloire ,
Il détourne les yeux du Temple de Mémoire.
Il foupire ; il oublie & l'étude & les vers .
Efclave de fes fens , fon génie eft aux fers.
La voix de l'Avenir ſe perd à ſon oreille ,
Et la nuit , en furfaut , ne trouble plus fa veille
Du feu de Proméchée il ne fent plus l'ardeur :
Helas ! un autre feu brûle au fond de fon coeur ;
Et feule , en chaque objet , à fes fens retracée ,
Une trop chère image obsède fa penfée.
Cependant le temps fuit , & , dans fon vol jaloux ÿ
Emporte lajeuneffe & laiffe les dégoûts.
Dans ces illufions , fens-tu languir ta verve ?
Veux- tu dans ton cerveau reffuſciter Minerve ?!
Entre dans ce Lycée , où toujours des Talens
On fent au fond du coeur palpiter les élans.
Des défirs déréglés la fongue téméraire
Refpecte des Savans le calme littéraire.
B 3
MERGURE
Viens , & de leurs crayons raſſemble les débris;
Sous leurs févères yeux corrige , efface , écris .
Leur exemple fanra t'animer & t'inftruire ,
Et réveiller en toi le befoin de produire.
Ainfi que dans ces jeux fêtés chez les Romains ,
De myftiques flambeaux couroient de mains a
mains ;
Dans les jeux de l'efprit , ta flamme poétique
Paffe de l'un à l'autre , & s'entre- communique.
On fe borne d'abord à vaincre fes rivaux ;
On triomphe , & bientôt on ne veut plus d'égar
L'Athlète , à peine encor parti dela barrière ,
Tremble & n'ofe de l'oeil mefurer la carrière.
De l'Emulation l'ambitieux regard
S'étend , & n'a pour but que, les bornes de l'Ar
Jadis, fi l'on en croit l'Antiquité profane
Dans un Temple fameux , on eût dit que Diane
Loin d'elle repouffoit , d'un févère coup-d'oeil ,
Le lâche adorateur arrêté fur le feuil.
Mais alors que d'un pas faintement téméraire ,
Yous cfiez avancer au fond du fanctuaire ,
Vous voyiez fes regards , plus fereins & plus dow
Sourire à votre hommage offert à fes genoux...
Dois-je le dire à ceux dont la Gloire eft l'idole་ ?"
Du Temple des Talens, ce Temple eſt le ſymbole.
Loin de la docte enceinte , une inviſible main
Ecarte pour jamais le vulgaire Ecrivain
Qui ne read qu'un faux culte aux Filles deMémoire,
Et vient frapper fans titre aux portes de la Gloire.
DE FRANCE.
Mais une heureufe audace y donne un libre accès
▲ celui qui , marchant , de fuccès en fuccès ,
Sur le trépied facré du Dieu de l'Harmonie ,
S'eft fait initier aux Autels du Génic.
Heureux qui de Circé rejetant le poiſon ,
Aux rayons du favoir épure fa raifon';
Qui , charmé du repos , des Arts , & de l'étude
S'ch fait de font avall une douce habitude !
“Tandis qu'un monde vain court après le plaifir ,
Comme un enfant qui fuit , fans jamais le faiûr ,
L'oifeau qui devant lui fe joue & s'évertue ,
Toujours hors de la main, jamais hors de fa vuas
I favoure un bonheur dont le charme eft en lui ,
Et rit de l'infenfé qui le cherche en autrui .
D'un efpriccultivé , tirant un nouvel érre , {
Il femble prolonger, såvide, de, connoître
Les momens de fa vie & courts & fi chers. I
Sen Siècle eft fon Cenfeur fon Juge eft l'Univers.
Homère , qui , mêlant l'utile à l'agréable ,
Couvre la vérité des voiles de la Fable
Feint qu'Ulyffe autrefois , fur des bords enchantés ,
Ofa , pour éviter l'écueil des voluptés ,
S'attacher avec force au mât de fon navire .
Orphée eft plus heureux ; il chante & prend fa lyre,
Par M. de Saint- Ange, )
MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Tourmenty céloi
de l'Enigme eft Prudence ; celui du Logo
griphe eft Perfiflage , où l'on trouve Perfil,
Rage, Paris, Air, Page, Règle , Pie , Pie
(Saint) , Perfe , Fie, If , Elie, Lis , Sire,
Ris, Gris.
CHARADE
A.1. R.: Mon cher André.
RIEN d'auffi rampant fur la Torre ,
Rien d'auffi vil que le premier ;
D'auffi fublime que l'entier : 120
Or de ce tout , belle Glycère ,
Votre coeur eft le fanctuaire.
Quant au dernier , il eft fi doux !
Si doux , que , foit dit entre nous ,
De vous moi , point de courroux.
Il me plait mieux que vous.
3
<
( Par M. le Ch . de P***.
ÉNIGM E.
JE marche avec réflexion ;
Près de moi l'on voit la Prudence ,
2
DE FRANCE
33
JEL
La Paix , la Perfiafion ,
Er la fenfible Tolérance.
Pour le bien de l'humanité ,
J'ai l'art de féduire & de plaire ;
Et l'heureux mortel que j'éclaire,
Eft prefque toujours écouté .
A la Cour , ainfi qu'à la ville ,
J'appa fe une fédition ;
Et fouvent le plus indocile
Et par moi mis à la raifon.
En vain tu me cherches peut-être ,
Cher Lecteur , point d'emportement ;
A ce portrait fi reflemblant ,
Pourrois-tu bien me méconnoître ?
(Par M. de Beauchefne, Off. de M.)
LOGO GRIPHE
E fuis en mon entier un Jeu paſſé de mođe ;
Retranche-t -on mon haut ? je deviens un oignon
Dont l'odeur feuvent incommode >
Que l'on aime à la table , & qu'on fuit au Sallon.
Me coupe-t-on du bas ? quelle métamorphofe !
J'attife dans les coeurs les plus ardens défirs ;
Four les Amáns je fais naître la rofe ,
Et des rameaux épais ombragent leurs plaifirs.
Qu'on me divife en deux ; la fin de ma carrière
Ne me procure pas un bien brillant deſtin 3
Je donne alors deux termes de Grammaire ,
Un pronomféminin , un autre mafculm .
( Par un Abenné. )
34
MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
MÉMOIRES de M. le Duc de St- Simon
fur le Règne de LOUIS XIV, & fur
les premières époques du Règne fuivant.
3 Vol. in-8°. Prix , 12 liv. br. & 13 liv.
10 f. francs de port par la Pofte.
SUPPLÉMENT aux Mémoires de M. le
Duc de Saint- Simon , copié fidèlement
fur le manufcrit original , pour fervir de
fuite & de complément aux 3 Volumes
ci deffus , avec des Notes hiftoriques &
critiques. 4 Vol. in- 8 ° . formant 1980 p.
Prix , 18 liv. br. , 20 liv. francs de port
par la Pofte. A Paris , chez Buiffon ,
Libraire , rug Haute - feuille ,
On vend féparément le Supplément aux
perfonnes qui ont acquis les 3 Volumes
des Mémoires.
DIR
,
N. 10.
IRE que peu d'Ouvrages font auſſi intéreffans
, auffi utiles même que ces Memoires
, c'eft avancer une vérité facile à
prouver. Nous n'aurons dans les citations
que l'embarras du choix entre des Anecdotes
prefque également piquantes , prefque
également caractéristiques de cette Cour
་
DE FRANCE. 35
ر
fingulière , que le préjugé a admirée en tout
jufqu'ici , & que le nouveau jour qui luit
à nos yeux , le nouveau fentiment qui
anime nos coeurs nous feront peut - être
aufli trop déprécier. Au refte , nul Ouvrage
ne fçauroit nous mettre mieux à portée de
juger avec impartialité le Monarque ' auquel
fes Contemporains & fes Sujets fe hâtèrent
peut-être trop de donner le nom de Grand,
puifqu ' paroît prouvé que le fafte dont il
slentoura , & les impulfions étrangères auxquelles
obéit fervilement cet homme fi
jaloux da ponvoir abfolu , préparèrent les
malheurs de la France.
-it Mb de Saint - Simon , Auteur original ,
parce qu'il a dit la vérité , & qu'il l'a dire
minutieufement , a beaucoup de la manière
de Plutarque & de celle de Suétone ; mais
moins indulgent que le premier , plus noble
que le fecond l'austérité de fes moeurs
>
d'energie de fon caractère en font tour
anda fois un Pere févère & chaud de
couleur. Il réfalte de ces qualités fi difficiles
à réunir des tableaux d'une vérité effrayante;
ibanous reporte aux temps , aux lieux ;
on entend fes perfonnages , on les voit
on vit avec eux le paffé devient le préfent,
& Pony lit prefque l'avenir ; ceci
n'est point une exagération Les guerres
heursules de Louis XIV; & , à plus fore
raifon jofes guerres malheureufes , confpitoient
à hater le dépérillement d'un Royaume
travaillé pendant la paix d'un luxo ef-
7
A
B
36 MERCURE
(
T
froyable , & qui faigne encore de la plaie
faite au Corps politique par la révocation
de l'Edit de Nantes. Ces caufes devoient
néceffairement amener les années de la
Régence. Le fameux fyltême ne fut point
dû au caractère perfonnel du Prince qui
gouvernoit à cene époquesrik naquit
l'enchaînement des caules , de l'impérieuse
loi du befoin; & cela eft fi vrai , que le
neveu de Louis XIV , auquel en peut reprocher
, avec raifon , d'avoir renouvelé
Pexemple des mauvaiſes moeurs dont fon
oncle avoit ceffé , dans fes dernières années ;
de donner le fcandale à la Nation , fut du
moins pur de toutes déprédations de finances.
Son patrimoine fuffifoit à fes on
gies, à fon goût pour les Beaux-Arts , moins
funeftes fans doute que les voluptés délicates
& pompeufes de Louis , & fur tout
que cette manie des bârimens , qui , vou
lant affeoir Verfailles fur la fange mobile
d'un marais , fut forcée de donner une
bafe d'or à cette lourde maffe , prête att
jourd'hui à tomber en ruines. Soyons doné
juftes , & fans excufer les vices de Philippe,
ne lui imputons point des fautes qui ne
font pas les fiennes. Convenons que quand
bien même la mort eût épargné la nomat
breufe poftérité de Louis XIV , quel qu'eût
été le Prince qui lui eût fuccédé , cût- il
retracé les moeurs pures & l'économie de
Louis IX , il n'en feroit pas moins arrivé
dans les finances une révolution à peu près
1
DE FRANCE. 37
femblable , & qui , dérivant des mêmes
caules , auroit en les mêmes effets . La fource
du mal étoit dans l'ignorance ou l'oubli des
vrais principes politiques , dans ce defpor
tifme injurieux aux hommes , attentatoire
à leurs droits facrés , qui , transformant la
Cour en un Divan , livroit les Peuples aux
caprices du Sultan , & plus fouvent encore
à ceux de ſon Vifir , del porifme moins fanguinaire
, mais plus oppie lif que celui de
POrient , dont les coups ne tombent guère
que fur des têtes élevées, au lieu qu ici les
Grands s'identifiant avec le Chef , étoient
comme lui hors des atteintes de la Loi
top foible pour les punir , trop feible aufli
pour défendre contre eux les objets de leur
haine ou de leur cupidité , d'où réfultoit le
pire des Gouvernemens , la tyrannie d'une
nombreufe Arifocratie héréditaire , exercée
au nom d'an Monarque envionné de
Courtifans qui , prefiés en foule autour de
lui , déroboient à fes yeux & à fes oreilles
les vexations les plus odicnfes , & les réclamations
qu'elles excitoient. Quelquefo's
la vérité perçoit les Rois voyoient les
abus , ils en gémiffoient , ils faifoient des
voeux ftériles pour un meilleur ordre de
chofes ; mais , faute de lumières , de courage
, ou même de, force pour le ramener ,
ils alloient fe confoler dans les b
Maîtreffe , ou perdre au milieu d
bruyans de la chaffe le fouvenir །
d'une
laifirs
max
qu'ils jugeoient imoutables . Ainfi s'elt paflée
* 2
38 MERCURI
la vie de Louis le bien - aimé , de ce Prince
fait pour être un Particulier honnête &
aimable , de ce Prince en qui une Nation
généreufe a récompenfé du nom le plus
touchant , le feul défir du bien. Mais ce
bien qu'il défiroit , quelle puiffance pourra
le réaliſer ?
C'eft la volonté collective de la Nation
affemblée par fés Reprefentans , & qui
forte de la force phyfique & morale de tous
ou du plus grand nombre , peut feule Paccomplir.
Mais cette même force qui peut
tout édifier , peut tout détruire , fi elle n'eft
fageffe égale qui
en dirige l'action . Des fecouffes convulfives
dans toutes les parties de P'Etat , un grand
bien déjà fait , un plus grand encore à faire,
justifient nos craintes , notre efpoir & nos
centre-balancée
par u
voeux .
Cette efpèce de digreffion n'eft point
fi étrangère à notre objet , qu'elle pourroit le
paroître au premier abord. Nous avions
prouver que le Livre que nous allons faire
connoître plus particulièrement par des er
tacions , eft aufli utile qu'intereffant . Nous
n'avons pas cru pouvoir mieux le démontrer
, qu'en expofant les idées qu'il nous a
fait naître . On conviendra du moins qu'elles
font d'un bon citoyen ; or rout Livre qel
fait penfer ainfi , eft utile fur tout dans les
circonftances préfentes. Ceux même qui ne
chercheraient que du plaifir dans la lecture
de ces Mémoires font fûrs d'y en trouver
& beaucoup.
A
>
DE FRANCE.
Le ftyle de M. de Saint -Simon , fouvent incorrect
, quelquefois un peu obfcur , eft
toujours vif , piquant , énergique ; les tournures
font neuves & hardies : s'il s'eft permis
de créer des mots , on doit lui en favoir
gré , car il eft rare qu'ils ne foient pas
heureux.
Ce n'eft jamais par affectation ; il obéit
au befoin de rendre fa penfée d'une manière
plus rapide. Il a quelquefois le ton dédaigneux
, il montre même de l'humeur ; mais
on fe met à fa place , on fent qu'il ne pouvoit
voir de fang froid les chofes monftrueufes
dont il nous trace l'hiftoire &
l'on aime à trouver en lui
2
Ces haines vigoureufes
Que doit donner le vice aux ames vertueuſes . 27
Son talent marqué , c'eft celui des
portraits ; il les fait de main de Maître.
Habile à peindre , il eft moins à raifonner
, la difcuffion ne lui va pas. Des images
vives , des traits brillans , de la franchife
mais âpre & brufque , voilà notre Auteur.
Un peu trop entiché des préjugés de fon
fiècle fur la Nobleffe , il a fu fe défendre
de ceux du fanatifme ; il blâme , il détefte
la révocation de l'Edit de Nantes , & les
Dragonades des Cevennes. Plufieurs notes
fort bien faites d'an Editeur inconnu , eorrigent
quelques inexactitudes & redreffent
quelques jugemens hafardés de M. de Saint-
Simon , qui dit très-bien les vérités de fes
37
40
MERCURE
19
amis & encore mieux celles de fes ennemis.
Sentiment patriotique de M. le Duc de
Bourgogne ".
iai
» Je dois rappeler ici un grand mot, un
mot d'un Prince pénétré qu'un Roi eft fait
pour les Sujets & non fes Sujets pour
comme il ne fe contraignoit pas de le dire en
public & jufque dans le Sallon de Marly ,
un mot enfin du Père de la Patrie ; mais un
mot qui hors de fon règne , que Dieu n'a
pas permis, ferait le plus affreux blafphême «.
M. de Saint - Simon a bien fait de nous
conferver ce mot . Mais il eft étrange qu'une
vécité aufli triviale lui paroiffe un grand
mot dans une bouche , & un blafpheme
dans une autre.
der
Louis XIV ne négligeait rien pour
être informé de ce qui fe paffoit par-tour ,
dans les lieux publics , dans les maifons particulières
, dans commerce du monde
dans les fecrets des familles & des liaifons.
Les Rapporteurs étoient infinis , il en avoit
de toute efpèce...... Ce fut à fon défir
d'être inftruit , que les fonctions de Lieutenant
de Police furent redevables de leur
établiffement; elles allèrent toujours depuis
en croiffant. Ces Officiers ont tous été fous
lui plus craints , plus m'nagés , auffi confidérés
que les Miniftres ; & il n'y avoit
perfonne en France fans excepter les
Princes du Sang , qui n'eût intérêt de les mé
nager , & qui ne le fit.
Après ce tableau de la cusiofié inquffDE
FRANCE. 41
toriale de Louis , vient fa manie des bâtimens.
Rien jufqu'à lui n'a approché du
nombre & de la magnificence de les équipages
de chaffe , & de toutes fes autres fortes
d'équipages. Ses bâtimens , qui pourroit les
nombrer ? En même temps qui n'en déplorera
pas le caprice & le mauvais goût ?
il abandonna Saint Germain , & ne fit jamais
pour Paris ni en ornement rien commodité
, fi ce n'eft le Port Royal , conftruir
par pure néceffité ; & c'eft en quoi , avec
fon incomparable étendue , Paris eft fi inférieur
à tant de vilies dans toutes les parties
de l'Europe.
Lorfqu'on fit la place de Vendôme , elle
étoit carrée ; M. de Louvois en vit les
quatre paremens bâcis. Son deffein étoit d'y
placer la bibliothèque du Roi , les médailles,
le balancier , toutes les Académies & le
Grand-Confeil . Le premier foin du Roi , le
jour de la mort de Louvois , fut d'arrêter ce
travail , & de donner des ordres pour faire
couper àpans les angles de la place , en la diminuant
d'autant , de n'y placer rien de
ce qui y étoit deftiné , & de n'y faire que
des maifons ainfi qu'on ' la voit .
M. de Saint- Simón blâme enfuite Louis
XIV de n'avoir pas fixé fon féjour à Saint-
Germain , qu'il nomme , avec railon , un
endroit charmant , & s'écrie : » Erfro une
ville toute faite , & que la pofition entretenoit
par elle mine , il l'abandonna
» pour Vertailles , le plus trifte & le plus
12
C
42 MERCURE
"
1 ingrat de tous les lieux ; fans vue , fans
bois , fans caux , fans terre , parce que
» tout y eft fable mouvant ou marécage ,
fans air , par confequent , qui s'y peut
être bon. Il fe plut à tyranoner la Na-
" ture , à la dompter à force d'art & de
» trẻfors. Il y bâtir lun après l'autre fans
» deffein général ; le beau &´le vilam fu-
» rent confondus enſemble , & le valte fut
» joint à l'étranglé .. La violence
» qui y a été faite par tour à la Nature ,
repouife & dégoûte malgré foi. L'abon-
" dance des eaux forcées & ramaffées de
" toutes parts , les rend vertes , épaifes &
" bourbeufes ; elles répandent une homi-
"
H
"
∞
dité mal- faine & nuifible une odeur
» qui l'eft encore plus : leurs, cffers , qu'il
faut pourtant beaucoup ménager, font in
comparables ; mais de ce tout il réfulte
» qu'on admire & qu'on frémit ..... On
ne finiroit pas fur les défauts monftrueux he
d'un palais fi immenfe & fi immenfé
» ment cher ....... Encore ce Verfailles
» de Louis , ce chef- d'oeuvre fi ruineux &
» de fi mauvais goût , & où les changemens
entiers des Baffins & des Bofquets
» ont enterré tant d'or qui ne peut paroî-
» tre , n'ai pu être achevé « !
n
M. de Saint - Simon , après avoir déploré
la ruine de l'Infanterie Françoife , facrifiée
par Louvois à détourner la rivière d'Eure,
entre Chartres & Maintenon , pour la faire
venir toute emière à Verſailles ; travaux
DE FRANCE. 43
>>
que la guerre interrompit en 1688 , fans
qu'ils aient été repris depuis , termine
l'effrayant tableau de ces inutiles dépenfes
par ce dernier trait : C'eft peu de dire
que Verfailles , tel qu'on l'a vu , n'a pas
» couté autant que Maily ; que fi on y
» ajoute les dépenfes de ces continuels
» voyages , qui devinrent enfin au moins
» égaux aux féjours de Verſailles , fouvent
plus nombreux, & tout à la fin de la vie
» du Roi le féjour le plus ordinaire , on
» ne dira pas trop fur Marly feul, en comp-
» tant par milliars «.
"
Auffi n'eft- on plus étonné de trouver le
paffage fuivant au fujet de fa mort. » Paris,
las d'une dépendance qui l'avoit tant affujetti
, refpira dans l'efpoir de quelque liberté
, & dans la joie de voir finir l'autorité
de tant de gens qui en abufoient. Le
Peuple ruiné , accablé , défefpéré , parut
fentir cette mort comme une délivrance «.
Nous avons vanté le talent de M. de
Saint-Simon pour les portraits ; nous pourrions
juftifier cet éloge par une foule d'exemples
: nous nous contenterons de citer
le portrait de Catinat.
On a fi fouvent parlé du Maréchal de
Catinat , de fa vertu , de fa fagcffe , de fa
modeftie , de fon défintéreffement , de la
fupériorité fi rare de fes fentimens , de fes
grandes parties de Capitaine , qu'il ne me
refte plus qu'à parler de fa mort dans un
âge très avancé , fans avoir été malade ,
44
MERCURE
"
la
ni avoir acquis aucune richeffe dans la
petite maifon de Saint- Gratien , près Saint-
Denis , où il s'étoit retiré , d'où il ne fortoit
plus depuis quelques années , & où il
ne vouloit prefque plus recevoir perfonne.
I!
Il y rappela par fa fimplicité , par fa
frugalité , par le mépris du monde , par
paix de fon ame & l'uniformité de fa
conduite , le fouvenir de ces grands Hommes
qui , après les triomphes les mieux
mérités , retournoient tranquillement à leur
charrue , toujours amoureux de leur Parrie,
& peu fenfibles à l'ingratitude de Rome ,
qu'ils avoient fi bien fervie. Catinat mit
fa philofophie à profit par une grande
piété , il avoit de l'efprit , un grand fens,
une réflexion mûre ; il n'oublia jamais fon
origine ; fes habits , fes équipages & fes
meubles , ſa maiſon , tout étoit de la dernière
fimplicité ; fon air l'étoit auſſi ,
tout fon maintien.
&
» Il étoit gmad , brun , maigre , un air
penfif & affez lent , affez bas , de beaux
yeux & fort fpirituels ; il déploroit les
fautes fignalées qu'il voyoit fe fuccéder
fans ceffe , l'extinction de toute émulation,
le luxe , le vide , l'ignorance , la confulion
des étars , l'Inquifition mife à la place de
la Police. Il voyoit tous les lignes de deftruction
; & il difoit qu'il n'y avoit qu'un
comble très-dangereux de défore qui pûc
enfin rappeler l'ordre dans le Royaume «.
T15
DE FRANCE.
45-
Vol.
Les Dangers de la Coquette rie. 2
in- 12 . Prix , 2 liv, 8f. br. & liv. francs
de port par la Pofte. A Paris , chez
Buition, Libr. hôtel de Coëtlofquet , rue
Haute - feuille.
LES incidens ne furchargent point ce Roman.
Les couleurs ne font point forcées ,
il ya des traits de noirceur dans l'intrigue ;
mais il n'y a jamais unftyle noir , point d'exclamations
, point de déclamarions . L'Auteur
peint dans une narration les moeurs
du jour , & des perfonnages dont les caractères
fe marquent fans tours de force.
Nulle prétention dans le ftyle , nul ornement
parafire ; un évènement fuit l'autre
par un ordre fimple & naturel . L'intérêt a
certe mefure foutenue qu'il doit avoir , il
ne produit ni furpriſes ni fecouifes.
M. d'Herfilie eft trop aimé de fa femme.
Il veut s'en féparer parce qu'elle exige qu'il
ne la quitte point ; il craint le ridicule , & a
le projet de l'envoyer en Auvergne . Le Chevalier
d'Erneft , ami fage , le détermine à
la laiffer au milieu de fa famille dans une.
terre. La Marquife d'Herfilic , réfignée à tout,
avec beaucoup de douceur , jouit dans fa
retraite du calme que donne la veru . Elle
regrette , elle chérit fon mari ; mais l'Auteur
ne la fait ni crier ni pleurer.
1
46
MERCURE
La Baronne de Cotyto eft unejolie ferame ,
vive,coquette,& par conféquent dangereufe:
c'eft fur elle que roule tout le pivot de
l'intrigue . Ell eft amie de la Marquife d'Herfilie
, & lui enlève fon mari ; elle enlève à !
Madame de Singa, qui avoit de l'amitié pour
elle , fon Aman ; elle fait battre fon mari
avec un de ſes Adorateurs , elle fe ruine ,
elle donne des fcènes fcandaleuſes , & ne
fe conduit pas mieux à Paris , que dans
la province & aux caux de Plombières.
Elle décide le Marquis d'Herfilie qui l'y
avoit fuivie , à fe faire inoculer , pour lui
plaire. Il eft en danger de mort. La Marquife
en eft inftruite par le vertueux Chevalier
d'Erneft ; elle accourt , & elle a le
bonheur de le voir revenir à la vie , & de reprendre
tous fes droits fur lui.
Madame de Coryto abandonnée , mépti
fée , eft enfin enfermée par un ordre follicité
par la famille . La tendre Madame
Singa , intéreffante , fi douce , pardonne à
fon Amant ; la Marquife d'Herfilie jouir
d'un bonheur inaltérable , & la fin de la
lecture de ce Roman laiile les idées calmes
& fraîches qu'infpirent les tableaux de la
vertu récompenſée .
L'Auteur eft une Dame qui certainement
mérite d'être confidérée , & de tenir une
place parmi celles qui ont cultivé les Lettres
avec une forte de fuccès.
DE FRANCE.
ANNONCES ET NOTICES.
UTILITE de régler la théorie de l'Impôt par des
Loix confi tutionnelles . Brochure de 24 pages. A
Paris , chez Froullé , Lb. quai des Auguftins.
Le but de cette Brochure cftimable eſt de profcrire
l'Impôt unique , mais en donnant des bornes
asia diverfité des Impôts.
Bibliothèque Univerfelle des Dames . A Paris ,
rue & hôtel Serpente.
13e . Volume des Voyages , & 2c, de l'Arithmétique.
Hiftoiresfabuleufes , definées à l'inftruction des
Enfans dans ce qui regarde leur conduite envers
les animaux ; traduites de l'Anglois de Miftrifl
Sara Trimmer , fur la feconde édition ; par M.
D... D ... S... G... 2 Vol . in 12. Se trouve à Paris ,
chez Barrois le jeune , Lib. quai des Auguftins 3:
& chez Broulhier , à Toulouſe .
L'Ouvrage original des Hiftoires fabulenfes a
été juftement accueilli ; la Traduction mérite des
éloges , & l'on doit favoin gré à l'Auteur d'avoir
fait paffer dans notre Langue un Livre qui , par
fon objet , doit intéreffer les ames honnêtes &
fenfibles , puifque c'eft un petit Cours de bienveillance
univerfelle mis à la portée de l'enfance.
Taxe perfonnelle & unique , & fuppreffion générale
de tous Impôts. Brochure in- 8 ° . de 43 p.
A Paris , chez les Marchands de Nouveautés.
Supplément au même Ouvrage , de 6 pages , par
M. le Chevalier de Champalier , Ecayer.
MERCURE DE FRANCE.
Confidérationsfur l'Efprit & les Maurs. Seconde
édition , revue , corrigée & augmentée. 1 Volume
in -s . A Londres ; & fe trouve à Paris , chez
Prault , Imp. du Roi , quai des Auguſtins ; & chez
les Marchands de Nouveautés.
Cet Ouvrage eft d'un hom ne de beaucoup d'ef
prit , d'un bon obfervateur , qui connoît le coeur
humain & la Société ; & nous croyons qu'il occupera
unc place diftinguée dans nos Bibliothèques.
Des droits & des devoirs dans les circonftances
préfentes , avec un Jugement impartial fur l'Ouvrage
de M. l'Abbé de Mably ; par un Citoyen ,
ami des trois Ordres , Auteur de l'Etat des perfoenes
en France fous les deux premières Races
de nos Rois , & c. Brochure in-8 °. de 80 pages.
A Paris , chez les Marchands de Nouveautés.
Corre Brochure mérite d'etre diftinguće.
Nouvelle Carte de France , préfentée au Roi &
aux Etats Généraux , feryant à l'intelligence des
Mémoires hiftoriques qui traitent des Etats- Généraux
, & dans laquelle font comparés ceux de
1614 & 1789 , avec des Eclairciffemens , par M.
Brion de la Tour , Ingénieur- Géographe du Roi.
Prix , ; liv. A Paris , chez l'Auteur , rue du Plâtre
Saint-Jacques , Nº. 395 Cuffae , Lib. au Palais-
Royal ; & à Verfailles , chez Blaifot , Libraire ordinaire
du Roi & de la Reine , rue Satory.
E
3
PITRE.
TABL E.
Gharane, Enig. & Lóg.
Mémoires.
7
25 Les Dangers.
32 Annonces & Norices.
341
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
POLOGNE.
De Varsovie , le 17 août.
DANS la dernière Séance de la semaine
précédente , les Etats avoient à-peu-près
accordé aux Munitionnaires de l'Ukraine
Polonoise , qui ont fait des contrats avec
les Russes , de transporter leurs vivres
aux magasins de l'armée de Moldavie ;
mais lundi , on revint sur cette délibération
importante , pour limiter la
durée de cette exportation.
Quelques Membres de la Diète proposérent
de fixer ce terme à six semaines ; d'autres
soutenoient la nécessité indispensable
d'interdire toute exportation de vivres hors
des frontières de cette partie de la République.
Les motifs allégués par ces derniers portoient
sur le danger auquel on seroit exposé , en
permettant une communication directe entre
nos Habitars et ceux d'une contrée que la
peste ravagea toujours pendant la guerre ; sur
N°. 37. 12 Septembre 1789. E
( 98 )
le risque de voir nos Paysans massacrés par
les Turcs , si dans ce trajet ils tomboient
entre leurs mains ; enfin , sur ce qu'on agiroit
contre le systême de neutralité adoté par
la République , d'approvisionner les camps
Russes , tandis qu'on n'en peut faire autant
pour les Turcs , anciens amis et alliés naturels
de la Pologne , religieux Observateurs
des traités , et qui , dans la guerre présente ,
ont respecté les frontières de la République ,
lors même qu'elles servoient de rempart à
l'armée et aux magasins des Russes .
Le Prince Sapieha , Maréchal de la Diète
de Lithuanie , fit un tableau frappant de tous
les maux qui ont affligé la République , et
dont la Russie a été la cause. Il exposa combienil
seroit dangereux d'envoyer les Paysans
de l'Ukraine sur des terres étrangères , d'où
ils pourroient revenir animés d'un nouvel esprit
de sédition , faire renaître dans le coeur de
leurs Concitoyens , des dispositions à une ré- *
volte déja commencée cette année , et dont
les progrès ont été heureusement arrêtés ; il
ajouta , qu'il étoit également à craindre que ,
ces mêmes Paysans se trouvant dans les camps
Russes , alors qu'ils seroient attaqués par les
Turcs , les premiers ne se servissent d'eux pour
les opposer à leurs ennemis , et ne les fissent
périr victimes de l'imprévoyance du Gouvernement
, comine de la cupidité de leurs
Propriétaires , ainsi qu'il arriva dans la précédente
guerre , où six mille Paysans Polonois
, qui conduisoient des vivres à l'armée
des Russes , furent employés par ceux - ci à
leur défense , et massacrés par les Turcs.
L'appât du gain , continua ce zélé Patriote ,
seroit - il donc suffisant pour éloigner l'idée
des suites fâcheuses qu'il pourroit entraîner ?
( 99 )
1
A peine le Maréchal de Lithuanie
eut-il fini son discours , qu'un grand
nombre de Nonces demandèrent que la
Députation nommée pour examiner les
personnes accusées d'avoir suscité une
rébellion dans le pays , communiquât à
la Chambre l'instruction de leur procès ;
mais elle allégua que ce travail n'étoit
pas suffisamment avancé .
La décision de cette affaire ayant été
renvoyée au lendemain , ce jour-là , 11 ,
les raisons contre l'exportation des vivres
à l'armée Russe prévalurent généralement
, et donnèrent lieu à l'Arrêté que
Voici :
" La Diète fera publier un Universal, portant
défense de faire de nouveaux contrats
avec les Russes ; quant à ceux qui existent
maintenant , ils n'auront de valeur que jusqu'au
premier de Septembre seulement ; et
pour obvier aux inconvéniens qui pourroient
résulter de transports trop nombreux , l'on
a statué que le passage hors des frontières
ne sera accordé que pour cent chariots à-lafois
, dont le retour dans le pays , tant pour
les hommes que pour les équipages , doit
être garanti par le Prince Potemkin. Les envois
se feront successivement de la même
manière , en observant cependant de ne permettre
la sortie de cent autres chariots , que
lorsque les premiers seront rentrés en Pologne.
»
Cet Universal fut cependant révoqué
dans la Séance de Jeudi 13 , d'après la
lecture d'un Rapport envoyé à la Com-
E ij
386044
( 100 )
mission de guerre par le ( and-Maître
d'Artillerie, Comte Potocki. Il annonçoit
qu'un Corps de Tartares , entrés dans
P'Ukraine Russe , venoient d'en brûler
plusieurs villages , ainsi que les convois
trouvés sur la route , et massacré une
grande partie des habitans . Cependant ,
quoique ce Corps eût presque touché nos
frontières , il les avoit inviolablement
respectées. Cette nouvelle ne permettoit
plus le transport des vivres sur le théâtre
de la Guerre , et la Diète se borna' à
ordonner que les frontières fussent soigneusement
garnies .
La fin de la Séance , et la suivante
eurent pour objet l'organisation militaire,
dont toutes les parties se règlent et se
perfectionnent rapidement .
On sait aujourd'hui , par des lettres authentiques
de Constantinople , du 10
juillet , que Selim III a solennellement
confirmé le Traité d'alliance et de subside
, conclu sous le dernier règne entre
la Suède et la Porte Ottomane.
L'Envoyé de Prusse a remis au Roi , au
nom de Sa Majesté Prussienne , une Médaille
d'or , frappée à Berlin , qui représente , d'un
côté , le Génie de la Pologne tenant un glaive
avec la Légende : Proprio mario tuta ;
et l'Exergue : Aucto exercitu 1789 ; de l'auure
, le buste du Roi Jean Sobieski , avec la
Légende : Prisca virtute felix ; et l'Exergue :
Concordia Comitiorum convocatorum 1788,
2
Deux Médailles d'argent aux mêmes em(
101 )
preintes ont été remises aux deux Maréchaux
de la Diète.
"
Il a été conclu entre la Cour de Berlin
et la République , une Convention provisoire
, par laquelle toutes les marchandises
ou productions de la Pologne entreront
dans les ports de Koenigsberg
de Memel et d'Elbing , sans être visitées
ni payer de droits La même franchise
aura lieu pour les marchandises étrangères
, qui , de ces trois ports , passeront
en Pologne . Cette convention aura son
effet pour 3 ans , pendant lesquels on
conclura un Traité positif de commerce
entre les deux Etats : elle porte un
nouveau coup au trafic de la ville de
Dantzick.
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 24 août.
Suivant les derniers avis de la Finlande ,
le Roi de Suède avoit établi son quartiergénéral
à Kymenegard , entre deux bras
de l'embouchure de la rivière de ce
nom . D'un côté , ce camp est défendu
par le poste de Sutula , et de l'autre
par celui de Hogfors ; l'un et l'autre
très-bien fortifiés. Dans cette position ,
le Roi attend les nouvelles troupes
qui sont passées en Finlande . La première
division de 3,000 hommes avoit
déjà débarqué à Ekenæs ; la seconde
étoit en vue des côtes .
E iij
( 162 )
crone ;
L'escadre Suédoise est encore à Carls
celle des Russes a quitté sa première
position à la hauteur de Gotland .
-Le Conseil de guerre institué pour examiner
la conduite du Vice-Amiral Liliehorn,
est composé de l'Amiral Wrangel,
Président ; du Colonel Modée, et
des Lieutenans - Colonels Ruke Hissingskoed
et Armun. Le Duc de
Sudermanie a donné le commandement
de l'avant -garde au Colonel Eneskold.
On a envoyé un détachement de 300
hommes à Carsham , et à Calmiar quelquesescadrons
de Hussards . Le Général de
Hermanson est désigné pour le commandement
général dans la Scanie , et
le Général Toll au gouvernement de
Carlscrone .
De Vienne le 24 août.
Le rétablissement de l'Empereur se
soutient , et tous les symptômes de sa
maladie ont discontinué . S. M. a même
soutenu , sans fièvre et sans accident
quelconque , l'opération d'une fistule à
Panus , dont il étoit incommodé depuis
un certain temps .
Le Maréchal de Laudhon se trouvoit à
Semlin le 14 ; le 17 , il eut une entrevue
avec le Maréchal de Haddick qu'il remplace
, et ce même jour il se mit en
route pour Weiskirchen . La grande armée
, ainsi que nous l'avons dit précédemment
, sera sous ses ordres , et servira
103 )
soit à couvrir le Bannat , soft à protéger
le siége de Belgrade , dont on s'entretient
encore. Il est du moins certain que toutes
les dispositions annoncent une grande entreprise
en Servie . Une partie de l'armée
de Croatie est en marche, et gagne Semlin
, dont les troupes se rapprochent du
Danube : on répare , avec activité , les
redoutes et autres ouvrages extérieurs ;
enfin , la grosse Artillerie d'Esseck et
de Péterwaradin , est arrivée sur ce point
central . On ignore encore les mouvemens
qu'opposeront le Grand Visir -
et son armée , à ceux qui menacent
Belgrade et la Servie. Jusqu'ici , les Turcs
ne s'occupent que du Bannat , où ils
sont entrés de nouveau dans la vallée ,
de Schupaneck , mais sans occuper Mehadia.
Un de leurs Séraskiers est près
d'Orsova avec un Corps de 20,000 .
hommes. Le Major Général de Vetsey
s'est avancé à Ruska , et le Général Clairfait
a établi son camp près de Fenisch .
-
"
La victoire du Prince de Cobourg nous pro-.
cure plusieurs grands avantages . D'un côté ,
toutes les parties conquises de la Moldavie
sont aujourd'hui entièrement couvertes , et
de l'autre , la Transylvanie est mieux assurée .
La Wallachie est ouverte à nos troupes , et
le Maréchal de Laudhon peut , sans obstacle ,
suivre son plan pour la protection du Bannat
et l'attaque de la Servie .
On vient de recevoir ici la nouvelle que
l'Ex - Grand- Visir a été étranglé dans le lieu de
son exil, et sa tête envoyée à Constantinople.
E is
( 104 )
De Francfort sur le Mein , le 31 août.
La révolution de Liège se soutenoit
sans trouble , la tranquillité publique
étoit maintenue , les nouveaux Magistrats
paisibles possesseurs de leur autorité
, le peuple satisfait de la réforme
projetée dans la forme des Elections ,
et dans celle des Etats , lorsqu'on a appris
le départ inopiné du Prince- Evêque. Il
a pris congé du Conseil de la ville par
une dépêche en ces termes :
« Laprochaine journée d'Etats pouvant être
très-tumultueuse , et de nature à nuire à ma
santé , que je ne désire de conserver que pour
le bien- être de ma Nation , j'ai jugé convenable
de m'éloigner , pour quelque temps , de
ma Capitale. »
« J'assure la Nation , que je chéris , que
ce n'est nullement dans le dessein de solliciter
aucun secours étranger , ni dans l'intention
de porter aucune plainte à Sa Majesté
Impériale , ni à la Diéte , ni aux suprêmes
Tribunaux de l'Empire . De plus , je n'ai donné
aucne commission à qui que ce soit de por
ter la moindre plainte , et je désavoue , à la ,
face de l'univers , toutes celles qui , peut- être ,
dans les circonstances présentes , pourroient
être portées en mon nom , n'ayant donné
pareille commission à qui que ce soit , ni n'en
ayant manifesté le désir. »
« J'exhorte la Nation de délibérer avec
calme et modération sur les changemens uti- ,
les et nécessaires , dont on jugeroit la Constitu
tion susceptible , de respecter les propriétés ,
et de n'exercer aucun genre de vengeance com- ›
tre qui que ce soit . »
( 105 )
Je ferai parvenir la connoissance du licu
où je resterai , pour qu'on puisse m'instruire
des résolutions qui se prendront.
»
« Je recommande , avec ferveur , toute la
Nation à la Divine Providence , pour qu'elle
daigne l'éclairer , lui donner l'esprit de paix ,
de concorde , et que l'ouvrage qu'elle destine
d'entreprendre , soit celui qui assure la
tranquillité et la félicité des races futures . Fait
a Seraing , le 26 Août 1789. »
Signé , CONSTANTIN - FRANÇOIs , Evêque
et Prince de Liége . »
Ce départ laisse des inquiétudes ; ce
qui les augmente , c'est que le nouveau
Corps Municipal ayant promulgué la
continuation des impôts , le Peuple s'est
soulevé , et a dit , bayonnette en main :
Point d'impôts , ou point de Corps
Municipal . » Celui- ci a obéi , et on
ne perçoit plus d'impôts à Liège .
«
D'un autre côté , on apprend que l'ancienne
faction abattue à Aix- la - Chapelle ,
par l'intervention des Tribunaux du
Corps Germanique, se relève, eta arboré
la Cocarde bleue et jaune . Le même esprit
de soulèvement a gagné quelques Districts
des bords du Rhin , opposés à
Strasbourg : les Sujets des Bailliages de
Wildstædt et de Lichtenau , appartenant
au Landgrave de Hesse-Darmstadt , ont
chassé les Employés du Prince , et dévasté
leurs maisons . Ces mouvemens
paroissent donner lieu à des mesures
de la part du Corps Germanique , et le
bruit se répand que 40,000 Prussiens
Ev
( 106 )
vont se joindre aux troupes de l'Empire,
pour former un cordon sur les frontières.
de France.
A cette nouvelle qui s'accrédite , se
joint celle de 25000 hommes détachés
de la Bohême et de la Moravie pour
gagner les Pays -Bas
Le Roi de Prusse est parti , le 15 ,
pour la Silésie , où il a été précédé par
le Prince- Royal .
La descente des Turcs en Criméé se
confirme , ainsi que les hostilités des
Tartares du Couban contre les Russes ;
mais l'on ne sait rien encore de certain
des opérations des escadres dans la mer
Noire .
GRANDE- BRETAGNE.
De Londres , le 2 septembre.
LL. MM. ont quitté Plymouth , et
sont de retour à Weymouth , depuis le
28 du mois dernier . Avant son départ
du premier de ces ports , le Roi fit
distribuer deux mille livres sterlings ,
réparties entre les Ouvriers du chantier
, du parc d'Artillerie , des magasins
de vivres , et les équipages des barques
qui ont porté la Famille Royale , durant
ses courses , dans le canal. L'Ambassadeur
d'Espagne s'est rendu auprès
du Roi à Plymouth , et a eu une audience
secrète qu'on dit relative à des
affaires importantes.
( 107 ) On annonce de nouveau la retraite
du Duc de Leeds , Ministre des Affaires
Etrangères ; on croit même qu'il a déja
formellement donné sa démission , et
qu'il sera remplacé par Milord Haw
kesbury , dont l'habileté , l'expérience
et les grandes lumières sont suffisamment
connues .
Le Général Schlieffen , ancien Ministre
de la guerre à Cassel , aujourd'hui
rentré au service de Prusse , et
Gouverneur de Vesel , est ici depuis
trois semaines , chargé d'une mission
secrète qui donne lieu à nombre de
conjectures. Il est certain qu'il se traite
en ce moment des objets sérieux entre
différentes Cours. Avant de passer à
Londres , le Général Schlieffen a séjourné
quelque temps à la Haye.
On a remarqué depuis quinze jours des
préparatifs extraordinaires dans quelques-
uns de nos chantiers , et quelques
nouveaux vaisseaux mis en Commission.
Il ne paroît pas , néanmoins , qu'on en
augure rien de menaçant , car les fonds
publics continuent à hausser journellement.
Nos papiers Publics regorgent de paragraphes
et de réflexions fort étranges sur ,
la crise de la France , et sur la conduite
des affaires publiques de ce royaume.
Les passer sous silence , c'est en indiquer
la nature . Ils étonneroient bien
ceux qui , en France , préjugent Topi- i
E vj
( 108 )
nion publique de l'Angleterre sur les
mémorables évènemens qui occupent
la scène de l'autre côté de la Manche .
La frégate le Solebay , de 32 canons , vient
de venir des isles , et a ramené en Angleterre
le Gouverneur de la Dominique et sa suite.
Le Commodore Gardner est arrivé , le 24 ,
à Portsmouth , à bord de l'Europa , de 50 canons
, et à laissé le commandement de l'escadre
de la Jamaique à l'Amiral Affleck; la frégate
P'Expédition , de 44 canons , est rentrée avec
l'Europa . Milord Effingham , nouvellement
nommé au Gouvernement de la Jamaïque
va s'embarquer sur la première frégate qui
fera voile pour cette isle.
FRANCE.
De Versailles , le 9 Septembre.
ASSEMBLÉE NATIONALE.
,
Avant de paffer au rapport des Séances de la
femaine dernière , rous devons dire que le 29 ,.
au foir , l'Affemblée ayant repris la d fcuffion de
l'Arrêté fur le commerce des grains , propofé la
veille par le Comité des fubfiftances , cette Délibération
produifit le Décret fuivant :
L'Affemblée Nationale a décrété , 1º . que la
vente & la circulation des grains & farines ferónt
libres dans toute l'étendue du Royaume ;
2º. que cette qui feront tranfporter des grains &
farines par mer feront tenus de faire leur déclaration
exacte , pardevant les Municipalités , des
Pieux dudépart & du déchargement , & de jufti ,
( 109 )
her de leur arrivée & de leur déchargement aux
lieux de leur deftination , par un certificat des
Mucipalités des lieux ; 3 ° . que l'exportation à
l'Étranger eft & demeurera provifoirement dé
fendue.
Les Députés de Saint-Domingue ont réclamé ,
à cette occafion , la libre exportation des farines
étrangères dans leur Colonie , liberté que lui avoit
accordée une ordonnance de M. du Chilleau , depuis
révoquée par un Arrêt du Confeil. On a
furfis à toute décifion , jufqu à ce que l'Affemblée
fût inftruite des motifs qui avoient déterminé
cette révocation .
DIX - HUITIEME SEMAINE DE
LA SESSION.
On n'envisage pas sans terreur , les
questions agitées cette semaine dans
l'Assemblée . De leur décision dépendront
peut- être le sort de l'Etat , celui des Lois
nouvelles par lesquelles il doit être gouverné
, l'affermissement ou la chute de
la liberté , la sureté publique au dedans
et au dehors , et la considération nécessaire
à une grande Monarchie .
La presque unanimité des Cahiers
avoient consacré la Sanction Royale ,
sans la définir. Tant que ce pouvoir dé- ,
fensif du Gouvernement n'a été connu
que sous cette dénomination , il rencontroit
peu d'antagonistes : il s'en est élevé
de toutes parts , lorsqu'on l'a présenté
sous le titre , assez impropre , de veto . Il v
seroit en ce moment souverainement
( 110 )
inutile d'opposer aucunes réflexions à
tout ce qu'on a avancé à cet égard : le
cri d'un grand nombre d'Orateurs et d'Ecrivains
du jour , a été que , le veto consacreroit
un despotisme illimité , et que
la volonté d'un seul ne pouvoit prévaloir
sur celle de 24 millions d'ames. Ces
arguméns sont au- dessus de tout examen .
Les Anglois ont donc jusqu'à ce jour
vécu sous le despotisme ? Cette découverte
les étonnera beaucoup . On a affirmé
dans les débats , et on a répété
dans plusieurs Journaux, que l'Angleterre .
avoit investi son Roi de la faculté d'empêcher
, dans des temps de barbarie et
de féodalité . L'année 1688 , un temps de
barbarie pour l'Angleterre ! un temps de
féodalité que celui du règne de Guillaume
I , sous lequel les droits féodaux
furent abolis !
On a encore affirmé que les Anglois ,
fatigués des gênes où le reto Royal
met tous leurs Bills , se repentoient de
leur complaisance . Il seroit difficile de
rappeler un seul de ces prétendus Bills
mis à la gêne ; car de mémoire d'homme ,
à peine se souvient-on d'un seul Acte
des deux Chambres , auquel le Roi ait
refusé sa sanction . Preuve irréfutable
de l'efficace des prérogatives , mutueliement
balancées, du Gouvernement et du
Pouvoir législatif.
Quant au repentir des Anglois , ils
l'ont tenu jusqu'ici profondément secret.
(m )
Ceux qui viennent de nous le révéler ,
auroient dû citer une seule Motion , un
seul Discours , une seule Pétition sortie
depuis cent ans , de la Chambre des
Communes ou du sein du Peuple , contre
Ja négative Royale. Parmi tant de Publicistes
éclairés , qui ont analysé et discuté
en Angleterre , et sous toutes ses
faces possibles , la Constitution politique
, en est - il un seul de quelque ré
putation , Whig ou Tory , qui ait exhorté
Je Parlement à se soustraire à la sano
tion de la Couronne ? Mille Ecrivains
ont attaqué l'influence de celle - ci , les
défectuosités de la Constitution , le vice
de la Représentation Parlementaire , les
Elections septennales , qui , dans le fait ,
n'ont été que de cinq ans , l'une dans
l'autre , depuis un demi- siècle : tous les
abus ont passé en revue ; l'autorité
Royale a été l'objet de diatribes trèsfréquentes
, dont l'énergie approchoit
quelquefois de la férocité , et l'on en
est encore , au- delà de la Manche , à
découvrir cette vérité , que la négative
royale est la consécration du despotisme
! Certainement , quelques Anglois
peuvent le penser quelques Anglois
pensent aussi qu'il faudroit rétablir la
République ; mais si l'un d'eux alloit
proposer dans les Communes , ou dans
les Assemblées provinciales des Comtés ,
de dépouiller le Roi de son droit de concourir
à la Législation , j'ose croire qu'il
( 112 )
feroit naître d'étranges sentimens dans
ses Auditeurs.
Nous ne nous chargeons pas de justifier
cette opinion publique ; nous la
rapportons , et l'on peut dire maintepant
, sur cette question politique , ce
qu'on a dit sur tant d'autres objets :
«
Et penitus toto, divisos orbe Britannos .
Le Roi d'Angleterre , dit J. J. Rous-
« seau, dans ses Lettres de la Montagne,
pag. 399 et 404 , revêtu par les Lois
d'une si grande puissance pour les pro-
« téger , n'en a point pour les enfreindre .
« Personne , en pareil cas , ne voudroit
lui obéir ; chacun craindroit pour sa
tête : les Ministres eux -mêmes la peuvent
perdre s'ils irritent le Parlement,
Outre cela , le droit négatif du Roi
« d'Angleterre est bien tempéré , premièrement
par la Loi , qui l'oblige de
« convoquer un nouveau Parlement au
<< bout d'un certain temps ; de plus , par
« sa propre nécessité , qui l'oblige à le
laisser presque toujours assemblé; enfin
<< par le droit négatif de la Chambre des
« Communes , qui en a vis-à - vis de lui-
« même , un non moins puissant que le
« sien. Elle est tempérée encore par la
pleine autorité que chacune des deux
Chambres a sur elle-même , soit pour
proposer, traiter, discuter , examiner
les Lois et toutes les matières de Gou
( 113 )
« vernement , soit pour connoître , dans
les Communes , des griefs publics et
<< des atteintes portées aux Lois ; dans la
« Chambre des Pairs , de toutes les ma-
« tières qui ont rapport aux crimes
d'Etat. Voilà quel est le droit négatif
du Roi d'Angleterre .
Si vos Magistrats , ajoutoit Rous-
« seau aux Représentans de Genève ,
<< n'en réclament qu'un pareil , je vous
<< conseille de ne le leur pas contester. »
-Presque toutes les Nations libres
avoient plus ou moins senti la nécessité
de placer la force conservatrice du Gouvernement
, moins dans son action que
dans sa résistance , en sorte qu'il pût
empêcher les entreprises , et non en former.
Les Athéniens , balottés par des
Démagogues et des Orateurs , les Athéniens
, qui en vinrent à ce point de démence
populaire , d'interdire , sous peine
de mort , d'appliquer aux besoins publics
les fonds destinés aux spectacles ,
ne sachant plus comment arrêter la fougue
de leur Législature , ni où placer un
veto firent cette Loi étrange , citée par
Eschine , en vertu de laquelle on pouvoit
accuser devant un Tribunal particulier,
et faire le Procès à l'Auteur d'une
Loi approuvée par le Peuple , si ce Tribunal
la jugeoit injuste ou dangereuse .
Les Républiques modernes , comme les
anciennes , nous offrent également un
tourment perpétuel sur l'assiette de cette.
( 114 )
force négative , qui , remise au Peuple ,.
abattoit tout , ou plongeoit l'Etat dans
l'anarchie ; qui, remise à tel ou tel Corps ,.
devenoit dangereuse , faute de contrepoids
. Au milieu de tant d'erreurs et de
variations , chacun avouoit la nécessité
de cette faculté d'empêcher les tentatives
des passions , et les usurpations du Corps
Législatif.
Depuis 1726 jusqu'en 1772 , les Suédois
en avoient privé leur Roi : aussi
fut- il dépouillé successivement de toutes
ses prérogatives , même de celle de choisir
les gens de sa maison , et d'être le simple
Greffier de la Diète . M. Sheridan , Répu
blicain ardent , mais sage , et éclairé par
l'expérience , observe dans son admirable
Histoire de la Révolution de Suède ,
qu'il eût été infiniment préférable de dé
truire la Royauté, à la conserver sans force
négative . Il faut lire dans cet Auteur , les
preuves démonstratives de son opinion .
On verra dans les débats de la semaine
dernière , la proposition d'un Veto suspensif,
ou d'un appel à la Nation , c'està-
dire à chaque Bailliage constituant ;
ce qui mettroit 8 à 9 millions de Juges
en activité politique , à chaque dissentiment
entre leurs Représentans et la Cou
ronne . De plus , comme on appuie cette
mesure nouvelle , sur le droit qu'a chaque
individu de n'obéir qu'à sa propre
volonté , il s'ensuit qu'on ne peut enlever
à personne l'exercice de ce droit , et que ,
( 115 )
pour être juste et conséquent , il faudroit
appeler au Conseil général de la Nation ,
quiconque a une volonté , à commencer
par les femmes , et à finir par les mendians.
Les Etats unis , dont le Congrès n'est
que le Souverain fédératif, et non le
Souverain de chaque province ; dont le
Président est borné à l'exercice des pouvoirs
très limités , révocable tous les
quatre ans , et qui , dans l'exécution
n'est à beaucoup d'égards que le Chef
du Sénat ; les Etats unis , disons-nous ,
ont armé ce Président d'un Veto seule.
ment suspensif. Il n'existe , en effet , aucune
crainte qu'on cherche à attaquer
une prérogative si étroite ; elle se défend
par la petitesse de son cercle , sur lequel
les deux Chambres ne peuvent être ten
tées d'empiéter , et par l'amovibilité de ce
lui qui en est investi. Refuse-t -il une loi ?
les deux Chambres la reprennent en considération
, et si elle est , de nouveau ,
adoptée par les deux tiers des voix dans
chacune d'elles , la négative du Président
reste sans effet . Mais il est important
d'observer que , toutes les fois qu'il s'agiroit
d'innovations dans la Constitution ,
le projet de ces changemens doit être
renvoyé au Corps Législatif, ou à une
Convention de chaque province , et l'acceptation
des trois quarts d'entre elles
constitue seule la sanction définitive . Ce
systême , parfaitement conforme à la nature
d'un état composé de Souverainetés
( 116 )
indépendantes dans leur Législation interne
, et dont la Législature est permanente
, n'est guère applicable à un Empire
immense , obéissant à un seul Législateur.
Au surplus , nous répétons que cette
question du Veto n'est plus abordable :
se hasarder à la traiter , ce seroit marcher
sur un volcan . Nos Lecteurs trouveroient
sans doute la lumière dans les
discussions dont nous allons rendre
compte ; nais nous ne pouvons présenter
que des extraits informes , et l'instruction
ne sera complète qu'après l'impression
des principaux Discours.
Du Lundi 3 Aour. Le nouveau Pr´fident
avoit été élu par 787 Electeurs ; 499 fe déclarèrent
en faveur de M. l'Évêque de Langres ; 228 pour
M. l'Evêque d'Autun ; 60 vox fe portèrent à
plufieurs autres Députés . A l'ouverture de la
Séance , M. l'Evêque de Lang es fur inftallé , &
M. de Clermont- Tonnerre , fon Prédéceffeur , remercia
l'Affemblée , & en fut remercié avec acel
mation. On a va précédemment combien fes
fonétions avoient été pénibles ; combien de patience
, de fermeté , de dignité il avoit oppofé
à l'impétuoûté des opinions , & qu'il avoit fu
défendre le gouvernail , en obtenant la déférence
& le refpect.
Trois des S crétaires , renvoyés par le fort ,
eurent pour fucceffeurs , à la pluralité des voix ,
MM. Redon , Defchamps & Henri.
Une étrange épifode , dont on trouvera l'hiftorique
à l'article Paris , vint , au début , forter l'étonnement
, le trouble & l'indignation dans l'Af
( 117 )
femblée. Son nouveau Président rendit compte
de deux Lettres , écrites , la veille au foir , à M.
le Comte de Saint- Prieft , Miniftre de Paris ; la
première annonçant une Motion du Comité Patriotique
du Palais - Royal , contre le Veto, & contre
différens Députés de l'Aflemblée dont on demandoit
la révocation , & quinze mille Citoyens a lant
fe rendre à Verſailles pour faire juftice de l'Arstocratie
renaillante. La feconde lettre , écrite à
deux heures du matin , tranquillifoit fur cette
effervefcence , dont les précautions de M. de la
Fayette avoient arrêté les effets.
M. de Lally augmenta l'impreffion de cette
lecture , en communiquant que , dans la nuit , il
avoit reçu une Députation compofée d'un Avocat
du Diftrict de Saint- Etienne- du-Mont , & d'un
Ingénieur du Diſtrict des Capucins , laquelle lui
avoit remis la Motion rédigée au Palais - Royal ,
le 30 , à huit heures du foir , contenant en fubftance
, que les habitans de Paris font inftruits
qu'il y a dans l'Affemblée un parti formé de la
totalité du Clergé & de la Nobleffe , & de 120
Membres des Communes , pour accorder au Roi
le Veto abfolu ; que c'eſt renverfer ce qui a été
déja étabi , &c .; qu'il y a quinze mille hom
mes prêts à partir pour Verfailles , tant pour y
arrêter l'effervefcence ariftocratique , que pour
protéger les jours des Députés qui peuvent être
en danger ; que puifque la perfonne des Dépu
tés eft facrée , il convient de révoquer les pou
voirs de ceux qui trahiffent les intérêts de la Nation
, afin que devenus fimples particuliers , on
puifle s'emparer de leurs perfonnes , & leur faire
1ur procès, M. de Lally déclara que les deux
perfonnes envoyées vers lui avoient nommé les
Députés fufpects , & que la lifte en étoit trèslongue
: il avoit répondu aux deux Envoyés , que
les perfonnes qu'ils venoient de nommer , étoient
( 118 )
·
auffi refpectables par leurs vertus que par leurs
lumières ; qu'il avoit travaillé toute la nuit à défendre
la Sanction Royale , & qu'il la défendroit
jufqu'à fon dernier foupir , moins pour le Roi
que pour le Peuple , & c.
Sur - le - champ , M. le Vicomte de Mirabeau
demanda que cette motion du Palais - Royal fût
imprimée & envoyée dans les Provinces. La même
demande fut faite pour la lifte des Députés dénoncés
comme mauvais Citoyens.
Dans le même moment on apporta une autre
lettre de la Société patriotique du Palais - Royal ,
adreffée à M. le Préfident , & où , en déclamant
contre un veto abfolu , qui mettroit un feul homme
dans le pouvoir de s'oppofer au bien de toute une
Nation , on répète l'annonce de 15 mille hommes
prêts à accourir avec de l'artillerie ; à écrafer la
Coalition ariftocratique , compofée de tout le
Clergé , de la majeure partie de la Nobleffe , & de
120 Membres des Communes , traîtres ou ignorans.
Une feconde lettre adreffée aux Secrétaires , les
accufe de corruption , menace de renouveler les
anciennes leçons , d'éclairer les châteaux , & finit
en ces termes : Changez , ou fauvez - vous ....
Un faififfement d'horreur & d'indignation pénétroit
la plus grande partie de l'Affemblée , lorfque
M. de Clermont- Tonnerie prit la parole , & dit
avec une falutaire énergie :
» Ces nouvelles font alarmantes , à la vérité ;
mais vous vous êtes trouvés dans des circonftances
plus critiques. La prudence & la modération vous
ent fuggéré des moyens de vous en tirer avec fuccès
, & vous en trouverez en cette occafion ....
Nous fommes entre deux alternatives ( je ne fais
laquelle eft la plus honorable ) : ou nous réuffirons
dans le bien , ou nous périrons pour le faire. »
» Je demande la lifte des Députés dénoncés &
accufés, afin que la haine des méchans ferve de
( 119 )
gloire aux bien intentionnés. Je crois encore
qu'il faudroit demander au Commandant & au
Maire de Paris , s'ils répondent de la tranquillité
de la Capitale & de la liberté de l'Affemblée . S'ils
ne peuvent le faire , nous transférerons nos Séances
dans un autre lieu , & la France défendra ceux que
le Palais-Royal profcrit. »
» Si au contraire on répond de notre fureté ,
Il n'y a plus lieu à délibérer ; il ne reftera qu'à
pourfuivre les auteurs & les fauteurs de cette cap
bale méprifable . »
Je propofe en conféquence l'Arrêté fuivant :
» L'Affemblée nationale arrête que M. le Maire ,
ainfi que M. le Commandant de la Milice na-
» tionale de Paris , feront invités de venir dans
» l'Affemblée, le jour même , & y déclarer s'ils ré-
» pondent de la tranquillité de la Ville , & par
» conféquent de la liberté de l'Affemblée ; & que
» dans le cas où ils n'en répondroient pas , l'Af-
» femblée ſe tranſportera dans un autre lieu ; que
» les noms des Membres menacés par les mau-
» vais Citoyens , feront honorablement infcrits
» dans le procès-verbal : «
» Que lefdits Maire & Commandant de la
» Milice feront chargés de faire toutes les perqui-
» fitions, pour découvrir les auteurs & les fauteurs
» de ces complots. u
Cette Motion entière n'étant point appuyée ;
on réclama la queftion préalable.
Catilina , s'écria alors un Membre des Communes
, emploie toutes fes forces pour fomenter des
féditions. Catilina eſt à nos portes , & l'on écar
teroit les moyens d'arrêter fes fureurs , par l'odieafe
chicane d'une queſtion préalable !
Méprifons ces criminelles factions , a dit M. le
Duc de Liancourt , neformons pointde Délibérations
qui puiffent nous donner l'apparence de l'inquiétude...
Je propoſe ſeulement de mander M. de la
120 )
Fayette,...& qu'on s'occupe de la Sanction royale.
Nous ne pouvons , d't M. Dupont , nous difpenfer
de prendre un parti , quand la liberté de
l'Affemble eft compromife... Mais nous n'avons
pas été troublés dans les circonftances les plus
orageufes où nous nous fommes trouvés , & nous
ne devons pas l'être d'avantage par 15 mille hom
mes qu'on annonce , par une troupe de factienx,
qui prétendroient fe faire un parti dans la république
qu'ils fe font formée. Je ne fuis pas d'avis
de nous transférer dans un autre lieu , quand même
les réponſes de M. le Commandant de la Milice
Parifienne ne garantiroient pas notre fureté ... Nous
devons être un exemple éternel du courage avec
lequel la liberté & l'intérêt de la Société doivent
être défendus .. Qu'on invite feulement M. de la
Fayette de venir prendre place dans l'Affemblée .
""
Il fut propofe encore d'envoyer des Députés
dans toutes les Provinces , pour les prému
nir contre les complos dans lefquels on pourroit
les immifcer.
M. Mounier denianda que le Comité des
Douze, fît toutes les recherches néceffaires , pour
découvrir les moteurs de ces factions : 1º , qu'il
fût promis une récompenfe de 500,000 livres ,
à ceux qui les découvriroient , & la grace des
coupables qui dénonceroient leurs complices.
Un Membre des Communes dénonça un Ecc'éfiaftique
, qui venoit de dire que les Communes
avoient rampé indignement devant le Clergé ,
pour le tromper enfaite.
De grands murmures s'élevèrent dans l'Affemblée
; mais on revint à la difcuffion.
Un Membre des Communes dit : Vous avez
arrêté que fous quelque prétexte que ce foit , la
Conftitution ne feroit pas interrompue. Je vous
répéterai donc , d'après les fentimens que j'ai déja
entendu
( 121 )
e tendu exprimer à M. de Clermont - Tonnerre : Ou
la conflitution fera faite , ou nous périrons.
M. Chaffey , communiqua à l'Aff mblée une
lettre qu'il avoit reçu d'un Eccléfiaftique anoryme
, qui le menaçoit de fa vengeance & de
la mort , pour avoir opiné à la fuppreffion des
dîmes. En conféquence , ajouta M. Chaffey
dans quelle lifte de profcrits ferai-je range ? Je
fuis meracé par un homme qui fe dit du Clergé ;
je fuis dénoncé par le Palais - Royal . Si je paffe
du côté du Palais - Royal , je fuis perdu par l'a
nonyme ; fi je me range du côté de l'nonyme
, je fuis perdu par le Palais-Royal.
Pendant que Catilina menaçoit Rome , on
délibéro't ; mais nommoit-on les proferits ? Fiton
une lifte ? Le Sénat trembla-t -il ? Changeat-
il de lieu ?
Je propoferois donc d'autorifer feulement M.
le Préfident à fe concerter avec le Maire
& Commandant de la garde de Paris , pour
prendre tous les éclairciffemens néceffaires fur ce
complot.
MM. de Landine , Target & autres , infiftèrent
fur l'avis qu'il n'y avoit pas lieu à délibérer , &
l'Affemblée l'ad pta .
MM. de Lally-Tllendal & Mounier communiquèrent
enfuite le travail du Comité de Conftitu
tion , fur une partie des Pouvoirs , dont la combinaifon
doit former la nature & le principe du
Gouvernement. Ce projet fe rapproche beaucoup
de la Conſtitution Britannique , combinée avec
quelques inftitutions de celle du Congrès Américain.
Tout entier , ce fyftême repofe fur une
Balance néceffaire de Pouvoirs : auffi , ceux qui
ne veulent point de Balance , & ils forment
une grande partie du Public parlant & écrivant ,
ont-ils jeté de l'odieux fur ce Rapport , qu'ils
He connoiffent que par des extraits de feuilles
Nº. 37. 12 Septembre 1789. F
( 122 )
périodiques . Tout hoinme fenté s'appercevra qu'un
travail de ce genre ne peut être jugé que fur fon
enfemble , qu'il eft abfurde d'en détacher quelques
parties , & e dire , Voilà l'édifice. Il s'appercevra
encore que les Inſtitutions fubfidiaires des Lois fondamentales
, contribuent puiffamment à déterminer
l'action & la réaction des Pouvoirs , & qu'il faut
Combiner ces effets réciproques , ou reffembler à
celui qui devineroit le mouvement d'une montre
sur le cadran. Lorfque ce projet fera imprimé ,
nous le ferons connoître , fi toutefois il n'eft
pas irrémiffiblemeut condamné avant ce temps- là .
Du Lundi soir , 31 Aour. Dans son dernier
Mémoire , M. Necker avoit observé qu'il
étoit important de nommer un Comité des
Finances qui correspondît avec lui. Différens
avis ont d'abord été ouverts sur la composition
de ce nouveau Comité , et se sont enfin
réunis à le former de douze Membres , pris
et nommés dans les soixante- quatre de l'ancien
Comité , toujours subsistant.
MM . les Députés de Saint - Domingue ont
sollicité une troisième fois l'importation des
farines étrangères dans la Colonie . Quelques
Membres ont appuyé , d'autres ont combattu
cette demande : on ne l'a pas trouvée assez
urgente pour entraîner une résolution subite ;
et celle - ci a été renvoyée à un autre jour.
Du Mardi 1 SEPTEMBRE. Lecture faite
des Adresses , Lettres à l'Assemblée , et des
Procès-verbaux , M. l'Evêque d'Autun a produit
la renonciation de son Bailliage , de ceux
de Saémur , etc. aux Priviléges du Duché de
Bourgogne , dans le cas où les autres Provinces
en feroient autant.
A1. le Président a ensuite donné connois(
123 )
sance de la renonciation que faisoit un soldat
du régiment de Touraine , après 74 ans de
service , d'une pension de 200 liv . réversible
à ses enfans , et qu'il tenoit de la libéralité
du feu Roi. M. le Chevalier de Montalembert ,
Officier du même régiment , et qui a perdu
un oeil dans la dernière guerre , a imité ce
sacrifice , ainsi que plusieurs autres Officiers
du Corps , pensionnés sur l'Ecole Royale Militaire.
L'Assemblée à vivement approuvé ces
actes de désintéressement , et a arrêté d'en
faire mention dans les Procès-verbaux , sans
accepter aucune de ces renonciations.
La discussion de la Sanction Royale a été
reprise , et d'abord par M. le Duc de Liancourt
, qui a présenté affirmativement la nécessité
de cette Sanction , pour caractériser la
Lor, et celle de laisser la Couronne partie
intégrante de la Législature. Régenérer la
Monarchie , a -t-il dit , ce n'est pas l'anéantir.
Jusqu'ici le Roi a été Législateur ; con: -
ment existeroit - il , comment se défendroitil,
sans intervenir dans la sanction des
Lois ? La puissance législative doit être contenue
, et ne peut l'être que par ce droit
d'empêcher , réservé à l'autorité Royale . Ce
' droit sera balancé efficacement par celui d'accorder
ou de refuser les impôts , et par la
permanence de l'Assemblée . Il est une barrière
indispensable aux variations politiques ,
et sans lui , le pouvoir exécutif seroit éternellement
le jouet des partis et des opinions.
M. Salle s'est élevé contre la Sanction , par
les argumens tirés de la sagesse constante du
Peuple , de celle des Assemblées élémentaires ,
de la perversité des Ministres , de la nullité
à laquelle le veto condamneroit le Corps législatif,
du danger dont il menaceroit les
Fij
( 124 )
Arrêtés du 4 Août. Cet Opinant a fini son
Discours d'une heure , par informer l'Assemblée
que l'Angleterre étoit privée de la liberté
politique , et qu'ainsi l'avoit décidé l'Auteur
du Contrat social ( 1 ) .
M. Rabaud de Saint-Etienne a reproduit
son opinion , de traiter conjointement les trois
questions de la Sanction Royale , de la permanence
de l'Assemblée , et de sa division en
deux Chambres , en subordonnant la décision
du premier point à celle des deux autres
M. Goupil de Préfeln a opposé à cet avis
l'ordre de la délibération du jour , et l'Arrêté
pris par l'Assemblée d'examiner préalablement
la Sanction Royale. Divers Membres
ont adopté cetteremarque ; d'autres appuyant
la Motion de M. de Saint-Etienne.
M. Target , et ensuite M.. de Clermonta
(1 ) Le peuple Anglois , a dit Rousseau
« pense être libre ; il se trompe fort : il ne
« l'est que durant l'élection des Membres du
« Parlement ; si-tôt qu'ils sont élus , il est
u esclave , il n'est rien . L'idée absurde des
« Représentans est moderne ; elle nous vient
« de l'inique Gouvernement féodal . » C'est
donc parce que le Gouvernement de l'Angle,
terre est représentatif, que Rousseau jugeoit
les Anglois esclaves ; ainsi tout Peuple repré-
-senté seroit esclave comme eux. L'autorite de
Rousseau n'est donc pas admissible dans une
- assemblée de Délégués du Peuple: Ce célébre
Ecrivain a persisté jusqu'à la fin de sa vie ,
dans son aversion pour le Gouvernement représentatif;
et écrivoit : « Je ne vois point
de milieu enire la Démocratie la plusaustère
, ou le Hobbisme le plus parfait.
4t
( 125 )
Tonnerre ont proposé un milieu , celui de
conserver l'ordre du jour , en traitant simultanément
les trois questions , et sans prononcer
définitivement sur la premiére , avant
que les deux autres aient été discutées .
M. Malouet revenant à la Sanction , l'a
demandée simple et absolue , comme un dro't
conféré par la Nation à son Chef , de déclater
que telle ou telle résolution de ses Députés
n'est pas conforme à la volonté publique,
Sans cette prérogative , instabilité de principes
et de formes : elle est le rempart du
repos de la Nation , de la sûreté des Représentans
, de la puissance publique et de l'in
dépendance du Monarque dans l'excice de
ses fonctions .
- Par -tout
M. Péthion de Villeneuve , absolument contraire
au veto absolu , a mis en avant un veto
suspensif. Il a représenté le premier , comme
la plus funeste des inventions politiques. Montesquieu
s'étoit égaré dans sa division des
Gouvernemens . La Constitution Angloise ,
avec son veto , sa Chambre Haute , ses Elections
, étoit monstrueuse , et l'objet des plaintes
de tous les Anglois judicieux.
l'Europe offre le tableau des usurpations du
pouvoir exécutif s'il devient héréditaire et
coopérateur de la Législation , son activité
perpétuelle seroit trop redoutable . Si le Roi
pouvoit arrêter la Loi , il deviendroit supérieur
à la Nation , qui l'a créé. Tous les pouvoirs
doivent rester dans la dépendance du
Peuple , qui saurà bien contenir ses Représentans
. Ainsi , c'est à lui qu'il faut en appeler
, lorsqu'il s'élevera des dissentimens
entre les deux pouvoirs , et cet appel porté
par le Roi est le reto suspensif, auquel it
fatit s'en tenir irrévocablenient.
Fiij
( 126 )
M. de Mirabeau a défendu et prouvé d'au
tres opinions.
La Sanction Royale est la volonté publique.
C'est le droit du Peuple , encore plus que
celui du Roi. Sans cette sauve- garde de la
liberté , l'Assemblés elle - même pourroit dégénérer
en Aristocratie , pire que le Despotisme
, parce que ce seroit le despotisme
de la Loi ; elle pourroit empiéter sur le
pouvoir exécutif, le réduire insensiblement
à rien , et anéantir ainsi le vrai ressort de la
puissance publique , si nécessaire à la sureté
générale. Le Parlement d'Angleterre renversa
la liberté en se déclarant inamovible.
Le o royal pourroit quelquefois empêcher
une bonne Loi , mais il pourroit aussi
on empêcher une mauvaise.
Dans le fait , ce veto est un appel au Peuple ,
fait par le Roi , des Décrets émanés de l'Assemblée
Nationale : ainsi , il doit être toujours
suivi , 1° . de la dissolution de l'Assemblée
; 2°. de la convocation d'une autre ; 3°. de
nouveaux pouvoirs donnés aux Députés ,
de
nouvelle élection , sur la Loi frappée du veto .
Ce Discours , qu'il faudroit rapporter en
entier , a été très - vivement applaudi , et ,
avant de se séparer , l'Assemblée en a ordonné
l'impression .
Du Mardi soir, premier SEPTEMB. Sur l'Adresse
de la Touraine , qui demande à être autorisée
à ouvrir dans la Province trois souscriptions
patriotiques , il a été décidé de
renvoyer cette proposition au Comité des
finances , chargé de correspondre avec le
Ministre.
M. l'Abbé Grégoire a demandé et obtenu
une Séance du soir , pour le rapport des récla
( 127 )
mations des Juifs domiciliés dans le Royaume.
Quelques plaintes sur le régime actuel.
pour prévenir l'exportation des grains hors
du royaume , ont fait arrêter de fournir à ce
sujet de nouvelles lumières au Comité des
Subsistances , qui s'occupera d'un Règlement
relatif à l'exécution du Décret du 29 Août ,
contre l'exportation .
"
Du Mercredi 2 SEPTEMBRE . Après la lecture
des Procès - verbaux et Adresses on
a débattu si l'on imprimeroit on non les Discours
lus la veille par MM. de Mirabeau ,
Salle , de Villeneuve et autres ; ce qui emporteroit
la nécessité de les imprimer tous . Décidé
de n'en imprimer aucun .
Lecture d'une Délibération de la Commune
de Paris , qui persiste dans ses précédens arrêtés
contre les attroupemens et les Motions
du Palais - Royal , invite les Districts à la
seconder dans l'exécution des moyens qu'elle
a pris pour le rétablissement de l'ordre , etc.
Un Membre proposa de voter un acte de
remercîmens . Cet avis ne parut point con
forme à la dignité de l'Assemblée ; elle se
contenta d'en témoigner sa satisfaction par
des applaudissemens .
La grande question de la Sanction Royale
étant soumise à une discussion ultérieure "
M. le Comte d'Antraigues prit la parole , et
dit en substance :
Avant d'examiner l'influence du pouvoir exécutif,
il paroît nécessaire de définir la Sanction
Royale. C'est le droit accordé au Roi
de devenir partie intégrante de la Législation......
Fiv
( 128 )
4
Sans doute toute autorité émane du Peuple,
ainsi que la distribution des pouvoirs ; mais
l'étendue de l'Empire nécessite le Peuple à
donner au pouvoir exécutif toute l'énergie
nécessaire . De l'impossibilité d'exercer par
lui-même le droit de Législature , est nee
la Représentation... I importe de maintenir
ces deux pouvoirs toujours séparés .
Leur réunion dans le Corps Législatif cons
titue la tyrannie de plusieurs , etleur réunion
dans le pouvoir exécutif constitue la tyrannie
d'un seul . ... . .
Si le Peuple faisoit la loi par lui -même ,
le Roi n'auroit que l'honneur de la reconnoître
et de la faire exécuter... Mais quand la
Nation confie le pouvoir à des Représentans ,
il doit prendre des moyens de les surveiller.
Le plus efficace est d'accorder la Sanction au
pouvoir exécutif... Et qu'on ne craigne pas
que le Roi s'oppose à une loi nécessaire au
bien de l'Etat , ou qu'il usurpe le pouvoir
égislatif.... Il est de l'intérêt du Roi de
maintenir les droits de la Royauté , et par
conséquent les intérêts de la Nation. Il ne
peut qu'être intéressé à la promulgation des
bonnes Lois . .... D'ailleurs , je suppose qu'il
s'oppose à une loi utile . L'opinion publique
jugera entre lui et les Représentans du Peuple.
Il sera obligé de s'y soumettre ; et si la loi
est nécessaire à l'intérêt public , elle sera tót
ou tard établie. .... Je suppose cependant
encore qu'il y ait un Roi assez aveugle sur
ses intérêts pour s'opposer à une loi nécessaire
: n'aura- t - on pas moyen de le réduire
, en tarissant les sources du trésor public
? ....
le
Et quels sont les moyens qui pourroient sup(
129 )
pléer à la Sanction ? On n'en trouve qu'un ,
celui de laisser au Peuple le droit d'examiner
et de consentir les lois du Corps Législatif.
Mais s'il ne peut se rassembler pour faire la
loi , pourra-t-il se réunir pour la consentir ?
On prendra son silence pour un consentement
, ou il faudra qu'il ait recours à l'insur
rection ... 2°. Le Peuple veut aussi bien éviter
la tyrannie de tous , que la tyrannie d'un seul.
Quel sera donc le surveillant du Corps Législatif?
Il ne restera que le Peuple , souvent aveugle
ou passionné . D'ailleurs n'échappe - t - il pas
à son attention mille circonstances , mille
éclaircissemens , qui frappent la jalousie salutaire
d'un second Pouvoir ?
Nul de vous ne peut oublier en verta de
quel titre il siége dans cette auguste Assemblée.
C'est à vous à donner l'exemple d'une
parfaite soumission aux volontés générales du
Peuple. Il a parlé. Il demande la Sanction
Royale ; vous ne devez pas hésiter à l'adopter.
Et quand même le Roi , par un excès de bonté
dont il nous a déja donné des preuves , abandonneroit
ce droit , cette prérogative essentielle
à sa dignité , le Peuple ne la perdra
pas; et peut-être donneroit alors au Roi plus
d'autorité même qu'il ne faudroit.
M de Landines , Député de Forez , réfuta
le Préopinant , en disant :
Par le mot Sanction , jentends uniquement ce
qu'il fignifie dans fon acception originelle, & non
dans ceile que lui ont donné , dans des fiècles postérieurs
, des Écrivains pufillanimes , qualifiés im
proprement de publiciftes , puifque loin de vouer
leur travaux à l'avantage public , leurs idées ,
foibles & dépendantes , ont rampé devant l'idole
F,
1
( 130 )
du pouvoir. Pour décider ce que doit être la fance
tion , établiffons ce qu'elle fut.
Le mot Sanction dérive du mot Sanctus , facré
; & les Romains le confacrèrent à défigner
la sufcription fimple du grand Pontife , auquel
ils avoient accordé la promulgation & l'exécution
de plufieurs lois relatives au culte & à la police.
Ce mot Sanction fignifioit qu'une main fainte &
vénérée préfentoit les lois au peuple , & lui commandoit
le reſpect pour elles.
Lo fque le code Romain eut foumis nos conrées
, lorfque nos Souverains réunirent à une
puiflance héréditaire , l'influence religieufe que
feur donna la cérémonie de leur face , le mot
de Sanction fut alors accordé à leur attache , &
à la promulgation des lois fous leurs noms ; mais
il y eut une immenfe diftance entre le confentement
, l'approbation , la confirmation de la loi &
fa fimple Sanction . Nos Lois doivent fans doute
être fanctionnées , c'eft-à-dire , connues du Souverain
, & honorées de fon fceau. Elles doivent
être fanctionnées , c'est- à - dire promulguées en fon
nom , parce que tout ce qui eft grand , tout ce
qui eft bon , tout ce qui eft uti e , doit être fait
au nom du Prince , & la Loi paroître fous les
aufpices de celui que l'amour des Peuples , les
droits de fa naiffance , & la religion même , ont
élevé au-deffus des autres . Dès- lors , le mot Sanc
tion annonce que la Loi doit partager & l'inviolabilité
& la vénération profonde que l'on doit
à la main qui l'a fignée , & à la Perfonne facrée du
Chef fuprême de la Nation.
Loin du coeur d'un Monarque citoyen , & loin
de mon efprit , que la volonté d'un feul puiffe
arrêter , empêcher , fufpendre même l'effet des
volontés de tous . Oui , Meffieurs , dans ce fers
( 131 )
étendu qu'on a donné au mot Sanction , je ne
conçois pas qu'elle puiffe exifter dans un Gouvernement
bien organifé . Je ne répéterai point les
raifons foutenues par les Préopinans ; je ne dirai
point combien la fanction eſt une aêne terrible
qu'on peut tourner contre le peuple ; je ne dirai
point combien , aux yeux de l'impartialité , il doit
paroître étrange qu'un feul homme , quelque
éclairé , quelque vertueux qu'on le fuppofe , puiffe
avoir plus de lumières , plus de probité que tous
les autres réunis . Je laiffe à ceux qui me fuiven
dans cette importante difcuffion , le foin de développer
fi , dans l'origine de toute fociété , les
vieillards qui s'afTemblèrent pour créer les premières
conſtitutions , laiffèrent à un feul , quelque
vénérable qu'il fût , le droit de pofer une
barrière à leur volonté publique ; je leur laiffe le
foin de prouver combien , par fon Veto abfolu ,
le Souverain pourroit empêcher la Nation de recouvrer
les droits ufurpés peu-à-peu fur elle. Pour
moi , bornant ma difcuffion à mes forces , je ne
veux que repouffer les objections que je viens
d'entendre je ne veux que démontrer à vous ,
Meffieurs , qui aimez vos Rois , & au Souveraio
lui - même , que le droit qu'on veut impolitiquement
lui accorder , lui eft entièrement inutile ,
lorfqu'il ne lui devient pas très-dangereux.
On l'a dis , & je l'entends répéter fans examen
comme i eft d'ufage , La fan&tion royale date de
l'origne de nos Lois . Tous les capitulaires de
Charlemagne finiffent par ces mots : Lex fit ex
confenfu populi & conftitutione regis ; mais ce mot
conftitutio n'eft pas non plus le fynonyme d'approbatio.
Le mot conftitutio , conftitutum , fuivant
Dacange & tout les Gloffaires , fignifie ce qui
établit la Loi , ce qui la publie , en un mot
l'ordonnance ou l'édit. Ainfi toute loi fe con- "
1
F vj
( 132 )
fent & fe forme par la volonté du Peuple , &
fe promulgae par le Roi .
Il faut boner , s'écrie- t-on , la puiffance du
Peuple ; & il vaut beaucoup mieux vivre même
fous le defpotifme d'un feul , que fous le defpotifme
de tous.
J'avoue d'abord que je ne puis comprende ce
que peut être le defpotifme de tous , le despotifme
des Repréfentans nombreux de la Nation.
Sans doute , fi on crécit un Sénat dont les Membes
, choifis par le Prince , feroient à vie , je -
comprendrois qu'ils pourroient abufer de leur
pouvoir ; mais les Députés aux Affemblées Nationales
, auront- ils donc une puiffance qui re
fera jamais renouvellée ? Ne feront- ils pas changés
par le peuple à des époques fixes & rapprochées
? Ces Députés , honorés du libre choix de
leurs compatriotes , viendront-ils de toutes les
parties du Royaume combiner un p'an fuivi de
tyrannie & d'oppreffion arb traire , pour en laiffer
la funefte exécution à leurs fucceffeurs ? exfin
ces repréſentans , s'i's ne font infenfés , for
meront-ils des Lois abufives , dont le poids portera
fur leurs propres têtes , lorfqu'ils rentreront
dans la claffe commune , & qui s'aggravera fur
celles de leurs enfans , qui n'en fortiront peutête
jamais ? Ne nous laiffons point abufer : c'est
le pouvoir d'un feu ! qui tend toujours à franchir
fes limites , & à s'agrandir , parce que fon but
peut être conftant , qu'il eft lars cefle fous fes
yeux , qu'en y arrivant il croit travailler pour
lui & les fiens , & qu'en un mot il eft de la
nature de l'homme d'augmenter la puiffance , &
d'étendre toujours de plus en plus fa dominati : n.
Pour s'en convaincre , qu'en confidère ce qu'étoit
la Royaut un fiècle avant Louis XIV , &
ce qu'elle étoit devenue fous ce Monarque .
Ce font les évènemens qui déterment d'or(
133 )
diraire a plus ou moins grande lite té des peuples
; que les évènemens pailis nous infruifent
donc. C'eſt la confufion des pouvoirs qui établit
le defpotifme ; c'eft leur auftère divifion & leurs
limites bien circonfcrites , qui font fleurir la liberté .
Lorfque le Monarque a eu part à la Puiſſance
législative , il a bientôt fini par l'envahir ; &
à quoi lui ferviroit donc la force exécutrice qu'il
dirige ? Ne penfera-t-il jamais que fes intérêts
doivent lui être plus chers cue ceux d'autrui ?
La flatterie , maladie incurable des cours , la flatterie
ne lui dira - t - elle pas fans ceffe , que les
peuples veulent envahir le trône , & qu'il faut les
réprimer ? Penfe-t-on bien férieuſement que tous
les Monarques reftent indifférens & impaffibles
fur ce qui les concerne de fi près ? De plus en
p'us la puiflance législative fe perdra dans la main
du peuple , pour fe concentrer uniquement dans
celle du Prince . C'est le règne du pouvoir abfolu ,
& ce règne alo s eft inévitable. Mais , qu'on diftingue
fi bien les Pouvoirs que l'un ne puifle empicter
fur l'autre ; que le Peuple foit le Créateur
feul des Lois , que le Prince foit le modérateur
fuprême de leur exécution : dès lors la liberté eſt
affurée , & l'État tranquille.
1 ne peut y avoir , dans toute bonne organifation
, que ces deux Agens conftitutifs , la puiffance
& la force. Non , il ne faut point trois Pou-'
voirs ; non , la fublime fcience de la lég flation
n'eft pas de chercher entre ex un équilibre qui
ne peut long-temps fubfifter. Il ne peut y avoir
qu'un pouvoir , celui de la Natin ; il ne peut
y aveir qu'une force qui la feconde , celle du
Prince.
Ces Peuples , ces Républiques anciennes qu'on
a dernièrement citées pour étab'ir la néceffié des
trois pouvoirs , ne périrent que par leur rivalité
mutuelle.
( 134 )
» Ce ne font point trois pouvoirs qui rendent
ftable une Monarchie. Le Marquis d'Argenfon
, ce véritable homme d'Etat , parce qu'il
fut un véritable homme de bien ; le Marquis d'Argenfon
a fans doute mieux deviné. Les Monarchies
, fuivant ce Miniftre philoſophe , font d'autant
plus tranquilles , qu'elles fe rapprochent des
formes démocratiques , & que le Peuple y poffède
la puiffance légiflative. a
» A chaque inftant , on nous cite le Gouvernement
d'Angleterre. Plufieurs ici le préconifent ,
d'autres l'ont cenfuré. Sans doute , pour le fiècle
où le gouvernement Anglois fe forma , il offrit
un monument glorieux élevé à la liberté de
l'Homme. Ce gouvernement acheté par fix fiècles
de guerre & par les horribles factions qui
déchirèrent les maiſons de Lancaſtre & d'Yorck
fut fans doute bien lumineux pour l'inſtant où
il fe forma. Mais abandonnons toute prévention
funefte. Penfe-t-on que ce gouvernement
n'ait rien de défectueux ? Penfe-t -on que les publiciftes
Anglois ne voient rien à y corriger ?
Penfe-t- on enfin , que fi l'Angleterre travailloit
en cet inftant , & comme nous à ſa Conſtitution ,
elle l'établit fur les mêmes bafes , & qu'elle confervât
même cette chambre des Pairs , très-fouvent
utile au Roi , mais toujours très-inutile au
peuple ?
» Ne croyons pas , Meffieurs , que l'Angleterre
a't tout fait pour le bonheur de l'homme
& qu'il ne nous refte qu'à la copier . Ofons faire
mieux qu'elle ; ayons la noble hardieffe de porter
la flatue de la Liberté fur une baſe plus inébranlable.
»
» Les François , répète-t- on fans ceffe , demardent
tous la Sanction dans les cahiers . Mais quelle
Sanction , & quelle espèce de Veto ? L'abfolu
ou le fufpenfif? la confirmation de la Loi , ou fa
( 135 )
fimple promulgation ? Aucun ne s'eſt expliqué ,
aucun ne porte la Sanction dans fes articles limitatifs
; & fi un feul la portoit , cette difpofition
eft révoquée. En effet , Meffieurs , nos Com.
mettans ont-ils refuté d'adhérer à nos décrets
parce qu'ils n'étoient pas fanctionnés ? De toutes
les Provinces , un accord général , une adhéfion
uniforme fe font fait entendre . Les Peuples
de toutes parts nous difent : Nous adoptons
non-feulement les Los que vous avez faites
mais celles même que vous allez établir. Qu'on
me montre une feule adhéſion à nos Lois qui
porte la condition de la Sanction Royale pour
leur obéir.
Que le Veto foit abfolu ou fufpenfif, il n'en
eft que plus ou moins dangereux . Abfolu , c'eft
le premier pas , vers le Defpotifme ; c'eft réunir
à la puiffance qui fait la Loi , ou qui l'empê
che d'être faite , la force exécutrice , qui peut
tout foumettre. Sufpenfif, ce feroit à la Nation
de le pofféder , lorfqu'une Loi n'offre qu'une
utilité problématique ; c'eft aux Repréfentans des
Peuples , de les confulter , & d'accorder un délai
fuffifant pour connoîtré leur volonté. Sufpenfif ,
entre les mains du Roi , il tend à détruire Paccord
qui doit régner entre le Monarque & fes
Sujets ; il ouvre l'iffue à une infinité de difcufhions
& de mouvemens populaires ; il rompt
toute harmonie entre Citoyens , dont les uns
s'empreffent à fuivre le parti Royaliſte , & les
autres celui des Repréfentans de la Nation. Abfolu
on fufpenfif, il eſt également très-inutile au
Souverain , s'il ne lui devient très - dangereux .
En effet , Meffieurs , fi le Monarque eft
éclairé , s'il a le bonheur de vivre dans un fiècle
de lumières , où il ait pu reconnoître que l'intérêt
général eft la Loi fuprême des Empires , que
tout doit fe rapporter à cet intérêt , jufqu'au uen
( 136 )
f
"
même , qu'il ne peut être puiffant , que de la
force du Peuple , heureux que de fon bheur
refpecté que de fon amcur ; alors ce Monarque
ne féparera point fon opinion de l'opinion
générale. Son avis fera déterminé par le voeu de
les Sujets.
Oui , Meffieurs , confidérez , je vous prie , la
pofition d'un Monarque ; qui veut lutter contre
une nation dont tour fon pouvoir émane , & qui
fe place entre les Repréfentans de cette Nation ,
& la Loi qu'ils ont portée , pour empêcher qu'e le
n'aie fon exécution .
Dès lors un orgueil inconfidé é fe découvre dans
le Prince , ou putôt dans ceux qui occupent près
de lui le Ministère. Les liens de la fubordination
ſe relâchent , & les fentimens affectueux s'évanouiflent.
Sans doute les Peuples font naturellement
portés à aimer leur Roi , parce qu'ils penfent
fans cele que leur Roi veut leur bonheur
mais ils ne font pas moins portés à chérir leur
ouvrage , & à adopter les fentimens de ceux
qu'ils ont chargés de leurs plaintes , de le r
voeux , & même de leurs efpérances . Dans cet
équilibre funefte entre les Peuples & leur Momarqué
, entre des Lois defirées & un Veto effrayant
, quel fera l'arbitre fuprême ? Les fureurs
du defpotifme , ou les ma heurs de la licence &
de l'anarchie ? Cette idée me pèfe , & je ne veux
pas l'approfondir.
Irs
1: Les muôts , dit on , feront alors réfufés ; alors
il faudra que le Souverain cède. Qu'elle extrémité
, fur-tout qu'elle horrible victoire ! Les
impôts ne peuvent être refulés ; ils ne font pas
payés au Souverain , mais à la Nation ellcmême,
& pour fon propre intérêt : toute interruption
dans lear payment , interrompt auffitôt
le jen du Gouvenement ; & peut- on calculer
alors la fecouffe vidcnte , la convulfion politique
( 137 )
qui peut e g'outir , & les propriétés , & 1 : s droits ,
& la paix , & a liberté ?
Ainfi cette liberté , Meffieurs , repofe fur la
diftinction des pouvoirs , & non fur leur réurion
dans la même main . Que les Repréfentans
aient un court délai pour confuler Is Peuples
fir la Loi qu'i's craignent de pr mulguer , c'eft
une précaution qui eft fage , & la feu'e qui foit
digne d'ètre admife par une Nation éclairée .
Que Veto foit abfolu , c'eſt porter atteinte à
la liberté des Sujets , à la gloire & à la tranquil
lité du M narque : que le Veto foit fufpenfif
& s'étende de la tenue d'une Affemblée Natio
na e à l'autre , il faut déterminer l'intervalle de
la périodicité de cette tenue , pour favoir s'il eft
plus ou moins dangereux. Gardons- nous du moins
de pofer pendant long-temps une barrière entre
le Souverain & fes Sujets ; ga dons - nous de l'ifeler
des Reprefentans de fa Nation. Il ne peur ,
il ne doit y avoir entre eux que des liens d'amour
, qu'un concert unanime , & qu'un defir
uniforme pour l'ordre & le bien. Que le Roi
daigne venir au milieu de fon véritable Confeil ;
qu'il concourre à la Loi par fon augufte fuffrage .
il la rendra plus reſpectable. Un bon Roi eft un
père qui n'est jamais mieux placé qu'au milieu de
fes enfans.
M. Treilhard. Si vous refusez la Sanction ,
le Corps législatif pourra usurper l'exécution ;
vous n'aurez plus une monarchie , mais un
Gouvernement absolu et aristocratique . Personne
ne peut se dissimuler que le Roi est
une partie intégrante de l'Etat ; il doit donc
influer sur la formation de la Loi , c'est- àdire,
avoir le droit de la sanctionner. Vondroiton
le réduire au simple droit d'un Député ,
d'un Président de l'Assemblée Nationale ? ...
Qu'on ne croie pas qu'il emploieroit un
( 138 )
droit absolu de sanction pour s'opposer à une
bonne Loi ; car il aura toujours intérêt de
s'unir au pouvoir législatif, dont il n'est
qu'une émanation .
La Constitution sans doute ne doit pas
être sanctionnée par le Roi : elle crée et
distribue les pouvoirs ; mais c'est de cette
même Constitution que le Roi doit tenir
le droit de sanctionner la Loi..... Ce droit
est encore plus essentiel , lorsque la Législation
reste dans une Assemblée unique , et
chez une Nation plus vive que réfléchie , plus
enthousiaste que froide dans la délibération.
Le veto a ses inconvéniens ; aucune institution
humaine n'en est exempte : mais il
suffit de lui opposer des contrepoids , et l'on
nous en a indiqué de très- efficaces .
M. de Beaumetz répondit par un discours
très-véhément à M. d'Antraigues , et s'efforça
de justifier le veto suspensif. Suivant cet Orateur
, le veto exercé par la Nation est de
droit naturel . Mais qui avertira le Peuple
que le Corps législatif usurpe ses droits ? Qui
répondra que toutes les parties de l'Empire
seront à- la-fois frappées de ses torts ? Il convient
donc de mettre l'intérêt de la Nation
sous la garde de l'intérêt même des passions
du Monarque , et de réunir la vigilance du
veto royal , aux lumières du veto national ...
Qu'on n'accorde pas cependant plus de confiance
à un Délégué du hasard , qu'à des
délégués élus par le choix libre de leurs
Concitoyens ; à un Délégué héréditaire , qu'à
des Délégués élus pour un temps limité ; à
un Délégué au- dessous de la Loi , qu'à ceux
dont les besoins mêmes et les intérêts personnels
sont soumis à la Loi . Si le Corps
législatif devient ambitieux , c'est alors que
( 139 )
la Sanction sera nécessaire . Le pouvoir exécutif
se défendra lui -même contre toute invasion
à son autorité ……… .. *
J'adopte , ajouta M. de Beaumetz , l'avis
de M. de Mirabeau ; mais je combattrai ses
moyens. Est -il raisonnable , que pour une
seule mauvaise Loi , ou qui paroîtra telle
au Roi , le Corps législatif soit dissous et
réduit en poudre ?
La suspension des impôts arrêteroit moins
le Roi , qu'elle ne seroit nuisible à la Nation
exe- même . Il existe un moyen plus str
et plus paisible. Toute Loi ne pourra être
établie sans la Sanction Royale ; aucune ne
pourra être proposée deux fois pendant la
même Session. Le Roi sera obligé de motiver
son refus , et d'exposer s'il croit la loi
fondée sur quelque erreur , ou s'il la croit
contraire à son autorité . Dans le premier
cas , l'Assemblée suivante la pourra présenter
à la Sanction sans amendement , et le
Roi ne pourra refuser. Dans le second cas ,
les Bailliages seront convoqués pour expliquer
leur vou ; et si la majorité adopte la
Loi , le Souverain la sanctionnera. Dans
aucun cas , le Roi ne pourra amender une
Loi qui lui aura été présentée.
M. Faydel rapporta les termes de fon mandat.
Il lui preferit de déclarer que le Royaume de
France eft Monarchique , que la Couronne ett héréditaire
de mâle en mâle & de branche en branche
, fuivant l'ordre de primogéniture ; & qu'il ne
peut y avoir de bonnes lois , que celles faites par
l'Aſſemblée nationale , & fanctionnées par le Roi ,
Il demanda qu'on exprimât mieux les lois des
cahiers , afin que des Délégués ne puffent pas
foumettre toute la Nation à des voeux contraires
à ceux de la Nation.... Faifant alors abftraction
140
)
des marda's , il pafia à ' a difcuffion de la fanction.
Le pouvoir légiflat f , a-t-il dit , fera toujou
s ambitieux de partager avec le Suverain le
pouvoir exécutif , & voudra toujours fuivre la volont
voilà Is caufes qui nous faifoient retomber
dans l'ariftocratie & le defp. tifme . Qui pour a
vous garantir de cate confefio de cuvoirs , fi
elle n'eft arrêtée par la fanction royale ?...Il developpa
alors l'utilité de cette rivalité de pouvoirs ,
confi mée par l'exemp'e ds ancienres Répebliques
de la Grèce , ainfi que de Rome , Carthage
, &c .
1
D'ai eurs , Meffieurs
, continua
-t-il , cere fance
tron eft déja un doit du Roi , que nous ne pou➡
vons
pas lui ôter. Nous
ne fommes
¡ oint une
Société
niante
; ce n'eft pas un Roya me qui fe
forme. C'eft un peuple
Monarchique
, qui n'a pas
envoyé
fes Rep éfentars
pour créer fa- Conftiution
, mais pour la rétabli
. De-là , je conclus
que
le Roi hérite de fa puiffance
exécutive
; que c'eft
un doit
inhérent
à la fucceffion
de la Couronne
;
que puifque
cette puiffance
exécutrice
eft indépendante
du peuvci
conftituant
, il doit être lib e au
Rei de refufer
l'exécution
des lois ; la fanction
ne peut donc lui être refufce
. Ainfi , foit que
l'Affemblée
foit permanente
cu périodique
, foit
qu'elle
foit compofée
d'une
cu plufieurs
Chambres
, je fuis d'avis
qu'aucone
oi ne foit établie
fans le confentement
du Roi ; & qu'à l'égard
de
éelles
de la Corftitution
, le Roi pourra
déclarer
au peuple
cells qu'il croiroit
contraires
à la prérogative
oya'e.
M. de Laipaud trouva impoffible toute a tre
veto que le vero fufp.nfif... Qu'eti- ce qu in gouver
cmet mo archique , di - i ? C'est celui où un
feul eft hargé de faire exécuter ' a v. lonté de tous.
S le Roi ponvot s'opposer à care val mé sénérale
, i feroit fupérieur à la volonté de a Na(
141 )
tion. Donner au Roi le veto indéfini , c'eſt d'c'arer
qu'un feu! individ : a plus de pouvoir que la
Nation , ce qui eft à mes yeux le comble de l'ahfurdité.
Le Roi de France n'eſt pas un Roi d Angleterre
, qui , ayant fes troupes peu nombreuies
, toujours hors des Ifles Bri anniques , ne peut
abufer de fon pouvoir & opprimer le peuple.
Lorfque les poins de la conftitution Angloffe ont
été réglés , la Nation n'stoit pas avfli éc'ai ée .
Auff eft-elle remplie dabus , & les Citoyens
inftruits défirent -ils un changeme..t de Conftitut
on.
M. Barnave repréfenta le veto fufpenfifcomme
le foutien de a liberté du peuple , de la fureté du
Monarque , de la vérité des pircipe . Les madats
impératifs n'étant relativement qu'indéterninés
, ne peuvent être qu'inftructifs . D'ailleurs ,
contre la lettre des mandats , l'Affemble a octroyé
un emprut de 80 milions . » Qu'on ne cite
plus l'exemple du gouvernement Birannique ,
formé, non par la raifon librement obfervée , mais
par le temps , l'ufage , au milieu des gue res &
des évènemens politique , où il a été réceflaire
de régocier avec les pouvoirs . Mais j'ofe dire
q'aujourd'hui , une Conftit tion qui ne feroit pas
jufte , feroit auffi difficile à exécuter , qu'une ancienne
à reformer.
" I feroit contre la raifan naturelle , que le
peuple conftituâ fan Roi légiften . Il feroit injufte
de donner à un feul homme le droit de foumettre
à fes cap ices to te uae Nation...
« Le Veto suspensif, dit un autre Opinant ,
met le Roi et le Corps Législatif dans un
---- état continuel d'émulation . Le Veto absolu ,
au contraire , mettroit le Roi et la Nation
dans un état continuel de guerre et de haine.
Le Peuple n'auroit d'autre ressource que l'in(
142 )
surrection , ou le refus de l'impôt , et quel
refus ! La Constitution ne doit pas chercher
des moyens de suspendre l'impot , mais plutôt
de l'affermir.....
Un Ministre prévaricateur seroit continuellement
le maître d'entretenir un état de
guerre entre le Roi et le Peuple. Je suppose
que le Roi ait refusé une Loi , et qu'elle
lui soit presentée une seconde fois ; s'il existe
un Ministre assez. pervers , et assez adroit
pour déterminer le Souverain à une résistance,
il n'y aura plus de milieu entre l'insurrection
ou la tyrannie ; il ne faudra qu'un Cardinal
de Richelieu , pour reduire le Peuple au point
de ne trouver de salut que dans la ruine de
la Conststution et de l'Etat.
M. Target : En théorie , il est clair que
la Nation seule a droit de faire la Loi. Le
Prince n'est qu'un mandataire chargé de la
faire exécuter. Mais la nature des choses oblige
de lui confier un grand pouvoir . Il s'agit de
savoir si son consentement est nécessaire
pour la Loi. Il faut distinguer les volontés
de la Nation , de la volonté particulière du
corps législatif. En principe , il est vrai que
la Souveraineté Nationale ne peut être sonmise
à aucune espèce de Veto. Il ne peut
y en avoir contre la Constitution , ni contre
toute autre Loi portée par la Nation . Le
Veto Royal tombe en presence de la volonté
nationale ; il ne peut donc être absolu . Parconséquent
, il est de l'essence du Veto Royal
de n'être jamais que suspensif. Ce n'est donc
qu'un appel à la Nation , et cet appel se
juge dans une Assemblée alors convoquée ,
pour laquelle la Nation déclare sa volonté.
Tout Veto est donc absolu à l'égard du Corps
( 143 )
législatif , mais suspensif par rapport à la
Nation.
M. l'Abbé Grégoire termina la Séance , en
présentant le même systême , et les réponses
déja connues aux argumens des Défenseurs
de la Sanction absolue.
Du Mercredi soir , 2 SEPTEMBRE. Dans la
foule des impostures imprimées à Paris , on
a pu en remarquer une , où l'on accusoit des
Gentilshommes du Limousin de commander
des brigands pour incendier les châteaux. La
Noblesse brûlant ses demeures et détruisant
ses propriétés , méritoit bien l'honneur d'une
mention dans les Pamphlets de quatre sous ,
qui éclairent la Capitale .
M. le Vicomte de Mirabeau a rapporté le
fait qui a donné lieu à cette histoire . Neuf
Gentilshommes s'étoient réunis et armés pour
défendre leurs héritages . Etant ensuite allés
implorer du secours à Limoges , le Peuple les
a saisis et conduits en prison . Ils reclament
jugement ou liberté. L'Assemblée les a mis
sous la sauve-garde de la loi , et autorisé son
Président à envoyer cette décision aux Municipaux
de Limoges.
Dans la même Séance , on a arrêté la
formation d'un Comité de Commerce et d'Agriculture
dont les Membres seroient pris
dans chaque Généralité.
Lu Jeudi 3 SEPTEMBRE . Il s'en falloit
bien que la question pour ou contre le Veto
fut épuisée : plus de soixante Membres étoient
inscrits pour prendre encore la parole ou la
lecture , car plusieurs de ces Harangues ont
été écrites à l'avance : toutes ne sont pas ga(
144 )
lement , luminenses , et l'on voit reparoître
fréquemment les mêmes argumens , comme
les mêmes objections . Tel est d'ailleurs le
sort des questions de parti , qu'on exagère les
avantages du principe qu'on defend , en deguisant
ses inconveniens , et des opinions si
peu balancées nuisent à la recherche de la
vérité .
Nous ne pouvons qu'indiquer les Opinans
qui ont exercé leur eloquence aujourd'hui et 、
les jours suivans : l'étendue et la nature de
leurs Discours ne permettent pas de les analyser.
MM. de Lameth et de Castellane ont été
les principaux antagonistes du Veto absolu.
Ce dernier , adoptant le Veto suspensif , a
redit qu'en se donnant un Roi , la Nation ne
se donnoit pas un maître ; que le Roi devòit
obéissance au Corps législatif; qu'en ce moment
, ce seroit désobéir aux Cahiers de les
exécuter ; qu'aucune autorité particulière ne
pouvoit s'opposer à la volonté de l'Assemblée
; enfin , l'Orateur a fait une incursion
sur l'Angleterre , sur la Chambre Haute , sur
le droit négatif.de son Roi , etc. Il a fini par
proposer , comme MM. Barnave et Beaumetz ,
l'appel au Peuple , c'est - à - dire , à tous les
Bailliages et Municipalités , des refus du Roi
de sanctionner les décisions de l'Assemblée .
M. l'Abbé Maury a manifesté d'autres principes
, et a défendu la nécessité de la Sanction
Royale par les armes du raisonnement , de
P'histoire et de l'expérience . Ce Discourš nerveux
, nourri de faits et de preuves , a reçu les
plus grands applaudissemens , malgré quelques
efforts tentés inutilement pour l'interrompre.
Nous en donnerons le précis dans
huit
( 145 )
huit jours , ainsi que ceux de quelques autres
Opinans .
Du Jeudi soir , 3 SEPTEMBRE. MM. de .
Cocherel et de Gouy d'Arsy ont plaidé de
nouveau l'importation provisoire des farines
étrangères à Saint- Domingue. Le Ministre de
la Marine ayant offert d'exposer lui - même à
l'Assemblée les motifs qui avoient décidé la
cassation de l'Ordonnance de M. du Chilleau ,
on a mis cette offre en délibération , et rejeté
l'idée d'inviter le Ministre à se rendre à l'Assemblée.
Le 31 Août , M. Roussillon avoit représenté
qu'un objet si important pour le Commerce
et pour la Nation , ne pouvoit être décidé
, qu'au préalable on n'eût entendu les
instructions du Ministre de la Marine et celles
du Commerce. Il rappela le projet de formation
d'un Comité de Commerce , et d'y renvoyer
la réclamation des Américains . Cette
Motion de M. Roussillon fut délibérée et
acceptée dans cette Séance , et le Comité
formé le 4.
Du Vendredi 4 SEPTEMBRE. Suivant la
résolution prise deux jours auparavant , on
à réuni la discussion des trois articles , de la
Sanction Royale , de la Permanence et du
nombre des Chambres de l'Assemblée. MM .
de Sèze, Sale , de Marnesia , Target , Demeunier,
ont , les premiers , occupé la Tribune ,
et exposé chacun des avis différens sur les
trois questions.
M. Rabaud de Saint- Etienne , combattant'
la balance des pouvoirs , telle qu'elle existe '
en Angleterre , et la Sanction absolue , a pro
posé un Veto suspensif , et une Assemblée
Nº. 37. 12 Septembre 1789. G
( 146 )
Nationale permanente , en activité annuelle
pendant quatre mois .
M. Dupont a exposé un autre plan , plus
étendu , qui embrasse la formation de deux
Chambres , et le renvoi des Lois aux Electeurs
, en cas de refus de la part du Roi.
M. de Clermont - Tonnerre s'est décidé ,
après un examen sage et impartial des questions
, pour la Permanence , pour une seconde
Chambre , soit Sénat électif, et pour le Veto
illimité.
M. le Grand a terminé la Séance par nombre
d'observations contre la formation d'un
Sénat , et cependant en faveur de deux Chambres
, et de la Sanction suspensive.
DU SAMEDI 5 SEPTEMBRE . La grande
discussion de la veille a recommencé dès
l'ouverture , et d'abord par M. de Bousmard ,
en faveur de la Permanence et de l'unité de
l'Assemblée , mais aussi en faveur de la Sanction
absolue.
M. Gleizen , Député de Rennes , alloit lire
un nouveau Mandat impératif de ses Commettans,
contre cette Sanction , lorsqu'on a décidé
que cette lecture seroit revoyée au moment
où M. Gleizen auroit le tour de la parole .
5 M. Thouret , dans un discours abondant ,
et conforme à l'esprit de l'éloquence délibérative
, a maintenu la Permanence , l'Unité
de l'Assemblée , et la Sanction indéfinie ,
c'est- à- dire pure et simple.
MM. Armand, la Poule , Péthion de Villeneuve
, admettoient la Permanence et l'indivisibilité
du Corps législatif, et un Veto
suspensif , soit appel au Peuple.
M. Mounier , parlant au nom du Comité
de Constitution , a défendu la pluralité des
Chambres , le Sénat à vie , et la Sanction
( 147 )
Royale absolue , exprimée seulement par ces
mots : Le Roi examinera. L'opinion de M.
Mounier ne peut être morcelée : cet Orateur
a montré de nouveau une grande puissance
de raisonnement , et non moins de fécondité
dans les moyens , de connoissance de l'Histoire
et des Législations politiques , enfin
de ce courage d'esprit qui tient à celui du
caractère. « Quand les scélérats , a- t- il dit ,
qui osent menacer les Représentans de
« la Nation , tireroient leurs glaives sur nos
« têtes , il faudroit décreter ce Veto`qui fera
le salut de la Patrie.
"
་་ >>
M. le Comte Mathieu de Montmorenci a
prononcé un très -long Discours , pour persuader
l'Assemblée de la nécessité d'une Assemblée
permanente et unique à laquelle
on joindroit un Conseil de révision sans négative.
L'appel au Peuple est le seul effet
qu'il ait laissé à la Sanction Royale. Le der
nier avis n'a pas été celui de M. Duport, qui ,
regardant l'Appel au Peuple comme la promulgation
de l'anarchie , lui substituoit un
Veto suspensif jusqu'à la troisième Session ,
qui en suivroit l'exercice .
2
Du Samedi soir 5 SEPTEMBRE. M. le Marquis
de la Salle , objet de soupçons injustes ,
dont nous avons , dans le temps , rapporté l'origine
et la nature , s'étoit constitué Prisonnier
à l'Abbaye Saint - Germain , d'où il a
sollicité son élargissement de la justice des
Représentans Nationaux . Convaincue de celle
des plaintes de M. de la Salle , et de son
innocence , l'Assemblée unanime a chargé
M. le Président de demander aux Representans
de la Commune de Paris la liberté du
Prisonnier.
Gij
( 148 )
De nouveaux Rapports du Comité des subsistances
, sur lesquels il n'a été pris aucune
solution définitive , ont mis fin à la Séance .
Du Lundi 7
SEPTEMBRE. Les trois questions
fondamentales ont été remises en débats.
M Lanjuinais a argumenté contre le
Veto indéfini , justifié & défendu de nouveau
par MM. de Virieux et Malouet . M. l'Abbé
Sieyes a ouvert un nouvel avis , en propo
sant de commencer par organiser les Assem
blées élémentaires , sources premières du Pouvoir
législatif. M. le Marquis de Sillery s'est
élevé contre toute précipitation , contre toutes
solutions trop définitives. Tel doit être , à ce
qui paroît , le terme de la discussion ; car il
a été décidé de mettre les articles aux voix ,
dans la Séance de Mercredi prochain .
On ne jugera que bien imparfaitement
` de l'intérêt de ces dernières Séances , et
'des opinions qu'on y a balancées sur le
croquis rapide que nous venons de présenter.
Cette réserve est d'obligation
lorsqu'il faut se charger de rendre compte
des sentimens de 30 Députés sur des
questions si graves. Nous serons mieux
instruit dans huit jours , et nous reprendrons
alors les principaux Discours.
Il est à remarquer que plusieurs , faits
à l'avance , ont été lus ; ce qui éternise
les délibérations . Ces Mémoires changent
une Assemblée politique en Académie;
ce n'est ni débattre , ni discuter ,
ni délibérer , que de présenter un Recueil
de Motions et de Dissertations devant
un Corps politique , dont l'arme ne ré(
149 )
side , ni dans les yeux , ni dans la mémoire.
Les Anciens nommoient Rhéteurs
, et méprisoient les Rédacteurs de
Discours prémédités : ce ne fut qu'au
temps de la décadence du génie , de la
liberté et de l'Etat , qu'on souffrit dans.
la Tribune , des Déclamateurs qui venoient
répéter la leçon de leurs maîtres
. Les Polonois ont banni cet abus
de leurs Diètes . On ne souffre aucune
lecture au Parlement d'Angleterre ; quiconque
est connu pour y débiter des
harangues apprises , est youé à la dérision
et au décri publics. Il est vrai que les
Anglois sont des barbares , des ignorans ,
des esclaves on nous le répète si souvent
de souvenir, d'impromptu , par
imprimés et par lectures , qu'on ne doit
plus s'élever contre ces décisions. Une
tête de 25 ans , meublée de brochures
politiques , en sait plus aujourd'hui que
tous les Sages anciens et modernes.
Supplément à l'Assemblée Nationale.
LETTRE AU REDACTEur.
» J'aprend , Monfieur , que le Journal patriote
du 8 août , & d'autres Feuilles , imputent à un
Député du Mont- Jura , d'avoir foutenu dans
l'Allemblée Nationale , contre le voeu de fes
Commettans , que la main-morte réelle ne devoit
pas être abolie fans indemnité . Je dais la
vérité au Public , au Député du Mont- Jura , à
fes Commettans & aux miens ; & cette vérité eft
que c'eft moi qu' , fuivant mes cahiers , ai repré-
Giij
( 150 )
fenté à l'Affemblée Nationale , que je confidérois
la main - morte réelle , comme ure propriété dont
les Seigneurs ne devoient pas être dépouillés fans
indemnité . Loin d'avoir appuyé certe op nion ,
M. Chrift n, Député de la capitale du Mont-Jura ,
avoit demandé la parole , & étoit monté à la
Tribune pour la combattre ; ce qu'il fut difpenfé
de fare , parce que l'Afemblée , fuffifamment
inftruite , prononça le Décret d'abolition . Je vous
prie , Monfieur , d'inférer cette Lettre dans votre
Journal , comme contenant une vérité de fait
que tous les Membres de l'emblée Nationale
peuvent attefter comme moi.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Le Cointe DE DORTAN , Député
de la Nob'sfle de Dole , Ornans
& Quingey .
Verfailles , ce 31 Aout 1789 .
Jamais il n'y eut d'injustice plus révoltante
et plus dangereuse que celle
qui fait le sujet de la lettre précédente .
M. Christin soutient la cause des serfs
du Mont-Jura , depuis 22 ans . Il a été
l'Avocat des Habitans de Saint - Claude ,
contre l'Evêque et le Chapitre ; il les a
défendu à ses frais : il est cité avec gloire
à chaque page des ouvrages de Voltaire ,
relatifs à cette servitude . Il a composé ,
en faveur des serfs , un Mémoire qu'il a
fait distribuer dans les Bureaux de l'Assemblée
Nationale. Il attendoit avec impatience
le moment favorable de plaider
leur cause , lorsque MM . le Vicomte de
Noailles et Duc d'Aiguillon le prévinrent
dans la soirée du 4 Août . Il a de(
151 )
mandé la parole pendant plusieurs jours ,
et n'a pu parler , très- malheureusement
pour lui , puisque sa famille a manqué
d'être la victime de son silence forcé.
De Paris , le 10 Septembre.
Le défaut de place nous força , la semaine
dernière , de remettre à celle- ci
le dispositif suivant , de la Déclaration
du Roi , concernant l'Emprunt de 80
millions.
Sa Majefté , approuvant dans tous les points.
la Délibération & le Décret de l'Affemblée Natinale
, a ordonné & ordonne ce qui fuit :
Art. I. Il fera ouvert au Tréfor royal un Emprunt
National de Quatre- Vingts Millions , & le
fieur Duruey , Adminiftrateur chargé de la recette
& des caiffes , eft autorifé à recevoir les
fonds des perfonnes de tout état & de tout pays
qui voudront s'y intéreffer , & leur en délivrera
des quittances de finance au porteur , avec promeffe
de les convertir en contrats , à la volonté
des prê:eurs.
II. Les quittances de finance ou les contrats
dans lesquels les porteurs feront libres de les con
vertir , porteront un intérêt de Cing pour cent ,
dont la jouiffance courra du premier jour du quartier
dans lequel on aura fait le payement ; &pour
cet effet , les quittances de finance qui ne feront
pas converties en contrats , feront garnies de coupons
d'intérêt , payables à bureau ouvert , & fans
diftinction de numéros , au Tréfor royal , de fix en
fix mois , à commencer du premier Janvier prochain
.
III . On payera au Tréfor royal , en argent
comptant , la moitié du capital pour lequel on
Giv
( 152 )
voudra s'intérefer dans l'Emprunt , & l'on fournira
pour l'autre moitié les Effers royaux au porteur
de toute nature , & les contra s échus en
remboursement ; les capitaux feront reçus en
compte à aifon du dernier Vingt des intérêts
excmpts de retenue , qui y font attachés.
IV. Ainfi , pour acquérir , par exemple , une
quittance de finance de mille livres , il faud- a donner
cinq cens livres pour la moitié en argent compsant
, & pour l'autre moitié , nn capital de cinq
cens livres en Effets à Cinq pour cent fans retenue
, ou un capital de fix cens vingt - cinq livres
à Quatre pour cent , & dans ces mêmes proportions
pour les Effets dont les intérêts font
fujets à des retenus .
>
V. Les reconnoiffances fournies par le Tréfor
royal , à ceux qui fe font intéreffés à l'Emprunt
National de Trente Millions , feront reçues dans
cer Emprunt-ci comme argent comptant.
VI. Les quittances de finance qui feront délivrées
, & les contrats qui feront conftitués , feront
numérotés à l'effet du remboursement ci - après
énencé .
VII. Ce remboursement fera d'un Dixième
foit de Huit millions chaque année ; le premier
tirage fe fera dans les premiers jours de Décembre
de l'année prochaine , & les autres fucceffivement
d'année en année à la même époque.
VIII. Les intérêts qui pourront être dus fur les
Effets qu'on donnera en payement , feront alloués
comme complant jufqu'au jour où l'intérêt du
préfent Emprunt commencera à courir ; & quast
aux Effets dont l'intérêt auroit éré payé d'avance ,
les prêteurs feront obligés de reftituer lefdits intérêts
depuis le jour où l'intérêr du préfent Emprunt
commencera à courir à leur profit , jufqu'à
l'échéance des fufdits Effets .
IX. Les effe : s & contrats qui feront fournis
( 153 )
pour moitié dudit Emprunt , feront conftatés par
un procès-verbal qui fera dreffé par deux Commiffaires
de notre Chambre des Comptes , que
nous nommerons à cet effet ; & lorfque l'Einprunt
fera rempli , les Effets au porteur feront
par eux incendiés , & le procès- verbal qu'ils en
drefferont fera rapporté par ledit ficur Duruey
, avec les contrats éteints dans la forme
ordinaire , pour juftifier des recettes & dépenfes
dudit Emprunt. Et feront fur la préfente
Déclaration toutes Lettres patentes néceflaires expédiées
.
Fait à Versailles , le vingt-huit Août mil fept
cent quatre- vingt- neuf. Signé LOUIS. Et plus
bas , par le Roi . Signé le Comte DE SAINTPRIEST.
LETTRE DU ROI aux Archevêques et
Evêques de son royaume.
A Verfailles , ce 2 Septembre 1789.
MESSIEURS ,
9%:
Vous.connoiffez les troubles qui défolent mon
Royaume; vous favez que dans plufieurs Provinces
, des brigands & des gens fans , aveu s'y font
répandus , & que non contens de fe livrer euxmêmes
à toutes fortes d'excès , ils font parvenus à
foulever l'efprit des Habitans des Campagnes ; &
portant l'audace jufqu'à contrefaire mes ordres
jufqu'à répandre de faux Arrêts de mon Confeil ,
ils on perfuadé qu'on exécuteroit ma volonté ,
ou qu'on répondroit à mes intentions en attaquant
les Châteaux , & en y détruifant les archives &
les divers titres de propriétés. C'est ainsi qu'au
nom du Souverain , le Protecteur-né de la juſtice ,
& au nom d'un Monarque qui , je puis le dire
s'en eft montré le conftant défenfeur pendant fon
Gy
154 )
règne , on n'a pas craint d'exciter le peuple à des
excès , que les plus tyranniques oppreffeus auroient
craint d'avouer. Enfin , pour augmenter la
co fufion & réunir tus les malheurs , une contrebande
foutenue à main armée , détruit avec un
progrès effrayant les revenus de l'Etat , & tarit
les reffources deftisées , ou au payement des dettes
les plus légitimes , ou à la folde des troupes de
terre & de mer , ou aux diverfes dépenfes qu'exige
la fûreté publique.
Ce n'eft pas tout encore ; un nouveau genre de
calamité a pénétré mon ame de la plus fenfible
affliction : mon peuple , renommé par la douceur
de fes moeurs & de fon caractère ; mon peuple ,
dans quelques endroits , heureuſement en petit
nombre , s'eft permis d'être l'arbitre & l'exécuteur
de condamnations que les dépofitaires des lois ,
après s'être livrés au plus mûr examen , ne déterminent
jamais fans une fecette émotion.
Tant de maux tant d'afflictions ont oppreffé
mon ame ; & après avoir employé , de concert
avec l'Affemblée nationale , tous les moyens qui
reftent en mon pouvoir pour arrêter le cours de
ces défordres ; averti par l'expérience des bornes
de la fageffe humaine , je veux implorer publiquement
le fecours de la divine Providence , eſpérant
que les voeux de tout un peuple , toucheront un
Dieu de bonté , & attireront fur ce Royaume les
bénédictions
dont il a tant de befoin. La beauté
des moiffons dans la plus grande partie du Royaume,
ce bienfait devenu fi néceffaire & fi précieux ,
femble
annoncer que la protection du ciel ne nous
eft pas encore entièrement retirée , & nous aurons
ainfi des actions de grâces à joindre à nos prières.
Accompagnez
ces prières des exhortations les plus
preffantes ; faites fentir au peuple , faites fentir
à tous mes fujets , que la profpérité de l'Etat , que
le bonheur des Particuliers , dépendent eſſentielle(
155 )
ment de l'exacte obfervation des lois. La violence
re peut jouir qu'un moment de fes fuccès & de
fes profpérités criminelles ; on s'élève bientôt de
toutes parts contre elle , & les hommes qui rompent
le pacte focial , ce fondement de la tra quil
lité publique , en reçoivent tôt ou tard la peine
inévitable.
Nulle part les fortunes ne font égales , & elles
ne peuvent pas l'être ; mais quand les riches vivent
fa s défiance au milieu de ceux qui le font
moins , leur fuperflu fe reverfe néceffairement fur
l'induftrie , le commerce & agriculture ; & comme
leurs jouiflances font bornées par les lois immuables
de la Providence , fouvent ils font moins heureux
que ceux dont la vie , occupée par le travai !,
fe trouve à l'abri du tumulte des paffions. Mais
ce que vous devez fur- tout rappeler à mes fujets ,
c'eſt qu'en raflemblant autour de moi les Repréfentans
de la Nation , j'ai eu principalement à coeur
d'adoucir te fort du peuple par toutes les difpofitions
qui me paroîtroiest pouvoir fe concilier
avec les devoirs de la juftice . Déja , par un même
efprit , les Prélats , les Seigneurs , les Gentilshommes
, les hommes riches de tout état , fe difputent
à l'envi les moyens de rendre le peuple
plus heureux , & pour atteindre à ce but , ils offrent
des facrifices qu'on n'auroit pas eu le droit
d'exiger d'eux. Exhortez donc tous mes fujets à
attendre avec tranquillité le fuccès de ces difpofitions
patriotiques : éloignez-les , détournez - les
d'en troubler le cours par des infurrections propres
à décourager tous les gens de bien, Que le
peuple fe confie à ma protection & à mon amour:
quand tout le monde l'abandonneroit , je veillerois
fur lui ; mais jamais dans aucun temps il n'y
a eu en fa faveur un concours plus général de
volontés & d'affections de la part de tous les ordes
de la fociété. Exhortez - le donc , au nom de la
Gvj
( 156 )
Religion , à être reconnoiffant , & à montrer co
fentiment par fon obéiffance aux lais de la juftice :
avertiffez , inftruifez ce bon peuple des piéges
des méchans , afin qu'il rejette loin de lui , comme
des ennemis de la patrie , tous ceux qui voud oient
l'induire à des actes de violence , tous ceux qui
voudroient le détourner de payer fa part des charges
publiques , & le priver ainfi de l'honorable
qualité de Citoyen de l'Etat .
Les divers impôts qui compofent les revenus
pub'ics feront examinés dans le cours de l'Aſſemblée
nationale ; ceux qui paroîtront trop onéreux ,
feront remplacés par d'autres , & tous feront
adoucis fucceffivement par le ménagement & la
régularité des perceptions. Mais jufqu'à l'époque
prochaine, où les affaires feront arrangées , tous
mes fujets ont un égal intérêt au maintien de l'ordre
car la confufion entraîne la confufion , &
fouvent alors la fageffe des hommes eft impuiffante
pour remedier à la grandeur des maux , &
pour arrêter le progrès des inimitiés & des déhances
mutuelles. Je ferai pour le rétabliſſement
de l'ordre dans les finances , tous les abandons
perfonnels qui feront jugés néceffaires ou convenables
; ca no pas feulement aux dépens de la
pompe ou des plaifirs du trône , qui depuis quelque
temps fe font chargés pour moi en amertumes
, mais par de plus grands facrifices , je voudrois
pouvoir rendre à mes fujets le repos & le bonheur.
Venez donc à mon aide, venez au fecours de
P'Etat par vcs exhortations & par vos prières ; je
vous y invite avec inftance , & je compte fur
votre zèle & fur votre obéiflance.
L'agitation du Palais-Royal s'est calmée
par l'interposition de la Milice Parisienne .
Voici un précis des circonstances de ce
?
( 157 )
mouvement, de son but et de son issue :
Les idées répandues depuis quelques jours ,
contre le Veto et contre le projet du Comité
de Constitution , firent explosion le dimanche
30 août dans le Palais - Royal ; elles étoient
enracinées dans la tête de M. de St. Huruge ,
Gentilhomme de Bourgogne , renfermé longtemps
à Charenton . Il couroit les cafés ,
disant qu'il falloit arrêter le haut Clergé , en
faire justice , punir les traîtres des Communes
, qui abandonnoient la cause du peuple ,
etc. etc. , et fit des prosélytes . Bientôt s'élevèrent
d'autres prédicans , d'autant plus impétueux
qu'ils étoient moins instruits . Ceux - ci
disoient que l'Empereur avoit fait la paix
avec le Turc , et qu'il avançoit avec une
armée de cent mille hommes : ils proposoient
d'aller chercher le Roi et le Dauphin qu'ils
garderoient au Louvre , n'étant plus en sûreté
à Versailles ; ils désignoient d'autres
personnes dont il étoit important de s'assurer,
celles que l'on conduiroit à la lanterne , celles
qui ne méritoient que le carcan , ete . Ce
n'étoient - là cependant que les acteurs du
dehors ; les vrais Tragédiens étoient dans le
Café de Foy , et leur troupe s'intituloit Assemblée
patriotique. Ces patriotes faisoient
des Motions plus raisonnées ; ils parloient
de la Sanction Royale ; ils connoissoient fe
Veto. Après s'être bien enflammés mutuellement
, voici l'arrêté qu'ils dressèrent vers les
2 heures du soir , pour être envoyé aux différens
Districs et aux Provinces :
- « L'article II de la Déclaration des droits
porte la libre communication des pensées ,
etc.; nous sommes actuellement au moment
décisif de la liberté françoise ; instraits que
( 158 )
-
plusieurs Membres s'appuient sur différens
articles des cahiers , il est temps de les rappeler
, de les révoquer ; et puisque la personne
d'un Député est inviolable et sacrée ,
leur procès leur sera fait après leur révocation.
Le Veto n'appartient pas à un seul
homme , mais à 25 millions. Les Citoyens
réunis au Palais-Royal pensent que l'on doit
révoquer les Députés ignorans , corrompus
et suspects . Délibéré au Palais -Royal , ce 30
août. –Il a été arrêté unanimement de partir
sur- le-champ , tant pour y arrêter l'effervescence
Aristocratique , que pour y protéger
les jours des dignes Députés qui y sont en
danger. D'après cette résolution , 10 à 12
Députés , M. de St. Huruge à leur tête ,
partirent pour Versailles il étoit alors près
de minuit. 80 ou 100 curieux les accompagnoient
, et les quittèrent à la place Louis
XV.
:
L'Hôtel-de-Ville très bien informé de leurs
dispositions , avoit envoyé des patrouilles sur
le chemin ; en sorte que MM les Députés ,
à peine arrivés à Passy , furent obligés de
rebrousser chemin. Le lendemain , M de la
Fayette fit sentir à M. de St. Huruge l'irrégularité
de sa conduite : celui - ci se rejeta sur
son zèle , et offrit de remettre le calme ; on
le vit , en effet , en tête de la patrouille du
Palais Royal , aussi disposé à contenir les
Motionnaires que la veille il s'étoit montré
ardent à les exciter.
Ce même jour 1er. Septembre , les
Représentans de la Commune firent afficher
l'Extrait suivant de leur Procèsverbal.
L'Assemblée des Représentans de la Com(
159 )
mune , profondément indiguée de ce qui s'est
passé ces jours derniers au Palais -Royal ;
Voyant avec une nouvelle douleur que ,'
lorsque soixante Districts sont ouverts au zèle
des Citoyens pour discuter leurs vues sur le
bien public , on continue à profaner par des
calomnies atroces et des Motions sanguinaires
, la demeure d'um Prince également chéri
et honoré de la Nation ;
Voyant , dans ces mouvemens séditieux ,
les derniers efforts des ennemis de la Nation ,
qui essaient , par une subversion générale ,
de nous faire regretter l'affreuse paix du Despotisme
;
Sentant combien il importe à la prompte
régénération du royaume de s'en rapporter ,
sur les grandes questions qui s'agitent aujourd'hui
dans l'Assemblée Nationale , aux grands
principes qui l'ont dirigée , et au sincère dévouement
d'un Roi Citoyen qui s'honore de
concourir au bien général ;
Convaincue de la nécessité d'éteindre , dés
sa naissance , un incendie qu'on voudroit répandre
dans tout le royaume , et d'étouffer
des complots secrets et pervers dont des Citoyens
honnêtes et trompés pourroient devenir
eux-mêmes les victimes , après en avoir été
involontairement les complices ;
Persuadée qu'il est de l'honneur de la Ville
de Paris de préserver le royaume de la crainte
des troubles les plus désastreux , après l'avoir
sauvé des attentats de la tyrannie Ministérielle
;
Egalement blessée d'avoir vu la dignité de
la chose publique compromise par les menaces
et les gestes que se sont permis , jusques dans
son sein , des particuliers qui se sont dits
Députés par les Habitués du Palais-Royal , et
( 160 )
qui n'avoient été reçus dans l'Assemblée , que
parce qu'ils s'étoient annoncés comme des amis
de l'ordre et de la paix ';
Avertie ,›`par ce cri qui s'est élevé dans l'Assemblée
Nationale : « Les Chefs de la Commune
de Paris peuvent- ils garantir aux Représentans
de la Nation la tranquillité de leurs
délibérations ? » qu'elle a un devoir sacré à
remplir , sur lequel elle regarderoit un doute
comme le reproche le plus humiliant ;
Déterminée par de si puissantes considérations
:
L'Assemblée déclare qu'elle persiste invariablement
dans ses arrêtés contre les attroupemens
et les Motions du Palais - Royal ;
Que rien ne pourra plus l'engager à suspendre
les mesures les plus sures pour réprimer
des désordres qui pourroient enlever à
la France les fruits de la plus heureuse révolution,
et deshonorer le caractère des François ,
En conséquence , elle charge M. le Commandant-
Général de déployer toutes les forces
de la Commune contre les Pertubateurs du
repos public ; de les faire arrêter et constituer
dans les prisons , pour leur procès être instruit
selon la nature des délits ;
Elle ordonne que le présent Arrêté sera ,
sur- le - champ , envoyé dans tous les Districts ,
pour qu'ils aient à veiller et à concourir à
son exécution ; et elle invite tous leurs Alembres
à en signer un Exemplaire , afin qu'il
devienne un désaveu authentique de tous les
excès et désordres dont la ville de Paris auroit
éternellement à rougir , si de vrais Citoyens
pouvoient être soupçonnés d'y avoir eu part.
Signés , Vauvilliers , Blondel et Vicendon ,
Présidens ; Brousse- Desfaucherets , et de
Joly , Secrétaires .
( 161 )
Malgré cet Arrêté , à huit heures du
soir , le café de Foy se remplit , les Motions
recommencèrent , et la foule écoutoit.
Au milieu des bravo redoublés , se
présenta une Patrouille Bourgeoise ;
d'autres la suivirent la terreur s'empara
des Orateurs et Auditeurs , et le café
fut bientôt vide . Le lendemain , M. de St.
Huruge fut arrêté et conduit à la prison
prévôtale du Châtelet . Quelques autres
Docteurs ont subi le même sort .
Madame Comtesse d'Artois est partic
samedi pour Turia , où le Prince son
Epoux est arrivé depuis trois semaines.
Le même jour , les quatre bataillons -
de Gardes- Suisses ont prêté , à l'Hôtelde-
Ville , le serment décreté par l'Assemblée
Nationale , et sanctionné par
Sa Majesté .
Peu d'instans avant le retour de M.
Necker, on répandit une prétendue lettre
du Roi à ce Ministre , et sa Réponse .
L'une et l'autre se distribuèrent avec
profusion , furent réimprimées dans diverses
Feuilles publiques ; et comme ,
depuis quinze jours , elles restoient sans
aucune réclamation , ce silence affoiblit
les doutes violens que nous avions sur
leur authenticité . En effet , il a existé
une lettre et une réponse ; on nous en
a adressé dernièrement la copie exacte
qu'on va lire , et en la confrontant avec
les suppositions qu'on a eu la témérité
( 162 )
de publier , on pénétrera facilement le
but de cette imposture .
Lettre du Roi à M. NEcker.
Versailles , le 16 Juillet 1789 .
« Je vous avois écrit , Monsieur , que dans
un temps plus calme je vous donnerois des
preuves de mes sentimens ; mais cependant
le désir que les Etats - Généraux et la ville de
Paris témoignent , m'engage à hâter le moment
de votre retour. Je vous invite donc à
revenir le plas tót possible reprendre auprès
de moi votre place . Vous m'avez parle , en
me quittant , de votre attachement : la preuve
que je vous demande est la plus grande que
vous puissiez me donner dans cette circonstance.
>>
"
Signé , LOUIS .
Réponse de M. Necker.
SIRE ,
Je touchois au port , que tant d'agitations
me faisoient désirer , lorsque j'ai reçu la lettre
dont Votre Majesté m'a honoré . Je vais retourner
auprès d'Elle pour recevoir ses ordres
, et juger de plus près si en effet mon zèle
infatigable et mon dévouement sans réserve
peuvent encore servir à Votre Majesté. Je
crois qu'Elle me désire , puisqu'Elle daigne
m'en assurer , et que sa bonne foi m'est connue
; mais je la supplie aussi de croire , sur
ma parole , que tout ce qui séduit la plupart
des hommes élevés aux grandes places , n'a
plus de charme pour moi , et que sans un
sentiment de vertu , digne de l'estime du Roi ,
c'est dans la retraite seule que j'aurois nourri
( 163 )
l'amour et l'intérêt , dont je ne cesserai d'être
pénétré pour la gloire et le bonheur de Sa
Majesté. »
Signé , NECKER.
Basle en Suisse , le 23 Juillet 1789.
Par un Arrêté unanime , du 29 août
le District des Blancs - Manteaux a
ouvert une Souscription Patriotique et
Volontaire , dont le terme sera prorogé
jusqu'au 20 d'octobre inclusivement
pour laisser aux Citoyens qui pourroient
être à la campagne , ou qui n'auroient
pas encore reçu leurs rentes , la satisfaction
de participer à cet acte de patriotisme.
Les contributions seront remises
entre les mains de M. Fourcault
de Pavant , Notaire et Trésorier du
District , lequel donnera des récépissés
aux personnes qui en demanderont.
Le 20 octobre , les fonds seront versés
entre les mains du Trésorier que M.
Neckerindiquera .
Le présent Arrêté sera envoyé à M.
le Président de l'Assemblée Nationale ,
aux Représentans de la Commune , à
tous les Districts , à M. Necker , et
affiché dans l'étendue du District des
Blancs - Manteaux. On imprimera la
liste des Contributions et celle des Sauscripteurs
, s'ils le désirent.
Le même zèle avoit produit le même
effet dans celui de Saint - Nicolas - des-
Champs.
7
( 164 )
Nous venons de recevoir une lettre , que
les bornes de ce Journal ne nous permettent
pas d'y insérer en entier. Eile est relative à
M. Bessin , Procureur au Châtelet , Commandant
la Garde Bourgeoise de Saint -Merry .
Des Feuilles périodiques ont dit qu'il avoit
plutôt pris qu'obtenu la parole dans la Séance
de l'Assemblée Nationale , du 18 Juillet dernier
, où il s'étoit présenté pour engager M.
Target à demander des secours pour les Habitans
du Faubourg Saint- Antoine . Le fait est
que n'ayant pas eu le bonheur de trouver
M. Target , et emporté par son zèle , il peignit
leur état de détresse à quelques Députés
qui se trouvoient dans la pièce qui sert de
vestibule à la Salle . On l'y porta , et une fois
entré , il s'adressa à M. l'Archevêque de Paris ,
qui lui promit des secours. Un Membre de
l'Assemblée exigea qu'il communiquât à haute
voix les motifs de sa démarche : ille fit en
parlant d'après son coeur , et les Députés de
la ville de Paris votèrent les 45000 liv . dont
la distribution a été faite aux indigens du
Faubourg Saint- Antoine, Il est certainement
extraordinaire qu'une action aussi louable quecelle
de M. Bessin , ait été l'objet de rapports
altérés , qui ont donné lieu à des interprétations
malignes , faites pour décourager les Citoyens
zélés.
Nous devons une mention abrégée de
différentes lettres que nous avons reçues
de plusieurs Provinces , et qu'il nous a
été impossible de placer plutôt.
Un de nos Abonnés nous manda , le 8
Août , que la Bresse a été préservée des désastres
des provinces voisines , par les soins
( 165 ).
vigilans des Officiers de Bourg. Alarmés des
troubles de la Capitale , menacés de l'incursion
des brigands , les Habitans s'armèrent
et mirent les deniers publics sous bonne garde,
dès le 16 Juillet une jeunesse nombreuse
forma aussitôt une légion , parvenue aujourd'hui
à une Tactique Militaire fort exacte, qui ,
en se portant par pelotons là où sa présence
étoit nécessaire , a rétabli par- tout la sécurité .
Les Officiers Municipaux ont prévenu l'incendie
des titres et des châteaux : tout est demeuré
dans l'ordre ; l'acquittement des tributs royaux
n'a pas été interrompue , les brigands ne se
sont point montrés dans la Bresse ; les Habitans
du Bugey en ont garanti leurs frontières
, et ont aidé à les détruire dans le Dauphiné.
La ville de Pont - de -Vaux , dans la même
Province , dont un projet d'embellissement
avoit fait abattre les portes , prit les armes ,
le 19 Juillet , sous la conduite de MM . Racle
Ingénieur , et le Chevalier de Moncrot de Gripière.
Les avenues furent défendues par des
retranchemens et des barrières garnies chacuue
de 12 canons de deux livres de balle.
L'incendie des châteaux du Mâconnois paroissant
vouloir se propager jusqu'à Pont - de-
Vaux , M. Berthet , arrêta les Chefs de l'ameu .
tement , avant que le nombre des séditieux
pût devenir redoutable.
On doit aussi beaucoup à la prudence de
MM. Guichelet , l'un Premier Syndic , l'autre
Doyen Curé , Députés dans chaque village par
le Comité de Pont- de - Vaux , qui a eu la satisfaction
de devoir le rétablissement de la
tranquillité , bien plus encore à la persuasion ,
qu'aux armes.
( 166 )
Une lettre de Saint- Etienne en Forez , du
18 Août , nous annonce qu'il n'est peut- être
pas de ville en France , où l'alarine généralement
répandue , ait excité autant de mouvemens
et de dispositions de défense . On
prétendoit que 4000 brigands incendioient
Saint - Chamond , à deux lieues de Saint-
Etienne en moins de deux heures , 10,000
hommes sont armés , des Ecclésiastiques et
des Moines prennent le mousquet ; mais bientôt
on apprend que les brigands n'avoient
seulement pas paru à Saint-Chamond. La
sécurité rétablie dans la ville ne le fut pas
également dans les villages circonvoisins. Des
curieux entendant le tocsin , ainsi
que quelques
coups de fusil tirés par des imprudens ,
et voyant de demi-lieue une fumée épaisse
et des bouffées de flamme qui provenient
d'une cheminée , où effectivement le feu avoit
pris , regagnèrent leurs foyers , en annonçant
que Saint - Etienne étoit à feu et sang. Les
femmes , les vieillards , les poltrons et les
enfans , se réfugiérent dans les carrières de
charbon . Le jour vint et dissipa cette terreur
panique ; on n'en conclut pas moins qu'il
falloit s'armer : c'est ce qu'on a fait par- tout.
Un Volontaire d'Orléans nous écrit , que
le samedi 15 Août , 88 brigands , se disant
moissonneurs , se présentèrent à Bascon en
Beauce , et le lendemain à un château voisin ,
où ils demandèrent , sous une heure , la tête
du fils du Seigneur , M. Tassin , qui ne se
racheta que par une contribution de 1200 liv .
et le pillage de ses caves. Des Troupes bourgeoises
à pied et à cheval , de la Maréchaussée
, des Soldats du Régiment Royal-
Comtois , et des Cavaliers de Royal - Rous167'
)
sillon , donnèrent la chasse à ces brigands ,
dont on portoit le nombre à 2000 ; il étoit
sans doute fort exagéré. On en prit 45 dans
les bois ; ils seront jugés incessamment.
M. Tassin , vieillard octogénaire , à qui
les Soldats du détachement vinrent rapporter
16 louis arrachés aux brigands , voulut leur
en faire accepter 25 : douze d'entre eux les
portèrent au Comité , en priant de les disiribuer
aux pauvres d'Orléans . ,
Le 29 Juillet , une fausse alarme se répand
dans l'Angoumois et dans la Saintonge.
On annonce l'arrivée de quarante mille brigands
cette nouvelle s'accrédite , malgré
l'invraisemblance et l'exagération . Toutes les
Paroisses veulent se mettre en état de défense
, une multitude de paysans armés de
faulx de fourches , de piques et de fusils ,
tournent ces armes prises pour leur défense ,
contre les Seigneurs tant Nobles que Roturiers
, et les commis des Aides . Ils les forcent
à renoncer , par- devant Notaire , à leurs droits.
et priviléges ; ils foulent même aux pieds
les cordons et les croix . A Baigne , ville du
petit Angoumois , 2000 hommes pillent la
Direction des Aides , brûlent , déchirent les
meubles et les papiers de famille du Directeur
, emprisonnent les Commis , prennent
la recette , boivent le vin malgré tous les
efforts du Comte de Montauzier , injurié ,
forcé aux plus grands sacrifices par cette
troupe de furieux , et qui n'a sauvé sa vie
qu'avec peine. Voilà du moins ce qu'on nous
a écrit de Saintonge , et nous désirons que
ce récit soit exagéré .
« Le Seigneur du Marquisat d'Huxelles
» Cormatin , réclame en faveur des habi(
168 )
*
» tans du bourg de ce nom , la gloire qui
» doit leur revenir du service signalé qu'ils
« ont rendu à la province de Bourgogne. En
» rendant justice à la Bourgeoisie de Cluny
* qui défendoit l'Abbaye , il prétend qu'une
» trentaine de particuliers de Cormatin
» l'ayant mis à leur tête , ils ont tué vingt
brigands , fait 60 prisonniers , et dispersé
» ces scélérats , qui le lendemain devoient
» se joindre avec 12 mille autres . »
"
K
Les Officiers municipaux et Electeurs de
la ville de Melun , nous prient d'annoncer
que les Cavaliers du Régiment Royal Cravatte
ont fait distribuer aux pauvres de cette ville ,
la gratification qui leur avoit été offerte par
les Electeurs.
Une lettre de Montbard , en date du
21 août , trop étendue pour entrer dans
ce Journal , mais trop intéressante pour
la passer sous silence , puisqu'elle regarde
la mémoire de M. de Buffon , nous
apprend que le fils de ce grand homme
a été reçu , à son retour de Bayonne ,
Bourgeois de la Ville et Cité de Bordeaux
, par laquelle il passoit le 8 août
dernier.
Le Corps Municipal a donné de cette
distinction flatteuse des motifs encore
plus flatteurs . Elle a été accordée à M.
de Buffon , à l'Hôtel- de-Ville , où il
avoit été invité de se rendre , dès qu'arrêté,
faute de passe - port , il s'étoit vu forcé
de se nommer. C'est au fils d'un homme
de génie , à l'ami intime de M. et Mde.
Necker , que la ville de Bordeaux a
cru
( 169 ).
eru devoir offrir ce témoignage de son
estime pour le père , et pour les illustres
amis du Fils , Major en second du Régiment
Royal- Angoumois Infanterie.
M. de Buffon, dans sa reconnoissance ,
a fait présent à la Ville du buste de
son père. Il a assisté à la représentation
du Siége de Calais ; à la suite de la
petite pièce , une Actrice lui ayant
adressé des Couplets où on lui donnoit
le titre d'intime ami de M. Necker,
il répondit modestement : Ces MM. me
font l'honneur de me donner la qualité
d'ami intime de M. Necker ; je voudrois
la mériter, mais celle de son plus
fidèle ami me convenoit davantage ,
et étoit mieux appliquée à mon âge
et à ma façon de penser , qui ne me
permet pas de m'élever à l'autre.
Les Notables de l'isle d'Oleron nous
ont fait passer une lettre , en date du
27 juillet , dont voici le précis :
" Le Samedi 25 , à dix heures du matin , les
Notables de Fife , précédés de la mufique des
Volontair.s - Bretons , portèrent au Baron de Verteuil
la cocarde . Ce Gouverneur la reçut ainfi
que MM. du Domaine , & M. de Capy, Colonel
- Commandant les Volontaires. Le 26, le
Gouverneur & fon Etat-Major rendirent vifite
aux Notables & aux Officiers de la garniſon . On
porte par-tout la cocarde ; on crie par-tout ,
Vive le Roi, vive la Nation. »
No. 37. 12 Septembre 1789. H
( 170 )
Autre Lettre au Rédacteur.
Mâcon , le 31 Août 1789.
» Un article du No. 32 de votre Journal ,
page 140 , fembleroit indiquer que le Pailliage
de Saint-Claude a éprouvé les faneftes commotions
qui ont été fi fatales à la plupart des autres
Diftris de la Franche- Comté.
Témoin oculaire de ce qui s'y eft paffé , je crois
vous préparer une jouiffance bien douce , en vous
mettant à même de rendre une juftice méritée
à la modération , à la fageffe , aux vertus de cette
petie contrée. Non -feulement elle a été parfaitement
tranquille , mais fa tranquillité a tenu à des
principes d'ordre & de moralité , dont peut- être
on eût excufé l'oubli dans les Serfs du Mont-Jura.
J'ai vu , Monfieur , ce bon Peuple , dont l'induftrie
& le commerce font les feules reffources ,
manquer de travail & de fubfiflance , & favoir
fouffrir fans murmurer. La Municipalité de Saint-
Claude , occupée conftamment des befoins immenfes
de fes eftimables concitoyens , n'a oublié
aucune des mefures propres à les prémunir contre
des erreurs devenues trop communes ; aucune des
précautions que la fureté intérieure réclamoit , n'a
été négligée , & tel étoit l'objet de l'emprunt
d'armes demandées à la République de Genève ;
mais ces démarches n'atteftent que la prévoyance
des Officiers Municipaux .
La première étincelle de la difcorde a été pour
cet heureux canton un fignal de fraternité : auffitôt
les habitans fe raffemblent , & par une folennelle
délibération , fe hâtent de prendre fous leur
fauve-garde les perfonnes & les propriétés du
Chapitre Noble de Saint Claude , dont cependant
les droits féodaux pefoiest fur la plus grande
partie d'entre eux, Prefque au même inſtant , un
( 171 )
particulier de l'ordre de la nobleffe , qui ailleurs
peut- être eût été regardé comme un prifonnier
d'otage , eft unanimement adopté par la Commune
& proclamé citoyen ; d'iftinction plus honorable
encore dans la circonftance à ceux qui l'ont
accordée qu'à celui qui en a été l'objet .
Cette noble modération a été imitée par les babitans
même des campagnes . Un Propriétaire de
fiefs voit , avec quelque furprife , arriver chez lui
une troupe de campagnards : Nous fommes tous ,
s'écrient à l'inftant ces bonnes gens , nous fommes
tous vos vaffaux , & de vos amis ; nous ne favons
pas commettre des crimes ; vos propriétés feront
refpectées , vos droits facrés ( & ces droits étoient
ceux de main-morte.... ! ) Si vous redoutez quelque
chofe , venezparmi nous , vous aurez autant de gardes
que d'habitans. Les nombreux vaffaux du Chapitre
de Saint- Claude , comptant , avec taifon , fur les
fentimens patriotiques de leurs Seigneurs , fe font
contentés de leur propofer le rachat des droits
auxquels ils font affujetiis , quand de toutes parts
ils recevoient le dangereux exemple d'en exiger
le facrifice , & d'en confommer la ruine par le
fer & par le feu .
Rien n'eft plus intéreffant que ce rare accord
de la douceur & de l'énergie , de la modération
& du fentiment de fa force , qui règnent enfemble
dans le coeur de ces montagnards , que
certes on n'accufera pas d'ignorer leurs avantages .
J'ai quitté , avec un fentiment bien pénible , ce
fejour de la paix & des vertus fcciales , pour venir
dans ma patrie être le trifte témoin du plus
étrange & du plus affligeant des contraftes ( 1 ) .
(1 ) Le danger qu'a couru la famille de M.
Chifin , dans le Bailliage de Saint -Claude , d'après
la fauffe imputation de quelques Journaliſtes,
Hij
( 172 )
Autre Lettre au Rédacteur.
MONSIEUR ,
» Il n'eft pas poffible de l're tous les Journaux
qui paroiffent ; mais le Mercu e de France continue
à fe lire par-tout. Je vo s prie donc d'y inférer
ma lettre : elle foumer à l'examen des Repréfentans
de la Nation , une obfervation importante ,
pour une des villes du pays de Caux , fur les
fuites de la fuppreffion des juftices feigneuriales.»
« Les frais de procédures font beaucoup moins
onéreux dans les Hautes-Juftices que dans les
Bailliages ; cependant le voeu de la majeure pare
tie des Cahiers étoit de ne conferver que des
Bailliages 1 °. parce que les Hautes -Juftices font
trop multipliées , que les Seigneurs y ont trop
d'empire fur les veffaux , & que plufieurs fe refufoient
de faire les frais des Procès crimine's ;
2º. parce que plufieurs de ces Hautes- Juſtices relevoient
d'un Bailliage , quelquefois même hors
le reffort de la Province , ce qui occafionr.oit trois
degrés de jurifdiction & bien des déplacemens
pour le vide des Procès ; 3 ° . & enfin , parce qu'il
paroît plus dans l'ordre que la juftice foit rendue
par les Juges royaux. Ces motifs ont déterminé
la fuppreffion des Juftices feigneuriales. »
» Comme il n'eft point de règles fans exception
, il n'eft pas étonnant que ce te fuppreffion ,
que que fage qu'el'e foit , n'occafionne des réclamations
, dont il eft jufte de s'occuper. »
» Fécamp eft une ville qui , par fon port de
fembleroit infirmer le contenu de cette Lettre
mais , probablement , elle étoit antérieure au fit
que nous avons rapporté dans le Supplément de
l'Affemblée Nationale.
