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1789, 05, n. 18-22 (2, 9, 16, 23, 30 mai)
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24.40 Mo
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553
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Texte
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT
• 7
Le Journal Politique des principaux évènemens de
toutes les Cours ; les Pièces Fugitives nouvelles
en vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyfe des
Ouvrages nouveaux ; les ' Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles
; les Caufes célèbres '; les Académies de
Paris & des Provinces ; la Notice des Édits ;
Arrêts ; les Avis particuliers , &c . &c.¸
SAMEDI
21
MAI 1789 .
,
A PARIS ,
Au Bureau du Mercure , Hôtel de Thou
rue des Poitevins , N. 18 .
Avec Approbation, & Privilége du Roi
THL
PUBLIC LIBR
335340
ASTOR, LENOX 4
Du TILDEN FOUNDATION
1005
TABLE
mois d'Avril
PIECES FUGITIVES . La Scienee.
$ 7.89.
103
L'Entrevue 150
L'Argument irréfſiſtible. 3 Des Etats Généraux. 159
Vers: 4 Voyage. 165
Epitre . 49 Collection, 169
Vers
Petit Dictionnaire, 171
Le Bonheur
98
Le Singe. 99
Variétés. 31 , 79, 1 : 8 , 153 .
Couplers . 145
Fable.
SPECTACLES.
146
Charades, Enigmes & Logog. Concert Spirituel.
{ ? 54 , 101 , 147.
NOUVELLES LITTÉR .
La France,
Euvres.
La Logique,
Letts .
Les Aventures,
Nouvelles Obfervations,
Lolote & Fanfan.
Bibliothèque.
8
45
Académ . Roy . de Mufiq, 126
852 1829 Comédie Franç
19 Comédie Italienne. 86 , 184.
21
25 Théatre de Monfieur.
27 38
423
21, 149, 187,
56 Annonces & Notices ,
74

A Paris , de l'Imprimerie de Moutard ,
rue des Mathurins , Hôtel de Cluni,
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 2 MAI 1789.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
TRADUCTION
D'UN Fragment tiré du Ier. Chant du
Poëme fur les Jardins , par le P. RAPIN ,
où l'Auteur décrit avec feu la métamorphofe
fubite & brillante de la Nature , à
la renaissance du mois de MAI.
SI ce beau mois , fertile en prodiges heureux ,;
Eft refpecté d'Atlas & des vents pluvieux ,
Vois du fein créateur de ton fol qui fermente ,
S'échapper de tes fleurs la moiffon abondante.
Ç'eft le moment où Flore érale tous fes dons ,
Remplit cette corbeille & ces rians feftons
A 2
4
MERCURE
Voyez déjà briller dans la plaine fleurie
Le Genêt tranfplanté des champs de l'Ibérie ;
Ces fleurs orner le front de l'humble Romarin ;
Ces berceaux de Lilas , ces bouquets de Jaſmin ,
La plante qui du Nil embellit le rivage ,
La Pivoine cherchant la fraîcheur & l'ombrage 3
De fon cafque guerrier , l'Aconit orgueilleux ;
L'Acanthe , hériffé d'épines & de noeuds ;
Le Citife paré de fes fleurs jauniffantes ;
Le Lifet déployant fes couleurs pâlifſantes »
Lente dans fes travaux , la Nature jadis
Fit , dit- on , cette fleur en ébauchant le Lis.
Tout fermente , tout naît : déjà s'offre à la vue
La Sauge s'élevant à côté de la Rue ,
Et cette fleur qu'Homère a chantée en fes vers
Mille autres étalant leurs panaches divers."
C'eft le moment heureux , le règne des preftiges ;
La terre avec orgueil montre tous fes prodiges :
Des nappes de verdure embraffent l'Univers ;
Mille parfums exquis s'élèvent ens les airs ;
Les citoyens ailés , qui peuplent les bocages ,
Les animent du bruit de leurs tendres rámages,
Tels la Fable nous peint dans fes tableaux flattés
D'Armide & de Vénus les jardios enchantés .
Voyez-vous ces courfiers bondir dans les campagnes,
Les chevreuils fufpendus au fommet des montagnes ,
Les cieux étincelans d'un feu brillant & pur,
Ces ruiffeaux tranfparens roulant des flots d'azur,
Dieux que ne fuis -je affis aux rives de la Seine
!
Qu du fleuve brillant qui baigne la Touraineļ
DE FRANCE.
Salut ! ô ma Patrie ! au charme de tes bords ,
Qui pourroit préférer les antiques tréſors ,
Les fuperbes côteaux dont Naple eft couronnée ,
Et le Tibre couvert d'une ombre fortunée ?
Qu'un magique pinceau raffemble à mes regards
Les monumens pompeux du fafte des Céfars ;
Qu'une Reine , autrefois l'idole de l'Afie ,
D'un art audacieux employant la magic ,
Place fur des remparts , aux yeux de l'Univers ,
Des jardins étonnés de fleurir dans les airs ;
Qu'un dragon vomiffant de fa bouche enflammée
De longs & noirs torrens d'une épaiffe fumée ,
Défende des vergers ornés de pommes d'or ;
Qu'on nous vante l'Olympe & l'Elysée encor
Paris fait oublier ces prodiges antiques.
Contemplez nos palais , nos jardins magnifiques ;
Des fleuves inconnus roulant fur les fillons
Où Cérès prodiguoit les tréfors des moiffons ;
L'Art qui change, en créant des merveilles foudaines,
Nos vallons en côteaux , & nos côteaux en plaines ;
Ces vergers d'ananas , ces forêts d'orangers ,
Etonnés d'enrichir des climats étrangers ,
Qu'oppofer à ces bords que le Printemps couronne,
Toujours chargés des dons de Flore & de Pomone ?
A ce Saint-Cloud magique , à ce fuperbe licu ,
Tout fier d'être paré du nom de Richelieu ;
A ces murs que la Seine arrofe de fun onde ,
Renfermant dans leur fein les richeffes du Monde?
J'admire , Saint- Germain , tes monts religieux ,
Où le coeur fent , l'oeil voit la préfence des Dieux
7 MERCURE
Vois , ô Montmorenci ! tes plaines fi vantées ;
Effaçant du Tempé les plaines enchantées ;
Meudon fur les côteaux s'élève avec grandeur.
Voyez l'Art dans Marly , de l'Art même vainqueur ,
A travers ces rochers cette onde graviffante ,
Dont l'orgueil fait rougir la Nature impuiffante....
( Par M. l'Abbé Aillaud , Chanoine du Ch.
de Montauban , du Mufée de Toulouse)
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft la Critique ; celui
de l'Enigme eft Plaifir ; celui du Logogriphe
eft Doléances , où l'on trouve Noces ,
Danfe , Sale, Eden, Délos , Lens, Sedan ,
Dol, Caen, Noé, Saone, Cane, Sole, Alofe,
Sol, La, Sel, Code, Eole, Ecole .
MON
CHARAD E.
premier eft un fleuve , ainfi que mon der
nier ;
Gras ou maigre , Lecteur , je t'offre mon entier.
( Par M. Le Grand. )
DE FRANCE.
ÉNIGM E.
DANS ce vafte Univers tout travaille par moi ;
Je gouverne à mon gré le Berger & le Roi ;
Je fu's tout à la fois féduifante & volage ;
D'un Guerrier au combat j'enflamine le courage ;
D'un Poëte inſpiré je nourris les tranſports ;
Par moi le Matelot fait braver mille morts ;
Je fais du malheureux adoucir la misère ,
Mais für- tout aux vicillards , j'ai le pouvoir de plaire }
Un même inſtant me voit & renaître & mourir ;
Aux regards des mortels j'embellis l'avenir ;
L'impoffible par moi paroît fouvent facile ;
Sans moi , vivre feroit une charge inutile ;
Enfin , fi tu n'étois féduit Far mes appas
Pour me trouver , Lecteur , tu ne rêverois pas .
( Par M. Boivin du Fey , Ecolier au
College du Pleffis. )
ES
LOGO GRIPHE.
Es neuf pieds bien remplis , utiles à la guerre ,
Suf-tout quand on entend le tambour battre aux
champs ,
Rendent une arme meurtrière ,
Qui de loin eft fatale aux gens .
A 4
B MERCURE
Mon nom fut dans la France un nom très - formidable
,
Sur-tout aux Fermiers - Généraux ;
Et quand un voyageur rencontroit mes fuppôts ,
Autant il eût aimé voir paroître le Diable.
Je fuis , en mé décompofant ,
Aux Jardiniers très- néceffaire ;
Ce qu'à fa bonne amie eft toujours un Amant
Et l'objet des voeux d'un Vicaire ;
Ce que Virgile au mieux nous a dépeint ;
L'épithète d'un imbécille ;
Ce qui rend le Commerce on ne peut plus facile ;
Le criminel par moi fe voit étreint ;
L'endroit où d'un Anglois la veuve infortune
Apprit avec douleur la mort de fon époux ;
Ce qui fervoit à Rome en faifant uné entrée ;
Ce qui peut par le tact faire entendre un fon doux
Ce qui faifoit mettre à genoux Bafile ;
Ce qui prouve combien l'homme a l'eſprit fragile ş
Ce qui dans certain jeu fe prend avec plaifir :
Enfin ce qui fouvent infpire le défir.
( Par M. Prevoft de Montigny. )
DE FRANCE.
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
DESCRIPTION des Gites de Minerais &
des bouches à feu de la France. Tome II,
feconde Tournée , contenant la defcription
des Mines, Forges, Salines, Verreries ,
Tréfileries, Fabriques de Fer-blanc, Porcelaine
, Faïence , &c . de la Haute &
Baffe- Alface ; par M. le Baron de Die-
TRICH , Secrétaire général des Suiffes &
Grifons , Membre de l'Académie Royale
des Sciences , de la Société Royale de
Goettingue , & de celle des Curieux de la
Nature de Berlin , Commiſſaire du Roi
à la vifite des Mines , des bouches à feu
& Forêts du Royaume ; avec cette Epigraphe
:
Equidem ita fentio , peculiarem in ftudiis
caufam corum effe , qui difficultatibus
victis utilitatem juvandi prætulerunt
gratiæ placendi.
3e. & 4e. Parties. A Paris , chez Didor
le jeune , Imp- Lib. quai des Auguftins ;
A s
10 MERCURE
Didot fils aîné, Libraire, rue Dauphine ;
Cuchet, rue & hôtel Serpente ; & à Strafbourg
, chez Treuttel , Libr.
L'IMPORT IMPORTANCE & l'utilité de cet
Ouvrage , dont nous avons annoncé dans
fon temps le premier Volume , s'expliquent
affez par fon titre. C'eft une entrepriſe
vafte autant qu'intéreffante , dont on doit
favoir gré à M. le Baron de Liétrich de
s'être chargé. Les foins qu'il a donnés aux
premières Parties de fon Ouvrage en font
défirer & attendre la continuation avec
empreffement ( 1 ) . Le plan que s'eft tracé
l'Auteur , embraffe tous les objets d'utilité
publique qu'il pouvoit admettre : détails
relatifs à l'Art de l'exploitation des Mines ;
Procédés de Métallurgie ; Defcription d'objets
d'Histoire Naturelle ; Confidérations
fur le droit des Mines en général ; Obfervations
fur leur Jurifprudence en particulier ;
enfin juſqu'aux matières litigieuſes ſur leſquelles
il importoit de répandre la lumière.
M. le Baron de Dietrich a traité tous ces
objets d'une manière claire , préciſe , &
qui ne laiffe rien à désirer. Son travail a
encore un avantage précieux , c'est qu'il
(1) Le 3e. Tome , qui contiendra la Defcription
de la Lorraine , eft fous preffe , & verra le
jour inceffamment.
DE FRANCE.
ne décrit rien qu'il n'ait vu par lui même :
fous tous ces rapports , il intérefle également
l'Adminiftration des Mines & du
Commerce , & des Eaux & Forêts ( 1 ) .
L'Ouvrage dont nous rendons compte
ici , traite de la Haute & Baffe - Alface ; ce
qui comprend les Vofges , dans lesquelles
fe trouvent les Vallées de Giromagny , de
Mafevaux , de Saint- Amarin , de Thann
de Sultzmatt , de Munſter , de Ribauviller ,
de la Petite - Lièvre , fameufe par les vaftes
Minières de Sainte - Marie - aux- Mines , le
Val de Viller , celui d'Orbeis , le Comté du
Ban de la Roche , la Vallée de Schirmeck ,
& celle du Klingenthal ou Vallée des Lames,
ainfi nommée d'une Manufacture d'armes
blanches , qui s'y trouve placée ; le
Jægerthal ou Vallée du Chaffeur , & le Val
de Niederbronn . L'Auteur fort quelquefois
de ces Vallées pour visiter les objets qui les
avoifinent c'eft ainfi que dans la Haute-
Alface il décrit les Etabliffemens relatifs à
fon Ouvrage , qui fe voient dans les envirens
de Betfort , Altkirch , & le Comté de
Ferrette. En parlant de la Baffe- Alface , il
traite des batteries de cuivre de Strasbourg ,
des Manufactures de porcelaine & de garence
de Haguenau ; enfin de la cueillette
de l'or que charrie le Rhin dans fes fables.
(1 ) Cet Ouvrage paroît fous l'autorité du Gouvernement.
A 6
42 MERCURE
L'exactitude avec laquelle on a indiqué
dans cet Ouvrage le giffement des lieux ( 1 ),
met le Lecteur à portée de fuivre l'Auteur
dans fes courfes intéreffantes. En décrivant
les Volges , il entre dans des détails curieux.
fur la nature de ces montagnes , les roches
qui les conftitucnt , leur état actuel , tant
relativement à leurs produits dans les trois
règnes , qu'à l'induftrie de leurs Habitans .
Pour donner une idée de la manière dont
M. le Baron de Dietrich fait donner de la
couleur & de la vie à des objets qui femblent
par eux - mêmes froids & inanimés ,
nous citerens ici un morceau pris au ha
fard dans fon Difcours introductoire. -
"
L'Habitant des Vofges , dit- il , travaille
par goût aux Mines : il porte le vête-
» ment du Mineur Allemand. Comme cet
habillement eft inconnu dans le refte du
Royaume , & qu'il feroit utile qu'il y fût
adopté , je ne crains pas d'être trop mi-
» nutieux en parlant de fes avantages . Ce
ور
"
9)
qui tient à la confervation des hommes,
eft toujours important , & le devient en-
» core plus lorfqu'il s'agit d'un travail qui
» les expofe à des dangers continuels. Sufer
» à fe heurter avec violence contre les
(1 ) On trouve par- tout en marge le N° . des
Cartes de l'Académie , où fout placés les objets
que l'Auteur décrit , & les diftances des lieux indiquées
par le nombre de toiles , d'après l'échelle
de ces Cartes
DE FRANCE. 13
» traverses d'étançonnage , ou contre les
rochers faillans des voûtes furbaiffées ,
» le Mineur des Vofges porte un bonnet
» de feutre épais , rond & élevé , qui pré-
» ferve fa tête. Contraint d'appuyer fon
" dos contre les parois des routes fouter-
» raines qu'il fe fraie , il fe garantit de
l'humidité continuelle du rocher par un
» fort tablier de cuir qui pend fur fes
reins. Obligé de fe gliffér par des paffages
étroits , un chapeau & un habit
long lui feroient à charge ; il porte une
jaquette légère , ferrée fur les hanches
» par la courroie du tablier. Enfin , occupé
» des moyens d'avoir fes mains libres pour
" monter & defcendre fans ceffe des échel-
"
"
"3
"
>>
les , il fubftitue à la chandelle une lampe
" à tige mobile , garnie d'un crochet que
» le pouce feul foutient , & qui , dans les
» travaux , peut s'accrocher par- tout aux
" moindres inégalités du rocher. Si , tra-
» vaillant dans des foffes où les eaux font
abondantes , ces précautions font inſuffifantes
; s'il eft affecté de douleurs rhu-
» matiſmales ; fi quelque partie de fon
» corps perd le mouvement, il eft promp-
» tement rétabli par l'ufage des fources
falutaires qui fourdent de toute part des
Volges. Les Etabliffemens de bains dans
» ces montagnes , font auffi célèbres que
nombreux ".
"
ور
Plus loin , en comparant les fommets des
Vofges à ceux des Alpes & des Pyrénées ,
14
MERCURE
"2
"
"
و ر
"
و د
l'Auteur s'exprime ainfi : - Au faîte des
Alpes & des Pyrénées , l'immensité eft à
vos pieds. L'homme , auffi peu fait pour
la mefurer de ſes regards , que pour l'em-
» braffer de fa penfée , fe fent moins ému
de plaifir, que frappé d'onnement ; &
fi , fatigué du fpectacle vague des plaines
fans limites , il fe tourne vers le dédale
» des entaffemens gigantefques qui l'envi-
" ronnent , fans doute il découvre de .
grands effets ; mais des pans de rochers
fufpendus , des blocs énormes détachés ,
des étangs glacés , des marais , des tourabes
, le froid le plus piquant , des brumes
qui s'accumulent & menacent de l'envelopper
, des torrens qui le précipitent,
» le plus profond filence , la Nature morte
enfin tout lui imprime la triftelle &
l'effroi ifolé dans l'Univers , il fe hâte
» de fuir des rocs fourcilleux qu'il n'a
gravis qu'au péril de fa vie , il oublie
» fes fatigues & court retrouver des hom-
و ر
و د
"3
و ر
ور
>> mes ".
On y trouve auffi des idées poétiques &
philofophiques heureufement alliées , telles
que celles-ci : - " Au centre des forêts fe
33
ود
voient de nombreux châteaux forts , difperfés
dans toute l'étendue des Vofges ;
déplorables monumens des guerres féodales
, ils fervent au moins à rendre plus
pittorefques les fites qu'on découvre du
» haut de ces montagnes. Quelques - uns
de ces châteaux , plus vaftes , confervés
33
ور
DE FRANCE. 15
pour la défenſe des frontières , font en-
» tretenus par le Roi , occupés par des
garnifons nombreufes , ou feulement
gardés par quelques Invalides. Ces en-
29
93
ceintes , ces foffés , ces ponts levis for-
» ment au tableau que je trace , une ombre
» d'autant plus forte , que ces triftes de-
» meures renferment des prifonniers d'E-
» tat , & qu'on ne peut écarter de foi cette
» idée douloureufe , que l'homme feul
» porte des chaînes jufqu'au faire des mon-
» tagnes , ce dernier afile de la liberté «,
Mais l'objet effentiel de l'Auteur paroît
avoir été par tout l'utilité. A l'Article dans
lequel il décrit les tireries de Morvillars
il indique des moyens pour perfectionner
la fabrication du fil de fer , & rend compte
d'une machine ingénieufe qui fubftitue
pour les premières opérations , aux tenailles
dont l'ufage eft fujet à beaucoup d'inconvéniens
, des cylindres dont l'action ,
outre qu'elle facilite l'étirement du fer &
rend fa qualité meilleure , épargne encore
les déchets , la main d'oeuvre & les combuftibles.
Nous renvoyons à l'Ouvrage
même pour les détails de cette machine
utile. On lit encore avec un intérêt plus
puiffant l'Hiftoire des Mines de Ste Marie
& de Giromagny , compriſes dans la même
Partie . On voit avec étonnement l'immenfité
de ces fouilles fouterraines , d'où l'on
extrait , depuis des temps déjà fort reculés,
L'argent , la mine de plomb , l'antimoine ,
LG MERCURE
le cobalt, le zinc , & l'arfenic . M. le Baron
de Diétrich a joint à la defcription de ces
travaux , deux plans qui en facilitent l'intelligence
il la termine en indiquant les
moyens de reprendre avec fuccès , parmi
ces travaux , ceux qui font délaiffés ou
foiblement pourfuivis. Les bornes d'un Extrait
nous forcent de paffer fous filence plufieurs
objets importans , fur lefquels nous
voudrions pouvoir nous arrêter. Nous renvoyons
à l'Ouvrage même pour les détails
qui concernent les honilligres importantes
de Roderen & du Val de Viller , la fabrication
des garences , les Ufines confidérables
du Comté du Ban de la Roche ; enfin les Fabriques
de pétrole de Lampertloch , les vitriolières
de Hückrodt , & les falines de
Lubtz. L'Ouvrage eft terminé par une differtation
fur le droit des Mines en Alface
queftion importante relativement à la Conftitution
de cette Province .
Nous finirons par un réfumé de trois
tableaux que l'Auteur a joints à fon travail,
& qui ferent juger des reffources que
l'Alface trouve dans l'exploitation de fes
Mines , & dans les travaux des diverfes
Ufines & Fabriques qui en exploitent les
produits. Récapitulation faite des Mines
qui exiftent dans la, Haute - Alface , on y
trouve quarante - trois Mines , d'argent ,
trente-ume Mixes de cuivre , trente - deux
Mines de plomb , trente- neuf Mines de
fer , deux de zinc , deux d'arfenie , deux
DE FRANCE.
de cobalt, une de pétrole , & neuf de charbon.
La Baffe-Alface renferme cinq Mines
d'argent , fix de cuivre , cinq de plomb ,
foixante-fix de fer , fept de charbon , une
de pétrole , une d'ocre , une de manganèfe,
deux de vitriol , une d'antimoine , & quatre
carrières de marbre ; il faut y joindre l'or
fluviatile qu'on recueille dans le Rhin. Le
nombre des diverfes Ufines des Haute &
Baffe Alface , eft de foixante-fept , parmi
lefquelles on compte huit fourneaux à fondre
le fer, dix neuf forges , vingt un martinets
tant à fer qu'à cuivre , trois tréfileries
, une Manufacture d'arines blanches
une de fer - blanc très- confidérable , fans
parler des fonderies pour le cuivre & lé
plomb , des fonderies , platineries , fabriques
d'afphalte , de porcelaine , de faïence
& verreries. D'après les calculs que préfentent
ces états , il eft juftifié que l'Alface
feule fournit au Commerce 9,200,000
livres de fontes , 6,272,000 livres de fer
forgé ; que tant ces Ufines que les autres
ci deffus défignées , confomment annuellement
49,400 cordes de bois ( 1 ) , occupent
3653 ouvriers , la plupart chefs de famille ,
& verfent dans la circulation 1,109,000 liv.
en espèces , non compris le produit de la
( 1 ) L'Auteur a fupputé par approximation la
confommation totale en bois de l'Alface elle
monte au dela de 187,000 cordes .
49 MERCURE
vente des garences , qui feut s'eft monté
quelquefois à près de deux millions .
NOUVELLE Vie de Meffire François de
Salignac de Lamothe Fénelon , Archevêque
, Duc de Cambrai , Prince du S.
Empire. Volume in- 12. Prix , 2 1. 8 f.
broché ; relié , 3 1. A Paris, chez Briand,
Libr. , Hôtel de Villiers , rue Pavée St-
André-des- Arts , Nº . 22.
,
FENELON a été l'ornement de l'Epifco
pat par fes vertus & fa fcience , le bienfaiteur
de l'humanité par fes lumières &
fa charité , & le modèle des Philofophes
par fon génie & fa piété. Son nom feul
imprime dans l'ame un fentiment d'amour
& de refpcct ; par fes Ouvrages , qui vivront
tant qu'il y aura des hommes inftruits
& fenfibles , il mérite notre reconnoiffance
& notre admiration. Il eft important que
tout le monde connoiffe les actions de cet
illuftre Prélat. C'eft en lifant l'Hiftoire de
fa vie, que ceux qui fe deftinent aux fonc
tions auguftes du Sacerdoce , & même les
jeunes gens , apprendront à pratiquer les
vertus fublimes qu'exigent la Religion &
la Société , & à réunir l'humilité de l'homme
religieux à la foumiffion & à la fidé
Eté du Citoyen. On ne fçauroit trop en
recommander la lecture.
DE FRANCE. 19
LE
VARIÉTÉ
S.
SUR LE TASSE.
E fort affez commun des hommes de génie
chez toutes les Nations & dans tous les fiècles ,
fut d'être perfécutés pendant leur vie , & diverfement
jugés même après leur mort.
Cette deftinée femble être encore plus généra
lement celle des Poëtes épiques , que des autres
Poëtes. On peut citer pour exemples Homère
, Milton , le Camoëns , & fur tout le
Taffe. Ce dernier , plus malheureux que tous
les autres enfemble , fut auffi peut - être le plus
invinciblement voué par la Nature au talent poétique.
A huit ou neuf ans , il favoit par cour
Homère & Virgile dans leur langue originale ,
& compofoit déjà des vers dans la fienne . A
dix fept , il publia un Poëme en douze Chants ,
(Il Rinaldo ) ; il n'en avoit guère que vingt , lorfqu'il
conçut le plan de fa Jérufalem délivrée .
Bientôt en parurent plufieurs Chants , qui éveillèrent
à la fois la renommée & l'envie . Elles
s'emparèrent du Poëme entier , qui fut publié
quelques années après , & qui fut en même
temps exalté & critiqué dans toute l'Italie.
Ce n'eft point fa vie que j'écris ; & l'hiftoire
de fes malheurs feroit ici déplacée . On
fait la paffion qu'il conçut pour l'une des foeurs
du Dic de Ferrare , & la difgrace qui en fut
la fuite ; on fait que fa raifon s'altéra , fe perMERCURE
dit même pendant quelque temps ; qu'en proie
à la plus noire mélancolie , fuyant de ville en
ville fous divers déguifemens , & enfin renfermé
à Ferrare dans l'Hôpital Sainte - Anne , il ne
ceffa point pour cela de produire tantôt des
Traités , des Dialogues philofophiques , ou des
réponses aux critiques de fon Poeme, tantôt des
morceaux de poéfie qui ne fe fentent pas plus
que fa profe de l'aliénation de fon efprit ; que
délivré de ce lieu d'oppreffion & revenu dans
fe bon fens , il fut en butte à de nouvelles
infortunes ; & que , pour dernier malheur , la
mort l'empêcha de jouir du triomphe qu'après
de longues injuftices on lui préparoit au Capitole.
,
Laiffons à part tous ces faits , qui rendent
l'hiftoire de fa vie fi intéreffante ; ne parlons
non plus d'aucun autre de fes Ouvrages , pas
même de fon Aminte le chef- d'oeuvre de la
poéfie paftorale. C'eft par fa Jérufalem délivrée
qu'il eft placé fur le Parnaffe à l'un des premiers
rangs , c'eft à ce feul Poëme que nous
devons nous attacher.
Lorfqu'il parut , celui de l'Ariofte jouiffoit de
la réputation la plus haute & la plus unanime .
Tous les Peetes le prenoient pour modèle , &
ne faifoient que de vains efforts pour l'imiter.
Le jeune Torquato fentit bien que s'il pouvoit
égaler ce Poëte , ce ne feroit pas en fuivant
la même route que lui ; il fentit que toute la
perfection dont le genre du Roman épique eft
fufceptible , étoit dans le Roland furieux , mais
que l'Epopée régulière , l'Epopée d'Homère
& de Virgile reftoit encore à tenter aux Mufes
Tofcanes , & il efpéra fe tirer avec honneur
de cette tentative hardie . Il admiroit fincèrement
l'Ariofte , & n'avoit ni l'espoir ni le
DE FRANCE.
défir de le dépofféder de fa place ; mais il
étoit poursuivi jour & nuit par celui de s'en
faire une égale , dans un genre qu'il regardoit
fans doute comme fupérieur . C'eft ce qu'il
avoue lui - même dans une Lettre à Horace
Ariofte (1 ).
35
» Cette couronne, lui dit - il , que vous voulez
» me donner , le jugement des Savans , celui
des gens du monde, & le mien même , l'ont
» déjà placée fur les chevenx de ce Poëte , à
qui le fang vous lie , & auquel il feroit plus
difficile de l'arracher , que d'ôter à Hercule
fa maffue ; oferez vous étendre la main fur
cette chevelure vénérable ? Voudrez - vous
» être non feulement un júge téméraire , mais
» un neveu impie ? Et qui pourroit recevoir
» avec plaifir d'une main coupable & fouillée
» d'un pareil crime , la marque d'honneur & l'or-
» nement de fa vertu ? Je ne la recevrois pas de
vous ; je n'oferois non plus m'en faifir mei-
» même je ne porte pas fi haut mes défirs .
» Ce fameux Grec ( 2 ) , vainqueur de Xerxès ,
difoit qu'il étoit fouvent réveillé par les tro-
" phées de Miltiade . Ce n'étoit pas qu'il eût le
projet de les détruire ; mais il défiroit d'en
élever pour fa gloire , qui fuffent égaux ou
» femblables à ceux de ce Général, Je ne nierai
32
(1 ) Ce jeune homme , nevcu du fameux Poëte ,
& Poëte lui-même , environ deux ans après les pre
mières éditions de la Jérufalem , publia des Stances
où il louoit exceflivement le Taffe . Il le nommoit
le premier des Poëtes : il banniffoit même du
Parnaffe tous fes rivaux , & le reconneiffoit pour
Le feul Poëte digne de ce nom,
( 2 ) Thémistocle,
22 MERCURE
» point que les couronnes toujours floriflantes
» d'Homère ( je parle de votre Homère Fer
» rarois ) , ne m'aient fait paffer bien des nuits
fans dormir : non que j'aye jamais eu le défir
» de les dépouiller de leurs fleurs ou de leurs
» feuilles , mais peut - être par l'extrême envie
d'en acquérir d'autres qui fuffent finon égales
» finon ſemblables , du moins faites pour confer-
» ver long- temps leur verdure , fans craindre
» les glaces de la mort. Tel a été le but de mes
" longues veilles , &c. .
Malgré cette proteftation qui ne reſta point
fecrète , malgré le foin que le Taffe avoit pris
de fuivre une route entièrement oppofée à celle
de l'Ariofte , ſes ennemis l'accufèrent d'avoir
eu la préfomption de lutter contre lui ; on le
harcela de critiques ; les éditions de fon Poëme
fe multiplioient dans toutes les parties de l'Italie
; & le nombre de fes envieux croiffoit en
proportion de fa gloire . Ses partifans le défendoient
les perfonnes indifférentes flottoient ,
comme il arrive toujours avant que la réputation
d'un Ouvrage foit fixée : les Gens de lettres
differtoient fur le titre , fur le plan , fur les allégories.
Heureux le Poëte qui peut , aux dépens
même de fon repos , voir ainfi fa patrie
entière occupée de fes Ouvrages !
Enfin parut le Dialogue de Pellegrino fur la
Poéfie épique . Cet Ouvrage , où le Taffe étoit
élevé infiniment au deffus de l'Ariofte , où on
lui donnoit tout l'avantage du côté du plan ,
des moeurs & du ftyle , mit toute l'Italie en
rumeur. Ce fut la pomme de difcorde . Les nombreux
partifans de l'Ariofte jetèrent les hauts
cris . Ceux qui crièrent le plus fort , furent
les Académiciens de la Crufca. Ils répondirent
au Dialogue. L'efprit de parti & l'efprit de
DE FRANCE If
corps, auffi dangereux en Littérature qu'en toute
autre matiére , préfidèrent à la rédaction de ce
pamphlet académique,
" La Jérufalem, y eft-il dit , loin d'être un
» Poëme , n'eft qu'une compilation fèche &
froide. L'unité qui y règne eft mince & pau-
- » vre , comme celle d'un dortoir de Moines ,
» tandis que l'unité du Roland furieux reflem-
Là celle d'un immenfe palais. Le plan du
» 1 affe eft comme une petite maifonnette étroite
» & difproportionnée , beaucoup trop haffe
» pour fa longueur , bâtie fur de vieux murs ,
» ou plutôt rapetaffée , comme ces greniers
» qu'on voit aujourd'hui dans Rome , fur les dé-
" bris des fuperbes thermes de Dioclétien , L'Auteur
n'a fait que réduire en vers Italiens , des
» hiftoires écrites en diverfes langues ; il n'eft
donc pas Poëte , mais fimple Rédacteur en
yers d'une hiftoire qui n'eft pas de lui ; &
» cette hiftoire a tout auffi bon air avec les
» entraves qu'il lui a données , qu'auroit la Métaphyfique
en chanfon à danfer. Le Poëme de
l'Ariofte eft une toile grande & magnifique ;
» celui du Taffe , eft moins une toile qu'un
ruban ; & s'il fe fâche e la comparaifon, on
» lui dira que fa toile eft fi longue & fi étroite
» qu'elle eft moins un ruban qu'un feul fil.
Dans
ce Poëme , s'il mérite qu'on lui donne
» ce nom , les expreffions font tellement con-
» tournées , apres, forcées , défagréables, qu'on
" a peine à les comprendre. L'Ariofte reunit
>>
ל כ
enfemble la briéyeté & la clarté : quant à
» la briéveté du Taffe , c'eft plutôt conftipation
qu'il faut l'appeler. S'il vouloit être bref,
il ne devoit donc pas faire tant de bavar-
» dages fur des chofes impertinentes , hors de
propos , & fi propres à tourmenter ceux qui
» l'écoutent , qu'ils aimeroient prefque autant
ל כ
24 MERCURE
n avoir la queftion. Ce Poëme raboteux , et
carpé , non feulement dépourvu de clarté ,
mais enfeveli dans une obfcurité profonde ,
n'eft dans aucun endroit écrit avec énergie ;
» dans aucun endroit , capable , on ne dit pas
d'exciter , mais d'effleurer les paffions ; dans
aucun endroit , fans fatigue , fans ennui , fans
dégoût ; rempli de mots pédantefques , étran
gers ou lombards , qui pour la plupart ne
font pas des mots , mais des barbarifmes , & c . "".
On a peine à fe perfuader aujourd'hui qu'on
ait ofé parler ainfi du Taffe , au nom de toute
une Académie , à la face de l'Italie entière .
Le Taffe répondit avec une modération ,
une modeftie qui mit le Public de fon côté,
Plufieurs champions entrèrent en lice pour lui ,
& rompirent des lances contre les Florentins.
Le temps produifit fon effet ordinaire : il fit
oublier les critiques & les réponſes . Le Poëme
qui les avoit occafionnées refta feul . Mis au
premier rang dans quelques parties de l'Italie ,
il le partagea dans prefque toutes , & ne fut
placé dans aucune au deffous du fecond..
Les plus inftruits & les plus fages s'abſtinrent
de prononcer entre le Taffe & l'Ariofle .
En effet , leur plan , leur génie & leur ftyle
font fi différens l'un de l'autre , qu'il ne refte ,
pour ainfi dire , aucun point commun de comparaifon.
L'un eft plus vafte , l'autre eft plus
régulier ; l'un plus fécond , l'autre plus fage ; le
premier plus facile & plus varié , le fecond
plus fublime & plus égal : on rempliroit des
pages de ces oppofitions , dont le réfuitat feroit .
le même qu'on peut tirer avant de les faire ,
c'eft que für deux lignes diverfes ils font tous
deux les premiers . C'eft ce qu'Horace Arioſte
- eut le bon efprit de voir & d'écrire dans le
plus
1
DE FRANCE.
plus fort de la difpute , quoiqu'intéreffé par
fon nom & par les liens du fang à prendre un
autre parti. C'est ce que Métaftafe , dont le nom
feul rappelle un grand Poëte & un excellent
efprit a vu & écrit de même dans ces derniers
temps ; en avouant cependant que s'il
n'ofoit prendre fur lui de décider entre cesdeux
grands Hommes , la prévention naturelle , &
peut-être exceffive qu'il avoit toujours eue pour
T'ordre , l'exactitude & la régularité , le faifoit
cependant pencher en faveur du Taffe.
Le fort de la Jérufalem fut en quelque forte
plus heureux en France qu'en Italie . Quoiqu'elle
n'y fût d'abord connue que par de mauvaiſes
traductions , elle y excita beaucoup d'enthou
fiafme. On la mit bientôt de pair avec l'Iliade
& l'Enéide , & vers le milieu du dernier fiècle
il devint enfin du bon air de la mettre au
deffus .
Boileau , qui veilloit alors aux intérêts da
goût , avec la vigilance d'un Magiftrat & les
lumières d'un Législateur , s'éleva fortement
contre ce qu'il regardoit comme une héréfie ;
& la foudroya d'un feul vers , que bien des
gens ne lui ont pas pardonné.
Tous les jours à la Cour , un fot de qualité
Peut juger de travers avec impunité ;
A Malherbe , à Racan , préférer Théophile ,
Ete clinquant du Taffe à tout l'or de Virgile.
Je ne rappellerai point tout ce qu'on dit alors
contre ce vers , ni ce qu'on a dit depuis , &
fur-tout de nos jours . Il eft devenu un mot
de ralliement pour les ennemis de Bouleau ;
K ^ . 18. 2 Mai 178
B
26 MERCURE
T
plufieurs d'entre eux , qui peut-être entendent
affez médiocrement le Taffe , ont accufé Boileau
de ne l'avoir pas entendu ; & fe font
prévalus de cet adage de Quintilien : Il ne faut
juger les grands Hommes qu'avec modeflie & retenue,
de peur de condamner ce que l'on n'entend pas.

Ce précepte eft affurément de la plus grande
fageffe ; mais voici quelque chofe d'embarraffant
, c'eft qu'aux yeux des gens de goût
Boileau eft devenu lui-même un de ces grands
Hommes qu'il n'eft plus permis de juger légè
rement fans courir le même rifque dont Quintilien
a voulu nous garantir, Tâchons , pour y
échapper , de bien pénétrer le fens de cette
expreffion avant d'en examiner la jufteffe ; &
dans la crainte de nous laiffer conduire à des
guides prévenus ou infidèles , ne choififfons ,
pour expliquer Boileau , d'autre interprète que
lui-même,
Plufieurs années après , dans fon Art Poé,
tique , étant revenu à parler du Tafle , il en
parla plus modérément .
Je ne veux point ici lui faire fon procès ;
Mais , quoi que notre Siècle à fa gloire public ,
Il n'cût point de fon Livre illuftré l'Italie ,
Si fon fage Héros , toujours en oraifon ,
N'eût fait que mettre enfin Satan à la raiſon ,
Et fi Renaud , Argant , Tancrède & fa Maîtreffe
N'euffent de fon fujet égayé la trifteffe.
Comme ce n'eft point avec du clinquant
l'on peut illuftrer fa patrie , que cette expreffion
eft décifiye dans un Auteur qui ne dit
que
A
DE FRANCE. 27
je nais que ce qu'il veut dire , on pourroit en
conclure que Boileau étoit alors revenu de fes
préventions. Mais en difant, Quoi que notre fiècle
à fa gloire publie , n'a - t - il pas l'air de mettre
quelque reftriction au jugement de fon fiècle ?
Et le vers , Je ne veux point ici lui faire fon
procès , n'indique - t - il pas que s'il s'en étoit
voulu donner la peine , il fe croyoit en droit
d'intenter ce procès littéraire Voici qui nous
apprendra ce que nous en devons croire : c'eſt
l'Abbé d'Olivet , dans l'Hiſtoire de l'Académie ,
à l'Article le Clerc.
20
» Puifque l'occafion m'y invite , & que d'ailleurs
c'eft un point de critique affez curieux
je vais rapporter ce que M. Defpréaux dit
» peu de temps avant fa mort , à une perfonne
qui lui demandoit s'il n'avoit point changé
n d'avis fur le Taffe . J'en ai fi peu change
» dit-il , que relifant dernièrement le Taffe
» je fus très -fâché de ne m'être pas expliqué
» un peu au long fur ce fujet , dans quelqu'une
» de mes réflexions fur Longin . J'aurois com-
» mencé par avouer que le Taffe a été un génie
» fublime , étendu , heureufement né à la poéfie
& à la grande poéfie . Mais enfuite ve-
» nant à l'ufage qu'il a fait de fes talens , j'au
rois montré que le bon fens n'eft pas toujours
ce qui domine chez lui ; que dans la
» plupart de fes narrations , il s'attache bien
» moins au néceffaire qu'à l'agréable ; que fes
defcriptions font prefque toujours chargées
» d'ornemens fuperflus ; que dans la peinture
des plus fortes paffions , & au milieu du trou-
» ble qu'elles venoient d'exciter , fouvent il
dégénère en traits d'efpri , qui font tout- àcoup
ceffer le pathétique ; qu'il eft plein
d'images trop fleuries , de tours affectés , de
"
33

Ba
28
MERCURE
pointes & de penfées frivoles , qui , loin de
» pouvoir convenir à fa Jérufalem , pouvoient
» à peine trouver place dans fon Aminte . Or ,
" conclut M. Defpréaux , tout cela oppofé à
la fageffe , à la gravité , à la majesté de Virgile
, qu'eft - ce autre chofe que du clinquant
» oppofé à de l'or ?
33
39
» J'étois préfent à ce difcours , ajoute l'Abbé
» d'Olivet , & je m'apperçois que l'envie de
» recueillir jufqu'aux moindres feçons d'un fi
» grand Maître , m'a prefque fait perdre de
" vae M. le Clerc , «.
Ceci n'eft plus un vers , un trait , une boutade
fatirique , c'eft un avis détaillé , motivé
d'après une lecture récente , dans l'âge où celui
de nos Poëres qui a eu le plus de bon fens &
de goût avoit le plus perfectionné l'un & l'autre.
Qui ofera le contredire , taxer d'abſurdité ce
que l'Abbé d'Olivet appeloit une leçon , &
traiter en écolier celui qu'il regardoit comme
an fi grand Maître ?
Mais fi l'on eft de fon avis , que devient la
reputation du Taffe ? Ce n'eft pas de cela
qu'il s'agit. Cet avis eft-ii jufte ou injufte ?
Voilà la queftion . Admirateur de Boileau , Admirateur
du Taffe , je vais tâcher finon de
la réfoudre , au moins de l'éclaircir. Boileau
regrettoit de ne s'être pas étendu fur ce fujet ,
dans une de fes réflexions fur Longin . Je le
regrette plus que lui . Je ne me flatte point de
fuppléer à ce qu'il auroit pu dire' mais
pour m'en rapprocher autant qu'il eft en mon
pouvoir , je fuivrai fcrupuleufement la divifion
qu'il a établic , & le plan qu'il a tracé .
Que le Taffe eût un génie fublime , étendu ,
kurcufement né à la poéfie & à la grande poéfie ,
DE FRANCE. 29

c'eft ce dont il eft impoffible de douter quand
on a lu fon Poëme. Les inventions y font
grandes & élevées , les caractères nobles &
foutenus les penfées & les fentimens pleins
de force & de chaleur , les difcours éloquens ,
les defcriptions riches & variées , le plan régulier
fans étre monotone , les évènemens furprenans
quoique naturellement amenés , les
epifodes intéreffans , le ftyle rapide , harmonieux
, poétique . On voit enfin qu'il avoit été
faifi par fon fujet , & que l'enthoufiafme qui
lui dicta l'invocation de fon Poëme , l'accompagna
jufqu'à la fin .
L'évènement qu'il entreprit de célébrer étoit
alors d'un intérêt général . La mémoire des anciennes
Croifades n étoit pas éteinte . Ily avoit
à peine un fiècle qu'on avoit été ſur le point
d'en former une nouvelle ( 1 ) ; & bien des gens
efpéroient encore de voir renaitre quelqu'une
de ces cruelles & pienfes extravagances . Le
Taffe , entraîné par l'efprit de fon fiècle , le
défiroit lui-même , on le voit dans une de fes
Lettres (2 ) ; & au commencement de fon Poëme,
(1 ) Le Pape Pie II en étoit le Promoteur , &
vouloit en être le Chef : il mourut en s'occupant
de ce projet.
(2 ) Un Littérateur eftimé , Horace Lombardelli,
après avoir donné beaucoup d'éloges à la Jerufalem
délivrée , en avoit défapprouvé le titre ; & l'un de
fes motifs , bon ou mauvais , étoit que les Torcs
en pourroient faire un fujet de raillerie contre les
Chrétiens qui avoient reperdu Jérufalem . Le Tafle,
en lui répondant , dit qu'il ne croit point à ces
plaifanteries Turques ; mais qu'au refte , des rail-
B 3
30 MERCURE
"
il promet à Alphonfe que fi le peuple Chré
tien jouit enfin de la paix , & fe raffemble
pour enlever aux Infidèles leur riche & injuſte
proie il fera choifi pour chef de l'entreprife
( 1 ). A cet intérêt commun , il en joignit
un particulier , à l'exemple de Virgile & de
Ariofte . Virgile, pour flatter Augufte, chanta
Forigine fabuleufe de la race de cet Empereur ,
& dans le cours de fon Poëme il en ramena
fouvent l'éloge . L'Ariofte , plus fouvent encore,
remplit le fien des louanges des Princes de
la Maifon d'Efte ; le Taffe choifit pour fon Héros
une des tiges de cette même famille , &
ne perdit pas l'occafion de célébrer les aieux
de cet Alphonfe qui reconnut auffi mal fes
éloges , que le Cardinal Hyppolite ceux de
Y'Ariofte.
Il ne paroît pas qu'Homère fe fût propofé
In pareil but: il eut celui de plaire à toute la
Grèce en chantant fes Héros les plus célèbres ,
mais non de flatter particulièrement aucun
Prince Grec , à moins que ce ne fûr quelque
defcendant d'Achille . Homère eft un Poëte
national ; Virgile , Ariofte & le Taffe , des Poëtes
courtifans. Homère est tout entier à fon action ;
& quoique toujours infpiré , fatisfait de rappeler
& de peindre le paffé , il ne fe donne point
pour Prophète de l'avenir . Virgile tourna le .
premier en adulation les inventions du génie.
fit defcendre Enée aux enfers pour y ene
tendre fon père Anchife faire l'éloge de Jules-
Cefar & d'Augufte . Il fit defcendre du Ciel
leries capables d'irriter le généreux courroux des
Chrétiens ne feroient pas inutiles.
( 1 ) Ch. I , St. s.
DE FRANCE.
pour Énée , un bouclier fur lequel étoient
gravés les futurs exploits des Romains , &
ceux du deftructeur de la liberté de Rome.
Ces idées étoient trop ingénieufes pour n'avoir
pas d'imitateurs . C'eft d'après le premier de ces
exemples , que l'Ariofte précipite fa Bradamante
dans la caverne de Merlin , où Méliffe
lui fait paffer devant les yeux tous les Héros
de la Maifon d'Efte , jufqu'au Cardinal Hyppolite
: c'est d'après le fecond , que le Taffe
donne à Renaud un bouclier où font empreints
tous fes ancêtres , & qu'il lui fait prédire par
un vieux Mage , une longue fuite de defcen
dans illuftres qui fe termine au Duc Alphonfe.
C'eft ainfi qu'en ont agi depuis , chez prefque
tous les peuples , & avec plus ou moins de
bonheur & d'adreffe , prefque tous les Poëtes
épiques. Il en faut excepter Milton , qui , malgré
fes bizarreries , eft le plus homérique des
Poëtes modernes .
Mais en s'appropriant les inventions adulatrices
de Virgile , l'Ariofte & le Tafle ne pu
rent faire paffer dans leurs imitations le même
intérêt & la même grandeur. Il y avoit trop
loin d'Augufte à Hyppolite & au Dac Alphonfe
, & du Maitre de l'Univers aux petits
Souverains de Ferrare . L'Ariofte s'embarraffa
peu de cette différence . Concentré en quelque
forte dans cette Cour , il n'eut deffein
que de lui plaire ; à travers les exploits de fes
Héros , c'eſt toujours la Maifon d'Efte qu'il a
en vuc ; c'est à elle que tout fe rapporte ; & fi
tout cet encens devient qu.lquefois ennuyeux
pour nous, du moins devons- nous admirer l'art
que le Poëte a mis à ramener fi fouvent & fi
diverfement fon offrande .
Le Taffe , quoiqu'attaché à la même Cour 2
B
4
32 MERCURE
> &
étendit plus loin fes vues . Comme il n'écrivoit
pas un Roman , mais un véritable Poëme épique
, il dona moins à l'intérêt particulier
plus à l'intérêt général . Content d'avoir placé
dans fon Poëme un Prince de la Maifon d'Efte ,
& d'en avoir fait l'Achille de cette nouvelle
Iliade , il ne parle qu'une feule fois , avec
quelque détail , des Héros de fa race ; & ne leur
confacre qu'une vingtaine de ftances , à la fin
de fon dix -feptième Chant.
De même que ce ne font pas les actions
d'Achille qui font en quelque forte le noeud
de l'Iliade , mais fon repos , ce ne font point
auffi les exploits de Renaud ; c'eft fon éloignement
du camp des Chrétiens qui prolonge le
fiége de Jérufalem , & donne lieu aux incidens
du Poëme. Tout ce qui précède cet éloignement
ne fait que préparer ce qui doit le fuivre :
ce qui fult fon exil tend à faire défirer fon reour;
il revient , & les obftacles ceffent , les
Chrétiens n'ont plus rien qui les arrête ; nouveaux
ennemis , nouveau triomphe : Jérufalem;
eft prife , & le Poëme fini .
L'efprit chevalerefque qui anime tout l'ou-
- vrage, a fourni le moyen d'éloigner Renaud de
l'armée Chrétienne ; la Magie quiforme la machine
& le merveilleux du Poëme eft ce qui
le retient loin du camp , & ce qui l'y ramène .
Il tue Gernand qui l'a infulté. Godefroi veut
lui donner des fers. Renaud s'arme , plus terrible
que Mars , pour repouffer cet affront.
Tancrede parvient à le fléchir , & le détermine
à s'exiler lui- même. Il part feul avec deux
Ecuyers , le coeur rempli de hauts deffeins , réfolu
à s'aventurer au milieu des Nations ennemies
, à parcourir l'Egypte , & à pénétrer
les armes à la main jufqu'aux fources inconnues
du Nil,
.
DE FRANCE. 33
Malheureuſement pour tous fes beaux projers
, il tombe dans les pièges d'Armide. Tranf
porté dans l'une des Ifles fortunées , il oublie
entre les bras de cette Enchantereffe , l'Egypte ,
Jérufalem , les Chrétiens , & la gloire . L'adreffe
du Poëte a fauvé ce que cet oubli pouvoit avoir
de déshonorant. C'eft l'effet d'un charme magique
, contre lequel la puiffance humaine eft
fans pouvoir. Il faut , pour le détruire , lui oppofer
un charme contraire. Dès que Renaud
jette les yeux fur ie bouclier porté par Ubalde ,
qu'il s'y voit défarmė , parfumé , entrelacé de
guirlandes de fleurs , il s'arrache à la volupté ,
reprend fes armes , fon courage , & ne refpire
plus que les combats.
Mais pourquoi le rappelle - t - on de fon exil ?
Pourquoi le va - t - on chercher jufqu'au bout
de l'Univers ? pour couper le pied d'un myr
te , au milieu d'une forêt enchantée. On a
trouvé cela petit , & indigne de la majefté de
l'Epopée. Il est certain qu'Achille fortant enfin
de fes vaiffeaux pour venger la mort de fon
ami, effrayant d'un feul cri toute l'armée Troyenne
, renverfant tout ce qui s'oppoſe à ſon paffage
, ne cherchant , n'appelant , ne voyant
qu'Hector , affouviffant enfin la vengeance de
l'amitié fur ce redoutable ennemi , a bien une
autre énergie , une autre nobleffe , une autre
grandeur.
Il ne faut pas cependant tout- à - fait condamner
le Taffe. Il a craint, en élevant trop Renaud,
de rabaiffer les autres Héros Chrétiens , &
d'avilir le caractère de Godefroi. La valeur
feule ne peut venir à bout de prendre Jé
rufalem. Il faut , fuivant l'ufage du temps , des
machines qui ébranlent & qui abattent les murs ;
une feule forêt peut fournir le bois néceffaire
B S
34
MERCURE
pour la conftruction de ces machines . Ifmen
enchante cette forêt , où les Chrétiens ne peuvent
plus pénétrer. Ceux qui s'y prentent
font effrayés par des apparitions & des prodiges
extraordinaires. Ce font des bruits fouterrains
, des tremblemens de terre , des rugiffemens
& des hurlemens de bêtes féroces ;
enfuite des feux dévorans , des murs enflammés
, des monftres affreux qui les gardent ; les
travailleurs d'abord , & après eux les foldats
envoyés par Godefroi , font répouffés , & répandent
leur effroi dans toute l'armée . Alcefte,
Chef des Helvétiens , homme d'une témérité
Atupide , dit le Taffe , qui méprifoit également
les mortels & la mort ( 1 ) , & que rien jufque
là n'avoit épouvanté , fe préfente , & ne peut
foutenir l'aspect de ces horribles fantômes.
Tancrède enfin , l'intrèpide Tancrède n'eft
effrayé ni du bruit , ni des feux , ni des
monftres ; mais lorsqu'il croit avoir franchi
toutes les barrières , prêt à couper l'arbre fatal ,
il en entend fortir les fons plaintifs de la voix
de Clorinde ; l'amour & la pitié font en lui
ce que la crainte n'avoit pu faire. Il cède ; &
Godefroi , frappé de fon récit , veut aller tenter
lui - même l'aventure de la forêt ; mais
Pierre le Vénérable l'arrête lui parle d'un ton
prophétique , & lui fait entendre que c'eft à
Renaud que cet exploit eft réfervé . Dudon
lui apparoît en fonge , lui annonce que tel
eft l'ordre du Ciel ; & lui commande , non pas
(1 ) Sprezzator de ' mortali e della morte.
Ce vers plaifoit tant à notre Poëte , qu'il le répète
mot pour mot , cu parlant de Rimedon. Ch.
XVII , Să. 30.
DE FRANCE. 35
d'ordonner de lui - même le retour du fils de
Bertholde , mais de l'accorder aux prières de
fon oncle Guelfe , à qui Dieu infpire en même
emps de le demander. Ainfi , ni la valeur des
Guerriers Chrétiens , ni l'autorité du Général
ne font compromifes . Renaud revient , &, fupérieur
à la crainte , vainqueur de la pitié
même , il coupe le myrte , & diffipe l'enchantement
.
Il y a certainement beaucoup d'art dans la
conduite de cette partie de l'action . Le Poëme
eft prefque tout entier intrigué avec la même,
adreffe ; les évènemens naiffent les uns des autres
, & concourens enfemble à former un tout
qui fe développe avec beaucoup d'ordre & de
clarté. Le Poëte marche rapidement vers fon
but , & s'il s'arrête quelquefois fur la route ,
on aime à s'arrêter avec lui . En un mot, à l'ċgard
du plan ou de la fable , peu de Poëtes
lui font comparables , aucun peut - être ne lui'
eft fupérieur.
"
La diverfité des Nations , des Religions
des ufages , lui offroit une grande variété de
portraits , & , ce qui vaut mieux , de caractères :
pour éviter la confufion , il a fait dans les
deux armées un choix de perfonnages principaux
, qu'il fair mouvoir , pour ainfi dire ,
dans
fon tableau , fur le devant de la toile ; tandis
que les autres n'agiffent que fur les feconds
plans . Chez les Chrétiens , Godefroi , Renaud ,
Tancrède , a ent d'abord les yeux. Guelfe ,"
Raimond de Touloufe , Baudouin & Euftache ,
frère du Général , Odoard & Gildippe , ces
deux tendres époux , affez unis pour ne fe jamais
quitter , même dans les combats , affez
heureux pour y mourir enfemble Roger
les deux Roberts & plufieurs autres , brillent
>
B 6
36
MERCURE
au fecond rang , & paroiffent tantôt féparés ;
tantôt réunis , fans fe nuire ni fe confondre.
Du côté des Païens , on ne voit pas comment
Aladin auroit pu foutenir le fiége , s'il
n'avoit eu pour fa défenfe que les troupes
renfermées avec lui dans la ville. Pas un Guerrier
de marque ne s'y fait diftinguer : il faut
que Clorinde arrive d'un côté , Argant de.
l'autre , Soliman d'un troifième mais lorfqu'ils
font réunis , ces trois caractères diverfement
héroïques ont un éclat prodigieux , qu'on
pourroit même accufer quelquefois d'éclipfer
celui des Héros Chrétiens . La tendre Erminie
jette au milieu de ces couleurs fortes une
nuance douce qui repofe agréablement les yeux.
L'Enchantereffe Armide vient à fon tour , &
fixe tous les regards . C'eft une de ces heureufes
inventions qui fortent du cerveau d'un
Poëte pour s'imprimer dans la mémoire des
hommes , & ne s'en effacer jamais.
L'armée d'Egypte, qui paroît à la fin du Poëme
pour donner un dernier relief à la valeur des
Chrétiens , fournit encore de nouveaux carac- ,
tères , parmi lesquels on diftingue fur -tout ceux
d'Adrafte & de Tiffapherne. Elle fournit auffi
non feulement de nouveaux incidens , mais un
nouveau dénombrement poétique, des peintures.
nouvelles de moeurs & de coftumes étrangers
. Elle donne enfin une dernière preuve de
la féconde imagination du Taffe & de l'étendue
de fon génie..
Quant à fa fublimité , la preuve en eft , em
quelque forte , répandue dans tout le Poëme.
On la trouve dès l'invocation adreffée à cette:
Mufe , qui n'a point fur l'Hélicon le front ceint
d'un laurier périffable , mais qui , parmi les choeurs
•æleftes , porte une couronne d'or & d'étoiles immorDE
FRANCE. 37
telles. On la trouve dans la manière dont ſe
fait l'expofition du Poëme , dans ce regard
que l'Eternel jette fur la Syrie & fur l'armée
Chrétienne, regard qui pénètre au fond des coeurs
de tous les Chefs , & qui nous y fait pénétrer
nous-mêmes on la trouve dans l'annonce
brufque & terrible du caractère d'Argant , lorf
qu'il fecoue fon manteau devant les Chrétiens
affemblés , & qu'il paroît en faire fortir la fureur
, la difcorde & la guerre. Le confeil infernal
, quoiqu'imité & prefque traduit de Vida ( 1 ) ;
la mort du jeune Saénon , & fon difcours avant
le combat ; la fuite de Soliman ; la defcription
du trône de l'Eternel ; celle de cette fèchereffe
dévorante qui met l'armée Chrétienne
à deux doigts de fa perte ; un nombre infini
de penfées & de fentimens , quelquefois énoncés
dans le ftyle le plus noble & le plus poétique
, comme ceux de ce vieillard qui montre
å Renaud notre vrai bien , non dans des plaines
agréables , parmi les fontaines & les fleurs ,
au milieu des Nymphes & des Syrènes , mais
fur la cime du mont efcarpé où habite la Vertu ;
quelquefois indiqués par l'attitude feule ou par
l'expreffion des traits du vifage , comme lorfque
ce même Renaud ,
averti par Tancrède
que Godefroi veut le faire arrêter , fourit
avant de répondre , & qu'un courroux dédaigneux
éclate à travers fon fourire ; mille traits
enfin dont tout ce Poëme étincelle , font des
preuves auffi multipliées que frappantes , de l'élévation
& de la fublimité du génie du Taffe.
Mais tant de beautés ne font-elles pas obfcurcies
par les défauts que Boileau lui reproche
? C'eft ce qu'il refte à examiner. Allons
par ordre ; & avant que de chercher dans la
(1) V. Chriftiad. Lib. I.
38
MERCURE
Jerufalem délivrée ce qui juſtifie le jugement de
Defpréaux , voyons ce que quelques amis du
Taffe penfoient de cet Ouvrage , & ce qu'il
en penfoit lui -même.
( La fuite au Mercure prochain. )
SPECTACLE S.
CONCERT SPIRITUEL ,
ILLy a long- temps qu'on n'avoit eu de
Concerts aufli brillans que l'ont été ceux
de cette quinzaine non qu'on y ait
donné beaucoup de nouveautés , mais on
y a vu réunis avec un plaifir extrême , des
talens très-diftingués & déjà chers au Public.
Madame Todi , dont nous avons déjà
parlé avec éloge , & qui eft au delfus
de tout éloge par fon habileté , par le
charme de fon expreflion & la perfection.
de fa méthode , a foutenu le fuccès qu'elle
a eu d'abord en reparoiffant ici. L'enthoufiafme
qu'elle a excité , & qui ne s'eft point
ralenti , juttifie pleinement l'accueil flatteur
qu'elle a reçu dans plufieurs Cours Souveraines
, notamment dans celle de Ruffie ,
où elle a été comblée des bontés d'une Impératrice
qui fait fi bien appré ier les talens
, & à celle de Berlin , où elle eſt enDE
FRANCE. 39
core attachée & dont elle fait les délices .
Un triomphe bien flatteur pour Mademoifelle
Balletti , première femme férieufe
du Théatre de Monfieur , eft d'avoir reçu
les applaudiffemens les plus vifs au milieu
de ceux que l'on prodiguoit fi juftement à
Madame Todi . Le Public, qui n'eft pas toujours
auſſi raiſonnable , a fu reconnoître
féparément & fans les comparer , les qualités
éminentes qui diftinguent ces deux Virtuofes
i les a plutôt traitées en émules
qu'en rivales , & a trouvé le moyen de partager
fes applaudiffemens faus les diminuer .
M. Rovedini & M. Mengozzi , tous deux
également attachés au Théatre de Monfieur,
& dont le mérite eft de plus en plus goûté
ont achevé de rendre la partie du chant extrêmement
intéreffante cette année . Mademoifelle
Sainte-James , qui s'eft fait entendre
une fois , aété fort applaudie , & l'on a auffi
donné beaucoup d'encouragemens à Madedemoiſelle
Parifot , jeune élève de l'Ecole
de chant , qui a déjà une grande habileté,
& qui promet plus encore lorfque fes
moyens feront développés.
Mademoiſelle Vaillant , ainfi que MM.
Lays , Rouffeau , Chardini & le Brun , ont
exécuté avec les applaudiffemens auxquels
ils font accoutumés , plufieurs oratuites ou
fcènes françoiles , parmi lefquelles on a
diftingué celles de M. Berton , jeune Compofiteur
, qui s'avance chaque jour vers la
40 MERCURE
plus grande réputation , & deux nouvelles
fcènes de M. le Brun , qui confirinent l'idée
avantageuſe qu'il a donnée de fon talent.
Iln'y a eu en Motets qu'une feule nouveauté;
favoir , l'In exitu de M. Zingarelli .
Cet habile Compofiteur , qui n'eft encore
connu en France que par de charmans
morceaux détachés , mais qui infpire le
plus vif défir de pouvoir le juger dans de
plus grands ouvrages , n'a pas autant réuffi
dans ce Motet. On auroit tort cependant
d'en rien conclure contre fon mérite ; ilfaut
confidérer que la févérité du ftyle` d'égliſe
en ufage en Italie , n'eft pas encore adoptée
en France , où l'on aime qu'elle foit tempérée
par les graces du chant théatral .
Tous les autres Motets , déjà connus , ainfi
que les divers Stabat , ont été entendus avec
le même plaifir.
Prefque tous les concertos ont extrêmement
réuffi ; la plupart ont été exécutés
par des Virtuofes dont le fuccès eft affuré
depuis long-temps , tels que MM. Lefèvre ,
pour la clarinette , Aldée , pour le violon ,
Caravoglia , pour le hautbois , Duport ,
pour le violoncelle , Peret , pour le baffon ,
ainfi que Mademoifelle Dorifon , pour le
Forte-piano. M. Eck ' , charmant violon
dont nous avons déjà parlé , a joui , pendant
toute la quinzaine , du plus brillant
fuccès. M. Jadin , fur le forte-piano , a fait
grand plaifir , & M. le Vaffeur , que fa ti-
J
DE FRANCE. 41
midité trop mcd: fte avoit dérobé juſqu'ici
aux applaudiffemens du Public , a joué un
Concerto de violoncelle de manière à faire
regretter de ne l'avoir pas entendu plus
fouvent .
Un début curieux , & qui a infiniment
intéreffé , c'eſt celui de M. Bridge- Tower ,
jeune Nègre des Colonies , qui a joué plufeurs
concertos de violon avec une netteté,
une facilité , une exécution & même une
fenfibilité qu'il eft bien rare de rencontrer
dans un âge fi tendre ( il n'a pas dix ans ).
Son talent, aufli vrai que précoce , eft une des
meilleures réponfes que l'on puiffe faire aux
Philofophes qui veulent priver ceux de fa
Nation & de fa couleur , de la faculté de
fe diftinguer dans les Ats.
Nous ne parlons pas des fymphonics ,
prefque toutes d'Haydn. Le nommer , c'eft
en faire l'éloge. Mais parmi les fymphonies
concertantes , nous en devons diftinguer
une nouvelle de M. Devienne , exécu-
Lée par lui - même pour la fûte, M. Sallentin ,
pour le hautbois , M. Ozi , pour le baf
fon , & M. le Brun , pour le cor. Rien
n'eft plus charmant que ce morceau qui a
excité le plus vif enthouſiaſme ; il a été redemandé
plufieurs fois , & toujours entendu
avec un nouveau plaifir.
Le Concert Spirituel eft conduit main
tenant par M. Bertheaume , dont on connoît
non feulement la grande habileté comme
42 MERCURE
exécutant , mais l'intelligence parfaite &
fi néceffaire pour mener un Orcheſtre .
M. Le Gros vient de l'affocier à l'entreprife
de ce Concert , & le Public , ainfi
que les différens Artiftes qui y font employés
, ne peuvent que gagner infiniment
à cette réunion . Les Directeurs , en partageant
ainfi leurs foins , prouvent le défir
qu'ils ont de redoubler d'efforts pour varier
nos plaifirs.
THEATRE DE MONSIEUR
A l'ouverture de ce Théatre , le Sieur
Saint - Preux a débité une Fable fort ingénieufe
, & qui a été extrêmement applau
die. La voici.
LA VOLIÈRE ,
Allégorie pour l'ouverture du Théatre de
MONSIEUR .
UN Amateur avoit une Volière ,
Où fe trouvoient raffemblés à la fois
Le Chantre harmonieux des bois ,
La Fauvette à la voix légère ,
Le modefte Bouvreuil , & le fimple Moineau ,
Dont l'allure un peu roturière ,
Servoit comme d'ombre au tableau,
DE FRANCE. 43
Difpenfant avec goût l'éloge & la critique ,
De fa naiffante République ,
L'Amateur chaque jour écoutoit les concerts :
Sûre d'enlever fon fuffrage
En modulant fes plus beaux airs ,
Philomèle, fans crainte, exprimoit fon homage :
Fanvettes & Bouvreuils avoient la même part
Aux tréfors de fa bienveillance ;
Le Moineau feul , privé des refſources d'un Art
Dont tous les coeurs éprouvent l'influence ,
A peine obtenoir un regard
Qu'il ne devoit qu'à f'indulgence.
Jaloux de partager un prix
Qui pouvoir le couvrir d'une gloire immortelle ,
Aucun effort ne coutoit à fon zèle ,
Et parfois les travaux fe voyoient accueillis .
L'Amateur fait un long voyage ;
Plus de concerts , plus de ris , plus de jeux
Le filence fuccède aux accords gracieux
Dont retertiffoit le bocage.
Mais fon retour ranime la gaîté :
Graces aux foins d'une main prévoyante ,
De fes jeunes Sujets , au gré de fon attente,
Le nombre s'étoit augmenté.
Tous ne femblent former qu'une même famille ,
Par l'accord qui , jufqu'en leurs jeux ,
De toutes parts éclate & brille .
Pour fêter un retour qui comble tous les voeux ,
A l'envi l'un de l'autre on s'agite , on s'empreffe ;
1
44
MERCURE
Mais qui fe chargera de l'emploi dangereux
De peindre leur vive alégreſſe ?
Ami , dit le Moineau , le cas eft épineux :
» Sur ce fujer la matière eft ufée ;
» Dire du neuf , ce n'eſt pas chofe aifée ;
» Ne rien dire ne vaut pas mieux,
De notre bienfaiteur Occupons-nous fans ceffe
» A mériter l'indulgence & l'appui :
52
Que chacun jare devant lui
» De redoubler d'efforts , & tienne fa promeffe :
» C'eſt le feul Compliment qui convienne aujour-
» d'hui c
ANNONCES ET NOTICES .
CATALOGUE Chronologique des Libraires & des
Libraires-Imprimeurs de Paris , depuis l'an 1470 ,
époque de l'établiffement de l'Imprimerie dans
cette Capitale, jufqu'à préfent : on y a joint , 1º.
le Catalogue des mêmes Libraires , &c. difpofé
par ordre alphabétique des noms propres ; 2. le
Catalogue des mêmes Libraires , & c. difpofé par
ordre alphabétique des noms de baptême ; 3 °. le
Tableau des XXXVI Imprimeurs de Paris , avec ,
la chronologie de leurs Prédéceffeurs , en remon
tant à l'Edit de 1686 qui les fixe à ce nombre ;
4° . la Notice chronologique des Libraires , Libraires
Imprimeurs , & des Artiftes qui fe font
occupés , à Paris , de la Gravure & de la Fonte
des Caractères Typographiques , depuis l'établi
^
DE FRANCE. 45
fement de l'Imprimerie dans cette Capitale jufqu'a
préfent : ( In tenuitate copia ) . Dédié à l'Uiverfité
; par A. M. Lottin l'aîné , Lib - Imp . de
Paris. A Paris , chez J. R. Lottin -de- St- Germain ,
Impr-Libr. ordinaire de la Ville , rue St -Andrédes-
Arts , N. 27 , 1789. Avec Approbation &
Privilége du Roi. 2 Parties in 8 °. peti : format de
300 pages chacune. Prix, 7 liv . 4 f. brochées.
Traité de l'Education des Femmes , ou Cours
complet d'Inftruction . 6 Vol. in- 8 ° . Prix , 21 l .
12 f. br. , & 30 liv. reliés. A Paris , chez Moutard
, Lib Imp. de la REINE , rue des Mathurins ,
Hôtel de Cluni.
Les 3 premiers Volumes , après avoir parlé des
foins qu'exigent les enfans depuis leur naifiance
jufqu'à l'âge de 14 ans , donnent une idée de toutes
les Sciences. Le 4e. Vol . commence l'Hiftoire
de France , que le 6e. Volume conduit jufqu'à
Pl pe II. Le 7e. Volume , qui paroîtra le 10
Mai , continue l'Hiftoire de France jufques & compris
le règne de S. Louis , & eft terminé par un
tableau de l'Europe , qui s'arrête en 1492 .
+
Les Tomes 8 , 9 & 10 , qui termineront l'Hif
toire de France , font fous preffe.
ן כ
Cet Ouvrage nous a paru mériter l'approbarion
du Cenfeur , qui affure » qu'il eft tracé par
» une plume vraiment patriotique , & que les
» principes en font lumineux , folides , & ne
» peuvent que concourir à la réforme de nos
" moeurs , en préfentant le jufte apperçu d'une
» éducation honnête & verrycufe .. On nous
affure que l'Auteur eft une Dame .
Iettres de M. l'Abbé Dominique Sartini , écrites
à fes Amis en Tofcane ; pendant le cours , de fes
voyages en Italie en Sicile & en Turquie , fur ,
46 MERCURE
'Hiftoire Naturelle , l'Induftrie & le Commerce
de ces différentes contrées ; traduites de l'Italien ,
& enrichies de Notes ; par M. Pingeron , Membre
de l'Académie Royale des Sciences & Arts
utiles de Barcelone , ancien Secrétaire du Musée
de Paris , attaché au Bureau des Plans du Département
des Bâtimens du Roi , à Verſailles. 3
Vol. in- 8 °. A Paris , chez la veuve Duchefne &
fils , Lib . rue St. Jacques , au Temple du Goût .
Agenda des Banquiers , contenant les différentes
combinaiſons des Changes pour les Places
les plus cambistes de l'Europe , par rapport à la
France ; par Ab. Mendès , Teneur de Livres à
Bordeaux. Ouvrage très - utile à MM. les Banquiers
& Négocians. A Bordeaux , chez Pallandre
l'aîné , Lib. Place Saint - Projet ; & à Paris ,
chez la veuve Duchefne & fils , Libr. rue Saint-
Jacques. Prix , 4 liv . 10 f. broché en carton .
On trouve chez les mêmes , l'Eloge d'Armand
Gontaut de Biron , Maréchal de France * fous
Henri IV , &c . Difcours qui a remporté le Prix
au jugement de l'Académie de Bordeaux , en
1788 ; par M. Vigneron , Tréforier de France ;
in-8°. de 120 pages. Prix , 1 liv. 16 ſ.
Droit Public de France ; Ouvrage pofthume
de M. l'Abbé Fleury , & publié avec des Notes
fort utiles pour le développement du Texte , par
M. Daragon , Profeffeur en l'Univerfité de Paris.
Vol . in- 12. Prix , 7 liv. 4 f. Au Louvre , Colonnade
en face de S. Germain- l'Auxerrois , au Magafin
de Librairie , chez Samfon.
Cet Ouvrage contient : le Droit commun de
Francs entre eux , depuis l'origine de la Monar
chie ; le Droit coinmun avec divers Peuples ;
-l'origine & confufion des Seigneuries públiques
-
DE FRANCE. 47
-
& privées ; les différens états des Sujets ; — le
Clergé la Nobleffe ; le Tiers - Etat ; - l'origine
des Parlemens ;
-
--
ce qu'étoit la Juſtice &
les Seigneuries fous les première , feconde & ze.
Races ; les Elections ;
-
- - les
les Offices ;
anciennes Jur.fdictions ; l'origine des Intendans;
la Police ; Corps de Métiers ; - Priviléges ;
Commerce; -Impôt; -Agriculture ; --Guerre ;
-Prifes ; —Marine ; -Traité de paix ; —Chaffe ;
Chevalerie , &c. & c . & c,
Obfervations faites dans les Pyrénées , pour
fervir de fuite à des Obfervations fur les Alpes ,
inférées dans unc Traduction des Lettres de W.
Coxe fur la Suiffe ; par M. Ramond. 2 Parties
in- 8 ° . , avec Cartes . A Paris , chez Belin , Libr.
rue St. Jacques , près St. Yves, Sous le Privilège
de l'Académie Royale des Sciences ,
L'eftime qu'on a accordée aux premières Obfervations
de l'Auteur de cet Ouvrage , eſt un préjugé
en fa faveur,
L'Impatience amoureuse , gravée par de Seve ,
d'après Mallet, A Paris , chez l'Auteur , rue St-
Jacques , maifon du Md. Epicier , en face de la
rue des Mathurins. Eftampe ovalo. Prix , 4 liv,
en couleur , & 2 liv. en noir.
Les bonnes Amies , par les mêmes ; même prix
& même adreffe .
Le Joueur , peint par D. C... , gravé par L.
C. T... Prix , 1 liv. 4 f, A Paris , chez Efnault
& Rapilly , rue Saint-Jacques , à la ville de Cou
tance , Nº. 259.
Combat de Dieu-Donné de Gozon , Chevalier
Hofpitalier de S. Jean de Jérufalem , contre le
Serpent de l'Ile de Rhodes , fous le Grand-Maîfte
Helion de Villeneuve ; deffiné par Parizeau , gravé
48 MERCURE DE FRANCE .
par Piquenot. Prix , 3 liv. , & 6 liv . les premières
épreuves. A Paris , chezl'Auteur , rue des Cannes ,
College de Profle
Cette Eftampe fait pendant à l'Héroïsme du
Sentiment. On promet dans peu la fuite de l'Hiftoire
qui en a fourni le fujet.
L'Hiftoire , le Cérémonial , & les Droits des
Etats Généraux du Royaume de France , où l'on
a ajouté l'Hiftoire des vains efforts qu'on a faits
fous les règnes de Louis XIV & de Louis XV ,
pour obtenir la convocation des Etats-Généraux ;
Far M. le Duc de ... 2 Parties in- 8 ° . Prix , 3 l.
15 f. br. , & 4 liv . 10 f. franches de fort par la
Pofte. A Londres ; & fe trouve à Paris , chez
Buiffon , Lib. rue Haute feuille , Hôtel de Coëtlofquct
, Nº. 20.
TRADUCTIO RADUCTION.
TABLE.
Charade , Enig . Logog.
Defcript on.
Nouvelic.
3 Variétés.
Concert Spirituel.
Théatre de Monfieur.
18 Annonces & Notices.
39
42
44
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr . le Garde des Sceaux ,
Je MERCURE DE FRANCE, pour le Samedi 2
Mai 1789. Je n'y ai rien trouvé qui puiffe
on-empêcher l'impreffion. A Paris , le 1er. Mai
$789.
SÉ LIS.
JOURNAL
POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
De
POLOGNE...
le
5
avril
1789
.
DAANNSS ses dernières Séances , la Diète
a enfin à - peu - près consommé le dif- .
ficile ouvrage des nouvelles Impositions ,
qui doivent monter à 48 millions et demi
de florins par an , pour l'entretien d'une
armée nationale de 100 mille hommes.
Aux taxes arrêtées précédemment , et
dont nous avons donné l'énumération
successive , la Diete a ajouté d'abord
celle desbiens et revenus Ecclésiastiques ,
ensuite celle de 10 pour 100 du revenude
toutes les terres Nobles. Cette dernière ré
solution , sanctionnéé , par acclamation ,
dans la 80. Séance, fut enregistrée au Protocolle
sous le titre d'Offre patriotique
des Citoyens. En effet , ce tribut s'élevera
, pour un grand nombre de Ma
N. 18. 2 Mai 1789.
( 2 )
F
"
gnats , à des sommes très considérables
; le
Comte Potocki, Palatin de Russie ,paiera ,
de son revenu simplement
territorial ,
plus de 300 mille florins Polonois par
an ; le fardeau ne sera pas moindre
pour un certain nombre d'autres grandes
familles qui se sont piquées , dans cette
circonstance
, d'un désintéressement
dieté
par la justice , par l'étendue de leurs
fortunes , et par la nécessité de pourvoir
à la sûreté de la République . On calcule
que cet impôt , dont la perception
sera incessamment
réglée , rendra dix
millions de florins ; ainsi , l'Etat a
maintenant
un revenu extraodinaire
,
assuré et permanent , de 38 millions .
On compte trouver le reste des fonds
nécessaires à l'établissement
civil et mi-
Hitaire , dans une taxe sur les Juifs , dans
quelques droits d'accise , et d'autres
moindres objets . Les Paysans seront
exempts de la nouvelle tuxe territoriale ;
et afin de les maintenir contre toute
oppression à cet égard Judæ Diete a
charge la Commission
du Trésor de
publier , au nom des Etats , l'Edit proécteur
des gens de la campagne .
Dans la 82 Séance, on arrêta la ma
mière de compléteren Lithuanie des compagnies
de Cavalerie nationale qui
doivent être portées à 100 hommes . On
Commença également à traiter dunda
Constitution qui allégett la servitude des
Paysans , dont la catenuandéfendue
A & 181 .
( 3 )
avec noblesse et éloquence , par un
grand nombre de Seigneurs ; mais la résolution
définitive a éte remise à une
autre Séance. La 86° . a été employée ,
en grande partie , à presser la nomina
tion des Ministres de la République aux
Cours de Suède , de Danemarck et do
Saxe. Après quelques objections de la
part du Roi , le Maréchal de la Confédération
déclara que S. M. procéderoit
incessamment aux nominations demandées.
Le bruit qu'on avoit affecté de
répandre sur le refroidissement de la
Cour de Berlin à notre égard , est absolument
tombé depuis la lecture faite
de la Réponse des Ministres du Cabinet
de Prusse , au Prince Czartoryski.
---
Il est arrivé à New-Fahrwasser plusieurs
Ingénieurs de Berlin , qui sont
chargés de diriger l'établissement des
redoutes , forts et batteries, qui couvriront
ce port Prussien.-
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 12 avril.
Quelques Papiers publics ayant rapporté
lasubstance du Discours prononcé,
le 17 mars , dans l'Assemblée de la
Noblesse de Suède , par le Comte
d'Ugglas , contre l'Acte d'union et de
sûreté , l'impartialité exige que nous
a ij
( 4 )
donnions une idée de cette harangue ,
dont plusieurs argumens ne paroissent
pas assez développés.
« Le Comte d'Ugglas effaya de prouver que
Acte renverfoit entièrement la conftitution &
la forme de Gouvernement de 1772 ; qu'il étoit
conçu en termes ambigus & fufceptibles de l'interprétation
a plus étendue ; que plufieurs propofitions
fe contredifoient manifeftement ; que
d'autres n'avoient point de fens ; qu'accorder au
Rola liberté de commencer une guerre offenfive ,
c'étoit bleifer la forme de 1772 ; que , fi on
lui attribuoit cette prérogative , il auroit auffi ,
par une fuite néceffaire , le droit d'établir des impofitions
, puifque d'après la forme de Gouvernement
de 1772 , il eft autorifé à ordonner des
fubfides pour les befoins de la guerre , & que,
s'il pouvoit faire la guerre quand bon lui fembleroit,
il pourroit aufli charger fes Sujets d'impôts
toutes les fois qu'il le jugeroit à propos ; que la
liberté réfervée au Peuple Suédois de fe taxer luimême
étoit une chimère , fi l'exercice de cette
liber é n'étoit point réſervé aux Etats aſſemblés en
Dète ( 1 ) ; que la prérogative du Roi , de difpofer
à fongré des emplois publics , étoit contraire
à la forme de Gouvernement de 1772 , & à
l'arrêté de la Diète de 1786 ; que l'artice concernant
l'adminiſtration de la juftice étoit tel
(1) Ce paragraphe n'eft pas clair. Par la
loi de 1772 , le Roi ne peut faire la guerre ,
ni lever des fubfides que provifoirement , pour
l'inftant du danger , & fauf la ratification fubféquente
de la Diète. Par l'Acte d'union , il eſt
maître de faire la paix ou la guerre ; mais les
fubfides reftent à la difpofition de la Dière.
( 5 )
qu'aucun pays civilife n'en offroit un exemple ,
& qu'il étoit même en contradiction avec un
autre article du même Afte , qui porte que S. M.
n'a
que deux voix au Sénat dans les affaires de jaftice
; que , quant à ce qui regardoit particulièrement
la Nobleffe , l'Acte étoit abfolument attentatoire
à fes priviléges , cor firmés par les Rois de la
faille de Wafa , & nommément auffi par Sa
Maj . , fous ferment , à trois différentes repriſes.
Qu'attendu que le préambule & la fi de la forme
de Gouverneme t de 1772 , licient les mains au
Roi & aux Etats , & que par là ils étoient empêchés
d'entreprendre aucun changement qui fe
roit contraire à cette forme , il ne pouvoit fe
difpenfer de rejeter entièrement l'Acte propofé
'd'union & de furété.
On a imprimé à Stockholm différentes
pièces relatives aux discussions actuelles :
quelques -unes sont officielles , et par
conséquent historiques : à ce titre , nous
présenterons les trois extraits suivans
du Protocolle de l'Ordre des Paysans
dans la Diète actuelle :
Extrait du Protocolle du 17 février 1789 .
Le Secrétaire de l'Ordre dit : « Que S. M.
avoit fait appeler les quatre Etats pour fe rendre
« aujourd'hui à une Affemblée gé ér le que
« l'on ignoroi: ce que le Roi propoferoit aux
a Etats ; mais que lui , Secrétaire , croyoit de
« fon devoir de ne pas cacher à l'Ord e le bruit
« répanda que l'intention du Roi étoit de demander
a la Souveraineté , ou un pouvoir illimité : qu'il
« regardoit , à la vérité , ce bruit comme defti-
« tué de fondement , & même comme offenfait
« à S. M. , & comme criminel ; pendant foa
à iij
( 6. )
""
« règne , le Roi ayant déclaré folemnellement ,
« dans toutes les occafions , qu'il étoit bien éloigré
de défirer un Gouvernement illimité ; que
« par conféquent il ne préfumoit pas qu'il en
« feroit queftion ; que fi , cependant , il furvenoit
« une pareille propofition , fon ferment & fon
« devoir exigeoient de lui d'exhorter , dans ce
moment , l'Ordre des Payfans en général , &
chacun de fes Membres en particulier , à ne
" jamais perdre de vue qu'ils font Citoyens Suédois
libres , qui , ainfi que leurs ancêtres , ont
en horreur toute Souveraineté abfolue , in-
« compatible avec l'intérêt des Suédois , & qu'ainfi
« tous les Membres de l'Ordre avoient à dé-
« fendre, aux dépens de leurs biens & de leurs vies ,
" la liberté & la conftitution du royaume. »
Extrait du Protocolle du 20 février.
« Lorfque les Etats du royaume furent affemblés
le 17 de ce mois ; lorfqué le Roi les eut
« affurés très- gracieufement que jamais il n'ac-
« cepteroit , ni ne demanderoit la Souveraineté ,
& , en même temps , qu'il portoit à tous fes
« Sujets les mêmes fentimens de tendrelfe , que
« tous devoient être également libres , & que
par conféquent il fe propofoit d'affurer aux
trois autres Ordres , qui n'avoient pas les mêmes
« prérogatives que celui de la Nobleffe , plufieurs
droits & avantages ; Niels Svendfon , Député
u de l'Ordre des Payfans pour la province de
« Chriftianfand , adreifa au Roi le Difcours fuivant
: »
« SIRE , comme votre Majefté a déclaré très-gracieusement
qu'Elle ne chercheroit , ni n'accepteroit jainais
la Souveraineté , nous regardons comme le plus
grand bonheur du royaume & des Sujets Suédois en
particulier , d'être gouvernés par vous. L'Ordre dès
( 7 )
Payfins peut en confequence charger avec füreté vatne
Majefte de maintenir, conformément aux loisfondamen
dales , les droits & l'indépendance du royaume , ainfi
que Js défenfe , & tout ce qui eft relatif au véritable
bien- être de vos fidèles Sujets, »
Extrait du Protocolle du 21 février.
Ce jour , on lut la déclaration fuivante d'Olof
Larfon , Député pour la province de Sudermanie ,
laquelle fut inférée enfuite au Protocolle.
Dans l'Adrefle de remerciemens que l'on a
arrêté de préfenter au Roi , pour les foins qu'a
pris S. M. des frontières du royaume , tous les
Etats font les voeux les plus ardens pour que S.
4. veufle bien, contribuer au rétabliffement de
la paix. Digues Concitoyens , je ne puis pronon
cer le mot de paix , fans vous faire part des inquiétudes
& de la trifteffe qui fe font emparées
de mon coeur ! La paix , ce don du ciel , qui verfe
le bonheur fur tous les Ordres , & fans laquelle
nous nous efforçons en vain de pourvoir à nos
befoins, la paix , dis-je, a difparu . Le royaume
eft impliqué dans une guerre dont on ne prévoit
point la fin nous avons affaire à un voïfin qui
a porté fouvent la deftruction dans nos villes &
fur nos côtes. Les fruits des fueurs & des travaug
de nos Concitoyens , qu'une moiffon médiocre a
rendus à peine fuffifans pour leur entretien &
celui de leurs beftiaux , font déja confommés
dans quelques endroits de frontière , tant par nos
propres troupes , que par des troupes étrangères.
Nous autres , quoique nos demeures aient été
jufqu'à préfent épargnées , avons eu la charge
rès-pefante du recrutement & de l'armement , qui
font devenus d'autant plus difpendieux , que nous
fûmes furpris , pour ainfi dire , par la guerre. »
« Les paffages continuels des troupes & les
a iv
( 8 )
tranfports ont harraflé nos chevaux , au point
que l'agriculture en fouffrira prodigieufement.
Affez affoibli par une année diferteufe & par les
impofitions , nous n'avons devant nous d'autre
perfpective que celle de remplacer les Soldats ,
que la guerre , des maladies & d'autres accidens
ont enlevés . Le commencement eft déja fait par
la fourniture des Matelots qui doivent remplacer
ceux qui ont perdu leur vie dans un combat hoorable
, & ceux qui , échappés aux dangers de la
guerre & de la mer , font devenus , pendant leur
voyage de retour , les victimes infortunées d'un
hiver rigoureux auquel ils ne purent réſiſter. Cependant
on ne ceffe de dire que la continuation
de la guerre est néceffaire , & que , les armes à
la main , il faut forcer l'ennemi à confentir à une
paix honorable pour nous . Cela eft beau', & fonne
Inerveilleufement bien ; mais je crains que par
le résultat de ces démêlés , le pays ne foit forcé de
fournir des Soldats , & de fupporter des impofitions
au-deffus de fes moyens. L'iffue de la guerre eft
dans la main de la Providence ; fi elle oft malheureufe
, il ne nous refte plus aucune reffource :
à la place de nos parens , amis & Concitoyens ,
qui feront restés far le champ de bataille , nous
nous verrons environnés de veuves & d'orphelins ,
dont les lamentations & les imprécations ajouteront
un nouveau poids à nos fardeaux . La mefure
de notre malheur feroit au comble , fi ncs
côtes étoient ravagées , fi des poffeffions étoient
détachées du royaume , & fi leurs Habitans fe
voyoient forcés de fe courber fous un jong étianger.
Mais l'iffue de la guerre eft heureuſe ,
eft - il probable que notre position foit améliorée ?
Les Chefs gagnent les victoires ; ils en retirent
l'avantage , & fe couvrent d'honneur ; mais quel
dédommagement peut fe promettre le fimple Sujer
? Nous ne partageons pas les conquêtes pour
( 9 )
nous indemnifer de nos dépenfes ; nos fermes
ne feront point agrandies par les pays conquis ,
& les dommages qu'elles auront effuyés par les
fuites deftructives de la guerre , ne feront point
réparés. Ces confidérations me portent à défirer
fincèrement que l'on cherche à faire la paix , afin
de détourner du royaume , s'il eft poffible , les
adverfités qui le menacent, & je fuis d'avis de
fupplier S. M. très -inftamment d'y avoir égard.
Je prie d'inférer au Protocolle mes confidérations .
Mà conſcience fera tranquille , lorſque mes Concitoyens
, qui font reftés chez eux , y liront un
jour que j'ai répondu à leur confiance , & que j'ai
propofé ce dont ils m'avoient chargé , favoir , de
chercher la paix qu'ils défirent tous bien ardemment
. >>
a
Ces morceaux réfutent clairement
l'opinion hasardée que l'assentiment de
trois Ordres aux mesures du Roi ,
été subreptice , et l'on voit que les délibé
rations se sont faites, dans l'Assemblée des
Paysans , avec la plus grande liberté.
On a également publié la relation
officielle de l'Audience qu'obtinrent
les Députés des quatre Ordres , lorsqu'ils
remirent au Roi , le 23 mars , leur
Adresse de remerciemens ; en voici la ,
teneur : I
En confequence de la très - refpectaenfe prière des
Etats , il plût à Sa Majesté , cejourd'hui , '( 23 mars`
1789 ) à 4 heures de l'après-midi , de recevoir dans
fes appartemens , dans la partie fupérieure du Chateau-
Royal , les Députés des Etats du Rovaume ;
favoir , so de l'Ordre équestre & de la Nobleffe ,
& 24 de chacun des autres Etats , fous la conduite
de M. le Maréchal de la Diète , ainfi que des ·
a v
( LO )
Orateurs de chacun des trois autres Ordres . Le Roi,
ayant à fa droite le Prince Royal , fon Fils , étoit
accompagné defon grand Chambellan , le Comte Niels
Poffe , de fon premier Gentilhomme de la Chambre ,
Baron Evert Taube , du Comte Adam-Louis Lowenhaupt
, Capitaine- Lieutenant de la Compagnie
des Trabans du Corps , & du Comte Jacob de la
Gardie , Capitaine dans le Corps des Dragons-legers
de la Maifon du Roi. Le Prince- Royal qvoit
avec lui deux de fes Gentilshommes , les Barons de
Morner & Boye. Le Secrétaire d'Etat Schroderhim
, qui remplit les fonctions de la charge vacante
de Chancelier de Cour , tenoit le Protocolle. Les
Députés ayant été introduits par le Colonel Baron
de Stranfelt , Maréchal de la Cour , le Comte de
Lewenhaupt , Maréchal de la Diète, fit lecture d'une
Adreffe des Etats au Roi , dont il remit enfuite entre
les mains de Sa Majefté une copie conçue en ces
termas :
TRES - PUISSANT , TRÈS GRACIEUX Ro1.
C'est avec la joie & la fatisfaction la plus intime
, que les Etats faififfent toutes les occafions
de renouveler à leur gracieux Roi les affurances
de leur fidélité inviolable & de leur plus refpectueux
attachement : ils reconnoiffent qu'il eft
de leur devoir de rendre à la Providence divine
leurs actions de graces les plus fincères , de ce
qu'il lui a plu de garantir fon Oint au milieu
des dangers les plus preffans de la guerre , & de
ce qu'Elle a détourné la perfonne facrée de Votre
Majefté , des malheurs qui l'accompagnent ordinairement
; ils fentent qu'ils font également dars
l'obligation de témoigner leur plus vive gratitude
à Votre Majefté , qui n'a épargné aucun foin , qui
ne s'eft ſouſtraite à aucun danger pour fauver le
Royaume , pour en maintenir l'indépendance ,
pour en défendre les frontières & les Provinces ,
& pour en repouffer des armées étrangères.
( IL )
de
Mais , TRES GRACIEUX ROI , plas les cours
vos Sujets foot remplis, de fenfibilité pour tout
ce qui regarde votre augufte Perfonne , plus leurfol
icitude eft grande à la vue des dangers où
les événemens de la guerre peuvent la planger ,
& plus leur vou eft ardent de voir bientôt fe
diffiper , par une paix prompte & heureufe , les
nuages qui ont convert le ciel de la Suède. Anfi
ils font prêts à facrifier , chacun dans la sphère ,
tout ce qui dépend d'eux pour s'oppofer à l'ennemi
à forces réunies , pour défendre , en marchant '
fur les traces de leurs braves ancêtres , leur Roi
& leur Patrie , avec un courage mâle , jufqu'à la
dernière goutte de leur fang ; pour maintenir .
l'indépendance du Royaume , & l'antique honneur,
du Peuple Suédois ; & pour mettre, par ces moyens,
Votre Majefté en état de procurer au Royaume
une paix honorable , sûre & permanente , qu'il
plaira à Votre Majefté , par amour pour fes Sujets
, de préparer gracieufement , d'accepter & de
confirmer , auffi-tôt qu'elle pourra être acceptée
& confirmée. C'eft ce dont les Etats du Royaume
la prient avec inftance , afin que les plaies & les
dommages que les flammes de la guerre ne maaquent
jamais de caufer , foient guéries & réparés
, & que l'activité de nos Concitoyens puiffe
recueillir de nouveau en tranquillité les fruits fi
defirables de la paix , qui ont rendu jufqu'à préfent
le règne de Votre Majeté fi heureux , &
par lefquels fon augufte nom doit toujours être ·
en bénéd ction parmi les Habitans de la Suède.
Nous fommes toujours avec le plus profond reipect
, TRÈS-PUISSANT, TRÈS-GRACIEUX ROI , de-
Votre Majefté , les très -obéiílans & très- fidèles-
Serviteurs & Sujets , LES ETATS DU ROYAUME.
#
Signés , pour Ordre Equeftre & la Noblee
C.E. LEWENHAUPT , Maréchal de la Diète , pour t
a vj
( 12 )
le Clerge , U. V. TROIL ; pour la Bourgeoife ,
AND. LUDBERG ; pour l'Ordre des Payfans , ANDERS
ANDERSSON .
A cette Adresse , le Roi fit la Réponse
qui suit :
J'ai reçu avec la plus grande fatisfallion les
témoignages de la reconnoiffance des Etats duRoyaume,
pour la follicitude conftante avec laquelle j'ai maintenu
l'honneur défendu les frontières du Royaume.
Je Jens avec une vive joie , combien il eft honorable
d'être à la tête d'une Nation brave & fidèlle , dont
l'amour&la confiance relèvent mon courage dans toutes
les circonftances les plus inquiétantes . Un de mes
premiers voeux eft certainement celui d'effectuer une
paix honorable , & qui foi d'une durée permanente.
J'ai donné aux Etats baffurance que je ne négligerois
aucune occafion favorable pour y parvenir
& c'eft avec fatisfaction que je réitère ici ce voeu
fondé d'ailleurs fur ma propre inclination & fur mes
defirs. En attendant , je n'épargnerai point ma Perfonne
, ma vie , ni mon fang, pour le fervice de ma
Patrie ; & puifque les Etats fecontent mes efforts ,
ils peuvent être affurés des difpofitions gracieufes avec
lefquelles je ferai toujours leur Roi bien affectionné.
Après la préfentation de cette Adreſſe , M. le
Maréchal , les Orateurs & les Dépurés eurent l'honneur
de baifer la main de Sa Majesté , qui , au mo
ment qu'ils fortoient de l'audience, fit rappeler M. le
Maréchal & les Députés de la Neb'efle par fon )
Grand Chambellan le Comte de Poffe , & leur tine
fe difcours fuivant :
a Comme , après avoir reçu l'Adreffe de re
merciemens , je puis renouveler les afftrances de la
fatisfaction avec laquelle j'ai toujours reçu l'Ordte
( 13 )
Equeftre & la Noblette , j'en fais rappeler les Dépurés
dans ce deſſein . L'on ne dit jamais confodre
le affaires particulières & perfonnelles
avec des objets publics . Le plaifir de récompenfer
le mérite , a toujours été réuni dans mon coeur , à
la fatisfaction d'oublier les torts ; & puifque le
royaume fe trouve impliqué à- préfent dans une
guerre , ma Nobleffe a la meilleure occafion de
s'acquérir de l'honneur , en marchant fur les traces
de fes ancêtres. Mes Sujets connoiffent à préſent ,
par une expérience de 18 années , les fentimens de
mon coeur pour ceux d'un rang fupérieur & pour
ceux d'une condition plus baffe , particulièrement
ma façon de penfer envers le premier Ordre de
mon royaume ; façon de penfer que je dois néceffairement
conferver à fon égard , autant qu'il tâchera
de la mériter par un zèle toujours uniforme.
Mon inclination à ne point m'écarter de ces fentimens
eft fincère , mais vos procédés doivent me
fervir de preuve de vos intentions ; & en voyant
avancer mon âge , j'aurai la confolation de confidérer
l'Ordre Equeftre & la Nobleffe conſtamment
avec cette bienveillance & cetre affection avec
lefquelles je vous fuis à tous dévoué. »
Le Colonel et Chambellan de Thun
et le sieur Gulich , Syndic de Stralsund ,
Députés de la province de Pomeranie
furent également admis , le 17 mars , à
l'audience du Roi de Suède ; audience
dans laquelle ils offrirent à Sa Majestė ,
au nom de la province , un don de
4,000 tonneaux de seigle .
Le Conseil de guerre , chargé de l'instruction
du procès des Officiers de l'armée
Finnoise , a commencé ses Séances
le 14 mars .
L
( 14 )
-On enrôle des troupes dans toutes lesi
provinces de Suède , et il sera formé plusieurs
nouveaux Corps. Le Colonel de
Kinzerstein a obtenu du Roi la permission
de lever 'un bataillon d'Infanterie . '
Les avis de la Finlande portent que.
le régiment de Stackelberg est en marche
vers les frontières Russes , et que le
régiment d'Abo s'est tendu , à Helsingfors.
*
L'Amiral Comte d'Ehrenswærd est
parti pour la Finlande , où il prendra le'
commandement de l'escadre qui couvrira
la côte. On lève un nouveau Corps
de Chasseurs de 300 hommes , quisseerraa
commandé par le Baron de Dankwardt.
Rien d'authentique ne pèrce encore
de la procédure entamée à Copenhague
contre le Suédois Benzelstierna , et
contre son complice, le Capitaine Irlandois
Obryn. M. Elliot , Ministre d'An- )
gleterre , est revenu de Berlin, dans la
capitale du Danemarck , avec de nouvelles
instructions de sa Cour pour le
rétablissement de la paix dans le Nord..
On a compté à Pétersbourg , pendant.
l'année dernière , 6,204 naissances , 7,595
morts, et 1,319 mariages.
De Berlin, le 13 avril.
Le Prince Czartorisky ayant presenté
une nouvelle Note à notre Minis-
A
( 15 )
tère , pour demander l'intervention du
Roi au sujet de l'entière évacuation du
territoire de la Pologne , par les troupes
Russes , cet Ambassadeur a reçu la
réponse suivante :
« M. le Prince Czartoryski, Envoyé
Extraordinaire et Ministre Plénipotentiaire
de S. M. le Roi et la République de
Pologne , nous ayant remis une Note , en
date du 2 mars , dans le but de demander
l'intervention du Roi auprès de la Cour
de Russie , pour l'évacuation entière du
territoire de la République , par les
troupes Russes , et nous ayant communiqué
la réponse que les Etats de la
République ont fait remettre pour le
même but à M. le Comte de Stackelberg,
Ambassadeur de Russie en Pologne ,
en date du 10 mars , nous n'avons pas
manqué de mettre ces deux Notes sous
les yeux du Roi. S. M. nous a chargés
de témoigner là - dessus en réponse à
M. le Prince Czartoryski : qu'Elle rece
voit cette réquisition et communication
respective que les Etats de la Sérénissime
République de Pologne venoient de lui,
faire , comme une nouvelle marque.
très - agréable de leur confiance dans
son amitié ; qu'Elle croyoit ne pouvoir
mieux répondre à cette confiance , qu'en
les assurant qu'Elle persistoit invaria- ,
blement dans les principes qu'Elle avoit
fait manifester à l'égard de la neutralité.
16`)
du territoire de la Pologne , tant à la
Sérénissime République , qu'à la Cour
Impériale de Russie , par la Note qui
a été délivrée , en date du 6 de décembre ,
à M. le Comte de Nesselrode ; et comme
les Etats de la Sérénissime République
de Pologne ont proposé , par la Note
donnée le 10 mars à M. le Comte de
Stackelberg, de nouvelles modifications
sur la manière de laisser subsister les
magasins de la Cour de Russie dans le
territoire de la République , sans déroger
à sa neutralité , S. M. se flatte de
l'espérance que Sa Maj . l'Impératrice de
Russie , selon ses principes connus
d'équité et de générosité , recevra favorablement
les représentations réitérées
d'une République amie et alliée de son
Empire , et qui est fort intéressée à
maintenir la plus exacte neutralité ,
dans une guerre telle que la présente .
S. M. se fera aussi un devoir agréable
de continuer à coopérer au désir de
la Sérénissime République de Pologne ,
à l'égard de cet objet , par ses bons .
offices et par tout ce qui dépendra
d'Elle , pour assurer au royaume de
Pologne les avantages de sa neutralité
et de son indépendance . Nous requérons
M. le Prince Czartoryski , de faire
part aux Etats de la Sérénissime République
de Pologne de ces sentimens du
Roi , et de son amitié sincère et inya(
17
riable pour l'illustre Nation Polonoise . »
Berlin , le 23 mars 1789.
»
Signés, FINCKENSTEIN , HERTZBERG , »
M. Bukati , Ministre du Roi et de la
République de Pologne à la Cour de
Londres , est parti d'ici pour se rendre
à sa destination .
Les Sémestriers des divers régimens
de cette garnison sont arrivés ici pour
la revue prochaine qui aura lieu le 22
mar.
Le Conseiller privé Schulz, Membre
de l'Académie des Sciences , a lu , à la
dernière Assemblée de cette Académie ,
les observations suivantes au sujet de
l'aurore boréale du 28 mars.
« Ce jour , le foleil fe coucha à 7 heures &
un quart ; il y avoit toute apparence que le firmament
feroit bien étoilé. Je Pobfervois de tous
les côtés , & j'aperçus au N. O. un nuage obfcur
qui paroifoit s'élever , & qui reffembloit beaucoup
à une nuée d'orage. A 7 heures 2 minutes ,
temps vrai , ce nuage fe fépara , une partie fembloit
ftationnaire , tandis que l'autre fe portoit
an nord. La couleur du nuage changea en mêmetemps
& devint plus claire. A 7 heures 31 minutes
& demie , j'obfervai un mouvement de vibration
de la partie détachée de la nuée , & à 7
heures 35 minutes , lorfque fa pointe la plus
élevée étoit à la hauteur de 21 degrés , je vis
dans l'endroit où la fciffion s'étoit opérée , une
flamme claire , dans la forme d'un effaim d'abeilles ;
la lumière qui la traverfoit fut très - blanche. Sur
les 7 heures 41 minutes, il parut plufieurs de ces
( 18 )
petites flammes ;j'en ai compté fouvent 4 à 5 ; elles
parurent & dipaient tour- à- tour fans changer
de place , d'une manière fenfible ; elles devinrent
peu -à - peu plus foibles , & difparurent entièrement
vers les 7 heures 48 minutes . A cette époque il
fe : épandit au-deffs du nuage obfcur , un brouillard
épais , & ce nuage parut fe former en aurore
boréale. En effet , le brouillard diſparut vers
les 8 heures 3 minutes , & l'aurore boréale
commença à paroître , le temps étant clair &
calme ; les rayons furent beaux & diverfifiés , &
elle fe préfenta comme d'autres aurores 30-
réales. »
De Vienne , le 18 avril.
Le 5 , l'Empereur donna audience à
M. Woyna , Envoyé Extraordinaire de
Pologne , et au Landgrave de Hesse-
Hombourg, accompagné de son fils ,
qu'on dit destiné à entrer dans notre
service . Le 14 , ce Monarque est de nouveau
retombé dangereusement, et a donné
les plus vives inquiétudes ; mais une crise
heureuse s'est déclarée , et S. M. I. se
trouve mieux aujourd'hui.
Le Maréchal de Haddick est parti ,
le 5 , pour sa terre de Haderdorf, d'où il
compte se rendre à l'armée le 17.
On écrit de Semlin , en date du 20
mars , que le Danube et la Save ont débordé
, et que l'eau a gagné même les'
redoutes de cette forteresse. Il a fallu
retirer à la hâte les postes avancés.
Des avis de la Valachie portent qu'il
19 )
est arrivé , le 6 mars , à Valeni , un dẻ-
tachement considérable de nouvelles
troupes Ottomanes ; la grande partie
d'entre elles ont été distribuées à Desan ,
Omaritsch et Isvorel . Ce Corps , à ce
qu'on présume , a ordre de pénetrer par
le défilé de Bozau , aussi-tôt que le temps
le permettra.
Le Gouvernement de Moravie & de Siléfie a
fait publier un relevé des naiffances , mariages &
morts depuis le premier janvier 1788 juſqu'à la
fin du mois d'octobre de la même année. On y
voit que les naiffances en Moravie , dans cette
époque , fe font élevées à 1,838 , les mariages
9,157 , & les morts à 39,871 . Dans la même
époque , on a compté , dans la Siléfie Autrichienne
, 1,753 mariages , 8,576 naiflances , &
6,368 more.
De Francfort sur le Mein, le 17 avril.
Le Ministre directorial de Mayence
à la Diète de Ratisbonne , a communiqué
, le 23 mars , aux Etats de l'Empire ,
un Décret de l'Empereur , qui admet au
Collége des Comtes de Westphalie , le
Prince Charles de Ligne et d'Amboise
pour le Comté immédiat de Sagnoles
auquel on a donné le nom de Comte
de Ligne.
Le 4 de ce mois , le Duc régnant des
Doux-Ponts a été élu unanimement
Général Feld - Maréchal du Cercle du
Haut-Rhin.
Suivant des lettres de Vienne , le Mi(
20 )
nistre de Pologne a remis au Prince de
Kaunitz , Chancelier d'Etat , une note ,
dans laquelle les dommages que les
troupes de l'Empereur ont occasionnés
sur le territoire de la République lors de
l'investissement de Choczim , sont évalués
à 70,000 florins d'Empire .
Les revenus de l'Empereur , pendant
l'année dernière , tant des contributions
que des mines , salines et autres droits
domaniaux , ont monté , d'après quel
ques calculs , à cent millions 400,000 flor.
Voici leur répartition : De la Hongrie ,
de la Croatie et de l'Esclavonie , 19 millions
; de la Basse Autriche , y compris
Vienne , 16 millions ; de la Bohême ,
14,500,000 ; des Pays-Bas , 7,500,000 ; de
la Moravie , 6 millions ; autant de la Stirie
; autant de la Lombardie Autrichienne
; 5,500,000 de la Haute Autriche ;
4 millions de la Gallicie , autant de la
Transylvanie et de la Buckovine ;
3,600,000 du Tyrol et des Seigneuries
de Vorarlberg ; 2,500,000 de l'Autriche
antérieure ; 2,700,000 de Carniole , du
Frioul , Trieste , Gorice ; 600,000 de la
Silésie , et 2,500,000 de Carinthie .
Un Journal Allemand s'est amusé à
recueillir l'état des lanternes et réverbères
dans plusieurs villes de l'Europe ,
ainsi que la date de leur établissement.
Il en résulte , comme le répètent les gens
( 21 )
d'esprit , qu'aucun siècle n'a été sûrement
plus éclairé.
Les villes de Londres & de Paris , dit le Journalifte
, furent les premières éclairées pendant la
nuit ; on commença cet ufage à Londres dès l'année
1414 , & à Paris , en 1358. Leur exemple fut
fuivi , entre 1469 & 1680 , par les villes d'Amfterdam
, la Haye , Hambourg & Berlin , & enfuite
par d'autres villes : on en donnera ci-après
la lifte , avec quelques obfervations. Dans plufieurs
villes , les lanternes ne font allumées que
lorfqu'il n'y a point de clair de lune , comme à
Paris , Berlin , Copenhague ; on les allume à
Vienne pendant toute l'année. Dans beaucoup
d'endroits , comme à Hannovre & dans plufieurs
autres villes , les lanternes font pofées fur des
poteaux ; dans d'autres elles font attachées à des
bras de fer , qui font fceliés dans les maifons ;
dans d'autres enfin , elles font fufpendues à des
cordes au milieu des rues , comme à Paris ,
Mayence , &c. La forme des Lanternes varie
aufli ; elles font rondes à Vienne , quadrangulaires
à Hannovre , quadrangulaires oblongues à
Hambourg , triangulaires à Gotha ; à Paris , on
fe fert de réverbères . Dans la plupart des villes
de la Baffe Saxe , les lanternes font allumées pendant
8 mois & demi de l'année , à 20 jours le
mois ; dans d'autres , pendant 7 mois , à 16 ou
17 jours le mois .
LISTE des principales Villes qui sont
éclairées la nuit par des lanternes.
Amfterdam : les premières lanternes y datent de
1669.
Berlin : cette ville eft éclairée depuis 1679 ; on
y compte 2,171 lanternes , qui font allumées de(
22 )
puis le mois de feptembre jufqu'au mois de mai ;
elles font affermées pour 6,431 rixdalers & 7
grofchers.
Caffel : depuis 1721 ; on y compte 1,013 lanternes
; elles font allumées pendant 8 mois &
demi , à 20 jours le mo's ; le Fermier reçoit pour
chaque lanterne , 2 thalers & 30 albus . Les frais
font pris fur une petite taxe additionnelle d'un
liard par livre de viande de boucherie.
Copenhague: ony compte 2,000 lanternes ; elles
font attachees aux maifons ; celles qui fe trouvent
au coin des rues , ont une double lumière.
Drefde : depuis 1705 ; on y compte 860 lanternes
ovales ; les frais montent par an ,
rixdalers .
à 5,000
Goettingue depuis 1735 ; on y compte 400
lanternes elles font affermées pour 443 rixdalers.
Hambourg : depuis 1773 ; on y compte 1,473
lanternes ; on les allume lorfqu'il n'y a point de
clair de lune .
Halle depuis 1728 ; on y compte 600 lanternes
, qui font allumées depuis le mois d'octobre
jufqu'au mois de mars ; cet établiſſement
exige 50 tonnes d'huile ; le coton monte à 10
rixdalers , & à 100 les frais de réparation . Chaque
bourgeois paie par an depuis 2 grofchers juſqu'à
2 thalers .
Leipfick depuis 1702 ; on y compte 700 lanternes
.
Londres depuis 1414 ; on y compte de tis
1736 , 15,000 lanternes, elles font allumées pendant
5000 heures dans l'année ( 1 ) .
(1) Depuis 1736 , l'étendue de Londres a confidérablement
augmenté , & les nouveaux quar
tiers de Weſtminſter exigent feuls 5 à 6000 lanternes.
4 200 j
( 23 )
Mayence on y compte 400 réverbères fufpendus
au milieu des rues.
Poftdam : on y compte 591 lanternes.
Vienne en Autriche : depuis 1687 ; on y compte
actuellement 3 , 45 lanternes qui font allumées
toute l'année. On les a affermées pour 26,000
florins.
Gotha : depuis 1704 ; on y compte 399 lanternes
attachées à des bras de fer : la dépenfe annuelle
monte à 767 rixdalers 2 grofchers.
Paris : depuis 1558 ; on y compte actuellement
6,223 réverbères.
D'après un état général des mariages ,
naissances et morts dans les provinces
de la domination Prussienne , pendant
l'année 1788 , on y a compté 46,082 mariages
, 218, 207 naissances , dont 112,090
garçons , et 106,117 filles ; et 170,319
morts , dont 85,441 du sexe masculin ,
et 84,878 du sexe féminin . Excédant des
naissances sur les morts , 47,888 . L'état
militaire n'est pas compris dans ce releve.
ITALI E.
De Rome , le 4 avril.
Sa Sainteté a tenu consistoire le 39
du mois dernier , et elle y a créé Car
dinaux les Prélats suivans :
Dimil
· M. Etienne Borgia, Secrétaire
de la
Propagande
; M. Ignace Busen , Gour
verneur de Rome ; M. Philippe Campanelli
, Auditeur du Pape.
( 24 )
Pour la Pologne, M. Thomas d'Antici,
Ministre de ladite Cour à Rome .
Pour l'Espagne , M. François-Antoine
de Lorenzana , Archevêque de
Tolède , et M. Antoine de Sentmanat ,
Patriarche des Indes .
Pour l'Empire, M. Joseph- François
d'Aversperg, Prince -Evêque de Passau.
Pour la France , M. Louis- Joseph
de Laval de Montmorency, Evêque de
Metz , Grand-Aumônier de France .
Pour Turin , M. Victor-Marie- Balthasard
Costa d'Arignano , Evêque de
Turin.
Il y a déja une nouvelle place vacante
dans le sacré Collège , le Cardinal Cornaro
, de l'illustre famille Vénitienne de
ce nom , étant mort dans cette ville le
28 du mois dernier , à l'âge de 69 ans.
GRANDE - BRETAGNE,
De Londres , le 21 avril.
Les préparatifs et l'attente de l'auguste
cérémonie du 23 , absorbent cette capitale
; danshuit jours seulement les affaires
publiques nous offriront des matériaux .
Le Chancelier et .M. Pitt, dont la conduite
, pendant la dernière crise , a
offert un si bel alliage de fermeté de
sentimens et d'habileté , auroient désiré
que
( 25 )
que le Roi s'abstint de venir lui-même à
St. Paul , par la crainte de la fatigue
que peuvent lui occasionner la durée et
la nature de cette solemnité ; mais S. M.
a persisté dans la résolution de remer
cier, en face de son peuple , la Divinité,
qui s'est rendue aux prières publiques
de la Nation . Londres est rempli d'étran
gers et de personnes des provinces ,
arrivés pour voir cette cérémonie , vrai
ment digne d'un tel concours. Le cor
tège du Roi sera le plus nombreux , de
plus éclatant qu'on ait vu en aucun pays.
La plupart des Officiers de la Cour , le
Parlement entier , les Juges , les fils
aînés des Pairs , une grande partie de la
maison militaire de S. M. bordant la haie,
jusqu'à l'entrée de la Cité de Temple-
Bar , où elle commence jusqu'à Saint-
Paul , le Lord- Maire , le Corps munici
pal , les milices Bourgeoises . Le soir ,
toute la ville sera magnifiquement illuminée
, et ces démonstrations d'alégresse
auront lieu le même jour dans toute
la Grande-Bretagne. C'est un moment
d'ivresse universelle . La Reine étant
venue , il y a quelques jours , au théâtre
de Covent Garden, avec trois des Princesses
, ses filles , la salle retentit d'anplaudissemens
redoublés : ensuite l'Orchestre
ayant commencé l'air , God
save the King ( dieu conserve le Roi ) ,
l'Assemblée entière s'unit à ce concert
touchant ; la Reine attendrie , fondit
N. 1& 2 Mai 1789 .
b
J ( 26 )
1
en larmes les acclamations
redoublèrent
, et l'émotion générale ne permit
de commencer le spectacle qu'une demiheure
après.
Le Parlement s'est rassemblé le 20 ,
et aujourd'hui 21 , la Cour des Pairs
a recommencé le procès de M. Hastings :
c'est la charge des présens faits à cet
Ex - Gouverneur , et donnés par lui à
la Compagnie des Indes , qui va être
discutée. La plupart des Commissaires
de l'Accusation étant dégoûtés de leur
difficile emploi , M. Burke a été forcé
de devenir lui- même l'Avocat de ce
chef d'impeachment.
La valeur des exportations pour les Colonies
à fucre , telle qu'elle a été produite par le fieur
Spoonen , dans l'affemblée générale tenue à la taverne
de Londres , d'après les comptes authentiques
mis fous les yeux de la Chambre des Communes ,
eft montée , en 1787 , à ... 1,612,009 1. 5f. 10d.
ditto , pour l'Afrique , à ..
TOTAL.....
Sur ces exportations il y
avoit pour une ſomme de
1,896,318 liv . 14 f. 7 den.
de manufactures Angloifes,
dans le nombre defquelles
celles des toiles & des draps
font montées à ..
Les importations des
colonies à fucre , pour
la fufdite année , ont été
679,617 6
2,291,626 11 ΤΟ
625,740 ·I- 7
de .
.6,539,415
( 27 )
.1,226,627 19 3
.7,766,045 I 3
Les importations d'Afrique
, y compris les
Nègres vendus , ont été
de ...
TOTAL ...
De forte que les bâtitimens
employés à ce commerce
ont formé 388,300
tonneaux , pour l'équipement
defquels il a fallu au
moins 20,000 Matelots.
Et le revenu provenant
des importations des Colonies
à fucre , eft monté
à . .1,417,522 7. 8
Le 27 , les Communes écouteront la
Motion de M. Wilberforce , contre le
commerce et l'esclavage des Nègres .
FRANCE.
De Versailles , le 22 avril.
Le 16 , Monseigneur le Dauphin s'est
rendu au château de Meudon ; ce Prince
doit y passer toute la belle saison.
M. Moreau , Conseiller honoraire en
la Cour des Comptes , Aides et Finances
de Provence , premier Conseiller et Secrétaire
des commandemens de Monsieur
, et Historiographe de France , a
eu l'honneur de présenter au Roi et à
b ij
( 28 )
la Famille Royale , un ouvrage qui a
pour titre Exposition et défense de
notre constitution monarchique francoise,
précédée de l'historique de toutes
nos Assemblées nationales.
Le 14 , Son Alteffe Royale Monfeigneur ' e
Duc d'Angoulême s'eft rendu à la paroiffe Notre-
Dame , où il a communié des mains de l'Abbé
de Saint- Didier, Aumônier de Monfeigneur Comte
d'Artois , le Marquis de Sérent , Gouverneur de
Monfeigneur le Duc d'Angoulême , & le Marquis
d'Arbouville , Sous- Gouverneur , tenant la
nappe.
Le 17 , le Maréchal de Contades , que le Roi
a pourvu du Gouvernement de la province de
Lorraine , vacante par la mort du Duc de Fleury ,
a en conféquence prêté ferment entre les mains
de Sa Majefté.
Le Roi a nommé à la place de Confeiller d'Etat ,
vacante par la mort du freur de Fourqueux , Mi
niftre d'Etat , le fieur de Crofne , Lieutenant-général
de Police de Paris, Ce Magiftrat a eu , le 19 ,
l'honneur de faire les remerciemens à Sa Majeſté ,
étant préfenté par le Garde des - Sceaux de
France.
·
Dans l'après -midi du même jour , Mademoifelle
, qui , le matin , avoit été préfentée au Roi ,
à la Reine & à la Famille Royale , a été tenue
fur les fonts de Baptême , dans la Chapelle du
château , par Leurs Majeftés , qui étoient accompagnées
de Monfieur , de Monfeigneur Comte
d'Artois , de Madame Elifabeth de France , de
Lears Alteffes Royales Monfeigneur le Duc d'Angoulême
& Monfeigneur le Duc de Berry , du Duc
& de la Ducheffe d'Orléans , du Duc de Chartres ,
du Duc de Montpenfier , du Prince de Condé, de la
Ducheffe de Bourbon, du Duc d'Enghien , du Frince
( 29 )
de Conti & de la Princeffe de Lamballe . Mademoiſelle
a été nommée Eugénie- Adélaïde-Louife.
Les cérémonies du Baptême ont été fuppléées
par le Cardinal de Montmorency , Grand Aumônier
de France , en préfence du fieur Jacob
Curé de la paroiffe Notre-Dame.
?
Ce jour , la Comteffe de Chauvigny de Blot ,
& la Comteffe Louife de Sainte - Aldeger de ont en
l'honneur d'être préſentées à Leurs Majeftés & à la
Famille Royale ; la première , par la Comteffe de
Blot ; la feconde , par la Com; effe de Sainte- Aldegonde
, Dame pour accompagner Madame .
De Paris , le 29 avril.
er
Arrêt du Conseil d'Etat du Roi , du
20 Avril , pour doubler , à compter du
ier. mai , et proroger jusqu'au 1 **. sep
tembre les primes accordées par celui
du 1 janvier , à l'importation des bleds
et farines venant des différens ports de
l'Europe , et pour les étendre à ceux
qui viendront par les frontières de terre .
Ces primes feront de 30 fols par quintal de
froment , 40 fols par quintal de farine de foment ,
24 fols par quintal de feigle , 32 par quintal de
farine de feigle , 20 fo's par quintat d'orge , & ,
27 par quintal de farine d'orge. Ces primes feront -
p yées par les Receveurs des droits des Fermes
dans les ports du royaume , ou dans les Bureaux
établis fur les frontières , par lefquels les grains
& farines feront introduits , fur les déclarations
fournies par ceux qui en feront l'introduction , &•
qui feront tenus d'y joindre une copie légale du
connoiffement pour celles de ces denrées qui
feront introduites par mer , & des lettres de voi-
Bij
( 30 )
tures pourcelles qui feront introduites par les fron
tières : Tous les navires indiftinctement qui , pendar.
t l'efpace de temps énoncé ci- deffus , importeront
des bleds , feigles , orges & farines de chacune
de ces eſpèces de gains , provenant des pays
étrangers, feront exempts des paiemens des droits
de fret , pour raifon def tes importations.
Autre , de même date , pour proroger
jusqu'au 1er septembre 1789 , les primes
accordées à l'importation en France des
bleds et farines venant des Etats - unis
de l'Amérique .
Autre , du 23 avril 1789 , concernant
les grains et l'approvisionnement des
marchés.
}
Sa ajefté , du moment où Elie a pu concevoir
des inquiétudes fur le produit de la récolte
de cette année , n'a ceffé de prendre toutes les
précautions que fa prudence lui a fuggérées ;
Elle a défendu dès les commencemens de feptembre ,
la fortie des grains de la manière la plus abfolue ;
Elle a enfuite accordé des primes pour encourager
l'importation des fecours étrangers ; & dans la
crainte que les efforts du commerce ne fuffent
pas fuffifans , Elle a ordonné qu'on fit au dehors
du royaume , & à fes périls & rifques , des
approvifionnemens qui font arrivés , & qui arrivent
encore journellement dans les Ports ; & les
fonds qu'E le a deſtinés à ces opérations , le crédit
dont Elle a été obligée de faire ufage , & les
fecours pécuniaires qu'Elle a répandus dans plufieurs
provinces , s'élèvent à des fommes confidérables
. Le Roi a de plus obtenu , par fa puiffante
intervention , des permiffions de fortie de plufieurs
pays où l'extraction des grains étoit défendue d'une
manière générale. Sa Majefté fixant en même
temps fon attention fur la police intérieure du
( 31 )
royaume , & voulant decourager les fpéculateurs
toujours dangereux dans un temps de cherté , a
défendu les achats de bleds hors des marchés ,
& Ele a pris foin que dans ces mêmes lieux ,
les approvifionnemens journaliers des confommateurs
euffent rang avant toute autre tranfaction.
Enfin , Sa Majeſté a invité , avec la plus grande
bonté , & au nom du bien de l'Etat , les Propriétaires
, les Fermiers & tous les Dépofitaires
de grains , à g rnir les marchés , & à ne pas abufer
de la difficulté des circonstances . Il eft de la juſtice
du Roi de reconnoître que ces recommandations
ont eu dans plufieurs diftri&ts l'effet qu'on avoit
droit d'attendre. Cependant Sa Majeſté s'eſt déterminée
à aller plus loin encore ; & pour raffurer
les efprits contre les inquiétudes que la cherté
des grains rend naturelles , Ene a éfolu d'autorifer
fes Commiflaires départis dans les provinces
& les Magiftrats de police , à ufer du pouvoir
qui leur eft confié pour faire approviſionner les
marchés par ceux qui auroient des bleds en grenier
, & pour acquérir même des informations fur
les approvifionnemens auxquels on pourroit avoir
recours dans les momens où la liberté du commerce
ne fuffiroit pas pour affurer dans chaque
lieu la fubfiftance du Peuple. Sa Majefté , indépendamment
de ces ordres , invite les Propriétaires
& les Fermiers à ufer de modération dans
leur prétention; & comme dans un fi vafte royaume,
la furveillance du Gouvernement ne peut pas
tout faire , Sa Majefté exhorte les Chefs des Mu
nicipalités & toutes les perfonnes généreufes &.
bien intentionnées , à concourir de leur pouvoir
au fuccès de fes foins paternels. Le Roi ne fe
porte qu'à regret à prefcrire des mefures qui
peuvent gêner en quelque chofe la parfaite liberté
dont chaque Propriétaire d'une denrée doit naturellement
jouir ; mais ces mefures , dictées par
b iv
( 32 )
des circonstances particulières , cefferont à l'époque
de la récolte prochaine : elle s'annonce par-tout
frvorablement ; & Sa Majefté fe livre à l'efpérance
que la divine Providence daignera combler
le premier de fes voeux , en faisant renaître au
milieu de fon royaume la tranquillité , l'abondance
& le bonheur.
Ea conféquence , le Roi étant en fon Confeil ;
Qui le rapport , a ordonné & ordonne ce qui
fuit :
ART. 1er. Veut Sa Majefté que tous les Propriétaires
, Fermiers , Marchands ou autres Dépofitaires
de grains , puiffent être contraints par
Fes Juges & Officiers de Police , à garnir fuffifamment
les marchés du reffort dans lequel ils
font domiciliés , toutes les fois que la liberté du
commerce n'effectueroit pas cette difpofition .
2. Autorife Sa Majefté lesdits Juges & Officiers
de Police à prendre connoiffance , s'ils le jugent
indifpenfable , foit à l'amiable & par préférence,
feit par voie judiciaire , mais fans frais , des quantités
de grains qui peuvent exifter dans les greniers
ou autres dépôts fitués dans l'arroadiffement
de leur reffort. 3. Sa Majefté , qui veille du
même amour fur tous fes Sujets , ordonne expreffément
qu'à l'exception des précautions locales ordonnées
dans les articles ci- deffus , aucune espèce
d'obſtacle ne foit apportée à la libre circulation de
diftrict à district , & de province à province.
-
-
4. Défend de nouveau Sa Majeſté , fous les peines
portées par les Ordonnances , tout attroupement ,
toute clameur tendant à exciter le défordre dans
les marchés ou dans leurs routes , & à infpirer
des craintes aux Propriétaires , Fermiers & Marchands
, dont la parfaite fécurité eft indifpenfable
pour l'approvifionnement de ces mêmes marchés,
5. Odonne Sa Majeſté à fes Commiſſaires départis
dans les provinces , aux Juges de Police ,
( 33 )
aux Chefs des Municipalités & aux Officiers de
Maréchauſſées , de tenir la main à l'exécution du .
préfent Arrêt , lequel fera publié & affiché par-tout
où befoin fera.
La longue discussion entre le Prévôt
de Paris et le Prévôt des Marchands ,
sur le droit de convoquer les Habitans
de la Capitale , ayant été enfin décidée ,
comme nous l'avons dit , la Noblesse
a tenu , le 20 de ce mois , ses 20 Assemblées
particulières. On avoit compté
sur 6 mille Nobles ; leur ensemble n'a
pas excédé le nombre de 900. Ils ont
élu , dans chaque département , leur
Président et leur Secrétaire , et ils ont
procédé ensuite à la nomination de leurs
Electeurs , après avoir protesté auparavant
contre la députation indirecte à
laquelle le Réglement les a assujettis.
Par le résultat de ces Assemblées , la
Noblesse n'a que 93 Electeurs , qui ont
été nommés le 20 et le 21 , et qui se
sont réunis le 23 pour nommer leurs
Députés aux Etats-Généraux .
Cinq Assemblées de la Noblesse ont
envoyé , le 21 , der députations aux 60 Assemblées
de district du Tiers , pour les
inviter à se réunir en Commune ; cette
invitation jusqu'ici n'a point eu le succès
désiré. Le 21 , les Assemblées de district
du Tiers ont eu lieu . On avoit compté
sur environ 60 ,mille Membres , leur totalité
n'a pas excédé 12 mille personnes.
b v
( 34 )
Dans la plupart de ces Assemblées , on
a commencé à protester contre les Officiers
Municipaux qui les présidoient
et sur l'offre de plusieurs de ces Présidens
de rentrer dans l'Assemblée comme
simples Membres , ils ont été presque
tous élus librement à la place qu'ils
venoient de quitter. Le Tiers , comme
la Noblesse , a ensuite arrêté les principaux
articles de ses cahiers , et cette
rédaction a prolongé les Assemblées
sans interruption , jusqu'au 22 au soir :
alors les Electeurs choisis ont été envoyés
à l'Hôtel -de- ville pour y déposer
les procès - verbaux de leurs élections.
Pendant cette mission , les Assemblées.
se sont continuées sans clorre leur procès-
verbal , attendu que le bruit s'étoit
répandu que l'Hotel- de- ville ne recevroit
pas leurs Electeurs , et ce n'est qu'après
qu'ils ont été reçus par le Corps
Municipal que la clôture de tous les
procès-verbaux a été faite. Les Assemblées
de district du Tiers s'étant communiqué
le nombre de leurs Membres
respectifs , celles qui avoient moins de
500 Membres ont nommé un nombre
compétent d'Electeurs , pour compléter
celui de 300 demandé par le Réglement.
En général , ces Assemblées ont été paisibles.
La tranquillité de la Capitale pendant
toutes ces Assemblées a été parfaite . L'Administration
avoit pris les mesures les
( 35 )
plus sages et les plus décisives contre
les troubles que la populace eût pu exciter.
Cette prévoyance étoit connue , et
ne s'est manifestée en aucune manière ,
puisqu'il n'en a pas été besoin ; il n'y
avoit pas une Sentinelle de plus dans
toutes les rues de Paris , et dans les endroits
même qui méritoient une vigi
lance particulière , tel que le Trésor
royal , la Caisse d'Escompte , le Montde-
Piété , etc. Les Gardes étoient placés
dans l'intérieur .
Les cahiers de la Sénéchaussée de
Bordeaux imposent à ses Députés la
loi de se retirer des Etats- Généraux ,
si les délibérations s'écartent des termes
de leurs pouvoirs dans leur partie impérative
; et ils établissent que dans les
autres articles , les Députés seront obligés
de consulter chaque fois leurs commettans.
Ces préceptes ont donné lieu
à une protestation d'une partie de la
Noblesse , par laquelle elle réclame des
pouvoirs plus étendus et moins limités ,
sans lesquels l'Assemblée nationale seroit
frappée de stupeur à chaque pas , et sæ
durée deviendroit incalculable .
On peut remarquer que les cahiers
des provinces d'Etats , et surtout ceux
de la Noblesse , insistent fortement pour
la conservation de leur forme d'Administration
. Celui de Dijon y est sur-tout
formel ; si les besoins de l'Etat , y est-il
dit , rendoient indispensable Fétablis
b vj
( 36 )
sement de nouveaux impôts , les Députés
prendront ad referendum tout ce qui
pourroit être délibéré sur cet objet ,
protestant conformément aux privilèges
de la province qu'elle ne peut être imposée
, même après la résolution des
Etats-Généraux , sans le consentement
de tous les Etats du pays.
«
Parmi les propositions nombreuses
et variées que les circonstances ac-
« tuelles produisent , nous en citerons
« une qui mérite des éloges. Elle a été
faite , le 13 avril dernier , à l'Assemblée
municipale de Passy , par M.
« des Essarts , Avocat , Secrétaire ordinaire
de Monsieur. Les Bourgeois
de Paris qui possèdent des maisons
« de campagne , sont exempts de toute
« espèce d'impôts. L'origine de ce pri-
« vilége se perd dans la nuit des temps ,
« et il a été confirmé toutes les fois
qu'on a voulu y porter atteinte . - M.
« des Essarts , comme Propriétaire
« d'une maison à Passy , s'est présenté
« à l'Assemblée municipale de cette
paroisse , et y a déclaré qu'il renonçoit
à l'exercice du privilége dont il
avoit joui . Sur - le - champ , plusieurs
Bourgeois de Paris se sont empressés
« de suivre le même exemple , et il a
« été arrêté , par acclamation de l'Assemblée
, que la Motion faite par M.
des Essarts, et le Discours qu'il avoit
prononcé , seroient joints aux cahiers
( 37 )
<< de la paroisse. -Cette Motion n'a
« pas l'éclat et l'originalité de la plupart
« de celles que les modernes politiques
«< font circuler dans les cafés ; mais
« elle a le mérite d'être utile , et de pou-
« voir être placée à côté des offres que
« le Clergé et la Noblesse ont faites ,
« de renoncer à leurs priviléges pécu-
◄ niaires. »
64.
-
-
-
Par le relevé général des Députations
de chaque Gouvernement aux Etats-
Généraux on trouve le nombre suivant :
Guyenne et pays adjacens , 120 Députés.
Bretagne , 88. Languedoc , 84 .
Normandie , 74. - Isle - de- France ,
Bourgogne et pays adjacens , 60.
Champagne , 60.- Provence , 44.
Orléanois , 40. Picardie , 40 .
Poitou en Marches -franches , 40 .
Auvergne , 36. - Dauphiné et Principauté
d'Orange , 36 Flandres , 36.
Lorraine , 36. - Paris , 32.- Franche-
Comté , 28. Lyonnois , 28.
Alsace , 24. Maine et Perche , 20.
Saintonge et Angoumois' , 20. Anjou
, 16. Artois , 16. Berry , 16 .
-Bourbonnois , 16.- Les Evêchés , 16.
Limousin , 16. — Touraine , 16 .
Béarnet Navarre , 16. — La Marche , 12 .
Nivernois , 8. Aunis , 4.- Bou-
Jonnois , 4. Comté de Foix , 4.
Roussillon , 4. -Saumurois , 4.- 'Toulois
, 4.
-
-
-
-
-t
Totaldu nombre des Députés , 1176. •
( 38 )
Suite de la liste des Députés .
« AUNIS. Clergé. MM. Pinnelière
Curé de Saint -Martin , isle de Ré : suppléant
, Deleustre , Curé d'Aytré . Noblesse.
M. le Vicomte de Malartic :
suppléant , M. de Chambon de Saint-
Quentin. Tiers. MM. Griffon de Romagné,
Maître des Comptes , Lieutenant-
général ; Alquier, Avocat du Roi et
Maire : suppléans , MM. Boutet, Syndic
de St. Martin , isle- de-Ré ; Druhamps,
Cultivateur. »
C
« TOUL. Clergé. M. Bastien , Curé
de Xeuilley. Noblesse. M. le Comte de
Rennel. Tiers . MM. Maillot , Lieutenant-
général au Siége Présidial de Toul ,
et Gérard, Doyen des Avocats de Vic ,
et Syndic de cette ville . »
« NANCY. Clergé. MM. de la Fare
Evêque de Nancy ; Grégoire Curé
d'Imbermenil. Noblesse. MM. le Chevalierde
Boufflers, le Marquis de Ludre.
Tiers . MM. Prugon et Regnier, Avocats
; Renault, Avocat du Roi à Lunéville
; Salles , Médecin à Vezelise. »
« VERDUN ET CLERMONT. Clergé. M.
l'Abbé Coster , Chanoine de Verdun .
Noblesse . M. le Baron de Pouilli.
Tiers. MM. Dulneau , Lieutenant de
Maréchaussée ; Dupré Dubaloy , Procureur-
fiscal. »
( 39 )
SEDAN. Clergé. M. Fleury , Curé
Illi. Noblesse. M. le Baron d'Estagnol
, Bailli d'Epée. Tiers. M. Millet ,
Lieutenant-général de Mohon ; M. Dourthe,
Procureur du Roi. >>
« BAILLEUL. Clergé. MM. l'Evêque
d'Ipres , Roussel , Curé de Blaringhem .
Noblesse. MM. le Prince de Robecq
le Marquis de Harchies. Tiers. MM.
Kistpotter, Lieutenant-Criminel ; Herwin
, Conseiller - Pensionnaire ; Bouchotte
, Avocat ; Delatre de Balsaert ,
Maître-particulier de Nieppe . →→
« CHALONS SUR SAONE . Clergé. MM.
Genetel, Curé d'Etrigny ; Oudot , Curé
de Savigny . Noblesse . MM. le Marquis
de Sassenay , Burignot de Varennes.
Tiers. MM. Pétiot , Procureur du Roi
du Bailliage de Châlons ; Paccard, Avocat
; Bernigaudde Granges , Lieutenantgénéral
du Bailliage ; Sancy , père
Avocat à Châlons. »
« DRAGUIGNAN. Clergé. MM . Mougins
, premier Curé de Grasse ; Gardiol,
Curé de Callias. Noblesse . MM. le
Vicomte de Ratelis-Broves , le Marquis
de Bargemon. Tiers. MM. de Lombard
, Lieutenant - général de la Sénéchaussée
; Mougens , Maire de Grasse ;
Ferdollin , Avocat ; Barthélemy, Avocat.
»
« GEX. Clergé, M. Rouph de Vari(
40 )
court , Curé de Gex. Noblesse . M. de
Prez de Crassier. Tiers. MM. Girod,
de Thoiry; Girod, de Chevry . »
« GUERET. Clergé. MM. Bannassat,
Curé de St. Fiel ; Gaubert , Curé de
St. Silvain de Bellegarde . Tiers . MM.
de Chateaufavier , Subdélégué à Aubusson
; Bandie de la Chaud, Correspondant
de la Subdélégation à Failletin
; Tourniel Duclos , Entreposeur du
tabac ; Grellet de Beauregard, Avocat
du Roi à Guéret, »
<< LIMOUX. Clergé. M. Caumille
Curé de Beloui . Noblesse. M. de l'Huillier
de Belvionnes . Tiers . MM. Bonnet,
Avocat ; la Rade, Syndic du Diocèse
d'Alet. »
« MIRECOURT. Clergé. MM. le Curé
de Charmes, le Curé de Nouville . Noblesse.
MM. le Comte de Toustain de
Viray, de Menonville , Maréchal - de-
Camp. Tiers. MM. Chanterre , Conseiller
au Bailliage de Mirecourt, Cher-
Lieutenant - général du Bailliage,
de Neufchateau ; Petitnangin, Procu
reur du Roi au Bailliage de Saint - Diez ;
Fricot , Procureur du Roi au Bailliage'
de Remiremont. »
rier ,
« MONTREUIL-SUR -MER. Clergé. M.
Rollin, Curé de Verton . Noblesse. M.
le Comte d'Hodieq , Maréchal-de-Camp.
( 41 )
Tiers. MM. Poultier , Lieutenant-général
; Riquier, Cultivateur. »
« ORANGE . Clergé. M. l'Evêque d'Orange.
Noblesse . M. le Marquis de
Causan. Tiers. MM. Dumas, Bonnier,
Avocats. >>
SAINT-DIEZ . Clergé. MM. l'Evêque
de St. Diez, Duguenot, Curé de Saint-
Diez. Noblesse. MM. de Menouville ,
Maréchal-de - Camp ; Bazelaire de Colleroy.
Tiers. MM. Mangin, Assesseur
de la Prévôté de St. Diez ; Fachot
Avocat ; Haxo, Prévôt Chef de Police ;
Petit Mangin, Procureur du Roi. »
<< SAINT-PIERRE-LE-MOUTIER . Clergé.
M. l'Abbé de Damas , Doyen de l'Eglise
Cathédrale de Saint- Cyr. Noblesse . M.
le Comte de Bard, Baron de Limanton ,
Tiers. MM . de Baudreuille , Lieute
nant-général du Bailliage de Saint - Pierrele-
Moutier ; Picard, Lieutenant Honoraire
de la Vénerie du Roi. »
- « SAUUR. Clergé. M. Mefard , Prieur-Curé
d'Aubigay. Nobleffe . M. le Marquis de Ferrieres-
Marfai. Tiers. MM. Sigogne , Négociant ; Bizard ,
Avocat. »
SEMUR EN Auxois. Clergé. M. Bouillot , Curé
d'Arnay- le- Duc. Nobleffe. M. le Marquis d'Argen
teuil , Maréchal -de- Camp . Tiers. MM. Gu od ,
Avocat à Arnay - le - Duc ; Guiod , Avocat à
Sémur, "
( 42 )
" BESANÇON. Clergé. M. Millot , Chanoine de
P'Eglife de Ste-Madelaine de Befançon. Nobleffe.
M. de Grosbois , Premier Préſident du Par-
Fement. Tiers. MM . Blane , la Poule , Avocats. »
CAMBRAI. Clergé. M. Bracq , Curé de Ribecourt.
Noblefe. M. le Marquis d'Eflourme!.
Tiers. MM. Mortier , Négociant ; de Lambre , Fermier.
»
« DAUPHINÉ. Clergé. MM. le Franc de Pompignan,
Archevêque de Vienne ; Gratel d'Olomieu ,
Abbé Commendataire de St - Hilaire ; de Corbeau de
St. Albin , Doyen de l'Eglife Primatiale de Vienne ;
Colant de la Salcette , Chanoine de la Cathédrale
de Die. Noblee. MM . le Marquis de Blacons ,
fils;le Marquis de Langon , le Comte de la Blache,
le comte d'Agoult , le Comte de Viricu , le Comte
de Morges , le Baron de Chalcon , le Comte de
Marfanne. Tiers . MM. Mounier , Secrétaire des
Etats ; Dambezieux , Avocat à Romans ; Dorbanne,
Avocat à Grenoble'; Pizon de Galland , fils , Juge
Epifcopal de Grenoble , Beranger , Procureur du
Roi à l'Election de Valence ; Barnave , fils , Propriétaire
à Vercheny ; de Bertrand de Montfort ,
Lieutenant-Général au Bailliage des Baronies ;
Revel , Avocat à Grenoble ; Bignon de Coyrol
Négociant à Suze ; Chabroud , Négociant à Vienne ;
Guy Blancard , Propriétaire ; Duplantier , Prcpriétaire.
»
2
« METZ & Prévôtés de SARREBOURG ET
PHALSBOURG . Clergé. MM. Thibaut , Curé de Ste.
Croix de Metz ; Brouffe , Curé de Volkarange.
Nobleffe . MM. le Baron de Poncet , Confeiller au
Parlement ; le Comte de Cuftine Wolter de Neurbourg.
Tiers. MM. Maujean , Echevin ; Emmery
Mathieu de Bondeville , Avocats ; de la Salle , Lieu(
43 )
tenant - Général du Bailliage de Sarrelouis ; Claude ,
Avocat. >>
La Société royale d'Agriculture de.
Lyon a tenu , le 11 février 1789 , une
Assemblée publique dans la Grande Salle
de l'Hôtel de l'Intendance .
M. Gilibert , Directeur , a rendu compte des
travaux de la Société pendant l'année précédente .
M. Ro'lnd de la Platiere a lu'un mémoire fur
les moyens de multiplier le mûrier en France , & de
tirer un grand avantage de fa culture , fans nuire à
aucune autre production.
M. Froiffard a lu un mémoire fur les moyens
d'établir dans les paroiffes de la campagne , des fociétés
deftinées à entretenir les vieillards , les orphelins
, les infirmes , les pères chargés de nombreuſes
familles , les habitans dont la grêle a détruit les
récoltes , &c. :
M. Burtin de la Rivière a lu un Mémoire fur la
caufe de l'émigration des habitans de la campagne.
vers les villes, & fur les moyens de les retenir fur
leurs foyers.
La Société avoit propofé pour fujet du prix à
décerner en 1788 , les deux queftions fuivantes :
1º. Eft-il avantageux de foutirer les vins ?
2°. Dans le cas de l'affirmative , quand & comment
doit-on les foutirer , pour ne pas nuire à leurs
principes & à leurs qualités ? T
Le Prix a été adjugé à un Mémoire , dont
l'Auteur eft le R. P. Dom le Gentil , Prieur de
l'Abbaye de Fontenet , de l'Ordre de Cîteaux , à
Montbard en Bourgogne
La Société a délibéré de proroger jufqu'au pre(
44 )
mier novembre 1790 , le terme du concours fur
la queftion fuivante :
Trouver le moyen d'augmenter de moitié en fus,
au thermomètre de Réaumur , la chaleur d'un appartement,
produite par un poële ou une cheminée.
en ne confommant que la même quantité de bois.
La Societé renouvelle l'annonce de fon pro
le concours de 1789. gramme pour
Quelles font les plantes qui peuvent être cultivées
en France , pour être utilement employées comme engrais
, dans les lieux où les fumiers ne font pas fuffifans
, telles que le lupin , le bled-farrafin , &c. ?
Le prix eft de 300 livres . Les Mémoires fe
ront admis au concours jufqu au premier ſeptembre
1789.
La Société propofe le fujet fuivant pour
1790.
Etablir par des taifonnemens précis , par des cal
culs comparatifs , par des expériences bien conftatées ,
fi la méthode de planter le bled & les mars eft plus
avantageufe que celle de les femer à la main ,
Les Mémoires feront adreflés , fanes de port ,
avant le premier décembre 1790 , à M. l'Abbé
de Vitry, Secrétaire perpétuel de la Société Royale
d'Agriculture , rue Saint Dominique , ou envoyés
fous l'enveloppe de M. Terray , Intendant à
Lyon.
M. Jean Michel , ancien Juge-Chef
de la Jurisdiction Consulaire de Poitiers
, et Jeanne Cholet Desaâges , son
épouse , ont célébré la cinquantième année
de leur mariage. Le 14 de ce mois ,
six de leurs enfans , dont le nombre est
de huit , deux gendres et sept petits en(
45 )
fans , ont assisté à cette cérémonie. L
messe a été célébrée par M. Michel
Chanoine de Sainte -Radégonde , leur fils
aîné , en présence de beaucoup de peuple
que cette cérémonie rare et attendrissante
y avoit amené. Les deux époux
avoient les mêmes habits que lors de leur
premier mariage.
Elifabeth- Guillemine- Charlotte de Bafchi ,
veuve de Charles- Théophile de Beziade , Marquis
d'Avaray , Grand-Bailli d'Orléans , l'un des
Colonels des Grenadiers de France , eft morte , à
Nifmes , le 2 de ce mois , dans fa 47e. année.
Eugénie-Caroline de Touftan -Richebourg , des
Comtes de Carenci , daine de la langue Allemande
, de l'Ordre Chapitral d'ancienne Nobleffe ,
eft morte , à Paris , le g de ce mois.
Claude- François Lizarde de Radonvilliers ;
ancien Vicaire-général de Bourges , ci-devant
Sous- précepteur des Enfans de France , ancien
Aumônier ordinaire du Roi , & Confeiller du
Roi en fes Confeils , & ordinaire au Confeil d'Etat
& Privé , & l'un des quarante de l'Académie
Françoife , eft mort , à Paris , le 16 de ce mois.
Haute & Puiffante Dame Marie - Anne Delaage
, veuve de Haut & Puiffant Seigneur Jean
Marie , Comte de Saint- Julien , premier Baron
de la Marche , eft décédée en fa maifon d'Iffoudun
en Berry , le 10 avril , âgée de 78 ans.
( 46 )
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX .
PARLEMENT DE PARIS , GRAND'CHAMBRE .
Bâtarde âgée de 44 ans , mariée depuis plus de
vingt , qui demande des alimens aux héritiers de
fon père naturel , décédé.
Un père doit des alimens à fon enfant naturel ,
furtout lorfque celui- ci eft , par la foibleffe de
fon âge , dans l'impoffibilité de pourvoir luimême
à fes befoins ; mais dès que cet enfant a
acquis un talent , dès qu'il eft établi , foit par
mariage ou autrement , alors les obligations du
pè e ceffent de plein droit , & l'enfant n'a plus
d'action à former ; la loi vient encore moins
fon fecours , s'il garde un profond filence pendant
la vie de fon père , s'il attend même plufieurs
années après fon décès pour former contre les
héritiers une demande à fin de penſion alimentaire
, demande qu'il n'appuie d'aucuns titres cortradictoires
avec le défunt , mais feulement de
titres qu'il a pu fe procurer lui- même , & que
fon père auroit pu feul combattre victorieufement.
Telles étoient les circonstances de la cauſe de
Marie-Marguerite Melin , femme Folie , contre les
-héritiers du feu fieur Melin. Il y avoit déja
plufieurs années que le fiet Meln étoit mort ,
& que fa fucceffion étoit partagée , lorfque fes
héritiers fe virent affignés par fa prétendue fille
naturelle alors dans fa quarante-quatrième année ,
& mariée depuis plus de vingt ans ; elle concluoit
à ce qu'ils fuffent condamnés à lui payer
une penfion alimentaire , telle qu'il plairoit aux
( 47 )
Juges la fixer ; elle rapportoit un acte de baptême
de 1743 , qui la difoit fille d'un fieur Melin : cet
acte n'étoit point figné de lui ; elle repréſentoit
fon contrat de mariage , paffé à l'fçu de fon
père , & dans lequel elle prenoit la qualité de
fille naturelle du fieur Melin ; elle articuloit des
faits tendans à prouver fa filiation ; enfin elle
demandoit à être admife à prouver ſon état de
fille naturelle du fieur. Mlin.
Ses héritiers , qui n'avoient trouvé dans les
papiers de la fucceffiou de leur parent , aucuns
renfeignemens concernant l'état de la demoiſelle
Melin , lui ont oppofé des fins de non - recevoir ,
qui fe préfentoient naturellement contre elle ;
fon âge avancé , fon état de femme , fon filence
pendant la vie de fon prétendu père naturel ,
& l'impoffibilité où le laps de temps les mettoit
de combattre des faits qui remontoient à une
époque fort éloignée , le danger qu'il y auroit de
lés admettre , lorfque les preuves qui pourroient
en établir la fauffeté , font dépéries , & que le
contradicteur le plus légitime & le plus inftruit
n'exiftoit plus pour les combattre.
Ces différens moyens ont été adoptés par
M. l'Avocat-Général d'Ambray ; & par Arrêt du
26 janvier 1788 , conformément à fes conclufions ,
la demoiſelle Melin , femme Folie , a été déclarée
non- recevable dans fa demande contre les héritiers
Melin , & condamnée aux dépens .
Errata. Députation de Nevers.
NEVERS. Clergé. L'Evêque de Nevers
( mort peu de jours après sa nomination),
de Fougere , Curé de St. Laurent à
Nevers suppléant , de la Renne,
(( 48 )
Chanoine Régulier de la Congrégation
de France , Prieur de l'Abbaye de St.
Martin à Nevers . Noblesse . Le Comte
de Damas Dandery , le Comte de Sérent
: suppléant, le Marquis de Bonnay.
Tiers. MM. Gounot , Avocat à Nevers ;
Parent de Chassy, Avocat au Conseil
Maranda d'Olivan , Avocat à Nevers ;
Robert, Avocat à St. Pierre -le-Moutier :
suppléans , Vyau de la Garde, Assesseur
Général du Bailliage de Nevers ;
de Chambrun, de la Charité- sur-Loire.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 9 MAI 1789.
PIÈCES
FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A Mme. THOMASSIN , jouant le Rôle de
Cloé dans le Jugement de Midas.
PRÈS
Rès d'Apollon , Cloé va prendre place
Par fes attraits
⚫ par
fes tendres accens ;
Des Divinités du Parnaffe
Elle charmera les momens.
Son minois rempli d'agrémens
N'a pas un trait que l'Amour n'embelliffe
D'Orphée elle a tous les talens ,
Et tous les charmes d'Euridice .
( Par M. C..... Brig. des Gardes du
Corps de MONSIEUR. )
N. Kg . 9 Mai 173 ) .
C
MERCURE
ÉPITRE
A M. l'Abbé DE LILLE , qui ne vouloie
point croire à fon fuccès , dans une lec➜
ture à l'Académie Françoife.
Quoi ! la poétique couronne
A donc auffi des foins amers !
Votre talent ne craint perfonne ,
Votre coeur craint tout l'Univers !
Croyez-vous que l'on vous pardonne
Vos foupçons comme vos beaux vers ?
Vous douteż de l'éloge : inquétude étrange !
L'oreille du Poëte eft un écho flatteur ,
Où, par un prodige enchanteur ,
Va fe multiplier l'accent de la louange .
Ce prodige pour vous n'eft jamais une erreur ;
Quand vous rejetez ce bonheur ,
L'imagination le venge.
Elle avoit daigné vous combler
De fes plus douces jouiffances.
Ingrat ! vous venez révéler
Le fecret de fes confidences !
Vous faites plus : ' de fes pinceaux
Vous ofez ufurper le charme trop fidèle ,
1
DE FRANCE.
Et tous vos perfides tableaux
Semblent l'ouvrage du modèle !
Auffi nos éloges font vains.
Pour vous les dérober • , la défiance veille;
Les nombreux battemens de mains
Meurent fans bruit à votre oreille .
Quand la réalité difparoît à vos yeux ,
Ah fi l'illufion que vous avez dépeinte
Vous prêtoit fes rêves heureux !
Mais , au ſein de fon labyrinthe ,
L'imagination vous égare fans eux.
Ainfi , repouffant les fuffrages
De votre Auditoire enchanté ,
Entre vous & la vérité
Elle oppofe un de fes nuages.
Comme ce fort mérite une douce pitié,
Au nom des Filles de Mémoire ,
Que le nuage au moins s'éclaircific à moitié; "
Qu'il vous laiffe voir l'amitié
Toujours fidelle à votre gloire .
( Par M. deBoisjoflia. 》
C 2
MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE
E mot de la Charade eft Potage ; celui
de l'Enigme eft Espérance ; celui du Logogriphe
eft Cartouche, où l'on trouve Cruche,
Cher, Cure, Ruche, Cruche, Route, Ecrou
Tour, Char, Touche, Ecu, Ecart, Troy (ay
Tric- Trac) , Cou,
CHARADE.
THÉMIRE
HÉMIRE prend une taffe ,
Boit mon premier
Thémire prend une glace ,
Fair mon dernier ;
Voilà Thémire qui paffe ,
Vois mon entier,
Par A. J. de Bordeaux. )
ÉNIG ME
Avec moi l'homme eft peu tranquille
VEC
J'ai ruiné mainse famille ;
DE FRANCE. 53
Des gens de bien je fuis l'effroi ,
Et traîne leur perte avec moi.
Plus je change de forme ,
Plus je deviens énorme S
On me porte de Cours en Cours ,
Dont à grands frais je fors toujours 3
On me trouve , quoiqu'on m'évite ,
Et fouvent des gens de mérite
Attendent tout leur fort de moi,
Quoique j'en fois toujours l'effroi.
( Par M. Moifgas . )
LOGO GRIPHË.
AUJOURD'HUI le dictum eft que je ſuis très-rare,
Et qu'on eft bienheureux de m'avoir à foifon 3
Je fuis le vrai Dieu de l'Avare ,
Et fept pieds compofent mon nom.
Pour me donner jadis , rien n'étoit plus facile ;
Mais aujourd'hui je caule un peu plus d'embarras
En tous climats je ſuis utile ,
Et pour m'avoir on ne plaint point fes pas.
Si vous décompoſez ma charmante figure ,
Je fuis une épithète accordée aux François ;
L'orphelin qu'on opprime avec moi fe raffure ;
Et Thémire en mon fein dépofe fes attraits ;
Qui ne voit & mon frère , a fait un long voyage ;
Je puis illuftrer un Auteur ;
C 3
34 MERCURE
Je fers à faire un méfuſage ;
Enfin dans les forêts je conduis un Chaffeur,
( Par un Abonné. Y
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
aux ADRESSE aux États- Généraux
États particuliers & Affemblées Provinciales
& Municipales du Royaume , contenant
des Recherches & Obfervations
fur l'origine de l'Impôt , fa divifion en
perfonnel & réel, les différentes formes
de fa répartition depuis S. Louis juf
qu'à nos jours ;. l'origine des abus qui ,
fous le nom de priviléges , ont introduit
l'inégalité ; & enfin le feul moyen propre
à corriger tous les inconvéniens , à alléger
le Peuple, & à augmenter les revenus
de l'Etat. Par M D *** , ci - devant
Garde-du-Corps du Roi ; vol. in-8° . de
40 pages. Prix, 5 liv. , & 5 liv. 10 fous
DE FRANCE. 55
franc deport par la Pofte. A Paris , chez
Maradan , Libraire , rue Saint- Andrédes
- Arts.
UN pareil titre & une table étendue ,
en donnant une idée générale des détails
où l'Auteur s'engage , démontrent l'utilité
de fes recherches & l'importance de fon
but . Malheureufement l'abondance des
Livres de ce genre , & la fécherelle des
calculs & des réfultats qu'ils préfentent ,
en rendent l'analyfe très - difficile & prefque
étrangère à la forme de ce Journal . Nous
dirons feulement de cette Adielle , qu'elle
eft fingulièrement appropriée à nos Provinces
Méridionales ; que l'Auteur affigne pour
çaufe de nos maux , l'inégalité de la répartition
de l'Impôt, & qu'il propofe un moyenfûr
de le répartir relativement aux facultés
des Contribuables.
Il ne faut pas confondre cet Ouvrage
folide avec cette foule de pamphlets , qui ,
femblables aux fleurs de nos prés , naiffent
& meurent le même jour. C'eſt un abrégé
très-bien fait de la fameufe Hiftoire des
Bénédictins de Saint Maur , en 5 volumes
in-fol. 1742. Les Lecteurs qui voudront
comparer , s'inftruire , ou feulement difputer
, trouveront ce dernier Ouvrage dans
les grandes Bibliothèques . Cette Adreffe eft
CA
$ 6
MERCURE
+
d'un Patriote. Elle peut & doit faire fuite
la Théorie de l'Impôt ,& au Traité de M.
Le Trofne. On y trouve des tableaux de
cadaftres , qu'il faut nécellairement confulter.
N. B. On trouve auffi chez le même
Libraire , une Brochure intitulée , Expofsion
des objets difcutés dans les Etats-
Généraux de France , depuis l'origine de la
Monarchie , par M. le Marquis de S....
Prix , 36 fous broch. & z liv. 10 fous rel.
franc de port par lapofte .
L'Auteur tâche de réfoudre cette grande
& difficultucafe queftion : Quel doit être
le mode de Convocation aux Etats-
» Généraux « Cet effai eft remarquable
par l'élégante précision du ftyle. Il eft animé
& femé de traits de lumière , & terminé
par un Chapitre rempli de grands réſultats
& de vues faines. Faffe le Ciel , s'écrie
P'Auteur , que cette Affemblée fi défirée
produife les effets qui nous font pro-
» mis ; que des idées exagérées de préro-
»
"
gatives & de pouvoirs ne viennent pas
» fe mêler aux effufions du patriotisme &
» du zèle ; & que , fous le plus bienfaifant
» des Rois , fous les plus vertueux Minif
ves , il foit enfin donné au Peuple
François de retrouver ce bonheur qui fut
» dans tous les temps robjet de fes fou
» haits ",
( B .... )
"
DE FRANCE.
ST
ZETTRES d'Hortenfe de Valfin à Eugénie,
de Saint- Firmin. 2 Vol. in - 12. Chez
Jean Mouret, Libraire , à Lauſanne ; &
Guillaume Debure l'aîné , Lib . , Hôtel
Ferrand , rue Serpente, à Paris.
Voici en peu de mots le fujet de ce Roman
, dont l'Auteur a adopté la forme
épiſtolaire. Le Chevalier de Sevinges , forte
de Roué qui ceffe de l'être en voyant Hortenfe
de Valfin , trouve le père de la jeune
perfonne cruellement prévenu contre lui
Ce père eft un François , retiré à L ***
après un procès perdu injuftement , & qui
conferve de l'animofité contre les compatriotes.
Il a pourtant laiffé à Bordeaux ,
fa patrie , un ami dont il garde un tendre
fouvenir ; cet ami n'exifte plus , & M. de
Valfin s'étoit promis de s'allier à lui. Le
hafard vent que Sevinges , qui a changé
de nom pour une affaire de galanterie qui
a eu des fuites funeftes , fe trouve préci
fément le fils de cet ami fi regretté . A peine.
eft il reconnu que le père d'Hortenfe
Pappelle , lui fait le plus rendre accueil
& lui accorde la main de fa file. Les
deux Amans font près d'etre unis , lorf
"
58
MERCURE
que le fort leur fufcite un obftacle qui
détruit tout l'édifice de leur bonheur.
+
Cécile , que Sevinges avoit abandonnée ,
étoit mère d'un fils qu'on croyoit mort , &
elle-même paffoit pour s'être retirée dans
un Couvent. Une Marquife , auffi méchante
que coquette , micux inftruite de fon fort
Favertit du mariage de fon infidèle , & par
fes confeils pernicieux , elle l'engage à une
démarche qui caufe les plus grands malheurs.
Cette fille infortunée , avec fon fils
dans fes bras , vient fe placer , toute en
larmes , entre les deux amans , à l'inftant
même qu'ils vont recevoir la bénédiction
nuptiale. La furprife , les larmes , les cris ,
tous les fentimens qu'excite cet évènement
forment un fpectacle auffi touchant qu'inattendu.
Hortenfe eft emportée chez elle fans
connoiffance ; & ce revers émeut tellementfa
fenfibilité , qu'elle n'y furvit que peu de
jours ; fon amant tue , malgré lui , le père
de fa première maîtreffe , qui étoit venu
avec elle pour lui demander raifon ; il eft
bleffé lui - même dangereufement , & il ne
recouvre fa fanté que pour aller s'enfevelir,
chez les Chartreux.
L'hiftoire de cette mère qui , avec for
enfant dans fes bras , vient s'oppofer jufqu'au
pied des autels au mariage de fon
amant infidèle , & qui termine l'action du
Roman , fe trouve déjà dans un autre Ro
>
DE FRANCE.
و
ع
man de M. Imbert , intitulé : Les de
Frères , ou la Famille comme il
peu , imprimé en 1779 ; & le m
a fourni encore le fajet d'un tableau 1
a été expofé au Louvre.
La marche du Roman que nous annon
çons , eft lente , & l'intérêt en eft peu vif
jufqu'aux deux tiers de l'action : les carac
tères , à celui d'Hortenfe près , manquent
de phyfionomie , & le ftyle de l'Auteur eft
négligé ; mais il y a de la vérité dans les
détails , point d'échafaudage , & la dermière
Partie fe fait lire avec intérêt.
O
1351
si be
Ania 01
emer: G
C 6
MERCURE.
VARIÉTÉ S
SUITE DE L'ESSAI SUR LE TASSE
ON fait que Le Taffe étoit fört jeune lorfqu'il
commença fon Poëme.. A mefure qu'il en
finiffo t un Cham , il fe plaifoit à le lire à ſes
amis.. H le leur prêtoit fans défiance ; ils le:
copioient fans fcrupule ce fur contre fa vo
lonté , & avant qu'il put avoir corrigé toutes
ces différentes parties de fon Ouvrage , qu'elles.
furent imprimées , & qu'elles fe répandirene
dans toute l'Italie..
Peu de temps après cette publication , fess
malheurs commencèrent ; : & il fe trouva hors
d'état de donner lui-même une Edition corrigée ,,
quoiqu'il fentit mieux que perfonne la néceffité
de cette correction .. Ses amis , fes admirateurs.
la fentoient comme lui. » Ce Poëme , écrivoit
» Lumbardelli , honore la Religion , la Roéfie ,
» & notre Siècle , autant que l'Auteur même.
» Je
ne doute pas que la fleur des Efprits
d'Italie ne fe plaife à le commenter & à en
»-faire fentir toutes les beautés , fur tout lorf
» que l'Auteur y pourra mettre la dernière
main. Plaife à Dieu qu'il le puiffe , & que
fon Poëme n'ait pas le même fort que.
» l'Enéïdea !
Pellegrino , dans ce Dialogue qu'il confácra,
pour ainfi dire, à la gloire du Taffe , recon
noit dans fon Poëme la même imperfection.
DE FRANCE 61
Efpérons , dit-il , que fi le Ciel lui eft affez
favorable , ainfi qu'à notre Siècle , pour lui
» rendre la fanté , il mettra la dernière main à
fa Jerufalem , qu'il étendra ou éclaircira quel
» ques endroits qui paroiffent maintenant obſcurs
» & tronqués , & qu'il portera ce Poëme à for
entière perfection . Avant que cette disgrace
» lui fut arrivée , il avoit dit qu'il n'étoit pas
» entièrement content de fon Ouvrage , &
» qu'il avoit deffein d'y faire plufieurs chan-
» gemens. Il n'eft donc pas douteux que , fans
l'indifpofition de l'Auteur , ce Poëme auroit
beaucoup moins de défauts qu'il n'en a main
tenant , &c. c .
20
Le Taffe , dans fa Réponse à l'Académie
parle ainfi de ce paffage : » L'Auteur du Dialogue
dit ici pour ma défenſe , ce que je
" pourrois dire moi -même . J'ajouterai feulement
que je n'ai jamais revu , ni corrigé , ni
publié ce Poëme , non plus que mes autres
» Ouvrages. Plaife à Dieu qu'il me foit permis
de le faire ! &c. Il répète dans plufieurs
endroits ce même voeu ; & l'on apperçoit fouvent
dans fes réponfes , a connoiffance qu'il
avoit de fes défauts .
29
» Parmi les expreffions critiquées , dit - il
» ailleurs , il y en a que je comptois changer.
Or , fi les objections du Critique ne me for
» cent pas à corriger mes Vers lorfqu'elles
» font fans raiſon , ii ne feroit pas raifonnable
» qu'elles me forçaffent à ne les pas corriger
» quand je juge à propos de le faire , fur-tout
» n'ayant pas encore préfidé moi - même à
l'impreffion de mon Poëme a, Et ailleurs en
core : » En citant les mots dont je me fuis
fervi , on les confond & on les défigure de
manière que je ne les reconnois plus. Je ne
22
35
62 MERCURE
» veux pas les chercher dans un Poëme que
je n'ai pas lu depuis dix ans , & dans lequel
j'aurois changé non feulement des mots , mais
beaucoup d'autres chofes , fi j'y avois mis la,
dernière main «.
"
DO
Si l'Académie lui reproche de l'effort & de
l'affectation dans le ftyle , de la recherche dans
les penfées , & des jeux de mots : » Quand on
fe fert , répond- il , pour m'attaquer , de mor
propre jugement , tel que je l'ai prononcé
» devant plufieurs perfonnes , fi je veux repouffer
le trait qui vient me frapper , il faut
que je me réfute moi-même. Que dois-je donc
» faire , mes amis ? Attendre le coup , & préfenter
la gorge au glaive , comme firent les
Sénateurs Romains quand Rome fut prife
par les Gaulois ? Ou bien toute défenſe fauffe
ou vraie me fera- t- elle permife contre mes
» Adverfaires « ? Un interlocuteur lui confeille
de fe couvrir des armes des Grecs ( 1 ) , comme
fit Ené dans l'incendie de Troie , & de fe
mêler parmi fes ennemis . Le Taffe avoue qu'il
n'y trouveroit pas fon compte , parce qu'Homère
, non plus que Virgile , ne fait que trèsrarement
jouer les mots entre eux. Je devrois
plutôt , ajoute-t - il , prier le Prince de
Sulmone de m'accorder les armes dont fe
fervoit fon Poëte ( 2 ) . Le Parrain d'armes
de mon Adverfaire ne s'y oppoferoit pas
fans doute , puifqu'il l'a armé de celles dont
30T
30
( 1 ) C'eſt-à- dire , de s'appuyer de l'exemple des
Grecs.
(2 ) Ovide , né à Salmone. On voit que Le Taffe
reconnoifloit en lui - même quelques défauts qu'on
reproche à ee Poëte,
DE FRANCE. 63
fe fervoient Ménandre & Térence , ou plu
» tôt Ariſtophane ( 1 ) , & qui étoient ici beau
coup moins convenables «.
Il continue de jouer fur cette idée des armes
, fur le carquois d'Ovide , dont il peut
décocher les traits , & qui eft du moins préférable
aux inftrumens de cuifine que Térence
met à la main de ceux qui affiègent la maifon
de Thais ( 2 ) . Il quitte enfin ce tyle métaphorique
, pour fe jeter dans des fophifmes , fur
lefquels le préambule qu'il vient de faire mon
tre affez qu'il ne fe faifoit pas illufion .
ע