( 173 )
mer , eft devenue très- commerçante , & dont
l'étendue s'accroît tous les jours. De temps immémorial
il y exifte une Haute-Juftice , compofée
d'un Sénéchal , un Lieutenant & un Procureur-
Fifcal : elle a plus de 60 Paroiffes dans fon extention
, & n'eft reffortiffante par appel que du
Parlement de Rouen. Elle a toujours été fi bien
entretenne , que huit à dix Avocats fuffifent à
peine pour la répartition de toutes les affaires
qui s'y préfentent . Les Officiers de Juftice , &
prefque tous les Avocats , demeurent dans la ville ;
l'audience s'y tient régulièrement tous les famedis ,
& il ne peut y avoir de plaintes pour la prompte
expédition des affaires . Les plus proches Bailliages
qui l'environnent font , Montivilliers , éloigné de
6 lieues ; Cany , éloigné de 5 lieues , & Caudebec
, éloigné de 9 lieuss . "
» Lorfque certe Vile , avec fon extenfion ,
fera fans jurifdation , & forcée de recourir àl'un
des Bailliages circonvoifins , il y a lieu de crain
dre de la voir réduite à un Bourg ifolé , & l'on
doit d'ailleurs déja préfumer que fon commerce
ne peut tenir fans Juges , parce que plus une Ville
eft étendue , plus elle eft peuplée ; plus elle eft
commercante , plus elle a befoin d'ordre . Et qui
maintient l'ordre ? ce font les Lois & les Juges.
La Ville de Fécamp participe la régénération
de l'état ; elle ne doit donc pas craindre d'être
abandonnée par ceux qui en font les Repréfentans
: elle peut voir fi telle eft l'intention des Repréfentans
de la Nation. Ses Juges , deftitués &
renvoyés à l'état privé , après avoir paffé leur
vie , fans regret , à l'étude des Lois la plus fuivie
pour remplir avec honneur , & felon leurs confciences
, les obligations immenfes de leur état ;
mais au moins elle doit efpérer de voir un Bailliage
fe former dans fon enceinte , & les Hautes-
Juſtices de Valmont & Fauville , réunies à fon
Hii
( 174 )
extenfion , feroient déja prefque fuffifantes pour
le complé er. Ce n'est point un confeil qu'elle
donne , c'eſt use fupplique jufte qu'elle adreffe
par la publicité de la préfente , & qu'elle croit
devoir être exaucée .
<<
«<
DUQUIL , Lieutenant de la
Sénéchauffée de Fécamp.
De Fécamp , ce 23 Aout 1789.
« On nous écrit de Lyon , du 19 Août,
« que le 7 de ce mois , M. Jean-Fran
« cois Hilaire , Avocat consistorial de
Grenoble , voulant donner dans les
« circonstances présentes , une preuve
authentique de son respect pour tou-
« tes propriétés légitimes , qu'il sefera
« tonjours undevoirde regardercomme
inviolables et sacrées, s'est rendu chez
un Notaire royal du Comté de Cler-
« mont , à la résidence de Saint- Grégoire
, y a fait constater par deux actes
« en forme , les rentes seigneuriales qu'il
* devoit à M. le Président de Barral et
« à Mde. de Pons , dont les titres vien-
« nent d'être détruits. Un trait de ce
* genre n'a pas besoin de commentaires ;
« mais tous les gens honnêtes ne sauroient
trop s'empresser de l'imiter. »
K
C'en est trop , sans doute , d'assassiner
les Citoyens et de les calomnier après
leur mort : c'est cependant ce qui étoit
arrivé à l'égard de M. de Belsunce , représenté
dans diverses Feuilles publiques
, comme ayant provoqué l'abomi(
175 )
nable tragédie dont il a été la victime.
Le Corps des Officiers du Régiment de
Bourbon , auquel il appartenoit , nous
a fait parvenir une relation détaillée et
authentique de ce qui s'est passé à Caen ,
la nuit du 11 au 12 Août ; relation confirmée
par une lettre des Membres du
Comité général de cette ville à celui du
Havre. Elle est , suivie d'une lettre des
Officiers municipaux du Havre aux Officiers
du Regiment de Bourbon , envoyé
en garnison à Lisieux ; enfin , d'un certificat
du Comité général national de cette
dernière ville , et d'une permission d'imprimer
et de répandre ces pièces justificatives.
Tant de témoignages authentiques
prouvent que la mort de M. de
Belsunce a été l'effet de soupçons mal
fondés et de rapports inexacts.
Son Régiment , en garnifon à Caen depuis le
12 février , avoit réprimé beaucoup d'émeutes
fans effufion de fang, quoiqu'il eût ordre de tirer
s'il le falloit : il eft vrai que deux de fes feldats
avoient arraché dans un cabaret la Médaille
donnée à deux du Régiment d'Artois ; mais loin
que M. de Belfunce l'eût ordonné , il l'ignoroit ,
& ne s'oppofá ní à la perquifition , ni à la punition
des deux coupables. Il reçet à huit heures
, ordre de forir de la Vile. Malgré la ré
pugnance à quitter fon Pefte , il alloit le faire ,
& n'avoit diféré que pour die adieu à fes Soldats
, en leur recommandant la paix entre eux
& les bourgeois. A neuf heures & demie la retraite
devint im offible ; le Quartier - général
étoit invefti : il fallut refter. Une defcription du
( 176 )
local , prouve , fuivant les Officiers du Régiment
de Bourbon , auteurs de cette relation , que
le Régiment vouloit fe borner à la défenſive ;
elle prouve également qu'en faifant couler le
Sang , il étoit facile d'échapper. Cependant , des
furieux demandent fa tête. Le Comité engage
le Major en Second à vezir fe juftifier. M. de
Bellunce , ne voulant que perfonne s'expofe
pour lui , accepte deux ô: ages , fe remet entre
les mains das Volontaires , monte à l'Hôtel- de-
Ville , y fubit un interrogatoire , fe réfout , fur
les obfervations du Comité , à être conduit au
Château , feul moyen de le fouftraire au Peuple
, qui vouloit enfoncer les portes . Au bout
de quelques heures , la Eourgeoifie vient redemander
les ôtages , en offrant en échange tous
les Officiers retenus , foit au Comité , foit dans
leurs chambres . M. le Duc d'Harcourt ordonne
au Régiment de quitter la Ville , & de fe rendre
à Lifieux :: nous cédons tout aux Bourgeois
armes & drapeaux exceptés. Le peuple diffère la
mort de M. de Belfunce jufqu'à notre fortie ;
notre arrière-garde , déja dans la campagne , entend
dans le lointain une décharge qui nous apprend
la fin tragique de ce jeune Officier.
On obfervera que cette relation que nous abré.
geons , eft fignée de tous les Officiers du Régiment
de Bourbon , qui atteftent au nom de
l'honneur , que M. de la Sauffaye , qu'on prétend
avoir tiré le premier fur la Sentinelle ,
l'a tué , n'avoit point de Piftolets . Notre impartialité
nous force de dire que ce fait eft
pourtant avancé dans la lettre très - favorable du
Comité de Caen , ou fe trouve it même ces propres
mots : La Cruauté qu'on a exercée contre M. le
Vicomte de Belfunce , nous a tous pénétrés de la
plus vive douleur.
( 177 )
Nous demandons graces à nos Lecteur
de les entretenir un instant d'une discussion
personnelle au Rédacteur de ce
Journal.
Chacun d'eux , peut fe rappe'er l'impartia-
Ité , avec laquelle on y a préfenté la queftion ,
agitée en Angleterre , sur l'Abolition de la traite
des Noirs. En manifeftant plufieurs fois , & fon
voeu pour le fuccès de cette mefure , & les argemens
de tout genre dont on l'appuyoit , l'Auteur
ne devoir pas déguifer les object ons , parce
qu'un Journalte eft rapporteur , non Juge . C'eſt
dars cet efprit qu'il a rendu les difpofitions
reçues à la barre de la Chambre des Communes.
"
« En réfumant ( No. 34. ) les opérations du
» Parle ent pendant la Seffion dernière , il
a obfervé que la difcuffion fur la traite des
Nègres avoit été amortie , peut - être à ja-
» mais , par l'inftruction teftimoniale. Que ceux
» qui avoient detiré le plus vivement
» prompte décifion , ont été les premiers à defi-
» rer qu'on la différâr ; que l'enthouſiaſme s'étoit
» éreint ma's qu'il pouvoit fe ranimer. »
une
M. Clarkfon , Auteur de quelques écrits , en faveur
de l'abolition de la Traite , Membre de
la Société Angloife , qui pourfuit cet objet , &
actuellement à Paris , a imprimé contre l'article
qu'on vient de lire , une lettre pleine d'amertume
, dars le Journal Patriote , Libre , Impartial
& National , par Jan- Pierre de Briffot de
Warville. Ce Journaliſte , qui , comme on le
voit , aime les grandes épithètes , a fa.fi cette cc
cafion de placer un Préambule , pour déclarer
qu'il aloit faire rentrer dans la pouffière , les fauf-
Jetées fcandaleufes imprimées par l'Auteur du Mercure
, & que cet Auteur du Mercure s'abreuvoit
du Sang des Hommes,
( 178 )
M Clarkfon nie que les folliciteurs de l'Abolition
, aient défiré le renvoi du décret du
Parlement. Cela peut être ; mais je n'ai pas le
tort de l'invention ; elle appartient aux papiers
Anglois leur affertion à cet égard , concouroit
d'ailleurs avec les apparences , puifque MM.
Wilberfonce, & autres défer.feurs zè és de la Caufe
des Noirs , avoient adhéré , fans débats , au renvoi
de la déciſion , après en avoir vivement réclamé
la promptitude. J'ai les plus fortes raifons
de croire qu'elle leur eût été contraire , fi on l'avoit
jugée à la fin de la Seffien ; mais je m'en rapporte
à M. Clarkson , & je veux croire que j'ai
été dans l'erreur.
Cet Arglois affirme enfuite , que l'enthoufiafme
ne s'eft point amorti , & i ! cite en preuve
fes amis & fes connoiffancer . Vraifemblablement
elles n'embraffent pas l'Angleterre entière , & il
n'a fans doute pu compter tous les fuffrages . Or ,
j'affirme à mon tour , & non fur l'autorité feule
des papiers publics , mais fur celle de plufieurs
lettres particulières , à moi adreffées par des perfonnes
dont le caractère eft non moins irrécufable
que celui de M. Clarkfon , qu'à la fin de la
Seffion , l'enthoufiafme s'étoit amorti . Je ne recherche
point les caufes du fait , ni le degré de
croyance que méritent les dépofitions entendues
par les Communes ; mais je répète , qu'à
tort ou raifon , elles ont rallenti le zèle d'une
partie du Public. M. Clarkfon me fait avancer
très-fauffement , que la queftion ne reparoîtra
plus. Je favois , auffi bien que lui , qu'elle étoit
ajournée à la prochaine Seffion ; mais j'ai
penfé , & je penfe encore , que fi le refroidiffement
fe foutient , le projet d'Abolition s'amortira ,
c'est-à- dire , qu'il fera rejeté.
Mais , en fuppofant que j'euffe ét trompé
fur ces faits , qui ne font , en dernière analyfe ,
179 )
que
que de faits d'opinion , M. Clarkson a- t- il le
doit , fans me connoître en aucune manière
d'interpréter mes intentions , comme il le fait ?
d'autorifer fon Editeur à caractérifer de fauffetés
fcandaleufes , ce qui ne feroit au plus qu'une erreur
juftifiable , & fur- tout d'imprimer que ma
conduite ne l'étonne pas , vu les peines qu'ont prifes
les planteurs pour corrompre la preffe , foudoyer
des écrivains , & s'affurer des meilleurs papiers pé- .
riodiques ?
les
M. Clarkfon n'a fans doute pas réfléchi fur
le fcandale d'une pareille accufation. Je le femme
à la face du Public , d'en dépofer & d'en publier
preuves. S'il ne le fait pas , je fuis en droit
de le pourſuivre comme calomniateur. Il eſt affreux
que l'enthouſiaſme puiffe entraîner un homme
qu'on dit fage , jufqu'à fe permettre de pareilles
horreurs & qu'un Anglois paffe la mer
pour attaquer de cette manière la probité d'un
homme qui lui eft abfolument inconnu . Je n'ai à
prendre , ni de lui ni de perfonne , des leçons
d'indépendance & de définterreffement.
Quant à M. Briffot , j'étois étonné que , depuis
qu'il a repris le métier de Journaliſte , il
n'eût pas encore honoré le Mercure , de quelques
invectives. Je lui laiffe le champ libre : j'aurois
trop à glaner fi j'entrois dans le fien. Dans
le même No que je viens de relever , ce Journaliftes
, nous apprend férieufement que 25000 Pruffiens
, tombés des nues , font aux portes de Maftricht
, pour libérer le Brabant Autrichien. Quelques
jours auparavant , il avoit avancé que les
Citoyens de Genève ne nommoient pas leurs Magiftrats
; tandis que des Chefs de la République ,
jufqu'aux Greffiers du dernier Tribunal de Police
, toutes les Magiftratures , font à l'élection
des Citoyens. Quand on écrit foi- même avec
tant de légèrété , il faudroit ménager fes juge(
180 )
mens. Au reſte , quels que fcient ceux de M.
Briffot , nous ne nous en cccuperons jamais. Nous
le prions feulement de relire fes Feuilles , lorfqu'il
fera tenté de nouveau de cous accufer de
boire le fang humain , & d'être perfuadé que
nous ne profiterons pas de fes leçons .
Dans un inftant où l'on frappe tous les abus ,
il est néceffaire d'en dénoncer un , qui , plus que
tout autre , menace la liberté & la fureté perfonnelles.
Depuis quelque temps , une c'affe d'Ecrivains
regarde toutes fes Opinions comme des
Dogmes , les décifions comme des oracles , fes
récits comme des Procès-Verbaux. Adopte- t - on
d'autres idées , que dis - je ? é'eve - t-on un doute ?
propofe-t-on une modification ? une voix furieufe
de Defpotifme dénonce , déchire , diffame
tout ce qui lui réfifte ; la moindre contradiction
qu'éprouve fa doctrine , devient un attentat au
droit naturel. Echappés au glaive cenforial , rous
tombons fous les affaffinats de l'intolérance. On
défigure les Opinions , on fufpecte les motifs , on
cherche à rendre odieux ceux auxquels on ne
peut répondre , & il n'eft peut - être maintenant
pas un efprit vraiment libre & indépendant
, qui ne gémiffe fous ce genre d'oppreffion.
La liberté de la preffe en fera le préfervatif
; mais pour que cette liberté ait fon efficace ,
il faut attendre le règne de la liberté des Opinions
, & nous en fommes encore bien éloignés
.
P. S. Dans le Journal du 29 août , on
s'est trompé en attribuant à M. Demeunier
l'assertion que la Déclaration des
Droits des Américains étoit un Acte
inepte, etc. M. Demeunier, au contraire,
a combattu cette opinion , avancée par
un autre Membre de l'Assemblée .
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 19 SEPTEMBRE 1789.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
INSCRIPTION
Pour le Portrait de TURGOT.
MINISTRE mi du Peuple , il vir en fa mémoire ;
Dans tout homme de bien il eut un partiſan ;
Au Roi même il fut cher, & pour comble de gloire
Il fut haï du Courtifan .
( Par M. D*** T*****. )
Nº . 38. 19 Sept. 1789 .
MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
de Logogriphe du Mercure précédent.
E mot de la Charade eft Vertu ; celui`
de l'Enigme CA Modération ; celui du Logogriphe
et Mail , où l'on trouve Ail , Mai,
Ma , II.
CHARADE.
AU nombre des fept tons, on compte mon premier ;
Au Pérou plus qu'ailleurs on trouve mon dernier ;
Un Saint Roi préféra là pefte à mon entier .
( Par une Languedocienne, âgée de 11 ans .)
ÉNIGM E.
TANTÔT au milieu de nos champs
D'un timide animal je fuis la condu&trice ;
Tantôt dans les appartemens,
Sous des fardeaux divers il faut que je gémiſſe ;
Tantôt dans la belle faifon ,
Sur la verdoyante prairie ,
Le jeune & tenire Philémon
Peint l'ardeur de fes feux à mon ame attendrie ;
DE FRANCE.
st
Tantôt entre mes bras à goûter le repos ,
J'invite ma beile Maîtreffe ;
Et le fommeil , dans cette douce ivreffe ,
Quelquefois fur les yeux vient verfer fes pavots.
( Par le frère de lajeune Languedocienn :. )
LOGOGRIPHE.
ON ne me trouve point aux lieux inhabités ;
Mais je fuis répandu dans le rete du Monde :
Et plus grandes font les Cités ,
Plus auffi ma fource eft féconde.
Je fuis le plus fouvent à terre >
Plutôt à droite , à gau he , & devant , que derrière.
De moi l'on fait fort peu de cas ,
Auffi chacun me met à bas ,
Sans s'embarraffer de ma chutes
Et fi ce n'ek vous à préfent ,
C'eft votre ami ,,votre parent ;
Ce fera vous dans la minute.
Ma forme eft forte irrégulière ;
Tantôt petit , & tantôt grand ,
Long , carré, rond , triangulaire ;
De vous , Lecteur , cela dépend .
Ai je affez dépeint ma figure ?
Venons à ma diffection :
De mes fept pieds , ôtez la couverture ,
Lors vous avez une belle action ,
C 2
52 MERCURE
Qu'on fait le plus qu'on peut , pour l'honneur de
Nature.
Mettez mon fecond chef à bas ,
Vous trouvez ce qu'on aime à faire
En France , ainfi qu'en Angleterre ,
Quand on pofsède maints ducats.
Il faut avoir bien bonne tête
Pour fupporter triple amputation ;
Je la fouffre pourtant ; cette fouftraction
Fait de moi la maligne bête
A poil tantôt blanc , tantôt gris ,
Qu'on apperçoit fouyent au plus haut de Paris.
Lecteur , à force de fouftraire ,
Tu m'as réduit à n'être rien :
La néceffité de me taire
Pour tous deux arrive fort bien.
( Par un Abonné. )
DE FRANCE.
53
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
LE grand Porte-feuille politique , à l'ufage
des Princes & des Miniftres , des Ambaffadeurs
& des Hommes de Loix , des
Officiers- Généraux de Terre & de Mer ,
ainfi que de la Nobleffe , du haut Clergé,
des Financiers , des Voyageurs , Amateurs
& Connoiffeurs de Sciences Politi
ques ; & enfin de tous ceux qui fuivent la
carrière politique , ou qui s'y deftinent :
en 19 Tableaux, contenant la Conftitution
actuelle des Empires , Royaumes , Républiques,
& autres principales Souverainetés
de l'Europe. Chacun de ces Tableaux
renferme , fur une feule furface
divifée en 22 colonnes , la Population du
Gouvernement qu'il repréfente , fa Conf
titution militaire de Terre & de Mer, fes
Revenus, fa Dépenfe générale, fa Dette
publique , fa forme & fon organisation ,
fa Conftitution législative , l'Adminiftration
de la Juftice , les Religions , les
Sectes & leurs principaux Dogmes , le
Caractère national , la Hiérarchie ecclefiaftique
, les Sciences & les Arts , l'Agriculture
& les productions du Sel ,
Commerce, la Navigation, les Monnoies;
& enfin des Obfervations furfes intérêts
3
le
54
MERCURE
particuliers , & fur fes relations avec les
autres Puiffances . Dédié aux Hommes
d'Etat , par M. BEAUFORT , employé
ci- devant dans les Miffions des Cours
Etrangères , imprimé avec l'agrément &
l'approbation du Ministère des Affaires
Etrangères de France. Prix , 30 liv. Se
trouve à Paris , chez l'Auteur , Hôtel de
Flandre, rue Dauphine , Nº . 82 ; & chez
Maradan , Libraire , Hôtel de Château-
Vieux, rue St- André- des - Arts.
ET Ouvrage , dont l'utilité fe fait fentir
à la feule ouverture du Livre , eft précédé
d'un Difcours , dans lequel l'Auteur pré
pare fes Lecteurs à fon plan , & où il en
jette , pour ainsi dire , les bafes. Une nomenclature
des grands Politiques qui ont
laiffé des Ecrits eftimables , tient une place
remarquable autant par le nombre des Miniftres
Ecrivains , que par le choix des
traits qui les caractérisent. Polybe eft le
premier ; Cicéron vient enfuite , & nous
Tommes perfuadés qu'on applaudira à la
manière dont l'Aureur juge les Livres de
la Republique. Philippe de Mézières , Armánd
Dolfat , Jeannin , Sully , Richelieu
, font préfentés avec la mefure canvenable
. Le dernier des négociateurs qui
paroiffe dans cette nomenclature , eft Callières
, qui n'eft pas le plus célèbre affusément
, mais qui , après tour, conclur , le
DE FRANCE
Traité de Rifvick. Tout ce que dit M.
Beaufort fur l'origine & fur la meilleure
forme des Gouvernemens, eit connu ; auffi
ne s'appefantit- il point fur cette partie de
fon Difcours : nous trouvons les idées fur
la définition du Syftême politique que chaque
Etat doit embraffer & fuivre , trèsjukes
& dignes d'être méditées ; il eût été
à défirer que fon plan lui permit la dif
cuffion & des développemens. La néceffité
du Systême pacifique , l'origine de l'équilibre
, la balance du Com: nerce , font des
articles intéreffans ; tous les Obfervateurs
fentiront auffi que le défaut d'un Sytême
fuivi occafionne des révolutions dans les
Empires . La République Romaine , & une
foule d'autres Puillances , en offrent de
nombreux exemples.
Nous pallons maintenant au corps de
l'Ouvrage. Nous ne diffimulerons point
que dans le Livre de M. Necker , dans
d'Expilly , dans les Dictionnaires de Gro
graphie , on ne trouve la plupart des objets
ralfembles par M. Beaufort ; mais il eft à
propos d'obferver que tout ce qui cft épars
dans plufieurs Volumes , ce qui manque
à ces Ouvrages élémenaires eft réuni fi
un feul feuiller , bie : clatlé , bien divifé
nettement préfenté , exactement c.lculé ?
c'eſt le réſultat d'un long & pénible travail
fait avec leureur, & qui pofe fur des don
nées que l'Auteur n'a pu connoître qu'a-
Près de grandes recherches & des calculs
C+
56 MERCURE
rebutans. L'Homme d'Etat , le Calculateur,
le Philofophe, le Commerçant, trouvent au
premier coup d'oeil des bafes importantes ,
ou des approximations qui les dirigerent
dans leurs travaux. Dans ce moment où
l'Affemblée Nationale ne s'eft réunie que
pour s'occuper des objets que M. Beaufort
embraffe , il n'eft pas douteux que le Livre
que nous annonçons ne foit d'un grand
fecours aux Députés de la Nation .
Un exemple fera plus convaincant que
notre affertion , & nous allons extraire ce
qu'il y a de plus effentiel dans le Tableau
de la France .
Population , 24,800,000.
Habitans par lieue carrée , 27,450.-
Population des villes ; Paris , 8o0,000 ;
Strasbourg , 47,000 ; Pau , 9000.
Forces de Terre , 228,497 .
Forces Navales , 81 vaiffeaux de ligne .
Revenus , 475 millions . Cette colonne cft
complétement détaillée article par article.
Revenus fixes , 284,347,000 .
Recettes générales des Finances de Paris ,
Pays d'élcaion , & Pays conquis , toure
déduction faite , 155,650,000.
Pays d'Etats , 44,558,027.
Capitation & Vingtièmes abonnés ,
$75,000.
Capitation & retenues fur le Tréfor-
Royal, 6,190,000 .
Impofitions particulières aux fortifications
des villes , $ 75,000.
DE FRANCE. 57
Bénéfices fur la fabrication des monnoies
, 500,000 .
Bénéfice annuel des Forges Royales
180,000 .
Revenus de la Caiffe du Commerce ,
636,000.
Différens loyers , 180,000 .
Intérêts annuels de fommes prêtées aux
Etats- Unis de l'Amérique , 1,600,000 .
Intérêts annuels de fix millions que doit
un Prince d'Allemagne , 300,000 .
Dépenfe générale , 531,444,000 livres ,
chaque objet de dépenfe y eft détaillé. Le
déficit annuel jufqu'au premier Mai 1789 ,
étoit de 56,150,000.
Dette publique , 3 milliars 90 millions.
Ici , M. Beaufort s'abandonne aux mouvemens
de fon coeur , & il indique des
moyens d'alléger ce fardeau.
Les bornes de notre Journal ne nous
permettent point d'analyfer les colonnes
fur la forme de notre Gouvernement , fur
l'adminiftratión de la Juftice, fur les moeurs,
fur le Clergé ( ce dernier article eft curieux
) , fur l'Agriculture & les productions
, fur les espèces numéraires.
י כ
M. Beaufort termine cet intéreffant Tablean
par des obfervations fages . Si la
maffe phyfique des Empires , dit - il , confifte
dans le nombre & dans l'étendue des
poffeffions attenantes & liées dans le fens
local , la France jouit éminemment de cet
avantage , puifque les différentes parties
CS
$$ MERCURE
qui la compofent , forment contiguité , fe
prêtent fecours , appui , jouillance , lumiè
res & défenfe. Cette Monarchie doit fa
domination naturelle à ces régions unics
enclavées entre trois grandes iners & plufieurs
chaînes de montagnés efcarpées. La
Nature n'a rien oublié pour rendre la
France conftamment foriffante & redoutab'e
à fes ennemis. Il ne reste plus à la
Nation que le foin d'établir fon bonheur
& fa gloire fur des bafes inébranlables «
Nous ne doutons pas que l'Affemblée
Nationale n'atteigne bientôt à un but aufli
univerfellement déré. Les 19 Tableaux
qui compofent l'Atlas politique & moral
de M. Beaufort , préfentent l'Autriche , la
France , la Ruffie , la Turquie , l'Espagne ,
fuivant fon nouveau dénombrement ; l'Angleterre
, l'Ecoffe , l'Irlande , la Pruiſe , ſuivant
fa nouvelle Conftitution militaire &
autres changemens ; le Portugal & les deux
Siciles , fuivant la dernière Conftitution
militaire de ce dernier ; la Sardaigne &
' Etat Eccléfiaftique , la Suède & le Danemarck,
fuivant les changemens arrivés dans
leur Conftitution ; la Pologne , fuivant fa
nouvelle Conftitution ; la République de
Venife & celle des fept Provinces-Unies
fuivant nouvelle Conftitution militaire
de ces dernières ; les treize Cantons , la
République de Gênes , Luques , Ragule
l'Ordre de Malte, les Electorats de Maïence
& de Trèves , les Electorats de Cologne &
DE FRANCE..
59
du Palatinat de Bavière , les Electorats de
Saxe & de Hanovre , le Duché de Wurtemberg
, & les Landgraviats de Helle-
Caffel & de Darmstadt , & les treize Etats-
Unis de l'Amérique Septentrionale.
DIVERS objets d'Economie rurale &
domefiique , publiés dans le Supplément
du fournal Général de France, N. 174 ;
par M. S. LE BRETON , Membre de l'Académie
Royale des Sciences d'Upfal ;
avec divers Réfultats publiés dans le
même Journal du 17 Décembre 17885
Nº. 15 fuivis de deux Lettres relatives
au même objet, l'une de M. Cointeraux;
& l'autre de Sir Jeff Banks , Prefident
de la Société Royale de Londres , réimprimée
aux frais de l'Auteur , & vendue
12 f. au profit des Pauvres néceffiteux du
Village de la Haye , près d'Ivry la Bataille;
de ceux de la Paroiffe de Lognes ,
près de Rofny, patrie de l'Auteur. A
Paris , chez l'Auteur , Hôtel de Noailles,
rue St-Honoré ; Brichard , Notaire , rue
Saint André- des Arts ; MM. (es Abbés
Fonte ay & Le Blanc ; & chez Pranit
Imp. du Roi , quai des Auguftins ; & les
Manhands de Nouveautés ; à St. Germain
, chez Ebret , Hôtel de Noailles.
ON a quelquefois , & trop rarement à
notre gré , écrit des Ouvrages relatifs à
·C 6
63 MERCURE
l'Economie rurale & domeftique ; mais jamais
on ne les a préfentés ni avec moins
de prétentions , ni avec plus de préciſion ,
Le bon Abbé de Saint - Pierre difoit aux
Ecrivains Les belles phrafes font perdre
trop de temps à celui qui s'occupe de bons
projets. Le plus court eft le mieux ; un bon
réſultat vaut mieux qu'un beau diſcours.
M. le Breton , qui déjà avoit donné des
preuves multipliées de la bonté de fon
coeur & de fa bienfailance active , paroît ,
en écrivant , mettre en pratique les princi
pes du bon Abbé de Saint Pierre. il va au
fait , & laifle la broderie. Il croit être affez
recommandé au Public , en lui difant : Voici
par quels procédés j'ai fait du pain à
meilleur marché & auffi bon que le pam
de froment : voici comment on peut rende
productifs des terreins de culture , &
avoir à moins de frais plus d'argent & des
moiffons plus abondantes. Et certes on
feroit trop malheureufement organifé , fi
on ne difpenfoit pas celui qui vous donne
du pain , de tous les préliminaires poffibles .
Le fouvenir de l'hiver défaftreux dont nous
fommes confternés encore , rend l'Ouvrage
& l'Auteur plus recommandables encore .
Son Cuvrage donnera du pain , ou apprendra
à l'indigent à s'en procurer . Quant à
l'Auteur , il a non feulement prouvé qu'il ,
poffédoit une excellente recette , mais un
bon coeur , & qu'avec une fortune alfarément
très-peu au deffus du fimple nécef-
-
1
DE FRANCE. 61
faire , un homme fenfible fait encore donner
du pain aux malheureux , avec cette
profufion qui , à Saint Germain en- Laye ,
lui a attiré les bénédictions du Pauvre.
Nous fommes fachés de ne pas pouvoir
donner de grands détails fur fon petit Livre
intéreflant d'un bout à l'autre. Nous dirons
feulement que pour le réſultat de fes expériences
, le Pauvre peut déformais fe
procurer du pain à 2 f. 3 d. la livre.
On y trouve auffi un Tarif des prix que
M. le Breton a établis pour détruire les
Taupes , les Mulots , les Rats , les Crapauds,
les Grenouilles, les Moineaux francs,
& les Pigcons- bifets , qui font autant de
dévastateurs , & dont la confommation paroîtra
dévorante quand on faura qu'un
Moineau mange par année deux boiffeaux
de blé , & que dix Moineaux enlèveroient
ansuellement la nourriture d'un homme
s'ils n'avoient toute l'année que du blé
pour fe nourrir. Rien n'eft petit , de ce
qui eft utile , c'est ici le lieu de répéter cet
axiome. La petite Brochure de M. le Breten
fera précieufe à ceux qui éprouvent le
befoin de venir au fecours de l'Indigent ,
& à ceux qui favent que le principe du
bonheur public & des bonnes moeurs , eft
après tout dans la meilleure culture poffible
du fol. Plus les campagnes feront fertiles
, plus on les aimera , & en les aimant
on y reviendra , & on le trouvera à coup
fûr plus humain & plus fage.
-
62 MERCURE
VARIÉTÉS.
TABLEAU , Bas - Reliefs , Statues &
Pierres gravées de la Galerie de Florence
& du Palais Pitti , deffinés par M.
VICARD, gravés fous la direction de
M. LACOMBE , Peintre , avec l'ex-,
plication des Antiques , par M. l'Abbé
MONGEZ l'aîné , Garde des Antiques
& du Cabinet d'Hiftoire Naturelle de
Sainte - Geneviève , de l'Académie des
Inferiptions & Belles - Letrres , &c. in-fol.
Première Livraifon , chez M. Lacombe,
Peintre , rue de la Harpe , Nº . 84.
3
L'OUVRAGE dont on vient d'annoncer le titre ,
réunit de quoi intéreffer à la fois les Antiftes
les Savans , les Amateurs des Arts , & les fim ,les
Curicux. Quel que foit le mérite des nombreuſes
Collections que l'amour des Arts a multipliées
dans ce fiècle ci , on croit pouvor dire que ja
inais toutes les circonfiances propres à fixer l'admuration
publique & l'attention de to te l'Eu-
Fope , ne fe font trouvées afi complett-ment
raffem lées que dans le magnifique Recueil dont
la première Livra fon vient de paroître.
Quoique l'intérêt feul des Arts qui a fait entreprendre
cet Cuvrage , parle affez pu fan ment
er la faveur , peut - être fera- t-il permis de le
regar encore comme un monument de gloire
nationale ; peut-être cette espèce d'invasion faice
1
DE FRANCE. 63
fur l'Italie , a-t-elle encore de quoi. flatter & hor
norer la Nation qui l'aura tentée.
L'Italic , fatiguée de tous les grands efforts
qu'elle a faits dans tous les Arts , & comme épuifée
par la propie fécondité , ne femble plus occupée
aujourd'hui qu'à jouir de fa gloire. Sem
blable à ces vieux Braves qui ne favent plus que
raconter leurs exploits , depuis long - temps elle
ne s'occupe qu'a reproduire les Chef - d'oeuvres
de fes grands Homines par des copies de tout
gente ; & l'on doit dire que le nombre & l'habileté
de fes Copiftes ne le cèdent encore qu'au
nombre & à l'habileté de fes Maîtres.
L'Ouvrage en queftion avoit été déjà commencé
en Italie fous le titre de Mufæum Florentinum ;
mais ni la grandeur du plan , ni celle de la Col
lection confidérablement accrue par les foins du
Grand-Duc régnant , ni la grandeur des moyens
mis en uvre alors , ne peuvent fe comparer
avec ce qu'on a droit d'attendre de cette nouvelle
entre prife.
Ce ne fera donc pas un petit honneur pour
la France , d'avoir ofé lutter avec l'Italie dans la
carrière qui déjà vient de s'ouvrir , & où tout
femble lui annoncer le fuccès.
Pour y parvenir , il falloit , avant tout , s'être
affuré d'un Deffinateur dont le talent ne fe bornar
ni au maniement puérit du crayon , ni à la fimple
habitude de copier , ni aux procédés froidement
mécaniques de ceux auxquels nous d- n-
Dons fi improprement le nom de Deflinateur.
L'Art de copier n'eft devenu que trop fouvent
un Métier , fous lequel viennent s'éteindre &
mour les inventions du Géoic ; & l'expérience
nous a affez prouvé que le fentiment des grands
Hommes cft trop au deffus de la routine des Copiftes
ord naires , pour qu'ils puiffent nous traduire
ce qu'eux-mêmes ne comprennent pas. Mais il eſt
64
MERCURE
·
au moins une condition importante , c'eft que
celui qui fe charge de ces Traductions ait été
lui même élevé dans la Langue dont il veut
nous faire pafler les beautés ; & cette dernièrè
condition eft , au défaut de toutes autres , la plus
importante.
Tous ces motifs ont engagé un Amateur zélé
à envoyer en Italie le Sr. Vicard.
Nourri dès l'enfance dans l'amour de l'Antique
& les principes des grands Maîtres ; préſervé
de bonne heure de la contagion du goût François
dans l'Ecole de M. David , il y a puifé les maxiines
que celui- ci tient lui- même d'un Maître ( 1 ),
qui , au milieu de la diffolution effrontée de la
Peinture , feul fidèle gardien des Traditions an
tiques , a confervé les germes du bon goût.
Inftruit déjà par un premier voyage en Italie ,
capable des plus grands efforts de la Peinture ,
à laquelle il s'exerce , & en tout fupérieur aux
travaux qui , dans ce moment , lui font confiés
le Sr. Vicard ne peut être dignement loué que par
fes Deffins , cù l'on trouve la correction jointe
à la facilité , le caractère vrai des Maîtres qu'il
copie , du goût fans manière , & de l'exécution
fans métier.
Ces Defins ont été confiés aux plus habiles
Graveurs de cette Capitale . L'on ne peut trop
louer leur fidélité , leur belle exécution , & le
zèle qui les anime nous eft garant du foin qu'ils
mettront à répondre à tous les différens objets
d'une entreprife fi variée & fi étendue . Le pea
de fujets antiques , déjà publiés , nous promet
qu'en ce gente fur - tout , moins fenfibles aux
charmes du burin & à l'harmonie des tailles , &
à cette propreté qui ne flatte que les yeux des
demi- connoiffeurs , ils s'attacheront à la févérité
( 1 ) M. Vien,
DE FRANCE. 65
des contours , à l'expreffion du caractère , à la
grandeur aftyle , & fur - tout à une forme de
fimplicité , & pour mieux fe faire entendre , de
bonhomie par laquelle les Graveurs Italiens ont
fi bien réulli à rendre l'Antique , & fans laquelle
l'Artifte cherche fouvent le modèle dans fon
imitation,
Il faut parler auffi des explications qui accompagnent
les Monumens.
On le plaint depuis long- temps de la diffufion
des Ecrivains qui ont expliqué les Antiques. -
Semblables , difoit le favant Winkelmann , aux
torrens qui , groffis par les pluies d'orages , regergent
d'eau au moment où le voyageur en
trouve de tous les côtés pour fe défaltérer , mais
qui font à fec dans les chaleurs brûlantes, lorfque
le voyageur foupire après ce fluide bienfaiſant :
les explications des Philologues font abondantes
fur les fujets consus & laiffent tout à défirer
l'on feroit plus curieux de voir
fur ceux que
éclaircir. --
M. l'Abbé Mongez l'aîné , connu par fes Recherches
fur l'Antiquité , a cherché dans le texte
qui accompagne les Gravures , à éviter ces inconvéniens.
Il est toujours concis & clair. Lorfque
le fujet n'offre rizn que de vague , il cherche
à dédommager le Lecteur en rappelant des
traits d'Ecrivains anciens , analogues au fujet ; mais
il n'ufé de cette reffource qu'avec une grande
réferve . Enfin il ne rougit point de garder le
filence , lorsque le monument qu'il doit expliquer
ne donne aucun moyen de reconnoître fon objet,
ou n'offre aucun attribut qui puiffe le caractériſer.
En voici quelques morceaux.
» Ecce Homo , Tableau de Cigoli . Les trois
perfonnages qui font repréfentés ici , annon-
» cent dans Cigoli ce goût & ce tact faus JefMERCURE
כ כ
quels il n'eft point de vrai talent. La figure du
» Chrift eft noble , fes traits font beaux , fa
» douleur attachante ; & malgré la triftefle répandue
fur toute fa perfonne , on reconnoît
» toujours un Dieu à travers les voiles de l'humanité.
כ כ
ဘ
» Cigoli a été plus heureux dans l'expr.fion
" de la tête de Pilate , que dans le choix du
» coftume oriental modeine qu'il a prêté à ce
» Romain. Le facrifice que la politique lui arra-
» choit , & la douleur de voir l'innocence opprimée
; ces deux fentimens fe lifent , fans fe
confondre , fur le vifage de Pilate . La demi-
» teinte qui enveloppe les traits groffiers du Juif,
» laifle l'oeil du fpectateur fixé fur les deux
» autres figures , & forme un contrafte favant.
L'expreffion générale de ce Tableau eft forte
» & nerveufe ; fa couleur produit un grand effet,
& l'art des oppofitions fait reflortir avantageufement
tous les caractères .
כ כ
לכ
23
» Les Divinités du Capitole. Le plus célèbre
» des Temples , renfermé dans l'enceinte du Capitole
, étoit celui dont on avoit confacré le
» milieu à Jupiter , & les ailes à Junon & à
» Minerve . Le Graveur a réuni dans un feul
» Tableau ces trois principaux objets du culte
des Romains. Quel fur le modèle de fen Ju- ||
piter ? La Statue de terre cuite , poiste on
» rouge , que Tarquin avoit confbcrée à Jupiter
» dans le Capitele ; ou celle d'ivoire , reniar
» quable par les attributs , feulp.és en or , qui
»
remplaça la première ; ou enfia la Statue d'or
» que Trajan ( Martial . XI. p . 3. ) aveit ſubſti-
» tuée à la ſeconde ? On ne fauroit le dire pré-
» cifément. Cependant le Souverain des Dieux ,
gravé, fur cetic calcédoine , ne porte pont le
» foudre le cafque de Minerve eft orné d'unc
"
DE FRANCE. '87
naigrette fi remplie , qu'on auroit peine à re-
» connoître la Déeffe , fans la tête de Médufe
placée far fa poitrine. Ces caractères rappellent
la fimplicité des premiers Siecles de Rome;
ils peuvent donc faire reconnoître le Jupiter
confacré par Tarquin , & ils rendent cette
» pierre auffi précieufe par le choix du fujet ,
» qu'elle l'eſt d'ailleurs par la beauté de la
» vure.
30
gra-
» Statue de femme. La bafe de cette Statue
» porte une dédicace adreffée à Vibia Aurelia
» fille de Marc-Aurèle. On pourroit reconnoître
» ici un portrait de cette Princeffe , s'il exiſtoit
quelque autre monument confacré à ſa gloire ,
n auquel il fût poffible de le comparer. Mais
33 il ne nous refte aucune Médaille de Vibia Aurelia.
L'Artiste" moderne , qui a refit les bras
" & les mains , y a placé les attributs de Cérès ,
» des épis & des pavots . On ne voit cependant
" rien qui rappelle cette Divinité dans le refte
3
ג כ
de la Statue. La tête , où brillent une belle in-
" `tention & le caractère grec dans toute fa pa-
" reté , n'eft point ornée d'an diadême , ou d'une
couronne d'épis , tels qu'on les voit fur les
" Monumens qui repréfentent la mère de Froferrine.
Le feul caractère de certe Statue qui
puiffe la rapprocher de celle de Cérès . d'une
" imanière très - vague , à la vérité , eft fa draperie
, dont les plis font formés avec le meil
" leur goût , & qui eft ramenée far fa tête ,
» comme celles des Divinités & des Femmes d'une
condition relevée.
"
"
33
» Curidon captif. Le bel adolefcent qui eft
» affis fur ce rocher , les mains liées derrière le
dos , eft l'amant de Pfyché. énus , indignée
» de voir fon fils épris des charmes d'une Mor-
» telle , le renferma dans une étroite priſon ;
68
MERCURE
mais ces rigueurs , loin de lui faire oublier la
» tendre amante , donnèrent de nouvelles forces
» à fa paffion. Apulée a parlé dans fon ingénieux
» Epifode , de la captivité de Cupidon ; & un
» habile Artifte l'a gravée fur cette précieufe
" Améthyfte. Pour mieux caractériſer la colère
» de Vénus , il l'a placée devant fon Captif, &
l'a repréfentée armée , telle qu'on la voyoit à
» Sparte & à Cythère ( Paufan. Lacon. ) ".
Pour donner la facilité d'examiner les Deffins
de M. Vicard , M. Lacombe recevra tous les jours
les Amateurs , & leur communiquera ces Deffins ,
rue de la Harpe, No. 84. C'eft chez lui que l'en
fouferit. Les 2 premières Livraiſons fe diftribuent
actuellement à Paris , où les Soufcriptcurs de Province
font priés de chcifir un Correfpondant à
qui on puiffe remettre leurs Exemplaires , moyennant
le prix de 18 liv. annoncé dans le Profpectus
, attendu qu'on n'imprimera dorénavant
que du papier vélin.
( Cet Article eft de M. Quatremère de Quincy. )
DE FRANCE. 69
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE Mercredi ,, Septembre , on a repréſenté
pour la première fois Marie de Brabant , Tragédie
en cinq Actes , par M. Imbert .
Cette Tragédie , dont le fujet eft tiré de l'Hif
toire de France , a reçu du Public un accueil
favorable , & qui le deviendra davantage , quand
l'Auteur aura fait difparoître quelques détails qui
talentiffent l'action . Dans le prochain Mercure nous
en donnerons l'analyfe , ca rapprochant le fair
hiftorique de la manière dont M. Imbert l'a diftribué
pour la Scène.
COMÉDIE ITALIENNE.
ON a remis à ce Théatre deux Opéra Comiques
qu'on n'y avoit pas vus depuis long-temps .
1°. Le Jardinier & fon Seigneur , par M. Sedaine
, mufique de M. Philidor.
Au fond du fujet fourni par la Fable de La
Fontaine , l'Auteur a ajouté des fcènes épifodiques
, dans l'une defquelles deux femmes de Spectacle
veulent débaucher la fille du Jardinier. Cette
fcène , qui n'a jamais plu , a été mal rendue &
70
MERCURE
魚
mal accueillie à cette rep: ife. Il nous a toujours
un af
paru indécent que les Gens de Lettres fe traduififfent
réciproquement fur le Théatre fous
pect ridicule ; il ne nous le paroît pas moins que
des perfonnes de Spectacle confentent à y jouer
d'autres perfonnes du même état , ou à peu près,
dans des roles humilians pour tout étre à qui il
refte feulement un peu de délicatelle. En 1761 ,
le Jardinier & fon Seigneur a obtenu un fuccès
qu'il a dû au talent de M. Philidor & à l'indulgence
des Spectateurs il n'en a point eu en
1789 , & ceux qui confentiront à le lire ,
vaincront qu'il ne pouvoit pas en avoir.
:
fe con-
2 ° . Les Pêcheurs , par M. le Marquis de la
Salle , mufique de M. Ġoffec.
Cette petite Pièce a été jouée pour la première
fois cn 1766. En voici la fable .
Jacques & Simonne ont une fille nommée Suzette
, qui eft demandée en marrage par le Balli
du lieu , & par Bernard , payfan nouvellement
arrivé dans le village. Simonne veut donner Sazette
au Bailli ; Jacques penche pour Bernard , &
lui donneroit hautement la préférence, s'il le connoifloit
mieux. Tout s'explique. Ambroife , frère
de Jacques , habite le méme village que Bernard.
Celui-ci en eft forti pour une affaire où il a trop
écouté fa vivacité . 11 cft aifé , honnête ; on a arrangé
fon affaire: Simonne le laifle enfin, gagner,
& Bernard époufe Suzette.
Tout cela eft froid , & les détails y répondent;
aufli le Public n'a-t-il pas été plus chaud que la
Pièce , qui a gagné doucement fa fia , fans autre
défagrément que l'ennui qu'elle communiquer .
La aiufque eft bien compolée , mais elle n'eit pas
plus gate que l'Ouvrage ; d'ailleurs , depuis 1766,
la mufique vocale a totalcinent changé, & le goût
du chant n'eft plus le même.
<
DE FRANCE.
7%
ANNONCES ET NOTICES
LE More - Lack , ou Eſſai fur les moyens les
plus doux & les plus équitables d'abolir la traite
& fefclavage des Nègres d'Afrique , en confervast
aux Colonies tous les avantages d'une Population
Agricole. A Londres ; & fe trouve à
Paris , chez Prault , Imprimeur du Roi , Quai
des Auguſtins.
L'Auteur de cet Ouvrage , vivement ému da
fort des Nègres , dont notre avarice fait des efclaves
malheureux , fait faire partager à fon Lecteur
les fentimens dont il eft pénétré. Le détail
qu'il donne fur la manière dont les Princes Africains
fe procurent les efclaves qu'ils fouruiffent aux
Capitaines Européens , préfenté un tableau auổi
vrai que touchant, & l'on ne peut lire fans intérêt
cette partie de fon Ouvrage. Quant aux
moyens qu'il propofe pour abolir cet efclavage
fans nuire au commerce de nos Colonies , on ne
peut que les approuver ; mais ils ne nous ont
point paru fuffifans . En général cet Ouvrage peut
êre fort utile dans ce moment où il eft vraifemblable
que la Nation s'occupera des moyens
d'adoucir la deftinée de cette partie du genre
humain.
Confidérations fur les richeffes & le luxe , nouvelle
Edition , corrigée & augmentée . In-8 ° . Prix,
4 liv . brochá. A Amfterdam ; & fe trouve à Paris ,
clicz la veuve Valade , rue des Noyers.
72
MERCURE DE FRANCE .
L'Union des trois Ordres , ou la Poule au pot
M.Je Morainville ; in- 8 ° . de 90 pages . A Paris, par
chez le Comte , Libr . rue St- Andié - des Arts ; & à
Verfailles , chez Blaifot .
Cet Ouvrage préfente des moyens pour réduire
toutes les impofitions fur les biens - fonds à un
Dixième , & celles des habitans des villes au
Vingtième de leurs loyers ; & pour préparer en
même temps au Gouvernement les refources néceffaires
pour faire face à tous les évènemens extraordinaires
, fans être cbligé de recourir à de
nouveaux emprunts. La réduction des Couvens ,
déjà ordonnée par une Déclaration du Roi , fourniroit
une partie de ces reffources.
Mémorial Hiftorique des Etats- Généraux pendant
le mois de Mai 1789. Prix , 1 liv . 16 f. ; incis de
Juin , 2 liv. 8 f.; mois de Juillet , 2 liv . 8 f. Se
trouve à Paris , chez Poinçot , Libraire, rue de la
Harpe , No. 133 .
Portrait de M.le Marquis de la Fayette , gravé
d'après Nature par Queredey , au phyfiopoftrace,
Prix , 4 f. A Paris , chez l'Auteur , rue Croix des
Petits Champs , N ° . 10 ; & au Palais - Royal ,
180. Prix , 24 f.
·
Ce Portrait doit doublement intéreffer le Public.
Il fe trouve aufli en couleur à la même
adreffe. Prix , 30 f.
TABLE
.
INSCRI NSCRIPTION. 49 Varills.
53 Comédie Italienne.
Charate , Enig. & Locog. so Comédie Françoife.
Le gran Porte feuille.
Divers objets d'Economie. 59 Annonces & Notices .
62
ibid.
71
SUPPLEMENT,
CONTENANT
LES PROSPECTUS ET AVIS
DE LA LIBRAIRIE.
HISTOIRE UNIVERSELLE , depuis le
commencement du Mondejufqu'à préfent,
enrichie de Figures & de Cartes ; Ouvrage
traduit de l'Anglois , par une Société de
Gens de Lettres ; 126 vol. in- 8 ° . y compris
6 vol. de Tables qui font fous preffe.
TROISIÈME ET DERNIÈRE SOUSCRIPTION.
A Paris , chez MOUTARD , Imprimeur Libraire
, rue des Mathurins , hôtel de Cluni ,
& chez tous les Libraires de l'Europe.
LE grand Ouvrage qu'on annoɛce ici , n'eſt
point un de ces Ecrits connus feulement de la
Nation chez laquelle ils ont été composés . L'Hiftoire
Univerfelle , traduite de l'Anglois , eft le
corps d'Hiftoire le plus vafte & le plus complet
qui ait jamais paru.
Si l'on excepte le Dictionnaire raiſonné des
Sciences & des Arts , on ne connoît point dans
la Littérature d'Ouvrage plus utile & plus généralement
eftimé. L'Hiftoire Univerfelle fera
le Livre de tous les fiècles , parce qu'il eft le
feul dépôt où foient confignés les actes de toutes
les Nations .
Cette entrepriſe a été fuivie avec toute l'exactitude
poffible. Le tome Ier, a paru le premier
Suppl. No. 18. 19 Septembre 1789. *
( 2 )
Janvier 1779. & le t. 12c le premier Janvier 1789 .
Il ne reste à donner pour terminer cet important
Ouvrage , que fix volumes de Tables ; iavoir ,
trois volumes de Table alphabétique , & trois de
la Table chronologique . La copie de ces Tables
eft faite , & déjà plufieurs volumes font fous
prefle . Il en paroitra un volume en Octobre
prochain , & les autres fucceffivement de deux
en deux mois.
Les perfonnes qui défirent fe procurer ces
Tables , font priées de foufcrire & faire ayer
24 liv. avant le premier Cobre 1789. Les
volumes leur feront fournis à mesure qu'ils
paroîtront. Ceux qui auront négligé de foufcrire ,
ne pourront fe procurer ces Tables pour aucun
prix , parce qu'on ne tirera que les exemplaires
des Soufcripteurs.
On peut juger de la néceffité de ces Tables
par celles de l'Hiioire Ancienne , qui forment
les tomes 37 , 38 , 39 & 40. En effet , fi l'on
vent chercher un fait , vérifier une époque de
Hiftoire dans quatre- vingts volumes , comment
y parvenir fans le fecours de la Table ?
Nous croyons devoir donner ici le détail des
i20 volumes.
L'HISTOIRE ANCIENNE contient. .
Table Apliat étique de l'Hiftoire Ancience
, tomes...
Table Chronologique. •
HISTOIRE MODERNE . Hiftoire des Ara-
103S ....
36
37 & 2
58
volumes.
bes S
des Tartares . des Mogols &
de la profqu'ile de l'Inde.
de la Chine & du Japon.
des Découvertes dans l'Inde .
de l'Empire Othoman, & partie
45 $ 2
53855
56 à 59
734
de la Difpertion des Juifs . 60 & 61
Suite de la Difperfion des Juifs , & partie
de l'Afrique .
62 I
Hiftoire de l'Afrique. • 63 à 68
6
de Malic.. 、、
d Elpagne..
de Portugal..
de France.
d'Italie.
de Savoie.
69
70 à 72
74878
79 å
• 83
( 3 )
& Milan.
de Gênes.
de Corfe , Parme & Plaitance.
de Ferrare , Modène , Bologne
de Milan , Mantone , Venife.
de Venife , Florence , Pife
Luces , Sienne , & c. .
de Naples & de Sicile.
de la Subte.
d'Allemagne ..
d : Holande.
....
de Danemarck & Suède .
de Ruffie , Pologne & Pruffe . .
d'Angsters & Hongrie...
Buheme , Saxe & Bavière ..
Pa atinat du Rhin , Bru.wick
& Hanovre..
84 à 35 volumes.
$7 I
100 & 101
. 102 à 104 3
10 à 107
103 à 110
3
111
112 I
113 I
114 à 130 7
120volumes.
de Mekelborg & do Hero ...
Hiftoire de PAmérique des Terres
Auftrales , termés par la Conftitution
des États- Unis de l'Amérique.
TOTAL...
Depuis long - temps les foixante premiers
volumes de cet Ouvrage étoient épuifès , & le
Libraire ne pouvoit fournir d'exemplaires complets.
Sur les différentes demandes qui lui ont été
adreffées , il s'eft déterminé à réprimer les
volumes manquans , au nombre de cinq cents
exemplaires ; & comme dans le nombre de fes
Soufcripteurs il y en a à peu près trois cents
qui ont négligé de fe completter , il les engage
pour la dernière fois à vouloir bien fe completter
d'ici au premier C&obre , autrement il
fera autorifé à difpofer des volumes qui n'auront
pas été retirés , pour fournir des exemplaires
complets aux nouveaux Soufcripteurs . Ils ne
pourroient alors fe completter qu'après la réimpreffion
de ces derniers volumes.
Le fieur MOUTARD cuvre une troifième &
dernière Soufcription , pour laquelle il ne demande
aucune avance . On ne payera les volumes qu'à
mefure qu'on les retirera.
Il offre de délivrer actuellement les douze
premiers volumes brochés au prix de 4 liv . 10 f.
le volume , c'eſt -à - dire , pour 54 liv. Les douze
fuivans , ou les tomes Xill à XXIV , au mois
* 1j
( 4 )
de Janvier 1790 , & les autres fucceffivement ,
à raifon de douze volumes tous les trois mois .
On fera libre d'acquérir plus de douze volumes
à la fois ; mais on n'en délivrera pas moins de fix.
Les perfonnes qui voudroient fe procurer
l'Ouvrage en entier , en une feule & même
acquifition , ne payeront que 4 liv . le volume ,
c'eft - à- dire , que 480 liv . pour les cent vingt vol.
Il eft jufte de faire un avantage à ceux qui
débourfent tout de fuite une groffe fomme.
On payera pour la rel . de chaque vol. 1 1.4 f.
HISTOIRE DE LA DÉCADENCE ET DE
LA CHUTE DE L'EMPIRE ROMAIN ,
par M. GIBBON , 18 vol. in-8 . dont les
huit premiers paroiffent. A Paris , chez
MOUTARD , Libraire-Imprimeur , rue des
Mathurins , hôtel de Cluni , & chez LETELLIER
, Libraire , quai des Auguftins.
Traduction complette.
M. GIBBON a enfin achevé ce grand morceau
d'Hiftoire , après un travail opiniâtre de quinze
années. L'Europe entière admirera bientôt fes
recherches & fon talent . On le comparera à M.
Hume & à M. Robertſon , qui ſembloient s'être
emparés de la première place parmi les Hiftoriens
modernes ; & nous nous bornerons à indiquer ici
l'étendue de la carrière qu'il a parcourue avec
tant de gloire.
Il divife en trois périodes les révolutions mémorables
qui , dans le cours d'environ treize
fiècles , ont frappé l'édifice de la grandeur Romaine
, & l'ont enfin renverfé .
I. La première période commence au règne
de Trajan & des Antonins , où la Monarchie
Romaine , dans toute fa force , & arrivée an
faite de la grandeur , pencha vers fa ruine ; &
( 5 )
elle fe prolonge jufqu'à la deftraction de l'Em--
pire d'Occident au fixième fiècle , par les armes
des Germains & des Scythes , Barbares féroces ,
dont les defcendans forment aujourd'hui les
Nations les plus polies de l'Europe.
II. La feconde période commence avec le
règne de Jeftinien , qui , par fes Loix & par fes
victoires , rendit à l'Empire d'Orient fon ancien
luftre . Elle renferme l'invafion des Lombards en
Italie ; la conquête de l'Afie & de l'Afrique par
les Arabes , qui embrafsèrent la Religion de
Mahomet ; la révolte du peuple Romain contre
les foibles Souverains de Conftantinople , &
l'élévation de Charlemagne , qui , en 800 , fonda
un nouvel Empire .
III. La dernière & la plus longue de ces périodes
contient environ fix fiècles & demi ,
depuis le rétabliffement de l'Empire en Occident ,
jufqu'à la prife de Conftantinople par les Turcs ,
& l'extinction de la race de ces Princes dégénérés
, qui fe paroient des vains titres de Cefar
& d'Augufte , tandis que leurs domaines étoient
circonfcrits dans les murailles d'une feule ville ,
où l'on ne confervoit même aucun veftige de
la langue & des moeurs des anciens Romains.
Les Croifades ayant contribué à la ruine de
Empire Grec , font partie de cette période.
L'A iteur à porté fes recherches fur l'état où
fe trouvoit la ville de Rome au milieu des
ténèbres & de la confufion du moyen âge , &
il nous a donné le tableau inft u&tif & curieux
de Rome barbare , qui manquoit à la Littérature
moderne.
Nous nous contenterons d'ajouter qu'aucun
Écrivain moderne n'a fait une Hiftoire auth étendue
& d'an intérêt auíli général , & qu'elle offre
deux genres ne mérite qu'on ne trouve guère
‹ réunis , même chez les Hiftorians de l'Antiquité ;
la diſcuſſion la plus exacte & la plus foignée des
* iij
( 6 )
Auteurs originaux & des anciens monumens ,
& une belle compofition ornée de tout l'éclat &
de tous les charmes du ftyle.
Cette Hiftoire forme en Anglois fix volumes
in-4. Le premier parut en 1776 ; le fecond & le
troifième furent imprimés en 1782 , & les trois
derniers ne font publiés que depuis quelques mois .
Le premier volume a été traduit en 1777 ,
ParM. de Septchenes , que la mort vient d'enlever
aux Lettres . Nous réimprimerons fa verfion
fi élégante & fi corre&te , & nous y ajouterons
la traduction des cinq derniers volumes , faite
avec le même foin par MM. Demeunier & de
Cantwel.
La traduction entière formera dix - huit volumes
in- 8. Les huit premiers vol . paroiffent ; le
neuvième paroîtra en Septembre , le dixième en
Novembre , & les autres fucceffivement , à raifon
d'un volume par mois , de manière que toute
l'édition fera achevée au mois de Juillet 1790 .
Le prix de chaque volume fera de 5 liv . broché
& 6 liv. relié . On fera libre d'acheter les volumes
à mesure qu'ils paroîtront ; mais le Libraire fe
chargera volontiers de les faire porter à Paris
aux perfonnes qui voudront payer fix volumes
d'avance , dont on leur donnera une reconnoiffance
; on leur évitera par- là le foin d'envoyer
chercher les volumes lors de leur livraiſon.
DICTIONNAIRE UNIVERSEL DE
POLICE , contenant l'origine & les progrès
de cette partie importante de l'Adminiftration
civile en France , les Loix ,
Réglemens & Arrêts qui y ont rapport,
enfin un Tableau hiftorique de la manière
dont elle fe fait chez les principales Nations
de l'Europe ; par M. DES ESSARTS ,
Avocat , Membre de plufieurs Académies ,
( 7 )
10 vol. in-4. dont lesfept premiers volumes
paroiffent. Le tome VIII paroîtra au
premier Novembre 1789. Prix , 10 l . 10f.
le volume broché , & 12 l. 10 f. relié.
Ouvrage pour lequel on fouferit chez
MOUTARD , Libraire- Imprimeur , rue des
Mathurins , hôtel de Ciuni.
-
TOUTES les Nations , tant anciennes que
modernes , ont fenti la néceffité d'établir une
fage Police ; & , en effet , fans elle il eft impoffible
qu'une Société nombreuſe d'individus ,
agités par des paffions différentes , & mus par
des intérêts oppofès , puiffe fubfifter avec harmonie.
Auffi , qu'on remonte aux temps les
plus reculés , on verra les Souverains & les
Peuples s'occuper de cet objet important. Si
les monumens de leur Police font groffiers ,
il faut en accufer la barbarie des fiècles qui les
ont élevés ; mais ils ne preuvent pas moins
que , dans tous les temps , tous les Peuples
civilifés ont reconnu la néceffité d'une Adminiftration
particulière , qui fût chargée de veiller
à la tranquillité publique & à la fûreté des individus
dans l'enceinte des Villes .
Les Égyptiens avoient des Magiftrats de
Police ; les Hébreux en avoient également ; les
Grecs avoient leurs Archontes ; les Lacédémoniens
leurs Nomophulaques. Les Romains ,
fous leurs Rois , curent leurs Préfets de la Ville ;
dans le temps de la République , leurs Préteurs ,
leurs Édiles ; & , fous les Empereurs , leurs
Préfets & leurs Triumvirs nocturnes . Les Gaulois
avoient différens Officiers de Police , qui
étoient connus fous les noms de Curateurs de
la Ville , de Défenfeurs des lieux , de Pères du
Peuple , & c
dans les
Ce détail fuffit pour montrer que ,
( 8 )
temps les plus reculés , toutes les Nations ont
regardé l'établiffement d'une Police fage , comme
la première fource de la félicité publique .
Nous allons parler du plan qu'on a fuivi ,
pour rendre cet Ouvrage tout à la fois curieux ,
intéreffant & utile. Sa nomenclature renfermera
tous les mots qui ont des rapports directs ou
indirects avec la Police . Ainfi l'on peut dire que
ce fera une véritable Encyclopédie de Police ,
puifqu'on y raffemblera généralement tout ce
qu'il eft effentiel de connoître , & tout ce qu'il eft
agréable de favoir furi'Adminiftration de la Police.
On s'eft attaché à donner des définitions
claires & exactes , & l'on a mis tout en ufage
pour que chaque Article forme un Traité féparé
qui ne laiffe rien à défirer , en évitant cependant
, avec la même attention , une trop grande
féchereffe & une abondance inutile .
Le Difionnaire Univerfel de Police , dont
on imprime actuellement le huitième volume ,
contiendra non feulement les matières traitées
dans les volumes du Commiffaire DE LA MARRE
& de fon Continuateur , mais encore tous les
objets qui devoient entrer dans le Plan du
Traité de la Police , & qui auroient dû y entrer.
Il offrira en outre des additions confidérables für
les parties dont le Commiffaire DE LA MARRE
s'eft occupé , & tous les changemens qui font
arrivés dans la Police , depuis près d'un fiècle
que fon Ouvrage a paru.
Les Magiftrats , les Juges & les Officiers de
Police trouveront dans ce Dictionnaire tout
ce qui a rapport à leurs Charges & à leurs
fonctions. Ils y verront l'origine de leur établiffement
, les différentes viciffitudes qu'ils ont
éprouvées , & leur état actuel. L'on a eu également
foin de rappeler les titres des priviléges
& des prérogatives dont ils jouiffent , & la
nature des obligations que les Loix leur impofent.
( و )
す
1
La profpérité du Commerce étant un des
objets les plus intéreffans de l'Adminiſtration de
la Police , on a rapporté tout ce qui concerne
chaque Corps & chaque Communauté d'Arts
& Métiers , les règles auxquelles ils font foumis ,
leurs droits , leurs prérogatives , leur régime
actuel , enfin tout ce qui cft relatif à leur difcipline
intérieure & à leurs obligations envers
le Public , conformément aux derniers Statuts
qui les gouvernent.
Le Dictionnaire de Police renfermera enfin
une multitude d'Articles hiftoriques fur la Police
des Nations , rant anciennes que modernes. Tout
ce qui a été écrit à cet égard mérite la confiance
des Lecteurs , puifqu'il a été tiré des fources les
plus refpectables . Cette partie doit d'autant plus
piquer la curiofité , qu'elle ne contiendra point
des Romans , mais l'Hiftoire véritable , plus ou
moins étendue , de la Police de prefque tous
les Peuples .
Ainfi, avec le fecours de ce Dictionnaire ,
on réunira toutes les connoiffances nationales
& étrangères , utiles & agréables , qu'on peut
défirer fur la Police.
Le même Libraire vient de mettre en vente :
Traité de l'Éducation des Femmes , ou Cours
complet d'inftruction , par Madame de *** ,
tome VII , in- 8. 3 liv. 12 f. br. 5 1. rel.
Ce volume renferme les regnes de Louis VIII & de
Louis IX, & un Tableau de l'Europe , depuis 1273
jufqu'en 1492 , espace de 219 ans. Le tome VIII
fous preffe.
Caufes célèbres & intéreffantes , avec les Jugemens
qui les ont décidées , rédigées de nouveau
par M.RICHER , t . XXI & XXII , in - 12 . 61. rel.
Difcours fur l'Hiftoire de France , dédiés au Roi ,
par M. MOREAU. Paris , Imprimerie Royale ,
( 10 )
1789 , in-8 . tome XXI , 3 l . 12 f. br. & 5 1. rel.
Ce volume contient les XXI& XXII Difcours ,
termine le règne de S. Louis & de fes Succeffeurs
jufqu'à la mort de Philippe le Harai.
Nouveau Dictionnaire Hiftorique , ou Hiftoire
abrégée de tous les Hommes qui fe font fait
un nom , depuis le commencement du Monde
jufqu'à nos jours , feptième édition. Caen ,
1789 , 9 vol. in 8. 45 liv. br. 54 liv . rel .
ICHTYOLOGIE , ou Hiftoire Naturelle ,
générale & particulière des Poiffons ; nouvelle
édition , en fix volumes in - 8 . ornée
de 216 figures , deffinées & enluminées
d'après nature, par Marc Eliéfer BLOCH,
L'ACCUEIL favorable que le Public a fait à
la première édition de cet Ouvrage précieux ,
en fix volumes in-fol. nous fait efpérer qu'il
nous faura gré de celle que nous nous propofons
de mettre à la portée de tout le monde
par la modicité de fon prix , & de donner
par foufcription.
Cette édition fera exécutée , ainfi que les
planches , fous les yeux de l'Auteur , & formera
fix volumes in- 8. Le papier & les caractères
feront les mêmes que ceux du Profpectus ,
qui fe diftribue aux adreffes plus bas indiquées,
Il en paroîtra tous les deux mois un volume ,
compofe de 250 à 300 pages d'impreffion , &
de 36 planches . Le premier pourra être délivré
au mois de Décembre prochain . Le prix de la
foufcription eft de 108 liv . pour chaque exemplaire
broché. Nous ne demandons point
d'avances.
On foufcrit à Strasbourg , chez Amand Kanig ,
Libraire , chez lequel il refte encore quelques
exemplaires de l'édition in -fol. au prix de 4321.
( 11 )
en grand papier , & de 360 liv. en petit papier.
On peut également foufcrire
Louis-Nicolas Prevost , quai des
Auguftins .
A Paris , chez Théophile Barrois le jeune ,
quai des Auguftins.
Croullebois , rue des Mathurins .
Et chez les Libraires des principales villes de
l'Europe.
CHRONIQUE DE PARIS.
EN annonçant les Journaux , on a cherché
jufqu'ici à exciter l'empreffement du Public par
les promeffes les plus féduifantes de ne laiffer
rien à défirer fur les nouvelles Politiques &
Littéraires , & fur tout ce qui peut piquer la
curiofité de différentes claffes de Lecteurs.
On a promis la plus grande variété , la plus
fcrupuleufe exactitude dans le récit des faits ,
& l'impartialité la plus rigoureufe . Enfin , fi l'on
en croit les Profpectus , les Journaux annoncés
doivent être uniques dans leur genre , & rendre
inutiles toutes les feuilles périodiques . L'exécution
a - t- elle répondu à ces promeffes ? Les
Auteurs de la Chronique de Paris n'ont pas
la préfomption de croire que leur Journal ait
la fupériorité fur tous les autres ; ils n'ambitionnent
que l'avantage de partager la gloire de
ceux dont le Public femble être fatisfait.
La Chronique de Paris paroît depuis un mois .
Quoiqu'elle n'ait pas été annoncée , & qu'elle
n'ait été connue que par un fimple avis , l'affluence
des foufcriptions donnant l'affurance
que le Public fera à cet Ouvrage un accueil
favorable , les Auteurs fe font déterminés à
ndiquer les objets qu'il traite , & lenouvel ordre
qu'ils ont arrêté pour fa diftribution .
Ce Journal rend compte de tout ce qui fe
afle d'intéreffant dans la Capitale . On y trouve
12 Y
les Nouvelles publiques & particulières , l'Analyfe
de toutes les Nouveautés Politiques &
Littéraires , la Notice des Pièces des différens
Theatres , les Débuts , les Anecdotes les plus
piquantes , les Caufes célèbres , la Nécrologie ,
le Cours des effets publics , l'Annonce de tous
les Spectacles , &c. & c.
Modelé fur le London's Chronicle , il eft
vrai , libre , impartial . On y peut inférer des avis
de toute efpèce.
Il eftde format in -4. contenant quatre grandes
pages , imprimées à deux colonnes comme la
Gazette de France , & fur beau papier , conforme
aux premiers Numéros,
On le recevra franc de port tous les matins
dans Paris , moyennant 9 liv. pour trois mois ,
18 liv. pour fix mois ,
& 30 liv. pour un an.
Le prix de l'abonnement pour la Province
eft de liv . 15 f. pour trois mois , 19 liv. 10 ſ.
pour fix mois , & 33 liv . pour un an , auffi
franc de port , & l'on aura toujours foin de
profiter du premier départ du Courrier.
Le Bureau général des Soufcriptions fera
déformais chez Laporte , Libraire -Imprimeur ,
hôtel de Bouthilliers , rue des Poitevins , & c'eft
à lui qu'on adreffera , francs de port , tous les
objets qu'on voudra faire annoncer dans la
Chronique de Paris , les Lettres & les Avis qu'on
voudra faire tenir aux Rédacteurs .
On pourra foufcrire auffi chez tous les Libraires
de Paris & de Province , & chez tous
les Maîtres des Poftes .
N. B. Les perfonnes qui defireroient connoître,
la Chronique de Paris avant de foufcrire , &
qui n'auront point des occafions prochaines de
s'en procurer des Numéros pour les confulter ,
peuvent s'adreffer au fieur Laporte , en lui
donnant leurs noms , qualités & demeures , &
en affranchiffant leurs Lettres. Il leur en adreffera
gratuitement.
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
ALLEMA G´N E.
DeHambourg, le 1 " . Septemb. 1789.
•
L'ESCADRE Russe , qui croise dans la Baltique
, consiste en 29 vaisseaux de ligne ,
non compris ceux de l'escadre de réserve
sous les ordres du Vice- Amiral de Kruse
La côte, depuis Wybourg jusqu'à Sufferbek
, est garnie de batteries de canons.
Trois régimens de l'armée du Prince
Potemkin sont en marche pour se rendre
dans la Finlande ; deux ont passé par Pé
tersbourg.
-
Les dernières lettres de Carlscrone
annoncent que le Duc de Sudermanie
fait les dispositions nécessaires pour ressortir
avec la grande escadre. Une
division de vaisseaux est partie pour une
expédition secrète. Le Général Baron
de Beckfriis a obtenu le commandement
général dans la Scanie . M. Liston,
N°. 38. 19 Septembre 1789.
I
( 182 )
nouveau Ministre Britannique , présenté
à la Reine et à la Famille Royale , a eu
quelques conférences avec le Sénateur
Comte de Duben.
Plusieurs avis du Duché de Courlande
portent que la fermentation y fait tous
les jours des progrès. Il paroît que l'on
a formé le projet d'incorporer entièrement
ce Duché à la Couronné de Pologne
, et de le faire régir par un Vaywode.
De Vienne , le 31 Août.
"
L'opinion du siége prochain de Belgrade
, tombée la semaine dernière , a
repris quelque crédit depuis le départ
de l'Archiduc François pour Semlin .
Ce Prince est parti , le 28 , précédé , la
ville , du Général Pellegrini. Les
nouvelles de Laxembourg annoncent
que depuis la seconde opération qu'a
subi l'Empereur , il se trouve sans doùleur
, et a même déja quitté le lit.
Aucun avis important de nos armées.
La Gazette officielle du 26 août s'est
bornée à nous, apprendre ce qui suit :
Le Général Comte de Clairfait , mande
dans sa derniere dépêche , qu'ayant appris ,
la nuit du 16 -de ce mois , qu'un Corps d'environ
5 à 6,000 Tures étoit posté à Méhadie
, il fit avancer le lendemain matin son
Corps sur la grande route ; l'avant -garde
qui passoit les montagnes de Jablonicza ,
( 183 )
rencontra sur celle de Gernahor , environ
6ob Spahis , les attaqua et les repoussa. Les
Troupes ennemies qui étoient postées en
avant de Méhadie , disputèrent à nos
Troupes la sortie des montagnes et le passage
du pont de Bolvaschniza ; mais cette
résistance fut de peu de durée ; notre artillerie
fit un si bon effet , que l'ennemi se
vit bientôt obligé de se retirer avec précipitation
derrière Méhadie . Le Général de Clairfait
entra ensuite dans cette ville , et fit occuper
tous les postes ; les portes et une partie des
redoutes ont été trouvées en bon état. A
juger du camp que les Turcs ont abandonné ,
leur nombre étoit d'environ 6,000 hommes ;
ils étoient campés près du cimetiere .
Le
nombre de Turcs , à Gerners , est de 5,000
hommes , et plus de 16,000 à Schuppanek :
ils n'ont pas de magasin , et manquent souvent
de vivres.
Suivant les derniers rapports de Focksani
, le Général Karaiczai est à Rimnick
, avec les postes avancés de l'armée
de Cobourg . Deux Corps Turcs se rassemblent
, l'un près de Fatin , et l'autre
près de Fisko ; le premier est de 15,000
hommes , et le second de 10,000 ; l'on
présume qu'on ne fera la conquête de
la Valachie , qu'après une seconde victoire
.
L'Empereur a élevé la ville de Ziala
dans la Gallicie , au rang d'une ville libre
et royale , et permis le culte public aux
Protestans qui y demeurent.
Le Général d'Artillerie Pierre de
I ij
( 184 )
Langlois , est mort a Trieste , le 19
du mois dernier , âgé de 65 ans .
De Francfort sur le Mein, le6 Septemb.
Le Roi de Prusse est arrivé , le 16
août , à Glogau , où S. M. a fait la
revue du régiment de Wolfransdorf ;
dans l'après-midi , Elle a inspecté près
de . Randten , trois autres régimens. Le
soir , le Roi se rendit à la terre du Ministre
d'Etat , Comte de Hoym.
La Commission établie à Berlin , pour fixer
le sort des Juifs dans les Etats Prussiens ,
finira incessamment ses travaux . On assure
que l'état civil leur sera accordé , et que par
conséquent ils pourront acquérir des propriétés
, apprendre et exercer des métiers
et en general , se donner à telle branche
d'industrie qu'ils jugeront convenable ; mais
ils seront aussi assujettis aux charges publiques
comme les autres Sujets. On ajoute
cependant que l'on n'admettra dans l'Etat
Militaire que la troisienre génération , et `
qu'en attendant , les Juifs payeront pour
eet objet une certaine taxe.
A la requisition du Grand-Fiscal de
Empire , la Chambre Impériale de
Wetzlar a rendu un décret contre la
révolution de Liège , par lequel il est
ordonné de restituer au Prince- Evêque
toutes ses prérogatives , et de rétablir
l'ancienne Magistrature . Cette nouvelle
répandit un tel effroi à Liége , que les
trois Ordres , Primaire ou du Clergé ,
( 185 )
de la Noblesse et du Tiers-Etat , se sont
assemblés , et réunis dans le projet d'une
Députation commune à Wetzlar .
Elle est chargée d'attester à la Chambre' ,
que la révolution est unanimement applaudie
, reçue sans opposition ni réclamation
qu'on ne veut altérer en rien la Constitution
établie , mais lui rendre son ancienne vigueur
, et rentrer dans des droits légitimes ,
des droits sanctionnés par l'usage constant
de plusieurs siecles ; qu'enfin , puisqu'il n'y
avoit ni plainte , ni plaignant , ni paix publique
enfreinte ; puisque le Prince luimême,
avoit non- seulement tout approuvé ,
mais même déclaré qu'il ne feroit aucune
démarche contraire , mais même désavoue
toutes celles que l'on auroit pu faire ou
que l'on pourroit faire à son insu , le rescript
de la Chambre étoit sans objet , comme
sans motif.
D'après cela , on espère que l'intervention
menaçante du Corps Germanique
n'aura pas de suite , et qu'on
laissera les Liégois se disputer , se régénérer
, s'arranger comme il leur plaira .
Il est très-certain que le Prince Evêque
n'a fait aucune démarche ni directe , ni
indirecte , auprès de la Chambre Impériale.
Tout est tranquille à Aixla
- Chapelle , où l'on ne voit aucuns
mouvemens ; mais les 22 Tribus. de la
ville Impériale de Cologne se sont as
semblés le 27 , aussi pour se régénérer.
On y craignoit des scènes violentes ;
mais encore plus , que ces imitations
1 iij
( 186'- )
namènent avant peu 80 mille hommes
sur les bords du Rhin .
Un ramas de vagabonds s'étoient réunis
dans la Campine Autrichienne , et se
proposoient de s'y établir en Corps
d'armée. En attendant , ils mangeoient
et buvoient à discrétion chezles Paysans ,
menacés du pillage . Instruit de cetie
manoeuvre , le Général d'Alton a fait
faire une battue générale par des détachemens
de plusieurs garnisons du Brabant
les bandits ont été dispersés , et
. on en a saisi un nombre qui va être jugé
èt exécuté prévôtalement.
ÉTATS - UNIS D'AMÉRIQUE.
De New-Yorck , le 15 juin 1789 .
A peine la Constitution du Congrès
a-t-elle commencé à être en exercice ,
qu'il s'est élevé des projets de la corriger
. L'Etat de Virginie ayant sollicité
l'examen des amendemens qui pourroient
être faits à ce systême de Lois ,
la Chambre des Représentans du Congrès
s'est occupée de cette résolution .
Le 8 Juin , M. Maddison proposa de se
former en grand Comité , pour prendre en
considération les amendemens à faire à la
Constitution fédérative , conformément au
yeu exprimé dans l'article V de ladite Constitution
. M. Maddison présenta en même
temps à la Chambre les amendemens , sous
( 187 )
la forme d'un projet d'arrêté , contenant
neuf articles , dont il fut fait lecture. Ce
Arrêté que les amendemens suivans devront
être présentés par le Congres aux Législa
tures des Etats , pour devenir , s'ils sont ratifiés
par les trois quarts d'entre eux , partie
de la Constitution des Etats - Unis .
projet d'arrêté est de la teneur suivante
,
C
1º. Qu'il soit mis en tête de la Constitution
, une Déclaration portant , « que tout
Pouvoir réside originairement dans le Peu-
« ple , et dérive par conséquent de lui :
་ ་
"
"
R
το
"
"
"
"C
Que le Gouvernement est institué et
doit être exercé pour le bien du Peuple ,
lequel consiste à jouir de la vie et de la
liberté , avec le droit d'acquérir et d'user
de la propriété , et généralement de poursuivre
et d'obtenir le bonheur et la sureté.
"
Que le Peuple a le droit indubitable ,
inaliénable et imprescriptible de réformer
ou changer son gouvernement , toutes les
fois qu'il sera trouvé contraire ou insuffisant
pour l'objet de son institution . "
2°. Que dans l'Article I. , Section II ,
Clause III , ces mots seront effacés ; savoir:
Le nombre des Réprésentans n'excédera
point un , pour chaque trente mille habitans
; mais chaque État aura au moins un
Représentant , et jusqu'à ce que ladite
énumération soit faite . «
てく
"l
"
Et qu'au Feu de ces mots , il y sera inséré
les suivans , savoir : « Après la premiere énumération
actuelle , il y aura un Représen
tant pour chaque trente mille habitans ,
jusqu'à ce que le nombre se monte à .....
Après quoi la proportion sera réglée par
Congrès , de manière que le nombre ne sera
(c
Re
"2
le
I iv
( 188 )
"
་་
་་
.
jamais de plus de .... ni de moins de ....
Mais chaque Etat , apres la premiere énumeration
, aura au moins deux Representans
, et avant cela : 00
3°. Que dans l'article I. , Section VI ,
Clause , il soit ajouté , apres la premiere
phrase , les mots suivans : « Mais aucune Loi
qui changera l'émolument fixé en dernier
lieu , ne pourra avoir d'effet avant la prochaine
Election des Représentans. "
"
"
ff
4° . Que dans l'Article I. , Section IX ,
entre les clauses III et IV , il soit inséré les
clauses suivantes , savoir : « Les droits civils
d'aucun ne seront restreints pour cause
de croyance ou de culte religieux , ni il
ne sera point établi de Religion Nationale ,
ni les droits de conscience ne seront en
aucune manière , ni sous aucun prétexte ,
enfreints , soit dans leur intégrité ou leur
égalité. «
66
"(
"
ང་
41
<<
"
"
Le peuple ne sera point privé ni restreint
dans le droit de parler , d'ecrire ou de publier
ses sentimens ; et la liberté de la
presse , comme étant l'un des grands boulevards
de la liberté , sera inviolable. "
"
Le peuple ne sera point empêché de
s'assembler paisiblement , et de se consulter
sur le bien-être commun , ni de s'adresser
à la Législature , par des Pétitions
ou Remontrances pour le redressement de
ses griefs.
et
Le droit du Peuple , de garder et de
porter des armes , ne sera point enfreint ;
une Milice , bien armée et bien réglée, étant
la meilleure defense d'un pays libre ; mais
aucune personne , religieusement scrupuleuse
de porter les armes , ne sera obligée
( 189 )
de rendre un service militaire en per-
H sonne . «
"
་་
«
"
"
?
Aucun soldat ne sera mis en quartier ,
en temps de paix , dans aucune maison
« sans le consentement du Proprietaire , ni
dans aucun temps : cela ne pourra être
que
d'une maniere ordonnée par Já Loi, “
Aucune personne ne sera sujette , excepté
dans le cas d'impéachement , a plus
d'une punition ou d'un proces pourla même
offense ; ni ne sera forcee à étre témoia
« contre elle -même ; ni ne sera privée de la
vie , de la liberté ou de la proprieté , sans
une procédure légale ; ni ne sera obligée
d'abandonner sa propriété lorsqu'elle sera
necessaire à l'usage public , sans un juste
dedommagement. «
"
u
*
"
яс
AL
"
"
"
К
Il ne sera point requis de caution excessive
, ni imposé d'amende excessive , ni
infligé de punition cruelle et inusitée.
Les droits du Peuple , assurés dans leurs
« personnes , leurs maisons , leurs papiers ,
et leur autre proprieté contre toute recherche
ou saisie injuste , ne seront point violés
par des Decrets ( warrants ) qui seroient
issus sans cause probable , appuyés par serment
ou affirmation , ou qui ne décriroient
point particulierement les endroits à rechercher
ou les personnes ou objets à sa
sir.
K
44
་་
"
"
Dans toutes les procédures criminelles,
l'accusé aura droit à un proces prompt et
public , et aura droit d'être informé de
la cause et de la nature de l'accusa¬
d'être confronté avec ses accusateurs tion ;
et les témoins ; d'avoir un compulsoire du
" proces pour obtenir des témoins en så
"
( 190 )
"
"
faveur , et d'avoir l'assistance d'un Conseil
pour sa défense .
Les exceptions faites ici ou dans toute
« autre partie de la Constitution , en faveur
de droits particuliers , ne seront point interprétées
de manière à diminuer la juste im-
« portance des autres droits conservés par le
Peuple , ou de manière à étendre les pouvoirs
délégués par la Constitution ; mais
considérés , soit comme des limitations
précises de pareils pouvoirs , ou comme
insérées purement pour plus grande pré-
(8
"(
"
caution . "
"
5° . Que dans l'article I , section 10°
entre les clauses et 2 , il soit inséré la
clause suivante , savoir : Aucun état ne
violera les droits égaux de la conscience ,
« ou la liberté de la presse , ou le proces
par Jurés , dans les cas criminels. "
6°. Que dans l'article III , section 2 , il
soit ajouté à la fin de la clause 2 , les mots
suivans , savoir : » Mais aucun appel à ladite
. Cour ne sera permis , lorsque l'objet en
litige ne se montera pas à.
dollars ,
1
ni aucun fait jugeable par Juré , selon le
cours ordinaire de la loi commune ,
не
3' sera sujet àêtre examiné de nouveau , qu'autant
que cela pourra s'accorder avec les
principes de la loi commune. »
06
"
7° Que dans l'article III , section 2 , la
troisième clause soit supprimée , et qu'en sa
place les clauses suivantes soient insérées,
» Le jugement de tous crimes ( excepté
dans les cas d'Impeachment , et dans les
cas résultans des forces de terre ou de
mer , ou de la Milice , lorsqu'elle sera de
service actuel en temps de guerre ou de
danger publio) se fera par un Juré im-
1.
14
( 191 )
1
"
"
"
2
partial de francs-tenanciers du voisinage
avec Punanimité pour la conviction , le
droit de récusation ( the right ofchallenge )
" et autres formes requises ; et dans tous les
crimes punissables par la perte de la vie
" ou d'un membre , la présentation , et prononciation
par un grand Juré (présentement
andindictment ) sera un préliminaire
essentiel , pourvu que dans les cas de
crimes commis dans aucun Comité qui pourroit
être en possession d'un ennemi , ou
dans lequel une insurrection générale pourroit
avoir lieu , alors le jugement puisse
être autorisé par la Loi , dans quelqu'autre
Comté du même état , le plus voisin qu'i
sera possible du lieu de l'offensé.
"
"
་ ་
"
"
Dans les cas de crimes. qui ne seront
« commis dans aucun Comté , le jugement
pourra avoir lieu dans tel Comté que les
Lois auront prescrit . Dans les procedures
" ordinaires d'homme à homme , le jugement
par Juré devra demeurer inviolable ,
comme l'une des meilleures suretés des
droits de l'homme.
"
(
j
"
8°. Qu'immédiatement après l'article 6 ,
il soit inséré , pour former l'article 7 , les
clauses suivantes , savoir:
"
Les pouvoirs délégués par cette Constitution
, et appropries aux Départemens
auxquels ils sont respectivement attribués ,
de maniere que le Département législatif
n'exercera jamais les pouvoirs confiés au
Département exécutif ou judiciaire ; ni le
Departement exécutif n'exercera jamais les
pouvoirs confiés aux Départemens législatif
ou judiciaire ; ni le Département judiciaire
n'exercera jamais les pouvoirs
1
Ivi
( 192 )
- confiés aux Départemens législatif et ju-
Judiciaire.
"
"
2)
Les pouvoirs qui ne sont point délégués
par cette Constitution , ni prohibés par
elle aux Etats , sont réservés aux Etats.
respectivement. "
9° Que l'article VII , devienne par conséquent
, et soit nombré article VIII.
La Motion de M. Maddison fut vivement
combattue. La principale objec
tion qu'on lui opposa , fut que l'examen
des amendemens étoit déplacé dans la
conjoncture actuelle , où ni le systême
fiscal , ni le systême judiciaire n'étoient
encore établis , et où le Gouvernement
fédératif étoit à peine en exercice .
On observa que si l'on s'occupoit maintenant
des amendemens , cet objet détourneroit
par son importance tous les
autres , et rejetteroit l'Union Américaine
dans l'inaction d'où elle cherchoit à se
tirer. On avoua cependant que les amendemens
qu'il proposoit étoient généralement
desirés, et qu'ils rameneroient peutêtre
les deux Etats égarés , Rhode-Island
et la Caroline Méridionale . En consé
quence , pour montrer au Peuple qu'on
ne perdoit point cet objet de vue , et
qu'on se proposoit d'y apporter par la
suite l'attention requise , la Chambre
décida que l'arrêté , proposé par M.Moddison
, seroit soumis à la considération
`d'un grand Comité sur l'état de l'Union
sans cependant assigner d'époque à cet
examen.
( 193 )
FRANCE.
De Versailles , le 16 septembre.
ASSEMBLÉE NATIONALE.
-DIX - NEUVIÈME SEMAINE DE
LA SESSION..
DỤ LUNDI 7 SEPTEMBRE. Les trois questions
de la Permanence , de l'indivisibilité
de l'Assemblée , et de la Sanction Royale
étant remise en délibération , M. Lanjumais
recommença le débat , et d'abord , Pargumentation
des jours précédens contre la
seconde Chambre , soit Sénat , proposé par
le Comité de Constitution.
LL
le
"
Si vous adoptez , dit- il, une Chambre Haute ,
le petit nombre fera la loi au plus grand ;
corps législatif sera frappé de paralysie
et vous gémirez sous la plus terrible aristocratie.
En vain on cite avec emphase l'exem
ple de l'Angleterre , et l'Anglo - Américain
M. Adams , dont le suffrage n'est que celui
d'un aveugle partisan de l'inégalité des droits.
On sait que l'Angleterre , livrée à l'inertie des
trois Veio , manque de plusieurs lois essentielles
, et que si elle en a quelques-unes de
bonnes , son gouvernement , fait au milieu
des dissentions et des guerres civiles , ne
présente que l'image d'une capitulation entre
des ennemis. Il nous faut une Chambre úni
que , qui sera suffisamment contre- balancée
par
le Veto royal , pourvu qué ce Veto ne soit
pas absolu , c'est -à -dire , qu'il n'empêche rien ,
suivant le voeu des cahiers , suivant les prin-
#
( 194 )
cipes , et la leçon de l'histoire . Le Roi étant
chargé de faire exécuter la loi , doit la recevoir
, et l'exécution en ordonner la promulgation.
Voilà en quoi consiste la Sanction
; elle n'est nullement un droit inhérent
à la Couronné . ".
"(
Les lois Saliques ne sont pas même intitulées
du nom de Prince. C'est un pacte national
. Le titre dit : Sedebat Rex in medio exercitu
, etc. Charlemagne ne fit que sanctionner
le
voeu impérieux du peuple François. Celuici
demanda la Sanction comme une chose
que le Roi ne pouvoit refuser , sans délier
ses sujets du serment de fidélité. ( Precipiebant
Reges , quidquid à Francis decretum
erat. ) La loi étoit signée non-seulement du
Prince , mais de tous les hommes libres . »
+
Les Jurisconsultes confondirent , depuis ,
la loi avec la volonté du Prince . Les maux
qui ont résulté de cette confusion sont connus.
C'est à nous à les réparer. . . Il est vrai qu'assez
généralement , le Clergé et la Noblesse ont
voulu accorder au Roi le pouvoir législatif:
c'est qu'ils ont bien senti que ce principe étoit
le seul moyen de conserver leurs odieux priviléges
.
Quant à l'autorité des cahiers , la plus
grande partie ne détermine point la Sanction
; plusieurs excluent le Vetoexpressément :
il en est qui réclament le seul Veto suspensif.
Enfin , ils ne peuvent être impératifs , puisqu'ils
se contredisent. Ils ne peuvent avoir
que le caractère d'instruction , sans quoi la
législation seroit impossible. Mais tous les
cahiers du Clergé et de la Noblesse fassentils
impératifs , ce ne sont que ceux de la
tre centième partie de la Nation.
qua
( 195 )
"
Si les pouvoirs se confondent , il n'y a
plus de liberté. Le pouvoir exécutif appartient
au Monarque ; il ne peut donc exercer
le pouvoir législatif ; or , ce seroit l'exercer ,
que d'arrêter librement la loi. Rejeter une loi
qui supprimè un abus , c'est établir l'abus.
L'Opinant prétendit , par digression, avoir
entendu des Membres de la Noblesse demander
le Veto absolu , dans l'espérance de faire
renaître le régime féodal qui vient d'être
proscrit. (Cette découverte ne réussit pas auprès
de l'Assemblée. ) Le corps législatif qui
propose la loi , et le Roi qui la refuse , devant
être considérés comme deux Mandataires
qui ne s'accordent pas , le Commettant seul
peut juger le différend, Le Veto Royal ne
doit donc être que suspensif, avec appel au
peuple.
Il demanda ensuite qu'il fut convoqué
des assemblées de convention , pour réviser
la Constitution ; la première dans vingt ans ,
et les suivantes tous les cinquante ars.
M. le Comte de Virieux réfuta le Préopinant
sur tous les points , excepté sur la
permanence du Corps Législatif. Cette permanence
, dit-il , est indispensable , si Pon
veut établir dans l'Etat une force unique
et toujours existante , qui maintienne la
réunion des Provinces , en les soumettant
aux mêmes Lois. Sans elle , comine sans l'appui
du Veto , une division fédérative s'éleveroit
sur les ruines de l'Empire actuel . Déja
une Province a formé le dessein de rappeler
ses Députés , de faire cause particulière , et
de se gouverner elle -même. J'en ai la preuve.
Ce coupable projet de désunion est entré
(196 )
dans beaucoup d'esprits et dans beaucoup
d'espérances .'
( Plusieurs voix se récrièrent à ces mots ,
nièrent l'assertion , et l'on ne sortit de ce
tumulte momentané , qu'après que l'ordre eut
été rappelé et ramené par le Président ).
"
J
Je rejette , continua M. de Virieux , cet
appel au Peuple , dans les cas d'exercice du
Veto ; moyen infaillible de précipiter la
perte de nos droits ; car la liberté a constamment
échappé à tous les Peuples qui ont
voulu la garder eux-mêmes. Plus le Corps
législatifaura d'énergie par sa permanence ,
plus la Nation doit veiller sur l'ambition de
ses Représentans : d'où s'ensuit la nécessité
de la Sanction Royale et de la division de
l'Assemblée en deux Chambres.
« Le Veto étant restreint , qu'il s'élève
une faction purissante et ambitieuse , le
Peuple , qui travaille , qui n'a pas le temps
de discuter , d'observer , pourra- t - il s'éclairer
et découvrir les pieges qu'on lui tend ? Il sera
forcé de se livrer à l'insurrection . Ne voyons ,
Nous pas en ce moment le Peuple convaincu
que le Veto est un impôt ? Ne l'avons -nous
pas entendu qualifier d'Aristocrates des malheureux
qui manquoient d'habits et de souliers
? Un long intervalle de temps peut seul
éteindre les factions. Borner à un temps
court le Veto Royal , ce seroit nourrir cet
esprit de cabale. Il faut donc déclarer le Veto,
non absolu , ce qui seroit impossible , mais
indéfini; et si ce mot peut alarmer encore ,
qu'au moins le terme du Veto soit prolongé
pendant trois , quatre Législatures même, successives
et tres -éloignées.
La permanence du Corps législatif doit
entrainer nécessairement la formation de
( 197 )
deux Chambres. Elles ne peuvent être dangereuses
, si les Membres sont elus par le
Peuple , pour un temps limité , après lequel
ils rentreront dans le sein de leurs Commet,
tans , et perdront toute leur autorité ; si elus
sans distinction , ils participent à l'intérêt
général , et sont forcés de souffrir eux - mêmes
des fautes qu'ils commettront .
" Je n'ai rien à répondre à ceux qui affectent
de mépriser le Gouvernement Britannique
et celui des Etats-Unis ; mais je ne
conçois pas comment notre jeune sagesse
notre jeune liberté , notre jeune expérience ,
voudroient l'emporter sur l'antique expé
rience , sur l'antique liberté , sur l'antique
sagesse de l'Angleterre. »
M. Malouet. Ce Député digne de respect
comme Représentant de la Nation , d'estime
comme Citoyen intègre , d'une grande considération
comme esprit sage , et unissant
l'expérience aux lumieres , n'a pu se faire par-
-donner encore la modération constante de
ses avis. Indignement déchiré dans une foule
d'écrits licencieux , ce Membre du Corps
législatif avoit à se plaindre de la noirceur
avec laquelle on défigure les sentimens. Son
opinion relative à la Sanction Royale , venoit
d'armer de nouveau l'intolérance et les me
naces . S'il n'y a maintenant que de la lâcheté
à se montrer violent , M. Malouet
montra un rare courage en osant dire ce qui
suit ;
MESSIEURS ,
.. J'avois résolu de ne participer que par
mon suffrage à la discussion actuelle ; mais les
menaces qu'on a osé me faire , relativement
( 198 )
à mon avis sur la Sanction Royale , la terreur
qu'on veut m'inspirer , et à plusieurs
Membres de cette Assemblee , m'engagent
à reprendre la parole ; car dans les dernieres
opinions qui vous ont été présentées sur l'organisation
du Corps législatif, j'adopté celle
qui a le plus de defaveur , la composition de
Assemblée Nationale en deux Chambres ;
j'userai done de mon droit de Représentant
de la Nation pour la défendre librement ; et
si , dans cette affluence de spectateurs qui
nous entourent , il s'en trouvoit qui attendent
ici l'effet de leurs menaces , ils apprendront
par ma voix à quoi se réduit la puissance
des méchans sur les gens de bien : témoins
de votre indignation contre leur criminelle
audace , ils apprendront que le Citoyen
qui méprise et qui brave la fureur des
factieux et leur liste de proscription , qui les
puniroit s'il en avoit la charge , supérieur à
la crainte , ne l'est pas moins à la séduction
et aux faveurs des Cours. »
« Je ne reviendrai sur la Sanction Royale
que pour dire qu'aucune objection n'affoiblit
la conviction où je suis de sa nécessité : j'ai
déclaré que le Veto du Roi définitivement
suspensif dans ses effets , doit être simple et
indéfini dans son expression ; et je résume
mon avis par cette formule : Le Roi aura le
droit de sanctionner les Lois proposées par
l'Assemblée Nationale , ou de les renvoyer à
un nouvel examen. "
་་
J'ai toujours regardé comme nécessaire la
permanence du Corps législatif : le Préopinant
m'a prévenu dans le développement
d'un des motifs , qui suffiroit seul pour la dé
terminer. ”
( 199 )
"
J'ajouterai cependant que ce n'est pas seu
lement la composition actuelle de quelques
Etats Provinciaux , mais l'election projetée
de toutes les Provinces en pays d'Etats , qui
auroient les plus grands inconvéniens , pendant
une longue absence du Corps législatif. "
Le plus sensible de ces inconvéniens seroit
l'invasion progressive du pouvoir exécutif,
et l'invasion possible du pouvoir législatif ,
car toutes les Assemblées , tous les Corps
ont une tendance naturelle à l'extension de
leur autorité. Les hommes réunis vont toujours
en avant , quoi qu'il en puisse arriver :
car aucun n'est responsable pour tous. Ainsi ,
pour maintenir la réunion de toute les parties
de l'Empire', et leur dépendance d'une
autorité centrale , deux conditions sont nécessaires
; la première , de limiter à des détails
d'exécution , sous l'inspection du Gouvernement
, l'administration confiée aux Assemblées
Provinciales ; la seconde , de ne les
convoquer que pendant la Séance du Corps
législatif; car il faut bien que le pouvoir exé
cutif ait un intervalle et un espace libre
pour agir s'il est toujours en présence des
pouvoirs indépendans , il perdra la vigueur ,
le ressort , l'unité nécessaires à l'Administration
générale : il sera insensiblement effacé ;
et la confusion de tous les pouvoirs arrivera.
"
« Quant à l'organisation del'Assemblée Nationale
, on vous a dit , Messieurs : La puissance
législative est une ; done il ne doit y
avoir qu'une seule Chambre : c'est ainsi qu'avec
des principes généraux, on conclut ce que l'on
veut , et que des abstractions métaphysiques
sont une source d'erreurs en législation .
" Mais , Messieurs , la souveraineté est une ;
( 200 )
et ses fonctions , ses pouvoirs se subdivisent
en plusieurs branches : le pouvoir exécutif
lui - même comporte trois subdivisions principales
: ainsi , pourquoi ne distingueroit- on
pas trois temps dans un acte législatif , la
discussion et la délibération provisoire , la
révision et l'arrêté , la sanction et la promulgation
? Pour moi , je soutiens cette distinction
si naturelle , si nécessaire , que je n'ai
pas d'autre maniere de concevoir dans
une grande Monarchie , l'action et le complément
de la puissance législative . Je suis
donc d'avis de composer l'Assemblée Nationale
de deux Chambres , dont l'une appelée
Chambre des Représentans , et l'autre Chambre
du Conseil , ou Sénat , toutes deux électives
, sans Keto l'une sur l'autre , mais avec
droit de révision par le Sénat , des Décrêts
proposés par la Chambre des Représentans. "
H Avant d'en venir aux objections contre
cette composition , voici mes motifs pour
l'adopter : "
"Je ne connois rien de plus dangereux
qu'une seule Assemblée législative , qu'un
hasard malheureux pourroit composer une
fois d'une pluralité de Représentans dépour
vus d'expérience et de lumières sur la législation
, sur les ressorts politiques d'un grand
Empire. Que dans une telle Assemblée , de
grands talens fassent prévaloir des intérêts ,
des passions particulières ; que la terreur s'empare
des uns , et l'esprit de faction des autres :
que deviendroit alors la Constitution ? »>
Nous aurions sans doute pour ressource le
Veto du Monarque : mais si les mauvaises
Lois proposées étoient à l'avantage du pouvoir
exécutif , si les Chefs de l'Assemblee
corrompus , égaroient ou faisoient intimider
( 201 )
leurs collègues , quel moyen d'empêcher une
nouvelle revolution ? La Nation pourroit être
asservie avant d'être avertie qu'elle en court
le danger.
"
"
Qu'au contraire , des Sénateurs plus âgés ,
plus versés dans la connoissance des affaires ,
par les Magistratures qu'ils auront exercées ,
soient chargés de réviser , de discuter de
nouveau les Décrêts proposés par la Chambre
des Représentans ; les motifs de l'improbation
du Sénat avertiront déja la Nation , le
Monarque , et tous ceux des Représentans
qui auroient été trompés de bonne foi . Alors
est probable que la réunion des deux
Chambres pour une Délibération définitive ,
produira la réforme du Décrêt projeté , surtout
si l'on statue qu'un Décrêt rejeté par le
Sénat , ne peut être adopté par les deux
Chambres , qu'aux deux tiers ou aux trois
cinquièmes des voix. "
On a dit contre cette proposition , qu'en
supposant une Délibération de six cents Representans
improuvée par le Sénat , l'amourpropre
des premiers irrité , maintiendroit en
leur faveur la pluralité des voix. Mais l'auteur
de cette objection n'a pas fait attention
que dans ce cas , il n'y a d'amour - propre
compromis , que celui qui propose , qui rédige
la Loi , qui entraine les suffrages ; et
que la grande pluralité de ceux qui concourent
à une décision , ne demande souvent
que des lumieres et un point d'appui pour y
resister : or , le Sénat , dans de telles circons
tances , seroit , pour les hommes trompés , le
point d'appui et la lumière . ❤
"
D'ailleurs , comme les mauvaises Lois peuveut
porter sur toute autre chose que la prérogative
Royale , pour la réduire ou l'eten(
202 )
3
dre , le Monarque , averti par l'improbation
du Sénat , userait avec plus de confiance de
son droit de Velo ; et c'est alors que personne
n'en contesteroit plus l'utilité.
"
"
Ainsi , Messieurs , la plus grande facilité
des discussions , l'utilité de la révision , la
confusion possible dans une nombreuse Assemblée
, les mouvemens que peuvent y exciter
l'éloquence , la prévention , l'impatience,
et beaucoup d'autres motifs qui nous ont été
développés , me font adopter la proposition
de deux Chambres également électives , avec
la différence que le Sénat ne pourroit être
renouvelé que tous les sept ans , et que les
Sénateurs seroient choisis sans distinction de`
naissance parmi les hommes qui se distingueroient
dans les Magistratures civiles et
militaires , et dans le Ministère ecclésiasique.
"
Ici , la délibération fut interrompue par
Parrivée de quelques Dames de Paris , femmes
et filles d'Artistes , qui venoient offrir
à l'Assemblée leurs bijoux et leurs ornemens.
On les fit placer dans des fauteuils : M.
Bouche leur Orateur , les compara éloquemment
aux Romaines qui se dépouillerent de
leurs parures , pour remplir le vou fait par le
Sénat à Apollon. M. le Président répondit
à cette harangue ; après quoi on demanda ,
et on fit lecture des noms de ces généreuses
Donatrices ; ce sont : Mesdames VIEN
Moirre , Présidente ; DE LA GRENÉE la
jeune , SUPÉE , BERRUER , DUVIVIER
BELLE , KESTIER , FRACON ARD , PERON ,
DAVID, VERN ET lajeune, DES MARTEAUX,
BONVALET , CORNE DE CERF , Négociante.
Mesdemoiselles VASSE De BonrecuEIL ,
A
,
( 203 )
KESTIER , GERARD , PITHOUD , DE VIEFVILLE
, HOTEMPS.
J Il fut arrêté d'inscrire ces noms dans le
Procès-verbal , et l'on invita celles qui le
portent à siéger au milieu de l'Assemblée ,
jusqu'à la fin de la Séance.
Les débats ayant recommencé , M. l'Abbé
Syeyes prit la parole , et développa un systême
absolument nouveau.
Il s'efforça d'abord de prouver que le Roi ,
dépositaire du pouvoir
exécutif , ne pouvoit
participer à la législation. Premier Ĉitoyen
de l'Etat , il ne doit avoir qu'une voix , comme
tout autre Citoyen . Celui qui pourroit avoir
deux voix , pourroit en avoir 25 millions ,
et dès-lors une seule volonté seroit l'expression
de la volonté générale ... L'exercice du
pouvoir exécutif donne des lumières sur la
Législation. On peut donc consulter son
avis , mais non lui accorder un droit d'empêcher
la Légistation ; ce seroit lui donner
le plus fort droit de Législature. En effet ,
dans le Corps législatif , la majorité , qui a la
puissance , n'empêche que la minorité ; au
lieu qu'un eto absolu empêcheroit tout le
Corps. Ce Veto seroit une lettre de cachet
contre la volonté générale. Tous les Citoyens
doivent concourir de leurs volontés à
former la Loi ; mais 25 millions d'hommes
ne peuvent se rassembler pour l'établir. C'est
la fonction des Représentans. Si la Nation
même dictoit les Lois , ce seroit non
Etat représentatif, mais démocratique ; ainsi
vous ne devez pas vouloir qu'un Citoyen
puisse , soutenir la volonté d'un Bailliage
contre la volonté de la Nation entière. Il ne
s'agit pas ici de récenser un scrutin démocratique
chaque Représentant doit énoncer
un
( 204 )
ses opinions actuelles , éclairées des instructions
de ses Commettans , et la volonté du
Corps législatif doit être regardée comme
volonté nationale . Ainsi , le Roi ne peut empêcher
les opérations de l'Assemblée nationale...
Le Veto ne doit être accordé qu'à
ceux qui ont droit de faire la Loi. . Il importeroit
de séparer le Corps législatif en
trois Sections. Chaque Chambre discuteroit
la question séparément , et elles se réuniroient
ensuite pour une délibération ` commune
. Chaque Chambre auroit alors une espèce
de Veto suspensif, car elle pourroit retarder
sa discussion autant qu'elle le jugeroit
nécessaire... Si malgré ces précautions il se
glissoit une erreur , on pourroit la corriger
dans les Sessions suivantes.
les
L'Assemblée doit être permanente ,
Elections partiellement renouvelées tous
les ans , de maniere qu'un tiers de l'Assemblée
soit composé de Membres d'une expérience
de deux années ; un second tiers , de
Membres d'un an ; et un dernier tiers , de
Membres nouvellement arrivés des Provinces
, pour entretenir l'harmonie entre elles
et l'Assemblée : mais avant d'organiser ainsi
le Corps legislatif, il faut s'occuper préalablement
d'organiser les Assemblees Provinciales
et les Municipalités , canaux par lesquels
la volonté générale se communique
à l'Assemblée. En conséquence , l'Orateur
opina à la formation instante d'un Comité ,
chargé de rédiger un plan dans ce but .
Ce discours ingénieux , plein d'idées , et méthodique
, reçut de grands applaudissemens ,
ainsi que celui, plus oratoire , de M. de Sillery
Ce dernier Opinant , présenta un tableau
historique des temps d'ignorance où nos ancêtres
,
( 255 )
cêtres , toujours jaloux du nom de la liberté ,
avoient si mal su la conserver ; où pour toute
faveur on leur permettoit de se plaindre , en
les opprimant davantage ; où l'on vit ce Roi ,
surnommé le Grand , regardant ses Peuples
comme ses esclaves les soumettre à
Vinjustice de ses caprices , et considérer
comme Loi suprême , l'arbitraire de ses volontés
.
Et de nos jours , continua -t- il , l'aurionsnous
recouvrée cette liberté , sans la justice
d'un Ministre vertueux , et la fermeté de
PAssemblée Nationale ? N'est-il pas honteux
encore de voir entierement perdus , et le .
crédit national , et cette influence que la
France auroit du conserver sur les Nations ?
Croyez-vous que si l'Assemblée eût été permanente
, nous eussions maintenant à gémir
de ces désordres ? Les Parlemens
n'ont pas été moins funestés à la liberté
publique ; ils sont une hydre à laquelle on ne
peut opposer que l'égide redoutable de l'Assemblée
nationale... La multiplicité des réformes
et des remplacemens à faire , nécessitent
encore la permanence de l'Assemblée.
Ce n'est pas dans quelques mois que l'on
pourra réformer des siecles d'abus .
L'unité de Chambre est essentielle à conserver.
Examinez l'état où vous êtes , et celui
où vous étiez. Vous avez senti qu'il ne fal
loit qu'une seule Chambre ; et à peine étesvous
réunis , que vous voudriez de nouveau
vous séparer !
"
Le choix d'un Sénat me paroît une de ces
institutions effrayantes , que je n'aurois pas
cru entendre prononcer jamais dans cette
Assemblée . A peine sommes-nous debarrassés
des fers de l'aristocratie , que nous vou-
Nº. 33. 19 Septembre 1789. K
( 206 )
drions nous y replonger ! Si après cette révolution
vous ne devenez pas aussi libres que
vous pouvez l'être , l'Europe vons taxera
avec justice de foiblesse et de pusillanimite .
Nous ne pouvons espérer que du temps l'oubli
des antiques priviléges ; le Sénat réveilleroit
ces distinctions , et dans un état libre,
il ne doit y avoir que celles des talens et du
mérite
J'adopte la Sanction royale ; mais lorsque
nous rendons nos Monarques dépositaires du
pouvoir exécutif , ce n'est que pour soutenir
la Constitution à laquelle ils sont soumis.
Nous leur accordons le Veto , sans vouloir
nous forger des chaînes. Ils auront pouvoir
d'examiner et de suspendre les Lois qui
leur paroîtront contraires à notre intérêt ,
et non celui de s'y opposer au - delà du terme ,
où la Nation manifestera ses volontés.
A la suite de ces périodes éloquentes ,
M. de Sillery proposa , 1 ° . la permanence de
l'Assemblée. Session pendant quatre mois de
l'année , à une époque fixée pour recevoir les
comptes des Agens de l'Autorité. 2 °. Une
Chambre unique. Les Assemblées élementaires
ne seront convoquées que tous les trois
ans , temps auquel les Peuples auront droit
de nommer de nouveaux Représentans .
3º. Les Lois nouvelles n'auront force de Loi,
que lorsqu'elles auront été sanctionnées par
le Roi. 4. Les Lois auxquelles le Roi accordera
sa Sanction seront exécutées sur -lechamp
, et seront Lois du royaume. 5. Les
Lois le Roi refusera de sanctionner deque
meureront sans force , jusqu'à ce que les
Peuples , convoqués de nouveau , aient manifesté
leur vou positif sur la Loi refusée
par le Roi. 6º . Dans le cas où les Peuples
( 207 )
demanderoient la Sanction d'une Loi refusée
par le Roi à la Session précédente , le Roi ,
sur le voeu réitéré des Peuples , ne pourra ,
dans aucun cas , refuser sa Sanction Royale.
M. Reubell se préparoit ensuite à parler ,
lorsque l'appel aux voix se fit entendre , et
redoubla d'un côté de la Chambre.
M. le Président observa que la multiplicité
de questions qu'on avoit à décider presque
à- la-fois , exigeoient au moins une Seance
entiere. En conséquence , l'heure étant avancée
, il proposa de lever la Séance.
On voulut cependant , avant de se sépa
rer , décider si la question étoit suffisamment
discutée. Un Membre proposa de déterminer
si les mandats seroient impératifs d'autres
voulurent continuer la discussion . Sur des
questions aussi importantes , dit M. de Lally ,
et desquelles dépend le salut de l'Empire ,
l'Assemblée n'a pas le droit d'imposer silence
au dernier de ses Membres qui de-.
mande la parole.
Nouvelles clameurs pour aller aux voix.
Je ne crois pas , dit M. de Clermont-Tonnerre
, qu'on puisse aller aux voix , lorsque
des principes tout-à-fait nouveaux , ceux de
M. l'Abbe Sieyes , viennent de vous être présentés.
Je ne me sens pas capable d'y répondre
maintenant , ainsi je demande qu'on
nous laisse le temps de la réflexion , et que
la discussion soit remise à la prochaine
Séance.
Lorsqu'on vous présente , allégua un autre
Deputé , un systême aussi artistement
travaille , des paradoxes aussi ingénieux que
funestes , et capables de renverser les fondemens
de l'Empire , il n'y a pas lieu à délibérer.
Kij
( 208 )
Dans la Déclaration des droits , dit un
Préopinant , lorsqu'il s'agissoit de principes
connus , il est évident qu'ils n'avoient point
besoin de discussion : nous avons cependant
été un mois à les établir ; et nous irions déja
aux voix sur des questions aussi essentielles ,
qui sont les fondemens de la Constitution ,
et encore pour nous si obscures et si incertaines
!
Un autre Membre proposa d'aller tout de
suite aux voix sur la Permanence cette
question n'ayant été combattue de personne,
et ne souffrant point de difficulté.
M. le Président observa que la question
de savoir si la discussion seroit terminée
entraîneroit elle- mêmeune discussion , et qu'il
étoit à propos de la remettre à la Séance
suivante.
Mais à peine eut- il achevé , qu'une voix
impatiente s'éleva , disant qu'une Motion
ayant été faite , il falloit deliberer , et que
le Président ne prît pas sur lui de regir l'Assemblée.
M. le Vicomte de Toulongeon : « Vous
préférez sans doute la sage lenteur qui doit
diriger vos délibérations , à la précipitation
de decider en un moment une question aussi
importante. "
Cet exorde , si contraire à l'impatience de
voter , qui agitoit alors l'Assemblée , fut interrompu
par de grands murmures .... Apres
que l'Opinant eut lutté pendant une demiheure
pour obtenir la parole , M. le Président
voulut mettre la question aux voix ;
mais M. de Toulongeon se retira de lui - même.
On alla ensuite aux voix pour savoir si la
discussion sur les trois questions , seroit
( 209
terminée.... Ce qui fut décidé à l'affirmative
, par une grande majorité.
Du LUNDI soir , 7 SEPTEMBRE. A l'ou
verture de la Séance , un de MM. les Secré
taires a proclamé les Membres elus dans
chaque Généralité , pour former le Comité
du Commerce et de l'Agriculture : il a fait
ensuite mention de plusieurs adresses de félicitation
et d'adhesion , envoyées par les habitans
réunis de plusieurs Villes et Communautés.
M. Anson, Membre du Comité des Finances
, a rappelé , dans un premier Rapport
, l'invitation faite par M. le premier
Ministre des Finances , de s'occuper incessamment
d'un adoucissement dans l'impôt
désastreux de la Gabelle. Le Comité propose
sur cet objet , un projet d'Arrêté qui ,
dans les Provinces soumises aux grandes
Gabelles , réduit considérablemen le prix du
sel , qui convertit en amendes toutes les
peines afflictives prononcées contre le fauxsaunage
, et qui enfin confie aux Assemblées
Provinciales , aux Municipalités et aux Milices
Nationales , le soin de veiller à l'exacte
perception de cet impôt , ainsi modéré .
M. le Marquis de Montesquiou , aussi Membre
du Comité des Finances , a ensuite proposé
, de la part de ce Comité , un Projet
d'Arrêté qui , en confirmant celui pris par
l'Assemblee Nationale , le 17 Juin , relativement
au payement des impots existans , ordonne
tout-à-la-fois , sur les Généralités ,
la levée des impositions qu'elles supportent
l'année présente , et l'imposition des Privilégies
sur le même taux , par un rôle additionnel
sans diminution sur les anciens
contribuables. Ce projet d'Arrêté porte en
Kii
( 210 )
outre que les roles qui seroient faits actuel
Jément , tant pour les Contribuables que
pour les Privilégiés , ne comprendroient que
les impositions à payer jusqu'au premier Juil
let de 1790 , époque à laquelle on pouvoit
espérer que l'Assemblée Nationale auroit
pourvu à une autre forme , et à une autre
maniere d'imposer , uniforme pour tous les
Citoyens.
Quelques Membres ont pris la parole sur le
projet d'Arrêté , proposé relativement aux
Gabelles .
M. le Marquis de Gouy-d'Arcy , Secrétaire
du Comité des Finances , s'est le premier opposé
à ce Projet , et lui substituoit la suppression
absolue de la Gabelle.
Le prix du sel marchand fixé pour tout le
Royaume ; le surplus de ce que rapportoit
la Gabelle , diminué de moitié , et réparti
sur les rôles des impositions de chaque pro
vince , proportionnellement à ce qu'elle
payoit , de manière que les provinces de
grande et petite Gabelles ne supporteroient
chacune que la moitié de ce que leur coûtoit
l'impôt du sel , et que les provinces qui n'ont
point de Gabelles ne payeroient rien du
tout.
M. de Volney a conclu de même pour une
prestation pécuniaire , défalcation faite du
prix marchand et du montant des frais de
perception .
M. le Vicomte de Mirabeau a observé que
cette prestation pécuniaire ne devoit nullemement
porter sur les provinces , ou rédi
mées , ou non assujéties à l'impót du sel.
A dix heures et demie , M. le Président a
levé la Séance , en invitant les Membres à
se réunir demain en Bureaux , pour exami(
211 )
ner les deux projets d'Arrêté , afin de pouvoir
les discuter de nouveau dans la Séancé
de mercredi soir.
'Du
MARDI 8 SEPTEMBRE . ( Fête et point
de Séance. )
Du MERCREDI 9 SEPTEMBRE. Cette
Séance afligeante a commencé , suivant
P'usage , par des mentions d'Adresses et de
traits de libéralité publique. Une parente
d'un des Députés a fait hommage à la Nation
de ses diamans , évalués huit mille livres :
un jeune homme de Valence a fait don de
sa montre , etc.
M. le Président lut ensuite un résumé des
avis secondaires , ouverts dans les Seances
précédentes , sur les trois questions principales.
Dans quel ordre celles- ci seroient - elles
présentées ? C'est ce qui fit naître beaucoup
de contestations.
D'abord , M. Reubell proposa une solution
préalable à celle de la Sanction Royale :
Cette Sanction sera- t-elle nécessaire pour la
Constitution ?.... C'est la Constitution , dit
M. Target , qui donnera le Veto au Roi. II
seroit absurde de demander si le titre qui
accorde au Roi la Sanction , doit être sanctionné.
M. Demeunier ouvroit la Délibération sur
les questions les plus faciles , et qui pouvoient
aider la solution des autres.
1 °. L'Assemblée Nationale sera -t- elle
manente ?
per-
2º. Quelles seront les époques des renouvellemens
des Membres ?
3°. Quelle sera la durée des Sessions ?
Ne faudra- t-il pas aussi , s'écria un autre
Kiv
212
Membre , déterminer la durée du payement
des Députés pour chaque Session ? Cette observation
excita un sourire de l'Assemblée .
M. Garat releva un pleonasme dans les
propositions de M. Demeunier; car , dit-il .
Ja permanence signifie continuation des élee
tions pendant plusieurs années.
M. de Mirabeau observa qu'il étoit impossible
de répondre aux trois questions principales
, avant d'avoir déterminé les questions
secondaires. .
Si l'on me demande , par exemple, l'As
semblée sera- t-elle permanente ? Je ne puis
répondre , si je ne sais quelle sera cette Assemblée.
Si l'on me demande , Y aura - t - il deux
Chambres? Je ne puis répondre , à moins
que de savoir quels seront les pouvoirs de
ces Chambres , etc..
Ainsi , autant ce ' mode qu'on voudroit
adopter plaît aux gens pressés , autant il
déplaira aux personnes qui ne se hâtent que
par le sentiment de leur conviction .
L'Opinant renouvela la réclamation , faite
dans la Séance précédente , par M. de Clermont-
Tonnerre , au sujet duplan de M. l'Abbé
Sveyes ; plan tout- à - fait nouveau , exposé
' une maniere convaincante , et qu'il étoit
nécessaire de discuter au moins avant de le
rejeter.
L'empressement où l'on étoit d'aller aus
voix , ne permit pas de goûter cette ré
flexion.
M. Camus aplanit les difficultés , en pro
posant les quatre questions suivantes :
L'Assemblée Nationale sera- t - elle perma
nente ou périodique ?....
Y aura - t -il une Chambre , ou deux ?...
( 213 )
Lá Sanction Royale aura- t-elle lieu ? ...
Sera - t- elle absolue , ou suspensive ?...
Une contestation s'eleva alors sur le mot
Bermanence , que l'on trouvoit équivoque ,
et peu propre à exprimer la périodicite an-
Buelle des Sessions .
M. Target levoit le doute par l'expression
suivante : Le Corps législatif sera toujours
existant ; mais on ne parut pas approuver
cette rédaction.
On alla aux voix sur l'ordre de questions
proposé par M. Cunus. Il fut adopté à l'unanimité
.
Faisant alors exception à un Décret précédent
, on décida de ne délibérer sur la
question de la Permanence que par assis et
lévé , personne en effet n'avoit combattu la
permanence.
La contestation renaquit sur le mot même de
Permanence. On en redemanda la définition ;
mais il fut décidé à la pluralité des voix ,
qu'il étoit suffisamment clair et expressif.
De grands débats succéderent encore à cette
décision . Nombre de Membres réclamèrent ,
observant qu'on ne pouvoit les faire délibérer
sur une question qu'ils ne comprenoient pas ;
que dans un pareil cas , on ne pouvoit céder à
la majorité ; et qu'enfin , lorsqu'une partie de
PAssemblée demande la definition d'une
question , on ne peat la lui refuser , etc.
M. Camus s'efforca de donner au mot de
Permanence et à celuid AsssembléeNationale,
la définition la plus exacte. "
Je suis faché , dit M. de Mirabeau , que
l'honorable Membre , apres avoir déclaré que
la question étoit assez éclaircie , soit forcé
lui- même de l'éclaircir.
La Nation , dit M. Deschamps , ne peut
Kv
(214)
s'assembler pour faire ses lois . Elle réunit
des Representans qui forment le Corps législatif.
L'Assemblee actuelle n'est autre
chose que le corps legislatif , réuni en As
semblée Nationale.
Il y a done deux questions à considérer :
L'Assemblée Nationale sera-t-elle permanente?
Le Corps législatif sera-t-il permanent
?
M. le Vicomte de Beauharnois présenta
une observation judicieuse , et qui paroissoit
résolutive .
Il existe , dit M. de Beauharnois , deux genres
de pouvoirs législatifs , l'un est le pouvoir constituant
, qui a mission et droit de faire ou refaire
la Constitution ; de marquer l'étendue
et les limitesde tous les pouvoirs de l'Empire :
c'estcelui dont nous avons été revétus par nos
mandats, et que nous avons exercé sous lenom
d'Assemblée Nationale ; l'autre est le pouvoir
constitué , qui n'aura et ne pourra exercer
d'autres pouvoirs que ceux qui lui seront attribues
à lui - même par la Constitution , qui
fera des lois , mais non pas des lois constitutives.
C'est celui- ci qui sera permanent.
Si vous lui donnez le nom d'Assemblée Nationale
comme nous le sommes , .il
toucher à l'organisation de tous les pouvoirs ,
en déplacer les limites posées ; rien ne sera
constant et stable , et l'on pourra voir une
nouvelle Constitution à chaque nouvelle
Session. Je pense donc que , pour éviter cet
inconvénient ou ces malheurs , il faudroit
`donner au corps legislatif , au lieu du titre
d'Assemblée Nationale celui de Législature.
2 pourra
Cet avis fat très - applaudi , soutenu par
quelques Diputes , et nullement adopté.
1
M. l'Abbe Syeyes proposa la rédaction
( 215 )
suivante : L'Assemblée Législative tiendra
ses Séances à époques fixes tous les ans
sans avoir besoin d'une convocation particuliere
; lorsqu'elle aura fini ses affaires
, elle se retirera elle -même en va-
་ ་
$
"
" cance . »
M. de Clermont- Tonnerre revenoit à l'a--
mendement de M. de Beauharnois , et craignant
qu'on ne confondît l'Assemblée Nationale
actuelle avec les futures , réclamoit
la dénomination de Législature , assemblée à
des époques fixes.
M. Rabaud de Saint-Etienne offrit celleci
: « La Nation aura toujours un Corps permanent
de Représentans , et l'Assemblée
" Nationale de ses Représentans tiendra ses
Sessions chaque année. »
+1
On représenta encore le danger de donner
aux Assemblées un nom qui pût les emporter
au- delà de leurs pouvoirs , ce qui
seroit à craindre en les qualifiant d'Assem
blées Nationales
Embarrassé de tant de versions et d'amendemens
, M. le Président , en les proposant
successivement , ne pouvoit rencontrer
le point agréable à tous. L'Assemblée devenoit
bruyante de plus en plus , au milieu
du choc de tant de systêmes divers , et de
Pappel aux voix redoublé. Enfin , la question
fut formée , mise aux suffrages , et adoptée
à -peu-pres unanimement , sous cette forme ;
L'ASSEMBLÉE NATIONALE sera permanente.
A peine eut - on mis en déliberation le
second point , Yaura- t-il une , ou deux
Chombres , que M. de Mirabeau prétendit
qu'après avoir décrété que l'Assemblée Natronale
seroit permanente , on ne pouvoit plus
déliberer sur le nombre des Chani bres. Cette
}
K vj
( 216 )
tédaction emportoit l'unité , et il réclamoit
la question prealable.
L'Assemblée , dit un autre Député , en
se constituant , le 17 juin , Assemblée Nationale
, s'est deja déclarée indivisible . Annúllera
- t -on ce décret ?
De violentes rumeurs suivirent cette opinion
. Un autre Membre remarqua que l'Assemblée
, une pour ses décisions , pouvoit
cependant s'imposer à elle-même des formes
pour éviter la précipitation , et préparer la
discussion entre deux Chambres qui n'eussent
aucune difference entre elles. L'Assemblée
vient de décider , s'écria M. Regnaud , qu'elle
suivroit l'ordre des questions de M. Camus,
et déja on voudroit nous en détourner !
C'est avec regret , je dirois presque avec indiguation
, que je vois des personnes vouloir
toujours nous entrainer malgré nos décrets .
69
M. de Mirabeau s'appliquant ces paroles ,
répondit : « Je n'ai jamais craint d'indigner
que la raison. Lorsque j'ai proposé la question
préalable , je n'ai voulu dire que
d'une maniere laconique necessaire
dans ce moment , sur- tout , où plus que
jamais , on n'aime pas les longs discours
que l'unité est incontestablement renfermée
dans la permanence , et je le repete.
"
16.
2
La division qui facilite le mode de travail
, ajouta-t- il , est une loi de police canventionnelle.
Il est impossible qu'on empêche
l'Assemblée de se diviser en autant de sections
qu'elle le voudra.
M. de Clermont- Tonnerre monta à la tribune
, et dit « Je cède au cri de ma cons
cience , en réclamant contre une surprise à
Ta foi de l'Assemblée Si vous avez entenda
decider que , telle qu'elle existe à présent ,
( 217 )
cette Assemblée sera permanente , je n'ai
plus qu'à pleurer sur les ruines de la patrie ;
mais , si comme je le crois , vous vous êtes réserves
le droit d'expliquer ce mot , il ne préjuge
pas la question des deux Chambres ; et
je crois qu'il y a lieu à delibérer ; parce que
Vous avez décidé de suivre l'ordre de tra
vail de M. Camus , et non pas de decider deux
questions à - la- fois.
40
Conformément à cet avis , qui paroissoit
celui de la grande pluralité , M. de Virieux
succéda au Préopinant pour débattre la question
principale . Je dois , dit-il , vous représenter
avec force les dangers qui résulteroient
de l'unité de l'Assemblée . Tous les
« Corps nombreux , entrainés par des Démagogues
et par la fougue populaire , ont
aneanti les Etats libres , après les avoir
déchirés par des factions . 14 })
On ne décriroit que foiblement l'orage
affreux qu'occasionnerent ce peu de mots.
L'Orateur fut subitement interrompu par un
côté de la Salle , qui , se jugeant personnellement
offensé , exigeoit impétueusement
que M. de Virieux quittât la Tribune , et
qu'il fit des excuses à l'Assemblée . L'Opinant
n'abandonna point la Tribune . Vainement
le Président et le Bureau tâcherent de
faire cesser le désordre : les uns interdisoient
hautement la parole à M. de Virieux , et la
prenoient opiniàtrement eux - mêmes : les
autres invoquoient la police de la Salle et le
silence , en faveur de l'Opinant . Enfin , M.
le Président interrogea la decision de l'Assemblée,
sur la permission à donner ou à refaser
àM. de Virieux de continuer, La grande
majorité lui accorda la parole ; mais à peine
eut- il prononce une ligne apologetique , que
( 218 )
de nouvelles inculpations , de nouveaux cris
s'éleverent. On l'accusa d'avoir menacé du
geste quelques Membres de l'Assemblée. Au
milieu de ce tumulte , il répéta qu'il étoit
permis à tout Délibérant d'exposer ses craintes
et les vérités de l'Histoire , sur les questions
agitées , et que dans toutes les Assemblees
du monde , la fougue populaire et l'activité
des Démagogues , avoient perdules Empires. "
M. le President temoignant sa douleur de
la division qui agitoit l'Assemblée , la ramena
à la Motion de M. de Mirabeau . Elle fut rejetée
, et l'on déclara qu'il y avoit lieu à
deliberer sur le nombre des Chambres.
Malgré le bruit qui se renouveloit , M.
Alexandre de Lameth trouva l'instant d'observer
qu'onne pouvoit opiner sur le nombre
des Chambres, avant d'en connoitre la nature.
On s'en tint à l'ordre adopté ; mais vainement
: le tumulte s'accrut encore au moment
où M. de Lally- Tolendal , qui avoit insisté
long - temps pour obtenir la parole , aborda
la Tribune . Cent voix s'éleverent pour lui
fermer la bouche : on prit à partie le Chef
même de l'Assemblée : on l'accusa d'avoir
excité M. de Lally à persévérer dans le dessein
de se faire entendre . Une voix menaçante
perça au travers du brouhaha , pour
demander au Président quad il seroit las de
fatiguer l'Assemblée ? Offensé de ces attaques
personnelles et réiterees , M. l'Evêque
de Langres , cedant aux sentimens qui l'agi
toient , déclara qu'il ; abandonnoit ses fonctions
, et qu'il levoit la Séance,
Cette démarche excita de nouvelles clameurs.
Tandis qu'une partie de l'Assemblée
descendoit de ses Siégés , l'autre s'y affermissoit
, et demandoit un autre President :
( 219 ).
1
plusieurs voix appellerent M. le Duc de
Liancourt ; il déclara du haut de la Tribune
que le droit de présider appartenoit par le
Reglement à M. de Clermont - Tonnerre
Prédécesseur de M. l'Evêque de Langres.
M. de Clermont- Tonnerre , appelé à plusieurs
reprises , monta à la Tribune , et , dans le trouble
qui l'agitoit , dit avec émotion et dignité :
t
" Si la conduite de M. le Président n'étoit
« pas légale , s'il n'avoit pas été autorisé à
lever la Séance , il seroit excusé par les
motifs qui l'ont entraîné , par une sensi
« bilité qui a préexisté à toutes les Lois , et
qui anime le coeur de tout François. Le
Reglement , en effet , m'appelle à la présidence
; mais si l'Assemblée m'ordonne
de la remplir , ce sera pour donner sur-lechamp
ma démission , ou pour lever la
Séance .
"
"
"
" "
Une approbation presque universelle suivit
ces paroles. M. de Clermont- Tonnerre passa
dans le fauteuil du Président , et leva la
Séance , en l'ajournant à sept heures du soir.
Séance du soir 9. M. de Clermont- Ton
nerre ouvrit la Seance par la lecture de la
Lettre nivante de M. le Président :
"
St
"
"
"(
J'ai , Monsieur le Comte , supplié l'Assemblée
de recevoir ma démission de la
place dont elle m'avoit honoré. J'ignoré si
dans le tumulte qui l'agitoit , j'ai pu en être
entendu. D'apres ce qui s'est passé ce matin,
je crois ne pouvoir plus reprendre des fonc
tions qu'elle m'a mis dans Fimpossibilite de
remplir. J'ai l'honneur d'être , etc. »
L'Evêque Duc de LANGRES.
M. de Clermont- Tonnerre pria l'Assemblée ,
dans le cas où elle accepteroit la démission
. ( 220 )
de M. l'Evêque de Langres , de se retirer
dans les Bureaux pour y élire un nouveau
Président. La démission demandée ayant etě
refusée par la grande Majorité de l'Assemblée
, M. de Clermont- Tonnerre continua de
présider ad interim.
Il fit lecture d'une Lettre de M. d'André,
qui , chargé par le Roi d'une commission en
Provence , en prévient l'Assemblée.
La discussion sur la réduction du prix du
sel à six sois dans les pays de grande Gabelle.
fut reprise par M. l'Evêque d'Autun ,qui
combattitle projet du Comite des Finances ,
et qui demanda qu'il fut décrété que l'Assemblée
persiste dans ses Décrets ; qu'elle
déclare qu'il n'y a lieu à deliberer sur la
proposition du Comité ; qu'elle ordonne que
le Comité s'occupera sans relache des moyens
de réduire au plus rigoureux nécessaire les
dépenses publiques , et presente , avant tout ,
à l'Assemblée , le travail qui doit preceder
toute réforme sur les impots.
Quelques Membres demandèrent que la
Gabelle fut remplacée par une Capitation ;
d'autres que l'impót fût perçu aux marais
salans .
La discussion ayant duré jusqu'à onze
heures , fut renvoyée aú lendemain.
1:
Du JEUDI 10 SEPTEMBRE . M. de Clermont-
Tonnerre , Vice- President , a ouvert la
Séance par la communication d'une Lettre
de M. le Comte d'Estaing , Commandant
actuel de la Milice Nationale de Versailles ,
qui annonce avoir pris toutes les précautions
nécessaires pour la surete de l'Assemblée
précautions nécessitées par des placards séditieux
affichés la veille.
221)
L'Assemblée a chargé son Président de ses
remercimens à M. le Comte d'Estaing.
M. l'Evêque de Poitiers a demandé un
congé pour raison de santé ; et M. Roussier
Député de Marseille , sa démission pour la
même cause. On a agréé M. Phoux son Sup
pléant.
Dans le nombre des Adresses dont on a
lu l'extrait ou la notice , l'Assemblée a été
frappée du ton d'une Déclaration des villes
de Rennes et de Dinan en Bretagne , qui
prononcent que le Veto détruit la puissance
législative de la Nation , et déclarent traîtres
à la Patrie ceux qui l'adopteroient.
M. Garat a demandé que cette Adresse ,
attentatoire à la liberté de l'Assemblée , fût
condamnée par un Décret formel.
M. l'Abbé Maury a ajouté , que si le malheur
des temps avoit investi les Municipa
lités d'un grand pouvoir , cependant elles
n'étoient pas encore travesties en Tribunaux
de, Droit public , et que l'Adresse de Rennes
devoit être renvoyée avec improbation.
On proposoit de renvoyer l'Adresse au
Comité des Douze M. le Président a prié
L'Assemblée de délibérer à ce sujet,
:
M. Rabaud de Saint-Etienne a demandé
qu'on discutât si l'on inséréroit cette Décla
ration dans le Proces - verbal ; M. le Comte
de Foucauld de l'Ardimalie a conclu à la lec
ture entiere, de cet Acte irrespectueux pour
l'Assemblée. Une grande rumeur s'est élevée ,
et elle a continue après la demande de M.
le Duc de Liancourt , que l'on delibérât sur
la lecture de l'Adresse.
M. Pison du Galand a sollicité une décision
quelconque. En conséquence , M. de
Montmorenci, l'un des Secretaires , a com(
222 )
1
menccé la lecture , que le trouble de l'Assemblée
l'a empêché de continuer.
1
Le President a prié l'Assemblée de déclarer
si l'ajournement auroit lieu ou non .
Enfin , apres beaucoup de tumulte , la lecture
a été admise.
On s'est ensuite disputé la parole.M.le Comte
de Mirabeau l'a obtenue ou emportée : '« L'erreur
d'une Municipalité , a- t-il dit , ne doit
pas troubler l'ordre du jour , et l'Assemblée
n'a pas le temps d'être le Professeur de la
ville de Rennes.
"
К
!
M. le Chapelier , mécontent de ces sarcasmes
a prié M. le Président d'en rame
ner l'auteur à l'ordre : il s'y est refusé
parce que M. de Mirabeau n'avoit manqué à
personne. En conséquence , M. de Mirabeau
reprenant la parole , a ajouté que , la Nation
, qui venoit de supprimer les Lettresde-
cachet , n'avoit pas le droit de porter arbitrairement
une note d'infâmie. Le Corps
législatif ne doit compte qu'à la Nation en
tiere , non à chaque Ville , à chaque Bourg ,
à chaque cotterie , à chaque famille. Si l'Assemblee
montroit quelque sensibilite sin cette
Adresse , je croirois voir un Géant qui s'eleveroit
sur la pointe des pieds , pour paroître encore
plus grand. L'Adresse doit être exclue
du Proces-verbal , et renvoyée , sans note ,
à ses auteurs .
M. le Comte d'Estourmel , prenant la parole
, a été interrompu brusquement par plu
sieurs Députés , qui ont demandé qu'on s'oc
cupât de la Constitution.
M. le Chapelier a eu beaucoup de peine
à obtenir la parole : il a opiné comme Deputé
de Rennes et en cette qualité , voulant
justifier ou du moins excuser cette ville , i
;
( 223 )
a prétendu que , connue par son patriotisme ,
elle n'avoit pas manqué de repect à l'As
semblée , puisque les principes de son Adresse
ont été, soutenus par un grand nombre de
Membres. L'Assemblée devoit plus s'occuper
du sens des Adresses , que des incorrections
de style ; en conséquence , il demandoit que
la Déclaration ne fût pas renvoyée , et que ,
sans l'insérer dans le proces-verbal , on se
contentât d'en faire mention .
Ces principes ont paru déplaire à l'Assem
blée , qui a donnée plusieurs marques de
désapprobation.
M. le Vicomte de Mirabeau a assimilé
l'Adresse aux Motions du Palais - Royal.
M. le Comte de Foucault , en reconnoissant
dans des Commettans le droit de donner
des ordres à leurs Mandataires , a refusé
à une Municipalité le pouvoir de déclarer
infâmes ceux qui ne pensent pas comme elles
et il a voté pour qu'on lui renvoyât l'acte
avec qualification.
M. Coupard , Député de Dinan , s'est excusé
d'avoir remis l'Adresse sur le Bureau ,
puisqu'elle avoit déplu à l'Assemblée . Au
reste il avoit dû remplir le voeu de, ses
Commettans , et il demandoit permission de
retirer PAdresse ; ce qui lui a été accordé.
Il étoit midi et un quart ; M. le President
ramenant l'ordre du jour , c'est -à-dire , à
l'opinion sur la formation de l'Assemblée en
une ou deux Chambres , M. Camus observa
que la discussion étoit terminée , et qu'on
ne pouvoit , dans ce moment , altérer les
termes de la question : Y aura-t- il une ou
deux Chambres ?
Quelques Députés sollicitoient un déve
loppement ulterieur de la question ; M. le
( 224 )
Comte de Crillon a tenté inutilement de
prendre la parole , qui a passé à M. Bouche ,
réclamant l'execution du décret pour aller
aux voix.
M. le Président a proposé d'admettre ou
de rejeter les Amendemens qui pourroient
selever ; mais la presque totalité de l'Assem
blée a demande la fin de la delibération .
On est donc passé à l'appel nominal des
suffrages , et il s'est trouve 349 voix pour une
seule Chambre ; 89 pour deux ; 122 Votans
sans avis .
JEUDI 10 SEPTEMB . Séance du soir. Rapport
fait par M. le Président , d'une Adresse
du Hameau de Champeuille , diocese de
Sens , qui offie 800 livres de contribution
volontaire. On a introduit les Députés ,
porteurs de cette Adresse patriotique ; M.
le Président leur a témoigné la sensibilité
de l'Assemblée , et on leur a décerné l'honneur
d'assister à la Séance dans l'intérieur
de la Salle.
M. Mercier , Membre du Comité des Rapports
, a fait part à l'Assemblée d'une de
mande faite par les Représentans de la Commune
de Paris. Les derniers troubles ont
rempli les prisons de cette Ville de Citoyens
accusés d'y avoir contribué . Il est question de
les fairejuger, et la Commune de Paris a demandé
, qu'en dérogéant à l'Ordonnance de
1670 , parun Décret provisoire , elle autorisât
à donner un Conseil aux Accusés , à rendre
publique l'instruction , à admettre en tout
état les faits justificatifs que les Accusés pourront
proposer , et à exiger , pour la peine de
mort , les deux tiers des voix des Juges qui
prononcent la condamnation .
( 225 )
་.
L'avis du Comité étoit de renvoyer la demande
de la Commune de Paris au Comité
de Constitution .
· M. le Duc du Châtelet et quelques autres
ont pensé, qu'il falloit, sur- le- champ , donner
un Decret qui consacrât les changemens solli
cités par les Représentans de la Comníune
de Paris.
M. le Vicomte de Mirabeau a trouvé ces
changemens dignes d'un mur examen , et
qu'ils ne devoient pas être adoptes sur la
simple demande d'une Municipalité ; que
ee seroit inviter toutes les Municipalités
du Royaume à envoyer sans cesse à l'Assemble
des projets de Lois.
M. le Bois des Guays ' a proposé , en admettant
pour tout le Royaume les changemens
proposés par la Commune de Paris à
notre Code criminel , que le Conseil ne fút
donné à l'accusé qu'apres le récollement et
la confrontation .
M. le Comte de Mirabeau et M. Garat
Painé , ont été étonnés que l'on ne s'empressat
pas , sur-le-champ , à rendre un Décret
conforme au voeu prononcé de tous les
cahiers , et que l'on differât un instant à
faire un acte d'humanité dans lequel la
France avoit été prévenue par toutes les
autres Nations de l'Europe .
M. l'Abbé Maury a remarqué que les
changemens proposés tenoient à l'ensemble
de la Législation criminelle , et qu'on ne
pouvoit les adopter sans tomber dans l'inconvénient
de la bouleverser en son entier
et conséquemment , qu'il falloit ne pas se
décider avec précipitation..
M. le Duc dela Rochefoucault a combattu
l'opinion de M. l'Abbé Maury , en disant
) .
( 226 )
qu'il falloit faire cesser un abus grave , dès
le moment où l'on voyoit la possibilité de
le détruire.
M. de Beaumetz a proposé de nommer
un Comité peu nombreux , pour s'occuper
d'un projet de déclaration qui consacrât
les changemens demandés.
M. Reubell a observé que , par un Décret
précédent , l'Assemblée avoit déja décidé
que pour les crimes de lèse- Nation , l'instruction
seroit faite publiquement.
M. Gautier de Biauzat a vu , au contraire ,
des dangers pour le moment présent , dans
la publicité de l'instruction des procédures
criminelles.
Enfin , l'opinion pour la nomination d'un
Comité de sept personnes , a été adoptée
par l'Assemblée.
Du VENDREDI 11 SEPTEMBRE. Cette
Séance , qui a duré depuis neuf heures du
matin jusqu'à huit du soir , peut être analysée
en très-peu de lignes ; une fixation de
motsimportans , et l'appel nominal des suffrages
, en ont absorbé la plus grande partie.
Al'ouverture , il a été lu différentes A dresses ,
parmi lesquelles on a distingué celle qu'a
remise M. le Comte de Mirepoix , au nom
du régiment du Maréchal de Turenne , dont
est Colonel , et qui sacrifie aux besoins
publics , mille écus sur sa subsistance du
nois courant. Madame Pajou , épouse du
celebre Artiste de ce nom , a demandé , par
écrit , au nom de plusieurs femmes d'Artistes ,
la permission de faire hommage de leur tribut.
à l'Assemblée , sans prétendre à l'honneur
d'une Députation . En applaudissant à ces
actes de patriotisme , on a décidé de les
( 227 )
inscrire sur les registres , et de les rendre
publics avec les noms de leurs auteurs.
L'ordre du jour appeloit la Délibération
sur la troisieme question proposée par M.
Camus , lorsque M. le Président fit la lecture
de la Lettre suivante du principal Miistre
des Finances :
Lettre de M. NECKER , Premier Ministre
des Finances , à M. le Président
de l'Assemblé Nationale.
Versailles , le 11 Septembre 1789.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT ,
Les Ministres du Roi ont cru devoir entretenir
Sa Majesté de la discussion qui s'est
élevée dans l'Assemblée Nationale , sur la
Sanction Royale ; et le Roi , apres avoir
pris connoissance du Rapport que j'ai fait
au Conseil , m'a permis d'en donner communication
à l'Assemblée Nationale. Sa Majesté
m'a autorisé à terminer ce Mémoire par
quelques réflexions que je soumets avec respect
à l'Assemblée Nationale , et je tiens
ainsi l'engagement que j'ai pris , en disant
dans mon dernier Rapport à cette Assemblée
, qu'obéissant aux Lois du devoir, je me
mottrois en avant toutes les fois que j'apercevrois
dans cette conduite le plus léger avantage
public.
1
J'ai l'honneur d'être , avec respect ,
MONSIEUR LE PRÉSIDENT ,
Votre très-humble et trèsobéissant
Serviteur ,
signé , NECKER.
( 228 )
Un Rapport du Conseil, une intervention
de l'autorite Royale qui pourroit influer sur
les decisions de l'Assensblée , mais qui seroit
aussi susceptible de l'éclairer , sont-ils admissibles
? Telle fut la question qui s'éleva ,
et qui d'abord fut négativement décidée par
M.deBeaumetz, Il representales conséquences
decette sorte d'initiative , qui ne peut apparfenir
au Conseil du Roi.
M. Target exprima le même avis. Si le
Toi , dit -il , ne peut avoir d'influence sur
les Deliberations législatives , à plus forte
raison ne peut-il en avoir sur celles qui concernent
la Constitution même.
M. de Mirabeau représenta qu'on avoit refusé
aux Membres de l'Assemblée toute discussion
ultérieure , et que par conséquent on
ne pouvoit l'accorder au Conseil du Roi ;
mais que, si la lecture du Rapport devoit être
entendue , la discussion devoit être r'ouverte
ensuite sur l'avis.du Conseil.
Cette opinion fut appuyée de plusieurs
Membres , entre autres de M. de Lally : MM,
Mounier et de Tracy la combattirent,, et ,
unanimement , il fut décidé qu'on ne liroit
pas le Mémoire.
On revint ensuite à l'ordre du jour , c'està
- dire , aux deux questions suivantes de M.
Camus : La Sanction Royale aura- t-elle liqu ?
Sera-t-elle absolue , où suspensive ?
Quant à la première , on observa qu'elle
ne determinoit pas si la Sanction seroit né-' .
cessaire seulement pour les Lois.
M. de Mirabeau , considérant la Sanction
comme la promulgation de la Loi , crut
cette proposition trop évidente pour être déliberee.
Il proposa d'y substituer la question
( 229 )
stle Roi auroit le droit d'arrêter la promul
gation de la Loi ?
Cette acception da mot de Sanction ne
fut point generalement adoptée ; mais differentes
significations furent sous- entendues,
et de ces équivoques naquirent alors de longs
debats.
M. Péthion de Villeneuve , entendant par
le mot de Sanction , le sceau et l'authenticité
donnée à la Loi , rentra dans l'avis du
Preopinant.
Plusieurs autres Membres , et principalement
M. Rabaud de Saint-Etienne , observant
que cet équivoque pourroit altérer la Délibération
, et avoir même , par la suite , des
effets dangereux , deinanderent que le mot
fut exactement defini.
La seconde question de M. Camus parut
aussi d'un sens obscur , en ce que ce n'est point
la sanction , mais le refus du Roi qui peut
être suspensif. Elles furent alors rejetées
toutes deux à l'unanimité.
M. le Président lut à l'Assemblée la
rédaction suivante , proposée , en partie , par
M. de Mirabeau.
La Sanction royale est- elle nécessaire
pour la promulgation des Lois ? le
Le Roi aura- t- il le droit d'arrêter , par
refus de sa Sanction , la promulgation de la
Loi ?
Ce droit aura- t- il un effet absolu ou suspensif?
Si l'exercice de ce droit est suspensif, pour
combien de Legislatures le sera -t- il ?
?
Quoique cette rédaction fut accueillie , on
en proposa encore plusieurs autres entre
lesquelles celle - ci parut réunir le plus de
suffages:
No. 38. 19 Septembre 1789. L
( 230 )
ati
Le Roi aura-t -il le droit de Sanction en
ère de Constitution ?
L'aura-t- il en matiere de Législation?
Son refus sera- t- il absolu ou suspensif?
MM. Demeunier et de Saint- Etienne insistèrent
encore sur la demande de définir le mot
de Sanction .
M. de Mirabeau observa qu'il y auroit de
l'inconvenance à donner le nom de Loi , à un
acte non encore sanctionné. Il proposa de
substituer: La Sanction Royale sera-t-ellenécessaire
pour la validité dés actes législatifs ??
Pour mettre fin aux débats , il fut décidé
que la question étoit suffisamment
éclaircie ; et on alloit mettre la question en
délibération , lorsqu'une nouvelle rédaction
fut proposée par M. Guillotin.
Le Roi peut -il refuser son consentement à
la Constitution ?
Peut-il refuser son consentemement aux
Actes du Corps législatif?
Si le Roi refuse son consentement , ce refus
sera -t- il suspensif ou indéfini ?
Dans le cas où ce refus du Roi aura lieu
comme suspensif, pendant combien de temps
pourra-t-il durer?
La première de ces questions fut combattue
par M. Mounier. Il démontra que le Roi avoit
droit de refuser la Constitution avant qu'elle
ait été ratifiée par la Nation ; car , dit-il ,
vous ne devez pas disposer de ses droits d'une
maniere arbitraire , et si , outre-passant vos
Pouvoirs , vous attentiez à ses prerogatives ,
il auroit droit alors de s'y opposer , et d'en
appeler au jugement de vos Commettans .
La Constitution doit donc être révisée par le
Roi , et ne peutêtre faite sans son intervention,
M, Fréteau , adhérant à cette remarque
( 231 )
judicieuse observa cependant qu'il étoit,
dangereux , dans un moment de fermentation
, d'agiter le point de la ratification du
Ple 11 proposa en cons quene de renvoyer
à un autre temps la decision de cette
premiere question de M. Guillotin.... Cet avis ,
fut adopte.
Il fut proposé ensuite , par plusieurs Membres
, de deliberer la troisieme question du refus
suspensif ou indelini , avant la seconde.
Cette Motion fut rejetée.
Mais des difficultes se renouvelerent , relativement
au mode de deliberer sur cette
premiere question ."
M. Roberspierre , à la vérité , demanda une
Deliberation publique , dans laquelle chaque
Membrerendit compte publiquement de son
opinion ; mais la plupart des Membres , impat
ens d'une décision , arréterent de deliberer
par assiset levé. Apeine le Decret etoit porté
, que beaucoup de Membres reclamerent ,
et refuserent même de delibrer.... Un bruit afreux
domina seul pendant quelques momens.
M. de Mirabeau developpa fortement l'opinion
de M. Roberspierie , l'importance de la
question , le danger , l'impossibilité même de
contrevenir au Decret formel , qui avoit déja,
précédemment soumis ces questions à us
appel nominal.
#
i
On eut égard à cette remarque , et l'on
consentit à delibérer par appel , en se promettant
de ne pas désemparer jusqu'à ce que les
deux questions fussent decidees.,
La premiere , c'est - à - dire , la nécessité da
Consentement Royal , fut adoptée par 730
voix , et rejetée par 143 ; 122 Membres ne
voulurent point donner d'avis.
C
Le résultat de la seconde question fut de
L
( 232 )
673 voix en faveur du refus suspensif, et de
325 en faveur du refus indefini : 11 Votans
n'eurent point d'avis.
-Cette Séance fut aussi non moins confuse
qu'orageuse , par la multiplicité des propositions
simultanées , dont chacune faisoit perdre
de vue la précedente. Il y en eut d'avancees ,
d'acceptees, et de rejetées , plus de douze fois .
Nous présentons l'historique des mouvemens
tumultueux des opinions , avec cette fidelité
qui exclut les exagérations et les reticences.
Les unes et les autres sont également répréhensibles
, et le Narrateur doit rendre tous
les faits caractéristiques , ou garder le silénce.
Du SAMEDI 12 SEPTEMBRE. Dans le
nombre des Adresses lues par extraits , on
a principalement remarqué celle des Communes
du pays de Labour , qui demandent
la conservation de leurs Priviléges , desquels
dépend leur existence. Le Député de la Noblesse
du même pays a déclaré qu'il avoit
reçu de ses Commettans une mission abso-
Jument contraire.
Un Curé de Sarguemines a offert à la Patrie
,la contribution d'une double imposition
pour l'annee présente et la prochaine. Deux
Demoiselles ont fait donà l'Assemblée de leurs
bijoux pour les besoins de l'Etat , et ne veulent
pas être nommées. M. le Chevalier de
La Guiche , Gentilhomme du Charolois , a
fait offrir , par M. de la Coste , une somme
de douze mille livres à l'Etat.
M. le Cardinal de Rohan prenant place à
l'Assemblee , lui a temoigné ses regrets de
n'avoir pu jusqu'ici partager ses travaux , en
la priant de recevoir son hommage respectreux.
( 233 )
10
L'ordre du jour indiquoit la discussion du
quatrieme chef, posé par M. Guillotin en
ces termes :
44
1
Dans le cas où le refus du Roi aura
lieu , comme suspensif, pendant quel temps
pourra durer ce refus ? Sera-ce pendant
une ou plusieurs Législatures ? »
Là- dessus , M. de Saint- Fargeau a réclamé
une décision préalable sur la durée de chaque
Législature. Sera - t- elle d'une , de deux ,
ou de trois années ? M. Richier ajoutoit à
cette question , celle du renouvellement total
ou partiel des Députés , et l'on a abandonné
le refus suspensif , pour délibérer conjointement
sur les deux questions préliminaires.
M. de Saint-Fargeau , reprenant la parole ,
a défendu avec sagacité , l'avis du renouvellement
annuel .
Nommer , a - t - il dit , des Représentans
pour un plus long terme , c'est ouvrir les
portes de la séduction ; c'est favoriser l'esprit
de corps , et accorder aux mêmes personnes un
pouvoir qui peut devenir extrême. Il est bon
de borner l'intervalle où chaque Député sera
Membre de la Puissance législative , et rentrera
ensuite dans la classe commune ; ainsi ,
il faut borner chaque législature à un an ,
et la composer en entier de nouveaux Men.-
bres.
M. Robers- Pierre a soutenu la même opinion
, qui a été puissamment réfutée par
M. l'Abbé Maury.
Observez , a-t- il dit , entre autres , que
l'année des Finances est de vingt-un mois ,
parce que l'impot , depuis son établissement ,
reste tout ce temps à parvenir au Trésor royal.
Lorsque l'Assemblée aura voté un impót , elle
doit avoir le temps de pourvoir aux non-va-
Liij
( 234 )
leurs , aux défauts de sa perception : la corruption
des Membres pourroit avoir lieu dans
une Assemblée d'un an , comme dans celles
qui auroient plusieurs Sessions . Quel esprit
d'ordre et de suite peut-il y avoir dans le
corps législatif, si les Membres qui le formeront
changent sans cesse ? Il lui sera impossible
de se diriger par lai -même , et alors
il ne pourra recevoir que des instructions ministérielles.
D'ailleurs , que de débats , que
de rivalités naîtront dans les provinces à
chaque Election ! l'espérance de la victoire
sur ses concurrens s'y renouvellera tous les
ans. "
La corruption gagnera des Législateurs
d'une année , aussi facilement , plus promptement
peut-être , que ceux de plusieurs.
L'enthousiasme , l'esprit de systême , les
prévarications de l'éloquence , auront un
empires plus certain sur une Assemblée
privée d'expérience. Les Provinces seront
livrées à des cabales toujours renaissantes ,
à des armées d'intrigans toujours en activité
, à une ambition tracassiere , qui ,
chaque année aura l'occasion de s'exercer. "
D'après toutes ces considérations , que
nous ne faisons qu'ébaucher , M. l'Abbé
Maury conclut à des Législatures de quatre
ans.
M. Buzot contrasta avec le Préopinant
en remontrant dans les élections annuelles
le rincipe des moeurs libres , d'une heureuse
fermentation , de la conservation des Lois
fondamentales , contre les tentatives des
Ministres . Cette Législature annuelle, ajoutat-
il , nous préservera de l'Aristocratie des Riches
, en ouvrant la porte des Députations à
ceux qui ne le sont pas.
( 235 )
M. Demeunier composoit avec les extrêmes ,
et formoit des Législatures de deux années.
M. de Virieux les fixoit à trois , et alloit
retirer sa Motion , lorsque M. de Mirabeau
a demandé à la défendre ; mais il a
fallu céder aux clameurs , et l'abandonner
de nouveau .
M. l'Abbé Maury a posé le mode de délibérations
, en proposant de voter , d'abord ,
si la Législature seroit d'une ou de plusieurs
années , et ensuite , en cas que l'opinion en
faveur de plusieurs années l'emportât , d'aller
aux voix sur le terme de deux, ou de trois
ans.
L'incertitude et les débats confus se prolongeoient.
M. le Duc de Mortemart a observé
qu'on disputoit depuis une heure et
demie , que chaque heure coûtoit à la Nation
5,000 livres ; qu'ainsi , le temps perdu
entrainoit déja une dépense de 7,000 liv.
Enfin , M. le Président a proposé la formule
de M. l'Abbé Maury ; elle a eu l'assentiment
général.
Par assis et levé , il a été décidé que la
durée de la Législature seroit de plusieurs
années .
Par appel nominatif , 806 voix contre 48 ,
ont fixé à deux années la durée de chaque
Législature.
P. S. DU LUNDI 14. Sur 727 suffrages
pour la nomination d'un nouveau Président ,
M. le Comte de Clermont - Tonnerre en a
réuni 380 , M. Péthion de Villeneuve 123 ,
et M. Redon 80 .
La durée du refus suspensif de Sa Majesté
, a été éloignée par une Motion de
M. Barnave , qui a demandé un sursis à
Liv
( 236 )
P'ordre du jour , jusqu'à ce que le Roi eût
sanctionné les Arrêtés du 4 Août , et jours
suivans. Les débats violens et tumultueux
des Séances précedentes se sont renouvelés.
On est passé aux voix : la majorité négative
par assis et levé , a paru douteuse ; on a
réclamé l'appel nominatif : chacun parloit ,
personne n'écoutoit ; la voix du Président
est restée impuissante , et il n'a pu ramener
le calme qu'en levant la Séance .
Samedi matin , MM. Mounier , Bergasse
et de Lally- Tollendal , ont donné au Président
leur demission formelle , en qualité
de Membres du Comité de Constitution : M.
de Clermont - Tonnerre y a joint la sienne
immédiatement , et les deux seuls Membres
restans , MM. l'Evêque d'Autun et l'Abbé
Syeyes , ont ensuite imité cette démarche.
Supplément à l'Assemblée Nationale.
Voici , en substance , les considérations
principales sur lesquelles M. Necker
a établi son opinion , dans le Rapport qu'il
en a fait au Conseil . Nous observerons
que ce Ministre regarde la négative du
Roi d'Angleterre comme nulle , comme
acitement omise . Cela peut être vrai
de l'exercice de cette prérogative ; mais
la prérogative même existe dans toute
son énergie. Si elle n'a pas l'occasion
de se déployer , c'est qu'elle
sert à faire respecter l'Autorité Royale
par les autres pouvoirs de l'Etat . Elle
balance leur action , elles les contient
dans leurs limites , comme elle-même
慧
( 237 )
est contenue par les droits éminens du
Parlement. Celui- ci n'est pas tenté d'usurper
sur le Roi , par des innovations
dont la Sanction lui seroit refusée .
D'autre part , le Roi n'est pas tenté de
refuser son consentement à une Loi
sage , contre laquelle il s'éleveroit tout
seul , et que la dissolution du Parlement
amèneroit en jugement définitif devant
le Peuple même , au renouvellement de
ses Représentans.
1
Tous les autres pouvoirs légaux , ou
d'influence , attachés à la Prérogative
Royale , sont autant de remparts ou de
supplemens de la faculté d'empêcher. Si
elle n'agit pas , c'est qu'elle n'a pas
besoin d'agir tel est inévitablement› ,
et tel sera toujours l'effet des contrepoids
dans une Constitution , qui attribue,
en les bala cant , des forces défensives
à chacune de ses parties.
21
Il est avéré que, si une foible Majorité
de la Chambre Haute n'eût pas rejete
, en 1785 , le Bill de l'Inde , proposé
par M. Fox, le Roi d'Angleterre eût
déployé sa négative , et adhéré par là ,
-au voeu général , en s'opposant à celui du
Parlement. Le cas étoit prévu , et le projet
de refus définitivement arrêté .
Rapport fait au Roi dans son Con
seil , par le Premier Ministre des
Finances.
Votre Majesté connoît les débats qui ont
lieu depuis quelque temps à l'Assemblée Na-
Ly
( 238 )
tionale , sur la Sanction Royale. La division
de sentimens à cet égard , semble annoncer
que la supériorité de suffrages en
faveur du Veto indéfini entre les mains du
Roi , est au moins fort incertaine..
Cependant la chaleur contre un semblable
résultat est telle , qu'une grande scission paroit
à craindre , si le Veto absolu ne l'emporte
que foiblement sur l'opinion contraire ,
et il en résulteroit peut-être une commotion
dangereuse. La plus petite majorite dans
une délibération nationale , suffit avec raison
pour faire Loi , mais elle n'assure pas la
tranquillité publique lorsqu'elle décide des
questions auxquelles tous les sentimens , tous
les intérêts et toutes les passions s'associent .
On ne doit pas non plus se dissimuler
'ce mot vague , le Veto , le Veto absolu , peut
devenir une arme entre les mains des gens
-mal intentionnés ; car auprès de la multitude
, il ne seroit pas difficile de présenter
Ice droit d'opposition , comme un moyen ménagé
au Gouvernement pour tout arrêter ,
et pour détruire en un jour les espérances
de la Nation et le fruit de ses efforts.
Il de si propre à
I
que
esprits du vulgaire
, qu'une Chauffer les
susceptible
de diverses interpretations , lorsque
cette expression est, destinée à rappeler une
idée qui n'est pas encore familiere ; et il seroit
à desirer que la controverse , dont les
esprits sont occupés , eût toujours été présentée
dans le public sous cette forme simple :
Le consentement du Soustrain aux Lois qu'il
doit faire exécuter , est - il ou non necessaire
? 2.
3.Quoi qu'il en soit , c'est sous l'aspect général
et commun , c'est d'après le cours des
( 239 )
opinions , que les Ministres de Votre Majesté
ont dû fixer leur attention sur la ques-、
tion du Veto absolu et du Veto suspensif ;
et d'abord ils ont été frappés d'une grande
et malheureuse vérité , c'est qu'en ce mo--
ment la tranquillité du royaume doit être
le principal objet de la sollicitude du Gouvernement
; car au milieu des circonstances
qui nous environnent , il faudroit peu de
chose pour amener un trouble , dont les
funestes effets seroient incalculables . L'espèce
de calme qui subsiste encore avec tant
de moyens d'insurrection , ce calme si nécessaire
, si difficile à maintenir , n'est dû
qu'à la puissance de la raison , de la morale
et de l'espérance ; et il faut soigner cette
puissance avec le plus extrême ménagement ,
si l'on ne veut pas mettre en péril le salut de
l'Empire François.
Je ne déterminerai point l'étendue des
sacrifices qu'il faudroit faire à ces grandes
considérations : on peut supposer un terme
où ils devroient s'arréter ; mais j'espère pour
le bonheur de la France , que Votre Ma-,
jesté ne sera jamais appelée à le fixer.
Conduit par ces réflexions , j'ai été entraîné
à considérer s'il ne pouvoit pas exister
un Veto suspensif, propre à concilier les
diverses opinions qui agitent l'Assemblée
Nationale ; et voici celui qui m'a paru pouvoir
remplir ce but avec peu d'inconvéniens.
Supposons que les mêmes Députés soient
chargés pendant deux ou trois années de suite
des pouvoirs de la Nation , et que cet espace
de temps fût désigné , comme on le
fait aujourd'hui , sous le nouveau nom de
législature. Ne pourroit-on pas admettre que
L vj
( 240 )
pendant deux législatures consécutives , le
Monarque auroit le droit de réfuser son consentement
aux déterminations qu'il regarderoit
comme contraires au bien de l'Etat ; et
à la troisieme législature , si de nouveaux
Représentans insistoient sur la même délibération
, elle auroit force de loi.
Une telle disposition présente sans doute
le terme où la Sanction du Souverain deviendroit
nécessaire ; mais est- il probable
qu'une loi demandée par trois législatures
différentes , c'est -à-dire , par des Députés
renouvelés trois fois , fút une loi à laquelle
le Gouvernement ne crút pas en conscience
pouvoir donner son acquiescement ? et paroitroit
-il déraisonnable qu'un voeu national ,
exprimé d'une manière si manifeste , dût
enfin être satisfait ?
Que l'on considère si le Veto absolu et indéfini
n'a pas quelques inconvéniens , et si
ées inconvéniens ne touchent pas essentiellement
à l'autorité du Souverain. Il est infiniment
vraisemblable que le Gouvernement
éraindroit de faire usage d'un Veto absolu ,
et de priver ainsi la Nation de toute espérance
de voir ses voeux satisfaits . Les Ministres
que l'on a rendus responsables , les
Ministres dont la considération s'affoiblira
nécessairement avec la diminution de leur
pouvoir , de tels Ministres voudront- ils s'exposer
aux reproches des Représentans de la
Nation , en mettant obstacle à l'adoption
d'une loi délibérée dans l'Assemblée générale
? Il est donc nécessaire en tous les temps ,
il est sur-tout indispensable dans les longs
commencemens d'un nouveau Corps de légis-
Jateurs , que le Gouvernement puisse suspendre
l'exécution des lois qui lui paroî(
241 )
troient contraires au bien de l'Etat et au
voeu durable de la Nation .
Et puisque votre Majesté veut le bien de
la Nation avec une telle sincérité , qu'Elle
autorise toutes les réflexions qui peuvent y
tendre , je la prie de permettre , qu'apres lui
avoir présenté les inconvéniens qui naitroient
du Veto absolu sous des Ministres foibles ,
je soumette à sa considération ceux qui pourroient
être produits par des Ministres d'un
esprit différent . Ils auroient entre leurs mains
un moyen d'exciter de nouveaux troubles ;
car , en se tenant simplement aux termes
du droit , ils n'auroient qu'à porter le Monarque
à faire usage plusieurs fois de son
Veto absolu , pour occasionner une grande
fermentation ; et comme l'autorité une fois
engagée , on croit qu'il importe à la dignité,
de cette autorité de ne point reculer , les
Ministres , enclins à ramener le désordre dans
le royaume , auroient un moyen d'autant
plus dangereux , qu'extérieurement il paroitroit
dériver du simple exercice d'un droit
légitime.
On dira peut-être que le Roi , en jouissant
de la faculté d'opposer un Veto absolu
aux délibérations législatives de l'Assemblée
Nationale , ne seroit pas obligé d'en faire
usage d'une maniere indéfinie , et que de
lui-même il pourroit y mettre un termie , et
accéder , après de nouveaux éclaircissemens ,"
aux fois qu'il auroit d'abord rejetées . Cette
observation est juste ; mais l'inquiétude seroit
la même au premier usage que feroit le
Gouvernement d'un semblable Veto , parceque
son terme seroit inconnu " et que les
Députés à l'Assemblée Nationale , apercevroient
bien que s'ils ne s'elevoient pas sur(
242 )
le-champ contre l'exercice d'un Veto légale
ment indéfini , ils n'auroient plus au bout
d'un certain temps les mêmes moyens , parce
que la première ardeur des esprits , toujours
la plus redoutable , s'affoibliroit insensiblement.
On peut demander encore s'il n'y auroit
pas telle loi dont la Sanction ne devroit
jamais être accordée par le Roi : supposition
qui donneroit des regrets à la privation du
Veto absolu et indéfini . Je crois que la chance
d'une pareille loi est très-invraisemblable :
un terme de quelques années , une succession
de trois Elections de Députés différens ,
suffisent pour éclairer les opinions sur le véritable
bien de l'Etat , et pour mettre à
l'abri de toute espèce de voeu inconsidéré
de la part des Députés successifs de la Nation
.
Le Roi d'Angleterre jouit dans sa plénitude
du Veto absolu , mais il n'en fait point
d'usage , et il n'oseroit guère se le permettre ;
il resulte peu d'inconvéniens de sa renonciation
tacite à l'exercice de ce Veto , parce
que la Cour des Pairs veille aux intérêts de
la Couronne ; parce que les deux Chambres
qui composent le Parlement , se surveillent
avec l'action attachée à deux intérêts distincts
; parce que la Nation Angloise a deja
vieilli dans le Gouvernement , et en possède
la science ; parce que la durée des Parlemens
, communément de sept ans , est un
long cours d'instruction ; parce que les Ministres
sont presque tous Membres du Parlement
; parce que le plus prépondérant de
tous , le Chancelier de l'Echiquier , sert au
moins de premier guide pour les affaires de
finance ; parce que le Parlement tient ses
243 )
.
Séances dans Londres , la Capitale du Com
merce et le lieu de réunion des plus grandes
connoissances , et que le Parlement est journellement
éclairé par ce cercle lumineux qui
P'environne. Enfin , pour derniere observation
, le caractère naturel de la Nation Angloise
l'eloigne communément des délibérations
hâtives et précipitées. L'effet de toutes
cescirconstances particulières , et de plusieurs
´autres , rend le voeu réuni des deux Chambres
du Parlement , tellement conforme aux intérêts
de la Nation , ou à l'exigence du moment
, que la renonciation tacite et nécessaire
à l'usage du Veto Royal , ne nuit jamais au
bien public. Mais il n'en seroit pas de même
en France , où aucune des particularités que
je viens de citer ne se trouve applicable . Il
paroît que l'Assemblée Nationale nesera composée
que d'une seule Chambre jusqu'à l'époque
où l'on découvrira peut-être l'inconvénient
d'une pareille institution ; mais si
deux Chambres n'avoient pas , comme en Angleterre
, une destination distincte , si elles
n'étoient pas séparées par quelques intérêts
differens , la garantie contre les erreurs momentanees
de l'Assemblée Nationale , seroit
encore insuffisante. On met de plus en doute
siles Ministres dont les lumières , au moins
de tradition , seroient souvent utiles , si les
Ministres , unis par leurs fonctions à l'ensemble
des affaires , devront être admis comme
Députés à l'Assemblée Nationale . On paroît
aussi dans l'intention de borner à deux ou
trois ans la duree ' de chaque législature , ce
qui ne laissera guere de temps aux mêmes
Deputés pour tirer parti du choc de leurs
fumieres ; et celles dont ils seront environnés
paroissent jusqu'à présent avoir plus de rap(
244 )
port avec les idées abstraites et métaphysi
ques , qu'avec ce jugement pratique et vigoureux
que l'habitude des affaires a seule
le pouvoir de constituer. Enfin , il est généralement
connu que la Nation Françoise est
plus susceptible qu'aucune autre de résolu
tions rapides ; elle voit vite , elle est confiante
, elle est empressée de jouir , elle est
avide de se montrer. Il faut peut-être , pour
la perfection dont elle est si digne , une sorte
de contre-poids qui assure sa marche et qui
rassemble ses forces. Je pense donc , Sire,
que dirigé , comme vous l'êtes toujours , par
un véritable amour du bien de l'Etat , Votre
Majesté ne devroit pas regretter l'exercice
d'un Veto absolu et indéfini , s'il est remplacé
par un Veto suspensif , tel qu'on vient
de l'expliquer , et je crois encore d'avantage
que la difference entre l'un et l'autre , ne
peut pas être mise en parallele avec le risque
de troubler la tranquillité publique.
Voilà , Messieurs , le rapport que j'ai fait
au Roi . Sa Majesté a jugé à propos qu'il
vous fút communiqué , et c'est encore avec
son approbation que je vais vous soumettre
une reflexion importante.
J'ai exposé dans mon Memoire au Roi , les
raisons qui pouvoient l'engager à voir sans
peine la substitution du eto limité , à un
Feto absolu et indéfini. Mais tout seroit
changé si la Sanction du Roi étoit obligatoire
des la seconde législature ; car ce seroit
presque la rendre nulle , puisque la crainte
de compromettre la dignité du Roi par un
appel inutile à la seconde législature , engageroit
le Gouvernement à ne jamais courir
ce hasard ; au lieu qu'en rendant la Sanc
tion du Roi nécessaire seulement à la troi-
1
( 245 )
sième législature, il resulteroit d'une telle
disposition , le grand et notable avantage de
ménager au Monarque le moyen de donner ,
dès la seconde législature , son consentement
libre à la loi proposée ; et il ne manqueroit
pas de le faire si , averti de l'opinion
publique par l'insistance d'une seconde légis
lature , il voyoit manifestement qu'il contrarieroit
le voeu National , en continuant à
refuser son acquiescement . Ainsi , quoique
la Sanction du Roi , rendue obligatoire à la
troisième législature , ou la Sanction du Roi
déclarée nécessaire dès la seconde , puissent
se ranger sous le nom commun de Veto suspensif
, il n'y a point d'idées plus differentes
et plus dissemblables : le Veto absolu , au
risque de n'en jamais faire usage , seroit infiniment
préférable à un Veto suspensif dont
on ne feroit point usage non plus , puisque
le premier de ces Veto conserveroit du moins
au Trône toute sa majesté.
La Nation , en donnant sa confiance à des
Députes choisis pour un temps , n'a jamais
pensé qu'elle retireroit par cet acte celle qui
Punit à son Souverain , à ce Dépositaire permanent
de l'amour , de l'espérance et du respect
des Peuples , à ce défenseur- né de l'ordre
et de la justice. Elle veut pour son bonheur
et pour la prospérité de l'Etat , un équilibre
entre les divers pouvoirs qui font sa sauvegarde
; mais elle n'entend pas sûrement détruire
les uns par les autres , et s'il lui est
si difficile d'exprimer la plénitude et la durée
de ses voeux , si ses Représentans momentanés
ne peuvent le faire qu'imparfaitement
il est dú d'autant plus de respect à celui
qui , par l'assentiment des siècles et des gémérations
passées , a été consacré l'un des
( 246 )
gardiens immuables des lois et de la félicité
publique . Je vois des resistances opposées
de toutes parts au pouvoir exécutif ; il faut
plus que jamais lui menager cette force morale
, qui nait des formes et des idées de
grandeur que ces formes entretiennent. Vous
avez pris , Messieurs , toutes les précautions
imaginables pour la liberté , et sans doute
que vous allez bien loin à cet égard , puisque
vous en voulez une plus grande que celle dont
toute l'Europe vante la perfection , que celle
des Anglois , ces vieux amis de la liberté ,
ces connoisseurs experimentés des conditions
qu'elle exige , et qui , après cent ans d'expérience
, ne voudroient pas admettre le moindre
changement dans une Constitution dont
ils ne parlent jamais sans exprimer en même
temps le bonheur dont elle les fait jouir.
Mais en suivant vos idees à cet egard , ne
perdez pas de vue , Messieurs , que si vous
negligez les précautions necessaires pour conserver
au pouvoir exécutif sa dignité , son
ascendant, sa force , ce royaume est menacé
d'un desordre general ; et ce desordre pourra
detruire dans ses revolutions inconnues
l'edifice que vous aurez elevé avec tant de
soin. Un royaume comme la France , un
royaume de vingt - cinq mille lieues quarrées
, un royaume de vingt - six millions d'Habitans
divisés par des habitudes et par des
moeurs differentes , ne peut pas être réuni
sous le joug de lois , sans une puissance active
et toujours vigilante , etc.
De Paris , le 16 Septembre .
'Assemblée des Représentans de la Com(
247 )
mune de Paris. Extrait des Procèsverbaux
, Séance du 6 Septembre
1789.
Sur le rapport fait à l'Assemblée par MM.
Bourdon de la Crosnière et Charpentier ,
Commissaires deputés par elle auprès de
l'Assemblée Nationale , et du premier Ministre
des Finances , pour aviser aux moyens
d'assurer la subsistance de Paris , que l'Assemblee
Nationale a , par son arrêté du jour
d'hier , renvoyé lesdits Commissaires à se
pourvoir vers le pouvoir exécutif ; l'Assemblee
a arrêté que le Roi seroit très - humblement
supplie de prendre en consideration la
position dans laquelle se trouve la Ville
de Paris , relativement à ses subsistances ,
et de venir à son secours par les moyens
les plus prompts et les plus súrs que sa
sagesse lui suggérera : Qu'en conséquence ,
il plút à Sa Majesté ordonner , entre autres
choses :
1 ° . Que chaque Laboureur et Fermier,
dans l'étendue de la Généralité de Paris ,
sera tenu , à compter du jour de la publication
de l'Arrêt à intervenir , de porter chaque
semaine au marché qu'il est dans l'usage
de fréqueter, la quantité de trois septiers
au moins par charrue , et ce par provision ,
et jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné
, sauf à établir de nouvelles proportions
dans ladite fixation , s'il y a lieu , d'après
les observations des Municipalités des lieux
dans lesquels lesdits Laboureurs sont résidans
, sur la quantité plus ou moins forteque
chacun d'eux pourra fournir,
2°. Que la Ville . de Paris , qui par sa
population ne peut être assimilée à aucune
( 248 )
des autres villes du royaume , et qui ne peut
être approvisionnée que par des mesures extraordinaires
, que les circonstances presentes
rendent encore plus necessaires , sera maintenue
dans le droit d'appliquer à sa consoni-
´mation , les grains récoltes dans l'enceinte dé
son arrondissement .
3°. Que cet arrondissement , que les anciennes
Lois avoient fixé à dix lieues , sera ,
eu egard à l'agrandissement successifqu'elle
a reçu depuis ses Lois , à la disette des récoltes
precedentes, et aux approches de l'hiver
, etendu à vingt- cinq lieues..
4°. Qu'il sera donné aux troupes et aux
Maréchaussées tous les ordres nécessaires
pour la sûreté des Fermiers et des Laboureurs,
des Boulangers et des Marchands , pour
l'approvisionnement de Paris et pour la tranquillité
et le bon ordre sur les routes , dans
les marchés , les moulins , et en general pour
tout ce qui concerne la circulation interieure
des grains et farines.
5°. Qu'à l'effet d'assurer l'exécution des
mesures ci - dessus , et de toutes autres , que
la sagesse de Sa Majesté lui suggérera pour
prévenir les suites funestes d'une disette
dans la capitale , il sera attribué à la Municipalité
de cette ville , tous les pouvoirs
qu'avoient précédemment sur le fait des
subsistances destinées à son approvisionnement
, le Lieutenant -général de Police et le
Commissaire départi.
Signés , BLONDEL , Président ; J. M.
BOSCARY , Secrétaire,.
Arrêt du Conseil d'Etat du Roi , du
7 Septembre 1789.
Le Roi ayant examiné dans son Conseil
( 249 )
-
}
la délibération ci-dessus transcrite , de l'As
semblée des Representans de la Commune
de sa bonne ville de Paris , et désirant concourir
, par les moyens qui sont en son pouvoir
, aux precautions indispensables pour
l'approvisionnement de la capitale , S. M. a
bien voulu avoir égard aux demandes des
Représentans de la Commune de Paris ,
persuadée qu'ils ne feront usage qu'avec ménagement
des moyens dont ils ont dessein.
de se servir , et qu'ils se concerteront avee
les autres Municipalités de la généralite de
Paris , afin que l'approvisionnement de toutes
les parties de cette généralité ne soit jamais
compromis . Sa Majesté est instruite , par
l'experience , que si la subsistance d'une ville
aussi considerable que Paris , peut être
confice dans les temps ordinaires à la parfaite
liberté du Commerce , il étoit indi
pensable de prendre des précautions plus
assurées dans une circonstance difficile , et à
la suite d'une année de disette . Le Roi ,
guidé par ce principe , a garanti , par ses
soins prevoyans , la ville de Paris des malheurs
auxquels elle auroit été soumise , si ,
des la fin de l'hiver dernier , le Roi n'avoit
pas pourvu à la plus grande partie de sa
subsistance , par des bleds achetés dans
Etranger , et si l'immensité des secours que
le Rois'etoit procures successivement , n'avoit
pas suffi depuis quelques mois à l'approvisionnement
entier de Paris , de Versailles
et d'une grande partie de la généralité , et
ces secours y auroient repandula plus grande
abondance , Siiles besoins qui se sont en
même temps manifestés en Normandie , n'avoient
pas oblige de destiner à la subsis--
tance de cette province , une portion des
( 250 )
convois qui empruntoient son territoire pour :
venir jusqu'à Paris. Les pays étrangers , dont
on peut tirer des secours prochains , se trouvant
dans ce moment absolument épuises
il faut attendre que les récoltes tardives du
Nord procurent de nouvelles ressources ; mais
comme ces ressources , par les soins vigilans
et paternels de Sa Majesté , mettront en
état de procurer à la ville de Paris un secours
extraordinaire de cent ou cent -vingt
mille setiers dans les mois de novembre et
de décembre , et qu'un pareil secours permettra
aux Représentans de la Commune de
se dispenser des moyens extraordinaires qu'ils
sont obligés d'employer en ce moment pour
l'approvisionnement de la capitale , le Roi
a jugé à propos de n'autoriser que jusqu'à
la fin de cette année les dispositions particulieres
qu'ils sollicitent. A quoi voulant
pourvoir , etc.
LETTRE AU Rédacteur .
D'Angers , le 13 Août : que la division du Régiment
de Royal Picardie , en garnison à
Guingamp , eft arrivée en cette ville . Les Cavaliers
, à leur départ , ont juré entre eux ,
à l'insçu de leurs Officiers , de n'accépter aucun
argent , ni un seul verre de vin , de qui
que ce soit . Pendant leur séjour à Rennes ,
les Dragons et les Bourgeois ont fait tout
leur possible pour leur faire accepter l'un
et l'autre , mais tous ces braves Cavaliers ont
été invincibles . Ils ont eu le même heroisme
pendant toute la route , et ils sont arrivés à
Angers , vierges d'argent et de vin . Cette ville ,
instruite de leur conduite , a voulu les ré
Pa
( 251 )
galer ; mais ils n'ont accepté cette offre
qu'après avoir pris l'agrément de M. le Mar-,
quis de Lostanges , leur Colonel . Ils ont prié
la ville de leur donner à chacun vingtsous
, pour se régaler et se divertir un soir
sans sortir de leurs Chambrées. Leur fête à
été fort tranquille. Le Colonel à éte si content
de leur sagesse ; qu'il leur a donné le lendemain
la même somme pour se régaler de
nouveau ; le second jour s'est terminé comme
le premier Il est beau de voir une conduiteaussi
respectable au milieu des désordres où
l'anarchie nous a plongés . Elle fait autant
d'honneur aux Cavaliers qu'aux Officiers de
ce Corps , et sur-tout au Chef resp table
qui le commande. On doit au reste tout attendre
du descendant d'une famille célèbre
dans les fastes militaires .
Le 18 Août , M. Maugeard , Généalogiste ,
eut l'honneur de présenter au Roi le premier
volume du Code de la Noblesse , ou
Recueil de Lois et de Monumens pour servir
de preuves au Traité politique et historique
de la Noblesse Françoise (1).
Encore un assassinat . Le Maire de
Troyes , Magistrat généralement estimé ,
( 1 ) Cet ouvrage aura beaucoup plus d'étendue que
l'Auteur ne s'étoit proposé de lui en donner , lorsqu'il
a publié son premier Prospectus . Des circonstances alors
imprévues , et de nouvelles vues d'utilité , l'ont déterminé
à passer les hornes qu'il s'étoit prescrites , de sorte qu'au
lieu de 2 vol . in-8 °. , il en donnera 6. Ce premier volume
ne sera délivré qu'aux Personnes qui souscriront
chez l'Auteur , rue neuve des Capucins . On paiera 18
liv. en souscrivant , et le reste du prix en recevant le
4. volume. On recevra , en Province, cet ouvrage frane
de port et au même prix , en affranchissant les lettres e
l'argent.
( 252 )
a été arraché par le Peuple presque des .
bras de ses confrères , assommé , et traîné
dans les rues , le 9 Septembre . C'est
encore une victime de ces stupides ac
cusations , dont aucune vertu ne peut garantir.
Les assassins du Maire de Troyes
lui imputoient d'avoir empoissonné des
farines.
P. S. Nous avions déja livré à l'impression ,
ily a 8 jours , notre defense contre l'inculpation
de M. Clarkson , lorsque nous fúmes
informés par un ami commun , que cet Anglois
estimable , n'avoit entendu en aucune
maniere nous accuser d'être soudoyés par
les Planteurs , et qu'il offroit même de le
publier. En conséquence , nous avions donné
ordre de supprimer notre replique ; cet ordre
n'a point ete suivi , en l'absence du Rédacteur
, dont le regret a augmente , en voyant
paroitre imprimee la rétractation de M. Clarkson.
Elle nous oblige à nous rétracter nousmêmes
, et à regarder comme non - avenu
l'article qu'on a lu la semaine derniere. L'explication
de M. Clarkson ne nous permet plus
aujourd'hui que d'applaudir à son procedé ,
comme nous avons applaudi dans le temps
au zele et aux lumieres qu'il a manifestees
dans la défense d'une cause sur laquelle aucun
homme sensible ne peut rester indifferent.
Les Numéros sortis au Tirage de la
Loterie Royale de France , le 16 Septembre
1789 , sont : 36 , 46 , 89 , 60 , 24.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 26 SEPTEMBRE 1789 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE
A Mile. de D *** , fur ce qu'on difoit que
, je la chantois trop fouvent.
V ERS le figne de la Balance ,
L'Aftre du jour eft arrivé ;
De vin largement abreuvé,
Le Thyrfe en main , Silène avance ;
Sur un tonneau , Pan élevé ,
Des Faunes dirige la danfe ; ,
La fête de Bacchus commence :
Les Driades & les Sylvains ,
Barbouillés du jus des raifins ,
Courent la campagne embellie ,
Et je ne vois point Emilie.
N°. 39. 26 Sept. 1789.
D
74
MERCURE
L'hiver pour moi flétrit les champs ;
Mais , non , je la vois , je l'entends ;
Les Graces feront de la fête :
Allans , que ma lyre foit prête ;
Eft-il befoin d'orner mes chants ?
Lorfque ma Sapho les répète ,
Des Mufes ce font les accens ;
Par fa bouche rendus charmans
Les moindres airs ont de la grace ,
Comme les yeux ils font touchans ,
Pour la faire affeoir à fa place ,
Renaiffez , Ecoles d'amour ,
Où nos Mabiles , nos Huguettes ,
Nos Laures , & nos Stéphanètes ,
Fixant chacune un Troubadour ,
A leurs vers joignoient leurs mufettes ,
Et charmant par leurs chanfonnettes
La Provence & le Dieu du Jour ,
Des Mufes , dans un beau féjour ,
Rappeloient les douces retraites ,
Et le couronnoient tour à tour
De lauriers & de violettes.
Emilie , ah ! voilà ta Cour ;
Et cependant , ô quel délire !
On me reproche aveuglément
De te prendre un peu trop fouvent
Pour l'objet des fons de ma lyre ;
N'eft-ce pas toi qui les inſpire ,
Toi qui , fille de demi-Dieux ,
Ne vois rien de plus glorieux
DE FRANCE.
75
Que les talens qui leur reffemblent ?
A tes côtés ils fe raffemblent ,
Et leurs hommages affidus ,
C'est bien à Pallas qu'ils font dus.
Pour la Beauté qui les colore ,
Chaque jour brillent les oeillets ,
Chaque jour les Zéphirs à Flore
Viennent préfenter leurs bouquets.
Careffant fa rive fleurie ,
On voit ferpenter le ruiffeau ,
Et vers fa Naiade chérie ,
Porter le tribut de fon eau.
Lorfque l'Aurore , par les larmes ,
Dɔre nos côteaux , nos guérets ,
Tous les oifeaux de nos bosquets ,
A l'envi célèbrent fes charmes ;
Le lendemain , plus fatisfaits ,
Ils chantent fa préfence encore ;
Toujours l'Amant d'Eléonore ,
De ce nom remplit les forêts ;
D'un nombre infini de Sonnets ,
Pétrarque offre l'hommage à Laure ;
Combien de vers il fait éclore ,
Tibulle, pour les doux attraits
De la Bergère qu'il adore ,
Et dont fes Ecrits ont les traits !
Et cependant Laure & Délie
Valoient-ellès mieux qu'Emilie ?
Qu'un Poëte chante fouvent
Le nom aimable d'une Belle ,
MERCURE
F
C'est pour les vers à fentiment
Que fleurit la palme immortelle.
Il a fes langueurs , fes accens ,
L'efprit , quand la gloire l'appelle ,
Du coeur la force eft plus réelle
Sa fource ne tarit jamais ,
C'eft la puiſſance univerſelle.
De la beauté toujours nouvelle ,
On fête les attraits divers ,
Et nos bouquets ce font nos vers
Que fes yeux font naître pour elle.
Si même au milieu des hivers
Il faut des fleurs , l'Amour fidèle.
En jardins change les déferts .
Ah ! qu'ils vont durer , mes concerts
Car je te promets de me taire
Quand le Roffignol folitaire
Sans envie entendra tes airs ,
Et que tu cefferas de plaire.
( Par M. Sabatier de Cavaillon. )
DE FRANCE 97
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Famine ; celui
de l'Enigme eft Bergère ; celui du Logogriphe
eft Crachat , où l'on trouve Rachat,
Achat , Chat.
CHARADE.
QUAND près de moi , Lecteur , fe trouve mon
premier ,
Je ne garantis pas mon dernier , mon entier .
( Par un Ecolier de sme.
ÉNIGM E.
LECTEUR , fi tu connois cet utile marteau
>
Sur lequel , un inftant , va s'égayer ma plume ,
Sans un grand effort de cerveau
Tu dois connoître auffi l'enclume .
L'un & l'autre formés des mains du Créateur ,
Sont , au printemps , d'un éclatant ivoire ;
Mais l'hiver nuit à leur blancheur ,
Et leur ravit toute leur gloire :
D3
MERCURE
Par un bizarre arrangement ,
Contraire ( diroit-on ) aux loix du mouvement
Tandissque l'enclume mobile
Agit par un travail facile ,
Le marteau tranquille l'attend .
Queceraccord eft admirable !
Qu'il eft avantageux à maint être vivant !
Oui , fans ce couple inféparable ,
L'animal rentreroit bientôt dans le néant.
( Par M. l'Abbé D***. )
LOGOGRIPHE
JE fuis , dans mes huit pieds , d'une odeur fans
pareille ;
Dans quatre , un crime à révolter ;
Dans cinq , un inftrument fi flatteur à l'oreille ;
Et dans fix, la couleur que tout Clerc veut porter
( Par M. Demont. )
DE FRANCE.
59
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
ROMANCE de Paul & Virginie , pak
Madame la Marquife DE LA FERRANDIÈRE
; avec la mufique , par Madame la
Comteffe DE CAUMONT fa fille. A Paris,
chez Didot jeune , Impr . de Monfieur
quai des Auguftins ( 1 ) .
ILL n'eft point de Lecteurs qui ne connoiffent
l'Ouvrage charmant qui a fourni
le fujet de cette Romance. L'amour , les
vertus & les malheurs de Paul & de Virgiaie
ont intéreffé toutes les ames fenfibles
; & M. de Saint- Pierre n'a pas montré
moins de talent en peignant la tendreffe
pure & naïve de deux jeunes coeurs fi
dignes de s'adorer , qu'il n'en avoit déployé
dans le tableau touchant d'Ariane abandonnée
, qui embellit le Ie. Volume de
fes Etudes de la Nature. Cet Ecrivain ,
dont la manière tient à la fois de Fénélon
& de Rouſſeau , a cependant un caractère
très- diftinct ; & il eft fur tout remarquable
(1 ) Ce petit Ouvrage , dont M. de Saint - Pierre
eft l'Editeur , fe vend au profit des Enfans de la
Charité.
D 4
80 MERCURE
par l'art qu'il poffede de mêler les defcriptions
les plus pittorefques à des fentimens
profonds & romantiques ; ce qui répand
fur fes Ouvrages un charme inexprimable .
Aufli fes Ouvrages font devenus une fource
abondante où d'autres Artiftes s'empreffent
de puifer. Le feul morceau de Paul & Virginie
a déjà été choifi par des Auteurs
dramatiques ; le célèbre Vernet en a fait
le fujet d'un des Tableaux qui enrichiffent
cette année le Sallen ; & enfia Madame de
la Ferrandière a femi , avec raifon , qu'une
Romance qui rappelleroit les principales
beautés de l'Ouvrage de M. de St - Pierre ,
ne pourroit pas manquer de réuffir .
Ce genre de Poéfie , auquel on n'a pas
femblé jufqu'à préfent attacher beaucoup
de mérite , eft pourtant très -difficile , parce
qu'il exige ce que la Nature feule donne ,
c'est-à-dire , de la naïveté & du fentiment.
Une Romance doit toujours parler au coeur,
flatter l'oreille , & ne jamais laiffer appercevoir
ce qu'on appelle purement de l'efprit.
Auffi , parmi quelques Peuples paflionnés
pour les Beaux-Arts , mais qui veulent
de l'efprit par- tout , les Romances font à
peine connues tandis qu'elles font les
délices de ceux qui n'aiment que le naturel
& la peinture des fentimens vrais . Les
Anglois ont un grand nombre de Romances
très touchantes . Les Efpagnols chantent encore,
en s'accompagnant de leur guitare ,
les guerres des Mores & les amours che-
>
*
DE FRANCE. SI
valerefques , & il eft impoffible de les
écouter fans intérêt . Noire Nation a trop
de fenfibilité , & entend trop bien fes plaifirs
, pour exclure du nombre de fes jouiffances
poétiques & muficales , le goût des
Romances , quelque fimples qu'elles foient,
& nous en poffédons plufieurs qui restent
dans la mémoire de tous ceux qui aiment
les vers. Qui ne fe fouvient pas , par exemple
, de la jolie Romance de M. le Duc
de la Vallière qui ne fait pas celle de Dufrefny
?
PHILIS , plus avare que tendre ,
Honteufe de trop refufer ,
Un jour exigea de Sylvandre
Trente moutons pour un baifer , &c. `
Qui n'a point chanté les Romances plus
modernes d'un Ecrivain qui a de plus
beaux titres à la gloire que ces petites Poéfies
, mais à qui ces petites Poéfies même
pourroient fervir de titres , parce qu'elles
font remplies de fentiment & de grace ?
Telle eft celle qui commence par ces vers
D'UNE Amante abandonnée 9'
Pourquoi craindre les rigueurs ?
Et celle dont voici le premier couplet :
Oma tendre Mufette ,
Mufette, mes amours ,
DS
82
MERCURE
Toi qui chantois Lifette ,
Lifette & les beaux jours ;
D'une vaine eſpérance ,
Tu m'avois trop fla té ;
Chante fon inconftance ,
Et ma fidélité .
Qui ne fe rappelle pas auffi , qui n'aime
point les Romances où l'Ami des Enfans
a peint les infortunes de Géneviève , & la
tendre mélancolie d'une mère qui regrette
auprès du berceau de fon fils , l'ingrat
époux qui l'a délaiffée ? Mais nous ne finirions
pas de long - temps , fi nous voulions
citer tout ce que nous avons de joli en ce
genre. Bornons - nous à faire connoître la
Romance de Madame de la Ferrandière.
DEUX femmes à l'Ile de France
Furent conduites par l'Amour ,
Latour bravant or & naiffance ,
Suit un époux qui perd le jour.
Coupable de tendre imprudence
Marguerite au même féjour ,
Fuit l'Amant que fa complaifance
Détacha d'elle fans retour.
)
Madame de la Ferrandière rend heureufement
en vers plufieurs morceaux de la
profe poétique de M. de St- Pierre . Après
avoir peint la nailfance de Paul & de Virginie
, & leurs carelles enfantines , elle
continue :
DE FRANCE.
SI -Tôr qu'ils dirent , je vous aime
Aux Mamans ce mot ss'adreffa ,
Et bientôt pour l'Etre faprême
Chacun des deux le prononça.
Virginie appeloit fon frère
Celui qui la nommoit fa fear.
Crainte , prévoyance de mère ,
Causèrent cette aimable erreur.
Paul cherchoit plus fouvent la vue
Du bel objet qu'il adoroit.
Sa Leur plus tendre , plus émue ,
A fes regards fe déroboit.
DE moi ferois- tu mécontente ,
Demanda Paul en foupirant ?
---
Pourquoi me fuir ? pourquoi , méchante ,
Ne plus m'embraffer qu'en tremblant ?
- Non , non , raffure-toi , mon frère ,
J'ai du plaifir quand tu me fuis.
Ma tendreffe eft toujours fincère ;
Mais ne fais d'où viens je te fuis.
Cependant la tante de Virginie la demande.
Le Gouverneur exige qu'elle parte
pour la France. Elle eft prête à s'embarquer.
Paul défolé s'écrie :
MA foeur , accorde- moi la grace
De te fuivre au lointain pays.
D.6
MERCURE
Comme un efclave fur ta trace ,
Tu me verras toujours foumis.
-Non , refte , & confole ma mère .
Calme fes regrets , ton courroux ;
Je reviendrai fur cette terre ,
Et te prendrai pour mon époux.
DEUX Cocotiers , à leur naiffance ,
Furent plantés par leurs mamans.
Près de ces arbres , dès l'enfance ,
Ils paifoient leurs plus doux momens.
Ils font l'époque de leur âge ,
Ils furent témoins de leurs jeux ;
Et c'est enfin fous leur feuillage
Qu'ils fe font leurs touchans adieux.
Tout est défolé dans la cabane , & Paul
bien plus que les autres . Le travail , & furtout
l'espoir de revoir Virginie , peuvent
feuls lui faire fupporter fon abfence.
Je veux , dit -il , pour ma Compagne
Planter Agathis & Rofiers..
J'ornerai Fontaine & Montagne
De Lilas , Cèdres , Papayers .
Hélas ! ce fut fous leur ombrage
Qu'elle me dit » Je te chéris .
J'aime nos mères davantage ,
" Quand elles te difent : Mon fils ,
DE FRANCE.
LE filence de Virginie ,
Dans l'ame de Paul met l'effroi,
Noble & riche de Normandie ,
M'aura , dit-il , ravi fa foi.
Lettre arrive enfin . Sans mystère,
Chacun la lit , tout eft content.
Tendres regrets font pour fa mère ;
Fleurs & cheveux pour fon Amant,
Virginie quitte la France , & s'embarque
pour retourner dans fa Patrie.
<
AINSI qu'à fon premier voyage
Cette raviffante Beauté ,
Infpire aux gens de l'équipage.
Refpect & modefte gaîté.
Une chaloupe la devance .
Elle apprend qu'on va la revoir..
Chacun fe livre à l'espérance ,.
Et vole pour la recevoir.
LE Saint-Gerand , près du rivage ,
Au Port-Louis veut aborder.
La mer mugit ; affreux erage.
Subitement vient à gronder.
Les vents accroiffent fes alarmos
Le bâtiment eft en danger.
Vains efforts ! inutiles larmes !
Heureux ! heureux qui fait nager
86 MERCURE
On retrouve fur le rivage
Cette Vierge pleine d'attraits .
De Paul fa main preffe l'image ,
Sur fon coeur elle eſt à jamais.
On difpute la trifte gloire
D'enfevelir cette Beauté :
Chacun gardoit en fa mémoire
Ike fouvenir de la bonté.
PRÈS l'Eglife des Pamplemouſſes ;
Elle aimoit à fe repofer.
Sous des bambous , fur fines mouffes ;
C'est là qu'on vient la dépofer.
Tendres coeurs , fous ce vert feuillage ,
Air doux & pur vont refpirer.
Cours malheureux fous cet ombrage ,
La regrettant , vont foupirer.
MAIS de l'Amant de fes deux mères ,
On ne peut peindre les douleurs.
Jufqu'à la fin de leurs carrières ,
De leurs yeux coulèrent des pleurs.
Le Ciel , cette tombe chérie ,
Pouvoient feuls terminer leurs maux.
Las ! bientôt près de Virginie
Ils partageront fon repos.
CHAQUE endroit du fatal naufrage
Reçut du Peuple un nom nouveau.
Chafte fille en pélerinage
Va voir le Golfe du Tembeau.
DE FRANCE. 87
Depuis ce jour , Amans fincères ,
Qui veulent aborder ces lieux ,
Difent au Ciel dans leurs prières :
Sauvez-nous du Cap malheureux.
Nous n'ajouterons aucun éloge à ces
citations , nous dirons feulement que la
Romance de Madame de la Ferrandière
nous femble digne des Fables dont elle a
fouvent enrichi l'Almanach des Mufes ; &
la musique , gravée à la fuite de la Romance
, nous a paru aufli très- agréable.
LE Nègre comme il y a peu de Blancs ,
par l'Auteur de Cécile , fille d'Achmet
III , Empereur des Turcs ; avec cette
Epigraphe :
Les Scythes, pour être Scythes , ceffentils
d'être hommes ?
3 Vol. in- 12. Prix , s liv. br. & 5 liv.
15 f. francs de port par la Pofte. A Paris,
chez Buiffon , Lib. Hotel de Coëtlofquet
rue Haute-feuille , N° . 20.
Au moment où la caufe des Nègres fe
plaide au Tribunal de l'Humanité , 1Ouvrage
que nous annonçons ne peut manquer
d'être bien accueilli . Ce n'eft pas que l'Auteur
fe flatte qu'un Roman foit fait pour opérer
cette révolution intérellante ; mais il peut
$8 MERCURE
y contribuer. Un Roman eft lu de tout le
monde ; & peut-être eft-il de la bonne politique
de faire aimer d'abord ceux que l'on
veut fervir enfuite . Déjà le mal eft fu ; difons
mieux, il eft défavoué . C'eſt à la puiffance
de la difcuffion à faire le refte , & à
confommer ce grand oeuvre . L'Auteur s'eft
donc moins chargé de plaider la caufe des
Noirs, que de leur faire des amis. Si on lui
reproche de n'avoir écrit qu'un Roman , &
qu'un Roman ne prouve rien ; voici ſa
réponſe. Les actions de mon Héros font les
traits détachés de la vie de différens Nègres ;
je les ai recueillis , raffemblés , liés enfemble
, & j'en ai fait un tout. Ce n'eſt donc
pas précisément un Roman qu'il imagine
à plaifir ; c'eft Hiftoire d'un caractère national
qu'il offre dans le caractère d'un feul
homme. Cet homme a des vertus , & il eft
aimable : fi ces vertus ne font autres que
celles de fa Nation , on doit la refpecter.
Voilà le plan & le but de cet Ouvrage.
Nous devons ajouter qu'il a un autre mérite
que celui de l'à - propos . Nous avons
lu peu de productions de ce genre , écrites
avec une facilité plus heureufe & avec
plus d'élégance. Il y a des images , des fentimens
& des détails admirables pour le
pathétique. La Topographie eft habilement
obfervée. Des réflexions fages & utiles méritent
l'approbation des Philofophes , autant
que le fonds du Roman intéreffe les ames
fenfibles. Peut-être donne - t- il des couleurs.
DE FRANCE.
un peu trop Européennes aux moeurs de
l'Afrique . Mais c'eſt un ufage reçu dans le
pays des Romans . D'ailleurs notre Nègre a
été élevé par un François jeté par la tempête
fur une terre inconnue , & qui , accueilli
avec bonté par les habitans du pays ,
crut devoir accepter par reconnoiffance la
nouvelle patrie qui lui étoit offerte. Enfin
ne peut-on pas fuppofer que fi l'éducation
des Nègres étoit plus foignée , ils auroient
autant d'efprit & plus peut- être que
les Peuples de l'Europe ? Ils nous égalent
en adreffe , & l'adrefle annonce un degré
d'intelligence qui n'auroit befoin que de
culture peut embraffer des objets plus vaftes .
On fait que pour les qualités du coeur ils
peuvent nous difputer l'avantage. » Chez
"
"
nous , dit le Nègre comme il y a peu
» de Blancs , on ne connoît point ce moż
" fatal dont le fentiment rend infenfible
» avec grace , dur avec politcife , implacable
» avec urbanité. Nous n'avons point l'art
.99
29
33
d'effrir fans donner , mais nous don-
" nons fans offrir. Nous ne nous attendriffons
point fans foulager , mais nous
foulageons fans nous attendrir. Nous ne
» connoiffons point les mots impofans
d'honneur , de fidélité , de délicateffe
» de dévouement ; mais nous gardons nos
fermens , nous aimons nos époufes , nous
fervons nos amis , nous traitons les in-
» connus comme nous voudrions être traités
par eux ; & l'ufage conftant de ces
و د
و د
39
30 MERCURE
"
» actions nous a diſpenſés d'avoir des ter-
" mes pour les exprimer ; enfin nous n'a
vons point de ces palais fuperbes où l'on
» s'enferme pour éviter les regards des
malheureux ; nous n'habitons que des
» huttes également ouvertes au pauvre
» comme au riche , à l'étranger comme à
l'ami , & fous lefquelles l'ennui ne pé-
" nètre jamais , parce que les plaifirs du
» luxe n'y font pas .
93
›
Cette nouvelle Production , loin d'être
inférieure à celle du même Auteur , intitulée
, Cécile , fille d'Achmet II , Empereur
des Turcs , doit infpirer un intérêt
plus vif , plus général , & donner un nouveau
relief au mérite de l'Ecrivain .
IDÉES fur les Loix Criminelles , où l'on
propofe 460 Loix nouvelles en place de
celles qui exiftent aujourd'hui , & où l'on
traite , entre autres chofes , de l'empire
des bonnes moeurs publiques pour prévenir
les crimes , de la peine de mort des
cas imprévus , des Lettres de cachet , des
Duels , des Défertions , de la Liberté de
la preffe , de la Confifcation , des Erreurs
judiciaires , d'une nouvelle manière d'inf
truire les Procès criminels & de les juger,
du confeil & du ferment de l'Accufé , du
Préjugé national contre les familles des
condamnés , de nouvelles Loix pour le
DE FRANCE.
gr
Commerce , Faillites , Banqueroutes, pour
l'action de la femme contre fon mari
adultère, &c. &c. Tome II , in- 8 ° .; par
M. THORILLON , ancien Procureur au
Châtelet. Prix , 7 liv. 4 f. les deux Vol.
brochés. A Paris , chez l'Auteur , rue
Bardubec , N° . 21 ; Belin , Libr. rue St-
' Jacques ; Froullé , quai des Auguftins ;
Petit , au Palais- Royal.
CE fecond volume confirme & juftiffe
les éloges que nous avions cru devoir au
premier , l'Auteur y a repris , article par article
, l'Ordonnance de 1670 , dont la rẻ-
forme fait l'objet des voeux du Souverain
& des Peuples. Il a propofé des additions
& des corrections qui paroiffent être le fruit
de l'expérience & d'un travail approfondi
fur cette matière.
Indépendamment des Articles annoncés
par le Frontifpice , qui font d'une utilité
remarquable on verra avec intérêt le
préambule du Titre 6 , & le plan qui fuit ,
de convaincre ou d'abfoudre l'accufé fans
1 craindre l'influence & la calomnie , & fans
opprimer l'innocence . Il foutient l'inutilité
& les dangers du ferment de l'accufé . Il
développe d'une manière préciſe les motifs
de l'abrogation de la queftion de révélation.
Le Titre des Sentences , Jugemens
& Arrêts , nous a paru contenir une manière
& des vûes eftimables , &c .
92 MERCURE
SPECTACLES. -
THEATRE DE MONSIEUR.
Nous avons à parler de plufieurs Nouveautés
qui ont éprouvé diverfes fortunes.
La première eft intitulée les Fourberies de Marine.,
Opéra parodié en François fur la mufique
de M. Piccinni . L'original de cette Pièce eft la
Notte critica , de M. Goldoni , qu'il a faite en
France pour le Portugal , d'après un de fes propres
canevas. Ce fujet lui avoit paru fufceptible
de fituations muficales , & il pouvoit avoir raifon
pour les Théatres Italiens , où elles fuffifent ;
mais en France , l'on y regarde de plus près , &
for exige davantage. Le Traducteur n'a pas affez
fenti que ces fituations étoient monotones , &
que le fonds n'avoit aucun intérêt. Il auroit dû
fe rendre maître de fon fujet , en faire difparoître
les trop grandes invraiſemblances , fur- tout
l'animer par un dialogue piquant & gai . Il pouvoit
d'autant mieux fe permettre ces changemens ,
qu'il travailloit avec le Compofiteur , qui ne
pouvoit qu'améliorer fon Ouvrage en y ajoutant
de nouveaux morceaux. Quoi qu'il en foit , cette
Pièce , malgré les applaudiffemens mérités qu'a
obtenus la mufique , a fait peu d'effet à la première
repréſentation les Auteurs l'ont retirée
Four y faire des changemens. Nous croyons qu'en
la refferrant beaucoup , elle pourra plaire davantage.
On a rendu juftice au talent des Acteurs ,
fur-tout à M. Fleury , qui fait faire valoir le caDE
FRANCE 93
tactère de tous les rôles , & qui a très -bien renda
celui d'un vieil Avare foupçonneux.
Puifque nous avons occafion de parler de lui ,
nous n'oublierons pas que nous lui devons un
éloge , non feulement comme bon Comédien ,
mais comme bon Camarade , pour l'intérêt fenfible
qu'il a pris au début d'un Acteur extrêmement
timide , qui a joué dernièrement le rôle de
Georgino dans Tulipano. Le Public a fu gré à M.
Fleary de s'être oublié lui-même pour faire va-
Loir ce Débutant , M. Dorville , qu'on a fort encouragé
, mais qui a befoin de beaucoup de travail
encore. Sa voix eft belle & facile , mais il
doit éviter les fans de gorge qui la déparent. Il
faut aufli qu'il acquière plus d'aifance dans fon
maintien , ce que l'habitude peut feule lui donner.
Nous dirons un mot d'un autre début dans
l'Opéra Italien ; c'est celui de la Signora Maffei
qui n'avoit jamais paru fur ancun Théatre , & qui
a chanté un petit rôle de la Villanella avec beaucoup
de grace & d'intérêt . Malgré fa timidité , qui
la privoit d'une partie de fes avantages , fa jeuneffe
, fa figure , fa taille , ſa voix fraîche & jolie ,
donnent l'efpoir que ce Sujet pourra devenir un
jour très-précieux .
La feconde Nouveauté donnée à ce Théatre ,
eft intitulée le Nozze di Dorina , Opéra Bouffon
de Sarti. Aucun Ouvrage Italien n'a offert encore
aux Amateurs une mine auffi abondante de
mufique. Des motifs de chants heureux & variés ;
une expreffion gaie , ou gracieuſe , ou énergique ,
& toujours piquante ; une harmonie mâle & du
plus grand ftyle ; des effets neufs & placés à propos
; un emploi d'inftrumens bien entendu , &
des accompagnemens de la plus grande richeffe:
voilà ce qu'on a trouvé dans cette mufique , &
cet éloge n'eft point exagéré. Cet Ouvrage , parodié
en François , a déjà été donné à Verſailles
94
MERCURE
fous le titre d'Hélène & Francifque ; il y a beau-
Coup réuſſi ; mais il faut convenir qu'exécuté par
-la Troupe Italienne du Théatre de Monfieur , il
a paru tout neuf. Il feroit difficile de trouver en
France un enfemble auffi parfait , & une réunion
d'Acteurs auffi diftingués . Cet Opéra eft chanté
par MM. Viganoni , Raffanelli , Mandini , Rovedino.
Les nominer , c'eft affez en faire l'éloge .
Les femmes font Mefdames Galli , Limperani &
Raffanelli. Cette dernière n'avoit paru encore que
dans le Vicende amorofe. Ce role- ci étant plus
favorable , elle a prouvé davantage un talent
fait, & tout ce dont elle avoit été capable quand
fa voix n'avoit pas encore perdu fon étendue &
fa flexibilité . Madame Limperani , qui chante &
joue tous les rôles avec beaucoup d'aifance &
de grace , femble s'être encore furpaffée dans
celui-ci .
Madame Galli paroiffoit pour la première fois.
Cette Virtuofe , qui , en Italie , tenoit le premier
rang parmi les Cantatrices , a depuis été en Efpagne
, où le climat & une longue maladie ont
fort diminué la prodigieufe étendue de fa voix ;
mais rien n'a influé fur fon excellente méthode ,
que le Public , dont le goût fe forme chaque
jour , a très-bien fu diftinguer. Il eft poffible ( &
il nous eft doux de l'efperer ) que fa fanté , en
fe rétabliffant , rende à fa voix fon premier
éclat. Nous croyons qu'alors Mme . Galli n'aura
plus de rivale à craindre pour le chant. Elle
joue auffi en Actrice confommée ; peut -être pourroit-
on lui reprocher à Paris de multiplier un
peu trop les geftes ; nous fommes accoutumés à
un maintien théatral plus fimple que celui d'Italie
; mais elle fe corrigera bientôt de ce léges
défaut local. D'ailleurs , fi les graces Italiennes ne
font pas les graces Françoifes , ce font au moins
des graces , & l'on en a trouvé beaucoup à Mar
dame Galli,
DE FRANCE.
95
Il nous refte à parler d'une 3me. Nouveauté
dans le genre de la Comédie , c'est le Comte de
Waltron , Pièce militaire , jouée fur tous les
Theatres de Province avec le plus grand fuccès .
Ce Drame , qui offre un exemple d'infubordination
punie , ne pouvoit être donné dans des
circonfta ces plus heureufes , L'intérêt preffant de
plufieurs fituations , & l'appareil magnifique dont
l'Ouvrage eft orné , devoient faire croire qu'il
ne feroit pas moins heureux à Paris qu'en Province
; cependant , foit qu'en y faifant des coupures
pour en rendre la marche plus rapide ,
on en ait trop énervé les caracteres & les motifs
, foit que le Public tienne toujours à l'idée
que le genre de la Comédie ne convient point à
ce Théatre , foit que dans cette défiance , les
Acteurs eux - mêmes n'aient pas pu mettre affez
de chaleur & d'enfemble à la première repréfentation
, elle n'a pas produit tout l'effet que
l'on en arrendoit ; mais elle a réuffi complètement
aux repréfentations fuivantes ; les fituations intéreffantes
ont beaucoup attendri ; les évolutions
militaires ont été fort applaudies , & l'on a demandé
l'Auteur avec empreffement. Cette Pièce
traduite de l'Allemand par M. Ebers , a été réduite
& arrangée pour la Scène par M. Dalainval , Acteur
de ce Théatre. Les deux rôles principaux ont
été très bien joués par Madame Lavigne & M.
Chevalier. Ce dernier prouve toutes les fois qu'il
en a l'occafion , que la réputation qu'il avoit ac
quife en Province étoit bien méritée , & qu'il ne
Jui a manqué pour la foutenir, que des rôles plus
brillans & plus dignes de lui.
-
Dans le N° . prochain , nous donnerons
les Articles des autres Spectacles .
"
MERCURE DE FRANCE.
ANNONCES
ET NOTICES .
LES Prétendus , Comédie lyrique , repréſentée
par l'Académie Royale de Mufique , au mois de
Juin 1789 , mife en mufique par M. le Moyne.
Prix , 24 f. A Paris , chez l'Auteur , rue Notre-
Dame des Victoires , Nº . 29 ; & chez M. Korwer
, Facteur de Forté - Piano , rue Neuve - Saint-
Euftache , N ° . 12 .
Cette Production d'un Maître qui poffède parfaitement
l'Art du ftyle , remplie d'ailleurs d'idées
extrêmement agréables , ne peut manquer d'avoir,
à la lecture & dans les Concerts , autant de fuccès
qu'elle en a eu à la repréſentation .
Bibliothèque Univerfelle des Dames. A Paris ;
rue & hôtel Serpente .
14e. Volume des Mélanges.
A VIS.
En imprimant dans le dernier Mercure le Profpectus
de la Chronique de Paris , on a oublié de
mettre dans l'Article qui indique les objets traités
dans ce Journal périodique, qu'il rend compte aufli
des Séances de l'Affemblée Nationale , & des Arrêtés
de l'Hôtel de Ville.
TABLE.
PITRE.
Charade, Enig. & Log.
Romance de Paul.
Le Negre.
73 Idées .
90
77 Théatre de MONSIEUR,
79 Annonces & Notices.
92
96
87
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
POLOG NE.
De Varsovie, le 1er . septembre 1789 .
Les dernières Séances de la Diète n'ont
rien offert de remarquable. On a achevé
de régler le rang , le traitement des Officiers
Civils et Militaires de la Commission
de guerre , et arrêté que le Prince
Sapieha , Maréchal de la Lithuanie ,
conservera pendant sa vie la Starostie
qui , en 1775 , a été attachée au poste
de grand - Général d'Artillerie de cette
province .
Le Jugement du Prince Poninski
par une Commission de la Diète , composée
de douze Juges , a commencé
samedi 29 août . L'Accusé , sous la conduite
d'une escorte , a comparu devant
le Tribunal ; un concours extraordinaire
s'étoit porté à l'Audience. Le Chambellan
, M. Turski, faisant les fonctions
Nº. 39. 26 Septembre 1789. M
( 254 )
de Partie publique , s'est déclaré Accusateur
lu Prince , et a exposé les motifs
de l'Accusation . Dans sa défense , le Prisormier
s'est borné à des récriminations ,
et à faire partager à d'autres la complicité
des Actes révoltans de 1775 et
1776. Il a fini par demander un adoucissement
de sa détention ; demande assez
extraordinaire après une première fuite ,
et sur laquelle il n'a rien été statvé.
Les Russes et les Ottomans s'approchat
aux environs de Coggia , entre
Oczakof et Akierman . Le Prince Pomkin
se trouve fort embarrassé avec
les troupes peu nombreuses , et dénuées
d'approvisionnemens qui sont sous ses
ordres. Ses embarras et ceux du Prince
epnin sont bien augmentés depuis la
descente des Turcs en Crimée : le bruit
court qu'ils se sont emparés de Jenik.le ;
mais cette nouvelle est moins certaine
que celle d'un combat livré aux Russes
dans le Couban , par Battat Pacha ,
qui a remporté l'avantage. On sait aussi
péremptoirement que les Tartares Lesghis
et Cabardiniens ont forcé les lignes
Russes entre Catharingorod et Mozdock ,
détruit le fort St. George , et ravagé les
Districts voisins. Ces barbares , trèsbelliqueux
, et en grand nombre , sont
⚫ soutenus par 40,000 Janissaires de Karz
et a Erzeroum . Le Khan de la Grande
Bucharie s'est également déclaré contre
les Russes , et se prépare à une inva
( 255 )
sion dans la province d'Astracan.- Une
division de la flotte Ottomane s'est détachée
pour soutenir les opérations de
Battal Pacha .
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 7 Septembre.
Le Roi de Suède est déterminé à
pousser , avec vigueur , même durant
Phiver , la campagne en Carelie , où le
théâtre de la guerre se trouve maintenant
, par les dispositions de ce Prince ,
qui a pris poste sur le territoire ennemi.
Outre les premiers reaforts considérables
qui lui ont été envoyés vers la fin de
juillet , le 24 , on a enbarqué à Stockholm
, pour Sweaborg , 2 bataillons
du régiment de Warmie , une partie)
des Dragons de Bohus , le bataillon de
Tornerhielm et cent Cosaques . La Commission
de guerre a acheté 20,000 fourrures
pour l'armée , et autant de souliers
d'hiver.
On a publié à Stockholm , le 25 août
deux rapports de l'armée de Finlande ,
l'un , daté du quartier-général de Kymenegard,
le 10 , porte :
La santé du Roi se soutient à merveille ;
S. M. visite tous les jours les batteries , que
l'on etablit pres de Hog ors, Les Russes ont
fait pres d'Anjala et de Warela plusieurs
tentatives pour penetrer dans la Finlande
Mij
( 256 )
Suédoise , en traversant la rivière de Kymène ;
mais les bonnes dispositions du General de
Mayerfeld ont fait chouer leur projet. Ce
General a force l'ennemi , au nombre de
mille hommes , de repasser la riviere , avec
une perte assez considerable. — La premiere
division du nouveau Corps de Cosaques est
arrivée ici ; elle est composee de deux escadrons
, et commandee par le Lieutenant-
Colonel de Zelow.
-
L'autre Rapport , du 15 août , est de
M. d'Ehrensward , Commandant de la
flottille de galères et chaloupes.
"
"
"
"
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- "
" L'Amiral Erhensward, dit ce Rapport ,
avoit ordonné au major Helmstierna de
« s'avancer vers l'ennemi avec 18 chaloupes
canonnieres et 8 autres bâtimens , tandis
que le Major Kramer se porteroit de l'autre
cote avec 6 chaloupes . Le premier de ces
Officiers devoit couvrir avec sa division , la
« reconnoissance que le second feroit de la
flottille desgaleres ennemies: mais un cutter
Russe s'étant aperçu de leur dessein , fit
un signal sur lequel toute l'escadre Russe
« se mit en mouvement. Le Major Kramer
alla joindre en conséquence les autres chaloupes
canonnieres . L'escadre Russe s'avança
, formée sur une ligne , consistant en
2 fregates , 3 chebecs , 19 galeres , 27 demi-
« galeres , 8 chaloupes cabonnieres , et 2
« cutters elle canonna vivement nos chaloupes
, qui lui riposterent de leur côté
avec la même vivacité. Cependant , vu la
grande supériorité de l'ennemi , elles se
« virent obligées à la retraite ; ce qu'elles
firent en bon ordre , pour se réunir à 6
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"
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( 257 )
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x
chaloupes canonnieres , qui vinrent à leur
secours aux ordres du Colonel Dankwardt.
C'est ainsi qu'ils joignirent heureusement
les autres bâtimens dans le Schwenksund ,
sans que l'ennemi ait jugé à propos de les
poursuivre jusques - là . Depuis ce temps ,
notre flottille mouille dans cet endroit ; et
la flotille Russe est retournée , de son côté ,
à sa station à Kutkir et Stora - Swartan ,
Neuf chebecs et autant de demi - galères
de l'escadre Russe mouillent à Aspo. Dans
« toute cette affaire , nous n'avons eu qu'un
tué et quelques blessés . Parmi ces derniers
" se trouvent le Lieutenant Suthoff. Nos bâtimens
n'ont aussi essuyé , de leur cóté` , aucun
dommage considérable : ceux de l'ennemi
, au contraire , ont perdu plusieurs
mâts et gouvernails .
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Le Prince-Royal de Dannemarck s'est
rendu dans le Sleswick , où l'on a formé ,
pour 15 jours toit supp de quelques
milliers d'homi
Les Russes avoient obligé la Courlande
, l'année dernière , à fermer le port
de Liébau aux Suédois ; mais ce Duché
s'étant émancipé à l'exemple de la Pologne
, le Gouvernement vient de rendre
libre à chacun le commerce de Liébau .
De Vienne , le 7 Septembre.
L'Empereur est maintenant remis de
l'opération chirurgicale qu'il a subie .
Comme l'humidité de Laxembourg dans
l'arrière saison , pouvoit être contraire
Miij
( 258 )
à la santé de ce Monarque , il a trans
féré son séjour au château de Hessendorf
, soit Schoenbrun , où il passera
l'automne .'
Nos armées ne nous offrent encore
aucun évènement important. La campagne
se passe en attaques partielles de
la part des ennemis , qu'on empêche de
pénétrer dans nos provinces frontières ,
autant qu'on le peut . A la fin d'août ,
ils ont tenté de s'avancer ultérieurement
dans le Bannat , mais infructueusement ,
ainsi qu'on l'a appris par le Rapport
officiel que voici , publié le 2 de ce
mois :
Le Lieutenant Keil , dépéché à S. M. I.
par le Marechal de Laution , a apporté la
nouvelle que le 28 Agut , le Corps Ture ,
qui etoit entre Tops Czapla , s'etoit
avancé jusqu'à La Travesavoit occupe la
hauteur au dessus du le secq environ 2000
Tures , Infanterie etCavalerie , etoient arrivés
jusqu'à nos redoutes , et avoient commencé
à établir des batteries ; que le Genéral
de Clairfait étoit allé au - devant de l'ennemi
, avec 5 bataillons et 11 divisions de
Cavalerie , et l'avoit forcé à abandonner le
poste de Lasmare , et à se réfugier avec précipitation
. On lui a pris 5 canons , 30 charriots
charges demunitions de guerre, et plusieurs
drapeaux. La perte de part et d'autre
n'étoit pas encore constatée .
Après l'affaire de Focksani , le Prince
de Cobourg a distribué 27 médailles
dont trois d'or , à ceux des Soldats qui
( 259 )
1
se sont le plus distingués dans ce combat.
La disette d'eau potable a forcé ce Général
d'abandonner son camp de Milkow ,
pour se rapprocher des frontières de la
Transylvanie.
On avoit annoncé la mort du Maréchal
de Haddick , à Futa k ; mais il
paroît que cette nouvelle étoit prématurée
, et que ce Général , ayant été
quelques jours dans un état désespéré ,
commençoit à se rétablir. Les préparat
tifs à Selin , et aux environs , continuent
à indiquer le siége prochain de
Elgrade . Déja on en rapporte les dispositions
, et celles faites pour le passage
de la Save , qu'il sera assez tôt d'annoncer
, lorsqu'elles seront exécutées .
Le bruit s'étoit répandu que M. de
Bulgakof , Ministre de Russie à Constantinople
, étoit sorti du château des
Sept-Tours ; cependant les lettres de
Constantinople , du 25 juillet , se bornent
à des espérances sur l'élargissement prochain
de cet Envoyé .
DeFrancfortsur le Mein, le 13 Septemb.
Le 24 du mois dernier , le Roi de
Prusse acheva la revue des troupes de
-Silésie , près de Lissa . Le Prince Radziwill
et plusieurs autres Seigneurs
Polonois eurent le lendemain une au
dience de ce Monarque , qui est revenu
à Charlottenbourg , le 1er . de ce mois.
M iv
( 260 )
On remarque une grande activité dans
le Cabinet de Berlin , et l'on prétend
que plusieurs régimens ont reçu ordre
de se tenir prêts à marcher du côté de
la Westphalie. Il paroît certain, du moins ,
que le Corps Germanique s'occupe sérieusement
de prévenir sur les frontières ,
l'introduction de ce qu'on appelle en
Allemagne , le mal François , soit des
révolutions populaires qui ne sont point
en touslieux des régénérations . Jusqu'ici ,
néanmoins , cet esprit Républicain n'a
pas fait de grands progrès dans l'Empire.
Il y a eu en quelques lieux des mouvemens
, dont l'origine préexistoit à ceux
dont la France est le théâtre ; de ce
genre , est l'insurrection fort douce qui
s'est manifestée à Hildesheim , eapitale
de l'Evêché- Princier de ce nom , dans
le cercle de Basse-Saxe , dont l'Evêque
est le Seigneur , plutôt que le Souverain
, et qui est sous la protection des
Ducs deBrunswick. Cette ville est gourvernée
par une Régence qu'élit la Bourgeoisie
; or :
400 Bourgeois , mécontens du Magistrat ,
qui avoit fait nouvellement plusieurs dispositions
qu'on jugeoit contraires à l'intérêt de
la ville , se sont assemblés le 28 Août , et
ont demandé le redressement des griefs. La
fermentation étoit grande , et on craignoit
des exces. Heureusement , quelques Citoyens
bien intentionnés sont parvenus à appaiser
le tumulte. On a nommé 36 Représentans ,
( 261 )
que l'on a chargés d'examiner toute l'Administration
, les griefs des Bourgeois , et de
proposer les mesures les plus propres à faire
cesser les abus . Apres cette nomination , on
s'est separé dans le meilleur ordre , et tout
est tranquille actuellement .
Les Etats de Liége se sont assemblés
le 31 août. La Noblesse a proposé de
faire cesser tous les impôts onéreux ,
et le Clergé a déclaré qu'il contribueroit
à l'avenir à toutes les charges publiques.
On espère que ces démarches patriotiques
feront disparoître les inquiétudes
dans le peuple , et le décideront à
laisser rétablir les impositions qu'on ne
perçoit plus. Le Prince - Evêque s'est
retiré à Trèves , où les Etais lui ont
envoyé une Députation pour l'engager
à revenir dans sa Principauté. Cette
démarche a été infructueuse : la Députation
est de retour à Liège depuis
le 12.
Plusieurs Papiers publics ont imprimé les
propositions suivantes , faites , à les entendre ,
aux Puissances belligerantes . 1º . La Crimee
restera à la Russie. 2 ° . Oczakow sera'rendue ·
aux Tures mais ses fortifications seront
rasees ; il sera libre à la Porte d'établir une
autre forteresse sur les frontieres de la Thrace,
ou à l'embouchure du Danube , pour couvrir
Constantinople. 3° . L'Empereur gardera tout
ce qu'il a actuellement ; savoir , la Moldavie
avec la forteresse de Choczim et ce qu'il a
conquis dans la servie et la Croatie ; il sera
libre à la Cour de Vienne d'echanger la
My
1
( 262 )
Moldavie Méridionale contre la partie de la
Walachie que la Maison d'Autriche a possédée
depuis 1718 jusqu'en 1739 , et qui
s'étend jusqu'à la riviere d'Alura . 4º . Les
fortifications de Belgrade seront rasées. 5º . La
forteresse de Neu- Orsowa sera aussi rasée ;
Widdin pourra être fortifiée , et devenir
pour la Porte une place de frontiere. 6º . Le
Traité conclu en 1784 entre l'Empereur et
la Porte sera exécuté , et le Commerce Autrichien
libre sur le Danube. 7 ° . Les Puissances
voisines de la Pologne ne se mêleront
point des affaires de cette République . 8 ° . La
convocation de 1772 servira de base pour
pacification de la Russie et de la Suede.
:
la
Si ces bases ne sont pas une fiction ,
il y a tout lieu de croire le contraire ,
on ne doit pas s'attendre à une pacifcation
prochaine , et l'on pressent bien
qu'on n'en auroit pas même délibéré à
Constantinople .
9
M. de Kalitchoff, Ministre de Russie
à la Haye , a fait insérer , dans les
Gazettes de Leyde et d'Amsterdam
l'article suivant , qui indiqueroit un second
combat entre les flottilles Russes
et Suédoises devant Frédéricsham .
"
M. de Kalitchoff , Envoyé Extraordnaire
de la Cour de Russie auprès des Etats-
Généraux , a reçu hier , 12 Septembre , par
une Estafette , expédiée de Petersbourg le
27 Août , la nouvelle , que la veille , 26 Août ,
le Comte de Stackelberg , Officier aux Gardes ,
étoit arrivé en Courrier de la part du Prince
de Nassau , pour annoncer que la fotte des
( 263 )
galères Russes , sous les ordres de ce Général
, avoit remporté , le 24 Août , pres de
Friederichsham , une victoire complete sur
celle des galeres Suédoises . Cinq gros batimens
, au nombre desquels se trouve celui
de l'Amiral Suédois , et un cutter , sont tombés
entre les mains des vainqueurs , avec un
grand nombre d'Officiers de tout rang , et
plus de mille hommes prisonniers . Le reste
de la flottille Suédoise à été forcée de se retirer
fort endommagée jusqu'à l'embouchure
de la riviere de Kymene , après s'être défendue
avec beaucoup de valeur. Deux galères
Russes ont sauté en l'air. Le Major Ballet a
été blessé , ainsi que le Capitaine Winter ,
Officier Hollandois , qui s'étoit déja acquis
une réputation bien méritée dans plusieurs
combats , qui eurent lieu l'année dernière
dans la mer Noire .
Cette relation Russe est fort différente.
de ce que viennent de publier officiellement
les Suédois. Selon ceux- ci , malgré
l'extrême disproportion des forces ,
les Russes ayant 70 voiles et les Suedois
seulement 40 , les pertes sont à
peu - près égales , et les fruits du combat
nuls pour les uns et les autres.
L'action a duré depuis 10 heures du
matin jusqu'à huit heures et demie du
soir. Les Russes ont perdu trois grandes
galères , dont une sautée en l'air , et deux '
autres coulées à fond ; une galiotte
abymée , que l'on a abandonnée , après ,
en avoir sauvé l'équipage ; et deux chebecs
, l'un pris par les Suédois , et l'autre ,
M vj
( 264 )
coulé à fond. La perte des Suédois consiste
en trois galères , dont une prise ,
ét deux autres échouées ; deux frégates
lé , ères , dont une échouée , et l'autre
saitée en l'air ; son. Commandant , le
Major Hagentruser y avant mis le feu ,
à l'instant de l'ardage de deux frégates
ennemies. La flotte Suédoise s'est retirée
sous le canon de Swartholm , et devoit
resortir au bout de quatre jours les
Russes ont fait leur retraite à Kolkasari.
GRANDE- BRETAGNE.
De Londres , le 16 septembre.
LL. MM. doivent être de retour à
Windsor le 24. La saison et les affaires publiques
ramènent le Roi à sa résidence.Plusieurs
Ministres étrangers ont de fréquentes
conférences avec le Secrétaire d'Etat
des Affaires Etrangères . Les mêmes Nouvellistes
qui donnoient ce Département
au Marquis de Lansdown , et ensuite à
Milord Hawkesbury , en disposent aujourd'hui
en veur de M. Eden , revenu
ici d'Espagne , par congé , avec sa famille
. On peut dire de ces différens choix ,
que c'est l'embarras des richesses .
L'escadre aux ordres de l'Amiral Goodall
a croisé , depuis son départ de la
Bi de Causand , à la hauteur des
Sorlingues ; elle a essuyé des mauvais
( 265 )
temps et des coups de vent. Le grand
mât du Cumberlandde 74 can . a consenti.
On présume que l'escadre ne tardera
pas à rentrer dans le port , surtout à
l'approche des vents de l'équinoxe.
Le Bureau de l'Amirauté vient de publier
un ordre , en vertu duquel il ne sera permis
à aucune personne d'un grade inferieur à
celui de Midshipman ( Garde Marine ) de
porter l'uniforme de mer à bord des vaisseaux
de garde à Porsmouth et à Plimouth. Le but
de cet ordre est. de maintenir le respect dû
aux Officiers employés à ce service.
Le 19 juin , à Kingston , dans l'isle de
laJamaïque , le Mercure duthermomètre
de Farenheit , à l'ombre et à l'exposition
du Nord , est resté pendant 3 heures
à 90 degrés , ce qui fait 14 degrés audessus
de la chaleur d'été en Europe ;
et ce jour , malgré une forte brise , a
été un des plus chauds qu'on y ait eu
depuis plusieurs années .
Le Contre- Amiral Philip Affleck
est arrivé à Port-Royal de la Jamaïque ,
le 4 juillet , sur le Centurion de 50 can . ,
monté par le Capitaine Otway , et il a
pris aussitôt le commandement de l'escadre
de cette station , dont étoit pourvu
le Commodore Gardner.
Le Windsor Castle de 98 canons , en
construction à Deptford , n'a pu êne lancé
au mois d'Août , comme on s'y attendoit . Ce
retard a été occasionné par un defaut qu'on
a découvert pres de la quille , et qui , quoi(
266 )
que léger , a mis dans la nécessité de l'enlever
de dessus ses supports : toute étonnante
que puisse paroitre l'opération de remuer une
masse aussi pesante , on l'a soulevée de pres
de deux pieds , par le moyen d'étais et de
coins , avec une facilité qui fait le plus grand
honneur aux ouvriers qui y ont été employés .
Le Guardian de 44 canons , armé
comme bâtiment de transport , qui vient
de partir de Portsmouth pour le port .
Jackson , a sur son bord 25 criminels ,
dont la plupart sont Charpentiers et
Forgerons , et un assortiment de lits ,
d'habits et d'autres articles dont le
Commodore Philipps n'étoit pas suffisamment
pourvu . Huit Surintendans
des criminels se sont embarqués sur ce
bâtiment , ainsi qu'un habile Botaniste ,
qui s'est muni de boîtes de verres et
de tout ce qui est nécessaire pour conserver
des plantes rares , qu'il est chargé
de rapporter pour le jardin du Roi à
Kew.
FRANCE.
De Versailles , le 23 septembre.
Le 8 , la Comtesse de Cordon , épouse du
Comte de ce nom , Ambassadeur du Roi
de Sardaigne , conduite par M. Tolozan
Introducteur des Ambassadeurs , et le sieur
de Séqueville , Secrétaire ordinaire du Roi
pour fa conduite des Ambassadeurs , qui
précédoit , fut présentée à Leurs Majestés
( 267 )
et à la Famille Royale. Cette Ambassadrice
dina , le même jour, à une table de 70
couverts , tenue par le Marquis de Talaru ,
premier, Maitre- d'hôtel de la Reine , et la
Princesse de Chimay , Dame d'honneur de
Sa Majesté , fit les honneurs de la table .
Sur la résignation de M. l'Archevêque de
Vienne , le Roi a nommé à cet Archevêché
l'Abbé d'Aviau Dubois de Sauzay , Vicairegénéral
de Poitiers ; à l'Evêché de la Rochelle
, l'Abbé de Coucy , Aumônier de la
Reine , Vicaire - général de Rheims ; à l'Abbaye
de Buzay , Ordre de Citeaux , Diocèse
de Nantes , l'ancien Archevêque de Vienne,
Ministre d'Etat ; à l'Abbaye régulière d'Estrun
, Ordre de St. Benoît , Diocèse d'Arras ,
la Dame de Beaufort , Religieuse professe de
la même Abbaye ; à celle d'Alineneches ,
même Ordre , Diocèse de Séez , la Dame de
Castellas , Religieuse professe de la Bénisson
-Dieu ; et à celle de la Benisson - Dieu ,
Ordre de Citeaux , Diocèse de Lyon ,
la Dame de Saquy-des-Tours , Abbesse de
Ste. Claire d'Annonay , Diocese de Vienne .
Le 13 , M. Talon , pourvu de la charge
de Lieutenant - civil , sur la demission de
M. Angran , a eu l'honneur d'étre présenté
au Roi par le Garde - des - Sceaux de France ,
et d'être présenté ensuite à la FamilleRoyale .
Le sieur Blin a eu l'honneur de présenter
à Sa Majesté la 26 Livraison des Portaits
des grands Hommes, Femmes illustres et sujets
mémorables de France , gravés et imprimés en
couleur, dédiés au Roi (1).
(1 ) Cette Livraison , contenant les Portraits
de Louis IX et Charles V , avec deux
( 268 )
ASSEMBLÉE NATIONALE.
Séance du SAMEDI soir 12 SEPTEMBRE
Quelques Corps Militaires parlant à leur tour
de se régénérer , et de s'organiser eux-mêmes ,
M. le Baron de Vimfphen a propose de prévenir
ces systêmes des Régimens , par
une Constitution Militaire que traceroit
l'Assemblée. Illui a soumis , en conséquence ,
un Projet d'Arrêté sur la formation d'un
Comite ad hoc. La Motion , suivant l'intention
de son Auteur, a été renvoyée à l'examen
des Bureaux .
M. du Fraise de Chey a fait un Rapport
du Comité de Judicature , tendant à remettre
en activité la Justice intimidée ou
suspendue dans tout le Royaume. Le moyen
indiqué par le Rapporteur consistoit en un
Arrêté , qui redonnât force de Loi aux Ordonnances
; qui enjoignit aux Juges de continuer
l'exercice de leurs fonctions , etc.
M. le Duc de Mortemart a pressé l'urgence
de cet Arrêté , d'apres les avis de l'interruption
de la Justice dans les Provinces ;
mais une autre question a fait tomber l'avis
du Comité.
sujets représentans , l'un , Saint - Louis rendant
la justice sous un arbre , et Duguesclin
recevant l'epee de Connetable , se trouve à
Paris , chez l'Auteur , place Maubert , nº 17.
La Livraison precedente est composee des
Portraits de Louis XII et de Philippe - le-Bel ,
avec deux sujets de l'Histoire de ces Princes .
Cette collection curieuse , et faite avec
choix , se soutient avantageusement.
( 269 )
MM. Target, Emery, Populus , Lawy, ont
représenté que la Sanction préalable des Déerets
du 4 Août , seroit le vrai calmant des
Peuples , le remede à leur désobéissance , et à
l'inaction des Tribunaux : ces Députés ont
donc requis qu'on demandát la Sanction
Royale sur ces Décrets du 4. Vainement
MM. l'Abbé Maury , Garat l'aîné et Turkheim,
ont objecté qu'on ne pouvoit requérir la sanction
de ces Decrets , avant qu'ils eussent été
developpés et consolidés par les Règlemens
dont s'occupent differentes Commissions. IÍ
a été décidé à la pluralité des voix , qu'on ne
délibéreroit point , quant à présent , sur le
rétablissement de la Justice , et qu'on présenteroit
incessamment à la Sanction Royale
les Arrêtés du 4 et jours suivans , conjointement
avec celui qui ordonne la libre circulation
des grains dans l'intérieur , et qui en
défend l'exportation à l'Étranger.
VINGTIEME SEMAINE DE LA
SESSION.
La détermination attendue sur la durée
du refus suspensif , a été écartée .
par les questions dont on va lire le débat .
Elles ont absorbé la semaine entière .
Nous avons cru devoir restreindre à
peu de lignes , la longue et extraordinaire
discussion agitée sur les droits
de la Maison Espagnole de Bourbon à
la -Couronne de France . On a prononcé
de beaux discours sur ce point de Droit
public , tellement délicat , que l'Assem(
270 )
blée a été forcée de rejeter toute décision
, qui eût été étrangère à la lettre des
Traités .
Ce qu'on ne paroît pas avoir rappelé
dans ces débats , c'est que les renonciations
formelles de Phillipe Va .
la paix d'Utrecht , pour lui et ses descendans
, etles Lettres-Patentes de Louis
XIV qui les ratifièrent , furent l'ouvrage
des Ennemis du royaume . Les Alliés ,
et particulièrement les Anglois , insistèrent
impérieusement sur cette abdication
des droits de Philippe : ils la
jugèrent essentielle à l'équilibre de l'Europe
. On peut voir dans la correspondance
de M. de Torey et de Milord
Bolingbrocke , l'importance que le Ministère
Britannique mit à séparer les
deux Couronnes . Personnen'ignore que
l'Alliance du Régent avec les Anglois , et
le Traité de la Triple Alliance , en
1716 , eut pour principal objet d'empêcher
la Cour d'Espagne de revenir sur
ses renonciations , en casque Louis XV ,
enfant , vint à mourir.
Ce sont donc les Rivaux seuls de la
France , qui , jusqu'ici , se sont intéressés
à maintenir la validité de ces renonciations
: elles reposent sur des Traités ga
rantis ; elles ont toute la force que peuvent
avoir des Actes de cette nature .
Ou leur énergie est suffisante , et dèslors
toute mesure ultérieure est superflue
et impolitique. Nous disons impolitique ;
( 271 )
tous les esprits éclairés sentiront à quel
degré même elle le seroit .
Ou les Traités sont insuffisans , et
comment suppléer à cette insuffisance ,
autrement que par de nouvelles conventions
? S'il restoit des droits à la Cour
d'Espagne , aucune Loi portée en France ,
ne l'empêcheroit de les faire valoir , si la
circonstance se présentoit ; ses prétentions
rentreroient alors dans le cercle de
toutes celles que peuvem élever des Puissances
étrangères . Guillaume III disoit
que ce sont-là des différends qui se décident
par l'épée des Soldats , et non par
la plume des Avocats .
Nous avons rapporté en leur entier,
les observations de S. M. sur les Arrêtés
du 4 Août et jours suivans : elles méri ·
tent au moins un mûr examen , quoiqu'une
partie du P.blic n'ait plus besoin
maintenant de réflexion pour former des
jugemens. Quelques personnes , en apprenant
la décision de l'Assemblée sur
cette Réponse de S. M. , ont demandé si
les Arrêtés du 4 Août étoient des Lois
ou non ? S'ils ne sont que des principes
de Lois à faire , comme on l'a avancé
dans la discussion , peuvent- ils avoir besoin
de la Promulgation Royale ? S'ils ,
sont des Lois , peuvent-ils se passer de
la Sanction Royale ?
Du LUNDI 14 SEPTEMBRE. M. de Clermont-
Tonnerre , reélu President à la plura(
272 )
lité de 480 suffrages sur 770 votans , ainsi
que nous l'avons rapporté la semaine dernière
, témoigna sa reconnoissance à l'Assemblée.
Par le recensement du scrutin , MM. Demeunier,
le Vicomte de Mirabeau et l'Abbé
d'Eymar , ont été nommés Secrétaires de
remplacement.
M. le Président a annoncé divers traits de
générosité patriotique , entre autres , celui
de M. Oseray , Cultivateur propriétaire de
Chartres , qui a amené 36 quintaux de bleds
à Versailles , et qui en verse le produit dans
la caisse patriotique. On a accordé à ce Cultivateur
l'honneur civique d'assister dans
l'intérieur de la Salle à la Séance du jour ,
et M. le Président lui a exprimé la satis- ,
faction de l'Assemblée .
Lecture faite des Adresses des Procèsverbaux
, on est rentré dans l'ordre du jour ,
pour délibérer sur la question , Si le renouvellement
des Membres de l'Assemblée Nationale
seferoit partiellement , ou en totalité. Ce
second avis a été adopté à l'unanimité.
L'ordre des délibérations a conduit à celle
qui devoit décider , Si le refus suspensif du
Roi dureroitpendant une ou deux législatures?
M. Barnave traversa la solution , en représentant
combien il pourroit être dangereux
d'y comprendre les Arrêts du 4 Août ,
qui n'étoient point encore sanctionnés : Il
seroit possible , ajouta -t - il , que l'exécution
de ces Arrêtés demeurât suspendue pendant
4 ou 5 années : c'est alors , que vous verriez
bientót renaître les anciens troubles . Ces
Arrêtes different essentiellement des Actes
futurs de Législation ; 1º. comme emanant
d'un Pouvoir Constituant ; 2 ° . comme anté(
273 )
rieurs au Décret qui nécessite la Sanction
Royale ; 3 ° . comme ayant été répandus , et
déja acceptés dans le Royaume entier. En
conséquence l'Opinant proposa « de srseoir
à l'ordre du jour , jusqu'à ce qu'il eût été
statué définitivement sur les Arrétés du 4
août et jours suivans , soit en obtenant la
Sanction du Roi , soit en décidant qu'elle
n'est pas nécessaire. "
((
"
M. de Mirabeau , évitant de préjuger la
question , celle de savoir , Si les Actes constitutionnels
ont besoin de la Sanction Royale ,
sur laquelle l'Assemblée avoit sagement jeté
un voile religieux , observa avec le Préopinant
, que ces Arrêtés émanent du Pouvoir
Constituant ; que ce ne sont point des Lois ,
mais des principes de Loi , et des bases constitutionnelles
; ce n'est point de Sanction
mais de promulgation dont ils ont besoin :
ainsi , avant d'avoir obtenu celle- ci , on doit
suspendre toute delibération sur tous articles
relatifs à la prérogative Royale.
2
M. le Comte de Virieux objecta que la
plupart des articles des Arrêtés , étant de
pure législation , devoient évidemment être
soumis à la Sanction Royale . On pouvoit
s'occuper du dépouillement de ces articles
législatifs , pour les séparer des articles
constitutionnels . Consacrons enfin , dit-il en
continuant , le pouvoir légitime du Monarque
; et pourquoi tarderions - nous à porter
sur cette prérogative Royale , des Lois qui
nous sont demandées par le voeu général de
nos Commettans ? Cette prérogative a préexistée
à la Convocation de l'Assemblee ;
nous sommes appelés à la régler , et l'ordre
du jour prescrit la délibération sur la durée
du Refus suspensif.
( 274 )
M. Maranda d'Oliveau insista sur la nécessité
de faire sanctionner le plus tót possible
les Arrêtes. Il se fondoit sur la crainte
d'en voir aneantir les effets , si on laissoit
an repentir le temps de desavoner ces sacrifices.
Pour étayer son apprehension , l'Opinaat
fit mention d'une lettre Circulaire des
Agens du Clerge , qui réprouve la plupart
des Arrêtes , jusqu'à dire , en parlant de la
suppression des dimes , que l'Assemblée Nationale
a fait une bien mauvaise opération.
M. l'Abbe de Montesquiou , Agent du
Clerge , et personnellement attaque , prit
alors la parole , et se disculpa , en disant ,
qu'il n'avoit envoyé aucune Circulaire , mais
qu'il avoit ecrit à plusieurs Communautes
religieuses et Abbayes , pour recueillir des
instructions sur l'etat des biens ecclesiastiques
; que , par le terme de mauvaise opération
, il avoit entendu une mauvaise opération
de calcul ; et qu'en effet , l'Assemblee
avoit mal calcule l'etat des biens du Clerge ,
qui , par la suppression des dimes , n'egaleroient
plus ses dettes . D'ailleurs , en considerant
cette expression dans le sens que lui
avoit donne le Preopinant , si l'on etoit assezindiscret
pour la penser , on ne seroit pas
assez sot pour l'ecrire.
M. de Cazales demanda la question préa-
Jable : Si les Arrêtes , dit - il , font partie de
la Constitution , l'Assemblee a declare jeter
sur la question du Consentement Royal à
cette Constitution , un voile religieux. Si ees
Arrêtes ne sont que des Lois , il n'y a pas
liea à deliberer sur la lotion de M. Farnave.
M. PAbbe Maury proposa de decider prealablement
à l'ordre du jour , au bout de quel
terme les mêmes Membres de l'Assemblee
( 275 )
Nationale pourroient être réélus ; Car , ditil
, il seroit dangereux qu'ils le fu sent pendant
la durée du Veto ; ils s'opiniâtreroient
toujours à leurs premieres Lois , et le Vete
suspensif deviendroit inutile.
A Pégard des Arrêtés du 4 Août , l'Assemblee
avoit déja décidé qu'ils seroient
developpés avant d'être présentés a Sanction.
Peut-on se déguiser le danger de les
abandonner à l'interprétation du peuple ,
qui au mot de liberte , n'entend jamais que
celui d'independance? Ceux qui payent sont
armes ; ceux qui doivent faire payer sont desarmes.
Est - ce dans une situation pareille.
qu'on doit rendre des Lois incoherentes et
incompletes ! Il faut donc s'occuper des demain
du developpement des Articles arrêtes ,
afin qu'ils soient incessamment presentes à
la Sanction Royale.
M. Pethion de Villeneuve observa que , dans
le cas où le Roi refuseroit sa Sanction , on
seroit alors oblige de s'expliquer sur la question
qu'on veut laisser indecise ; qu'il seroit
plus convenable de la determiner actuellement
, et par conséquent de surseoir à l'ordre
du jour , jusqu'à ce que les Arrêtés aient
éte sanctionnes .
Un grand bruit s'eleva pour réclamer la
question prealable ; mais il n'arrêta point
M. Roberspierre : Deja , dit - il , les Arrêtés
ont essuyé un retard contraire au décret formel
de l'Assemblee. Je ne connois , pour hater
leur exécution , de moyen plus efficace , que
de surseoir à toute autre question , jusqu'à
ce qu'ils aient été confirmés et sanctionnes.
La question préalable fut encore invo--
quée.
M, de Mirabeau élevant la voix ; Loip , dit(
276 )
il , de m'affliger de l'espece de chaleur avce
·laquelle on discute cette motion , je m'en 4
félicite. La question préalable est une fin de
non-recevoir qui me paroít évincée par la
seule maniere dont on reçoit la question
principale. Nous avons , il est vrai , jeté un
voile religieux , non sur la question même ,
non sur le principe , mais sur la rédaction
qui en ce moment - ci est délicate. Le régime
féodal , les justices seigneuriales , la vénalité
des offices , sont autant de points constitutionnels
, consacrés par le voeu général , et
sanctionnés par l'adhésion de toutes les provinces.
Ainsi la motion de M. Barnave ne
peut être rejetée .
2
Il observa encore que ces articles étoient
consacrés par le voeu général , et sanctionnés
par l'adhésion de toutes les provinces.
M. Tronchet insista sur la question préalable.
Des difficultés s'élevèrent sur la manière
de la poser.
M. Emmeri demanda la division de la motion
de M. Barnave.
M. de Cazalès s'y opposa , et rejeta la
motion entiere , comme attentoire à la liberté
du Roi , en le forçant de donner sa sanction
, avant qu'elle soit entierement déterminée
.
M. Barnave retira la seconde partie de sa
Motion.
M. Chassrey , définissant le mot de Sanction
par l'authenticité donnée à la loi en vertu
de sa promulgation , demanda que ces Arrêtés
fussent seulement presentes à la promul
gation royale. Il adopta en entier la Motion
de M. Barnave , et s'opposa à la division .
ta
M. Malouet combattit la Motion , par la
considération
1
( 277 )
considération puissante , qu'on s'exposeroit
peut-être à rester 15 jours dans l'inaction .
M. l'Evêque de Langres et M. le Comte de
Foucauld , furent du même sentiment .
M. le Chapellier observa que les articles
de Constitution ne devoient point être sanctionnés
par le Roi , et que ceux de Législation
avoient déja reçu le consentement
royal , lorsqu'ils avoient été présentés à
Sa Majesté il ne s'agissoit donc plus que ,
de la promulgation.
Conformément à ces observations , M. Barnave
changea sa rédaction en la forme suivante
:
#
"9
Qu'il soit sursis à l'ordre du jour , juɛqu'à
ce que le Roi ait ordonné la pro- '
mulgation des Arrêtés des 4 Août et jours
suivans .
Ce changement n'assoupit ni les débats ,
ni l'appel de la question préalable , et essuya
l'opposition d'une partie de l'Assemblée :
M. le Président mit aux voix , par assis ou
levé , s'il y avoit lieu ou non à délibérer sur
la Motion de M. Barnave. La majorité pour
la négative , parut douteuse à la minorité ,
quoique le Président assurât le contraire. On
réclama avec vivacité. M. Rabaud de Saint-"
Etienne invoqua le Réglement qui prescrit
l'appel nominal lors qu'il y a quelque doute.
Après de violens debats , M. le Président
y mit fin à trois heures , en levant la Séance ,
et en remettant la question au lendemain..
DUMARDI 15 SEPTEMBRE. A l'ouverture
on a proclamé les nouveaux Membres du
Comité de Constitution , abandonné , ainsi
que nous l'avons dit la semaine derniere ,
par MM. Mounier , de Lally- Tolendal , Ber
N°. 39. 26 Septembre 1789. N
1
( 278 )
gasse et de Clermont- Tonnerre. Ils sont remplacés
par MM . l'Evêque d'Autun et l'Abbé
Syeyes , Membres de l'ancien Comité ;
Thouret , Target , Demeunier , Rabaud de
Saint-Etienne , Tronchet et le Chapellier.
On a fait lecture des Procès - verbaux et
Adresses diverses , parmi lesquels une de la
Ville de Moncontour en Bretagne , et du
District de Saint - Jacques de l'Hôpital à
Paris , qui proscrivent le Veto , et somment
leurs Deputés de s'y opposer. La Ville de
Moncontour intime également ses ordres aux
Représentans de la France , au sujet de l'indivisibilité
du Corps législatif. M. Dufraize
de Chey proposoit de renvoyer ces Arrêtés
à leurs Auteurs ; mais il a été résolu de ne
pas même en délibérer.
M. le Chapellier a proposé ensuite d'écarter
la question indécise de la veille , pour discuter
,
"
Combien de Membres composeront l'Assemblée
à l'avenir ?
Quelle sera la durée de chaque Session ,
et à quelle époque de l'année se formera
l'Assemblée ?
"
Quelles qualités seront nécessaires pour
être Electeurs ou Eligibles ?
On étoit d'accord, d'intervertir l'ordre du
jour , et de s'occuper des trois questions précédentes
, lorsque M. le Baron de Juigné a
demandé qu'avant tout , l'Assemblée reconnût
l'inviolabilité de la Personne sacrée du
Roi , l'indivisibilité et l'hérédité de la Couronne.
Une approbation unanime a sur- le - champ
consacré ces trois principes fondamentaux ;
mais M. le Duc de la Rochefoucault a jugé
onforme à la dignité de l'Assemblée , de
( 279 )
substituer au voeu d'acclamation , celui plus
refléchi par appel nominal. Un des Secré
taires a rédigé en ces termes le mode de
déclaration .
( L'Assemblée Nationale a reconnu par
acclamation , et déclaré , à l'unanimité des
voix , comme points fondamentaux de la
Monarchie Françoise : »
1°. Que la Personne du Roi est inviolable et
sacrée.
2°. Que le Trône est indivisible.
3°. Que la Couronne est héréditaire dans la
Race régnante , de mâle en mâle , par ordre
de primogéniture , à l'exclusion perpétuelle
et absolue des femmes et de leurs descen
dans.
M. de Custine ajoutoit au premier article
l'inviolabilité de l'Héritier presomptif. M. le
Duc de Mortemart a objecte le cas possible
où l'Héritier présomptif attaqueroit le Monarque
même.
M. Reubell , Député de Colmar , s'est alors
élévé contre l'intérêt des Branches étrangères
de la Maison de Bourbon , en demandant
qu'on exclut de toute succession à la
Couronne , la Branche Espagnole , en vertu
de sa renonciation faite par le Traité d'Utrecht
.
Un autre Membre des Communes a remarqué
que la Primogeniture appartenant à
la Maison d'Espagne , au défaut des descendans
de Louis XV , le Décret excluroit
la Maison d'Orléans , et que la Cour de
Madrid pourroit s'en prévaloir , comme d'une
exception à ses précédentes renonciations.
M. l'Evêque de Langres , discutant l'impropriété
de la Motion', a demandé si , dans
Nij
( 280 )
1
les circonstances présentes , dáns l'état actue'
de l'Europe , étoit utile , prudent d'agiter
de pareilles questions ? Et quel motif pouvoit
en presser la décision ? Aucun sans doute ;
ainsi , il n'y avoit pas lieu à délibérer.
Néanmoins , on a continué la discussion ,
moins sur le fond même de la chose , que
sur l'instant d'en traiter : l'un ajournoit la
Motion ; l'autre réclamoit la question préalable
; un troisième rejetoit la délibération ,
quant à présent seulement. M. de Sillery
lisoit le Traité d'Utrecht ; M. d'Espreménil
invoquoit la Loi Salique. On a débattu ensuite
si l'on disjoindroit ou non , les trois
points du Décret : dix amendemens différens
étoient ajoutés à la Loi sur l'hérédité de la
Couronne . M. Target , entre autres , en admettant
les termes du Décret , le terminoit
par ces mots , Sans entendre rien préjuger sur
Peffet des renonciations . La délibération est
devenue un tumulte , et l'on a fini par se
séparer à quatre heures , en ajournant la rédaction
du Décret au lendemain.
M. le Président ayant annoncé que le Roi
devant le recevoir à huit heures et demie ,
il alloit se retirer pour lui présenter les Arrêtés
du 4 Août et autres , sur lesquels il
avoit été arrêté de demander sa Sanction ;
il a été remplacé par M. l'Evêque de Langres
, ancien Président . Ce Prélat a reçu de
l'Assemblée des applaudissemens , dont il
a témoigné sa sensibilité , de manière à lui
en mériter de nouveaux.
A son retour , M. le Président a annoncé
que S. M. feroit très - incessamment connoîtie
sa réponse.
( 281 )
La Séance , levée à onze heures , a été
remplie par des discussions sur des clauses
additionnelles au Decret relatif au commerce
des Grains ; Décrets que nous feroas
connoître , lorsqu'il sera complet et sanctionné.
DU MERCREDI 16 SEPTEMBRE . Cette
Séauce , encore absorbée par la question de
la veille , sans qu'elle en soit devenue plus
lumineuse , a été non moins infructueuse ,
et sa decision rejetée au lendemain .
Annonce faite de nouveaux dons Patriotiques
et d'Adresses diverses , M. de Cazalès ,
pour décider le différend , a observé que
l'Assemblée ne devoit point entrer dans l'examen
des droits de la Maison d'Espagne et
de celle d'Orléans , ni admettre la rédaction
de la veille , sans y ajouter , que , le cas
survenant où , la Maison d'Orléans opposeroit
au principe fondamental une exception tirée
des renonciations de Philippe V , il y seroit
statué par une Convention Nationale.
M. de Macaye , Député de Labour , réclamoit
le silence de l'Assemblée sur la question ,
en vertu des considérations de commerce ,
des rapports utiles de nos provinces méridiomales
avec l'Espagne , des efforts de l'Angleterre
en ce moment , pour amener cette ,
Puissance à un Traité de commerce avantageux.
M. Bouche a insisté sur les mêmes motifs;
mais il a ajouté :
En 1714, Louis XI appelant les Princes
légitimes à la succession , les préféra aux
Princes légitimes étrangers . Lorsqu'en 1717 ,
cet Edit fut révoqué , on réclama les
Etats -Gepéraux , comme arbitres de la suc-
Ni
( 282 )
session, Le cas arrivant , vous aurez toujours
pour vous le Traité d'Utrecht , vos forces , les
Puissances de l'Europe , garantes du Traité ;
l'amendement devoit donc être rédigé en
cette forme : En cas de défaillance d'enfans
máles et légitimes dans la Maison de Bourbon
de France , la Nation s'assemblera pour déļibérer.
Divers Amendemens vinrent le disputer à
celui de M. Bouche.
A celui qu'il avoit proposé hier , M. Target
ajouta ces mots : Sur lesquelles renonciations,
le cas arrivant , la Nation prononcera.
Un autre Député remarqua qu'en disant ,
la Couronne est héréditaire dans la Race
régnante , on sembloit exclure les Races et
Branches futures. Il proposoit donc de s'exprimer
d'une manière plus générique , en,
ajoutant seulement , quete Trone est occupé
maintenant par la Maison de Bourbon.
Cet amendement fut d'abord approuvé
mais aussi víte oublié.
M. de Mirabeau demanda que ce troisième
article fút disenté séparément , et insista sur
la division qu'il avoit sollicitée le jour précédent
.
Les amendemens de MM . de Cazalès ,
Bouche et Target furent- encore reproduits
sous des formes différentes.... Beaucoup de
Membres demandèrent la parole ; un plus
grand nombre d'aller aux voix. Ce dernier
parti prévalut , et rejetant la Motion de
M. de Mirabeau , on passa à la délibération
des amendemens.
M. l'Evêque d'Autun proposa le sien en
ces termes : Et , dans les cas douteux , la
Nation jugera.
On réclama la priorité pour cet amende,
( 283 )
ment , mais elle fut conservée à celui de
M. Target.
La discussion fut demandée pour le sousamendement
de celui - ci. D'autres revenoient
à l'appel des voix : les clameurs étouffoient
la parole ; on invoquoit la question
préalable ; mais la plus difficile de toutes
étoit celle de se faire écouter. Enfin
M. Target retira lui même l'addition faite
à son amendement principal ; plusieurs ,
néanmoins , s'opiniâtroient à la soutenir.
M. le Président mit aux voix l'amendement
principal , qui fut adopté.
Il ne s'agissoit plus que d'aller aux voix
par un appel nominal sur la déclaration
entiere . Ici les cris et les disputes recommencèrent
pendant trois quarts d'heures.
M. Emmery observa qu'il étoit impossible
de délibérer sur la déclaration , telle qu'elle
étoit rédigée. Car , dit- il , tous , il est vrai ,
en adoptent le fond et les principes ; mais
nombre de Députés rejettent la rédaction ;
ils se trouveroient donc réduits à ne pouvoir
répondre ni oui ni non. En conséquence ,
on doit aller aux voix , d'abord sur le fond ,
et ensuite sur la rédaction .... Un bruit continuel
interrompit vingt - fois cette courte
remarque , et il s'accrut jusqu'aux éclats ,
lorsque M. le Président proposa de mentionner
dans le Procès-verbal , que les principes
avoient été reconnus et déclarés à
l'unanimité , mais que la rédaction et l'amendement
n'avoient été décretés qu'à la pluralité.
Ce mode ne fut point adopté.
M. le Président s'en tenant alors à l'avis
de M. Emmery , le mit aux voix ; mais deux,
épreuves consécutives laissèrent la majorité
douteuse , et les débáts recommencèrent.
Niv
( 284 )
M. l'Evêque de Chartres demanda que
les Membres intéressés fussent exclus de la
délibération . On objecta que le point fondamental
, étoit mis hors de discussion.
On voulut délibérer par un appel nominal
sur la question de M. Emmery , et aller aux
voix , sans désemparer , sur la question principale
; mais il fut objecté que c'étoit un
jour consacré au jeune par l'Eglise , que
MM. les Ecclésiastiques et les autres Membres
qui l'avoient observé , ne pouvoient le
prolonger plus long-temps , car l'heure étoit
très - avancée :
Il fallut donc , après d'opiniâtres et chaudes
disputes , finir par se séparer , en remettant
la décision au lendemain.
SÉANCE DU MERCREDI SOIR. On a fait
lecture de l'Arrêté sur le commerce des grains
que nous donnerons en son temps , et traité
ensuite de la Gabelle , sans rien terminer.
Les projets proposés méritant l'examen ultérieur
des Députés de Généralités soumises
à l'impôt , on a remis la discussion à Vendredi
prochain.
DU JEUDI 17 SEPTEMBRE . Des annonces
d'offrandes à la Patrie , la mention d'Adresses
, la lecture des Proces- verbaux , ont été ,
suivant l'usage , le préliminaire des délibérations
. Dans le nombre des Adresses , on en
remarque une du régiment de Beauvoisis ,
en garnison à Landau , qui réclame contre
les abus de l'administration Militaire .
M. Hugues de la Castre , Président de la
Chambre des Comptes de Dauphiné , a fait
romise à ses Vassaux de tous les droits féo(
285 )
daux , tant réels que personnels , sans indemnité.
Deux appels nominatifs sur les questions
débattues les jours précédens , ont rempli
la Séance. Le premier avoit pour objet les
principes mêmes des trois articles ; le second ,
leur rédaction . 541voix contre 438 ont adopté
la proposition de M. le Président , qu'il fût
inscrit dans le Procès-verbal , que les trois
principes avoient été déclarés à l'unanimité.
Le second appel nominatif a consacré , par
698 suffrages contre 265 , la rédaction suivante
:
L'Assemblée Nationale a reconnu par acclamation
, et déclaré comme points fondamentaux
de la Monarchie Françoise , que la
Personne da Roi est inviolable et sacrée ; que
le Trône est indivisible ; que la Couronne est
héréditaire dans la branche régnante , de mâle
en mále par ordre de primogéniture , à l'exclusion
personnelle et absolue des femmes et
de leurs descendans , SANS ENTENDRE RIEN
PRÉJUGER SUR L'EFFET DES RENONCIATIONS
.
DU VENDREDI 18 SEPTEMBRE. Après
l'annonce de quelques dons patriotiques , M.
le Président a communiqué à l'Assemblée la
Réponse de S. M. sur la demande de sa Sanction
aux Arrêtés du 4 Août et jours suivans .
Il en a été fait , en ces termes , une première
lecture .
LETTRE DU ROI A l'ASSEMBLÉE
NATIONALE.
Versailles , le 18 Septembre 1789. ད།།
Vous m'avez demandé , Messieurs , de
No
( 286 )
revêtir de ma Sanction les articles arrêtés
par votre Assemblée , le 4 du mois dernier ,
et qui ont été rédigés dans les Séances suivantes
. Plusieurs de ces articles ne sont que
le texte des Lois dont l'Assemblée Nationale
a dessein de s'occuper , et la convenance ou
la perfection de ces dernières , dépendra
nécessairement de la manière dont les dispositions
subséquentes que vous annoncez ,
pourront être remplies : ainsi en approuvant
l'esprit général de vos déterminations , il est
cependant un petit nombre d'articles auxquels
je ne pourrois donner en ce moment
qu'une adhésion conditionnelle ; mais comme
je desire de répondre , autant qu'il est possible
, à la demande de l'Assemblée Nationale
, et que je veux mettre la plus grande
franchise dans mes relations avec elle , je vais
lui faire connoitre le résultat de mes premières
réflexions , et de celles de mon Conseil.
Je modifierai mes opinions , j'y renoncerai
même sans peine , si les observations
de l'Assemblée Nationale m'y engagent ,
puisque je ne m'éloignerai jamais qu'à regret
de sa manière de voir et de penser.
Sur l'Article Ier , relatif aux Droits féodaux.
J'ai donné le premier exemple des principės
généraux adoptes par l'Assemblée Nationale ,
lorsqu'en 1779 j'ai détruit , sans exiger aucune
compensation , les droits de main-morte
dans l'étendue de mes Domaines ; je crois
donc que la suppression de tous les assujettissemens
qui dégradent la dignité de l'homme
, peuvent être abolis sans indemnités ; les
lumieres du siècle présent , et les moeurs de
la Nation Françoise doivent absoudre de lillégalité
qu'on pourroit apercevoir encore dans
( 287 )
cette disposition : mais il est des redevances
personnelles qui , sans participer à ce caraetère
, sans porter aucun sceau d'humiliation ,
' sont d'une utilité importante pour tous les
propriétaires de terres. Ne seroit - ce pas aller
bien loin , que de les abolir aussi sans aucune
indemnité? et vous opposeriez- vous à placer
Je dédommagement qui seroit jugé légitime ,
au rang des charges de l'Etat ? Un affranchissement
qui deviendroit l'effet d'un sacrifice
national' , ajouteroit au mérite de la délibération
de l'Assemblée. Enfin , il est des
devoirs personnels qui ont été convertis des
long -temps , et souvent depuis des siecles ,
dans une redevance pécuniaire : il me semble
qu'on peut encore moins avec justice abolir
sans indemnité de pareilles redevances ; elles
sont fixées par des contrats ou des anciens
usages ; elles forment depuis long - temps des
propriétés transmissibles , vendues et achetées
de bonne foi ; et comme la première
origine de ces redevances se trouve souvent
confondue avec d'autres titres de possession ,
on introduiroitune inquisition embarrassante ,
si on vouloit les distinguer des autres rentes
seigneuriales . Il seroit donc juste et raisonnable
de ranger ces sortes de redevances ,
dans le nombre de celles que l'Assemblée à
déclarées rachetables , au gré de ceux qui y
sont assujettis.
J'offre ces premières réflexions à la considération
de l'Assemblée Nationale : ce qui
m'importe , ce qui m'intéresse , c'est de con-
- cilier , autant qu'il est possible , le soulagement
de la partie la moins fortunée de mes
sujets , avec les règles de la justice .
Je ne dois pas négliger de faire observer
à l'Assemblée Nationale , que l'ensemble des
(
N vj
( 288 )
dispositions applicables à la question présente
, est d'autant plus digne de réflexions ,
que dans le nombre des droits seigneuriaux
dont l'Assemblée voudroit déterminer l'abolition
sans aucune indemnité , il en est quiappartiennent
à des Princes Etrangers qui
ont de grandes possessions en Alsace ; ils en
jouissent sous la foi et la garantie des traités.
les plus solennels ; et en apprenant le projet
de l'Assemblée Nationale , ils ont déja fait
des réclamations dignes de la plus sérieuse
attention .
J'adopte sans hésiter la partie des arrêtés
de l'Assemblée Nationale , qui déclare rachetables
tous les devoirs féodaux réels et
fonciers , pourvu que le prix du rachat soit
fixé d'une manière équitable ; et j'approuve
aussi comme une justice parfaite, quejusqu'au
moment où ce prix sera payé , les droits soient
constamment exigibles. L'Assemblée verra ,
sans doute , lors de la rédaction de la loi ,
que certains droits ne peuvent pas être rachetés
séparément les uns des autres ; et
qu'ainsi , par exemple , on ne devroit pas avoir
la faculté de se rédîmer du cens qui constate
et conserve le droit seigneurial , si l'on ne
rachetoit pas en même-temps les droits casuels
et tous ceux qui dérivent de l'obligation
censitaire. J'invite de plus l'Assemblée Nationale
à réfléchir si l'extinction du cens et
des droits de lods et ventes , convient véritablement
au bien de l'Etat ; ces droits , les
plus simples de tous , détournent les riches
d'accroitre leurs possessions de toutes les petites
propriétés qui environnent leurs tèrres ,
parce qu'ils sont intéressés à conserver le
revenu honorifique de leur seigneurie. Ils
chercheront , en perdant ces avantages, à
1
( 289 )
augmenter leur consistance extérieure par
l'étendue de leurs possessions foncieres , et
les petites propriétés diminueront chaque
jour : cependant il est généralement connu
que leur destructtion est un préjudice pour
Fa culture ; que leur destruction circonscrit
et restreint l'esprit de Citoyen , en diminuant
le nombre des personnes attachées à
la glebe ; que leur destruction enfin peut
affoiblir les principes de morale , en bornant
de plus en plus les devoirs des hommes à
ceux de serviteurs et de gagistes .
Sur l'Article II, concernant les Pigeons et les
Colombiers.
J'approuve les dispositions adoptées par
l'Assemblée .
}
Sur Arricle III , concernant la Chasse.
Je consens à la restriction du droit de
chasse , indiquée par cet article ; mais en
permettant à tous les propriétaires indistinctement
de détruire et faire détruire le gibier ,
chacun´sur leurs domaines , il convient d'em- .
pêcher que cette liberté ne multiplie le port
d'armes d'une manière contraire à l'ordre
public .
J'ai détruit mes capitaineries ' , par Parrêt
de mon Conseil du 10 Août dernier ; et avant
cette époque mes intentions étoient déjà connues.
J'ai donné les ordres nécessaires pour la
cessation des peines infligées à ceux qui
avoient enfreint jusqu'à présent les droits de
chasse.
Sur l'Article IV , concernant les Justices seigneuriales.
J'approuverai la suppression des justices
( 290 )
séigneuriales , dès que j'aurai connoissance
de la sagesse des dispositions générales que
l'Assemblée se propose d'adopter relativement
à l'ordre judiciaire..
Sur l'Article V, relatif aux Dîmes.
Il m'en coûte de faire quelques observations
sur cet article , puisque toutes les dispositions
de bienfaisance dont une partie
du Peuple est appelée à jouir , entraînent
toujours mon suffrage ; mais si le bonheur
général repose sur la justice , je crois remplir
un devoir plus étendu , en examinant
aussi sous ce rapport la deliberation de votre
Assemblée.
J'accepte d'abord , commevous , Messieurs ,
et avec un sentiment particulier de reconnoissance
, le généreux sacrifice offert par les
Représentans de l'Ordre du Clergé. La disposition
qu'on en doit faire , est le seul objet
de mes doutes.
J'ignore si l'Assemblée Nationale a cherché
à s'instruire de l'étendue numérique de
la valeur des dimes ecclésiastiques : on ne
la connoît pas exactement , mais on peut
raisonnablement l'estimer de 60 à 80 millions.
Si donc on se bornoit à la suppression pure
et simple des dimes au profit de ceux qui
y sont assujettis , cette grande munificence
de 60 à 80 millions se trouveroit uniquement
dévolue aux propriétaires de terres , et
la répartition s'en feroit d'après une proportion
relative à la mesure respective de leurs
possessions ; or , une telle proportion , trèsjuste
lorsqu'il est question d'un impôt , ne
l'est pas de même quand on s'occupe de la
distribution d'un bienfait. Je dois vous faire
observer encore que la plupart des habitans
des villes , les commerçans , les manufactu-
་
( 291 )
riers , ceux qui sont adonnés aux arts et aux
sciences , et tous les Citoyens rentiers ou
autres qui n'auroient pas la double qualité
de Citadins et de propriétaires de terres ;
enfin , ce qui est plus important ; les . nombreux
habitans du Royaume dénués de toutes
propriétés , n'auroient aucune part à cette immense
libéralité ; que si l'Etat avoit un grand
superflu , et qu'une faveur importante envers
les uns , n'aliérât point le sort des autres ,
la munificence projetée devenant un simple
objet de jalousie , seroit moins susceptible
d'objection. Mais lorsque les finances sont
dans une situation qui exige toute l'étendue
des ressources de l'Etat , il conviendroit sûrement
d'examiner , si au moment où des Représentans
de la Nation disposent d'une
grande partie des revenus du Clergé , ce n'est
pas au soulagement de la Nation entière
que ces revenus doivent être appliqués. Que
dans une distribution faite avec soin et avec
maturité , les Cultivateurs les moins aisés
profitassent en grande partie des sacrifices
du Clergé , je ne pourrois qu'applaudir à
cette disposition , et je jouirois pleinement
de l'amélioration de leur sort : mais il est
tel propriétaire de terres , à qui l'affranchis ...
sement des dimes vaudroit peut-être un accroissement
de revenus de dix , vingt et jusqu'à
trente mille livres par an ; quel droit
lui verroit-on à une concession si grande et
si inattendue ? L'Arrêté de l'Assemblée Nationale
ne dit point que l'abolition des dimes.
sera remplace par un autre impôt , à la
charge des terres soumises à cette redevance
; mais en supposant que ce fut votre
dessein , je ne pourrois avoir une opinion
éclairée , à cet égard , sans connoître la na(
292 )
ture du nouvel impôt qu'on voudroit établir
en échange il en est tels , même parmi
ceux existans , qui sont beaucoup plus onéreux
au peuple que la dîme ; il seroit encore
important de connoître si le produit des
dimes mis à part , le reste des biens du Clergé
suffiroit aux dépenses de l'église et à d'autres
dédommagemens indispensables , et si quelque
supplément à charge aux Peuples , ne
deviendroit pas alors necessaire. Il me paroit
donc que plusieurs motifs de sagesse inviteroient
à prendre en novvelle considération
l'Arrêté de l'Assemblée, relatifà la disposition
des dimes ecclésiastiques , et que cet examen
pourroit s'unir raisonnablement à la discussion
prochaine des besoins et des ressources
de l'Etat.
Les réflexions que je viens de faire sur
les dîmes en général , s'appliquent à celles
possédées par les Commandeurs de Malte ;
mais on doit y ajouter une considération
particulière , c'est qu'une partie des revenus
de l'Ordre étant composée des redevances
que les Commanderie envoient à Malte , il
est des motifs politiques qui doivent être
mis en ligne de compte avant d'adopter les
dispositions qui réduiroient trop sensiblement
le produit de ces sortes de biens , et les
ressources d'une puissance à qui le commerce
du Royanme doit chaque jour de la
reconnoissance .
Sur l'Article VI , concernant les Rentes
rachetables .
J'approuve les dispositions annoncées dans
cet article .
( 293 )
Sur l'Article VII , concernant la Vénalité
des Offices.
Je ne mettrai aucune opposition à cette
partie des délibérations de l'Assemblée Nationale
. Je desire seulement que l'on recherche
et que l'on propose les moyens
propres à m'assurer que la justice sera toujours
exercée par des hommes dignes de
ma confiance et de celle de mes Peuples .
La finance des charges de Magistrat étoit
une propriété qui garantissoit au moins d'une
éducation honorable , mais on peut y suppleer
par d'autres précautions . Il est convenable
aussi que l'Assemblée prenne connoissance
de l'étendue du capital des charges
de judicature : il est considérable et ne
coûte à l'Etat qu'un modique intérêt ; ainsi
on ne peut l'acquitter sans un grand sacrifice
; il en faudra d'autres également importans
, si les émolumens des Juges doivent
êtres payés par des contributions générales .
Ces divers sacrifices ne doivent pas l'emporter
sur des considérations d'ordre public ,
qui seroient universellement appréciés par
la Nation ; mais la sagesse de l'Assemblée
l'engagera sans doute à examiner mûrement
et dans son ensemble , une disposition d'une
importance si majeure.
Je rappellerai aussi à l'Assemblée Nationale
, que la suppression de la vénalité des
Offices ne suffiroit pas pour rendre la justice
gratuite ; il faudroit encore supprimer tous
les droits relatifs à son exercice , et qui forment
aujourd'hui une partie des revenus de
l'Etat.
( 294 )
•
Sur l'Article VIII , concernant les Droits
casuels des Curés .
J'approuve les dispositions déterminées
par cet article. Tous ces petits droits contrastent
avec la décence qui doit servir à
relever aux yeux des Peuples , les respectables
fonctions des ministres des autels .
Sur l'Article. IX , concernant les Priviléges .
en matière de subsides .
J'approuve en entier cet article , et je loue
le Clergé et la Noblesse de mon Royaume ,
de l'honorable empressement que ces deux
Ordres de l'Etat ont apporté à l'établissement
d'une égalité de contribution conforme
à la justice et à la saine raison .
Sur l'Article X , concernant les Priviléges
des Provinces .
J'approuve également cet article , et je '
desire infiniment qu'il puisse se réaliser sans
opposition. J'aspire à voir toutes mes provinces
se rapprocher dans leurs intérêts ,
comme elles sont unies dans mon amour , et
je seconderai de tout mon pouvoir un si généreux
dessein .
Sur l'Article XI , concernant l'admission
de tous les Citoyens aux emplois Ecclésiastiques
, civils et militaires.
J'approuve cette disposition . Je desire
que mes sujets indistinctement se rendent
dignes des places où l'on est appelé à servir
l'Etat , et je verrai avec plaisir rapprochés
de mes regards tous les hommes de mérite
et de talens .
( 295 )
Sur l'Article XII , concernant les Annates.
Cette rétribution appartient à la Cour de
Rome , et se trouvant fondée sur le Concordat
de la France avec le Saint- Siége , une seule
des parties contractantes ne doit pas l'annuller
; mais le voeu de l'Assemblée Nationale
m'engagera à mettre cette affaire en négociation
avec les égards dûs à tous les Princes
souverains , et au Chef de l'Eglise en particulier,
Sur l'Article XIII , concernant les prestations
de Bénéficiers à Bénéficiers.
mais
La disposition arrêtée par l'Assemblée ne
souffrira de difficultés de ma part ;
pas
elle doit observer que l'abolition des droits
de ce genre obligeroit à des indemnités ,
parce qu'ils forment souvent le revenu prin- .
cipal des Evéchés , des Archidiaconés ou des
Chapitres auxquels ils sont attribués ; et l'on
ne pourroit pas s'en dédommager , en assujettisant
ceux qui acquittent ces droits à une
taxe équivalente , si dans le même temps on
supprimoit leurs dimes.
Sur l'Article XIV concernant la pluralité des
Bénéfices.
L'esprit de cet article est fort raisonnable ,
et je m'y conformerai volontiers.
Sur l'Article XV, concernant le visa des
Pensions et des autres Graces.
Je ne m'opposerai à aucun des examens
que l'Assemblée Nationale jugera convenable
de faire ; elle considérera seulement si une
inquisition détaillée d'une pareille étendue ,
n'assujettiroit pas à un travail sans fin , ne
( 296 )
répandroit pas beaucoup d'alarmes , et si
une réduction fondée sur divers principes
généraux , ne seroit pas préférable.
2.
Je viens de m'expliquer , Messieurs , sur
lès divers Arrêtés que vous m'avez fait remettre
; vous voyez que j'approuve en entier
le plus grand nombre , et que j'y donnerai
ma Sanction des qu'ils seront rédigés ent
Lois. J'invite l'Assemblée Nationale à prendre
en considération les réflexions que j'ai
faites sur deux ou trois Articles importans.
C'est par une communication franche et ouverte
de nos sentimens et de nos opinions
qu'animés du mêine amour du bien , nousparviendrons
au but qui nous intéresse égale .
ment . Le bonheur de mes peuples , si cons
tamment cher à mon coeur et la protec
tion que je dois aux principes de justice ,
détermineront toujours mes démarches ; et
puisque des motifs semblables doivent servir
de guides à l'Assemblée Nationale , il est
impossible qu'en nous éclairant mutuellement
, nous ne nous rapprochions pas en
toutes choses : c'est l'objet de mes voeux
c'est celui de mon espérance.
Signé , LOUIS .
y
A Versailles , le 18 Septembre 1789 .
Sur la demande formée séparément ,
concernant la Sanction du Décret de
l'Assemblée Nationale , en faveur
de la libre circulation des grains ,
et de la défense d'en exporter au
dehors.
Ce Décret est absolument conforme aux
diverses dispositions que j'ai constamment
renouvelées depuis un an. Je le revêtirai de
1
( 297 )
ma Sanction ; mais je dois prévenir l'Assem
blée Nationale , que dans la situation présente
des esprits , avec l'état de fermentation
produit par la disette et la cherté des
grains l'année derniere , avec la résistance
qu'on oppose en heaucoup d'endroits à leur
circulation , ce seroit manquer de sagesse que
de vouloir faire exécuter avec trop de rigueur
le Décret de l'Assemblée . Elle doit connoître
d'ailleurs les entraves actuelles du
pouvoir exécutif , sur-tout quand les Municipalités
appelées à invoquer l'appui des
troupes , ont une opinion contraire au voeu
de l'Assemblée Nationale , et refusent de le
prendre pour guide. Ces considérations de
la plus grande importance , méritent de fixer
Pattention de l'Assemblée Nationale , puisqu'elles
intéressent essentiellement l'ordre
public. J'apporte tous mes soins à empêcher
la sortie des grains du Royaume , et j'ai
donné , dans cette intention , les instructions
les plus positives aux diverses personnes chargées
de l'exécution de mes ordres dans les
Provinces ; mais les Commis des Fermes qui
veillent aux frontieres , ont été mis en fuite
dans plusieurs lieux par les Contrebandiers ,
qui apportent à force ouverte dans le Royaume
, du sel , du tabac et d'autres marchandises
prohibées .
ཧ་
Le premier Ministre de mes Finances vous
a fait connoître de ma part , à plusieurs reprises
, de quelle importance il étoit pour le
secours de la chose publique , que l'Assemblée
manifestât de nouveau , et de la manière
la plus explicite , qu'elle souhaite , qu'elle
exige la conservation des droits établis , et
le payement régulier des impositions : elle n'a
pas encore satisfait à cette représentation ,
( 298 )
et cependant , chaque jour , sa nécessité devient
plus urgente. Je vais incessamment
vous appeler , par les motifs les plus forts
et les raisons les plus persuasives , à concourir
avec moi au secours des finances et
de l'Etat , et à relever la confiance par des
mesures grandes et efficaces .
Les circonstances , par leur difficulté , sont
dignes de nos efforts communs , et je compte
que vous m'égalerez en courage et en volonté,
Signé, LOUIS .
On a recommencé une seconde lecture de
ces Observations de S. M.; et comme l'Assemblée
n'est point uniforme , à beaucoup
pres , dans ses opinions , celles du Monarque
et de son Conseil ont produit des sentimens
differens , qui se sont librement manifestés.
Il n'y avoit , néanmoins , et très-probablement
, pas deux manieres d'apercevoir la
prudence de ces remarques , la réserve
avec laquelle elles sont présentées , et le
respect qu'on y témoigne pour tout ce que
les hommes ont coutume et intérêt de respecter
par-tout , et dans tous les lieux .
M. Goupil de Préfeln proposa aussitôt de
nommer soixante Commissaires dans la proportion
des Ordres , pour examiner les observations
du Roi , et en rendre compte
incessamment à l'Assemblée ; et avant leur
rapport , ajouta-t- il , que toute discussion à
ce sujet reste fermée.
M. le Chapellier remarqua qu'en envoyant
les Arrêtés à la Sanction Royale , l'Assemblée
n'avoit pu ni voulu entendre par ce
mot , que leur Promulgation ; ils ne sont
néanmoins , dit- il , ni sanctionnés , ni pro(
299 )
mulgués. L'espèce de discours du Roi est une
conference avec nous ; elle compromet la Dignité
Royale et la liberté de l'Assemblée.
Selon l'esprit de nos délibérations , le mot
équivoque de Sanction est synonyme de promulgation.
Desmalheursinévitablesnaîtroient
du retard de l'exécution des Arrêtés ; ainsi ,
je propose , que M. le Président se retire
sur le champ devers Sa Majesté , pour lui
« demander sa Sanction , et que l'Assemblée
« ne désempare pas que cette Sanction ne
soit donnée ou refusée. "
"
M. Camus ne croyant point cette motion
admissible , au moins dans l'instant , adopta
celle de M. de Préfeln , en opinant par amen
dement , à nommer , au lieu de 60 Commissaires
, 4 Comités de 3 personnes chacun ,
qui se partageroient les différentes classes
des observations du Roi.
M. Chassey défendit la motion de M. le
Chapellier ; mais , cependant , en requérant
qu'on prît en consideration la réponse du
Roi , et , qu'au lieu de se surcharger de nouveaux
Comités , on renvoya cette réponse
aux Comités de Judicature , des droits feodaux
, et des affaires ecclésiastiques , deja
existans.
་
M. le Vicomte de Mirabeau : « Pour ne pas
souffrir la contradiction , il faut se croire
infaillible. Convenons cependant , que nos
Arrêtés du 4 août ont été faits avec une
promptitude , qui les rend susceptibles de
beaucoup d'observations. On a coupé les
noeuds au lieu de les démêler. On vous a
exhorté à décombrer avant de bâtir ; mais
d'anciens fondemens sont quelquefois nécessaires
à un nouvel édifice d'habiles
Architectes savent les conserver ; jusqu'ici ,
:
}
( 300 )
-
nous n'avons fait que des destructions . Le
Roi nous a communiqué ses remarques , et
je suis étonné de la maniere dont elles ont
été accueillies. Nous consacrons des journées
à discuter un article , et le Roi n'auroit pas
le droit de nous communiquer ses reflexions
sur des matières aussi importantes ! Je rejette
en entier la motion de M. le Chapellier.
M. le Comte de Mirabeau , frère du Préopinant
, appuya , au contraire , cette motion
de toutes les forces de son esprit. « Disons
respectueusement au Roi , ajouta-t-il , en
finissant : « Vous vous êtes trompé sur la
nature et les circonstances de notre demande
; c'est une Sanction pure et simple
que nous vous avons prié de donner. Les
changemens qui pourroient être nécessaires ,
nous les ferons , en nous occupant des Lois
de détail ; nous-mêmes en avons suspendu
l'exécution.
M. de Bonnay soutint la nécessité d'éclaircir
préalablement les doutes , et d'examiner
les objections présentées par S. M.
((
Quant aux priviléges des Provinces , continua-
t- il , sur la suppression desquels le Roi
nous observe qu'il existe des réclamations
je demande que , chacun des Députés qui
en a offert le sacrifice , soit tenu d'en rapporter
incessamment la ratification . ·
M. de Roberspierre appuya la motion de
M. le Chapellier, et par les mêmes argumens :
Il faut , dit- il , que vous déclariez , si vous
pensez que la Nation doit jouir d'une Constitution
heureuse , et si , pour y parvenir ,
elle a besoin d'autre volonté que de la sienne .
M. le Duc de la Rochefoucault adopta
l'avis de M. Chassey. Selon lui , les Arrêtés
du 4 août n'étoient pas susceptibles de la
Sanction
( 301 )
Sanction Royale ; mais on pourroit se servir
des observations de S. M. dans le travail
de la Législation . Il proposoit donc , que
M. le Président se retirât par - devers le
Roi , pour lui demander la promulgation
pure et simple des Arrêtés , et que la Réponse
de S. M. fut renvoyée dans les Bureaux . »
fl
М
་ ་
и
M. Reubell , repliquant à M. le Vicomte
de Mirabeau , dit : Je ne crois point que notre
Assemblée soit infaillible ; mais je crois
encore moins en l'infaillibilité du Conseil ,
sur-tout lorsqu'il s'agit de principes qui sont
ceux du Peuple.
Quant à l'objection concernant les Princes
étrangers qui lèvent des droits en Alsace .
ce sont les Habitans eux -mêmes qui refusent
de les payer. Ces droits injustes , augmentés
par diverses Lettres - Patentes , depuis la
réunion de la Province , forcent à emigrer
un très-grand nombre de contribuables. Ces
Princes , d'ailleurs , doivent à la Province
des restitutions , qui surpassent de beaucoup
les revenus qu'ils en retiroient .
Mes Commettans sont unanimement pénétrés
de ces principes , et ( si j'ose me servir
de ce terme ils ne s'en dépénétreront jamais .
Il est même essentiel que la connoissance de
cette suspension du Roi ne parvienne pas
dans la Province , que sur-le-champ on décide
la question , et qu'aussi - tôt une députation
aille chez le Roi , lui demander la
promulgation des Arrêtés .
M. de Lally-Tolendal : « Il y a
Il y a quelques
jours qu'une grande question étoit agitée ,
Concernant l'Autorité Royale. Nous avons
vu le Roi , loin de soutenir sa prérogative ,
vouloir s'en désister. Aujourd'hui , vous avez
présenté à sa Sanction , des Arrêtés qui ne
No. 39. 26 Septembre 1789. 0qui
( 302 )
le regardent pas personnellement ; et celui
qui n'a pas hésité sur ses sacrifices , hésite
quand il s'agit des vôtres . Il vous communique
ses alarmes , il vous invite à l'examen .
(e Je n'ai pas oublié ce qu'en a dit un des
Membres de cette Assemblée , un des plus
éloquens , des mieux écoutés. Peut- être eussions
-nous dú faire nos arrêtés du 4 Août
avec plus de lenteur , et les faire précéder
d'une discussion utile. On auroit pu respecter
les propriétés et les usages . Les revenus de
l'Etat n'auroient peut-être pas reçu une di
minution si sensible. "
" Ainsi s'exprimoit M. le Comte de Mirabeau
dans la Séance du Mercredi soir 19
Août , et les mêmes paroles qui ont obtenu
faveur dans sa bouche , trouveront peut - être
grace dans la mienne : Les propriétés , Messieurs
! c'est un nom bien sacré ; les revenus
publics ! c'est un objet important ; c'est de là
que tout dépend , c'est à cela que tout
tient. Je ne suis pas étonné que le patriotisme
de M. de Mirabeau en ait été vivement
afecte : il paroît , par ce qu'il vient de nous
dire , qu'heureusement pour lui , ses craintes
sont calmées , qu'il a cru reconnoître qu'elles
étoient fausses ; mais nous pardonnerons ,
apparemment , aupatriotisme du Roi , d'avoir
conçu les mêmes alarmes , et de nous les
communiquer , puisqu'elles ne sont pas encore
dissipées. M. de Mirabeau ne nous offroit
que des regrets stériles ; le Roi peut nous of
frir des remèdes
Quant à l'autorité royale , j'ai déja dit
que si les vertus du Roi nous la rendoient
hère , c'étoit l'intérêt du Peuple qui me la
vendoit sacrée ; je puis dire encore qu'autant
je respecte cette autorité dans son exercice
( 303 )
légitime , autant j'en ai combattu les excès
et les abus .... Mon avis est que le Discours
du Roi soit reçu avec le respect que
chacun de nous lui doit , et que la Nation
se doit à elle - même dans la personne de son
Chef; que ce Discours soit renvoyé aux trois
Comités que nous avons nommés pour suivre
l'exécution de nos arrêtés des 4 et 11 Aoút ;
que ces Comités s'en occupent sans délai ,
pour qu'après leur examen et sur leur rapport ,
il soit pris par l'Assemblée telle détermination
qu'elle jugera convenable dans sa sagesse.
M. Péthion de Villeneuve remarquoit qu'
n'est aucun des principes que S. M. n'ait
approuvé , sans cependant en Sanctionner
aucun. Toutes ses observations ne posent
que sur les Lois de détail , les Lois d'exécution
, les Lois subséquentes à ces arrêtés.
Nous avons déja refusé d'entendre les observations
du Conseil sur la Sanction Royale ;
nous devrions peut -être tenir la même conduite
maintenant. Il seroit dangereux de
recevoir les Mémoires du Roi , et d'entretenir
des conférences qui , en compromettant
la dignité Royale , peuvent gêner la liberté
des suffrages de l'Assemblée . Elles sont dangereuses
, ou au moins inutiles ; car il n'est
pas en notre puissance de révoquer les Ar- `
rêtés. Leur promulgation ne peut-être refusée
; lorsque la Nation a parlé , il n'est plus
besoin du consentement du Roi. C'est une
grande question , de savoir si le Roi pourra
refuser sa Sanction même aux Lois de l'Assemblée
actuelle , qui exerce le Pouvoir Constituant
, etc.
J'adopte en entier l'avis de M. de la Ro(
304 )
chefoucault , en ce qu'il consacre les principes
, et pourra être adopté par le Roi.
Au travers de cette discussion sur des
principes si prodigieusement distans`les uns
des autres , M. de Volney interjeta subitement
la Motion que voici :
(( Que l'on rentre sans délai dans la discussion
des objets essentiels et pressans de la
Constitution : qu'en conséquence , il soit
avant tout discuté et déterminé ,
" 1º. De combien de Membressera composé
le Corps législatif? 2 ° . Quelles seront les conditions
requises pour être électeur et éligible
? 3 °. Quels seront le mode et les départemens
des Elections ? 4° . Et qu'aussitôt que
les objets seront décidés , l'Assemblée actuelle
, sans quitter la Session , nĩ discontinuer
ses travaux , ordonne dans toute l'étendue
du Royaume une Election de Deputés ,
selon le nouveau mode , lesquels viendront
nous relever et substituer une Représentation
véritablement Nationale , à une Représentation
vicieuse et contradictoire , où des intérêts
personnels et privés , mis en balance.
égale avec l'intérêt général , ont la faculté
d'opposer un effort puissant à la volonté publiques
"
Cette nouveauté fut accueillie par un applaudissement
universel , quoique les acclamateurs
la célébrassent par des motifs bien
différens les uns des autres. M. le Comte de
Mirepoix y ajouta , qu'aucun Membre ne pour
Toit être réélu ; les applaudissemens se renouvelèrent
. Le seul M. Guillotin parut insensible
au mouvement universel , et vainement
ramena la question antérieure. Il étoit quatre
heures , et la Séance fut levée .
( 305 )
DU SAMEDI 19 SEPTEMBRE. Après la
notice des Adresses et de quelques dons à
la Caisse Nationale , M. Duport crut prévenir
de nouveaux débats sur la question de la
veille , touchant la Réponse de Sa Majesté ,
en adoptant et en renouvelant l'avis de M.
le Duc de la Rochefoucault. Cette Motion
auroit - elle la priorité sur celle de M. de
Volney? Le cas fut décidé par la cession
de ses droits que fit ce dernier Député .
M. Fréteau appuya la résolution proposée
par M. Duport , c'est - à - dire , la nécessité
d'une prompte Sanction , par des considérations
relatives au Décret contre l'exportation
des graitis. Il parla de spéculations sur
nos frontieres pour verser des grains dans
les Pays-Bas Autrichiens ; quelques Provinces
étoient loin d'avoir du superflu ; les remèdes
devenoient urgens , ainsi que la Promulgation
du Décret de l'Assemblée.
Tres- inutilement quelques Membres pensèrent-
ils à offrir de nouvelles observations
sur cette impatience à requérir la Sanction ,
c'est- à- dire , l'Acte exécutoire d'Arrêtés que
l'on reconnoissoit d'ailleurs inexécutables
dans leur état actuel. M. Malouet prit la
parole des cris tuinultueux le forcèrent au
silence. Après lui , M. l'Evêque de Chartres
objecta que la Motion complexe de M. Duport
embrassoit un point qui n'avoit pas encore
été discuté. On passa aux voix , et une
grande Majorité décréta ce qui suit :
L'Assemblée Nationale arrête que M. le
Président sera chargé de se retirer pardevers
le Roi , pour le supplier d'ordonner incessamment
la Promulgation des Arrêtés du
4 Août et jours suivans , et d'assurer S. M.
que l'Assemblée Nationale , lorsqu'elle s'oc
O iij
( 306 )
cupera des Lois de détail , prendra dans la
plus grande et la plus scrupuleuse considération
les réflexions et observations que S. M.
a bien voulu lui communiquer.
"}
M. le Président s'étant rendu chez le Roi ,
M. l'Evêque de Langres prit le fauteuil .
L'ordre du travail appeloit la Motion de M.
de Volney; mais elle.fut d'abord écartée par
un avis de M. Camus , qui proposa de s'occuper
, avant tout , d'organiser les Assemblées
Provinciales , Municipales , et de Dis-
, tricts.
Malgré l'importance de la matière , et les
motifs pressans developpés par l'Opinant ,
M. le Vicomte de Mirabeau réclama la Motion
de M. de Volney , saisie hier avec une
acclamation universelle.
Cette approbation , dit- il , prouve deux
choses : 1 °. Que nous voulons tous faire le
bien , quoique par des routes differentes ;
2. qu'il est impossible de l'espérer de notre
organisation , de nos divisions ; qu'on ne peut
l'attendre que d'une nouvelle Assemblée ,
dans laquelle il y aura plus de Propriétaires
que d'Orateurs , plus de Citoyens que de
-Philosophes. Un avantage , non moins inappréciable
, est celui de faire ratifier nos opérations
par nos Commettans , qui , maintenant
, plus instruits de leurs véritables intérêts
et du bien public , seront plus en état
de donner des instructions pour les lois subséquentes
. »
Il demandoit en outre , que nul des Membres
actuels ne pût être réélu , ni se présenter
aux élections , ou au moins y voter.
M. de Gouy- d'Arcy rejeta toutes les propositions
des Préopinans . « Il seroit impossible ,
ait - il , de terminer aucun des plans de
( 307 )
travail , qu'on nous a proposés , avant six
semaines ou deux mois , et nul pouvoir humain
ne pourroit nous en assurer le succès.
Il faudroit que nous pussions rester encore
deux mois dans l'état où nous sommes ; cela
n'est plus dans l'ordre des choses possibles . "
"(
On a dit dans cette tribune , qu'il falloit
enfin lever le voile ; je les déchire ' tous .... »
On vous a dit que le salut de l'Etat dépend
de la situation de vos finances . Vous
savez tous que le trésor public est le ressort
de la machine . Vous vous ressouvenez du
tableau que le Ministre des Finances est
venu vous faire des besoins de l'Etat. Vous
avez accueilli sa demande , et un emprunt
de quarante millions en espèces , est devenų
le seul espoir de la Nation.
Ces quarante millions étoient rigoureusement
nécessaires pour les dépenses des mois
d'Août et de Septembre . On espéroit qu'au
bout de ce temps , votre Constitution fixée ,
de nouveaux impôts rétabliroient le fisc et
subviendroient à toutes les dépenses publiques.....
Eh bien , apprenez aujourd'hui que
ce terme va être échu , et que ce modique
emprunt est bien loin d'être rempli . Le Trésor-
Royal n'a pas encore reçu dix millions...
Apprenez que tous les Etrangers ont refusé
de fournir ; ils sont dans la conviction qu'il
n'y a plus de remède à vos maux , et qu'un
emprunt ne seroit qu'un palliatif pour les
prolonger.
Le 1. d'Octobre va nous surprendre avee
moins de trente millions , et la crainte de
ne plus trouver de ressources .... Les payèmens
cesseront .... La banqueroute.... A ces
mots , de longs murmures interrompirent
l'Orateur.
O iv
( 308 )
M. le Duc d'Aiguillon , Président du Comité
des Finances , prit place à la tribune ,
pour dire que le Comité n'avoit chargé M.
de Gouy d'aucun rapport ; le tableau qu'il
traçoit étoit même exagéré . Cependant les
plus prompts remèdes étoient nécessaires ;
et il proposoit à l'Assemblée , de consacrer
un ou deux jours par semaine à ce travail ,
et de s'occuper les autres jours de la Constitution
.
M. le Comte de Mirabeau appuya cette
Motion , et combattit celle de M. de Volney,
ainsi que les additions de M. le Vicomte
de Mirabeau , par plusieurs considérations
politiques.
M. de Virieux fut de même avis , et rejeta
encore celui de M. Camus . Les Assemblées
provinciales et municipales , dit -il , sont
bes branches de l'arbre de la Législation.
Si nous les formons avant le tronc , c'est-àdire
, les Assemblées partielles avant le Corps
législatif , nous risquons de donner à ces
branches trop ou trop peu de nourriture. Elles
deviendroient ou trop puissantes , ou resteroient
sans force.
Il proposa de s'occuper du projet d'organisation
du Corps legislatif , lu par M.
Mounier , et de l'étendue du Veto ; principes
éternels , qui ne dépendent d'aucune circonstance.
Il faut établir un centre de forces avant
d'en prolonger les rayons . C'est alors que la
confiance renaîtra , que les bourses s'ouvriront
, que l'ordre se rétablira , etc.
On demanda alors à aller aux voix. La
Proposition de M. d'Aiguillon fût acceptée. ´
On s'occupera désormais , les quatre premiers
jours de la semaine , de la Constitu(
309 )
tion , et les vendredis et samedis , du travail
des Finances .
Tous les états seront imprimés , et les
rapports ou projets , avant d'être présentés
à l'Assemblée générale , seront discutés les
jeudis soir dans les Bureaux.
Vers les trois heures et demie , M. de Clermont-
Tonnerre arriva . S , M. lui avoit dit de revenir
demain au soir , pour recevoir sa réponse
aux demandes de l'Assemblée Nationale.
M. le Garde - des - Sceaux dit au Roi :
Sire , M.de Président peut- il assurer l'Assemblée
des bonnes intentions de V. M. ? Le
Roi a répondu , avec bonté et d'un air satisfait
: Oh! oui , toujours.
Supplément à l'Assemblée Nationale.
Plusieurs personnes nous ayant demandé
le tableau du COMITÉ DES FINANCES
, créé par et dans l'ASSEMBLÉE
NATIONALE , nous en présenterons ici
l'état , les divisions , et les objets qu'il embrasse.
Officiers élus au scrutin.
M. Le Duc D'AIGUILLON , Président ; M.
l'Archevêque D'AIX , Vice - Président ; MM .
ANSON , le Marquis DE GOUY D'ARCY , BERENGER
, Secrétaires.
CABINET DES FINANCES.
OBJETS ATRA I TE R.
Recette de tous genres , et prélèvemens de
Ον
( 310 )
toutes espèces.
gères
-
-
-
―
Rentes perpétuelles et via-
Intérêts d'effets publics . -Gages
représentans l'intérêt de la finance. Frais
d'anticipations , etc. Indemnités à differens
titres . - Traitemens des Receveurs , Fermiers-
Généraux , etc. Les cinq Administrateurs
du Trésor Royal , etc. - Bureau de
l'Administration générale .
-
-
-
Membres qui composent ce Cabinet.
MM. le Duc D'AIGUILLON , l'Archevêque
D'AIX , le Duc DE BIRON , l'Abbé DE LA
SALCETTE , PERRIER , COUDERC , ANSON ,
D'AILLY .
CABINET DE LA GUERRE .
OBJETS A TRAITER.
Département de la Guerre. -Troupes rég'ées.
Provinciales. Artillerie .
-
fications. -Génie.
-
- Maréchaussées . -
-
Forti-
Membres qui composent ce Cabinet. -
MM. le Duc DE LIANCOURT , le Comte
DE LA BLACHE , le Vicomte DE NOAILLES ,
DUBOIS DE CRANCE , KYTSPOTTER , VERNIER
, GAULTIER .
CABINET DE LA MARINE .
OBJETS A TRAITER.
Marine. Les Ports. Les Classes .
Commerce.
nies.
-
―
-
-
-Le
Les Consulats . Les Colo-
Saint- Domingue. La Martinique.
---
-
-La Guadeloupe . Tabago . - Cayenne .
-Comptoirs. Gorée. - Sénégal .
- Juda.
( 311 )
--Pondichery .
Bourbon .
Isle de France. Isle de
Membres qui composent ce Cabinet.
MM le Marquis DE GOUY D'ARGY , le Marquis
DE MONTESQUIDU , l'Abbé DE LOMPRÉ ,
LE COUTEULX DE CANTELEU , JARRY , DE
LA FARGUE , LA RADE .
CABINET DES AFFAIRES
ÉTRANGÈRES.
OBJETS A TRAITER.
Affaires Étrangères . Passe- ports aux Ambassadeurs
, etc. - Gages des Ministres .
----- Des
Conseillers d'Etat , Maîtres des Requêtes , etc.
Traitemens des Intendans des Provinces .
Leurs Subdélégués , etc. -Jardin Royal
des Plantes . Bibliothèque du Roi , - Universités
. Académies , etc.
--
Membres qui composent ce Cabinet.
MM. LE BRUN , P'Abbé CHATIZEL , l'Abbé
JAILLET , le Marquis DE LA COSTE , DUPONT ,
VOLFIUS , POYA DE L'HERBAY ,
CABINET DE LA MAISON
DU ROI.
--
OBJETS A TRAITE R.
Maison du Roi. Maison de la Reine .
Maison de Mesdames , etc. - Maison de
Monsieur. Maison de Mgr. Comte d'Artois
, etc. — Département de Paris .
--
Membres qui composent ce Cabinet.
MM. le Comte DE CASTELLANE , l'Abbé
O vj
( 312 )
DE VILLARET , l'Abbé GIBERT , le Comte DE
PUYSAYE , MATHIEU DE Rondeville , Roca ,
l'Abbé GOUTTE.
CABINET DES PENSIONS.
OBJETS A TRAITER .
Pensions . - - Fonds réservés sur la Loterie
, etc. Actes de bienfaisance. --
-
- Secours
à des Hollandois réfugiés . Secours aux
Communautés et Maisons Religieuses.
Dons. -
- Aumônes . — Hôpitaux , etc.
Membres qui composent ce Cabinet.
MM . l'Archevêque d'ARLES , le Comte DE
CROIX , le Baron D'HARANBURE , l'Abbé
MAYET , GARESCHÉ , SCHWENT , NICODÈME.
CABINET DES PROVINCES.
OBJETS A TRAITER.
Travaux de charité dans les Provinces
Destruction de la mendicité . Remises en
moins imposé sur les Provinces ..- Haras des
Provinces. Dépenses variables des Provinces .
-
Membres qui composent ce Cabinet.
MM . BERENGER , Je Marquis DE BLACONS ,
l'Abbé GENETÉT , BIAILE DE GERMONT ,
AUBRY DU BOCHET , GRENIER , Duval de
GRAND - PRE .
CABINET DES PONTS ET
CHAUSSÉES.
OBJETS A TRAITER.
Ponts et Chaussées . Entretiens et répa(
313 )
rations de bâtimens .
-
-
Entretien du pavé de
Paris. Police de Paris . Guet et Garde de
Travaux dans les carrières. Paris. -
Membres qui composent ce Cabinet.
MM . BURDELOT , l'Abbé DE SURADE ,
GOYARD , le Baron DE CERNON , LA TERRADE,
LEJEANS , ROCQUE .
CABINET DES MINES ET
MONNOIES.
OBJETS A TRAITER.