Si l'on defire un aveu plus pofitif, le voics
dans cette réponſe naïve & touchante qu'il fait
à des reproches affaifonnés de toute la duretë
& de toute la hauteur académique. » Moi qui
fouffre volontiers , mais non fans quelque
douleur , qu'on veuille me guérir de mon
ignorance , je dirai au Médecin : Je fuis malade
pour avoir trop goûté dans mon jeune
» âge la douceur des alimens de l'efprit , &
parce que j'ai pris l'affaifonnement pour la
nourriture ( 3) . Cependant vos remèdes font
trop défagréables ; je crains qu'ils ne me
trompent pas affez pour que je veuille les
prendre. Quel nouvel art de guérir , & quel
nouvel artifice que de frotter le vafe avec
» du fiel , au lieu de miel , pour qu'il ne foit
pas rejeté par le malade (4) « ?
( 1) C'eft-à-dire , celles de la plaifanterie & du
farcalnie.
(2 ) Voyez Térence , Eunuch . Ac. IV , Sc . VIL
(3) Prendendo il condimento per nudrimento.
(4 ) Allufion à la belle comparaifon de Lucrèce ,
MERCURE
On peut juger dès à préfent s'il faut regar
/ der comme un Chef-d'oeuvre fans défauts , un
Ouvrage où l'Auteur lui - même voyoit tant
d'imperfections , & que dans un âge plus avan
cé, il nommoit les jeux de fa jeuneffe ( 1) . On
peut juger fi Boileau , avec la jufteffe & la fevérité
de fon goût, mérite des reproches pour
avoir apperçu dans la Jérufalem délivrée, les traces
de ce goût exceffif pour la douceur des alimens
de l'efprit, & de cette habitude dangereufe
de prendre l'affaifonnement pour la nourriture.
Jetons maintenant un coup d'oeil rapide
fur chacune de fes accufations : voyons fi le
Maitre & l'ami, de Racine a bien ou inal ap
précié Le Taffe.
r°. Le bon fens n'eft pas toujours ce qui domine
chez lui. Le bon fens eft cette fageffe qu'Hos
race appelle le principe & le fondement de
FArt d'écrire ( 2 ) ; c'eft ce jugement exquis
ennemi de tout excès , de toute affectation , de
toute recherche , qui retient toujours dans de
juftes bornes l'efprit le plus fubtil & l'imagimation
la plus feconde ; c'est enfin cette qua-
Tité précieufe dont il paroît que la Nature avoit
fait l'un des principaux attributs de l'homme ,
& qu'il ne parvient même à étouffer qu'à force
qu'il avoit déjà fí heureuſement employée dans fo
premier Chant :
Così a legro fanciul , &c.
(1 ) Gli Sherzi dell'età più Giovanile.
Au commencement de fon Difcours intitulé Del
Giuditio
(2) Scribendirettefapere eft principium & fons
De Art. Poët.
DE FRANCE. 63
de foins & d'étude . Le bon fens brille d'un
doux éclat dans tous les bons Auteurs de
l'Antiquité , parce que les Anciens vivoient plus
près de la Nature , qu'ils la confultoient feule ,
& qu'ils n'empruntoient, pour la peindre , d'autres
couleurs que celles qu'elle leur fourniffoit
elle-même mais il ne fe trouve que rarement
parmi les Modernes , parce que dans toutes les
Nations , les Anteurs fuivent plutôt le goût
national que la voix de la Nature , & que ce
goût y eft , comme les meurs un compofé
bizarre de corruption , de préjugés , & de barbarie
.
,
Peu d'Auteurs ont affez de force pour s'ifoler
de leur Nation & de leur Siècle. Dans
le fiècle où Le Taffe écrivoit , Htalie étoit
infectée de bel efprit & de philofophie fcholaftique.
Pétrarque avoit créé , pour ainfi dire ,
un fpiritualifime , une myfticité d'amour , fur
lefquels on fe piquoit encore de renchérir. Les
Pétrarquiftes , qui n'avoient pas le génie de leur
modèle, outrèrent fes défauts , au point d'être
le plus fouvent inintelligibles pour eux -mêmes.
Pétrarque & fes imitareurs avoient fait paffer
dans leur Langue une foule d'expreffions
précieufes & recherchées , qui peut - être alors
étoient trop fréquentes pour ne pas fembler
naturelles , mais dont l'Italie elle - même eft
bien défabufée aujourd'hui. Les premières
Poéfies du Taffe prouvent affez que , malgré
la fupériorité de fon efprit , il fut loin de fe
garantir des défauts brillans de fon Siècle.
En commençant fa Jérufalem , il fe propofa
fans doute de changer fa manière , & d'imiter
dans fon ftyle , comme dans plufieurs de fes
inventions , & dans le tiffu de fa Fable , Homere
& Virgile qu'il étudioit fans ceffe , & dont il me
66 MERCURE
parloit qu'avec enthouſiaſme. Mais on fait le
pouvoir qu'ont fur l'efprit comme fur le corps ,
les premières habitudes . Malgré tous fes efforts ,
on ne voit que trop fouvent dans fon Poëme
au milieu des plus grandes beautés de ftyle
de malheureux veftiges de fon vice originel.
>
Les Poëmes Romanefques ou Romans Epiques
, qui avoient inondé l'Italie , depuis le
Morgante jufqu'au Roland furieux , avoient affi
femé dans la Langue & dans les imaginations
italiennes , une foule d'expreffions & d'idées
ennemies du bon goût & du bon fens . Nourri ,
dès fa jeuneffe , de la lecture de ces Ouvrages ,
au point d'avoir pu lui-même , dès l'âge de 17
ans , figurer parmi les Poëtes Romanciers
malgré les notions faines qu'il acquit enfuite
fur la véritable Epopée , il lui fut impoffible
de ne pas conferver dans un Poëme Epique
quelques-uns des défauts qu'il s'étoit habitué
à excufer , & même à imiter , dans les Romans
de Chevalerie.
La philofophie du Taffe étoit celle d'Ariftote
réunie à celle de Platon. Il avoit appris , dans
le premier de ces Philofophes , toutes les
fineffes & même les fubtilités de la dialectique :
l'arme du fophifme lui étoit familière. Dans
fes Ouvrages en profe , il s'en fert quelquefois
d'une manière que l'Ecole avoue peutêtre
, mais que le bon fens réprouve . il eft
affligeant , par exemple , qu'un auffi beau génie
defcende à des puérilités telles que celle -ci.
Pour élever le Roland furieux au rang des
Poëmes héroïques , l'Académie avoit pris le
parti de dire » Poëme héroïque & Roman ,
c'est tout un. Ce qui n'eft ni tout ni un , répond
Le Taffe , ne peut être tout un or le
» Poëme de l'Ariofte n'eft ni tout ni un ; donc
DE FRANCE. 个
» il ne peut être tout un avec un Poëme hé-
» roïque ( 1 ) «. Lorfque dans un Ouvrage de
difcuffion , & dans la maturité de l'âge ( 2 ) ,
un Auteur fe permet de raifonner ainsi , il n'eft ,
pas étonnant que dans un âge plus tendre , &
dans un Ouvrage de pure imagination , il ait
pu fe fouftraire quelquefois aux févères loix
du bon fens.
Il avoit appris de Platon à fe livrer aux
méditations contemplatives , & fon ame natu
rellement élevée avoit facilement reçu l'empreinte
du beau nioral , tel que l'avoit fi bien
conçu & fi éloquemment exprimé le plus grand
des Philofophes . Ce fut à fon exemple qu'il
compofa des Dialogues , où l'on trouve fouvent
des beautés dignes de fon Maître ; mais
qui plus fouvent encore font défigurés par des
pointilleries fcholaftiques , dont ceux de Platon
même ne font pas toujours exempts . Son Poëme
eft rempli des traces du Platonifme on les
reconnoit fouvent à là nobleffe , à la beauté
idéale de fes penfées & de fes maximes ; mais
on les reconnoît auffi à cette métaphyfique
amoureufe que Pétrarque avoit mife à la mode ,
( 1 ) L'Infarinato , chargé par l'Académie de répliquer
au Taffe , fe moque affez plaifaniment de
ce mauvais fophifme , par un autre plus bizarre &
plus mauvais encore , mais qui n'en va que mieux
à fon but. Pour l'entendre , il faut fe rappeler que
Taffo, en Italien, fignifie auffi un blaireau : » Vous
» êtes il Taffo, dit l'Académicien , cependant vous
» n'êtes ni i ni Taffe ; car fi vous étiez il , vous
» feriez un article , & fi vous étiez Taffo , vous
» feriez une bête «<,
(2 ) Il avoit alorse 41 aus.
68
MERCURE
.
& que , dans leurs plaifirs , dans leurs plaintes
dans leurs regrets , les Amans du Taffe emploient
prefque toujours , au lieu du langage de
la Nature.
C'eft encore de Platon qu'il avoit pris un
goût exceffif pour l'allégorie. Il le portoit au
point de ne plus voir dans les Poemes d'Homère
& de Virgile , que des allégories continuelles
, & de vouloir , à cet exemple , allégorifer
toute fa Jérufalem .
Quelques parties de ces Poëmes étoient
peut - être allégoriques. Le Chantre d'Achille
& celui d'Enée , à l'exemple des premiers
Poëtes , y couvroient peut - être de ce voile
ingénieux les vérités les phis fublimes de la
Phyfique & de l'Aftronomie. Mais imaginer
que le tiffu entier de leurs Fables eft une pure
allégorie , que leurs Héros ne font que des
emblêmes ; penfer & écrire que l'Iliade eft
l'image de la vie civile , l'Odyffée celle de la
vie contemplative , & l'Enéïde un mélange de
l'une & de l'autre foutenir gravement que
l'homme contemplatif étant folitaire , & l'homme
actif vivant dans la Société civile , c'eft
pour cela qu'Ulyffe , à fon départ de chez Clipfo
, eft feul , & non pas accompagné d'une
armée ou d'une multitude de fuivans ; qu'Agamemnon
& Achille , au contraire , font repréfentés
, l'un comme Général de l'armée des
Grecs , l'autre comme Chef de toutes les
troupes des Mirmidons ; qu'Enée enfin eft accompagné
lorfqu'il combat , ou qu'il fait d'autres
actions civiles ; mais que pour deſcendre
aux Champs - Elyfees , il laiffe tous fes compagnons
, même fon fidèle Achate ajouter
que ce n'eft pas au hafard que le Poëte le fair
DE FRANCE. 69
ainfi aller feul , parce que ce voyage fignifie
une contemplation des peines & des récompenfes
qui font réfervées dans l'autre vie aux
ames des bons & à celles des méchans ; qu'en
outre , l'opération de l'intelligence ſpéculative,
qui eft l'opération d'une feule puiffance , eft
très -bien figurée par l'action d'un feul ; mais
que l'opération politique , qui procède de l'intelligence
& en même temps des autres puiffances
de l'ame , lefquelles font , pour ainfi
dire , des Citoyens réunis dans une République
, ne peut être bien repréſentée par une
action , où plufieurs ne concourent pas enfemble
à une feule fin : établir en principe toutes
ces rêveries , & les prendre pour règle comme
le fit Le Taffe ( 1 ) , n'eſt -ce pas prouver aſſez
qu'avec une imagination très riche, & plu-
-
( 1 ) Voyez fon Difcours intitulé Allegoria del
Poëma, vous y apprendrez que l'armée des Croifés ,
étant compolée de différens Princes , & d'autres
foldats Chrétiens , repréfente l'homme qui eft un
compofé d'ame & de corps , & d'une ame non pas
fimple , mais partagée en différentes puiffances :
que Jerufalem , ville forte , & placée dans un terrein
âpre & montueux , vers laquelle font dirigées
toutes les entreprifes de l'armée Fidelle, défigne la
félicité civile , convenable au bon Chrétien , félicité
difficile à acquérir , placée fur la cime efcarpée
où habite la vertu , mais où doivent tendre toutes
les actions de l'homme politique. Vous y apprendrez
encore que Godefroi eft l'image de l'intelligence;
que Renaud , Tancrède & les autres Princes,
figurent les autres qualités de l'ame , & que le
corps humain eft repréſenté par les foldats ; que
l'amourqui fait draifonner Tancrède , Renaud &
d'autres Guerriers , & qui les éloigue de Godefroi ,
yo MERCURE
fieurs autres qualités poétiques , portées même
au plus haut degré , on n'a pas toujours ce
bon fens dont la véritable & faine poéfie ne
doit s'écarter jamais ?
Je me fuis un peu étendu fur ce premier'
grief, parce qu'il donne la clef de tous les autres,
& que tous les défauts que Boileau reproche
enfuite au Taffe , peuvent être regardés
comme l'effet & la fuite néceffaire de
celui- ci.
20. Dans la plupart de fes narrations , il s'at
tache bien moins au néceffaire qu'à l'agréable.
L'agréable . oppofé au néceffaire dans les narrations
, eft toute circonftance inutile , & qui
ne fert que d'un vain ornement ; tout détail
minutieux , tout effer exagéré , toute circonftance
purement & inutilement acceffoire .
Un Vieillard , ami des Chrétiens , inftruit les
deux Chevaliers , qui vont chercher Renaud ,
de la manière dont ce jeune Guerrier avoit
été furpris & enlevé par Armide. Il leur dit ,
qu'étant arrivé au bord du fleuve Oronte
Renaud apperçut une ifle , formée par un des
bras du fleuve ; qu'il lut fur une colonne de
marbre une infcription en lettres d'or , qui
l'invitoit à y venir voir ce que la terre a de
plus admirable ; & qu'avant laiffé fur le rivage
fes deux Ecuyers , il fe fervit d'un petit bateau
pour paffer dans cette iſle , où Armide
cachée l'attendoit pour le poignarder. Il n'apperçoit
, en y débarquant , que des grottes , des
eaux , des fleurs , des arbres , des gazons. Ce
beau lieu l'invite à fe repefer. Il quitte fon
cafque pour fe rafraichir au doux fouffle d'un
défigne les combats que livrent à la puince rai
fonnable , la concupifcible & Tirafcible , & c. & c.
DE FRANCE.
vent paifible. En s'arrêtant ici , le Poëte auroit
joint enfemble l'agréable & le néceffaire : mais
ce n'étoit pas de quoi contenter fon imagination
romanefque . Renaud entend le fleuve murmurer
& rendre de nouveaux fons ; il regarde ;
il voit au milieu de fon cours une onde qui fe
tourne & fe retourne fur elle- même , & de là
fort une blonde chevelure , & de là s'élève la
figure d'une femme , & de là fa poitrine & fes
mamelies , & tout le refte de fon corps , jufqu'aux
endroits que cache la pudeur. Il ne faut
pas perdre de vue que ce n'eft point ici une
defcription faite par le Poëte , mais une narration
faite par un Vieillard. Il fe plaît fort dans
la peinture de ce joli fantôme : il le compare
aux Nymphes & aux Déeffes qu'on voit dans
un fpectacle nocturne s'élever lentement du
milieu du théatre. Ce n'eft pas , dit - il enfuite ,
une Sirene véritable ; mais elle femble une dé
celles qui habitoient une mer dangereufe , au
près du rivage de Tyrrhène : elle fe met à
chanter une chanfon galante de vingt - quatre
vers ; & le bon Vieillard , qui l'a retenue à merveille
, la répète toute entière aux Chevaliers
Renaud s'endort à ces doux chants , continue
le vieil Ermite . La Magicienne fort de fon
embufcade, & court à lui, ne refpirant que la
vengeance. Mais quand elle fixe fur lui fes
" regards ; qu'elle le voit refpirer fi paifible-
» ment ; qu'elle voit dans fes yeux , quoiqu'ils
» foient fermés , une expreffion douce &
» riante ; ( qu'eft ce donc lorfqu'il peut les
» mouvoir ? ) d'abord elle s'arrête en fufpens ;
» enfuite elle s'affied près de lui : elle fent ,
» en le regardant , s'appaifer toute fa colère.
" ( 1 ) Elle refte déformais tellement penchée fur ce
(1) E'n sù la vagafronte
72 MERCURE
פ כ
frontplein de charmes , qu'elle reflemble à Narciffe
» auprès de fa fontaine a . De fon voile elle effuie
la fueur qu'on y voyoit couler ; elle en
fait enfuite un éventail pour tempérer les ar
deurs du foleil. » ( 1 ) Ainfi , qui le croiroit ?
( Il faut ici traduire mot à mot . ) les ardeurs
affoupics de ces yeux cachés fondirent cette
glace qui s'endurciffoit plus que le diamant dans
» le coeur d'Armide «. On conviendra que cette
manière de narrer ne reffemble guère à celle
de Virgile .
25
20
J'ai choifi cet exemple à caufe de fon étendue
, & parce que je n'en pouvois guère citer
où la convenance fût plus complettement bleffée.
Dans des narrations plus courtes, le même d
défaut tient moins de place , & peur paroître
moins choquant ; mais il eft le même en proportion
, & le bon goût ne s'en accommode
pas davantage , foit que le Poëte raconte luimême
, foit qu'il mette la narration dans la
bouche de quelqu'un de fes perfonnages.
כ כ
Dans le récit du premier combat de Tancrède
& d'Argant , leurs lances fe rompent fur
leurs cafques ; » (2)& l'on voit voler par milliers
les tronçons , les éclats , & les brillantes
le feul retentiffement des coups étincelles :
» émeut à l'entour la terre immobile , & fait
ם כ
Pende homai si , che par Narcifo al fonte.
(1) Cosi ( chi'l crederia ? ) fopiti ardori
D'occhi nafcofi diftemprar quel gelo ,
Che s'indurava al cor più che diamante,
(a)
• E volar mille
E tronchi , efcheggie , e lucidefaville,
Sol de' colpi il rimbombo intorno moffe
L'immobil terra, é rifonarne i monti,
» réfonner
DE FRANCE. 73
réfonner les montagnes «. ( 1 ) Argant élève
en même temps la voix & fon épée ; fon fer
tourne avec tant d'impétuofité , que la Terre
tremble & que le Ciel lance des éclairs . Les deux
épées imitent la flamme de l'éclair , le bruit du
tonnerre , & les coups de la foudre. Tout cela
s'écarte du naturel & du néceffaire .
Renaud pourfuit les Infidèles dans Jérufalem
prife d'affaut , & maffacre tout ce qui s'oppofe
à lui : Tout cafque , tout bouclier eft une foible
défenſe ; c'en eft une que d'être fans armes.....
Il dédaigne un Peuple défarmé , & le met en
fuite par fes regards & fa terrible voix. Voilà
le néceffaire , encore ai-je paffé deux vers redondáns
& inutiles ; mais Le Tafſe ajoute à fa
manière : » ( 2) Vous auriez vu comment , par
» un miracle de valeur , tantôt il méprife , tan-
» tôt il menace , tantôt il bleffe ; comment ,
avec un péril inégal , font également mis en
» fuite ceux qui font nus & ceux qui font ar-
» més «<,
Enfin , comme dans un Poëme épique prefque
tout eft narration ; qu'on ouvre où l'on
( 1) Con la voce la ſpada infieme eftolle.
Vien che si impetuofo il ferro gire,
Che ne trema la terra , e'l Ciel balena.
Lampo nel fiammeggiar , nel rornor tuono
Fulmine nelferir le fpade fono
(2) Vedrefti di valor mirabil' opra
Come hor difprezza, hora minaccia, hor noce;
Come con rischio difegualfugati
Sono egualmente pur nudi, ed armati.
No. 19. 9 Mai 1789
D.
74.
MERCURE
voudra celui du Taffe , on trouvera prefque
par-tout des exemples plus ou moins frappans
de l'agréable préféré au néceffaire .
3 ° . Ses defcriptions font prefque toujours chargles
d'ornemens fuperflus . Il faut diftinguer deux
fortes de defcriptions , celles des chofes &
celles des perfonnes . Pour abréger cet article ,
que je pourrois beaucoup étendre , je ne citerai
pour exemple des premières, que le jardin
d'Armide ; & des fecondes , que le portrait
d'Armide elle -même .
C'étoit bien affez de dire que ce qui augmente
la beauté & le prix de ce jardin , c'est
que l'art qui fait tout , ne fe découvre nulle
part : mais le tour d'efprit particulier au Taffe,
le porte à orner cette penfée . Vous croiriez ,
tant la négligence & la culture font adroitement
mélangées ) qu'il n'y a de naturel que les
fites & les ornemens : » ( 1 ) Il femble que c'eft
» un art de la Nature , qui prend plaifir à imi-
» ter , en fe jouant , fon imitateur «<.
C'étoit affez pour une imagination fage , de
peindre des fruits éternels unis à d'éternelles
feurs , ou d'ajouter feulement qu'on veyoit
à la fois l'une éclore , & l'autre mûrir. Mais
c'étoit trop peu d'ornemens pour l'imagination
du Talle ; il faut qu'il ajoute : » ( 2 ) Sur le
(1 ) Di Natura Arte par , che per diletto
L'imitatricefua fcherzando imiti.
(2 ) Nel tronco ifteffo , e trà l'iſteſſa foglia
Sovra il nafcente fico invecchia il fico.
Pendono à un ramo un con dorata spoglia
L'altro con verde , ilnovo e'l pomo antico .
Qui l'uva ha infiori acerba , e qui d'or l'have
E di piropo , e già di nettar grave.
DE FRANCE.
75
לכ
» même tronc & entre les mêmes feuilles , la
figue vieillit fur la figue naiffante , le nou-
» veau fruit & l'ancien pendent au même ra-
» meau , l'un couvert d'une écorce dorée
» l'autre d'une écorce verte. La vigne porte
» ici des grappes encore en fleurs , & là des
grappes chargées d'or , de rubis , & déjà
» même de nectar <<
C'étoit affez que de jolis oifeaux accordaffent
à l'envi leurs chants lafcifs , que le zéphir
y joignit fon murmure , & fit gazouiller les
feuilles & les ondes : mais entraîné par fon
goût pour les ornemens fuperflus , Le Taffe
pourfuit & approfondit cette image . » ( 1 ) Quand
» les oifeaux fe taifent , le zéphir répond à
» haute võix ; quand les oifeaux chantent , il
agite plus légèrement le feuillage : foit hafar
, foit adreffe , le zéphyr muficien , tantôt
accompagne leurs airs , & tantôt fe fait en-
» tendre à leur place «<.
כ כ
ر د
"
ec.
"
Pour peindre le Méandre , auquel il compare
le labyrinthe d'Armide , il lui fuffifoit de dire :
ce fleuve , entre des rives obliques & incertaines
, fe joue dans un double cours ; tantôt
il defcend , tantôt il remonte : il n'a pu cependant
s'empêcher d'ajouter » ( 2) Il tourne une
» partie de fes eaux vers fa fource , & l'autre
» vers la mer ; & pendant qu'il vient , il fe
» rencontre foi-même , qui retourne «<.
(1) Quando taccion gli augelli , alto risponde :
Quando cantan gli augei , più lieve fcote :
Sia cafo , od arte , hor accompagna ;
Alterna i verfi lor la mufica ora.
ed hora
(2) Quefle acque a i fonti, e quelle al mar converter
E mentre ei vien , fe , che ritorna , affronta
Di
76 MERCURE
2
Mais quittons ce Palais magique pour le
portrait de la Magicienne. Ce portrait occupe
quatre ftrophes : les deux premières font confacrées
aux cheveux , au voile , aux yeux , au
teint , & à la bouche de rofe : ſeize vers fuffifojent
bien pour cela ; & c'étoit déjà s'écartere
exceffivement de la manière antique ; mais feize
autres font employés à dire que fon fein eft à
moitié caché , & que la penfée , plus fubtile
que l'oeil, pénètre ce qu'on ne voit pas . Tradui-.
fons littéralement ces deux octaves : (1 ) » Son
» beau fein montre à nu fes neiges où le feu
» d'amour fe nourrit & s'allume. On voit une
partie de le mamme acerbe e crude ( 2 ) . Une
partie eft couverte par la robe envieufe ;
» mais fi elle ferme le paffage aux yeux , elle
» ne peut arrêter l'amoureux penfer , qui , non
content des beautés extérieures s'infinueencore
dans les fecrets cachés. Comme un
» rayon paffe au travers de l'eau ou du criſtal
» fans les diyifer ou les partager , ainfi le pen-
» fer ofe pénétrer , fous le voile fermé , jufqu'à
la partie défendue. Là il s'étend ; là il
» contemple en détail le vrai de tant de mer-
» veilles ; enfuite il les raconte au défir , il les
» lui décrit , & rend fes flammes plus vives «.
כ
כ כ
9
En bonne foi , quand Boileau , choqué de
tous les ornemens plus que fuperflus de cette .
defcription, eût jeté là le Livre, & n'eût jamais
voulu le reprendre , devroit-on lui en faire un
crime ?
( 1 ) Moſtra il bel petto , &c. Canto IV , St.
31 & 34.
(2) Acerbe e crude , métaphore tirée des fruits'
qui ne font pas encore mûrs,
DE FRANCE. 77
4° . Dans la peinture des plus fortes paffions ,
fouvent il dégénère en traits d'efprit qui font ceffer
le pathétique.
Erminie veut fortir de Jérufalem pour aller
guérir Tancrède bleffé par Argant . L'honneur
& l'amour fe combattent en elle : l'un la retient
, l'autre l'excite. Ce combat devoit tenir
peu de place , & Virgile l'eût exprimé en deux
vers : Le Taffe fait parler l'honneur en deux
ftances de huit vers , & l'amour en cinq ; ce
qui fait cinquante- fix vers , au lieu de deux ,
& ce qui détruit tout le pathétique de cette
fituation intéreffante .
Au XIXe. Chant , cette même Erminie trouve
Tancrède vainqueur d'Argant , mais lui - même
étendu mourant à peu de diſtance du corps de
fon ennemi. » ( 1 ) Après un fi long temps , ditelle,
je te retrouve à peine, ô Tancrède ! je te
» revois , & je ne fuis pas vue je ne fuis pas
» vue de toi , quoique préfente , & en te trouvant
, je te perds éternellement «. Après
avoir dit qu'elle voudroit être aveugle , pour
ne pas le voir en cet état ; après avoir déploré
la flamme des yeux , leurs rayons cachés
, la couleur vermeille des joues fleuries ,
& c. elle s'adreffe à l'ame qu'elle croit encore
préfente , & la prie de pardonner un larcin
téméraire ; ce larcin eft un baiſer , & il ne faut
pas moins de douze vers à la chafte Erminie
pour traiter à fond cette matière . » Je veux
» ravir à ces lèvres pâles , de froids baifers que
j'efpérai plus chauds « ; ( qu'on me pardonne
cette traducion littérale ) . » J'enlèverai à la
"
( 1 ) Dopo grantempo , i' ti ritrovo a pena , &c.
Ch. XIX , St. 105 & fuiv.
D 3
78
MERCURE
» Mort une partie de fes droits en baifant ces
lèvres livides & flétries . Bouche compatif-
כ כ

fante , qui , pendant ta vie , confolois ma
» douleur par tes difcours , qu'il me foit per-
» mis , avant mon départ , de me confoler par
quelqu'un de tes chers baifers . Et peut- être
alors , fi j'avois été affez hardie pour le de-
» mander , m'aurois - tu donné ce qu'il faut
» maintenant que je vole . Qu'il me foit per-
» mis de te preffer , & enfuite que je verfe
» mon ame entre tes lèvres « ! Où eft la décence
? où eft la Nature ? où eft le pathétique ?
Quelle peinture devoit être plus touchante
& plus terrible que celle du déſeſpoir d'un
Amant qui , pendant la nuit , tue , fans la reconnoître
, une Maîtreffe adorée ? Voyez Tancrède
, prêt à baptifer Clorinde , qu'il a bleffée
à mort . Il ne meurt pas , parce qu'il recueille
en ce moment toutes fes forces , qu'il les met
en garde auprès de fon coeur & que réprimant
fa douleur , il s'occupe ( 1 ) à donner la vie
avec l'eau , à celle qu'il a tuée avec le fer. Des
François qui arrivent , le trouvent mourant
& l'emportent avec Clorinde , ( 2 ) à peine vivant
en foi , & mort en elle qui eft morte.
Lorfqu'il revient à lui , & qu'il fe retrouve dans
fa tente au milieu de fes amis , il fe répand
en plaintes qui devroient arracher des larmes.
Mais comment ne feroient-elles pas féchées par
cette froide apostrophe à fa main ? ( 3 ) » Ah !
(1 ) A darfi volfe
Vita con l'acqua a chi col ferro uccife.
(2) In fe mal vivo , e in lei morto che è morta.
(3) Ahi' man timida , e lenta , &c.
2
C
Ch. XII , St. 75 & fuir.
DE FRANCE.
79
»
» main timide & lente , toi qui fais tous les
» moyens de bleffer , toi impie , & infame mi-
» niftre de la mort , que n'ofes -tu maintenant
trancher le fil de cette vie coupable ? Perce ma
poitrine , & fais avec ron fer barbare éprouver
un cruel fupplice à mon coeur ; mais peut-être
habituée à des actions atroces & impies , regardes-
tu comme un acte de pitié de donner
» la mort à ma douleur « . Après quelques mouvemens
plus paffionnés , mais où l'on ne voit
pas encore l'expreffion d'un véritable défefpoir ;
il demande où eft le corps de Clorinde ; peutêre
eft-il la proie des bêtes féroces ? » Ah !
» trop noble proie ! ah ! trop douce , trop
" chère , & trop précieufe pâture ! Ah ! reftes
» malheureux , contre qui les ombres & les fo-
» rêts ont irrité moi d'abord , & enfuite les
» bêtes fauvages ! J'irai cù vous êtes , & je
» vous aurai avec moi , fi vous exiftez enco-
» re , ô dépouilles chéries ! Mais s'il arrive que
» fes membres fi délicats aient raffafié des appétits
féroces , je veux que la même gueule .
m'engloutiffe , je veux être enfermé dans le
» ventre qui les renferme ; tombe honorable
» & heureufe pour moi , quelque part qu'elle
» puiffe être , s'il m'eft permis d'y être avec
22
53
"> eux « !
Comment, lorsqu'on eft habitué aux beautés
vraies d'Homère & de Virgile , pourroit on
pardonner de pareils traits d'efprit ? Comment
pourroit-on fe fentir ému par de pareilles plaintes
, ou par celles - ci , qui viennent bientôt après ?
» O mes yeux , auffi impitoyables que ma
» main ! elle a fait les plaies , vous les regardez !
» vous les regardez fans pleurer ! Ah ! que
» mon fang coule , pnifque mes pleurs refufent
» de couler « ! Ou enfin par cette apoftrophe au
D 4
80 MERCURE
כ כ
tombeau de Clorinde ? » O marbre fi cher & fi
» honoré ( 1 ) , qui as au dedans de toi ma
flamme, & au dehors mes pleurs ; non , tu n'es
» point la demeure de la mort , mais des cen-
» dres vivantes où rep l'amour , & je fens
» que tu rallumes dans mon coeur fes feux accoutumés
, moins doux , mais non moins brû-
» lans. Ah ! prends mes foupirs , & prends ces
» baifers que je baigne d'une eau douloureuſe ;
» & puifque je ne le puis moi - même , donneles
du moins à ces reftes chéris , que tu as
» dans ton fein , & c. & c.
ככ
1
Quel moment pour l'expreffion & pour le
pathétique , que celui où Armide eft quittée par
Renaud Elle qui naguère avoit à fes ordres
tout l'empire d'amour , qui vouloit être aimée ,
& qui haiffoit les Amans , qui n'aimoit qu'elle ,
ou qui n'aimoit en autrui que l'effet du pouvoir
de fes yeux , maintenant méprifée , trahie , abandonnée
, fuit celui qui la fuit & la méprife , &
tâche d'orner par fes larmes le don de fa beauté refufe
pour lui-même. Ni la glace , ni les rochers efcarpés
ne peuvent arrêter fes pieds délicats . Elle
envoie devant elle fes cris pour meffagers ; & elle ne
lejoint que lorsqu'il a joint le rivage ( 2) . Forcenée ,
elle s'écrie : Otoi qui emportés avec toi une par-
» tie de moi-même , & qui en laiffes une partie ,
» ou prends l'une , ou rends l'autre , ou donne
"
(1) Ofalſo amato , ed honorato tanto ,
Che dentrohai lemie fiamme e fuori il pianto.
Ibid. St. 96 & 97.
(2) Envia per meſſagieri inanzi i gridi
Nè giunge lui , prià ch'ei fia giunto a i lidi.
DE FRANCE. Si
ور
ל כ
» en même temps la mort à toutes les deux ( 1 ) .
Elle arrive auprès de Renaud , & avant de lui
parler , elle foupire (2 ) , » comme un Muficien
» habile , qui , avant de chanter , prélude tout
» bas « , pour préparer l'attention de fes Audi
teurs . Elle le prie de l'emmener captive. Que
ton camp , lui dit -elle , ajoute à tes autres éloges
(3 ) celui de t'être joué de celle qui s'étoit
jouée de toi . Je te fuivrai dans les combats :
je ferai ce que tu voudras , ton Ecuyer , ou
» ton écu (4) . Renaud s'arrête , mais il refifte
& remporte la victoire : » ( 5 ) ; l'Amour trouve
» en lui l'entrée fermée ; & les larmes , la fortie..
L'Amour n'entre pas pour renouveler
» d'anciennes flammes dans fon fein que la raifon
» a glacé « . Il répond avec douceur , mais avec
fageffe ; auffi Armide lui dit elle : » ( 6 ) Ecoutez
» comme il me confeille : écoutez ce chafte Xe-
» nocrate comme il parle d'amour « ! Ce nom
d'un Philofophe Grec ne fied-il pas bien dans
la bouche d'Armide ?
>>
Je fais que la plus grande partie de cette Scène
( 1) O prendi l'una , ò rendi l'altra , ò morte
Da infieme ad ambe.
(2) Qual mufico gentil , &c .
(3) Che la tua fchernitrice habbia fchernito.
(4) Ecu , bouclier , fcudo.
( 5) ...........
Sarò qualpiù vorrai fcudiero ò feudo .
E inlui trova impedita
Amor l'entrata , il lacrimar l'ufcita.
Non entra amor a rinovar , nelfeno
Che ragion congelò , la fiamma antica.
(6) Odi , come configlia , odi il pudico
Senocrate , d'amor come ragiona.
DS
82 MERCURE
eft écrite différemment , & qu'on en pourroit
citer plufieurs tirades affez longues , où la paffion
parle fon véritable langage ; mais la plupart
font imitées de Virgile , & l'on pardonne d'autant
moins au Taffe d'avoir dans quelques - uns
de fes vers fait fi mal parler Armide, qu'il avoit,
alors Didon fous les yeux ou dans la mémoire.
5º. Il est plein d'images trop fleuries , de
tours affectés , de pointes & de pensées frivoles.
Ce peu de mots me fourniroit bien des pages ,
fi je voulois feuilleter la Jerufalem délivrée d'un
bout à l'autre , & citer tout ce qui les juftifie .
Je me contenterai de quelques exeinples,
Images trop fleuries. Armide , à qui Godefroi
refufe le fecours qu'elle lui demande , verfe
des larmes , telles que celles qui font produites
par la colere mêlée à la douleur . » Ses larmes
» naiffantes reffembloient ( 1 ) à du criſtal & à des
perles frappés des rayons du foleil . Ses joues
humides (2 )étoient comme des fleurs vermeilles
» & blanches tout enfemble, qu'artofe un nuage
» de rofée , lorfqu'au point du jour elles ou-
»-vrent leur fein au doux zéphyr, & que l'Aube
22
(1 ) E le nafcenti la grime a vederle
Erano a'rai delfol cristalli e perle.
(2) Parean vermigli infieme e bianchi fiori ,
Se pur gli irriga un rugiadofo n mibo,
Quandofu l'apparir de ' primi albori
Spiegano a l'ause liete il chiufo grembo ;
E l'alba , che gli mira e fe n'appaga , (
D'adornarfene il fen diventa vaga.
DE FRANCE. 83
qui les regarde avec plaifir , défire d'en pa-
» rer fes cheveux «<. Que devient, au milieu
de toutes ces images , la douleur vraie ou fauffe
d'Armide ?
Que devient-elle encore , lor'qu'Armide ( 1 )
» fait briller comme un double foleil fon regard
» ferein & fon fouris célefte fur les nuages
» obfcurs & épais de la douleur «< ?
Tancrède , dès l'inftant qu'il voit Clorinde ,
en devient amoureux . Le Poëte , au lieu de peindre
ce rapide fentiment de l'amour , s'amufe à
cette image beaucoup trop fleurie de l'Amour
enfant (2). O merveille l'Amour , qui vient
» à peine de naître , vole déjà grand ', & déjà
» triomphe armé «.
Mais , à proprement parler , ceci pourroit être
mis au rang des penfees frivoles . En voici qui
ne le font pas moins . Erminie , pour fortir de la
ville , & pour aller guérir Tancrède , prend
les armes de Clorinde. La nuit couvre fon larcin
( 3 ) , » la nuit qui eft l'amie des voleurs &
» des Amans «<
Tancrède, enfermé dans les obfcures prifons
d'Armide , y regrette moins de ne plus voir le
foleil , que de ne plus voir Clorinde ; encore
(1 ) E lampeggiar fà , quafi un doppiofole
Il chiaro fguardo, e'l bel rifo celeste
Sù le nebbie del duolo ofcure e folte.
(2) O meraviglia ! amor ch'apena è nato
Gia grande vola, e gia trionfa armato.
( 3 ) ... La notte . . . . . .´.
Ch'a i ladri amica ed a gli amanti ufcia.
D 6
84 MERCURE
ne s'exprime- t-il pas aufi naturellement ( 1 ).
» C'est une perte légère que de perdre le fo-
" leil ; malheureux ! je perds la vue bien plus
» douce d'un plus beau foleil «.
Argillan veut frapper de fon épée lejeune Page
de Soliman. » (2) Le fer parut avoir du fenti-
» meut , & fut plus humain que l'homme ; il fe
» tourna, & defcendit à plat
Renaud , revenu de fes erreurs , s'acheminant
avant l'aurore vers la montagne où il doit prier
admire les étoiles & la lune argentée : on s'attend
qu'un fi beau fpectacle lui dietera quelque penfée
profonde ; or voici celle qu'il lui infpire . Il n'eft
perfonne qui admire tant de merveilles (3 ) , » &
» nous admirons la lumière trouble & obfcure ,
qu'un coup d'oeil , ou l'éclair d'un fourire
» nous découvre fur les confins bornés d'un
fragile vifage «. Le fond de la penfée eft
auffi frivole , que le tour cft précieux & affecté .
כ כ

Renaud & fes Guerriers tuent tout ce qu'ils rencontrent
; les Infidèles n'ofent même fe défendre:
ce n'eft point un combat , c'eft un maffacre ;
» car on emploie d'un côté le fer , & de l'autre
la gorge (4) «. Ici la frivolité de la penſée va
jufqu'au ridicule.
( 1 ) Leve perdita fia perdere il fole ,
Ma di più vago fol più dolce vifta
Mifero i perdo.
(2 ) Senfo haver parve e fù de l'huom più humane
Il ferro , che fi volfe , e piattofcefe.
(3) E miriam noi torbida luce bruna
Ch'un girar d'occhi , un balenar di rifo
Scopre in breve confin di fragil vifo.
(4) Che quinci oprano il ferro , indi la gola,
DE FRANCE.
Je fais que cela eft imité de Lucain , qui dit
dans fon neuvieme Livre :
Perdidit inde modum cades ; ac nulla fecuta eft
Pugna, fed hinc jugulis , hinc ferro bella geruntur.
Mais , n'en déplaife à Lucain & à fes Admirateurs
, frivolité & ridicule n'en font pas moins
ici les mots proprès.
Tours affectés . Je comprends fous ce titre les
répétitions , les accumulations , les oppofitions
qui s'écartent du naturel , qui ne forment qu'un
vain cliquetis de mots & de penſées , & qui
ôtent au ftyle épique fa noble & décente fimplicité
.
Odoard & Gildippe combattent toujours enfemble
: tous les coups qu'ils reçoivent les bleffent
également : » ( i ) fouvent l'un eft bleffé
» l'autre languit : & celui -là verfe fon ame
quand celle- ci verfe fon fang «<.
در
, כ
La belle Sophronie ne prife fa beauté qu'autant
qu'elle fert d'ornement à fa vertu. » ( 2) Son
plus grand mérite eft de cacher d'auffi grands
» mérites entre les murs d'une maifon étroite.
» Elle eſt aimée d'Olinde ; mais ( 3 ) où elle le
méprife , ou ne le voit pas , ou ne s'en apperçoit
pas ainfi jufqu'alors le malheureux l'a
ל כ
(1 ) . E fpeffo è l'un ferito e l'altro langue
E verfa l'alma quel ,fe quefta il fangue.
(2) E il fuo pregio maggior chetra le mura
D'angufta cafa afconde i fuoi gran pregi.
(3) O lo fprezza , ò no'l vede , ò non s'avede
Cosi fin ora il mifero ha fervito
O non vifto , ò mal noto , ò mal gradiso.
$6 MERCURE
ככ
» fervie , ou fans être vu , ou mal connu , ou
» mal récompenté « . Dans le projet qu'elle a
de fe dévouer pour fauver les Chrétiens , le
courage l'excite , la pudeur & la décence virginale
l'arrêtent. » ( 1 ) Le courage l'emporte
ou plutôt il s'accorde avec elle ; il devient
plein de pudeur , & la pudeur pleine d'au-
» dace «.
در
Soliman , dans un combat nocturne , fait des
prodiges de valeur : ( 2 ) fon fer ne s'abat point
» qu'il ne touche ; il ne touche point qu'il ne
» bleffe ; il ne bleffe point qu'il ne the «<. Après
un tour fi affecté, & une accumulation fi exagérée ,
fied-il bien d'ajouter encore : » J'en dirois davan-
» tage , mais la vérité a l'air du menfonge « ?
Clorinde & Tancrède , qui fe combattent fans
fe connoître , » ( 3 ) ont le pied toujours ferme
» & la main toujours en mouvement. L'infulte
excite le courroux à la vengeance , &
la vengeance enfuite renouvelle finfulte «.
Au haut de la montagne où Armide a placé
fes jardins , le ciel eft toujours ferein , & conferve
éternellement » ( 4) aux prés les herbes
(1) Vince fortezza ; anzi s'accorda , e face
Se vergognofa , e là vergogna audace.
(2) Non cala il ferro mai ch'a pien non colga ,
Ne cogliea pien che piaga ancor non faccia:
Ne piaga fa che l'alma altrui non tolga.(
E più direi ; ma il ver di falfo ha faċċia.
(3 ) Sempre è il piè fermo, e laman fempre in moto.
L'onta irrita lo fdegno alla vendetta ,
$ E la vendetta poi l'onta rinova.
(4) E nutre ai prati l'herba , a l'herba i fiori
Ai fior l'odor , l'ombra a le piante eterna.
DE FRANCE. 87
» aux herbes les fleurs , aux fleurs les odeurs ,
» aux arbres les ombrages «<.
Une jolie Nymphe qui fe jouoit dans l'eau.
d'une fontaine ( 1 ) rioit & rougiffoit tout en
» femble , & le fourire étoit plus beau dans la
» rougeur, &la rougeur dans le fourire «<.