-
―
Département des Mines. Traitement et
autres dépenses du Département des Monnoies.-
Commerce , etc. - Primes et autres
encourageniens pour le Commerce. — Dépenses
des plantations dans les forêts , etc.
Frais de procédures criminelles . Engagemens
à temps envers le Clergé . — Dépenses
imprévues.
-
-
-
Membres qui composent ce Cabinet.
MM. le Comte DE RUILLÉ , l'Abbé Gode-
FROY , l'abbé FOREST DE MASMOURY , NAURISSART
, GOUGE - CARTOU , MARQUIS.
Lorsqu'en Angleterre , la Chambre des
Communes nomme des Comités , elle
les compose de ceux des Membres de
l'Assemblée qu'elle juge les mieux instruits
de l'objet à préparer , et très rarement
le Rapport de ces Commissaires
subit-il quelques changemens : il est encore
moins commun de voir la Chambre
préférer son avis au leur. En effet , sans
( 314 )
cette confiance , il seroit ridicule de former
des Comités si l'Assemblée ne
regardoit leur travail que comme le canevas
de ses délibérations, autant vaudroit
qu'elle traitât auparavant elle même , ce
qu'elle ne renverroit aux Comités , que
pour le casser ensuite . Aucun Etat , de
quelque étendue , ne pourroit supporter .
cette éternelle multiplicité d'examens et
de discussions.
De tous les Comités de L'ASSEMBLÉE
NATIONALE , celui de Constitution a
éprouvé le plus de contrariétés. Son
travail étoit le fruit de dix ans d'études ,
et de plusieurs mois d'application assidue.
Tous ses Membres avoient fait
preuve de connoissances , infiniment
rares , et d'une longue méditation sur
les matières confiées à leur expérience.
Cependant , leur ouvrage a été rejeté
dans ses bases fondamentales ; on n'en
a pas même voulu saisir l'ensemble , et
en isolant chacune de leurs propositions ,
on a détruit le rapport de toutes les
parties , sans lequel une Constitution
seroit une monstruosité .
Onvoit aisément que les Commissaires,
fidèles au vou des Cahiers , pénétrés
d'une crainte salutaire et patriotique sur
leurs décisions , convaincus que le plus
pernicieux des contre-sens , seroit de
prétendre régir un grand Empire par
le mode qui conviendroit à peine à la
République de Genève , se sont rap(
315 )
prochés , des élémens conciliateurs de
la liberté , et du Gouvernement Monarchique.
Dans cet alliage délicat , il
falloit assortir des pouvoirs , distincts
dans leurs principes , dépendans dans
leur exercice , limités par leurs facultés
réciproques , et sans l'équilibre
desquels l'Etat , sans cesse ébranlé de
leurs chocs , finiroit par se résoudre en
une anarchie violente , ou en usurpations
contre lesquelles toutes les Lois
seroient impuissantes. Un écolier peut
tracer un plan de République : un Novateur
inconsidéré peut le sanctionner ;
mais le génie seul , et une vertu éclairée,
savent rendre la liberté stable . Nulle
part , elle ne l'a été sans sacrifice de
ses excès , sans barrière à sa toute-puissance.
Et quel méprisable Gouvernement
ne seroit pas celui , qui auroit
besoin de rénovation tous les dix ans ,
qu'on fonderoit sur le princip d'une
mobilité perfide , et qui , au lieu de
régler invariablement les pouvoirs , ne
tendroit qu'à les transposer avec violer
ce ? Le Peuple; bientôt las des orages ,
et livré sans défense légale à ses Séducteurs
ou à ses Oppresseurs , briseroit
le timon , ou le placeroit lui-même dans
la main assez hardie pour s'en emparer.
Le Comité s'écartant des idées démocratiques
, parce qu'il étoit chargé
de former un Etat libre et un Gouverpement
Monarchique , a vu dans celui
( 316 )
de l'Angletterre les pierres angulaires
de, son travail . En effet , la Constitution
Angloise a pour elle un siècle , d'exis
tence sans altération , un siècle de bénédictions
nationales , un siècle d'efficace
qui pénètre tout Anglois d'un respect
superstitieux pour ses Lois politiques.
Ils se déchaînent fréquemment contre
les torts ou les fautes des Ministres ;
mais tous s'honorent de vivre sous des
Institutions qui ont maintenu la dignité
de l'homme , la permanence de la liberté
et de la paix. publique , et la
puissance de l'Etat.
Cet exemple et la force du raisonnement
justifioient également les opinions
du Comité. Cependant , elles ont
été condamnées aussi-tôt que connues.
On a joué sur les mots . M. Mounier
a-t-il proposé une seconde Chambre sous
le nom de Sénat ? on s'est écrié qu'on
ne vouloit point de Sénat de Venise ,
comme si le Sénat de Venise étoit , le
type de tous les Sénats possibles ! C'est
bien ici le cas de rappeler le mot trèsjuste
du célèbre Lord Mansfield , qu'en
général , il n'y a rien au monde de moins
semblable qu'une similitude . Ceux qui
citoient ainsi le Sénat de Venise , igno
roient apparemment que l'Aristocratie
réside dans le Grand- Conseil , et non
dans le Prégadi , qui est un Corps exé-
'cutif, amovible et réélu toutes les années .
Les Feuilles publiques ont soigneuse(
317 )
ment évité de faire aucune mention des
Rapports duComité de Constitution présentés
par M. Mounier. Ces Ouvrages ,
présentés , le 31 Août , par MM. de
Lally-Tolendal et Mounier , et des Mo
tifs , los par ce dernier à la Séance du
4 Septembre , néanmoins tiennent aux
plus chers , aux plus graves intérêts de
la Nation . On assure que plusieurs Libraires
ont même refusé de les mettre
en vente. Ce sont autant de raisons de
les présenter à l'examen du Public . Voici
la substance des Motifs.
Nous avons examiné cette importante question
, siles Lois doivent être délibérées dans
une seule Chambre , ou si deux Chambres sont
absolument nécessaires . Nous avons été convaincus
de la nécessité de distinguer les
moyens propres à créer une Constitution ,
de ceux qui doivent la maintenir. L'Assem
blée présente , chargée de fixer l'organisation
des Pouvoirs , et d'élever l'édifice de la
liberté , devoit être formée par un seul Corps ,
afin d'avoir plus de force et de célérité ;
mais ce même degré de force s'il étoit
conservé après la Constitution ,
finiroit par
tout détruire.
"
Et comment empêcher pour l'avenir , dans
une seule Assemblée , les erreurs , la précipitation
, l'enthousiasme ? Comment espérer
qu'elle abaissera son Pouvoir devant celui
de la Constitution , et que dans les differends
qui s'eleveront entre elle et le Tróne , l'un
ou l'autre ne sera pas renversé ? Des hommes
réunis pour faire des Lois , des hommes honorés
de la confiance publique , considérés
( 318 )
comme les gardiens , comme les dépositaires
de la liberté du Peuple , auroient une si
grande autorité , qu'il leur seroit facile chaque
jour d'en étendre les limites ; et le Veto que
pourroit opposer le Monarque à leurs réso-
Jutions , seroit presque toujours une arme
impuissante. Que de moyens en effet auroit
une seule Chambre pour triompher d'un pareil
obstacle ! Le refus de l'impót , l'influence
dont elle jouiroit sur le Peuple, permettroient
bien rarement au Prince de lui résister .
Sans cesse entraînée par les discours véhémens
de ses Orateurs , ou par l'impression
subite qu'elle recevroit de tous les évènemens
, elle se mettroit au- dess s de toutes
les regles . Vainement la Constitution auroit
circonscrit son Pouvoir , elle en altéreroit
fréquemment les dispositions. Les atteintes
indirectes qu'elle pourroit y porter ne seroient
pas aperçues par la Nation , et peut- être même
séduiroient la multitude . Des Lois nouvelles
succéderoient rapidement à d'autres Lois.
La Législation redeviendroit bientôt un cahos
où l'on ne pourroit se diriger que par
des interprétations arbitraires parmi tant
de changemens , la liberté publique ne sauroit
être conservée ; l'anarchie ou l'esclavage en
seroient la suite nécessaire ; car une seule Assemblée
pourroit être aussi funeste à la liberté
du Peuple qu'à l'indépendance de la
Couronne. Elle pourroit , dans un moment
d'enthousiasme , accroître la puissance d'uu
Roi victorieux , ou , dans des circonstances
difficiles , établir en faveur du Prince une dictature
qui deviendroit perpétuelle.
Deux Chambres , au contraire , délibérant
séparément , assurent la sagesse de leurs résolutions
respectives , et rendent au Corps lé(
319 )
gislatif la marche lente et majestueuse dont .
il ne doit jamais s'écarter .
Le Comité a cru qu'une des Chambres ,
formées par les Députés librement et directement
lus par le Peuple dans toutes les
parties du royaume , pourroit être appelée
la Chambre des Représentans , et que l'autre
pourroit porter le nom de Sénat ; il ne s'est
point expliqué sur la composition de celle - ci .
Il a cependant été convaincu que les Sénateurs
et les Représentans devroient être
dans une position differente , afin de n'être
pas animés des mêmes passions , et que s'il
existoit une identité parfaite dans les formes
de leur Election , ils seroient constamment,
dirigés par les mêmes vues ; qu'alors le Sénat
ne pourroit plus maintenir la Constitution
, s'opposer à la précipitation des Représentans
, et protéger tout- à - la - fois la liberté
des Citoyens et les prérogatives de la Cou-`
ronne.
Sile nom de Sénat pouvoit choquer , parce
qu'il rappelle des Corps aristocratiques , on
devroit considérer que le Sénat d'Athènes ,
et ceux des Américains , ont ennobli cette
dénomination. D'ailleurs , il seroit facile de
substituer à ce mot ; le nom de Conseil National,
ou de Chambre des Conservateurs , ou
tout autre du même genre.
Le Comité a pensé que les deux Chambres
devroient avoir également le droit de proposer
et de refuser une nouvelle Loi . Les
inconvéniens qui doivent déterminer à ne pas
donner l'initiative au Monarque , ne se présentent
pas à l'égard du Sénat . Il n'est pas
à craindre que sur deux Chambres , toujours
assemblées en même - temps , l'une puisse s'em(
320 )
parer , au préjudice de l'autre , de la faculté
de proposer et de rédiger les Lois.
Ainsi il ne résulteroit de ce concours qu'une
émulation très - utile au bien public .
Și les Sénateurs étoient à viê , ils suffiroit
peut-être , comme quelques personnes le desirent
, qu'ils eussent simplement le droit de
suspendre : mais si l'on prefere des Sénateurs
éligibles pour un temps déterminé , il seroit
certainement impossible de ne pas leur accorder
le droit de s'opposer aux résolutions
des Représentans. Il faut que le Sénat soit
formé par des hommes dignes de la confiance
publique . Il seroit plus dangereux qu'utile ,
s'il étoit composé par ceux qui n'auroient pu
se faire élire au nombre des Représentans :
ce ne seroit pas à une pareille Chambre qu'il
conviendroit de confier le jugement des crimes
d'Etat ; et comment espérer qu'on s'empresseroit
de se placer au rang des Sénateurs ,
si leurs fonctions étoient moins importantes
que celles des Représentans.
Dans la plupart des Sénats Américains , il
faut , pour être éligibles , avoir un revenu
considerable en propriétes foncières , et le
consentement des Senateurs est nécessaire
pour les nouvelles Lois . Craindroit - on de
trop multiplier les obstacles , et d'enchaîner
l'activité du Corps législatif ? Mais si les
Lois proposées ne sont pas contraires à la
Constitution , si elles sont utiles à la félicité
générale , quel intérêt pourroit porter les
Sénateurs à les combattre ? Ce n'est jamais
en rendant les nouvelles Lois difficiles qu'on
attaque la Liberté : c'est en perdant le respect
pour les anciennes ; c'est en prenant des
résolutions imprudentes et precipitées . Dira-
t-on qu'il seroit absurde de subordonner'
( 321 )
la volonté de la Nation à des Sénateurs ?
Mais si les Sénateurs étoient établis par la
Nation elle -même , ils seroient aussi ses
Mandataires ; ils seroient aussi les organes
de sa volonté , et les Représentans ne recevroient
que la portion d'autorité dont la Nation
n'auroit pas disposé en faveur du Monarque
et du Sénat.
2
Le Comité a proposé de déclarer que ,
pour être Représentant , il faudroit être agé
de vingt-cinq ans . Vous examinerez , Messieurs
, s'il seroit utile de devancer la Majorité
et d'ouvrir plutót à la jeunesse une
noble carriere , qui , dans l'âge des passions ,
tourneroit son ardeur vers l'utilité publique ,
et lui inspireroit le desir de se rendre digne
de la confiance du peuple.
Le Comite en indiquant les qualités qui
doivent donner aux Citoyens la faculté
tre Electeurs et Eligibles pour la Chambre
des Représentans , s'est vu obligé de prononcer
entre deux inconvéniens qui choquent
en apparence la liberté naturelle . Il est évident
qu'on ne peut pas admettre tous les
Citoyens indistinctement au nombre des
Electeurs et des Eligibles : ce seroit s'exposer
à confier le sort de l'Etat à des mains inexperimentées
, qui en consommeroient rapidement
la ruine . Il falloit donc ou restreindre
Je nombre des Electeurs , et ne mettre aucune
borne à leur choix , ou laisser à tous les
Citoyens le droit d'elire , et leur tracer des
regles pour diriger leur nomination . Le
premierpartieût eté beaucoup plus contraire
aux principes . Tous les Citoyens ont le droit
d'influer sur le Gouvernement , au moins
par leurs suffrages ; ils doivent en être rapprochés
par la représentation . Si vous exigez
( 322 )
pour les Electeurs des qualités qui en limitent
le nombre , vous rendez tous ceux qui seront
exclus , étrangers à leur Patric , indifferens
sur sa liberté. Ces réflexions ont déterminé
le Comité à proposer d'admettre parmi les
Electeurs , tous ceux qui payeront une imposition
directe égale au prix de trois journces
de travail. Considérant que les Electeurs ne
choisissent pas pour leur intérêt seul , mais
pour celui de tout l'Empire , il a cru qu'il
seroit convenable de ne déclarer Eligibles
que ceux qui possederoient une proprieté
fonciere. C'est un hommage rendu à là
priété , qui complette la qualité de Citoyen ;
c'est un moyen de plus de faire aimer les
campagnes ; c'est un motif de croire que
le Représentant est au-dessus du besoin .
C'est mettre une bien foible entrave à la
liberté du choix , car tout homme , jugé
digne par ses lumieres et ses vertus de la
confiance d'un District , pourra facilement
se procurer une propriete quelconque , la
valeur n'en étant pas déterminée.
pro-
?
Exiger que les Electeurs aient un domicile
dans le lieu de l'Election , et qu'ils ne puissent
élire en deux lieux à-la-fois , c'est prévenir
un grand nombre d'intrigues d'ailleurs
un Citoyen , quel que soit son rang et sa
fortune , ne doit pas être représenté plus
qu'un autre , et quand il a consommé son
droit en donnant son suffrage , s'il va le
donner dans un autre lieu , il usurpe le droit
d'autrui .
Afin qu'on puisse moins facilement surprendre
la confiance des Electeurs , et qu'ils
soicnt à portée de juger les moeurs et les
talens de ceux qui se présentent pour être
choisis , le Comité a proposé de déclarer
( 323 )
que pour être Eligible , il faudroit être domicilié
dans l'étendue du ressort de l'Administration
provinciale.
La représentation est défectueuse , et mêmè
chimérique , si elle s'éloigne de son principe ,
c'est-à - dire , de ceux qui doivent être représentés
. Il ne doit jamais y avoir que deux
élections : l'une pour nommer les Electeurs ,
et l'autre pour choisir les Représentans . Si
les Districts ont une trop grande étendue ,
et qu'on y multiplie le nombre des Représentans
, on rassemble des hommes qui n'ont
eu aucune occasion de se connoître , et dont
les suffrages ne peuvent plus être dirigés que
par des intrigues. Le Comité a proposé de
former des Districts qui seroient peuplés ,
autant qu'il seroit possible , de 150 mille
ames . Deux cents Habitans fourniroient un
Electeur . Les Electeurs étant réunis dans le
chef-lieu du District , seroient conséquemment
au nombre de 750 ; ils nommeroient
trois Représentans , de manière que la
Chambre des Représentans seroit formée
par environ 600 personnes .
La Chambre des Communes d'Angleterre
renferme , il est vrai , presque un aussi grand
nombre de Représentans ; mais on ne peut
jamais proportionner le nombre des Membres
du Corps législatif à la population ; c'est la
possibilité de délibérer avec ordre , et la
facilité de s'entendre , qui doivent servir de
règles ; et sous ce point de vue , la Ville
de Genève pourroit avoir un Corps législatif
aussi nombreux que celui du plus vaste
Royaume.
Il faut nécessairement qu'un Peuple , qui
ne peut délibérer en un seul Corps , accorde
sa confiance , délégue l'exercice de la Sou(
324 )
veraineté , et donne à ceux qui seront élus
dans les diverses parties de l'Etat , le droit
de délibérer pour lui ; car il n'est rien de´
plus dangereux , de plus propre à favoriser
l'anarchie et la discorde , de plus contraire
à tous les principes , que de diviser un Peuple
en une foule de Corps séparés pour les faire
délibérer sur les affaires publiques.
La permanence du Corps législatif a paru
au Comité , et vous paroitra sans doute indispensable
pour le maintien de la Liberté.
Le Comité a entendu par Permanence , une
Assemblée toujours prête à se former , des
Députés toujours existans , une Session annuelle
de plein droit , sans lettres de convocation
. Ia pensé qu'il ne devoit pas
cependant être permis aux Représentans de
prolonger leur Séance sans nécessité , et
qu'on devoit déterminer un terme après,
lequel le Roi pourroit les proroger jusqu'à
la Session suivante .
S'ils avoient la faculté de rester constamment
assemblés , ils pourroient multiplier
sans mesure les Lois et les Règlemens , ou
entrer dans les détails d'Administration , et
empiéter sur le Pouvoir exécutif.
2
Le droit de dissoudre la Chambre des
Représentans , et d'ordonner une Election
nouvelle , a été jugé indispensable pour le
maintien de la Monarchie : c'est l'unique
moyen qui , dans les temps de troubles
est propre à garantir le Trône des efforts
d'un parti d'ambitieux ou de mécontens . Il
ne peut y avoir aucun danger pour la Liberté
publique , si l'Acte de dissolution est considéré
comme nul , à moins qu'il ne renferme
une Convocation nouvelle
Le Monarqué ne pourroit se servir de ce
droit
(-325 )
droit que dans des circonstances bien rares ,
et lorsqu'il seroit assuré que l'opinion publique
n'est pas favorable au systême des
Représentans . Les Electeurs auroient le droit
de renvoyer les mêmes Députés , et le Prince
ne s'exposeroit point , sans une nécessité évidente
, au mécontentement universel , que
ne manqueroit pas d'exciter une dissolution
légèrement ou injustement prononcée.
Les Lois des Subsides et des Emprunts ne
pourroient prendre naissance que dans la
Chambre des Representans. Le Sénat ne
pourroit y faire ni changement ni modification
, et les Représentans auroient conséquemment
la disposition du plus grand
moyen de force et de résistance . Vous sentirez
sans doute , ainsi que le Comité ,
combien il est important d'oter pour jamais
aux Provinces la faculté d'accorder les impóts
, combien il seroit dangereux de laisser
subsister un privilege aussi contraire à la
Liberté publique , et de ne pas punir comme
criminels de haute trahison , tous ceux qui
auroient contribué directement ou indirec
tement à la perception des Subsides non
autorisés par le Corps législatif.
On determineroit , au commencement de
chaque regne , les sommes nécessaires pour
l'entretien de la Maison du Roi et la distribution
des récompenses . Ces somines cesseroient
à la mort du Roi , et le Corps
législatif, rassemblé de plein droit à cette
époque , auroit un moyen assuré de réformer
toutes les usurpations qu'auroient pu faire
les Agens de Fautorité royale , et de triompher
de tous les obstacles qui pourroient
être opposés à cette réforme.
Le Sénat , suivant le plan du Comité
No. 39. 26 Septembre 1789. P
( 326 )
jugeroit les crimes commis dans les fonctions)
publiques par les Agens supérieurs du Pouvoir
exécutif ou de PAdministration du
Royaume. Le Pouvoir exécutif seroit bientôt
énervé , si les Tribunaux ordinaires avoient
le droit de juger les Ministres . De pareils
crimes intéressant la Nation entière , ne
peuvent être poursuivis que par les Représentans
. Il seroit aussi funeste de livrer les
Ministres à des vengeances particulières , que
de laisser leurs prévarications impunies. Il
ne seroit pas convenable à la dignité des
Représentans , d'accuser devant un Tribunal
sur lequel ils auroient d'ailleurs une trop
grande influence. Le jugement des crimes
d'Etat nécessite done deux Chambres , et
sur-tout il nécessite deux Chambres qui
n'aient pas la même position , et qui n'embrassent
pas aveuglément tous leurs projets ,
toutes leurs prétentions respectives. Un
Peuple n'est jamais libre , si les Ministres ,
les Juges , et les autres Agens de l'autorité
ne sont pas responsables. Les Juges inférieurs"
seroient poursuivis devant les Cours supérieures
, les Officiers de ces Cours devant
un Tribunal de révision et ceux de ce
Tribunal devant une des Chambres sur
J'accusation de l'autre .
( La˝ suite à l'ordinaire prochain . )
On voit par ce qui précède , que , ni
le Comité , ni M, Mounier en particulier
, ne s'étoient expliqués sur la composition
d'une seconde Chambre, et qu'ils
n'ont , par conséquent , pomt défendu
un Sénat à vie , comme différentes
Feuilles publiques , et nous- mêmes l'a(
327 )
.
vions annoncé. Dans ses Considérations
sur les Gouvernemens , et dans le
Préambule du projet pour l'organisation
du Pouvoir législatif , M. Mounier a
paru pencher vers une idée plus lumineuse
; mais , pour ne pas heurter les
préjugés dominans , il s'étoit contenté
de proposer un Sénat de Propriétaires,
éligibles à temps.
"
Nous avons seulement indiqué la semaine
dernière , que M. Mounier avoit combattu
formellement la lecture du Mémoire de
M. Necker sur la Sanction Royale . Il est évident
, en effet , qu'autant les lumières et
l'expérience des Ministres deviendront indispensables
à l'Assemblée Nationale , autant
il seroit dangereux d'admettre leur inter
vention subite , et le rapport de leurs opinions
sur des questions , à l'instant même ,
agitées par le Corps législatif. « Je reconnois
, a dit M. Mounier , que le Roi peut
« recommander un objet à votre attention ;
mais il y auroit de grands inconvéniens à
écouter, sur une question agitée dans l'Assemblée
, les Rapports faits dans le Conseil
par les Ministres . Si ces Rapports étoient
relatifs à des objets d'administration , ou
à des questions étrangères à l'autorité du
Prince , on pourroit consentir à les entendre
; mais sur les prérogatives de la Couronne
, les opinions des Ministres ne peuvent
être d'aucune considération . Elles sont évidemment
suspectes , soit qu'ils parlent pour
abandonner ces prérogatives , soit qu'ils
veuillent les réclamer. Les droits du Trône
appartiennent à la Nation ; et c'est à vous ,
t
te
Pij
( 328 )
« comme Représentans du Peuple François ,
qu'il convient aujourd'hui de les declarer
« et de les defendre . »
"
Lorsque , dans la même Séance du 4 , on
ent rejette la lecture du Mémoire , et reglé
l'ordre des questions , on voulut prendre les
voix sur celle - ci : Le consentement du Roi
est-il nécessaire pour la Constitution ? Tout
annonçoit que l'Assemblée alloit se déclarer
pour la negative. M. Mounier prit la parole ,
et soutint qu'à la vérité , le Roi ne pouvoit
rejeter la Constitution , comme il pourroit
rejeter une simple Loi ; que ce seroit s'opposer
à l'établissement de la liberté publique ,
et qu'il n'en avoit pas le droit ; mais que sa
ratification étoit nécessaire ; qu'il devoit examiner
ce qui seroit prononce sur son autorité
antérieure à la délégation des Députés Nationaux
; que , ceux-ci étoient envoyés pour
fixer les limites de l'Autorité Royale , et
l'empêcher de dégénérer en despotisme ;
mais que les Constituans avoient reconnu
-P'existence du pouvoir du Monarque , et que
les Délegués ne devoient pas en disposer
arbitrairement. Avant de signer la Constitution
, le Prince pouvoit demander des
changemens ; s'ils étoient contraires à la
liberté , l'Assemblée étoit en droit d'appeler
à ses Commettans. Le Prince avoit aussi la
même faculté , dans le cas où les Députes
s'écarteroient des intentions Nationales ; car
leurs fonctions n'étant encore déterminées
par aucune Loi , ne pouvoient l'être que
par la volonté de leurs Constituans . L'Assemblée
étant , sans doute , éloignée de vouloir
attaquer l'autorité légitime du Monarque
, si nécessaire au bonheur de la
Frauce , elle ne devoit pas supposer qu'il
( 329 )
refuseroit de signer la Constitution ; ainsi ,
il falloit écarter toute délibération sur cette
question.
擦
Quelques murmures ayant interrompu ces
réflexions , M. Mounier ajouta , qu'il étoit
prêt à répondre , en présence du Public , à
toutes les objections à ces principes , qu'on
pourroit faire verbalement ou par ecrit. Personne
ne refuta l'Orateur : M. Freteau soutint
, apres lui , qu'il étoit dangereux de
traiter la question ; et il fut décidé , à une
grande pluralité , qu'elle ne seroit pas delibérée.
Extrait de l'opinion de M. de SAINTFARGEAU
, sur la question de la
durée de chaque Législature.
Deux questions sont soumises à la discussion
, quelle sera la durée des pouvoirs des
Membres qui composeront le Corps législatif?
Premiere question .
Le renouvellement des Députés sera-t - il
total ou partiel ? Seconde question .
Sur la premiere , M. de Saint- Fargeau a
établi une difference essentielle entre le Corps
législatif , et un Corps administrateur ou
judiciaire.
Ceux-ci ont des fonctions qui exigent , soit
une étude perfectionnée par l'usage habituel ,
soit une suite et une continuation d'operations
commencées : il est utile qu'ils ne soient
point renouvelés par des Elections trop fréquentes.
Il n'en est pas de même du Corps législatif.
Ses fonctions sont de faire les Lois , c'està-
dire , de proférer l'expression de la volonté
générale ; chaque Loi est un acte simple et
P iij
( 330 )
isolé ; l'oeuvre du Législateur est complet
aussitôt que la Loi est prononcée ; même , il
lui est interdit d'en suivre l'exécution .
Ce Corps doit encore examiner le compte
des recettes et dépenses publiques , voter et
asseoir l'impôt ; opérations qui entrent dans
le cours de fonctions annuelles.
Enfin , il est chargé de poursuivre les Ministres
coupables ; et pour cela , il faut , non
pas ce que l'on appelle de l'acquit , mais du
Courage.
Ainsi la nature des fonctions du Corps
législatif ne nécessite point une longue durce
dans les pouvoirs de ses Membres.
Au contraire , il existe des raisons importantes
pour les limiter à une année.
Par ce moyen , la corruption deviendra
presque impossible.
La séduction des habitudes et des liaisons ,
moins à craindre.
Le Corps législatif perdra beaucoup de sa
force dangereuse , il augmentera sa force
utile .
Sa force devient dangereuse s'il veut franchir
les limites de ses pouvoirs. Il pourra
être tenté d'abuser , si l'autorité long- temps
fixée dans la personne des mêmes Députés ,
leur offre l'apparence d'une force de propriété
qu'ils voudront améliorer et accroître.
Ce danger disparoît quand le pouvoir
borné au court espace d'une année , ne peut
pas même acquérir le caractère d'une simple
possession dans les mains de ceux qui l'exer- '
cent.
La seconde vérité n'est pas moins prouvée.
La rénovation fréquente des pouvoirs aceroît
la force utile , c'est-à- dire , l'influence.
morale de l'Assemblée.
( 331 )
Pour peu qu'on connoisse les hommes , on
sentira facilement , que plus la durée des
pouvoirs sera prolongée , plus les jalousies
secrètes , le dépit d'avoir succombé dans la
lice des Elections , les inimitiés personnelles ,
le penchant secret qui porte à blâmer ceux
qui sont distingués par quelque prééminence ,
opposeront avec force l'obstacle des passions.
particulieres à l'action du Corps national ,
et par une lutte fatale pourront en fatiguer
et en embarrasser les mouvemens.
Rendez les Elections annuelles ; tous ces
sentimens amortis trouveront prise à peine
sur une autorité passagère ; et vous verrez
au contraire , toutes les ambitions conspirer
avec l'Assemblée , chacun y respecter la place
qu'il prétend bientôt remplir , et ménager
ses propres espérances en fortifiant sa cousi
dération et son influence.
L'annalité des pouvoirs trouve sur - tout de
grands avantages dans son alliance avec le
Veto suspensif du Roi.
Pour que le Veto soit efficace , il faut qu'il
ne suspende pas trop long- temps.
Prolonger la durée des Législatures à deux
ou trois années , c'est reculer à quatre ou six
ans l'espérance d'une Loi désirée ; une pers
pective aussi lointaine satisfera-t - elle à l'impatience
nationale , et ne perdra- t -on pas
toute l'efficacité modératrice de cette salu
taire censure ?
Ce terme est le plus naturel , le plus rap
proché du principe ; il ouvre une carrière plus
étendue au mérite , il entretient davantage
l'émulation , sur-tout il sanctionne de la manière
la plus certaine la perpétuité des As
semblees Nationales , en ratifiant sans cesse
cette institution par de nouvelles Elections ,
P is
( 332 )
;
et conservant sa vie politique par cette activité
continue , ce mouvement non interrompu
qui ont toujours manqué aux anciens Etats-
Généraux . SE
Après avoir établi l'utilité des Elections
fréquentes , M. de Saint- Fargeau a combattu
les objections qu'on pouvoit opposer à ce
systême.
Le danger prétenda de remuer les Provinces
par des Assemblées annuelles.
Danger illusoire à une époque où tout
- est et sera Assemblées dans le Royaume.
Danger beaucoup plus grand si ces Assemblées
, éloignées les unes des autres ,
présentoient le caractère d'an évènement
extraordinaire , et devenoient une véritable
secousse.
L'inquiétude d'obérer les Provinces par les
frais souvent répétés des voyages qu'entraînent
les Elections.
Mais ces dépenses vont devenir moins importantes
à l'avenir , par une distribution
mieux faite des Districts , et sur-tout , par
Pabolition des mandais impératifs , qui be
grossissant plus les Cahiers , abrégeront infiniment
la durée des Assemblees elementaires .
Enfin l'exemple de l'Angleterre , qui a fixé
à sept ans la continuation des pouvoirs de
ses Députés .
M. de Saint-Fargeau a fait observer que
ce terme pouvoit tenir à la constitution particuliere
du Parlement d'Angleterre ; que
les Anglois ont pu craindre la prépondérance
d'une Chambre inamovible sur des
Deputes continuellement renouvelés ; que
dans cette Constitution tout est balancé , èt
qu'on pouvoit considérer la durée de sept
ans , attribuée aux pouvoirs des Députés des
( 333 )
Communes , comme le contre - poids de lá
perpétuité de la Chambre des Pairs.
Ces réflexions l'ont déterminé à demander ,
sur la premiere question , qu'il soit indiqué
un terme tres - court à la durée de chaque
Législature , et même à désirer que ce
terme soit fixé à un an .
Sur la seconde question , il a pensé que le
Corps législatif devoit être renouvelé dans sa
totalité , et non partiellement.
Il a observé que , laisser au sort à désigner
les Membres qui seroient conservés , ce seroit
souvent faire sortir ceux qu'il seroit plus intéressant
de maintenir ; remettre aux Provinces
à prononcer elles mêmes cette différence
, ce seroit introduire une distinction
peu admissible dans un Corps où doit régner
l'égalité ; et qu'enfin , il pourroit y avoir beau
coup d'inconvéniens à faire rivaliser l'amour
propre des Membres nouvellement élus avec
l'expérience présumée des anciens : ne seroitil
pas à craindre qu'un pareil droit d'ainesse
introduit dans l'Assemblée , n'en altérát la
fraternité ?
M. de Saint - Fargeau a terminé son Discours
en revendiquant sur- tout l'application
de ses principes pour la présente Assemblee ,
et il a insiste fortement sur la nécessite de
rasseoir son credit et son influence , en indiquant
une époque fixe et prochaine pour
l'abdication des pouvoirs des Membres qui
la composent.
Le 28 Août , à la Séance du soir , M. le
Comte de Clermont Tonnerre , President de
'Assemblée Nationale , a annonce à l'Assemblee
l'hommage que M. de Peyssonnel ,
ci-devant Consul general à Smyrne';' ai a
Py
( 334 )
fait de son Ouvrage , intitulé : Situation politique
de la France , et ses rapports actuels
avec toutes les Puissances de l'Europe , et le
Discours dont il l'a accompagné pour annoncer
ses motifs ( 1 ) .
Voici quelques fragmens de ce Discours
, dont l'Auteur est connu depuis
long - temps par plusieurs Ouvrages importans
, où il a fait preuve de zèle ,
de grandes connoissances politiques , et
du talent d'Ecrivain distingué :
M
60
·
鹎
*
"
豐
M
" Dans le sein de la retraite profonde
à laquelle j'avois consacré mes derniers
jours , l'amour de la patrie , m'a fait entreprendre
un travail étendu sur la politique
extérieure ; objet neuf, objet vierge ,
duquel personne ne s'est encore occupé ;
et qui m'a paru , dans ce moment - ci , d'une
grande importance , parce que j'ai présumé
qu'il est un des points essentiels qui seront
fixés par la Constitution . Mon travail
est achevé : je suis venu déposer à vos
pieds ce fruit de mon zèle , et de la soif
ardente du bien public qui me dévore. »
་་
Votre marche rapide vers la formation
d'une Constitution nouvelle , m'a fait penser
que ce moment étoit celui où il falloit
qu'enfin quelque Citoyen dévoué , eût le
courage de traiter cet important objet ,
« et d'articuler des vérités dures , mais indispensables.
"
N
24
(1 ) Deux Vol. in- 8 °. , prix 5 liv . brochés ,
et 6 liv. franc de port par la poste dans tout
le royaume. A Paris chez Buisson , Libraire ,
rue Hautefeuille , nº . 20.
( 335 )
"
་་
"
"
་་
"
"
Dans l'ouvrage que j'ai l'honneur de vous
présenter aujourd'hui , MESSEIGNEURS ,
je me suis efforcé de démontrer , par l'exposé
des principes généraux , le récit le
plus pur et le plus avéré des faits historiques
, et l'aperçu rapide des rapports de la
France , avec toutes les autres puissances ,
du continent , etc.
Délibéré de l'Asssemblée Nationale,
Le sieur Claude- Charles de Peyssonnel a
fait l'hommage à l'Assemblée Nationale d'un
Ouvrage sur la politique extérieure. Elle l'a
accepté avec satisfaction , et en a ordonné
le dépôt aux Archives..
Signé, l'Evêque Duc DE LANGRES , Président.
De Paris , le 24 Septembre.
Arrêt du Conseil d'Etat du Roi , du
31 Août 1789 , qui réunit au Contrôle
général des finances , le Département
des Fermes générales et celui
de la Régie générale .
་
CE
""
L'Ordonnance du Roi portant réforme da
régiment des Gardes - Françoises , vient de
paroître ; elle est en date du 31 Août. « Sa
Majesté , y est-il dit , par sa Lettre au
Marquis de la Fayette , ayant permis l'incorporation
des Bas- Officiers et Soldats
du régiment de ses Gardes -Françoises dans
les Troupes Nationales Parisiennes , Elle
a jugé à propos de supprimer ledit régiment.
" ---- Suivent quatre articles , par lesquels
les appointemens , soldes , etc. cessent
d'être payés , à compter du 1er Septembre ,
r
"
·Pvj
336 )
Pintention de Sa Majesté est , que les Officiers
soient attachés à la suite de son armée ,
qu'ils y conservent leur activite , et qu'ils
jouissent jusqu'à nouvel ordre des appointemens
qui leur étoient attribués ; et enfin Sa
Majesté fera connoitre ses intentions ulterieures
sur la liquidation de la finance de
ces Officiers.
Ce régiment a été à peine supprimé , qu'on
a prétendu qu'il en alloit être formé un nouveau
; pour cela , on faisoit emprunter des
grosses sommes à un Seigneur , à qui on le
destinoit ; on le faisoit voyager en Flandres
pour y ordonner les recrues nécessaires . Mais
ces rumeurs n'ont pas de fondemens , et si
l'intention du Roi est d'avoir un
régiment , du moins il paroit que S. M. ne
s'est pas encore expliquée à ce sujet.
nouveau
Les 60 Districts de cette Capitale ont
enfin achevé de nommer de nouveaux
Représentans , à la place des 120 qui
siégeoient depuis la retraite des Electeurs.
Chaque District a élu cinq Députés
; et ce Corps de trois cents personnes
a tenu le 18 , sa première Séance à
l'Hôtel de- Ville-
Les circonstances rendent sans doute
aussi pénibles que délicates les fonctions
de ces Députés : ils travailleront au milieu
de tous les genres de contrariétés.
Outre les détails d'administration , ils
devront s'occuper de l'organisation du
Corps Municipal.
L'approvisionnement de la Capitale, et
sa Police , ne sont pas les moins difficiles
( 337 )
branches de ce Pouvoir exécutif, aujour
d'hui si vaste et si compliqué . La semaine
derrière , il s'est élevé de nouveaux et
grands murmures sur la qualité du pain
distribué par les Boulangers , et véritablement
il falloit un appétit vorace pour
s'en nourrir . Cependant il n'a pas manqué
, quoique les boutiques des Boulangers
fussent environnées de la foule qui
se pressoit pour obtenir sa provision .
journalière . Ceux qui accusoient les
Boulangers d'infidélité dans la fabrication
du pain , ne refléchissoient pas ,
sans doute , qu'exposés , comme ils l'étoient
, à tous les dangers possibles , au
premier soupçon fondé qui se seroit
élevé contre eux , nuls Boulangers , à
moins de démence , ne pouvoient être
assez aveuglés par la cupidité , pour
braver de pareils risques. Il est arrivé
beaucoup de farines de Marseille au
Havre , et de ce port ici. Les Représentans
de la Com nune ont annoncé
en ces termes un nouveau secours .
MM . Petey , Durand , Chesnard et Duvivier
, Officiers de la Garde Nationale de
Chartres, se sont présentés à l'Assemblée pour
lui annoncer que , eharges par leur Municipalité
d'accompagner un convoi de quatre
cents sacs de farine pour la ville de Paris ,
et qu'ils y avoient amené hier , ils venoient
lui promettre , au nom de la ville de Chartres
, que , toujours empressee d'aider de ses
secours la Commune de Paris , elle continue(
338 )
roit ses soins et ses efforts pour assurer ses
subsistances , et lui envoyer, toutes les semaines
, un convoi au moins aussi considérable.
La Salle a retenti des témoignages
unanimes de satisfaction qu'inspiroient à -lafois
et les offres de la Municipalité de Charet
le zèle de Citoyens qui s'étoient
consacrés volontairement à la 'sureté d'un
objet aussi important pour la ville de Paris .
Ce qui se passa , il y a dimanche huit
jours à Versailles , confirme nos refléxions
sur l'état cruel des Boulangers .
L'un d'eux faisant du pain de deux qualités
et de deux prix , fut molesté pour
vendre l'un et l'autre à la taxe la plus
basse. Le Peuple s'ameuta ; on sonna
l'alarme ; déja la lanterne étoit descendue
, et le Boulanger près d'être pendu ,
lorsqu'un Détachement de Dragons accourut
, et , aidé ensuite d'un renfort de
la Garde Bourgeoise , l'arrachèrent des
mains de ses bourreaux. Dix- huit d'entre
eux furent arrêtés , ainsi que le Boulanger
lui-même . Les plus coupables doivent
être exécutés cette semaine . La
Municipalité de Versailles , effrayée
apparemment de ces désordres renaissans
, a agréé la demande de M. d'Estaing,
Commandant-Général de la Milice
de cette Ville , de solliciter l'arrivée
de mille hommes de troupes réglées.
Outre les six mille Fantassins de troupe
soldée qui seront chargés de la Garde
habituelle de Paris , M. de la Fayette a
( 339 )
présenté , le 21 , à l'Assemblée de l'Hôtelde-
Ville , le projet d'une Cavalerie soldée
et non soldée . Elle sera de 1200 Maîtres ,
dont six cens soldés coûteront 900,000 liv.
Ce plan a été renvoyé à l'examen des
Districts.
Orléans vient d'essuyer une nouvelle
et vive commotion. Elle a eu sa source ,
comme bien d'autres , dans l'approvisionnement
de la Ville , et dans l'indépen
dance de toute autorité , qu'exerce le
Peuple en une infinité de lieux.
Cinq cent Paysans armés ont arrêté ,
le 12 , toutes les voitures venant de la
Beauce on a envoyé , sur les dix heures
et demie , 150 Cavaliers ; un d'eux a été
blessé , ils ont fait feu , et sabré ; il y a
eu 5 à 6 Paysans de tués , sans compter
les blessés. Pareil tumulte à la porte
Magdelaine et à celle du Pont. Sur les
4 heures , il y a eu un feu roulant d'une
minute , suivi de quelques coups isolés ;
àquatre heures trois quarts , une seconde
décharge très- précipitée ; et enfin , à cinq
heures un quart , une nouvelle décharge ,
également suivie de quelques coups épars.
L'affaire s'est passée dans la rue Dauphine
, vis-à-vis l'Eglise de Saint- Marceau
, entre les Paysans , les Volontaires
et quelques Soldats de Royal - Comtois,
Le nombre des morts et blessés est considérable.
Il y a environ un mois que 42 hommes
( 340 )
de la Compagnie de M. le Chevalier
de Raulin , Capitaine au régiment de
. Dauphiné , en garnison à Toulon , désertèrent
sans aucun motif. L'Officier
l'apprend , monte à cheval , les rejoint à
4 lieues de Toulon il falloit ou prier,
ou commander ; il prend ce dernier parti :
il leur reproche de l'avoir quitté ; leur
dit qu'il vient au milieu d'eux pour les
ramener ou périr ; et mettant l'épée à
la main , il ajoute : Messieurs , au win
du Roi et de la Nation , je vous ordonne
de me suivre. Ce ton de confiance réussit
, et le brave Officier eut l'avantage
de ramener les Soldats à leur devoir.
On se soulève contre les injustices
qui regardent un Particulier : celles qui
frappent sur un Corps entier , dont les
services pénibles méritent la reconnois
sance publique , doivent soulever bien
d'avantage . Le Public éprouvera ce sentiment
, à la lecture de la lettre suivante
:
Paris , 10 Septembre 1789.
J'ai lieu d'espérer que vous voudrez bien
me rendre le service d'inserer dans la partie
politique du Merere , qui nous vient d'une
main respectable , les details que je vais
avoir l'honneur de vous fournir sur la singuliere
position où s'est trouve et se
trouve encore le régiment Suisse de Salis ,
et sur- tout relativement aux services inappréciables
qu'il a rendus et qu'il continue de
rendre à la ville de Paris , et , par contre(
341 )
coup , à tout le royaume . Il a été le premier
des regimens Suisses qui soit sorti de sa gar
nison pour s'approcher de la Capitale , puisque
des le mois de Mai , il reçut l'ordre, de
partir d'Arras pour se rendre à Beauvais , où
la cherté du grain commençoit à causer des
émeutes; mais la Municipalite de cette ville
ayant représenté au Ministre que ce surcroît
de bouches à nourrir ne pouvoit qu'augmenter
encore leur détresse , ce régiment reçut
l'ordre de se rendre à Vaugirard , Issy , Clámart
, ete. pour prévenir et réprimer les désordres
, que des troupes de vagabonds commettoient
deja dans cette partie des environs
de la Capitale . On en appelle au témoignage
des habitans de ces villages , sur la
maniere dont les Officiers et les Soldats de
ce Corps surent se concilier leur estime. Ce
fut pendant ce cantonnement qu'il passa la
revue au Champ-de - Mars ; et y fit l'admiration
d'une foule de spectateurs, pour la beauté
de sa composition en hommes , de sa tenue ,
et sur- tout pour la perfection uniqueavec laquelle
il exécuta des manoeuvres prescrites par
les Ordonnances , que bien mal-à- propos
on regardoit comme impraticables . Quelque
temps apres , on le fit camper dans ce même
Champ- de- Mars , avec deux autres regimens
Suisses , qui n'ont seulement jamais soupçonné
qu'ils pussent être destinés à autre chose qu'à
prevenir et dissiper les émeutes desordonnées
de la populace : lorsque dans la nuit da 12
au 13 Juillet on posta 15 à 1300 Suisses sur
la place de Louis XV , leurs Chefs leur défendirent
, non -seulement d'attaquer, mais
même de faire feu sur le Peuple ; aussi n'y ontils
pas tiré un seul coup de fusil , et ne sontils
parvenus que par la persuasion à empê(
342 )
cher tout acte de violence tendant à les déposter.
Ils eurent le bonheur de faire retirer
, selon leurs ordres , sans en venir à
aucune voie de fait , toute la foule qui s'étoitportée
dans cette partie de la ville. Enfin ,
lorsque leurs Chefs crurent que tout étoit
tranquille autour d'eux , ils firent rentrer ,
des minuit , les troupes dans leur camp du
Champ- de-Mars . M. de Narbonne Fritzlar, qui
les commandoit, leur fit évacuer ce poste dans
la nuit du 14 au 15 Juillet , pour se porter au
pont de Sèves , dont le Roi les fit partir le
17 au soir , pour s'acheminer vers leurs garnisons
respectives.
Mais s'il est de fait qu'aucun des régimens
Suisses appelés par le Ministère dans
les environs de Paris , uniquement , pour
prévenir et empêcher les désordres , en sont
repartis sans avoir fait verser une seule
goutte de sang à un seul Citoyen , il est
egalement indubitable que celui de Salis-
Samade a rendu , comme il rend encore , les
services les plus essentiels à la ville de Paris ,
en lui assurant sa subsistance ; et voici com
ment. Nous l'avons laissé en pleine marche
pour s'en retourner à Arras . Il avoit , suivant
la route de la Cour , couché à Pontoise , et
il étoit déja en route le lendemain 19 pour
se rendre à Chaumont , lorsqu'un courrier
lui apporta l'ordre de rentrer dans Pontoise
jusqu'au 21. Le danger le plus éminent
les y avoit rappelés , puisque le 20 une
troupe très -nombreuse de vagabonds et de
paysans des villages voisins , armés à leur
manière , vint se présenter aux portes de
cette ville , qu'ils avoient comploté de piller ;
ce qu'ils auroient fait infailliblement , s'ils
n'avoient pas trouvé le régiment de Salis-
2
( 343 )
Samade sous les armes , et disposé de manière
à leur ôter tout espoir de réussite . Ainsi , ce
régiment eut le bonheur de sauver d'un affreux
pillage , une ville appelée depuis longtemps
le grenier de Paris , et de rendre déja
par conséquent , un service bien essentiel à
cette Capitale.
Au moment de partir , le 21 , de Pontoise
pour continuer leur route , nouvel ordre d'y
rester jusqu'au 26 , auquel jour ils en reçurent
, étant déja sous les armes , un troisième
pour se rendre à Mantes ; mais cette ville
se trouvant assez gardée et désirant le renvoi
du régiment , quatrième ordre de la Cour
pour retourner à Pontoise , où il fit le service
avec la Bourgeoisie , et fournit plusieurs
détachemens avec la Milice de Paris , établie
dans un des fauxbourgs , pour escorter des
convois de grains vers la Capitale. Le 4
Août , ce régiment reçoit ordre , dans la
nuit , de laisser cinq compagnies à Pontoise
et de se rendre , avec le reste , à Ecouis en
Normandie, sur la route de Rouen ;quatre compagnies
seulement restèrent dans ce bourg ,
et les autres furent placées dans des fermes
voisines. Cette troupe harassée par un service
très -rude , et ensuite par une marche
de 15 lieues en bien moins de 24 heures , se
flattoit de respirer un peu dans cette position ,
lorsque dans la même nuit, il lui vint un ordre
de M. le Marquis d'Harcourt , qui commande
en Normandie , de se rendre , en toute diligence
à Rouen , où le désordre étoit considérable.
Le régiment y vole avec le plus
grand zèle , et y arrive encore à quatre heures
du soir. Le Général leur dit , en autant de
termes , à leur arrivée : Messieurs , le salut
du Royaune est confié à votre régiment ;
( 344 )
Paris vit du jour à la journée ; si le pain
y manque un seuljour , figurez - vous les maux
qui en résulteront , et qui sepropageront dans
tout le Royaume . Pour empêcher donc que
le pain ne vint à manquer à la Capitale , il d
étoit indispensable que les approvisionnemens
qui lui venoient du cote de la iner , 21
fussent mis à l'abri des pillages qu'ils avoient
deja éprouves ; il falloit conséquemment que
ces convois fussent escortés par une troupe
accoutumee depuis long-temps à une discipline
inebranlable , en état de résister à la
plus grande fatigue , et conduite par des
Officiers expérimentés , zeles et intelligens.
On etoit mécontent des escortes fournies
auparavant à ces convois ; on presuma que le
régiment de Salis-Samade , qui venoit de'
sauver Pontoise et les approvisionnemens
qu'elle renfermoit pour Paris , que M. Bailly'
et M. le Marquis de la Fayette avoient fortement
sollicité le Roi d'y laisser , qui , enfin ,
s'étoit fait connoitre si avantageusement ,
rempliroit beaucoup mieux une mission aussi
pénible qu'elle ' etoit importante ; et ceux qui
la lui remirent ne furent point trompés dans
Jeur confiance en un corps dont la reputa
tion étoit depuis long- temps aussi bien etar
blie. M. le Marquis d'Harcourt fit rester sept
Compagnies à Rouen , et en détacha trois ,
avec l'Etat- Major, à Yvetot , une à Caudebec
et une à la Bouille. Toutes ces Compagnies
n'ont cessé depuis lors de fournir aux convois
de grains pour Paris , des escortes par
terre et par eau ;
les premieres , sur la route
de Rouen au Havre ; et les secondes , de
Rouen à Conflans . Ce trajet sur la Seine est
de cinquante lieues : les détachemens ont ensuite
vingt- six lieues à faire pour revenir à
( 345 )
>
Rouen par terre , où ils sont à peine arrivés ,
qu'ils se rembarquent de nouveau , et font
ainsi une navette perpétuelle . Depuis lors ,
tous les convois arrivent sains et saufs à leur
destination ; mais vous jugez , Monsieur ,
qu'un pareil service , qui se fait encore avec
zele et sans murmure , est trop pénible pour
ne pas occasionner des maladies et même de
la mortalité , d'autant que ce pauvre régiment
a été obligé , en se retirant , de laisser
à l'Ecole Militaire tous ses équipages
que la ville de Paris lui a fait rendre , à la
vérité , mais qu'elle leur a fait expédier à
Arras ; de sorte que depuis le 15 Juillet ,
Officiers et Soldats sont dans un dénuement
total de toutes choses , et n'ont pour toute
garde - robe , que ce qu'ils avoient sur le corps
à cette époque. Vous conviendrez , Monsieur ,
qu'un régiment quasi ruiné par la perte de
127 hommes qui sont dans la Milice de Paris ,
où ils ont été attirés par toutes sortes de séductions
, ou bien enlevés dans les environs
de Sèves par des actes de violence , et qui
coûteront plus de 40 mille franés pour les remplacer
à la totalité des Capitaines , à qui
leurs Soldats appartiennent, et non au Roi ,
comme ceux de tout le reste de l'armée ; qu'un
régiment balotté comme il l'a été , et dispersé
, comme il l'est encore , d'une manière
qui n'a point d'exemple , et qui se maintient
cependant dans ces temps -ci , dans l'obéissance
et dans l'ordre , et sacrifie , avec zèle
et sans murmures , hommes , argent , forces
et santé pour rendre les services les plus essentiels
à la Capitale et à toute la France ,
offre un phénomène assez rare pour mériter
Pattention d'une Nation éclairée et générease
, dont il n'a cependant reçu jusqu'à
( 346 )
présent , par une suite de préventions également
injustes et mal fondées , au lieu des marques
de gratitudes auxquelles il avoit droit de
s'attendre , que des mauvais procedés , des
insultes , des refus de logement , de pain
inême ; à Mantes , on a tenté de lapider des
Soldats de ce Corps , jusques dans les logemens
qu'on leur avoit d'abord refusés. Vous
m'avouerez , Monsieur , qu'il faut bien de la
force d'esprit , un grand amour de ses devoirs
dans l'Officier , et une grande habitude
· d'obéissance dans le Soldat , pour n'avoir
point été découragés dans le zèle qu'ils ont
manifesté et manifestent encore , et que M.
le Chevalier de Bachmann , qui le commande
, a sú y maintenir.
Vous tenez de trop près , Monsieur , à la
Nation Helvétique , vous tenez trop à la jus
tice pour vous refuser de rendre à ce regiment
de Salis-Samade , le service de publier
dans votre Journal , le tableau que je viens
de vous tracer.
L. C. D. F.
Des personnes mal instruites ont répandu
que M. de Limon , Contrôleur-
Général de Monseigneur le Duc d'Orléans
, s'étoit retiré à Ostende. Ce bruit
est faux ; il n'y a passé que 48 heures ,
en allant visiter les écluses , pour y faire
des observations utiles aux canaux de
Loing et d'Orléans. Il n'a pas cessé d'être
honoré des bontés et de la confiance de
S. A. S. , dont il gère toujours les Anances.
( 347 )
P. S. Samedi dernier , dans la soirée
, l'ASSEMBLÉE NATIONALE reprit
l'examen de la suppression des Gabelles ,
sans rien décider encore.
Dimanche , elle a reçu et entendit la
lecture de la Réponse du Roi , sur la
promulgation des Arrêtés du 4 Août : en
voici le contenu :
Vous m'avez demandé , le 15 de ce
mois , de revêtir de mà Sanction vos Arrêtés
du 4 Août et des jours suivans. Je vous
ai communiqué les observations dont ces
Arrêtés m'ont paru susceptibles ; vous m'annoncez
que vous les prendrez dans la plus
grande considération , lorsque vous vous occuperez
de la confection des Lois de détail ,
qui seront la suite de vos Arrêtés ; et vous
me demandez , en même temps , de promulguer
ces mêmes Arrêtés : la promulgation
appartient à des Lois rédigées et revêtues
de toutes les formes qui doivent en procurer
immédiatement l'exécution ; mais comme je
vous ai déja témoigné que j'approuvois l'esprit
général de vos Arrêtés , et le plus grand
nombre des articles en leur entier ; comme
je me plais également à rendre justice aux
sentimens généreux et patriotiques qui les
ont dictés , je vais en ordonner la publication
dans tout mon Royaume ; la Nation y
verra , comme dans ma dernière Lettre , l'intérêt
dont nous sommes animés pour son
bonheur ; et je ne doute point , d'après les
dispositions que vous manifestez , que je ne
puisse , avec une parfaite justice , revêtir de
ma Sanction toutes les Lois que vous décréA
1.0 N.
( 348 )
terez sur les divers objets contenus dans vos
Arrêtes. » Signé, LOUIS .
J'accorde ma Sanction à votre nouveau
Décret sur les grains. Signé , LOUIS .
Lundi dernier , 21 , 728 contre 224 ,
ont décidé que , « le réfus suspensif du
Roi commenceroit à la seconde légis-
« lature qui suivroit celle où la Loi au-
<«< roit été proposée. Nous dévelop
perons cetté Séance dans huit jours .
»
P. S. Mardi dernier , LL. MM. le
Roi et la Reine ont envoyé à l'Hôtel des
Monnoies , leur vaisselle , escortée par
ún détachement de Cavalerie Bourgeoise .
On assure que les Ministres ont imité
cet exemple.
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ;
CONTENANT
Le Journal Folitique des principaux évènemens de
toutes les Cours ; les Pièces Fugitives nouvelles
in vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyſe des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles
; les Caufes célèbres ; les Académies de
Paris & des Provinces ; la Notice des Édits ,
Arrêts ; les Avis particuliers , &c . &c.
SAMEDI 5 SEPTEMBRE 1789.
A PARIS
Au Bureau du Mercure , Hôtel de Thou ;
rue des Poitevins , No. 18 .
Avec Privilége du Roi.
THE NEW YOR
PUBLICLIR
33584/
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
TABLE
1905 Du mois d'Août
1789.
PINGES
Imitation .
Im -promptu.
FUGITIVES . Mémoires .
Tableau .
3 | La Juriſprudence.
5 Nouvelle.
62
77
102
107
Avertiffement. 49 Tableau. 111
Le Laurier.
50 Sur quelques Contrées . 126
Le Père d'un fupplicié.
73 Penfées . 139
Infeription. 97
Couplets. 98 Variétés.
34, 645 113 .
Vers. 121
Charades , Enigmes & Logog.
SPECTACLES.
5 , 52, 76, 100, ĺ24 . Comédie Françoiſe. 89
NOUVELLES LITTER.Comédie Italienne.
Theatre de Monf.44,93,140.
५०
Effei. 7
Les Amours. 17
Lettres.
Annonces & Notices,
29
46 ,
Sermons.
54
68,94 , 119) 142,
Plan .
60
A Paris , de l'Imprimeric de Moutard
rue des Mathurins , Hôtel de Cluni.
,
MERCURE
DE FRANCE.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE
A M. le Comte de P ..... , fur le refpect
envers les Femmes .
DANS ANS ces temps qu'on vit nos Provinces
Avoir chacune un Souverain ,
Que dans les moindres Bourgs régnoient auffi des
Princes ,
Qui les faifoient gémir fous un fceptre d'airain ;
De la Beauté foible , outragée ,
De braves Chevaliers devinrent les vengcurs ,
Et bientôt l'Europe changée
A ce Sèxe anobli dut la gloire & fes moeurs.
Le refpect appela les Belles
Pour préfider aux Jeux , poar juger aux Tournois ;
Les rubans , les cordons , honneurs offerts par elles,
Flattoient la vanité des Rois ;
Un doux regard payoit les plus brillans exploits .
A 2
4 MERCURE
Dans les tendres Romans qu'on s'empreffoit de lire ,
On ne peignoit jamais qu'un amour innocent ;
L'amour cft vertueux quand la pudeur l'iuſpire ;
Le Héros étoit un Amant ,
Qui , couvert de lauriers , n'envioit qu'un ſourire
De la Beauté fage en aimant.
Qu'ils font grands les Mortels que fon pouvoir entraine
!
Le père du fameux Turenne
Avouoit qu'il devoit fes vertus à l'amour ,
Lorfque de Château-Neuf la Beauté fouveraine
Briloit fon coeur de feux aufi /purs que le jour.
Puiffiez - vous revenir temps heureux , où les Femmes
Dirigeoient la Jeuneffe & formoient les Héros !
Oui , l'amour est facré , quand fes puiffantes flammes
In pirent le devoir , corrigent les défauts.
C'eften vain qu'étonnant par des charmes nouveaux,
Une Belle à plaire s'excite ;
Son pouvoir eft ferdu, fi le refpect la quitte ;
En cheveux blancs, d'amour clie éprouve les maux ;
C'eft un volcan qui brûle fous les eaux.
Lorfqu'arrive l'hiver de l'âge ,
On voit s'enfuir les Tourtcreaux ;
C'eft ainfi qu'un riant bocage,
Attire une foule d'oileaux
Qui le charment par leur ramage ;
Mais fi la grêle & les coups de l'orage
En deffechent tous les rameaux ,
Ils vont chercher un autre om rage ,
Où leur chant plus joyeux rend leurs concerts plus
beaux.
DS FRANCE. S
Un maintien libre amène la licence ;
Le refpect pour le Sèxe eft le foutien des moeurs ,
Et l'amour a fon innocence ,
Quand c'eft par la vertu qu'il règne fur les coeurs.
Combien il cftimoit les Belles ,
Ce Louis fi vanté , dont le bras triomphant
Répandi: tant d'éclat fur fes Peuples fidèles !
Ce fier Vainqueur , foumis près d'elles ,
N'étoit qu'un Berger complaifant :
La Valière en fon Roi ne voyoit qu'un Amant.
Depuis, quel nouveau Code , en défordres fertile ,
A fait donner l'effor aux défirs reicnus !
La Beauté fur fon chat place les Amours nus ,
Regardant la Pudeur comme un jeu puérile ;
La Débauche conduit au Temple de Vénus
Et le refpect humain , qui fupplée aux vertus ,
N'eft qu'une barrière inu ile ;
Plus on eft indiſcret , plus on eft amoureux ;
On chaffe Célalón , & Moncade ( 1 ) eft heureux.
Nos aïeux font pour nous des êtres giganteſques ;
Nous faifons de leurs moeurs des peintures grotel
ques ,
Pour nous enorgueillir de l'éclat de nos jours ;
Mais pour le Sèxe pleins d'eftime ,
Leur gloire s'étendoit en le fervant toujours ;
Puifque le Sère fo ble a befoin de ſecours ,
Ce refpec eft le fceau d'une ame magnanime.
La brillante valeur n'eft que ce for facré
Nourri par les foins des Veftales ;
(1 ) Nom de l'Homme à bonnes fortunes.
MERCURE
Quand leur culte s'eft altéré ,
Que feront d'éclatant nos modernes Candales !
Voyez l'honneur éteint & fes liens rompus ;
Les Héros ne font pas des Mortels corrompus .
Orphite a pris à fa toilette
Des appas féduifans fi propres à toucher ;
Une voiture lefte à fa porte s'arrête ,
C'est l'agréable Atis en habit de Cocher.
Au lieu d'en condamner l'air libre & la pofture ,
Elle fourit à fon afpect ;
Eft-ce chez une fille impure
Qu'Atis vient fe montrer dans ce maintien ſuſpect ?
Que devient la vertu quand s'enfuit le reſpect !
N'en doutons point , nos habits , nos uſages ,
Sont de nos moeurs les fidelles images ;
Et le coflume enfin eft un figne évident
De ce que l'on permet & de ce qu'on défend.
Chez une Femme refpectable
Que le fentiment feul invite à nous charmer ,
La gêne devient douce & la rigueur aimable ;
Des Plaifirs la Troupe agréable
L'entoure fans avoir rien qui puifle alarmer
La naïve Décence à les attraits unie ,
Vouée à fes talens , mais fans les eftimer ;
L'éloge eft le feul tort qu'elle fache blâmer ;
Son efprit vrai , comme fa modeftie ,
Brille en aidant le nôtre à s'exprimer :
On la prend pour modèle , on veut s'y conformer ,
Et celui qu'elle forme eft bonne compagnie.
DE FRANCE.
7
Met-il fon bonheur à l'aimer ?
Il est heureux encor s'il le lui facrific .
Toi qui réunis les attraits
Du fentiment & du génie ,
De ce dernier tableau dont ton ame eft fatfie ,
Dans une épouſe, un jour, tu trouveras les traits ;
Mais tu diras , charmé de ce portrait fidèle ,
Que ta mère fublime a fourni le modèle .
( Par M. Sabatier de Cavaillon. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Bonjour ; celai
de l'Enigme en Caprice ; celui du Logogriphe
eit Boeuf.
CHARADE.
FILLETTE, dont la taille eft faite à mon premier ,
Eprouve , fans mari , le mal de mon entier ;
Mais loin d'en convenir , elle fait mon dernier.
Par M. L... de Moncy. )
ENIGM E.
QUOIQUE je falle peu de bruit ,
Et qu'en ce fiècle d'élégance 14
A
MERCURE
Je refte prefque fans crédit ,
Arifte , vous favez quelle eft mon importance.
Néceffaire à tout l'Univers ,
D'une cruelle deftinée ,
Je fais fupporter les revers ;
J'adoucis par mes foins le plus trifte hyménée ;
Qui me foilède en refpecte les nauds .
Je prête mon fecours à qui m'offre des voeux ;
Je modère l'orgueil , je retiens la colère ;
Et dans un coeur qui me révère ,
Je puis régler l'ambition ;
J'éclaire la dévotion ;
Quand il le faut , je fais obferver le myſtère ;
Je fuis l'erreur & l'indifcrétion.
Cependant, fage Arifte , avec tant d'avantages ,
Il eft peu de mortels qui m'offrent leurs hommages.
Ma préfence importune , on l'évite , on me fuit ,
Et je reçois plus d'une offenſe
Dans prefque tous les lieux où le fort me conduit.
La modération étant de mon effſence ,
Sur un tel procédé je refte fans courroux ;
Et le parti qui me femble fi doux ,
En pareil cas , c'eſt le filence .
( Par Mlle. de G... de Montauban. )
LOGO GRIPHE.
QUOIQU'AGRÉABLE que'quefois ,
Je ne dois pas , Lecteur , être d'un grand ufagė ;
DE FRANCE
Je fatigue bientôt , & fouvent j'apperçois
Que l'on me fait mauvais viſage.
Je pourrois dife davantage
Sur ce fujet , mais il vaut mieux
Te laiffer à loifir combiner tout mon être,
Dans mes dix pieds , tu vois d'abord paroître
Une plante commune en tout temps , en tous lieux ,
Fort utile dans la cuisine ,
Et, je crois même , en Médecine.
Cherche toujours , tu trouveras encor
Une fâcheufe maladic ;
Celui qui d'Ilion alluma l'incendie ,
Et caufa tant de pleurs à la veuve d'Hector ;
Ce qui nous eft néceflaire pour vivre ,
Dont chacun a fans doute égale portion ;
Ce que l'on trouve dans un Livre ;
Ce qu'on ne prit jamais que par dévotion ;
Un Pape ; un Saint ; un vafte Empire ;
Un oifeau ; puis un arbre ; un Prophète ; une fleur ;
Un titre au deffus de Mcffire ;
Un aliment ; une Couleur.
Mais , c'en est trop , tu fouris , tu devine ,
Er me dis auffi-tôt : Que l'aimable Dorine
A le talent de me faire valoir !
Mon Lecteur eſt au fait , je le quitte. Bon foir.
(Par la même. )
A S
10 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
SUR quelques Contrées de l'Europe , ou
Lettres du Ch . de *** , à Madame la
Comteffe de *** . 2 Vol. in- 8 °. , avec
cette Epigraphe :
Quiconque ne voit guère
N'a guère à dire aufi .
>
La Font. Fable des deux Pigeons.
Se trouve à Paris , chez Lejay , Libr.
rue de l'Echelle.
ON
SECOND EXTRAIT .
N ne s'attend guère à trouver en Italie
une image de la liberté . Ce n'est pas
qu'il n'y ait des Républiques ; mais les
plus confidérables , telles que Venife &
Gênes , écrasées par l'Ariftocratie la plus tyrannique
, font bien loin de pouvoir rappeler
cette Liberté , premier attribut de
l'homme , & fource première de fes vertus
comme de fon bonheur. C'est dans une
petite République , à peu près bornée à
l'enceinte d'une ville , qu'elle s'eft réfugiée.
C'eft à Saint -Marin, qu'il faut l'aller chercher.
Saint Marin fixa l'attention du fage
» Addiffon . Tout fier qu'il fe montroit
J
DE FRANCE.
"}
و د
""
-
» d'être né Anglois , on fent que le Peintre
de Caton fe feroit encore honoré du
" titre de Citoyen de Saint-Marin. C'eft
que la Démocratie pure & fimple , qui
» ne peut convent qu'à un très petit
Etat , n'a pas fubi à Saint-Marin la plus ,
légère altération ; c'est que fon Citoyen
» ne voit au deffus de lui que la Loi qu'il
" a faite lui - même , & qu'il fent que fa
Liberté dépend de l'exécution de cette ,
Loi , c'eft que du rocher où il s'affied ,
il jette un ail de mépris fur les cam-
" pagnes peuplées d'Efclaves , dont fa mon-
» tagne eft entourée , &c . «.
"}
"3
ל כ
Quoiqu'Aristocratique , la petite République
de Lucques eft encore un des
afiles de la Liberté. Un feul trait fuit pour
le prouver. Libertà , ce beau mot eſt
» écrit fur la porte de Lucques : Vous le
voyez là en lettres d'or, me dit le Gon-)
falonier alors en exercice ; il eft dans nos
» coeurs en lettres de feu. Je crus être à
» Sparte «<
""
22
Après avoir parlé de Liberté , il n'y a
plus rien à dire fur l'Italie '; il vaut mieux
quitter un inftant notre Voyageur , & l'aller
attendre en Suiffe , où lui -même il brûle
d'arriver. C'est là que la fageffe des Loix ,
hi fimplicité des moeurs, la Liberté de l'homme
, le fpectacle impofant d'une Nature
grande variée , frapperont , enflammeront
fon imagination & celle du Lecteur.
Il paroît qu'avec une ame faite pour fentir
A 6
12 MERCURE
"
"
ce qui eft grand , & un talent capable de
le peindre , M. le Chev. de *** préfère.
encore ce qui eft bon, ce qui eft utile, ce qui
ramène à ces idées primitives d'une vie
libre , égale , fimple & patriarcale , dont il
eft fi malheureux que nous nous foyons
écartés. Aufli s'arrête-t-il avec complaifance
dans les vallées d'Appenzel. Geffner , qui
vivoit alors , & qu'il ne manqua pas de
vifiter , lui avoit dit qu'il devoit plufieurs
tableaux de fes Idylles à de fréquentes promenades
dans ces vallées délicieufes. » On
» ne concevroit pas en effet que la Mufe
paftorale pût les vifiter fans être infpirée.
Figurez-vous , fur une ſurface d'environ
so à 60 lieues carrées , des payſages continuels
& d'une variété charmante. Repréfentez-
vous de riches vallées , ferpen-
» tant avec grace le long d'une chaîne de
» montagnes couvertes de bois , ou meu-
» blées de jolis hameaux . Donnez du
» mouvement & de la vie à ces payfages
par une multitude de fources vives &
de filets d'une eau pure & tranfparente.
Peignez- vous d'innombrables fabriques ,
prefque toutes entourées de grands arbres
, & déployant leur forme pittoref
» que fur des peloufes de la verdure la
plus animée . En général , c'eſt une choſe
à voir qu'une cabane Suiffe avec fon
" toit pendant en faillie : mais les cabanes
» de l'Appenzel font , aux cabanes dur refte
» de la Suiffe , ce que les maifons du char-
1
99
ود
ود
"
"
وو
>
,
DE FRANCE. 13
» mant village de Brook font aux maifons
» des autres villages de Hollande . Elles ont
» une grace , une élégance , une propreté
» fur-tout que je ne me laffois point d'ad-
» mirer........ Ah ! pour le bien péné-
S » trer des charmes de la Nature , il faut
» vivre avec cĺle ; & pour cela , on ne sçau-
» roit être trop loin des Cours , ni trop
près des cabanes de l'Appenzel. Il fant
avoir affez de bonhomie & de fimplicité,
pour plaire à de fi bonnes gens , &
» allez d'efprit pour exciter leurs failliess
" Ce ne font, à la vérité , ni des Charades ,
» ni des Calembours. Ils font affez mal-
"3
33
"
33
"3
22
heureux pour n'avoir aucune idée de ce
» genre d'efprit qui nous a rendus fi cé-
» lèbres . Mais en revanche ils étincellent
de traits , dont le fel attique femble
d'autant plus piquant dans des bouches
Suiffes , qu'un fens jufte & droir eft en
général le caractère diftin &if de cette
fage Nation. Ajoutez à ces agrémens de
l'efprit , la réunion des vertus que fuppofe
le goût le plus vif pour la vie patriarcale.
On croit à la douce chimère
» de l'âge d'or , quand on a pallé quelques
jours dans ces vallons fortunés. O caba-
" nes de l'Appenzel « !
"
و د
"
33
""
Oui , vous préfentez à mes yeux
La ficur des jardins Helvétiques.
Dans mes rêves philofophiques ,
Je la refpire & fuis heureux .
14
MERCURE
Lorfque les plaintes des Efclaves
Viennent retentir dans mon coeur ;
Quand moi -même de mes entraves
Je reflens trop la pefanteur ,
Alors ma compagne chérie ,
La vive Imagination ,
Sur l'aile de l'Illufion
Me porte aux champs de l'Helvétie.
L'Appenzel devient ma Patrie :
J'y trouve l'enſemble enchanteur
Des biens & des vertus que j'aime ,
La paix , des plaifirs fans langueur ,
De la fageffe fans fyftême ;
De Ruth la grace & la candeur ,
De Booz la bonté fuprême ;
Le gage enfin du vrai bonheur
Dans les travaux de Triptolême .
Je vis à l'ombre de vos Loix ,
Sans diftinction , fans richefle ,
Enveloppé dans la fagefie
Du dernier de vos Villageois ...
Du dernier pardon , je m'oublie ;
J'allois prendre , fans y fonger ,
Le jargon de la Monarchic ,
A la fage Démocratie ,
Heareufement trop étranger.
J'oubliois que votre ſemblable ,
L'homme , en Suiffè , n'eft rien de plus,
DE FRANCE. 15
On peut s'y rendre refpectable ,
Mais c'eft à force de vertus .
Simples Bergers , fimples Bergères ,
Et compagnons du même fort ,
Rien au berceau , rien à la mort
Ne diftingue un peuple de frères.
Point de privilége odieux ,
De droits , de rang , & de nobleffe ;
Pas un pofte pour la pareffe ;
Pas un titre pour l'orgueilleux , &c.
Ces vers font auffi agréables que les
idées qu'ils expriment font juftes & philofophiques.
Ce qui leur donne un nouveau
prix , c'eft que l'Auteur , qui écrivoit cela.
il y a vingt ans , auroit pu , s'il eût été
moins éclairé , fe prévaloir des préjugés.
qu'il condamne. S'il eft beau de méprifer
les diftinctions & les priviléges , c'eft fur- ,
tout lorfqu'on en peur jouir ; grace au
progrès des lumières & de la faine raifon ,
une grande partie de la Nobleffe Françoife.
penfe aujourd'hui comme penfoit dès lors le
Panégyrifte des cabanes de l'Appenzel .
L'agrément de ces citations m'en a diffmalé
la longueur ; mais les bornes de ce,
Journal m'avertiffent de les terminer , &
de renvoyer à l'Ouvrage même pour une
infinité d'autres détails également dignes de
plaire aux gens inftruits & aux cours fenbles
. De ce nombre font , entre autres ,
la defcription d'un Maufciée élevé dans
16 MERCURE
---
un château des environs de Berne , à une
jeune & malheureuſe femme , par un Statuaire
fon Amant ; une converfation
pleine d'interêt & de philofophie entre
l'Auteur & le fameux Poëte Haller ; -
l'Eloge du célèbre Geffner , & le portrait
piquant d'un homme fameux par l'immenfité
de fes connoiffances , par la fingularité
de fes fyftêines ,. par la chaleur brûlante
& maintenant par les écarts de fon ima-.
gination ; de M. Lavater , en un mot , Auteur
du Traité fur les Phyfionomies , actuellement
faifeur de Miracles , & conducteur
d'un troupeau d'illuminés , &c .
>
M. le Chey. de *** revint en France
par Ferney. Le fentiment prefque religieux
qu'il éprouva en approchant de cette retraite
, où vieillifoit avec honneur une
Mufe plus que feptuagénaire , prouve qu'il
eft du petit nombre d'hommes affez élevés
eux mêmes pour fentir toute la fupériorité
du génie. Les fots & les petits efprits font
à l'abri de ces émotions. Rien ne leur impofe
: ils font trop au deffous de tout , pour
y appercevoir des différences .
Voici un trait que ceci me rappelle.
Lorfque le célebre Sacchini vint en France ,
la première fois qu'il parut au Concert
Spirituel , il fut apperçu dans une Loge
& applaudi de toute la Salle. On fe levoir ,
on fe preffoit les uns fur les autres pour
le voir. Je trouvai , en fortant , un de nos
DE FRANCE. 17
prétendus Compofiteurs François . » Avez-
» vous vu Sacchini , lui demandai - je ? Qui,
» me répondit- il ; il a le nezfait tout comme
" un autre «..
Notre Voyageur n'en dit fans doute pas
autant du nez de M. de Voltaire ; auffi en
fut-il accueilli comme il méritoit de l'être .
Il lui montra l'efquiffe de ces Lettres qu'il
publie aujourd'hui : l'Apollon de Ferney
écrivit au bas ce jugement , que la modeſtie
de l'Auteur ne lui permit pas de prendre
au pied de la lettre.
Ce Chapelle , ce Bachaumont ,
Ont fait un moins heureux voyage :
Tout eft Epigramme ou Chanfon
Dans ce renommé badinage.
Vous parlez d'un plus noble ton ;
Et je crois entendre Platon ,
Qui , revenu de Syracufe ,
Dans Athène emprunte la Muſe
De Pindare & d'Anacréon .
( Cet Article eft de M. G*** . )
18
MERCURE
ACADÉMIE.
ACADÉMIE FRANÇOIS E.
LE 25 d'Août , jour de la Saint Louis
l'Académie Françoife a tenu , pour la diftribution
des Prix , une Séance publique.
que la réception de M. l'Abbé Barthélemy
a rendue encore plus intéreffante. On a
remarqué dans le Difcours du Récipiendaire
, ce bon goût & cette élégance à la
fois fimple & nobe qui font chérir aux
Amateurs de l'Antiquité les Voyages du
jeune Anacharfis , & cette modeftie qui
fed fi bien fur-tont à ceux qui devroient
le moins en avoir. M. le Chevalier de
Boufflers , Directeur de l'Académie , a répondu
à M. l'Abbé Barthélemy. Son Difcours
, compofé avec efprit , eft écrit avec
la fineffe qui caractériſe le talent de ce
Poëte aimable. Un morceau fur la Grèce ,
& toute la dernière partie de ce Difcours ,
ont fait la plus vive fenfation. M. Marmontel
, Secrétaire - Perpétuel , a annoncé
que le Prix de Poéfie avoit été remporté
par M. de Fontanes. Le fujet propofé étoit
le Rappel des non Catholiques . M. de FonDE
FRANCE. 19
tanes a demandé la permilion de lire luimême
fon Ouvrage. Co Preme a confiné
l'opinion avantageufe que le Public a depuis
longtemps conçue des talens de l'égant
Traducteur de lEffai fur l'Homme.
On y remarque un grand nombre de beaux
vers , & cette mefare qui , fans r dre la
liberté de penfer plus timide , l'empêche
de dégénérer en licence . Il y a long- temps
que l'Académie n'avoit couronné un Poënte
de cette force. Le Prix de Vertu a été décerné
à la Dometique qui fert depuis plus
de quarante ans le Sieur Reveillon . Cette
femme , âgée de foixante- dix ans , dans ces
temps malheureux où la maifon du Sieur
Reveillon for pillée & Liccagée , a donné
les preuves les plus étonnantes d'un attachement
inviolable pour fon Maître ; elle
a oppofé aux Brigands qui dévaftoient la
Manufacture de ce Citoyen utile , un courage
héroïque. Nous regretions de ne pouvoir
pas , à caufe de l'abondance des mtières
, inférer les détails de fa courageufe
conduite , que M. Marmontel a développés
dans un Mémoire fort intéreffant . Le Prix
d'Encouragement a été adjugé à M l'Abbé
Noël , qui avoit concouru pour le Prix de
Poélie , & dont le Poëme avoit obtenu une
mention honorable . Le Prix d'Utilité a été
décerné à M. Gudin , pour fon Ouvrage
fur les Comices de Rome , les Etats- Généraux
de la France, & le Parlement d'An20
MERCURË
gleterre ( 1 ) . Le Prix d'Eloquence , dont le
fujet étoit l'Eloge du Maréchal de Vauban,
eft remis à l'année prochaine , ainfi que le
Prix fondé par M. l'Abbé Raynal. L'Académic
propofe pour fujer du Prix d'Eloquence
de 1790 , l'Eloge de Jean-Jacques
Rouffeau. Cette annonce a été vivement
applaudie.
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
Nous ne ferons qu'indiquer la première &
unique repréſentation qui ait été donnée ( le Mercredi
12 Août ) , des fauffes Préfomptions , ou le
jeune Gouverneur , Comédie en cinq Actes & en
vers , imitée de l'Allemand .
Une vieille folle , qui fe croit aimée par le jeuné
Gouverneur ; un Pupille qui devient amoureux
de la foeur de fon Inftituteur ; un duel entre
F'Elève & le Maître , où celui- ci eft entraîné par ,
l'impétuofité du premier , & où il le comporte
en homme généreux ; un Duc qui s'extafie fur la
conduite du Gouverneur , au point de confentir
au mariage de fon fils avec la foeur de ce Gouverneur
, qui eft un homme très - bien né. Tels
(1 ) Cet Ouvrage fe trouve chez Maradan ,
Libraire , rue Saint -André-des - Arcs , hôtel de
Chateau-Vieux.
DE FRANCE. 21
font les principaux caractères , les refforts effentiels
de cette Comédie , dont le fonds eft fingulièrement
romanefque , dont le ftyle eft plus que
négligé , & qu'on n'a pas voulu bien entendre.
LE Mercredi , 19 du même mois , on a repréfenté
pour la première fois Ericie ou la Vejtale ,
Tragédie en trois Actes.
Ericie aimoit Ofmide ; mais Aurèle fon père
l'a facrifiée à l'avancement de fon fils , es la
forçant d'entrer au nombre des Veltales . Ericie
maudit les voux qu'elle a prononcés , quand
Ofinide trouve le moyen de s'introduire dans le
Temple de Vefta , lai rappelle fes ferruens , ranine
on amour , & l'engage à le fuivre. Peadant
leur converfation , le feu facré s'éteint ; &
ane jeune afpirante , effrayée de ce malheur &
de l'afpect d'un homine, révèle auffi -tôt le fecret
fatal. Ericie , qui s'accufe elle - mène devant la
Gde, Prêtrale , eft remife au G. Pontife , fon Juge
faprême. Dans ce Juge , elle reconnoît Aurèle fon
père , quifrémit en la reconnoiffant à fon tour. Au
rele a perdule fils qui l'a rendu barbare ; il a cherché
des confolations dans le Ministère des Autels
, & il n'eft parvenu au Pontificat que pour
devenir une feconde fois le bourreau de la file.
La fituation du père & de la fille eſt très -inté,
reffante. Elle le devient davantage quand Ofide
reparoît reproche à Aurèle fes torts affreux ,
reçoit les adieux d'Ericie , & emploie tour à tour ,
auprès d'Aurèle , la menace & la prière en faveur
d'Ericie . Aurèie écoute en filence , regarde
Olamide , s'attendrit , & fe retire . Le malheureux
Amant forme alors le projet d'enlever Ericie à main
arméc. On conduit Ericie au lieu de fon fupplice.
Elle eft en proie , ainfi qu'Aurèle , aux mouvemens
les plus douloureux. La Grande - Prêtrefle
22 MERCURE
hâte le barbare facrifice ; Ericie s'avance vers
fon tombeau , Ofnude paroît fuivi d'une troupe
de Romains armés ; ii plaide fa caufe devant le
Pe pe effrayé de ce qu'il appelle fon audace
facrilège ; il veut enlever fon Amante ; Ericie au
défe poir , voit le Peuple prêt à facrifier for
Amant ; elle renouvelle l'aveu de fon amour
poignarde ; Olmide fe faifit du fatal couteau
s'en frappe , & tombe auprès d'Ericie .
,
Cette Tragédie eft imprimée depuis 1769 , 8
des raifons de police en ont empêché la re
préfentation fur la Scène Françoile , où elle avo
été reçue avant fon impreflion. Depuis , elle a
trouvé une rivale redoutable dans Mélanie , Pièce
dont le but moral eft plus fenfible , plus direct
& par conféquent plus fufceptible d'un grand
effet , qu'un Ouvrage qui ne marche à fes fins
que par des voies détournées . Les Auteurs d'E
ririe & de Mélanie ont eu les mêmes intentions
ils ont voulu , l'un & l'autre , s'élever contre le
criminel orgueil de ces parens infenfés , qui pouvoient
impunément immcler une partie de leurs
enfans à l'autre , & qui, en fe vouant à la haine
de ceux qu'ils facrifieient ainfi , ſe vouoient en
même temps au mépris de ceux pour lefquels ils
confommoient le facrifice. On doit des éloges à
l'Auteur d'Ericie , on en doit davantage à celui
de Melanie, parce qu'à l'avantage d'avoir préfenté
fon fujet en face , il joint la fupériorité du ftyle.
Ericie a produit peu d'effet ; ce n'eft pas qu'il
n'y ait de très -belles données dramatiques , des
mouvemens tragiques d'un grand intérêt ; mais
deux perfonnages feulement y développent leurs
caractères , & il en résulte un peu de monotonie
dans la marche des fcènes. Le dénouement d'ailleurs
n'eft point fatisfaifant. La mort d'Ofmide ,
qui fuit immédiatement celle d'Ericie , offre un
fpectacle qui outre - paffe ce qu'au Théatre on
DE FRANCE. 23:
-
appelle la pitié , & il.a excité des murmures. On
fort applaudi des vers de fentimens , des idées
fortes , & des détails très bien exprimés. Il a
panqué à cet Ouvrage d'être repréſenté il y a
ingt ans ; à cette époque , il auroit , à coup für ,
btenu le plus grand fuccès ; ce qui alors auroit
aru vigoureux ferme & courageux , paroît
sjourd'hui naturel & fimple , parce que les temps
pnt changés ; Et habent fua fata libelli.
,
ANNONCES ET NOTICES.
LES Vaux d'un Citoyen , Difcours adreffé au
Tiers-Etat de Bordeaux , à l'occafion des Lettres
de Convocation pour les Etats-Généraux de 1789 .
Brochure in- 8 ° . de 64 pages ; par M. de S *** ,
Médecin à Bordeaux , Député aux Etats -Généraux .
A Bordeaux ; & à Paris , chez Godefroy , Libr
quai des Auguftins,
ROYEZ , Libraire , quai & près des Auguftins ,
diftribue quelques notes de Livres les plus recherchés
& les plus propres aux circonftances , foit
fur le Gouvernement , les Finances , les Réformes
kles Etabliffemens utiles , foit fur l'Hiftoire de
France : il vient encore de raſſembler une Collettion
intéreffante pour ceux qui veulent ſuivre &
comparer l'Hiftoire des grandes Révolutions chez
les différens Peuples : favoir , les Variations de
la Monarchie Françoife dans fon gouvernement
civil , politique & militaire , 4 Vol 12 liv . ; = les
Révolutions du Droit François , in - 8 ° . , § liv.
Etat ancien & préfent du Gouvernement & Police
24- MERCURE DE FRANCE.
=
François , par le Marquis d'Argenſon , in- 3º .
4 liv .; Révolution des Empires, par Renaudot,
2 Volum. , 7 liv. La dernière Révolution de
Suède , par Sheridan , in - 8 ° . , 6 liv.
Celle par
- Vertot ; d'Angleterre , 6 Vol . nouvelle édition
continuée jusqu'à ce jour , 18 hiv . , &c. Plus , la
Collection des Anecdotes hiftoriques des différens
Pays , des Républiques , &c. à 5 liv. le Volume.
Le même Libraire tient auffi les Ouvrages Militaires
les plus faits pour les Citoyens , comme
l'Esprit Militaire , 3e . édition , 4 lv. La Morale
propre au Militaire François , in - 12 , 2 liv . Il a
les meilleurs Ouvrages fur la Chafle & la Pêche ;
le Manuel du Chafleur , avec les Fanfares de
Chaffe ; l'Art de nager , par un Plongeur , &c.
le Traité du Scaphandre , ou l'Art de fe tenir
fur l'eau , &c. &c .
=
Le Nouvellifte Univerfel , Numéros 1 , 2 , 3. A
Paris, chez l'Auteur, rue Neuve des Pétits - Champs,
N° . 166 ; & chez M. Vaufleuri , Libraire au Palais-
Royal.
Comment fe procurer tout ce qui s'imprime
fur l'Affemblée Nationale ? Les frais de tous les
papiers font énormes. On a eu deffein de mettre
ies Lecteurs en état de fe fatisfaire à peu de frais ,
en raſſemblant dans un feul Ouvrage les matieres
éparfes dans tous les autres. Le prix eft de 6 liv.
par mois , & de 7 liv. 10 f. pour la province ,
franc de port.
EPITRE.
TABLE.
Charade, Enig. & Logog.
Sur quelques Contrées.
3
Académie Françoise..
Comédie Françoiſe.
Ial Annonces & Notices.
20
23
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
SUÈDE.
De Stockholm , le 10 août 1789.
APRES la prise d'Hogfors , il s'est passé
une affaire particulière , dont la singularité
mérite attention . Le détail authentique
de cet incident , et ses pièces justificatives
, ont été rendus publics , dans
la teneur suivante :
« A la prise d'Hogfors , le 18 Juillet , où
le Roi se trouvoit en personne , les Chasseurs
du Lieutenant - Colonel Drufva , à la
poursuite des Ennemis , firent prisonnier
un Lieutenant au Régiment de Skosesk ,
qu'ils amenèrent au Roi . Ce Prince fit traiter
le Prisonnier , Lieutenant , avec l'humanité
des Nations policées. S. M. lui fit rendre son
épée ; et ayant appris de lui-même que les
Chasseurs ne lui avoient rien pris , Elle fit
donner une gratification à ces braves Guerriers
, aussi désintéressés que valeureux .
"
"
Le Roi voulut faire une galanterie an
No. 36. 5 Septembre 1789. A
( 2 )
Prince Labanoff , Ancien Colonel du régiment
de Skosesk , neveu du feu Comte de
Panin , élevé en Suède , et qui , pendant la
campagne de l'année dernière , témoigna beaucoup
de politesse aux Prisonniers Suédois . »
« Sa Majesté ordonna au Baron de Klingsporre
, son Aide-de - Camp-général , d'écrire
une lettre très-polie au Prince Labanoff, et
de renvoyer l'Officier captif sur sa parole. Le
surlendemain , 20 , un Trompette , accompagné
d'un Officier Suédois , reconduisit le Prisonnier
Russe. Arrivés aux postes avancés de
l'Ennemi , à 5 verstes de ceux des Suédois 1
le Trompette sonna et appela ; mais on ne
lui répondit qu'avec des décharges redoublées ,
des Cosaques et Chasseurs , et , malgré un
second appel , la fusillade continua. »
« Les Officiers et le Trompette furent
obligés de revenir. Le Roi étoit encore à
Hogfors , et alloit repartir pour le camp de
Likala , lorsqu'on vint lui rendre compte de
la réception de son Trompette. Sa Majesté
supposant qu'une si étrange réception n'avoit
d'autre cause que la licence accoutumée des
hordes barbares et indisciplinées qui composent
les troupes légères des Russes , et que
Jurs Officiers mêmes ne peuvent contenir ,
ordonna au Baron de Klingsporre d'écrire une
lettre au Prince de Nassau , qui commande
la flotille Russe , alors stationnée à l'embouthure
du port de Frédéricsham , l'instruire de
ce qui s'étoit passé , en ie priant d'envoyer
la lettre au Prince Labanoff, et de charger
un vaisseau parlementaire de cette commis-
´sion. Le Roi étoit persuadé qu'avec un Commandant
tel que le Prince de Nassau , on
ne risquoit point de voir violer les droits de
la guerre ; le Prince de Nassau ayant l'hon-
*
( 3 ) C
neur d'ê re connu personnellement du Roi ,
depuis le voyage de Sa Majesté à Spa , et
ayant eu celui , pendant le siége de Gibraltar,
d'être en correspondance avec S M. Le Roi
ajouta à la lettre du Baron de Klingsporre
quelques mots de sa main , cù S. M. lui faisoit
un reproche gracieux de ce qu'il portoit
les armes contre Elle , en le priant d'engager
les Ennemis à respecter ce Trompette et les
lois de la guerre . Le Parlementaire fut reçu
avec toutes les politesses usitées chez les Nations
policées , et comme l'on est accoutumé
d'en user entre François et Anglois. »
« Un Ollicier envoyé de la part du Prince
de Nassau , arriva quelques heures après ,
avec des complimens du Prince et du Chevalier
de Litta , Commandant en second
qui avoit eu aussi l'honneur d'être connu di
Roi , pendant le sé our de ce Monarque à
Milan. L'Officier , décoré de la Croix de Saint-
Louis et de celle de Cincinatus , fit les excuses
au Prince de ce qu'il ne répondoit pas
sur- le-champ , mais étant lui - même sous les
ørdres du Comte Moussin Poutschkin , il en
avoit envoyé demander la permission à ce
Général. Le 29 Juillet ( 12 de vieux stile ) ,
un vaisseau parlementaire Russe apporta une
lettre du Prince de Nassau au Roi , une réponse
à celle du Baron de Klingsporre , et une
copie de la réponse du Général Moussin
Poutschkin au Prince de Nassau. n
« Cette dernière lettre n'est qu'un long et
vélément manifeste contre la personne même
du Roi de Suède : on y remonte aux causes
de la guerre , et l'on y dit en termes exprès ,
que cette guerre entreprise par le Roi de
Suède , sort , par sa nature , des règles communes
, et qu'à peine peut-elle prendre la dé-
A ij
( 4
nomination de guerre. Il est même question
dans cette lettre de la prétendue conjuration
pour incendier la flotte Russe à Copenhague ,
et de l'affaire d'un Armateur Suédois , com .
plètement ignorée à l'armée du Roi , et dont
on a d'autant plus de raison de récuser l'authenticité
, que S. M. n'ayant pas voulu donner
des lettres de marque , il n'existe véritablement
, en ce moment , pas un seul Armateur
avoué . Ce reproche d'ailleurs seroit bien
frivole , puisqu'il est très - connu qu'un Souverain
peut punir des exactions de ses Armateurs
; mais qu'il est difficile de les empêcher.
Cette raison même a décidé le Roi à refuser
des lettres de marques demandées , puisque
d'ailleurs il fait la guerre à une Puissance
qui , au plus , a 7e vaisseaux marchands .
Toute cette lettre d'ailleurs est du style du
manifeste de l'année dernière ; mais il n'y
est fait aucune mention du Trompette , ni
des actes contraires aux lois de la guerre .
Tout ce procédé prouve que les Moscovites
d'aujourd'hui ne sont pas , en tout , revenes
des anciens préjugés barbares , et qu'il n'est
ni permis , ni possible de faire avec eux la
guerre , avec cette générosité qui distingue
les guerres des autres Nations »
« Aussi les barbaries qu'ils ont exercées
dans le Savolax , leurs vexations , leurs cruau
tés en tout genre , contrastent- elles d'une
manière frappante avec la douceur , l'humanité
et la bonne discipline qui règnent dans
le camp des Suédois , où , au milieu du pays
ennemi , on voit les troupeaux entrer dans
leurs camps , être payés , et les maisons des
Particuliers respectées et gardées les Russes
, au contraire , tirent sur les châteaux
des Particuliers , les brûlent , détruisent à
:
( 55 ))
coups de canons les Eglises pendant le Service
Divin , et même les hôpitaux où leurs propres
Soldats blessés étoient soignés des Sué
dois. »
Le Billet écrit de la propre main dų
Roi au Prince de Nassau , portoit en
substance :
«<
8
« Je m'adresse à un Chevalier François
, qui va chercher la gloire par-
« tout où se trouvent la guerre et les
« dangers , pour le prier d'engager mes
« Ennemis à respecter les lois de la
« guerre . Tâchons , autant qu'il est en
« nous , d'en adoucir les calamités . Lorsque
j'eus le plaisir de vous voir à Spa,
<< et que vous ine promîtes de venir me
<< voir un jour , je ne croyois pas que
<< vous viendriez si bien accompagné ;
<< mais j'espère que nous nous efforce-
« rons de vous recevoir convenable-
« ment , et je vous prie d'être persuadé
que je vous conserverai les sentimens
* que vous me connoissez . »
Copie d'une Lettre du Baron DE
KLINGSPORRE , Aide-de-camp-général
du Roi , au Prince DE LABANOFF.
« Le Roi mon Maître m'a ordonné de
vous envoyer , sur sa parole , M. Sibelef,
Lieutenant dans le régiment que vous avez
commandé , fait Prisonnier dans l'affaire qui
s'est passée hier entre ses troupes et celles de Sa
Majesté Pimpératrice de toutes les Russies . »
A iij
( 0)
Sa Majesté saisit cette occasion avec plai
sir , pour soulager un Officier qui a fait son
devoir en brave homme; et qui , quelque tien
traité qu'il seroit , comme Prisonnier du Roi de
Suede , pourroit pourtant regretter sa Patrie .
Vous voudrez bien , M. le Prince , regarder
cette attention de la part du Roi , comme une
preuve de sa façon de penser , et de șa bienveillance
envers vous , ayant passé quelque
temps dans ses Etats ; et je suis d'autant plus
charmé d'être chargé de ses ordres , qu'ils
me procurent l'occasion de me rappeler dans
votre souvenir , espérant que des temps plus
tranquilles me fourniront celle de cultiver une
ancienne connoissance , et de vous témoigner
de bouche l'estime particulière et la considé
ration parfaite avec laquelle j'ai l'honneur
d'être , elc.
Copie d'une Lettre de M. le Baron DE
KLINGSPORRE au Prince DE NASAU
SIEGEN , du quartier général
de Kymenegard , le 20 Juillet 1789.
Les troupes de Sa Majesté le Roi mon
Maître ont fait Prisonnier de guerre , en l'atfaire
d'Hogfors , le 18 de ce mois , un Officier
Russe , à qui le Roi a bien voulu accorder
la grace de retourner , sur sa parole , en
sa Patrie : l'ayant fait partir ce matin , escorté
d'un Officier , de deux Dragons et d'un Trompette
, avec une lettre de ina part au Prince
de Labanoff, Officier général dans les troupes
de Sa Majesté l'Impératrice de toutes les Russies
, il est arrivé aux postes avancés que ,
malgré que le Trompette a sonné l'appel à
deux différentes reprises , les Vedettes y postés
ont fait feu dessus ; chose inouie , et dont
( 7 )
le Roi ne reconnoit aucunement ces usages
établis dans les armées des Puissances de
l'Europe. »
« Le Roi croyant , M. le Prince , que vous
commandez en chef l'escadre de Sa Majesté
Impératrice de toutes les Russies , et se rappelant
avec plaisir de vous avoir connu dans
des temps plus tranquilles , m'a ordonné d'avoir
l'honneur de vous écrire de sa part , pour
vous exposer ce fait , persuadé que vous voudrez
bien , M. le Prince , donner des nouvelles
au Général , comminandant en chef l'armée
Russe , qui ne pourra pas manquer d'y mettre
ordre. Je vous supplie , Monsieur , d'accepter
les assurances de la plus parfaite considération
avêc laquelle j'ai l'honneur d'être , etc. »
Copie d'une Lettre du Comte Mous-
SIN POUTSCHKIN au Prince DE
NASSAU , datée du camp général
près du village de Kovola , le Juil
let 1789.
18
« Je suis à même aujourd'hui , mon Prince
de vous communiquer mes idées sur les lettres
que le Baron de Klingsporre , Aide - de- campgénéral
du Roi de Suède , vous a adressées , et
principalement sur l'apostille de la main de ce
Prince qui l'accompagnoit , et je me presse de
Vous les transmettre . »
« La guerre qu'il a plu au Roi de Suède de
nous intenter , sort , par sa nature , des règles
communes adoptées par les Nations . Sa Majesté
Suédoise n'a pu la susciter qu'en violant à
la fois , et sans aucun sujet de notre part , et
les sermens des Traités solennels qui la
lioient vis - à - vis de nous , et ceux de ses engagemens
envers sa propre Nation. Entre-
A iv
( 8 )
T
prise ainsi contre toute sorte de foi , cette
guerre à peine peut- elle en prendre la dénomination.
Elle est dénuée de tout motif national
, et sur- tout de la sanction nationale ,
qui étoit indispensable pour la légitimer des
son origine . Le respect dû aux têtes couronnées
m'empêche de qualifier les causes motrices
de cette gucrte ; elles se présument fortement
d'après ce que je viens d'exposer cidessus
, et ceux qui combattent pour une pareille
cause en sont les complices , ou les
victimes de la séduction ou de la contrainte
qui les y ont entraînés. Cependant l'humanité
et la justice doivent par-tout exercer leurs
droits : ces vertus ont guidé toute la conduite
de l'Impératrice ; Elle les a sur- tout manifestées
dans les égards scrupuleux qu'Elle a observés
pour les droits neutres , non- seulement
en ne troublant point leur sécurité chez elle
mais en assurant la liberté de leur commerce
et de leur navigation , conformément aux principes
qu'Elle a une fois avoués , et auxquels
le Roi de Suede a été un des premiers à adhérer.
Que l'on compare ces procédés avec le complot
, aussi horrible qu'avéré , tramé par un Ministre
avoué de Sa Majesté Suédoise , d'incendier
l'escadre Russe stationnée à Copenhague ,
et avec elle une résidence d'un Souverain
qui avoit reçu ce Ministre sous la sauvegarde
sacrée de la bonne foi publique , et
l'enlèvement récent d'un vaisseau neutre , dans
un port neutre , exécuté par un Armateur Suédois
, de la manière la plus traitreuse et la
plus perfide : l'on ne sera point embarrassé
de décider si c'est à ceux- ci à recevoir des le
çons d'humanité et de générosité de la part d'un
Ennemi qui en ignore les premiers principes ,
+
( 9 )
A
ou du moins qui met si peu de scrupule à n'en
suivre aucun . »
« Voilà , mon Prince , à mon avis , la réponse
que Votre Altesse a à faire aux reproches
, aussi choquans qu'injustes , qu'on nous
fait dans les missions étranges qui vous ont
été adressées. Pour vous épargner la peine
d'entrer dans tous ces détails que renferme
cette lettre- ci , je vous laisse le maître d'en
envoyer une copie entière au Baron de Kings-
-porre , en vous contentant de vous référer à
son contenu dans le billet dont vous l'accompagnerez.
»
<<
mê-
Quant aux choses personnelles à vous ,
mon Prince , que contient l'apostille du Roi de
Suède , il dépend absolument de Votre Altesse
d'y répondre tout ce qu'Elle jugera & propos ,
ou de n'y pas répondre du tout . Nous savons
aussi bien que Sa Majesté Suédoise , que l'amour
de l'honneur et de la gloire vous guide ;
mais nous croyons que , lorsque cet amour
vous expose à des dangers réels , vous y
lez un motif plus noble et plus sérieux que
celui que le prétendu compliment de ce Prince
laisse à entendre , et que ces sentimens d'admiration
, de zèle et de respect , dont vous
avez déja donné des preuves à l'Impératrice ,
joints à ceux d'estime et d'amitié que vous
avez pour ses Sujets , ont été les vrais motifs
qui vous ont déterminés à lui offrir vos services
, et à en partager les périls avec nous. »
Copie d'une Lettre du Prince DE
NASSAU à Sa Majesté le Roi de
Suède , datée de Frédéricsham , le 18
Juillet 1789.
64
J'ai dû passer à M. le Comte de Pouts-
Av
( 10 )
chkin la lettre que Votre Majesté a donné ordre
de m'adresser ; j'envoie à M. le Baron de
Klingsporre la réponse de ce Général. Les
bontés , Sire , dont Votre Majesté m'a comblé
, m'ont fait envisager avec une peine extrême
, le parti qu'Elie a pris d'attaquer les
Etais de Sa Majesté l'Impératrice , dans un
moment où cette Auguste Souveraine , comptant
sur la solidité de ses Traités avec Votre
Majesté , avoit totalement dégarni les frontières
, pour porter ses forces contre des Barbares
qui lui faisoient une guerre injuste :
ayant eu le bonheur d'être admis à son seṛ-
vice , je sentis dès-lors que je serois dans le
cas de porter les armes contre Votre Majesté ;
mais mon devoir et, mon dévouement entier
pour Sa Majesté l'Impératrice m'y oblige , et
je tâcherai Sire , de m'y conduire de manière
à mériter l'opinion etl'estime que Votre
Majesté a daigné m'accorder. J'ai l'honneur
d'être , avec le plus profond respect , etc. ».
Copie de la Lettre du Prince DE
་ ་
NASSAU au Baron DE KLINGSPORRE
, datée de Frédéricsham , le
18 Juillet 1789.
Ayant été obligé de communiquer à M.
le Général en chef Comte Poutschkin la lettre´
que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire , je
m'empresse de vous faire passer la copie
de la réponse qu'il vient de me faire . Je vous
prie , Monsieur , d'agréer les assurances des
sentimens de la plus parfaite considération
avec lesquels je suis , etc. n
Le Gouvernement å rendue publique ,
en ces termes , la relation de la victoire
( 11 )
remportée , le 20 Juillet , par le Brigadier
de Steding sur le Corps Russe aux ordres
du Général Schültz.
« Le 20 Juillet au soir , le Colonel de Stedingk,
Chef de Brigade , se mit en mouvement
pour attaquer les troupes ennemies près
du Pont de Pouiko et de Parkowaki , sous les
ordres du Lieutenant- Général Russe Baron
de Schultz. Le Major Gahn s'avança avec la
grosse Artillerie et 180 hommes jusqu'au Pont
de Pouiko . Un Capitaine arec 105 hommes
eut ordre de faire une fausse attaque contre
le flanc droit de l'Ennemi . Le Colonel de
Stedingk , lui-même , se porta avec mille
hommes et 4 pièces de campagne au village
de Hildula , en passant un chemin étroit qui
traversoit le bois , dans la vue d'envelopper
le flanc gauche de l'Ennemi . En même tenips ,
les chaloupes-canonnières canonnèrent Laita-
Silda. Ce ne fut qu'à un quart de lieue de
Parkumaki, que l'Ennemi commença d'opposer
de la résistance au Colonel de Stedingk;
mais il fut environné par nos troupes. Pres
de ce dernier village . il campoit un bataillon
de Grenadiers et 3 Compagnies de Chasseurs.
Le Général de Schultz lui même' , étoit posté
avec le Lieutenant- Colonel Toll, et 2 Com- ·
pagnies de Chasseurs près du Pont de Pouiko ;
de sorte que toute la force de l'Ennemi faisoit
11 à 12 cents hommes. Les Cosaques , qui
avoient vu le Corps du Colonel de Stedingk
en marche , et qui avoient jugé de sa force
d'aprésta longueur de sa colonne , sans penser
an peu de largeur du chemin , rapporterent
qu'elle alloit à 3 mille hommes . Cette information
mit le Général de Schiltz dans la
plus grande confusion : il donna ordre que
A vi
( 12 )
chacun se défendît dans son poste jusqu'à la
dernière extrémité ; ce qui fut effectivement
exécuté . L'Ennemi avoit garni Parkumani et
le village voisin : nos troupes y trouvèrent
une si vigoureuse résistance , que le régiment
d'Ostro -Bothmie commença à plier . Le Lieutenant-
Colonel de Numme s et plusieurs Of
ficiers de ce régiment é: oient malheureusement
restés fort malades à Jorocs . Immédiatement
après que l'action eut commencé , le
Major Comte Oxenstierna et quelques autres
Officiers furent blessés . Ainsi il n'y avoit
alors nulle apparence que hous remporterions
la victoire ; mais la fermeté de nos
froupes et la valeur de leurs Chefs , obligèrent
enfin l'Ennemi de prendre la fuite , en abandonnant
son camp , ses canons , ses bagages ,
etc. , qui tous tombérent entre nos mains.
Si nous avions eu un peu plus de Cavalerie ,
pas un seul homme des troupes Russes n'eût
échappé ; mais les 40 Dragons , que le Colonel
de Stedingk avoit amenés avec lui , étoient
fort harassés par les attaques réitérées. En
attendant , le Major Gahn et le Capitaine
Duncker s'étoient dejà avancés jusqu'au Pont
de Pouiko , à 3 quarts de lieue de Parkumaki ,
lorsque l'Ennemi prit le parti de se replier
sur ce village ; mais il étoit déja occupé par
Mos gens . Le Major Gahn fit promptement
réparer le Pont , et poursuivit l'Ennemi . Ce
fut ici que le Général Baron de Schultz prit
lui même la fuite , et resta enfoncé dans
un Mar is , d'où les Paysans et des Cosaques
le retirérent. Le Lieutenant-Colonel Toll
se défendit long- temps , quoiqu'il lui fût impossible
d'échapper ; et il ne se rendit que
lorsqu'il ne lui resta plus qu'un seul homine
près de son Artillerie. Ainsi notre victoire
( 13 )
fut complète. La perte de l'Ennemi conista
en 5 Officiers et 200 Soldats tués , 4 Officiers
et 130 Soldats blessés , Prisonniers ; 15 autres
Officiers et 300 Soldats , non blessés , Prisonniers
en tout , 654 hommes. Les Trophées
que nous avons pris , sont , 5 canons de
fonte , 2 Drapeaux , 16 chariots de munitions
, une caisse d'instrumens , un équipement
complet pour 1000 hommes , avec le camp
pour un bataillon et 6co fusils . Le Brigadier
en chef de Stedingk, qui a vu avec
admiration la conduite intrépide du Lieutenant-
Colonel Toll, fait éprouver , tant à lui
qu'aux autres Officiers Prisonniers , parmi
lesquels sont aussi les Aides - de - Camp du
Baron de Schultz , les procédés les plus honnêtes
il leur a fait rendre leurs équipages
de campagne , et il leur a accordé la plus grande
liberté sur leur parole. Nous avons perdu
dans cette action le Capitaine de Dragons
Linderantz , 38 Bas - Officiers et Soldats tués ;
11 Officiers et 138 Soldats blessés . »
:
Quant à l'affaire de Likala , d'où le
Général Major de Kaulbars s'est retiré ,
inopinément , en voici les circonstances;
elles prouvent que cette retraite mala
-droite n'a entraîné aucunes suites fâcheuse.
« Suivant les derniers avis des opérations
de l'armée Suédoise en Finlande , le Général
Major de Kaulbars s'étoit mis en marche de
Heinola , le 15 juillet , pour occuper le poste
de Caipias , à l'effet de couvrir le flanc gauche
du Roi ; mais après une attaque qui ne réussit
point , il jugea à propos , le 16 au matin ,
de se retirer , non - seulement de Caipias , mais
( 14 )
aussi d'Uttismalm èt de Kowalla , et même
au- delà du Pont plus loin encore en arrière
jnsqu'à Warela , directement contre les ordres
que lui avoit donnés par écrit le Lieutenant-
Général Baron de Siegroth , qui commandoit
dans l'absence du Roi pres de Likala Par
cette retraite , non-seulement la communication
avec le Général-Major Kaulbars fut
coupée , mais , lorsqu'il eut abandonné encore
le Pont près de Warela , l'armée se trouva .
absolument à découvert sur ses arrières , et
le Pont près d'Anjala etoit sans defense. Cependant
, l'on remédia à cette situation critique
, le Lieutenant-général de Platen ayant
garni les défilés entre Viala et Memmela.
Dans ce temps , le Roi étoit encore occupé
près d'Hogfors , à eloigner davantage l'Ennemi
de ce passage important qu'il avoit
dû récemment abandonner ; mais S. M. revint
immédiatement à Likala avec ses troupes , et
fit des dispositions pour prévenir les inconvéniens
ultérieurs que pouvoit entrainer
ne retraite si précipitée. En attendant , l'on
fut informé que le Général Major de Kaulbars
-stoit replié encore plus loin. Par là , la
position à Likala devenit infiniment dangereuse
; et le Roi dut se préparer à une
prompte retraite , après avoir préalablement
donné ordre au Comte de Hamilton , qui
commandoit le Corps destiné à défendre
Jes défilés entre Viala et Memmela , de se
réunir avec une partie de son monde et la
Cavalerie du Roi aux troupes que commandoit
le Général de Kaulbars , en lui ôtant
sur le champ le Commandement de ce Corps .
Ensuite , le Comte de Hamilton devoit`marcher
à PEnnemi , dont l'avant-garde avoit
déja été vue près d'Anjala , jusqu'où M. de
萨
( 15 )
Kaulbars avoit rétrogradé. En se retirant de
Likala , l'arrière garde , composée des Gardesdu-
Corps du Roi , étoit conduite par le
Lieutenant-Général Baron de Siegroth : le
Commandement du Corps de bataille fut
confié au Lieutenant Général de Platen ; et
le Roi lui-même , à la tête du Régiment de
West-Bothnie , accéléroit la marche. On passa
la rivière près de Memmela dans le meilleur
ordre. La retraite de l'Ennemi fut aussi
prompte et inattendue que son irruption ; et
an depart de cet avis l'armée Suédoise avoit
déja garni les hauteurs , qui dominent la
plaine près de Warela , et s'y étoit logée
dans des barraques . En quittant le passage de
Likala , l'on n'avoit proprement rien perdu ,
parce que , maître de celui d'Hogfors , le
chemin vers Frédérischam étoit toujours ouvert.
Ce fut dans cette situation que le Roi
reçut l'agréable nouvelle de la victoire du
Colonel de Steding, »
Le Contre-Amiral Liljehorn , dont la
division n'a pas obéi aux signaux dans le
dernier combat naval , a été débarqué
Carlscrona , mis aux Arrêts , et interrogé.
Rien ne transpire encore de la Procédure.
Le Duc de Sudermanie a remplacé
les malades de sa flotte par des Matelots
frais , et il a renforcé son Artillerie
d'un grand nombre de canons , nouvellement
fondus , qu'on a conduits à bord
des vaisseaux .
Par ordre exprès du Roi , on a publié , dans
les Gazettes de cette capitale , le Manifeste
que le Général Russe Comte Moussin Poutschikin
fit publier , le 11 Juillet , en entrant
( 16 )
་
en Savolax . Dans cette étrange Proclamation ,
on affecte de ne reconnoître que le Gouvernement
et le Peuple Suédois , sans faire d'autre
mention du Roi que celle - ci . « L'Impératrice
« n'a pour but , que de se procurer une satisfaction
convenable de CELUI , qui , contre
« les Lois fondamentales de la Suède , et sans
« la participation des Etats du royaume , a
« commencé la guerre ; d'établir une paix
durable , et d'écarter tout ce qui par la
suite pourroit occasionner une séparation
« par des moyens arbitraires , etc. On y exhorte
aussi les Finois à se mettre sous la
« protection de Sa Majesté Impériale. »
«<
«
POLOGNE.
De Varsovie , le 10 août.
La restauration de l'Etat s'affermit de
jour en jour par les décrets successifs de
la Diète . Elle a mis dans ses délibérations 1
un ordre et une célérité qu'on ne connoissoit
pas encore. Ce qui regarde
les revenus publics , étant aujourd'hui
terminé , les Etats ont porté leur attention
sur l'armée , sur les économies à
apporter dans ce Département , sur les
appointemens des Grands Généraux , et
sur la suppression ou conservation de
différentes Charges Militaires . Le nombre
de Généraux-Majors , employés dans
l'armée de la Couronne , a été fixé à huit ;
chacun aux appointemens de 12 mille
florins.
( 17 )
Parmi les Officiers de mérite que les Etats
ont recommandé à S. M. pour ces places ,
sont M. Zabielo , Nonce de Livonie , et M.
Kosciuszko ; le premier qui a déja le grade
de Général- Major , a passé dix années au
servi e de France ; le second a servi en Amérique
, d'où il est revenu avec le grade de Brigadier.
Sa Maj . a recommandé aux Etats le
Prince Joseph Poniatowski son Neveu , qui ,
après avoir servi avec distinction dans l'arinée
de l'Empereur , vient de donner sa démission
, pour consacrer son zèle à sa Patrie.
Les Etats ont prié S. M. d'assigner Elle- même
à ce Prince une place dans l'armée , de la
manière qu'Elle jugera convenable .
Tous les magasins Russes sont maintenant
transférés hors de notre territoire,
et les dépenses occasionnées par cette
translation ont été exactement payées
aux Habitans. Pour l'avenir , la République
s'en tient invariablement aux principes
dont elle a fait remettre la Déclaration
au Cabinet de Pétersbourg ; savoir
, 1 ° . qu'aucun détachement Russe ,
plus fort de 500 hommes , ne traversera
la Pologne ; que ce passage se fera aveç
les précautions requises par l'Etat , et
sous la conduite de ses propres Commissaires
, ainsi que la chose se pratique dans
les Cercles d'Allemagne ; enfin , qu'aucun
détachement ne jouira de cette faveur ,
si elle n'a été demandée en forme , avec
désignation précise du nombre d'hommes
et des noms des Commandans , et
18 )
obtenue par l'Ambassadeur Russe à Varsovie.
M. Potocki , Nonce de Podlachie , est
parti , le 7 , pour Constantinople , avec
une suite de go Personnes , en qualité
d'Envoyé Extraordinaire : un Cortège
brillant et nombreux l'a accompagné
jusqu'à une lieue de la capitale . Le 1er .
de ce mois , M. Potocki , Statroste de
Tlumack , s'est mis en route pour Stockholm
, où il sera revêtu du même caractère
; enfin , M. Malachowski , Staroste
d'Opoczno , s'est rendu à Dresde ,
aussi en qualité d'Envoyé Extraordinaire.
Notre Corps Diplomatique est
donc aujourd'hui complet et en activité ,
et la République , effacée vingt ans en
Europe , est représentée maintenant auprès
de toutes les principales Puissances ,
si l'on en excepte les Cours de France et
de Madrid.
Nos derniers avis de l'Orient annoncent
que le Prince Potemkin s'est dégarni
de 8 régimens , pour renforcer la
garnison d'Oczakof.
Vers le milieu de Juillet , on avoit
reçu à Oczakof la nouvelle que 6 vaisseaux
de guerre Ottomans , ayant mouillé
près de Sudak dans la Crimée , les troupes
qu'ils portoient avoient fait une
descente , dévasté plusieurs lieux , et emmené
600 Russes .
( 19 )
Les fréquentes recrues pour la guerre
Cont occasionné , dans la province de
Kiowie , une révolte ; on a été obligé d'y
envoyer trois régimens qui ont arrêté les
Chefs , et forcé les autres à l'obéissance.
L'intérieur du pays est dépourvu de
troupes.
ALLEMAGNE.
De Vienne le 17 Août.
Le Lieutenant Vernati , Envoyé par
le Général, Prince de Saxe Cobourg
est entré ici, le 12 , précédé d'un Employé
des postes et de huit Postillons sonnans
du cor : il est descendu à l'Hôtel du Conseil
Aulique de Guerre , et a fait au Comte
de Wallis , chargé des fonctions de Président
de ce Conseil , en l'absence du
Maréchal de Haddick , le rapport d'un
avantage considérable , remporté sur les
Turcs , près de Focksani , par l'armée
combinée , Autrichienne et Russe. Auparavant
M.Vernati avoit remis ses dépêches
à l'Empereur . La Cour a publié,
en deux Feuilles d'impression , le récit
de cette action importante , et celui , reçu
au même temps , d'un succès du Prince
de Hohenlohe , au défilé de Bozan , en
Transylvanie . Voici la substance de ces
deux Relations :
Le Séraskier Dervisch Mechmet , posté avec
( 20 )
environ 30,000 hommes , près de Foksan , se
proposoit d'attaquer le Prince de Cobourg ;
mais ce Général , prévenn à temps de ce dessein
, rassembla 16,000 hommes , auxquels
se joignirent 4 , coo Russes sous les ordres du
Général Suwarof, et marcha au-devant de l'En
nemi . Le 30 Juillet , on atteignit et l'on attaqua
avec succès un des principaux Corps Ottomans .
Le lendemain , on passa la rivière de Putna , et
après une altaque très- vigoureuse , on força
le gros de l'Ennemi à abandonner son camp ,
et à se retirer. Le service hardi de notre Cavalerie
et celui de nos canons ont principalement
contribué à dérouter les Spahis . Un
parti de Janissaires se retrancha dans le couvent
de Samuel , et le défendit opiniâtrément
jusqu'à ce que le détachement entier eût été
tué. On s'est emparé également du couvent
de Focksani. On évalue la perte des Turcs à
1,500 hommes : plusieurs ont péri dans la rivière
de Putna , et 96 ont été faits prisonniers .
Tout leur camp , les munitions abandonnées ,
10 canons , 16 drapeaux , les bagages , fourrages
, caisses , etc. sont tombés entre les mains
des Vainqueurs. Le Colonel Comte d'Auersperg
et le Lieutenant- Colonel d'Orelly ont été
tués à l'assaut du couvent de Samuel . Nous
avons eu 25 hommes tués , et 70 blessés . Oh
ignore la perte des Russes . L'armée ennemie
s'est retirée à Busco , et le Prince de Cobourg
campe sur le champ de bataille abandonné .
La seconde relation du Prince de Hohenlohe
porte que , a les 2 et 3 Août , les Turcs,,
au nombre d'environ 13,000 honimes , se présentèrent
aux défilés de Tomesch et de Bozan ;
'ils attaquéèrent les détachemens qui y étoient
postés le Prince de Hohenlohe vint à leur
secours , se mit à la tête de la Cavalerie , char(
21 )
gea l'Ennemi , et l'obligea de s'enfuir dans le
plus grand désordre. On lui a pris 2 drapeaux ,
20 chariots chargés , 100 chevaux et un grand
nombre de boeufs. »
Hier on a chanté un Te Deum en actions
de graces , dans l'Eglise Paroissiale de la
Cour.
Le même Supplément officiel rend aussi
compte d'une affaire de poste , le 4 Août , aux
environs de la montagne d'Allion , dans laquelle
les Turcs , au nombre de 6 à 7000
hommés , tant Infanterie que Cavalerie , ont
été repoussés avec perte. Ce rapport a été
envoyé par le Géneral - Major de Vetsey , qui
commande près de Méhadie .
Toutes inquiétudes ont cessé sur la
santé de l'Empereur , dont le rétablissement
avance chaque jour , et qui a repris
ses exercices et ses occupations ordinaires.
Il n'en est pas de même du Maréchal
de Haddick retombé malade , et
* qui revient ici , obligé de quitter l'armée ,
dont le Maréchal de Laudhon prendra
le commandement général . Ce grand Capitaine
será remplacé , en Croatie , par
- les Généraux de Ligne et de Vins .
P.S. L'Empereur a envoyé au Prince
de Cobourg Ordre Militaire de Marie-
Thérèse. On assure aujourd'hui que l'Armistice
avec les Turcs est levé en Servie.
( 22 )
୮
GRANDE - BRETAGNE.
De Londres , le 25 août.
Le voyage du Roi est le seul objet ,
en ce moment , qui occupe la curiosité.
Après quelque séjour à Exéter , ce
Monarque et sa Famille sont arrivés au
château de Saltram , près de Plymouth ,
et à Plymouth même , le 17. Une foule
immense se pressoit sur leur passage :
à leur entrée , ils trouvèrent le Corps
Municipal en robes de cérémonie , a
Garnison et la Milice du Comté de
Devon sous les armes ; les canons du
ført et des remparts mêlèrent leurs salves
aux décharges des troupes. LL. MM .
accompagnées du Duc de Richmond et
de son frère Lord George Lenox, Gouverneur
de la place , visitèrent d'abord
les chantiers , et montèrent ensuite sur
l'Impregnable de 98 can . , où elles restèrent
une heure. Une multitude de
barques décorées escortoient la leur ;
l'un de ces petits bâtimens chavira au
retour , et perdit 12 passagers . L'escadre
de huit vaisseaux de ligge sous les ordres,
du Commodore Goodall étoit dans la
Baie , et le lendemain , 18 , elle passa
en revue devant S. M. , qui se trouvoit
à bord de la frégate le Southampton ,
ainsi que la Famille Royale. L'escadre,
en deux divisions , leur donna le spec·
( 23 )
tacle d'un combat naval simulé. La ligne
d'une des deux divisions fut coupée ,
formée de nouveau , coupée encore ,
et renouvela deux fois l'engagement .
Tous les vaisseaux se réunirent ensuite ,
et firent une salve générale .
Le 20 , le Roi visita la citadelle et
les magasinsdes vivres, examinant chaque
partie dans le plus grand détail . Après
avoir inspecté les fortifications , il descendit
dans les souterrains qui l'environnent
devant lui , défilèrent ensuite
tous les ouvriers du chantier en uniforme ,
au nombre de 4000 , chacun portant le
signe de sa profession . Autour de la
barque de S.-M. , on a distingué une
chaloupe à rames , conduite par six
jeunes filles , vêtues de blanc , et qui
manoeuvroient avec la plus grande dextérité.
LL. MM. se sont rendues , le 21 ,
à Mount Edgecumbe, chez le Lord de
ce nom , d'où Elles sont retournées à
Saltram .
L'escadre du Commodore Goodall
prend des provisions fraîches pour remettre
en mer , et croiser pendant trois
semaines.
PAYS -BAS.
De Bruxelles , le 30 août 1789.
On se rappelle que l'Empereur
( 24 )
ayant révoqué , en 1787 ceux de
ses Règlemens qui avoient porté atteinte
aux privilèges politiques et civils
des provinces Belgiques , confirma
la réunion des séminaires Episcopaux
à celui de Louvain qui subit une réforme
. Le Clergé Brabançon a opposé
une résistance opiniâtre à cette mesure
, et au perfectionnement des études
qu'on fait à l'Université de Louvain
depuis des siècles. Les Edits , les châtimens
, les Soldats n'ont pu rallentir cet
enthousiasme , qui , en effet , ne peut être
combattu que par la persuasion . Le
Gouvernement à imité la prudence du
feu Roi de Prusse dans un cas à-peuprès
semblable . Sa Principauté de Neuchâtel
étoit troublée par un schisme sur
l'éternité des peines : le Clergé et le Public
ne vouloient point de peines temporaires
. Eh bien, dit Frédéric, puisque
les Neuchâtelois veulent être damnés
éternellement , je n'y mets point d'opposition.
De même , libre à chacun , maintenant
, d'étudier la Théologie à Louvain
ou ailleurs .
« En conséquence , par un Edit émané le
14 , les Séminaires Episcopaux sont rétablis ,
et le Séminaire- général de Louvain ne servira
dorénavant qu'aux Elèves de Théologie qui
iront faire volontairenient leur cours de cette
science dans ladite Université . Les Religieux
ne pourront cependant pas enseigner dansleurs
cloîtres ;
1
( 25 )
doitres ; mais ils ont la liberté d'envoyer leurs
Novices , soit à Louvain , soit dans les Seminaires
Episcopaux respectifs . Enfin , l'Empereur
déclare que les indults , accordés ci- devant
par les Souverains Pontifes , à l'Université
de Louvain , pour la nomination aux Bénéfices
, auront la même vigueur qu'avant l'Edit
de leur suppression en 1783. »
La ville de Liège vient d'offrir , en
miniature , une révolution dont celle
de la France a probablement fourni
la circonstance . Depuis quelques années ,
on étoit fort mécontent des Chefs de
la Municipalité , et de plusieurs abus ,
qui , inutilement , excitèrent des réclamations
et des troubles , il y a quatre
ans. Le feu couvoit sous la cendre ; il
s'est ranimé à la nouvelle des derniers
événemens de la Monarchie Francoise .
Verviers , Bourg de la Principauté de
Liège , célèbre par sa Fabrique de draps
fins , a donné le signal en arborant des
Cocardes vertes et blanches . D'autres
petits lieux ont réclamé contre certaines
impositions , et contre leurs Municipaux .
Tout le Plat- Pays s'est armé, ainsi que la
ville de Liège. Le Prince-Evêque , à l'approche
de l'orage, adressa une exhortation
très- pastorale à son Chapitre, en l'invitant,
le 13 , à souscrire à l'égale répartition
des impôts entre les divers Ordres. Le
Chapitre , non moins prudent , adhéra
acette proposition , nonobstant laquelle
les habitans n'en ont pas moins aboli
No. 36. 5 Septembre 1789.
B
( 26 )
le Règlement de 1684 , source des mécontentemens
, cassé la Régence et
substitué aux Bourguemestres en place ,
MM. de Fabry et de Chestret qui
depuis long - temps jouissoient de la
confiance publique. Le Conseil Municipal
a été changé en entier ; la Milice
Bourgeoise a pris la Cocarde , et a reçu ,
les armes à la main , son Evêque désarmé
, qui est venu sanctionner l'ouvrage
de cette journée du 18. On a
même poussé la prévenance pour S. A. S.
jusqu'à s'atteler à son carrosse ; après
quoi il a été libre de retourner à sa maison
´de campagne. On écrit que cela n'a pas
coûté de sang, par la raison très simple que
personne n'en avoit à verser ni à payer ,
pour s'opposer à la réforme , dont on
à remercié Dieu par un Te Deum
solennel .
Il s'est passé en Hollande deux petites
scènes d'une autre genre. Un Patriote
de Rotterdam , Marchand de vin ,
et antagoniste décidé de la Cocarde Oran
ge , se voyant inquiété , le jour de l'aniversaire
de la Princesse d'Orange , par
le Peuple qui vouloit le forcer à prendre
ce signe dominant , tira son couteau
et en frappa mortellement un des spectateurs.
Cet homicide enflamma le Peuple
qui , ne pouvant se venger sur le meurtrier
, assez heureux pour s'être évadé
cassa les vitres des maisons accusées d'ap-
"
( 27 )
partenir à d'anciens Patriotes : deux de
cesé ifices furent saccagés . Sur -le-champ ,
la Régence fit armer les Compagnies
Bourgeoises , rétablit l'ordre , et défendit
le lendemain , sous les plus graves peines ,
de maltraiter qui que ce fût , avec ou
sans Cocarde.
Au milieu du mois , le Commandant
de la Haye , averti que quelques Volontaires
du ci - devant Corps Franc de
Wesop , s'étoient pourvus d'armes , d'un
drapeau , et s'assembloient secrètement
pour s'exercer , ordonna à la garnison
du lieu de désarmer ces Messieurs , qui
remirent , sans résistance , leurs fusils ,
sabres , tambours , et jusqu'à leurs cartouches
.
Madame la Princesse d'Orange ayant
quitté Berlin , le 11 , a été accompagnée
jusqu'à Brandebourg par le Roi son frère ,
et est arrivée , le 21 , au château de Loo
en Gueldres.
La Gazette de Berlin , du 12 , a renfermé
l'article suivant , inséré dans cette
Feuille , par autorité ( 1 ).
( 1 ) L'article contre lequel réclame M. le
Comte de Hertzberg , est sorti originairement
d'un de ces Bulletins manuscrits faits à Paris ,
et achetés par les Gazettes étrangères. Deux
ou trois de ces Bulletins rédigés par des Gens
de Lettres , le sont avec la décence et la circonspection
que doivent s'imposer les Narrateurs
de nouvelles , dont ils n'ont pas le temps
Bij
( 28 )
« On a lu ici , avec autant de surprise que
d'indignation , dans la Gazette de Leyde
dans le Journal- général de l'Europe , et d'autres
Papiers publics , un article dans lequel il
est dit : « Que M. le Comte de Hertzberg, Ministre
d'Etat du Roi de Prusse , devoit avoir
écrit à un de ses amis à Paris , une lettre reçue
le 18 Juillet, dans laquelle ce Ministre avoit annoncé
le renvoi de M. Necker , et la révolution
qui devoit arriver à Paris . Il faut être un calomniateur
aussi vil qu'effronté , pour inventer un
mensonge aussi atroce ; et M. le Comte de
Hertzberg défie qui que ce puisse être , de
produire et de déposer, dans un endroit neutre ,
une lettre de cette nature. M. de Hertzberg
n'a de correspondance à Paris , et même rarement
, qu'avec le Comte de Goltz , et avec
trois ou quatre Gens de Lettres , et il est sûr
de n'avoir écrit à personne à Paris dans le cours
de vérifier l'authenticité. Mais plusieurs Gazettes
étrangères , vivant de scandales et d'impostures
, se gardent bien de leur donner la préférence
. Elles choisissent toujours ceux dont
la partialité et les anecdotes calomnieuses piquent
le plus la curiosité. Ainsi , en quinze
jours , une fausseté , méprisée à Paris , a fait
le tour de l'Europe , et s'y est accréditée . Dans
ces Bulletins , on distribue les rangs , les brevets
d'innocence et de crime , de génie et de
sottise : aucune réputation n'est à l'abri de cette
légèreté , et l'homme du royaume le plus vertueux
n'est pas assuré de n'être point traduit
comme un scélérat dans les Gazettes . La liberté
de la Presse remédiera en France à ces
Publications clandestines , contre lesquelles
les Offensés étoient sans ressource.
( 29 )
du mois de Juillet . On a très-mal - a- propos
supposé qu'il avoit prédit la révolution qui
devoit arriver ; et on ne rend justice , ni à sa
politique , ni à ses sentimens , en publiant des.
fausselés aussi absurdes et aussi palpables. "
L'Electeur Palatin a fait marcher sur
ses frontières , du côté de la France , le
régiment des Chevau · Légers de Linange,
et a défendu la sortie des grains de toute
espèce.
On écrit d'Anhalt- Zerbst , qu'il règne dans
cette Principauté , quelque fermentation , et
que le Prince s'est adressé au Roi de Prusse
pour lui demander des secours militaires . Sa
Majesté Prussienne lui a envoyé des Commissaires
, chargés de prendre connoissance
des plaintes des Sujets ; plaintes très - vives
depuis plusieurs années , et que le caractère
du Prince , frère de l'Impératrice de Russie
n'étoit pas propre à calmer.
FRANCE.
De Versailles , le 2 septembre.
Nous ne reviendrons pas à l'opiniâtre
dissention , qui tint licu de délibération ,
le 23 , sur la Motion de M. de Castel-
Lane ; « Nul ne peut être inquiété pour
ses opinions religieuses , ni troublé dans
l'exercice de sa religion . Comme, définitivement
, il fut résolu que cette liberté
s'étendroit à toutes les opinions , même
religieuses , pourvu que leur manifestation
ne troublât point l'ordre public
Bių
( 30 )
établi par la Loi ; c'est cette Loi à faire ,
qui seule déterminera l'indépendance
des divers cultes ou leur subordination au
culte dominant. Ainsi le débat n'a , dans
le fait , amené qu'une résolution prélimi- .
naire sur une question , dont le point
fondamental est encore à statuer. M. le
Comte de Virieux et M. Rabaud de
Saint-Etienne défendirent les deux systêmes
contraires : nous n'avons pu nous
procurer l'opinion écrite du premier de
ces Députés ; on trouvera celle du second
dans le Supplément
.
Le Dimanche soir , 23 Juillet , on prononca
sur la plainte du Procureur du
Roi de Falaise , contre le Parlement de
Rouen. Les uns , sans discuter le fond ,
voyoient avec peine une Assemblée législative
transformée en Tribunal d'évocations
d'autres la jugèrent compétente
à défendre l'indépendance des Citoyens
dans la rédaction de leurs cahiers
; de troisièmes , en blâmant les
expressions attribuées au Procureur de
Falaise , blâmoient également l'intervention
juridique du Parlement dans une
affaire où il étoit partie , et ces différens
avis ont abouti à l'Arrêté suivant :
L'Assemblée Nationale persistant dans son
Arrêté du 23 Juin , déclare qu'aucun Citoyen
ne peut être inquiété à raison des opinions
ou projets par lui présentés , des abus par lui
dénoncés , soit dans les Assemblées élémentaires
, soit dans son sein ; déclare la procé(
31 )
dure instruite par le Parlement de Rouen
contre le Procureur du Roi de Falaise , nulle
et attentatoire à la liberté nationale ; sur le
surplus des demandes du Procureur du Roi ,
le renvoie à se pourvoir où , ainsi et pardevant
qui il appartiendra. »
Dans la Séance du Samedi soir 22 , le Comité
d'Informations et de Recherches , soit
Comité des Douze , annonça , par l'organe
de son Rapporteur , que jusqu'ici ses fonctions
avoient été sans effet , et qu'il se bornoit
à dénoncer un Ouvrage Périodique , dans ,
lequel se trouvoient insérées une Lettre affreuse
au défunt Gouverneur de la Bastille ,
et la Réponse non moins affreuse de ce Gouverneur.
Ces deux Missives , dont l'authenticité
n'est point reconnue , et dont il seroit
surprenant qu'on eût rencontré les niinutes
réunies , ont pour objet l'envoi d'un Prisonnier
expédié par le Gouverneur. L'Assemblée
pensa , avec M. le Vicomte de Mirabeau , que
les brochures périodiques ou non périodiques ,
ne méritoient pas son attention , " et qu'il falloit
les laisser vendre , et les lire rarement .
DIX-SEPTIEME SEMAINE DE
LA SESSION.
Quand on jette un coup- d'oeil rétrograde
sur les quatre mois déja écoulés depuis l'ouverture
de l'Assemblée Nationale , sans qu'on
y ait pleinement décidé un seul titre de la
Constitution , une seule résolution sur l'état
déplorable de l'Administration des Finances ,
un seul point d'Economie publique ou provinciale
, fondamentale , on admire la force
d'inertie qu'oppose un grand Etat aux se-
Biv
( 32 )
Cousses les plus violentes , le jeu d'événemens
qui ont donné aux affaires une impulsion décisive
, avant qu'aucune Loi l'eût réglée on
déterminée , et , pardessus tout , on s'etonne
de l'empire que prennent les circonstances
sur les Corps politiques , créés pour les diriger.
La semaine qui vient de s'écouler nous
offrira un intérêt médiocre ; mais , enfin , on
y a du moins achevé le long prélude de la
Constitution.
Du Lundi 24 AOUT 1789. Mention faite
des Adresses de félicitation et d'adhésion de
plusieurs Villes et Communautés , le trouble
de la Séance précédente engagea M. Périsse
du Luc , l'un des Députés de Lyon , à demander
qu'aucune Motion , Amendement , ou
sous-Amendement ne fût mis aux voix , avant
que dix Membres au moins , aient opiné pour
Ou contre.
Quelques Députés appuyèrent cette proposition
, qui fut néanmoins rejetée , comme pouvant
donner lieu à des longueurs interminables
, et gêner la liberté de l'Assemblée.
L'article XIX du Projet de Déclaration des
droits étant mis en délibération , M. Rahaud
de Saint-Etienne l'interrompit par des observations
contre l'inviolabilité des résolutions
de l'Assemblée .
A son avis , chez presque tous les Peuples ,
les Jugemens et les Délibérations importantes
se répétoient ou se discutoient dans deux
Chambres ; enfin , toute Assemblée législative
pouvoit recommencer ou amender ses
Décrets .
D'après ces principes , il pouvoit remettre
en discussion l'article arrêté la veille sur la
liberté du Culte ; article essentiellement vi(
33 )
cieux , sur- tout dans la clause qui ne permet
la liberté de Culte , que sous la condition trèsvague
de ne point troubler l'ordre public……….
On ne laissa point l'Opinant terminer ses
réflexions ; il fut obligé de les ramener à l'article
XIX , et proposa la rédaction suivante :
» Tout homme ayant le droit de penser
librement , a le droit de manifester ses opi-
´ « nions , sous la condition de ne point nuire
« à autrui. »
·
M. le Duc de Lévis proposa une rédaction
pareille ; d'autres , des rédactions analogues.
M. le Duc de la Rochefoucault demanda
que les restrictions à la liberté de la Presse
fussent renvoyées à la Constitution ...... Il
appuya très -fortement l'avis de M. Rabaud
sur la condition exprimée dans plusieurs rédactions
, de ne point troubler l'ordre public.
On ne peut connoître , dit - il , les immenses
combinaisons de l'ordre public , toutes ses
ramifications , ni ses branches différentes . Un
Ecrivain seroit toujours accusé d'en léset
quelques- unes On n'écriroit plus sans crainte .
Il est d'usage que les hommes publics se regardent
comme laant partie de l'ordre public.
Qui troubleroit l'un , attaqueroit l'autre..
A la moindre vérité , on crieroit que l'ordre
public est troublé. Ainsi , il proposoit en ces
termes l'expression de l'article : « La libre
communication des pensées et des opirions
« est un des droits les plus précieux de
l'hon me. Tout Citoyen peut donc par-
« ler , écrire , imprimer librement , sauf à
répondre de l'abus de cette liberté , dans
les cas prévus par la Loi.
Chaque Opinant offroit sa rédaction particulière
; M. Robers- Pierre excluoit toutes res
trictions , et citoit les Américains . Un Député
В v
( 34 )
Ecclésiastique de Metz fitoit son Cahier
où , par respect pour la religion et les moeurs ,
on réclame la conservation d'une censure.
Malgré le voeu général de passer aux voix ,
M. l'Evêque d'Amiens obtint la parole , et
pressa les considérations du Préopinant contre
la licence de la presse , contre les outrages ,
si souvent renouvelés , même sous le régime
censorial , envers les moeurs et la religion.
M de Mirabeau opina à substituer le mot
réprimer au mot restreindre , employé dans
plusieurs rédactions.
« On vous laisse l'écritoire , dit - il , quoique
vous puissiez écrire des lettres calomnieuses.
Il en est de même de la liberté de la presse.
Celui qui en abusera sera puni . Il faut done
exprimer dans votre rédaction une répression
et non une restriction , qui suppose une anticipation
au droit. Il faut punir le délit , non
gêner les hommes pour prévenir la faute d'un
seul , non restreindre la liberté de tous , de
peur qu'un seul en abuse . »
Cet Amendement fut adopté , ainsi que la
rédaction de M. de la Rochefoucault : celle
du sixième Bureau regardée comme nonavenue.
L'article XX de la Déclaration fut ensuite
mis au creuset , analysé , discuté , contredit ,
défendu. Dix -sept rédactions différentes se
présentoient ; pas une ne fut admise , et sur
l'avis de M. de Lally , cet article XX , le seul
des 24 qui composoient le Projet du sixième
Bureau qu'on ait conservé , fut admis en sa
1eneur primitive , que voici :
La garantie des droits de l'Homme et du
Citoyen nécessite une force publique ; cette
force est donc instituée pour l'avantage de
( 35 )
tous , et non pour l'utilité particulière de
ceux auxquels elle est confiée. »
Une Députation de la Garde Bourgeoise de
Versailles venant présenter le plan d'une souscription
patriotique , a terminé la Séance , un
Noble de la Prévôté et Vicomté de Paris étant
entré dans cette souscription pour 20 mille
livres , sur son revenu annuel de 26 mille .
Du Lundi au soir , 24 Aour. Séance de
rapports comme la plupart de celles du soir.
On a rendu compte d'une plainte du régiment
de Hesse-Darmstadt , en garnison à Strasbourg
au moment du dernier trouble , et envoyé
à quelques lieues de la ville par ordre
de M. de Rochambeau . Les Soldats ayant participé
au désordre général , on les a fouillés
sans leur trouver aucun effet dérobé. Le régiment
réclame contre son éloignement et
contre les dépenses qu'il lui a occasionnées. Le
Le Corps étant rentré dans l'ordre , et à
Strasbourg , l'Assemblée a arrêté qu'il n'y
avoit lieu à délibérer.
On a rapporté ensuite l'affaire de M. François
de Neuchâteau ( Voyez le dernier Journal ,
article Paris. ) Elle a été renvoyée au Comité
des Douze , pour en rendre compte dans
quinzaine.
En 1776 , M. Boncerf, Auteur de l'Ecrit
intitulé Inconvéniens des droits Féodaux ,
fut décrété par le Parlement de Paris , et son,
ouvrage brûlé . M. le Comte de Sérent a demandé
, au nom de cet Auteur , la cassation
de ce Décret , les opinions se sont réunies à
décider qu'il n'y avoit lien à délibérer , vu la
nécessité où l'on se mettroit de prendre en
considération, toutes les réparations parti
culières.
B vi
(
( 36 )
Du Mardi 25 Aour. Fête de S. Louis , et
vacances.
:
Du Mercredi 26 AOUT. On poursuivit la
'discussion des derniers articles de la Déclaration
des droits MM. Périsse du Luc , Robers-
Pierre , Target , la Chaise , l'Archevêque
d'Aix et bien d'autres , demandèrent des changemens
, et s'étendirent en réflexions sur chacun
des chefs proposés : de ces deux opinions
diverses , sur des matières qui se prêtent et
qui se prêteront à des raisonnemens infinis ,
jusqu'à la fin des siècles , résultèrent les quatre
articles suivans :
XIII. Chaque Citoyen a le droit par luimême
ou par ses Représentans de constater
la nécessité de la contribution publique , de la
continuer librement , d'en suivre l'emploi , et
d'en déterminer la qualité , l'assiette , le mouvement
et la durée .
XIV. La Société a le droit de demander
compte à tout Agent public de son administration
.
-
XV . Toute Société dans laquelle là garan
tie des droits n'est pas assurée , ni la séparation
des pouvoirs déterminée , n'a pas de
Constitution.
XVI. La propriété étant un droit inviolable
et sacré , personne ne doit en être privé , si
ee n'est lorsque la nécessité publique legalement
constatée l'exige évidemment , et sous
la condition d'une juste et préalable indemnité
.
Avant que ce dernier article fût arrêté ,
M. le Comte Mathieu de Montmorency en
proposa un qui , sans doute , méritoit une
longue et mûre délibération . Il s'agissoit d'attribuer
au Peuple le droit de revoir et de
( 37 )
changer la Constitution , toutes les fois que
les abus , le changement des moeurs et des
circonstances paroîtroient l'exiger. La crainte
de l'instabilité des Lois , qui détache le Citoyen
de l'amour de la Patrie , en le détachant
de l'amour de sa Constitution . qui fait
errer l'intérêt social au gré de l'opinion , qui
livre l'existence de l'Etat à toutes les factions
auxquelles on assigne le droit efficace de la
troubler par des innovations ; cette crainte ,
disons - nous , n'alarmoit point l'Opinant , qui
demanda à l'Assemblée si elle vouloit donc
des Lois éternelles ? Divers Membres jugèrent
que cette Motion devoit être regardée comme
article de Constitution , et non de Déclaration
des droits ; en conséquence , il fut décidé
qu'il n'y avoit lieu à délibérer pour le présent.
Nous supprimons les détails des discussions
sur les derniers articles adoptés , parce qu'ils
appartiennent évidemment au droit social ,
plutôt qu'au droit naturel , et que par consé
quent , ils deviendront l'objet de Lois formelles
, dont la rédaction ramenera peut-être
les mêmes débats .
Avant la fin de la Séance , on reçut une
Lettre de M. Necker , qui témoignoit ses regrets
de ne pouvoir , par cause de maladie ,
sé rendre aujourd'hui à l'Assemblée , à laquelle
il enverroit demain le travail qu'il
desiroit lui soumettre .
Du Jeudi 27 Aour. Après la lecture de
l'extrait des Adresses et actes d'adhésion ?
M. d'Harambure , l'un des Députés de Touraine
, a rendu compte que la ville de Tours
s'étoit engagée à garantir , pour l'année prochaine
1790 , le payement de deux millions
( 38 )
deux certs mille livres , somme équivalente
de ses impositions , en douze termes égaux ,
dont le premier en Janvier 1790 ; et de plus ,
à faire remettre au Trésor Royal , avant
cette époque , le payement des six derniers
mois de l'année courante , montant à onze cent
mille livres. Cet acte d'esprit public a été
vivement applaudi , et a mérité les remercîmens
de l'Assemblée ; qui , en adoptant l'offre
de la Touraine , a ordonné l'impression et
l'envoi dans toutes les Provinces de cette
généreuse délibération.
L'ordre du jour étoit de s'occuper des articles
additionnels à la Déclaration des Droits ,
déja discutée et arrêtée ; mais M. Bouche a
représenté la nécessité de passer , sans délai ,
à la Constitution , et spécialemennt à l'organisation
des Assemblées Municipales et Provinciales.
Cetse Motion a été soutenue par M. Mongin
de Roquefort, et , après lui , par M. Bureau
de Puzy, Député de la Noblesse d'Amont , et
dont le discours , aussi vrai qu'énergique , doit
être rapporté sans retranchement .
« L'Assemblée Nationale a reconnu d'une
manière solennelle les droits sacrés que tous
les hommes apportent dans la société , et qu'ils
ne peuvent jamais perdre; conséquemment elle
a contracté avec la France, avec l'univers , l'engagement
d'appuyer la Constitution que l'Etat
attend d'elle , sur les bases immuables de la
sagesse , de la justice et de la vérité . »
" En m'applaudissant , Messieurs , d'être le
premier à vous féliciter  sur cet heureux début ,
je ne puis empêcher qu'un sentiment d'inquiétude
et de crainte n'altère , n'affoiblisse
même en moi les douces espérances que votre
1/
( 39 )
entrée dans la carriere a fait concevoir à tous
les bons François .
«
»
Je considère qu'avant de commencer le
majestueux édifice d'une Constitution sans
tache , il vous a fallu d'abord sapper jusque
dans ses fondemens le colosse gothique , barbare
, incohérent de notre ancienne organisation
. Quelques parties de ce vieux monument
auroient pu , aur vient dû , pour l'utilité publique
, être encore conservées pendant quelques
instants : elles ont cédé à la commotion
générale ; elles ont été entraînées par
l'écroulement des parties voisines , et la destruction
totale de l'édifice a été consommée . »
« Aussi voyons- nous , dans ce moment ,
les Lois oubliées ou méprisées ; l'autorité
publique et les Tribunaux méconnus ou impuissans
; les sources qui alimentoient le Trésor
National détournées ou taries ; le Peuple
livré aux excès de la licence qu'il prend pour
la liberté ; les troupes sans frein et sans discipline
, appelant leur désordre du patriotisme
, menacent la Nation de la dissolution totale
de l'armée. Tous les liens qui attachoient
l'Etat au Prince , la Cité au Gouvernement ,
les Citoyens aux Citoyens , sont ou relâchés ,
ou détendus , ou brisés . Enfin , les Représentans
du Peuple François , au milieu des ruines
de notre institution politique , contemplant
avec étonnement l'immensité et la confusion
de ses débris , n'ont point encore préparé ,
n'ont pas même amassé tous les matériaux
qui doivent succéder à ce monceau de décombres
, et la Nation , à peine échappée aux
fureurs du despotisme , est menacée de périr
dans les convulsions de l'anarchie. »
" En crayonnant ce tableau , je n'ai pas ,
Messieurs , je ne puis avoir la coupable in(
40 )
tention de répandre un jour défavorable ou
douteux sur la sagesse des mesures que vous
avez prises. Ce que vous avez fait , vous l'avez
dû sans doute . Il est des circonstances que la
prudence humaine ne sauroit prévoir , mais
qu'elle doit saisir ; et quand de vieux et déplorables
préjugés , qui trop long - temps firent
la honte et le malheur de la France , sont
venus d'eux - mêmes s'offrir à la destruction
que vous en méditiéz , vous ne pouviez permettre
qu'ils échappassent , sans craindre de
vous rendre coupables.
»
a De nouveaux malheurs ont été l'effet de
cette révolution à jamais mémorable ; le Peuple
n'a plus mis de bornes à ses prétentions.
Le souvenir de son ancienne oppression l'avoit
rendu cruel et féroce ; à peine calmé , la
prompte justice qu'il a obtenue de vous , et
qu'il n'osoit espérer , l'exalte et le rend injuste
; et le sentiment trop apprécié de ses
propres forces , va peut être le rendre séditieux.
»
« Au milieu des nouveaux orages qu'annonce
cette effervescence , comment les Représentans
de la Nation trouveront - ils le
calme nécessaire pour méditer la Constitution
et les Lois qui doivent régir un grand
Peuple , et assurer son bonheur ? Comment
interroger des Provinces agitées , consternées
désolées par la sédition et par les ravages ?
Comment connoître leurs maux , leurs voeux ,
leurs localités , leurs besoins ? Comment y
faire recevoir , y faire respecter les Lois nouvelles
qui doivent remplacer celles qui déja
n'existent plus ? »
Cependant , Messieurs , voici le moment
où une harmonie parfaite , une correspondance
presque continuelle entre les Provinces
( 41)
et vous , deviernent indispensables pour remplir
les divers objets de votre mission : vous
ne pouvez vous la prometire , cette harmonie ,
vous ne pouvez compter sur la régularité et
sur l'exactitude de cette correspondance , vous
ne devez attendre aucune utilité de toutes
denx , que vous n'ayiez préalablement régé
néré l'ordre et la force publique anéantis , et
le seul moyen efficace que j'apperçoive pour
y parvenir , c'est l'organisation des Municipalités
et des Assemblées Provinciales ; c'est
la prompte formation des unes et des autres . »
Je ne m'attacherai point à développer
les avantages qui doivent résulter de ces établissemens
. Il doit suffire de vous indiquer
rapidement les principaux , pour vous les faire
saisir tous ; et d'abord vous considérerez que
ces Assemblées seront autant de dépôts qui
recevront de vous l'ordre public , la force
l'activité , les lois ; qui les verseront , qui les
propageront , qui les affermiront dans toutes
les parties de l'Empire.
"}
" A votre tour , vous en recevrez les éclaircissemens
, les renseignemens , les instructions
de détail , que les cahiers des Députés
n'ont pu contenir , à cause de la précipita
tion avec laquelle la plupart de ces cahiers
ont été rédigés , à cause sur- tout qu'à cette
époque , l'esprit public qui s'est développé
depuis , n'existoit point encore . »
«Vous jugerez que ces corps vraiment représentatifs
de la totalité des intérêts des Peuples ,
jouiront bientôt de toute leur confiance ; que
vos décrets , transmis par ces organes , sans
devenir plus respectables , seront néanmoins
plus respectés ; et de là , vous conclurez l'urgente
nécessité de créer au plus tôt ces ins(
42 )
trumens nécessaires à la perfection de vos
travaux.
« Sans doute , vous ne serez point arrêtés par
l'inconvénient presque
nul d'une inversion
dans l'ordre convenu des matières que vous
avez à traiter , et vous ne sacrifierez point au
stérile amour de la méthode , l'amour du
bien public , qui peut résulter de la disposition
dont je soumets l'examen à votre sagesse.
»
:
« Ce n'est point , Messieurs , une proposition
nouvelle que j'ai l'honneur de vous
faire il y a quelques jours qu'un honorable
Membre de cette Assemblée me devança dans
cette intention ; c'est sa motion que je rappelle
aujourd'hui ; je l'appuie , et je demande
qu'il me soit permis d'offrir à l'Assemblée
Nationale le projet d'arrêté suivant :
« L'Assemblée Nationale arrête , qu'aussi-
» tôt qu'elle aura établi les principes fonda-
» mentaux qui doivent former la base de la
» Constitution , elle s'occupera de l'organi
» sation des Assemblées provinciales et mu-
» nicipales ; et qu'immédiatement après qu'elle
» aura rempli cet objet , le Roi sera supplié
de convoquer les unes et les autres
K
» et de les mettre en activité . »
+
а déduit
M. Deschamps a suivi M. de Puzy ; mais
en opinant qu'avant tout , on fixa les principes
de la Monarchie et du Gouvernement
François , d'après le voeu général des Cahiers.
M. le Vicomte de Noailles
le tableau du passé et de l'avenir
quis que l'on remît en force les pouvoirs
constitutifs , en concluant à l'avis amplifié de
M. Bouche, c'est à- dire , à la formation des
Tribunaux , des Municipalités , des Assemet
re(
43 )
blées Electives et Provinciales , des Milices
Nationales de l'Armée , etc.
Plusieurs avis subséquens ont été interrompus
par la demande d'entendre le rapport
du Comité Constitutif, lorsque M. Mounier
a appuyé de nouveaux argumens , la Motion
de M. Deschamps , en prouvant que les principes
de la Constitution , fondemens de tous
Corps politiques , devoient précéder la formation
des Municipalités et des Assemblées
Provinciales .
M. Camus a cru toucher le point de solu
tion , en demandant la lecture des articles
unanimes des Cahiers , qui doivent déterminer
les principes de la Monarchie . M. Fréteau
a fait cette lecture.
ART. I. Le Gouvernement François est un
Gouvernement Monarchique .
II. La personne du Roi est inviolable et
sacrée.
III. Sa Couronne est héréditaire de mâle
en mâle.
IV. Le Roi est dépositaire du pouvoir exécutif.
V. Les Agens de l'Autorité sont responsables.
VI. La sanction royale est nécessaire pour
la promulgation des Lois .
VII. La Nation fait la Loi avec la sanction
royale.
VIII. Le consentement national est nécessaire
à l'emprunt et à l'impôt. 1
IX. L'impôt ne peut être accordé
tenue d'Etats Généraux à l'autre.
X. La propriété sera sacrée .
que d'une
XI. La liberté individuelle sera sacrée .
M. de Virieux a dit : Voilà le vou clair de
la Nation : il a préexisté à nos débats , et il
( 44 )
ne peut rester de dissentiment que sur la rédaction
même de ces articles , déterminés
d'avance par nos Constituans .
M. Péthion de Villeneuve , au contraire ,
s'est opposé à toute précipitation. Il a distingué
deux classes d'articles , les uns d'une
utilité reconnue , les autres d'une utilité douteuse
.
Sur ces entrefaites , M. le Président a reçu
le Mémoire de M. le Directeur - général des
Finances , annoncé la veille . On en a fait la
lecture en ces term :
RAPPORT de M. NECKER , Premier
Ministre des Finances , lu à l'Assemblée
Nationale le 27 Août 1789.
MESSIEURS ,
» J'aurois pa depuis quelques jours vous annorcer
l'iffue vraisemblable de l'Emprunt que
vous avez décrété , fi l'état de ma fante me l'ar
voit permis . Je profite d'un premier moment de
convalescence pour vous rendre le compte qui
vous est dû.
Il n'a été porté au Trifor royal , depuis l'époque
de l'ouverture de cet Emprunt jufqu'à préfent
, qu'une forme de deux millions fix cents
mille livres ( 1 ) , & la recette des derniers jours
a été fi modique , qu'on peut confidérer le fuccès
de ce : Emprunt comme entièrement manqué .
J'ai craint ce malheureux évènement , du moment
que je fus informé de votre Délibération du 9
( 1 ) La gé éreuſe foufcription faite à Bordeaux ,
nou encore réalifée , n'eft pas compriſe dans cette
fem.ne.
( 45 )
Acût ; mais je cachai
fo.geeufement mon fentimet
, afin de ne pas contrarier , par une o
atic pée , la chance d'un
mouvement favorable opinion
à
l'Emprunt.
L'expérience et toujours en aide à l'efprit natuel
& aux calculs du jugement ; ainfi , pour vous
guide dans vos
délibérations futures , vous défirerez
de
connoître pourquoi votre Emprunt n'a
point eu de fuccès.
J'avois été auffi loin qu'il étoit poffible pour
Phonneur du crédit
national , en vous
propofant
d'ouvrir un
Emprunt à cinq pour cent , dans le
temps qu'au prix des Effets publics fur la place ,
les
Capitaliftes
pouvoient
trouver des
placemenst
à plus de fix & demi pour cent .
Cependant , cet
intérêt de cinq pour cent , avec les petits encou
ragemens de détail qui y étoient joints , avec
l'affurance du
remboursement , avec
l'honorable
publicité
promiſe aux
témoignages de zèle & de
confiance que
donreroient les Prêteurs ; toutes
ces
conditions
réunies avoient fait une
impreflion
telle , que dès le même jour où mon plan fut
connu à Paris , je reçus ure
foufcription d'un
milion de la part d'une feule
Perfonne ; & il
n'eft pas un Notaire , pas un
Burquier , pas un
Agent dans ces fortes
d'affaires , qui ne fût prêt
à donner à
l'Emprunt un
mouvement tel ,
voyant Trente
millions portés au Tréfor Royal
qu'en
en peu de jours , on eût pu croire que le crédit
de la Nation avoit dès ce
moment une lime
inconnue. Demi pour cent
retranché fur l'intérêt ,
femble peu de chofe
abftraitement ; mais dans
les affaires de finances , & dans
beaucoup d'autres
, toutes les fois que l'on paffe la dernière
ligne , on change , on altère tout.
Cependant ,
Metheurs , vous ne vous étiez pas bornés à retrancher
ce demi pour cent ; excités par le jufte
fentiment de la confiance dûe à l'Aſſemblée Na(
46 )
tionale , vous avez retranché jufqu'aux plus pe--
tits détails propres à fervir de véhicule au fuccès
de l'Emprunt ; vous n'avez même pas cru néceffaire
d'indiquer le terme du rembourſement ;
enfin , vous n'avez pas voulu faire honneur aux
Prêteurs de leur confiance , & ce refus de votre
part a donné lieu à un raiſonnement bien fimple.
L'Affemblée Nationale , a - t- on dit , a proinis
d'être fidèle à tous les engagemens de l'Etat ;
les fonds qui proviennent de ces engagemens ,
offrent des placemens d'argent de Six à Sept pour
cent , & cependant c'eft par le fimple calcul de
notre intérêt qu'elle veut que nous portions notre
argent dans un Emprunt de quatre & demi pour
cent. A-t-elle donc changé d'opinion fur la protection
due aux anciens engagemens de l'Etat ?
& fi elle n'en a point changé , pourquoi paroîtellé
certaine qu'entre deux intérêts également folides
, nous quitterons , par fimple calcul , le fix
ou le fept pour le quatre & demi ? Que fi
contraire , elle avoit changé d'opinion , notre con .
fiance dans fes principes , notre confiance dans tout
ce qui émaneroit d'elle , feroit justement altérée ;
& nous n'avons plus qu'à attendre les dernières
réfolutions , & nous tenir jufque- là dans la réferve
générale qu'infpire une défiance confuſe &
une inquiétude fans guide.
• au
Enfin , Meffieurs , il faut bien le dire , quoique
j'y fois pour quelque chofe ; mais je me regarde
comme tellement confondu dans la , chofe
publique , & par mes fentimens & par mes facrifices
, que je puis parler aujourd'hui de moi
comme d'un étranger. Je vous dirai donc , Meffieurs
, en répétant les difcours du public , que
la confiance s'eſt altérée , lorſqu'on a vu dans
une affaire de finance , dans une affaire du genre
de celles que j'ai long-temps adminiftrées avec
un peu de réuffite , que vous êtes féparés de mon
( 47 )
opinion , & que vous l'avez fait fans avoit cru
feulement utile de débattre un moment avec moi
les motifs de votre réfolution. Je vous donne ma
parole d'honneur, Meffieurs , que je n'en ai reffenti
perfonnellement aucune peine : je juge de vos
fentimers par les miens , & mon refpect m'affure
de votre bienveillance. Spectateur de plus
près du cours de vos Délibérations , je fais que
les raifonnemens auxquels le public s'eft livré ne
fort pas fondés ; mais on ne peut fe diffimuler
qu'à une certaine diſtance , ces raiſonnemens étoient
dirigés par des vraisemblances.
Mais laiffons -là le paffé. Que faut- il faire à
préfent ? j'avouerai que des difficultés fans nombre
fe préfente t à moi. Il n'y a qu'à reprendre,
dira-t- on peut être , le projet d'Emprunt tel qu'il
avoit été adopté au Confeil du Roi ; mais reve
nir de l'intérêt de quatre & demi à celui de cinq ,
n'eft pas la même choſe que fi l'en eût faifi tout
de fuite le point fufceptible de réuffite . La confiance
de tous les Prêteurs eft composée de calculs
pofitifs & d'efpérance , & cette efpérance
n'eft plus la même , lorfqu'avant d'arriver à l'intérêt
de cinq pour cent , on a vu clairement qu'un
intérêt inférieur n'attiroit pas l'argent. Il rejaillit
d'ailleurs , il faut en convenir , un peu de défaveur
fur les opérations publiques , lorfqu'une
première erreur eft commife : il n'eft aucun fentiment
qui n'entre dans le crédit ; il eft fimple
dans fes effets , mais il est très-composé dans fes
élémens. Enfin , le moment d'une première impreffion
, le moment de l'ouverture du crédit
national , ce moment dont on pouvoit beaucoup
attendre , ce moment eft perdu , & ce n'eft plus
qu'avec la froide & tranquille réflexion qu'il faut
tratter. Il eſt donc arrivé malheureuſement que
pour avoir voulu trop bien faire , vous avez manqué
l'occafion de remplir votre premier Emprunt
( 48 )
avec cette célérité dont les effets fonrincalculables ,
avec cette célérité & cette furabondar.ce qui cachent
le dernier terme du crédit , & qui maintiennent
ce vague d'imagiration fi nécefiaire au
ménagement de toutes les forces morales.
Un jour viendra , Meffieurs , où toutes ces
obfervations ne paroît ort que des idées fubti'es
tout fera réel , tout fe a démonté , tout fe a
foumis aux calculs les plus fimples , quand l'or- .
die fera parfaitement établi , quand cet ordre
fera connu de toute la N. tion , quand la Conftitution
, gardienne de ces arrangemens falutaires
fera po ée & affermie ; mais dans ce moment- i
il faut encore on ne peut fe le diffimuler ,
faut encore pour tout , le fecours de l'espérance.
il
Je me flatte , Meffieurs , que vous me pardonnerez
toutes ces réflexions relatives à la nonréuffite
de votre Emprust : je reffens de cette
contrariété un chagrin inexprimable , & ce fentiment
m'arrête plus long- temps que je ne de
vrois fur une circonftance irreméd able. Il fant
que nous cherchio s tous enfemble à préferver
les finances du déferd e dans lequel elles font
près d'être plongées ; il faut que nous écartions ,
s'il eft poffible , le dar ger qui menace les fo:-
tunes , danger preffant , puifque l'inftance des befoins
s'accroit chaque jour , & que le dernier
terme des reffources s'avance à pas précipités.
Je connois pa faitement les inconvéniens
& les rifques attachés à préfenter des projets
, à faire aucune eſpèce de propofition dans
de pareilles circonftances ; mais fi des motifs
perfonnels avoient pu me guider , je n'aurois pas
cédé à vos bontés , je n'aurois pas renonce à
ma retraite , je ne ferois pas revenu me pla-`
cer au milieu de la tempête. Je regarde ma
vie miniftérielle , pendant fa du ée , comme un
vrai facrifice , & dans ce facrifice je dois comprendre
( 49 )
prendre & je comprends fanté , repos , réputa
tion , bienveillance publique même , le plus cher
de mes biens ; car au milieu des malheurs on
ne peut plus calculer l'opinion des hommes :
quelquefois ils s'en prennent au dernier qui a
agi , au dernier qui a parlé ; & , mûs impérieufement
par le préfent , l'égide du paffé ne fert
plus à performe. Mais je laiffe à l'écart toutes ces
confidérations , & fans aucune combinaiſon perſonnelle
, obéiſſant aux lois du devoir , je me
mettrai en avant toutes les fois que j'appercevrai
dans cette conduit : le plus léger avantage pu
blic.
Le fuccès de toute espèce d'Emprunt dans
ce moment- ci , Meffieurs , eft très-incertain ;
cependant il n'eft aucune circonftance où il fût
plus de l'intérêt de tous les particuliers , de chercher
à fauver l'Etat par un acte univerfel de zèle
& de confiance . Mais , foit par un défaut de
lumières , foit par un manque d'efprit public
foit plutôt par ce fentiment qui fait que perfonne
ne veut agir pour la chofe commune , que
dans les mêmes proportions où les autres agiffent
, il devient, je crois , néceffaire , après avoir
perdu le moment de l'abandon , d'exciter davantage
l'efprit de calcul .
Je vous propoferois donc , Meffieurs , d'examiner
s'il ne conviendroit pas d'ouvrir un Emprunt
, non-feulement à Cinq pour cent d'intérêt
, mais en y ajoutant encore , pour en
couragement , la faculté de fournir pour moitié
de la mife , les effets publics portant Cinq pour
cent d'intérêt , exempts de toute retenue .
Je propoferois que l'Emprunt fût de Quatrevingts
millions , rembourfable en dix années , à
raifon d'un dixième chaque année ; mais vous
obferverez que la moitié étant payable en Effets
publics , il n'en réfulteroit qu'un fecours effectif
No. 36. 5 Septembre 1789.
C
( 50 )
de Quarante millions pour le Tréfor royal . Cette
addition au premier projet d'Emprunt eft néceffaire
, à mesure que nous approchons du mois
de feptembre , puifqu'il devient alors raifonnable
de porter fes vues un peu plus loin.
Il réfilteroit des difpofitions qu'on vient de
vous propofer , qu'en affignant un rembourſement
fucceffif au nouvel Emprunt , cette faveur
fe trouveroit applicable non -feulement aux
capitaux effect fs qu'on y auroit deftinés , mais
encore aux Effets publics qui auroient é é donnés
en payement pour une moitié. Mais ces
Effets publics font effentiellement partie de ceux
dont le rembourfement n'a été que fufpendu :
ainfi ce feroit un commencement de juftice envers
les perfonnes qui en font les propriétaires
; d'ailleurs , il réfultera surement de vos dif
pofitions , la détermination d'un fonds quelconque
applicable à une Caiffe d'amortiffement ; ainfi
votre difpofition préfente ne feroit qu'une anticipation
fur vos arrangemens prochains.
Les Effets qui feroient reçus pour moitié dans
la mife du nouvel Emprunt , éprouvent une
grande perte à la Bourfe , & cette perte formeroit
un avantage pour les prêteurs , puifqu'ils
feroient bien certains que votre Emprunt , fous
le titre d'Emprunt National , que votre Emprunt
rembourfable à des époques fixes , fe maintiendroit
à-peu- près au pair , & qu'il vaudroit audelà
, lorfque les difpofitions générales qui établiront
bientôt un ordre conftant dans les finances
, feront affurées pour toujours .
Ceux qui ont déja fourni le peu de fonds portés
au Tréfor royal peur l'Emprunt à Quatre
& demi pour cent , auroient à fe plaindre , s'ils
' avoient pas la faculté de jouir de la faveur
plus grande attachée à votre fecond Empruna.
( 51 )
Vous trouverez surmont jufte de les autorifer
à faire la converfion qu'ils defireront .
Je m'empreffe maintenant de faire connoître
à l'Affemblée Nationale que , dans l'état préfent
des chofes , dans le cours actuel des opinions
ni l'Emprust dont je viens de donner l'idée , ni
aucun autre , ne pourra pleinement réuffir , fi vous
ne déterminez pas la confiance par une fuite de
délibérations , & par une marche foutenue qui
relève les efprits de leur abattement ; & je crois
de mon devoir de m'expliquer en cette occafion
avec la plus parfaite franchiſe .
Vous avez mis la dette publique fous la fauvegarde
de l'honneur & de la loyauté Françoife . Ces
belles paroles ont retenti jufqu'aux extrémités
de l'Europe ; & quand les repréfentans d'une
Nation ont pris un engagement fi folennel , ce
feroit leur faire outrage que de vouloir les y
confirmer au nom même de la fageffe , de la
raifon & de la politique . Mais ce qu'il eft indifpenfable
de dire , Meffieurs , c'eft qu'a jourd'hui
votre noble & vertueufe déclaration ne
fuffit plus pour affurer le crédit public. La première
condition néceffaire pour fonder la con→
fiance , c'est la certitude d'un accord entre les
revenus & les dépenfes de l'Etat ; & le dépé.
riffement de plufieurs revenus , joint à l'existence
d'un ancien déficit , répandent une alarme rafonnable
. On vous demande donc avec inftance
au nom de la tranquillité publique , de faire l'examen
& le choix le plus diligent des moyens propres
à mettre l'equilibre entre les revenus &
les befoins de l'Etat. Il n'eft pas néceffaire que
votre travail foit porté à fa dernière perfection ;
il est encore moins néceffaire que vous l'arrêticz
définitivement : mais il eft indifpenfable que la
Nation puiffe juger inceffamment de la folidité
de vós projets , & que les efprits fortent d'une
"
Cij
( 52 )
incertitude qui entretient la plus funefte défiance.
Le temps qui fe paffera entre la publicité de vos
plans & l'époque où vous les arrêterez définitivement
, vous procurera le fupplément de lumiè
res qui naît de la contradiction , & cette mar
che aura toutes fortes d'avantages . Je crois ,
Meffieurs , qu'en vous livrant fans relâche aux
recherches & aux difcuffions qu'une affaire fi
importante exige , & en divifant vos travaux
avec mé hode , vous pourriez , en très - peu de
temps , affecir les première bafes de la confiance ;
& dès ce moment le grand & preffant intérêt
que vous paroîtriez y mettre , auroit beaucoup
d'influence fur le crédit.
par
Il ne vous échappera pas , Meffieurs , qu'en
vous occupant de l'équilibre entre les recettes
& les dépenfes fixes de l'Etat , il eft indifpenfable
que vous apportiez la même activité à la
recherche & au choix des reffources néceffaires
pour arriver fans trouble & fans malheur à l'époque
de la régénération conftante de l'ordre .
Il s'eft joint à l'embarras provenant d'un déficit
qui n'eft pas encore réparé , celui qui eſt occafionné
la diminution fenfible des revenus , &
par les achats confidérables de grains faits pour
le compte du Roi dans l'Étranger . Il devient
bien néceffaire que l'étendue des befoins extraordinaires
pour cette année & pour la fuivante ,
vous foient parfaitement connus , & que vous
voyez à l'avance quelles difpofitions il conviendroit
d'adopter, fi l'Emprunt ne réuffiffoit pas ,
& quelles reffources il faudroit y joindre s'il
avoit le fuccès qu'on doit efpérer ; car il ne faut
rien projeter à demi , & il importe de ne laiffer
aucune prife aux erreurs & aux triſtes conjectures.
La Caiffe d'Efcompte , dans d'autres temps ,
auroit beaucoup aidé le Tréfor royal , en lui
( 53 )
faifant des avances fur l'Emprunt que vous dé
terminerez ; mais elle a déja fecouru les finances
autant qu'il étoit en fon pouvoir , & la rareté
inouie de l'argent effectif , fuite inféparable
du difcrédit , épuifant fa caiffe , elle ne peut
plus offrir que des reffources bornées . Il feroit
de la plus grande importance que l'Affemblée
Nationale prit inceffamment une connoiffance approfondie
de cet établiffement , & qu'elle ap-
Felât , dans un Comité , quelques - uns des Admi
niftrateurs de cette Caiffe , remplis de zèle pour
la chofe publique ; ils font en état , par leurs lumières
, d'indiquer à l'Affemblée Nationale par
quels moyens on pourroit augmenter le crédit
& la circulation de leurs billets. L'on examineroit
, dans ce même Comité , les divers projets
qui ont été donnés pour l'établiffement d'une
Banque Nationale , & certainement il naîtroit de
cette réunion d'opinions & d'idées , des réſultats
Talutaires & favorables au crédit.
On pourroit encore difcuter dans ce Comité
des finances , ou dans tout autre , les moyens
qui ont été employés en Hollande , pour ſe procurer
un grand fecours d'argent momentané
tantôt par un prêt proportionné à l'étendue de
chaque fortune , tantôt par un fimple don réglé
dans les mêmes rappors. Ce genre de fecours
celui de l'Emprunt , celui de la Caiffe d'Efcompte
& de tout autre établiffement pareil , offrent
une perſpective de reffources infiniment fupérieures
à celles dont on auroit befoin pour arriver
paifiblement jufqu'à l'époque du rétabliſſement de
l'ordre. Je demande donc en grâce qu'on ne défefpère
encore de rien . Une grande Nation peut
dominer toutes les difficultés toutes les fois
qu'elle eft unie avec fon Roi pour défendre la
juftice , la tranquillité & le bonheur. Combien
d'idées de tout genre ne vous feront pas appor
,
Güij
54 )
rées , du moment qu'on vous verra occupés des
finances , avec cette énergie qui donne du courage
à tout le monde ! en verra naître l'émulation
géné ale , & cette émulation patriotique
deviendra peut - être le premier fignal de la
renaiffance du crédit.
Je conçois facilement , Meffieurs , ce que la
Béunion de vos lumières peut opérer pour le falut
des finances , du moment que vous vous livrerez
fans réserve à cet importante entrepriſe . Mais
tous vos efforts deviendroient inutiles , fi , de
concert avec Sa Majefté , vous n'arrêtiez pas le
dépériffement des revenus . Vous le favez , Meffieurs
, l'on emplcie avec trop de fuccès la fraude
& la violence pour fe refufer au payement des
impôts, & il eft plufieurs droits d'une reffource
majeure , qui femblent menacés d'une ruine totale.
Il est donc indifpenfable pour le crédit , pour la
tranquillité publique , pour le maintien d'un ordre
fans lequel tout tombe en diffolution ; il eſt indifpenfable
, dis -je , que vous réunifiez tous vos
moyens , toutes vos forces pour affurer le recouvrement
des impôts , & pour le mettre à l'abri
des atteintes injuftes & des réfiftances illégales.
L'activité du pouvoir exécutif devient de plus en
plus néceffaire , & il ne faut compter fur aucune
efpèce de confiance , fi les mesures les plus fages
les plus fermes , ne font pas adoptées pour
fauver l'état des horreurs de l'anarchie. Réfléchiffez
, Meffieurs , qu'au milieu de ces craintes
tous les biens , tous les avantages , ceux même
de la liberté , ne font plus eftimés comme ils
méritent de l'être .
Je dois , en rappelant les défordres mu'tipliés
dont vous avez connoiffance , fixer votre principale
attention fur l'impôt du fel . Il n'y a pas
un moment à perdre pour prendre à cet égard
une delibération provifoire. La contrebande dans
( 55 )
plufieurs provinces fe fait à main armée , & les
défenfeurs des revenus du fifc , hors d'état d'y
oppofer une réfiftance fuffifante , fe font la plupart
difperfés . Le peuple , dans d'autres endroits .
a contraint les gardiens des greniers publics , à
lui diftribuer le fel au prix qu'il a fixé lui- même .
Il faut s'étonner que , dans la plus grande partie
du Royaume , l'ordre établi par les lois n'ait pas
encore été renverfé ; mais chaque jour l'exemple
gagne , & vous favez , Meffieurs , ce qui vient
de fe paffer à Verfailles même , autour de vous
& fous les yeux du Roi . Il importe que vous
confidériez fans retard , fans aucun délai , ce qu'il
convient de faire dans de pareilles circonstances ,
& je vais vous foumettre en abrégé les réflexions
que la fituation préfente des affaires m'a fuggérées.
Je doute , Meffieurs , qu'un décret de l'Affemb'ée
Nationale , foutenu du pouvoir exécutif , dans
l'état de balancement & de contradiction cù ce
pouvoir fe trouve aujourd'hui , fût fuflifant pour
rétablir par- tout l'impôt du fel , tel qu'il exiftoit
avant la fubverfion de l'ordre ; & quand il feroit
poffible d'y parvenire, trouveriez-vous conforme
aux lois de la juftice & de la bonté , que Sa Majefté
déployât contre fes Sujets toute la puiffance
des armes , dans un moment où vous n'avez pas
l'intention de maintenir à l'avenir l'mpôt du fel
felon fon ancienne conftitution ! Le peuple qui
ignore vos intentions , & qui doit refpecter les
lois établies , s'eft rendu coupable , fans doute ,
par fes infurrections ; mais le Roi , Meffieurs ,
qui a connoiffance de vos difpofitions futures ,
répugne , avec rafon , à faire ufage de moyens
rigoureux pour le rétabliffement d'un ordre de
chofes qui ne doit être que paflager.
En même temps , d'autres grandes difficultés
fe préfentent. Il ne fe oit pas de votre prudence
de fupprimer en entier l'impôt du fel ,
Civ
( 56 )
fans avoir en le temps d'examiner mûrement de
quelle manière un revenu de foixante millions
peut être remplacé convenablement , & fans avo.r
la connoiffance des refources auxquelles il faudra
recourir pour fuppléer aux befoins de l'Etat ; &
vous aurez à prendre en confidération l'effet que
pourront faire cette année , fur les revenus territoriaux
, les mouvemens populaires qui tendront
encore pendant long-temps à baiffer le prix du
pain & celui des grains . Une multitude de circonftances
qui n'échapperont pas à votre fagacité
, femblent inviter en beaucoup de chofes à
une marche très - prudente & très - circonfpecte .
Cependant il faut prendre un parti , & promptement
; car le pis de tout feroit le dépériffement
graduel d'un revenu , par le feul effet du défordre
de Timpunité. Le Roi , fixant fon attention
fur toutes ces difficultés , vous invite , Meffieurs ,
à confidérer s'il ne conviendroit pas , s'il ne feroit
pas néceffaire de fixer dès -à- préfent la vente du
fel à fix fols la livre dans tous les greniers de
Gabelle où il fe diftribue à plus haut prix ; cette
'difpofition occafionneroit une diminution de revenus
de trente milions , mais l'accroiffement de
la confommation , effet de la réduction du prix ,
atténusroit cette perte. L'on trouveroit encore
un dédommagement dans la diminution de la
contrebande , qui feroit infiniment moins excitée ,
fi le prix du fel étoit réduit à fix fols. Une
partie même de cette contrebande , à la vérité la
moindre de toutes , celle entre les pays de grandes
& petites Gabelles , n'exifteroit plus du tout , &
il réfulteroit de ces difpofitions une économie
importante fur les frais de garde. Le prix du fel
une fois réduit à fix fo's par un décret de l'Affemblée
Nationale , fanctionné par Sa Majefté ,
les réclamations qui pourroient s'élever , même
contre ce prix , feroient fi peu nombreuſes & fi
( 57 )
révoltantes , qu'il deviendroit facile de les réprimer.
Enfin , le prix du fel fenfiblement diminué ,
le prix du fel rendu uniforme dans tous les pays
de Gabelle , une telle difpofition procureroit aux
peuples un fi grand avantage , qu'avant de porter
plus loin vos vues , vous pourriez attendre , fans
inconvénient , jufqu'au réfultat de l'étude approfondie
que vous ferez fans doute des diverfes
reffources & des différens befoins de l'Etat.
Les autres droits qui compofent les revenus
du Roi , n'étant pas attaqués d'une manière auffi
générale que les droits de Gabelle , il fuffira probablement
d'une manifeftation pofitive des intentions
de l'Affemblée Nationale , pour en maintenir
le recouvrement jufqu'à l'époque où vous
aurez pris une détermination éclairée fur toutes
les branches du revenu public .
Il eft impoffible , Meffieurs , que le crédit fleuriffe
dans un pays expofé à des infurrections continuelles
; & comme il n'eft point d'acte plus libre
que celui de la confiance , elle ne peut naître ,
elle ne peut s'affermir qu'au milieu de la paix
& de la tranquillité intérieure. Ainfi , tout ce
que vous ferez , Meffieurs , pour rétablir ce
bonheur , facilitera les Emprunts , en rendant à
la circulation fon activité . Vous vous rapprocherez
donc de beaucoup de ce but fi défirable , lorfque ,
par des difpofitions fages , vous mettrez le recouvrement
des impôts à l'abri de l'agitation dangereufe
qui fe fait fentir par-tout aujourd'hui.
Je me réfume , Meffieurs . Le befoin inftant de
l'Etat , la condition néceffaire de tou e eſpèce de
crédit , c'eft , je le crois , que vous réuniffiez toutes
vos forces pour affurer le recouvrement des impôts
; c'eft que vous tranquillifiez les prêteurs &
les créanciers de l'Etat , en vous occupant publiquement,
& fans aucun délai , des moyens qui pour.
ront établir un accord parfait entre les revenus &
Cv
( 58 )
les dépenses ; c'eſt que vous preniez en même
temps connoiffance de l'étendue des reffources
dont il fera néceffaire de faire ufage pour arriver ,
fans malheur & fans trouble , au moment du
rétabliffement général de l'ordre . De grandes difficultés
le préfentent au milieu du difcrédit actuel &
du refferrement inoui de l'argent ; mais il faut les
attaquer dans leur enfemble , il faut les faifir , il faut
s'en emparer, il faut les vaincre . Si un premier
moyen e fuffit pas , s'il manque même , il faut
fans duragement en chercher un autre ; car
dans les affaires intérieures d'un Royaume , une
Nation qui agit comme en entier par fes repréfentans
, a des reffources incalculables . Elle a le
le grand avantage de pouvoir déte miner d'une
manière certaine ce qui eft jufte ; elle a le grand
avantage d'être foamife ar feules contradictions
qui naitlent des chofes mê.nes . L'effentiel eft donc
que l'on foit perfuadé , par l'effet invincible de la
vérité , que l'Affemblée Nationale eft pénétrée de
la néceffité de régler fans délai les finances , &
d'y appliquer tous fes moyens & toutes fes forces.
Alors , Mefleurs , tous les bons Citoyens , & il
en est beaucoup , animés du même zèle , viendro
: vous feconder , & l'efpérance renaîtra de
toutes parts. Le fyftême rigoureux d'économie
que vous avez deffein d'adopter de concert avec
le Roi , fera un grand effet , quand vos idées à
cet égard feront fixées , & quand vous les aurez
fait connoître.
Je ne crois pas , Meffieurs , que les recherches
& les travaux auxquels vous aurez à vous livrer,
en adoptant les confidérations que je vous préfeate
, retardent la marche grande & importante
que fuit aujourd'hui l'Affemblée Nationale ; mais
fi cette marche fe trouvoit un moment ra'entie
par les nouveaux objets dont un danger preffant
vous invite à vous occupeř , l'intérêt que vous
( 59 )
auriez pris à la fituation actuelle des affaires accroîtroit
auprès de la Nation le mérite de vos travaux.
Les hommes inquiets de leur fortune, font
des juges févères , & il faut les raffurer fur leur
exiſtence préfente , pour les difpofer à mettre du
prix aux biens qu'on leur promet pour l'avenir.
Ainu , dans le temps même où vous ne paroîtriez
occupés que des finances , vous feconderiez d'avance
toutes les vues générales qui font aujour
d'hui le principal objet de vos délibérations . Les
Miniftres du Roi , sûrs des intentions Sa Majefté
, prennent au fuccès de vos travaux le p'us
jufte & le plus véritable intérêt. Ainfi , lorfque
vous croirez utile de vous concerter avec eux ,
lorfque vous trouverez de la convenance à vous
concerter en particulier avec le Miniftre des finances
, vous trouverez de leur part l'empreſſement
le plus grand pour correfpondre à vos vues : ce
n'eft pas trop aujourd'hui de la plus forte ligue
en faveur du bien public. Ne rejetez donc , Mef
fieurs , ne rejetez aucun fecours , mais fur - tout
foyez unis pour atteindre au rétabliffement de
l'ordre dans les Finances : ce que vous voudrez ,
animés par un même fentiment , par un même
intérêt , par un même efprit , vous l'obtiendrez ; "
le public , témoin de l'accord & de la fincérité
de vos efforis , dès ce moment en prévoira le
fuccès : l'on y croira d'avance , & la tranquillité
prendra la place de la défiance & de l'inquiétude.
Je prie l'Affemble Nationale de me pardonner
fi , preffé par l'inftance des affaires , & affoibli
par une maladie dont je fuis à peine convalefcent ,
je n'ai pu lui exprime qu'imparfaitement mes
idées ; je les foumets à fes lumières , & j'apire
principalement à iui préfenter un hommage cof
tant & refpectueux de mon dévouement fans réferve
au bien de l'Etat & au ferv.ce du Roi.
Cvj
( 60 )
Ce Memoire a entraîné moins de difcuffions
que les probalités né pouvoient le faire croire.
M. Dupont , en renouvelant le projet d'une tontine
qu'il avoit déja propofé à l'époque de l'emprunt,,
a opiné à la fuppreffion entière des Gabelles
, & à les remplacer , dans les Provinces ,
par un impôt équivalent.
Cet avis n'a été foutenu de perfonne . M. d'André
a demandé la divifion des objets du Mémoire ,
& l'examen exclufif de l'emprunt , pour le moment.
Vicomte de Mirabeau , fe fondant fur
les limites des connoiffances de l'Affemblée ,
matière de Finances , s'en eft rapporté entièrement
au Mémoire , qu'il falloit , a- t- il ajouté ,
renvoyer aux Bureaux , & fanctionner le lendemain.
en
M. l'Evêque d'Autun a développé les preuves
de l'urgente néceffité de l'emprunt , & de l'anéantiffement
du crédit , la réduction des revenus publics
, en particulier du produit des impofitions , la
perte énorme qu'éprouvent les Fonds publics à la
Bourfe , la baiffe , non moins onéreufe des changes
avec l'Etranger , & enfin , l'impuiffance où l'on s'eft
trouvé de remplir un foible emprunt de 30 millions
, garanti par l'Affemblée Nationale. Il a
infifté avec autant de force fur le refpect des
engagemens publics , fur la néceffité de voter l'emprunt
proposé par M. Necker , d'en abandonner le
mode au pouvoir exécutif , d'affurer les Créanciers
de l'État , par une Déclaration formelle , qu'il ne
fera fait aucune réduction fur les intérêts de la
dette publique , & d'établir un Comité pour examiner
les autres propofitions du Mémoire .
M. de Mirabeau a demandé la divifion de cette
Motion , & qu'on fe borrâ: aux articles de l'impôr,
de fon mode , & de la Déclaration fur la dette publique.
MM de Lally , de Liancourt , & l'Ache-
#
A
( 61 )
vêque d'Aix , ont adhéré à cette obfervation :
les premiers articles de la Motion de M. d'Autun
ont été admis , & renvoyés au Bureau de rédaction
.
Du Jeudi au foir , 27 Aour. CeBureau a rapporté
l'Arrêté du matin , que l'Aſſemblée a confirmé
en la teneur fuivante :
« L'Affemblée Nationale délibérant fur les pro-
« pofitions qui lui ont été faites , au nom du Roi ,
« par le premier Miniftre des Finances déclare
« l'emprunt de trente millions fermé décrète.
« l'emprunt de quatre-vingt millions , moitié en
« argent , moitié en papier , tel qu'il a été pro-
« pofé, & laiffe le mode de l'emprunt au pouvoir
« exécutif. »
L'Affemblée Nationale renouvelle fes Arrê-
« tés , du 17 Juin & Juillet , & elle déclare , en
« conféquence , que , dans aucun cas & fous au-
« cun prétexte , il ne pourra être fait aucune re-
« tenue , ni réduction quelconque fur aucune des
« parties de la dette publique. »
Du Vendredi , 28 AOUT. Mention faite des
Adresses , etc. M. Mounier , au nom du Comité de
Conftitution , a propofé les fix articles fuivans du
premier Chapitre desLois à faire , fur la nature de la
Monarchie Françoife.
1°. Le Gouvernement François eft Monarchique.
Il n'y a point en France d'autorité fupérieure
à celle de la Loi ; le Roi ne règne que par elle ,
& quand il ne commande pas au nom de la Loi ,
il ne peut point exiger l'obéiffance . 2 °. Aucun
acte de législation ne pourra être confidéré comme
Loi , s'il n'a été fait par les Députés de la Nation ,
& fan&tionné par le Monarque. 3 ° . Le pouvoir
exécutif fuprême réfide exclufivement dans la
main du Roi. 4° Le pouvoir judiciaire ne doit
jamais êt e exercé par le Roi , & les Juges aux(
62 )
quels il eft confié , ne peuvent être dépoffédés
de leurs offices pendant le temps fixé par la Loi ,
autrement que par les voies légales . 50. La Couronre
eft indivifible & héréditaire de branche en
branche & de mâle en mâle , par ordre de primogéniture
; les femmes & leurs defcendans en
font exclus. 6 °. La perfonne du Roi eft inviolable
& facrée ; mais les Miniftres & les autres
Agens de l'autorité royale font refponfables de
toutes les infractions qu'ils commettent envers
les Lois, quels que foient les ordres qu'ils aient
reçus.
Nous ferons excufés par nos Lecteurs de reftreindre
à quelques lignes le rapport des difcuffions
qui ont fuivi , en leur apprenant que celle
des deux premiers articles seulement a amené
49 rédactions différentes , qu'on a toutes lues . M.
Guillotin en préparoit une cinquanůème . De plus, il
a été propofé fept amendemens , & quinze fousamendemens
, fans que la Séance ait eu d'autre
réſultat que de renvoyer encore la difcuffion.
Dans le nombre prodigieux des Rédactions
différentes de celle du Comité , on a diftingué celle
de M. Rouffier.
« La France eft un Etat Monarchique , dans
» lequel la Nation fait la Loi , & le Monarque la
» fait exécuter. Certe féparation des pouvoirs
» conftitue effentiellement la Nation Françoife. »
Lorfque l'agitation des efprits , et le bruit violent
de l'Aflemblée eurent permis de mettre une
queftion quelconque en délibération , on adj.gea
la- priorité à la rédaction du Comité , c'est-à- dire ,
l'avantage d'être difcutée la première .
M. le Comte de Croix demanda , qu'en conformité
du Règlement , elle ne fût arrêtée définitivement
qu'après trois jours de lecture et d'examen :
le fort de cet avis paroiffoit encore incertain ,
( 63 )
lorique M. le Préfident a déterminé l'Affemblée
à remettre la déciſion au endemain.
Du Vendredifoir , 28 AOUT. Dans le nombre des
Rapports qui ont occupé exclufivement cette
Séance , on a diftingué ce ui de l'affaire des qua re
Particuliers de Mariembourg , dont on avoit attribué
la détention à M le Comte d'Eftérazy.
Pièces en main , M. le Duc du Châtelet a prouvé
que ce Commandant n'avoit eu aucune part directe
ni indirecte à cet emprifonnement , & il s'eft
autorifé de ce fait , pour requérir que le Comité
de Rapports n'accusât perfoane devant l'Ailemblée
& le Public , avant d'avoir entendu la défefe
préalable du Prévenu.
On a examiné , fans rien décider , un Projet
d'Arrêté du Comté des Subfiftances , tendant à
ordonner la libre circulation des Gains dans l'intérieur
, & à prohiber leur exportation à l'Étranger,
provifoirement. M. de Cuftines a vainement
détaillé , dans un très- long Mémoire , les préceptes
des Economistes en faveur de la libre exporta→
tion. Cette doctrine n'a point été accueillie.
Du Samedi , 29 Aour. Avant qu'on entamât la
question prefcrite par l'Ordre du jour , M. le
Comte de Crillon a demandé la délibération fur les
principaux objets du Mémoire de M. Necker
concernant la confolidation des Impôts actuels ,
la fixation du prix du fel à fix fots la livre , dans
les Pays de Grande-Gabelle ; enfin , un Comité
qui organife les Affemblées Provinciales & les
Municipalités . Perſonne n'a appuyé cette Metion
qui a fait place immédiatement à un Dif
cours de M. le Vicomte de No..illes , fur la queftion
du jour. Ce Député a demandé qu'on délibérâ::
10. fur la Sanction Royale , après l'avoir
définie ; 2° . fur fon degré d'énergie , dans les
( 64 )
Actes Législatifs ; 3°. fur les cas & fur le mode
de fon emplci ; enfin fur la nature du Pouvoir législatif
, fur la permanence ou périodicité de fes
Affemblées , fur fa divifion en deux Chambres
ou fur fon unité.
2
On ne pouvoit embraffer le fujet d'une manière
plus vafte ; elle l'étoit au point , que la
plupart des opinions ont dema de la divifion
de ce cercle immenfe de problêmes politiques .
M. le Comte de Lameth , prenant la Motion
par la fin , a propofé de traiter d'abord du Pouvoir
législatif.
1
La Décaration des Droits l'a déterminé , a
objecté M. Mounier ; il s'agit maintenant de déterminer
la nature du Gouvernement , & d'abord
celle de la Sanction Royale. M. de Virieux
, a réclamé l'Ordre du jour , c'est - à- dire ,
la confécration de l'Autorité Royale quelconque.
M. Guillotin a fubordonné cette queftion à
celle de la Légiflature entière. Ce principe l'a
conduit à demander la formation d'un Comité
chargé de rédiger un plan général , & la difcuffion
préliminaire des articles préfentés , fans la
faire fuivre d'aucune décifion. Il a fini par réclamer
contre les Affemblées du Soir , trop
échauffantes , & nuifibles au physique comme
au moral.
Cette Motion complexe n'a eu aucun fuccès :
on a arrêté de délibérer fur celle de M. de Noailles
; mais feroit - elle traitée dans ſon intégrité , ou
réduite à fes trois premiers points concernant la
Sanction Royale ?
M. Redon , opinant à ce dernier avis , trouvoit
la queftion réfolue dans les Cahiers , exprimant
généralement le voeu de la Sanction
Royale. M. Pethion de Villeneuve interprétoit
ces mêmes Cahiers qui , fuivant lui , ont laiffé
( 65 )
aux Repréfentans la iberté de choisir le Veto
abfolu , ou le Veto fufpenfif. MM. Populus
Mirabeau , de Caftellane , Barnave , appuyoient
cette opininion , & demandoient l'examen de
tous les points de la Motion réunis. MM .
Defchamps , Pifon du Gallard , Mounier , & plufieurs
autres , fe retranchoient dans la queſtion de
la Sanction Royale , & divifoient la Motion.
" Qu'est ce qu'un Veto fufpenfif, a demandé
» M. Mounier ? Qu'est-ce qu'un droit d'empêcher
, qui n'empêche pas ? Une Sanction , qui
» ne feroit exercée que provifoirement , devien-
» droit illufoire ? Ces deux mots impliquent contra-
» diction. Leur adoption nous jeteroit bientôt
» dans la Démocratie ; & d'ailleurs , à quelle
» page de nos Cahiers , trouvons- nous ce Veto
» fufpenfif? Nos Commettans nous ont preſcrit
» de faire la Loi , avec la Sanction , avec le con-
» cours du Roi. On ne peut fe permettre d'in-
» terpréter un voeu auffi clairement expri-
» mé . »
M. d'Eprémefnil a également invoqué fon
Mandat , & propofé que chaque Votant repréfentât
fon Cahier pour juftifier fon Opinion .
D'après cela , a dit M. de Mirabeau , le Préopinant
auroit p envoyer fon Cahier à l'Affemblée
, au lieu d'y venir lui-même . Il eſt vrai
a-t-il ajouté , que nous n'aurions pas eu le plaifir
de l'entendre.
On a enfin paffé aux voix , & une grande
majorité a décidé la divifion de la Motion , c'eftà
-dire , de réduire l'examenà ces trois Chefs.
» Qu'est- ce que la Sanction Royale ? eft- elle
» néceffaire à tous les Actes Législatifs ? en quel
» cas , & de quelle manière doit- elle être em-
» ployée ?
( 66 )
Supplement à l'Assemblée Nationale .
Opinion de M. RABAUD DE SAINTETIENNE
sur la Motion de M. le
Comte DE CASTELLANE .
Nul homme ne peut être inquiété pour ses opinions , mi
troublé dans l'exercice de sa Religion .
MESSIEURS ,
Puifque l'Affemblée a décidé que le Préopinant
étoit dans la queſtion , il m'eft permis de
le réfater , & de relever les principes dangereux
qu'il a exposés.
Il a bien voulu convenir qu'on n'a aucun droit
à pnétrer dans les perfées intimes des hommes ,
& certes il n'a pas énoncé une vérité bien remarquable
& bien profonde ; car il n'eft jamais
venu à l'efprit d'aucun tyran d'entrer dans le fecret
des penfées ; & l'efclave le p'us efclave conferve
très certainement la liberté que le Préopinant
digre accorder à des hommes libres .
Il a ajouté que la manifeftation des pensées
pouvoit être une chofe infiniment dangereufe
qu'il étoit néceffaire de la farveiller , & que la
Loi devoit s'occuper d'empêcher que chacun pût
manifefter trop librement fes penfées ; que c'étoit
ainfi que s'établiffoient les Religions nouvelles
; il n'y manquoit que de nommer fur- lechamp
un Tribunal chargé de ces fonctions de
furveillance .
Or , je dis à mon tour que cette Opinion
ainfi énoncée , feroit propre à nous jeter de nou
veau fous le defpotifme de l'inquisition , fi l'opinion
publique que le Préopinant a invoquée ,
ne condamnoit hautement la fienne .
Ce langage eft celui qu'ont toujours tenú les
( 67 )
intolérans , & l'Inquifition n'a pas eu d'autres
maximes. Elle a toujours dit , dans fon langage
doucereux & ménagé , que fans doute il ne faut
point attaquer les penfées , que chacun eſt libre
dans fes opinions, pourvu qu'il ne les manifefte pas ;
mais que cette manifestation pouvant troubler l'ordre
public , la Loi doit la furveiller avec une attention
fcrupuleufe ; & à la faveur de ces principes
, les intolérans fe font fait accorder cetre
puiffance d'infpection , qui , durant tant de fiècles
, a foumis & enchaîné la penfé .
Mais avec une telle maxime , MESSIEURS ,
il n'y auroit point de Chrétiens. Le Chriftianifme
n'exifteroit pas , fi les Païens , fidèles à ces maximes
qui , à la vérité , ne leur furent pas inconnues
avoient furveillé avec foin la manifeftation des
opinions nouvelles & continué de dé larer
qu'elles troubloient l'ordre public.
"
9 L'honneur que je partage avec vous Mef
fieurs , d'être Député de la Nation & Membre
de cette augufte Affemblée , me donne le droit
de parler à mon tour , & de dire mon avis fur
la queſtion qui vous occupe.
Je ne cherche pas à me défendre de la défa
veur que je pourrois jeter fur cette caufe , importante
, parce que j'ai intérêt à la foutenir
& je ne crois pas que perfonne doive être fufpecté
dans la défenfe de fes droits , parce que
ce font fes droits . Si le malheureux efclave du
Mont-Jura fe préfentoit devant cette augufte Affemblée
, ce ne feroit pas la défaveur ni le préjugé
qu'il y feroit naître ; il vous infpirercit ,
Meffieurs , le plus grand intérêt. D'ailleurs je
remplis une miffion facrée , j'obéis à mon cahier ,
j'obáis à mes commзttans. C'est une Sé échauf
fée de trois cent- foix..nte mille habitans , dont
plus de cent vingt mille font Proteftans , qui a
chargé fes Députés de folliciter auprès de vous
( 6868 ))
le complément de l'Edit de Novembre 1787.
Une autre Sénéchauffée du Languedoc , quelques
autres Baillages du Royaume ont exposé le
même voeeu , & vous demandent pour les non-
Catholiques la liberté de leur Culte (1 ).
C'eft fur vos principes que je me fonde , Meffieurs
, pour vous demander de déclarer , dans un
article , que tout Citoyens eft libre dans fes Opinions
, qu'il a le droit de profeffer librement fon
culte , & qu'il ne doit point être inquiété pour fa
Religion.
Vos principes font que la liberté eſt un bien
commun & que tous les Citoyens y ont un
droit égal. La liberté doit donc appartenir à tous
les François également & de la même manière .
Tous y ont droit , cu nul ne l'a : celui qui la diftribue
inégalement , ne la connoît pas celui qui
attaque , en quoi que ce foit , la liberté des au
tres , attaque la fienne propre , & mérite de la
perdre à fon tour , indigne d'un préfent dont il
he conneît pas tout le prix.
Vos principes font que la liberté de la penfée
& des opinions est un droit inalienable &
imprefcriptible. Certe liberté , Meffieurs , eft la
plus facrée de toutes ; elle échappe à l'empire
des hommes ; elle fe réfugie au fond de la confcience
, comme dans un fan&tuaire inviolable où
nul mortel n'a le droit de pénétrer ; elle eſt la
feule que les hommes n'aient pas foumise aux
lois de l'affociation commune la contraindre
eft une injustice , l'attaquer eſt un facrilége.
Je me réserve de répondre aux argumens que
(1) Ici une foule de Députés fe font écriés
que leurs cahiers portoient le même vou . Tour ,
Lous, fe font écriés plufieurs autres.
( 69 )
l'on pourroit faire pour dire que ce n'eft poin
átta juer la confcience des Diffidens , que de leur
défendre de prof fr leur cu'te ; & j'espère de
prouver que c'eft une fouveraine injuftice , que
c'eft artaquer leur confcience & la violer , que
eeft être intolérant , pe : fécuteur & injufte , que
c'eft faire aux autres ce que vous ne voudriez
pas qui vous fût fait.
Mais ayant l'honneur de vous parler , Meffieurs
, pour vous prier de faire entrer dans la
Déclaration des Droits un princip certain &
bien énoncé , fur lequel vous puifliez établir un
jour des Lois juftes au fujet des non- Catholiques ,
je dois parler d'abord de leur fituation en
France.
Les non-Catholiques ( quelques-uns de vous ,
Meffieurs , l'ignorent peut-être ) n'ont reçu de
l'Edit de Novembre 1787 , que ce qu'on n'a pu
leur refufer. Oui , ce qu'on n'a pu leur refufer ;
je ne le répète pas fans quelque honte , mais ce
n'eft point une inculpation gratuite , ce font les
propres termes de l'Edit. Cette Loi , plus célè
bre que jufte , fixe les formes d'enregiſtrer leurs
naiffances , leurs mariages & leurs morts ; elle
leur permet en conféquence de jouir des effets
civils , & d'exercer leurs profeffions...... &
c'est tout.
C'eft ainfi , Meffieurs , qu'en France , au dixhuitième
fiècle , on a gardé la maxime des temps
barbares , de divifer une Nation en une cafte favorifée
, & une cafte difgraciée ; qu'on a regardé
comme un des progrès de la légiflation , qu'il fût
permis à des François , profcrits depuis cent ans,
d'exercer leurs profeffions , c'eft-à- dire , de vivre ,
& que leurs enfans ne fuffent plus illégitimes. Encore
les formes auxquelles h Loi les a foumis ,
font -elles accompagnées de gênes & d'entraves ;
& Fexécution de cette Loi de grace a porté la dou:(
70 )
leur & le défordré dans les Provinces où il exifte
des Proteftans. C'eft un objet fur lequel je me
propoſe de réclamer lorfque vous ferez parvenus
à l'article des Lois . Cependant , Meffieurs ( telle
eft la différence qui exifte entre les François & les
François ) ; cependant les Proteftans font privés
de plufieurs avantages de la Société cette croix ,
prix honorable du courage & des fervices rendus
à la Patrie , il leur eft défendu de la recevoir ;
car, pour des hommes d'honneur , pour des François
, c'eft être privé du prix de l'honneur que de
l'acheter par l'hypocrific. Enfin , Meffieurs , pour
comble d'humiliation & d'outrage , profcrits dans
leurs penfées , coupables dans leurs opinions , ils
font privés de la liberté de profeffer leur Culte.
Les Lois pénales ( & quelles Lois que celles qui
font pofées fur ce principe , que l'erreur eft un
crime ) ! les Lois pénales contre leur Culte n'ont
point été abolies ; en plufieurs Provinces ils font
réduits à le célébrer dans les déferts , expofés à
toute l'intempérie des faifons , à fe dérober comme
des criminels à la tyrannie de la Loi , ou plutôt
à rendre la Loi ridicule par fon injuſtice , en l'éludant
, en la violant chaque jour.
Ainfi , Meffieurs , les Proteftans font tout pour
la Patrie; & la Patrie les traite avec ingratitude ;
ils la fervent en Citoyers ; ils en font traités en
profcrits : ils la fervent en hommes que vous avez
rendus libres ; ils en font traités en efclaves . Mais
il exifte enfin une Nation Françoiſe , & c'eſt à elle
que j'en appelle , en faveut de deux millions de
Citoyens utiles , qui réclament aujourd'hui leur
droit de François. Je ne lui fais pas l'injustice de
penfer qu'elle puiffe prononcer le mot d'intolérance
; il eft banni de notre langue , ou il n'y
fubfiftera que comme un de ces mots barbares &
furannés dont on ne se fert plus , que parce que l'idée
qu'il préfente eft anéantie. Mais , Meffieurs , ce
( 71 )
n'eft pas même la Tolerance que je réclame ; c'eft
la liberté. La Tolérance ! le fupport ! le pardon !
la clémence ! idées fouverainemant injuftes eavers
les Diffidens , tant qu'il fera vrai que la différer ce
de Religion , que la différence d'opinion n'eft pas
un crime. La Tolérance ! Je demande qu'il foit
profcrit à fon tour ; & il le fera , ce mot injuſte ,
qui ne nous préfente que comme des Citoyens
dignes de pitié , comme des coupables auxquels
on pardonne , ceux que le hafard fouvent , & l'éducation
ont amenés à penfer d'une autre manière
que nous. L'erreur , Meffieurs , n'eft point un
crime celui qui la profeffe , la prend pour la
vérité ; elle eſt la vérité pour lui ; il eft obligé de
la profeffer , & nul homme , nulle fociété n'a le
droit de le lui défendre.
Eh ! Meffieurs , dans ce partage d'erreurs & de
vérités que les hommes fe diftribuent , cu fe
tranfmettent , ou fe difputent , quel eſt celui qui
oferoit affurer qu'il ne s'eft jamais trompé , que la
vérité eſt conſtamment chez lui , & l'erreur conftamment
chez les aurres ?
Je demande donc , Meffieurs , pour les Proteftans
François , pour tous les Non- Catholiques du
Royaume , ce que vous demandez pour vous :
la liberté , l'égalité de droits . Je le demande
pour ce Peuple arraché de l'Afie , toujours errant
, toujours profcrit , toujours perfécuté depuis
près de dix - huit fiècles , qui prendroient nos
moeurs & nos ufages , fi , par nos Lois , il étoit
incorporé avec nous , & auquel nous ne devons
point reprocher fa morale , parce qu'elle eft le
fruit de notre barbarie & de l'humiliation à laquelle
nous l'avons injuftement condamné .
Je demande , Meffieurs , tout ce que vous demandez
pour vous que tous les Non-Catholiques
François foient affimilés en tout & fans ré-
Serve aucune à tous les autres Citoyens , paro
( 72 )
qu'ils font Citoyens auffi , & que la Loi , & que
la liberté , toujours impartia'es , ne diftribuent point
inégalement les actes rigoureux de leur exacte
juftice .
Et qui de vous , Meffieurs ( permettez - mai
de vous le demander , qui de vous oferoit ) , qui
voudroit , qui mériteroit de jouir de la liberté ,
s'il voyoit deux millions de Citoyens contrafter ,
par leur fervitude , avec le fate impoſteur d'une
liberté qui ne feroit plus , parce qu'elle feroit inégalement
répartie ? Qu'auriez - vous à leur dire ,
s'ils vous reprochoient que vous tenez leur ame
dans les fers , tandis que vous vous réſervez la
liberté ? Et que feroit , je vous prie , cette ariſtocratie
d'opinions , cette féodalité de penfées , qui
réduiroit à un honteux fervage deux millions de
Citoyens , parce qu'ils adorent votre Dieu d'une
aut e manière que vous ?
Je demande pour tous les Non- Catholiques ce
que vous demandez pour vous : l'égalité des droits,
la liberté; la liberté de leur Re igion , la liberté
de leur Culte , la liberté de le célébrer dans des
maiſons confacrées à cet objet , la certitude de
n'être pas plus troublés dans leur Religion que
vous ne l'ê es dans la vôtre , & l'affurance parfaite
d'être protégés comme vous autant que
vous , & de la même manière que vous , par la
commune Loi .
Nation Ne permettez pas , Meffieurs
généreufe & libre , ne le fouffrez point , que l'on
vous cite l'exemple de ces Nations encore intolérantes
qui profcrivent votre Culte chez elles . Vous
n'êtes pas faits pour recevoir l'exemple , mais pour
le donner; & de ce qu'il eft des peuples injuftes
il ne s'enfuit pas que vous deviez l'être. L'Europe ,
qui afpire à la liberté , attend de vous de grandes
leçons , & vous êtes dignes de les lui donner. Que
ce Code que vous allez former , foit le modèle
de
( 73 )
de tous les autres , & qu'il n'y refte aucune tache.
Mais fi les exemples peuvent être cités , imitez
Meffieurs , celui de ces généreux Américains qui
ont mis à la tête de leur Code Civil la maxime
facrée de la liberté univerfelle des Religions ; de
ces Penfylvaniens , qui ont déclaré que tous ceux
qui adorent un Dieu , de quelque manière qu'ils
l'adorent , doivent jouir de tous les droits de Citoyen
; de ces doux & fages Habitans de Phila lelphie
, qui voient tous les Cultes établis chez eux ,
& vingt Temples divers , & qui doivent peut-être
à cette connoiffance profonde de la liberté , la
liberté qu'ils ont conquife.
Enfin, Meffieurs , je reviens à mes principes ,
ou plutôt à vos principes ; car ils font à vous :
vous les avez conquis par votre courage , & vous
les avez confacrés à la face du monde , en déciarant
que tous les hommes naiſſent & demeurent libres
& égaux.
Les droits de tous les François font les mêmes ,
tous les François font égaux en droits.
Je ne vois donc aucune raifon pour qu'une partie
des citoyens dife à l'autre : Je ferai libre , mais vous
ne le ferez pas.
Je ne vois aucune raifon pour qu'une partie des
François dife à l'autte : Vos droits & les nôtres
font inégaux ; nous fommes libres dans notre
confcience , mais vous ne pouvez pas l'être dans
la vôtre , parce que nous ne le voulons pas.
Je ne vois aucune raifon pour que la Partie
opprimée ne puiffe lui répondre : Peut - être ne
parlériez-vous pas ainfi , fi vous étiez le plus petit
Hombre ; votre volonté excluſive n'eft que la Loi
di plus fort , & je ne fuis point tenu d'y obéir.
Cette Loi du plus fort pouvoit exifter fous l'empire
defpotique d'un feul , dont la volonté faifoit
l'unique Loi ; elle ne peut exifter fous un Peuple
libre , & qui refpecte les droits de chacun.
N°. 36. 5 Septembre 1789.
D
( 74 )
Non plus que vous , Meffieurs , je re fas ce
que c'est qu'un droit exclufif ; je ne puis reconncître
un privilége exclufif en quoi que ce foit :
mais le privilége exclufif , en fait d'opiniors & de
cule , me paroît le comb'e de l'injuftice . Vous ne
pouvez pas avoir un feul droit que je ne Paie ; fi
vous l'exercez , je dois l'exercer ; fi vous êtes libres
, je dois être libre ; fi vous pouvez profeffer
votre Culte , je dois pouvoir pro effer le mien ;
fi vous ne devez pas être inquiétés , je ne dois
pas être inquiété ; & fi , malgré l'évider ce de ces
pri : cipes , vous nous défendiez de profeffer notre
Culte commun , fous prétexte que vous êtes beaucoup,
& que nous fommes peu , ce re feroit que
la Loi du plus fort ; ce feroit une fouveraine injuftice
, & vous pé :heriez contre vos propres principes.
Vous ne vous expoferez donc pas , Meffieurs
au reproche de vous être contredits dès les premiers
momens de votre Légiflature facrée , d'avoir
déclaré , il y a quelques jours , que les
kommes font égaux en droits , & de déclarer
aujourd'hui qu'il font inégaux en droits ; d'avoir
déclaré qu'ils font libres de faire tout ce qui
e peut nuire à autrui , & de déclarer aujour
d'hui que deux millions de nos concitoyens ne
font pas libres de célébrer un culte qui ne fait
aucun tort à autrui,
Vous êtes trop fages , Meffieurs , pour faire
de la Religion un objet d'amour- propre , & pour
fubftituer à l'intolérance d'orgueil & de domination
, qui , durant près de quinze fiècles , a
fait couler das torrens de fang , une intolérance
de vanité. Vous ne ferez pas furpris de ce qu'il
eft des hommes qui penfent autrement que
vous , qui adorent Dieu d'une autre manière
que vous ; & vous ne regarderez pas la dìverfité
des pensées comme un tort qui vous eft
( 75 )
fait. Inft uits par la longue & fanglant : expé
rience d.s fècles , inftruits par les fautes de vos
Pères & par leurs malheurs méjés , vous direz
fans doute : Il eft temps de dépofer ce glaive
féroce qui dégoutte encore du fang de nos Concitoyens
; il eft temps de leur rendre des droits
trop log-temps mecontus ; il eft temps de bri--
fer les barrières injuftes qui les féparoient de
nous , & de leur faire aimer une Patrie qui les
profcrivoit & les chaffoit de fon fein.
Vous êtes trop fages , Meffieurs , pour penfer
qu'il vous étoit réfervé de faire ce que n'ont
pu les hommes qui ont exifté pendant fix mille.
ans ,Ide réduire tous les hommes à un feul &
même culte. Vous ne croirez pas qu'il étoit réfervé
à l'ASSEMBLÉE NATIONALE , de faire d f
paroître une variété qui exiſta toujous , ni que
vous ayez un droit dont votre Dieu lui-même
ne veut pas faire ufage.
Je fupprime , Meffieurs , une foule de motifs
qui vous rendroient intéreffans & chers deux
millions d'infortunés. Ils fe préfenteroient à vous
teints encore du fang de leurs pères , & ils vous
montreroient les empreintes de leurs propres
fers . Ma Patrie eft libre , & je veux oublier
comme elle , & les maux que nous avons partagés
avec elle , & les maux plus grands encore
dont nous avons été feuls les victimes. Ce que
je demande , c'est qu'elle fe montre digne de la
liberté , en la diftribuant également à tous les
Citoyens , fans diftinction de rang , de naiffance
& de Religion , & que vous donniez aux Diffidens
tout ce que vous prenez pour vous- mê.
mes .
Je conclus donc , Meffieurs , à ce qu'en atten
dant que vous ftatuiez fur l'abolition des Lois
concernant les non-Catholiques , & que vous les
Dij
( 76 )
affimiliez en tout aux autres François , vous faffiez
entrer dans la Déclaration des Droits cet arti¬
cle :
Tout homme eft libre dans fes opinions ; tout
Citoyen a le droit de profeffer librement fon Culte ,
& nul ne peut être inquiété à cause de fa Religion.
Après avoir fini , l'Auteur de l'Opinion
ajouta ces paroles :
MESSIEURS ,
J'efpère de ne m'être pas attiré la défaveur
de l'Affemblée , lorfqu'obligé par mon cahier
d'exprimer le voeu de mes Commettans , je vous
ai demandé la liberté du Culte pour une nombreufe
partie de vos Concitoyens , que vos principes
appellent à partager vos droits. J'ai cru
même devoir à la dignitetouchante de leur caufe ,
de dépouiller un inftant le caractère augufte de
Repréfentant de la Nation , que j'ai l'honneur de
partager avec vous , pour prendre en quelque
manière celui de Suppliant. Il me fembloit que les
maximes que nous avions entendues rappeler dans
cette Séance avoient rendu néceffaire ce la gage ,
& que je devois intéreffer votre humanité par le
fentiment , après avoir effayé de la convaincre
par la raifon,
:
J'ai cependant une obfervation importante à
ajouter c'eft que le Culte libre que je vous demande
, eft un Culte commun. Tout Culte eft néceffairement
un Culte de plufieurs . Le Culte
d'un feul eft de l'adoration , c'eft de la Prière .
Mais perfonne de vous n'ignore que nulle Religion
n'a exifté fans Culte , & qu'il a toujours
confifté dans la réunion de plufieurs. Des Chrétiens
ne peuvent pas le refufer à des Chrétiens ,
fans manquer à leurs propres principes , puif(
77 )
que tous croient à la réceffité duCulte en commun .
J'ai une autre obfervation non moins importante
à faire c'est que l'idée d'un Culte commun
eft un dogme , un article de foi. C'est donc
une opinion religieufe , dans toute la jufteffe de
l'expreffion. Il vous eft done impoffible de priver
les non- Catholiques de leur Culte ; car il
vous eft impoffible de gêner la liberté de leurs
opinions.
Il seroit difficile de traiter un objet
aussi sérieux avec plus de sentiment.
Cependant , M. Rabaud a trouvé des
Antagonistes, et son opinion a été rejetée.
Ne seroit - ce point parce qu'il lui a
donné trop de latitude , et ne pourroit-on
pas considérer cette grande question
sous un point de vue élémentaire , qui
semble n'avoir pas été envisagé dans le
débat ?
Ou la Religion est utile auaux Etats .
ou elle ne l'est pas. Si elle est inutile , il
est superflu de s'occuper des différences
d'opinion , de tolérance , de culte . On
ne doit pas plus permettre aux adhérens
de telles ou telles idées religieuses
d'en solenniser la consécration au son
des cloches , dans des édifices publics ,
en distinguant une classe de personnes
spécialement chargées du Service Divin ,
qu'on ne permet aux Académies d'attrouper
le Peuple sous leurs étendards ,
pour entendre des prédications , et
célébrer des mystères scientifiques . Déclarer
la Religion inutile , c'est la dé-
D iij
( 78 )
clarer sans influence quelconque sur
l'ordre social . Ainsi , que le Peuple
adore un Dieu , ou un Chat , la liberté
de son adoration ne peut être restreinte
par le Législateur , dont l'autorité n'atteint
pas les actions indifférentes . Maist
si chacun reste maître de se prosterner
chez soi devant un Fétiche , et d'adresser
des prières au Démon , il n'a pas plus
de droit à demander un culte public ,
que n'en auroient les Magnétiseurs , les
Newtoniens , ou les Faiseurs d'évocations
à la lune . Encore , la société seroit- elle
forcée à l'intolérance et au despotisme,
en proscrivant des Assemblées , oùle Culte
Religieux outrageroit les moeurs et le
maintien de la sûreté publique ...
Reconnoît- on une utilité quelconque
dans l'Institution Religieuse ( Nous disons
te , car le mot de nécessité exciteroit
aujourd'hui trop de clameurs. ) ? Il faudra
bien déterminer sous quels rapports
elle est utile . Toute doctrine n'est pas
l'appui de la morale , le frein de la foiblesse
, la consolation du malheureux .
La Religion devant servir de supplément
à la force des lois et des moeurs , le
Législateur n'en autorisera le culte public
, qu'autant qu'elle remplira ce but.
Le sera-t-il indifféremment par toutes les
opinions religieuses ? l'une , comme celles
des Carthaginois , ordonnera le sacrifice
des enfans à la Divinité ; l'autre , comme
celles des Mexicains , prescrira les ho(
79 )
de
locaustes humains ; une troisième ,
damner et de brûler les hérétiques ; une
quatrième , comme le Musulmanisme ,
de faire la guerre aux infidèles. Pas une
superstition infàme , pas un dogme antisocial
, pas une pratique licencieuse qui
ne réclamât la liberté du culte , si ,
d'après les maximes qu'on a soutenues ,
il suffisoit d'avoir une opinion , pour
la professer dans un temple , avec tous
les rites qui en cemposeroit la célébration
religieuse .
Admettre un culte public , c'est avouer
l'importance d'une Doctrine religieuse ;
par conséquent , ses dogmes ne peuvent
être indifférens. Toute religion conforme
à l'intérêt public ne sauroit être privée
du droit de se montrer , de réunir ses
sectateurs , et de célébrer ses pratiques ;
mais , qui déterminera son caractère ?
L'opinion publique ? elle a produit la
St. Barthelemi . Les lumières ? ont- elles
empêché , en 1780 , cent mille fanatiques
d'embrâser Londres quatre jours entiers?
Au seul Législateur appartient cet examen.
S'il est éclairé , la liberté n'a rien
à craindre . S'il ne l'est pas , la Nation
le sera encore moins que lui , et l'intolérance
des Sectes le corrompra , sans
qu'il existe aucun moyen de prévenir
cette calamité.
Ainsi , l'institution d'une Religion est une
loi , oula plus inutile des absurdités. Si elle
est une loi , elle embrasse,dans une protec-
Div
( 80 ).
tion égale , toutes les opinions religieuses
innocentes ; mais la société ne laissera
jamais sans danger , chaque troupe de
Sectaires Novateurs, ériger des autels publics
à toutes les folies de l'esprit humain.
La liberté ne peut être une offense à
la raison , et elle seroit la déraison
même , si elle , consistoit à ôter aux
lois toute surveillance sur les actions ;
ear un culte public est un acte , et non
une opinion.
On a reproché souvent , en France
à l'Angleterre , ses lois contre les Catholiques
: nous ne sommes pas appelés à les
justifier ; mais les Anglois ont mille fois
répondu à ce reproche qu'on répète tous
les jours. Ils n'ont pas rejeté le Catho-
Hiçisme comme religion , mais comme
doctrine politique , qui leur paroissoit
incompatible avec leur Constitution ;
comme doctrine qui soumettoit ses adhé
rens à une suprématie étrangère ; qui
leur défendoit de prêter serment de fidélité
au Souverain ; qui impliquoit une
obéissance passive et de droit divin au
Roi ; qui avoit opposé ce dogme à tous
les efforts de la liberté , enfanté des
révoltes et des conjurations fréquentes
contre la Constitution , et opéré le
massacre d'Irlande , la conspiration des
Poudres , et tous les complots armés
en faveur des Stuarts. Sans prononcer
sur la justice de ces anathemes , il est
évident que s'ils étoient fondés : l'Anglo(
81 )
terre étoit sage d'éloigner un culte aussi
contraire à ses institutions politiques.
Par occasion , nous releverons ici une ,
de ces assertions , dont les Auteurs
persuadent la vérité , à force de la répé
ter . En rendant compte du débat sur la
Motion de M. de Castellane , une Feuille
périodique , estimée , a demandé comment
la liberté religieuse étoit respectée
en Angleterre , où l'on pend un homme
qui dit la messe . Il nous semble qu'il n'est
guère permis d'ignorer qu'au mois de Juin
1780, le Parlement unanime dans les deux
Chambres , abolit solennellement toutes
les anciennes Lois pénales contre les Prêtres
Catholiques ; que ce Bill mémorable
souleva Edimbourg, et arma cent mille incendiaires
à Londres ; que , déployant
cette fermeté stoïque qui convient à des
Législateurs, les deux Chambres, assaillies
par ces frénétiques , persistèrent unani-.
mement dans leur glorieuse résolution ;
y persistèrent malgré l'incendie de leurs
maisons , les outrages faits à plusieurs
Membres , et la terreur universelle . Le
Roi , également inébranlable , jura qu'il
perdroit la Couronne , plutôt que de
sanctionner la révocation du Bill , qui
fut confirmé peu de jours après . Une,
scène aussi récente et aussi honorable
devroit nous rendre plus circonspects a
accuser le Parlement Anglais d'intolérance
.
Dy
( 82 )
Dans la Séance de Lundi 31 , M. l'Evêque
de Langres , élu Président , Samedi soir , à la
pluralité de 499 voix , a remercié l'Assemblée ,
qui a reçu , en même temps , le compliment
de M. de Clermont- Tonnerre.
On a communiqué à l'Assemblée plusieurs
lettres menaçantes , écrites du Palais -Royal ,
contre un nombre de Députés, à qui l'on reproche
de soutenir l'Aristocratie ; reproche qui ,
souvent mal appliqué , est devenu un signal de
persécution et de tyrannie contre ceux à qui ,
dans le fait, on n'a aucun tort à reprocher, mais
qui ont le courage de ne pas sacrifier leurs opinions
, la liberté, et l'Etat , à l'inipétuosité d'un
enthousiasme irréfléchi. Nous rendrons compte
de cette Délibération , dans laquelle l'Assemblée
a décidé de s'en remettre à la sauvegarde
des esprits justes , et du bien qu'elle se
propose d'effectuer.
De Paris , le 3 Septembre.
DECLARATION DU ROI , concernant
un Emprunt National de quatrevingts
millions , payables moitié en
Argent , moitié en Effets Royaux ;
donnée à Versailles le 28 Août 1789.
Le Roi ayant fait connoître à l'Assemblée
Nationale les raisons qui devoient l'engager
a substituer un autre Emprunt à celui qu'Elle
avoit déterminé le 9g de ce mois , et lui ayant
proposé d'adopter par préférence un Emprunt
de quatre-vingts millions , portant cinq pour
cent d'intérêt , remboursable en dix années ,
et dont la moitié de la mise seroit payée .
en Effets royaux ; l'Assemblée Nationale a
( 83 )
delibéré cet Emprunt par le Décret suivant :
Voyez l'article de l'Assemblée Nationale . )
Raconter quelques minuties auxquelles
on donne de l'importance vingtquatre
heures , et dont le souvenir meurt
le lendemain , ce ne seroit pas remplir
l'attente du Public. Les faits plus sérieux
exigent une recherche préalable , et il
> n'est aucunement sûr de les présenter
quelquefois dans leur vérité . Une notice
de quelques lignes peut renfermer tout
ce que l'histoire de cette Capitale a of
fert la semaine dernière .
L'Hôtel - de-Ville a renouvelé les anciennes
défenses contre les attroupemens
, ce qui n'a pas empêché celui d'un
grandnombre de domestiques sans places,
formant des demandes , ou plutôt des
Motions , car ce mot Anglois a fait en
France une fortune populaire. Samedi
soir , il s'éleva à la Halle atix farines ,
une émeute où un Commissaire faillit
être sacrifié. Le lendemain l'Hôtel - de-
Ville défendit les émeutes par un Placard
, sous les peines ordinaires . La discussion
de la Sanction Royale à Ver--
sailles ayant échauffé ici beaucoup de
têtes , Dimanche soir , le Palais - Royal
prit la chose en délibération . On demandoit
l'expulsion de plusieurs Dé
putés de tout Ordre , spécialement d'une
partie de ceux du Dauphiné , au zèle et
aux talens desquels , par parenthèse , on
Dvj
( 84 )
"
doit les prémices de la liberté Françoise .
On parloit d'amener le Roi à Paris.
ainsi que M. le Dauphin. Les accusations
se mêloient aux raisonnemens , et
l'on exhortoient tous les Citoyens vertueux
, tous les Patriotes incorruptibles ,
à se transporter sur- le-champ à Versail--
les . M. de la Fayette prit des mesures
pour empêcher l'exécution de ce projet ,
et heureusement les personnes qui l'avoient
formé s'en désistèrent pour le
moment ; mais ils ont continué leurs
assemblées au Palais-Royal .
Les Gardes-Francoises sont incorporés
dans les casernes des différens Districts.
Ils ont exigé le payement de leurs
anciennes casernes , y compris l'Hôpital,
ainsi que des meubles qui s'y trouvoient ,
et c'est l'Hôtel- de- Ville qui solde cette
demande , évaluée à 1,030,000 liv . On
nous a certifié que 300 Gardes - Suisses
, au plus , avoient abandonné leur
régiment .
Le projet de Municipalité , dressé par
les Commissaires des Représentans de la
Commune , présenté à l'Assemblée Générale
, et ensuite aux Districts où il est
encore , est divisé en 19 Titres , et ter-´
miné par un Règlement sur les premières
Elections à faire pour constituer la Municipalité
; ce Code particulier d'une
seule ville du Royaume , ne peut être
transcrit en entier dans un Journal , où
l'on se borne à recueillir ce qui concerne,
( 85 )
les intérêts généraux de l'Etat. Nous nous
en tenons à analyser rapidement les
Titres les plus intéressans.
9
-
La nouvelle Municipalité aura tous les pouvoirs
d'Administration et de Jurisdiction cidevant
attribués à l'Hôtel-de - Ville , tant dans
Paris qu'au dehors . La Banlieue sera comprise
par la suite dans son territoire , si cette
réunion est jugée convenable , ou nécessaire .
La Jurisdiction embrassera toutes les parties
de la Police , celles de la Voirie , le service
des Postes , pour en assurer l'exécution et le
secret ; la surveillance de tous les établissemens
publics , les subsistances et approvisionnemens
et généralement tous les objets sur
lesquels reposent la sureté , la liberté et la
tranquillité des Citoyens. Elle fera , dans
Paris , l'assiette , la répartition et la perception
de toutes les impositions personnelles et
réelles , même la recette des droits d'entrée ,
et connoîtra de toutes les contestations relatives
aux objets ci-dessus . L'Administration
de la Ville de Paris sera composée
de trois cents Membres , élus librement par
les Districts , et appelée Assemblée Générale
des Représentans de la Commune de Paris.
-L'Administration Journalière des objets ,
la Jurisdiction qui y est attachée , seront confiées
à 60 Membres , pris dans les trois cents
et qui, répartis en divers départemens , forme..
ront le Conseil de Ville . Le soin d'établir
l'harmonie dans ces départemens , et de donner
des décisions provisoires dans les circonstances
urgantes , appartiendra à un Bureau de
Ville , composé des principaux Officiers du
Conseil de Ville , qui seront au nombre de 21 .
L'Assemblée de ce Bureau sera compléte
-
( 86 )
-
quand il sera composé de 9 Membres.
L'Assemblée générale des trois cents ne siégera
que pendant les mois de Juin et de Décembre
; c'est - elle qui examinera tous les
comptes rendus par le Conseil et le Bureau
de Ville , qui fera les réglemens nécessaires , etc.
Chaque année , il sortira de cette Assemblée
un des cinq Membres appartenans à chaque
District , de telle manière qu'elle soit entièrement
renouvelée en cinq ans. Le Conseil
de Ville sera composé du Maire , du Commandant-
Général , de huit Echevins , du Procureur-
Général , de huit Présidens de départemens
, et de 39 Conseillers de la Ville , Assesseurs
, formant le nombre de 60. Tous
les Membres du Conseil ne pourront rester
en place que le temps fixé à chacun , au titre
de leur département. Ils seront élus au scrutin
par l'Assemblée Générale , et pris dans son
sein . Ils ne pourront être en même temps
Députés à l'Assemblée Nationale ; si aucun
d'eux étoit élu , il seroit tenu d'opter.
Le
Bureau de Ville sera composé , ainsi que nous
Pavons dit , de 21 Officiers du Conseil de
Ville. Il s'assemblera régulièrement tous les
15 jours , et plus souvent , s'il est nécessaire ,
sur la convocation du Maire..
T Le Maire sera le Chef de la Municipalité ,
Président né du Tribunal contentieux de
tous les départemens , etc. Il sera élu pour
deux années ; il pourra être continué pour
le même temps sans pouvoir , dans aucun cas ,
être réélú qu'après un intervalle de quatre
années . L'Election du Maire sera faite par la
Généralité des Citoyens assemblés en Districts
, sur une présentation de 3 Membres du
Conseil de Ville , qui sera faite au Scrutin ,
trois jours à l'avance par l'Assemblée Géné--
( 87 )
-
- rale des trois cents. Celui des trois présentés
qui aura eu le plus de suffrages d'un plus
grand nombre de Districts , sera élu Maire,
Il se retirera par -devant S. M. pour avoir
son agrément , prêtera serment à la Com,
mune , et un autre entre les mains du Roi.
-Le Commandant -général sera le Chef des
forces Militaires qui seront toujours subordonnées
au pouvoir civil : il veillera à ce
que les différens Corps de la Milice Bourgeoise
soient bien tenus et convenablement exercés.
Il fera l'inspection et revue de la Milice Bourgeoise
une fois l'année , à jour fixé pour cela
par le Bureau de la Ville ; mais il ne pourra
commander un service extraordinaire , sans
en prévenir le Bureau, en la personne du Maire.
Dans le cas de contravention à la Discipline
, il pourra ordonner les arrêts , ou condamner
à une prison de huit jours au plus ,
et même casser les Officiers , Bas - Officiers ,
etc. , en prenant cependant , quan: à ceux-ci ,
l'avis du Bureau de Ville . — Tous les délits
contre la Discipline Militaire qui méritent des
peines plus graves , seront réprimés , et punis
par des Conseils de Guerre , composés d'un
nombre égal de Membres du Conseil de Ville
et de Militaires . Le Commandant -Général
sera élu pour trois ans , dans la même forme
que le Maire , et par les Districts, et pourra ›
être continué seulement pendant trois autres
Tous les travaux de la Municipalité
, dont l'exercice doit être confié au
Conseil de Ville , seront divisés en buit départemens
, et en un Tribunal contentieux ,
ainsi qu'il suit : 1 ° Subsistances et approvisionnement
de Paris ; 2 ° . la Police ; dans cet
article sont compris tous les Spectacles , la
Librairie , etc. 3°. direction des établisseannées.
---
( 88 )
-
mens publics ; 4°. travaux publics ; ici se trouve
l'inspection des maisons d'arrêts , commodes ,
décentes et sures pour les personnes prévenues
de crime , avant que leur emprisonnement
soit légalement ordonné ; 5°. les Hôpitaux ;
6. domaine de la Ville ; 7°. impositions ; 8°.
Gardes Nationales Parisiennes , enfin , le Tribunal
contentieux connoîtra au civil de toutes
les affaires concernant la Police. Chaque département
sera composé d'un Président et
d'un certain nombre d'Assesseurs : les Prési
dens seront en exercice pendant 3 ans seulement
, excepté celui du Domaine de la Ville
qui pourra être continué pendant trois autres
années , et celui de la Police qui sera 4 années
en exercice ; ils seront tous nécessairement
pris dans le Conseil de Ville . Les Assesseurs
seront 5 ans en place , sans pouvoir
être prorogés. - Nous passons tous les titres
concernant les fonctions des différens Officiers
de la Municipalité , pour en venir à celui
des Assemblées de District , de leurs Comités
et Officiers , qui paroît être le plus censuré ,
comme devant former 60 Municipalités dis
tinctes dans la Ville. Ce titre donc , qui est
le XVI , ordonne que les Assemblées de
District seront convoquées annuellement ,
pour les Elections ordinaires des Magistrats ;
et dans tout autre temps , pour les Elections
extraordinaires . Chaque District aura un,
Comité , composé d'un Président , d'un Vice-
Président , du Commandant de Bataillon du
District , d'un nombre de Membres , tel que
le Comité ne puisse être moindre de 16 personnes
, ni supérieur à 24 , et d'un Secrétaire-
Greffier avec appointemens , tous élus
par les Citoyens du District. Les Comités
s'assembleront au moins une fois tous les 15.
-
( 89 )
-
jours , pour se concerter sur leurs opérations.
Les Membres de chaque Comité seront
chargés de la police de leur quartier , en te
qui concerne le nettoiement, l'illumination, etc.
-
Toute personne arrêtée pour délit contre
l'ordre public , sera conduite au Secrétariat
du District ; elle sera interrogée , et relâchée ,
s'il n'y a lieu de détention ; si le délinquant
doit être retenu , il sera conduit en prison.
Si le cas ne donne ouverture qu'à une
amende , ou indemnité pécuniaire , la personne
arrêtée sera renvoyée , en payant l'indemnité ,
ou l'amende qui sera arbitrée , ou en fournissant
la caution qui ne pourra excéder la
somme de 600 liv. Si le delit exige une caution
plus forte , le Membre du Comité renverra
l'affaire au Département de la Police .
Les autres Titres traitent des lois géné
rales sur les Elections , les sermens , etc.
-
-
Nous ignorons complètement le sort
de ce Projet qui compte beaucoup de
Partisans et de Détracteurs. Lorsque les
Lois auront déterminé la responsabilité
des opinions écrites , et que leur liberté
ne sera plus menacée par ceux qui ne
souffrent , en ce moment , aucune contradiction
à leurs systêmes , ni la moindre
modification de leurs découvertes politiques
, il sera possible de hasarder quelques
idées sur ce Projet et d'autres. Jusqu'alors
la prudence oblige à se rappeler
le mot plaisant d'un Seigneur Anglois
pendant la dernière maladie de
Cromwel. Comment se porte le Protecteur?
lui demandoit-on . « Je ne sais ,
répliqua-t-il ; les uns le disent mort ,
<<
( 90 )
les autres le disent vivant : pour moi ,
« je ne crois ni l'un ni l'autre . »
Dans le nombre des récits qui alimentent
l'oisiveté , ou la curiosité générale ,
il s'en est répandu un , il y a quelque
temps , que nous allons transcrire comme
un rapport douteux , sur lequel cette
notice nous procurera peut-être des
éclaircissemens.
« A son arrivée à Saint- Domingue , M. du
Chilleau , Gouverneur de cette Colonie , rendit
une Ordonnance qui permet aux Etrangers
d'aborder la côte du Sud. On rapporte
que l'Intendant , suivant un systême contraire ,
fit casser l'Ordonnance , et qu'en conséquence
M. du Chilleau fût rappelé. Son successeur
M. de Peynier , partit de Brest , il y a sept
semaines , sur la fregate l'Engageanle , pour
prendre le commandement de la Colonie . M.
du Chilleau , à ce qu'on débite encore , ne l'a
pas attendu , et s'est embarqué sur un navire
Marchand ; mais ce n'est pas tout. On veut
que le Comité de Saint - Domingue ait soutenu
M. du Chilleau , demandé son retour à
la Colonie , et qu'il l'ait obtenu ; que , d'un
autre côté , les Négocians d'un grand port de
mer , vivement affectés d'une seconde Ordonnance
de M. du Chilleau , qui autorise l'importation
des farines étrangères , se disposoient
-à le faire arrêter , et à ne pas souffrir son retour
à Saint Domingue . A ces dispositions ,
par trop viriles , le Comité de Saint- Domingne,
toujours d'après le rapport que nous citons
sans le garantir , a menacé les Négocians de
faire saisir au Cap leurs bâtimens . Cette represaille
a eu son effet , et il est à croire qua
M. du Chilleauira , ou n'ira pas à Saint- Do--
( 91 )
mingue , suivant que le Gouvernement en ornemer
donnera ( 1) »
Quelques Ecrivains ont applaudi aux
Brigandages commis dans les Provinces
sur les Personnes et sur leurs Propriétés.
Ils ont mis en principe qu'on ne pouvoit
être libres sans incendies , sans meurtres ,
sans pillages. Parce que ces crimes accompagnent
souvent les révolutions , ils
en concluent qu'ils y sont nécessaires.
Autant vaudroit imprimer que pour reconstruire
une maison , il est indispensable
de faire périr , ou de dépouiller ceux
qui l'habitent . Le Comité des Electeurs-
Unis de la Ville et Sénéchaussée de Lyon,
a adopté d'autres maximes , en décrétant
l'Arrêté suivant.
Que tous Etrangers non domiciliés , ou qui
n'auroient domicile que depuis trois mois
dans le ressort de la Sénéchaussée de Lyon ,
doivent être tenus de comparoître par - devant
les Syndics des paroisses , ou les Juges de
police des villes et bourgs , dans le délai de
irois jours , à l'effet de produire les certificats
dont ils seroient munis , ou de déduire les
motifs de leur séjour dans le lieu où ils se
trouveroient ; que si leurs certificats ou les
motifs de leur translation sont jugés valables ,
il leur sera donné des passe - ports pour continuer
leur route , ou une autorisation pour
prolonger librement leur séjour ; mais que faute
(1 ) Depuis que ceci est écrit , on a annoncé
le débarquement de M. du Chilleau en Angleterre.
( 92 )
par eux d'avoir comparu avant l'expiration
des trois jours , ils pourront être arrêtées
par les Patrouilles , traduits devant les Juges ,
interrogés et traités selon que le cas le
portera.
Qu'une fois délivrés de tous Etrangers
suspects et mal intentionnés , les villages ,
bourgs et villes de la Sénéchaussée où néanmoins
il arriveroit des désordres , ne pourront
, sans manquer à l'honnenr , ne pas dénoncer
quiconque , en les commettant , associeroit
le lieu de sa naissance ou de sa
demeure à la honte et à la flétrissure qui
sont attachés au nom de séditieux et de
rebelle .
Que tout Citoyen dont les actions ou les
discours tendroient à donner une fausse idée
de la liberté , qui ne fut jamais autre chose
que le pouvoir de faire tout ce que les Lois
ne défendent pas , sera livré à la vengeance
des fois qu'il auroit outragées , et au ressentiment
de la Patrie qu'il auroit troublée.
Que ceux qui , à l'aide de la séduction et
du mensonge , faisant partager à d'autres
personnes et leurs excès et leur licence
croiroient trouver l'impunité dans le nombre
de leurs complices , doivent exciter contre
eux et contre leurs compagnons coupables
les efforts combinés du patriotisme et de la
force militaire ; et qu'à cet effet, les troupes
du Roi , de ce Monarque à qui les Etats-
Généraux viennent de décerner le titre de
RESTAURATEUR DE LA LIBERTÉ FRANÇOISE ,
seront appelées et employées pour disperser
ces ennemis du bonheur public , et pour
rendre plus efficaces les soins des généreux
Citoyens qui déja se sont armés pour les
éloigner et les punir.
Que le droit sacré de propriété , ce droit
( 93 )
saint , respecté et respectable dans tous les
temps , est mis sous la sauve-garde des villes ,
bourgs et villages ; qu'en ce moment sur-tout
il y est mis sans distinction d'ordre , d'état
ni de rang , puisque la réunion de tous les
Ordres a opéré la réunion de tous les inté
rêts , et que ce dépôt , devenu inviolable à
tant de titres , n'est pas uniquement confié
à la surveillance des Municipalités , qu'il est
commis de plus à la fidélité , à la religion
et à la défense de tous et un chacun les
habitans du ressort de cette Sénéchaussée .
Que ceux qui attenteroient désormais aux
propriétés d'autrui , prévenus maintenant des
piéges tendus sous leurs pas , instruits de la
fausseté des bruits semés autour d'eux , ne
sauroient être réputés de bonne-foi , ni coupables
par ignorance ; qu'ils sont proscrits
d'avance et voués à l'opprobre ; qu'en détruisant
les propriétés , ils se rendent coupables
envers ceux mêmes qui n'en ont pas ,
puisqu'ils arrêtent cette continuité d'échanges
entre l'homme industrieux et l'homme propriétaire
, qui les met tous deux dans une
heureuse et perpétuelle dépendance ; qu'ainsi ,
rompant la chaîne qui unit tous les Membres
de la Société , ile méritent d'être arrachés de
son sein.
Que les vrais Patriotes continueront de
prêter obéissance à toutes les Lois actuelle
ment existantes , et de payer toutes les redevances
et impositions , en attendant celles
que , avec la sanction du Roi , décréteroit
PAssemblée Nationale , qui a acquis trop
de droits à la reconnoissance de la Nation ,
pour ne pas en avoir à sa confiance .
Qu'au nom de la Religion et de la Patrie ,
les Citoyens de toutes les classes sont rappelés ,
( 94 )
dans les villes , à leurs foyers et à leurs ateliers
; dans les campagnes , aux travaux de l'agriculture
; qu'ils sont tous invités à cette
tranquillité calme , qui seule , dans l'ordre
de la société , comme dans celui deĦa nature ,
annonce et promet de beaux jours ; à dé
noncer tous écrits ou imprimés qui seroient
distribués furtivement ; à fuir'les assemblées
trop nombreuses , à éviter tout ce qui pourroit
amener le tumulte dans les lieux publics ;
en un mot , à écarter tout ce qui pourroit
retarder le grand oeuvre de la Constitution
et de la régénération de l'Etat.
En conséquence , le Comité invite tous
les Juges et Officiers de Police à rendre des
Ordonnances conformes aux présens Arrêtés ,
à renouveler et faire exécuter les Lois de
Police , relatives aux vagabonds , aux attroupemens
, aux cafés et lieux publics , à requérir
le secours de l'autorité pour faire respecter
les Lois et maintenir l'obéissance qui
leur est due.
Et sera la présento Délibération imprimée
et affichée , tant dans la Ville et Faubourgs
de Lyon , que dans les villes , bourgs et
villages de la Sénéchaussée , et adressée à
MM. les Curés , pour qu'ils puissent concourir
, par leurs exhortations , au rétablis
sement de l'ordre et de la tranquillité.
Délibéré à Lyon , le 10 août 1789 ; et
ont signé tous les Membres. Par le Comité ,
DE LA CHAPELLE , MAKET DE S. PIERRE ,
Secrétaire.
LETTRE AU RÉDACTEUR.
MONSIEUR ,
» Dans le N° . 34 de votre Journal , on n'a pas´
( 95 )
re du compre exactement des principes que j'ai
pra feffés dans la Séance ds 11. Appelé par l'ordre
de mon infcription fur la lifte de M. le Préfident
, pour parler le premier contre le projet
d'Arrêté qui propofcit la converfion de toutes
les dîmes en rentes pécuniaires rachetables , j'ai
dit qu'adopter ce projet indiflinctement , c'eût
été reconnoître les dimes Eccléfiaftiques pour des
droits de propriété ; que cependant j'étois en
état de démontrer qu'on ne pouvoit les confidérer
que confine des impofitions ; qu'ainfi il
falloit diftirgu.r les dimes laïques d'avec les dimes
eccléfiafiques , ce les-là racherables , fupprimer
celles-.i.....A ces mois , une foule de voix partant
du banc du Clergé , me crièrent que ce n'étoit
poin -là la queftion ; j'infiftai , mais inutilement :
le bruit recommença , & il me fut impoffible
de continuer. J'abandonnai donc la tribune , mais
après avoir protefté que je ne pouvois confentir
au rachat de la dime eccléfiaftique , & en d
mandant qu'on laiifât cet article à l'écart , puifqu'on
n'avoit pas le courage d'en entendre la
difcuffion , fauf à y revenir dans un temps plus
calme , &c. n
MERLIN , Député de Douay,
MM. les Officiers , ci-devant au service des
Etats -Unis de l'Amérique , et porteurs des
certificats du Register- Oflice en leur nom ,
signés Joseph Nourse , et dont le payement
des intérêts à six pour cent l'an , sont indiqués
payables chez M. Grand , à Paris , sont
prévenus que les arrérages de ces intérêts ,
jusqu'au premier Janvier 1789 , vont être payés
au bureau de M. Grand et compagnie , Banquiers
à Paris .
MM. les Officiers , porteurs desdits titres ,
sont priés de les apporter en original audit
·( 96 )
ét
bureau , et il leur sera payé la somme qui
leur sera due sur leur quittance à triple , pour
ne valoir que comme une seule et même ,
sur la mention qui sera faite sur les susdits
titres ou payemens , qui sera affichée .
MM. les Officiers absens auront la bonté
de faire passer leurs titres susmentionnés aux
personnes auxquels ils donneront leur confiance
à Paris , pour recevoir lesdits intérêts
échus , et de les munir d'une procuration pardevant
Notaires et légalisée , et qui sera laissée
és mains de M. Grand et Compagnie.
On peut dés -à-présent se présenter tous les
jours non féries , à leur bureau , rue neuve
des Capucines , depuis neuf heures du matin
jusqu'à midi , et depuis cinq heures de l'aprèsmidi
jusqu'à huit heures du soir.
On voudra bien y demander M. Corsange,
P. S. Une Dame de Versailles nous
prie d'instruire le Public , que la femme
pendue après la libération du parricide
qu'on alloit exécuter , vit encore, et que ,
la Milice Bourgeoise de Versailles n'eut
aucune part à cette évènement. Nous
n'avions point parlé de cette Milice ,
mais de la multitude rassemblée autour
de l'échafaud.
Les Numéros sortis au Tirage de la
Loterie Royale de France , le 1er. Septembre
1789 , sont : 88 , 33 , 37 , 18 , 35.
MERCURE
DE FRANCE
SAMEDI 12 SEPTEMBRE 1789.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉP . IT RE
-
A un jeune Poëte ,fur l'amour de la Gloire
& le danger des Paffions.
floc age deliciis.
Fortis omiffis
Hor. Ep. 6 Liv. I.
Non, le Pinde n'eft pas le jardin d'Epicure . ON
Ce n'eft pas fur un lit de plume ou de verdure
Que la Gloire t'attend , ce prix des longs travaux ,
Des veilles du Poëte , & du fang des Héros.
Tandis qu'un vil Créfus gliffe en vain dans le
monde ,
Comme l'infecte en l'air , ou l'écume fur l'onde ;
La Gloire nous fait vivre où nous ne formes, pas ,
Devance l'avenir , & fùrvit au trépás .
Nº. 37. 42 Sept. 1789,
B
26 MERCURE
relle?
Toi que trouble fon nom , qui te fens né pour elle ,
Veux- tu cendre ton front d'une paline iimnmmoorrtteel!let
Que toujours fon fantôme occupe tes regards ;
Fatigue tes rivaux à la lutte des Arts ; F
Secoue , avant le jour , les pavots de Morphée..
Crains fur-tout, crains Circé, douce & cruelle Fée
Qui t'offre , en fouriant , un micl envenin: é.
Malheur à l'Ecrivain que ce filtre a charmé !
D'un efprit mâle & ferme il énerve, la trempe,
Sur les fleurs du plaifir le pareffeux qui rampe“,
Gémit fouvent bleffé du ferpent des remords,
Yois le Dieu des Talens t'ouvrir tous les tréfors :
Vois le prix qui t'attend . Quel eft- il ? La louange .
L'Hôte ailé des étangs végète dans la fange ;
Mais , fier de fon deftin , l'Aigle , au plus haut
des airs ,
Lutte contre les vents , & fixe les éclairs .
Crois-moi ; la Volupté , dangereufe Syrène ,
Nuit plus que cent rivaux & leur jalouſe haine.
Jeune Athlète , ah frémis , & redoute bien moins
Les couleuvres du Pinde , & l'hydre des befoins,
Si l'Indigence , hélas ! complice de l'Envis ,
ļ
Souffle & glace la lampe où veille le Génie ,
Cette lampe , regrets ! flambeau de l'Univers ;
L'ame du moins s'épure au creufet des revers.
Mais d'ivreffe & d'erreur , imprudente nourrice
La Volupté nous berce entre les bras du 12
Vice
Et de fon fouffle impur, fléau de nos beaux ans
Sèche & brûle en fa fleur le germe des talens,
DE FRANCE: 29
La mer a moins d'écueils que le cours du bel âge.
Peignez-vous un vaiffeau , qu'au milieu de l'orage
L'onde attaque au dehors , & la flamme au dedansă
Cette image eft la vôtre , ô jeunes imprudens ,
Qui , brûlant d'une flamme en paffions féconde ,
Errez fans gouvernail fur l'océan du Monde !
Si l'erreur vous permet d'entendre encor ma voix ,
Ah ! n'aimez pas du moins au hasard & fans choix.
Non , ce n'eft point l'amour, c'eſt un poiſon perfide
Que préfente au Théatre une nouvelle Armide
Qui , pour mieux irriter la foif de nos défirs ,
Joint l'attrait des talens à l'attrait des plaifirs .
Toi , qu'un charine impofteur retient fous la bas
guette ,
Tu n'es plus homme ; non : ta raiſon eft muette.
Va , la bourſe à la main , payer ces doux accens ;
Sur ces pas filégers verfe l'or & l'encens :
Sèche de dons ces pleurs ; mais ne crois pas qu'on
t'aime.
Donne ;.de tes préfens le moins cher , c'eft toimême.
Donne encore , & jouis : pleure après , fi tu veux.
Ah ! jamais, me dis-tu, l'hommage de mes voeux
N'ira ramper aux pieds d'une beauté vénale ,
Ni d'un amour honteux afficher le fcandale,
Mais ftoïque amateur d'un ftudieux loifir ,
Dois-je fermer mon ame à tout autre plaifir ?
Ne puis-je affocier , par un noud légitime ,
Les Arts & les Amours , le bonheur & l'eftime ?
B &
28 MERCURE
Si l'homme cut en partage & la force & les Loix ,
Lafemme n'a pas moins fon domainc & fes droits.
Elle tient fon pouvoir des mains de la Nature.
Sa force cft détournée , & n'en eft que plus sûre ;
Elle va droit au coeur. L'inhabile Ecuyer.
Pique & tourmente en vain l'impétueux courfier ,
Qui , fans marcher au but, fe cabre & s'effarouche :
Mais qu'une main légère interroge la bouche ,
Son orgueil fi fougueux s'apprivoife foudain ,
Et fans peine obéit aux mouvemens du frein.
Tel eft l'art du beau Sexe à gouverner notre amę.
Qu'il eft doux , j'en conviens , de trouver une
femme
Qui , moderne Pallas , n'ufe de fon pouvoir
Que pour femer de fleurs la route da favoir ;
Qui , jalouſe du ſoin de votre renommée ,
Ouvre à vos doces fons une oreille charmée
Jouit de vos fuccès qu'elle entend publier ,
Et oint le prix du mirte à celui du laurier.
Oui , la gloire par elle eft encore embellie.
Telle on vit , de nos jours , l'immortelle Emilie
Du Chantre de Henri confoler les travaux ,
Animer ce grand homme à des fuccès nouveaux
Enlacer le compas aux cordes de fa lyre ,
Oppofer une égide aux traits de la fatire,
Et lui fermant l'oreille aux cris des envieux ,
Sur le char de Newton l'enlever dans les cieux.
Mais ce bonheur , fi doux & fi cher à tout âge ,
Dans la maturité , récompenfe du Sage ,
DE FRANCE. 29
Du Talent , jeune encore ,
eft rarement le prix.
Que je plains le Poëte éperdument épris
D'une femme à la fois & tendre & vertueule ,
Senfible par penchant , par honneur rigoureuſe ,
Qui tour à tour appelle & rejette fes voeux ,
Le rend en même temps heureux & malheureux ,
Qui lui défend l'eſpoir & fouffre qu'il eſpère ,
Le glace quelquefois par un regard févère ,
Par un regard plus doux lui promet du retour
Et commande à la fois le refpeét & l'amour !
Hélas ! malgré lui - même , infidèle à la Gloire ,
Il détourne les yeux du Temple de Mémoire.
Il foupire ; il oublie & l'étude & les vers .
Efclave de fes fens , fon génie eft aux fers.
La voix de l'Avenir ſe perd à ſon oreille ,
Et la nuit , en furfaut , ne trouble plus fa veille
Du feu de Proméchée il ne fent plus l'ardeur :
Helas ! un autre feu brûle au fond de fon coeur ;
Et feule , en chaque objet , à fes fens retracée ,
Une trop chère image obsède fa penfée.
Cependant le temps fuit , & , dans fon vol jaloux ÿ
Emporte lajeuneffe & laiffe les dégoûts.
Dans ces illufions , fens-tu languir ta verve ?
Veux- tu dans ton cerveau reffuſciter Minerve ?!
Entre dans ce Lycée , où toujours des Talens
On fent au fond du coeur palpiter les élans.
Des défirs déréglés la fongue téméraire
Refpecte des Savans le calme littéraire.
B 3
MERGURE
Viens , & de leurs crayons raſſemble les débris;
Sous leurs févères yeux corrige , efface , écris .
Leur exemple fanra t'animer & t'inftruire ,
Et réveiller en toi le befoin de produire.
Ainfi que dans ces jeux fêtés chez les Romains ,
De myftiques flambeaux couroient de mains a
mains ;
Dans les jeux de l'efprit , ta flamme poétique
Paffe de l'un à l'autre , & s'entre- communique.
On fe borne d'abord à vaincre fes rivaux ;
On triomphe , & bientôt on ne veut plus d'égar
L'Athlète , à peine encor parti dela barrière ,
Tremble & n'ofe de l'oeil mefurer la carrière.
De l'Emulation l'ambitieux regard
S'étend , & n'a pour but que, les bornes de l'Ar
Jadis, fi l'on en croit l'Antiquité profane
Dans un Temple fameux , on eût dit que Diane
Loin d'elle repouffoit , d'un févère coup-d'oeil ,
Le lâche adorateur arrêté fur le feuil.
Mais alors que d'un pas faintement téméraire ,
Yous cfiez avancer au fond du fanctuaire ,
Vous voyiez fes regards , plus fereins & plus dow
Sourire à votre hommage offert à fes genoux...
Dois-je le dire à ceux dont la Gloire eft l'idole་ ?"
Du Temple des Talens, ce Temple eſt le ſymbole.
Loin de la docte enceinte , une inviſible main
Ecarte pour jamais le vulgaire Ecrivain
Qui ne read qu'un faux culte aux Filles deMémoire,
Et vient frapper fans titre aux portes de la Gloire.
DE FRANCE.
Mais une heureufe audace y donne un libre accès
▲ celui qui , marchant , de fuccès en fuccès ,
Sur le trépied facré du Dieu de l'Harmonie ,
S'eft fait initier aux Autels du Génic.
Heureux qui de Circé rejetant le poiſon ,
Aux rayons du favoir épure fa raifon';
Qui , charmé du repos , des Arts , & de l'étude
S'ch fait de font avall une douce habitude !
“Tandis qu'un monde vain court après le plaifir ,
Comme un enfant qui fuit , fans jamais le faiûr ,
L'oifeau qui devant lui fe joue & s'évertue ,
Toujours hors de la main, jamais hors de fa vuas
I favoure un bonheur dont le charme eft en lui ,
Et rit de l'infenfé qui le cherche en autrui .
D'un efpriccultivé , tirant un nouvel érre , {
Il femble prolonger, såvide, de, connoître
Les momens de fa vie & courts & fi chers. I
Sen Siècle eft fon Cenfeur fon Juge eft l'Univers.
Homère , qui , mêlant l'utile à l'agréable ,
Couvre la vérité des voiles de la Fable
Feint qu'Ulyffe autrefois , fur des bords enchantés ,
Ofa , pour éviter l'écueil des voluptés ,
S'attacher avec force au mât de fon navire .
Orphée eft plus heureux ; il chante & prend fa lyre,
Par M. de Saint- Ange, )
MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Tourmenty céloi
de l'Enigme eft Prudence ; celui du Logo
griphe eft Perfiflage , où l'on trouve Perfil,
Rage, Paris, Air, Page, Règle , Pie , Pie
(Saint) , Perfe , Fie, If , Elie, Lis , Sire,
Ris, Gris.
CHARADE
A.1. R.: Mon cher André.
RIEN d'auffi rampant fur la Torre ,
Rien d'auffi vil que le premier ;
D'auffi fublime que l'entier : 120
Or de ce tout , belle Glycère ,
Votre coeur eft le fanctuaire.
Quant au dernier , il eft fi doux !
Si doux , que , foit dit entre nous ,
De vous moi , point de courroux.
Il me plait mieux que vous.
3
<
( Par M. le Ch . de P***.
ÉNIGM E.
JE marche avec réflexion ;
Près de moi l'on voit la Prudence ,
2
DE FRANCE
33
JEL
La Paix , la Perfiafion ,
Er la fenfible Tolérance.
Pour le bien de l'humanité ,
J'ai l'art de féduire & de plaire ;
Et l'heureux mortel que j'éclaire,
Eft prefque toujours écouté .
A la Cour , ainfi qu'à la ville ,
J'appa fe une fédition ;
Et fouvent le plus indocile
Et par moi mis à la raifon.
En vain tu me cherches peut-être ,
Cher Lecteur , point d'emportement ;
A ce portrait fi reflemblant ,
Pourrois-tu bien me méconnoître ?
(Par M. de Beauchefne, Off. de M.)
LOGO GRIPHE
E fuis en mon entier un Jeu paſſé de mođe ;
Retranche-t -on mon haut ? je deviens un oignon
Dont l'odeur feuvent incommode >
Que l'on aime à la table , & qu'on fuit au Sallon.
Me coupe-t-on du bas ? quelle métamorphofe !
J'attife dans les coeurs les plus ardens défirs ;
Four les Amáns je fais naître la rofe ,
Et des rameaux épais ombragent leurs plaifirs.
Qu'on me divife en deux ; la fin de ma carrière
Ne me procure pas un bien brillant deſtin 3
Je donne alors deux termes de Grammaire ,
Un pronomféminin , un autre mafculm .
( Par un Abenné. )
34
MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
MÉMOIRES de M. le Duc de St- Simon
fur le Règne de LOUIS XIV, & fur
les premières époques du Règne fuivant.
3 Vol. in-8°. Prix , 12 liv. br. & 13 liv.
10 f. francs de port par la Pofte.
SUPPLÉMENT aux Mémoires de M. le
Duc de Saint- Simon , copié fidèlement
fur le manufcrit original , pour fervir de
fuite & de complément aux 3 Volumes
ci deffus , avec des Notes hiftoriques &
critiques. 4 Vol. in- 8 ° . formant 1980 p.
Prix , 18 liv. br. , 20 liv. francs de port
par la Pofte. A Paris , chez Buiffon ,
Libraire , rug Haute - feuille ,
On vend féparément le Supplément aux
perfonnes qui ont acquis les 3 Volumes
des Mémoires.
DIR
,
N. 10.
IRE que peu d'Ouvrages font auſſi intéreffans
, auffi utiles même que ces Memoires
, c'eft avancer une vérité facile à
prouver. Nous n'aurons dans les citations
que l'embarras du choix entre des Anecdotes
prefque également piquantes , prefque
également caractéristiques de cette Cour
་
DE FRANCE. 35
ر
fingulière , que le préjugé a admirée en tout
jufqu'ici , & que le nouveau jour qui luit
à nos yeux , le nouveau fentiment qui
anime nos coeurs nous feront peut - être
aufli trop déprécier. Au refte , nul Ouvrage
ne fçauroit nous mettre mieux à portée de
juger avec impartialité le Monarque ' auquel
fes Contemporains & fes Sujets fe hâtèrent
peut-être trop de donner le nom de Grand,
puifqu ' paroît prouvé que le fafte dont il
slentoura , & les impulfions étrangères auxquelles
obéit fervilement cet homme fi
jaloux da ponvoir abfolu , préparèrent les
malheurs de la France.
-it Mb de Saint - Simon , Auteur original ,
parce qu'il a dit la vérité , & qu'il l'a dire
minutieufement , a beaucoup de la manière
de Plutarque & de celle de Suétone ; mais
moins indulgent que le premier , plus noble
que le fecond l'austérité de fes moeurs
>
d'energie de fon caractère en font tour
anda fois un Pere févère & chaud de
couleur. Il réfalte de ces qualités fi difficiles
à réunir des tableaux d'une vérité effrayante;
ibanous reporte aux temps , aux lieux ;
on entend fes perfonnages , on les voit
on vit avec eux le paffé devient le préfent,
& Pony lit prefque l'avenir ; ceci
n'est point une exagération Les guerres
heursules de Louis XIV; & , à plus fore
raifon jofes guerres malheureufes , confpitoient
à hater le dépérillement d'un Royaume
travaillé pendant la paix d'un luxo ef-
7
A
B
36 MERCURE
(
T
froyable , & qui faigne encore de la plaie
faite au Corps politique par la révocation
de l'Edit de Nantes. Ces caufes devoient
néceffairement amener les années de la
Régence. Le fameux fyltême ne fut point
dû au caractère perfonnel du Prince qui
gouvernoit à cene époquesrik naquit
l'enchaînement des caules , de l'impérieuse
loi du befoin; & cela eft fi vrai , que le
neveu de Louis XIV , auquel en peut reprocher
, avec raifon , d'avoir renouvelé
Pexemple des mauvaiſes moeurs dont fon
oncle avoit ceffé , dans fes dernières années ;
de donner le fcandale à la Nation , fut du
moins pur de toutes déprédations de finances.
Son patrimoine fuffifoit à fes on
gies, à fon goût pour les Beaux-Arts , moins
funeftes fans doute que les voluptés délicates
& pompeufes de Louis , & fur tout
que cette manie des bârimens , qui , vou
lant affeoir Verfailles fur la fange mobile
d'un marais , fut forcée de donner une
bafe d'or à cette lourde maffe , prête att
jourd'hui à tomber en ruines. Soyons doné
juftes , & fans excufer les vices de Philippe,
ne lui imputons point des fautes qui ne
font pas les fiennes. Convenons que quand
bien même la mort eût épargné la nomat
breufe poftérité de Louis XIV , quel qu'eût
été le Prince qui lui eût fuccédé , cût- il
retracé les moeurs pures & l'économie de
Louis IX , il n'en feroit pas moins arrivé
dans les finances une révolution à peu près
1
DE FRANCE. 37
femblable , & qui , dérivant des mêmes
caules , auroit en les mêmes effets . La fource
du mal étoit dans l'ignorance ou l'oubli des
vrais principes politiques , dans ce defpor
tifme injurieux aux hommes , attentatoire
à leurs droits facrés , qui , transformant la
Cour en un Divan , livroit les Peuples aux
caprices du Sultan , & plus fouvent encore
à ceux de ſon Vifir , del porifme moins fanguinaire
, mais plus oppie lif que celui de
POrient , dont les coups ne tombent guère
que fur des têtes élevées, au lieu qu ici les
Grands s'identifiant avec le Chef , étoient
comme lui hors des atteintes de la Loi
top foible pour les punir , trop feible aufli
pour défendre contre eux les objets de leur
haine ou de leur cupidité , d'où réfultoit le
pire des Gouvernemens , la tyrannie d'une
nombreufe Arifocratie héréditaire , exercée
au nom d'an Monarque envionné de
Courtifans qui , prefiés en foule autour de
lui , déroboient à fes yeux & à fes oreilles
les vexations les plus odicnfes , & les réclamations
qu'elles excitoient. Quelquefo's
la vérité perçoit les Rois voyoient les
abus , ils en gémiffoient , ils faifoient des
voeux ftériles pour un meilleur ordre de
chofes ; mais , faute de lumières , de courage
, ou même de, force pour le ramener ,
ils alloient fe confoler dans les b
Maîtreffe , ou perdre au milieu d
bruyans de la chaffe le fouvenir །
d'une
laifirs
max
qu'ils jugeoient imoutables . Ainfi s'elt paflée
* 2
38 MERCURI
la vie de Louis le bien - aimé , de ce Prince
fait pour être un Particulier honnête &
aimable , de ce Prince en qui une Nation
généreufe a récompenfé du nom le plus
touchant , le feul défir du bien. Mais ce
bien qu'il défiroit , quelle puiffance pourra
le réaliſer ?
C'eft la volonté collective de la Nation
affemblée par fés Reprefentans , & qui
forte de la force phyfique & morale de tous
ou du plus grand nombre , peut feule Paccomplir.
Mais cette même force qui peut
tout édifier , peut tout détruire , fi elle n'eft
fageffe égale qui
en dirige l'action . Des fecouffes convulfives
dans toutes les parties de P'Etat , un grand
bien déjà fait , un plus grand encore à faire,
justifient nos craintes , notre efpoir & nos
centre-balancée
par u
voeux .
Cette efpèce de digreffion n'eft point
fi étrangère à notre objet , qu'elle pourroit le
paroître au premier abord. Nous avions
prouver que le Livre que nous allons faire
connoître plus particulièrement par des er
tacions , eft aufli utile qu'intereffant . Nous
n'avons pas cru pouvoir mieux le démontrer
, qu'en expofant les idées qu'il nous a
fait naître . On conviendra du moins qu'elles
font d'un bon citoyen ; or rout Livre qel
fait penfer ainfi , eft utile fur tout dans les
circonftances préfentes. Ceux même qui ne
chercheraient que du plaifir dans la lecture
de ces Mémoires font fûrs d'y en trouver
& beaucoup.
A
>
DE FRANCE.
Le ftyle de M. de Saint -Simon , fouvent incorrect
, quelquefois un peu obfcur , eft
toujours vif , piquant , énergique ; les tournures
font neuves & hardies : s'il s'eft permis
de créer des mots , on doit lui en favoir
gré , car il eft rare qu'ils ne foient pas
heureux.
Ce n'eft jamais par affectation ; il obéit
au befoin de rendre fa penfée d'une manière
plus rapide. Il a quelquefois le ton dédaigneux
, il montre même de l'humeur ; mais
on fe met à fa place , on fent qu'il ne pouvoit
voir de fang froid les chofes monftrueufes
dont il nous trace l'hiftoire &
l'on aime à trouver en lui
2
Ces haines vigoureufes
Que doit donner le vice aux ames vertueuſes . 27
Son talent marqué , c'eft celui des
portraits ; il les fait de main de Maître.
Habile à peindre , il eft moins à raifonner
, la difcuffion ne lui va pas. Des images
vives , des traits brillans , de la franchife
mais âpre & brufque , voilà notre Auteur.
Un peu trop entiché des préjugés de fon
fiècle fur la Nobleffe , il a fu fe défendre
de ceux du fanatifme ; il blâme , il détefte
la révocation de l'Edit de Nantes , & les
Dragonades des Cevennes. Plufieurs notes
fort bien faites d'an Editeur inconnu , eorrigent
quelques inexactitudes & redreffent
quelques jugemens hafardés de M. de Saint-
Simon , qui dit très-bien les vérités de fes
37
40
MERCURE
19
amis & encore mieux celles de fes ennemis.
Sentiment patriotique de M. le Duc de
Bourgogne ".
iai
» Je dois rappeler ici un grand mot, un
mot d'un Prince pénétré qu'un Roi eft fait
pour les Sujets & non fes Sujets pour
comme il ne fe contraignoit pas de le dire en
public & jufque dans le Sallon de Marly ,
un mot enfin du Père de la Patrie ; mais un
mot qui hors de fon règne , que Dieu n'a
pas permis, ferait le plus affreux blafphême «.
M. de Saint - Simon a bien fait de nous
conferver ce mot . Mais il eft étrange qu'une
vécité aufli triviale lui paroiffe un grand
mot dans une bouche , & un blafpheme
dans une autre.
der
Louis XIV ne négligeait rien pour
être informé de ce qui fe paffoit par-tour ,
dans les lieux publics , dans les maifons particulières
, dans commerce du monde
dans les fecrets des familles & des liaifons.
Les Rapporteurs étoient infinis , il en avoit
de toute efpèce...... Ce fut à fon défir
d'être inftruit , que les fonctions de Lieutenant
de Police furent redevables de leur
établiffement; elles allèrent toujours depuis
en croiffant. Ces Officiers ont tous été fous
lui plus craints , plus m'nagés , auffi confidérés
que les Miniftres ; & il n'y avoit
perfonne en France fans excepter les
Princes du Sang , qui n'eût intérêt de les mé
nager , & qui ne le fit.
Après ce tableau de la cusiofié inquffDE
FRANCE. 41
toriale de Louis , vient fa manie des bâtimens.
Rien jufqu'à lui n'a approché du
nombre & de la magnificence de les équipages
de chaffe , & de toutes fes autres fortes
d'équipages. Ses bâtimens , qui pourroit les
nombrer ? En même temps qui n'en déplorera
pas le caprice & le mauvais goût ?
il abandonna Saint Germain , & ne fit jamais
pour Paris ni en ornement rien commodité
, fi ce n'eft le Port Royal , conftruir
par pure néceffité ; & c'eft en quoi , avec
fon incomparable étendue , Paris eft fi inférieur
à tant de vilies dans toutes les parties
de l'Europe.
Lorfqu'on fit la place de Vendôme , elle
étoit carrée ; M. de Louvois en vit les
quatre paremens bâcis. Son deffein étoit d'y
placer la bibliothèque du Roi , les médailles,
le balancier , toutes les Académies & le
Grand-Confeil . Le premier foin du Roi , le
jour de la mort de Louvois , fut d'arrêter ce
travail , & de donner des ordres pour faire
couper àpans les angles de la place , en la diminuant
d'autant , de n'y placer rien de
ce qui y étoit deftiné , & de n'y faire que
des maifons ainfi qu'on ' la voit .
M. de Saint- Simón blâme enfuite Louis
XIV de n'avoir pas fixé fon féjour à Saint-
Germain , qu'il nomme , avec railon , un
endroit charmant , & s'écrie : » Erfro une
ville toute faite , & que la pofition entretenoit
par elle mine , il l'abandonna
» pour Vertailles , le plus trifte & le plus
12
C
42 MERCURE
"
1 ingrat de tous les lieux ; fans vue , fans
bois , fans caux , fans terre , parce que
» tout y eft fable mouvant ou marécage ,
fans air , par confequent , qui s'y peut
être bon. Il fe plut à tyranoner la Na-
" ture , à la dompter à force d'art & de
» trẻfors. Il y bâtir lun après l'autre fans
» deffein général ; le beau &´le vilam fu-
» rent confondus enſemble , & le valte fut
» joint à l'étranglé .. La violence
» qui y a été faite par tour à la Nature ,
repouife & dégoûte malgré foi. L'abon-
" dance des eaux forcées & ramaffées de
" toutes parts , les rend vertes , épaifes &
" bourbeufes ; elles répandent une homi-
"
H
"
∞
dité mal- faine & nuifible une odeur
» qui l'eft encore plus : leurs, cffers , qu'il
faut pourtant beaucoup ménager, font in
comparables ; mais de ce tout il réfulte
» qu'on admire & qu'on frémit ..... On
ne finiroit pas fur les défauts monftrueux he
d'un palais fi immenfe & fi immenfé
» ment cher ....... Encore ce Verfailles
» de Louis , ce chef- d'oeuvre fi ruineux &
» de fi mauvais goût , & où les changemens
entiers des Baffins & des Bofquets
» ont enterré tant d'or qui ne peut paroî-
» tre , n'ai pu être achevé « !
n
M. de Saint - Simon , après avoir déploré
la ruine de l'Infanterie Françoife , facrifiée
par Louvois à détourner la rivière d'Eure,
entre Chartres & Maintenon , pour la faire
venir toute emière à Verſailles ; travaux
DE FRANCE. 43
>>
que la guerre interrompit en 1688 , fans
qu'ils aient été repris depuis , termine
l'effrayant tableau de ces inutiles dépenfes
par ce dernier trait : C'eft peu de dire
que Verfailles , tel qu'on l'a vu , n'a pas
» couté autant que Maily ; que fi on y
» ajoute les dépenfes de ces continuels
» voyages , qui devinrent enfin au moins
» égaux aux féjours de Verſailles , fouvent
plus nombreux, & tout à la fin de la vie
» du Roi le féjour le plus ordinaire , on
» ne dira pas trop fur Marly feul, en comp-
» tant par milliars «.
"
Auffi n'eft- on plus étonné de trouver le
paffage fuivant au fujet de fa mort. » Paris,
las d'une dépendance qui l'avoit tant affujetti
, refpira dans l'efpoir de quelque liberté
, & dans la joie de voir finir l'autorité
de tant de gens qui en abufoient. Le
Peuple ruiné , accablé , défefpéré , parut
fentir cette mort comme une délivrance «.
Nous avons vanté le talent de M. de
Saint-Simon pour les portraits ; nous pourrions
juftifier cet éloge par une foule d'exemples
: nous nous contenterons de citer
le portrait de Catinat.
On a fi fouvent parlé du Maréchal de
Catinat , de fa vertu , de fa fagcffe , de fa
modeftie , de fon défintéreffement , de la
fupériorité fi rare de fes fentimens , de fes
grandes parties de Capitaine , qu'il ne me
refte plus qu'à parler de fa mort dans un
âge très avancé , fans avoir été malade ,
44
MERCURE
"
la
ni avoir acquis aucune richeffe dans la
petite maifon de Saint- Gratien , près Saint-
Denis , où il s'étoit retiré , d'où il ne fortoit
plus depuis quelques années , & où il
ne vouloit prefque plus recevoir perfonne.
I!
Il y rappela par fa fimplicité , par fa
frugalité , par le mépris du monde , par
paix de fon ame & l'uniformité de fa
conduite , le fouvenir de ces grands Hommes
qui , après les triomphes les mieux
mérités , retournoient tranquillement à leur
charrue , toujours amoureux de leur Parrie,
& peu fenfibles à l'ingratitude de Rome ,
qu'ils avoient fi bien fervie. Catinat mit
fa philofophie à profit par une grande
piété , il avoit de l'efprit , un grand fens,
une réflexion mûre ; il n'oublia jamais fon
origine ; fes habits , fes équipages & fes
meubles , ſa maiſon , tout étoit de la dernière
fimplicité ; fon air l'étoit auſſi ,
tout fon maintien.
&
» Il étoit gmad , brun , maigre , un air
penfif & affez lent , affez bas , de beaux
yeux & fort fpirituels ; il déploroit les
fautes fignalées qu'il voyoit fe fuccéder
fans ceffe , l'extinction de toute émulation,
le luxe , le vide , l'ignorance , la confulion
des étars , l'Inquifition mife à la place de
la Police. Il voyoit tous les lignes de deftruction
; & il difoit qu'il n'y avoit qu'un
comble très-dangereux de défore qui pûc
enfin rappeler l'ordre dans le Royaume «.
T15
DE FRANCE.
45-
Vol.
Les Dangers de la Coquette rie. 2
in- 12 . Prix , 2 liv, 8f. br. & liv. francs
de port par la Pofte. A Paris , chez
Buition, Libr. hôtel de Coëtlofquet , rue
Haute - feuille.
LES incidens ne furchargent point ce Roman.
Les couleurs ne font point forcées ,
il ya des traits de noirceur dans l'intrigue ;
mais il n'y a jamais unftyle noir , point d'exclamations
, point de déclamarions . L'Auteur
peint dans une narration les moeurs
du jour , & des perfonnages dont les caractères
fe marquent fans tours de force.
Nulle prétention dans le ftyle , nul ornement
parafire ; un évènement fuit l'autre
par un ordre fimple & naturel . L'intérêt a
certe mefure foutenue qu'il doit avoir , il
ne produit ni furpriſes ni fecouifes.
M. d'Herfilie eft trop aimé de fa femme.
Il veut s'en féparer parce qu'elle exige qu'il
ne la quitte point ; il craint le ridicule , & a
le projet de l'envoyer en Auvergne . Le Chevalier
d'Erneft , ami fage , le détermine à
la laiffer au milieu de fa famille dans une.
terre. La Marquife d'Herfilic , réfignée à tout,
avec beaucoup de douceur , jouit dans fa
retraite du calme que donne la veru . Elle
regrette , elle chérit fon mari ; mais l'Auteur
ne la fait ni crier ni pleurer.
1
46
MERCURE
La Baronne de Cotyto eft unejolie ferame ,
vive,coquette,& par conféquent dangereufe:
c'eft fur elle que roule tout le pivot de
l'intrigue . Ell eft amie de la Marquife d'Herfilie
, & lui enlève fon mari ; elle enlève à !
Madame de Singa, qui avoit de l'amitié pour
elle , fon Aman ; elle fait battre fon mari
avec un de ſes Adorateurs , elle fe ruine ,
elle donne des fcènes fcandaleuſes , & ne
fe conduit pas mieux à Paris , que dans
la province & aux caux de Plombières.
Elle décide le Marquis d'Herfilie qui l'y
avoit fuivie , à fe faire inoculer , pour lui
plaire. Il eft en danger de mort. La Marquife
en eft inftruite par le vertueux Chevalier
d'Erneft ; elle accourt , & elle a le
bonheur de le voir revenir à la vie , & de reprendre
tous fes droits fur lui.
Madame de Coryto abandonnée , mépti
fée , eft enfin enfermée par un ordre follicité
par la famille . La tendre Madame
Singa , intéreffante , fi douce , pardonne à
fon Amant ; la Marquife d'Herfilie jouir
d'un bonheur inaltérable , & la fin de la
lecture de ce Roman laiile les idées calmes
& fraîches qu'infpirent les tableaux de la
vertu récompenſée .
L'Auteur eft une Dame qui certainement
mérite d'être confidérée , & de tenir une
place parmi celles qui ont cultivé les Lettres
avec une forte de fuccès.
DE FRANCE.
ANNONCES ET NOTICES.
UTILITE de régler la théorie de l'Impôt par des
Loix confi tutionnelles . Brochure de 24 pages. A
Paris , chez Froullé , Lb. quai des Auguftins.
Le but de cette Brochure cftimable eſt de profcrire
l'Impôt unique , mais en donnant des bornes
asia diverfité des Impôts.
Bibliothèque Univerfelle des Dames . A Paris ,
rue & hôtel Serpente.
13e . Volume des Voyages , & 2c, de l'Arithmétique.
Hiftoiresfabuleufes , definées à l'inftruction des
Enfans dans ce qui regarde leur conduite envers
les animaux ; traduites de l'Anglois de Miftrifl
Sara Trimmer , fur la feconde édition ; par M.
D... D ... S... G... 2 Vol . in 12. Se trouve à Paris ,
chez Barrois le jeune , Lib. quai des Auguftins 3:
& chez Broulhier , à Toulouſe .
L'Ouvrage original des Hiftoires fabulenfes a
été juftement accueilli ; la Traduction mérite des
éloges , & l'on doit favoin gré à l'Auteur d'avoir
fait paffer dans notre Langue un Livre qui , par
fon objet , doit intéreffer les ames honnêtes &
fenfibles , puifque c'eft un petit Cours de bienveillance
univerfelle mis à la portée de l'enfance.
Taxe perfonnelle & unique , & fuppreffion générale
de tous Impôts. Brochure in- 8 ° . de 43 p.
A Paris , chez les Marchands de Nouveautés.
Supplément au même Ouvrage , de 6 pages , par
M. le Chevalier de Champalier , Ecayer.
MERCURE DE FRANCE.
Confidérationsfur l'Efprit & les Maurs. Seconde
édition , revue , corrigée & augmentée. 1 Volume
in -s . A Londres ; & fe trouve à Paris , chez
Prault , Imp. du Roi , quai des Auguſtins ; & chez
les Marchands de Nouveautés.
Cet Ouvrage eft d'un hom ne de beaucoup d'ef
prit , d'un bon obfervateur , qui connoît le coeur
humain & la Société ; & nous croyons qu'il occupera
unc place diftinguée dans nos Bibliothèques.
Des droits & des devoirs dans les circonftances
préfentes , avec un Jugement impartial fur l'Ouvrage
de M. l'Abbé de Mably ; par un Citoyen ,
ami des trois Ordres , Auteur de l'Etat des perfoenes
en France fous les deux premières Races
de nos Rois , & c. Brochure in-8 °. de 80 pages.
A Paris , chez les Marchands de Nouveautés.
Corre Brochure mérite d'etre diftinguće.
Nouvelle Carte de France , préfentée au Roi &
aux Etats Généraux , feryant à l'intelligence des
Mémoires hiftoriques qui traitent des Etats- Généraux
, & dans laquelle font comparés ceux de
1614 & 1789 , avec des Eclairciffemens , par M.
Brion de la Tour , Ingénieur- Géographe du Roi.
Prix , ; liv. A Paris , chez l'Auteur , rue du Plâtre
Saint-Jacques , Nº. 395 Cuffae , Lib. au Palais-
Royal ; & à Verfailles , chez Blaifot , Libraire ordinaire
du Roi & de la Reine , rue Satory.
E
3
PITRE.
TABL E.
Gharane, Enig. & Lóg.
Mémoires.
7
25 Les Dangers.
32 Annonces & Norices.
341
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
POLOGNE.
De Varsovie , le 17 août.
DANS la dernière Séance de la semaine
précédente , les Etats avoient à-peu-près
accordé aux Munitionnaires de l'Ukraine
Polonoise , qui ont fait des contrats avec
les Russes , de transporter leurs vivres
aux magasins de l'armée de Moldavie ;
mais lundi , on revint sur cette délibération
importante , pour limiter la
durée de cette exportation.
Quelques Membres de la Diète proposérent
de fixer ce terme à six semaines ; d'autres
soutenoient la nécessité indispensable
d'interdire toute exportation de vivres hors
des frontières de cette partie de la République.
Les motifs allégués par ces derniers portoient
sur le danger auquel on seroit exposé , en
permettant une communication directe entre
nos Habitars et ceux d'une contrée que la
peste ravagea toujours pendant la guerre ; sur
N°. 37. 12 Septembre 1789. E
( 98 )
le risque de voir nos Paysans massacrés par
les Turcs , si dans ce trajet ils tomboient
entre leurs mains ; enfin , sur ce qu'on agiroit
contre le systême de neutralité adoté par
la République , d'approvisionner les camps
Russes , tandis qu'on n'en peut faire autant
pour les Turcs , anciens amis et alliés naturels
de la Pologne , religieux Observateurs
des traités , et qui , dans la guerre présente ,
ont respecté les frontières de la République ,
lors même qu'elles servoient de rempart à
l'armée et aux magasins des Russes .
Le Prince Sapieha , Maréchal de la Diète
de Lithuanie , fit un tableau frappant de tous
les maux qui ont affligé la République , et
dont la Russie a été la cause. Il exposa combienil
seroit dangereux d'envoyer les Paysans
de l'Ukraine sur des terres étrangères , d'où
ils pourroient revenir animés d'un nouvel esprit
de sédition , faire renaître dans le coeur de
leurs Concitoyens , des dispositions à une ré- *
volte déja commencée cette année , et dont
les progrès ont été heureusement arrêtés ; il
ajouta , qu'il étoit également à craindre que ,
ces mêmes Paysans se trouvant dans les camps
Russes , alors qu'ils seroient attaqués par les
Turcs , les premiers ne se servissent d'eux pour
les opposer à leurs ennemis , et ne les fissent
périr victimes de l'imprévoyance du Gouvernement
, comine de la cupidité de leurs
Propriétaires , ainsi qu'il arriva dans la précédente
guerre , où six mille Paysans Polonois
, qui conduisoient des vivres à l'armée
des Russes , furent employés par ceux - ci à
leur défense , et massacrés par les Turcs.
L'appât du gain , continua ce zélé Patriote ,
seroit - il donc suffisant pour éloigner l'idée
des suites fâcheuses qu'il pourroit entraîner ?
( 99 )
1
A peine le Maréchal de Lithuanie
eut-il fini son discours , qu'un grand
nombre de Nonces demandèrent que la
Députation nommée pour examiner les
personnes accusées d'avoir suscité une
rébellion dans le pays , communiquât à
la Chambre l'instruction de leur procès ;
mais elle allégua que ce travail n'étoit
pas suffisamment avancé .
La décision de cette affaire ayant été
renvoyée au lendemain , ce jour-là , 11 ,
les raisons contre l'exportation des vivres
à l'armée Russe prévalurent généralement
, et donnèrent lieu à l'Arrêté que
Voici :
" La Diète fera publier un Universal, portant
défense de faire de nouveaux contrats
avec les Russes ; quant à ceux qui existent
maintenant , ils n'auront de valeur que jusqu'au
premier de Septembre seulement ; et
pour obvier aux inconvéniens qui pourroient
résulter de transports trop nombreux , l'on
a statué que le passage hors des frontières
ne sera accordé que pour cent chariots à-lafois
, dont le retour dans le pays , tant pour
les hommes que pour les équipages , doit
être garanti par le Prince Potemkin. Les envois
se feront successivement de la même
manière , en observant cependant de ne permettre
la sortie de cent autres chariots , que
lorsque les premiers seront rentrés en Pologne.
»
Cet Universal fut cependant révoqué
dans la Séance de Jeudi 13 , d'après la
lecture d'un Rapport envoyé à la Com-
E ij
386044
( 100 )
mission de guerre par le ( and-Maître
d'Artillerie, Comte Potocki. Il annonçoit
qu'un Corps de Tartares , entrés dans
P'Ukraine Russe , venoient d'en brûler
plusieurs villages , ainsi que les convois
trouvés sur la route , et massacré une
grande partie des habitans . Cependant ,
quoique ce Corps eût presque touché nos
frontières , il les avoit inviolablement
respectées. Cette nouvelle ne permettoit
plus le transport des vivres sur le théâtre
de la Guerre , et la Diète se borna' à
ordonner que les frontières fussent soigneusement
garnies .
La fin de la Séance , et la suivante
eurent pour objet l'organisation militaire,
dont toutes les parties se règlent et se
perfectionnent rapidement .
On sait aujourd'hui , par des lettres authentiques
de Constantinople , du 10
juillet , que Selim III a solennellement
confirmé le Traité d'alliance et de subside
, conclu sous le dernier règne entre
la Suède et la Porte Ottomane.
L'Envoyé de Prusse a remis au Roi , au
nom de Sa Majesté Prussienne , une Médaille
d'or , frappée à Berlin , qui représente , d'un
côté , le Génie de la Pologne tenant un glaive
avec la Légende : Proprio mario tuta ;
et l'Exergue : Aucto exercitu 1789 ; de l'auure
, le buste du Roi Jean Sobieski , avec la
Légende : Prisca virtute felix ; et l'Exergue :
Concordia Comitiorum convocatorum 1788,
2
Deux Médailles d'argent aux mêmes em(
101 )
preintes ont été remises aux deux Maréchaux
de la Diète.
"
Il a été conclu entre la Cour de Berlin
et la République , une Convention provisoire
, par laquelle toutes les marchandises
ou productions de la Pologne entreront
dans les ports de Koenigsberg
de Memel et d'Elbing , sans être visitées
ni payer de droits La même franchise
aura lieu pour les marchandises étrangères
, qui , de ces trois ports , passeront
en Pologne . Cette convention aura son
effet pour 3 ans , pendant lesquels on
conclura un Traité positif de commerce
entre les deux Etats : elle porte un
nouveau coup au trafic de la ville de
Dantzick.
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 24 août.
Suivant les derniers avis de la Finlande ,
le Roi de Suède avoit établi son quartiergénéral
à Kymenegard , entre deux bras
de l'embouchure de la rivière de ce
nom . D'un côté , ce camp est défendu
par le poste de Sutula , et de l'autre
par celui de Hogfors ; l'un et l'autre
très-bien fortifiés. Dans cette position ,
le Roi attend les nouvelles troupes
qui sont passées en Finlande . La première
division de 3,000 hommes avoit
déjà débarqué à Ekenæs ; la seconde
étoit en vue des côtes .
E iij
( 162 )
crone ;
L'escadre Suédoise est encore à Carls
celle des Russes a quitté sa première
position à la hauteur de Gotland .
-Le Conseil de guerre institué pour examiner
la conduite du Vice-Amiral Liliehorn,
est composé de l'Amiral Wrangel,
Président ; du Colonel Modée, et
des Lieutenans - Colonels Ruke Hissingskoed
et Armun. Le Duc de
Sudermanie a donné le commandement
de l'avant -garde au Colonel Eneskold.
On a envoyé un détachement de 300
hommes à Carsham , et à Calmiar quelquesescadrons
de Hussards . Le Général de
Hermanson est désigné pour le commandement
général dans la Scanie , et
le Général Toll au gouvernement de
Carlscrone .
De Vienne le 24 août.
Le rétablissement de l'Empereur se
soutient , et tous les symptômes de sa
maladie ont discontinué . S. M. a même
soutenu , sans fièvre et sans accident
quelconque , l'opération d'une fistule à
Panus , dont il étoit incommodé depuis
un certain temps .
Le Maréchal de Laudhon se trouvoit à
Semlin le 14 ; le 17 , il eut une entrevue
avec le Maréchal de Haddick qu'il remplace
, et ce même jour il se mit en
route pour Weiskirchen . La grande armée
, ainsi que nous l'avons dit précédemment
, sera sous ses ordres , et servira
103 )
soit à couvrir le Bannat , soft à protéger
le siége de Belgrade , dont on s'entretient
encore. Il est du moins certain que toutes
les dispositions annoncent une grande entreprise
en Servie . Une partie de l'armée
de Croatie est en marche, et gagne Semlin
, dont les troupes se rapprochent du
Danube : on répare , avec activité , les
redoutes et autres ouvrages extérieurs ;
enfin , la grosse Artillerie d'Esseck et
de Péterwaradin , est arrivée sur ce point
central . On ignore encore les mouvemens
qu'opposeront le Grand Visir -
et son armée , à ceux qui menacent
Belgrade et la Servie. Jusqu'ici , les Turcs
ne s'occupent que du Bannat , où ils
sont entrés de nouveau dans la vallée ,
de Schupaneck , mais sans occuper Mehadia.
Un de leurs Séraskiers est près
d'Orsova avec un Corps de 20,000 .
hommes. Le Major Général de Vetsey
s'est avancé à Ruska , et le Général Clairfait
a établi son camp près de Fenisch .
-
"
La victoire du Prince de Cobourg nous pro-.
cure plusieurs grands avantages . D'un côté ,
toutes les parties conquises de la Moldavie
sont aujourd'hui entièrement couvertes , et
de l'autre , la Transylvanie est mieux assurée .
La Wallachie est ouverte à nos troupes , et
le Maréchal de Laudhon peut , sans obstacle ,
suivre son plan pour la protection du Bannat
et l'attaque de la Servie .
On vient de recevoir ici la nouvelle que
l'Ex - Grand- Visir a été étranglé dans le lieu de
son exil, et sa tête envoyée à Constantinople.
E is
( 104 )
De Francfort sur le Mein , le 31 août.
La révolution de Liège se soutenoit
sans trouble , la tranquillité publique
étoit maintenue , les nouveaux Magistrats
paisibles possesseurs de leur autorité
, le peuple satisfait de la réforme
projetée dans la forme des Elections ,
et dans celle des Etats , lorsqu'on a appris
le départ inopiné du Prince- Evêque. Il
a pris congé du Conseil de la ville par
une dépêche en ces termes :
« Laprochaine journée d'Etats pouvant être
très-tumultueuse , et de nature à nuire à ma
santé , que je ne désire de conserver que pour
le bien- être de ma Nation , j'ai jugé convenable
de m'éloigner , pour quelque temps , de
ma Capitale. »
« J'assure la Nation , que je chéris , que
ce n'est nullement dans le dessein de solliciter
aucun secours étranger , ni dans l'intention
de porter aucune plainte à Sa Majesté
Impériale , ni à la Diéte , ni aux suprêmes
Tribunaux de l'Empire . De plus , je n'ai donné
aucne commission à qui que ce soit de por
ter la moindre plainte , et je désavoue , à la ,
face de l'univers , toutes celles qui , peut- être ,
dans les circonstances présentes , pourroient
être portées en mon nom , n'ayant donné
pareille commission à qui que ce soit , ni n'en
ayant manifesté le désir. »
« J'exhorte la Nation de délibérer avec
calme et modération sur les changemens uti- ,
les et nécessaires , dont on jugeroit la Constitu
tion susceptible , de respecter les propriétés ,
et de n'exercer aucun genre de vengeance com- ›
tre qui que ce soit . »
( 105 )
Je ferai parvenir la connoissance du licu
où je resterai , pour qu'on puisse m'instruire
des résolutions qui se prendront.
»
« Je recommande , avec ferveur , toute la
Nation à la Divine Providence , pour qu'elle
daigne l'éclairer , lui donner l'esprit de paix ,
de concorde , et que l'ouvrage qu'elle destine
d'entreprendre , soit celui qui assure la
tranquillité et la félicité des races futures . Fait
a Seraing , le 26 Août 1789. »
Signé , CONSTANTIN - FRANÇOIs , Evêque
et Prince de Liége . »
Ce départ laisse des inquiétudes ; ce
qui les augmente , c'est que le nouveau
Corps Municipal ayant promulgué la
continuation des impôts , le Peuple s'est
soulevé , et a dit , bayonnette en main :
Point d'impôts , ou point de Corps
Municipal . » Celui- ci a obéi , et on
ne perçoit plus d'impôts à Liège .
«
D'un autre côté , on apprend que l'ancienne
faction abattue à Aix- la - Chapelle ,
par l'intervention des Tribunaux du
Corps Germanique, se relève, eta arboré
la Cocarde bleue et jaune . Le même esprit
de soulèvement a gagné quelques Districts
des bords du Rhin , opposés à
Strasbourg : les Sujets des Bailliages de
Wildstædt et de Lichtenau , appartenant
au Landgrave de Hesse-Darmstadt , ont
chassé les Employés du Prince , et dévasté
leurs maisons . Ces mouvemens
paroissent donner lieu à des mesures
de la part du Corps Germanique , et le
bruit se répand que 40,000 Prussiens
Ev
( 106 )
vont se joindre aux troupes de l'Empire,
pour former un cordon sur les frontières.
de France.
A cette nouvelle qui s'accrédite , se
joint celle de 25000 hommes détachés
de la Bohême et de la Moravie pour
gagner les Pays -Bas
Le Roi de Prusse est parti , le 15 ,
pour la Silésie , où il a été précédé par
le Prince- Royal .
La descente des Turcs en Criméé se
confirme , ainsi que les hostilités des
Tartares du Couban contre les Russes ;
mais l'on ne sait rien encore de certain
des opérations des escadres dans la mer
Noire .
GRANDE- BRETAGNE.
De Londres , le 2 septembre.
LL. MM. ont quitté Plymouth , et
sont de retour à Weymouth , depuis le
28 du mois dernier . Avant son départ
du premier de ces ports , le Roi fit
distribuer deux mille livres sterlings ,
réparties entre les Ouvriers du chantier
, du parc d'Artillerie , des magasins
de vivres , et les équipages des barques
qui ont porté la Famille Royale , durant
ses courses , dans le canal. L'Ambassadeur
d'Espagne s'est rendu auprès
du Roi à Plymouth , et a eu une audience
secrète qu'on dit relative à des
affaires importantes.
( 107 ) On annonce de nouveau la retraite
du Duc de Leeds , Ministre des Affaires
Etrangères ; on croit même qu'il a déja
formellement donné sa démission , et
qu'il sera remplacé par Milord Haw
kesbury , dont l'habileté , l'expérience
et les grandes lumières sont suffisamment
connues .
Le Général Schlieffen , ancien Ministre
de la guerre à Cassel , aujourd'hui
rentré au service de Prusse , et
Gouverneur de Vesel , est ici depuis
trois semaines , chargé d'une mission
secrète qui donne lieu à nombre de
conjectures. Il est certain qu'il se traite
en ce moment des objets sérieux entre
différentes Cours. Avant de passer à
Londres , le Général Schlieffen a séjourné
quelque temps à la Haye.
On a remarqué depuis quinze jours des
préparatifs extraordinaires dans quelques-
uns de nos chantiers , et quelques
nouveaux vaisseaux mis en Commission.
Il ne paroît pas , néanmoins , qu'on en
augure rien de menaçant , car les fonds
publics continuent à hausser journellement.
Nos papiers Publics regorgent de paragraphes
et de réflexions fort étranges sur ,
la crise de la France , et sur la conduite
des affaires publiques de ce royaume.
Les passer sous silence , c'est en indiquer
la nature . Ils étonneroient bien
ceux qui , en France , préjugent Topi- i
E vj
( 108 )
nion publique de l'Angleterre sur les
mémorables évènemens qui occupent
la scène de l'autre côté de la Manche .
La frégate le Solebay , de 32 canons , vient
de venir des isles , et a ramené en Angleterre
le Gouverneur de la Dominique et sa suite.
Le Commodore Gardner est arrivé , le 24 ,
à Portsmouth , à bord de l'Europa , de 50 canons
, et à laissé le commandement de l'escadre
de la Jamaique à l'Amiral Affleck; la frégate
P'Expédition , de 44 canons , est rentrée avec
l'Europa . Milord Effingham , nouvellement
nommé au Gouvernement de la Jamaïque
va s'embarquer sur la première frégate qui
fera voile pour cette isle.
FRANCE.
De Versailles , le 9 Septembre.
ASSEMBLÉE NATIONALE.
,
Avant de paffer au rapport des Séances de la
femaine dernière , rous devons dire que le 29 ,.
au foir , l'Affemblée ayant repris la d fcuffion de
l'Arrêté fur le commerce des grains , propofé la
veille par le Comité des fubfiftances , cette Délibération
produifit le Décret fuivant :
L'Affemblée Nationale a décrété , 1º . que la
vente & la circulation des grains & farines ferónt
libres dans toute l'étendue du Royaume ;
2º. que cette qui feront tranfporter des grains &
farines par mer feront tenus de faire leur déclaration
exacte , pardevant les Municipalités , des
Pieux dudépart & du déchargement , & de jufti ,
( 109 )
her de leur arrivée & de leur déchargement aux
lieux de leur deftination , par un certificat des
Mucipalités des lieux ; 3 ° . que l'exportation à
l'Étranger eft & demeurera provifoirement dé
fendue.
Les Députés de Saint-Domingue ont réclamé ,
à cette occafion , la libre exportation des farines
étrangères dans leur Colonie , liberté que lui avoit
accordée une ordonnance de M. du Chilleau , depuis
révoquée par un Arrêt du Confeil. On a
furfis à toute décifion , jufqu à ce que l'Affemblée
fût inftruite des motifs qui avoient déterminé
cette révocation .
DIX - HUITIEME SEMAINE DE
LA SESSION.
On n'envisage pas sans terreur , les
questions agitées cette semaine dans
l'Assemblée . De leur décision dépendront
peut- être le sort de l'Etat , celui des Lois
nouvelles par lesquelles il doit être gouverné
, l'affermissement ou la chute de
la liberté , la sureté publique au dedans
et au dehors , et la considération nécessaire
à une grande Monarchie .
La presque unanimité des Cahiers
avoient consacré la Sanction Royale ,
sans la définir. Tant que ce pouvoir dé- ,
fensif du Gouvernement n'a été connu
que sous cette dénomination , il rencontroit
peu d'antagonistes : il s'en est élevé
de toutes parts , lorsqu'on l'a présenté
sous le titre , assez impropre , de veto . Il v
seroit en ce moment souverainement
( 110 )
inutile d'opposer aucunes réflexions à
tout ce qu'on a avancé à cet égard : le
cri d'un grand nombre d'Orateurs et d'Ecrivains
du jour , a été que , le veto consacreroit
un despotisme illimité , et que
la volonté d'un seul ne pouvoit prévaloir
sur celle de 24 millions d'ames. Ces
arguméns sont au- dessus de tout examen .
Les Anglois ont donc jusqu'à ce jour
vécu sous le despotisme ? Cette découverte
les étonnera beaucoup . On a affirmé
dans les débats , et on a répété
dans plusieurs Journaux, que l'Angleterre .
avoit investi son Roi de la faculté d'empêcher
, dans des temps de barbarie et
de féodalité . L'année 1688 , un temps de
barbarie pour l'Angleterre ! un temps de
féodalité que celui du règne de Guillaume
I , sous lequel les droits féodaux
furent abolis !
On a encore affirmé que les Anglois ,
fatigués des gênes où le reto Royal
met tous leurs Bills , se repentoient de
leur complaisance . Il seroit difficile de
rappeler un seul de ces prétendus Bills
mis à la gêne ; car de mémoire d'homme ,
à peine se souvient-on d'un seul Acte
des deux Chambres , auquel le Roi ait
refusé sa sanction . Preuve irréfutable
de l'efficace des prérogatives , mutueliement
balancées, du Gouvernement et du
Pouvoir législatif.
Quant au repentir des Anglois , ils
l'ont tenu jusqu'ici profondément secret.
(m )
Ceux qui viennent de nous le révéler ,
auroient dû citer une seule Motion , un
seul Discours , une seule Pétition sortie
depuis cent ans , de la Chambre des
Communes ou du sein du Peuple , contre
Ja négative Royale. Parmi tant de Publicistes
éclairés , qui ont analysé et discuté
en Angleterre , et sous toutes ses
faces possibles , la Constitution politique
, en est - il un seul de quelque ré
putation , Whig ou Tory , qui ait exhorté
Je Parlement à se soustraire à la sano
tion de la Couronne ? Mille Ecrivains
ont attaqué l'influence de celle - ci , les
défectuosités de la Constitution , le vice
de la Représentation Parlementaire , les
Elections septennales , qui , dans le fait ,
n'ont été que de cinq ans , l'une dans
l'autre , depuis un demi- siècle : tous les
abus ont passé en revue ; l'autorité
Royale a été l'objet de diatribes trèsfréquentes
, dont l'énergie approchoit
quelquefois de la férocité , et l'on en
est encore , au- delà de la Manche , à
découvrir cette vérité , que la négative
royale est la consécration du despotisme
! Certainement , quelques Anglois
peuvent le penser quelques Anglois
pensent aussi qu'il faudroit rétablir la
République ; mais si l'un d'eux alloit
proposer dans les Communes , ou dans
les Assemblées provinciales des Comtés ,
de dépouiller le Roi de son droit de concourir
à la Législation , j'ose croire qu'il
( 112 )
feroit naître d'étranges sentimens dans
ses Auditeurs.
Nous ne nous chargeons pas de justifier
cette opinion publique ; nous la
rapportons , et l'on peut dire maintepant
, sur cette question politique , ce
qu'on a dit sur tant d'autres objets :
«
Et penitus toto, divisos orbe Britannos .
Le Roi d'Angleterre , dit J. J. Rous-
« seau, dans ses Lettres de la Montagne,
pag. 399 et 404 , revêtu par les Lois
d'une si grande puissance pour les pro-
« téger , n'en a point pour les enfreindre .
« Personne , en pareil cas , ne voudroit
lui obéir ; chacun craindroit pour sa
tête : les Ministres eux -mêmes la peuvent
perdre s'ils irritent le Parlement,
Outre cela , le droit négatif du Roi
« d'Angleterre est bien tempéré , premièrement
par la Loi , qui l'oblige de
« convoquer un nouveau Parlement au
<< bout d'un certain temps ; de plus , par
« sa propre nécessité , qui l'oblige à le
laisser presque toujours assemblé; enfin
<< par le droit négatif de la Chambre des
« Communes , qui en a vis-à - vis de lui-
« même , un non moins puissant que le
« sien. Elle est tempérée encore par la
pleine autorité que chacune des deux
Chambres a sur elle-même , soit pour
proposer, traiter, discuter , examiner
les Lois et toutes les matières de Gou
( 113 )
« vernement , soit pour connoître , dans
les Communes , des griefs publics et
<< des atteintes portées aux Lois ; dans la
« Chambre des Pairs , de toutes les ma-
« tières qui ont rapport aux crimes
d'Etat. Voilà quel est le droit négatif
du Roi d'Angleterre .
Si vos Magistrats , ajoutoit Rous-
« seau aux Représentans de Genève ,
<< n'en réclament qu'un pareil , je vous
<< conseille de ne le leur pas contester. »
-Presque toutes les Nations libres
avoient plus ou moins senti la nécessité
de placer la force conservatrice du Gouvernement
, moins dans son action que
dans sa résistance , en sorte qu'il pût
empêcher les entreprises , et non en former.
Les Athéniens , balottés par des
Démagogues et des Orateurs , les Athéniens
, qui en vinrent à ce point de démence
populaire , d'interdire , sous peine
de mort , d'appliquer aux besoins publics
les fonds destinés aux spectacles ,
ne sachant plus comment arrêter la fougue
de leur Législature , ni où placer un
veto firent cette Loi étrange , citée par
Eschine , en vertu de laquelle on pouvoit
accuser devant un Tribunal particulier,
et faire le Procès à l'Auteur d'une
Loi approuvée par le Peuple , si ce Tribunal
la jugeoit injuste ou dangereuse .
Les Républiques modernes , comme les
anciennes , nous offrent également un
tourment perpétuel sur l'assiette de cette.
( 114 )
force négative , qui , remise au Peuple ,.
abattoit tout , ou plongeoit l'Etat dans
l'anarchie ; qui, remise à tel ou tel Corps ,.
devenoit dangereuse , faute de contrepoids
. Au milieu de tant d'erreurs et de
variations , chacun avouoit la nécessité
de cette faculté d'empêcher les tentatives
des passions , et les usurpations du Corps
Législatif.
Depuis 1726 jusqu'en 1772 , les Suédois
en avoient privé leur Roi : aussi
fut- il dépouillé successivement de toutes
ses prérogatives , même de celle de choisir
les gens de sa maison , et d'être le simple
Greffier de la Diète . M. Sheridan , Répu
blicain ardent , mais sage , et éclairé par
l'expérience , observe dans son admirable
Histoire de la Révolution de Suède ,
qu'il eût été infiniment préférable de dé
truire la Royauté, à la conserver sans force
négative . Il faut lire dans cet Auteur , les
preuves démonstratives de son opinion .
On verra dans les débats de la semaine
dernière , la proposition d'un Veto suspensif,
ou d'un appel à la Nation , c'està-
dire à chaque Bailliage constituant ;
ce qui mettroit 8 à 9 millions de Juges
en activité politique , à chaque dissentiment
entre leurs Représentans et la Cou
ronne . De plus , comme on appuie cette
mesure nouvelle , sur le droit qu'a chaque
individu de n'obéir qu'à sa propre
volonté , il s'ensuit qu'on ne peut enlever
à personne l'exercice de ce droit , et que ,
( 115 )
pour être juste et conséquent , il faudroit
appeler au Conseil général de la Nation ,
quiconque a une volonté , à commencer
par les femmes , et à finir par les mendians.
Les Etats unis , dont le Congrès n'est
que le Souverain fédératif, et non le
Souverain de chaque province ; dont le
Président est borné à l'exercice des pouvoirs
très limités , révocable tous les
quatre ans , et qui , dans l'exécution
n'est à beaucoup d'égards que le Chef
du Sénat ; les Etats unis , disons-nous ,
ont armé ce Président d'un Veto seule.
ment suspensif. Il n'existe , en effet , aucune
crainte qu'on cherche à attaquer
une prérogative si étroite ; elle se défend
par la petitesse de son cercle , sur lequel
les deux Chambres ne peuvent être ten
tées d'empiéter , et par l'amovibilité de ce
lui qui en est investi. Refuse-t -il une loi ?
les deux Chambres la reprennent en considération
, et si elle est , de nouveau ,
adoptée par les deux tiers des voix dans
chacune d'elles , la négative du Président
reste sans effet . Mais il est important
d'observer que , toutes les fois qu'il s'agiroit
d'innovations dans la Constitution ,
le projet de ces changemens doit être
renvoyé au Corps Législatif, ou à une
Convention de chaque province , et l'acceptation
des trois quarts d'entre elles
constitue seule la sanction définitive . Ce
systême , parfaitement conforme à la nature
d'un état composé de Souverainetés
( 116 )
indépendantes dans leur Législation interne
, et dont la Législature est permanente
, n'est guère applicable à un Empire
immense , obéissant à un seul Législateur.