Figurez- vous le fage Defpréaux lifant toutes
ces balvernes , & ofez le blâmer d'avoir un
peu rudoyé les fots de la Cour & de la ville ,,
qui profanoient l'Iliade & l'Eneide par une
comparaifon , & même par une préférence injuricufe.
Mais je me fuis trop hâté de laiffer
échapper cette réflexion chagrine : je devois la
réferver pour l'article fuivant , qui fera le der
nier. Il fuffiroit feul pour abfoudre Boileau du´
jugement dont on a voulu lui faire un crime.
Pointes ou jeux de mots . Ici je ne puis être embarraffé
que du choix ; & je n'ai befoin que de
patience pour citer une partie de ce qui ma bleffé ,
tant de fois .
Ce n'eft pas affez qu'Armide raconte que fon
Tyranla quitta avec un vifage fombre où paroiffoit
clairement la cruauté de fon coeur ( 2) , ni qu'elle
dife, Je craignoismême de découvrirma crainte ( 3 ),
ni que fa feinte douleur , & fes larmes perfides
foient repréfentées , comme nous l'avons déjà
vu , par des images trop fleuries ; il faut encore
que l'eau qui coule de fes yeux produiſe l'effet
( 1 ) Rideva infieme e infieme ella arrofia ,
Ed era nel roffor più bello il rifo ,
(2)
E nel rifo il roffor.
Con un fembiante ofcuro
Onde l'empio fuo cor chiaro trafpare.
(3) Scoprir la mia tema ancor temea.
(a)
}
88 MERCURE
T
1
du feu (1) , & que le Poëte s'ecrie : » O miracler
» d'amour , qui tire des étincelles, des larmes ,
» & qui enflamme les coeurs dans l'eau « ! Ses
rufes mettent en feu tout le camp des Chré-,
tiens. Elle intimide les uns , encourage les autres
, » & enflammant
leurs défirs amoureux
» enlève la glace qu'avoit amaffée la crainte(2) <.
Enfin les faifant à chaque inftant changer d'état
, elle les tient toujours » dans la glace &
» dans le feu , dans les ris & dans les pleurs ,
» entre la crainte & l'efpérance (3 ) «.
"
"
Senape , Roi d'Ethiopie , étoit éperdument
amoureux de fa femme , & dans lui ( 4 ) » les
» glaces de la jaloufie égaloient les feux de l'a-
» mour « mais voici bien autre chofe. La Reine :
étoit noire , elle accouche d'une fille blanche ;
cette fille eft Clorinde , à qui le vieil Arfète raconte
cette hiftoire . Votre mère , lui dit - il ,
folut de vous cacher au Roi fon époux , » à
qui la blancheur de votre teint eût pu paroître
» une preuve contre la candeur de fa foi ( 5 ) ∞.
95
( 1 ) Ma il chiaro humor
Opra effetto di foco.
Omiracol d'amor , che le faville
ré-
Tragge del pianto , e i cor ne l'aqua accende !
(2) Ed infiemmando l'amorofe voglie
Sgombra quel gel che la paura accoglie.
(3)
(4)
In ghiaccio , e in foco
In rifo e in pianto , e fra paura efpene.
E de l'amore alfoco
Ben de la gelofia s'agguaglia il gelo .
(5) Ch'egli havria del candor che in te fi vede
Argoment to in lei non bianca fede,
J'ai été obligé de mettre l'inverfe de ce jeu de
mots pour le faire un peu entendre.
DE FRANCE. 89
On retrouve ce goût pour les peintes , "dans
les récits , dans les difcours , dans les defcriptions
; mais c'eft fur- tout , il faut l'avouer , dans
le caractère d'Armide , que Le Taffe paroît avoir
pris à tâche de les femer avec profufion. Soit
qu'il parle d'elle , foit qu'il la faffe ou parler
ou agir , les jeux de mots les plus recherchés
viennent d'eux-mêmes fe placer dans fes vers.
Il femble qu'en peignant cet être fantastique , il
n'ait pas cru devoir un moment parler le langage
de la Nature ; ou plutôt il femble que cette Magicienne
l'a lui- même touché de fa baguette , &
qu'elle a jeté fur fes penſées & ſur ſon ſtyle
un charme mal- faifant qu'il ne peut rompre.
Nous en avons déjà plufieurs fois remarqué
l'influence ; mais fi l'on veut la voir dans toute
fa force , il faut jeter les yeux fur Renaud aux
pieds d'Armide , & prêter l'oreille à fes galanteries
amourenfes. Il tient devant elle un miroir ( 1):
" Ils regardent tous deux , elle avec des yeux
» rians , lui avec des yeux enflammés , un feul
» objet en différens objets . Elle fe fait du verre
» un miroir , & lui fe fait deux miroirs des
" yeux fereins de fa Maîtreffe. L'un fe glo-
» rifie de fon efclavage , l'autre de fon empire ,
» elle en elle - même , & lui en elle. Tourne
» lui difoit le Chevalier , ah ! tourne vers moi
» ces yeux où je lis ton bonheur & le mien (2 ) :
» car fi tu ne le fais pas , mes feux font le vrai
portrait de tes beautés . Mon fein retrace mieux
» que ton criftal , leur forme & leurs merveilles.
» Hélas ! puifque tu me dédaignes , que ne peux-
ל כ
(1 ) Con luci ella ridenti , ei con accefe, &e.
Ch. XVI , St. 20 & ſuiv.
(2 ) Onde beata bei. Jeu de mots impoffible à
rendre.
90 MERCURE
"
» tu , du moins , voir ton propre vifage
» dans toute fa beauté ! Ton regard , qui ne
» trouve point ailleurs de quoi fe fatisfaire, joui-
» roit & feroit heureux en fe retournant fur
» lui-même . Un miroir ne peut rendre une fi
» douce image , & un paradis n'eft pas ren-
» fermé dans une petite glace : le ciel eft un
» miroir digne de toi . & c'eft dans les étciles
» que tu peux voir tous tes charmes <<.
Ces deux Amans fe retrouvent à la fin du
Poëme dans une pofition fort différente ; mais
ils n'ont point changé de ftyle , & le défefpoir
d'Armide n'eft pas moins prodigue de pointes ,
que l'étoit l'amour de Renaud . Ils fe rencontrent
áu milieu d'un combat. Il change un peu de
vifage ; elle devient de glace & enfuite de feu ( 1 ).
Elle lance plufieurs traits contre Renaud ; &
sandis qu'elle les darde , l'Amour la bleffe (2 ). Elle
craint que le corps de fon perfide ne foit invulnérable
comme fon coeur ( 3 ) . » Peut-être fes
» membres font - ils revêtus du même marbre
» dont il a fi bien endurci fon ame ; les coups
» d'oeil ni les coups de main ne peuvent rien fur
» lui «. Enfin elle´s'enfuit ſeule du champ de bataille
. Elle s'en va ; » (4 ) le courroux & l'Amour
(1) Ella fi fa di gel , divien poi foco.
(2 ) E mentre ella faetta , amor lei piaga .
(3 ) Veftirebbe mai forfe i membri fui
(4)
Di quel diaspro ond'ei l'alma ka fi dura ?
Colpo d'occhio ò di man non puote in lui.
E van feco par auco
Sdegno ed amor quafi duo veltri alfianco.
On doit obferver que veltro en Italien eft moins
bas que chien de chaffe en François : aufli n'est-ce
pas la baffeffe de l'expreffion que je reprends ici.
DE FRANCE.
33
» s'en vont avec elle , comme deux chiens de
chaffe attachés à fes flancs «. Elle veut fe tuer
elle - même : elle s'adreffe à fes flèches , & les
invite à percer un coeur où celles de l'Amour ne
tirent jamais en vain . » ( 1 ) Puifqu'aucun autre
» remede n'eft bon pour moi , dit - elle en fi-
» niffant , & qu'il ne faut que des bleffares à
» mes bleffures , qu'une plaie de mes flèches
guériffe la plaie d'amour : & que la mort
» foit un remède pour mon coeur «.
"
Il eft temps de terminer ces fatigantes citations
. Jufqu'ici elles ont eu pour but de défendre
l'opinion de Boileau. En les multipliant ,
je paroîtrois ne vouloir qu'obfcurcir la gloire
du Taffe ; & je fuis affurément bien loin de ce
deffein. Il me fuffit d'avoir démontré , comme
je crois l'avoir fait , que le jugement de Defpréaux
eft jufte dans tous fes points , & de
pouvoir conclure avec lui , que » tout cela oppofé
à la fageffe , à la gravité , à la majeſté de
Virgile , n'eft autre choſe que du clinquant oppofé
à de l'or .
"
לכ
33
Mais tout le Poëme eft-il écrit ainfi ? Non
fans doute ; car s'il l'étoit , il ne vaudroit pas
même les frais d'une difcuffion ; il ne mériteroit
pas que fon Cenfeur le plus févère eût
reconnu dans l'Auteur un génie fublime , élevé ,
heureufement né à la Poéfie & à la grande Pofie.
Il ne mériteroit pas enfin l'éloge que j'en ai
fait pour développer cette partie favorable,
du jugement de Defpréaux , éloge que je fuis:
(1 ) Poi ch'ogn'altro rimedio è in me non buono ,
Se non fol diferite a le ferute ,
Sani piaga di ftral , piaga d'amore
E fia la morte medicina al core.
"
2 MERCURE
loin de rétracter , & qu'il me feroit facile d'étendre
davantage . Mais enfin des exemples pareils
à ceux que j'ai cités , fe rencontrent fouvent
dans ce Poëme. Plus il a d'ailleurs de
beautés , plus ces exemples feroient dangereux
pour des Lecteurs dont le goût ne feroit pas
formé. Il m'a paru néceffaire d'examiner une
fois férieufement ce qu'on avoit fi fouvent
loué ou blâmé fans examen ; & fur-tout de
juftifier la décifion de celui de nos Poëtes du
XVII . fiècle qui honore le plus notre Nation aux
yeux des Etrangers , & qui a eu , parmi nos
Compatriotes & nos Contemporains , les plus
violens & les plus injuftes détracteurs.
Dans une Epître à Boileau , qui commence
par ces deux vers inconcevables :
Boileau , correct Auteur de quelques bons Ecrits ,
Zoïle de Quinaut , & flatteur de Louis , &c.
Voltaire eut donc grand tort de dire :
Si ton goût trop févère a pu déſapprouver
Du brillant Torquato le féduifant Ouvrage ,
Entre Homère & Virgile il aura mon hommage.
Il eut tort de faire , fur un fi grand Poëte que
Le Taffe , un auffi mauvais vers que le fecond :
il eut tort de lui affigner le rang qu'il lui donne
dans le troisième . Pour être placé entre Homère
& Virgile , il faudroit être au deffus de
l'un des deux ; & c'eft ce que fans doute Voltaire
lui - même ne penfoit pas : mais parmi les
Anciens , il feroit injufte de préférer au Taffe ,
Lucain , Stace ou Silius ; parmi les Modernes
Le Camoëns , malgré plufieurs morceaux fublimes
, eft loin de pouvoir lui être comparé ;
DE FRANCE.
93
Milton , plus fublime encore , a contre lui la
bizarrerie , la triſteſſe , en un mot le malheur de
fon fujet ; l'Ariofte s'eft trop égáyé dans le
fien , & s'eft trop fouvent écarté , à deffein , de
la dignité de l'Epopée ; la France enfin , ni les
autres parties de l'Europe , n'ont rien encore à
qui l'on puiffe véritablement donner le nom de
Poëme épique ; celui du Taffe eft donc immédiatement
placé après ceux d'Homère & de
Virgile , & par conféquent le premier de tous les
Poëmes modernes .
Cette place eft affez belle pour fatisfaire une
ambition " raiſonnable ; & quelque importance
que l'on donne aux nombreux ts défau de la
Jerufalem , cette place ne lui fera ôtée que
lorfqu'un autre Poëme paroîtra , écrit dans une
Langue auffi poétique , conçu avec autant de
force , conduit avec autant d'ordre & de fageffe
; dont le ftyle ait en général autant de
chaleur , de poéfie & de grace ; dont les caractères
foient auffi bien tracés , agiffent avec autant
de vigueur , & fe faffent ainfi mutuellement
valoir ; où le merveilleux & l'hiftorique foient
auffi habilement fondus & mélangés ; où l'imagination
du Poëte agiffe auffi puiffamment fur
l'imagination du Lecteur ; un Poëme enfin , qui ,
avec tous ces avantages , ait celui de naître dans
une Nation & dans un fiècle étrangers au faux
éclat du bel efprit , & revenus , ne fut-ce que
par laffitude & par ennui , aux fimples & durables
beautés de la Nature ; d'être en même .
temps l'Ouvrage du goût & celui du génie ,
de fortir du cerveau d'un Poëte qui n'ait point
trop goûté dans fon jeune âge la douceur des
alimens de l'efprit , qui n'ait point pris l'affai
fonnement pour la nourriture ; & d'être ainfi
purgé de ce clinquant qu'on voit avec tant de..
១៩ MERCURE DE FRANCE.
On trouvera chez le même Auteur une inftruction
très - étendue fur la plantation & l'exploitation
de tous les bois , & des expériences
fur la force des différentes efpèces d'arbres ,
en 1 vol. in- 12 , & deux fupplémens , avec
dix planches gravées pour le fciage des bois, &c.
Traité des Jardins , ou le nouveau de la Quintinie
, contenant la defcription & la culture ,
1º. des arbres fruitiers ; 2° . des plantes potagères
; 3 ° . des arbres , arbriffeaux , fleurs &
plantes d'ornement ; 4° . des arbres, arbriffeaux ,
plantes d'orangerie & de ferre chaude. Par M.
L. B*** , quatrième partie, Orangerie & Serre
chaude ; nouvelle édition . A Paris , chez Belin ,
Libraire , rue Saint-Jacques ; à Caen , Manoury
, l'aîné , Libraire , rue Saint - Pierre ; à Avranches,
chez le Court, Imprimeur - Libraire, Prix ,
broché , in- 8 °. liv. 4 f.
Cet Ouvrage a juftement réuffi , & la partie
typographique en eft foignée.
TABLE.
V₁ERS.
Epitre.
491 Lettres.
50 Variétés .
Charade, Enig. & Logog. 52 Annonces & Notices.
Adreffe. 541
SA
८०
94
J.
APPROBATION.
AI lu par ordre de Mgr. le Garde des Sceaux ,
le MERCURE DE FRANCE , pour le Samedi
Mai 1789. Je n'y ai rien trouvé qui puiffe en
empêcher l'impreffion . A Paris , le 8 Mai 1789 .
SÉLIS.
SUPPLEMENT ,
CONTENANT
LES PROSPECTUS ET AVIS
DE LA LIBRAIRIE.
TRENTE - UNIEME Livraifon de
PENCYCLOPÉDIE , par ordre de
matières.
Vingt - fept Avril 1789,
CETTE Livraifon eft compofée du tome IV
de l'Hiftoire Naturelle , contenant les Infectes,
par MM, Manduyt & Olivier ,. Docteurs en
Médecine ( 1 ) . Du Tome II , deuxième partie
dla Morale , faifant la fuite du Dictionnaire
de Logique & de Métaphyfique ( 2 ) ; & du Tome
VIII , première partie de la Jurifprudence ( 3 .
Le prix de ces deux volumes de Difcours
eft de 12 liv. en feuilles , ou de 6 liv . chacun
pour les Soufcripteurs , & de 13 liv. 10 f. br.
Le port de chaque Livraiſon eft au compte
des Soufcripteurs ."
T
Ce Dictionnaire , fur les Infectes , eſt un Ouvrage
entièrement neuf , & qui n'existe dans
aucune Langue . Nous en pourrions dire autant
(1) Imprimé chez M. Laporte .
(2 ) Imprimé chez le même.
6 ) Imprimé chez M Stoupe.
Suppl. N°. 17. 9 Mai 1789..
( 2 )
de prefque tous les Dictionnaires qui compo
fent Fenfemble de l'Encyclopédie . (Voyez , Four
plus de détails , le N ° . XI , page 9 des Reprefentations
, inférées à la tête au Tome 111 des
Mathématiques , qui a été publié avec la trentieme
Livraifon )...
Si les Soufcripteurs prennent la peine d'exa
m her ce volume , ils s'affureront que la com
pofition en étoit d'une extrême difficulté , &
nous pourrions prendre en témoignage toute
la Librairie & l'Imprimerie de Paris , fans crain
dre d'en être démenti , que fi un tel volume
ne faifoit pas partie de l'Encyclopédie , il fa
roit impoffible à aucun Libraire de le donner
à moins de 18 à 21 lv. , parce que celui qui
fe chargereit d'un pareil Ouvrage , n'oferolt le
tirer à plus de mille Exemplaires , & que le
prix des Livres doit toujours être établi en
Proportion du nombre du tirage , du prix du
manuferit , de l'imprefijon , &c, J'ai cru cette
obfervation utile pour juftifier la Librairie de
Paris & de Province , du prix auquel certains
Ouvrages font établis , & qui , quelquefois ,
paroît exceffif.
Nous l'avons déjà dit , & nous ne cefferons
de le répéter , parce que c'ft la plus exacte
yérité qucun Libraire , en Europe , ne pourrois
faire , pour le Public, ce que nous faifons aujourd'hui
pour les Soufcripteurs , Aucun d'eux , &
nous n'en exceptons pas même les Contrefacteurs,
qui n'ont pas d'honoraires d'Auteurs & de deffis
à payer, qui forment un objet de dépenfe de plus
de fept cent mille liv,, & qui pajent l'impreffion ,
le papier , les deffins , la gravure & la main-
'oeuvre trente & quarante pour cent melileur mar.
ché qu'à Paris , ne pourroient donner à fix liv.
des volumes in-48 . tellement chargés de difcours ,
qu'ils font chacun la repréſentation de cinq vol.
( 3 )
in 4 ordinaires , comme le Buffon , le Velty,
&c. La liaifon de ces Ouvrages à l'Encyclopé
die ; les volumes à onze liv . , & ceux de planches
qui restent à publier , la vente féparée &
actuelle de ces volumes à fix liv . au prix de
douze liv. , les différentes vûes que nous avons
expofées dans les Profpectus particuliers , qui
ont paru . ont pu feuls nous permettre cette
combinaiſon , & donner le plus grand exemple
d'une Soufcription tenue même au delà de
l'efprit du Profpectus ( 1 ) .
Nous devons obferver que , fur cette Livraifon
de deux volumes á fix livres , il y
une perte & une différence actuelle de recette
fur la dépenfe , pour nous , de plus de vingt
cinq mille livres.
2 : Au prix ci-deffus de 13 liv to fols pour les
deux volumes brochés de la Livraison actuelle,
il fant joindre liv. 16 fols que nous redoivent
les deux ordres de Soufcripteurs , & cónt nous
avons fait mention dans l'Avis de la trentième
Livraifon , & dans le compte général ( page
XXIV & fuivantes ) : Il faut encore y ajouter
2 liv . pour la brochure des cinq objets ni
compofent ladite trentième Livraifon , infi , les
Soufcripteurs , en retirant la trente- unième Livraifon
broche , ont à payer la forme de 19
kv. 6 fols.
Savoir , deux volumés à 6 liv. ci . 12 .
Je fais que , dans aucun Tribunal , je n'aurois été
condamné à donner quarante-huit volumes a fix livres ,
parce qu'en prenant l'efprit du Prospectus , il eft dénontré
que los Sonfcrifccurs n'ont dû compter qas fur trois
à quatre volumes à ce prix; mais j'ai voulu , en m'exéA!
cutant de cette manière , prévenir des procès qui autoient;
entraîné la deſtruction de l'Encyclopédie .
* ij
(4.)
Brochure de cette Livraifon , comtomes
.. pofte de
Brochure de la trentième Livraifon
, compofée de cinq objets
›` mais dont on ne compre que quatre
, la brochure de l'Atlas ayant
été compriſe dans le compte des
79 liv. ci....
Réfultat du compte général ...
19
10
16
Ceux qui tirer leurs Exemplaires en feuilles
n'ont à payer que 15 liv. 16 fots.
Je fupplie avec inftance les Soufcripteurs
d'avoir attention de retirer les Livraisons à met
fure qu'elles paroiffent. C'eft la feule obliga
tion à laquelle la loi de toute foufcription les
engage , puifque , n'ayant aucun engagement ,
aucun écrit de leur part , je n'ai aucune action
* exercer contre eux , & que je n'en voudrois
pas exercer aucune , quand même j'en aurois
le droit. Il eft donc effentiel qu'ils foient pré
venus que , conformément à plufieurs Arrêts
du Confeil , toute Soufcription eft nulle , fiş
après un délai de fix mois , les Soufcripteurs
n'ont point retiré les ouvrages qui en font
T'objet ; & quoique , jufqu'à préfent , je n'ar
point tenu rigucur fur cet article , je m'y
trouve forcé maintenant , en donnant 48 vol
à 6 liv .
Nous prévenons de nouveau les Soufcrip: eurs
que tous ceux d'entre eux qui , d'ici à la fin
de Juin , auront négligé de retirer les trente
Livraifons qui ont paru , ne pourront plus le
faire pour aucun puix , & que leurs Livraifons
feront vendues aux nouveaux Soufcripteurs ,
au moyen de la réimpreffion des feize pre-,
( 5 )
mières Livraifons dont on eft actuellement occupé
, & qui ferviront à faire des corps complets
, & le fervice courant des Dictionnaires
feparés . Il y en a nombre d'entre eux qui font
en retard à ce fujet . Sans y comprendre les
trois cent trente Exemplaires qu'on avoit placés
en Espagne , & dont on n'a retiré que les
feize premières Livraifons , il en reste encore
en magafin plus de cinq cents Exemplaires ; ce
font ces 800 Exemplaires de fuites invendus.
qui ont rendu notre pofition extrêmement dif
ficile dans cette entreprife ; & c'eft pour venir'
à bout de remplir nos engagemens , & donner
aux Soufcripteurs 46 à 48 volumes à fix livres'
au lieu de 3 à 4cque nous avons été forcés
de publier la vente des Dictionnaires féparés ;
opération qui devenoit encore néceffaire & indifpenfable
dans notre pofition , puifqu'on les
a annoncés dans divers endroits , & que nous
ne lafferons point faire à d'autres , à notre detrimeur
, ce que nous pouvons faire nous-mêmes
opération encore qui ne nuit en rien aux
Souferipteurs , puifque nous établiff›ns tous
ces volumes féparés au moins au prix de iz liv .
Les Libraires n'ayant aucun crédit pour cet
Ouvrage, & étant obligé de payer comptant
les Livraifons qu'ils tirent à mefure , nons
prions les Soufcripteurs d'avoir égard à leur
pofition , en leur payant également comptant
les Livraifons à mesure qu'elles paroiffent.
11
10
C'eft aux Soufcripteurs à fe déclarer l'appui
& le's Protecteurs de ce grand Qlivrage : ré
faltat des travaux de deux cent cinquante
Hommes de Lettres les plus diftingués de la
Gapitale & des Provinces , en y comprenant
ceux qui y travaillent actuellement ; il embraffe
toutes.less.connoiffances humaines , & la B
bliothèque la plús complète n'en feroit pas le
*
jij
( 6 )1
·
remplacement ; c'eft un Monument national , &
qui fert de modèle aux Etrangers , il eft à
moitié élevé ; il dépend des Soulcripteurs qu'il
s'achève. Je n'ai besoin que
d'encouragement
pour le terminer. J'ai besoin d'être foutenu par
l'eftime & la confiance des Soufcripteurs ; c'est,
la feule grace que je leur demande , & peurêtre
fera ce le feul prix de mes travaux dansı
cette grande entrepriſe , où j'ai mis toute ma
fortune , mais que j'aurai le courage de foutenir
jufqu'au bour , fi je n'ai à vaincre que les,
difficultés qui en font infeparables .
La plus grande crainte des Soufcripteurs a
été , juſqu'à préfent , que l'Ouvrage ne s'ache
vát dans un laps de temps trop confidérable ;
& c'eft, fans doute cette crainte qui a porté
plufieurs d'entre eux à ne pas retirer exacte
ment les Livraifons à mesure qu'elles ont paru.,
Mais nous pouvons aujourd'hui les raffurer
complètement à cet égard.
La partie de la Médecine étant une des plus ,
étendues de l'Encyclopédie , j'ai pris de nou
velles mesures pour qu'elle ne foit point retar
dée . Les Soufcripteurs apprendront fans doute,
avec plaisir , qu'aux Coopérateurs qui avoient
pris part dans les commencemens à cet Ouvra
ge, viennent de fe joindre d'autres Médecins ,!
qui fe font tous réunis pour paffer avec nous
un nouvel acte ( 1 ) , où ils ont donné leur
role d'honneur d'achever chacun les parties don
ils ont bien voulu fe charger , d'ici à trois ans
au plus tard, & de remettre chacun un tiers
de leurs manufcrits cette année , le fecond tiers
en 1790 , & le refte de leurs copies en 1791
pa-
(1) Cet acte a été palé le 19 Avril 1789. Nous pu-'
blierons inceffamment les noms de toutes les Perſonnes :
qui- Pont figné,
PROMET
67 )
chaque volume étant divifé en deux parties ,
fera mis dans deux Imprimeries ; ainfi nous
avons actuellement , la plus grande certitude,
que la totalité des cinquante- un Dictionnaires,
qui compofent l'enfemble de l'Encyclopédie ,
fera terminée , pour la fin de 1791 , ou les fix
premiers mois de
1792 au plus tard . Le Voca
bulaire paroirra dans la quatrième année ; on
en eft occupé actuellement, & nous comptons
très inceffamment mettre fous les yeux des
Scufcripteurs un effai de la première feuille ,
afin de prendre l'avis & le jugement des perfonnes
les plus niere de comporrées
fur la
meilleure
mar
2 & rédiger ce Vocabulaire ,
qui fera unique dans fon genre , puifqu'il com ,
prendra cent cinquante mille mots de plus
qu'aucun Vocabulaire actuellement exiftant.
Je vais maintenant répondre à quelques de
mandes & objections particulières qu'on m'at
faites depuis la publication du grand Mémoire
fur l'Encyclopédie. Plufieurs Soufcripteurs ,
qui probablement n'ont pas lu ce que nous
avons écric , craignent qu'ayant annoncé 1241
å 128 volumes & demi de Difcours , nous ne
nous permettions , dans quelques années , d'en
publier le double , & que , de cette manière
leur dépenfe ne foit jamais fixée . Cette difficulté
eft réfolue page 51 du grand Mémoire.
Ce nombre ci - deffus a été fixé par chaque Au
teur en particulier , & ce feroit leur faire in- ,
jure de croire qu'ils puffent , dans des vûes .
d'intérêt perfonnel , l'augmenter indéfiniment.
Il s'eft gliffé quelques erreurs dans l'article
de la reliure , page 13. Il y a actuellement quatre
volumes à relier de l'Hiftoire Naturelle , en
y comprenant le tome des Infectes , qui fait
partie de la préfente Livraiſon. Il n'y a que deux
volumes à relier de l'Hiftoire , au lieu de trois;
( 8 )
un volume de la Théologie , au lieu de deux.
Les parties qui manquent pour compléter ces
derniers volumes , paroîtront avec les trentedeuxième
& trente troifiême Livraiſons .
·
Les trente-deuxième & trente -troiſième Livraifons
de l'Encyclopédie paroîtront avant la
fin de Juin ; ainfi , à cette époque , il aura paru
quatre Livraifons cette année. On peut voir
actuellement , Hôtel de Thou , les volumes
de planches de ces deux Livraiſons . A dater
du mois de Juin , nous espérons encore pouvoir
publier , dans cette même année , deux à
trois Livraifons , & en 1790 , il en paroltra
tous les mois , où toutes les fix ſemaines , &
quelquefois des Livraifons doubles. I eft impoffible
d'ufer de plus de diligence dans unel
entreprife fubordonnée à cent Auteurs , dé?
pendante de vingt -cinq Imprimeurs , de quarante
Graveurs , & de plus de vingt Manu
factures de papiers.
La Soufcription de l'Encyclopédie étant ac
tuellement rouverte , on en diftribue gratis le
Profpe&tus , Hôtel de Thou , rue des Poitevins .
Chaque Soufcripteur a un bénéfice de plus de
fix cents liv. en acquérant la totalité de l'En-'
cyclopédie.
N. B. Toutes les Livraifons fuivantes ' de'
l'Encyclopédie feront d'un vol . à i liv . & d'un
vol. à 6 liv. ou d'un vol. de Planches & d'un ou
deux vol . à 6 liv. Cela a été expliqué dans le
dernier Article du grand Mémoire.
Le Profpectus de la Soufcription de tous les
Dictionnaires féparés de l'Encyclopédie par or
dre de Matières , qui eft actuellement ouverte .
ne fe diftribue gratis que chez le fienr Laporte,
Imprimeur , rue des Noyers , nº . 25. Nous
avons indiqué , dans le Profpectus , les raifons .
qui nous ont déterminés à le charger feul de
cette grande opération. Il paroîtra cette année
vingt- cinq ou trente volumes de ces Diction
naires féparés. Le Sieur Laporte vient de
mettre en vente :
Le tome premier du Dictionnaire Encyclo
pédique des Finances , par M. de Surgy , an
cien Premier Commis des Finances.
Le tome premier du Dictionnaire Encyclopédique
de la Théologie, par M. l'Abbé Ber
gier, Confeffeur de MONSIEUR, Frère du Roi.
Le tome premier du Dictionnaire Encyclopédique
de la Grammaire & de la Littérature ,
par MM. Dumarfais , Beauzée , Marmontel , de
Académie Frarçoife , &c. &c.
On les délivre en feuilles , brochés ou rel .
Les deux voimes de l'Atlas , compofés de
140 cartes , le difcours & la brochure compris ,
foixante trois liv .
La première Livraifon des planches de l'Hif
toire Naturelle , par M. l'Abbé Bonnaterre ,
compofée de 102 planches repréfentant les
Poiffons , le difcours & la brochure compris ,
trente- fix liv.
Livres nouveaux actuellement en vente.
Vie du Capitaine Cook, pour fervir de fuite
à fes trois Voyages , traduite de l'Anglois du
Docteur Kippis , un vol. in 4° . Prix , 12 liv ,
en blanc , 12 liv. 10 f. br. , & 15 liv . relié.'
Le même Ouvrage , en deux volumes in-8°,
Prix , 8 liv. blanc , 8 liv . 1 f. br. , 10 liv. rel,
Lucrèce , de la Nature des chofes , traduit
en vers par M. Leblanc de Guillet , 2 vol
grand in - 8 . Prix , 12 liv. blanc ou br. 15
liv . relić .
24
Le même , en papier fin , 14 liv. br. , &
30 liv. relié.
1
Nota. Nous prévenons les Acquéreurs de l'Hif
( fo )
སྙ
toire Naturelle par M. de Buffon , qui ont negligé
de retirer les fuites à mesure qu'elles ont
páru , qu'ils pourront fe compléter jufqu'à la fin
de l'année 1789 ; paſſé ce temps , tout seta mis
en corps complet , & on ne pourra plus , pour ausun
prix , fe procurer les Volumes féparément.
PROSPECTUS d'une fuite de quarante
huit Vues ou Tableaux du Haut
Faucigny , gravés & coloriés à l'aquarelle
; par M. A. BACLER D'ALBE
Dédiés à Son Alteffe Royale Mgr. le
Prince de Piémont.
L'Ouvrage que , nous annonçons n'eſt point
une de ces entreprifes que la fpéculation a fait
éclore. Nous ne chercherons donc pas à inté
reffer les Amateurs par une annonce infidieufe
& brillante. Nous voulons qu'ils jugent par
eux-mêmes le degré d'intérêt qu'il pent infpirer.
Pour cela , nous les invitons à voir , dans
nos magafins , les fix Eftampes qui doivent
compofer la première Livraiſon ; nous fommes
en état de les leur montrer.
Enveloppé de nuages , le Haut Faucigny, cette
partie intéreffante de la Savoie , étoit à peu près
un pays inconnu au milieu de l'Europe , meme
à fes voifins. Cette région , connue des anciens
Romains , oubliée par leurs fucceffeurs ,
avoit échappé aux Obfervateurs modernes , &
femble renaître , pour ainfi dire , fur le globe.
Le Docteur Paccard , en allant jufqu'au fommet
du Mont Blanc M. de Sauffure , en ana
lyfant en quelque forte ces Monts fourcilleux ;
M. Bourit enfin , par fes Ouvrages ; teus ont
fait ouvrir les yeux fur ces contrées ; ils ont
fait défirer qu'un Artifte en fit connoître les
différens fites. M. Bacler d'Albe , qui s'en
occupe , fe propofe , par fyftème & par goût,
différentes fuites : elles feront prifes fucceffi
vement dans les diverfes parties de la Savoie,
& feront uniquement deftinées pour les Cabinets
des Amateurs,
2
Pour fuivre la Nature pas à pas , dans un
pays où fes afpects font nouveaux , & fans
ceffe différens d'eux-mêmes , il n'a pas craint
de s'établir au milieu de ces gorges extraor
dinaires ; & c'est à Sallanches qu'il a fixé fon
domicile ; un tel plan , un tel parti , ne peut
pas lui fuppofer beaucoup de Coopérateurs,
On a donc l'espoir d'avoir un Ouvrage infini
ment foigné ; mais il ne faut pas compter fur
un grand nombre d'Exemplaires . Auffi , loin
d'employer les moyens qui tendent à multipier
les Souferipteurs , nous fommes obligés
d'annoncer qu'on ne pourra fe procurer çet
Ouvrage , en France , qu'en s'adreffant direcrement
à notre Maifon , & à celle qu'elle in
dique à Versailles , pour la commodité des
Amateurs .
Dans une entreprife où l'honneur veut le
difputer au talent , & compter l'intérêt pour
peu de chofe , nous ne nous propofons pas
d'offrir à la crédulité du Public ces différences ,
ces remarques qui varient adroitement les prix,
& claffent les épreuves dans l'opinion bien plus
que dans la réalité. Ces moyens bleffent l'honneur
de l'art par l'abus qu'on en peut faire ;
ils compromettent l'Arifte, qui fouvent l'ignore
ou ne l'a pas prévu , & contrarient même fes
intérêts. Nous nous interdifons de telles reffources
, & nous prenons , avec le Public , l'en
gagement honorable de délivrer les Exemplaires
abfolument femblables entre eux , & tou
jours au prix que nous les annonçons.
L'Ouvrage fera divife en huit Cahiers , compofès
de fix Etampes chacun : chaque Eftampe
fera accompagnée d'une Defcription fommaire,
La première Livraiſon fe fera à la fin de ce
mois , & les autres fuivront très - exactement.
On n'exige point d'avance ; les Soufcripteurs
donneront leur engagement de prendre l'Ouvrage
éntier , & de payer 48 liv . chaque Livraifon à
mefure qu'elle paroitra.
On foufcrit chez les mêmes , mais féparément
, pour une grande Vue de la Chaîne du
Mont Blanc , prife au deffus de la Vallée de
Sallanches. Prix 30 liv.
Et pour les Portraits très -foigneufement coloriés
du Dc &teur Paccard & de Jacques Balmat
, les deux premiers hommes qui foient
parvenus au fommet du Mont Blanc, Prix , les
deux , 24 liv .
Les Soufcriptions feront reçues ,
A Paris , chez CHEREAU & JOUBERT , rue
des Mathurins , aux deux Piliers d'or ; à Verfailles
, chez BLAIZOT , Libraire , rue Satory ;
à Londres , chez BOYDEL , Marchand d'Eftampes
, & chez Madame VIVARES , Marchande
d'Eftampes à Amfterdam , chez FOUQUET
Marchand d'Eftampes & de Tableaux ; à Vienne ,
chez ARTARIA & Compagnie , Marchands d'Ef
tampes ; à Bruxelles , chez GODEFROI DE LA
RIVIERE , Marchand d'Eftampes ; à Genève
chez CHAPUIS FRANCILLON , Marchand de Ta
bleaux , au bas de la Cité ; à Sallanches , chez
l'Auteur , M. BACLER D'ALBE ; à Turin , chez
les fières FLORIANI , Marchands d'Estampes ,
rue du Pô , & chez les frères REXCENDS.
On affranchira le port des lettres & de l'argent.
Lu & approuvé. A Paris . ce 4 Mai 1789. CAILLE AV ,
Adjoint.
-JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
RUSSI.E.
De Pétersbourg , le 10 avril 1789.
A L'OUVERTURE de la dernière cam-
-pagne , on présagea que le Maréchal de
Romanzof, malgré sa renommée et son
expérience , seroit dominé dans le commandement
général des opérations , par
une influence supérieure : delà , le peu
de concert qui a régné entre l'armée du
Prince Potemkin et celle de M, de Romanzof,
l'insuffisance des forces de ce
dernier , et l'espèce d'inaction où nous
avons vu son armée . La prise d'Oczakof
ayant donné au Prince Potemkin encore
plus dereliefà la Cour, cefavori aété nom-
-mé Généralissime de toutes nos armées ,
agissantes contre les Tarcs . Cette pro-
·motion ne permettant plus au Maréchal
de. Romanzof d'oublier son rang et les
services.signalés qu'il a rendus à l'Empire ,
N. 19. 9 Mai 1789 .
( 50 )
ni par conséquent de servir sous les
ordres du Prince Potemkin , il a quitté
le commandement de l'armée de Moldavie
, et se retire dans ses terres de la
Nouvelle-Servie . La réputation méritéė
de cet illustre Vétéran , et la crainte
qu'il inspiroit aux ennemis , ont rendu
la nouvelle de sa démission très désagréable
au Public .
Outre l'émission de cinq millions de
roubles en papier - monnoie , ou billets
d'Etat , faite au mois de février , le Gouvernement
vient de rendre une Ordonnance,
dont la nature et les effets donnent
lieu à nombre d'observations chagrines :
« Par ce Rescrit , S. M. I. déclare que ,
« convaincue de la facilité que peut
« apporter à la circulation , l'introduc-
«< tion des billets de Banque d'une valeur
« moindre et plus variée que ceux qui
« ont eu lieu jusqu'à présent , et qui
« n'étoient pas au-dessous de 100 roubles ,
« Elle veut et ordonne qu'il soit fait
«<
de nouveaux billets à 10 roubles cha-
<«< cun pour 5 millions de roubles , et
« de même à 5 roubles pour 5 autres
millions , lesquels seront livrés au
Public , en échange des billets de 100
roubles jusqu'à la concurrence de la
« même somme de 10 millions , сеих-
« ci devant être annulés à mesure qu'ils
* rentreront déclarant,par cette même
« occasion , que , dans aucun cas , il ne
« sera versé dans le Public de ces effets
( 51 )
« au-delà de la somme fixée par le Ma-
« nifeste qui en a ordonné l'introduc-
« tion . »
Pendant l'année dernière , il eft entré dans le
port de Revel , pour 759,292 roubles de marchandifes
; favoir , d'Angleterre , pour 151,951
roubles 98 cop.; de Hollande , pour 46,026
roubles 36 cop.; d'Espagne , pour 13 : 445 roubles ;
de Portugal , pour 21,142 roubles ; d'italie , pour
4,124 roubles ; de Suède , pour 39,819 roubles ;
de Lubeck , pour 447,185 roubles 86 cop .; de
Danemarck , pour 11,412 roubles 25 cop.; &
de France , pour 18,165 roubles 55 cop. Les
marchandiſes exportées , ont été de la valeur de
112,956 roubles. Les droits de douane pour toutes
les marchandifes , fe font élevés à 170,457 roubles
68 cop. & un quart .
DANEMAR CK.
De Copenhague , le 15 avril.
L'escadre auxiliaire , armée par le
Gouvernement , et qui , selon les circonstances
plus impérieuses que les annonces
de Gazettes , pourra peut - être
appareiller au printemps , est composée
des vaisseaux suivans :
Le Magnifique , de 80 canons , ( vaiſſeau amiral )
Capitaine-Commandant S. Bille ; la Fionie , de
74 , Capitaine Fleugel ; le Prince Frédéric , de 74 ,
Capitaine Tonder ; la Jufti ia , de 74 , Capita ne
Lutzow ; l'Etoile Polaire , de 74 , Capitaine
C. Luten ; le Lion du Nord, de 70 , Capitaine
J. Bille ; l'Elephant . de 79 , Capitaine O. Fisher ;
e Mars , de 64 , Capitaine Herbft ; la Louifeci
( 52 )
Augufte , de 64 , Capitaine Abo ; le Ditmarschen ,
de 64 , Capitaine L. Fisker ; l'Indigénat , de 64 ,
Capitaine C. Holften , avec les frégates le Moën
le Cronborg & le Friedrichwarn , chacune de 36
canons.
SUÈDE
De Stockholm , le 12 avril.
>
Les Résolutions de la Diète , relatives
à la reconnoissance et à la consolidation
de la dette nationale , ainsi qu'aux
subsides qu'exigent les circonstances actuelles
, sont arrêtées définitivement . Ļa
guerre actuelle , principe du trouble qui
a agité les Etats , a reçu sa sanction , par
le consentement des quatre Ordres à
pourvoir aux ressources nécessaires . Puisque
l'Opposition a finalement adhéré à
ces mesures , il eût été à désirer qu'on
eût manifesté moins vivement , dans l'origine
, le dessein de les combattre ; on
eût ainsi prévenu les évènemens fâcheux
qui ont détruit l'harmonie , et les altérations
aux lois , dont la Noblesse a des
sujets de se plaindre.
C'est le 31 du mois dernier que cet
Ordre lut , dans son Assemblée générale ,
un extrait du Protocolle de la Députation
secrète , portant : Que le Roi
<< avoit remis à ce Comité l'état des
« dettes de la Couronne , qui en y`com-
« prenant les dépenses de l'année cou-
« rante , s'élèvent à 21 millions 300,000
( 53 )
«<
« et quelques cents rixdale ; que la
Députation avoit proposé d'accorder la
« somme de 70 tonnes d'or , ou 1,200,000
« rixdalers , tant pour le paiement des
<«< intérêts , que pour l'amortissement
« successif de ce capital , et que le Roi
« remettoit aux Etats la direction de
ces fonds , pour être employés aux
« objets désignés par le nouveau Comp-
<« toir des Etats , dont on lut le plan et
« le réglement de formation . »
Ce Tableau de Finances et ce Projet
furent discutés dans la même Séance , et
de nouveau dans celle du 7 , au Plenum
de l'Ordre Equestre . L'Assemblée reçut
aussi communication de l'état des dépenses
de l'année courante et des subsides
; sur quoi il fut arrêté de se conformer
aux demandes de Sa Majesté .
En conséquence , le lendemain 8 , les
Plenades quatre Ordres étant convoqués,
ils prirent de concert la résolution
de consolider , comme dette nationale ,
toutes celles qui ont été contractées par
le Roi pour les besoins du royaume , et
d'en garantir le paiement , ainsi que celui
de tous les emprunts que Sa Majesté
jugeroit nécessaires dans les conjonctures
présentes.
L'Acte d'union et de sûreté n'a pas
éprouvé la même condescendance de la
part de la Noblesse : elle avoit adressé
au Roi des représentations négatives
motivées sur des lois que chaque Parti
€ iij
( 54 )
interprête différemment , et qui n'ont
pas eu le succès désiré. Cette contesta
tion devant être terminée avant la sépa- .
ration des Etats , le Roi manda , le 2
avril , le Maréchal de Lowenhaupt , et
lui déclara , en présence des Orateurs .
des trois autres Ordres : « Que jusqu'à
présent S. M. avoit attendu avec toute
l'indulgence possible l'issue des longues
« délibérations de la Noblesse , dans
l'espoir qu'à force de patience Elle .
« vaincroit enfin son opposition ; que
« cette attente avoit été vaine pendant
« plus d'un mois ; que les intérêts du
« royaume ne permettoient point de
◄ plus longs délais ; et que , puisque les
« Lois du royaume et les Résolutions
«<
de la Diète de 1786 portoient , que
« tout Acte , servant à expliquer la
« Constitution (tel que l'étoit l'Acte de
« sûreté ) , devoit passer en Loi à la
« pluralité de trois Ordres contre un ,
« M. le Maréchal Comte de Lowenhaupt
« étoit pleinement autorisé , et tenu par
devoir , d'après ces principes , de signer
« l'Acte , au nom et de la part de l'Ordre .
Equestre , dont il étoit le Chef. »
le Maréchal obéit et signa : après quoi
le Roi lui ordonna , ainsi qu'aux Chefs
des trois autres Ordres , de ne plus proposer
, dès ce jour-là , ni permettre qu'il
fut proposé , dans les Plena de leur
Chambre rien qui fût contraire au
contenu de l'Acte de sûreté , comme
«<
9
( 55 )
ayant acquis aujourd'hui , par la signature
des quatre Chefs- d'Ordre , pleine force
de Loi et de Constitution Nationale.
La clôture de la Diète se fera dans
très-peu de jours , et l'on attend , à cette
époque , la relaxation des divers Membres
de la Noblesse , arrêtés au mois de
février.
Le Conseil de guerre institué pour
le jugement de la conduite des Chefs et
Officiers de l'armée de Finlande , est
composé du Comte de Horn , Président ,
du Major - général de Hermanson , du
Comte de Lilienhorn , du Major Comte
Sparre , du Lieutenant - Colonel Lagerhielm
, du Conseiller de Justice Brugger,
et du Procureur - fiscal de guerre
Wallenquist.
Les pièces remises au Procureur - fiscal
de guerre contre le Brigadier Baron
d'Hastfehr et son adjudant le Capitaine
Fiandt , sont , 1º. une lettre au Général
Russe de Schulz , datée du 26 novembre
dernier ; 2° . une lettre du Major-général
de Sprengiporten , datée le 22 octobre ;
3. le rapport du Baron d'Hastfehr à Son
Alt. R. le Duc de Sudermanie , du 14
novembre ; 4º . une relation du Capitaine
Chevalier de Torne , du 28 novembre ;
5. le rapport du Général Comte de
Posse , du 29 décembre ; 6º . une lettre
du Major-général Russe de Gunzel au
Baron d'Has fehr , du 26 octobre ; enfin
, 7° , quatre lettres de Baron d'Hasi
• iv
( 56 )
fehr, envoyées au Roi , des 27 et 30 oc
tobre , et des 10 et 11 novembre : ces
lettres sont du Major- général Russe de
Schulz.
Les levées pour la formation des nouveaux
Corps d'Artillerie et de Marine se
continuent avec succès. Le Baron de
Cedestrom , Colonel des Gardes - du--
Corps , s'est rendu en Finlande .
L'emprunt de huit millions de liv. Génoises
, ouvert , par notre Cour , à Gènes,
dans la maison du Baron Joseph - Lau
rent de Brentano , et dont le remboursement
doit se faire en huit années successives
, à commencer de l'an 1800 ,
n'ayant pas été rempli , à beaucoup près ,
malgré la sûreté des conditions , le Lieu
tenant- général Wrangel a transféré , de
la part du Roi , cette négociation à la
maison Genevoise d'Antoine et Jean de
la Rue , Banquiers à Gènes . L'intérêt ,
d'abord fixé à quatre et demi pour cent ,
a été porté à cinq pour cent .
ALLEMAGNE.
De Francfort sur le Mein , le 25 avril.
Les mécontentemens de la Bavière se
sont manifestés à plusieurs reprises , et
l'on sait qu'ils ont influé sur le changement
de domicile de l'Electeur. Ces sentimens
des Bavarois éclatant de plus en
( 57 )
plus , S. A. E. a cru devoir rendre l'Edit
suivant.
CHARLES THÉODORE , Electeur .
« Depuis que nous avons trouvé bon de paffer
avec notre Cour quique temps en cette ville ,
nous apprenons , à notre plus grand déplaifir , que
plufieurs bruits , deftitués de tout fondement , fe
font répandus à différentes reprifes , & viennent
de fe renouveler en Bavière , & cela , felon
toute apparence , dans le defiein répréhensible
de femer de la méfiance , du mécontentement
& du trouble dans le pays , & de nous enlever
l'aff &tion & la confiar ce de nos fidèles Sujets . »
« Cette fituation des chofes nous met dans
la néceffité de prende des mefures féricufes pour
arrêter ces rumeurs , autfi mal-fondées que punisfables
; & pour donner à nos fidèles Sujets la plus
forte preuve de notre amour paternel & de
notre affection , nous déclarons non- feuleinent
que tous les bruits de cette nature font entièrement
faux & deftitués de fondement , mais donnons
en même- temps à nos chers & fidèles Bvarois
, l'affurance la plus facrée que, bien éloigné
de les quitter ou d'être indifferent à leur fort ,
nous femmes au contraire fermement réfolu d'employer
tout ce qui fera en notre pouvoir pour
rétablir le bien - être , la fûreté & le bonheur de
la Nation. »
« En conféquençe de cette réfolution paternelle
, nous exhortons tous nos fidèles Sujets „
en général & en particulier , & principalement
nos amés & féaux les Etats de Bavière , ainfi que
tous ceux qui , par vrai patriotifme , ont voué leurs,
fervices à la Patrie , à travailler & coopérer de
tous leurs pouvoirs , & avec la confiance qu'its
nous doivent , à l'accomplillement de nos vues
falutaires & au bien pubic , »
C W
( 58 )
« Auffi donnons -nous à tous les Patriotes zelés
qui , fans intérêts particuliers , crainte ou liaiſons ,
s'attachent uniquement à leur devoir , l'affurance.
gracieufe , & leur promettons de les foutenir de
la manière la plus efficace dans tous les évènėmens
, de les défendre contre toute perfécution
& de leur prouver de la manière la plus marquée
notre confentement des fervices qu'ils rendent à
P'Etat. »
« Déclarons au contraire , & avertiffons tous
& chacun , que nous avons pris la réfolution
ferme & irrévocable de punir_très - févèrement
ceux qui , malgré la parole de Prince que nous
venons de donner , continueront leurs entreprifes
répréhenfibles , manifefteront quelques doutes sur
nos fentimens paternels , dans le deffein de répandre
de la méfiance & du mécontentement
parmi nos Sujets , ou qui , au lieu de feconder
les mesures que nous avons prifes pour le bien
public , tâcheront d'y mettre des entraves , d'empêcher
la marche régulière des affaires , ou qui
même , pour remplir leurs vues puniffables , répandront
par-tout la fermentation & le défordre.
»
« Nous n'avons rien tant à coeur que le bonheur
de nos Sujers ; nous sentons que notre tranquillité
, notre gloire & notre dignité perfonnelles
en font inféparables. C'est ce qui nous a
infpiré la réſolution ferme & irrévocable d'y travailler
fans re'âche , & de ne ceffer de poursuivre
cet objet néceffaire & important , que quand la
fûreté publique , l'ordre & la police , tant des
villes que de la campagne , feront parfaitement
rétablis , non - feulement en Bavière , mais aufli
dans toutes les autres provinces de notre domination
; que l'agriculture , tant négligée jufqu'ici ,
fur-tout en Bavière , fera florifante , la fource
de toute oppreffion entièrement tarie , les
( 59 )
abus déracinés , les moeurs corrigées , le mérite
mis dans fon vrai jour , le Militaire conftitué d'uce
manière qui réponde au bien général & au but
de fon inftitution , & que quand la fûreté , la
profpérité , l'avantage & la confidération de tous
nos pays & Etats héréditaires , feront établis fur
une bafe folide & durable . »
« Sur ce , nous fommes , &c. ">
« Donné à Manheim , le 30 mars 1789. »
Le Roi de Prusse séjournera à Potzdam
jusqu'à la grande revue , fixée au-
22 mai. Celles de la Prusse terminées ,
S. M. reviendra à Berlin , où l'on attend
pour cette époque la Princesse d'Orange
et sa Famille . La Cour recevra encore
un nouvel éclat de la présence de plusieurs
Etrangers du premier rang , parmi
lesquels on nomme l'Electeur et l'Electrice
de Saxe , le Duc régnant , et la
Duchesse de Mecklenbourg-Strelitz. On
assure même que les liens d'intimité
qui unissent aujourd'hui les Cours de
Londres et de Berlin , et une invitation
pressante du Roi de Prusse , amèneront
aussi dans le même séjour , le Roi et
la Reine d'Angleterre , qui doivent faire
incessamment un voyage à Hanovre . Du
moins , il est certain qu'on prépare aux
châteaux de Berlin , de Potzdam et de
Charlottenbourg , les appartemens destinés
à tant d'augustes Hôtes . - Les
mêmes lettres de Berlin nous apprennent
que le Roi a ordonné à M. de Dietz ,
on Envoyé à la Porte Ottomane , de
-
c vj
( 60 )
se rendre auprès du Grand-Visir , et
de l'accompagner durant la campagne
prochaine .
Trois mille Janissaires sont arrivés de
Silistrie à Bender. La garnison de cette
place, qui est amplement approvisionnée
de vivres , et garnie de 118 pièces de
can. , s'élève actuellement à environ
10,000 hommes , outre 9,000 Habitans
en état de porter les armes .
Le Prince-Evêque de Fulde a supprimé
dans son Diocèse le Tiers - Ordre de Saint-
François , parun rescrit du 16 de ce mois .
GRANDE - BRETA G N E.
De Londres , le 28 avril.
La procession solemnelle qui devoit
accompagner le Roi à la cathédrale de
St. Paul , a eu lieu le 23 , sans aucun
accident , malgré l'immense multitude
qui se pressoit sur le passage du cortège .
Le Monarque , lui-même , n'en a été
aucunement incommodé . Nous ne donnerons
qu'une idée sommaire de cette
pompeuse solennité .
Elle étoit l'accomplissement du devoir.
que s'étoit prescrit le Roi , de rendre
publiquement des actions de graces à
la Divinité . Dès le grand matin , leş
trois régimens, des Gardes à pied , les.
Gardes bleues , et les Dragons légers ,,
( 61 )
furent à leurs postes , ainsi que les Juges
de paix , pour maintenir l'ordre. A huit
heures , la Chambre des Pairs , ayant le
Chancelier à sa tête , les Communes précédées
de leur Orateur , et les 12 Grands
Juges , ouvrirent le cortège . Cette file de
500 voitures mit à- peu-près deux heures à
arriver à St. Paul . Vingt minutes après ,
les Princes de la Famille Royale, escor--
tés par des partis de Gardes bleues, suivirent
le Parlement ; vinrent ensuite
douze carrosses de la Cour , à six chevaux
, occupés par les Dames d'honneur
de la Reine , par les Dames et les Gentilshommes
de sa Chambre , les Ecuyers ,
etc. Le Roi et la Reine suivoient dans '
un carrosse de parade à huit _chevaux '
soupe de lait , puis les Princesses Royales ,
et d'autres voitures de cérémonie.— Arri
vés à Temple-Bar , qui sépare le quartier
de Westminster de la Cité , le
cortège fut reçu par les Compagnies
d'Artillerie et les Milices Bourgeoises ,
par les Archers et les Citoyens Volontaires
. Là , le Lord- Maire présenta l'épée
de la Cité au Roi , qui- la lui rendit avecun
compliment, et suivit à cheval jusqu'à St..´
Paul , ainsi qu'une députation du Corps
Municipal . 20,000 personnes environnoient
la Cathédrale , où le Roi entra au
bruit des acclamations publiques et des
tambours . Six mille enfans élevés dans les
écoles de charité , et placés sous le dûme
( 62 )
de l'Eglise , entonnèrent le pseaume 50°.
Rien de plus imposant que le coupd'oeil
de la procession depuis la porte
de St. Paul jusqu'au choeur . Le Roi et
la Reine se placèrent sur un trône
environnés de la Famille Royale , des
Grands Officiers d'Etat , des Evêques ,
des Pairs laïques et des Communes.
Après les prières et le chant , l'Evêque
de Londres prononça un sermon qui
fut suivi d'une antienne . Toute la Cour ,
le Roi et la Reine particulièrement ,
célébrèrent cette journée avec le recueillement
de la piété et de l'attendrissement.
Le cortège revint à St. James
dans l'Ordre inverse ; toutes les rues
retentissoient d'acclamations : ces applaudissemens
libres furent spécialement prodigués
à LL. MM. , au Chancelier Lord
Thurlow, et à M. Pitt.
Le lendemain , 24 , la Ville entière
et tous ses alentours furent illuminés
avec encore plus de magnificence qu'ils
ne l'avoient été au rétablissement du
Roi. Les décorations , les emblèmes et
la lumière éclatante que rendoient une
foule de grands édifices ornés de devises
et de transparens , offrirent un spectacle
tel que Londres ne l'avoit pas
encore vu .
Immédiatement après la convalescence
du Roi , quelques Papiers publics
annoncèrent un prochain voyage de
S. M. en Allemagne. Il n'en étoit alors
( 63 )
aucunement question , et l'on n'espéroit
pas que le Monarque fût aussi - tôt en
état de supporter ce déplacement. Aujourd'hui
, la santé du Roi est tellement
raffermie , qu'il a cédé à l'invitation
qui lui a été faite à ce sujet . Cette
absence , en l'éloignant des affaires publiques
pour quelques semaines , lui
procurera du repos et une agréable
distraction . D'année en année , il avoit
remis l'exécution de ce voyage dans
ses Etats héréditaires qui ne l'ont jamais
vu ; la circonstance ne sauroit être plus
favorable .
On prépare trois yachts royaux à
Deptford, à bord desquels Sa Maj . s'embarquera
, et fera voile pour Stade , sous
l'escorte de trois frégates. Elle partira ,
au commencement de juin , accompagnée
de la Reine , des deux Princesses
aînées , des Lords Dover , Aylesbury et
Courtown , du Colonel Harcourt , etc.
etc. Le mois de septembre sera le terme
de ce voyage, durant lequel il paroît
certain que Leurs Majestés iront à
Berlin .
Depuis sa rentrée , le Parlement n'a
qu'entamé les préalables des grandes Motions
qui vont être discutées ; mais le
procès de M. Hastings est repris depuis
le 21 , jour de la 36. Séance de cette
longue et solemnelle comédie . Les spectateurs
en sont aussi las que les acteurs,
qui , aujourd'hui , aimeroient à se reposer
( 64)
sur la gloire de leurs prosopopées antérieures
, sans être obligés de reprendre
une manivelle dont le jeu est complettement
usé . On l'a prouvé aux Accusateurs.
en désertant leurs audiences : très - peu de
Pairs , encore moins de Membres des.
Communes , et 50 autres Auditeurs formoient
tout le cercle. M. Burke l'entretint
quatre heures et demie ( et ne finit
pas ) sur le chapitre des Présens supposés
reçus ou extorqués par M. Hastings,
pour son compte et profit , c'est- à -dire ,
pour ceux de la Compagnie des Indes..
C'est la 6° . charge de l'impeachment ; les
Accusateurs en ont plaidé deux : en voilà
trois d'abandonnés ; les suivantes , nous.
osons le croire , auront le même sort..
Ce n'est pas que cet article des Présens
soit , à beaucoup près , le plus grave de
ceux qui restent en arrière ; mais il prêteaux
déclamations , et l'Orateur est sur
son terrain.
ל
Quoiqu'à tout prendre , M. Burke ait
moins bien réussi à captiver l'attention
que dans les Séances précédentes , cependant
il a déployé plus de vigueur
qu'on n'avoit le droit d'en attendre de
lui sur un sujet aussi ennuyeux . On ne
reste pas absolument sans gloire , quand
on parvient à rassembler quelques au
diteurs , et à les occuper si long- temps
d'un pareil licu. commun ..
En rendant compte , dans son exorde ,
des causes du retard qu'avoit souffert
( 65 )
cette procédure , l'Orateur parla du
danger dont la, Nation venoit de sor
tir ; et , d'accord cette fois avec le
sentiment général , il nomma l'issue
de la crise inquiétante de l'hiver dernier
, le passage brillant de la nuit
du désespoir, au jour radieux de la
prospérité nationale. « -~~Toutle monde
« sait , dit- il , tout le monde convient que
<< remercier le ciel de ce bienfait , est le
« devoir indispensable de chaque Ci-
« toyen. En conséquence , les DEUX-
<< CHAMBRES ont été occupées à régler ›
<< le rituel d'actions de graces de ce jour.
« Cette obligation remplie , quelle
<< transition plus naturelle et plus con-
« venable , que de passer DU DEVOIR
D'HOMMAGE A L'HOMMAGE DU DE-
« VOIR ? d'une suite de transports
<< vertueux à une autre ? de l'adora-
« tion de cette nature , qui est juste , à
<< son IMITATION ? »
--
---
Parlant ensuite des objections populaires
contre ce procès , fondées sur la
perte de temps et d'argent , il dit qu'on
n'y avoit pas mis plus de temps qu'à
l'élection de Colchester : que , quant à
la dépense , si cette affaire avoit coûté
30,000 liv. sterl . à M. Hastings , ses
Accusateurs en étoient quittes à bien
meilleur marché.
Les dernières Adresses et Résolutions
publiques , envoyées ici par Lord Cornwallis
, présentant l'Accusé sous un jour
( 66 )
très-avantageux , M. Burke essaya de les -
affoiblir en mêlant des gémissemens à
ces éloges , en conjurant l'ombre de :
Verrès comme un exemple , et en citant
Shakespeare comme le meilleur commentaire
des actions de M. Hastings .
<<
Oui , la bouche l'honore.
« Elle dit des choses que le pauvre
« coeur désavoueroit volontiers ;
« Mais il n'ose. »
---
CORRUPTION , fut le mot tecnique du ·
discours , ainsi que PRÉSENTS , per omnes
casus ; corruption active et passive
substantive et adjective , particulière et s
universelle , éventuelle et systématique
enrichissant notre dictionnaire de juris-,
prudence , donnant le signal à la dépravation
universelle , bravant la peur , et
étouffant la noble sensibilité à la honte.
Honesta nomina imponenti vitiis.
Les consultations de Lord Clive furent
lues par M. Grey, l'un des Commissaires
de l'Accusation ; et quoiqu'il ne s'en
acquitte pas si bien que M. le Texier,
on dut cependant lui faire compliment
sur ses progrès depuis l'année dernière.
Sujah Dowlah , Mahomet Reza
Cawn , la réduction des lacks de roupies
, l'ordre de saisir Caua exécuté
avec toute la promptitude de l'obéissance
militaire , Nunducomar trahi et
pendu , Riza Cawn coupable de cette
lâcheté ; la démission de Cawn ;
la succession de la Muny Begum ;
,-
( 67 )
cette Princesse DANSEUSE et ses trente
mille livres sterlings , furent les points.
qui occupèrent cette Séance .
Et il faut avouer que l'histoire de la
DANSEUSE étoit une jolie chose ! Ce n'étoit
point une femme semblable à nos
DANSEUSES , qui font les délices des
sages , et montrent jusqu'où les virtuoses
ont porté l'art ; (ici le Duc de
Qu ...... et Lord Cholm
-
·
souscrivirent , par un signe de tête ,
à la judicieuse remarque de l'Oratear
) - « mais une créature bien audessous
de cela , née dans l'esclavage ,
et élevée pour danser , - danseuse de
profession , - prostituée par cheix ,
etc. etc. » Passant ensuite à son élévation
, et pour mieux faire ressortir a
bizarrerie de la révolution à laquelle
elle devoit sa puissance , il dit : » Le
successeur au trône , aulieu d'être un
homme du monde , fut une femme ;
une Danseuse,au lieu d'un Magistrat;
-une Prostituée pour élever un Prince,
une Belle-mère odieuse dans tous les
temps , la Tutrice de l'Héritier présomptif,
la Régente de ses Etats.
Le Chef d'Accusation relatif à Nunducomar,
se divisa en deux branches . -
L'Orateur considéra ce grand homme
sous le double rapport d'informateur et de
témoin. Ce curieux point de vue, ainsi que
les trois lacks et demi de roupies , qu'il
prouvera dans la suite que M. Hastings
( 68 )
et M. Middleton ont pris ; un autre
Anglois s'adjugeant à 146,000 livres par
an les revenus d'un Prince qui montent
à 160,000 ; et enfin, l'article de la dépense
domestique de l'Ex- Gouverneur ,
servirent à clorre la discussion de cette
journée. - M. Burke termina sa harangue
en disant à ses Auditeurs , que
s'ils n'étoient pas fatigués de l'entendre ,
' il étoit , lui , fatigué de leur parler. ·
Au sujet de cet article de la dépense
domestique , il mit en opposition l'hospitalité
royale et celle d'un corrupteur.
Peignant M. Hastings à sa manière ,
il le représenta « remplissant sa bouche
« des morceaux arrachés à la Noblesse
« affamée ; - ne dinant jamais sans'
qu'il en coutât une famine au pays ;
bien différent de L'AIGLE , qui ,
« dans son appétit généreux , plane et
« fond sur une proie vivante , de force
« égale , et en état de lui résister ; — mais
tel qu'un VAUTOUR , plongeant_son
bec dans le sein de tout ce qui est
« sale , foible , décrépit ; en un mot ,
<«< vivant sur les mourans et sur les
<<< morts. >>
«< -
Nous nous ferions conscience de dérober
à nos Lecteurs un autre trait de la logique
et de l'éloquence de M. Burke. Il s'étoit
permis , dans la première partie de son
discours , une digression sur la doctrine
de L'EVIDENCE. La présomption ( car
il n'y avoit rien de prouvé ) , laprésomp(
69 )
- besoin .
trompés ;
-
tion , dit- il , l'évidence positive en a
Des témoins peuvent être
leurs dépositions falsifiées
; LES CIRCONSTANCES SEULES
NE PEUVENT ÊTRE ALTÉRÉES . - Par
`exemple , si l'on avançoit , sous la foi
du serment , que le Lord Chancelier ,
l'Archevêque de Cantorbéry , le Chef de
la Justice , revêtus de leurs habits de cérémonie
, ont commis un vol sur le grand
chemin , qui le croiroit ?
L'évidence , de quelque nombre de
témoignages qu'elle fût appuyée , dans
ce cas , seroit étrangère à toute circonstance
possible. Il y a contre ce fait
une PRÉSOMPTION INHERENTE .
Pour l'intelligence de ce qui précède ,
il faut savoir que cette Munny Begum,
femme du Soubah , titulaire de Bengale,
fut nommée , après la mort de son mari ,
tutrice du jeune Soubah Mobaurak o
Dowlah , par le Conseil de Calcutta et
par M. Hastings , Président de ce
Conseil. Nunducomar, ce faussaire dont
il a été tant question l'année dernière ,
accusa , dans le cours de ses intrigues et
de ses stratagêmes , M. Hastings d'avoir
été gagné par une somme que lui avoit
délivrée la Begum . Quelle qu'ait été la
naissance de cette femme , ce qui n'a pas
la moindre conséquence dans l'Orient ,
elle ne fut jamais une prostituée, comme
il plaît à M. Burke de la nommer. Elle
étoit la femme favorite de Meer Jaffier,
( 70 )
Soubah de Bengale , qui lui légua ses
joyaux , une somme très - considérable ,
et la surveillance de sa famille. Son caractère
et son esprit n'ont mérité que
des éloges dans le Bengale : les motifs du
choix qu'en fit M. Hastings , en qualité
de tutrice du jeune Soubah , furent exposés
à la Cour des Directeurs à Londres
, qui approuva pleinement , et ratifia
cette nomination . Le Chevalier
Macpherson et Milord Cornwallis , successeurs
de M. Hastings , ont accordé
à cette Douairière les mêmes égards et
la même protection . En diverses occasions
, elle a rendu les plus grands services
aux Anglois , dont les harangueurs la
diffament par reconnoissance. M. Burke
a continué , sans laterminer , sa plaidoierie
le 25 : elle étoit ajournée à jeudi prochain
; mais l'incident sérieux que voici ,
a fait prolonger cet ajournement .
Dans le cours de ses digressions oràtoires
et philosophiques , M. Burke, non
content de toutes les horreurs dont jusqu'ici
il a chargé M. Hastings , l'accusa ,
en passant , et par forme d'épisode
théâtral , d'avoir connivé à la mort d'un
fils de Meer Jaffier , à divers actes atroces
, imputés à Devi-Sing , et d'avoir
assassiné Nunducomar par les mains
du Chevalier Elijah-Impey, dont les
Communes cependant lavèrent la conduite
l'année dernière. Le 22 , le Major
Scott parut aux Communes avec une
71
Pétition énergique de M. Hastings , demandant
que , puisque les Accusateurs
avoient déterminé leurs Chefs d'impeachment
, et qu'ils s'étoient engagés à ne
pas alléguerun mot sans le prouver, ils
eussent à joindre aux charges du procès
les nouvelles calomnies de M. Burke.
Cet Orateur étant absent , l'Orateur pria
le Major Scott de remettre sa plainte à
un autre jour . Il l'a produite hier 27 ,
en disant : « Que ces nouvelles alléga-
«< tions étoient d'affreuses faussetés , sys-
• tématiquement , honteusement , et dé-
« libérativement avancées par M. Burke;
<<< qu'il étoit donc de la justice de la
« Chambre , dont cet Orateur étoit le
« Mandataire , ou de les convertir en ar-
<< ticles formels d'impeachment , où dobliger
le calomniateur à les rétracter
« publiquement. »
«
M. Fox , dans un discours adroit et ingénieux
, chercha à tirer M. Burke du pas
embarrassant où sa frénétique éloquence
l'a jeté, et ilopina à ce qu'on rejetât la Pétition
. M. Pitt ne fut pas du même avis. «
« M. Hastings ,dit- il, est Citoyen comme
« nous ; s'il a droit de se plaindre , il
« doit être entendu ; s'il est l'objet
de notre accusation , il ne doit ja-
«< mais cesser d'être celui de notre Jus
«< tice. » Alors M. Burke prit la parole ,
et renouvela une de ces scènes de grossièreté
, dont nous ne tenterons pas
l'esquisse . Nonobstant ces emporte-
«
( 7%)
mens , les Comment admis la Pétition
, et fixé la Scance de jeudi pour la
prendre en considération .
L'Amirauté a reçu , le 22 , des dépêches
du Commodore Philipps , datées
du port Jackson , le 2 octobre dernier ;
elles ont été apportées par le Sirius , qui
avoit été envoyé , avec des provisions
pour la Colonie. Il ne s'y étoit rien passé
de bien essentiel depuis l'envoi des dernières
nouvelles . Les Sauvages sont devenus
très-féroces ; ils ont enlevé tout
le bétail qu'ils ont pu rencontrer , et ont
mis le feu aux longues herbes qui se
trouvoient dans les environs du camp ;
ce qui fait craindre que le grain n'éprouve
le même sort lorsqu'il sera poussé .
Le temps étoit très -beau depuis un mois ,
et le bled ainsi que les végétaux profitoient
bien , mais l'établissement manquoit
de plusieurs objets . Le Capitaine
Campbell, accompagné de deux Officiers
subalternes , et de vingt Soldats , avec
quelques criminels , a reçu ordre de
s'avancer à 14 milles dans l'intérieur
du pays , pour y semer du bled , le
terrain, et la position ayant été trouvés
très-propres à cet usage.
Le Centurion de 50 can . , monté par
le Capitaine Otway , est arrivé , le 18 ,
de Chatham à Sherness ; après avoir
embarqué sa poudre et ses canons , il
fera voile pour les Isles , sous les ordres
de l'Amiral Affleck, Cevaisseau prendra
à
( 73 )
à bord un gros détachement de troupes
de Marine , de la division de Chatham.
Le vaisseau de la Compagnie des
Indes , le Comte de Talbot , est arrivé
à la hauteur de Portland , venant de
Chine'; il a fait voile , le 24 février , de
Sainte-Hélène , où il ne se trouvoit
alors que le Jackal , vaisseau employé à
la pêche de la mer du Sud.
Jeanne Goodwin est morte ces jours
derniers à Kewbold , près de Chesterfield
, à l'âge de 10 ans ; et Anne
Asle est morte pareillement dans la
paroisse de Wingeworths , âgée de 105
ans moins trois mois ; six semaines
avant , elle lisoit encore les plus petits
caractères d'impression sans lunettes.
FRANCE.
De Versailles , le 3 mai.
Madame , qu'une indisposition a retenue
pendant quelque temps dans son appartement
, s'est rendue , le 25 du mois
dernier , à l'Eglise de la paroisse Notre-
Dame, ou Elle a communié des mains de
l'Abbé de Mallian , son premier Aumônier
en survivance , la Duchesse de la
Vauguyon , Dame d'honneur , et la Duchesse
de Caylus , Dame pour l'accom
pagner , tenant la nappe
Le Roi a nommé à la place de Con-
N ° , 19 , 9 Mai 1789 .
Nº. ·d
( 74 )
seiller d'Etat d'Eglise , vacante par la
mort de l'Abbé de Radonvilliers , l'Abbé
Royer , Maître des Requêtes , qui , le
26 , a eu l'honneur de faire, ses reinerciemens
à S. M. , étant présenté par le
Garde-des- Sceaux.
"
}
Plusieurs Députés aux Etats Généraux
n'étant pas encore rendus ici , et quelques
Elections n'étant point encore, consourmées
, Sa Majesté a résolu de differer ,
jusqu'au 4 mai , l'ouverture des Etats-
Généraux . Cette résolution a été solennellement
proclamée , le 27 avril dernier ,
dans toutes les places et carrefours de
cette Ville , par le Roi d'armes de
France précédé de quatre Hérauts
d'armes , conformément à l'ancien usage.
Les Députés des trois Ordres aux Etats-
Généraux ayant été avertis , par une proclamation
faite , leher, de ce mois , dans
toutes les places et tous les carrefours de
cette ville, par le Roi d'armes de France ,
précédé de quatre Hérauts- d'armes , que
le Roi les admettroit , le 2, à l'honneur de
lui être présentés , se sont rendus , ce
jour , en habit de cérémonie , dans le sal
lon d'Hercule , à l'heure qui leur avoit
été indiquée ; l'Ordre du Clergé à onze
heures , l'Ordre de la Noblesse a une
heure après- midi , et l'Ordre du Tiers &
quatre heures, Marquis de Brézé ,
Grand - Maître des cérémonies de France,
e Comte de Nantouillet , Maitre des cerémonies
, et le sieur de Watronville ,
b
( 75 )
Aide des cérémonies , les ont conduits
successivement dans l'appartement du
Roi. Les Ordres du Clergé et de la Noblesse
ont été recus dans le Cabinet , et
l'Ordre du Tiers dans la Chambre de Sa
Majesté , à qui ils ont été présentés et
nommés par le Marquis de Brézé , Grand-
Maître des cérémonies de France.
Le même jour , Son Altesse Royale
Monseigneur le Duc de Berry , s'est rendu
à la paroisse Notre-Dame , où il a fait
sa première Communion des mains de
l'Abbé de Saint - Didier , Aumônier ordinaire
de Monseigneur Comte d'Artois
; le Marquis de Sérent , Gouverneur ,
et le Marquis d'Arbouville , Sous- Gouverneur
de Son Altesse Royale , tenoient
la nappe.
De Paris , le 5 mai.
Arrêt du Conseil d'Etat du Roi , du
15 avril 1789 , qui casse une Ordonnance
du Lieutenant-général du Bailliage de
Vesoul , en ce qui concerne les Ordres
du Clergé et de la Noblesse.
Idem, du 1 avril 1789 , concernant
l'entreprise des travaux des rivières de
l'Yvette et de la Bièvre , par le sieur
Defer.
Le Grand-Maître des cérémonies a
rendu publique une Note du 27 avril
dernier, qui fixe de la manière suivante
dij
( 76 )
le costume de cérémonie des Députés
des trois Ordres aux Etats- Généraux :
Clergé. MM. les Cardinaux en chape rouge.
MM. les Archevêques & Evêques en rochet ,
camail , foutane violette & bonnet carré . MM .
les Abbés , Doyens , Chanoines , Curés & autres
Députés du fecond Ordre du Clergé , en foutane ,
manteau long & bonnet carré.
Nobleffe. Tous MM. les Députés de l'Ordre
de la Nobleffe , porteront l'habit à manteau d'étoffe
noire de la faifon ; un parement d'étoffe
d'or fur le manteau ; une veſte analogue au parement
du manteau ; culotte noire ; bas blancs ;
cravatte de dentelle ; chapeau à plumes blanches ,
retrouffé à la Henri IV , comme celui des Chevaliers
de l'Ordre. Il n'eft
boutons de l'habit foient d'or.
néceffaire
pas que
les
Tiers- Etat. MM. les Députés du Tiers- Etat
porteront habit , vefte & culotte de drap noir,
bas noirs , avec un manteau court , de foie ou de
voile , tel que les Perfonnes de robe font dans
l'ufage de le porter à la Cour ; une cravatte de
mouffeline ; un chapeau retrouffé de trois côtés ,
fans ganfes , ni boutons , tels que les Eccléſiaſtiques
le portem lorfqu'ils font en habit court.
Deuil du Clergé. Si quelques- uns de MM . les Archevêques
& Evêques députés ſe trouvent en
deuil de famille , ils porteront foutane & camail
noirs. MM. les Abbés ., Doyens , Chanoines ,
Curés & autres Dépusés du fecond Ordre du
Clergé, qui ſe trouveroient être en deuil drapé, porteront
le rabat blanc & la ceinture de crêpe.
Deuil de la Nobleffe . MM. les Députés de la
Nobleffe porteront l'habit de drap noir , avec le
manteau à revers de drap ; bas noirs ; cravatte de
mouffeline ; boucles & épée d'argent ; chapeau
( 77)
à plumes blanches , retrouffé à la Henri IV . S'ils
font en deuil de laine , ils porteront également
habit , vefte , culotte & manteau de drap noir ;
boucles & épée noires ; cravatte de batiſte ; chapeau
à la Henri IV , fans plumes.
Deuil du Tiers-Etat . L'habit de MM . les Députés
du Tiers- Etat fera le même , à l'exception que
le manteau ne pourra être de foie , mais de voile ,
& qu'ils porteront les manchettes effilées , avec
les boucles blanches , s'ils font en deuil ordinaire ;
& les boucles noires , manchettes & cravatte de
batifte , s'ils font en deuil de laine,
Dans le nombre immense des cahiers
rendus publics , et des demandes de toute
espèce qui y sont renfermées , celui de
la Noblesse de Châlons-sur- Marne se
fait distinguer par autant de décence
que de sagesse. On y ouvre , entre autres ,
un avis qui peut en faire naître d'autres
sur la grande question de la délibération
par Ordre ou par tête ; question traitée"
superficiellement , quoique avec tant de
chaleur , dans une infinité de pamphlets,
et dont il semble que, jusqu'ici, on
n'ait pas saisi les véritables bases , en
mettant le sort de l'Etat et celui du
Peuple à la merci de la délibération
d'une Assemblée unique . Voici le moyen
terme que propose à ce sujet la Noblesse
de Châlons .
Art. 3. « S. M. est également suppliée
<< d'ordonner que les délibérations des
« Etats- Généraux seront prises par cha-
« cun des Ordres séparément , sans que
diij
( 78 )
deux Ordres , formant un même væeu,
puissent jamais obliger celui qui for-
* meroit un vou contraire ou différent :
« néanmoins , les Ordres seront libres
< de se réunir pour opiner par tête
sur un objet particulier , lorsqu'il aura
«< été voté dans chacun des trois Ordres ,
d'employer cette forme de délibération
en commun et par individus .
Art. 4. « Il sera proposé aux Etats- Géné-
<< raux d'examiner s'il ne seroit pas possible
d'établir une combinaison des
suffrages recueillis par individus dans
chaque Ordre , telle que, sans soumettre
* précisément un Ordre à la volonté
<< des deux autres réunis , elle produisît
cependant un résultat qui dût être
* considéré comme le voeu général des
« trois Ordres ; par exemple , dans le
« cas où les Ordres ne pourroient se
réunir au même avis , les voix indivi-
<< duelles seroient comptées dans chaque
Ordre ; et s'il arrivoit que deux Ordres
réunis , pour former la même demande ,
« offrissent chacun cinq sixièmes des
« voix dont il seroit composé , et que
<< le troisième , quel qu'il fût , présentât
<< un tiers de ses voix , qui se joindroient
« à l'avis des deux autres , la délibéra-
« tion seroit censée être unanime dans
les trois Ordres . »
Le 26 avril , les trois Ordres de l'in
térieur de Paris se sont assemblés séparément
à l'Archevêché , pour nommer
( 79 )
des Commissaires à la rédaction de leurs
Cahiers , et pour procéder aux choix de'
leurs Présidens et Secrétaires. Le mêmejour
, le Clergé élut , en qualité de Président
; M. l'Archevêque de Paris , et pour
Secrétaires , le Recteur de l'Université ,
le Curé de Chaillot et Dom Prescheur,
Bénédictin. Le Tiers-Etat nomma deux
Présidens , M Targer et M. Camus
Avocats ; le choix des deux places de
Secrétaires, hommés aussi au scrutin ,
tomba sur MP Guillotin Médecin ,
et sur M. Bailly , de FAcadémie Françoise
. M. le Lieutenant - Civil avoit
Pensé que sa charge lui donnoit la Présidence.
dy , Tiers ; mais cet Ordre a pensé
différemment : il a nommé deux Prési-"
dens, parce que M. Target ayant été déja
élu Président du Tiers hors des murs ,
pouvoit né pás suffire aux deux Prési
dencos , qui étoit en outre désigné
par la yo gunerale pour concourir à la
rédaction des Cahiers.
.La Noblesse s'assembla le même jour
chez l'un de ses Présidens , pour procéder
au choix dum plus grand nombre d'Electeurs
, et le pofta à 214 , afin qu'il y
eût une proportion avec celui du Tiers ,
qui s'élevoit à plus de quatre cents .
Cette section fit remettre au lendemain
les noibations du Président et des
Secrétaires de cet, Ordre Le Prévôt de
Paitiswevensliqanaziaussi la Présidence de
la Noplesser, cause de sa charge , mais
div
( 80
se rendit au vou de l'Ordre, d'élire son
Président auscrutin , et la majorité des voix
se réunit sur M. le Comte de Clermont-
Tonnerre ; ensuite on procéda au scrutin
des Secrétaires ; le 1er. fut en faveur de
M. d'Epresmenil , le second en faveur
du Comte de Lally - Tolendal. Lors
de cette Séance du 27 , le Clergé envoya
à l'Ordre du Tiers une députation composée
de 8 Membres , pour lui annoncer
sa renonciation aux priviléges pécuniaires
de l'impôt . M. l'Abbé de Montesquiou,
portant la parole , obtint et mérita de
vifs plaudissemens.
La Noblesse a pris la même résolution
, comme on le voit dans l'extrait suivant
de ses délibérations.
L'Affemblée générale des Electeurs repréſen
tant tous les Citoyens Nobles de la ville de
Paris , voulant donner à fes Concitoyens des
deux autres Ordres , une preuve de fon affection
& des principes de juftice & d'union dont elle
eft animée , fe fait un devoir de leur déclarer
qu'elle a arrêté de protefier en corps contre la
difperfion de la commune ; que pour fuppléer,
autant qu'il eft en elle , à cette réunion abfolue
de voeux & de travaux devenue impoffible , elle
a autorifé les Commiffaires à donner refpective-,
ment à chaque Ordre toutes les communications
qui leur feroient demandées , & à en recevoir,
toutes celles qui leur feroient offertes ; qu'enfin
elle a arrêté de faire porter aux Etats -Généraux,
par fes Députés , fon voeu unanime pour la fuppreffion
des impôts diftinétifs , & leur converfion
en fubfides communs répartis également , propor
( 81 )
Bonnellement & dans la même forme entre les
Citoyens de tous les O.dres & de toutes les
claffes .
Fait dans l'Affemblée des Citoyens Nobles de
la ville de Paris , tenue à l'Archevêché ce 1º.
mai 1729.
Signé , STANISLAS , Comte DE CLERMONTTONNERRE
, Préfident.
Le Comte DE LALLY-TOLENDAL , Secrétaire.

La multiplicité des contestations et
des harangueurs , a singulièrement prolongé
les Assemblées des Electeurs intrà
et extrà muros. Ces dernières cependant
sont parvenues à élire leurs Députés
avant le 4. Ces Députés de la Prévôté et
Vicomté de Paris, sont , pour le CLERGÉ,
MM. les Curés de St Germain- en - Laye
et d'Argenteuil, et M. de Beauvais, ancien
Evêque de Sénez.NOBLESSE ..... TIERS ,
MM. Afforty, Cultivateur à Villepinte ;
du Vivier , Cultivateur à Boneuil en
France ; Chevalier, Cultivateur à Argenteuil
; Target, Avocat au Parlement, l'un
des quarante de l'Académie Françoise; di
Cellier, Avocat au Parlement ; de Bois-
Landry, Négociant à Versailles ; le Noir
de la Roche , Avocat au Parlement ;
Guillaume , Avocat au Parlement et
aux Conseils du Roi.
Députés-Adjoints.
MM. Lucy , Cultivateur à Epiais :
Busche , Procureur, au Parlement; Picault
, Avocat en Parlement , Prévôt du
d w
( 82 )
Châtelet de. Tournans en Brie ; de Gra
ville , Avocat en Parlement , ancien
Commissaire au Châtelet de Paris ;
Bailly, Lieutenant-général à Brie-Comte-
Robert ; Bejot, Cultivateur à Messy en
France ; Dartis de Marcillac , Avocat
au Parlement ; Rouvre , Propriétaire à
Fontenay en Brie ; Ramard , Propriétaire
à Lagny.
Le Clergé a mis beaucoup plus de diligence
et d'ordre dans ses délibérations .
Celui de la Ville a consommé son Election
avant l'ouverture des Etats- Généraux
, et anommé pour ses Députés MM.
l'Archevêque de Paris ; l'Abbé de Montesquiou
, Agent. du Clergé ; l'Abbé
Chevreuil, Chancelier de Notre -Dame ;
le Curé de St. Nicolas du Chardonnet ;
Dom Chevreux , Général des Bénédictins
; de Cayla , Supérieur Général de
St. Lazare.
Suite de la liste des Députés.
« AIX . Clergé. MM. F'Archevêque
d'Aix ; Cousin , co - Prieur et Curé de
Cucurron. Noblesse. MM. d'Albertas ,
Premier Président de la Chambre des
Comptes d'Aix ; d'André , Conseiller au
Parlement d'Aix . Tiers . MM. le Comte
de Mirabeau ; Bouche , Avocat ; Audier
Massillon , Lieutenant - Général ; de
Pochet, Avocat . »
·( 83 )
O BÉZIERS. Clergé. MM. le Curé de
St. Aphrodise de Béziers ; le Curé d'Angelliers.
Noblesse. MM. de la Lablanque,
Juge- Mage: de Gayon , Lieutenant-
Général des Armées du Roi. »
« MONT DE MARSAN. Clergé. M. la
Poterie Curé de Lenignac . Noblesse .
M. de la Salle Marquis de Roquefort.
Tiers. M. Laurans , Négociant . » J
55G asb so :
« ROUEN. Clergé. MM. le Cardinal
de la Rochefoucauld , Archevêque de
Rouen ; le Brun 3 Curé de la ville dé
Lyons- la- Forêt ; l'Abbé de Grivu',Prieur
Commendataire de Saint-Imer ; Dom
d'Avoult , Prieur claustraisde l'Abbaye
de Saint - Ouen de Rouen. Tiers. Ville
de Rouen , MM. Thouret , Avocat; le
Cinutele de Cantelen , Négociant ; de
FontenayPaine , Negociant, Bailliage de
Rouen , M. le Fort Marchand de Bois
à Cantelen. Ancien Bailliage de Gisors
Male Febore du Chailly , Laboureur
Gaches. Bailliage secondaire de Pont
Audemer , M. le Refait , Laboureur
a Rougemoutier. Bailliages secondaires
de Pont- l'Eveque et Honfleur réunis ,
M. Mollien , Laboureur , au Mesnil sur
Blangy Bailliage.secondaire du Pont
de l'Arche , Myde Cretat, Négociant à
Louviers. Moeide ici-usa.i
zTboM al eh cime) sho
KVEZELISE Glergé MM. le Curb de
d vi
( 84 )
2
Crépé , le Curé de Tantonville. Noblesse.
MM. le Prince Emmanuel de
Salm - Salm Maréchal - de - Camp ; de
Mussey. Tiers. MM. Salle , Médecin ;
la Charse , Avocat ; Barthazard, Laboureur
Propriétaire ; Godefroi . »
« CHAROLLES, Clergé. M. Baudinot,
Curé de Paray . Noblesse. M. le Marquis
de la Coste, Ministre Plénipotentiaire
auprès du Prince des Deux-Ponts :
suppléant , M. Mainaud de la Vaux,
Capitaine de Dragons , à Paray. Tiers .
MM. Geoffroy, Avocat à Dravaïre , paroisse
de Champvent ; Fricaud, Avocat
et Subdélégué de l'Intendance de Bourgogne
, à Charolles . »
BAZAS. Clergé. M. l'Evêque de Bazas.
Noblesse. M. de Piis, Grand Sénéchal.
Tiers . MM. Lavenue et Saige ,
Avocats au Parlement. »
NÉRAC ET CASTELJALOUX. Clergé.
M. l'Evêque de Condom. Noblesse. M.
le Baron de Batz, Grand-Sénéchal d'Al
bret. Tiers. MM: Brastaret, Avocat au
Parlement ; Brunet Avocat et Juge
Royal de Puch. »
«
QUESNOY. Clerge. MM. Barbotin,
Curé de Prouvy ; Renaud , Curé de
Preux-au-Bois . Noblesse . MM. le Duc
de Croi , le Comte de la Marck. Tiers.
MM. Gossuin , Lieutenant -général ›du
( 85 )
Bailliage de Quesnoy ; Poncin , Avocať
à Bouchain. »
« AVESNES. Clergé. M. Besse , Curé
de St. Aubin . Noblesse. M. le Comte
de Sainte-Aldegonde d'Aimeries. Tiers.
MM. Hennet , Prévôt , Juge Royal de
Maubeuge ; Darche de Tromcourt
Maître de Forges , près de Mariembourg.
»
LETTRE AU Rédacteur.
Monfieur,
• « Au commencement de ce mois , des ouvriers
qui travaillent à la ferme de Firefcamp , de la pa-
Toiffe d'Habart en Artois , ayant aperçu un trou
dans un champ éloigné d'une portée de carabine de
la ferme , ils y fouillèrent , & découvrirent un
caveau maçonné en pierres blanches , qui n'étoit
recouvert que d'un pied de terre , & qui avoit huit
pieds de longueur fur quatre de largeur. Deux
affifes de pierres , de la largeur du caveau , en fermoient
la partie fupérieure ; le fond & les quatre
murailles de ce caveau étoient maçonnés
pierres blanches carrées ; il contenoit une caiffe
de plomb fans couvercle , dont les feuillets , foudés
enfemble , avoient quinze pouces de hauteur
& deux lignes d'épaiffeur. Dans cette caiffe fe
trouvoient les offemens d'un corps qui y avoit été
dépofé il y a au moins 1600 ans . »
en
« On a remis les débris des vaiffelles de terre
qui fe trouvoient dans ce tombeau , à un Chanoine
de St. Eloi , les ouvriers les ont mifes en pièces ;
ils ont brifé deux fimpules , dans lesquelles fe trouvoient
deux médailles romaines , de moyen bronze,
qui repréfentent la tête de Faustine l'ancienne ,
( 86 )
femme de l'Empereur : Antonin-le -Pieux , & dont
les revers ne peuvent guère s'expliquer , parce que
la légende & les figures font trop effacées . Ils
lui ont encore laifié entre les mains les fragmens
d'une patère & une lampe fépulcrale , dont le
pied eft mutilé. En lavant ces fragmens de terre
groffière , il s'eft aperçu que toute cette waiffelle
avoit été do ée , par le reste des points d'or
qui s'y fant encore apercevoir à plufieurs endroits .
L'épaiffeur des feuillets de la caiffe de plomb a
préfervé le méral de la corrofion . On pourroit ,
en les fondant , entirer quatre cents livres de plomb
excellent pour l'ufage. »
L'Académie de Dijon a demandé , pour ſujet
du prix de Morale qu'elle doit proclamer dans la
Séance publique du mois d'août 1790 :
Quelle et l'influence de la Morale des Gorverne
mens fur celle des peuples ?
" C'eft pour la feconde fois que l'Académie propofe
ce fajet, & le Prix fera double.
la
Elle diftribuera , dansa Séance publique du
mois d'Août 1789 , le pix de Phyfique qu'elle
a propofe , dès 1785 , fur le fujet conça en ces
termes 3 Da Cf t St. qui lang &. Jasion
Determiner , pir leurs propriétés respect repres
respectives
aga
difference effentielle du phlogistique & de la matière de
la chaleur.
clova9ld 19ine abb
Ce Prix fera auffi double . any
L'Académie décernera encore ,, dans la même
Séance , le Prix extraordinaire dont M. Carnat
Auteur de l'éloge de Vauban, couronné en 1784 ,
a fait les fonds, & qui , a cie propofe fur & qui cette
queftion lino al applivno
·
د و ا د
Ef-il avantageux à un Etat , tel que la France
qu'il y ait des places fortes fur fes frontières
e LA cautemie en décernant glenn785 ,
lov
des
( 87 )
deux Prix qu'elle avoit propofés pour la théorie
des vents , réſerva l'autre Prix , qu'el'e eſpère distribuer
dans la même Séance publique du mois
d'août 1789.
L'Académie avoit demandé pour fujet du Prix de
Médecine , qu'elle devo t proclamer dans la Séance
publique du mois d'août 1788 :
Les fièvres cathari eufes deviennent aujourd'hui plus
communes qu'elles ne l'ont jamais été ; les fièvres inflammatoires
de iennent extrêmement rares ; les fièvres
bilieufes font moins comm nes : déterminer les raisons
qui ont pu donner leu à ces évolutions dans nos
climats & dans nos tempéramens .
L'Académie a reçu plufieurs Mémoires fur ce
fuje important , mais ils n'ont pas entièrement
rempli fes vues.
Elle a jugé , qu'en propofant de nouveau la
même queftion pour fujet d'un Pix double j
qu'elle diftribuera dans la Séance publique du
mois d'août 1791 , les Concurrens auront le temps
de donner à tems Mémoires toute la perfection
dont ils font fufceptibles , & de les rendre dignes
dêtre offerts au public , à la faite des Ouvrages
excellens que l'Académie a eu la fatisfaction de
couronner dans les précédens concours , pour les
Prix de Védecine.
Tous les Savans, à l'exception des Académiciens
réfidens , feront admis au concours . Ils ne fe feront
connciire ni directement , ni indirectement ; its
infcriront feulement leurs noms dans un billet
cacheté , & ils adrefferont leurs ouvrages , francs
de port , à M. Caillet , Secrétaire perpétuel , qui
les recevra jufqu'au premier avril inclufivement .
PAYS - BAS..
De Bruxelles , le 7 mai 1789.
Les courriers de Vienne , arrivés sue
( 88 )
eessivement le 23 avril et les jours suivans,
annoncèrent ici les plus fâcheuses
nouvelles de la santé de l'Empereur.
Les spectacles furent suspendus , les
prières de 40 heures ordonnées , ainsi
que des messes solennelles dans tout
le Brabant ; et l'alarme ne se ralentit
qu'à l'instant où LL . AA . RR . nos Gouverneurs
, eurent fait publier les bulletins
que nous allons rapporter , comme
étant la relation du péril imminent où
s'est trouvé le Souverain .
« Sa Majesté s'étoit promenée à Laugarten , le
13 ; à fon retour , Elle fe plaignit de vives douleurs
hémorrhoidales ; pendant la nuit Elle cracha
beaucoup de fang. Le Médecin , appelé d'abord ,
n'en parut point inquiet , & engagea feulement
S. M. à refter au lit la journée du 14 , ce qu'Elle
fit en continuant de travailler comme de coutume.
"
« Le 15 , en prenant fon chocolat , S. M.
cracha encore plus de fang , ce qui inquiéta les
Médecins , une fréquente répétition de ces crachemers
pouvant devenir mortelle. S. M.. fit pendant
cette journée tous les arrangemens que fon
état pouvoit rendre néceffaires , & fe confeffa
même au foir , quoiqu'Elle n'eût plus craché de
fang , & qu'Elle n'eût point du tout de fièvre.
« La nuit du 15 au 16 fut affez bonne ; il
n'avoit plus paru de fang , point de fièvre , la
refpiration étoit plus libre , & les palpitations de
coeur dont S. M. fe plaignoit depuis fon retour
de l'armée , mais furtout dans ces derniers temps
avoient ceffé ; néanmoins Elle voulut être adminiftrée
en public , ainfi qu'Elle l'avoit annoncé
la veille après ce grand acte , Elle témoigna la
( 89 )
plus parfaite tranquillité d'ame , dina de ben
appétit , eut un bon fommeil dans l'après- dinée , &
expédia un courrier à fon augufte frère le Grand-
Duc , fans cependant l'appeler à Vienne . »
« La nuit du 16 au 17 fut parfaite : l'Empereur
n'eut befoin de rien depuis dix heures du
foir jufqu'à fept heures du matin . «
Toute la journée du 17 fut très bonne auffi ,
& l'état de S. M. eft fi confidérablement amélioré
, que le ciel femble nous l'avoir décidemment
rendu. Le travail n'eft plus interrompu ,
& S. M, expédie les aff- ires comme à l'ordinaire . »
« Les Médecins n'ayant trouvé aucun autre
danger aux crachemens , qu'ils a tribuent abfolument
aux hémorrhoides , que celui qui pourroit
réfulter de leur fréquente répétition ; & S. M.
n'en ayant plus eu depuis le 15 au matin , juſqu'au
20 , il eft à efpérer que dès- à - préfent Elle a
échappé au danger qui la menaçoit . »
&
Les nouvelles de la nuit du 17 au 18 ,
celles de la journée du 18 , font des plus fatisfaifantes
; S. M. a dormi neuf heures , & tout
va auffi bien que poffible , de forte qu'on peut
fe flatter que S. M. entre en pleine convalefcence. »
Les nouvelles du 30 continuent à être
favorables : voici les derniers bulletins
publiés.
Bulletin du 28. La journée du 18 a
continué à être bonne ; les symptômes
fâcheux disparoissent successivement ; le
sommeil a été plus interrompu que celui
de la nuit précédente ; S. M. n'en est
pas affoiblie , et se porte assez bien.
Du 29. Les nouvelles d'aujourd'hui sont
encore plus consolantes. S. M. tousse
moins , et avec moins de violence ; les
( 90 )
crachemens sont presque de couleur naturelle
; le pouls est parfaitement bon , il
n'y a plus de palpitation de coeur et nulle
douleur à la poitrine , comme S. M. en
ressentoit jusqu'ici . Toutes les dispositions
sont des meilleures pour une guérison
parfaite , moyennant un peu de
tranquillité .
Paragraphes extraits des Papiers Anglois & autres.
La demande que les Polonois avoient faite aux
Ruffes , de ne pas faire entrer leurs troupes
func
le territoire de la République , & de ne pas former
de magafins dans l'Ukraine , ayant été communiquée
au Prince Potemkin , à Pétersbogrgis di luis
demanda quelle raifon pouvoit engager la Rép →
blique à faire un pareil refus ; il répondit : Entre
notre armée & le Palatinat de Kiow , fe trouve,
l'Ukraine Polonoife ; c'eft un pont qu'il faut
garnir de 50,000 hommes , pour nous enjaTurer
le paffage , & tenir la route que nous avons réfolu
de prendre. ( Gazete des Pays-Bas . ),,
( N. B. Nous ne garantiſſoris la vérité ni l'extastia
nudede ces Paragraphes extraits des Papiers étranģelss) ;
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX.
REQUÊTES DE HOTEL DU ROI AU FOUVE
RAIN Procès entre le feu la Planche , Commis
aux Ecritures dans les Bureaux de la Recette
des Tailles d'Angulême , & la demo felle Bafque
fon épouse : Contre le ficut Marot , l'un des
Receveurs des Tailles de ladite ville, lesfieurMarot
( 91 )
fils , le fieur Cantin , Caiffier , & autres accufés &
accufateurs. En préfence de M. LE PROCUREURGÉNÉRAL.
Cette affaire extraordinaire , qui , pendant onze
années qu'elle a fubfifté , a été portée devant les
premiers Tribunaux de la Nation , vient enfin,
d'être terminée .
Quoiqu'elle foit généralement connue , nous
croyons devoir en donner une idée fuccinte pour
l'intelligence du jugement que nous allons rapporter.
Le fieur la Planche étoit depuis plufieurs années
Commis aux Ecritures chez le fieur Marot:
le fieur Cantin étoit Caiffier du fieur Marot , &
le fieur Marot fi's réfidoit ordinairement à Paris.
Au mois d'acût 1778 , toutes ces personnes fe
trouvoient réunies à Angoulême .
On prétend qu'à cette époque le feur Cantin
dit au fieur Marot qu'il y avoit du vide gans fa
caiffe , & qu'il étoit volé que le 17 août , on
fit venir des Juges de l'Election , en robe , chez
le fieur Marot , où on avoit attiré la Planche , à
caufe de fes occupations ordinaires , & fous
prétexte de lui dicter des lettres preffées que
La Planche parut devant ces Juges : qu'on l'accufa
d'être l'auteur du vol , & qu'il en fit la
dénégation ; enfuite qu'on le fit entrer dans un
cabinet féparé , où on le retint quelque temps :
qu'on vint enfuite dire aux Juges qu'on n'avoit
p'us befoin de leur miniftere ; qu'ils s'en allèrent ,
parce que , dirent- ils , on ne leur rendoit aucune
plainte , & on ne leur adminiftroit aucure preuve
de délir .
Depuis ce moment , on prétend que le feur la
Planche refta chez le fieur Marot , à la garde d'un
Huiffier & de deux Records , jufqu'au 19 acût inclufiver
ent , c'eft - à- dire pendant trois jours &
deux nuits , & que , perdant le même temps ,
( 92 )
la femme du fieur la Planche étoit également
gardée à vue , dans fa maifon , par des Huiffiers
& des Records.
Le temps de la détention de la Planche fut
employé par les fieurs Marot , à des examens de
regiftres & de caiffe : on accufa le fieur la Planche
d'avoir volé les deniers , & d'avoir voulu en
cacher le vol par des falfifications faites fur les
regiftres , & pratiquées fucceffivement depuis 21
mois on fit monter cesvols d'abord à 15000 1 .
puis à 25000 liv. , enfin à 40830 liv.
: 2.
On fit enfuite foufcrire à la Planche une tranfaction
& différens actes d'abandon de tout ce
qu'il poffédoit. A la même époque , on fir auffi
foufcrite par le Marquis de Châteauneuf pour
10750 1. d'effets néceffaires au complément de la
fomme prétendue volée ; on s'empara des meubres
de la Planche , de fes habits , de ceux de fa
femme , & on les renvoya dépouillés de tout.
Le fieur la Planche vint à Paris fe confulter ,
& retourna à Angoulême , cù il rendit plainte ,
le 14 novembre 1778 , pardevant la Sénéchauffée
, en crime de chartre- privée , fpoliation
& calomnie , contre les fieurs Marot père & fils ,
le fieur Cantin , Caiffier , & tous ceux qui les
avoient aidés dans leur opération ; on informa ,
on lança des décrets .
Le 6 décembre fuivant , le fieur Marot rendit
plainte contre le fieur la Planche en vol de deniers
de caiffe & de falfification de regiſtres ,
devant les Officiers de l'Election d'Angoulême .
Ces deux plaintes fe trouvant adreffées à deux
Tribunaux différens , il s'éleva un conflit de Jurifdiction
, fur lequel on renvoya les Parties devant
FElection d'Angoulême : on y inftruifit le procès ;
le ministère public donna des conclufions en faveur
de la Planche , & cependant le Tribunal le
condamna au banniffement.
( 93 )
Sur l'appel à la cour des Aides de Paris , M.
le Procureu- rgénéral de cette Cour conclut à un
avant faire droit contre le Caiffier , & cependant
l'arrêt condamna la Planche à la mort.
On obtint en fa faveur un furfis ; on fe pourvut
en caſſation ; la Planche , qui fe trouva à
portée d'obtenir fa grace à l'occafion de la naiffance
de MONSEIGNEUR LE DAUPHIN , demanda
pour toute faveur le jugement de fa requête en
caffation ; il l'obtint , & l'affaire fut renvoyée
devant le Châtelet de Paris , où l'inftruction fut
recommencée.
Les conclufions de M. le Procureur du Roi
furent contre la Planche , & la Sentence du châtelet
déclara le fieur Marot & autres atteints &
convaincus de crime de chatre-privée , le condamna
à des reftitutions , des réparations & des
peines , & mit les Parties hors de Cour , fur les
accufations de vol & falfification .
Sur l'appel au Parlement de Paris , les conclufions
de M. le Procurcur-général furent favorables
à la Planche ; mais l'arrêt de cette cour déchargea
le fieur Marot , & condamna la Planche à
la mort.
Nouvelle demande en caffation de la part de
la Planche ; nouvel arrêt de caffation , du 15 janvier
1787 , qui évoqua & renvoya le fond aux
Requêtes de l'Hôtel au Souverain.
En cette Cour , la Planche a commencé par
fe faire recevoir Partie civile au procès ; le fieur
Marot y a formé oppofition : la cauſe a été plaidée
& l'oppofition renvoyée au fond. Il paroît que
le fieur la Planche a établi fa défenfe en prétendant
que la plainte du fieur Marot & la procédure
tenue fur cette plainte étoient nulles ; 1º .
parce que le prétendu crime de vol n'avoit point
été conftaté conformément à l'ordonnance ; 2 °.
parce que le prétendu, faux n'avoit point
( 94 )
également été conftaté conformément aux art. 2 ,
3 , 5 , 9 & 25 du titre 9 de l'ordonnance du
faux principal , qui veulent que les pièces arguées
de faux, foient décrites par procès - verbal , & jointes
à la plainte.
Li Planche a foutenu enfuite que l'inftruction ,
indépendamment des nullités qu'elle contenoit ,
n'offroit aucune preuve , aucune te du double
délit dont il étoit accusé; il a prétendu même
que toutes les circonftances de l'affaire prouvoient
qu'il étoit impoffible qu'il fe fût rendu coupable
des délits qu'on lui imputoit , & qu'il eût commis
pendant vingt & un mois des fuites de vols importans
, & des falfifications fans nombre , dont
on ne fe feroit point aperçu , tandis que la caiffe
& les regiſtres de comptabilité avoient été vérifiés
quatre-vingt- dix- fept fois pendant ces vingt
& un mois ; il a enfuite combattu différens indices
qu'on lui oppoſoit , & dont il feroit trop
long de rendre compte.
Sur objet de la chartre- privée , il a foutenu
qu'il y avoit été maltraité , qu'il n'étoit jamais
convenu qu'il eût rien pris au fieur Marot , &
que les écrits & confentement qui lui ont été
arrachés , n'avoient été que l'effet de la violence
& de l'effroi.
Le fieur Marot , au contraire , a prétendu que
la Planche n'étoit refté chez lui pendant trois
jours & deux nuits que de fon plein gré , &
parce que ce temps étoit néceffaire pour la vérification
des regiftres ; que la Planche avoit fait
des aveux , & avoit foufcrit librement tous les
engagemens qui l'ont dépouillé de fa fortune.
Le procès communiqué à M. le Blanc de Verneuil,
Procureur- Général des Requêtes de l'Hôtel ,
& examiné avec le zèle & les lumières que
l'on connoît à ce Magiftrat , fes conclufions ont
été totalement en faveur de la Planche,
( 95 )
Après un examen de douze féances , le procès
a été terminé par le jugement dont voici les
difpofitions.
Les fieurs Marot , père & fils , Cantin & autres
font déchargés de l'accufation en chartre privée ,
& la Planche condamné aux dépens fur cet objet.
La Planche est déchargé de toute accufation
en vol deniers de caiffe , falfification de regiftres
, & vol de deniers à différens Collecteurs :
en conféquence , les fieurs Marot , père & fils ,
& les héritiers Cantin , font condamnés folidairement
à lui rendre & reftituer tout ce qu'ils peuvent
avoir reçu , en exécution du traité du dixhuit
août mil fept cent foixante- dix- huit , & des
actes fubfequens , ou avoir en leur poffeffion ,
par fuite defdits actes , lefquels font déclarés comme
non-avenus , comme étant faits fans caufe : le
fieur Marot père , eft condamné aux dépens fur
l'accufation de vol & falfification des regiftres ,
tant en cauſe principal , que d'appel & demande ,
& au coût & fignification du jugement , qui fera
imprimé & affiché à la Requête de la Planche,
aux frais & dépens du fieur Marot père .
Ordonne que les termes injurieux répandus
dans les mémoires refpectifs des parties , & notamment
le dernier mémoire de la Planche , feront
& demeureront fupprimés....
Ce jugement renvoie en outre à l'audience une
conteftation furvenue incidemment entre le fieur
Marot fils , & le Marquis de Châteauneuf, fur
les demandes de ce dernier , en fuppreffion de
mémoires , réparations , dommages & intérêts .
Nous aurons occafion de rendre compte , dans
la fuite , de l'évènement de cette branche de
l'affaire .
M. Vermeil a été le défenfeur des fieurs Marot
& fes mémoires donnent de nouvelles preuves
des talens de ce Jurifconfulte .
( 96 )
M. Riffe de Caubray , Avocat aux Confeils ,
a été le défenfeur de la Planche , & ſes mémoires
on certainement ajouté à fa réputation ; ce que
ce généreux défenfeur a fait pour la Planche ,
ne fait pas moins l'éloge de fon coeur que de
fes lumières , car il a défendu cet infortuné pendant
plus de quatre ans , avec une perfévérance &
un courage dont il y a peu d'exemples ; il a demandé
& obtenu la caffation d'un Arrêt qui condamnoit
fon client à la mort ; il l'a fait recevoir
& maintenir partie civile , & il eft parvenu à
lui faire rendre l'honneur & la vie.
314. v
1
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 16 MAI 1789.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE
A.M. DU M... , Cous erneur de M. {
DE B *** , en lui envoyant ma Lettre
fur Anacharfis ( 1 ) .
vous, qui nous formez, par vos foins vigilans,
Non pas un Héros fanguinaire ,
Un de ces illuftres Brigands
Que fatigue la paix , qui refpirent la guerre ;
Mais un homme de bien , un ami des Talens ,
Un fils très-digne enfin de fon vertueux père ;
‹ ( 1) Imprimée par Maradan, Lib. ru : 8. André-des-Arts.
N.20 . 16 Mai x739 .
E
98
MERCURE
En lui lifant Anacharfis ,
En lui fa t gouter ces tableaux rajcunis ,
Où vivent tour à tour Homère & Démosthène
Ami , développez ce que j'effleure à peins
Que les jeunes regards ne foient point éblouis
De l'éclat décevant de la moderne Athène ;
Qu'il contemplc effrayé l'abime où nous entraîne
Le luxe des défirs & celui des Ecrits ,
Quand la Licence fouveraine ,
Chaffant la Liberté dans fa fougue hautaine ,
Règae , la torche en main , fur fes Autels détruits.
Qu'il voye , en lifant cette Hiftoire ,
Où true eft déguisé fous des pinceaux flatteurs ,
Que le fiècle du goût n'eft pas celui des moeurs ,
Et que le bonheur fuit le règne de la gleire .
Chfi jamais la Patrie & fon Roi ,
Pour couronner les vertus de fon Père ,
Placent entre fes mains la Garde héréditaire
Du fceptre de Thémis & du fceau de la Loi ,
Qu'il fache , revêtu de ce fublime emploi ,
Que des publiques meurs il eft dépofitaire ...
Mais les moeurs ne font plus ; les Loix font fans
pouvoir ;
De l'Egoïfine affreux le fyftême homicide ,
Un laxe fans pudeur , un intérét fordide ,
Ont rendu 1 homme fourd à la voix du devoir.
Principes , moeurs , vertus , quand tour tombe &
s'anime ,
Qu'inventer pour fervir de contre - poids au crime?
DE FRANCE.
99
Comment régénérer un Peuple corrompu ?
Comment rendre à l'honneur fon reffoit détendu ?
Amour du bien public , amour de la juſtice ,
Sous les pas des François fermez le précipice !
Embrafez tous les coeurs , croitlez , étendez -vous ,
Et des Dieux irrités appaifez le courroux !
Ils vont luire ces jours profpères ,
Ces jours fi long - temps attendus ,
Où les talens & les vertus ,
Pour le bonheur de tous uniront leurs lumières .
Oui , je vois tous les Arts noblement foutenus ,
Dirigés vers le beau , prudemment contenus ,
Préférant ( dégoûtés des fuccès éphémères )
Les palmes de Minerve aux roles de Vénus.
Je vois s'anéantir ces gothiques chimères ,
Ces priviléges , ces abus
Qui rendent ennemis des humains qui font frères.
Nos Citoyens heureux , à leurs travaux rendas ,
Refpe &teront les Grands, & ne les craindrontplus( 1 ).
La Liberté , non point ce démon fanatique ,
Qui fans règle & fans frein trouble la République,
Mais cette Liberté qui donne le pouvoir
De faire en tous les temps ce que l'on doit vouloir ,
De la félicité cette fource énergique ,
Sur nos Peuples foumis , changés en Citoyens ,
Avec égalité répandra tous fes biens.
4
Deux Mortels bienfaifans auront fauvé la France :
Par eux la voix du Peuple en poids égal balance
(1) V. de Voltaire.
836540
E 2
109 MERCURE
Les fuffrages unis des deux Ordres rivaux,
Tout fera partagé , les honneurs , les impôts,
Le Laboureur content , dans fes ruftiques fêtes ,
Jouira du doux fort que lui promit HENRI ;
Et fans diftinction de Noble , ou d'Affranchi ,
La Loi , l'égalité veilleront fur nos têtes,
Ainfi puiffe des Dieux l'équitable bonté ,
Du bonheur le plus pur récompenfer leur zèle !
Sur ces aftres fauveurs , la France qui cliancèle ,
Attache fon regard par l'efpoir agité.....
Mais hélas ! c'en eft fait de notre liberté ,
Sans la concorde fraternelle .....
L'Europe , l'Univers vous regardent , Français !
Songez que ce moment ne reviendra jamais.
( Par M. Bérenger , Cenfeur Royal. )
DU CHOIX ,
LA LIBERTÉ DU CHOIX ,
CONTE.
CERTAIN Gafcon , Gaſcon ſi jamais il en fút ,
Avec un fien ami , compagnon de voyage ,
Ayant tous les deux en partage
Grand appétit, petit bagage ,
Arrivent , pour dîner , dans un chétif village,
Ils tomboient aflez mal ; le vin fentoit le fût:
Voilà d'abord un fort mauvais breuvages
Et l'Hôte du logis n'avoit dans fon ménage
DE FRANCE.
Que trois oeufs feulement avec un peu de lard.
L'Hôteffe étoit d'avis, pour faire égale part ,
De fricaffer les oeufs en omelette ;
Mais le Gafcon , espérant de fon aft ,
Dit qu'ils feroient meilleurs à la mouillette.
La nappe miſe , on fert ; cérémonie à part ;
Des trois oeufs, le Gafcon en prend deux fur l'af
fictte ;
Puis , à fon compagnon dit , d'un air goguenard ;
-A préfent , mon ami , choififléz , je vous prie :
Comment choifir ! dit l'autre ; oh ! point de raillerie
,
Monfieur ; votre difein cft il de m'offenfer ?
-Calédis ! nou , mon cher; mais, faus plaifantérie,
N'avez-vous pas le choix dé prendre ou dé laiffer.
( Par M. de la Mothe. ) ·
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LEM
E mot de la Charade eft Thémire ; celui
de l'Enigme eft Prosès ; celui du Logogriphe
eft Pistole, où l'on trouve Peli , Lot,
Lit , Pole , Stile , Toife , Pifte.
E 3
MERCURE
CHARADE.
Mon premier,fans accent, sepourroit le chanter;
Mon fecond autrefois fut grand par fon Empire ;
Et mon tout eft pour l'homme un moyen qu'il défire
Pour conferver long-temps le bonheur d'exifter.
(Par Madame la Comteffe de B ... )
ÉNIGM E.
I- cr , je fuis droit comme un cierge ,
Et là, courbé comme un cerceau ;
Tantôt plus long qu'un long cordeau ,
Tantôt aufh court qu'une afperge .
Je fuis affreux & je fuis beau ;
Je fuis vieux & je fuis nouveau ;
Me fa fir méme eft chofe aifee ,
Quoique je fois un vrai Protée ;
Car je vais dans tous les pays ,
Et prends des furnoms infinis :
Mais de corte terre habitable ,
Ceux que le Ciel a réunis ,
Out feuls fa'fi le véritable.
( Par M. l'Abbé Igonnet , de Gaillac en
Albigeois . )
DE FRANCE. 103
LOGO GRIPHE...
JE n'ai pas une ride , &-j'ai plus de mille ans ;
Vierge , j'eus des époux ; veuve , j'ai des amans ;
Je vends cher mes faveurs ; beaucoup out fi me
plaire ,
Mais nul n'eft digne encor de mes embraffemens ;
Je foupire à Paris , je hurle en Angleterre ,
Et m'attendris parfois avec les Allemandr.
Neuf pieds compofent ma fubflance.
Qu'il fort de rejetons de cette rige immenſt !
Si la met en courroux menace une Cité ,
L'un peut impanément braver fa violence ;
L'autre avec lon gemeau n'est guère fréquenté ;
Tantôt , à peu de frais , je ré hauffe la France ;
Tantôt je fuis un Dieu terrible &z redo até..
Vois-tu ce dem - Dieu ? d'uɔ Hérós il eft père ;
Pour lui donner le jour , il garrotta la mère.
Prends quatre d: mes pels, & je vais, à ton cholt,
Porter on Tiare ou Couronne ,
Etre Royaume , ou bin Ville à la Cuis.
Veux-tu m'ouvrir le fin ? ajoute un pied .... filfonne
! ....
Mais arrête , ercis-moi , ton regard curcuzs
Il en couta jadis trop cher à tes aïeux.
(Par un Aborné. )
E 4
104
MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LA caufe des Efclaves Nègres & des Habitans
de la Guinée , portée au Tribunal
de la Juftice , de la Religion , de la Politique
; ou Hiftoire de la Traite & de
l'Esclavage des Nègres preuves de leur
illegitimité ; moyens de les abolir , fans
nuire ni aux Colonies ni aux Colons :
par M. FROSSARD , Dacleur en Droic
dans l'Univerfité d'Oxford , Miniftre du
Saint Evangile , &c. &c. &c . 2 Volumes
in S °. A Lyon ; & fe trouve à Paris
chez les Marchands de Nouveautés.
QUAUAND Ce Philofophe , dont l'éloquence
ambitieufe fe plut quelquefois à foutenir
les plus étranges paradoxes , pour mieux
déployer toutes les reffources de fon tálent
; quand Rouffeau attaqua l'empire des
Sciences , avec les armes même que les
Sciences lui fourniffoient , il ne trouva
point d'Adverfaire digne de ſe meſurer
avec lui . Tous ceux qui auroient pu défendre
la caufe des Lettres , étonnés de
DE FRANCE. Yos
Faudice , & plus encore du pouvoir de
l'agreffeur , gardèrent le filence ; & la multitude
, fubjuguée par la force ou féduite
par les graces de fon ftyle , crut qu'il avoit
raifon . Mais, de nos jours , où l'efprit d'analyſe
a fait plus de progrès , où l'on juge ,
avec une plus grande certitude les opinions
& les raifonnemess , il n'eſt perſonne
qui ne penſe qu'en acquérant des lumières,
les hommes deviennent meilleurs. Il n'eſt
plus de préjugé que la philofophie ne fe
hâte de combattre : il n'eft point de vérité
qu'elle ne démontre; & depuis cinquante ans,
elle a fait plus de bien au Monde, que vinge
-fiècles d'erreurs ne lui avoient fait de mal.
Qui pourroit donc réfifter à l'évidence ,
lorfqu'une tendance générale des efprits les
-porte vers la juftice ? lorfque la bienfaifance
eft devenue un befoin , & l'égalité
une paffion ? lorfque les droits de l'homme
enfin ne font plus méconnus dans aucune
des claffes de la Société ? N'eft- ce pas l'étude
des Lettres , qui , en étendant l'empire
de la penfée , a produit cette heureufe tévolution
dans les efprits , & préparé une
-révolution plus heureuſe encore dans les
Gouvernemens ? N'eft - ce pas elle qui ,
après avoir enhardi quelques Sages à conper
prefque toutes les têtes de l'hydre du
fanatifme , & à couvrir d'opprobre la tyrannie
féodale , les excite fans ceffe à plaider
pour l'humanité ?
.
L'élévation des fentimens eft prefque
ES
106 MERCURE
toujours le fruit d'une éducation foignée ;
& les vertus éclatantes ne femblent jamais
le partage que d'un efprit étendu. Ce n'eft
que quand on a bien réfléchi fur les préjugés
& les erreurs fans nombre qui ont
affligé 1 Terre , qu'on le pénètre de cet
amour de l'ordre qui ne pardonne point à
l'erreur & au préjugé. Ce n'eft que quand
on a beaucoup de courage & une fenfibilité
très - éclairée , qu'on facrifie fon repos
à la gloire dangereufe de défendre l'innocence
& de venger le malheur.
M. Froffard doit être , fans contredit
compté parmi les Ecrivains qu'honore un
fi noble dévouement. L'Ouvrage qu'il vient
de publier fur l'Efclavage des Nègres , le
place au premier rang des défenfeurs de
Thumanité; & il a l'avantage de réunir à
un enthoufalme fouvent éloquent , cette
difcuffion tranquille & modérée , qui ne
s'appuie que fur des autorités irréculables.
Ce Livre mérite d'autant plus d'être lu
& médité , qu'il intéreffe non feulement
la politique , mais l'humanité. Dans le fyftême
actuel de prefque tous les Gouvernemens
de l'Europe , le commerce de l'Amérique
femble être nécelfaire à leur fplendeur
, comme fes productions à nos jouilfances.
Mais fans des Efclaves Nègres ,
» difent les partifans de l'Efclavage , plus
de commerce avec les Antilles , plus de
productions Américaines ". Heureufement
cette dernière aleition n'eft pas dé-
و د
DE FRANCE. 107
montrée ; mais s'il falloit effectivement opter
entre le plaifir de manget des dragtes
& la juftice d'épargner à des millions d'infortunés
tous les maux que leur coute
notre fenfualité ; fi l'on fongeoit que chaque
morceau de fucre qu'on prend après
diner , a fait , verfer plus de fang humain
qu'il n'y a de café dins 1: tafle où on le
fait ditloudre , eft - il perfonne qui ne renoncât
avec joie à une gourmandife inuule
& barbare ? Toutefois ne nous hâtons point
d'entrer dans certe intérellante , difcution ,
fuivons plutôt la marche de M. Frollard ;
analyfons ce qu'il dit contre la Traite &
Efclavage des Nègres ; préfentons une efquiffe
du tableau de leur pays & de leurs
moeurs, ainfi que des maux qu'on leur fait
fouffrir avant de les tranfporter dans nos
Colonies, & nous examinerons enfuite trèsbrièvement
fi nous ne pourrions pas cultiver
nos Colonies fans rendre les Nègres
malheureux .
C'étoit précisément à l'inftant en Pon
venoit d'abolir la fervitude dins la plus
grande partie de l'Europe , que les Européens
allèrent l'établir en Amé que ; & là
la tyrannie ayant bien; ôr exterminé des Peyples
innombrables , & croyant n'en avoir
pas affez à tourmenter , s'empreffa d'en
chercher fur les côtes paifibles & longtemps
inconnues de l'Afrique .
Un Portugais nomené Alonzo Gonzalès ,
avoit été le premier qui , en 1434 , cin-
E 6
108 MERCURE
quante huit ans avant la découverte de l'Amérique
, furmonta les courans & affronta
les écueils du Cap de Bojador , pour y enlever
quelques Habitans. Bientôt les fuccès
de ce Pirate enhardirent fes Compatriotes
à l'imiter ; & , en 1431 , la Cour de Lif
bonne fit bâtir fur les côtes de Guinée le
fort de la Mina , dans l'efpoir de s'affurer
exclufivement le commerce des Efclaves.
Cependant les Anglois , non moins intrépides
, mais plus généreux alors que les
Portugais , avoient fait plufieurs voyages
en Afrique , & pénétré jufque dans l'Empire
de Benin , pour y échanger leurs marchandifes
contre de l'or , du poivre & de
l'ivoire. Ce ne fut qu'en 15 , que le
Capitaine Towerfon fut averti par les Nègres
de la Mina , qu'un de fes Compatriotes
, nommé Gainsh , avoit enlevé, l'année
précédente , quatre Africains. Towerfon
indigné jura aux Nègres de leur ramener
leurs amis , & de tirer vengeance des
raviffeurs. En effet , ce digne Anglois reparut
bientôt après avec les quatre Nègres
réclamés , & la plus honorable , la plus
touchante réception fut le prix de fa générofité.
Mais tous les Marins Anglois ne fe conduifirent
pas enfuite aufli noblement que
le Capitaine Towerfon . La Reine Elifabeth,
inftruite de leurs fraudes, de leurs violences ,
réfolut d'en arrêter le cours. Elle défendit
qu'on exportât des Nègres de la Guinée ,
DE FRANCE. 109
fans le libre confentement de ces Africains ;
& elle menaça non feulement de fa vengeance
, mais elle dévoua àla colère célefte
ceux qui oferoient enfreindre cette fage
'Loi.
Croira-t- on cependant que cette même
Elifabeth, dont la grande ame avoit d'abord
frémi d'horreur en apprenant les attentats
' commis contre les Nègres , accorda , plufieurs
années après , des Lettres - Patentes ,
pour autorifer l'infame trafic que fes fujets
faifoient de ce Peuple malheureux ? Mais
les hommes intéreffés à ces pirateries avoient
eu le temps de peindre les Nègres comme
des Sauvages, cruels, anthropophages, qu'on
ne pouvoit convertir à la Religion Chrétienne
qu'en les rendant Efclaves ; & une
cupidité hypoctite parvint à tromper la
Reine d'Angleterre , ainfi que Louis XIII ,
qui permit depuis aux François la Traite
des Nègres.
Prefque toutes les Nations de l'Europe
voulurent prendre part à cet horrible commerce
, & elles s'abandonnèrent à l'envi
aux crimes les plus atroces pour fe procurer
des Captifs . Tantôt on vit des Africains
paifibles furpris & enlevés à main
armée ; tantôt d'autres plus confians, qu'on
engageoit à venir à bord des vaiffeaux , &
qu'on mettoit foudain aux fers : dès - lors
la perfidie , le meurtre , la dévaftation défolèrent
, fans relâche , ces malheureuſes
contrées.
MERCURE
Mais qu'on ne pense pas que les Habitans
de la Guinée fuffent cruels , ni même
guerriers , avant la fatale époque où l'on
a cherché à les réduire en fervitude.
Tous les Européens qui ont vécu en
Afrique , & les plus anciens Hiftoriens
qui parlent des Nègres , les repréfentent
comme des Peuples pafteurs & agricoles
doux & innocens. C'eft fur - tout le témoignage
que leur rend un Auteur Arabe du
douzième fiècle , cité par François Moor ( 1 ) .
Le Maure Jean Léon raconte que les Negres
mettoient leur fuprême bonheur dans
la paix & la liberté , lorfque l'Empereur
de Maroc s'avifa de vouloir les foumettre
& les convertir à l'Iflamifme . Peu après ,
un Nègre , nommé Héli Ichia , parvint
à chaffer les Maures de la Guinée , & fe
fir couronner, Mais fa domination ne
dura pas long-temps , & les Concitoyens
d'Héli reprirent leurs anciennes Loix &
leur liberté première.
Ils jouiroient encore de ces Loix & de
cette liberté , ils demeureroient tranquilles ,
fi l'avarice Européenne n'avoit pas porté
chez eux la dévaftation & la néceffité du
crime .
Depuis le grand fleuve du Sénégal jufques
au pays des Caffres & des Hotten-
( 1 ) Voyages en différentes parties de l'Afrique ,
par François Moor.
DE FRANCE. IDI
tots , fur une étendue de danze cents
lieues de côtes , nous allons chercher tous
les ans cent mille victimes , pour remplacer
en Amérique celles que la tranfplantation
, un travail forcé & des châtimens
barbares ont fait périr. A la vérité , ce
commerce n'a pas été d'abord fi confidérable
; mais d'après un calcul très - modéré ,
on peut évaluer que depuis la première
invation d'Alanzo Gonzalès , l'Europe a
ravi à l'Afrique foixante millions d'Habitans.
Cependant les Européens n'ont encore
été que fur les rivages de la Guinée . L'inté
sieur de fes forêts immenfes leur eft abfolument
inconnur; mais leur ambition y a déjà
envoyé les forfaits & le ravage .
Quant aux côtes que nos Marins fréquentent
, il faut voir les tableaux qu'en
ont tracés les Voyageur, les plus dignes de
foi , tels que Moor & Smith , l'un & l'autre
Chefs de la Compagnie Angloife ; de Brue ,
Directeur de celle que la France avoit au
Sénégal , le célèbre M. Adamfon , & plufieurs
autres Ecrivains . Le pays eft profque
par- tout fertile , bien arrofé , & aufìì agréable
qu'il puiffe l'être fous une zone brûlante
. Les Habitans font doux , fimples ,
hofpitaliers , bienfaifans . On croit communément
en Europe qu'il y a beaucoup
de Nègres Cannibales , & qu'ils vendent
leurs enfans , leurs frères , leurs foeurs
même leur père & leur mère ; mais Snock ,
Bofinan , le Chevalier Sloane , & ies Voya#
12 MERCURE
f
geurs que nous avons déjà cités , atteftent
le contraire . C'est une calomnie de leurs
oppreffeurs , que d'avoir voulu les faire paffer
pour des Sauvages fanguinaires & dénaturés
. S'ils fe livrent à la trahiſon , au
carnage , ce n'eft que depuis que les Européens
leur en ont donné l'habitude . On
ne peut qu'admirer la fageffe du Gouvernement
des Yolofs & des Foulis , peuples
palteurs & cultivateurs , qui habitent les
rives du Niger. Les Mandingos , pour la
plupart inftruits dans la Langue & les Sciences
des Arabes , font habiles Commerçans ,
& zélateurs de la Loi de Mahomet. Les
Naturels de Sierra Leona paroiffent également
très-civilifés ; leur fol eft le meilleur
de ces contrées ; & les Anglois y ont une
Colonie qui cultive le coton & l'indigo
avec fuccès . Enfin les Nègres du pays de
Quoja , des côtes de Malaguette & d'Ivoire
, de la Côte d'or , des Royaumes de
Iuida , de Benin , de Congo & d'Angola
-montrent par- tout beaucoup de douceur &
d'humanité n'aiment que le chant , la
danfe & le repos , & vivroient toujours
libres & heureux , fi nous ne les avions pas
empêchés de l'être.
-
R
Mais s'il y a eu contre le bonheur des
Nègres une confédération générale des
Nations de l'Europe , elle a été puiffamment
fecondée par la cruauté de quelques
particuliers. Une foule de traits authentiquement
rapportés par M. Froffard , fem-
"
DE FRANCE. 118
blent plutôt appartenir , aux Nations que
nous appelons barbares , qu'à des hommes
qui fe piquent de connoître les Loix de la
Nature & de la Juftice. Nous n'en citerons
qu'un affez récent .
En 1767 , fix vaiffeaux de Bristol , de
Liverpool & de Londres , ancrés dans lá
rivière du Vieux Kalabar , trouvèrent les
Nègres divifés ; & s'étant concertés avec
P'un des partis , ils engagèrent les Chefs de
Pautre , notamment Ephraim Robin Jean
& fes frères , à venir à bord , fous prétexte
de les réconcilier avec leurs adverfaires.
Ces malheureux Chefs ayant accepté l'inr
vitation , les Anglois tombèrent fur eux ,
en malfacrèrent un grand nombre , & liwrèrent
le refte à la faction ennemie , qui
en récompenfe leur fournit des Efclaves à
bon marché. ----
Les Européens ne maffacrent pas , ne
drobent pas roujours eux- mêmes des Nègres
; mais ils engagent quelques Chefs
ftupides & égarés à commettre toute forte
d'atrocités . Ils leur font déclarer la guerre
à leurs voifins , brûler des villes entières
pour en faifir quelques Habitans , ou
wendre leurs propres fujets. Il y a maintenant
à la Côte d'or une troupe de Nègres
, appelés Fantins , qui , dévoués à cer
exécrable trafic , furorennent par rufe on
par force leurs malheureux compatriotes ,
& les livrent aux Européens. Il y a dans
la rivière Formofe , un Pirate nominé Lem114
MERCURE
Ina- Lemma , qui commande une flotte de
plufieurs canots , & qui fait fans celle des
defcentes pour enlever des Nègres du Benin
, bien sûr de pouvoir les vendre aux
vailleaux d'Europe .
Et après que ces infortunés ont été ravis
à leur famille , à leur Pattie , à leurs habitudes
les plus chères , on les enchaîne
on les engouffe dins les cales infectes des
vailfeaux , & ils font tranfportés en Amérique
, vendus comine devils animaux ,
& condamnés à l'éfclavage & à des travaux
continuels , eux & les enfans qui ont le
' malheur de maître d'eux.
Il noas eft impoflible de rapporter ici
tous les traitemens qu'on fait endurer aux
Nègres pendant qu'ils font dans les navires;
traitemens qui les conduifent fouvent au
fuicide , à la folie , au à la folie , au plus affreux déſeſpoir.
11 faut lire ces détails dans l'Ouvrage
même de M. Frollard , qui les cite d'après
ce qu'en ont déclaré , au Parlement d'Angleterre
, MM . Stanfield & Falconbridge ,
long-temps employés en Guinée .
Mais M. Froffard ne fe contente point
de dévoiler toutes les horreurs du commerce
qu'on fait des Africains ; il s'élève
avec force contre le prétendu droit qu'on
a de les retenir efclaves en Amérique. Il
prouve qu'il feroit non feulement jufte ,
inais avantageux, d'adoucir d'abord leur fervitude
, & de leur donner fuccellivement
la liberté. Oui , fans doute , un fi grand
:

F
DE FRANCE. 115
1
bienfait feroit digne du Monarque qui veut
rendre à la France tous les droits બંધ
Monarque dont notre amour affermit bien
mieux la puiffance , que ne pourroit l'affermir
le defpotifme le plus abfolu. Et les
Nègres affervis à fes fujets des Colonies ,
& des peuples nombreux qui n'ont point
-encore entendu prononcer fon nom , lai
devroient la ceflation de leurs maux. Non ,
l'on ne peut manquer de le voir éclore
avant pet , ce moment libérateur qui doit
confoler les deux Mondes . C'eft en vain
que par mille raifonnemens fpécieux , une
avarice cruelle s'efforce d'en reculer l'épo-
-que ; ne craignons pas de le dire : Quiconque
aime à poffeder des Elclaves , ne
mérite pas d'être libre .
M. Clarkfen & un Philofophe illuftre
qui s'eft caché fous le nom du Paſteur
- Schwartz , avoient déjà écrit pour démon-
, trer combien Efclavage des Nègres eft
impolitique & nuifible aux Colonies ; &
quoi qu'en difent ceux qui font oppofés à
-cette opinion , elle n'en paroît pas moins
certaine. D'abord l'Efclavage arrête prefque
entiérenient la population : au lieu que
files Nègres de nos Colonies n'étoient
point Efclaves , ils fe fercient bientôt multipliés
, & on n'aurcit plus befoin d'en
tirer d'Afrique . Enfuite les épidémies , les
empoifonnemens encore plus fréquens , qui
ruinent tant de Colons , cefferoient d'être
à craindre,
MERCURE
Les trois objections principales qu'on
oppofe à l'affranchillement des Nègres , font
la parelle naturelle de ce Peuple , qui , devenu
libre , ne voudroit plus travailler ;
l'injuftice de ruiner les Propriétaires qui
ont acheté des Efclaves fous la fanction
du Gouvernement ; & enfin l'impoffibilité
prétendue de cultiver les grandes habitations
fans Elclaves . Mais ces objections font
également mal fondées.
Certainement les Nègres travilleroient
dès qu'ils auroient befoin de travailler pour
vivre , & pour fe procurer les objets de
commodité ou de luxe qu'on leur porteroit
d'Europe , & qu'ils aiment avec paffon.
On pourroit d'ailleurs les exciter au
travail , en leur infpirant de l'émulation &
des fentimens , dont on fe plaît trop à dire
qu'ils ne font point fufceptibles.
Il feroit effectivement injufte de ruiner
les Propriétaires des Efclaves ; mais on peut ,
fans nuire à ces Propriétaires , commencer
par diminuer l'étendue d'un defpotilme
féroce & deftructeur , & accorder graduellement
aux Nègres leur affranchilfement .
Men eft plufieurs moyens faciles , rels que
celui de fixer une époque où un Nègre laborieux
, où une Négreife , mere féconde &
honnête , recevra la liberté ; celui de donner
aux Efclaves le pouvoir de fe racheter
pour une fomme fixée ; celui d'aflurer à
un certain âge la manumiffion des enfans
nés dans la fervitude ; & enfin celui de
DE FRANCE. 117.
punir le Maître trop cruel , ttop barbare ,
en affranchiffant fon Efclave.
Quant à l'impoflibilité de cultiver les
denrées de l'Amérique fans Efclaves , elle
n'eft nullement prouvée. It eit au contraire
très - sûr qu'on peut recueillir du café , du
coton , de l'indigo , à très - peu de frais , &
avec pou de monde comme avec beaucoup.
A Siam , à la Chine , & dans toute l'Inde
ce font des mains libres qui fabriquent le
fucre ( 1 ) . Eh ! qu'importe que nos plantations
d'Amérique aient peu de grandes manufactures
, ou de petites manufactures en plus
grand nombre , pourvu que le produir total .
foit le même Faut - il que pour enrichir
quelques centaines d'avides Propriétaires ,
on faffe périr tous les ans des millions
d'Efclaves ? Au lieu d'excéder les Nègres ,
nuit & jour , fans relâche , de travail & de
châtimens , on ne les fera travailler que
pendant le jour , ou s'ils travaillent la nuit ,
(1 ) M. Poivre , dont la véracité , les lumières
& les travaux font fi bien commus , dit que la
Cochinchine feule cultive tant de fucre , qu'on,
en exporte chaque année 800 millions de livres
pefant ; & malgré cela , on en confomme dans le
pays une immenfe quantité , parce que les Cochinchinois
regardant le fucre comme très - fain , en
mêlent à tous leurs alimens , & d'ailleurs nour→→
riffent de cannes leurs Eléphans , lours Buffles ,
leurs Chevaux , & c . M. Poivre a vu lui-même ce
qu'il avance. Lifez fes Voyages d'un Philofophe,
118
MERCURE
ce fera dans l'efpoir d'un jufte falaire & ;
de bonne volonté. Le fucre , dit- on , fera
moins beau : ch bien ! on le raffinera en
Europe.
Un Ecrivain , rempli d'efprit & d'honnêteté
, mais Propriétaue d'une grande ha- .
bitation , prétend que les Nègres font trèsheureux
fur les grandes habitations , &
il voudroit qu'on érigeât ces biens en
fiefs , & qu'on fit porter , principalement
fur les petits Habitans des Colonies , les
Réglemens de Police que l'humanité réclame
en faveur des Nègres. Il n'en eft
pourtant pas moins vrai que les Elclaves
des Habitans peu riches font traités avec :
plus de douceur , parce que leurs Maîtres ,
les forveillent eux-taêmes ; au lieu que dans
les grandes habitations , ils réftent prefque ,
toujours livrés à des Economes , à des .
Piqueurs endurcis , qui mettent une forte ,
de vanité à fe montrer cruels . C'eft fur
les grandes habitations qu'on voit les ateliers
couverts de chaînes , de carcans , de
fourches , de mafques de fer , & qu'on
entend fans celle des coups de fouet retentillans
, & les gémitfemens plaintifs des
inferturés qu'on déchite.
Il y a du danger , dit- on encore , à ſuſpendre
la Traite des Nègres , à abolir leur
efclavage , pour la première Nation qui
l'entreprendra , Cela pourroit être vrai , fi
une Nation l'entreprenoit feule . Mais onfollicite
vivement en Angleterre cette abo-,
DE FRANCE. 119
lition ; on la demande également en France ;
& fi ces deux Nations le réunifloient pour
propofer un taité fi généreux aux autres
Peuples qui envoient des navires en Guinée
, il n'eft pas douteux qu'il ne fût biemôt
accepté. L'Antiquité vit un Roi vainqueur
des Carthaginois , exiger qu'ils n'immoleroient
plus de victimes humaines fur les Autels
de leurs Dieux : aufli le nom de Gelon
ne peut être prononcé qu'avec admiration ,
avec attendriffement.
Nous fomines bien fâchés que les bornes
de ce Journal ne nous permettent pas de
donner plus d'étendue à ces céflexions , que
nous nous prepofons de développer ailleurs.
Nous fomnies bien fachés fur - tout de ne
pouvoir pas citer les morceaux qui nous
ont paru les plus intéreflans dans 1Ouvrage
de M. Froffard ; mais ils font en trep
grand nombre pour entrer dans un Extrait ;
& nous terminerons celui ci par un pallage
du fenfible Sterne , qui répond d'une manière
touchante & originale aux partifans
de l'Esclavage.
30 O Déguife - toi conme tu voudras
Efclavage ! tu n'en offriras pas moins une
" coupe amère. En vain des milions de
mortels ont - ils goûté de ta liqueur ,
» elle n'a rien perdu de fon déboire. →
» Douce & bienfaifante Déeffe , que tout
» le monde adore en public & en fret ,
» LIBERTÉ ! tes favetus font feules dehcicules
, elles le feront jufqu'à ce que
و ر
"3
120
MERCURE
» la Nature fe dégrade ou périffe . Aucun
fophifme ne parviendra à ternir ta robe
» de neige ; aucune opération chimique
» à convertit en fer ton fceptre d'or. Le
Berger auquel tu fouris , eft plus heureux
» en mangeant fa croûte de pain noir ,
gne le Defpoté dont tu redoutes la préfence
(1) .
"3
*
( Cet Article eft de M.... •
LOUIS XIV , fa Cour , & le Régent ;
par M. ANQUETIL , Chanoine Régulier
de la Congrégation de France , Frieur-
Curé de Château - Renaud, Correfpondant
de l'Académie Royale des Infcriptions &
Belles- Lettres , & Membre de l'Aemblée
- Provinciale de l'Orléanois. 4 Volumes
in - 12 . Prix , 10 liv. br. , & 12 liv. rel.
A Paris , chez Moutard , Impr-Libr. de
la REINE , rue des Mathurins , Hôtelde
Cluni.
1
L'ACCUEIL fait par le Public à l'Esprit
de la Ligue , à l'Intrigue du Cabinet , & à
la Vie du Maréchal de Villars , Ouvrages
(*) Voyage Sentimental.
du
DE FRANCE. 121
33-
ود
"
"
"
"
"
du même Auteur , eft d'un favorable augure
pour celui- ci. Ce n'eft pas , comine
le dit M. Anquetil dans fa Préface , ce
» n'eft pas le Monarque dans fes Armées,
» dans les Confeils , dans fon Adminif-
» tration ; c'eft Louis XIV dans fa vie
privée , avec fa famille , fes Miniftres
, & fes Courtiſans ; c'eft fa Cour , c'eſtà-
dire , le portrait , les aventures , les
» moeurs des hommes & des femmes qui
l'approchèrent ..... ; c'est enfin le
Régent , modelé fur le Roi fon oncle
» & circonfcrit dans les mêmes limites «.
Louis XIV a juſqu'à préfent été jugé fi
diverſement , non feulement comme Monarque
mais encore comme homme
qu'on fera , fans doute , bien aiſe de voir
comment il eft préfenté fur-tout fous ce
dernier afpect. Il paroît que l'Auteur a
tâché de ne rien omettre de ce qui peut
aider à fixer les idées fur ce Prince trop
célébré & trop critiqué ; & les Anecdotes
des Courtifans contribueront à faire reffortir
le portrait du Maître , & à faire
faifir les nuances qui échapperoient fur cet
enfemble.
A. 20 % 16 Mai 789 .
122 MERCURE
1.
ETRENNES Financières , ou Recueil des
matières les plus importantes en Finance,
Banque , Commerce , 1789 ; première
Année; in - 8 . de 300 pages . Prix , 3
12 f. br. , & 4 liv. 16 f. avec le Portrait
de M. Necker, gravé par M. de Saint-
Aubin , & parfaitement reffemblant . A
Paris , chez l'Auteur , rue des Vieux
Auguftins, No. 26 ; & chez les Libraires
qui vendent les Nouveautés.
CET Ouvrage , imprimé avec foin en
caractères de Didot , n'a rien de la fatilité
de fon titre d'Etrennes , pas même le Calendrier.
C'est un Recueil dont le but eft
d'initier dans le Code financier , les perfonnes
qui n'auront que des notions vagues
, & à qui ces fortes de connoiffances
deviennent , néceffaires depuis que , dans
les Cercles de la meilleure compagnie , les
converfations roulent principalement fur le
déficit , & fur les grands objets d'Adminif
tration qui doivent occuper les prochains
Etats Généraux .
Le premier Chapitre, qui traite du Confeil
Royal des Finances & du Commerce ,
en fait connoître les fonctions , l'origine
& les changemens depuis Sully , en 1607 , ◄
i
DE FRANCE. 123
<
jufqu'aux Réglemens des 5 Juin & 27 Octobre
1787.
Le Chapitre III , fur l'Adminiftration des
Finances ; & le Chapitre V , fur le Tréfor
Royal, font curieux & écrits avec précifior .
On lit , page 61 , ces paroles remarqua-
'bles : Depuis 1774 ( époque de l'avènement
de Louis XVI au Trône ) , les
rentes n'ont éprouvé aucun changement,
& le refpect pour les engagemens con-
» tractés au nom du Roi , eft devenu le
principe folennellement avoué par le
"
ور
» Gouvernement « .
Le Chapitre de la Bourfe eft fort étendu ,
& celui du Clergé cft très- important dans
les circonstances actuelles. Toutes les opérations
financières , depuis l'Affemblée de
Poilly en 1561 , y font préfentées avec
exactitude , & claffées fous le nom de
Rentes , Aliénation des biens , Création de
charges , Amortiffement & Indemnité, Régale
, Oblats , Dons gratuits , &c.
Dans plufieurs Articles , l'Auteur fe borne
à des généralités , certains objets étant fufceptibles
d'un développement auquel un
Volume ne fuffiroit pas ; mais il en promet
une fuite tous les ans , & ce premier effai
prouve combien il lui fera facile d'acquita
ter cette promeffe.
F 2
124 MERCURE
CAROLINE , ou les Viciffitudes de la
Fortune , Traduction de l'Anglois. 3
Volum. in- 12 . A Paris , chez Buiffon ,
Libr. , rue Haute-feuille , Hôtel de Coëtlofquet
, N° . 20, Prix , 4 liv. 10 f. br. ,
& 5 liv. 5 f.franc de port par la Pofte.
و ر
me ,
UN bon Roman , comme l'a judicieufement
remarqué M. de la Harpe , doit
offrir un enfemble régulier , & marcher à
un but comme le Drame, Comme le Drail
manque fon effet , fi l'intérêt eſt
porté fur un trop grand nombre de perfonnages
, fi la mémoire eft fatiguée &
l'attention diftraite par une trop grande
multitude d'aventures «. Celui que nous
annonçons remplit à beaucoup d'égards ce
précepte effentiel. Il eft d'un grand intérêt,
La vie de l'Héroïne , agitée tour à
tour par des revers attendrillans , & par
un mélange de profpérités confolantes, offre
une fuite de fituations , où l'ame du Lecteur
eft fans ceffe balancée entre la crainte
& l'efpérance , entre la pitié douloureufe
& le charme qu'infpire la vertu bienfaifante
, & fouvent heureufe & récompenrée.
On la voit fans ceffe expofée à des

DE FRANCE. 125
viciffitudes. Mais peut - on compter fur la
ftabilité des chofes de ce monde ? Souvent
tandis que le Soleil éclaire de fes rayons les.
plus purs la moitié d'un beau vallon , l'autre
côté eft obfcurci par un nuage épais , &
ravagé par des torrens deftructeurs . Au furplus
, les divers évènemens tiennent aux
divers caractères , & fervent à les développer.
L'intrigue cft attachante & tilfue fans
être trop compliquée . On ne peut commencer
ce Roman fans aller jufqu'au dénouement
, qui eft heureux , & qui adoucit les
peines que la fenfibilité a éprouvées dans
le cours de cette lecture. On y rencontre
quelques Epiſodes & quelques Scènes bourgeoifes
, comme dans les Romans de Miff
Burney ; mais ces Scènes peignent les moeurs
& forment des contráftes. Le ſtyle eft prolixe
& très incorrect ; mais du moins il
eft facile & naturel , & dès lors il ne fatigue
pas. Parmi différentes defcriptions
agréables & des détails vrais & touchans
en voici un que l'on fera bien aife de
lire ici.
·
>
Dès l'inftant où Caroline mit le pied
» dans la maifon de fon père , elle fentit
» renaître en elle tous fes anciens goûts ,
» toutes fes vieilles habitudes , que la diffipation
à laquelle elle s'étoit livrée à Broonhed
avoit en quelque forte fufpendues.
" La vue de cette habitation chérie , dans
laquelle elle n'avoit jamais rencontré
و د
»
93 F3
126
MERCURE
>
و ر
و د
99
» que la paix & le bonheur , lui caufa
» cette joie vive que l'on éprouve en re-
» trouvant , en embraffant un ancien & fi-
» dèle ami dont on a été long temps féparé
. Elle touchoit fes livres , fon clavecin
, fes deflins , elle vouloit s'allurer fi
» c'étoit bien eux ; & comme fi elle eût pu
» avoir à craindre quelque changement ,
» elle paroiffoit enchantéc de les retrou-
» ver dans le même ordre où elle les avoit
laiffés . Elle entroit dans toutes les chambres
, & fembloit leur dire : Me voilà , je
fuis fûre que vous êtes bien aiſe de me
voir , & moi , je vous vois aufli avec
joie. Son Linot favori ne fut pas oublié .
» Auffi -tôt qu'elle fut entrée dans la falle
» où fa cage étoit fufpendue , elle en ou-
» vrit la porte. L'animal fortit . Il vint fe
placer fur fa tête , fur fon épaule , fur
fon doigt , & joyeux de fa préfence , il
fembla célébrer fon retour , en fifflant
l'air qu'elle lui avoit enfeigné , & en
tirant enfuite de fon gofier les fons les
plus mélodieux ".
ود
»
*
>>
ود
39
ود
»
23
D FRANCE. 127
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE Lundi 20 Avril , on a fait l'ouverture
de ce Théatre par une repréfentation d'Athalie
, Tragédie de Racine , & de la Mar
tinée à la mode , Comédie de M. Rochon
de Chabannes.
Avant la première Pièce , M. Talma, dont
nous avons annoncé la réception , a prononcé
le Difcours ſuivant .
MESSIEURS ,
2
C'eft en faveur d'un Art difficile &
qui vous eft cher , qu'en rouvrant le Spectacle
de la Nation , nous ofons réclamer
Vos encouragemens & votre indulgence .
Chargés , par état , de reproduire fous vos
yeux ( du moins autant que nos efforts peuvent
y atteindre ) les Chef d'ouvres nombreux
de la Scène Françoife , nous voyons
avec une espèce d'effroi , l'étendue de nos
devoirs & de nos richeffes. Quel Theatre
que celui qui fait les délices d'un grand
C
F4
128 MERCURE
Peuple , doué d'une fenfibilité exquife , que
l'honneur anime dans toutes les claffes , qui
porte l'admiration juſqu'à l'enthouſiaſme , &
qui interrompt quelquefois fon plaiſir même ,
dans la noble impatience d'applaudir tout ce
qui porte le caractère de l'héroïíme & de
la vertu !
" S'il eft vrai , Meffieurs , que les Productions
dramatiques dont s'honore la
France , foient une acquifition précieuſe
pour toute l'Europe ; s'il eft vrai qu'elles
fallent une partie de l'éducation publique
& même une branche de la gloire nationale
; avec quelle ardeur ne devons- nous
pas cultiver un Art qui nous appelle à vous
procurer le plus noble & le plus utile des
plaifirs de l'efprit humain ; un Art qui nous
alfocie en quelque forte à tout ce que le
génie infpira de plus grand & de plus heureus
à ces hommes extraordinaires qui vous parlent
par notre organe , qui femblent fe ranimer
encore fur la Scène , & fentir l'immortalité
au bruit de vos acclamations &
de vos fuffrages ?
وو
Quel fardeau nous eft impofé ! nous
ne l'ignorens pas , Meffieurs ; niais cette fûreté
de goût & de jugement qui appartient
aux hommes raffemblés , ce noble privilége
d'être , pour ainfi dire , la raiſon vivante
qui s'explique , au lieu de nous effrayer, nous
raffure , parce que l'étendue des lumières
n'eft jamais féparée de l'indulgence.
DE FRANCE. 129
,
» C'eft fur-tout pour moi , Meffieurs
que je viens la folliciter. J'ai eu le bonheur
inappréciable de n'avoir débuté dans
la carrière que fous vos yeux ; je n'ai reçu
que vos leçons , car ceux qui m'ont enfeigné
ne m'ont donné que les vôtres . Me
voici maintenant , graces à vos bontés qui
ont décidé celles de mes fupérieurs , attaché
au Théatre de la Capitale. Nous ne le
favons que trop , Mellieurs des talens
dignes de vous font rares , le fouvenir de
nos pertes ne nous en avertir que trop tous
les jours ; mais combien de fois , en daignant
attendre l'effet de vos leçons & de
votre indulgence , n'avez - vous pas , Mefheurs
, créé & développé des talens foibles
ou timides qui ne demandoient qu'à éclore ,
& n'avez-vous pas fini par applaudir vousmêmes
à votre ouvrage , quand nous n'avions
que le bonheur de vous faire jouir de
vos propres dons «<?
Ce difcours , écrit avec nobleffe , & dont
les détails ne pouvoient que flatter beaucoup
l'amour propre des Spectateurs , a été
récité par M. Talma avec beaucoup de fenfibilité
& de grace . Il a été couronné par les
applaudiffemens les plus univerfels .
LE Vendredi 24 on a donné la première
repréfentation de la fauffe Apparence , ou
le Jaloux malgré lui , Comédie en trois
Actes & en vers.
FS
130 MERCURE
Un homme de Cour en crédit eft le mari
d'une très-jolie femme qu'il aime autantqu'il
en eſt aimé. Il a en même temps une fecur
qu'il a promis de donner en mariage à un
Grand difgracié . Un ami qui cherche à éviter
les premières fuites d'une affaire malheureufe
, fe retire chez lui , y infpire de
l'amour à fa foeur , & en devient lui -même
très-amoureux. On réclame les fecours de
la femme pour parvenir à rompre le mariage
projeté. L'intérêtque celle-ci prend aux
deux Amans , l'idée qu'elle a conçue qu'ils
ne peuvent être heureux que l'un par autre
, lui font employer tous les moyens
qu'elle croit fufceptibles de conduire au
fuccès. De fa naïveté , de l'amitié qu'elle a
pour la belle-feur, il réfulte des incidens
qui font naître la jaloufie dans l'ame du mari .
En vain il vent la repouffor , les circonf
tances femblent fe fuccéder exprès pour en
motiver les mouvemens . Enfin la four fe
décide à faire connoître à celui qu'on lui
avoit deſtiné pour époux , la véritable fitua
tion de fon coeur. La lettre où elle s'explique
, mifé fous les yeux du frère , lui démontre
fon erreur ; la paix rentre dans la
maifon , & les deux Amans s'uniffent.
-
A la première repréfentation de cette Comédie
, on avoit remarqué quelques longueurs
on purroit même dire des inuitibrés.
L'Auteur les a fait promptement difparoître
la marche de l'action y a gagné
dont enſemble plus de rapidité , plus de
aifemblance & plus de clarté . Le fuccès ,
DE FRANCE.
131
qui pourtant n'avoit pas été équivoque
malgré quelques murmures , n'a point été
contredit à la feconde repréfentation , & la
troisième l'a fixé. On a généralement remarqué
l'art avec lequel le Jaloux & fa feminte,
qui fe trouvent fouvent dans des fituations
très- piquantes , développent leur caractère,
& fe contraftent perpétuellement par un
jeu très-comique & très naturel. Le ftyle eft
facile , fpirituel , & fleuri: Le dialogue et
vrai , rapide , & il brille par les détails . "Le
mérite de cet Ouvrage ne peut être bicn
fenti qu'à la repréfentation ou à la lecture.
Dès qu'il fera imprimé, nous y reviendrons,
& nous efpérons prouver que c'est à jufte
titre qu'il a reçu des éloges dans tous les
Ecrits périodiques .
1
Les principaux rôles de cette Pièce ont
été fort bien joués par MM. Molé &
Fleury , par Madame Petit , & par Mlle.
Contat , qui, dans le rôle de la foeur , nous
paroît avoir mérité une mention particulière.
D
COMÉDIE IT ALL EN N E.
LE même jour , Lundi 20 , on a fait
l'ouverture de ce
Theatre par la ze . repréfentation
de
l'Heureufe
Inconfequence
Comédie
lyrique , par MM. de Piis & de
Propiac ; précédée des Arts & l'Amitié ,
Comédie en un Acte.
151
F/ 6
132 MERCURE
Avant la première Pièce , on a exécuté
trois petites fcènes en Vaudevilles , pour
tenir lieu de Compliment.
Des Payfans attendent - leur Seigneur ;
ils fe préparent à lui offrir une couronne
de fleurs , comme un hommage de leur
amour & de leur reconnoiffance.
Nous avons déjà dit que ce cadre étoit
fort ufé ; cependant nous devons convenir
qu'il a été , pour ainfi dire , rajeuni par
les détails. Dans aucun des Complimens
faits jufqu'ici fur ce modèle , on n'avoit
fait paroître le Seigneur on l'a introduit
dans celui - ci , ce qui a amené les deux
Couplers fuivans :
JULLEN préfentant la couronne au Seigneur.
Air Avec Ifeult & les Amours.
On reffent un plaifir bien doux
Quand on fête l'objet qu'on aime ;
En chantant vos bontés pour nous ,
On reffent un plaifir bien doux !
Ces fleurs qu'on raſſembla pour vous
Prouvent au coeur , à l'efprit même ,
Qu'on reffent un plaifir bien doux
Quand on fête l'objet qu'on aime ,
LE SEIGNEUR.
Air : Avec les jeux dans le Village.
Refufer ce que le coeur donne
Çe feroit bleffer la raifon ;
DE FRANCE. 133
Oui , j'accepte votre couronne ,
Mais pour l'offrir en votre nom.
A U PUBLIC.
Meffieurs , agréez-en l'hommage ,
C'eſt vous qu'ainfi l'on a fêté ;
De leur Maître je fuis l'image ,
Vous êtes la réalité..
Ces Couplets ont été fort applaudis . I
ne faut juger ces petites Productions que
dans l'intention qui les a fait naître ; &
c'eft ici que la févérité feroit abſolument
déplacée . On a dit depuis long -temps au
Public tout ce qu'on pouvoit avoir à lui
dire ; peut-être feroit il temps de renoncer
à lui adreffer des fadeurs , & de s'en tenir
à lui prouver fon zèle par l'intelligence &
par l'étude.
THEATRE DE MONSIEUR .
LE Lundi , 27 de ce mois , on a donné
à ce Théatre , Orgon dans la Lune , imitation
del Mondo della Luna , Opéra Bouffon
, que l'on trouve dans les OEuvres de
M. Goldoni , & qui a été mis en mufique
par le célèbre Paifiello , fous le titre de l
Credulo delufo. C'eft la mufique de ee Maître
qu'on a parodiée.
134 MERCURE
Un Vieillard , entiché d'Aftrologie , a
deux foeurs dont il eft Tuteur , & qu'il refufe
de marier. Leurs Amans fe propofent
de profiter de l'ineptie & de la crédulité
d'Orgon, pour arracher fon confentement.
L'un d'eux s'introduit dans fa maifon comme
un Savant , & parvient à lui perfuader qu'il
peut le faire voyager dans la Lune. Il eft
aidé dans ce projet par une Gouvernante
qui s'eft mis en tête d'époufer le Vieillard ,
par l'Amant de la jeune four , qui prête
fa maifon , & par plufieurs fubalternes . On
donne à Orgon un fomnifère. Pendant fon
fommeil , on le
aniporre dans un jardin
qu'on a eu foin d'arranger d'une manière
fantastique. Il fe croit dans l'Empire de
la Lune. L'Impératrice , qui n'eft autre
que fa Gouvernante. Lifette , parvient à le
féduire à force de belles promeffes . Il confent
à l'époufer ; il figne auffi le contrat
de fa four aînée avec le Philofophe qui
Tui a procuré
cette
belle
fortune
, &
celui
de
la
jeune
avec
le
prétendu
Empereur
.
Quand
il
s'eft
engagé
fans
retour
, on
le
défabufe
. Le
caractère
difficile
&
jaloux
de
la
four
aînée
produit
encore
dans
la
Pièce
quelques
incidens
dont
nous
ne
parlons
pas
.
Cet Ouvrage , qui participe un peu à
Pinvraisemblance de l'original , eft écrit
d'ailleurs avec efprit , mais conçu & dialogué
trop longuement. Quelques expref
fons , à la première repréſentation , ont
DE FRANCE. 135
>
paru de mauvais goût , qui peut- être auroient
été fort applaudies fi l'ennui n'avoit
pas mal difpofé l'efprit des Spectateurs . On
les a retranchées aux repréfentations fuivantes
; on a fait beaucoup de coupures ; &
les Scènes, devenues plus rapides , ont infiniment
mieux réuff . On défireroit encore
que l'Auteur fit quelques facrifices dans la
mufique comme il en a fait dans fes
paroles. Ce n'eft pas que chacun des morceaux
ifolés ne foit fort beau , mais ils ne.
font pas toujours heureuſement placés ,
& plufieurs font languir l'action : on ôteroit
ainfi un peu de monotonie , & les
morceaux confervés reffortiroient davantage.
On peut auffi reprocher à l'Auteur
de n'avoir pas terminé tous fes Actes par
des finals , comme dans la Pièce originale.
Après un morceau d'enfemble , un air feul,
fi beau qu'il foit , fait toujours beaucoup
moins d'effet.
Au reste , cette Pièce a déjà obtenu à
Verfailles , & dans quelques villes de Prevince
, un fuccès affez grand pour, juftifier
le choix qu'en a fait l'Adminiftration du
Théatre de MONSIEUR , & pour lui en faire
efpérer un pareil à Paris.
Cette Mufique a été écrite par Paifiello
environ trois ans avant la Erafcatana qu'il
At pour une autre ville . Il employa , dans
ce dernier Ouvrage , plufieurs morceaux
qui appartenoient au premier. Les plus re
136
MERCURE
marquables font le rondeau qui commence
le fecond Acte d'Orgon , & l'air des Echos
qui fe trouve au troisième . On auroit donc
tort de reprocher ce double emploi à l'Auteur
de cette Traduction .
Plufieurs nouveaux Sujets ont débuté avec
fuccès dans cette Pièce ; 1 °. Mde. Hédoux
de Verteuil , qui , dans l'emploi des Duègnes
, joint au talent d'Actrice confommée
celui de Chanteuſe excellente. Sa voix eft
fraîche, flexible , naturelle , & n'a aucun des
défauts qu'on reproche avec raifon à l'Ecole
Françoife. Son jeu eft plein de feu , d'intelligence
& d'efprit. Cette réunion de qualités
auffi précieufe que rare , la rend une
des meilleures acquifitions que ce Théatre
ait pu faire. 2 ° . M. Gavaux , qui joue les
Amoureux & chante le tenore : fa voix eft
très agréable & d'un timbre charmant ; il
la conduit avec adreffe, & montre en général
infiniment de goût . Attaché à un Théatre
qui lui offre d'excellens modèles , & avec
l'intelligence qu'il montre , il faut eſpérer
qu'il ne fera que perfectionner encore fon
talent, & qu'il n'abufera pas de fon extrême
facilité. 3. M. Defchamps , Baffe - taille comique.
Son rôle eft trop peu important dans
cette Pièce , pour qu'on puiffe l'apprécier à
fa jufte valeur. Cependant il y donne de
lui une idée avantageufe. Sa voix a paru
franche , fonore. On voit qu'il eft bon Muficien
, & comme Acteur , il annonce beau
coup d'entente de la Scène.
DE FRANCE. 137
Les autres Acteurs déjà connus du Public
, méritent auffi des éloges , & particulièrement
M. Fleury , qui fait varier fa
manière dans les différens rôles , & qui a
faifi parfaitement celui d'Orgon .
Le retard qu'a éprouvé cet Article , nous
force à renvoyer au prochain N ° . quelques
détails fur les deux dernières Pièces données
à ce Théatre ; favoir : Le Confeil imprudent
, Comédie en deux actes , de M.
Paillardelle , dans laquelle il joue lui - même
le principal Rôle ; & l'Impreſario in Anguftie
, Opéra Bouffon Italien , mufique del
Signor Cimarofa . Nous nous contenterons
d'annoncer que ces deux Guvrages ont
réuffi complètement , & nous obſerverons
que ces deux fuccès font remarquables par
deux raiſons contraires ; l'un , parce qu'il
eft le premier qu'on puiffe citer à ce Théatre
dans le genre de la Comédie ; & l'autre ,
parce qu'il eft le quatrième de fuite , ce
qui , dans tous les Théatres , n'eft pas fort
commun .
M. Paillardelle , qui a déjà débuté à Paris
en 1772 avec beaucoup de fuccès , mérite ,
comme Acteur , une mention particulière ,
& que nous donnerons en parlant, de fon
Ouvrage dans le prochain N".
138 MERCURE
.
ANNONCES ET NOTICES.
LE Temple de Plus , Hiftoire Babylonienne ,
traduite du grec par M. ..... avec des Notes ;
in-12 . A Amfterdam ; & fe trouve à Paris , chez
les Marchands de Nouveautés .
Un Roi Philofophe , Nabonaffes , vouloit détruire
un ufage établi par les Prêtres de Bélus
qui prétendoient que leur Dieu , parmi les femmes
qui venoient l'adorer dans fon Temple , vouloit
tous les jours en choisir une pour l'honorer de fa
couche divine : on devine qu'elle trouvoit dans
cette couche un des Prêtres eux - mêmes. Irrités
par le projet du Roi , & réfolas de s'en venger ,-
ils portent l'audace jufqu'à déclarer que Bélus a
choifi la Reine elle - même , qui eft idolâtrée
fon époux. Nabonaffes fe voit au moment
d'être forcé de céder , pour appaifer les murmures
& les menaces d'un Peuple fuperftitieux ; mais
un Vieillard, qui poffède des fecrets merveilleux ,
trouve le moyen de fubftituer à temps , à la Reine ,
une femme auffi vieille que laide .
par
On fit avec plaifir cet Ouvrage amufant , qui
n'eft pas dépourvu d'imagination .
Lettres Philofophiques & Politiques fur l'Hiftoire
d'Angleterre, depuis fon origine jufqu'à nos jours,
traduites de l'Anglois , & enrichies de Notes fur
l'original; par M. Briffot de Warville; 2c. édition.
2 Vol . in-8° . Prix br. , 7 liv . 4 f. , & 8 liv . 4 f.
francs de port pour la Province. A Londres ; &
fe trouve à Paris , chez Regnault , Lib . rue St-
Jacques , vis -à- vis celle du Plâtre .
DE FRANCE. 139
Dans ces Lettres , les évènemens font furtou
envisagés par rapport au Peuple ; afpect
tout-à-fait nouveau , & qui doit piquer l'attention
des Politiques Philofophes , principalement
en ce moment où le Monarque François rend à
fon Peuple fes droits primitifs , & où l'on cherehe
à fonder une heureuſe Conftitution . L'Hiftoire
bien méditée de la Conftitution Angloife , fera
infiniment utile pour cet objet. En lifant ces Lettres
, on parviendra à connoître les inconvéniens
& les avantages de celle de l'Angleterre , dont
l'Auteur trace l'origine , les progrès & les révo
lutions , & c. & c.
Recherches Topographiques, Hifariques , Miltaires
& Critiques fur les Antiquités Gauloifes &
Romaines des Provinces de Saintonge & d' Angoumois
; enrichies de. 16 Planches par M. Bourignon
, Membre de plufieurs Académies Nationales
& Etrangères , & Rédacteur du Journal de Saintonge.
Cet Ouvrage , dont plufieurs fragmens ont été
publiés avec fuccès dans le Journal des Savans
années 1780 , 1781 , 1782 , 1785 & 1786 , va
paroître fous les aufpices de feu M. Seguier , l'un
des plus Savans Antiquaires de ce fiècle , & de
plufieurs Membres diftingués de l'Académie des
Infcriptions , qui ont honoré l'Auteur de leurs
fuffrages. On y trouve la def.ription d'un Capitole
, d'un Are de triomphe , des Temples , Hy
pogée, Amphithéatre, Aqueduc , Phares , Camps ,
Bains , Tertres , Voies antiques , Villa , Maufolées
, Tombeaux , Cenotaphes , Infcriptions , Mofaiques
, Statues , Têtes , Bas - reliefs , Lampes,
Amphores , Vafes , Anneaux , Cachets , Fibules ,
Pierres gravées , Peintures à frefque , Chapiteaux
& fragmens de Colennes, &c. &c. &c. , & géné
140 MERCURE
ralement de tous les Monumens antiques exiſtant
en entier ou ruinés ; avec des Differtations fur
le Port & le Promontoire des Santons , fur l'Ifle
d'Antros , fur la maifon de campagne d'Aufone
on y public une Médaille d'or de ce Poète , qui
ne fe trouve dans le Cabinet d'aucun Souverain.
Cet Ouvrage formera 2 Vol. in- 8 ° , de 700 -pag.
caractère cicero , Prix , 12 liv. On it libre de
payer cette fomme fur le champ Ou de le faire
infcrire à Paris , chez Belin , Libraire , rue Saint-
Jacques ; & à Saintes , a Bureau du Journal de
Saintonge , en envoyant une foumiſſion fignée.
L'infcription fera fermée le dernier de Juillet prochain.
On fournira les meilleures épreuves aux
premiers Soufcripteurs , & pour 3 liv. , de plus on
fera paffer Ouvrage franc de port par tout le
Royaume. Il faut affranchir le port des lettres &
de l'argent.
Le prix de l'Abonnement du Journal de Saintonge
, qui paroît toutes les femaines , eft de
8 liv. par an.
La Cantatrice Grammairienne , ou l'art d'apprendre
l'Orthographe fans le fecours d'ancun
Maître , par le moyen de Chanfons érotiques
, Paftorales , Villageoifes , Anacreontiques
, &c. avec un portrait des Poëtes Chanfonniers
les plus agréables , & un modèle de
Lettres mêlées de réflexions fur le ftyle épiftolaire
, Ouvrage deftiné aux Dames . Par M.
l'Abbé Barthélemi, in-8 ° . A Paris , chez Briant,
Libraire , Hôtel de Villiers , rue Pavée - Saint-
André-des- Arcs , n° . 22 .
Les femmes , en général , ont plus de grace
dans le ftyle ; & prefque toujours la tournure de
leurs phrafes porte l'empreinte de la légèreté
de fon efprit , de fa fenfibilité & de fa déliDE
FRANCE. 14
cateffe ; mais il eft fâcheux que le plus grand
nombre ignore l'orthographe . Cette ignorance
provenant en partie de la féchereffe rebutante
des principes de la Grammaire , M. l'Abbé B...,
offre à nos aimables Françoifes un Cours de
Grammaire , d'où il bannit tout appareil fcientifique
; il donne pour exemples des Chanfons
choifies avec goût , & par çet heureux ftratagème,
elles pourront apprendre la Langue en chantant,
Réglemens fur les Matières Eccléfiafiiques , première
Partie , contenant les Pragmatiques de
Saint Louis & de Charles VII ; le Concordat
entre François I & Léon X ; l'Edit de Melun
1580 , & l'Edit de Décembre 1606 , avec des
Commentaires françois en tête de chaque article ,
des notes & des renvois aux Ordonnances antérieures
& poftérieures ; par M. C... , Avocat
au Parlement & C , R. , Tome 15 du Recueil ,
Manuel des Ordonnances , format in2--32 , rel,
I liv . 16 f. , en papier d'Hollande , broché 3 Į .
12 f. rel, en maroquin 5 liv .
Réglemens fur les Matières Eccléfiaftiques ,
feconde Partie , contenant l'Edit de 1691 , concernant
les Infinuations Eccléfiaftiques ; l'Edit
de 1695 , concernant la Jurifdi&tion Eccléfiaftique
; l'Edit de 1749 , concernant les établiſ
femens & acquifitions des gens de main morte ;
Edit du Roi Louis XV , concernant les portions
congrues, auxquels font joints les Déclarations
& Edits relatifs aux mêmes objets , avec des
notes & l'indication des Ordonnances , Edits ,
Déclarations , Lettres-Patentes , Arrêts de Ré-
'glemens , Décifions notables , &c. Par M, C...
Avocat au Parlement, & C. R. , tome 16 du
Recueil Manuel des Ordonnances , format in- 32,
șel . 1 liv. 16 f. , en papier d'Hollande , broché
142 MERCURE
)
3 liv. 12 f. , rel . en marroq. 5 liv. A Paris ,
chez Leboucher , Libraire du Châtelet , au
coin des rues da Marché- Paly & de la Calandre
, en la Cité.
Code des Confignations , Saifies réelles , Hypothèques
& Ventes de meubles, ou Maximes & Réglemens
concernant ces objets , contenant le
Recueil , 19. des Edits , Déclarations , Arrêts ,
Sentences & Réglemens relatifs aux créations ,
'établiffemens , droits , privilèges & fonctions :
en premier lieu des Receveurs des confignations
; 2 °. des Commiffaires Prifeurs & des Jurés-
Prif.urs , vendeurs de meubles du Royaume;
3. des Edits , Déclarations , Lettres- Patentes
, Loix générales & municipales , Arrêts ,
Sentences & Règlemens fur le fait des criées
& décrets , & de ceux relatifs aux hypothèques
& lettres de ratification . Ouvrage uile à toutes
perfonnes , & néceffaire aux Receveurs des
Confignations , Commiffaires aux Saifies réelles
Huiffiers-Prifeurs & Jurés- Prifeurs. Par M. C.
L. G*** . A Orléans , de l'imprimerie de Jacob
l'aîné , Libr . - Impr. du Châtelet , rue Bourgogne;
& fe trouve à Paris , chez Belin rue
Saint Jacques ; & Prault , Libraire , à l'hôtel
de la Tréforerie , Cour de la Sainte - Chapelle ,
au Palais .
Nous avons annoncé avec des éloges mérités
les premiers volumes de cet Ouvrage utile .
>
Théorie générale de l'adminiftration politique des
Finances, par M. Grouber de Groubentale, Noble
de l'Empire. 2 Vol . in- 8 " . Prix , 7 liv . 4 f. br .
& 8 liv. 4 f. francs de port pour la Province . A
Paris , chez l'Auteur , rue de la Marche , an Marais
, Nº . 6 ; & chez Vifle , Lib. rue de la Parpe.
1

DE FRANCE .
143
Ce Volume eft compofé de plusieurs morceaux
qu'on lira avec intérêt. C'est le fruit de trente
ans de travaux ; & l'on y puifera des lumières
utiles à la Science que l'Auteur y a traitée .
On trouve chez le Libraire l'Ouvrage fuivant ,
qu'il vient de recevoir , & qui a pour titre : Commentaires
fur les Loix Angloifes , de M. Blackftone,
traduits de l'Anglois fur la 4e. édition d'Orford.
6 Vol . in- 8 ° . Prix , 24 liv . br. & 27 liv, rendus
francs de port en Province.
Cet Ouvrage eft fait pour intéreffer toute la
Nation , & fur-tout dans les affaires préfentes.
Collection des principaux Auteurs Anglois , en
Anglois 1se. Livraiſon , contenant Gibbon's
Hiftory, of the Roman Empire. Tome IX , in- 8 ° .
Prix br. 3 liv. La fin de cet Ouvrage dans vingt
"jours.
Les perfonnes qui ont acheté les 6 premiers
Volumes de cet Ouvrage , édition de Londres , &
qui défirent le compléter , font priées de fe faire
inferire , & de retirer les 3 Volum. qui paroîtront
avant la fin du mois ; paffé lequel temps , elles
payeront les Volumes 4 liv. au lieu de 3 livres . A
Paris , chez Piffot , Lib. quai des Auguftins.
Portraits de Louis XII, Henri IV & Louis XVI,
avec ces mots au deilous : XVI égale XII , plus
IV ; preuve par l'addition . Louis XII ....
du Peuple ; Henri IV , ..... père de ſes Sujets ;
Louis XVI , ..... l'un & l'autre .
ani
Prix , 1 l . 10 f. en biſtre . A Paris , chez Lenoir ,
Md. d'Estampes , rue du Coq St - Honoré ; & Alibert
, Md. d'Eftampes , rue Froid- manteau.
Portrait de M. Guillotin , deffiné par M. Mo144
MERCURE DE FRANCE .
reau le jeune , & gravé par M. Prevoſt . Se trouve
à Paris , chez Joubert , rue des Mathurins ; au
Palais - Royal ; & chez les Mds de Nouveautés.
On ne peut qu'applaudir à l'idée d'avoit gravé
ce Citoyen courageux & éclairé. Il faut bien
quelques hommages équivalens là où la Couronne
Civique n'eft plus d'ufage.
Portraits de M. Etienne Mongolfier , Inventeur
des Aéroftats ; de M. Pilatre de Rofier , & de M. le
Marquis d'Arlande, premiers Navigateurs aériens ;
tous trois faits d'après nature , par feu M. Pujos ,
Peintre de l'Académie Royale de Touloufe , & c.
& gravés par M. Legrand. Ces Portraits fe trouvent
à Paris , chez Madame Pujos , place de l'Eftrapade
, la ze. maifon après le Corps- de-garde .
TABL E.
EPFPITRE.
Conte.
67 Caroline.
100 Comélie Françoife.
Charade , Enig. & Lg . 101 Comédie italienne.
La caufe.
Louis XIV.
Etrennes.
114
127
131
104 Theatre de MONSIEUR. 135
120 Annonces & Notices.
122
138
AI
APPROBATION. +
J'ai lu , par ordre de Mgr. le Garde des Sceaux ,
le MERCURE DE FRANCE , pour le Samedi 16
Mai 1789. Je n'y ai rien trouvé qui puiffe
en empêcher l'impreffion. A Paris , le 15 Mai
SÉLIS.
1789.
3

JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
SUÈDE.
De Stockholm , le 19 avril 1789 .
LA Diète ayant repris ses délibérations
le mercredi 8 de ce mois , l'Ordre
Equestre tint son Assemblée in pleno.
On s'attendoit à une Protestation de
l'Ordre , contre la signature apposée
par le Maréchal de la Diète , Comte
de Lovenhaupt , et d'injonction du Roi
à l'Acte d'union et de sûreté. En -
effet , le Baron de Watchmeister lut
un Dietamen, où il établit la nécessité
de protester contre une signature faite
à l'insçu et contre l'avis de la Majorité
de la Noblesse ; son consentement ne
devant point dépendre de la résolution
des trois autres Ordres . Plusieurs Nobles
défendirent la même opinion ; et après
quelques débats , le Vice-Maréchal de
N. 20. 16 Mai 1789 .
( 98 )
Lilienhorn, qui n'avoit eu aucune connoissance
de la signature , adhéra à la
Protestation .
On lut ensuite dans la même Assemblée
, un extrait des registres du Comité
secret , concernant les moyens de subvention
qu'il propose pour payer les
70 tonnes d'or dues par la Couronne
auxquelles la Commission avoit encore
ajouté douze tonnes d'or consenties précédemment
. La subvention totale monte
donc à quatre- vingt -deux tonnes , ou
environ 1 million et 400 mille thalers .
Pour lever cette somme , on proposa
d'abord une capitation générale de 20
écus sur la première classe , dans
Jaquelle sont rangés les Sénateurs , Présidens
, Feld - Maréchaux , Généraux -
Majors , etc.; de 16 écus pour la seconde
classe , qui- comprendra les Colonels
, Lieutenans-Colonels , les Chefs des
régimens enrôlés , les Vice- Présidens ,
Conseillers de la Chancellerie et autres ;
enfin , de 12 écus pour la troisième classe ,
à laquelle appartiendront les Grands
Baillifs , les Majors , Capitaines , Chambellans
, etc.; et ainsi de classe en
classe jusqu'à la dernière , qui est celle
des Paysans - Propriétaires , et qui paieront
2 écus par tête . Il y aura en outre
une retenue de 7 pour cent sur toutes
les pensions et appointemens des Officiers
civils , actuellement en service ,
( 99 )
.
Les 9 Membres qui composeront le
nouveau Comptoir des Etats , ont été
choisis le 14. Ceux de la Noblesse sont :
le Général Duwall, le Baron Staël de
Holstein, premier Ecuyer , et le Vice--
Président Baron Stierngranat.
POLOGNE,
De Varsovie , le 22 avril.
Le public de Varsovie , effrayé par
diverses nouvelles qui concernoient les
révoltes des Grecs de l'Ukraine et de
Ja Volhinie , attendoit avec impatience
que la Diète reprît ses Séances , et la
première , du jeudi 16 , fut entièrement
consacrée à la lecture des rapports
envoyés par les Commandans de ces
provinces , ainsi que par leurs principaux
Citoyens . Le Prince Jablonowsky,
Nonce de Volhinie peignit le premier,
et avec force , les alarmes de ce
Palatinat , et l'assassinat récent de M.
Wiele zynski , de sa femme , et de cinq
autres personnes de sa maison .
Le résultat des rapports fut qu'il n'y
avoit point encore de conspiration ,
encore moins de révolte ; mais qu'on
ne peut révoquer en doute une grande
fermentation or , comme dans chacun
de ces rapports il est question de Popes
Russes , de Vivandiers Russes , de Mere
ij
( 100 )
ciers -Colporteurs Russes , qui courent
les villages , et excitent les Paysans à
égorger tous les Lachites ( c'est le nom
qu'ils donnent aux Polonois ) , beaucoup
de gens attribuent ces mouvemens à la
Russie. Les personnes d'un avis différent
, font valoir un universal de M.
de Stac , qui gouverne les terres de
Szmila pour le Prince Potemkin; mais
comine cet universal ne peut regarder
que les Paysans de la terre de Szmila ,
il n'a pas une grande valeur dans les
circonstances présentes .
Dans la même Séance , on lut une
Note de l'Ambassadeur de Russie , qui
demande un arrangement provisoire
pour le passage des recrues destinées
à renforcer l'armée Russe cantonnée
en Moldavie. Mais la Chambre
des Nonces crut voir dans la proposition
de cet arrangement provisoire , le
désir d'éluder la demande directe faite.
à la Cour de Russie par la République ,
ainsi que les bons offices d'une Cour
amie. De plus , on trouva la Note illusoire
sous deux points de vue principaux
, 1°. dans ses formes , en ce qu'on
évite d'y reconnoître le droit incontestable
qu'a la République de permettre
ou de refuser le passage sur son territoire
; 2°. dans le fond , en ce qu'au
lieu de la permission du passage pour
un nombre de troupes donné , et à
temps donné , il semble que l'on n'y
( 101 )
témoigne qu'un désir illimité d'entrer
et de sortir, ce qui n'est nullement admissible
. Nous parlerons plus au long
de cette Note , et nous la rapprocherons
de la réponse que les Etats y auront
faite. Quant aux objections rapportées
ici contre la Note , elles ont été soutenues
, dans la Chambre même , par
M. Potocki , Nonce de Podlachie , et
nommé Ministre à Constantinople , qui ,
dans la même Séance , offrit à la République
, de la part de M. Joachim
Potocki , son beau - père , le don de
deux cents hommes armés et exercés ,
qu'il entretenoit en Ukraine pour sa
propre sûreté.
Les mesures prises par les Etats dans
la Séance du 17 , au sujet des révoltes
de la Volhinie , paroissent avoir l'approbation
générale. L'on a ordonné aux
Vivandiers , Merciers , et autres Russes
sans aveu , de quitter le pays ; aux
Prêtres Grecs Schismatiques , de ne plus
prier pour l'Impératrice et le Grand-
Duc de Russie , mais seulement pour
la santé du Roi , et la prospérité de la
République . Quant à la formation des
Milices de la Volhinie , imaginée par
quelques particuliers de cette province ,
qui songeoient avec raison aux moyens
de pourvoir à leur propre sûreté , il
ne paroît pas qu'on veuille lui donner
de suite , mais on croit , au contraire.
que ces Milices seront réformées à
e iij
( 192 )
"
l'arrivée des régimens qui sont déja en
marche pour s'y rendre. L'on décida ,
dans la même Séance , une augmentation
pour l'Infanterie , de cinquante hommes
par compagnie ; ce qui , joint à l'augmentation
décidée au commencement
de la Diète , fait plus de sept mille
hommes de nouvelle infanterie. Cette
dernière décision a passé à l'unanimité ,
sur la Motion de M. Czacki , Nonce
de Czerniechovie .
La Commission de guerre a donné
ordre aux quatre régimens de Potocki,
d'Oscharowski , de Ratzinski et de
Czapski, de se rendre en diligence , avec
quatre canons , dans le Palatinat de
Volhinie .
ALLEMA G- N E.
De Hambourg , le 27 avril.
, de
Depuis le retour à Copenhague
M. Elliot , Ministre Britannique , le
bruit d'une prolongation d'armistice entre
les Cours de Danemarck et de Suède ,
s'est répandu , et s'accrédite de jour en
jour. Les démarches de la Cour de
Prusse paroissent avoir décidé cet acheminement
à une pacification . Un Chasseur
, venant de Berlin comme courrier ,
a passé , le 24 , par cette ville pour se
rendre à Copenhague . Comme précé
( 103 )
demment un courrier Anglois et un
courrier Russe s'étoient rendus à la
même destination , on infère de tant
de mouvemens , qu'il existe une négociation
animée , pour rendre inutiles les
préparatifs militaires qui se font en
Danemarck. On dit même que l'Envoyé
de Prusse a demandé au Ministère
Danois une réponse catégorique sur
des ouvertures décisives.
L'Amiral Kofainof commandera , à la place de
Amiral Defin , l'efcadre Ruffe qui eft à la rade
de Copenhague. Cette efcadre eft composée des
vaiffeaux fuivars ; favoir , le Saint- Jean de 100
carons, Contre- Amiral Powalifchin ; les Trois Patriarches
de 100 , Brigadier Schuwalof; le Savalof
de 100 , Major- général Stanikof; Alexandre
Newsky de 74 , Capitaine Jochoff ; l'Aigle-du- Nord
de 65 , Capitaine Palitfin ; le Go'edonowiz de 66 ,
Capitaine Timefchof; le Mercflaff de 66 , Capitaine
Cerro , le Molelemon de 66 , Capitaine Odinfof;
deux autres vaiffeaux anonymes , l'un dé 74 7
l'autre de 66 ; 3 frégates chacune de 38 ; 2. cutters
& trois tranfports . Pour effrayer les enfars
Suédois , on a fait imprimer dans les Gazettes, que
cette efcadre prendroit à bord quelques milliers de
Cofaques & de Calmouques.
De Vienne , le 27 avril.
Les Maréchaux de Haddick et de
Laudhon ne sont point encore partis.
Les divers Corps d'armée qui agiront
dans la campagne prochaine , sont
civ >
( 104 )
composés de 159 bataillons d'Infanterie ,
et 90 divisions de Cavalerie.
L'armée du Maréchal de Haddickdoit
former son camp au-dessous de Péterwaradin
, aussi-tôt que la Save sera rentrée .
dans son lit ordinaire . Voici la composition
de cette armée :
INFANTERIE. Grenadiers , dix bataillons : Efterhazy,
trois ; Giulay, trois ; Ferdinand Toſcane, trois;
Thurn , deux ; Caprara , deux ; d'Alton , deux ; de
Pl grini , deux ; enſemble 27 bataillons. Général
de la Cavalerie , Jofeph Kinski ; Général d'Artillerie,
Jofeph Colloredo; Lieutenans-Feld- Maréchaux,
Brown , Wenceslas Colloredo , Neugebauer , Olivier,
Walls , Tige & Plankeftein.
CAVALERIE. Cuiraffiers : Schakmin , trois divifions
; Z tfchwitz , trois ; Naffau , trois ; Grand-
Duc de Tofcane , trois . Dragons : Jofeph Tofcane ,
trois ; Lobkowitz, quatre . Cavalerie légère : Modène,
quatre. Huffards : Wurmfer, deux ; enfemble
25 divifions . Généraux ...... Généraux- Majors ,
d'Urfel, Lilien , Sentot , Hainancourt , Kavanach ,
Alviary, Waldeck , Strafoldo , Wenkheim , Magdebourg.
7
CORPS DE RÉSERVE. Pallavicini , deux batai!-
lons ; Laudhon , deux ; Kaifer , deux ; Lafcy, deux ;
Wartenfleben , deux ; Wolfenbuttel , deux ; Calenberg,
deux ; #allis , deux ; Brentano , deux ; Brechainville
, deux ; enfemble 20 bataillons .
TOTAL , 47 bataillons & 25 divifions.
Le bataillon étant de 1400 hommes & la divifion
de 600 chevaux , l'armée fe trouve composée
de 65,800 hommes d'Infanterie , & de 15000 de
Cavalerie ; enfemble 80.800 hommes , non compris
le Corps franc de Servie , de plus de 4000
( 105 )
hommes , les Artilleurs , Arquebufiers , Pontonniers,
Saiquistes & le Corps de Génie , dont le
nombre ,joint au premier , portera la grande armée
à environ 100, coo hommes.
Le Ministre Plénipotentiaire de Suède
se prépare à quitter cette capitale avec
toutes les personnes attachées à la mission
.

Le Supplément officiel de la Gazette du 22 ,
renferme une longue relation de ce qui s'eſt paffé ,
leo de ce mois , au pofte de alli-Mulieri , dans
la Tra fyivanie. Le Colonel Mayersheim ayant
appris à Terzbourg , qu'environ 7,000 Turcs de
Kimpolung étoient en marche vers ce pofte , fit
faire de fi bonnes difpofitions aux environs , que
non feulement le projet de l'ennemi échoua , mais
qu'il fe vit encore obligé de fe fauver , après avoir
laiffé fur la place 243 morts. On le pourfuivit jufqu'à
trois lieues au - delà de alli-Mulieri .
Depuis quelques jours , le bruit s'eft répandu
que le Général Ruffe Kamenskoi a été furpris &
battu , aux environs de Gallaz , par un Corps
confidérable de Turcs.
Suivant d'autres rapports plus vraiſemblables ,
les Turcs ont fait une fortie de Bender , & fe font
jêtés avec fureur fur le Corps du Général Kamenfkoy
; mais après un combat qui a duré pendant
trois heures , ils font rentrés dans la place avec u e
perte de près de 300 hommes . On ne dit pas cela
des Ruffes.
Le Général de Hutten s'étant rendu
de Lugos dans le Bannat , à Méhadie ,
pour y faire la revue des troupes , a
rencontré , dans les montagnes des
bandes de gros chiens et d'ours qui
rendoient ce passage très-dangereux. Čes
e v
( 106 )
animaux y sont restés parce qu'ils ont
trouvé beaucoup de cadavres qui n'ont
été ni enlevés , ni enterrés depuis l'année
dernière .
De Francfortsur le Mein , le 2 mai .
Une lettre particulière et authentique,
écrite de Cherson , en date du 14 mars ,
nous donne quelques particularités intéressantes
, concernant les suites de
la prise d'Oczakof.
« A préfent , dit l'Ecrivain , qu'on fait combien
d'hommes ont péri à l'affaut & de leurs bleffures
, on peut , fans exagération , évaluer la
perté que nous avons faite à 4000 hommes . On
regrette celle de 220 Officiers , la plupart reftés .
fur la place , & les autres morts enfuite fucceffivement
de leurs bleffures . Cette perte doit être
fenfible pour une armée qui avoit tant fouffert
& dont on peut dire , avec vérité , qu'elle étoit
réduite à ce qu'il y avoit d'hommes les plus vigoureux
, tant parmi les Officiers que parmi les Soldats.
Par cette raifon , durant les premières femaines
, les troupes victcrieufes furent plongées
dans la plus vive douleur , & l'on ne peut pas.
dire que ce te impreffion foit entièrement effacée .
L'immenfe butin & tes richeffes que ces troupes
trouvèrent dans la place , joints au fouvenir des
incommodités multipliées & vraiment incroyab'es
qu'elles avoient éprouvées dans leur camp ,
qui avoit été changé en une véritable taupinière ,
les ont à la vérité , un peu confolées , & infiniment
foulagées. Pour fe faire une idée de l'immenfité
de ce butin , il fuffira de dire que des
Négocians de Cherfon , de Sebaftopole & d'autres
( 107 )
2
endroits , ayant obtenu la permiffion de fe tranfporter
à Oczakof , y achetèrent une quantité prodigieufe
d'effets , au prix le plus vil ; & , ce qui eft
plus extraordinaire, c'eft que le fimple Soldat, embarraffé
de fon or donnoit la valeur d'environ
deux ducats pour un rouble . Le Prince Potemkin
ayant permis aux Soldats de faire toutes fortes de
recherches , & de fouiller même dans les maiſons ,
ils y trouvèrent , pendant plufieurs jours , beaucoup
d'argent monnoyé & de: effets précieux , que
les Turcs & les Juifs y avoient cachés. La caiffe
militaire ne contencit que 3 millions & 400 mille
piafires , & non 8 millions , comme on l'avoit dit
par exagération . J'ai été à portée de queftionner
là -deffus un Officier de ma connoiffance , qui étoit
au nombre de ceux chargés de fe faifir de cette
caffe , & c'est lui qui m'a affuré la vérité de ce que
je viens de vous marquer. Il eft conſtant qu'outre
certe caiffe générale , le Pacha en avoit une autre ,
que les uns appellent fa chatouille , & d'autres la
caiffe pour les frais extraordinaires que les circonftances
de la fortereffe auroient pu exiger ; mais
on trouva très-peu de chofe dans celle- ci . Tous
les Officiers Turcs de l'Etat - Major poffédoient
beaucoup d'argent comptant , & dans le quartier
de quelques-uns on a enlevé jufqu'à 7 à 8 mille
duca's . »
« Un trait de politique de la part de nos Commandans
, qui mérite d'être rapporté, eft celui- ci .
I's engagèrent les Popes à faire comprendre aux
Soldats qu'i'ils devoient folliciter du Gouvernement
la permiffion de faire bâtir une églife en l'honneur
de St. Nicolas , protecteur de l'Empire ; ce qu'ils
ont effectivement follicité , & facilement obtenut ,
ai fi qu'on peut s'en douter. Par ce moyen , les
Soldats ont remis très volontiers entre les mains
des Popes , une bonne partie de ce qu'ils avoient
butiné , pour en former une caille deſtinée à cette
e vj
( 108 )
oeuvre-pie : il eft vrai qu'à cet égard les Officiers
leur ont donné l'exemple. On s'eft d'abord occupé
en même temps du rétabliffement des ouvrages
de la place , & on a envoyé même d'ici une grande
quantité d'ouvriers pour y travailler. »
« D'un autre côté , l'ifle de Berezan a été pourvue
d'une meilleure artillerie & d'une plus forte
garnifon ; & vis-à-vis de cette isle , fur le continent
, on a élevé une batterie qui a été jugée néceffaire
pour empê her qu'une florte ennemie ne
puiffe s'approcher de la place. Les ordres de l'Impératrice
portent qu'Oczakof doit être mis dans
le meilleur état de défenfe poffible ; & les inftructions
que le Feld- Maréchal y a laiffées , prouvent
que c´s ordres feront exécutés avec la plus
grande exactitude . En paffant par ici , le Prince
Potemkin a ordonné que les quatre vaicaux de
ligne , a l'a mement defque's on avoit travaillé
l'année dernière fort lenteme: t , vu l'impoffibilité
de les faire paffer da s la mer Noire auffi longtemps
que les Turcs aurcient été en poffeffion d'Oczakof
, fuflent en état de fe réunir à la flotte de
Sebaftopole, vers les premiers jours du mois de mai ,
& depuis ce moment on travaille jour & nuit , tant
à ces vaileaux qu'à trois frigates de 40. L'on fe
fouviendra que trois de ces vaiffeaux de ligne furent
lancés à l'eau , avec le plus grand fuccès , en
préfence de LL. MM . Impératrice & l'Empereur ,
en 1787. Quoiqu'il s'en faille de beaucoup que
leur conftruction foit des plus parfaites , ils peuvent
réanm ins faire la campagne contre les Turcs A
Sebaftopole , il y a trois vaiffeaux de ligne et 14
frégates que j'ai vues & examinées ; la plupart ne
valent pas grand - chofe , mais l'armement en eft ,
bon. On attend dans ce même port , au mois d'avril
, 5 autres frégates de Tangarow dans la mér de
Zabache, ce qui formera une flotte de 7 vaiffeaux
de ligne & de 22 frégates , depuis 28 jufqu'à 44
( 109 )
pièces , fans compter que'ques bâtimens d'un rang
inférieur . Le commandement de ces forces a été
donné à M. le Comte afnowich, que i'Impératrice,.
très-fatisfaite de fes fervices , vient d'élever au
rang de Vice-Amiral. La flotte eft composée de 24
galères , de 46 chaloupes canonnières & bombardières
, & de 140 chaloupes qu'on appelle ici Zaporosky
, portant une feule pièce. Cette flottille
reftera dans le Liman , & fera défendue par les
batterics de Kinburn & d'Oczakof , où il y a en
tout 10 mille hommes de garnifon. ""
GRANDE- BRETAGNE.
De Londres , le 7 mai.
Le 26 du mois dernier , M. Bukati
remit au Roi , dans une audience privée ,
ses lettres de créance , en qualité d'Envoyé
Extraordinaire et de Ministre Plénipotentiaire
du Roi et de la République
de Pologne.
Nous avons annoncé des objets importans
et prochains de délibérations
Parlementaires . De ce nombre , sont un
nouveau Bill de M. Burgess , en faveur
des Débiteurs insolvables ; une Motion
de M. Beaufoy , contre l'Acte du Test
et celui de Corporation , qui exclut les
Non-Conformistes des charges publiques ;
l'examen du commerce et de l'esclavage'
des Nègres. Ces discussions auroient déja
été entamées , si elles n'exigeoient des'
recherches préalables , et si l'attention
( 110 )
des Communes n'avoit pas été à - peuprès
concentrée , la semaine dernière ,.
sur la Pétition récente de M. Hastings .
Nous en avons exposé la nature dans
le Journal antérieur , et présagé le succès .
Chez toutes les Nations civilisées ,
l'esprit d'humanité et les principes de
justice ont commandé la plus grande
diligence possible dans la poursuite des
délits . Au lieu de se conformer à ces
maximes dans l'impeachment actuel ,
les Moteurs de l'Accusation en ont éloigné
la décision par des longueurs extra--
judiciaires , et vraiment tyranniques.
Depuis l'année 1782 , d'une Session à
l'autre. ils menacoient M. Hastings de
ce décret préparé par les Communes
en 1786 , finalement voté et porté à
la Cour des Pairs le 14 mars 1787
et ouvert devant cette auguste Assemblée
, par vingt Commissaires choisis , le
13 février 1788 , ce procès , après un
intervalle de dix mois , et plusieurs
ajournemens successifs , offroit au moment
de sa reprise , encore dix-huit Chefs
d'Accusation à traiter ; de sorte que
le siècle se seroit écoulé avant que
l'Accusé , s'il vivoit encore dans dix ans,
pût être admis à commencer sa défense.
C'est dans un pays libre , qu'on se jouoit
à ce point de la destinée d'un Citoyen :
tel étoit l'abus révoltant qu'on se permettoit
du droit salutaire de dénoncer
( m )
et de poursuivre des Administrateurs
présumés repréhensibles .
Il étoit temps que les Communes ouvrissent
les yeux sur cet excès , et sur
celui des punissables diffamations que
quelques discoureurs se permettoient
de mêler à leurs éternelles plaidoieries.
Dans le cours de la Séance , M.
Burke articula en autant de mots ,2:
que M. Hastings avoit assassiné Nun-
« ducomar par les mains du Chevalier .
« Elijah- Impey. » L'Accusé avoit remis.
le lendemain sa Pétition à la Chambre
des Communes , d'où M. Burke s'étoit
absenté sous prétexte de maladie. Ellet
ne l'empêcha pas , le 25 , de répéter son
assertion devant la Cour des Pairs ; d'accuser
les Directeurs de la Compagnie
M. Smith, leur Solliciteur , et M. Dun-.
ning , autrefois leur Conseil , et mort
depuis quelques années , d'avoir connivé
au crime de M. Hastings. Parlant de la
mort du Colonel Monson , l'un des trois
Membres du Conseil de Calcutta , qui '
formoient une faction contre M. Has .
tings , il dit : M. MONSON mourut le
coeur brisé , POUR NE RIEN DIRE DE
PLUS . Cette réticence chargeoit implicitement
M. Hastings de la mort du Co-
Fonel ; enfin , les Communes viennent de
mettre un frein à cette licence trop"
long- temps impunie .'
Le 1er de ce mois , elles ont pris en
considération la Pétition de M. Has(
112 )
tings . Son Accusateur , au lieu de soutenir
ses téméraires assertions , et de demander
d'être admis à en faire preuve ,
a craint de se présenter à la Chambre.
A peine l'ordre du jour étoit- il lu , qu'un
de ses amis , M. Montagu , a fait lecture
d'une lettre évasive et déclamatoire de
l'Accusateur . En voici la teneur :
« Je ne puis entrer dans une juftification étudiée
« & minutieufe de ma conduite : cette démarche , qui
peut être néceffaire en certains cas , eft au-deffous
u de la dignité de ma fituation . J'ai du préfenter à
« la Chambre l'expoté des faits , & je me fuis
❝ acquitté de ce devoir ; c'eft à elle à prononcer.
« Je n'ai pu lui paroître-mal informé , puifqu'elle
« m'a choisi pour un de fes Commiffaires ; je ne me
" fuis pas comporté de manière à être taxé d'inexpé-
« rience , puifque ma conduite a été approuvée par-
« tout ailleurs . Je ne m'abaifferai donc pas à me
« difculper aux yeux des Agens obfcurs , préposés
« pour embrouiller la queftion. Je dois fentir que
« j'appartiens à un Comité dont le fecret eft le
" premier devoir . Je ne dirai pas quelle eft la fource
d'où je tire la force de mes preuves , & je ne
« nommerai pas les témoins que j'ai l'intention de
" produire. Ce n'eft pas que j'aie le moindre doute
« fur leur compte ; mais je sens qu'ils font hommés ;
« comme tels , je ne veux pas les expofer à être
« menacés , ni à perdre leurs places ; quelques- uns ,
« peut-être , à fe voir entraînés vers leur ruine.
Quelles que foient les atteintes qui font déja &
qui seront encore portées à ma fenfibilité , je
« veux fouffrir feul , & je fouffrirai feul. Je me
« permettrai feulement de fupplier la Chambre
« de ne pas me foumettre à un travail inutile .
« Si elle me re:ire les fonctions que j'exerce fous
« les ordres , je ferai fatisfait ; fi au contraire
( 113 )
« je fuis requis de les continuer , je m'engage à
❝ prouver, d'une manière irréfiftible , tous les cri-
« mes de l'Accufé. Je mépriferai ces petits ftrata-
« gèmes dont Devi- Sing, M. Haflings , Gunja Doubin-
Sing & d'autres Banyans , Blancs & noirs ,
font accoutumés à faire ufage. Ma feule défenſe
fera de prouver juridiquement les dé'its de M.
" Haflings , de forcer l'Agent lui- même de dépofer
contre fon principal , & de fournir des
" preuves de la corruption fi généralement ré-
" pandue dans l'Inde , qu'il eft devenu néceſſaire
« même aux plus innocens , de fe purger de cette
« ` fouillure , etc. »
"
Le Major Scott prit la parole , et
commençoit à justifier les plaintes de
M. Hastings , par le développement des
faits cités dans les accusations , lorsque
le Maître des Rôles lui fit observer que
M. Burke ne soutenant point ses allégations,
la Chambre n'étoit pas appelée à
les discuter ; mais que le point de la question
étoit , si l'Accusateur étoit ou non
autorisé par la Chambre à dire ce qu'il
avoit dit . Le Major Scott se borna donc
à remettre le Plaignant à la justice de la
Chambre. A la suite d'une conversation
animée pour et contre , la matière en
délibération , M. Bouverie tenta d'en
éluder le résultat , et de sauver M. Burke ,
en proposant la Motion d'ajournement.
M. Fox défendit long- temps cet avis ,
qui fut rejeté par 157 voix contre 97.
Majorité en faveur de la Pétition , 60 .
Trois Membres , qui n'avoient point
encore parlé dans les Communes , M.
( 114 )
Ford, M. Mitford et M. Jekyll, se firent
remarquer par la justesse et la solidité de
leurs opinions .
<<
"
« Dans un siècle peu éclairé , dit M.
« Jekyll , des Cours de Justice oppres-
« sives souffrirent ces indignes calom-
« nies contre les Accusés . Lorsque le
brave et généreux Walter Raleighfut
poursuivi , l'Avocat-général , son Ac-
<«< cusateur , le traita de vipère veni-
« meuse , et d'araignée de l'enfer; mais
aujourd'hui une pareille conduite ne
peut être tolérée . Bien loin que la
<< Chambre ait autorisé M. Burke à
parler du meurtre de Nunducomar
« comme ill'a fait , elle a expressément
« rejeté , l'année dernière , toute charge
• à cet égard . Il est ridicule qu'on
« vienne présenter une accusation d'assassinat
, comme un accessoire d'une
ર poursuite en malversation . Sans man-
« quer à sa dignité et à sa justice , la
« Chambre ne peut se dispenser de faire
droit sur la plainte légitime de M.
« Hastings. »
"
?
2
Il fut ensuite décidé , par préliminaire ,
d'interroger l'Abréviateur ( Tachygraphe
) Gurney , pour constater les termes
dont s'étoit servi M. Burke ; ce qui se fit
le lendemain . Le témoin retiré , et l'assertion
avouée même des défenseurs de
M. Burke , le Marquis de Graham se
leva , et fit la Motion : « Que la Chambre

n'a autorisé qui que ce soit , ni donné
( 115 )
<<
« d'instructions quelconques à aucun
des Commissaires , de charger M.
Hastings d'avoir assassiné Nundu-
« comar par les mains du Chevalier ,
Impey. »
«
M. For acquiesca à la résolution proposée
, parce que , dit-il , elle n'impliquoit
aucune censure nominale de M.
Burke ; il commenta ensuite , et justilia
de nouveau son allégation , et finit par
tomber sur M. Pitt , ainsi que M. Sheridan
qui le suivit.
M. Pitt déclara alors : « Que l'assertion
« de M. Burke étoit hautement inju-
« rieuse à M. Hastings , et désavouée
« par la Chambre ; qu'il s'inquiétoit fort-
« peu des reproches qu'on venoit de lui
<< faire ; que les Accusateurs devoient
« prendre soin de leur honneur et de
« reur conduite , comme prem
doit soin
« de la sienne propre. »
M. Fox courroucé , s'écria : « Qu'aucun
tyran, déterminé à détruire tout par le
« fer , le feu et la famine , ne pouvoit
« être plus arrogant que le Ministre
« venoit de l'être ; plus arrogant , plus
fourbe , plus traitre qu'il se mon
<<
<< troit. »
Cette sortie achevée , le Marquis de
Graham proposa comme indispensable,
d'après les Discours de MM . For et
Sheridan , d'ajouter à la Motion : « Que
« les termes dont M. Burke s'étoit
( 116 )
<< servi n'auroient jamais dû être pro-
<< noncés . »
Là- dessus , M. Fox accusa de nouveau
M. Pitt , le Marquis de Graham , le
Colonel Phipps , de duplicité et de trahison
; laconversation dégénéra en querelle :
on fit sortir les Etrangers , et le débat
devint sanglant et personnel . Les portes
rouvertes , M. Pitt récapitula la délibération
, et la Motion de CENSURE , avec
l'Addition proposée par le Marquis de
Graham , eut 137 voix contre 66. MAJORITÉ
71 .
Par compensation , M. Bouverie proposa
de voter des remerciemens aux Commissaires
de l'Accusation ; ce qui fut nettement
et hautement rejeté , sans qu'on
prit la peine d'aller aux voix . Cette
négative a completté la Censure que les
Communes ont cru devoir jeter sur les
Accusateurs. Un parcil acte de désapprobation
les rendra plus circonspects ,
et abrégera , à ce qu'on espère , cette
procédure qu'on délayoit dans une multitude
d'intermèdes et d'épisodes.
La frégate l'Andromède de 32 can. ,
montée par le Prince Guillaume- IIenri,
est rentrée, le 29 avril , à Spithéad, venant
d'Antigoa , après une traversée de 22
jours. S. A. R. avoit reçu les premières
nouvelles de la maladie de S. M. , à la
Barbade , au mois de décembre dernier :
Elle a été instruite de son rétablissement
( 117 )
L
le 25 avril , par un brigantin Américain
, venant d'Amsterdam .
Ce Prince , après avoir réçu de l'Amirauté
permission de se rendre à Londres ,
en partit samedi dernier pour Windsor ,'
où il passa la journée avec LL . MM . Le
Gouvernement lui destine pour lieu de
résidence, Pelham House à Greenwich ;
ainsi le Prince habitera au milieu des
Vétérans de la Marine , dont probablement
il sera le Chef un jour.
L'opinion générale est que le Duc
de Glocester sera nommé Commandant
en Chef avant le départ du Roi pour
Hanovre et Président du Conseil de Régence
pendant l'absence de S. M. D'autres
, au contraire , ne doutent pas que
cette dignité ne soit déférée au Prince de
Galles.
L'escadre actuellement en route pour
l'Inde , aux ordres du Commodore
Cornwallis , a mouillé , le 3 mars , à
Santa - Cruz , dans l'isle de Ténériffe ,
d'où elle est partie , le 13 du même
mois , pour continuer sa route .
La restriction concernant le bled venant d'Amérique
, dont l'importation a été permife pendant
onze mois encore , eft la même que la première ;
favoir , qu'il ne fera pas vendu de bled d'Amérique
avant qu'il en ait été envoyé des échantillons
, pour être examinés par le Confeil- privé , &
approuvés de lui . Sur trente cargaifons environ
qui font arrivées l'année dernière à Liverpool , il
n'y en a eu que quatre ou cinq dont l'entrée ait
( 118 )
t

été permife. On fe rappelle qu'un infecte qui fe
trouve dans ce bled , a néceffité ces précautions.
Le Vice-Amiral Milbank , qui a le
commandement de l'escadre de Terre-
Neuve , a recu ses derniers ordres du
bureau de l'Amirauté , et il doit mettre
incessamment à la voile pour se rendre
à sa destination . La frégate le Southampton
a reçu ordre de l'Amirauté
de se rendre à Portsmouth , et d'y embarquer,
aussi-tôt après son arrivée , pour
six mois de provisions.
Le Talbot, vaisseau de la Compagnie
des Indes , est arrivé depuis peu avec
les détails suivans :
« Le bâtiment qui avoit appareillé de la Baie
Botanique , pour aller faire le commerce des fourrures
fur la côte Nord- oueft d'Amérique , a fait ,
peu de jours après fon arrivée , une voie d'eau
confidérable , & a été obligé de fe rendre à Otahiti
. De cette isle , il a appareillé pour la Chine ,
où il eft arrivé avant le départ du Talbot , & il
devoit repaffer en Europe avec un chargement de
thé pour le compte de la Compagnie.
« Le jour même que le Talbot a mis à la voile
de Maçao , on y avoit reçu la nouvelle que le
Chefapeak , Capitaine Metcalf, venant de New-
-Yorck , & en dernier lieu de Bengale , avoit été
abordé , pillé , & qu'une partie de l'équipage avoit
été maffacrée à quelques lieues au vent de Macao
par une troupe nombreuſe de Pêcheurs Chinois .
Il paroir que le Chefapeak avoit fait , pendant quelques
femaines , la contrebande fur la côte , & que
des Pêcheurs avoient été inft uits qu'il fe trouvoit
une grande quantité d'efpèces à bord : ayant cheraché
, en conféyaence , les moyens d'attirer le Ca(
119 )
p'taine Metcalf à terre , ils ont abordé pendant ce
temps le bâtiment , ont tué le premier & le fecond
Contre-Maître , & une partie de l'équipage
& débarqué le efpèces , ou au moins la plus
grande quantité. Le Talbot a appris en route que
les Pêcheurs avoient abandonné le bâtiment fans .
ouvrir les écoutilles , & que deux ou trois hommes
de l'équipage , qui s'étoient fouftraits au carnage
, avoient fait un ſignal de détreſſe qui a été
aperçu par un vaiſſeau Eſpagnol qui leur a donné
tous les fecours dont ils avoient befoin. »
1
FRANCE.
De Versailles , le 6 mai.
Ie 3 , le Corps - de - ville de Paris , ayant à
fa tête 1 Duc de Briffac , a eu une audience
du Roi ; il a été conduit par le Marquis de
Brezé, Grand-Maître des cérémonies de France ,
le Comte de Nantouillet , Maître des cérémonies ,
& le fieur de Watronville , Aide des cérémonies ,
préfenté par le fieur de Villedenil , Secrétaire
d'Etat , ayant le Département de Paris . Le fieur
de Fleffefles , Confe ller d'Etat , élu Prévôt des
Marchands à la place du ficur le Peletier de
Morte- Fontaine , dont le Roia bien voulu agréer
- la démiffion , a prêté , entre les mains de S. Maj . ,
-le ferment dont le fieur de Villedeuil a fait la
lecture, ainfi que du fcrutin , préſenté par le
fieur Tourteau d'Orvilliers , Maitre des Requêtes.
Le Corps-de-ville de Paris a eu auffi 'honneur
de rendre fes refpects à la Reine & à la Famille
Royale..
Le 26 du mois dernier , le Baron de Talleyrand ,
Ambaffadeur du Roi près le Roi de Naples , a
eu thonneur de prendre congé de Sa Majefté
( 120 )
pour retourner à fa deftination , étant préfenté
par le Comte de Montmorin, Miniftre & Secrétaire
d'Etat , ayant le Département des Affaires
Etrangères. Ce Miniftre a préfenté en mêmetemps
au Roi le Marquis de la Cofte , Miniftre
Plénipotentiaire de Sa Majesté près le
Duc de Deux- Ponts , qui eft de retour ici par
congé .
Le premier de ce mois , la Mufique du Ro
a exécuté , pendant le lever de Sa Majefté ,
une fymphonie d'Haydn , fous la conduite du
fieur Girouft , Surintendant de la Mufique du
Roi.
Le 3 , Leurs Majeftés & la Famille Royale , ont
figné le contrat de mariage du Comte d'Ourches ,
Officier au régiment du Roi , infanterie , avec
demoiſelle de Dreux de Somloir.
Le même jour , la Marquife de Ryantz a eu
l'honneur d'être préfentée à Leurs Majestés &
à la Famille Royale par la Vicomteffe de la
Porte.
Le Roi- d'armes de France et les Hérauts
d'armes ont annoncé , le 3 , par
une proclamation solemnelle , dans toutes
les places et tous les carrefours de
cette ville , que la Procession générale
et la Messe du St. Esprit , dont le Roi
a voulu que l'ouverture des Etats- Généraux
fût précédée , auroient lieu le lendemain
matin . En conséquence , les Députés
des trois Ordres se sont assemblés ,
ce jour , dans l'Eglise de la paroisse
Notre-Dame. Le Roi s'y est rendu vers
les dix heures et demie du matin , dans
sa voiture de cérémonie , précédée de
détachemens de ses Gardes-du- Corps et
du
1
1
( 121 )
du Vol du Cabinet , commandé par le
Chevalier de Forget , Commandant-général
des Fauconneries du Cabinet du
Roi. Sa Majesté étoit accompagnée ,
dans sa voiture , de Monsieur , de Monseigneur
Comte d'Artois , de Monseigneur
le Duc d'Angoulême , de Monseigneur
le Duc de Berry et du Duc de
Chartres. Le Prince de Condé , le Duc
de Bourbon , le Duc d'Enghien et le -
Prince de Conti s'étoient rendus d'avance
à l'Eglise , et ont reçu Sa Majesté à la
descente de son carrosse.
La Reine est arrivée peu de temps
après le Roi. Sa Majesté étoit dans sa
voiture de cérémonie , accompagnée de
Madame , de Madame Elisabeth de
France , de sa Dame d'honneur et des
Dames du Palais , et suivie de tout son
cortège. Les Princesses du Sang ont
reçu la Reine à la porte de l'Eglise
Notre-Dame , où elles s'étoient rendues
d'avance .
LeursMajestés étant placées , rhymne,
Veni Creator a été chantée par la
Musique du Roi. Ensuite la Procession
s'est mise en marche pour se rendre à
P'Eglise de la Paroisse St. Louis . Le
Clergé des deux Paroisses , précédé des
Récollets , ouvroit la marche ; la Com
pagnie des Gardes de la Prévôtê di- PHôtel
venoit ensuite , ayant le Grand-Prévôt
à sa tête. Les Députés des trois Ordres
, en habit de cérémonie , march,sient
´Nº. 20. 16 Mai 1789.
( 122 )
{ iers-i en avant du Dais ; le Tiers- Etat précédant
la Noblesse , qui étoit suivie du
Clergé. Le Roi , accompagné de ses
Grands-Officiers , des quatre Capitaines
de ses Gardes - du - Corps , et suivi des
Princes du Sang et des Ducs et Pairs ,
marchoit immédiatement après le Saint-
Sacrement. Le Grand- Aumônier de
France portoit le cierge de Sa Majesté.
La Reine étoit à la gauche du Roi ,
suivie de sa Dame d'honneur , portant.
son bas de robe , et accompagnée de
son Chevalier d'honneur et de son premier
Ecuyer. Le Grand-Aumônier de
la Reine portoit le cierge de Sa Majesté.
Madame , Madame Elisabeth , Mesdames
Adélaïde et Victoire de France suivoient
la Reine , les Dames du Palais ,
et cellespour accompagner les Princesses
marchoient derrière la Famille Royale.
Le St. Sacrement étoit porté par l'Archevêque
de Paris , accompagné de l'Archevêque
de Toulouse et de l'Archevêque
de Bourges , comme Prêtres assistans
, de l'Evêque d'Orange faisant les
fonctions de Diacre , et de l'Evêque de
Clermont faisant celles de Sous-Diacre.
Monsieur , Monseigneur Comte d'Artois
, Monseigneur le Duc d'Angoulême ,
Monseigneur le Duc de Berry , portoient
le Dais , étant aidés par seize de leurs
principaux Officiers. Devant le Daismarchoient
en étole et en chape le sieur
Jacob , l'aîné , Curé de la paroisse Notre-

(123
Dame , et le sieur Jacob le jeune , Curé
de la paroisse St. Louis . Les Cent- Suis
ses, précédés de leurs Officiers , et un
détachement considérable des Gardesdu-
Corps du Roi , marchoient à droite
ét à gauche des Députés et de la Cour
Les régimens des Gardes- Françoises et
Suisses bordoient les rues où la Procession
a passé.
La Messe , chantée par la Musique du
Roi , a été célébrée par l'Archevêque de
Paris , assisté des mêmes prélats qui l'accompagnoient
à la Prosession , et le Sermon
a été prononcé par l'Evêque de
Nanci.
L'ouverture des Etats -généraux , annoncée
, comme la Procession générale ,
par une proclamation solemnelle , s'est
faite le lendemain 5. }
Le Roi , après avoir entendu la Messe
dans la Chapelle du château , s'est rendu
dans la salle préparée pour cette auguste
cérémonie . Devant et derrière sa voiture ,
marchoient des détachemens des Gardesdu-
Corps et le Vol du Cabinet , commandé
par le chevalier de Forget. Monsieur
, Monseigneur Comte d'Artois
Monseigneur le Duc d'Angoulême , Monseigneur
le Duc de Berry et le Duc de
Chartres , accompagnoient Sa Majesté
dans sa voiture . Le Prince de Condé ,
le Duc de Bourbon , le Duc d'Enghien et
le Prince de Conti n'ayant pu y être placés
, s'étoient rendus d'avance à la salle
f ij
124 )
de l'Assemblée. La voiture du Roi étoit
précédée de celle pour les Grands-
Officiers , dans laquelle étoient le Prince
de Vaudémont, Grand-Ecuyer de France,
en survivance , le Duc de Fronsac , premier
Gentilhomme de la Chambre , en
survivance , le Duc d'Ayen , Capitaine
des Gardes-du-Corps , et le Marquis de
Chauvelin , Maître de la Garde-robe de
Sa Majesté , et de celles de service du
Roi , de la Famille Royale , des Princes
et des Princesses du Sang.
La Reine s'est rendue à la salle pew
après le Roi , précédée et suivie de détachement
des Gardes-du -Corps du Roi,
Sa Majesté étoit accompagnée , dans sa
voiture , de Madame , de Madame Elisabeth
, de Mesdames Adélaïde et Victoire
de France et de la Princesse de Chimay ,
Dame d'honneur de la Reine. La Duchesse
d'Orléans , la Duchesse de Bourbon
, la Princesse de Contiet la Princesse
de Lamballes'étoient rendues , dans leurs
voitures, à lasalle de l'Assemblée, où elles
avoient pris place dans les tribunes qui
leur étoient destinées..
Les Dames du Palais , les principaux
Officiers des Princes et Princesses , ayant
une place dans les tribunes , le Roi , précédé
des Princes , et suivi des Grands
Officiers de la Couronne , et ensuite la
Reine , accompagnée de sa Dame d'honneur
, et suivie des Princesses de la Famille
Royale , sont entrés dans la salle
( 125 )
qui retentissoit des applaudissemens et
des acclamations de l'Assemblée.
De Paris , le 13 mai.
Réglement , du 3 mai 1789 , fait par
le Roi, concernant les Suppléans .
Le Roi a été informé que dans les Affemblées
de plufieurs Bailliages & Sénéchauffées , il a
été nommé des Suppléans autres que ceux dont la
nomination étoit autorifée par l'article XLVII
du Réglement général du 24 janvier dernier. Sa
Majefté a remarqué en même-temps que dans
quelques Afemb ces , ces nominations ont été
faites , tantôt par un feul Ordre ,
tantôt par deux ,
quelquefois par chacun des trois Ordres ; qué
dans d'autres Affemblées , un des Ordres a nommé
un feul Suppléant pour les Députés de fon
Ordre ; qu'ailleurs , on en a nommé autant qu'il
y avoit de Députés , tandis que dans beaucoup
d'Affemblées , les Ordres fe font exactement conformés
aux difpofitions du Réglement , & n'ont
point nommé de Suppléans. Sa Majefté a encore
remarqué la même variété dans la miffion qui a
été donnée aux Suppléans : quelques uns ne
doivent remplacer les Députés de leur Ordre
que dans le cas de mort feulement ; plufieurs
peuvent le faire en cas d'abſence , de maladie , ou
même d'empêchement quelconque les uns ont
des pouvoirs unis avec les Députés qu'ils doivent
fuppléer , les autres ont des pouvoirs féparés
enfin plufieurs Affemblées ont fupplié Sa Majesté
de faire connoître fes intentions à cet égard . Sa
Majefté conférant que le peu d'uniformité que
l'on a fuivi dans ces différentes nominations , établiroit
néceffairement une inégali é de repréfentation
& d'influence entre les différens Ordres &
fij
( 126 ))
ou
les différens Bailliages , & que la mutation continuelle
de Députés dans chaque Ordre , réfultant
de la faculté qu'auroient les Suppléans d'être
admis dans le cas de maladie , d'abfence ,
même d'un fimple empêchement d'un Député ,
pourroit d'un inftant à l'autre troubler l'harmonie
des délibérations , en retarder la marche , &
auroit l'inconvénient d'en faire varier , fans ceffe
l'objet & les réſultats , Sa Majesté a réfolu de
déterminer la feule circonftance dans laquelle les
Suppléans pourroient être admis à remplacer anx
Etats -Généraux les Députés de leur Ordre , &
Elle a penfé qu'il étoit en même-temps de fa
juftice de pourvoir , dans la même circonstance ,
au remplacement des Députés qui n'ont point de
Suppléans , afin que tous les Bailliages & Sénéchauffées
jouiffent de l'avantage d'être également
repréfentés . En conféquence , le Roi a ordonné &
ordonne ce qui fuit :
ART. 1. Les Suppléans qui auront été nommés
dans aucun des trois Ordres , pour remplacer les
Députés de leur Ordre aux Etats- Généraux , en
cas de mort , de maladie , d'abfence , ou même
d'empêchement quelconque , ne pourront être
admis en qualité de Députés , que dans le cas où
le Député dont ils ont été nommés Suppléans
viendroit à décéder. 2. En cas de mort d'un
des Députés auxquels il n'auroit pas été nommé
de Suppléans , il fera procédé fans délai , dans le
Bailliage dont le Député décédé étoit l'un des
Repréfentans , à la nomination d'un nouveau
Député , fuivant la forme prefcrite par le Régle
ment du 24 janvier dernier ; à l'effet de quoi
tous les Electeurs de l'Ordre auquel appartenoit
ledit Député , & qui avoient concouru immédiatement
à fon éléction , feront rappelés & convoqués
pour élire celui qui devra le remplacer.
( 127 )
Idem , du 26 avril 1789 , pour l'exé
cution de ses Lettres de Convocation
aux prochains Etats- Généraux .
'
Sa Majefté a ordonné & ordonne qu'en vertu de la
convocation qui a déja dû être faite , & des affignations
qui ont dû être données , & fans qu'il foit
befoin d'autre formalité que de l'affiche & publication
du préfent Réglement , il fera par le fieur
Marquis d'Espagne , ou l'Officier faifant les fonctions
de fon fieutenant , procédé à la convocation
du Pays de Conferans en la ville de St. Girons ,
& que dans l'Affemblée des trois Etats dudit
pays , il fera procédé à l'élection de trois Députés
aux Etats-Généraux ; favoir , un pour le Clergé,
un pour la Nobleffe, & un feulement pour le Tiers-
Etat. Ordonné Sa Majefté que le Réglement du
24 janvier& celui du 19 février dernier , feront
exécutés en tout ce à quoi il n'eft pas dérogé par
le préfent.
و
ARRET DU CONSEIL D'ÉTAT DU
ROI , qui ordonne l'exécution des
Réglemens dela Librairie , et qui
fait défenses à tous Imprimeurs,
Libraires , ou autres , d'imprimer ,
publier , distribuer aucun Prospectus
, Journal , ou autre Feuille périodique
, sans la permission de Sa
Majesté.
Le Roi étant informé qu'on diftribue dans le
public plufieurs Profpectus d'Ouvrages périodiques
, pour lesquels il n'a été accordé aucunes permiffions
, a réfolu de réprimer un abus auffi contraire
au bon ordre qu'aux Réglemens de la Librairie
, dont Sa Majesté entend maintenir l'exécution
jufqu'à ce que , d'après les obfervations qui
lui feront préfentées par les Etats - Généraux ,
f iv
( 128 )
2
Elle ait fait connoître fes intentions fur lestmodifications
dont ces Réglemens peuvent être fufceptibles.
A quoi voulant pourvoir , Oui le
rapport , le Roi étant en fon Confeil , de l'avis
de M. le Garde- des - Sceaux , a ordonné & OPdonne
que les Réglemens rendus fur la police de
la- Librairie , feront exécutés felon leur forme &
teneur , jufqu'à ce que , par Sa Majesté , il en
ait été autrement ordonné ; fait en conféquence ,
Sa Majefté , très-expreffes inhibitions & défenfes
à tous Imprimeurs , Libraires ou autres , d'imprimer
, publier cu diftribuer aucun Profpectus
Journal ou autre Feuille périodique , fous quelque
dénomination que ce foit , à moins qu'ils n'en aient.
obtenu une permiffion expreffe de Sa Majesté.
Défend pareillement , Sa Majeſté , à tous Imprimeurs
& Libraires de recevoir aucune foufcription.
pour lefdits Ouvrages périodiques publiés fans
permiffion , fous peine d'interdiction de leur état,
& même de plus grande peine s'il y échet. Enjoint ,
Sa Majefté , au Sieur Lieutenant- Général de Police
à Paris , & aux Sieurs Intendans & Commiffaires
départis dans les provinces , de tenir la maîn
chacun en droit foi , à l'exécution du préfent
Arrêt , lequel fera imprimé , publié & affiché
par-tout où befoin fera , & tranfcrit fur les Regiftres
de toutes les Chambres Syndicales du
Royaume. Fait au Confeil d'Etat du Roi , Sa
Majefté y étant ; tenu à Verſailles le fix mai mil
fept cent quatre-vingt-neuf.
IDEM , qui supprime le No. Ier. d'une.
Feuille périodique ayant pour titre
Etate-Généraux , et qui fait défenses.
d'en publier la suite...
Le Roi , par fon -Arrêt du 6 de ce mois , en
ordonnant l'exécution des Réglemens de la Lib.
airie , a défendu l'impreffion , publication &
( 129 )
diftribution de tous Profpectus , Journaux ou
autres Feuilles périodiques qui ne feroient pas revêtus
de fa permiffion expreffe ; mais Sa Majefté
étant informée qu'on a ofé répandre dans le Public ,
en vertu d'une foufcription ouverte fans aucune
autorifation , & fous la forme d'un Ouvrage périodique
, un Imprimé portant No. I. , & ayant
pour titre , Etats- Généraux, daté de Verfailles du
2 Mai 1789 , commençant par ces mots : Avan
de parler de la Cérémonie , & finiffant par ceuxci
Le fimple récit des faits exige trop de place ,
dont la foufcription eft annoncée chez le Jay fils ,
Libraire à Paris , a cru devoir marquer particu
lièrement fon improbation fur un écrit auffi condamnab'e
au fond qu'il eft repréhenſible dans fa
forme . A quoi voulant pourvoir , Oui le Rapport,
& tout confidéré , le Roi érant en fon Confeil ,
de l'avis de M. le Garde- de - Sceaux , a fupprimé
& fupprime ledit Imprimé , comme injurieux &
portant avec hii , fous l'apparence de la liberté ,
tous les caractères de la licence ; défend à tous
Imprimeurs , Libraires , Colporteurs & autres ,
de vendre, publier ou diftribuer ledit Imprimé ,
fous peine d'interdiction de leur état ; ordonne
Sa Majefté à toutes perfonnes qui pourroient en
avoir des exemplaires , de les porter an Greffe du
Confeil pour y être fupprimés ; fait Sa Majesté
très- expreffes inhibitions & défenſes , fous peine
· d'interd &tion , & même de plus grande peine s'il
y échet , au nommé le Jay fils , Libraire à Faris ,
& à tous Imprimeurs , Libraires & autres , de
recevoir aucune foufeription pour ladite Feuille
périodique ; comme auffi d'imprimer , publier ou
diftribuer aucun numéro qui pourroit en être la
fuite. Enjoint S. M. au Steur Lieutenant- général
de Police à Paris , & aux Sieurs Intendans &
Commiffaires départis dans les Provinces de tenir
la main chacun en droit foi à l'exécution du préfent
f1
( 130 )
Arrêt , lequel fera imprimé , publié & affiché
par- tout où befoin fera , & notamment dans les
villes de Paris & de Verfailles , & tranferitfur les
Registres de toutes les Chambres, Syndicales du
royaume. Fait au Confeil d'Etat du Roi , Sa
Majefté y étant , tenu à Verfailles le 7 mai
1789.
L'article de Versailles qui précède
celui-ci , ne suffisant pas à la curiosité
publique , nous y joindrons le détail
plus circonstancié des deux grandes cérémonies
de la Procession et de l'ouverture
des Etats- Généraux . Ces descriptions
sans doute ne jettent qu'un intérêt
accessoire sur le grand objet de cette
Convocation nationale ; mais la solemnité
des formes appartient à l'histoire ,
et un grand nombre de Lecteurs nous
reprocheroient de l'avoir négligée .
La Cérémonie Religieufe qui devoit précéder les
Etats-Généraux , eut lieu le 4 de ce mois. Dès le
famedi 3 Sa Majesté permit que les Députés lui
fuffent préfentés . Il y eut à ce fujet une réclamation
de ceux de Bourgogne : ayant entendu appeler
le premier , le Bailliage de Vermandois , ils prétendirent
que cet honneur leur étoit dû , en l'abfence
des Députés de la Capitale et de fa Vicomté.
Cependant , pour ne pas fufpendre cette préfentation
, ils gardèrent le rang qu'on leur avoit
affigné , & remirent à faire valoir leurs droits , le
foir même, pour la proceffion du Lundi . La dé,
Cison du Roi leur a été favorable , & ils parurent
ce jour-là à la première place. La même difficulté
s'étoit préfentée en 1614. Du refte , tous les Dé
putés, le jour de cette préfentation , furent nommés
à Sa Majesté . La foule différence qu'il y ait
( 131 )
eu entre les Ordres , c'eft que le Tiens fur reçu
dans la chambre de Sa Majefte , & que la Noblefle
& le Clergé le furent dans le cabinet .
Les Députés ayant été invités d'affifter le lendemain
, en habit de cérémonie , à la Proceflion générale
du St. Sacrement , ils fe rendirent de bonne
heure dans l'Eglife de Notre- Dame , Paroifle du
château de Verfailles. Le Roi fortit à 10 heures
pour fe rendre à cette Eglife : fes carroffes , ceux
de la Reine , des Princes fes Frères , des autres
Princes & Princeffes du Sang , le Vol du Cabinet ,
& c. & c.; tout le Cortège enfin , & la pompe qui
entourent les Rois de France dans les grandes
Cérémonies , fe montrèrent à celle -ci . Un Peuple
nombreux répandu dans les rues , les croifées garnies
de fpectateurs & le beau temps , concoururent
à la magnificence de ce fpectacle. Sa Majesté
avoit dans fon carroffe les Princes fes Frères , M.
le Duc d'Angoulême & M. le Duc de Berry ; la
Reine & les autres Princeffes venoient à la fuite
de Sa Majesté. Après une courte prière à Notre-
Dame , la proceffion commença à fe former ; il
étoit alors 11 heures : elle étoit ouverte par les
Récollets , feul Corps de Religieux qui foit à Verfailles
; venoit enfuite le Clergé des deux Paroifles
de Verfailles , enfuite les Députés du Tiers- Etat ,
marchant à la file fur deux lignes parallèles . On
remarqua le plus , dans cet Ordre , des Laboureurs
Bas- Bretons , du diocèse de Vannes , qui avoient
confervé leur vefte & culcite de bure. La Nobleffe
fuivoit le Tiers - Etat , & POrdre de l'Eglife
celui de la Nobleffe. La Mufique du Roi fépara les
Evêques du Clergé du fecond Ordre : ils furent
alors placés immédiatement avant le Dais du St.
Sacrement , porté par M. l'Archevêque de Paris.
Il n'y avoit que 32 Evêques , quoiqu'on en compte
au moins 50 de députés aux Etats - généraux . M.
l'Archevêque de Rouen , à grande chape de Carf
vj
( 132 )
dinal , avoit la place d'honneur. Le Dais étoit
porté par les Grands Officiers & les Gentilshommes
d'honneur des Princes , Frères du Roi , qui fe
relevoient fuccefivement. Les cordons du Da's
étoient tenus par MONSIEUR , M. Comte d'Artois
, M. le Duc d'Angoulême & M. le Duc de
Berry.Le Roi marchoit immédiatement après ; les
Princes du S.ng , les Ducs & Pairs & autres Seigneurs
étoient à droite , à la fuite du Roi. La Reine
étcit à la gauche de Sa Majefté . Elle étoit fuivie
par MADAME Madame Elifabeth , Madame la
Ducheffe d'Orléans & Madame la Princeffe de
Lamballe : les autres Princeffes étoient abfentes ou
indifpofées. Toutes les Perfonnes formant certe
Proceffion portoient un cierge. Pendant toute la
marche de Notre Dame à St. Louis , Sa Majesté
reçut les acclamations continuelles & les voeux
des Spectateurs. Parvenus à l'Eglife St. Louis , les
trois Ordres y entendirent la Meffe , & le Sermon
prononcé par M. de la Fare , Evêque de Nanci.
Ce Difcours , de près de 7 quarts d'heure , fut
écouté avec intérêt . Le tableau des funeftes effets
du régime fifcal , celui du luxe de la Cour & des
villes , mis en oppofition avec la mifère des campagnes
, l'éloge du Roi & les bienfaits qu'il prépare
à la Nation , de concert avec fes Repréfentans
, &c. & c. , caufèrent une impreffion qui fit
oublier la décence , & l'Orateur fut applaudi fans
refpect pour lamajefté de l'aſſemblée & de la cérémonie.
Le lendemain 5 , S. M. fit l'ouverture
des Etats- Généraux . Avant de rendre
compte de cette première Séance , nous
donnerons une esquisse de la salle destinée
à l'Asssemblée.
Cette fale , de 120 pieds de longueur , & de
57 de largeur en dedans des colonnes , eft fou(
133 )
tenue, fur des colores cannelées d'ordre ionique ,
fans piédeftaux , à la manière grecque ; l'entablement
eft enrichi d'oves , & au- deffus s'élève un
plafond percé en ovale dans le milieu : le jour
principal vient par cet ovale , & eft adouci par
une efpèce de tente en taffetas blanc . Dans les
deux extrémités de la falle , on a ménagé deux
jours pareils qui fuivent la direction de l'entab'ement
& la courbe du plafond. Dans les bas- côtés
on a difpofé pour les fpectateurs , des gradins ,
& à une certaine hauteur des murs , des travées
, ornées de baluftrades. La partie de la falle
deftinée à former l'eftrade pour le Roi & pour
la Cour , eft furmontée d'un magnifique dats ,
dont les retrouffs font attachés aux colonnes ,
& tout le derrière du trône forme une vafte
enceinte tapiffée de velours femé de fleurs- delis.
Le trône eft placé fous le grand baldaquin .
Au côté gauche du trône , étoit un grand fauteuil
pour la Reine , & enfuite des tabourets pour les
Princeffes. A droite , il y avoit des plians pour
les Prince , auprès du marche- pied du trône ,
une chaife à bras pour M. le Garde - des- Sceaux ,
à gauche & à droite un pliant pour le Grand-
Chambellan. Au bas de l'eftrade , étoit adoffé
un banc pour les Secrétaires d'Etat , & devant
eux une longue table couverte d'un tapis de velours
violet , femé de fleurs- de- lis . Les banquettes
de la droite étoient deftinées aux 15 Confeillers
d'Etat & aux 20 Maitres des Requêtes invités à
la Séance ; les banquettes de la gauche ont éte
occupées par les Gouverneurs & Lieutenans-
Généraux des provinces. Dans la longueur de
la falle , à droite , étoient d'autres banquettes
pour les Députés du Clergé , à gauche , il y en
avoit pour la Nobleffe & dans le fond , en face du
tiône,étoient celles deftinées aux Communes. Tous
( 134 )
les planchers de la falle & de l'eftrade étoient recouverts
de magnifiques tapis de la Savonnerie .
Le Marquis de Brezé , & deux maîtres de cérémonies
, commencèrent à placer les Députés
dès neuf heures du matin , ils avoient été tous
convoqués dans l'une des deux falles voifines deftinées
aux délibérations particulières des Ordres
du Clergé & de la Nobleffe. Là , les députations
furent appelées à tour de rôle , & chacun de
leurs Membres fur conduit à fa place par un des
Officiers des cérémonies. Cet arrangement employa
plus de 2 heu . Les Confeillers d'Etat, les Gouverneurs
& Lieutenans- Généraux des provinces ,
les Miniftres & Secrétaires d'Etat , prirent auffi
leurs places ; & au milieu de l'enceinte du parquet ,
le Roi d'Armes , avec quatre Héraults revêtus de
leurs cottes d'armes , fe tinrent debout pendant
toute la cérémonie. Après que tout le monde fut
placé , on alla avertir le Roi , la Reine , qui arrivèrent
auffi- tôt , précédés & fuivis des Princes
& Princeffes & de leur cortége ; le Roi fe plaça
fur fon Trône , la Reine fur un grand fauteuil à
fa gauche , & les Princes & Princeffes formèrent
un demi- cercle fur l'eftrade' ; les Dames de la
Cour occupoient, en grande parure , les galeries
de la falle du côté de l'eftrade , & toutes les autres
galeries étoient garnies de Dames fur le devant,
ainfi que fur les travées. Toute l'Affemblée fe
eva lors de l'entrée du Roi , qui fe tint debout
pendant quelques minutes , pour donner le temps
à la Cour de fe placer. Ce fpectacle augufte imprima
aux Affiftans une émotion mêlée de respect
, qui produifit le filence le plus exact . Le
Roi s'étant placé fur fon Trône , mit fon chapeau ,
fe leva , & fe couvrit de nouveau. Les trois Ordres
fe couvrirent en même-temps.
( 135 )
Le -Roi s'étant assis et couvert , prononça
un discours qui excita dans tous
les coeurs l'émotion la plus vive ; et Sa
Majesté fut interrompue plusieurs fois
par les témoignages les plus expressifs
de l'amour et de la reconnoissance .
DISCOURS DU ROI.
MESSIEURS ,
Ce jour que mon coeur attendoit depuis longtemps
eft enfin arrivé , & je me vois entouré
des Repréfentans de la Nation à laquelle je me fais
gloire de commander.
Un long intervalle s'étoit écoulé depuis les
deraières tenues des Etats - Généraux ; & quoique
la convocation de ces Affemblées parût être tombée
en défuétude , je n'ai pas balancé à rétablir un
ufage dont le royaume peut tirer une nouvelle force,
& qui peut ouvrir à la Nation une nouvelle fource
de bonheur.
:
La dette de l'Etat , déja immenſe à mon avènement
au trône , s'eft encore accrue fous mon
règne une guerre difpendieufe , mais honorable ,
en a été la caufe ; l'augmentation des impôts en a
été la fuite néceffaire , & a rendu pius fenfible leur
inégale répartition .
Une inquiétude générale , un défir exagéré
d'innovations , fe font emparés des efprits , &
finiroient par égarer totalement les opinions , fi on
ne fe hâtoit de les fixer par une réunion d'avis fages
& modérés.
C'eft dans cette confiance , Meffieurs , que je
vous ai raffemblés , & je vois avec fenfibilité qu'elle
( 136 )
a déja été juftifiée par les difpofitions que les deux.
premiers Ordres ont montrées à renoncer à leurs
priviléges pécuniaires. L'efpérance que j'ai conçue
de voir tous les Ordres réunis de fențimens concou
rir avecmoi au bien général de l'Etat , ne fera point
trompée.
J'ai déja ordonné dans les dépenſes des retranchemens
confidérables ; vous me préfenterez encore
à cet égard des idées que je recevrai avec empreffement
; mais malgré la reffource que peut
offrir l'économie la plus févère , je crains , Mes
fieurs , de ne pouvoir pas foulager mes Sujets
auffi promptement que je le défirereis . Je ferai
mettre fous vos yeux la fituation exacte des
finances , & quand vous l'aurez examinée , je fuis
affuré d'avance que vous me propoferez les
moyens les plus efficaces pour y établir un ordre
permanent, & affermir le crédit public. Ce grand
& falutaire ouvrage , qui affurera le bonheur du
royaume au-dedans & fa confidération au- dehors
vous occupera effentiellement.
Les efprits font dans l'agitation , mais une Alemblée
de Repréfentans de la Nation_n'écoutera
fans doute que les confeils de la fage.Te & de la
prudence. Vous aurez jugé vous mêmes , Mesfieurs
, qu'on s'en est écarté dans plufieurs occafions
récentes; mais l'efprit dominant de vos délibérations
répondra aux véritables fentimens d'une Nation
généreufe , & dont l'amour pour fes Rois a toujours
fait le caractère diftinétif : j'éloignerai tout autre
!ouvenir.
Je connois l'autorité & la puiffance d'un Roi
ufté au milieu d'un Peuple fidèle & attaché de
tout temps aux principes de la Monarchie ; ils
ont fait la gloire & l'éclat de la France ; je dois
en être le ſoutien , & je le ferai conftamment .
( 137
Ma's tout ce qu'on peut attendre du plus tendre
intérêt au bo heur public , tout ce qu'on peut
demander à un Sonverain , le premier ami de fés
Peuples , vous pouvez , vous devez l'efpérer de més
fentimens.
Puiffe , Meffieurs , un heureux accord régner
dans cette Affemblée , & cette époque devenir
à jamais mémorable pour le bonheur & la profpérité
du royaume l'c'eft e fouhait de mon coeur
c'eft le plus ardent de mes voeux , c'eſt enfin le
Prix que j'attends de la droiture de mes intentions
& de mon amour pour mes Peuples.
Mon GARDE-DES-SCEAUX va vous expliquer
plus amplemest mes intentions , & j'ai ordonné
au DIRECTEUR- GÉNÉRAL DES FINANCES de vous
en expoſer l'état. ….:
Après le discours de Sa Majesté , le
Garde - des - Sceaux de France prit la
parole par ordre et au nom de Sa Maj .;
et le Directeur-général des Finances ,
aussi par ordre de Sa Majesté , parla
ensuite. C'est par le discours de ce Ministre
que cette Séance auguste et mémorable
fut terminée .
Le Roi sortit de la salle au bruit des
mêmes applaudissemens et des mêmes
acclamations qui s'étoient fait entendre à
son arrivée , et la Reine partagea ces
hommages.
( Nous donnerons dans huit jours les
discours de M. le Garde-des-Sceaux et
de M. Necker. )
Lepremiertravail des troisOrdres devant
( 138 )
être la vérification des pouvoirs de leurs
Députés respectifs, les Etats-Généraux se
rassemblerent , le 6 , pour y procéder.
Le Tiers-Etat désiroit que cette opération
se fît dans une Assemblée générale et com-~
mune La Noblesse et le Clergé ont aut
contraire décidé la question en faveur de
la séparation des Ordres , sur le motifque
les Elections ne s'étant point faites en
commun , leur légitimation devoit s'opérer
dans la même forme. Cette , scis
sion a prévalu dans l'Ordre de la Noblesse
à une grande pluralité de suffra
ges ; elle a réuni moins de partisans dans
POrdre du Clergé. Le même jour , la
Noblesse choisit douze Commissairesvérificateurs
, parmi les Gentilshommes
les plus âgés , et un Président ad tempus
dans la personne de M. le Comte de
Montboissier , Deyen de l'Assenlée .
Le Clergé nomma également une commission
présidée par M. le Cardinal de
la Rochefoucault : nous n'apprenons pas
que le Tiers-Etat se soit encore donné
de Président .
Plusieurs Députations n'étoient pas
encore arrivées à l'ouverture des Etats-
Généraux . Paris , le Clergé excepté , n'a
commencé ses Elections que depuis
deux jours . Mille incidens ou questions
épisodiques , ont prolongé ces Séances.
Messieurs du haut Clergé régulier et
( 139 )
séculier de l'Artois , ayant protesté contre
la forme de l'Assemblée d'Election , se
sont retirés le 28 avril.
Les Curés ont procédé , malgré cela,
à l'élection des Députés , et d'une voix
unanime ont élu M. de Conzie, Evêque
d'Arras , pour leur Député , qui n'a pas
cédé à leurs instances , et a refusé. Ils
ont alors procédé au scrutin , et ont
élu MM. le Roux , Curé de S. Pol ;
Boudard, Curé de la Couture ; Bhier,
Curé d'Hersin ; Diot, Curé de Lignysur-
Cange. Pour suppléans , MM. Revolte
, Curé de Sainte - Aldegonde de
Saint-Omer ; Canet, Curé de Morval.
Le 30 , MM. du haut Clergé , dans
une Assemblée particulière , ont nommé
pour leurs Députés , MM. de Conzie,
Evêque d'Arras ; l'Evêque de St. Omer,
l'Abbé de St. Bertin , l'Abbé de Bovel,
Vicaire-Général de la Cathédrale d'Arras
.
MM. du Corps de la Noblesse , dans
leur Assemblée générale , ont nommé
pour leurs Députés aux Etats-Généraux ,
MM. de Briois , premier Président au
Conseil d'Artois , le Comte Charles de
Lameth , le Sergeant d'Isbergue , le
Comte de Croix.
Une partie de MM. de la Noblesse
entrante aux Etats ordinaires d'Artois
( 140 )
se sont retirés , et ont envoyé à Paris
quatre Députés qui sont : MM. le Comte
de Cunthy , de Créqui , le Marquis de
Croix , le Marquis d'Avrincourt.
La Noblesse du Bailliage principal
de Rouen , s'étant trouvée divisée d'opinions
pour l'abandon des priviléges pécuniaires
, 107 de ces Messieurs ont fait
la déclaration suivante , qui a été dépo-
`sée aux mains de Delabarre , Notaire ,
pour être mise au nombre de ses minutes
, en date du 22 avril 1789.
Voici la teneur de la déclaration:
Les Gentilshommes ci -après fouffignés, con-
« fidérant que les diftinctions des rangs font indifpenfables
dans tout état monarchique , mais
« que les diftinctions inhérentes à la Nobleffe
« réfident fur une toute autre baſe que les pri
" viléges pécuniaires ; »
« Confidérant que l'impôt doit être fupporté
" par tous les Citoyens , à raifon de leurs facultés ,
« comme un gage de la protection que l'Etat
» leur ,accordé, & ne prétendant jatnais féparer
» leur qualité de Gentilhomme de celle de Ci
» toyens François ; »
« Fâchés que les circonftances ne leur aient
" pas permis d'être les premiers à préfenter leur
» voeu , dont l'effet doit être l'union entre les
Ordres , fi désirable pour le bien de l'Etat ;
Ont fait la déclaration ci- après :
Nous fouffignés , faifant partie de l'ordre de la
Nobleffe du bailliage principa . de Rouen , décla
rons , par acte formel & authentique , vouloir
( 141 )
fupporter comme les autres Ordres , dans une
parfaite égalité & chacun en proportion de notre
propriété , les impôts qui feront confentis par les
Etats- Généraux ; « ne prétendant nous réſerver
» que les droits facrés de cette propriété , & les
honneurs , prérogatives & diftinétions effentiel-
» lement inhérentes à la Nobleffe. Fait & figné
» le 22 avril 1789. ».
"
·
Signés , le Comte de Blangy , le Marquis de
Rozay , le Marquis de Pardieu , le Marquis de
Vielamaifon , le Comte de la Rivière-pré- d'Ange ,
le Chevalier d'Ofmont, le Sens de Folleville , Préfident
à Mortier au Parlement ; le Marquis de
Seignelay , le Comte d'Eftampes , Chalenge , Chrif
tien de Fumechon , Confeiller au Parlement ; Grout ,
Comte de S. Paër ; Corneille , le Seigneur de Saint-
Léger , de Banville , d'Auger , le Marquis d'Eftouteville,
de la Vache, Baron du Sauffay ; de Caquerey,
de Landelle , le Comte de Nocey, de la Niepce-
Duplis, le Moyne de Boisgautier, le Jaulne , Biffon,
de la Roque , Cavalier des Clavelles , Odoar du
Hazey, le Marquis de Marguerite , de Freville
de Caqueray de Pleinefevette , de Mancel de Sequeville
, Chevalier des Clavelles , Midy d'Ande , Cabeuil
du Vaurouy , Midy de la Grenerais , le Couteulx
de Canteleu , Freville de la Haye , le Marquis
de Bourachay , Grenier d'Ernemont fils , Antoine
Garvey, le Vicomte de Dauvet, Lefebvre de la
Barre , le Vavaffeur , Quefnel, le Marquis de Dauvet,
le Comteulx de Verclives , Grenier d'Ernement père ,
le Sens , le Chevalier Odoard du Bofcage de Ble
ville, le Couteulx , premier Préfident de la Cour
des Comptes , Aides & Finances ; le Marquis Davy
d'Ernemont, de Maneville du Roumois , Maître
des Comptes; le Begue, Comte de Germiny ;
Poterat de S. Sever , le Chevalier l'aîné , le Chevalier
le jeune , Grandin de Raimbouville , le Che-
!
( 142
a
valier Grenier de Cauville , d'Herbouville , le Marquis
d'Eftampes , de la Mouque , d'Inquerville fils ,
Daniel , Chevalier de Grangues ; le Marquis de
Giffard, le Marquis de Soquence , de Brofard du
Vauroity , le Chevalier de Campion ', le Chevalier
Picquet de la Houffiette , le Baron de Pontécoulant
, le Comte de Courcy , le Comte de Brancas ,
Abbey de Villerville , Hallé de Candos , Bellemare
de S. Cyr. Caqueray de S. Mandé , de Caqueray
de Marquemont, e Chevalier Varin de S. Ouen,
Morceng , Ramfreville des Noyers , Berthot du
Bofctheroulde , Lefebvre de Vatimefnil , le Vaillant
de la Haye , Héramberg, Confeiller au Parlement ;
le Vaillant de la Fieffe-Montrofiy , le Roy de Livet,
Dorieult de S. Samfon , Defpaigne de Boftennay ,
le Vaillant de Mouchy , le Vaillant de Rouge-Foffe ,
Henriquès du Fayel ,Rondel de Parfontaines , Routier
des Certelles , Dubofc , Comte de Radepont ;
de la Roque du Framboifier , Guyot d'Amfreville ,
Huegrais , du Hecquet , le Pefant de Boifguillebert ,
tant en mon nom que comme porteur de procuration
de M. le Marquis de Bouville ; de Fréville
de l'Ome , Fréville de la Haye , le Chevalier de
Chailloué , de Pellegars de la Rivière , de ‘Mervat ,
le Marquis de Vielzmaifons , comme porteur de
procuration de Mademoifelle de Gouzeville , &
de Madame la Marquise de Franqueville ; le Comte
de la Rivière-pré-d'Ange , comme porteur de pro
curation de M. le Comte d'Angerville ; le Chevalier
père , & comme porteur de procuration de M.
Dacheu du Boulay ; Acir de S. Martln , de Bailleul
, Préfident à Mortier au Parlement , Grand-
Bailli de Caux.
3
,
M. le Duc de Harcourt a envoyé une nouvelle
procuration , en date du 24 avril 1789 ,
pour adhérer à ladite déclaration , avec la lettre
( 143 )
fuivante , datée du même jour , au Château de
Meydon :
I
"
J'apprends , monfieur , qu'il y a partage d'opinions
dans la Nobleffe à l'affemblée de Rouen ,
» fur l'abandon de fes priviléges pécuniaires ;
quoique vous connoiffiez ma profeffion de foi
» fur tout ce qui regarde l'intérêt général ,je vous
» prie de vouloirbien joindre ma voix , en vertu de
» la procuration dont vous avez bien voulu vous
» charger , à celle des Nobles , qui veulent con-
» tribuer par cet abandon à l'acquit des dettes`
» de l'Etat , & au foulagement de la partie de
» la Nation la moins en état de faire ces fa-
» crifices ; s'il y a des proteftations , je proteſte
« contre le refus de cet abandon , que je défire
» faire fans réſerve . Je n'ai jamais fenti fi vive-
» ment qu'en ce moment , le regret de n'être
pas réuni à mes Concitoyens , & de n'avoir
» pas une fortune plus confidérable. »
J'ai l'honneur d'être , avec un parfait attachement
, monfieur , & c . & c.
Le Duc DE HARCOURT.
M. Paris , Leutenant - Colonel de Dragons ,
Chevalier de Saint- Louis , a adhéré auffi à ladite
déclaration , & a fait parvenir la lettre fuivante ,
datée de Paris , rue des Vieilles Audriettes , le
22 avril.
« Le bruit fe répand ici , monfieur , que la
» Nobleffe de Normandie , affemblée à Rouen
» refufe de faire le facrifice de fes priviléges
» pécuniaires ; certe façon de penſer étant ent ère-
» ment contraire à la mienne & à l'efprit de
» la procuration dont vous avez bien voulu vous
charger , je vous prie inftamment de vous
» joindre en mon nom , & de me faire infcrire
» au nombre des Gentilshommes qui auront opiné
"
(2344 )
» pour le facrifice defdits priviléges pécuniaires ;
» je vais plus avant , car fi perſonne na éé de
2 cet avis , je vous demande expreffément d'en
faire la déclaration en mon nom , & d'en
prendre acte »
« Pardon , monfieur , de la peine que je vais
» vous donner ; mais telle que foit votre opi-
» nion particulière , je ne doute pas que vous
» ne me rendiez le fervice que je vous de-..
» mande : vous connoiffez , monfieur , toute l'é-
» tendue des ſentimens que je vous ai voués. ´»
Signé , PARIS.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 23 MAI 1789.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A M. l'Abbé LE DUC , Abbé de Saint-
Vincent de Laon, à l'occafion du Difcours
par luiprononcé dans l'Affemblée des trois
Ordres du Vermandois , tenue en l'Eglife
Cathédrale de Laon, le 16 Mars 1789.
QuVEL eft cet Orateur qui porte en traits de
flamme ,
La lumière à l'efprit , le fentiment à l'ame ?
Que de chaimes fa voix prête à la vérité!
C'eſt l'organe du coeur & de l'humanicéz
N. 21. 23 Mai 173
G
2
MERCURE
146
Dans fon ftyle touchant , il fait de la fageffe ,
En confervant fa force , adoucir la rudele .
Son Difcours eft fi vrai , fi jufte , fi fenfé ,
Qu'avec lui , comme lui , l'on croit avoir penſé ,
Quand j'y vois la Raiſon appuyer la Science ,
C'eſt , dis-je , un fruit des ans & de l'expérience ;
Un fact fi délicat , un jugement fi sûr ,
Sont des préfens tardifs que feul fait l'âge mûr.
Que dira-t -on pourtant , fi l'Orateur illuftre
Touche à peine en ce jour à fon fixième luftre ?
Si, penfant de bonne heure, & fage avant le temps,
A peine il voit fleurir deux fois treize Printemps ?
Eh bien rien n'eft plus vrai , la preuve eft invin
cible ,
Remarquez la chaleur de fon ame fenfible
Dans ces mots pénétrans , ces mots confolateurs ,
Tendrement adreffés aux bons Cultivateurs .
» Ne craignez point l'oubli , vous nos amis , nes
» frères !
}
Les Deftins vont ceffer de vous être contraires.
» Vous êtes de l'Etat le vénérable appui ,
Il est heureux par vous , voes le ferez par lui
Un moment pour jamais va finir vos alarmes ;
» Unmoment ! & ces champs arrofés de vos larmes,
» Par delà votre espoir vont payer vos travaux ;
» Le bonheur va fourire à vos efforts nouveaux ,
Et confolés par lui , vos enfans , vos campagnes
» Vont galment avec vous féconder nos campa
agues "
DE FRANCE.
147
En aiguifant le fens & la fagacité ,
Le temps émouffe auffi la fenfibilité .
Mais vous, jeune Orateur, humain, favant, & fage
Votre fort fut d'avoir les vertus de chaque âge.
Toujours le fentiment fait aimer la raifon ;
Ils vous fuivront tous deux dans l'arrière ſaiſon ;
Et ces deux tréfors, nés d'un coeur tel que le vôtre,
Sauront, fans s'épuifer, s'enrichir l'un par l'autre...
Vous qu'appellent fon coeur & fes foins généreux,
Pauvres , qui languiffez , que vous ferez heureux !
Il donne des vertus le précepte & l'exemple :
L'Eternel, de fon ame, a fait ſon plus beau temple ; '
Et quand fa main divine en fera votre appui ,
Vous ferez fortunés , mais moins encor que lúi.
*
Et vous ,Monarque aimé, vraiment digne de l'être!
Vous qu'il peint auffi bien qu'il fait vous bien connoître
,
Vous , Prince ( 1 ) incorruptible, & dont l'auftère voix
Tonne à côté du Trône au nom facré des Loix ;
Et vous,fang de nos Rois, Princeffes courageufes( 2 ),
Qui , dans l'obfcur chaos de nos nuits orageufos ,
a ceffe par vos voeux appellez le retour
De l'Aftre d'équité qui nous rendra le jour,
Combien vous aimerez & l'Auteur & l'Ouvrage
Sans peine il obtiendra votre auguſte ſuffrage.
De penfer comme lui , qui ne feroit jaloux !
Q Princes, vertueux il penſe comme vous.
( Par un Abenné. )
( 1 ) MONSIEUR.
(2) MESDAMES
L
148
MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eſt Remède ; celui
de l'Enigme eft Chemin ; celui du Logogriphe
eft Melpomene , où l'on trouve Molé
Pomme, Pole , Poêle , Eole , Pelée , Léon ,
CHARADE
.
Nos Dames quelquefois chériffent mon premier ,
Et cachent mon fecond avec un foin extrême :
De mon premier, fouvent , c'eft l'argent que
aime ;
l'an
Rarement mon premier fe plait dans mon entier,
( Par M. D ... B ... ).
ÉNIG ME,
UNE étroite prifon eft toujours ma demeure
Où même on meneh una par le noeud le plus fort ;
Celui qui me forma , veut qu'à l'inſtant je meure ,
Si je brife mes fers & veux changer mon fort i
DE FRANCE. ~149
Mais , malgré la contrainte où je fuis affervie ,
Je fais dans l'Univers & du bien & du mal ;
Je fers les noirs projets du méchant , de l'envie ,
Je fars l'homme de bien , & même l'animal ;
A mille objets divers je fais me rendre utile ;
1
Je rends plus d'un fervice à l'actif Commerçant ;
Par moi le Voyageur trouve un chemin facile :
Enfin je fais , Lecteur , ton plus bel ornement.
( Par une Abonnée. )
LOGOGRIPHE.
QUOIQUE je fois d'un sèxe auquel on rend
hommage ,
Souvent en m'approchant on me tourne le dos }
Mais c'eft un procédé qu'autorife l'uſage ,
Et dont je me plaindrois affez mal à propos.
Ce mépris apparent n'ayant rien qui m'offenſe ,
Avec moi , mes amis , ufez - en fans façon ;
Sur ce point je vous donne une entière licence :
Au refte , mes rigueurs ne font pas de faifon ;
Mais il faut achever de me faire connoître .
Combinez mes huit pied ; vous allez voir paroître
G3
150 MERCURE
.
Ce grand Prince Troyen, fils chéri de Vénus
Epoux de Lavinie & vainqueur de Turnus ;
Vous trouverez encor cette forêt d'Elide ,
Repaire d'un Lion étouffé par Alcide';
Cet animal foumis , craintif & careffant ,
Dont la fidélité femble être le partage ;
Un Royaume d'Afie , étendu , floriffant ,
Et dont l'ancienneté remonte au premier âge ș
Ce qui nous fournit l'or & tant d'autres métaux;
Et ce qui dans un fiége engloutit un ouvrage ;
Ce que le plus qu'on peut on abrège en voyage ;
Ce qui dans une fampe en garnit fes tuyaux ;
Et pour tout dire enfu , un Comté d'Italie .
Je finis ; je me tais , car ma tâche eft remplic.
( Par M. de Chateauvieux , Off
au Rég, de Neuflrie. )
DE FRANCE
151
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
EXAMEN du Gouvernement d'Angleterre,
comparé aux Conftitutions des Etats-
Unis , où l'on réfute quelques affertions
contenues dans l'Ouvrage de M. Adams,
intitulé : Apologie des Conftitutions des
Etats-Unis d'Amérique ; & dans celui de
M. Delolme , intitulé : De la Conſtitu→
tion d'Angleterre ; par un Cultivateur de
New- Jersey. Ouvrage traduit de l'Anglois
, & accompagné de Notes . A Londres
; & fe trouve à Paris , chez Froull ,
Libr. quai des Auguftins, 1789. In -8 ° .
L'E ' EXAMEN de la Conftitution Angloire
ne pouvoir être offert au Public dans des
circonftances plus favorables . Cette Conftitution
, dent quelques phrafes de Voltaire
& un chapitre de Montefquieu avoient
fait en France l'objet d'ene forte de culte
national , à une époque où il exiftoit peu
G 4
152: MERCURE
>.
d'idées juſtes fur les principes des Gouvernemens
; cette Conftitution dont les hommes
éclairés n'ofoient pas même expoſer
trop ouvertement les défauts , de peur d'être
accufés par leurs Concitoyens de vouloir
les tromper par de perfides confolations ;
cette Conftitution va fixer enfin les regards
de tous les hommes éclairés ; & de
cet examen doivent naître les moyens de
décider une foule de queftions qui partagent
en ce noment les efprits , & fur
lefquelles la Nation n'a jamais eu un plus
grand intérêt à avoir des idées exactes . En
lifant avec quelque attention les Ecrivains
qui ont créé ou voulu créer fur cette matière
une efpèce d'opinion publique , ils
fauront fe défier de cet enthouſiaſme réel
ou fimulé , dont la vérité n'a pas befoin
pour affurer fon empire , & qui n'a jamais
fervi qu'aux fuccès de l'erreur ; ils diftingueront
l'efprit de paradoxe qui imagine
des rapports ingénieux , de la juſteſſe d'efprit
qui fe borne à faifir les rapports véri
tables ; ils ne confondront pas l'art de raifonner
, la faculté de ne voir dans les faits
que ce qui exifte , & dans les principes
que ce qui eft certain , avec le talent plus
ou moins difficile , d'arranger , de combiner
des faits & de créer , pour les expliquer
, des principes qui ne font que les
réfultats imaginaires de ces combinaifons.
Ils ne prendront pas toujours la chaleur
de tête pour la force de l'ame , des idées
"
DE FRANCE. 153
hardies pour des idées juftes , & des vûes
extraordinaires pour des résultats neufs &
profonds .
C'eft après que la Conftitution Angloife
aura été examinée , d'après les vrais principes
de la politique , & non d'après l'autorité
de quelques Ecrivains , qu'on pourra
décider fi elle mérite véritablement d'être
propofée comme l'image d'une Conftitution
parfaite , comme un fyftême d'organifation
fociale , dont doivent fe rapprocher
fans celle les Nations qui veulent donner
à la félicité publique & à la fûreté individuelle
des fondemens inébranlables.
Le Livre que nous annonçons pourra faciliter
cet utile examen . Si les ilées qu'il
renferme paroiffent extraordinaires dans un
pays où l'on n'a généralement parlé jufqu'aujourd'hui
de la Conftitution Angloife
que pour en faire l'éloge , elles n'étonneront
pas les Anglois , qui font accoutumés
à réfléchir fur les principes de leur Conf
titution , à en fuivre la marche , & à
confidérer chaque jour le développement
de fes différentes parties. Il existe en Angleterre
plufieurs bons Ouvrages de cette
efpèce. Mais comme ce qui eft fimple &
naturel n'avoit pas encore acquis en France
le droit de frapper les efprits de la même
manière que ce qui eft compliqué & merveilleux
, on n'a pas cru fans doute que les
GA
154
MERCURE
f
traductions de ces fortes d'Ouvrages duffentoir
parmi nous un grand fuccès.
une
Un Citoyen des Etats-Unis d'Amérique,
recommandable par les grands fervices qu'il
a rendus à fa patrie , M. Adams , ancien
Miniftre Plénipotentiaire des Etats- Unis en
Hollande , & enfuite en Angleterre
compofé , il y a quelques années ,
Apologie des Conftitutions des Etats Unis,
en 3 Vol. , » pour perfuader à fes compatriotes
, dit un des Editeurs , d'établir dans
» leur nouvelle Conftitution un mélange
» d'Ariftocratie & de Monarchie , & peu
s'en faut qu'il ne leur ait formellement
propofé d'inftituer une Nobleffe & un
" Roi , ou au moins un Stadhouder
و د
23
Quoique l'Ouvrage de M. Adams ait
produit chez les Citoyens des Etats- Unis
Peffer qu'il étoit naturel den attendre ,
d'après la difpofition des efprits & la firuation
des chofes , M. Livingston , an→
eien Gouverneur de l'Etat de New-Jerfey ,
a pris la peine d'y répondre , & à cette
occafion il a examiné le fyftême de lu
Conſtitution d'Angleterre , & réfuté quelques
erreurs de M. Delolme. Son travail
fur ce fujet n'a vraisemblablement donné
aucune lumière nouvelle aux Citoyens des
Etats - Unis , qui , pendant la révolution ,
& à l'époque de la formation du Gouver
nement , ont difcuté fort au long & avec
le calme & la réflexion qui les caractériſent ,
DE FRANCE, 155
cette importante matière ; mais il peut être
infiniment utile aux Nations que le concours
des lumières & des circonftances n'a
pas portées au même degré de perfection
politique.
C'est la Traduction de cet Ouvrage que
l'on offre au Public . Quelques Ecrivains
unis par les mêmes principes , & animés
du même zèle pour les progrès de la
vérité , y ont ajouté des Notes, dont plufieurs
forment comme de petits traités
féparés , & qui toutes donnent un plus
grand développement à quelques - unes
des vérités expofées dans le texte , & en
indiquent qui ne font pas moins intéreffantes
. Ces Notes font au nombre de 18 ,
& comprennent les deux tiers du Volume.
On a placé après ces Notes la nouvelle
Conftitution des Etats - Unis d'Amérique ,
avec les diverfes modifications que quelquesuns
de ces Etats ont foumifes à la confidération
du Congrès ; ainfi que des réflexions
fur cette Conftitution , qui fervent de fuite
à celles qui ont déjà paru dans le Tome
IVe. des excellentes Recherches hiftoriques
& politiques fur les Etats - Unis .
» On nous offre la Conftitution d'Angleterre
, dit M. Livingſton , comme un
» modèle de perfection. On a prodigue
» les éloges les plus outrés à toutes les
" parties qui la compofent. Il faur conve-
" nir qu'elle laiffe aux Citoyens une li-
ود
G6
156 MERCURE
"3
» berté civile plus étendue que celles dont
» ils ont joui dans aucune Conſtitution
» ancienne ou moderne , fi on en excepte
» les Etats- Unis d'Amérique ...... Deux
» inſtitutions les plus fimples , les plus faciles
, ont produit tous ces avantages qui
» ont caufé l'étonnement & l'admiration
» de l'Univers. C'eft én élifant parmi eux
» des Repréfentans non perpétuels pour
faire les Loix , & des Juges ( c'est- à-dire
des Jurés ) , uniquement pro hac vice ,
" pour les faire exéeuter , que le Peuple
" Anglois s'eft mis en état de fe procurer
» & de conferver un degré de liberté juſ-
و د
93 qu'alors inconnu. C'est l'établiffement
» des Repréfentans & celui des Jurés , qui
» forment les traits vraiment frappans &
prononcés du Gouvernement d'Angle-
» terre. C'eft à ces inftitutions qui lui font
" propres, & à ces inftitutions feules, qu'on
" doit attribuer la prééminence ".
"
Mais le Peuple Anglois jouit- il dans toute
fon étendue, de cet avantage inappréciable
du Gouvernement de repréſentation ? Eftil
véritablement repréſenté par fon Parlement
?
» Le Parlement eft compofé de huit cent
» quatorze Membres , dont deux cent cinquante-
fix forment la Chambre des Pairs,
» qui comprend, 1 ° . les deux Archevêques &
» les vingt - quatre Evêques d'Angleterre , lefquels
font nommés par le Roi. 2º . Tous
ود
و د
DE FRANCE. 557
1
» les Pairs Laïques Anglois , au nombre de
» deux cent quatorze , dont la plupart tien-
» nent leur titre de leur naillance , & les
"2
autres l'ont reçu de la main du Roi, qui
» peut multiplier les Pairs à volonté. 3. De
feize Députés des Pairs Ecolfois, qui font
» au nombre de quatre- vingt- douze. Tous
» ces Pairs ne repréfentent pas fans doute
» la Nation , puifqu'ils n'ont aucune mif-
"
fion d'elle ; ils opinent pour eux-mêmes
» excepté les Ecoffois, qui font cenfés parler
pour toute la Pairie d'Ecoffe ; & ces
» Pairs qui ne repréfentent pas la Nation ,
exercent cependant une partie du pou-
» voir législatif qui lui appartient ".
Comment les Nations Angloife & Ecoffoife
font elles repréſentées dans la Chambre
des Communes ?
3
י
-
» Sur cinq cent cinquante- huit Députés
" des Communes, l'Ecoffe n'en nomme que
quarante cinq ; quoiqu'elle foit , pour
» l'étendue , environ le tiers , & pour la
population environ le cinquième de la
» Grande-Eletagne , elle n'a pas un dou-
» zième des voix, Elle eſt donc évidem-
» ment léfée de plus de moitié dans la
""
participation au pouvoir légiflatif. Mais
» fi le goût du monopole & l'avidité des
priviléges exclufifs portent les Anglois ,
» animés de l'efprit mercantille qui do-
» mine dans la Chambre des Communes,
» à prendre des arrangemens nuifibles à la
158 MERCURE
» culture , au commerce & à l'induftrie de
» l'Ecoffe , quel moyen refte-t- il à celle - ci
pour s'y oppofer ? Rien ne peut la garantir
» contre une oppreffion d'autant plus ter-
» rible , qu'elle feroit légale . Les exemples
» de cette oppreffion font très fréquens.
Dernièrement encore , le Parlement vient
" d'élever une barrière fifcale entre l'Ecoffe
» & l'Angleterre , en foumettant à un droit
» confidérable les eaux- de- vie diftillées en
و ر
Ecoffe , lorfqu'elles paffent en Angle-
» terre . On peut conclure de là , que s'il
" y a quelque liberté affurée par la Conf-
» titution Britannique , ce n'eft pas pour
» les Ecoffois .
»
"
ود
99
·
Les cinq cent treize Députés de la
» Nation Angloife font formés de quatrevingt
douze Députés des Comtés , qui
» font au nombre de cinquante - deux ,
parini lefquels douze n'envoient qu'un
Repréfentant , quoique M. Delolme ait
imprimé & que l'on croie communémenti
que chique Comté en envoie deux : ce
» font les Comtés Gallois habités par la
» race de l'ancienne Nation Bretonne , qui
éprouvent cette inégalité dans le droit
de repréfentation. Quatre cent vingt un
» Députés font envoyés par différentes
villes & bourgs qui ont droit d'élection .
Ainfi l'avantage des villes far les cam-
" pagnes eft déjà très grand en général . Cet
› avantage eft de plus très - inégalement partagé
entre les villes . Des villes confidé-
"
DE FRANCE. 159
">
1
rables , telles que Sheffield , qui renferme
plus de trente miile ames , Birmingham ,
» Mancheſter, qui en renferment foixante-
» dix à quatre - vingt mille , ne députent
» point au Parlement , tandis que l'Univerfité
d'Oxford & celle de Cambridge,
» tandis que de fimples hameaux , dont un
» certain nombre n'a pas deux cents habi-
" tans , & dont quelques uns n'ont que
» deux ou trois familles , fourniffent deux
Députés au Parlement.
"
לכ
·
» Le droit de fuffrage eft établi d'une
» manière auf irrégulière que celui de
repréfentation . Là il faut être proprié
» taire ; ici appartenir à une corporation ;
ailleurs , être Citoyen de la ville ou du
bourg, où le fait l'élection ; dans d'au-
❤tres endroits , il fuffit de tenir maiſon,
&c....
""
"
"
On conçoit aifément que cette irrégularité
dans l'exercice du droit de fuffrage
'doit diminuer extrêmement le nombre dés
Electeurs des Repréfentans du Peuple , &
faciliter par conféquent les moyens de les
corrompre. Auf M. J. Burgh affure - t - il ,
dans fes Recherches politiques , qu'en An
gleterre , CINQ MILLE SEPT CENTS perfonnes,
dont la plus grande partie eft de la dernière
claffe du Peuple , élifent la MOITIÉ
de la Chambre des Communes , & TROIS
ICENT SOIXANTE QUATRE choifillent la NEWVIÈME
partie,
160
MERCURE
» Le Gouvernement Anglois , dit le
» même Ecrivain , eft une vraie Juntocra
tie , ou un Gouvernement de Miniftres
& de leur cabale ; car la Cour dirige à
" fon gré les mendians qui choififfent les
» Députés de la Nation . Eft - ce donc là
cette Conftitution qui eft devenue fi
» univerLellement un objet d'admiration &
» d'envie «<?
» Ainfi, fur huit cent quinze Dépositaires
» de tous les pouvoirs fociaux , en Angleterre
, il y en a deux cent cinquante-
» fept ( le Roi & les Pairs ) qui tiennent
» une partie de la Souveraineté en bail à
"
vie héréditaire , environ trois cents qui
» la tiennent de fix mille Electeurs , en
» bail à ferme de ſept années , & un peu
plus de deux cent cinquante qui font
» Temblant d'y prendre part pour huit mil-
» lions d'hommes pendant le même temps ".
"
Si l'égalité de la repréſentation eft la
bafe fondamentale d'une bonne Conftirution
, on peut déjà décider juſqu'à quel
point la Conftitution Angloife mérite les
éloges qu'on lui a donnés , & juſtifie l'enthoufiafme
qu'elle a fi long- temps inſpiré.
Il y a plus : la Conftitution n'offre aucun
moyen régulier & légitime de rétablir
l'égalité ; car , malgré les très-hautes prétentions
du Parlement à ce fujet , il eſt
certain qu'un Corps législatif ne peut fe
réformer lui-même , que des Repréſentans
DE FRANCE. 161
ne peuvent pas changer la forme de repréfentation
qui leur donne l'exiftence. Le
Corps légiflatif ne pourroit exercer de tels
droits, fans mettre en danger la liberté pu
blique , & il n'y auroit plus , dans ce cas ,
que le pouvoir exécutif , qui pût préſerver
la Nation du defpotifme d'un Sénat devenu
Ariftocratique. Cette impoffibilité de cortiger
d'une manière paifible & durable les
abus du Corps législatif, d'arrêter les entreprifes
, de faire révoquer les actes qu'il
auroit pu porter contre les droits des Citoyens
, de tenir , en un mot , le Corps
focial conftamment au niveau de la raifon
publique ; ce vice fecret de la Conftitution
Angloife, qui eft la véritable cauſe de
fa ftabilité , ou , pour mieux dire , de fa réfiftance
, ce vice n'a point échappé aux regards
des Citoyens d'Amérique . Perfuadés
qu'une Constitution n'eft point véritablement
libre tant que l'acte même de fon
exiftence ne renferme pas les moyens d'y
faire dans la fuite les changemens que les
circonstances rendront néceffaires , ils ont
ordonné , par l'art . 5 de leur nouvelle Conf
titution , que le Congrès , toutes les fois
que les deux tiers des deux Chambres le
" jugeront néceffaire , propofera des chan-
" gemens à cette Conftitution , ou bien à
18
la réquifion des pouvoirs législatifs des
» deux tiers des divers Etats , convoquera
" une Convention ( Affemblée extraordinaire
des Repréſentans convoquée pour
162 MERCURE
"3
"3
و ر
و ر
» ce ſeul objet ) , à l'effet de propoſer des
changemens , & lefdits changemens , dans
l'un & l'autre cas , feront valides à tous
égards & dans tous les points,comme faifant
» partie de la Conftitution , dès qu'ils feront
» ratifiés par les pouvoirs légiflatifs des trois
» quarts des différens Etats , ou par des
» Conventions dans les trois quarts d'iceux ,
felon que l'une ou l'autre forme de ra-
» tification fera propofée par le Congrès « .
"
-
Il eſt aifé de fentir combien ce moyen
de réformation politique eft à la fois
fimple & efficace ; combien il eft propre
à épurer le Corps légiflatif , à ramener
les hommes & les chofes aux principes
aux befoins & aux intérêts que réclament
les circonftances & l'opinion ; combien
fur tout il eft préférable à la reffource
unique des élections fréquentes ,
ou même des révocations volontaires >
puifqu'il eft prouvé par l'expérience , que
les hommes prennent prefque toujours
l'efprit de leur Corps , & de la place
qu'ils occupent. En effet , ce moyen de
réformation laiffe le Corps légiflatif dans
la dépendance conftante de la Nation
condition abfolument néceffaire pour em--
pêcher ce Corps de dégénérer en Ariftocratie
, pour mettre l'Etat à l'abri de
fon inftabilité , de fon indifférence ou de
fa corruption ; & cependant , la dépendance
dans laquelle il fe trouve n'étant
point immédiate ne pouvant favoriler
DE FRANCE. 163
ni les caprices ou les mouvemens tumultueux
du Peuple , ni les intrigues & les
vûes fecrètes des impofteurs qui voudroient
le féduire ou l'entraîner , ne peut jamais
nuire au bien public , puifqu'elle ne laitle
au Peuple aucune impuiffance pour faire le
mal, & qu'elle lui en donne une très - grande
pour faire le bien.
Quelques Ecrivains politiques avoient
dit que le Peuple , en déléguant le pouvoir
légiflatif , " fe réferve toujours le pou-
» voir fouverain d'abolir le Gouvernement
» ou de le changer ( 1 ) « ; mais ils n'avoient
pas vu quel étoit pour lui le moyen légal
d'influer, par ce pouvoir, fur la Conftitution
& fur le Corps légiflatif. Car il ne faut pas
fans doute regarder l'infurrection comme
un moyen régulier d'exercer cette influence ,
quoique le Philofophe que nous venons de
citer propofe ce remède à fes compatrio
tes , qui , felon lui , ne peuvent , en certains
cas , défendre leur liberté d'une autre
manière que par un appel au Ciel ( 2 ) . II
'n'eft pas néceffaire de fe réunir en Corps
politique , & de former un plan de Gouvernement
, fi l'on compte le droit du plus
fort au nombre des droits dont on Le
pofe de jouir dans l'état de liberté : une
31
pro-
( 1 ) Voyez , entre autres , Locke , du Gouv.
Civil , Ch. XII , §. 1 .
(2) Ibid , Ch. XIII.
164 MERCURE =
Nation qui peut avoir befoin de recourir
à un tel remède , n'eft pas fans doute une
Nation véritablement libre.
Le moyen paisible & régulier de réfor
mation dont nous venons de parler , eft
peut être le chef d'oeuvre de la politique
moderne. C'est aux Etats- Unis d'Amérique
que nous devons cette idée fublime &
fimple , qui feule pouvant donner à un
Gouvernement de laftabilitéfans réfiftance,
peut feule le mettre à l'abri des révolutions
& du hafard des évènemens . C'eft encore
à ce Peuple que nous devons preſque tou
res nos lumières fur la Conftitution des
Empires ; & l'influence morale que cette
partie de l'Amérique a exercée fur l'Europe,
juftifie bien ces paroles d'un grand Homme .
Ce Peuple eft l'efpérance du genre hu
main ; il peut en devenir le modèle. Il
doit prouver au Monde , par le fait ,
" que les hommes peuvent être libres &
» tranquilles ( 1 ) «.
C'eft un principe certain qu'il ne peut y
avoir de véritable Conftitution, là où les pouvoirs
qui forment le Corps politique ne font
pas diftincts & féparés. Une Conftitution
n'eft en effet qu'un établiffement de pouvoirs
qui aient féparément toute l'énergie néceffaireà
leur action particulière, fans les moyens
(1) Lettre de M. Turgot , à M. le Docteur
Richard Price , écrite en Mars 1778.
DE FRANCE. 165
d'en abufer. Mais cette divifion , cette féparation
abfolue des pouvoirs n'existe en
Angleterre que d'une manière très-jmparfaite.
Montefquieu s'efforce de juftifier , en
faveur d'une Conftitution qu'il regardoit
comme un beau fyftême , comme un chefd'oeuvre
de Gouvernement politique , cette
union de pouvoirs dont il avoit d'abord
fi bien démontré les dangers, Mais les motifs
fur lefquels il appuye fon exception , &
que M. Delolme a d'après lui développés
dans fon Ouvrage , n'ont pas beaucoup de
force aux yeux de ceux qui ne fe croient
pas obligés de juftifier ou de faire adoptery
ce qu'ils voient établi .
22
La puiffance exécutrice , dit Montef
quieu , doir prendre part à la légiflation
par la faculté d'empêcher , fans quoi ellé
fera bientôt dépouillée de fes préroga-
» tives ". On croiroir , d'après cela , que le
droit d'empêcher ou de négative , eft, entre
les mains du Roi d'Angleterre , une arme
avec laquelle il eft fans ceffe occupé à défendre
fa prérogative contre les invafions
des deux Chambres. Cependant il eft conftant
, de l'aveu de MM., Delolme luimême
, que ce n'eft pas par fa participation
au pouvoir légiflatif que le Monarque
maintient fon autorité , puifque , depuis
'Guillaume III , en 1692 , les Rois d'Angleterre
n'ont pas été obligés , une feule
166 MERCURE
fois , de faire ufage de leur droit de négative
, pour rejeter un Bill propofé. Le
Parlement s'occupe fi peu de dépouiller
l'autorité exécutrice de fes prérogatives ,
que , felon le même Ecrivain , il a abandonné
volontairement , & avec la plus
grande facilité , toutes les branches effentielles
de cette autorité , dont les circonf->
tances l'avoient mis en poffeffion. C'eſt à
la divifion du Parlement en deux Chambres
, & par conféquent à l'efprit de Corps
qui y fait naître des vûes conftamment oppofées
, foutenues par des partis qui fe recrutent
d'eux- mêmes , & qui font animés
par de puiflans intérêts , que l'on doit attribuer
la véritable caufe de la ftabilité du
pouvoir de la Couronne en Angleterre ., &
de l'accroiffement graduel de fon influence ;
& c'eft cette ftabilité de pouvoir , & cette
influence , qui , dans le fait , ont placé dans
le Roi & fon Confeil le véritable Corps légiflatif
de l'Angleterre.
La Chambre des Pairs , qui forme un tiers
du pouvoir législatif , exerce , comme l'on
fait, dans certains cas , les grandes fonctions
judiciaires. Montefquieu trouve cette inftitution
excellente , parce que , felon lui
les Grands font exposés à l'envie , & qu'un
Noble ne peut être jugé d'une manière impartiale
que par un Corps de Nobles .
Les Grands ne font exposés à l'envie que
dans les lieux où le Peuple eft foumis par
DE FRANCE.
167
eux à l'oppreffion , & alors le fentiment
que Montefquieu appelle envie , n'eft qu'une
réclamation fecrète de la Narure outragée
contre l'injuftice dont en eft la victime ,
contre la partialité dont on eft le témoin .
Ne créez pas , ne fortifiez pas par vos Loix ,
par vos ulages , par une vanité puérile à
laquelle vous avez proftitué le nom d'hon
neur , cette étrange inégalité de droits
fource de tous les défordres politiques ;
ne dites pas au Peuple : L'homme que tu
vois eft , par nos moeurs , par nos convenances
fociales , à l'abri des Loix qui dirigent
res pas dans tout le cours de fa vie ;
il eft hors des règles communes aux Membres
de la Société ; il tient de fa naiſſance
de fa fortune , de fon crédit, le pouvoir de
foumettre tout à fes volontés , de maîtrifer
par fon influence , lorfqu'il ne peut
plus dominer par fon pouvoir réel , de
commettre avec impunité des injuſtices particulières
& publiques , de ravager la Société
par fes befoins & fes défirs ; & alors le Peu
ple , qui ne fouffrira plus de fes mépris
qui ne fera plus expofé à fes vexations
qui ne fera plus repouffé par la Loi , lorfqu'il
viendra près d'elle invoquer le promier
& le plus facré de tous les fecours ,
alors le Peuple n'éprouvera plus en préfence
de l'homme élevé en dignité , ces
fentimens haineux , qui femblent le dédom
mager de tous les facrifices qu'il eft obligé
de faire ,
168 MERCURE
Non , il n'eft point vrai qu'un Noble ne
peut être jugé d'une manière impartiale que
par un Corps de Nobles . Un homme , quel
que foit le titre qu'il porte au milieu de
fes femblables , fera jugé avec juſtice toutes
les fois qu'il le fera par des hommes qui
fuivant la belle expreflion de Montesquieu ,
» ne foient que la bouche qui prononce les
paroles de la Loi , que des êtres inanimés
qui ne puitlent en modérer ni la
» force ni la rigueur «. Mais avec de bonnes
Loix , avec la publicité de l'inftruction
judiciaire , le Magiftrat n'eft plus
que la bouche qui prononce les paroles
de la Loi , la Magiftrature n'eft plus redoutable
, & les pallions individuelles ne
peuvent plus corrompre fes jugemens ,
mentir à la Juftice , & violer la confiance
publique.
pu-
>
Suivant M. Delolme , le pouvoir d'accorder
ou de refufer les fubfides , eft , en Angleterre
, l'unique rempart de la liberté
blique & de la fûreté perfonnelle , parce qu'il
eft , en dernière analyfe , le pouvoir de réduire
la puiffance exécutive à l'impoffibi-
-lité d'agir. C'est un moyen régulier que la
Conftitution lui donne pour influer fur les
démarches du Monarque. » Si, par des évè
» nemens imprévus , dit - il , la Couronne
pouvoit ne plus dépendre du Peuple pour
les fubfides , telle eſt l'étendue de fa prérogative
, que , dès ce moment , toutes les
refources qu'a la Nation pour maintenir
13
23 la
1
DE FRANCE.
169
fa liberté , feroient anéanties . Il ne lui
» en refteroit aucune , excepté celle de recourir
à la violence; moyen bien fâ-
" cheux & bien incertain , & qui , après
" tout , n'eft que le droit dont les Peuples
les plus efclaves jouiffent ".
Il ne reste plus maintenant qu'à favoir fi
les Repréfentans du Peuple ufent véritablement
de leur droit , d'accorder ou de refufer
les fubfides ; car fi le Roi a conftamment
une pluralité affurée dans les deux
Chambres , il aura toujours les fubfides né-'
ceffaires , même pour faire la guerre contre
le voeu de la Nation , ain qu'on l'a
vu dans la dernière guerre d'Amérique , qui
a couté plus de cent millions fterl . à l'Angleterre
, & dont le réfultat a été d'affu
rer l'indépendance des Colonies Américaines.
" Quant au pouvoir d'accorder on de
» refuſer les fubfides, eſt- il dit dans l'Ou-
22 vrage que nous annonçons ,
il n'exifte
pas un feul exemple , depuis l'adminif
tration du Chevalier Robert Walpole
» fous George I, qu'ils aient été refufés.
Ce Miniftre , au moyen de la création
» de nouvelles charges , de penfions , &c.
» trouva le fecret de s'affurer de la plura
lité dans le Parlement , fes fucceffeurs
» ont fuivi fon exemple ; & il ne s'y décide
rien qui n'ait auparavant été dé-
» terminé dans le Confeil du Roi. C'eſt
une vérité connue de tout le monde en
» Angleterre «<.
No 21, 23 Mai 1789 . H
170
MERCURE
Blackftone avoit déjà obfervé dans fes
Commentaires , que la création des fonds
de crédit , & les taxes perpétuelles établies
pour les former , qui toutes font postérieu
res à la reftauration de . 1660 , & dont la
plupart le font à la révolution de 1688 ,
font de la levée & de l'adminiſtration de
cet immenfe revenu , laiffées au foin de la'
Couronne, une des parties les plus redoutables
de la prérogative royale. - » Ces objets
, dit-il , donnent au pouvoir exécutif
» une influence fi énergique fur chaque
individu , & même fi forte fur fa fa-
» mille & fur fes amis , qu'elle le dédom-
» mage amplement de la perte de quelques
» prérogatives extérieures ".
"3
"
"
Il eft certain , en effet , que depuis la
reftauration , l'influence royale a toujours
été en croiffant , parce que la cauſe indiquée
par Blackstone s'eft chaque jour étendue
& développée . L'une des raifons fur
lefquelles le Chevalier Temple infifta le
plus fortement dans fa fameufe Rèmontrance
à Charles II , pour le diffuader de
prétendre au pouvoir arbitraire , c'eſt qu'il
avoit peu d'emplois à accorder : rapprochons
- nous des temps poftérieurs . Un
Membre du Parlement difoit , en 1769 ,
que la multitude des penfions & des places
qui font à la difpofition de la Couronne ,
lui donnoit une influence plus grande
qu'elle ne l'avoit été dans aucune période
de l'Hiftoire d'Angleterre.
DE FRANCE. 171
En effet , l'argent en lui - même eft un
puiffant moyen de corruption ; mais il n'eft
pas fans doute le plus grand ; les emplois
en font la fource la plus féconde. Cette
corruption s'étend aux parens & aux amis
de ceux qui les reçoivent , & a une grande
influence même fur ceux qui efpèrent.
30
ور
ر
" Au lieu d'obferver , dit un Philofophe
illuftre qui a profondément médité fur les
droits des hommes & les intérêts des Nations ,
" au lieu d'obferver que la liberté de la
preffe , celle de former des affociations
particulières , la Loi d'Habeas Corpus
» la procédure par Jurés , la publicité de
» toutes les inftructions pour les caufes
perfonnelles , le refpect pour la lettre de
» la Loi ; que tous ces principcs foutenus
» par l'opinion , heureulement réunie fur
" ces objets , font le vrai fondement de
l'efpèce de liberté dont jouiffent les Habitans
de la Grande-Bretagne ; on en a
» fait honneur à fa Conftitution ; on a
cherché en conféquence , non fi elle
» étoit bonne , mais par quels principes on
pourroit prouver qu'elle étoit la meil
leure de toutes ; & ces principes on les
» a adoptés comme des maximes générales
(1 ) ".
39
و ر
"}
( 1 ) Lettres d'un Bourgeois de New - Heaven
( M. le M. de C... ) . à un Citoyen de Virginie ,
inférées dans le Tome I des Recherches hiftoriques
& politiques fur les Etats -Unis d'Amérique. Tome
I , in-8°. Froullé . Paris , 1788 .
H 2
172 MERCURE
Ce font , en effet , quelques Loix , quelques
ufages qui font en Angleterre le véritable
fondement de la liberté . Mais ces
Loix , mais ces ufages , ce n'eft pas la Conftitution
qui force le Parlement de les refpecter
, c'est l'opinion publique ; c'eſt donc
cette opinion qui maintient en Angleterre
la mefure de liberté dont on y jouit ; les
influences morales s'y mêlent fans ceffe aux
mouvemens du Corps politique , en reſferrent
ou en relâchent les refforts , en accélèrent
ou en retardent la marche.
La liberté de la preffe y eft permife, parce
qu'elle n'eft pas défendue , parce que le
Parlement refufa , en 1694 , de continuer
l'acte qui l'enchaînoit . Elle n'eft point érigée
en Loi fondamentale , comme dans les
Etats-Unis d'Amérique ; c'est l'opinion pablique,
c'eft fur-tout la procédure par Jurés
qui la foutiennent : mais comme elle eſt ,
dans le droit , fous l'empire du Parlement ,
cette opinion publique ne l'empêche pas
de faire quelquefois des tentatives pour y
porter atteinte. C'eft ainfi , comme le remarque
un des Editeurs de cet Ouvrage ,
qu'à la dernière feffion du Parlement , dans
l'affaire de Sir Elijah Impey , on vit les
deux partis de la Chambre-Baffe invoquer,
pendant huit jours fucceffivement & prefque
d'un commun accord , contre la liberté
de la preffe , la Loi commune refte toujou
s fubfiftant de l'ancienne barbarie de
l'Angleterre.
>
DE FRANCE. 173
La Loi d'Habeas Corpus elle-même, cette
Loi fondamentale de tout Erat libre , la
Loi d'Habeas Corpus ne défend pas dans
tous les cas la liberté perfonnelle , puifque
cette liberté eft violée fur la fimple affirmation
d'un homme qui réclame une de te
même imaginaire , & qu'elle eſt attaquée
avec encore plus de dureté au premier prétexte
d'un armement maritime .
99
39
"
"3
» Les Anglomanes , dit un des Editeurs ,
» demanden: quel pays d'Europe eft mieux
» ou même auffi bien gouverné ? Il est vrai
" que , malgré les grandes imperfections da
» Gouvernement , la liberté perſonnelle est
beaucoup mieux affurée en Angleterre
» que dans d'autres Gouvernemens de
l'Europe ; les vices de l'Adminiftration ,
» quoique confidérables , font également
beaucoup moindres qu'ailleurs ; mais cela
» ne prouve pas qu'en tout autre pays on
ne puiffe faire mieux , & fans beaucoup
de peine. La grande erreur confifte dans
» la prétendue perfection qu'on veut y
» trouver. La feule chofe qui puiffe excu-
» fer les Anglois , de n'avoir pas fait un
» meilleur ufage des circonftances favorables
à la liberté , c'eft l'ignorance de
quelques principes qui n'ont été bien
» connus que dans ces derniers temps ".
( Cet Article eft de M. G.... )
H 3
174
MERCURE
LES Soupers de Vauciufe ; par R. DE L...
de plufieurs Académies .
Omne tulit pun&tum, qui mifcuit utile dulci.
3 Vol. in 12. A Paris , chez Buiffon
Lib. rue Haute -feuille , Hôtel de Coëtlof
quet , No. 20. Prix , 6 liv . 15 f. br. &
7 liv. 10f. rel. francs de portpar la Pofle.
Le but de cet Ouvrage eft moins d'encadrer
plufieurs Poéfies légères qui n'avoient
que le mérite de l'à propos , mérite que
- le plan de l'Auteur tend à leur rendre
que de donner le goût de l'inftruction aux
Jeunes gens , & fur-tout à ce Sèxe aimable
& foible , que l'éducation s'obſtine à vouer
à la frivolité . Il a effayé de mettre la Morale
en action . Il a penfé que préfentée
fous les formes de la politeffe fociale , &
embellie du charme des Sciences , mifes à
la portée des Lecteurs les plus fupeïficiels ,
elle obtiendroit grace plus facilement , &
que lui-même, par cette méthode , réuniroit .
plus fûrement l'utile à l'agréable , d'après
l'épigraphe qu'il a adoptée .
Omne tulit punctum, qui mifcuit utile dulci.
Voici à peu près en raccourci le cadre.
qu'il a choiti pour réunir & féparer à la fois
DE FRANCE. 175
divers objets qu'il avoit à préfenter , chacun
à leur place , avec une forte d'enfemble.
Il fait affifter en quelque manière fes
Lecteurs aux foupers que donne la Marquife
d'Arville , dans fon château d'Ombrie
, fitué près de la Fontaine de Vauclufe
, à une compagnie nombreuſe &
cependant choifie . Elle y a raffemblé des
amis , qui ne font pas tous du même état
ni du même rang , mais tous égaux par l'éducation
; & d'ailleurs il réfulte de ce mé
lange ce que les ombres & les nuances des
couleurs produifent en peinture .

Ce Livre eft donc une fuite de converfations
ingénieufes , interrompues par quelques
lectures agréables ou quelques difcuffions
inftructives. On y fait parler cinq ou
fix perfonnages à la fois ; cela n'en eft que
plus vif , plus varié , & par conféquent
plus piquant. Ces Dialogues ne font point
imaginés uniquement pour la forme , comme
dans les Entretiens d'Eudoxe & de Philante ,
du père Bouhours, & dans ceux du Spectacle
de la Nature , où l'on fent trop l'Auteur
qui diferte toujours , quoiqu'il prenne
tour à tour le nom de fes Interlocuteurs .
Ici on croit que les chofes fe paffent dans
la réalité. Les Interlocuteurs différens parlent
fans confusion & fans apprêt. On diftingue
nettement tous les perfonnages . On
fait la différence de leur caractère , la raifon
précife qui fait dire une choſe à l'un
plutôt qu'à l'autre ; on croit affifter à une
H4 .
176 MERCURE
converfation & ainfi on goûté le vrai
plaifir du Dialogue.
"
On y traite , tan cr avec efprit , des matières
agréables , tantôt agréablement , des
connoiffances relevées. On y parle des découvertes
de Franklin & de Mongolfier, &c.
on y donne quelques notions très claires
& très exactes de l'Aftronemie , & c. on y
juge Voltaire , Rouffeau , Dorat . Je me
borne à tranfcrire en partie ce qui regarde
ce dernier.
*
30
Mde. DE LINT Z.
» Ah ! mon pauvre Dorat, comme il l'habille!
Mde. D'ER BY.
Dites plutôt comme il le déshabille .
Mde . DE CHANCE AUX,
» Oh ! je défends Dorat ; il re nous a jamais
dit que de jolies chofes . C'étoit le Chevalier des
Belles ; à ce titre il mérite indulgence.
LE COMTE.
Il la mérite encore à titre d'Ecrivain eftima-
» ble & laborieux. Il n'eut que la manie de trop
imprimer , & de ne pas fe rendre juftice . In-
» docile aux remontrances de fes amis , il ne
» voulut jamais croire à leur goût plutôt qu'au
» fien. S'il fe fat borné au genre des Pièces fugitives
, & qu'il n'eût pas préféré le jargon
» néologique au ftyle naturel qu'on entend dans
tous les temps , il eût eu fa réputation à part ;
» au lieu que la médiocrité , par exemple , de
» fon Théatre , & le trop grand nombre de fes
3
DE FRANCE. 177
» autres Productions , l'ont relégué dans la claffe
des Auteurs abondans qui n'ont pas fu s'arrê-
» ter «. Dorival , bel - efprit de la Société , auquel
on a demandé le portrait de celui dont il s'agit ,
répond Je le traite dans fon genre , légèren.ent,
Il eut des mots , des riens charmans ;
Il fut léger , doux , prefque tendre .
Je crains feulement , dans vingt ans ,
Qu'on ait de la peine à l'entendre.
Les Poéfies font ingénieufes, mais elles fe
reliroient plus volontiers , fi le ſtyle étoit
moins prolixe , plus travaillé , & plus riche
en métaphores. En voici une qui m'a paru
très digne d'être citée ; elle eft adreffée à
une jeune perfonne nommée Roſe , qui
avoit l'air fin , de l'efprit , de la gaîté, mais
qui n'épargnoit pas fon amant , quoiqu'il
fût aimé.
Tes yeux annoncent de l'efprit ,
Rofe , & ta bouche tient parole.
Chez toi la volupté fourit ,
Mais la décence la contrôle.
Ton oeil dit oui , ta bouche non ;
Sois donc d'accord avec toi-même ,
Et fais mieux honneur à ton nom .
Flatter & piquer ce qu'on aime ,
Tient de la Rofe & du Chardon .
L'Auteur a enrichi fon Recueil de quel-
HS
178 MERCURE
ques autres bagatelles qui ne font pas de
fa plume . Elles font toutes marquées d'un
aftérifque ; celle qui fuit eft du nombré . Un
homme d'efprit , après s'être préfenté plufieurs
fois inutilement chez une jolie femme
, écrivit ce quatrain fur une carte .
A mon malheureux fort , l'étoile qui préfide ,
Veut que dans mes projets je fois toujours trompé
Si je viens pour te voir , je trouve maiſon vide ;
Si j'attaque ton coeur , je le trouve occupé.
L'Auteur a auffi inféré plufieurs chanſons
de fa compofition , mufique & parole ; les
airs font notés à la fin de chaque volume.
Enfin il a eu l'art de femer çà & là dans
fes Dialogues fa correfpondance avec
Mademoiſelle de M. qu'il furnomme Pouponne
; & l'on peut dire fans flatterie ,
que ces Lettres font un modèle du ftyle
épiſtolaire.
,
Son Voyage de Paris en Corfe en 1776 ,
où il donne des détails très- intéreffans fur
cette île , termine l'Ouvrage , & cela d'autant
mieux, qu'il y eft beaucoup queſtion
de la Corfe , & que c'eft de cette réfidence
qu'il date fa correfpondance .
( Cet Article eft de M. de Saint Ange. )
DE FRANCE. 179
HISTOIRE de France , depuis la mort de
Louis XIV jufqu'à la paix de Versailles
de 1783 ; par ANTOINE - ETIENNENICOLAS
DES ODOARS FANTIN , Vicaire-
Général d'Embrun . 8 Vol. in- 12 . Prix,
20 liv. br. , & 24 liv . rel. A Paris, chez
Moutard , Imp- Lib. de la REINE , Hôtel
de Cluni , rue des Mathurins.
CET Ouvrage contient un espace de
ans , & préfente une fuite de faits d'autant
plus intéreffans , que la plupart ſe ſont
paffés fous nos yeux. On y trouvera les
guerres dans le plus grand détail , les Traités
avec les Puillances Etrangères , les Affaires
de l'Eglife , tout ce qui concerne les Finances
, le Commerce , la Police intérieure
du Royaume , & les autres grands objets
d'Adminiftration . Il fuffit d'offrir une efpèce
de lifte des fujets qui y font traités ,
pour en faire fentir l'utilité.
On y verra les différentes tentatives du
Prétendant , & fes Aventures ; les projets
d'Alberoni , les refforts fecrets du Systême,
la pefte de Marfeille , Etabliffement des
Compagnies de Commerce , la Fondation
des Colonics les entreprifes littéraires ,
telles qu'un Collége fondé à Conftantinople
pour de jeunes François ; des Académi-
H 6
182 MERCURE
ciens envoyés dans différentes parties du
Monde pour faire des découvertes utiles
aux Sciences ; l'Hiftoire de la Corfe , relativement
à la France ; les Aventures du
Roi Staniflas ; les Ordonnances Civiles ,
Criminelles & Militaires ; les Révolutions
de Gênes ; les Guerres de l'Inde , leurs
caufes & leurs fuites ; la Guerre de l'Amérique
; la Confédération de la Neutralité
armée , &c. &c.
Ces évènemens & beaucoup d'autres ont
dans cette Hiftoire une jufte étendue. On
verra que ce n'eft pas un fimple relevé
des Gazettes ; mais que l'Auteur ne s'eft
pas moins appliqué à découvrir les cauſes,
qu'à bien préfenter les effets ; qu'en parlant
de perfonnes prefque encore vivantes , &
&
en traitant des matières fi délicates par laa
proximité des temps , il a fu fe contenir
dans les bornes d'une modération qui n'exclut
pas la vérité.
VARIÉTÉ S.
Pantographe oculaire du Père Touffaint.
LE Père Touffaint n'ayant pa , pendant le temps
de la Soufcription , fatisfaire la curiofité des Amaseurs
& Artiſtes , en leur donnant une entière con-
CO
0
DE FRANCE. 181
noiffance de fon Pantographe oculaire , vient de
le confier au Sr. Charles , qui fe propofe de le
faire connoître au Public , dans fa conftruction ,
dans les ufages , & dans la manière de s'en fervir
, & c. & c .
>
Exercé depuis longtemps dans l'ufage de ces
fortes d'Inftrumens , il s'engage à faire des Portraits
qui approcheront de la grandeur naturelle
au crayon , moyennant 3 liv . 12 f. , & qui feront
reffemblans. Il les conftruira en peinture à l'huile ,
en miniature ; il gravera des planches en cuivre ,
avec lesquelles on pourra avoir plusieurs copies :
il donnera , en un mot toute la perfection "don't
on conviendra avec lui , à un prix médiocre , &c.
Il fe tranfportera avec fon Inftrument chez les
perfonnes qui auront trois ou quatre Portraits à
faire , ainfi que fur les lieux defquels on voudra
tracer des points de vue en perfpective , non feulement
des Plans Hyérographiques , Scénographiques
, mais Stéréographiques , de tous les objets
vus & élevés fur l'horizon , ce qu'aucun Inftrument
inventé jufqu'à préfent n'a pu exécuter ,
comme on a dit dans ce Mercure , l'année dernière
, N°. 36.
Il montrera la manière de s'en fervir à ceux qui
feront curieux de fe le procurer , ainfi que la
folution de plufieurs problêmes en Perfpectives.
Les Etrangers qui voudront s'affurer de toutes ces
opérations produites par cet Inftrument , pour-
Font commettre quelques connoiffeurs qui le verront
opérer ; on voit de fes ouvrages au Palais-
Royal , fous les Arcades de bois , chez le Me.
d Eftampes. Sa demeure eft à l'Hôtel Civrai , rne
Neuve St -Roch , en face de la rue des Moineaux
-à Paris.
18.2
MERCURE
SPECTACLES.
THEATRE DE MONSIEUR .
Nous avons promis quelques détails
fur les deux nouveaux Ouvrages dont ce
Théatre vient de s'enrichir . Le premier eft
le Confeil imprudent , Comédie en deux
Actes .
La Scène fe paffe à Londres. Un jeune
Officier , mieux traité par la naiffance que
par la fortune , a reçu l'hofpitalité chez un
riche Négociant : il devient amoureux de fa
fille , & fa délicateffe, ne lui permettant pas
de le livrer à fa paffion , il prend le parti
de s'éloigner. Le Négociant , qui voudroit
le retenir , queftionne fa fille fur l'état
du coeur de ce jeune homme . Çelle - ci ,
qui l'aime , & qui croit devoir diffimuler
fon amour , perfuade à fon père que c'eſt
de fa coufine qu'il eft amoureux . Le Négociant
, qui a toujours eu à fe plaindre de
fon frère , fe charge néanmoins d'en faire
la demande , en eft mal reçu , & défire de
Sen venger, II , confeille à l'Officier d'époufer
fecrètement la jeune perfonne qu'il aime
, lui en facilite les moyens , & lui prête
DE FRANCE. 183
même de l'argent. Il apprend enfin que
c'eft contre lui - même qu'il a donné ce confeil.
Il eft furieux d'abord ; mais il eft pères
& il pardonne.
Nous n'avons put , dans cette courte analyfe,
indiquer les fituations très- comiques
ou très-intéreifantes dont cette Pièce fourmille
, & qu'il ne faut pas montrer hors
de leur cadre. Nous ne citerons qu'un trait
au dénouement , qui produit le plus grand
effet. C'est par une lettre de l'Officier que
le père apprend que c'eft fa fille & non
fa nièce qui a été enlevée. Après avoir donné
cours à fa fareur , à fon repentir , & avoir
repris des fentimens plus tendres , la Soubrette
lui annonce que ce mariage n'eſt
qu'une feinte imaginée par elle - même , &
que fa fille n'a point trahi fon devoir .
Cette Pièce eft une imitation de M. Goldoni
, auquel la modeftie de M. Paillardelle
en a fait publiquement l'hommage ; mais
comme elle est très bien adaptée à la Scène
Françoiſe , le mérite & la gloire d'Auteur
lui restent en entier. Il en a plus encore peur
être comine Acteur , par la vérité , la chaleur,
l'intelligence profonde avec lesquelles il
rend les différentes fituations du rôle du
Négociant.
M. Paillardelle avoit déjà débuté à Paris
fur le Théatre François en 1772 , avec le plus
grand fuccès. Il obtint même , à cette époI$
4 MERCURE
·
"
que, un triomphe dont nous ne croyons pas
qu'aucun autre Acteur ait jamais joui fur
les Théatres de la capitale ; il joua dans
l'Avare la Scène de la Caffette , avec tant
de chaleur & de naturel , qu'on la lui fit
répéter. Nous ignorons pourquoi il ne fut
pas reçu dans ce temps ; mais comme l'étude
& l'exercice n'ont fait que perfectionner
encore fon talent , c'eſt un bonheur pour
le Théatre de MONSIEUR , qui a fait en lui
l'acquifition la plus précieuſe. Il a prouvé
combien, dans un bon Ouvrage , un Acteur
véritablement paffionné peut animer tout
- ce qui l'entoure : aucune Comédie fur ce
Théatre n'a encore été auffi bien jouée que
le Confeil imprudent.
L'Imprefario in Anguftie , Opéra - Bouffon
Italien , eft la feconde nouveauté dont
nous avons à parler. On voit dans cette
Pièce une image fidelle , quoiqu'un peu
chargée , de ce qui fe paffe en Italie dans
les Troupes d'Opéras . Un Entrepreneur
( ce qu'on appelle en France un Directeur ),
qui n'a ni les connoiffances , ni l'habileté ,
.ni les fonds néceffaires pour réuffir ; une
Prima donna qui veut que tout lui foit
foumis , & qui , par fa coquetterie , veut
enchaîner à la fois & le Poëte , & le Maître
de Mufique , & même l'Entrepreneur , une
Seconde , tracaffière , & s'oppofant à tout
ce qu'on veut , uniquement pour brouiller;
D.E. FRANCE. 189
une Troisième , qui demande toujours de
l'argent d'avance, & qui, fans aucun talent,
ne prétend pas à moins qu'à écrafer la Première
femme. Un Poëte ridicule , un Maître
de Mufique plagiaire , & qui emploie fon
talent ou celui des Maîtres qu'il copie ,
non pas à faire réuffir l'Opéra , mais à faire
tomber les femmes dont il eft maltraité ;
enfin un Protecteur , efpèce de gens peu
connue en France , qui voulant vivre avec
les femmes de Théatre , & n'ayant pas de
fortune , les paye en cabalant pour elles ,
& les foutenant envers & contre tous.
La lecture du Poëme , qui fait la matière
du premier final , eft un chef - d'oeuvre à
tous égards. L'introduction , l'air de l'Imprefatio
, celui de la Seconde femme, & au
deuxième Acte celui du Poëte , ont un
charme , une gaîté , un fel dont aucun
Maître ne nous avoit encore donné l'idée.
Aucun peut - être ne montre , particulièrement
dans l'orchestre , une originalité aufſi
piquante que le Signor Cimarofa. Plufieurs
autres morceaux ont fait auffi très - grand
plaifir , notamment un Trio de Guglielmi
au fecond Acte , & un rondeau de Giordani ,
chanté par la Troifième femme , & gravé
chez M. Bailleux dans le Rècueil d'Ariettes
Italiennes , dédié à la Reine.
Pour juftifier l'infertion de ces morceaux
étrangers , il est néceffaire de dire que cette
Pièce en Italie n'a qu'un Acte ; que le Maître
136 MERCURE
´de Muſique , ni la Troiſième femme , ni le
Protecteur , n'ont point d'airs à chanter ;
que l'air de la Première femme eſt très- bas ,
très-peu faillant , & nullement fait pour la
charmante voix de Mlle. Balletti , & que cet
Opéra fe termine , ou par un duo très- peu
piquant , ou par un final quelconque à
volonté.
,
A la première repréſentation , la Troupe ,
après la ruine de l'Imprefario , fe déterminoit
à jouer l'Opéra pour fon propre
compte , & faifoit en conféquence , la
répétition d'un final del Pittor Parigino .
Comme ce final contient une action affez
compliquée , & que le Public ne pouvoit
deviner , le morceau a paru long & froid.
Il a été fort raccourci à la feconde , & a
nieux réuffi ; mais on y a mis depuis un
quintetto , toujours de Cimarofa , dont les paroles
, ainfi que la Scène précédente , forment
un véritable dénouement : ce morceau
, bien digne de ce Maître , produit
le plus grand effet , & ne laiffe plus rien
à défwer dans cet Opéra.
01
A
C
W
DE FRANCE. 787
ANNONCES ET NOTICES.
VINAIGRE du Sr. Maille, Vinaigrier du Roi, &
de Leurs Majeflés Impériales. A Paris , rue Saint
André des -Arts.
Nous avons déjà dénoncé au Public les contrefactions
qu'on fe permet tous les jours de ces
Vinaigres fi renomm . Ce malheur eft inévitable
pour les talens qui ont fixé l'attention & l'empreffement
du Public ; & fous cet afpect , aucun Artifte
ne doit y être plus expofé que le Sr. Maille.
Les Productions de fon inductrie font connues
& recherchées dans toutes les parties du Monde ;
& c'eft un affez puiffant motif pour éveiller la
cupidité. Il eft des cas où ces contrefactions re
1 font qu'un larcin particulier ; mais pour des objets
qui intéreffent la fanté , l'audace des contrefactions
devient un attentat envers le Public , & toutes les
voix doivent le réunir pour les démafquer,
Nous allons indiquer les moyens de découvrir
la contrefaction de fon Vinaitre de Rouge .
Quelques gouttes de ce Vinaigre jetées fur un
linge blanc , y produiront le doux incarnat d'une
couleur de chair naturelle également fondue für
le linge ; c'eft à quoi les contrefacteurs ne peuvent
atteindre , leur Vinaigre de Rouge ne laiſſant
fur le linge qu'une couleur tirant fur le violet ,
& qui ne le fond point également.
L'ufage de ces Vinaigres contrefaits peut être
dangereux pour le teint , en altérant le tiffu délicat
de la peau , que celui de M. Maille conferve ,
188 MERCURE
par les propriétés balfamiques ; employé le foir
en fe couchant , il fe fond dans l'épiderme , &
produit le lendemain à la vue , cette fraîcheur
naturelle que donnent la fanté & la première jeuneffe.
On contrefait encore le Vinaigre Romain , qui
blanchit les dents , les affermit dans leurs alvéoles,
& arrête les progrès de la carie ; Vinaigre
qui jouit de l'eftime la mieux méritée & la plus
univerfelle ;
Le Vinaigre pour ôter le feu du rafoir , qui
vient d'être perfectionné par l'addition de plufieurs
fimples balfamiques qui le parfument agréa
blement en rafraîchiflant l'épiderme , ce Vinaigre
prévient les boutons & les dartres farineufes ;
Le Vinaigre à l'ufage de la garde-robe , pallia
tif , dans lequel il n'entre aucun répercuffif , qui
combat l'incommodité des fleurs blanches , & devient
très-utile aux perfonnes qui fouffrent des
hémorroïdes ;
Enfin le nouveau Lait de Vinaigre , qui ôte les
marques de couches & les taches de rouffeur ;
cette nouvelle découverte jouit de la même eftine
qu'on accorde aux autres Productions de fon
Auteur.
Au refte , le moyen de n'être point trompé par
les Contrefacteurs , c'eft de s'adreffer à fon beau
Magafin de la rue St - André- des-Arts , le feul qu'il
ait à Paris ; & pour ne négliger aucun moyen , on
prévient que le Vinaigre de Rouge de trois nuances
fe vend en petites bouteilles carrées, de même mefure
que les petites bouteilles , avec une étiquette où
feront les Armes du Roi , de l'Empereur & de l'Impératrice
de toutes les Ruffies , & un A & un M
à la partie oppofée des Armes du Roi.
C'eft avec plaifir que que nous rappelons au
DE FRANCE. 189
#
Public un Artifte fi eftimé ; on doit encourager ,
le Gouvernement même doit honorer par des
marques diftin&tives de fon Approbation, les hom
mes qui , comme lui , parviennent à reculer les
bornes de leur Art.
L'intérêt qu'excite M. Maille en qualité d'Ar
tifte , ne fait qu'augmenter tous les jours. Il feinbleroit
que rien ne doit être plus fimile que le
Dépôt de fes Vinaigres ; cependant l'immenfe
amas de fes compofitions diverfes , & l'ordre qu'il
a mis dans leur diftribution dans fes Magans ,
en ont fait un objet des plus curieux ; & c'eft ce
qu'en ont penfé des perfonnes de la plus haute
confilération qui font venues les vifiter .
Supplément aux Mémoires de M. le Duc de St-
Simon, copié fidélement fur le Manufcrit original ;
ou l'Obfervateur véridique fur le Règne de Louis
XIV , & fur les premières époques des Règnes
fuivans ; pour fervir de fuite & de Complément
aux 3 Volumes déjà publiés , avec des Notes hiftoriques
& critiques . 4 Vol . in- 8 °. d'environ 470
pages chacun , 18 liv . br . A Paris , chez Buiffon ,
Lib. Hôtel de Coëtiofquet , rue Haute - feuille
N°. 20 ; & chez tous les Mds . de Nouveautés.
>
Il y avoit déjà long-temps que le Public entendoit
citer avec éloge quelques fragmens des Mémoires
manufcrits de M. le Duc de Saint-Simon ,
lorfqu'à la fin de l'année dernière il en parut 3
Vol. in-8 ° . Leur fuccès ne fit qu'ajouter à la réputation
de l'Auteur & à la curiofité des Lecteurs ,
qui bientôt furent inftruits qu'on ne leur préfentoit
qu'une foible partie de l'Ouvrage de ce rigide
Obfervateur. On vient de reprendre fur le Manufcrit
original tout ce qui avoit été fupprimé , même
tronqué ; & on apprendra fans doute avec plaifir
que ces 4 Volumes de Supplément , joints aux 3
rgo MERCURE
précédens , qui ne leur cèdent point en intérêt ,
offrent au Public tout ce qui , dans deux ou trois
Bibliothèques, porte le titre de Mémoires de M. le
Duc de Saint-Simon , 8 Vol . in- 4°.
On auroit pu fondre dans ces 4 nouveaux Vol.
les 3 déjà imprimés; mais le Libraire n'a point voulu
faire ufage d'un moyen qui eût forcé les perfonnes
qui ont acquis les 3 premiers Volumes , à les acquérir
une feconde fois fous une autre forme .
Une Table alphabétique , qui renferme les Articles
des 7 Volumes , tient lieu , en quelque forte ,
de l'ordre chronologique , & fuffit pour l'intelligence
de l'Ouvrage entier.
L'Ami des Enfans , par M. Berquin . Nouvelle
édition en 12 gros Vol. ornés de 132 Eftampes
& diftribués en 4 Livraiſons de 3 mois en 3 mois.
Les 12 Vol. comprendront tout ce qui a paru
dans les 36 Vol. de l'Ami des Enfans & de l'Adolefcence.
La première Livraiſon qu'on vient de publier ,
compofée de 3 Vol. & de 33 Eftampes , eft du prix
de IS liv . port franc par la Pofte , en affranchiffant
la lettre de demande & le port de l'argent.
S'adreffer à M. Le Prince , Directeur du Bureau
de l'Ami des Enfans , à Paris , rue de l'Univerſité,
N °. 28 .
Nous n'avons rien à dire de nouveau de cet
utile & intéreflant Ouvrage , dont le fuccès n'a
jamais été contefté . La jolie édition que nous annonçons
mérite d'être accueillie. Tous les chefs
de famille doivent avoir chez eux ce charmant
Ouvrage ; les exemplaires qui exiſtoient avoient
befoin d'être renouvelés , & ne pouvoient l'être
d'une manière plus fatisfaifante. Les Estampes
méritent les plus grands éloges ; cet ornement
C
И
DE FRANCE.
fans doute n'ajoute rien à fon mérite , mais il
ajoutera au plaifir des Lecteurs à qui il eft deftiné.
Monumenti inediti de Winckelmann , ou Choix
de Monumens antiques les plus précieux & les
moins connus , avec leur explication ; traduites de
l'Italien du même Auteur ; par M. Grainville ,
Membre de plufieurs Académies . 2e. Livraiſon in
4. A Paris , chez Simon , rue du Plâtre - Saint-
Jacques , No. 7.
Collection des Mémoires de l'Hiftoire de France ,
Tomes XLVIII & XLIX . A Paris , rue & hôtel
Serpente .
Ces 2 Volumes contiennent la fuite des Mé
moires de Henri , Duc de Bouillon ; & la fin de
ceux de Guillaume de Saulx , Seigneur de Ta-
Vannes , 16e . Siècle .
Bibliothèque Univerfelle des Dames . A Paris ,
rue & hôtel Serpente .
Les deux Volumes que nous annonçons de
cette intéreflante Collection , eft le 12e. des
Voyages ; & le 13e . du Théatre , contenant deux
Pièces de Molière , George dandin & le Tartuffe,
Au glorieux règne de Louis XVI. Brochure in-
4°. de 32 pages,
Mémoires authentiques & intéreffans , ou Hiftoire
des Comtes Struenfée & Brandt. Edition
faite fur le Manufcrit tiré du porte-feuille d'um
Grand. 1 Vol. in - 8 ° . A Londres ; & fe trouve à
Paris , chez les Marchands de Nouveautés,
192 MERCURE DE FRANCE.
Journal d'Ariettes Italiennes , dédié à la Reine ;
No. 239 , contenant un Air del Signor Marcello.
- Prix, 2 liv. 8 f. & N° . 240 , contenant un Air del
Signor Gatti . Prix , 3 liv. 12 f. A Paris , chez
Bailleux , Md. de Mufique ordinaire du Roi , à
la Règle d'or , rue St. Honoré , près celle de la
Lingerie.
Nos 1 à 5. Journal de Violon , dédié aux Amateurs ,
4e. Année. Ce Journal eft compoſé d'Airs d'Opéras
férieux & comiques , Airs de Ballets , &c . On
met tout le chant dans le premier Deffus , pour
que ces Airs puiffent fe jouer par un feul Violon ;
on met des variations aux Airs qui en font fufceptibles.
Ce Journal a paru le rer . de Janvier
1784 , & continue toujours. Les Abonnés reçoivent
un Cahier tous les 1er. de chaque mois . Le
prix de l'Abonnement eft de 15 liv . pour Paris ,
& 18 liv. pour la Province. On s'abonne chez
Bornet l'aîné , rue Tiquetonne , Nº . 10 , où l'on
trouve la nouvelle Méthode de Mufique & de
Violon , du même Auteur.
TABLE.
ᏤERS. 145 Hiftoire de France. 179.
Charale, Enig. & Logog. 148 Variétés.
Examen.
180
151 Theatre de Monfieur. 182
Les Soupers de Vaucluse. 174 Annonces & Notices. 187
APPROBATIO N.
J'ai lu par ordre de Mgr . le Garde des Sceaux ,
le MERCURE DE FRANCE , pour le Samedi 23
Mai 1789. Je n'y ai rien trouvé qui puiffe en
empêcher l'imprefſion . A Paris , le 22 Mai 1789 .
SÉLIS.
JOURNAL
POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
POLOGNE.
De Varsovie , le 27 avril 1789 .
LES conjonctures sont devenues de jour.
en jour tellement délicates , que le moindre
incident peut entraîner les effets les
plus sérieux . La République aspire presqu'unanimement
à voir les armées Russes
vivre sur les terres de Russie , et
non sur celles de Pologne. Si l'on réfléchit
aux évènemens qui ont précédé et
suivi leur introduction au milieu de nous,
personne ne sera surpris des instances
qui se multiplient , pour être délivré
enfin de ces Etrangers , ni des précautions
que l'on juge nécessaires contre la
liberté dont ils usoient , de regarder notre
territoire comme le leur. Les dispositions
générales promettoient peu de
succès à la dernière Note remise par
le Comte de Stackelberg au Maréchal de
N. 21. 23 Mai 1789 . ૬
( 146 )
la Diète ; Note que nous avons annoncée
, et qu'il est temps de faire connoître
en son entier .
No T. E.
« Le Soussigné , Ambassadeur extraordinaire
et plénipotentiaire de Sa
Maj. Impér. de toutes les Russies , a
l'honneur de s'adresser à Son Excel.
M. le Comte Malachowski Grand
Chancelier de la Couronne , en sa qualité
de Président de la Députation des
affaires étrangères , et de lui communiquer
par extrait ce que , par ordre
exprès de l'Impératrice , il a été chargé
d'offrir à la connoissance des illustres
Etats assemblés , »
ແ«
L'Enfeigne Bakay , du régiment des Grenadiers
de la petite Ruflie , ayant conduit fous une
escorte de 29 hommes , 73 prifonniers Turcs jufqu'à
Wafilkow , & voulant s'en retourner avec
fon monde , il rencontra près du village Motovvidlowka
, un détachement Polonois de 150 hommes
, qui lui refufa le paffage . Il demanda le motif
d'un tel procédé à l'Officier commandant de
cette troupe , & celui - ci lui répondit que le Général
Lubowicki , fon chef, lui avoit prefcrit de ne
laiffer entrer aucun militaire Ruffe en Pologne.
Cette réponſe , accompagnée encore , de la part de
l'officier Polonois , de la menace d'ufer de force ,
fi l'enfeigne Bakay vouloit paffer outre, engagea
celui - ci à s'en retourner jufqu'à Waſilkow , vu
l'ordre donné à tout le militaire de ne pas fournir
de prétextes aux plaintes. »
« Le fouffigné , en rappelant tout ce qu'il a eu
( 147 )
o dre de témoigner au fujet du défir invariable de
l'impératrice , de conferver l'amitié & le bon voifinage
avec la Pologne , fe flatte de n'avoir befoin
que de préfenter les faits , pour mettre dans tout
fon jour Fincompatibilité de pareils procédés
avec les fentimens de S. M. Impériale envers le
Roi & la République ; fentimens qui , pendant
nombre d'années de paix & d'harmonie , ont pa u
être réciproques. Rien ne feroit plus capable d'expofer
à des doutes fâcheux cette réciprocité de
principes , qu'une continuation d'entraves dans
des circonftances auffi urgentes , où les Puiffances
amies ne fe refuſent jamais les déférences que la
confervation des hommes,en épargnant des détours,
& les approvifionnemens des armées, rendent jufres
& néceffaires . Une interruption de communication
entre Kiow & l'armée , portant des préjudices
effentiels aux deux objets , l'Impératrice eſpère
qu'en vertu de la bonne harmonie & correfpondance
qui a fubfifté entre les deux Etats depuis
tant d'années , qu'il fera donné des ordres aux
commandans des troupes fur la frontière , de ne
plus mettre de pareils obftacles aux paffages des recrues
, & tranfports des vivres & des munitions,
par Niemirow, Pochrebyszcze , & Motowidlowka .
Les tranfports ne féjourneront nulle part. »
Pour prévenir du côté de la Ruffie , tout ce qui
pourroit occafionner dans la fuite des mal-entendus
fâcheux , il a été donné des ordres précis ,
tant aux commandans des frontières , qu'à ceux
des armées, de faire des réquifitions de paffage aux
commandans Polonois , chaque fois qu'ils fe trouveroient
dans le cas indifpenfable d'envoyer des
détachemens par les territoires de la république.
Tout ayant été rempli à cet égard du côté de la
Ruffie , il eft à efpérer que , cette méthode obfervée
, les Commandans auront ordre de n'y mettre
de leur côté aucun empêchement . »
gij
( 148 )
« Le fouffigné et d'opinion que pour mieux
s'entendre , une convention provifoire & fpécifique
au fujet des paffages & dis tranfpors , templiroit
mieux l'objet de prévenir tous les incorvéniens.
L'Impératrice attachant l'intérêt le plus
fincère à la proférité de la Pologne , il eft évident
que , par une fuite, de fes principes immuables , les
droits de la liberté , de l'indépendance & de la
fouveraineté de la République , ne peuvent qu'intéreffer
S. M. Impériale . Les ordres les plus févères
ont été renouvelés aux généraux , fur le maintien
de la difcipline la plus fcrupuleufe , & les coupables
feront punis à la rigueur. Le fouffigné ne
manquera pas de faire l'ufage convenable de la
note qui lui a été remiſe le 4 de ce mois , de la
part de Son E. M. le Comte Malachowsky , Gr.
Chancelier de la Couronne , & il ne doute pas
que les Commandans fur les lieux , n'ayent déjà
examiné & applani les griefs dont il eft question .»
Varfovie , ce 6 Avril 1789.
Signé , Comte STACKELBERG .
Les Etats , dans leurs Séances de lundi
et de mardi derniers , s'occupèrent de
cette Note , conçue en termes très-modérés
, et qui annonce d'ailleurs que les
troupes ne séjourneront nulle part. Plusieurs
Membres de la Diète insistèrent néanmoins
sur les objections que nous avons
indiquées dans le Journal précédent , et
dont la plus frappante attaque cette entrée
, ce passage , cette sortie de Corps
étrangers , sans spécifier ni le nombre de
troupes , ni l'époque déterminée de leur
transit. Divers Nonces ensuite appuyerent
sur le danger de laisser entrer un
Corps de troupes Russes en Pologne ,
( 149 )
au moment où les nouvelles des révoltes
devenoient de plus en plus alarmantes ,
et où l'on annonçoit même que l'Evêque
Schismatique de Stuck recevoit des sermens
de fidélité au nom de l'Impératrice .
Les mêmes Membres des Etats représentèrent
qu'ils ne croyoient point que
la République dût répondre à cette Note
présentée par l'Ambassadeur de Russie ,
sans avoir Elle -même une réponse à la
dernière Note remise à la Cour de Pétersbourg
, au sujet de l'évacuation . Cette
Motion dilatoire devint l'avis des Etats ,
qui ordonnèrent à la Députation de répondre
en conséquence , et en mêmetemps
de communiquer la Note et la réponse
à la Cour de Berlin , où un courrier
fut aussi-tôt expédié .
Il n'est pas superflu d'observer que
dans le débat précédent , on regarda lá
permission requise par la Russie , comme
une infraction à la neutralité de la République
, engagée envers la Porte Ottomane
par des traités , notamment par
celui que signa, en 1712 ,M. Poniatowski,
Castellan de Cracovie .
Cet objet ainsi terminé , le Maréchal
de la Diète Malachowski renouvela au
Roi les instances des Etats , qui demandoient
que Sa Maj . voulût bien nommer
des Ministres dans les Cours qui en entretenoient
auprès d'Elle . Alors Sa Maj .
ayant appelé à Elle son Ministère , prit
la parole , et dit : Qu'Elle avoit déja tég
iij
( 150 )
moigné , dans une des Séances précédentes
, son opinion sur ces nouvelles.
légations , qu'Elle regardoit comme superflues
; mais que faisant aux opinions
de la Nation le sacrifice des siennes ,
Elle nommoit , pour la Suède , M. George
Potocki; pour le Danemarck , M.Adam
Rzewuski , et pour la Saxe , M. Malachowski
, Staroste d'Opoczno . Les Etats
en témoignèrent au Roi leur reconnoissance
. Sur quoi nous remarquerons que
le langage de ce Prince est le même qu'il
n'a cessé de tenir pendant tout le cours
de la Diète, et que si le sacrifice de sa
propre opinion au bien de l'Etat est un
acte de patriotisme des plus difficiles, Sa
Maj . doit en trouver la récompense dans
l'accord parfait qui règne dans la Nar
tion ; accord qu'on ne sauroit contester,
puisque toutes les décisions de quelque
importance passent à l'unanimité , et
que si les mêmes Puissances , qui trouvoient
autrefois dans l'ambition des familles
, des sources assurées de divisions ,
vouloient aujourd'hui exciter des troubles
, elles seroient réduites à ameuter
quelques Paysans fanatiques .
Dans la Séance de Jeudit, sur la Motion
de M. Tyszkiewicz , Nonce de Samogitie
, il fut enjoint de la part des
Etats , au Duc de Courlande , de tenir
prêtes les troupes qu'il est tenu de fournir
en sa qualité de Vassal de la Répu
blique, Le reste de cette Séance et celle
( 151 )
du Vendredi furent employés à consom
mer le plan de perception de l'impôt
d'un dixième sur les terres nobles héréditaires
,
Parmi les rapports en circulation , nous
en citerons un seul , sans en garantir
néanmoins l'authenticité .
« Suivant les nouvelles de l'Ukraine , le Général
Ludowicki a fait pendre treize des Cofaques
révoltés , & fait emprifonner plus de trente Popes.
Il affure dans fes lettres que ce font les prêtres
grecs qui , ayant excité tous les troubles de cette
province , avoient gagné les vivandiers , afin qu'ils
leur procuraffent de longs couteaux & d'autres
armes pour les habitans de l'Ukraine ; qu'effectivement
ces vivandiers étoient arrivés avec trente
charriots , dont le deffus étoit couvert de favon ,
pour maſquer une quantité de ces couteaux &
armes dont ils étoient chargés ; mais qu'on avoit
eu le bonheur de découvrir ce tranſport par un
Soldat Polonois. »
« Ce foldat , que les Popes avoient déja effayé
de mettre dans leur parti , étant allé à confeffe
chez un vieux Prêtre , témoigna un grand défir
d'entrer dans la conjuration , & d'être un des zélés
partiſans de la révolte. Le vieux eccléfiaftique ,
qui ne fe mefioit pas de fon pénitent , lui avoua
plufieurs circonftances de cette trame , & l'excita
à feconder les efforts qu'on faifoit pour la révolte ,
en l'engageant à lui fournir des profélytes . »
" Dès que le Soldat fut forti , il s'empreffa de fe
rendre chez fon Officier pour lui faire confidence
de l'entretien qu'il venoit d'avoir ; on donna des
ordres pour s'affurer du Pope , on fit les difpofitions
néceffaires pour intercep er les charriots chargés
d'armes , & l'on en donna avis au Commiffariat
de guerre à Varfovie . "
giv
( 152 )
ALLEMAGNE.
De Vienne , le 3 mai.
L'Empereur , sans être encore parfaitement
rétabli , fait des progrès de convalescence
. La toux subsiste , et a néces
sité l'usage du lait d'ânesse . Il paroît
décidé que ce Prince passera l'été à
Laxembourg , ou à Hetzendorf , dont
l'air est très- salubre .
Récapituler les nouvelles du jour ,
ce seroit présenter un amas de bruits
populaires , de fictions de Gazettes , de
petits faits incertains ou indifférens . Des
escarmouches dont on exagère l'importance
, des lettres prétendues de Valachie
, de Moldavie , de Constantinople ,
des conjectures dont on fait des évènemens
, des dispositions militaires imaginées
dans les Cafés , forment le cercle
des propos et des rapports journaliers ,
en attendant que la campagne en fournisse
de moins oiseux . Le seul fait qui
ait pris créance , au milieu de ce fatras
de prétendues nouvelles , est la défection
du Prince Manole Rosset, Hospodar
in partibus de la Moldavie , et qui ,
en sa qualité de Grec , est passé chez
les Russes , avec son cortège , dans la
crainte que la Porte , instruite de ses
manoeuvres, ne l'en récompensât , comme
( 153 )
cela se pratique . Le Messager de guerre
et de mensonges , qui s'imprime à Hermanstadt
, a profité de ce moment pour
annoncer que la Porte avoit fait empoisonner
le Khan des Tartares , et que
l'Hospodar de Valachie Maurojeni
étoit venu joindre au camp Russe , son
Compatriote Manole Rosset. Quiconque
connoît un peu le caractère du Prince
Maurojeni et son dévouement à la
Porte , appréciera cette nouvelle ; celle
qui concerne le Khan des Tartares ne
mérite pas d'examen .
Le Maréchal de Haddick prit congé
de l'Empereur le 26 avril , et partit le lendemain
pour prendre le commandement
de l'armée de Syrmie , qui se mettra en
mouvement vers le Bannat : indice de
plus , ou que cette province est de nouveau
menacée , ou que les armées combinées
se dirigeront contre la Valachie .
Pendant l'absence de M. de Haddick , le
Général d'Artillerie Comte Michel de
Wallis présidera le Conseil Aulique de
guerre .
Il se confirme de toutes parts que les
Ottomans se rassemblent , s'avancent et
se fortifient de jour en jour . Le Pacha
de Trawnick , àla tête de 20,000 hommes,
s'est posté sur la rivière de Verbaz
entre Berbir et Bihacz . Quant aux forces
principales des ennemis , elles sont réunies
sur la rive droite du Danube , près de
Silistrie , d'où un Corps nombreux s'ag
v
( 154 )
vance en Bosnie , pour y soutenir le Pacha
de Trawnick. Les Turcs se renforcent
également en Valachie , et leurs
dispositions annoncent le dessein d'attaquer
la Transylvanie du côté du défilé
de Bozan .
Le Landgrave de Hesse-Hombourg ,
arrivé de Vienne à Bude , avec le
Prince , son fils aîné , que l'Empereur
a nommé Capitaine au régiment de
Stein , est parti le 19 avril pour Semlin ,
où il fera une visite au Général -Prince
de Waldek, et conduira ensuite son
fils au régiment .
De Francfort sur le Mein , le 9 mai.
Il n'étoit pas douteux que les démárches
combinées des Cours de Londres ,
de Berlin et de la Haye , ainsi que les
armemens maritimes de l'Angleterre et
de la Hollande , n'eussent pour objet le
rétablissement de la paix dans le Nord .
Le premier point à obtenir étoit la
neutralité du Danemarck , qui , pressé par
de sérieuses déclarations , s'est enfin décidé
à cette neutralité parfaite dans la
guerre présente entre la Russie et la
Suède. Cet avis important nous est confirmé
par les lettres de Hambourg et par
celles de Berlin .
Nous apprenons aussi de cette dernière
capitale, le choix qu'a fait le Roi de
Prusse du Comte d'Arnim , fils du Mi-
1
( 155 )
nistre d'Etat , en qualité de son Ministre
plénipotentiaire à la Cour de Danemarck.
Cet Envoyé est parti pour Copenhague.
Le 24 avril , le Comte de Stolberg
nouveau Ministre Plénipotentiaire de la
Cour de Copenhague , eut à Potzdam
une audience du Roi , dans laquelle il
remit ses lettres de créance .
Le Général de Cavalerie Comte de
Schliefen est passé du service de Hesse-
Cassel à celui du Roi de Prusse , qui lui
a conféré le Gouvernement de Vesel.
Des Commissaires nommés par le
même Souverain , continuent leurs travaux
avec les anciens et les Rabbins
de la Nation Juive , pour déterminer
d'une manière stable l'existence civile de '
cette Nation dans les Etats Prussiens .
Un Décret du Conseil Aulique de
Vienne , qui vient d'être publié à Cologne
, concernant la contestation sur
l'établissement d'un oratoire et d'un
Presbytère à l'usage des Protestans de
cette ville , enjoint au Magistrat d'ac
corder sans délai la demande des Requérans
, et d'informer Sa Maj . Impériale de
l'obéissance de la Régence à ce sujet ,
dans l'espace de deux mois .
P. S. Plusieurs lettres de Venise , en
date du rer. de ce mois , annoncent l'ar
rivée , deux jours auparavant , d'un cour
rier expédié de Constantinople par le
Baile de la République , avec la nouvelle
de la mort du Grand - Seigneur Abdulg
vj
( 156 )
Hamed, décédé subitement le 7 avril.
Immédiatement après cet évènement
Sultan Selim , neveu du Grand- Seigneur
qui vient de mourir , a été proclamé , et
a pris possession du trône . Il est âgé de
30 ans , plein de feu et d'activité. Le
nouveau Kaïmacan , placé par les ennemis
du Grand- Visir , avoit été destitué le
7 mars , et sa charge donnée au Kiaja
Bey , Hadgi-Salich- Aga , créature du
Premier Ministre .
GRANDE - BRETAGNE.
De Londres , le 12 mai.
M. Beaufoy a présenté , le 8 , à la
Chambre des Communes , et sans succès ,
sa Motion en faveur des Non - Conformistes
exclus des charges et emplois civils
, par le fameux Acte du Test et celui
de Corporation. Milord North attaqua
les principes de la Motion , qui fut défendue
par M. Fox , et rejetée par M. Pitt ,
comme n'étant pas de circonstance.
Cent vingt-deux voix contre cent vingt ,
ont adhéré à cette réjection . C'étoit une
seconde tentative de M. Beaufoy à
ce sujet . Nous ne rapporterons pas les
argumens pour ou contre , dont la plupart
sont une répétition de ceux dont on
fit usage , et que nous rendîmes en détail
, il y a deux ans , lorsque la même
question fut portée aux Communes.
Aucun autre objet intéressant n'a fixé l'at(
157 )
tention publique la semaine dernière , si
l'on en excepte la continuation du procès
de M. Hastings. Cette affaire se complique
d'incidens , qui naissent des intérêts
violens , et des intrigues auxquelles
on doit le tissu de cette affaire. Nous
donnerons un exemple instructif de ces
ressorts secrets , en produisant une lettre
que nous avons reçue d'un Membre respectable
des Communes , du nombre de
ceux qui savent maintenir leur indépendance
contre l'empire des factions . Elle est
doublement intéressante pour les Observateurs
; d'abord , par l'historique curieux
qu'elle renferme des véritables circons
tances du dernier débat des Communes
sur la Pétition de M. Hastings , ensuite
par la lumière qu'elle jette sur la politique
insidieuse qui caractérise les Assemblées
, les Corps , pour le moins autant
que les Cabinets.
Londres , le 8 Mai.
» L'iffue de la Pétition de M. Haftings , n'a ré- pondu ni à la folemnité avec laquelle elle a été reçue , ni à la marche régulière que la Chambre
des Communes fembloit vouloir fuivre dans fa
procédure , ( puiſqu'elle avoit ordonné qu'on fît
une enquête des formes fuivies en pareil cas ) ni
enfin à la fureur des perfonnalités
qui ont terminé
le débat. "
" Le Miniftre avoit déclaré le vendredi , lors
de la première inftruction , & cela de la manière
la plus pofitive , que les expreffions de M. Burke
citées dans la Pétition , étoient hautement injur eufes
à M. Haftings , & que la Chambre ne les avoit nullement
autorifées; Comme on fait qu'en général le
?
( 158 )
fentiment du Miniftre fe confond avec celui de la
Chambre , & qu'ordinairement elle y adhère dans
toutes les queftions qu'on lui préfente , on avoit cru
voir dans l'explication de M. Pitt , la manière dont
la Chambre jugeroit cette affaire. Le Public s'étoit
reglé là- deffus ; fon attente & fa curiofité étoient
proportionnées à l'importance de la caufe. «
" Lundi dernier , le Comité chargé du Rapport ,
dit qu'on ne trouvoit pas d'exemples analogues au
cas préfent..... On ne s'occupa plus de ce Rapport ,
qui ne donnoit d'autres lumières que celles qu'on
avoit déja. Je vous renvoie , pour les débats qui
fuivirent , au odfall's Regifler ( 1 ). Ce qu'il vous
importe de fcruter , c'eft e réfultat. «
" La Chambre , d'accord avec M. Pitt , refuſa
l'examen des accufations citées dans la Pétition ,
comme faites l'année paffée par M. Burke , contre
M. Haftings : elle ſe borna à délibérer ſur les expreflions
employées par M. Burke , le premier
jour de la Seffion préfente ; exprefficns qui inculpent
directement M. Haftings d'avoir affaffiné
Nunducomar par les mains de Sir Elijah Impey....
Après nombre d'altercations frivoles fur la manière
de prendre le témoignage du Tachygraphe ,
qui recueille & met au net les pièces du Procès ,
fous la direction des Commiffaires chargés de le
pourſuivre, après avoir jugé infuffifant le té
moignage de M. Burke , lui-même , convînt – il
d'avoir proféré les mots en queftion , le Mar
quis de Graham préfen a ure réfolution corçue
en ces termes : » Que la Chambre n'avoit ni
inftruit ni autorifé le Comité d'impeachment àpro-
» duire aucune charge ou allégation contre M
» WARREN HASTINGS , Ecuyer , relativement à
» la condamnation ou au fupplice de Nunducomar. »
»
( 1 ) La meilleure , ou plutôt la fule Fenil e
périodique qui rende avec exactitude les débats du
Parlement.
( 159 )
" M. Fox , qui s'attendoit à une conduite plus
vive de la part du Miniftre , fut évidemment déconcerté
à la vue de cette déclaration modérée ,
& il la traita avec le dernier mépris . Il dit qu'il acquiefçoit
d'autant plus volontiers à la motion ,
qu'elle re défendoit pas aux Commiffaires de
l'impéachement de répéter les expreffions qui en
faifoient l'objet , & que lui , en particulier , s'en
ferviroit aufli fouvent que l'occafion le demanderoit.....
«
» M. Pitt profitant , dans fa réplique , de l'avantage
que lui donnoit le défappointement de M.
Fox , effaya de le faire renoncer à l'obſtinati n
ir jurieufe avec laquelle il avoit menacé de traiter
la réfolution de la Chambre , du moins relativement
aux terraes dans lefquels elle avoit été conçue
par le Miniftre ; il en appela à fon bon fens , à
la modération , à fon jugement , & au fentiment
intime de ce qu'il devoit à la propre dignité , comme
membre du Comité de l'impéachment.
"
" Ces cajoleries ne firent pas la moindre impreffion
fur . Tox, qui les rejeta avec raifon comme
infigaifiantes & infidieufes. Il preffa M. Pitt d'exprimer
le ſentiment de la Chambre dans un langage
intelligible , & ne lui laiffa que l'un de ces deux
partis , ou de cenfurer en termes directs la conduite
des Commiffaires de l'impéachment , ou d'avouer
que la Chambre les avoit autorisés. «
"
8-
Quelques autres Membres du Comité , fuivant
le même efprit de provocation , taxèrent M.
Pitt & les Moteurs de la réfolution , de dupliciré
& de mauvaife foi ; ils les défièrent même de voter
une cenfure directes Cette interpellation
violente força le Marquis de Graham de faire un
changement à la motion ; mais il commença par
fe juftifier , en mostrant que l'animofité de fes
Adverfaires le contraignoit de s'écarter de la modération
& des ménagemens qu'il s'étoit promis
de garder. "
( 160 )
» L'amendement qu'il propofa à fa première motion
, fut une addition en ces termes : » Et que
» les mots du très - honorable Edmund Burke , un
n des fufdits Commiffaires , à favoir , ( Warren
» Haftings , écuyer , ) affaffiña cet homme ( Nun-
» ducomar ) par les mains de Sir Elijah Impey ,
» n'auroient pas dû être prononcés . «
Avant cet amendement , plufieurs Membres des
Communes , voyant M. Fox & fes Collégues de
l'Oppofition , fe réunir avec le Miniftre fur la première
motion de Lord Graham , en conclurent
naturellement que l'affaire finiroit ainſi , & ſe retirèrent.
M. Fox , jugeant bien qu'il ne falloit pas provo
quer le Ministre à une plus forte cenfure , fit de
néceffité vertu ; & affectant d'être fingulièrement
offenfé de l'amendement , déclara que s'il étoit admis
, il le déshonoreroit lui & les autres Membres
du Comité aux yeux de toute l'Europe , & les mettroit
hors d'état de s'acquitter des devoirs que les
Communes leur avoient impofés , en leur confiant
la pourfuite de l'impéachment . - Ses Affociés témoignèrent
la même indignation , & fe réunirent
également à lui pour demander la fuppreffion de
l'amendement.
La queftion fut agitée , & paffa en réſolution de
la Chambre à une très-grande majorité ; on comprit
, par les déclarations du parti de l'Oppofition ,
qui s'ea expliqua ouvertemet & à haute - voix
après que la Chambre fe fut féparée , que le lent
demain les Commiffaires de l'impeachment le rendroient
, à l'heure marquee , à là Salle de Weftminfter
, pour y résigner leur Commiffion, «
" Tel étoit en effet le deffein , tel étoit le voeu
de ceux des Membres de l'Oppofition qui avoient
conduit le débar ; mais M. Burke , inflexible , s'obftina
à continuer la pourfuite de l'affaire ; ' a légère
correction qu'il venoit de recevoir n'avoit fait
qu'aigrir fon reffentiment , & il efpéroit ſe venger
( 161 )
" de cette leçon ; car étant parvenu à décider en
fa faveur la majorité du Comité , il reprit le lendemain
fa diatribe . «
» Il rapporta à la Cour des Pairs ce qui s'étoit
paffé ; il lut à haute-voix la réſolution des Commu
nes avec un ricanement de mépris & une humilité
affectée ; il fit profeffion de fe foumettre à cette
fentence avec la docilité la plus implicite ; il s'excufa
auprès des Pairs d'avoir inculpé M. Haftings
d'un affaffinat , fans y être autorifé par fes Conftituans
; il promit de prendre garde de retomber
dans la même faute , & affura la Cour qu'il n'auroit
point fait ufage du terme réprouvé , fi la langue
Angloife , moins pauvre , avoit pu lui fournir
quelque mot plus fort que celui d'aſſaſſinat ,
pour exprimer ce qu'il penfoit de l'atrocité compliquée
de cette action . Il finit en jurant que ce
feroit là le fens qu'il y attacheroit juſqu'au dernier
foupir. Telle fut l'amende honorable que cet
Orateur fit à M. Haftings . Quant aux Communes
, il dit qu'il avoit été employé par elles ,
pendant neuf années entières , à fouiller , de la
manière la plus pénible & la plus laborieufe ,
tous les documens relatifs à la Compagnie des
Indes Orientales ; que fon caractère connu étoit
celui d'un homme infatigable dans fes recherches ,
& que le réſultat de fon travail avoit été de leur
montrer une maffe de corruption & d'infamie ,
de laquelle l'hiſtoire entière du genre humain ne
fournircit pas le parallèle ; mais apparemment la
Chambre des Communes avoit acquis en cinq jours
plus de connoiffances par une revue fuperficielle ,
qu'il n'en avoit accumulé en neuf ans d'un travail
continu. «
---
M. Burke fit enfuite allufion aux membres coupés
, dont la force fe retire dans les autres ; &
fuivant toujours fon image , il dit qu'il avoit fait
voeu de renouveler l'attaque avec une vigueur
( 162 )
redoublée , fur les autres articles d'accufation auxque's
les restrictions de fe- Commettans ne ss''étendoient
point ; & c'eſt ce qu'il vérifia amplement
par un torrent d'injures contre l'Accufé il y a
plu , c'eit que , c mme fi les formes ufi.ées de
la langue eunt été infuffifantes pour rendre
l'énergie de fes conceptions , il forgea de nouveaux
mots , & en choisit nême dans les patois
les plus groffiers & dans ce qu'on appelle l'argot
de la canale , comme les mieux adaptés à fon
but & à fon éloquence. ( 1 ) .
» Refte à voir maintenant de quelle manière
la Chambre prendra ce mépris de la part de
fon mindataire , & fi elle vengera fon autorité
infultée. Probablement elle regaidera comme au
defous d'elle de s'en occuper ; cependant le procès
va toujours fon train comme par le pallé , c'eſtà-
dire , avec des harangues d'une longueur intoléra
b'e , où l'on affirme toujours que l'accufé eft coupable
, au lieu de développer les preuves de fes
délits . On ne voit pas encore par quel moyen ce
jeu pourra finir , à moins que l'énormité même de
l'abus n'en devienne le remède , foit par l'impatience
des Pais de voir abufer fi indignement
de leur temps , foit par la honte & les remords des
Communes , foit par la méfintelligence déja formée
des Membres du Comité , qui amèneroit
brusquement la conclufion de cette affaire inonie.
On s'attendoit qu'elle alloit fe terminer ainfi , &
(1) Voici quelques - unes de ces expreffions . M.
Haftings eft un Chiffreur excentrique , un Teneur de
livres Pindarique , Arithméticien dans les nuées.....
Son adminiftration offre le jackall de la tyrannie ,
une peau de lion rapiécée avec une queue de renard ,
une Tréforerie de malverfations , dont l'extorfion étoit
l'Affeffeur; lafraude , le Commis; le péculat , le Caiffier
, &c. &c.
( 163 ')
CLA
elle n'en a pas été loin . Dans la circonſtance dont
je viers de vous donner les détails , j'y ajoute ,
pour votre in.ft. uction , le fecret des motifs réels qui
ont mis enjeu les principaux Acteurs de cette fcène. »
Il étoit évident que M. Fox & fes Co!-
lègues dans le débat , defioient fe ménager ,
par le réſultat de cet épifode , un prétexte , finon
hororab'e , du moins plaufible , d'abandonner leur
fonction de Commiflaire de l'impéachment . Cette hy
pothèse explique naturellement le défappointement
que M. Fox n'a pu diffimaler à la vue d'une cenfure
indirecte , & la vélémence avec laquel.e il a infifté
pour uneimprobation précife & narquée; fachant bien
que M. Burkene lâchercit fa proie qu'autant qu'on la
lui arracheroit , & qu'il falloit que les Commiffaires
de l'impeachment puffent juftifier l'abandon de
leur miniftere par quelques raifons de poids. "
« M. Pitt, comme fa conduite l'a mortré , n'étoit
pas moins jaloux que M. Burke lui -même , de voir
la continuation de ce procès. »
-
« L'honneur de la Chambre étoit engagé à recevoir
la Pétition de M. Haftings , & à y faire droit ;
d'ailleurs , la feule idée de a rejeter eût révolté
la nation , & peut- être les Communes elles -mêmes.
Il falloit donc imaginer un moyen qui ,
tout en rendant à M. Hafting, la juftice qu'il réclamoit
, ne frappâr que le moins poffible fur les
Membres du Comité. Cet unique moyen étoit un
fimple défaveu d'aucune autorifation donrée par
les Communes , d'accufer M. Haftings en matière
criminelle , de rien qui cût rapport à la condamnation
de Nunducomar , fans ceperdast déclarer
que les Commilaires de l'impeachment n'étoient
pas fondés à mettre en avant ce Chef d'accufation
d'après les feuls pouvoirs généraux qui leur avoient
été conférés. »>
Left alfé d'affiger plufieurs raifons de cette
conduite du Miniftre : peut être un ftri&tattachement
( 164 ).
aux principes de la justice , enfuite une attention prudente
à écarter tout reproche de partialité ; enfin ,
un défir fecret , d'accord avec celui que l'on fuppofe
généralement l'avoir déterminé , dans l'origine
, à donner fon fuffrage à l'impéachment , de
-perpétuer la dépreffion où gémit M. Haflings.-
On peut fe permettre de pareilles conjectures en
examinant les actions des hommes publics , quels
que foient d'ailleurs les motifs qu'ils leurs affignent
dans les affemblées où ils en rendent compte ;
affemblées dans lesquelles on fait bien , comme l'a
dit notre grand poëte , que :
·
« L'efprit enfa fit plus qu'il n'en vient à l'oreille. »
« Contentez vous de ce fil pour marcher
dans le labyrinthe des fuites & même des événemens
antérieurs de cette affaire mémorable ,
moins que quelques nouvelles circonftances ne
viennent jeter un nouveau jour fur le procès. 19
FRANCE.
De Versailles , le 13 mai.
Le Roi a nommé à l'Abbaye régulière de Saint-
Andoche , Ordre de Saint Benoit , Diocèle d'Autun
, la Dame de Changy, Abbeffe de Lancharre ,
même ordre ; & à celle de Saint-Michel de Doullens
, même Ordre , Diocèfe d'Amiens , la Dame
de Monmounier , Religieufe Profeffe de l'Abbaye
de Villancourt , Ordre de Citeaux , fur la nomination
& préfentation de Monfeigneur Comte
d'Artois , en vertu de fon apanage.
Le Dimanche 10 , le Comte de Maulévrier-
Colbert , Miniftre - plénipotentiaire du Roi près
l'Electeur de Cologne , a eu l'honneur de prendre
congé de Sa Majefté pour retourner à ſa deftination
, étant préfenté par le Comte de Montmorin ,
Miniftre & Secrétaire d'Etat , ayant le département
des affaires étrangères. Précédemment le Baron de
( 165 )
Choifeu!, Ambaffadeur près le Roi de Sardaigne ,
a pris au congé pour retourner à fa deftination ,
étant préfenté à Sa Majefté par le même.
De Paris , le 20 mai.
DÉPUTÉS DE LA PRÉVÔTÉ ET VICOMTÉ
DE PARIS , extra muros.
Clergé. MM. Le Guen , Curé d'Argenteuil ;
Melon de Pradou , Curé de Saint - Germain - en-
Laye ; l'ancien Evêque de Senez ; de Coulmier ,
Abbé régulier d'Abbecourt : Suppléans . MM. Papin,.
Prieur de Marly-la-ville , premier Suppléant ; Gandolphe
, Curé de Sevres , fecond Suppléant. Nobleffe.
M. Duval d'Efprémefnil , le Duc de Caftries
; le Président d'Ormefon ; le Bailli de Cruffol.
Suppléans. MM. le Comte Bozon de Talleyrand ;
le Comte de Broglio ; le Comte de Rougé ; de
Blaire.
( Nous avons donné , dans le N° . 19 ,
les noms des Députés du Tiers - Etat . )
DÉPUTÉS DE LA VILLE DE PARIS ,
intrà muros.
CLERGÉ . MM. l'Archevêque de Paris , Député
par une triple acclamation, à laquelle s'eft jointe l'unanimité
du fcrutin ; l'Abbé de Montefquiou , Agent
du Clergé l'Abbé Chevreuil , Chancelier de Univerfité
& de l'Eglife de Paris ; Gros , Curé de
Saint-Nicolas - du - Chardonnet ; Dom Chevreuse,
Général de l'Ordre de Saint-Maur ; Dumouchel
Recteur de l'Univerfité ; Legros , Prévôt de l'E
glife Collégiale de S. Louis du Louvre l'Abbé
de Bonneval , Chanoine de l'Eglife de Paris !
Veytard, Curé de Saint-Gervais ; l'Abbé de Barmond,
Confeiller au Parlement. Suppléans. MM.
le Général de Saint - Lazare ; Berardier , Grand(
166 )
Maître du Collège de Louis- le-Grand ; D. Frennelet
, Provifeur du Collège des Bernardins ; l'Abbé
de Damas ; Ben ere, Curé de S. Pierre de Chaillot , &
Secrétaire de l'Ordre du Clergé de Paris , intrà muros.
NOBLESSE MM. le Comte Staniſlas de Clermont-
Tonnerre , le Duc de la Rochefoucault , le Comte de
Lally- Tolendal , le Marquis de Lufignan, le Comte de
Rochechouart , Dionis du Séjour , le Duc d'Orléans ,
Duport , le Préfident de Saint- Fargeau , de Nicolaï ,
Premier Président de la Chambre des Comptes.
M. le Duc d'Orléans & M. de Nicolaï n'ayant
pu accepter leur nomination , ont été remplacés
par MM. le Comte de Mirepoix & le Marquis de
Montefquiou-Fezenzac . »
-
TIERS ETAT. MM. Bailly , de l'Académie
Françoife ; Camus , Avoca au Parlement ; Vignon ,
ancien Conful ; Bev ere , Notaire ; Poignot , Nége
ciant ; Tronchet , Avocat au Parlement ; de Bourges ,
Négociant ; Martineau , Avocat au Parlement ;
Germain , Négociant ; Guillotin , Médecin ; Treil-
Lard, Avocat au Parlement ; Bertherau , Procureur
au Parlement; Demeunier, Cenfeur Royal ; Garnier ,
Confeilter au Châtelet; Leclerc , Libraire ; Hutteau,
Avocat au Parlement ; Dosfaut , Notaire ; Anfon ,
Receveur-Général des Finances ; Lemoine, Orfévre ;
M. l'Abbé de Sieyes.
« Tous les Membres du Corps du
Clergé et de la Noblesse des Etats d'Artois
, s'étant retirés de l'Assemblée géné
rale du Bailliage , avant les Elections
des Députés aux Etats - Généraux , se sont
assemblés , et ont député, non aux FEtats-
Généraux , comme nous l'avons dit abusivement
il y a huit jours , mais au Roi ,
MM . l'Evêque d'Artas , l'Evêque de
( 167 )
Savit-Omer , l'Abbé de Saint-Bertin ,
l'Abbé de Bovet , Prévôt de la Cathédrale
d'Arras ; les Marquis de Croix , de
Créqui , d'Havrincourt et le Comte de
Cunchy. »
Les Habitans du Mandement de Saint-
Sulpice , Ordre de Cîteaux , en Bugey ,
ayant demandé dans leur Cahier à l'Assemblée
du Bailliage de Belley , d'être
affranchis de la Taillabilité personnelle,
l'Abbé Régulier de cette maison , du
consentement unanime de sa Communauté
, à affranchi gratuitement de cette
servitude , non - seulement tous les Habitans
dudit Mandement , qui comprend
treize villages ou hameaux , mais encore
tous les autres Taillables de ses fiefs ,
par acte reçu le 19 avril 1789. Signé,
Billion , Notaire à Hautefeuille .
Le royaume vient de perdre le Général
d'Artillerie le plus expérimenté et
le plus digne de la haute réputation
dont il jouissoit en Europe , dans la
personne de M. de Gribeauval. Tout
le monde sait avec quelle distinction
il servit la Maison d'Autriche et ses
Alliés dans la guerre de sept ans . La
défense de Schweidnitz a été célébrée
par le Roi de Prusse lui - même ; le
Défenseur de cette plage ne pouvoit
avoir de panégyriste plus compétent ,
et d'ailleurs plus sobre ae louanges. L'Impératrice
- Reine avoit nommé M. de
Gribeauval , Lieutenant-Général de ses
( 168 )
armées , Commandant de l'Artillerie. et
du Génie , et Grand- Croix de l'Ordre
de Marie-Thérèse . Il meurt décoré de
la Grand-Croix de St. Louis en France ,
Premier Inspecteur Général d'Artillerie ,
Lieutenant-Général , etc. , et à l'âge de
74 ans .
M. de Lamoignon , que nous avons vu
Garde -des- Sceaux l'année dernière , est
mort assez subitement , samedi dernier ,
à sa terre de Bâville.
DISCOURS de M. le Garde- des-Sceaux ,
à l'ouverture des Etats - Généraux.
MESSIEURS ,
Il eſt enfin arrivé ce beau jour fi long- temps attendu
, qui met un terme heureux à l'impatience
du Roi & de toute la France ! Ce jour tant défiré
va refferrer encore les noeuds de l'union entre le
Monarque & fes Sujets ; c'eſt dans ce jour folennel
que Sa Majesté veut établir la felicité générale
fur cette bafe facrée , la liberté publique .
L'ambition , ou plutôt le tourment des Rois
oppreffeurs eft de régner fans entraves , de franchir
les bornes de toute puiffance légitime , de
facrifier les douceurs du gouvernement paternel ,
aux fauffes jouiffances d'une domination illimitée ,
d'ériger en loi les caprices effrénés du pouvoir
arbitraire : tels ont été ces defpotes dont la tyrannie
fournira toujours à l'hiftoire des contrafes frappans
avec la bonté de Louis XII , la clémence de
HENRI IV , & la bienfaifance de Louis XVI .
Vous le favez , Meffieurs , le premier befoin,
de Sa Majefté eft de répandre des bienfaits ; mais
pour être une vertu royale , cette paffion de faire
des heureux doit prendre un caractère public , &
embraffer
( 169 )
embraffer l'univerfalité de fes Sujets . Des graces
verfées fur un petit nombre de courtisans & de
favoris , quo que méritées , ne fatisferoient pas la
grande ame da Roi.
Depuis l'époque heureufe où le Ciel vous l'a
donné pour maître , que n'a-t-il point entrepris ,
que n'a- t -il point exécuté pour la gloire & la
profpérité de cet Empire , dont le bonheur repofera
toujours fur la vertu de fes Souverains ?
C'est la reffource des Nations dans les temps
les plus difficiles , & cette reflource ne peut manquer
à la France fous le Monarque Citoyen qui la
gouverne.
N'en doutez pas , Meffieurs , il conſommera le
grand ouvrage de la félicité publique. Depuis longtemps
ce projet étoit formé dans fon coeur paternel,
il en pourſuivra l'exécution avec cette conftance
qui trop fouvent n'eſt réſervée qu'aux Princes infatiables
de pouvoir & de la vaine gloire des conquêres.
Qu'on fe retrace tout ce qu'a fait le Roi depuis
fon avènement au trône , & l'on trouvera dans
cet efpace affez court une longue fuite d'actions,
mémorables . La liberté des mers & celle de l'Amérique
affurées par le triomphe des armes que
l'humanité réclamoit ; la question préparatoire
profcrite & abolie , parce que les forces phyfiques
d'un accufé ne peuvent être une mefure infaillible
de l'innocence ou du crime ; les restes d'un ancien
efclavage détruits , toutes les traces de la fervitude
effacées , & l'homme rendu à ce droit facré de la
nature que la loi n'avoit pu lui ravir , de fuccéder
à fon père , & de jouir en paix du fruit de fon
travail ; le commerce & les manufactures protégées
, la marine régénérée , le port de Cherbourg
créé , celui de Dunkerque rétabli , & la France
ainfi délivrée de cette dépendance où des guerres
malheureuſes l'avoient réduite.
N. 21. 23 Mai 1789 . h
( 170 )
Vos coeurs fe font attendris , Meffieurs , au récit
de la fage économie de Sa Majeſté , & des facrifices
généreux dont Elle a donné tant d'exemples récens ,
en fupprimant , pour foulager fon Peuple , des
dépenfes que fes ancêtres avoient toujours cru
néceffaires à l'éclat & à la dignité du premier
trône de l'univers.
Quelle jouiffance vos ames doivent éprouver en
la préſence d'un Roi jufte & vertueux ! Nos aïeux
ont regretté fans doute de n'avoir pu contempler
Henri IV au milieu de la Nation affemblée. Les
Sujets de Louis XII avoient été plus heureux ,
& ce fut dans cette réunion folennelle qu'il
reçut le titre de Père du Peuple . C'eft le plus
cher , c'est le premier des titres pour les bons
Rois , s'il n'en reftoit un à décerner au fondateur
de la liberté publique.
Si les Etats-Généraux ne furent point aſſemblés
fous Henri IV , ne l'attribuez qu'aux juftes craintes
que les difcordes civiles devoient inſpirer à un
Prince qui plaçoit avant tout la paix & le bonheur
de fes Peuples. Il voulut fuppléer à cette convocation
générale par une affemblée de Notables ;
il y demanda des fubfides extraordinaires ly , & fembla
lui tranfmettre ainfi les droits des véritables Repréfentans
de la Nation .
Dans une pofition moins difficile , le Roi n'appela
autour de lui l'élite des Citoyens , ou du
moins une portion de cette élite , que pour préparer
avec eux le bienfait qu'il deftinoit à la France.
Une première affemblée de Notables n'avoit eu
d'autre motif que de foumettre à leurs lumières
un plan vafte de finance & d'économie , & de les
confulter fur l'établiffement patriotique des adminiftrations
provinciales ; érabliffement qui fignalera
ce règne , puifqu'il a pour objet que l'impôt foit
déformais mieux réparti , les charges plus également
fupportées , l'arbitraire banni , les befoins des villes
& des provinces mieux connus,
( 171 )
Cependant le long efpace écoulé depuis les derniers
Etats- Généraux , les troubles auxquels ils
furent livrés , les difcuffions fi fouvent frivoles qui
les prolongèrent , éveilloient la fageffe royale ,
& l'avertiffoient de ſe prémunir contre de te's inconvéniens.
En fongeant à vous réunir , Meffieurs , Elle a
dû fe tracer un plan combiné qui ne pouvoit admettre
cette précipitation tumultueuſe dont l'impatience
irréfléchie ne prévoit pas tout le danger.
Elle a dû faire entrer dans ce plan les mesures
anticipées qui préparent le calme des décifions ,
& ces formes antiques qui les rendent légales.
Le voeu national ne ſe manifeftoit point encore ;
Sa Maj . l'avoit prévenu dans fa fageffe . A peine
ce voeu a-t-il éclaté , qu'Eile s'empreffe de le remplir,
& les lenteurs que la prudence lui fuggère ,
ne font plus que des précautions de fa bienfaiſance
toujours active , mais toujours prévoyante fur les
véritables intérêts de fes Peuples.
Le Roi a défiré connoître féparément leurs befoins
& leurs droits. Les Municipalités , les Bailliages
, les hommes inftruits dans tous les états ,
ont été invités à concourir par leurs lumières au
grand ouvrage de la reftauration projetée. Les archives
des villes & celles des tribunaux , tous les
monumens de l'hiftoire étudiés , approfondis &
mieux developpés , leur ont ouvert des tréfors
d'inftruction : de grandes queftions fe font élevées ,
des intérêts opposés , toujours mal entendus quand
ils fe combattent en de pareilles circonstances , ont
été diſcutés , débattus , mis dans un jour plus ou
moins favorable : mais enfin un cri prefque général
s'eft fait entendre pour folliciter une double repréſentation
en faveur du plus nombreux des trois Ordres
, de celui fur lequel pèfe principalement le
fardeau de l'impôt.
En déférant à cette demande , Sa Majeſté , Mesh
ij
( 172 )
fieurs , n'a point changé ia forme des anciennes délibérations
; & quoique celle par têtes , en ne produifant
qu'un feul réfultat , paroiffe avoir l'avantage
de faire mieux connoître le défir général , le Roia
voulu que cette nouvelle forme ne puiffe s'opérer
que du confentement libre des Etats -Généraux , &
avec l'approbation de Sa Majesté.
Mais quelle que doive être la manière de prononcer
fur cette question , quelles que foient les
diftinctions à faire entre les différens objets qui
deviendront la matière des délibérations , on ne
doit point douter que l'accord le plus parfait ne
réuniffe les trois Ordres relativement à l'impôt.
Puifque l'impôt eft une dette commune des Citoyens
, une espèce de dédommagement & le prix
des avantages que la fociété leur procure , il eft
jufte que la Nobleffe & le Clergé en partagent le
fardeau. Pénétrés de cette vérité , on les a vus pref
que dans tous les Bailliages donner avec empreffement
un témoignage honorable de défintéreſſement
& de patriotifine , & il leur tarde de ſe voir
réunis par Ordres , pour que ces délibérations qui ,
jufqu'ici , n'ont pu être que partielles , acquièrent ce
dégré de généralité qui , en les confolidant , fixera
leur ſtabilité.
R Si des priviléges conftans & refpectés femblèrent
autrefois fouftraire les deux premiers Ordres de
l'Etat à la loi générale , leurs exemptions, du moins
pendant long- temps , ont été plus apparentes que
réelles .
Dans des fiècles où les Eglifes n'étoient point
dotées , où on ne connoiffoit encore ni les hôpitaux
, ni ces autres afyles nombreux ,
élevés
par la piété & la charité des fidèles , où les Miniftres
des autels , fimples diftributeurs des aumônes ,
étoient folidairement chargés de la fubſiſtance des
veuves , des orphelins , des indigens , les contribusions
du Clergé furent acquittées par ces foins
( 173 )
religieux , & il y auroit eu une forte d'injuſtice à
en exiger des redevances pécuniaires.
Tant que le fervice de l'arrière- ban a duré
tant que les poffeffeurs des fiefs ont été contraints
de fe tranſporter à grands frais d'une extrémité du
royaume à l'autre , avec leurs armes , leurs hommes
, leurs chevaux , leurs équipages de guerre ,
de fupporter des pertes fouvent ruineufes , & quand
le fort des combats avoit m's leur liberté à la
merci d'un vainqueur avare , de payer une rançon
toujours mesurée fur fon infatiable avidité ; n'étoitce
donc pas une manière de partager l'impôt ,
ou plutôt n'étoit- ce pas un impôt réel que ce fervice
militaire , que l'on a même vu plufieurs fois
concourir avec des contributions volontaires ?
Aujourd'hui que l'Eglife a des richeffes confidérables
, que la Nobleffe obtient des récompenfes
honorifiques & pécuniaires , les poffeffions de ces
deux Ordres doivent fubir la loi commune. Nous
aimons à le répéter , leur acquiefcement à certe
loi eut dans fa première forme toute la vivacité
de l'émulation , & prit tous les caractères de la
loyauté , de la juftice & du patriotiſme.
L'impôt , Meffieurs , n'occupera pas feul vos
délibérations; mais pour ne point anticiper fur les
objets de difcuffion qui partageront les momens
confacrés à vos affemblées , il me fuffira de vous
dire que vous n'imaginerez pas un projet utile , que
vous n'aurez pas une idée tendante au bonheur
général que Sa Majefté n'ait déja conçus , ou dont
Elle ne défire fermement l'exécution.
Depuis que les Etats- Généraux font déterminés ,
le Roi n'a jamais penfé fans attendriffement à
cette réunion d'un bon Père & de fes enfans chéris ,
qui deviendra le gage de la félicité commune.
Au nombre des objets qui doivent pricipalement
fixer votre attention , & qui déja avoient
mérité celle de Sa Majefté , font les mesures à
h iij
( 174 )
prendre pour la liberté de la preffe ; les précautions
à adopter pour maintenir la fûreté publique ,
& conferver l'honneur des familles ; les changemens
utiles que peut exiger la légiflation criminelle
, pour mieux proportionner les peines aux
délits , & trouver dans la honte du coupable un
frein plus sûr , plus décifif que le châtiment. Des
Magiftrats dignes de la confiance du Monarque
& de la Nation , étudient les moyens d'opérer cette
grande réforme ; l'importance de l'objet eft l'unique
mesure de leur zèle & de leur activité.
Leurs travaux doivent embraffer auffi la procédure
civile qu'il faut fimplifier. En effet , il importe
à la fociété entière de rendre l'adminiſtration
de la juftice plus facile , d'en corriger les abus,
d'en reftreindre les frais , de tarir fur- tout la fource
de ces difcuffions interminables , qui trop fouvent
ruinent les familles , éternifent les procès , & font
dépendre le fort des plaideurs du plus ou du moins
d'aftuce , d'éloquence & de fubtilité de leurs défenfeurs
ou de leurs adverfaires. Il n'importe pas
moins au public de mettre les jufticiables à portée
d'obtenir un prompt jugement ; mais tous les efforts
du génie & toutes les lumières de la ſciencene
feroient qu'ébaucher cette heureuſe révolution ,
fi l'on ne furveilloit avec le plus grand foin l'éducation
de la jeuneffe. Une attention exacte fur les
études , l'exécution des réglemens anciens , & les
modifications néceffaires dont ils font fufceptibles ,
peuvent feules former des hommes vertueux ,
des
hommes précieux à l'Etat , des homme faits pour
rappeler les moeurs à leur ancienne pureté , des
Citoyens , en un mot , capables d'infpirer la confiance
dans toute les places que la Providence leur
deftine . Sa Majefté recevra avec intérêt , Elle
examinera avec l'attention la p'us férieufe tout ce
qui pourra concerner la tranquillité intérieure du
royaume , la gloire du Monarque & le bonheur de
fes Sujets.
( 175 )
Jamais la bonté du Roi ne s'eft démentie dans
ces momens d'exaltation cù une effervefcence qu'il
pouvoit réprimer , a produit dans quelques provinces
des prétentions ou des réclamations exagérées.
Il a tout écouté avec bienveillance , les demandes
juſtes ont été accordées ; il ne s'eft point arrêté
aux murmures indifcrets , il a daigné les couvrir
de ſon indulgence ; il a pardonné juſqu'à l'expreffion
de ces maximes fauffes & outrées , à la faveur
defquelles on voudroit fubftituer des chimères
pernicieufes aux principes inaltérables de la Monarchie.
Vous rejeterez , Meffieurs , avec indignation
ces innovations dangereufes que les ennemis du
bien public voudroient confondre avec ces changemens
heureux & néceffaires qui doivent amener
cette régénération , le premier voeu de Sa
Majefé.
L'hiſtoire ne vous a que trop inftruits des malheurs
qui ont affligé le royaume dans les temps
d'infubordination & de foulèvement contre l'autorité
légitime. Elle n'eft pas moins fidelle à vous
tranfmettre dans fes faftes les profpérités de vospères
fous un gouvernement paifible & refpe &té .
Si la France eft une des plus anciennes Monarchies
de l'univers , la feule , après quatorze fiècles , dont
la conſtitution n'ait pas éprouvé les revers qui ont
déchiré & changé la face de prefque tous les Em-"
pires formés , comme elle , des débris de l'empire
Romain , c'est dans l'union & l'amour mutuel du
Monarque & des Sujets qu'il faut chercher la principale
caufe de tant de vie , de force & de grandeur.
La troifième race de nos Rois a fur- tout des titres
à la reconnoiffance de tout bon François . Ce
fut elle qui affermit l'ordre de la fucceffion à la
Couronne ; elle abolit toute diftinction humiliante
entre ces Repréfentans , fi fiers & fi barbares , des
premiers conquérans des Gaules , & l'humble pof
h iv
176 )
térité des vaincus qu'on tint fi long- temps & fi
honteufement affervis. Par elle , la hiérarchie des
tribunaux fut créée , ordre falutaire qui rend partout
le Souverain préfent ; tous les Habitans des
sitésfurent appelés à leur adminiſtration , la liberté
de tous les Citoyens fut confacrée , & le Peuple
reprit les droits impre criptibles de la nature .
Mais fi les intérêts de la Nation ſe confondent
effentiellement avec ceux du Monarque , n'en feroitil
pas de même des intérêts de chaque claffe de Citoyers
en particulier ? & pourquoi voudroit - on étabir
entre les différens membres d'une fociété poli
ique , au lieu des rangs qui les diftingue , des
barrières qui les féparent ?
Le vice & l'inutilité méritent feuls le mépris
des hommes , & toutes les profeffions utiles font
honorables , foit qu'on rempliffe les fonctions facées
du ministère des autels , foit que l'on fe voue
à la défenfe de la Patrie dans la carrière périlieufe
des combats & de la gloire ; foit que , vengeur
des crimes & protecteur de l'innocence , on pè'e
la deftinée des bons & des méchans dans les
balances redoutables de la juftice ; foit que par des
écrits , fruit du talent qu'enflamme l'amour vér:-
table de la Patrie , on hâte les progrès des connoiflances
qu'on procure à fon fiècle , & qu'on
tranfiette à la postérité plus de lum ère , de fageffe
& de bonheur ; foit qu'on foumerte à fon
crédit & aux fpéculations d'un génie actif , prévoyant
& calculateur , les richeffes & Pinduſtrie
des divers Peuples de la terre ; foit qu'en exerçant
cette profeffion mife enfin à fa place da s l'opinion
des vrais fages , on féconde les champs par la culture
, ce premier des arts auquel tient l'exiftence de
l'efuèce humaine . Tous les Citoyens du royaume ,
quelle que foit leur condition , ne font- ils pas les
membres d'une même famille ?
Si l'amour de l'ordre & la néceffité affignèrent.
( 177 )
des rangs qu'il eft indifpenfable de maintenir dans
une Monarchie , l'eftime & la reconnoiffance n'admettent
pas ces diſtinctions , & ne féparent point
des profeflions que la nature réunit par les befoins
mutuels des hommes.
Loin de bifer les liens qu'a mis entre nous la
fociété , il faudroit , s'il étoit poffible , nous en
donner de nouveaux , ou du moins refferrer plus
étroitement ceux qui devroient nous unir. Un grand
général difoit en parlant des Gaulois , qu'ils feroient
le premier Peuple de l'Univers fi la concorde régnoit
parmi eux. Ces paroles de Céfar peuvent
s'appliquer au moment actuel. Que les querelles
s'appaifent , que les inimitiés s'éteignent , que les
haines s'anéantiffent , que le défir du bonheur com
mun les remplace , & nous ferons encore le premier
Peuple du monde .
Ne perdez jamais de vue , Meffieurs , que la
difcorde renverfe les Empires , & que la concorde
les foutient . La rivalité entre les Citoyens fut la
fource de tous les maux qui ont affligé les Nations
les plus célèbres . Les gue res inteftines des Romains
furent le germe de l'ambition de leurs oppreffeurs ,
& commencèrent la décadence de la Patrie , dont
la ruine fut bientôt confommée : fans les troubles
qui la déchirent , la Gète auroir vu fe perpétuer
long-temps fa puiffance & fa gloire , Si la France
a couru des dangers , fi le fur quelquefois mal
heureuſe , foible & languiffinte, c'eft quand elle
devint le foyer ou le théâtre de ces triftes rivalités .
Couvertes du voile toujours impofant de la religion ,
eles jeèrent ces longues femences de la haine ,
dont le règne entier de Henri IV put à peine étouffer
les reftes , ma's fans en réparer tous les défaftres.
La concorde raffemble tous les biens autour d'elle ;
tous les maux font à la fuire de la difcorde . Ne
facrifions pas , Meffieurs , à des preſtiges funeftes
les avantages que nous avons reças de la nature.
hv
( 178 )
Eh ! quel peuple en obtint plus de bienfaits ? Deux
mers baignent une partie de nos provinces , & ,
en nous affurant ainfi la fituation la plus heureufe
pour le commerce , femblent nous avoir deſtinés à
commander fur l'Océan & fur la Méditerranée.
Toutes les productions de la terre croiffent ou
peuvent croître au fein de la France , & la culture
plus perfectionnée nous apprend encore à féconder
par de nouveaux moyens fes terrains les moins
fertiles.
TO
L'activité , les prodiges des arts & du talent , des
chef- d'oeuvres de tous les genres , la perfection
des fciences & des lettres , la gloire de tant d'hommes
célèbres dans l'églife , dans la magiftrature &
dans les armées , tout fe réunit pour lui garantir
une profpérité immuable, & la première place dans
les annales du monde... ,
Encore une fois , Meffieurs , ne perdons pas en
un moment , par de crue les diffentions , les fruits
précieux que tant de fiècles nous ont acquis , &
dont nous fommes redeyables aux efforts & à
l'amour paternel de nos Souverains . Ah ! s'il pouvoit
refter des traces de divifion dans vos coeurs
s'il y germoit encore des fémences mal étouffées
de cette rivalité malheureufe , dont les différens
Ordres de l'Etat furent tourmentés , que tout
s'anéantifle & s'efface en préfence de votre Roi ,
dans ce lieu augufte qu'on peut appeler le temple de
la Patrie.
2.
Repréſentans de la Nation , jurez tous aux pieds
du trône , entre les mains de votre Souverain ,
que l'amour du bien public échauffera feul vos
ames patriotiques ; abjurez folennellement , dépofez
ces haines fi vives qui depuis plufieurs mois
ont alarmé la France & menacé la tranquillité
publique. Que l'ambition de fubjuguer les opinions
& les fentimens par les élans d'une éloquence impéreufe
, ne vous entraîne pas au- delà des bornes
( 179 )
que doit pofer l'amour facré du Roi & de la Nation.
Hommes de tous les âges , Citoyens de tous les Ordres
, uniſſez vos efprits & vos coeurs , & qu'un
engagement folennel vous lie de tous les noeuds de
la fraternité. Enfans de la Patrie que vous repréfentez
, écartez loin de vous toute affection , toute
maxime étrangère aux intérêts de cette mère commune
; que la paix , l'union & l'amour du bien
public préfident à toutes vos délibérations : mais fi
quelque nuage venoit altérer le calme de vos
Séances , s'il étoit poffible que la difcorde y foufflât
fes poiſons , c'eft à vous , Miniftres des autels ,
qu'il appartient de conjurer l'orage : vos fonctions
faintes , vos titres facrés , vos vertus & vos lumières
, impriment dans les coeurs ce refpect religeux
d'où naît l'afcendant qui maîtrife & dirige
les paffions humaines . Eh ! comment refufer aux
interprètes d'une religion pure & fublime , cette
vénération , ces hommages , cet empire moral que
des hommes enveloppés de ténèbres & livrés à
d'extravagantes fuperftitions , ont toujours accordés
aux Miniftres de leurs fauffes divinités C'eft donc
fur vous que la Nation fe repofe en particulier
du foin de ramener la paix dans cette Aſſemblée ,
s'il étoit poffible qu'elle s'en bannît un inftant,
Mais pourquoi m'occuper du retour de la concorde ,
quard vous en donnerez des exemples que les
deux autres Ordres s'emprefferont d'imiter ? En
effet , quelle forte de dévouement & quel concours
patriotique ne doit- on pas attendre de ces braves &
généreux fucceffeurs de nos anciens Chevaliers
qui , prodigues envers la France de leur fortune ,
de leur fang & de leur vie , n'héfitèrent jamais
fur un facrifice que l'utilité publique avoit preferit
ou confacré? Vous fuivrez auffi ces grands exemples
de défintéreffement , de foumiffion & d'attachement
à la Patrie , hommes fages & laborieux , dont
les travaux nourriffent , vivifient inftruiſent , com
*
( 180 )
folent , enrichiffent là ſociété , tous les titres vont
fe confondre dans le titre de Citoyen ; & on ne
co noîtra plus déformais qu'un fentiment , qu'un
défir , celui de fonder fur des bafes certaines & immuables
le bonheur commun d'une Nation fidelle ,
& d'un Monarque fi digne de vos reſpects & de
votre amour.
Meffieurs , l'intention du Roi eft que vous vous
affembliez dès demain , à l'effet de procéder à la
vérification de vos pouvoirs , & de la terminer le
plus promptement qu'il vous fera poffible . afin
de vous occuper des objets importans que Sa Majeſté
vous a indiqués.
DISCOURS de M. le Directeur-général
des Finances.
MESSIEURS ,
Lorſqu'on eft appelé à fe préſenter & à fe faire
entendre au milieu d'une affemblée fi augufte &
fiimpofante, une timide émotion , une jufte défiance
de fes forces font les premiers fentimens qu'on
éprouve , & l'on ne peut être raffuré , qu'en fe liviant
à l'efpoir d'obte ir un peu d'indulgence ,
& de mériter au moins l'intérêt que l'on ne fau o't
refufer à des intentions fans reprches : peut- être
encore a-t-on befoin d'être foutenu par la grandeur
de la circonftance , & pa l'afcendant d'un fujet qui ,
en attirant toutes nos penfées , en s'emparant de
nous en entier , ne nous aiffe pas le temps de
nous replier fur nous- mêmes , & ne nous permet
pas d'examiner s'il y a quelque proportion entre
notre tâche & nes facultés.
Quel jour , Meffieurs , que celui- ci ! quelle
époque à jamais memorable pour la France ! Les
voilà donc, ap ès un fi longterme, les voi à rappelés
autour du trône ces Députés d'une Nation cé èbre.
tant de titres , d'une Nation qui a rempli l'uni(
181 )
2
vers de fa renommée, & qui peut en appeler au
tém ignage incorruptible de l'hiftoire , foit pour
atrefter fes hauts faits & fa valeur guerrière , foit
pour ſe tracer à elle-même le tableau de fes progrès
& de fes triomphes dans tous les genres de gloire
& de rivalité ! Eile a parcouru les diverfes routes
qui font ouvertes aux talens & au génie ; elle s'eft
fait remarquer avec éclat da s toutes les carrières :
les ans qui fe font écoulés , fervent presqu'à
compter les fuccès , & fes regards ne peuvent fe
tourner en arrière , fans y contempler quelques
monumens de fes grandes deftinées . Decouvertes
majeftueufes dans les fciences , brillant éclat dans
les lettres , ingénieufes inventions dans les arts ,
hardies entrepriſes dans le commerce ; elle a tout
fait , elle a tout obtenu , & fouvent fans autre
fecours que fes propres efforts , fouvent fans autre
appui que les dons d'une heureufe nature. Oui , les
pénibles recherches d'une attention laborieufe & les
aperçus rapides du génie , la profondeur de la raifon
& les embelliffemens de l'éloquence , les ralers utiles
& la perfection du goû ; elle a tout fu réunir , cette
noble & magnifique Nation dont vous êtes aujourd'hui
, Meffieurs , les dignes Repréfe tas.
Que lui falloit- il donc encore pour fon bonheur
& pour fa gloire ? réuffir dans le plus beau
de tous les deffeins , avancer , terminer , s'il eft
poffible , la plus grande & la plus importante de
toutes les entreprifes , celle que vous êtes chargés
de venir concerter fous les regards & la protection
de votre Monarque.
Ce n'est pas au moment préfent , ce n'eft pas
à une régénération paffagère que vous devez borner
vos penfées & votre ambition ; il faut qu'an
ordre conftant , durable & à jamais utile devienne
le réfultat de vos recherches & de vos travaux ;
il faut que votre marche réponde à la grandeur
de votre miffion ; il faut que la pureté , la nobleffe
( 182 )
& l'intégrité de vos vues demeurent en accord avec
l'importance & la gravité de la confiance dont
vous êtes dépofitaires. Par- tout où vous découvrirez
les moyens d'accroître & d'affermir la félicité publique
, par-tout où vous découvrirez es voies qui
peuvent conduire à la profpérité de l'Etat , vous
aurez à vous arrêter . C'est vous , Meſſieurs , qui
en avant, pour ainfi dire , des générations futures ,
devez marquer la route de leur bonheur ; il faut
qu'elles puiffent dire un jour : C'eft à Louis
notre bienfaiteur , c'eſt à l'aſſemblée nationale cont
il s'eft environné , que nous devons les lois &
les inftitutions propices qui garantiffent notre repos;
il faut qu'elles puiffent dire : Ces rameaux qui
nous couvrent d'une ombre falutare , font les branches
de l'arb eontours a femé le premier germe.
Il le foigna de fes mains généreufes , & les efforts
réunis de fa Nation en ont hâté & affué le précieux
développement.
Mais arrêtons - nous ici , & ne nous abandonnons
pas encore à ces douces & bienheureufes eſpérances .
Il eft fi trifte de déchoir , il eft fi pénible de retourner
en arrière ! Ne nous livrons donc que doucement
aux images de bonheur & de prospérité que
nous pourrions nous faire ; retardons notre confiance
, afin de l'affurer ; & retenons notre imagination
, afin de n'avoir pas à nous plaindre de fes
fauffes lueurs & de fes vaines promeffes.
Je dois , Meffieurs , felon les ordres du Roi ,
commencer par vous rendre un compte fidèle de
l'état des fiances. Une guerre difpendieufe , une
fuite de circonftances malheureuſes avoient introduit
une grande difproportion entre les revenus &
les dépenfes. Vous examinerez , Meffieurs , les
moyens que le Roi m'ordonne de vous propofer
pour ramener un équilibre fi néceffaire ; vous en
chercherez de meilleurs , vous les indiquerez , &
vous répondrez au voeu de la Nation & à l'attente
( 183 )
de l'Europe en concourant de tous vos foins à
établir dans les finances du plus grand Empire, un
ordre qui foit à jamais affuré.
C'eft à remplir un fi grand but , que la fageffe
de votre Souverain vous appelle . Vous
n'avez pas feulement à faire le bien , mais ce
qui eft plus important encore , à le rendre durable
& à l'abri des injures du temps & des fautes des
hommes.
La confiance publique eft ébranlée , & cependant
cette confiance eft indifpenfable ; elle honore
une Nation , & conftitue fa force politique ; enfin ,
elle eft encore le principe de la modération de
l'intérêt de l'argent , & la fource d'un grand nombre
d'améliorations intérieures. Vous devez contribuer
au rétabliffement de cette confiance , &
vous vous livrerez à cette idée avec d'autant moins
de réferve , qu'après avoir travaillé à rendre invariable
l'ordre des finances , vous ne verrez plus rien
de dangereux dans l'ufage du crédir .
Ces réflexions préliminaires vous indiqueront ,
Meffieurs , les deux principaux objets qui vont
être d'abord traités dans ce mémoire :
L'ordre des finances.
La ftabilité de cet ordre ..
Les finances d'un Etat font un centre où abouúiffent
une multitude innombrable de canaux ; tout
part de ce centre & tout y revient , & quand le
défordre s'en eft emparé , la dangereufe influence
de la confufion des finances parcourt tout le royau
me , & s'étend tellement au loin , qu'on perd fouvent
cette caufe de vue dans le temps même
qu'elle produit les plus funeftes effets : mais un obfervateur
attentif retrouve aifément les rapports
& la filiation qui échappent à la plupart des
hommes.
Vous me difpenferez fûrement , Meffieurs , de
jeter un regard fur les temps qui ont précédé mon
( 184 )
adminiſtration ; c'eſt de la fituation préfente , c'eſt
du mal qu'il faut réparer dont je dois vous inftrui e
& vous occuper. Je renonce également à vous faire
connoître toutes les difficul - és qu'il a fallu vaincre
pour foutenir l'éd fice chancelant des finances depuis
la fin d'asûr jufqu'à préfent. L'homme particulier
n'eft rien au milieu des affaires générales ,
& c'eft par de nouveaux efforts , & non par le
récit du paffé , qu'il doit rechercher l'eftime publique
. Il eft des travaux d'ailleurs , il eft des peines
dont un fentiment intérieur eſt le feul dédom
magement & la vraie récompenfe.
Le compte des finances de Sa Majeſté que l'on
mettra d'abord fous vos yeux , renferme les revenus
& les dépenfes fixes de l'Etat.
Les revenus & les dépenfes n'appartiennent à
aucune année en particulier ; elles feront toujours
les mêmes , à moins qu'on ne vienne à les changer
pa de nouvelles difpofitions .
Le Roi recevra la même fomme de tributs ,
tant que les loix conftitutives de ces impôs ne
feront point abrogées , & le Roi payera la même
fomme d'intérêts , tant que les capitaux de la dette
publique ne feront point amortis . Ces deux exemples,
applicables ei core à beaucoup d autres objets ,
fuffiront néanmoins pour donner l'idée du véritable
fens qu'il faut attribuer à la dénomination des
revenus & des dépenses fixes .
On devra , Meffieurs , vous préfenter enfuite
le profpecus des revenus & des dépenfes paflagères
, c'est-à - dire , des reve us & des dépenfes
qui n'auront leu que l'année prochaine ou pendant
la fuivante .
Le tableau des revenus & des dépenses fixes
forme fans doute l'objet le plus digne de votre
attention ; il faut des impôts on des économies
durables , pour bala cer la différence qui exiſte
entre la fomme des revenus fixes & la fomme
( 185 )
des dépenfes du même genre ; il ne faut que des
fec urs momentanés pour fubvenir aux dépenfes
paffagères.
Tableau des Revenus et des Dépenses
fixes.
CE tableau a été composé de deux manières.
L'une eft abfolument conforme à la mé hode
obfervée l'année dernière pour le compte imprimé
par les ordres du Roi : ainfi cet état offre d'une
part les fommes verfées au tréfor roya' par chaque
caffe de recette , déduction faite des charges affignées
fur ces caiffes ; & de l'autre part , toutes les
dépenses acquittées par le tréfor royal .
Le fecond compte , dont le réfu'tat eſt abſolument
femblable , préfente en recette & en dépenſe
tous les articles de même nature , quelles que
foient les caiffes diverfes où ces recettes & ces
dépenfes font eff. ctuées .
Ce genre de compte hors de l'ufage commun , &
qui s'écarte de la méthode réelle des recettes &
des paiemens , feroit plus facilement fufceptible
d'erreur ; mais on eft parvenu à le rendre parfaitement
correct , puifque fon réſultat , comme on
vient de le dire , fe trouve d'accord avec celui du
premier tableau , & vous pourrez juger de l'exactitude
de ce rapprochement , non-feulement par
la balance commune , mais encore par tous les
détails indicatifs dont ces deux comptes feront
accompagnés.
Enfin , Meffieurs , l'intention du Roi eſt que
fans aucune réſerve & fans aucune exception , il
vous foit remis tous les renfeignemers , toutes les
pièces justificatives que vous pourrez défirer .
On ne vous fera pas ici la lecture de ces comp
tes ; il fuffit de vous annoncer que la différence
entre les revenus & les dépenfes fixes , eft d'environ
56 millions.
( 186 )
Vous défirerez peut - être , Meffieurs , de connoitre
le rapport qui exifte entre cette différence &
le déficit indiqué dans le compte imprimé par
ordre du Roi au mois de mars 1788 , & l'on vous
donnera fur ce point toutes les informations que
vous fouhaiterez ; mais comme une telle explication
exigeroit trop de détails , on ſe bornera dans
ce moment à vous montrer en peu de mots l'accordgénéral
qui fe trouve entre les deux comptes.
Le déficit , felon le compte de 1788 , étoit
de 160,827,492 livres.
Mais on avoit compris dans cette fomme tous
les rembourfemens montant à 76,502,367 liv. ,
& toutes les dépenfes extraordinaires & paffagères ,
payables en 1788 , & qui s'élevoient à 29,395,492
livres .
Ces deux articles mis à part , le déficit ordinaire ,
c'eft à - dire , la différence entre les revenus & les
dépenfes fixes , fe réduisoit à 54,929,540 liv .
A la vérité , l'on n'avoit pas compris dans le
compte de 1788 , & par conféquent dans le déficit
ordinaire , ni les rentes à la charge du Roi , provenant
de l'emprunt de novembre 1787 , objet
de 12 millions , ni les fonds deftinés par le Roi
au fecours des réfugiés Hollandois , article en ce
moment de 8 à 900 mille livres . On n'avoit pas
non plus compris dans le déficit ordinaire une
fomme applicable aux dépenfes imprévues ; . &
puifque ces dépenfes reviennent toutes les années ,
on a cru devoir les ranger dans le compte des
dépenfes , & elles forment dans ce compte un article
de 5 millions .

Ces trois articles réunis à plufieurs autres différences
moins effentielles , auroient dû élever à
plus de 75 millions le déficit du compte dont il
eft queftion dans ce moment.
On doit donc vous expliquer d'une manière
générale , pourquoi ce déficit n'eft cependant que
de 56 millions.
( 187 )
1º. Les retenues impofées fur les penfions par
l'arrêt du 13.0ctobre 1787 , n'avoient pas été mifes
en compte dans l'état des finances imprimé l'année
dernière. Cet article fe mente à environ 5
millions.
2º. Les économies & les difpofitions nouvelles
du département de la guerre ont diminué fon
é :at de dépenfes fixes , de 8 à 9 millions.
3. Le département de la marine , en conféquence
des nouveaux projets adoptés par le Roi ,
a fixé fon état de dépenſes à 40 millions 300 mille
livres , ce qui forme une réduction fur le compte
de 1788 , de 4 millions 500 mille livres .
4. Le département des affaires étrangères a
fixé fon état ordinaire de dépenfes à 7 millions
300 mille livres , ce qui procure une réduction
fur le compte précédent , de 1800 mille livres.
Ces divers articles choifis entre plufieurs autres ,
fuffiront pour indiquer pourquoi dans ce moment
le déficit du compte des revenus & des dépenfes ™ -
fixes n'eft plus de 75 millions , mais de 56 millions
.
Tous les détails fe trouveront expliqués dans le
rapprochement exact du compte de 1788 , & du
compte qui vous est préfenté ; rapprochement
dont on vous donnera le tableau .
Ne me feroit - il pas permis , Meffieurs , de vous
fa re obferver que le déficit antérieur à l'époque
de l'adininiftration actuelle des finances , bien loin
d'avoir diminué , auroit pris un grand accroiffement
, file Tréfor royal n'avoit pas été gouverné
avec la plus févère exactitude , fi l'on n'avoit pas
défendu particulièrement fs intérêts , fi l'on
n'avoit pas obtenu des délais pour tous les paiemens
qui pouvoient être retardés fans éclat , fv
l'on ne s'étoit pas ainfi préfervé de la néceffité
de recourir à des emprunts confidérables , fi l'on
ne s'étoit pas mis en état de refufer toute eſpèce
( 188 )
de fecours à des conditions onéreuſes , & fi l'on
n'avoit pas réuffi dans ce projet , nonobſtant toutes
les alarmes qui s'étoient répandues fur l'état des
finances & fur le fort de la dette publique en
général?
On revient à la différence qui exifte entre les
revenus fixes & les dépenfes fixes , & qui fe
trouve réduite en ce moment à 56 millions . Il faut
s'occuper des moyens de couvrir cette différence ;
& voici de premiers aperçus que le Roi m'a ordonné
de foumettre à votre confidération .
1º . Il réſulte des examens attentifs que j'ai faits
des conditions du dernier bail paffé avec les fermers-
généraux de la rentrée dans certains droits
fufpendus pour un temps , & de l'accroiſſement
fucceffif des produits , qu'en mettant à part a
millions ou 2 millions 400 mille livres pour le
traitement fixe des fermiers- généraux , en fus de
l'intérêt de leurs fonds à cinq pour cent , le produit
des droits à recouvrer par la ferme générale ,
peut être eftimé à 18 millions de plus qu'il n'a
été compté dans le compte de 1788. J'obferverai
feulement , 1 ° . que cette augmentation exigeroit
un changement dans les conditions du bail paffé
avec les fermiers généraux ; 2 ° . qu'elle ne feroit
réalifée en fop entier que d'ici à un ou deux
ans , & à l'époque où la ferme générale auroit
écoulé un approvisionnement de tabac qu'elle a
fait à trop haut prix. On vous donnera , Meffieurs
, les explications détaillées qui peuvent juftifier
une fi bonne eſpérance.
2º. J'évalue de 5 à 6 millions l'accroiffement
de revenu qu'on peut raisonnablement attendre de
la ferme des poftes , de l'adminiſtration des domaines
, de la régie des aides , de la régie des
revenus cafuels & de la ferme de Sceaux & de
Poiffy; en revoyant auffi les conditions des traités
paffés avec ces compagnies , et en évaluant , fans
( 189 )
exagération , le produit de cette partie des revenus
du Roi , d'ici à un ou deux ans.
Voilà donc , Meffieurs , en deux articles , près
de 24 milions de bonifications que vous confidérerez
, je crois , comme très- affurées .
Examinons maintenant une fuite d'autres indications
, qui , réunies , préſenteroient également une
reffource confidérable ; elles ne tiennent à aucun
impôt , mais elles dépendent de plufieurs difpofitions
d'ordre ou d'adminiſtration , & vous jugerez
de leur convenance.
1. Il y a plufieurs droits d'aides connus fous le
nom de droits rétablis , de droits réservés , &c. qui
ont été abonnés dans une partie des provinces du
royaume , tandis que dans d'autres ia perception
s'en fait réellement aux termes des loix qui ont
établi ces impôts. Ces abonnemens font tellement
défavantageux , que d'après des calculs faits avec
foin , on préfume qu'ils devroient fe monter à
près de fept millions de plus. Vous confidérerez ,
Meffieurs , s'il eft jufte d'établir une égalité parfaite
entre toutes les provinces , ou fi l'habitude
ancienne d'une faveur particulière doit être refpectée.
2. Le Clergé reçoit de la ferme générale , en
vertu de ftipulations expreifes , 2 millions 500
mille livres par an , & il emploie cette fommé
au rembourſement des dettes qu'il a contractées
pour fournir au Roi des dons gratuits ; il y joint
de fes propres revenus 2 millions , en forte que
fes rembourfemens fe montent en tout à 4 millions
500 mille livres . Cette dernière fomme pourroit
devenir un revenu de l'Etat , fi le Roi fe chargeoit
des dettes du Clergé , en deftinant à leur rembour
fement une partie des fonds qui seroient appliqués
à une caifle d'amortiffement. Les propriétaires des
rentes fur le Clergé ne perdroient rien à cet
échange , du moment que leurs créances feroient
( 190 )
garanties par la plus folide des cautions , celle du
Roi et des Etats- généraux.
3°. Vous verrez , Meffieurs , dans le compte
des finances , que le Roi paye annuellement à des
hôpitaux , à des communautés religieufes ou pour
d'autres objets de ce genre , une ſomme de 5
millions.
Vous aurez à confidérer , Meffieurs , fi une
partie de cette dépenfe ne pourroit pas être affignée
fur des revenus eccléfiaftiques , foit par
des réunions , foit par la voie des économats ,
foit de toute autre manière.
4°. Le Roi a affranchi la compagnie des Indes
du droit d'indult fur les marchandifes importées
de l'Inde & de la Chine , & Sa Majeſté lui abaṇ-
donne de plus la moitié du produit des faifies
& des droits relatifs à quelques branches de fon
commerce : ces deux facrifices peuvent être évalués
de 15 à 1800 mille livres ; & le Roi rentreroit
en poffeffion de ce revenu , fi la liberté du commerce
des Indes étoit rétablie. Il feroit encore
poffible que la compagnie elle-même s'en défiftât ,
file privilége dont elle jouit lui étoit confervé
d'une manière ftable .
5°. Les primes que le Roi accorde pour . l'encouragement
du commerce s'élèvent aujourd'hui
à 3 millions 800 mille livres ; & celle accordée
fur la traite des Noirs forme feule un objet de
2 millions 400 mille livres .
Il y a lieu de croire que cette dernière , dépenſe
pourra être diminuée de près de moitié , en adoptant
une difpofition que l'humanité ſeule auroit dû
confeiller. Sa Majeſté a déjà fait connoître fes intentions
à cet égard , & il vous en ſera rendu
compte plus particulièrement .
6° . Le tabac fe vend aujourd'hui râpé dans preſque
toute la France , & cette méthode a beaucoup
augmenté la ferme du tabac. Quelques négligences
·( 191 )
particulières commifes en Bretagne donnèrent lieu
à des plaintes en 1784 , & les réclamations qui
s'enfuivirent ont obligé la ferme générale à vendre
le tabac dans cette province , felon l'ancienne méthode.
On croit qu'en y ramenant l'ufage devenu
général dans tout le royaume , le produit de la
ferme du tabac augmenteroit de 120000 livres.
7. Les villes & les hôpitaux perçoivent à leur
profit différens droits fur les confommations ; le
Roi en lève de semblables dans les mêmes lieux ,
& ces diverfes adminiſtrations , gênantes pour les
peuples , occafionnent de doubles frais de geftion :
il arrive auffi que plufieurs municipalités , entraînées
par différens égards , favorifent ou tolèrent
des faveurs & des exceptions . On avoit fouvent
penfé que fi l'adminiftration royale fe chargeoit
de l'enſemble de ces recouvremens , & affignoit
aux villes & aux hôpitaux une fomme fixe proportionnée
à leur recette habituelle , il en réfulteroit
un bénéfice évalué à 2 ou 3 millions ( 1 ) ;
mais un tel arrangement auroit éprouvé , avec
raifon , de grandes contradictions : on pourroit le
prendre en confidération à une époque où les
difpofitions d'ordre , fanctionnées par la Nation ,
écarteroient tout motif d'inquiétudes , et rendroient
parfaitement affurés les engagemens qui
feroient pris avec le villes.
8°.Il exiftoit en 1785 un droit à l'entrée des
toiles peintes & des mouffelines . On a cru s'oppofer
avec plus d'efficacité à l'admiffion de ces
marchandiſes dans le royaume , en la prohibant
abſolument ; mais l'expérience a prouvé que l'in-
(1) L'abolition des priviléges , fi elle avoit lieu ,
accroîtroit le produit des octrois des villes , puifque
plufieurs de ces priviléges s'appliquent à des droits
fur les confommations .
( 192 )
troduction étoit à peu - près la même , et que le
droit aboli avoit tourné au profit des contreban◄
diers ou des affureurs de leurs entrepriſes : tout
femble donc inviter à rétablir le droit , cette difpofition
procureroit au Roi un revenu de 8 à
900 mille livres .
9" . L'intérêt de l'emprunt néceffaire pour balancer
les befoins de cette année , ſe trouvant
compris dans l'état de dépenfes fixes , & cet intérêt
ne pouvant être exigible que dans l'année
prochaine , on eft fondé à compter au nombre
des refources qui doivent y correfpondre , les
extinctions de rentes viagères qui auront lieu cette
année , objet d'environ 1500 mille livres.
10° . MONSIEUR vient d'offrir une diminution
de 500 mille livres fur les fonds deſtinés par le
Roi aux dépenfes de fa maiſon , & Sa Majefté a
accepté cette propofition.
11°. Monfeigneur COMTE D'ARTOIS n'avoit
pu encore terminer les difpofitions dont il s'occupoit
, lorsqu'il annonça l'année dernière l'abandon
de 400 mille livres fur la fomme deftinée à fa
Maiſon. Monfeigneur vient de faire connoître qu'à
compter du 1. de ce mois , cette réduction ſeroit
por ctuellement effectuée à la décharge annuelle
da tréfor royal.
er
12 °. L'abolition du privilége des bourgeois de
Paris , pour l'entrée franche des produits de leurs
terres & de leur chaffe , fi on la jugeoit convenable
, procureroit un bénéfice de 4 à 500 mille
livres.
13. L'abolition des francs - falés qui ne font
pas adjugés par des arrêts , vaudroit 3 à 400 mille
livres.
14°. L'établiffement de deux ports francs , Pun
à Bayonne , l'autre à l'Orient , n'a pas rempli
l'objet d'utilité qu'on en attendoit , & celui de
Bayonne eft devenu un entrepôt qui favorife
le
( F )
le commerce des étrangers aux dépens du nôtre.
On fe borne en ce moment à vous faire obferver
que ces deux difpofitions nouvelles , tant par une
diminution dans le débit du tabac , que par les
indemnités demandées & d'autres confidérations ,
on fait perdre au Roi 600 mille livres de rente.
150. Les quatre deniers pour livre fur la vente
des immeubles font perçus par les Huiffiers-prifeurs
, & au moyen d'une finance qu'ils ont fournie
, ils n'en comptent point au Roi. Il paroît que
cette finance n'eft pas proportionnée au produit
actuel de ces droits , & l'on fait des offres à cet
égard qui produiront vraisemblablement une augmentation
de revenu de 600 mille livres.
16º. On n'a rien mis en compte pour les dons
gratuits du Clergé ; ce revenu , à compter des
temps paffés , équivaudroit à 3 millions 200 mille
livres , en raifon de 16 millions tous les cinq
ans.
-Les feize articles , Meffieurs , dont on vient de
vous donner l'énumération , réunis aux 24 millions
relatifs à l'accroiffement certain du produit
des fermes & des régies , ne s'éloigneroient pas ,
comme vous le verrez , de la fomme du déficit.
1
Quel pays , Meffieurs , que celui où fans impôts
& avec de fimples objets inaperçus , on peut
faire difparoître un déficit qui a fait tant de bruit
en Europe !
Suppofant néanmoins que dans le nombre des
difpofitions propres à établir la balance entre les
revenus & les dépenfes fixes , une partie ne vous
parût pas convenable , ce feroit le moment de
vous faire obferver , Meffieurs , que fi les deux
Ordres privilégiés , renonçant à leurs priviléges ,
concouroient au payement des charges de l'Etat
de la même manière que les autres fujets du Roi ;
& fi les Princes eux-mêmes offroient de réfilier
les abonnemens confentis avec eux pour les ving-
Supplément au Nº 21 . 2
( 2 )
tièmes , on pourroit vraisemblablement élever les
impofitions de 10 à 12 millions , & il n'en réfulseroit
point d'augmentation pour les contribuables.
On prévoit encore plufieurs difpofitions économiques
, dont les unes exigeroient un rembourfement
; d'autres le choix d'un moment favorable ;
d'autres le loifir néceffaire pour s'en occuper
particulièrement ; mais il exifte auffi quelques
facrifices converables à faire : on doit préfumer
que Meffieurs les Députés du Tiers- état défireront
vraisemblablement l'abolition du franc- fief : il
eft payé par les particuliers qui achettent des biens.
feigneuriaux , fars être en poffeffion des prérogatives
de la Nobleffe. Quel intérêt auroient les
Ordres privilégiés à s'oppofer à l'abolition d'ure
diftinction pécuniaire qui femble devoir être anéantie
avec celle du même genre dont ils paro: ffent
difpofés à faire un généreux abandon ? Le revenu
du franc- fief ne fe monte qu'à 1600 mille liv.
Enfin , Meffieurs , il eft peut être des réductions
, il eft peut-être des économies qui ont befoin ,
pour acquérir un caractère parfait de juftice ou
de raifon , d'être provoquées au nom de l'affemblée
même de la Nation . La recherche , l'examen
de celles- ci vous font remis par un effet de l'entière
confiance de Sa Majefté dans votre fageffe & dans
votre circonfpection .
On ne fait aucune mention ici , Meffieurs , des
réductions dont les frais de recouvrement des
impôts pourroient être fufceptibles , parce qu'elles
dépendroient d'un nouveau fyftême dans l'organifation
de ces mêmes impôts , & qu'el es
ferviroient alors, à rendre ces changemens plus
avantageux à la Nation.
Le Roi auroit-il befoin , Meffieurs , d'expofer
les motifs qui l'ont engagé à ne pas mettre la
séduction des intérêts de la dette publique au nombre
des moyens propres à rétablir l'ordre dans
( 3 )
les finances ? le Roi auroit - il befoin de juftifier
cette réfolution au milieu des Etats - généraux &
dans le fein de la Nation la plus renommée par
fes fentimens d'honneur ? non fans doute. Tout
engagement porte avec lui un caractère facré ; &
quand cet engagement a été pris par le Souverain
par le chef & le gardien des droits d'une Nation ;
quand il a été pris , en grande partie , pour fub.
venir aux befoins extraordinaires d'une guerre
nationale ; quand il a été pris pour garantir les:
propriétaires de fournir des fubfides qu'ils euffent
été dans l'impoffibilité de payer ; enfin , quand cet
engagement a été pris , n'importe pour quel fujet ,
il doit être tenu. Le Souverain ne peut pas d'une
main faire exécuter les engagemens des particuliers
, & de l'autre brifer les liens qu'il a contractés
avec ceux qui fe font fiés à fa parole , &
à fa parole confacrée du fceau légal connu & ref
pecté jufqu'à préfent. Que de plus grandes précautions
foient prifes pour l'avenir , le Roi le
défire , le Roi le veut ; mais à une époque f
folennelle , où la Nation eft appelée par fon Son
verain à l'environner , non pour un moment , mais
pour toujours , à une époque où cette Nation eft
appelée à s'affocier en quelque manière aux penfées
& aux volontés de fon Roi , ce qu'elle défirera
de feconder avec le plus d'empreffement , ce font
les fentimens d'honneur & de fidélité qui animent
Sa Majefte , ce font les fentimens fans lefquels
Lice
il n'y a plus d'harmonie entre les homa es que
par la violence & par la contrainte. Il ne faut
donc pas qu'aucun manquement de foi vienne
fouiller les prémices de la reftauration de la France;
il ne faut pas que les délibérations de la plus augufte
des affemblées , foient marquées à d'autre
empreinte que celle de la juftice & de la plus
parfaite raiſon. Voilà le fceau perpétuel des Émpires
tout peut y changer , tout peut y eflayer
a j
( 6 )
s'arrêter , quand on le permet de difcuter les
circonftances d'un engagement fimple ; & comme
tout ce qui eft foumis à une opinion arbitraire ,
ne préfente à l'efprit aucune circonfcription pofitive
, on forceroit les prêteurs à mettre à l'avenir
au rang de leurs calculs le ifque d'une pareille
inquifition ; l'intérêt de l'argent fe reffentitoit de
ce nouveau genre de danger , & l'Etat racheteroit
long- temps le bénéfice d'un jour , bénéfice
même très-modéré , fi l'on vouloit dans un pareil
examen obferver les principes d'une raifonnable
équité.
On ne peut fé former à l'avance une jufte idée
des avantages que l'Etat pourra tirer , non-feulement
de la hauffe fucceffive du prix des fonds
publics , mais encore de la tranquillité , de l'affiète ,
s'il eft permis de s'exprimer aina , de toutes les
imaginations relativement à la dette publique.
Cette dette eft fi immenfe , que la difproportion
entre la valeur numéraire des fonds publics & la
rente annuelle qui s'y trouve attachée , influe d'une
manière immédiate & décifive fur le prix général
de l'intérêt de l'argent ; & il réfulte de cet objet
de comparaiſon , que l'agriculture & le commerce
ne trouvent point de fecours au font obligés
de les acheter à des conditions que les bénéfices
ordinaires de ces exploitations ne permettent pas
d'accepter. Enfin , les inquiétudes , les incertiudes.
cau moins des propriétaires de fonds publics fur
les facultés du tréfor royal , & fur la conſtance
des principes du gouvernement , entretiennent une
vacillation continuelle dans le prix des fonds ; &
cette vacillation eft augmentée par l'influence de
tous les bruits , de toutes les fauffes nouvelles , de
toutes les infinuations infidieufes & de toutes les
manoeuvres de l'agiotage . Mais cet afcendant 2 ce
pouvoir qu'on obtient fi facilement fur l'imagina-
Lion , quand elle erre au hafard & ne fait à quoi fe

( 7
fixer , ce pouvoir s'affoiblira fucceffivement , fi lespropriétaires
des fonds publics acquièrent enfin une
opinion certaine fur le fort de leurs créances, & fi les
principes de fidélité confacrés dans une affemblée
nationale , leur fervent à jamais de garans. Il réfultera
encore un grand avantage de cette ſtabilité
dans les opinions ; c'eft que le commerce des
fonds publics ceffant graduellement de préfenter
un fpctacle de révolutions , tout l'argent qui environne
cette table de jeu , cherchera quelque autre
emploi , le commerce & l'agriculture y gagneront
& l'efprit immoral qui eft l'effet inévitable d'une
cupidité active & journalière , perdra peu à peu de
fa force. C'eft ainfi , Meffieurs , qu'une grande
fuite , qu'une grande diverfité d'avantages réfulte
ront néceffairement du premier principe de fidélité
que vous confacrerez. Bel & fuperbe apanage de la
vertu publique & particulière ; c'eft la tige primitive
& féconde d'où naiffent une multitude innombrable
de ramifications qui toutes produifent avec
le temps des fruits falutaires. Oui , Meffieurs
& vous l'entendrez avec intérêt dans un difcours
commandé par votre Souverain , & qui a reçu
la fanétion de fon autorité ; il n'y a qu'une feule
grande politique nationale , qu'un feul principe
d'ordre , de force & de bonheur, & ce principe
eft la plus parfaite morale ; c'eft en s'en écartant
qu'on eft obligé de changer de guide à chaque inf
tant , & qu'on prend pour de l'habileté l'art de
fe tirer d'une difficulté que foi même on a fait
naître , & le talent d'en créer de nouvelles qui
exigeront encore de nouveaux refforts & de nouveaux
expédiens , tandis que dans l'exercice d'une
honnêteté & d'une fidélité parfaites , tout s'enchaîne
aifément ; tout fe tient , tout fe lie , tout annonce
que ce beau fyftême moral eft l'ouvrage chéri de
Etre fuprême : il reffemble au mouvement régufier
de tous les corps phyfiques , qui s'élève ,
aiy
( 8 )
s'aceroit , fe fortifie fans effort & fans confufion ,
& ne s'arrête ou ne ' s'interrompt que lorfque les
vents ou les orages viennent detruire fes loix , &
s'oppoſer avec violence à fa marche fimple &
réglée.
On ne pourroit pas défendre la caufe des penfonnaires
d'une manière auffi générale que celle
des créanciers de l'Etat , puifque la diftribution des
grâces & des récompenfes n'ayant pas été conftamment
affujettie à des principes fixes , elle eft
plus fufceptible d'erreur & de critique. Cependant ,
Meffieurs , vous penferez au moins que le Roi
ayant fait , il y a un an , une réduction de cinq
millions fur cette partie des dépenfes , ce n'eſt pas
d'une manière rapide ni générale qu'on peut y
chercher une nouvelle reffource. Le Roi écou
tera vos obſervations à cet égard , & vous fera
donner les éclairciffemens que vous pourrez dé
firer ; vous verrez , & avec peine peut – être , en
Vous occupant uniquement d'économie , que la
plus grande partie de la dépenfe des penfions eft
répartie en portions modiques au foulagement des
militaires ou d'autres ferviteurs de l'Etat , & que
les titres de ces penfions pour les uns , l'ancienne
habitude pour les autres , exigent du reſpect ou
du ménagement.
Les confidérations qui viennent au nom de
l'humanité appuyer les droits d'une ancienne poffeffion
, ne font pas applicables à l'avenir ; auffi Sa
Majefté avoit-Elle ordonné aux divers départemens
d'obferver , pour les nouvelles demandes de grâces
pécuniaires , une mefure proportionnée à la moitié
des extinctions ; cette meſure feroit peut - être
moins fufceptible d'erreur ou de conteſtation , en
déterminant la fomme numéraire des penfions qui
feroient accordées chaque année . Le Roi , Meffieurs
, a toujours adopté avec goût & avec eſtime
les difpofitions d'ordre qui lui étoient propoſées ,
& Sa Majeſté défire ardemment que vous puiffiez ,
en relevant les idées d'honneur patriotique , augmenter
le prix des récompenfes qui ne coûtent
rien au tréfor royal , qui ne font point verfer de
larmes au peuple , & qui n'ont reçu d'atteinte
dans l'opinion , que par ces méfalliances de fentimens
qui ont réuni trop fouvent le défir public
des diftinctions & l'amour fecret de l'argent .
C'est un grand point fans doute que de pouvoir
confidérer la poffibilité de couvrir le déficit annuel,
le déficit dont on fe formoit une idée effrayante
fans avoir befoin de recourir à aucun moyen
injufte ou févère , à aucun moyen fur- tout qui
dérange le fort du peuple ; mais la tâche dont
il est néceffaire de s'ocuper n'eft pas encore remplie.
L'établiffement d'un jufte équilibre entre les
revenus & les dépenfes fixes , eft fans contredit
l'objet le plús effentiel , puifque , de cette manière ,
non-ſeulement on remédie à un grand mal , mais
on arrête encore fes progrès . En effet , la néceffité
de fuppléer par des emprunts au déficit habituel ,
augmente annuellement ce déficit ; & ce progrès
devient confiderable , lorfque la meſure du crédit
oblige de foufcrire à des intérêts onéreux . Ce fera
un grand moment de repos , ce fera un beau jour
d'efpérance que celui où les revenus & les dépenfes
Axes de l'Etat fe trouveront au niveau : c'eſt d'une
bafe ainfi pofée , c'eft d'un fol ainfi raffermi , que
l'on pourra contempler avec calme tout ce qu'il
refte encore à faire pour achever de donner aux
finances de l'Etat leur entière activité , & pour établir
danstoutes les parties un ordre parfait & durable.
Suppofons maintenant qu'au moyen d'un choix
quelconque d'économies & de reffources nouvelles
, les revenus & les dépenfes fixes de l'Etat
foient mis dans un jufte équilibre , vous aurez
encore à fixer votre attention fur trois queftions
très-importantes, & quiont auffi leur difficulté,
20
a y
10 )
Premièrement , comment doit- on remplir les
befoins de cette année , & fuppléer aux dépenses
extraordinaires de 1790 & 1791 ?
Secondement , quelle eft l'étendue des anticipations
? એ ? .
Troifièmement , quels moyens devront être
adoptés pour avoir une fomme applicable à des
rembourfemens ?
Examinons d'abord la première de ces queftions.
Année courante.
7
On mettra fous vos yeux , Meffieurs , l'état
fpéculatif des dépenfes & des revenus libres de
cette année. Vous verrez qu'en comptant fur le
renouvellement d'anticipations le plus vraifemblable
, il faudroit un fecours extraordinaire de
So millions. On vous propofera les emprunts ou
les reffources qui vous paroîtront les plus convenables
, & cependant , Meffieurs , vous remarquerez
avec fatisfaction que l'intérêt de l'emprunt
néceffaire pour balancer les befoins de l'année ,
aft compris à l'avance dans le compte des revenus
& de dépenſes fixes dont on vous a déja donné
connoiffance , en forte que cet intérêt n'augmentera
point le déficit,
On doit vous faire obferver que le fecoars
néceffaire pour cette année ne fe monteroit pas
fi haut , fi jufqu'au 31 décembre l'on réduifoit
chaque femaine les fonds deftinés aux paiemens
de l'hôtel -de -ville , à la même fomme qui y a
été deftinée depuis quelque temps ; mais on ne
peut pas équitablement exiger des rentiers une
plus longue indulgence , & vous trouverez fûreme
jufte , Meffieurs , que les fix derniers mois
de l'année 1788 , dont le paiement s'ouvrira dans
le cours de ce mois , foient acquittés en entier
à la fin de cette année , & que le rentes foient
vayées déformais avec la plus parfaite exactitude.
( 11 )
Vous remarquerez cependant , Meffieurs , que
fi le Roi fe borne à faire acquitter d'ici à la fin
de l'année le dernier femeftre de l'année 1788 , &
s'il ne paye enfuite que fix mois tous les fix mois ,
il y aura conſtamment un ſemeſtre en arrière.
L'Etat auroit donc obtenu de la part des rentiers
un facrifice , ou du moins une facilité d'environ
75 millions , puifque la totalité des intérêts paya
bles à l'hôtel-de-ville fe monte aujourd'hui à enviton
1050 millions . Ces fix mois de retard pour
les rentes viagères feront dûs & payés à la mort
des rentiers , ce qui réduira le bénéfice réel des
extinctions à environ moitié pour l'année feulement
où ces extinctions furviendront ; enfin ,
le temps augmente la richeffe de l'Etat , vous
aurez à examiner , Meffieurs , es'il convient da
faire un emprunt extraordinaire pour acquitter
plutôt le femeftre en arrière. Mais à en juger par
l'efprit de douceur & de conciliation avec lequel
les rentiers fe font prêtés depuis près d'un an aux
circonftances pénibles de la finance , il eft à préfumer
qu'à l'époque où la Nation entière affurera
le payement de leurs intérêts de la manière la plu
exacte & la plus invariable , ils ne regretteront
pas d'avoir concouru dans quelque chofe à la dimi
nution des embarras préfens : ils ne fauroient calculer
ce qu'ils auroient perdu ,,fi le défordre s'étoit mis
dans les affaires , & fi le progrès du difcrédit avoit
affoibli fenfiblement la valeur de leurs capitaux.
que
Je crois même qu'ils ne feront pas jaloux d'un
facrifice le Roi voudroit faire en même temps
au foulagement des contribuables , & qu'il est n..
ceffaire de vous expliquer.
Il est dû apar les peuples de grands arrérages
fur la taille , les vingtièmes & la capitation ; &
vous en jugerez , Meffieurs , fi vous faites attention
que la recette annuelle des recouvremens
compofée en général de trois cinquièmes à peua
vi
( 12 )
près appartenant à l'année courante , & de deux
cinquièmes provenant des impofitions relatives à
l'année antécédente , difpofition qui jette beaucoup
d'embarras & d'obfcurité dans les comptes ;
ces deux cinquièmes , quoique légitimement dus
au Roi , font conftamment en arrière , & fervent
feulement de motif pour refferrer de temps à autre
le paiement des contributions , & procurer ainfi
un fecours extraordinaire au tréfor royal de 3 ou
.4 millions : vous en avez vu l'exemple, Meffieurs ,
dans le compte des recettes extraordinaires de
l'année dernière. Le Roi , Meffieurs , avec votre
avis , voudroit faire remife entière à fon peuple
de tous ces arrérages qui fe montent à environ
80 millions , fous la condition néanmoins qu'à
l'avenir chaque année d'impofition feroit payée
dans le cours des douze mois qui la compofent ,
enforte que le facrifice du tréfor royal confiſteroit
dans une renonciation à la faculté légitime qu'auroit
le Souverain d'ufer de fes droits à la rigueur ,
en faifant payer , avec l'année courante , une portion
quelconque des arrérages. Vous examinerez ,
Meffieurs , cette idée ; & fi vous la trouviez fufceptible
d'inconvéniens , vous ne rendriez pas
moins hommage aux intentions bienfaifantes de
Sa Majesté.
Les befoins extraordinaires pour les années 1790
& 1791 , ne font connus qu'imparfaitement, parce
qu'ils dépendent en partie de liquidations encore
incertaines ; on vous en donnera l'indice général ,
& il y a lieu de préfumer que les extinctions viagères
de l'année 1790 fuffiront pour obtenir un
capital équivalent à ces dépenfes paffagères .
On doit cependant faire obferver ici que la
meſure des befoins extraordinaires ne doit jamais
être annoncée d'une manière pofitive , puifque diverfes
circonftances imprévues peuvent accroître
ces fortes de dépenfes
i
( 13 )
On étendroit trop loin , Meffieurs , ce premier
difcours , fi l'on vous préfentoit toutes les expli
cations que chaque partie féparée pourroit exiger ,
elles vous feront données dans le cours de vos
travaux. Ce qui importe le plus dans ce moment ,
c'eftde vous préfenter un enchainement qui facilite
votre marche , & vous empêche de perdre du
temps en cherchant une route dans un encore
pays
nouveau pour le plus grand nombre des membres
de cette affemblée .
A l'avenir , & lorfque les comptes de finance
auront été foumis à une forme simple & très-intelligible
, à une forme fur-tout rendue conſtante
& invariable , vous n'aurez befoin d'aucun fecours
de la part de l'administration des finances , & ce
font les Etats-généraux eux- mêmes , Meffieurs ,
qui conferveront la filiation de toutes les connoiſ
fances & de toutes les inftructions qui pourront
répandre une parfaite clarté fur les finances en
général & fur toutes les parties qui en dépendent.
1 Cette clarté , ce grand jour feront le plus fûr
appui de la confiance publique ; & l'intention du
Roi eft que fes Miniftres fecondent fans réſerve
le défir que vous aurez , Meffieurs, de tout connoître
& de tout entendre ; car un efprit de critique ng
fera point votre guide , & vous ne chercherez point
la perfection pour le plaifir de rabaiffer les foins
de l'adminiſtration , mais pour fairejouir la France
de l'avantage incommenfurable qui peut naître de
la réunion de vos lumières. Il eft bien aifé de
trouver quelque erreur ou quelque omiffion dans le
vafte enfemble dont on mettra fous vos yeux tontes
les parties ; ni l'ordre , ni la méthode , ni les recherches
préalables abfolument néceffaires , n'ont
point coûté de peines à ceux qui ren deviennent
les juges , & leur efprit en repos , pendant qu'ils
parcourent tout ce qui eft bien , a d'autant plus
de moyens pour faifir avec activité les fautes qui
( 16 )
étoient une fois ré luites à 100 millions , elles fe
négocieroient avec une extrême facilité & à un
intérêt très-modéré , car ces fortes de placemens
font fort recherchés , & ils conviennent même à
l'activité de la circulation ; c'eſt un moyen de ne
pas laiffer oifif , pendant un long intervalle , les
capitaux dont le propriétaire veut difpofer à un
terme fixe.
Rembourfemens.
Les rembourfemens ne font portés dans aucuns
des tableaux qu'on vous a préfentés ; ils ont été
füfpendus par l'arrêt du Confeil du 16 août dernier
; ainfi on ne les a compris ni dans la clafſe
des dépenfes fixes , ni dans celle des dépenses extraordinaires
de cette année.
Cependant il eft jufte , il eft utile de revenir fur
cette fufpenfion dans une mefure quelconque.
Les rembourfemens , tels qu'ils exiſtoient avant
la fufpenfion ordonnée par le Roi , ſe montoient à
76,502,367 livres , & ils devoient s'élever un peu
plus haut cette année , fuivant l'accroiffement indiqué
par les éd ts ou les arrêts de création de
plufieurs emprunts.
Il eft manifefte que dans la fituation préſente
des affaires , l'Etat ne pourroit exécuter des rembourf
mens fi confidérables , fans recourir à des
contributions au-deffus des facultés du peuple.
On ne propoſeroit pas fans doute de balancer
ces rembourfemens par de nouveaux emprunts ;
il faudroit , pour employer cette reffource , fe fou
mettre à des négociations très -onéreufes , & dont
l'intérêt accroîtroit graduellement l'embartas des
finances & la charge des peuples. Les capitaliſtes
ont eux-mêmes un grand intérêt au ménagement
des contribuables , car toutes les fois que les refforts
d'un gouvernement font trop tendus , toutes
les fois que les tributs fe payent avec peine , il
( 17 )
1 règne dans toutes les affaires une gêne qui répand
une inquiétude générale , & qui altère le prix des
fonds publics ; cependant c'eft par la vente facile
de ces fonds à des conditions convenables , que
les propriétaires trouvent à chaque inftant l'argent
dont ils ont befoin , & ce genre de rembourfement
auquel chacun a recours felon fa volonté , eft
pour les particuliers le plus commode de tous.
Il eſt important néanmoins , & pour diminuer
infenfiblement la dette publique , & fur-tout pour
accroître le crédit fi néceffaire à un grand Empire ,
de deſtiner annuellement une fomme quelconque
à des extinctions ; & Sa Majefté vous confulte
Meffieurs , fur la fixation de cette fomme , & fur
le choix des moyens les plus propres à l'aſſurer
'invariablent.
Les extinctions graduelles des penfions & des
rentes viagères , les augmentations qui arrivent
naturellement dans le produit de tous les droits fur
les confommations , & les économies dont les dépenfes
fixes feroient graduellement fufceptibles ,
pourroient être verfées dans la caiffe d'amortiffement
, & de cette manière , le regiſtre de cette
caiffe ferviroit à indiquer diftinctement les améliorations
qui furviendroient dans l'état ordinaire
des finances.
Les divers moyens , Meffieurs , qui vous ont
été indiqués pour couvrir la différer ce entre les
revenus & les dépenfes fixes , excédant la meſure
de ce déficit , il faut attendre le réſultat de vos examens
, pour apprécier la quotité du fuperftu qui
feroit applicable à des rembourfemens. Il est néceffaire
aufli de favoir l'étendue de la fomme que
vous jugeriez convenable de deftiner à l'amortiffement
de la dette publique , avant de mettre fous
vos yeux une notice des reffources extraordinaires
que de nouveaux impôts pourroient procurer. On
vous en indiquera , Meffieurs , qui ne feroient
( 18 )
2
-point à charge au peuple ; & quand vousdé
rerez , on vous les fera connoître.
Ii n'eft pas douteux que plus on peut élever
haut la fomme des rembourfemens , & plus on
hâte la libération de l'Etat ; mais il ne faut pas défunir
cette confidération importante des ménagemens
dûs aux contribuables , & de l'appréciation
"des circonftances actuelles . L'objet le plus inftant ,
c'eft de-fubvenir aux dépenfes fixes par les revenus
fixes , afin de prévoir avec certitude l'époque
rapprochée où l'on n'auroit plus befoin de faire.
aucun emprunt ; car rembourfer & emprunter en
même temps , font deux difpofitions qui fe contrarient
, à moins que les emprunts ne foient faits à
an intérêt inférieur à celui des capitaux qu'on
éteint. Ce temps arrivera , & peut- être bien vîte ,
fi les Etats-généraux adoptent les méfures qu'on
peut attendre de leur fageffe , & fi la confiance
publique eft excitée par cette harmonie , par cet
enfemble qui raffurent les efprits & pour le moment
préfent & pour l'avenir.
La caiffe d'amortiſſement une fois conftituée &
fes fonds affurés , il refteroit encore à déterminer
fes opérations & à fixer l'ordre des rembourfemens
; mais vous approuverez sûrement , Meffieurs
, que ces queftions ne foient pas traitées dans
ce moment , car on vous détourreroit ainfi du
cours des idées qui doivent fixer principalement
votre attention.
Dettes en arrière.
Ces dettes doivent être divifées en deux claffes ,
celles dont le payement eft indifpenfable , & celles
dont le paiement peut être différé . Nous rangerons
dans la première tous les rembourfemens auxquels
le Roi s'eft engagé envers des étrangers , pour des
emprunts faits dans leur pays ; c'eſt un contrat
d'un genre particulier , qui ne peut être foumis
( 19 )
aux conventions nationales. Ces emprunts font
peu confidérables ; on en a porté l'intérêt dans le
compte des dépenfes fixes , & le remboursement
dans les dépenfes extraordinaires de cette année &
des fuivantes.
Une feconde partie des dettes en arrière , coneerne
quelques arrérages dûs par les départemens
' actifs de la guerre & de la marine. La portion de
ces arrérages, dont le paiement ne peut être retardé
fans injuftice , ou fans nuire au ſervice du Roi ,
fera pareillement portée dans le compte des befoins
extraordinaires pour les années 1789 & 1790.
Enfin , il y a eu de tout temps , quelquefois un
& deux ans en arrière fur les gages , les appointemens
& les intérêts dûs par le Roi; & felon le
degré d'aifance du tréfor royal , ces payemens ont
été avancés ou retardés. Les arrérages de ce genre
ne coûtent aucun intérêt , & l'on fe borne généra
lement à defirer de toucher exactement une an
née chaque année. Ainfi , il fuffit de comprendre
dans les dépenfes fixes la partie de ces arrérages
que la mort des propriétaires rend néceffairement
exigible.
C'est ici l'occafion de rappeler qu'il exiſte auffi
des créances à recouvrer par le Roi , lefquelles , à
caufe de l'incertitude de leur rentrée , n'ont été
portées dans aucun compte. On a formé l'état des
objets les plus liquides , & les recouvremens que
Bon pourra faire fur ces créances ferviront à diminuer
la fomme des befoins extraordinaires pour
cette année & les fuivantes ."
Permettez maintenant , Meffieurs , qu'on vous
préfente une récapitulation abrégée des points fucceffifs
qui doivent fixer votre attention , en vous
livrant à l'examen de l'état des finances . C'eſt par
de l'ordre & de fa méthode que le gouvernement
doit principalement vous feconder , afin de vous
mettre ainfi plus promptement à portée d'appli(
20 )
quer au bien de l'Etat vos idées & vos réflexions.
Čet ordre , cette méthode fi utiles & fi fecourables
dans toutes les affaires , paroiffent fur-tout
néceffaires à une époque , où pour la première fois
depuis long-temps on vient de toutes les parties
du royaume s'occuper des finances du plus grand
Empire de l'Europe . Voici donc , Meffieurs , un
réfumé précis des divers examens que vous aurez
à faire.
1. Examen de l'état des revenus & des dépen-
Tes fixes.
2º. Examen des moyens les plus propres à rendre
facile & diftincte en tous les temps la connoif
fance de l'état des finances.
3. Examen des économies & des améliorations
qui peuvent fervir à rapprocher la fomme des revenus
fixes de celle des dépenfes fixes .
4°. Examen des reffources nouvelles qui peutvent
mettre au niveau les revenus & les dépenfes
fixes.
5° . Examen des befoins extraordinaires de cette
année , & des reffources qui peuvent y correfpondre.
6°. Examen des befoins extraordinaires & prévus
pour l'année prochaine ou la fuivante , & dès
moyens qui peuvent fubvenir facilement .
7°. Examen particulier de l'étendue des anticipations
, de leur nature , de leur dépense , & des
difpofitions les plus propres à rendre ce genre
d'emprunt économe , & à délivrer des inquiétudes
qu'il occafionne .
8. Examen de la conftitution d'une caiffe d'amortiffement
, & de fes rapports avec la netteté &
la clarté des comptes de finance.
9º . Examen des améliorations fucceffives , foit
en augmentation de revenus annuels , foit en
diminution de dépenfes annuelles qui peuvent
compofer naturellement le fonds d'amortiffement,
( 21 )
10°, Examen des fonds extraordinaires qui peu
vent être destinés à la caiffe d'amortiffement .
11º. Examen & choix des portions de la dette
publique , dont l'extinction fero la plus utile ,
& à laquelle il faudroit deftiner les premiers fonds
d'amortiffement.
12º. Examen des dettes en arrière & de leurs différentes
natures.
Il eſt temps , Meffieurs , de fixer votre attention
fur un objet de la plus haute importance . Je fuppofe
l'ordre rétabli dans les finances d'une ou
d'autre manière , il faut que cet ordre foit maintenu
; il faut , autant qu'il eft poffible , le mettre à
l'abri des erreurs & des fautes de tous les Miniftres ,
de tous les agens auxquels le Souverain d'un grand
Empire eft dans la néceffité de fe confier.
Tel eft expreffément le défir , le voeu perfonnel
de Sa Majesté. Et me fera-t- il permis de le dire
en fa préſence , jamais Prince ne fut porté davantage
par fon caractère , fes moeurs & les vertus ,
au maintien de l'ordre & d'une fage économie ; &
cependant il a vu fon nepos & fon bonheur troublés
par la dégradation de fes finances. Sans doute
la guerre dans laquelle il a été entraîné par des
circonftances particulières & par le voeu rational ,
acontribué principalement aux embarras des affaires;
mais ce voeu national lui-même eût été plus éclairé ,
fi l'on avoit eu une connoiffance qu'on aura dorénavant
, celle de la mefure & de la nature des
reffources , celle des inconvéniens attachés aux
grands befoins d'argent. Que de maux feront prévenus
, que de biens pourront naître d'une instraction
générale & conftante fur l'état des finances ,
d'un intérêt intime & commun à leur profpérité
& des foins que vous prendrez , de concert avec
Sa Majesté , pour donner à l'ordre & à l'accord
de toutes les précautions une ftabilité durable !
L'affignat particulier de certains revenus à de cer(
)
2222 taines dépenfes , la diftinction des dépenfes fixes
& des dépenfes extraordinaires , la publicité annuelle
des comptes , leur réviſion dans une forme
convenue , la netteté de ces comptes , les précautions,
les réferves qui pourront s'accorder avec
la dignité royale & l'action néceffaire du fervice
public ; enfin , tout ce qui pourra conſtituer d'une
manière fage & durable la confiance publique &
le bien de l'Etat ; Sa Majeſté vous invite à en
faire l'étude & la recherche , & Elle écoutera favorablement
les repréfentations qui lui feront faites
& les indications qui lui feront données fur cette
grave & importante matière.
Réuniffons-nous , Meffieurs , le Roi le permet ,
réuniffons- nous pour arranger les chofes de telle
manière que l'homme le plus ordinaire foit en
état à l'avenir de governer les affaires du tréfor
royal , & que l'homme le plus habile ne foit jamais
dangereux .
Lorfque vous aurez examiné , Meffieurs , la
fituation des finances dans fon enſemble & dans
fes divifions principales , & enfuite , fi vous le voulez
, dans fes plus petits détails , vous vous hâterez
fûrementde concourir aux moyens qui peuvent
introduire un parfait équilibre entre les revenus &
les dépenfes fixes ; car > ainfi que nous l'avons
déjà montré , plus cet équilibre fera retardé , &
plus le mal fera de progrès ; car le déficit exige
des emprunts , leurs intérêts augmentent le déficit
, & le prix de ces intérêts s'accroît avec la multiplication
des emprunts.
EL
Vous verriez d'une manière évidente la preuve
de ces vérités , fi l'on formoit le recueil de tous
les moyens dont on a fait ufage pour fubvenir en
divers temps aux befoins de l'Etat.
un mo Je ne puis m'empêcher de m'arrêter un moment
fur un principe confacré , dit -on , dans les inf
tructions de plufieurs bailliages. Les arrangemens
( 23 )
dé finance , le confentement aux difpofitions néceffaires
pour y rétablir l'ordre, font indiqués comme
un objet fecondaire , & qui doit être précédé de
toutes les conceffions & de toutes les affurances de
la part du Roi , qui peuvent fatisfaire le voeu de
la Nation . De telles conditions n'arrêteront point
le cours des affaires , puifque vous ne demanderez
rien fans doute qui ne foit conforme à la raiſon ,
& que perfonne dans l'Etat ne veut plus le bonheur
des François que notre augufte Monarque ; mais
vousn'oublierez pas en même-temps que les befoins
des finances ne font pas diftincts des vôtres , que
c'eft proprement une feule & même chofe , puifque
les dépenfes qui fervent à la défenſe & à la
police du royaume , celles qu'exige la justice due
aux créanciers de l'Etat , celles qu'entraînent les récompenfes
décernées à des fervices réels , celles
même que demande l'éclat du premier trône de
l'Europe , toutes ces dépenfes & d'autres encore ,
concernent la Nation comme le Monarque.
Enfin , Meffieurs , il eft bon de vous le faire
observer , afin que vous aimiez encore davantage
votre augufte Monarque , ce n'eft pas à la néceffié
abfolue d'un fecours d'argent que vous devez le précieux
avantage d'être raffemblés par Sa Majesté en
Etats-généraux. En effet , le plus grand nombre
des moyens qui vous ont été préfentés comme .
propres à combler le déficit , a toujours été dans
la main du Souverain . Il eft vrai que plufieurs
des impôts actuels exigent depuis long-temps un
renouvellement à de certaines époques ; mais fi
l'embarras des finances fe fût borné à ce renouvellement
, perfonne ne l'eût compté au nombre des
difficultés réelles ; & en fuppofant , fi l'on veut
des contrariétés invraisemblables , combien de reffources
ne feroient pas reftées à l'autorité , fi le
Roi , uniquement inquiet de la fituation de fes
finances , eût voulu fuivre la route que plufieurs
( 24 )
de fes prédéceffeurs lui avoient tracée , & s'af
franchir en tout ou en partie de différentes charges
dont la libération eût augmenté confidérablement
la richeffe du tréfor royal ? Vous en jugerez de
même , Meffieurs , fi vous faites attention que
dans le compte des dépenfes fixes il reste encore :
1º. 29 millions en penſions.
2º. 8 à 10 millions en traitemens militaires &
civils , tous fufceptibles de diminution , ne fût-ce
qu'en fe laillant aller jufqu'à cette extrême rigidité
où ceux qui ont des emplois préfèrent la réduction
la plus rigoureufe à la perte de leur état.
3°.7 millions environ en remiſes accordées aux
provinces & aux contribuables , remifes néceffaires
au foulagement des peuples , mais qui font toujours
, aux termes des loix , un don libre du Souverain.
4°.Je ne parle pas de la faculté que le Roi auroit
eue d'aſſujétir à une retenue quelconque la totalité
des rentes ou des intérêts dont l'Etat eft grevé ;
mais je fais obferver feulement qu'on a impofé
autrefois un dixième fur tous ces payemens fans
éprouver aucun obftacle , fans exciter aucun trouble,
& une pareille opération eût foulagéles finances
du Roi de près de 20 millions par an.
5 ° . Je ne fais pas entrer dans cet aperçu les
fommes deftinées volontairement à des actes de
bienfaifance , puifqu'un Roi qui rénonceroit au
pouvoir de fecourir les malheureux , perdroit le
plus bel apanage & la plus grande jouiſſance de
La fouveraineté.
( La fin au Journal prochain. )
Les Numéros sortis au Tirage de la
Loterie Royale de France , le 16 mai
1789 , sont : 56 , 65, 64, 87 , 74.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 30 MAI 1789.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS SUR LE PLAISIR.
PEUT - ÊTRE par reconnoiffance ,
Sur le Plaifir je cherche à m'abufer ;
Mais loin del'accufer ,
Comme on fait , d'inconſtance ,
Je le peindrai de l'homme égarant le défir ,
Dans fon rapide effor difficile à ſaiſir ,
Et non volage par eflence.
J
Tel bien fouvent croit en jouir ,
2
Qui n'en poſsède au plus qu'une infidelle image
Trompons-nous moins dans le choix du Plaifir,
Il ne fera jamais volage.
( Par M. le Chevalier de N...)
Nr.22. 30 Mai 1789 .
I
194
MERCURE
RÉPONSE
A l'Ephire Sur l'Ennui , inférée dans le
Mercure du 11 Avril 1789.
-Air Que le Sultan Saladin , &a
A l'Ennui , mon cher Dumas
Tout de bon ne célez pas. не
2 Comme autrefois pour modèle ',,
Prenez la Farre ou Chapelle ;
Hs ne s'affectoient de rien .
Hé bien ! hé bien !
Ne vous arrêtez qu'au bien.
Qui penfe à fes maux fe tourmente
Et les augmente . ( bis . )
MT 1009% ***

LA campagne vous déplaît ,
Vous y voyez toût en laid i
Et Paris vous épouvante pe
Par - les , vices qu'il enfante ; -
Biens , maux , il n'y manque rien.
Hé bien &e. » tot fjalny
Moj nap on mooland .
LA lande eft aride , mais
b T॰ i
Au jardin l'on a du frais ; mai
Pomone y feconde Flore ;
L'oifeau s'y plaît , dès l'ausore ,
A former un doux lien ;
Hé bien ! &c .
DE FRANCE 1.95
De plus , le vin de pays
Chez vous et un vin exquis :
Frente mets couvrent la table ;
Du château , la Dame aimable
Sait animer l'entretien,
Hé bien & č.
DE la Seine cependant
La Naïade vous attend ,
Et fur fa rive élégante
Etale aux yeux qu'elle enchante
Le bon goût Parifien.
Hé bien ! & c.
Pour votre coeur , pour vos vers
Vous aurez des prix divers ;
Thémire vous eft fidelle ;
Accourez donc auprès d'elle ;
Ce fera le vrai moyen ,
Hé bien hé bien !
De penfer que tout eft bien.
Qui penſe à ſes maux fe tourmente ,
Et les augmente , ( bis . )
G
K
( Par M. Knapen , de pluf. Acad.
& Sociétés Littéraires. )
I 2
156: MERCURE
HISTOIRE
I
DE PAULIN E,
LA femme d'un Gentilhomme Flamand ,
fort ennuyée de fon mari , fe rendit un
jour fecrètement à Lille , convertit fon ar
gent & fes bijoux en dentelles , arrêta une
place dans la diligence , & partit pour Paris,
fous le faux nom de Madame Vadrek,
Arrivée à Paris , elle alla defcendre dans
un Hôtel garni de la rue de Richelieu , où
elle prit un appartement pour elle & pour
fa petite fille , enfant de quatre ans , qu'on
nommoit Pauline .
Dans les premiers momens de fon fé
jour à Paris , Madaine Vindrek s'occupa
à fe défaire de fes dentelles. Cette vente
finie , elle voulut vifiter les Edifices , les
Promenades , les Spectacles , & les princi
paux Monumens qui embelliffent i Capitále.
Mais une jeune femme ne pouvoit pas
courir fcule dans Paris i auli Madame Vindrek
confentit à fe laiffer accompagner par
le Chevalier de Vaudray , Officier de vaiffeau
, qui occupóir un appartement dans
le même Hotel qu'elle , & qui , par ce
moyen, avoir fait fa connoiffance.
DE FRAN ÈE. 197
C

K
Madame Vindrek étoit jolie : le Chevalier
étoit aimable. Ils alloient fans ceffe fe
-promener enſemble ; & ils fe promenèrent
fi bien , qu'un beau jour ils ne revinrent
pás. On crut d'abord dans l'Hôtel qu'ils
étoient allés voir quelqu'une des magnifiques
maifons de campagne qui font aux
environs de Paris , & qu'ils s'en retourne
roient le lendemain ; mais on fe trompoit :
ils ne reparurent plus.
Cependant la petite Pauline étoit demeurée
,dans l'Hôtel garni , où elle demandoit
fans ceffe fa mainan . Les Gens de la
maifon , déjà attachés à cette enfant aimable ,
& attendris par fes pleurs , en avoient les
plus tendres foins ; mais ils ne pouvoient
ni réuffir à la confoler , parens ni la rendre à fes
puifqu'ils ne favoient pas plus
qu'elle , d'où elle fortoit , & quel nom por
2 toit fa famille. Ils découvrirent feulement ,
après beaucoup de recherches , que ce n'étoit
pas celui de Vindrek:
Dans ce temps - là , une Dame de Rouen
vint loger dans le même Hôtel . Elle vit
Pauline , que fon malheur & fa gentillefle
lui rendirent bientô chère , & elle délira
de l'emmener avec elle , pour l'élever comme
fa fille. Les Maîtres de l'Hôtel y confentirent
d'autant plus facilement , qu'ils fa
voient que la Dame étoit très- riche , & que,
malgré leur amitié pour Pauline , cette enfant,
en reftant dans leur maifon , devenoit
1298 MERCURE
un fardeau pour eux. Pauline retrouva done
une feconde mère.
Cette mère , nommée Madaine de Ferlang
, avoit reçu beaucoup d'avantages dè
la Nature & de la fortune ; mais elle n'en
étoit pas plus heureuſe . Spirituelle , belle ,
fertible , riche , elle n'avoit jamais pu capsiver
fon volage époux , qui , vivant dans
le libertinage à Paris , laiffoit fa femme exi
lée dans une de fes Terres auprès de Rouen .
Bien plus encore , il lui avoit ôté fon fils ,
le feul enfant qu'il eût eu d'elle , & il le
faifoit élever loin de cette tendre mère.
Auli Madame de Ferlang , qui trouva Paune
digne d'intéreffer fon ame aimante ,
s'attacha beaucoup à cette jeune perfonne ,
& prit tous les foins imaginables de fon
éducation . Aucun Maître ne lui fut épargué.
Tous les talens , qui fervent fi bien
à développer les dons de l'ame & les graces
du corps , devinrent fon partage. Elle croiffoir
chaque jour en efprit & en beauté.
Quoique M. de Ferlang fût fixé à Paris ,
"il venoit de temps en temps faire un tour
à Rouch. L'époque du payement de les
Fermiers étoit celle où on ne manquoit
guère de le voir arriver. La première fois
qu'il vit Pauline , il en parut affez mécontent
, n'envifageant d'abord en elle qu'un
furcroît de dépenfe pour fa femme. Enfuite
il s'accouituma à l'orpheline , & enfin elle
ne tarda pas beaucoup à être caufe que fes
voyages devinrent plus fréquens.
DE FRANCE. J99
Alors Madame de Ferlang , qui croyo
que fon mari fe rapprochoit d'elle par un
retour de fageffe , & qui voyoit avec la
plus douce fatisfaction qu'il fembloit partager
le tendre intérêt qu'elle prenoit a La
pupille , lui propofa de la faire époufer
Ton fils , qui achevoit fes exercices à Paris.
Mais Madame de Ferlang s'étoit flattée d'une
vaine efpérance . Son mari avoit conçu d'ag
tres projets. Les cours vicieux ne revient
nent pas fi facilement à la vertu .
Toutefois M. de Ferlang diflinula . Il
parut même très charmé de l'intention, de
La femme, Il ne lui oppofa que foiblement
ignorance de l'état & du nom de la famille
de Pauline , en lui laiffant entrevor
que cet obftacle n'étoit pas fuffifant par
empêcher que fon fils époufit une jeune
perfonne fi intérellante . Pen de jours après,
il repartit pour Paris.
Pauline n'ignoroit point l'entretien dont
elle avoit été l'objet. Madame de Ferlang ,
qui la regardoir non feulement comme fa
fille , mais comme fa meilleure amie , lui
avoit tour confié ; & cette fille fenfible &
reconnoillane , fans fonger précisément
aux avantages qui réfulteroient pour elle
d'un pareil mariage , ensilageoit paintant
comme un bonheur Pexécution du plan
qui devoit la rapprocher encore plus d' une
femme à qui elle étoit déja fi attachée . Mais
randis qu'elles fe repaifoient l'une & l'autre
de cette douce efpérance , un évènement
I 4
200 MERCURE
finiftre vint interrompre leurs défirs & leurs
projets.
Madame de Ferlang , que l'abandon de
fon mari avoit long - temps profondément
'affectée , & dont le chagrin avoit beaucoup
altéré la conftitution délicate , mourut
prefque fubitement dans les bras de la
jeune Pauline . On s'empreila d'écrire à M.
de Ferlang & à fon fils ; mais M. de Ferlang
vint fenl ; encore trouva-t-il en arriyant
fa femme déjà morte.
Il eft impoflible de rendre la douleur de
Pauline. Quand elle perdit la mère , qui
l'abandonna fi étourdiment à l'âge de quatre
ans , fes regrets enfantins touchèrent tous
les coeurs : mais en perdant la femme qui
l'avoit adoptée , cette feconde , cer e véritable
mère , fon chagrin fut encore bien
plus profond ; & quoiqu'elle en donnât
mains de fignes extérieurs , elle gémilfoit
continuellement en fecret , & n'ofoit penfer
fans fréir à la deftimée qui l'attendoit.
Monfieur de Ferlang cherchoir cependant
à la confoler , mais fans lui parler de l'al
liance projetée par fa femme. Pauline
voyant bien alors qu'il ne falloir plus penfer
à cette alliance , & d'ailleurs n'ayant
jamais vu l'époux qu'on lui avoit deftiné ,
demanda à M. de Ferlang la permiflion de
fe retirer dans un Couvent. » Y fonges-tu
» bien , mon enfant , lui dit M. de Ferlang?
» Pour fe mettre au Couvent , il faut avoir
¹» au moins de quoi payer fa pention : d'ail-
و د
>
DE FRANCE.
leurs labvie cloîtrée ennuyeroir à la
» mort ; il en eſt une plus douce pour toi ,
: & la feule que tu puiffes raifonnablement
choifir. J'y ai réfléchi depuis long - temps,
Je t'aime comme ma fiile. Il faut fuivre
mes confeils. Je ferai ton bonheur ".
Il accompagna ces mors d'un baifer familier
, & de quelques difcours ambigus
que , malgré fon innocence , Pauline ne
comprit que trop bien.
2
-Accablée de honte , de frayenr , elle fe
retira dans fa chambre , où elle s'enferma
strois jours , fans ofer fortir , fans piendrei
aucune nourriture , fans pouvoir goûter
aucun repos , & fans ceffe occupée à répandre
des larmes. Cependant , au bout de
ce temps-là il fallut fe rendre aux ordres
de M. de Ferlang , qui la faifoit férieufe-
-ment demander.
" Pauline , lui dit en ricanant cet homme.
infenfible & libertin , avez - vous bien
penfé à ce que je vous ai dit ? - Que
trop , Monfieur. A quoi êtes - vous réfolue
A monrir. Prends -y garde ,
mon enfant ; il vaut mieux m'en croire.
-
-
Jamais , jamais ! Eh bien ! Mademoifelle
, préparez - vous à retourner dans
» l'Hôtel où ma femme vous a prife. Je
» Vous y remenerai moi même « . En même
temps il donna des ordres à fes gens . Sa
chaife de pofte fur bientôt prête. - Alorsla
malhenreufe orpheline fe jeta à genoux ;
elle implora la pitié de M. de Ferlang'; elle
Is
1202 MER CUIR EG
invoqua la mémoire de la bienfaitrice ; elle
dit adieu de la manière la plus touchanie
aux lieux , aux perſonnes qui avoient vu
élever fon enfance Tous les Domefriques
étoient en larmes , mais rien ne put fléchir
le barbare. Il fir mettre . Pauline dans la
-Noiture , & ils partirent pour Paris
I
Jaline répitecai point tous les diſcouts
qu'il lui tin dans la route , pour tenter de
la féduire. Il me fuffit de dire que tous les
- difcours furent vains , & qu'il remit Pauline
dans l'Hô el garni de la rue de Richelicu.
Là, tout éront bien changé depuis douze
ans . Ses anciens hôtes avoient été rempla
-cés par des héritiers , qui ne connoifoient
que par tradition l'aventure de Pauline ,
» & qui lui donnèrent une chambre common
à une étrangère dont ils fe méfiointeue
peu . Elle s'y renferma toujours : feule , gémiffante
, & ne fachant que devenir avec
un petit paquet de hardes & une vingtaine
d'écus dans fa bou:fe.
2
t:
Pauline ignoroit que des milliers de
femmes arrivent à Paris , avec moins de
beasté , moins de talens , & moins de fortune
qu'elle , & que ces femmes y mènent
bientôt une vie fplendide ; elle ignorcit
combien une jolie perfonne peut trouver
de reffources dans cette ville corruptrice ;
mais quand elle l'auroit fu elle n'en aurgit
pas été plus contente. ,
pr
Il y avoit prefqueune femaine entière que
la pauvre Pauline fe défefpéroir dans fon
DE FRANCE. 203
Hôtel , lorsqu'on y vit defcendre d'une magnifique
berline une Dame aflez âgée . Ses
gens répandirent dans la maifon , que leur
Maîtrelle venoit de Flandre ; & elle - même
sdemanda , un ou deux jours après fon arrivée
, fi ce n'étoit pas par hafard l'endroit
où avoit autefois logé Madame Vindrek ?
A la réponse qu'on lui fit , on crut qu'elle
afe pâmeroit de joie ; & lortqu'elle fur que
Pauline étoit dans Hôtel , elle court ellemême
à fa chambre 3. & lui fauta au cou ,
-en l'appelant fa chère nièce. →→ » Voilà
difoit, elle , voilà le vrai portrait de mon
frère. Pauvre frère il mourra de plair
36 en revoyant ſa fille 4 Pauline crut
d'abord que c'étoit un fonge : mais les vifs
sembraffemens de la Dame la raffurèrent ,
& la pauvre enfant lui rendit tendreffe pour
stendreffe.
Au bout de deux ou trois jours , la Dame
raconta à Pauline qu'elle avoit écrit à fon
frère pour l'engager à venir joindre fa fille
retrouvée ; & qu'en attendant elle alloit
dover une maifon , où elles demeureroient
-enfemble , parce qu'elles pafferoient l'hist
à Paris. En effet , la maifon fut bien t
vue & agréée , & la nouvelle tante & la
nièce s'y établirent.
fb
Là , Belles vécurent d'abord d'une ma
nière allez retirée , mais bientôt elles reçurent
la vifte de plusieurs perfonnes de
haute qualité. Madame Rouart , car c'est
ainfi que le nommoit la tante , Madame
16
204 MERCURE
Rouart avoua à Pauline qu'elles étoient
elles-mêmes d'une grande Maiſon , & que
fa chère nièce devoit prétendre à un mariage
très -avantageux . Elle n'étoit plus occupée
que de cette enfant ; elle vouloit la
doter de tour fon bien ; elle lui faifoit fans
celle cadeau de quelque parure nouvelle ;
elle la conduifoit aux Spectacles , aux Bals ,
aux Promenades , par tout où elle croyoit
que Pauline s'amuferoit.
Parmi les afpirans au coeur de Pauline ,
étoit un jeune homme nommé M. de Vaulamon,
qui l'ayant vue à l'Opéra , en étoit
devenu éperdument amoureux. Il fe fit
préfenter chez Madame Rouart : bientôt
après il déclara fa paífion , & il eut le plaifir
d'entendre l'ingénue Pauline lui avouer
qu'elle n'y étoit pas infenfible . Mais en
même temps elle confeffa tout à Madame
Rouart. Madame Rouart étoit bonne , géméreufe
, approuvant tout ce qui plaifoit à
fa nièce, & elle fut enchantée de cet aveu.
Elle atfúra même que fon frère ne manqueroit
pas d'y donner les mains , & que
les deux Amans pouvoient d'avance ſe regarder
comme époux .
J'ai oublié de dire que Madame Rouart,
diftraite par les affaires , avoit laiffé quel
quefois Pauline en tête à tête avec des Mef-
Geurs qui lui rendoient vifites que ces Meffeurs
avoient offert très reſpectueulement
à la jeune perfonne , leur main & des pleimes
bourfes d'or , & qu'elle en avoit été
DE FRANCE. 265
fi indignée , que Madame Rouart s'étoit
vu forcée de fermer la porte à plufieurs de
-ces galans.
Mais le jeune Vaulamon fe conduifit
toujours plus décemment ; & Pauline avoit
d'autant plus de confiance en lui , qu'il fe
montroit plus timide. Un foir les deux
Dames allérent fouper chez une parente de
Madame Rouart. Vaulamon les accompagna.
Il y avoit cinq ou fix femmes , & autant
d'hommes. Le fouper fut très gai ; on
but du Champagne ; mais quoique Pauline
eût été très modérée , la tête lui tourna ; elle
cût befoin de prendre du repos ; elle fe
jeta alors fur un canapé , tenant fa main
dans celle de Vaulamon , & elle s'endormit
profondément .
Pendant la nuit , des fonges extraordinaires
l'enchantèrent & la tourmenterent
tour à tour. Mais le matin , en fe
réveillant , elle fut bien plus étonnée de le
trouver chez fa tante , & dans le même
lit où elle avoit coutume de coucher. Flle
fe rappeloit fort bien qu'elle s'étoit endormie
fur un canapé , mais elle ne fe rappeloit
pas qu'elle eût été emportée chez
elle & déshabillée. Croyant que c'étoit encore
un nouveau rêve , elle s'élance &
court , pieds nus & en chemife , ouvrir les
rideaux & les volets de fes fenêtres ; mais
en s'en retournant , elle apperçoir fur le
canapé fon époux prétendu , Vaulamon ,
206 MERCURE
qui la contemple d'un air triste & confus.
Alors elle fe rappelle tour.
Dans cet inftant , la malheureufe Pauline
n'ayant pas la force de prononcer une
feule parole , tomboit prefque morte fur
le parquet , lorfque Vaulamon la retint &
la remit fur fon lit. Avec le fecours des
fels & des eaux fpiritueules , il la rendit à
Ja vie ; & quand elle ouvrit les yeux , elfe
le vit à genoux auprès d'elle tenant encore
fa main qu'il baignoit de pleurs. Mais elle
la retira avec indignation . Il voulut parler.
Elle détourna la tête , elle refufa long-temps
de l'écouter. Cependant le nom déponſe
` qu'il lui donnoit , towes les expressions
du repentir , le défir de le voir réparer
fon malheur , touchèrent enfin un peu la
pauvre Pauline . Elle laiffa entrevoir au
jeune homme l'efpérance d'un pardon . Soudain
il fortit ; & il allon accabler Madame
Rouart de reproches , lorfqu'il trouva ſon
père avec elle. Son père ? - Oui , Monfient
de Ferlang lui-même ; car Vaulamon
étoir le jeune homme deſtiné à Pauline depuis
long- temps , & auquel on faifoit porter
un nom de Terre qu'elle ignoroit . S'il
étoit venu chez Madame Rouart , c'est parce
que cette femine ayant apperçu que Pau-
Aine le remarquoit beaucoup au Spectacle ,
l'avoir fait inviter par un de ces Aventuriers
déguilés , qui , fons des titres impofans ,
infeft nt Paris , & trouvent le moyen de fe
dier avec tous ceux dont ils croiens pouvoit
faire des dupes.
DE FRANCE. 9207
Monfieur de Ferlang & fon fils furent
également étonnés de fe rencontrer dans
cette maifon ; car ils y venoient à linfçu
l'un de l'autre mais ils dilimdèrent également.
Après que Vaulemon s'en fut allé ,
& que M. de Ferling eut appris que c'érojt
le jeune homme qu'on avoit laille gagner
de coeur de Pauline , pour qu'elle pût enfuite
fe conformer à tous les projets de Madame
Rouart , il forti; en maudifant la vicille
Furie & il fit , dès le jour même , partir
fon ,fils pour fon Régiment.
2. Mais qu'étoir done Madame Rouart ?
Ce qu'elle étoit ? Une de ces femmes infernales
, qui ne font malheureusement que
trop -ommunes à Paris ; une de ces femmes
qui , dans le déclin de l'âge , cherchent
-fans celle à corrompre la jeuneffe & l'innocence
pour la livrer à la débauche & à
finfamie; une de ces femmes qui trafiquent
effrontement des appas de quelques
victimes infanfées qui les écoutent ; une de
ces femmes enfin qui deviennent l'opprobre
de leur fexe & le fcandale de la verte.
!
Lejour que. Madame Rouart free.
avoit feint
d'arriver de Flandres dans l'Horel garni de
la rue de Richelieu , elle étoit partie le matin
de la rue Sainte - Anne , & n'avoir fait
que le tour du Bureau de la pofte de Saint-
Denis. Quand elle feignoit de mener foyper
Pauline chez des parentes ou des amics,
elle lei faifoit faire une perire coufe en
Noiture, & la reconduifoit dans la propre
7268 MERCURE
maifon & dans des appartemens reculés ,
où elle étoit reçue par d'autres filles dévouées
à fes ordres , & qui fe cachoient
pendant le jour. C'étoit enfin M. de Ferlang
qui avoit déchaîné contre Pauline la
déteftable Rouart .
Cependant Pauline ne voyant point revenir
Vaulamen , avoua fon malheur à fa
prétendue tante , qui garda encore ſon maſque
d'hypocrifie pour achevet d'égarer la
jeune perfonne. Elle pleura avec elle ; enfuire
elle la confola ; & elle finit fi bien par
la féduire , qu'au bout de quelques mois
elle l'eut entièrement affervie à ſes coupables
volontés . Malgré cela , Pauline confervoit
une fecrete trifteffe , & la vertu
étoit toujours au fond de fon coeur.
Il y avoit à peu près fix mois qu'elle
s'étoit livrée à l'égarement , lorfqu'en fe promenant
un foir au Palais Royal , elle fe
fentit toucher for le bras . Elle tourne la
tête , & voit Vaulamon . Je laiffe à penfer
de quel étonnement ils parurent fais l'un
& l'autre. Leur explication for rapide ; &
le jeune homime apprenant qu'elle écoic
toujours chez Madanie Rouart , lei propofa
d'abandonner cette déteſtable maiſon ,
& de le fuivre . Ah ! je ne fuis plus
digne de vous , lui répondit Pauline !
-Que dites - vous , s'écria Vaulamon ?
» C'est moi qui ai commencé à vous perdre
; mais on m'avoit trompé ! Oubliens
» tour ; ne vivez que pour mois comine
99
ود
""
ינ
DE FRANCE. 209
je ne vivrai que pour vous ". - Pauline
y confentit erfn : elle crut que Vaulamen
pourron la rendre à une vie plus honnêtes
& ces deux Amans auroient été heureux, s'il
y avoit de vrai bonheur fans la vertu .
Cette réconciliation avoit eu lieu depuis
quelques jours , quand la Rouait , furieufe de
la perte dePauline , en avertit M. de Ferlang.
Alors celui -ci , qui confervoit toujours un
grand dépit de s'être vu conftamment rebuter
, obtint un ordre du Miniftre & fit renfermer
fon fils: Pauline en fur défolée ; mais
ne voyant aucun moyen facile de délivrer
fon amant , & réfléchiffant qu'elle- même
ne pouvoit plus être que malheureufe &
avilie , elle écrivit ces mots à M. de Fer
lang. Rendez la liberté à votre fils ,
» Monheur : il doit déformais trouver grace
» devant vous , puifqu'au moment que vous
» recevrez cette lettre , l'infortunée qui le
fait paroître criminel à vos yeux , n'exiftera
plus ««.- M. de Ferlang crut d'abord
que c'étoit un piége , mais il apprit bientôt
avec horreur que la malheureufe Pauline
venoit de mourir empoisonnée.
{
39
""
Vaulamon en fut inconfolable . Son père ,
également affligé , l'amena à Rouen pour
tâcher de le diftraire. Il y avoit à peu près
un mois qu'ils y étoient , lorfqu'un Etranger
le préfenta chez eux. Après avoir pris
d'inutiles informations dans la rue de Richelieu
, cet homme venoit s'adreffer à M.
de Ferlang , pour favoir ce qu'étoit devenue
219 7 MERCURE
>
Pauline. Il lui dit que le nom de famille
de cette jeune perfonne étoit Mademoiſelle
de ; que fon père , qui vivoit encore
, poffédoit dix - huit mille livres , de
rente, & que fa mère , qui fous le nom
de Madame Vindrek , l'avoit abandonnée
depuis douze ou treize ans , étoit allée à
Saint -Domingue , où elle avoit fait une
fortune confidérable , & où elle venoit de
mourir , laiffant à Pauline tous fes biens.
En même temps , l'Etranger tira de fa poche
une copie authentique du teftament & des
inventaires.
11
M. de Ferlang , confonda de cette aventure
, n'ofa rien répondre de cetrain . Vaulamon
ne put que pleurer ; & l'Etranger
fe retira pour faire de nouvelles perquis
tions à Paris perquiſitions , hélas ! qui
furent vaines . Pauline infortunée Paifine
n'étoit plus ; & elle avoit éprouvé qu'avec
de la naiffance , de la fortune , de la
beauté , des talens , un grand amour pour
la vertu , on peut être malheureufe , avilie
, & même criminelle. "
,
SGI SD ]
¿ la voz alde dial Par M. C. D. L.)
7:
2.
DE FRANCE. 211
Y I
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédents
LE mot de la Charade eft Mariage ; celui
E:
de l'Enigme eft Langue ; celui du Logogriphe
et Cheminée , où l'on trouve Enée ,
Némée , Chien , Chine , Mine , Chemin ,
Mèche , Nice.
1.
CHARADE.
CHAQUE chofe a fon beau côté ;
Mon premier rentre , lá de la faillie ; ?
Et c'eft un fait incontefte ,
Que du fecond mon tout n'eſt que partie.
Par M. le Ch. de P***
i
ÉNIGME.
os infortunes font parelles !
No
AJ
Tous deux fommes foulès aux pieds ,
Seuvent dans la fange trainés ,
Quatre tirans encor nous ferrent les oreilles.
I
Par un Abonne. )
212 MERCURE
AVEC
LOGO GRIPHE.
Avec fracas je m'annonce fouvent :
Malgré l'éclat de ce ton impofant ,
Chez moi , Lecteur , s'établit un Defpote
Qui me gouverne un bâton à la main :
Aigre je fuis , le fait eft très-certain ;
De faufferé quelquefois l'on me note ;
Mais ces défauts ne font qu'accidentels
Et plus fouvent mes qualités brillantes
Ont mérité des éloges réels .
Dans mes neuf pieds , les perfonnes favantes
Appercevront cette beauté touchante
Dont fe noya l'Amant infortuné
Puis , cette maffe & lourde & fatigante
Qu'un malheureux , aux Enfers condamné
Roule toujours fans pouvoir la fixer :
Plus loin , tu vois une vive lumière
Que méconnoît le pauvre en fa chaumière,
Mais dont le faſte a ſoin de s'éclairer ;
Et ce mortel , fi connu fur la Terre
Par fes fureurs & par fon amitié ;
Le fer aigu qui , d'une bonne mere ,
Perce le fein fans crainte ni pitié ;
Enfin Lecteur , cette arme dangereufe
Que dans l'arène un Combattant portoit,
Pour terraffer , d'une main vigoureuſe ,
Son fier rival fi -tôt qu'il paroiffoit.
( Par M. C. de G... , Off. au Rég
de Boulennois. )
DE FRANCE. 213
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
;
HISTOIRE de Sumaira , dans laquelle on
traite du Gouvernement , du Commerce,
des Arts , des Loix , des Coutumes &
des Maurs de fes Habitans des productions
naturelles de l'ancien état poli-
¹tique de cette Ifle par M. WILLIAM
MARSDEN , de la Société Royale de
Londres , ancien Secrétaire du Préfident
& du Confeil du Fort Marlborough à
Sumatra traduite de l'Anglois fur la
ze. édition par , M. PARRAUD. 2 Vol.
in 8°, avec des Cartes. Prix , 8 liv. br.
;

>"
10 liv. rel, & 9 liv . br.francs de port par;
la Pofte. A Paris , chez Buillon , Libr.
Hotel de Coetlofquet , rue Haute feuille.
L'ISLE de Sumatra paroît avoir été inconnue
aux Anciens ; leurs découvertes
ou plutôt leurs conje &ures , n'al'oient pas
au delà de Ceylin , qui vraisemblablement
étoit leur Taprobane. Quelques Savans ont
cru ou voula croire que Sumatra eft , le
pays. d'Ophir , qu Salomon envoyoit les
2146
MERCURE
و
flottes , & en effet il y a dans l'Ile de
Sumatra une montagne appcle Ophir ;
mais ce nom lui a été donné dans les, derniers
temps par les Européens. Une autre
montagne près de Malaca porte le même
nom. M. Marfden penfe que Sumatra eft
la même Ifle à laquelle les Voyageurs Ara
bes , qui en 1173 , pénétrèrent dans les
Indes & à la Chine , ont donné le nom
de Ramni , & que le Vénitien Marc Paul
appelle la Petite Java. Ce font les expéditrons
des Portugais dans les mers Orientales,
qui ont fait connoître cette Ifle au
refte du Monde ; ils en ont exactement indiqué
la pofition. Ce nom de Sumatra eft
inconnu à fes Habitans , qui même ignorent
que ce foit une Ifle , & qui n'ont
aucun nom général pour la diftinguer . Sumatra
eft une des plus grandes Iles de la
terre ; mais fon étendue eft déterminée
avec fi peu d'exactitude , dit l'Auteur , que
tous les efforts qu'on pourroit faire pour
calculer la fuperficie , ne pourroient garantir
de l'erreur . Comme la Grande - Bretagne ,
elle eft plus large à fon extrémité méridionale
, & fe rétrécit par degrés à meſure
qu'elle avance vers le nord ; elle approche
La encore plus de la Grande -Bretagne par
grandeur que par fa forme.
C'eft la plus occidentale des Iſles comprifes
fous le nom d'Ifles de la Sonde dans
1Archipel oriental , qu'elle termine à l'oc
dident. L'Equateur la coupe en deux parDE
FRANCE. 215
dies peu près égales. Une chaîne de montagnes
la divife dans toute fon étendue ;
fommer de ces montagnes , quoique trèsélevées
n'eft jamais couvert de neiges
comme l'eft celui des montagnes de l'Amérique
méridionale entre les Tropiques.
ke mont Ophir , fitué immédiatement fous
FEquateur eft de toutes ces montagnes
celle qui s'apperçoit de plus loin en mer
fon fommer étant élevé de treize mille
huit cent quarante - deux pieds au deffus
de fon niveau , hauteur qui n'eft que les
deux tiers de celle que les Aftronomes
François ont donnée à la plus élevée des
Indes mais qui excède un peu celle
du Pic de Ténérife. Entre ces montagnes
, font de vaftes plaines fort élevées
au deffus des terres maritimes , & où l'air
eft froid : c'eft la partie la plus agréable dé
Fife , la plus peuplée , la moins embartaffée
de ces bois qui couvrent en général
d'une ombre éternelle les montagnes &
les vallées de Sumatra on y trouve de
= grands & magnifiques lacs ; mais leurs dimenfions
, leur pofition , leur direction
fent peu connues. L'Auteur décrit en dé
tail les cafcades , les rivières principales ,
tout ce qui concerne l'air , les trombes,
Fe tonnerre , qu'il dit être fi fréquent à
Sumatra , qu'on y fait à peine attention
& pendant lequel cependant la terre cft ,
dit - il , agitée prefque au même point que
dans un véritable tremblement de terres
216 MERCURE ,
il rend compte des moulfons , des brifes.
de terre & de mer , & il en recherche les
caufes ; il s'étend aufli fur les qualités du
fol , & fur fes productions en tout genre
La Partie Morale n'eft pas plus néglige,
que la Partic hyfique. Religion , Gouver
nement , Loix , Moeurs , Ufages , Sciences,
Arts , & c. , tout eft ici expofé avec foin
par un témoin oculaire , par un homme
qui a long temps réfidé dans le pays , par
un homme inftruit , par un Obfervateur
intelligent. Nous ne pouvons que parcou
rir ici quelques détails pris au hafard dans
tous les genres phyfiques ou moraux indifunctement.
Les Sumatraneis ont en Botanique des
connoiffances qui furprennent les Européens
. En général ils font inftruits , dès leur
plus bas âgé , non feulement des noms ,
mais encore des propriétés de chaque arbriffean
& de chaque plante. L'Art de la
Médecine confifte prefque uniquement chez
eux dans l'emploi des fimples ; ils en connoiffent
parfaitement les vertus . Chaque
vieillard , homine & femme , eft un Médecin
, leur falaire dépend de leur fuccès,
Le règne animal fournit ici des obfer
vations curieufes , fur- tout dans le genre
des reptiles. Les efpèces de lézards font
en très grand nombre , depuis le cokay
qui a dix ou douze pouces de long , &
qui fait un bruit fingulier , jufqu'au plus
petit lézard des mailons , dont j'ai vu quel
ques- uns ,
DE FRANCE. 217
و د
">
و ر
ques uns , dit l'Auteur , qui avoient à peine
un demi -pouce de long. » Une chole remarquable
concernant cet animal , & que
je n'ai lue dans aucun Auteur , c'eft qu'au
plus léger coup , & quelquefois même
" par la crainte feulement , il perd fa
" queue , qui commence bientôt à croître
» de nouveau. Cette partie peut être féparée
à toutes les vertèbres par la plus
petite force , fans perte de fang , & lans
» douleur apparente pour l'animal ....
» Il n'y a , je crois , aucune claffe d'êtres
» vivans, dans laquelle les gradations foient
marquées avec plus de précifion & de
régularité que dans celle - ci . Depuis le
petit lézard des mailons jufqu'au grand
aligator ou crocodile , on peut obferver
» une chaîne qui comprend un nombre
prefque infini de chaînons , dont le plus
éloigné a la plus grande reflemblance avec
» tous les autres , & paroît , à la première
» vue , n'en différer que par la petiteffe ".
"
وو
39
و ر
و د
ور
On trouve auffi à Sumatra le caméléon
& le lézard volant. Le premier a environ
un pied & demi , y compris la queue ; il
eft vert avec des taches brunes. Quand on
le voit en vie dans les bois , il eft entièrement
vert ; mais cette couleur , dit l'Auteur
, ne vient pas , comme quelques-uns
l'ont fuppofé , de la réflexion des rayons
folaires qui éclairent les arbres ; quand il
eft pris , il devient ordinairement brun ,
-peut-être , dit encore l'Auteur , par l'effet
N ^ . 22. 30 Mai 178g .
N°. K
218
MERCURE
de la crainte , comme on voit l'homme pâlir
-dans le danger .
Le lézard volint a environ huit pouces
de longil relfemble beaucoup au caméléon
ordinaire. Il ne vole pas fort loin ,
mais feulement d'un arbre à l'autre . Les
Naturels le prennent avec des filets attachés
aux arbres.
On trouve dans cette ifle des ferpens de
toutes grandeurs . » Le plus gros que j'aie
» vu , dit l'Auteur n'avoit que douze
» pieds ; il fut tué dans un poulailler où il
» dévoroit la volaille . Il eft bien furprenant ,

ajoute-t-il , mais il n'en eft pas moins vrai ,
» que ce reptile avale des animaux trois
, & quatre fois plus épais que lui , ayant
29
dans la gueule ou dans fon gofier une
» force compreffive qui réduit fa proie à
» un volume propre à y entrer. J'en ai vu
un petit qui avoit les jambes de derrière
d'une grenouille fortant hors de fa gueule,
» lefquelles égaloient en groffeur les plus
petites parties du corps du ferpent , dont
» les plus groffes n'excédoient pas l'épaiffeur
» du perit doigt. J'ai de la peine à croire
ce qu'on rapporte du ferpent de Ceylan
& de Java , qu'il avale des bêtes fau-
» ves & des bifens , mais je n'ole prendre
fur moi de décider que cela foir faux.
Si un ferpent de trois à quatre pouces
d'épaifleur peut avaler une ville de
fix à huit pouces , il eft poffible qu'un
ferpent de trente pieds de long , d'une
93
"
"3
DE FRANCE.
219
">
groffeur & d'une force proportionnées ,
engloutiffe des quadrupèdes , après leur
» avgir brifé les os , comme on affure qu'ils
le font , en s'entortillant autour de leur
proie «<.
و د
""
M. Marfden croit qu'il y a dans l'Ifle de
Sumatra fort peu de ferpens dont la morfure
foit mortelle. » Il n'a jamais , dit- il , eu
" de preuve authentique qu'une feule perfonne
en ait éprouvé de mauvais effeis ,
"
quoiqu'ils foient en fort grand nombre ,
» & qu'on en trouve fouvent dans les mai-
» fons ". On peut dire qu'en général le
ferpent eft un animal qui infpire plus
d'effroi ou d'horreur , qu'il n'eft réellement
nuifible. L'imagination c fort exaltée ſur
fon compte ; il y en a beaucoup moins
d'efpèces dangereufes & véritablement ves
nimeufes , que le peuple ne le croit , & il
y en a peu dont il ne foit aifé de fe ga
rantir.
Les forêts de l'ifle de Sumatra font rema
plies d'éléphans ; l'ivoire par conféquent y
eft très-abondante ; on l'exporte à la Chine
& en Europe. On n'apprivoife ces animaux
dans aucune partie de l'Ifle , excepté à la
Cour du Roi d'Achem , qui en garde quel
ques-uns par oftentation . Les autres , dars
leur vie fauvage , ont un grand inconvé
nient pour les habitans de l'Ifle . Comme
les élphans vivent en fociété entre eux ,
& qu'ils traverfent ordinairement le
par grandes troupes , ils font ext êmeme
pays
I 2
220 MERCURE
nuifibles aux plantations ; ils détruifent juf
qu'aux moindres traces de culture , en marchant
fimplement à travers les champs ;
d'ailleurs ils aiment beaucoup les productions
des jardins ; ils dévorent fur tout avec
avidité la canne à fucre. Certe voracité leur
eft fouvent fatale ; les naturels du pays ,
connoiffant leur goût pour ces végétaux ,
ont pris l'habitude d'empoifonner une partie
de la plantation , en inférant du barranguan
dans des fentes qu'i's font aux
cannes , ce qui fait périr les éléphans qui
en mangent. L'éléphant d'ailleurs n'étant
point carnivore de la nature , n'eft pas féroce
, & n'attaque pas l'homme , à moins
qu'on ne falle feu fur lui , ou qu'on ne
l'irrite de quelque autre manière .
Le rhinocéros eft auffi fort commun
dans les forêts de Sumatra ; on regarde fa
corne comme un antidote contre le poifon
M. Marfden déclare qu'il ne fe rend point
garant des hiftoires qu'on rapporte fur l'antipathie
mutuelle de ces deux énormes quadrupèdes
(l'éléphant & le rhinocéros) , & fur
les combats terribles qu'ils fe livrent entre
eux,
Les plus cruels ennemis des Sumatranois ,
foit dans leurs voyages , foit même dans
leurs habitations , ce font les tigres. Le
و د
و ر
nombre des perfonnes tuées annuellement
» par ces tyrans rapaces des bois , dit l'Au-
» teur , eft prefque incroyable. J'ai vu des
33 villages entiers ravagés par eux ".
On eft étonné que les hommes , toujours
DE FRANCE.
221
fi follement empreffés à fe faire la guerre les
uns aux autres , ne fe réuniffent pas , pout
l'intérêt commun , contre ces ennemis naturels
de l'efpèce humaine , & n'en entreprennent
pas la deftruction ; c'eft que plus
de paflions , & des paflions plus fortes les
animent & les armcht contre leurs femblables
, que contre les animaux les plus mal-faïfans
. La crainte feroit le feul motif de guerre
contre ceux - ci ; au lieu que la haine , la vengeance,
la jaloufie , la cupidité , l'amour malentendu
de la gloire , l'ambition fur-tout ,
l'ambition , la plus infatiable des paflions ,
font ce qui arme les hommes contre les hommes.
Une autre efpèce d'ennemis de la nature
humaine , les préjugés , les empêche
encore quelquefois de fe délivrer des fléaux
qui les tourinentent . M.Marfden obſerve que
par un de ces préjugés fuperftitieux , les Sutmatranois'
, malgré les grandes récompenfes
que leur offre la Compagnie des Indes Angloife
, fe determinent difficilement à mettre
en ufage les moyens qu'ils ont de détruire
les tigres , jufqu'à ce qu'ils en aient reçu',
dit l'Auteur , quelque injure particulière
dans leur perfonne , ou dans celle de leurs
proches . Alors les piéges dont ils fe fervent
pour les prendre , font en grand nombre' ,
très ingénieux . L'Auteur en décrit plufieurs
; mais nous ne pouvons le fuivre
'dans fes détails ..
Les tigres font vraisemblablement leur
principale nourriture des finges dont les
K 3
222 MERCURE
bois font remplis. On prétend qu'ils les
attirent à eux par une efpèce de charate ,
femblable à celui qu'on fuppofe aux ferper.s
pout attirer les oiſeaux ou d'autres animaux.
» Je ne fuis pas éloigné , dit l'Auteur)
و د
d'ajouter foi à ce rapport , ayant moi-
» même obfervé que , lorfqu'un aligator
» ou crocodile étant dans une rivière
paffe fous une branche d'arbre fufpendue
» au deffus de l'eau , les finges , dans un
état de défordre & de trouble extraor
"

ور
F
و د
""
30
dinaire , fe précipitent en foule vers l'ex-
» trémité de la branche , & tour tremblans
& grinçant des dents , s'approchent de
lus en plus du monfire amphibie , qui
a la gueule béante pour les dévorer à
» melure qu'ils tombent " . On raconte
auffi la même chofe du ferpent à fonnette
à l'égard des écureuils, dans quelques contrées
de l'Amérique. Ce n'eft pas feulement
aux finges que les crocodiles font funeftes ,
ils font périr beaucoup d'habitans , lorfque
ceux-ci fe baignent dans la rivière , & l'on
retrouve encore ici ces préjugés plus funeftes
que les fléaux mêmes , puifqu'ils
empêchent de s'en délivrer ; les habitans ,
regardant ces animaux comme facrés , fe
' croiroient des profanateurs , s'ils cherchoient
à les détruire.
A la Botanique près , dont nous avons
parlé , les Sumatranois n'ont que des connoiffancestrès
- bornées dans chaque Science .
La Langue Malaiſe , originaire de la prefDE
FRANCE. 223
qu'ifle de Malaca , d'où elle s'eft répandue
dans toutes les Illes Orientales , & qui le
parle par-tout le long des côtes de Sumatra ,
n'a point de termes pour exprimer Its
nombres au delà de dix mille.
Les Sumatranois font abfolument fans .
Hiftoire & fans Chronologie : la mémoire
des évènemens ne fe conferve chez eux
que par tradition ; auffi, dans les deux Volumes
de cette Hiftoire de Sumatra , tour cft
defcription , expofition de coutumes &
d'ufages , obferva ions d'Hiftoire Naturelle,
&c. Il n'y a d'Hiftoire proprement dite, quet
celle du Royaume d'Achem , & des Pays '
adjacens ; c'eit dans le vingtième & dernier '
Chapitre qu'on la trouve , & certe Hilloire
ne commence qu'à l'époque où les Européens
ont découvert ces contrées . C'eft
ainfi que les Peuples anciens n'ont eu d'Hiftoire
que par les Grees & les Romains.
Celle du Royaume d'Achem , conpclée avec
peine d'après les récits imparfaits & obfcurs
des Navigareurs , en) raffemblant les faits'
détachés qui fe trouvent dans leurs relations
, & en les plaçant dans leur ordre .
chronologique , n'offre guère que des expéditions
maritimes & militaires , que de ces
révolutions communes qu'on trouve dans
toutes les Hiftoires. On y voit en général
que les Portugais , toujours nommés les
Caffres par les Indiens , n'étoient guère
poins haïs & redoutés dans les Indes Oriensales
, que les Efpagnols dans l'Amérique.
K 4
224
MERCURE
Les guerriers d'Achem prenoient comme
un titre honorable , le nom de Buveurs du
fang des miférables Caffres , qu'ils appeloient
des chiens maudits , venus de l'extrémité
du monde pour ufurper le bien
d'autrui.
Canem illum ,
Invifum agricolis fidus veniffe .
,
Si les matériaux euffent été plus féconds
& moins confus , cette Hiftoire feroit fans
doute par- tout auffi intéreffante qu'elle l'eft
dans plufieurs endroits. On en peut jnger.
par ce portrait du Roi d'Achem , Sultan
Peducka Siri , mort en 1641 , après trentecinq
ans d'un règne qui parur brillant ,
parce que le Prince étoit riche & magnifique
, & qu'il fit beaucoup de conquêtes ;
qu'il employoit conftarment dans fon châ
teau trois cents Orfévres ; que fes éléphans
montoient à plufieurs centaines ; qu'il avoit
des forces maritimes très formidables , deux
mille canons de bronze , & des armes à
proportion ; mais ce Prince étoit d'un natusel
cruel & fanguinaire. Il emprifonna
La propre mère , & la fit mettre à la torture
fur un fimple foupçon d'être entrée
dans une confpiration contre lui , ce qui
n'eft guère vraisemblable de la part d'une
mère , ou qui feroit préfumer de grands
torts de la part du fils . Cette confpiration ,
vraie ou faulle , douna lieu à une multitude
>
DE FRAN, C , E. 215
"
و ر
"
و د
»
d'exécutions. Ce même . Prince fit périr
fon neveu , fils du Roi de Johor , par la
jalousie qu'il conçut contre lui , à caufe
» de la bonne intelligence avec fa mère .
" Il fut aufh mourir le fils du Roi de Bantam
, & celui du Roi de Faham , tous
deux fes proches parens . Il ne reftoit
`plas , en 1662 , d'autre rejeton de fa famille
, que fon fils , jeune homme de
dix-huit ans , qui avoit été banni trois
fois de la Cour , & qui ne conferva la
vie ,felon l'opinion publique , que parce
» qu'il furpalloit fon père même en cruauté,
& qu'il étoit univerfellement hai. Il
» avoit été fait Roi de Pedir ; mais rappelé
" bientôt à caufe de fes excès , il fut enfermé
dans une prifon , & mis à la plus
rude torture par fon père , auquel il ne
furvécut point. Tout le territoire d'Achem
» étoit prefque dépeuplé par les guerres ,
" les exécutions & l'oppreffion. Le Roi
cherchoit à le repeupler par fes conquêtes.
Après avoir ravagé les Royaumes de Johor
, Paham , Queda , Pèra , & Delhy ,
il en tranfporta les habitans à Achem au
» nombre de vingt-deux mille . Mais cette
politique barbare ne produifit pas l'effet
qu'il en attendoit; car ces malheureux peu-
» ples étant menés dins les Etats dépouillés
de tout , & n'y recevant aucune eſpèce
» de fecours , à leur arrivée , mouroient de
» faim dans les rues ...... Une perfide &
infidieuſe politique , & une folle ardeur
K s
»
و د
و ر
"
30
و ر
ود
33
226 MERCURE
>
» de répandre le fang humain , s'uniffoient
en lui pour former le caractère d'un
vrai Tyran «.
Il paroît d'ailleurs qu'il avoit quelque
talent , & comme Prince, & fur-tour comme
guerrier ; qu'il favoit profiter des malheurs
& des fautes de fes voilins & de ſes ennemis
, cacher fes projets & les préparatifs ;
qu'il favoit en un mot furprendre & vaincre.
Cet Ouvrage eft le premier qui donne
une connoiffance détaillée de l'ifle de Sumatra
& de fes Habitans ; l'Auteur a longtemps
réfidé dans cette Ifle , & a vu par
lui-même : or , à l'exception d'une efquifle
légère des moeurs des Habitans d'un fenl
diftrict particulier , inférée dans les Tranfactions
Philofophiques de l'année 1778 ,
il n'avoit pas été publié une feule page
fur les Sumatranois , par un Anglois qui
eût réfidé dans l'Ige.
( Cet Article eft de M.....)
DE FRANCE. 227
-
1A vraie Grandeur , qu Hommage à la
Bienfaifance de Son Alteffe Séréniffime
Monfeigneur le DUC D'ORLÉANS ;
Poëme , par M. D'ARNAUD , de l'Académie
Royale des Sciences & Belles-
Lettres de Pruffe , &c. &c.
Qui dat beneficia , Deos imitatur
SENEC .
A Paris , chez Maradan , Libr. rue St
André- des-Arts .
LES bons vers ont toujours eu leur prix,
il augmente en raifon de leur rareté ;
mais quand de bons vers louent de bonnes
actions & excitent à les imiter , ils acquièrent
un degré d'intérêt de plus, qu'ils tirent
de la nature, même du fujet qu'on y traite.
La jouillance de l'efprit eft complette alors,
puifque le coeur la partage ; & le Lecteur,
auffi fenfible qu'éclairé , chérit Ecrivain
en même temps qu'il l'admire. Voilà fur-tott
les raifons qui nous engagent à faire connoître
l'Ouvrage de M. d'Arnaud. Son nom
feul eft un préjugé favorable pour fon
Poëme , dont nous allons tracer rapidement
la marche il l'a fait précéder d'un Difcours
préliminaire fort bien fait , où il fe
justifie d'avoir employé la machine du nier-
8
;
K 6
228 MERCURE
veilleux , que la Philofophie a peut - être
raifon de proferire dans les Ouvrages didactiques
, mais que, la Poéfie peut touž
jours admettre dans fes compofitions , parce
que le langage des Dieux lui appartient
effentiellement.
- Le Peême ouvre par un Eloge du Roi ,
prêt à convoquer les Etats Généraux , pour
rendre à la France toute fa fplendeur ;
mais les mauvais Génies qui troublent l'ordre
phyfique & moral du Monde , frémiffent
de ce généreux deffein , & veulent du
moins en retarder les effets , s'ils ne peuvent
les empêcher. Ils ont déjà bouleversé
Melfine ; ils amènent le cruel hiver , dont
nous fentons encore les rigueurs. Cette
faifon de fer avoit été annoncée par le
débordement de l'Oder , où périt un de
ces Héros qui appartiennent à toute l'efpèce
huthaine qu'ils honorent : elle avoit
été préparée par la grêle , fous laquelle des
récoltes de la plus belle efpérance s'étoient
évanouies. Magnifique defeription du féjour
de l'Hiver : les mauvais Génies s'adreffont
à de Vieillard , pour lui demander fes
fléaux dont ils veulent affliger l'Europe, &
Ja France en particulier ; il les leur accorde ,
£80( marché lui-même à leur fuite , en faifant
femir par tout fa terrible influence.
Tableau déchirant du défefpoir des infor-
-tunés travaillés à la fois par le froid & la
faim Sollicitude des Pafteurs ; leur Chef ,
-Mgr. l'Archevêque de Paris , porte des ſeDE
FRANCE. 229

cours aux malheureux ; il eft puiffamment
fecondé par le zèle de MM. Desbois &
Laugier , ainsi que par Madame la Ducheffe
de l'Infantado : mais les maux font au
deffus des reffources , & les Patteurs. n'ont
plus que des voeux impuiffans à former
pour le foulagement de leurs Concitoyens.
Ces Anges de bonté , ces céleftes Génies
Qui nous ont affuré leurs faveurs réunies ,
Voudroient qu'un grand exemple , un exemple
éclatant ,
Achevât d'exciter le bienfait indolent ,
Qu'il fut un aiguillon pour la pitié ftérile .
Ils ont tourné leurs pas vers le fuperbe afile:
Où les travaux d'Apelle attirent les regards ,
Où fe plaifent le Luxe , & les Jeux , & les Arts.
Dans ce brillant féjour , quel étonnant contrafte
La grandeur véritable y domine fans faſte .
Philippe & Adélaïde ne font pas plus tôt
inftruits de la détreffe où gémiffent les
malheureufes victimes de l'Hiver, qu'ils ordonnent
qu'on leur prodigue des fecours.
Les maŭvais Génies redoublent de rage. Le
même fentiment anime toujours le couple
augufte : mais Philippe , après avoir donné
un exemple éclatant de bienfaifance , veut
auffi fe ménager le délicieux plaifir de faire
le bien en fecret. A ce vou entendu avec
tranfport dans l'Empyrée , l'aicul de Mgr.
a
230 MERCURE .
le Duc d'Orléans defcend du féjour où
Dieu récompenfe les vertus , & promet à
fon Petit - fils que les enfans fe rendront ,
par leur humanité , dignes de lui & de leur
mère.
Pourfuis, mon fils , pourfuis . Images de leur père
Joignant à fes vertus les vertus de leur mère ,
Tes enfans de leur nom ſoutiendront tout le poids :
Ils feront des Héros, s'ils ne font pas des Rois.
: ' Il dit , & s'exhalant dans le fein de Philippe
Comme un nuage vain qui fuit & fe diffipe ,
Sur la Terre a laillé cette vapeur d'encens ,
Qui toujours fuit des Cieux les divins Habitans.
Le Prince qu'a frappé cette image impoſante ,
A fenti croître encor fon ardeur bienfaisante. ›
Tout Paris la partage , & les infortunés
fecourus sèchent enfin leurs larmes.
Les Génies bienfaifans , vainqueurs de
leurs rivaux , viennent offir à Philippe la
couronne civique , & l'Humanité plaintive
fixe fon fejour dans le palais de ce
Prince , dont le nom eft déformais confacré
à la gloire la plus pure , & par les
vertus qui la lui méritent , & par le talent
qui les chante ; car c'eft aux Poëtes que les
Héros doivent l'im mortalité. Horace fentoit
cette vérité, & n'a pas craint de la
dire , dans la confcience que fes vers pafferont
à la Poftérité , & y feront paffer les
noms de ceux qu'il a chantés.
1
DE FRANCE.
231
M. d'Arnaud termine ce Poëme , où l'on
retrouve tout fon talent & toute fon ame,
par un Apologue du ton le plus touchant.
Nous ne pouvons réfifter à l'envie de le
citer en partie , parce que les vers en font
très bien faits , & qu'ils refpirent cette
douce mélancolie fi bien affortie au fujer.
-
C'eft ainfi qu'éloigné de tous les fonges vains ,
Où s'endort la raifon des malheureux humains ,
Atteignant le milieu d'une ingrate carrière ,
Les yeux toujours frappés d'une trifte lumière ;
Inftruit que , fans ramper , on ne s'élève pas ,
Que le talent fert peu s'il n'eft flatteur & bas ;
Rejetant le fecours des cabales , des brigues ,
Le manége honteux , les obfcures intrigues ,
Incapable d'offrir un encens impofteur ;
N'appréciant enfin , ne louant la grandeur
Qu'alors qu'elle fe montre à nos voeux acceſſible,
Telle que dans Philippe , & inodefte & fenfible ;
Ainfi , dans ma retraite , enflammé conftamment
De la vérité feule & du pur fentiment ,
Foible & timide écho de l'ivreffe publique ,
J'élevois mes accens au langage héroïque :
Je répétois un nom béni de toutés parts ,
Chéri du malheureux , des Vertus & des Arts ;
C'est un fimple tribut que ma Mufe préfente :
Mais Dieu , dent mon Héros a la bona touchante,
Dieu , que n'éblouir point un appareil trompeur ,
Qui regarde nos dons avec les усых du coeur ,
232 MERCURE
Par fon fafte impofant n'eftime point l'offrande,
Et daigne recevoir la plus humble guirlande.
37
Nous ne doutons pas que ce Poëme , où
Mgr . le Duc d'Orléans eft loué comme il
a agi , c'est-à- dire , fans falte , ne falfe le
plus grand plaifir aux Lecteurs , auxquels
nous tommes charmés d'annoncer la ze.
Année des Délaffemens de l'Hommefenfi
ble , ainfi que la fuite des Epreuves du
Sentiment . On fouferit pour ces Ouvrages ,
cul-de-fac Saint- Dominique , quartier du
Luxembourg , maifon de M. Minier.
1
On trouvera dans la 3e. Année des Dé
laffemens de l'Homme fenfible , qui va pa
roitre inceffamment , l'extrait d'un Difcours
adreffé par M. Andrein , Vice - Gérent du
College des Graffins , à fes Penfionnaires
qui , entraînés par les leçons & les exem
ples de ce digne Maître , ont fignalé leur
bienfaifance & leur humanité pendant ce
cruel hiver , & promettent de bonne heure
des Citoyens auffi humains qu'éclairés.
DE FRANCE. 233
VARIÉTÉ S.
SUR L'ENCYCLOPÉDIE ..
AVIS du Sr. MANFREDINI , aux Soufcripteurs
d'une Contrefaçon de l'Encyclopédie par
Dictionnaires féparés , annoncée à Nice,
L'EDITEUR de cette réimpreffion de l'Encyclo
pédie ayant rompu fon traité avec la Société Typographique
de Nice , prévient les Soufcripteurs
& ceux qui voudroient foufcrire à cette Edition
des motifs qui la lui ont fait abandonner , & qui
doivent pareillement les y faire renoncer.
10. Les Imprimeurs de cette Contrefaçon étant
auffi Actionnaires , cherchoient tous les prétextes
imaginables pour éloigner l'Editeur , qui leur donnoit
de l'ombrage , & s'approprier fon projet.
2º. Le Profpectus qui parut le 15 Septembre
4788 , promettoit au Public au moins 7 Volumes
par an. Il s'eft écoulé huit mois , & à peine y at
- il quarante feuilles imprimées. Cette lentear
préméditée devoit produire fon effet , qui étoit
d'empêcher l'Editeur de poursuivre cet Ouvrage.
3. Une Imprimerie fans Correcteur & fans
Prote, devoit néceffairement faire manquer l'exacitude
de la correction ; & dès qu'il s'apperçut
234 MERCURE
+
mots
que les vingt premières feuilles étoient très-fautives
à cet égard , qu'elles fourmilloient de fautes
groffières , telles que de nombre de phrafes oubliées
, de mots barbares fubftitués aux
françois , des additions , faites en ftyle très -plat ,
fur l'Italie , fans le confulter ; tous ces motifs
téunis l'affermirent dans la réfolution d'abandonner
cette désbercrante Centrefaçon , & c'eſt ce
qu'il a effectué à la fin d'Avril dernier. Il n'a pas
dû permettre que le Public fur trompé dans fon
attente , & il s'eft cru obligé de prévenir les
Soufcripteurs qu'ils ont le droit de retirer leurs
promeffes de Soufcription , dès que la Société Typographique
de Nice a violé les engagemens en-

vers eux.
Obfervations du Sr. PANCKOVCKE , fur la
Lettre précédente.
" Nous n'avons ceffé de prévenir le Public
» contre l'abus des Contrefaçons , qui , depuis
» tant d'années , dévorent la Librairie de la Ca-
» pitale , & écrafent la Littérature . Il eft affreux "
ככ
que nous y foyons expofés dans notre pofition ,
» n'étant pas , à beaucoup près , au pair de nos
» frais dans l'entreprife actuelle de l'Encyclopédie
, & ne pouvant la foutenir que par toutes
» les combinaifons que nous avons annoncées.
» Le Public s'expofera - t - il de nouveau à être
» dupe & trompé , comme il l'a été fur toutes
les Contrefaçons de la première Edition infolio
de l'Encyclopédie , qu'on a tronquées ,
» altérées , dont on a fupprimé les parties les
» plus importantes , comme celles des Arts &
»
Métiers mécaniques ; qui , en outre , four-
» millent de fautes d'impreffion , dangereufes dans
» un Ouvrage de cette nature , qui traite de la
Médecine , de la Chirurgie , de la Pharmacie ,
DE FRANCE. 235
35 & c . où la plus légère erreur peut avoir les
conféquences les plus funcites «?
כ כ
C'est au Sr. Laporte feul , Imprimeur , rue des
Noyers , qu'il faut s'adreffer pour la Soufcription
de tous les Dictionnaires févarés de l'Encyclopédie
par ordre de matières , Edition de Paris. Il en a
déjà mis en vente 9 Volumes ; il en paroîtra 25
à 30 cette année . Nous avons indiqué dans le
Profpetus , qui fe diftribue chez lui gratis , les
raifons qui nous ont déterminés à le charger feul
de cette grande opération .
Paris, 18 Mai 1789.
ANNONCES ET NOTICES.
ENTENDONS - NOUs ! Differtation fur le Mémoire
des Princes , préfenté au Roi ; par M. B ..
de C *** . Brochure de 15 pages. Prix , 8 f. A
kondres ; & fe trouve à Paris, chez Lagrange ,
Libr. rue St-Honoré , vis-à-vis le Lycée.
1
Lettre à M. Necker , Miniftre des Finances.
Brochure in-8 de 16 pages ; par M. Bauly de
C*** , Membre de plufieurs Sociétés Académi
ques , &c. 28. édition. A Paris , chez Lagrange ,
Libr. rue St-Honoré , vis -à-vis le Lycée.
Confidérations fur l'ancienneté de l'existence du
Tiers- Etat , & fur les caufes de la fufpenfion de
fes droits pendant un temps ; fur l'Inftitution des
Communes, & fur les ffets qu'elles ont produits.
Par M. G. D. S. Brochure in- 8 °. de 118 pages.
A Paris , chez Barrois l'aîné , Libr . quai des Auguftins.
C
1
236
MERCURE
Lettre au Roi , contenant un projet pour liquider
en peu d'années toutes les dettes de l'Etat
en foulageant dès à préfent le Peuple du fardeau
des impofitions ; par M. Mercier , Officier du
Corps- des-Logis de la Reine . Brochure in- 12 de
125 pages. A Amfterdam ; & fe trouve à Paris ,'
chez Bleuet , Libr. pont St-Michel ; & chez les
Marchands de Nouveautés.
Tableau représentatif des revenus portés au Tréfor
Royal, & des dépenfes qu'on y a payées
fuivant le Compte rendu au Roi en 1781 , par
M. Necker , en une grande feuille . Prix , 2 liv.
A Paris , chez l'Auteur , M. Nocl , rue du Four-
St - Honoré , No. 85 , maifon du Boulanger , au
deffus de l'entrefol.
Effai d'un Citoyen , nouvelle édition . Brochure
in-8° . de 76 pages. A Paris , chez Gueffier jeune ,
Lib. rue du Hurepoix.
Cet Ouvrage , qui nous étoit échappé dans fa
nouyeauté, mérite l'attention du Public.
Lettres en vers , & Opufcules poétiques , &c. I
Vol. in- 12 ; par M. Coftard. A Londres ; & fe
trouve à Paris , chez Lagrange , Libr. rue Saint-
Honoré, vis-à - vis le Lycée . Prix , br. 2 liv. 8 f.
L'és fur l'administration de la Justice dans les
petites Villes & Bourgs de France , pour déterminer
la fuppreffion des Jurifdictions Seigneuriates ;
par M. Fouqueau de Puffy , Avocat. Brochure
in-89. de 133 pages. A Paris , chez God froy ,
Libr. quai des Auguftins ; & chez Debray , au
Palais- Royal , Nº. 235.
DE FRANCE. 237
E
Plan & reprefentation exacte de la Salle de
Bourbon au Louvre , ou fe tint l'Affemblée des
Etats- Généraux en 1614 , gravé d'après un Exemplaire
de la Bibliothèque du Roi , avec le céré
monial qui y fut obfervé , pour donner une idée
de ce qui fera pratiqué dans la Salle de Verfailles,
où doivent être affemblés les Etats- Généraux en
1789. Prix , 2 liv . 8 f. A Paris , chez Nyon l'aîné
& fils , Libr, rue du Jardiner,
Les Folies de mon Neveu , lequel eft arrivé de
Blois le 11 Février de cette année ; publiées &
mifes au jour le is Mars 1789. Brochure in- 8 ° .
de 96 pages, A Paris , chez Gueffier jeune , Lib ,
rue du Hurepoix .
Collection des principaux Auteurs Anglois , en
Anglois ; 17c. Livraiſon , contenant Keate's Account
ofthe Pelew Iflands. 1 Vol . in - 8 ° . Prix br .
3 liv. A Paris , chez Piffot , Libr . quai des Auguftins.
MM. les Soufcripteurs font priés de faire retirer
au plus tôt les Volumes qui leur manquent.
Effai d'une nouvelle Couverture en Tuiles fur
plancher & charpente, avec égouts formant terraffes;
compofé par le Sr. de Larue , Architecte , No. 1.
A Alançon , chez l'Auteur ; & à Paris , chez Barrois
l'aîné , Libr. quai des Auguftins.
> - Hiftoire de l'Europe moderne depuis l'irruption
des Peuples du Nord dans l'Empire Komain
, jufqu'à la paix de 1783 ; par N. de Bonnew.
llc. 2 Vol . in - 8 ° . A Genève ; & fe trouve chez
les principaux Libraires de l'Europe .
Nous reviendrons fur cet Ouvrage.
238
MERCURE
Mémoire préfenté au Confeil de la Guerre , au
fujet des Places fortes qui doivent être démolies
ou abandonnées ; ou Examen de cette quefon :
» Eft-il avantageux au Roi de France qu'il y ait
ades Places fortes fur les Frontières de fes Etats«?
Brochure in- 8 ° . de 46 pages. A Paris , chez Barrois
l'aîné , Libr. quai des Auguftins.
Effai fur la régénération phyfique , morale &
politique des Juifs ; Ouvrage couronné par la Société
Royale des Sciences & Arts de Metz , le 23
Août 1788 ; par M. Grégoire , Curé du Diocèle
de Metz , actuellement de la même Société. 1
Vel. in- 8 ° . A Merz ; & à Paris , chez Belin , Lib.
rue Saint-Jacques ; à Strasbourg , à la Librairie
Académique.
Hiftoire de la guerre de Jept ans , commencée
en 1756 , & terminée en 1763 ; par M. d'Archenholtz
, ancien Capitaire au fervice de Prule ;
traduite de l'Allemand , par M. le Baron de Bock.
2 Vel. in- 12 . Prix , 3 liv. 10 f. br. A Metz , chez
Devilly, Libr. rue Fournirue ; à Strasbourg , à la
Librairie Académique ; & à Paris , chez Belin ,
Lib. rue St -Jacques ; & Buiffon , hôtel de Coëtlofquet
, rue Haute-feuille .
De la Rédaction des Loix dans les Monarchies.
Ouvrage adreffé aux Etats -Généraux qui s'affemblerent
dans une Monarchie quelconque , in-8°.
Prix, 4 liv. 10 fols. A Amfterdam ; & fe trouve
à Paris , chez Laporte , Imp-Lib. , rue des Noyers.
Cet Ouvrage eft important dans les circonftances
actuelles.
Galerie du Palais Royal , gravée d'après les
Tableaux des différentes Ecoles qui la compofent,
avec un abrégé de la Vie des Peintres , & use
0
DE FRANCE. · 239
defcription hiftorique de chaque Tableau ; in-fol.
14e Livraifon. Prix , 12 lix . A Paris , chez J.
Couché , Graveur , rue Sainte-Hyacinthe , n ° 4 ,
& J. Brouillard , rue d'Argenteuil , n ° . 95.
Cette entreprife fi intéreſſante jouit toujours du
même fuccès.
Cette nouvelle Livraifon , aufli foignée que les
précédentes , contient l'Amour travaillantfon arc ,
par François Mazzola , dit le Parmefan ; Saint
Jean l'Evangélife , par Dominique Zampieri , dit
le Dominican ; les trois Déeffes , de Perrin Buonacorfi
, furnommé Perrin del Vaga ; la Sainte-
Famille , de Raphaël Sanzio d'Urbin ; le Sacrifi.e
dlac, de Michel- Ange Amerigi , furnommé le
Caravage; & les Ruines, de Bartholomé Bréenberg.
9. & 10. & dernière Livraisons des Estampes
pourles Euvres de Voltaire , in- 8 " . deffinées par
M. Moreau , & gravées fous la direction . A Paris ,
chez Saugrain, rue du Jardinet Saint - André- des-
Arts , maifon de M. Bailly , Sécretaire du Roi ; &
chez les principaux Libraires de l'Europe.
C'eft avec plaifir que nous annonçons au Public
que cette belle entreprife eft terminée avec le
même foin qu'elle a été commencée . M. Moreau ,
dont les talens font connus , vient encore d'ajouter
à la réputation , en ornant de fes deflins les Evres
des deux Génies les plus fécouds de la France .
Il fuffit de nommer les Artiftes qui ont gravé
dans cette Collection ; & le choix qu'en a fait
M. Moreau , eft une preuve de leur mérite .
MM. Lemire , Duclos , Simoner , Trière , Danbrun
, Delongueil , Belignon , Baquei , Halbou ,
Linger, Crontelle, Langlois jeune, Delan jeune ;
pour les portraits , M. Langlois l'ainé , Tdieu ,
Foffeycux , Maviez , Beiflou.
N. B. Le prix de ces deux dernières Livzaken
de 27 Etainpes , é de 19 liv. pour les Se-l'ariy
MERCURE DE FRANCE.
fouf-
240
teurs , & de 27 liv. pour ceux qui n'ont pas
crit ; il faut rapporter la quittance de foufription.
Chocolat à l'Espagnole. Prix , 6 liv . la livre de
16 onces. Chez le Sieur Duthu , Md. Epicier-
Droguifte , ne Saint- Denis , No. 272 , vis-à - vis
L'Eglife Sainte- Oppertune , à Paris .
Le Chocolat d'Espagne a joui de tous les temps
d'une réputation méritée. Le Chocolat à l'Efpagrole
, que nous annouçons , ne lui cède point en
qualité , & l'on en fera peu furpris en apprenant
qu'il fe fait & fe vend chez M. Dutku . Ses connoiffances
dans cette partic , fon intelligence &
fon zèle font connus. Au refte , fes excellens
Chocolats , foit gommeux pour les perfonnes qui
ont la poitrine délicate , foit de fanté avec vanille
ou fans vanille , jouiffent d'une eftime qui
doit établir un préjugé avantageux pour tout ce
qui fort de la Fabrique .
VEERS.
TA BL E.
Réponse.
Hifto re de Pauline.
Charade, Enig. & Log.
139 Hifoire de Sumatra.
194 La vrate Grandeur.
196 Pariétés.
211 Annonces & Notices.
213
217
253
235
J'AIΑΙ
APPROBATIO N.
A1 lu , par ordre de Mgr. le Garde des Sceaux,
le MERCURE DE FRANCE, pour le Samedi 30
Mai 1789. Je n'y ai rien trouvé qui puiffè
en empêcher l'impreflion. A Paris , le 29 Mai
1789.
SÉ LIS.
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
SUÈDE.
De Stockholm , le 30 avril 1789.
PEU de Diètes nationales auront été
plus mémorables que celle dont la clôture
s'est faite le 28 , après 86 jours de Séance .
Nous y avons vu la Majorité de la Noblesse
constamment liguée contre le reste
de l'Etat et contre son Chef ; une opposition
opiniâtre à tous les moyens de faire
respecter le royaume contre ses ennemis ;
et des orages qui , sans la fermeté du Roi ,
auroient replongé la Suède dans l'anarchie,
en la livrant sans ressources , sans
subsides , sans armée , et déchirée de factions,
aux entreprises de l'étranger .Laviolencedu
mal a fait employer des remèdes
non moins violens , et , jusqu'au bout , la
Jutte de la Majorité de la Noblesse avec le
Roi , a offert une suite de démarches inattendues
.
No. 22. 30 Mai 1789. i
(194 )
L'affaire des subsides et de la consolidation
de la dette nationale , paroissoit
terminée. Pour prévenir l'inquiétude sur
le terme de la durée des secours accordés
par la Diète , l'Ordre du Clergé avoit
adopté l'avis modéré que voici :
ແ Que cet Ordre avoit accordé fon confentement
à ce qui avoit été propofé & accordé par
la Commiffion fecrette ; mais qu'il s'étoit réſervé
le droit de pouvoir eftreindre le terme de la durée
de ce confentement , ou de le prolonger jusqu'à
la prochaine Diète , conformément à la conftitu
tion du Gouvernement ; que cependant ce terme
lui paroiffant trop indéterminé pour une furcharge
auffi onéreufe , le Clergé propofoit : Qu'on fup.
plieroit le Roi , au cas qu'une Affemblée des Etats
ne pût avoir lieu de fitôt , de nommer & de
choifir quelques perfonnes de chaque Ordre , pour
former une Commiffion particulière , qui feroit
chargée de répartir les taxes fuivant les circonsde
les diminuer lorfqu'il y auroit poffibilité
, mais fans , pouvoir jamais les augmenter de
fon chef ; qu'au refte , le Clergé avoit porté à 30
le nombre des Membres de cette Commiffion , »
tances ,
Cette proposition , portée à la Chambre
de la Noblesse , y rencontra la plus
forte opposition . Le Baron Duwall , qui
à chaque Séance a usé de toute la liberté
que lui donnoit son droit de Séance dans
cette Assemblée , représenta la Motion
du Clergé comme contraire aux principes
de la Monarchie , comme instituant
une Commission corruptrice , comme
mettant les impôts à la discrétion du
Roi, Dans la même Séance , le Baron
( 195 )
de Bielke demanda qu'on refusât au
Comte de Lovenhaupt l'honneur de faire
faire son portrait aux frais de la Chambre ,
comme cela se pratique envers le Maréchal
de chaque Diète. Cet affront fut
sanctionné , et suivi de la rédaction d'un
Mémoire au Roi , pour obtenir la fixation
d'un terme aux nouvelles taxes ,
en rejetant l'ouverture conciliatoire du
Clergé .
Après la lecture et l'examen de cé Mémoire
, le Roi chargea le Vice- Maréchal
de la Diète de remettre à la Noblesse la
Déclaration suivante :
En réponse à la demande que l'Ordre Equeſtre
& la Nobleffe ont fait faire par le Vice - Maréchal ,
il faut obferver: « Que le § xxxvii de la forme
» de Gouvernement , de clairement que per-
» foane , excepté le Roi feul , n'au à le droit de
» convoquer les Etats du Royaume , pour que'-
» que caufe ou motif que ce puiile être. » C'étoit
donc une illufion faite en fraude des Loix , qui portoit
un préjudice dire&t aux drois du Roi , &
qui anéantifloit les fondemens de la Conſtitution ,
lorfqu'on a voulu fixer une époque déterminée , où
cefferoit la contribution pour l'extinction de ' a dette
nationale , à laquelle l'ordre Equeftre & la Nobleife
s'étoient engagés. Par conséquent l'on ne fauroit
fixer d'autre teraie que fimplement jufqu'à la Ditte
la plus prochaine . Mais quand même les Loix ne
porteroient point cette claufe expreffe , la fituation
préfente du Royaume exige pourtant que les ennemis
ne foient pas informés de l'époque précife
à laquelle les Etats doivent de nouveau s'aiſembler.
Il eſt de mon devoir de ne point cacher la vérité
à mon Peuple , & je me contidérercis conme par-
-
i ij
( 196 )
jure envers l'Etat , je ne lui expofois point
les dangers qui menaceroient l'indépendance da
Royaume , au cas que les ennemis fe trouvaſſent
à même de pouvoir former leurs entreprises à un
certain temps , & s'ils pouvoient fe fervir de cette
connoiffance pour profiter de nos divifions intérieures
. Ce qui s'eft paffé l'année dernière , tant en
Finlande , qu'à l'occafion de l'invafion dans le coeur
du Royaume , démontre allez la politique que
les ennemis favent fi bien employer à leur avantage.
Les Protocolles déja imprimés , font affez voir ies
inftigations des ennemis ; & d'après ce que je fais ,
d'après les connoiffances que j'ai des intérêts étrangers
, je tiens tout ce qui peut avancer ainfi les vues
de nos adverfaires & de nos ennemis , pour hautement
dangereux à l'indépendance de l'État .

Cependant , en expofant avec fianchi e ces circonftances
à l'ordre Equeſtre & à la Nobletfe , je
fens néanmoins une folicitude fincère à la vue du
fardeau que mes fidèles Sujets feront obligés de
porter. Je reconnois la néceffité de trouver des reffources
, au moyen deſquelles ( fans violer les Loix
conftitutionnelles ) le poids des contributions , que
la fitnation du Royaume rend néceffaires , foit
allégé & réparti d'une manière égale . J'ai déja fait
déclarer par les Membres du Comité fecret « que
» je m'emprefferai de toute manière à diminuer ces
» dépenses ; que je remettrai le provenu des Sub-
" fides à attendre, entre les mains du comptoir des
» Etais ; » & je réitère ici ces affurances . Le vénérable
Clergé a propoſé un moyen qui réunit l'avantage
de répartir les contributions d'une manière
plus égale , avec le reſpect dû au maintien des droits
de la Royauté ; favoir , de convoquer tous les trois
ans un Comité pour la révifion des confentemens .
Je propofe donc auffi ce moyen à l'ordre Equeftre.
& à la Nobleffe pour l'accepter , ainfi qu'il eft déatillé
dans l'extrait du Protocolle de l'Ordre de
( 197 )
l'Eglife. C'eft de toutes les voies la meilleure & la
pus à préférer , pour remplir le but commun de
foulager le pays , fans rifquer l'indépendance du
Royaume. Je laiffe donc à l'ordre Equeftre & à la
Nobleffe , s'ils veulent choisir comme Membres de
de Comité , quatre , trois ou deux Propriétaires
fonciers de chaque Gouvernement , fuivant la propórtion
des biens nobles dans chacun , où les
voix peuvent être comptées d'après l'étendue des
poffeffions .
Stockholm , au Château-Royal, le 23 avril 1789.
Signé , GUSTAVE.
Cette réponse du Roi fut imprimée et
distribuée au nombre de dix mille exemplaires.
Le Clergé , la Bourgeoisie et les
Paysans confirmèrent unanimement leurs
résolutions ; mais la Noblesse demeura inflexible
, elle traita même le Vice -Maréchal
de la Diète avec une dureté contraire.
à la décence . Cependant la saison s'avançoit
, les opérations de guerre ne pouvoient
souffrir de retard. Pour mettre fin
aux lenteurs et à l'obstination de la Noblesse
, le Roi se rendit , le 27 , sans
suite et sans gardes , à l'Assemblée de
cet Ordre . Cette démarche de Sa Majesté
, imprévue et décisive , fut soutenue
d'un discours ferme , énergique et
touchant. Le langage et la présence du
Chef de l'Etat en imposèrent , et l'Ordre
accéda à l'arrêté déja consenti des trois
autres Chambres . Le Roi revint au Palais
aux applaudissemens redoublés de
la multitude , et le même jour le Baron
d'Ugglas , Hérault du royaume , pre-
1 11
( 198 )
clama la clôture de la Diète pour le lendemain.
Effectivement , le 28 , cette Assemblée
fut dissoute à la suite d'un sermon
prononcé par l'Evêque Gadolin.
Les Comtes de Fersen et de Horn et le
Baron de Geer , arrêtés le 20 février dernier
, ont obtenu leur liberté le 30 avril.
Les autres Membres de la Noblesse sont
encore détenus à Frédéricshof. - L'instruction
du procès des Officiers de l'armée
Fianoise se poursuit sans interruption
.
Le Roi partit le 3 pour Gothenbourg.
Le Duc de Sudermanie prendra le commandement
de l'armée en Finlande , et
l'Amiral Comte de Wrangel , celui de
l'escadre de Carlscrone.
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 12 mai.
Le but des négociations actives qui
tendoient à détacher le Danemarck des
intérêts de la Russie dans la guerre présente
, et de le ramener au rôle de
spectateur , est maintenant rempli. Un
Courrier expédié , le 3 , de Copenhague
à Pétersbourg , a dû y porter la
nouvelle de cette résolution du Gouvernement
Danois. Malgré tout ce que
les Gazettes publioient de contraire ,
malgré le détail des armemens de terre
et de mer à Copenhague , et qu'on disoit
( 199 )
prêts à agir , nous avons persisté à tenir
nos Lecteurs en garde contre les assertions
des Papiers publics. L'évènement
vient de justifier notre prudence. La réponse
définitive du Cabinet Danois a
été portée à Berlin , par le Chasseur
Bock , qui avant-hier a traversé notre
ville .
On jugera parfaitement des motifs sur
lesquels les Cours de Londres et de Berlin
ont fondé leurs instances auprès de celle
de Danemarck , pour la déterminer à
une parfaite neutralité sur mer et sur
terre , par la déclaration , en forme épistolaire
, que M. Elliot , Ministre Britannique
, remit , le 23 avril , au premier
Ministre Danois Comte de Bernstorff.
" J'acquiefce au défir qu'a manifefté V. E, de
recevoir par écrit le fommaire des repréſentations
que j'ai eu l'honneur de lui faire verbalement ,
fuivant les ordres de ma Cour . »
« V. E. voudra bien fe rappeler qu'à l'inftant
où le Roi de Danemarck a joint une partie de fes
forces de terre & de mer, en qualité d'auxiliaires ,
à celles de la Ruffie , S. M. D. a demandé l'intervention
de S. M. B. pour rétablir la bonne intelligence
entre la Ruffie & la Suède . »
" C'eft avec le plus vif chagrin que je me
vois obligé de rappeler au fouvenir de V. É.
l'Impératrice de Ruffie a jugé à propos de refufer
la médiation du Roi & de fes Alliés , & que
ce refus a été l'unique caufe de la continuation
des hoftilités , puifque S. M. le Roi de Suède a
accepté , de la manière la plus franche & la plus
amicale , la médiation qui lui a été offerte par
trois Puiffances , animées du défir d'épargner le
i iv.
( 200 )
fang humain , & de maintenir l'équilibre dans le
Nord. "
« V. E. a été témoin des mefures vigoureufes
que le Roi & fes Alliés ont mis en ufage pour prouver
d'une manière inconteftable qu'ils prenoient
le plus grand intérêt au falut de la Suède ; elle a
vu que ces Puiffances fe font mutuellement efforcées
à'obtenir une ceffation d'hoftilités de la part des
forces navales & des troupes de terre de S. M.S.
employées dans la dernière campagne , & que
ces efforts ont été fuivis des plus falutaires
effets, »
« Le Roi mon maître voit avec pe ne que ,
depuis cette époque , les offres réitérées de médiation
& de fervices qui ont été faites par lui &
fes Alliés , n'ont pas produit l'effet qui en étoit
attendu , & que l'impératrice perfifte à ne pas
agréer cette médiation pour le rétabliſſement de
la paix dans le Nord , & à l'Orient de l'Europe.
»
« La Ruffie refufant donc toute eſpèce de médiation
, & ce refus étant l'unique caufe de la confinuation
de la guerre , S. M. Britannique & fes
Alliés croient devoir repréfenter fortement à la
Cour de Danemarck , qu'elle ne leur paroît aucunement
engagée par les claufes d'un traité pirement
défenfif , & que même , dans la circonftance
actuelle, lajonction des troupesDanoifes ,parterre ou
parmer, à celles de la Ruffie, mettroit le Danemarck
dans le cas d'être regardé comme une des Puiffances
belligérantes , & ne pourroit que juftifier la
demande que feroit le Roi de Suède d'un fecours
prompt & efficace de S. M. B. & de fes Alliés ,
dont S. M. S. a accepté pleinement & formellement
la médiation . »
D'après la fincérité des intentions que j'ai toujours
remarquée en faveur d'une Cour qui eft l'alliée
& l'amie de la Grande-Bretagne , je dois vous
( 201 )
affurer , Monfieur, que ni l'Angleterre , ni fes allice
ne peuvent renoncer au fyftême qu'ils on adopté , &
dont l'unique objet eft de maintenir l'équilibre
dans le Nord ; équilibre qui n'intéreffe pas moins
le Danemarck que toutes les Puiffances maritimes
& commerçantes. »
« Je ne doute pas que V. E. ne preffente le peu
d'avantages que l'Impératrice retirercit du traité
conclu entre Eile & votre Cour , que'que favorable
qu'en fûr l'interprétation , fi elle donnoit lieu à
une coalition vigoureufe des trois Puiflances , par
terre & par mer , en faveur de la Suède ; & je fuis
perfuadé que la cour de Copenhague a des vues
trop fages & des intentions trop modérées pour s'expofer
, elle & la Ruffie , à voir tourner contre elles
les armes de Puiffances qui ne défirent que la paix ,
& qui cherchent à la fixer fur les fondemens les
plus folides , & à la rendre avantageufe à toutes les
parties intéreffées . »
" En conféquence , je dois vous folliciter expreffément
, Monfieur , de la part du Roi & de fes alliés ,
d'engager la cour de Danemarck à ne pas permettre
que fes troupes ,, par terre ou par mer , agiffent
contre la Suède d'une manière offenfive , en fe
prévalant d'un traité qui n'eſt que défenfif ; d'obferver
au contraire une neutralité parfaite dans
toutes les provinces & fur toutes les mers qui font
fous la domination de S. M. D. »
» Soyez affuré , Monfieur , qu'auffitôt que la
Cour de Danemarck aura pris une réſolution fi
conforme aux défirs des Puiffances quifont fes véri
tables amies , le Roi mon maître fera infiniment
flatté de voir S. M. D. concourir avec lui à l'établiffement
d une paix générale. J'ofe ajouter que V. E.
connoît depuis trop long-tems les véritables intérêts .
de la Ruffie & le fyftême politique de la Grande-
Bretagne , pour ne pas être convaincue que l'Impératrice
de Ruffie ne peut choifir de médiation plus
i v
( 202 )
"
fûre que celle de la cour Britannique & de fes alliés .
Je fuis chargé de demander à V. E. use réponſe
claire & décifive fur les intentions de S. M. D. relativement
à la jonction d'une partie de fes forces ,
par terre ou par mer , à celles de Sa Majefté Impératrice
de Ruffie , & de propofer au Danemarck
l'adoption d'une neutralité parfaite fur terre & fur
mer , fous la promeffe pofitive d'être garanti de
tous évènemens , de la part de la Grande Bretagne
& de fes Alliés. »
"« Le défir de prévenir toute efpèce d'animofité ,
m'a fait choisir le parti de m'adreſſer à V. E. dans
une lettre particulière , de préférence à celui de vous
remettre une déclaration formelle , dont le contenu
auroit pu acquérir plus de publicité que les circonftances
ne l'exigent . Mais, quelle que foit l'iffue de ma
négociation , j'ofe me flatter que V. E. me rendra la
juftice de convenir quejen'ai rien négligé pour prévenir
les malheurs de la guerre. Puiffent nos efforts
réunis rappeler dans le coeur des Souverains qui ont
pris les armes , une fincère affection pour leurs fujets ,
trop malheureufes victimes de ce chimérique amour
de la gloire , qui a fi fouvent , fans aucune néceffité
, fouillé l'Europe du fang des hommes ! "
Signé , ELLIOT.
De Vienne , lele 9 mai.
Le 3 de ce mois , le Baron de Celsing,
Ministre Plénipotentiaire de Suède auprès
de la Cour Impériale , a pris congé
de l'Empereur , de l'Archiduc François
et de l'Archiduchesse son épouse . Il re
tourne dans sa patrie pour des affaires.
de famille , et a obtenu , à cet effet , l'a- ·
grément de son Souverain .
Le Maréchal de Haddick arriva le
29 avril à Bude ; il a continué le 1º . de
( 203 )
ce mois son voyage pour l'armée de Syrmie.
Le 4 , le Maréchal de Laudhon est
parti de cette capitale , allant prendre le
commandement de l'armée en Croatie .
Le Supplément de la Gazette d'aujourd'hui rend
compte d'une dépêche du Prince de Cobourg, dont
voici la fubftance.
» Le 27 avril , une divifion de troupes Ruf-,
fes , fous les ordres du Général de Dorfelden ,
furprit un corps de Turcs près de Mafcinemi ,
fur la rive gauche du Screth , & le battit complettement.
Peu de Turcs ont pu fe fauver ; un
grand nombre ont été faits prifonniers , parmi lefquels
fe trouvent deux Pachas , dont l'un eft Jakub
Aga. Les canons de l'ennemi font tombés entre
les mains des Ruffes. Après cette défaite , uze
partie du corps Ruffe paſſa le pont qui fut jeté
près de Mafcinemi , avança dans la Valachie , &
s'empara de plufieurs magafins. Un autre détachement
a été envoyé à Gallaz pour attaquer les 300
Turcs qui y font en garnifon. »
-
Un corps de 30,000 hommes doit joindre dans la
Tranfylvanie le Prince de Cobourg , qui fe propofe
enfuite de marcher vers Bukarest , conjointement
avec les Ruffes. La caiffe militaire a été transférée
à Suczawa . On apprend de Choczim qu'une
armée ennemie de 72,000 hommes eft en marche
vers la Moldavie . Cet avis a fait hâter les travaux
dans cette fortereffe, dont la garnifon fera augmentée
de 6,000 hommes , dont quatre de cavalerie .
Les fièvres putrides enlèvent beaucoup de monde
dans la haute Hongrie & en Croatie . Les Turcs
ont mis le feu à cinq villages de cette dernière
province , tué les habitans en état de porter les
armes , & emmené comme efclaves 104 garçons
& femmes: ils fe font emparés en même-temps .
de 600 bêtes à cornes , de 108 chevaux , &c.
---
i vj
( 204 )
; Le quartier général de l'armée de la Croatie
fera tranféré à Szlein ; le Baron de Rouvroi en
commandera l'artillerie , & le Général de Blankeft.
in la cavalerie.
La mort du Grand- Seigneur Abdul-
Hamed IV est pleinement confirmée .
Cet Empereur , âgé de 64 ans , d'un caractère
mou , d'un esprit foible , et d'une
santé énervée , régnoit depuis 1774. Son
successeur et son neveu le Prince Selim,
est fils de Mustapha III : il monte sur
le trône âgé de 28 ans , et prendra le
nom de Sélim III. Depuis plusieurs
années il avoit été retiré du sérail , et a
reçu une meilleure éducation que ses prédécesseurs.
On s'attend à le voir incessamment
à la tête de l'armée : il a
les inclinations guerrières , et a paru
très-sensible aux humiliations passées de
Empire Ottoman .
Le nouveau Sultan a confirmé dans
leurs charges le Kaïmacan actuel , et
tous les autres Ministres ou Officiers.
Dans un Hatti- Chérif, lu en présence
de tout le Ministère et des Grands Offi
ciers de l'Empire , Sa Haut. a ratifié les
dispositions de la campagne prochaine
déclarant son intention de continuer la
guerre , menaçant de sa colère les lâches
et les prévaricateurs , et promettant sa
bienveillance à ceux qui serviront l'Empire
avec fidélité.
+
( 205 )
GRANDE - BRETAGNE.
De Londres , le 21 mai.
Le Journal du Parlement nous offre ,
pendant la huitaine dernière , deux objets
de délibérations , dignes de fixer les
yeux de l'Europe entière. Le premier, que
nous avons annoncé antérieurement ,
concerne la suppression de la Traite des
Negres . On se rappelle qu'une foule de
Pétitions particulières , inspirées par
l'enthousiasme ou par l'esprit de justice ,
furent présentées les deux années précédentes
à la Chambre des Communes ,
pour solliciter l'anéantissement de ce
trafic. Une multitude d'écrits vinrent
à l'appui de ces Requêtes , combattues
à leur tour par des Pétitions opposées ,
de la part des planteurs et des intéressés
au commerce d'Afrique et des Antilles.
La partie n'étoit pas égale entre ces deux
classes de Pétitionnaires contradictoires :
les uns demandoient la suppression d'um
commerce odieux , dans lequel , d'ailleurs,
ni leur fortune , ni leurs affaires n'étoient
impliquées ; les autres défendoient leurs
intérêts personnels , très-puissans , fondés
sur ce même trafic la générosité des
premiers n'emportoit donc aucun sacrifice
de leur part ; la résistance des seconds
avoit pour motif la crainte de
acrifices à faire à la justice naturelle..
:
( 206 )
1
Il est aisé d'apercevoir que ni le Gou
vernement , ni le Corps législatif, après
avoir eu le tort de souffrir , d'encourager
- de sanctionner la Traite des Nègres , ne
pouvoient , dans un pays libre où les
propriétés sont sous l'égide de lois inviolables
, revenir brusquement sur leur
erreur passée , ni renverser , uniquement
par esprit de philantropie , la
fortune et les établissemens d'une classe
nombreuse de Sujets Britanniques , excités
par le Parlement lui-même , en
divers temps , à placer leurs capitaux
et leur industrie dans le commerce qui
n'eût jamais dû éprouver les faveurs d'aucune
administration .
Aussi , celle d'Angleterre ne se laissant
pas subjuguer par cette reine de la
sottise , par cette mère féconde de toutes.
les méprises populaires , par l'OPINION
DU JOUR , s'est pénétrée de deux vérités ;
la première , qu'un examen des faits ,
lent et approfondi , devoit précéder le
jour où éloquence en appuieroit le
résultat ; la seconde , qu'on ne parviendroit
jamais à faire révoquer la Traite
des Nègres , sans prouver qu'elle offensoit
à la fois l'humanité et le commerce
national , ni sans présenter à celui - ci
des moyens plausibles de suppléer à l'utilité
présumée de l'importation des Nègres
aux Colonies Britanniques.
Pour remplir cette double vue , le
Conseil Privé, dirigé principalement par
1
( 207 )
les lumières de Milord Hawkesbury ;
l'homme d'Angleterre le plus versé dans
l'économie du commerce , a recueilli
tous les documens nécessaires ; il a rédigé
un Rapport imprimé à l'usage des Communes
, et qui forme un volume in-folio
de faits , de preuves , de tables , et d'états
de calcul . Un pareil ouvrage peut seul
fonder la certitude des raisonnemens ,
et écarter de la délibération les verbiages
déclamatoires.
Ce Rapport est l'arsenal dont les
armés décideront la question : il paroît
avoir puissamment aidé M. Wilberforce
, ami de M. Pitt , qui , le 12 , soumit
à la discussion de la Chambre des
Communes , douze propositions , dont la
vérité une fois constatée , doit entraîner
la suppression de la Traite des Nègres .
En voici la traduction littérale :
« I. Que le nombre d'Efclaves exportés annuellement
de la côte d'Afrique fur des vaiffeaux Anglois
, eft fuppofé monter à environ 38,000 . » }
« Que le nombre tranſporté annuellement aux
Isles Angloifes des Indes Occidentales , s'eft trouvé
d'environ 22,500 , d'après le calcul de quatre années
, juſqu'en 1787 inclufivement . »
« Que le nombre d'Efclaves gardés dans ces
Ifles , monte , à ce qu'il paroît , d'après le même
calcul fait fur les regiftres des douanes , à près
de 17,500.
« II. Qu'il eft conftaté que le plus grand nombre de
Nègres enlevés par les vaiffeaux Encopéens , vient
de l'intérieur du continent de l'Afrique , & beaucoup
de ces malheureux de lieux fort éloignés ».
( 208 )
« Qu'il ne paroît pas qu'on ait pu fe procurer
de renfeigenens exacts fur la manière dont ils
ont été faits efclaves. »
Mais que d'après les mémoires fournis relati-
"vement aux Efclaves achetés dans l'intérieur de
VAfrique , & les informations reçues des pays
prés de la côte , on peut en général ranger les
Efclaves fous les quatre dénominations fuivantes :
1 °. Les Nègres faits prifonniers de guerre.
2º. Les perfonnes libres , vendues pour dettes
ou pour crimes réels ou fictifs , particulièrement
pour adultère ou pour forcelletie ; cas dans lef
quels il est très - orainaire de vendre toute la famille
, & quelquefois même au profit de ceux
qui l'ont condamnée.
3º. Les Esclaves vendus au profit de leurs maîtres
, dans quelques endroits à la fimple volonté
de ces maîtres , & dans d'autres fur leurs fentences
pour crimes réels ou imputés.
4°. Les perfonnes faites Efclaves par différens
actes d'oppreffion ou de fraude , commis par les
Princes ou les Chefs de ces contrées , fur leurs
fujets , foit par des individus qui fe vendent l'un
l'autre , foit enfin par les Européens occupés de
ce commerce . »
« III . Que le commerce fait par les Européens
fur les côtes d'Afrique , pour fe procurer des Efclaves
, tend néceffairement à élever des guerrescruelles
& fréquentes entre les naturels , à faire
punir fous de faux prétextes , pour crimes prétendus
ou exagérés , à encourager les actes d'oppreffion
, de violence & de fraude , & à mettre
obftacle à la marche de la civilifation & de la
perfection de l'efpèce humaine dans ces contrées » .
« IV. Que le continent de l'Afrique , dans fon
état actuel , fournit différens articles d'échange de
la plus grande importance pour le commerce &
les manufactures de ce royaume , & dont le plus
( 209 )
grand nombre eft propre à cette partie du globe :
qu'on a trouvé par expérience le fol & le climat
très-favorables à la production d'autres articles que
nous fourniffent entièrement ou en très- grande
partie les nations étrangères. »
Qu'on pourroit probablement fubftituer un
commerce très-étendu avec l'Afrique , à celui que
nous faifons aujourd'hui fur les Efclaves , & le
porter affez haut pour en tirer annuellement au
moins le même profit que celui qu'ont fait juſqu'ici
les vaiffeaux Anglois ; & enfin , qu'on pour
roit raisonnablement s'attendre à voir ce cmmerce
s'agrandir en proportion des progrès que la civilifation
feroit fur ce continent ».
« V. Qu'on a également reconnu par expérience
, que la traite des Nègres e fingulièrement
nuifible & funefte aux matelots Anglois qui y ont
été employés , & que la mortalité s'eft trouvée
beaucoup plus grande que fur les vaiffeaux de Sa
Majefté , ftationnés fur la côte d'Afrique , ou
qu'elle n'a coutume de l'être fur les vaiffeaux Anglois
fervant à tout autre commerce . »
« VI. Que la manière de tranſporter les Eſclaves
d'Afrique aux Indes Occidentales , les expofe
néceffairement à un grand nombre de maladies
fâcheufes , qu'aucuns réglemens ne fauroient prévenir
ou combattre ; & qu'en conféquence on en
a perdu annuellement un grand nombre pendant
la traversée ».
« VII. Qu'il a auffi péri -un grand nombre d'Efclaves
tranfportés de cette manière dans les havres
des Indes Occidentales , avant qu'on les mit
en vente que l'affemblée des propriétaires de la
Jamaïque évalue cette perte à quatre & demi pour
cent du nombre des E claves importés ; & que
des médecins expérimentés de cette Isle l'attribuent
en grande partie aux maladies contractées
pendant le voyage , & au traitement palliatif &
( 210 )
répercuffif fait à bord pour mettre les Nègres en
état d'être vendus fans qu'on s'aperçoive fur le
champ des défauts qui empêcheroient de les acheter.
"
* VIII. Que la perte des Efclaves récemment
importés fe trouve , dans les trois premières années
, très- conſidérable - relativement à la fomme
totale des importations . »
« IX. Que l'accroiffement naturel de la popu'ation
des E claves dans les Isles , paroît avoir
été arrêté jufqu'ici , principalemeat , par les caufes
fuivantes :
1°. L'inégale proportion du nombre d'invidus
de chaque fexe.
2°. Le libertinage effréné des Efclaves , & le
défaut de réglemens propres à encourager les ma
riages & l'éducation des enfans.
3. Les maladies particulières qui dominent
chez les Nègres , & que l'on attribue dans quelques
cas aux travaux exceflifs ou au traitement
trop rigoureux , & dans d'autres , à une nourriture
infuffifante ou peu convenable.
4°. Les maladies qui affectent le plus grand
nombre des Nègres dans leur enfance , & celles
auxquelles on a découvert que les Efclaves récemment
importés étoient particulièrement fujets.
« X. Qu'en 1768 , tout le nombre d'Esclaves à
la Jamaïque étoit d'environ 167,000. »
« Qu'en 1774 , le Gouverneur Keith porto
ce même nombre à 193,000. »
« Et qu'en Décembre 1787 , le vice -Gouverneur
Clarke le faifoit monter 256,000. "
« Qu'en comparant ces nombres avec ceux des
Efclaves importés & gardés dans l'Isle en différen
tes années , depuis 1768 jufqu'à 1774 , inclufivement,
nombres eftimés, d'après les mémoires que
M. Fuller a remis au Comité du commerce , &
dans la ſuite d'années depuis 1775 juſqu'à 1787
( 211 )
la première & la dernière y compriſes , auffi eftimés
d'après les mémoires remis au même Comité
par l'Ipectcur-général , où it compte une perte
d'un vingt - deuxième de Nègres morts fur les
vaiffeaux après leur entrée , perte certifiée dans
le rapport des proprié.aites de la Jamaïque , il
paroît que l'excédert annuel des morts fur les naifances
a été dans cette Isle , durant le cours de
dix-neuf ans , dans la proportion d'environ ſept
huitièmes par cert , en prenant pour baſe de ce
calcul , le nombre moyen d'Eſclaver exiflars dans
cetre Isle durant ce période ; que dans les derniers
treize ans de ces dix neuf , l'excédent des morts s'eft
trouvé dans la proportion de trois cinquièmes fur
chaque cent de nombre moyen : & qu'il confte
par le rapport de l'affer b'ée des propriétaires de
Ja Jamaïque , qu'il a péri dans le dernier période
15,000 Nègres , foit par les ouragars répétés ,
foit par le manque de provifions , qu'il faut néceffairement
tirer du dehors . "
« Que fuivant les comptes remis au Comité de
commerce , par M. Braithwaite , le nombre des
Nègres de la Barbade montoit , en 1764 , à.70,706.
Qu'en 1774 , le nombre étoit , d'après
les mêmes comptes , de ....
En 1780 , toujours fuivant M. Braithwaite
, de..
En 1781 , après l'ouragan , de .
En 1786 , de.. ....
... 74,874.
68,270.
63,248 .
... 62,115.
« Qu'en comparant ces nombres avec le total
des importations dans cette Isle , & fans en rien
déduire pour aucune réexportation , dont il n'eſt
pas queftion dans les comptes de M. Braithwaite ,
l'excédent annuel des morts fur les naiffances ,
en dix années , à partir de 1764 jufqu'en 1774 , a
été dans la proportion d'environ cinq par cent ,
en prenant toujours pour baſe du calcul le nom(
212 )
bre moyen de Nègres exiitans dans l'Ifle durant ce
période. »
« Que dans les fept années à compter depuis
le commencement de 1774 jufqu'à la fin de
1780 , l'excédent des morts a été dans la proportion
d'environ un & un tiers fur chaque cent du nom
bre moyen. "
.
« Que le nombre des Nègres paroît avoir diminué
de 5,000 dans le court efpace de 1780 à 1781. »
" Que dans les fix années à partir du commencement
de 1781 à 1786 , l'excédent des morts a été
dans la proportion , ou plutôt un peu au - deſſous
de fept huitièmes fur chaque cent du nombre
moyen. »
« Que dans le laps de quatre années à compter
du commencement de 1783 à 1786 , l'excédent
des moris a été dans la proportion ou plutôt un
peu au- deffous d'un tiers fur chaque cent du nombre
moyen. "
« Et qu'enfin il n'eft pas douteux qu'on n'ait
exporté durant ce période , quelques Nègres hors
de l'Ifle , mais beaucoup plus dans les dernières années
que dans les premières. »
« XII. Queles mémoires des Ifles fous -le-vent ,
de la Dominique , de la Grenade & de St. Vincent
, ne fourniffent pas de bafe fuffifante pour
comparer l'état de la population dans lefdites Iſles
à différens périodes , avec le nombre de Nègres
qu'on y a importé de temps en temps , & qu'on
en a exporté ; mais que , d'après les témoignages
reçus relativement à l'état préfent de ces les ,
de la Jamaïque & de la Barbade , & d'après la confidération
des moyens d'obvier aux caufes qui y
ont empêché , jufqu'ici , l'accroiffement naturel des
Nègres , & de diminuer les demandes pour le travail
manuel , fans diminuer le profit du planteur ,
il paroît qu'on pourroit , fans inconvénient confidérable
ou permanent , ceffer d'aller acheter des
( 213 )
Nègres fur la côte d'Afrique , pour les importer
dans ces Ifles . »
Un discours de M. Wilberforce servit
de préface générale à ces douze Chefs ,
dont l'impression fut résolue , et l'examen
fixé à jeudi 21. Les débats ne deviendront
sérieux que ce jour-là ceux
qui eurent lieu sur la Motion préliminaire
de M. Wilberforce , furent irréguliers
et sans but déterminé. Il est à
remarquer que M. Pitt adhéra à l'avis
de l'Orateur que nous venons de nom--
mer , et dont nous ne rapportons pas le
discours , comme ne renfermant que des
argumens trop généraux ; sa substance ,
d'ailleurs , se trouve dans les propositions
qu'on vient de lire.
Le second objet intéressant de délibération
que nous avons annoncé , est
ime Pétition des Catholiques - Romains
dans la Grande-Bretagne , remise , le 7,
aux Communes par M. Villiers , frère
du Comte de Clarendon , et Membre
de la Chambre. Les Requérans y désavouent
explicitement les dogmes dangereux
, imputés ci - devant aux Papistes
des trois royaumes , tels que la
suprématie du Pape , son pouvoir d'excommunier
les Princes , et d'absoudre
les régicides , les traitres , les rebelles à
l'autorité de la Couronne et du Parlement
Britanniques , etc. En signant cette
protestation et de désaveu , les Catholi(
214 )
ques-Romains déclarent leur horreur de
pareils principes , et demandent que les
lois contre le Papisme , fondées sur le
danger de ces dogmes , soient réformées
de telle manière que la Chambre le jugera
convenable . Ces lois , en effet , supposant
une distinction entre les Papistes
et les Catholiques-Romains proprement
dits , ne sont plus applicables à
ces derniers ; ils ont droit maintenant à
un Etat civil , tel que celui dont jouissent
tous les autres Non -Conformistes . Milord
Stanhope , défenseur de la Pétition
dans la Chambre Haute , y a déja parlé ,
le 18, en faveur des Catholiques- Romains,
en proposant un Bill révocatoire de divers
autres statuts pénals , tombés , il
est vrai , en désuétude , mais qu'il est
temps d'abroger formellement . L'impres
sion de ce Bill a été ordonnée , et les
Pairs se sont ajournés pour en entendue
la seconde lecture .
Il s'est tenu , le 13 , une assemblée du
bureau de l'Amirauté , à laquelle a assisté
le Prince Guillaume Henri. Plusieurs
Officiers , arrivés depuis peu , ont
donné leurs noms et celui de leurs demeures
, et il a été fait plusieurs promotions
dans la même assemblée . Quant à
l'escadre d'observation , composée da
plusieurs vaisseaux de ligne , qui doit
mettre en mer sous les ordres de l'Amiral
Leveson Gower , on espère que le
changement survenu dans les disposi
( 215 )
tions du Danemarck , préviendra la nécessité
de celte mesure .
L'Amiral Hughes et le Belmont venant
de la Chine , et le Triton du Bengale
, sont entrés dans nos ports la semaine
dernière .
M. Alleyne Fitz- Herbert , ci-devant
Ministre Britanniq . à Pétersbourg, et dernièrement
Secrétaire de la Vice Royauté
d'Irlande , vient d'être officiellement
nommé Ambassadeur Extraordinaire et
Ministre Plénipotentiaire de notre Cour
auprès des Etats-Généraux des Provinces-
Unies.
Milord Malmesbury , qui vient de
perdre cette Ambassade , a obtenu l'agrément
du Roi d'ajouter à ses armes l'Aigle
Noir de Prusse , en vertu d'une permission
de S. M. P. qui a accordé cette faveur
à Lord Malmesbury, comme une
marque publique de l'estime et de la
considération de S. M. P. , ainsi que la
satisfaction qu'Elle conserve de la conduite
de cet Ambassadeur pendant la
dernière révolution de Hollande , etc. etc.
Le Roi , à la prière du Prince d'Orange,
· a également permis au même Lord de
prendre et de faire usage du Motto de
S. A. S. Je maintiendrai.
FRANCE.
De Versailles , le 20 mai.
ETATS GÉNÉRAUX.
Le 6 de ce mois il fe fit à Verſailles une pro
( 216 )
clamation folennelle pour la tenue des Etats- géné
raux. Le Tiers - Etat fe trouva feul dans la falle
où la veille les trois Ordres avoient été réunis pour
l'ouverture. Il parut tenir pour principe que toutes
les délibérations , & furtout les vérifications
des pouvoirs des Repréfentans de la Nation , devoient
fe faire en préfence des trois Ordres , &.
que fans cette vérification préalable , les Députés
n'avoient aucun caractère reconnu . »
« Au milieu des difcuffions , on fut inftruit que
la Nobleffe & le Clergé procédoient à la vérification
de leurs pouvoirs par des Commiffaires. Ce
fait , n'étant pas officiellement tranſmis au Tiers ,
le détermina à ne prendre aucune délibération .
Cependant il détacha quelques Membres , fans
leur donner aucune miffion fpéciale ni caractère de
Députés , pour inviter la Nobleffe & le Clergé à
fe réunir dans la falle commune , à l'effet de procéder
à la vérification des pouvoirs. »
« Le Clergé répondit qu'il alloit nommer des
Commiflaires pour délibérer fur la propofition du
Tiers , & l'engagea à nommer les fiens . La Nobleffe
s'ajourna au Lundi 11. »
&
« Dans cet intervalle & depuis l'ouverture des
Etats , le Tiers s'eft affemblé régulièrement ,
les féances ont été remplies par différentes propo
fitions. »
« Le 6. L'Ordre du Clergé s'affembla pour procéder
à la vérification des pouvoirs de fes différens
Membres , & nomina par interim M. le Car
dinal dela Rochefoucault , à l'effet de préfider tant
que dureroit cet examen. Le 8 , le Clergé arrêta
de nommer des Commiffaires , afin de le réunir
avec la Nobleffe & le Tiers-Etat pour la vérification
des pouvoirs ; M. Dillon , Curé du vieux Pou
ranges , Diocèfe de Luçon , fut nommé Secrétaire
de la Chambre par interim. Le 11 , on procéda à
l'Election des Commiffaires au nombre de 8 , &
on nomma MM. l'Archevêque de Bordeaux , l'E(
217 )
vêque de Langres , l'Abbé Cofter , Dillon , Curé du
vieux Pouanges , Richard, Curé de Chinon , Thi
bault , Curé de Souppes , le Seves , Curé de St-
Briaize , & Thiebaut , Curé de Metz.
On fit une Députation vers l'Ordre de la Nobleffe.
M. l'Evêque de Saintes fut chargé de porter
la parole, & de propofer la nomination de
Commiffaires pour la vérification des pouvoirs.
MM. de la Nobleffe demandèrent aux Députés
que la propofition écrite qui avoit été lue par M.
l'Evêque de Saintes , leur fût remife fignée du Préfident
& du Secrétaire , ce qui fut refufé en vertu
de délibération , l'Ordre du Clergé n'étant ni entiè.
rement formé , ni pourvu d'un Préfident & d'un
Secrétaire , dont les fonctions ne font remplies que
par provifion par M. le Cardinal de La Rochefou
cault & M. Dillon. »
« 11 Mai. L'Ordre du Tiers-Etat eſt toujours
dans la même ſituation ; il n'y a encore aucune règle
fixe établie pour les délibérations : les uns font
pour le parti de l'inaction jufqu'à ce que tous les
Ordres fe réuniffent ; les autres penfent qu'il faudroit
fe mettre en activité" pour les
réunir. »
engager
à fe
« Un des Membres , ayant annoncé
Communes alloient recevoir une députation du
que les
Clergé , a demandé qu'on délibérât pour favoir
qui recevroit les Députés du Clergé , comment
on les recevroit & comment on leur répondroit. »
« L'Affemblée femboit difpofée à délibérer ,
mais le défaut d'une règle fixe pour les délibérations
entretenoit toujours l'incertitude. »
« L'un des Députés de Riom , M. Malouet ,
s'eit levé alors & a dit : que l'Affemblée ne pouva't
pas délibérer comme Chambre conftituée , devoit
au moins le mettre en grand comité , parce
que fous cette forme elle pourrcit conférer de fes
N ° . 22. 3o Mai 1789 . k
( 218 )
:
intérêts , les difcuter & les connoître fans compromettre
aucun de fes droits , aucune de ſes proreftations.
"
« On eft allé aux opinions , mais l'Aſſemblée
s'eft féparée fans les avoir toutes recueillies . »
« 12 Mai. Les mêmes incertitudes & les mêmes
oppofitions d'avis ont d'abord continué dans l'Affemblée
du jour. Les uns vouloient qu'on reprît
jes délibérations de la veille fur la propofition de
fe mettre en grand comité ; les autres qu'on fit
avant tout une lifte par ordre alphabétique de
tous les Bailliages & de leurs Députés , afin de
les appeler plus régulièrement à opiner. »
« Un grand nombre de Députés ont été invités
& ont affifté à un fervice , pour la mémoire
du feu Roi Louis XV. L'Affemblée étant moins
nombreuſe a été plus tranquille. Deux Députés du
Dauphiné ont repréfenté que l'inaction à laquelle
l'Affemblée fe vouoit , ne pouvoit ê re
d'aucune utilité ; que fi elle ne pouvoit pas fe
regarder conftituée en Etats-Généraux , elle pouvoit
fe regarder comme fuffisamment conſtituée
en droit pour demander les Etat -Généraux , pour
folliciter les deux autres Ordres à venir fe réunir
à elle , pour effayer enfin tous les moyens , foit
de perfuafion , foit de conciliation , qui peuvent
opérer cette réunion tant défirée . Is ont repréfenté
que , pour parvenir à ce but , il étoit indifpenfable
que l'Affemblée prêt une forme telle ,
qu'elle feroit à-la -fuis & un moyen d'ordre dans
les délibérations , & une proteftation qu'elle ne
veut pas & qu'elle ne peut pas s'établir”, quan à
préfent , en une forme plus conftitutionnelle. I's
ont demandé enfin , & telle a été leur conclufion ,
que tous les Bailliages claffés & réunis par Gouvernemens
, fiffent chacun le choix d'un Com
miffaise , & que ces Commiffaires , réunis dans
( 219 )
l'Affemblée , établiffent des Kéglemens provifoires
de police dont ils feroient les exécuteurs avec le
Doyer. Cer avis a été adopté affez généralement ,
& les Commiffaires doivent être nommés cette
après-dinée. »
13 M.i. Les Députés du Tiers s'étant raffemblés
comme à l'ordinaire , on a propofé à l'ouverture
de la Séance que les Députés des Bailliages
, claffes par Gouvernemens , procédaffent à
une nomination de Commiffaires , & l'on convint
que tous les Députés , appelés dans l'ordre
alphabétique de leurs Bailliages , répondroient ſeulenent
par oui ou par non . La délibération , commencée
d'abord avec tranquillité , a été troublée
quelque temps par les réclamations de quelques
Membres , qui ort voulu motiver leurs opinions &
y ajouter des di cours. L'ordre s'étant rétabli &
la délibération ayant été achevée , il s'eft trouvé
une trèsgrande pluralité en faveur de la propofition.
"
a On a reçu enfuite une Députation de la Nobleffe.
M. le Duc de Praflin , qui portoit la parole
, après avoir témoigné de la part de fon Or
dre à celui du Tiers des défirs d'union & des fentimens
de fraternité , a fait lecture de trois arrêtés
de la Nobleffe . Par le premier , elle nomme des
Commiffaires chargés de vérifier d'abord leurs
propres titres entr'eux , & enfuite les titres des
autres Députés de la Nobleffe. »
« Par le fecond , elle fe refuſe à l'invitation du
Clergé , qui lui avoit envoyé une Députation pour
l'engager à vérifier les pouvoirs de tous le Députtis
aux Etats Généraux par des Commulaires élus
dans les trois Crdres. »
« Par le troisième arrêté , la Nobleffe décate
qu'elle fe regarle dès ce moment comme conftituée
en Ordre. Ses déput´s ont ajouté qu'elle
avoit nommé des Commillaires pour conférer avec
k
( 220 )
ceux que nommeroient les deux autres Ordres ,
dans la vue de chercher des voies de conciliation.
»
«Une heure après ledépart de ces Députés , font
arrivés ceux du Clergé , ayant deux Evêques à
leur tête ; l'un deux portant la parole , a fait lecture
d'une délibération , par laquelle le Clergé nomme
des Commiffaires, & invite les deux autres Ordres
à en nommer de leur côté , pour que ces Commiffaires
réunis avifent aux moyens de rapprocher &
de concilier les trois Ordres. »
» 16 Mai. Un de Meffieurs les députés a propofé
, dans l'Affemblée du Tiers , de nommer un
certain nombre de Membres qui feroient chargés
de conférer avec les Commiffaires nommés par
le Clergé & la Nobleffe , & d'avifer aux moyens
de concilier les objets qui divifent a&uellement
les trois Ordres. Cette propofition , après avoir
été débattue dans cette féance , aété miſe en délibération
le 18 , & a paſfé à la pluralité des voix
avec deux amendemens . »
« Le premier porte que ces Commiffaires ne
parleront d'abord que de la vérification des pouvoirs
, & ne feront aucune mention de la délibération
ordre ou
par
tête. par 13
« Le fecond amendement adopté , por :e que les
Membres nommés pour cet effet tiendront des
procès-verbaux très- exacts de leurs conférences . »
« Il y a eu , le même jour 18 , dans lá Cham-
'bre de la Nobleffe , des débats fur la validité de
quelques nominations.
« 19 Mai. Il a été propofé de faire annoncer
au Tiers- Etat la difpofition où étoit la Chambre
de renoncer , au nom du Clergé , à toutes exemptions
pécuniaires. La difcuffion a amené pluſieurs
amendemens , & on a été aux voix ; toutes ont été
( 221 )
prifes & non encore comptées. On a demandé un
fecon tour d'opinions , & , vu l'heure , la féance
a été levée.»
L'O dre de la Nobleffe a nommé les Commffaires
chargés de conférer avec ceux des deux
autres Ordres fur les moyens de conciliation . Ce
font MM. le Marquis de Bouthilier , le Dac die
Luxembourg , le Marquis de Liqueuille , le Comte
d'Antraigue , le Duc de Mortemart , le ' Vicomte de
Pouilly , de Cazanès , de Breffay.
L'Affemblée du Tiers- E at a aufli nommé les
fiens au nombre de feize. Ce fonr MM. Rabaud
de Saint- Etienne , Target , le Chapellier , Mounier ,
d'Ailly , Thouret , Dupont , le Grand, de Volney,
Redon , Viguier, Garat l'aîné , Bergaffe , Salomon ,
Milfcent , Barnave.
La même Affemblée a fait part de cette nomination
aux deux autres Ordres , qui leur en ont
témoigné leur fatisfaction .
« 20 Mải. On a rappelé les voix fur la propofition
de la Chambre du Clergé , énoncée cideffus
; de nouvelles obfervations ont été faites ,
& le réfultat a été d'abandonner la forme de
délibération régulière , & de s'en tenir à autorifer
, par acclamation , les Députés de l'Ordre du
Clergé à dire aux Députés des deux autres Ordres ,
dans le cours de leurs conférences , qu'ils pouvoient
les affurer que les difpofitions individuelles & perfonnelles
de tous les Membres de la Chambre étoient
telles , qu'il y avoit lieu de croire qu'ils fe porteroient
avec empreffement à voter l'égalité proportionnelle
d'impofition fur tous les biens , fans
exception aucune , quand la Chambre feroit conft
tuée , qu'elle auoit acquis par là le droit de ftatuer
farin obj i de cette importance , & que le
cours de fes travaux l'amèneroit à le traiter. Ce
k in
( 222 )
voeu a reçu dans fon expreffion la forme d'un
fentiment , & a paru celui de tous les Membres de
Chambre du Clergé . La délibération form :lle
n'a pu être admife , comme trop prématurée , &
hors des pouvoirs d'une Affemblée non encore
confti.uée. Il n'y a rien d'écrit dans la Chambre
fur cet objet. »
« On a fait dans l'Aſſemblée du Tiers-Etat la
propofition de former un Comité de rédaction
compofé de vingt - quatre perfonnes , choifies au
fcrutin , pour rédiger tout ce que l'Aſſemblée
jugeroit à propos de publier , & en conféquence
on a demandé que le Comité foit chargé de fe
procurer une Imprimerie aux ordres de l'Affemblée.
On a auffi propofé de charger les Commiffaires
de faire imprimer le détail de ce qui s'eft
paffé jufqu'à ce jour. »
« Ces propofitions ont été combattues , d'abord
parce que la forme inconſtitutionnelle de l'Affemblée
ne permettoit pas de prendre une détermination
fur un objet fi important : enfuite on a pris
en confidération les dépenfes qu'entraîneroit l'établiffement
d'une Imprimerie , le tems & les foins
qu'exigeroit un travail confié à tant de Membres ,
enfin les débats que pourroit occafionner dans
l'Affemblée la révifion des différer.s réſultats deftinés
à l'impreffion. Mais une des raifons qui a
furtout excité les oppofitions , eft la crai te que
les Membres du Comité propofé ne donnent ,
même involontairement , aux matières qu'ils feroient
chargés de rédiger , quelque impreffion
particulière qui pourroit en altérer l'efprit primitif.
Ces propofitions feront repriſes à la prochaine
Affemblée. »
« 22 Mai. La propofition de nommer un Comité
de rédaction a été repriſe aujourd'hui dans
l'Affemblée du Tiers- Etat ; mais elle a été rejetée
( 223 )
prefqu'à l'unanimité , puifqu'il ne s'eſt trouvé que
36 voix pour l'admettre. Un des motifs d'oppofition
fur lequel on s'eft le plus généralement réuni ,
eft que l'établiſſement d'un Journal compofe par
des Membres des Etats - Généraux , étoit incompatible
avec la dignité & les devoirs de Repréfentans
de la Nation . Demain au foir les Membres
nommés pour conférer avec les Commiffaires des
deux autres O: dres , doivent s'affembler pour commencer
leurs opérations . »
« La Chambre du Clergé s'eft divifée par Bailliages
pour travailler à l'examen de fes cahiers .
19
FIN du Discours de M. le Directeur-
Général des Finances.:
Enfin , fi le crédit s'étoit rétabli , le Roi auroit
trouvé dans l'extinction annuelle de 1500 millé
livres de rentes viagères , le moyen d'emprunter
& de dépenfer 20 ou 30 millions tous les ans
fans altérer les rapports entre les revenus & les
dépenfes ordinaires.
>
Ainfi , tandis que la France , tandis que l'Europe
entière attribue la convocation des Etats -généraux
à la néceffité abfolue , au befoin inévitable d'augmenter
les impofitions , l'on voit par ce réſumé
précis , qu'un Roi , jaloux uniquement de fon autorité
, auroit trouvé dans les retranchemens fumis
à fa puiffance ou à fa volonté , un moyen de
fuffire aux circonftances , & fe paffer de nouveaux
tributs.
C'eft uniquement en temps de guerre que les
embarras de finance furpaffent l'étendue des reffources
ou des expédiens de tout genre dont on
pourroit faire ufage , & dont les règnes précédens
ont donné l'exemple. Il faut pendant la guerre
un crédit immenfe , & ce crédit ne fe commande
point ; mais au milieu de la paix , un Roi de
kiv
( 224 )
France qui fe permettroit d'exécuter tous les
retranchemens de rentes , d'intérêts , de penfions ,
d'appointemens , d'encouragemens , de fecours , de
remifes , & d'autres dépenfes de ce genre , dont
le tableau de fes finances lui donneroit l'indication
, ne fe trouveroit jamais environné de difficultés
d'argent qu'il n'eût la puiffance de franchir.
C'eft donc , Meffieurs , aux vertus de Sa Maj.
que vous devez fa longue perfévérance dans le
deffein & la volonté de convoquer les Etats- Généraux
du royaume. Elle fe fût tirée , fans leurs
fecours , de l'embarras de fes finances , fi elle n'eût
mis un grand intérêt à maintenir les droits de la
propriété , à conferver les récompenfes méritées
par des fervices , à refpecter les titres que donne
Finfortune , & à confacrer enfin tous les engagemens
émanés des Souverains d'une Nation fidelié à l'honneur
& à fes promeff: s.
Mais Sa Majefté , conftaniment animée par un
efprit de fageffe , de juftice & de bienfaiſance ,
a confidéré dans fon enfemble , & fous le point
de vue le plus étendu , l'état actuel des affaires
pbliques ; Elle a vu que les Peuples , alarmés de
l'embarras des finances & de la fituation du crédit ,
afpircient à un rétabliffement de l'ordre & de la
confiance qui ne fût pas momentané , qui ne fût
pas dépendant des diverfes viciffitudes dont on
avoit fait l'épreuve . Sa Majefté a cru que ce voeu de
la Nation étoit parfaitement jufte ; & défirant d'y
fatisfaire , Elle a penfé que pour at eindre à un
but fi intéreffant , il falloit appeler de nouveaux
garans de la fécurité publique , & placer pour
ainfi dire l'ordre des finances fous la garde de
la Nation entière. C'eft alors, en effet , qu'on ceffera
de rapporter le crédit à des circonftances paffagères
; c'eft alors que les inquiétudes fur l'avenir
ne troubleront plus le calme & la tranquillité du
préfent ; c'est alors que chacun s'eftiniera riche
( 225 )
de tout ce qu'il poffèten créances fur le Ron&
fur l'Etat , c'eft alors que les propriétaires innombrables
de toutes les portions de la dette publique
feront en repos fur leur fortune , & fe trouveront
difpofés à venir au fecours de la France quand fes
dangers pourront le demander .
Ainfi , Meffieurs , la connoiffance pofitive & indifpenfable
de la véritable fituation des finances ,
l'établiffement de l'ordre , la certi udes de fa pemanence
, auront des effets incalculab'es. Qui feroit
affez inconfidéré pour fe priver de l'intérêt de fes
fonds , quand cet avantage ne feroit acheté par
aucune inquiétude ? Cependant cette fimple détermination
, fi elle avoit lieu dans un royaume tel
que la France , dans un royaume propriétaire bienrôt
de deux milliards & demi d'argent monnoyé ,
produiroit le mouvement le plus profpère . Des
capitaux immenfes foigneufement renfermés , des
capitaux femblables en ce moment aux murs & à
l'airain qui les environnent , ces capitaux viendroient
par un heureux retour enrichir la circulation
, & groffir au milieu de nous ce flot de la
richeffe publique. Et qu'on fe figure l'époque, peutêtre
peu éloignée , où l'exactitude des paiemens ,
la rareté des emprunts , leur ceffation abfolue , &
Paction falutaine d'une caiffe d'amortiffement ,
réduiroient l'intérêt à quatre pour cent , & forceroient
à confidérer ce prix comme le feul auquel
Con doit afpiret. Alors , non -feulement les finances
de l'Etat s'amélioreroient par la réduction l'bre
des intérêts les plus onéreux ; mais un effet plus
important , c'eft qu'une diminution générale dans
le produit des fonds publics , rendroit des fommes
confidérables au commerce & à l'agriculture , &
deur procureroit fans effort les fecours les plus
néceffaires , l'encouragement le plus efficace Que
l'on compare à tant d'effets falutaires , que l'on
compare à tant davantages le bé téfica quiáré pre
kv
( 226 )
roit d'un raba's injufte fur les rentes légithne-
- ment dues , & l'on verra promptement laquelle
des deux politiques mérite la préférence. C'eſtainsi,
je dois le dire encore , c'eft ainfi que la fidélité
des engagemens , c'eft ainfi que ia juftice des Rois
entraînent une multitude de dépendances qui toutes
ont une intime relation avec la durée & la profpérité
des Empires . Et fans ce principe de droiture
qui doit fervir de guide dans toutes les détcrminations
, un Prince , une Nation même ne pourroient
fuffire à l'adminiſtration des affaires publiques
; alors à chaque inftant on chercheroit fa
route , on isoit en avant , on retourneroit fur fes
pas , on s'égareroit en circuits , & l'on fe trouveroit
infenfiblement dans un labyrinthe de doutes
& d'incertitudes. Oui , tout eft perſonnel , tout eft
féparé , tout eft except on quand on abandonne
ces deux grandes généralités , la morale publique
& la morale particulière
Cependant , Meffieurs , ce feroit fans doute confidérer
les Etats-Généraux d'une manière bien
Jimitée , que de les voir feulement fous le rapport
de la finarce, du crédit , de l'intérêt de l'argent ,
& de toutes les combinaiſons qui tiennent immédiatement
aux revenus & aux dépenfes. On aime
à le dire , on aime à le penſer , ils doivent fervir
à tout ces Etats Généraux ; ils doivent appartenir
autemps préfent & aux temps à venir ; ils doivent ,
pour ainsi dire, obferver & fuivre les principes &
es traces du bonheur national dans toutes les raunifications
; ils doivent , après avoir bien connu
les principes de ce bonheur , s'appliquer à la recherche
des moyens qui peuvent l'effectuer & le rendre
folide . Un vafte champ eft encore en friche , mais
par- tout il promet des fruits falutaires. Quel pays
offit jamais plus de moyens de prófpérité ? quel
pays fit jamais naire plus d'er.couragemens & plus
d'eſpérances ? La douce & bienfaiſante température
( 227 )
2
du climat , un fol fécond & varié dans fes bienfaits ,
des rivières navigables qui facilitent toutes los
communications , des ports qui dominent les deux
mers , des colonies plus riches & plus fertiles que
celles de toutes les autres Nations , des manufactures
particulières , des établiffemens de diverſes
natures dans l'intérieur du royaume , des François
enfin , c'est-à -dire , des hommes exercés à tous
les genres de travaux & propres à toutes les tâches
que le génie & la gloire peuvent impofer , aux
arts polis de la paix & aux faigues de la guerre ,
au commerce & à la navigation , aux pénibles labeurs
de l'agriculture & aux ftudieufes recherches
des fciences . Que de matériaux , que d'inftrumens
réunis pour élever un royaume au plus haut degré
de profpérité ! & quel moment encore eft cho fi
dans la route des fiècles pour appeler la Nation
entière à conftruire , à affermir le majestueux édfice
du bonheur public ! C'est à une époque où
les lumières géré ales paroiffent s'être approchées
du dernier terme de leur perfection ; c'eſt à une
époque cù les préjugés , où les reftes d'une ancienne
barbarie ne tiennent plus que par des liens
ufés , affoiblis & tout prêts à fe rompre ; c'est
à une époque où l'univers entier femble demander
à la France , pour l'honneur & la gloire
de l'humanité , un nob'e & grand emploi des rares
& finguliers avantages dont elle eft l'unique dépofitaire
; c'eft à une époque enfin , où , par un
bonheur inappréciable, l'on voit affis fur le trône
antique & révéré des Monarques François , un
Pri ce que le Ciel paroit avoir défigné pour favori
fer les efforts du génie national & de l'efprit de
patrie. Il peut appeler les Repréfentans de fes
Sujets à venir le feconder dans fes auguftes deffeins ,
parce qu'il a une idée jufte de la véritable grandeur ,
parce qu'il fait , parce qu'il fent que la g'oire du
Monarque & le bonheur de fes Peuples font infé-
Kvi
( 228 )
>
parables , & que l'éclat d'un règne s'accroît par
la fplendeur du fiècle où il fe trouvé placé.
Enfin , les Miniftres du Souverain fe trouvent
en ce moment d'un caractère fage & tempéré ;
ils ne font égarés par aucun fyftême , ils ne font
emportés par aucune idée prédominante , & ils
s'eftiment heureux de fervir fous un Roi qui ne
fépare pas fes intérêts de ceux de la Nation.
Que leur falloit-il donc de plus , diroient un
jour les races futures , fi nous perdions de fi favorables
circonftances ? que leur falloit- il donc de
plus pour fonder les bafés du bonheur public &
d'une inébranlable profpérité ? Ah ! penfez y bien ,
Meffieurs , il eft un concours d'événemeas qui ne
fe retrouve jamais ; mais pour en profiter , adoptez
un efprit de mefure & de fageffe , voyez un grand
but & n'en détournez jamais vos regards ; réunis
fez-vous autour de l'autel du bien public , afin de
vous écarter de ce dangereux foyer de prétentions
rivales qui vous détourneroient d'un culte plus
digne de vous. Echangez les petits intérêts particuliers
contre cette grande & majeftueufe part
à l'intérêt univerfel ; faites que le titre de François
vous vaille plus de gloire & plus de profit que
celui d'habitant d'une telle province , d'un tel
Bailliage , ou d'un tel reffort . Enfin , Meffieurs .
j'oferai vous le dire ; car des hauteurs de la raiſon
l'on n'eft étonné par aucun fpectacle , on n'eft
affoibli par aucun afcendant , on n'eft fubjugué
par aucun empire : j'oferai donc vous le dire , vous
ferez refponfables envers le Roi , vous le ferez '
envers la Nation , vous le ferez envers la poſtérité ,
vous le ferez peut- être envers le monde entier ,
fi vous ne vous livrez pas fans réſerve à la recherche
impartiale du bonheur public , fi vous ne
dépofez pas pour quelque temps les particularités
qui vous féparent , pout vous livrer fans partage
à ces grands intérêts qui vous appellent. Vous les
( +229 )
retrouverez de refte quand vous le voudrez , ces dif.
tinctions ou fes féparations qui mettent les citoyens
en oppofition les uns des autres en raifon de leur
état & de leur naiſſance : on n'a garde de vous inviter
à les oublier entièrement ; elles entrent même dans la
compofition de l'ordre civil ,elles forment cette chaîne
fi néceffaire pour la règle & la fubordination de
tous les mouvemens de la fociété ; ma's on doit
fufpendre pour un temps ces confidérations rivales ;
& fi quelque chofe peut en adoucir l'afpérité ,
c'eft de n'y revenir qu'après s'être occupé longtems
en commun de la chofe publique.
Mais , Meffieurs , quelle diverfité d'objets s'offrirent
de toutes paris à votre confidération ! l'efprit
en eft effrayé , même en ſe bornant aux branches
d'adminiſtration qui ont une connexion avec les
finances. Peut-être à cette tenue ne voudrez-vous
en prendre qu'une idée générale en vous réfervant
d'y revenir , lorsque d'une ou d'autre manière
vous aurez réuni tous les resfeignemens qui
vous font néceffaires , & cque du fein même de
votre affemblée vous aurez préparé les voies aux
inftructions & aux examens les plus propres
captiver votre confiance .
{
"
à
Le Roi vous confidérant , Meffieurs , comme
affociés dès ce moment à fes confeils , écoutera
non-feulement avec attention & avec intérêt toutes
les ouvertures & les propofitions qui lui vientdront
de votre part , mais Sa Majeſté vous fera
communiquer encore toutes les idées qui lui paroîtront
mériter votre examen : c'èft par un concert
abfolu entre le gouvernement & cette augufte
affemblée , que les affaires du Roi & de la Nation
front mieux traitées & mieux entendues , & que
l'on approchera plus fûrement de l'heureux terme
auquel il faut rendre. Affez de difficultés prifes ..
dans les chofes mêmes viendrom éprouver votte
courage & le rendre néceffaire ; il faut au moins
( 230 )
que vous receviez des miniftres du Roi toute l'aide
que vous pourrez défirer , & que vous trouviez en
eux le concours dont vous croirez avoir befoin.
Et puifque dans un grand enſemble & dans une
complication d'affaires infiniment variées , c'eſt
par la méthode que l'on fait route plus promptement
, il ne fera pas inutile de vous rendre
compte de l'idée que Sa Majefté a corçue de
vos examens & de vos recherches . Le gouver-
,nement eft bien loin de vouloir vous tracer aucune
marche, mais il a eu befoin lui-même de s'en former
une idée , afin de faire recueillir les divers renfeignemens
que vous pourriez demander.
Il femble , Meffieurs , qu'en allant en avant
dars la recherche du bien de l'Etat , vous devez ,
pour hâter vos travaux & perdre le moins de
temps poffible en vaines tentatives , divifer les
-objets de vos réflexions en deux claffes. L'une
raflemblercit les améliorations qui dépendent
néceffairement des délibérations de la Nation
entière repréſentée par fes Députés aux Etats-
Généraux ; l'autre comprendroit les bonifications
qui doivent être exécutées par l'adminiſtration
particulière de chaque province.
["
Le Roi , dans le feul deffein de rendre votre travail
plus facile , m'a commandé de vous donner
un premier indice de ces deux divifions .
Tere. CLASSE . Ameliorations qui appartiennentaux
délibérations des Etats-
Généraux.
On eût indiqué d'abord les difpofitions relatives
à l'ordre des finances , fi cette matière ne
venoit pas d'être traitée avec étendue , Quel objet
peut en effet intéreffer davantage la Nation entière
que cet ordre & ce jufte rapport entre les befoins
& les eTources de l'Erat ? C'est d'un pareil accord
que naiffent la tranquillité générale , & la certi(
231 )
tude de n'être pas appelé fans néceffité à faire
le facrifice d'une portion de fa fortune ; c'eſt d'un
pareil accord auffi que naiffent la confiance inté
ricure & le ménagement des moyens qui éten
dent au dehors la force & la puiffance de l'Etat.
II. On doit mettre e: core au premier rang
parmi les améliorations qui intéreffent tous les
habitans du royaume , l'établiſſement des principes
qui doivent affurer une égale répartition
des impôts , & je diftingue ici les principes de
leur application . Les principes appartiennent à la
délibération des Etats - Généraux , & l'application
de ces principes regarde l'adminiſtration particulière
de chaque province. Il faut le concours de
la Nation , il faut toute la force législative pour
déterminer qu'il n'y aura déformais aucunes diftinctions
pécuniaires entre les divers ordres de
l'Etat , & qu'on abolira pour toujours jufqu'au
com des impôts qui conferveroient les veftiges
d'une défunion dont il eft fi preffant d'effacer
la mémoire. Mais le principe une fois admis ,
c'eft à l'a ' miniftration de chaque province qu'il
faut s'en rapporter pour apprécier l'étendue
diverſe en chaque lieu , de la taille perfonnelle &
de la capitation taillable , & pour faire choix des
moyers les plus convenables de convertir ces
impôts dans un autre genre de contribution .
On a fait des recherchés pour arriver à connoître
diftinctement l'étendue refpective de la taille
purement territoriale & de la taille perfonnelle ;
mais ces informations font difficiles à acquérir ,
parce que dans plufieurs provinces , la portion de
taille que fuppore un colon en raifon de fa prepriété
territoriale , fe trouve confondue dans le
même article avec celle qui lui eft impofée en
raifon de fon induſtrie ou de ſa fortune mobiliaire.
Il eft des détai's dont une affemblée nationate peut
difficilement prendre connoiffance avec certitude
& préciſion ; ainfi , comme on vient de le dire
( 232 )
lorfque vous aurez confacré le principe général ,
vous pe ferez fa³s doute que l'application exacte
de ce principe doit appartenir à l'adminiſtration
particulière de chaque province.
Les différences d'impôts dans les pays de droit
écrit , n'entraînent aucune diſtinction humiliante.
Le noble propriétaire d'un bien roturier paie toutes
les taxes affectées à ce genre de poffeffions , &
le bourgeois propriétaire d'un fief jouit de toutes
des exe.nptions attachées à ce fol privilégié. L'inconvénient
de ces diſtinctions n'eſt donc que dans
l'inégalité du fardeau fupporté par les divers fonds
de terre , & la difficulté de rétablir la parité dérive
du préjudice réel que fouffriroient les poffef
feurs de biens nobles , ces biens ayant été acquis
& comprés dans les partages de familles pour un
capital proportionné aux prérogatives qui leur
étoient aurées. L'on ne pourroit donc détruire
entièrement ces diſtinction à l'égard des propriétaires
laïcs , fans aimetre , fans chercher du moins
eremê ne temps un ſyſtème de compenſation ou
d'indemnité. Ces règlemens diffemblables font viceux
dans l'ordre politique , puifqu'ils jettent fur
une feule partie des terres tout le poids des impofitions
; mais cette réflexion doit être balancée
avec les égards dûs aux droits de propriété. Les
loix de la justice font auffi un patrimoine commun
, & chacun , a droit de réclamer leur appui.
Ce n'eft donc pas fous de fimples rapports d'adminiftration,
qu'une fi grande queftion peut être
jugée ; il fembleroit même qu'elle devroit appartenir
aux délibérations particulières de chaque province
, fi l'on ne prévoyoit pas que les Etatsgénéraux
feront appelés à intervenir dans cette
importante queftion , & fi l'Etat , prís collectivement
, n'étoit pas intéreſſé à maintenir dans toutes
les provinces le plus d'égalité poffible dans la répartition
des impôts , afin que chaque partie du
grand enfemble jouiffe de toutes les forces , &
( 233 )
P
puiffe ainfi concourir dans une même proportion
aux divers befoins du royaume.
III. Une répartition plus équitable des impôts
entre toutes les provinces , ne peut être foumife
qu'à l'examen & aux délibérations de la Nation
entière aflen blée en Etais - Généraux . Il faut , poar
fe former une jufte idée des difproportions qui
exiftent aujourd'hui , acquérir une connoiffance
exacte de la fomme contributive de chaque province
, & s'inftruire des exceptions & des franchifes
dont quelques - unes d'entre elles font en poffeffion
. Il faut enfuite , pour juger fainement du
degré de justice ou de convenance de ces différen
tes inégalités , avoir une notion certaine de l'étendue
& de la population de chaque province , &
il faut examiner les diverfes circonstances qui
augmentent ou qui reftreignent leurs reffources .
On mettra fous vos yeux , Meffieurs , un tableau
général de la population , de lé endue & des
contributions de chaque généralité ; on vous fera
connoître auffi les immunités dont jouiffent plufieurs
provinces ; mais la réunion de vos lumières
formera , fans contredit , la meilleure des inftructions
relativement aux avantages ou aux défavantages
refpectifs de toutes les parties du royaume.
Vous confidérerez , Meffieurs , fi c'eſt à une
première tenue des Etats-généraux qu'il convient
de chercher à établir plus d'égalité entre les cor
tributions de chaque province. Vous obferverez
fans doute que plufieurs de ces inégalités dérivent
d'anciens titres conftitutifs , & vous vous trouverez
néceffairement engagés dans plufieurs conteftations
difficiles & délicates , fi vous vouliez, dès cette première
affemblée , adopter une règle de proportion
plus conforme aux princ pes géréraux de l'équité ;"
ainfi vous croirez peut- être plus fage de vous en
tenir aujourd'hui à l'examen des circonstances élémentaires
qui pourront fervir à remplir , dans un
autre temps , le but auquel vous défirerez de pas(
234 )
venir. Ce qu'il faut , avant tout , pour élever le
grand édifice du bonheur public , c'eſt de la paix
& de la concorde ; ainfi les amis de ce bonheur
doivent renvoyer à d'autres époques les idées de
perfection & même de juftice dont l'application ne
pourroit fe faire fans exciter de vives réc'amations.
Affez d'autres fujets d'ombrage & de déflance
féparent aujourd'hui les efprits ; il ne faut
pas , pour fe hâter de mettre la dernière main à
un fyftême général , ouvrir des difcuffions dangereufes.
Les améliorations de tout genre arriveront
d'elles -mêmes à l'aide du temps , & il faut ,
avant tout , confolider le terrain fur lequel on
-veut bâtir.
Les mêmes obfervations fans doute ne font pas
applicables à l'établiffement de l'égalité des répar
titions entre les particuliers contribuables ; cette
égalité eft follicitée depuis long- temps par la plus
nombreufe partie de la Nation . Les deux Ordres
privilégiés ont déjà fait éclater de toutes parts les
fentimens de juftice & d'équité qui les animent
& le projet qu'ils ont formé de renoncer volontairementaux
avantages pécuniaires dont ils jouiffent.
J'ajouterai qu'une décifion fur l'égalité de la répartition
entre les contribuables , bien loin d'être
à craindre dans ce moment , comme le feroit peut-
-être une difcuffion fur les charges refpectives de
chaque province , deviendroit fûrement une fou ce
précieuſe d'harmonie. La parité une fois établie
entre les facrifices pécuniaires des différens Ordres ,
combien de difficultés s'applaniroient ! Il ne faut
qu'une feule caufe d'ombrage & de rivalité pour
fortifier & raffembler tous les prétextes d'oppofition
; mais auffitôt que le principal motif d'éloignement
eft détruit , on n'aperçois , on ne fent plus
que les raifons diverfes qui doivent porter à ſe
rapprocher & à s'unir.
IV. Il eft des impôts qui peuvent être modifiés
& fféremment dans chaque province , fans qu'il en
( 235 )
réfulté aucun préjudice pour le refte du royaume ;
tels font les aides & tous les droits purement locaux
, & l'on peut s'en remettre aux délibérations
de chaque province , fur la manière de réformer
ou de changer ces fortes de contributions , fous la
feule condition importante pour l'Etat de faire verfer
la même fomme au tréfor royal. Mais il eſt
des impôts dont le produit s'évanouiroit ou s'affoibiroit
confidérablement , fi on dérangeoit partiellement
les loix auxquelles leur recouvrement eft
affujetti. Que dans une des provinces affujetties
aujourd'hui à la gabelle ou à la vente exclufive du
tabac , on voulût fe fouftraire à ces impôts en les
remplaçant par quelque autre , une telle difpofition
ne pourroit avoir lieu d'une manière ifolée , fans
bleffer l'intérêt général. En effet , la faculté qu'auroit
une nouvelle province de vendre à bas prix
les denrées dont la vente privilégiée conftitue une
des reffources de l'Etat , nuiroit effentiellement aux
revenus du Roi , à moins qu'avec beaucoup de dépenfes
, & à force de gardes & de loix fiſcales ,
ne parvint à féparer cette même province du refte
du royaume. C'eft du mélange des pays francs &
des localités foumifes à l'impôt , que naît une
fource intariffable de fraudes & de contrebandes ;
& il réfulte de ces obfervations , que les changemens
& les modifications applicables à certains
droits généraux , doivent être préparés & convenus
dans l'affemblée nationa'e.
on
J'ai cité parmi ces droits , les impôts établis fur
le fel & le tabac , mais ceux qui fe perçoivent aux
frontières du royaume , font foumis au même
principe. Les obftacles apportés à l'entrée & à ' a
fortie de quelques marchandifes , deviennent nuls
quand ils ne font pas généraux , ou bien l'on fe
trouve cbligé d'établir des barrières entre les
vinces intérieures & celle qui trafique librement
avec l'étranger.
s -pro-
Les droits impofés fur certaines fabrications
( 236 )
doivent encore être ſoumis à des règles uriformes ,
puifque toute exemption accordée à une province
en particulier , lui donneroit fur les autres un avat.
tage qui écarteroit leur concurrence.
La diverfité des droits fur les actes n'eft pas
auffi préjudiciable au revenu du Roi que les autres
difparités dont on vient de parler ; car on ne peut
jouir de la modération de ces droits dans un lieu
particulier , fans s'y transporter perfonnellement.
Cependant la communication de proche ea proche
rendroit toujours préjudiciable aux revenus du fifc ,
la difparité des droits fur les tranfactions , & fous
ce rapport , leur uniformité devient intéreffante
pour l'Etat.
Ces divers exemples fuffifent pour faire connoître
qu'il eft des impôts dont la réforme ou les
changemens doivent appartenir à la délibération
d'une affemblée nationale , tandis que la modification
de certaines contributions peut être ſoumiſe
fans aucun inconvénient à l'adminiſtration particu
lière de chaque province.
On a préparé , Meffieurs , des renfeignemens
& des mémoires fur toutes les parties d'impôt qui
pourront occuper l'intérêt & l'attention des Etatsgénéraux
; ainfi l'on n'entrera pas ici dans des explications
plus étendues.
V. Le plus grand nombre des queſtions & des
règlemers de commerce font du reffort de l'affemblée
commune de la Nation , car les mêmes principes
do vent fixer les relations & les connexions
de la France avec les pays étrangers , favoriler
également l'induftrie dans toutes les provinces , &
affranchir le génie national des entraves qui peuvent
arrêter les efforts.
Il eft une grande délibération relative au commerce
François , qui pourra fixer plus particulièrement
votre attention ; c'eft l'examen des avantages
d'une compagnie exclufive pour exercer le
commerce au -delà du Cap de Bonne - Espérance.
( 237 )
On a tellement vane d'opion & de principes fur
cette queſtion , & il eſt réſulté tant d'inconvéniens
de ces vacillations , que Sa Majetté a cru devoir
différer de donner une dernière décifion jufqu'à ce
qu'Elle eût été éclairée par les avis des repréſentans
de la Nation . Une détermination prife à la fuite
d'une conſultation fr authentique , aura du moins
l'avantage de fixer pour toujours la marche du
commerce , & de prévenir les doutes & les incertitudes
qui rendent cette marche craintive , & en
arrêtent les progrès. Le Roi a donc ordonné , Meffieurs
, qu'on recueillit les mémoires propres à vous
éclairer fur cette importante queftion , & qu'on
vous les remit au moment où vous pourrez vous
en occuper. Mais dans toutes les fuppofitions , vous
penferez fûrement , Meffieurs , que la plus exacte
juftice doit être obfervée envers les actionnaires.
Il eft un autre établiſſement public très -important
& très-connu , dont le Roi défire que vous
preniez connoiffance , afin que votre . fanction
donne à cet établiſſement un nouveau degré de
force & de folidité je veux parler de la Caiffe
d'efcompe. Cet établiſſement n'existe encore que
fous l'autorité des arrêts du Confeil ; mais fon
utilité généralement avouée , l'a foutenue , l'a
agrandie , & l'a mife en état de réfifter aux divers
chocs occafionnés par les révolutions fucceffives
du crédit public. La Caiffe d'efcompte eft une fondation
particulière , & qui , pour remplir fon objet ,
a befoin d'être indépendante ; mais comme fa faveur
& fa confiftance dépendent de l'opinion publique
, les adminiftrateurs de cet établiſſement
défirent eux-mêmes d'en faire connoître toutes les
particularités aux Etats- généraux , & de trouver
dans l'approba.ion & la fanction de cette affemblée
un nouvel encouragement & un nouvel appui. Ils
s'emprefferont donc de mettre fous vos yeux tous
les éclairciffemens & toutes les connoiffances que
vous défirerez , & il n'eſt pas douteux qu'un exa(
238 )
men attentif de votre part n'augmente la confiance
due à un pareil établiſſement : mais comme fes
relations directes ou indirectes avec les opérations
publiques font inévitables , fa grande force réfultera
de l'ordre général & indeftructible qui fera
introduit & maintenu dans les finances du Roi.
Les caufes de l'agiotage dont on a fenti pendant
quelque temps les dangereux effets , fixeront peutêtre
auffi votre attention . Cet agiotage eft très -peu
remarquable en ce moment , & vous obferverez
facilement que fon action fe développe , fur- iout
lorfqu'on n'aperçoit aucune ſtabilité dans les principes
de l'adminiftration , & lorfque le public , tenu
dans l'ignorance , & incertain dans fes jugemens ,
devient plus aifément fufceptible d'efpérances ou
d'alarmes exagérées. Aucune de ces caufes d'agiotage
ou de vacillations fréquentes dans le prix des
foods publics ne fubfiftera , lorfque les rapports
entre les revenus & les dépenfes de l'Etat feront
univerfellement & conftamment connus , & lorfque
, ces rapports deverus invariables , chacun
pourra fe faire une idée jufte de la valeur & de
la fûreté de la dette publique. C'eft alors qu'inſenfiblement
il s'établira une opinion inébranlable ,
contre laquelle les fauffes infinuations des agioreurs
deviendront impuiffantes.
Vous verrez encore , Meffieurs , en étudiant la
queftion des fonds publics , qu'ils font divifés en
un trop grand nombre de dénominations , & que
la fomme de ceux payables au porteur eft trop
cor fidérable : il y auroit de la convenance à en
réunir une grande partie fous un feul titre , & à
les convertir dans un papier facilement négociab'e
, mais qui ne fût pas au porteur. Cependant ,
comme les changemens de ce genre peuvent pendant
un temps influer défavantageufement fur le
prix des fonds , vous croirez peut-être plus convenable
de renvoyer certe difpofition à l'époque où
·les fonds publics portant cinq pouscent d'intérêt , fe
( 239 )
vendroient au pair , il dépend de la fageffe de vos
mefures , qu'une telle époque ne foit pas éloignée.
L'examen du parti que l'on peut tirer des dcmaines
de la couronne , & le choix des difpofitions
qu'il feroit jufte d'adopter à l'égard des domaines
engagés , feront encore un objet digne de
la plus féricufe confidération . Les domaines réels
qui restent entre les mains du Roi , fi l'on en excepte
les forêts , fe montent aujourd'hui à une
fomme très-modique : leur produit annuel fe réduit
à environ 1600 mille livres , & la majeure
partie eft fituée en Lorraine.
On vous fera connoître ces domaines en détail ,
& l'on mettra fous vos yeux les divers moyens
qu'on propofe pour les rendre plus utiles. Vous
voyez , Meffieurs , que le Roi , en s'occupant des
intérêts de l'Etat , ne diftingue point les revenus
particuliers de fes domains , de ceux qui dérivent
des contributions publiques. Le Roi ne veut connoître
, le Roi ne veut aimer qu'un feul de fes titres
, celui de père & de protecteur de fes peuples.
Vous étendrez , Meffieurs , vos réflexions fur
le produit & l'adminiftration des forêts ; & fi vous
penfez que cette partie des revenus du Roi doit
être foignée partiellement , vous approuverez probablement
l'intention où eft Sa Majefté de fe concester
avec les Etats particuliers de chaque province
, pour s'aider de leurs lumières & de leur
furveillance , & pour lier de quelque manière l'in
térêt de ces provinces à l'accroiffement des produits
de la partie des forêts du Roi , fituée dans
leur arrondiffement.
7
La question générale des domaines engagés , la
détermination des principes qu'il eft néceffare d'adopter
à cet égard , préſentera peut être le fujet de
difcuffion le plus difficile . On vous remettra , Meffieurs
, les divers arrêts du Confeil rendus fur cette
matière ; on vous inftruira des difpofitions qui ont
( 240 )
été faites en conféquence : les unes ont eu un com
mencement de fuccès ; les autres ont été contrariées
dès l'origine. Vous examinerez cette importante
affaire , & votre opinion aura du moins le
grand avantage d'affermir une fois pour toutes la
marche de l'adminiftration , ou de l'engager à cef
fer des recherches dont les réſultats ont été fi fouvent
& fi vainement préfentés comme une reffource
indéfinie. On reproche au gouvernement d'y renoncer
quand il ne fait pas valoir les principes rigoureux
du domaine ; on lui reproche fa févérité
quand il exerce ces mêmes droits ; & au milieu de
beaucoup d'exagérations , de beaucoup de critiques
injuftes, la marche de l'adminiftration devient
incertaine & timide.
Vous pourriez, Meffieurs , frxer pour toujours
fes doutes , & le Roi écoutera vos confeils avec
la confiance due à la réunion de vos lumières , &
à la garantie du voeu national que vous ſeuls pou
vez donner légitimement.
VII. La grande queftion du commerce des grains
attirera fûrement vos plus férieufes réflexions. Futil
jamais de circonftances où cette question fe foit
préfentée fous un afpect plus grave & plus important
! Nous avons vu dans le cours de cette année
la liberté la plus indéfinie rendue légale ; nous
avons vu cette liberté encenfée de toutes parts , &
peu de temps après la prévoyance de Sa Majesté
l'a déterminée à défendre l'exportation ; prévoyance
falutaire, & fans laquelle on ne peut déterminer
quel eût été l'excès de nos malheurs . Elle
n'a pas fuffi fans doute pour prévenir la cherte
des grains , pour calmer les alarmes , pour arrêter
les murmures du peuple , & pour le défendre en
beaucoup d'endroits des angoifles inféparables de
la difette . Cependant Sa Majefté ne s'en eft pas
fiée aux efforts des négocians & à la protection incertaine
de l'intérêt particulier : chacun malheuenfement
,
C
( 1)
reufement , chacun fut le commerce des
lofque les hauts prix amènent le trouble & la dégrains
fiance. Le Roi a donné des primes
d'encouragement
; le Roi a obtenu d.s per
miffions pour extraire
das blés de Sardaigne , de Sici'e & des Etats
du Pape ; le Roi a fait venir à fes frais & à ſes rifques
une quantité confidérable de grains & de farines
; & fi à force de foins & de fecours , Sa Ma
jefté a pu fuffire jufqu'à préfent aux befoins les
plus preffans , befoins généraux cette année dans
fon royaume , Elle n'a pu fe préferver des plus
grandes inquiétudes. Ces inquiétudes fe font mêlées
aux difficultés fans nombre de la convocatióni
des Etats-généraux ; elles fe font mê'ées aux embarras
journalie's du tréfor reyal ; enfin , elles fe
font réunies aux
ménagemens fans fin qu'exi- .
geoient les circonftances . Jamais année n'a multiplié
tant de traverſes & n'a femé tant d'obſtacles
fur la route de
l'adminiſtration. On parle d'honneur
, on parle de gloire pour vous encourager &
vous foutsnir ah ! da s de certaines crifes & au
milieu de les travaux & de fes peines , le fentiment
de la part des autres , dont un Miniftre
le plus befoin , c'eft de compaffion & de pitié.
Cependant , Meffieurs , ce font les blés
font les craintes fur la meſure des
approvifionnemens
néceffaires à la fubfiftance de ſes peuples
, qui préoccupent
impérieufement la penfée
du Souverain .
L'expérience femble avoir démontré
qu'une loi générale & conftante , foit en
faveur d'une liberté parfaite , foit en oppofition
à ce fyftême , expofe à de grands
inconvéniens
& à de févères
conféquences. Mais les combinaifons
, la prudence de
l'adminiftration doivent
elles être votre feul garant ? c'eſt au gouvernement
à défirer avec ardeur que vous puif
fiez trouver une autre caution , & c'eft à lui de
vous inviter à chercher un réglement , une inf-
Supplément au N°. 22.
ce
( 2 )
truction ; une affociation au moins à fes peines
& à fes inquiétudes , qui allège le fardeau
dont il eft oppreffé , lorfqu'il fe voit dans la
dure obligation de lutter contre des circonftances
fouvent invincibies , & de répondre
néanmoins à l'attente de tous ceux qui confidèrent
les foins dans l'adminiftration comme
une fauve -garde indéfinie.
€ VIII. Le tirage de la milice , cette loterie de
malheurs qui a lieu toutes les années , fixera
şûrement votre attention . Il faut que l'Etat
ait des défenfeurs , il faut qu'il foit sûr d'en
trouver dans le temps où le royaume eft en
danger ; mais fi des facrifices d'argent , fupportés
par l'univerfalité des habitans de la
France , pouvoient obvier aux inconvéniens
des enrôlemens forcés , ou en tempérer du
moins les févères effets , vous dirigerez sûrement
votre attention vers la recherche d'un
point de conciliation fi défirable . Le peuple
des campagnes vous a remis fes intérêts ,
l'humanité feule vous eût engagés à les prendre
fous votre garde , & le tendre père de
tous fes fujets , le protecteur le plus fenfible
des malheureux , votre augufte Monarque
vous invite particulièrement à rechercher , à
lui indiquer toutes les difpofitions qui peuvent
adoucir le fort de la claffe la plus infortunée
& la plus délaiffée des citoyens de l'Etat.
Déjà par les ordres exprès du Roi , le département
de la guerre s'eft occupé de l'important
objet d'adminiftration dont on vient de
vous parler. Sa Majefté vous fera communiquer
les obfervations & les idées qui ont été
recueillies , & Elle verra avec fatisfaction que
yous puiffiez concourir par vos lumières à l'a
doption d'un plan raifonnable & propre à concilier
les vues de fagefle & de bonté dont Sa
Majefté eft conftamment animée.

( 3 )
IX. C'eft à l'honneur du Roi, c'eften fouvenir ,
c'est en hommage pur & fenfible de fes bienfaits
, que nous vous rappellerons les maux de
la corvée , puifque les chemins dans prefque
tout le royaume font aujourd'hui entretenus &
conftruits à prix d'argent . Vous aimerez fans
doute , Meffieurs , à confacrer l'abolition d'un
afferviffement qui a fait verfer tant de larmes .
Vous ne voyez plus fur les rontes des hommes
diftraits par force de leurs occupations journa
lières pour venir , fans falaires & fans récompenfe
, frayer & préparer les chemins qui facilitent
le tranfport du commerce
le débit des

moiffons du propriétaire & la communication
des richeffes. Le travail qui doit fervir à tous
eft maintenant payé par tous dans une exacte
proportion des différentes facultés. Il n'eft pas
douteux qu'en raifon de cette règle , tel homme
de peine àqui l'on demandoit gratuitement chaque
année fept ou huit jours de fon temps , fe
trouve affranchi de cette dure obligation pour
une contribution pécuniaire qui repréſente à peine
la dixième partie de fon ancien facrifice . Vous
êtes encore à temps , Meffieurs , d'être affociés
pour une part aux difpofitions bienfaifantes de
Sa Majefté , puifque vous pouvez l'aider à détruire
les dernières traces de la corvée dans
une grande province où elle eft confervée ;
vous réunirez vos voeux au défir déja manifefté
par Sa Majesté pour délivrer le peuple Breton
d'un joug auquel il eſt encore affujéti ; & fi ces
deux mots effrayans , la taille & la corvée , font
rayés pour toujours des regiftres de l'adminif
tration des finances & du code François , cette
feule délibération fuffiroit pour fignaler honorablement
les Etats - généraux de 1789.
Un jour viendra peut- être , Meffieurs , où
vous étendrez plus loin votre intérêt ; un jour
2 11
( 4 )
viendra peut-être , ou dociant à vos délibérations
les Députés des colonies , vous jeterez un
regard de compaffion fur ce malheureux peuple
dont on a fait tranquillement un barbare objet
de trafic ; fur ces hommes femblables à nous
par la pensée, & fur-tout par la trifte faculté de
fouffrir ; fur ces hommes cependant que , fans
pitié pour leurs douloureufes plaintes , nous accumulons
, nous entafons au fond d'un vaiffeau
, pour aller enfuite à pleines voiles les préfenter
aux chaînes qui les attendent .
Quel peuple auroit plus de droits que les François
à adoucir un esclavage confidéré comme
néceffaire , en faifant fuccéder aux maux inféparables
de la traite d'Afrique , aux maux qui
dévaftent deux mondes , ces foins féconds &
profpères qui inultiplieroient dans les colonies
même les hommes deſtinés à nous feconder dans
nos utiles travaux ! Déja une Nation diftinguée
a donné le fignal d'une compaffion éclairée ;
déja l'humanité eft défendue au nom même de
Pintérêt perfonnel & des calculs politiques , &
cette fuperbe caufe ne tardera pas à paroître
devant le tribunal de toutes les Nations . Ah !
combien de fortes de fatisfactions , combien
d'efpèces de gloire font réfervées à cette fuite
d'Etats-généraux qui vont reprendre naiffance
au milieu d'un fiècle éclairé ! Malheur , malheur
& honte à la nation Françoife fi elle méconnoifioit
le prix d'une telle pofition , fi elle ne
cherchoit pas à s'en montrer digne , & fi une
telle ambition étoit trop forte pour elle !
II . CLASSE. Améliorations qui peuvent
être remises à l'administration particulière
de chaque province .
Celle d'entre vos délibérations , Meffieurs
qui eft la plus preffante , celle dont l'utilité aura
( 5 )
le plus d'influence fur l'avenir , concernera
f'établi fement des Etats-provinciaux . Ces Etats
bien conflitués s'acquitteront de toute la partie
du bien public qui ne doit pas être foumise à
des principes uniformes ; & il feroit fuperflu
Meffieurs , de fixer votre attention fur la grande
diverfité de chofes bonnes & utiles qui peuvent
être faites dans chaque province , par le feul
concours du zèle & des lumières de leur adminiftration
particulière.
On l'a déjà dit , la converfion des aides & de
tous les droits locaux dans d'autres moins oné .
reux & d'une perception moins difpendieufe ,
ou la fimple modification de ces mêmes droits ,
font des difpofitions qui appartiennent à l'admi
nifiration de chaque province , puifque ces chargemens
peuvent être exécutés dans un lieu &
rejetés dans un autre , fans qu'il en résulte aucun
inconvénient.
On doit ranger encore dans la même claffe
la jufte & fage répartition des impofitions territoriales
& perfonnelles ; la diftribution éclairée
des foulagemens dûs à la misère d'une paroiffe
ou à la détreffe d'un contribuable ; l'entretien
économe des chemins & la confection des nouvelles
routes ; la bonne difpenfation des travaux
qui affurent la fubfiftance du peuple dans les
faifons malheureufes ou dans les temps de calamité
; les encouragemens que peut exiger un
nouveau genre d'induftrie , de commerce ou de
culture ; enfin tant d'autres détails dont la connoiffance
eft aujourd'hui univerfellement répandue.
Ce n'eft pas tout cependant , car fi les
Etats provinciaux acquièrent des droits à la
confiance publique , Sa Majefté leur déléguera
plufieurs foins dont fes Miniftres & celui de la
finance en particulier ont été chargés jufqu'à
préfent . On peut mettre dans ce nombre la
a iij
( 6 )
furveillance des hôpitaux , des enfans-trouvés ,
des prifons & des dépôts de mendicité , ou plu
rôt les changemens qui paroiffentindifpenfables
dans ces différentes parties de l'adminiftration.
Les renfeignemens généraux ne fuffiſent point ,
& chaque province femble exiger des exceptions
particulières ; car le naturel des habitans ,
leur degré d'in e ligence & d'activité , le climat ,
le genre de culture , influent beaucoup fur la
manière de foulager les indigens ou d'en dimi
Auer le nombre. Protéger le pauvre , prévenir
fa mifère , détruire les penchans vicieux qui la
produifent communément , voilà fans doute les
caractères diftin &tifs d'une excellente inflitution
fociale mais quand l'adminiftration première
doi: appliquer ces principes aux circonftances
particulières , quand du centre où elle ſe trouve
placée , elle doit étendre fes regards à une prodigicute
circonférence , fon attention eft trop
partagée pour ne pas devenir faperficielle ; &
cependant il eft une multitude de biens , comme
nous venons de le dire , dont l'exécution dépend
d'une difcuffion approfondie & d'une applica
tio cominuelle à lever les moindres difficultés.
Le plus petit a miniftrateur d'hôpital au fond
d'une province , a plus de reffources pour dé
fendre un abus , qu'un premier Miniftre du
Roi de France n'auroit de moyens pour l'extirper.
Tout échappe , tout fuit par les détails
quand on n'eft pas à la diftance néceffaire pour
les atteindre. Quels biens ne pourront donc pas
faire des Etats provinciaux ! quels fervices ne
pourront-ils pas rendre à l'humanité foaffrante ,
s'ils infpirent au Roi de la confiance dans leur
zèle & leur activité , & s'ils encouragent Sa
Majefté à les affocier à la plus précieuſe & à la
plus douce des forêtions de l'autorité fouveraine
, la défenfe & la protection dis malheureux
!
>
( 7 )
*
Le Roi pourroit également fe repofer fur eux
de l'inſpection fur les dépenfes des communau
tés & des villes. Combien de municipalités ne
fe font pas endettées , parce que l'adminiftration
première n'a pu fuivre exactement leur
geftion ? On aperçoit à chaque inftant de quelle
utilité pourroit être une action & une cenfere
plus rapprochée de cette multitude d'abus inféparable
de l'humanité.
Ce n'eft pas ici le moment de fe livrer à de
plus grands développemens ; il eft aifé d'apercevoir
que pour tous les biens partiels & relatifs à
une localité particulière , les meilleures intermédiaires
que le Roi pourroit choifir , ce fe-.
roient des adminiftrations dont l'organiſation
feroit fage & bien ordonnée. Il s'étoit élevé
depuis un temps fort reculé une forte d'ombra
ge & de défiance entre l'adminiſtration miniſtérielle
& celle des anciens États : on confidéroit
ces deux adminiſtrations commerivales , & cha
cune occupée effentiellement de fon autorité ,
étoit fouvent moins occupée du bien réel des
peuples , que du privilége de les commander ;
& malheureufement ce privilége paroiffoit également
maintenu , foit qu'on étendit fa propre
action , foit qu'on mit obstacle à celles des au
tres. Aucune de ces difficultés , aucune de ces
contradictions ne fubfiftera dans un plan bien
ordonné. Le Roi , en affemblant autour de lui
les Députés de la Nation entiere , attefte à tous
fes fujets , par ce grand acte de confiance
qu'uniquement occupé du bien public , c'eft
avec la Nation même qu'ilveut l'entreprendre &
le réalifer. Ainfi , foit univerfellement aux Etatsgénéraux
, foit partiellement dans chaque province
, les citoyens zélés qui pourront aider
Sa Majefté à parvenirau but qu'Elle fe propofe ,
deviendront comme autant de miniftres de fes
a iy
( 8 )
volontés ; & nous autres , Meffieurs , nous feconderons
, non pas de notre pouvoir , puifque
ce pouvoir ne confifte que dans notre obuiſtance
aux ordres du Roi , mais de notre ardente
affection & de notre extrême volonté , l'établiſ
fement d'un ordre bienfaifant & falutaire , prcpre
également à glorifier le règne de Sa Majeflé
, & à confolider le bonheur de la Nation .
Y
Cependant , Meffieurs , fi ce bonheur peut
appartenir en grande part à l'effet des foins dévolus
aux Etats particuliers de chaque province
, & fi vos réfl.xions vous amencient encore
à penfer que librement élus , ils pourroient
fournir un jour une partie des Députés des
Etars du royaume , ou une affemblée générale
intermédiaire , la compofition des Etats provinciaux
vous paroitroit alors une des plus grandes
chofes dont vous auriez à vous occuper. Et
comme on doit être perfuadé , Meffieurs , que
bientôt un mê nefentiment vous réunira ,comme
on ne peut douter que mille ou douze cents
Députés de la nation Françoife ne fe fépareront
pas fans avoir fait fortir de terre les fondemens
de la profpérité publique , je me repréſente à
l'avance ce jour éclatant & magnifique , où le
Roi , du haut de fon trône , écouteroit au milieu
d'une affemblée augufte & folennelle , le rapport
que viendroient faire les Députés des
Etats de chaque province. Je les vois ces Députés
, impatiens de mériter l'approbation de
içur Souverain & les louanges de la Nation ; je
les vois s'arrêter avec orgueil & à l'envi fur les
moyens que leurs Etats auroient employés pour
ajouter au bonheur du peuple , ou pour alléger
le poids de fon infortune ; je les vois autentifs
à recevoir les uns des autres quelque lumière
nouvelle ou quelque notion bienfaifante
arin de les rapporter foigneufement à l'adminiſtration
dont ils font partie. Je vois Sa M.-
( 9.)
jefté remirquer ceux dont le zèle & les connoiffances
auroient le plus d'éclat , & fe fervir ,
pour exciter l'amour du bien public , des divers
moyens d'émulation qui font dépofés entre les
mains du Monarque . Ah ! qu'il feroit beau ce
moment où, par le concours des lumières de tout
un peuple, on découvriroit avec certitude le bien
qu'on peut faire dans un royaume tel que la
France ! Ah ! qu'il feroit beau ce moment , où ,
par une rivalité généreuſe , après avoir connu
ce bien , on s'emprefferoit de le faire !
Ce n'eft pas feulement pour former & conftituer
fagement des Etats particuliers dans les provinces
où il n'y en a point encore , que le Roi
aura befoin de vos confeils & de vos réflexions ;
Sa Majefté attend de vous que vous l'aidiez à
régler plufieurs conteftations qui fe font élevées
fur la conftitution des anciens Etats de quelques
provinces ; Sa Majefté défire que fa juftice foit
éclairée ; Elle défire faire le bonheur de fes peuples
fans exciter aucune réclamation légitime ;
E'le défire tenir une exa &te balance entre les
prétentions des divers Ordres de fon royaume ;
enfin , au milieu des intérêts contraires qui agtent
les efprits , Elle eft inquiète lorfque la
route la meilleure & la plus sûre n'eft pas évidemment
tracée. Vous fixerez fes doutes , vous
viendrez affurer fa marche , & vous l'aiderez à
rendre à tous fes fujets une parfaite juftice.
Je ne dois point retracer ici , Meffieurs , les
grands objets de bien public fur lefquels M. le
Garde des Sceaux vient d'arrêter votre attention
; il n'en eft aucun qui ne fait de la plus grande
importance , & l'énumération feule de leurs
titres fuffit pour en impofer aux imaginations les
plus hardies . Qui pourroit en effet entendre fans
émotion la fimple dénomination de tant de travaux
fi dignes d'occuper fucceffivement l'intérêt
a y
( 10 )
d'une Nation ? l'amélioration des loix civiles
& des loix criminelles ; la douce modification
des peines ; la réduction des frais de juſtice ;
l'accélération des procédures ; la détermination
des degrés de diftances convenables entre la réfidence
des tribunaux & le domicile de ceux qui
ont recours à la juftice fouveraine ; la détermi
nation du degré de reftriction ou de facilité qu'il
faut acorder à la publicité de toutes les opinions.
& de tous les écrits ; la connoiffance des temps
où la fauvegarde des loix fuffit au maintien de.
l'ordre public , & l'examen auffi des circonftances
où cet ordre dépend des actes rapides de l'autorité
; la recherche de tous les foins propres à
établir une parfaite harmonie entre l'exercice
des nouvelles fonctions qui feront attribuées aux
tribunaux , & la célérité indifpenfable dans cette
multitude de circonftances où le gouvernement
feul étoit appelé à intervenir ; la recherche
plus délicate encore des moyens de concilier
l'aufère , l'inflexible , & fur-tout l'uniforme application
des loix avec ces habitudes de ménage
inens & d'égards dont quelques -unes tiennent de
fi près aux moeurs nationales ; l'étude encore des
difficultés auxquelles on s'expoferoit fi l'on abandonnoit
trop rapidement les ufages affortis aux
préjugés de l'honneur , pour adopter en entier ces
principes de juftice abftraite , qui affujettiffent à
leur domination tous les rangs indiftinctement
tous les états , toutes les perfonnes. Oui , Meffieurs
, vous apercevrez fûrement qu'il eft des
abus , qu'il eft des erreurs de gouvernement dent
les racines s'entre- mêlent invifiblement avec les
premières tiges de plufieurs opinions qui appartiennent
effemiellement aux grandes monar→
chies ; & telle loi dont l'exécution abfolue fait le
bonheur d'une république , s'y trouve environnée
de tous les ufages , de tous les principes
de tous les fentimens qui compofent fa force ,
( II )
n'auroit pas le même fuccès , & furtout ne conferveroit
pas long-tems fon empire , fi on la
tranfplantoit dans un pays où elle fe trouveroit
comme ifolée au milieu des opinions & des ha
bitudes qui toutes n'auroient aucune connexion
avec elle. Ces réflexions & beaucoup d'autres
Meffieurs , n'échapperont pas à vos lumières , &
une fage circonfpection vous fervira de guide ,
fans vous faire perdre de vue le but où vous
voudrez atteindre.
Les cahiers qui ont été composés dans les diverfes
parties du royaume , & dont vous êtes dépofitaires,
comprennent fans doute un grand nombre
d'idées utiles & plufieurs projets d'améliora
tions fufceptibles d'être réalités . Ce feroit donc
inutilement qu'on vous retraceroit les difpofi
tions particulières qui feroient dignes de votre
attention & de votre intérêt : vous choifirez
Meffieurs , dans cette collection de fouhaits &
de plaintes que la condition humaine rend malhen:
eufement inépuifable , vous y choifirez les
demandes les plus inftantes & les plus preffées ,
& vous rendrez heureux votre Souverain , quand
vous lui préfenterez des voeux que fa juflice lui
permettra de fatisfaire .
Ah ! quelle immenfe tâche en tous les genres
va fe déployer devant vous ! vous ne pourrez
pas la remplir , vous pourrez à peine la décou- ,
vrir à cette première époque de votre réunion ;
car dans un vafte empire comme dans les grands
travaux de la nature , le temps feul achève notre
oeuvre. Chaque jour , chaque année , amènent de
nouvelles idées , & font découvrir des vérités
long-tems inconnues ; mais fi vous pofez les
grandes bafes , fi vous élevez les colonnes de l'édifice
, vous vous affocierez d'avance à toute la
gloire du monument , & aux divers avantages
qui en réfulterout.
a vi
( 12 )
On peut fe former une idée confuſe de ces
avantages , on peut en indiquer les premiers
deg és ; mais l'pinion , les préfages même d'un
feul homme , fût- il aut éclairé qu'on pourroit
le défirer , ne fauroient annoncer les effets de
cette maffe de lumières que le temps & l'agitatien
générale des efprits peuvent apporter au
milieu des affemblées nationales dont celle -ci
n'eft que la première en rang. Que rien pour
notre bonheur , que rien ne vienne arrêter ce
cours fucceffif de connoiffances , de pensées
& de réflexions ; ce mouvement , femblable à
celui d'un fleuve m jeftueux qui arrofe & fertilife
les campagnes , multipliera dans ce beau royaume
tous les genres de profpérités. C'est alors
que la France préfentera le plus magnifique des
fpectacles , celui du concours de toute l'action
du génie de la Nation la plus induſtrieufe & la
plus animée , avec l'effor de la nature phyfique
la plus variée & la plus féconde dars fes
bienfaits . Quel accord ! quelle union ! & que
ne peut- on pas en attendre !
C'est dans les Etats - généraux que le bonheur
public doit fe renouveler , & c'est par eux qu'il
doit fe maintenir & s'accroître . Ainfi vous ferez
appelés fans doute à examiner les avantages &
les inconvéniens des formes qu'on a cru devoir
obferver pour la convocation de cette première
aifemblée ; vous pren ' rez connoiffance des longueurs
& des difficultés qui ea font réfutées ;'
vous examinerez toutes les difparités qui font
une conféquence des anciennes fections 'arron .
diffemens ; enfin l'expérience venant de rendre
fenfibles diverfes imperfections inférables du
plan qu'on a fuivi pour fe rapprocher des anciens
ufages , vous penferez , Meffieurs , qu'un de vos
plus grands intérêts eft de préfenter au Roi de
nouvelles idées , & de former des plans qui foient
( 13 )
médités avec affez ae fagetfe pour obtenir l'approbation
de Sa Majefté , & pour répondre au
voeu commun de la Nation . Toutes les difpofitions
, Meffieurs , qui ont fervi à vous raffembler
, fe trouvent entées , pour ainfi dire , fur
le tronc antique & refpećté de la confiitution
Françoife ; mais les changemens furvenus dans
nos moeurs & dans nos opinions , l'agrandiffement
du royaume, l'acroiffement des richeffes nationales
, l'abolition fur- tout des privilèges pécuniaires
, fi cette abolition a lieu , toutes ces circonftances
& beaucoup d'autres exigent peutêtre
un ordre nouveau : & fi le gouvernement
fe borne en ce moment à fixer votre attention fur
cctre penſée , ce n'eft pas qu'il demeure étranger
à une fi importante délibération ; maisles égards
dûs aux lumières de cette augufte affemblée , doivent
détourner de lui propofer d'autre guide que
fes propres réflexions . On a recueilli pour cette
fois les débris d'un vieux temple ; c'eft à vous
Meffieurs , à en faire la révifion & à propofer les
moyenss de les mieux ordonner. Vous remarquerez
peut- être , à cette occafion , l'inconféquen
ce ou la légèreté de l'efprit du jour , qui fe plaît
à juger des arrangeinens momentanés , avec la
même févérité qu'il devroit employer pour ap
précier des inftitutions immuables. Encore fic'étoit
toujours de perfection qu'on fût avide ; mais
l'ardeur avec laquelle on épie les erreurs ou
les fautes de ceux qui agiffent , donne fouvent à
penfer qu'on en fait la découverte avec plaifir.
Enfin , Meffieurs , & pour revenir à des idées
plus douces , lorfque , de concert avec votre augufte
Souverain , vous aurez pofé les bafes premières
du bonheur & de la prospérité de la France
, & lorfque vous aurez encore marqué les
pierres numéraires qui doivent vous conduire
dans la vafte route du bien public , vous ne nė(
14 )
'
gligerez pas d'apercevoir que plus un gouver
nement fe met dans la réceffité d'être jufte
& plus il faut affermir fon action . Une Nation
fourdement mécontente des fautes ou des abus
de l'adminiſtration , ne tarde pas à fe complaire
dans toutes les oppofitions & les réfiftances ;
mais un tel efprit doit changer , lorfque par de
fages précautions , la marche du gouvernement
fe trouve unie pour toujours aux principes qui
doivent affurer la félicité publique . Le Roi défire
avec paffion que tout ce quieft jufte en adminiſ
tration foit connu , foit déterminé , foit invariable
; mais il défire , mais il veut abfolument
que l'autorité fouveraine puiffe maintenir l'exé
cution des difpofitions conformes aux loix , &
défendre l'ordre public contre toute efpèce d'atteinte.
Le meilleur des gouvernemens ne feroit
qu'une belle abftraction , fi le moment où la puiffance
royale doit déployer toute fon action , reftoit
encore incertain , & fi cette puiffance une
fois en accord avec le voeu général , avoit des réfiftances
à ménager & des obftacles à vaincre . Il
ne faut pas , Meffieurs , que les ennemis de la
tranquillité publique & de la profpérité nationale
puiffent placer leur efpoir dans une confufion ,
fuite inévitable d'un défaut d'harmonie entretoutes
les forces protectrices des deftins de la France.
Vous confidérerez la fituation du royaume ,
vous verrez ce qu'il eft , & ce qu'il a befoin d'être
dans l'ordre politique de l'Europe ; & en arrêtant
votre attention fur l'ancien état de la plus
refpe&table des Monarchies , vous étendrez au
loin vos réflexions , & non contens des premières
acclamations du peuple François , vous afpirerez
encore au fuffrage réfléchi de toutes les Nations
étrangères , de ces Nations dontle jugement,
à l'abri de nos paffions du moment , repréfente
celui de la peftérité; de ces Nations qui , vous con(
15 )
fidérant dans le tableau de l'hiftoire, ne croiront à
la durée d'aucune de vos difpofitions , fi vous
perdez de vue ce qu'exigent impérativement les
grandescirconftances de ce vafle Empire , fa pofition
, fes relations extérieures , la diverfité de fes
ufages , dont les uns font conftitutifs , les autres,
affermis par le temps , l'effet inévitable de fes
richeffes , & plus encore peut-être le génie & le
caractère de fes habitans , les anciens préjugés ,
les vicilles habitudes , enfin tous ces liens qu'on
ne peut jamais rompre avec violence , & que
la prudence d'un grand corps politique doit fagement
apprécier.
Le Roi , Meffieurs , en confidérant par la
penfée cet important édifice de bonheur & de
puiffance que vous pouvez l'aider à élever
défire véritablement qu'il puiffe être fondé fur
les bafes les plus affurées : cherchez- les , indiquez-
les à votre Souverain , & vous trouverez
de fa part la plus généreufe affiftance . Le Roi
Meffieurs , éclairé par de longues traverſes , &
par ces événemens précipités qui doublent en
quelque manière les années de l'expérience
aime plus que jamais la raifon , & en est un bon
juge Ainfi , lorfque les premières fluctuations ,
inféparables d'une réunion nombreuſe , feront
arrêtéos, lorfque l'efprit dominant de cette affemblée
fera dégagé des nuages qui pourroient
d'abord l'obfcurcir, enfin lorfqu'il en fera temps,
Sa Majefté appréciera juftement le caractère de
vos délibérations ; & s'il efl tel qu'Elle l'efpère.
s'il eft tel qu'Elle a droit de l'attendre , s'il eft tel
enfin que la plus faine partie de la Nation le fouhaite
& le demande , le Roi fecondera vos voeux
& vos travaux ; il mettra fagloire à les couronner;
& l'efprit du meilleur des Princes fe mêlant, pour
ainfi dire à celui qui infpirera la plus fidelle des
Nations , on verra naître de cet accord le plus
( 16 )
grand des biens & la plus folide des puiffances .
C'eft à vous , Meffieurs , à préparer une fi belle
alliance , c'eſt à vous à former un ſemblable
noeud ; & pour y parvenir , vous écarterez tous
les fyftêmes exagérés , vous réprimerez tous les
abus de l'imagination vous vous défiercz de
toutes les opinions trop nouvelles , vous ne
croirez pas que l'avenir puiffe être fans connexion
avec le paffé , vous ne préférerez pas les
projets & les difcours qui vous tranſporteroient
dans un monde idéal , à ces penſées & à ces
confeils qui , moins éclatans , mais plus praticables
, expofert à moins de combats , & donnent
au bien qu'on opère un caractère de ſtabilité &
de durée. Enfin , Meffieurs , vous ne ferez pas
envieux des fuccès du tems , & vous lui laifferez
quelque chofe à faire ; car fi vous entrepreniez
à-la-fois la réforme de tout ce qui vous paroîtroit
imparfait , voire ouvrage le deviendroit luimême.
Il eft aifé d'apercevoir que dans une
vafte adminiftration , la jufte proportion de fes
diverfes parties échappe aux meilleurs obferva
teurs , lorfque toutes font mifes en mouvement
dun feul jet , & que de fimples abftractions
en garantiffent l'harmonie .
Que feroit- ce , Meffieurs , fi dès vos premiers
pas une défusion éclatante venoit à fe
manifefter ? que deviendroit le bien public au
milieu de ces divifions où les intérêts d'ordre ,
d'état & de p rfonnes , occuperoient toutes
vos penfées ? Ils font fi agifans ces intérêts
& leur domination va tellement en croiffant ,
que la fageffe de Sa Majeftè , que fon attachement
au bien de l'Etat , ont dû fixer fon attention
fur des paffions d'une fi grande influence.
C'est par ce motif fi digne d'hommage , c'eſt
par ce motif qui attefte ti diftin&tement le veu
de Sa Majesté pour le fuccès de vos travaux ,
( 17 )
que le Roi eft inquiet de vos premières délibérations.
La manière dont les Etats - généraux
en dirigeront la forme , eft une des grandes
queftions qui s'eft élevée dans le royaume , &
les avis fur la délibération en commun ou par
tête , femblent s'être partagés avec une ardeur
qui deviendroit alarmante , fi l'amour du bienpublic
ne formoit entre vous Meffieurs , un
point de réunion plus fort & plus puiffant que
les opinions & les fentimens propres à vous
divifer. Le Roi , Meffieurs , connoît toute
l'étendue de la liberté qui doit vous être laiffée ;
mais fans accord , votre force s'évanouiroit , &
les efpérances de la nation feroient perdues. Sa
Majefté a donc fixé fon attention fur des préliminaires
dont les conféquences peuvent être
fi grandes ; & ce n'eft pas encore cependant
comme votre Souverain , c'eft comme le premier
tuteur des intérêts de la Nation , c'eft
comme le plus fidèle protecteur de la félicité pu
blique , que le Roi m'a ordonné de vous préfenter
un petit nombre de réflexions . J'aurois aimé
peut -être à en être difpenfe , car on ne s'ape
proche jamais fans danger de ces questions délicates
dont l'efprit de parti s'eft déja rendu
maitre ; mais il faut rejeter avec dédain toutes
les confidérations perfonnelles qui font tou
jours embarras dans la route du bien public.
Ce fera vous Meffieurs , qui chercherez
d'abord à connoitre l'importance ou le danger
dont il peut être pour l'Etat que vos délibérations
foient prifes en commun ou par ordre ,
& les lumières qui fortiront de votre affemblée
influeront fans doute fur l'opinion de Sa
Majeſté ; mais le choix du moment où cette
queftion doit être traitée , fi ce choix eft fait
fagement , fuffira pour prévenir les rifques
ou les inconvéniens d'une femblable difcuffion
2
( 18 )
& c'eft principalement fur ce point que je vais
m'arrêter.
Tout annonce , Meffieurs , que fi une partie
de cette affemblée demandoit que la première
de vos déterminations fût un voeu pour délibérer
par tête fur tous les objets qui feront
foumis à votre examen , il réfulteroit de cette
tentative , fi elle étoit obftinée , une fciflion telle
que la marche des Etats - généraux feroit arrêtée
ou long-tems fufpendue , & l'on ne peut prévoir
quelle feroit la fuite d'une femblable divifion.
"
Tout prendroit au contraire une forme diffé
rente , tout fe termineroit peut-être par une conciliation
agréable aux partis oppofés , fi les trois
Ordres , commençant par fe feparer , les deux
premiers examinoient d'abord l'importante queftion
de leurs priviléges pécuniaires , & fi , confirmant
des voeux déjà manifeftés dans plufieurs
provinces , ils fe déterminoient d'un commun
accord au noble abandon de ces avantages . Per-
Tonne d'entre vous , Meffieurs ne pourroit
avec justice effayer de ravir aux deux premiers
Ordres le mérite d'un généreux facrifice ; & ce
feroit cependant les en priver , ce feroit du
moins en obfcurcir l'éclat , que de foumettre
cette décifion à la délibération des trois Ordres
réunis une poffeffion qui remonte aux temps
les plus reculés de la Monarchie , eft un titre
qui devient encore plus digne de refpect au
moment où ceux qui en jouiffent font difpofés
à y renoncer. Il est donc jufte , il eft raifonnable
que les Députés des Communes laiffent aux
repréfentans des deux premiers Ordres tout
l'honneur d'un tel facrifice. C'eft en vain que
pour en diminuer le prix , c'eft en vain que
pour le ternir , on voudroit y donner le nom
d'obligation fimple & naturel. Certes , de pareils
( 19 )
actes de juftice ne font pas communs , & l'híftoire
n'en préfente pas d'exemples .
"
Suppofons maintenant que cette délibération
foit prife par la Nobleffe & par le Clergé
qu'elle le foit promptement & de la fente ma
nière dont on peut l'attendre , par un noble
fentiment , par un mouvement digne de l'élévation
d'ame qui cara érife les principaux mem
bres des deux premiers Ordres de l'Erat ; dès
ce moment ils recevront de la part des repréfentans
des Communės , cet hommage de reconnoiffance
& de fenfibilité auquel aucun François
ne fut jamais réfractaire, Ils feront invités à
s'unir fouvent aux Repréfertans du peuple ,
pour faire en commun le bien de l'Erat ; &
iûrement ce ne fera pas d'une manière générale
ni abfolue qu'ils réfifteront à cette avance.
Cependant une première union entre les Ordres
une fois formée , & les ombrages des uns dif
fipés , les plaintes & les jaloufies des autres
appaifées , c'eft alors qu'avec calme & par des
Commiffaires nommés dans les trois Ordres , on
examinera les avantages & les inconvéniens de
toutes les formes de délibérations ; c'eft alors
qu'on défignera peut-être les queftions qu'il
importe au Souverain & à l'Etat de foumettre
à une difcuffion féparée , & les objets qu'il eft
convenable de rapporter à une délibération
commune ; c'eft alors enfin qu'on jugera plus
fainement une queftion qui préfente tant d'af
pects différens. Vous verrez facilement que pour
maintenir un ordre établi , pour ralentir le goût
des innovations , les délibérations confiées à
deux ou trois Ordres , ont un grand avantage ,
& que dans les temps & pour les affaires où la
célérité des réfolutions & l'unité d'action & d'intérêt
deviennent néceffaires , la confultation en
commun mérite la préférence . Vous examine
( 20 )
rez ces principes & bien d'autres avec une
impartialité inconnue jufqu'à préfent , du mo
ment que l'abolition des priviléges pécuniaires
ara rendu vos intérêts égaux & parallèles.
E fin , Meffieurs , vous découvrirez fans peine
toute la pureté des motifs qui engagent Sa
Majefié à vous avertir de procéder avec fageffe
à ces différens examens . En effet , s'il étoit po
ble qu'Elle fût uniquement occupée d'affurer
fon influence fur vos déterminations , Elle fauroit
bien apercevoir que l'afcendant du Souve
rain feroit un jour ou l'autre favorisée par l'établiff.
ment général & conftant des délibérations
en commun ; car dans un temps où les efprits
ne feroient pas foutenus , comme aujourd'hui ,
par une circonftance éclatante , peut-on douter
qu'en Roi de France n'eût des moyens pour
captiver ceux qui , par leur éloquence & leurs
talens , paroiroient devoir entraîner un grand
nombre de fuffrages ! La marche des délibérations
confiées à deux ou trois O. dres , eft donc ,
par fa lenteur & fa circonfpection , la meins favo
rable aux grandes révolutions ; & quand votre
Monarque , Meffieurs , vous ramène à ces réflexions
, il vous donne une nouvelle preuve de
fon amour fincère du bien de l'Etat .
Ah ! fi dans le cours de ce Mémoire , fi en
parcourant rapidement les objets les plus importans
, je ne vous ai pas fait connoître ces fentimens
généreux & les intentions pures qui dirigent
toutes les déterminations de notre augufte
Monarque , n'en accufez , Me eurs , que l'interprère
dont il a fait choix. Sa Majesté veut le
bien & le veut dans toute fon étendue ; & après
avoir été fouvent contrariée , dans fes défirs &
dans fes tentatives , Elle vient chercher'en vous
une confolation & un appui . Non , fon eſpoir
Le fera point trompé , vous voudrez lui mar(
21 )
quer de la reconnoiflance , vous voudrez lui dɔnner
le prix qu'Elle attend de vous " , " & de prix”,
ce prix ineflimable fera l'avancement du bonheur
de fes peuples. Soyez unis , Meffieurs ,
pour une fi grande entreprife , foyez un s pour
répondre aux voeux de la Nation , y z unis
pour foutenir avec honneur les égard , " de l'Europe,
foyez unis pour tranfmettre fans croute vos
noms à la poftérité , & pour contempler à
l'avance le tribunal rigoureux des générations
futures. Elles auront un compte à vous deman
der ces générations innombrables dont vous allez
peut-être fixer la deſtinée . Vos rivalités , vos prétentions,
vos débats perfonnels pafferont comme
l'éclair au milieu de l'immenfité de l'efpace , ils ne
laifferont aucune trace dans la route des fiècles ;
mais les principes d'union & de bonheur que
vous aurez affermis , deviendront le témoigna
ge & comme le trophée perpétuel de vos tra
vaux & de votre patriotifme. Oui , ce que vous
aurez fait pour l'avantage de l'Etat & pour fa
gloire , ce que vous aurez fait pour en affurer
la durée , fe trouvant inféparablement lié à la
plus grande & à la plus éclatante de toutes les
circonftances , confiera votre fouvenir à la reconnoiffance
des hommes ; & qui ne fait que leur
réconnoiffance s'accroît à mefure que le temps
éloigne d'eux leurs bienfaiteurs & les obfcurcit
de fon ombre !
Mais , ne vous le diffimulez point , Meffieurs ,
il faut qu'une conflitution bienfaiſante & falutaire
foit cimentée par la puiffance de l'efprit
public , & cet efprit public , ce patriotisme , ne
confiftent point dans une ferveur paffagère , ou
dans un aveugle défir d'une nouvelle fituation ;
un tel défir , une telle agitation , fubfifteront
toujours , car il eft dans l'ordre inviolable des
chofes , que le plus grand nombre des habitans
d'un Empire découvrent autour d'eux de meil(
22 )
il
leures places , & afptrent vaguement à un monvement
qui leur préfente de nouvelles chances.
Une pareille inquiétude n'eft qu'un fentiment
perfonnel , & on ne l'anoblit qu'en apparence & paffagèrement . quand on le dirige vers les intérêts
généraux dont la fociété paroit le plus occupée.
Mais le véritable efprit public , le feul qui
puiffe fuppléer à l'imperfection de toutes les
loix politiques , eft d'une toute autre nature ;
vafte dans fes vués , réfléchi dans fa marche ,
mais pour tou- tranfporte non pour un moment ,
jours , nos intérêts perfonnels à quelque diftance
d- nous , afin de les réunir , afin de les
foumettre à l'intérêt commun . Il faut de la force ,
il faut du temps pour s'élever à cet efprit
public , & dans les commencemens
un pareil
effort eft pénible ; il doit l'être fur- tout au
milieu d'une Nation qui n'a jamais pris foin de
fes propres affaires , & qui , accoutumée depuis
des fiècles à s'abandonner uniquement aux prétentions
individuelles , ou à celles qui dépendent
d'une affociation circonfcrite , n'eft nullement
préparée à la grande fcène qui s'ouvre
aujourd'hui devant elle . Je ne fais point ces
réflexions , Meffieurs , pour affaiblir votre conrage
, mais pour vous engager à n'être point
étonnés des contrariétés dont vous ferez l'épreuve
tant que l'efprit national ne fera point encore
en harmonie avec la grandeur des circonftances
préfentes. Et pourquoi feriez - vous abattus
par des obftacles , tandis que le gouvernement
, vers lequel fe font portées , comme à flot ,
toutes les paffions , toutes les intrigues & toutes
les calomnies , a maintenu néanmoins fon
courage & fa perfévérance ? Il eût connu
me d'autres , le prix du repos ; il eût franchi
bien ou mal les difficultés de finance ; & en
mettant tous fes foins à rendre à l'autorité fon
> com-
>
·( 23 )
#
aacienne influence , il eût traversé ces temps
d'orages , comme on l'a fait tant de fois fans
éclat , mais fans inquiétude. Au lieu de fuivre
cette marche obfcure , il s'eft avancé au milieu
des dangers ; il s'eft expofé à tous les combats
de l'intérêt perfonnel ; il s'eft foumis à tous les
faux foupçons , à toutes les interprétations injuftes
; & au milieu d'une année défaftreuſe , au
milieu d'une année où le défaut des récoltes les
rigueurs de la faifon , les ravages des tempêtes
& des fléaux de toute efpéce ont affailli la
France , enfin , au milieu de la pénurie du trẻ-
for royal & des embarras inextricables de la
finance , il a mis en mouvement les habitans de
tout un royaume ; & , gêné par des formes bizarres
en elles- mêmes , & dont fouvent on avoit
perdu la trace , il eft enfin parvenu , à force de
foins & de peines , à raffembler ces Etats - généraux
que la Nation a demandés avec tant d'inftance
, ces Etats-généraux de la France , ces Etatsgénéraux
du premier Empire du monde , ces
Etats-généraux enfin qu'aucun de nous ne peut
contempler , en ce moment , fans une refpectueuſe
émotion . C'eſt à eux , c'eſt à vous , Meffieurs
, qu'il appartient d'achever le plus grand
des ouvrages , & de répondre aux efpérances .
du meilleur des Rois ; c'est à vous à combler les
voeux de tout un peuple. Qu'un jour , qu'un
feul jour ne foit pas perdu , afin que vous arriviez
plus tôt à votre terme , afin que vous alliez
recueillir dans vos provinces les tributs de
reconnoiffance qui vous feront dûs , afin que
vous entendiez de toutes parts , dans votre
route , les cris de Vive le- Roi , vive le bienfaiteur
de fon peuple , & que vous mêliez à ces paroles
l'ardente & touchante expreffion de votre admiration
& de votre amour. O France ! heureuſe
France ! c'eft entre les mains de tes citoyens ,
( 24 )
c'eſt entre les mains de tes enfans , c'eft entre les
mains de repréfentans , dont toi-même as fait le
choix , que repofe aujourd'hui ta deftinée !
Oui , Meffieurs , le Roi , en raffemblant les
Etats - généraux , le Roi , en réuniffant autour
de lui les repréfentans de la Nation , le Roi ,
en appelant à fon aide un fi grand concours
de lumières , a déja fatisfait à fa gloire ; mais
il a befoin de vous pour obtenir les jouiffances
les plus chères à fon coeur ; il a befoin de
vous pour affurer le bonheur de fes peuples
pour accroitre & pour affermir la puiffance de
l'Etat ; il a befoin de vous pour répandre partout
dans fon royaume l'influence de fes volon
tés bienfaifantes ; il a befoin de vous enfin pour
multiplier les trésors de la France , par le contentement
, la paix , la confiance & la liberté.
Ah ! puiffe le ciel accorder à notre augufte
Monarque une affez longue fuite de jours pour
voir encore , non -feulement l'aurore , mais le
jour éblouiffant de tant de profpérités : puiffe-t-il
recevoir ainfi une jufte récompenfe de fon bienfait
; puiffe- t -il voir les premières moiffons de
cette terre chérie ; puiffe-t- il préfager enfin
avec une heureuſe confiance , tout ce que lui
devront les races futures ! Et nous , par notre
amour , acquittons à l'avance cette dette de la
poftérité ; foyons juftes , foyons reconnoiffans ,
& que le tribut de nos coeurs , que l'hommage
de nos fentimens portés aux pieds de notre Souverain
, foient la première de putes les redevances
que nous nous engageons pour toujours
de lui payer.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le