Au surplus , nous répétons que cette
question du Veto n'est plus abordable :
se hasarder à la traiter , ce seroit marcher
sur un volcan . Nos Lecteurs trouveroient
sans doute la lumière dans les
discussions dont nous allons rendre
compte ; nais nous ne pouvons présenter
que des extraits informes , et l'instruction
ne sera complète qu'après l'impression
des principaux Discours.
Du Lundi 3 Aour. Le nouveau Pr´fident
avoit été élu par 787 Electeurs ; 499 fe déclarèrent
en faveur de M. l'Évêque de Langres ; 228 pour
M. l'Evêque d'Autun ; 60 vox fe portèrent à
plufieurs autres Députés . A l'ouverture de la
Séance , M. l'Evêque de Lang es fur inftallé , &
M. de Clermont- Tonnerre , fon Prédéceffeur , remercia
l'Affemblée , & en fut remercié avec acel
mation. On a va précédemment combien fes
fonétions avoient été pénibles ; combien de patience
, de fermeté , de dignité il avoit oppofé
à l'impétuoûté des opinions , & qu'il avoit fu
défendre le gouvernail , en obtenant la déférence
& le refpect.
Trois des S crétaires , renvoyés par le fort ,
eurent pour fucceffeurs , à la pluralité des voix ,
MM. Redon , Defchamps & Henri.
Une étrange épifode , dont on trouvera l'hiftorique
à l'article Paris , vint , au début , forter l'étonnement
, le trouble & l'indignation dans l'Af
( 117 )
femblée. Son nouveau Président rendit compte
de deux Lettres , écrites , la veille au foir , à M.
le Comte de Saint- Prieft , Miniftre de Paris ; la
première annonçant une Motion du Comité Patriotique
du Palais - Royal , contre le Veto, & contre
différens Députés de l'Aflemblée dont on demandoit
la révocation , & quinze mille Citoyens a lant
fe rendre à Verſailles pour faire juftice de l'Arstocratie
renaillante. La feconde lettre , écrite à
deux heures du matin , tranquillifoit fur cette
effervefcence , dont les précautions de M. de la
Fayette avoient arrêté les effets.
M. de Lally augmenta l'impreffion de cette
lecture , en communiquant que , dans la nuit , il
avoit reçu une Députation compofée d'un Avocat
du Diftrict de Saint- Etienne- du-Mont , & d'un
Ingénieur du Diſtrict des Capucins , laquelle lui
avoit remis la Motion rédigée au Palais - Royal ,
le 30 , à huit heures du foir , contenant en fubftance
, que les habitans de Paris font inftruits
qu'il y a dans l'Affemblée un parti formé de la
totalité du Clergé & de la Nobleffe , & de 120
Membres des Communes , pour accorder au Roi
le Veto abfolu ; que c'eſt renverfer ce qui a été
déja étabi , &c .; qu'il y a quinze mille hom
mes prêts à partir pour Verfailles , tant pour y
arrêter l'effervefcence ariftocratique , que pour
protéger les jours des Députés qui peuvent être
en danger ; que puifque la perfonne des Dépu
tés eft facrée , il convient de révoquer les pou
voirs de ceux qui trahiffent les intérêts de la Nation
, afin que devenus fimples particuliers , on
puifle s'emparer de leurs perfonnes , & leur faire
1ur procès, M. de Lally déclara que les deux
perfonnes envoyées vers lui avoient nommé les
Députés fufpects , & que la lifte en étoit trèslongue
: il avoit répondu aux deux Envoyés , que
les perfonnes qu'ils venoient de nommer , étoient
( 118 )
·
auffi refpectables par leurs vertus que par leurs
lumières ; qu'il avoit travaillé toute la nuit à défendre
la Sanction Royale , & qu'il la défendroit
jufqu'à fon dernier foupir , moins pour le Roi
que pour le Peuple , & c.
Sur - le - champ , M. le Vicomte de Mirabeau
demanda que cette motion du Palais - Royal fût
imprimée & envoyée dans les Provinces. La même
demande fut faite pour la lifte des Députés dénoncés
comme mauvais Citoyens.
Dans le même moment on apporta une autre
lettre de la Société patriotique du Palais - Royal ,
adreffée à M. le Préfident , & où , en déclamant
contre un veto abfolu , qui mettroit un feul homme
dans le pouvoir de s'oppofer au bien de toute une
Nation , on répète l'annonce de 15 mille hommes
prêts à accourir avec de l'artillerie ; à écrafer la
Coalition ariftocratique , compofée de tout le
Clergé , de la majeure partie de la Nobleffe , & de
120 Membres des Communes , traîtres ou ignorans.
Une feconde lettre adreffée aux Secrétaires , les
accufe de corruption , menace de renouveler les
anciennes leçons , d'éclairer les châteaux , & finit
en ces termes : Changez , ou fauvez - vous ....
Un faififfement d'horreur & d'indignation pénétroit
la plus grande partie de l'Affemblée , lorfque
M. de Clermont- Tonnerie prit la parole , & dit
avec une falutaire énergie :
» Ces nouvelles font alarmantes , à la vérité ;
mais vous vous êtes trouvés dans des circonftances
plus critiques. La prudence & la modération vous
ent fuggéré des moyens de vous en tirer avec fuccès
, & vous en trouverez en cette occafion ....
Nous fommes entre deux alternatives ( je ne fais
laquelle eft la plus honorable ) : ou nous réuffirons
dans le bien , ou nous périrons pour le faire. »
» Je demande la lifte des Députés dénoncés &
accufés, afin que la haine des méchans ferve de
( 119 )
gloire aux bien intentionnés. Je crois encore
qu'il faudroit demander au Commandant & au
Maire de Paris , s'ils répondent de la tranquillité
de la Capitale & de la liberté de l'Affemblée . S'ils
ne peuvent le faire , nous transférerons nos Séances
dans un autre lieu , & la France défendra ceux que
le Palais-Royal profcrit. »
» Si au contraire on répond de notre fureté ,
Il n'y a plus lieu à délibérer ; il ne reftera qu'à
pourfuivre les auteurs & les fauteurs de cette cap
bale méprifable . »
Je propofe en conféquence l'Arrêté fuivant :
» L'Affemblée nationale arrête que M. le Maire ,
ainfi que M. le Commandant de la Milice na-
» tionale de Paris , feront invités de venir dans
» l'Affemblée, le jour même , & y déclarer s'ils ré-
» pondent de la tranquillité de la Ville , & par
» conféquent de la liberté de l'Affemblée ; & que
» dans le cas où ils n'en répondroient pas , l'Af-
» femblée ſe tranſportera dans un autre lieu ; que
» les noms des Membres menacés par les mau-
» vais Citoyens , feront honorablement infcrits
» dans le procès-verbal : «
» Que lefdits Maire & Commandant de la
» Milice feront chargés de faire toutes les perqui-
» fitions, pour découvrir les auteurs & les fauteurs
» de ces complots. u
Cette Motion entière n'étant point appuyée ;
on réclama la queftion préalable.
Catilina , s'écria alors un Membre des Communes
, emploie toutes fes forces pour fomenter des
féditions. Catilina eſt à nos portes , & l'on écar
teroit les moyens d'arrêter fes fureurs , par l'odieafe
chicane d'une queſtion préalable !
Méprifons ces criminelles factions , a dit M. le
Duc de Liancourt , neformons pointde Délibérations
qui puiffent nous donner l'apparence de l'inquiétude...
Je propoſe ſeulement de mander M. de la
120 )
Fayette,...& qu'on s'occupe de la Sanction royale.
Nous ne pouvons , d't M. Dupont , nous difpenfer
de prendre un parti , quand la liberté de
l'Affemble eft compromife... Mais nous n'avons
pas été troublés dans les circonftances les plus
orageufes où nous nous fommes trouvés , & nous
ne devons pas l'être d'avantage par 15 mille hom
mes qu'on annonce , par une troupe de factienx,
qui prétendroient fe faire un parti dans la république
qu'ils fe font formée. Je ne fuis pas d'avis
de nous transférer dans un autre lieu , quand même
les réponſes de M. le Commandant de la Milice
Parifienne ne garantiroient pas notre fureté ... Nous
devons être un exemple éternel du courage avec
lequel la liberté & l'intérêt de la Société doivent
être défendus .. Qu'on invite feulement M. de la
Fayette de venir prendre place dans l'Affemblée .
""
Il fut propofe encore d'envoyer des Députés
dans toutes les Provinces , pour les prému
nir contre les complos dans lefquels on pourroit
les immifcer.
M. Mounier denianda que le Comité des
Douze, fît toutes les recherches néceffaires , pour
découvrir les moteurs de ces factions : 1º , qu'il
fût promis une récompenfe de 500,000 livres ,
à ceux qui les découvriroient , & la grace des
coupables qui dénonceroient leurs complices.
Un Membre des Communes dénonça un Ecc'éfiaftique
, qui venoit de dire que les Communes
avoient rampé indignement devant le Clergé ,
pour le tromper enfaite.
De grands murmures s'élevèrent dans l'Affemblée
; mais on revint à la difcuffion.
Un Membre des Communes dit : Vous avez
arrêté que fous quelque prétexte que ce foit , la
Conftitution ne feroit pas interrompue. Je vous
répéterai donc , d'après les fentimens que j'ai déja
entendu
( 121 )
e tendu exprimer à M. de Clermont - Tonnerre : Ou
la conflitution fera faite , ou nous périrons.
M. Chaffey , communiqua à l'Aff mblée une
lettre qu'il avoit reçu d'un Eccléfiaftique anoryme
, qui le menaçoit de fa vengeance & de
la mort , pour avoir opiné à la fuppreffion des
dîmes. En conféquence , ajouta M. Chaffey
dans quelle lifte de profcrits ferai-je range ? Je
fuis meracé par un homme qui fe dit du Clergé ;
je fuis dénoncé par le Palais - Royal . Si je paffe
du côté du Palais - Royal , je fuis perdu par l'a
nonyme ; fi je me range du côté de l'nonyme
, je fuis perdu par le Palais-Royal.
Pendant que Catilina menaçoit Rome , on
délibéro't ; mais nommoit-on les proferits ? Fiton
une lifte ? Le Sénat trembla-t -il ? Changeat-
il de lieu ?
Je propoferois donc d'autorifer feulement M.
le Préfident à fe concerter avec le Maire
& Commandant de la garde de Paris , pour
prendre tous les éclairciffemens néceffaires fur ce
complot.
MM. de Landine , Target & autres , infiftèrent
fur l'avis qu'il n'y avoit pas lieu à délibérer , &
l'Affemblée l'ad pta .
MM. de Lally-Tllendal & Mounier communiquèrent
enfuite le travail du Comité de Conftitu
tion , fur une partie des Pouvoirs , dont la combinaifon
doit former la nature & le principe du
Gouvernement. Ce projet fe rapproche beaucoup
de la Conſtitution Britannique , combinée avec
quelques inftitutions de celle du Congrès Américain.
Tout entier , ce fyftême repofe fur une
Balance néceffaire de Pouvoirs : auffi , ceux qui
ne veulent point de Balance , & ils forment
une grande partie du Public parlant & écrivant ,
ont-ils jeté de l'odieux fur ce Rapport , qu'ils
He connoiffent que par des extraits de feuilles
Nº. 37. 12 Septembre 1789. F
( 122 )
périodiques . Tout hoinme fenté s'appercevra qu'un
travail de ce genre ne peut être jugé que fur fon
enfemble , qu'il eft abfurde d'en détacher quelques
parties , & e dire , Voilà l'édifice. Il s'appercevra
encore que les Inſtitutions fubfidiaires des Lois fondamentales
, contribuent puiffamment à déterminer
l'action & la réaction des Pouvoirs , & qu'il faut
Combiner ces effets réciproques , ou reffembler à
celui qui devineroit le mouvement d'une montre
sur le cadran. Lorfque ce projet fera imprimé ,
nous le ferons connoître , fi toutefois il n'eft
pas irrémiffiblemeut condamné avant ce temps- là .
Du Lundi soir , 31 Aour. Dans son dernier
Mémoire , M. Necker avoit observé qu'il
étoit important de nommer un Comité des
Finances qui correspondît avec lui. Différens
avis ont d'abord été ouverts sur la composition
de ce nouveau Comité , et se sont enfin
réunis à le former de douze Membres , pris
et nommés dans les soixante- quatre de l'ancien
Comité , toujours subsistant.
MM . les Députés de Saint - Domingue ont
sollicité une troisième fois l'importation des
farines étrangères dans la Colonie . Quelques
Membres ont appuyé , d'autres ont combattu
cette demande : on ne l'a pas trouvée assez
urgente pour entraîner une résolution subite ;
et celle - ci a été renvoyée à un autre jour.
Du Mardi 1 SEPTEMBRE. Lecture faite
des Adresses , Lettres à l'Assemblée , et des
Procès-verbaux , M. l'Evêque d'Autun a produit
la renonciation de son Bailliage , de ceux
de Saémur , etc. aux Priviléges du Duché de
Bourgogne , dans le cas où les autres Provinces
en feroient autant.
A1. le Président a ensuite donné connois(
123 )
sance de la renonciation que faisoit un soldat
du régiment de Touraine , après 74 ans de
service , d'une pension de 200 liv . réversible
à ses enfans , et qu'il tenoit de la libéralité
du feu Roi. M. le Chevalier de Montalembert ,
Officier du même régiment , et qui a perdu
un oeil dans la dernière guerre , a imité ce
sacrifice , ainsi que plusieurs autres Officiers
du Corps , pensionnés sur l'Ecole Royale Militaire.
L'Assemblée à vivement approuvé ces
actes de désintéressement , et a arrêté d'en
faire mention dans les Procès-verbaux , sans
accepter aucune de ces renonciations.
La discussion de la Sanction Royale a été
reprise , et d'abord par M. le Duc de Liancourt
, qui a présenté affirmativement la nécessité
de cette Sanction , pour caractériser la
Lor, et celle de laisser la Couronne partie
intégrante de la Législature. Régenérer la
Monarchie , a -t-il dit , ce n'est pas l'anéantir.
Jusqu'ici le Roi a été Législateur ; con: -
ment existeroit - il , comment se défendroitil,
sans intervenir dans la sanction des
Lois ? La puissance législative doit être contenue
, et ne peut l'être que par ce droit
d'empêcher , réservé à l'autorité Royale . Ce
' droit sera balancé efficacement par celui d'accorder
ou de refuser les impôts , et par la
permanence de l'Assemblée . Il est une barrière
indispensable aux variations politiques ,
et sans lui , le pouvoir exécutif seroit éternellement
le jouet des partis et des opinions.
M. Salle s'est élevé contre la Sanction , par
les argumens tirés de la sagesse constante du
Peuple , de celle des Assemblées élémentaires ,
de la perversité des Ministres , de la nullité
à laquelle le veto condamneroit le Corps législatif,
du danger dont il menaceroit les
Fij
( 124 )
Arrêtés du 4 Août. Cet Opinant a fini son
Discours d'une heure , par informer l'Assemblée
que l'Angleterre étoit privée de la liberté
politique , et qu'ainsi l'avoit décidé l'Auteur
du Contrat social ( 1 ) .
M. Rabaud de Saint-Etienne a reproduit
son opinion , de traiter conjointement les trois
questions de la Sanction Royale , de la permanence
de l'Assemblée , et de sa division en
deux Chambres , en subordonnant la décision
du premier point à celle des deux autres
M. Goupil de Préfeln a opposé à cet avis
l'ordre de la délibération du jour , et l'Arrêté
pris par l'Assemblée d'examiner préalablement
la Sanction Royale. Divers Membres
ont adopté cetteremarque ; d'autres appuyant
la Motion de M. de Saint-Etienne.
M. Target , et ensuite M.. de Clermonta
(1 ) Le peuple Anglois , a dit Rousseau
« pense être libre ; il se trompe fort : il ne
« l'est que durant l'élection des Membres du
« Parlement ; si-tôt qu'ils sont élus , il est
u esclave , il n'est rien . L'idée absurde des
« Représentans est moderne ; elle nous vient
« de l'inique Gouvernement féodal . » C'est
donc parce que le Gouvernement de l'Angle,
terre est représentatif, que Rousseau jugeoit
les Anglois esclaves ; ainsi tout Peuple repré-
-senté seroit esclave comme eux. L'autorite de
Rousseau n'est donc pas admissible dans une
- assemblée de Délégués du Peuple: Ce célébre
Ecrivain a persisté jusqu'à la fin de sa vie ,
dans son aversion pour le Gouvernement représentatif;
et écrivoit : « Je ne vois point
de milieu enire la Démocratie la plusaustère
, ou le Hobbisme le plus parfait.
4t
( 125 )
Tonnerre ont proposé un milieu , celui de
conserver l'ordre du jour , en traitant simultanément
les trois questions , et sans prononcer
définitivement sur la premiére , avant
que les deux autres aient été discutées .
M. Malouet revenant à la Sanction , l'a
demandée simple et absolue , comme un dro't
conféré par la Nation à son Chef , de déclater
que telle ou telle résolution de ses Députés
n'est pas conforme à la volonté publique,
Sans cette prérogative , instabilité de principes
et de formes : elle est le rempart du
repos de la Nation , de la sûreté des Représentans
, de la puissance publique et de l'in
dépendance du Monarque dans l'excice de
ses fonctions .
- Par -tout
M. Péthion de Villeneuve , absolument contraire
au veto absolu , a mis en avant un veto
suspensif. Il a représenté le premier , comme
la plus funeste des inventions politiques. Montesquieu
s'étoit égaré dans sa division des
Gouvernemens . La Constitution Angloise ,
avec son veto , sa Chambre Haute , ses Elections
, étoit monstrueuse , et l'objet des plaintes
de tous les Anglois judicieux.
l'Europe offre le tableau des usurpations du
pouvoir exécutif s'il devient héréditaire et
coopérateur de la Législation , son activité
perpétuelle seroit trop redoutable . Si le Roi
pouvoit arrêter la Loi , il deviendroit supérieur
à la Nation , qui l'a créé. Tous les pouvoirs
doivent rester dans la dépendance du
Peuple , qui saurà bien contenir ses Représentans
. Ainsi , c'est à lui qu'il faut en appeler
, lorsqu'il s'élevera des dissentimens
entre les deux pouvoirs , et cet appel porté
par le Roi est le reto suspensif, auquel it
fatit s'en tenir irrévocablenient.
Fiij
( 126 )
M. de Mirabeau a défendu et prouvé d'au
tres opinions.
La Sanction Royale est la volonté publique.
C'est le droit du Peuple , encore plus que
celui du Roi. Sans cette sauve- garde de la
liberté , l'Assemblés elle - même pourroit dégénérer
en Aristocratie , pire que le Despotisme
, parce que ce seroit le despotisme
de la Loi ; elle pourroit empiéter sur le
pouvoir exécutif, le réduire insensiblement
à rien , et anéantir ainsi le vrai ressort de la
puissance publique , si nécessaire à la sureté
générale. Le Parlement d'Angleterre renversa
la liberté en se déclarant inamovible.
Le o royal pourroit quelquefois empêcher
une bonne Loi , mais il pourroit aussi
on empêcher une mauvaise.
Dans le fait , ce veto est un appel au Peuple ,
fait par le Roi , des Décrets émanés de l'Assemblée
Nationale : ainsi , il doit être toujours
suivi , 1° . de la dissolution de l'Assemblée
; 2°. de la convocation d'une autre ; 3°. de
nouveaux pouvoirs donnés aux Députés ,
de
nouvelle élection , sur la Loi frappée du veto .
Ce Discours , qu'il faudroit rapporter en
entier , a été très - vivement applaudi , et ,
avant de se séparer , l'Assemblée en a ordonné
l'impression .
Du Mardi soir, premier SEPTEMB. Sur l'Adresse
de la Touraine , qui demande à être autorisée
à ouvrir dans la Province trois souscriptions
patriotiques , il a été décidé de
renvoyer cette proposition au Comité des
finances , chargé de correspondre avec le
Ministre.
M. l'Abbé Grégoire a demandé et obtenu
une Séance du soir , pour le rapport des récla
( 127 )
mations des Juifs domiciliés dans le Royaume.
Quelques plaintes sur le régime actuel.
pour prévenir l'exportation des grains hors
du royaume , ont fait arrêter de fournir à ce
sujet de nouvelles lumières au Comité des
Subsistances , qui s'occupera d'un Règlement
relatif à l'exécution du Décret du 29 Août ,
contre l'exportation .
"
Du Mercredi 2 SEPTEMBRE . Après la lecture
des Procès - verbaux et Adresses on
a débattu si l'on imprimeroit on non les Discours
lus la veille par MM. de Mirabeau ,
Salle , de Villeneuve et autres ; ce qui emporteroit
la nécessité de les imprimer tous . Décidé
de n'en imprimer aucun .
Lecture d'une Délibération de la Commune
de Paris , qui persiste dans ses précédens arrêtés
contre les attroupemens et les Motions
du Palais - Royal , invite les Districts à la
seconder dans l'exécution des moyens qu'elle
a pris pour le rétablissement de l'ordre , etc.
Un Membre proposa de voter un acte de
remercîmens . Cet avis ne parut point con
forme à la dignité de l'Assemblée ; elle se
contenta d'en témoigner sa satisfaction par
des applaudissemens .
La grande question de la Sanction Royale
étant soumise à une discussion ultérieure "
M. le Comte d'Antraigues prit la parole , et
dit en substance :
Avant d'examiner l'influence du pouvoir exécutif,
il paroît nécessaire de définir la Sanction
Royale. C'est le droit accordé au Roi
de devenir partie intégrante de la Législation......
Fiv
( 128 )
4
Sans doute toute autorité émane du Peuple,
ainsi que la distribution des pouvoirs ; mais
l'étendue de l'Empire nécessite le Peuple à
donner au pouvoir exécutif toute l'énergie
nécessaire . De l'impossibilité d'exercer par
lui-même le droit de Législature , est nee
la Représentation... I importe de maintenir
ces deux pouvoirs toujours séparés .
Leur réunion dans le Corps Législatif cons
titue la tyrannie de plusieurs , etleur réunion
dans le pouvoir exécutif constitue la tyrannie
d'un seul . ... . .
Si le Peuple faisoit la loi par lui -même ,
le Roi n'auroit que l'honneur de la reconnoître
et de la faire exécuter... Mais quand la
Nation confie le pouvoir à des Représentans ,
il doit prendre des moyens de les surveiller.
Le plus efficace est d'accorder la Sanction au
pouvoir exécutif... Et qu'on ne craigne pas
que le Roi s'oppose à une loi nécessaire au
bien de l'Etat , ou qu'il usurpe le pouvoir
égislatif.... Il est de l'intérêt du Roi de
maintenir les droits de la Royauté , et par
conséquent les intérêts de la Nation. Il ne
peut qu'être intéressé à la promulgation des
bonnes Lois . .... D'ailleurs , je suppose qu'il
s'oppose à une loi utile . L'opinion publique
jugera entre lui et les Représentans du Peuple.
Il sera obligé de s'y soumettre ; et si la loi
est nécessaire à l'intérêt public , elle sera tót
ou tard établie. .... Je suppose cependant
encore qu'il y ait un Roi assez aveugle sur
ses intérêts pour s'opposer à une loi nécessaire
: n'aura- t - on pas moyen de le réduire
, en tarissant les sources du trésor public
? ....
le
Et quels sont les moyens qui pourroient sup(
129 )
pléer à la Sanction ? On n'en trouve qu'un ,
celui de laisser au Peuple le droit d'examiner
et de consentir les lois du Corps Législatif.
Mais s'il ne peut se rassembler pour faire la
loi , pourra-t-il se réunir pour la consentir ?
On prendra son silence pour un consentement
, ou il faudra qu'il ait recours à l'insur
rection ... 2°. Le Peuple veut aussi bien éviter
la tyrannie de tous , que la tyrannie d'un seul.
Quel sera donc le surveillant du Corps Législatif?
Il ne restera que le Peuple , souvent aveugle
ou passionné . D'ailleurs n'échappe - t - il pas
à son attention mille circonstances , mille
éclaircissemens , qui frappent la jalousie salutaire
d'un second Pouvoir ?
Nul de vous ne peut oublier en verta de
quel titre il siége dans cette auguste Assemblée.
C'est à vous à donner l'exemple d'une
parfaite soumission aux volontés générales du
Peuple. Il a parlé. Il demande la Sanction
Royale ; vous ne devez pas hésiter à l'adopter.
Et quand même le Roi , par un excès de bonté
dont il nous a déja donné des preuves , abandonneroit
ce droit , cette prérogative essentielle
à sa dignité , le Peuple ne la perdra
pas; et peut-être donneroit alors au Roi plus
d'autorité même qu'il ne faudroit.
M de Landines , Député de Forez , réfuta
le Préopinant , en disant :
Par le mot Sanction , jentends uniquement ce
qu'il fignifie dans fon acception originelle, & non
dans ceile que lui ont donné , dans des fiècles postérieurs
, des Écrivains pufillanimes , qualifiés im
proprement de publiciftes , puifque loin de vouer
leur travaux à l'avantage public , leurs idées ,
foibles & dépendantes , ont rampé devant l'idole
F,
1
( 130 )
du pouvoir. Pour décider ce que doit être la fance
tion , établiffons ce qu'elle fut.
Le mot Sanction dérive du mot Sanctus , facré
; & les Romains le confacrèrent à défigner
la sufcription fimple du grand Pontife , auquel
ils avoient accordé la promulgation & l'exécution
de plufieurs lois relatives au culte & à la police.
Ce mot Sanction fignifioit qu'une main fainte &
vénérée préfentoit les lois au peuple , & lui commandoit
le reſpect pour elles.
Lo fque le code Romain eut foumis nos conrées
, lorfque nos Souverains réunirent à une
puiflance héréditaire , l'influence religieufe que
feur donna la cérémonie de leur face , le mot
de Sanction fut alors accordé à leur attache , &
à la promulgation des lois fous leurs noms ; mais
il y eut une immenfe diftance entre le confentement
, l'approbation , la confirmation de la loi &
fa fimple Sanction . Nos Lois doivent fans doute
être fanctionnées , c'eft-à-dire , connues du Souverain
, & honorées de fon fceau. Elles doivent
être fanctionnées , c'est- à - dire promulguées en fon
nom , parce que tout ce qui eft grand , tout ce
qui eft bon , tout ce qui eft uti e , doit être fait
au nom du Prince , & la Loi paroître fous les
aufpices de celui que l'amour des Peuples , les
droits de fa naiffance , & la religion même , ont
élevé au-deffus des autres . Dès- lors , le mot Sanc
tion annonce que la Loi doit partager & l'inviolabilité
& la vénération profonde que l'on doit
à la main qui l'a fignée , & à la Perfonne facrée du
Chef fuprême de la Nation.
Loin du coeur d'un Monarque citoyen , & loin
de mon efprit , que la volonté d'un feul puiffe
arrêter , empêcher , fufpendre même l'effet des
volontés de tous . Oui , Meffieurs , dans ce fers
( 131 )
étendu qu'on a donné au mot Sanction , je ne
conçois pas qu'elle puiffe exifter dans un Gouvernement
bien organifé . Je ne répéterai point les
raifons foutenues par les Préopinans ; je ne dirai
point combien la fanction eſt une aêne terrible
qu'on peut tourner contre le peuple ; je ne dirai
point combien , aux yeux de l'impartialité , il doit
paroître étrange qu'un feul homme , quelque
éclairé , quelque vertueux qu'on le fuppofe , puiffe
avoir plus de lumières , plus de probité que tous
les autres réunis . Je laiffe à ceux qui me fuiven
dans cette importante difcuffion , le foin de développer
fi , dans l'origine de toute fociété , les
vieillards qui s'afTemblèrent pour créer les premières
conſtitutions , laiffèrent à un feul , quelque
vénérable qu'il fût , le droit de pofer une
barrière à leur volonté publique ; je leur laiffe le
foin de prouver combien , par fon Veto abfolu ,
le Souverain pourroit empêcher la Nation de recouvrer
les droits ufurpés peu-à-peu fur elle. Pour
moi , bornant ma difcuffion à mes forces , je ne
veux que repouffer les objections que je viens
d'entendre je ne veux que démontrer à vous ,
Meffieurs , qui aimez vos Rois , & au Souveraio
lui - même , que le droit qu'on veut impolitiquement
lui accorder , lui eft entièrement inutile ,
lorfqu'il ne lui devient pas très-dangereux.
On l'a dis , & je l'entends répéter fans examen
comme i eft d'ufage , La fan&tion royale date de
l'origne de nos Lois . Tous les capitulaires de
Charlemagne finiffent par ces mots : Lex fit ex
confenfu populi & conftitutione regis ; mais ce mot
conftitutio n'eft pas non plus le fynonyme d'approbatio.
Le mot conftitutio , conftitutum , fuivant
Dacange & tout les Gloffaires , fignifie ce qui
établit la Loi , ce qui la publie , en un mot
l'ordonnance ou l'édit. Ainfi toute loi fe con- "
1
F vj
( 132 )
fent & fe forme par la volonté du Peuple , &
fe promulgae par le Roi .
Il faut boner , s'écrie- t-on , la puiffance du
Peuple ; & il vaut beaucoup mieux vivre même
fous le defpotifme d'un feul , que fous le defpotifme
de tous.
J'avoue d'abord que je ne puis comprende ce
que peut être le defpotifme de tous , le despotifme
des Repréfentans nombreux de la Nation.
Sans doute , fi on crécit un Sénat dont les Membes
, choifis par le Prince , feroient à vie , je -
comprendrois qu'ils pourroient abufer de leur
pouvoir ; mais les Députés aux Affemblées Nationales
, auront- ils donc une puiffance qui re
fera jamais renouvellée ? Ne feront- ils pas changés
par le peuple à des époques fixes & rapprochées
? Ces Députés , honorés du libre choix de
leurs compatriotes , viendront-ils de toutes les
parties du Royaume combiner un p'an fuivi de
tyrannie & d'oppreffion arb traire , pour en laiffer
la funefte exécution à leurs fucceffeurs ? exfin
ces repréſentans , s'i's ne font infenfés , for
meront-ils des Lois abufives , dont le poids portera
fur leurs propres têtes , lorfqu'ils rentreront
dans la claffe commune , & qui s'aggravera fur
celles de leurs enfans , qui n'en fortiront peutête
jamais ? Ne nous laiffons point abufer : c'est
le pouvoir d'un feu ! qui tend toujours à franchir
fes limites , & à s'agrandir , parce que fon but
peut être conftant , qu'il eft lars cefle fous fes
yeux , qu'en y arrivant il croit travailler pour
lui & les fiens , & qu'en un mot il eft de la
nature de l'homme d'augmenter la puiffance , &
d'étendre toujours de plus en plus fa dominati : n.
Pour s'en convaincre , qu'en confidère ce qu'étoit
la Royaut un fiècle avant Louis XIV , &
ce qu'elle étoit devenue fous ce Monarque .
Ce font les évènemens qui déterment d'or(
133 )
diraire a plus ou moins grande lite té des peuples
; que les évènemens pailis nous infruifent
donc. C'eſt la confufion des pouvoirs qui établit
le defpotifme ; c'eft leur auftère divifion & leurs
limites bien circonfcrites , qui font fleurir la liberté .
Lorfque le Monarque a eu part à la Puiſſance
législative , il a bientôt fini par l'envahir ; &
à quoi lui ferviroit donc la force exécutrice qu'il
dirige ? Ne penfera-t-il jamais que fes intérêts
doivent lui être plus chers cue ceux d'autrui ?
La flatterie , maladie incurable des cours , la flatterie
ne lui dira - t - elle pas fans ceffe , que les
peuples veulent envahir le trône , & qu'il faut les
réprimer ? Penfe-t-on bien férieuſement que tous
les Monarques reftent indifférens & impaffibles
fur ce qui les concerne de fi près ? De plus en
p'us la puiflance législative fe perdra dans la main
du peuple , pour fe concentrer uniquement dans
celle du Prince . C'est le règne du pouvoir abfolu ,
& ce règne alo s eft inévitable. Mais , qu'on diftingue
fi bien les Pouvoirs que l'un ne puifle empicter
fur l'autre ; que le Peuple foit le Créateur
feul des Lois , que le Prince foit le modérateur
fuprême de leur exécution : dès lors la liberté eſt
affurée , & l'État tranquille.
1 ne peut y avoir , dans toute bonne organifation
, que ces deux Agens conftitutifs , la puiffance
& la force. Non , il ne faut point trois Pou-'
voirs ; non , la fublime fcience de la lég flation
n'eft pas de chercher entre ex un équilibre qui
ne peut long-temps fubfifter. Il ne peut y avoir
qu'un pouvoir , celui de la Natin ; il ne peut
y aveir qu'une force qui la feconde , celle du
Prince.
Ces Peuples , ces Républiques anciennes qu'on
a dernièrement citées pour étab'ir la néceffié des
trois pouvoirs , ne périrent que par leur rivalité
mutuelle.
( 134 )
» Ce ne font point trois pouvoirs qui rendent
ftable une Monarchie. Le Marquis d'Argenfon
, ce véritable homme d'Etat , parce qu'il
fut un véritable homme de bien ; le Marquis d'Argenfon
a fans doute mieux deviné. Les Monarchies
, fuivant ce Miniftre philoſophe , font d'autant
plus tranquilles , qu'elles fe rapprochent des
formes démocratiques , & que le Peuple y poffède
la puiffance légiflative. a
» A chaque inftant , on nous cite le Gouvernement
d'Angleterre. Plufieurs ici le préconifent ,
d'autres l'ont cenfuré. Sans doute , pour le fiècle
où le gouvernement Anglois fe forma , il offrit
un monument glorieux élevé à la liberté de
l'Homme. Ce gouvernement acheté par fix fiècles
de guerre & par les horribles factions qui
déchirèrent les maiſons de Lancaſtre & d'Yorck
fut fans doute bien lumineux pour l'inſtant où
il fe forma. Mais abandonnons toute prévention
funefte. Penfe-t-on que ce gouvernement
n'ait rien de défectueux ? Penfe-t -on que les publiciftes
Anglois ne voient rien à y corriger ?
Penfe-t- on enfin , que fi l'Angleterre travailloit
en cet inftant , & comme nous à ſa Conſtitution ,
elle l'établit fur les mêmes bafes , & qu'elle confervât
même cette chambre des Pairs , très-fouvent
utile au Roi , mais toujours très-inutile au
peuple ?
» Ne croyons pas , Meffieurs , que l'Angleterre
a't tout fait pour le bonheur de l'homme
& qu'il ne nous refte qu'à la copier . Ofons faire
mieux qu'elle ; ayons la noble hardieffe de porter
la flatue de la Liberté fur une baſe plus inébranlable.
»
» Les François , répète-t- on fans ceffe , demardent
tous la Sanction dans les cahiers . Mais quelle
Sanction , & quelle espèce de Veto ? L'abfolu
ou le fufpenfif? la confirmation de la Loi , ou fa
( 135 )
fimple promulgation ? Aucun ne s'eſt expliqué ,
aucun ne porte la Sanction dans fes articles limitatifs
; & fi un feul la portoit , cette difpofition
eft révoquée. En effet , Meffieurs , nos Com.
mettans ont-ils refuté d'adhérer à nos décrets
parce qu'ils n'étoient pas fanctionnés ? De toutes
les Provinces , un accord général , une adhéfion
uniforme fe font fait entendre . Les Peuples
de toutes parts nous difent : Nous adoptons
non-feulement les Los que vous avez faites
mais celles même que vous allez établir. Qu'on
me montre une feule adhéſion à nos Lois qui
porte la condition de la Sanction Royale pour
leur obéir.
Que le Veto foit abfolu ou fufpenfif, il n'en
eft que plus ou moins dangereux . Abfolu , c'eft
le premier pas , vers le Defpotifme ; c'eft réunir
à la puiffance qui fait la Loi , ou qui l'empê
che d'être faite , la force exécutrice , qui peut
tout foumettre. Sufpenfif, ce feroit à la Nation
de le pofféder , lorfqu'une Loi n'offre qu'une
utilité problématique ; c'eft aux Repréfentans des
Peuples , de les confulter , & d'accorder un délai
fuffifant pour connoîtré leur volonté. Sufpenfif ,
entre les mains du Roi , il tend à détruire Paccord
qui doit régner entre le Monarque & fes
Sujets ; il ouvre l'iffue à une infinité de difcufhions
& de mouvemens populaires ; il rompt
toute harmonie entre Citoyens , dont les uns
s'empreffent à fuivre le parti Royaliſte , & les
autres celui des Repréfentans de la Nation. Abfolu
on fufpenfif, il eſt également très-inutile au
Souverain , s'il ne lui devient très - dangereux .
En effet , Meffieurs , fi le Monarque eft
éclairé , s'il a le bonheur de vivre dans un fiècle
de lumières , où il ait pu reconnoître que l'intérêt
général eft la Loi fuprême des Empires , que
tout doit fe rapporter à cet intérêt , jufqu'au uen
( 136 )
f
"
même , qu'il ne peut être puiffant , que de la
force du Peuple , heureux que de fon bheur
refpecté que de fon amcur ; alors ce Monarque
ne féparera point fon opinion de l'opinion
générale. Son avis fera déterminé par le voeu de
les Sujets.
Oui , Meffieurs , confidérez , je vous prie , la
pofition d'un Monarque ; qui veut lutter contre
une nation dont tour fon pouvoir émane , & qui
fe place entre les Repréfentans de cette Nation ,
& la Loi qu'ils ont portée , pour empêcher qu'e le
n'aie fon exécution .
Dès lors un orgueil inconfidé é fe découvre dans
le Prince , ou putôt dans ceux qui occupent près
de lui le Ministère. Les liens de la fubordination
ſe relâchent , & les fentimens affectueux s'évanouiflent.
Sans doute les Peuples font naturellement
portés à aimer leur Roi , parce qu'ils penfent
fans cele que leur Roi veut leur bonheur
mais ils ne font pas moins portés à chérir leur
ouvrage , & à adopter les fentimens de ceux
qu'ils ont chargés de leurs plaintes , de le r
voeux , & même de leurs efpérances . Dans cet
équilibre funefte entre les Peuples & leur Momarqué
, entre des Lois defirées & un Veto effrayant
, quel fera l'arbitre fuprême ? Les fureurs
du defpotifme , ou les ma heurs de la licence &
de l'anarchie ? Cette idée me pèfe , & je ne veux
pas l'approfondir.
Irs
1: Les muôts , dit on , feront alors réfufés ; alors
il faudra que le Souverain cède. Qu'elle extrémité
, fur-tout qu'elle horrible victoire ! Les
impôts ne peuvent être refulés ; ils ne font pas
payés au Souverain , mais à la Nation ellcmême,
& pour fon propre intérêt : toute interruption
dans lear payment , interrompt auffitôt
le jen du Gouvenement ; & peut- on calculer
alors la fecouffe vidcnte , la convulfion politique
( 137 )
qui peut e g'outir , & les propriétés , & 1 : s droits ,
& la paix , & a liberté ?
Ainfi cette liberté , Meffieurs , repofe fur la
diftinction des pouvoirs , & non fur leur réurion
dans la même main . Que les Repréfentans
aient un court délai pour confuler Is Peuples
fir la Loi qu'i's craignent de pr mulguer , c'eft
une précaution qui eft fage , & la feu'e qui foit
digne d'ètre admife par une Nation éclairée .
Que Veto foit abfolu , c'eſt porter atteinte à
la liberté des Sujets , à la gloire & à la tranquil
lité du M narque : que le Veto foit fufpenfif
& s'étende de la tenue d'une Affemblée Natio
na e à l'autre , il faut déterminer l'intervalle de
la périodicité de cette tenue , pour favoir s'il eft
plus ou moins dangereux. Gardons- nous du moins
de pofer pendant long-temps une barrière entre
le Souverain & fes Sujets ; ga dons - nous de l'ifeler
des Reprefentans de fa Nation. Il ne peur ,
il ne doit y avoir entre eux que des liens d'amour
, qu'un concert unanime , & qu'un defir
uniforme pour l'ordre & le bien. Que le Roi
daigne venir au milieu de fon véritable Confeil ;
qu'il concourre à la Loi par fon augufte fuffrage .
il la rendra plus reſpectable. Un bon Roi eft un
père qui n'est jamais mieux placé qu'au milieu de
fes enfans.
M. Treilhard. Si vous refusez la Sanction ,
le Corps législatif pourra usurper l'exécution ;
vous n'aurez plus une monarchie , mais un
Gouvernement absolu et aristocratique . Personne
ne peut se dissimuler que le Roi est
une partie intégrante de l'Etat ; il doit donc
influer sur la formation de la Loi , c'est- àdire,
avoir le droit de la sanctionner. Vondroiton
le réduire au simple droit d'un Député ,
d'un Président de l'Assemblée Nationale ? ...
Qu'on ne croie pas qu'il emploieroit un
( 138 )
droit absolu de sanction pour s'opposer à une
bonne Loi ; car il aura toujours intérêt de
s'unir au pouvoir législatif, dont il n'est
qu'une émanation .
La Constitution sans doute ne doit pas
être sanctionnée par le Roi : elle crée et
distribue les pouvoirs ; mais c'est de cette
même Constitution que le Roi doit tenir
le droit de sanctionner la Loi..... Ce droit
est encore plus essentiel , lorsque la Législation
reste dans une Assemblée unique , et
chez une Nation plus vive que réfléchie , plus
enthousiaste que froide dans la délibération.
Le veto a ses inconvéniens ; aucune institution
humaine n'en est exempte : mais il
suffit de lui opposer des contrepoids , et l'on
nous en a indiqué de très- efficaces .
M. de Beaumetz répondit par un discours
très-véhément à M. d'Antraigues , et s'efforça
de justifier le veto suspensif. Suivant cet Orateur
, le veto exercé par la Nation est de
droit naturel . Mais qui avertira le Peuple
que le Corps législatif usurpe ses droits ? Qui
répondra que toutes les parties de l'Empire
seront à- la-fois frappées de ses torts ? Il convient
donc de mettre l'intérêt de la Nation
sous la garde de l'intérêt même des passions
du Monarque , et de réunir la vigilance du
veto royal , aux lumières du veto national ...
Qu'on n'accorde pas cependant plus de confiance
à un Délégué du hasard , qu'à des
délégués élus par le choix libre de leurs
Concitoyens ; à un Délégué héréditaire , qu'à
des Délégués élus pour un temps limité ; à
un Délégué au- dessous de la Loi , qu'à ceux
dont les besoins mêmes et les intérêts personnels
sont soumis à la Loi . Si le Corps
législatif devient ambitieux , c'est alors que
( 139 )
la Sanction sera nécessaire . Le pouvoir exécutif
se défendra lui -même contre toute invasion
à son autorité ……… .. *
J'adopte , ajouta M. de Beaumetz , l'avis
de M. de Mirabeau ; mais je combattrai ses
moyens. Est -il raisonnable , que pour une
seule mauvaise Loi , ou qui paroîtra telle
au Roi , le Corps législatif soit dissous et
réduit en poudre ?
La suspension des impôts arrêteroit moins
le Roi , qu'elle ne seroit nuisible à la Nation
exe- même . Il existe un moyen plus str
et plus paisible. Toute Loi ne pourra être
établie sans la Sanction Royale ; aucune ne
pourra être proposée deux fois pendant la
même Session. Le Roi sera obligé de motiver
son refus , et d'exposer s'il croit la loi
fondée sur quelque erreur , ou s'il la croit
contraire à son autorité . Dans le premier
cas , l'Assemblée suivante la pourra présenter
à la Sanction sans amendement , et le
Roi ne pourra refuser. Dans le second cas ,
les Bailliages seront convoqués pour expliquer
leur vou ; et si la majorité adopte la
Loi , le Souverain la sanctionnera. Dans
aucun cas , le Roi ne pourra amender une
Loi qui lui aura été présentée.
M. Faydel rapporta les termes de fon mandat.
Il lui preferit de déclarer que le Royaume de
France eft Monarchique , que la Couronne ett héréditaire
de mâle en mâle & de branche en branche
, fuivant l'ordre de primogéniture ; & qu'il ne
peut y avoir de bonnes lois , que celles faites par
l'Aſſemblée nationale , & fanctionnées par le Roi ,
Il demanda qu'on exprimât mieux les lois des
cahiers , afin que des Délégués ne puffent pas
foumettre toute la Nation à des voeux contraires
à ceux de la Nation.... Faifant alors abftraction
140
)
des marda's , il pafia à ' a difcuffion de la fanction.
Le pouvoir légiflat f , a-t-il dit , fera toujou
s ambitieux de partager avec le Suverain le
pouvoir exécutif , & voudra toujours fuivre la volont
voilà Is caufes qui nous faifoient retomber
dans l'ariftocratie & le defp. tifme . Qui pour a
vous garantir de cate confefio de cuvoirs , fi
elle n'eft arrêtée par la fanction royale ?...Il developpa
alors l'utilité de cette rivalité de pouvoirs ,
confi mée par l'exemp'e ds ancienres Répebliques
de la Grèce , ainfi que de Rome , Carthage
, &c .
1
D'ai eurs , Meffieurs
, continua
-t-il , cere fance
tron eft déja un doit du Roi , que nous ne pou➡
vons
pas lui ôter. Nous
ne fommes
¡ oint une
Société
niante
; ce n'eft pas un Roya me qui fe
forme. C'eft un peuple
Monarchique
, qui n'a pas
envoyé
fes Rep éfentars
pour créer fa- Conftiution
, mais pour la rétabli
. De-là , je conclus
que
le Roi hérite de fa puiffance
exécutive
; que c'eft
un doit
inhérent
à la fucceffion
de la Couronne
;
que puifque
cette puiffance
exécutrice
eft indépendante
du peuvci
conftituant
, il doit être lib e au
Rei de refufer
l'exécution
des lois ; la fanction
ne peut donc lui être refufce
. Ainfi , foit que
l'Affemblée
foit permanente
cu périodique
, foit
qu'elle
foit compofée
d'une
cu plufieurs
Chambres
, je fuis d'avis
qu'aucone
oi ne foit établie
fans le confentement
du Roi ; & qu'à l'égard
de
éelles
de la Corftitution
, le Roi pourra
déclarer
au peuple
cells qu'il croiroit
contraires
à la prérogative
oya'e.
M. de Laipaud trouva impoffible toute a tre
veto que le vero fufp.nfif... Qu'eti- ce qu in gouver
cmet mo archique , di - i ? C'est celui où un
feul eft hargé de faire exécuter ' a v. lonté de tous.
S le Roi ponvot s'opposer à care val mé sénérale
, i feroit fupérieur à la volonté de a Na(
141 )
tion. Donner au Roi le veto indéfini , c'eſt d'c'arer
qu'un feu! individ : a plus de pouvoir que la
Nation , ce qui eft à mes yeux le comble de l'ahfurdité.
Le Roi de France n'eſt pas un Roi d Angleterre
, qui , ayant fes troupes peu nombreuies
, toujours hors des Ifles Bri anniques , ne peut
abufer de fon pouvoir & opprimer le peuple.
Lorfque les poins de la conftitution Angloffe ont
été réglés , la Nation n'stoit pas avfli éc'ai ée .
Auff eft-elle remplie dabus , & les Citoyens
inftruits défirent -ils un changeme..t de Conftitut
on.
M. Barnave repréfenta le veto fufpenfifcomme
le foutien de a liberté du peuple , de la fureté du
Monarque , de la vérité des pircipe . Les madats
impératifs n'étant relativement qu'indéterninés
, ne peuvent être qu'inftructifs . D'ailleurs ,
contre la lettre des mandats , l'Affemble a octroyé
un emprut de 80 milions . » Qu'on ne cite
plus l'exemple du gouvernement Birannique ,
formé, non par la raifon librement obfervée , mais
par le temps , l'ufage , au milieu des gue res &
des évènemens politique , où il a été réceflaire
de régocier avec les pouvoirs . Mais j'ofe dire
q'aujourd'hui , une Conftit tion qui ne feroit pas
jufte , feroit auffi difficile à exécuter , qu'une ancienne
à reformer.
" I feroit contre la raifan naturelle , que le
peuple conftituâ fan Roi légiften . Il feroit injufte
de donner à un feul homme le droit de foumettre
à fes cap ices to te uae Nation...
« Le Veto suspensif, dit un autre Opinant ,
met le Roi et le Corps Législatif dans un
---- état continuel d'émulation . Le Veto absolu ,
au contraire , mettroit le Roi et la Nation
dans un état continuel de guerre et de haine.
Le Peuple n'auroit d'autre ressource que l'in(
142 )
surrection , ou le refus de l'impôt , et quel
refus ! La Constitution ne doit pas chercher
des moyens de suspendre l'impot , mais plutôt
de l'affermir.....
Un Ministre prévaricateur seroit continuellement
le maître d'entretenir un état de
guerre entre le Roi et le Peuple. Je suppose
que le Roi ait refusé une Loi , et qu'elle
lui soit presentée une seconde fois ; s'il existe
un Ministre assez. pervers , et assez adroit
pour déterminer le Souverain à une résistance,
il n'y aura plus de milieu entre l'insurrection
ou la tyrannie ; il ne faudra qu'un Cardinal
de Richelieu , pour reduire le Peuple au point
de ne trouver de salut que dans la ruine de
la Conststution et de l'Etat.
M. Target : En théorie , il est clair que
la Nation seule a droit de faire la Loi. Le
Prince n'est qu'un mandataire chargé de la
faire exécuter. Mais la nature des choses oblige
de lui confier un grand pouvoir . Il s'agit de
savoir si son consentement est nécessaire
pour la Loi. Il faut distinguer les volontés
de la Nation , de la volonté particulière du
corps législatif. En principe , il est vrai que
la Souveraineté Nationale ne peut être sonmise
à aucune espèce de Veto. Il ne peut
y en avoir contre la Constitution , ni contre
toute autre Loi portée par la Nation . Le
Veto Royal tombe en presence de la volonté
nationale ; il ne peut donc être absolu . Parconséquent
, il est de l'essence du Veto Royal
de n'être jamais que suspensif. Ce n'est donc
qu'un appel à la Nation , et cet appel se
juge dans une Assemblée alors convoquée ,
pour laquelle la Nation déclare sa volonté.
Tout Veto est donc absolu à l'égard du Corps
( 143 )
législatif , mais suspensif par rapport à la
Nation.
M. l'Abbé Grégoire termina la Séance , en
présentant le même systême , et les réponses
déja connues aux argumens des Défenseurs
de la Sanction absolue.
Du Mercredi soir , 2 SEPTEMBRE. Dans la
foule des impostures imprimées à Paris , on
a pu en remarquer une , où l'on accusoit des
Gentilshommes du Limousin de commander
des brigands pour incendier les châteaux. La
Noblesse brûlant ses demeures et détruisant
ses propriétés , méritoit bien l'honneur d'une
mention dans les Pamphlets de quatre sous ,
qui éclairent la Capitale .
M. le Vicomte de Mirabeau a rapporté le
fait qui a donné lieu à cette histoire . Neuf
Gentilshommes s'étoient réunis et armés pour
défendre leurs héritages . Etant ensuite allés
implorer du secours à Limoges , le Peuple les
a saisis et conduits en prison . Ils reclament
jugement ou liberté. L'Assemblée les a mis
sous la sauve-garde de la loi , et autorisé son
Président à envoyer cette décision aux Municipaux
de Limoges.
Dans la même Séance , on a arrêté la
formation d'un Comité de Commerce et d'Agriculture
dont les Membres seroient pris
dans chaque Généralité.
Lu Jeudi 3 SEPTEMBRE . Il s'en falloit
bien que la question pour ou contre le Veto
fut épuisée : plus de soixante Membres étoient
inscrits pour prendre encore la parole ou la
lecture , car plusieurs de ces Harangues ont
été écrites à l'avance : toutes ne sont pas ga(
144 )
lement , luminenses , et l'on voit reparoître
fréquemment les mêmes argumens , comme
les mêmes objections . Tel est d'ailleurs le
sort des questions de parti , qu'on exagère les
avantages du principe qu'on defend , en deguisant
ses inconveniens , et des opinions si
peu balancées nuisent à la recherche de la
vérité .
Nous ne pouvons qu'indiquer les Opinans
qui ont exercé leur eloquence aujourd'hui et 、
les jours suivans : l'étendue et la nature de
leurs Discours ne permettent pas de les analyser.
MM. de Lameth et de Castellane ont été
les principaux antagonistes du Veto absolu.
Ce dernier , adoptant le Veto suspensif , a
redit qu'en se donnant un Roi , la Nation ne
se donnoit pas un maître ; que le Roi devòit
obéissance au Corps législatif; qu'en ce moment
, ce seroit désobéir aux Cahiers de les
exécuter ; qu'aucune autorité particulière ne
pouvoit s'opposer à la volonté de l'Assemblée
; enfin , l'Orateur a fait une incursion
sur l'Angleterre , sur la Chambre Haute , sur
le droit négatif.de son Roi , etc. Il a fini par
proposer , comme MM. Barnave et Beaumetz ,
l'appel au Peuple , c'est - à - dire , à tous les
Bailliages et Municipalités , des refus du Roi
de sanctionner les décisions de l'Assemblée .
M. l'Abbé Maury a manifesté d'autres principes
, et a défendu la nécessité de la Sanction
Royale par les armes du raisonnement , de
P'histoire et de l'expérience . Ce Discourš nerveux
, nourri de faits et de preuves , a reçu les
plus grands applaudissemens , malgré quelques
efforts tentés inutilement pour l'interrompre.
Nous en donnerons le précis dans
huit
( 145 )
huit jours , ainsi que ceux de quelques autres
Opinans .
Du Jeudi soir , 3 SEPTEMBRE. MM. de .
Cocherel et de Gouy d'Arsy ont plaidé de
nouveau l'importation provisoire des farines
étrangères à Saint- Domingue. Le Ministre de
la Marine ayant offert d'exposer lui - même à
l'Assemblée les motifs qui avoient décidé la
cassation de l'Ordonnance de M. du Chilleau ,
on a mis cette offre en délibération , et rejeté
l'idée d'inviter le Ministre à se rendre à l'Assemblée.
Le 31 Août , M. Roussillon avoit représenté
qu'un objet si important pour le Commerce
et pour la Nation , ne pouvoit être décidé
, qu'au préalable on n'eût entendu les
instructions du Ministre de la Marine et celles
du Commerce. Il rappela le projet de formation
d'un Comité de Commerce , et d'y renvoyer
la réclamation des Américains . Cette
Motion de M. Roussillon fut délibérée et
acceptée dans cette Séance , et le Comité
formé le 4.
Du Vendredi 4 SEPTEMBRE. Suivant la
résolution prise deux jours auparavant , on
à réuni la discussion des trois articles , de la
Sanction Royale , de la Permanence et du
nombre des Chambres de l'Assemblée. MM .
de Sèze, Sale , de Marnesia , Target , Demeunier,
ont , les premiers , occupé la Tribune ,
et exposé chacun des avis différens sur les
trois questions.
M. Rabaud de Saint- Etienne , combattant'
la balance des pouvoirs , telle qu'elle existe '
en Angleterre , et la Sanction absolue , a pro
posé un Veto suspensif , et une Assemblée
Nº. 37. 12 Septembre 1789. G
( 146 )
Nationale permanente , en activité annuelle
pendant quatre mois .
M. Dupont a exposé un autre plan , plus
étendu , qui embrasse la formation de deux
Chambres , et le renvoi des Lois aux Electeurs
, en cas de refus de la part du Roi.
M. de Clermont - Tonnerre s'est décidé ,
après un examen sage et impartial des questions
, pour la Permanence , pour une seconde
Chambre , soit Sénat électif, et pour le Veto
illimité.
M. le Grand a terminé la Séance par nombre
d'observations contre la formation d'un
Sénat , et cependant en faveur de deux Chambres
, et de la Sanction suspensive.
DU SAMEDI 5 SEPTEMBRE . La grande
discussion de la veille a recommencé dès
l'ouverture , et d'abord par M. de Bousmard ,
en faveur de la Permanence et de l'unité de
l'Assemblée , mais aussi en faveur de la Sanction
absolue.
M. Gleizen , Député de Rennes , alloit lire
un nouveau Mandat impératif de ses Commettans,
contre cette Sanction , lorsqu'on a décidé
que cette lecture seroit revoyée au moment
où M. Gleizen auroit le tour de la parole .
5 M. Thouret , dans un discours abondant ,
et conforme à l'esprit de l'éloquence délibérative
, a maintenu la Permanence , l'Unité
de l'Assemblée , et la Sanction indéfinie ,
c'est- à- dire pure et simple.
MM. Armand, la Poule , Péthion de Villeneuve
, admettoient la Permanence et l'indivisibilité
du Corps législatif, et un Veto
suspensif , soit appel au Peuple.
M. Mounier , parlant au nom du Comité
de Constitution , a défendu la pluralité des
Chambres , le Sénat à vie , et la Sanction
( 147 )
Royale absolue , exprimée seulement par ces
mots : Le Roi examinera. L'opinion de M.
Mounier ne peut être morcelée : cet Orateur
a montré de nouveau une grande puissance
de raisonnement , et non moins de fécondité
dans les moyens , de connoissance de l'Histoire
et des Législations politiques , enfin
de ce courage d'esprit qui tient à celui du
caractère. « Quand les scélérats , a- t- il dit ,
qui osent menacer les Représentans de
« la Nation , tireroient leurs glaives sur nos
« têtes , il faudroit décreter ce Veto`qui fera
le salut de la Patrie.
"
་་ >>
M. le Comte Mathieu de Montmorenci a
prononcé un très -long Discours , pour persuader
l'Assemblée de la nécessité d'une Assemblée
permanente et unique à laquelle
on joindroit un Conseil de révision sans négative.
L'appel au Peuple est le seul effet
qu'il ait laissé à la Sanction Royale. Le der
nier avis n'a pas été celui de M. Duport, qui ,
regardant l'Appel au Peuple comme la promulgation
de l'anarchie , lui substituoit un
Veto suspensif jusqu'à la troisième Session ,
qui en suivroit l'exercice .
2
Du Samedi soir 5 SEPTEMBRE. M. le Marquis
de la Salle , objet de soupçons injustes ,
dont nous avons , dans le temps , rapporté l'origine
et la nature , s'étoit constitué Prisonnier
à l'Abbaye Saint - Germain , d'où il a
sollicité son élargissement de la justice des
Représentans Nationaux . Convaincue de celle
des plaintes de M. de la Salle , et de son
innocence , l'Assemblée unanime a chargé
M. le Président de demander aux Representans
de la Commune de Paris la liberté du
Prisonnier.
Gij
( 148 )
De nouveaux Rapports du Comité des subsistances
, sur lesquels il n'a été pris aucune
solution définitive , ont mis fin à la Séance .
Du Lundi 7
SEPTEMBRE. Les trois questions
fondamentales ont été remises en débats.
M Lanjuinais a argumenté contre le
Veto indéfini , justifié & défendu de nouveau
par MM. de Virieux et Malouet . M. l'Abbé
Sieyes a ouvert un nouvel avis , en propo
sant de commencer par organiser les Assem
blées élémentaires , sources premières du Pouvoir
législatif. M. le Marquis de Sillery s'est
élevé contre toute précipitation , contre toutes
solutions trop définitives. Tel doit être , à ce
qui paroît , le terme de la discussion ; car il
a été décidé de mettre les articles aux voix ,
dans la Séance de Mercredi prochain .
On ne jugera que bien imparfaitement
` de l'intérêt de ces dernières Séances , et
'des opinions qu'on y a balancées sur le
croquis rapide que nous venons de présenter.
Cette réserve est d'obligation
lorsqu'il faut se charger de rendre compte
des sentimens de 30 Députés sur des
questions si graves. Nous serons mieux
instruit dans huit jours , et nous reprendrons
alors les principaux Discours.
Il est à remarquer que plusieurs , faits
à l'avance , ont été lus ; ce qui éternise
les délibérations . Ces Mémoires changent
une Assemblée politique en Académie;
ce n'est ni débattre , ni discuter ,
ni délibérer , que de présenter un Recueil
de Motions et de Dissertations devant
un Corps politique , dont l'arme ne ré(
149 )
side , ni dans les yeux , ni dans la mémoire.
Les Anciens nommoient Rhéteurs
, et méprisoient les Rédacteurs de
Discours prémédités : ce ne fut qu'au
temps de la décadence du génie , de la
liberté et de l'Etat , qu'on souffrit dans.
la Tribune , des Déclamateurs qui venoient
répéter la leçon de leurs maîtres
. Les Polonois ont banni cet abus
de leurs Diètes . On ne souffre aucune
lecture au Parlement d'Angleterre ; quiconque
est connu pour y débiter des
harangues apprises , est youé à la dérision
et au décri publics. Il est vrai que les
Anglois sont des barbares , des ignorans ,
des esclaves on nous le répète si souvent
de souvenir, d'impromptu , par
imprimés et par lectures , qu'on ne doit
plus s'élever contre ces décisions. Une
tête de 25 ans , meublée de brochures
politiques , en sait plus aujourd'hui que
tous les Sages anciens et modernes.
Supplément à l'Assemblée Nationale.
LETTRE AU REDACTEur.
» J'aprend , Monfieur , que le Journal patriote
du 8 août , & d'autres Feuilles , imputent à un
Député du Mont- Jura , d'avoir foutenu dans
l'Allemblée Nationale , contre le voeu de fes
Commettans , que la main-morte réelle ne devoit
pas être abolie fans indemnité . Je dais la
vérité au Public , au Député du Mont- Jura , à
fes Commettans & aux miens ; & cette vérité eft
que c'eft moi qu' , fuivant mes cahiers , ai repré-
Giij
( 150 )
fenté à l'Affemblée Nationale , que je confidérois
la main - morte réelle , comme ure propriété dont
les Seigneurs ne devoient pas être dépouillés fans
indemnité . Loin d'avoir appuyé certe op nion ,
M. Chrift n, Député de la capitale du Mont-Jura ,
avoit demandé la parole , & étoit monté à la
Tribune pour la combattre ; ce qu'il fut difpenfé
de fare , parce que l'Afemblée , fuffifamment
inftruite , prononça le Décret d'abolition . Je vous
prie , Monfieur , d'inférer cette Lettre dans votre
Journal , comme contenant une vérité de fait
que tous les Membres de l'emblée Nationale
peuvent attefter comme moi.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Le Cointe DE DORTAN , Député
de la Nob'sfle de Dole , Ornans
& Quingey .
Verfailles , ce 31 Aout 1789 .
Jamais il n'y eut d'injustice plus révoltante
et plus dangereuse que celle
qui fait le sujet de la lettre précédente .
M. Christin soutient la cause des serfs
du Mont-Jura , depuis 22 ans . Il a été
l'Avocat des Habitans de Saint - Claude ,
contre l'Evêque et le Chapitre ; il les a
défendu à ses frais : il est cité avec gloire
à chaque page des ouvrages de Voltaire ,
relatifs à cette servitude . Il a composé ,
en faveur des serfs , un Mémoire qu'il a
fait distribuer dans les Bureaux de l'Assemblée
Nationale. Il attendoit avec impatience
le moment favorable de plaider
leur cause , lorsque MM . le Vicomte de
Noailles et Duc d'Aiguillon le prévinrent
dans la soirée du 4 Août . Il a de(
151 )
mandé la parole pendant plusieurs jours ,
et n'a pu parler , très- malheureusement
pour lui , puisque sa famille a manqué
d'être la victime de son silence forcé.
De Paris , le 10 Septembre.
Le défaut de place nous força , la semaine
dernière , de remettre à celle- ci
le dispositif suivant , de la Déclaration
du Roi , concernant l'Emprunt de 80
millions.
Sa Majefté , approuvant dans tous les points.
la Délibération & le Décret de l'Affemblée Natinale
, a ordonné & ordonne ce qui fuit :
Art. I. Il fera ouvert au Tréfor royal un Emprunt
National de Quatre- Vingts Millions , & le
fieur Duruey , Adminiftrateur chargé de la recette
& des caiffes , eft autorifé à recevoir les
fonds des perfonnes de tout état & de tout pays
qui voudront s'y intéreffer , & leur en délivrera
des quittances de finance au porteur , avec promeffe
de les convertir en contrats , à la volonté
des prê:eurs.
II. Les quittances de finance ou les contrats
dans lesquels les porteurs feront libres de les con
vertir , porteront un intérêt de Cing pour cent ,
dont la jouiffance courra du premier jour du quartier
dans lequel on aura fait le payement ; &pour
cet effet , les quittances de finance qui ne feront
pas converties en contrats , feront garnies de coupons
d'intérêt , payables à bureau ouvert , & fans
diftinction de numéros , au Tréfor royal , de fix en
fix mois , à commencer du premier Janvier prochain
.
III . On payera au Tréfor royal , en argent
comptant , la moitié du capital pour lequel on
Giv
( 152 )
voudra s'intérefer dans l'Emprunt , & l'on fournira
pour l'autre moitié les Effers royaux au porteur
de toute nature , & les contra s échus en
remboursement ; les capitaux feront reçus en
compte à aifon du dernier Vingt des intérêts
excmpts de retenue , qui y font attachés.
IV. Ainfi , pour acquérir , par exemple , une
quittance de finance de mille livres , il faud- a donner
cinq cens livres pour la moitié en argent compsant
, & pour l'autre moitié , nn capital de cinq
cens livres en Effets à Cinq pour cent fans retenue
, ou un capital de fix cens vingt - cinq livres
à Quatre pour cent , & dans ces mêmes proportions
pour les Effets dont les intérêts font
fujets à des retenus .
>
V. Les reconnoiffances fournies par le Tréfor
royal , à ceux qui fe font intéreffés à l'Emprunt
National de Trente Millions , feront reçues dans
cer Emprunt-ci comme argent comptant.
VI. Les quittances de finance qui feront délivrées
, & les contrats qui feront conftitués , feront
numérotés à l'effet du remboursement ci - après
énencé .
VII. Ce remboursement fera d'un Dixième
foit de Huit millions chaque année ; le premier
tirage fe fera dans les premiers jours de Décembre
de l'année prochaine , & les autres fucceffivement
d'année en année à la même époque.
VIII. Les intérêts qui pourront être dus fur les
Effets qu'on donnera en payement , feront alloués
comme complant jufqu'au jour où l'intérêt du
préfent Emprunt commencera à courir ; & quast
aux Effets dont l'intérêt auroit éré payé d'avance ,
les prêteurs feront obligés de reftituer lefdits intérêts
depuis le jour où l'intérêr du préfent Emprunt
commencera à courir à leur profit , jufqu'à
l'échéance des fufdits Effets .
IX. Les effe : s & contrats qui feront fournis
( 153 )
pour moitié dudit Emprunt , feront conftatés par
un procès-verbal qui fera dreffé par deux Commiffaires
de notre Chambre des Comptes , que
nous nommerons à cet effet ; & lorfque l'Einprunt
fera rempli , les Effets au porteur feront
par eux incendiés , & le procès- verbal qu'ils en
drefferont fera rapporté par ledit ficur Duruey
, avec les contrats éteints dans la forme
ordinaire , pour juftifier des recettes & dépenfes
dudit Emprunt. Et feront fur la préfente
Déclaration toutes Lettres patentes néceflaires expédiées
.
Fait à Versailles , le vingt-huit Août mil fept
cent quatre- vingt- neuf. Signé LOUIS. Et plus
bas , par le Roi . Signé le Comte DE SAINTPRIEST.
LETTRE DU ROI aux Archevêques et
Evêques de son royaume.
A Verfailles , ce 2 Septembre 1789.
MESSIEURS ,
9%:
Vous.connoiffez les troubles qui défolent mon
Royaume; vous favez que dans plufieurs Provinces
, des brigands & des gens fans , aveu s'y font
répandus , & que non contens de fe livrer euxmêmes
à toutes fortes d'excès , ils font parvenus à
foulever l'efprit des Habitans des Campagnes ; &
portant l'audace jufqu'à contrefaire mes ordres
jufqu'à répandre de faux Arrêts de mon Confeil ,
ils on perfuadé qu'on exécuteroit ma volonté ,
ou qu'on répondroit à mes intentions en attaquant
les Châteaux , & en y détruifant les archives &
les divers titres de propriétés. C'est ainsi qu'au
nom du Souverain , le Protecteur-né de la juſtice ,
& au nom d'un Monarque qui , je puis le dire
s'en eft montré le conftant défenfeur pendant fon
Gy
154 )
règne , on n'a pas craint d'exciter le peuple à des
excès , que les plus tyranniques oppreffeus auroient
craint d'avouer. Enfin , pour augmenter la
co fufion & réunir tus les malheurs , une contrebande
foutenue à main armée , détruit avec un
progrès effrayant les revenus de l'Etat , & tarit
les reffources deftisées , ou au payement des dettes
les plus légitimes , ou à la folde des troupes de
terre & de mer , ou aux diverfes dépenfes qu'exige
la fûreté publique.
Ce n'eft pas tout encore ; un nouveau genre de
calamité a pénétré mon ame de la plus fenfible
affliction : mon peuple , renommé par la douceur
de fes moeurs & de fon caractère ; mon peuple ,
dans quelques endroits , heureuſement en petit
nombre , s'eft permis d'être l'arbitre & l'exécuteur
de condamnations que les dépofitaires des lois ,
après s'être livrés au plus mûr examen , ne déterminent
jamais fans une fecette émotion.
Tant de maux tant d'afflictions ont oppreffé
mon ame ; & après avoir employé , de concert
avec l'Affemblée nationale , tous les moyens qui
reftent en mon pouvoir pour arrêter le cours de
ces défordres ; averti par l'expérience des bornes
de la fageffe humaine , je veux implorer publiquement
le fecours de la divine Providence , eſpérant
que les voeux de tout un peuple , toucheront un
Dieu de bonté , & attireront fur ce Royaume les
bénédictions
dont il a tant de befoin. La beauté
des moiffons dans la plus grande partie du Royaume,
ce bienfait devenu fi néceffaire & fi précieux ,
femble
annoncer que la protection du ciel ne nous
eft pas encore entièrement retirée , & nous aurons
ainfi des actions de grâces à joindre à nos prières.
Accompagnez
ces prières des exhortations les plus
preffantes ; faites fentir au peuple , faites fentir
à tous mes fujets , que la profpérité de l'Etat , que
le bonheur des Particuliers , dépendent eſſentielle(
155 )
ment de l'exacte obfervation des lois. La violence
re peut jouir qu'un moment de fes fuccès & de
fes profpérités criminelles ; on s'élève bientôt de
toutes parts contre elle , & les hommes qui rompent
le pacte focial , ce fondement de la tra quil
lité publique , en reçoivent tôt ou tard la peine
inévitable.
Nulle part les fortunes ne font égales , & elles
ne peuvent pas l'être ; mais quand les riches vivent
fa s défiance au milieu de ceux qui le font
moins , leur fuperflu fe reverfe néceffairement fur
l'induftrie , le commerce & agriculture ; & comme
leurs jouiflances font bornées par les lois immuables
de la Providence , fouvent ils font moins heureux
que ceux dont la vie , occupée par le travai !,
fe trouve à l'abri du tumulte des paffions. Mais
ce que vous devez fur- tout rappeler à mes fujets ,
c'eſt qu'en raflemblant autour de moi les Repréfentans
de la Nation , j'ai eu principalement à coeur
d'adoucir te fort du peuple par toutes les difpofitions
qui me paroîtroiest pouvoir fe concilier
avec les devoirs de la juftice . Déja , par un même
efprit , les Prélats , les Seigneurs , les Gentilshommes
, les hommes riches de tout état , fe difputent
à l'envi les moyens de rendre le peuple
plus heureux , & pour atteindre à ce but , ils offrent
des facrifices qu'on n'auroit pas eu le droit
d'exiger d'eux. Exhortez donc tous mes fujets à
attendre avec tranquillité le fuccès de ces difpofitions
patriotiques : éloignez-les , détournez - les
d'en troubler le cours par des infurrections propres
à décourager tous les gens de bien, Que le
peuple fe confie à ma protection & à mon amour:
quand tout le monde l'abandonneroit , je veillerois
fur lui ; mais jamais dans aucun temps il n'y
a eu en fa faveur un concours plus général de
volontés & d'affections de la part de tous les ordes
de la fociété. Exhortez - le donc , au nom de la
Gvj
( 156 )
Religion , à être reconnoiffant , & à montrer co
fentiment par fon obéiffance aux lais de la juftice :
avertiffez , inftruifez ce bon peuple des piéges
des méchans , afin qu'il rejette loin de lui , comme
des ennemis de la patrie , tous ceux qui voud oient
l'induire à des actes de violence , tous ceux qui
voudroient le détourner de payer fa part des charges
publiques , & le priver ainfi de l'honorable
qualité de Citoyen de l'Etat .
Les divers impôts qui compofent les revenus
pub'ics feront examinés dans le cours de l'Aſſemblée
nationale ; ceux qui paroîtront trop onéreux ,
feront remplacés par d'autres , & tous feront
adoucis fucceffivement par le ménagement & la
régularité des perceptions. Mais jufqu'à l'époque
prochaine, où les affaires feront arrangées , tous
mes fujets ont un égal intérêt au maintien de l'ordre
car la confufion entraîne la confufion , &
fouvent alors la fageffe des hommes eft impuiffante
pour remedier à la grandeur des maux , &
pour arrêter le progrès des inimitiés & des déhances
mutuelles. Je ferai pour le rétabliſſement
de l'ordre dans les finances , tous les abandons
perfonnels qui feront jugés néceffaires ou convenables
; ca no pas feulement aux dépens de la
pompe ou des plaifirs du trône , qui depuis quelque
temps fe font chargés pour moi en amertumes
, mais par de plus grands facrifices , je voudrois
pouvoir rendre à mes fujets le repos & le bonheur.
Venez donc à mon aide, venez au fecours de
P'Etat par vcs exhortations & par vos prières ; je
vous y invite avec inftance , & je compte fur
votre zèle & fur votre obéiflance.
L'agitation du Palais-Royal s'est calmée
par l'interposition de la Milice Parisienne .
Voici un précis des circonstances de ce
?
( 157 )
mouvement, de son but et de son issue :
Les idées répandues depuis quelques jours ,
contre le Veto et contre le projet du Comité
de Constitution , firent explosion le dimanche
30 août dans le Palais - Royal ; elles étoient
enracinées dans la tête de M. de St. Huruge ,
Gentilhomme de Bourgogne , renfermé longtemps
à Charenton . Il couroit les cafés ,
disant qu'il falloit arrêter le haut Clergé , en
faire justice , punir les traîtres des Communes
, qui abandonnoient la cause du peuple ,
etc. etc. , et fit des prosélytes . Bientôt s'élevèrent
d'autres prédicans , d'autant plus impétueux
qu'ils étoient moins instruits . Ceux - ci
disoient que l'Empereur avoit fait la paix
avec le Turc , et qu'il avançoit avec une
armée de cent mille hommes : ils proposoient
d'aller chercher le Roi et le Dauphin qu'ils
garderoient au Louvre , n'étant plus en sûreté
à Versailles ; ils désignoient d'autres
personnes dont il étoit important de s'assurer,
celles que l'on conduiroit à la lanterne , celles
qui ne méritoient que le carcan , ete . Ce
n'étoient - là cependant que les acteurs du
dehors ; les vrais Tragédiens étoient dans le
Café de Foy , et leur troupe s'intituloit Assemblée
patriotique. Ces patriotes faisoient
des Motions plus raisonnées ; ils parloient
de la Sanction Royale ; ils connoissoient fe
Veto. Après s'être bien enflammés mutuellement
, voici l'arrêté qu'ils dressèrent vers les
2 heures du soir , pour être envoyé aux différens
Districs et aux Provinces :
- « L'article II de la Déclaration des droits
porte la libre communication des pensées ,
etc.; nous sommes actuellement au moment
décisif de la liberté françoise ; instraits que
( 158 )
-
plusieurs Membres s'appuient sur différens
articles des cahiers , il est temps de les rappeler
, de les révoquer ; et puisque la personne
d'un Député est inviolable et sacrée ,
leur procès leur sera fait après leur révocation.
Le Veto n'appartient pas à un seul
homme , mais à 25 millions. Les Citoyens
réunis au Palais-Royal pensent que l'on doit
révoquer les Députés ignorans , corrompus
et suspects . Délibéré au Palais -Royal , ce 30
août. –Il a été arrêté unanimement de partir
sur- le-champ , tant pour y arrêter l'effervescence
Aristocratique , que pour y protéger
les jours des dignes Députés qui y sont en
danger. D'après cette résolution , 10 à 12
Députés , M. de St. Huruge à leur tête ,
partirent pour Versailles il étoit alors près
de minuit. 80 ou 100 curieux les accompagnoient
, et les quittèrent à la place Louis
XV.
:
L'Hôtel-de-Ville très bien informé de leurs
dispositions , avoit envoyé des patrouilles sur
le chemin ; en sorte que MM les Députés ,
à peine arrivés à Passy , furent obligés de
rebrousser chemin. Le lendemain , M de la
Fayette fit sentir à M. de St. Huruge l'irrégularité
de sa conduite : celui - ci se rejeta sur
son zèle , et offrit de remettre le calme ; on
le vit , en effet , en tête de la patrouille du
Palais Royal , aussi disposé à contenir les
Motionnaires que la veille il s'étoit montré
ardent à les exciter.
Ce même jour 1er. Septembre , les
Représentans de la Commune firent afficher
l'Extrait suivant de leur Procèsverbal.
L'Assemblée des Représentans de la Com(
159 )
mune , profondément indiguée de ce qui s'est
passé ces jours derniers au Palais -Royal ;
Voyant avec une nouvelle douleur que ,'
lorsque soixante Districts sont ouverts au zèle
des Citoyens pour discuter leurs vues sur le
bien public , on continue à profaner par des
calomnies atroces et des Motions sanguinaires
, la demeure d'um Prince également chéri
et honoré de la Nation ;
Voyant , dans ces mouvemens séditieux ,
les derniers efforts des ennemis de la Nation ,
qui essaient , par une subversion générale ,
de nous faire regretter l'affreuse paix du Despotisme
;
Sentant combien il importe à la prompte
régénération du royaume de s'en rapporter ,
sur les grandes questions qui s'agitent aujourd'hui
dans l'Assemblée Nationale , aux grands
principes qui l'ont dirigée , et au sincère dévouement
d'un Roi Citoyen qui s'honore de
concourir au bien général ;
Convaincue de la nécessité d'éteindre , dés
sa naissance , un incendie qu'on voudroit répandre
dans tout le royaume , et d'étouffer
des complots secrets et pervers dont des Citoyens
honnêtes et trompés pourroient devenir
eux-mêmes les victimes , après en avoir été
involontairement les complices ;
Persuadée qu'il est de l'honneur de la Ville
de Paris de préserver le royaume de la crainte
des troubles les plus désastreux , après l'avoir
sauvé des attentats de la tyrannie Ministérielle
;
Egalement blessée d'avoir vu la dignité de
la chose publique compromise par les menaces
et les gestes que se sont permis , jusques dans
son sein , des particuliers qui se sont dits
Députés par les Habitués du Palais-Royal , et
( 160 )
qui n'avoient été reçus dans l'Assemblée , que
parce qu'ils s'étoient annoncés comme des amis
de l'ordre et de la paix ';
Avertie ,›`par ce cri qui s'est élevé dans l'Assemblée
Nationale : « Les Chefs de la Commune
de Paris peuvent- ils garantir aux Représentans
de la Nation la tranquillité de leurs
délibérations ? » qu'elle a un devoir sacré à
remplir , sur lequel elle regarderoit un doute
comme le reproche le plus humiliant ;
Déterminée par de si puissantes considérations
:
L'Assemblée déclare qu'elle persiste invariablement
dans ses arrêtés contre les attroupemens
et les Motions du Palais - Royal ;
Que rien ne pourra plus l'engager à suspendre
les mesures les plus sures pour réprimer
des désordres qui pourroient enlever à
la France les fruits de la plus heureuse révolution,
et deshonorer le caractère des François ,
En conséquence , elle charge M. le Commandant-
Général de déployer toutes les forces
de la Commune contre les Pertubateurs du
repos public ; de les faire arrêter et constituer
dans les prisons , pour leur procès être instruit
selon la nature des délits ;
Elle ordonne que le présent Arrêté sera ,
sur- le - champ , envoyé dans tous les Districts ,
pour qu'ils aient à veiller et à concourir à
son exécution ; et elle invite tous leurs Alembres
à en signer un Exemplaire , afin qu'il
devienne un désaveu authentique de tous les
excès et désordres dont la ville de Paris auroit
éternellement à rougir , si de vrais Citoyens
pouvoient être soupçonnés d'y avoir eu part.
Signés , Vauvilliers , Blondel et Vicendon ,
Présidens ; Brousse- Desfaucherets , et de
Joly , Secrétaires .
( 161 )
Malgré cet Arrêté , à huit heures du
soir , le café de Foy se remplit , les Motions
recommencèrent , et la foule écoutoit.
Au milieu des bravo redoublés , se
présenta une Patrouille Bourgeoise ;
d'autres la suivirent la terreur s'empara
des Orateurs et Auditeurs , et le café
fut bientôt vide . Le lendemain , M. de St.
Huruge fut arrêté et conduit à la prison
prévôtale du Châtelet . Quelques autres
Docteurs ont subi le même sort .
Madame Comtesse d'Artois est partic
samedi pour Turia , où le Prince son
Epoux est arrivé depuis trois semaines.
Le même jour , les quatre bataillons -
de Gardes- Suisses ont prêté , à l'Hôtelde-
Ville , le serment décreté par l'Assemblée
Nationale , et sanctionné par
Sa Majesté .
Peu d'instans avant le retour de M.
Necker, on répandit une prétendue lettre
du Roi à ce Ministre , et sa Réponse .
L'une et l'autre se distribuèrent avec
profusion , furent réimprimées dans diverses
Feuilles publiques ; et comme ,
depuis quinze jours , elles restoient sans
aucune réclamation , ce silence affoiblit
les doutes violens que nous avions sur
leur authenticité . En effet , il a existé
une lettre et une réponse ; on nous en
a adressé dernièrement la copie exacte
qu'on va lire , et en la confrontant avec
les suppositions qu'on a eu la témérité
( 162 )
de publier , on pénétrera facilement le
but de cette imposture .
Lettre du Roi à M. NEcker.
Versailles , le 16 Juillet 1789 .
« Je vous avois écrit , Monsieur , que dans
un temps plus calme je vous donnerois des
preuves de mes sentimens ; mais cependant
le désir que les Etats - Généraux et la ville de
Paris témoignent , m'engage à hâter le moment
de votre retour. Je vous invite donc à
revenir le plas tót possible reprendre auprès
de moi votre place . Vous m'avez parle , en
me quittant , de votre attachement : la preuve
que je vous demande est la plus grande que
vous puissiez me donner dans cette circonstance.
>>
"
Signé , LOUIS .
Réponse de M. Necker.
SIRE ,
Je touchois au port , que tant d'agitations
me faisoient désirer , lorsque j'ai reçu la lettre
dont Votre Majesté m'a honoré . Je vais retourner
auprès d'Elle pour recevoir ses ordres
, et juger de plus près si en effet mon zèle
infatigable et mon dévouement sans réserve
peuvent encore servir à Votre Majesté. Je
crois qu'Elle me désire , puisqu'Elle daigne
m'en assurer , et que sa bonne foi m'est connue
; mais je la supplie aussi de croire , sur
ma parole , que tout ce qui séduit la plupart
des hommes élevés aux grandes places , n'a
plus de charme pour moi , et que sans un
sentiment de vertu , digne de l'estime du Roi ,
c'est dans la retraite seule que j'aurois nourri
( 163 )
l'amour et l'intérêt , dont je ne cesserai d'être
pénétré pour la gloire et le bonheur de Sa
Majesté. »
Signé , NECKER.
Basle en Suisse , le 23 Juillet 1789.
Par un Arrêté unanime , du 29 août
le District des Blancs - Manteaux a
ouvert une Souscription Patriotique et
Volontaire , dont le terme sera prorogé
jusqu'au 20 d'octobre inclusivement
pour laisser aux Citoyens qui pourroient
être à la campagne , ou qui n'auroient
pas encore reçu leurs rentes , la satisfaction
de participer à cet acte de patriotisme.
Les contributions seront remises
entre les mains de M. Fourcault
de Pavant , Notaire et Trésorier du
District , lequel donnera des récépissés
aux personnes qui en demanderont.
Le 20 octobre , les fonds seront versés
entre les mains du Trésorier que M.
Neckerindiquera .
Le présent Arrêté sera envoyé à M.
le Président de l'Assemblée Nationale ,
aux Représentans de la Commune , à
tous les Districts , à M. Necker , et
affiché dans l'étendue du District des
Blancs - Manteaux. On imprimera la
liste des Contributions et celle des Sauscripteurs
, s'ils le désirent.
Le même zèle avoit produit le même
effet dans celui de Saint - Nicolas - des-
Champs.
7
( 164 )
Nous venons de recevoir une lettre , que
les bornes de ce Journal ne nous permettent
pas d'y insérer en entier. Eile est relative à
M. Bessin , Procureur au Châtelet , Commandant
la Garde Bourgeoise de Saint -Merry .
Des Feuilles périodiques ont dit qu'il avoit
plutôt pris qu'obtenu la parole dans la Séance
de l'Assemblée Nationale , du 18 Juillet dernier
, où il s'étoit présenté pour engager M.
Target à demander des secours pour les Habitans
du Faubourg Saint- Antoine . Le fait est
que n'ayant pas eu le bonheur de trouver
M. Target , et emporté par son zèle , il peignit
leur état de détresse à quelques Députés
qui se trouvoient dans la pièce qui sert de
vestibule à la Salle . On l'y porta , et une fois
entré , il s'adressa à M. l'Archevêque de Paris ,
qui lui promit des secours. Un Membre de
l'Assemblée exigea qu'il communiquât à haute
voix les motifs de sa démarche : ille fit en
parlant d'après son coeur , et les Députés de
la ville de Paris votèrent les 45000 liv . dont
la distribution a été faite aux indigens du
Faubourg Saint- Antoine, Il est certainement
extraordinaire qu'une action aussi louable quecelle
de M. Bessin , ait été l'objet de rapports
altérés , qui ont donné lieu à des interprétations
malignes , faites pour décourager les Citoyens
zélés.
Nous devons une mention abrégée de
différentes lettres que nous avons reçues
de plusieurs Provinces , et qu'il nous a
été impossible de placer plutôt.
Un de nos Abonnés nous manda , le 8
Août , que la Bresse a été préservée des désastres
des provinces voisines , par les soins
( 165 ).
vigilans des Officiers de Bourg. Alarmés des
troubles de la Capitale , menacés de l'incursion
des brigands , les Habitans s'armèrent
et mirent les deniers publics sous bonne garde,
dès le 16 Juillet une jeunesse nombreuse
forma aussitôt une légion , parvenue aujourd'hui
à une Tactique Militaire fort exacte, qui ,
en se portant par pelotons là où sa présence
étoit nécessaire , a rétabli par- tout la sécurité .
Les Officiers Municipaux ont prévenu l'incendie
des titres et des châteaux : tout est demeuré
dans l'ordre ; l'acquittement des tributs royaux
n'a pas été interrompue , les brigands ne se
sont point montrés dans la Bresse ; les Habitans
du Bugey en ont garanti leurs frontières
, et ont aidé à les détruire dans le Dauphiné.
La ville de Pont - de -Vaux , dans la même
Province , dont un projet d'embellissement
avoit fait abattre les portes , prit les armes ,
le 19 Juillet , sous la conduite de MM . Racle
Ingénieur , et le Chevalier de Moncrot de Gripière.
Les avenues furent défendues par des
retranchemens et des barrières garnies chacuue
de 12 canons de deux livres de balle.
L'incendie des châteaux du Mâconnois paroissant
vouloir se propager jusqu'à Pont - de-
Vaux , M. Berthet , arrêta les Chefs de l'ameu .
tement , avant que le nombre des séditieux
pût devenir redoutable.
On doit aussi beaucoup à la prudence de
MM. Guichelet , l'un Premier Syndic , l'autre
Doyen Curé , Députés dans chaque village par
le Comité de Pont- de - Vaux , qui a eu la satisfaction
de devoir le rétablissement de la
tranquillité , bien plus encore à la persuasion ,
qu'aux armes.
( 166 )
Une lettre de Saint- Etienne en Forez , du
18 Août , nous annonce qu'il n'est peut- être
pas de ville en France , où l'alarine généralement
répandue , ait excité autant de mouvemens
et de dispositions de défense . On
prétendoit que 4000 brigands incendioient
Saint - Chamond , à deux lieues de Saint-
Etienne en moins de deux heures , 10,000
hommes sont armés , des Ecclésiastiques et
des Moines prennent le mousquet ; mais bientôt
on apprend que les brigands n'avoient
seulement pas paru à Saint-Chamond. La
sécurité rétablie dans la ville ne le fut pas
également dans les villages circonvoisins. Des
curieux entendant le tocsin , ainsi
que quelques
coups de fusil tirés par des imprudens ,
et voyant de demi-lieue une fumée épaisse
et des bouffées de flamme qui provenient
d'une cheminée , où effectivement le feu avoit
pris , regagnèrent leurs foyers , en annonçant
que Saint - Etienne étoit à feu et sang. Les
femmes , les vieillards , les poltrons et les
enfans , se réfugiérent dans les carrières de
charbon . Le jour vint et dissipa cette terreur
panique ; on n'en conclut pas moins qu'il
falloit s'armer : c'est ce qu'on a fait par- tout.
Un Volontaire d'Orléans nous écrit , que
le samedi 15 Août , 88 brigands , se disant
moissonneurs , se présentèrent à Bascon en
Beauce , et le lendemain à un château voisin ,
où ils demandèrent , sous une heure , la tête
du fils du Seigneur , M. Tassin , qui ne se
racheta que par une contribution de 1200 liv .
et le pillage de ses caves. Des Troupes bourgeoises
à pied et à cheval , de la Maréchaussée
, des Soldats du Régiment Royal-
Comtois , et des Cavaliers de Royal - Rous167'
)
sillon , donnèrent la chasse à ces brigands ,
dont on portoit le nombre à 2000 ; il étoit
sans doute fort exagéré. On en prit 45 dans
les bois ; ils seront jugés incessamment.
M. Tassin , vieillard octogénaire , à qui
les Soldats du détachement vinrent rapporter
16 louis arrachés aux brigands , voulut leur
en faire accepter 25 : douze d'entre eux les
portèrent au Comité , en priant de les disiribuer
aux pauvres d'Orléans . ,
Le 29 Juillet , une fausse alarme se répand
dans l'Angoumois et dans la Saintonge.
On annonce l'arrivée de quarante mille brigands
cette nouvelle s'accrédite , malgré
l'invraisemblance et l'exagération . Toutes les
Paroisses veulent se mettre en état de défense
, une multitude de paysans armés de
faulx de fourches , de piques et de fusils ,
tournent ces armes prises pour leur défense ,
contre les Seigneurs tant Nobles que Roturiers
, et les commis des Aides . Ils les forcent
à renoncer , par- devant Notaire , à leurs droits.
et priviléges ; ils foulent même aux pieds
les cordons et les croix . A Baigne , ville du
petit Angoumois , 2000 hommes pillent la
Direction des Aides , brûlent , déchirent les
meubles et les papiers de famille du Directeur
, emprisonnent les Commis , prennent
la recette , boivent le vin malgré tous les
efforts du Comte de Montauzier , injurié ,
forcé aux plus grands sacrifices par cette
troupe de furieux , et qui n'a sauvé sa vie
qu'avec peine. Voilà du moins ce qu'on nous
a écrit de Saintonge , et nous désirons que
ce récit soit exagéré .
« Le Seigneur du Marquisat d'Huxelles
» Cormatin , réclame en faveur des habi(
168 )
*
» tans du bourg de ce nom , la gloire qui
» doit leur revenir du service signalé qu'ils
« ont rendu à la province de Bourgogne. En
» rendant justice à la Bourgeoisie de Cluny
* qui défendoit l'Abbaye , il prétend qu'une
» trentaine de particuliers de Cormatin
» l'ayant mis à leur tête , ils ont tué vingt
brigands , fait 60 prisonniers , et dispersé
» ces scélérats , qui le lendemain devoient
» se joindre avec 12 mille autres . »
"
K
Les Officiers municipaux et Electeurs de
la ville de Melun , nous prient d'annoncer
que les Cavaliers du Régiment Royal Cravatte
ont fait distribuer aux pauvres de cette ville ,
la gratification qui leur avoit été offerte par
les Electeurs.
Une lettre de Montbard , en date du
21 août , trop étendue pour entrer dans
ce Journal , mais trop intéressante pour
la passer sous silence , puisqu'elle regarde
la mémoire de M. de Buffon , nous
apprend que le fils de ce grand homme
a été reçu , à son retour de Bayonne ,
Bourgeois de la Ville et Cité de Bordeaux
, par laquelle il passoit le 8 août
dernier.
Le Corps Municipal a donné de cette
distinction flatteuse des motifs encore
plus flatteurs . Elle a été accordée à M.
de Buffon , à l'Hôtel- de-Ville , où il
avoit été invité de se rendre , dès qu'arrêté,
faute de passe - port , il s'étoit vu forcé
de se nommer. C'est au fils d'un homme
de génie , à l'ami intime de M. et Mde.
Necker , que la ville de Bordeaux a
cru
( 169 ).
eru devoir offrir ce témoignage de son
estime pour le père , et pour les illustres
amis du Fils , Major en second du Régiment
Royal- Angoumois Infanterie.
M. de Buffon, dans sa reconnoissance ,
a fait présent à la Ville du buste de
son père. Il a assisté à la représentation
du Siége de Calais ; à la suite de la
petite pièce , une Actrice lui ayant
adressé des Couplets où on lui donnoit
le titre d'intime ami de M. Necker,
il répondit modestement : Ces MM. me
font l'honneur de me donner la qualité
d'ami intime de M. Necker ; je voudrois
la mériter, mais celle de son plus
fidèle ami me convenoit davantage ,
et étoit mieux appliquée à mon âge
et à ma façon de penser , qui ne me
permet pas de m'élever à l'autre.
Les Notables de l'isle d'Oleron nous
ont fait passer une lettre , en date du
27 juillet , dont voici le précis :
" Le Samedi 25 , à dix heures du matin , les
Notables de Fife , précédés de la mufique des
Volontair.s - Bretons , portèrent au Baron de Verteuil
la cocarde . Ce Gouverneur la reçut ainfi
que MM. du Domaine , & M. de Capy, Colonel
- Commandant les Volontaires. Le 26, le
Gouverneur & fon Etat-Major rendirent vifite
aux Notables & aux Officiers de la garniſon . On
porte par-tout la cocarde ; on crie par-tout ,
Vive le Roi, vive la Nation. »
No. 37. 12 Septembre 1789. H
( 170 )
Autre Lettre au Rédacteur.
Mâcon , le 31 Août 1789.
» Un article du No. 32 de votre Journal ,
page 140 , fembleroit indiquer que le Pailliage
de Saint-Claude a éprouvé les faneftes commotions
qui ont été fi fatales à la plupart des autres
Diftris de la Franche- Comté.
Témoin oculaire de ce qui s'y eft paffé , je crois
vous préparer une jouiffance bien douce , en vous
mettant à même de rendre une juftice méritée
à la modération , à la fageffe , aux vertus de cette
petie contrée. Non -feulement elle a été parfaitement
tranquille , mais fa tranquillité a tenu à des
principes d'ordre & de moralité , dont peut- être
on eût excufé l'oubli dans les Serfs du Mont-Jura.
J'ai vu , Monfieur , ce bon Peuple , dont l'induftrie
& le commerce font les feules reffources ,
manquer de travail & de fubfiflance , & favoir
fouffrir fans murmurer. La Municipalité de Saint-
Claude , occupée conftamment des befoins immenfes
de fes eftimables concitoyens , n'a oublié
aucune des mefures propres à les prémunir contre
des erreurs devenues trop communes ; aucune des
précautions que la fureté intérieure réclamoit , n'a
été négligée , & tel étoit l'objet de l'emprunt
d'armes demandées à la République de Genève ;
mais ces démarches n'atteftent que la prévoyance
des Officiers Municipaux .
La première étincelle de la difcorde a été pour
cet heureux canton un fignal de fraternité : auffitôt
les habitans fe raffemblent , & par une folennelle
délibération , fe hâtent de prendre fous leur
fauve-garde les perfonnes & les propriétés du
Chapitre Noble de Saint Claude , dont cependant
les droits féodaux pefoiest fur la plus grande
partie d'entre eux, Prefque au même inſtant , un
( 171 )
particulier de l'ordre de la nobleffe , qui ailleurs
peut- être eût été regardé comme un prifonnier
d'otage , eft unanimement adopté par la Commune
& proclamé citoyen ; d'iftinction plus honorable
encore dans la circonftance à ceux qui l'ont
accordée qu'à celui qui en a été l'objet .
Cette noble modération a été imitée par les babitans
même des campagnes . Un Propriétaire de
fiefs voit , avec quelque furprife , arriver chez lui
une troupe de campagnards : Nous fommes tous ,
s'écrient à l'inftant ces bonnes gens , nous fommes
tous vos vaffaux , & de vos amis ; nous ne favons
pas commettre des crimes ; vos propriétés feront
refpectées , vos droits facrés ( & ces droits étoient
ceux de main-morte.... ! ) Si vous redoutez quelque
chofe , venezparmi nous , vous aurez autant de gardes
que d'habitans. Les nombreux vaffaux du Chapitre
de Saint- Claude , comptant , avec taifon , fur les
fentimens patriotiques de leurs Seigneurs , fe font
contentés de leur propofer le rachat des droits
auxquels ils font affujetiis , quand de toutes parts
ils recevoient le dangereux exemple d'en exiger
le facrifice , & d'en confommer la ruine par le
fer & par le feu .
Rien n'eft plus intéreffant que ce rare accord
de la douceur & de l'énergie , de la modération
& du fentiment de fa force , qui règnent enfemble
dans le coeur de ces montagnards , que
certes on n'accufera pas d'ignorer leurs avantages .
J'ai quitté , avec un fentiment bien pénible , ce
fejour de la paix & des vertus fcciales , pour venir
dans ma patrie être le trifte témoin du plus
étrange & du plus affligeant des contraftes ( 1 ) .
(1 ) Le danger qu'a couru la famille de M.
Chifin , dans le Bailliage de Saint -Claude , d'après
la fauffe imputation de quelques Journaliſtes,
Hij
( 172 )
Autre Lettre au Rédacteur.
MONSIEUR ,
» Il n'eft pas poffible de l're tous les Journaux
qui paroiffent ; mais le Mercu e de France continue
à fe lire par-tout. Je vo s prie donc d'y inférer
ma lettre : elle foumer à l'examen des Repréfentans
de la Nation , une obfervation importante ,
pour une des villes du pays de Caux , fur les
fuites de la fuppreffion des juftices feigneuriales.»
« Les frais de procédures font beaucoup moins
onéreux dans les Hautes-Juftices que dans les
Bailliages ; cependant le voeu de la majeure pare
tie des Cahiers étoit de ne conferver que des
Bailliages 1 °. parce que les Hautes -Juftices font
trop multipliées , que les Seigneurs y ont trop
d'empire fur les veffaux , & que plufieurs fe refufoient
de faire les frais des Procès crimine's ;
2º. parce que plufieurs de ces Hautes- Juſtices relevoient
d'un Bailliage , quelquefois même hors
le reffort de la Province , ce qui occafionr.oit trois
degrés de jurifdiction & bien des déplacemens
pour le vide des Procès ; 3 ° . & enfin , parce qu'il
paroît plus dans l'ordre que la juftice foit rendue
par les Juges royaux. Ces motifs ont déterminé
la fuppreffion des Juftices feigneuriales. »
» Comme il n'eft point de règles fans exception
, il n'eft pas étonnant que ce te fuppreffion ,
que que fage qu'el'e foit , n'occafionne des réclamations
, dont il eft jufte de s'occuper. »
» Fécamp eft une ville qui , par fon port de
fembleroit infirmer le contenu de cette Lettre
mais , probablement , elle étoit antérieure au fit
que nous avons rapporté dans le Supplément de
l'Affemblée Nationale.
( 173 )
mer , eft devenue très- commerçante , & dont
l'étendue s'accroît tous les jours. De temps immémorial
il y exifte une Haute-Juftice , compofée
d'un Sénéchal , un Lieutenant & un Procureur-
Fifcal : elle a plus de 60 Paroiffes dans fon extention
, & n'eft reffortiffante par appel que du
Parlement de Rouen. Elle a toujours été fi bien
entretenne , que huit à dix Avocats fuffifent à
peine pour la répartition de toutes les affaires
qui s'y préfentent . Les Officiers de Juftice , &
prefque tous les Avocats , demeurent dans la ville ;
l'audience s'y tient régulièrement tous les famedis ,
& il ne peut y avoir de plaintes pour la prompte
expédition des affaires . Les plus proches Bailliages
qui l'environnent font , Montivilliers , éloigné de
6 lieues ; Cany , éloigné de 5 lieues , & Caudebec
, éloigné de 9 lieuss . "
» Lorfque certe Vile , avec fon extenfion ,
fera fans jurifdation , & forcée de recourir àl'un
des Bailliages circonvoifins , il y a lieu de crain
dre de la voir réduite à un Bourg ifolé , & l'on
doit d'ailleurs déja préfumer que fon commerce
ne peut tenir fans Juges , parce que plus une Ville
eft étendue , plus elle eft peuplée ; plus elle eft
commercante , plus elle a befoin d'ordre . Et qui
maintient l'ordre ? ce font les Lois & les Juges.
La Ville de Fécamp participe la régénération
de l'état ; elle ne doit donc pas craindre d'être
abandonnée par ceux qui en font les Repréfentans
: elle peut voir fi telle eft l'intention des Repréfentans
de la Nation. Ses Juges , deftitués &
renvoyés à l'état privé , après avoir paffé leur
vie , fans regret , à l'étude des Lois la plus fuivie
pour remplir avec honneur , & felon leurs confciences
, les obligations immenfes de leur état ;
mais au moins elle doit efpérer de voir un Bailliage
fe former dans fon enceinte , & les Hautes-
Juſtices de Valmont & Fauville , réunies à fon
Hii
( 174 )
extenfion , feroient déja prefque fuffifantes pour
le complé er. Ce n'est point un confeil qu'elle
donne , c'eſt use fupplique jufte qu'elle adreffe
par la publicité de la préfente , & qu'elle croit
devoir être exaucée .
<<
«<
DUQUIL , Lieutenant de la
Sénéchauffée de Fécamp.
De Fécamp , ce 23 Aout 1789.
« On nous écrit de Lyon , du 19 Août,
« que le 7 de ce mois , M. Jean-Fran
« cois Hilaire , Avocat consistorial de
Grenoble , voulant donner dans les
« circonstances présentes , une preuve
authentique de son respect pour tou-
« tes propriétés légitimes , qu'il sefera
« tonjours undevoirde regardercomme
inviolables et sacrées, s'est rendu chez
un Notaire royal du Comté de Cler-
« mont , à la résidence de Saint- Grégoire
, y a fait constater par deux actes
« en forme , les rentes seigneuriales qu'il
* devoit à M. le Président de Barral et
« à Mde. de Pons , dont les titres vien-
« nent d'être détruits. Un trait de ce
* genre n'a pas besoin de commentaires ;
« mais tous les gens honnêtes ne sauroient
trop s'empresser de l'imiter. »
K
C'en est trop , sans doute , d'assassiner
les Citoyens et de les calomnier après
leur mort : c'est cependant ce qui étoit
arrivé à l'égard de M. de Belsunce , représenté
dans diverses Feuilles publiques
, comme ayant provoqué l'abomi(
175 )
nable tragédie dont il a été la victime.
Le Corps des Officiers du Régiment de
Bourbon , auquel il appartenoit , nous
a fait parvenir une relation détaillée et
authentique de ce qui s'est passé à Caen ,
la nuit du 11 au 12 Août ; relation confirmée
par une lettre des Membres du
Comité général de cette ville à celui du
Havre. Elle est , suivie d'une lettre des
Officiers municipaux du Havre aux Officiers
du Regiment de Bourbon , envoyé
en garnison à Lisieux ; enfin , d'un certificat
du Comité général national de cette
dernière ville , et d'une permission d'imprimer
et de répandre ces pièces justificatives.
Tant de témoignages authentiques
prouvent que la mort de M. de
Belsunce a été l'effet de soupçons mal
fondés et de rapports inexacts.
Son Régiment , en garnifon à Caen depuis le
12 février , avoit réprimé beaucoup d'émeutes
fans effufion de fang, quoiqu'il eût ordre de tirer
s'il le falloit : il eft vrai que deux de fes feldats
avoient arraché dans un cabaret la Médaille
donnée à deux du Régiment d'Artois ; mais loin
que M. de Belfunce l'eût ordonné , il l'ignoroit ,
& ne s'oppofá ní à la perquifition , ni à la punition
des deux coupables. Il reçet à huit heures
, ordre de forir de la Vile. Malgré la ré
pugnance à quitter fon Pefte , il alloit le faire ,
& n'avoit diféré que pour die adieu à fes Soldats
, en leur recommandant la paix entre eux
& les bourgeois. A neuf heures & demie la retraite
devint im offible ; le Quartier - général
étoit invefti : il fallut refter. Une defcription du
( 176 )
local , prouve , fuivant les Officiers du Régiment
de Bourbon , auteurs de cette relation , que
le Régiment vouloit fe borner à la défenſive ;
elle prouve également qu'en faifant couler le
Sang , il étoit facile d'échapper. Cependant , des
furieux demandent fa tête. Le Comité engage
le Major en Second à vezir fe juftifier. M. de
Bellunce , ne voulant que perfonne s'expofe
pour lui , accepte deux ô: ages , fe remet entre
les mains das Volontaires , monte à l'Hôtel- de-
Ville , y fubit un interrogatoire , fe réfout , fur
les obfervations du Comité , à être conduit au
Château , feul moyen de le fouftraire au Peuple
, qui vouloit enfoncer les portes . Au bout
de quelques heures , la Eourgeoifie vient redemander
les ôtages , en offrant en échange tous
les Officiers retenus , foit au Comité , foit dans
leurs chambres . M. le Duc d'Harcourt ordonne
au Régiment de quitter la Ville , & de fe rendre
à Lifieux :: nous cédons tout aux Bourgeois
armes & drapeaux exceptés. Le peuple diffère la
mort de M. de Belfunce jufqu'à notre fortie ;
notre arrière-garde , déja dans la campagne , entend
dans le lointain une décharge qui nous apprend
la fin tragique de ce jeune Officier.
On obfervera que cette relation que nous abré.
geons , eft fignée de tous les Officiers du Régiment
de Bourbon , qui atteftent au nom de
l'honneur , que M. de la Sauffaye , qu'on prétend
avoir tiré le premier fur la Sentinelle ,
l'a tué , n'avoit point de Piftolets . Notre impartialité
nous force de dire que ce fait eft
pourtant avancé dans la lettre très - favorable du
Comité de Caen , ou fe trouve it même ces propres
mots : La Cruauté qu'on a exercée contre M. le
Vicomte de Belfunce , nous a tous pénétrés de la
plus vive douleur.
( 177 )
Nous demandons graces à nos Lecteur
de les entretenir un instant d'une discussion
personnelle au Rédacteur de ce
Journal.
Chacun d'eux , peut fe rappe'er l'impartia-
Ité , avec laquelle on y a préfenté la queftion ,
agitée en Angleterre , sur l'Abolition de la traite
des Noirs. En manifeftant plufieurs fois , & fon
voeu pour le fuccès de cette mefure , & les argemens
de tout genre dont on l'appuyoit , l'Auteur
ne devoir pas déguifer les object ons , parce
qu'un Journalte eft rapporteur , non Juge . C'eſt
dars cet efprit qu'il a rendu les difpofitions
reçues à la barre de la Chambre des Communes.
"
« En réfumant ( No. 34. ) les opérations du
» Parle ent pendant la Seffion dernière , il
a obfervé que la difcuffion fur la traite des
Nègres avoit été amortie , peut - être à ja-
» mais , par l'inftruction teftimoniale. Que ceux
» qui avoient detiré le plus vivement
» prompte décifion , ont été les premiers à defi-
» rer qu'on la différâr ; que l'enthouſiaſme s'étoit
» éreint ma's qu'il pouvoit fe ranimer. »
une
M. Clarkfon , Auteur de quelques écrits , en faveur
de l'abolition de la Traite , Membre de
la Société Angloife , qui pourfuit cet objet , &
actuellement à Paris , a imprimé contre l'article
qu'on vient de lire , une lettre pleine d'amertume
, dars le Journal Patriote , Libre , Impartial
& National , par Jan- Pierre de Briffot de
Warville. Ce Journaliſte , qui , comme on le
voit , aime les grandes épithètes , a fa.fi cette cc
cafion de placer un Préambule , pour déclarer
qu'il aloit faire rentrer dans la pouffière , les fauf-
Jetées fcandaleufes imprimées par l'Auteur du Mercure
, & que cet Auteur du Mercure s'abreuvoit
du Sang des Hommes,
( 178 )
M Clarkfon nie que les folliciteurs de l'Abolition
, aient défiré le renvoi du décret du
Parlement. Cela peut être ; mais je n'ai pas le
tort de l'invention ; elle appartient aux papiers
Anglois leur affertion à cet égard , concouroit
d'ailleurs avec les apparences , puifque MM.
Wilberfonce, & autres défer.feurs zè és de la Caufe
des Noirs , avoient adhéré , fans débats , au renvoi
de la déciſion , après en avoir vivement réclamé
la promptitude. J'ai les plus fortes raifons
de croire qu'elle leur eût été contraire , fi on l'avoit
jugée à la fin de la Seffien ; mais je m'en rapporte
à M. Clarkson , & je veux croire que j'ai
été dans l'erreur.
Cet Arglois affirme enfuite , que l'enthoufiafme
ne s'eft point amorti , & i ! cite en preuve
fes amis & fes connoiffancer . Vraifemblablement
elles n'embraffent pas l'Angleterre entière , & il
n'a fans doute pu compter tous les fuffrages . Or ,
j'affirme à mon tour , & non fur l'autorité feule
des papiers publics , mais fur celle de plufieurs
lettres particulières , à moi adreffées par des perfonnes
dont le caractère eft non moins irrécufable
que celui de M. Clarkfon , qu'à la fin de la
Seffion , l'enthoufiafme s'étoit amorti . Je ne recherche
point les caufes du fait , ni le degré de
croyance que méritent les dépofitions entendues
par les Communes ; mais je répète , qu'à
tort ou raifon , elles ont rallenti le zèle d'une
partie du Public. M. Clarkfon me fait avancer
très-fauffement , que la queftion ne reparoîtra
plus. Je favois , auffi bien que lui , qu'elle étoit
ajournée à la prochaine Seffion ; mais j'ai
penfé , & je penfe encore , que fi le refroidiffement
fe foutient , le projet d'Abolition s'amortira ,
c'est-à- dire , qu'il fera rejeté.
Mais , en fuppofant que j'euffe ét trompé
fur ces faits , qui ne font , en dernière analyfe ,
179 )
que
que de faits d'opinion , M. Clarkson a- t- il le
doit , fans me connoître en aucune manière
d'interpréter mes intentions , comme il le fait ?
d'autorifer fon Editeur à caractérifer de fauffetés
fcandaleufes , ce qui ne feroit au plus qu'une erreur
juftifiable , & fur- tout d'imprimer que ma
conduite ne l'étonne pas , vu les peines qu'ont prifes
les planteurs pour corrompre la preffe , foudoyer
des écrivains , & s'affurer des meilleurs papiers pé- .
riodiques ?
les
M. Clarkfon n'a fans doute pas réfléchi fur
le fcandale d'une pareille accufation. Je le femme
à la face du Public , d'en dépofer & d'en publier
preuves. S'il ne le fait pas , je fuis en droit
de le pourſuivre comme calomniateur. Il eſt affreux
que l'enthouſiaſme puiffe entraîner un homme
qu'on dit fage , jufqu'à fe permettre de pareilles
horreurs & qu'un Anglois paffe la mer
pour attaquer de cette manière la probité d'un
homme qui lui eft abfolument inconnu . Je n'ai à
prendre , ni de lui ni de perfonne , des leçons
d'indépendance & de définterreffement.
Quant à M. Briffot , j'étois étonné que , depuis
qu'il a repris le métier de Journaliſte , il
n'eût pas encore honoré le Mercure , de quelques
invectives. Je lui laiffe le champ libre : j'aurois
trop à glaner fi j'entrois dans le fien. Dans
le même No que je viens de relever , ce Journaliftes
, nous apprend férieufement que 25000 Pruffiens
, tombés des nues , font aux portes de Maftricht
, pour libérer le Brabant Autrichien. Quelques
jours auparavant , il avoit avancé que les
Citoyens de Genève ne nommoient pas leurs Magiftrats
; tandis que des Chefs de la République ,
jufqu'aux Greffiers du dernier Tribunal de Police
, toutes les Magiftratures , font à l'élection
des Citoyens. Quand on écrit foi- même avec
tant de légèrété , il faudroit ménager fes juge(
180 )
mens. Au reſte , quels que fcient ceux de M.
Briffot , nous ne nous en cccuperons jamais. Nous
le prions feulement de relire fes Feuilles , lorfqu'il
fera tenté de nouveau de cous accufer de
boire le fang humain , & d'être perfuadé que
nous ne profiterons pas de fes leçons .
Dans un inftant où l'on frappe tous les abus ,
il est néceffaire d'en dénoncer un , qui , plus que
tout autre , menace la liberté & la fureté perfonnelles.
Depuis quelque temps , une c'affe d'Ecrivains
regarde toutes fes Opinions comme des
Dogmes , les décifions comme des oracles , fes
récits comme des Procès-Verbaux. Adopte- t - on
d'autres idées , que dis - je ? é'eve - t-on un doute ?
propofe-t-on une modification ? une voix furieufe
de Defpotifme dénonce , déchire , diffame
tout ce qui lui réfifte ; la moindre contradiction
qu'éprouve fa doctrine , devient un attentat au
droit naturel. Echappés au glaive cenforial , rous
tombons fous les affaffinats de l'intolérance. On
défigure les Opinions , on fufpecte les motifs , on
cherche à rendre odieux ceux auxquels on ne
peut répondre , & il n'eft peut - être maintenant
pas un efprit vraiment libre & indépendant
, qui ne gémiffe fous ce genre d'oppreffion.
La liberté de la preffe en fera le préfervatif
; mais pour que cette liberté ait fon efficace ,
il faut attendre le règne de la liberté des Opinions
, & nous en fommes encore bien éloignés
.
P. S. Dans le Journal du 29 août , on
s'est trompé en attribuant à M. Demeunier
l'assertion que la Déclaration des
Droits des Américains étoit un Acte
inepte, etc. M. Demeunier, au contraire,
a combattu cette opinion , avancée par
un autre Membre de l'Assemblée .
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 19 SEPTEMBRE 1789.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
INSCRIPTION
Pour le Portrait de TURGOT.
MINISTRE mi du Peuple , il vir en fa mémoire ;
Dans tout homme de bien il eut un partiſan ;
Au Roi même il fut cher, & pour comble de gloire
Il fut haï du Courtifan .
( Par M. D*** T*****. )
Nº . 38. 19 Sept. 1789 .
MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
de Logogriphe du Mercure précédent.
E mot de la Charade eft Vertu ; celui`
de l'Enigme CA Modération ; celui du Logogriphe
et Mail , où l'on trouve Ail , Mai,
Ma , II.
CHARADE.
AU nombre des fept tons, on compte mon premier ;
Au Pérou plus qu'ailleurs on trouve mon dernier ;
Un Saint Roi préféra là pefte à mon entier .
( Par une Languedocienne, âgée de 11 ans .)
ÉNIGM E.
TANTÔT au milieu de nos champs
D'un timide animal je fuis la condu&trice ;
Tantôt dans les appartemens,
Sous des fardeaux divers il faut que je gémiſſe ;
Tantôt dans la belle faifon ,
Sur la verdoyante prairie ,
Le jeune & tenire Philémon
Peint l'ardeur de fes feux à mon ame attendrie ;
DE FRANCE.
st
Tantôt entre mes bras à goûter le repos ,
J'invite ma beile Maîtreffe ;
Et le fommeil , dans cette douce ivreffe ,
Quelquefois fur les yeux vient verfer fes pavots.
( Par le frère de lajeune Languedocienn :. )
LOGOGRIPHE.
ON ne me trouve point aux lieux inhabités ;
Mais je fuis répandu dans le rete du Monde :
Et plus grandes font les Cités ,
Plus auffi ma fource eft féconde.
Je fuis le plus fouvent à terre >
Plutôt à droite , à gau he , & devant , que derrière.
De moi l'on fait fort peu de cas ,
Auffi chacun me met à bas ,
Sans s'embarraffer de ma chutes
Et fi ce n'ek vous à préfent ,
C'eft votre ami ,,votre parent ;
Ce fera vous dans la minute.
Ma forme eft forte irrégulière ;
Tantôt petit , & tantôt grand ,
Long , carré, rond , triangulaire ;
De vous , Lecteur , cela dépend .
Ai je affez dépeint ma figure ?
Venons à ma diffection :
De mes fept pieds , ôtez la couverture ,
Lors vous avez une belle action ,
C 2
52 MERCURE
Qu'on fait le plus qu'on peut , pour l'honneur de
Nature.
Mettez mon fecond chef à bas ,
Vous trouvez ce qu'on aime à faire
En France , ainfi qu'en Angleterre ,
Quand on pofsède maints ducats.
Il faut avoir bien bonne tête
Pour fupporter triple amputation ;
Je la fouffre pourtant ; cette fouftraction
Fait de moi la maligne bête
A poil tantôt blanc , tantôt gris ,
Qu'on apperçoit fouyent au plus haut de Paris.
Lecteur , à force de fouftraire ,
Tu m'as réduit à n'être rien :
La néceffité de me taire
Pour tous deux arrive fort bien.
( Par un Abonné. )
DE FRANCE.
53
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
LE grand Porte-feuille politique , à l'ufage
des Princes & des Miniftres , des Ambaffadeurs
& des Hommes de Loix , des
Officiers- Généraux de Terre & de Mer ,
ainfi que de la Nobleffe , du haut Clergé,
des Financiers , des Voyageurs , Amateurs
& Connoiffeurs de Sciences Politi
ques ; & enfin de tous ceux qui fuivent la
carrière politique , ou qui s'y deftinent :
en 19 Tableaux, contenant la Conftitution
actuelle des Empires , Royaumes , Républiques,
& autres principales Souverainetés
de l'Europe. Chacun de ces Tableaux
renferme , fur une feule furface
divifée en 22 colonnes , la Population du
Gouvernement qu'il repréfente , fa Conf
titution militaire de Terre & de Mer, fes
Revenus, fa Dépenfe générale, fa Dette
publique , fa forme & fon organisation ,
fa Conftitution législative , l'Adminiftration
de la Juftice , les Religions , les
Sectes & leurs principaux Dogmes , le
Caractère national , la Hiérarchie ecclefiaftique
, les Sciences & les Arts , l'Agriculture
& les productions du Sel ,
Commerce, la Navigation, les Monnoies;
& enfin des Obfervations furfes intérêts
3
le
54
MERCURE
particuliers , & fur fes relations avec les
autres Puiffances . Dédié aux Hommes
d'Etat , par M. BEAUFORT , employé
ci- devant dans les Miffions des Cours
Etrangères , imprimé avec l'agrément &
l'approbation du Ministère des Affaires
Etrangères de France. Prix , 30 liv. Se
trouve à Paris , chez l'Auteur , Hôtel de
Flandre, rue Dauphine , Nº . 82 ; & chez
Maradan , Libraire , Hôtel de Château-
Vieux, rue St- André- des - Arts.
ET Ouvrage , dont l'utilité fe fait fentir
à la feule ouverture du Livre , eft précédé
d'un Difcours , dans lequel l'Auteur pré
pare fes Lecteurs à fon plan , & où il en
jette , pour ainsi dire , les bafes. Une nomenclature
des grands Politiques qui ont
laiffé des Ecrits eftimables , tient une place
remarquable autant par le nombre des Miniftres
Ecrivains , que par le choix des
traits qui les caractérisent. Polybe eft le
premier ; Cicéron vient enfuite , & nous
Tommes perfuadés qu'on applaudira à la
manière dont l'Aureur juge les Livres de
la Republique. Philippe de Mézières , Armánd
Dolfat , Jeannin , Sully , Richelieu
, font préfentés avec la mefure canvenable
. Le dernier des négociateurs qui
paroiffe dans cette nomenclature , eft Callières
, qui n'eft pas le plus célèbre affusément
, mais qui , après tour, conclur , le
DE FRANCE
Traité de Rifvick. Tout ce que dit M.
Beaufort fur l'origine & fur la meilleure
forme des Gouvernemens, eit connu ; auffi
ne s'appefantit- il point fur cette partie de
fon Difcours : nous trouvons les idées fur
la définition du Syftême politique que chaque
Etat doit embraffer & fuivre , trèsjukes
& dignes d'être méditées ; il eût été
à défirer que fon plan lui permit la dif
cuffion & des développemens. La néceffité
du Systême pacifique , l'origine de l'équilibre
, la balance du Com: nerce , font des
articles intéreffans ; tous les Obfervateurs
fentiront auffi que le défaut d'un Sytême
fuivi occafionne des révolutions dans les
Empires . La République Romaine , & une
foule d'autres Puillances , en offrent de
nombreux exemples.
Nous pallons maintenant au corps de
l'Ouvrage. Nous ne diffimulerons point
que dans le Livre de M. Necker , dans
d'Expilly , dans les Dictionnaires de Gro
graphie , on ne trouve la plupart des objets
ralfembles par M. Beaufort ; mais il eft à
propos d'obferver que tout ce qui cft épars
dans plufieurs Volumes , ce qui manque
à ces Ouvrages élémenaires eft réuni fi
un feul feuiller , bie : clatlé , bien divifé
nettement préfenté , exactement c.lculé ?
c'eſt le réſultat d'un long & pénible travail
fait avec leureur, & qui pofe fur des don
nées que l'Auteur n'a pu connoître qu'a-
Près de grandes recherches & des calculs
C+
56 MERCURE
rebutans. L'Homme d'Etat , le Calculateur,
le Philofophe, le Commerçant, trouvent au
premier coup d'oeil des bafes importantes ,
ou des approximations qui les dirigerent
dans leurs travaux. Dans ce moment où
l'Affemblée Nationale ne s'eft réunie que
pour s'occuper des objets que M. Beaufort
embraffe , il n'eft pas douteux que le Livre
que nous annonçons ne foit d'un grand
fecours aux Députés de la Nation .
Un exemple fera plus convaincant que
notre affertion , & nous allons extraire ce
qu'il y a de plus effentiel dans le Tableau
de la France .
Population , 24,800,000.
Habitans par lieue carrée , 27,450.-
Population des villes ; Paris , 8o0,000 ;
Strasbourg , 47,000 ; Pau , 9000.
Forces de Terre , 228,497 .
Forces Navales , 81 vaiffeaux de ligne .
Revenus , 475 millions . Cette colonne cft
complétement détaillée article par article.
Revenus fixes , 284,347,000 .
Recettes générales des Finances de Paris ,
Pays d'élcaion , & Pays conquis , toure
déduction faite , 155,650,000.
Pays d'Etats , 44,558,027.
Capitation & Vingtièmes abonnés ,
$75,000.
Capitation & retenues fur le Tréfor-
Royal, 6,190,000 .
Impofitions particulières aux fortifications
des villes , $ 75,000.
DE FRANCE. 57
Bénéfices fur la fabrication des monnoies
, 500,000 .
Bénéfice annuel des Forges Royales
180,000 .
Revenus de la Caiffe du Commerce ,
636,000.
Différens loyers , 180,000 .
Intérêts annuels de fommes prêtées aux
Etats- Unis de l'Amérique , 1,600,000 .
Intérêts annuels de fix millions que doit
un Prince d'Allemagne , 300,000 .
Dépenfe générale , 531,444,000 livres ,
chaque objet de dépenfe y eft détaillé. Le
déficit annuel jufqu'au premier Mai 1789 ,
étoit de 56,150,000.
Dette publique , 3 milliars 90 millions.
Ici , M. Beaufort s'abandonne aux mouvemens
de fon coeur , & il indique des
moyens d'alléger ce fardeau.
Les bornes de notre Journal ne nous
permettent point d'analyfer les colonnes
fur la forme de notre Gouvernement , fur
l'adminiftratión de la Juftice, fur les moeurs,
fur le Clergé ( ce dernier article eft curieux
) , fur l'Agriculture & les productions
, fur les espèces numéraires.
י כ
M. Beaufort termine cet intéreffant Tablean
par des obfervations fages . Si la
maffe phyfique des Empires , dit - il , confifte
dans le nombre & dans l'étendue des
poffeffions attenantes & liées dans le fens
local , la France jouit éminemment de cet
avantage , puifque les différentes parties
CS
$$ MERCURE
qui la compofent , forment contiguité , fe
prêtent fecours , appui , jouillance , lumiè
res & défenfe. Cette Monarchie doit fa
domination naturelle à ces régions unics
enclavées entre trois grandes iners & plufieurs
chaînes de montagnés efcarpées. La
Nature n'a rien oublié pour rendre la
France conftamment foriffante & redoutab'e
à fes ennemis. Il ne reste plus à la
Nation que le foin d'établir fon bonheur
& fa gloire fur des bafes inébranlables «
Nous ne doutons pas que l'Affemblée
Nationale n'atteigne bientôt à un but aufli
univerfellement déré. Les 19 Tableaux
qui compofent l'Atlas politique & moral
de M. Beaufort , préfentent l'Autriche , la
France , la Ruffie , la Turquie , l'Espagne ,
fuivant fon nouveau dénombrement ; l'Angleterre
, l'Ecoffe , l'Irlande , la Pruiſe , ſuivant
fa nouvelle Conftitution militaire &
autres changemens ; le Portugal & les deux
Siciles , fuivant la dernière Conftitution
militaire de ce dernier ; la Sardaigne &
' Etat Eccléfiaftique , la Suède & le Danemarck,
fuivant les changemens arrivés dans
leur Conftitution ; la Pologne , fuivant fa
nouvelle Conftitution ; la République de
Venife & celle des fept Provinces-Unies
fuivant nouvelle Conftitution militaire
de ces dernières ; les treize Cantons , la
République de Gênes , Luques , Ragule
l'Ordre de Malte, les Electorats de Maïence
& de Trèves , les Electorats de Cologne &
DE FRANCE..
59
du Palatinat de Bavière , les Electorats de
Saxe & de Hanovre , le Duché de Wurtemberg
, & les Landgraviats de Helle-
Caffel & de Darmstadt , & les treize Etats-
Unis de l'Amérique Septentrionale.
DIVERS objets d'Economie rurale &
domefiique , publiés dans le Supplément
du fournal Général de France, N. 174 ;
par M. S. LE BRETON , Membre de l'Académie
Royale des Sciences d'Upfal ;
avec divers Réfultats publiés dans le
même Journal du 17 Décembre 17885
Nº. 15 fuivis de deux Lettres relatives
au même objet, l'une de M. Cointeraux;
& l'autre de Sir Jeff Banks , Prefident
de la Société Royale de Londres , réimprimée
aux frais de l'Auteur , & vendue
12 f. au profit des Pauvres néceffiteux du
Village de la Haye , près d'Ivry la Bataille;
de ceux de la Paroiffe de Lognes ,
près de Rofny, patrie de l'Auteur. A
Paris , chez l'Auteur , Hôtel de Noailles,
rue St-Honoré ; Brichard , Notaire , rue
Saint André- des Arts ; MM. (es Abbés
Fonte ay & Le Blanc ; & chez Pranit
Imp. du Roi , quai des Auguftins ; & les
Manhands de Nouveautés ; à St. Germain
, chez Ebret , Hôtel de Noailles.
ON a quelquefois , & trop rarement à
notre gré , écrit des Ouvrages relatifs à
·C 6
63 MERCURE
l'Economie rurale & domeftique ; mais jamais
on ne les a préfentés ni avec moins
de prétentions , ni avec plus de préciſion ,
Le bon Abbé de Saint - Pierre difoit aux
Ecrivains Les belles phrafes font perdre
trop de temps à celui qui s'occupe de bons
projets. Le plus court eft le mieux ; un bon
réſultat vaut mieux qu'un beau diſcours.
M. le Breton , qui déjà avoit donné des
preuves multipliées de la bonté de fon
coeur & de fa bienfailance active , paroît ,
en écrivant , mettre en pratique les princi
pes du bon Abbé de Saint Pierre. il va au
fait , & laifle la broderie. Il croit être affez
recommandé au Public , en lui difant : Voici
par quels procédés j'ai fait du pain à
meilleur marché & auffi bon que le pam
de froment : voici comment on peut rende
productifs des terreins de culture , &
avoir à moins de frais plus d'argent & des
moiffons plus abondantes. Et certes on
feroit trop malheureufement organifé , fi
on ne difpenfoit pas celui qui vous donne
du pain , de tous les préliminaires poffibles .
Le fouvenir de l'hiver défaftreux dont nous
fommes confternés encore , rend l'Ouvrage
& l'Auteur plus recommandables encore .
Son Cuvrage donnera du pain , ou apprendra
à l'indigent à s'en procurer . Quant à
l'Auteur , il a non feulement prouvé qu'il ,
poffédoit une excellente recette , mais un
bon coeur , & qu'avec une fortune alfarément
très-peu au deffus du fimple nécef-
-
1
DE FRANCE. 61
faire , un homme fenfible fait encore donner
du pain aux malheureux , avec cette
profufion qui , à Saint Germain en- Laye ,
lui a attiré les bénédictions du Pauvre.
Nous fommes fachés de ne pas pouvoir
donner de grands détails fur fon petit Livre
intéreflant d'un bout à l'autre. Nous dirons
feulement que pour le réſultat de fes expériences
, le Pauvre peut déformais fe
procurer du pain à 2 f. 3 d. la livre.
On y trouve auffi un Tarif des prix que
M. le Breton a établis pour détruire les
Taupes , les Mulots , les Rats , les Crapauds,
les Grenouilles, les Moineaux francs,
& les Pigcons- bifets , qui font autant de
dévastateurs , & dont la confommation paroîtra
dévorante quand on faura qu'un
Moineau mange par année deux boiffeaux
de blé , & que dix Moineaux enlèveroient
ansuellement la nourriture d'un homme
s'ils n'avoient toute l'année que du blé
pour fe nourrir. Rien n'eft petit , de ce
qui eft utile , c'est ici le lieu de répéter cet
axiome. La petite Brochure de M. le Breten
fera précieufe à ceux qui éprouvent le
befoin de venir au fecours de l'Indigent ,
& à ceux qui favent que le principe du
bonheur public & des bonnes moeurs , eft
après tout dans la meilleure culture poffible
du fol. Plus les campagnes feront fertiles
, plus on les aimera , & en les aimant
on y reviendra , & on le trouvera à coup
fûr plus humain & plus fage.
-
62 MERCURE
VARIÉTÉS.
TABLEAU , Bas - Reliefs , Statues &
Pierres gravées de la Galerie de Florence
& du Palais Pitti , deffinés par M.
VICARD, gravés fous la direction de
M. LACOMBE , Peintre , avec l'ex-,
plication des Antiques , par M. l'Abbé
MONGEZ l'aîné , Garde des Antiques
& du Cabinet d'Hiftoire Naturelle de
Sainte - Geneviève , de l'Académie des
Inferiptions & Belles - Letrres , &c. in-fol.
Première Livraifon , chez M. Lacombe,
Peintre , rue de la Harpe , Nº . 84.
3
L'OUVRAGE dont on vient d'annoncer le titre ,
réunit de quoi intéreffer à la fois les Antiftes
les Savans , les Amateurs des Arts , & les fim ,les
Curicux. Quel que foit le mérite des nombreuſes
Collections que l'amour des Arts a multipliées
dans ce fiècle ci , on croit pouvor dire que ja
inais toutes les circonfiances propres à fixer l'admuration
publique & l'attention de to te l'Eu-
Fope , ne fe font trouvées afi complett-ment
raffem lées que dans le magnifique Recueil dont
la première Livra fon vient de paroître.
Quoique l'intérêt feul des Arts qui a fait entreprendre
cet Cuvrage , parle affez pu fan ment
er la faveur , peut - être fera- t-il permis de le
regar encore comme un monument de gloire
nationale ; peut-être cette espèce d'invasion faice
1
DE FRANCE. 63
fur l'Italie , a-t-elle encore de quoi. flatter & hor
norer la Nation qui l'aura tentée.
L'Italic , fatiguée de tous les grands efforts
qu'elle a faits dans tous les Arts , & comme épuifée
par la propie fécondité , ne femble plus occupée
aujourd'hui qu'à jouir de fa gloire. Sem
blable à ces vieux Braves qui ne favent plus que
raconter leurs exploits , depuis long - temps elle
ne s'occupe qu'a reproduire les Chef - d'oeuvres
de fes grands Homines par des copies de tout
gente ; & l'on doit dire que le nombre & l'habileté
de fes Copiftes ne le cèdent encore qu'au
nombre & à l'habileté de fes Maîtres.
L'Ouvrage en queftion avoit été déjà commencé
en Italie fous le titre de Mufæum Florentinum ;
mais ni la grandeur du plan , ni celle de la Col
lection confidérablement accrue par les foins du
Grand-Duc régnant , ni la grandeur des moyens
mis en uvre alors , ne peuvent fe comparer
avec ce qu'on a droit d'attendre de cette nouvelle
entre prife.
Ce ne fera donc pas un petit honneur pour
la France , d'avoir ofé lutter avec l'Italie dans la
carrière qui déjà vient de s'ouvrir , & où tout
femble lui annoncer le fuccès.
Pour y parvenir , il falloit , avant tout , s'être
affuré d'un Deffinateur dont le talent ne fe bornar
ni au maniement puérit du crayon , ni à la fimple
habitude de copier , ni aux procédés froidement
mécaniques de ceux auxquels nous d- n-
Dons fi improprement le nom de Deflinateur.
L'Art de copier n'eft devenu que trop fouvent
un Métier , fous lequel viennent s'éteindre &
mour les inventions du Géoic ; & l'expérience
nous a affez prouvé que le fentiment des grands
Hommes cft trop au deffus de la routine des Copiftes
ord naires , pour qu'ils puiffent nous traduire
ce qu'eux-mêmes ne comprennent pas. Mais il eſt
64
MERCURE
·
au moins une condition importante , c'eft que
celui qui fe charge de ces Traductions ait été
lui même élevé dans la Langue dont il veut
nous faire pafler les beautés ; & cette dernièrè
condition eft , au défaut de toutes autres , la plus
importante.
Tous ces motifs ont engagé un Amateur zélé
à envoyer en Italie le Sr. Vicard.
Nourri dès l'enfance dans l'amour de l'Antique
& les principes des grands Maîtres ; préſervé
de bonne heure de la contagion du goût François
dans l'Ecole de M. David , il y a puifé les maxiines
que celui- ci tient lui- même d'un Maître ( 1 ),
qui , au milieu de la diffolution effrontée de la
Peinture , feul fidèle gardien des Traditions an
tiques , a confervé les germes du bon goût.
Inftruit déjà par un premier voyage en Italie ,
capable des plus grands efforts de la Peinture ,
à laquelle il s'exerce , & en tout fupérieur aux
travaux qui , dans ce moment , lui font confiés
le Sr. Vicard ne peut être dignement loué que par
fes Deffins , cù l'on trouve la correction jointe
à la facilité , le caractère vrai des Maîtres qu'il
copie , du goût fans manière , & de l'exécution
fans métier.
Ces Defins ont été confiés aux plus habiles
Graveurs de cette Capitale . L'on ne peut trop
louer leur fidélité , leur belle exécution , & le
zèle qui les anime nous eft garant du foin qu'ils
mettront à répondre à tous les différens objets
d'une entreprife fi variée & fi étendue . Le pea
de fujets antiques , déjà publiés , nous promet
qu'en ce gente fur - tout , moins fenfibles aux
charmes du burin & à l'harmonie des tailles , &
à cette propreté qui ne flatte que les yeux des
demi- connoiffeurs , ils s'attacheront à la févérité
( 1 ) M. Vien,
DE FRANCE. 65
des contours , à l'expreffion du caractère , à la
grandeur aftyle , & fur - tout à une forme de
fimplicité , & pour mieux fe faire entendre , de
bonhomie par laquelle les Graveurs Italiens ont
fi bien réulli à rendre l'Antique , & fans laquelle
l'Artifte cherche fouvent le modèle dans fon
imitation,
Il faut parler auffi des explications qui accompagnent
les Monumens.
On le plaint depuis long- temps de la diffufion
des Ecrivains qui ont expliqué les Antiques. -
Semblables , difoit le favant Winkelmann , aux
torrens qui , groffis par les pluies d'orages , regergent
d'eau au moment où le voyageur en
trouve de tous les côtés pour fe défaltérer , mais
qui font à fec dans les chaleurs brûlantes, lorfque
le voyageur foupire après ce fluide bienfaiſant :
les explications des Philologues font abondantes
fur les fujets consus & laiffent tout à défirer
l'on feroit plus curieux de voir
fur ceux que
éclaircir. --
M. l'Abbé Mongez l'aîné , connu par fes Recherches
fur l'Antiquité , a cherché dans le texte
qui accompagne les Gravures , à éviter ces inconvéniens.
Il est toujours concis & clair. Lorfque
le fujet n'offre rizn que de vague , il cherche
à dédommager le Lecteur en rappelant des
traits d'Ecrivains anciens , analogues au fujet ; mais
il n'ufé de cette reffource qu'avec une grande
réferve . Enfin il ne rougit point de garder le
filence , lorsque le monument qu'il doit expliquer
ne donne aucun moyen de reconnoître fon objet,
ou n'offre aucun attribut qui puiffe le caractériſer.
En voici quelques morceaux.
» Ecce Homo , Tableau de Cigoli . Les trois
perfonnages qui font repréfentés ici , annon-
» cent dans Cigoli ce goût & ce tact faus JefMERCURE
כ כ
quels il n'eft point de vrai talent. La figure du
» Chrift eft noble , fes traits font beaux , fa
» douleur attachante ; & malgré la triftefle répandue
fur toute fa perfonne , on reconnoît
» toujours un Dieu à travers les voiles de l'humanité.
כ כ
ဘ
» Cigoli a été plus heureux dans l'expr.fion
" de la tête de Pilate , que dans le choix du
» coftume oriental modeine qu'il a prêté à ce
» Romain. Le facrifice que la politique lui arra-
» choit , & la douleur de voir l'innocence opprimée
; ces deux fentimens fe lifent , fans fe
confondre , fur le vifage de Pilate . La demi-
» teinte qui enveloppe les traits groffiers du Juif,
» laifle l'oeil du fpectateur fixé fur les deux
» autres figures , & forme un contrafte favant.
L'expreffion générale de ce Tableau eft forte
» & nerveufe ; fa couleur produit un grand effet,
& l'art des oppofitions fait reflortir avantageufement
tous les caractères .
כ כ
לכ
23
» Les Divinités du Capitole. Le plus célèbre
» des Temples , renfermé dans l'enceinte du Capitole
, étoit celui dont on avoit confacré le
» milieu à Jupiter , & les ailes à Junon & à
» Minerve . Le Graveur a réuni dans un feul
» Tableau ces trois principaux objets du culte
des Romains. Quel fur le modèle de fen Ju- ||
piter ? La Statue de terre cuite , poiste on
» rouge , que Tarquin avoit confbcrée à Jupiter
» dans le Capitele ; ou celle d'ivoire , reniar
» quable par les attributs , feulp.és en or , qui
»
remplaça la première ; ou enfia la Statue d'or
» que Trajan ( Martial . XI. p . 3. ) aveit ſubſti-
» tuée à la ſeconde ? On ne fauroit le dire pré-
» cifément. Cependant le Souverain des Dieux ,
gravé, fur cetic calcédoine , ne porte pont le
» foudre le cafque de Minerve eft orné d'unc
"
DE FRANCE. '87
naigrette fi remplie , qu'on auroit peine à re-
» connoître la Déeffe , fans la tête de Médufe
placée far fa poitrine. Ces caractères rappellent
la fimplicité des premiers Siecles de Rome;
ils peuvent donc faire reconnoître le Jupiter
confacré par Tarquin , & ils rendent cette
» pierre auffi précieufe par le choix du fujet ,
» qu'elle l'eſt d'ailleurs par la beauté de la
» vure.
30
gra-
» Statue de femme. La bafe de cette Statue
» porte une dédicace adreffée à Vibia Aurelia
» fille de Marc-Aurèle. On pourroit reconnoître
» ici un portrait de cette Princeffe , s'il exiſtoit
quelque autre monument confacré à ſa gloire ,
n auquel il fût poffible de le comparer. Mais
33 il ne nous refte aucune Médaille de Vibia Aurelia.
L'Artiste" moderne , qui a refit les bras
" & les mains , y a placé les attributs de Cérès ,
» des épis & des pavots . On ne voit cependant
" rien qui rappelle cette Divinité dans le refte
3
ג כ
de la Statue. La tête , où brillent une belle in-
" `tention & le caractère grec dans toute fa pa-
" reté , n'eft point ornée d'an diadême , ou d'une
couronne d'épis , tels qu'on les voit fur les
" Monumens qui repréfentent la mère de Froferrine.
Le feul caractère de certe Statue qui
puiffe la rapprocher de celle de Cérès . d'une
" imanière très - vague , à la vérité , eft fa draperie
, dont les plis font formés avec le meil
" leur goût , & qui eft ramenée far fa tête ,
» comme celles des Divinités & des Femmes d'une
condition relevée.
"
"
33
» Curidon captif. Le bel adolefcent qui eft
» affis fur ce rocher , les mains liées derrière le
dos , eft l'amant de Pfyché. énus , indignée
» de voir fon fils épris des charmes d'une Mor-
» telle , le renferma dans une étroite priſon ;
68
MERCURE
mais ces rigueurs , loin de lui faire oublier la
» tendre amante , donnèrent de nouvelles forces
» à fa paffion. Apulée a parlé dans fon ingénieux
» Epifode , de la captivité de Cupidon ; & un
» habile Artifte l'a gravée fur cette précieufe
" Améthyfte. Pour mieux caractériſer la colère
» de Vénus , il l'a placée devant fon Captif, &
l'a repréfentée armée , telle qu'on la voyoit à
» Sparte & à Cythère ( Paufan. Lacon. ) ".
Pour donner la facilité d'examiner les Deffins
de M. Vicard , M. Lacombe recevra tous les jours
les Amateurs , & leur communiquera ces Deffins ,
rue de la Harpe, No. 84. C'eft chez lui que l'en
fouferit. Les 2 premières Livraiſons fe diftribuent
actuellement à Paris , où les Soufcriptcurs de Province
font priés de chcifir un Correfpondant à
qui on puiffe remettre leurs Exemplaires , moyennant
le prix de 18 liv. annoncé dans le Profpectus
, attendu qu'on n'imprimera dorénavant
que du papier vélin.
( Cet Article eft de M. Quatremère de Quincy. )
DE FRANCE. 69
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE Mercredi ,, Septembre , on a repréſenté
pour la première fois Marie de Brabant , Tragédie
en cinq Actes , par M. Imbert .
Cette Tragédie , dont le fujet eft tiré de l'Hif
toire de France , a reçu du Public un accueil
favorable , & qui le deviendra davantage , quand
l'Auteur aura fait difparoître quelques détails qui
talentiffent l'action . Dans le prochain Mercure nous
en donnerons l'analyfe , ca rapprochant le fair
hiftorique de la manière dont M. Imbert l'a diftribué
pour la Scène.
COMÉDIE ITALIENNE.
ON a remis à ce Théatre deux Opéra Comiques
qu'on n'y avoit pas vus depuis long-temps .
1°. Le Jardinier & fon Seigneur , par M. Sedaine
, mufique de M. Philidor.
Au fond du fujet fourni par la Fable de La
Fontaine , l'Auteur a ajouté des fcènes épifodiques
, dans l'une defquelles deux femmes de Spectacle
veulent débaucher la fille du Jardinier. Cette
fcène , qui n'a jamais plu , a été mal rendue &
70
MERCURE
魚
mal accueillie à cette rep: ife. Il nous a toujours
un af
paru indécent que les Gens de Lettres fe traduififfent
réciproquement fur le Théatre fous
pect ridicule ; il ne nous le paroît pas moins que
des perfonnes de Spectacle confentent à y jouer
d'autres perfonnes du même état , ou à peu près,
dans des roles humilians pour tout étre à qui il
refte feulement un peu de délicatelle. En 1761 ,
le Jardinier & fon Seigneur a obtenu un fuccès
qu'il a dû au talent de M. Philidor & à l'indulgence
des Spectateurs il n'en a point eu en
1789 , & ceux qui confentiront à le lire ,
vaincront qu'il ne pouvoit pas en avoir.
:
fe con-
2 ° . Les Pêcheurs , par M. le Marquis de la
Salle , mufique de M. Ġoffec.
Cette petite Pièce a été jouée pour la première
fois cn 1766. En voici la fable .
Jacques & Simonne ont une fille nommée Suzette
, qui eft demandée en marrage par le Balli
du lieu , & par Bernard , payfan nouvellement
arrivé dans le village. Simonne veut donner Sazette
au Bailli ; Jacques penche pour Bernard , &
lui donneroit hautement la préférence, s'il le connoifloit
mieux. Tout s'explique. Ambroife , frère
de Jacques , habite le méme village que Bernard.
Celui-ci en eft forti pour une affaire où il a trop
écouté fa vivacité . 11 cft aifé , honnête ; on a arrangé
fon affaire: Simonne le laifle enfin, gagner,
& Bernard époufe Suzette.
Tout cela eft froid , & les détails y répondent;
aufli le Public n'a-t-il pas été plus chaud que la
Pièce , qui a gagné doucement fa fia , fans autre
défagrément que l'ennui qu'elle communiquer .
La aiufque eft bien compolée , mais elle n'eit pas
plus gate que l'Ouvrage ; d'ailleurs , depuis 1766,
la mufique vocale a totalcinent changé, & le goût
du chant n'eft plus le même.
<
DE FRANCE.
7%
ANNONCES ET NOTICES
LE More - Lack , ou Eſſai fur les moyens les
plus doux & les plus équitables d'abolir la traite
& fefclavage des Nègres d'Afrique , en confervast
aux Colonies tous les avantages d'une Population
Agricole. A Londres ; & fe trouve à
Paris , chez Prault , Imprimeur du Roi , Quai
des Auguſtins.
L'Auteur de cet Ouvrage , vivement ému da
fort des Nègres , dont notre avarice fait des efclaves
malheureux , fait faire partager à fon Lecteur
les fentimens dont il eft pénétré. Le détail
qu'il donne fur la manière dont les Princes Africains
fe procurent les efclaves qu'ils fouruiffent aux
Capitaines Européens , préfenté un tableau auổi
vrai que touchant, & l'on ne peut lire fans intérêt
cette partie de fon Ouvrage. Quant aux
moyens qu'il propofe pour abolir cet efclavage
fans nuire au commerce de nos Colonies , on ne
peut que les approuver ; mais ils ne nous ont
point paru fuffifans . En général cet Ouvrage peut
êre fort utile dans ce moment où il eft vraifemblable
que la Nation s'occupera des moyens
d'adoucir la deftinée de cette partie du genre
humain.
Confidérations fur les richeffes & le luxe , nouvelle
Edition , corrigée & augmentée . In-8 ° . Prix,
4 liv . brochá. A Amfterdam ; & fe trouve à Paris ,
clicz la veuve Valade , rue des Noyers.
72
MERCURE DE FRANCE .
L'Union des trois Ordres , ou la Poule au pot
M.Je Morainville ; in- 8 ° . de 90 pages . A Paris, par
chez le Comte , Libr . rue St- Andié - des Arts ; & à
Verfailles , chez Blaifot .
Cet Ouvrage préfente des moyens pour réduire
toutes les impofitions fur les biens - fonds à un
Dixième , & celles des habitans des villes au
Vingtième de leurs loyers ; & pour préparer en
même temps au Gouvernement les refources néceffaires
pour faire face à tous les évènemens extraordinaires
, fans être cbligé de recourir à de
nouveaux emprunts. La réduction des Couvens ,
déjà ordonnée par une Déclaration du Roi , fourniroit
une partie de ces reffources.
Mémorial Hiftorique des Etats- Généraux pendant
le mois de Mai 1789. Prix , 1 liv . 16 f. ; incis de
Juin , 2 liv. 8 f.; mois de Juillet , 2 liv . 8 f. Se
trouve à Paris , chez Poinçot , Libraire, rue de la
Harpe , No. 133 .
Portrait de M.le Marquis de la Fayette , gravé
d'après Nature par Queredey , au phyfiopoftrace,
Prix , 4 f. A Paris , chez l'Auteur , rue Croix des
Petits Champs , N ° . 10 ; & au Palais - Royal ,
180. Prix , 24 f.
·
Ce Portrait doit doublement intéreffer le Public.
Il fe trouve aufli en couleur à la même
adreffe. Prix , 30 f.
TABLE
.
INSCRI NSCRIPTION. 49 Varills.
53 Comédie Italienne.
Charate , Enig. & Locog. so Comédie Françoife.
Le gran Porte feuille.
Divers objets d'Economie. 59 Annonces & Notices .
62
ibid.
71
SUPPLEMENT,
CONTENANT
LES PROSPECTUS ET AVIS
DE LA LIBRAIRIE.
HISTOIRE UNIVERSELLE , depuis le
commencement du Mondejufqu'à préfent,
enrichie de Figures & de Cartes ; Ouvrage
traduit de l'Anglois , par une Société de
Gens de Lettres ; 126 vol. in- 8 ° . y compris
6 vol. de Tables qui font fous preffe.
TROISIÈME ET DERNIÈRE SOUSCRIPTION.
A Paris , chez MOUTARD , Imprimeur Libraire
, rue des Mathurins , hôtel de Cluni ,
& chez tous les Libraires de l'Europe.
LE grand Ouvrage qu'on annoɛce ici , n'eſt
point un de ces Ecrits connus feulement de la
Nation chez laquelle ils ont été composés . L'Hiftoire
Univerfelle , traduite de l'Anglois , eft le
corps d'Hiftoire le plus vafte & le plus complet
qui ait jamais paru.
Si l'on excepte le Dictionnaire raiſonné des
Sciences & des Arts , on ne connoît point dans
la Littérature d'Ouvrage plus utile & plus généralement
eftimé. L'Hiftoire Univerfelle fera
le Livre de tous les fiècles , parce qu'il eft le
feul dépôt où foient confignés les actes de toutes
les Nations .
Cette entrepriſe a été fuivie avec toute l'exactitude
poffible. Le tome Ier, a paru le premier
Suppl. No. 18. 19 Septembre 1789. *
( 2 )
Janvier 1779. & le t. 12c le premier Janvier 1789 .
Il ne reste à donner pour terminer cet important
Ouvrage , que fix volumes de Tables ; iavoir ,
trois volumes de Table alphabétique , & trois de
la Table chronologique . La copie de ces Tables
eft faite , & déjà plufieurs volumes font fous
prefle . Il en paroitra un volume en Octobre
prochain , & les autres fucceffivement de deux
en deux mois.
Les perfonnes qui défirent fe procurer ces
Tables , font priées de foufcrire & faire ayer
24 liv. avant le premier Cobre 1789. Les
volumes leur feront fournis à mesure qu'ils
paroîtront. Ceux qui auront négligé de foufcrire ,
ne pourront fe procurer ces Tables pour aucun
prix , parce qu'on ne tirera que les exemplaires
des Soufcripteurs.
On peut juger de la néceffité de ces Tables
par celles de l'Hiioire Ancienne , qui forment
les tomes 37 , 38 , 39 & 40. En effet , fi l'on
vent chercher un fait , vérifier une époque de
Hiftoire dans quatre- vingts volumes , comment
y parvenir fans le fecours de la Table ?
Nous croyons devoir donner ici le détail des
i20 volumes.
L'HISTOIRE ANCIENNE contient. .
Table Apliat étique de l'Hiftoire Ancience
, tomes...
Table Chronologique. •
HISTOIRE MODERNE . Hiftoire des Ara-
103S ....
36
37 & 2
58
volumes.
bes S
des Tartares . des Mogols &
de la profqu'ile de l'Inde.
de la Chine & du Japon.
des Découvertes dans l'Inde .
de l'Empire Othoman, & partie
45 $ 2
53855
56 à 59
734
de la Difpertion des Juifs . 60 & 61
Suite de la Difperfion des Juifs , & partie
de l'Afrique .
62 I
Hiftoire de l'Afrique. • 63 à 68
6
de Malic.. 、、
d Elpagne..
de Portugal..
de France.
d'Italie.
de Savoie.
69
70 à 72
74878
79 å
• 83
( 3 )
& Milan.
de Gênes.
de Corfe , Parme & Plaitance.
de Ferrare , Modène , Bologne
de Milan , Mantone , Venife.
de Venife , Florence , Pife
Luces , Sienne , & c. .
de Naples & de Sicile.
de la Subte.
d'Allemagne ..
d : Holande.
....
de Danemarck & Suède .
de Ruffie , Pologne & Pruffe . .
d'Angsters & Hongrie...
Buheme , Saxe & Bavière ..
Pa atinat du Rhin , Bru.wick
& Hanovre..
84 à 35 volumes.
$7 I
100 & 101
. 102 à 104 3
10 à 107
103 à 110
3
111
112 I
113 I
114 à 130 7
120volumes.
de Mekelborg & do Hero ...
Hiftoire de PAmérique des Terres
Auftrales , termés par la Conftitution
des États- Unis de l'Amérique.
TOTAL...
Depuis long - temps les foixante premiers
volumes de cet Ouvrage étoient épuifès , & le
Libraire ne pouvoit fournir d'exemplaires complets.
Sur les différentes demandes qui lui ont été
adreffées , il s'eft déterminé à réprimer les
volumes manquans , au nombre de cinq cents
exemplaires ; & comme dans le nombre de fes
Soufcripteurs il y en a à peu près trois cents
qui ont négligé de fe completter , il les engage
pour la dernière fois à vouloir bien fe completter
d'ici au premier C&obre , autrement il
fera autorifé à difpofer des volumes qui n'auront
pas été retirés , pour fournir des exemplaires
complets aux nouveaux Soufcripteurs . Ils ne
pourroient alors fe completter qu'après la réimpreffion
de ces derniers volumes.
Le fieur MOUTARD cuvre une troifième &
dernière Soufcription , pour laquelle il ne demande
aucune avance . On ne payera les volumes qu'à
mefure qu'on les retirera.
Il offre de délivrer actuellement les douze
premiers volumes brochés au prix de 4 liv . 10 f.
le volume , c'eſt -à - dire , pour 54 liv. Les douze
fuivans , ou les tomes Xill à XXIV , au mois
* 1j
( 4 )
de Janvier 1790 , & les autres fucceffivement ,
à raifon de douze volumes tous les trois mois .
On fera libre d'acquérir plus de douze volumes
à la fois ; mais on n'en délivrera pas moins de fix.
Les perfonnes qui voudroient fe procurer
l'Ouvrage en entier , en une feule & même
acquifition , ne payeront que 4 liv . le volume ,
c'eft - à- dire , que 480 liv . pour les cent vingt vol.
Il eft jufte de faire un avantage à ceux qui
débourfent tout de fuite une groffe fomme.
On payera pour la rel . de chaque vol. 1 1.4 f.
HISTOIRE DE LA DÉCADENCE ET DE
LA CHUTE DE L'EMPIRE ROMAIN ,
par M. GIBBON , 18 vol. in-8 . dont les
huit premiers paroiffent. A Paris , chez
MOUTARD , Libraire-Imprimeur , rue des
Mathurins , hôtel de Cluni , & chez LETELLIER
, Libraire , quai des Auguftins.
Traduction complette.
M. GIBBON a enfin achevé ce grand morceau
d'Hiftoire , après un travail opiniâtre de quinze
années. L'Europe entière admirera bientôt fes
recherches & fon talent . On le comparera à M.
Hume & à M. Robertſon , qui ſembloient s'être
emparés de la première place parmi les Hiftoriens
modernes ; & nous nous bornerons à indiquer ici
l'étendue de la carrière qu'il a parcourue avec
tant de gloire.
Il divife en trois périodes les révolutions mémorables
qui , dans le cours d'environ treize
fiècles , ont frappé l'édifice de la grandeur Romaine
, & l'ont enfin renverfé .
I. La première période commence au règne
de Trajan & des Antonins , où la Monarchie
Romaine , dans toute fa force , & arrivée an
faite de la grandeur , pencha vers fa ruine ; &
( 5 )
elle fe prolonge jufqu'à la deftraction de l'Em--
pire d'Occident au fixième fiècle , par les armes
des Germains & des Scythes , Barbares féroces ,
dont les defcendans forment aujourd'hui les
Nations les plus polies de l'Europe.
II. La feconde période commence avec le
règne de Jeftinien , qui , par fes Loix & par fes
victoires , rendit à l'Empire d'Orient fon ancien
luftre . Elle renferme l'invafion des Lombards en
Italie ; la conquête de l'Afie & de l'Afrique par
les Arabes , qui embrafsèrent la Religion de
Mahomet ; la révolte du peuple Romain contre
les foibles Souverains de Conftantinople , &
l'élévation de Charlemagne , qui , en 800 , fonda
un nouvel Empire .
III. La dernière & la plus longue de ces périodes
contient environ fix fiècles & demi ,
depuis le rétabliffement de l'Empire en Occident ,
jufqu'à la prife de Conftantinople par les Turcs ,
& l'extinction de la race de ces Princes dégénérés
, qui fe paroient des vains titres de Cefar
& d'Augufte , tandis que leurs domaines étoient
circonfcrits dans les murailles d'une feule ville ,
où l'on ne confervoit même aucun veftige de
la langue & des moeurs des anciens Romains.
Les Croifades ayant contribué à la ruine de
Empire Grec , font partie de cette période.
L'A iteur à porté fes recherches fur l'état où
fe trouvoit la ville de Rome au milieu des
ténèbres & de la confufion du moyen âge , &
il nous a donné le tableau inft u&tif & curieux
de Rome barbare , qui manquoit à la Littérature
moderne.
Nous nous contenterons d'ajouter qu'aucun
Écrivain moderne n'a fait une Hiftoire auth étendue
& d'an intérêt auíli général , & qu'elle offre
deux genres ne mérite qu'on ne trouve guère
‹ réunis , même chez les Hiftorians de l'Antiquité ;
la diſcuſſion la plus exacte & la plus foignée des
* iij
( 6 )
Auteurs originaux & des anciens monumens ,
& une belle compofition ornée de tout l'éclat &
de tous les charmes du ftyle.
Cette Hiftoire forme en Anglois fix volumes
in-4. Le premier parut en 1776 ; le fecond & le
troifième furent imprimés en 1782 , & les trois
derniers ne font publiés que depuis quelques mois .
Le premier volume a été traduit en 1777 ,
ParM. de Septchenes , que la mort vient d'enlever
aux Lettres . Nous réimprimerons fa verfion
fi élégante & fi corre&te , & nous y ajouterons
la traduction des cinq derniers volumes , faite
avec le même foin par MM. Demeunier & de
Cantwel.
La traduction entière formera dix - huit volumes
in- 8. Les huit premiers vol . paroiffent ; le
neuvième paroîtra en Septembre , le dixième en
Novembre , & les autres fucceffivement , à raifon
d'un volume par mois , de manière que toute
l'édition fera achevée au mois de Juillet 1790 .
Le prix de chaque volume fera de 5 liv . broché
& 6 liv. relié . On fera libre d'acheter les volumes
à mesure qu'ils paroîtront ; mais le Libraire fe
chargera volontiers de les faire porter à Paris
aux perfonnes qui voudront payer fix volumes
d'avance , dont on leur donnera une reconnoiffance
; on leur évitera par- là le foin d'envoyer
chercher les volumes lors de leur livraiſon.
DICTIONNAIRE UNIVERSEL DE
POLICE , contenant l'origine & les progrès
de cette partie importante de l'Adminiftration
civile en France , les Loix ,
Réglemens & Arrêts qui y ont rapport,
enfin un Tableau hiftorique de la manière
dont elle fe fait chez les principales Nations
de l'Europe ; par M. DES ESSARTS ,
Avocat , Membre de plufieurs Académies ,
( 7 )
10 vol. in-4. dont lesfept premiers volumes
paroiffent. Le tome VIII paroîtra au
premier Novembre 1789. Prix , 10 l . 10f.
le volume broché , & 12 l. 10 f. relié.
Ouvrage pour lequel on fouferit chez
MOUTARD , Libraire- Imprimeur , rue des
Mathurins , hôtel de Ciuni.
-
TOUTES les Nations , tant anciennes que
modernes , ont fenti la néceffité d'établir une
fage Police ; & , en effet , fans elle il eft impoffible
qu'une Société nombreuſe d'individus ,
agités par des paffions différentes , & mus par
des intérêts oppofès , puiffe fubfifter avec harmonie.
Auffi , qu'on remonte aux temps les
plus reculés , on verra les Souverains & les
Peuples s'occuper de cet objet important. Si
les monumens de leur Police font groffiers ,
il faut en accufer la barbarie des fiècles qui les
ont élevés ; mais ils ne preuvent pas moins
que , dans tous les temps , tous les Peuples
civilifés ont reconnu la néceffité d'une Adminiftration
particulière , qui fût chargée de veiller
à la tranquillité publique & à la fûreté des individus
dans l'enceinte des Villes .
Les Égyptiens avoient des Magiftrats de
Police ; les Hébreux en avoient également ; les
Grecs avoient leurs Archontes ; les Lacédémoniens
leurs Nomophulaques. Les Romains ,
fous leurs Rois , curent leurs Préfets de la Ville ;
dans le temps de la République , leurs Préteurs ,
leurs Édiles ; & , fous les Empereurs , leurs
Préfets & leurs Triumvirs nocturnes . Les Gaulois
avoient différens Officiers de Police , qui
étoient connus fous les noms de Curateurs de
la Ville , de Défenfeurs des lieux , de Pères du
Peuple , & c
dans les
Ce détail fuffit pour montrer que ,
( 8 )
temps les plus reculés , toutes les Nations ont
regardé l'établiffement d'une Police fage , comme
la première fource de la félicité publique .
Nous allons parler du plan qu'on a fuivi ,
pour rendre cet Ouvrage tout à la fois curieux ,
intéreffant & utile. Sa nomenclature renfermera
tous les mots qui ont des rapports directs ou
indirects avec la Police . Ainfi l'on peut dire que
ce fera une véritable Encyclopédie de Police ,
puifqu'on y raffemblera généralement tout ce
qu'il eft effentiel de connoître , & tout ce qu'il eft
agréable de favoir furi'Adminiftration de la Police.
On s'eft attaché à donner des définitions
claires & exactes , & l'on a mis tout en ufage
pour que chaque Article forme un Traité féparé
qui ne laiffe rien à défirer , en évitant cependant
, avec la même attention , une trop grande
féchereffe & une abondance inutile .
Le Difionnaire Univerfel de Police , dont
on imprime actuellement le huitième volume ,
contiendra non feulement les matières traitées
dans les volumes du Commiffaire DE LA MARRE
& de fon Continuateur , mais encore tous les
objets qui devoient entrer dans le Plan du
Traité de la Police , & qui auroient dû y entrer.
Il offrira en outre des additions confidérables für
les parties dont le Commiffaire DE LA MARRE
s'eft occupé , & tous les changemens qui font
arrivés dans la Police , depuis près d'un fiècle
que fon Ouvrage a paru.
Les Magiftrats , les Juges & les Officiers de
Police trouveront dans ce Dictionnaire tout
ce qui a rapport à leurs Charges & à leurs
fonctions. Ils y verront l'origine de leur établiffement
, les différentes viciffitudes qu'ils ont
éprouvées , & leur état actuel. L'on a eu également
foin de rappeler les titres des priviléges
& des prérogatives dont ils jouiffent , & la
nature des obligations que les Loix leur impofent.
( و )
す
1
La profpérité du Commerce étant un des
objets les plus intéreffans de l'Adminiſtration de
la Police , on a rapporté tout ce qui concerne
chaque Corps & chaque Communauté d'Arts
& Métiers , les règles auxquelles ils font foumis ,
leurs droits , leurs prérogatives , leur régime
actuel , enfin tout ce qui cft relatif à leur difcipline
intérieure & à leurs obligations envers
le Public , conformément aux derniers Statuts
qui les gouvernent.
Le Dictionnaire de Police renfermera enfin
une multitude d'Articles hiftoriques fur la Police
des Nations , rant anciennes que modernes. Tout
ce qui a été écrit à cet égard mérite la confiance
des Lecteurs , puifqu'il a été tiré des fources les
plus refpectables . Cette partie doit d'autant plus
piquer la curiofité , qu'elle ne contiendra point
des Romans , mais l'Hiftoire véritable , plus ou
moins étendue , de la Police de prefque tous
les Peuples .
Ainfi, avec le fecours de ce Dictionnaire ,
on réunira toutes les connoiffances nationales
& étrangères , utiles & agréables , qu'on peut
défirer fur la Police.
Le même Libraire vient de mettre en vente :
Traité de l'Éducation des Femmes , ou Cours
complet d'inftruction , par Madame de *** ,
tome VII , in- 8. 3 liv. 12 f. br. 5 1. rel.
Ce volume renferme les regnes de Louis VIII & de
Louis IX, & un Tableau de l'Europe , depuis 1273
jufqu'en 1492 , espace de 219 ans. Le tome VIII
fous preffe.
Caufes célèbres & intéreffantes , avec les Jugemens
qui les ont décidées , rédigées de nouveau
par M.RICHER , t . XXI & XXII , in - 12 . 61. rel.
Difcours fur l'Hiftoire de France , dédiés au Roi ,
par M. MOREAU. Paris , Imprimerie Royale ,
( 10 )
1789 , in-8 . tome XXI , 3 l . 12 f. br. & 5 1. rel.
Ce volume contient les XXI& XXII Difcours ,
termine le règne de S. Louis & de fes Succeffeurs
jufqu'à la mort de Philippe le Harai.
Nouveau Dictionnaire Hiftorique , ou Hiftoire
abrégée de tous les Hommes qui fe font fait
un nom , depuis le commencement du Monde
jufqu'à nos jours , feptième édition. Caen ,
1789 , 9 vol. in 8. 45 liv. br. 54 liv . rel .
ICHTYOLOGIE , ou Hiftoire Naturelle ,
générale & particulière des Poiffons ; nouvelle
édition , en fix volumes in - 8 . ornée
de 216 figures , deffinées & enluminées
d'après nature, par Marc Eliéfer BLOCH,
L'ACCUEIL favorable que le Public a fait à
la première édition de cet Ouvrage précieux ,
en fix volumes in-fol. nous fait efpérer qu'il
nous faura gré de celle que nous nous propofons
de mettre à la portée de tout le monde
par la modicité de fon prix , & de donner
par foufcription.
Cette édition fera exécutée , ainfi que les
planches , fous les yeux de l'Auteur , & formera
fix volumes in- 8. Le papier & les caractères
feront les mêmes que ceux du Profpectus ,
qui fe diftribue aux adreffes plus bas indiquées,
Il en paroîtra tous les deux mois un volume ,
compofe de 250 à 300 pages d'impreffion , &
de 36 planches . Le premier pourra être délivré
au mois de Décembre prochain . Le prix de la
foufcription eft de 108 liv . pour chaque exemplaire
broché. Nous ne demandons point
d'avances.
On foufcrit à Strasbourg , chez Amand Kanig ,
Libraire , chez lequel il refte encore quelques
exemplaires de l'édition in -fol. au prix de 4321.
( 11 )
en grand papier , & de 360 liv. en petit papier.
On peut également foufcrire
Louis-Nicolas Prevost , quai des
Auguftins .
A Paris , chez Théophile Barrois le jeune ,
quai des Auguftins.
Croullebois , rue des Mathurins .
Et chez les Libraires des principales villes de
l'Europe.
CHRONIQUE DE PARIS.
EN annonçant les Journaux , on a cherché
jufqu'ici à exciter l'empreffement du Public par
les promeffes les plus féduifantes de ne laiffer
rien à défirer fur les nouvelles Politiques &
Littéraires , & fur tout ce qui peut piquer la
curiofité de différentes claffes de Lecteurs.
On a promis la plus grande variété , la plus
fcrupuleufe exactitude dans le récit des faits ,
& l'impartialité la plus rigoureufe . Enfin , fi l'on
en croit les Profpectus , les Journaux annoncés
doivent être uniques dans leur genre , & rendre
inutiles toutes les feuilles périodiques . L'exécution
a - t- elle répondu à ces promeffes ? Les
Auteurs de la Chronique de Paris n'ont pas
la préfomption de croire que leur Journal ait
la fupériorité fur tous les autres ; ils n'ambitionnent
que l'avantage de partager la gloire de
ceux dont le Public femble être fatisfait.
La Chronique de Paris paroît depuis un mois .
Quoiqu'elle n'ait pas été annoncée , & qu'elle
n'ait été connue que par un fimple avis , l'affluence
des foufcriptions donnant l'affurance
que le Public fera à cet Ouvrage un accueil
favorable , les Auteurs fe font déterminés à
ndiquer les objets qu'il traite , & lenouvel ordre
qu'ils ont arrêté pour fa diftribution .
Ce Journal rend compte de tout ce qui fe
afle d'intéreffant dans la Capitale . On y trouve
12 Y
les Nouvelles publiques & particulières , l'Analyfe
de toutes les Nouveautés Politiques &
Littéraires , la Notice des Pièces des différens
Theatres , les Débuts , les Anecdotes les plus
piquantes , les Caufes célèbres , la Nécrologie ,
le Cours des effets publics , l'Annonce de tous
les Spectacles , &c. & c.
Modelé fur le London's Chronicle , il eft
vrai , libre , impartial . On y peut inférer des avis
de toute efpèce.
Il eftde format in -4. contenant quatre grandes
pages , imprimées à deux colonnes comme la
Gazette de France , & fur beau papier , conforme
aux premiers Numéros,
On le recevra franc de port tous les matins
dans Paris , moyennant 9 liv. pour trois mois ,
18 liv. pour fix mois ,
& 30 liv. pour un an.
Le prix de l'abonnement pour la Province
eft de liv . 15 f. pour trois mois , 19 liv. 10 ſ.
pour fix mois , & 33 liv . pour un an , auffi
franc de port , & l'on aura toujours foin de
profiter du premier départ du Courrier.
Le Bureau général des Soufcriptions fera
déformais chez Laporte , Libraire -Imprimeur ,
hôtel de Bouthilliers , rue des Poitevins , & c'eft
à lui qu'on adreffera , francs de port , tous les
objets qu'on voudra faire annoncer dans la
Chronique de Paris , les Lettres & les Avis qu'on
voudra faire tenir aux Rédacteurs .
On pourra foufcrire auffi chez tous les Libraires
de Paris & de Province , & chez tous
les Maîtres des Poftes .
N. B. Les perfonnes qui defireroient connoître,
la Chronique de Paris avant de foufcrire , &
qui n'auront point des occafions prochaines de
s'en procurer des Numéros pour les confulter ,
peuvent s'adreffer au fieur Laporte , en lui
donnant leurs noms , qualités & demeures , &
en affranchiffant leurs Lettres. Il leur en adreffera
gratuitement.
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
ALLEMA G´N E.
DeHambourg, le 1 " . Septemb. 1789.
•
L'ESCADRE Russe , qui croise dans la Baltique
, consiste en 29 vaisseaux de ligne ,
non compris ceux de l'escadre de réserve
sous les ordres du Vice- Amiral de Kruse
La côte, depuis Wybourg jusqu'à Sufferbek
, est garnie de batteries de canons.
Trois régimens de l'armée du Prince
Potemkin sont en marche pour se rendre
dans la Finlande ; deux ont passé par Pé
tersbourg.
-
Les dernières lettres de Carlscrone
annoncent que le Duc de Sudermanie
fait les dispositions nécessaires pour ressortir
avec la grande escadre. Une
division de vaisseaux est partie pour une
expédition secrète. Le Général Baron
de Beckfriis a obtenu le commandement
général dans la Scanie . M. Liston,
N°. 38. 19 Septembre 1789.
I
( 182 )
nouveau Ministre Britannique , présenté
à la Reine et à la Famille Royale , a eu
quelques conférences avec le Sénateur
Comte de Duben.
Plusieurs avis du Duché de Courlande
portent que la fermentation y fait tous
les jours des progrès. Il paroît que l'on
a formé le projet d'incorporer entièrement
ce Duché à la Couronné de Pologne
, et de le faire régir par un Vaywode.
De Vienne , le 31 Août.
"
L'opinion du siége prochain de Belgrade
, tombée la semaine dernière , a
repris quelque crédit depuis le départ
de l'Archiduc François pour Semlin .
Ce Prince est parti , le 28 , précédé , la
ville , du Général Pellegrini. Les
nouvelles de Laxembourg annoncent
que depuis la seconde opération qu'a
subi l'Empereur , il se trouve sans doùleur
, et a même déja quitté le lit.
Aucun avis important de nos armées.
La Gazette officielle du 26 août s'est
bornée à nous, apprendre ce qui suit :
Le Général Comte de Clairfait , mande
dans sa derniere dépêche , qu'ayant appris ,
la nuit du 16 -de ce mois , qu'un Corps d'environ
5 à 6,000 Tures étoit posté à Méhadie
, il fit avancer le lendemain matin son
Corps sur la grande route ; l'avant -garde
qui passoit les montagnes de Jablonicza ,
( 183 )
rencontra sur celle de Gernahor , environ
6ob Spahis , les attaqua et les repoussa. Les
Troupes ennemies qui étoient postées en
avant de Méhadie , disputèrent à nos
Troupes la sortie des montagnes et le passage
du pont de Bolvaschniza ; mais cette
résistance fut de peu de durée ; notre artillerie
fit un si bon effet , que l'ennemi se
vit bientôt obligé de se retirer avec précipitation
derrière Méhadie . Le Général de Clairfait
entra ensuite dans cette ville , et fit occuper
tous les postes ; les portes et une partie des
redoutes ont été trouvées en bon état. A
juger du camp que les Turcs ont abandonné ,
leur nombre étoit d'environ 6,000 hommes ;
ils étoient campés près du cimetiere .
Le
nombre de Turcs , à Gerners , est de 5,000
hommes , et plus de 16,000 à Schuppanek :
ils n'ont pas de magasin , et manquent souvent
de vivres.
Suivant les derniers rapports de Focksani
, le Général Karaiczai est à Rimnick
, avec les postes avancés de l'armée
de Cobourg . Deux Corps Turcs se rassemblent
, l'un près de Fatin , et l'autre
près de Fisko ; le premier est de 15,000
hommes , et le second de 10,000 ; l'on
présume qu'on ne fera la conquête de
la Valachie , qu'après une seconde victoire
.
L'Empereur a élevé la ville de Ziala
dans la Gallicie , au rang d'une ville libre
et royale , et permis le culte public aux
Protestans qui y demeurent.
Le Général d'Artillerie Pierre de
I ij
( 184 )
Langlois , est mort a Trieste , le 19
du mois dernier , âgé de 65 ans .
De Francfort sur le Mein, le6 Septemb.
Le Roi de Prusse est arrivé , le 16
août , à Glogau , où S. M. a fait la
revue du régiment de Wolfransdorf ;
dans l'après-midi , Elle a inspecté près
de . Randten , trois autres régimens. Le
soir , le Roi se rendit à la terre du Ministre
d'Etat , Comte de Hoym.
La Commission établie à Berlin , pour fixer
le sort des Juifs dans les Etats Prussiens ,
finira incessamment ses travaux . On assure
que l'état civil leur sera accordé , et que par
conséquent ils pourront acquérir des propriétés
, apprendre et exercer des métiers
et en general , se donner à telle branche
d'industrie qu'ils jugeront convenable ; mais
ils seront aussi assujettis aux charges publiques
comme les autres Sujets. On ajoute
cependant que l'on n'admettra dans l'Etat
Militaire que la troisienre génération , et `
qu'en attendant , les Juifs payeront pour
eet objet une certaine taxe.
A la requisition du Grand-Fiscal de
Empire , la Chambre Impériale de
Wetzlar a rendu un décret contre la
révolution de Liège , par lequel il est
ordonné de restituer au Prince- Evêque
toutes ses prérogatives , et de rétablir
l'ancienne Magistrature . Cette nouvelle
répandit un tel effroi à Liége , que les
trois Ordres , Primaire ou du Clergé ,
( 185 )
de la Noblesse et du Tiers-Etat , se sont
assemblés , et réunis dans le projet d'une
Députation commune à Wetzlar .
Elle est chargée d'attester à la Chambre' ,
que la révolution est unanimement applaudie
, reçue sans opposition ni réclamation
qu'on ne veut altérer en rien la Constitution
établie , mais lui rendre son ancienne vigueur
, et rentrer dans des droits légitimes ,
des droits sanctionnés par l'usage constant
de plusieurs siecles ; qu'enfin , puisqu'il n'y
avoit ni plainte , ni plaignant , ni paix publique
enfreinte ; puisque le Prince luimême,
avoit non- seulement tout approuvé ,
mais même déclaré qu'il ne feroit aucune
démarche contraire , mais même désavoue
toutes celles que l'on auroit pu faire ou
que l'on pourroit faire à son insu , le rescript
de la Chambre étoit sans objet , comme
sans motif.
D'après cela , on espère que l'intervention
menaçante du Corps Germanique
n'aura pas de suite , et qu'on
laissera les Liégois se disputer , se régénérer
, s'arranger comme il leur plaira .
Il est très-certain que le Prince Evêque
n'a fait aucune démarche ni directe , ni
indirecte , auprès de la Chambre Impériale.
Tout est tranquille à Aixla
- Chapelle , où l'on ne voit aucuns
mouvemens ; mais les 22 Tribus. de la
ville Impériale de Cologne se sont as
semblés le 27 , aussi pour se régénérer.
On y craignoit des scènes violentes ;
mais encore plus , que ces imitations
1 iij
( 186'- )
namènent avant peu 80 mille hommes
sur les bords du Rhin .
Un ramas de vagabonds s'étoient réunis
dans la Campine Autrichienne , et se
proposoient de s'y établir en Corps
d'armée. En attendant , ils mangeoient
et buvoient à discrétion chezles Paysans ,
menacés du pillage . Instruit de cetie
manoeuvre , le Général d'Alton a fait
faire une battue générale par des détachemens
de plusieurs garnisons du Brabant
les bandits ont été dispersés , et
. on en a saisi un nombre qui va être jugé
èt exécuté prévôtalement.
ÉTATS - UNIS D'AMÉRIQUE.
De New-Yorck , le 15 juin 1789 .
A peine la Constitution du Congrès
a-t-elle commencé à être en exercice ,
qu'il s'est élevé des projets de la corriger
. L'Etat de Virginie ayant sollicité
l'examen des amendemens qui pourroient
être faits à ce systême de Lois ,
la Chambre des Représentans du Congrès
s'est occupée de cette résolution .
Le 8 Juin , M. Maddison proposa de se
former en grand Comité , pour prendre en
considération les amendemens à faire à la
Constitution fédérative , conformément au
yeu exprimé dans l'article V de ladite Constitution
. M. Maddison présenta en même
temps à la Chambre les amendemens , sous
( 187 )
la forme d'un projet d'arrêté , contenant
neuf articles , dont il fut fait lecture. Ce
Arrêté que les amendemens suivans devront
être présentés par le Congres aux Législa
tures des Etats , pour devenir , s'ils sont ratifiés
par les trois quarts d'entre eux , partie
de la Constitution des Etats - Unis .
projet d'arrêté est de la teneur suivante
,
C
1º. Qu'il soit mis en tête de la Constitution
, une Déclaration portant , « que tout
Pouvoir réside originairement dans le Peu-
« ple , et dérive par conséquent de lui :
་ ་
"
"
R
το
"
"
"
"C
Que le Gouvernement est institué et
doit être exercé pour le bien du Peuple ,
lequel consiste à jouir de la vie et de la
liberté , avec le droit d'acquérir et d'user
de la propriété , et généralement de poursuivre
et d'obtenir le bonheur et la sureté.
"
Que le Peuple a le droit indubitable ,
inaliénable et imprescriptible de réformer
ou changer son gouvernement , toutes les
fois qu'il sera trouvé contraire ou insuffisant
pour l'objet de son institution . "
2°. Que dans l'Article I. , Section II ,
Clause III , ces mots seront effacés ; savoir:
Le nombre des Réprésentans n'excédera
point un , pour chaque trente mille habitans
; mais chaque État aura au moins un
Représentant , et jusqu'à ce que ladite
énumération soit faite . «
てく
"l
"
Et qu'au Feu de ces mots , il y sera inséré
les suivans , savoir : « Après la premiere énumération
actuelle , il y aura un Représen
tant pour chaque trente mille habitans ,
jusqu'à ce que le nombre se monte à .....
Après quoi la proportion sera réglée par
Congrès , de manière que le nombre ne sera
(c
Re
"2
le
I iv
( 188 )
"
་་
་་
.
jamais de plus de .... ni de moins de ....
Mais chaque Etat , apres la premiere énumeration
, aura au moins deux Representans
, et avant cela : 00
3°. Que dans l'article I. , Section VI ,
Clause , il soit ajouté , apres la premiere
phrase , les mots suivans : « Mais aucune Loi
qui changera l'émolument fixé en dernier
lieu , ne pourra avoir d'effet avant la prochaine
Election des Représentans. "
"
"
ff
4° . Que dans l'Article I. , Section IX ,
entre les clauses III et IV , il soit inséré les
clauses suivantes , savoir : « Les droits civils
d'aucun ne seront restreints pour cause
de croyance ou de culte religieux , ni il
ne sera point établi de Religion Nationale ,
ni les droits de conscience ne seront en
aucune manière , ni sous aucun prétexte ,
enfreints , soit dans leur intégrité ou leur
égalité. «
66
"(
"
ང་
41
<<
"
"
Le peuple ne sera point privé ni restreint
dans le droit de parler , d'ecrire ou de publier
ses sentimens ; et la liberté de la
presse , comme étant l'un des grands boulevards
de la liberté , sera inviolable. "
"
Le peuple ne sera point empêché de
s'assembler paisiblement , et de se consulter
sur le bien-être commun , ni de s'adresser
à la Législature , par des Pétitions
ou Remontrances pour le redressement de
ses griefs.
et
Le droit du Peuple , de garder et de
porter des armes , ne sera point enfreint ;
une Milice , bien armée et bien réglée, étant
la meilleure defense d'un pays libre ; mais
aucune personne , religieusement scrupuleuse
de porter les armes , ne sera obligée
( 189 )
de rendre un service militaire en per-
H sonne . «
"
་་
«
"
"
?
Aucun soldat ne sera mis en quartier ,
en temps de paix , dans aucune maison
« sans le consentement du Proprietaire , ni
dans aucun temps : cela ne pourra être
que
d'une maniere ordonnée par Já Loi, “
Aucune personne ne sera sujette , excepté
dans le cas d'impéachement , a plus
d'une punition ou d'un proces pourla même
offense ; ni ne sera forcee à étre témoia
« contre elle -même ; ni ne sera privée de la
vie , de la liberté ou de la proprieté , sans
une procédure légale ; ni ne sera obligée
d'abandonner sa propriété lorsqu'elle sera
necessaire à l'usage public , sans un juste
dedommagement. «
"
u
*
"
яс
AL
"
"
"
К
Il ne sera point requis de caution excessive
, ni imposé d'amende excessive , ni
infligé de punition cruelle et inusitée.
Les droits du Peuple , assurés dans leurs
« personnes , leurs maisons , leurs papiers ,
et leur autre proprieté contre toute recherche
ou saisie injuste , ne seront point violés
par des Decrets ( warrants ) qui seroient
issus sans cause probable , appuyés par serment
ou affirmation , ou qui ne décriroient
point particulierement les endroits à rechercher
ou les personnes ou objets à sa
sir.
K
44
་་
"
"
Dans toutes les procédures criminelles,
l'accusé aura droit à un proces prompt et
public , et aura droit d'être informé de
la cause et de la nature de l'accusa¬
d'être confronté avec ses accusateurs tion ;
et les témoins ; d'avoir un compulsoire du
" proces pour obtenir des témoins en så
"
( 190 )
"
"
faveur , et d'avoir l'assistance d'un Conseil
pour sa défense .
Les exceptions faites ici ou dans toute
« autre partie de la Constitution , en faveur
de droits particuliers , ne seront point interprétées
de manière à diminuer la juste im-
« portance des autres droits conservés par le
Peuple , ou de manière à étendre les pouvoirs
délégués par la Constitution ; mais
considérés , soit comme des limitations
précises de pareils pouvoirs , ou comme
insérées purement pour plus grande pré-
(8
"(
"
caution . "
"
5° . Que dans l'article I , section 10°
entre les clauses et 2 , il soit inséré la
clause suivante , savoir : Aucun état ne
violera les droits égaux de la conscience ,
« ou la liberté de la presse , ou le proces
par Jurés , dans les cas criminels. "
6°. Que dans l'article III , section 2 , il
soit ajouté à la fin de la clause 2 , les mots
suivans , savoir : » Mais aucun appel à ladite
. Cour ne sera permis , lorsque l'objet en
litige ne se montera pas à.
dollars ,
1
ni aucun fait jugeable par Juré , selon le
cours ordinaire de la loi commune ,
не
3' sera sujet àêtre examiné de nouveau , qu'autant
que cela pourra s'accorder avec les
principes de la loi commune. »
06
"
7° Que dans l'article III , section 2 , la
troisième clause soit supprimée , et qu'en sa
place les clauses suivantes soient insérées,
» Le jugement de tous crimes ( excepté
dans les cas d'Impeachment , et dans les
cas résultans des forces de terre ou de
mer , ou de la Milice , lorsqu'elle sera de
service actuel en temps de guerre ou de
danger publio) se fera par un Juré im-
1.
14
( 191 )
1
"
"
"
2
partial de francs-tenanciers du voisinage
avec Punanimité pour la conviction , le
droit de récusation ( the right ofchallenge )
" et autres formes requises ; et dans tous les
crimes punissables par la perte de la vie
" ou d'un membre , la présentation , et prononciation
par un grand Juré (présentement
andindictment ) sera un préliminaire
essentiel , pourvu que dans les cas de
crimes commis dans aucun Comité qui pourroit
être en possession d'un ennemi , ou
dans lequel une insurrection générale pourroit
avoir lieu , alors le jugement puisse
être autorisé par la Loi , dans quelqu'autre
Comté du même état , le plus voisin qu'i
sera possible du lieu de l'offensé.
"
"
་ ་
"
"
Dans les cas de crimes. qui ne seront
« commis dans aucun Comté , le jugement
pourra avoir lieu dans tel Comté que les
Lois auront prescrit . Dans les procedures
" ordinaires d'homme à homme , le jugement
par Juré devra demeurer inviolable ,
comme l'une des meilleures suretés des
droits de l'homme.
"
(
j
"
8°. Qu'immédiatement après l'article 6 ,
il soit inséré , pour former l'article 7 , les
clauses suivantes , savoir:
"
Les pouvoirs délégués par cette Constitution
, et appropries aux Départemens
auxquels ils sont respectivement attribués ,
de maniere que le Département législatif
n'exercera jamais les pouvoirs confiés au
Département exécutif ou judiciaire ; ni le
Departement exécutif n'exercera jamais les
pouvoirs confiés aux Départemens législatif
ou judiciaire ; ni le Département judiciaire
n'exercera jamais les pouvoirs
1
Ivi
( 192 )
- confiés aux Départemens législatif et ju-
Judiciaire.
"
"
2)
Les pouvoirs qui ne sont point délégués
par cette Constitution , ni prohibés par
elle aux Etats , sont réservés aux Etats.
respectivement. "
9° Que l'article VII , devienne par conséquent
, et soit nombré article VIII.
La Motion de M. Maddison fut vivement
combattue. La principale objec
tion qu'on lui opposa , fut que l'examen
des amendemens étoit déplacé dans la
conjoncture actuelle , où ni le systême
fiscal , ni le systême judiciaire n'étoient
encore établis , et où le Gouvernement
fédératif étoit à peine en exercice .
On observa que si l'on s'occupoit maintenant
des amendemens , cet objet détourneroit
par son importance tous les
autres , et rejetteroit l'Union Américaine
dans l'inaction d'où elle cherchoit à se
tirer. On avoua cependant que les amendemens
qu'il proposoit étoient généralement
desirés, et qu'ils rameneroient peutêtre
les deux Etats égarés , Rhode-Island
et la Caroline Méridionale . En consé
quence , pour montrer au Peuple qu'on
ne perdoit point cet objet de vue , et
qu'on se proposoit d'y apporter par la
suite l'attention requise , la Chambre
décida que l'arrêté , proposé par M.Moddison
, seroit soumis à la considération
`d'un grand Comité sur l'état de l'Union
sans cependant assigner d'époque à cet
examen.
( 193 )
FRANCE.
De Versailles , le 16 septembre.
ASSEMBLÉE NATIONALE.
-DIX - NEUVIÈME SEMAINE DE
LA SESSION..
DỤ LUNDI 7 SEPTEMBRE. Les trois questions
de la Permanence , de l'indivisibilité
de l'Assemblée , et de la Sanction Royale
étant remise en délibération , M. Lanjumais
recommença le débat , et d'abord , Pargumentation
des jours précédens contre la
seconde Chambre , soit Sénat , proposé par
le Comité de Constitution.
LL
le
"
Si vous adoptez , dit- il, une Chambre Haute ,
le petit nombre fera la loi au plus grand ;
corps législatif sera frappé de paralysie
et vous gémirez sous la plus terrible aristocratie.
En vain on cite avec emphase l'exem
ple de l'Angleterre , et l'Anglo - Américain
M. Adams , dont le suffrage n'est que celui
d'un aveugle partisan de l'inégalité des droits.
On sait que l'Angleterre , livrée à l'inertie des
trois Veio , manque de plusieurs lois essentielles
, et que si elle en a quelques-unes de
bonnes , son gouvernement , fait au milieu
des dissentions et des guerres civiles , ne
présente que l'image d'une capitulation entre
des ennemis. Il nous faut une Chambre úni
que , qui sera suffisamment contre- balancée
par
le Veto royal , pourvu qué ce Veto ne soit
pas absolu , c'est -à -dire , qu'il n'empêche rien ,
suivant le voeu des cahiers , suivant les prin-
#
( 194 )
cipes , et la leçon de l'histoire . Le Roi étant
chargé de faire exécuter la loi , doit la recevoir
, et l'exécution en ordonner la promulgation.
Voilà en quoi consiste la Sanction
; elle n'est nullement un droit inhérent
à la Couronné . ".
"(
Les lois Saliques ne sont pas même intitulées
du nom de Prince. C'est un pacte national
. Le titre dit : Sedebat Rex in medio exercitu
, etc. Charlemagne ne fit que sanctionner
le
voeu impérieux du peuple François. Celuici
demanda la Sanction comme une chose
que le Roi ne pouvoit refuser , sans délier
ses sujets du serment de fidélité. ( Precipiebant
Reges , quidquid à Francis decretum
erat. ) La loi étoit signée non-seulement du
Prince , mais de tous les hommes libres . »
+
Les Jurisconsultes confondirent , depuis ,
la loi avec la volonté du Prince . Les maux
qui ont résulté de cette confusion sont connus.
C'est à nous à les réparer. . . Il est vrai qu'assez
généralement , le Clergé et la Noblesse ont
voulu accorder au Roi le pouvoir législatif:
c'est qu'ils ont bien senti que ce principe étoit
le seul moyen de conserver leurs odieux priviléges
.
Quant à l'autorité des cahiers , la plus
grande partie ne détermine point la Sanction
; plusieurs excluent le Vetoexpressément :
il en est qui réclament le seul Veto suspensif.
Enfin , ils ne peuvent être impératifs , puisqu'ils
se contredisent. Ils ne peuvent avoir
que le caractère d'instruction , sans quoi la
législation seroit impossible. Mais tous les
cahiers du Clergé et de la Noblesse fassentils
impératifs , ce ne sont que ceux de la
tre centième partie de la Nation.
qua
( 195 )
"
Si les pouvoirs se confondent , il n'y a
plus de liberté. Le pouvoir exécutif appartient
au Monarque ; il ne peut donc exercer
le pouvoir législatif ; or , ce seroit l'exercer ,
que d'arrêter librement la loi. Rejeter une loi
qui supprimè un abus , c'est établir l'abus.
L'Opinant prétendit , par digression, avoir
entendu des Membres de la Noblesse demander
le Veto absolu , dans l'espérance de faire
renaître le régime féodal qui vient d'être
proscrit. (Cette découverte ne réussit pas auprès
de l'Assemblée. ) Le corps législatif qui
propose la loi , et le Roi qui la refuse , devant
être considérés comme deux Mandataires
qui ne s'accordent pas , le Commettant seul
peut juger le différend, Le Veto Royal ne
doit donc être que suspensif, avec appel au
peuple.
Il demanda ensuite qu'il fut convoqué
des assemblées de convention , pour réviser
la Constitution ; la première dans vingt ans ,
et les suivantes tous les cinquante ars.
M. le Comte de Virieux réfuta le Préopinant
sur tous les points , excepté sur la
permanence du Corps Législatif. Cette permanence
, dit-il , est indispensable , si Pon
veut établir dans l'Etat une force unique
et toujours existante , qui maintienne la
réunion des Provinces , en les soumettant
aux mêmes Lois. Sans elle , comine sans l'appui
du Veto , une division fédérative s'éleveroit
sur les ruines de l'Empire actuel . Déja
une Province a formé le dessein de rappeler
ses Députés , de faire cause particulière , et
de se gouverner elle -même. J'en ai la preuve.
Ce coupable projet de désunion est entré
(196 )
dans beaucoup d'esprits et dans beaucoup
d'espérances .'
( Plusieurs voix se récrièrent à ces mots ,
nièrent l'assertion , et l'on ne sortit de ce
tumulte momentané , qu'après que l'ordre eut
été rappelé et ramené par le Président ).
"
J
Je rejette , continua M. de Virieux , cet
appel au Peuple , dans les cas d'exercice du
Veto ; moyen infaillible de précipiter la
perte de nos droits ; car la liberté a constamment
échappé à tous les Peuples qui ont
voulu la garder eux-mêmes. Plus le Corps
législatifaura d'énergie par sa permanence ,
plus la Nation doit veiller sur l'ambition de
ses Représentans : d'où s'ensuit la nécessité
de la Sanction Royale et de la division de
l'Assemblée en deux Chambres.
« Le Veto étant restreint , qu'il s'élève
une faction purissante et ambitieuse , le
Peuple , qui travaille , qui n'a pas le temps
de discuter , d'observer , pourra- t - il s'éclairer
et découvrir les pieges qu'on lui tend ? Il sera
forcé de se livrer à l'insurrection . Ne voyons ,
Nous pas en ce moment le Peuple convaincu
que le Veto est un impôt ? Ne l'avons -nous
pas entendu qualifier d'Aristocrates des malheureux
qui manquoient d'habits et de souliers
? Un long intervalle de temps peut seul
éteindre les factions. Borner à un temps
court le Veto Royal , ce seroit nourrir cet
esprit de cabale. Il faut donc déclarer le Veto,
non absolu , ce qui seroit impossible , mais
indéfini; et si ce mot peut alarmer encore ,
qu'au moins le terme du Veto soit prolongé
pendant trois , quatre Législatures même, successives
et tres -éloignées.
La permanence du Corps législatif doit
entrainer nécessairement la formation de
( 197 )
deux Chambres. Elles ne peuvent être dangereuses
, si les Membres sont elus par le
Peuple , pour un temps limité , après lequel
ils rentreront dans le sein de leurs Commet,
tans , et perdront toute leur autorité ; si elus
sans distinction , ils participent à l'intérêt
général , et sont forcés de souffrir eux - mêmes
des fautes qu'ils commettront .
" Je n'ai rien à répondre à ceux qui affectent
de mépriser le Gouvernement Britannique
et celui des Etats-Unis ; mais je ne
conçois pas comment notre jeune sagesse
notre jeune liberté , notre jeune expérience ,
voudroient l'emporter sur l'antique expé
rience , sur l'antique liberté , sur l'antique
sagesse de l'Angleterre. »
M. Malouet. Ce Député digne de respect
comme Représentant de la Nation , d'estime
comme Citoyen intègre , d'une grande considération
comme esprit sage , et unissant
l'expérience aux lumieres , n'a pu se faire par-
-donner encore la modération constante de
ses avis. Indignement déchiré dans une foule
d'écrits licencieux , ce Membre du Corps
législatif avoit à se plaindre de la noirceur
avec laquelle on défigure les sentimens. Son
opinion relative à la Sanction Royale , venoit
d'armer de nouveau l'intolérance et les me
naces . S'il n'y a maintenant que de la lâcheté
à se montrer violent , M. Malouet
montra un rare courage en osant dire ce qui
suit ;
MESSIEURS ,
.. J'avois résolu de ne participer que par
mon suffrage à la discussion actuelle ; mais les
menaces qu'on a osé me faire , relativement
( 198 )
à mon avis sur la Sanction Royale , la terreur
qu'on veut m'inspirer , et à plusieurs
Membres de cette Assemblee , m'engagent
à reprendre la parole ; car dans les dernieres
opinions qui vous ont été présentées sur l'organisation
du Corps législatif, j'adopté celle
qui a le plus de defaveur , la composition de
Assemblée Nationale en deux Chambres ;
j'userai done de mon droit de Représentant
de la Nation pour la défendre librement ; et
si , dans cette affluence de spectateurs qui
nous entourent , il s'en trouvoit qui attendent
ici l'effet de leurs menaces , ils apprendront
par ma voix à quoi se réduit la puissance
des méchans sur les gens de bien : témoins
de votre indignation contre leur criminelle
audace , ils apprendront que le Citoyen
qui méprise et qui brave la fureur des
factieux et leur liste de proscription , qui les
puniroit s'il en avoit la charge , supérieur à
la crainte , ne l'est pas moins à la séduction
et aux faveurs des Cours. »
« Je ne reviendrai sur la Sanction Royale
que pour dire qu'aucune objection n'affoiblit
la conviction où je suis de sa nécessité : j'ai
déclaré que le Veto du Roi définitivement
suspensif dans ses effets , doit être simple et
indéfini dans son expression ; et je résume
mon avis par cette formule : Le Roi aura le
droit de sanctionner les Lois proposées par
l'Assemblée Nationale , ou de les renvoyer à
un nouvel examen. "
་་
J'ai toujours regardé comme nécessaire la
permanence du Corps législatif : le Préopinant
m'a prévenu dans le développement
d'un des motifs , qui suffiroit seul pour la dé
terminer. ”
( 199 )
"
J'ajouterai cependant que ce n'est pas seu
lement la composition actuelle de quelques
Etats Provinciaux , mais l'election projetée
de toutes les Provinces en pays d'Etats , qui
auroient les plus grands inconvéniens , pendant
une longue absence du Corps législatif. "
Le plus sensible de ces inconvéniens seroit
l'invasion progressive du pouvoir exécutif,
et l'invasion possible du pouvoir législatif ,
car toutes les Assemblées , tous les Corps
ont une tendance naturelle à l'extension de
leur autorité. Les hommes réunis vont toujours
en avant , quoi qu'il en puisse arriver :
car aucun n'est responsable pour tous. Ainsi ,
pour maintenir la réunion de toute les parties
de l'Empire', et leur dépendance d'une
autorité centrale , deux conditions sont nécessaires
; la première , de limiter à des détails
d'exécution , sous l'inspection du Gouvernement
, l'administration confiée aux Assemblées
Provinciales ; la seconde , de ne les
convoquer que pendant la Séance du Corps
législatif; car il faut bien que le pouvoir exé
cutif ait un intervalle et un espace libre
pour agir s'il est toujours en présence des
pouvoirs indépendans , il perdra la vigueur ,
le ressort , l'unité nécessaires à l'Administration
générale : il sera insensiblement effacé ;
et la confusion de tous les pouvoirs arrivera.
"
« Quant à l'organisation del'Assemblée Nationale
, on vous a dit , Messieurs : La puissance
législative est une ; done il ne doit y
avoir qu'une seule Chambre : c'est ainsi qu'avec
des principes généraux, on conclut ce que l'on
veut , et que des abstractions métaphysiques
sont une source d'erreurs en législation .
" Mais , Messieurs , la souveraineté est une ;
( 200 )
et ses fonctions , ses pouvoirs se subdivisent
en plusieurs branches : le pouvoir exécutif
lui - même comporte trois subdivisions principales
: ainsi , pourquoi ne distingueroit- on
pas trois temps dans un acte législatif , la
discussion et la délibération provisoire , la
révision et l'arrêté , la sanction et la promulgation
? Pour moi , je soutiens cette distinction
si naturelle , si nécessaire , que je n'ai
pas d'autre maniere de concevoir dans
une grande Monarchie , l'action et le complément
de la puissance législative . Je suis
donc d'avis de composer l'Assemblée Nationale
de deux Chambres , dont l'une appelée
Chambre des Représentans , et l'autre Chambre
du Conseil , ou Sénat , toutes deux électives
, sans Keto l'une sur l'autre , mais avec
droit de révision par le Sénat , des Décrêts
proposés par la Chambre des Représentans. "
H Avant d'en venir aux objections contre
cette composition , voici mes motifs pour
l'adopter : "
"Je ne connois rien de plus dangereux
qu'une seule Assemblée législative , qu'un
hasard malheureux pourroit composer une
fois d'une pluralité de Représentans dépour
vus d'expérience et de lumières sur la législation
, sur les ressorts politiques d'un grand
Empire. Que dans une telle Assemblée , de
grands talens fassent prévaloir des intérêts ,
des passions particulières ; que la terreur s'empare
des uns , et l'esprit de faction des autres :
que deviendroit alors la Constitution ? »>
Nous aurions sans doute pour ressource le
Veto du Monarque : mais si les mauvaises
Lois proposées étoient à l'avantage du pouvoir
exécutif , si les Chefs de l'Assemblee
corrompus , égaroient ou faisoient intimider
( 201 )
leurs collègues , quel moyen d'empêcher une
nouvelle revolution ? La Nation pourroit être
asservie avant d'être avertie qu'elle en court
le danger.
"
"
Qu'au contraire , des Sénateurs plus âgés ,
plus versés dans la connoissance des affaires ,
par les Magistratures qu'ils auront exercées ,
soient chargés de réviser , de discuter de
nouveau les Décrêts proposés par la Chambre
des Représentans ; les motifs de l'improbation
du Sénat avertiront déja la Nation , le
Monarque , et tous ceux des Représentans
qui auroient été trompés de bonne foi . Alors
est probable que la réunion des deux
Chambres pour une Délibération définitive ,
produira la réforme du Décrêt projeté , surtout
si l'on statue qu'un Décrêt rejeté par le
Sénat , ne peut être adopté par les deux
Chambres , qu'aux deux tiers ou aux trois
cinquièmes des voix. "
On a dit contre cette proposition , qu'en
supposant une Délibération de six cents Representans
improuvée par le Sénat , l'amourpropre
des premiers irrité , maintiendroit en
leur faveur la pluralité des voix. Mais l'auteur
de cette objection n'a pas fait attention
que dans ce cas , il n'y a d'amour - propre
compromis , que celui qui propose , qui rédige
la Loi , qui entraine les suffrages ; et
que la grande pluralité de ceux qui concourent
à une décision , ne demande souvent
que des lumieres et un point d'appui pour y
resister : or , le Sénat , dans de telles circons
tances , seroit , pour les hommes trompés , le
point d'appui et la lumière . ❤
"
D'ailleurs , comme les mauvaises Lois peuveut
porter sur toute autre chose que la prérogative
Royale , pour la réduire ou l'eten(
202 )
3
dre , le Monarque , averti par l'improbation
du Sénat , userait avec plus de confiance de
son droit de Velo ; et c'est alors que personne
n'en contesteroit plus l'utilité.
"
"
Ainsi , Messieurs , la plus grande facilité
des discussions , l'utilité de la révision , la
confusion possible dans une nombreuse Assemblée
, les mouvemens que peuvent y exciter
l'éloquence , la prévention , l'impatience,
et beaucoup d'autres motifs qui nous ont été
développés , me font adopter la proposition
de deux Chambres également électives , avec
la différence que le Sénat ne pourroit être
renouvelé que tous les sept ans , et que les
Sénateurs seroient choisis sans distinction de`
naissance parmi les hommes qui se distingueroient
dans les Magistratures civiles et
militaires , et dans le Ministère ecclésiasique.
"
Ici , la délibération fut interrompue par
Parrivée de quelques Dames de Paris , femmes
et filles d'Artistes , qui venoient offrir
à l'Assemblée leurs bijoux et leurs ornemens.
On les fit placer dans des fauteuils : M.
Bouche leur Orateur , les compara éloquemment
aux Romaines qui se dépouillerent de
leurs parures , pour remplir le vou fait par le
Sénat à Apollon. M. le Président répondit
à cette harangue ; après quoi on demanda ,
et on fit lecture des noms de ces généreuses
Donatrices ; ce sont : Mesdames VIEN
Moirre , Présidente ; DE LA GRENÉE la
jeune , SUPÉE , BERRUER , DUVIVIER
BELLE , KESTIER , FRACON ARD , PERON ,
DAVID, VERN ET lajeune, DES MARTEAUX,
BONVALET , CORNE DE CERF , Négociante.
Mesdemoiselles VASSE De BonrecuEIL ,
A
,
( 203 )
KESTIER , GERARD , PITHOUD , DE VIEFVILLE
, HOTEMPS.
J Il fut arrêté d'inscrire ces noms dans le
Procès-verbal , et l'on invita celles qui le
portent à siéger au milieu de l'Assemblée ,
jusqu'à la fin de la Séance.
Les débats ayant recommencé , M. l'Abbé
Syeyes prit la parole , et développa un systême
absolument nouveau.
Il s'efforça d'abord de prouver que le Roi ,
dépositaire du pouvoir
exécutif , ne pouvoit
participer à la législation. Premier Ĉitoyen
de l'Etat , il ne doit avoir qu'une voix , comme
tout autre Citoyen . Celui qui pourroit avoir
deux voix , pourroit en avoir 25 millions ,
et dès-lors une seule volonté seroit l'expression
de la volonté générale ... L'exercice du
pouvoir exécutif donne des lumières sur la
Législation. On peut donc consulter son
avis , mais non lui accorder un droit d'empêcher
la Légistation ; ce seroit lui donner
le plus fort droit de Législature. En effet ,
dans le Corps législatif , la majorité , qui a la
puissance , n'empêche que la minorité ; au
lieu qu'un eto absolu empêcheroit tout le
Corps. Ce Veto seroit une lettre de cachet
contre la volonté générale. Tous les Citoyens
doivent concourir de leurs volontés à
former la Loi ; mais 25 millions d'hommes
ne peuvent se rassembler pour l'établir. C'est
la fonction des Représentans. Si la Nation
même dictoit les Lois , ce seroit non
Etat représentatif, mais démocratique ; ainsi
vous ne devez pas vouloir qu'un Citoyen
puisse , soutenir la volonté d'un Bailliage
contre la volonté de la Nation entière. Il ne
s'agit pas ici de récenser un scrutin démocratique
chaque Représentant doit énoncer
un
( 204 )
ses opinions actuelles , éclairées des instructions
de ses Commettans , et la volonté du
Corps législatif doit être regardée comme
volonté nationale . Ainsi , le Roi ne peut empêcher
les opérations de l'Assemblée nationale...
Le Veto ne doit être accordé qu'à
ceux qui ont droit de faire la Loi. . Il importeroit
de séparer le Corps législatif en
trois Sections. Chaque Chambre discuteroit
la question séparément , et elles se réuniroient
ensuite pour une délibération ` commune
. Chaque Chambre auroit alors une espèce
de Veto suspensif, car elle pourroit retarder
sa discussion autant qu'elle le jugeroit
nécessaire... Si malgré ces précautions il se
glissoit une erreur , on pourroit la corriger
dans les Sessions suivantes.
les
L'Assemblée doit être permanente ,
Elections partiellement renouvelées tous
les ans , de maniere qu'un tiers de l'Assemblée
soit composé de Membres d'une expérience
de deux années ; un second tiers , de
Membres d'un an ; et un dernier tiers , de
Membres nouvellement arrivés des Provinces
, pour entretenir l'harmonie entre elles
et l'Assemblée : mais avant d'organiser ainsi
le Corps legislatif, il faut s'occuper préalablement
d'organiser les Assemblees Provinciales
et les Municipalités , canaux par lesquels
la volonté générale se communique
à l'Assemblée. En conséquence , l'Orateur
opina à la formation instante d'un Comité ,
chargé de rédiger un plan dans ce but .
Ce discours ingénieux , plein d'idées , et méthodique
, reçut de grands applaudissemens ,
ainsi que celui, plus oratoire , de M. de Sillery
Ce dernier Opinant , présenta un tableau
historique des temps d'ignorance où nos ancêtres
,
( 255 )
cêtres , toujours jaloux du nom de la liberté ,
avoient si mal su la conserver ; où pour toute
faveur on leur permettoit de se plaindre , en
les opprimant davantage ; où l'on vit ce Roi ,
surnommé le Grand , regardant ses Peuples
comme ses esclaves les soumettre à
Vinjustice de ses caprices , et considérer
comme Loi suprême , l'arbitraire de ses volontés
.
Et de nos jours , continua -t- il , l'aurionsnous
recouvrée cette liberté , sans la justice
d'un Ministre vertueux , et la fermeté de
PAssemblée Nationale ? N'est-il pas honteux
encore de voir entierement perdus , et le .
crédit national , et cette influence que la
France auroit du conserver sur les Nations ?
Croyez-vous que si l'Assemblée eût été permanente
, nous eussions maintenant à gémir
de ces désordres ? Les Parlemens
n'ont pas été moins funestés à la liberté
publique ; ils sont une hydre à laquelle on ne
peut opposer que l'égide redoutable de l'Assemblée
nationale... La multiplicité des réformes
et des remplacemens à faire , nécessitent
encore la permanence de l'Assemblée.
Ce n'est pas dans quelques mois que l'on
pourra réformer des siecles d'abus .
L'unité de Chambre est essentielle à conserver.
Examinez l'état où vous êtes , et celui
où vous étiez. Vous avez senti qu'il ne fal
loit qu'une seule Chambre ; et à peine étesvous
réunis , que vous voudriez de nouveau
vous séparer !
"
Le choix d'un Sénat me paroît une de ces
institutions effrayantes , que je n'aurois pas
cru entendre prononcer jamais dans cette
Assemblée . A peine sommes-nous debarrassés
des fers de l'aristocratie , que nous vou-
Nº. 33. 19 Septembre 1789. K
( 206 )
drions nous y replonger ! Si après cette révolution
vous ne devenez pas aussi libres que
vous pouvez l'être , l'Europe vons taxera
avec justice de foiblesse et de pusillanimite .
Nous ne pouvons espérer que du temps l'oubli
des antiques priviléges ; le Sénat réveilleroit
ces distinctions , et dans un état libre,
il ne doit y avoir que celles des talens et du
mérite
J'adopte la Sanction royale ; mais lorsque
nous rendons nos Monarques dépositaires du
pouvoir exécutif , ce n'est que pour soutenir
la Constitution à laquelle ils sont soumis.
Nous leur accordons le Veto , sans vouloir
nous forger des chaînes. Ils auront pouvoir
d'examiner et de suspendre les Lois qui
leur paroîtront contraires à notre intérêt ,
et non celui de s'y opposer au - delà du terme ,
où la Nation manifestera ses volontés.
A la suite de ces périodes éloquentes ,
M. de Sillery proposa , 1 ° . la permanence de
l'Assemblée. Session pendant quatre mois de
l'année , à une époque fixée pour recevoir les
comptes des Agens de l'Autorité. 2 °. Une
Chambre unique. Les Assemblées élementaires
ne seront convoquées que tous les trois
ans , temps auquel les Peuples auront droit
de nommer de nouveaux Représentans .
3º. Les Lois nouvelles n'auront force de Loi,
que lorsqu'elles auront été sanctionnées par
le Roi. 4. Les Lois auxquelles le Roi accordera
sa Sanction seront exécutées sur -lechamp
, et seront Lois du royaume. 5. Les
Lois le Roi refusera de sanctionner deque
meureront sans force , jusqu'à ce que les
Peuples , convoqués de nouveau , aient manifesté
leur vou positif sur la Loi refusée
par le Roi. 6º . Dans le cas où les Peuples
( 207 )
demanderoient la Sanction d'une Loi refusée
par le Roi à la Session précédente , le Roi ,
sur le voeu réitéré des Peuples , ne pourra ,
dans aucun cas , refuser sa Sanction Royale.
M. Reubell se préparoit ensuite à parler ,
lorsque l'appel aux voix se fit entendre , et
redoubla d'un côté de la Chambre.
M. le Président observa que la multiplicité
de questions qu'on avoit à décider presque
à- la-fois , exigeoient au moins une Seance
entiere. En conséquence , l'heure étant avancée
, il proposa de lever la Séance.
On voulut cependant , avant de se sépa
rer , décider si la question étoit suffisamment
discutée. Un Membre proposa de déterminer
si les mandats seroient impératifs d'autres
voulurent continuer la discussion . Sur des
questions aussi importantes , dit M. de Lally ,
et desquelles dépend le salut de l'Empire ,
l'Assemblée n'a pas le droit d'imposer silence
au dernier de ses Membres qui de-.
mande la parole.
Nouvelles clameurs pour aller aux voix.
Je ne crois pas , dit M. de Clermont-Tonnerre
, qu'on puisse aller aux voix , lorsque
des principes tout-à-fait nouveaux , ceux de
M. l'Abbe Sieyes , viennent de vous être présentés.
Je ne me sens pas capable d'y répondre
maintenant , ainsi je demande qu'on
nous laisse le temps de la réflexion , et que
la discussion soit remise à la prochaine
Séance.
Lorsqu'on vous présente , allégua un autre
Deputé , un systême aussi artistement
travaille , des paradoxes aussi ingénieux que
funestes , et capables de renverser les fondemens
de l'Empire , il n'y a pas lieu à délibérer.
Kij
( 208 )
Dans la Déclaration des droits , dit un
Préopinant , lorsqu'il s'agissoit de principes
connus , il est évident qu'ils n'avoient point
besoin de discussion : nous avons cependant
été un mois à les établir ; et nous irions déja
aux voix sur des questions aussi essentielles ,
qui sont les fondemens de la Constitution ,
et encore pour nous si obscures et si incertaines
!
Un autre Membre proposa d'aller tout de
suite aux voix sur la Permanence cette
question n'ayant été combattue de personne,
et ne souffrant point de difficulté.
M. le Président observa que la question
de savoir si la discussion seroit terminée
entraîneroit elle- mêmeune discussion , et qu'il
étoit à propos de la remettre à la Séance
suivante.
Mais à peine eut- il achevé , qu'une voix
impatiente s'éleva , disant qu'une Motion
ayant été faite , il falloit deliberer , et que
le Président ne prît pas sur lui de regir l'Assemblée.
M. le Vicomte de Toulongeon : « Vous
préférez sans doute la sage lenteur qui doit
diriger vos délibérations , à la précipitation
de decider en un moment une question aussi
importante. "
Cet exorde , si contraire à l'impatience de
voter , qui agitoit alors l'Assemblée , fut interrompu
par de grands murmures .... Apres
que l'Opinant eut lutté pendant une demiheure
pour obtenir la parole , M. le Président
voulut mettre la question aux voix ;
mais M. de Toulongeon se retira de lui - même.
On alla ensuite aux voix pour savoir si la
discussion sur les trois questions , seroit
( 209
terminée.... Ce qui fut décidé à l'affirmative
, par une grande majorité.
Du LUNDI soir , 7 SEPTEMBRE. A l'ou
verture de la Séance , un de MM. les Secré
taires a proclamé les Membres elus dans
chaque Généralité , pour former le Comité
du Commerce et de l'Agriculture : il a fait
ensuite mention de plusieurs adresses de félicitation
et d'adhesion , envoyées par les habitans
réunis de plusieurs Villes et Communautés.
M. Anson, Membre du Comité des Finances
, a rappelé , dans un premier Rapport
, l'invitation faite par M. le premier
Ministre des Finances , de s'occuper incessamment
d'un adoucissement dans l'impôt
désastreux de la Gabelle. Le Comité propose
sur cet objet , un projet d'Arrêté qui ,
dans les Provinces soumises aux grandes
Gabelles , réduit considérablemen le prix du
sel , qui convertit en amendes toutes les
peines afflictives prononcées contre le fauxsaunage
, et qui enfin confie aux Assemblées
Provinciales , aux Municipalités et aux Milices
Nationales , le soin de veiller à l'exacte
perception de cet impôt , ainsi modéré .
M. le Marquis de Montesquiou , aussi Membre
du Comité des Finances , a ensuite proposé
, de la part de ce Comité , un Projet
d'Arrêté qui , en confirmant celui pris par
l'Assemblee Nationale , le 17 Juin , relativement
au payement des impots existans , ordonne
tout-à-la-fois , sur les Généralités ,
la levée des impositions qu'elles supportent
l'année présente , et l'imposition des Privilégies
sur le même taux , par un rôle additionnel
sans diminution sur les anciens
contribuables. Ce projet d'Arrêté porte en
Kii
( 210 )
outre que les roles qui seroient faits actuel
Jément , tant pour les Contribuables que
pour les Privilégiés , ne comprendroient que
les impositions à payer jusqu'au premier Juil
let de 1790 , époque à laquelle on pouvoit
espérer que l'Assemblée Nationale auroit
pourvu à une autre forme , et à une autre
maniere d'imposer , uniforme pour tous les
Citoyens.
Quelques Membres ont pris la parole sur le
projet d'Arrêté , proposé relativement aux
Gabelles .
M. le Marquis de Gouy-d'Arcy , Secrétaire
du Comité des Finances , s'est le premier opposé
à ce Projet , et lui substituoit la suppression
absolue de la Gabelle.
Le prix du sel marchand fixé pour tout le
Royaume ; le surplus de ce que rapportoit
la Gabelle , diminué de moitié , et réparti
sur les rôles des impositions de chaque pro
vince , proportionnellement à ce qu'elle
payoit , de manière que les provinces de
grande et petite Gabelles ne supporteroient
chacune que la moitié de ce que leur coûtoit
l'impôt du sel , et que les provinces qui n'ont
point de Gabelles ne payeroient rien du
tout.
M. de Volney a conclu de même pour une
prestation pécuniaire , défalcation faite du
prix marchand et du montant des frais de
perception .
M. le Vicomte de Mirabeau a observé que
cette prestation pécuniaire ne devoit nullemement
porter sur les provinces , ou rédi
mées , ou non assujéties à l'impót du sel.
A dix heures et demie , M. le Président a
levé la Séance , en invitant les Membres à
se réunir demain en Bureaux , pour exami(
211 )
ner les deux projets d'Arrêté , afin de pouvoir
les discuter de nouveau dans la Séancé
de mercredi soir.
'Du
MARDI 8 SEPTEMBRE . ( Fête et point
de Séance. )
Du MERCREDI 9 SEPTEMBRE. Cette
Séance afligeante a commencé , suivant
P'usage , par des mentions d'Adresses et de
traits de libéralité publique. Une parente
d'un des Députés a fait hommage à la Nation
de ses diamans , évalués huit mille livres :
un jeune homme de Valence a fait don de
sa montre , etc.
M. le Président lut ensuite un résumé des
avis secondaires , ouverts dans les Seances
précédentes , sur les trois questions principales.
Dans quel ordre celles- ci seroient - elles
présentées ? C'est ce qui fit naître beaucoup
de contestations.
D'abord , M. Reubell proposa une solution
préalable à celle de la Sanction Royale :
Cette Sanction sera- t-elle nécessaire pour la
Constitution ?.... C'est la Constitution , dit
M. Target , qui donnera le Veto au Roi. II
seroit absurde de demander si le titre qui
accorde au Roi la Sanction , doit être sanctionné.
M. Demeunier ouvroit la Délibération sur
les questions les plus faciles , et qui pouvoient
aider la solution des autres.
1 °. L'Assemblée Nationale sera -t- elle
manente ?
per-
2º. Quelles seront les époques des renouvellemens
des Membres ?
3°. Quelle sera la durée des Sessions ?
Ne faudra- t-il pas aussi , s'écria un autre
Kiv
212
Membre , déterminer la durée du payement
des Députés pour chaque Session ? Cette observation
excita un sourire de l'Assemblée .
M. Garat releva un pleonasme dans les
propositions de M. Demeunier; car , dit-il .
Ja permanence signifie continuation des élee
tions pendant plusieurs années.
M. de Mirabeau observa qu'il étoit impossible
de répondre aux trois questions principales
, avant d'avoir déterminé les questions
secondaires. .
Si l'on me demande , par exemple, l'As
semblée sera- t-elle permanente ? Je ne puis
répondre , si je ne sais quelle sera cette Assemblée.
Si l'on me demande , Y aura - t - il deux
Chambres? Je ne puis répondre , à moins
que de savoir quels seront les pouvoirs de
ces Chambres , etc..
Ainsi , autant ce ' mode qu'on voudroit
adopter plaît aux gens pressés , autant il
déplaira aux personnes qui ne se hâtent que
par le sentiment de leur conviction .
L'Opinant renouvela la réclamation , faite
dans la Séance précédente , par M. de Clermont-
Tonnerre , au sujet duplan de M. l'Abbé
Sveyes ; plan tout- à - fait nouveau , exposé
' une maniere convaincante , et qu'il étoit
nécessaire de discuter au moins avant de le
rejeter.
L'empressement où l'on étoit d'aller aus
voix , ne permit pas de goûter cette ré
flexion.
M. Camus aplanit les difficultés , en pro
posant les quatre questions suivantes :
L'Assemblée Nationale sera- t - elle perma
nente ou périodique ?....
Y aura - t -il une Chambre , ou deux ?...
( 213 )
Lá Sanction Royale aura- t-elle lieu ? ...
Sera - t- elle absolue , ou suspensive ?...
Une contestation s'eleva alors sur le mot
Bermanence , que l'on trouvoit équivoque ,
et peu propre à exprimer la périodicite an-
Buelle des Sessions .
M. Target levoit le doute par l'expression
suivante : Le Corps législatif sera toujours
existant ; mais on ne parut pas approuver
cette rédaction.
On alla aux voix sur l'ordre de questions
proposé par M. Cunus. Il fut adopté à l'unanimité
.
Faisant alors exception à un Décret précédent
, on décida de ne délibérer sur la
question de la Permanence que par assis et
lévé , personne en effet n'avoit combattu la
permanence.
La contestation renaquit sur le mot même de
Permanence. On en redemanda la définition ;
mais il fut décidé à la pluralité des voix ,
qu'il étoit suffisamment clair et expressif.
De grands débats succéderent encore à cette
décision . Nombre de Membres réclamèrent ,
observant qu'on ne pouvoit les faire délibérer
sur une question qu'ils ne comprenoient pas ;
que dans un pareil cas , on ne pouvoit céder à
la majorité ; et qu'enfin , lorsqu'une partie de
PAssemblée demande la definition d'une
question , on ne peat la lui refuser , etc.
M. Camus s'efforca de donner au mot de
Permanence et à celuid AsssembléeNationale,
la définition la plus exacte. "
Je suis faché , dit M. de Mirabeau , que
l'honorable Membre , apres avoir déclaré que
la question étoit assez éclaircie , soit forcé
lui- même de l'éclaircir.
La Nation , dit M. Deschamps , ne peut
Kv
(214)
s'assembler pour faire ses lois . Elle réunit
des Representans qui forment le Corps législatif.
L'Assemblee actuelle n'est autre
chose que le corps legislatif , réuni en As
semblée Nationale.
Il y a done deux questions à considérer :
L'Assemblée Nationale sera-t-elle permanente?
Le Corps législatif sera-t-il permanent
?
M. le Vicomte de Beauharnois présenta
une observation judicieuse , et qui paroissoit
résolutive .
Il existe , dit M. de Beauharnois , deux genres
de pouvoirs législatifs , l'un est le pouvoir constituant
, qui a mission et droit de faire ou refaire
la Constitution ; de marquer l'étendue
et les limitesde tous les pouvoirs de l'Empire :
c'estcelui dont nous avons été revétus par nos
mandats, et que nous avons exercé sous lenom
d'Assemblée Nationale ; l'autre est le pouvoir
constitué , qui n'aura et ne pourra exercer
d'autres pouvoirs que ceux qui lui seront attribues
à lui - même par la Constitution , qui
fera des lois , mais non pas des lois constitutives.
C'est celui- ci qui sera permanent.
Si vous lui donnez le nom d'Assemblée Nationale
comme nous le sommes , .il
toucher à l'organisation de tous les pouvoirs ,
en déplacer les limites posées ; rien ne sera
constant et stable , et l'on pourra voir une
nouvelle Constitution à chaque nouvelle
Session. Je pense donc que , pour éviter cet
inconvénient ou ces malheurs , il faudroit
`donner au corps legislatif , au lieu du titre
d'Assemblée Nationale celui de Législature.
2 pourra
Cet avis fat très - applaudi , soutenu par
quelques Diputes , et nullement adopté.
1
M. l'Abbe Syeyes proposa la rédaction
( 215 )
suivante : L'Assemblée Législative tiendra
ses Séances à époques fixes tous les ans
sans avoir besoin d'une convocation particuliere
; lorsqu'elle aura fini ses affaires
, elle se retirera elle -même en va-
་ ་
$
"
" cance . »
M. de Clermont- Tonnerre revenoit à l'a--
mendement de M. de Beauharnois , et craignant
qu'on ne confondît l'Assemblée Nationale
actuelle avec les futures , réclamoit
la dénomination de Législature , assemblée à
des époques fixes.
M. Rabaud de Saint-Etienne offrit celleci
: « La Nation aura toujours un Corps permanent
de Représentans , et l'Assemblée
" Nationale de ses Représentans tiendra ses
Sessions chaque année. »
+1
On représenta encore le danger de donner
aux Assemblées un nom qui pût les emporter
au- delà de leurs pouvoirs , ce qui
seroit à craindre en les qualifiant d'Assem
blées Nationales
Embarrassé de tant de versions et d'amendemens
, M. le Président , en les proposant
successivement , ne pouvoit rencontrer
le point agréable à tous. L'Assemblée devenoit
bruyante de plus en plus , au milieu
du choc de tant de systêmes divers , et de
Pappel aux voix redoublé. Enfin , la question
fut formée , mise aux suffrages , et adoptée
à -peu-pres unanimement , sous cette forme ;
L'ASSEMBLÉE NATIONALE sera permanente.
A peine eut - on mis en déliberation le
second point , Yaura- t-il une , ou deux
Chombres , que M. de Mirabeau prétendit
qu'après avoir décrété que l'Assemblée Natronale
seroit permanente , on ne pouvoit plus
déliberer sur le nombre des Chani bres. Cette
}
K vj
( 216 )
tédaction emportoit l'unité , et il réclamoit
la question prealable.
L'Assemblée , dit un autre Député , en
se constituant , le 17 juin , Assemblée Nationale
, s'est deja déclarée indivisible . Annúllera
- t -on ce décret ?
De violentes rumeurs suivirent cette opinion
. Un autre Membre remarqua que l'Assemblée
, une pour ses décisions , pouvoit
cependant s'imposer à elle-même des formes
pour éviter la précipitation , et préparer la
discussion entre deux Chambres qui n'eussent
aucune difference entre elles. L'Assemblée
vient de décider , s'écria M. Regnaud , qu'elle
suivroit l'ordre des questions de M. Camus,
et déja on voudroit nous en détourner !
C'est avec regret , je dirois presque avec indiguation
, que je vois des personnes vouloir
toujours nous entrainer malgré nos décrets .
69
M. de Mirabeau s'appliquant ces paroles ,
répondit : « Je n'ai jamais craint d'indigner
que la raison. Lorsque j'ai proposé la question
préalable , je n'ai voulu dire que
d'une maniere laconique necessaire
dans ce moment , sur- tout , où plus que
jamais , on n'aime pas les longs discours
que l'unité est incontestablement renfermée
dans la permanence , et je le repete.
"
16.
2
La division qui facilite le mode de travail
, ajouta-t- il , est une loi de police canventionnelle.
Il est impossible qu'on empêche
l'Assemblée de se diviser en autant de sections
qu'elle le voudra.
M. de Clermont- Tonnerre monta à la tribune
, et dit « Je cède au cri de ma cons
cience , en réclamant contre une surprise à
Ta foi de l'Assemblée Si vous avez entenda
decider que , telle qu'elle existe à présent ,
( 217 )
cette Assemblée sera permanente , je n'ai
plus qu'à pleurer sur les ruines de la patrie ;
mais , si comme je le crois , vous vous êtes réserves
le droit d'expliquer ce mot , il ne préjuge
pas la question des deux Chambres ; et
je crois qu'il y a lieu à delibérer ; parce que
Vous avez décidé de suivre l'ordre de tra
vail de M. Camus , et non pas de decider deux
questions à - la- fois.
40
Conformément à cet avis , qui paroissoit
celui de la grande pluralité , M. de Virieux
succéda au Préopinant pour débattre la question
principale . Je dois , dit-il , vous représenter
avec force les dangers qui résulteroient
de l'unité de l'Assemblée . Tous les
« Corps nombreux , entrainés par des Démagogues
et par la fougue populaire , ont
aneanti les Etats libres , après les avoir
déchirés par des factions . 14 })
On ne décriroit que foiblement l'orage
affreux qu'occasionnerent ce peu de mots.
L'Orateur fut subitement interrompu par un
côté de la Salle , qui , se jugeant personnellement
offensé , exigeoit impétueusement
que M. de Virieux quittât la Tribune , et
qu'il fit des excuses à l'Assemblée . L'Opinant
n'abandonna point la Tribune . Vainement
le Président et le Bureau tâcherent de
faire cesser le désordre : les uns interdisoient
hautement la parole à M. de Virieux , et la
prenoient opiniàtrement eux - mêmes : les
autres invoquoient la police de la Salle et le
silence , en faveur de l'Opinant . Enfin , M.
le Président interrogea la decision de l'Assemblée,
sur la permission à donner ou à refaser
àM. de Virieux de continuer, La grande
majorité lui accorda la parole ; mais à peine
eut- il prononce une ligne apologetique , que
( 218 )
de nouvelles inculpations , de nouveaux cris
s'éleverent. On l'accusa d'avoir menacé du
geste quelques Membres de l'Assemblée. Au
milieu de ce tumulte , il répéta qu'il étoit
permis à tout Délibérant d'exposer ses craintes
et les vérités de l'Histoire , sur les questions
agitées , et que dans toutes les Assemblees
du monde , la fougue populaire et l'activité
des Démagogues , avoient perdules Empires. "
M. le President temoignant sa douleur de
la division qui agitoit l'Assemblée , la ramena
à la Motion de M. de Mirabeau . Elle fut rejetée
, et l'on déclara qu'il y avoit lieu à
deliberer sur le nombre des Chambres.
Malgré le bruit qui se renouveloit , M.
Alexandre de Lameth trouva l'instant d'observer
qu'onne pouvoit opiner sur le nombre
des Chambres, avant d'en connoitre la nature.
On s'en tint à l'ordre adopté ; mais vainement
: le tumulte s'accrut encore au moment
où M. de Lally- Tolendal , qui avoit insisté
long - temps pour obtenir la parole , aborda
la Tribune . Cent voix s'éleverent pour lui
fermer la bouche : on prit à partie le Chef
même de l'Assemblée : on l'accusa d'avoir
excité M. de Lally à persévérer dans le dessein
de se faire entendre . Une voix menaçante
perça au travers du brouhaha , pour
demander au Président quad il seroit las de
fatiguer l'Assemblée ? Offensé de ces attaques
personnelles et réiterees , M. l'Evêque
de Langres , cedant aux sentimens qui l'agi
toient , déclara qu'il ; abandonnoit ses fonctions
, et qu'il levoit la Séance,
Cette démarche excita de nouvelles clameurs.
Tandis qu'une partie de l'Assemblée
descendoit de ses Siégés , l'autre s'y affermissoit
, et demandoit un autre President :
( 219 ).
1
plusieurs voix appellerent M. le Duc de
Liancourt ; il déclara du haut de la Tribune
que le droit de présider appartenoit par le
Reglement à M. de Clermont - Tonnerre
Prédécesseur de M. l'Evêque de Langres.
M. de Clermont- Tonnerre , appelé à plusieurs
reprises , monta à la Tribune , et , dans le trouble
qui l'agitoit , dit avec émotion et dignité :
t
" Si la conduite de M. le Président n'étoit
« pas légale , s'il n'avoit pas été autorisé à
lever la Séance , il seroit excusé par les
motifs qui l'ont entraîné , par une sensi
« bilité qui a préexisté à toutes les Lois , et
qui anime le coeur de tout François. Le
Reglement , en effet , m'appelle à la présidence
; mais si l'Assemblée m'ordonne
de la remplir , ce sera pour donner sur-lechamp
ma démission , ou pour lever la
Séance .
"
"
"
" "
Une approbation presque universelle suivit
ces paroles. M. de Clermont- Tonnerre passa
dans le fauteuil du Président , et leva la
Séance , en l'ajournant à sept heures du soir.
Séance du soir 9. M. de Clermont- Ton
nerre ouvrit la Seance par la lecture de la
Lettre nivante de M. le Président :
"
St
"
"
"(
J'ai , Monsieur le Comte , supplié l'Assemblée
de recevoir ma démission de la
place dont elle m'avoit honoré. J'ignoré si
dans le tumulte qui l'agitoit , j'ai pu en être
entendu. D'apres ce qui s'est passé ce matin,
je crois ne pouvoir plus reprendre des fonc
tions qu'elle m'a mis dans Fimpossibilite de
remplir. J'ai l'honneur d'être , etc. »
L'Evêque Duc de LANGRES.
M. de Clermont- Tonnerre pria l'Assemblée ,
dans le cas où elle accepteroit la démission
. ( 220 )
de M. l'Evêque de Langres , de se retirer
dans les Bureaux pour y élire un nouveau
Président. La démission demandée ayant etě
refusée par la grande Majorité de l'Assemblée
, M. de Clermont- Tonnerre continua de
présider ad interim.
Il fit lecture d'une Lettre de M. d'André,
qui , chargé par le Roi d'une commission en
Provence , en prévient l'Assemblée.
La discussion sur la réduction du prix du
sel à six sois dans les pays de grande Gabelle.
fut reprise par M. l'Evêque d'Autun ,qui
combattitle projet du Comite des Finances ,
et qui demanda qu'il fut décrété que l'Assemblée
persiste dans ses Décrets ; qu'elle
déclare qu'il n'y a lieu à deliberer sur la
proposition du Comité ; qu'elle ordonne que
le Comité s'occupera sans relache des moyens
de réduire au plus rigoureux nécessaire les
dépenses publiques , et presente , avant tout ,
à l'Assemblée , le travail qui doit preceder
toute réforme sur les impots.
Quelques Membres demandèrent que la
Gabelle fut remplacée par une Capitation ;
d'autres que l'impót fût perçu aux marais
salans .
La discussion ayant duré jusqu'à onze
heures , fut renvoyée aú lendemain.
1:
Du JEUDI 10 SEPTEMBRE . M. de Clermont-
Tonnerre , Vice- President , a ouvert la
Séance par la communication d'une Lettre
de M. le Comte d'Estaing , Commandant
actuel de la Milice Nationale de Versailles ,
qui annonce avoir pris toutes les précautions
nécessaires pour la surete de l'Assemblée
précautions nécessitées par des placards séditieux
affichés la veille.
221)
L'Assemblée a chargé son Président de ses
remercimens à M. le Comte d'Estaing.
M. l'Evêque de Poitiers a demandé un
congé pour raison de santé ; et M. Roussier
Député de Marseille , sa démission pour la
même cause. On a agréé M. Phoux son Sup
pléant.
Dans le nombre des Adresses dont on a
lu l'extrait ou la notice , l'Assemblée a été
frappée du ton d'une Déclaration des villes
de Rennes et de Dinan en Bretagne , qui
prononcent que le Veto détruit la puissance
législative de la Nation , et déclarent traîtres
à la Patrie ceux qui l'adopteroient.
M. Garat a demandé que cette Adresse ,
attentatoire à la liberté de l'Assemblée , fût
condamnée par un Décret formel.
M. l'Abbé Maury a ajouté , que si le malheur
des temps avoit investi les Municipa
lités d'un grand pouvoir , cependant elles
n'étoient pas encore travesties en Tribunaux
de, Droit public , et que l'Adresse de Rennes
devoit être renvoyée avec improbation.
On proposoit de renvoyer l'Adresse au
Comité des Douze M. le Président a prié
L'Assemblée de délibérer à ce sujet,
:
M. Rabaud de Saint-Etienne a demandé
qu'on discutât si l'on inséréroit cette Décla
ration dans le Proces - verbal ; M. le Comte
de Foucauld de l'Ardimalie a conclu à la lec
ture entiere, de cet Acte irrespectueux pour
l'Assemblée. Une grande rumeur s'est élevée ,
et elle a continue après la demande de M.
le Duc de Liancourt , que l'on delibérât sur
la lecture de l'Adresse.
M. Pison du Galand a sollicité une décision
quelconque. En conséquence , M. de
Montmorenci, l'un des Secretaires , a com(
222 )
1
menccé la lecture , que le trouble de l'Assemblée
l'a empêché de continuer.
1
Le President a prié l'Assemblée de déclarer
si l'ajournement auroit lieu ou non .
Enfin , apres beaucoup de tumulte , la lecture
a été admise.
On s'est ensuite disputé la parole.M.le Comte
de Mirabeau l'a obtenue ou emportée : '« L'erreur
d'une Municipalité , a- t-il dit , ne doit
pas troubler l'ordre du jour , et l'Assemblée
n'a pas le temps d'être le Professeur de la
ville de Rennes.
"
К
!
M. le Chapelier , mécontent de ces sarcasmes
a prié M. le Président d'en rame
ner l'auteur à l'ordre : il s'y est refusé
parce que M. de Mirabeau n'avoit manqué à
personne. En conséquence , M. de Mirabeau
reprenant la parole , a ajouté que , la Nation
, qui venoit de supprimer les Lettresde-
cachet , n'avoit pas le droit de porter arbitrairement
une note d'infâmie. Le Corps
législatif ne doit compte qu'à la Nation en
tiere , non à chaque Ville , à chaque Bourg ,
à chaque cotterie , à chaque famille. Si l'Assemblee
montroit quelque sensibilite sin cette
Adresse , je croirois voir un Géant qui s'eleveroit
sur la pointe des pieds , pour paroître encore
plus grand. L'Adresse doit être exclue
du Proces-verbal , et renvoyée , sans note ,
à ses auteurs .
M. le Comte d'Estourmel , prenant la parole
, a été interrompu brusquement par plu
sieurs Députés , qui ont demandé qu'on s'oc
cupât de la Constitution.
M. le Chapelier a eu beaucoup de peine
à obtenir la parole : il a opiné comme Deputé
de Rennes et en cette qualité , voulant
justifier ou du moins excuser cette ville , i
;
( 223 )
a prétendu que , connue par son patriotisme ,
elle n'avoit pas manqué de repect à l'As
semblée , puisque les principes de son Adresse
ont été, soutenus par un grand nombre de
Membres. L'Assemblée devoit plus s'occuper
du sens des Adresses , que des incorrections
de style ; en conséquence , il demandoit que
la Déclaration ne fût pas renvoyée , et que ,
sans l'insérer dans le proces-verbal , on se
contentât d'en faire mention .
Ces principes ont paru déplaire à l'Assem
blée , qui a donnée plusieurs marques de
désapprobation.
M. le Vicomte de Mirabeau a assimilé
l'Adresse aux Motions du Palais - Royal.
M. le Comte de Foucault , en reconnoissant
dans des Commettans le droit de donner
des ordres à leurs Mandataires , a refusé
à une Municipalité le pouvoir de déclarer
infâmes ceux qui ne pensent pas comme elles
et il a voté pour qu'on lui renvoyât l'acte
avec qualification.
M. Coupard , Député de Dinan , s'est excusé
d'avoir remis l'Adresse sur le Bureau ,
puisqu'elle avoit déplu à l'Assemblée . Au
reste il avoit dû remplir le voeu de, ses
Commettans , et il demandoit permission de
retirer PAdresse ; ce qui lui a été accordé.
Il étoit midi et un quart ; M. le President
ramenant l'ordre du jour , c'est -à-dire , à
l'opinion sur la formation de l'Assemblée en
une ou deux Chambres , M. Camus observa
que la discussion étoit terminée , et qu'on
ne pouvoit , dans ce moment , altérer les
termes de la question : Y aura-t- il une ou
deux Chambres ?
Quelques Députés sollicitoient un déve
loppement ulterieur de la question ; M. le
( 224 )
Comte de Crillon a tenté inutilement de
prendre la parole , qui a passé à M. Bouche ,
réclamant l'execution du décret pour aller
aux voix.
M. le Président a proposé d'admettre ou
de rejeter les Amendemens qui pourroient
selever ; mais la presque totalité de l'Assem
blée a demande la fin de la delibération .
On est donc passé à l'appel nominal des
suffrages , et il s'est trouve 349 voix pour une
seule Chambre ; 89 pour deux ; 122 Votans
sans avis .
JEUDI 10 SEPTEMB . Séance du soir. Rapport
fait par M. le Président , d'une Adresse
du Hameau de Champeuille , diocese de
Sens , qui offie 800 livres de contribution
volontaire. On a introduit les Députés ,
porteurs de cette Adresse patriotique ; M.
le Président leur a témoigné la sensibilité
de l'Assemblée , et on leur a décerné l'honneur
d'assister à la Séance dans l'intérieur
de la Salle.
M. Mercier , Membre du Comité des Rapports
, a fait part à l'Assemblée d'une de
mande faite par les Représentans de la Commune
de Paris. Les derniers troubles ont
rempli les prisons de cette Ville de Citoyens
accusés d'y avoir contribué . Il est question de
les fairejuger, et la Commune de Paris a demandé
, qu'en dérogéant à l'Ordonnance de
1670 , parun Décret provisoire , elle autorisât
à donner un Conseil aux Accusés , à rendre
publique l'instruction , à admettre en tout
état les faits justificatifs que les Accusés pourront
proposer , et à exiger , pour la peine de
mort , les deux tiers des voix des Juges qui
prononcent la condamnation .
( 225 )
་.
L'avis du Comité étoit de renvoyer la demande
de la Commune de Paris au Comité
de Constitution .
· M. le Duc du Châtelet et quelques autres
ont pensé, qu'il falloit, sur- le- champ , donner
un Decret qui consacrât les changemens solli
cités par les Représentans de la Comníune
de Paris.
M. le Vicomte de Mirabeau a trouvé ces
changemens dignes d'un mur examen , et
qu'ils ne devoient pas être adoptes sur la
simple demande d'une Municipalité ; que
ee seroit inviter toutes les Municipalités
du Royaume à envoyer sans cesse à l'Assemble
des projets de Lois.
M. le Bois des Guays ' a proposé , en admettant
pour tout le Royaume les changemens
proposés par la Commune de Paris à
notre Code criminel , que le Conseil ne fút
donné à l'accusé qu'apres le récollement et
la confrontation .
M. le Comte de Mirabeau et M. Garat
Painé , ont été étonnés que l'on ne s'empressat
pas , sur-le-champ , à rendre un Décret
conforme au voeu prononcé de tous les
cahiers , et que l'on differât un instant à
faire un acte d'humanité dans lequel la
France avoit été prévenue par toutes les
autres Nations de l'Europe .
M. l'Abbé Maury a remarqué que les
changemens proposés tenoient à l'ensemble
de la Législation criminelle , et qu'on ne
pouvoit les adopter sans tomber dans l'inconvénient
de la bouleverser en son entier
et conséquemment , qu'il falloit ne pas se
décider avec précipitation..
M. le Duc dela Rochefoucault a combattu
l'opinion de M. l'Abbé Maury , en disant
) .
( 226 )
qu'il falloit faire cesser un abus grave , dès
le moment où l'on voyoit la possibilité de
le détruire.
M. de Beaumetz a proposé de nommer
un Comité peu nombreux , pour s'occuper
d'un projet de déclaration qui consacrât
les changemens demandés.
M. Reubell a observé que , par un Décret
précédent , l'Assemblée avoit déja décidé
que pour les crimes de lèse- Nation , l'instruction
seroit faite publiquement.
M. Gautier de Biauzat a vu , au contraire ,
des dangers pour le moment présent , dans
la publicité de l'instruction des procédures
criminelles.
Enfin , l'opinion pour la nomination d'un
Comité de sept personnes , a été adoptée
par l'Assemblée.
Du VENDREDI 11 SEPTEMBRE. Cette
Séance , qui a duré depuis neuf heures du
matin jusqu'à huit du soir , peut être analysée
en très-peu de lignes ; une fixation de
motsimportans , et l'appel nominal des suffrages
, en ont absorbé la plus grande partie.
Al'ouverture , il a été lu différentes A dresses ,
parmi lesquelles on a distingué celle qu'a
remise M. le Comte de Mirepoix , au nom
du régiment du Maréchal de Turenne , dont
est Colonel , et qui sacrifie aux besoins
publics , mille écus sur sa subsistance du
nois courant. Madame Pajou , épouse du
celebre Artiste de ce nom , a demandé , par
écrit , au nom de plusieurs femmes d'Artistes ,
la permission de faire hommage de leur tribut.
à l'Assemblée , sans prétendre à l'honneur
d'une Députation . En applaudissant à ces
actes de patriotisme , on a décidé de les
( 227 )
inscrire sur les registres , et de les rendre
publics avec les noms de leurs auteurs.
L'ordre du jour appeloit la Délibération
sur la troisieme question proposée par M.
Camus , lorsque M. le Président fit la lecture
de la Lettre suivante du principal Miistre
des Finances :
Lettre de M. NECKER , Premier Ministre
des Finances , à M. le Président
de l'Assemblé Nationale.
Versailles , le 11 Septembre 1789.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT ,
Les Ministres du Roi ont cru devoir entretenir
Sa Majesté de la discussion qui s'est
élevée dans l'Assemblée Nationale , sur la
Sanction Royale ; et le Roi , apres avoir
pris connoissance du Rapport que j'ai fait
au Conseil , m'a permis d'en donner communication
à l'Assemblée Nationale. Sa Majesté
m'a autorisé à terminer ce Mémoire par
quelques réflexions que je soumets avec respect
à l'Assemblée Nationale , et je tiens
ainsi l'engagement que j'ai pris , en disant
dans mon dernier Rapport à cette Assemblée
, qu'obéissant aux Lois du devoir, je me
mottrois en avant toutes les fois que j'apercevrois
dans cette conduite le plus léger avantage
public.
1
J'ai l'honneur d'être , avec respect ,
MONSIEUR LE PRÉSIDENT ,
Votre très-humble et trèsobéissant
Serviteur ,
signé , NECKER.
( 228 )
Un Rapport du Conseil, une intervention
de l'autorite Royale qui pourroit influer sur
les decisions de l'Assensblée , mais qui seroit
aussi susceptible de l'éclairer , sont-ils admissibles
? Telle fut la question qui s'éleva ,
et qui d'abord fut négativement décidée par
M.deBeaumetz, Il representales conséquences
decette sorte d'initiative , qui ne peut apparfenir
au Conseil du Roi.
M. Target exprima le même avis. Si le
Toi , dit -il , ne peut avoir d'influence sur
les Deliberations législatives , à plus forte
raison ne peut-il en avoir sur celles qui concernent
la Constitution même.
M. de Mirabeau représenta qu'on avoit refusé
aux Membres de l'Assemblée toute discussion
ultérieure , et que par conséquent on
ne pouvoit l'accorder au Conseil du Roi ;
mais que, si la lecture du Rapport devoit être
entendue , la discussion devoit être r'ouverte
ensuite sur l'avis.du Conseil.
Cette opinion fut appuyée de plusieurs
Membres , entre autres de M. de Lally : MM,
Mounier et de Tracy la combattirent,, et ,
unanimement , il fut décidé qu'on ne liroit
pas le Mémoire.
On revint ensuite à l'ordre du jour , c'està
- dire , aux deux questions suivantes de M.
Camus : La Sanction Royale aura- t-elle liqu ?
Sera-t-elle absolue , où suspensive ?
Quant à la première , on observa qu'elle
ne determinoit pas si la Sanction seroit né-' .
cessaire seulement pour les Lois.
M. de Mirabeau , considérant la Sanction
comme la promulgation de la Loi , crut
cette proposition trop évidente pour être déliberee.
Il proposa d'y substituer la question
( 229 )
stle Roi auroit le droit d'arrêter la promul
gation de la Loi ?
Cette acception da mot de Sanction ne
fut point generalement adoptée ; mais differentes
significations furent sous- entendues,
et de ces équivoques naquirent alors de longs
debats.
M. Péthion de Villeneuve , entendant par
le mot de Sanction , le sceau et l'authenticité
donnée à la Loi , rentra dans l'avis du
Preopinant.
Plusieurs autres Membres , et principalement
M. Rabaud de Saint-Etienne , observant
que cet équivoque pourroit altérer la Délibération
, et avoir même , par la suite , des
effets dangereux , deinanderent que le mot
fut exactement defini.
La seconde question de M. Camus parut
aussi d'un sens obscur , en ce que ce n'est point
la sanction , mais le refus du Roi qui peut
être suspensif. Elles furent alors rejetées
toutes deux à l'unanimité.
M. le Président lut à l'Assemblée la
rédaction suivante , proposée , en partie , par
M. de Mirabeau.
La Sanction royale est- elle nécessaire
pour la promulgation des Lois ? le
Le Roi aura- t- il le droit d'arrêter , par
refus de sa Sanction , la promulgation de la
Loi ?
Ce droit aura- t- il un effet absolu ou suspensif?
Si l'exercice de ce droit est suspensif, pour
combien de Legislatures le sera -t- il ?
?
Quoique cette rédaction fut accueillie , on
en proposa encore plusieurs autres entre
lesquelles celle - ci parut réunir le plus de
suffages:
No. 38. 19 Septembre 1789. L
( 230 )
ati
Le Roi aura-t -il le droit de Sanction en
ère de Constitution ?
L'aura-t- il en matiere de Législation?
Son refus sera- t- il absolu ou suspensif?
MM. Demeunier et de Saint- Etienne insistèrent
encore sur la demande de définir le mot
de Sanction .
M. de Mirabeau observa qu'il y auroit de
l'inconvenance à donner le nom de Loi , à un
acte non encore sanctionné. Il proposa de
substituer: La Sanction Royale sera-t-ellenécessaire
pour la validité dés actes législatifs ??
Pour mettre fin aux débats , il fut décidé
que la question étoit suffisamment
éclaircie ; et on alloit mettre la question en
délibération , lorsqu'une nouvelle rédaction
fut proposée par M. Guillotin.
Le Roi peut -il refuser son consentement à
la Constitution ?
Peut-il refuser son consentemement aux
Actes du Corps législatif?
Si le Roi refuse son consentement , ce refus
sera -t- il suspensif ou indéfini ?
Dans le cas où ce refus du Roi aura lieu
comme suspensif, pendant combien de temps
pourra-t-il durer?
La première de ces questions fut combattue
par M. Mounier. Il démontra que le Roi avoit
droit de refuser la Constitution avant qu'elle
ait été ratifiée par la Nation ; car , dit-il ,
vous ne devez pas disposer de ses droits d'une
maniere arbitraire , et si , outre-passant vos
Pouvoirs , vous attentiez à ses prerogatives ,
il auroit droit alors de s'y opposer , et d'en
appeler au jugement de vos Commettans .
La Constitution doit donc être révisée par le
Roi , et ne peutêtre faite sans son intervention,
M, Fréteau , adhérant à cette remarque
( 231 )
judicieuse observa cependant qu'il étoit,
dangereux , dans un moment de fermentation
, d'agiter le point de la ratification du
Ple 11 proposa en cons quene de renvoyer
à un autre temps la decision de cette
premiere question de M. Guillotin.... Cet avis ,
fut adopte.
Il fut proposé ensuite , par plusieurs Membres
, de deliberer la troisieme question du refus
suspensif ou indelini , avant la seconde.
Cette Motion fut rejetée.
Mais des difficultes se renouvelerent , relativement
au mode de deliberer sur cette
premiere question ."
M. Roberspierre , à la vérité , demanda une
Deliberation publique , dans laquelle chaque
Membrerendit compte publiquement de son
opinion ; mais la plupart des Membres , impat
ens d'une décision , arréterent de deliberer
par assiset levé. Apeine le Decret etoit porté
, que beaucoup de Membres reclamerent ,
et refuserent même de delibrer.... Un bruit afreux
domina seul pendant quelques momens.
M. de Mirabeau developpa fortement l'opinion
de M. Roberspierie , l'importance de la
question , le danger , l'impossibilité même de
contrevenir au Decret formel , qui avoit déja,
précédemment soumis ces questions à us
appel nominal.
#
i
On eut égard à cette remarque , et l'on
consentit à delibérer par appel , en se promettant
de ne pas désemparer jusqu'à ce que les
deux questions fussent decidees.,
La premiere , c'est - à - dire , la nécessité da
Consentement Royal , fut adoptée par 730
voix , et rejetée par 143 ; 122 Membres ne
voulurent point donner d'avis.
C
Le résultat de la seconde question fut de
L
( 232 )
673 voix en faveur du refus suspensif, et de
325 en faveur du refus indefini : 11 Votans
n'eurent point d'avis.
-Cette Séance fut aussi non moins confuse
qu'orageuse , par la multiplicité des propositions
simultanées , dont chacune faisoit perdre
de vue la précedente. Il y en eut d'avancees ,
d'acceptees, et de rejetées , plus de douze fois .
Nous présentons l'historique des mouvemens
tumultueux des opinions , avec cette fidelité
qui exclut les exagérations et les reticences.
Les unes et les autres sont également répréhensibles
, et le Narrateur doit rendre tous
les faits caractéristiques , ou garder le silénce.
Du SAMEDI 12 SEPTEMBRE. Dans le
nombre des Adresses lues par extraits , on
a principalement remarqué celle des Communes
du pays de Labour , qui demandent
la conservation de leurs Priviléges , desquels
dépend leur existence. Le Député de la Noblesse
du même pays a déclaré qu'il avoit
reçu de ses Commettans une mission abso-
Jument contraire.
Un Curé de Sarguemines a offert à la Patrie
,la contribution d'une double imposition
pour l'annee présente et la prochaine. Deux
Demoiselles ont fait donà l'Assemblée de leurs
bijoux pour les besoins de l'Etat , et ne veulent
pas être nommées. M. le Chevalier de
La Guiche , Gentilhomme du Charolois , a
fait offrir , par M. de la Coste , une somme
de douze mille livres à l'Etat.
M. le Cardinal de Rohan prenant place à
l'Assemblee , lui a temoigné ses regrets de
n'avoir pu jusqu'ici partager ses travaux , en
la priant de recevoir son hommage respectreux.
( 233 )
10
L'ordre du jour indiquoit la discussion du
quatrieme chef, posé par M. Guillotin en
ces termes :
44
1
Dans le cas où le refus du Roi aura
lieu , comme suspensif, pendant quel temps
pourra durer ce refus ? Sera-ce pendant
une ou plusieurs Législatures ? »
Là- dessus , M. de Saint- Fargeau a réclamé
une décision préalable sur la durée de chaque
Législature. Sera - t- elle d'une , de deux ,
ou de trois années ? M. Richier ajoutoit à
cette question , celle du renouvellement total
ou partiel des Députés , et l'on a abandonné
le refus suspensif , pour délibérer conjointement
sur les deux questions préliminaires.
M. de Saint-Fargeau , reprenant la parole ,
a défendu avec sagacité , l'avis du renouvellement
annuel .
Nommer , a - t - il dit , des Représentans
pour un plus long terme , c'est ouvrir les
portes de la séduction ; c'est favoriser l'esprit
de corps , et accorder aux mêmes personnes un
pouvoir qui peut devenir extrême. Il est bon
de borner l'intervalle où chaque Député sera
Membre de la Puissance législative , et rentrera
ensuite dans la classe commune ; ainsi ,
il faut borner chaque législature à un an ,
et la composer en entier de nouveaux Men.-
bres.
M. Robers- Pierre a soutenu la même opinion
, qui a été puissamment réfutée par
M. l'Abbé Maury.
Observez , a-t- il dit , entre autres , que
l'année des Finances est de vingt-un mois ,
parce que l'impot , depuis son établissement ,
reste tout ce temps à parvenir au Trésor royal.
Lorsque l'Assemblée aura voté un impót , elle
doit avoir le temps de pourvoir aux non-va-
Liij
( 234 )
leurs , aux défauts de sa perception : la corruption
des Membres pourroit avoir lieu dans
une Assemblée d'un an , comme dans celles
qui auroient plusieurs Sessions . Quel esprit
d'ordre et de suite peut-il y avoir dans le
corps législatif, si les Membres qui le formeront
changent sans cesse ? Il lui sera impossible
de se diriger par lai -même , et alors
il ne pourra recevoir que des instructions ministérielles.
D'ailleurs , que de débats , que
de rivalités naîtront dans les provinces à
chaque Election ! l'espérance de la victoire
sur ses concurrens s'y renouvellera tous les
ans. "
La corruption gagnera des Législateurs
d'une année , aussi facilement , plus promptement
peut-être , que ceux de plusieurs.
L'enthousiasme , l'esprit de systême , les
prévarications de l'éloquence , auront un
empires plus certain sur une Assemblée
privée d'expérience. Les Provinces seront
livrées à des cabales toujours renaissantes ,
à des armées d'intrigans toujours en activité
, à une ambition tracassiere , qui ,
chaque année aura l'occasion de s'exercer. "
D'après toutes ces considérations , que
nous ne faisons qu'ébaucher , M. l'Abbé
Maury conclut à des Législatures de quatre
ans.
M. Buzot contrasta avec le Préopinant
en remontrant dans les élections annuelles
le rincipe des moeurs libres , d'une heureuse
fermentation , de la conservation des Lois
fondamentales , contre les tentatives des
Ministres . Cette Législature annuelle, ajoutat-
il , nous préservera de l'Aristocratie des Riches
, en ouvrant la porte des Députations à
ceux qui ne le sont pas.
( 235 )
M. Demeunier composoit avec les extrêmes ,
et formoit des Législatures de deux années.
M. de Virieux les fixoit à trois , et alloit
retirer sa Motion , lorsque M. de Mirabeau
a demandé à la défendre ; mais il a
fallu céder aux clameurs , et l'abandonner
de nouveau .
M. l'Abbé Maury a posé le mode de délibérations
, en proposant de voter , d'abord ,
si la Législature seroit d'une ou de plusieurs
années , et ensuite , en cas que l'opinion en
faveur de plusieurs années l'emportât , d'aller
aux voix sur le terme de deux, ou de trois
ans.
L'incertitude et les débats confus se prolongeoient.
M. le Duc de Mortemart a observé
qu'on disputoit depuis une heure et
demie , que chaque heure coûtoit à la Nation
5,000 livres ; qu'ainsi , le temps perdu
entrainoit déja une dépense de 7,000 liv.
Enfin , M. le Président a proposé la formule
de M. l'Abbé Maury ; elle a eu l'assentiment
général.
Par assis et levé , il a été décidé que la
durée de la Législature seroit de plusieurs
années .
Par appel nominatif , 806 voix contre 48 ,
ont fixé à deux années la durée de chaque
Législature.
P. S. DU LUNDI 14. Sur 727 suffrages
pour la nomination d'un nouveau Président ,
M. le Comte de Clermont - Tonnerre en a
réuni 380 , M. Péthion de Villeneuve 123 ,
et M. Redon 80 .
La durée du refus suspensif de Sa Majesté
, a été éloignée par une Motion de
M. Barnave , qui a demandé un sursis à
Liv
( 236 )
P'ordre du jour , jusqu'à ce que le Roi eût
sanctionné les Arrêtés du 4 Août , et jours
suivans. Les débats violens et tumultueux
des Séances précedentes se sont renouvelés.
On est passé aux voix : la majorité négative
par assis et levé , a paru douteuse ; on a
réclamé l'appel nominatif : chacun parloit ,
personne n'écoutoit ; la voix du Président
est restée impuissante , et il n'a pu ramener
le calme qu'en levant la Séance .
Samedi matin , MM. Mounier , Bergasse
et de Lally- Tollendal , ont donné au Président
leur demission formelle , en qualité
de Membres du Comité de Constitution : M.
de Clermont - Tonnerre y a joint la sienne
immédiatement , et les deux seuls Membres
restans , MM. l'Evêque d'Autun et l'Abbé
Syeyes , ont ensuite imité cette démarche.
Supplément à l'Assemblée Nationale.
Voici , en substance , les considérations
principales sur lesquelles M. Necker
a établi son opinion , dans le Rapport qu'il
en a fait au Conseil . Nous observerons
que ce Ministre regarde la négative du
Roi d'Angleterre comme nulle , comme
acitement omise . Cela peut être vrai
de l'exercice de cette prérogative ; mais
la prérogative même existe dans toute
son énergie. Si elle n'a pas l'occasion
de se déployer , c'est qu'elle
sert à faire respecter l'Autorité Royale
par les autres pouvoirs de l'Etat . Elle
balance leur action , elles les contient
dans leurs limites , comme elle-même
慧
( 237 )
est contenue par les droits éminens du
Parlement. Celui- ci n'est pas tenté d'usurper
sur le Roi , par des innovations
dont la Sanction lui seroit refusée .
D'autre part , le Roi n'est pas tenté de
refuser son consentement à une Loi
sage , contre laquelle il s'éleveroit tout
seul , et que la dissolution du Parlement
amèneroit en jugement définitif devant
le Peuple même , au renouvellement de
ses Représentans.
1
Tous les autres pouvoirs légaux , ou
d'influence , attachés à la Prérogative
Royale , sont autant de remparts ou de
supplemens de la faculté d'empêcher. Si
elle n'agit pas , c'est qu'elle n'a pas
besoin d'agir tel est inévitablement› ,
et tel sera toujours l'effet des contrepoids
dans une Constitution , qui attribue,
en les bala cant , des forces défensives
à chacune de ses parties.
21
Il est avéré que, si une foible Majorité
de la Chambre Haute n'eût pas rejete
, en 1785 , le Bill de l'Inde , proposé
par M. Fox, le Roi d'Angleterre eût
déployé sa négative , et adhéré par là ,
-au voeu général , en s'opposant à celui du
Parlement. Le cas étoit prévu , et le projet
de refus définitivement arrêté .
Rapport fait au Roi dans son Con
seil , par le Premier Ministre des
Finances.
Votre Majesté connoît les débats qui ont
lieu depuis quelque temps à l'Assemblée Na-
Ly
( 238 )
tionale , sur la Sanction Royale. La division
de sentimens à cet égard , semble annoncer
que la supériorité de suffrages en
faveur du Veto indéfini entre les mains du
Roi , est au moins fort incertaine..
Cependant la chaleur contre un semblable
résultat est telle , qu'une grande scission paroit
à craindre , si le Veto absolu ne l'emporte
que foiblement sur l'opinion contraire ,
et il en résulteroit peut-être une commotion
dangereuse. La plus petite majorite dans
une délibération nationale , suffit avec raison
pour faire Loi , mais elle n'assure pas la
tranquillité publique lorsqu'elle décide des
questions auxquelles tous les sentimens , tous
les intérêts et toutes les passions s'associent .
On ne doit pas non plus se dissimuler
'ce mot vague , le Veto , le Veto absolu , peut
devenir une arme entre les mains des gens
-mal intentionnés ; car auprès de la multitude
, il ne seroit pas difficile de présenter
Ice droit d'opposition , comme un moyen ménagé
au Gouvernement pour tout arrêter ,
et pour détruire en un jour les espérances
de la Nation et le fruit de ses efforts.
Il de si propre à
I
que
esprits du vulgaire
, qu'une Chauffer les
susceptible
de diverses interpretations , lorsque
cette expression est, destinée à rappeler une
idée qui n'est pas encore familiere ; et il seroit
à desirer que la controverse , dont les
esprits sont occupés , eût toujours été présentée
dans le public sous cette forme simple :
Le consentement du Soustrain aux Lois qu'il
doit faire exécuter , est - il ou non necessaire
? 2.
3.Quoi qu'il en soit , c'est sous l'aspect général
et commun , c'est d'après le cours des
( 239 )
opinions , que les Ministres de Votre Majesté
ont dû fixer leur attention sur la ques-、
tion du Veto absolu et du Veto suspensif ;
et d'abord ils ont été frappés d'une grande
et malheureuse vérité , c'est qu'en ce mo--
ment la tranquillité du royaume doit être
le principal objet de la sollicitude du Gouvernement
; car au milieu des circonstances
qui nous environnent , il faudroit peu de
chose pour amener un trouble , dont les
funestes effets seroient incalculables . L'espèce
de calme qui subsiste encore avec tant
de moyens d'insurrection , ce calme si nécessaire
, si difficile à maintenir , n'est dû
qu'à la puissance de la raison , de la morale
et de l'espérance ; et il faut soigner cette
puissance avec le plus extrême ménagement ,
si l'on ne veut pas mettre en péril le salut de
l'Empire François.
Je ne déterminerai point l'étendue des
sacrifices qu'il faudroit faire à ces grandes
considérations : on peut supposer un terme
où ils devroient s'arréter ; mais j'espère pour
le bonheur de la France , que Votre Ma-,
jesté ne sera jamais appelée à le fixer.
Conduit par ces réflexions , j'ai été entraîné
à considérer s'il ne pouvoit pas exister
un Veto suspensif, propre à concilier les
diverses opinions qui agitent l'Assemblée
Nationale ; et voici celui qui m'a paru pouvoir
remplir ce but avec peu d'inconvéniens.
Supposons que les mêmes Députés soient
chargés pendant deux ou trois années de suite
des pouvoirs de la Nation , et que cet espace
de temps fût désigné , comme on le
fait aujourd'hui , sous le nouveau nom de
législature. Ne pourroit-on pas admettre que
L vj
( 240 )
pendant deux législatures consécutives , le
Monarque auroit le droit de réfuser son consentement
aux déterminations qu'il regarderoit
comme contraires au bien de l'Etat ; et
à la troisieme législature , si de nouveaux
Représentans insistoient sur la même délibération
, elle auroit force de loi.
Une telle disposition présente sans doute
le terme où la Sanction du Souverain deviendroit
nécessaire ; mais est- il probable
qu'une loi demandée par trois législatures
différentes , c'est -à-dire , par des Députés
renouvelés trois fois , fút une loi à laquelle
le Gouvernement ne crút pas en conscience
pouvoir donner son acquiescement ? et paroitroit
-il déraisonnable qu'un voeu national ,
exprimé d'une manière si manifeste , dût
enfin être satisfait ?
Que l'on considère si le Veto absolu et indéfini
n'a pas quelques inconvéniens , et si
ées inconvéniens ne touchent pas essentiellement
à l'autorité du Souverain. Il est infiniment
vraisemblable que le Gouvernement
éraindroit de faire usage d'un Veto absolu ,
et de priver ainsi la Nation de toute espérance
de voir ses voeux satisfaits . Les Ministres
que l'on a rendus responsables , les
Ministres dont la considération s'affoiblira
nécessairement avec la diminution de leur
pouvoir , de tels Ministres voudront- ils s'exposer
aux reproches des Représentans de la
Nation , en mettant obstacle à l'adoption
d'une loi délibérée dans l'Assemblée générale
? Il est donc nécessaire en tous les temps ,
il est sur-tout indispensable dans les longs
commencemens d'un nouveau Corps de légis-
Jateurs , que le Gouvernement puisse suspendre
l'exécution des lois qui lui paroî(
241 )
troient contraires au bien de l'Etat et au
voeu durable de la Nation .
Et puisque votre Majesté veut le bien de
la Nation avec une telle sincérité , qu'Elle
autorise toutes les réflexions qui peuvent y
tendre , je la prie de permettre , qu'apres lui
avoir présenté les inconvéniens qui naitroient
du Veto absolu sous des Ministres foibles ,
je soumette à sa considération ceux qui pourroient
être produits par des Ministres d'un
esprit différent . Ils auroient entre leurs mains
un moyen d'exciter de nouveaux troubles ;
car , en se tenant simplement aux termes
du droit , ils n'auroient qu'à porter le Monarque
à faire usage plusieurs fois de son
Veto absolu , pour occasionner une grande
fermentation ; et comme l'autorité une fois
engagée , on croit qu'il importe à la dignité,
de cette autorité de ne point reculer , les
Ministres , enclins à ramener le désordre dans
le royaume , auroient un moyen d'autant
plus dangereux , qu'extérieurement il paroitroit
dériver du simple exercice d'un droit
légitime.
On dira peut-être que le Roi , en jouissant
de la faculté d'opposer un Veto absolu
aux délibérations législatives de l'Assemblée
Nationale , ne seroit pas obligé d'en faire
usage d'une maniere indéfinie , et que de
lui-même il pourroit y mettre un termie , et
accéder , après de nouveaux éclaircissemens ,"
aux fois qu'il auroit d'abord rejetées . Cette
observation est juste ; mais l'inquiétude seroit
la même au premier usage que feroit le
Gouvernement d'un semblable Veto , parceque
son terme seroit inconnu " et que les
Députés à l'Assemblée Nationale , apercevroient
bien que s'ils ne s'elevoient pas sur(
242 )
le-champ contre l'exercice d'un Veto légale
ment indéfini , ils n'auroient plus au bout
d'un certain temps les mêmes moyens , parce
que la première ardeur des esprits , toujours
la plus redoutable , s'affoibliroit insensiblement.
On peut demander encore s'il n'y auroit
pas telle loi dont la Sanction ne devroit
jamais être accordée par le Roi : supposition
qui donneroit des regrets à la privation du
Veto absolu et indéfini . Je crois que la chance
d'une pareille loi est très-invraisemblable :
un terme de quelques années , une succession
de trois Elections de Députés différens ,
suffisent pour éclairer les opinions sur le véritable
bien de l'Etat , et pour mettre à
l'abri de toute espèce de voeu inconsidéré
de la part des Députés successifs de la Nation
.
Le Roi d'Angleterre jouit dans sa plénitude
du Veto absolu , mais il n'en fait point
d'usage , et il n'oseroit guère se le permettre ;
il resulte peu d'inconvéniens de sa renonciation
tacite à l'exercice de ce Veto , parce
que la Cour des Pairs veille aux intérêts de
la Couronne ; parce que les deux Chambres
qui composent le Parlement , se surveillent
avec l'action attachée à deux intérêts distincts
; parce que la Nation Angloise a deja
vieilli dans le Gouvernement , et en possède
la science ; parce que la durée des Parlemens
, communément de sept ans , est un
long cours d'instruction ; parce que les Ministres
sont presque tous Membres du Parlement
; parce que le plus prépondérant de
tous , le Chancelier de l'Echiquier , sert au
moins de premier guide pour les affaires de
finance ; parce que le Parlement tient ses
243 )
.
Séances dans Londres , la Capitale du Com
merce et le lieu de réunion des plus grandes
connoissances , et que le Parlement est journellement
éclairé par ce cercle lumineux qui
P'environne. Enfin , pour derniere observation
, le caractère naturel de la Nation Angloise
l'eloigne communément des délibérations
hâtives et précipitées. L'effet de toutes
cescirconstances particulières , et de plusieurs
´autres , rend le voeu réuni des deux Chambres
du Parlement , tellement conforme aux intérêts
de la Nation , ou à l'exigence du moment
, que la renonciation tacite et nécessaire
à l'usage du Veto Royal , ne nuit jamais au
bien public. Mais il n'en seroit pas de même
en France , où aucune des particularités que
je viens de citer ne se trouve applicable . Il
paroît que l'Assemblée Nationale nesera composée
que d'une seule Chambre jusqu'à l'époque
où l'on découvrira peut-être l'inconvénient
d'une pareille institution ; mais si
deux Chambres n'avoient pas , comme en Angleterre
, une destination distincte , si elles
n'étoient pas séparées par quelques intérêts
differens , la garantie contre les erreurs momentanees
de l'Assemblée Nationale , seroit
encore insuffisante. On met de plus en doute
siles Ministres dont les lumières , au moins
de tradition , seroient souvent utiles , si les
Ministres , unis par leurs fonctions à l'ensemble
des affaires , devront être admis comme
Députés à l'Assemblée Nationale . On paroît
aussi dans l'intention de borner à deux ou
trois ans la duree ' de chaque législature , ce
qui ne laissera guere de temps aux mêmes
Deputés pour tirer parti du choc de leurs
fumieres ; et celles dont ils seront environnés
paroissent jusqu'à présent avoir plus de rap(
244 )
port avec les idées abstraites et métaphysi
ques , qu'avec ce jugement pratique et vigoureux
que l'habitude des affaires a seule
le pouvoir de constituer. Enfin , il est généralement
connu que la Nation Françoise est
plus susceptible qu'aucune autre de résolu
tions rapides ; elle voit vite , elle est confiante
, elle est empressée de jouir , elle est
avide de se montrer. Il faut peut-être , pour
la perfection dont elle est si digne , une sorte
de contre-poids qui assure sa marche et qui
rassemble ses forces. Je pense donc , Sire,
que dirigé , comme vous l'êtes toujours , par
un véritable amour du bien de l'Etat , Votre
Majesté ne devroit pas regretter l'exercice
d'un Veto absolu et indéfini , s'il est remplacé
par un Veto suspensif , tel qu'on vient
de l'expliquer , et je crois encore d'avantage
que la difference entre l'un et l'autre , ne
peut pas être mise en parallele avec le risque
de troubler la tranquillité publique.
Voilà , Messieurs , le rapport que j'ai fait
au Roi . Sa Majesté a jugé à propos qu'il
vous fút communiqué , et c'est encore avec
son approbation que je vais vous soumettre
une reflexion importante.
J'ai exposé dans mon Memoire au Roi , les
raisons qui pouvoient l'engager à voir sans
peine la substitution du eto limité , à un
Feto absolu et indéfini. Mais tout seroit
changé si la Sanction du Roi étoit obligatoire
des la seconde législature ; car ce seroit
presque la rendre nulle , puisque la crainte
de compromettre la dignité du Roi par un
appel inutile à la seconde législature , engageroit
le Gouvernement à ne jamais courir
ce hasard ; au lieu qu'en rendant la Sanc
tion du Roi nécessaire seulement à la troi-
1
( 245 )
sième législature, il resulteroit d'une telle
disposition , le grand et notable avantage de
ménager au Monarque le moyen de donner ,
dès la seconde législature , son consentement
libre à la loi proposée ; et il ne manqueroit
pas de le faire si , averti de l'opinion
publique par l'insistance d'une seconde légis
lature , il voyoit manifestement qu'il contrarieroit
le voeu National , en continuant à
refuser son acquiescement . Ainsi , quoique
la Sanction du Roi , rendue obligatoire à la
troisième législature , ou la Sanction du Roi
déclarée nécessaire dès la seconde , puissent
se ranger sous le nom commun de Veto suspensif
, il n'y a point d'idées plus differentes
et plus dissemblables : le Veto absolu , au
risque de n'en jamais faire usage , seroit infiniment
préférable à un Veto suspensif dont
on ne feroit point usage non plus , puisque
le premier de ces Veto conserveroit du moins
au Trône toute sa majesté.
La Nation , en donnant sa confiance à des
Députes choisis pour un temps , n'a jamais
pensé qu'elle retireroit par cet acte celle qui
Punit à son Souverain , à ce Dépositaire permanent
de l'amour , de l'espérance et du respect
des Peuples , à ce défenseur- né de l'ordre
et de la justice. Elle veut pour son bonheur
et pour la prospérité de l'Etat , un équilibre
entre les divers pouvoirs qui font sa sauvegarde
; mais elle n'entend pas sûrement détruire
les uns par les autres , et s'il lui est
si difficile d'exprimer la plénitude et la durée
de ses voeux , si ses Représentans momentanés
ne peuvent le faire qu'imparfaitement
il est dú d'autant plus de respect à celui
qui , par l'assentiment des siècles et des gémérations
passées , a été consacré l'un des
( 246 )
gardiens immuables des lois et de la félicité
publique . Je vois des resistances opposées
de toutes parts au pouvoir exécutif ; il faut
plus que jamais lui menager cette force morale
, qui nait des formes et des idées de
grandeur que ces formes entretiennent. Vous
avez pris , Messieurs , toutes les précautions
imaginables pour la liberté , et sans doute
que vous allez bien loin à cet égard , puisque
vous en voulez une plus grande que celle dont
toute l'Europe vante la perfection , que celle
des Anglois , ces vieux amis de la liberté ,
ces connoisseurs experimentés des conditions
qu'elle exige , et qui , après cent ans d'expérience
, ne voudroient pas admettre le moindre
changement dans une Constitution dont
ils ne parlent jamais sans exprimer en même
temps le bonheur dont elle les fait jouir.
Mais en suivant vos idees à cet egard , ne
perdez pas de vue , Messieurs , que si vous
negligez les précautions necessaires pour conserver
au pouvoir exécutif sa dignité , son
ascendant, sa force , ce royaume est menacé
d'un desordre general ; et ce desordre pourra
detruire dans ses revolutions inconnues
l'edifice que vous aurez elevé avec tant de
soin. Un royaume comme la France , un
royaume de vingt - cinq mille lieues quarrées
, un royaume de vingt - six millions d'Habitans
divisés par des habitudes et par des
moeurs differentes , ne peut pas être réuni
sous le joug de lois , sans une puissance active
et toujours vigilante , etc.
De Paris , le 16 Septembre .
'Assemblée des Représentans de la Com(
247 )
mune de Paris. Extrait des Procèsverbaux
, Séance du 6 Septembre
1789.
Sur le rapport fait à l'Assemblée par MM.
Bourdon de la Crosnière et Charpentier ,
Commissaires deputés par elle auprès de
l'Assemblée Nationale , et du premier Ministre
des Finances , pour aviser aux moyens
d'assurer la subsistance de Paris , que l'Assemblee
Nationale a , par son arrêté du jour
d'hier , renvoyé lesdits Commissaires à se
pourvoir vers le pouvoir exécutif ; l'Assemblee
a arrêté que le Roi seroit très - humblement
supplie de prendre en consideration la
position dans laquelle se trouve la Ville
de Paris , relativement à ses subsistances ,
et de venir à son secours par les moyens
les plus prompts et les plus súrs que sa
sagesse lui suggérera : Qu'en conséquence ,
il plút à Sa Majesté ordonner , entre autres
choses :
1 ° . Que chaque Laboureur et Fermier,
dans l'étendue de la Généralité de Paris ,
sera tenu , à compter du jour de la publication
de l'Arrêt à intervenir , de porter chaque
semaine au marché qu'il est dans l'usage
de fréqueter, la quantité de trois septiers
au moins par charrue , et ce par provision ,
et jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné
, sauf à établir de nouvelles proportions
dans ladite fixation , s'il y a lieu , d'après
les observations des Municipalités des lieux
dans lesquels lesdits Laboureurs sont résidans
, sur la quantité plus ou moins forteque
chacun d'eux pourra fournir,
2°. Que la Ville . de Paris , qui par sa
population ne peut être assimilée à aucune
( 248 )
des autres villes du royaume , et qui ne peut
être approvisionnée que par des mesures extraordinaires
, que les circonstances presentes
rendent encore plus necessaires , sera maintenue
dans le droit d'appliquer à sa consoni-
´mation , les grains récoltes dans l'enceinte dé
son arrondissement .
3°. Que cet arrondissement , que les anciennes
Lois avoient fixé à dix lieues , sera ,
eu egard à l'agrandissement successifqu'elle
a reçu depuis ses Lois , à la disette des récoltes
precedentes, et aux approches de l'hiver
, etendu à vingt- cinq lieues..
4°. Qu'il sera donné aux troupes et aux
Maréchaussées tous les ordres nécessaires
pour la sûreté des Fermiers et des Laboureurs,
des Boulangers et des Marchands , pour
l'approvisionnement de Paris et pour la tranquillité
et le bon ordre sur les routes , dans
les marchés , les moulins , et en general pour
tout ce qui concerne la circulation interieure
des grains et farines.
5°. Qu'à l'effet d'assurer l'exécution des
mesures ci - dessus , et de toutes autres , que
la sagesse de Sa Majesté lui suggérera pour
prévenir les suites funestes d'une disette
dans la capitale , il sera attribué à la Municipalité
de cette ville , tous les pouvoirs
qu'avoient précédemment sur le fait des
subsistances destinées à son approvisionnement
, le Lieutenant -général de Police et le
Commissaire départi.
Signés , BLONDEL , Président ; J. M.
BOSCARY , Secrétaire,.
Arrêt du Conseil d'Etat du Roi , du
7 Septembre 1789.
Le Roi ayant examiné dans son Conseil
( 249 )
-
}
la délibération ci-dessus transcrite , de l'As
semblée des Representans de la Commune
de sa bonne ville de Paris , et désirant concourir
, par les moyens qui sont en son pouvoir
, aux precautions indispensables pour
l'approvisionnement de la capitale , S. M. a
bien voulu avoir égard aux demandes des
Représentans de la Commune de Paris ,
persuadée qu'ils ne feront usage qu'avec ménagement
des moyens dont ils ont dessein.
de se servir , et qu'ils se concerteront avee
les autres Municipalités de la généralite de
Paris , afin que l'approvisionnement de toutes
les parties de cette généralité ne soit jamais
compromis . Sa Majesté est instruite , par
l'experience , que si la subsistance d'une ville
aussi considerable que Paris , peut être
confice dans les temps ordinaires à la parfaite
liberté du Commerce , il étoit indi
pensable de prendre des précautions plus
assurées dans une circonstance difficile , et à
la suite d'une année de disette . Le Roi ,
guidé par ce principe , a garanti , par ses
soins prevoyans , la ville de Paris des malheurs
auxquels elle auroit été soumise , si ,
des la fin de l'hiver dernier , le Roi n'avoit
pas pourvu à la plus grande partie de sa
subsistance , par des bleds achetés dans
Etranger , et si l'immensité des secours que
le Rois'etoit procures successivement , n'avoit
pas suffi depuis quelques mois à l'approvisionnement
entier de Paris , de Versailles
et d'une grande partie de la généralité , et
ces secours y auroient repandula plus grande
abondance , Siiles besoins qui se sont en
même temps manifestés en Normandie , n'avoient
pas oblige de destiner à la subsis--
tance de cette province , une portion des
( 250 )
convois qui empruntoient son territoire pour :
venir jusqu'à Paris. Les pays étrangers , dont
on peut tirer des secours prochains , se trouvant
dans ce moment absolument épuises
il faut attendre que les récoltes tardives du
Nord procurent de nouvelles ressources ; mais
comme ces ressources , par les soins vigilans
et paternels de Sa Majesté , mettront en
état de procurer à la ville de Paris un secours
extraordinaire de cent ou cent -vingt
mille setiers dans les mois de novembre et
de décembre , et qu'un pareil secours permettra
aux Représentans de la Commune de
se dispenser des moyens extraordinaires qu'ils
sont obligés d'employer en ce moment pour
l'approvisionnement de la capitale , le Roi
a jugé à propos de n'autoriser que jusqu'à
la fin de cette année les dispositions particulieres
qu'ils sollicitent. A quoi voulant
pourvoir , etc.
LETTRE AU Rédacteur .
D'Angers , le 13 Août : que la division du Régiment
de Royal Picardie , en garnison à
Guingamp , eft arrivée en cette ville . Les Cavaliers
, à leur départ , ont juré entre eux ,
à l'insçu de leurs Officiers , de n'accépter aucun
argent , ni un seul verre de vin , de qui
que ce soit . Pendant leur séjour à Rennes ,
les Dragons et les Bourgeois ont fait tout
leur possible pour leur faire accepter l'un
et l'autre , mais tous ces braves Cavaliers ont
été invincibles . Ils ont eu le même heroisme
pendant toute la route , et ils sont arrivés à
Angers , vierges d'argent et de vin . Cette ville ,
instruite de leur conduite , a voulu les ré
Pa
( 251 )
galer ; mais ils n'ont accepté cette offre
qu'après avoir pris l'agrément de M. le Mar-,
quis de Lostanges , leur Colonel . Ils ont prié
la ville de leur donner à chacun vingtsous
, pour se régaler et se divertir un soir
sans sortir de leurs Chambrées. Leur fête à
été fort tranquille. Le Colonel à éte si content
de leur sagesse ; qu'il leur a donné le lendemain
la même somme pour se régaler de
nouveau ; le second jour s'est terminé comme
le premier Il est beau de voir une conduiteaussi
respectable au milieu des désordres où
l'anarchie nous a plongés . Elle fait autant
d'honneur aux Cavaliers qu'aux Officiers de
ce Corps , et sur-tout au Chef resp table
qui le commande. On doit au reste tout attendre
du descendant d'une famille célèbre
dans les fastes militaires .
Le 18 Août , M. Maugeard , Généalogiste ,
eut l'honneur de présenter au Roi le premier
volume du Code de la Noblesse , ou
Recueil de Lois et de Monumens pour servir
de preuves au Traité politique et historique
de la Noblesse Françoise (1).
Encore un assassinat . Le Maire de
Troyes , Magistrat généralement estimé ,
( 1 ) Cet ouvrage aura beaucoup plus d'étendue que
l'Auteur ne s'étoit proposé de lui en donner , lorsqu'il
a publié son premier Prospectus . Des circonstances alors
imprévues , et de nouvelles vues d'utilité , l'ont déterminé
à passer les hornes qu'il s'étoit prescrites , de sorte qu'au
lieu de 2 vol . in-8 °. , il en donnera 6. Ce premier volume
ne sera délivré qu'aux Personnes qui souscriront
chez l'Auteur , rue neuve des Capucins . On paiera 18
liv. en souscrivant , et le reste du prix en recevant le
4. volume. On recevra , en Province, cet ouvrage frane
de port et au même prix , en affranchissant les lettres e
l'argent.
( 252 )
a été arraché par le Peuple presque des .
bras de ses confrères , assommé , et traîné
dans les rues , le 9 Septembre . C'est
encore une victime de ces stupides ac
cusations , dont aucune vertu ne peut garantir.
Les assassins du Maire de Troyes
lui imputoient d'avoir empoissonné des
farines.
P. S. Nous avions déja livré à l'impression ,
ily a 8 jours , notre defense contre l'inculpation
de M. Clarkson , lorsque nous fúmes
informés par un ami commun , que cet Anglois
estimable , n'avoit entendu en aucune
maniere nous accuser d'être soudoyés par
les Planteurs , et qu'il offroit même de le
publier. En conséquence , nous avions donné
ordre de supprimer notre replique ; cet ordre
n'a point ete suivi , en l'absence du Rédacteur
, dont le regret a augmente , en voyant
paroitre imprimee la rétractation de M. Clarkson.
Elle nous oblige à nous rétracter nousmêmes
, et à regarder comme non - avenu
l'article qu'on a lu la semaine derniere. L'explication
de M. Clarkson ne nous permet plus
aujourd'hui que d'applaudir à son procedé ,
comme nous avons applaudi dans le temps
au zele et aux lumieres qu'il a manifestees
dans la défense d'une cause sur laquelle aucun
homme sensible ne peut rester indifferent.
Les Numéros sortis au Tirage de la
Loterie Royale de France , le 16 Septembre
1789 , sont : 36 , 46 , 89 , 60 , 24.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 26 SEPTEMBRE 1789 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE
A Mile. de D *** , fur ce qu'on difoit que
, je la chantois trop fouvent.
V ERS le figne de la Balance ,
L'Aftre du jour eft arrivé ;
De vin largement abreuvé,
Le Thyrfe en main , Silène avance ;
Sur un tonneau , Pan élevé ,
Des Faunes dirige la danfe ; ,
La fête de Bacchus commence :
Les Driades & les Sylvains ,
Barbouillés du jus des raifins ,
Courent la campagne embellie ,
Et je ne vois point Emilie.
N°. 39. 26 Sept. 1789.
D
74
MERCURE
L'hiver pour moi flétrit les champs ;
Mais , non , je la vois , je l'entends ;
Les Graces feront de la fête :
Allans , que ma lyre foit prête ;
Eft-il befoin d'orner mes chants ?
Lorfque ma Sapho les répète ,
Des Mufes ce font les accens ;
Par fa bouche rendus charmans
Les moindres airs ont de la grace ,
Comme les yeux ils font touchans ,
Pour la faire affeoir à fa place ,
Renaiffez , Ecoles d'amour ,
Où nos Mabiles , nos Huguettes ,
Nos Laures , & nos Stéphanètes ,
Fixant chacune un Troubadour ,
A leurs vers joignoient leurs mufettes ,
Et charmant par leurs chanfonnettes
La Provence & le Dieu du Jour ,
Des Mufes , dans un beau féjour ,
Rappeloient les douces retraites ,
Et le couronnoient tour à tour
De lauriers & de violettes.
Emilie , ah ! voilà ta Cour ;
Et cependant , ô quel délire !
On me reproche aveuglément
De te prendre un peu trop fouvent
Pour l'objet des fons de ma lyre ;
N'eft-ce pas toi qui les inſpire ,
Toi qui , fille de demi-Dieux ,
Ne vois rien de plus glorieux
DE FRANCE.
75
Que les talens qui leur reffemblent ?
A tes côtés ils fe raffemblent ,
Et leurs hommages affidus ,
C'est bien à Pallas qu'ils font dus.
Pour la Beauté qui les colore ,
Chaque jour brillent les oeillets ,
Chaque jour les Zéphirs à Flore
Viennent préfenter leurs bouquets.
Careffant fa rive fleurie ,
On voit ferpenter le ruiffeau ,
Et vers fa Naiade chérie ,
Porter le tribut de fon eau.
Lorfque l'Aurore , par les larmes ,
Dɔre nos côteaux , nos guérets ,
Tous les oifeaux de nos bosquets ,
A l'envi célèbrent fes charmes ;
Le lendemain , plus fatisfaits ,
Ils chantent fa préfence encore ;
Toujours l'Amant d'Eléonore ,
De ce nom remplit les forêts ;
D'un nombre infini de Sonnets ,
Pétrarque offre l'hommage à Laure ;
Combien de vers il fait éclore ,
Tibulle, pour les doux attraits
De la Bergère qu'il adore ,
Et dont fes Ecrits ont les traits !
Et cependant Laure & Délie
Valoient-ellès mieux qu'Emilie ?
Qu'un Poëte chante fouvent
Le nom aimable d'une Belle ,
MERCURE
F
C'est pour les vers à fentiment
Que fleurit la palme immortelle.
Il a fes langueurs , fes accens ,
L'efprit , quand la gloire l'appelle ,
Du coeur la force eft plus réelle
Sa fource ne tarit jamais ,
C'eft la puiſſance univerſelle.
De la beauté toujours nouvelle ,
On fête les attraits divers ,
Et nos bouquets ce font nos vers
Que fes yeux font naître pour elle.
Si même au milieu des hivers
Il faut des fleurs , l'Amour fidèle.
En jardins change les déferts .
Ah ! qu'ils vont durer , mes concerts
Car je te promets de me taire
Quand le Roffignol folitaire
Sans envie entendra tes airs ,
Et que tu cefferas de plaire.
( Par M. Sabatier de Cavaillon. )
DE FRANCE 97
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Famine ; celui
de l'Enigme eft Bergère ; celui du Logogriphe
eft Crachat , où l'on trouve Rachat,
Achat , Chat.
CHARADE.
QUAND près de moi , Lecteur , fe trouve mon
premier ,
Je ne garantis pas mon dernier , mon entier .
( Par un Ecolier de sme.
ÉNIGM E.
LECTEUR , fi tu connois cet utile marteau
>
Sur lequel , un inftant , va s'égayer ma plume ,
Sans un grand effort de cerveau
Tu dois connoître auffi l'enclume .
L'un & l'autre formés des mains du Créateur ,
Sont , au printemps , d'un éclatant ivoire ;
Mais l'hiver nuit à leur blancheur ,
Et leur ravit toute leur gloire :
D3
MERCURE
Par un bizarre arrangement ,
Contraire ( diroit-on ) aux loix du mouvement
Tandissque l'enclume mobile
Agit par un travail facile ,
Le marteau tranquille l'attend .
Queceraccord eft admirable !
Qu'il eft avantageux à maint être vivant !
Oui , fans ce couple inféparable ,
L'animal rentreroit bientôt dans le néant.
( Par M. l'Abbé D***. )
LOGOGRIPHE
JE fuis , dans mes huit pieds , d'une odeur fans
pareille ;
Dans quatre , un crime à révolter ;
Dans cinq , un inftrument fi flatteur à l'oreille ;
Et dans fix, la couleur que tout Clerc veut porter
( Par M. Demont. )
DE FRANCE.
59
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
ROMANCE de Paul & Virginie , pak
Madame la Marquife DE LA FERRANDIÈRE
; avec la mufique , par Madame la
Comteffe DE CAUMONT fa fille. A Paris,
chez Didot jeune , Impr . de Monfieur
quai des Auguftins ( 1 ) .
ILL n'eft point de Lecteurs qui ne connoiffent
l'Ouvrage charmant qui a fourni
le fujet de cette Romance. L'amour , les
vertus & les malheurs de Paul & de Virgiaie
ont intéreffé toutes les ames fenfibles
; & M. de Saint- Pierre n'a pas montré
moins de talent en peignant la tendreffe
pure & naïve de deux jeunes coeurs fi
dignes de s'adorer , qu'il n'en avoit déployé
dans le tableau touchant d'Ariane abandonnée
, qui embellit le Ie. Volume de
fes Etudes de la Nature. Cet Ecrivain ,
dont la manière tient à la fois de Fénélon
& de Rouſſeau , a cependant un caractère
très- diftinct ; & il eft fur tout remarquable
(1 ) Ce petit Ouvrage , dont M. de Saint - Pierre
eft l'Editeur , fe vend au profit des Enfans de la
Charité.
D 4
80 MERCURE
par l'art qu'il poffede de mêler les defcriptions
les plus pittorefques à des fentimens
profonds & romantiques ; ce qui répand
fur fes Ouvrages un charme inexprimable .
Aufli fes Ouvrages font devenus une fource
abondante où d'autres Artiftes s'empreffent
de puifer. Le feul morceau de Paul & Virginie
a déjà été choifi par des Auteurs
dramatiques ; le célèbre Vernet en a fait
le fujet d'un des Tableaux qui enrichiffent
cette année le Sallen ; & enfia Madame de
la Ferrandière a femi , avec raifon , qu'une
Romance qui rappelleroit les principales
beautés de l'Ouvrage de M. de St - Pierre ,
ne pourroit pas manquer de réuffir .
Ce genre de Poéfie , auquel on n'a pas
femblé jufqu'à préfent attacher beaucoup
de mérite , eft pourtant très -difficile , parce
qu'il exige ce que la Nature feule donne ,
c'est-à-dire , de la naïveté & du fentiment.
Une Romance doit toujours parler au coeur,
flatter l'oreille , & ne jamais laiffer appercevoir
ce qu'on appelle purement de l'efprit.
Auffi , parmi quelques Peuples paflionnés
pour les Beaux-Arts , mais qui veulent
de l'efprit par- tout , les Romances font à
peine connues tandis qu'elles font les
délices de ceux qui n'aiment que le naturel
& la peinture des fentimens vrais . Les
Anglois ont un grand nombre de Romances
très touchantes . Les Efpagnols chantent encore,
en s'accompagnant de leur guitare ,
les guerres des Mores & les amours che-
>
*
DE FRANCE. SI
valerefques , & il eft impoffible de les
écouter fans intérêt . Noire Nation a trop
de fenfibilité , & entend trop bien fes plaifirs
, pour exclure du nombre de fes jouiffances
poétiques & muficales , le goût des
Romances , quelque fimples qu'elles foient,
& nous en poffédons plufieurs qui restent
dans la mémoire de tous ceux qui aiment
les vers. Qui ne fe fouvient pas , par exemple
, de la jolie Romance de M. le Duc
de la Vallière qui ne fait pas celle de Dufrefny
?
PHILIS , plus avare que tendre ,
Honteufe de trop refufer ,
Un jour exigea de Sylvandre
Trente moutons pour un baifer , &c. `
Qui n'a point chanté les Romances plus
modernes d'un Ecrivain qui a de plus
beaux titres à la gloire que ces petites Poéfies
, mais à qui ces petites Poéfies même
pourroient fervir de titres , parce qu'elles
font remplies de fentiment & de grace ?
Telle eft celle qui commence par ces vers
D'UNE Amante abandonnée 9'
Pourquoi craindre les rigueurs ?
Et celle dont voici le premier couplet :
Oma tendre Mufette ,
Mufette, mes amours ,
DS
82
MERCURE
Toi qui chantois Lifette ,
Lifette & les beaux jours ;
D'une vaine eſpérance ,
Tu m'avois trop fla té ;
Chante fon inconftance ,
Et ma fidélité .
Qui ne fe rappelle pas auffi , qui n'aime
point les Romances où l'Ami des Enfans
a peint les infortunes de Géneviève , & la
tendre mélancolie d'une mère qui regrette
auprès du berceau de fon fils , l'ingrat
époux qui l'a délaiffée ? Mais nous ne finirions
pas de long - temps , fi nous voulions
citer tout ce que nous avons de joli en ce
genre. Bornons - nous à faire connoître la
Romance de Madame de la Ferrandière.
DEUX femmes à l'Ile de France
Furent conduites par l'Amour ,
Latour bravant or & naiffance ,
Suit un époux qui perd le jour.
Coupable de tendre imprudence
Marguerite au même féjour ,
Fuit l'Amant que fa complaifance
Détacha d'elle fans retour.
)
Madame de la Ferrandière rend heureufement
en vers plufieurs morceaux de la
profe poétique de M. de St- Pierre . Après
avoir peint la nailfance de Paul & de Virginie
, & leurs carelles enfantines , elle
continue :
DE FRANCE.
SI -Tôr qu'ils dirent , je vous aime
Aux Mamans ce mot ss'adreffa ,
Et bientôt pour l'Etre faprême
Chacun des deux le prononça.
Virginie appeloit fon frère
Celui qui la nommoit fa fear.
Crainte , prévoyance de mère ,
Causèrent cette aimable erreur.
Paul cherchoit plus fouvent la vue
Du bel objet qu'il adoroit.
Sa Leur plus tendre , plus émue ,
A fes regards fe déroboit.
DE moi ferois- tu mécontente ,
Demanda Paul en foupirant ?
---
Pourquoi me fuir ? pourquoi , méchante ,
Ne plus m'embraffer qu'en tremblant ?
- Non , non , raffure-toi , mon frère ,
J'ai du plaifir quand tu me fuis.
Ma tendreffe eft toujours fincère ;
Mais ne fais d'où viens je te fuis.
Cependant la tante de Virginie la demande.
Le Gouverneur exige qu'elle parte
pour la France. Elle eft prête à s'embarquer.
Paul défolé s'écrie :
MA foeur , accorde- moi la grace
De te fuivre au lointain pays.
D.6
MERCURE
Comme un efclave fur ta trace ,
Tu me verras toujours foumis.
-Non , refte , & confole ma mère .
Calme fes regrets , ton courroux ;
Je reviendrai fur cette terre ,
Et te prendrai pour mon époux.
DEUX Cocotiers , à leur naiffance ,
Furent plantés par leurs mamans.
Près de ces arbres , dès l'enfance ,
Ils paifoient leurs plus doux momens.
Ils font l'époque de leur âge ,
Ils furent témoins de leurs jeux ;
Et c'est enfin fous leur feuillage
Qu'ils fe font leurs touchans adieux.
Tout est défolé dans la cabane , & Paul
bien plus que les autres . Le travail , & furtout
l'espoir de revoir Virginie , peuvent
feuls lui faire fupporter fon abfence.
Je veux , dit -il , pour ma Compagne
Planter Agathis & Rofiers..
J'ornerai Fontaine & Montagne
De Lilas , Cèdres , Papayers .
Hélas ! ce fut fous leur ombrage
Qu'elle me dit » Je te chéris .
J'aime nos mères davantage ,
" Quand elles te difent : Mon fils ,
DE FRANCE.
LE filence de Virginie ,
Dans l'ame de Paul met l'effroi,
Noble & riche de Normandie ,
M'aura , dit-il , ravi fa foi.
Lettre arrive enfin . Sans mystère,
Chacun la lit , tout eft content.
Tendres regrets font pour fa mère ;
Fleurs & cheveux pour fon Amant,
Virginie quitte la France , & s'embarque
pour retourner dans fa Patrie.
<
AINSI qu'à fon premier voyage
Cette raviffante Beauté ,
Infpire aux gens de l'équipage.
Refpect & modefte gaîté.
Une chaloupe la devance .
Elle apprend qu'on va la revoir..
Chacun fe livre à l'espérance ,.
Et vole pour la recevoir.
LE Saint-Gerand , près du rivage ,
Au Port-Louis veut aborder.
La mer mugit ; affreux erage.
Subitement vient à gronder.
Les vents accroiffent fes alarmos
Le bâtiment eft en danger.
Vains efforts ! inutiles larmes !
Heureux ! heureux qui fait nager
86 MERCURE
On retrouve fur le rivage
Cette Vierge pleine d'attraits .
De Paul fa main preffe l'image ,
Sur fon coeur elle eſt à jamais.
On difpute la trifte gloire
D'enfevelir cette Beauté :
Chacun gardoit en fa mémoire
Ike fouvenir de la bonté.
PRÈS l'Eglife des Pamplemouſſes ;
Elle aimoit à fe repofer.
Sous des bambous , fur fines mouffes ;
C'est là qu'on vient la dépofer.
Tendres coeurs , fous ce vert feuillage ,
Air doux & pur vont refpirer.
Cours malheureux fous cet ombrage ,
La regrettant , vont foupirer.
MAIS de l'Amant de fes deux mères ,
On ne peut peindre les douleurs.
Jufqu'à la fin de leurs carrières ,
De leurs yeux coulèrent des pleurs.
Le Ciel , cette tombe chérie ,
Pouvoient feuls terminer leurs maux.
Las ! bientôt près de Virginie
Ils partageront fon repos.
CHAQUE endroit du fatal naufrage
Reçut du Peuple un nom nouveau.
Chafte fille en pélerinage
Va voir le Golfe du Tembeau.
DE FRANCE. 87
Depuis ce jour , Amans fincères ,
Qui veulent aborder ces lieux ,
Difent au Ciel dans leurs prières :
Sauvez-nous du Cap malheureux.
Nous n'ajouterons aucun éloge à ces
citations , nous dirons feulement que la
Romance de Madame de la Ferrandière
nous femble digne des Fables dont elle a
fouvent enrichi l'Almanach des Mufes ; &
la musique , gravée à la fuite de la Romance
, nous a paru aufli très- agréable.
LE Nègre comme il y a peu de Blancs ,
par l'Auteur de Cécile , fille d'Achmet
III , Empereur des Turcs ; avec cette
Epigraphe :
Les Scythes, pour être Scythes , ceffentils
d'être hommes ?
3 Vol. in- 12. Prix , s liv. br. & 5 liv.
15 f. francs de port par la Pofte. A Paris,
chez Buiffon , Lib. Hotel de Coëtlofquet
rue Haute-feuille , N° . 20.
Au moment où la caufe des Nègres fe
plaide au Tribunal de l'Humanité , 1Ouvrage
que nous annonçons ne peut manquer
d'être bien accueilli . Ce n'eft pas que l'Auteur
fe flatte qu'un Roman foit fait pour opérer
cette révolution intérellante ; mais il peut
$8 MERCURE
y contribuer. Un Roman eft lu de tout le
monde ; & peut-être eft-il de la bonne politique
de faire aimer d'abord ceux que l'on
veut fervir enfuite . Déjà le mal eft fu ; difons
mieux, il eft défavoué . C'eſt à la puiffance
de la difcuffion à faire le refte , & à
confommer ce grand oeuvre . L'Auteur s'eft
donc moins chargé de plaider la caufe des
Noirs, que de leur faire des amis. Si on lui
reproche de n'avoir écrit qu'un Roman , &
qu'un Roman ne prouve rien ; voici ſa
réponſe. Les actions de mon Héros font les
traits détachés de la vie de différens Nègres ;
je les ai recueillis , raffemblés , liés enfemble
, & j'en ai fait un tout. Ce n'eſt donc
pas précisément un Roman qu'il imagine
à plaifir ; c'eft Hiftoire d'un caractère national
qu'il offre dans le caractère d'un feul
homme. Cet homme a des vertus , & il eft
aimable : fi ces vertus ne font autres que
celles de fa Nation , on doit la refpecter.
Voilà le plan & le but de cet Ouvrage.
Nous devons ajouter qu'il a un autre mérite
que celui de l'à - propos . Nous avons
lu peu de productions de ce genre , écrites
avec une facilité plus heureufe & avec
plus d'élégance. Il y a des images , des fentimens
& des détails admirables pour le
pathétique. La Topographie eft habilement
obfervée. Des réflexions fages & utiles méritent
l'approbation des Philofophes , autant
que le fonds du Roman intéreffe les ames
fenfibles. Peut-être donne - t- il des couleurs.
DE FRANCE.
un peu trop Européennes aux moeurs de
l'Afrique . Mais c'eſt un ufage reçu dans le
pays des Romans . D'ailleurs notre Nègre a
été élevé par un François jeté par la tempête
fur une terre inconnue , & qui , accueilli
avec bonté par les habitans du pays ,
crut devoir accepter par reconnoiffance la
nouvelle patrie qui lui étoit offerte. Enfin
ne peut-on pas fuppofer que fi l'éducation
des Nègres étoit plus foignée , ils auroient
autant d'efprit & plus peut- être que
les Peuples de l'Europe ? Ils nous égalent
en adreffe , & l'adrefle annonce un degré
d'intelligence qui n'auroit befoin que de
culture peut embraffer des objets plus vaftes .
On fait que pour les qualités du coeur ils
peuvent nous difputer l'avantage. » Chez
"
"
nous , dit le Nègre comme il y a peu
» de Blancs , on ne connoît point ce moż
" fatal dont le fentiment rend infenfible
» avec grace , dur avec politcife , implacable
» avec urbanité. Nous n'avons point l'art
.99
29
33
d'effrir fans donner , mais nous don-
" nons fans offrir. Nous ne nous attendriffons
point fans foulager , mais nous
foulageons fans nous attendrir. Nous ne
» connoiffons point les mots impofans
d'honneur , de fidélité , de délicateffe
» de dévouement ; mais nous gardons nos
fermens , nous aimons nos époufes , nous
fervons nos amis , nous traitons les in-
» connus comme nous voudrions être traités
par eux ; & l'ufage conftant de ces
و د
و د
39
30 MERCURE
"
» actions nous a diſpenſés d'avoir des ter-
" mes pour les exprimer ; enfin nous n'a
vons point de ces palais fuperbes où l'on
» s'enferme pour éviter les regards des
malheureux ; nous n'habitons que des
» huttes également ouvertes au pauvre
» comme au riche , à l'étranger comme à
l'ami , & fous lefquelles l'ennui ne pé-
" nètre jamais , parce que les plaifirs du
» luxe n'y font pas .
93
›
Cette nouvelle Production , loin d'être
inférieure à celle du même Auteur , intitulée
, Cécile , fille d'Achmet II , Empereur
des Turcs , doit infpirer un intérêt
plus vif , plus général , & donner un nouveau
relief au mérite de l'Ecrivain .
IDÉES fur les Loix Criminelles , où l'on
propofe 460 Loix nouvelles en place de
celles qui exiftent aujourd'hui , & où l'on
traite , entre autres chofes , de l'empire
des bonnes moeurs publiques pour prévenir
les crimes , de la peine de mort des
cas imprévus , des Lettres de cachet , des
Duels , des Défertions , de la Liberté de
la preffe , de la Confifcation , des Erreurs
judiciaires , d'une nouvelle manière d'inf
truire les Procès criminels & de les juger,
du confeil & du ferment de l'Accufé , du
Préjugé national contre les familles des
condamnés , de nouvelles Loix pour le
DE FRANCE.
gr
Commerce , Faillites , Banqueroutes, pour
l'action de la femme contre fon mari
adultère, &c. &c. Tome II , in- 8 ° .; par
M. THORILLON , ancien Procureur au
Châtelet. Prix , 7 liv. 4 f. les deux Vol.
brochés. A Paris , chez l'Auteur , rue
Bardubec , N° . 21 ; Belin , Libr. rue St-
' Jacques ; Froullé , quai des Auguftins ;
Petit , au Palais- Royal.
CE fecond volume confirme & juftiffe
les éloges que nous avions cru devoir au
premier , l'Auteur y a repris , article par article
, l'Ordonnance de 1670 , dont la rẻ-
forme fait l'objet des voeux du Souverain
& des Peuples. Il a propofé des additions
& des corrections qui paroiffent être le fruit
de l'expérience & d'un travail approfondi
fur cette matière.
Indépendamment des Articles annoncés
par le Frontifpice , qui font d'une utilité
remarquable on verra avec intérêt le
préambule du Titre 6 , & le plan qui fuit ,
de convaincre ou d'abfoudre l'accufé fans
1 craindre l'influence & la calomnie , & fans
opprimer l'innocence . Il foutient l'inutilité
& les dangers du ferment de l'accufé . Il
développe d'une manière préciſe les motifs
de l'abrogation de la queftion de révélation.
Le Titre des Sentences , Jugemens
& Arrêts , nous a paru contenir une manière
& des vûes eftimables , &c .
92 MERCURE
SPECTACLES. -
THEATRE DE MONSIEUR.
Nous avons à parler de plufieurs Nouveautés
qui ont éprouvé diverfes fortunes.
La première eft intitulée les Fourberies de Marine.,
Opéra parodié en François fur la mufique
de M. Piccinni . L'original de cette Pièce eft la
Notte critica , de M. Goldoni , qu'il a faite en
France pour le Portugal , d'après un de fes propres
canevas. Ce fujet lui avoit paru fufceptible
de fituations muficales , & il pouvoit avoir raifon
pour les Théatres Italiens , où elles fuffifent ;
mais en France , l'on y regarde de plus près , &
for exige davantage. Le Traducteur n'a pas affez
fenti que ces fituations étoient monotones , &
que le fonds n'avoit aucun intérêt. Il auroit dû
fe rendre maître de fon fujet , en faire difparoître
les trop grandes invraiſemblances , fur- tout
l'animer par un dialogue piquant & gai . Il pouvoit
d'autant mieux fe permettre ces changemens ,
qu'il travailloit avec le Compofiteur , qui ne
pouvoit qu'améliorer fon Ouvrage en y ajoutant
de nouveaux morceaux. Quoi qu'il en foit , cette
Pièce , malgré les applaudiffemens mérités qu'a
obtenus la mufique , a fait peu d'effet à la première
repréſentation les Auteurs l'ont retirée
Four y faire des changemens. Nous croyons qu'en
la refferrant beaucoup , elle pourra plaire davantage.
On a rendu juftice au talent des Acteurs ,
fur-tout à M. Fleury , qui fait faire valoir le caDE
FRANCE 93
tactère de tous les rôles , & qui a très -bien renda
celui d'un vieil Avare foupçonneux.
Puifque nous avons occafion de parler de lui ,
nous n'oublierons pas que nous lui devons un
éloge , non feulement comme bon Comédien ,
mais comme bon Camarade , pour l'intérêt fenfible
qu'il a pris au début d'un Acteur extrêmement
timide , qui a joué dernièrement le rôle de
Georgino dans Tulipano. Le Public a fu gré à M.
Fleary de s'être oublié lui-même pour faire va-
Loir ce Débutant , M. Dorville , qu'on a fort encouragé
, mais qui a befoin de beaucoup de travail
encore. Sa voix eft belle & facile , mais il
doit éviter les fans de gorge qui la déparent. Il
faut aufli qu'il acquière plus d'aifance dans fon
maintien , ce que l'habitude peut feule lui donner.
Nous dirons un mot d'un autre début dans
l'Opéra Italien ; c'est celui de la Signora Maffei
qui n'avoit jamais paru fur ancun Théatre , & qui
a chanté un petit rôle de la Villanella avec beaucoup
de grace & d'intérêt . Malgré fa timidité , qui
la privoit d'une partie de fes avantages , fa jeuneffe
, fa figure , fa taille , ſa voix fraîche & jolie ,
donnent l'efpoir que ce Sujet pourra devenir un
jour très-précieux .
La feconde Nouveauté donnée à ce Théatre ,
eft intitulée le Nozze di Dorina , Opéra Bouffon
de Sarti. Aucun Ouvrage Italien n'a offert encore
aux Amateurs une mine auffi abondante de
mufique. Des motifs de chants heureux & variés ;
une expreffion gaie , ou gracieuſe , ou énergique ,
& toujours piquante ; une harmonie mâle & du
plus grand ftyle ; des effets neufs & placés à propos
; un emploi d'inftrumens bien entendu , &
des accompagnemens de la plus grande richeffe:
voilà ce qu'on a trouvé dans cette mufique , &
cet éloge n'eft point exagéré. Cet Ouvrage , parodié
en François , a déjà été donné à Verſailles
94
MERCURE
fous le titre d'Hélène & Francifque ; il y a beau-
Coup réuſſi ; mais il faut convenir qu'exécuté par
-la Troupe Italienne du Théatre de Monfieur , il
a paru tout neuf. Il feroit difficile de trouver en
France un enfemble auffi parfait , & une réunion
d'Acteurs auffi diftingués . Cet Opéra eft chanté
par MM. Viganoni , Raffanelli , Mandini , Rovedino.
Les nominer , c'eft affez en faire l'éloge .
Les femmes font Mefdames Galli , Limperani &
Raffanelli. Cette dernière n'avoit paru encore que
dans le Vicende amorofe. Ce role- ci étant plus
favorable , elle a prouvé davantage un talent
fait, & tout ce dont elle avoit été capable quand
fa voix n'avoit pas encore perdu fon étendue &
fa flexibilité . Madame Limperani , qui chante &
joue tous les rôles avec beaucoup d'aifance &
de grace , femble s'être encore furpaffée dans
celui-ci .
Madame Galli paroiffoit pour la première fois.
Cette Virtuofe , qui , en Italie , tenoit le premier
rang parmi les Cantatrices , a depuis été en Efpagne
, où le climat & une longue maladie ont
fort diminué la prodigieufe étendue de fa voix ;
mais rien n'a influé fur fon excellente méthode ,
que le Public , dont le goût fe forme chaque
jour , a très-bien fu diftinguer. Il eft poffible ( &
il nous eft doux de l'efperer ) que fa fanté , en
fe rétabliffant , rende à fa voix fon premier
éclat. Nous croyons qu'alors Mme . Galli n'aura
plus de rivale à craindre pour le chant. Elle
joue auffi en Actrice confommée ; peut -être pourroit-
on lui reprocher à Paris de multiplier un
peu trop les geftes ; nous fommes accoutumés à
un maintien théatral plus fimple que celui d'Italie
; mais elle fe corrigera bientôt de ce léges
défaut local. D'ailleurs , fi les graces Italiennes ne
font pas les graces Françoifes , ce font au moins
des graces , & l'on en a trouvé beaucoup à Mar
dame Galli,
DE FRANCE.
95
Il nous refte à parler d'une 3me. Nouveauté
dans le genre de la Comédie , c'est le Comte de
Waltron , Pièce militaire , jouée fur tous les
Theatres de Province avec le plus grand fuccès .
Ce Drame , qui offre un exemple d'infubordination
punie , ne pouvoit être donné dans des
circonfta ces plus heureufes , L'intérêt preffant de
plufieurs fituations , & l'appareil magnifique dont
l'Ouvrage eft orné , devoient faire croire qu'il
ne feroit pas moins heureux à Paris qu'en Province
; cependant , foit qu'en y faifant des coupures
pour en rendre la marche plus rapide ,
on en ait trop énervé les caracteres & les motifs
, foit que le Public tienne toujours à l'idée
que le genre de la Comédie ne convient point à
ce Théatre , foit que dans cette défiance , les
Acteurs eux - mêmes n'aient pas pu mettre affez
de chaleur & d'enfemble à la première repréfentation
, elle n'a pas produit tout l'effet que
l'on en arrendoit ; mais elle a réuffi complètement
aux repréfentations fuivantes ; les fituations intéreffantes
ont beaucoup attendri ; les évolutions
militaires ont été fort applaudies , & l'on a demandé
l'Auteur avec empreffement. Cette Pièce
traduite de l'Allemand par M. Ebers , a été réduite
& arrangée pour la Scène par M. Dalainval , Acteur
de ce Théatre. Les deux rôles principaux ont
été très bien joués par Madame Lavigne & M.
Chevalier. Ce dernier prouve toutes les fois qu'il
en a l'occafion , que la réputation qu'il avoit ac
quife en Province étoit bien méritée , & qu'il ne
Jui a manqué pour la foutenir, que des rôles plus
brillans & plus dignes de lui.
-
Dans le N° . prochain , nous donnerons
les Articles des autres Spectacles .
"
MERCURE DE FRANCE.
ANNONCES
ET NOTICES .
LES Prétendus , Comédie lyrique , repréſentée
par l'Académie Royale de Mufique , au mois de
Juin 1789 , mife en mufique par M. le Moyne.
Prix , 24 f. A Paris , chez l'Auteur , rue Notre-
Dame des Victoires , Nº . 29 ; & chez M. Korwer
, Facteur de Forté - Piano , rue Neuve - Saint-
Euftache , N ° . 12 .
Cette Production d'un Maître qui poffède parfaitement
l'Art du ftyle , remplie d'ailleurs d'idées
extrêmement agréables , ne peut manquer d'avoir,
à la lecture & dans les Concerts , autant de fuccès
qu'elle en a eu à la repréſentation .
Bibliothèque Univerfelle des Dames. A Paris ;
rue & hôtel Serpente .
14e. Volume des Mélanges.
A VIS.
En imprimant dans le dernier Mercure le Profpectus
de la Chronique de Paris , on a oublié de
mettre dans l'Article qui indique les objets traités
dans ce Journal périodique, qu'il rend compte aufli
des Séances de l'Affemblée Nationale , & des Arrêtés
de l'Hôtel de Ville.
TABLE.
PITRE.
Charade, Enig. & Log.
Romance de Paul.
Le Negre.
73 Idées .
90
77 Théatre de MONSIEUR,
79 Annonces & Notices.
92
96
87
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
POLOG NE.
De Varsovie, le 1er . septembre 1789 .
Les dernières Séances de la Diète n'ont
rien offert de remarquable. On a achevé
de régler le rang , le traitement des Officiers
Civils et Militaires de la Commission
de guerre , et arrêté que le Prince
Sapieha , Maréchal de la Lithuanie ,
conservera pendant sa vie la Starostie
qui , en 1775 , a été attachée au poste
de grand - Général d'Artillerie de cette
province .
Le Jugement du Prince Poninski
par une Commission de la Diète , composée
de douze Juges , a commencé
samedi 29 août . L'Accusé , sous la conduite
d'une escorte , a comparu devant
le Tribunal ; un concours extraordinaire
s'étoit porté à l'Audience. Le Chambellan
, M. Turski, faisant les fonctions
Nº. 39. 26 Septembre 1789. M
( 254 )
de Partie publique , s'est déclaré Accusateur
lu Prince , et a exposé les motifs
de l'Accusation . Dans sa défense , le Prisormier
s'est borné à des récriminations ,
et à faire partager à d'autres la complicité
des Actes révoltans de 1775 et
1776. Il a fini par demander un adoucissement
de sa détention ; demande assez
extraordinaire après une première fuite ,
et sur laquelle il n'a rien été statvé.
Les Russes et les Ottomans s'approchat
aux environs de Coggia , entre
Oczakof et Akierman . Le Prince Pomkin
se trouve fort embarrassé avec
les troupes peu nombreuses , et dénuées
d'approvisionnemens qui sont sous ses
ordres. Ses embarras et ceux du Prince
epnin sont bien augmentés depuis la
descente des Turcs en Crimée : le bruit
court qu'ils se sont emparés de Jenik.le ;
mais cette nouvelle est moins certaine
que celle d'un combat livré aux Russes
dans le Couban , par Battat Pacha ,
qui a remporté l'avantage. On sait aussi
péremptoirement que les Tartares Lesghis
et Cabardiniens ont forcé les lignes
Russes entre Catharingorod et Mozdock ,
détruit le fort St. George , et ravagé les
Districts voisins. Ces barbares , trèsbelliqueux
, et en grand nombre , sont
⚫ soutenus par 40,000 Janissaires de Karz
et a Erzeroum . Le Khan de la Grande
Bucharie s'est également déclaré contre
les Russes , et se prépare à une inva
( 255 )
sion dans la province d'Astracan.- Une
division de la flotte Ottomane s'est détachée
pour soutenir les opérations de
Battal Pacha .
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 7 Septembre.
Le Roi de Suède est déterminé à
pousser , avec vigueur , même durant
Phiver , la campagne en Carelie , où le
théâtre de la guerre se trouve maintenant
, par les dispositions de ce Prince ,
qui a pris poste sur le territoire ennemi.
Outre les premiers reaforts considérables
qui lui ont été envoyés vers la fin de
juillet , le 24 , on a enbarqué à Stockholm
, pour Sweaborg , 2 bataillons
du régiment de Warmie , une partie)
des Dragons de Bohus , le bataillon de
Tornerhielm et cent Cosaques . La Commission
de guerre a acheté 20,000 fourrures
pour l'armée , et autant de souliers
d'hiver.
On a publié à Stockholm , le 25 août
deux rapports de l'armée de Finlande ,
l'un , daté du quartier-général de Kymenegard,
le 10 , porte :
La santé du Roi se soutient à merveille ;
S. M. visite tous les jours les batteries , que
l'on etablit pres de Hog ors, Les Russes ont
fait pres d'Anjala et de Warela plusieurs
tentatives pour penetrer dans la Finlande
Mij
( 256 )
Suédoise , en traversant la rivière de Kymène ;
mais les bonnes dispositions du General de
Mayerfeld ont fait chouer leur projet. Ce
General a force l'ennemi , au nombre de
mille hommes , de repasser la riviere , avec
une perte assez considerable. — La premiere
division du nouveau Corps de Cosaques est
arrivée ici ; elle est composee de deux escadrons
, et commandee par le Lieutenant-
Colonel de Zelow.
-
L'autre Rapport , du 15 août , est de
M. d'Ehrensward , Commandant de la
flottille de galères et chaloupes.
"
"
"
"
"
་ ་
<<
- "
" L'Amiral Erhensward, dit ce Rapport ,
avoit ordonné au major Helmstierna de
« s'avancer vers l'ennemi avec 18 chaloupes
canonnieres et 8 autres bâtimens , tandis
que le Major Kramer se porteroit de l'autre
cote avec 6 chaloupes . Le premier de ces
Officiers devoit couvrir avec sa division , la
« reconnoissance que le second feroit de la
flottille desgaleres ennemies: mais un cutter
Russe s'étant aperçu de leur dessein , fit
un signal sur lequel toute l'escadre Russe
« se mit en mouvement. Le Major Kramer
alla joindre en conséquence les autres chaloupes
canonnieres . L'escadre Russe s'avança
, formée sur une ligne , consistant en
2 fregates , 3 chebecs , 19 galeres , 27 demi-
« galeres , 8 chaloupes cabonnieres , et 2
« cutters elle canonna vivement nos chaloupes
, qui lui riposterent de leur côté
avec la même vivacité. Cependant , vu la
grande supériorité de l'ennemi , elles se
« virent obligées à la retraite ; ce qu'elles
firent en bon ordre , pour se réunir à 6
་ ་
"
"
"
"
( 257 )
x
"C
"
"
rr
x
chaloupes canonnieres , qui vinrent à leur
secours aux ordres du Colonel Dankwardt.
C'est ainsi qu'ils joignirent heureusement
les autres bâtimens dans le Schwenksund ,
sans que l'ennemi ait jugé à propos de les
poursuivre jusques - là . Depuis ce temps ,
notre flottille mouille dans cet endroit ; et
la flotille Russe est retournée , de son côté ,
à sa station à Kutkir et Stora - Swartan ,
Neuf chebecs et autant de demi - galères
de l'escadre Russe mouillent à Aspo. Dans
« toute cette affaire , nous n'avons eu qu'un
tué et quelques blessés . Parmi ces derniers
" se trouvent le Lieutenant Suthoff. Nos bâtimens
n'ont aussi essuyé , de leur cóté` , aucun
dommage considérable : ceux de l'ennemi
, au contraire , ont perdu plusieurs
mâts et gouvernails .
<<
"L
"
"
"< "
Le Prince-Royal de Dannemarck s'est
rendu dans le Sleswick , où l'on a formé ,
pour 15 jours toit supp de quelques
milliers d'homi
Les Russes avoient obligé la Courlande
, l'année dernière , à fermer le port
de Liébau aux Suédois ; mais ce Duché
s'étant émancipé à l'exemple de la Pologne
, le Gouvernement vient de rendre
libre à chacun le commerce de Liébau .
De Vienne , le 7 Septembre.
L'Empereur est maintenant remis de
l'opération chirurgicale qu'il a subie .
Comme l'humidité de Laxembourg dans
l'arrière saison , pouvoit être contraire
Miij
( 258 )
à la santé de ce Monarque , il a trans
féré son séjour au château de Hessendorf
, soit Schoenbrun , où il passera
l'automne .'
Nos armées ne nous offrent encore
aucun évènement important. La campagne
se passe en attaques partielles de
la part des ennemis , qu'on empêche de
pénétrer dans nos provinces frontières ,
autant qu'on le peut . A la fin d'août ,
ils ont tenté de s'avancer ultérieurement
dans le Bannat , mais infructueusement ,
ainsi qu'on l'a appris par le Rapport
officiel que voici , publié le 2 de ce
mois :
Le Lieutenant Keil , dépéché à S. M. I.
par le Marechal de Laution , a apporté la
nouvelle que le 28 Agut , le Corps Ture ,
qui etoit entre Tops Czapla , s'etoit
avancé jusqu'à La Travesavoit occupe la
hauteur au dessus du le secq environ 2000
Tures , Infanterie etCavalerie , etoient arrivés
jusqu'à nos redoutes , et avoient commencé
à établir des batteries ; que le Genéral
de Clairfait étoit allé au - devant de l'ennemi
, avec 5 bataillons et 11 divisions de
Cavalerie , et l'avoit forcé à abandonner le
poste de Lasmare , et à se réfugier avec précipitation
. On lui a pris 5 canons , 30 charriots
charges demunitions de guerre, et plusieurs
drapeaux. La perte de part et d'autre
n'étoit pas encore constatée .
Après l'affaire de Focksani , le Prince
de Cobourg a distribué 27 médailles
dont trois d'or , à ceux des Soldats qui
( 259 )
1
se sont le plus distingués dans ce combat.
La disette d'eau potable a forcé ce Général
d'abandonner son camp de Milkow ,
pour se rapprocher des frontières de la
Transylvanie.
On avoit annoncé la mort du Maréchal
de Haddick , à Futa k ; mais il
paroît que cette nouvelle étoit prématurée
, et que ce Général , ayant été
quelques jours dans un état désespéré ,
commençoit à se rétablir. Les préparat
tifs à Selin , et aux environs , continuent
à indiquer le siége prochain de
Elgrade . Déja on en rapporte les dispositions
, et celles faites pour le passage
de la Save , qu'il sera assez tôt d'annoncer
, lorsqu'elles seront exécutées .
Le bruit s'étoit répandu que M. de
Bulgakof , Ministre de Russie à Constantinople
, étoit sorti du château des
Sept-Tours ; cependant les lettres de
Constantinople , du 25 juillet , se bornent
à des espérances sur l'élargissement prochain
de cet Envoyé .
DeFrancfortsur le Mein, le 13 Septemb.
Le 24 du mois dernier , le Roi de
Prusse acheva la revue des troupes de
-Silésie , près de Lissa . Le Prince Radziwill
et plusieurs autres Seigneurs
Polonois eurent le lendemain une au
dience de ce Monarque , qui est revenu
à Charlottenbourg , le 1er . de ce mois.
M iv
( 260 )
On remarque une grande activité dans
le Cabinet de Berlin , et l'on prétend
que plusieurs régimens ont reçu ordre
de se tenir prêts à marcher du côté de
la Westphalie. Il paroît certain, du moins ,
que le Corps Germanique s'occupe sérieusement
de prévenir sur les frontières ,
l'introduction de ce qu'on appelle en
Allemagne , le mal François , soit des
révolutions populaires qui ne sont point
en touslieux des régénérations . Jusqu'ici ,
néanmoins , cet esprit Républicain n'a
pas fait de grands progrès dans l'Empire.
Il y a eu en quelques lieux des mouvemens
, dont l'origine préexistoit à ceux
dont la France est le théâtre ; de ce
genre , est l'insurrection fort douce qui
s'est manifestée à Hildesheim , eapitale
de l'Evêché- Princier de ce nom , dans
le cercle de Basse-Saxe , dont l'Evêque
est le Seigneur , plutôt que le Souverain
, et qui est sous la protection des
Ducs deBrunswick. Cette ville est gourvernée
par une Régence qu'élit la Bourgeoisie
; or :
400 Bourgeois , mécontens du Magistrat ,
qui avoit fait nouvellement plusieurs dispositions
qu'on jugeoit contraires à l'intérêt de
la ville , se sont assemblés le 28 Août , et
ont demandé le redressement des griefs. La
fermentation étoit grande , et on craignoit
des exces. Heureusement , quelques Citoyens
bien intentionnés sont parvenus à appaiser
le tumulte. On a nommé 36 Représentans ,
( 261 )
que l'on a chargés d'examiner toute l'Administration
, les griefs des Bourgeois , et de
proposer les mesures les plus propres à faire
cesser les abus . Apres cette nomination , on
s'est separé dans le meilleur ordre , et tout
est tranquille actuellement .
Les Etats de Liége se sont assemblés
le 31 août. La Noblesse a proposé de
faire cesser tous les impôts onéreux ,
et le Clergé a déclaré qu'il contribueroit
à l'avenir à toutes les charges publiques.
On espère que ces démarches patriotiques
feront disparoître les inquiétudes
dans le peuple , et le décideront à
laisser rétablir les impositions qu'on ne
perçoit plus. Le Prince - Evêque s'est
retiré à Trèves , où les Etais lui ont
envoyé une Députation pour l'engager
à revenir dans sa Principauté. Cette
démarche a été infructueuse : la Députation
est de retour à Liège depuis
le 12.
Plusieurs Papiers publics ont imprimé les
propositions suivantes , faites , à les entendre ,
aux Puissances belligerantes . 1º . La Crimee
restera à la Russie. 2 ° . Oczakow sera'rendue ·
aux Tures mais ses fortifications seront
rasees ; il sera libre à la Porte d'établir une
autre forteresse sur les frontieres de la Thrace,
ou à l'embouchure du Danube , pour couvrir
Constantinople. 3° . L'Empereur gardera tout
ce qu'il a actuellement ; savoir , la Moldavie
avec la forteresse de Choczim et ce qu'il a
conquis dans la servie et la Croatie ; il sera
libre à la Cour de Vienne d'echanger la
My
1
( 262 )
Moldavie Méridionale contre la partie de la
Walachie que la Maison d'Autriche a possédée
depuis 1718 jusqu'en 1739 , et qui
s'étend jusqu'à la riviere d'Alura . 4º . Les
fortifications de Belgrade seront rasées. 5º . La
forteresse de Neu- Orsowa sera aussi rasée ;
Widdin pourra être fortifiée , et devenir
pour la Porte une place de frontiere. 6º . Le
Traité conclu en 1784 entre l'Empereur et
la Porte sera exécuté , et le Commerce Autrichien
libre sur le Danube. 7 ° . Les Puissances
voisines de la Pologne ne se mêleront
point des affaires de cette République . 8 ° . La
convocation de 1772 servira de base pour
pacification de la Russie et de la Suede.
:
la
Si ces bases ne sont pas une fiction ,
il y a tout lieu de croire le contraire ,
on ne doit pas s'attendre à une pacifcation
prochaine , et l'on pressent bien
qu'on n'en auroit pas même délibéré à
Constantinople .
9
M. de Kalitchoff, Ministre de Russie
à la Haye , a fait insérer , dans les
Gazettes de Leyde et d'Amsterdam
l'article suivant , qui indiqueroit un second
combat entre les flottilles Russes
et Suédoises devant Frédéricsham .
"
M. de Kalitchoff , Envoyé Extraordnaire
de la Cour de Russie auprès des Etats-
Généraux , a reçu hier , 12 Septembre , par
une Estafette , expédiée de Petersbourg le
27 Août , la nouvelle , que la veille , 26 Août ,
le Comte de Stackelberg , Officier aux Gardes ,
étoit arrivé en Courrier de la part du Prince
de Nassau , pour annoncer que la fotte des
( 263 )
galères Russes , sous les ordres de ce Général
, avoit remporté , le 24 Août , pres de
Friederichsham , une victoire complete sur
celle des galeres Suédoises . Cinq gros batimens
, au nombre desquels se trouve celui
de l'Amiral Suédois , et un cutter , sont tombés
entre les mains des vainqueurs , avec un
grand nombre d'Officiers de tout rang , et
plus de mille hommes prisonniers . Le reste
de la flottille Suédoise à été forcée de se retirer
fort endommagée jusqu'à l'embouchure
de la riviere de Kymene , après s'être défendue
avec beaucoup de valeur. Deux galères
Russes ont sauté en l'air. Le Major Ballet a
été blessé , ainsi que le Capitaine Winter ,
Officier Hollandois , qui s'étoit déja acquis
une réputation bien méritée dans plusieurs
combats , qui eurent lieu l'année dernière
dans la mer Noire .
Cette relation Russe est fort différente.
de ce que viennent de publier officiellement
les Suédois. Selon ceux- ci , malgré
l'extrême disproportion des forces ,
les Russes ayant 70 voiles et les Suedois
seulement 40 , les pertes sont à
peu - près égales , et les fruits du combat
nuls pour les uns et les autres.
L'action a duré depuis 10 heures du
matin jusqu'à huit heures et demie du
soir. Les Russes ont perdu trois grandes
galères , dont une sautée en l'air , et deux '
autres coulées à fond ; une galiotte
abymée , que l'on a abandonnée , après ,
en avoir sauvé l'équipage ; et deux chebecs
, l'un pris par les Suédois , et l'autre ,
M vj
( 264 )
coulé à fond. La perte des Suédois consiste
en trois galères , dont une prise ,
ét deux autres échouées ; deux frégates
lé , ères , dont une échouée , et l'autre
saitée en l'air ; son. Commandant , le
Major Hagentruser y avant mis le feu ,
à l'instant de l'ardage de deux frégates
ennemies. La flotte Suédoise s'est retirée
sous le canon de Swartholm , et devoit
resortir au bout de quatre jours les
Russes ont fait leur retraite à Kolkasari.
GRANDE- BRETAGNE.
De Londres , le 16 septembre.
LL. MM. doivent être de retour à
Windsor le 24. La saison et les affaires publiques
ramènent le Roi à sa résidence.Plusieurs
Ministres étrangers ont de fréquentes
conférences avec le Secrétaire d'Etat
des Affaires Etrangères . Les mêmes Nouvellistes
qui donnoient ce Département
au Marquis de Lansdown , et ensuite à
Milord Hawkesbury , en disposent aujourd'hui
en veur de M. Eden , revenu
ici d'Espagne , par congé , avec sa famille
. On peut dire de ces différens choix ,
que c'est l'embarras des richesses .
L'escadre aux ordres de l'Amiral Goodall
a croisé , depuis son départ de la
Bi de Causand , à la hauteur des
Sorlingues ; elle a essuyé des mauvais
( 265 )
temps et des coups de vent. Le grand
mât du Cumberlandde 74 can . a consenti.
On présume que l'escadre ne tardera
pas à rentrer dans le port , surtout à
l'approche des vents de l'équinoxe.
Le Bureau de l'Amirauté vient de publier
un ordre , en vertu duquel il ne sera permis
à aucune personne d'un grade inferieur à
celui de Midshipman ( Garde Marine ) de
porter l'uniforme de mer à bord des vaisseaux
de garde à Porsmouth et à Plimouth. Le but
de cet ordre est. de maintenir le respect dû
aux Officiers employés à ce service.
Le 19 juin , à Kingston , dans l'isle de
laJamaïque , le Mercure duthermomètre
de Farenheit , à l'ombre et à l'exposition
du Nord , est resté pendant 3 heures
à 90 degrés , ce qui fait 14 degrés audessus
de la chaleur d'été en Europe ;
et ce jour , malgré une forte brise , a
été un des plus chauds qu'on y ait eu
depuis plusieurs années .
Le Contre- Amiral Philip Affleck
est arrivé à Port-Royal de la Jamaïque ,
le 4 juillet , sur le Centurion de 50 can . ,
monté par le Capitaine Otway , et il a
pris aussitôt le commandement de l'escadre
de cette station , dont étoit pourvu
le Commodore Gardner.
Le Windsor Castle de 98 canons , en
construction à Deptford , n'a pu êne lancé
au mois d'Août , comme on s'y attendoit . Ce
retard a été occasionné par un defaut qu'on
a découvert pres de la quille , et qui , quoi(
266 )
que léger , a mis dans la nécessité de l'enlever
de dessus ses supports : toute étonnante
que puisse paroitre l'opération de remuer une
masse aussi pesante , on l'a soulevée de pres
de deux pieds , par le moyen d'étais et de
coins , avec une facilité qui fait le plus grand
honneur aux ouvriers qui y ont été employés .
Le Guardian de 44 canons , armé
comme bâtiment de transport , qui vient
de partir de Portsmouth pour le port .
Jackson , a sur son bord 25 criminels ,
dont la plupart sont Charpentiers et
Forgerons , et un assortiment de lits ,
d'habits et d'autres articles dont le
Commodore Philipps n'étoit pas suffisamment
pourvu . Huit Surintendans
des criminels se sont embarqués sur ce
bâtiment , ainsi qu'un habile Botaniste ,
qui s'est muni de boîtes de verres et
de tout ce qui est nécessaire pour conserver
des plantes rares , qu'il est chargé
de rapporter pour le jardin du Roi à
Kew.
FRANCE.
De Versailles , le 23 septembre.
Le 8 , la Comtesse de Cordon , épouse du
Comte de ce nom , Ambassadeur du Roi
de Sardaigne , conduite par M. Tolozan
Introducteur des Ambassadeurs , et le sieur
de Séqueville , Secrétaire ordinaire du Roi
pour fa conduite des Ambassadeurs , qui
précédoit , fut présentée à Leurs Majestés
( 267 )
et à la Famille Royale. Cette Ambassadrice
dina , le même jour, à une table de 70
couverts , tenue par le Marquis de Talaru ,
premier, Maitre- d'hôtel de la Reine , et la
Princesse de Chimay , Dame d'honneur de
Sa Majesté , fit les honneurs de la table .
Sur la résignation de M. l'Archevêque de
Vienne , le Roi a nommé à cet Archevêché
l'Abbé d'Aviau Dubois de Sauzay , Vicairegénéral
de Poitiers ; à l'Evêché de la Rochelle
, l'Abbé de Coucy , Aumônier de la
Reine , Vicaire - général de Rheims ; à l'Abbaye
de Buzay , Ordre de Citeaux , Diocèse
de Nantes , l'ancien Archevêque de Vienne,
Ministre d'Etat ; à l'Abbaye régulière d'Estrun
, Ordre de St. Benoît , Diocèse d'Arras ,
la Dame de Beaufort , Religieuse professe de
la même Abbaye ; à celle d'Alineneches ,
même Ordre , Diocèse de Séez , la Dame de
Castellas , Religieuse professe de la Bénisson
-Dieu ; et à celle de la Benisson - Dieu ,
Ordre de Citeaux , Diocèse de Lyon ,
la Dame de Saquy-des-Tours , Abbesse de
Ste. Claire d'Annonay , Diocese de Vienne .
Le 13 , M. Talon , pourvu de la charge
de Lieutenant - civil , sur la demission de
M. Angran , a eu l'honneur d'étre présenté
au Roi par le Garde - des - Sceaux de France ,
et d'être présenté ensuite à la FamilleRoyale .
Le sieur Blin a eu l'honneur de présenter
à Sa Majesté la 26 Livraison des Portaits
des grands Hommes, Femmes illustres et sujets
mémorables de France , gravés et imprimés en
couleur, dédiés au Roi (1).
(1 ) Cette Livraison , contenant les Portraits
de Louis IX et Charles V , avec deux
( 268 )
ASSEMBLÉE NATIONALE.
Séance du SAMEDI soir 12 SEPTEMBRE
Quelques Corps Militaires parlant à leur tour
de se régénérer , et de s'organiser eux-mêmes ,
M. le Baron de Vimfphen a propose de prévenir
ces systêmes des Régimens , par
une Constitution Militaire que traceroit
l'Assemblée. Illui a soumis , en conséquence ,
un Projet d'Arrêté sur la formation d'un
Comite ad hoc. La Motion , suivant l'intention
de son Auteur, a été renvoyée à l'examen
des Bureaux .
M. du Fraise de Chey a fait un Rapport
du Comité de Judicature , tendant à remettre
en activité la Justice intimidée ou
suspendue dans tout le Royaume. Le moyen
indiqué par le Rapporteur consistoit en un
Arrêté , qui redonnât force de Loi aux Ordonnances
; qui enjoignit aux Juges de continuer
l'exercice de leurs fonctions , etc.
M. le Duc de Mortemart a pressé l'urgence
de cet Arrêté , d'apres les avis de l'interruption
de la Justice dans les Provinces ;
mais une autre question a fait tomber l'avis
du Comité.
sujets représentans , l'un , Saint - Louis rendant
la justice sous un arbre , et Duguesclin
recevant l'epee de Connetable , se trouve à
Paris , chez l'Auteur , place Maubert , nº 17.
La Livraison precedente est composee des
Portraits de Louis XII et de Philippe - le-Bel ,
avec deux sujets de l'Histoire de ces Princes .
Cette collection curieuse , et faite avec
choix , se soutient avantageusement.
( 269 )
MM. Target, Emery, Populus , Lawy, ont
représenté que la Sanction préalable des Déerets
du 4 Août , seroit le vrai calmant des
Peuples , le remede à leur désobéissance , et à
l'inaction des Tribunaux : ces Députés ont
donc requis qu'on demandát la Sanction
Royale sur ces Décrets du 4. Vainement
MM. l'Abbé Maury , Garat l'aîné et Turkheim,
ont objecté qu'on ne pouvoit requérir la sanction
de ces Decrets , avant qu'ils eussent été
developpés et consolidés par les Règlemens
dont s'occupent differentes Commissions. IÍ
a été décidé à la pluralité des voix , qu'on ne
délibéreroit point , quant à présent , sur le
rétablissement de la Justice , et qu'on présenteroit
incessamment à la Sanction Royale
les Arrêtés du 4 et jours suivans , conjointement
avec celui qui ordonne la libre circulation
des grains dans l'intérieur , et qui en
défend l'exportation à l'Étranger.
VINGTIEME SEMAINE DE LA
SESSION.
La détermination attendue sur la durée
du refus suspensif , a été écartée .
par les questions dont on va lire le débat .
Elles ont absorbé la semaine entière .
Nous avons cru devoir restreindre à
peu de lignes , la longue et extraordinaire
discussion agitée sur les droits
de la Maison Espagnole de Bourbon à
la -Couronne de France . On a prononcé
de beaux discours sur ce point de Droit
public , tellement délicat , que l'Assem(
270 )
blée a été forcée de rejeter toute décision
, qui eût été étrangère à la lettre des
Traités .
Ce qu'on ne paroît pas avoir rappelé
dans ces débats , c'est que les renonciations
formelles de Phillipe Va .
la paix d'Utrecht , pour lui et ses descendans
, etles Lettres-Patentes de Louis
XIV qui les ratifièrent , furent l'ouvrage
des Ennemis du royaume . Les Alliés ,
et particulièrement les Anglois , insistèrent
impérieusement sur cette abdication
des droits de Philippe : ils la
jugèrent essentielle à l'équilibre de l'Europe
. On peut voir dans la correspondance
de M. de Torey et de Milord
Bolingbrocke , l'importance que le Ministère
Britannique mit à séparer les
deux Couronnes . Personnen'ignore que
l'Alliance du Régent avec les Anglois , et
le Traité de la Triple Alliance , en
1716 , eut pour principal objet d'empêcher
la Cour d'Espagne de revenir sur
ses renonciations , en casque Louis XV ,
enfant , vint à mourir.
Ce sont donc les Rivaux seuls de la
France , qui , jusqu'ici , se sont intéressés
à maintenir la validité de ces renonciations
: elles reposent sur des Traités ga
rantis ; elles ont toute la force que peuvent
avoir des Actes de cette nature .
Ou leur énergie est suffisante , et dèslors
toute mesure ultérieure est superflue
et impolitique. Nous disons impolitique ;
( 271 )
tous les esprits éclairés sentiront à quel
degré même elle le seroit .
Ou les Traités sont insuffisans , et
comment suppléer à cette insuffisance ,
autrement que par de nouvelles conventions
? S'il restoit des droits à la Cour
d'Espagne , aucune Loi portée en France ,
ne l'empêcheroit de les faire valoir , si la
circonstance se présentoit ; ses prétentions
rentreroient alors dans le cercle de
toutes celles que peuvem élever des Puissances
étrangères . Guillaume III disoit
que ce sont-là des différends qui se décident
par l'épée des Soldats , et non par
la plume des Avocats .
Nous avons rapporté en leur entier,
les observations de S. M. sur les Arrêtés
du 4 Août et jours suivans : elles méri ·
tent au moins un mûr examen , quoiqu'une
partie du P.blic n'ait plus besoin
maintenant de réflexion pour former des
jugemens. Quelques personnes , en apprenant
la décision de l'Assemblée sur
cette Réponse de S. M. , ont demandé si
les Arrêtés du 4 Août étoient des Lois
ou non ? S'ils ne sont que des principes
de Lois à faire , comme on l'a avancé
dans la discussion , peuvent- ils avoir besoin
de la Promulgation Royale ? S'ils ,
sont des Lois , peuvent-ils se passer de
la Sanction Royale ?
Du LUNDI 14 SEPTEMBRE. M. de Clermont-
Tonnerre , reélu President à la plura(
272 )
lité de 480 suffrages sur 770 votans , ainsi
que nous l'avons rapporté la semaine dernière
, témoigna sa reconnoissance à l'Assemblée.
Par le recensement du scrutin , MM. Demeunier,
le Vicomte de Mirabeau et l'Abbé
d'Eymar , ont été nommés Secrétaires de
remplacement.
M. le Président a annoncé divers traits de
générosité patriotique , entre autres , celui
de M. Oseray , Cultivateur propriétaire de
Chartres , qui a amené 36 quintaux de bleds
à Versailles , et qui en verse le produit dans
la caisse patriotique. On a accordé à ce Cultivateur
l'honneur civique d'assister dans
l'intérieur de la Salle à la Séance du jour ,
et M. le Président lui a exprimé la satis- ,
faction de l'Assemblée .
Lecture faite des Adresses des Procèsverbaux
, on est rentré dans l'ordre du jour ,
pour délibérer sur la question , Si le renouvellement
des Membres de l'Assemblée Nationale
seferoit partiellement , ou en totalité. Ce
second avis a été adopté à l'unanimité.
L'ordre des délibérations a conduit à celle
qui devoit décider , Si le refus suspensif du
Roi dureroitpendant une ou deux législatures?
M. Barnave traversa la solution , en représentant
combien il pourroit être dangereux
d'y comprendre les Arrêts du 4 Août ,
qui n'étoient point encore sanctionnés : Il
seroit possible , ajouta -t - il , que l'exécution
de ces Arrêtés demeurât suspendue pendant
4 ou 5 années : c'est alors , que vous verriez
bientót renaître les anciens troubles . Ces
Arrêtes different essentiellement des Actes
futurs de Législation ; 1º. comme emanant
d'un Pouvoir Constituant ; 2 ° . comme anté(
273 )
rieurs au Décret qui nécessite la Sanction
Royale ; 3 ° . comme ayant été répandus , et
déja acceptés dans le Royaume entier. En
conséquence l'Opinant proposa « de srseoir
à l'ordre du jour , jusqu'à ce qu'il eût été
statué définitivement sur les Arrétés du 4
août et jours suivans , soit en obtenant la
Sanction du Roi , soit en décidant qu'elle
n'est pas nécessaire. "
((
"
M. de Mirabeau , évitant de préjuger la
question , celle de savoir , Si les Actes constitutionnels
ont besoin de la Sanction Royale ,
sur laquelle l'Assemblée avoit sagement jeté
un voile religieux , observa avec le Préopinant
, que ces Arrêtés émanent du Pouvoir
Constituant ; que ce ne sont point des Lois ,
mais des principes de Loi , et des bases constitutionnelles
; ce n'est point de Sanction
mais de promulgation dont ils ont besoin :
ainsi , avant d'avoir obtenu celle- ci , on doit
suspendre toute delibération sur tous articles
relatifs à la prérogative Royale.
2
M. le Comte de Virieux objecta que la
plupart des articles des Arrêtés , étant de
pure législation , devoient évidemment être
soumis à la Sanction Royale . On pouvoit
s'occuper du dépouillement de ces articles
législatifs , pour les séparer des articles
constitutionnels . Consacrons enfin , dit-il en
continuant , le pouvoir légitime du Monarque
; et pourquoi tarderions - nous à porter
sur cette prérogative Royale , des Lois qui
nous sont demandées par le voeu général de
nos Commettans ? Cette prérogative a préexistée
à la Convocation de l'Assemblee ;
nous sommes appelés à la régler , et l'ordre
du jour prescrit la délibération sur la durée
du Refus suspensif.
( 274 )
M. Maranda d'Oliveau insista sur la nécessité
de faire sanctionner le plus tót possible
les Arrêtes. Il se fondoit sur la crainte
d'en voir aneantir les effets , si on laissoit
an repentir le temps de desavoner ces sacrifices.
Pour étayer son apprehension , l'Opinaat
fit mention d'une lettre Circulaire des
Agens du Clerge , qui réprouve la plupart
des Arrêtes , jusqu'à dire , en parlant de la
suppression des dimes , que l'Assemblée Nationale
a fait une bien mauvaise opération.
M. l'Abbe de Montesquiou , Agent du
Clerge , et personnellement attaque , prit
alors la parole , et se disculpa , en disant ,
qu'il n'avoit envoyé aucune Circulaire , mais
qu'il avoit ecrit à plusieurs Communautes
religieuses et Abbayes , pour recueillir des
instructions sur l'etat des biens ecclesiastiques
; que , par le terme de mauvaise opération
, il avoit entendu une mauvaise opération
de calcul ; et qu'en effet , l'Assemblee
avoit mal calcule l'etat des biens du Clerge ,
qui , par la suppression des dimes , n'egaleroient
plus ses dettes . D'ailleurs , en considerant
cette expression dans le sens que lui
avoit donne le Preopinant , si l'on etoit assezindiscret
pour la penser , on ne seroit pas
assez sot pour l'ecrire.
M. de Cazales demanda la question préa-
Jable : Si les Arrêtes , dit - il , font partie de
la Constitution , l'Assemblee a declare jeter
sur la question du Consentement Royal à
cette Constitution , un voile religieux. Si ees
Arrêtes ne sont que des Lois , il n'y a pas
liea à deliberer sur la lotion de M. Farnave.
M. PAbbe Maury proposa de decider prealablement
à l'ordre du jour , au bout de quel
terme les mêmes Membres de l'Assemblee
( 275 )
Nationale pourroient être réélus ; Car , ditil
, il seroit dangereux qu'ils le fu sent pendant
la durée du Veto ; ils s'opiniâtreroient
toujours à leurs premieres Lois , et le Vete
suspensif deviendroit inutile.
A Pégard des Arrêtés du 4 Août , l'Assemblee
avoit déja décidé qu'ils seroient
developpés avant d'être présentés a Sanction.
Peut-on se déguiser le danger de les
abandonner à l'interprétation du peuple ,
qui au mot de liberte , n'entend jamais que
celui d'independance? Ceux qui payent sont
armes ; ceux qui doivent faire payer sont desarmes.
Est - ce dans une situation pareille.
qu'on doit rendre des Lois incoherentes et
incompletes ! Il faut donc s'occuper des demain
du developpement des Articles arrêtes ,
afin qu'ils soient incessamment presentes à
la Sanction Royale.
M. Pethion de Villeneuve observa que , dans
le cas où le Roi refuseroit sa Sanction , on
seroit alors oblige de s'expliquer sur la question
qu'on veut laisser indecise ; qu'il seroit
plus convenable de la determiner actuellement
, et par conséquent de surseoir à l'ordre
du jour , jusqu'à ce que les Arrêtés aient
éte sanctionnes .
Un grand bruit s'eleva pour réclamer la
question prealable ; mais il n'arrêta point
M. Roberspierre : Deja , dit - il , les Arrêtés
ont essuyé un retard contraire au décret formel
de l'Assemblee. Je ne connois , pour hater
leur exécution , de moyen plus efficace , que
de surseoir à toute autre question , jusqu'à
ce qu'ils aient été confirmés et sanctionnes.
La question préalable fut encore invo--
quée.
M, de Mirabeau élevant la voix ; Loip , dit(
276 )
il , de m'affliger de l'espece de chaleur avce
·laquelle on discute cette motion , je m'en 4
félicite. La question préalable est une fin de
non-recevoir qui me paroít évincée par la
seule maniere dont on reçoit la question
principale. Nous avons , il est vrai , jeté un
voile religieux , non sur la question même ,
non sur le principe , mais sur la rédaction
qui en ce moment - ci est délicate. Le régime
féodal , les justices seigneuriales , la vénalité
des offices , sont autant de points constitutionnels
, consacrés par le voeu général , et
sanctionnés par l'adhésion de toutes les provinces.
Ainsi la motion de M. Barnave ne
peut être rejetée .
2
Il observa encore que ces articles étoient
consacrés par le voeu général , et sanctionnés
par l'adhésion de toutes les provinces.
M. Tronchet insista sur la question préalable.
Des difficultés s'élevèrent sur la manière
de la poser.
M. Emmeri demanda la division de la motion
de M. Barnave.
M. de Cazalès s'y opposa , et rejeta la
motion entiere , comme attentoire à la liberté
du Roi , en le forçant de donner sa sanction
, avant qu'elle soit entierement déterminée
.
M. Barnave retira la seconde partie de sa
Motion.
M. Chassrey , définissant le mot de Sanction
par l'authenticité donnée à la loi en vertu
de sa promulgation , demanda que ces Arrêtés
fussent seulement presentes à la promul
gation royale. Il adopta en entier la Motion
de M. Barnave , et s'opposa à la division .
ta
M. Malouet combattit la Motion , par la
considération
1
( 277 )
considération puissante , qu'on s'exposeroit
peut-être à rester 15 jours dans l'inaction .
M. l'Evêque de Langres et M. le Comte de
Foucauld , furent du même sentiment .
M. le Chapellier observa que les articles
de Constitution ne devoient point être sanctionnés
par le Roi , et que ceux de Législation
avoient déja reçu le consentement
royal , lorsqu'ils avoient été présentés à
Sa Majesté il ne s'agissoit donc plus que ,
de la promulgation.
Conformément à ces observations , M. Barnave
changea sa rédaction en la forme suivante
:
#
"9
Qu'il soit sursis à l'ordre du jour , juɛqu'à
ce que le Roi ait ordonné la pro- '
mulgation des Arrêtés des 4 Août et jours
suivans .
Ce changement n'assoupit ni les débats ,
ni l'appel de la question préalable , et essuya
l'opposition d'une partie de l'Assemblée :
M. le Président mit aux voix , par assis ou
levé , s'il y avoit lieu ou non à délibérer sur
la Motion de M. Barnave. La majorité pour
la négative , parut douteuse à la minorité ,
quoique le Président assurât le contraire. On
réclama avec vivacité. M. Rabaud de Saint-"
Etienne invoqua le Réglement qui prescrit
l'appel nominal lors qu'il y a quelque doute.
Après de violens debats , M. le Président
y mit fin à trois heures , en levant la Séance ,
et en remettant la question au lendemain..
DUMARDI 15 SEPTEMBRE. A l'ouverture
on a proclamé les nouveaux Membres du
Comité de Constitution , abandonné , ainsi
que nous l'avons dit la semaine derniere ,
par MM. Mounier , de Lally- Tolendal , Ber
N°. 39. 26 Septembre 1789. N
1
( 278 )
gasse et de Clermont- Tonnerre. Ils sont remplacés
par MM . l'Evêque d'Autun et l'Abbé
Syeyes , Membres de l'ancien Comité ;
Thouret , Target , Demeunier , Rabaud de
Saint-Etienne , Tronchet et le Chapellier.
On a fait lecture des Procès - verbaux et
Adresses diverses , parmi lesquels une de la
Ville de Moncontour en Bretagne , et du
District de Saint - Jacques de l'Hôpital à
Paris , qui proscrivent le Veto , et somment
leurs Deputés de s'y opposer. La Ville de
Moncontour intime également ses ordres aux
Représentans de la France , au sujet de l'indivisibilité
du Corps législatif. M. Dufraize
de Chey proposoit de renvoyer ces Arrêtés
à leurs Auteurs ; mais il a été résolu de ne
pas même en délibérer.
M. le Chapellier a proposé ensuite d'écarter
la question indécise de la veille , pour discuter
,
"
Combien de Membres composeront l'Assemblée
à l'avenir ?
Quelle sera la durée de chaque Session ,
et à quelle époque de l'année se formera
l'Assemblée ?
"
Quelles qualités seront nécessaires pour
être Electeurs ou Eligibles ?
On étoit d'accord, d'intervertir l'ordre du
jour , et de s'occuper des trois questions précédentes
, lorsque M. le Baron de Juigné a
demandé qu'avant tout , l'Assemblée reconnût
l'inviolabilité de la Personne sacrée du
Roi , l'indivisibilité et l'hérédité de la Couronne.
Une approbation unanime a sur- le - champ
consacré ces trois principes fondamentaux ;
mais M. le Duc de la Rochefoucault a jugé
onforme à la dignité de l'Assemblée , de
( 279 )
substituer au voeu d'acclamation , celui plus
refléchi par appel nominal. Un des Secré
taires a rédigé en ces termes le mode de
déclaration .
( L'Assemblée Nationale a reconnu par
acclamation , et déclaré , à l'unanimité des
voix , comme points fondamentaux de la
Monarchie Françoise : »
1°. Que la Personne du Roi est inviolable et
sacrée.
2°. Que le Trône est indivisible.
3°. Que la Couronne est héréditaire dans la
Race régnante , de mâle en mâle , par ordre
de primogéniture , à l'exclusion perpétuelle
et absolue des femmes et de leurs descen
dans.
M. de Custine ajoutoit au premier article
l'inviolabilité de l'Héritier presomptif. M. le
Duc de Mortemart a objecte le cas possible
où l'Héritier présomptif attaqueroit le Monarque
même.
M. Reubell , Député de Colmar , s'est alors
élévé contre l'intérêt des Branches étrangères
de la Maison de Bourbon , en demandant
qu'on exclut de toute succession à la
Couronne , la Branche Espagnole , en vertu
de sa renonciation faite par le Traité d'Utrecht
.
Un autre Membre des Communes a remarqué
que la Primogeniture appartenant à
la Maison d'Espagne , au défaut des descendans
de Louis XV , le Décret excluroit
la Maison d'Orléans , et que la Cour de
Madrid pourroit s'en prévaloir , comme d'une
exception à ses précédentes renonciations.
M. l'Evêque de Langres , discutant l'impropriété
de la Motion', a demandé si , dans
Nij
( 280 )
1
les circonstances présentes , dáns l'état actue'
de l'Europe , étoit utile , prudent d'agiter
de pareilles questions ? Et quel motif pouvoit
en presser la décision ? Aucun sans doute ;
ainsi , il n'y avoit pas lieu à délibérer.
Néanmoins , on a continué la discussion ,
moins sur le fond même de la chose , que
sur l'instant d'en traiter : l'un ajournoit la
Motion ; l'autre réclamoit la question préalable
; un troisième rejetoit la délibération ,
quant à présent seulement. M. de Sillery
lisoit le Traité d'Utrecht ; M. d'Espreménil
invoquoit la Loi Salique. On a débattu ensuite
si l'on disjoindroit ou non , les trois
points du Décret : dix amendemens différens
étoient ajoutés à la Loi sur l'hérédité de la
Couronne . M. Target , entre autres , en admettant
les termes du Décret , le terminoit
par ces mots , Sans entendre rien préjuger sur
Peffet des renonciations . La délibération est
devenue un tumulte , et l'on a fini par se
séparer à quatre heures , en ajournant la rédaction
du Décret au lendemain.
M. le Président ayant annoncé que le Roi
devant le recevoir à huit heures et demie ,
il alloit se retirer pour lui présenter les Arrêtés
du 4 Août et autres , sur lesquels il
avoit été arrêté de demander sa Sanction ;
il a été remplacé par M. l'Evêque de Langres
, ancien Président . Ce Prélat a reçu de
l'Assemblée des applaudissemens , dont il
a témoigné sa sensibilité , de manière à lui
en mériter de nouveaux.
A son retour , M. le Président a annoncé
que S. M. feroit très - incessamment connoîtie
sa réponse.
( 281 )
La Séance , levée à onze heures , a été
remplie par des discussions sur des clauses
additionnelles au Decret relatif au commerce
des Grains ; Décrets que nous feroas
connoître , lorsqu'il sera complet et sanctionné.
DU MERCREDI 16 SEPTEMBRE . Cette
Séauce , encore absorbée par la question de
la veille , sans qu'elle en soit devenue plus
lumineuse , a été non moins infructueuse ,
et sa decision rejetée au lendemain .
Annonce faite de nouveaux dons Patriotiques
et d'Adresses diverses , M. de Cazalès ,
pour décider le différend , a observé que
l'Assemblée ne devoit point entrer dans l'examen
des droits de la Maison d'Espagne et
de celle d'Orléans , ni admettre la rédaction
de la veille , sans y ajouter , que , le cas
survenant où , la Maison d'Orléans opposeroit
au principe fondamental une exception tirée
des renonciations de Philippe V , il y seroit
statué par une Convention Nationale.
M. de Macaye , Député de Labour , réclamoit
le silence de l'Assemblée sur la question ,
en vertu des considérations de commerce ,
des rapports utiles de nos provinces méridiomales
avec l'Espagne , des efforts de l'Angleterre
en ce moment , pour amener cette ,
Puissance à un Traité de commerce avantageux.
M. Bouche a insisté sur les mêmes motifs;
mais il a ajouté :
En 1714, Louis XI appelant les Princes
légitimes à la succession , les préféra aux
Princes légitimes étrangers . Lorsqu'en 1717 ,
cet Edit fut révoqué , on réclama les
Etats -Gepéraux , comme arbitres de la suc-
Ni
( 282 )
session, Le cas arrivant , vous aurez toujours
pour vous le Traité d'Utrecht , vos forces , les
Puissances de l'Europe , garantes du Traité ;
l'amendement devoit donc être rédigé en
cette forme : En cas de défaillance d'enfans
máles et légitimes dans la Maison de Bourbon
de France , la Nation s'assemblera pour déļibérer.
Divers Amendemens vinrent le disputer à
celui de M. Bouche.
A celui qu'il avoit proposé hier , M. Target
ajouta ces mots : Sur lesquelles renonciations,
le cas arrivant , la Nation prononcera.
Un autre Député remarqua qu'en disant ,
la Couronne est héréditaire dans la Race
régnante , on sembloit exclure les Races et
Branches futures. Il proposoit donc de s'exprimer
d'une manière plus générique , en,
ajoutant seulement , quete Trone est occupé
maintenant par la Maison de Bourbon.
Cet amendement fut d'abord approuvé
mais aussi víte oublié.
M. de Mirabeau demanda que ce troisième
article fút disenté séparément , et insista sur
la division qu'il avoit sollicitée le jour précédent
.
Les amendemens de MM . de Cazalès ,
Bouche et Target furent- encore reproduits
sous des formes différentes.... Beaucoup de
Membres demandèrent la parole ; un plus
grand nombre d'aller aux voix. Ce dernier
parti prévalut , et rejetant la Motion de
M. de Mirabeau , on passa à la délibération
des amendemens.
M. l'Evêque d'Autun proposa le sien en
ces termes : Et , dans les cas douteux , la
Nation jugera.
On réclama la priorité pour cet amende,
( 283 )
ment , mais elle fut conservée à celui de
M. Target.
La discussion fut demandée pour le sousamendement
de celui - ci. D'autres revenoient
à l'appel des voix : les clameurs étouffoient
la parole ; on invoquoit la question
préalable ; mais la plus difficile de toutes
étoit celle de se faire écouter. Enfin
M. Target retira lui même l'addition faite
à son amendement principal ; plusieurs ,
néanmoins , s'opiniâtroient à la soutenir.
M. le Président mit aux voix l'amendement
principal , qui fut adopté.
Il ne s'agissoit plus que d'aller aux voix
par un appel nominal sur la déclaration
entiere . Ici les cris et les disputes recommencèrent
pendant trois quarts d'heures.
M. Emmery observa qu'il étoit impossible
de délibérer sur la déclaration , telle qu'elle
étoit rédigée. Car , dit- il , tous , il est vrai ,
en adoptent le fond et les principes ; mais
nombre de Députés rejettent la rédaction ;
ils se trouveroient donc réduits à ne pouvoir
répondre ni oui ni non. En conséquence ,
on doit aller aux voix , d'abord sur le fond ,
et ensuite sur la rédaction .... Un bruit continuel
interrompit vingt - fois cette courte
remarque , et il s'accrut jusqu'aux éclats ,
lorsque M. le Président proposa de mentionner
dans le Procès-verbal , que les principes
avoient été reconnus et déclarés à
l'unanimité , mais que la rédaction et l'amendement
n'avoient été décretés qu'à la pluralité.
Ce mode ne fut point adopté.
M. le Président s'en tenant alors à l'avis
de M. Emmery , le mit aux voix ; mais deux,
épreuves consécutives laissèrent la majorité
douteuse , et les débáts recommencèrent.
Niv
( 284 )
M. l'Evêque de Chartres demanda que
les Membres intéressés fussent exclus de la
délibération . On objecta que le point fondamental
, étoit mis hors de discussion.
On voulut délibérer par un appel nominal
sur la question de M. Emmery , et aller aux
voix , sans désemparer , sur la question principale
; mais il fut objecté que c'étoit un
jour consacré au jeune par l'Eglise , que
MM. les Ecclésiastiques et les autres Membres
qui l'avoient observé , ne pouvoient le
prolonger plus long-temps , car l'heure étoit
très - avancée :
Il fallut donc , après d'opiniâtres et chaudes
disputes , finir par se séparer , en remettant
la décision au lendemain.
SÉANCE DU MERCREDI SOIR. On a fait
lecture de l'Arrêté sur le commerce des grains
que nous donnerons en son temps , et traité
ensuite de la Gabelle , sans rien terminer.
Les projets proposés méritant l'examen ultérieur
des Députés de Généralités soumises
à l'impôt , on a remis la discussion à Vendredi
prochain.
DU JEUDI 17 SEPTEMBRE . Des annonces
d'offrandes à la Patrie , la mention d'Adresses
, la lecture des Proces- verbaux , ont été ,
suivant l'usage , le préliminaire des délibérations
. Dans le nombre des Adresses , on en
remarque une du régiment de Beauvoisis ,
en garnison à Landau , qui réclame contre
les abus de l'administration Militaire .
M. Hugues de la Castre , Président de la
Chambre des Comptes de Dauphiné , a fait
romise à ses Vassaux de tous les droits féo(
285 )
daux , tant réels que personnels , sans indemnité.
Deux appels nominatifs sur les questions
débattues les jours précédens , ont rempli
la Séance. Le premier avoit pour objet les
principes mêmes des trois articles ; le second ,
leur rédaction . 541voix contre 438 ont adopté
la proposition de M. le Président , qu'il fût
inscrit dans le Procès-verbal , que les trois
principes avoient été déclarés à l'unanimité.
Le second appel nominatif a consacré , par
698 suffrages contre 265 , la rédaction suivante
:
L'Assemblée Nationale a reconnu par acclamation
, et déclaré comme points fondamentaux
de la Monarchie Françoise , que la
Personne da Roi est inviolable et sacrée ; que
le Trône est indivisible ; que la Couronne est
héréditaire dans la branche régnante , de mâle
en mále par ordre de primogéniture , à l'exclusion
personnelle et absolue des femmes et
de leurs descendans , SANS ENTENDRE RIEN
PRÉJUGER SUR L'EFFET DES RENONCIATIONS
.
DU VENDREDI 18 SEPTEMBRE. Après
l'annonce de quelques dons patriotiques , M.
le Président a communiqué à l'Assemblée la
Réponse de S. M. sur la demande de sa Sanction
aux Arrêtés du 4 Août et jours suivans .
Il en a été fait , en ces termes , une première
lecture .
LETTRE DU ROI A l'ASSEMBLÉE
NATIONALE.
Versailles , le 18 Septembre 1789. ད།།
Vous m'avez demandé , Messieurs , de
No
( 286 )
revêtir de ma Sanction les articles arrêtés
par votre Assemblée , le 4 du mois dernier ,
et qui ont été rédigés dans les Séances suivantes
. Plusieurs de ces articles ne sont que
le texte des Lois dont l'Assemblée Nationale
a dessein de s'occuper , et la convenance ou
la perfection de ces dernières , dépendra
nécessairement de la manière dont les dispositions
subséquentes que vous annoncez ,
pourront être remplies : ainsi en approuvant
l'esprit général de vos déterminations , il est
cependant un petit nombre d'articles auxquels
je ne pourrois donner en ce moment
qu'une adhésion conditionnelle ; mais comme
je desire de répondre , autant qu'il est possible
, à la demande de l'Assemblée Nationale
, et que je veux mettre la plus grande
franchise dans mes relations avec elle , je vais
lui faire connoitre le résultat de mes premières
réflexions , et de celles de mon Conseil.
Je modifierai mes opinions , j'y renoncerai
même sans peine , si les observations
de l'Assemblée Nationale m'y engagent ,
puisque je ne m'éloignerai jamais qu'à regret
de sa manière de voir et de penser.
Sur l'Article Ier , relatif aux Droits féodaux.
J'ai donné le premier exemple des principės
généraux adoptes par l'Assemblée Nationale ,
lorsqu'en 1779 j'ai détruit , sans exiger aucune
compensation , les droits de main-morte
dans l'étendue de mes Domaines ; je crois
donc que la suppression de tous les assujettissemens
qui dégradent la dignité de l'homme
, peuvent être abolis sans indemnités ; les
lumieres du siècle présent , et les moeurs de
la Nation Françoise doivent absoudre de lillégalité
qu'on pourroit apercevoir encore dans
( 287 )
cette disposition : mais il est des redevances
personnelles qui , sans participer à ce caraetère
, sans porter aucun sceau d'humiliation ,
' sont d'une utilité importante pour tous les
propriétaires de terres. Ne seroit - ce pas aller
bien loin , que de les abolir aussi sans aucune
indemnité? et vous opposeriez- vous à placer
Je dédommagement qui seroit jugé légitime ,
au rang des charges de l'Etat ? Un affranchissement
qui deviendroit l'effet d'un sacrifice
national' , ajouteroit au mérite de la délibération
de l'Assemblée. Enfin , il est des
devoirs personnels qui ont été convertis des
long -temps , et souvent depuis des siecles ,
dans une redevance pécuniaire : il me semble
qu'on peut encore moins avec justice abolir
sans indemnité de pareilles redevances ; elles
sont fixées par des contrats ou des anciens
usages ; elles forment depuis long - temps des
propriétés transmissibles , vendues et achetées
de bonne foi ; et comme la première
origine de ces redevances se trouve souvent
confondue avec d'autres titres de possession ,
on introduiroitune inquisition embarrassante ,
si on vouloit les distinguer des autres rentes
seigneuriales . Il seroit donc juste et raisonnable
de ranger ces sortes de redevances ,
dans le nombre de celles que l'Assemblée à
déclarées rachetables , au gré de ceux qui y
sont assujettis.
J'offre ces premières réflexions à la considération
de l'Assemblée Nationale : ce qui
m'importe , ce qui m'intéresse , c'est de con-
- cilier , autant qu'il est possible , le soulagement
de la partie la moins fortunée de mes
sujets , avec les règles de la justice .
Je ne dois pas négliger de faire observer
à l'Assemblée Nationale , que l'ensemble des
(
N vj
( 288 )
dispositions applicables à la question présente
, est d'autant plus digne de réflexions ,
que dans le nombre des droits seigneuriaux
dont l'Assemblée voudroit déterminer l'abolition
sans aucune indemnité , il en est quiappartiennent
à des Princes Etrangers qui
ont de grandes possessions en Alsace ; ils en
jouissent sous la foi et la garantie des traités.
les plus solennels ; et en apprenant le projet
de l'Assemblée Nationale , ils ont déja fait
des réclamations dignes de la plus sérieuse
attention .
J'adopte sans hésiter la partie des arrêtés
de l'Assemblée Nationale , qui déclare rachetables
tous les devoirs féodaux réels et
fonciers , pourvu que le prix du rachat soit
fixé d'une manière équitable ; et j'approuve
aussi comme une justice parfaite, quejusqu'au
moment où ce prix sera payé , les droits soient
constamment exigibles. L'Assemblée verra ,
sans doute , lors de la rédaction de la loi ,
que certains droits ne peuvent pas être rachetés
séparément les uns des autres ; et
qu'ainsi , par exemple , on ne devroit pas avoir
la faculté de se rédîmer du cens qui constate
et conserve le droit seigneurial , si l'on ne
rachetoit pas en même-temps les droits casuels
et tous ceux qui dérivent de l'obligation
censitaire. J'invite de plus l'Assemblée Nationale
à réfléchir si l'extinction du cens et
des droits de lods et ventes , convient véritablement
au bien de l'Etat ; ces droits , les
plus simples de tous , détournent les riches
d'accroitre leurs possessions de toutes les petites
propriétés qui environnent leurs tèrres ,
parce qu'ils sont intéressés à conserver le
revenu honorifique de leur seigneurie. Ils
chercheront , en perdant ces avantages, à
1
( 289 )
augmenter leur consistance extérieure par
l'étendue de leurs possessions foncieres , et
les petites propriétés diminueront chaque
jour : cependant il est généralement connu
que leur destructtion est un préjudice pour
Fa culture ; que leur destruction circonscrit
et restreint l'esprit de Citoyen , en diminuant
le nombre des personnes attachées à
la glebe ; que leur destruction enfin peut
affoiblir les principes de morale , en bornant
de plus en plus les devoirs des hommes à
ceux de serviteurs et de gagistes .
Sur l'Article II, concernant les Pigeons et les
Colombiers.
J'approuve les dispositions adoptées par
l'Assemblée .
}
Sur Arricle III , concernant la Chasse.
Je consens à la restriction du droit de
chasse , indiquée par cet article ; mais en
permettant à tous les propriétaires indistinctement
de détruire et faire détruire le gibier ,
chacun´sur leurs domaines , il convient d'em- .
pêcher que cette liberté ne multiplie le port
d'armes d'une manière contraire à l'ordre
public .
J'ai détruit mes capitaineries ' , par Parrêt
de mon Conseil du 10 Août dernier ; et avant
cette époque mes intentions étoient déjà connues.
J'ai donné les ordres nécessaires pour la
cessation des peines infligées à ceux qui
avoient enfreint jusqu'à présent les droits de
chasse.
Sur l'Article IV , concernant les Justices seigneuriales.
J'approuverai la suppression des justices
( 290 )
séigneuriales , dès que j'aurai connoissance
de la sagesse des dispositions générales que
l'Assemblée se propose d'adopter relativement
à l'ordre judiciaire..
Sur l'Article V, relatif aux Dîmes.
Il m'en coûte de faire quelques observations
sur cet article , puisque toutes les dispositions
de bienfaisance dont une partie
du Peuple est appelée à jouir , entraînent
toujours mon suffrage ; mais si le bonheur
général repose sur la justice , je crois remplir
un devoir plus étendu , en examinant
aussi sous ce rapport la deliberation de votre
Assemblée.
J'accepte d'abord , commevous , Messieurs ,
et avec un sentiment particulier de reconnoissance
, le généreux sacrifice offert par les
Représentans de l'Ordre du Clergé. La disposition
qu'on en doit faire , est le seul objet
de mes doutes.
J'ignore si l'Assemblée Nationale a cherché
à s'instruire de l'étendue numérique de
la valeur des dimes ecclésiastiques : on ne
la connoît pas exactement , mais on peut
raisonnablement l'estimer de 60 à 80 millions.
Si donc on se bornoit à la suppression pure
et simple des dimes au profit de ceux qui
y sont assujettis , cette grande munificence
de 60 à 80 millions se trouveroit uniquement
dévolue aux propriétaires de terres , et
la répartition s'en feroit d'après une proportion
relative à la mesure respective de leurs
possessions ; or , une telle proportion , trèsjuste
lorsqu'il est question d'un impôt , ne
l'est pas de même quand on s'occupe de la
distribution d'un bienfait. Je dois vous faire
observer encore que la plupart des habitans
des villes , les commerçans , les manufactu-
་
( 291 )
riers , ceux qui sont adonnés aux arts et aux
sciences , et tous les Citoyens rentiers ou
autres qui n'auroient pas la double qualité
de Citadins et de propriétaires de terres ;
enfin , ce qui est plus important ; les . nombreux
habitans du Royaume dénués de toutes
propriétés , n'auroient aucune part à cette immense
libéralité ; que si l'Etat avoit un grand
superflu , et qu'une faveur importante envers
les uns , n'aliérât point le sort des autres ,
la munificence projetée devenant un simple
objet de jalousie , seroit moins susceptible
d'objection. Mais lorsque les finances sont
dans une situation qui exige toute l'étendue
des ressources de l'Etat , il conviendroit sûrement
d'examiner , si au moment où des Représentans
de la Nation disposent d'une
grande partie des revenus du Clergé , ce n'est
pas au soulagement de la Nation entière
que ces revenus doivent être appliqués. Que
dans une distribution faite avec soin et avec
maturité , les Cultivateurs les moins aisés
profitassent en grande partie des sacrifices
du Clergé , je ne pourrois qu'applaudir à
cette disposition , et je jouirois pleinement
de l'amélioration de leur sort : mais il est
tel propriétaire de terres , à qui l'affranchis ...
sement des dimes vaudroit peut-être un accroissement
de revenus de dix , vingt et jusqu'à
trente mille livres par an ; quel droit
lui verroit-on à une concession si grande et
si inattendue ? L'Arrêté de l'Assemblée Nationale
ne dit point que l'abolition des dimes.
sera remplace par un autre impôt , à la
charge des terres soumises à cette redevance
; mais en supposant que ce fut votre
dessein , je ne pourrois avoir une opinion
éclairée , à cet égard , sans connoître la na(
292 )
ture du nouvel impôt qu'on voudroit établir
en échange il en est tels , même parmi
ceux existans , qui sont beaucoup plus onéreux
au peuple que la dîme ; il seroit encore
important de connoître si le produit des
dimes mis à part , le reste des biens du Clergé
suffiroit aux dépenses de l'église et à d'autres
dédommagemens indispensables , et si quelque
supplément à charge aux Peuples , ne
deviendroit pas alors necessaire. Il me paroit
donc que plusieurs motifs de sagesse inviteroient
à prendre en novvelle considération
l'Arrêté de l'Assemblée, relatifà la disposition
des dimes ecclésiastiques , et que cet examen
pourroit s'unir raisonnablement à la discussion
prochaine des besoins et des ressources
de l'Etat.
Les réflexions que je viens de faire sur
les dîmes en général , s'appliquent à celles
possédées par les Commandeurs de Malte ;
mais on doit y ajouter une considération
particulière , c'est qu'une partie des revenus
de l'Ordre étant composée des redevances
que les Commanderie envoient à Malte , il
est des motifs politiques qui doivent être
mis en ligne de compte avant d'adopter les
dispositions qui réduiroient trop sensiblement
le produit de ces sortes de biens , et les
ressources d'une puissance à qui le commerce
du Royanme doit chaque jour de la
reconnoissance .
Sur l'Article VI , concernant les Rentes
rachetables .
J'approuve les dispositions annoncées dans
cet article .
( 293 )
Sur l'Article VII , concernant la Vénalité
des Offices.
Je ne mettrai aucune opposition à cette
partie des délibérations de l'Assemblée Nationale
. Je desire seulement que l'on recherche
et que l'on propose les moyens
propres à m'assurer que la justice sera toujours
exercée par des hommes dignes de
ma confiance et de celle de mes Peuples .
La finance des charges de Magistrat étoit
une propriété qui garantissoit au moins d'une
éducation honorable , mais on peut y suppleer
par d'autres précautions . Il est convenable
aussi que l'Assemblée prenne connoissance
de l'étendue du capital des charges
de judicature : il est considérable et ne
coûte à l'Etat qu'un modique intérêt ; ainsi
on ne peut l'acquitter sans un grand sacrifice
; il en faudra d'autres également importans
, si les émolumens des Juges doivent
êtres payés par des contributions générales .
Ces divers sacrifices ne doivent pas l'emporter
sur des considérations d'ordre public ,
qui seroient universellement appréciés par
la Nation ; mais la sagesse de l'Assemblée
l'engagera sans doute à examiner mûrement
et dans son ensemble , une disposition d'une
importance si majeure.
Je rappellerai aussi à l'Assemblée Nationale
, que la suppression de la vénalité des
Offices ne suffiroit pas pour rendre la justice
gratuite ; il faudroit encore supprimer tous
les droits relatifs à son exercice , et qui forment
aujourd'hui une partie des revenus de
l'Etat.
( 294 )
•
Sur l'Article VIII , concernant les Droits
casuels des Curés .
J'approuve les dispositions déterminées
par cet article. Tous ces petits droits contrastent
avec la décence qui doit servir à
relever aux yeux des Peuples , les respectables
fonctions des ministres des autels .
Sur l'Article. IX , concernant les Priviléges .
en matière de subsides .
J'approuve en entier cet article , et je loue
le Clergé et la Noblesse de mon Royaume ,
de l'honorable empressement que ces deux
Ordres de l'Etat ont apporté à l'établissement
d'une égalité de contribution conforme
à la justice et à la saine raison .
Sur l'Article X , concernant les Priviléges
des Provinces .
J'approuve également cet article , et je '
desire infiniment qu'il puisse se réaliser sans
opposition. J'aspire à voir toutes mes provinces
se rapprocher dans leurs intérêts ,
comme elles sont unies dans mon amour , et
je seconderai de tout mon pouvoir un si généreux
dessein .
Sur l'Article XI , concernant l'admission
de tous les Citoyens aux emplois Ecclésiastiques
, civils et militaires.
J'approuve cette disposition . Je desire
que mes sujets indistinctement se rendent
dignes des places où l'on est appelé à servir
l'Etat , et je verrai avec plaisir rapprochés
de mes regards tous les hommes de mérite
et de talens .
( 295 )
Sur l'Article XII , concernant les Annates.
Cette rétribution appartient à la Cour de
Rome , et se trouvant fondée sur le Concordat
de la France avec le Saint- Siége , une seule
des parties contractantes ne doit pas l'annuller
; mais le voeu de l'Assemblée Nationale
m'engagera à mettre cette affaire en négociation
avec les égards dûs à tous les Princes
souverains , et au Chef de l'Eglise en particulier,
Sur l'Article XIII , concernant les prestations
de Bénéficiers à Bénéficiers.
mais
La disposition arrêtée par l'Assemblée ne
souffrira de difficultés de ma part ;
pas
elle doit observer que l'abolition des droits
de ce genre obligeroit à des indemnités ,
parce qu'ils forment souvent le revenu prin- .
cipal des Evéchés , des Archidiaconés ou des
Chapitres auxquels ils sont attribués ; et l'on
ne pourroit pas s'en dédommager , en assujettisant
ceux qui acquittent ces droits à une
taxe équivalente , si dans le même temps on
supprimoit leurs dimes.
Sur l'Article XIV concernant la pluralité des
Bénéfices.
L'esprit de cet article est fort raisonnable ,
et je m'y conformerai volontiers.
Sur l'Article XV, concernant le visa des
Pensions et des autres Graces.
Je ne m'opposerai à aucun des examens
que l'Assemblée Nationale jugera convenable
de faire ; elle considérera seulement si une
inquisition détaillée d'une pareille étendue ,
n'assujettiroit pas à un travail sans fin , ne
( 296 )
répandroit pas beaucoup d'alarmes , et si
une réduction fondée sur divers principes
généraux , ne seroit pas préférable.
2.
Je viens de m'expliquer , Messieurs , sur
lès divers Arrêtés que vous m'avez fait remettre
; vous voyez que j'approuve en entier
le plus grand nombre , et que j'y donnerai
ma Sanction des qu'ils seront rédigés ent
Lois. J'invite l'Assemblée Nationale à prendre
en considération les réflexions que j'ai
faites sur deux ou trois Articles importans.
C'est par une communication franche et ouverte
de nos sentimens et de nos opinions
qu'animés du mêine amour du bien , nousparviendrons
au but qui nous intéresse égale .
ment . Le bonheur de mes peuples , si cons
tamment cher à mon coeur et la protec
tion que je dois aux principes de justice ,
détermineront toujours mes démarches ; et
puisque des motifs semblables doivent servir
de guides à l'Assemblée Nationale , il est
impossible qu'en nous éclairant mutuellement
, nous ne nous rapprochions pas en
toutes choses : c'est l'objet de mes voeux
c'est celui de mon espérance.
Signé , LOUIS .
y
A Versailles , le 18 Septembre 1789 .
Sur la demande formée séparément ,
concernant la Sanction du Décret de
l'Assemblée Nationale , en faveur
de la libre circulation des grains ,
et de la défense d'en exporter au
dehors.
Ce Décret est absolument conforme aux
diverses dispositions que j'ai constamment
renouvelées depuis un an. Je le revêtirai de
1
( 297 )
ma Sanction ; mais je dois prévenir l'Assem
blée Nationale , que dans la situation présente
des esprits , avec l'état de fermentation
produit par la disette et la cherté des
grains l'année derniere , avec la résistance
qu'on oppose en heaucoup d'endroits à leur
circulation , ce seroit manquer de sagesse que
de vouloir faire exécuter avec trop de rigueur
le Décret de l'Assemblée . Elle doit connoître
d'ailleurs les entraves actuelles du
pouvoir exécutif , sur-tout quand les Municipalités
appelées à invoquer l'appui des
troupes , ont une opinion contraire au voeu
de l'Assemblée Nationale , et refusent de le
prendre pour guide. Ces considérations de
la plus grande importance , méritent de fixer
Pattention de l'Assemblée Nationale , puisqu'elles
intéressent essentiellement l'ordre
public. J'apporte tous mes soins à empêcher
la sortie des grains du Royaume , et j'ai
donné , dans cette intention , les instructions
les plus positives aux diverses personnes chargées
de l'exécution de mes ordres dans les
Provinces ; mais les Commis des Fermes qui
veillent aux frontieres , ont été mis en fuite
dans plusieurs lieux par les Contrebandiers ,
qui apportent à force ouverte dans le Royaume
, du sel , du tabac et d'autres marchandises
prohibées .
ཧ་
Le premier Ministre de mes Finances vous
a fait connoître de ma part , à plusieurs reprises
, de quelle importance il étoit pour le
secours de la chose publique , que l'Assemblée
manifestât de nouveau , et de la manière
la plus explicite , qu'elle souhaite , qu'elle
exige la conservation des droits établis , et
le payement régulier des impositions : elle n'a
pas encore satisfait à cette représentation ,
( 298 )
et cependant , chaque jour , sa nécessité devient
plus urgente. Je vais incessamment
vous appeler , par les motifs les plus forts
et les raisons les plus persuasives , à concourir
avec moi au secours des finances et
de l'Etat , et à relever la confiance par des
mesures grandes et efficaces .
Les circonstances , par leur difficulté , sont
dignes de nos efforts communs , et je compte
que vous m'égalerez en courage et en volonté,
Signé, LOUIS .
On a recommencé une seconde lecture de
ces Observations de S. M.; et comme l'Assemblée
n'est point uniforme , à beaucoup
pres , dans ses opinions , celles du Monarque
et de son Conseil ont produit des sentimens
differens , qui se sont librement manifestés.
Il n'y avoit , néanmoins , et très-probablement
, pas deux manieres d'apercevoir la
prudence de ces remarques , la réserve
avec laquelle elles sont présentées , et le
respect qu'on y témoigne pour tout ce que
les hommes ont coutume et intérêt de respecter
par-tout , et dans tous les lieux .
M. Goupil de Préfeln proposa aussitôt de
nommer soixante Commissaires dans la proportion
des Ordres , pour examiner les observations
du Roi , et en rendre compte
incessamment à l'Assemblée ; et avant leur
rapport , ajouta-t- il , que toute discussion à
ce sujet reste fermée.
M. le Chapellier remarqua qu'en envoyant
les Arrêtés à la Sanction Royale , l'Assemblée
n'avoit pu ni voulu entendre par ce
mot , que leur Promulgation ; ils ne sont
néanmoins , dit- il , ni sanctionnés , ni pro(
299 )
mulgués. L'espèce de discours du Roi est une
conference avec nous ; elle compromet la Dignité
Royale et la liberté de l'Assemblée.
Selon l'esprit de nos délibérations , le mot
équivoque de Sanction est synonyme de promulgation.
Desmalheursinévitablesnaîtroient
du retard de l'exécution des Arrêtés ; ainsi ,
je propose , que M. le Président se retire
sur le champ devers Sa Majesté , pour lui
« demander sa Sanction , et que l'Assemblée
« ne désempare pas que cette Sanction ne
soit donnée ou refusée. "
"
M. Camus ne croyant point cette motion
admissible , au moins dans l'instant , adopta
celle de M. de Préfeln , en opinant par amen
dement , à nommer , au lieu de 60 Commissaires
, 4 Comités de 3 personnes chacun ,
qui se partageroient les différentes classes
des observations du Roi.
M. Chassey défendit la motion de M. le
Chapellier ; mais , cependant , en requérant
qu'on prît en consideration la réponse du
Roi , et , qu'au lieu de se surcharger de nouveaux
Comités , on renvoya cette réponse
aux Comités de Judicature , des droits feodaux
, et des affaires ecclésiastiques , deja
existans.
་
M. le Vicomte de Mirabeau : « Pour ne pas
souffrir la contradiction , il faut se croire
infaillible. Convenons cependant , que nos
Arrêtés du 4 août ont été faits avec une
promptitude , qui les rend susceptibles de
beaucoup d'observations. On a coupé les
noeuds au lieu de les démêler. On vous a
exhorté à décombrer avant de bâtir ; mais
d'anciens fondemens sont quelquefois nécessaires
à un nouvel édifice d'habiles
Architectes savent les conserver ; jusqu'ici ,
:
}
( 300 )
-
nous n'avons fait que des destructions . Le
Roi nous a communiqué ses remarques , et
je suis étonné de la maniere dont elles ont
été accueillies. Nous consacrons des journées
à discuter un article , et le Roi n'auroit pas
le droit de nous communiquer ses reflexions
sur des matières aussi importantes ! Je rejette
en entier la motion de M. le Chapellier.
M. le Comte de Mirabeau , frère du Préopinant
, appuya , au contraire , cette motion
de toutes les forces de son esprit. « Disons
respectueusement au Roi , ajouta-t-il , en
finissant : « Vous vous êtes trompé sur la
nature et les circonstances de notre demande
; c'est une Sanction pure et simple
que nous vous avons prié de donner. Les
changemens qui pourroient être nécessaires ,
nous les ferons , en nous occupant des Lois
de détail ; nous-mêmes en avons suspendu
l'exécution.
M. de Bonnay soutint la nécessité d'éclaircir
préalablement les doutes , et d'examiner
les objections présentées par S. M.
((
Quant aux priviléges des Provinces , continua-
t- il , sur la suppression desquels le Roi
nous observe qu'il existe des réclamations
je demande que , chacun des Députés qui
en a offert le sacrifice , soit tenu d'en rapporter
incessamment la ratification . ·
M. de Roberspierre appuya la motion de
M. le Chapellier, et par les mêmes argumens :
Il faut , dit- il , que vous déclariez , si vous
pensez que la Nation doit jouir d'une Constitution
heureuse , et si , pour y parvenir ,
elle a besoin d'autre volonté que de la sienne .
M. le Duc de la Rochefoucault adopta
l'avis de M. Chassey. Selon lui , les Arrêtés
du 4 août n'étoient pas susceptibles de la
Sanction
( 301 )
Sanction Royale ; mais on pourroit se servir
des observations de S. M. dans le travail
de la Législation . Il proposoit donc , que
M. le Président se retirât par - devers le
Roi , pour lui demander la promulgation
pure et simple des Arrêtés , et que la Réponse
de S. M. fut renvoyée dans les Bureaux . »
fl
М
་ ་
и
M. Reubell , repliquant à M. le Vicomte
de Mirabeau , dit : Je ne crois point que notre
Assemblée soit infaillible ; mais je crois
encore moins en l'infaillibilité du Conseil ,
sur-tout lorsqu'il s'agit de principes qui sont
ceux du Peuple.
Quant à l'objection concernant les Princes
étrangers qui lèvent des droits en Alsace .
ce sont les Habitans eux -mêmes qui refusent
de les payer. Ces droits injustes , augmentés
par diverses Lettres - Patentes , depuis la
réunion de la Province , forcent à emigrer
un très-grand nombre de contribuables. Ces
Princes , d'ailleurs , doivent à la Province
des restitutions , qui surpassent de beaucoup
les revenus qu'ils en retiroient .
Mes Commettans sont unanimement pénétrés
de ces principes , et ( si j'ose me servir
de ce terme ils ne s'en dépénétreront jamais .
Il est même essentiel que la connoissance de
cette suspension du Roi ne parvienne pas
dans la Province , que sur-le-champ on décide
la question , et qu'aussi - tôt une députation
aille chez le Roi , lui demander la
promulgation des Arrêtés .
M. de Lally-Tolendal : « Il y a
Il y a quelques
jours qu'une grande question étoit agitée ,
Concernant l'Autorité Royale. Nous avons
vu le Roi , loin de soutenir sa prérogative ,
vouloir s'en désister. Aujourd'hui , vous avez
présenté à sa Sanction , des Arrêtés qui ne
No. 39. 26 Septembre 1789. 0qui
( 302 )
le regardent pas personnellement ; et celui
qui n'a pas hésité sur ses sacrifices , hésite
quand il s'agit des vôtres . Il vous communique
ses alarmes , il vous invite à l'examen .
(e Je n'ai pas oublié ce qu'en a dit un des
Membres de cette Assemblée , un des plus
éloquens , des mieux écoutés. Peut- être eussions
-nous dú faire nos arrêtés du 4 Août
avec plus de lenteur , et les faire précéder
d'une discussion utile. On auroit pu respecter
les propriétés et les usages . Les revenus de
l'Etat n'auroient peut-être pas reçu une di
minution si sensible. "
" Ainsi s'exprimoit M. le Comte de Mirabeau
dans la Séance du Mercredi soir 19
Août , et les mêmes paroles qui ont obtenu
faveur dans sa bouche , trouveront peut - être
grace dans la mienne : Les propriétés , Messieurs
! c'est un nom bien sacré ; les revenus
publics ! c'est un objet important ; c'est de là
que tout dépend , c'est à cela que tout
tient. Je ne suis pas étonné que le patriotisme
de M. de Mirabeau en ait été vivement
afecte : il paroît , par ce qu'il vient de nous
dire , qu'heureusement pour lui , ses craintes
sont calmées , qu'il a cru reconnoître qu'elles
étoient fausses ; mais nous pardonnerons ,
apparemment , aupatriotisme du Roi , d'avoir
conçu les mêmes alarmes , et de nous les
communiquer , puisqu'elles ne sont pas encore
dissipées. M. de Mirabeau ne nous offroit
que des regrets stériles ; le Roi peut nous of
frir des remèdes
Quant à l'autorité royale , j'ai déja dit
que si les vertus du Roi nous la rendoient
hère , c'étoit l'intérêt du Peuple qui me la
vendoit sacrée ; je puis dire encore qu'autant
je respecte cette autorité dans son exercice
( 303 )
légitime , autant j'en ai combattu les excès
et les abus .... Mon avis est que le Discours
du Roi soit reçu avec le respect que
chacun de nous lui doit , et que la Nation
se doit à elle - même dans la personne de son
Chef; que ce Discours soit renvoyé aux trois
Comités que nous avons nommés pour suivre
l'exécution de nos arrêtés des 4 et 11 Aoút ;
que ces Comités s'en occupent sans délai ,
pour qu'après leur examen et sur leur rapport ,
il soit pris par l'Assemblée telle détermination
qu'elle jugera convenable dans sa sagesse.
M. Péthion de Villeneuve remarquoit qu'
n'est aucun des principes que S. M. n'ait
approuvé , sans cependant en Sanctionner
aucun. Toutes ses observations ne posent
que sur les Lois de détail , les Lois d'exécution
, les Lois subséquentes à ces arrêtés.
Nous avons déja refusé d'entendre les observations
du Conseil sur la Sanction Royale ;
nous devrions peut -être tenir la même conduite
maintenant. Il seroit dangereux de
recevoir les Mémoires du Roi , et d'entretenir
des conférences qui , en compromettant
la dignité Royale , peuvent gêner la liberté
des suffrages de l'Assemblée . Elles sont dangereuses
, ou au moins inutiles ; car il n'est
pas en notre puissance de révoquer les Ar- `
rêtés. Leur promulgation ne peut-être refusée
; lorsque la Nation a parlé , il n'est plus
besoin du consentement du Roi. C'est une
grande question , de savoir si le Roi pourra
refuser sa Sanction même aux Lois de l'Assemblée
actuelle , qui exerce le Pouvoir Constituant
, etc.
J'adopte en entier l'avis de M. de la Ro(
304 )
chefoucault , en ce qu'il consacre les principes
, et pourra être adopté par le Roi.
Au travers de cette discussion sur des
principes si prodigieusement distans`les uns
des autres , M. de Volney interjeta subitement
la Motion que voici :
(( Que l'on rentre sans délai dans la discussion
des objets essentiels et pressans de la
Constitution : qu'en conséquence , il soit
avant tout discuté et déterminé ,
" 1º. De combien de Membressera composé
le Corps législatif? 2 ° . Quelles seront les conditions
requises pour être électeur et éligible
? 3 °. Quels seront le mode et les départemens
des Elections ? 4° . Et qu'aussitôt que
les objets seront décidés , l'Assemblée actuelle
, sans quitter la Session , nĩ discontinuer
ses travaux , ordonne dans toute l'étendue
du Royaume une Election de Deputés ,
selon le nouveau mode , lesquels viendront
nous relever et substituer une Représentation
véritablement Nationale , à une Représentation
vicieuse et contradictoire , où des intérêts
personnels et privés , mis en balance.
égale avec l'intérêt général , ont la faculté
d'opposer un effort puissant à la volonté publiques
"
Cette nouveauté fut accueillie par un applaudissement
universel , quoique les acclamateurs
la célébrassent par des motifs bien
différens les uns des autres. M. le Comte de
Mirepoix y ajouta , qu'aucun Membre ne pour
Toit être réélu ; les applaudissemens se renouvelèrent
. Le seul M. Guillotin parut insensible
au mouvement universel , et vainement
ramena la question antérieure. Il étoit quatre
heures , et la Séance fut levée .
( 305 )
DU SAMEDI 19 SEPTEMBRE. Après la
notice des Adresses et de quelques dons à
la Caisse Nationale , M. Duport crut prévenir
de nouveaux débats sur la question de la
veille , touchant la Réponse de Sa Majesté ,
en adoptant et en renouvelant l'avis de M.
le Duc de la Rochefoucault. Cette Motion
auroit - elle la priorité sur celle de M. de
Volney? Le cas fut décidé par la cession
de ses droits que fit ce dernier Député .
M. Fréteau appuya la résolution proposée
par M. Duport , c'est - à - dire , la nécessité
d'une prompte Sanction , par des considérations
relatives au Décret contre l'exportation
des graitis. Il parla de spéculations sur
nos frontieres pour verser des grains dans
les Pays-Bas Autrichiens ; quelques Provinces
étoient loin d'avoir du superflu ; les remèdes
devenoient urgens , ainsi que la Promulgation
du Décret de l'Assemblée.
Tres- inutilement quelques Membres pensèrent-
ils à offrir de nouvelles observations
sur cette impatience à requérir la Sanction ,
c'est- à- dire , l'Acte exécutoire d'Arrêtés que
l'on reconnoissoit d'ailleurs inexécutables
dans leur état actuel. M. Malouet prit la
parole des cris tuinultueux le forcèrent au
silence. Après lui , M. l'Evêque de Chartres
objecta que la Motion complexe de M. Duport
embrassoit un point qui n'avoit pas encore
été discuté. On passa aux voix , et une
grande Majorité décréta ce qui suit :
L'Assemblée Nationale arrête que M. le
Président sera chargé de se retirer pardevers
le Roi , pour le supplier d'ordonner incessamment
la Promulgation des Arrêtés du
4 Août et jours suivans , et d'assurer S. M.
que l'Assemblée Nationale , lorsqu'elle s'oc
O iij
( 306 )
cupera des Lois de détail , prendra dans la
plus grande et la plus scrupuleuse considération
les réflexions et observations que S. M.
a bien voulu lui communiquer.
"}
M. le Président s'étant rendu chez le Roi ,
M. l'Evêque de Langres prit le fauteuil .
L'ordre du travail appeloit la Motion de M.
de Volney; mais elle.fut d'abord écartée par
un avis de M. Camus , qui proposa de s'occuper
, avant tout , d'organiser les Assemblées
Provinciales , Municipales , et de Dis-
, tricts.
Malgré l'importance de la matière , et les
motifs pressans developpés par l'Opinant ,
M. le Vicomte de Mirabeau réclama la Motion
de M. de Volney , saisie hier avec une
acclamation universelle.
Cette approbation , dit- il , prouve deux
choses : 1 °. Que nous voulons tous faire le
bien , quoique par des routes differentes ;
2. qu'il est impossible de l'espérer de notre
organisation , de nos divisions ; qu'on ne peut
l'attendre que d'une nouvelle Assemblée ,
dans laquelle il y aura plus de Propriétaires
que d'Orateurs , plus de Citoyens que de
-Philosophes. Un avantage , non moins inappréciable
, est celui de faire ratifier nos opérations
par nos Commettans , qui , maintenant
, plus instruits de leurs véritables intérêts
et du bien public , seront plus en état
de donner des instructions pour les lois subséquentes
. »
Il demandoit en outre , que nul des Membres
actuels ne pût être réélu , ni se présenter
aux élections , ou au moins y voter.
M. de Gouy- d'Arcy rejeta toutes les propositions
des Préopinans . « Il seroit impossible ,
ait - il , de terminer aucun des plans de
( 307 )
travail , qu'on nous a proposés , avant six
semaines ou deux mois , et nul pouvoir humain
ne pourroit nous en assurer le succès.
Il faudroit que nous pussions rester encore
deux mois dans l'état où nous sommes ; cela
n'est plus dans l'ordre des choses possibles . "
"(
On a dit dans cette tribune , qu'il falloit
enfin lever le voile ; je les déchire ' tous .... »
On vous a dit que le salut de l'Etat dépend
de la situation de vos finances . Vous
savez tous que le trésor public est le ressort
de la machine . Vous vous ressouvenez du
tableau que le Ministre des Finances est
venu vous faire des besoins de l'Etat. Vous
avez accueilli sa demande , et un emprunt
de quarante millions en espèces , est devenų
le seul espoir de la Nation.
Ces quarante millions étoient rigoureusement
nécessaires pour les dépenses des mois
d'Août et de Septembre . On espéroit qu'au
bout de ce temps , votre Constitution fixée ,
de nouveaux impôts rétabliroient le fisc et
subviendroient à toutes les dépenses publiques.....
Eh bien , apprenez aujourd'hui que
ce terme va être échu , et que ce modique
emprunt est bien loin d'être rempli . Le Trésor-
Royal n'a pas encore reçu dix millions...
Apprenez que tous les Etrangers ont refusé
de fournir ; ils sont dans la conviction qu'il
n'y a plus de remède à vos maux , et qu'un
emprunt ne seroit qu'un palliatif pour les
prolonger.
Le 1. d'Octobre va nous surprendre avee
moins de trente millions , et la crainte de
ne plus trouver de ressources .... Les payèmens
cesseront .... La banqueroute.... A ces
mots , de longs murmures interrompirent
l'Orateur.
O iv
( 308 )
M. le Duc d'Aiguillon , Président du Comité
des Finances , prit place à la tribune ,
pour dire que le Comité n'avoit chargé M.
de Gouy d'aucun rapport ; le tableau qu'il
traçoit étoit même exagéré . Cependant les
plus prompts remèdes étoient nécessaires ;
et il proposoit à l'Assemblée , de consacrer
un ou deux jours par semaine à ce travail ,
et de s'occuper les autres jours de la Constitution
.
M. le Comte de Mirabeau appuya cette
Motion , et combattit celle de M. de Volney,
ainsi que les additions de M. le Vicomte
de Mirabeau , par plusieurs considérations
politiques.
M. de Virieux fut de même avis , et rejeta
encore celui de M. Camus . Les Assemblées
provinciales et municipales , dit -il , sont
bes branches de l'arbre de la Législation.
Si nous les formons avant le tronc , c'est-àdire
, les Assemblées partielles avant le Corps
législatif , nous risquons de donner à ces
branches trop ou trop peu de nourriture. Elles
deviendroient ou trop puissantes , ou resteroient
sans force.
Il proposa de s'occuper du projet d'organisation
du Corps legislatif , lu par M.
Mounier , et de l'étendue du Veto ; principes
éternels , qui ne dépendent d'aucune circonstance.
Il faut établir un centre de forces avant
d'en prolonger les rayons . C'est alors que la
confiance renaîtra , que les bourses s'ouvriront
, que l'ordre se rétablira , etc.
On demanda alors à aller aux voix. La
Proposition de M. d'Aiguillon fût acceptée. ´
On s'occupera désormais , les quatre premiers
jours de la semaine , de la Constitu(
309 )
tion , et les vendredis et samedis , du travail
des Finances .
Tous les états seront imprimés , et les
rapports ou projets , avant d'être présentés
à l'Assemblée générale , seront discutés les
jeudis soir dans les Bureaux.
Vers les trois heures et demie , M. de Clermont-
Tonnerre arriva . S , M. lui avoit dit de revenir
demain au soir , pour recevoir sa réponse
aux demandes de l'Assemblée Nationale.
M. le Garde - des - Sceaux dit au Roi :
Sire , M.de Président peut- il assurer l'Assemblée
des bonnes intentions de V. M. ? Le
Roi a répondu , avec bonté et d'un air satisfait
: Oh! oui , toujours.
Supplément à l'Assemblée Nationale.
Plusieurs personnes nous ayant demandé
le tableau du COMITÉ DES FINANCES
, créé par et dans l'ASSEMBLÉE
NATIONALE , nous en présenterons ici
l'état , les divisions , et les objets qu'il embrasse.
Officiers élus au scrutin.
M. Le Duc D'AIGUILLON , Président ; M.
l'Archevêque D'AIX , Vice - Président ; MM .
ANSON , le Marquis DE GOUY D'ARCY , BERENGER
, Secrétaires.
CABINET DES FINANCES.
OBJETS ATRA I TE R.
Recette de tous genres , et prélèvemens de
Ον
( 310 )
toutes espèces.
gères
-
-
-
―
Rentes perpétuelles et via-
Intérêts d'effets publics . -Gages
représentans l'intérêt de la finance. Frais
d'anticipations , etc. Indemnités à differens
titres . - Traitemens des Receveurs , Fermiers-
Généraux , etc. Les cinq Administrateurs
du Trésor Royal , etc. - Bureau de
l'Administration générale .
-
-
-
Membres qui composent ce Cabinet.
MM. le Duc D'AIGUILLON , l'Archevêque
D'AIX , le Duc DE BIRON , l'Abbé DE LA
SALCETTE , PERRIER , COUDERC , ANSON ,
D'AILLY .
CABINET DE LA GUERRE .
OBJETS A TRAITER.
Département de la Guerre. -Troupes rég'ées.
Provinciales. Artillerie .
-
fications. -Génie.
-
- Maréchaussées . -
-
Forti-
Membres qui composent ce Cabinet. -
MM. le Duc DE LIANCOURT , le Comte
DE LA BLACHE , le Vicomte DE NOAILLES ,
DUBOIS DE CRANCE , KYTSPOTTER , VERNIER
, GAULTIER .
CABINET DE LA MARINE .
OBJETS A TRAITER.
Marine. Les Ports. Les Classes .
Commerce.
nies.
-
―
-
-
-Le
Les Consulats . Les Colo-
Saint- Domingue. La Martinique.
---
-
-La Guadeloupe . Tabago . - Cayenne .
-Comptoirs. Gorée. - Sénégal .
- Juda.
( 311 )
--Pondichery .
Bourbon .
Isle de France. Isle de
Membres qui composent ce Cabinet.
MM le Marquis DE GOUY D'ARGY , le Marquis
DE MONTESQUIDU , l'Abbé DE LOMPRÉ ,
LE COUTEULX DE CANTELEU , JARRY , DE
LA FARGUE , LA RADE .
CABINET DES AFFAIRES
ÉTRANGÈRES.
OBJETS A TRAITER.
Affaires Étrangères . Passe- ports aux Ambassadeurs
, etc. - Gages des Ministres .
----- Des
Conseillers d'Etat , Maîtres des Requêtes , etc.
Traitemens des Intendans des Provinces .
Leurs Subdélégués , etc. -Jardin Royal
des Plantes . Bibliothèque du Roi , - Universités
. Académies , etc.
--
Membres qui composent ce Cabinet.
MM. LE BRUN , P'Abbé CHATIZEL , l'Abbé
JAILLET , le Marquis DE LA COSTE , DUPONT ,
VOLFIUS , POYA DE L'HERBAY ,
CABINET DE LA MAISON
DU ROI.
--
OBJETS A TRAITE R.
Maison du Roi. Maison de la Reine .
Maison de Mesdames , etc. - Maison de
Monsieur. Maison de Mgr. Comte d'Artois
, etc. — Département de Paris .
--
Membres qui composent ce Cabinet.
MM. le Comte DE CASTELLANE , l'Abbé
O vj
( 312 )
DE VILLARET , l'Abbé GIBERT , le Comte DE
PUYSAYE , MATHIEU DE Rondeville , Roca ,
l'Abbé GOUTTE.
CABINET DES PENSIONS.
OBJETS A TRAITER .
Pensions . - - Fonds réservés sur la Loterie
, etc. Actes de bienfaisance. --
-
- Secours
à des Hollandois réfugiés . Secours aux
Communautés et Maisons Religieuses.
Dons. -
- Aumônes . — Hôpitaux , etc.
Membres qui composent ce Cabinet.
MM . l'Archevêque d'ARLES , le Comte DE
CROIX , le Baron D'HARANBURE , l'Abbé
MAYET , GARESCHÉ , SCHWENT , NICODÈME.
CABINET DES PROVINCES.
OBJETS A TRAITER.
Travaux de charité dans les Provinces
Destruction de la mendicité . Remises en
moins imposé sur les Provinces ..- Haras des
Provinces. Dépenses variables des Provinces .
-
Membres qui composent ce Cabinet.
MM . BERENGER , Je Marquis DE BLACONS ,
l'Abbé GENETÉT , BIAILE DE GERMONT ,
AUBRY DU BOCHET , GRENIER , Duval de
GRAND - PRE .
CABINET DES PONTS ET
CHAUSSÉES.
OBJETS A TRAITER.
Ponts et Chaussées . Entretiens et répa(
313 )
rations de bâtimens .
-
-
Entretien du pavé de
Paris. Police de Paris . Guet et Garde de
Travaux dans les carrières. Paris. -
Membres qui composent ce Cabinet.
MM . BURDELOT , l'Abbé DE SURADE ,
GOYARD , le Baron DE CERNON , LA TERRADE,
LEJEANS , ROCQUE .
CABINET DES MINES ET
MONNOIES.
OBJETS A TRAITER.
-
―
Département des Mines. Traitement et
autres dépenses du Département des Monnoies.-
Commerce , etc. - Primes et autres
encourageniens pour le Commerce. — Dépenses
des plantations dans les forêts , etc.
Frais de procédures criminelles . Engagemens
à temps envers le Clergé . — Dépenses
imprévues.
-
-
-
Membres qui composent ce Cabinet.
MM. le Comte DE RUILLÉ , l'Abbé Gode-
FROY , l'abbé FOREST DE MASMOURY , NAURISSART
, GOUGE - CARTOU , MARQUIS.
Lorsqu'en Angleterre , la Chambre des
Communes nomme des Comités , elle
les compose de ceux des Membres de
l'Assemblée qu'elle juge les mieux instruits
de l'objet à préparer , et très rarement
le Rapport de ces Commissaires
subit-il quelques changemens : il est encore
moins commun de voir la Chambre
préférer son avis au leur. En effet , sans
( 314 )
cette confiance , il seroit ridicule de former
des Comités si l'Assemblée ne
regardoit leur travail que comme le canevas
de ses délibérations, autant vaudroit
qu'elle traitât auparavant elle même , ce
qu'elle ne renverroit aux Comités , que
pour le casser ensuite . Aucun Etat , de
quelque étendue , ne pourroit supporter .
cette éternelle multiplicité d'examens et
de discussions.
De tous les Comités de L'ASSEMBLÉE
NATIONALE , celui de Constitution a
éprouvé le plus de contrariétés. Son
travail étoit le fruit de dix ans d'études ,
et de plusieurs mois d'application assidue.
Tous ses Membres avoient fait
preuve de connoissances , infiniment
rares , et d'une longue méditation sur
les matières confiées à leur expérience.
Cependant , leur ouvrage a été rejeté
dans ses bases fondamentales ; on n'en
a pas même voulu saisir l'ensemble , et
en isolant chacune de leurs propositions ,
on a détruit le rapport de toutes les
parties , sans lequel une Constitution
seroit une monstruosité .
Onvoit aisément que les Commissaires,
fidèles au vou des Cahiers , pénétrés
d'une crainte salutaire et patriotique sur
leurs décisions , convaincus que le plus
pernicieux des contre-sens , seroit de
prétendre régir un grand Empire par
le mode qui conviendroit à peine à la
République de Genève , se sont rap(
315 )
prochés , des élémens conciliateurs de
la liberté , et du Gouvernement Monarchique.
Dans cet alliage délicat , il
falloit assortir des pouvoirs , distincts
dans leurs principes , dépendans dans
leur exercice , limités par leurs facultés
réciproques , et sans l'équilibre
desquels l'Etat , sans cesse ébranlé de
leurs chocs , finiroit par se résoudre en
une anarchie violente , ou en usurpations
contre lesquelles toutes les Lois
seroient impuissantes. Un écolier peut
tracer un plan de République : un Novateur
inconsidéré peut le sanctionner ;
mais le génie seul , et une vertu éclairée,
savent rendre la liberté stable . Nulle
part , elle ne l'a été sans sacrifice de
ses excès , sans barrière à sa toute-puissance.
Et quel méprisable Gouvernement
ne seroit pas celui , qui auroit
besoin de rénovation tous les dix ans ,
qu'on fonderoit sur le princip d'une
mobilité perfide , et qui , au lieu de
régler invariablement les pouvoirs , ne
tendroit qu'à les transposer avec violer
ce ? Le Peuple; bientôt las des orages ,
et livré sans défense légale à ses Séducteurs
ou à ses Oppresseurs , briseroit
le timon , ou le placeroit lui-même dans
la main assez hardie pour s'en emparer.
Le Comité s'écartant des idées démocratiques
, parce qu'il étoit chargé
de former un Etat libre et un Gouverpement
Monarchique , a vu dans celui
( 316 )
de l'Angletterre les pierres angulaires
de, son travail . En effet , la Constitution
Angloise a pour elle un siècle , d'exis
tence sans altération , un siècle de bénédictions
nationales , un siècle d'efficace
qui pénètre tout Anglois d'un respect
superstitieux pour ses Lois politiques.
Ils se déchaînent fréquemment contre
les torts ou les fautes des Ministres ;
mais tous s'honorent de vivre sous des
Institutions qui ont maintenu la dignité
de l'homme , la permanence de la liberté
et de la paix. publique , et la
puissance de l'Etat.
Cet exemple et la force du raisonnement
justifioient également les opinions
du Comité. Cependant , elles ont
été condamnées aussi-tôt que connues.
On a joué sur les mots . M. Mounier
a-t-il proposé une seconde Chambre sous
le nom de Sénat ? on s'est écrié qu'on
ne vouloit point de Sénat de Venise ,
comme si le Sénat de Venise étoit , le
type de tous les Sénats possibles ! C'est
bien ici le cas de rappeler le mot trèsjuste
du célèbre Lord Mansfield , qu'en
général , il n'y a rien au monde de moins
semblable qu'une similitude . Ceux qui
citoient ainsi le Sénat de Venise , igno
roient apparemment que l'Aristocratie
réside dans le Grand- Conseil , et non
dans le Prégadi , qui est un Corps exé-
'cutif, amovible et réélu toutes les années .
Les Feuilles publiques ont soigneuse(
317 )
ment évité de faire aucune mention des
Rapports duComité de Constitution présentés
par M. Mounier. Ces Ouvrages ,
présentés , le 31 Août , par MM. de
Lally-Tolendal et Mounier , et des Mo
tifs , los par ce dernier à la Séance du
4 Septembre , néanmoins tiennent aux
plus chers , aux plus graves intérêts de
la Nation . On assure que plusieurs Libraires
ont même refusé de les mettre
en vente. Ce sont autant de raisons de
les présenter à l'examen du Public . Voici
la substance des Motifs.
Nous avons examiné cette importante question
, siles Lois doivent être délibérées dans
une seule Chambre , ou si deux Chambres sont
absolument nécessaires . Nous avons été convaincus
de la nécessité de distinguer les
moyens propres à créer une Constitution ,
de ceux qui doivent la maintenir. L'Assem
blée présente , chargée de fixer l'organisation
des Pouvoirs , et d'élever l'édifice de la
liberté , devoit être formée par un seul Corps ,
afin d'avoir plus de force et de célérité ;
mais ce même degré de force s'il étoit
conservé après la Constitution ,
finiroit par
tout détruire.
"
Et comment empêcher pour l'avenir , dans
une seule Assemblée , les erreurs , la précipitation
, l'enthousiasme ? Comment espérer
qu'elle abaissera son Pouvoir devant celui
de la Constitution , et que dans les differends
qui s'eleveront entre elle et le Tróne , l'un
ou l'autre ne sera pas renversé ? Des hommes
réunis pour faire des Lois , des hommes honorés
de la confiance publique , considérés
( 318 )
comme les gardiens , comme les dépositaires
de la liberté du Peuple , auroient une si
grande autorité , qu'il leur seroit facile chaque
jour d'en étendre les limites ; et le Veto que
pourroit opposer le Monarque à leurs réso-
Jutions , seroit presque toujours une arme
impuissante. Que de moyens en effet auroit
une seule Chambre pour triompher d'un pareil
obstacle ! Le refus de l'impót , l'influence
dont elle jouiroit sur le Peuple, permettroient
bien rarement au Prince de lui résister .
Sans cesse entraînée par les discours véhémens
de ses Orateurs , ou par l'impression
subite qu'elle recevroit de tous les évènemens
, elle se mettroit au- dess s de toutes
les regles . Vainement la Constitution auroit
circonscrit son Pouvoir , elle en altéreroit
fréquemment les dispositions. Les atteintes
indirectes qu'elle pourroit y porter ne seroient
pas aperçues par la Nation , et peut- être même
séduiroient la multitude . Des Lois nouvelles
succéderoient rapidement à d'autres Lois.
La Législation redeviendroit bientôt un cahos
où l'on ne pourroit se diriger que par
des interprétations arbitraires parmi tant
de changemens , la liberté publique ne sauroit
être conservée ; l'anarchie ou l'esclavage en
seroient la suite nécessaire ; car une seule Assemblée
pourroit être aussi funeste à la liberté
du Peuple qu'à l'indépendance de la
Couronne. Elle pourroit , dans un moment
d'enthousiasme , accroître la puissance d'uu
Roi victorieux , ou , dans des circonstances
difficiles , établir en faveur du Prince une dictature
qui deviendroit perpétuelle.
Deux Chambres , au contraire , délibérant
séparément , assurent la sagesse de leurs résolutions
respectives , et rendent au Corps lé(
319 )
gislatif la marche lente et majestueuse dont .
il ne doit jamais s'écarter .
Le Comité a cru qu'une des Chambres ,
formées par les Députés librement et directement
lus par le Peuple dans toutes les
parties du royaume , pourroit être appelée
la Chambre des Représentans , et que l'autre
pourroit porter le nom de Sénat ; il ne s'est
point expliqué sur la composition de celle - ci .
Il a cependant été convaincu que les Sénateurs
et les Représentans devroient être
dans une position differente , afin de n'être
pas animés des mêmes passions , et que s'il
existoit une identité parfaite dans les formes
de leur Election , ils seroient constamment,
dirigés par les mêmes vues ; qu'alors le Sénat
ne pourroit plus maintenir la Constitution
, s'opposer à la précipitation des Représentans
, et protéger tout- à - la - fois la liberté
des Citoyens et les prérogatives de la Cou-`
ronne.
Sile nom de Sénat pouvoit choquer , parce
qu'il rappelle des Corps aristocratiques , on
devroit considérer que le Sénat d'Athènes ,
et ceux des Américains , ont ennobli cette
dénomination. D'ailleurs , il seroit facile de
substituer à ce mot ; le nom de Conseil National,
ou de Chambre des Conservateurs , ou
tout autre du même genre.
Le Comité a pensé que les deux Chambres
devroient avoir également le droit de proposer
et de refuser une nouvelle Loi . Les
inconvéniens qui doivent déterminer à ne pas
donner l'initiative au Monarque , ne se présentent
pas à l'égard du Sénat . Il n'est pas
à craindre que sur deux Chambres , toujours
assemblées en même - temps , l'une puisse s'em(
320 )
parer , au préjudice de l'autre , de la faculté
de proposer et de rédiger les Lois.
Ainsi il ne résulteroit de ce concours qu'une
émulation très - utile au bien public .
Și les Sénateurs étoient à viê , ils suffiroit
peut-être , comme quelques personnes le desirent
, qu'ils eussent simplement le droit de
suspendre : mais si l'on prefere des Sénateurs
éligibles pour un temps déterminé , il seroit
certainement impossible de ne pas leur accorder
le droit de s'opposer aux résolutions
des Représentans. Il faut que le Sénat soit
formé par des hommes dignes de la confiance
publique . Il seroit plus dangereux qu'utile ,
s'il étoit composé par ceux qui n'auroient pu
se faire élire au nombre des Représentans :
ce ne seroit pas à une pareille Chambre qu'il
conviendroit de confier le jugement des crimes
d'Etat ; et comment espérer qu'on s'empresseroit
de se placer au rang des Sénateurs ,
si leurs fonctions étoient moins importantes
que celles des Représentans.
Dans la plupart des Sénats Américains , il
faut , pour être éligibles , avoir un revenu
considerable en propriétes foncières , et le
consentement des Senateurs est nécessaire
pour les nouvelles Lois . Craindroit - on de
trop multiplier les obstacles , et d'enchaîner
l'activité du Corps législatif ? Mais si les
Lois proposées ne sont pas contraires à la
Constitution , si elles sont utiles à la félicité
générale , quel intérêt pourroit porter les
Sénateurs à les combattre ? Ce n'est jamais
en rendant les nouvelles Lois difficiles qu'on
attaque la Liberté : c'est en perdant le respect
pour les anciennes ; c'est en prenant des
résolutions imprudentes et precipitées . Dira-
t-on qu'il seroit absurde de subordonner'
( 321 )
la volonté de la Nation à des Sénateurs ?
Mais si les Sénateurs étoient établis par la
Nation elle -même , ils seroient aussi ses
Mandataires ; ils seroient aussi les organes
de sa volonté , et les Représentans ne recevroient
que la portion d'autorité dont la Nation
n'auroit pas disposé en faveur du Monarque
et du Sénat.
2
Le Comité a proposé de déclarer que ,
pour être Représentant , il faudroit être agé
de vingt-cinq ans . Vous examinerez , Messieurs
, s'il seroit utile de devancer la Majorité
et d'ouvrir plutót à la jeunesse une
noble carriere , qui , dans l'âge des passions ,
tourneroit son ardeur vers l'utilité publique ,
et lui inspireroit le desir de se rendre digne
de la confiance du peuple.
Le Comite en indiquant les qualités qui
doivent donner aux Citoyens la faculté
tre Electeurs et Eligibles pour la Chambre
des Représentans , s'est vu obligé de prononcer
entre deux inconvéniens qui choquent
en apparence la liberté naturelle . Il est évident
qu'on ne peut pas admettre tous les
Citoyens indistinctement au nombre des
Electeurs et des Eligibles : ce seroit s'exposer
à confier le sort de l'Etat à des mains inexperimentées
, qui en consommeroient rapidement
la ruine . Il falloit donc ou restreindre
Je nombre des Electeurs , et ne mettre aucune
borne à leur choix , ou laisser à tous les
Citoyens le droit d'elire , et leur tracer des
regles pour diriger leur nomination . Le
premierpartieût eté beaucoup plus contraire
aux principes . Tous les Citoyens ont le droit
d'influer sur le Gouvernement , au moins
par leurs suffrages ; ils doivent en être rapprochés
par la représentation . Si vous exigez
( 322 )
pour les Electeurs des qualités qui en limitent
le nombre , vous rendez tous ceux qui seront
exclus , étrangers à leur Patric , indifferens
sur sa liberté. Ces réflexions ont déterminé
le Comité à proposer d'admettre parmi les
Electeurs , tous ceux qui payeront une imposition
directe égale au prix de trois journces
de travail. Considérant que les Electeurs ne
choisissent pas pour leur intérêt seul , mais
pour celui de tout l'Empire , il a cru qu'il
seroit convenable de ne déclarer Eligibles
que ceux qui possederoient une proprieté
fonciere. C'est un hommage rendu à là
priété , qui complette la qualité de Citoyen ;
c'est un moyen de plus de faire aimer les
campagnes ; c'est un motif de croire que
le Représentant est au-dessus du besoin .
C'est mettre une bien foible entrave à la
liberté du choix , car tout homme , jugé
digne par ses lumieres et ses vertus de la
confiance d'un District , pourra facilement
se procurer une propriete quelconque , la
valeur n'en étant pas déterminée.
pro-
?
Exiger que les Electeurs aient un domicile
dans le lieu de l'Election , et qu'ils ne puissent
élire en deux lieux à-la-fois , c'est prévenir
un grand nombre d'intrigues d'ailleurs
un Citoyen , quel que soit son rang et sa
fortune , ne doit pas être représenté plus
qu'un autre , et quand il a consommé son
droit en donnant son suffrage , s'il va le
donner dans un autre lieu , il usurpe le droit
d'autrui .
Afin qu'on puisse moins facilement surprendre
la confiance des Electeurs , et qu'ils
soicnt à portée de juger les moeurs et les
talens de ceux qui se présentent pour être
choisis , le Comité a proposé de déclarer
( 323 )
que pour être Eligible , il faudroit être domicilié
dans l'étendue du ressort de l'Administration
provinciale.
La représentation est défectueuse , et mêmè
chimérique , si elle s'éloigne de son principe ,
c'est-à - dire , de ceux qui doivent être représentés
. Il ne doit jamais y avoir que deux
élections : l'une pour nommer les Electeurs ,
et l'autre pour choisir les Représentans . Si
les Districts ont une trop grande étendue ,
et qu'on y multiplie le nombre des Représentans
, on rassemble des hommes qui n'ont
eu aucune occasion de se connoître , et dont
les suffrages ne peuvent plus être dirigés que
par des intrigues. Le Comité a proposé de
former des Districts qui seroient peuplés ,
autant qu'il seroit possible , de 150 mille
ames . Deux cents Habitans fourniroient un
Electeur . Les Electeurs étant réunis dans le
chef-lieu du District , seroient conséquemment
au nombre de 750 ; ils nommeroient
trois Représentans , de manière que la
Chambre des Représentans seroit formée
par environ 600 personnes .
La Chambre des Communes d'Angleterre
renferme , il est vrai , presque un aussi grand
nombre de Représentans ; mais on ne peut
jamais proportionner le nombre des Membres
du Corps législatif à la population ; c'est la
possibilité de délibérer avec ordre , et la
facilité de s'entendre , qui doivent servir de
règles ; et sous ce point de vue , la Ville
de Genève pourroit avoir un Corps législatif
aussi nombreux que celui du plus vaste
Royaume.
Il faut nécessairement qu'un Peuple , qui
ne peut délibérer en un seul Corps , accorde
sa confiance , délégue l'exercice de la Sou(
324 )
veraineté , et donne à ceux qui seront élus
dans les diverses parties de l'Etat , le droit
de délibérer pour lui ; car il n'est rien de´
plus dangereux , de plus propre à favoriser
l'anarchie et la discorde , de plus contraire
à tous les principes , que de diviser un Peuple
en une foule de Corps séparés pour les faire
délibérer sur les affaires publiques.
La permanence du Corps législatif a paru
au Comité , et vous paroitra sans doute indispensable
pour le maintien de la Liberté.
Le Comité a entendu par Permanence , une
Assemblée toujours prête à se former , des
Députés toujours existans , une Session annuelle
de plein droit , sans lettres de convocation
. Ia pensé qu'il ne devoit pas
cependant être permis aux Représentans de
prolonger leur Séance sans nécessité , et
qu'on devoit déterminer un terme après,
lequel le Roi pourroit les proroger jusqu'à
la Session suivante .
S'ils avoient la faculté de rester constamment
assemblés , ils pourroient multiplier
sans mesure les Lois et les Règlemens , ou
entrer dans les détails d'Administration , et
empiéter sur le Pouvoir exécutif.
2
Le droit de dissoudre la Chambre des
Représentans , et d'ordonner une Election
nouvelle , a été jugé indispensable pour le
maintien de la Monarchie : c'est l'unique
moyen qui , dans les temps de troubles
est propre à garantir le Trône des efforts
d'un parti d'ambitieux ou de mécontens . Il
ne peut y avoir aucun danger pour la Liberté
publique , si l'Acte de dissolution est considéré
comme nul , à moins qu'il ne renferme
une Convocation nouvelle
Le Monarqué ne pourroit se servir de ce
droit
(-325 )
droit que dans des circonstances bien rares ,
et lorsqu'il seroit assuré que l'opinion publique
n'est pas favorable au systême des
Représentans . Les Electeurs auroient le droit
de renvoyer les mêmes Députés , et le Prince
ne s'exposeroit point , sans une nécessité évidente
, au mécontentement universel , que
ne manqueroit pas d'exciter une dissolution
légèrement ou injustement prononcée.
Les Lois des Subsides et des Emprunts ne
pourroient prendre naissance que dans la
Chambre des Representans. Le Sénat ne
pourroit y faire ni changement ni modification
, et les Représentans auroient conséquemment
la disposition du plus grand
moyen de force et de résistance . Vous sentirez
sans doute , ainsi que le Comité ,
combien il est important d'oter pour jamais
aux Provinces la faculté d'accorder les impóts
, combien il seroit dangereux de laisser
subsister un privilege aussi contraire à la
Liberté publique , et de ne pas punir comme
criminels de haute trahison , tous ceux qui
auroient contribué directement ou indirec
tement à la perception des Subsides non
autorisés par le Corps législatif.
On determineroit , au commencement de
chaque regne , les sommes nécessaires pour
l'entretien de la Maison du Roi et la distribution
des récompenses . Ces somines cesseroient
à la mort du Roi , et le Corps
législatif, rassemblé de plein droit à cette
époque , auroit un moyen assuré de réformer
toutes les usurpations qu'auroient pu faire
les Agens de Fautorité royale , et de triompher
de tous les obstacles qui pourroient
être opposés à cette réforme.
Le Sénat , suivant le plan du Comité
No. 39. 26 Septembre 1789. P
( 326 )
jugeroit les crimes commis dans les fonctions)
publiques par les Agens supérieurs du Pouvoir
exécutif ou de PAdministration du
Royaume. Le Pouvoir exécutif seroit bientôt
énervé , si les Tribunaux ordinaires avoient
le droit de juger les Ministres . De pareils
crimes intéressant la Nation entière , ne
peuvent être poursuivis que par les Représentans
. Il seroit aussi funeste de livrer les
Ministres à des vengeances particulières , que
de laisser leurs prévarications impunies. Il
ne seroit pas convenable à la dignité des
Représentans , d'accuser devant un Tribunal
sur lequel ils auroient d'ailleurs une trop
grande influence. Le jugement des crimes
d'Etat nécessite done deux Chambres , et
sur-tout il nécessite deux Chambres qui
n'aient pas la même position , et qui n'embrassent
pas aveuglément tous leurs projets ,
toutes leurs prétentions respectives. Un
Peuple n'est jamais libre , si les Ministres ,
les Juges , et les autres Agens de l'autorité
ne sont pas responsables. Les Juges inférieurs"
seroient poursuivis devant les Cours supérieures
, les Officiers de ces Cours devant
un Tribunal de révision et ceux de ce
Tribunal devant une des Chambres sur
J'accusation de l'autre .
( La˝ suite à l'ordinaire prochain . )
On voit par ce qui précède , que , ni
le Comité , ni M, Mounier en particulier
, ne s'étoient expliqués sur la composition
d'une seconde Chambre, et qu'ils
n'ont , par conséquent , pomt défendu
un Sénat à vie , comme différentes
Feuilles publiques , et nous- mêmes l'a(
327 )
.
vions annoncé. Dans ses Considérations
sur les Gouvernemens , et dans le
Préambule du projet pour l'organisation
du Pouvoir législatif , M. Mounier a
paru pencher vers une idée plus lumineuse
; mais , pour ne pas heurter les
préjugés dominans , il s'étoit contenté
de proposer un Sénat de Propriétaires,
éligibles à temps.
"
Nous avons seulement indiqué la semaine
dernière , que M. Mounier avoit combattu
formellement la lecture du Mémoire de
M. Necker sur la Sanction Royale . Il est évident
, en effet , qu'autant les lumières et
l'expérience des Ministres deviendront indispensables
à l'Assemblée Nationale , autant
il seroit dangereux d'admettre leur inter
vention subite , et le rapport de leurs opinions
sur des questions , à l'instant même ,
agitées par le Corps législatif. « Je reconnois
, a dit M. Mounier , que le Roi peut
« recommander un objet à votre attention ;
mais il y auroit de grands inconvéniens à
écouter, sur une question agitée dans l'Assemblée
, les Rapports faits dans le Conseil
par les Ministres . Si ces Rapports étoient
relatifs à des objets d'administration , ou
à des questions étrangères à l'autorité du
Prince , on pourroit consentir à les entendre
; mais sur les prérogatives de la Couronne
, les opinions des Ministres ne peuvent
être d'aucune considération . Elles sont évidemment
suspectes , soit qu'ils parlent pour
abandonner ces prérogatives , soit qu'ils
veuillent les réclamer. Les droits du Trône
appartiennent à la Nation ; et c'est à vous ,
t
te
Pij
( 328 )
« comme Représentans du Peuple François ,
qu'il convient aujourd'hui de les declarer
« et de les defendre . »
"
Lorsque , dans la même Séance du 4 , on
ent rejette la lecture du Mémoire , et reglé
l'ordre des questions , on voulut prendre les
voix sur celle - ci : Le consentement du Roi
est-il nécessaire pour la Constitution ? Tout
annonçoit que l'Assemblée alloit se déclarer
pour la negative. M. Mounier prit la parole ,
et soutint qu'à la vérité , le Roi ne pouvoit
rejeter la Constitution , comme il pourroit
rejeter une simple Loi ; que ce seroit s'opposer
à l'établissement de la liberté publique ,
et qu'il n'en avoit pas le droit ; mais que sa
ratification étoit nécessaire ; qu'il devoit examiner
ce qui seroit prononce sur son autorité
antérieure à la délégation des Députés Nationaux
; que , ceux-ci étoient envoyés pour
fixer les limites de l'Autorité Royale , et
l'empêcher de dégénérer en despotisme ;
mais que les Constituans avoient reconnu
-P'existence du pouvoir du Monarque , et que
les Délegués ne devoient pas en disposer
arbitrairement. Avant de signer la Constitution
, le Prince pouvoit demander des
changemens ; s'ils étoient contraires à la
liberté , l'Assemblée étoit en droit d'appeler
à ses Commettans. Le Prince avoit aussi la
même faculté , dans le cas où les Députes
s'écarteroient des intentions Nationales ; car
leurs fonctions n'étant encore déterminées
par aucune Loi , ne pouvoient l'être que
par la volonté de leurs Constituans . L'Assemblée
étant , sans doute , éloignée de vouloir
attaquer l'autorité légitime du Monarque
, si nécessaire au bonheur de la
Frauce , elle ne devoit pas supposer qu'il
( 329 )
refuseroit de signer la Constitution ; ainsi ,
il falloit écarter toute délibération sur cette
question.
擦
Quelques murmures ayant interrompu ces
réflexions , M. Mounier ajouta , qu'il étoit
prêt à répondre , en présence du Public , à
toutes les objections à ces principes , qu'on
pourroit faire verbalement ou par ecrit. Personne
ne refuta l'Orateur : M. Freteau soutint
, apres lui , qu'il étoit dangereux de
traiter la question ; et il fut décidé , à une
grande pluralité , qu'elle ne seroit pas delibérée.
Extrait de l'opinion de M. de SAINTFARGEAU
, sur la question de la
durée de chaque Législature.
Deux questions sont soumises à la discussion
, quelle sera la durée des pouvoirs des
Membres qui composeront le Corps législatif?
Premiere question .
Le renouvellement des Députés sera-t - il
total ou partiel ? Seconde question .
Sur la premiere , M. de Saint- Fargeau a
établi une difference essentielle entre le Corps
législatif , et un Corps administrateur ou
judiciaire.
Ceux-ci ont des fonctions qui exigent , soit
une étude perfectionnée par l'usage habituel ,
soit une suite et une continuation d'operations
commencées : il est utile qu'ils ne soient
point renouvelés par des Elections trop fréquentes.
Il n'en est pas de même du Corps législatif.
Ses fonctions sont de faire les Lois , c'està-
dire , de proférer l'expression de la volonté
générale ; chaque Loi est un acte simple et
P iij
( 330 )
isolé ; l'oeuvre du Législateur est complet
aussitôt que la Loi est prononcée ; même , il
lui est interdit d'en suivre l'exécution .
Ce Corps doit encore examiner le compte
des recettes et dépenses publiques , voter et
asseoir l'impôt ; opérations qui entrent dans
le cours de fonctions annuelles.
Enfin , il est chargé de poursuivre les Ministres
coupables ; et pour cela , il faut , non
pas ce que l'on appelle de l'acquit , mais du
Courage.
Ainsi la nature des fonctions du Corps
législatif ne nécessite point une longue durce
dans les pouvoirs de ses Membres.
Au contraire , il existe des raisons importantes
pour les limiter à une année.
Par ce moyen , la corruption deviendra
presque impossible.
La séduction des habitudes et des liaisons ,
moins à craindre.
Le Corps législatif perdra beaucoup de sa
force dangereuse , il augmentera sa force
utile .
Sa force devient dangereuse s'il veut franchir
les limites de ses pouvoirs. Il pourra
être tenté d'abuser , si l'autorité long- temps
fixée dans la personne des mêmes Députés ,
leur offre l'apparence d'une force de propriété
qu'ils voudront améliorer et accroître.
Ce danger disparoît quand le pouvoir
borné au court espace d'une année , ne peut
pas même acquérir le caractère d'une simple
possession dans les mains de ceux qui l'exer- '
cent.
La seconde vérité n'est pas moins prouvée.
La rénovation fréquente des pouvoirs aceroît
la force utile , c'est-à- dire , l'influence.
morale de l'Assemblée.
( 331 )
Pour peu qu'on connoisse les hommes , on
sentira facilement , que plus la durée des
pouvoirs sera prolongée , plus les jalousies
secrètes , le dépit d'avoir succombé dans la
lice des Elections , les inimitiés personnelles ,
le penchant secret qui porte à blâmer ceux
qui sont distingués par quelque prééminence ,
opposeront avec force l'obstacle des passions.
particulieres à l'action du Corps national ,
et par une lutte fatale pourront en fatiguer
et en embarrasser les mouvemens.
Rendez les Elections annuelles ; tous ces
sentimens amortis trouveront prise à peine
sur une autorité passagère ; et vous verrez
au contraire , toutes les ambitions conspirer
avec l'Assemblée , chacun y respecter la place
qu'il prétend bientôt remplir , et ménager
ses propres espérances en fortifiant sa cousi
dération et son influence.
L'annalité des pouvoirs trouve sur - tout de
grands avantages dans son alliance avec le
Veto suspensif du Roi.
Pour que le Veto soit efficace , il faut qu'il
ne suspende pas trop long- temps.
Prolonger la durée des Législatures à deux
ou trois années , c'est reculer à quatre ou six
ans l'espérance d'une Loi désirée ; une pers
pective aussi lointaine satisfera-t - elle à l'impatience
nationale , et ne perdra- t -on pas
toute l'efficacité modératrice de cette salu
taire censure ?
Ce terme est le plus naturel , le plus rap
proché du principe ; il ouvre une carrière plus
étendue au mérite , il entretient davantage
l'émulation , sur-tout il sanctionne de la manière
la plus certaine la perpétuité des As
semblees Nationales , en ratifiant sans cesse
cette institution par de nouvelles Elections ,
P is
( 332 )
;
et conservant sa vie politique par cette activité
continue , ce mouvement non interrompu
qui ont toujours manqué aux anciens Etats-
Généraux . SE
Après avoir établi l'utilité des Elections
fréquentes , M. de Saint- Fargeau a combattu
les objections qu'on pouvoit opposer à ce
systême.
Le danger prétenda de remuer les Provinces
par des Assemblées annuelles.
Danger illusoire à une époque où tout
- est et sera Assemblées dans le Royaume.
Danger beaucoup plus grand si ces Assemblées
, éloignées les unes des autres ,
présentoient le caractère d'an évènement
extraordinaire , et devenoient une véritable
secousse.
L'inquiétude d'obérer les Provinces par les
frais souvent répétés des voyages qu'entraînent
les Elections.
Mais ces dépenses vont devenir moins importantes
à l'avenir , par une distribution
mieux faite des Districts , et sur-tout , par
Pabolition des mandais impératifs , qui be
grossissant plus les Cahiers , abrégeront infiniment
la durée des Assemblees elementaires .
Enfin l'exemple de l'Angleterre , qui a fixé
à sept ans la continuation des pouvoirs de
ses Députés .
M. de Saint-Fargeau a fait observer que
ce terme pouvoit tenir à la constitution particuliere
du Parlement d'Angleterre ; que
les Anglois ont pu craindre la prépondérance
d'une Chambre inamovible sur des
Deputes continuellement renouvelés ; que
dans cette Constitution tout est balancé , èt
qu'on pouvoit considérer la durée de sept
ans , attribuée aux pouvoirs des Députés des
( 333 )
Communes , comme le contre - poids de lá
perpétuité de la Chambre des Pairs.
Ces réflexions l'ont déterminé à demander ,
sur la premiere question , qu'il soit indiqué
un terme tres - court à la durée de chaque
Législature , et même à désirer que ce
terme soit fixé à un an .
Sur la seconde question , il a pensé que le
Corps législatif devoit être renouvelé dans sa
totalité , et non partiellement.
Il a observé que , laisser au sort à désigner
les Membres qui seroient conservés , ce seroit
souvent faire sortir ceux qu'il seroit plus intéressant
de maintenir ; remettre aux Provinces
à prononcer elles mêmes cette différence
, ce seroit introduire une distinction
peu admissible dans un Corps où doit régner
l'égalité ; et qu'enfin , il pourroit y avoir beau
coup d'inconvéniens à faire rivaliser l'amour
propre des Membres nouvellement élus avec
l'expérience présumée des anciens : ne seroitil
pas à craindre qu'un pareil droit d'ainesse
introduit dans l'Assemblée , n'en altérát la
fraternité ?
M. de Saint - Fargeau a terminé son Discours
en revendiquant sur- tout l'application
de ses principes pour la présente Assemblee ,
et il a insiste fortement sur la nécessite de
rasseoir son credit et son influence , en indiquant
une époque fixe et prochaine pour
l'abdication des pouvoirs des Membres qui
la composent.
Le 28 Août , à la Séance du soir , M. le
Comte de Clermont Tonnerre , President de
'Assemblée Nationale , a annonce à l'Assemblee
l'hommage que M. de Peyssonnel ,
ci-devant Consul general à Smyrne';' ai a
Py
( 334 )
fait de son Ouvrage , intitulé : Situation politique
de la France , et ses rapports actuels
avec toutes les Puissances de l'Europe , et le
Discours dont il l'a accompagné pour annoncer
ses motifs ( 1 ) .
Voici quelques fragmens de ce Discours
, dont l'Auteur est connu depuis
long - temps par plusieurs Ouvrages importans
, où il a fait preuve de zèle ,
de grandes connoissances politiques , et
du talent d'Ecrivain distingué :
M
60
·
鹎
*
"
豐
M
" Dans le sein de la retraite profonde
à laquelle j'avois consacré mes derniers
jours , l'amour de la patrie , m'a fait entreprendre
un travail étendu sur la politique
extérieure ; objet neuf, objet vierge ,
duquel personne ne s'est encore occupé ;
et qui m'a paru , dans ce moment - ci , d'une
grande importance , parce que j'ai présumé
qu'il est un des points essentiels qui seront
fixés par la Constitution . Mon travail
est achevé : je suis venu déposer à vos
pieds ce fruit de mon zèle , et de la soif
ardente du bien public qui me dévore. »
་་
Votre marche rapide vers la formation
d'une Constitution nouvelle , m'a fait penser
que ce moment étoit celui où il falloit
qu'enfin quelque Citoyen dévoué , eût le
courage de traiter cet important objet ,
« et d'articuler des vérités dures , mais indispensables.
"
N
24
(1 ) Deux Vol. in- 8 °. , prix 5 liv . brochés ,
et 6 liv. franc de port par la poste dans tout
le royaume. A Paris chez Buisson , Libraire ,
rue Hautefeuille , nº . 20.
( 335 )
"
་་
"
"
་་
"
"
Dans l'ouvrage que j'ai l'honneur de vous
présenter aujourd'hui , MESSEIGNEURS ,
je me suis efforcé de démontrer , par l'exposé
des principes généraux , le récit le
plus pur et le plus avéré des faits historiques
, et l'aperçu rapide des rapports de la
France , avec toutes les autres puissances ,
du continent , etc.
Délibéré de l'Asssemblée Nationale,
Le sieur Claude- Charles de Peyssonnel a
fait l'hommage à l'Assemblée Nationale d'un
Ouvrage sur la politique extérieure. Elle l'a
accepté avec satisfaction , et en a ordonné
le dépôt aux Archives..
Signé, l'Evêque Duc DE LANGRES , Président.
De Paris , le 24 Septembre.
Arrêt du Conseil d'Etat du Roi , du
31 Août 1789 , qui réunit au Contrôle
général des finances , le Département
des Fermes générales et celui
de la Régie générale .
་
CE
""
L'Ordonnance du Roi portant réforme da
régiment des Gardes - Françoises , vient de
paroître ; elle est en date du 31 Août. « Sa
Majesté , y est-il dit , par sa Lettre au
Marquis de la Fayette , ayant permis l'incorporation
des Bas- Officiers et Soldats
du régiment de ses Gardes -Françoises dans
les Troupes Nationales Parisiennes , Elle
a jugé à propos de supprimer ledit régiment.
" ---- Suivent quatre articles , par lesquels
les appointemens , soldes , etc. cessent
d'être payés , à compter du 1er Septembre ,
r
"
·Pvj
336 )
Pintention de Sa Majesté est , que les Officiers
soient attachés à la suite de son armée ,
qu'ils y conservent leur activite , et qu'ils
jouissent jusqu'à nouvel ordre des appointemens
qui leur étoient attribués ; et enfin Sa
Majesté fera connoitre ses intentions ulterieures
sur la liquidation de la finance de
ces Officiers.
Ce régiment a été à peine supprimé , qu'on
a prétendu qu'il en alloit être formé un nouveau
; pour cela , on faisoit emprunter des
grosses sommes à un Seigneur , à qui on le
destinoit ; on le faisoit voyager en Flandres
pour y ordonner les recrues nécessaires . Mais
ces rumeurs n'ont pas de fondemens , et si
l'intention du Roi est d'avoir un
régiment , du moins il paroit que S. M. ne
s'est pas encore expliquée à ce sujet.
nouveau
Les 60 Districts de cette Capitale ont
enfin achevé de nommer de nouveaux
Représentans , à la place des 120 qui
siégeoient depuis la retraite des Electeurs.
Chaque District a élu cinq Députés
; et ce Corps de trois cents personnes
a tenu le 18 , sa première Séance à
l'Hôtel de- Ville-
Les circonstances rendent sans doute
aussi pénibles que délicates les fonctions
de ces Députés : ils travailleront au milieu
de tous les genres de contrariétés.
Outre les détails d'administration , ils
devront s'occuper de l'organisation du
Corps Municipal.
L'approvisionnement de la Capitale, et
sa Police , ne sont pas les moins difficiles
( 337 )
branches de ce Pouvoir exécutif, aujour
d'hui si vaste et si compliqué . La semaine
derrière , il s'est élevé de nouveaux et
grands murmures sur la qualité du pain
distribué par les Boulangers , et véritablement
il falloit un appétit vorace pour
s'en nourrir . Cependant il n'a pas manqué
, quoique les boutiques des Boulangers
fussent environnées de la foule qui
se pressoit pour obtenir sa provision .
journalière . Ceux qui accusoient les
Boulangers d'infidélité dans la fabrication
du pain , ne refléchissoient pas ,
sans doute , qu'exposés , comme ils l'étoient
, à tous les dangers possibles , au
premier soupçon fondé qui se seroit
élevé contre eux , nuls Boulangers , à
moins de démence , ne pouvoient être
assez aveuglés par la cupidité , pour
braver de pareils risques. Il est arrivé
beaucoup de farines de Marseille au
Havre , et de ce port ici. Les Représentans
de la Com nune ont annoncé
en ces termes un nouveau secours .
MM . Petey , Durand , Chesnard et Duvivier
, Officiers de la Garde Nationale de
Chartres, se sont présentés à l'Assemblée pour
lui annoncer que , eharges par leur Municipalité
d'accompagner un convoi de quatre
cents sacs de farine pour la ville de Paris ,
et qu'ils y avoient amené hier , ils venoient
lui promettre , au nom de la ville de Chartres
, que , toujours empressee d'aider de ses
secours la Commune de Paris , elle continue(
338 )
roit ses soins et ses efforts pour assurer ses
subsistances , et lui envoyer, toutes les semaines
, un convoi au moins aussi considérable.
La Salle a retenti des témoignages
unanimes de satisfaction qu'inspiroient à -lafois
et les offres de la Municipalité de Charet
le zèle de Citoyens qui s'étoient
consacrés volontairement à la 'sureté d'un
objet aussi important pour la ville de Paris .
Ce qui se passa , il y a dimanche huit
jours à Versailles , confirme nos refléxions
sur l'état cruel des Boulangers .
L'un d'eux faisant du pain de deux qualités
et de deux prix , fut molesté pour
vendre l'un et l'autre à la taxe la plus
basse. Le Peuple s'ameuta ; on sonna
l'alarme ; déja la lanterne étoit descendue
, et le Boulanger près d'être pendu ,
lorsqu'un Détachement de Dragons accourut
, et , aidé ensuite d'un renfort de
la Garde Bourgeoise , l'arrachèrent des
mains de ses bourreaux. Dix- huit d'entre
eux furent arrêtés , ainsi que le Boulanger
lui-même . Les plus coupables doivent
être exécutés cette semaine . La
Municipalité de Versailles , effrayée
apparemment de ces désordres renaissans
, a agréé la demande de M. d'Estaing,
Commandant-Général de la Milice
de cette Ville , de solliciter l'arrivée
de mille hommes de troupes réglées.
Outre les six mille Fantassins de troupe
soldée qui seront chargés de la Garde
habituelle de Paris , M. de la Fayette a
( 339 )
présenté , le 21 , à l'Assemblée de l'Hôtelde-
Ville , le projet d'une Cavalerie soldée
et non soldée . Elle sera de 1200 Maîtres ,
dont six cens soldés coûteront 900,000 liv.
Ce plan a été renvoyé à l'examen des
Districts.
Orléans vient d'essuyer une nouvelle
et vive commotion. Elle a eu sa source ,
comme bien d'autres , dans l'approvisionnement
de la Ville , et dans l'indépen
dance de toute autorité , qu'exerce le
Peuple en une infinité de lieux.
Cinq cent Paysans armés ont arrêté ,
le 12 , toutes les voitures venant de la
Beauce on a envoyé , sur les dix heures
et demie , 150 Cavaliers ; un d'eux a été
blessé , ils ont fait feu , et sabré ; il y a
eu 5 à 6 Paysans de tués , sans compter
les blessés. Pareil tumulte à la porte
Magdelaine et à celle du Pont. Sur les
4 heures , il y a eu un feu roulant d'une
minute , suivi de quelques coups isolés ;
àquatre heures trois quarts , une seconde
décharge très- précipitée ; et enfin , à cinq
heures un quart , une nouvelle décharge ,
également suivie de quelques coups épars.
L'affaire s'est passée dans la rue Dauphine
, vis-à-vis l'Eglise de Saint- Marceau
, entre les Paysans , les Volontaires
et quelques Soldats de Royal - Comtois,
Le nombre des morts et blessés est considérable.
Il y a environ un mois que 42 hommes
( 340 )
de la Compagnie de M. le Chevalier
de Raulin , Capitaine au régiment de
. Dauphiné , en garnison à Toulon , désertèrent
sans aucun motif. L'Officier
l'apprend , monte à cheval , les rejoint à
4 lieues de Toulon il falloit ou prier,
ou commander ; il prend ce dernier parti :
il leur reproche de l'avoir quitté ; leur
dit qu'il vient au milieu d'eux pour les
ramener ou périr ; et mettant l'épée à
la main , il ajoute : Messieurs , au win
du Roi et de la Nation , je vous ordonne
de me suivre. Ce ton de confiance réussit
, et le brave Officier eut l'avantage
de ramener les Soldats à leur devoir.
On se soulève contre les injustices
qui regardent un Particulier : celles qui
frappent sur un Corps entier , dont les
services pénibles méritent la reconnois
sance publique , doivent soulever bien
d'avantage . Le Public éprouvera ce sentiment
, à la lecture de la lettre suivante
:
Paris , 10 Septembre 1789.
J'ai lieu d'espérer que vous voudrez bien
me rendre le service d'inserer dans la partie
politique du Merere , qui nous vient d'une
main respectable , les details que je vais
avoir l'honneur de vous fournir sur la singuliere
position où s'est trouve et se
trouve encore le régiment Suisse de Salis ,
et sur- tout relativement aux services inappréciables
qu'il a rendus et qu'il continue de
rendre à la ville de Paris , et , par contre(
341 )
coup , à tout le royaume . Il a été le premier
des regimens Suisses qui soit sorti de sa gar
nison pour s'approcher de la Capitale , puisque
des le mois de Mai , il reçut l'ordre, de
partir d'Arras pour se rendre à Beauvais , où
la cherté du grain commençoit à causer des
émeutes; mais la Municipalite de cette ville
ayant représenté au Ministre que ce surcroît
de bouches à nourrir ne pouvoit qu'augmenter
encore leur détresse , ce régiment reçut
l'ordre de se rendre à Vaugirard , Issy , Clámart
, ete. pour prévenir et réprimer les désordres
, que des troupes de vagabonds commettoient
deja dans cette partie des environs
de la Capitale . On en appelle au témoignage
des habitans de ces villages , sur la
maniere dont les Officiers et les Soldats de
ce Corps surent se concilier leur estime. Ce
fut pendant ce cantonnement qu'il passa la
revue au Champ-de - Mars ; et y fit l'admiration
d'une foule de spectateurs, pour la beauté
de sa composition en hommes , de sa tenue ,
et sur- tout pour la perfection uniqueavec laquelle
il exécuta des manoeuvres prescrites par
les Ordonnances , que bien mal-à- propos
on regardoit comme impraticables . Quelque
temps apres , on le fit camper dans ce même
Champ- de- Mars , avec deux autres regimens
Suisses , qui n'ont seulement jamais soupçonné
qu'ils pussent être destinés à autre chose qu'à
prevenir et dissiper les émeutes desordonnées
de la populace : lorsque dans la nuit da 12
au 13 Juillet on posta 15 à 1300 Suisses sur
la place de Louis XV , leurs Chefs leur défendirent
, non -seulement d'attaquer, mais
même de faire feu sur le Peuple ; aussi n'y ontils
pas tiré un seul coup de fusil , et ne sontils
parvenus que par la persuasion à empê(
342 )
cher tout acte de violence tendant à les déposter.
Ils eurent le bonheur de faire retirer
, selon leurs ordres , sans en venir à
aucune voie de fait , toute la foule qui s'étoitportée
dans cette partie de la ville. Enfin ,
lorsque leurs Chefs crurent que tout étoit
tranquille autour d'eux , ils firent rentrer ,
des minuit , les troupes dans leur camp du
Champ- de-Mars . M. de Narbonne Fritzlar, qui
les commandoit, leur fit évacuer ce poste dans
la nuit du 14 au 15 Juillet , pour se porter au
pont de Sèves , dont le Roi les fit partir le
17 au soir , pour s'acheminer vers leurs garnisons
respectives.
Mais s'il est de fait qu'aucun des régimens
Suisses appelés par le Ministère dans
les environs de Paris , uniquement , pour
prévenir et empêcher les désordres , en sont
repartis sans avoir fait verser une seule
goutte de sang à un seul Citoyen , il est
egalement indubitable que celui de Salis-
Samade a rendu , comme il rend encore , les
services les plus essentiels à la ville de Paris ,
en lui assurant sa subsistance ; et voici com
ment. Nous l'avons laissé en pleine marche
pour s'en retourner à Arras . Il avoit , suivant
la route de la Cour , couché à Pontoise , et
il étoit déja en route le lendemain 19 pour
se rendre à Chaumont , lorsqu'un courrier
lui apporta l'ordre de rentrer dans Pontoise
jusqu'au 21. Le danger le plus éminent
les y avoit rappelés , puisque le 20 une
troupe très -nombreuse de vagabonds et de
paysans des villages voisins , armés à leur
manière , vint se présenter aux portes de
cette ville , qu'ils avoient comploté de piller ;
ce qu'ils auroient fait infailliblement , s'ils
n'avoient pas trouvé le régiment de Salis-
2
( 343 )
Samade sous les armes , et disposé de manière
à leur ôter tout espoir de réussite . Ainsi , ce
régiment eut le bonheur de sauver d'un affreux
pillage , une ville appelée depuis longtemps
le grenier de Paris , et de rendre déja
par conséquent , un service bien essentiel à
cette Capitale.
Au moment de partir , le 21 , de Pontoise
pour continuer leur route , nouvel ordre d'y
rester jusqu'au 26 , auquel jour ils en reçurent
, étant déja sous les armes , un troisième
pour se rendre à Mantes ; mais cette ville
se trouvant assez gardée et désirant le renvoi
du régiment , quatrième ordre de la Cour
pour retourner à Pontoise , où il fit le service
avec la Bourgeoisie , et fournit plusieurs
détachemens avec la Milice de Paris , établie
dans un des fauxbourgs , pour escorter des
convois de grains vers la Capitale. Le 4
Août , ce régiment reçoit ordre , dans la
nuit , de laisser cinq compagnies à Pontoise
et de se rendre , avec le reste , à Ecouis en
Normandie, sur la route de Rouen ;quatre compagnies
seulement restèrent dans ce bourg ,
et les autres furent placées dans des fermes
voisines. Cette troupe harassée par un service
très -rude , et ensuite par une marche
de 15 lieues en bien moins de 24 heures , se
flattoit de respirer un peu dans cette position ,
lorsque dans la même nuit, il lui vint un ordre
de M. le Marquis d'Harcourt , qui commande
en Normandie , de se rendre , en toute diligence
à Rouen , où le désordre étoit considérable.
Le régiment y vole avec le plus
grand zèle , et y arrive encore à quatre heures
du soir. Le Général leur dit , en autant de
termes , à leur arrivée : Messieurs , le salut
du Royaune est confié à votre régiment ;
( 344 )
Paris vit du jour à la journée ; si le pain
y manque un seuljour , figurez - vous les maux
qui en résulteront , et qui sepropageront dans
tout le Royaume . Pour empêcher donc que
le pain ne vint à manquer à la Capitale , il d
étoit indispensable que les approvisionnemens
qui lui venoient du cote de la iner , 21
fussent mis à l'abri des pillages qu'ils avoient
deja éprouves ; il falloit conséquemment que
ces convois fussent escortés par une troupe
accoutumee depuis long-temps à une discipline
inebranlable , en état de résister à la
plus grande fatigue , et conduite par des
Officiers expérimentés , zeles et intelligens.
On etoit mécontent des escortes fournies
auparavant à ces convois ; on presuma que le
régiment de Salis-Samade , qui venoit de'
sauver Pontoise et les approvisionnemens
qu'elle renfermoit pour Paris , que M. Bailly'
et M. le Marquis de la Fayette avoient fortement
sollicité le Roi d'y laisser , qui , enfin ,
s'étoit fait connoitre si avantageusement ,
rempliroit beaucoup mieux une mission aussi
pénible qu'elle ' etoit importante ; et ceux qui
la lui remirent ne furent point trompés dans
Jeur confiance en un corps dont la reputa
tion étoit depuis long- temps aussi bien etar
blie. M. le Marquis d'Harcourt fit rester sept
Compagnies à Rouen , et en détacha trois ,
avec l'Etat- Major, à Yvetot , une à Caudebec
et une à la Bouille. Toutes ces Compagnies
n'ont cessé depuis lors de fournir aux convois
de grains pour Paris , des escortes par
terre et par eau ;
les premieres , sur la route
de Rouen au Havre ; et les secondes , de
Rouen à Conflans . Ce trajet sur la Seine est
de cinquante lieues : les détachemens ont ensuite
vingt- six lieues à faire pour revenir à
( 345 )
>
Rouen par terre , où ils sont à peine arrivés ,
qu'ils se rembarquent de nouveau , et font
ainsi une navette perpétuelle . Depuis lors ,
tous les convois arrivent sains et saufs à leur
destination ; mais vous jugez , Monsieur ,
qu'un pareil service , qui se fait encore avec
zele et sans murmure , est trop pénible pour
ne pas occasionner des maladies et même de
la mortalité , d'autant que ce pauvre régiment
a été obligé , en se retirant , de laisser
à l'Ecole Militaire tous ses équipages
que la ville de Paris lui a fait rendre , à la
vérité , mais qu'elle leur a fait expédier à
Arras ; de sorte que depuis le 15 Juillet ,
Officiers et Soldats sont dans un dénuement
total de toutes choses , et n'ont pour toute
garde - robe , que ce qu'ils avoient sur le corps
à cette époque. Vous conviendrez , Monsieur ,
qu'un régiment quasi ruiné par la perte de
127 hommes qui sont dans la Milice de Paris ,
où ils ont été attirés par toutes sortes de séductions
, ou bien enlevés dans les environs
de Sèves par des actes de violence , et qui
coûteront plus de 40 mille franés pour les remplacer
à la totalité des Capitaines , à qui
leurs Soldats appartiennent, et non au Roi ,
comme ceux de tout le reste de l'armée ; qu'un
régiment balotté comme il l'a été , et dispersé
, comme il l'est encore , d'une manière
qui n'a point d'exemple , et qui se maintient
cependant dans ces temps -ci , dans l'obéissance
et dans l'ordre , et sacrifie , avec zèle
et sans murmures , hommes , argent , forces
et santé pour rendre les services les plus essentiels
à la Capitale et à toute la France ,
offre un phénomène assez rare pour mériter
Pattention d'une Nation éclairée et générease
, dont il n'a cependant reçu jusqu'à
( 346 )
présent , par une suite de préventions également
injustes et mal fondées , au lieu des marques
de gratitudes auxquelles il avoit droit de
s'attendre , que des mauvais procedés , des
insultes , des refus de logement , de pain
inême ; à Mantes , on a tenté de lapider des
Soldats de ce Corps , jusques dans les logemens
qu'on leur avoit d'abord refusés. Vous
m'avouerez , Monsieur , qu'il faut bien de la
force d'esprit , un grand amour de ses devoirs
dans l'Officier , et une grande habitude
· d'obéissance dans le Soldat , pour n'avoir
point été découragés dans le zèle qu'ils ont
manifesté et manifestent encore , et que M.
le Chevalier de Bachmann , qui le commande
, a sú y maintenir.
Vous tenez de trop près , Monsieur , à la
Nation Helvétique , vous tenez trop à la jus
tice pour vous refuser de rendre à ce regiment
de Salis-Samade , le service de publier
dans votre Journal , le tableau que je viens
de vous tracer.
L. C. D. F.
Des personnes mal instruites ont répandu
que M. de Limon , Contrôleur-
Général de Monseigneur le Duc d'Orléans
, s'étoit retiré à Ostende. Ce bruit
est faux ; il n'y a passé que 48 heures ,
en allant visiter les écluses , pour y faire
des observations utiles aux canaux de
Loing et d'Orléans. Il n'a pas cessé d'être
honoré des bontés et de la confiance de
S. A. S. , dont il gère toujours les Anances.
( 347 )
P. S. Samedi dernier , dans la soirée
, l'ASSEMBLÉE NATIONALE reprit
l'examen de la suppression des Gabelles ,
sans rien décider encore.
Dimanche , elle a reçu et entendit la
lecture de la Réponse du Roi , sur la
promulgation des Arrêtés du 4 Août : en
voici le contenu :
Vous m'avez demandé , le 15 de ce
mois , de revêtir de mà Sanction vos Arrêtés
du 4 Août et des jours suivans. Je vous
ai communiqué les observations dont ces
Arrêtés m'ont paru susceptibles ; vous m'annoncez
que vous les prendrez dans la plus
grande considération , lorsque vous vous occuperez
de la confection des Lois de détail ,
qui seront la suite de vos Arrêtés ; et vous
me demandez , en même temps , de promulguer
ces mêmes Arrêtés : la promulgation
appartient à des Lois rédigées et revêtues
de toutes les formes qui doivent en procurer
immédiatement l'exécution ; mais comme je
vous ai déja témoigné que j'approuvois l'esprit
général de vos Arrêtés , et le plus grand
nombre des articles en leur entier ; comme
je me plais également à rendre justice aux
sentimens généreux et patriotiques qui les
ont dictés , je vais en ordonner la publication
dans tout mon Royaume ; la Nation y
verra , comme dans ma dernière Lettre , l'intérêt
dont nous sommes animés pour son
bonheur ; et je ne doute point , d'après les
dispositions que vous manifestez , que je ne
puisse , avec une parfaite justice , revêtir de
ma Sanction toutes les Lois que vous décréA
1.0 N.
( 348 )
terez sur les divers objets contenus dans vos
Arrêtes. » Signé, LOUIS .
J'accorde ma Sanction à votre nouveau
Décret sur les grains. Signé , LOUIS .
Lundi dernier , 21 , 728 contre 224 ,
ont décidé que , « le réfus suspensif du
Roi commenceroit à la seconde légis-
« lature qui suivroit celle où la Loi au-
<«< roit été proposée. Nous dévelop
perons cetté Séance dans huit jours .
»
P. S. Mardi dernier , LL. MM. le
Roi et la Reine ont envoyé à l'Hôtel des
Monnoies , leur vaisselle , escortée par
ún détachement de Cavalerie Bourgeoise .
On assure que les Ministres ont imité
cet exemple.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères