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Nom du fichier
1789, 01-02, n. 1-9 (3, 10, 17, 24, 31 janvier, 7, 14, 21, 28 février)
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36.30 Mo
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913
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Texte
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ;
CONTENANT
Le Joumalolzzique des principaux évènemens de
toutes les Cours ; les Pièces Fugitives nouvelles
in vers & en proje ; l'Annonce & IAnalyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions &Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles;
les Caijer cubres ; les Acadimies de
Paris & des Provinces ; la Notice des Édiis ,
Arrés; les Avis particuliers , &c. &c.
SAMEDI 3 JANVIER 1789 .
A PARIS ,
Au Bureau du Mercure , Hôtel de Thou ;
rue des Poitevins , Nº. 18 .
AvecApprobation,& Privilége du Roi.
TABLE
Du mois de Décembre 1788 .
PIECES IÈCES FUGITIVES. Cuvres de M.Marmontel. 10
Fable.
Romance,
Dialogue.
3
Abrégé chronologique.
Cours raisonné.
49 La Belle-Mère.
JI
IS
55
Le Cousin Jacques.
Vers.
Zélie dans le Désert.
97
145 Variétés. 30,79, 117, 166
Réponse.
Charades, Enigmes & Logog.
147
Aca émie Française.
6, 56, 102, 148. SPECTACLES .
12
NOUVELLES LITTER. Acad. Roy. de Musiq. 39, 129
Moïse confidéré comme Légis- Comédie Françoife. 40, 181
lateur,
50
Cuvres de Gilbert, 57 Comédie Italienne. 184
La Vifice d'Eré.
71 Annonces & Notices, 46,90,
Tuv. deMmede Graffigny, 78
138 , 187.
A Paris , de l'Imprimerie de MOUTARD
rue des Mathurins , Hôtel de Cluni,
Comal.sets
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 3 JANVIER 1789 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
Mis au bas du portrait de Mile. CAROLINE
DESCARSIN , ameuse Harpiste , âgée
de 14 ans.
Pour charmer l'eſprit & le coeur ,
Cypris lui donna ſon langage ,
Apollon ſon luth enchanteur ,
Er l'Amour lui laiſſa ſon âge.
(ParM. Joly de Saint-Jufl.
MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eſt Culotte ; celui
de l'Enigme eſt la Fièvre , celui du Logogriphe
eft Préface,
CHARADE,
Tu perdras mon fecond, fi tu n'as mon premier !
En deux ſens différens , mon tout peut ſe comprendre
;
Et fi tu t'y prends bien, tu pourras me furprendre
Sur les lèvres d'Iris , ou bien dans ton grenier,
(Par M. le Ch. de P*** . )
ENIGME.
J'AI fervi les Mortels, les Belles & les Dieux ,
Et j'ai volé ſouvent del 'Olympe à Cythère.
J'annonce quelquefois les fureurs de la guerre ;
Je parle de la paix , de fon retour heureux ,
Et des Arts bienfaiſans qui confolent la Terre..
Pour connoître l'objet de ce portrait obfcur ,
Ne pourſuis pas un Dieu qui fuit avec des ailes ;
DE FRANCE.
S
Bientôtauprès de toi , le temps rapide & sûr
Ramènera ſes parfidèles.
Souviens toi ſeulement , Lecteur ,
Que le mot d'une Enigme eſt comme le Bonheur.
Dans le fongeriant dont l'erreur nous captive ,
Hélas !decebonheur ,fi facile & fi doux ,
Nous pourſuivons au lein la trace fugitive ,
Lorſqu'il repoſe auprés de nous.
(ParM. Emenard , fils aîné. )
LOGOGRIPH Ε .
Je ſuis, ſur mes cinq pieds, l'appui de la foibleſſe ;
J'ai de maint Rodomont réprimé la fureur ,
Etpar moi plus d'un Fat apprit la politeffe .
Sous un autre rapport,je ſuis marque d'honneur.
Change mes pieds, j'offre de La Fontaine
Un farpom que chacun croit & dit mériter ;
Le modeſte barnois qu'ici l'on fait porter
Aux humbles deſcendans de l'Ane de Silène ....
Si tu cherches encor , tu trouveras un mot
Qu'on voit ſouvent en plain-chant , en muſique.
En est-ce affez , Lecteur?- Oui , je te prends au
mot.
(Par M. Bézeau , Clerc à St. H. de Ch. )
A 3
6 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
VOYAGE du jeune ANACHARSis en Grèce ,
dans le milieu du 4e, Siècle , avant l'Ere
Vulgaire. 7 Vol. in - 8 ° . & 1 Volume
in-4°. de Cartes. Se'vend à Paris , chez
Debure l'aîné , Libraire , rue Serpente
Hôtel Ferrand , N°. 6 ( 1).
L'OUVRAGE dont nous allons rendre
compte, attendu depuis long-temps avec la
plus vive impatience , eſt le fruit de
ans de travail. Ceux qui ſavent combien
il eſt difficile de faire un bon Livre dans
quelque genre que ce ſoit , croirent fans
peine , en lifant celui- ci , qu'il a dû couter
àl'Auteur des ſoins & des recherches infinies.
Il ne ſuppoſe pas ſeulement une
lecture iminente , une critique exacte &
judicieuſe , le talent de recueillir , de rap-
(1 ) Les 7 Vol. in-8 °. & le Volume de Carres
fe vendent 45 liv. Le même Ouvrage , en 5 Vol.
in-48. y compris celui de Cartes , 60 liv. On en
a tiré pour les Curieux quelques Exemplaires fur
grand papier vélin d'Annonay , dont le prix eft de
192 livres. L'exécution typographique de ces différentes
Editions est très-belle.
DE
FRANCE .
èce ,
ر
de la
procher, de lier enſemble une multitude de
fairs épars dans les Hiſtoriens , les Orateurs,
S. les Poëzes & les Philofophes ; on y voit
briller encore des
connoiffances très diverſes
& très - érendues , un eſprit droit , accoutumé
àréfléchir , à coinparer , à faifir entre
les objets des rapports très - fins , très-
Ere fugitifs ,
& par tout
memagination, de la philofophie , & l'art fi ſagacité , de l'ihez
necellaire& fi rare d'orner ,
d'embellir la
raifon par les graces , le nombre & l'harmonie
duſtyle. On n'a peut être jamais fait
de l'érudition un uſage plus agréable& plus
urile. L'Auteur a cu ſoin d'en écarter toutes
dre les épines ; il n'en a pris , pour ainfi dire ,
la queles fleurs ,& ne l'a montrée que par les
cotes les plus propres à piquer la curioſité,
en exciter fortement l'attention , à la ſouteans
nir, & à
réconcilier en quelque forte les
ns Lecteursphiloſophes avec cette branche parer
ticulèrede
connoiffances trop négligées ſans
n- doute , mais aufli trop ſouvent ſtériles entre
me les mains de ceux qu'on appelle Savans.
&
s
L'Ouvrage de M. l'A. B ... est neuf &
original: c'eſt mêine en ce genre une des.
☑ idées les plus
heureuſes qu'on ait pu concevoir.
Il importoit d'autant plus qu'elle ſe
1. preſentat à un homme d'efprit capable de
la feconder , de la ſuivre dans ſes
différentes
ramifications , que ſi elle ſe fût offerte à un
Littérateur médiocre &
fuperficiel , comme
cela pouvoit aifément arriver , un
excellent
Ecrivain n'auroit peut-être jamais ofé s'en
Π
e
A 4
S MERCURE
faifir de nouveau , & dire comme Molière ,
en parlant de quelques ſcènes qu'il avoit
priſes à Plaure & à Cyrano de Bergerac :
Cela est bon ; cela m'appartient , je reprends.
mon bien où je le trouve. Le Public n'auroit ,
eu alors , au lien d'un tebleau bien com- ;
pofé , d'un deſlein pur , & d'une couleur
harmonicuſe & vraie , qu'une mauvaiſe découpure
enfermée dans un beau cadre .
de
M. l'A . B ... , au contraire , a exécuté
avec ſuccès ce qu'il a imaginé avec hardiefle.
On n'eft pas moins frappé de l'étendue
de ſon plan , que de la fagelle & de
l'intelligence avec leſquelies toutes les parties
en font ordonnées , & concourent au
grand effet de l'enſemble : il n'y a peutêtre
pas dans l'Hiftoire Grecque un ſeul,
fait important , un ſeul mot ancien , ingénieux
ou profond , que l'Auteur n'ait eu
l'art d'employer & faire valoir , foit par
les conféquences générales qu'il en tire, foitpar
l'application qu'il en fait , & la circon (-
tance où il le rappelle. Il n'a rien négligé
fur-tout , pour répandre ſur les différens
objets qu'il embraffe , ce charme & cet
intérêt qu'il eſt ſi difficile de donner à des
matières preſque épuisées , & fur lesquelles
les tentatives plus ou moins heureuſes de
divers Auteurs ſemblent ne laiffer à ceux
qui cultivent aujourd'hui le même fonds
d'autre mérite que celui de l'élégance &
de la richeffe de la forme.
Iln'eſt aucune matière à laquelle la PhiDE
FRANCE.

kſophie ne foit applicable; je n'en excepte
pas même celles de pure érudition qui en
pariffent le moins fufceptibles. Quand on
poré dans ces recherches un bon eſprit ;
quand on penfe , & qu'on a des idées &
des connoillances , une phrase , une ligne ,
un mot faffit pour le prouver. Le Livre
de M. Γ'Α. Β ... vient ici à l'appui de cette
ob/ervation : c'eſt même un de ceux dont
Lure fait le mieux ſentir combien la
manière de dire eſt eſſentielle aux choſes .
Uue diction Piche, vicieuse , ne déshonore
pas une id'e l'olle; elle fatigue , elle enraie,
elle fomber un Livre des mains :
en conige akment une fante , mais non
na vice şénéral du ſtyle. Celui de notre
Areur et chir, facile, naturel , & correct :
ilafu le varier felon la nature des matières
quli avoit à traiter; en cela d'aurant plus
lomable, que , dans un Ouvrage aufli érendu
gre le fien , où tout ce que les Grecs, confacrés
à l'époque la plus mémorable & la
plas brillante de leur Hiftoire, ont penſé ,
ecrit& dit de meilleur & de plus inftrucof,
de plus ingénieux & de plus fublime
dins tous les genres , doit ſe trouver claffé
felon l'orde invariable des temps , & ajouter
fucceflivement de nouveaux traits à la
peinture de leur caractère , de leurs moeurs
&& de leur eſprit , l'uniformité de ton &
de couleur , & , fi j'oſe me fervir de ce
terme, la manière, n'étoient pas les écueils
les moins redoutables , & les plus faciles
As
10 MERCURE
à voir & à éviter. Son Livre , également
accueilli des Savans & des Gens du monde ,
aura , ſous des points de vues ,& par des
côtés très- divers , preſque le même degré
d'utilité pour les uns & pour les autres. Il
offrira aux Gens du monde, ſous une forme
dramatique & pittoresque , des réſultats
exacts & précis de l'Hiſtoire Civile , Politique
, Littéraire , Religieufe & Philofophique
du Peuple le plus curieux, le plus utile
à étudier & à connoître de tous ceux qui
ont brillé tour à tour ſur la terre, Ils trouveront
dans un petit nombre de Volumes ,
où les ornemens & les réflexions ſont répandus
avec autant d'art que de difcernement
& de goût , à peu près tout ce qu'il
faut ſavoir & retenir de l'Hiſtoire générale
& particulière de la Grèce , & cere lecture
les difpenfera de beaucoup d'autres
moins agréables , & dont ils n'auroient pas
le même fruit à recueillir.
A l'égard des Savans , ce Livre , enrichi
d'un grand nombre de citations très-exactes
, deſtinées à ſervir de preuves à tous
les faits dont la nouveauté, l'importance
ou la fingularité pourroit inſpirer le défir
de les vérifier , fera pour eux un réfumé ,
ou , fi l'on veut , une eſpèce d'extrait cri
tique & raiſonné de tout ce qu'ils ont lu
autrefois fur ces différentes matières , &
qu'ils aimeront à ſe rappeler, & ament meminiffe
periti : car tel eſt le charme attaché
particulièrement à l'Hiftoire Grecque &RoDE
FRANCE . If
ent maine, que rien de ce qui a quelque rape,
port, même le plus éloigné, avec ces Peuples
Les anciens, fiexclufivement favorisés de la Naréture
a tant d'égards , ne peut être indif-
Il ferent pour un homme inſtruit ; qu'on s'inne
terelle encore vivement à tout ce qui les
ts touche; qu'on ſe plaît à ſe tranſporter par
i- la penſée au milieu de leur ville, de leurs
i- Temples , de leurs Fêtes, de leurs Gymnaſes ,
le de leurs Académies ,
fuivre, pour ainſi dire , dans tous les dé- de leurs foyers , à les
tails de leur vie publique & privée, à con-
=, noître les cauſes de leur grandeur & de leur
--décadence , à s'arrêter devant les ruines épar
-- fes de leurs monumens , & qu'on regarde
I preſque avec le même plaifir , ou du moins
1
c avec le même intérêt de curiofité,le tableau
- eglement impofant & inftructif de leurs
fuccès & de leurs revers , de leurs vices &
de leurs vertus.
S
5
Tout ce que j'ai dit juſqu'ici de l'ouvrage
de M. l'A. B... , n'eſt, à
proprement
parler, que l'Histoire abrégée des différen
tes fealations que j'ai éprouvées en le lifant
:je le juge d'après
l'impreflion agréable
qui m'en eft reſtée, &, pour parler comme
Montaigne : Ce
C'estpour déclarer la mesure de ma vue, non 'opine , quel qu'ilſoit,
la mesure des choses. Je n'ai ni la ridicule
& forte prétention de régler en rien l'opi
nion du Lecteur , ni la méthode , fi commune
aujourd'hui parmi les
Journaliſtes, de
mettre dans la bouche du Public l'éloge ou
que j '
A6
12 MERCURE
1
la critique qu'ils veulent faire d'un Ouvrage
quelconque , afin de donner plus de fanetion
à un jugement qui n'eſt au fond que
le leur , & fouvent même plutôt celui de
leurs préjugés & de leurs paffions , que
de leurs lumières. Jobferverai ſeulement
qu'ayant lu deux fois avec attention le:
Voyage d'Anacharfis , & n'étant pas d'ailleurs
tout à fait étranger aux différentcs
matières qui en font l'objet , on ne peut
me foupçonner de l'avoir jugé légèrement,
encore moins avec prévention , puiſqu'en
rédigeant cet Extrair , je n'ai eu aucun de
ces motifs particuliers qui font pencher la
balance , & qui rendent la louange ou la
critique, également fufpecte (1). {
: Entrons préfentement dans quelques détails,
& tâchons de donner du Livre de M.
FA. B. une id'e aufli exalte que le permet
P'analyſe ſuccincte & rapide à laquelle je
fuis forcé de me bormer.
L'Auteur fuppofe , » qu'un Scythe nom
mé Anacharhs , vient en Grèce quelques
années avant la naiffence d'Alexatidre
& que d'Athènes , fon (jour ordihaire
(1 ) Je ſuis précisément , à l'égard de M. PA.
B... , dans la même circomtance on ſe trouvdie
I'Hiftorien incoruparable des règnes de Tibère 80
de fes fucceifours ;,& je puis dire comme lui
quoique pour un fujet moins grave & moins im
portant : Sine irâ & ftudio , quorum cauffas procul
habeo.
A
A
:
:
DE FRANCE.
13
il fit pluſcurs voyages dans les Provinces
vollines , obſervant par-tout les moeurs
& les ufages des Peuples , affitant à leurs
Fues, etudiant la nature de leurs Gouvereniens
; quelquefois conſacrant ſes leiſirs.
àdes recherches ſur les progrès de l'eſprit
humun ; d'autres fois convefant avec les
grands Hommes qui floriffoient alors. Dès.
qu'il voit la Grèce aſſervie à Philippe , pêre
d'Alexandre , il retourne en Scythie; il y
mat en ordre la fuite de ſes Voyages ; &
posi n'être pas forcé d'interrompre fa narration
, il rend compte , dans une Introduc-,
tico , des faits mémorables qui s'étoient
pales en Grèce avant qu'il eût quitté la
Surthie«.
...
it
On demandera , peut- être , pourquoi M
LAB... a compofé un Voyage plutôt
qu'ene Hiftoire ? C'eft , c. n.me il l'obferve
tre-bien que tout est en ulion dans un
Fyage, & qu'on y perimet des détails interdits
àl'Historien. Or ce font précisément
ces détails qui font curieex & inftructifs ,
& fans ieſquels il eſt difficile de bien con
notre les Loix , la Reigion , les moeurs ,
les uſages & l'efprit général d'un grand
Peuple , ainſi que la juſte meſure de fes
progrès dans les Ausic dus.Ics Sciencesa
» L'époque qu'il a chojfie , une des plus
incéteffantes, que nous offre Hiftoire des
Naions , peur êuc envilagée, fous deux,
alpets. Du córé, des Lettres & des Arts
elle fie le sièce de Périglès à celui d'As
14 MERCURE
lexandre Sous le ſecond aſpect, cette épo
que n'eſt pas moins remarquable: Anacharfis
fut témoin de la révolution qui changea
la face de la Grèce , & qui , quelque temps
après , détruifit l'Empire des Perſes .
Μ. ΓΑ. Β ...... partage les douze cent
cinquante ans écoulés depuis Cécrops jufqu'au
teRips où Anacharfis eſt ſuppoſé
écrire la relation de fon voyage , en deux
intervalles ; l'un qui ſe prolonge juſqu'à
la première des Olympiades , l'autre qui
ſe termine à la priſe d'Athènes par les Lacédémoniens
, c'est-à-dire en 404.
La première partie de cette Introduction
, où les faits véritables & les traits
fabuleux , confondus à deffein , font également
néceflaires au but que l'Aureur s'eft
propofé , eſt ſemée de réflexions tirées
du fond du fojet , & qui donnent à l'Hiftoire
des fiècles héroïques , une forre d'in
rérêt que l'énorme diſtance à laquelle nous
fommes de ces temps anciens , affoiblit
ſans doute , nais ne détruit pas entièrement.
L'Auteur termine cette première
partie de fon Introdution par un éloge
d'Homère , qu'on ne lit point fans partager
fon enthoufiafime & fon admiration pour
ce grand Poëre: nous avions d'abord projeté
d'en orner cet extrait ; mais le nombre
& l'importance des matières dontnous
devons parler , ne nous permet qu'un coupd'oeil
rapide fur des objets qu'on voudroit
obſerver fous toutes les faces.
!
DE FRANCE.
15
cent cadencede
épo L'Hiſtoire des Athéniens ne commence ,
charfis à proprement parler , qu'environ cent cinangea
quante ans après la première Olympiade.
emps On y voit en des intervalles affez marqués ,
les commencemens , les progrès & la déleur
Empire. Anacharfis déſigne
sjuf- ces intervalles par des caractères particupofe
liers. Il nomme le premier le ſiècle de Sodeux
lon ou des Loix; le ſecond, le ſiècle de
qu'a Themistocle & d'Ariftide , c'eſt celui de la
qui gloire; le troiſième , celui de Périclès ,
La- c'eſt celui du luxe & des Arts. L'Auteur
DUS
1
écrit en peu de pages, mais fans rien omettre
Huc- d'eſſentiel , l'Histoire de ces trois différens
waits fiècles , dont il fait très-bien connoître l'ef
ga prit & les principaux évènemens : il exeft
pole le ſyſtême général de la Légiflation de
rées Solon; il parle de ſes Loix civiles & cri-
Hif- minelles , regardées comme des oracles
in par les Athéniens , comme des modèles par
les autres peuples: il cite quelques unes de
lit fes difpofitions relatives aux moeurs , que ce
re- fage Legislateur regardoit avec raifon comme
Ere le plus ferme appui de ſes Loix , & il auroit
pu ajouterplus généralement , de tout Code
legillatif, puiſque , par-tout où il n'y a point
moeurs , les Loix , fans force & dans
uneviciffitude continuelle, laiffent à l'hom
me puiſſant , & par cela même trop fou
ventoppreiſeur , mille moyens de les éluder,
& de briſer impunément le feul frein
qu'il puiffe avoir.
ge
er
0
1-
15
コー
de
La ſeconde Sedion renferme l'Histoire
16 MERCURE
:
"
ود
"
S & feroit
ود
du ſiècle de Themistocle & d'Aristide; elle
commence par une de ces réflexions générales
, confirmée par l'expérience de tous
Los fiècles , doonntt il temps enfin
que la vérité fût démontrée pour ceux qui
perdent le plus à Fignorer . C'eſt avec
>> peine , dit- il , que je me détermine à dé-
>> crire des combats : il devroit fofdire de
>> ſavoir que les guerres commencent par
l'ambition des Princes , & finirlent par
le malheur des peuples ; mais l'exemple
» d'une Nation qui préfère la mort à la
ſervitude , eit trop grand, trop inftruc-
» tif, pour être pafle fous filence ". Jamais
on n'a fait de fi grandes choses que dans
ce fiècle , jamais on n'a été plus éloigné de
penfer que la gloire dut en rejaillir fur quelques
Citoyens . Nulle récompente , nulle
diftinction particulière un Général qui
remportoit une victoire , n'avoit que fa.
pårt de la gloire cominane , puiſqu'il n'avoit
en que fa part du danger , & qu'à
Fexemple des autres Ciroyons , il n'avoit
expoté que fon honneur & fir vis . Miltiade,
après, la bataille de Marathion , follicire
T'honneur d'une couronne ; un homme fe
lève, & lui dit : » Miltiade, quand vous re-
➤ poufferez tout feul les Barbares, vous au-
>> rez tour ſeul une couronne ".
Parmi pluſieurs remarques importantes
qu'on trouve dans cette Section , il en eft
une dont on pourroit faire une application
trèsjuſte; c'eſt que fr l'établiſſement de la
DE FRANCE. 17
marins er du commerce fut le falur d'Athènes
, il devi telentet l'instrument de
fon ambiten & do perre. L'Aureur cite
en eifer deux oυ πoi traits qui prouvent
avec queile rapidné les principes de droimre
& déquité s'affaiblirent dans la Nation
; & ces traits , ou d'autres ſemblables ,
le trouveroient de même dans l'Histoire
des peuples qui font à cet égard dans les
menes circonstances que les Athéniens.
La troiſième Section offre l'Histoire du
fele de Périclès. Cet homme , né avec
un genie fait pour commander aux autres
dars quelque forme de Gouvernement où
le haſard l'eût placé ; ce célèbre Démagoque
, dont l'éloquence étoit fi extraordinaire
, qu'un Poëte Grec diſoit de lui , que
la Déeſſe de la Perfuafion avoit ſon fiége
fer ſes lèvres , dut à ſes grands talens pour
Padminiſtration , l'honneur d'être longtemps
le Chef d'une République puiſſante ,
& le dangereux avantage d'y jouir d'un
pouvoir trop étendu , fans doute , pour un
Eple Membre d'un Etat libre , mais qu'il
a fait ſervir au moins à la gloire de ſa Patrie
, & dont il faut même s'éronner qu'il
nit pas abuſé plus ſouyour; tant la pente
ci conduit d'une autorité preſque illimitée
àlinjustice & au crime , eft facile & rapie!
Ce n'est pas d'avoir fufciré, ou plutôt
haré de quelques années la guerre du Péloponnèfe,
que les forces , l'ambition, en un
les circonfances reſpectives où ſe mot
,
18 MERCURE
trouvoient Athènes & Lacédémone , rendoient
d'ailleurs inévitable & néceffaire ; ce
n'eſt pas , dis -je , l'influence plus ou moins.
grande que les conſeils & les difcours de
Périclès eurent à cet égard ſur la conduite
&les délibérations des Athéniens , qu'il
faut reprocher à cet habile politique ; c'eſt
d'avoir corrompu les moeurs de ſes concitoyens
, en les amolliſſant par une fucceffion
ininterrompue de fêtes & de jeux. Si.
d'un côté il agrandit par ſes victoires le domaine
de la République , de l'autre , il autoriſa
la licence, Afpafic l'étendit; Alcibiade,
la rendit aimable; & le mal qu'un exemple.
ſi ſéduisant & fi pernicieux fit aux Athéniens
, ſubſita meine long - temps après fai
mort : c'eſt que rien n'eſt plus difficile que
de rendre des moeurs à un peuple qui les
a une fois perdues ! Peut-être même n'y
peut- on réuſſir que par la conquête , ou ,
comme l'a dit un Philoſophe célèbre à qui
on propoſoit ce problême , par le moyen,
dont Médée ſe ſervit pour rajeûnir ſon père
Æfon.
L'Auteur ne recueille pas ſeulement dans.
les Hiftoriens les faits les plus curieux , &
qui méritent le plus , par leur importance ,
de fixer l'attention du Lecteur ; il a l'art de
lier à ſon ſujet les réflexions philoſophiques
dont ces Hiſtoriens accompagnent leur narration
fur tout lorſque ces réflexions ,
même iſolées , préſentent un grand tefultat:
telle eſt , entre autres, cette judicicuſe
DE FRANCE. 19
e
S
e
1
t
-
1
e
e
5
r
ebſervation de Thucydide , que la guerre
modifie les moeurs d'un peuple ,& les aigrit
àproportion des maux qu'il éprouve. Celle
du Péloponnèſe fut ſi longue; les Athéniens
effuyèrent tant de revers , que leur caractère
en fut fingulièrement altéré. Mais ce
qui n'eſt pas moins remarquable , c'eſt que
dans le coursde cette fatale guerre , » il ſe
a
D
D
fit un tel renverſement dans les idées
> & dans les principes , que les mots les
> plus connus changèrent d'acception ;
» qu'on donna le nom de duperie à la
> bonne foi , d'adreſſe à la duplicité , de
foibleffe & de pufillanimité à la prudence
& à la modération , tandis que
les traits d'audace & de violence paffoient
pour les ſaillies d'une ame forte
■ & d'un zèle ardent pour la cauſe com-
- mune «. M. l'A. B ..... fait à ce ſujet
une remarque qui ſert en même temps de
preuve&de développement à l'idée également
ingénieuſe & juſte de quelques Philoſophes.
En remontant ,ditil,aux cauſes
> des grands évènemens , ils ont penſé que
> chaque ſiècle porte en quelque ma-
• nière , dans ſon ſein, le fècle qui va
le ſuivre. Cette métaphore hardie couvre
une vérité importante , & confirmée par
l'Histoire d'Athènes. Le ſiècle des Loix
= & des vertus prépara celui de la valeur
■& de la gloire : ce dernier produifit ce-
⚫ lui des conquêtes & du luxe , qui a fini
par la deſtruction de la République «.
,
20 MERCURE
د
Mais ce qui , dans un enchaînement de
cauſes & d'effets neceffaires peut confoler
, en quelque façon , de ces ſcènes affligeantes
que nous offre Hiftoire de la
guerre du féloponnèſe , c'eſt que vers le
temps de cette guerre fi détaftrenfe , on vit
éclore une foule de génies dans tous les
genres. » Pendant que les différens peuples
ود
ود
de la Grèce étoient menacés de perdre
>>Tempire des mers & de la terre , une
claffe paiſible de citoyens travailloit à lui
allurer pour jamais l'empire de l'eſprit.
» Les Sciences s'annonçoient tous les jours
par de nouvelles lumières , & les Arts
par de nouveaux progrès. La Grèce dut
>> en partie ces avantages à l'infuence de
>>la Philofophie ".
ود
ود
M. l'A. B. obferve enſuite qu'en remontant
depuis Périclès juſqu'à Thalès , le plus
ancien des Philoſophes de la Grèce , l'eſprit
humain a plus acquis dans l'eſpace d'environ
deux cens ants , que dans la longue
fuite des ſiècles antérieurs. Il cherche les
caufes générales & particulières de ce phénomène
, & ce qu'il dit fur cette queflion ,
très-ligne de l'attention d'un Philoſophe
mérite fort d'être lu . Il a très-bien vu furtout
que les Grecs ( & on en pourroit dire
aurant de pluſieurs Pouples ) ont toujours
plis honoré les talens qui fervent à leurs
plaisirs , que ceux qui contribuent à leur
inftruction ; & qu'à l'exception de la Poéfie
, les Lettres , quoique cultivées chez les te
DE FRANCE . 21
Grecs de meilleure heure & avec plus de
fuccès que les Arts, y ont reçu moins d'encouragement.
Ils ont montré de l'eſtime
• pour l'Eloquence & pour l'Hiftoire ,
■ parce que la première est néceſſaire à la
• difcuffion de leurs intérêts , & la ſeconde
• à leur vanité; mais les autres branches de
→ la Littérature doivent leur accroiffement
* plutôt à la vigueur du ſol , qu'à la pro-
• tection du Gouvernement. On trouve en
■ pluſieurs villes des écoles d'athlètes entretenues
aux dépens du public ; nulle part
• des établiſſemens durables pour les exer-
• cices de l'eſprit. Ce n'eſt que depuis
⚫ quelque temps que l'étude de l'Arithmé-
■ rique & de la Géométrie fait partie de
■ l'éducation , & que l'on commence à
>> n'etre plus effarouché des notions de la
* Phyſique. Sous Périclès , les recherches
>> philosophiques furent ſévèrement prof-
- crites par les Athéniens ; & tandis que
les Devins étoient quelquefois entretenus
- avec diftinction dans le Prytanée , les
■ Philofophes ofoient à peine confier leurs
• dogmes à des Diſciples fidèles . Ils n'é-
- toientpas mieux accueillis chez les autres
■ peuples ; par-tout objet de haine & de
- mépris , ils n'échappoient aux fureurs
du fanatiſme qu'en tenant la vérité captive,
& àcelles de l'envie que par une
> pauvreté volontaire ou forcée. Plus to-
- lérés aujourd'hui , ils ſont encore fur-
* veillés de fi près, qu'à la moindre licence ,
22 MERCURE
> la Philoſophie éprouveroit les mêmes ou-
>> trages qu'autrefois ".
Pour fentir la fineſſe de ces réflexions
il eſt inurile de les généraliſer; elles ne ſeroient
applicables qu'aux ſeuls Athéniens
qu'elles n'en décéleroient pas moins l'excellent
eſprit de l'Auteur. Il y a dans l'Hitoire
de tous les Peuples , comme dans
celle de la Nature , des faits qu'il n'eſt pas
donné à tout le monde d'appercevoir ſous
leur vrai point de vue & dans tous leurs
rapports , & qui échappent même à la plupart
de ceux qui écrivent ſur ces matières ,
parce qu'une bonne méthode d'obſervation
n'eſt pas plus commune parmi les Phyſiciens,
que l'eſprit philoſophique parmi les Hiſtoriens;
auffi les Livres de Phyſique où l'on
apprend quelque choſe d'utile , & les Hiftoires
qui font penſer , ſont ils très - rares
dans toutes les Langues & chez toutes les
Nations : Tacite , parmi les Anciens ; Voltaire
, parmi les Modernes , font peut- être
les ſeuls Hiſtoriens que les hommes d'Etat.
& les Philoſophes puiſſent lire avec fruit ,
ou dumoins les ſeuls qui faſſent éprouver
cedéſir , ce beſoin de les relire , de les
méditer fans ceffe; déſir qu'on ne ſent même.
que pour un très- petit nombre de Livres.
dans chaque genre. Pour que l'Hiſtoire
générale de la Grèce eût le même intérêt &
fût auſſi inſtructive que celles des deux
grands Hommes que je viens de nommer
il faudroit qu'elle fût écrite avec le même
2
DE FRANCE. 23
,
,
S
S
S
S
,
1
5,
jugement , la même élégance , & dans le
meme efprit que cette Introduction au
Voyage d'Anacharfis .
Nous aurions voulu pouvoir nous étendre
-davantage fur ce premier volume de l'Ouvrage
de M. l'A. B ... , dont nous n'avons
donné fans doute qu'une très légère idée :
mais ceux qui ſavent combien les bornes
d'un Extrait font circonfcrites, & combien
l'analyſe la mieux faite laiffe encore à défirer
à ceux qui qui ont ſous les yeux le
Livre même qu'elle doit faire connoître ,
nous excuferont peut être de n'avoir pas
mieux réuſti. Le peu que nous avons dit
fuffit au moins pour exciter førrement la
curiofiré du Lecteur , & pour juftifier à ſes
yeux , par quelques traits recueillis fans
art&pris indiſtinctement , le jugement favorable
que nous portons de tout l'Ouvrage,
qu'on goûtera d'autant plus , qu'on aura
plus de lumières & plus de ſavoir. Nous
ticherons ,dans un autre Extrait, de rendre
un compre exact du Voyage même d'A-,
nacharfis , & nous rapporterons à ce ſujet
pluſieurs paffages , qui , par l'importance&
lavariété des matières auxquelles ils appar--
bennent , pourront inftruire & intérefler
un plus grand nombre de Lecteurs , parce
que , conformément au précepte d'Horace .
l'Auteur y mêle par-tout l'agréable à l'utile,
S
e
Comme on ſe plaît naturellement à
fuivre un Voyageur dans tous les lieux
qu'il parcourt ou qu'il décrit, & que la
24
MERCURE
connoiſſance topographique des divers pays
qu'il a obſervés , eſt même néceffaire pour
Tintelligence de fon Voyage , M. l'A. B ...
a enrichi celui d'Anacharfis de Plans , de
Vues, de Cartes , rédigés ſous ſes yeux avec
une exactitude ſcrupuleuſe par M. Barbier,
jeunehomme très- inſtruit , très - exercé dans
ce genre de travail , & qui a difcuté avec
lui les points les plus importans de cette
partie de la Géographie ancienne. A ces
Cartes fi exactes , fi utiles , l'Auteur a joint
pluſieursTables qui font d'un uſage fréquent
dans la lecture de fon Ouvrage , & fans
Jeſquelles le Lecteur pourroit ſouvent ſe
trouver arrécé. 1,0
La première de ces Tables préſente les
principales époques de l'Histoire Grecque ,
depuis la fondation du royaume d'Argos
juſqu'au règne d'Alexandre .
La deuxième , les noms de ceux qui fe
font diftingués, cans les Lettres de dans les
Arts , depuis les temps voifins de la priſe
de Troye juſqu'au règne d'Alexandre , &
ces mêmes noms par ordie alphabétique..
Les ſuivantes déterminent le tappoit des
meſures Romaines avec les nôtres ; le rapport
du pied Romain avec le pied de Roi ;
le rapport des pas Romains anec nos toifes ;
le rapport du pied Grecavcele pied de Roi ;
le rapport des ſtades avec nos acifes , ainfi
qu'avec les milles Romains ; le rapport des
ſtades avec nos lieues de deux milles cinq
cents toiſes ; & l'évaluation des monnoies
d'Athènes . La
S
25
DE FRANCE..
ر
د
C
e
es
21
e
es
باتک
231
53
124
Latreizième Table indique tous les Auteurs
cités dans le Voyage & les éditions
qu'on a ſuivies ; & la dernière contient la
Table générale des matières & des faits les
plus remarquables.
On peut, ce me ſemble , juger, par cet
expoſé , de l'importance de cet Ouvrage ,
de fon utilité ,& fur-tout de l'eſtime qu'on
doit faire de l'édition originale. J'inſiſtepar-,
ticulièrement fur cet article , parce que ce
Livre, néceſſaire à un ſi grand nombre de
Lecteurs , &qui doit ſe trouver dans toutes
les bibliothèques , ſera malheureuſement
matrefait dans différentes provinces de
France & chez l'Etranger , & qu'indépendamment
des plans , des vues , des cartes
qu'il feroit très difficile de rendre auſſi bien
ans des dépenſes que des contrefacteurs
avides ne ſontjamais tentés de faire, ils ne
mettront ni plus d'empreſſement , ni plus
deſoins à imprimer correctement les citions
(1) nombreuſes qui ſe trouvent an
bas des pages , &dont la réviſion délicate
demande des yeux très exercés &peut- être
ceux de l'Auteur même. Cependant il eſt
afé de voir qu'il importe beaucoup que
(1) Ces citations, qu'on peut évaluer àpeu près
115,000 , ont toutes été vérifiées par l'Auteur, &
pénible travail, dont il pouvoit ſeul ſe charger,
cadra toujours l'édition qu'il a revue , & que
sous annonçons , la plus correcte & la meilleure
Loutes celles qui la ſuivront
N.. 1. 3Janv. 1789 .
26 MERCURE
ces citations foient exactes : ce ſont les matériaux
précieuxde l'Ouvrage immenfe qu'on
préfente au Public ; c'eſt ſur cette baſe que
tour l'édifice porte; ce ſont ces citations
qui en font la force & la folidité; c'eſt par
elles fur-tout que le Livre ſe recommande
fortement à l'eſtime de tous les Savans , &
qu'en prouvant la vaſte érudition & la critique
judicieuſe de l'Auteur , elles rendent
en même temps témoignage de ſa véracité ,
de l'étendue de ſes connoiſſances , & de la
droiture de fon eſprit.
( Cet Article estde M. Naigeon, )
LATTRES d'Euler à une Princeſſe d'Allemagne,
fur différentes Queflions de Phyfique
& de Philofophie ; nouvelle édition
, avec des Additions , par MM, DE
-CONDORCET & DELA CROIX. A Paris ,
chez Royez , Libraire , quai des Auguftins
, près le Pont - Neuf, 4 Vol, in 8 ° ,
Prix , 18 liv ,
:
:
CET Ouvrage eſt précieux par la clarté
fingulière avec laquelle il exp ſe les vérités
les plus importantes de la Mécanique ,
de l'Aſtronomie Phyſique , de l'Optique &
de la Théorie des fons , & par des vues
ingénieuſes plus ſavantes que celles qui
ont fait ſurvivre la pluralité des Mondes
DE FRANCE. 27
1
c
S
+
at
е,
la
)
le-
DE
8°.
τπέ
de Fontenelle au ſyſtême des Tourbillons.
Lenom d'Euler, ſi grand dans les Sciences,
l'idée impoſante qu'on ſe forme de ſes
Ouvrages deftinés à développer ce que
Panalyſe a de plus épineux & de plus abftrait,
donnent à ces Lettres ſi ſamples , ſi
faciles, un charme fingulier. Ceux qui n'ont
pas étudié les Mathématiques , étonnés
charmés , flattés peut-être de pouvoir entendre
un Ouvrage d'Euler , lui ſavent gré
de s'être mis à leur portée. Ces détails
élémentaires des Sciences acquièrent une
forte de grandeur par le rapprochement
qu'on en fait avec la gloire & le génie
de l'homme qui les a tracés. Aufli ces Lettres
font-elles regardées connne les meilleurs
élémens des connoiſſances humaines ,
mis à la portée des gens du Monde &
même des Dames, ayant été écrites pour la
fooeur du Roi de Pruffe. Enfin rien ne manque
à ces Lettres pour devenir un Livre
claſſique , depuis que les Editeurs capables
d'en apprécier le mérite , en ont banni
quelques faires de langage qui avoient
échappé à l'illuſtre Etranger qui les a
écrites.
CS
e ,
&
des
Bz
:
28 MERCURE
VARIÉTÉS.
REMARQUES fur ia Fable du Payſan du
Danube , tirées d'une nouvelle Edition
des Fables de La Fontaine , avec des
Notes critiques & morales , par M.
BERENGER.
N. B. Cette Edition paroîtra dans le courant
de cette année, en 4 Volumes in - 8 °. , &fera
fuite aux Commentaires fur Racine , Molière ,
Boileau , &c. &c. Chez Cucher, Lib. rue Serpente.
SI La Motte avoit connu l'original de laFable
du Payſan du Danube , il auroit dit avec plus
d'aſſurance encore , que le fonds des Fables de La
Fontaine n'étoit pas à lui , & que débarraflé du
foin de l'invention principale, il s'épuiſoit tout
entier ſur les ornemens , qui ne font que les inventions
acceſſoires . Il ſemble borner le mérite
deLa Fontaine à celui que Phédre prétendoit avoir
fur Elope ... Quam materiam reperit, hanc ego
polivi verfibus ... Il aimcit à répéter qu'il étoit
l'inventeurdes ſujets de preſque toutes ſes Fables ,
& il regardoit comme une jaitice qu'on lui comptât,
en compenfationdes beautés qui lui manquent,
le mérite de l'invention que ſon prédéceſſeur ne
s'étoit point propoſé.
Le Public a jugé que la compensation n'étoie
2
DE FRAN C.E. 19
-
2
ل
0
ی ل ا ل
Lion
pas ſuffilante; &s'il n'a pas décidé que La Motte,
inventeur de fes Fables , avoit été auſſi malheureux
que La Motte , imitateur d'Homère , il a penſé du moins que ce Fabulifte avoit laiflé entre
lui & La Fontaine un eſpace preſque auſſi immenſe
que celui qui ſépare les deux Iliades.
Nous examinerons ſi La Fontaine doit uniquement
ſaſupériorité aux ornemens qu'il a ſu don- ner a fes récits. Parlons d'abord de la Fable
des du Payſan du Danube. La Fontaine l'a tirée de
'Horloge des Princes , puiſqu'il emploie ſouvent , Mues-ſouvent, juſqu'aux expreſſionsdu St. d'Herberai
des Effarts , Auteur , ou plutôt Traducteur
de cet Ouvrage, qui eſt de Guevara, Evêque de
Cadix.CetteFable,qui tieat onze pages in-folio dans la Traduction de d'Herberai , ſe trouve
tenfermée dans fix pages d'un très-petit in-8°. de
Toriginal Caftillan. Guevara doana cet Ouvrage
en 1524, ſous letitre de Relox de los Principes,
o, Libro aureo de la vida de Marco-Aurelio.-
Ille donna comme la Traduction d'un Manufcrit
eGs , qu'il diſoit avoir reçu de Florenc. Regardant
cet Ouvrage comic très manchestigat
lui prodigue les plus grands éloges, & va juſqu'à
a dire que celui qui l'a compolé mér te des Aurels. D'un autre côté , Voffius prétend que c'eſt-là
une împoſture indigne d'un Evêque ,
entreprend de
&d'Herberaj
prouver que l'Ouvrage eft ſuppoſé ,
en y faiſant voir pluſieurs anachroniſmes.-Ne
L'Evêque de pourroit-on
re un milieu ? pasprendre
Cadix aura été de bonne foi ; mais le Manuferit
qu'il reçut n'étoit pas d'une fi haute antiquité
qu'il ſe Timaginoit. On pourroit en donner une
autre explication. Le Manuel , ou Enchiridion ,
d'Antonin , ſe trouve dans quelques Manuferits
& dans quelques Imprimés , tous le titre de Vie
deMarc-Aurèle-Anisnin, & c'eſt ce qui aura pu
B 3
30 MERCURE
contribuer à l'erreur de Guevara. En ſuppoſans
même que celui -ci fut un peu coupable , nous ne
croyons pas qu'il mérite tous les reproches que
lui fait Voffius , & que , dans le ſiècle où nous
ſommes , fa peccadille fût jugée un cas pendable.
Nous n'y verriens qu'une petite rufe littéraire
employée par l'Auteur de Sethos , par l'Auteur
du Temple de Gnide par celui de l'Hymne au
Soleil , Ire. Edit. d'Orléans ) , &c. Au reſte , le
Livre de l'Horloge des Princes de Guevara fut
très-eftimé lorſqu'il parut.; Indépendamment de
la verſion Françoiſe , qui fut imprimée en 1588 ,
on en avoit donné une Italienne en 1548. Les
Allemands le traduiſirent en Latin , & lui donnèrent
même tous les honneurs, des éditions dizes
Variorum , en l'accompagnant de Notes , d'Apho- ,
rifmes, de Scholies , & d'autres agrémens Ger-:
maniques. Andréas Scotus prétend qu'il étoit devenu
claſſique de ſon temps. Il paroît qu'il tomba
depuis dans l'oubli ; & fi La Fontaine y atrouvé
le canevas du diſcours le plus fublime , comme
il n'indiqua pointla ſource , on a preſque oublié.
juſqu'au nom d'un Ouvrage qui n'eſt certaine
ment pas fans beaauutrééss.. Peut-être ne mérite-t-il.
pas qu'on en faſſe une Traduction entière ; mais
il eſt à défûrer que l'on faffe fur cet Ouvrage de
Morale& de Politique , ce que M. de Florian
a fait avec tant de ſuccès (ur pluſieurs Romans
Eſpagnols; c'est-à-dire, qu'on cherche à ſe l'approprier
par une imitation fage , & qui ſoit réglée
par le goût & dictée par le génic. La Fontaine
kii-même
peut fervir demodele. Tout le monde
fait ſa Fable par coeur. Voici l'eſqu ſſe qu'il avoit
devant les yeux , lorſqu'il compofa cet admirable
Tableau.
DE FRANCE.
31
ANALYSE du Chapitre III du Livre 3
de l'Horloge des Princes.
D'en propos qu'eut an Payfant des rivages du
Danube avec les Sénateurs de Rome , fe complaignant
des tyrannies que les Romains fai
foient en fa terre.
> En l'année première que je fus Conful (c'est
Marc-Aurele qui parle) , vint à Rome un pauvre
Paytant du rivage du Darube , demander juftice
au Sénat contre un Cenfeur qui faisoit plufients
exactions au Peuple... Ce Payant avoit le vifage
perit , les levres groffes , les yeux profunds , la
coukur ballée , les cheveux hériffés , la tête decouverte
, les foulliers de cuyr de potc- epiicc, la
laye( lagum)de poil de chievre, la ceinture de
joncs marins , & la barbe longue & efpafie, les
fourcils qui lui couvroient les yeux , l'eſtomác
& le cof couvers de poil & veluz comme un
ours, & un bafton en la main .... Icelai ruftiq ,
mis au meilleu du Sénat, leur d'et ainfie:
O Peres confcripts , ô Peuple heureux ! moy
ruftin habitant & voisin des rivieres & citez du
- Danube , falus vous autres Sénateurs de Rom
> qui eftes en ce Sénat affemblés , & prie aux
> Dieux immortels que ilz gouvernent & reiglent
> aujourd'hui ma langue , afia que je de ce qu'il
• convient& est né cilaire à mon pays , & a dene
= vous aurres à bien gouverner la République ,
■ parce que , fans la volonté & confentement des
• Dieux, ne pouvons apprendre le bien , ni nous
• féparer duinal..... Les triftes Deſtinées & fa
> Fortune le permettant ,& nos Dieux courroucez
B 4
32.
MERCURE
1>> nous délaiſſans , telle fut notre défaventure &
>> tel votre bon hour que les fuperbes Capitaines
de Rome prindrent par force d'armes Letre
>> terre de Germanie ,& non fans cauſe , je le dy ;
> car alors les Dieux eſtoyent courroucez contre
nous , parce que fi nous autres euſſions appaifez
* nos Dieux , vous ne nous cuffiez , certes , ja-
-> mais vaincus.
>>Ne penſez pas , Romains , fi vous avez prins
> notre chere Germanie , que ce ait éré par au-
>> cune induſtrie de guerre ;car vous n'eſtes plus
>> beiliqueux , ny plus couragieux , ny plus har-
> dis , ny plus vaillans que nous. Ains ayant of-
- fenfé nos Dieux , ils ordonacrent en leurs ſe-
>> crets jugemens , que pour châtier nos défordonnés
vices , vous fuifiez les bourreaux . Vous
* ne gaignates la victoire par les armes qu'ap-
➤ portates deRome, ains par tant de vices qu'ef-
* toient en Germanie.... Si je ne me trope ,
> nous avons fatisfaicts contre nos Dieux ; mais
auſſy, je croy que les cruautez que vous avez
- faictes à nous autres , & l'ingratitude qu'avez
cue aux Dieux , encore que ne l'ayiez payée ,
je tiens pour choſe certaine que vous la paycrez
» comme à ceſte heure vous noustraitez comme
une autre fois , & en ce cas pourroit eſtre ,
>> eſclaves , que quelquejour nous recongnoistrerez
>> pour Seigneurs. J'efpere aux juſtes Dieux , que
>> comme vous autres fans raifon nous avez jećicz
>> hors de nos maiſons , autres viendront qui
>>avecque raiſon , jecterent vous autres d'italie
» & de Rome ..... ès meſmes gênes .....
>> Je vous demande , Romains , quelle action
> aviez-vous eftans nourris auprès du Tybic ,
> coute nous qui vivions en paix près la rive du
Danube ... Nous eftiors en pos terres propres ,
>> fans déûrer , ni chercher , ni prendie terres
これ


& 33 DE FRANCE
re
as
コー
5
f-
5
コー

estranges ... Si vous dictes que nous envoyâteo
* conquérir , à fin que ne fuſſions barbares , &
nne vefmiffions comine tyrans, ains que vouliez
>> nous faire vivre ſoubz bornes Loix & couſtu-
- mes , j'en ſereis fort content, fi la choſe fucce
> doitainfi ; mais comme eſt-il poſſible que vous
■autres donnez ordre de vivre aux Eſtrangers ,
> puiſque tompez les Loix de vos prédéceſſeurs ...
» Si vous dictes davantage n'avoir en noſtre
>> Terre , République ny police , & que nous
>>> vivions comme les bêtes brutes en une mon-
> taigne , auſſi peu en ceci , comine en l'autre
> avez raiſon , pour ce que nous autres ne con-
>ſentimes en notre Pays ceux qui traictent mennteries....
ni hommes qui d'autres terres nous
■apportaffent des appareils pour être vicieux ...
Vos Juges prennent tout ce qu'on leur
donne en Public , tirent & accumulent le plus
> qu'ils peuvent en fecret , chaftient griefvement
- les pauvres , & diffimulent avec les coulpes du
> riche, ... oublient le gouvernement du Peuple
>pour prendre leurs plaifirs; eſtant pour mitiguer
>> les ſcandales , ce ſont ceux qui ſont plus ſean-
> daleux; ... mais de commandemens & de tri-
>> buts vous nous en donnez plus que nous n'en
- pouvons porter ni fouffrir .....
.....
>>N>ous avons tous juré ...... , owi juré , de
>>jamais habiter avecques nos femmes , & de
tuer nos propres enfans , & ceci pour ne les
laiſſer ezmains de ſi mauvais & cruels Tyrans ,
> comine vous eſtes; car nous défirons plus qu'ils
meurent avecque liberté , que non qu'ils vi-
-vent avecque ſervitude & captivité. Je pafſfe
> ſeul ez champs , ou en la montaigne ; je vois
-tantde tyrannies en vos cenfeurs ,y en atant
» peu qui ayent zele au bien , & efpere tantpeu
- de remede de ce Sénat que je détermine conime
BS
34 MERCURE
>> malheureux , me bannir de ma propre maiſon ,
» & de ma douce compagnie , afin que je ne
» voye , de mes yeux , choſe tant dommageable ;
> car j'aime mieux aller ſeul par les champs, que
> voir mes voifins par chacune heure plorans...
*& déſeſperez ....
Il n'y a ſeulement que quinze jours que je ſuis
>> entré en Rome ; j'ai vu faire telles choſes en
ce Sénat , que ſi la moindre d'icelles ſe faifoit
>> ſur les rivages du Danube , les gibets fero ent
>> plus peuplés de larrons que les vignes de rai-
>> fins ..... Un pauvre , fort pauvre , vienne à
১১ vous demander justice , ... comme iln'a argent
- que bailler , ni pourpre qu'offrir , ni faveur
>> pour s'aider , depuis qu'au Sénat a propofé la
> complaincte , l'on lui fatisfaict de parole ...
>> chacun lui promettant faveur , & après , tous
>> enſemble le perdent , ruinent & détruiſent : la
> plus grande part luy diſent qu'il a bon droit ,
>& après donnent contre lui ſentence; de forte
que le miſérable , qui eſt venu à ſe complairdre
>> d'un , s'en retourne ſe complaignant en fon
> pays de tous , maudiſſant ſa triſte fortune , &
>> réclamant des Dieux juſtes & pitoyables ....
>>> Si, en aucune choſe , ma langue vous a of-
>> fenfés, je m'étends ici en ce licu , afin que me
>> coupper la teſte .....
>> Ici donna fin le Ruſtiq à ſon propos non
ruſtique ... Le Paysant fut une heure eftendu en
terre, & tous nous autres les teſtes baiffées , efpouvantez
, ne lui peumes reſpondre une parole ,
parce que, à la vérité , celui Ruſtiq nous confondit
avec ſon propos éloquent , &nous eſpouvanta
de voir le peu d'eſtime qu'il avoit de ſa vie.
Ayant pris détermination au Sénat , le jour ſuivant
pourvûmes de Juges nouveaux aux rivages
Danubions , & commandâmes qu'il nous donnât
par eſcript tout icelui Taiſonnement , afin qu'il
fut mis au Livre des bons dicts des Etrangers...
DE FRANCE.
35
( egregiè dictorum ) ſe pourvat auſſi mêmes (provilum
eft) qu'icelui Ruftiq fut fait en Rome
Patrice, ... & que du Tréſor Public fût pour toujours
ſubſtance «.
29
-Quel est donc , pourra-t-on demander , quel
eft le mérite de La Fontaine ? La plus belle
Statue , diſoit un célèbre Sculpteur , eft renfermée
dans un bloc de marbre ; il ne s'agit plus que
de l'en tirer. Un ignorant Statuaire retranche
trop ou trop peu , & voilà uniquement cei le
diftingue du grand Artiſte se. Nous n'avons pas
ofé rapporter en entier le récittiré de l'Horloge
des Princes , dont on vient de lire quelques extraits.
Il eſt d'une longueur afſfommante , & nous
efons affurer le Lecteur que c'eſt précisément ce
bloc informe & fans vie , dont La Fontaine a fu
tirer cette Statue fi noble & fi animée. Son mé
rite eft d'avoir ſu , comme un autre Virgile , tirer
de l'or du funnier d'Ennius ; d'avoir ſu écarter
les répétitions , les inutilisés , les détails bas &
fans nobleffe; d'avoir choiſi les traits frappans
&fublimes; de n'avoir mis en oeuvre que ce qui
méritoit de l'être ; d'avoir employé tour à tour
le ſentiment , la noble confiance , Ics preuves &
le raiſonnement ; & enfin d'avoir placé toutes
ces choſes dans l'ordre le plus propre à s'infintuer
dans les efprits , à les toucher , à les convaincre
de la défaite de leur orgucil. Un ſemblable mérite
vaut bien celui de l'invention : mais La Fon- 、
taine en a encore un autre; c'eſt , pour me fervir
d'une de ſes expreſſions , d'avoir traduit
Langue des Dieux, un diſcours qui n'auroit jamais
la même beauté dans la proſe la plus éloquente
en y faiſant tous les retranchemens que la pureté
du langage&que le goût y demandoient néceſſairement.
C'est ainſi que La Fontaine a fu être l'habile
Trucheman d'un grand nombre d'Auteurs ,
dont onnedira jamais ,
Plus éloquens chez eux, qu'ils ne font dans ſes vem.
eft
36 MERCURE
:
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
MAHAOHMOMEETT II a-t-il eu-une Maîtreſſe
nommée Irène, qui fût un miracle de beauté?
Certe Irène avoit-elle été faire eſclave à la
priſe de Conftantinople ? Son Amant cut il
la barbarie de lui trancher la tête de ſa propre
main , afin de prouver à ſes ſoldats que
ła volupté n'amollitſoit point fon coeur ?
Cette Anecdote aétérapportée comme vraie
parquelques Hiſtoriens, par d'autres comme
douteuſe; d'autres enfin l'ont regardée comme
un de ces faits controuvés , & propres
àêtre rélégués dans ces compilations indigeftes
, imaginées par le beſoin , & redigées
par l'ignorance , où l'on ment par ordre
alphabétique. Au réſultat , c'eſt un de ces
traits qu'on peut croire incertains , fans
pouvoir les nier abfolumment. Ce qui ne
laiſſe aucun doute, c'est qu'une pareille
Anecdote ne pouvoit que très-difficilement
produire un bon Ouvrage dramatique. Plu-
Gears Ecrivains s'en ſont pourrant ſaiſis , &&&
deux Tragédies , composées ſur ce ſujet ,
ont été repréſentées ſur le Théatre de la
Nation. Celle de Châteaubrun , en 1714 ;
DE FRANCE. 37
?
a
1
e
-
S
&celle du Comédien La Noue , en 1739 .
Châteaubrun , en adoptant l'idée des Hiſtoricas
qui ont dit qu'Irène avoit été faite
esclave à la priſe de Conſtantinople , a fuppofé
fo.n Héroïne iſſue de la famille des
Comnène. Il lui a donné pour le deſtructeurde
fa famille une horreur infurmontable.
Illui a fait retrouver à la Cour de Mahomet
un de ſes frères caché ſous le nom
d'Olinin , & méditant tout bas des projets
de vengeance , dont elle devient la complice.
De toutes ces données , il ne réfulte
qu'un très-foible intérêt. Le Sultan trompé,
va époufer Irène ; l'inſtant de fon hymen
doit être celui de fa mort le complet fe
découvre; Irène ſe retire dans ſon apparrement
pour s'y poignarder ; &fon frère ,
après s'être fait connoître pour le fils de
Comnène,ſe poignarde à ſon tour ſous les
yeux de Mahomer. Ala première repréſentation
de ceste Tragédie , le frère & la ſoeur
ſe rusient l'un après l'autre ſur la Scène.
Ce double ſuicide indiſpoſa les Spectateurs,
&Châteaubrun en cacha un dans la coulife,
mais fon Ouvrage n'y a rien gagné.
C'est une Production très-médiocre , & digne
de l'oubli où elle est tombée. Les Auteurs
dela Bibliothèque Françoiſe ont néanmoins
exagéré la critique, quand ils ont imprimé la
phraſe ſuivante, qui a été fidélement copiéc
par les Rédacteurs du Dictionnaire Dramatique
: Quoique l'on ait écrit contre Ba-
> jazet , il s'en faut dien qu'il ne ſoit auſſi
S
38 MERCURE
"
:
>> poli dans Racine , que Mahomet l'eſt dans
M. de Châteaubrun ". Mahomet aime
Irène , il voudroit en être aimé ; il n'eft
donc pas étonnant qu'il lui adreſſe quelques
douceurs ; le moyen d'inſpirer de l'amour
àune femine n'eſt pas de lui dire des injures
: mais ſi on en excepte quelques traits
fort rates & fort ridicules , il eſt vrai ,
comme on en peut juger par celui ci :
Mon Camp croit que vos yeux m'attachent pour
jamais ,
Et veut dans votrefang effacer vos attraits.
Mahomet eſt très peu poli ; il y a plus,
il n'a que
de très-courts mouvemens de
foibleffe . Dans la même Scène dont nous
avons tiré les deux vers qu'on vient de lire,
il éprouve les mépris d'Irène, & il réplique :
Quel diſcours ! quel orgueil ! quelle invincible
audace !
Seroit-ce encor l'amour qui me demande grace ?
Non. Je me recor nois ; c'en est fait , & tes yeux
Ne me captivent plus ſous leur jong odicux.
Ofimin t'attend, le fer cft prêt. Je cours... Madame !
Un refte de pitié vit encor dans mon ame ;
Ne déſeſpérez point un Amant furieux , &c,
Cemouvement, qui dut produire de l'effet
au Théatre , est bien celui d'un homme que
l'amour maîtriſe ; mais nous penſons qu'il
y a plus d'énergie que de foibleffe , & qu'il
1
DE FRANCE.
39
reffemble peu à la politeffe fade d'un Céladon
qui ſoupire. Nous pourrions citer
d'autres morceaux à l'appui de celui - ci ;
mais il ſuffit pour démontrer qu'il eſt plus
facile à des Critiques d'un certain ordre d'a
vancer une affertion que de la prouver.
La Noue a mieux vu ſon ſujet que Châ
teaubrun; il l'a traité d'une manière plus
fimple& plus intéreſfante. Chez lui , Irène
est fille de Théodore , Prince Grec , dont le
Grand-Vifir veut échauffer la haine &le
courage pour parvenir à perdre Mahomet
qu'il déteſte. Irène aime Mahomet , mais
elle l'aime en filence , & elle ne fait l'aveu
de ſon amour qu'au moment où elle voit
les préventions de fon père vaincues par
h générofré confiante de l'Empereur. Le
rôle de l'Aga des Janiſſaires , qui a élevé
fon Maître , qui a échauffé & entretenu
dans ſon ame l'amour de la gloire , & qui
vient , au péril de ſes jours , eſſayer de
Parracher aux foibleſſes d'une paffion qu'il
regarde comme honteuſe , eſt une de ces
creations faites pour annoncer dans un Auteur
une imagination brillante & une connoiffance
très-érendue des effets dramatiques.
Le caractère de Mahome: eſt grand ,
noble, fier , foutenu; & nous ne craignons
pas de dire qu'il eſt plus intéreſſant dans la
Tragédie de La Noue , que dans l'Hiſtoir :
Malheureuſement , le rôle de Théodore eft
d'une extrême foibleſſe. Le ſtyle où l'on
remarque un vernis oriental très-propre au ?
49 MERCURE
fujet, eſt ſouvent inégal , & le cinquième
Acte est très- inférieur aux quatre premiers.
Le dénouement fur - tout a été univerſellement
condamné dans tous les temps. Il eſt
opéré par un récit ſec& triſte de l'aſſaffinat
d'Irène par la main de Mahomet ; & la
manière dont Théodore termine la Pièce
après avoir appris la mort de ſa fille , eſt
d'une pufillanimiré qui aveifine le ridicule.
:
GrandDieu ! dont le courroux éclate fur Byzance,
Que fa mort& lamienne appaiſent ta vengeance !
La remiſe de cette Tragédie a eu tout le
ſuccès qu'on pouvoit enattendre. Le rôle de
Mahomet a fait honneur au talent de M.
St Prix. Nous invitons cet Acteur à continuer
de choiſir ainfi , dans nos bonnes Tragédies
oubliées ou négligées , des rôles qui puifſent
écarter pour quelque temps la comparaiſon
entre ſes prédéceſſeurs & lui. L'opinion
eſt un monſtre à mille têtes qu'on
ne peut furmonter qu'avec de l'adreſſe. Nous
l'exhortons auffi à ſoigner ſes tranfitions
des tons graves aux tons aigus ; elles ſont
ſouvent peu ménagées , tranchons le mor ,
trop bruſques , & l'oreille en eſt quelquefois
fatiguée.
J
Dans le No. prochain , nous donnerons
l'Article de la Comédie Italienne.
:
-
tk

DEFRANCE.

5.
2
e
t

e
.
n
S
S
ANNONCES ET NOTICES.
CALENDRIER Musical Univerſel , contenant
l'indication des Cérémonies d'Eglife , en muſique;
les Découvertes & les Anecdotes de l'année ; des
Variétés ; un choix de Poffies relatives à la Muſique;
des Détails ſur la Mufique des Egliſes de
Paris; la Notice des Pièces enMuſique repréſentées
à Paris, en Province , ſur les différensTheatres
de l'Europe & des principales Villes d'Italie;
de relevé des Ouvrages ſur la Mufique, & des
Productions muſicales publiées à Londres & à
Paris; la liſte des Profeſſeurs , des Marchands de
Muſique; Luthiers , Facteurs d'Inſtrumens , Graveurs,
Imprimeurs , Cop ftes , &c. Pour l'année
1789. AParis, chez l'Auteur , maiſon de M. Le
Duc, au Magaſin de Muſique & d'Inftrumens , ruc
du Route , No. 6. V :: جا ةيو
Nous reviendrons ſfur cet ouvrage, qui nous
paroît fait avec encore plus de ſoin que celui de
l'annéepafléc.
Le Sr. Lethien , Coutelier de la Reine & de
Mgr. le Duc d'Orléans , prévient le Public qu'il
vient d'inventer des rafoirs à fix lames à rabor
dargest, & fans rabot , avec un reffort qui
faxe la lame au point où l'on veut pour ſe rafer,
fars courir le rifque de ſe couper , fans qu'il
priſe branler qu'en faiſant agir le reffort; faits en
damas corroyé , prix 27 livres , en vrai damas ,
48 liv. , rafinés an fou , & trempés avec des feis
qui les font réſiiter aux barbes les plus fortes ; ces
42 MERCURE
lames ont un avantage bien précieux fur celles
même d'Angleterre , en ce qu'elles n'ont jamais
beſoin d'être repailées fur la meule , mais fculement
fur la pierre à l'huile , ou fur un cuir préparé
avec une compofition nouvelle que l'on trouve
chez lui. L'Auteur eft fi fur de fa trempe , qu'il la
garantit fix mois à l'épreuve. Ils ont été approuvés
par les Syndics des Maîtres Perruquiers.
Un rafoir avec fon rabot d'argent , 9 livres , &
avec le reffort qui fixe la lame , auffi avec un rabot
d'argent , 12 liv.
- Des couteaux montés en acier plein par le haue
pour la folidité , garnis on argent avec une cu
vette auffi en argent au bout , renfermant une
paire de cifcaux , avec des outils pour les dents 5
en damas corroyé, 30 liv. ; en vrai damas, 48 liv .
Idem, des couteaux repréſentans un pied de Roi,
en damas corroyé, 24liv. ; en vrai damas, 48 liv.
Idem, des couteaux qui ſe changent en trois par_
sies, qui se démontent par le bas prix, fuivant
P'ornement , depuis 24 livres juſqu'a iso livres.
Idem, couteaux à deux lames , une en damas corroyé,
& l'autre en argent , avec fourchette , cuiller
, falier & poivrier , auffi en argent , avec un
canif, un tire-bouchon, qui ſe démontent ailément
en trois parties par le bas ; prix 72 livres , &c.
&beaucoup d'autres objets curieux & bien travaillés.
Le Sr. Lethien demeure toujours rue Neuve-
Saint-Merri , près l'hôtel Jabac.
DE FRANCE. 43
-
Nouveau Registre annuel de recette & dépenſe ,
diviſe en fept parties in-folio , pour l'année 1789 ,
relić en porte-feuille , 30 liv . Ideti , reliure ordi-
Baire, 24 liv. Nouveau Livre d'ordre , diviſe
tacing parties in-4. pour l'année 1789 , rélié en
forte-feuille, 24livres. Id. reliure ordinaire, 21 1.
contenant 600 formules de quittances , 6 1. Id. de
1200 , 12 livres.-Nouveau Porte-feuille, Agenda
es Souvenir portatif pour l'année 1789, divité en
cinq parties , compofé de quatre cahiers , le cahier
contenant 3 mois. Les différens Porte-feuilles font
de 12 , 15 , 18 & 20 livres. A Paris , chez le Sr.
Salmon , Marchand , rue Dauphine , Nº. 26 , au
Porte-feuille Anglois.
Ces trois objets ſont rédigés avec une intelli
gence qui en augmente l'utilité. Nous avons déjà
rendu justice au zèle de M. Salmon pour affortir
fon riche Magaſin. Nous ne citerons ici que
quelques nouveaux objets d'Etrennes. Très-belles
Ecritoires en maroquin Anglois ,avec garnitures
wis-riches. -Pupitres portatifs en marroquin &
en bois des ifles, formant à la fois boîte à nécef
faire, table à écrire & pour deffiner , contenant
papier , cire , &c. -Grande quanttié de Portefeuilles
garnis de différentes pièces , & autres
peints dans le nouveau genre. Ecritoires de
fable, de toutes formes; boîtes de crayon & conlear
fixe aſſorties pour le deffin , &c. Il tient auffi
fon Magafin de papier pour tentare dans le nouveau
goût , tant Arabesque que dans le genre
Exrufque , &c.
-
MERCURE
Nouvelle Eau d'Etrennes. A Paris , chez le-Sr.
Duthu , Md. Epicier Droguiſte , rue Saint Denis ,
entre la rue des Lombards & celle de la Heaumeric
, No. 272 , vis-à-vis Sainte-Opportune.
Cette nouvelle Eau d'Etrennes eſt une Liqueur
detabledes plus ſimples. Son uſage modéré , en
flattant le goût , eſt favorable à l'eſtomac & facilite
la digeftion. On trouve aufſi chez le méme du
Vin muſcat, du Frontignan, diverſes Paſtilles nouvelles
, & antres objets d'Etrennes .
M. Duthu continue le même débit de ſes bons
& falutaires Chocolats , que nous avons annoncés
avec des éloges juſtiſiés par le ſuccès. Il nousprie,
àcetteoccafion, de prévenir le Public , que fou-
.vent des Domeſtiques infidèles font payer fort cher
des Chocolats pris chez lui, mais ordinaires ; pouz
parer à cet inconvénient , ainſi qu'à la cupiditédes
contrefacteurs , il avertit que ſon Chocolat gommeux
& ſes Chocolats de ſanté , are. qualité ou
fans vanille, portent ſa fignature , & que le plus
*cher ne paffe pas 6 liv. Ses Chocolats moyens cu
fans voille portent ſon ériquetre teulement, & le
plus cher de ceux-ci ne pafie pas 3 liv. 15 f.
21

Traité des Sons de la Langue Françoise, & des
caractères qui les repréſentent; nouvelle Edition
retravaillée & conſidérablement augmentét ; ſuivi
d; la manière denſeigner à lire , fervant de ſuitet
auTraité des Sons de la Langue Françoifs , nouvelle
Edition , dans laquelle la manière est plus e
clairement expoféc; & fuivi ani dun Syllabaire
François , à l'uſage de ceux qui commensent à apprendre
à lire. Le tout en 1 Vol. in- 12 . Prx br.
2 liv. ; & relié en bafane, 2 liv . 12 ſous. A Paris ,
chez Varin , Lib. rue du Petit-Pont , au bas de
celle Saint-Jacques , à l'Image Sainte-Geneviève ,
N°. 22.
DE FRANCE.
0-
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25
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Royez, Libraire , quai des Auguſtins , aannoncé
plusieursbonnes Traductions in-18 , dont la Biblioasque
choifie de Contes nouveaux ou traduits de
différentes Nations. Les Volumes ſe ſuccèdent par
ordre, & il y en a déjà dix Volumes , dont plu- -
fieurs avec les caractères de Didot , & avec Figures,
à 2 l. le Volume , broché. Il va en pa-
Fotre ane ſuite intéreſſante , dont nous avons
publié, dans les derniers Nos. du Mercure , quelques
échantillons qui ont fait défirer le reſte, &
ont décidé Monfieur le Prince Baris de Gallitzin
idonner complètement les Eſſais & Contes traduirs
de l'Anglais de Goldſmith. On vend les
Velumes enſemble ou ſéparément , & il y a de
cene Collection une édition très-belle in-8 ° fur
papier velin , à 6 1. , & fur papier de France , à
1. 12. Ony diftingue les Contes Italiens traduits
des Conteinporains de Bocace , qui peut faire
faite anx belles éditions de cet Aurcur célèbre
dom on y donne la vic ; & les Contes & Fables
Perfannes par M. Langlés , qui a obtenu tout le
lazès qu'il mérite par ſon goût pour la Littérature
Orientale dont ilconnoît ſi bien les Langues.
Principes des Loix Criminelles , ſuivis d'Obſervations
impartiales ſur le Droit Romain ; par M.
Bernardi , Lieutenant-Général au Siége du Comté
de Sault , de l'Académie de Marseille , &c. Vol.
in-8°. AParis , chez Servière , Lib. rue S. Jeande-
Beauvais. Prix broché , 4 liv. 4 f.
Ma Cherife brûle, inventé par Honoré Fragomard,
gravé par Augustin leGrand. Prix 3 liv. ca
noit, 6 liv. en couleur. AParis , chez le Graveur ,
rue Saint-Julien-le-Pauvre. , nº. 18.
Cette Estampe eſt d'une compofition & d'un efkt
agréables.
46 MERCURE
Voyages Imaginaires , Romaneſques , Merveilleux
, Allégoriques , Amuſans , Comiques &
Critiques ; fuivis des Songes & Viſions , & des
Romans Cabaliſtiques , ornés de Figures ; ise.
Livraifon; contenant le Voyage de Campagne, par
Madame de Murat; le Voyage de Falaiſe, par Le
Noble: le Voyage de Mantes, par Bonneval ; le
Voyage interrompu , par Laffichard ; la Voiture
embourbée , par Marivaux ; le Voyage de Paris à
St-Cloud , par Néel ; & le Retour de St-Cloud.
Cette Collection formera 36 Volumes in- 8°. ,
dont leprix eft de 3 liv. 12 f. le Volume broché,
avec 2 Planches.
Il paroît régulièrement 2 Volumes par mois.
On continue de s'inferire pour cette Collection ,
àParis , ruc & hótel Serpente , chez CUCHET ,
Libraire, Editeur des OEuvres de Le Sage , 15 vol.
in- 8 °. , avec Fig. ; de celles de l'Abbé Prévost ,
39 vol. idem ; & du Cabinet des Fées , 37 vol.
in-8 °. & in- 12, avec & fans Figures.
Mémoirefur la culture & les avantages du Chou-
Navet de Leponie , lu à l'Aſſemblée publique de
l'Académic Royale des Sciences , Aras & Belles-
Lettres de Nanci , le 25 Août 1787 ; par M.
Sonnini de Manoncourt , ancien Officier de Marine,
Correfpondant du Cabinet du Roi , &c.
Brochure in-8 °. de 52 pages. A Paris , chez Née
de la Rochelie , Libr. ruc du Hurepoix ; & à
l'Hétel de Calais , rue Coquillière..
Ce Mémoire n'eſt dépourvu ni d'intérêt ni d'utilité.
Obfervations générales fur les causes des maladies
du Blé , & fur l'inefficacité des moyens employés
juſqu'à préſent pour l'en garantir ; par
e
DE FRANCE. 47
&
3
८.
Le
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3,
Γ ,
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C
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Hermite de Sainte-Marguerite ; Brochure in-8 °.
de 45 pages. A Londres ; & fe trouve à Paris ,
chez Mufier , Libr. rue Pavéc St-André.
, Etrennes de Polymnie , choix de Chanſons
Romances , Vaudevilles , &c. , avec de la Mufique
nouvelle, & dcs timbres d'Airs connus , fur
liquais la plupart des morceaux peuvent auſſi
fure chantes. Année 1789. A Paris, chez Belin ,
Libraire , rue St. Jacques'; Brunet , rue de Marivaux
; Deffenne & Gartey , au Palais Royal ; le
Duc, Marchand de Muſique, rue du Roule ; &
thez les Marchands de Nouveaurés.
Ce Recueil , déjà connu depuis long-temps ,
joui: d'un fuccès mérité,
Almanach hiflorique de la ville &du diocèſe do
Rheims , pour l'année 1789. Prix , 15 f. broché.
ARheims , chez Jeunehomme , père & fils , Imp.
du Roi ; & fe trouve à Paris , chez Née de la
Rochelle , Libraire , rue du Hurepoix,
Almanach de Gotha, contenant diverſes connoiffances
curieuſes & utiles , pout l'année 1789 ,
AParis, chez Fournier , Libraire , rue Neuve-
Notre-Dame.
Etrennes aux Ecoliers , Ouvrage deſtiné à l'éducationde
la Jeuneſſe, par des exemples de bienfailance
& de vertu . I Volume in- 12. Prix , broché,
11. 4 f. , & frane de port , 1 1. 10 f. A
Paris , chez Leroy , Libraire , rue St. Jacques.
L'idéede ce Recucil eft heureuſe ; nous l'avons
déja dit , & il peut être utile à la jeun fle. Le Rédacteur
paroît y mettre du ſoin , & la Collecion
deviendra intéreſſante, ſi les perſonnes qui
font dignes d'y concourir, veulent le féconder en
▼dépoſant quelques fruits de leurs travaux.
2
MERCURE DE FRANCE.
Cart nouvelle de la Province du Maine & d'une
partiede celles de Normandie, du Perche &d'Anjou.
Prix , I liv. 10 f.
Carte nouvelle du Poitou & du pays d'Aunis ,
avec une partie de la Saintonge &de l'Angoun.ois ;
augmentéedes Routes nouvellement ouvertesdans
F
ces Provinces. Prix , 1 liv. to f.
CesdeuxCartes ſe trouvent àParis, chez Crépy,
rue S. Jacques , No. 252.
36. Vue intérieure de Paris , prife du Quai des
Ormes regardant le Port Saint-Paul , d'après les
deſſins de M. le Ch. de Leſpinaſſe , de l'Académic
Royale de Peinture. AParis, chez Berthault, Graveur,
rue Saint-Louis au Marais , Nº. 14. Prix ,
12 liv. La4e. & dernière de ces Vues pourra être
annoncée dans le courant de Mai prochain.
Cette nouvelle Vue mérite autant de ſuccès que
les précédentes.
VERS.
TABLE.
Charade, Enig.&Logog.
PoyagedujeuneAnacharfis
Lestres d'Euler.
J'AI AI lu ,
3 Variétés:
Comédie Françoise.
26 Annonces & Notices.
APPROBATION.
36
41
par ordre deMgr. le Garde des Sceaux,
IC MERCURE DE FRANCE , pour le Samedi
Janvier 1789. Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe
en empêcher l'impreſſion. A paris , le 2 Janvier
1789.
Co
(
SELIS.
t
MERCURE
C
DE FRANCE.
SAMEDI 10 JANVIER 1789.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE
A M. le Marquis DE VILLETTE , CN
remercimentde l'Exemplaire qu'il a bien
voulu me donner de la nouvelle Edition
de ses OEuvres.
Atoi zélé Prédicateur
D'une aimable Philoſophie ,
Qui , dans les bras de ta Lesbic ,
Sus trouver le parfait bonheur ,
Ex qui , long-temps ivre de gloire ,
Sous les périlleux étendards
N. 2. 10 Jany. 1789. C
so
MERCURE
4
Du Dieu de Guide & du Dicu Mars ,
Remporras plus d'une victoire :
A toi , l'ami de tous les Arts ,
Qui, dès le printemps de ton âge ,
Sur ton front marias ainfi
Le Myrte & le Laurier du Sage :
Salut , honneur , & grand merci.
Que j'aime tes rimes en ine (1 ) !
Quand je les relis , j'imagine
Que ce malin & vieux Enfant ,
Qui , du Peintre heureux de Nanine ,
Conduiſoit le pinceau topchant ,
À ton Recueil libre & galant ,
Préfida bien à la fourdine ;
Marquis, ta Muſe libertine
Nous inftruit en nous amulant,
JADIS T'héritier triomphant
Et du grand Sophocle & d'Homère ,
De la Milice Littéraire
Etoit l'Officier principal :,
Mais cet illuftre Général ,
Avant de fermer la paupière ,
Des forces de ſonDarfenal
(1) On trouve dans les Cuvres de M le Marquis de
Villette une Epire à M. de Voltaire , conftamment rimée
en ine. Note de l'Auteur,
DE FRANCE.
51
Te fit l'heureux dépofitaire ;
Il t'apprit l'art , ſouvent fatal ,
D'obéir au Dicu de Cythère ,
Dont il étoit premier vaflal ;
Mais il t'enſeigna l'art de plaire ,
Et mit , en formant ta Bergère ( 1 ) ,
Le remède à côté du mal.
POURSUIS ta brillante carrière ,
Et ne crains pas que le cheval
Du Dieu qui répand la lumière ,
Pour toi, foit rétif & brutal ;
Cours avec lui d'un pas égal ,
Des Amours viſiter la Mère ,
Et reviens fur le Tribunal
Elevé dans le Sanctuaire
Des chaftes Soeurs,& de leur Frère ,
Apprendre à maint Rimeur banal
Comme il doit chanter ſa Glycère ,
Ou bien un Monarque loyal (2) ,
Qui devint l'Ange tutélaire
D'un Peuple doux & martial ;
Le fils adoptifde Voltaire
7
(1) On fait que Madame la Marquise de Villette paſſa
premières années de la vie auprès de l'illuftre Vieillard
Ge Ferney. Noce de l'Auteur.
(1) M. de Villette a fait en belle proſe , comme M. de
Voltaire en beaux vers , l'Eloge hiſtorique d'Henri IV,
Kore de l'Aureur,
C
52
MERCURE
Autrefois étoit ſon rival ,
Il doit fuccéder à ſon père.
(Par M. Méjan Du Luc. )
A Mlle. CAROLINE , en lui envoyant un
Porte-feuille.
CETTE Etrenne te ſera chère ,
Et toi ſeule en feras le prix
En l'embelliffant des Ecrits
Que t'adreſſe une tendre Mère.
(Par M. ***. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercureprécédent.
LE mot de la Charade eſt Souris ; celui
de l'Enigme eſt Mercure ; celui du Logogriphe
eſt Báton , où l'on trouve Bât ,
Bon , Ton.
CHARADE
FILLETTE qui veut plaire en portant mon entier ,
Afoin qu'il ſoit toujours mon premier, mon dernier.
(Par Mlle. Viflorine de France de
Rebais , âgée de 11 ans. )
DE FRANCE. 53
27
ÉNIGME.
Je ſuis dans les combats une arme meurtrière ;
Monchefàbas , Lecteur , je tette encor ma mère.
(ParlePauvre Diable, Et. en Droit.)
C
تر
L
LOGOGRIPHE.
Jene ſuis pas, Lecteur, le fruit d'un tendre amour;
Jerougis de tedire à qui je dois le jour.
Ta ne me vois ſouvent qu'avec indifférence ;
Mais lorſqu'une cruelle abfence
Deton ami te ſépare à jamais ,
Je m'offre à toi pour calmer tes regrets ;
Je me charge avec complaiſance
De lui porter tes ſoupirs , tes douleurs.
Je pars , je vole& je franchis l'eſpace.
De ton ami , je vois couler les picurs 3
Mais c'eſt pour faire bientôt place
Aux Ris , doux enfans du Plaiſir.
Enchantéde ton ſouvenir ,
Cet inftant eſt pour lui le plus beau de ſa vie.
De mes fix pieds ſans troubler l'harmonic ,
Tu vois un oiſeau grand parleur,
Et reconnu pour être un franc voleur;
Untitre qui chez nous ſe donne à la naiſſance ;
Un élément , ſoutien de ta fièle exiſtence ;
C3
54 MERCURE
Le Pontife ſuprême & le Roi des Romains ;
Mon anagramme eſt le Dieu des Jardins.
(ParM. de Bourrienne. ) -
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
.
CONSIDÉRATIONS fur P'Efprit & les
Moeurs , in-8 ° . A Londres ; & ſe trouve à
Paris, chez les Marchands de Nouveautés.
CE
E n'est pas une petite entrepriſe que
de vouloir peindre, avec vérité, l'Efprit &
les Mccurs de ſes Contemporains . Celui
qui l'eſlaye doit être bien pénétré du ſentiment
de ſes forces; car ilne peut le diffimuler
ni les difficultés qui l'attendent ; ni
les talens des rivaux qui l'ent précédé dans
la carrière. Montaigne , la Rochefoucauld ,
& La Bruyère , ſont les premiers de nos
Ecrivains moraliſtes , & peut être auſſi
ceux qui ont le mieux connu le coeur humain:
Declos a tenté de fuivre leurs traces
; mais pour avoir trop voulu ſe montrer
penfeur & piquant dans ſon ſtyle , il n'eſt
ſouvent que minutieux & recherché ; &
au lieu d'ap, rofondir les objets , il n'en
parcourt que les ſuperficies. Montefquien,
qui aimoit à cacher fon génie , ſous un air
DEFRANCE.. 55
de frivolité, a eſquiflé dans ſa manière rapisie&
vraie les moeurs & les ridicules qui
le frappoient , & il a toujours mêlé la
philanterie à des vûes grandes & à des
maimes pleines de fagelſe. Voltaire , en
etendant fon empire fur tout ce qui eſt
da te fort de la Philofophie comme de
ia Lizérature , a dans ſes Romans preſque
égalé ce que Monteſquieu a écrit de plus
ingenieux fur la Morale & far les Moeurs ;
&l'Auteur de Gilblas , celui de Mariamne ,
Vauvenargues , & enfin J. J. Routeau , ſe
font ouvert chacun des routes différentes ,
&ils font pourtant allés vers le même bur.
On ſera peut-être étonné de n'avoir pas
déja lu parmi ces noms illuftres le nom de
Molière ; & je conviens qu'en parlant des
Peintres du coeur humain , j'aurois dû le
citer le premier , fi le genre plus difficile
dans lequel il a triomphé , n'obligeoit pas
de lui réſerver toujours uneplace urique.
Molière ne s'eft pas contenté d'efquiffer
des portraits fur le papier , d'indiquer des
caractères , de proférer des maximes , d'après
les apperçus de la Société. Il a fait
bien plus, il a créé des perſonnages , &
après les avoir chargés des vices ou des ridicules
qu'il vouloit peindre , il a forcé ſes
modèles à ſe reconnoître dans ces images
fantalliques & vraies , & ſouvent à ſe corrizer.
Voili pourquoi Molière eſt autant au
deffas des ſimples Moraliftes , qu'un grand
Peintre d'Hiftoire peut être au deſlus d'un
C4
56 MERCURE
Peintre de portraits. Pourvu qu'on foit obſervateur
éclairé & Hiſtorien exact , on va
bien rendre un caractère qu'on a ſous les
yeux ; mais on ne peut compoſer une
bonne Comédie , ou un excellent Roinan ,
fans être doué de beaucoup de génie , ce
qui n'empêche pourtant pas qu'on n'atteigne
très difficilement à la ſupériorité dans
tous les genres , & que La Bruyère ne foit
un grand Ecrivain .
C'eſt précisément La Bruyère qu'a voulu
imiter l'Auteur des nouvelles Confidérations
fur l'Esprit & les moeurs; & nous eſpérons
que nos Lecteurs feront à même de juger,
d'après le compte que nous allons rendre
de cet Ouvrage , s'il n'eſt pas ſouvent digne
de fon modèle.
Nous allons mettre le plus d'ordre poffible
dans l'extrait d'un Ouvrage qui , par
ſon plan , eſt peu ſuſeeptible d'analyſe.
L'Auteur des nouvelles Confidérations
obſerve d'abord l'Eſprit ſous ſes différens
rapports; dans les affaires , dans le monde ,
dans la converſation , dans ſa marche générale.
Il remarque l'influence des pallions
fur l'Eſprit; mais il n'appuie peut être pas
affez fur ce reffort puiſſant , que d'autres
Philofophes ont regardé comme le premier
&peut-être le feul mobile de l'Eſprit.
Il paſſe enſuite à ce qu'on nomme fimplement
le bon ſens ; il traite de la Cour ,
des Courtifons , & de notre politeffe. Il
mpare deux de nos plus grands Monar
DE FRANCE. 37
ques , Henri IV & Louis XIV. Il défend
le ſyſtème de Montesquieu contre Vokaire.
Il trace un tableau abrégé du Gouvernement
Républicain , & du Gouvernement
Monarchique. Il parle de la guerre , de la
vanité ,de l'anaour propre , de la naiffance ,
du caractère , du bonheur , de l'ennui , de
l'amitié , des femmes , de la galanterie , de
l'amour , de l'éducation , de la bonne com
pagnie , de l'avarice , de l'opulence , des
avantages de la médiocrité , & enfin de la
fupériorité des Anciens ſur les Modernes,
Ila d'ailleurs eu ſoin d'entremêler vous ces
objets d'une foule de caractères finement
tracés , de réflexions ingénieuſes , & d'anes
dotes piquantes .
Nousallons effayer de le ſuivre dans quel,
ques-uns de ces objets , & de préſenter un
refultat clair de ſes idées , en prenant la
liberté de le combattre toutes les fois que
nous ne ferons pas de fon avis , mais en
rendant toujours juſtice à la fineſſe de ſes
vúes.
L'Aureur obſerve d'abord , avec raiſon ,
que l'Elprit eſt un mot vague , dont on ſe
fert trop légèrement , & qu'il faudroit inventer
des termes pour en difigner totes
les parties. Il donne alors une définition de
1Elprit. L'Efprit , dit - il , cit la connoiffance
des cauſes , des rapports & des effets.
L'Efprit de profondeur remonte aux
caules; celui d'érendue sinbraſſe les rap
ports; celui de fineſſe conſiſte àjuger
23
"
29
Cs
58 MERCURE
» promptement des effets .... L'Eſprit eft
>>l'aptitude à penſer , & la penſée elle-
ود ménie ". Dans tout cela , l'Auteur nous
paroît manquer d'exactitude & de clarté.
L'Eſpritde profondeur & d'étendue eft vraiſemblablement
le même; & l'Esprit de finelle
ne conſiſte pas à juger promptement ,
parce qu'on peut avoir un Eſprit très- fin
&très-lent.
D'ailleurs on voit que cette définition
rentre dans celle de l'Eſprit & du jugement
par Locke. » L'Eſprit, dit Locke , confifte
>> à diftinguer en quoi les objets qui dif-
>> fèrent ſe reſſemblent , & le jugement en
>> quoi les objets qui ſe reſſemblent dif-
>> fèrent ". Mais le Philoſophe Anglois ,
ordinairement fi juſte& fi précis , fe trouve
ici précis , fans être jufte ; car l'Eſprit qui
diftingue en quoi les objets qui diffèrent
fe- reiſemblent , ne fait pas d'autre opération
que celui qui diftingue en quoi les objet
qui ſe reffemblent different.
>>L'homme qui penſe le plus , qui de-
>>termine le plus à penſer , potiède au plus ود
ود haut degré le don de l'Eſprir. Combien
» d'Auteurs examinés dans ce rapport, per-
>> droient leur réputation ! Il y a plus de
>> penſées dans telle page de Montaigne, de
>> La Bruyère , de Montesquieu , que dans
>> un Poëme entier ".
Tout le commencement de ce paragraphe
eſt excellent; mais on ne fait pas pourquoi
l'Auteur l'a terminé par un farcaine contre
1
DE FRANCE.
رو
S

e
1
e
F
:
5
1
a Poésie , & de quel Poëme il a voulu
parler. Si c'eſt d'un mauvais Poëme , il a
raifon ; mais on pourroit lui répondre , avec
non moins de juſtice , qu'il y a plus de
penſées dans telle page de Lucrèce , des
Georgiques , de l'Ellai ſur l'Homme , des
Diſcours de Voltaire , &c. , que dans pluſieurs
Volumes de proſe; & qu'en faudroitil
conclure ? Si l'Auteur n'aime point la
Poéfie , nous en ſommes bien fâchés; c'eſt
un plaifir qu'il a de moins, & il eſt digne
de Paimer. Montesquieu avoit affiché un
grand dégoût pour ce bel Art , après avoir
long-remps eſſayé en vainde faire des vers.
C'eſt ici qu'on trouve une juſte appréciation
des talens de Duclos , qu'on a longtemps
mis à cô é de Monteſquieu , de Buffon
, & de J. J. Rouffeau , dans quelques
Sociétés à la mede.
"
23 Le Peintre de quelques portraits a été
> au deſſous du médiocre , quand il a tenté
d'être Peintre d'Histoire. Duclos traçoit
les moeurs , les ridicules , les vices , les
fautfes vertus des gens avec lesquels il
- foupoit , & il n'avoit pas foupé avec
- Louis XI".
L'Anteur , après avoir parléde l'éloquence
en homme éloquent , cite les moyens que
les pations prêtent à l'homme. » Lapallion
embelliflor Le Kain. On oublioir la taille
- iznoble, ſes traits groffiers ; il s'élevoit ,
s'ennobliffoir. Le Kain difparoiſſoit , &
• ſon ame donnoit à fon extérieur , la no
S
€ 6
نم MERCURE
> bleſſe , la fierté d'un Héros . C'eſt en
> ſongeant au pouvoir créateur des paflions ,
> qu'une femme , à qui l'on témoignoit de
→ la ſurpriſe de l'amant qu'elle avoit choifi ,
> dit pour toute réponie : Vous a - t - il
» aimé"?
Nous l'avons déjà dit , l'Aureur étoit fair
pour donner plus d'étendue à ſes réflexions
fur le pouvoir des paſſions , que M. Helvé
rius & M. de Vauvenargues feuls ont confi
dérées philoſophiquement dans les rapports
qu'elles ont avec l'Eſprit , & dont dépendent
ſi ſouvent les talens , le bonheur , & la
deſtinée entière de l'homme.
L'Article du bon ſens eſt traité avec briéveté
& bien , dans le Livre que nous analyfons.
» Le bon ſens et une foible lumière
>>qui éclaire un horizon borné , & qui fuf-
• fit pour conduire fûrement celui qui
» n'étend pas plus loin ſa vue « .
Après avoir encore parlé des réputations
ufurpées , & relevé quelques mauvais jugemens
de La Bruyère ſur Konſard , Malherbe
, Théophile , Balzac & Voiture , l'Au-.
reur continue à poursuivre l'Eſprit dans
une marche plus certaine que celle dont
nous avons parlé tout à l'heure , & il dit :
>> L'Eſprit , au ſeizième ſiècle , confiftoit
>>dans l'érudition. Il ſemble que le génie
s'efſavoit pour parvenir au point de la
maturité. Le bel Efprit a fuccédé. Les
>> grands talens ſe manifeſtent ensuite , &
"
DE FRANCE- 64
S
S
2
e
1
S
-

S
LE
e
2
-S
>>leur éclat s'eſt ſoutenu près d'un frècle
" entier. L'érat d'épuisement , qui fuit de
>> grands efforts , ſemble caractériſer l'é-
" poque actuelle. Les Littérateurs ont rem
> placé les hommes de génie; on raiſonng
" fur les Ouvrages du ſiècle précédent ; on
> alligne les rangs ; on écrit beaucoup fug
" l'Art d'écrire. Beaucoup d'Auteurs font
23
en état de donner des leçons ; bien peu ,
» de préſenter des modèles . Les principes
* du goût ſont familiers , & l'habitude de
29 juger a aiguiſé le diſcernement général,
» Il y a plus de Juges éclairés , plus d'A-
> mateurs inſtruits , & moins d'hommes
" d'un grand talent. Quand on eſt jeune ,
⚫ on produit ; mais quand la vieilleſſe ap-
> peſantit les eſprits , on ne fait plus que
" raiſonner ſur le paflé. Tels font les âges.
" de la vie , & telle ſemble avoir été la
> marche des trois fiècles. L'époque actuelle
* préſente l'image de la vieilleffe. L'im-
> puiſſance , l'admiration du paſſé , l'amour
de ſoi - même , qui eſt l'efter de l'âge
&l'inſenſibilité d'un coeur deſſéché , &
enfin l'attachement à l'argent , ſemblent
→ donner le caractère ſexagénaire du ſiècle",
Il faut avouer que ſi ces obſervations ne
font pas entiérement neuves , elles ont du
moins l'art d'être bien préſentées .
3
Tout ce que l'Auteur dit de la Cour &
des Courtisans , a le même mérite. S'il ſe
encontre quelquefois avec La Bruyère ou
Gelques auties Ecrivains qui ont parlé de
62 MERCURE
:
la Cour & des Courtifans , il remporte
ľavantage de ne leur être point inférieur ,
& d'ajouter heureuſement à leurs idées.
Voyez comme il s'exprime fur les ſéductions
qui environnent les Princes .
» Sénèque a dit que le plus beau ſpec-
> tacle de la Divinité étoit de voir l'homme
> vertueux aux priſes avec l'infortune. Un
>> autre ſpectacle non moins beau , c'eſt
>> de voir un Roi vertueux lutrant contre
» les ſéductions qu'on s'efforce de multi-
>> plier autour de lui , fermant ſes oreilles
» à la voix de la flatterie , & didipant lesto
nuages qu'on élève fans ceſſe autour de
la vérité «,
"
ود
Les bornes de ce Journal ne nous permettent
pas de rapporter ici le parallèle
que fait l'Auteur d'Henri IV & de Louis
XIV ; qu'il nous foffiſe de dire que ce parallèle
eſt à l'avantage de Louis XIV.
Nous avouons avec l'Auteur qu'Henri IV
dur en parrie ſes grandes qualités à la rudeſſe
de fon éducarion , & a fes malheurs.
Nous convenons même qu'il a cu beaucoup
de foibleffes , & nous n'eflayerors pas
de le justifier d'avoir laiffe montir Biron
fur un échafaud : mais s'il n'a pas été un
Prince parfair , en a t- il moins droit d'être
compté au rang des grands Hommes , &
fur-tour au rang des bons Rois ? Ne futil
pas Général hable , brave Soldat , ami
ſenſible , amant généreux , époux indulgent,
&père tendre ? N'at-il pas fait à fon Peuple
DE FRANCE. 63
:
5
5-
S
11
1
e
ال
tout le bien qu'il a pu lui faire , & ne
travailloit - il pas fans relâche à le rendre
heureux?
Loin de nous la coupable envie d'obfcurcir
la gloire de Louis XIV ; mais de
quelque éclat dont elle brille encore , elle
ne peut nous éblouir aſſez pour nous faire
préférer ce Prince à ſon aïeul. Il étoit né ,
ſans doute , avec une grande ame ; il a
déployé ſur le trône des vertus éclatantes.
Mais n'at il pas trop écouté la flatterie ,
l'orgueil & la vengeance ? Peut- on juſlifier
Fordre de ſubmerger la Hollande : l'embrafementduPalatinat
? les dragonnades des
Cévènes? & tant de guerres qui ont dévasté
&écrafé la France ?
Le Roi qui défire le plus le bonheur de
fos Sujets , eſt le plus grand des Rois. D'après
cela , qu'on juge entre Henri IV &
Louis XIV.
L'Auteur parle très-bien du caractère , qui
fe modifie toujours d'après nos penchans ,
ou plutôt qui n'en est que le réfulrat ; auffi
il remarque qu'en étudiant le caractère ou
les penchens d'un honne , on pourroit affigner
presque avec certitude la conduite
dans une circonstance donnée,
29
>>> Le bonheur & le plaifir , dit il, font
deux manières d'être affecté , qui n'ont
⚫ rien de commun...... Tout homme peut
▸ éprouver des plaiſirs vifs ; mais peut-
• être que l'ame & le coeur rendent ſeuls
* capables de goûter le bonheur ; & des
4
64 MERCURE
3
- lors tous ceux qui ne font pas doués
» d'une ſenſibilité vive ne peuvent y pré-
» tendre " .
Cette conféquence eſt-elle bien vraie?
& n'est-ce pas , au contraire cette vive
fenfibilité qui nous rend trop difficiles ſur
le bonheur ?
Voici qui eſt plus exact, » Il eſt des
→ jours heureux; il n'eſt point de vie heu
» reuſe ; ce ſeroit un ſonge enchanteur fans
› réveil.
: >> La manière de ſentir conſtitue le bon-
>> heur bien plus que les avantages qu'on
» poffede ; & c'eſt ce que l'Auteur démontre
pardes raiſonnemens &desexemples .
>> Un homme ſur la roue , que ſon Con-
>> feffeur exhortoit à 11 patience , lui répon-
>> dit : Mon Père , il y a long-temps que
je ne me fois trouvé dans une ſituation
>> d'eſprit auſſi tranquille.
" Un homme fort riche' dans ce ſiècle ,
» àportée par la fortune, de ſe procurer tous
>> les plaiſirs , jouiffant d'une ſanté florif-
>> ſante, doué des avantages extérieurs , eſt
» mort de douleur de n'être pas Gentilhomme
". ود
Lebonheurdes Grands & des gens riches
dépend prefque toujours d'eux mêmes ; celui
de la multitude dépend de ceux qui la
gouverneet. Dans cette claſſe d'hommes, le
bonheur confiſte à ne pas fouffrir , & c'eſt
aux Légiflateurs à remplir cet objet ; auffi
l'Auteur leur adreſſe cetre ſage exhortation.

3
2
1,
DE FRANCE. 65
-
9
,
(-
a

es
» vous , Bergers de grands troupeaux
> d'hommes , Rois , Souverains, dont l'ame
■ fenſible ſe plaît dans le contentement des
> autres , détournez les yeux de votre
• Cour, fi vous voulez donner l'effor à voš
> nobles fentimens ! Vous ne pouvez rendre
• heureux le petit nombre de Courti-
> ſans qui vous environnent. Une foif
> inaltérable d'or , de grandeurs , d'éclat ,
→ les domine. Abaillez vos regards vers une
➤ multitude à qui vous pouvez accorder un
bien- être ſenſible & durable , & qui
• paflera juſqu'à la feconde génération " ..
Après avoir parlé du bonheur , l'Auteur
parle de la durée du temps & de l'ennui ,
& il prouve que les Religieux s'ennuient
beaucoup meins que les gens du monde ,
parce que toutes les heures de leur journée
font variées par diverſes occupations quiles
rempliſſent; de même le peuple eſt encore
moins fufceptiblede connoître l'ennui qu'au
cune autre claſſe de la Société , puiſque ,
comme l'a fi bien obſervé M. de Voltaire :
Le travail fut toujours le père du plaiſir.
L'arnitié , l'amour , & tout ce qui concerne
l'eſprit & le caractère des femmes ,
tiennent beaucoup de place dans cet Ouwage.
L'Aureur ſemble penser qu'il n'y a
Je pas d'amitié réelle ; mais il n'applique fes
reficxions qu'aux temps modernes & aux
Sociétés dans lesquelles il vit ; il avoue lui
66 MERCURE
même que l'homme eſt capable d'une véritable
amitié ; ce qui fe démontre invincible .
ment par une connoillance approfondie du
coeur humain & de l'influence des Gouver
nemens ; & nous , nous ofons avancer qu'on
en pourroit citer beaucoup d'exemples ré
cens , pour oppofer à l'égoïſme & à la perverſité
de nos moeurs .
Il traite auſſi l'amour comme un fentiment
preſque toujours factice & un commerce
de perfidie ; & il ne fait pas plus
de grace aux femmes , dont il relève cruellement
tous les torts & tous les défaurs.
ود
» La femme, chez les Sauvages, eſt une
bête de fomme ; dans l'Orient, un meu-
>> ble , & chez les Européens un enfant
» gâté.
>>La vanité fait plus fuccomber de femmes,
>> que le goût , le penchant & les fens....
" Combien la femme qu'on croyoit la
>> plus réſervée, fait d'étranges révélations à
2 ſon amant , lorſqu'elle s'eſt abandonnée !
". combien de fois elle a été au moment
ود de fuccomber! Que d'entrepriſes qui l'ont
>> profanée! quede ſavoir elle a fur les plus
> petits myſtères de l'amour ! Elle connoît
>>juſqu'à la langue de la débauche !
ود L'amour- propre domine en général
» dans le ſentiment des femmes , & les ſens
" dans l'atrachement des hommes.....
»
ود On débite beaucoup d'hiſtoires fauffes
fur les femmes; mais elles ne font qu'une
foible compenfation des véritables , qu'on
DE FRANCE. 67
1
S
31
25
ignore ". Cette phraſe reſſemble à la réflexion
malveillante d'un autre Ecrivain ,
qui n'a jamais épargné les femmes. Mézerai
dit en parlant de quelques aventures amoureuſes:
>>De ces choſes-là on en conte
* toujours plus qu'il n'y en a, & il y a tou-
■ jours plus qu'on n'en fait.
» Ce qui choque le plus une femme dans
⚫ la témérité des hommes, c'eſt l'idée que
leurs entrepriſes ſont déterminées par
> l'opinion de ſa facilité. Mais fi la paffion
peut en être l'excuſe , il n'eſt point de
hardielle qu'une femme ne pardonne en
- fecret " .
23
- Ces traits, & une infinité d'autres à peu
près pareils , forment le caractère que l'Auteur
attribue aux femmes, Mais fans prétendre
nous établir ici les réparateurs des
torrs faits à ce ſexe aimable , qui ſe défend
alez lui-même par ſes charmes , contre des
vérités fâcheuſes &des outrages impuiflans ,
nous avouons que l'Auteur n'a pas allez fait
valoir les compenfations dont la Nature a
doué les femmes pour balancer leurs défauts.
D'ailleurs, en les conſidérant , il ne les
prendque dans une claſſe particulière de la
Société& au milieu de Paris, où la corruptiondes
moeurs a tout changé. Mais ſes portraits
conviendroient-ils à des femmes que
l'éducation, les exemples & le luxe n'auroient
pas , en quelque forte , dénaturées ?
Conviennent-ils même à toutes nos Françoiſes
? N'est-il denc plus parmi nous des
68 MERCURE
épouſes fidèles, des mères reſpectables , des
citoyennes vertueuſes , des femmes enfin
qui , ſuivant la belle expreſſion d'un Auteur
moderne , ne donnent à leurs maris , pour
garant de leur vertu , que leur verru même?
Oui , ſans doute , il y en a , & fi nous
avions beſoin d'en citer des exemples , nous
en trouverions aisément , même dans le
rang élevé , qu'on a eu principalement en
vue dans les nouvelles Confidérations.
L'oppoſition qui ſe trouve des moeurs
des jeunes gens des deux sèxes qui entrent
dans le monde , avec l'éducation qu'ils ont
reque , eſt ici très-juſtement obfervée : mais
en cel,al'Auteur s'elt contenté de remarquer
les effets , fans eſſayer de remonter aux
cauſes. Il ſeroit pourtant utile de favoir fi
c'eſt l'éducation qui enfante les mauvaiſes
mours , ou fi ce ſont les mauvaiſes moeurs
qui détruiſent tout-à-coup le pouvoir de
l'éducation ; & , quoi qu'il en foit , nous
croyons qu'un changement dans l'éduca
tion nationale , eſt plus important que jamais.
Un Philoſophe moderne a répandu
des lumières ſur l'éducation phytique &
pasticulière , dont lagénération préſente fent
deja les avantages; mais comme iln'a point
parlé de l'éducation publique , nous eſpérons
qu'il ſera dignement ſuppléé par un Ecrivain
qui , quoique jeune encore , s'eſt long-temps
occupé de cet intéreſſant objet , & nous
fommes bien certains que l'amitié n'égare
point notre opinion. Il nous rette àrelever
2
DE FRANCE.
مو

3
e:
S
ATS
LIS
car
ade
&
ons
un fentiment qu'on trouve dans les nou
velles Confidérations , & qui nous ſemble
erroné: on y foutient que le meilleur Ro
man eſt toujours nuiſible aux moeurs. Nous
femmes d'un avis contraire. Nous croyons
que Télémaque , Mariamne , Grandiffon ,
le Vicaire de Wakefield , & une foule
d'autres Ouvrages du même genre , ſont
propres à nous donner l'amour de la vertu ,
&à nous faire tenir en garde contre les
ſéductions du vice.
Ici ſe retrouve encore le parallèle tant
de fois tracé des Anciens &des Modernes ,
& il faut avouer qu'il l'eſt d'une manière
Judicieule & nouvelle. L'Auteur , en rer.-
danthonmmage à la ſupériorité de nos grands
Hommes , reconnoît la prééminence de
teux de l'Antiquité ; prééminence qu'ils ont
due & au climat & à la ſageſſe de leurs
inftitutions , & qui les rendra à jamais
Padmiration &les modèles des peuples qui
aurent le vrai goût des Arts.
L'analyſe que nous venons de faire eſt
exacte; nous n'avons point relevé quelques
phrases qui nous ſemblent peu élégantes,
ex quelques comparaiſons trop recherchées ;
mais nous avons combattu les idées qui
nousont paru les plus faufles. Nous devons
ajouter que les bornes qui nous font prefcrites
ici ne nous ont pas permis d'indiquer
tout ce qui nous a plu dans l'Ouvrage
que nous annonçons , & qu'il paroît hien
mement des Livres qui décèlent autant
218
ops
ن ا ل ك
70 MERCURE
d'eſprit dans leur Auteur, & qui ſoient auſſi
dignes de l'eſtime publique. Fleureuſement
il n'eſt plus très - rare , mais il eſt toujours
très beau que des hommes chargés de grandes
places d'adminiſtration, inſtruiſent par leurs
Ecrits les Peuples au bonheur deſquels ils
travaillent.
7.
:
:: ( Cet Article eft de M. de C...) .
!
LANVAL & VIVIANE , ou les Fées &
les Chevaliers , Comédie Héroï - Féerie ,
en cinq Actes & en vers de dix fyllabes ,
mêlée de chants & de danses ; par M.
DE MURVILLE , repréſentée pour la première
fois par les Comédiens François
ordinaires du Roi, le Samedi 13 Septembre
1788. Prix , 30 f. A Paris , chez
Prault , Imp. du Roi.
Nous avons rendu compte de cette
Comédie lors de ſes repréſentations ; nous
en avons diſcuté le genre, le ſujet & le
plan; il nous reſte latâche facile de juſtifier
les éloges qu'on a donnés au ſtyle de
l'Ouvrage.
La Princeſſe Iſeult , foeur duRoi Artus ,
ayant fait une vaine déclaration d'amour à
Lanval , exhale ſon dépit en fortant ; &
Lanval , reſté ſeul , excuſe ainſi ce tranfport
qui lui paroît fort naturel :
DE 71 FRANCE.
5
S
S
&
یر
کو
5
1
Je dois fans doute excuſer ſa colère ;
Elle m'aunoit , elle avoit cru me plaîne.
L'indifférence eſt un de ces forfaits
Que la Beauté ne pardonne jamais ;
La laideur méme en eſt ſcandaliſée .
Au ſecond Acte , la Fée Viviane qui ſe
prépare à lui faire le même aveu , délibère
fur la manière dont elle s'y prendra ;
Qu'ai-je beſoin de vains enchantemens ?
C'eft mon amour qui doit me rendre belle;
C'eſt lui , Lanval , qui te rendra fidèle.
Mais quant à l'art , je n'y puis renoncer :
Lui-même , il vient , malgré nous , ſe placer
Dans nos projets, &fa douce impoſture ,
Pour notre sexe eſt , je crois , la Nature,
L'aveu de Viviane eſt plus heureux que
celei d'Iſealt. La Fée prodigue ſes richeffes
an Chevalier , & promet de lui apparoître
par- tout où il l'appellera par ſes voeux ;
mis elle le menace de toute ſa colère à la
as moindre indiſcrétion.
Lanval ayant , au moment du tournoi ,
offenfé la beauté d'Iſeuit en refuſant d'ar
de vouer qu'elle étoit la première des Belles ,
at envoyé en priſon par Artus ; & c'eſt là
15, qu'il eſt tenté de voir ſa Maîtrelle :
2
&
Odemon coeur Souveraine adorée ,
Toujours abſenté&toujours désirée !
72
MERCURE
O Viviane ! ah ! ſi dans ce moment
Tu te montrois aux yeux de ton Amant !
Non que Lanval , s'il ne te voit fans ceife
Sente expirer aufſi-tôt ſa tendreſſe ;
Tu ne peux pas , abſente de ces lieux ,
Fuir ma penſée auſſi bien que mes yeux ;
Mais toutGuerrier qu'un pur amour enflamme,
Sebat bienmieux quand il a vu ſa Dame.
Ma voix t'appelle ; accours... Ah ! malheureux!
Dans quel moment formé-je de tels voeux ?
Quand tout un Peuple, attiré ſur ma trace,
Vade ſes flots inonder cette place !
Quand les regards & d'Iſeult & du Roi ,
Des combattans , vont ſe fixer ſur moi !
J'ai prononcé le nom de Viviane ! ....
Peut-être , hélas ! qu'une bouche profane ...
Eh ! c'eſt donc là cette diſcrétion
Dontj'ai tantôt fatté ſa paffion !
Toi que j'appelle avec tant d'imprudence ;
Toi que j'adore & que pourtant j'offenſe ,
Daigne , à mes voeux dérobant tes appas ,
M'aimer affez pour ne m'exaucer pas .
Ajoutons à ces vers un morceau de la
charmante Scène où la Fée vient , fous
Thabit d'un Troubadour , viſiter ſon Amant
dans ſa prifon. Pour l'intelligence de ce
qu'on va lire , il faut ſe rappeler que Lan
val ayant commis une indiſcrétion , Vi
viane , appelée en vain , a refuſe de lui ap
paroître.
VIVIANE
DE FRANCE .
73
VIVIANE ( en Troubadour. )
Ma voix eft douce & tendre ;
Croyez , Lanval , que mon coeur l'eft bien plus?
Tous les détours font ici ſuperflus;
Sans le ſavoir, je reſſens votre peine. )
(Affectueufement. )
Votre ame doit s'épancher dans la mienne:
Vous paroiſſez jeune ; & dans nos beaux jours ,
Plaisirs ,chagrins , tout nous vient des amours.
Quelque Beauté tient votre ame aſſervie ;
N'aurie-zvous point offenfé votre amic?
Dites-moi tout.
LANYAL. ( Apare. )
Je n'y puis réſiſter ,
Etje vais.... Non', vous voulez me tenter,
Jeune homme.....
VIVIANE.
-Mail...
LANVAL
: Si Lanval d'une Dame
,
de
Amérité la colère & le blâme ,
Il ne doit point , coupable & repentant,
Combler fa faute en vous la racontant ;
de àlaBeauté quiconque fit offenfe ,
Gamme au remords , ſe condamne au filence ,
Et rien ne peut m'arracher monon fecret.
4
No. 2. 10 Jany. 1789, D
74
MERCURE
1
GVIVIANE.
Je fuis charmé de vous voir ſi diſcret,
A part. )...
End'autres temps il auroit fallų l'être.
(Haut.)
Vous me taiſez votre crime ; & peut- être
N'oſez-vous même eſpérer de pardon.
(Elle accorde fa guitare. ) :
Quoi qu'il en ſoit , écoutez ma chanſon , &c.
Nous pourrions multiplier nos citations ;
nous allons les terminer par deux jolis couplets
du Vaudeville .
Pour moi,je ſuis fans indulgenée 3
Je trouve mon sèxe trop bon ;
On est dupe de fon pardon
Plus encor que de ſa vengeance ;
;
Il faut qu'on garde mon fecret
Pour qu'on me trouve moins cruelle
Et je ſuis Maîtreſſe infidelle ,
Si l'on eſt Amant indifcret.
ROLAND.
Mon courroux fur preſque tragique
Quand ma Maîtreſſe s'en alla :
Mon déſeſpoir même égala
A
L'infidélité d'Angélique .
Ce qui mit le comble au regret
Qu'en mon coeur laiffa cette Belle
: 1
C'est qu'elle devint infidelle
Avant que je fulle indifcret
DE FRANCE.
:75
L'AMI des jeunes Demoiselles , fuivi d'une
Fpíire aux Célibataires ; par M. DIDOT
fils aîné. In-8°. Prix , 1 liv. 10 f. Il
y en a quelques Exemplaires en papier
vélin , br. 3 liv. A. Paris, chez Didot
fils aîné , Libr. rue Dauphine.
L'AUTEUR de ce petit Ouvrage porte un
nem qui doit être cher aux Lettres. C'eſt
avec plaiſir que nous le voyons les cultiver
avec ſuccès , & contribuer , par ſes propres
Ouvrages , aux belles impreffions qui font
tant d'honneur à ſon eftimable famille.
L'Ouvrage que nous annonçons remplit
parfaitement ſon titre; l'Auteur ſe montre
bien en effet l'Ami des jeunes Deomiſelles
par les ſages avis qu'il leur donne , & par
letendre intérêt qu'il témoigne pour leur
bonheur.
» O vous , leur dit-il , que tout concourt
» à faire reconnoître comme le plus bel
• ornement de la Nature , qui naiſſez Sou-
• veraines de l'Empire le plus précieux ,
■&croiffez avec nos hommages , jeunes
* rejetons d'un sèxe timide & foible , mais
• pourtant tour-puiſſant , ſuivez , fuivez lurtout
ce concours univerſel , cer avance-
> ment général vers le mieux !
" Que chaque jour épure la douceur &
> l'innocence de vos moeurs , ajoute à vos
D
76 MERCURE
ود
T
ſéduiſantes qualités , à la vivacité de vo-
» tre eſprit , à l'enjouement de votre carac-
" tère , aux graces de votre perfonne , &
>> plus encore à la bonté de votre coeur !
ود
Hélas ! il ne faut qu'un orage pour dé-
>> truite toutes les fleurs de cet arbre qui
>> promettoit les plus beaux fruits ; le même
> orage peut ternir l'éclat de ce ruiſſeau
limpide qui ferpentoit dans la prairie :
il ne faut auſſi qu'un défaut marqué ,
✓ une tache viſible , pour rompre cette
douce harmonie d'avantages précieux ,
$ ce concert heureux de tant de qualités
❤ ineftimables qui vous rendent fi intéreſ-
"
ود fantes à tous les yeux.
• Que ſemblables au léger zéphyr , qui
» courbe mellement la tige de ces tendres
>> fleurs , ou qui , en ſe jouant , agite la
>> furface argentée de ces eaux qu'il rend
>> plus brillantes & plus vives , des goûts
>> fimples & variés , des paffions douces &
>> défirables , rompent , par leur agrément ,
l'uniformité de votre vie "! 20
L'Ami des jeunes Demoiselles accompagne
ſes leçons d'une légère intrigue qui
y prête un nouvel intérêt. Il préſente deux
jeunes coufines , dont l'une, douce , honnête
& modefte , trouve le bonheur dans
un doux hyménée , & l'autre ſe rend malheureuſe
par fon penchant à la coquetterie.
Sa proſe eſt coupée de quelques morceaux
de vers qui y jettent de la variété.
DE FRANCE. 77.
:
:
1
C
5
3
N
En voici un qu'on lira avec plaiſit : ce
font deux couplets que l'amant d'une des
deux coufines adreſſe à l'Amour dans un
moment de chagrin .
Amour , volage Amour,fuis avec l'eſpérance :
Ellen'eſt plus pour moi; pour moi, plus de bonheurs
Ceffe de m'abufer par une douce erreur.
Que ne me laiſſois-tu dans mon indifférence !
Fais , emporte avec toi tes importuns déſirs :
C'en eft fait , je brife tes chaînes ;
J'aime mieux àjamais ignorer tes plaiſirs ,
Que d'avoir à ſouffrir tes peines
1
Qucile ametrume affreuſe après tant d'alegreſſe !...
Trompeur, dont le ſourire eſt doux & gracieux ,
Tonbandeau ſe déchire ,&j'ouvre enfin les yeux.
Tu ne te riras plus , cruel , de ma foibleſſe:
Fais, emporte avec toi tes importuns délirs :
C'en eſt fait, je briſe tes chaines ;
Jaime mieux à jamais ignorer tes plaifirs ,
Que d'avoir à ſouffrir tes peines.
Il y a dans cet Opufcule , de la douceur ,
de l'amabilité , & un ton qui fait eſtimer
Auteur. Ce même ton ſe retrouve dans
Epitre aux Célibataires, quitermine ce Volume.
L'Auteur y repréſente les douceure
d'un mariage bien aſſorti , & les inconvétiens
du célibat. Nous nous contenterens
den tranfcrire quelques Vers, qui donneront
:
D3
78 MERCURE
une idée avantageuſe du reſte. Voici comme
il peint le vieillard célibataire.
Immobile , un inftant , au milieu de ſa courſe ,
Des plaiſirs l'homme à peine a vu s'ouvrir la ſource,
Qu'entraîné malgré lui par le bras du Deſtin ,
D'une marche rapide il tend vers fon déclin ;
Et tandis qu'il parcourt fa pénible carrière ,
De la mort qui la ſuit , fâcheuſe avant-courrière ,
La vicilleſſe paroît , ſe courbe fur fon corps ,
De ſes membres tremblans affoiblit les refforts :
4

Il ſent ſous ce fardeau ſa marche chancelante ,
Et fur fon cou penché ſa tête plus peſante.
Ses organes , jadis ſi prompts à le ſervir ,
Fatigués & Aétris , refuſent d'obéir.
De douleurs & de maux un funeste cortége ,
Déjà de toutes parts le tourmente & l'affiége :
Le coup fatal menace ; un trouble plein d'horreur
Pour la dernière fois fait palpiter fon coeur.
En ces cruels inftans , étranger ſur la Terre,
Quel est le fort affreux d'un vieux Célibataire ,
Qui de tous fes parens a ſuivi le cercueil ,
Et fur le borddu ſien traîne des jours de deuil!
Soupçonneux, iſolé , tout fuit , tout l'abandonne ;
Il ſe voit feul au monde, & la mort l'environne.
En vain autour de lui quelques regards confus
Appellent des amis; ſes amis ne font plus ,
Et des regrets amers troublent ſa dernière heure.
A ce tableau oppoſons celui du père de
famille expirant.
DE FRANCE. 79
Sur le litde la mort il diste encor ſes loix ;
Ettout ce qui l'entoure eſt docile à ſa voix.
Cependant il s'agite ,& fon ame eſt émue i
Undernier rejeton vient de frapper ſa vue: 2.)
Ilfait figne,on l'approche; il l'embraſſe en tremblant,
Et cherche à lui ſourire à ſon dernier moment.
L'aſpect de ſes enfans ſemble adoucir ſes peines ;
Sonfang,glacépour lui,coule encordans leurs veines.
De fon nom, de ſes biens , il laiſſe un héritier ,
Er cepère expirant ne meurt pas tout entier.
Ainſi ſur les mortels , avec choix , la Nature
Saitverſer ſes bienfaits , ou venger ſon injure..
Tout ce Volume reſpire l'honnêteté &
la faine morale , & l'on peut lui appliquer
avec juſtice ce vers de Piron :
La mère enpreſcrita la lecture à ſa fille.
4
D4
MERCURE
:
MÉCANIQUE: Analytique , par M. DE LA
GRANGE, de l'Académie des Sciences de
Pari's,de celles de Berlin , de Péterfbourg,
de Turin , &c. 1 Vol. in-4°. de
$12 pages. A Paris , chez la veuve Defaint
, Libraire , rue du Foin St- Jacques.
Prix , 15 liv. rel. pap . ordinaire , & 21 1.
papierfuperfin d'Annonay.
Le nouveau Traité de Mécanique que
nous annonçons , ne pouvoit être mieux
préſenté à l'Europe ſavante , que par une
main qui a tant contribué à la perfection
de cette ſcience. On fait qu'elle eſt devenue
l'objet des recherches des plus grands
Géomètres , depuis que Newton eut reconnu
, dans la marche des corps célestes , un
véritable mécanisme où l'attraction fait
l'office d'une force motrice, dont l'action
n'a beſoin que d'être combinée avec une
force de projection imprimée aux planètes
par le Créateur , pour produire tous ces
phénomènes admirables à la fois par leur
grandeur & leur variété.
Mais cette force, bien différente de celles
qu'emploie l'art des hommes , n'eſt pas
concentrée dans une partie déterminée de
la machine ; elle exiſte par tout dans 1 Univers
, & fa force anime toutes les moléDE
FRANCE. 8
1
5
:
cules de la matière ; de là ces petites altétarions
dans la nature des combes que
décrivent les planètes ſoumiſes, en même
temps à l'attraction du ſoleil & à leurs
attractions réciproques. Il falloit, pour faire
rentrer ces déviations dans la loi générale ,
des inftrumens plus parfaits que ceux dont
s'étoit fervi Newton. Les plus célèbres Aftronomes
de ce fiècle ont eu la gloire de les
créer , & celle de Newton eſt ſortie plus
brillante de ces ſavantes recherches qui
ont offert par-tout une parfaite conformité
entre les réſultats de la théorie & ceux de
lobfervation.
C'eſt principalement vers ces grands objes
de Mécanique ſpéculative , que font
dirigées les méthodes que M. de la Grange
adéveloppées dans fon Ouvrage , & qu
lai font propres. Les Géomètres qui le liront
ne pourront qu'admirer la manière dont
il a conçu & exécuté fon plan , C'eſt à
eux qu'il appartient d'apprécier cette heureuſe
fécondité , qui fait naître du ſeul
principe des viteſſes virtuelles , tous les
reſultats de l'équilibre des corps , foit foides
, foit fluides ; cette combinaifon ingénieuſe
du même principe avec celui qui
a fait tant d'honneur à M. d'Alembert ,
pour réfoudre tous les problêmes fur le
mouvement des corps; ces adreſſes de calcal
pour conduire, parune route ſimple &
abrégée , à un terme que l'on avoit cru ne
pouvoir atteindre que par une marche pé-
Ds
!
$2 MERCURE
nible & compliquée ; cet art enfin de ſe
paſſer des figures de la Géométrie , & d'amener
l'analyſe au point de renfermer en
elle-même toutes les reſſources .
L'Ouvrage emprunte un nouveau mérite
de l'expoſé que l'Auteur y fait des principes
employés juſqu'à ce jour pour la ſolution
des problêmes de Mécanique , principes
qu'il déduit comme ſimples corol.
laires de celui des viteſſes virtuelles. A cet
expoſé , eſt jointe l'Hiſtoire des progrès
qu'a faits la Mécanique dans les différens
âges ; & cette Hiſtoire , qui conduit la
ſcience depuis les temps où elle ſe bornoit
à diriger le Mécanicien dans la pra--
tique de fon Art , juſqu'à ceux où elle a
pris l'effor vers les plus fublimes ſpéculations
, ne peut qu'intéreſſer vivement les
Lecteurs.
,
Rien ne donne une idée plus grande &
plus juſte de cet Ouvrage , que l'accueil
qu'il a reçu de l'Académie des Sciences
où les différentes branches de l'Analyſe ,
&en particulier l'Aftronomie Phyſique, font
cultivées avec tant de ſuccès. Félicitons
cette Compagnic célèbre , à qui la préſence
de l'Auteur , fixé depuis peu dans ſon ſein,
procure à la fois l'avantage de mieux connoître
en lui le Savant ,& le plaifir fi flatteur
de ſentir combien l'homme lui-même
gagne à être connu.
DE FRANCE. 83
:
5
S
1
1
55
21
زو
S
ce
1,
DICTIONNAIRE des Jardiniers , contenant
les méthodes les plus sûres & les
plus modernes pour cultiver & améliorer
les Jardins potagers , à fruits , à fleurs ,
& les Pépinières ; ainsi que pour ré
former les anciennes pratiques d'Agricul
ture ; avec des moyens nouveaux de faire
&conferver le Vin, ſuivant les procédés
actuellement en usage parmi les Vignerons
les plus inftruits de plusieurs pays
de l'Europe ; & dans lequel on donne des
préceptes pour multiplier & faire profpé
rer tous les objets foumis à l'Agriculture,
& la manière d'employer toutes fortes de
bois de charpente. Ouvrage traduit de
l'Anglois,fur la 8e. édition , de PHILIPPE
MILLER , par une Société de Gens de
Lettres. $ Vol. in - 8 ° . A Paris , chez
Guillot , Libr. rue St. Jacques.
IL eft certain que l'Agriculture eſt ret
connue enfin pour le premier de tous les
Ans;& que le goût s'en eſt répandu dans
toutes les parties de l'Europe. Parmi les
Peuples qui s'en font occupés ſérieuſement
&avec fruit , on a juſqu'ici diftingué l'An
D6
84 MERCUREC
gleterre ; & parmi le. Ecrivains Anglois qri
ont écrit fur cette matière , celui qui a
fans doute obtenu le plus grand fuccès .
c'eſt Miller, dont nous annonçons le Dictionnaire
traduit fur la Se. édition. Le titre
que nous avons tranferit en entier , en fait
connoître le plan , & annonce bien moins
un Traité de Jardinage qu'un Traité d'Agriculture.
Miller n'enſeigne que ce qu'il a
éprouvé lui-même ; & fon Ouvrage eſt le
réſultat de quarante ans d'expérience. Le
Traducteur, en lui confervant certe fimplicité
de ſtyle qui le met à la portée des perſonnes
à qui il eſt particulièrement deftiné,
n'a rien épargné pour le rendre utile à tout
le monde. Il a donné de l'extenfion àplufieurs
Articles que fon Auteur n'avoit fait
qu'effleurer ; & il a ajouté à la partie Phyſique
, des Notes qui la mettent au niveau
des connoiffances actuelles dans ce genre.
Il y a joint aufli des Remarques très-utiles
fur les Plantes uſuelles en Médecine. Celles
qui n'étoient pas connues du temps de
Miller, ou dont il a négligé de parler , ont
rouvé leur place dans des Supplémens qui
complèteront ce grand Ouvrage. Enfin, pour
ne rien laiſſer à défirer, on a joint à chaque
Plante les termes ſynonymes , & les dénominations
vulgaires ſous lesquelles on les
connoît dans les différens pays ; ce qui ſera
d'un grand ſecours pour les perſonnes qui
font peu verſées dans la Botanique.
DE FRANCE. 85
ACADÉMIE.
;
;
:
:
1
Γ
:
5
1
1
ACADÉMIE FRANÇOISE
A réception de M. le Chevalier de
Beaftrs, à la place de M. de Montazer ,
Archevêque de Lyon, avoit fait eſpérer une
ballante féance ,& cet efpoir n'a pas éré
trompé. Ele a eu lieu le 29 Décembre derwier
, & Fintérêt qu'excitoient les lectures
qui ont été faites , n'a pas langui un ſeul
mitant.
Le Récipiendaire a beaucoup intéreſſe
en peignant le caractère & les vertus de
fon prédéceſſeur; ſon ſtyle a été ſouvent
tou.hant , & toujours ingénieux. Il ſeroit
duncile de réunir dans le même eſpace un
plus grand nombre de traits d'eſprits. Tous
ont été fentis vivement & univerſellement
applaudis. Après les complinens d'uſage ,
aux quels il a ſu donner un air de nouveauté,
M. le Chevalier de Boufflers a jeté quelques
liées fur la clarté du ſtyle. Or y a applaudi
des apperçus qui , pour être fins , n'en ont
pasmoins été promptement ſaiſis; il ſemble
que l'Auteur ait voulu prouver , par fon
86 MERCURE
propre exemple , que la clarté du ſtyle
n'étoit pas incompatible avec la fineffe des
idées.
M. le Marquis de Saint - Lambert , en
qualité de Directeur de l'Académie , a répondu
au Récipiendaire. Il a loué les Ouvrages
de M. le Chevalier de Boufflers ,
avec la grace ingénieuſe qui caractériſe ces
mêmes Ouvrages. Il a ajouté des traits heureux
au portrait de M. de Montazet , & on
a remarqué dans ſon Diſcours le procédé
d'un eſprit juſte , quoique brillant , qui fait
toujours où il doit s'arrêter , & qui ne brille
jamais aux dépens du goût.
M. le Chevalier de Florian a terminé
la Séance par pluſieurs Fables charmantes ,
ingénieuſes par l'idée, naïves pour l'expreffion
, & qui ont obtenu & mérité les plus
grands applaudiffemens.
DE FRANCE. 87
SPECTACLES.
,
S
1
it
e
é
1-
COMÉDIE ITALIENNE.
DEPUIS plus d'un ſiècle & demi , le
Théatre Eſpagnol a été d'une grande reffource
pour des Aureurs du nêtre , & il leur
ſera encore long-temps utile. C'eſt dans
cetre ſource que M. Gauthier a puiſé le
fonds d'Inès & Léonore, ou la Soeur Rivale,
Comédie en trois Actes & en proſe , mêlée
d'Ariettes, repréſentée pour la première fois
le Samedi 20 Décembre dernier.
US
L'Ouvrage original eſt du célèbre Calderone
de la Barca. Il a pour titre : On ne
badine point avec l'Amour. Dans cet Ouvrage
, Don Juan aime Léonore ; mais il
eft troublé dans ſes amours par Beatrix ,
foeur de Léonore , fille qui veut paffer pour
lavante,&qui n'eſt que ridicule. Il engage
fon ami Alonzo de Luna , d'abord à lui
prêter ſon Valet pour faire parvenir ſes billets
amoureux à Léonore , enſuite à feindre
de l'amour pour Béatrix , afin de la rendre
plus douce & plus indulgente. Le premier
der de Don Juan produit une fituation
dans laquelle Léonore & Beatrix ſe difpu-.
83 MERCURE
tent le billet , l'une dans l'intention de le
cacher , l'autre avec le deſſein de le montrer
à fon père. Le vieillard arrive dans cet inftant;
& comune chacune des deux foeurs
tient une partie du billet déchiré, il ne fait
laquelle de ſes filles peut être coupable d'un
amour clandeftin. La complaifance d'Alonzo
ne tarde pas à lui couter cher. Tout en
riant de la paſſion qu'il conſent à feindre
il devient réellement amoureux de Béatrix ,
qui, de ſon côté, ſe défait infenfiblement de
fon ton précieux ; & après quelques tours
de patle paffe , des fauts par les fenêtres
des coups d'épée&des ſurpriſes qu'il feroir
trop long de déniller , Alonzo épouse Béatrix
, & Léonore devient la femme de Don
Juan .
د
M. Gauthier a écarté l'intrigue de Don
Alonzo de Luna , & il n'a confervé que
l'amour de Don Juan & de Léonore. Il a
appelé Béatrix, Inès; il lui a ôté ſa manie favante
& précieuſe, pour lui donner un caractère
altier & jaloux ; & de Léonore , qui
chez Calderone eſt une fille fort leſte &
très - peu réſervée , il a fait une demoiſelle
fage , ſenſible & modefte , quoique
très-amoureuse. On va voir comme fon intrigue
marche.
Léonore aime. Don Juan , & Inès eft
jalouſe de la paflion que ſa ſoeur a inſpirée
au jeune homme. Prompte à abufer de
Faſcendant qu'elle a ſur l'eſprit de ſon père,
DE FRANCE. 89
elle l'engage à quitter la ville pour aller
àla campagne. Don Juan, inftruit du départ,
arrive preſque auffi-tôt. He sencontre Lorenzo
, Concierge du Château , & frère de
lait de Léonore ; il le charge d'un billet
pour ſa maîtreffe. Ce billet eſt ſans adreſſe;
Léonore le reçoit , le laiſſe tomber ; Inès
s'en faiſit , & dans l'enchantement où elle
eſt de trouver un moyen sûr de nuire à fa
foeur , elle baiſe le papier avec tranſport.
Le père arrive à l'inftant, & les démonftrations
d'Inès ne lui laiffent pas douter que.
le biller ne s'adreſſe à elle: En vain Inès
s'en défend; le ſilence de Léonore , que la
timidité empêche de parler , ajoute à l'idée
du vieillard. Quelques momens après , Léo-
Lore, dans l'intention d'intéreſſer Inès en ſa
faveur, lui fait confidence de ſon amour pour
Don Juan, & la prie de lui être indulgente.
Inès répète ironiquement cet aveu , & le
père qui ſurvient prend le change, Nouvelle
preuve pour lui qu'Irès eſt coupable. Cependant
on a fait cacher Don Juan ; mais il
qoute la retraite & vient caufer avec Léo-
にhere. On entend Inès ; Don Juan ſe place
derrière un paravent , & Inès, qui ſe croic
fenle , s'affied dans un fauteuil pour y méditer
des projets de vengeance. Don Juan
profite du moment pour ſe retirer. Tandis
Aqu'il paffe , le père entre, &voilà de nouza
Inès convaincue. Il ne lui reſte plus
inne reffourse , celle de tromper le Conwage
, en feignant de partager la tendreffe
1
e
1
e
e
C
و
90
MERCURE
que Léonore inſpire àtout le monde. Elle
uſe de ce moyen , & fait indiquer à Don
Juan un rendez - vous dans lequel elle ſe
propoſe bien de le faire ſurprendre ; mais
le haſard inſtruit Don Juan , qui revient encore
vers ſa maîtreſſe ,& qui eſt enfin furpris
par Inès. Don Juan tombe à ſes pieds ,
implore ſa bonté , ſa ſenſibilité , & l'arrivée
ſubite du père produit encore un
quiproquo qui finit par s'expliquer & par
tout éclaircir. Inès réfléchit fur ce que fon
caractère jaloux a d'odieux , elle s'attendrit;
le père pardonne,&les amans font heureux.
L'expoſition de cette Pièce eſt faite avec
beaucoupd'adreſſe,&elle répand une grande
clarté ſur l'intrigue. Les incidens font bien
ménagés , amenés d'une manière vraiſemblable
dans le cours des deux premiers Actes,
& ils produiſent des ſituations très-dramatiques.
Le parti que M. Gauthier a tiré des
idées premières de Calderone , fait beaucoup
d'honneur à ſon intelligence , & annonce
de très - heureuſes diſpoſitions pour
la carrière du Théatre. Le ze. Acte pourroit
être plus fort d'action , & le dénouement
produire plus d'intérêt. Nous croyons auffi
qu'il n'eût pas été très-difficile à M. Gauthier
d'ajouter à l'effet des ſituations qui
l'amènent ; mais dans un premier effai , on
mérite de l'indulgence , & non ſeulement
on en doit à M. Gauthier à beaucoup de
titres , mais encore on lui doit des encouDE
FRANCE.
91
1
e
S
۲

زو
-
11
21
Σ
es
de
ea
ugemens. Nous lui obſerverons que fon
dalogue eft quelquefois un peu maigre .
Il ne faut pas, ſans doute , courir après
l'eſprit , mais il ne faut pas dédaigner de
parer un peu ſon ſtyle : trop de recherche
l'étouffe , trop de nudité le rend froid. La
musique eft de M. Breval. Ce Compoliteur,
dejà connu & eſtimé pour des productions
inftrumentales qui ont eu du ſuccès , a ménté
d'en obtenir pour la premiere compofrion
dramatique , & nous croyons que
lexpérience ne pourra qu'ajouter à l'idée
qu'il vient de donner de ſon talent pour la
Scene.
>
ت س
es
72-
des
ect
0
ANNONCES ET NOTICES.
ELOGE de Louis XII, Roi de France , par M.
Belle- Serre , Avocat au Conſeil Souverain de .
krabilion . A Amſterdain; & ſe trouve à Paris ,
Chez Moureau , Lib. quai des Auguftins , Nº. 24.
Brochure in-8°. de 38 pages. Prix , 18.f.
Effai de théorie fur le Gouvernement Monarchie.
A Londres ; & fe trouve à Paris , chez L.
Carry , Lib-Imp. rue de laHuchette ; & chez les
Marchands de Nouveautés . Brochure in- 8 ° .
Le Triomphe de la Bafoche, Poëme en 5 Chants
Jetes vers; parM. Tignel. AParis, chez les Mar-
-ands de Nouveautés. Brochure in-89. de 42 p.
92
MERCURE
Le Bonheur dans les Campagnes , par M. le
Marquis de Marnefia; nouvelle édition conſidérablement
augmentée. A Paris , chez Royez , Libr.
quai des Auguſtins. In- 8°. de 300 fages .
•L'eftimable Auteur de cet Ouvrage utile le reproduit
avec cinq Chapitres nouveaux , remplis
de ſens , de vues , & fur-tout de projets poffibios .
Les circonstances politiques où nous allons nors
trouver feront sûrement favorables à cetOuvrage.
G'eft quand on travaille à rendre une grande
Nation heureuſe , qu'on doit lire avec quelque
intérêt un écrit dont le Bonheur dans les Campagnes
eſt le ſujet. L'Introduction n'eſt pas difficile,
& nous pouvons l'inférer toute entière dans
cette notice : J'ai vu les maux des campagnes ,
» &j'en ai cherché les remèdes . Voilà en deux
mots le but& le plan de cetOuvrage.
Traité élémentaire de Statique , à l'uſage des
Colleges de la Marine ; par M. Monge, de l'Académie
Royale des Sciences , de celles de Turin ,
de Dijon , de Harlem , Examinateur des Elèves
de la Marine ; in- 8 ° . A Paris , chez J. B. G. Ma
ker , Libr. quai des Auguſtins , au coin de la rue
Pavée.
Effai fur la Vie& le règne de Frédéric II, Roi
de Pruffle, pour ſervir de préliminaire à l'édition
de ſes OEuvres pofthumes. ABerlin, chez George-
Jacob Decker & fils ; & ſe trouve à Paris , chez
Onfroy , Lib . rue S. Victor , Nº. 11 .
Notions claires fur les Gouvernemens , par M.
Mercier ; 2 Vol. in-89. A Amſterdam , chez Changuion
; & à Paris , chez Poinçot , Lib. rue de la
Warpe , No. 15.
DE FRANCE.
93
3
r
Etrennes du Parnaffe, pour l'année 1789 , par
M. Varon, A Paris , chez P. N. Durand fils , Lir
braire , rue Galande.
MAGASIN curieux, chez Foucault & Compagnic,
au Palais-Royal , n. 36, au premier. Ce nouvel
établiſſement, annoncé ſous le ſimple titre de
Magalin curieux , paraît des plus intéreſſans , &
Icafemble fatisfaiſant qu'il préſente fait eſtimer
Tinteligence & le goût du jeune Commerçant qui
laformé.
, que
Il offre, dans un local bien choifi & décoré de
lamanière la mieux entendue , un choix précieux
de marchandiſes Angloiſes de toutes fortes
las bornes de ce Journal ne nous permettent pas
de faire connoître en détail. On y trouve, Neceffaires
& petites caiffes d'ébéniſtric garnies pour divers
uſages ;Ecritoires,Meubles japonnés, Meubles
plaqués en argent , & autres; Lampes les mieux
fiées ; Cristaux , Camées artificiels , vaſes de
'ervice & d'ornement en terre , Curioſités des
grottes d'Arby ; Estampes , Porte-feuilles & autres
gaineries; Coutelleries fincs , Flaconneries ; Epées
& Pistolets ; Gants, Culottes, Gilets, & autres ouadvrages
en peaux de dain & de rennes Couleurs
en'ablettes & en paſtels , & autres objers nécellates
a la peinture ; Sels, Teintures & Elixirs, les
Rs plusgoûtés ; Boutons nouveaux ; Cordons, Chaînes,
& tous autres beaux ouvrages en acier ; Bagues ,
Bracelets, & autres bijoux affertis. Le tout nous
aparu précieux par la matière ou le travail , &
de bongoût.
Le fieur Foucault annonce qu'il s'eſt aſſuré les
Mmoyens de fournir ſucceſſivement ſon Magafin de
bat toutes les nouveautés étrangères , & qu'il doit de
joar en jour augmenter ſon fonds d'une belle fuite
bijouteries Françoiſes.
94
MERCURE
↓ Etrennes de la Vertu , pour l'année 1789 , contenant
les actions de bienfaisance , de courage ,
d'humanité , &c. qui ſe ſont faites dans le cou
rant de l'année 1788 , auxquels on a joint quelques
autres Anecdotes intéreſantes. In- 16, àParis , chez
Savoye , Libraire , rue Saint- Jacques.
Recueil de cinquante Eſtampes deſtinées à orner
toutes les Editions d'Homère ; Ouvrage divifé en
huit Livraiſons. Troiſième Livraiſon. Prix in - 8 °. ,
6 liv. & 9 liv. l'in- 49. A Paris , chez M. Ponce ,
rue Sainte-Yacinthe , n. 19 .
Cette Livraiſon mérire les mêmes éloges que les
précédentes .
Etrennes d'Euphémie, Nourrice des Muſes , année
1789. A Paris , chez Langlois fils , Libraire ,
rue du Marché Palu .
Costumes Espagnols , cinquième Livraiſon. A
Paris , chez l'Auteur M. Devere , Graveur , rue des
Grands Degrés , n. 17 , & chez MM. Chercau
& Joubert , rue des Mathurins", aux 2
d'or.
Piliers
On a déjà aitnoncé dans ce Journal l'Approbation
donnée par la Société Royale de Médecine
au Rouge de la Dile. Latour. Ce Rouge , purement
végétal , mériteroit, à ce titre ſeul , la préférence
fur tant de Rouges compoſés ſans aucune
connoiffance chimique. On connoît le danger &
les fuites du rouge où il entre des parties métalliques
, &c. Celui-ci eſt extrait durégne végétal
&fon éclat répond à celui des fleurs dont il eſt
tiré. Il y des potsà 3 , 6 , 12 & 24 liv. & même
48 livres. La Dile. Latour fait des envois en province
, chez l'Etranger. Sa demeure eft rue Montmartre
, n . 182 , preſque en face du Bureau des
Meſſageries , à Paris,
a
DE FRANCE .
95

1
3
Almanach des Compagnies d'Arc , Arbalète &
&Arquebuſe , ou les Muſes Chevalières, pour l'arnee
1789, par M. Pelletier, de l'ancienne Académie
Royale d'Ecriture , Chevalier de l'Are de la
ville de Paris. In-16 , prix , 11. 4 f. Au Champ
de Mars , & ſe trouve à Paris , chez l'Auteur ,
rue& hôtel de l'Ourfine, fau xbourg Saint-Marcel ;
laveuve Hériſſant & Fournier , Libraires , rue
Neuve-Notre-Dame ; & les Marchands de Nouveautés.
Ce nouvel Almanach , qui eſt un recucil de
Poéfies fugitives , contient l'analyſe hiſtorique de
l'arc, arbalère & arquebuſe du royaume , avec le
tableau des Chefs & Membres des Compagnies de
l'Arc & Arquebuſe de Paris. On doit adreſſer à
l'Auteur ce qu'on veut faire inférer dans ce Recueil .
LE Sieur Labat , Marchand Tapiffier , eſt le ſeul
en France qui tienne le dépôt des véritables Veilkuſes
Angloiſes tirées de Londres ; il en fait une
grande confommation , tant à Paris , que par les
cavois qu'il fait en Province. Le prix eſt detrente
I le paquct pour une année entière.
Il donne avis qu'on vient d'établir chez lui un
nouveau dépôt de Veilleuſes Portugaiſes. Ces Veilleuſes
ont l'odeur la plus agréable , & tiennent
lieu de pot-pourri dans l'appartement où elles
brûlent; elles conſomment très- peu d'huile. Le
prix eſt de 3 livres la boîte pour l'année entière,
Le Dépôt eſt chez M. Labat , Marchand Tapifher
, rue de la Roquette , Cour des Moulins ,
Faurbourg Saint-Antoine, à Paris.
Hiftoirede la réunion dela Bretagne à la France ;
1Vol. in-12. A Paris , chez Guillot, Libraite , rue
St. Jacques.
96 MERCURE DE FRANCE.
Les Chagrins de l'Enfance , Eſtampe en cou
leur , gravée par Lecoeur , d'après Mouchet. Prix,
liv. A Paris , chez l'Auteur , ruc S. Jacques ,
n. ss.
Recueil d'Airs & Romances , avec accompag.
de Guitare; par Mlle. Lavigne. Prix , 1 liv. 161.
A Paris , chez l'Auteur , rue de la Lune, No. 35.
6 Airs de Ballets nouveaux de la Toifon d'or ,
arrangés pour le Clavęcia , par M. Neveu. Prix ,
3.liv. A Paris , chez M. Michaud , rue des Mawvais
-Garçons , près celle de Buffy , maiſon de
'Herborifte.
EPIPITRE.
TABLE.
AMile. Caroline.
49 feiles
52 Mecanique Analytique
176
20
Ciarade,Enig. & Log. Idem. Dictionnairedes Jaril nirs.83
Confi leracions furi Esprit 14 Académie Françoise .
Lanval & V viane. 701 Cornédie Italienne.
L'Ami des jeunes Demi- | Annonces & Norices.
:
85
87
1 وا
APPROBATION.
J'AIM :
par ordre de Mgr. le Garde des Sceaux ,
le MERCURE DE FRANCE , pour le Samedi - ro
Janvier 1789. Je n'y ai rien trouvé qui puifle en
empêcher l'impresion. A Paris le 9 Janvier
1789
2
SÉLIS.
5,
MERCURE
,
1
DE FRANCE .
SAMEDI 17 JANVIER 1789.
PIÈCES
FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
T
EPITAPHE
DE M. LE COMTE DE BUFFONI
Qur laute cecinit Natura grandia vates
Incubriuque capax genio BUFFONIUS orbi ,
Flebilisheu ! cecidit ; mortifed fama fuperftes
Conditus & tumulo ,fcriptis micat ille peroras,
[ Par M. BOURDELOIS. ]
N°. 3. 17. Janv. 1789.
:
98 MERCURE
ACROSTICHES.
I.
SUFION , dont les talens ont illuftré la France ,
Enit dans ſes tableaux la grace à l'éloquence ;
leau des préjugés , il fut de l'Univers
Faire voir à nos yeux les ſecrets découverts.
•On l'a perdu trop tôt; mais la Parque ennemic
Z'a pu bleſſer ſa gloire en attaquant ſa vie.
: (Par M. Lelong,Av. au Parl. de Bret.
I I.
LA PARQUE A BUFFON.
CORNE ici tes travaux ; une lumière pure ,
En plus vaſte Univers doit paroître à tes yeux :
ranchis l'efpace,&prends ton effor vers les ciem
avori des neufs Soeurs; quand,d'ure main fi fure
On a pu , comme toi , dévoiler la Nature ,
Z'a-t-on pas droit d'ontrer dans le ſecret des Dieu
(ParM, Lapleigné du Coudray. )
I Í I.
ANNI pour quelque temps des célçſtes lambris
En génie immortel vint habiter la Terre ;
lambeau de vérité , ſes éloquens E.rits
Hirent de la Nature cuvrir le ſanctuaire
On admira EUFFON , & Zoile ſurpris ,
Zepouvant cenfurer, fut réduit à ſe taire.
(Par un Abonné. )
DE FRANCE.
99
се,
;
-
mis
I V.
WUFFON n'eſtplus ! ... conſacrons à fon nom,
In monument digne de fon Hiſtoire ,
rançois! pour notrePline, auTemple de Mémoire,
rappons un Acroftiche au lieu d'un Médaillon ;
Clonsnousplaindre aux Dieux de ſabouchemuette:
Zacure cût dû fauver ſon plus digne Interprète.
[ Par M. l'Abbé d'A .... ]
Nouvel Acrofliche.
ÉTATS - GÉNÉRAUX.
ÉPIGRAMME.
UN jour un Inzendant donnoit un grand feftin ;
mi les divers mets que l'on fervoit fans fin ,
parut un Brochet de taille aſſez paſſable ,
as de poiflonneaux croqueur infatiable :
,par cas fortuit, afliſtoit au régal
Desain maigre porteur de quelque dû fiſeal.
are Hôre incontinent s'adreſſant à mon homme
secun ris moqueur : - Savez - vous comme on
nomme
animaux , dit-il ? En mangez-vous ſouvent ?
Vraiment non , Monſeigneur ; j'en fis , je crois
pourtant
fois fervir un, & Matthieu , mon compère ,
baptifa Goudain Intendant de rivière .
( Par M. l'Abbé Lemard. )
i
E 2
MERCURE
QUEL DANGER !
1
ANECDOTE.
TE voilà père , mon ami. Quel bonhear
t'attend ! Mais quels dangers r'environnent
! Ce mot me rappelle un des événemens
de ma vie , qui me ſera toujours
préfent , & qu'il eſt temps de confier à ta
mémoire. Je ne chercherai pas à l'embellir
, parce que mon but n'est pas d'amufer
ton efprit , ni même d'intéreſfer ton
coeur , mais de t'inftruire , & d'éclairer ta
endreffe paternelle.
Tu le fais; je ſuis né d'une fansille honnête
& riche , & mon éducation a été trèsfoignée.
A l'âge de vingt- cinq ans , me
trouvant fils unique , on s'occupa de mon
établiſſement. M. le Marquis de ..... , ami
de mon père , avoit une alle charmante
j'eus le bonheur de lui plaire & d'obtenir
ſa main. Dix ans après , je perdis certe
compagne , qui étoit douée des qualités les
plus eftimables. Il me reſtoit un fils & une
Elle, tous deux encore très jeune . Je les
confini aux foins d'un Valet de chambre
qui me fervoit dès mon bas âge. Cet homme
ne ceſſoit de faire des plaintes de mes en
fans ; & comme il avoit pris beaucoup
d'empire fur inon eſprit , &que je croyos
DE FRANCE.
9
+r
یم
ſes diſcours , j'en étois réellement affigé.
Unde res amis de collège , qui ſe trou
voit avec moi à la campagne, examina la
conduite de mes enfans & celle du Valet
de chambre. Ayant eſſayé en vain de ime
rendre ſuſpect ce dernier , il me fit obferver
que l'éducation de mes enfans n'étoit
pas allez fuivie; & m'ayant engagé à merre
ma filledans un couvent , & mon fils dans
une pention militaire , je le priai de vou
loit bien lui même les ſurveiller.
Cer arrangeinent avoit paru faire plaifir
mon Valer de chambre , qui , par-là , fe
trouvoit plus libre. Mon ami m'écrivoit ,
for mes enfans, les lettres les plus fatisfifantes.
J'en fis part à ce Domeftique ;
il m'en paret peu content , & j'obſervai
qu'il avoit beaucoup de plaifir à me paret
d'un de mes coufins , & fur tout de
fes enfans, dont il me faifoit le plus grand
éloge.
Après deux ans d'absence de la maiſon
paternelle , mes enfans me deman lèrent à
venir dins una Terre paffer le temps des
et Vacances. J'y conſentis , & mon ami de
college les accompagna. Je trouvai qu'ils
taveient beaucoup acquis pour le corps &
pour l'efprir. Ma joie étoit celle d'un bon
père; leurs careſſes me mettoient au comble
du bonheur , & me rappeloient celui que
Javois trouvé auprès de leur mère. Je verfai
des larmes de tendrelle ;& ils les efluyoient
en me donnant lesmarques du plus tendre
attachement.
E3
1
102 MERCURE
N'ayant aucun motif de méſiance , je
laiflois fouvent la clef à mon fecrétaire ,
où j'avois mis deux facs de douze cents
livres , en préſence de mes enfans & du
Valet de chambre. Quelques jours après ,
ayant beſoin d'argent , quel fut mon étonnement
de n'y trouver qu'un ſeul des deux
faes ! Mon Valet de chambre que je queftionnai
fur ce vol , me parut héfiter à répondre.
Il ſembloit craindre de m'afliger
en me parlant. Enfin , lui ayant ordonné de
s'expliquer , il me dit que de ſa chambre
il avoit vu mes enfans enterrer le fac d'argent
dans le parc , à un endroit qu'il me
défigna. Pluſieurs circonstances ne confirmoient
que trop fon récit , & il gémiffoit
fur le goût qu'on avoit inſpiré à mes enfans
pour la dépenſe ; goût funeſte , ajouta-t-il ,
qui fait tant de malheureux & tant de coupables
!
J'ajoutai foi , je dus ajouter foi à ce dilcours.
Quel tourment pour un père de
croire ſes enfans coupables ! L'émotion de
mon ame ſe peignoit fur tout mon vilage.
Je m'efforçai de la cacher , quand mes enfans,
ſuivant leur coutumne , vinrent m'embraffer
à leur lever. Ils s'apperçurent de
l'embarras , de l'agitation où je me trouvois
; & ils me répondirent en tremblant
, quand je leur demandai compte de
quelques louis que je leur avois donnés.
Surpris de ce qu'ils n'avoient rien dépensé ,
je leur dis , toujours avec le même trou-
:
DE FRANCE 103
ble , qu'ils avoient pris ſur quelque autre
argent qu'ils avoient fans doute ; je les
vis tougir , & ils ne purent me répondre .
que par leurs larmes. Alors je ne doutai
plus qu'ils ne fuſſent coupables , &je les
renvoyai , en leur ordonnant de ſe diſpoſer
àpartir le lendemain.
Mon ami de collège, ſurpris de cet arret
précipité, & plus encore de mon filence
fur ſes queſtions , me fit tous les reproches
que lai inſpiroit & qu'autoriſoit l'amitié;
mais voyant que je ne répondois
point à ces marques d'un vifintérêt & d'un
véritable attachement , il me pria de donner
des ordres pour qu'il pût partir ce jour
même avec mes enfans. Je confentis. Mais.
avant le départ , mon Valet de chambre
m'ayant conduit à l'endroit où étoit dépoſe
le fac de douze cents livres , je le
fis porter à mon fecrétaire , & j'allai m'enfermer
dans ma chambre pour m'y livrer
àmes douloureuſes réflexions. Toujours vivement
agité , je m'y promenois à grands
pas , lorſque j'entendis marcher avec précipitation
dans le jardin , & je vis mes
deux enfans courir vers l'endroit d'où j'avois
fait enlever le fac d'argent. Je paſſai
dans un cabinet où j'étois plus à portée de
fuivre tous leurs mouvemens. Quel fut
mon trouble & mon déchirement , quand
je les vis ſe briffer & chercher à l'endroit
même où le ſac avoit été caché ! Je ſonnai
fur le champ mon Valet de cham-
E 4
704 MERCURE
bre , &je lui dis d'un ton effrayant : Tu
>> ne m'as point trompé ; voilà mes enfans
>> qui cherchent leur vol ; regarde- les ".
Cet homme , ſans ſe déconcerter , & avec
un ſang froid inaltérable , me répondit :
>>>Je ne vous ai jamais dit que la vérité .
Je lui ordonnai de précipiter leur départ ,
&de leur déclarer queje ne voulois point
les voir.
,
Après qu'ils furent partis , mon Valet de
chambre entra chez moi d'un air fort atcrifté.
Je l'interrogeai , & il me répondit
que ce qui lui avoit fait le plus de peine ,
ce qui l'affligeoit le plus pour l'avenir
c'étoit d'avoir vu mes enfans recevoir cet
ordre fans paroître afflizés , & s'éloigner
Lans regret de la maiſon paternelle. Je ſuis
vif , emporté ; j'écrivis auſſi-tôt à mon ami
de ne laifler jamais fortir mia fille ni mon
fils que par mes ordres , & de borner leur
penfion à mille écus. Je ne m'ouvris point
àlui fur mes peines ſecrères; mes enfans m'écrivoient
de temps en temps ,&je ne leur
répondois point.
Ma ſociété principale étoit celle de ce
coufin auquel mon Valet de chambre s'intéreſloit
fi vivement. Je m'attachai ſinguhèrement
à lui ; nous ne nous quitrions
plus. Maîtriſé par un reffentiment qui tenoit
du délire , j'arrangeai mes affaires de
façon que je ne laiffois à mes enfans que
leur légitime , avec des rentes modiques fur
le bien dontje pouvois diſpoſer; & je donDE
FRANCE .
,
S
ut
ce
rede
nai le réſte de ma fortune aux enfans de
ce coffin.
Mais un événement inattendu devoit
bientôt changer ces difpofitions. Mon Valet
de chambre tomba malade ; & fa maladie
devint fi grave , qu'on crut devoir
lui adminiſtrer les Sacremens . Perfuadé de
fon attachement pour moi , je gémisfois
fur la perte d'un fi fidèle, ferviteur. Après
avoit rempli ſes devoirs de Religion , il
demanda à me parler en particulier. O
mon ami ! comment vous peindre ce qui
ſe paſſa en moi , quand je l'entendis só
crier qu'il méritoit toute mon indignation ;
qu'il étoit un ſcélérat indigne de pardon !
Enfin il m'apprit que mes cufans nietoient
point coupables du vol dont il les
avoit accuſés ; qu'il avoit lui même déplacé
*le fac de douze cents livres ; & que pour
me faire croire à cette accufation , il les
avoit engagés , ſous prétexte qu'ils trouveroient
quelque choſe qui leer feroit plaifir
, à aller fouiller à l'endroit où le fac
avoit été caché. Il ajouta que des lettres
anonymes que j'avois reçues fer la mauvaiſe
conduite de mon fils , étoient écrites
par un de ſes amis ; && il fir ouvrir une
caffette qui renfermoit toute fa cerref- -
pondance avec cet ami. Après cet aveu
il me demanda pardon de fon crime , &
ayant proféré encore quelques mots , il
expira.
,
Revenu du trouble où cet entretien m'a-
Es
105 MERCURE
voit jeté , que ma fituation devint différente
! Mon premier défir fut de revoir
mes enfans , de les embraſſer , de faire
l'aveu de ma trop légère crédulité. J'écrivis
à mon ami de collège. Je le priai de
ſe rendre auprès de moi avec ma fille &
mon fils , & je lui promis de lui dévoiler
tous mes fecrets. En les attendant , combien
je réfléchis au danger d'une trop
aveugle confiance en nos Domeſtiques !
J'avois jugé mes cufans coupables , & ils
étoient innocens ! que de remords pour
une ame ſenſible ! Si j'étois mort avant ce
malheureux , quelle injustice envers mes
enfans , pour n'avoir pas voulu approfondir
s'ils étoient coupables !
Je n'eſſayerai pas de peindre aux ames
ſenſibles ce que j'éprouvai en les voyant.
Avec quel plaiſir , avec quel tranſport je
les embraſſai ! Ils feront , avec mon digne
ami , tout mon bonheur. Je faurai l'augmenter
encore par le choix d'un gendre &
d'une belle - fille. Je leur raconterai mes
chagrins , mes fautes; je les inftruirai par
mon exemple , afin que , plus . fages que
moi, ils foient plus conftamment heureux.
DE FRANCE. 107.
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LEE mot de la Charade eſt Bonnet ; celui
de l'Enigme eſt Canon ; celui du Logogriphe
eſt Papier , où l'on trouve Pie , Pair,
Pape , Air, Priape.
CHARADE.
MON
LON premier de Louis nous offre l'effigie ;
On fit demon fecond la robe d'Herminie ;
Etmon tout, bien qu'il foit en cent endroits percé,
N'a pourtant pas beſoin d'être rapetaffé.
(Par M. D... Garde du Corps du Roi. )
ENIGME.
J'AI trois enfans ſans être père ,
Et cependant je les ſoutien ;
Leur âge , choſe fingulière ,
Amême époque que le mien;
Sans eux , je n'ai point dexiſtence ;
Par eux,j'ai toute ma valeur :
;
1
E6
JOS MERCURE
On me connoît dans l'indigence ;
Qui n'a que moi croit an malheur.
(ParM. Dufuchet, Com. aux Ferm. )
LOGOGRIPHE.
DANS mon premier la Jeunefic s'amuse ;
Pour mon ſecond un fol eſpoir abuſe :
Quant à mon tout , toujours le Fabricant
In fair l'envoi pour avoir du comptant.
( Par un Abonné. X
DE FRANCE.
109
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
CONSTITUTION de l'Angleterre , on
état duGouvernement Anglois , comparé
avec la forme Républicaine & avec les
autres Monarchies de l'Europe ; parJ. L.
DELOLME , Membre du Conseil des
Deux Cents de la République de Genève.
Nouvelle édition , enrichie du portrait de
l'Auteur. 2 Vol. in- . A Genève , chez
Barde , Manger & Compagnie ; & fe
trouve à Paris , chez Buiſſon , Libraire ,
rue Haute-feuille , N. 20,
PREMIER EXTRAIT .
QUATRE UATRE Editions de cet Ouvrage en
nowe Langue, & autant enAnglois, l'avoient
univerſellementrépandu dans l'Etranger ( 1 ),
avant qu'il perçât parmi nous. Ce n'eſt
guère que depuis un an qu'il s'est enfin
naturalifé en France , & peut - être y at-
il trouvé plus d'antagoniſtes que d'ad
( 1 ) La première édition parut en françois en
1770-
HO
MERCURE
د
mirateurs. Sa lecture exige des connoiffances
préliminaires dans le ſyſtême des
Gouvernemens mixtes , fur- tout un efprit
exempt de préjugé : il en eſt un ,
auquel une infinité d'Ecrits déclamatoires
ont donné depuis dix ans de l'autorité ;
c'eſt que la liberté conſiſte excluſivement
dans la Démocratie ; c'eſt que le Peuple
eſt eſclave ou près de le devenir partout
où il ceffe d'exercer par lui - même
les fonctions de la Souveraineté , partout
où il ne ſe préſente pas comme le
centre , l'Adminiſtrateur , le Juge ſuprême ,
le Réformateur habituel de tous les pouvoirs
; par- tout , où , après avoir créé &
fanctionné les Loix fondamentales , il a
poſé , par de ſages balances , des limites
à ſon deſporiſme , & aſſuré la ſtabilité de
fes propres intitutions. Démontrer la vanité
de ce préjugé par l'expérience , par la
raifon , par l'exemple actuel de l'Angleterre ,
tel eſt le but principal de ce Traité , honoré
du fuffrage de la Nation libre & éclairée
dont il développe leGouvernement.
La difficulté de cette tâche ſera ſentie
de ceux qui méditeront cet Ouvrage , avec
l'attention qu'il exige. Divers Recueils Anglois
, entre autres celui de Blackſtone
avoient très- cxactement décrit les formes
de Gouvernement , les principes & la nature
des Loix Britanniques ; mais ces Livres
de Jurisprudence ne font que la baſe du
DE FRANCE. III
:
:
C
,
5
5
travail de la Politique ſpéculative : ils préfentent
les matériaux de l'édifice , dont l'ordonnance
& les proportions , l'effet & les
rapports , les jointures & la ſolidité , ne
peuvent être caractériſés que par une main
habituée à ſaiſir des vérités d'un ordre ſupérieur
à celles du droit pofitif. Sans doute
une pareille analyſe ſuppoſe ce degré d'application
qui manque à la plupart des
hommes , cet eſprit vigoureux & ſain ,
également garanti des préjugés d'opinion
ou d'habitude , qui ſont la petite vérole de
l'intelligence humaine ,& du fanatiſine des
opinions nouvelles , qui n'ont pas encore
paffé au creuſet de l'expérience.
" La Politique , dit fort bien M. De-
> lolme , conſidérée comme fcience exacte ,
> c'est-à- dire, comme érant fufceptible d'une
» démonſtration active , eſt beaucoup plus
>> profonde qu'on ne le croit peut - être " .
Que les homines affez préſomptueux pour
ſe croire des lumières , lorſqu'ils n'ont que
de l'efprit, qui, ſur quelques idées générales
d'emprunt, s'attribuent des principes , Légiflateurs
hyperboliques , aux yeux deſquels
Pirréflexion fait diſparoître les difficultés ,
décidant impétueuſement ce que le calme
des hommes de génie a laiflé douteux ,
prenant en un mot l'enthouſiaſme pour un
fentiment profond , & la déclamation pour
la vigueur du raiſonnement ; que ceux-là ,
dis- je , pèfent attentivement l'aveu qu'on
112 MERCURE
vient de rapporter ! Et quel eſt l'homme
qui annonce cette défiance de lui-même ?
celuide tous le plus pardonnable de compter
ſur ſa raiſon. " Quoiqu'etranger en Angleterre
, obſerve-t- il , né d'un autre côté
→ dans un pays libre , je ne ſuis point étran-
> ger aux choſes qui établiſſent ou caracté-
» riſent la liberté ; & l'extrême diſpropor
» tion de la République dont je ſuis Mem-
>> bre , & où j'ai puiſé mes principes , n'a
fait peut-être que rendre inon apprentiffage
plus facile ". Durant les troubles
de notre Patrie commune , M. Delolme,
occupé dès ſa jeuneſſe de l'étude des Loix ,
publia divers écrits ſur la balance des
pouvoirs : il aborda l'Angleterre , riche en
méditations éclairé par l'expérience ,
rompu à tous les théorêmes politiques qui
compofent la ſcience d'un Gouvernement
mixte , tel que celui de la Grande-Bretagne.
Avant lui , aucun Ecrivain étranger
n'avoit poflédé cet avantage ; auffi a-t-il,
furpallé tous ceux qui ont traité du Gou
vernement Anglois : il l'emporte méme
fur les Auteurs nationaux , la plupart infectés
de l'eſprit de parti , & bârillant Chalcédoine
, ſuivant le mot de Montefquicu ,
avec le rivage de Byzanceſous leurs yeux.
Si quelqu'un accufoit notre jugement de
prévention , nous en appellerions an fenriment
preſqucunanime des Anglois de tous
les partis , à l'eſtime profonde qu'ils ont
pour cet Ouvrage, aux fréquentes citations
DE FRANCE.
113
1
e ,
qu'on en a faires , ſoit au Parlement , foit
dans les Livres , & par - deſſus tont, à la
défaveur de celui - ci parmi le très - petit
nombre des fanariques de la Piérogative
Koyale , ou de la Démocratie.
La belle épigraphe de ce Traité en détermine
parfaitement l'objet : Ponderibus
librata fuis. Monteſquien a placé l'origine
de la Conftirution Britannique dans
les ferêts de la Germanic ; Tacite l'y avoir
vue, & l'y laitla; mais elle repoſe ſur une
tradition bien autrement reſpectable , fur
celle du coeur humain & des paffions de
Thomme ſocial L'Auteur ſacré de l'Eccléshafte
l'avoit apperçue, lorſqu'il dit : Si quifquam
pravaluerit contra unum, duo refiftunt
ei: triplex funiculus difficilè rumpitur.
Cette force de deux contre un , à la première
ufurpation de l'une des trois divifhions
politiques , forme le ſyſtême , la gatad
tantie & le réſultat de la Législation Angloife.
Tout Gouvernement ſimple a dans
la nature même le principe de ſa corruption
; la Démocratie eſt conduire à l'anarchie
; l'riftocratie à la tyrannie oligarchique;
laMonarchie àl'autorité arbitraire &
illimitée. Cette converfion , plus ou moins
prompte , réfulte des paſſions propres à
de chacune de ces formes de Gouvernement,
lo:ſqu'aucune Inſtitution politique n'en
contte - balance uniforme activité. Des
moyens moraux , tels que la vertu publi-
Casque, la Religion , l'opinion , le caractère
تالا
1
114
MERCURE
national , l'éducation , la ſageſſe du Souve
rain , retardent pour un temps la dégrada- >
tion du principe fondamental ; mais l'Angieterre
a ſubſtitué à ces divers relforts ce-.
lui du contre poids mutuel des patlions ,
qui doivent leur naiſſance à l'autorité unique
, foit du Peuple , ſoit des Grands , foit
de la Couronne .
Avant d'analyſer cette organiſation , &
d'en démontrer le jeu comme les effers ,
M. Delolme en réfume l'Histoire. Il faut
oppoſer ce tableau aux afiertions légères
d'un grand nombre de dogmatiſcurs , qui ,
fans relâche , attribuent la Conftitution Angloiſe
à des cauſes fortuites , ou qui prétendent
trouver chez d'autres Nations de
l'Europe , anciennement, le même ſyſtème
de Coutumes qui amena la liberté politique
en Angleterre , ou qui enfin , contre
l'Histoire & l'expérience éternelle , font
toujours marcher de front ce qu'ils appellent
les lumières & l'indépendance . Sans
'doute l'Angleterre , comme le reſte de
l'Europe , au moyen âge , fut foumiſe au
Gouvernement venu du Nord , celui d'un
Chef & d'un Corps de Nobletſe; fans doute
après la conquête de Guillaume , elle partagea
avec l'Europe l'oppreffion de la féodalité;
mais dès le commencement du 132.
Gècle , elle éclaircit les ténèbres où le refte
du monde reſta plongé.
Lorſqu'on voit , en 1215 , les Barons &
les Communes ſe rallier, diſputer de factis
DE FRANCE . IIS
fices & non de privilèges , donner l'exemple
d'un concert , preſque ſans exemple
dans l'Hiftoire , réduire Jean Sans - Terre
à l'abandon même de ſa Cour , le forcer
enfin de figner avec eux la Charte de forêt
&la grande Charte , on ſe perfuade que le
génie naturel des Peuples , & les circonf
tances toujours dédaignées par les déclamateurs
, décident du fort des Etats beaucoup
plus que les combinaiſons métaphyfiques.
Le feul Jugement par Jurés que la
grande Charte reftitua au Peuple , dès ce
moment , dit M. Delolme , eût fait des
Anglois une Nation libre , s'il n'y avoit pas
une diflance immense entre faire des Loix &
les obferver.
Malgré ſon imperfection , ce premier
boulevart de la liberté publique devint un
point de ralliement. Aux maximes générales
fur les droitsdes Peuples & les devoirs des
Souverains , aux fentences des Auteurs , à
Tinconftant & fragile appui de l'opinion ,
on venoit de ſubſti uer une vérité de fait ,
une Loi écrite , autour de laquelle la Nation
crrière pût ſe raiſembler en harmonie. Sûre
dès lors de ne plus s'égarer dans les aberrations
du raiſonnement , elle s'occupa de
fortifier l'enceinte de ſes premiers droits :
'Histoire du 13e, & du 14e. ſiècles eſt celle
de la conquête ſucceſſive de nouveaux priviléges;
confirmation folennelle de la grande
Charte à tout changement de règne ; admiſſion
légale des Communes au Parlement
116 MERCURE
fous Edouard I; confentement aux ſubſides
réſervé aux Pairs & aux Communes par
le fameux Statur de Taillagio non conces
dendo ; droit de joindre des pétitions à ces
Bills de fubfides; droit d'accuſer &de faire
condamner les Miniftres ſous Edouard III.
Les guerres civiles des viaiſons d Yorck
& de Lancaftre , en exterminant la No
bleſſe, laiflèrent la Nation abattue, & avide
de repos , à la merci du Souverain ; cependant,
quelque accablante que fûr latyrannie
des deux premiers Tudors , le ſouvenir des
anciennes Loix ſubſiſtoit profondément dans
les coeurs. Tout avili , tout lâche que fe
montra le Parlement , ſous le fer même de
Henri VIII il revendiqua le droit de refuſer
des ſubſides ; dans l'abandon général de fes
privilèges , il embraſſoit opiniâtrément la
dernière planche qui devoit fauver la liberté.
Une cauſe puiffuate & particulière fervità
fon falut ; c'est que la Nation indiviſe ne
connoiffoit aucunes distinctions de Provinccs
, & que le Roi ne pouvoit obtenir du
ſecours que d'un Parlement unique.
Le règne glorieux d'Elifabeth , en ranimant
l'Angleterre , en prépara auſſi la réfurrexion
: Jacques I l'accéléra par fon affectarion
à foutenir comme une thèſe de
droit divin, ſa toute puiſſance, dont il uſoit
d'ailleurs avec mengement. Ce Prince fingulier
, ayant lui -même poſé le fanal fur
Pécueil de la liberté publique , apprit aux
Anglois à le craindre , à le furmonter, à le
DE FRANCE . 117
L
9.
10
daruire; déformais le Trône ou la Nation
devoit s'y brifer.
Dès l'avènement de Charles I , la teme
pete s'annonça ; l'amour de la liberté & le
fanatiſme religieux préparoient leur confédération
: la Chambre des Connnunes en
devint le centre , le mobile ; & , ce qui eſt
digne de remarque , les premiers pas de ces
hommes , agités des deux plus violentes
pallions de l'humanité, furent tracés avec
méthode & réflexion : ils entreprirent leur
ouvrage par meſure & par des voies conftitutionnelles
: modérateurs du mouvement
général de la Nation, ils offrirent à Char
les I, non une cohue d'enthousiastes , mais
une affemblée d'homines d'Etar. Il faut
s'arrêter à cere compofition de la Chambre
des Communes , fi l'on veut avoir le ſecret
de ſes ſuccès. Les lumières étonnantes da
les Membres, les ſentimens violens qui
animoient la Nation , l'audace & les talens
des Chefs de partis , n'auroient amené
qu'une guerre civile fans révolution , com
the on l'a vu tant de fois en d'autres Etars,
fansle concours de pluſieurs cauſes accidentelles
dont M. Delolme ne parle point.
La Chambre Baffe comptoitdans ſon ſein
les hommes les plus indépendans de l'An-
Nagleterre. I's l'étoient par leurs fortunes ;
Home a obſervé que leurs richeſſes furpaffoient
trois fois celles des Pairs ; ces
richeſſes, preſque en entier territoriales , ne
pouvoient être ravies à leurs poffefſeurs, ni
Vi
TLE
118 MERCURE
péricliter comme les fortunes mobilières, de
porte-feuille , ou de magaſin. A la tête des
Communes , nous voyons les Chevaliers
Seymour, Coxe, Hollis, Vane, &d'autres Baronnets,
propriétaires de terres conſidérables.
Le célèbre Hambden en avoit une dans le
Comté de Buckingham , fur laquelle il refufa
courageuſement de laiſſer lever la nouvelle
taxe de la Marine ( Ship Money) . Ils
étoient indépendans de toutes places , penfions,
charges publiques , & n'appartenoient
qu'à un ſeul Corps au monde , celui de la
Nation. L'eſprit du temps les garantiffſoit
des folles jouiſſances de la vanité , de la
petite ambition de faire du bruit , des inconféquences
où tombent néceffairement
ceux qui pourfuivent des intérêts divers.
Ils formoient enfin une aſſemblée d'hommes
graves , de moeurs ſévères , étrangers
à la corruption des villes , qui ne difcouroient
pas pour ſe faire applaudir dans les
Cercles & les Gazettes , mais pour frapper
de conviction des eſprits mâles & ſérieux ;
d'autant plus inflexibles , qu'ils ne débutèrent
point par des emportemens , & que
leur fermeté réſulta d'une longue réflexion .
Comme la Nobleſſe avoit été écrasée ſous
les règnes précédens , la défenſe publique
feſta entière entre les mains des Communes
, où toute la puiſſance du Parlement ſe
concentra. Enfin les baſes de leur concert,
les points d'appui de leurs réclamations repofoient
fur la Conſtitution même : lorfDE
FRANCE I19
que les deux Chambres , en 1628 , adrefferent
à Charles I leur fameuſe Pétition
des Droits , au lieu de preambules abſtraits
& fophiftiques far l'origine des Sociétés ,
fur le droit naturel , ſur l'état primitif du
genre humain , ils exhibèrent des titres
poſitifs, des ſtatuts formels & violés , les
principes inaltérables d'un Gouvernement
deja fait , dont les parties analogues ſe prêtoient
une force mutuelle.
,
Mal conſeillé ,& méconnoiſſant ſes dangers
, Charles I , comme tous les Stuarts ,
entreprenant dans ſes meſures , & toujours
foible à les foutenir , n'oppoſa à l'orage
qu'une fermeté incertaine des ceſſions
équivoques,&des deſſeins fecrets qui furent
pénétrés . La defiance amèna la fureur; quelques
ambitieux gâtèrent l'ouvrage des Communes
, en feignant de vouloir fubftituer
une liberté populaire à une royauté limike
; l'ouragan fouffla des quatre coins de
Thorizon ; la Conflitution fut miſe en picces;
le fang de Charles I & dix batailles ne
fervirent qu'à foumetere le Parlement & la
Nation à leur propre armée , bientôt aſſujectie
elle -même aux plus habiles de ſes
Chefs, La Démocratie avoit anéanti làConftitution
; cette Démocratie amena une Oligarchie
deGénéraux ; le Protectorat abattit
tour, Parlement , Armée, Sectes , Factions,
&Cromwel régna ſeul ſur un Peuple à qui
Livreſſe avoit ôté ſes forces & ſa raifon.
Il la reprit pour rappeler Charles II , que
120 MERCURE
l'exemple de ſon père ne corrigea point:
Toutes ſes entrepriſes furent reponfées.
Ses alliances dangereuſes ſur le Continent
, dit M. Delolme , l'extravagance
de fes guerres , jointes aux fréquens abus
de fon autorité, le décelèrent. La Nation
>> ouvrit les yeux ſur ſes projets : les fervices
mil taires dus à la Couronne , rette
* des ancicares tenures féodales , furent
abolis : les Loix contre les Hérériques
ود
furent abrogées. L'Acte d'Habeas corpus,
> ce rempart de la fûreté particulière , fut
» établi, la triennalité des Parlemens fanc
לכ
tionnée ; & tel fut le patriotiſme de cette
>>> Affemblée , que , ſous le Prince le plus
>> deftitué de principes , la liberté reçut ſes
> plus efficaces additions * .
Comme les fermons deſpotiques de Jacques
I avoient préparé les infortunes de
fon fuccelleur , la conduite de Charles II
prépara la catastrophe de fon frère. Celuici
, fermant les yeux fur la réſiſtance éclairée
des derniers Parlemens , méconnut encore
la leçon que venoient de lui donner les
deux derniers règnes ; il courut lui-même
contre le roc où devoit ſe brifer fon autorité.
Par une ſuite du progrès des con-
*noiffances & de la certitude des principes ,
*leconcert de la Nation fut univerfel. Tous
les liens qui l'attachoient au trône ſe rompirent
à la fois ; mémorable évènement, qui
fut conduit avec une modération & des
formes de légalité , encore ſans exemple .
Le
DE
FRANCE .
121
1
S
6
1
on
Le Roi ſe vit détrôné , mais le trône reſta ,
& unnouvel ordre de ſucceſſion fut établi:
en même temps , on reconnut ,
repara toutes les brèches faites à la Conſtiturion
: les clauſes d'un contrat primitif
& formel entre le Peuple & le Souverain ,
furent ftipulées dans le Bill des Droits , &
fanctionnées. Parmi les articles de cet Acte
celebre, ſe trouvent la confirmation des
grands priviléges nationaux , l'abolition du
pouvoir de diſpenſer de l'effet des Loix
que s'étoit attribué la Couronne , le droit
de pétition au Roi , & celui de porter des
ames, réſervés à chaque ſujer, enfin la liberté
de la preſſe. Ainfi fut placée en 1689 , la
clef de la voûte ; malgré quelques variations
légères , le temps en a affermi la ſolidité
; l'on citeroit peu d'Etats , même
abfolus , auffi exempts de troubles publics,
que l'a été l'Angleterre depuis un ſiècle.
Cette permanence des inſtitutions a prouvé
T'accord de leurs principes avec les intérêts
du peuple , & de chacune des diviſions
lég flatives.
Nous nous ſommes étendus ſur l'analyſe
hitorique de la formation du Gouvernement
Anglois , parce qu'elle développe une
grande vérité; c'eſt qu'une Légiſlation con
polée exige à la fois le concours des temps ,
des caractères , & des accidens ; c'eſt que
de toutes les chimères, laplus déraiſonnable
eſt d'attendre de plans d'Utopie, formés
for la papier , ou adoptés même par les
No. 3. ifJany. 1789. F
122
MERCURE
:
eſprits juftes , ce que les fiècles & les paffions
amènent par degrés. A Dieu ſeul appartient
le droit de dire que la lumièrefoit,
Cette démonstration deviendroit encore
plus frappante , par le développement des
cauſes , dont M. Delolme réfume les effets
à grands traits. On jouit du ſpectacle des
décorations ainſi placées ; mais l'on n'apperçoit
pas le tiraillement des machines
qui l'a précédé. Peut-être d'autres peuples auroient
échoué dans les mêmes circonftances;
& fans la réunion d'une multitude
d'incidens inappréciables , joints aux difpofitions
phyſiques & locales , des bouleverſemens
auroient pris la place des révo-
-lutions falutaires. Sublime étude, ſans doute,
que celle d'un pareil concours de moyens!
Puiſſante leçon de prudence pour tous les
Novateurs. (1 ) !
( 1 ) On trouvera les développemens dont je
parle, au moins par la Révolution de 1688 , dans
Its Mémoires de la Grande-Bretagne & de l'Irlande,
par le Chevalier John Dalrymple , dont les deux
premiers Volumes ſonttraduits en françois. Je ne
connois aucun Livre Hiſtorique plus inſtructif.
L'Auteur a mis à découvert , ſur des documens
_authentiques , les refforts fecrets & le jeu des
Acteurs de cette grande ſcère. Après l'avoir lu ,
ons'affure que lala plus p rare des paſſions eſt l'amour
fincère de la liberté; & le plus rare des partis ,
celui du véritable bien public, Sans le balancement
à peu près égal des Whigs & des Torys à cette
époque , la Monarchic limitée étoit de souvean
détruite , ou ramenée au deſpotifme.
DE FRANCE.
123
es
On n'attend pas de nous , ſans doute ,
que nous décompoſions ici , ni même que
nous tentions de réduire l'admirable tableau
qui fait la matière de ce Traité : on
ne peut envelopper le monde moral &
politique dans une feuille de papier. Indiquer
les maſſes générales , les principaux
tapports , & certains traits caractériſtiques ,
voilà tout ce que nous permet la forme
14 d'un Journal.
es
s
-c
le
Trois parties principales compoſent l'Ou-
* vrage de M. Delolme. Dans la première ,
il décrit les différentes Puiſſances du Gouvermement
d'Angleterre , les droits reſpecertifs
par leſquels elles ſe balancent mutuelut,
lement , & la liberté conſtitutive qui réluke
de leur équilibre.
ls
يراق
De l'analyſe de la Conſtitution , il paſſe
enſuite à ce qui ladiſtingue des autres Républiques
dans ſes principes populaires ,
des autres Monarchies dans ſa partie mo.
narchique , c'eſt l'hiſtoire de ſes avantages
propres.
Mais ces vérités ne ſont pas de ſpéculation
: leur exiſtence ne repoſe ni fur des
3 niſonnemens abſtraits , ni fur ce jargon
mathématique que des eſprits faux ont
cherché à introduire dans la Légiflation :
kurs preuves poſitives réſultent de l'expérience
, & M. Delolme les juſtifie par l'expolé
des faits. Son Livre entier pourroit
même être conſidéré comme une pure narmion;
car , on analyſant la Conſtitution
F2
124 MERCURE
d'Angleterre , il démontre un ſyſtême légiflauf
en action depuis cent ans ; en expliquant
les effets , il les décrit.
La baſe de la Conſtitution Angloiſe eſt
qu'au Pulement ſeul appartient la Puiffance
giflative , c'eſt - a - dire , le pouvoir
d'établir les Loix , de les abroger , de les
charger , de les expliquer. La Chambre des
Communes , la Chambre des Pairs & le
Roi conftiruent le Parlement : celui-ci cât
le ſeul Souverain effectif ; le Roi n'en a
que le titre , en fa qualité d'unique Repréſentant
de l'autorité ſuprême. Cette
Souveraineté eſt indivitible; les trois Membres
qui la compoſent n'ont ſéparément
que des prérogatives limitées ; leur ſeul
concours détermine la volonté ſuprême.
Chacune des deux Chambres a la négative
fur les réſolutions de l'autre ; le Roi , fa
négative fur les déciſions de l'Afſemblée :
ce droit défenfif & réciproque garantit
leurs prérogatives mutuelles , & laille une
liberté entière au choix des motions dont
les deux Chambres veulent s'occuper ; il
n'eſt pas à craindre qu'aucune nouveauté ,
qu'aucune atteinte à la prérogative de chacun
devienne Loi , puiſque celle-ci exige
le confentement de tous.
Les pouvoirs du Roi circonfcrivent ceux
du Parlement , qui , de ſon côté , non ſeulement
a exactement limité la prérogative
du. Prince ; mais qui , de plus , la contrebalance
par une infinité de droits particuDE
FRANCE 125
e
1
e
liers. Les plus elſentiels font trop connus ,
pour être rappelés ; on eſt inſtruit moins
vulgairement des priviléges ſubſidiaires , qui
affurent l'efficace des pouvoirs fondanientaux
du Parlement ; tels , par exemple , que
celui réſervé aux Communes , d'ouvrir
feule une première délibération-ſur les
Bills de ſublides , de n'y fouffrir aucune
altération de la part de la Chambre Haute ,
de leur accoler des pétitions , & de ne
réfondre les ſubſides qu'après la réponſe
du Roi à ces demandes . Telles encore la
ſuſpenſion de la liſte civile à chaque nouveau
règne , juſqu'à ce que le Parlement ,
s'il le trouve bon , ait fait la revue de
1 Erar , & réforiné les abus du règne précédent
; l'obligation impoſée au Roi d'afſembler
, au moins tous les trois ans , ce
Parlement qu'il a le droit exclufif de diffoudre
; celle de ne rien changer aux
maximes & aux forines confacrées par la
Loi dans la Constitution des Tribunaux ,
dont il est le Chef; la dépendance de la
fible armée à ſa difpofition , établie pour
une année ſeulement , licenciée par le fait
au bout de ce terme , ne reprennant d'exiftence
que par le renouvellement annuel
de l'Acte de mutinerie , ſeul hen de la difcipline
militaire payée enfin ſur des
taxes qu'il faut auſſi renouveler tous les
douze mois . Tel , ajourerons - nous , ce
droi des Communes ſeules, de pourſuivre
les Miniftres , ou autres Agens du Gou-
د
F3
126 MERCURE
vernement , ſuivant des formes légales ,
devant un Tribunal indépendant par fa
dignité , impartial par ſa place , juſte par
honneur autant que par devoir , le Tribunal
des Pairs & des PAIRS ſeuls.
Mais les droits qui conſtituent la liberté
générale & l'influence de la nation ſur le
Gouvernement , ne ſeroient que de parade
, & bientôt minés , ſans la liberté
des individus. Cette vérité conduit M. Delolme
à l'examen du pouvoir judiciel , des
formes d'emprisonnemens , & des Loix qui
maintiennent la ſûreté du citoyen en Angleterre.
Bornons notre attention aux principes
de l'Auteur ſur le premier de ces
trois objets.
Dans une Monarchie limitée , telle que
celle d'Angleterre , on ne pouvoit apporter
trop de précautions contre la dépendance
des Juges, d'une part , & de l'autre, contre
leur puiflance. Il falloit les garantir de
toute influence du pouvoir exécutif ; mais
leur over toute attribution de la puiſſance
législative': fans cette dernière réſerve , ils
tendroient bientôt à l'indépendance ; impunément
ils pourroient ſe ſouſtraire aux
Loix par des Arrêts , & confacrer des injuftices
par des ſtatuts : appartiendroientils
au Corps des Repréſentans du peuple?
ils en deviendroient bientôt les maîtres ;
ſeroient- ils choiſis par toute autre autorité ,
ou par droit de naiffance ? leur pouvoir
n'en ſeroit que plus abufif & plus dangereux.
DE FRANCE 127
,
1
nce
de
es
Dans tout Etat où l'on introduiroit quelques
principes de la Conftitution d'Angleterre
, il faudroit donc abſolument que
" le pouvoir judiciel réfidât dans un Corps
fubordonné & foumis , non à l'égard de
> ſes Actes particuliers , qui doivent être
> inviolables , inais dans ſes principes &
13
ſes formes , que le Légiflateur ſeul doit
- lui prefcrire ". Comment les Loix Angloiſes
ſont-elles arrivées à ce but ?
En réduifant au plus petit nombre le
Corps de Judicature , proprement dis
Douze Magiftrats & le Chancelier compofent
toute l'Adminiſtration permanente des
Loix civiles & criminelles , répartie en
uois Tribunaux ; huit millions d'ames ne
connoiffent pas d'autres Juges (1 ). ¡Et il ne
faut pas croire que la Loi ait abandonné
les Citoyens à la déciſion de ces douze
grands Juges inamovibles : lumières de la,
Jurifprudence , Rapporteurs du droit & du
fait , la Juſtice même eſt hors de leurs
mains; c'eſt au fuffrage des Jurés , dont ils
(1) Ces trois Tribunaux font le Bane du Roi ,
les Plaids Communs , & l'Echiquier. Il existe encore
deux Cours d'équité , dont l'une eſt tenue par
1.Chancelier , & l'autre par les Barons de l'Echi-,
quier ; mais elles ne font que des ſupplémvens des
autres Tribunaux : la Chambre- Haute , formée en
Courdes Pairs , juge de certains Appels, & ne
peut être conſidérée comme un Corps judiciaire
permanent.
F4
128. MERCURE
préſident le Tribunal , qu'elle appartient
excluſivement. Ces Jurés ne forment point
une Compagnie permanente ; pris tour à
tour entre le peuple , ils n'ont pas le temps
de fonger en quoi leur puiſſance d'un inftant
peut fervir à leur intérêt particulier ,
& perfonne en Angleterre ne ſçauroit dire
d'aucun homine : " Celui - là peut décider
>> de ma vie & de ma mort ".
(CetArticle estdeM. Malletdu Pan.)
LA Galanterie Françoise , Hommage- de
famille , d'amitié & de Société. AParis,
chez Royez , Libr. quai des Auguftins ,
près le Pont-Neuf.
COMBIEN n'y a- t - il pas d'occaſions cù
l'amitié , la galanterie , la piété filiale acheteroit
volontiers à prix d'or une Etrenne
poétique , un Bouquet , un Complinient
en vers ? La nouvelle année , une Fête , un
mariage , une folennité publique ou privée,
rendent quelquefois à peu près indifpenſable
un léger tribut qui déſeſpère une
foule de perſonnes; car on fait que beaucoup
de gens trouveroient la quadrature
du cercle plus facilement qu'une rime .
Combien de fois M. le Précepteur, le cher
Abbé , ou le laborieux Littérateur , font- ils
contrariés dans leurs occupations pour ar
DE FRANCE. 120
racher de leur cervelle , en dépit de Minerve
, quelques rimes parafites en l'honneur
d:: Parrain ou de la Maman dont le
nom parronal enrichit le Calendrier ? Combien
de fois un jeune homme , épris des
attraits d'une Cloris , ou d'une Eglé , feuillète,&
refeuillère fans ceſſe la Collection
des Alınanachs, pour découvrir un Couplet
galant approprié à la circonſtance ? Dans
fon délire , il s'imagine que s'il pouvoit ,
comme Ennius, fommeiller fur la double
colline& ſe réveiller Poëte , la Déeſſe de
laBeauté lui permettroit bientôt de dormir
fous les courtines de l'Amour.
Ce Recueil eſt deſtiné à ſoulager de tant
de ſoins & de follicitudes , ou du moins
à abréger confidérablement les peines de
la compoſition.
Jouiffez donc , Lecteurs & Amateurs ,
des avantages inestimables que vous pré-
Tente cette Collection. Il eſt inutile de
vous recommander de n'être point trop févères.
Si vous étiez capables de mieux
faire , vous n'auriez pas recours à la Muſe
auxiliaire qui a préſidé à la compofition &
à la rédaction de ce Répertoire de Com-
'plimens , à l'usage des Enfans , des jeunes
Demoiselles , & de diverſes perſonnes de
Pun& de l'autre sexe.
F5
130 MERCURE
SPECTACLE S.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LLA Tragédie de Marius fut donnée
pour la première fois en 1715. Les Critiques
du temps en remarquèrent les défauts
& les beautés , & ils ſe réunirent preſque
tous pour avancer qu'elle étoit ſuſceptible
de beaucoup plus d'éloges que de reproches.
Néanmoins elle eut un foible ſuccès
, & fes repréſentations ne pafferent
point le nombre de ſepr. Depuis longtemps
on en parloit avee eftime dans toutes
les nomenclatures dramatiques mais on
ne la voyoit point au Théatre. Les Comédiens
François viennentde la remettre , &
ils ne peuvent que ſe réjouir d'en avoir
eu l'idée. Voici, en peude mots la fablede
cette Tragédie. Plutarque en a fourni les
fairs principaux , & l'Auteur les a arrangés
àla manière.

د
Après la proſcription de Caïus Marius,
le jeune Marius , ſon fils , a trouvé un
afile à la Cour d'Hyempſal , Roi de Nur
midie. Il s'y eſt fait aimer d'Arisbe , jeune
Princeſſe deſtinée à Hyemplal ;& il a conçu
DE FRANCE. 131
و
e
ES
Es
e
1
pour elle la plus violente paffion. Dans le
même temps , Sylla ,toujours acharné contre
Caïus Marius , a député vers lui un Triban,
avec l'ordre de le poignarder , & d'aller
enfuite , au nom des Romains , demander
le jeune Marius à Hyempfal. Caïus
Marius aprévenu fon ennemi. Il a immolé le
Tribun , il s'eſt emparé des lettres de Sylla ,'
&il ſe preſente à la Cour de Numidie ,
ſous le nom de l'Envoyé de Rome. Il fait
quels font les ſentiniens de ſon fils pour
Arisbe ; il n'ignore pas quelle eſt la farouche
& fombre politique d'Hyempfal, & il
fe Hate , ous le faux titre dont il s'eft
couvert , d'arracher fon fils à une paſſion
qui peut amollir foname , comme de
tromper la perfidie des Numides. Hyempfal
refute d'abordde remettre le jeune Marius
aux Romains , mais les mouvemensjaloux
que lui inſpire Arisbe , qui prend
un intérêt très-tendre au jeune Marius , &
quelques bruits qui ſe répandent que l'Envoyé
de Rome n'eſt autre que Caïus Marius
lui-même , engagent Hyempſal à diſſimuler,
&à former tout bas des projets de
vengeance. En effet , il feint de vouloir
farisfaire Rome en faiſant tomber dans les
Erars la tête du Citoyen qu'elle a proſcrit.
Le trouble , l'horreur dont Caïus Marius
eſt pénétré , trahiſſent ſon caractère paternel
,& il ſe montre à découvert avec une
fierté digne de lui. La mort du père & du
fils eſt jurée. Arisbe , qui tremble pour lo
F6
132
MERCURE
jours de ſon amant , ſe détermine à tromper
le Roi & à faciliter la fuite des deux
Marius . Elle étouffe ſes ſoupirs , elle rappelle
le jeune Marius à l'honneur. La voix
de Caïus Marius achève d'entraîner fon
fils vers ce que lui commande le devoir..
Ils partent. On eſt averti de leur fuites.
on s'y veut oppofer : mais leurs efforts &
leur courage renverſent tout ce qui fe pré--
ſente , & ils s'embarquent ſous les yeux des
Numides . Arisbe fatisfaite , après cet évènement,
déclare à Hyempfalfon amour pour
le jeune Marius; elle avoue qu'elle a favoriſé
ſa fuite, & elle ſe poignarde à ſes yeux .
L'expofition de cette Tragédie n'a pas
toure la clarté que l'on pourroit exiger dans
une Pièce aufli compliquée , & elle n'eſt
réellement terminée qu'après la premiere
ſcène du ſecond Acte , par les explications
que Caïus Marius donne àNumerius , fon
ancien ami. Le ſecond , le troiſième &
le quatrième Acte ſont de la plus grande.
beauté . On n'y peut regretter que quel- /
ques idées louches , quelques phrases obf
cures, & quelques vers qui ont plutor:
de la boutilſure que de la fierté. La ſes .
conde ſcène du ſecond Acte eſt de main
de Maître.
La ſcène qui ſuit , où le jeune Marius ;
fous les yeux du Roi même , retrouve fon
père dans celui qu'il croyoit ſon atfallin ,
& où le grand homme parle à fon fils fans
ſe découvrir pour ceux qui ne le connoif
DE FRANCE.
133
ſent point, eſt aufli adroite qu'intéreſnte.
On en peur dire autant de la ſcène quatrième
du troiſième Acte , où le jeune Marius,
effrayé des projets d'Arisbe , eſt contraint à
lui donner le ſecret de ſon père, pour ar
racher celui-ci au coup mortel qu'elle croit
préparer à ſon aſſaſſin. Mais le plus beau
moment , la plus belle ſituation de la Tra
gédie , elt , fans contredit , celle de la troiſième
ſcène du quatrième Acte. Hyempfal
veut éclairer ſes ſoupçons , & en parlant
da jeune Marius, il dit à ſon père :
Il ne vous verra plus, Seigneur , &, dès demain,
Vous ne fortez d'ici que la tête àla main.
C. MARIUS.
Que dites-vous,Seigneur ?
HYEMPSAL.
D'où vient cette ſurpriſe ,
Lorſquedans vos deſſcins ma main vous favoriſe?
Vous allez voir, au gré de vos voeux les plus doux,
Le fils de Marius expirer ſous mes coups.
C.
Ah,Dieux !
MARIUS.
HYEMPSAL.
T
Vous frémiſſez ! Quelle terreur ſoudaine
Peutfaire, en moinsd'unjour, chanceler votre haine?
C. MARIUS.
Moncoeur n'eſt point frappé d'une vaine terreur,,
Je frémis , il est vrai , mais je frémis d'horreur.
134
MERCURE
Dequeldroitoſez vous, fansqu'envous le commande,
Attaquer un profcrit que Rome vous demande ?
Ah ! lorſqu'elle condamne un enfant criminel,
Son ſupplice en nos murs doit êne foiennel:
Le peuple en foule y porte une douleur profonde ,
Et la mort d'un Romain doit unexemple au monde.
.....
НукмPSAL.
J'ouvre les yeux , je ſuis efiez inftruit ,
Et par un bruit trompear on ne na'a point ſéduit.
Le jeune Marius vous cft cher.
C. MARIUS .
Moi ! je l'aime !
HYEMPSAL.
Vous défendez un fils .
C. MARIUS.
Moit ſon père !
НУЕМРSAL :
Qui : vous-même.
C. MARIUS.
Enfin de mes projets le Ciel veut ſe jouer !
Maismon nom esttrop beau pour le déſavouer :
Oui , je fuis Marius. Tremble; tu vois un homme
Redonté de la terre & craint même de Rome...-1
Parmi tantde pérés, lesDieux qui n'ont ſauvé
Vouloient que dans ta Courmon fort füt achevé
DE FRANCE. 135
Te voilàmaître enfin de deux grandes victimes.
Je connois ton génie & toutes tes maximes ,
Barbare ! Tu nous hais : les ordres du Sénat
Prêteront des couleurs à ton affaffinat.
Tu peux de mon rival, ſervant la rag: extrême,
Erendre tes Etats reſſerrés par moi-même.
Venge ainſi ton pays que ma valeur dompta :
Frappe: mais crains encer le fort de Jugurtha.
Cette ſcène annonce un homme nourri
de la lecture de Corneille , & elle ſe rapproche
beaucoup de la manière de ce grand
homme. M. Vanhove y a déployé un talent
rare, qui a excité de l'enthousiasme.
En général , cet Acteur a rendu tout le
rôle de Caius Marius avec une grande ſupériorité.
Il étoit difficile de donner une dignité
foutenue à l'amour d'Arisbe & du jeune
Marius ; l'Auteur a vaincu la difficulté :
il a traité cette paffion avec la nobleſſe
propre à la Tragédie ; & quoiqu'elle ne
foit que ſecondaire ,elle ajoute à l'intérêt
principal.
Le cinquième Acte est très- inférieur au
refte de l'Ouvrage. Il n'eſt preſque compoſé
que de récits , & l'action y eſt conféquemment
très-lente. Ce défaut nuifit en
1715 au ſuccès de la Tragédie. Il n'en a
pas été de même cette année. Le récit de
la fuite des denx Marius a été très-applaudi ,
& il a produit un grand effet. On ne peut
136 MERCURE
pas ſe diffimuler la cauſe de cet effer. D'abord
, on prend un vif intérêt au ſort de
Marius & a celui de fon fils'; on voit leurs
jours menacés , on entend les éclats de la
fureur d'Hyempfal , & l'on tremble pour
eux. Quand on apprend la manière dont
ils ſe font échappés , la crainte eſt diſſipée ,
&la curiofité eſt fatisfaite. Enfuite , nous
aimons un peu les choses exagérées. Ce
que nous allons citer l'eſt beaucoup.
Le fils, à ce diſcours, s'arrête , &fans répondre ,..
Dans ſes bras tout fanglans faiſiſſant ce Héros,
Fier d'un ſi beau fardeau , s'élance dans les flors ;
On le voit foutenant une tête fi chère ,
D'un bras fendre les caux , de l'autre aider ſonpère,
Et le père à nos coups ſe livrant tout entier ,
Ne couvrir que ſon fils avec ſon bouclier.
Tout les fort contre nous , & le Dieu qui les guide
Semble parer nos traits , rend l'onde plus rapide.
Le flot impétueux qui vient de les porter ,
S'enfle arbord de la barque & leur aide à monter...
Tous ces détails preſque merveilleux , qui
rappellent les proueiſes des Amadis & des
Roland, ont eu un grand ſuccès. Tant mieux ,
puiſqu'ils pourront coopérer à celui d'unOuvrage
très - eftimable malgré ſes défaurs , &
bien ſupérieur à beaucoup d'Ouvrages modernes
qui ont encore de la vogue.
L'Auteur de Marius s'appeioit Gillet de
Mortlebert de Caux ; il étoit Normard &
Geanlhomine , & deſcendoit du stend CorDEFRANCE.
137
5
Γ
neille par ſa mère. Il avoit fait dans ſa jeunefle
un petit Poëme intitulé l'Horloge de
fable, Figuredu Monde , dont Boileau fut fi
content , qu'il voulut en connoître l'Auteur.
Il mourut fubitement, âgé de si ans. En
1737 , on a donné de lui Lifimachus ,
Tragédie , Ouvrage qui fut achevé par ſon
fils , & qui n'eut point de ſuccès. On a
lang- temps attribué au Préfident Hénault
la Tragédie de Marius , & bien des gens
creyent encore qu'elle eſt de lui , ou qu'il
y a cu part. Cela paroît au moins douteux ,
malgré ce qu'en diſent les Parfait dans leur
Hiſtoiredu Théatre. On lui avoit audi attribué
une Tragédie de Cornélie, Veſtale, repréſentée
en 1713 ſous le nom de Fuſelier ;
on l'a même imprimée dans le Recueil de
ſes OEuvres Dramatiques , & certainement
il y a une grande différence entre le talent
& le ſtyle des deux Ouvrages . Cornélie eft
écrite avec quelque élégance , mais elle eſt
trifte , froide ,& fans mouvement. Elle n'a
tien de commun avec Marius. On lui avoit
encore attribué l'Oracle de Delphes , Comédie
en trois Actes , que Moncrif a revendiquée,
& fait imprimer ſous fon nom. Il
eft préſumable que le Préſident Hénault ,
qui aimoit beaucoup les gens de Lettres ,
aimoitauffi à les fervir de ſes conſeils, & que
des perſonnes , ou mal inſtruites ou trop zél'es,
font partiesde là pour lui faire honneur
des Ouvrages de ſes amis.
Al Ordmaire pr. les aut. Art. des Speſtuks.
138 MERCURE
ANNONCES ET NOTICES.
3
-
M.DUBOST ,Maître enChirurgic , Chimiſte &
Botaniſte , à Paris , rue de la Courtille , vis-à-vis
le grandSt Martin , & à Verſailles , ſur l'eſcalier
des Princes , continue de vendre la Pommade
de Ninon , pour diffiper les taches de roufleur .
blanchir , nourrir la peau, &c. 6 liv. le Pot;-
laPominade du ſoir , pour enlever le rouge &
rafraîchir la peau , livres le Pot ; l'Enence
pour la barbe , propre à ôter les feux du viſage ,
depuis 3 juſqu'à 12 liv. la Bouteille ; - la Limonade
sèche , rafraîchiſſante & diurétique , trèscommode
pour les perſonnes qui vont à la campagne
ou à la promenade , 6 liv. la Livre ; -l'Eau
Géorgienne pour blanchir la peau , 6 liv. la Boureille;-
le Blanc de perle , qui a la même pro
priété , 6 liv. le Pot ;-la Pommade Céphalique
peur faire croître & épaiffir les cheveux , 6 liv.
le Pet , &c. &c. On peut se procurer également
ees divers Articles & autres à l'Abbaye S. Germain-
des-Prés , rue du Cardinal , chez le Sr. Bar-
-beau , Marchand-Mercier , à Paris .
:
OEuvres complètes d'Homère , traduction nouvelle
, par M. Gin , Conſeilter au Grand-Confeil.
Tomes III & IV. Prix chaque Volume in-8 °.
grand raifin , 6 livres. ( Il y en a quelques exemplaires
en papier fiu , avec Figures , fi l'on veut ).
AParis, chez Didot fils aîné , Lib. rue Dauphine ,
Nº. 116.
Ces deux Volumes complettent l'Iliade.
DE FRANCE.
139
!
15
1
le
4
&
:,
0
2-
27
٢٠
1-
..
Almanach de Vincennes, ou le Gentil Sorcier ,
pour l'année 1789, in- 12. ABelgrade ; & ſe trouve
à Paris , chez Maradan , Libr. rue des Noyers.
L'idée de cet Almanach eſt hitorique ; c'eſt un
Sorcier qui a la vertů d'évoquer les Mois , & de
les faire parler. Leurs divers aveux, à meſure qu'ils
arparoiffent , font l'hiſtoire de leurs bienfaits ou
deleurs fottiſes , &par conféquent le résir dubien
&du mal qui ſe fait pendant leurs règnes. Ce cadre
donne lieu àdes traits piquans.
Tablettes annuelles & chronologiques de l'Hiſtoire
Ancienne& Moderne , pour l'année 1789 ; par
Mada neT.... 5 nouvelle édition . A Paris , chez
Leroy, Libr. rueS. Jacques ;& Ceflac , au Palais-
Royal.
Lettre à M. le Comte de *** , ou Conſidérations
fur le Clergé ; ſuivie d'une ſeconde & nouvelle
Lettre au méine. ARome ; & ſe trouve à Paris ,
chez Froulé , Libr. quai des Auguſtins . Brochure
de 82 pages.
OEuvres diverſes du Baron de Bock , premier
Traducteur de la Vie du Baron de Trenck ; contenant
un Eſſai fur l'Histoire du Sabéisme , up
Mémoire ſur lePeuple Nonade , appelé en France
Bohémien , les Apparitions , le Voyageur , le Tribunal
ſecret. 2 Vol. in-12. Prix , s liv. br.
Methode générale&particulière , puiſée dans la
véritable ſource , pour le deflèchement des Marais&
des terres noyées ; éclairée & guidée par
le calcul : Ouvrage utile à tous Propriétaires &
Fermiers ; par M. le Vaffor. Brochure in-8°. de
120 pages. Prix , 1 liv . 16 1. A Paris , chez Ville ,
Lib. rue de la Harpe.
140 MERCURE
:
Histoire de France , repréſentée par Figures
accompagnées de Difcours ; les Figures gravées par
M. David , Graveur de Sa M.j. le Roi de Pruffe,
de la Chambre & du Cabinet de MONSIEUR ,
&c.; 6e. Livraiton , compoſée des Planches &
Diſcours imprimés fur papier vélin. Prix , 10 liv.
A Paris , chez l'Auteur , rue des Cordeliers , au
coin de celle de l'Obfervance .
LesDifcours de cet Ouvrage, qui font fortbien
faits , font de M. Guyot , Vicaire-Général de Cambrai
, &c .
PETITE Bibliothèque des Théatres. A Paris ,
chez Belin , Libraire , rue S. Jacques ; & Brunet ,
ruc de Marivaux , place du Théatre Italien.
Tomes XIII & XIV des Comédies du Théatre
François , centenant les moeurs du temps , &
Tanglomane , de Saurin ; les Carroffes d'Orleans,
de la Chapelle ; les Trois Frères Rivaux ,
de la Font ; le Jaloux défabujë , de Campiſtron ;
lefaux Savant; de Duvaure.
On trouve chez Royez , Libr. quai & près
des Auguftins , plufieurs objets qui peuvent ſervir
pour Etrennes :
Almanach d'Anecdotes , Traits finguliers &
Bons Mots des Parterres & des Théatres , in-16.
Prix , I liv. 10 1.
Etrennes d'Amour , par M. l'Abbé Jolu , édition
papier fin , Fig. br. 1 liv. 16 f.; rel. à ſtylet, 3 1.
L'Ami des Femmes , nouvelle édition portative,
avec ce que Fénélon a écrit ſur l'éducation des
Files; in-16 , 2 liv . 8 f.
Le Manuel du Chaffour , avec les Fanfares de
chaſſe , 3 liv.
L'Etat de la Magistrature en France , in- 8º de
600 pages , 6 liv.
DE FRANCE .
141
R,
&
8.
20
ich
5,
" ةر
LaNo'leffe conſidérée ſous ſes divers rapports
dacs les Atlemblées générales de la Nation , on
teoréfntations des Etats -Généraux & Affemblées
Notables pour& contre les Nobles , avec des
obſervations préliminaires; par M. Cherin. Prix ,
fliv. In-8°. A Paris , chez Royez, Lib. quai des
Auguftins ; Cuflac , au Palais-Royal ; Defenne, au
Palais-Royal.
Cer Ouvrage eſt diviſé en 2 Parties ; la ire.
content des obfervations fur la Nobleffe confidérée
dans les Affemblées de la Nation ; la 2e.
traite des Cahiers des trois Ordres , rédigés dans
les Affemblées Nationales , concernant la Nobleſſe
pour & contre. On a puiſé , pour le Recueil de
ces Cahiers, dans les Manufcrits de la Bibliothèque
Rei, de celle de S. Germain , & du Cabinet
# de l'Ordre du S. Eſprit .
On doit à l'Auteur de eet Ouvrage d'autres recherches
utiles & analogues aux circonstances ,
ه ز
que nous avons annoncées avec de juſtes éloges
dans un de nos précédens Numéros.
25
Orzifon funèbre de Très - Haute , Très-Puiffante,
Très-Excellente Princeſſe Louiſe-Marie de
France , Religieuſe Charmélite , ſous le nom de
Thérèse de Saint-Augufiin ; prononcée dans l'Eglife
des Carmélites de la rue de Grenelle , le
15 Avril 1788 ; par M. François , Prêtre de la
Milion. Brochure in-8°. de 95 pages. A Paris
chez Mérigot , jeune , Libraire , quai des Auguities.
Ames Concitoyens , ou Réflexions patriotiques
d'un François, fur la féculariſation des Religieux,
à l'extinction de la Mendiciré. Brochure in-8 . de
110 pages. AGenève.
:
142
MERCURE
Oraiſon funèbre d'Illuſtriſſime & Révérendiflime
Seigneur Monteigneur George- Louis Phelipseaux
d'Herbaut , Patriarche Archevêque de Bourges ,
Primat des Aquitaines , Chancelier , Commandeur
des Ordres du Roi , Supérieur de la Maiſon &
Société Roya'e de Navarre , &c. proponcée dans
l'Egliſe Patriarcale , Primatiale & Métropolitaine
de Bourges ; par M. l'Abbé Fauchet , fon Vi
caire général , Chanoine d'honneur de fa Métropole
, Abbé Commendataire de Montfort , Prédicateur
ordinaire du Roi. A Paris , chez J. R.
Lottin de Saint-Germain , Imprimeur-Libraire ordinaire
de la Ville , rue Saint-André-des-Arcs ,
nº. 27 , in-4°. de 48 pages.
Differtation fur l'état du commerce des Romains ,
sar M. Bilhon , in-8°. de 120 pages. A Faris ,
chez Planche , Libraire , rue neuve de Richelieu ,
près la place de Sorbonne ; Royez , Quai des Auguſtins
; & Gattey, au Palais-Royal .
Cet Ouvrage , ſur une matière qui n'a jamais
été approfondie d'une manière fatisfaiſante , fuppoſe
des recherches , ſe fait lire avec intérêt, &
fenferme des vûes utiles.
La Matinée Turque , Eſtampe gravée par Copia
, d'après le Barbier , Peintre duRoi. Prix, 61.
A Paris, chez la veuve Macret , rue des Foflés-
M. -le-Prince , au coin de celle de Touraine , maifon
de M. Duhamel , Md. Bijoutier.
Cette Eſtampe eſt d'un effet agréable.
SpectacleHistorique, diviſé par périodes de 25
ans, formé de 4 Estampes par Siècle , dédié à
LL. AA. SS. Mademoiſcile & Mgr. le Comte de
Beaujolois . ChaqueGravure repréſentant les évèDE
FRANCE. 145
100
&
20
00
10,
A
1
nemens les plus remarquables d'une période , &
les Portraits des Souverains qui ont le plus influé
fur les affaires de lear temps , gravés d'après les
Médailles du Cabinet du Roi , & de celui de Ste.
Geneviève ; par F. Godefroy , de l'Académie Impériale
& Royale de Vienne , de celle d'Angletere
, &c. &c.
Chaque Estampe eſt de format in-folio , accompagnée
de 2 pages d'impreſſion , du même
format, en 2 colonnes, contenant les Notes explicatives
des ſujets repréſentés dans l'Eſtampe,
M. Leveſque a bien voulu ſe charger de la rédaction
de ces Notes. Cet Ouvrage , utile à la
Jeanette , doit l'ètre encore pour tous les âges ,
par la raison que ce qui entre dans l'entendement
par les yeux , ſe grave plus profondément
dans la mémoire. Le Spectacle hiſtorique préfente
un moyen facile de fier dans l'eſprit des faits
iloles , ce qui aide beaucoup à l'étude de l'Hifwire.
Chaque Eftampe préientera le tableau des
évenemens de vingt années.
La première Livraiſon qui paroît, eft exécutée
avec foin , & doit donner une idée avantageuſe
decelles qui fuivront. Elle renferme le 16e. Siècle.
On remoncia enfuite an 146. , Ise. , &c.
L'Auteur a cu des fecours des Savans & Gens
de Leures , dont les diverſes connoiffances pouvoient
être utiles à ſon entrepriſe.
CetOuvrage n'étant pas ſuſceptible d'épreuves
avant la letre , puiſque la lettre elle-même en fait
une partie effentielle , on prie les perſonnes qui
défireront avoir les premières épreuves , de ſe faire
infcrire chez l'Auteur , près le Theatre François ,
rue des Francs-Bourgeois , vis- à-vis celle de Vaugirard,
Nº. 127 ; elles pourront voir dès à prélentles
Estampesdu 16e. Siècle , terminées , qui
paroîtront inceffamment; &celles du 17e. Siècle ,
qui font très-avancées.
144 MERCURE DE FRANCE .
Sonate pour le Clavecin, avec Viclon & Baffe .
par M. Ant. Cæfar, OEuv. se. Prix , 3 liv. = 3
Sonares pour Clavecin , dont les deux premières
avec'accomp. de Flûte ou Violon , & la ze. avec
Violon obligé , par M. J. B. Cramer , OEuv. 2c .
Prix, 7 liv. 4. = 3 Sonates pour Clavecin , avec
Violon obligé, par M. J. Hemmerlein , OEuv. 4c.
Prix , 7 livres 4 lous . = Ouverture de Sargines &
Menuet de la Cour , varié pour le Clavecin , avec
Violon, par M. Srembock. Prix, 2 liv. 8 f. A Paris ,
chez M. Cæfar, Md. de Muſique, au grand Gluck ,
quai des Ormes , au coin de la rue Geoffroi -PAInier,
vis-à-vis la Pompe.
Ce dernier OEuvre ſe vend auſſi chez Mercier
rue des Prouvaires, près celle S. Honoré , No. 3 .
Faute à corriger dans leNo. précédent.
,
A l'article du Dictionnaire des Jardiniers , qui ſe
vend chez Guillot , Lib. rue S. Jacques ; au lieu de
8 Vol. in - 8 °. , lifez 8 Vol. in-4°. Le prix eſt de
100 liv. br. , 120 liv. reliés.
TABLE.
Conflitution de l'Angleterre.
EPITA PITAPHE.
Acroftiches. وه
Ep gramme. 99 La Galanterie.
Quel danger! Anecdote. 160 Comédie Françoise.
Charade , Enig. Logog. 107/Annonces & Notices.
APPROBATION.
109
128
130
138
J'At lu , par ordre de Mgr. le Garde des Sceaux ,
IC MERCURE DE FRANCE, pour le Samedi 17
Janvier 1789. Je n'y ai rien trouvé qui puifle
en empêcher l'impreflion. A paris , le 16 Janvier
1789.. SELAS.
fe.
res
१८.
ec
C.
&
rec
is,
MERCURE
DE FRANCE..
A, SAMEDI 24 JANVIER 1789 .
11-
le
de
de
-
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LES DEUX VENUS ,
Imitation.
CYTHEREIDE étoit enceintes
L'Olympe étoit en mouvement.
Tour Jupiter nouvelle crainte;
Il tremble qu'un ſecond enfant ,
•A fon aîné par trop ſemblable ,
Lt peut-être plus redoutable ,
(Ne lui cauſe un nouveau tourment.
Quai ? diſoit-il , pour nuire au repos de la vie ,
Nº.4. 24Jany. 1989. G
146 MERCURE
.
1
Un Amour feul ne ſuffifcit-il pas ?
Encore un autre ſur les bras ,
Et je renonce à l'ambroiſie ;
C'eſt aflez d'un petit quinteux ;
Je ſuis las des métamorphoſes :
Oh ! pour le coup , s'ils étoient deux ,
Ils me feroient voir autres choſes .
Il dit , & de l'Olympe il recueillit les voix.
Les Dieux pour Jupiter votèrent à la fois ,
6
Et trouvèrent ſa crainte ſage ;
Chaque Déeffe , en tapinois ,
Lui tint à peu près ce langage :
>> Quel mal feroit cet autre enfant ?
L'Amour , dont vous vous plaignez tant
>> A-t-il caufé ſi grand ravage ?
Vous chériſſez vous-même l'eſclavage ,
>> Qu'impoſe ce petit Tyran «.
Farbleu , Meſdames les jaſeuſes ,
Repartit le Maître des Dieux ,
Vous êtes , je crois , curieuſes ,
De me voir en butte à vos jeux ;
Mais par le Styx ... A ces mots , l'Immortelle
D'après ſon ordre , mit au jour
Une fille auffi belle qu'elle ....
Jupiter vit fans crainte une Vénus nouvelle ....
Il cût craint un nouvel Amour .
(Par M.le Comte de la M ... )
DEFRANCE.
147
VERS
A Mlle. E. D*** , dont on avoit refufé
d'inférer le Portrait dans le MERCURE.
Si j'avois peint d'après Nature ,
Ou d'après mon coeur , diſous mieux ,
L'expreffion de ta figure
Et le charme de tes beaux yeux ;
Si j'avois peint d'une touche plus sfire
Tes graces , ta candeur & ta ſimplicité ;
j'avois mieux rendu la ſenabilité
De ton ame naïve & pure ,
En faveur de la vérité ,
Ces traits auroient, fans doute, embelli le Mereure.
Mais le bien, je le fais , eſt toujours près du mal !
D'une touche infidèle ,&fur-tout peu favante ,
Ma Muſe a peint l'original ;
Et la Beauté la plus touchante
N'a pu trouver place au Journal.
De tout ceci , que dire , que conclure ?
Qu'un Rimeur foible & mal-adroit ,
T'a , dans ce jour , ôté le droit
Qu'a far-tout la Beauté de montrer ſa figure.
Mais , par pitié , ne m'en veux pas ;
J'ai bien affez de mes alarmes !
Si le pinceau peut manquer tes appas ,
Le corur nepeut échapper à tes charmes.
(Par M. le Ch. de N***. )
148 MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent,
Lemot de la Charade eſt Ecumaire; celui
de l'Enigme eſt Liard ; celui du Logogriphe
eſt Ballot,
CHARADE.
UN pronom féminin t'offrira mon premier ;
Va chercher à la Cour, cher Lecteur, mon dernier ;
Près de qui veut dormir ,ne faits point mon entier,
( Par M, Lafon , Eudiant en Droit. )
ENFANT
ÉNIGME.
d'un mot couvert avec un
trême ,
foin -
Tant qu'il eſt ignoré , j'amufe , & voilà tout ;
Je cherche à l'imiter & fi j'en viens à bout ,
Je ferai mon père moi-même :
Mais quand, pour me cacher, je fais ce que je puis,
Je me donne , fans donce , une peine inutile :
Ainsi qu'en reconnoît unAuteur à fon ſtyle ,
On voit par le mien qui je ſuis.
( Par M, Fordairon , Off. au C. R. )
DE FRANCE. 149
یم
-
LOGOGRIPHE.
StquelqueGrand, cherchant à mecor.noître,
Vaſent inſtant réfléchit fur mon étre ,
Il bannira tout orgueil infenfe.
Jene fuis encor rièn, Lecteur, s'il faut t'inſtruire,
Patcetaven, de toi ferai-je mépriſé ?
Garde-t'en bien cat c'eſt le cas de dire :
Rofe& Fabert ont ainsi commencé.
Dansmes ſept pieds on rencontre une ville
An temps jadis , en Hétos très-fertile;
Cequ'un enfant de l'Hélicon
Trouve parfois très-difficile
D'accorder avec la raiſon ;
Un mốtque trop ſouvent répète l'Egoïfte
Ce que veut de toi l'Aubergiste ,
Le Cordonnier , le Marchand, le Tailleur ,
Er-plus encor,dit-on , le Procureur ;
Ce qu'un homme puitſſant épouſe chaque année ,
Sans avoir jamais le déhr
De conſommer ſon hyménée ;
Ceque l'on ne sçauroit faifir )
Une Province , une Ville de France
Un titre en tout lieu reſpecté ;
Puis une étoffe ; un terme de finance.
J'en ai trop dit , en vérité ;
Car tu fauras , malgré mon bavardage ,
Qu'on ne parle point à mon âge.
( Par Mlle. Manon Vaudrey.
1
110 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
,
CONSTITUTION de l'Angleterre ou
'état du Gouvernement Anglois , comparé
avec la forme Républicaine & avec les
autres Monarchies de l'Europe ; par J. L.
DELOLME , Membre du Confeil des
Deux Cents de la République de Genève.
Nouvelle édition , enrichie du portrait de
l'Auteur. 2 Vol. in- Sº . A Genève , chez
Barde , Manget & Compagnie ; & fe
trouve à Paris , chez Buiſſon , Libraire
tue Haute-feuille ,N. 20.
SECOND EXTRΑΙΤ.
:
M. Delolme a employé dix Chapitres
du ſecond Livre à caractériſer les rapports
& les différences de la Conſtitution Angloiſe
, avec les Républiques anciennes &
modernes ; ou en d'autres termes , les grands
& finguliers avantages de la première ſur les
autres formes connues de liberté politique .
Cethabile Ecrivain , difcernant les maladies
incurables qui travaillèrent & qui perdirent
bientôt la plupart des Gouvernemensexclu-
:
DE FRANCE. 131
1
fivement populaires, en trouve les préſervatifs,
d'abord dans l'inſtitution d'un Chef
inamovible, armé , ſous le nom de Roi, de
toute la force exécutrice. Dans les autres
Etats libres , ce pouvoir , objet d'une jalouſie
bien fondée, reſtoit , par des élections ,
àla diſpoſition du peuple , déjà maître de
la Puitlance légifſlative. Celle-ci , mal dirigée
, mal informée ,& toujours en mouvement
, ébranloit à chaque motion les
baſes des Loix & de la liberté. Cet Empire
irrégulier& extrême des grandes affemblées
du Peuple , paſſoit aux mains de quelques
Demagogues artificieux , on de favoris auxquels
il prodiguoit les dignités . Bientôt
ſes défenſeurs s'armoient de fon autorité
contre lui-même, ils ſe la diſputoient entre
eux; de là les factions , les batailles , &
une convulfion perpétuelle. Comment les
Anglois ont-ils porté remède à ces inconvéniens
? En élevant un grand & très grand
Citoyen qui empéche le règne de plufieurs;
en donnant à ce Chefunique le pouvoir, la
mrjelté, la force même d'opinion & de réfiftance
pallive, capables de furmonter toutes
les autorités illégales de la naiſſance, du crédit
populaire, de la richeſſe, &des paffions . De
cette unitédu grand Magiftrat national, dérive
la faciliré même dé contenir le pouvoit
exécutif, raffemblé dans un ſeul faifceau .
Les efforts du peuple & ſa vigilance ne
le partagent point ; on ne peut ſe méprendre
à l'enſeigne du danger ; elle est
G4
132 MERCURE
toujours la même , toujours une , toujours
viſible , & chacun des Ordres de l'Erat
eftd'autant plus intéreſlé à la contenir dans
:les limites où elle eſt placée , qu'elle les
menace tous également , fans qu'aucun
d'eux puitſe ſe flatter de l'uſerper .
:
:
Pour que l'Etat foit tranquille , il faur
que le pouvoir exécutif ſoit un. Pour qu'il
foit ſtable , il faut que la Puiſſance légiflative
foie diviſée. C'eſt à l'ignorance de ce
dernier principe qu'on doit attribuer les
bouleverſemens continuels de la plupart
des anciennes Républiques , où l'on vit
la Législature ,illimitée dans ſon exercice,
porter les Leix les plus folles , renverſer
les Loix les plus falutaires le lendemain de
leur fanction , & ne trouver contre cet
amour effréné des nouveautés , d'autre barrière
que des moyens abfurdes & violens ,
tels que celui qui défendoir , fous peine
de mort , de propoſer la révocation d'aucun
ftatur. Les entrepriſes du pouvoir exécutif
font len es&graduelles; mais la Puiſſance
législative peut renverſer les Loix en un
moment ; elle n'a beſoin pour cela que
de ſa volonté. Vainement feroit elle des
Loix pour ſe limiter elle - même ; ces limitations
manqueroient toujours de point
d'appui , dès que la main qui les a tracées
eſt celle-là même qui poflède la, capaciré
abſolue de les détruire. Le partage de ce
pouvoir eſt le préſervatif de fon abus : les
parties qui le compoſeront ſe feront contreDE
FRANCE.
153
:
5
S
e
es
K
,
er
5,
if
ct
e
es
e
5
poils muruellement; leur accord pour faire
&défaire mal à propos , diminuera de probabilité
; l'honneur de chacune leur défendrade
propoſer des règlemens vicieux ,
ou des changemens nuiſibles qui ſeroient
improuvés des autres branches de la Légillature;
leuroppoſition purement morale ,
&, pour ainſi dire , intellectuelle , ne ſera
qu'une guerrede volontés , & fi , par l'effet
de leur négative réciproque , une Loi nouvelle
ne ſe fait pas dans un temps , ce
n'eſt jamais que le ſacrifice d'une ſpéculation
qu'on peut reprendre dans la fuite.
En un mot , la diviſion du pouvoir exécutifamène
une guerre de fait continuelle;
ladiviſion de la Législature amène la vérité
ou le repos, Qu'on étudie les débats du
Parlement d'Angleterre depuis un fiècle ,
on ne verra preſque aucune variation dans
les Loix fondamentales du pays , aucunes
diviſions dans la nation même , ni cependant
un ſtatut de bien public clairement
reconnu , qui , plus tôt ou plus tard , n'ait
réuni les fuffrages des trois branches du
Corps Légiflatif. Le Chapitre en M. Delolme
traite cette matière , pent être regardé
comme la réfutation d'une Doctrine
foutenue en divers Livres modernes , dont
les Aureurs , redoutant toute permanence
dans les Inftitutions, invitent le peuple à
créer pour détruire enfuire , à réformer
tous les dix ans fon Gouvernement , à cet
pecter fes caprices & ſes opinions patla-
G
154
MERCURE
gères , beaucoup plus que les Loix , & à
fe croire perdu dès qu'il ne vivra plus aù
milieu des ruines de ſa propre autorité.
Le fajet entraîne au delà des bornes que
nous devrions nous preſcrire , & ce fouvenir
nous restreint. au fimple énoncé des
intéreſſantes diſcuſſions qui terminent l'Ou
vrage de M. Delolme.
: Aux principes qui précèdent , la Conf
titution Angloiſe réunit celui de hiffer an
peuple, au lieu du ſimple droit d'approu
ver ou de rejerer les Loix nouvelles.si celui
de les propoſer; attribut qu'on peut ap+
peler l'initiative , c'eſt a-dire ,, la faculté de
pmettre en action la Puiſlance légiflative.
Mais ce droit ne peut , ſans danger , être
celui de la maſſe générale du peuple ; de
là, la néceflité , au moins pour les Etars
de quekque étendue , de ſubſtiner au Corps
de la nation des Repréſentans de fon choixá
J.J.Roullean, dans le Contrut focial , a
décidé aveconne brieveré tranchance , que
le peuple Anglois étoit eſclave , du moment
où il avoit élu les Membres du Parlement.
Les atguesens par leſquels M. Delolme
réfute sene érange affertion , auront whe
évidence irréfab e, aux yeux de tous deux
mi comme lui , ont va manoeuvrer la
multitude , toujours fans lumières fufli
fantes , fans verfévérance , incapable.dame
réfolution réfléctie , & hors d'état de ré
Mer par elle-même à la ligue plus rnie
plu dairvoyante , des ambitieux qui ont
part à Pastorité. Si le peuple veut le déDE
FRANCE. iss
ود Les
fendre contre eux avec ſuccès , il faut qu'il
adopte leur uniforme , leur phalange ramaffée,
leurs armes , leur tactique , dont
les évolutions ne peuvent être la ſcience
d'un grand aſſemblage d'hommes.
Loix , dit M. Delolme , (eroient mieux
>>faires à coup de dés , que par les fuffrages
▸ d'une multitude ( 1) d. On voit donc com.
hien l'on a abufé , & combien l'on abufe
journellement du mot de liberté, en l'atta
chant à l'exercice des droits nationaux ,
par les voix de la Nation en corps. Celleçi
n'adu pouvoir que pour le donner on
le laiffer prendre : fa faveur aveuglevélève
à une puiſſance indéterminée , des hommes
qui fuiffent par la trahir après avoir feint
de la défendre ,& qui , d'ennemis en chef
de l'ufurpation , deviennent ufurpateurs
eux- mémes. Ainsi les Tribuns de Rome
n'eurent jamais d'autre but ferieux
fuivi , que celui d'élever le Penple, c'eft-
-dire, leurs perſonnes aux dignités , &
de s'allier aux Patriciens. Une fois les fal
milles Flébéïennes admiſes en participa
tion aux honneurs , on ne vit plus à Rome
qu'une tête compofée de tous les' gens ri+
( 1 ) Čette affettion mérite d'être remarquée
fous la plure d'un Ecrivain qui , dans les avantderniers
troubles de Genève , en 1768 , fut an
desMembres les plus accrédités & les plus éclairés
du parti populaire. Cependant la conduite de ce
parti , à cette époque , fut bion lo'n de justifier
Fanatheme trop général jété ici fur la mültitude."
G6
56 MERCURE
ches & accrédités , & une multitude appativrie
, avec laquelle on ne garda plus
de meſure.
Mais le Peuple , en ſe donnant des
Repréſentans , retireroit peu d'avantage de
cette faculté , s'il ne leur conféroit en même
temps toute fon autorité législative. Il ne
doit les contrarier , ni par ſon intervention
peu éclairée , ni les enchaîner par d'imparfaites
inſtructions , ni vouloir guider ,
avec la vue trouble , des gardiens dont
l'ordre conſtitutif garantit la fidélité. Ces
Repréfentans perdroient bientôt leur poids ,
A celui du Peuple venoit à ſe jeter dans le
balance , à l'inſtant où l'on y pèſe ſes intérêts
avec maturité.
Quelle fera donc ſa véritable garantie
contre les dépositaires de fon pouvoir ? La
Conftitution lui en a donné de très-efficaces.
En dépouillant le Parlement de toute
part au pouvoir exécutif, elle lui ête d'avance
le fruik des infractions qu'il pourroit
ſe permettre aux droits de ſes Commertans;
ce n'eſt pas lui , c'eſt l'Administration
qui profiteroit de fon délire : par la même
raiſon , il ne peut s'exempter du joug des
Loix, dontl'exécution eſt confiée àlaCousonne
,& celle-ci a été munie de toute la
force néceſſaire pour enlever au Parlement
juſqu'à l'eſpoir d'envahir cette autorité exé
cutive. Dans cet ordre de choſes , les deux
Chambres favent très-bien , que lorſqu'elles
auroient trahi la confiance du Peuple ,
DE FRANCE. 157
& rendu le Roi indépendant , le trône les
écraferoit elles-mémes, les diffoudroit , les
rejetteroit comme des inftrumens déſormais
inutiles.
Suppoſons , néanmoins , cette aveugle
corruption des Repréſentans du Peuple ;
admettons qu'ils conniveront aux torts du
Gouverrement , ou qu'ils s'endormitont
avec indifférence ſur ſes entrepriſes . Comme
le mal dérive , non d'un vice de la Conftitution
, mais des ſentimens particuliers
d'un certain nombre de perſonnes , les
exclure du Parlement , c'eſt porter le remède
à la racine. Ainſi le droit d'élection
qu'exerce le Peuple tous les ſept ans , lui
permet de retirer ou de prolonger ſa confiance
à ſes Repréſentans , fuivant la conduite
qu'ils auront tenue. Ce n'eſt pas tour.
Dans la plupart des Républiques , & dans
tous les grands Etats , la Nation eft expoſée
à mille mépriſes dans le jugement qu'elle
forme fur les perſonnes. Trop éloignée
des flambeaux , elle difcerne avec confuſion,
ſe laiſſe égarer par des preſtiges , &
méconnoît le plus ſouvent la véritable valeur
des hommes publics. En Angleterre ,
on a allumé un fanal , à la lucur duquel
Jes Electeurs des Communes peuvent lire
leur choix ; ce final eſt la liberté de la
preffe. Les Anglois ne l'ont pas réelamée
pour l'avantage des Aureurs , pour
donner à chaque étourdi le droit de publier
ſes légèretés , & à tout méchant
158 MERCURE
celui d'exercer ſes haines impunément ; ils
y ont vu le ciment de leur liberté politique
, & un appui indiſpenſable de leur
Conftitution . Tous les Actes du Gouvernement
, toutes les délibérations parlementaires
, étant journellement rendus publics ,
diſperſés dans tout le royaume par une
multitude de Gazettes , commentés , attaqués
, défendus , il réſulte de cette trituration
de l'opinion publique , une connoillance
des faits, des chofes , & des
perfonnes , contre laquelle l'impudence ,
on la ſervilité des plumes vénales , ne
peuvent prévaloir. Par ce moyen de communication
, le Peuple fait quels avis ont
été ouverts , par qui ils l'ont été , qui
les a foutenus , les raiſons alléguées , &
le nom des Votrans aux fuffrages deſquels
il doit attribuer des meſures pernicieuſes.
A chaque élection générale , ou dans les
vacances de fiége , alfez fréquentes , il ne
peut donc lui manquer que la volonté de
purifier l'Affemblée des Communes , fuivant
les lumières qu'il a acquiſes. La liberté
de la preſſe lui défère enſuite le pouvoir
eenſorial. Les actions , les avis , les abus
les projets même , font expofés , examinés ,
jugés par ſon Tribunal. Plus rarement ,
infiniment plus rarement qu'ailleurs , le
menfonge & la déraiſon y font écoutés.
Rien n'égale le mépris des Anglois pour
les vils excès de la facire , la flétriffure
immédiate qui s'attache au calomniateur ,
DE FRANCE. درو
la réprobation éclairée qui punit les opinions
dangereuſes.Onpeut comparer cette
liberté d'écrire en Angleterre , à la lance
d'Achille ; elle guérit les bleſſures qu'elle a
faites. Par le principe général des Loix An
gloifes , tout ce qui n'eſt pas défendu étant
permis, elles confidèrent l'uſage de la preſſe
comme celui d'un couteau qui fert à des
emplois utiles ou innocens. Devient - il
l'arme d'un affaflin , la Juſtice poursuit le
meurtre. Ainfi tout Ecrivain Anglois eft
für de fon- indépendance , & ne l'eſt pas
de l'impunité : il eſt libre d'imprimer tout
sil imprime un Libelle , il en répond ,
comme de tout autre délit , par- devant des
Juges neutres ; ſavoir , le Tribunal de ſes
Pairs.
Mais cette Conſtitution , dont nous venons
d'eſquiſſer quelques linéamens , correſpond
elle dans fes effets avec la théorie ?
•Ma réponſe , dit M. Delolme , eſt toute
> trouvée; ce fera celle que faiſoit un Lace-
» démonien : Venez & voyez ". L'Hiftoire
d'Angleterre & l'expérience lui fervent à décider
affirmativement ce problême, traité en
plufieurs Chapitres. Pluſieurs confidérations
nous interdiſent l'examen de cette diſcuffion
, qui nous mèneroit à celle de la plupart
des objections journalières qu'on répère
à la légère ſur la parole de quelques
Voyageurs inconfidérés.
Les Annales des Républiques , difons
même de tous les Etats, nous offrent une
;
1600 MERCURE
multitude de troubles inutiles , de guerres
civiles fans effets , de convulfions populaires
, calmées par des accords entre
les partis qui diviſoient l'Etat , ſans que
le Peuple en tirat aucun avantage. Sans
doute Machiavel avoit ces faits ſous les
yeux , lorſqu'il a dit : Il Popolo ſempre
perdè nelle rivoltè. Mais l'Angleterre nous
préſente conſtamment le réſultat oppoſé ,
c'est-à dire , des révolutions dont tous les
Ordres du Peuple ont réellement & également
profité. Ce phénomène a certainement
la cauſe , dans l'impoſſibilité où ſe
font vus les Repréſentans Nationaux de
s'approprier quelque branche du pouvoir
exécutif , & de ſéparer ainſi leur condition
de celle de la multitude.
Cette impuiſſance à ufurper eſt tellement
commune à chacune des trois parties de la
Légiflature , qu'il ſeroit , je crois , très-difficile
de citer l'avantage que l'une peut
avoir pris fur l'autre depuis un fiècle. Sans
doute leur équilibre parfait eſt idéal ; mais
qu'on examine ces ofcillations inévitables ,
Iles reſſemblentà celles d'un pendule bien
réglé , dont l'aiguille marque Theure juſte.
La fûreté parfaite du Citoyen , l'impartialité
rigoureuſe, les précautions , la légalité
imperturbables de l'adminiſtration de la juftice;
l'eſprit commun qui anime des hommes
maîtres de s'aſſembler & de délibérer
entre eux ſur la choſe publique , quand il
leur plaît ; la ſécurité de chacun dans l'exer
DE FRANCE. 161
cice de ſes droits , dont la réclamation n'eſt
génée par d'autres limites que celles même
du droit naturel ( 1 ), font les preuves de
fait, comme les remparts ſubſidiaires de la
liberté politique en Angleterre.
Sans doute cette fabrique fingulière offre
àl'oeil quelques défectuoſités. En ſuivant
la logique conftante des déclamateurs , on
conclueroit de quelques abus , que la Conftikution
entière eſt violée , qu'imparfaite en
quelques points , elle est déreſtable en tous,
&de l'inefficacité de quelques refſſorts ſecondaires,
on induiroit la nulliré des effets
conftans qu'on lui attribue. Cette manière
de raiſonner diftingue éminemment la claſſe
des Politiques atrabilaires & criards , qui
poffedent dans leur fiel la perfection de
toutes choſes. Voient - ils quelques gouttières
dans les greniers ? ils exhortent éloquemment
le Propriétaire à abattre ſa
maiſon. Rien , ou le mieux poſſible, voilà
leur deviſe; & c'eſt en réuniſlant dans leurs
projets tous les impoſſibles imaginables ,
qu'ils préconifent ce bel axiome. Ne croyez
pas que l'influence irréſiſtible de l'état fo-
(1) Quand leurs droits font attaqués ou violés ,
Jes ſujets Anglois font entitrés, >> d'abord à recou-
১১ rir à la Justice dans les Tribunaux de la Loi ,
> enfuite au droitde préſenter des pétitions au Roi
»& au Parlement, & enfin au droit d'avoir &
- d'employer des armes pour leur défenſe «.
Blackstone , Comor . Liv. 1 , Ch. I.
162 MERCURE
1
cial fur les inftitutions politiques , que les
patlions de lhomme, ſes habitudes , & la
multitude des cauſes morales qui gouvernent
le monde , en impoſent à ces Légiflateurs
inſpirés. Tout ce qui exiſte doit
s'évanouir devant leurs lumières , comme
le brouillard à l'approche du Soleil. En
partant de cette hauteur , ces grands génies
renverſent en deux phrases la Conftitution
Britannique : >>Le Peuple , difent-ils , vend
fon fuffrage dans l'électionde ſes Repréfentans
; ceux-ci vendent leur fuffrage à
la couronne : donc la Couronne eſt maîtreffe
de la Nation «.
ود
"
La conféquence eſt auſſi vraie que les
prémiſſes . Et d'abord , fi l'on trafique aujourd'hui
du droit d'élection , réſervé aux
ſeuls Citoyens des campagnes &des villes,
poffeffeurs d'un revenu libre , quel feroit
donc ce défordre, ſi, d'après l'avis des mêmes
Docteurs , on conferoit à ces Citoyens
l'exercice même des pouvoirs adjugés à leurs
Repréſentans , ou fi l'on déléguoit à la
multitude entière & indigente la faculté de
les nommer ?-Pour avoir des Electeurs indé
pendans , l'Angleterre a confulté, non pas
le nombre , mais le droit à une propriété
libre: tel eſt le principe fondamental de In
Conftiturion , il en eſt lá ſauve-garde. On
n'attend pas cependant que tous les Anglois,
jouiffant de 40 ſchellings de revenu,
foient autant de Citoyens incorruptibles : -
un Gouvernement fondé fur la probabilité
1
DE FRANCE. 163
d'un pareil miracle , ſeroit afſurément bien
enfantin. Qu'exige donc la fûreté des droits
nationaux? que dans tous les cas où ils
paroîtreient en danger , lorſque les démarches
des Miniſtres & la connivence d'une
majorité dans la Chambre des Communes ,
menaceroient la cauſe publique , la plutalité
des Electeurs lui reſte fidèle , que les
motifs. particuliers diſparoiffent , & que
des ſentimens patriotiques deviennent le
feul titre à l'élection . Ainſi ſe formèrent les
Parlemens ſous Charles I, ſous Charles II ,
qui eut beau diſſoudre trois fois confécutives
cetteAffemblée,& qui y retrouva toujours
les mêmes hommes, ſous Jacques II,
& dans toutes les occaſions importantes ,
notamment dans la dernière élection générale
de 1784 (1) .
Placez ſous vos yeux l'Histoire du Parlement
depuis un ſiècle & demi , & ne
craignez pas davantage que l'ambition des
places, l'influence néceſſaire de la Couronne
, & ce qu'on appelle très légèrement
la corruption , déterminent la majorité des
Communes à des ſacrifices du bien général ,
ni àlivrer la citadelle des Loix , dont la défenſe
fait leur gloire & leur fûreté. La corruption
la plus fâcheuſe , & celle dont on
parle le moins , confifte dans le joug de
l'eſprit de parti. C'eſt un mal que, conful-
(1 ) Le Parlement , en ce moment, offre une
nouvelle preuve de cette vérité.
164 MERCURE
tant l'uniforme de ſes Chefs , non fa comfcience
& la vérité , un Membre des Communes
vote contre le Miniſtre quand il a
raifon ou en ſa faveur quand il a tort :
mais cette prévarication a des effets limités ,
& combien de fois n'avons-nous pas vu la
pluralité recouvrer ſon indépendance , &
ſe rallier aux motions d'un intérêt vraiment
général ? A; on ons , pour terminer , qu'en
a tribuant excluſivement àla propriété territoriale
la faculté de compofer la Chambre
des Communes , la Conſtitution a affermi
les racines de ſa ſtabilité , la permanence
de l'eſprit public, & le degré de
vertu néceflaire à ſa confervation. Elle s'eft
gardée de confondre la Nation avec les
Bourgeois de ſes Cités : c'eſt hors de l'Ariftocratie
mercantille&municipale des villes,
qu'elle a cherché des gardiens incorruptibles
de la Légiflation. Les Repréſentansdes
Comtés font tous de riches ou d'aifés Propriétaires
de terres , habitant leurs terres
l'année entière , ſauf la durée de la feffion
du Parlement, élus par des Campagnards ( 1) ,
qui , chaque jour , les ont fous leurs yeux' ;
indépendans par la ſolidité de leurs fortunes
, n'ayant rien à convoiter , & ne convoitant
rien que le reſpect & la recon-
(1) Tout Tenancier , poflédant un fonds libre
(Frecholi)de 40 ſchellings de revenu , eſt Elceteur
de droit dans le Comté. Tout Fermier qui tient
un bail à vie , & à plus forte raiſon un bail centenaire
, vote aux élections .
DE FRANCE. 165
neillance de leurs Conſtituans. Là ſe trouvent
les véritables Patriotes , plus gauches ,
il eft vrai, & moins beaux parleurs que
les Citadins , mais à l'abri de toute féduc.
tion , & nommés par les ſots , gens à préjuges.
En vertu du même principe , la Loi
ainterdit la repréſentation d'aucune Ville
ou Bourg , à tout Citoyen qui ne jouiroit
pas de 500 liv. fterl. de revenu territorial,
Cette exception , je le ſais , fouffre quelquefois
des atteintes ; c'eſt un abus ſérieux
fur lequel le Parlement ni la Couronne ne
devroient pas s'endormir. Si jamais l'on
reprend l'examen d'une réforme de la repreſentation
aux Communes , on évitera ,
fans doute , de céder aux clameurs de quelques
villes opulentes , fières de leur nombre,
& qui ſeules , à les entendre , devroient
former leParlement; l'on augmentera , fuivant
l'idée profonde de M. Pitt , le nombre
des Repréſentans des Comtés,
Nous avons développé l'objet, le plan, les
opinions de l'Ouvrage de M. Delolme : laiffons-
enlejugement à ceux qui le méditerort .
Dire qu'il nous paroît le meilleur Cours du
Droit politique des Etats libres, infiniment
ſupérieur au ſyſtématique, & ſouvent trop
chimérique Contrat focial de J. J. Routſeau;
que toutes les questions y font analyſées,
rapprochées, fonducs enſemble dans
des réſultars clairs , avec une juſteſſe rare ;
quele ſtyle en eſt incorrect & trop diffus ;
que l'Auteur perd quelquefois de vue la
)
:
66 MERCURE
méthode qu'il embraſſe en débutant , nous
n'exprimerions que notre ſentiment particulier
, dont le Public n'a aucun beſoin.
M. Delolme compte en ſa faveur des autorités
plus impoſantes , celle , entre autres ,
de M. John Adams , ancien Miniſtre des
Etats - Unis à Londres. Ce célèbre Américain
a conſacré trois Volumes à prouver la
juſteſſe des principes de M. Delolme , &
l'excellence de ceux de la Conſtitution Angloiſe.
Ce n'eſt pas une moindre fingularité
que d'ouïr cette apologie dans la bouche
d'un des Auteurs les plus éclairés de la dernière
Révolution de l'Amérique .
Un des meilleurs fruits de cette lecture
pour les Etrangers , eſt de ſe convaincre profondément
de l'inutilité des efforts d'imiration
. La pofition phyfique des Anglois ,
&mille caufes locales , maintiennent leur
Gouvernement. Il est compofé , comme on
l'a vu , de tant de poids & de poulies , qu'il
faudroit le tranſplanter dans tous ſes détails,
fil'on ne vouloit s'expoſer à la tentative la
plus dangereuſe. C'eſt l'ouvrage de fix fiècles.
Calculez maintenant le jugement des
eſprits vaftes , qui , dans un an, à leur avis,
conftitueroient en Ruſſie le régime de l'Angleterre
: que ne propoſent-ils aufli , pour
abolir la traite des Negres , de planter des
cannes à ſucre en Sibérie ?
( Eet Article eft de M. Mallet du Pan. )
DE FRANCE.
167
ALMANACH Littéraire , ou Etrennes
d'Apollon , pour l'année 1789 ; par M.
D'AQUIN DE CHATEAU- LYON. A Paris,
chez la veuve Duchesne , Libr. rue St-
Jacques ; & Defer de Maiſonneuve , rue
du Foin. Prix , 1 liv . 16f.
CES Etrennes ont joui juſqu'ici d'un ſuecès
foutenu , & les nouveaux foins qu'on
vient d'apporter , tant à la partie typographique,
qu'aux choix des morceaux qui les
compofent , ne peuvent qu'y ajouter encore.
On y a joint pour frontiſpice une
Eltampe gravée par de Ghendt , ſur le
dedin de M. Marillier. Elle eſt digne du
Crayon de l'un & du Burin de l'autre . Le
ſujet en eſt tiré d'un Sonnet italien , tradait
par Mr. Marmontel , qui eſt en
tête du Volume , & qui a pour titre : La
Virginité. Ony trouve de jolies Pièces en
vers , en proſe, des faillies , de la gaîté ,
de la morale , un peu de tout. Nous allons
citer quelques morceaux pris au hafard. Ils
donneront une idée du reſte.
ANECDOTES & BONS MOTS. Une mère
& fon fils paſſoient un Acte chez un
Notaire , & dans cet Acte il falloit que
leur âge fût énoncé. Le fils avoit accuſé
168 MERCURE
:
- »Ma
vingt-quatre ans. Vint le tour de la mère
qui en accufa auili vingt,quatre.
» mère , dires vingt cinq & pour cauſe
ود
-
,
dit tout bas le jeune homme. Pourquoi ,
>>reprit celle- ci avec impatience ?- Parce
» que j'ai dit vingt- quatre , & que vous
» êtes ma mère « . Un galant hemme
s'étoit fait un principe de ne jamais avouer
les défauts de ſes amis : on lui en demanda
la raiſon; il répondit: " Si j'avouois que mon
>>>ami eſt borgne, on le croiroit aveugle " . -
Le célèbre Médecin Chirac entendoit parler
du Lazare reſſuſcité , & il difoit tout
bas d'un air fournois : » S'il étoit mort de
>> ma façon ! «-Un faiſeur de fatires imprima
, il y a quelque temps , dans un
Journal très-répandu , une Diatribe au bas
de laquelle il avoit mis fon nom, & qui
finiſſoit par ce vers :
Je vois les fots qui ne ceſſent d'écrire.
د
Un Plaifant , après l'avoir lue , prit une
plume , & il écrivit au deflous : Habemus
confitentem reum.- Le père de l'Auteur du
Voyageur fentimental écrivoit à un ami
en lui en adreſſant un exemplaire : .. Si vous
• ne trouvez pas cet Ouvrage charmant ,
>>dires que je fuis un fot. L'ami ajouta :
» Ou un père ",
VERS, Les noms MM. Marmontel , Blin
de Sainmore , de Ximenez , Le Mierre ,
Vigée ,
2
DE FRANCE. 169
Vigée, de Fulvy , de Saint-Peravý , Sabatier
de Cavaillon , Bret , Leonard , Maréchal
, &c. parmi les vivans : ceux de Thomas
, de Dorat , de Voltaire parmi les morts ,
fuffiſent pour donner une idée avantageuſe
de la plupart des morceaux de Poéfiequi
ſe trouvent dans cette collection. Il nous
eft impoſſible de les faire connoître , parce
que les citations étendroient beaucoup trop
cet article. Nous engageons nos Lecteurs
ày faire attention. Nous leur recommandons
ſur-tout une Epître de M. Bret au dixneuvième
ſiècle; elle pourroit être plus ferrée
, mais la morale en eſt ſaine & piquante.
L'Editeur a donné , dans ſes Etrennes
de l'année dernière , quelques Pièces
fugitives de Boudier , & il en a promis.
la ſuite pour cette année; il a tenu parole.
Huit petites pièces de cet Ecrivain
ſe font lire avec plaifir. Nous y avons diltingué
l'Epigramme ſuivante, dont la tournure
eſt originale.
Oh! le beau Médecin que ce Chriftophe Ozanne !
Parlez-lui de vos maux , il n'en peut difcourir.
Eſt-il paſſé Docteur ? porte-t-il la foutane ?
C'eſt un manantgroſſier qui ne fait que guérir.
Ayec unpeu de poudre , ou d'herbe , ou de racine
Sans latin&fans art , mais plein d'entendement ,
Ce ruftique Efculape , inſtruit divinement ,
Nousguérit de tous maux & de la Médecine.
Nº. 4. 24 Jany. 1789. H
176
MERCURE T
Nous citerons encore une maxime en vers
par M. le Comte de S. On y trouvera de
la juſteſſe & de la préciſion,
Mourant de faim , un Pauvre ſe plaignoit.
Raflafić de tour , un Riche s'ennuyoit,
Qui des deux fouffroit davantage ?
Ecoutez fur ceci la maxime du Sage ;
১৯
De la douleur & de l'ennui
Connoiffez-bien la différence ;
> L'ennui ne laiſſe plus de déſirs après lui
>>Mais la douleur , près d'elle , a toujours l'eſpérance
,
VARIÉTÉS , Nous comprenons fous ce
titre les traits de grandeur d'ame , de
bienfaifance , de courage , les Anecdotes
hiſtoriques , les Faits memorables , les Obfervations
littéraires , morales & philofophiques
, & autres morceaux qui font épars
dans ce volume. Ils ne ſont pas tous neufs ;
quelques uns font extraits d'Ouvrages con
nus , d'autres ont été irférés dans les Journaux
; mais on aime à les voir réunis ici
comme en un faisceau ; c'eſt un ſervice que
rend l'Editeur aux perſonnes qui ne peuvent
pas tout lire , ou qui ne peuvent pas
ſe faire d'immenfes Bibliothèques.
Ces Etrennes font terminées par une Notice
des principaux Ouvrages mis au jour
en 1788. Cette Notice eft précédée d'un
-
DE FRANCE. for
Extrait du célèbre Bayle , Nouvelles de la
République des Lettres (Janv. 1684), qui lui
fertd'avant propos. Le voici...Ces Ecrits inju
• rieux & perfonnels, qui dégénèrent enfin
» en fatirés violentes , dégoûtent du premier
coup. Le Public ſe divertit à cela ;
* mais iln'en mépriſe pas moins ceux qui
>>lui procurent ce régal. Il en va comme
• des combatsdes Gladiateurs. On s'y plai-
>> ſoit infiniment ; mais on ne laiſſoit pas
» de regarder les combattans comme des
» ames de boue , & comme des vils ef-
" claves. On me fait des reproches tous
• les jours de ce que je loue trop , & que
"jene marque pas allez ſi un livre est bon
* ou méchant ; mais ce dernier reproche
-ne me fera point changer de conduite.
» Ce n'eft point à un Particulier à ſe revêtir
d'une relle autorité " . En nous at
tachant à ce dernier mot, nous devons dire
que M. d'Aquin ne pouvoit pas en choiir'une
plus refpectable , pour répondre au
reproche qu'on lui à ſouvent fait d'être
avate de critique dans ſes Notices : mais
quand il n'auroit pas à s'appuyer fur un
homme auſſi recommandable que Bayle , il
pourroitencore s'entenir au parti qu'il a pris
depuis long-temps. Sa Notice n'a d'autre bur
quecelui de donnerune idée des Ouvrages
lesplus remarquables , & l'on peut faire une
bonneNotice, ſans le ſecours d'aucune réflexion
maligne : d'ailleurs , on afflige déjà
affez les Aureurs par mois par quinzaine
H
2
¥74
MERCURE
1
par ſemaine , ou par jour , pour qu'il devienne
inutile de les affliger à l'année. Quoi
qu'il en ſoit , ſi les Extraits de M. d'Aquin
ne fatisfont pas les eſprits méchans , ils fatisferont
les eſpritsjuſtes. Ils sont faits avec
foin, & quand les Ouvrages préſentent des
Faits curieux , des Anecdotes originales des
Remarques piquantes , des Découvertes ou
des Obſervations nouvelles , tout cela,y eft.
préſenté tour à tour d'une manière rapide
& avec le ſtyle qui convient. Dans la Noz
tice de cette année, nous avons été ſurpris
de ne point trouver quelques Ouvrages
qui méritoient qu'on ne les oubliat point,
Nous indiquerons ſeulement à M. d'Aquin
un Choix de Fabliaux mis en vers , qui a
paru en deux Volumes au commencement
de l'année 1788 , & dont tout le monde
a reconnu l'Auteur ( M. Imbert ) , quoi
qu'il n'ait point mis ſon nom à cette Production
, fruit très - gai des triſtes loiſirs
que lui a laiffés une maladie de plus de
fix mois ? Nous invitons M. d'Aquin à ré
parer cette omiflion l'année prochaine . Les
choſes faites pour plaire arrivent toujours
temps.
Nous terminerons cet article par la citation
d'un Portrait qui nous a paru mériter
une diſtinction particulière. Glycère
u eſt l'objet de l'empreſſement de la plus
brillante jeuneſſe. Parleton d'une jolie
femme c'eſt elle qu'on met en avant!
• Un ſouper eftil annonce ? on préviene
DEFRANCE. 473
qu'elle en fera. Un jeune homme débute-
> t-il dans le monde avec de grands avan
tages ? c'eſt vers Glycère qu'il dirige en
>>ſecret ſes voeux. Eſt-il queſtion d'un bal ,
• d'une chaſſe brillante , d'un déjcûné , d'un
>>thé ? Glycère eſt invitée huit jours à l'a
>>vance. Que dis-je ? ces différentes par
> ties ne ſont arrangées que pour elle.
» Quelle-eſt cette femme que vous voyez
■ à Vincennes , à cheval , entourée d'An-
> glois ou de François courbés à l'Angloiſe
>>fur leurs chevaux , & d'une multitude de
> Jockeis ? C'eſt Glycere. Quelle eſt celle
» que vous voyez aux Champs-Elyſfées dans
> une voiture fi élégante , que l'élite de la
>jeuneffe accompagne , dont chacun s'em-
> preiſe & s'honore d'être apperçu ? C'eſt
>. encore Glycère. Des vers charmans font
adreífés à une femme c'eſt à Glycère
>> que l'Auteur rendhommage. Vous n'avez
pas vu cette femme ſi célèbre ; vous
croyez que les charmes furpaffent ceux
de toutes les femmes que vous connoif
ſez. Vous la rencontrez enfin. Elle n'eſt
> point belle : on peut lui conteſter d'être
>>jolie; elle n'eſt plus jeune , elle atteint
> ſon ſeptième luſtre. Sa taille élevée n'a
> rien de remarquable , elle a même des
>> défauts. Son eſprit eſt médiocre. Glycère
>> a voulu être belle, jolie , cirée , célé-
>> brée. Sa parure eſt élégante , recherchée.
> Elle entretient les eſpérances , fait des
>> agaceries , attire les défirs. Glycère s'eſt
اد
H3
374 MERCURE
>> fait jolie femme il y a vingt ans, fans
>> beauté , comme on fe couftitue homme
>> d'eſprit ſans eſprit , avec un peu d'art&
>>beaucoup de hardieffe ". Ce Portrait, qui
peut reflembler à plus d'un modèle , donfervera
ſa reſſemblance tant qu'il ne faudra
que des prôneurs & des accidens pour faire
les réputations des femmes , & tant qu'il y
aura des femmes capables de tout braver ;
pourvu qu'elles aient ce qu'on appelle de la
réputation.
TRAITÉ des Bandages Herniaires , par
M. JUVILLE , Chirurgien Herniaire. A
Paris, chez Belin, Libraire , rue Saint-
Jacques; Hardouin & Gartey , au Palais-
Royal ; & chez l'Auteur , rue des vieux
Augustins , No. 15. 1 Vol. in-12.

LES Hernies ont mérité de tous temps
que les plus habiles Chirurgiens y fiffent
une attentionparticulière. Cette maladie eſt
malheureuſement trop commune , puiſque
dans le Nord elle afflige environ le trentième
des hommes, en Italie & en Eſpagne
le quinzième , & le vingtième en France;
mais parmi les moyens d'y remédier , pour
quelques ſecours que la Mécanique a henreuſement
découverts , il en est un grand
nombre qui font infideles ou imaginaires.
M. Juville regarde les opérations chirurgi
cales , l'application des caustiques les
DE FRANCE.
175
eaux, les potions , comme des remèdes infuffifins
& le plus ſouvent dangereux. Le
ſecours des Bandages lui paroît le ſeul dans
lequel on puiſſe raisonnablement placer ſa
confiance. L'Ouvrage que nous annonçons
eſt le fruit de ſes veilles & de ſon expétience;
il s'eſt occupé , pendant quarante
ans , de la perfection de ces machines. Il
préſente aux gens de l'Art le réſultat de
Les réflexions & de ſes travaux , dans l'unique
défir de rapprocher de ſa perfection
une connoiſſance utile &néceſſaire à
l'humanité , perfection dont il avoue , avec
regret , qu'elle eſt malheureuſement trèséloignée.
Il ne ſe diffimule pas que jufqu'ici
la cabale , l'intrigue , l'ignorance ſe
font oppoſées aux progrès de l'Art Herniaire
, & que les anciens préjugés continuent
de préſiderà ſes opérations d'une manière
ſouvent effrayante& déſaſtreuſe ; que
la prévention peut s'oppoſer aux progrès
des découvertes nouvelles & utiles , & il
en conclut qu'il faut multiplier les efforts
& les recherches , pour éclairer cette
blanche de la Chirurgie, qui eft , pour
ainti dire, encore au berceau , tandis que
les autres font au plus haut degré. La
lecture de cet. Ouvrage ne peut qu'inſpirer
une grande confiance dans les procédés de
M. Juville. Les découvertes , les idées ,
Les ſyſtêmes des Chirurgiens Herniaires qui
ont eu & mérité le plus de réputation ,
y ſont développés & examinés dans un
H4
176 MERCURE
Précis hiſtorique ſur les Bandages , écrit
d'une manière rapide & claire : ce Précis
eſt ſuivi d'une deſcription exacte de tous
les inſtrumens propres à la guérifon ou au
foulagement des Hernies. Parmi ces inftrumens
, on en trouve quelques-uns qui font
de la compoſition de M. Juville , qui , pour
nous ſervir des termes employés par l'Académie
des Sciences , annoncent , dans ſon
Auteur , du génie & de l'invention. Quatorze
Planches , très bien gravées en couleur
, repréfentent ces inſtrumens juſques
dans leurs moindres ſinuoſités , & ajoutent
au mérite & à l'intelligence de l'Ouvrage ,
qui prouve également les connoiffances
profondes de M. Juville dans l'Art Herniaire
, & fon amour pour l'humanité.
1
SIX Semaines de la vie du Chevalier de
Faublas , pour fervir de fuite à la Ire.
Année. 2 Vol. in- 12. A Londres ; & fe
trouve à Paris , chez Bailly , Libr. rue
S. Honoré ; & chez les Marthands de
Nouveautés.
Nous avons annoncé dans ſa nouveauté ,
avec des éloges qui ont été juſtifiés par
le ſuccès , la première Annéedu Chevalier
de Faublas. On y a trouvé de l'eſprit , de
4.
DE FRANCE. 177
nous
l'imagination , la connoiffance du coeur
humain , & de l'élégance dans le ſtyle. Les
Six Semaines qui en font la ſuite
paroiffent mériter les mêmes éloges , &
fourniffent une nouvelle preuve que M.
Louvet de Coupevray peut courir cette car
rière avec distinction..
On avoit obſervé que la première année
de ſon Héros étoit bien remplie : il parole
que depuis il n'a pas été moins occupé
car ſes aventures de fix mois ont ſuffi à
remplir également deux Volumes. Faublas
eft marié; mais il n'en eſt pas plus ſage.
A peine at il donné la main à ſa jeune
maîtreffe , qu'elle lui eſt enlevée. Il gémit
de ſa perte ; il la réclame avec la plus
vive ardeur; mais il lui eſt plus facile de
la pleurer, que de lui être fidèle : il eſt trop
aimable pour ne pas trouver des aventures ,
& trop foible pour y renoncer ; ſes ſens
ſemblent fans ceſſe occupés à confoler fon
coeur , & jamais amant malheureux n'eut
autant de plaiſirs que le Chevalier de Faublas.
Nous renonçons à le ſuivre dans ſes
rapides & nombreuſes conquêtes ; nous
nous contenterons de citer quelques lignes,
qui donneront une idée du ſtyle piquant
de l'Auteur , & de ſa manière de peindre.
Faublas ayant été inopinément attaqué par
trois inconnus , voici le portrait qu'il eſquiſſe
rapidement de ſes trois adverſaires :
» Celui de mes adverſaires que je regardai
Hs
178 MERCURET
le premier , avoit à peine quatorze ou
quinze ans. Je le reconnus pour un de cesi
petits enfans de jolie figure , un de ces.
Jockeys élégans , qui majestueuſement courbés
ſur le faîte menaçant d'un cabriolet
coloffal , font de gentilles grimaces aux
paſſans que leur Maître éclabouſſe , ou
d'une voix douce ou flûtée crient gare à
ceux qu'il écraſe. Je ne donnai qu'un coup
d'oeil au ſecond ; c'étoit un de ces grands
coquins infolens & liches , que le luxe
enlève à l'agriculture , que nous autres
gens comme il faut , payons pour jouer
aux cartes ou pour dormir ſur des chaiſes
renverſées près des fournaiſes de nos antichambres;
pour jurer, boire & ſe moquer
de nous dans nos offices; pour manger au
cabaret l'argent de Monfieur ; pour cajoler
dans les manſardes les Femmes de chambre
ac Madame. Le troiſième s'attira toute mon
attention ; ſa miſe étoit en même temps
fimple & recherchée , indécente & jolie ;
il avoit dans ſon maintien quelque nobleffe&
beaucoup de graces ; fon air confervoit
quelque choſe d'impoſant juſques
dans ſa frayeur. Je jugeai qu'il étoit le
Maître des deux autres , &c. ".
:
DE FRANCE. 179
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LA carrière dramatique a toujours été
très - épineuſe ; elle finita par devenir inabordable
, fi le Public continue d'être auth
cruel qu'il l'eſt depuis environ trois ans.
Nous ſommes éloignés de vouloir qu'il
porte toujours la patience juſqu'à entendre
un long & triſte Ouvrage depuis le commencement
juſqu'à la fin ; mais nous ne
pouvons que répéter ici ce que nous avons
dit vingt fois : >>Que tout Auteur doit être
entendu pour être jugé , & qu'il eſt impoſſible
de prononcer ſur un Ouvrage avant
d'avoir connu en quoi conſiſte ou peut conſiſter
ſon intérêt ". Les Spectateurs d'aujourd'hui
ne portent pas fi loin la patience; ils
devinent , ils jugent , & ils rejettent. C'eſt
une manière d'agir tout à fait bizarre , qui
ne peut tenir qu'à la Cabale , à une mutinerie
d'Ecoliers , ou à l'eſprit de vertige.
Yat-il du remède à un pareil excès ? oui.
Quand la raiſon ne ſe fait point entendre ,
il faut employer la ſévérité. Il eſt plus im
portant qu'on ne penſe d'empêcher la fer-
H6
189 MERCURE
,
mentation des eſprits dans les Affemblées
'publiques & nombreuſes ; il en pourroit
réſulter de triſtes inconvéniens , auxquels ,
en bonne politique, il eſt prudent de mettre
ordre. C'eſt aux Protecteurs de la tranquillité
générale qu'il convient de réfléchir
ſur cette idée , que l'on pourroit étendre
, mais qu'il ſuffit , ſans doute , d'indiquer
pour en faire ſentir la valeur. Rien de
plus ſcandaleux que la ſcène indécente qui
s'eſt paffée au Theatre François , le Mercredi
7 de ce mois. On avoit annoncé le
PRÉSOMPTUEUX , OU L'HEUREUX IMAGINAIRE
, Comédie nouvelle en cinq Actes
& en vers. Des détails heureux , adroits
brillans , relevés par le jeu de M. Molé ,
avoient fait applaudir la première ſcène ;
tout à coup la chance a tourné ; quelques
longueurs , & des expreffions équivoques
ont excité de fi grands éclats , qu'on pouvoit
à peine entendre quelques vers de
loin en loin. M. Molé a parlé au Public
avec une ſageſſe reſpectueuſe ; il a redoublé
d'efforts & de talens : peine inutile ;
la Pièce a été arrêtée au commencement du
ze. Acte. Dès le premier , il paroifſoit décidé
dans le Parterre , qu'elle n'iroit pas
juſqu'à la fin. Certainement nous ne voulons
pas dire que l'Auteur n'a mérité aucun
des déſagrémens qu'on lui a donnés ;
mais il ne méritoit pas une rigueur autli
barbare ; & les intentions comiques que
nous appercevions quelquefois, nous ont
DE FRANCE. 181
fait regretter de n'avoit pas connu tout fon
Ouvrage. Il doit bientôt paroître une autre
Pièce ſur le même ſujet. L'Auteur de celle-ci,
dont la réputation eſt brillante , & dont le
caractère moral eſt connu , a dû beaucoup
ſouffrir de l'injustice du Public pour fon
rival. Nous ne doutons point qu'il n'eût
mieux aimé lutter contre un corps vigoureux
& plein de vie, que contre un cadavre,&
nous fommes certains que ſon ſuccès
, s'il en a un, comme ſes précédentes-
Productions portent à le croire , fera empoiſonné
parle ſouvenir de la chute de fon
prédéceſſeur.
COMÉDIE ITALIENNE.
:
LE Mercredi, 14 de ce mois, on a repréſenté
pour la première fois , LES DEUX
PETITS SAVOYARDS , Opéra comique
en un acte& en proſe , mêlée d'Ariettes.
Un Particulier,devenu Seigneur de paroiffe,
donne tous les ans à ſes Vaſſaux une foire dans
fon parc. Ily fait tenir une police rigoureuſe,
parceque l'on s'eſt apperçu que tous ceux qui
y étoient admis n'étoient pas de très-bonne
foi . A celle où ſe paſſe l'action que nous
allons rapporter , ſe préſentent deux petits
Savoyards que l'on veut d'abord éconduire ,
184 MERCURE
&contre leſquels le Bailli ſe fâche , mais
que le Seigneur fait reſter. Il les queſtionne ,
&ils l'intéreſſent. Ce qui l'attache ſur tour,
eſt le tendre amour qu'ils montrent pour
leur mère , dont ils ne parlent jamais que
les larmes aux yeux. Sans parens , fans en
fans , fans amis , ce Seigneur cherche depuis
long-temps quelqu'un qu'il puiſſe ai
mer , à qui il puiffe faire part de ſes biens
fans être payé d'ingratitude. Il ſe propoſe
de choiſir les deux petits Savoyards ; mais
il veut les éprouver auparavant. Il leur offre
tour à tour de refter avec lui & de partager
fa fortune; mais chacun d'eux refuſe tour
à tour le bien qu'il ne partageroit pas avec fa
mère & ſous les yeux. Pour porter juſqu'au
bout la feinte , il affecte un grand mécontentement,
& les fait enfermer chacun dans
une chambre ſéparée , pour y faire leurs
réflexions ; mais les deux eſpiègles montentpar
la cheminée , deſcendent de toit en toit ,
ſe retrouvent ,& veulent s'en aller. Pout
cela il faut enfoncer la porte. Ils font furpris
par le Bailli. Pour échapper à tout foupçon
fur leur honnêteté , ils ſe fouillent, &
montrent tout ce qu'ils ont dans leurs poches.
Une boîte de fer-blanc excite la curioſité
du Bailli ; il la prend , il y trouve un
anneau, un cacher ,& un portrait. A la vue
du portrait , il s'écrie , il accuſe. Les enfans
s'effrayent, quoiqu'ils ne ſoient pas coupables
Le Seigneur lui-même eſt la dupe de
Paccuſation, parce que le portrait ſemble lui
:
DE FRANCE. 183
appartenir. Mais on retrouve celui qui lui
appartient, & de-là réfulte une reconneiffance.
Les deux petits Savoyards ſont les
enfans du frère du Seigneur , par conféquent
fes neveux , & de toutes façons il a bien
placé fes bienfairs.
Ce petit Ouvrage, dont il nous eſt impoffible
de faire connoître toutes les fruations ,
a de l'intérêt & de la gaîté. Ces deux ſen,
timens s'y ſuccèdent & s'y oppoſent tour
à tour avec beaucoup d'adreile. Il y a peut
être un peu trop d'eſprit dans quelques
parties desrôles des enfans ; mais ce défaut
eft racheté par beaucoup de grace dans les
idées,& de vérité dans le dialogue. La reconnoiffance
de la fin ne ſe forme pas dans
la manière commune, elle eft amenée par
un mouvementde comique relatif au genre
de l'Ouvrage, &qui n'en eſt pas moins natu
rel. La musiquea le mérite de la Fièce, c'eſt
tout dire. Les rôles des deux Savoyards ſont
joués de la manière la plus piquante par
Madame Saint- Aubin & par Mile. Renaud
cadette. On doit à M. Sollier des éloges
pour ſon jeu intéreſſant , aimable & fenti
dans le rôle du Seigneur. La Pièce ſe termine
par un Vaudeville dont tous les couplets
ont à peu près le même refrain. Voici
ledernier, qui a été redemandé.
Les deux Savoyards : quel ouvrage !
Comment traiter ce ſujet-là ?
184 MERCURE
Meſſieurs , prononcez fur cela ;
Nous attendons votre fuffrage.
Si vous l'accordez , on ſent bien
Que votre indulgence en eſt cauſe :
Voilà pourtant , voilà comme d'un rien
Vous pouvez faire quelque choſe.
1
Le Public a demandé les Auteurs ; un
Comédien eſt venu annoncer que la Pièce
étoit de M. de Marfollier , & la muſique
de M. d'Aleyrac.

1
Ji :
1
१४
ANNONCES ET NOTICES.
ALMANACH Parifien , en faveur des Etrangers
&des Voyageurs ; nouvelle édition , ornée de
jolies Gravures , pour l'année 1789 ; en 2 Parties.
Prix , 3 liv. les 2 Vol. reliés en un ſeul. A Paris ,
chez la veuve Ducheſne & fils , Libr. rue Saint-
Jacques:
2 Cet Almanach , qui a eu du ſuccès , eſt un
guide pour les Etrangers arrivés à Paris. On le
réimprime tous les ans , afin d'y pouvoir faire
mention , à meſure , des Monumens modernes.
1 .
Collection des Mémoires de lHistoire de France ,
Tome XLV . A Paris , rue,& hôtel Serpente .
Ce Volume contient la ſuite des Memoires de
Michel de Castelnau.
DE FRANCE. 185
Vie de M. d'Orléans de la Motte , Evêque
d'Amiens ; par M. l'Abbé Proyart , de pluſieurs
Académies Nationales & Etrangères ; in- 12. A
Paris , chez l'Auteur , rue des Capucins St. Honoré;
la veuve Hériſſant , Imp.Lib. rue Neuve-
Notre-Dame ; Pierre Berton , Lib. rue S. Victor ;
& chez les principaux Libraires de France.
M. l'Abbé Proyarteſt Auteur de plufieurs Ouvrages
édifians , & qui ont eu du ſuccès. Celui-ci,
écrit dans les mêmes principes , n'en aura pas
moins fans doute ; il eſt intéreſſant par ſon objet,
& ſemé d'Anecdotes piquantes.
Plaidoyers littéraires, Panégyriques, & Oraiſons
funèbres; par M. Le Boucq, Doyen de S. André,
aChartres. 2 Vol. in- 12. A Paris , chez P. M.
Nyon le jeune , Lib. Place du Collége Mazarin.
Laplupart des morceaux qui compoſent ces
deux Volumes , avoient joui d'un ſuccès mérité.
On fera bien aiſe de les voir recueillis en ua
corps d'OEuvres ; & nous crayons que cette Col
lection doit être accueillie du Public.
Mémoires de Sir George Wollap , les Voyages
dans les différentes parties du Monde , Aventures
traordinaires qui lui arrivent , Découverte deplufieurs
Contrées inconnues , Deſcription des moeurs
& des Coutumes des Habitans ; par M. L. C. D.
Tomes IV , V & VI. A Londres , chez Thomas
Hookham , Lib.; & fe trouve à Paris , chez la
VeuveDucheſne , Lib. rue S. Jacques.
Nous avons annoncé la première partie de
cat Ouvrage avec des éloges mérités. Il y a de
Vimagination , des idées ingénieuſes ,& on le lit
avec beaucoup d'intérêt. Nous croyons qu'on portera
le même jugement des Volumes que nous
annonçons.
1
186 MERCURE
Almanach des Jeux , ou Académie portative,
contenant les Règles du Reverſis , du Wisk , du
Piquet , du Trictrac , du Wisk Boſtonien , & du
Treffette ; nouvelle édeion , augmentée du Jeth
de Trictrac à écrire , & celui des Echees; par M.
Philider. Prix , 1 liv. 16 f. br. , 2 liv. 10 f relié.
A Paris , chez Fournier , Libs rue Neuve-Notre-
Dame.
Lettres de Milord Walton à Sir Hugh Battle,
fon ami; par Madame la Comteſſe de Malarme ,
de l'Académie des Arcades de Rome. 2 Volumes
in-12, Prix , 3 liv. A Bruxelles ; & ſe trouve à
Paris , chez la veuve Duchefne , Libr. rue Saint-
Jacques.
Milord Walton a épousé une jeure perfonne
qui le rend inalheureux , & qui , livrée à la téduction
d'un faux ami de fon mari , arrive aux
derniers égaremens. Enfermée par ſon époux , elle
s'enfuit aves fon Amant; & libre par un diverse
prononcé par la Loi , elle l'épouse , & paſſe en
France , où ayant vu pendre ſon ſéducteur , elle
tombe dans l'indigence, dans le vice le plus crapuleux
, & meurt des ſuites honteuſes de la débauche.
Milord Walton & fon ami Battle arrivent
tous deux au bonheur par un hymen micux
aflorti.
Le Suborneur de Ladi Walton a une foeur aufli
ſcélérate qu'elle, & qui finit miférablement aufli.
Cesdeuxplats perſonnages inſpirentplutôt le dégoût
que cette terreur que produir l'énergie du crime.
Les épiſodes de ce Roman abforbent le ſujet. En
général , on défiretoit plus d'unité & de plan dans
les Romans de cet Auteur , il y a de l'eſprit & de
L'imagination.
DE FRANCE. 187
1
L'Ami des Etrangers qui voyagent en Angle--
terre, par M'Dutems , de la Société Royale de
Londres , & de l'Académie des Infcriptions &
Belles-Lettres de Paris. A Londres ; & fe trouve
àParis, chez le Gras , Lib. quai de Conti , en
facedu Pont-Neuf; & Delalainjeune, rue Saint-
Jacques.
CetOuvrageeft recommandé par l'Approbation
du Cenſeur , que nous allons rapporter ici :>>Non
> ſeulement il n'offre rien qui puiffe en empêcher
- la publication , mais fait par un homme de
*mérite , & connu par les avantages qu'il a déjà
» procurés aux Voyageurs des principaux Etats de
• l'Europe , je crois qu'il fera accueilli du Public ,
> comme il le mérite «.
Les Méditations de Frédéric , Baron de Trenck ,
dans ſa priſon àMagdebourg , avec un Précis hif
orique de ſes malheurs; traduit de l'Allemand .
in-12. Prix, 1 liv. 16 f. br. , 2 liv. 2 f. franc de
port. A Paris, chez Leroy, Lib. rue S. Jacques.
L'Auteur de cette Brochure nous repréſente le
Baron de Trenck , dans ſa prifon , meditant fur
lesfuneſtes évènemens de ſa vie. Ses Méditations
font précédées d'un Précis hiſtorique de ſes malheurs.
Il y a du talent dans cet Ouvrage ; mais
apris la profonde impreffion que la vie vraie ou
fuppofée de ce célèbre infortuné avoit produite ,
il étoit dificile d'intéreſler fortement en revenans
fur le même ſujer.
1
Hipoire de Simonide & du siècle ois il avécu
avec des éclairciffemens chronologiques , par M.
deBoiffi;nouvelle édition entièrement refondue
& augmentée ; in-12. A Paris , chez Lagrange
Lio, pus SS.p Honoré, vis-à-vis Ic Lycée.
I
188 MERCURE
Théatre à l'uſage des Colléges , des Ecoles
Royales Militaires , & des Penfions particulières.
2Vol. in-12 . A Paris, chez Defer de Maiſonneuve,
Lib. rue du Foin-Saint-Jacques , hôtel de la Reine
Bianche.
Onfent combien les formes dramatiques , adoptées
dans les Colleges , ajoutent aux entraves d'un
Art déjà fi difficile par lui- même. Cette confidération
doit faire juger avec indulgence les Ouvrages
tels que ceux que, nous annonçons au Pu
blic, Au refte deux,Volumes, deſtinés à
l'amuſement & à l'inſtruction de la Jeuneſſe qui
ne vit pas encore dans le Monde, nous paroiffent
semplir le but de l'Auteur.
ces
Singularités historiques , ou Tableau critique des
Moeurs , des Ufages & des Evènemens de d'ifférens
Siècles , contenant ce que Hiftoire de laCapitale
&des autres lieux de 1 Ile de France offre de
plus piquant & de plus fingulier ; pour ſervir de
Luite aux Deſcriptions de Paris & de ſes environs ,
par J. A. D*** in- 16. Prix , Pliv. 16 f. br . , &
2liv. 8 f. rel. ALondres' ; & fe trouve à Paris
chez Lejay, Libr. rue Neuve-des-Petits -Champs ,
près celle de Richelieu.
Nous devons à l'Auteur de cette Brochure plu-
Aeurs Ouvrages curieux , & qui ont eu du ſuccès.
Ce nouvel Ouvrage , qui tuppoſe auffi'des recherches
de la part de fon Auteur , peut prétendre
au même bonheur.
61 13.
elu
NouvelAlphabet fyllabique , ou Méthode pour
apprendre à lire facilement , auquel on a adapté
desElémens de la Langue Françoiſe & de l'Orthographe
, & pluſieurs Fables d'Elope , avec Fig.
pour encourager les enfans à la lecture; in- 11. A
Paris , chez Fournier, Libraire, rueNeuve-Notre
Dame.
1
:
DE FRANCE. 189
:
5.
Réflexionsfur latraite & l'esclavage des Nègres ,
traduites de l'Anglois d'Ottobah Gugoano, Africain,
efclave à la Grenade , & libre en Angleterré.
A Paris , chez Royez , Lib. quai des Auguftins.
Cet Ouvrage prouve par les Livres Saints, que
k vol, l'achat & la vente des hommes , font des
forfaits abominables, Depuis quelque temps , less
Anglois , le Peuple Philanthrope par effence , publient
d'excellens Ouvrages contre l'esclavage
des Nègres . Les plus éloquens font ceux de M.
Schwarts; mais ils ne font qu'égaler les Raynal ,
les Condorcet , & les Mirabeau,
4
(
Principes du Droit"Canonique univerfel , par
M. Lucet , Avocat confultant , Vol. in-4° , chez
Onfroy , Libraire , rue St. Victor , à Paris,
I liv. relié,
Prix
1
22
Cet Ouvrage offre un enſemble extrêmement
intereffant. Ilrenferme , 1º. les Principes fondamentaux
du Droit Canonique univerſel, expoſts
dans le même ordre qu'a fuivi , dans fon grand
Traité, le célèbre Van-Elpen 3: 20% les Loix &
Lages de l'Egliſe de France , que l'on rapproche
du principe général fur chaque objets 3º, la
Jurisprudence des Cours Souveraines du Royaume .
furces Loix&ces Ufages ; 4°. le Recueil Chronologique
des Edits , Déclarations , Lettres-Patentes
&Arrêts du Confeil , intervenus fut les ma
tieres Eccléſiaſtiques , depuis les dernières éditions
de Géricourt & do Lacombe , jusqu'à la fin du
mois d'Avril de cette année ; Recueil qu'ononene
trouve dans aucun autre Ouvrage.
Il étoit difficile de réunir plus de choſes dans
un moindre ſpace & de les expofer dans un
erdre plus méthodique, 1
190
MERCURE
Traité du Droit de Patronage , par M. *** ;
Chanoine de l'Eglife d'Orléans ; in-12. Prix, 31.
relić. A Paris , chez Nyon l'aîné & fils, Libr, rue
du Jardinct.
Correspondance poétique & morale entre deux
célèbres Poëtes. Brochure de 34 pages. A Londres
&àParis, chez Royez ,'Lib: quai des Auguſtins.
16
Elogefunèbre de M. leMaréchal Duc de Biron ,
par M. l'Abbé de Barral , Docteur en Droit ,
Membre de pluſieurs Académies Royales , & premier
Vicaire de Saint- Merry de Paris. Brochure
in-8 ° . de 32 pages. A Paris, chez Defer de Mai-
Lonneuve , Lib , rue du Foin- St-Jacques,
د
Leçons de Geographie ancienne & moderne, & de
Sphère , par demandes & par réponſes ; parM.
l'Abbé Oftervalld 2 Vol. in-8° , Prix , 6 liv . br.
AGenève , chez Franç. Dufart, Imp- Lib.; & à
Paris , chez Poinçot , Lib, rue de la Harpe.
1
Nouvelle Inflitution Nationale , par l'Auteurdes
Vues d'un Solitaire Patriote, Brochure in-12. A
Paris , chez Cloufier , Imp-Lib rue de Sorbonne; "
&veuve Ducheſne , Lib, rue Saint -Jacques ; &
Defer de Maisonneuve , rue du Foin-St-Jacques.
Mémoire adreſſe à un Prélat du ClergédeFrance,
Membre de l'Atiemblée générale de 1788 ; par
un Ami de l'ordre public. Brochure in-8 °. de 144
pages. A Londres ; & ſe trouve à Paris , chez
Cufac, Lib, au Palais-Royal....
De la Littérature des Turcs , par M. l'Abbé
Toderini , traduit de l'Italien en Francois par M.
I'A. de Counrand, Lecteur & Profefleur Royal ; 2
Vol. in-80°. A Paris , chez Poinçot , Lib. rue de
laHarpe , Nº . 135 .
DE FRANCE.
La Galatea , Romanzo Pastorale ; gia tiraso
DalloEspagnuolo de Michele Cervantes dal Signore
Florian; ed ora tradotto in Italiano. In Ginevra,
Nella Stamperia di Bonnant, Brochure in- 12 de
151 pages,
Recueil d'Airs des Opéras Bouffons Italiens des
plus célèbres Auteurs , en Quatuors concertans ,
pour deux Violons , Alto & Violoncelle obligés ;
par M. Gaffeau , Muſicien de la Garde - Suiſſe du
Roi; 2c. fuite, Prix, 6 liv. A Paris , chez Sieber ,
rue Saint Honoré , Nº. 91 ; Baillon , rue du Petit
Repofoir ; Leduc , rue du Roule ; & à Verfailles ,
chez l'Auteur , maiſon de Madame Montigny , aw
coin de la rue S. Pierre, avenue de S. Cloud,
3Trios de M, G, Pleyel, tirés de l'Euvre toe,
pour le Clavecin, par M. J. Hemmeria. Prix , 7 J.
4. Trois autres du même OEuvre , arrangés
parM. Lachnitt. Prix , 7 liv. 64. ; Symphonics
deM. B. Pierlot, pour le Cl. a. V. & Violoncelle,
par M. F. Sehnel, Prix , 9 liv. 3 Sonates pour
Clavecin, Violon ad libitum , par M. Rameau L.
neveu , Organiſte de l'Egliſe de Maron. OEuv. Jer.
Prix, 7 liv. 4 f. = 3 Quatuors de M. J. Pleyel ,
tirés de l'OEuv, délié au Roi de Pruffe , pour le
Clavecin, avec Violon & Baſſe , par M. Lachnitt ,
ze. fuite. Prix , 9 liv , Id. Prix , 9 liv. 4e. fuite
par le même. A Paris , chez Imbault, Marchand
deMufique , rue S. Honoré, entre celledesPoalics
& l'Hôtel d'Aligre, au Mont d'or , Nº. 627.
Nos. 233 , 234, 235 236 , 237 & 238 du Journal
Ariettes Ital. , dédié à la REINE, contenant une
Scène de Sarti, 3 liv, 12 f,; un Air de Bianchi ;
2 liv, 8 6. Un autre du même , 2 liv. 8 f. Un de
Paifiello , 2 liv. s ſous. Une Scène de Guglielmi ,
1
MERCURE DE FRANCE .
3 liv. 12 f.; & un Air de Bertoni , 2 liv. 8 fous.
Abonnement pour 24 Numéros , 36 & 42 livres .
A Paris, chez M. Bailleux , Md. de Muſique de
la Famille Royale ,' rue St- Honoré , près celle
la Lingerie , à la Règle d'or.
de
N. B. Ce Journal , dont le ſuccès augmente
chaque année, réunit toujours les morceaux les
plus nouveaux & du plus bel effet. Son mérite ſenable
s'accroître en raiſon du goût que l'on prend pour:
la Muſique Italienne ,
Numéros 48 à sa , ou 4e. Année des Feuilles
de Terpsychore , pour la Harpe & Clavecin ; &
Numéros 1 à 3 des mêmes Journaux , se. Année,
Prix chaque No. , I liv. 4 f. Abonnement pour
chaque Journal , 30 liv. francs de port A Paris ,
chez Couſineau père & fils , Luthiers de la Reine ,
rue des Poulies.
TABLE.
LESE's deux Vénus. 145 Traité des Bandages. 174
A Mile. E. D***. 147 Six Semaines . 176
Constitutions de
Charade, Enig. &Logog. 148 Comédie Françoise.
Angleterre. Comédie Italienne.
179
181
250 A
Almanach Littéraire. 167 Annonces & Notices.
184
APPROBATION.
JAt lu par ordre de Mor, le Garde des Sceaux ,
le MERCURE DEFRANCE , pour le Samedi 24
Janvier 1789. Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en
empêcher l'impreſſion . A Paris , le 23 Janvict
1789 : SELIS.
Yous
vres
cde
ente
les
ena
Dour
ilkes
:&
rée.
دمحر
MERCURE
DE FRANCE .
SAMEDI 31 JANVIER 1789 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
-4
-6
34
4
VERSfur lesGrelots qu'on veut attacher aux
Cabriolets, pour ne pas écrafer les paſſans.
CN maudiſſoit ces Chars légers
Qu'un ſeul Courſier guide & promène
Entre le meurtre& les dangers ,
Courant Paris comme une aréne.
Quelque bon Suiſſe eût bêtement
Dit à part foi : >> J'allois trop vite ;
>>>Et bien , allons plus doucement “.
Mais le François , toujours charmant
Atoujours l'art & le mérite
'De ſe corriger galamment.
No. 5. 31 Jany. 1789 . I
194
MERCURE
Déſormais fon heureux génie ,
De Grelotsbien retentiſſans
Orne ces Chars , dont l'harmonie
Avertit de loin les paffans.
Heureux François , dont l'induſtric
Sait embellir même un défaut !
Pour devenir fage , il lui faut
L'emblème encor de la Folie,
ÉPITRE
A M. L. F ... de l'O ... , qui s'est retiré
dans une campagne auprès de Marseille ,
pour y élever quelques jeunes gens.
Our , j'irai les revoir ces retraites tranquilles ,
Afiles du bonheur , ignoré dans les villes ,
Où tu fais inſpirer à des coeurs ingénus
Les goûts fimples & vrais, compagnons des vertus :
Tandis que l'Aquilon détruit les dons de Flore ,
J'irai cueillir les fleurs que ta main fait éclore ,
Apprendre , à ton exemple , à régler mes défirs ,
Et , près d'un Sage heureux , retrouver les plaiſirs .
Au lieu des vains propos de nos Cercles frivoles
De ces difcours brillans , cliquetis de paroles ,
Radotage confus qu'on nomme le bon ton
Inſultant à la fois le goût & la raifon ;
:

2
Compl. Sets
:
1932 DE FRANCE.
45750
195
Emporté près de toi , dans l'ardeur qui m'anime ,
J'entendrai chaque jour ce langage fublime ,
Adoré dans la Grèce , & qui chez les Latins,
Du Cygne de Mantoue éleva les deſtins ,
Dont Voltaire chez nous embellit fon aurore ,
Et qu'aux coeurs attendris Delille parle encore.
Ilme ſemble déjà , dans mes tranſports nouveaux ,
DeNewton & de Locke admirer les travaux :
J'étudie avec l'un la ſcience profonde
Quis'étend juſqu'aux cicux en embraſſant le monde;
Je ſuis l'autre entremblant , quand ſes heureuſes
mains
Vont porter le flambeau dans l'eſprit des humains ;
Et fans ofer courir leur carrière infinie ,
Je meſure de l'oeil les élans du génie .
Bientôt Phébus rappelle un enfant égaré ;
Et prenant tour à tour , d'un bras mal afſuré ,
LaLyre de Chapelle & le Compas d'Euclide ,
Du Palais de Thémis, j'entre au Temple de Gnide.
Ainſi , des faux plaiſirs étouffant le poiſon ,
Je m'avance au bonheur , conduit par la raiſon .
Oh! qu'il eſt doux d'aller dans des plaines fleuries ,
Promener lentement les molles rêveries .
Aux ſouvenirs heureux abandonner ſon coeur ,
Ettrouver le plaiſir caché ſous une fleur !
Tantôt dans une grotte où la ſeule Nature ,
Desplus fimples beautés ordonna la ſtructure ,
Oubliant qui je fus , & cherchant qui je fuis ,
Le Chantre d'Eliza vient charmer mes ennuis.
12
196 MERCURE
Apx fuperbes accens de ſa voix mâle & fière ,
Je vois l'Indien vengé lever ſa tête altière ,
Etdemander à ceux qui l'ont chargé de fers ,
Dequel droit leur tonnerre ébranla l'Univers,
Mais bientôt , rappelant des images chérics ,
Je compare le monde à l'émail des prairies ,
Le Luxe corrupteur & l'Aquilon fougueux ,
Et la ville & les champs ravagés par tous deux,
Cependant, ſous le toit d'un tilleul folitaire ,
Le jeune Hylas ſoupire auprès de ſa Bergère ;
Plus loin , le vieux Colin raſſemble ſes moutons
Et près de moi , Daphnis, par d'antiques chanſons,
Pardes couplets naïfs , enfans de l'Innocence
Raffemble les Bergers qu'il excite à la danſe ,
Et la Ronde légère abat l'émail des fleurs
Que l'amoureuſe Aurore arroſa de ſes pleurs ,
2
Mais tandis qu'égaré dans ces vertes prairies ,
Je compoſe un bouquet des fleurs les plus chéries
▲Phébus , à ſa Soeur , j'offre mes fimples voeux ;
Tandis que quelquefois , d'un effort plus heureux
Mamain, fidelle au Dieu dont la fiamme m'inſpire,
Placeunjafimin jaloux ſur le ſein de Thémire ;
Dieux ! qui fait fuir ainſi ces Bergers agités !
On portent-ils , ô Ciel ! leurs pas précipités.?
Mars, fur ces bords fleuris répand-il ſes alarmes
Où courent ces Soldats ? qui fait briller ces armes ?
Chers& bons Habitans de ces heureux climats
Arrêtez : ces Guerriers ne vous menacent pas ;
C'eſt l'enſeigne des Lis qui flotte fur ces rives ;
Revenez : conſolez vos compagnes plaintives ;
DE FRANCÉ. 197
La foudre de Louis ne gronde dans les airs
Que pour vous protéger & venger l'Univers .
En vain des Léopards la bannière incertaine ,
Répandit dans ces lieux une alarme foudaine.
Des murs de Constantin , la Difcorde en fureur
S'élance, en frémiſſlant, dans ces lieux pleins d'hor
reur ,
Oùdes Peuples jadis la piété faneſte
Voulut aux Immortels offrir le ſang d'Orefte .
De l'Aigle de Moskow , le vol impétueux
Ramène la terreur ſur ces bords malheureux ;
Et le Dnieper tremblant dans ſes grottes profondes,
Voit le fang Othoman rougir encor ſes ondes.
Toi , cependant , placé loin de ces triſtes lieux ,
Cultivant des talens le germe précieux ,
Et formant à l'Etat des Citoyens utiles ,
Tu fixes le bonheur dans ces heureux afiles .
Puiffes-tu , cultivant l'olive de la paix ,
Couvrir tes nourriſſons de fon feuillage épais ;
Et foulant à leurs pieds les paffions des hommes ,
Cacher à leurs regards le déſordre où nous ſommes !
Puffes-tu , conſervant ces arbuſtes divers ,
Défendre leurs ramcaux du fouffle des Hivers ,
Et recueillir en fruits, dans une heureuſe Automne,
Lesboutons& les ficurs que le Printemps leur donne !
(Par M. Efinenard , fils ainé. )
13
198 MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
Le mot de la Charade eft Tapage ; celui
de 1 Enigme eſt Enigme ; celui du Legogriphe
eſt Embryon , où l'on trouve Rome ,
Rime, Moi, Or, Mer, Ombre , Brie, Riom,
Roi , Moire , Bon .
CHARADE .
Ala Ville , comme au Village,
Vous pourrez trouver mon premier :
Que près de fon Amant , une fillette ſage
Se garde bien d'employer mon dernier !
Loin de lui plaire davantage ,
Elle y perdroit encore mon entier.
(Par Mile. Thérèse Vaudray. )
ÉNIGME.
Je ſuis ſouvent en l'air , fans beaucoup m'élever ;
Car n'étant point oiſeau ,je ne fais point voler.
Je travaille beaucoup , & j'offre aux yeux du Sage,
De la marche du Temps , le ſymbole & l'image.
Quand j'aunaſſe du bien , c'eſt à force d'agir ;
Mais on me rend trop lourd pour me trop enrichir.
D'un guide jeune & fùr , la main douce & légère ,
Quelquefois de mon corps conduit le mouvement ;
DE
199
FRANCE.
D'autres fois mon Mentor, p'us vieux & plus ſévère,
Dirige , avec lenteur , ma conduite en tremblant.
Des mortels ili bas l'existence fragile
Netient à chacun d'eux que par un fil léger :
Sur mon deſtin ſouvent je ſuis bien plus tranquille,
Lorſque par pluſieurs filsje ne ſens ſupporter.
(Par M. de Vig... Lieuteriant de V*. )
LOGOGRIPHE.
C''EESSTT en vain qu'un Auteur qui ſe met ſur les
rangs ,
Pour illustrer fon nom, me donne l'existence ;
Eût - il beaucoup d'eſprit , je crois qu'il perd ſon
temps;
Que de mauvais ſuccès prouvent ſon imprudence !
Je ne ſouffre jamais chez moi de contre-fens ;
Pour unvers mal tourné,je n'ai point d'indulgence;
Et fi l'on m'entreprend, malgréde vrais talens ,
Jefais fuccomber ceux qu'au Parnaſſe on encenfe
Parlons de mes fix pieds,&venons à mes fins ;
Cinq renferment d'abord le doux jus des raiſins ;
Ettrois font ce qu'unfourd ne peut jamais entendre..
On me trouve avec deux dans les pieds , dans
les mains;
Et ſi quelques Lecteurs font encore incertains ,
Du très-mauvais côté qu'il craigne de me prendre.
ParM. Prevost de Montigny. )
260 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
r
ZOOLOGIE Univerſelle portative , ou
Hiftoire Naturelle de tous les Quadrupèdes
, Cétacées , Oiseaux & Reptiles
connus ; de tous les Poiſſons , Infectes &
Vers , ou nommés , ou anonymes , mais
indigènes , & d'un très grand nombre de
Poiffons , d'Infectes & de Vers anonymes
& exotiques , jointe à une concordance
des noms qui leur ont été donnés ;
le tout difpoféfelon l'ordre alphabétique,
& rapporté à l'ordre méthodique. Ouvrage
également destiné aux Naturalistes
& aux gens du Monde ; par M. l'Abbé
RAY. A Paris , chez l'Auteur , an
Lycée , près du Palais-Royal ; chez la
veuve Valade , Imp-Lib. rue des Noyers ;
Tilliard fils, Lib. rue de la Harpe ; Belin ,
rue St. Jacques ; Royez , quai des Augustins.
Volume in-4°. de plus de 700
pages. Prix , 15 liv. broché.
BACON vouloit que l'Hiſtoire Naturelle
fût la première connciſſance qu'on donnât
aux enfans , & celle qu'on cultivât le plus
constamment dans tous les âges . C'eſt là ,
dit-il dans ſon ſtyle figuré , le ſein de la Na--
ture , il faut le preſſer ſans ceſſe.
DEFRANCE. 201
Preſque toutes les autres Sciences ne s'étudientque
dans les Livres écrits par les hommes;
elles condamnent à l'inaction & au repos;
l'Hiſtoire de la Nature , pour être bien
lue , exige qu'on porte ſans ceſſe les regards
du Livre fait par le Naturaliſte, ſur le livre
de la Nature même. Les yeux , les mains ,
preſque tout le corps eſt en action dans
cette étude, comme l'eſprit. Utile & convenable
à tous les hommes , elle a encore
un charme & des avantages particuliers pour
chaque claſſe de Lecteurs; le Poëte peut y
puiſer de nouvelles images pour en orner fes
idées ; le Moraliſte,de nouvelles preuves de
cet ordre qui règne dans l'Univers , & qu'il f
cherche à établir dans le coeur humain ; le
Phyficien & le Chimiſte , de nouveaux
corps qu'ils foumettent à leur examen &
à leurs analyſes. Attrayante par ſa faciliré
& la diverſité des objets pour ceux dont
l'eſprit ne veut qu'errer ſur la ſuperficie des
objets , elle retient & attache par les phénomènes
les plus mystérieux , les eſprits capables
de ſe plonger dans les profondeurs
de la méditation. En un mot , elle eſt à la
fois la ſource des plus grandes découvertes ,
& le modèle des deſcriptions des tableaux
les plus riches & les plus fublimes.
La plus grande difficulté, c'eſt de l'embrafſer
toute entière ; poury parvenir avecmoins
depeine, on la partage en pluſieurs règnes ,
comme on diviſe l'Histoire des Peuples en
pluſieurs époques , & l'on s'élève par degré
Is
202 MERCURE
des minéraux aux végétaux , des végétaux
aux animaux.
Les minéraux font , par leur nature
même , placés le plus bas qu'il eſt poſſible
dans l'échelle des êtres. Il ſemble que ce
foit dans les minéraux que la Nature s'eſt
effayée à organiſer la matière brute. Mais
cela même rend leur étude très- attachante ,
car c'eſt dans ces élémens les plus ſimples
de l'organiſation, qu'on peut eſpérer d'en
pénétrer le myſtère. Parmi les minéraux , les
uns ont une antiquité qui paroît égaler celle
de la terre ; les autres ſe forment ſucceſſivement
& preſque ſous nos yeux : les premiers
nous font aſſiſter en quelque forte
au moment où l'Univers eſt ſorti des mains
de l'Eternel Ouvrier ; les autres nous montrent
cette main éternelle , continuant encore
l'ouvrage de la création. Preſque toujours
cachés dans les entrailles du globe , ils
forment une partie de ſa conſtitution intérieure
, & appliqués aux divers beſoins
de là Société , ils fervent tantôt d'inftrumens
à nos Arts , tantôt d'ornemens à leurs
productions .
Les végétaux , plus rapprochés de nous
par une organiſation plus avante , раг
leurs mouvemens qui reſſemblent quelquefois
aux nôtres , par leur manière de ſe
reproduire , où nous voyons une image de
nos amours &de nos paffions , par le commerce
continuel qu'établit entre eux &
nous la culture que nous leur donnons &
les fruits qu'ils nous donnent , font bien
DE FRANCE. 203
plus dignes encore de rendre attentif le
génie de l'homme , & plus propres à nous
initier dans les deſſeins & dans les intentions
de la Nature.
Mais l'Hiſtoire Naturelle des animaux ,
dans laquelle l'homme eſt lui-même compris,
quoiqu'il y ſoit diftingué , mérite fur- tout de
devenir la principale étude de Thomme. Si
les végétaux ont preſque une vie , les animaux
ont preſque une intelligence. Doués
de ſens & peut - être de volonté , ils animent
le tableau de la Nature , cù ils font
à la fois ſpectateur & ſpectacle ; fi la penfée
leur manque , les cris de douleur & de
joie qu'ils font retentir dans les airs , les
aflocient à notre ſenſibilité ; c'eſt en quelque
forte une population immenſe d'êtres qui
ne reſtent inférieurs à l'homme que pour
Ini être plus wiles. Régis par un principe
inconnu , dont nous n'appercevons que les
rifultars , & que nous nommons inflinct ,
l'induſtrie qu'ils poffedent ſans l'avoir acquiſe
, puiſqu'ils ſavent preſque en naiſſant
tout ce qu'ils ont beſoin de ſavoir , leurs
connoiſſances que nulle étude n'a précédées,
leurs arts où ils font toujours maîtres fans
avoirjaunais été apprentis , font faits pour
l'étonnement & pour l'admirarion de l'hom
me , qui ſe traîne ſi lentement d'une idée
à l'autre , & qui ne parvient aux lumières
dont il a beſoin , que par le concours des
Nations & la fucceffion des fiècles . Depuis
1: Quadrupède , qui , dès la fortie du ventre
16
204 MERCURE
de ſa mère , fait aller trouver la mamelle
& en tirer le lait , juſqu'à l'Abeille , qui ,
fans aucune leçon , connoît la fleur & la
manière d'en extraire la matière première
de la cire & du miel ; depuis l'Oiseau, qui
conftrait auffi artiſtement ſon premier nid
que le vingtième , juſqu'aux Caſtors , qui
ſe bâtiſſent des villes au deſſus des eaux ;
depuis le Glouton , qui guette , du haut
d'un arbre , la victime ſur le dos de laquelle
il ſe précipitera , juſqu'à l'Araignée,
qui ourdit en un coin le réſeau dans lequel
ſe prendra ſa proie , ou juſqu'au Poiffon
, qui fait approcher la fienne en reftant
immobile , & en ne montrant que ſes
barbillons Aotrans comme autant de vermiſſeaux
; en un mot , depuis les rufes
du Cerf juſqu'à celles du Fourmi-lion
tant de moyens divers employés par tant
d'êtres différens pour la vie pallagère des
individus & la vie éternelle des eſpèces ,
forment , en quelque forte , comme un tableau
de l'intelligence univerſelle de la Nature
, dans lequel l'homme apprend à reculer
les bornes de fon intelligence.
د
C'eſt cette dernière partie de l'Hiftoire
Naturelle , la plus brillante , la plus
intéreſſante & la plus inſtructive , qui eſt
l'objet de cet Ouvrage. Si tous les animaux
étoient bien connus ; s'ils avoient tous un
nom unique & bien déterminé ; s'il fuffifoit
de prononcer ce nom pour être auffitôt
entendu , leur Hiſtoire ſe borneroit au
détail des procédés infiniment variés , aux
DE FRANCE. 205
quels chaque eſpèce a recours pour ſa
conſervation & fa reproduction. Malheureuſement
nous ſommes loin d'un ſi grand
avantage dans la Zoologie ; l'hiſtoire des
moeurs , des reffſources de l'inſtinct , n'eſt
que la fleur de la ſcience ; & pour cueillir
cette fleur , pour en approcher même , il
faut avoir le courage d'en braver les épines.
Il faut d'abord apprendre à connoître
par leurs noms & par leurs formes , chacun
des animaux dont on veut parler,: de
là la néceſſité des nomenclatures & des
deſcriptions.
Il faut de plus , pour écarter de fon eſprit
la confuſion qu'y cauſeroit bientôt la multitude
des objets , mettre un certain ordre
entre cux : de là la néceſſité des méthodes .
Ces études préliminaires ſont un peu
arides , mais elles font indiſpenſables pour
ceux qui veulent faire quelques progrès
dans la connoiſſance de l'Histoire des animaux.
Ceux mêmes qui n'ont point ce
projet , ont ſouvent occafion de chercher
à ſe procurer des notions préciſes ſur
quelqu'un de ces étres ; & rien ne paroît
plus propre à fatisfaire les uns & les autres ,
qu'un Ouvrage peu volumineux , qui préfente
par ordre alphabétique tous les noms
donnés aux animaux , accompagnés de leur
defcription & de l'indication de leur rang
dans l'ordre inéthodique.
Un Ouvrage entrepris ſur ee plan , &
qui le remplit bien , nous manquot ; &
205 MERCURE
c'eſt celui que préſente aujourd'hui M. l'Ab.
Ray aux Amateurs de l'Hiſtoire Naturelle.
Et qui ne doit pas l'être ? Qui peut être
inſenſible au ſpectacle de la Nature ? L'Ouvrage
de M. l'Abbé Ray réunit en ſeul
volume la deſcription de beaucoup plus
d'animaux que n'en a renfermé juſqu'ici
aucun des Ouvrages beaucoup plus confidérables
, où l'on s'eſt propofe de les raffembler
tous. Autant que le temps ou l'efpace
, la forme & le but principal de fon
Ouvrage le lui ont permis , il a joint à leur
defcription des détails ſur leur hiftoire , &
des diſcuſſions ſur ce que d'autres en ont
dit.
Pour rendre ſa Zoologie auſſi exacte qu'il
étoit pollible , & aufli complette que fon
titre le promet , il y a ajouté un fupplément,
qui eſt le fuit de la critique qu'il a
faite de fon propre travail dans le cours
de l'impreffion , & le réſultat de ſes dernières
recherches ſur les eſpèces nouvellement
découvertes. Quiconque parcourra
cet Ouvrage avec attention , ſera étonné i
de la prodigieuſe quantité de deſcriptions ,
de faits, d'obſervations, de difcuffions qu'il
réunit. Nous n'en connoiffons aucun qui ,
mêtre en pluſieurs volumes , ratſemble fur
'Hiftoire Naturelle des animaux , autant
d'objets , & puiſſe ſatisfaire autant la curioſité
On ne doit pas s'attendre que tous les
articles , dans un Ouvrage tel que celui-
1
1
-
DE FRANCE. 207
ci , feront intéreſfans. Quand la forme
d'un animal n'a rien de rare , ſa deſcrip-,
tion est néceſſairement un peu commune ;
quand ſes habitudes , ſes moeurs & ſa vie,
ne ſont pas piquantes , ſon hiſtoire ne
peut pas l'être ; tout ce qu'on peut exiger,
alors , c'eſt qu'elle foit fidelle & très-précife.
Dans les Ouvrages d'agrément , c'eſt
un précepte du goût & de la raiſon , de,
fupprimer ce qui ne peut pas plaire ; dans
les Ouvrages d'inſtruction , c'eſt une loi
de ne rien retrancher de ce qui peut inf
truire . Un animal n'a rien d'intéreſſant par
lui même ; mais fon hiſtoire ſe lie à celle
de tous les autres animaux', & il n'en eft
aucun qui ne puiſſe ſervir à la recherche
des Loix de la Nature.
L'Ouvrage de M. l'Abbé Ray n'eſt pas
de ceux qu'on doive lire de ſuite , mais
de ceux qu'on peut avoir beſoin de confelter
à chaque inſtant , & qu'on n'ouvre
jamais fans y apprendre quelque choſe. La
converſation , la promenade , les voyages
peuvent donner à chaque inſtant le défir
&le beſoin de connoître un animal qui
ſepréſente ſous nos yeux , ou dont on entend
parler; &, au lieu d'être obligé de
recourir à un grand nombre de volumes
qu'il eſt rare d'avoir & difficile de ſe procurer
, l'Ouvrage de M. l'Abbé Ray pré
fente en un ſeul volume des éclairciffe
mens plus courts à la fois & plus com
plets.
208 MERCURE
Juſqu'à préſent nous n'avons parlé que
du deſſein de l'Ouvrage , & on voit combien
il eſt utile. En lifant quelques articles
de deſcription & de diſcuſſion , on voit
encore que l'Auteur décrit avec goût, & qu'il
difcute avec une ſaine philofophie. Il nous
eſt facile de justifier ces deux éloges. Le
Lion eſt un animal dont la forme eſt trèsconnue
, & nous choiſirons exprès ſa defcription
comme un exemple de l'extrême
fidélité & de l'extrême préciſion des traits
que l'Auteur emploie pour décrire.
» LION , quadrupède du genre du Chat ;
>> groſſe têre , front carré , grands yeux ,
>> nez épais , lèvres pendantes , longs poils
>> en crinière flottante , qui couvre le de-
>> vant du corps , que l'animal meut, & qui
>>ſe hériffe dans ſa colère; queue longue &
ود
ود
nue, excepté le bout, qui porte une touffe
de poils. Cette queue eſt ſi forte , que
> d'un coup elle terraſſe un homme. L'a-
ود nimal ne paroît compoſé que d'os , de
>> nerfs , & de muſcles. Ses os font d'une
> extrême dureté , & les Anciens l'avoient
>> imaginée telle , qu'ils fiſſent feu avec
>>l'acier. La peau de ſa face eſt mobile ,
» & contribue à rendre ſon regard plus
> menaçant. Il eſt inutile de parler de la
" force énorme de ſes mâchoires , de celle
>>de ſes gros pieds mufculeux & de fes grif-
>> fes terribles & recourbées , de l'effroi que
" répand ſon rugiſſement, qui retentit au
> loin. Il confomme quinze à vingt livres
DE FRANCE. 209
>>de chair par jour , & dédaigne les cada-
» vres. Mais du moins n'égorge - t - il
>> que quand il eſt preſſé par la faim , ou
> provoqué : bien différent du Tigre, qui ,
*même raſſaſié de chair , eſt encore altéré
de ſang.
ود
>>> On fait que la Lionne n'a qu'une portée
par an ; mais on n'a rien de certain
>>ſur le nombre des petits , & fur la durée
>> de la geſtation. Elle n'a point de cri-
>> nière, & elle eſt d'un quart moins grande
>> que le mâle. Cependant rien ne l'effraie
>>quand il s'agit de défendre ſes petits , ou
ود de s'aſſurer d'une proie pour les nourrir.
» Dans la ſaiſon des amours , les mâles
ſe livrent des combats ſanglans pour ſe
> procurer fa poſſeſſion. Ces animaux ont
le ſommeil léger , voient denuit comme
33
23
30 les chats , & , par conséquent , ſont gê-
> nés par le grand jour. Ils ont l'odorat
- peu fin ,& l'haleine infecte. Leur mar- .
23 che eſt grave & affez lente ; mais leur
>>courſe eſt une ſuite de fauts bruſques ,
» & il eſt peu d'animaux qui ne foient ac"
cablés du dernier bond par lequel le Lion
ſe précipite ſur eux. Il n'habite que les
>> pays chauds , l'Afrique & le midi de
>>l'Afie , & la taille, ſon courage , ſon ardeur&
fa force varient avec les climats.
Le Lion des déſerts brûlans de l'Afrique ,
10 habitué à vaincre , ne connoiffant pas
19 la fupériorité des armes , & les reſſources
> de l'homme , a , ſelon Buffon , beaucoup
210 MERCURE
>>plus d'audace; il eſt bien plus entrepre-
>> nant que le Lion des pays habités , qui
ود
ود
s'eſt vu pluſieurs fois obligé de reculer.
On donne aux plus grands individus fept
à huit pieds de long , quatre ou cinq de
» haut , & une queue de quatre . Ceux
" des pays plus tempérés n'ont que cinq
ود à fix pieds de long , fur trois & un
>> tiers de haut. Tous ont un poil d'un
>> jaune fauve, qui s'éclaircit ſur les flancs
» & fous le ventre
" Sans croire trop facilement tous les
>>faits rapportés par M. Sparman , au ſu-
>> jet de cet animal , quand on a lu ſon
>> Ouvrage , il eſt difficile de ne pas voir
>> beaucoup d'exagération dans tout ce qui
>> a été dit & écrit cent fois ſur le courage
» & la générofité de ce Roi des Quadru-
» pèdes «.
Ce qui eft difficile auſſi , c'eſt de faire
mieux connoître en auffi peu de lignes ,
&toutes les formes , & tous les caractères
distinctifs d'un animal. On ne le croiroit
pas , mais il ne ſuffit pas d'avoir de bons
yeux pour voir ; & ceux même qui ont vu
cent fois le Lion , pourront mieux le connoître
après cette deſcription .
A l'ouverture même de l'Ouvrage , on
peut se faire une juſte idée de l'excellente
philofophie que porte M. l'Abbé Ray dans
les diſcuſſions. Aux premières pages, il parle
de l'animalité ; queſtion générale, & dans
laquelle il eſt ſi facile à l'eſprit de s'egarer
dans la multitude des rapports & dans leur
DE FRANCE. 211
abſtraction : M. !'Abbé Ray ne s'égare jamais
, & fes vûes font ſi préciſes & fi bien
déterminées, qu'il fait toujos ce qu'il veut
dire & qu'on entend toujours ce qu'il dit.
Quelquefois il décrit & il difcure dans,
le même Article , comme dans l'Article
Loup & dans l'Article Orang - ouin . Il a
approché , de la manière la plus lumineuſe
, tous les faits qui prouvent contre,
Popinion foutenue d'abord , mais abandonnée
enfuite par Buffon, que les Loups
& les Chiens s'accouplent & produiſent. Je,
m'arrêterai un inſtant ſur ce que dit M.
l'Abbé Ray des Orang- outang , animal le
plus curieux de tous pour l'homme , parce,
qu'il eſt certainement celui qui a le plus de
eſſemblance extérieure & peut - être auffi
leplus d'analogie en tout genre avec lui.
2
"
Il faut en voir d'abord la deſcription.
= Il a la face humaine ; ſes yeux ſont
ronds & enfoncés ; les poits de la tête
font plus longs que les autres , & defcen-
> dent comme des cheveux le long des
tempes; ſon nez eſt camus & épaté ; ſa
bouche est fort grande , & placée plus
- bas que la nôtre ; fon menton eſt garni
de barbe; ſes oreilles ſont plates comme.
- les nôtres , ce qui fait voir qu'on ne peut
> prendre que pour une plaifanterie la
- prétention de ceux qui attribuent l'ap-
■ platiſſement de nos oreilles aux beguins
> de notre enfance ; ſa poitrine eſt large
13
212 MERCURE
> & plate comme la nôtre , & non fail-
>> lante comme celle des Quadrupedes. Ses
>> bras ſont ſi longs, que ſes doigts touchent
*** preſque ſes genoux, il a des molletsfans les
>> avoir fort charnus; fes feffes le font affez,
• & n'ont aucune callofité. Il n'a point
- d'abajoues , excepté ſur le dos & le de-
>>hors du bras ; il n'a pas beaucoup plus
>>de poils que n'en ont les homines très-
>> velus : ce poil eſt d'un brun très roufsâtre
, & la peau d'une couleur un peu
>>plus pâle que celle des Mulâtres. Il dort
>>fur les arbres , & y grimpe très-facile-
" ment. Il ſe conſtruit une hatte de bran-
» ches, où il ſe met à l'abri de la pluie&
>> du grand foleil. Cependant il eſt fril-
>>leux, & paroît ſe chauffer avec beaucoup
>>de plaifir , quand il trouve dans les bois
» du feu allumé par les Nègres. On ne
" lui connoît aucune voix , & il ne fait
> entendre aucun cri que dans la dou-
>> leur. Agile & hardi, il ſe défend très -bien
" à coups de pierre &de bâton ; fon corps
» & ſes membres font beaucoup plus gros
ود
ود
que ceux d'un homme de ſa hauteur ,
» & il eft fi fort , qu'à peine huit ou dix
hommes pourroient ils le dompter. Il
>> eft purement frugivore , & il vit en ſociété
avec un certain nombre de ſes
" ſemblables. On accuſe ces animaux de
ود
ود
tuer des Nègres , mais peut- être n'est- ce
» qu'étant provoqués. Ils ſont paflionnés
" pour les femmes , & ils enlèvent , quand
-
DE FRANCE. 213
» ils en trouvent l'occaſion , de jeunes
> filles dont ils abu'ent. Ils les gardent
* enfuite parmi cux , en prennent foin , &
> les nourriſſent auſſi bien qu'ils le peu-
> vent. Ils courent mieux qu'ils ne mar-
» chent , leur talon étant naturellement
» élevé au deffus du fol. On les voit quel-
» quefois courir & marcher à quatre pattes,
fur tout quand il s'agit de ſauter un
> follé. Ce point eſt celui ſur lequel les
>>Auteurs paroiſſent le moins d'accord ,
23 les uns faiſant de ces animaux de vrais
• bipèdes , les autres les poſant aufli fou-
>>vent fur quatre pieds que ſur deux. Cette
>> eſpèce decontradiction même ſemble prou-
> ver que l'Ourang - outang n'est pas pu-
>> rement bipède; car , quoi qu'en diſe M.
➤ Paw, fi cet animal étoit aufli parfaitement
&continuellement bipède que l'homme,
Fous les Obfervateurs l'auroient vu fur
13
20
ſes deux pieds , & il ne peut s'en trou-
> ver qui le faſſent marcher ſur ſes quatre
pattes , que parce que marchant en effet
> de ces doux manières , il a été vu par
> les premiers dans une de ces attitudes , &
> de l'autre par les ſeconds.
" Les Orang-outang chaffent , dit- on ,
à coups de gaule , les éléphans de leur
>> bois , & l'on prétend qu'ils couvrent de
>> feuillages le corps de leur ſemblable
> après leur mort. Pris jeunes , ils s'ap-
>>> privoiſent aifément ; mais ils ont tou-
- jours un air grave & triſte , qui tient
214 MERCURE
" fans doue a la contrainte de l'eſclavage.
>> Aufli dépéritſent ils en captivité , & fi-
>> niffent ils par y mourirde confomption ,
>> fur-tout fi , en leur ôtant la liberté , on
» les éloigne encore de leur climat.
>>Ceux que l'on a élevés font très-mo-
» dérés , & obéiffent mieux aux fimplesfi-
>> gnes , que les autres quadrumanes n'o-
>> beiffent au fouet ou au bâton. En com-
» pagnie , dans un cercle , à table , ils ſe
>> tiennent tranquilles , affis , & paroiffent
» s'y conduire comme des hommes. On
» en a vu faire leur lit , s'y coucher , s'y
>> couvrir comme nous , ſe ſerrer la tête
ود d'un mouchoir.
ود Inſtruits au ſervice , ils rincent des
>> verres , donnent à boire , portent des ſeaux
>> d'eau , tournent la broche , pilent des dro-
>> gues dans un mortier ".
Il faut en convenir , voilà un être bien
fingulier , & quoi qu'on en dife , ce n'eſt
pas fa reſſemblance extérieure avec nous ,
qui m'étonne davantage.
Quelle eſt ſa nature ? eſt-ce un homme
dégradé , ou qui n'eſt pas formé encore ?
eſt-ce un finge ? eft- ce un être intermédiaire
entre le finge & l'homme ?
Ces quatre opinions différentes ont été
foutenues , & s'il y en avoit eu une cinquième
à avoir , il ſe ſeroit trouvé quelque
Philoſophe qui l'auroit embraffée, finon
comme vraie, au moins comme neuve .
M. l'Abbé Ray ſe déclare pour le ſentiment
de Buffon , qui n'a vu dans l'Orang-
-
DE FRANCE.
215
outang qu'un animal qui n'invente & ne perfectionne
rien , qui fait toujours les mêmes
chofes & de la même manière ; caractères
ſpécifiques des bêtes , felon lui , & qui
les ſéparent éternellement de l'homme. Le
célèbre Linné a confondu l'Orang - outang
avec l'Albinos , Kakerlake ou homme de
nuit , ce qui est une mépriſe évidente.
M. Paw a dit : L'Orang- outang n'eſt ni un
homme , ni un ſinge ; il tient le milieu
entre le finge & l'homme, Rouſſeau a demandé
de nouvelles lumières aux Voyageurs;
il a dit : Nous n'en ſavons pas allez
pour décider que c'eſt un homme ; mais
nous en ſavons trop pour décider que c'eſt
une bête. Doutons en attendant qu'on nous
mette en état de juger.
Je reſpecte le motifde l'opinion de M.
de Buffon &de M. l'Abbé Ray : comme eux,
j'aime à me faire une haute idée de la dignité
de notre être ; mon ame s'élève à ces
mots: Infini , immortalité ! tout autre abîme
m'épouvante & me fait horreur ; dans ces
abimes- là , je me plonge avec joie & raviſſement.
Mais reſtons avec nos belles
deſtinées , & voyons ſi nous n'excluons pas
de notre grandeur des êtres qui pourroient
la partager avec nous , & par conféquent
l'agrandir encore . L'Orang- outang , ditesvous
, n'invente rien ; d'où le ſavez vous ?
Comment faites - vous pour en être ſi ſûr ?
Vous ou les Voyageurs ſur la foi deſquels
vous parlez , avez- vous ſuivi lesOrang- ou216
MERCURE
:
tang dans tout ce qu'ils font pour fatisfaire
leurs beſoins? Vous convenez qu'ils enlacent
& croifent des branches pour ſe mettre
à l'abri de la pluie & du ſoleil. Voilà une
invention , & celle là ne paroît pas tenir
à l'inftinct ſans lequel l'eſpèce ne pourroit
pas ſe conſerver. Tous les autres animaux
ſe laiſſent brûler par le ſoleil , ou inonder
par les torrens de la pluie , & s'ils cherchent
des abris naturels , ils ne s'en font
pas d'artificiels. Comment êtes - vous certains
qu'ils ne perfectionnent rien ? Commentêtes
vous certains que l'abri d'un Orangoutang
n'eſt pas mieux fait que celui d'un
autre ? Mais les hommes mêmes perfectionnent-
ils toujours ? Voyez le char roulant
du Scythe & du Tartare ; tel il étoit du
remps de Cyrus , tel il fut du temps d'Horace
, tel il eſt de nos jours. Des Nations
entières reſtent pendant une multitude
de ſiècles fans changer d'alimens , de
vêtemens , d'idées , de langage & d'habitudes.
Il arrive quelques circonftances heureuſes
ou malheureuſes , & tout à coup tout
change, tout ſe perfectionne , ou lentement
ou rapidement. Qui vous a dit que ce ne
font pas les circonstances qui ont manqué
juſqu'à préſent à la race des Orangoutang
? Ils ne parlent point. -Mais
ce Philoſophe abandonné dans l'Ile de
Juan - Fernandez perdit auſſi tout uſage
de la parole. Et ce beau talent de la parole
-
que des circonstances font perdre à un
Philofophe ,
DE FRANCE.
217
-
Philoſophe , d'autres circonstances peuvent
bien empêcher une race de Sauvages de
l'acquérir.
Le Philofophe étoit ſeul dans ſon ifle ,
&les Orang- outang vont enſemble.
Je ſens la force de l'objection ; mais ce
n'eſt pas parce que les hommes font à
côté les uns des autres , qu'ils ſe communiquent
leurs beſoins & leurs paffions par
le langage , c'eſt parce qu'il ont beſoin de
ſe les communiquer pour les ſatisfaire. Or
ſuppoſez- les dans une ſituation où ils peuvent
les fatisfaire chacun à part & fans ſe
les communiquer , ſuppoſez qu'ils pren-
-nent l'habitude de les ſatisfaire de cette
manière ; & vous concevrez qu'ils pourront
vivre enſemble ſans ſe parler & fans
avoir une langue. Les glouſſemens des Hottentots
reſſemblent plus aux cris des animaux
, qu'à un langage humain. Ajoutez
quelque choſe au degré de leur ſtupidité ,
& ils n'auront pas plus de langage que les
Orang-outang.
Leur paffion pour les femmes , dit M.
l'Abbé Ray , n'eſt pas une preuve qu'ils ſe
rapprochent de notre eſpèce.
C'eſt peut-être un fait dont il faut tenir
compte , & qu'il faut beaucoup examiner ;
&lorſque je vois que cette paſſion en eux
n'eſt pas paſſagère comme le défir , lorſque
je les vois garder & nourrir avec ſoin
les jeunes filles qu'ils ont enlevées , je ne
No. 5. 31 Janv. 1789. K
218 MERCURE
puis me défendre du ſoupçon que cette
préférence si marquée qu'ils leur donnent
fur leurs femelles, eſt fondée ſur un choix
où entrent quelques idées obfcures , au
moins , de la grace &de la beauté , idées,
ou plutôt ſentimens qui , bien plus que
nos beſoins encore , font la ſource de la
ſupériorité de notre intelligence.
Jamais il n'ont ſu , dit M. l'Abbé Ray ,
faire d'un bâton un levier , ce que ſavent
faire les Sauvages& les enfans. Er pourquoi
donc, s'ils ne favent pas en faire un levier
marchent - ils toujours un bâton
à la main ? C'eſt comme levier ſur - tout
que le bâton eſt d'un continuel fecours , &
il eſt preſque impoſſible qu'ils ne s'en fervent
pas fouvent de cette manière.
د
Ilne paroîtdonc pas que les raiſons deM.
de Buffon &de M. l'Abbé Ray foient concluantes.
J'adopterai moins encore l'opinion de M.
Paw , qui fait de l'Orang-outang un être intermédiaire
entre les finges & l'homme.
Quand nous claſſons les êtres , nous faifons
bien de nous ſervir de ces mots ,
d'être ſupérieur , d'être inférieur , d'être
intermédiaire . Ces mots fervent à établir
de l'ordre & des liaiſons dans nos connoiffances.
Mais il ne faut pas croire qu'ils
expriment quelque choſe de réellement
exiſtant dans la Nature.
Combien d'ailleurs une telle notion eſt
DE FRANCE. 219
-
wague ? Si l'Orang- outang eft entre le ſinge
&l'homme , car c'eſt ce que peut fignifier
intermédiaire , est- ce de l'honime , eftce
du finge qu'il eſt le plus proche ? Sa
place eſt-elle invariablement fixée , ou , ſuivant
l'éducation& les circonstances , peutelle
changer , pour ſe rapprocher , tantôt
plas près de l'homme , tantôt plus près du
finge. Intermédiaire entre l'homme & le
finge par la figure , eſt - il intermédiaire
par l'intelligence entre l'homme & d'autres
animaux plus intelligens que le ſinge ,
tels que le Chien , l'Eléphan ? M. Paw
paroît s'être mis très peu en peine de ces
queſtions qu'on peut lui faire.
En général M. Paw affirme beaucoup ,
&prouve peu. Il a de l'eſprit, de l'érudition
, de la philoſophie ; mais il aime à
contredire , & il arrive de là que ſa philoſophie
eſt plutôt hardie que forte , ſon
érudition ſyſtématique , & ſon eſprit paradoxal.
Quand on lit ſa charmante réponſe au
Père Pernetti , on croiroit que M. Paw a de
la logique : quand on lit ſes derniers Ouvrages,
on ne le croit plus.
On a prétendu que Rouſſeau a voulu
faire de l'homme une bête , & de l'Orangoutang
un homme : & ni l'un ni l'autre
n'est vrai. Rouſſeau a dit aux Savans :
>>Faites des voyages&non pas des ſyſtêmes.
Ayez un peu de la philoſophie des Mon
K2
220 MERCURE
teſquieu , des Condillac , des d'Alembert ;
allez ſur les lieux étudier l'Orang-outang ,
&je pourrai vous en croire , lorſque vous
déciderez enfuite ſi l'Orang- outang eſt un
-homme, ou fi c'eſt une bête 4. Il ajoute: >>Jufque-
là , je ne m'en rapporterai pas à des
Voyageurs fur leſquels on pourroit prefque
faire la même queſtion . Voilà de l'hưmeur
, mais elle vient après la Philoſophie.
M. l'Abbé Ray a toujours de la philoſophie
, & n'a jamais ni humeur ni paradoxe.
C'eſt un de ces eſprits ſi rares , qui
ont plus d'amour pour les lumières que
pour la gloire , & qui , appliqués à bien
penfer & à bien écrite , ne ſont jamais
malheureux de voir la renommée & les
dignités littéraires ufurpées ſi ſouvent par
ceux qui ne ſavent ni écrire ni penſer,
DE FRANCE 221
TRAITÉ d'Agriculture , conſidérée tant en
elle-même que dans ſes rapports d'économie
politique avec les preuves tirées
de la comparaison de l'Agriculture , du
Commerce & de la Navigation de la
France & de l'Angleterre'; par M. DE
FRESNE.
PRINCIPESfur lesquels on doit établir la
répartition des Impôts & des dépensespubliques
, pour encourager la Culture &
le Commerce dans la fituation où la
France se trouve, 3 Vol. in-8 . Prix ,
8 liv. A Paris , chez Debray , Libraire,
au Palais - Royal , galeries de bois
N°. 235 ; & chez les Libraires qui tiennent
des Nouveautés , & dans les Villes
principales de France.
DIVISION DE CE TRAITÉ .
د
Le Tome Ier. , première Partie , contient
les Impoſitions , Dépenſes & Economies
des Campagnes , l'Agriculture , le Commerce
d'économie , regardés comme ſource
première de notre richeffe .
K3
222 MERCURE
!
Tome Ier. , Seconde Partie.
Impoſitions , Dépenfes &Economies des
Villes , Arts , Spectacles , Commerce de
luxe & d'hofpitalité , ſeconde fource de
notre richeffe.
Tome IIIe.
Principes d'Economie fondés ſur le ſuccès
des Peuples qui ſe ſont le plus enrichis .
Application de ces principes à la fitua
tion actuelle de la France.
Telle eſt la diviſion des Matières que
M. de Freſne a tracées. Le début de l'Auteur
annonce une ame franche , un bon
coeur, un homme inftruit, qui a obſervé ,
que l'amour du bien Public a inſpiré , &
qui n'a pris la plume qu'après avoir voyagé
en Angleterre , en Hollande , dans le Brabant,
pour joindre une bonne & fûre pratique
à la plus excellente théorie.
>> Les reſſources dont la France a beſoin ,
>>dit- il , ne doivent plus être cherchées
>> dans les emprunts , puiſque le malheur
ود de notre poſition vient de ce que l'on
>> doit en intérêt aux Capitaliſtes plus du
>>tiers des Impoſitions. On ne doit plus
" les chercher dans les opérations des Fi-
>> nances ; les Particuliers y feront toujours
⚫ plus habiles que le Roi , & on acheve
>> roit de tout perdre : on ne peut les trou-
>> ver que dans les économies , dans la refDE
FRANCE. 223
-
> tauration& la perfection de l'Agriculture ,
" & des branches de Commerce qui en
>> dépendent ".
M. de Frefne , après avoir démontré les
reffources que ſon ſyſtême préſente , prouve
que le dérangement de nos Finances &
le haut intérêt de l'argent , réſultat de la
multiplicité des emprunts publics & particuliers
, viennent principalement du vice
de notre Agriculture , & du peu de reffources
qu'elle procure depuis un fiècle aux
Propriétaires, au Gouvernement, au Peuple;
&que par conféquent la reſtauration de la
France doit néceſſairement commencer par
celle de l'Agriculture , & des branches de
Commerce qui la favoriſent. Il fait , autant
qu'il est néceſſaire , des rapprochemens
entre la culture Angloife la nôtre , &
il paroît que nous ſommes éloignés des
principes des Fermiers Anglois. Ily alongtemps
, difoit M. de Vauban , que les biens
de campagné rendent le tiers moins de ce
qu'ils rendoient il y a trente à quarante
ans. Le dommage eſt bien plus grand de
nos jours. Il eſt temps d'y remédier ; car ,
on a beau dire , le gage des emprunts eſt
l'impôt , & la repréſentation de l'impôt ,
c'eſt la terre. M. de Freſne s'élève contre
l'uſage de laiſſer repoſer les terres.
>>jardins , dit-il , font continuellement re-
>> mués , & ils produisent toujours. L'ori-
→ gine de cet uſage abulifvient de ce que
>>les Seigneurs , qui craignoient que leurs
" Les
K 4
224
1 MERCURE
ود
53
Fermiers n'épuiſaffent leurs terres pendant
leurs expéditions d'outre mer , leur
» impofoient la Loi de les faire repoſer
>> toutes les trois années une ; ils ne pou-
ود voient mieux s'affurer de leur fidélité à
>> cet égard , qu'en abandonnant indiſtinc-
> tement au Peuple le droit de parcours
ود fur toutes les terres labourées après les
* récoltes qu'il étoit permis de faire ".
M. de Frefne généraliſe ſes idées , &
fuit toutes les déductions qu'un nouvel
ordre de choſes fait naître . L'empire de la
mer , dit- il , a toujours été en faveur des
Peuples qui ont eu le plus de navires marchands
, & non pas ceux qui ont eu le plus
de vaiſſeaux de guerre. Louis XIV a eu
juſqu'à cent cinquante vaiſſeaux de guerre ,
&n'a pas ere forunable
peut voir dans la ſeconde Partie du Tome
Ier. , pages 327 & ſuiv. , le parti que la
culture peat tirer des ſoldats. - L'Etat ,
dit M. de Freſne , ne doit jamais être
ſéparé de l'Etat , c'eſt le premier de tous
les principes. L'Infanterie ne coure beaucoup
, que parce qu'elle prive la Culture
&le Commerce d'une multitude d'hommes
, &c. , &c. D'un ſyſtême de culture
fuit néceſſairement celui d'économie , &
de celui- ci dérivent les bonnes moeurs , le
travail , l'ordre , & la ſage diſtribution du
temps , trois richeſſes intariſſables & inappréciables.
M. de Freſne les préſente ſans
prétention ; mais on eſt bien vite perfuadé;
dable sur mer. - On
DE FRANCE. 225
ſes réſultats ſont ſi frapans , ſi ſimples , fi
vrais!
Il faut l'écouter , Tom. II, pag. 94 , quand
il s'exprime ſur les funeſtes effets du haut
intérêt de l'argent. - » Si on remonte ,
» dit-il , à la ſource du mal , on la trouvera
>> dans le découragement de la Culture , &
> le peu de reſſources qu'elle procure ,
>> depuis plus d'un demi- fiècle , aux Pro-
>>priétaires , au Gouvernement , & au Peit
» ple ........ Il eſt temps de terminer la
guerre ſourde'qui règne entre les Capi
taliſtes &les autres Citoyens , touchant
lahauffe exceſſive de l'intérêt de l'argent,
- &les impôts qu'il faut préférer , parce
"
33
22
22
33
12
que les produits de l'Agriculture & du
> Commerce d'économie étant ſuſceptibles
d'un accroiſſement prodigieux , ils doi
ventprocurer aux Propriétaires , au Gou-
>> vernement , & au Peuple , des ſecours
fufifans pour n'avoir plus beſoin des
> Capitalistes , & mettre la France dans la
⚫ même poſition que la Hollande & l'An-
> gleterre , où l'on trouve très- difficilement
> à placer ſon, argent à quatre pour cent :
>> nous avons même à cet égard un grand
> avantage ſur ces deux Peuplés , puiſque
nous avons beaucoup plus de numéraire.
• On obſervera que le haut intérêt de l'ar-
• gent rompt les liens de la Société : c'eſt
> auprès de ſes amis que l'on trouve le
• moins de reſſources , parce que n'ofant
> pas exiger un gros intérêt d'un ami , on
- n'a jamais d'argent pour lui .
226 MERCURE
Ses vûes ne font pas moins ſaines quand
il prononce fur le luxe , & en cela il ne
reffemble point à ces Ecrivains qui déclament
outre meſure contre le luxe , fans
le conſidérer dans toutes ſes parties.->> Le
>> luxe qui retient le plus d'Etrangers , dit-
• il , qui fait fortir le moins d'argent du
>> Royaume , qui en attire davantage , qui
>> en fait refluer le plus dans les campagnes ,
» & qui eſt en même temps le plus couteux
pour les particuliers riches , & le
moins couteux pour le Souverain , eft
en général le plus utile. Le luxe de la
table réunit tous ces avantages ; ce fut
celui des Romains .
>>> Le luxe des maiſons de campagne eſt infiniment
utile ; c'eſt là que les Propriétaires
Anglois font le plus de dépense ;
il en réfulte un grand encouragement
> pour la culture & pour les travaux , &
l'argent qu'ils y laiffent ou qu'ils y font
-> refluer, fait que la perception des im-
→ pôts y eſt toujours facile , & qu'elle eft
>> ſuſceptible d'une prodigieufe extenfiort
dans les temps de criſe ".
Rien de plus vrai que ce que M. de
Freſne dit à l'occafion du dernier Traité
de Commerce avec les Anglois , Tom. II ,
pag. 148 , qui peut contribuer à la reſtauration
de l'Agriculture , du Commerce , des
Fabriques , bien loin de leur nuire.
M. de Freſne termine ſon important Ouvrage
par un Tableau flatteur & vraide la
1
DE FRANCE. 227
Nation Françoiſe. La vérité& le ſentiment
l'ont peint d'après nature.
ود
>>La France, dit- il , eſt le premier &
le plus beau Royaume de l'Univers ,
>> celui qui a le plus de richeſſes acquiſes ,
>> où il eſt le plus facile de les augmenter
" &de les conferver , où les homines font .
>>plus induſtrieux , plus aiſés à conduire ,
"
ود
où ils acquièrent en moins de temps la
>> perfection dont ils ſont ſuſceptibles ,&
• où l'amour qu'ils ont pour la gloire &
» pour leur Souverain , a tous les effets du
>> patriotiſme , ſans en avoir les inconvéniens
...... Laiſſons dire aux ennemis
de l'Etat que les affaires ne peuvent ſe
rétablit ; on ne pourra ſe diffimuler que
les reſſources de la Nation feront toujours
>> ſupérieures à tous les beſoins poſſibles.
>>A juger des François par la majefté des
Tribunaux & des Affemblées publiques ,
par l'énergie qui s'y manifeſte , & les
diſcours fublimes qu'on y prononce , le
>>plus ſouvent fans préparation , ce qui
"
22
" n'a d'exemple chez aucun Peuple , il
>> n'y a perſonne qui ne croie que nous
>>ſommes faits pour donner des loix à
>> l'Univers. C'eſt notre trop de facilité ,
>> de confiance , de précipitation , de défintéreſſement
, qui nous perd; c'eſt ſur-
>> tout le peu d'importance que nous atta-
>> chons au progrès de l'Agriculture ".
"
Au mérite de la penſée , M. de Freſne
joint celui de concevoir fortement , & de
K6
1
228 MERCURE
s'exprimer avec nobleffe & clarté. La nature
de ce Journal ne nous a point permis
de diſcuter ſes principes d'Agriculture &
d'économie ; mais nous penſons que fon
Ouvrage eſt capable de produire de bons
effets , & d'amener une heureuſe réforme
dans notre Culture.
ÉTRENNES de Mnemosyne , ou Recueil
d'Epigrammes & de Contes en vers , pour
l'année 1789. A Paris , chez Knapen &
fils , Lib -Imp. , rue St-André-des-Arts ,
en face du Pont S. Michel. Prix , 1 liv .
4f. franc de port ( 1 ) .
C'EST pour la ſeconde fois que paroiffent
ces Etrennes. Celles de l'année dernière
avoient été rédigées en très - peu de
temps ; & quoiqu'il s'y trouvat ſans doute
des pièces médiocres , les morceaux eſtimables
y etoient affez abondans , pour qu'elles
ayent obtenu des encouragemens & des
éloges. Le Journal de Paris , le Mercure
de France, l'Année Littéraire , les Journaux
de Nancy , Encyclopédique , de Guïenne ,
de Normandie , de Saintonge, &c. en ren-
(1) On trouvera des exemplaires de ce Recueil
reliés en papier-maroquin , de la Manufacture de
M. Réveillon , indépendamment des reliures ordinaires
en veau. On trouve auſſi des exemplaires
la première année ( 1788 ).
DE FRANCE.
229
:
dirent tous un compte avantageux. Cette
réunion de fuffrages ſemble avoir éveillé
la confiance des Auteurs , car le Recueil
de cette année est très-ſupérieur au premier.
Ce n'eſt pas qu'on n'y trouve encore quelques
pièces foibles; mais une collection
de Contes & d'Epigrammes un peù volumineuſe
& généralement bonne , eſt aujourd'hui
, finon la choſe impoſſible , au
moins la plus difficile. Le talent de bien
conter en proſe n'eſt pas un talent commun;
celui de bien conter en vers eſt plus
rare encore. Ce dernier n'offre guère que
deux modèles ; le premier , ſimple , naif ,
abondant , & toujours prêtant à ſon eſprit
les graces de la plus aimable ingénuité ;
_c'eſt La Fontaine : l'autre , auffi fécond ,
plus brillant , plus moral , & tempérant l'éclat
de fon eſprit par l'air de franchiſe qu'il
lui donne ; c'eſt Voltaire. Ces deux hommes
célèbres ont fait beaucoup d'imitateurs qui
ont eu un moment de vogue , & qui font
peu à peu tombés dans l'oubli qui les attendoit:
il eſt inutile de les nommer. Quelques
Ecrivains , recommandables par des ſuccès
mérités dans d'autres genres de Littérature ,
ont laiſſé de temps en temps échapper de
leurs porte - feuilles des Contes faits pour
être cités ; mais ils s'en font tenus à en
publier un de temps en temps , comme
on laiffe , dans de certains momens , percer
le ſecret de quelques bonnes fortunes. Le
ſeul de nos Modernes qui ait ſouvent ap
230 MERCURE
tour
proché ſes deux modèles dans une fuite
de Contes , c'eſt M. Imbert , fur
dans les derniers qu'il a fait imprimer.
Quant aux Epigrammes , celles que doit
renfermer un volume fait pour la bonne
compagnie , ne ſçauroient être directes ; &
il n'y a guère que celles - là dont le ſuccès
ſoit certain d'avance , parce qu'elles
Hattent la malignité : pour celles qui n'ont
qu'un but général , il n'eſt point aifé d'y
réuffir , parce qu'il faut que le fond en
ſoit appuyé ſur une vérité frappante , que
les idées en foient juſtes & fines , que la
coupe en ſoit facile & gaie, enfin que le ſtyle
en aittout enſemble , du nerf , de la grace,
&de la précifion. Tout cela eft fort difficile
à réunir , & voilà pourquoi l'on connoît
ſi peu de véritablement bonnes Epigrammes.
Il eft donc évident qu'une Collection
, telle que les Etrennes de Mnémofyne
, ne sçauroit préſenter un enſemble
parfait , mais qu'elle ſera toujours fatiffaiſante
, lorſque les Pièces médiocres y
feront balancées par les Morceaux eftimables
, & la foibleſſe par le talent ; ici le talent
l'emporte ſur la foibleſſe , & c'eſt tout
ce qu'on peut défirer.
Parmi un grand nombre de Pièces où
l'on trouve quelques Contes Epigrammatiques
, mais très- peu d'Epigrammes proprement
dites , nous en choiſirons ſeulement
deux; un Conte , & une Epigramme. Voici
l'Epigramme : elle a le caractère , le ton , la
préciſion qui convienent au genre.
t
DE FRANCE. 231
A Mme. D ... qui conſeilloit à ma Maitreſſe
de me quitter.
Quoi ! pour une infidélité ,
Corine ſe montre ſévère ;
Et dans l'excès de ſa colère ,
Veut qu'un pauvre Amant ſoit quitté ?
Cette extrême ſévérité ,
Parma foi ne lui convient guère ;
Car pour ce crime , en vérité ,
Elle cût quitté toute la Terre.
:
Cette Epigramme très -piquante eſt de
M. de Propiac. Voici le Conte. Il eſt de
M. Marandon , qui a déjà publié quelques
Pièces fugitives , où l'on a remarqué des
difpofitions au talent. Celui - ci eſt fort au
deffus de tous ceux que nous connoiffons
du même Auteur. On y voit de temps en
temps une manière qui annonce qu'il a
étudié celle de Voltaire , & qu'il en a ſu
profiter. Ileſt intitulé : Les trois Avis.
Il faut mourir , c'eſt l'arrêt des Deſtins.
Les Médecins , & la peſte , & la guerre ,
Triple fléau, le prouvent aux Humains ;
Et maint Barbon , par des murmures vains ,
Croit échapper à cette loi ſévère ! ...
Plus l'arbre eſt vieux ,plus il tient àla terre.
Le beau Dorval étoit dans l'âge heureux ,
Age charmant , doux printemps de la vie ,
232 MERCURE
Où les amours , les plaifirs & les jeux,
Multipliant leur brillante magie ,
Dans l'abandon le plus voluptueux ,
Captivent l'ame à leurs loix afſervie.
La jeune Irza , par un tendre lien ,
Venoit d'unir ſon ſort avec le fien :
De myrtes verds , de roſes couronnée ,
Elle marchoit vers le lit nuptial ,
A la lueur du flambeau d'Hyménée.
Dans un fallon , l'impatient Dorval ,
De ſon bonheur attendoit le ſignal.
Soudain la Mort , la Mort inexorable ,
La faux en main, ſe préſente à ſes yeux :
>> Suis-moi , dit-elle , époux préſomptueux ,
Voici ton heure . - O Déeſſe implacable !
> O Mort ! ſuſpends cet arrêt rigoureux.
>> Tout doit fubir cette loi néceſſaire ;
> Oui , je le ſais ; mais dans unjour fi beau ,
» A mon Irza pourrois-tu me ſouſtraire ?
>> Pour un ſeuljour, ferme au moinsmon tombeau;
> De mon hymen n'éteins pas le flambeau
>>> Pour allumer ta torche funéraire.
> Eh bien , dit-elle , à ta juſte douleur ,
* Je veux ſouſcrire; il eſt trop ordinaire
>> Que tes parcils m'accuſent de rigueur .
» Mais que me font les clameurs du vulgaire ?...
>> Reprends tes ſens par la frayeur ſaiſis .
> Ton coeur , Dorval , peut s'ouvrir à la joie ;
» Et même avant de reſſaiſir ma proie ,
» Je veux encor te donner troisAvis «,
DE FRANCE.
233
Le Spectre alors ſe couvrant d'une nue ,
Fuir, & foudain ſe dérobe à ſa vue.
De fon hymen , Dorval préoccupé,
Vole où l'attend une épouſe chérie ;
Et dans ſes bras aisément il oublie
L'inſtant fatal où le fil de fa vie
Par la Déeſſe alloit être coupé.
Les foins divers , l'intérêt , les affaires
Vinrent bientôt occuper notre époux.
Il fut heureux , & les Deſtins contraires ,
De ſon bonheur ne furent point jaloux.
Déjà le Temps avoit éteint ſa flamme ;
Des Atts vainqueurs la noble paflion
A quarante ans vint embraſer ſon ame.
Tout réuffit à fon ambition ;
"
Et Dem6 11 0.
la confolation
-
De ſe voir riche , & d'enterrer ſa femme.
Tout au milieu de ces ſoins importans ,
Il atteignit ſes quatre-vingt-dix ans.
Un jour que ſeul , regardant en arrière ,
Il médisoit , morne & filencieux ,
Sur cette longue & rapide carrière
Qui ſe montroit comme unpoint à ſes yeux,
LaMort revient , & d'une voix terrible :
» Suis-moi , Dorval ; voici ton dernier jour ;
>> Il faut partir.- Quoi ! ſi-tôt de retour ! ....
» Si-tôt , reprend la Déeſſe inflexible !
>>>Mais ſoixante ans ſont écoulés , je crois ,
- Depuis qu'ici , pour la première fois ,
» Je vins m'offrir à ton ame interdite.
234 MERCURE
1
• N'enas-tu pas quatre-vingt-dix?-Moi! non :
» Je ne ſuis pas ſi vieux..... Hélas ! pardon ,
>> Je ne comptois fi-tôt ſur ta viſite ;
> Et j'attendois avant les trois Avis
:
» Qu'à ma douleur ton zèle avoit promis.
> Sans m'avertir , tu me ſurprends , cruelle !
>>Soisjuſte, au moins.--J'ai tort,lui répond-elle,
> Si ces Avis n'ont pas été reçus.
>> Mais , réponds-moi : quels charmes inconnus
>>> Si fortement te font chérir la vie ?
> Tu peux fans doute , au gré de ton envie ,
» Veiller toi-même à tes nombreux beſoins ,
» Et cultiver ta campagne chérie ?-
» La goutte , hélas ! m'épargne tous ces ſoins;
>> Majambe gauche eſt en paralyfie ,
> Et mes deux bras plus de meisperctus.
>> Jem'en doutois. Mais ſi tu n'agis plus ,
>>> Une voiture ,à tes ordres rendue ,
>> Peut quelquefois te conduire en ces lieux
>>> Où vingt boſquets réjouiſient ta vue ?
>> Depuis deux ans , hélas ! je l'ai perdue ::
>> Je ſuis aveugle.-Au défaut de tes yeux ,
» Tu peux au moins charmer , par lalecture,
> Par l'entretien de tes nombreux amis ,
>> Les maux cuiſans que la vieilleſſe endure ?-
>>>Non, je ſuis fourd.-Malheureux ! & tu dis
> Que tu n'as pas reçu mes trois Avis ?
>> Quoi ! de trois ſens , par degrés, je te prive 5
>> Pour t'avertir , je te rends tour à tour
DE FRANCE. 235
:
» Paralytique , aveugle enfin , & fourd ,
>> Et tu te plains que je ſuis trop hâtive !
» C'en est trop ; meurs ". Elle dit , & foudain
Du pauvre diable elle perce le ſein.
De cemien Conte , au déclin de votre âge ,
Profitez tous , gens de bien , mes amis ;
Et fans attendre un quatrième Avis ,
Tenons- nous prêts à faire le voyage.
Il y a ſans doute dans ce morceau quelques
négligences , quelques taches légères ,
quelquefois même un peu de ſurabondance ;
mais le ton général en eſt bon , facile
aimable , & philoſophique ; il donne à
croire que M. Marandon peut obtenir de
laréputation dans le genre du Conte. Quel--
que Cenfeur pointillen obſervera peutître
que ſi Dorval eſt aveugle & fourd ,
il ne peut voir la Mort ni l'entendre
nous n'en ferions pas ſurpris : ce ſeroit bien
le cas de lui répondre par ce vers de La Fontaine
, où règne une humeur plaiſante :
Maudit Cenſeur ! te tairas-tu ?
&
Nous n'ajouterons point à la citation
decesdeux morceaux , la liſte de tous ceux
queMnémoſyne a raſſemblés ici pour Etrennes;
nous dirons ſeulement que des Ecrivains
fort diftingués y ont fait inférer de
fort jolis Contes , & que la ſupériorité de
cevolume fur le premier, donne un préjugé
favorable pour ceux qui doivent le fuivre.
236 MERCURE
ANNONCES ET NOTICES.
LES Étrennes de mon Cousin , ou l'Almanach
pour rire , année 1789 ; par M. C ... D .... A
Falaiſe ; & à Paris, chez Deſenne , Libraire , au
Palais-Royal ; Leroy , rue S. Jacques ; & chez les
Marchands de Nouveautés.
L'Auteur de cet Almanach donne tous les ans
de nouvelles Etrennes, mêlées de vers & de profe.
Sainte Bible , traduite en françois ; nouvelle
édition, miſe dans un meilleur ordre pour la
diſtribution des Volumes , & augmentée de pluſieurs
Pièces nouvelles , Notes & Sommaires , &
d'une Table générale des Matières contenues dans
tous les Gavages , en forme de minimaire.
Tome IVe. du Nouveau Testament ; in- 8° . A
Niſmes , de l'Imprimerie de Pierre Beaune.
Mes Souvenirs , & autres Opufcules poétiques
de M. le Gay ; nouvelle édition , ornée de Fig.
2Vol. in-16 . Pays de Vaud , & ſe trouve àCaen,
chez Manoury l'aîné , Lib. ; & à Paris , chez Belin,
rue St. Jacques.
Cette réimpreffion juſtifie les éloges que nous
avons donnés à cet Ouvrage dans ſa nouveauté :
l'édition en eſt jolie.
Le Frankliniſme réfuté , ou Remarques ſur la
Théorie de l'Electricité , à l'occaſion du Syſteme
de pluſieurs Phyſiciens modernes ſur ce ſujet; par
M. l'Abbé Durand. Brochure in- 12 de 70 pages.
Prix , 15 f. A Paris , chez Varin , Libr. rue du
Petit-Pont.
DE FRANCE .
237
Obfervations critiques fur la Phyfique Newtowienne,
avec la ſolution de la difpute des forces
vives &des forces mortes de Léibnitz , au jugement
de l'Acadéinie de Dijon ; la Réforme des loix du
mouvement uniformément accéléré & retardé en
conféquence , & Remarque ſur la Théorie des
chocs des corps élastiques. Volume in-8 °, A Amfterdam;
& fe trouve à Paris , chez Cuchet , Lib,
rue Serpente;Nyon, rue du Jardinet;&Moutard,
Imp-Lib, de la Reine , rue des Mathurins,
Lavie de l'homme respectée &défendue dansſes
derniers momens , ou Inftruction ſur les foins qu'on
doit aux morts & à ceux qui paroiſſent l'être ; ſur
les funérailles & les ſépultures ; in- 8 ° . A Paris ,
chez Debure l'aîné , Libraire , rue Serpente , hôtel
Ferrand.
Lebut decet Ouvrage vraiment utile , qui nous
eſt échappé dans ſa nouveauté, et de nous prémunir
contre le danger des inhumations précipitées.
On fait qu'elles n'ont eu que trop ſouvent
des fuites funeſtes, M. Thiéry , Docteur de la Faculté
, s'eſt particulièrement occupé de cet objet
important. Nous invitons à lire ſes ſages obſervations&
ſes conſeils utiles à l'humanité.
Hiftoire& Mémoires de l'Académie Royale des
Sciences, Inſcriptions & Belles - Lettres de Touloufe.
AToulouſe , de l'Imprimerie de D. Defclaſſan
, Maître - ès-Arts , près la place Royale ,
in-4°. A Toulouſe , chez Manavit , Libr. rue St-
Rome;& fe trouve à Paris , chez Crapart , Libr.
place St-Michel.
Ce Volume eſt un dépôt de connoiſſances utiles ;
&l'ondoit de la reconnoiſſance à la ſavante So
ciété qui a bien voulu l'ouvrir au Public. Il y a
unç foule de Mémoires fort bien faits , mais qui
fe refuſent à l'analyſe ,
238
MERCURE
Les faveurs & les disgraces de l'Amour , ou les
Amans heureux , trompés ou malheureux. 3 Vol.
in-12. A Bruxelles ;& le trouve à Paris , chez Defer
deMaiſonneuve , Lib. rue du Foin S. Jacques.
Ce Recueil a eu du ſuccès. Les ſujets des diverſes
Hiſtoires qui le compoſent ſont ouvent
piquans & variés. L'édition que nous annonçons -
eft ornée de Gravures.
Eſſai fur l'Histoire Naturelle du Chili , par M.
l'Abbé Molina , traduit de l'Italien , & enrichi de
Notes par M. Gruvel , D. M. 1 Vol. in-8°. Prix ,
broché, 3 liv. 12 f. A Paris , chez Née de la Rochelle
, Lib. rue du Hurepoix , près du Pont St-
Michel , Nº. 13.
C'eſt ſans doute un ſervice renda au Public, que
la Traduction de cet Ouvrage curieux & intéreſfant
, dont l'Auteur original eſt avantageuſement
connu dans le Monde ſavant.
Hiftoire d'Artois , par Dom de Vienne , Membre
du Collége des Philalethes de Lille ; ze. , 4e.
& se . & dernière Parties. A Paris , chez Leroy,
Libr. rue S. Jacques. Les 4 premiers Volumes ſe
vendent ſéparément , 2 liv. 8 fous; & l'Ouvrage
complet , 11 liv.
Hiftoire de Sophie & d'Ursule , par M. de
Charrois ; nouvelle édition , avec des corrections
confdérables & des augmentations. 2 Vol. in-12.
A Londres ; & à Paris , chez Buiſſon , Lib. Hôtel
de Coëtloſquet , rue Haute-feuille.
Nous avons annoncé cet Ouvrage avec des
éloges que le ſuccès a juſtifiés.
DE FRANCE.
239
Mémoire , parvenu trop tard à l'Académie , pour
tre admis au Concours ; ou Réponſe à cette
Question : » Les voyages peuvent- ils étre confidérés
> comme un moyen de perfectionner l'éduca-
» tion « ? A Amſterdam ; & à Paris , chez Morin,
Lib. rue S. Jacques ; & Née de la Rochelle , rue
duHurepoix. Brochure in- 12 de 46 pages,
Le Rappel de M. Necker , Eſtampe d'un pied
de large ſur to pouces de haut , gravée par M.
Gaucher, d'après M. J. H. E.....
ces
Placé ſur un tertre élevé, le Roi reçoit M.
Necker des mains de la France , repréſentée ſous
L'emblême d'une belle Femme , aux acclamations
du Peuple , le 24 Août 1788 , furmonté de
mots : Poft tenebras lux. L'oeil de la Providence
paroît dans le Ciel , les nuages ſe diſſipent , &
les Vices font précipités dans l'abîme. Les portraits
du Roi & de M. Necker font auſſi reflemblans
que la proportion des figures pouvoit le permettre ,
&perſonne ne ſe méprendra ſur les traits auguſtes
de cellequi repréſente la France. Cetre Eſtampe
ſe trouve àParis , rue de la Feuillade, Nº. 1.
Portrait de M. Necker , in- 4°. , gravé d'après
leTableau original de M. Dupleſlis; par A. F.
Sergent, & fous la direction de M. de St. Aubin.
AParis , chez M. de St. Aubin , rue des Prouvaires,
N°. 54; & chez l'Auteur , rue Mauconſeil , Nº.
62. Prix , 4 liv.
Ce Portrait , en couleur , eſt frappant de ref-,
ſemblance; il eſt plein d'effet , d'harmonie , &doit
être diftingué par les connoiffeurs.
20. Cahier des Jardins Anglo- Chinois , contenant
Gennevilliers , Montbelliard , Jardin, de
Neuilly, ens Planches , plantés par Saint-Jam
asjourd'hui à M. le Duc de Praſlin. Jardins d
240
Duc de Bukengham, à Londres. L'Hermitage, au
Duc d'Anspach-Bareith. Pompone. Laxembourg à
l'Empereur. Pluſieurs projets & petits Jardins particuliers.
Total , 24 Planches. Prix , 12 livres. A
Paris , chez Le Rouge , Ing. Géog, du Roi , rue
des Grands - Auguftins. On donne un quart de
remiſe à ceux qui prennent les 20 Cahiers.
MERCURE DE FRANCE.
Ondiftribue gratis chez l'Auteur, un Catalogue
de tous fes Ouvrages .
Sonate pour le Forté-Piano ou le Clavetin , avec
Violon, compofée par M. Edelmann. Prix , 2 1,
8f. , formant le No. 60 du Journal de Pièces de
Ciavecin , par différens Auteurs. Prix de Abonnement
pour l'année , contenant 12 Numéros
30 liv. port franc par la Pofte. A Paris , chez M.
Boyer , rue de Richelieu , à l'ancien Café de Foy ;
&chez Mme. Lemenu , rue du Roule, à la Clef
d'or.
N. B. Meffieurs les Souſcripteurs ſont priés de
renouveler leur Abonnement , afin de ne pas
interrompre les Livraiſons,
TABLE.
,
t
VERS
193 Traité d'Agriculture, 221
Epitre. 194 Etrennes de Mnemosyne. 228
Charade,Enigme& Log. 198
Zoologie Univerſelle, 104 Annonces &Notices. 2361
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr. le Garde des Sceaux ,
le MERCURE DE FRANCE, pour le Samedi 34
Janvier 1789. Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe
en enipêcher l'impreſſion, A Paris , le 30 Janvier
1789. SÉLIS,
1
,al
arga
par-
SA
tde
5
COURT RÉSUMÉ
des Évènemens politiques de l'anné
1788.
La fin du dernier ſiècle vit Jacques IIdétrôné
par fa fille&fon gendre , l'Angleterre reprendre..
&donner la Couronne des trois Royaumes ; la
gue Monarchie Eſpagnole changer de Maître , après
une guerre auſſi longue que ſanglante ,& l'héritage
de Charles-Quint affure à l'Auguſte Famille des 11
de
on-
05,
M.
هن
la toute-
ມາ
"
vee Succeſſeurs de François I; la Hollande , aupara
vant démembrée de cet héritage, ſortant des eaux
où l'ambition de Louvois, l'avoit forcée à s'enfe
velir, pouurr ébranler , avec ſes Alliés,
puiſſance de Louis XIV; ceMonarque , toujours
heureux & toujours craint , accablé, vers la fin de
fes jours, des difgraces les plus humiliantes , perdant,
fix cen mille Sujets par la Révocation d'un
Edit_qu'avoit dige Henri-le-Grand , malheureux
de dans fa famille moiſſonnée à la fleur de l'âge
malheureux dans le choix de ſes Miniſtres & de
ſes Généraux , perdant une grande partie de ſes
forces navales , élevées avec une dépenſe , une
promptitud,e miraculeuſes , & preſque tout le
fruitdes efforts intelligens de Colbert dans l'Admi
niftration des Finances , du Commerce , detoutes
les branches de l'économie publique ; l'Italie dé- 11
vaſtée par cette même guerre de la fucceffion , 11
qui diviſoit les principales Puiſſances du Corps
Germanique ; deux Electeurs, mis au ban de
l'Empire ; quelques années auparavant, les Turcs
formant le fiége de Vienne , la Hongrie révoltée, r
&le ſang de fes habitans ruiſſelant, àEperies, fur
les échafauds; enfin , malgré des défaites des
guerres continuelles des ſévérités odieuſes , & un
caractère ppeenuguerries , l'Empereur Leopold mous
N. 1. 3Janvier789 ;
)
122
sala ad an
(2)
rant le plus puiſſant Prince de ſa maiſon qui
eût régné depuis Charles- Quint.
Toutes ces révolutions , affermies par Ja paix
d'Utrecht & par celle de Raſtadt , fondèrent en
Europeun ſyſtême poli que cusa compré un demifiècle
d'ex fence . Luerre de 1756 le renverſa :
par les a antes impréviés : depuis,la prépon-
Rérance de la Ra , l'affoibliſſement de la Suède
& de Danensarck , Pannihilation de la Pologne ,
le partage de fes provinces entre trois Etats,
fans séclaration de guerre, les malheurs de
P'Empire Orroman , altérèrent ſenſiblement les
rapports divers du Corps politique. Si la dernière
guerre coloniale entre la France & l'Angleterre
fufpendit des effers de ce changement , il ne lui
manquoit que des circonstances pour ſedévelopper:
elles y ont concouru en foule l'année dernière.
Nous en fommes trop près pour en montrer
l'enchaînement : la connoiffance de leurs reſſorts
ne peut être aniſi prématurée ,& il feroit fuperflu
derécapituler ici des évènemens , qui ne font euxmêmes
que des préliminaires , que nous avonspréfentés
en détail ,& fur les conféquences deſquels
on ne porteroit qu'une vue trouble& indiſcrète.
Peut-être cette agitation de l'Europe eft-elle
en grande partie le fruit des conjonctures qui
ont fixé l'attention de la France ſur l'état intérieur
de la Monarchie. La reſtitution de ſes
Etats-Généraux, le droit de conſentir les fubfides
rendu par le Souverain à cette Aſſemblée nationale
, évanouie depuis un ſiècle & demi , le
rétabliſſement de l'ordre , de l'économie, de la
ſtabilité dans l'Adminiſtration des Finances , la
néceſſité d'en accélérer l'époque & de raffermir
la confiance , auroient ſuffi à l'ébranlement des
eſprits , & à concentrer fur ces grands objets les
regards du Gouvernement & du Peuple. Les
changemens momentanés dont nous avons été
sémoins dans l'ordre judiciaire &législatif, ont
:
i
( 3 )
accru ce mouverent rapide de l'opinion , à laquelle
le Souverain adéféré,juſqu'au jouarr folemnel
où il ſera réuni à tous les Ordres de l'Etat ,
pour fonder l'harmonie & la profſpérité publique
fur lesdroits de tous ,& fur des inſtitutions invariables.
TE
Conſidéronsle reſte de l'Europe; nous n'yverrons
pas les mêmes diſſentimens dans la politique
intérieure des Etats; mais cette union ne donne
que plus de force à l'activité de leurs projets. Si
l'on excepte la ligue Helvétique , immobile a
comme les rochers ſur lesquels elle eſt aſliſe , & ι
fon fage voiſin , le Roi de Sardaigne, dont le
gouvernement , plus que tout autre , repoſe
furdes maximes conſtantes, cette partie du mondei
nepréſente que tempêtes naiſſantes , ou tempêtes
àcalmer.
1
h
La rupture dé la Cour de Vienne avec les
Ottomans , qu'elle paroiſſoit avoir oubliés depuis
40 années , dont la neutralité l'avoit ſervierd
deux guerres ſucceſſives , &qui , endormis fur les 19
anciens Traités, redoutoient de nouveaux enmeti Yl
mis , a peut-être ſuffi à leur aſſurer de nouveaux
Alliés. Comme on avoit prédit , avec la légèreté
qui caractériſe la politique moderne , une inva
ſion facile de laTurquie européenne , comme dans
ces calculs ridicules , on avoit compte fur l'igno
rance barbare , fur la lâcheté , furl'affoapiffement
des Turcs ; leur réſiſtance bien conduite a jeté
dans l'autre extrême les juges du combat avanto Ci
la campagne , on n'annonçoit que les défaitesde
ces Muſulmans ; trois mois après les premières
hoſtilités , on ne racontoit que leurs victoires: Ge
pendant les pertes & les avantages ont été alternatifs,
fi toutefoisl'occupation de la Moldavie, produ? si
vince ouverte, peut compenſer la ruine du Bannat,
&trois châteaux pris en Boſnie , los dépenfes
lenombre d'hommes enfevelis ſouslesdécombresde
וי
;
a ij
( 4)
leurs fortifications.Apeine les frontières Ottomanes
ont été entamées , & la poſition des deux Puifſances
reſte la même que nous la vîmes au commencement
des hoftilités.
Quoique les Ruſſes ayent peu ſecondé l'activité
& les grands moyens de l'Empereur , ils
terminent ſans revers la première campagne d'une
guerre qui paroiſſoit devoir les accabler ſeuls .
Bien loin, que la Crimée , principal ſujet de la
conteſtation , ait été menacée , tous les efforts du
Capitan-Pacha ſe ſont bornés au ravitaillement
d'Oczakof , & ce guerrier ſi entreprenant , a ramené
ſa flotte à Conſtantinople ſans pouvoir ſe
flatter même d'avoir mis cette fortereſſe en ſureté.
Mais des échecs politiques , de la plus ſérieuſe
importance , ont affoibli la ſupériorité , juſqu'ici
prédominante ,de la Ruffie. La Suède , indiſpoſée delaconduitedu Miniſtrede cette Puiſſance àStockolm,
liée d'un autre côté à la Porte , a arrêté
dans la Baltique la flotte de l'Impératrice , prête
à faire voile pour la Méditerranée ; la Finlande
eſtdevenue le théâtre de la guerre entre les deux
Puiſſances;& lorſquel'uned'elles eſt parvenue, par d'étroites relations, às'aſſurer des ſecours du Danemarck,
àfaire envahiruneProvince Suédoiſe par ces
Alliés,& à forcer Guflave IIId'accourirde Finlande
défendre ſes propres Etats , cette diverſion a encore
trompé les eſpérances de la Ruffie. La Pruſſe
&l'Angleterre interpoſant leur médiation , accompagnée
de déclarations menaçantes , ont forcé les
Danois de rentrer dans leurs foyers , & ont procuré
auRoi de Suède le temps d'armer ſes peuples ,
de les enflammer de zèle , & de négocier , ſous
'appui de ſes Protecteurs , même avec avantage.
La réſurrection politique de la Turquie& de laSuède, été bientôt ſuivie de celled'une troifième
Puiffance , effacée depuis quinzeans du ſyſtême
de l'Europe : nous parlons de la Pologne.
Le mêmeCabinet deBerlin ,dont les armes chan
a
:
(5)
gèrent, la face de la Hollande l'année dernière ,
dont lesdémarches ont ſauvé la Suède , eſt devenu
le modérateur des mouvemens d'un Parti puiſſant
dans la Diète. Ce Parti, sûr du Roi de Pruffe , &
probablement de ſes Alliés, s'eft rendu maître des
délibérations,Ouvertement ilpourſuit le projet de
ſe ſouſtraire àl'influence dela Ruſſie , d'oter à cette
Puiſſance,dont le ſceptre peſoit ſur la République,
lepouvoird'engouverner les réfolutions , &de détruire
les loix mêmes que ſes Ambaſſadeurs & fes
troupes lui dictèrent en 1768 & en 1774.
L'Angleterre , après avoir conſommé le plan
de fes liaiſons continentales avec la Pruffe & la
Hollande, & réglant ſes démarches ſur celles de
la première de ces deux Puiſſances , n'a participé
aux affaires générales de l'Europe que par desné
gociations. Elles ſe trouvoient en pleine activité,
al'inftant cù un évènement , auſſi funeſte qu'imprévu
, a plongé le Gouvernement dans l'inaction.
En revenant for cet objet , nous ne ferions que
répéter les détails très-réces & très- étendus que
nous avons préſentés à nos Lecteurs,
Preſque en mêmetemps que le Roi d'Angleterre
aété frappé dans ſes facultés intellectuelles , l'Héritier
préíomptifdu Portugal deſcendoit au tom-
- beau : la même maladie frappoît ſa foeur l'Infante
d'Eſpagne, le PrinceD. Gabriel ſon époux , & peu
de jours enfuite nous avons vu expirer le Roi
d'Eſpagne lui-même, après 54 ans de règne , ſoit
àNaples, foit àMadrid...
Trois mois ont fuffi pour raſſembler cette mul-
--titude de révolutions : leur proximité nous interdit
toutes réflexions , & auroit dû même nous défendre
d'en offrir cette exquiſſe précipitée. La plupart
deces faits ne feront même entièrement développés
que dans le cours de l'année ſuivante; & au
lieu de les raconter, il faudroit ſe borner à dire :
Te temps préfent e gros de l'avenir.
aiij
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
i
POLOGNE.
De Varsovie, le 7 décembre 1788.
DANS la Session du 29 novembre ,
on distingua la proposition faite par
M. Zaleski , Nonce de Trock , de
proroger ultérieurement la Diète pour
un temps illimité; cette motion fut approuvée
d'une voix unanime. Il a été
également décidé d'envoyer des Ministres
aux principales Cours de l'Europe , et le
Prince Stolnik Czartoryski est déja désigné
pour se rendre en qualité d'Ambassadeur
Extraordinaire à celle de Berlin .
-
Aujourd'hui , les Etats Confédérés ont
fait remettre à M. de Bucholtz, Envoyé
Extraordinaire du Roi de Prusse , leur
réponse suivante à la Déclaration déliyrée
par ce Ministre le 19 novembre.
« Les afſurances d'un bon voiſinage , & d'une
amitié toujours manifeſtée dans la ſeconde déclaration
de S. M. le Roi de Pruſſe , ont de nouveau
( 7 )
excité les ſentimens de la plus vive reconnoiſtance
des Etats aſſemblés . Si l'établiſſement de la commiffion
de guerre s'eſt attiré les témoignages flatteurs
de S. M. le Roi de Pruſſe, la continuation
destravaux de la légiſlation ſur le même objet ,
établit : Que laDiète,de ſes loix ſubſéquentes, fuit
non-feulement les principes de ſon gouvernement
libre & républicain , mais qu'elle y procède en
acquérant journellement un eſprit plus unanime.
C'eſt par-là même que la république cherche à
prouver à S. M. le Roi de Pruſſe , combien elle
apprécie la ſageſſe de ſes vues , combien elle défice
remplir ſes ſouhaits , & comment elle tâche
de répondre aux preuves non équivoques pour
la sûreté&lebien-être de la Po ogne ; preuves
que S. M. déclare généreuſement ſupérieures à des
confidérations d'ailleurs importantes. »
" Quoique la liberté de penſer & de parler
foit unedes propriétés, conftitutives d'un gouvernement
républicain , la différence des opinions&
desdiſcours ne fait point cependant d'impreſſion
ſur la volonté générale de la Nation& des
Etats aſſemblés. La nation , indiſpoſée contre
l'interprétation inufitée & illimitée de la garantiede
fon gouvernement , n'étend pas ſes inquiétudes
juſqu'à s'alarmer ſur une garantie conforme
àfon indépendance. Telle eſt celle que S. M. le
Roi de Pruſſe définit dans ſa déclaration , une
garantie générale de l'indépendance de la République
, fans s'immifcer dans les affaires intérieures
, ni gêner la liberté de ſes délibérations& de
ſes déciſions; garantie que la Nation conçoitne
pouvoir jamais être employée par le garant contre
la République , & qui ne le ſeroit même en ſa
faveur , qu'à la demande des Etats aſſemblés en
Diète, contre le violateur de ſa Souveraineté,
de ſa liberté & de l'intégrité de ſes poffef-
Sons. n
a V
( ( 8 )
«S. M. leRoi de Prufle étant prêt & diſpoſt ,
-dans ces vues amicales , à remplir , envers la
-République , ſes engagemens d'alliance & de garangénérale,
Wa Nation ne peut , po de fon côté , que
les accepter avec une réciprocité de défûr & de
ſentiment. "
f
tie
«La follicitude de la République , fur tout
* ce qui a rapport aux garanties indéfinies , avoit
-déja fait enviſager , dans la réponſe qu'elle a
donnée à la Cour de Pétersbourg le 17 novembre
, la voie des négociations avec les Cours voifines,
comme le moyen le plus sûr de parvenir
à l'exiſtence la plus parfaite de la République. En
offrant nommément à S. M. le Roi de Pruſſe ,
par un Miniftre accrédité , qui fera inceſſamment
nommé , l'ouverture d'une négociation, les Etats
affemblés font entièrement perfuadés que S. M.
voudra bien continuer des procédés auffi amicals
que généreux , & fi conformes à la sûreté & au
-bonheur de la République . S. M. le Roi de Pruſſe
établira ainfi à jamais la haute opinion que la
Nation Polonbife a conçue de fa magnanimité
& de fon caractère, qui réunit toujours la plus
faine morale à fa politique . »
Varfevie , ce 8 décembre 1788.
STANISLAUS - NALZECZ MALACHOWSKI , référendaire
de la Couronne , Maréchal de la Dête
&de la Confédération de la Couronne .
CASIMIR , Prince SAPIPHA , Général d'artillerie
de Lithuanie , Maréchal de la Confédération
du grand-duché de Lithuanie.
M. Branitzki , Grand-Général de la
Couronne , qui avoit passé à l'armée du
Prince Potemkin en qualité de Volontaire
, est de retour à sa terre de Bialacerkiew.
On lui fait dire que le siège
( 9 )
d'Oczakofne discontinuera point durant
Thiver , les Assiégeans s'étant enterrés
dans des huttes sous terre , pour se garantir
du froid. Suivant le même rapport,
le Capitan-Pacha s'est éloigné , le 16 , de
la forteresse , et un parti de Cosaques-Zaporaves
a surpris la petite isle de Beresan,
ainsi que400Turcsqui enformoient
la garnison.
Nous avons promis le Discours deM.
Potocki , Palatin de Russie et Grand-
Maîtrede l'Artillerie. C'est dansla Séance
des Etats du 24 novembre , que ce vertueux
Citoyen , dont la vie entière a été
une suite d'actions patriotiques , parla
en ces termes :
«Le fort des peuples libres eſt de paſſer de
Pexcès du découragement à l'excès de la ſécurité,
&lorſqu'ilsont forgé à ſe défendre, ils ſe croient
déja en état de détenſe. Quelquefois ils mettent
la même légèreté dans les jugemens qu'ils portent
fur les citoyens:placer leur confiance , foupçonner,
accufer , abfoudre , ne font pas toujours chez eux
le fruit d'une aſſez mûre délibération.»
« Je connois ces fautes de la liberté , &pourtant,
je l'aime plus que ma vie; car il eſt en elle des
biens & des délices ignorés des peoples eíclaves.
Aimant la liberté , je dois aimer auſſi cette patrie
où je fuis né libre : aimant ma patrie , je dois
auffi lui dire les chofes que je crois vraies , loss
même qu'elles paroiſſent déplaifantes on coupables..
« Jeneparlerai pas commecelui qui s'éveille après
na long fommeil, car depuis le commencement
de ma vie civile j'ai toujours fenti ce que je fens
excore, j'ai toujours parlé comme je va's pader
αν
( 10 )
aujourd'hui. Sen appelle au témoignage de ceux
avec qui j'ai vécu ; ils favent ſi j'ai paſſé un
ſeul jour fans penfer à fervir mon pays; ils favent
autfi fijamaisj'ai fongé à fervir un autre pays
que le mien.»
«J'en attefte enfin cette Chambre de nos Etats
aſſemblés , & ce Trône aux pieds duquel j'ai
porté quelquefois des vérités hardies&des tributs
patriotiques. »"
"Loiſqe, parlant pour les intérêts de la Républicque
, je paroiſfois contraire à Votre Majesté ,
j'aurois été prêt à verſer man fang pour défendre
fa perſonne facrée ou les prérogatives de fon
trône ; mais jamais on ne m'a vu céder aux impulſions
de la malveillance ou de l'intérêt particulier.
»
,
« Ilya long-temps que j'ai fenti& que j'ai dit ,
qu'un peuple libre doit toujours eſpérer en luimême
, tant qu'il lui reſte des bras , tant qu'il lui
reſte de ce métal dont il fabrique le foc de fa
charrue&la lame de ſes ſabres. Un peuple libre ,
pour refter libre , n'a qu'à le vouloir. >>
« Le plus grand écrivain de notre ſiècle a dit :
Si vous faites er forte qu'un Polonois ne puiſſe
jamaisdevenir unRuſſe, ni unAll mand , je vous
réponds que les Ruffes nilesAllemands ne ſubjagueront
jamais laPologne.n
«Pleindecette vérité, je prends ici devantDieu,
devant le trône de Votre Majesté , & devant la
nation entière , l'engagement facré de ne jamais
fervir aucuns Monarques, de n'êtrejamais leur fujer
& fi le fort cruel , ou peut- être les crimes de
notre République venoient à l'entraîner à ſa
perte , fi j'étois affez malheureux pour ne point
m'enterrer dans ſa tombe, & ne pas rongir de
monfang la terre où je ſuis né , alors je jure de
l'abandonner , de faire paſſer les mers à mes neuf
enfans , pour qu'ils puiſſent reſpirer un air libre,
( 11 )
&cacher dans les forêts d'an autre hémisphère ,
lahonte du nom Polonois.»
"J'ai déja une fois abandonné la demeure de mes
pères , pour aller habiter l'Ukraine , contrée plus
fauvage , mais que le fort avoit confervée à la
Po'ogne&à la liberté. Je ſaurai renoncer à tout ,
&non pas à la liberté. >>
«Sire , c'est ainſi que je penſe , & c'eſt ai fi
fans doute que penſent les Répréſentans de la
nation ,&la nation elle-même. »
1
«Seroit-il donc poſſible que cette nation généreuſe
ſe montrât ſemblable aux roſeaux legers
que le ſouffledu moindre vent fait pencher tantor
d'un côté , tantôt d'un autre ? An , que plutôt
elle puite mériter d'être comparée à ces chênes
antiques qui ont refifté aux tempêtes , & quela
foudre même n'a pas pu deraciner ! Brifons
nos fers , mais fans en forger de nouveaux . Regardoas
autour de nous , mais auffi rentrons en
nous-mêmes. Soyons unis, oublions nos haines,
ayons horreur de l'intrigue ,& périile la mémoire
de ceux qui ont appelé le foldat étranger , pour ,
lui faire verſer le fang de leurs, concitoyens.
&lui ont ouvert l'entrée de la République. »
Nous avons un Roi , nous ex ftons encore ; &
fi les obſtacles ne viennent pasde nous-mêmes ,
rien ne pourra nous empêcher de reprendre notre
rang parmi les nations. Mais l'enthouſiaſme eit
devenu général , & l'amour de la patrie embrafe
aujourd'hui tous les coeurs , ſans diftinction .
ni d'âge, ni de ſexe. Une citoyenne , mère de
neuf enfans , a voulu n'être parée que de leurs..
vertus , & fe défait de ſes bijoux pour pouvoir
fournir aux besoins de la République'; cette citoyenne
eſt ma femme , & la valeur de ſes bijoux
équivant à celle de dix mille fufils , qui
feront remis dans les arſenaux de la République ,
" T
:
1
a vj
( 12 )
àla Diète prochaine,&même plus tôt, ſi j'ea vois
la néceffité. »
«Quant à notre travail fur la formation de
la commiffion de guerre , j'oſe eſpérer que nous
pourrons l'achever bientôt , & qu'alors nous nous
bâterons de paffer aux véritables beſoins de la
République , qui font , une armée,& des impôts
fuffitans pour l'entretenir. »
1
DANEMARCK.
De Copenhague, le 9 décembre.
Avant-hier au soir, nous avons eu le
bonheur de voir revenir en cette capis
tale le Prince Royal et les deux Princes
de Hesse , père et fils. Le vaisseau de
ligne l'Oldenbourg, qui les ramenoit de
la Norwége, les conduisit à Helsingor ,
où ils arrivèrent à 4heures dans l'aprèsmidi.
A leur retour ici , le peuple environna
le traîneau du Prince Royal , détela
les chevaux, le conduisit au château
en triomphe , et aux acclamations de
la multitude. Toute la ville et la citadelle
furent illuminées , et on fit une
triple décharge des canons du rempart.
Aminuit , toute la Cour sortit en
voitures pour voir l'illumination ; le
peuple détela celle où étoient le Roi , le
Prince Royal et les Princesses , et les
traîna dans les principales rues .
Le Prince Charles de Hesse doit se
rendre à Slesvic la semaine prochaine,
: ( 13 )
Les6,7et8de cemois, sont entrés dans
Jeportde cetteville , les vaisseaux de ligne
la Wihlemine Caroline , la Louise-
Auguste, la Justitia et leNorskelowe;
la frégate la Bornholm , qui étoit de
gardedans le Sund, est arrivée hier à la
rade.
ALLEMAGNE.
De Vienne , le 11 décembre.
L'Armistice signé ne s'étend point de
Novi àChoczim , ainsi qu'on l'avoit supposé.
Jusqu'ici , il ne concerne que la
Syrmic et la Servie, On rapporte de la
manière suivante , les circonstances de
cette Convention.
- Le 22 du mois dernier, il parut devant Semlin
une faïque Turque , portant pavillon blanc , & à
bordde laquelle ſe trouvoient plufieurs Officiers
Turcsaccompagnés d'un dragoman , isdemandèrent
1
parler à S. E le Gédéral Comte de Brown,
chez qui ils furent introduits , & à qui ils ne
Esirentune lettre de la part du Seraski r. Le Comte
deBrown les combla de politetles , & les régala ,
felon l'ufage,de rafraîchiffemers&deconfimres;
exfuire il les congédia de la manière da plus obli
geanattee,, enles affurant que le lendemain il auroit
T'honneur de faite donner une réponſe cathégorique
au Séraskier. En conséquence , le 23 , on,
vit partir de Semlin une chaloupe avec des Officiers
qui avoient également hiſſé le pavilion b'anc.
Arrivés à Belgrade , ils y furent reçus avce diftinction
, & comblés de toutes fortes de civilités
( 14 )
par leSéraskier lui-même , à qui i's préſentèrent
la lettre de M. le Général de Brown , laquelle,
ſans doute , contenoit les articles de l'armistice ;
car ce ne fut qu'après le retour de nos Officiers ,
qui ne purent aſſez ſe louer de la réception &
des politeſſes qu'on leur avoit faites à Belgrade ,
qu'on fut inſtruit à Semlin de la Convention qui
venoit d'être conclue. L'aſſurance avec laquelle
le Séruskier a procédé dans toute cette affaire ,
ſemble détruire l'opinion de ceux qui ſoutiennent
qu'il a ſigné l'armiſtice fans avoir préalableme..t
demandé le conſentement du Grand-Vifir.
Le Maréchalde Laudhon est arrivé aujourd'hui
dans cette capitale. - LeMaréchal
de Lascy , indisposé , s'est rendu
à Bade pour y faire usage des bains
chauds.
Le Général Sauer est entré le 29 novembre
à Lemberg , pour prendre le
commandement général des troupes de
laGallicie.- Le Général Filo commande
à Choczim.- Lestroupes Russes prendront
leurs quartiers d'hiver dans la Moldavie.-
Le Prince de Cobourg, dit-on ,
se retirera davantage vers la Buckowine ,
où les vivres sont plus abondans qu'à
Roman.
On écrit de Funfkirchen , que M.
de Stierner , premier Interprête de la
Cour pour les langues orientales, a passé
par cette ville le 15 novembre , allant à
Livourne , d'où il doit se rendre à Constantinople.
( 15 )
De Francfort sur le Mein, le20décemb..
L'extrême vivacité du froid s'est soutenue
depuis le commencement du mois.
Le 10, à 9heures du matin , le Rhin gela
au-dessous de Mayence. Tandis que les
glaçons , flottans le jour précédent , se
réunissoient , un grand bateau qui traversoit
le fleuve pour se rendre à Kastell,
fut pris et enfermé entre les glaces. Le
tocsin attira les habitans de Kastell , qui
s'avancèrent dans une grande nacelle .
au travers des glaces , jusqu'au bateau
engagé depuis quatre heures , et en retirèrent
les passagers. Le lendemain 11 ,
on traversa sur la glace ce fleuve dont
on connoît l'imposante largeur en cet
endroit. Le Mein et le Necker sont entièrement
gelés .
S. A. Frédéric - Henri , Prince de
Prusse et Marggrave de Brandenbourg-
Schwedt, est mort à Schwedt , sa rési-:
dence , dans la nuit du 1 au 12 de ce
mois , âgé de 79 ans. Ce Prince laisse
deux filles , l'une mariée au Prince rẻ-
gnant &Anhalt Dessau, l'autre Abbesse
de Herforden.
Les méines lettres de Berlin nous apprennent
que le Roi vient d'établir un
quatrième département au collège supérieur
de guerre , et d'en nommer Direc- >
teur le Major-général et Chef du Corps
duGénie , Louis-Guillaumede Regler.
( 16)
:
-GRANDE-BRETAGNE.
!
De Londres , le 23 décembre..
• Nous promîmes , il y a huit jours , le
détail de la Séance de la Chambre des
Communes du 12', et de celle des Pairs
du 15; mais ces débats préliminaires deviennent
indifferens , aujourd'hui que la
question qui en faisoit l'objet , a été
traitée dans tout son développement.
Nous fîmes pressentir à nos Lecteurs
son extrême importance et les difficultés
qu'elle rencontreroit. M. For et ses amis
en ont rendu la solution indispensable ,
Chambredes Communes adiscute solemnellement
, le 16 , ces principes et les,
droits de la Nation. Une foule immense ,
répandue dans l'intérieur et dans les avenues
, attendoit l'ouverture de ce grand
spectacle, où le Ministre , au nom du Roi
et du Peuple , alloit défendre l'intérêt
de l'un et l'autre , contre le voeu de l'héritier
présomptifde la Couronne, et d'un
Parti puissant appelé par ce Prince à
l'Administration. LaChambre s'étant formée
en Comitégénéral sous laprésidence
de l'Alderman Brooke Watson , M.
Pitt prononca un Discours de deux
heares et quart , écouté avec la plus pro(
17 )
:
2
fondeattention.En voici les principaux
chefs:
« Ce Miniſtre commença par faire obſerver à la
Chambrequeles conjonctures déſaſtreuſes dontelle
alloit s'occuper , ſujet d'une douleur& d'une anxiété
extrêmes pour la Nation , pouvoient entraîner
des fuites , & paroître auffi importantes que
celles qui , au dernier ſiècle , produifirent, la révolution
à laquelle on devoit l'heureuſe conſtitution
des trois royaumes. >>
«En effet , continua-t-il , il eſt queſtion aujourd'hui
, comme il l'étoit alors , de fuppléer à
la vacance de l'exercice de l'autorité royale. C'eſt
un point commun aux deux époques ; mais ce
qui les différencie eſſentiellement , c'eſt que dans
le premier cas, la vacance fut caufée par une ab-
*dication& par la forfaiture du Prince ; au lieu
qu'ici , elle l'eſt par une incapacité momentanée
de Sa Majefté, Le rapport du Comité , chargé
d'examiner les Médecins , eft fur le bureau , &
ne conftate que trop cette triſt,e vérité. Pourvoir
à cette interruption paſlagère de la branche exécutive
de la législature , eſt donc le devoir néceſſairement
DÉVOLU aux deux Chambres du
Parlement.Mais , avant d'y procéder , avons-nous
le droit de délibérer ? S'il étoit prouvé , comme
on le prétend , que l'exercice de l'autorité royale ,
durant l'indifpofition de S. M. , et un droit inhérent
à la perſonne du Prince de Galles , les
fonctions du Comité ſe borneroient à peu de
choſe.-
:
Sans faculté de délibérer , il n'auroit
à remplir qu'une formalité judiciaire , celle de
reconnoître & d'adjuger ce droit. Mais fi, au
coatraire , on doit reconnoître les deux Chambres
comme Repréſentans légitimes de tous les
Ordres du Royaume , & fondées en conféquence
à intervenir dans cette affaire , on regardera les
( 18 )
devoirs du Comité comme ſérieux , comme importans
, comme exigeant qu'il s'occupe fans
délai de les remplir. Si ce droit avoit été auſſi
peu conteſté qu'il eſt incontestable , je n'aurois
point à faire la motion que je ne puis me difpenſer
de vous préſenter. Vous avez entendu revendiquer
ce droit pour le Prince de Galles, par
un membre reſpectable de votre Chambre , vous
aurez sûrement appris que les mêmes principes
ont été foutenus dans l'autre. Ce débat a tranfpiré&
porté l'agitation dans tous les efprits.Quelque
déſirable qu'il fût que cette queſtion n'eût
jamais été élevée , il eſt indiſpenſable de fixer à
ce ſujet l'opinion publique. J'eſpère qu'on ne
m'imputera pas d'avoir fait examiner par caprice ,
ou inutilement , des réclamations qui n'ontpas eu
réellement lieu. Je ſuis prêt à croire que c'eſt fans
l'ordre exprès ,& même ſans l'aveu du grand perſonnage
intéreſſé à ce droit , que l'on en a d'abord
fait mention . Mais comme il a fortement
&ſérieuſement occupé des gens de la plus grande
conſidération , s'il y a du danger à prononcer déciſivement
ſur ce point , qu'on s'en prenne à ceux
qui ont été les premiers à élever cette diſcuſſion:
elleatrop échauffé les eſprits pour qu'on ne la
termine pas; nous devons une réponſe ſolemnelle
ànos contemporains &à la poſtérité. »
« Quand M. Fox a commencé à parler de ce
droit, en quelques termes qu'il l'ait fait , qu'il l'ait
dit expreſſément ou non , l'impreſſion de ſon difcours
fur le plus grand nombre des auditeurs ,
a été certainement que , dès que le Parlement a
reconnu l'incapacité du Roi à gouverner , le Prince
de Galles a le droit de s'emparer de l'exercice
de l'autorité royale , dela conferver durant cette
incapacité , ſans le conſentement, ou , comme on
le dit aujourd'hui , ſans l'enregiſtrement des deux
Chambres du Parlement. C'eſt un avantage fou
( 19 )
vent attaché à une bonne cauſe , que ſes adverfaires
ſeconfondent , ſe réfutent d'eux- mêmes par
leurs variations & leur inconſtance. Le T. H.M.
s'eſt rétracté le lendemain de ce qu'il avoit dit
la veille: il a confeflé qu'il ſeroit néceſſaire que ce
droitdu Prince fût reconnu &adjugé par le Parlement.
a ( M. Fox ſe leva au mot de rétractation ,)
mais le Miniſtre répéta que la ſeule choſe ſur
Jaquelle il vouloit bien ſe rétracter, étoit l'uſagede
cette expreffion , & qu'il ſe contenteroit de dire
(qu'au moins M. Fox avoit déſavoué ſon principe. )
Malgré ce premier avantage , en foutenant les
droits du Parlement contre le prétendu droit dư
Prince , en tant qu'il peuts'emparer de l'autorité ,
jedoute encore, avec reſpect , de l'exiſtence même
de ce droit, j'en attends les preuves & la décifion.
Quelques perſonnes ont déclaré qu'il étoit
inutile de chercher dans l'hiſtoire des exeinples ,
qu'il n'en exiſtoit pas , & qu'y en eût-il , ledroit
étoit trop clair pour avoir beſoin d'autorités. Je
ſuis prêt à combattre de pareilles propoſitions ,
&mes armes , les voici : ce font les documens
&les exemples mis ſous vos yeux. J'épargnerai
au Comité, s'il le veut , la peine de defcendre
dans tous les détails. Je puis affirmer & prouver
que , dans tous les cas de Régence , quand on a
confié l'autorité à l'héritier préſomptif ou apparent
, on ne l'a fait qu'en limitant conſidérablement
les pouvoirs attachés à la Monarchie ; &
il n'eſt pas probable que ſi ces héritiers ſe fufſent
crus en droit de les réclamer tous , ils euſſent
confenti à ce qu'on ne leur en accordât qu'une
partie. Je fais qu'on a diftingué entre les droits
de l'héritier apparent , ceux de l'héritier préſomptif
: des distinctions de ce genre peuvent être
bonnes en raiſonnant , quand il s'agit d'éluder ou
de confondre fon adverſaire ; mais cette diſtinct'on
ne peut mettre de différence entre le droit,
-
(20 )
**l'intérêt ou l'autorité de l'héritier apparent oudu
préſomptif. D'ailleurs , toutes les fois que l'exercice
de l'autorité royale a été interrompu , ſoit
paruneminorité , ſoit par l'abſence , ſoit par maladie,
les effets ont été les mêmes. M. Fox lui-même
aparu admettre ces vérités dans ſes corrections ; car
ila prétendu que le droit d'exercer l'autorité
royale , réſidoit dans le Prince héritier ,
quand l'incapacité du Roi étoit déclarée ; or , n'eſtil
pas évident que cette incapacité peut avoir
lieu auffi -bien par abſence ou minorité , que par
maladie ? Il ſe trouve dans l'hiſtoire un cas applicable
aux circonstances préſentes , c'eſt celui d'incapacité
d'un Roi par abfence; on nomma le
*Prince de Galles à la régence , mais en limitant
fonautorité. Nous rencontrerons une foule d'exemples
, indépendamment de ceux qu'a choiſis le
•Comité. Le premier ,dont il rend compte dans
fon rapport , eſt celui d'Édouard III ; mais comme
Yous ce règne , ainſi que ſous celui de RichardII,
on établit des conſeils de Régence , je ne les reregarde
pas comme applicables aux circonstances
' actuelles ; le règne de Henri VInous en fournit
de plus analogues. L'incapacité du Roi malade
*néceffita alors une Régence; il exiſtoit un Prince
*de Galles , en bas-âge , il est vrai. Quoique le
prompt rétabliſſement du Monarque prévînt
l'exercice des pouvoirs délégués par le Parlement,
cependant en rédigeant un acte de Régence , nos
*pères anticipèrent ſur l'avenir , & pourvurent
d'avance à laſituation -dans laquelle ſe trouve le
Royaume. Dans cet acte, le Parlement portant
ſes vues au-delà du moment , prévit celui où le
Prince de Galles ſeroit majeur; & au lieu de ſe
børner à lui reconnoître alors le droit de gouverner
au nom & avec toute l'autorité de ſon
père, ſuivant l'eſprit du ſyſtême moderne , le
Parlement régla les limites des pouvoirs qu'on
f
(21 )
)
lui confieroit. N'est-ce pas une preuve incontelable
que ce Parlement enviſageoit les droits du
Prince ſous un autre aſpect que celui qu'on nous
préſente aujourd'hui ? Quoique la conſtitution
ne für pas alors ſi bien définie , nos pères ne
perdirentjamais de vue la maxime que les Rois ,
expoſés , comme tous les hommes , à des afflic-
| tions ou à une incapacité perſonnelle , ſont toujours
les mêmes quant à leur capacité politique ;
de forte que c'eſt certainement dans la perſonne
du Roi qui porte actuellement la Couronne , que
réſide toute l'autorité royale ; c'eſt toujours en
fon nom , même durant l'exercice d'une Régence,
quedoivent ſe faire toutes les affaires publiques:
tel doit être le principe de tout Gouvernement
libre,&tel eſt , en particulier, celui de la grande
Bretagne,"
T
1
« Je me garderai bien , dans une affaire de
cette importance, de ne m'en rapporter qu'à mes
Teules lumières ;je crois avoir ſuffisamment prouvé
, par les documens hiſtoriques , la nullité du
prétendudroitqu'on vouloit établir. Seroit-il fondé
fur le génie de la conſtitution , ou ſur quelque...
analogie légale ? Lorſqu'on a préſenté cette quef
tion à laChambre , on a très peu employé le rai-...
fonnement; tout s'eſt réduit à différentes, mas
nières d'énoncer la même aſſertion1;; cependant ...
M.Foxaprétendu quelePrince avoit demême
droit d'exercer l'autorité ſouveraine durant, l'inca
pacité du Roi , & au nomdu Roi , qu'il l'auroit de
l'exercer en fon propre nom, dans le cas de vacance
dela Couronne , puiſque la ſituationpréſentedeSa
Majesté eſt une mort civile, Ce raiſonnement ab.
furde tombe de lui-même. Ouvrez Blackstone
vous verrez qu'il n'y aa que deux genres,de mort
civile, l'une légale, l'autre volontaire, Lamorte
civile a lieu par le banniſſement à perpétuité
fans eſpoir de rappel ni de rentrer dans les biensi
(22 )'
- La mort civile vo ontaire , lorſqu'un homme
prend les Ordres ou te fait moine : alors il meurt
aux yeux de la loi , & ne peut plus ſe mêler
d'affaires temporelles. Mais aſſimiler à ces deux
cas l'affliction dont il a plu au Ciel de viſiter Sa
Majette; la confidérer comme volontaire , comme
l'infliction don châtiment légal , c'eſt une idée
extravagante & impic. Il s'offre d'ailleurs une
autré confidération plus fatale au ſyſtéme de mes
adverfaires. L'examen des Médecins , interrogés
par le Comité , conſtate , il est vrai , la maladie
de Sa Majefté , peut-être encore plus fâcheuſe
pour fon peuple que pour ce Monarque chéri ;
mais en même-temps il nous donne des eſpérances
générales & bien fondées , de le voir en état de
reprendre les rènes du Gouvernement , qu'il a tenues
fi long-temps , de manière à s'acquérir tous
les jours de nouveaux droits à la confiance & à
l'amour de ſes peuples : en préſageant ſon rétabliſſement,
en l'espérant même plus tôt que nenous le
promettent les Médecins , je crois n'être que l'interprète
des voeux de tous. Et de quel avantage
feroit au Gouvernement & au bonheur de la
Nation , cette guérifon défirée avec tantd'ardeur,
ſi la mort civile du Souverain , dont quelques particuliers
le diſent atteint , l'empêche de reprendre
le fceptre ? Non ;j'eſpère ,je fuis sûr , comme
l'illuftre héritier préſomptif de la Couronne ,
qu'elle ne paffera jamais ſur ſa tête que par le
décès effectif de ſon père; je fais que cette époque
arrivera , qu'elle eſt dans le cours des choſes
humaines; mais puiſſe-t-elle s'éloigner ! voilà les
voeux de ce fils& les miens. »
ec Croit-on qu'une aſſertion ſi futile ait encore
beſoin d'être débattue ? Que l'on en confidère
ſeulement les conféquences. En foutenant que le
Prince a le droit d'exercer l'autorité royale comme
après la mort de ſon père, ou qu'il peut s'en ease
(23 )
parer fans un acte préalable du Parlement , ne
voit-on pas que le ſoin&la défenſe de la perfonnedu
Roi ſe trouvent dévolus à celle qui exerce
fon autorité en ſon som , & par l'effet de ſa maladie?
"ADieu ne plaiſe quejetrouve quelque Auditeur
affez bas pour ſuppoſer que cette prévoyance
inquiette ſoit dirigée , même de la manière la plus
éloignée, contreles circonstances préſentes ! mais
audi , à Dieu ne plaiſe que la crainte de bleſſer
desperſonnes d'un rang illuftre , que la confiance
enun caractère aimable &généreux, puiſſent jamais
nous induire à négliger les loix de la prudence ,
ou cellesdu Royaume , à donner un exemple ſi
fatal à la conſtitution, ſi puiſible au bonheur de
la patrie. Je nepuis croire qu'on empoiſonne mes
fentimens auprès du Prince , ni qu'on me repréfente
à lui comme un ſujet infidèle&peu refpectuenx.
Fuffé -je fûr d'être traveſti ſous ce jour
odieux, je ſens en moi ce reffort intérieur de la
confcience , qui me porte vers ce qui eſt juſte , &
qui fait céder toute conſidération perſonnelle à
mon attachement pourmon Souverain , & à la
ferme volonté de m'acquitter juſques à la fin de
ce que je dois au peuple Anglois.>>
« Ici , les applaudiſſemens interrompirent l'orateur.
L'oppofition même rendit unhommageunanime
à M. Pitt. n
«Un perſonnage d'une grande autorité , pourfuivit-
il , & qui, par ſa place , doit être inſtruit
des loix qu'il eſt chargé d'adminiſtrer (1) , a dit ,
dans l'autre Chambre , qu'il exiſte un ancien acte
qui déſigne le Prince de Galles comme formant
une ſeule&même perſonne avec le Roi ; d'où il
a inféré que lorſqu'une partie de l'unité eſt inca-
(1) Milord Loughborough , Ghef des plaids
communs.
;
( 24 )
pable d'exercer l'autorité ſuprême , c'eſt à l'autre
qu'elle ſe trouvedévolue. J'ai peu fouillé la pouf-
Gère de l'antiquité , pour en tirer des lambeaux
de vieuxtitres échappés en partie aux ravages
du temps. La gravité du ſujet exige d'autres
moyens de déciſion , que le poids obfcur de
quelques parchemins caduques. »
0.
«Aprèsavoirprouvé,pat des exemples&des
raiſons , que le Prince deGalles n'a pas le droit
qu'on veut rendre inhérent à ſa perſonne ; après
avoir montré qu'il n'y a ni loi expreſſe ni induction
tirée d'aucune loi , qui juſtifie la réclamation
de ceprétendu droit ; après avoir réfuté les raiſonnemens
de ſes fauteurs , j'examinerai en qui
réſide le pouvoir de ſuppléer à l'exercice des
fonctions royales ; &, ſans m'occuper des différentes
dénominations données à ce pouvoir en
différens temps , telles que celles de Protecteur ,
deRégent , custos regni , Lord- Commiffaire , je ſuis
prêt à prouver qu'à toutes les époques où les
circonstances ont exigé cette nomination , elle s'eſt
faitepar les deux Chambres du Parlement. Sous
Henri VI leParlement ne fiégeoit pas ; le Roi
étoit mineur ; le Duc de Bedford , fononcle,le
plus près par le fang , & l'héritier préſomptif,
pendant l'abfence de ſon frère aîné , convoqua le
Parlement par des Writs en fon propre nom.
Les Membres affemblés s'aperçurent que la
conduite de l'héritier préſomptifn'étoit pas légale
&que les circonstances ſeules la juſtifieroient ;
en conféquence ils paſsèrent un acte pour légaliſer
les procédés antérieurs , ce qu'aſſurément ils
n'auroient pas fait , ſi l'héritier préſomptif eût eu
le droit de les convoquer de ſa propre autorité.
ne fais cette obſervation que pour répondre à
un H.-M. (M. Fox ) qui a prétendu que fi
lement n'eût pas été en exercice , le Prince auroit
le droit immédiat de fe
-
Je
:
le Par
convoquer. Le
ис
:
2
:

1)
( 25 )
due de Bedford , Régent , s'étant plaint , avec
raiſon , quelque temps après , que ſes pouvoirs
étoient trop limités , le Parlement , qui ne lui
étoitpoint du tout favorable , lui rappela , entreautres
chofes , qu'il avoit reclamé la place de Régent
comme lui appartenant de droit ; ce qu'ils
n'avoient pas voulu admettre , ne reconnoiſſant
d'autre droit , après celui du Roi , leur fouverain
Seigneur , que celui qui émanoit d'eux conſidérés
comme Parlement. Je crois cet exemple
applicable aux circonstances , & pleinementdécifif.
Il pronve que ce droit n'eſt inhérent à
perfonne , & ne peut être confié que par les
deux Chambres du Parlement , qui en font dépofitaires.
Si cet exemple ne fuffit pas ,& qu'on
veuilledes autorités ,jeciterai celle de M. Pym (1) .
Chacun s'accorde à le juger auffi inſtruit de la
Conſtitution , qu'aucun écrivain eſtimé. Eh bien !
ildéclare expreſſementqu'au défaut d'unebranchede
la législature , c'étoit aux deux autresd'y ſupp'éer.
C'est fur ceprincipe que la révolution de 1688 fut
effectuée: Coke , l'un des plus grands Jnrifconfultes
connus, fur-tout pour les Anglois , termine fon
court chapitre de cuftodibas regni , par ces mots :
le mieux est qu'ilsfoient toujours nommésparleParment.
"
(M. Pitslut alors, d'après lesdocumens duCo
mité d'inſtruction , le trait d'un Evêque de Wincheſter,
accufé , ſous le règne de Henri VI, d'avoir
confeillé au Prince de Galles de s'emparer de l'autorité
royale du vivant de ſon père , & qui s'en
defendit comme delacalomnie la plus outrageuſe).
Après beaucoup d'autres raiſonnemens&inductions
tirés des exemples& des autorités , ilsonchalége
rementunpoint avancé dansl'autre Chambre , non
(1)CélèbreOrateur &Dépublicain fous Charles 1.
N°. 1. 3 Janvier 1789. b
(26 )
comme relatif au droit , mais àla convenance.-
Quoiqu'il n'en parlât pas directement, on vit qu'il
faifoit allufion à la ſituation de l'Irlande , & à la
déclaration du Lord Stormont , que , ſi on limitoit
laRégence , les Lords d'Ecoſſe regarderoient l'Acte
d'Unioncomme ſuſpendu.Ilaſſura qu'il ne craignoit
rien de pareil , & qu'à tout événement il falloit
examiner la queſtion de droit en elle-même , ſans
Japlier aux circonstances étrangères de convenance.
Ainfi, reprit-il,toutes les fois qu'ilſurvient quelque
dérangement dans le ſyſteme législatif,le Parlement
eft l'organedont la vigueurdemeure entière ,
& qui exécute les opérations des différens pouvoirs
, juſqu'à ce que la Conſtitution ait repris ſon
énergie & fa ſanté politique. Je le répète , je n'ai
pas été le premier à agiter cette queſtion ; mais
puiſqu'on l'a fait ,il étoit indiſpenſable de la décider.
Un arrangement auroit pu faire croire qu'on
abandonnoit ce droit, & qu'on trahiſſoit en mêm.-
temps la cauſe du peuple & laConftitusion. Af
ſurément perſonne n'a moins d'intérêt que moi
à folliciter cette déciſion , dont il ne peut me revenir
aucun avantage. Il eſt certains pouvoirs annexés
au plein exercice de l'autorité royale , que
je ne crois pas qu'on doive confier avec la Régence,
Puifque les espérances & les voeux pour
Je rétabliſſement de Sa Majesté ſont univerſels ,
conduifons - nous d'après ces efpérances. Prenons
garde d'accorder des pouvoirs qui puiſſent
préparer des embarras ou des dangers à Sa Majeſté
, lorſque la ceſſation de fon incommodité la
mettra dans le cas de reprendre les rènes duGou.
vernement. Il eſt poſſible que je n'aie pas plus
de ſuccès que d'autres défenſeurs de la cauſe de
la liberté& du peuple, dont les principes de lovauté
ont été fans effet; mais quoi qu'il ar ive , il me
seſtera du moins la conſation d'avoir rempli mes
devoirs & obéi à ma conſcience.
) 27)
M. Pitt termina ion difcours en propoſant les
réfolutions ſuivantes:
1°. Qu'il paroît au Comité','que Sa Majeſté ,
par fou indiſpoſition actuelle , ſe trouve empêchéede
ſe rendre à ſon Parlement , & de vaquer
anx affaires publiques , & que par-là , l'exercice
perſonnel de l'autorité royale eſt interrompu
pour lepréſent.
2°. Que le Comité opine qu'il eſt du droit
&du devoirdes Lords ſpirituels & temporels , &
des Communes de la Grande-Bretagne aſſemblés,
& repréſentant légalement , pleinement & librement
tous les états du peuple de ceRoyaume,
de ſubvenir au défaut de l'exercice perſonnel de
l'autorité royale , occaſionné par ladite indiſpoſition
de Sa Majefté , de telle manière que l'exigence
du cas pourra le requérir.
RÉSOLU , qu'à cet effet , & pour le maintien
total de l'autorité conſtitutionnelle du Roi , il eſt
néceſſaire que leſdits Lords ſpirituels & temporels,
& les Communes de la Grande-Bretagne ,
aviſent aux moyens par leſquels le conſentement
Royal peut êre donné à tout Bill qui pourra
être paílépar les deux Chambres du Parlement
relativement à l'exercice des pouvoirs& autorité
de la Couronne , au nom & de la part du Roi ,
pendant laduréede l'indiſpoſition actuelledeS. M.
LeChevalierPepperArden, Maîtredes
rôles de la Chancellerie , appuya les résolutionsprécédentes
parde nouveauxargumens
: elles furent ensuite superficiellementcombattues
parM.Bastard,l'un des
ReprésentansduComté de Devon,et plus
amplement par Lord North. M. Rolle,
l'autre Représentantdu ComtédeDevon,
différa d'avis avec son Collègue , et se
rangea à l'opinion de M. Pitt, ainsi que
هب bij
( 28 )
l'Avocat-Général. Tous les yeux étoient
fixés sur M. Fox , qui ne trompa pas
l'attente publique, et qui défendit plus
'de trois heures consécutives le systéme
Anti-Républicain qu'il a adopté. On est
unanime sur la variété de ressources , sur
l'adroite dialectique , sur l'ingénieuse fertilité
de moyens qui caractérisèrent son
éloquence : l'étendue de sa harangue nous
prive du plaisir d'en offrir ici les beautés
principales . M. Pill le réfuta avec une
mâle vigueur ; quelques autres Membres
parlèrent un moment ; la nuit étoit trèsavancée
, l'on alla aux voix , et 268 suffrages
contre 204 décidèrent la question
suivant les voeux de M. Pitt et de la
très grande partie du public.
-
t

C'est une singularité frappante que le
16décembre 1688 , leParlement ait arrêté
le Bill des droits, qui consacra le droit
des deux Chambres de disposer dupouvoir
exécutif, en cas de vacance ; et que
le 16décembre 1788 , cemême. Parlement
ait confirmé la sanction de ce principe
fondamental Assurément , voilà la plus
éclatantedesCommémorationsjubilaires .
Les partisans de Popinion des Ministres
peuvent être regardés comme
des Citoyens indépendans , puisque leur
opposition à la Régence illimitée , les
bannit probablement , et des emplois ,
et de la liste des protégés de la nouvelle
Administration qui devra son existence
au Prince de Galles.On ne peut refuser
1.
:
1
(29 )
le même éloge à M. Pitt et à ses Collègues;
car il est hors de doute, que leur
démission suivra la victoire qu'ils ont
remportée. La confiance du Prince en
M. Fox , ne permet à aucun des Ministres
de se hasarder à gouverner , même
lorsque S. A. R. leur conserveroit leurs
places.
Le 19 , les Communes alloient s'occuper
du rapport de ces Résolutions, lorsque
Sir John Sinclair s'opposa à ce qu'on
les traitât de nouveau ; et après de longs
débats , la Chambre s'ajourna sans rien
terminer. Le 22 , elle a repris l'examen
de la dernière des trois Résolutions, à laquelle
M. Dampster avoit proposé un
Amendement, qui consistat à voter uniquement
une Adresse au Prince de
Galles, pour l'inviter à se charger du
pouvoir exécutif. Malgré les harangues
de MM. Burke , Sheridan , North et
Fox, cet Amendement a été rejeté , et
les Résolutions confirmées à la pluralité
de 251 voix pour le Ministre , contre 178.
Majorité 73. La Chambre des Pairs attendoit
le résultat de cette délibération ,
avant que de discuter le même objet ,
et les Communes lui ont fait passer leur
Arrêté, en lui demandant une Conférence.
Le Corps Municipal de la Cité a voté
une Adresse de remercimens à M. Pitt
et aux Membres des Communes qui l'ont
secondé. Cette démarche sera imitée par
beaucoup d'autres illes .
briij
(30 )
Le 17 ausoir, on reçut au Bureau du
Marquis de Carmarthen , des lettres du
Chevalier Robert Ainslie , notre Envoyé
à Constantinople , et elles ont été
mises sous les yeux du Prince de Galles.
- Le même jour , Son Altesse Royale
donna audience à M. de Woronzof ,
Ambassadeur de Russie , qui , la veille ,
avoit reçu des dépêches de Pétersbourg ,
et aux Ministres du Cabinet qui travaillèrent
avec Elle.- Le 18, il y eut un
Conseil particulier chez M. Pitt , qui ,
à l'issue , se rendit à Kew , où il eut une
entrevue avec le Roi.
L'Amiral Peyton a arboré , le 16 , son
pavillon sur le Leanderde 50 canons ,
à Spithead , et le lendemain il devoit
mettre à la voile pour la Méditerranée.
Le Comtede Chatham a accompagné,
le 17 , le Commodore Cornwallis chez le
Prince de Galles . L'escadre que ce Commodore
doit conduire dans l'Inde , a
enfin reçu l'ordre de se tenir prête à appareiller
immédiatement après Noël.
La liſte civile , ſuivant quelques Papiers publics
, ne fera pas augmentée , mais fixée fur un
planabſolument nouveau.Sa Majeſté aura troisCutateurs
pour ſa perſonne , la Reine & les deux
Archevêqies.
La Reine aura un revenut rès-conſidérable pour
Elle & Sa Majesté.
Les aînés de la Famille Royale auront des étakiſſemens
ſéparés.
Les plus jeunes un étab Tement réuni , &refteront
à la charge immédiate de la Reine.
1
)
( 31 )
Le Régent jouira du reſte de la liſte civile.
Les entraves miſes à l'autorité du Prince de.
Galies pendant la vie du Rei , porteront principalement
fur les points ſuivans ; : 1
Qu'il n'aura pas le pouvoir de créer aucuns
Pairs.
:
Qu'il ne pourra diſſoudre le Parlement avant
l'expiration du terme naturel .
Qu'il ne pourra accorder aucunes penſions viagères.
Ni accorder aucunes ſurvivances. I :
Le Duc d'Yorck, touché des calami
tés auxquelles la rigueur de la saison
expose les malheureux, a fait distribuer
un boisseau de charbon à chaque Soldat
marié et père de famille de son régiment.
Son Alt. Royale continuera cet
acte de libéralité toutes les semaines ,
pendant la durée du froid. Le thermo
mètre est descendu, le 17 , à 19 degrés
au-dessous de zéro , par un vent E. N. E.
Les bords de la Tamise ont geléau-dessus
de Londres , et même plusieurs vaisseaux
sont pris dans les glaces , au-dessous du
vieux pontdecette capitale.
FRANCE.
De Versailles , le 25décembre.
:
La Cour a pris aujourd'hui , pour 28
jours , le deuil de Charles 111, Roi
d'Espagne et des Indes , né le 20 janvier
1716, et mort à Madrid le 13. Le deuil
de 15 jours que la Cour devoit prendre
biv
( 32 )
l'occasion de la mort de l'Infant d'Espagne
D. Gabriel , sera confondu dans
celui du Roi son père .
Le Roi , Monfieur , Monseigneur Comte d'Artois
& Madame Elifabeth de France ont aſſiſté ,
le 20 de ce mois , au ſervice anniverſaire , célébré
dans l'égliſe paroiffiale de S. Louis de cette ville,
pour le repos de l'ame de feu Monſeigneur le
Dauphin.
Le ſieur Deſeſſarts , Avocat , Membre de plufieurs
Académies , Secrétaire ordinaire de Monſieur
, a eu l'honneur de préſenter au Roi le 6º.
volume du Dictionnaire de Police , que S. M. a
honoré de ſa ſouſcription (1) .
De Paris, le 31 décembre.
Le samedi , 20 de ce mois , les Ducs et
Pairs se sont assemblés au Louvre au
nombre de vingt-un , et ont rédigé à Pu
nanimité l'Arrêté suivant , auquel ont
adhéré ensuite neufautres Pairs. MM. les
Ducs de Mortemar et de Luynes, Commissaires
de la Pairie , ont été chargés
d'aller le présenter sur- le-champ à Sa
Majesté.
<< SIRE , les Pairs de votre royaume
* s'empressent de donner à V. M. et à
<<<la.Nation des preuves de leur zèle pour
<< la prospérité de l'Etat , et de leur désir
<<de cimenter l'union entre tous les
<< Ordres , en suppliant V. M.derecevoir
(1) Cet ouvrage ſe trouve , à Paris , chez
Moutard, Libraire de Monfiery, rue desMathurins.
:
) 33(
<<le voeu solemnel qu'ils portent au pied
<<du trône, de supporter tous les impôts
<<et charges publiques dans la juste pro-
<<portionde leur fortune, sans exemption
<<pécuniaire quelconque, Ils ne doutent
<<pas que ces sentimens ne fussent una-
<<nimement exprimés par tous les autres
<<Gentilshommes de votre royaume , s'ils
* se trouvoient réunis pour en déposer
<<l'hommage dans le sein de V. M. ১১
Nous avons annoncé l'ouverture de la
première Assemblée des Etats de Dauphiné
à Romans. Le 9 de ce mois , on
y résolut l'Arrêté suivant :
« Oui le rapport fait par MM. les Commiffaires,
les Etats ont conſidéré qu'ils ne peuvent
s'écarter des principes que la Province a folemnellement
adoptés ſur la forme des Etats-généraux;
que l'indication du nombre de ſes députés
doit être une conféquence de ces mêmes principes.
"
« Qu'il eſt temps que le titre ſacré de citoyen
foit mérité par l'obſervation des devoirs qu'il impoſe
; que tous les François doivent s'unir comme
les membres d'une même famille. »
« Que pour ne pas prendre des réſolutions
différentes des intérêts communs , & pour ne
pas nuire à l'eſprit public, les Ordres & les Provinces
doivent délibérer enſemble , les fuffrages
être comptés par tête , & le Tiers-Etat avoir un
auffi grand nombre de repréſentans , que le premier&
le fecond Ordre réunis. »
« Que la vérité de ces principes reçoit une
nouvelle force des objections préſentées pour
la combattre. » Ω
«Qu'on ne fauro : appliquer à la France
by
( 34)
l'exemple de l'Angleterre , où deux Chambres ,
il est vrai , délibèrent ſéparément , mais où
les citoyens ne ſont pas diviſés en pluſieurs
claſſes, toutes intéreſſées au maintien des abus
qui leur font particuliers , la Chambre haute n'étant
pas un ordre diſtinct , mais étant formée
per des Magiſtrats héréditaires , dont les familles
eatrent dans la Chambre des Communes , & n'ont
point d'autres droits que ceux qui appartiennent
à tous les citoyens. >>
«Que ſéparer les Ordres pour en former
pluſieurs Chambres , feroit tout-à-la-fois dangereux&
contraire à l'ancienne conſtitution du
Royaume , ſuivant laquelle les affaires publiques
rie pouvoient être traitées que par le Roi & par
la Nation , délibérant en un ſeul corps. >>
« Qu'il n'appartient qu'au Monarque & à la
Nation aſſemblée , d'établir de nouveaux moyens
pour aſſurer la ſageſſe des délibérations.>>
« Que ſi les Ordres étoient ſéparés , la différence
des intérêts pourroit produire la défiance
&la rivalité ; que chaque Ordre pourroit empêcher
la ſuppreſſion des abus qu'il croiroit lui
être favorables ; qu'une Chambre oppoſeroit aux
réſolutions de l'autre des réſolutions contraires ;
que le Roi , qui veut le bonheur de ſon peuple ,
ne fauroit en découvrir les moyens parmi tant
de prétentions diverſes ; qu'il ſeroit à craindre
que l'Etat ne fût pas promptement ſecouru , l'enthouſiaſme
patriotique qui commande les grands
facrifices , ne pouvant exiſter que parmi les citoyens
occupés du bien général , & non de leurs
intérêts particuliers. >>
Que les Ordres, irrités de leurs prétentions
reſpectives , & voulant triompher dans cette lu te
da igereuſe , l'un d'eux pourroit détruire ou facrifier
la liberté publique. »
• Que les Ordres réanis les opinions comp(
35 )
tées par têtes, la pluralité des fuffrages arrêtetoit
le choc des intérêts particuliers; des Repré
fentans s'éclaireroient par leurs obſervations mutuelles
; les pré ogatives qui peuvent contribuer ad
maintien de la tranquillité pabique , ne cefferoient
pas d'être reſpectées; mais l'amour de la parrie
dirigeroit toutes les réſolutions , & les projets de
bienfaifance de S. M. n'éprouveroient aucun obftacle
- Que vainement on rappelleroit les dernières
Aflemblées tenues à Orléans, à Blois &
à Paris , qui durent à la difcorde leur origite ,
leurs formes & leur inutilité. La ſéparation des
Ordres ne fut à Orléans que le faneſte effet des
querelles rel gizuſes ; on n'eut pas le deſlein de
rendre cette innovation pe pétuelle, on en prévit
les conféquences , & l'on annorça le danger par
des proteſlations.-Qu'il eſt impoffible d appeler
forme antique & confitutionnelle la féparation des
Ordres, puiſque dans les derniers Etats -Généraux
de 1614 , la Nobleffe & le Clergé, frappés de
fes inconvéniens,&laſſes des dinlentions qu'elle
leur avoit procurées , invitèrent le troiſième Ordre
à faire un cahier commun ; ce qu'il refuſa pour
ſe venger de fon humiliation, dont la ſéparation
des Ordres avoit été la feule cauſe. - Que les
Notables , aſſemblés par Sa Majefté pour la confeiller
fur les formes des Etats-Généraux , ne
répondroient pas à l'eſpoir de la Nation , s'ils
propoſoient au Roi la ſéparation des Ordres , &
citoient les derniers Etats-Généraux comme des
modèles dignes d'être ſuivis.-Que S. M. nhéfireroit
pas fans doute entre leurs conſeils &
ceux de l'opinion publique , & s'empreſſeroitde
ſeconder les voeux de ſon peuple. Par ces
conſidérations , les Etats ont arrêté que M. le
Préſident fera autoriſé à écrire à M. Necker, Miniſtre
des finances , qu'ils eſtiment que dans toute
l'étendue du Royabme on devroit nommer , pour
? bvj
(36)
les Etats-Généraux , un Deputé par vingt mille
ames ,&que d'après cette proportion , le Dauphiné
doit avoir trente Députés.
Le même jour , 9 de ce mois , la Ville
et Communauté de Cahors , capitale du
Quercy , a délibéré et arrêté les points
suivans :
1.De perfifter , au nom de la Province , dans
la réclamation déja faite auprès de Sa Majefté ,
pour le rétabliſſemenr d.s Etats particuliers , diftincts&
ſéparés de ceux du Rouergue , ſauf à cette
Province à ſe régir ſéparément.»
« 2°. Qu'il fera joint à l'envoi de la préſente
délibération , l'adhéſion des Communautés, de la
Province, qui n'avoient point manifeſté leur voeu
par des délibéraňons , à l'époque de notre première
Requêre au Roi.
" 3 °. Que, Sa Majesté ſera ſuppliée de permettre
à fes fidèles ſujets de la province du
Quercy , de s'affemb'er dars leur capitale qui en
eſt le point central , à l'effet d'y former un plan
denouvelle organita ion , qui , en fe rapprochant ,
autant qu'il ſera convenable , de l'ancienne conftitution
de la Province , ſe concilie cependant
avec les diverſes diſpoſitions que les changemens
arrivés dans l'ordre des chofes pourroient exiger.
"
" 4°. Qu'Elle fera également ſuppliée d'anticiper
ſur ſes vues d'ordre & de bienfaiſance , en
faveur du rétabliſſement deſdits Etats particuliers ,
pour que la Province ait le temps de porterrà
la première Aſſemblée nationale ſes voeux fur
pluſieurs réformes devenues néceſſfaires pour le
bienpublic.>>>
: Et figalement , que le nombre des députés
du Tiers-Etat de la Ville & de la Provice , foit
aux Etats particuliers , foit au ! Etats-Généraux ,
( 37 )
:
ſera en raiſon de leurs contributions , comparées
avec celles des privilégiés , ou du moins en nombre
égal à celui des députés du Clergé & de la Nobleſſe
réunis. Qu'en aucun cas les Electeurs , les
Éligibles , les Députés ou les Repréſentans du
Tiers-État , ne pourront être pris que dans leur
claſſe , &qu'encore même ils ne pourront être
ni Electeurs , ni Elus , ni Députés , ni Repréſentans,
lorſqu'il ſera vérifié qu'ils font aſſociés d'intérêts,
ou dans la dépendance des deux premiers
Ordres. "
Dans une Assemblée générale des Habitans
de Saumur, tenue également le
9 , il a été pris des résolutions à-peu-près
conformes à celles qu'on vient de lire.
M. Baretty nous a adressé une lettre
qu'il a publiée dans le Journal de Montpellier,
et qui renferme , sur la structure
des salles de Concert , une idée que nous
soumettons , non -seulement aux Musiciens
, mais encore aux Artistes et aux
Physiciens qui se sont occupés de la théorie
des Corps Sonores .
•Tous les corpliſſes & très- denfes , ditM.
Baretty, étant propres à répercuter , à modifier
&étendre lesfons , on auroit dû eſſayer de revêtir
en verre intérieurement ( finon tout un vaſte
édifice) au moins les choeurs, les endroits où l'on
place les chantres , les muſiciens , de manière à
former un enduit contigu de cette matière. On
fait var l'ha monica , les chantere les , &c. &peu
de Phyficiens ignorent que le verre fur-tout a
éminemment la propriété de rendre , de la manière
la plus pure , la plus mélodieuſe , la vibrabiliré
du fluide ambian qui opère & propage
les fons. D'après cette doì hée , la muſique poures,
:
(38 )
roit produire , en l'eftestuant avec art , des effets
étonuans,
"Quant à la forme la plus convenable , donnée
à l'édifice , au choeur , par exemple, d'une égliſe ,
on pourroit , d'après le plan , le deffin de l'architecte
, faire faire autant de morceaux de glace
numérotés , ayant tous une courbure proportionnelle
à la place qu'ils devroient occuper. Un ciment
placé derrière , les retiendroit au lieu
où ils auro ent été mis ; &, l'ouvrage fini , on
pourroit annihiler les interſtices avec un léger enduit
vitrifiable , que l'on vitrifieroit en effet , en
le parcourant avec un chalumeau , qui yporte
roit la flamme d'une bougie ou d'une lamped'émailleur
: de cetre forte , on auroit un plafond ,
une enveloppe en verre d'une ſeule pièce .
و
«On fent affez combien on pourroit étendre
ce nouveau genre de décoration ; combien il prêteroit
à embellir les temples, les demeures des
hommes , par la variété des émaux , &c. qu'on
pourroit y placer. Ce feroit alors qu'en quelque
forte , par une magie nouvelle on fe croiroit
ſous la voûte azurée & brillante du firmament ,
dans l'Olympe fabuleuſe de l'antiquité. Le feu
même , cet élément terrible & deſtructeur , trouveroit
, pour un temps , fa propagation amortie ,
dans un appartement revêtu de cette matière : il
pourroit y dévorer quelques meubles , fans pouvoir
altérer & atteindre le reſte de l'édifice .
« J'ajouterai encore , Monfieur , que l'on ne
doitpoint craindre que ce moyen nouveau ( pour
la muſique ) produiſe une cacophonie , comme
il arive dans les ſalles qu'on nomme trop ſonores ;
parce que , dans ce cas , l'écho n'eſt point égal
dans toute l'étendue de l'édifice , mais feulement
partiel: de-là la confufion ; au lieu que , dans
mon kypothèſe , il ſeroituniforme dans toute l'étendue
interne de la pièt e ainſi revêtue par-tout ;
1
(39 )
dans tous ſes points , ega e denſité , vibrabilité
, &c. &c.
1
:
Les premiers effets du Traité de Commerce
entre la France et l'Angleterre ,
ont produit beaucoup de clameurs , les
unes intéressées , d'autres justifiées par
les faits , de troisièmes passant évidemment
le but qui doit déterminer la conduite
mutuelle des Nations industrieuses .
Différens Ecrits polémiques , publiés récemment
à ce sujet , n'ont point encore
fixé les doutes d'une infinité d'Observateurs;
mais ce qui paroît peu susceptible
de débats , c'est qu'entre deux Peuples ,
dont les moyens de commerce et d'industrie
, les rapports politiques et le numéraire
seroient à-peu-près égaux , la liberté
de correspondre dans leurs ventes
et dans leurs achats ne dût exciter , de
part et d'autre , une cupidité plus vigílante
et plus éclairée , l'ambition du perfectionnement
, l'emploi plus varié des
capitaux. Les résultats seroient lents , il
faut en convenir , et la souffrance du
moins actif est immédiate ; mais l'une
des causes de celle-ci , nous l'avons observé
plus d'une fois , n'est-elle pas dans
l'obstination à vouloir soutenir exclusivement
des Fabriques , dont le temps.
aggrave chaque jour la décadence ? Ces
réflexions nous sont inspirées par celles
qu'on va lire dans la lettre suivante ,
adressée de Lyon à une Personne trèsrespectable
qui no l'a communiquée.
« Je ſuis depuisquela 2 jours ,Monfieur , dans
(40)
votre ville ( Lyon ); j'ai été frappé de la décadence
de ſon commerce& de ſes manufactures ;
cependant leur proſpérité eſt bien importante au
Gouvernement , s'il ne veut pas que ſes revenus
s'altèrent. D'ailleurs , Lyon , par ſes conſommations
, répand , à vingt lieues à la ronde , environ
trente millions , qui font renvoyés en tributs an
nuels à la capitale. Son commerce ſeuly repompe
ces fonds qui ceſſeront , avec lui , de circuler dans
les provinces vojſines. L'argent y tarina ; les fortunesdes
particuliers ydiminuerent , &parconféquent
les impôts qu'ils acquittent. »
«Puiſque l'empire de la mode mine& détruit
chaque jour l'ancien commerce de votre ville , il
en faut créer un nouveau. Les indienneries , les.
tanneries ,l'horlogerie , les papeteries , les faïenceries
angloiſes , les forges , les fonderies , les
martinets , tous les objets de clincailleries, toutes
les uſines , enfin toutes les manufactures qui ont
beſoin d'un grand cours d'eau , &d'un vaſte efpace,
font les nouvelles branches qui doivent régénérer
le tronc uſé de vos fabriques : elles relèveront
votre commerce ſans rivaliſer ſes anciennes
manufactures ; c'eſt par les étrangers que
vous en viendrez à bout : il s'agit de les placer
dans un local favorable . »
« Il n'y en a point de plus avantageux que le
midi de Lyon , où l'on exécute , aux frais du
Gouvernement , des remblais qui étoient bien
néceſſaires. Ce quartier eſt de tous côtés entouré
d'eaux , de quais & de promenades fuperbes.
Les fleuves qui le baignent traverſent le royaume.
Le paysage qui entoure la ville eſt enchanteur,
L'air y eit pur; les ſubſiſtances y font faines ,
abondantes , & feroient moins chères que dans
aucune autre ville du royaume , fa l'on diminuoit
les droits. L'ame de toutes les manufactures , le
Charbon de terre , n'yûte pas actuellement
t
1
( 41 )
plus de dix-huit ſous le quintal. Les matériaux de
tous genres y font de meilleure qualité , & à
plus bas prix qu'ailleurs. On conſtruiroit à peu
I de frais , dans les terrains nouvellement formés ,
une ville capable de contenir quarante mille habitaas.
Ce local , unique en France pour l'établiſsement
d'une colonie de non-catholiques , leur
procureroit l'avantage d'y réunir un langage ,
des moeurs, une religion , un commerce ſemblables&
analogues. De ce point vraiment central ,
i's communiqueroient par le Rhône avec la Méditerrarée
; ar la Saone , le canal deBourgogne,
la Loire&la Seine avec l'Océan ; par des routes
fuperbes , avec l'Italie , la Suiffe & l'Allemagne.
Is auroient ainſi les relations les plus faciles avec
l'univers.>>>
«Mais il faudroit que le Gouvernement accordât
à cette nouvelle colonie , pendant pluſieurs
années , quelques franchiſes & des modérations
d'impôts. Il y gagneroit toujours beaucoup
, puiſqu'il n'a pas d'autre moyen de la
former. En bornant cette faveur aux étrangers
ſeulement, en les foumettant à vous apporter un
grad commerce de manufactures différentes des
vôtres , celles-ci n'en fouffriroient aucun dommage.
Je ſuppoſe que, pour favoriſer les établiſfemens
de la nouvelle ville , on n'y perçût que
lamoitié des vingtièmes & des octrois , proportion
gardée , qu'on paie dans l'ancienne , il
eit clair qu'on préviendroit l'émigration des habitans
de celle-ci , en n'admettant dans la première
que des proteftans étrangers , mêlés au
plus d'un quart de proteſtans nationaux, »
"Cette faveur ainſi limitée , ſeroic avantageuſe
au Roi , doat elle augmenteroit les revenus ; à
la ville, dont les octrois feroient plus confidérables;
auxprovinces voifines, qui vendroient mieux
leurs productions; au royaume , en un mot, où
1
1
(42 )
l'on attireroit les capitaux , l'induſtrie& la population
des étrangers . >>>
«L'ifle qui touche au quartier neuf , pourroit
encore décider une foule d'émigrans à s'y établir .
Elle contient , à ce qu'on m'aſſure , quatre cens
arpens de neuf cens toiſes: ce fol , d'une fertilité
à laquelle ajoute chaque inondation , & qui s'élève
ſenſiblement , eſt très-propre à des jardins
qu'on pourroit entourer de canaux auffi utiles
qu'agréables. En creuſant de quelques pieds , l'eau
fource de toutes parts , & la terre que fourniſſoit
ces excavations , jetée fur la furface du fol à
cultiver , l'éleveroit au-deſſus des crues les plus
fortes. Rien n'empêcheroit même qu'on n'y fo.-
mât , avec le plus grand ſuccès , des établiſſemens
tels , par exemple , que les blanchiffeties
ex'gent , avec des emplacemens vaſtes , des
eaux abondantes & claires . Le shône y donneroit
au beſoin , par une priſe bien entendue , un
courant d'eau habitue!; & l'iſle , ainfi vivifiée
dans toutes ſes parties , réuniroit l'agrément des
campagnes à l'utilité des manufactures. »
« Il feroit bien d'accorder à l'iſſe une modération
encore plus grande d'impôts que dans la
- ville nouvelle , & d'y joindre la franchiſe des
premières mutations pour ceux qui viendroient y
bâtir. »
Telles font mes idées , Monfieur ; je les crois
utiles au Roi , au royaume , à la ville de Lyon ,
aux provinces voiſines , & fur-tout à ceux qui
s'établiroient dans le local dont il s'agit , avec
les priviléges dont les circonstances permettront
qu'on les faſſe jоціг. »
La rigueur excessive du froid quiduroit
depuisun mois, s'accrut encore lasemaine
dernière , et le jeudi 18 , le thermomètre
descendit à 14 degrés et demi
T
a
(43)
au-dessous de la congélation. Deux jours
plus doux avoient fait espérer une autre
température , lorsque dimanche dernier)
le froid s'est ranimé , et aujourd'hui le
thermomètre , enplein air , se trouve à
15 degrés au-dessous de zéro. En augmer.-
tantl'infortuned'une foulede nécessiteux ,
cet hiver apre et prématuré a également
nui à la circulation des subsistances. La
Seine , même au milieu de son cours ,
n'est plus susceptible de navigation ; les
moulins situés sur les rivières sont
hors de service. MM. Perriery ontutilement
suppléé par l'établissement d'une
pompe à feu auprès de l'Arsenal , qui
fait moudre , dit-on , 50 septiers de
farine par jour. Puisque l'occasion se
présente de rappeler ici l'immense utilité
de ces machines , qu'on a tant de peine
ànaturaliser en France , nous répéterons
que MM. Boulton et Watts , célèbres
Mécaniciens Anglois , ont établi
la Tamise , depuis quelques années , des
moulins mûs par une pompe à feu , et qui
sont un prodige:uneseule machine, dont
la force est dirigée pardes moyens connus
des Artistes seuls , fait aller 20 meules .
Onnomme cet établissement (1) Albion
Mills; il en existe un pareil à Woolwich
sur
(1) Les moulins d'Albion font un vaſte bâtiment
ſituéà Londres vers le pont de Black Friars
fur le bord méridional de la Tamiſe : une ſeule
por pe à feu y fait tourner 20 meules accou(
44 )
et en d'autres lieux : outre l'économie
de la mouture , leur secours prévient le
cas où nous sommes aujourd'hui , d'être
sans moteurs , lorsque le vent ne souffle
pas , et que les rivières sont taries ou
gelées .
Suivant le Journal de Champagne , le
18 de ce mois , le thermomètre est de
cendu dans cette Province à 18 degrés
au-dessous de zéro .
On écrit d'Alsace que le même jour ,
on y ressentit le froid de 24 degrés ; ce:
qui paroît exagéré.
« On mande de Djon , qu'au retour du Parlement
, on a propofé une ſoufcription pour la
conſtruction d'une fontaine publique , & qu'on
ne doute pas de la réuffice de ce projet , ſoit à
raiſon de la facilité d'amener en cette ville des
eaux de fontaine , foit par le beſoin qu'elle en
a , étant réduite à des eaux de puits , la plupart
crues , féléniteuſes , & le plus ſouvent infectées
par les filtrations des égouts & folles d'aifances
que l'on multiplie tous les jours dans le voifinage
de ces puits ; ce qui eſt d'autant plus daugereux,
que le fol dans lequel on creuſe ces égouts ,
n'eſt qu'un gravier très perméable , & qu'on eſt ,
plées , dont chaque paire mout 216 boiffeaux
(Bushels) , foit environ 54 ſepties par jour de
24heures; cequi fait pour la totalité des meules ,
une mouture journalière de 540 ſeptiers de Paris.
Le même moteur qui les fait tourner , fert à
lever ou à verſer les grains &la farine , à charger
& à décharger les bateaux qui les apportent , à
les nettoyer , à les préparer , en un mot , tels qui
les faut au Boulanger.
1
( 45 )
dans l'uſage de n'en pas couroyer le fond , pour
épargner les fraisde vidange : auſſi pluſieurs citoyens,
& même des corps&communautés,ont- ils
déja ſignalé , à cette occaſion , leur patriotiſme, en
ſe falfant infcrire au nombre des ſouſcripteurs. >>>
«On apprend de Corbie , fiége d'une grande
Abbaye de Bénédictins , en Picardie , que le 6
dece mois , vers les neuf henres et demie du
foir , le feu prit à une maiſon occupée,par un
vieillard. Vingt familles pauvres ont été , en moins
de deux heures , les victimes de fon imprudence.
Le vent du nord , qui ſouffloit avec impétuoſité ,
a hâté la deſtruction des habitations de ces infortunés.
Leurs granges , leurs étables , toutes
leurs proviſions d'hiver , une partie de leurs effets
ont été la proie des flammes; ce n'eſt que par
un travail, opiniâtre que l'on, eſt parvenu à en
arrêter les progrès. Les habitans du lieu ,
des paroiſſes voiſines ont montré la plus grande
activité , & quelques-uns d'eux ſe fost expofés
aux plns grands dangers. La maison abbatiale a
été donnée pour retraite au plus grand nombre
de ces incendiés , qui ſe trouvent fans aſyle. Les
Religieux de l'Abbaye leur ont fourni , fur-lechamp,
des lits & la nourriture. Ils fe propefent
de leurcontinuer ces fecours pendant tout
l'hiver , & on eſt certain qu'ils ne borneront
pas là leur bienfaifance.>>
:
ceux
Philippe Morichon , âgé de soixanteneuf
ans , et Marie Gentilhomme sa
femme , âgée de soixante-dix-neuf ans ,
après plus de cinquante ans de mariage ,
ont reçu , pour la seconde fois , en présence
du Curé de Menou , diocèse d'Auxerre,
la bénédiction nuptiale que leur
adonnée M. l'Abbé deDamas de Crux,
Doyen du chapitre, de Nevers, Vicaire
général du même Procèse.
( 46 )
**
Doyen du chapitre de Nevers , Vicairegénéral
du même diocèse .
PAYS-BA S.
De Bruxelles , le 29 décemb. 1788 .
M. de Gaudy, Lieutenant-général des
armées du Roi de Prusse , arriva le 12 à
Cleves , chargé d'une Commission particulière
du Souverain. Pendant qu'il conferoit
le lendemain à 9heures du matin ,
avec les Membres de la Chambre de
Guerre, il tomba sur sa chaise , frappé
d'un coup de sang. Comme il étoit sujet
depuis quelque temps aux accidens apoplectiques
, on lui administra tous les
secours qu'on employoit en pareil cas ;
mais aucun n'a pu rappeler à la viece
Général , l'un des plus expérimentés , et
des plus profonds dans la science militaire.
« Le Navire que le Gouvernement de Goa
envoie tous les ans en Europe , apprend-t-on par
des lettres de Lisbonne , du 15 Novembre , vient
→ d'entrer dans ce port. Il a apporté les détails d'une
confpiration contre le Gouvernement de Goa ,
dont voici les principales circonstances.Un nombre
contidérable de Prêtres Romains , avoit formé le
projet de ſouſt aire la ville deGoa, & autres établiſſemens
Portugais ſur la côte de Malabar , à
* l'obéiſſance de ce Gouvernement , & d'établir , à
l'exemple des Américains , une République indépendante.
Pour arriver à leur but, il falloit fe
débarraſſer de tous les Européens. On avoît déjà
gagné les Boulangers &les Chirurgiens ; les premiers
, pour mettre du poiſon dans le painde froment
, dont les Europens ſeuls ſe ſervent ; les
(47 )
autres pour donner du poiton encore plus fort à
ceux auprès deſquels i's feroient appelés pour les
fecourir Tipon-Saib avoit dans le voiſinage une
armée de 8 a 9000 homines , prête à foutenir la
confpiration . Un des Prêtres da compis: étant
tombé malade , découvrir tout à fon confeffeur ,
qui , avec le confentement du malade , en donna
connoiffance au Gouvernement , lequel prit fi bien
ſes meſures , que le même ſoir tous les principaux
contpirateurs furent arrêtés , excepté un ſeul qui
ea porta lanouvelle au camp de Tipoo- Saïb . On
affure que plus de 200 perſonnes ont été arrêtées
&mifes aux fers . »
Quelques personnes allant en traîneaux
de parade sur la Meuse , prés de
Rotterdam , la glace s'est rompue , et
trois traîneaux ont été engloutis , sans
qu'il ait été possible de sauver ni les
personnes , ni les chevaux.
Paragraphes extraits des PapiersAnglois&autres.
«Des lettres de Conſtantinople font mention
d'une anecdote qui fait beaucoup rire aux dépens
du Prince Maurojeni , Hoſpodar de Valachie. Un
Bas-Officier Autrichien , d'aſſez bonne mine, étant
tombé entre les mains de quelques Turcs en Valachie,
fut préſenté à l'Hoſpodar , qui s'aviſa de
le déguiſer enGénéral , en lui faiſant endoſſer un
bel uniforme galonné ,&de l'envoyer ſous bonne
eſcorteà Conſtantinople , où après avoir été promené
ainſi équipé dans les principaux quartiers de
laville, il futtranſporté dans les priſons duBagne.
M. leGénéral n'eut pas plutôt mis le pied dans
cette triſte habitation , qu'il fut reconnu par quelques-
unsde ſes anciens camarades, qui , en le voyant
ainſi maſqué , ne purent s'empêcher d'éclater de
( 48 )
2
rire. Quelques Officiers Turcs, curieux de ſavoir
le fujet de cette moquerie , queſtionnèrent les prifonniers
, qui découvrirent franchement que le
prétendu Général n'étoit qu'un Sergent qu'ils connoiffoient
depuis long-temps. Le Général , interrogé
à fon tour , avoua fon véritable état , & le
rôle que l'Hoſpodar de Valachie lui avoit fait
jouer ; fur quoi le Commandant du Bagne le fit
dépouiller de ſes orremens empruntés , & attacher
à la chaîne avec ſes camarades. Quoique ce
fait ait toute l'apparence d'un conre , il ne laiſſe
pas d'être atteſté par des perſonnes qui prétendent
le tenir de très-bonne part. >> (Courrier du Bas-
Rhin , nº. 101. )
(N. B. Nous ne garantiffons la vérité, ni l'exactitudede
cesParagraphesextraits des Papiers étrangers.)
4
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
POLOGNE.
De Varsovie, le 14 décembre 1788 .
Nous ous avons présenté dans leur ordre
successif, les importantes délibérations
de la Diète jusqu'à la fin du mois dernier-
En les récapitulant de suite , nous mettons
le public au vrai point de vue du
grand ouvrage entamé par la république.
Malgré des débats très-vifs , la pluralité
est réunie sur les articles suivans :
1 ° . Indépendance absolue , et par conséquent
aucune influence particulière
desRusses sur le Gouvernement de la
Pologne. ;
2°.A la place du Conseil permanent ,
une Diète aussi permanente , ou toujours
prête à se rassembler , et se rassemblant
d'obligation une fois par an .
Nº 2. 10 Janvier 1789. C
( 50 )
3º. L'administration partagée en plusieurs
branches , et confiée à autant de
commissions , qui dépendront uniquement
et immédiatement de la Nation ,
et ne rendront compte qu'à la Diète .
Ainsi , il y aura une commission du
trésor , des affaires étrangères , de guerre
etde commerce.L'arméedépendra entièrement
de la commission de guerre.
4°. Des changemens essentiels dans la
forme de la Diète , dans l'administration
de la justice , et le code civil et criminel .
Il reste plusieurs autres articles à régler,
comme la durée de la représentance
des Nonces, et le temps des nouvelles
élections ; la prérogative Royale
en ce qui regarde les affaires publiques ,
et la nomination aux charges de l'Etat ,
les fonctions du Sénat , etc. C'est, comine
on le voit , une constitution nouvelle ,
ou plutôt ramenée à ses anciens principes.
Les réformes qui regardent les moeurs ,
leluxe, et sur-tout les Serfs , commencent
à s'effectuer naturellement. Elles seront
moins l'ouvrage des Lois, que des sentimens
patriotiques et de justice naturelle,
qui s'étendent de plus en plus. La
législation viendra après sanctionner et
consolider cette révolution.
Dans la vingt-neuvième session, l'Evêque
de Cujavie prononca un discours ,
destiné à prouver la nécessité d'une
alliance perpétuelle avec la Prusse. Le
(51 )
Castellan de Lukow remarqua avec malignité
les indispositions fréquentes du
Roi , qui interrompent trop souven the
fil des délibérations . M. Krasinsky,
Staroste d'Opinogrod , accusa M. Corticelli,
Résident du Roi et de la République
à Vienne , de recevoir une pension
de l'Empereur , et il ajouta que
cetteCourn'avoit pas observé dans tous
leurs points les stipulations du Traité de
partage. Le lendemainde cette séance ,
le Chargé d'affaires de l'Empereur dépêcha
un courrier àVienne.
Dans la séance du 9 de ce mois, le Roi a
nommé plusieurs Ministres , qui se rendront
aux Cours étrangères ; le Staroste
Woyna ira à Vienne, le Grand-Général
d'Artillerie , Comte Potocky, à Pétersbourg;
le Staroste Szazecki, à Constantinople
; M. Bukati , à Londres , et le
PrinceCzartoryski, Grand- Maîtred'hôtel
deLithuanie , &Berlin. Les Ministres pour
les Cours de Dresde, de Stokholm et
de Copenhague , ne sont pas encore
choisis. Après cette nomination , il s'éleva
des débats très-vifs , concernant la
forme des lettres de créance ; enfin , il fut
arrêté de commencer ces lettres dans la
formulė suivante :
Nous, Roi, sur l'avis des Etats, envoyons
, etc.
cij
( 52 )
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 18 décembre .
Onapubliédans les gazettes Suédoises ,
diversesinculpations contrelestroupesde
Danemarck , accuséesaffirmativementd'avoir
extorqué en Suède descontributions
en tout genre. Pour détruire l'effet de
ces rapports , la Cour de Copenhague
afait imprimer la correspondance officielle
entre M. Elliot , Ministre d'Angleterre
, le Prince de Hesse et le Roide
Suède.
Li
Extrait d'une lettre de M. Elliot , Ministre d'An
gleterre , au Prince de Heffe, datée de Gothenbourg
, le 24 octobre dernier.
« Les pièces ci-jointes convaincront V. A, S.
quej''aaii été dans une parfaite ignorance des commillions
duBaron deWrede, juſqu'au moment qu'il
a plu au Roi de m'informer d'une démarche que
leMiniſtre de Pruſſe approuve auſſi peu que moi.
Qu'il plaiſe à V. A. S. de remarquer , que Sa
Majefié Suédoiſe convient,dans la lettre (Litt. C.)
que ladéclaration envoyée par le Baronde Vrede
n'eft nullement fondée ſur des faits réels , mais
uniquement fur la néceſſité où se trouve le Roi
de confoler fon peuple par une déc'aration pareille.
Ainfi , je m'empreſſe à dépoſer entre les
mains de V. A. S. une juflification folennelle ,
ne voulant contribuer en rien à ce qui pourroit
a:taquer la réputation d'un Prince qui mérite les
( 53)
plus grands éloges , ni à entretenir quelque doute
far la conduite d'une armée , qui ( eu égard
circonflances ) ne mérite que d'être récem -aux
penſée de ſa modération. »
(Litt. C. ) Extrait d'une lettre de S. M. Suédoise
à M. Elliot , datée deGothenbourg , le 24 octobre
1788. E
«Monfieur le Chevalier , j'étois à dîner quand
jereçusvotre lettre. Le Baron de IVrede étoit déja
parti avec un Trompette. Après la déclaration
donnée par le Roi de Danemarck , il faut eſpérer
que tout a été terminé. Tout ce que j'ai fait ,
(vous le fentez bien ) a été plutôt pour mon
pays & pour mon peuple , que pour le Prince
deHeſſe» . Je confole mon peuple , en lui montrant
que je m'occupe de lui: » Etj'ai choiſi expreſſément
le Baron de Wrede , qui eft doux & honnête, pour
faire entendre au Prince de Heſle , que les circonſtances
intérieures m'ont forcé à la démarche
que j'ai faite : Vous-même , Monfieur le Chevalier
, ſavez combien ce que je dis eft vrai. »
Lettre du Prince de Heſſe au Roi de Suède , datée
d'Udewalla , le 26 octobre 1788.
<<Rien ne pouvoit m'être plus agréable dans
ces momens de trouble , qui approchent de leur
terme par la médiation des Cours de Londres &
de Berlin , que de me voir honoré d'une lertse
de la main propre de Votre Majcité. Cependant
ma douleur a augmenté , lorique j'ai
aperçu qu'on a oſé ſurprendre Votre Majesté ,
en lui donnant de faux avis des exactions qu'on
prétend avoir été commiſes par les troupes que
j'ai l'honneur de commander; tandis que chacun
peut ſe convaincre qu'aucune maiſon n'a été pillée ,
c iij
( 54 )
Micun jardin dévaſté , ni même une ſeule paliſſade
ruinée dans les provinces que vous poſſédez. Au
commencement , nous n'avons fait livrer des fourrages
qu'en les payant ,& enfuite contre des reconnoillances.
J'oſe me flatter que jamais armée
n'a obſervé une diſcipline auffi exacte. Je ne ſaurois
être reſponſable du retard de quelques maraudeurs
on traîneurs , qui peuvent avoir fourragé
ou commis quelques déſordres. Mais ce dont je
puis affurer très-refpectueuſement Votre Majeſté ,
c'eſt que toutes les plaintes ont été écoutées &
les torts réparét , autant que poffible , & que
-dans les cas où il manquoit de preuves , S. A.
Je Prince Royal a bien voulu conſoler les plaignans
, en leur faiſant reftituer ce à quoi ils
ont eux - mêmes évalué leur perte. Au reſte ,
je ne me permettrai jamais de répondre à
la dépêche que le Baron de rede m'a remife
avec la lettre de Votre Majeſté. Je m'en tiens au
neuvième articlede la ſuſpenſion d'armes , en conſéquence
duquel il faut que je remette à la Cour
de la Grande- Bretagne , faccommodement des
différends qui pourroient réfarer de cette convention
, conclue ſous fa garantie. » Jefuis , &c.
M. Elliot s'est embarqué le 12 à Copenhague
pour se rendre à Berlin , où
il est arrivé , et où son séjour ne sera pas
Aong. Sa dernière négociation lui amérité
l'estime de toutes les parties intéressées
.
On apprend d'Abo , que les Officiers
qui ont entreteni une correspondance
'perfide avec la Cour de Pétersbourg ,
ont été accusés formellement devant le
Tribunal suprême , qui va instruire leur
procès.
( 55 )
De Vienne , le 18 décembre.
Le4de mois , le Comte de Podewils ,
Ministre du Roi de Prusse , reçut un
courrier de Berlin , avec des dépêches.
Il se rendit aussi-tôt chez le Grand-Chancelier
, Prince de Kaunitz , et lui remit
une note relative , dit-on , aux affaires
de Pologne , qui excitent l'attention
de notre cabinet. On parle de faire
marcher en Gallicie les 18 bataillons
qui reviennent de Hongrie , pour former
un cordon sous les ordres du général
Sauer. Le bataillon de Laudhon , en
garnison à Presbourg , a reçu ordre de
se rendre en Moravie.
On croit que l'Empereur , dont la
santé paroît altérée , se rendra cet hiver
àPise , pour y prendre les bains chauds.
M. de Lascy les prend à Baden , où le
Général de Rouvroy va se mettre au
même régime.
Le Général de Clairfait s'est rendu
Témeswar pour prendre le commandement
du corps d'armée de Wartensleben.
On assure aujourd'hui que le Grand-
Visir ne s'est point retiré du côté de
Nissa , mais qu'il est allé par Widdin
dans la Bulgarie , afin de s'approcher davantage
du Capitan-Pacha , qui avant
laissé sa flotte sous les ordres de son viceciv
( 56 )
Amiral , a pris le commandement des
troupes de la Bessarabie .
Depuis le 8 , cette ville est couverte
de plusieurs pieds de neige ; les chemins
sont obstrués , les subsistances rares et
fort chères .
De Francfort sur le Mein,le27 décemb .
Les observations météorologiques dres
sées jusqu'au 19 , à l'observatoire de Mane
heim, offrent les résultats suiyans : Le 10
de ce mois , au matin, le thermomètre
de Réaumur marquoit 13 degrés six dixièmes
au dessous du point de congéla
tion ; le 15-12 degrés sept dixièmes ;
le 17-15 degrés et demi ; le 18 - 19
degrés , et 14 degrés le 19. Le plus grand
froid que l'on eût éprouve ici , se fit sentir
le 31 décembre 1783 ; le thermomètre
descendit alors à 19 degrés trois dixièmes.
Le baromètre a été aussi très-bas pendant
ces dix-neufjours ; le ventsoufflant presque
toujours du nord; depuis le 5 , l'aiguille
aimantée est presqu'immobile ;
l'air est rempli d'électricité; le 14ausoir
il s'étoit formé un orage du côté du S. O,
mais il n'éclata pas. On a vu une aurore
boréale les 8 , 15 et 16 de ce mois ; la
dernière a duré jusques vers midi du lendemain
.- La glace est si épaisse sur le
Rhin , que des chariots chargés peuvent
traverser ce fleuve.
((57)
Dès le 4, le froid étoit excessifta
Thorn. Le 5 , le thermomètre de Réaumur
marquoit 6 degrés au-dessous de
zéro , et 11 le lendemain ; le 7 il descemdit
un peu plus bas que 16 degrés , vent
àl'est. :
Les lettres de Vienne confirment que
l'Empereur est souvent en conférence
avec ses Généraux , et que S. M. porte
une attention particulière aux affaires
de Pologne.-L'espérance d'un accommodement
entre la Russie et la Suède
paroît entièrement tombée. Malgré cette
circonstance , l'Impératrice persiste à
vouloir soutenir, s'il le faut , les armes
à la main , la forme de gouvernement
qu'elle a imposée à la Pologne. D'un au-
-tre côté , on assure qu'une arinée Prussienne
de 60,000 hommes entrera en Pologne
le printemps prochain, non pour
faire la guerre à la nation , mais pour y
exécuter des plans qui paroissent être
parvenus à leur maturité. On dit encore
qu'à la même époque 30,000 Suédois
seront embarqués , et conduits à Revel
et Kænisberg , pour agir de concert avec
les Prussiens.
1
GRANDE - BRETAGNE.
4
De Londres, le 30 décembre 1788.
L'état du Roi, comparé aux périodes
antérieurs de sa maladie,best sensible-
ر
CV
(58)
ment amélioré. Les nuits sont générale-
-ment bonnes , le sommeil paisible ,
Jes intervalles de calme beaucoup plus
longs , et les accès d'inquiétude moins
graves . On lira sans doute avec plus de
satisfaction cette annonce authentique ,
que la liste des bulletins journeliers ,
qui rendent compte très-sommairement
dela situationmomcutanéede S.M. , telle
muit , ou tel jour. Il ne faut pas induire ,
-cependant , de ce soulagement considérable
, qu'il indique Ides signes marqués
de convalescence ; il la fait présumer ,
sans l'amener encore L'intérêt universel
qu'inspire le sort si inattendu et si peu
mérité de notre respectable Souverain ,
-s'attachera aux particularités intéressan-
-tes , que nous sommes à même de communiquer
à nos lecteurs. Il est certain
que l'indisposition du Roi a commencé
-quelque temps avant que le Public.on
fût instruit . La première trace d'altération
fut un changement dans sa signature,
où il prit,le nom de Georgius Son
humeur, généralement égale et douce, cut
des momens orageux. Déjà aux eaux de
Cheltenham , on remarqua quelquespropos
de S. M. contre d'anciens Ministres
qui avoient pendu sa-confiance : propos
tenus à des personnes peu faites pour
recevoir des confidences. Peu après son
retour de Cl eltenham , en abordant le
Ministre de Portugal, le Roi lui ordonna
d'un ton rude de se retirer : rentré chez
Y
( 59 )
lui , cet Envoyé dit à son Secrétaire ,
<< il faut faire nós paquets : surement nous
>>aurons la guerre » . On a reproché au
Chevalier Baker d'avoir vendu 40 mille
liv. sterl. qu'il avoit dans les fonds publics
, dès qu'il s'aperçut de ce dérangement,
et avant que de s'en ouvrir à la
Reine. Le Docteur Willis , aux soins
duquel S. M. est aujourd'hui exclusivement
confiée , mérite une mention particulière.
Il est peu d'hommes plus extraordinaires
et plus intelligens. Depuis
long-temps , il tenoit dans le Comté de
Lincolnune pension pour des maniaques
de qualité : il a sur eux un ascendant singulier,
dû à sa fermeté , à son sang-froid ,
et à une physionomie aussi imposante
que son caractère. Regardant ses malades
comme des enfans sur qui la raison
a perdu son empire , il les gouverne par
la crainte. S'aperçoivent - ils qu'ils en
inspirent , ils deviennent méchans ; onles
rend dociles dès qu'on conserve avec eux
Pavantagedusang-froid. LeDocteur Willis
lesfait manger ensemble , quelquefois
même il invite des étrangers à ces repas .
Souvent il se trouve exposé aux ressentimens
de ses malades , lorsqu'il a résisté
à leurs fantaisies. Un jour , l'un d'eux
lui lança son couteau à table , dans l'intention
de bai percer la poitrine :le coup
manqua ; Willis , sans se déconcerter ,
sans manifester la moindre émotion ,
ordonna au maniaque de venir relever
cvj
( 60 )
le couteau , et de se retirer dans sa chambre
: la même aventure s'est répétée
avec un pistolet ; et dans tous leurs emportemens
, il les subjugue de la même
manière. Chacun a son gardien auprès de
lui : lorsque les accès sont trop violens,
le Docteur a recours au Strait Waits
coat, qui lie leurs bras et assujettit leurs
corps : la terreur de cet habit de force
leur sert de frein. Les Médecins ordinaires
s'étoient laissés subjuguer par le
Roi . Willis a traité son auguste patient
comme les autres ; et à une voix impérieuse
, il a opposé une voix plus impérieuse.
Son fils et ses propres domestiques
, accoutumés à ce service , ont remplacé
les Serviteurs ordinaires de S. M.
qui accorde la confiance la plus soumise
au Directeur qui le gouverne. Généralement
, le malade est doux et docile ;
mais quand l'inquiétude le domine , les
paroles sortent de sa bouche comme un
torrent : il a une mémoire prodigieuse ,
et il a parlé , c'est un fait certain , dixneufheures
de suite.Dans une entrevue
avec la Reine, dimanche dernier , on ne
craignit pas de provoquer son attendrissement
: lorsqu'on jugea nécessaire que
cette digne Princesse se retirat , la scène
fut déchirante. Le Roi refusoit d'y consentir
, criant qu'il avoit été trop malheureux
durant l'absence de Sa Majesté ,
et qu'on ne les sépareroit plus. LeDocteur
Willis lui représenta que la Reine
(61 )
étoit vivement affectée , qu'elle tombe,
roit malade , et , sur-le-champ, le Roi fut
désarmé , et se retira.
Nous avons vu que dans la séance des
Communes , du 22 , M. Pitt avoit gagné
neuf voix de plus , quoique l'Opposition
eût semblé espérer d'atteindre d'attein elle-même
à la majorité : c'est dans cette illusion ,
qu'ellea cherché àreprésenter laquestion
sous une autre face , et à emporter,
par artifice , ce qu'elle avoit perdu dans
Ja discussion directe. Ces efforts n'ont
servi qu'à achever d'ouvrir les yeux de
la Nation , et à affermir l'éclatante victoire
duMinistre. Chaquejour il acquiert
de nouveaux partisans ; ceux même qui
avoient embrassé une espèce de neutralité
, n'ont pu résister à la solidité de sa
cause et à la loyauté de sa conduite. Jamais
il n'a paru plus digne de sa place
qu'au moment où il va la quitter. Après
cinq ans du ministère le plus pénible et
le plus glorieux, il se retirera sans pairie,
sanscordons , sans pensions , sans places,
avec la seule palme des vertus et des talens
. Son discours du 16 , dont nous n'avons
présenté que, le squélette , est un
des plus sages , des plus fortement raisonnés
, des mieux exprimés qu'on ait
entendus dans les Communes ; l'Antiquité
-même , dans les harangues préparées
qu'elle nous a laissées , n'offre aucun sujet
plus grand, traitéavec une aussi rare
habileté. Lorsque M. Pitt eut fini de
(62 )
parler , il n'y eut qu'un cri d'admiration.
Dans le cours de sa réponse , M. Fox se
livra à une amertume déplacée , et soublia
même jusqu'à dire au Ministre , qu'il
sentoit bien qu'il n'avoit pas mérité la
faveur du Prince de GALLES. « Je ne
connois , répliqua noblement M.Pitt,
« qu'un moyen de mériter cette faveur
du Prince , c'est par ma fermeté inva-
<<riable à remplir mes devoirs envers
<< le Roi son père , et la Patrie qu'il sera
<<appelé à gouverner. Si ce sont là les
<< raisons de mon discrédit auprès de
« S. A. R. , je m'en afflige ; mais il seroit
<<au dessousdemoi de me repentirjamais
<<<demaconduite.» Laréputation du parti
opposé baisse à mesure que celle de M.
Pin s'élève. Jamais ministère , s'il est
réellement nommé , n'aura commencé
sous des auspices plus défavorables , et
n'aura eu en tête un antagoniste plus habile,
plus sûr de toutes ses démarches.La
coalition , ses suites étranges, et le procès
de M. Hastings, avoient déja décrédité
lesaspiransactuels quelafaveurdu Prince
de Galles prépare à remplir le Cabinet :
eurs fautes récentes ont achevé d'aliéner
a Nation. Faute , en disputant au Parement
un droit indisputable et jugé tel;
faute, en rétractant la crudité de leurs
expressions à cet égard; faute , en opposant
partout des raisonnemens à des
loix, dessarcasmes méprisanså des usages
'sacrés , et leur voeu personnelà celui des
1
(63 )
trois quarts de l'Angleterre. Aussi , quelqu'attachement
qu'ait S. A. R. pour ce
parti dont il continue de fréquenter le
club assidûment , il reste incertain s'il
résistera au voeu général , aux pétitions
qui se préparent de tous côtés , et au Parlement
, pour confier le gouvernement
å de nouveaux ministres , qui rencontre-
'ront dans les deux Chambres une opposition
insurmontable .
La séance du 22 , où ils ont été battus
de nouveau , a prouvé la foiblesse deleurs
moyens . M. For , il est vrai , quoique
malade , y disputa la question avec une
ingénieuse subtilité; mais , cejour-là , il
avoit laissé la défense des principaux argumens
à ses collègues , M. Burke et
Lord North. Voici dans quels termes
lepremierde ces orateurs,jadissi célèbre,
se perniit de traiter une matière qui met
le royaume entier en fermentation .
Onse rappellera qu'il s'agissoit de la
proposition faite par M. Dempster, ct
soutenue par TOpposition , de prier, sans
aller plus avant , lePrince de Galles de se
charger de la Régence .
« Les trois réfolutions propofées , ditM. Burke,
nedécoulent point naturellement l'une de l'autre,
quoiquepriſes enſemble, elles ayentle même bat,
c'est-à-dire,d'interrompre la ſucceſſion hérédir. dans
la monarchie. La troiſième , en particulier , tend,
ainſi qu'il eſt, facile de le voir, par la doctrine qu'on
enatirée, à étab ir ce dangereux principe, que nous
avons le droit de choir un Régent hors de la
( 64 )
Famille régnante. C'eſt brifer la barrière entre le
Souverain& le Sujet : introduire un Sujet dans un
feul anneau , conduiroit bientôt à détruire toute la
chaine de la fucceffion. L'expreffion de délibérerfur
les moyens que jetrouve dans la réſolution , ne me
plaît point du tout. A quoi bon perdre du temps
à délibérer ici ſur les moyens de pourvoir à la
ſucceſſion , quand le ſeul naturel, convenable&
conſtitutionnel brille à nos yeux ? Comment pou-
-vez-vous héſiter un moment , tandis qu'il exiſte
une nombreuſe poſtérité royale , à la tête de laquelle
ſe trouve un Prince en pleine majorité , &
qui n'eſt aſſurément incapable , à aucun égard , de
prendre l'exercice de ce pouvoir, que vous allez
affigner à un être de votre création ? Et à quel
être encore ? Peut- être à un homme que vous
ramaſſerez dans les rues avec une perruque & des
ſourcils noirs , à une eſpèce d'épouventail des
deux Chambres ? Quoi ! en dépit du droît , de la
raifon &de l'eſprit de la loi , vous déclarez poſitivement
que vous êtes déterminés à élire une
créature devotre choix , & cet être bizarre , vous
voulez le revêtir des marques de la royauté ,
mais fans lui en laiſſer les pouvoirs ! C'eſt cent
fois pis que de dérober la couronne , c'eſt une prévarication
frauduleufe & baffe , c'eſt contrefaire le
grand sceau & la fignature royale. Pour moi , je
déclare d'avance que je ne prêterai jamais foi &
hommage à un pareilfinge de votre fabrique. Cette
fictiondelaloi , par laquelle vous voudrez le faire
paſſer pour Roi , eſt unefaufferé, dont mon imaginationnepourrajamais
ſepayer.Je n'admets point
deloix métaphyfiques , encore moinsde loix morales
ou théologiques. S'il faut que je me profterne ,
queje rendeun culte , je veux que l'objet de mon adoration
ſoit quelque choſe qui reſſemble du moins à
unedivinité: je ne m'avilirai jamais juſqu'à plier le
( 65 )
genou devant un Priape , une baſſe créature qu'on
aura peut- être fabriquée d'un banc de bois.n
Cumfaber incertusſcamnumfaceretne Priapum.
«La main-d'oeuvre par laquelle on ferade cet
êtreunRoi , les refforts qui luiferonthocher la tête
pour donner fon confentement royal , feront fûrement
quelque choſe de curieux. Mais ſi nous
avons un Roi poupée , il nous faudra donc aufli
une Chambre des Communes composée de poupées,
avec un petit bonhomme de paille dansla chaire,
pour repréſenter l'orateur. »
«LesAvocatsde la réſolution ont formé un faif
ceau d'exemples, tirésdes périodes les plus obfcures
&les moinsbien établies de l'hiſtoire de ce Royaume.
Auffi , malgré leurs efforts , cet aſſemblage
eft-il incohérent ; il n'ya pas même unedes parties
qui revienne à laqueſtion. Qu'on mecite une feule
de ces époques , où l'on voie un Prince de Galles ,
enpleine majorité , ayant toutes les qualités néceffaires
pour s'acquitter des fonctions du pouvoir
exécutif, exclu de ſes droits pour faire place à
une Régence chargée de gouverner pendant l'incapacité
ou ledérangement d'eſprit du Souverain !
A Dieu ne plaiſe quej'envenime les intentions
de mes adverſaires ; je ſuis diſpoſé à croire qu'ils
ne prétendent pas évincer de force l'héritier légitime,
ni procéder immédiatement à la nomination
d'un autre Régent. Mais ne veulent-ils pas borner
ſes fonctions par des restrictions ſi humiliantes ,
qu'il devienne impoſſible au Prince de les accepter,
fanscompromettre fon honneur, & , à fon refus ,
nommer une autre perſonne ? Ces vues font prouvées.
Le Miniſtre n'a-t-il pas déclaré que tout
autre fujet ( peut-être lui-même, par exemple,) avoit
des prétentions à la Régence auſſi légitimes que
celles du Prince de Galles ? Après avoir ufé autre
( 66)
fois le Toriſme juſqu'à la corde , après l'avoir porne
en guenilles , ces Meſſieurs refluent tous les principes
dont ils s'étoient imbus ; & au lieu de faire
profeſſion de leur eſtime pour une Monarchie limitée
, ils ont formé un quinquumvirat , qui ſe
partage laMonarchie,&qui n'en affiche pas moins
le républicaniſme le plus farouche. »
«Onnous a cité parmi les exemp'es antérieurs,
la réformation & la révolution ; mais certainement
les conjonctures préſentes ne reſſemblent en
rien à l'une ni à l'autre de ces deux époques. Le
gouvernement n'étoit pas ſeulement alors en convulfion
, il étoit anéanti. Comment nos ancêtres
ſe ſont-ils conduits à l'occaſion mémorable de la
révolution ? Ils n'ont point changé la forme du
Gouvernement en une République aristocratique ;
ils ont conſidéré la formation de l'ancien monde ,
Ex ont moulé le nouveau fur ce modèle. Leur
preinier foia a été de remplir la place de Roi ,
alors vacante , en offrant la couronne au Prince
d'Orange. Mais, diront - ils , le trône n'eſt pas
vacant aujourd'hui , l'exercice de ſes pouvoirs eſt
ſeulement fufpendu. Qu'y a-t- il donc à faire fi
l'on veut fuivre l'analogie de l'exemple précé
dent ? S'adreſſer au Prince de Galles , & le prier
de prendre le nom & les fonctions , - noa de
Roi , mais de Régent. Il faut avouer que la révo
lution eſt une belle leçon & un grand exemple
pourles Rois. C'eſt un avis donné pour la liberté
outragée , qui ſemble faire retentir à leurs oreilles
ce beau vers de Virgile. »
Difcirejuftitiam moniti , & non temnere leges !
Que le Prince ſoit nommé à la Régence ,
foit par droit , foit par convenance , c'est ce qui
eft abfolument indifferent; ce qui importe, en effet ,
c'eſt de ne point reſtreindre ſes pouvoirs dès le
(67 )
premierabord, in primo limine. Si onlejuge néceffaire
par lafuite, on en fera la propofition ; & quelle
raiſondecroireque le Prince n'y veuille pas confentir?
N'est-cepaslà la conduite qu'on a tenue à l'égard
du Prince d'Orange ? »
a Que le Prince de Galles ait un droit abſolu
& inhérent à ſa perſonne , ou qu'on ne puiſſe
décemment lui refuſer la Régence, c'eſt une diftinction
bien alambiquée , & je ne vois là aucune
différence effentielle. Mais le T. H. M. afs visà-
vis de moi , n'a pu réſiſter au plaifir d'en faire
une queſtion perſonnelle ; c'eſt un plat fin qu'il
s'est réservé: eh bien ! qu'il le favoure àfon aife.
Au reſte,je n'entreprendrai ni fon éloge , ni fon
apologie,d'abord parce que fon caractère est tropbien
connu ; en ſecond lieu , parce que la pyramide
majestueuſe de ſes talens n'a que faire du petit
rempart que jepourrois élever pour la mieux faire
reffortir ou la défendre. »
» Qu'on me permette quelques réflexions fur la
politique malhonnête qui a fuggéré les reftrictions
propoſées , & en particulier coile qui prive deRégent
du droitde créer des Pairs. Suppofons quelqu'un
des jeunes Princes de la Famille Royale
arrivant à ſa majorité, faudra-t-il donc le dépouiller
du droit qu'ila , par fa naiſſance , de prendre
féance entre les Pairs du Royaume ? Je trouve
également du'r que tous les maiſons illuftres qui
ont concouru' à placer & à maintenir la famille
de Brunswick fur le trône , foient infcrites dans
cette eſpèce de rôle de profcription. (1) Je pouris
nommer ungrand nombre de maisons , dom
les branches , non encore ennoblies , peuvent ho-
(1) M. Burke a ici en vue les familles de Cavendish&
de Portland, toutes deux dans l'oppofition
actuelle.
( 68 )
norer la Pairie , par exemple , la Maiſon de Cavendish
, (ici M. Burke , interrompu par le bruit
-de ſes adverfaires, dit quefi ces MM. ſe g'orifioient
de ces clameurs , ils ne faisoient pourtant rien
qu'il n'eût entendu encore mieux exécuter par une
meute de chiens de chaſſe à la poursuite d'un renard.
Cette obſervation excita , comme on le penſe,
de grands éc'ats de rire ) (2). Quelque peu conſidérable
que je fois par moi-même , reprit l'ora-
-teur,je regarderois cependant comme une inortificationque
le chemin des honneurs me fût fermé;
ce feroit à mes yeux une profcription cruelle ,
Semblable à celle de Sylla. Tant que mes adverfaires
ont été à la fource des graces , ils ne fefont
pasépargné les gorgées ; ils ont créé des Pairs comme
des Sheriffs font des Jurés , c'est -à-dire, parpaqet,
à la groſſe ; mais voyant qu'elle ne leur est plus
ouverte , ils veulent auſſi la fermer aux autres.
Le Miniftre ſemble inviter ſes aſſociés à prendre
patience ; il les exhorte à ſe réſerver des jours
heureux; il a l'air de leur dire : Je mets fous clef
toutes les bonnes chofes pour vous ; ne craignez rien ,
perfonne n'y touchera. "
Condo& compono quæ mox depromere poſſim.
« Lord North répondant au Solliciteur général
qui venoit de parler , ſoutint que , pour faire un
acte complet de législation , il falloit l'autorité
réunie du Roi , des Lords&des Communes. Mais
le Roi dont il parloit étoit un Roi réel , capable
de délibérer&de décider , & non un Roi de parade,
tel que celui qu'on ſe diſpoſoit à éablir.
Il avoit parlé du Roi, des Lords && des Commu-
(2) Par alluſion au mot Anglois Fox, qui fignifie
renard.
( 69 )
nes,&non du grand ſceau. L'introduction d'un quatrième
pouvoir ou inſtrument dans la Conſtitution,
étoit une choſe à laquelle il n'avoit jamais fongé.
Le ſavantMembre avoit eu raiſon d'obſerver que
la néceſſité ſe marque elle-même des bornes , &
que ſi l'on paſſoit celles de l'abfolue néceffité, on
ſe rendroit coupable d'ufurpation. Le pouvoir royal
manquoit ; il devenoit indiſpenſable de' fuppléer
à cedéfaut. Pour le faire, il y avoit deux marches
à fuivre, recommandées toutes deux pardeux
différens partis. L'une étoit la manière actuellement
propoſée dans la réſelution ſoumiſe àl'examen de
la Chambre ,de choiſir quelqu'un pour repréſen
ter la perſonne du Roi ; de ne donner à cet individu
aucun pouvoir délibératif, de le borner à
êtrele prête-nom de l'autorité miniſtérielle ; en
un mot , d'en faire un outil ,une créature des deux
Chambres,agiſſant ſous fesordres. « Oferiez-vous,
dit Lord North , appeler cela faire une loipar l'auterité
des trois branches de la législature ? Non ,
ſans doute. Eh bien , la fiction de la loi qu'on
fait parler fauſſement, eſt une abomination &une
abſurdité. Un acte qu'on ne revêtiroit du grand
ſceau que de cette manière, ſeroit ſeulement un
acte des deux Chambres , ou , ſi vous l'aimez
mieux, de la Chambre des Lords & de celle des
Communes réunies. La perſonne appointée pour
donner ce quevous appelez le confentement royal
feroit votre propre agent , votre prête - nom.
N'ayant de pouvoirs que ceux qu'il tireroit de
vous, il agiroit par votre autorité ; & il y a une
maxime en jurisprudence , qui facit per alium ,
facit per fe. Ce prétendu Roi agiroit ſous la direction
de la Chambre des Lords & des Commu
nes ; en conféquence , il n'auroit qu'une autorité
fubordonnée à celle des deux Chambres »
"Dans l'affaire remarquable de Stradling contre
Styles, voici de quelle manière les parties préſen
(70 )
tèrent leurs droits respectits : -un oncle , dont
Styles étoit héritier , avoit laillé à Sailing , par
ſon teftament , tous ses chevaux blancs & noirs ;
après la mort de l'oncle, il ſe trouva qu'il avoit
Ax chevaux blancs , fix noirs , & fix autres pies ,
ou tachetés de blanc & de noir. Le conſeil de
Styles prétendoit qu'il n'y avoit que les fix chevaux
blancs & les fix noirs qui appartinſſent à
Stradling ; le confeil de Stradling prétendoit de
fon côté (& ce fut en ſa faveur qu'on jugea )
que tous les chevaux appartenoient à fon client ;
parce que , diſoit-il , le teſtateur lui a laiſſé tous .
ſes chevaux blancs& noirs, c'est-à-dire , tous fes
chevaux blancs , tous ſes chevaux noirs , &tous .
ſes chevaux blancs & noirs. Telle eſt la diſtribution
qu'on veut faire aujourd'hui du pouvoir légiſlatif
; du moins c'eſt ainſi que nous la préſente
La réfolution. Je vois ici la Chambre des Lords ,
la Chambre des Communes , & puis la Chambre
des Lords & des Communes qui vont agir conjointement
par leur député ,lequel fera appointé
&nommé par elles, pour attacher le grand ſceau
à tous les actes qu'il leur plaira de paſſer »
M. Pilt achemina le débat à sa conclusion
, en opposant à ses adversaires ,
entre autres considérations , celle que
voici, et qui parut décisive.
« Juſqu'à préſent , dit-il , on a ſeulement réſolu
de ſuppléer à la vacance du pouvoir exécutif. Il
faudra enſuite examiner quelle portion de ce pouyoir
on accordera au Régent. Si l'on admet l'amendement
propoſé , en vertu duquel on s'adrefſeroit
au Prince , en le priant de ſe charger du
Gouvernement,ce ſeroit donner auRégent le pouvoir
de diſſoudre les Communes , au moment
même qu'elles délibéreront s'il faut lui confier ,
(71)
foit la puirance exécutive entière , ſoit une partie
ſeulement de cette autorité. Ce ſeroit commencer
par inveftir ſonAlteſſe Royale de toutes les prérogatives
de la Couronne , pour agiter enſuite à
quel point on les limiteroit , & finir par lui demander
ſon confentement , aux restrictions que la
ſageſſe du Parlement lui dicteroit comme nécefſaires.
En vérité , ces conféquences font trop frappantes
pour ne pas me faire rejeter l'amendement,
&j'ai affez de confiance dans le difcernement de
la Chambre , pour eſpérer qu'elle adoptera mon
avis »
Cet avis , comme on l'a vu il y a huit
jours , fut celui de 251 membres contre
178. Le 23 , sur la réquisition des Communes,
il y eut une conférence entre les
deux Chambres par députés , qui , dans
l'une et dans l'autre , ont été tous du parti
ministériel . Enfin , vendredi dernier, la
Chambre Haute siégeant en Comité général
pour considérer l'état de la Nation
, a débattu les trois résolutions
adoptées par les Communes. Cetteséance
de dix heures commença par un discours
de Milord Hopetown en faveur
des résolutions; elles furent ensuite défendues
par le Comted'Abingdon , qui,
après avoir rappelé la doctrine de M.
Fox sur le droit indépendant du Prince
de Galles à la Régence , s'écria : <<<Voilà ,
<<Milords , les principes d'un homme qui
<<<atentéd'arracher la couronne de la tête
<<du Souverain , et de la diviser entre
<<lui et sa bande heptarchique , formée
de quelques Membres des deux Cham
( 72)
«bres ! Voilà l'homme qui ose se dire
<<Whig, qui élève un obélisque àRun-
<<n<ymède , en mémoire de la révolu-
<<tion de 1688 , dont il foule aux pieds
« les sacrés principes ! Quant à moi , je
<< ne suis ni Whig ni Tory ; je ne sous-
<<cris pas pour des obélisques ; mais
<<tant que je vivrai , je défendrai la cons-
<< titution de l'Etat. Le Roi vit , et le
<<prince de Galles, sans l'adjudication
<< du Parlement , n'a à la Régence pas
<<plus de droit que MOI. Oui , Milords,
<< nous l'espérons tousavec joie, levieux
«Léar régnera encore'; mais,il ne doit
>pas être confié aux ennemis de la cou-
<< romme , etc. etc.>>>Milord Cambden ,
Président du Conseil privé , plaida avee
le plus grand applaudissement la même
cause , ainsi que le Chancelier , le Duc
de Riclimond , Lord Hawkesbury , et
le Marquis de Lansdown , qui parla
avec autant d'art que d'éloquence.
L'avis contraire fut soutenu d'une manière
distinguée par Lord Loughborough
, par le Vicomte de Stormont,
de Comte de Carlisle,les Lords Rawdon
etPorchester, qui demanderent par
forme d'amendement , une adresse au
Prince de, Galles pour le supplier de
prendre la Régence ; mais cet amende
ment fut rejeté , et les résolutions admises
à lapluralité de 99 voix 66 , majorité33.
Hier lundi , on a fait dans la même
chambre
( 73 )
_chambre le rapport des résolutions ,
et un nouvel amendement proposé par
Lord Rawdon a été rejeté sans qu'on
passat aux suffrages. Aujourd'hui , les
deux Chambres tiennent une conférence
au sujet des restrictions aux pouvoirs du
Régent , et les Communes les discutent
en comité général.
FRANCE.
De Versailles , le 31 décembre.
Le24dece mois , veille de Noël , Leurs Majeſtés
& la Famille Royale ont aſſiſté , dans la
Chapelle du château , aux Vêpres chantées par la
Muſique du Roi , & auxquelles a officié le Coadjuteur
de Troyes. Vers les dix heures du ſoir ,
la Cour s'eſt rendue à la Chapelle , où , après
avoir entendu les Matines , elle a aſſiſté aux troi s
Meſſes, pendant leſquelles la Muſique du Roi a
exécuté divers motets & noë's de la compofifion
du ſieur Matthieu , Maître de Muſique en
fémestre.
Lelendemain matin , Leurs Majestés &la Famille
Royale ont entendu la Grand' deſſe chantée
par la Muſique du Roi, & pendant laquelle
la Marquiſe de Molac a fait la quête ; l'aprèsmidi
, le Sermon prononcé par l'Abbé d'Ama! -
ric, Vicaire-général de Tulle ; les Vepres & le
Salutchantés par la Muſique du Roi.
LeRoi a pourvu de la charge de premier Prékdentdela
Courdes Aides de Paris , qui étoit vacante,
Mr. Hocquart , Procureur-général de cette
Cour,& a nommé , pour remplacer ce Magif-
,trat , Mr. Clément de Barville , Avocat-général
auquel ſuccède Mr. le Rebours , fils.
No. 10 Janvier 1789 . d
(74)
Ces Magistrats ont eu l'honneur de faire leurs
remercimens à S. M. , étant préſentés par le
Garde-des -Sceaux de France.
Le Roi a accordé des lettres de Conſeillerd'Etat
à Mr. Clos, Lieutenant-général de la Prévôté
de l'Hôtel , qui , en conféquence , a prêté ferment
entre les mains du Garde-des-Sceaux de
France.
Leurs Majeſtés & la Famille Royale ont ſigné ,
le 28 , le contrat de mariage du Prince de Croї ,
fils aîné du Duc de Groi , avec demoiselle de
Rochechouart de Mortemart .
Le même jour , la Comteſſe de Piré a eu l'honneur
d'être préſentée à Leurs Majestés & à la
Famille Royale par la Ducheſſe de la Rochefoucauld.
De Paris , le 7 janvier 1789.
RÉSULTAT DỤ CONSEIL D'ÉTAT
DU ROI ,
Tenu à Versailles le 27 décembre 1788.
<< LE ROIayant entendu le rapport
>> qui a été fait dans son Conseil par le
>> Ministre de ses Finances , relativement
>> à la convocation prochaine des Etats-
>> généraux , Sa Majesté en a adopté les
>> principes et les vues , et Elle a or-
>> donné ce qui suit .
:
1
( 75 )
» 1 °. Que les Députés aux prochains
> Etats - généraux seront au moins au
> nombre de mille.
>> 2°. Que ce nombre sera formé , au-
> tant qu'il sera psssible , en raison com-
>>posée de la population et des contri-
> butions de chaque Bailliage .
» 3°. Que le nombre des Députés da
> Tiers- état seral égal à celui des deux
> autres Ordres réunis , et que cette pro-
* portion sera établie par les lettres de
* convocation.
み>
4°. Que ces décisions préliminaires
>> serviront de base aux travaux néces
> saires pour préparer sans délai les
>> lettres de convocation , ainsi que les
> autres dispositions qui doivent les ao
compagner.
> 5°. Que le rapport fait à Sa Majesté
➤ sera imprimé à la suite du présent ré-
> sultat. Fait à Versailles , le Roi étant
> en son Conseil , le vingt-sept décem-
> bre mil sept cent quatre-vingt-huit,
Signé , LAURENT DE VILLEDEUIL »,
4
dij
( 76 )
RAPPORT
FAIT AU ROI DANS SON CONSEIL ,
Par le Ministre de ses Finances .
SIRE ,
: «Les Notables convoqués par vos ordres , ſe
font livrés avec application à l'examen des diverſes
queſtions fur leſquelles ils avoient été confultés
par V. M. , & à mesure qu'ils ont avancé dans
leurs recherches , ils ont découvert pluſieurs difficultés
qu'il étoit important de réfoudre. Leur
travail a donc répandu un grand jour ſur divers
détails effentiels; & en fixant ainfi beaucoup d'incertitudes
, en diffipant pluſieurs obſcurités embarraſſantes
, ils ont éclairé la marche de l'Adminiſtration
,
V. M. , qui apris connoiſſance du Procès -verbal
des différens Bureaux , a pu juger par Elle-même
dela vérité de ces obfervations. ९
Elle a vu en même-temps que trois queſtions
importantes avoient donné lieu à un partage d'opinions
;& puiſque l'une , fur-tout , fixe aujourd'hui
l'attention& l'intérêt de tout le Royaume , il
eſt indiſpenſablede les ſoumettre particulièrement
à la déciſion de V. M.
Les trois queftions dont je viens de parler ,
font celles-ci :
1º. Faut-il que le nombre des Députés aux
Etats-généraux ſoit le même pour tous les Bail
( 77 )
liages in diſtinctement? ou ce nombre doit-il être
différent, felon l'étendue de leur population ?
2º. Faut- il que le nombre des Députés du
Tiers-état ſoit égal à celui des deux autres Ordres
réunis? ou ce nombre ne doit-il compofer
que la troiſième partie de l'enſemble ?
3°. Chaque Ordre doit-il être reſtreint à ne
choiſir des Députés que dans ſon Ordre ?
Sur la première Question.
:
La majorité des Notab'es a été d'avis que le
nombre des Députés devoit étre le même pour
chaque Bailliage; mais plufieurs Bureaux paroifſent
avoir adopté cette opinion, parce qu'on n'avoitpas
pu mettre ſous leurs yeux des connoiffances
fuffifantes fur la population comparativede
chaqueBailliage. Untravail très-érendu, que labrîévetédutempsn'avoit
pas permisde finir , avoit été
préſenté aux Notables dans un état d'imperfection.
Il eſt complet actuellement , & je ſuis
perfuadéque fous cette nouvelle forme , il auroit
changé le cours des réflexions de la plupart des
Notables.
Un reſpect rigoureux pour les formes ſuivies
en 1614, a fixé l'opinion de ceux qui ont penſé
que les grands Bailliages devoient avoir le même
nombre de députés , fans égard à la diverſité de
leur étendue & de leur population. Cependant il
eſt impoffible de douter qu'en 1614 , on n'eût
fait de plus fortes réclamations contre la grande
inégalité de la repréſentation entre les provinces,
fi la force de l'habitude , l'ignorance où l'on étoit
de la population reſpective du royauine , & quelquefois
un défaut d'intérêt pour les objets qui devoient
être traités aux Etats-généraux , n'avoient
pas diſtrait l'attention de ces diſparités. Mais aud
iij
( 78 )
jourd'hui que les lumières ſe font étendues&perfectionnées
, aujourd'hui qu'on eſt attaché davantage
aux règles de l'équité proportionnelle , on
exciteroit les réclamations de pluſieurs provinces ,
fans en contenter aucune , fi lon confacroit de
nouveau des inégalités contraires aux règles les
plus communes de la justice. Ces inégalités font
grandes , ainſi qu'on a déjà eu occafion de le faire
remarquer.
La féréchauſſée de Poitiers contient. 692,810 ames
Le baill age deGex.......... 13,052 .
Le bailliage de Vermandois .... 674,504.
Celui deDourdan . 7,462.
Il n'y a qu'une ſeule opiniondans le royaume ,
fur la néceffité de proportionner , autant qu'il ſera
poffible, lenombre deDéputés de chaque Bailliage
à ſa population ; & puiſque l'on peut , en 1788 ,
établir cetteproportion , d'après des connoiſſances
certaines , il ſeroit évidemment déraisonnable
dedélaifler ces moyens de juſtice éclairée , pour
ſuivre ſervilement l'exemple de 1614.
Je ne m'arrêterai pas aux taiſonnemens trop
métaphyfiques dont on s'eſt ſervi pour foutenir
que les intérêts généraux de la nation ſeroient
auſſi-bien repréſentés par les députés d'un petit
Bailliage que par les députés d'un grand,&qu'ainfi
les repréſentans de ces deux Bailliages pouvoient
refter en nombre égal, fans inconvénient ,&jouir
ainfi d'une influence pareille , dans l'aſſemblée des
Etats-g'néraux. Il fuffit , pour faire fentir l'imperfection
de ce raiſonnement , de le pouffer à
l'extrême,&de demander ſi le député d'une parolife
devroit, dans une province , avoir le même
fuffrage , le même degré d'influence que les repréfentans
de deux ou trois cents Communautés. Les
eſprits ne ſe prêtent point à des distinctions fub.
(79 )
tiles , quand il eſt queſtion des plus grands principes&
des plus grands intérêts .
On peut obſerver , à la vérité, que ſi dans
chaque Ordre aux Etats-Généraux , on opine par
Bailliage , & non par tête , l'ancienne diſparité ,
à laquelle on propoſe au Roi de remédier , ſubfiſteroit
également ; mais tout ce que V. M. peut
faire , c'eſt de mettre les Etats-généraux à portée
d'adopter l'une ou l'autre délibération : d'ailleurs ,
en ſuppoſant même que les opinions ſe réglafſent
par Bailliages , les plus conſidérables d'entre
ces diſtricts ayant une grande diverſité d'intérêts
à faire connoître , il feroit encore raiſonnable
de leur accorder plus de repréſentans qu'aux
Bailliages dont l'étendue & la population feroit
infiniment moins importante.
Sur lafeconde Question.
Faut-il que le nombre des Députés du Tiersétat
foit égalà celui des deux autres Ordres réunis ?
ou cenombre doit-il compoſer ſimplement la troi.
fième partiede l'enſemble ?
Cette queſtion , la plus importante de toutes ,
diviſe en ce moment le Royaume. L'intérêt qu'on
yattache, eſt peut-être exagéré de part & d'autre ;
car, puiſque l'ancienne conſtitution ou les anciens
uſages autoriſent les trois Ordres à délibérer &
voter ſéparément aux Etats-généraux , le nombre
des Députés dans chacun de ces Ordres , ne
paroît pas une queſtion ſuſceptible du degré de
chaleur qu'elle excite. Il ſeroit ſans doute à defirer
que les Ordres ſe réuniſſent volontairement dans
l'examen de toutes les affaires où leur intérêt eſt
abfolument égal & femblable ; mais cette détermination
même dépendant du voeu diſtinct des
div
(80 )
trois Ordres , c'eſt de l'amour comman du bien
de l'Etat qu'on doit l'attendre.
Quoi qu'il en ſoit , toute queſtion préliminaire
qui peut être conſidérée ſous divers points de
vue ,& femer ainſi la diſcorde entre les trois
Ordres de l'Etat , eſt , ſous ce rapport feul , de la
plus grande importance ; & V. M. doit découvrir
avec peine qu'Elle ne pourra prendre aucun
parti ſur le nombte des Députés du Tiers-état ,
fans mécontenter une partie des trois Ordres de
laNation;& vos Miniſtres, que l'on aime ſouvent
àjuger avec ſévérité , ne doivent pas ſe diſſimuler
les difficultés qui les attendent; mais leur devoir
n'eſt pas moins d'exprimer leurs fentimens
avec la plus parfaite vérité.
C'étoit ſans doute une grande tâche que d'avoir
à préſenter aux Etats-généraux , l'embarras
des affaires ,& les divers moyens qui pouvoient
rétablir les Finances ; mais avec de l'harmonie ,
cette tâche s'allégeoit à mes yeux. Faut-il , à l'afpect
des déſunions qui s'élèvent , commencer à
perdre courage ? non ſans doute, il s'en faut bien ;
mais il eſt permis d'être péniblement affecté de
ces nouveaux obstacles .
L'on compte en faveur de l'opinion qui réduit
lenombre des Députés du Tiers-état , à la moitié
des Repréſentans des deux autres Ordres réunis ,
1°. La majorité décidée des Notables.
2º. Une grande partie du Clergé& de la Nobleſſe.
3º. Le voeu prononcé de la Nobleſſe de Bretagne.
4°. Le ſentiment connu de pluſieurs Magiffrats
, tant du Conſeil du Roi que des Cours
fouveraines.
5°. Une forte d'exemple tiré des Erats de Bretagne
, de Bourgogne & d'Artois , Aflemblées
(81 )
diviſées en trois Ordres , & où cependant le
Tiers- état eſt moins nombreux que la Nobleſſe
&leClergé.
6°. Enfin , pluſieurs Princes du Sang dont les
ſentimens ſe ſont manifeſtés d'une manière pofitive.
On voit d'un autre côté , en faveur de l'admiſſion
du Tiers-état , dans un nombre égal à
celui des deux autres Ordres réunis ,
1º. L'avis de la minorité des Notables , entre
leſque's on compte pluſieurs perſonnes diftinguées
par leur rangdans la Nobleſſe&dans leClergé.
2°. L'opinion de pluſieurs Gentilshommes qui
n'étoient pas dans l'Aſſemblée des Notables.
3°. Le voeu des trois Ordres du Dauphiné.
4°. La demande formée par diverſes Commiffions
ou Bureaux intermédiaires des Adminiſtrations
provinciales ; demande que ces Adminiſtratiors
auroient vraiſemblablement appuyée , ſi elles
avoient tenu leurs féances cette année.
5°. L'induction qu'on peut tirer de l'ancience
conſtitution des Etats de Languedoc , & de la
formation récente des Etats de Provence & du
Hainaut , où le Tiers-état eſt en nombre égal aux
deux autres Ordres .
6°. Le dernier arrêté du Parlement de Paris ,
où , ſans prononcer ſur l'égalité du nombre entre
leTiers-état& les deux autres Ordres , le Parlement
s'explique de la manière ſuivante: « A l'égard
» du nombre , celui des Députés reſpectifs n'érant
>> déterminé par aucune loi , ni par aucun ufage
>> conftant pour aucun Ordre , il n'a été ni dans
>> le pouvoir , ni dans l'intention de la Cour , d'y
>> ſuppléer; ladite Cour ne pouvant, fur cet objet ,
>> que s'en rapporter à la ſageſſe du Roi fur les
» meſures néceſſaires àprendre pour parvenir aux
» modifications que la raiſon ,la liberté , la juſtice
» &le voeu général peuvent indiquer. «
dv
( 82 )
: 7°. Enfin , & par-deſſus tout, les adreſſes ſans
nombre des villes & des communes du royaume ,
& le voeu public de cette vaſte partie de vos Sujets,
connue sous le nom de Tiers-état .
Je pourrois ajouter encore ce bruit fourd de
l'Europe entière , qui favoriſe confufément toutes
les idées d'équité générale.
Après avoir rapproché les autorités pour &
contre ,& les divers appuis de deux opinions fi
oppolées , je rappellerai en peu de mots à V. M. ,
les différens motifs qui peuvent éclairer ſa déciſion.
Etd'abord , l'on cite contre l'admiffion régulière
du Tiers- état dans un nombre égal aux deux premiers
Ordres réunis , l'exemple de 1614 , & de
pluſieurs tenues d'Etats précédens ; les lettres de
convocation portoient , un de chaque Ordre.
On repréſente que fi Votre Majesté ſe croyoit
en droit de changer cet ordre de choſes , on ne
fauroit déterminer la meſure des altérations que
le Souverain pourroit apporter aux diverſes parties
conftitutives des Etats-généraux.
Votre Majesté ayant affemblé les Notables de
fon Royaume, & leur ayant demandé leurs avis,
trouveroit surement une forte de fatisfaction & de
convenance à ſuivre l'opinion qu'ils ont adoptée
à la grande pluralité des voix ; il feroit agréable
à Votre Majesté de pouvoir donner une marque
de déférence à une Aſſemblée composée de perfonnes
recommandables à tant de titres , & qui ,
en difcutant les queſtions ſoumiſes à leur examen,
e ſont livrées avec zèle & fincérité à la recherche
ſu point de déciſion le plus juſte & le plus condorme
au bien de l'Etat.
L'on ajoute qu'en ne menageant pas les droits
ou les prétentions des deux premiers Ordres , l'on
contrarie les anciens principes du Gouvernement
françois , & l'on bleſſe en quelque manière l'efprit
de la Monarchie.
(83 )
On peut dire que ces deux premiers Ordres
font liés au Souverain , par leur ſupériorité même
fur le troiſième , puiſque cette ſupériorité eſt maintenue
par toutes les gradations d'états , dont le
Monarque eſt à-la-fois le confervateur & le dernier
terme.
On préſume que le Tiers- état , en mettant un
grand intérêt à être égal en nombre aux députés
des deux premiers Ordres , annonce le deſſein d'amener
les Etats-généraux à délibérer en commun.
On obſerve dans un autre ſens , que ſi ce genre
de délibération devenoit convenable en certaines
occafions , on rendroit plus incertain l'aſſentiment
des deux premiers Ordres à une pareille diſpoſition
, fi le nombre des Députés du Tiers- état étoit
égal à celui des deux premiers Ordres .
On demande ce qu'il faut de plus au Tiers-état
que l'abolition des privilèges pécuniaires , &l'on
annonce cette abolition comme certaine , en citant
le voeu formel à cet égard d'un grand nombre de
Notables dans la Nobleſſe &dans le Clergé.
On croit que le Tiers- état , & alors on l'appelle
le Peuple , eſt ſouvent inconſidéré dans les
prétentions ,&que la première une fois fatisfaite ,
une fuite d'autres demandes pourront ſe ſuccéder,
&nous approcher inſenſiblement de la démocratie.
Onmet trop d'importance , dit- on quelquefois,
aux réclamations du Tiers-état : il eſt confidérable
en nombre , mais épars & diſtrait par diverſes
occupations lucratives ; il ne prend aux
queſtions politiques qu'un intérêt momentané ; il
abeſoin d'être foutenu par des écrits , &il ſe laſſe
de la continuation des mêmes débats. Les deux
premiers Ordres , comme toutes les aſſociations
dont l'étendue eſt circonfcrite , ſont au contraire
ſans ceffe éveillés par l'intérêt habituel qui leur est
propre; ils ont le temps & la volonté de s'unir ,
&ils gagnent inſenſiblement des voix par l'effet
d vj
(84 )
de leur crédit ,& par l'aſcendant de leur état dans
lemonde.
Onfaitdes calculs ſur le nombre de citoyens
qui compoſent le Tiers-état , & l'on reſſerre ce
nombre en ſéparant de, ſa cauſe , ou plutôt de fon
parti , tous ceux qui , par ignorance ou par misère,
ne font que les ſerviteurs des riches de tous les
états , &fe montrent abſolument étrangers aux
conteſtations politiques. Peut-être même que la
plupart des hommes de cette dernière claſſe ſeroient
plus à la ſuite des Seigneurs eccléſiaſtiques & laïques,
avec leſquels ilsont des liens de dépendance ,
qu'ils ne ſeroient attachés aux citoyens qui défendent
les droits communs de tous les non-privilégiés.
Les deux premiers Ordres , qui n'ont rien à acquérir
, & qui font contens de leurs privilèges ,
&de leur érat politique , ont moins d'intérêt que
le Tiers-état à la réunion des trois Ordresen Etatsgénéraux;
ainſi, s'ils n'étoient pas entraînés par un
ſentiment public, équitable & généreux , ils adopteroient
facilement les meſures qui éloigneroient,
pardes oppoſitions , ou par tout autre moyen ,
la tenue de ces Etats.
Enfin , les deux premiers Ordres connoiſſent
mieuxque le troiſième , la Cour & fes orages ,
&s'ils le vouloient , ils concerteroient avec plus
de surété les démarches qui peuvent embarraffer
le Ministère , fatiguer fa conftance , & rendre
ſaforce impuiſſante.
Je crois avoir indiqué les princi; ales conſidérations
qui peuvent favoriſer auprès du Roi les prétentions
contraires à la demande, du Tiers-état ;
je vais parcourir de même en abrégé celles qui
doivent en être l'appui ; elles fixeront pareillement
l'attention de Votre Majestét
On accuſe le Tiers état de vouloir empiéter
fur les deux premiers Ordres; & il ne demande
(85 )
qu'autant de Repréſentans , autant de Défenſeurs
pour lesCommunes ſoumiſes à toutes les charges
publiques , que pour le nombre circonfcrit des
citoyens qui jouiſſent de priviléges ou d'exceptions
favorables .
Il reſteroit encore aux deux premiers Ordres
tout l'aſcendant qui naît de la ſupériorité d'état
&des diverſes grâces dont ils ſont les diſtributeurs
, foit par leur propres moyens , ſoit par
leur crédit à la Cour & près des Miniftres .
Cette derrière obſervation eſt tellement juſte,
que , dans les aſſemblées d'États où les trois
Ordres délibèrent quelquefois en commun, il eſt
connu par expérience qu'aux momens où le Tiersérat
ſe ſent intimidé par l'opinion de ceux qu'il
eſtdans l'habitude de reſpecter , il demande à ſe
retirer dans ſa chambre; & c'eſt en s'iſolant ainfi ,
qu'il reprend du courage&retrouve ſes forces.
Letitre des Lettres de convocation de 1614,
&des précédentes Affemblées nationales , eſt
contraire à la demande du Tiers-état ; mais les
faitsy fontfavorables , puiſqu'en réalité , le nombre
des Députés de cette claſſe de citoyens a
toujours paflé la troiſième partie du nombre général
des Députés.
Au commencement du quatorzième ſiècle ,
Philippe-le-Bel , guidé par une vue ſimplement
politique , a pu introduire le Tiers-état dans les
Aſſemblées nationales ; Votre Majesté , à la fin
du dix-huitième , déterminée ſeulement par un
ſentiment d'équité , n'auroit-elle pas le droit de
farisfire au voeu général des Communes de fon
Royaume , en leur accordant un petit nombre
de Repréſentans de plus qu'elles n'ont eu à la
dernière tenue , époque loin de nous de près de
deux fiècles ?
Cet intervalea apporté de gra ds changemens
choſes. Les richelles toutes mobiliaires &
( 86 )
les emprunts du Gouvernement ont aſſocié le
Tiers-état à la fortune publique; les connoiſſances
& les lumières ſont devenues un patrimoine
commun; les préjugés ſe ſont affoiblis ; un fentiment
d'équité générale a été noblement foutenu
par les perſonnes qui avoient le plus à gagner
au maintien rigoureux de toutes les diftinétions.
Par-tout les ames ſe ſont animées , les eſprits ſe
ſont exhauffés , & c'eſt à un pareil eſſor que la
Nation doit en partie le renouvellement des Etatsgénéraux
; il n'eût point eu lieu , ce renouvellement
, ſi , depuis le Prince juſqu'aux Sujets , un
reſpect abſolu pour les derniers uſages eût paru
la ſeule loi.
L'ancienne délibération par Ordre ne pouvant
être changée que par le concours des trois Ordres,
&par l'approbation du Roi , le nombre des Députés
du Tiers-état n'eſt juſques- là qu'un moyen
de raſſembler toutes les connoiſſances utiles au
bien de l'Etat ; & l'on ne peut conteſter que cette
variété de connoiſſances appartient fur-tout à l'Ordre
du Tiers - état , puiſqu'il eſt une multitude
d'affaires publiques dont lui ſeul a l'inſtruction,
telles que les transactions du Commerce intérieur
&extérieur , l'état des Manufactures , les moyens
les plus propres à les encourager , le crédit public ,
l'intérêt & la circulation de l'argent , l'abus des
perceptions , celui des priviléges ,& tant d'autres
parties dont lui ſeul a l'expérience.
La cauſe du Tiers - état aura toujours pour
eile l'opinion publique , parce qu'une telle cauſe ſe
trouve liée aux fentimens généreux , les feuls que
l'on peut manifefter hautement; ainſi elle féra
conftamment foutenue ,& dans les converſations,
&dans les écrits , par les hommes animés &
capables d'entraîner ceux qui liſent ou qui écoutent .
Votre Majesté a été touchée de l'amour , de l
confiance , de l'abandon , dont le Tiers- état fa
(87 )
profeffion pour Elle dans toutes les ſupplications
des Villes & des Communes , qui lui ont été
adreſſées : Votre Majesté a ſans doute d'autres
manières de répondre à tant de dévouement que
par l'admiffion des Députés du Tiers-état aux
Etats-généraux , dans un nombre plus ou moins
étendu; cependant il eſt juſte , naturel & raiſonnable
, que Votre Majesté prenne en conſidération
particulière l'intérêt qu'une ſi nombreuſe
partie de ſes Sujets attache à la déciſion de cette
queftion.
On dit que dans l'Aſſemblée des Etats-généraux
, les deux premiers Ordres examineront la
pétition du Tiers-état , & que peut-être alors ils
y accéderont ; mais ſi , ſelon l'avis de pluſieurs
Publiciſtes , & felon l'arrêté du Parlement de
Paris,le nombre reſpectif des trois Ordres opinans
ſéparément peut être légitimement déterminé
par le Roi , ſeroit-il abſolument égal que le
Tiers-état obtint de Votre Majesté ou des deux
autres Ordres de ſon Royaume , le ſuccès de ſes
follicitations ? & peut-il être indifférent à Votre
Majefté d'être la première à lui accorder une
justice ou un bienfait ?
Il eſt remarquable que le Languedoc , la Provence,
le Hainaut , le Dauphiné, enverront néceffſairement
, ſelon leurs formes conftitutives ,
autant de Députés du Tiers- état que des deux
premiers Ordres.
Ces deux Ordres n'ont pas fait attention , peutêtre
, que dans le Tiers-état beaucoup de perfontes
font aſſociées en quelque manière aux
priviléges de la Nobleſſe; ce ſont les habitans
des villes connues ſous le nom de Villes franches
, villes en trèsgrand nombre aujourd'hui ,&
où la Taille n'existe plus , parce qu'elle y a été
convertie en des droits ſur les consommations ,
payés également par toutes les claſſes de citoyens.
( 88 )
On peut fuppofer , contre la vraiſemblance ,
que les trois Ordres venant à faire uſage réciproquement
de leurs droits d'oppofition , ily eût
unetelle inaction dans les délibérations des Eratsgénéraux
, que , d'un commun accord, & follicités
par l'intérêt pubic, ils déſiraſſent de délibérer
encommun , fût-ce en obtenant du Souverain
que leur voeu , pour toute innovation , exigeât
une ſupériorité quelconque de fuffrages. Une telle
diſpoſition , ou toute autre du même genre , quoique
néceffitée par le bien de l'Erat , fe-oit peutêtre
inadmiſſible ou fans effet , ſi les Repréſentans
des Communes ne compofoient pas la moitié de
la repréſentation nationale.
La déclaration généreuse que viennent de faire
les Pairs du Royaume , ſi elle entraîne le ſuffrage
dela Nobleſſe& du Clergé aux Etats-généraux,
aſſurera à ces deux Ordres de l'Etat des hommages
de reconnoiſſance de la part du Tiers-état,
&le nombre de ces hommages fera pour eux
un tribut d'autant plus glorieux & plus éclatant.
Cependant, lors même qu'il ne ſubſiſteroit aucune
inégalité dans la répartition des impôts , il y auroit
encorede la convenance à donner au Tiers- état
une repréſentation nombreuſe , puiſqu'il importeroit
que la ſageſſe des délibérations des Etatsgénéraux
, que la bonté& la juſt ce du Souverain,
fuſſent annoncées & expliquées dans tout
le Royaume , par une diverſité d'interprêtes &
degarans, fuffifante pour éclairer& pour affermirla
confiancede vingt-quatre millions d'hommes .
Onplace encore ici une réflexion : la défaveur
auprès des deux premiers Ordres , peut perdre
facilement un,Miniſtre. Les mécontentemens du
troiſième n'ont pas cette puiſſance , mais ils affoibliſſent
quelquefois l'amour public pour la perfonne
du Souverain.
Enfin le voeu du Tiers-état , quand il eſt una(
89 )
nime , quand il eſt conforme aux principes généraux
d'équité , s'appellera toujours le voeu
national ; le temps le conſacrera ; le jugement de
l'Europe l'encouragera , & le Souverain ne peut
que régler dans la justice , ou avancer dans ſa
ſageſſe , ce que les circonstances & les opinions
doivent amener d'elles-mêmes. ,
Votre Majesté , qui alu attentivement tous les
écrits remarquables publiés ſur la queſtion foumiſe
à ſon jugement , aura préſentes à l'eſprit
toutes les corſidérations qui ne lui ſont pas
rappe'ées dans ce Mémoire.
Obligé maintenant , pour obéir à ſes ordres ,
dedonner mon avis avec les autres Miniſtres de
Sa Majesté , ſur l'objet eſſentiel traité dans ce
moment , je dirai donc qu'en man ame &confcience
,& en fidèle ſerviteur de Votre Majesté ,
jepenſe décidément qu'Elle peut & qu'Elle doit
appeler auxEtats-généraux unnombre deDéputés
du Tiers-état égal en nombre aux Députés des
deux autres Ordres réunis , non pour forcer ,
comme on paroît le craindre , la délibération par
têre , mais pour fatisfaire le voeu général & raifonnable
des Communes de fon Royaume , dès
que cela ſe peut fans nuire aux intéréts des deux
autres Ordres.
On a dit que ſi les Communautés envoyoient
d'elles-mêmes un nombre de Députés ſupérieur
à celui qui ſeroit déterminé par les lettres de
convocation , on n'auroit pas le droit de s'y oppofer.
Que fignifieroitdonc l'autoritédu Souverain,
s'il ne pouvoit pas mettre la règle à la place du
déſordre ? car c'en feroit un véritable , que la
pleine liberté laiſſée au Tiers-état de ſe conformer
ou non aux lettres de convocation , pour
le nombre de ſes Dépurés. La Nobleſſe & le
Clergé , qui ont maintenant fixé leur attention fur
la quotité reſpective du nombre des Repréſentans
( 0 )
de chaque Ordre, ne manqueroient pas d'excéder
auſſi , dans leur députation , le nombre preſcrit ;
&par une rivale imitation , il arrivercit peutêtre
aux Etats-généraux , une foule de Députés
qui produiroit le déſordre & la confufion.
Votre Majefté a des intentions droites , & ne
yeut que la justice envers tous ,& le bonheur de
Tes Peuples;& ce n'eſt pas felon la rigueur d'une
ancienne forme, &d'une forme diverſement entendue
, diverſement interprétée , qu'Elle voudra
décider d'une queſtion intéreſſante pour la tranquillité
publique. Que l'on ait pris de vaines
alarmes , que l'on conçoive de faux ombrages ,
Votre Majesté les diſſipera en ſe montrant le
gardien des droits de tous les Ordres de fon
Royaume: Elle ne ſe déterminera dans la queſtion
préſente , que par un ſentiment de juſtice , &
cemême ſentiment deviendra le garant de toutes
les propriétés , & fervira de défenſe à tous les
Ordres de l'Etat. Ce ſeroit faire tort aux ſentimens
élevés de la Nobleſſe ; ce feroit mal juger
de l'eſprit de juſtice & de paix qui appartient au
Clergé , d'imaginer une réſiſtance de leur part à
ladéciſion que donnera Votre Majesté ,ſur une
queſtion long-temps débattue,, &dont le réſultat
ne doit conduire , avec juſtice , à aucune conféquence
importante.
PROPOSITION.
:
Je crois que le nombre de mille Députés ou
environ , eit le plus convenable; il ne préſente
pas la crainte d'une trop grande confufion , &
en même temps il devient néceſſaire pour repréſenter
ſuffitamment la Nation dans une circonf
(91 )
tance ſi grave& fi majeure , &où les plus grands
intérêts de l'Etat pourront être traités.
Ce nombre de Repréſentans des trois Ordres
devroit être réparti entre les grands Bailliages ,
en raiſon combinée de leur population &de leurs
contributions , & en affignant un nombre proportionnel
à chaque pays d'Etats qui eft dans
l'uſage de choiſir des Députés dans ſes propres
aſſemblées.
La manière la plus raiſonnable de répartir mille
Députés entre les différens Ordres de l'Etat , feroit
peut-être d'en accorder deux cents à l'Ordre du
Clergé, trois cents à l'Ordre de la Nobleſſe , &
cinq cents aux Communes du Royaume; mais
comme Votre Majefté , ſans le concours des Etatsgénéraux,
ne veut apporter aux anciennes formes
que les changemens les plus indiſpenſables , on
propoſe à Votre Majefté de ne point s'écarter de
la parité établie entre les deux Ordres privilégiés,
&alors les mille Députés qu'Elle appeileroit aux
Etats-généraux , devroient être compoſés de deux
cents cinquantedu Clergé , de deux cents cinquante
de la Nobleſſe , & de cinq cents du Tiers-état.
On a rendu compte à Votre Majesté des diverſes
modifications qui pouvoient concilier ce
doublement du Tiers - état avec une forte de
ménagement pour l'ancienne teneur des Lettres
deconvocation; ces Lettres appeloient aux Étatsgénéraux
, un de chaque Ordre : ainſi on aurois
pu maintenir la même formule , en répartiſſant
l'élection de la moitié des Députés du Třers-état,
entre les villes principales du Royaume ; mais
l'avantage particulier que ces villes obtiendroit
deviendroit un ſujet de jaloufie pour toutes
celles dont l'importance ſeroit à peu-près femblable
, & cette même diſpoſition pourroit encore
exciter la réclamation des autres Communautés
,
(92)
du Royaume. Quelques objections naîtroient auſſi
de ce que les trois Ordres ſe trouvant réunis&
confondus dans les Communes des villes , il faudroit
, par des Réglemens nouveaux&particuliers ,
ſéparer le Tiers- état des autres claſſes de la fociété;
&de pareils Réglemens appliqués à un nombre
très- conſidérablede villes,entraîneroient de grands
embarras &de grandes longueurs.
Il étoit bien naturel &bien digne de la protection
que Votre Majesté accorde également à
tous les Ordres de fon royaume , de chercher
avec attention & avec fuite, tous les moyens qui
pouvoient lui donner l'eſpérance de concilier leurs
diverſes prétentions & leurs différens intérêts ;
mais , dans la circonstance où se trouvent les
affaires publiques , toute modification nouvelle qui
n'auroit pas été motivée ou par un principe évident
de justice , ou par l'expreffion générale de
l'opinion publique , expoſeroit peut-être à des
contradictions difficiles à ſurmonter.
Votre Majefté , en augmentant le nombre des
Députés du Tiers-état aux Aſſemblées nationales,
céderaprincipalementà un ſentiment d'équité ;&
puiſqu'en toutes choſes la manière la plus fimple
eſt la plus ffortie à la dignité royale , c'eſt ſous
une telle forme qu'il faut livrer à la garde du
temps une délibération qui fera quelque jour une
des époques glorieuſes du règne de VotreMajeſté.
On propoferoitdonc à Votre Majeſté d'exprimer
fes intentions dans les lettres de convocation
mêmes .
On doit obferver cependant que ſi Votre Majeſté
veut accorder une députation particulière au
très-petit nombre de villes qui ont joui de ce
privilége en 1614 , il faudroit les aftreindre pour
leurs élections , aux diſpoſitions qui feront ſuivies
dans les Bailliages , afin que le nombre des Dé
( 93 )
putés du Tiers- état ne puiſſejamais excéder le
nombre des Députés des deux premiers Ordres .
Sur la troisième Queſtion.
Chaque Ordre doit- il être reſtreint à ne choiſir
des Députés que dans ſon Ordre ?
Les lettres de convocation ayanttoujours porté
un de chaque Ordre , annonçoient par cette expreffion
, que les Députés choiſis par un Ordre devoient
en faire partie. Cependant le Parlement
de Paris , aux termes de ſon arrêté du 5 décembre
, ſemble penser que la plus parfaite liberté ,
dans l'élection de chaque Ordre , eſt conſtitutionnelle.
Il parcît donc douteux que , pour la prochaine
Aſſemblée des Etats-généraux , l'on fût
en droit de s'oppoſerà tel uſage que chaque Ordre
pourroit faire de cette liberté ; & cette confidération
doiť engager le Tiers -état à diriger ſon
choix avec d'autant plus d'attention vers les perfonnes
qui lui paroîtront le plus dignes de ſa
confiance. La plus grande partie du Tiers- état
defire que ſes. Députés ſoient néceſſairement pris
dans fon Ordre; maisſi les Electeurs dans quelque
Bailliage penſoient différemment , & préféroient
, pour leur repréſentant , un Membre de
la Nobleſſe , ce ſeroit peut-être aller bien loin que
de s'élever contre une pareille nomination , du
moment qu'elle feroit l'effet d'un choix parfaitement
libre . Le Tiers-état doit conſidérer ,
"Que les Nobles choiſis par lui , pour ſes Repréſentans,
ne pourroient abandonner ſes intérêts
fans s'ayilir. »”
«Qu'il eſt dans la Nobleſſe pluſieurs perſonnes
auſſi zélées pour la cauſe du Tiers- état & auffi
( 94)
habiles à la défendre , que des Députés choiſis dans
cedernier Ordre . »
« Peut - être auſſi que dans le moment où la
Nobleſſe & le Clergé paroiſſent véritablement
diſpoſés à renoncer aux priviléges pécuniaires dont
ils jouiffent , il y auroit quelque convenance de la
part du Tiers- état à ne pas excéder les bornes
raiſonnables de la défiance , & à voir fans regret
l'admiffion de quelques Gentilshommes dans fon
Ordie , fi cette admiſſion avoit lieu par l'effet d'un
choix parfaitement libre. »
« On doit ajouter qu'au milieu des moeurs françoiſes
, ce mélange, dans une proportion meſurée ,
auroit des avantages pour le Tiers-état , & feroit
peut- être le premier principe d'une union d'intérêts
néceſſaire. »
« Il est très- poffible , à en juger par les diſpofitions
des deux Ordres , que la prochaine tenue
des Etats-généraux ſoit la dernière où le Tiers-érat
attachera une grande importance àn'avoir que des
Députés pris dans ſonOrdre; car, fi les priviléges
pécuniaires qui ſéparent les intérêts des d. verfes
claſſes de la ſociété , étoient une fois ſupprimés ,
leTiers-état pourroit indifféremment choisir pour
Repréſentant un Gentilhomme ou un autre Citoyen.
On ne peut douter qu'à l'époque où la répartition
ſera égale entre tous les Ordres , qu'à
l'époque où feront abolies ces dénominations de
tributs qui rappellent à chaque inſtant au Tiers-état
fon infériorité& l'affrontent inutilement , à cette
heureuſe époque enfin ſi juſte & fi defirable , il
n'y aura plus qu'un voeu commun entre tous les
habitans de la France. Qu'est-ce donc alors qui
pourroit ſéparer les intérêts du Tiers-état des intérêts
des deux premiers Ordres ? Le Tiers- état
comme la Nobleſſe, comme le Clergé, comme
tous les François , n'a - t - il pas intérêt à l'ordre
( 95 )
des finances , à la modération des charges publiques
, à la juſtice des loix civiles & criminelles ,
à latranquillité &à la puiſſance du royaume , au
bonheur& à la gloire du Souverain ? Il n'entrera
jamais dans l'eſprit du Tiers-état de chercher à
diminuer les prérogatives ſeigneuriales ou honorifiques
qui diſtinguent lesdeux premiers Ordres ,
oudans leurs propriétés , ou dans leurs perſonnes ;
il n'eſt aucun François qui ne ſache que ces prérogatives
fontune propriété auffi reſpectable qu'aucune
autre , que pluſieurs tiennent à l'eſſence de
la Monarchie , & que jamais VOTRE MAJESTÉ
ne permettroit qu'on y portât la plus légère
atteinte. >>>>
« Que les Miniſtres de la Religion ne voient
donc dans le nombre des Repréſentans du Tiersétat
aux Etats-généraux , que les repréſentans , les
indicateurs des beſoins multipliés d'un grand peuple.
Que la Nobleſſe , àl'aſpect de ces nombreux
Députés des Communes , ſe rappelle avec ſatisfaction
& avec gloire qu'elle doit aux vertus &
aux exploits de les ancêtres , d'avoir , ſur les intérêts
généraux de la Nation , une influence égale
aux Députés de tout un royaume. Que ces Députés
, à leur tour , ne penſent jamais que ce foit
par le nombre , ni par aucun moyen de cortrainte
, mais par la perfuafion , par l'éloquence
de la vérité , qu'ils peuvent obtenir le redreſſement
des griefs de leurs conftituans. Mais trèscertainement
, SIRE , les Communes de votre
royaume n'ont aucune autre idée , & c'eſt à votre
protection , c'eſt à l'appui de votre juſtice qu'elles
fe confient principalement. Leurs ſentimens font
manifeſtés dans les ſupplications innombrables
qu'elles ont adreſſes à VOTRE MAJESTÉ , &
qui contiennent toutes la profeſſion la plus expreſſive
d'un dévouement fans bornes,&à VOTRE
4
(96 )
MAJESTÉ , & au ſecours de l'État. Il faut croire
àce ſentiment national qui honore le règne de
VOTRE MAJESTÉ , & qui conſacre ſes vertus&
l'amour de ſes peuples. >>
Ah! quede toutes parts on veuille enfin arriver
au port ! qu'on ne rende pas les efforts de
VOTRE MAJESTÉ inutiles , par un eſprit de difcorde,
&que chacun faſſeun léger facrifice pour
l'amour du bien ! VOTRE MAJESTÉ peut l'attendre
avec confiance de l'Ordre de ſon Clergé ;
c'eſt à lui d'inſpirer par-tout l'amour de la paix ;
c'eſt à lui de croire aux vertus de ſon Roi, & d'en
pénétrer ceux qui l'écoutent. C'est à l'Ordre de
la Noh'eſſe de ne pas ſe livrerà des alarmes chimériques
, & de foutenir les efforts généreux de
VOTRE MAJESTÉ au moment où Elle eſt unique
ment occupée d'aſſurer le bonheur général , au
moment où Elle voudroit appeler tous les elprits
&tous les coeurs à ſeconder ſes vues bienfaifar
tes.Ah ! SIRE , encore un peu de temps , & tout
ſe terminera bien; vous ne direz pas toujours , je
l'eſpère , ce que je vous ai entendu prononcer en
parlant des affaires publiques: Je n'ai eu , difiezvous
, je n'ai eu , depuis quelques années , que des
instans de bonheur; touchantes paroles quand elles
font l'expreffion d'une ame ſincère & des ſentimens
d'un Roiſi digne d'être aimé. Vous le retrouverez
ce bonheur , SIRE , vous en jouirez ;
vous commandez à une Nation qui fait aimer ,
&que des nouveautés politiques auxquelles Elle
n'eſt pas encore faite , diftrayent pour un temps
de fon caractère naturel ; mais fixée par vos bienfaits
,&affermie dans ſa confiance par la pureté
de vos intentions , elle ne penſera plus enſuite
qu'à jouir de l'ordre heureux & conftant dont
elle vous fera redevable. Elle ne fait pas encore,
bette Nation reconnoiffante , tout ce que vous
σε
avez
(97)
J
ayez deſſein de faire pour ſon bonheur. Vous
l'avez dit , SIRE , aux Miniftres qui font honorés ,
de votre confiance; non- ſeulement vous voulez,
ratifier la promeſſe que vous avez faite de ne
mettre aucun nouvel impôt ſans le confentement
desÉtats-généraux de votre royaume , mais vous
voulez encore n'en proroger aucun fans condition:
vous voulez de plus aſſurer le retour ſucceſſif ,
des États généraux , en les confultant fur l'intervalle
qu'il faudroit mettre entre les époques de,
leur convocation , & en écoutant favorablement,
les repréſentations qui vous feront faites , pour
donner à ces diſpoſitions une ſtabilité durable.,
VOTRE MAJESTÉ veut encore prévenir , de la
manière la plus efficace , le déſordre que l'inconduite
ou l'incapacité de ſes Miniſtres pourroient
introduire dans ſes finances. Vous vous propoſez
, SIRE , de concerter , avec les États - généraux
, les moyens les plus propres à vous faire
atteindre à ce but;& dans le nombre des dépenſes
dont vous aſſurerez la fixité , vous ne vou- i
lez pas même, SIRE , diſtinguer celles qui tiennent
plus particulièrement à votre perſonne. Ah,que
font ces dépenses pour le bonheur ! ai - je entendu
dire à VOTRE MAJESTÉ. Et en effet , chacun le
fait , VOTRE MAJESTÉ a preſcrit Elle- même plus {
ſieurs réductions très-importantes dans cette partie,
de ſes finances , & Elle veut qu'on lui propoſe
encore les économies dont les mêmes objets feront
ſuſceptibles. >>
)! }
VOTRE MAJESTÉ portant ſes regards ſur toutes
les diſpoſitions qui peuvent concourir au bong
heur public, fe propoſe auſſi d'aller au-devant
du voeu bien légitime de ſes Sujets , en, invitant
lesÉtats -généraux à examiner eux - mêmes la
grande queſtion qui s'eſt élevée ſur les, lettres dec
cachet, afin que VOTRE MAJESTÉ , Par le con
No. 22.. 11 0 Janvier 1789. e
( 98 )
1 cours de leurs lumières , connoiffe parfaitement
quelle règle doit êttrree obſervée dans cetre partie
de l'adminiſtration. Vous ne ſouhaitez , SIRE ,
que le maintien de l'ordre , & vous voulez abandonner
à la loi tout ce qu'elle peut exécuter. »
«C'eſt par le même principe que VOTRE
MAJESTÉ eſt impatiente de recevoir les avis
desÉtars généraux ſur la meſure de liberté qu'il
convient d'accorder à la preſſe & à la publicité
des ouvrages relatifs à l'Adminiſtration,auGouvernement
ou à tout autre objet public. >>
Enfin , Sire, vous préférerez avec raiſon aux
conſeils paſſagers de vos Miniſtres , les délibéra
tions durables des Etats - généraux de votre
Royaume ; & quand vous aurez éprouvé leur
ſageſſe , vous ne craindrez point de leur donner
une ſtabilité qui puiſſe produire la confiance,&
les mettre à l'abri d'une variation dans les fentimens
des Rois vos ſucceſſeurs. »
«Vous avez encore d'autres vues pour le
bonheur de vos Sujeis , ou plutôt , Sire , vous
n'avez que cette ſeule vue ſous différentes modifications
, & c'eſt ſur -tout par ce genre de
nupport avec vos Peuples, que votre autorité vous
eſt chère;&comment n'en connoîtriez-vous pas
le prix dans ce moment extraordinaire , où vous
en répandez l'influence , non- ſeulement pour la
félicité des Sujets qui vous ont été confiés , mais
pour l'avantage encore de toutes les générations
futures ! Ces ſont vos ſentimens , Sire , que j'ai
eſſayé d'exprimer , ils deviennent un nouveau
lien entre Votre Majesté & l'auguſte Princeſſe
qui partage vos peines & votre gloire; je n'oublierai
jamais qu'Elle me diſoit il y a peu de
temps : « Le Roi ne ſe refuſera point aux facrifices
qui pourront affurer le bboonnheurpu-
>>blic; nos enfans penſeront de même s'ils font
"
( 99)
» fages, & s'ils ne l'étoient pas , le Roi auroit :
>>rempli un devoir en leur impoſant quelque
» деле. »
" Belles & louables paroles que je priai Sa
Majesté avec émotion de me permettre de retenir.
».
<<Sire, je n'ai point de doute fur la deſtinée
de la France, ni ſur ſa puiſſance au -dehors , ſi ,
par un juſte partage des ſentimens qui vous animent
, on s'empreſſe à faire ſervir la circonſtance
actuelle au rétabliſſement de l'harmonie intérieure ,
& à la conſtruction d'un édifice inébran'able de
proſpérité &debonheur. »
Vous avez encore , Sire , le grand projet de
donner des Etats-provinciaux , au ſein des Etatsgénéraux
, & de former un lien durable entre
PAdminiſtration particulière de chaque Province
&la législation générale. Les Députés de chaque
partie du Royaume, concerteront le planleplus
convenable , & Votre Majesté eſt diſpoſée à y
donner ſon aſſentiment , ſi Elle le trouve combiné
d'une manière ſage & propre à faire le bien
fans difcorde & fans embarras.n
« Votre Majesté une fois contente du zele &
de la marche régulière de ces Etars , & leurs ponvous
étant définis , rien n'empêcheroit Votre
Majeſté de leurdonner des témoignages de confiance
fort étendus , & de diminuer , autant qu'il
eſt poſſible , les détails de l'Adminiſtration première,
Votre
ap- Majesté eſt encore déterminée à
puyer de fon autorité , tous les projets qui tendront
à la plus juſte répartition des impôts ; mais
en fecondant les diſpoſitions généreuses qui ont
été manifeſtées par les Princes , les Pairs du
Royaume & par les Notables du Clergé & de
la Nobleffe, Votre Majesté defire cependant que
dans l'examen des droits & des faveurs dont
:
1

( 100 )
jouiffent les Ordres privilégiés , on montré des "
égards pour cette partie de la Nobleſſe qui cultive
elle - même ſes champs , & qui ſouvent ,
après avoir fupporté les fatigues de la guerre ,
après avoir fervi le Roi dans ſes armées , vient
encore ſervir l'Etat , en donnant l'exemple
d'une vie ſimple & laborieuse , & en honorant
par ſes occupations , les travaux de l'Agriculture.
"
«Je ne rappellerai pas d'une manière plus étendue
à Votre Majesté , tous les projets qui promettent
à ſes intentions bienfaiſantes un avenir
digne de ſa ſollicitude paternelle&de fon amour
du bien public. Seroit-il poſſible que des craintes
ſpéculatives , que des raiſonnemens prématurés
vinſſent mettre obſtacle à cette harmonie ſans laquelle
les aſſemblées nationales ne ſont plus
propres à ſeconder l'adminiſtration ? Est-ce dans
un moment de criſe qu'il faut ſe déſunir ? eſt- ce
au moment où l'incendie a gagné l'édifice , qu'il
faut perdre du temps en vaines diſputes ! Ehquoi !
les François qu'on a vu fléchir , dans d'autres
temps , devant la ſimple parole d'un Miniſtre impérieux,
n'auroient-ils de réſiſtance qu'aux tendres
efforts d'un Roi bienfaiſant ? Ah ! que chacun de
vous ſoit tranquille , oſerois-je leur dire: le plus
droit , le plus intègre des Princes environnerade
fon eſprit les délibérations des Etats - généraux ;
&fon defir le plus ardent, c'eſt que la proſpérité
de l'Etat ne ſoit dûe qu'au zèle empreſſé de :
tous les Ordres du Royaume. Toute défiance anticipée
ſeroit une véritable injustice. Hélas ! en
d'autres temps on ſe fût approché du Trône avec
tranſport , pour infcrire dans un regiſtre national
Jes déterminations de Votre Majeſte,& pour recevoir
d'Elle ces gages de bonheur , d'une voix
unanime , &d'un commun accord. Non , je ne
feſpère point qu'un pareil ſentiment ne renaiſſe
19
I
L
( IOI )
je
encore,&qu'un nouvel ordre de choſesjointà l'impreffion
des vertus de Votre Majesté,& aux douces
&senfibles inclinations des François , ne triomphe
enfinde cet eſprit de déſunion que de malheureux
évènemens ont ſemé au milieu de nous ,
mais qui ſe perdra dans une ſuite des beaux
jours dont il me sera permis de voir l'aurore. >>>
« Je prie Votre Majesté de me pardonner ſi
m'abandonne àces ſentimens , en lui adreſſant
la parole; je ne puis mettre de l'ordre dans ces
réflexions , au milieu des travaux de tout genre
qui me laiſſent ſi peu de momens ; mais c'eſt
un guide auſſi que le ſentiment , & il feroit à
defirer que dans les grandes circonstances tout le
monde le ſuivît , & qu'on fufpendît pour un temps
ces combinaiſons del'eſprit , ces anticipations exagérées
qui égarent ſi facilement. »
« Qu'il me foit permis , après avoir entretenu
Votre Majesté d'une queſtion dont la déciſion eſt
devenue fi importante ,qu'il me foit permis , après
avoir réſumé les diverſes 'intentions de Votre
Majesté, relatives au plus grand avantage de ſes
peuples ; qu'il me ſoit permis , dis -je , de m'arrêter
un moment ſur le bonheur particulier de
Votre Majesté, Il faut en convenir , la fatisfaction
attachée à un pouvoir ſans limites , eſt toute
d'imagination ; car , fi le Souverain ne doit ſe
propoſer que le plus grand avantage de l'Etat ,
&la plus grande félicité de ſes Sujets , le facrifice
de quelques-unes de ſes prérogatives , pour
atteindre à ce double but , eſt certainement le
plus bel uſage de fa puiſſance , & c'eſt même
le ſeul qui ne ſoit pas fufceptible de partage ,
puiſqu'il ne peut émaner que de fon propre coeur
&de fa propre vertu, tandis que les abus de la
plupart des exercices journaliers de l'autorité , dérivent
le plus ſouvent de l'aſcendant des Minifwes,
Ce font eux qui , ſe trouvant preſque nuls
e iij 1
(102 )
au milieu d'un ordre conſtant& invariable , voυ-
droient que tout fût conduit par les volontés
initan anées du Souverain , bien sûrs d'avoir ainfi
ine influence proportionnée à la multitude d'intérêts
particuliers qui aboutiſſent à eux & à la
variété des refforts qu'ils font agir. Mais fi
Votre Majeſté arrête ſon attention ſur le préfeit&
fur l'avenir , fi Elle y réfléchit avec ce
jugement impartial & modéré qui fait un des
caractères remarquables de fon eſprit , Elle verra
que dans le plan général dont Elle s'eſt formé
l'idée , Elle ne fait qu'aſſurer ſimplement l'exécution
de la première & de la plus conſtante de
ſes volontés , l'accompliſſement du bien public :
Elle ne fait qu'ajouter à ſes vues bienfaiſantes
des lumières qui ne font jamais incertaines lorf
qu'elles viennent du réſultat des voeux d'une
Aſſemblée nationale bien ordonnée : alors Votre
Majesté ne ſera plus agitée entre les divers ſyſtêmes
de ſes Miniſtres ; Elle ne ſera plus expoſée
à revêtir de ſon autorité une multitude dediſpoſitions
dont il eſt impoſſible de prévoir toutes
les conféquences ; Elle ne ſera plus entraînée à
foutenir les actes de cette même autorité , longtemps
encore après le moment où Elle commence
à douter de la perfection des conſeils qui
lui ont été donnés; enfin , par une ſeule application
grande & généreuſe de la puiſſance fouveraine
, par un ſeul acte d'une confiance éclairée,
VotreMajesté , en s'environnant des Députés
de la ration, ſe délivrera pour toujours de cette
fuite d'incertitudes & de balancemens , de défiances
& de regrets qui doivent faire le malheur
d'un Prince, tant qu'il demeure ſenſible au bien
de l'Etat & à l'amour de fes Peuples. Les déterminations
que Votre Majesté a priſes , lui laiſſeront
toutes les grandes fonctions du pouvoir fuprême
; car les Aſſemblées nationales , fans un
( 103 )
guide, ſans un protecteur de la juſtice, fans un
défenſeur des faibles , pourroient elles - mêmes
s'égarer ; & s'il s'etablit dans les finances de Votre
Majesté , un ordre immuable , ſi la confiance
prend l'eſſor qu'on peut eſpérer , ſi toutes les
forces de ce grand royaume viennent à ſe vivifier
, Votre Majesté jouira dans ſes relations audehors
, d'une augmentation d'aſcendant qui appartient
encore plus à une puiſſance réelle&bien
crdonnée , qu'à une autorité ſans règle. Enfiu ,
quand Votre Majesté arrêtera fon attention , on
fur Elle-même pendant le cours de ſa vie, ou
fur la royauté peudant la durée des ſiècles , Elle
verra que ſous l'une& l'autre conſidération , Elie
a pris le parti le plus conforme à ſa ſagelle ;
VorreMajesté aura leglorieux , l'urique , le ſalutaire
avantage de nommer à l'avance le Confeil
de ſes ſucceſſeurs , & ce Confeil ſera le géni,
même d'une nation , génie qui ne s'éteint pointe
& qui fait des progrès avec les fiècles; enfin
les bienfaits de Votre Majesté s'étendront juſque
fur le caractère national ; car , en le dirigeant habituellement
vers l'amour du bien pabic , Elle
appuiera , Elle embellira toutes les qualités morales
que ce précieux amour inſpire généralement.
"
« Enfin , ſi par des révolutions imprévues ,
l'édifice élevé par Votre Majaſté venoit à s'écrou -
ler , fi les générations ſuivantes ne vouloient pas
du bonheur que Votre Majesté leur auroit préparé
, Elle auroit fait encore un acte eſſentiel de
ſageſſe, en calinant , ne fût-ce que pendant fon
règne, cet eſprit de diſſention qui s'élève de toutes
partsdans fon royaume. »
« Cependant fi une différence dans le nombre
de Dépu és du Tiers-état , devenoit un ſujet ou
un prétexte de diſcorde ; ſi l'on conteſtoit à Votre
Majesté le droit de donner une déciſion prélimi-
,
eiv
(104)
naire demandée avec tant d'inſtance , par la plus
grande partie de ſes Sujets , & qui conſerve en
entier les uſages conftitutifs des Etats-généraux ;
ſi chacun ſe livrant à une impatience déraiſonnable
, ne vouloit pas attendre de ces Etatsgénéraux
eux-mêmes , la perfection dont chacun
fe forme une opinion différente ; ſi l'on ne vou-
-loit faire aucune attention à l'embarras dans lequel
ſe trouve le Gouvernement , & au milieu
de la fermentation préſente , & au milieu de ce
combat des uſages & de l'équité , des formes &
de la raifon ; enfin , ſi chacun , mécontent de ce
qui manqueroit à ſes defirs, non pas pour toujours
, mais pour l'inſtant le plus prochain , perdoit
de vue le bien durable , auquel il faut tendre ;
ſi par des vues particulières , on cherchoit à retarder
l'Aſſemblée des Etats-généraux , & à laſſer
T'honorable conſtance de Votre Majesté , & fi
votre volonté , Sire , n'étoit pas ſuffiſante pour
vaincre ces obſtacles , je détourne mes regards de
toutes ces idées , je ne puis m'y arrêter , je ne
puisy croire ;alors cependant , quel conſeil pourrois-
je donner à Votre Majesté ? un ſeul , & ce
fercit le dernier , celui de facrifier à l'inſtant le
Miniſtre qui auroit eu le plus de part à votre délibération.
»
Une lettre de S. Denis , Généralité
d'Alençon , nous informe en ces termes ,
d'un établissement utile formé sur cette
Paroisse.
<<Notre municipalité rouvel'e , compoſée de
douze membres , y compris le Seigneur qui préſide
, a cru devoir profiter de fon établiſſement ,
pour prévenir & arrêter les procès . Pour remplir
notre but , nous avons cru devoir donner de la
(105 )
conſidération vis-à-vis du grand nombre , à tous
les membres de la municipalité. Premier moyen,
Tous ont chacun leur chaiſe gratis , placée
dans le choeur. Deuxième moyen. Tous ont chacun
leur flambeau , pour accompagner le S. Sacrement
à la proceſſion de la fête-Dieu , & aux
Saluts. Troiſième moyen. Tous ſont membres
du bureau de charité : cet établiſſement a été
homologué au Parlement. Quatrième moyen.M.
leCuré donne quatre prix d'agriculture;tous les
députés de la municipalité ſont les experts &les
juges. Nous nous aſſemblons exactement tous les
dimanches , à l'iſfue de la grand'meſſe , conformément
aux volontés du Roi. M. le Curé , dans
un prône , a fait connoître que les procès étoient
la ruine des familles , la ſource des haines &des
vengeances. Il a engagé tous ſes paroiſſiens à confier
tous leurs intérêts à la municipalité ; & il
leur a annoncé que dans les affaires difficiles ,
on feroit un mémoire , de concert avec les parties
, pour le confulter à Alençon ou à Rouen ,
à un ou deux Avocats , & que le bureau de
charité paieroit les frais de la confultation. Nous
avons réuſſi dans ce projet de bienfaiſance , au
delà denos eſpérances. Tous les paroiſſiens, des
puis un an, ſe font adreſſés à la municipalité.
Nous avons arrêté ou prévenu plus de trente
procès : aucun des procès que nous avons décidé
n'a été porté aux tribunaux. Nous avons , par ces
moyens ſimp'es , formé un tribunal redoutable
pour les pauvres. »
)
« Par un des articles du bureau de charité,,
nous ne devons aſſiſter ni fainéans ni plaideurs
&nous les obligeons de s'adreſſer à la munici
palité dans tous leurs différends , & de s'en rapporterà
notredéciſion ; autrement ils font déchus
ev
( 100 )
de tonte eſpérance d'être alités , même dans
leurs maladies,
«La municipalité peur ſe tromper dans une
affaire de droit, même avec la confultarion d'un
Avocat; mais elle ne ſe trompera pas , lorſqu'il
s'agira d'eſtimer un dommage , de régler la place
des devifes , de décider des petites ufurpations f
fréquentes dans nos campagnes.
«Undes articles effentiels , qui fera toujours
labaſe de toutes nos opérations , c'eſt que nous
ne nous regarderons jamais que comme desjuges
deconciliation ,des médiateurs , desjuges de paix ,
choifis volontairement par les parties. >>>
«Si nous avions le chagrin dene pouvoir terminer
un procès, nous en reſterions là. Nous croyons
ne devoir prendre de parti ni pour l'un ni pour
l'autre nos fonctions ceſſent dès l'inſtant que les
part'es veulent p'aider. >>>
L'indication générale que nous avons
donnée sur l'intensité du froid dans cette
capitale , aura fait désirer des informations
plus détaillées et plus exactes. On
doit en effet recueillir tout ce qui peut
caractériser les divers périodes d'unhiver
aussi extraordinaire et aussi calamiteux.
Un article intéressant de la Gazette de
France, de vendredi dernier', remplit
parfaitement ce but.
« L'hiſtoire ,y est-il dit, ne fournit pas d'exemple
d'un hiver auffi long, auffi froid&auffi conftant
que celui que nouséprouvons dans cette ville.
Le 24 novembre dernier , la gelée comme ça à
fe manifefter par un vent d'Eit-Nord- Eft & par
un ciel ferein; depuis ce jour le froid eſt al'é en
angmentant , gelantà toutes les heures du jour &
de la nuit juiqu'au 25 décembre, qu'un faux dé-
1
(
( 107 )
g.l s'étoit annoncé; mais la gelée a repris , deux
jours après , avec la même force qu'auparavant ,
&ce grand froid continue. Dès le 26 novembre ,
larivièrede Seine ſe trouva gelée en pluſieurs endroits;
peu de jours après , elle fut priſe & continue
de l'être : elle l'eſt plus complètement qu'elle
ne l'a été en 1776. Du 5 au 6décembre , il tomba
, à Paris , environ cinq pouces de neige , qui
s'eſt conſervéedans ſa totalité ; le 16, deux pouces
&demi; le27, un pouce&demi, ce qui fait environ
neuf pouces , que la terre , qui étoit gelée par les
premiers froids, aconſervé.Voici les froids lesplus
grands&les plus vifs que le ſieur Meſſier , Aſtronomede
la Marine , a obfervé de ſon obſervatoire ,
àdeux thermomètres au mercure , les mêmes qui
lui avoient ſervi à meſurer le grand froid de l'hiver
1776 (1). Le 28 novembre , à 7 heures trois
quarts du matin , le vent Nord , le cielſerein , les
thermomètres marquoient II degrés au- deſſous
de zéro. Le 29, à la même heure , même vent &
le même ciel , 10 degrés. Le 10 décembre , à la
même heure , le vent N. N. E. , le ciel clair ,
10 degrés & demi. Le 15 , à la même heure , le
vent N. E. , même ciel , II degrés trois quarts.
Le 16 , à dix heures un quart du foir , le vent
N. E. , même ciel , to degrés & demi. Le 17 ,
à ſept heures &demie du matin , le vent N. N. E. ,
même ciel , 12 degrés ; à dix heures du foir ,
10 degrés & demi. Le 18 , à ſept heures du
matin , vent N. N. O. , le ciel clair , le baromè
tre à 28 pouces 2 lignes , les thermomètres étoient
à 14 degrés ; à neuf heures & demie du ſoir ,
à 10 degrés & demi. Le 19 , à ſept heures &
( 1 ) Les Thermomètres , de la glace à l'eau
bouillante , portent pour diviſion 85 degrés..
evj
( 108 )
30 ,
demie du matin , le ciel clair, le vent S. E. , à
12 degrés &demi. Le 28 , à ſept heures & demie
dumatin , le vent N. E. , à to degrés un quart.
Le 29, à ſept heures trois quarts du matin , le
cielclair , le vent N. N. E. , à 12 degrés&demi ;
ce jour , le froid étoit extrêmement piquant, plus
fenfible que lorſque les thermomètres étoient à
14 degrès le 18; ce qui étoit occafionné par un
vent âpre qui a régné toute la journée. Le
àſept heures trois quarts du matin , le ciel clair ,
le vent N. N. E. , le baromètre à 28 pouces 4
lignes, les thermomètres étoient deſcendus à 14
degrés& demi au-deſſous de la glace , moins
de vent que la veille , & le froid , quoique plus
grand de deux degrés , étoit moins piquant ; à
neuf heures du ſoir, par un ciel clair , à 14 degés.
Le 31 , à ſept heures trois quarts du matin ,
le ciel clair , le vent E. S. E., le baromètre à 28
puces 3 lignes & demie , les thermomètres marquoient
18degrés trois quarts , & 18 degrés &
demi au- deſſous de la glace , un peu de vent qui
régnoit extrêmement piquant : il n'y a pas d'exempled'un
auſſi grand froid arrivé à Paris.
L'épaiſſeur de la glace , qui a été meſurée avec
foin , le 22 décembre dernier , fur le grand canal
de Verfailles , a été trouvée , dans pluſieurs endroits
, depuis 11 pouces &demi juſqu'à 12 pouces
&demi.
Ce froid, que l'on éprouve ici depuis le 24
novembre , s'eſt porté ,dans fa durée , à des degrés
plus grands & plus conftans qu'en 1776 :
le plus grand froid , en 1776 , fut obſervé , aux
mêmes thermomètres , à 16degrés un quart : celui
du 31 décembre dernier le ſurpaſſe de 2 degrés
& demi. La gelée conftante , en 1776 , fude
24 jours , depuis le 9 janvier juſqu'au 2 février
; celui de cette année , 1788 , paſſe déjà 36
jours. L'hiver de 1740 fut long , mais le ther
( 109 )
momètre ne defcendit au plus bas qu'à 10 degrés
& demi au-deſſous de la glace; quelle différence
avec 18 degrés trois quarts ! L'hiver de 1709,
qui fut ſi déſaſtreux par les effets occaſionnés par
des pluies & des grands froids qui ſuccédèrent ,
fut moins long; le thermomètre deſcendit , au
p'us bas , à 15 degrés au-deſſous de la congélation.
Par l'épreuve que nous venons de faire
d'un froid de 18 degrés , on peut apprécier
ce que sont certains hivers dans le
nord , où l'on a vu fréquemment le thermomètre
descendu à 24 , 30 , 40, 50 , et
jusqu'à 70 degrés au-dessous de la congélation.
Nous invitons les personnes
qui ,dans lesprovinces et dans l'étranger ,
ont suivi avec exactitude et sur de bons
thermomètres au mercure , les variations
du froid depuis la fin de novembre ,
nous faire part de leurs observations ,
afin de nous mettre en état de présenter
les degrés de froid relatif qu'on a ressenti
en divers lieux .
Suivant les lettres du Havre , du 22 décembre
, il étoit entré dans ce port , les
jours précédens , sept vaisseaux anglois
chargés de froment et de farines .
« Le 26 décembre , M. de Crofne , accompagné
du bureau d'Adminiſtration , fe rendit au Palais
des Tuileries , pour la folennité des grands prix.
Cette afſemblée fut honorée de la préſence des
Princes de la Maiſon d'Orléans ; M. Bachelier ,
Directeur , ouvrit la féance par un difcours. »
«On procéda enſuite à la diſtribution de la
maîtriſe d'Orfévre , en faveur du ſieur Montalent ;
( 10 )
de celle d'Imprimeur en taille-douce , en faveur
du fieur Caron ; de celle de Bourrelier , en faveur
du ſieur Gerbod; de celle de Serrurier , en favenr
du ſieur Laporte; &des grands prix mérités par
les ſieurs Delifle , Moget, Thierry , dit la Ferté ,
Chebert , Poulet & Diffard. Ils eurent l'honneur ,
en les recevant , d'être embraſſés par le Magiſtrat ,
au bruit des fanfares & des acc'amations. Quatre
prix de perſévérance , douze grands acceffits , &
quatre-vingt-feize premiers prix de quartier furent
auſſi délivrés dans la même féance. »
Malgré la défiance avec laquelle nous
recevons , et nous nous prêtons à annoncer
une foule de bienfaits , dont les
auteurs nous étant inconnus , ne fournissent
pas de garantie suffisante de leur
munificence , il n'est pas rare qu'on ne
nous induise en erreur. Ces surprises
deviennent d'autant plus désagréables ,
qu'elles nous obligent à publier les plaintes
qu'elles occasionnent , ainsi que dans
le cas qui a 'donné lieu à la lettre suivante
que nous adresse M. le Marquis
deVillette.
MONSIEUR ,
« On lit dans le Me-caredu 13 décembre , que
parmi les perſonnes qui ont montré dans les Campagnes
le plus de zèle & d'intelligen e à fournir
des travaux aux paysans pendant l'hiver, on a
remarqué M. Bataille , Pr eur- Curé de Monceaux ,
près de Pons Sainte-Maxence.
« La Seigneurie du lien eſt unie au Bénéfice. M.
Bataile à fait à fs vafaux des conceffions de ter
( 1 )
rains incultes , qu'ils ont plantes en bois ſousfesyeux.
Lesplantations profpèrent , & l'on ne doute pas qu'il
nes'en élèved'autres encorefurlesterrains qui reſtent
en friche , & qu: le bienfaisant Curé se propose de
concéder. Cette conduite pourroit fervir d'exemple
aux Seigneurs , aux propriétaires de grandes terres ,
dans l'étendue desquelles il ſe trouve encore des terrains
immenfes à défricher. Il est parvenu ainsi à
phinter une étendue de 300 arpens.
a Il n'y a plus de pauvres dans le paroiffe de
Мопселих ; l'attention ſurveillante du Prieur-Care
à entretenir la paix entre ſes paroiffiens , a banni
les procès qui ruinent les gens de la campagne. »
« Cette conduite ne ſervira point d'exemple
aux grands & modeftes propriétaires , voiſins de
M. Bataille. S'ils vouloient autfi faire publier la
manière dont ils occupent leurs vaſſaux , & le
bien qu'ils fout journe!'ement dans leurs terres ,
on y verroit cette différence , c'eſt qu'ils font
défricher le terrain qui leur appartient , & que le
Seigneur bénéficier de Monceaux fait défricher
les terrains qui ne lui appartiennent pas. M. Bataille
aime la paix : c'eſt le caractère du bon Pafteur.
Il s'applaudit d'avoir banni les procès , qui -
ruinent les gens de la campagne; & j'apprends
que fon village eſt en combuftion , & que dixneufdefes
paroiffiens , font condamnés aux Eaux
&Forêts deSenlis , à rétablir les pâturages ufurpés,
dans l'état où ils étoient en premier lieu. »
« Ce qui m'intéreſſe perſonnellement , & me
fait réclamer contre de pareilles bonzes oeuvres ,
c'eſt qu'une grande partie de ces 300 arpems appartient
à mes Communes. Depuis plus de deux
ans , les habitans du Pleſfis-Villette , & quelques
autres villages, ſe ſont pourvus en justice ,
fujet de la propriété de ces bruyères. "
au
« Je n'ai point envie de batailler contre M. le
( 112)
Prieur; & je n'imagine pas qu'il veuille étendre
plus loin les conceffions de terrains qui ne lui
appartiennent pas , premier moyen de bannir les
procès de fa paroiſſe. Comme ſa bienfaifance a
été proclamée dans le Mercure , j'ai cru devoir
yconfigner auffi ma réclamation. Je ſuis prêt
à fournir les preuves légales qui deviendront néceſſaires;
mais ,
Lefecretd'ennuyer , eft celuide tout dire. »
:
( 113 )
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX,
PARLEMENT DE PARIS ,GRAND CHAMBRE .
Cause entre le Comte du C... & lefieur Defc..
L'intérêt d'un capital ſujet au rembourſement ,
ne peut jamais excéder le taux de l'ordonnance ;
&lorſqu'un contrat de conſtitution viagère renferme
un ftellionat , & que le débiteur de la rente
ſe trouve incapable de contracter , la justice , en ce
cas , ne manque pas , ſur la demande du créancier,
d'ordonner le rembourſement de la rente ,& l'excédent
de l'intérêt ordinaire à 5 pour cent , touché
pendant la durée du contrat , s'impute fur le capital
, & le diminue d'autant , c'eſt ce qui a été jugé
dans la cauſe dont voici l'eſpèce.
Le ſieur Defc... fils de famille d'un pèredomiciliéen
pays de droit écrit , où les pères , comme
l'on fait , confervent la jouiſſance paternelle fur
leurs enfans , lesquels ne peuvent contracter des
engagemens valables fans être autorifés , a néanmoins
emprunté du Comte du C... une ſomme de
20,000 livres , dont il lui a paſſe , ſans l'intervention
de ſon père , un contrat de conſtitution de
1600 liv, de rente viagère, devant Notaires à Paris,
le 25 Septembre 1778. Le ſieur Defc... a déclaré
par cet acte affecter au paiement de la rente une
charge de Prévôt-général des Maréchauſſées , par
lui entièrement acquittée , & les gages de ladite
charge. Plus , fa Terre de M... qu'il a déclarée
franchede toute hypothèque. Le ſieur Defc...
a payé exactement les arrérages de la rente dort
( 114 )
1
il s'agit jaſqu'en 1787, qu'il a fait éprouver quelques
retards qui ont donné de l'humeur au créancier.
Alors leComte du C... inſtruit qu'au moment
de la paſſation du contrat , fon débiteur n'étoit
pas , & n'avoitjamais été propriétaire de la Terre
deM...& que la charge de Prévôt des Maréchauffées
avoit été ſupprimée , réduite en commiflion
, & remboursée ſuivant une quittance du
7 août 1:78 , antérieure d'un mois au contrat par
lequel il l'avoit hypothéquée , ainſi que la Terre ,
a formé au Châtelet ſa demarde au rembourſement
de la ſomme de 20,000 livres , pour cauſe
de ſtellionat commis par le ſieur Defc... lors de la.
paſſationdu contrat. Inuti'ement le ſieur Defc.s
a til à l'inftant offert le paiement des arrérage
échus ; inuti'ement le ſieur Defc... père a-t-i
offert de ratifier l'engagement de ſon fils , &de
s'obliger à ſervir exactement la rente. Le Comte
du C... a inſiſte ſur le remboursement , & ue
Sentence du Châtelet a condamné le ſieur Defc...
à rembourſer le capital de 20 000 livres , & aux
dépens. Le ſieur Defc... en a interjeté appel ,
en cequ'il avoit été condamné au paiement entier
des 20,000 livres, ſans égard aux intérêts excédant
le denier cinq par lui payés depuis dix ans ; il a
demandé à être autoriſé à imputer cet accident
ſur le capital, ainſi que la retenue des impoſitions
roya'es. Le Comte du C...prétendoit au contraire
que fon capital devoit lui rentrer tout entier;
qu'il y auroit une injuftice évidente à faire profiter
ſon débiteur du délit qu'il avoit commis , & qui
étoit déféré auxTribunaux , que ſi cela étoit ainſi
la condition du créancier ſeroit pire que s'il avoit
traité avec un débiteur de bonne-foi , dont il auroit
exactement touché la rente ſtipulée : fi la réduction
propoſée avoit lieu , le capital feroit morcelé&
réduit à 134 iv. 10 fols , dont il fercit
impoſſible au Comte du C... de tirer la même
,
(115 )
rente viagère qu'il avoit eu l'intention de ſe procurer
: que même s'il y avoit eu plus d'années
d'écoulées depuis le contrat juſqu'à la demande
formée enjustice, il auroit pu ſe faire, par le calcul
de la réduction des intérêts , que le capital fût entièrement
diſparu ,& que le créancier fe fût même
trouvé débiteur. Le Comte du C... invoquoit
encore, contre la prétention de ſon adverſaire, l'ufage
qui ſe pratique dans les ordres. Croit- on ,
difoit-il , qu'il eſt de l'intérêr de la maſſe de rembourſeruncréancier
viager , alors on lui paye intégralement
foncapital , ſans aucun retour fur les
arrérages paſſés ; ou bien l'on fair un fonds fuffifant
pour lui aſſurer ſa rente, de manière qu'il ne
puiſſe courir aucun riſque. Le ſieur Defc... infiſtoità
dire qu'il n'étoit pas juſte d'ordonner le
rembourſement entier d'un capital qui avoit produit
des intérêts à 8 pour cent , excédant le taux
de l'ordonnance , & il écartoit l'exemple tiré de
l'uſage pratiqué dans les ordres , parce que dans
ce cas, difoit-in , c'eſt l'intérêt même du débiteur
qui follicite le remboursement , qui ne peut encore
s'opérer qu'autant que le créancier de la rente veut
bien s'y prêter ; au lieu qu'ici , c'eſt le créancier
qui fardit un moyen rigoureux d'ouverture de rembourſement,
pour ſe procurer la rentrée d'un capital,
dont le fond's devoit être perdu pour toujours
, &qui irfiſte dans un moment où fon
débiteur a acquis une ſo'vabilité qu'il n'avoit pas
zu moment du connat, où le cautionnement volontaire
offert par le père du débiteur augmente
la fureté de la rente. Il citoit d'ailleurs des arrêts
qui ont en pareil cas ordonné l'imputation ſur le
capital,des intérêts excédans payés ; enfin , ajoutoit
le ſieur Defc... ſi j'étois capable d'oppoſer à
un moyen auffi rigoureux que celui que vous employez
contre moi, un moyen plus rigoureux encore,
je pourrois foutenir que l'engagement fouf(
116 )
crk par un fils de tamille fous la puiffance paternelle
étant nul , n'a puproduire aucun effet' , ni
m'obliger ; qu'ainfi vous n'avez rien à répéter , &
devez nême vous reprocher à vous-même de m'avoir
confié vos fonds ; mais les moyens mathonnêtes
& injuftes répugeant à ma délicateſſe, je
vous offre la rentrée de votre capital ſous la déduction
des intérêts excédant le taux de l'ordonnance
que je vous ai payé . L'arrêt , conforme
aux conclufions de M. l'Avocat Général Séguier',
du 2 Février 1788 , a mis l'appellation & ce au
néant ; émendant , a déchargé le ſieur Defc...
partie de Me Parisot, des condamnations contre
lui prononcées ; a déclaré le contrat de conſtitutiondu
25 Septembre 1778 , par lui paffé au profit
de la partie de Me Popelin , le Comte du C...
nul&de nu! effet , a condamné la partie de Me
Parifot , ſuivant ſes offres , à rembourfer à la Partie
deM Popelin la ſomme de 20,000 livres , fous
la déduction des intérêts payés au- deſſus du taux
de l'ordonnance , enferable fous celle de la retenue
des impoſitions royales , qui auroit dû être faite
leſquels intérêts excédans feront imputés ſur le
capital , dépens entre les Parties compenfés , fors
le coût de l'Arrêt, qui ſera ſupporté par la Farme
de M Parifor. Il y a eu un précis imprimé de
Me Popelin, pour le Comte de C..qui avoit Me
Prudhomme pour Procureur
,
Caufe entre le Comte de C... & le Demoiselle P..
Fille publique devenue mère , n'a d'action contre
perfonne , pour déclaration de paternité & dommages-
intérêts.
La meilleure défenſe qu'un homme afſigné en
déclaration de paternité , puiſſe oppofor , eſt la
preuve du libertinage public de la fille, dans le
temps même qu'il l'a fréquentée; & cette preuve
(117 )
est encore plus déciſive , lorſqu'on y joint celle
d'un libertinage antérieur , conftaté par la naiffance
d'un enfant,&par une demande ſemblable ,
formée contre un autre particulier , dans laquelle
elle auroit fuccombé , & dont elle ſe ſeroit défiftée.
,
Le Comte de... réuniſſoit tous ces avantages
contre la Dlle. P... On prétend que cette fille
native de Lyon , avoit déja donné des preuves
d'inconduite avant de quitter cette ville; que ſes
parens l'avoient fait enfermer ; mais qu'étant parvenue
à fortir de ſa retraite , elle s'étoit rendue à
Paris , où elle continua de vivre dans le déréglement.
En 1784 , elle eſt accouchée ſur la paroiſſe
de Saint- Landry , en la Cité , d'un enfant , qui fut
baptifé ſous ſon nom , & comme né d'un père
inconnu; elle avoit formé , pour raiſon de cet
enfant, contre un ſieur de... une demande en
déclaration de paternité , & dommages-intérêts ,
dont elle s'étoit déſiſtée , d'après le genre dedéfense
que ce particulier lui avoit oppoſé. Elle
avoit quitté le quartier de la Cité , pour allerdemeurer
chez une Dame du faubourg Saint-Jacques,
où elle recevoit des Etudians en médecine , des
Praticiens , des Militaires , & même des Eccléfiaftiques.
ระ
Vers la fin de mai 1785 , elle fit la connoiffance
du Comte de... ſur lequel elle fonda de
grandes eſpérances. En effet, ce nouvel amant ne
s'entint pas à des démonstrations d'amitié , & à
des offres que ſa fortune lui permettoit de réaliſer;
il eut encore l'imprudence de renouveler ſes
fermens& ſes promeſſes verbales , dans pluſieurs
lettres, qui n'offroient aucun doute ſur l'intimité
qui régnoit entre lui & la Dile. P... Celle-ci ,
quoique flattée d'avoir fait une connoiſſance auſſi
ucile ,n'abandonna pas Pour cela, fes anciennes.
( 118 )
Devenue mère une ſeconde fois , elle accoucha
le 15 janvier 1786 , d'une fille , & quoique l'époque
de la groſſeſſe remontât à un temps bien
antérieur à celui de la connoiſſance du Comte de...
elle lui décerna néanmoins les honneurs de la
paternité , & fit baptifer l'enfant ſous le nom du
Comte de... Elle s'abſtint pendant deux mois de
former aucune demande ; enſuite , elle fit aſſigner
le Comte au Châtelet, pour ſe voir condamner
à payer , à elle , une provifion de mille écus , &
à ſa fille , une ſomme de 80,000 liv. pour les
intérêts , ſervir à ſon éducation , nourriture &
entretien , & le principal à ſa dot ou établiſſement.
Le Comte de... n'ayant pas d'abord défendu ,
une ſentence par défaut adjugea à la Dlle. P...
une proviſion de 1200 liv. Le Comte interjeta
appel , & pour lors oppoſa à la demande de la
Dile. P... l'exception du libertinage dont on a
parlé , & demanda à faire preuve des faits d'inconduite
ci-deſſus détaillées. Ayant été admis à
cette preuve , il fit ſon enquête , qui ſe trouva
concluante : les hommes qui avoient fréquenté la
fille P... y étoient nommés ; un d'eux avouoit
même ſes liaiſons avec elle .
La fille P... au lieu de faire ſa contre-enquête ,
réunit tous ſes efforts pour affoiblir des témoignages
qui l'accabloient.
M. Turlin a publié un mémoire pour la Dlle.
P... auffi folide qu'il pouvoit l'ê re dans une
cauſe déſeſpérée.
M. l'Avocat-général Dambray , déterminé par
les principes connus dans la matière , a conclu
contre la Dile. P...
Arrêtdu 9 février 1788 , conforme à ſes conclufions
, qui a mis l'appellation ,&ce au néant,
émendant , évoquant le principal , & y faifant
droit , a déchargé la partie de Me Coquebert , (le
( 119 )
Comte de... ) des condamrations contre elle
prononcées ; a déclaré la partie de Me Turlin ,
(la Dile. P... ) non- recevab'e & mal fondée dans
ſa demande; a ordonné que l'acte de baptême de
l'enfant de la fille P... ſeroit réformé ,& qu'au
lieu des mois de fille du Comte de... feroient mis
ceux defille de père inconnu ; faifant droit fur les
concluſions deM. le Procureur-général, a condamné
la fille P... à aumôner 3 liv. au pain des pauvres
prifonniers de la Conciergerie ; a ordonné qu'elle
ſeroit tenue de nourrir elle-même , élever dans la
religion Catholique , Apoftolique & Romaine ,
&entretenir l'enfant dont elle eſt accouchée,&
certifier M. le Procureur-général de ſon existence ,
tous les trois mois....
:
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
SUEDE.
Be Stockholm,le16 Décembre 1788.
LE
E Duc de Sudermanie , à son retour
de Finlande , fut reçu dans cette capitale
auxtransports de la multitude , qui traîna
elle-même la voiture de S. A. R. Ce
Prince s'est dérobé à la reconnoissance
publique , enpartant pourGothenbourg ,
d'où il reviendra incessamment dans
cette résidence , avec le Roi lui-même.
On présume que S. M. ne tardera pas
a convoquer une Diète Quelle que soit
l'issue des négociations d'hiver , au printemps
nous aurons au moins 80 mille
hommes prêts à entrer en campagne, et
à Carlscrone une flotte de 30 vaisseaux
de ligne, et de 14 grosses, frégates , la
plupart de 40 canons
No 3. 17 Janvier 1789. f
( 122 )
POLOGNE.
De Varsovie, le 26 décembre.
Dans la séance du 9 , où la Diète , concurremment
avec leRoi , nomma les Ministres
de la République auprès de différentes
Cours étrangères , M. Severin
Potocki , Nonce de Braclaw , présenta
le projet d'une Commission del la Diète ,
qui seroit chargée du travail des affaires
de l'extérieur. Il appuya ce plan par un
discours dont voici la péroraison.
«Des milliers de Citoyens raſſemblés aux
Diétines , ont permis , ont demandé même qu'on
les chargeât d'impôts onéreux , pourvu que leur
produit für employé à défendre la Patrie. Si ces
mêmes Choyens pouvoient aſſiſter à nos délibérations
, voici ſans doute le diſcours qu'ils tiendroient
aux Miniſtres que nousvenons de nommer ,
voici quelles ſeroient leurs inſtructions.
« Ovous ! (diroient- ils) que nous avons choiſis
pour repréſenter la Nation , avec plus de dignité
et de fidélité qu'elle ne l'a été juſqu'à préſent ,
rendez-vous au plus tôt aux lieux de votre deſtination
; dites l'état des choſes tel qu'il eſt , non
tel que l'ont dépeint des hommes intéreſſés à la
faire voir fous un faux jour. Il eſt une triſte vérité
dont pourtant il faudra convenir ; c'eſt que
nous sommes un Peuple foible , fubjugué , méprifé;
mais ajoutez que ce Peuple veut avoir
des forces , veut être libre ,& que s'il eſt mépriſé ,
c'eſt que quelques individus l'ont couvert de l'ignominie
qu'eux ſeuls méritoient. Dites encore
(123 )
que les Polonois ne tongeut point à ataquer ,
mais à fe défendre , car ils ſavent qu'ils font foibles
; mais ils favent aufli que la foibleſle pent
trouver des reffources dans le déſeſpoir & ils
aimeront mieux n'être plus , que d'exiſter pour
nournir l'orgueil de quelque maitre que ce ſoit. »
« Sire , on ne peut point douter que ce ne fo't
làle ſentinment unanime de toute la Nation. Les
diſcours que V. M. entend tous les jours , doivent
l'en convaincre ; ceux que l'on tient loin
de cette Capitale , reſpirent le même patriotiſme ;
&je demande ſi de pareilles inſtructions ne vaudroient
pas mieux que celles que nos Miniſtres
ont eues juſqu'à préſent,&dont nous ne pouvons
jugerquepar leurs effets. Quant au détail de la correfpondar.
ce avec les Miniſtres , je ne crois pas
que l'on puiſſe s'en occuper dans une aſſembléeauſſi
nombreuſe que la nôtre , & chargée d'ailleurs
des plus grands intérêts . C'eſt pourquci je
préſente ici le projet d'une députation des Etats
pour les affaires étrangères .>>>
C'est le 20 , que les Etats ont élu
cette Députation , et la pluralité s'est
décidée en faveur de M. Potocki ,
Maréchal de la Cour de Lithuanie ,
de MM. Rybinski , Evêque de Cujavie ;
Zelinski , Castellan de Bieck; Czacki ,
Nonce de Czernichow ; Severin Potocki
, Nonce de Braclaw ; Lubinski ,
Nonce de Siradic; Sobolewski, Nonce
de Varsovie ; Matuszewicz , Nonce de
Brzesc ; Zabiclo , Nonce de Livonie.
Ces neuf Commissaires diplomatiques
sont tous dans le nouveau systéine , et
opposés au parti des Russes et du Roi .
fij
( 124 )
Du 15 au 20, voici ce que nous offre
le journal de la Diète.
Séance du Lundi 15.
Les Etats assemblés , arrêtèrent que
lesGrods ou Chancelleries particulières
des Districts , seroient autorisées à recevoir
les souscriptions pour l'achat des
armes.
Le Prince Radziwill , Palatin de
Wilna, offrit de lever et d'armer àses frais
une Légion de six millehommes , àcondition
qu'elle resteroit, en temps de paix ,
sur les terres de son Ordination ouMajorat,
dont lepropriétairedevoit àperpétuité
en être le commandant, et disposer de
toutes les places.
M. Oginski , Grand-Général de Lithuanic
, parut à cette Séance dans
Thabit national , qui avoit déjà été adopté
ces jours derniers par un grand nombre
de Sénateurs et de Nonces ; et l'on ne
doute point que son exemple n'en entaîne
encore beaucoup d'autres. Le
Prince Radziwill n'a jamais quitté ce
costume.
Séance du Mardi 16.
M.Stanislas Potocki, Nonce du Palatinat
de Lublin, témoigna aux Etats
assemblés que si l'offre du Prince Radziwill
étoit acceptée, le Grand-Maître
( 125 )
d'Artillerie Potocki en faisoit une semblable
pour une Légion de dix millehommes.
L
La Députation des affaires étrangères ,
proposée la semaine passée par M Sevetin
Potocki , Nonce de Braclaw , passa à
l'unanimité ; seulement M. Suchodolski ,
Nonce de Chelm , voulut que les membres
prêtâssent serment qu'ils n'avoient
jamais reçu de pensions des Cours étrangères.
Par-là, ce zélé citoyen désiroit exclure
tous ceux qui , précédemment ,
avoient trahi et vendu leur patrie ; mais
on doute qu'il y réussisse , car sans
doute un faux serment doit peu coûter
à qui a trahi ou vendu son pays .
Séance du Mercredi 17.
L'ony continua le travail de la Commission
de guerre .
Séance du Jeudi 18.
On lut le rapport du Général Lubowiecki
, Commandant en Ukraine ,
portant que les paysans de cette
province faisoient des amas d'armes ,
et donnoient d'autres signes d'une ré
volte prochaine. Ces nouvelles causerent
une grande fermentation dans la
salle ; car il n'est personne qui ne se rappelle
les massacres affreux qui suivirent
la sédition fomentée en 1770 , par les
f iij
( 126 )
PrêtresRusses. M. Suchorzewski, Nonce
de Kalisch , après un discours plein de
chaleur , invita le Roi à convoquer la
Pospolite (1 ) , et à se mettre à la tête
de la Nation. Cette proposition , qui rappeloit
des temps plus glorieux , fut entendue
par la Chambre avec plaisir ;
mais on sent bien qu'elle ne peut être
écoutée que dans des positions désespérées
; or , celle de la Pologne ne l'est pas,
à beaucoup près .
Les Etats paroissent tous les jours
moins disposés en faveur de la Russie.
On en pourra juger par le discours
suivant , que M. Miaczynski , Inspecteur
Général de la Cavalerie , et Nonce
de Czerniechow , a tenu dans une des
Séances précédentes.
« Ceux d'entre nous, dit-il , qui joignent à une
pénétration profonde dans la Politique , le talent
d'une éloquence perfuafive , doivent ſans doute,
enprenantplus ſouvent la parole , l'employer à
éclairer& à convaincre les autres. »
«Il n'en réſulte cependant pas que celui que
la Nature a moins avantage , ſoit condamné au
fileares, quand il a le diſcernement d'apprécier
les avis ouverts par ceux qui veulent réellement
le falut de la Patrie. »
«Cédantà la force de la conv Aion &de la vérisé,
je ne puis donc me difpenfer d'appuyer les
avis de ceux des Sénateurs & Nonces qui ont
conſeillé d'arrêter ou de ſuſpendre un moment
(r ) Le ban et l'arrière ban de la République.
(127)
l'établiſſement de la Commiſſion Militaire,pour
reconnoître & pour mettre à profit les offres
d'amitié , dont Sa Majesté le Roi de Pruſſe veut
bien nous honorer; offres dont la droiture & la
fincérité ne peuvent être ſuſpectes , de la part
d'un Monarque auſſi magnanime que puiſſant. >>
« L'offre d'une alliance auffi avantageuſe que la
ſienne , renouvelée par fa dernière déclaration ,
ne donne-t-elle pas à ce généreux Monarque le
droit de s'attendre , de notre part , à des démarches
indiſpenſables pour concourir à un but auſſi
glorieux & auſſi ſalutaire ? »
« Sa manière d'agir doit nous convaincre qu'en
nous offrant ſon amitié , il eſt éloigné de vouloir
nous contraindre à l'accepter.>>
«Sesprocédés envers nous font bien différens de
ceux d'une certaine Puiſſance , puiſque l'anéar.-
tiſſement de notre liberté & la mort de milliers
de nos frères , ont été les fondemens ſur leſquels
laRuſſie a cherché à établir ſon alliance avec nous. >>>
«Si la prétendue amitié de cette dernière nous
expoſe aux plus funeſtes effets , fi elle nous contraint
à nourrir & habiller ſes troupes , à lui
fournir des recrues , à confentir à l'enlèvement
de nos Payſans , à en ſouffrir enfin toutes fortes
d'oppreffions ; je demande ce que nous avons à
redouter de pis de ſon inimitié , ſí même elle ſe -
déterminoit à nous la déclarer , comme nous femblons
en avoir déja été menacés par ſonAmbafſadeur?
»
« Loin dedédaigner ſes offres,nousdevons donc
nous empreffer de recourir à Sa Majesté le Roi de
Pruſſe , qui veut faire notre conquête , non par
ſesarmes , mais par ſa magnanimité. »
«C'eſt pourquoi je ſuis d'avis que nous envoyions
fars délai un Ambaſſadeur à la Cour de Berlin.
Je déſirerois voir M. le Prince Czartoryski ,
Stolnik de Lithuanie , revêtu de cette qualité. Ce
Civ
(128)
Citoyen , qui , dans les temps le plus orageux de
la République, n'a jamais plié ſous aucun joug ,
ſera un digne Repréſentant d'une Nation libre
auprèsd'unMonarquegénéreux.>>
«Suſpendons pour un moment laCommiſſion
Militaire en faveur de cette miffion , auffi effensielle
que preſſante. »
aNe craignons pas qu'un retard dans l'établiſſementdecetteCommiſſion
militaire , puiſſe accé
lérer la paix entre les Puiffances belligérantes ;
craignons plutôt qu'un manque dezèle à l'égard
de SaMajesté le Roi de Pruffe , ne porte atteinte
àlaconfiance que ce Monarque met en nous.
•Hâtons-nous de raſſurer le fortde la Patrie,
maishâtons-nous unanimement .>>
«Sire, dans ledernier diſcours que VotreMajeſténous
atenu , Elle s'eſt acquittée de la reconnoiſſanceque
fon coeur vertueux ſembloit lai prefcrireenvers
laRuffie. Elle étoit fansdoute dirigée
parles intentions les plus faluraires pour la Patrie.
Mais la perverſité de ceux en qui Elle a placé.
ſa confiance , a voulu la montrer aux yeux de
l'Europe , comme ayant encouru la méhance de
fesSujets , par l'accuſation d'avoir voulu , Elle &
ſes Miniſtres , contracter une alliance contre le
gréde la Nation. »
«Vous allez fansdoute,Sire, vousjuſtifier , aux
yeuxde la prévention , des imputations erronées
dont on a voulu vous charger , en accédant vous
même au lien d'une alliance qui promet le bonheur
de la Patrie ,& en envoyant à cet effet au
plus tôt un Ambaſſadeur à la Cour de Berlin.
(129 )
Séance du Vendredi 19.
Les Etats avoient laissé au Roi l'avancement
des Officiers , ayant égard
cependant au mérite et à l'ancienneté.
Mais depuis , l'on fit plusieurs propositions
, qui tendoient à déterminer
les cas où l'on pourroit passer sur
l'ancienneté en faveur du mérite. S. M.
voyant la sollicitude des Etats sur ce
point , se désista Elle-même d'une partiede
son droit , et se borna à nommer
les Officiers qui lui seroient proposés
par les Chefs des Régimens. Ces mêmes
Chefs ne pourront jamais faire de passedroits
, qu'aux individus jugés sur les
listesde conduite , ne pas mériter d'avancement.
Quant aux Officiers Généraux ,
ce sera désormais la Commission de
guerre qui nommera deux sujets , sur
lesquels le Roi en choisira un. Des conditions
si modérées furent reçurs de
láChambre avec reconnoissance,et tous
ses membres s'empressèrent à la témoigner
à S. M. en venant lui baiser la
main.
Les avis de l'Ukraine , en confirmant
la prise de la petite île de Berezan par
les Russes , confirment aussi qu'avant son
départ , le Capitan Pacha ayant renforcé
la garnison d'Oczakof , un fort détachement
sortit de la place , attaqua les nouvelles
batteries des Assiégeans , tua le Gé- A
:
v
(130)
néral Maximowisch, M. d'Asch, Lieutenant
Colonel , et 30 soldats , avant que
le gros du corps Russe s'en aperçût , et
les repoussât dans la place. Comme les
Turcs ont eu le temps de couper et.
d'emporter la tête du Général Maximowisch
, on en induit qu'ils ont eu celui
de détruire les premiers travaux de ces
nouvelles batteries , à la reconstruction
desquelles la saison oppose de grands
obstacles. Nonobstant cet incident , on
assure qu'un Courrier est arrivé hier au
soir à l'Ambassadeur de Russie , avec
l'avis que le 17. , Oczakof a été emporté
après un assaut très-meurtrier .
ALLEMAGNE.
De Vienne , le 31 décembre.
La Gazette officielle a dissipé tous les
doutes, en annonçant , le 21 , que l'armistice
local entre nos troupes et les
Ottomans ,, avoit été signé, pour trois
mois seulement , à la fin de novembre ,
entre nos Généraux à Semlin d'une part ,
et le Séraskier de Romélie de l'autre.
Cette suspension d'armes , concentrée
dans la Servie , et dans nos deux provinces
limitrophes , la Syrmie et le Banrat,
eût été également forcée par les
(131 )
rigueurs du froid , et par l'excessive
quantité de neige qui couvre nós contrées.
L'Empereur est trop indisposé depuis
son retour , pour paroître en public .
C'est d'après d'itératives consultations
des Médecins , qu'on a indiqué à S. M. I.
l'usage des bains de Pise ; mais ce nou
veau déplacement semble contrarier les
plans qui absorbent l'activité du cabinet ,
et auxquels la présence du Souverain est
nécessaire.
Au tableau déchirant des ravages et
des massacres qui ont accompagné l'invasion
du Bannat , se joint celui de plus
de50,000 habitans de tout sexe , emmenés
par les Tures en captivité. La plupart
étoientdenouveaux Colons ; il s'en trouve
d'Alsaciens , de Lorrains , de Bourguignons
, en assez grand nombre. Ces
infortunés expient aujourd'hui cruellement
leur émigration de leur patrie.
Sans batailles rangées, sans sièges de quelque
importance , cette campagne a de
voré 80 millions de florins , et 60 millo
soldats et Officiers morts de maladies ,
de fatigue , et par le fer de l'ennemi.
Nonobstant ces pertes , difficiles à réparer
promptement , on se prépare avec
ardeur à une nouvelle campagne , dont
He plan se discute dans des conférences
ministérielles assidues.
La Gazette officielle nous a donné , le
27 , unbulletin séparé , pour nous annon
fvj
( 132)
cer une escarmouche de quelques hommes
sur les confins de la Croatie. Cela
prouve que l'armistice ne s'étend pas
àcette partie du théâtre de la guerre ,
nonplus qu'ala Transilvanie , ainsi qu'on
le voit par le second rapport de cette
Gazette , qui porte :
« Le Général d'artillerie de Fabris , commandant
lestroupes en Tranfilvanie , a reçu avis par
plufieurs eſpions, que des troupes ennemies étoient
entrées dans la Valachie , en paſſant le Danube ,
pourobferver les troupes Impériales Rufies , dont
le F. M. Comte de Romantow eſt poſté avec l'infanterie
à Jafly & dans les environs , la cavalerie,
àBotuſchan , Herian & Tirgul Formos; le corps
du Général Kamanizky , à Lapulchna ; le corps
qui étoit ſous les ordres du Général Elmpt , à
Huſch,&lecorps du Général Comte de Soltikow ,
-à Orchey, ainfi que le corpsdenos troupesqui ,
ſous les ordres du Général de la cavalerie , Prince
de Cobourg , eſt en quartier dans les 4 Districts
de laMoldavie, vieux Suczawa , Roman , Niemtz
&Beko , & qui, par cette poſition , joint les troupes
Ruffes.
Dansle courant d'octobre , on observa
ići plusieurs aurores boréales consécutives.
Du 16 au 13 de ce mois , il est
tombé une abondance de neige, et on
n'a pas tardé à ressentir un froid trèsrigoureux.
Le thermomètre de Réaumur
descendít, le 19, à 17 degrés au-dessous
dezéro.
( 133 )
Francfort surle Mein, le3janv. 1789.
Les Etats deMagdebourg ayant étéau
torisés par le Roide Prusse , leur Souver
rain, à un emprunt très-modiqué , né,
cessaireà l'achèvement de quelques gran
des routes dans cette partiedesDomaines
du Roi , on imprima dans les papiers publics
, quecePrince ouvroitdes emprunts.
Ensuite on est allé plus loin. Diverses
Gazettes , en se copiant , ont affirmé
que le même Souverain négocioit à
Amsterdam un emprunt de quatre,
millions de florins , qui seroit bientôt
rempli. Pour arrêter le cours de cette.
ineptie , on a inséré dans la Gazette de
Clèves ,et sans doute officiellement , l'article
qu'on va lire.
<<Cet emprunt imaginaire serad'autant
plus facile àremplir,que nous pouvons
assurer avec certitude , en prenant la
ville même d'Amsterdam , et toute la
République à témoins , qu'il n'a jamais
été proposé ni directement , ni indirectement.
Ce n'est pas le systême de notre
Gouvernement , de manger, comme on
dit, son bien et ses revenus en herbe;
etaprès avoir soutenu les guerres les plus,
dispendieuses de son propre fonds , par
ses ressources intérieures , sans jamais
recourir aux étrangers , il est absurde
d'imprimer sérieusement qu'il emprunte
(134 )
:
en temps de paix. Aucune des sources
des revenus de cet état n'est tarie depuis
la mort du feu Roi; elles augmentent
au contraire tous les jours. On peut dire
que ce grand homme vit et vivra longtemps
dans toutes les parties de l'administration
qu'il a établie , et qu'il n'a pas
cessé d'en être l'ame. Loin que le Gou
vernement Prussien ait besoin d'un emprunt
, et qu'il ait entamé son trésor ,
nervus omnium rerum, il l'accroît tous
les ans par une épargne de plusieurs millions
d'écus. Les conséquences qu'on
voudrait tirer de ce prétendu besoi'n
d'emprunter , sont donc fausses , et ne
peuvent en imposer à personne. ».
Il faut ranger dans la même classe des
inventions périodiques , la plupart des lettres
, ou extraits de lettres de Constantinople,
qu'on publie dans certains papiers . Il
suffit de les lire d'un oeil un peu sérieux ,
pour découvrir le bout d'oreille , c'està-
dire , qu'il existe près de nous une manufacture
de ces correspondances familières.
Dansl'unede ces pasquinades , on a
annoncé dernièrement , qu'une Sultane'
favorite étant morte , le grand Seigneur ,
avant de la perdre , avoit permis que
cette femme , Provençale et Chrétienne ,
reçût au sérail un Confesseur , et se fit
administrer. On pardonneroit à peine à
un habitant de l'Orénoque , d'ignorer à
ce point les usages des Ottomans , et
ceux du sérail. Un autre jour , par la
( 135 )
poste de Livourne , on nous apprit que
les Beys d'Egypte étoient de nouveau en
pleine révolte , qu'ils avoient déjà livré
une bataille au Pacha, etc. Cette nou
velle est diametralement contraire à la
vérité.Voici ce qui s'est passé enEgypte ,
et dont nous garantissons la certitude..
Le Baron de Th. , après avoir été
Consul de la Cour de Pétersbourg à Alexandrie
, étant arrivé à Damiette sur la
frégate du Capitaine Guglielmi , trouva
moyen de faire parvenir une lettre particulière
à Ismail-Bey , Commandant :
de la Province. A la réception de cette .
lettre , le Beydépêcha d'abord 2 officiers
de marque à Damiette , pour conférer
avec le Baron de Th., et le conduire:
au Caire en leur compagnie. S'étant ,
embarqués sur le Nil, le 11 septembre ,
l'Envoyé Russe fut présenté , le. 16 , à
Ismail-Bey , qui se trouvoit dans son
camp. Il lui fit voir les pleins pouvoirs
de l'Impératrice pour traiter avec les
Beys d'Egypte , en lui témoignant le
dessein de sa Souveraine , que cette pro- !
vince restât indépendante de la Porte,
sous le gouvernement de scs Beys , avec
assurance que Sa Majesté Impériale
les protégeroit de toutes ses forces maritimes
, qui devoient paroître incessamment
dans la Méditerranée . Après l'avoir
écouté , Ismail-Bey le fit conduire par
ses gardes devant le Pacha , qui , sur-lechamp,
le fit enfermer dans le château ,
t
(136)
et en rendit compte à la Porte , en attendant
les ordres qu'elle voudra lui donner
à ce sujet.
On écritde Vienne, que les Etats de
Hongrie ont offert à l'Empereur un don
gratuit de 6 millions de florins. L'augmentation
arrêtée des troupes de ce
Royaume , pour la campagne prochaine ,
monte à 30,000 hommes. On porte à
70,000 les recrues qui seront tirées des
autres Etats de S. M. I.
Quoique la Pologne jouisse de tous les
avantagesnaturels , propres à faire fleurir .
l'industrie et le commerce , aucune nation
n'est encore moins avancée : le pouvoir
excessifet individuel de la Noblesse ,
ses immenses privilèges , l'avilissement
où , jusqu'ici , sont restées les autres
classes de l'état , ont accru sa foiblesse
relative . Tous les Nobles sont égaux ;
les titres de Princes , de Comtes , etc ,
que prennent plusieurs, Maisons , sont
proscrits par les Lois , et n'ont de valeur
qu'aux yeux des étrangers peu instruits.
La République n'admet d'autres Princes
que ceux tels que les Czartoryski , les
Radziwill,les Sangusko , les Czervertynski
, qui furent reconnus à l'union
de la Lithuanie et de l'Ukraine avec la
Pologne. Les autres sont des Princes
d'Empire , dont la dignité est étrangère
à la République. L'ordre équestre
compte plus de 100,000 Gentilshommes ,
dont le dernier est l'égal du fils du Roi ;
(137)
mais les richesses introduisent entre eux
ladifferenceproscrite parla Loi: il règne
la plus grande inégalitéde fortune parmi
cette Noblesse. Depuis long-temps , la
Bourgeoisie a perdu de ses franchises ,
et entre autres , le droit d'envoyer des
Députés à la Diète. Le plus grand nombre
des paysans est encore actuellement
Serf; mais l'exemple de quelques Seigneurs
, qui ont affranchi leurs paysans ,
devient et deviendra général de plus en
plus. LaNoblesse méprise toute espèce
d'industrie; les Lois mêmes lui défendent
d'en embrasser aucune branche , sous
peine d'être privée de sa dignité. L'importation
annuelle des marchandises
étrangères excède de beaucoup l'exportation
des marchandises nationales ; on
porte cet excédant à120 millions de florins
de Pologne; l'achat seul du sel emporte
par an près de 6 millions. Les
salines de Wielitschka , qui , avant le
partage de la Pologne , appartenoient
au Domaine du Roi , lui rapportoient
3 millions et demi. La décadence du
commerce de Dantzig , contribue aussi
beaucoup à faire tomber l'industrie et le
commerce. Le droit de cheminée s'est
élevé de 5 florins à 16 ; la capitation
des Juifs à 4 florins ; les accises et les
autres taxes , montent par an à 13 millions
tournois , dont à-peu-près quatre
millions reviennent au Roi. - La surface
de ce Royaume , y compris la
(138)
Lithuanie , est de 10,050 milles carrés
d'Allemagne ; sa population monte à
environ 9 millions d'individus , ce qui
fait 850 par mille carré. Le nombre des
Juifs , très - considérable en Lithuanie,
s'élève au-delà de 600,000 .
ESPAGNE.

De Madrid, le 24 Décembre.
L'Evêqueď Osma, Confesseur duRoi,
mourut ici le 4 , et à cette époque , le
Roi lui-même parut dejà très-indisposé.
De l'oppression , des vomissemens , l'enflure
aux jambes , et une fièvre croissante
, alarmèrent la Cour et le public
sur le sort de St M. qui expira dans la
nuit du 13 au 14 , à minuit 40 minutes.
CePrince reçut , le 13 , à 11 heures du
matin , le Viatique des mains du Patriar
che , sonGrand-Chapelain , avec la solem
nité et la pompe d'usage ; toute la Famille
Royale , les Chefs du Palais , les
Grands , les Gentilshommes de la Chambre
, les Majordomes de semaine , la
Chapelle royale , les Gardes-du-Corps
etlesHallebardiers, etc. assistèrent à cette
cérémonie. Vers les 5 heures du soir , Sa
Majesté se trouvant dans un état plus désolant
, Elle recut l'Extrême- Onction ,
et rendit l'ame après avoir reçu la bénédiction
des mains du Nonce de Sa
Sainteté, avec la fermeté , la résigna(
139 )
tion , la piété religieuse dont Elle n'avoit
cessé de donner l'exemple pendant
sa maladie et sa vie entière.
Charles III régnoit sur l'Espagne depuis
l'année 1759 ; il montra , dans toutes
les occasions , une probité rigide , une
fidélité parfaite àses engagemens publics,
et souvent beaucoup de fermeté. Il étoit
le plus ancien Roi de l'Europe , et son
fils , le Roi de Naples , monté sur le
trône en 1759 , lui succède dans ce décanat.
Ce Monarque a institué, pour ses héritiers
particuliers , l'Infant Don Antonio,
le plus jeune des Princes ses enfans ,
et l'infant Don Pedre , fils du feu Infant
Don Gabriel. Il a laissé à la Reine le
choix dans ses diamans , et a disposé des
autres en faveur de la grande Duchesse
deToscaneet l'InfanteJosephe. Ila légué
au Roi de Naples une magnifique toison
d'or en diamans ; et le testament porte
qu'il fera renonciation à la successionde
SaMajesté , attendu que ce Souverain a
recu plus que sa légitime.
Le nouveau Roi et la Reine ont assisté
au Conseil des dépêches , et se sont
montrés au Peuple. On croit que Sa
Majesté sera proclamée sous le nom
de Charles IV, avant que la Cour passe
au Palais du Pardo,
On continue toujours le dénombrement
des provinces. Les états qu'on a
publiés , font preuve d'un accroissement
( 140 )
de population dans plusieurs provinces.
Celle deGalice, par exemple , ne comptoit
, en 1768 , que 1,088,435habitans , et
actuellement sa population monte à
1,345,803.
GRANDE BRETAGNE.
De Londres , le 6janvier. :
L'annonce sommaire que nous avons
faite , la semaine dernière , de l'adoption
des trois résolutions de la Chambre-basse
par celle des Pairs , dans leur séance du
26, adû faire désirer les détails de cette
discussion finale , qui réunit les deux divisionsdu
Parlement au même voeu. Dans
l'impossibilité de rendre des débats aussi
volumineux , nous extrairons les principaux
passages des discours les plus
frappans. Celui de Milord Abingdon fut
cathégorique, et alla droit au fait.
« Non , Milords , dit ce Pair, je ne crains pas
de l'aſſurer poſitivement , le Prince de Galles , en
ſa qualité de Prince de Galles , n'a pas plus de
droit d'exercer les fonctions de la Couronne que
tout autre particulier du Royaume. Je défie le
plushabile Juriſconſuite d'entre vous de me prouver
lecontraire. Son droit eſt héréditaire , & fer:-
lement héréditaire ; ce n'eſt même qu'un droit
posthume : or , voyons ce qu'eſt ce droit pofthume:
« La Couronne d'Angleterre eſt hérédi
taire; mais elle ne l'eſt que ſous certaines ref
(141 )
trictions , & avec des bornes. » L'hérédité , dit
» Blakstone , eſt conditionnelle. Par un ſtatut de
» la première année du règne de Guillaume &
# de Marie. (Stat. 2 , chap. 2); il eſt expreſſé-
>>ment déclaré que toute perſonne qui rentrera
» dans le ſein de l'Egliſe romaine , adhérera à ſa
» communion , profeſſera le papiſme , cu ÉPOU-
» SERA UNE FEMME DE CETTE SECTE , ſera ex-
» clue à jamais de la Couronne , &déclarée in-
» capable de la poſſéder. En pareil cas , le Peuple
» ſera délié du ferment d'obéiſſance , &la Cou-
» ronne dévolue aux individus Proteftans , qui en
» auroient hérité naturellement au décès de la per-
• ſonne rentréedans la Communion Romaine , y
tenant, la profeſſant , ou s'Y MARIANT. »
« Réfléchiſſez , Milords , que par un vote de
cette Chambre , nous ſommes ſur le point dedétrôner
un Roi. Mais dépendra-t-il également de
nous de le rétablir ? Songez-y. J'oſe eſpérer que
nous le pourrions. Toutefois , ce qui eſt arrivé déja
peut arriver encore. L'hiſtoire ne m'eſt pas étrangère,&
j'y trouve qu'on ne retire pas le pouvoir
aufli facilement qu'on le donne , fur- tout s'il eſt
remis entre des mains qui peuvent le tournerpour
ou contre les droits de la Couronne , & au gré
de leur ambition. Dans le casde dérangement defprit,
la ſageſſe de la loi ne confie pas la garde du
lunatique à fon héritier le plus proche. Or , dans
le cas préfent , quels feront les Confervateurs
reſponſables de la fanté de Sa Majesté ? quels feront
les canaux par leſquels, il nous en fera
tranfmis connoiſſance ? L'importance de ce ſujer
exige, Milords , toutes vos lumières réunies.
Que le Prince de Galles fonge que , lorſqu'il
portera le nom de George IV, il pourra avoir.
un fils qui ſera auſſi Prince,de Galles; qu'il fe
mette à la p'ace de fon père : c'eſt de ce point de
vue que je veux qu'il jugé quels font, dans l'oc
( 142 )
cafionpréſente, ſes meilleurs&plus fidèles amis,
ou les Miniſtres qui font leur devoir , ou les
Membres de l'Oppoſition qui le conduiſent fur
das principes de leur fabrique. On dit que Son
Alteſſe eſt unhomme de ſens& d'une têre juſte ,
en conféquenceje me tais : un motfuffit auſage.
Le Marquis de Lansdown traita la
question sous des faces neuves : voici
quelques fragmens de son discours , remarquable
par sa justesse , sa clarté, son
élévation , et l'un des meilleurs qu'ait
prononcés S. S.
« Je n'hésite pas à déclarer, contre l'aſſertion
d'ungrand nombre de perſonnes qui veulent que
l'aſſemblée des deux Chambres ſoit ſeulement une
Convention , que le Parlement actuel eſt un Par-
1ement régulièrement aſſemblé , & capable d'en
ĉemplir toutes les fonctions. C'eſt le Roi qui l'a
Fonvoqué ; il a ſans doute le droit de le faire
carce que le Roi eſt toujours vivant. Peu verſé
pans la connoiſſance des lois , j'en fais aſſez pour
dtre sûr que , d'après la loi & la conftitution
le trône n'eſt jamais vacant , & que le Roi , dans
aucune ſituation , n'a jamais été conſidéré comme
incapable d'exercer les fonctions royales. Les mineurs
, ſimples particuliers , jouiſſent de différens
droits ; ils peuvent préſenter à des bénéfices &
faire d'autres actes d'une grande importance. En
conféquence , j'aurois déſiré que les Miniſtres de
S. M. fuſſent venus au Parlement , avec une
commiſſion telle que l'indique la troiſième des
réſolutions , & qu'au lieu d'avoir à diſcuter s'il
falloit appoſer le grand ſceau à une pareille commiffion
, ils euſſent d'abord agi en vertu de cette
commiſſion même. Cette démarche eût été plus
ai fonnable. L'uſage que je condamne , & que je
(143)
T
condamnaidurant la guerre d'Amérique , eſt celui,
de s'adreſſer auParlement en première inſtance , &
de recevoir d'avance ſa fanction pour les meſures,
du Gouvernement. Pratique vicieuſe , qui confond
le pouvoir législatif avec l'exécutif , débarraſſe
les Miniſtresde la reſponſabilité,&énerve
le droit d'enquête & de cenſure que la Conſtitution
a ſi ſagement placé entre les mains du Parlement.
»
«Pluſieurs des membres ontobſervé qu'on auroit
couru quelques riſques, ſi le Chancelier , tenant
le grand ſceau , l'eût appoſé de ía propre autotorité
àune commiffion pour tenir le Parlement
au nom du Roi. Sans doute on auroit couru
quelques riſques ; mais on n'a créé de grands
Officiers que pour faire des actes grands & importans;&
s'ils ne veulent courir ni riſques ni
haſards , pourquoi occupent- ils de grandes places?
Cependant je ne vois pas quel grand riſque eût
couru la perſonne qui tient le grand ſceau , en
ſuppoſant que dans la conjoncture critique des
affaires , elle eût aſſemblé le Parlement , &réuni
la ſageſſe collective de la nation , fur-toutfi l'on
confidère quel eſt leParlement d'aujourd'hui.-
Cen'eſt pasunParlement ramaſſé pour l'occaſion ,
mais un Parlement libre , un Parlement approuvé
par l'Angleterre , un Parlement qui a exiſté longtemps
avant la triſtecalamité que tout le monde
déplore , mais queperſonnene ſentplus vivement
que moi. »
« (Lord Lansdowne parla enſuite avec eſtime,
des exemples cités& contenus dans les rapports
mis ſur lebureau ; il dit qu'il ne croyoit pas qu'on ,
eûtpu faire unchoix plus judicieux et plus propre,
aux circonſtances. ) »
" Voyez , Milords , continua-t-il , combien eſt
dangereuſe l'opinion qui attribue au Prince de
Galles undroit inhérent à ſa perſonne ,d'exercer
(144 )
l'autorité Royale durant l'incapacité de S. M.;
&qui refuſe aux deux Chambres le droit de
nommer à la Régence la perſonne qu'elles en
croient la plus digne. On pourroit établir une
foulede cas, dans lesquels il paroît que l'héritier
préſomptif n'eſt pas l'homme auquel il faut confier
la Régence. Suppoſons , par exemple , que
le Prince , au lieu de réſider à Windfor , &
d'y montrer un modèle d'affection & de tendres
égards pour le Souverain , au lieu de faire
les honneurs dupays aux étrangers , & de concilier
la plus grande eftime au caractère national
, eût paſſé ſon temps dans la capitale à ca
baler, à intriguer avec les troupes de terre&de
mer, à cultiver fes intérêts avec les Puiſſances
étrangères , en s'efforçant de foulever les pays
dépendansde laGrande-Bretagne , en eſſayant de
les faire ſervir à ſes intérêts , en levant de l'argent
pour l'avancement de ſes projets ambitieux ,
enunmot , en tâchant , par des moyens illégitimes
, de prêter des forces à ſa réclamation&de
maintenir ſon droit. Si , dis -je , un Prince de
Galles tenoit une pareille conduite , eſt-il un citoyen
qui ne déférât au Parlement le droit de
lui refuſer la Régence ?"
Où ſeroit le danger , l'inconvénient même
dediſcuter&de décider la queſtion du moment ?
Quelqu'un de ceux qui le craignent , pourroit-il
me faire voir unſeul ſymptôme de péril , ou de
mécontentement du peuple dans aucune partiede
l'Angleterre , relativement aux débats ſur ledroit
du Prince ?Où trouvera-t- on des murmures excités
par ladéciſion de laBaſſe-Chambre ?Sera-ce
dans la cité de Londres ? Sera-ce parmi les Marchands
de la cité? Qui les a vu ſe réunir ? Sera-ce
enfin dans quelque ville du Royaume ? Un
nobleComtenous a parlé de l'Irlande : a-t-iltrouvé
cemécontentement en Irlande , ou est-il réellement
persuadé
(145 )
perfuadéqu'il l'ytrouveroit ? Un autre nobleLord
l'a-t-il trouvé en Ecoſſe? Où est-il donc ce danger
? Nulle part. Je défirerois, Milords , que la
queſtion fût non-feulementdiſcutée , mais même
décidée, & que les yeux du genre huntain puf
ſents'ouvrir ſur le fait important qui doit réfulter
de cette délibération. Cefaiteſt qu'un peuple
ales droits innés les plus eſſentiels ; mais que
les Rois & les Princes n'en ont aucuns de parcils.
Je ſouhaite que ce principe ſoit établi pour
l'avantage des nations étrangères ; que ceux qui
gémiſſent ſous le ſceptre de fer du deſpotiſme ,
apprennent à connoître leurs droits en qualité
dlhommes qu'ils reçoivent cette grande & importanteleçon,
que ſi ces droits ne font pas, comme
ceux desAnglois, garantis par des exemples&des
chartes, ils feront reconnus par-tout où l'on aura
le cowagede le vouloir. Depuis que je ſiège en
Parlement , je n'ai jamais donné ma voix avec
plus de conviction , & d'une manière plus faristaifante
pour ma confcience , que je le fais aujour
d'hui, en vorant en faveur des trois réſolutions
qui , j'eſpère , interdiront à tout hemme, de quel .
que tang ou condition qu'il puiſſe ette, la prétentionnààla
Régence ,&impoferont filenceà fes
réclamations. Je ne reviens pas de ma ſurpriſe
en entecdant de nobles Lords parler de la dif.
cuffion&de ladéciſion de certe queſtion , comme
d'une choſe qui tend à affaiblir le gouvernement
du Régent. C'est tout le contraire. Qui fortifie
roit un Gouvernement mieux que la folemnelle
déclaration du Parlement , que le droit de nommer
un Régent n'appartient qu'au peuple ,&que
le Prince de Galles a été choiſi , non en vertu
d'aucun droit , mais par le conſentement unanime
d'une nation entière d'hommes libres ? »
No. 3. 17 Janvier 1789. 5
(( 145 )
Lord Loughborough récapitula la défense
des principes de l'Opposition , et
combattit très-habilement ceux du Marquis
de Lansdown ; puis le Chancelier
termina le débat en disant , entre autres ,
ce qu'on va lire.
«Si ceux , dit- il , qui ont propofé l'amendement
, avoient eu la complaiſance d'expliquer le
ſens qu'ils y attachoient, s'ils en avoient accompagné
les expreſſions de quelque choſe qui eût
du moins l'apparence d'une raiſon , ſi l'on apercavoit
quelque juſteſſe, que que à-propos dans l'application
de leurs principes , laChambre auroit ſu
quel parti prendre. Au contraire , la teneur actuelle
decet amendement le rend inintelligible ; des mors ,
&rien de plus. En effet, qu'entend-t-on par ces
expreſſions , données comme le voeu de la hambre
? »
«Qu'une humble adreſſe foit préſentée à S. A. R.
le Prince de Galles , pour le prier de prendre fur
lui-même , comme feul Rezent , l'administration du
Gouvernement exécutif. Que ſignifie le mot Regent?
où en eſt la définition ? dans quel livre ?
dans quel ſtatut ? ». J'ai entendu par'er de cuftodes
Regni , de Lieutenans pour le Roi , de Gardiens ,
de Protecteurs , de Lords jufticiers ; mais je ne
ſais où m'adrefler pour trouver l'explication des
fonctions && de l'office de Régent ? Pourquoi donc
s'adreſſer au Prince de Galles , pour le prier de
prendre , de lui-même , une charge dont on ne
connoît ni les bornes ni les privilèges ?
«Cette invitation à S. A. R. de ſe charger
de l'administration du pouvoir exécutif, comne feul
Regent, n'eſtpas moins obfcure& équivoque ; car ,
quel ſens attache-t- on à ce mot de pouvoir exécutif?
eſt-ce toute l'autorité royale ? eit-ce le pou(
147 )
voir de la légifſlation ? est-ce enfin toutes les
for ctions de ia fouveraineté , fans aucune eſpèce
delimites , fans restriction quelconque ? Si tel eft
le ſens de l'amendement , on auroit dû l'exprimer
en termes formels; mais il faut convenir que ſi
l'oneût préſer té une pareille propofition , tous les
nobles Lords ſe fuſſent récriés , & aurcient refuſé
de déférer au Régent une autorité ſi érendue ,
qu'elle iroit juſqu'à détrôner actuellement Sa Majeté
, & à lui arracher le ſceptre. »
« Je vous prie , Milords , de ne jamais oublier
qu'aux yeux de la loi , le caractère politique
d'un Roi d'Angleterre eſt toujours entier & fub.
ſiſtant; & en même-temps , que le caractère naturel
du Roi ne peut ſe ſéparer de fon caractère
politique.n
:
A la première nouvelle de la ca'amité qui
nous raſſemble aujourd'hui , je ſentis les difficultés
qui alloient s'élever. Je ſongeai d'abord à
recourir au Grand-Conſeil de la Nation , & à
en interpeller les Membres , en face du public ,
d'agird'après leur ſageſſe&leurs pouvoirs. >>
«Quant au raiſonnement , qu'on ne peut juſtifierune
marche extraordinaire par la néceſſitépolitique,
parce que celle-ci eſt moins évidente que
la néceffué morale, je le crois faux. La néceflité
politique eſt beaucoup mieux connue que la néceflitè
morale; elle a ſouvent ſervi de baſe aux
meſures les plus importantes, La néceſſité qui nous
preffe aujourd'hui ne porte que ſur un ſeul point ,
fur uo Bill qui nous mette en état de nommer
un Rigent, & en même temps d'expliquer ce que
nons entendons par cetre nomination , & quelles
reftrictions nous mettons à la Regence. C'eft , je
lavone, une circonftance très-heureuſe pour la
Patrie, que toutes les voix s'accordent à indiquer
le)Prince de Galles pour Regent , & à n'ind quen
que lui. Perſonne n'a plus de reſpect que moi
gij
(148 )
pour ſa perſonne; je lui veux autant , &peut-être
plus de bien que ceux qui affectent en ce moment
de s'occuper de ſes intérêts; mais ce n'eſt pas
une raiſon pour conclure qu'il ait undroit de fon
chef à la Régence , & que , comme héritier préſomptif,
il puiſſe la réclamer. Le Prince a plus
d'intérêt à la Couronne qu'il n'en a à la Régence ,
&notre devoir eſt de garantir ſur la tête du
Souverain ,cetteCouronne de toute atteinte , afin
que , lorſque par le cours de la nature elle defcendra
ſur la tête du Prince de Galles , il puiſſe
la recevoir folide& entière , telle, en un mot ,
qu'elle a été portée par le Roi avant fon infirmité
préſente. >>
On se rappelle que la pluralité , en
aveur des trois résolutions, fut de 99voix
contre 66. Comme la Chambre Haute
siégeoit ce jour-là en Comité général, les
voix par procuration , qu'on sait être
un privilége spécial de la Pairie , ne
furent pas admises ; il s'en trouvoit 15
en faveur du Ministère , et une en faveur
-de l'Opposition. Les Ducs d'Yorck et de
Cumberland, Princes du Sang , ont voté
pour celle-ci; mais ona remarqué que
les Officiers de la Couronne , les Gentilshommes
de la Chambre du Roi , à
l'exception d'un seul, (le Ducde Queens
bury ) et les Pairs qu'on sait particulièrement
attachés à Sa Majesté , ont tous
adhéré à l'avis des Ministres. Parmi les
Maisons Ducales , les Ducs de Norfolck,
de Bedford , de Portland et de Devonshire
ont suivi l'Opposition : les Ducs de
Richmond, deBeaufort,deSt. Albans,
( 149 )
deBrandon-Hamilton, Chandos,Brid
gewater, Newcastleet Montague , auxquelsil
faut ajouterleD.de Marlborough,
qui avotépar procuration , ont approuvé
les trois résolutions.Un tiers parti, qu'on
qualifie de Neutralité armée, et composé
du Duc de Northumberland , du
Lord Lowaine , son frère , des Lords
Huntingdon et Rawdon , se sont joints
à la minorité....
47 des 66 Pairs déclarés pour l'adresse
au Prince de Galles , ont signé et fait
enregistrer leur protestation contre l'Arrêté
de la Chambre.
Vingt des Marchands les plus distingués
de cette ville , se réunirent , le 25
décembre , à la taverne de Londres , et
convinrent unanimement de convoquer
une assemblée des marchands , banquiers
et négocians', pour voter une adresse de
remerciemens <<< au très-honorable Guil-
<<« laume Pitt , en vertu de la fermeté
« et du courage avec lesquels il a main-
<<tenu la Constitution et les droits du
<<peuple ; >> et une adresse pareille à la
majorité de la Chambre des Communes
, qui a appuyé les Résolutions de M.
Pitt.Lesvilles de Glascow, d'Edimbourg ,
de Perth , d'Aberdeen ,de Stirling en
Ecosse ; d'Hallifax , de Leicester , de Southampton
, de Cambridge , de Maidstone
ea Angleterre , ont imité l'adresse de la
cité de Londres .
« Le Leander , de 50 canons , monté
1
giij
(150)
par le contre-AmiralPeyton , et le cut
ter le Kite, de 14 canons , ont fait voile
de Spithéad pour la méditerranée.>>
Au ter. Novembre dernier, les Commissaires
préposés à la réduction de la
dette nationale , avoient racheté depuis
leur établissement, en 1785, c'est- à-dire ,
en trois ans environ, les capitaux suivans:
Nouvelles annuités de la
mer du sud.
Anciennes dito , dito.
Mer du sud , 1751 .
421,400 liv.
617,400
143,000
Réduites. 502,000
Total
• 3,183,300
Consolides à 3 pour cent 1,499,500
Le Bill général des baptêmes et enterremens
dans la ville de Londres et
Westminster , depuis le 11 Décembre
1787 , au 16 Décembre 1788 , présente
le résultat que voici :
Baptisés. Enterrés.
Ma'es ....... 9,892 . Mâles .... 9,962 .
Femelles ..... 9,667 . Femelles ...... 9,755 .
En tout ... 19,559 . ...... 19,717 .
Dont il est mort :
Au-deſſous de deux ans ............ 6 158 .
Entredeux& cinq..........1,522 .
( 151 )
Entre cinq&dix. ... 667 .
Entre dix & vingt.: 866 .
Entre vingt & tre te ...... .1.552 .
Entre trente & quarante ........... 2,015 .
Entre quarante & cinquante ........ 2 , 2,086 .
Entre cinquante & foixante. 1.698?
Ente foixante & foixante- dix ...... 1.481 .
Entre quatre-vingt&quatre- vings -dix..460 .
Er tre ſoixante-dix & quatre-ving's .... 1 , 45 .
Entre quatre-vingt- dix & cent . 55 .
A cent ans .. 7 .
A cent un an . 4.2.
A cent deux . 1 . ...
Acent fix. ..: I.
A cent treize . 1.
:
Accroiſſement des morts cette année ... 348 .
Répétons ici l'observation que nous
avons indiquée les années précédentes ;
c'est que cette liste ne comprend que les
enfansbaptisés ou les morts enterrés dans
les Paroisses Anglicanes. Les Catholiques
, les Presbytériens , les Juifs , les
Quakers , les Anabatistes , les Sociniens,
les Méthodistes , les Calvinistes Suisses et
Allemands très-nombreux , ainsi que les
Luthériens, ne sont pas compris dans ces
relevés , et ne peuvent donner aucun
indice de la population totale. Dans le
nombre des morts , il se trouve 7 criminels
exécutés , 13 suicides , 2 personnes
tuées , 67 péris accidentellement ,
et 119noyés , parmi lesquels il s'en trouve
sûrement de noyés volontairement .
* Le Ministère actuel eſt le dixième depuis l'avèsement
de Sa Majeſté au Trêne en 1760.
giv
( 152)
LeDuc de Newcastle y entra au mois doctobre
1760 , & en fortit le 29 Mai 1762 .
Le Comte de Bute lui fuccéda juſqu'au mois
d'Avril 1763.
Il fut remplacé par M. George Grenville , reſté
enplacejuſqu'en 1765 .
Il eut pour ſucceſſeur le Marquis de Rockingham
, qui réſigna en 1766.
Après lui vint le Duc de Grafton , qui conſerva
ſa place juſqu'au 28 Janvier 1770.
Lord North entra enſuite dans le Ministère , où
il eſt reſté douze ans & deux mois .
Il fut remplacé par le Marquis de Rockingham ,
rentré de nouveau en 1782 , & mort peu de
temps après.
eut pour ſucceſſeur , la même année ,
Lord Shelburne , qui ne fut en place que quelques
mois.
Alors ſurvint la Coalition Miniſtérielle , qui
s'eſt ſoutenue juſqu'au mois de Décembre 1783 ,
&qui a fait place au Ministère d'aujourd'hui ,
dont la réſignation ne paroît pas éloignée.
Pour se former une idée des facéties
des Papiers de l'Opposition contre M.
Pitt , il faut lire l'art. suivant qui en
est extrait.
«LeBailli Reevesde Mancheſter ayant convoqué
uneAſſemblée des principaux Marchards & Commerçans
de cette Ville , à l'effet d'obtenir d'eux
une Adreſſe de remerciemens à M. PITT, pour la
conduite qu'il a tenue en Parlement , relativement
à la Régence , cette Aſſemblée , après un débat
de quatre heures , décida , à la pluralité de deux
contre un , qu'une semblabie Adreſſe étoit particu-
Lèrement inutile & déplacée en ce moment. Inutile
( 153 )
mentpluſieursdes principauxNégocians avoient follicité
ceMagiſtratde ne point troubler la tranquillité
publique , en aſſemblant les Commerçans pour un
butauffi inutile; cette créature de M. Pist s'y étoit
conſtamment refuſé ,eſpérant toujours obtenir une
majorité de voix . Eh quoi , ſi l'Adreſſe de remercimens
avoit paſſé , on auroit donc remercié le
Miniſtre , »
«D'avoir frappé à leur racine les Manufactures
de la Grande Bretagne , par la taxe projetée
ſur le charbon , taxe à laquelle on l'obligea
de renoncer.>> :
« De la préférence qu'il a donnée aux intérêts
de l'Irlande ( 1 ) fur ceux de la Grande-
Bretagne."
«De la tentative qu'il a faite de facrifier le
commerce des Cotonneries de la Grande-Bretague,
pour l'avantage de la Compagnie des Indes. >>>
De la fraude envers le Public par l'Acte
de commutation. >>>
«D'avoir intercepté aux Citoyens la lumière
dujour. "
• D'avoir diminué la Marine , &augmenté le
pied Militaire de la Grande-Bretagne.>>>
«Pour ladéfenſe obſtinée qu'il afaite du ridicule
ſyſtème de fortification , & cela parce qu'il
n'étoit pas ami de nos braves Marins. >>>
«Pour avoir rendu légales les exécutions gé -
né rales ( Général Warrants) dans le ſyſtême de
l'Accife. »
(1) Nous ignorons ſi la Ville de Mancheſter
aréellement refuſé cette Adreſſe; les Papiers Mmiſtériels
le nient formellement. chhiwat
1
gv
( 154 )
:
«Pour avoir conſtamment protégé les Employés
utiles&méritans de l'Acciſe.»
«Pour nous avoir privé du Jugement par Jurés
dans pluſieurs de ſes projets pour l'Accife , dans
ſon Bill de l'Inde , & dans celui des Colporteurs
& Porte-Balles. » ( Hawkers and Pedlars
Bill.)
« Pour avoir autoriſé les Employés de l'Acciſe
aux viſites domiciliaires , & cela pour ſouſtraire
à fon voifin une douzaine de bouteilles de vin. »
«Mais ce n'eſt pas tout , n'auroit-il pas fallu ,
continue l'Oppoſition :
« Que les propriétaires de terres le remerciâfſent
de ſa taxe additionnelle ſur les permiffions
deventes ? » ( Licences.)
«Que les amis des prérogatives le louâſſent
de ſa conduite au ſujet de la réforme Parlementaire
? "
« Que les Non - Conformiſtes admiraſſent ſa
conduite concernant l'Acte du Teſte ? »
«Que la Nation ſe réjouît des troubles civils
dont nous ſommes menacés par ſes menées ? >>
>>>Que les Moraliſtes admiraſſent la reconnoiffance
qu'il manifeſte pour la famille qui l'a élevé
au rang où il eſt ? »
«Que les pères , les mères & les fils adorâſſent
en lu ile reſpect qu'il a pour la tranquillité
domeſtique de la Famille Royale ? >>
«Que ſa famille l'exaltât pour la tentative
qu'il a faite de s'aſſurer une autorité perpétuelle
en ſe réſervant la nomination du Régent ?
<<Enfin , que les femmes le remerciaſſent de
ce qu'il a fi fortement taxé leurs fervantes ?->>
« Le premier de ce mois , est décédé
ici M. Fletcher Norton , ancien Orateur
de la Chambre des Communes , et élevé
(155 )
à la pairie en 1782 , sous le titre de
Lord Grantley. Son fils lui succède en
cette qualité à la Chambre Haute , et
laisse vacante l'une des deux places de
Représentans du comté de Surrey. Cette
mort a été suivic , le lendemain , de
celle de M. Charles Wolfran Cornewall
, Orateur actuel de la Chambre
basse , et qui , depuis quelques années ,
avoit remplacé Milord Grantley dans
cette charge. Hier , les Communes ont
procédé à la nomination d'un nouvel
Orateur . Lord Euston , fils du Duc de
Grafton, a proposé , au nom du parti
Ministeriel , W. WyndhamGrenville ,
l'un des Trésoriers-généraux de l'armée,
membre du bureau de contrôle et de
celui du commerce. L'Opposition , de
son côté , a désigné le Chevalier Gilbert
Elliot ; mais une pluralité de 215
membres contre 144 , a élu M. Grenville.
Dans la même séance , M. Pitt fit
la motion qu'aujourd'hui 6 , la Chambre
se format en Comité , pour déterminer
les limites à imposer à l'autorité
du Régent , ce qui fut agréé. »
« Le feu Commodore Leftock , ayant fous fes
ordres trois vaiſſeaux de 90 canons , delinés à
renforcer l'Amiral Haddockdans la Méditerranée ,
les élèves du Chirurgien faiſant la viſite de l'infirmerie
d'un de ces va'ſſeaux , trouvèrent un des
matelots dans une léthargie qu'ils jugèrent mortelle.
En conféquence on le porta fur le pont ,
& on l'étendit fur le trell's , pour qu'une fois
gvj
( 156 )
couſu dans le linceul , on pût le jeter à la mer.
Heureuſement il avoit un ancien compagnon de
chambrée , habitant la ville, il est vrai mais qui
ſe trouvoit a'ors à Chatham , ſur lajetée, où il
travailloit à remplir les futailles des navires. En
montant à bord, it apprit le décès de ſon ami .
Il pria le Lieutenant de lui permettre d'ouvrir le
hamac pour dire un dernier & triſte adieu à fon
camarade ; on lui accorda ſa demande: il ſe murit
de fil & d'une aiguille pour recoudre le hamac;
il l'ouvrit , puis ayant découvert le viſagede ſon
camarade , il ſe mit à genoux & l'arrofa de fes
larmes , en prenant congé de lui pour toujours ,
avec cette tendreſſe affectueuse qui caractériſe ſi
bien les matelots Angleis. En recoufant le hamac
, fon aiguille piqua le nez de fon ami , &
de l'autre main , dont il foutenoit le corps , il le
ſentit remuer. Voyant le ſang jaillir de la bleffure
, il découd de nouveau le fatat litceul, tire
ſa bouteille d'eau-de-vie , en verſe ſur les tempes
du prétendu mort, les frotte vivement , lui humecte
les lèvres de la liqueur , & par ſes ſoins
l'amène à donner des ſignes de via Le Chirurgien
inſtruit du fait , accourt , fait reporter le matelot
à l'infirmerie , & ordonne qu'on le mette
dans un lit bien baſſiné. Les autres fecours qu'on
lui adminiſtra eurent tant de ſuccès , qu'ils leretablirent
parfaitement , & le mirent en état de
faire le voyage; & ce qui ajoute à l'intérêt de
cetre anecdote, c'eſt que le pauvre matelot reffufcité
parut trouver plus de douceur dans la
vie qu'il recouvroit , par cela même qu'il la devoit
à l'amitié. »
(157)
FRANCE.
De Versailles , le 7 janvier.
Le 1er de cemois , les Princes , les Princeſſes,
les Seigneurs & les Dames de la Cour ont rendu
leurs reſpects aurRoi & à la Reine , à l'occafion de
la nouvelle année. Le Corps-de-ville de Paris &
leGrand-Conſeil ont rempli le même devoir. Le
Cops-de-vil'e de Paris avoit à la tête le Duc
de Briffac , Gouverneur de la Ville, & étoit conduit
par le Marquis d. Brezé , Grand-Maître des
cérémonies , le Comte de Nantouillet , Maître des
cérémonies , & le fieur de Watronville, Aide des
cérémonies.
Pendant le lever , la Muſique du Roi a exécuté
une ſymphonie du ſieur Haran , premier violon ,
ſous la condinite du ſieur Martini , Surintendant ,
en ſurvivance ,de la Muſique de Sa Majefté.
Les Chevaliers , Cominan leurs & Officiers de
l'Ordre du S. Eſprit , s'étant aſſemblés vers les
orze heures& demie dans le grand Cabinet du
Roi , Sa Majeſté a tenu un Chapitre , dans lequel
E'le a nommé le Duc de Chartres , Chevalier de
l'Ordre du S. Eſprit.
Enſuite le Roi , devant qui marchoient deux
Huiſhers de la Chambre , portant leurs maſſes ,
précédé deMonfieur, de Mgr. Comte d'Artois , de
SonAlteſſeRoyale Mgr. leDuc d'Angoulême , du
Duc d'Orléans , du Prince de Condé , du Due
d'Enghien, du Prince de Conti ,des Chevaliers,
Commandeurs & Officiers de l'Ordre , entre lefquels
marchoient, en habit de novice', le Comte
de Brienne & le Prince de Luxerabourg , s'eſt
rendu à la Chapelle du Château. Sa Majesté y
( 158 )
aentendu la Meſſe chantée par ſa Muſique , &
célébrée par l'Evêque de Senlis , fon premierAumônier
, & Prélat - commandeur de l'Ordre. La
Reine , Madame , Madame Elifabeth de France
yont aſſiſté dans la tribune ;& la Princeſſe de
Léon y a fait la quête .
La Meſſe étant finie, le Roi eſt monté ſur fon
trône ,& a reça Chevaliers le Comte de Brienne
&le Prince de Luxembourg; après quoi Sa Majefté
a été reconduite dans fon appartement , en
obfervant l'ordre dans lequel Elle en étoit fortie.
Le 2 , le Roi , accompagné comme lejour précédent,
a aſſiſté au ſervice anniverſaire qui ſe
célèbre dans la Chapelle du château , pour les
Chevaliers défunts de l'Ordre du S. Eſprit.
Le Roi a diſpoſé de la charge de fon premier
Médecin, vacante par la mort du fieur de Laſſone,
en faveur du ſieur le Monnier , ſon premierMédecin
ordinaire; & de celle de Médecin de Madame
Adélaïde de France , dont le ſieurde Laffone
étoit aufh pourvu , en faveur du ſieur Cornet ,
Médecin ordinaire de cette Princeſſe.
Le 2 , le ſicur le Monnier , premier Médecin
du Roi , a prêté , en cette qualité , ferment entre
les mains de Sa Majeſté .
Le premier Préident , les autres Préſidens du
Parlement de Paris , & les Gens du Roi , la
Chambre des Comptes , la Cour des Aides , la
Cour des Monpoies & le Châtelet de Paris , à
là tête duquel étoit le Marquis de Boulainviller ,
Prévôt de cette Ville , ont eu , le 3 , l'honneur
de rendre leurs reſpects à Leurs Majestés & à la
Famille Royale , à l'occaſion de la nouvelle
année.
Sa Majefté a nommé à l'Abbaye deSaint-Loup ,
Ordre de S. Auguſtin , diocèse de Troyes , l'Abbé
de fonaut , Vicaire-général du même diocèſe ;
& à l'Abbaye régulière de Sainte-Croix , Ordre
(159)
de S. Benoît , diocèse & ville de Poitiers , la
Dame de Monteil , Abbeſſe de Cuffet , même
Ordre , fur la nomination & préſentation de
Monseigneur Comte d'Artois , en vertu de fon
apanage.
Leurs Majeftés &la Famille Royale ont ſigné ,
le 21 du mois dernier , le contrat de mariage du
Comte deMuy , Maréchal des champs & armées
du Roi , avec demoiselle de Vintimille du Luc.
Le rer. de ce mois , Leurs Majestés ont foupé
à leur grand couvert. Pendant le repas , laMuſique
du Roi a exécuté différens morceaux fous
la conduite du ſieur Martini , Surintendant , en
furvivance, de la Muſique de Sa Majeftė.
Le 4, la Comteſſe de Puyſégur a eu l'honneur
d'être préſentée à Leurs Majestés & à la Famille
Royale par la Comteſſe de Chaſtenet de
Puyſégur.
Le 21 décembre , le fieur Maugard , Généalogifte
, a eu l'honneur de préſenter au Roi , à la
Reine, à Monfieur & à Monſeigneur Comte d'Artois
, une lettre à M. Chérin , Généalogiste des
Ordres de S. M. , fur fon Abrégé d'Edits , &c.
concernant la Nobleffe : Ouvrage critique & politique
, dans lequel l'Autour démontre , par les faits ,
les inconvéniens &dangers des Abrégés & Traductions
libres de loix (1 ) .
(1) Cet Ouvrage , ainſi que la deuxième édition
des Remarques fur la Nobleffe, dédites aux
Affemblées provinciales , se trouve , à Paris , chez
P'AUTEUR , rue Neuve des Capucins ;& chez les
fieursCAILLEAU, Imp. Lib. rue Galande , nº. 64;
LAMI , Libraire , Quai des Auguſtins ; DE SENNE ,
Libraire au Palais-Royal ; & à Versailles, chez
le ſieur BLAISOT , Libraire , rue Satori. Prix de
la Lettre , 3 Liv , & des Remarques , y liv . , port
franc,enss''adreſſant àl'Auteur, &en affranchissant
bes lettres & l'argent.
( 160 )
De Paris , le 14janvier 1789.
La rigueur du froid. qui , le 31 dur
mois dernier , fit descendre le thermomètre
à 18 degrés et demi au-dessous
dela congélation , a diminué la semaine
dernière ; mais le thermomètre est resté
néanmoins aussi bas que 10, 11 , 12 dégrés
, jusqu'à jeudi 8 , que l'air est devenu
plus tempéré depuis 24 heures le
dégel est devenu sensible. Les provinces
méridionales ont éprouvé la même durée
et la même aspérité de froid. A
Lyon , le Rhône a été absolument pris
de glaces. A Toulouse , et en d'autres
lieux, laGaronne a égalementgelé.Onassure
qu'àMarseille les bords du bassin ont
été couverts de glace. Aunorddu Royaume,
le froid a généralement surpassé 19 et
20degrés . Les plus grandes rivières , telles
que la Meuse , ont gelé , ainsi que les
rades de divers ports de mer. La vigilance
du Gouvernement , la commisération
publique , de nombreuses charités
, et le zèle de MM. les Curés de Paris ,
ont diminué le nombre , malheureu
sement trop grand , des infortunés , auxquels
cette calamité ôtoit à-l-a fois toutes
les ressources. La Caisse d'Escompte a
voté en leurfaveurune sommede 50,000 1.
S. A. S. le Prince de Condé a écrit ,
de samain , la lettre suivante, auMaire
deDijon :
( 161.)
Au Pakais Bourbon , ce 25 Décembre 1788.
«Tout ce qui me revient , Monfieur , de la
fouffrance des Peuples de mon Gouvernement ,
me fait la plus vive peine; je voudrais bien qu'il
me fût poſſible de les ſecourir tous; mais puiſque
fon étendue ne me le permet pas , je me vois
forcé à me reſtreindre à la Ville de Dijon. Je
joins ici 12000 livres , que je vous prie de répartir
comme vous l'entendrez , je m'en rapporte
entièrement à vous. Je ſuis bien fâché que les
fecours que je dois dans mes Terres ne me permettent
pas d'en faire davantage , & c'eſt véritablement
un chagrin pour moi. &c. &c. «
Signé , Louis JOSEPH DE BOURBON .
On nous mande de Thionville, que les
régimens de Brie et de Bretagne ont fait
distribuer aux pauvres de la ville 600 1. ,
prélevées sur la souscription des bals que
ces régimens doivent donner pendant le
carnaval.
On évalue à une valeur de mille écus
la collection de tous les pamphlets qui
ont été mis au jour , à Paris , seulement
depuis le mois d'octobre , sur la
convocation des Etats-généraux. Peu de
ces écrits se sont vendus 3 liv. ou audessus
, la plupart valant de 6 à 40 sous ;
d'où l'on peut induire qu'il en a peut-être
été publié sur cette question préliminaire
, un peu plus de 2500. Quelquesuns
ont mérité l'approbation générale ;
mais , dans un très-grand nombre , on
:
( 162 )
remarqué peude respect pour les vérités
historiques . On a été jusqu'à imprimer
que Mazarin , sous le ministère duquel
Paris s'arma contre le Roi lui-même ; ce
Mazarin , que la Fronde chassa du
Roraume, accabla de mille libelles , et
dont elle mitlatête à prix , avoit achevéde
courber les esprits sous les liens de la servitude;
que le règne de LouisXIVn'avoit
vu que des esclaves ; que le siècle de
Conde, de Catinat , de Boufflers , de
Villars, de Colbert , de Bossuet ,
de Corneille , de Fenélon , de Vauban,
étoit un siècle de dégradation et de pusillanimité
; et qu'enfin l'époque où la
Monarchie s'étoit agrandie de trois Provinces
, où elle acquit cent vaisseaux
de ligne , des chemins , des ports , des
canaux , des remparts , un commerce.
maritime , des manufactures en tout
genre , fut une époque de stupidité , d'engourdissement
et de bassesse. Il est sûrement
plus aisé de juger ainsi le règue
de Louis XIV, que de régner comme
lui. On a relevé , dans le journal de Dijon
, une des erreurs dont nous avons
parlé ; il est question de la naissance de
Bossuet
« Je ne fais dit un correſpondant du Journaliſte,
où l'Auteur d'un ouvrage reatif aux affaires
du temps , a pris que notre illuftre Boſſuet étoit
ré dans la Roture. S'il avoit lu l'Hiſtoire du Parlement
de Bourgogne , il y auroit vu que Jacques
Boſſuet fut reçu Conſeiller au Parlement ,
( 163 )
Commiſſaire aux Requêtes du Palais , le 1er. Avril
1579; que quatre de ſes deſcendans ont pareillement
été Conſeillers au Parlement. Certe famille ,
qui a poſſédé pluſieurs Terres , & qui a eu des
alliances diftinguées , a auſſi donné un Confeiller
au Parlement de Metz. »
«Un grand homme eft toujours au- deſſus de
fa naiſſance , quelque diftinguée qu'el'e puiſſe
être ; le moindre mérite de notre compatriote
étoit fans contredit d'être né dans l'Ordre de la
N bleſſe ; mais quelque peu importante que foit
en elle-même l'erreur de l'Auteur que je réfure ,
j'ai toujours cru devoir la rectifier , parce qu'elle
intéreſſe un de ces Hommes célèbres auxque's
notre Province fe glorifie d'avoir donné le jour. »
Je fuis , &c.
Dijon , le 29 Décembre 1788.
L'on nous a adressé la lettre circulaire
suivante , quenousne transcririons point ,
puisqu'elle a dejà fait le tour de plusieurs
feuilles publiques , si elle n'indiquoit
pas un objet d'intérêt général.
Lyon , le 15 Décembre 1788.
«Monfieur , partageant par état l'alarme bien
fondée que votre Journal & aurre Fuilles ont
ſouvent répandue dans les différentes Maifons
de Commerce du Royaume , au ſujet d. s Lettresde-
Change que des fauifaires viennent de mettre
en circulation pour des ſommes conſidérables , j'ai
inurilement cherché tous les moyens de prévenir
les funeſtes effets de cette infernale eſcroquerie ,
par la fatisfaction que j'aurois éprouvée de préſenter
à mes concitoyens le remède contre des
raanoeuvres auffi ſcélérates que cele des fauſſes
Lettres-de-Charge. N'en pouvant trouver aucun
(164 )
qui put fauver ma ſignature d'être imitée ou
contrefaite , je me ſuis rappelé un papier étonnant
, que je vis apporter tout mouillé ( fortant
de la fabrication) pourl'expoſer en defficcation
au feu d'une cheminée , & qui renfermoit dans
une épaiſſeur moindre que celle des Billets de la
Caiſſe d'Eſcompte , des caractères d'une couleur
bien prononcée , qui avoient été diftribués &
noyés dans la matière par des procédés de la
plus furprenante induſtrie. Je penſai qu'un femblable
papier rempliroit parfaitement mes vues;
enconféquenceje m'empreſſai d'écrire àM. Leorier
de l'Isle , l'un des Entrepreneurs de la naiſſante
Manufacture deBuges,prèsMontargis , où j'avois
ץי
avec admiration les premiers eſſais dudit Papier;
je lui demandai des Billets fabriqués par les
mêmes procédés , que je lui retraçai du mieux
que je pus , & je lui déſig ai trois lettres de mon
com, pour qu'il voulûr bien les adminiſtrer dans
Je carré de chaque Billet. "
«Je viens d'en recevoir cinq mille , dont chacunrenferme&
préſente en transparence leſdites
trois lettres ſous la forme d'un chiffre placé de
manière à être vu en tous ſens , entre lebonde
la fomme & la ſignature. »
« L'effet merveilleux que cela produit , vient de
m'engager à inviter tous mes Correſpondans à
employer la même fûreté pour leurs effets de
Commerce; mais comme il feroit malheureux que
cette induſtrie , auſſi heureuſe qu'inimitable , reftât
un certain temps concentrée dans le cercle
étroit de mes correſpondances , j'ai cru devoir ,
Monfieur , vous adreſſer un de ces Billets pour
vous rendre juge de l'importance de cette découverte
, qui re fait pas moins d'honneur àfon
auteur , que tous les eſſais également intéreſſans
&utiles que l'on fait audit Buges , & qui commencent
à être connus. »
( 165 )
«Si les Avertiſſemens qui ont été donnés , ont
pu cauſer de l'irquiétude dans le Commerce
vous pouvez , Monfieur , annoncer un moyen
fürde ſe mettre à l'abri des dangereux effets des
fauffes Letures-de-Change , qui ont déjà tant
porté d'atteintes au Commerce,& déſolé tant de
bon es maiſons du Royaume. Les fauſſaires perpétueront
tant qu'ils voudront leur infâme habitude
de contrefaire les ſignatures , ils ne feront
plus à craindre avec lepapier dont il s'agit , puifque
le pinceau ne pourra jamais imiter parfaitementdes
caractères recouverts d'un léger épiderme
de matière , &que la formation dudit Papier ſera
long-temps un ſecret pour toute autre Fabrique
que celle de Buges. »
«Je devois à l'admiration'où je ſuis de cette
découverte, l'avis que je viens d'en donner; c'eſt
à vous , Monfieur , d'y ajouter la publicité , ſi
vous jugez comme moi que l'annonce des Billets
que je vous foumets , mérite de trouver place
dans votre Journal , & d'être accueillie du Public.
" J'ai l'honneur , &c.
Ν. Négociant.
P. S. « Le chiffre étant exécuté ſous pluſieurs
couleurs bien distinctes, on pourroit à chaque révolution
d'années employer une teinte différente ,
commeon pourroit auſſi affecter une couleur aux
effets d'une ſomme déterminée , une autre couleur
à ceux d'une autre ſomme , ainſi du reſte ;
ce qui laiſſe pluſieurs combinaiſons de sûreté à
employer , de convention avec nos Correfpondans.
»
«On pourroit encore adminiſtrer des teintes
légères & variées à l'étoffe même du Papier , qui
ne muiroient en aucune manière à la transparence
des caractères intérieurs , & faire même des formes
nouvelles dont la verjure imprimeroit fur le
Papier différentes traces juſqu'à préſentinconnues.>>>
( 66 )
«On pourra s'ad eiler , pour avoir toute elpèce
de Billets,de sûreté, Lettres - de. Change ,
Refcriprions & autres effets , à M. Leorier de
l'Isle , l'un des Entrepreneurs de la Manufacture
deBuges, près Montargis , qui fatisfera fans délai
àtoutes les demandes qui lui feront faites.>>
L'échantillon joint à cette lettre , nous
a paru , en effet , mériter l'attention des
gens d'affaires ; mais , faute de connoissances
nécessaires à cet égard , nous ne
prendrons pas sur nous de décider des
avantages de cette invention digne
d'examen.
,
Etienne-Francois Turgot , marquis de
Sousmont , Brigadier des armées du Roi ,
ancien Gouverneur et Lieutenant-géné
ral , pour le Roi , de l'Isle de Cayenne
et de laGuienne, Chevalier de S. Louis ,
de l'Académie rovale des Sciences de
la Société royale d'Agriculture , est mort,
le 25 du mois dernier , en son Château
de Bon , près Falaise. :
Françoife - Marie Thomé , épouſe de Louis-
Jacques le Coigneux , Marquis de Belabre , eſt
morte le 10 decembre , au château de Belabre ,
en Berry , dans la foixante-unième année de ſon
âge.
,
Marie- Louiſe Burgeat , épouse dú Comte de
Miromenil, Chevalier de S. Louis , Maréchal
des camps & armées du Roi , Seigneur d'Attengy
& autres lieux , eſt morte, à Paris , le 3
de ce mois.
( 167 )
PAYS- BAS.
;
De Bruxelles , le 10janvier1789 ..
Pendant le cours de l'année dernière,
il est mort à Amsterdam 10,354 personnes
, 1742 de plus qu'en 1787. Il y a eu ,
pendant la mème année, à la Maison de
Ville, 976 mariages proclamés , et 658
célébrés. Le nombre des mariages proclamés
dans les Eglises réformées monte à
1573. 1
La Hollande a perdu l'un de ses plus
anciens Lieutenans - généraux , dans la
personne du Prince Louis-Guillaume
de Baden , frère du Marcgrave régnant
, Colonel d'un Régiment d'Infanterie
au service de L. H. P. , Gouverneur
d'Arnheim , et décédé à Carlsrüe.
M. B. E. Abbema , ex-membre du
Conseil de la ville d'Amsterdam , par
sentence des Echevius de ladite Ville , a
été banni de la province de Hollande,
pour cause de sédition , et principalement
pour avoir donné ordre de percer
la digue de la mer.
Le Libraire Neuthey, d'Amsterdam, et
un de ses confrères , qui avoient vendu des
libelles et des estampes satiriques , ont
reçu pareillement leur sentence , qui les
condamneà travailler , pendant que ques
années , dans la maison de correction , et
( 168 )
à être ensuite bannis de la ville d'Amsterdam
et de la province de Hollande.
M. van Hengst , ancien Conseiller
dela ville d'Utrecht , ayant été exclu ,
avec plusieurs autres , de l'amnistie ,
et depuis ayant présenté requête pour
y être compris , en payant 30,000 flo-
-rins d'amende, les Etats viennent delui
accorder sa demande , sous la condition
stipulée dans sa requête: il a déja payé
les 30,000florins.
Deux autres Conseillers ont pareille
ment présenté requête pour être comprisdans
l'amnistie , avec offre de payer
une certaine somme .
C'est le Prince Sapicha, qui à porté
à la Diète l'offre généreuse du Prince
Radziwill , à qui l'on a fait passer les
remerciemens de l'Assemblée , par une
députation des deux Maréchaux de la
confédération. Le Roi lui-même s'est
joint à cet acte de reconnoissance publique
, en promettant de faire ériger
dans la salle de la Commission de guerre ,
les bustes du Prince Radziwill et de M.
Potocki, Grand- Maître d'Artillerie.
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES .
J
;
SUEDE.
De Stockholm , le 24 décembre 1788.
VENDRED
ENDREDI 19 , nous eûmes le plaisir
dé voir arriverici, deGothenbourg, S. M.
dont la dernière absence a été de trois
mois et demi. L'infanterie bourgeoise se
porta hors de la Ville , et à l'approche
du Roi , elle détela les chevaux de sa
voiture , qu'elle traîna à travers les rues
illuminées , jusqu'au Château , en faisant
retentir l'air de cris d'alégresse. Dès le
lendemain , S. M. honora d'une visite le
Magistrat et les 50 Anciens , assemblés à
'Hôtel-de-Ville. Pendant ce trajet , Elle
fut escortée de la cavalerie bourgeoise ,
au bruit des décharges de l'infanterie ,
rangée en haie sur son passage .
La Diète générale , suspendue par les
occupations de la dernière campagne ,
et par les dangers dont on avoit eu soin
N. 4. 24 Janvier 1789. k
.
(146
d'entourer le Roi au-dedans et au-dehors ,
est solemnellement convoquée au 26janvier
1789. S. M. a rendu à cet effet
une LETTRE PATENTE , adressée à
tous les Ordres de l'Etat , et dont voici la
teneur.
Donné à Gothenbourg, le 8 décembre 1788.
« NOUS GUSTAVE , par la grace de Dieu , Roi
de SUÈDE , des GOTHS & des VANDALES , &c.
&c. &c. A vous , nos chers & fidèles Sujets ,
les Etats du Royaume , Comtes , Barons , Archevêques
, Evêques , Chevaliers , Nobles , Clergé,
Bourgeoifies des Villes , Communautés du Plat-
Pays, qui habitent dans les limites du Royaume
de Suède&du grand Ducké deFinlande."
«Dans la fituation actuelle des affaires , nous
avo ns trouvé auſſi utile pour le Royaume, que fatis.
faiſant pour Nous , de délibérer avec nos fidèles Sujets
lesOrdres duRoyaume, fur quelquesintérêts de
l'Etar. Comme ſes ennemis ont cherché parartifice à
déſunir leslie squi nous uniffent àvous, il ſera d'autant
plus important de conſerver& d'entretenir la
confrunte mutuelle. L'unanimité dans les délibérations
rendranos armes victorieuſes,& au Royaume
ple ancien luſtre. Convaincu que des Suédois
les ins d'honneur , ne ſe laiſeront pas féduire par
deſſeins fecrets de l'ennemi & par les promeſſes
, qu'ils n'oub'ieront pas ce qu'ils doivent
à Nous & à eux-mêmes , comme Sujets & Concitoyens.
Nous eſpérons de préparer dans une
Diète générate , un succès heureux aux difpofitions
que nous avons déja faites pour l'honneur
&la défenſe de la Patrie,& de trouver de nouveaux
motifs de rendre au Seigneur nos actions
graces , de la protection qu'il a accordée àNous
( 147 )
&auRoyaume. En conféquence, nous vous commandons&
ordonnons très-gracieuſement , vous
touslesEtatsdu Royaume ,de vous trouver, le
26 de janvier prochain ,dans notre Capitale de
Stockholm , & que non ſeulement le Corps-
Equefue & la Nobleſſe ſe règlent fur
éré
ce
qui a ér preſcrit par l'Ordonnance fur le Di.
rectoire de la Nobleſſe , expédiée le 6 juin
1626 , par feu S. M. de glorieuſe mémoire le Roi
Gustave Adolphe II, le Grand, & renouvelée &
confirmée parNous, en date du9 novembre 1778;
mais auſſi que les autres,Ordres des Etats qui ont
coutume d'y envoyer des Plénipotentiaires ou
Dépurés,l'obſervent convenablement. Savoir , que
l'Archevêque s'y trouvera pour l'Ordre des Prêtres;
chaque Evêque pour le Diocèſe an gouvernement
duquel il a été conſacré & ordonné ;
le Paſteur-Primat de Stockholm , avec autant de
Paſteurs de chaque pa oiſſe qui y aſſiſtent ordinairement,
& des autres Ordres autant de perſonnes
qu'il a été d'uſagé , tous munis de pleirpouvoirs
convenables , afin que nous puifliors.
ouvrir laDiète ,& volus congédier, après qu'elle
aura été heureuſement terminée. Sur cuoi
vous réglant, avec obéiſſance , Nous vous de.
meurors affectionné à tous 8: chacun en particamier,
avectoute norre grace&notre bienveillanceroyale.
Nous vous recommandons au Dieu Tout Puifiant.
AGothenbourg , le 8 décembre 1788.
1:1 J
1:
GUSTAVE.
L'objet principal des délibérations , est
assez clairement expliqué dans le rescrit
qu'on vient de lire , pour détruire les
artificieuses suggestions qu'on cherche à
répandre par les Gazettes de Copenhahague
et de Hollande. Elles annoncent
:
hij
(148 )
que le Roi se propose d'augmenter son
autorité , de s'attribuer sans réserve
la disposition des fonds nationaux , de
s'assurer la garantie de la Diète pour
toutes les dettes qu'il pourroit contracter
à l'avenir; enfin , de faire punir les
mécontens. Il n'est personnequinedoive
être choqué de l'invraisemblance , disons
plus, de l'extravagance de pareilles inventions.
Leur but évident , auquel se
prêtent des plumes mercenaires , est de
semer la discorde dans la Diète , comme
on l'avoit semée dans le Royaume. Aucune
autorité ne peut prévenir qu'il n'y
ait des mécontens , comme aucune auto
rité ne parviendroit à les faire punir,à
moins qu'à l'exemple de quelques Officiers
de l'armée de Finlande, ils ne levassent
ouvertement l'étendard de la trahison.
Ces déserteurs de leur patrie , à
la tête desquels on lit le nom du Baron
de Sprengporten , aujourd'hui Serviteur
avoué et pensionné de la Russie , ont
publié leurs sentimens dans une espèce
derecueil qui a pour titre : Observations
et Eclaircissemens historiques . On
y trouve leur Acte d'union en deux
parties ; et comme si une vingtaine
d'Officiers liés à la Russie , formoient
l'armée Suédoise et celle de Finlande
ils ont intitulé ces deux écrits : Acte
d'union de l'armée de Finlande, Acte
d'union de l'armée de Suède. L'un et
l'autre justifient parfaitement les procé-
*
1.1
(149 )
dures entamées contre les Auteurs de
ces manoeuvres. Ils s'y attribuent le droit
de décider de la légitimité de la guerre ,
et de refuser leurs services au Roi et à
l'Etat , précisément parce que l'Etat est
en danger. Ils prédisent la dévastation
totale de la Suède ; qu'elle sera mise à
feu et à sang; que la Finlande sera envahie
, et qu'il ne leur restera de ressource
qu'a s'en remettre à la discrétion du
Vainqueur. Toutes ces belles prophéties
se faisoient le 15 août dernier : les prophètes
, d'ailleurs , avouent sans détour
qu'ils combattroient à contre coeur
une nation qui ne désire que leuramitie.
Voilà le précis du long verbiage de
ces actes , qu'on a fidèlement transcrits
dans quelques Gazettes.
POLOGNE.
DeVarsovie, le 3janvier 1789.
Dans la séance du 17 décembre , dont
nous avons parlé précédemment , une
grande pluralité de la Diète décida , par
les suffrages secrets , d'assujettir ses
Ministres auprès des cours étrangères ,
au serment , qu'en qualité de Ministres ,
ils n'ont eu , n'ont et n'accepteront , ni
directement ni indirectement , aucunes
pensions étrangères. Le 18 , on convint
d'ordonner auGénéralBielak, de veiller,
hiij
( 150 )
conjointement avec d'autres Commandans
, à la conduite des Grecs Schismatiques
de l'Ukraine , qu'on cherche à faire
soulever , et d'adresser une seconde intimation
à l'Ambassadeur de Russie , concernant
la sortie des troupes Russeshors
des terres de la République. Nous avons
rendu comptedes Séances du 19etdu 20.
Le 21 , on fit prêter le nouveau serment
aux Commissaires des affaires étrangères;
et voici la suite du journal de la
Diète du 23 au 26.
Séance du Mardi 28.
L'Election des Commiſfaires du département
de la guerre ayant duré fort avant dans la nuit , il
ne reſta que très-peu de temps peurde refte de
cette ſéance , qui devoit être la dernière avant
les fêtes de Noël & le nouvel an. M. Branicki ,
Grand Général de la Couronne, parut dans le
coftume national ,& lut une eſpèce de juſtification
de l'imputation qu'on lui avoit faite de s'être
trouvé au fiege d'Oczakof, fans en avoir demandé
permiſſion à la République. Il s'excuſa en
*diſant , qu'il n'y avoit été que pour se perfectionner
dans l'art de la guerre.
Après le difcours du Grand Général Branicki ,
les Etats s'occupèrent de l'achat des armes , &
l'on ordonna de le porter d'abord juſqu'à un
nombre fuffifant pour armer trente mille hommes
, ce qui feroit payé tant par les foufcriptions
vo'ontaires ,'que par les ſommes reſtantes dans
le tréſor de la République. En même-temps l'on
ordonna à la Commiſſion du tréfor de s'occuper
d'un emprunt deſtiné à remplir le vide néceſſai
(151)
rement occaſionné par le temps qu'on emp'oieroit
à délibérer fur la nature des impôts à venir.
Enſuite Sa Majeté renvoya la première Séance
de la Diète juſqu'au 7 de Janvier.
Les Commiſſaires de guerre élus font : MM.
Grocholski,Caſtellan de Braclaw; Karſnicki , Caſtellan
de Wielunsk ; Niefiolowski , Pa'atin de Nowogrode;
Czaplic, Ex-grand Veneurde la Couronne ;
Starzynski, Sta ofte de Bransk; Romuald Walewski .
Bielinski , ſous-Echanfon de la Couronne ; Dembowski
; Théodore Szydlowski ; Nicolas , Prince de
Radziwill; Georges Zatielo. Szwykowshi , Chambe'-
linde S. M.; Krafin ki, Quarter-MaitreGénéral
de la Couronne ; Crapski , Çolonel; Oyrzyski, Colonel;
Statkiewicz , Général-Major ; Jelenski , Colone'.
Dans ces 17 Membres , il ne s'en trouve
qu'un ſeul du parti Royaliſte..
:
Du Jeudi 24.
LesPolonois , en reprenant leur ancien coftume,
& l'efprit militaire qui les diftinguoit artrefois
, ſemblent vouloir auffi revenir à quelques-
uns de leurs anciens uſages. Un de ceux
qu'ils obſervoient jadis le plus religieufement ,
étoit de ſe raſſembler en famille la veillede Noël ,
&de faire à l'entrée de la nuit un repas , qui
confiftoit principalement en certains grands gåteaux
,& autres mets propres à cette fêre folemnelle.
Le grand Général Branicki a donné hier
un grand foupé dans cet efprit. Si la nation doit
chercher de nouvelles lumières dans le reſte de
l'Europe , elle n'en doit pas moins refter elle-même
attachée aux choſes indifférentes : l'introduction
desufagesétrangers neſe fait jamais qu'aux dépens
de l'eſprit national.
hiv
( 152 )
Du Samedi 26.
LaCommiffion de guerre a tenu fa première
ſéance, où préſida M. Branicki , grand Général
dela Couronne.
Onvient d'apprendre que la Cour de
Pétersbourg a positivement rejeté la
médiation de celle de Berlin , et qu'elle
a préféré l'intervention qui lui a été
offerte par le Cabinet de Madrid. - On
assure également que 10,000 Prussiens
ont reçu ordre de marcher en Livonie.
Du moins , il est certain que tout est en
mouvement à Kænigsberg.
La prise d'Oczakof, par le Prince
Potemkin est avérée. Le rapport de cet
événement est parvenu , en termes trèssuccints
, à l'Ambassadeur de Russie ,
Comte de Stackelberg. Cet avis officiel
porte ce qui suit :
<<Oczakof a été emporté d'assaut le
» 17 décembre. Le nombre des. Assić-
> geans étoit de 14,000 hommes , celui
>> de la Garnison de 12,000. Il en est
- > resté morts sur la place 7400 , sans
>> compter ceux qui ontété sabrés dans
» les maisons.
>> On a trouvé dans la Place 300 ca-
> nons et mortiers de métal. Le grand
>> magasin à poudre a sauté en l'air ;
>> mais on apris une grande quantité de
>>> munitions de toute espèce.
( 153 )
» Le nombre des Habitans étoit de 25
>> milles, parmi lesquels 4000 très-belles
> femmes.
» LesRusses ont perdu millehommes ,
> y compris 180 Officiers ; le nombre
> des blessés est un peu plus considera-
> ble. Le Pacha qui commandoit la for-
>> teresse , a été fait prisonnier avec le
>> reste de la garnison ; l'Aga qui con-
>>duisoit la troupe , a été haché en piè-
> ces , n'ayant pas voulu se rendre. >>>
On a généralement observé ici, qu'il
est bien étrange de voir 14000 Assiégeans
réduire 12000 Assiégés , dont
7400 se font tuer sur la brèche : c'est là
un phénomène encore sans exemple. Le
second miracle est celui de 180 Officiers
Russes tués , sur mille morts. 180
Officiers tués , disent l'unanimité des Militaires
, supposent une perte de Soldats
quadruple de celle qü'indiquent les
Russes ; carc'étoiticiun assaut ,où le combat
est en quelque sorte d'homme à
homme. On n'est pas moins surpris que
les Russes déguisent le nombre de leurs
blessés : des lettres particulières l'élèvent
à près de 3000. Ce succès est très-important;
mais il coûte aux Vainqueurs, à ce
qui nous revient de toutes parts , une
campagne entière , et une armée presque
fondue par les maladies , par la pénurie
, le froid , et par le fer ennemi.
Aussi cette considération , qu'on ne peut
dissimuler , a-t-elle beaucoup disminue
hy
( 154 )
T
l'alégresse des Partisans de la Russie , à
la réception de cette nouvelle. L'issue
d'un siège aussi long et aussi troublé
qu'il l'a été , est digne sans doute des
vaillantes troupes qui l'ont terminé ;mais
nous attendons des avis ultérieurs , pour
savoir au juste les particularités de cette
reddition . On voit que les Ottomans se
sont défendus avec un acharnementpresque
fabuleux.7400hommestuessur 1 2000,
sans compter ceux sabrés dans les maisons
!
1
ALLEMAGNE .
DeHambourg , le 6 janvier.
1-1
Du quinze au dernier décembre , le
Sund étoit couvert de glaçons ; huit
des vaisseaux Russes qui étoient à la
rade de Copenhague ,'ont été jetés par
un ouragan jusqu'à Helsingor. On a eu
le bonheur de les sauver , et ils n'ont pas
recu de très - grands dommages . Plusieurs
autres Navires , environnés de glace
, ont été également poussés de la Mer
du Nord sur la côte de Suède , où on les
voit immobiles.
Le 5 décembre , M. Withwort , nouveau
Ministre Britannique à Pétersbourg,
a eu une audience de l'Impératrice
dans laquelle il remit ses lettres de
créance.
,
( 155 ) .
De Vienne , le 7: janvier 1789..
Les fatigues de la dernière campagne
paroissoient avoir altéré la santé de S.
M. I. , dont l'indisposition , d'abord alarmante
, avoit été qualifiée de pleurésic.
Elle s'est réduite , à ce qu'on croit généralement
, à un rhume accompagné de
fièvre et d'oppression , suite d'un grand
échauffement. Ce Monarque a gardé le
lit plusieurs jours ; et quoique la toux
n'ait pas discontinué , cependant tous les
autres symptômes sont abattus , et S. M.
a repris ses travaux ordinaires et ses
Audiences.
Des conferences plus intimes entre
nos Ministres et les Ambassadeurs de
France et d'Espagne , suivies du départ
de différens Courriers pour Versailles et
Madrid , avoient fait présumer un nouveau
projet de médiation pour pacifier
nos différends et ceux de la Russie avec
la Porte. Cette conjecture s'est journellement
accréditée, et déjà l'on assure
que l'Impératrice de Russie a accepté
l'intervention de S. M Catholique...No--
nobstant cet avis , on ne doute pas de
voir au moins une seconde campagne ,
d'autant plus que les intérêts d'une partie
de l'Európe se compliquent aujourd'hui
avec ceux de la guerre du Levant.
(On est également partagé sur les dispositions
que peut inspirer au Divan la
hvj
(156 )
prise d'Oczakof, que le Prince de Gallitzin,
Ambassadeur de Russie auprès
de notre Cour, a fait publier ici officiellement.
Des lettres particulières ne
représentent pas ce succès glorieux et
important sous un jour aussi favorable.
Elles blåment le Prince Potemkin d'avoir
sacrifié aux chaleurs excessives de
l'été , à l'intempérie, aux froids et à la
disette , une partie de ses troupes , avant
d'avoir tenté l'assaut qui lui a réussi. Il
est vrai que les mêmes lettres excusent
ce délai , en attribuant la prise d'Oczakof
a un hasard soutenu de la valeur
intrépidedes Assiégeans. Le 17décembre,
fètede S. Nicolas , Patron de la Russie,
une bombe , jetée dans laplace , fit sauter
un Magasin à poudre , dont l'explosion ,
àcequ'on écrit , ouvrit une brèche dans
le mur, assez large pour favoriser un
assaut. Les Turcs se défendirent avec
une intrepidité rare chez les meilleures
troupes. La garnison , composée de 8400
hommes, etnon de12000, s'est fait hacher
sur lesdébris de la forteresse; 6000Turcs
yontpéri , et le reste , blessé en partie ,
demeure prisonnier de guerre. Cette attaque
sanglante a coûté aux Russes plus
de3millehommes; le Prince Wolkonski
est au nombre des morts.
Il étoit temps , sans doute , que les
Russes partageassent les pertes de la
guerre, que nous avons seuls supportées ;
mais aussi ils en conservent les avan
(157)
tages. Choczim , il est vrai , nous est
resté, avec cinq districts de lahauteMoldavie
; la meilleure et la plus grando
partie de la Province compose le lot
de nos Alliés.
On a luici descopies d'une lettre écrite
àTrieste ,par unde nosOfficiers, nommé
Silvestre Ouzelx, prisonnier de guerre
à Constantinople , et dans laquelle il
raconte à son frère sa destinée , ainsi
que les circonstances de la première irruption
des Turcs dans le Bannat.
a Réduit à l'extrémité de la misère , écrit-il ,
il me reſtedu moins la conſolation de faire ſavoir à
mon tendre Père, à toute ma famille& à mon pays,
quejefuis encoredu nombre des vivans. C'eft à la
fatale affaire d'Orsova que j'ai été fait prifonnier
deguerre avec un Capitaine de notre régiment
Reiski & 300 foldats. J'avois reçu deux bleſſures ,
mais légères , l'une à la tête , l'autre à la cuiffe ,
& j'en tus bientôt guéri. Nous avions en une
rencontre le 7 août avec les Turcs , vers leVieux-
Orfova, dans le Bannat Notrerégiment avec deux
bataillorsdes chaſſeurs, reſta pendant tout le jour
&la nuit ſuivante, vis-à-vis les frontières ennemies
, ſéparées ſeulement par le fleuve Tavao , qui
encetendroit eſt ſi large, que le canon peurdifficilement
atteindre larive oppoſée. Pendant toute
la journée, les Turcs tirèrent soixante coups ,
qui tous tombèrent dans l'eau . Mais vers l'aube
du jour , nous fûmes furpris, par une calonnade
bien plus violente & par un nombre de Turcs
très- conſidérable , qui étoient partis de Widin , où
ſe trouvoit alors le Grand-Viſir avec 200 mille
hommes. Les ennemis furieux nous entourèrent
de tout côté , excepté par la route qui conduit à
( 158 )
Mehadia, & engagèrent l'action. Nous étions ferlement
3400 , le nombre des Turcs étoit de 20
mille. Ne pouvant faire uſage de nos canons ,
nous dûmes les abandonner , ainſi que tous les
bagagesdu régiment. Lecombat fut des plus acharnés&
dura huit heures , avec la même activité de
•part& d'autre pour le feu de moqueterie ; mais
malgré tous ros efforts, nous ne pûmes nous retirer
à Mehadia , ainſi que nous en avions l'ordre
de S. M. Nous perdimes en cette occafion un
grand nombre d'officiers& de ſoldats ; & c'étoit
un ſpectacle auſſi hideux que lamentable , de voir
la terre jonchéede tous ces cadavres ſans têtes. Un
Turcalloit aulli abattre la mienne, fi um Pacha ne
lui eût ordonné à propos de me ſauver la vie. Il
ſe contenta de me dépouiller , s'empara de dixhuit
ducats dix florirs ,&de deux montres que j'avois
fur moi . Une demi-heure avant la bataille ,
j'avois envoyé mon domestique avec deux chevaux
à Mehadia; mais il fut rencontré des Turcs
&j'eus la dou'eur de voir ſon corps encore
tout ſanglart , que je pus à peine recornoître , ſa
tête ayant été coupée. Nous fûmes enchaînés au
nombre detrente-cing , deux-à-deux , au col & au
pied droit ,& conduits fur des chariots , n'ayant
pendant la route , pour route nourriture , que du
pain& de l'eau. Arrivés à Conſtantinople ,nous
pensâmes être écrasés parla multitude , ma'gré une
eſcorte de 200 Ja iſſaires qui l'écarroit. On nous
conduifit au Bagne ,& une re quête préſentée au
Caïmacan me valut bientôt la douceur d'être dé
livré des chaines peſantes dont on m'avoit chargé.
On m'enferma dans une chambre cù nous ſommes
douze officiers , & cù rous avons à peine de quoi
repoſer notre tête. La fèvre m'a forcé de garder
le lit pendant quinze jours & perdant ce
⚫ temps , j'eus pour tout remède & toute nourriture
deuxportions de lait chaud par jour , & de
:
,
?
( 159 )
L
la limonade. Une fièvre aiguë me menaçoit de la
mort , mais finalement je ſuis hors de danger ;
& quoique les peines que j'ai foufferies & que
je ſouffre, foient au-delà de toute deſcription je
lesoublie&je les pardonne , puiſqu'il m'eſt permis
de vous écrire, &cityt
,
Le Comte de Brainer est désigné
pour aller résider à Copenhague en
qualité de Ministre plénipotentiaire .
De Francfort sur le Mein, le 10 janvier.
11 L'hiver actuel n'est pas moins remarquable
par son universalité que par şa
rigueur, L'Europe presqu'entière a été
couverte de neiges vers le milieu de
décembre dernier; les plus grands fleuves
, telsque le Rhin , le Danube, l'Elbe ,
la Tamise , le Rhône , la Gironde , gelés
dans une grande partie de leur cours ;
et presque par-tout on a éprouvé un
froid comparable à celui des hivers durs
de la Suède .
Nous rapporterons les observations
du thermomètre en divers lieux , en
avertissant qu'on ne peut cependant
en tirer aucun résultat exact. Ces observations
comparatives pèchent par la
différence des instrumens que l'on emploie
, la plupart fabriqués avec peu de
soin ; irrégularité dans le calibre du tube ,
inexactitudes dans la graduation , diffërences,
dans, l'exposition du thermometre
, insuffisance des thermomètres à l'es
(160 )
prit-de-vin , condensation non calculée
du mercure à un certain degré de froid ,
etc.: voilà autant de causes d'imperfection
que lesbons(Observateursseuls savent
prévenir. Pour avoir une indication juste
du froid absolu, il faudroit l'observer en
plein air et dans les champs : on sent
que l'observation faite dans une ville
populeuse , ne peut indiquer que le froid
relatif qu'on y a ressenti .
C'est vers la mi- décembre que la
neige a couvert l'Empire"; mais elle a
été beaucoup plus abondante dans la
Haute-Allemagne. Le 19 , à 8 heures du
matin , le thermomètre de Réaumur
descendit à Munich à 21 degrés. Le 15,
à Dresde , à 24 et demi ; le 16 à 21 , le
17 à 25 trois quarts; à Leipsick , même
jour , 22 degrés. Dans la Franconie , à
Erlang , Anspack, Bareith , 23 degrés.
Le Landgrave de Hesse - Cassel a
permis aux Catholiques de Marbourg ,
l'exercice du culte privé, et fixé un trai
tement annuel à un Prêtre Catholique
du diocèse de Mayence , qui célébrera
le service divin. Le premier office l'a
été le 14 Décembre dernier.
Des lettres de Berlin assurent que
l'état malheureux du Roi d'Angleterre
ne changera rien dans le systéme politique
qui a été adopté. L'Angleterre ne
peut se passer de l'alliance de la Hollande
, et les intérêts actuels de cette
République sout si intimement liés à
( 161 )
ceux de la Prusse , qu'aucun Ministre
Anglois , quel qu'il puisse être , ne sera
assez imprudent pour y apporter la
moindre altération. A ces considérations
se joignent encore d'autres circonstances
, qui assurent pleinement l'effet des
alliances qui ont été contractées.
Ces lettres ajoutent , que la Porte
Ottomanne n'est pas éloignée de faire
avec l'Empereur un traité séparé , dont
les préliminaires sont déja projettés ,
mais sous la condition que la Prusse se
chargede la médiation , qu'elle devienne
garante du traité , et que l'Empereur
donne à la Porte toute sureté pour la
conservation de la paix.
Le Roi de Prusse a donné au Prince
Ferdinand, son oncle , la Prévôté du
Chapitre Cathédral de Halberstadt , vacanteparlamort
duMargravedeSchwedt.
Les Régimens d'Infanterie légère seront
augmentés. Le College supérieur de
guerre s'occupe de cet objet en ce moment.
• Pendant l'année dernière , on a compté ici
195 mariages , 898 naiſſances & 1,170 morts .
Lenombre des morts-nés a été de 56, & celui
des enfans illégitimes de 89. n
« AHanau , même année 1797, 91 mariages ,
356 naiſſances&435 morts. »
» A Manheim , 179 mariages , naiſſarces 708 ,
morts 864. »
« A Stutgard , 730 naiſtances & 631 morts.
ALouisbourg, 158 naitfarices& 167 mors >
(162)
ABerlin , depuis le rer. Avent 1787 ,juſqu'au
Ter. Avent 1788, 1,118 mariages, 5,108 naiffan-
*ces, dont 2,659 garçons & 2,449 filles , & 4,952
morts , dent 1.323 hommes , 1,210 femmes ,
1,311 garçons& 1,108 filles. Parmi lesnaiſſances
il s'eſt trouvé 299 morts-nés. »
4
!
ESPAGNE.....
De Madrid, le 4 décembre.
Le Testament du feu Roi est fort
long ; il contient quantité d'articles , et
ordonne beaucoup de largesses et d'aumônes;
nous en rapporterons une partie.
S. M. lègue :
3 mille piastres à l'hospice de cette
ville
2 mille à l'hôpital général .
2 mille au refuge.
I au S. Pini.
100 mille reaux au grand Arbalètrier.
2 millions de réaux à distribuer aux
gens de son service .
20 mille Messes à faire célébrer pour
le repos de son ame.
Un de ses plus beaux bijoux à chaque
personne du Sang Royal.
Quantité d'aumônes aux pauvres de
toutes les classes , et liberté au Prince
des Asturies de faire , tant à cet égard
qu'à tout autre , ce qu'il jugera convenable.
S. M. avant de mourir , recommanda
( 163)
1
au Prince et à son nouveau confesseur ,
de soulager son peuple en tout ce qu'il
pourroit , d'observer et de faire observer
soigneusement le culte de la Religion
, de faire donner la meilleure éducation
à l'Infant ; d'aimer tendrement
les Infantes , l'Infant Don Pedro , et de
conserver l'union et la paix entre la Famille
Rovale et ses sujets , etc.
Ce Monarque as dit-on , chargé de di
férens autres objets le Comte d'Aranda ,
qui resta seul avec lui pendant plus d'une
demi -heure. Enfin , comme S. M. mourut
avec sa pleine connoissance , Elle
employa ses derniers momens à faire
des exhortations , des recommandations ,
à donner des conseils à tous ceux qui
T'environnoient , avec une résignation et
une piété édifiantes .
Un instant après la mort du Roi,
les Infantes , qui étoient restées dans
son appartement , furent rejoindre le
Prince et la Princesse nos nouveaux
Souverains , et voulurent baiser leurs
mains , cérémonie à laquelle ils se
refusèrent en les embrassant.
Le Roi envoya le même jour 14 au
matin , ordre au Conseil de guerre de
faire ce qui est d'usage en pareil cas. II
se tint ensuite unConseildes dépêches ,
et successivement un Conseil d'Etat , en
présence de la Reine qui y assista , désirant
jouir à cet égard des priviléges de
la feue Reine.
(164 )
:
S. M. a fait plusieurs changemens
et quelques suppressionsdans saMaison .
La Reine a déja demandé la diminution
du prix du pain , de la viande , de
Thuile , et a dit qu'elle désiroit qu'on
employât à cette opération 30 millions
de réaux , provenant des économies ordonnées
par la suppression de diffërentes
charges dans la Maison du Roi.
ITALI Ε.
De Livourne, le 10 décembre.
«L'Abbé Spall.mrani a paflé par cette ville,
revenant du voyage qu'il vient de faire en Sicile
&dans les îles Eoliennes. Il apporte avec lui
35 caiſſes remplies de productions principalement
volcaniques , qu'il a recueillies lui-même fur
l'Etna & à Stromboli. Il s'embarqua le 29 du
mois dernier pour ſe rendre à Pavie , où il occupe
avec tant de réputation la chaire d'hiſtoire
naturelle , &le poſte de Directeur du Muſée de
P'univerſité de cette ville.»
«Les Pères Mineurs-Obfervantins-Miffionnaires
à Conftantinople , mandent un trait de justice
du Grand-Seigneur , auquel ils ont donné lieu.
Les circonstances actuelles ayant forcé le Mipiſtère
Ottoman d'impoſer ſur les peuples une
contribution extraordinaire pour fubvenir aux
fraisde la guerre, les Commiſſaires avoient exigé
deux fois des Pères de la Miſſion qu'ils euſſent
à la payer. Le Père Préſident ayant fatisfait à
cette demande , on la renouvela une troiſième
fois. Les Religieux conſternés ont fait au Miniſtère
Ottoman des repréſentations qui ont été
( 165 )
écoutées : il leur a été delivré un referit du
GrandSeigneur , par lequel Sa Hauteſſe déclare
qu'elle n'a jamais ordonné , ni même penſé à
ordonner de les foumettre à la taxe commune ,
attendu qu'Elle étoit bien fûre qu'ils n'avoient jamais
prie Dieu pour la deſtruction de ſon empire.
Enfin le reſcrit ordonne de reftituer aux
Pères Miffionnaires tout ce qu'on avoit exigé
d'eux.
1'
GRANDE-BRETAGNE..
11)
De Londres , le 10 janvier.
1
b
1
Ily ahuit jours que les Communes en
grand Comité devoient délibérer sur les
restrictions aux pouvoirs du Régent, et
terminer ainsi l'orageuse question de cet
établissement , lorsqu'un incident inattendu
a de nouveau retardé cette conclusion.
Après la circonspection noble
et décente , après les ménagemens dont
les deux Chambres s'étoient piquées à
l'envi , en s'occupant de la perte inappréciable
que souffre la Nation par la
maladie de son Chef, on ne devoit pas
croire que , sans nécessité , et par esprit
departi, on rameneroit de nouveau cette
maladie et le Roi en spectacle. Cependant
cela est arrivé le 6. Plus de cinq
cents Membres s'étoient rendus à la délibération
, et la motion pour lire l'ordredu
jour étoit faite , à l'instant ou M.
( 166 )
Loveden, représentant d'Abingdon , arrêta
la discussion. Ce Membre , du nombre
de ceux qui se qualilient d'independans,
et dont plusieurs , dans les débats
sur la Régence , ont voté contre l'indé
pendancedu Parlement, commença par
se féliciter d'être un Agent libre , détaché
de toute affection , supérieur à toute
influence de parti : divers bruits , continua-
t-il, couroient sur la santé du Roi ;
il s'étoit répandu qu'on n'en donnoitpas
des nouvelles justes ; les uns le disoient
mieux , d'autres aussi mal; par conséquent
il faisoit la motion : « Qu'on réexaminat
les Médecins de So M. ,
>>> pour qu'ils eussent àinformer laCham-
>>bre , si les symptômes annoncés de
>>>convalescence , fournissoient matière
>> aux espérances. >>> : にい
-M. Loveden n'avoit pas encore cessé
de parler , quand l'Opposition lui cria de
tous côtés , faites la motion !faites la
motion! LeChancelier de l' Echiquier ,
en rappelant celle que portoit l'ordre
du jour , rappela en même temps cel
qu'avoient allégué ses Adversaires contre
les retards d'une décision sur le fait de
laRégence , et la nécessité de rendre sans
délai au Gouvernement son énergie et
son efficace. Il représenta quele rapport
des Médecins sur l'incapacité de SOM
àgérer les affaires publiques , avoit dé
terminé les précédentes résolutions, de
la Chambre ; que l'état du Roi , depuis
( 167 )
:
un mois, n'avoit pas changé assez sersiblement
pour les infirmer , et qu'il
croyoit urgent de demander la lecture
de l'ordre du jour. Alors M. Fox ouvrit
une scène étrange , en dissertant ,
en épiloguant sur la maladie du Roi , en
se récriant contre les rumeurs qui bercoient
le peuple de fausses espérances ,
et qui parloient d'une convalescence
dont ilne restoit pas la moindre probabilité.
Il falloit donc constater cette
incurable infirmité par un nouvel
appel des Médecins , qui terminat les
sots propos du Ministère et du Public.
M. Burke enjamba sur ce premier pas ,
en recommandant à la Chambre de faire
attention àl'autorité d'un des Médecins ,
contraire aux espérances qu'on avoit
concues , et cela, dit-il , avant de couper
et de découper le Gouvernement, com
me l'on couperoit une curée pour des
chiens , plutôt que d'en faire un holocauste
aurDienx. Une huée presque
générale ayant suivi cette noble, com- "
paraison , M. Burke la répéta , la commenta
, et alloit s'épuiser à démontrer
que plus il s'écouloit de temps dans la
maladie du Roi , plus elle devenoit incurable
, lorsque la Chambre repoussée ,
en témoignant son dégoût , mit fin a
ces savans pronostics de l'Orateur. M.
Bastard, autre indépendant , vota contre
la motion de son confrère; ensuite
M. Vansittart s'étant avisé de deman
১৯
( 168 )
der le nom du Docteur qui avoit si bien
instruit M. Burke, celui-ci désigna le
Docteur Warren , au nom duquel la
pluralité de la Chambre partit du cri
de réprobation , écoutez ! écoutez ! M.
Burke s'enflamma ; il accusa les Ministres
de fonder un misérable et plat
Gouvernement sur la calomnie et l'imposture;
il ne leur appartenoit pas de
dérober la réputation d'un Médecin ;
puis une kirielle de mots aussi sonores ,
terminés par un solide et long panégyrique
du Docteur Warren, panégyrique
que Milord North paracheva
Cette délibération sur la puissance du
Régent de l'Etat , convertie en amplification
virulente sur le mérite d'un Médecin
, prenoit une tournure qui obligea
M. Pitt à prendre de nouveau la parole
avec beaucoup de modération. » L'habileté
générale du Docteur Warren, dit-il,
<<n'a été contestée par qui que ce soit ;
<< mais j'affirme que, dans le cas spécial
<<de l'infirmité présente de Sa Majesté ,
<<l<es talens de ceMédecin sont fort au-
<<dessous de l'expérience de ceux des
<<gens de l'art , exclusivement adonnés
<<au traitement de ce genre de maladie :
< mon opinion à cet égard , reposel sur
<<'unecautorité incontesable, sur celle du
<< Doéteur Warren lui-même , qui nous
<<<aduclaré , danssonrapport , qu'ilavoit
<<< toujours cru nécessaire d'appeler et
<<de consulterdes Médecins plus versés
que
4
(193)
<< que lui dans la cure de l'insanité.
<< Au surplus , quoique je persiste à juger,
<<déraisonnable et impolitique le nou-
<<veau délai que l'on apporte à la déci-
<<sion de la Régence , les discours étran-
<<ges que nous venons d'entendre , me
<<<font une loi de demander moi-même
<< unnouvel interrogatoire desMédecins .
<< Unnoble Lord (le Chancelier) aparlé
<<dans la Chambre Haute , du soulage-
<<<ment actuel de Sa Majesté. Je confirme
<< cette assertion, et l'on ne supposera
<< pas , sans doute, que je le fasse sans
être bien informé. Seulement ,
mande que , par respect et par deliy
« catesse , les, Médecins soient entendus
<<devant le Comité secret . >>
«
«
jede
M. Palteney s'étant récrié sur la motion
, et persistant à demander qu'on revîntà
l'ordre du jour , M. Pitt le supplia
de ne point diviser la Chambre , et de
voter avec luipour le second examen des
Médecins ; ce qui fut agréé. M. Sheridan
demanda , paramendement, qu'on ajoutat
à l'examen des Médecins , celui de
toutes les personnes capables de donnerdes
informations.Cet amendement,
auquel le Ministre et d'autres s'opposerent,
fut rejeté par une majorité en leur
faveur de 80 suffrages , 221 contre 141.
La motion originaire et simple étant
admise, on nomma le Comité secret , et
cet examen des Médecins a été continué
jusqu'à hier.
N°. 4. 24 janvier 1789. 1
رپ
( 194 )
L'attente du rapport qui en résultera ,
et dont nous présenterons la substance
en son temps', nous oblige à différer toute
annonce nouvelle sur la santé de S. М.
Puisque les Communes même sont divisées
à cet égard , il seroit indiscret
d'anticiper sur le jour où la vérité
sera légalement éclaircie. Les derniers
bulletins continuent à annoncer de bonnes
nuits , et de grands intervalles de ealme.
Hors de ces récits vagues , toutlereste
est devenu un sujet de contestation :
Ja maladie du Roi sert d'instrument à
Pintérêt des partis , dont l'un attaché à
Phéritier de la Couronne, indique trop
ouvertement le désir de voir à jamais le
Roi hors d'état de reprendre le gouverñail
, et d'en écarter ceux qui sont prêts à
s'en saisir. Parmi lesinsignes lachetésde ces
passions politiques, il faut compter trente
paragraphes mercenaires , dirigés contre
leDocteur Willis. On ne lui pardonne
ni sès espérances , nì sơn courage , ni
peut-être son habilete. Quant au Docteur
Warren , dont il a été question
dans les Communes , il est Médecin dù
Prince de Galles : ni lùi , ni le Chevalier
Baker , qui ont conduit S. M. avant
Farrivée du Docteur Willis , he paroissoient
avoir dans le cas actuel la con-
Hance du public, au même degré que ce
Cernier.
Suivant une liste prématurée , qui
eircule dans quelques papiers publics ,
( 195 )
les co-partageans de l'ample moissondont
le nouveau Régent sera le distributeur ,
ont arrangé les lots de la manière suivante.
Ils mettent le grand Sceau en
commission dans les mains de Lord
Lougborough du Chevalier Hotham
, etc. La présidence du Conseilprivé
sera donnée , soit à Lord Thurlow,
Chancelier actuel , s'il veut accepter
cette charge , soit au Vicomte de
Stormont ; M. For sera Secrétaire d'Etat,
ainsi que Lord Stormont ou Lord
Malmesbury, ci-devant Chevalier Harris
; M. Sheridan , Trésorier de la
Marine et chef du bureau de contrôle
M. Burke, Trésorier Général de l'armée;
le Duc de Portland, premier Lord de la
Trésorerie; Milord Spencer , Vice - Roi
d'Irlande ; le jeune M. Grey , Secrétaire
de la guerre , ect. ect.
On est généralement convaincu, et ,
à ce qui paroît , sur des fondemens solides
, que ce changement dans les places
n'en entraînera aucun dans la politique
extérieure , au systême actuel de laquelle
les Ministres à venir professent
de vouloir rester, invariablement attachés
: l'assurance , à ce qu'on ajoute , en
amême formellement été donnée par le
Prince de Galles , aux Cours alliées de
l'Angleterre. : 1. L
Le Roi étoit dans l'usage d'envoyer
chaque hiver 1000 liv. sterl. aux pauvres
dela Cité , et le Prince de Galles a suivi
i ij
( 196 )
cet exemple , que la rigueur de la saison
rendoit encore plus nécessaire. Comme
çe présent a été fait à l'instant où les
marchands de Londres s'assembloient
pourdélibérer sur une adresse de remercîmens
à M. Pitt , la malignité a attribué
l'à - propos de cette démarche aux
vuesintéressées desConseillers de S. A. Rqui,
depuis , a fait uneseconde donation.
L'Assemblée de ces Négocians , Marchands
, Boutiquiers , au sujet de l'Adresse
, a été aussi bruyante que scandaleuse.
Un apothicaire , nommé Stock,
s'étant avisé de pérorer contre la conduite
des Communes , etdefaire des phrases d'apothicaire
sur la législation , une huée
universelle l'a renvoyé àson premierétat.
Plusieurs autres personnes ont tenté
vainement de se faire entendre. En résultat
, deux voix contre une ont adhéré
à l'adresse : l'Opposition ayant demandé
le scrutin , on le lui a refusé : sur quoi
lorsque la salle a été vide de Votans
ministeriels , leurs antagonistes ont teņu
seance, ont sentencéle Président et rejeté
l'adresse . Ce qu'il y a de certain , c'est le
tapage de ce Concile bourgeois , troublé
par les intrigues des esprits violens des
deux partis. Depuis son issue , plus de
mille signatures des principaux Négocians
ont été déposées à la Taverne de
Londres, en faveur de l'Adresse , qui sera
présentée.
M. Pitt et lesautres membres de la
( 197 )
Trésorerie, ont signé l'ordre de payer
les dividendes échues des divers fonds
publics , montant pour le dernier semestre
à deux millions sterlings .
«Les Lords de l'Amirauté ont mis en Commiſſion
la frégate la Pénélope , de 32 canons , à
Plimouth , &le commandement en a été donné
au Capitaine Linzee. »
<<Tous les vaiſſaux de guerre qui font revenus
de la Station de Terre- Neuve avec le contre-Amiral
Elliot , font retirés de Commiſſion & mis en
ordinaire. Le Salisbury de 50 , ſur lequel étoit arboré
le pavillon amiral , ſera complètement réparé
à Portsmouth. La conſtruction des vaiſſeaux de
ligne& des corvettes ci-deſſous , a été ordonnée
dans les différens chantiers de S. M. , & les quilles.
en feront poſées au commencementdu printemps.
Ces vaiſſeaux font ,
La Ville de Paris de 110 canons. à Chatham.
Le Dreadnough: de 98 à Portsmouth .
LeFoudroyant de80 à Plimouth.
LeCentaure de74
à Woolwich .
LeMars de 74 à Deptford.
LeFai ry de 16 à Portsmouth.
Le RatuleSnake de 16 à Chatham.
LeMartin de 16 à Woolwich.
LePorcupine de 16 à Plimouth.
LeSerpent de 16 Ditto.
« L'Orion , vaiſſeau neuf de 74 , a été mis en
Commiſſion comme vaiſſeau de guerre , à Plimouth,
& le commandement en a été donné au
Capitaine Sutherland n
«On a reçu l'ordre à Chatham , d'y équipper
en toute diligence le Greyhound , de 32 canons.
»
(198 )
Le munitionnaire du vaisseau de la
Compagnie des Indes , le Hillsborough,
alapporté , le 7, à l'Hôtel de la Compagnie,
la nouvelle de l'heureuse arrivée de
ce yaisseau à la hauteur de Plimouth ,
venant de Bencolen.
Nous n'avons pas encore les observations
météorologiques sur le froid ,
faites ici et àGreenwich ; mais on sait
qu'il a surpassé celui de 1740. La rivière
Shannon en Irlandea étéglacée. Endivers
lieux , entre autres au pont de Patney ,
au - dessus de Londres , la surface de la
Tamise entièrement prise , a porté une
quantité de curieux qui , à pied sec ,
ont traversé à l'autre rive. Vis-à-vis de la
rue de Windsor, on a établi sur la rivière .
des boutiques de joujoux; de marchandises
et de liqueurs. C'est une foire sur la
glace , qui , du matin au soir , présente
le spectacle d'une multitude de passans ,
et d'une espèce de fête d'un genre assurément
fort singulier. Des Matelots et
des Ouvriers ont fait rôtir sur la rivière
un gros porc , deux moutons , et cuire six
plumb puddings , avec lesquels ils ont
fait bonne chère sous des tentes. On a
fort exagéré dans l'étranger ce qui a été
dit de l'étendue de la glaçe sur nos côtes.
Celles deFrance, il est vrai, plús exposées
au Nord, ont été gelées à deux ou trois
milles de distance de divers ports .
- Autrefois ,le Roi & le Chancelier prononçorent
leurs difcours aux Communes avant qu'on
(109 )
ent choifi Porateur ; mais il paroît que , depuis
la révolution , cet uſage a ceffé. Le Roi ordonne
maintenant aux Communes de choifir leur Orateur
, && enfuite il prononce fon difcours. Parmi
les cérémonies d'uſage lors de fon élection , il
eneſt une qui confifte à le faire affeoir dans foa
fauteuil. En pareille occafion , fous le règne
de Jaques premier , il arriva au parlement d'Irlande
, que deux Candidats ayant partagé la
Chambre , chaque parti voulut affeoir de force
l'homme de fon choix. Le parti de la Cour ayant
placé le premier ſon Qrateur , le parti de l'Oppostionplaça
le ſien ſur les genoux du premier &
le proclama Orateuri Il ferpit ſuivi de cer acharnement
un confit peut-être fatal , fans la prudence
du partide la Cour , qui arrangea les choſes
à l'amiable, »
L'Orateur de la Chambre des Communes eſt
le premier Gentleman d'Angleterre , & prend rang
immédiatement après les Barons , & avant les
fils aînés des Vicomtes. Il prend auſſi le pas sur
tous les Confeillers , les Chevaliers de la Jarretière
non Pairs , les Juges , &c. Ses travaux font
ordinairement récompenfés par la Pairie.
Les appointemens de l'Orateur ſont de 7 à 8
mille livres ſterlings (184,000 liv. tournois) fans
comprer les émolumens que lui procure ſon crédit.
i est vrai que cette place exige une grande
connoiſlance des formes parlementaires , beaucoup
de facilité à parler ,beaucoup de modération dans
le caractère, & for- tout une aflidnité aux féances
qui tient preſque de l'eſclavage.
Quoique les fonctions de l'Orateur ne confiftent
qu'en une Préſidence , relativement aux formes,
cependant ſon élection eſt regardée comme
la meilleure preuve de la prédominance du parti
qui l'a propoſé. Le Chevalier, Thomas Littleton ,
par allufion à ce que l'Orateur est appelé dans
iv
(200 )
les anciens écrits la Bouche des Communes , avoit
coutume dedire: « Que lorſqu'une Chambre des
«Communes avoit la bouche infecte , il étoit
«probable qu'elle porteroit un ſouffle empoisonné
«non-feulement ſur toutes les affaires difcutées
«dans la Chambre , mais encore au dehors. » Quelqu'un
diſant un jour devant le Docteur Swift ,
que le choix d'un Orateur n'étoit pas d'une grande
conféquence , puiſque ſon emploi ne conſiſtoit
qu'à parler toujours pour autrui , le Docteur obferva
: «Qu'en admettant cette propoſition , per-
«fonne ne voudroit faire choix , pour délivrer
» un meſſage , d'un valet dont l'intérêt & la façon
de penſer le porteroient à défirer que le
«méſſage manquât. » M. Grenville, qui vient
d'être nommé à cette place , n'a que vingt-neuf
ans. C'eſt une exception à la règle commune ,
très-honorable pour celui qui en eſt l'objet. »
FRANCE.
1
De Versailles , le 14 janvier.
Le9, le Comte de Puyſégur , Secrétaire d'Erat
de la Guerre , a préſenté au Roi , en qualité de
Membres du Conſeil de la Guerre , le Comte
de Schomberg , Lieutenant-général , & le Chevalier
de Coigny, Maréchal -de-camp ; le premier
remplace le Comte de Puyſégur; le ſecond
le ſieur de Fourcroy , qui a obtenu ſa retraite.
Le 10 , Mr. Vicq-d'Azyr a prêté ferment entre
les mains de la Reine , en qualité de premier
Médecin de Sa Majeſté.
Le Roi a nommé à l'Evêché de Grenoble ,
l'Abbé du Lau , Vicaire - général de Rouen ; à
l'Abbaye de Coulombs , Ordre de S. Benoît ,
diocèſe de Chartres , l'Evêque de Poitiers ; à celle
de Bolbonne , Ordre de Citeaux , l'Evêque de St.-
Papoul ; à celle de Rebais , Ordre de S. Benoît ,
( 201 )
diocèſe de Meaux , l'Abbé Péguilhan de Larbouſt ,
Confeiller d'État ; à celle de Saint- Chinian , même
Ordre, diocèſe de Saint-Pons, l'Abbé de Saint-
Geyrat , Vicaire- général du même diocèſe; à celle
de Maſſay , même Ordre , diocèſe de Bourges ,
l'Abbé Bourlet de Vauxelles , Lecteur , Bibliothécaire
de Monſeigneur Comte d'Artois ; & à
celle de S. Ambroix , Ordre de S. Auguftin ,
même diocèſe , l'Abbé de Vérone , Aumônier de
Monſeigneur Comte d'Artois; les Abbayes de
Maſſay& de S. Ambroix , fur la nomination &
préſentation de ce Prince , en vertu de fon Apanage.
Leurs Majestés & la Famille Royale ont figné
le contrat de mariage du Comte Charles de la
Tour-en- Voivre, avec la Comteſſe de Montiouet;
&celui du Vicomte de Raftignac , Colonel du
Régiment de Bourgogne , avec Mademoiselle de
Windt.
De Paris , le 22 janvier.
(
Arrêt du Conseil d'Etat du Roi , du
3janvier 1789 , pour suspendre , jusqu'au
3de février, laséance des Etats de Bretagne.
« Le Roi , informé du refus que font les Députés
du Tiers- état de ſa province de Bretagne ,
dedélibérer fur aucune affaire ,& notamment fur
une grande partie des demandes de Sa Majefté ,
en ſe fondant fur les restrictions apportées dans
le cahier de leurs charges , Sa Majefté auroit pu
dans ſa juſtice , caſſer les délibérations des villes
qui ſe ſont permis de lier ainſi , contre les lois
&les uſages de la Bretagne , le voeu de leurs Députés;
mais Sa Majesté étant inſtruite de l'eſprit
de diſſention qui règne dans la province , & qui
vient de ſe manifeſter à l'ouverture des Etats ,
iv
( 202)
d'ane manière répréneauble , El'e a jugé digne
de ia grande borté de ſupporter un retardement
dans la re trée de ſes revenus , plutôt que d'expoſer
l'ordre public & la tranquillité des Etats,
aux effets d'une méſintelligence dangereuſe : En
cos féquerce, & ma'gé les beſoins preſſans de
ſes finances , Sa Mareſté a pris la réſolution de
ſu pendre la ſéance des Etats juſqu'au 3 février ,
pendant lequel temps les Députés du Tiers-état
ſe reri eront dans leurs villes , à l'effer d'y recevoir
de nouveaux pouvoirs. Sa Majesté ne doute point
que les Municipalités , inſtruites chaque jour de
ſes diſpoſit ons équitables , & dir gées par unjuſte
ſentiment de reconnoiſſance , ne s'empreſſent à
lever les obftacles qui , en interceptant le cours
des affaires , cauſe oient un préjudice notable ,
&aux intérêts de la province & aux finances de
Sa Majeſté; &fi , contre toate vraiſemblance , le
Roi étoit t ompé dans ſon attente , Sa Majefté
ſe réſerve , après avoir eu connoiffance des nouvelles
délibérations des villes de Bretagne , de
ſtatuer ce qui lui paroîtra le plus conforme à fa
justice & au lien de l'Etat. Enfin , Sa Majeſté
déſirant de cálmer , en tour ce qui dépend d'Elle ,
les inquiétudes qui ſe ſont répandues dans une
province à qui E le a donné , dans tous les temps ,
des marques par iculières de fon affetion , & voulant
engager ſes Sujets de Bretagne à ſe confier
de p'us en plus à ta justice & à ſa ſageſſe , Eile
veut bien , dès-à-préſent, autor fer les trois Ordres
àne conſentir que pour le ter ned'une année ,
les demandes qui leur feront faites en ſon nom;
Sa Majeſté étant pleinement convaincue que ,
pendant latenuedes Etats-généraux & au milieu
des Diputés de la France aſſemblés , Elle pourra
concerter avec les nombreux Repréſentans de fa
province deBretagne, les moyens les plus propres
à affurer pour toujours le bonheur& la tranquilité
( 203 )
de cette province. Aquoi voulant pourvoir , &c.
&c. »
*Arrêt du Conſeil d'Etat du Roi , du 7 décembre
1788 , qui ordonne qu'à compter du rer.
janvier 1789 , les Louis fabriqués en exécution de
l'Edit de janvier 1726 , ne front reçus &payés
anx Changes & aux Hôtels des Mon oies , que
fur le piedde ſept cent quarante-trois livres dixſept
ſous ſeptdeniers le marc;& qui autoriſe tous
les Directeurs des Monnoies , fans aucune exception
, à fabriquer les nouvelles eſpèces d'or. >>
« Edit du Roi , du mois de novembre 1783 ,
qui ordonne une Fabrication de quatre-vingts mille
marcs d'Eſpèces de Billon pour l'ufage des îles
du Vent & Sous-le-vent , où elles auront cours
pour deux ſous fix deniers, »
Arrêt du Conseil d'Etat du Roi , du
11 janvier 1789, pour encourager , par
Primes , l'importation en France des
blés et des farines venant des differens
Ports de l'Europe.
« Le Roi , par for Arrêt du 23 novembre dernier
, a accordé une Prime à l'introduction des
blés&des farines qui viendroient des États-unis
de l'Amérique : Sa Majefté, diſpoſée à faire de nou
veaux facrifices pour le foulagement de ſes Peuples
, s'est déterminée à encourager aufii l'importation
desblé,&des farines qu'on pourroitenvoyer
enFrancedes divers Ports de l'Europe. »
« I. Ji ſera payé à tous les Négocians françois
ou étrangers , qui , à compter du 15 février prochain
jusqu'au 15 juin ſuivant , imposteront en
France des blés & des farines venant des divers
Poris de l'europe , une gratification de quinzefous
par quintal de froment , de douze fous par quintal
de ſeigle , & de vingt fous par quintal de fuine.
i vj
( 204 )
Leſdites gratifications ſerontpayées par les Receveurs
des droits des Fermes, dans les Ports du
royaume où leſdits grains & farines feront arrivés,
furles déclarations fournies par les Capitaines
deNavires , qui feront tenus d'y joindre une copie
légaledu connoiſſement. >>
« II. Tous les Navires indiſtinctement qui ,
pendant l'eſpace de temps ci-deſſus énoncé , importeront
dans le royaume des blés & des farines
provenant deſdits Ports de l'Europe , feront
exempts du droit de fret pour raiſon deſdites
importations. »
Arrêt du Conseil d'Etat du Roi , du 17
décembre 1788 , qui réduit à un quart
pour cent de la valeur, les Droits perçus
sur les Ouvrages d'Horlogerie à la sortie
pour l'étranger .
Arrêt du Conseil d'Etat du Roi , du 20
décembre 1788 , concernant l'exercice
des fonctions de Juges-Consuls.
Les observationsmétéorologiques faites
àMoulins , sur de très-bons thermomè
tres , nous donnent , du 24au 31 Décem
bre , les degrés de congélation suivans.
Le 24, ſept heures du matin ,quatorzedegrés
&demi.
Le 27 , ſept heures du matin , quatre degrés
&demi.
Le 28 , ſept heuresdu matin , 11 degrés&demi .
Le 29, ſept heures du matin , douze degrés ;
midi , huit trois quarts.
Le 30 , ſept heures du matin, quinze & demi .
Le 31,6 heures 42 minutes du matin , 18moins
un huit.
( 205 )
*APérigueux , le 28 Décembre à
neuf heures du matin, le mercure descendit
à 7 degrés et demi au-dessous de
la congélation .
Le 29, à huit heures trois quarts du
matin , à douze degrés ; à dix heures
du soir , à treize degrés demi-quart.
Le 30, à huit heures et demie du matin
, a treize degrés un quart.
Suivant le Journal de Normandie ,
le thermomètre fut , le 30 , à Rouen
àdix-sept degrés quatre lignes au - dessous
de la congélation , et l'auteur ajoute :
>>Cedegré de froid eft le plus confidérable qu'on
ait éprouvé en Normandie. Celui du février
1776 , n'étoit que de 16 d. au même thermomètre
(à mercure ) &à la, même expofition .
Heureuſement cet état de congélation n'a duré
que très-peu de temps. Dès dix heures du, foir
on avoit fenti , en obfervant les inftrumens météorologiques
, un coup de vent venant de l'eft
au ſud-eft, qui probablement a déterminé le changement
qui s'eſt opéré dans la nuit , puifqu'après
minuit il y avoit déja un degré de moins , &
que le lendemain, à ſept heures du matin , les
vents étoient fad, & le thermomètre deſcendu
à 12. Ce moment de grand froid a été précédé
de l'extinction lugubre de tous les réverbères
de la ville, avant neuf heures , le thermomètre
marquant déja 15 degrés de congélation. L'horizon
occidental s'étoit chargé de nuages rougeâtres ,
au coucher du soleil , & le lendemain , l'orient
étoit tout en feu aux premiers rayons de l'aurore.
"
« Les 26, 27 et 28 Décembre , la Gi-
>> ronde a charié beaucoup de glaces, ve(
206 )
1
>> nant de laDordogne , et plusieurs Bå-
>> timens à Pauliac , prêts à prendre
>> mer, ont été très-endommagés, Le 29 ,
>> la Garonne a elle - même beaucoup
>> charie. Plusieurs Navires se sont
>> échoués sur les vases. On a renforcé
>>> les amarrages des autres. Dans la nuit
>> du 29 au 30 , la rivière a été arrêtée ,
>> de sorte que tout commerce maris
>>time a été intercepté. On craignoit
>> alors à Bordeaux les plus grands ra
vages. »
Les Etats du Dauphiné , assemblés à
Romans , ont déja procédé à l'élection
de leurs Députés aux futurs Etats-généraux
, au nombre de 5 pour le Clergé ,
à la tête desquels est l'Archevêque de
Vienne , de 10 pour la Noblesse , et de
15 pour le Tiers- état. Le 7 , on avoit
déja nommé quatorze de ces derniers ,
tous Avocats ou Officiers municipaux ,
à la réserve d'un Négociant et d'un
Bourgeois . Il ne se trouve , dans leur
nombre, pas un Habitant de la campagne
, pas un Propriétaire de terres proprement
dit. La même Assemblée a ar
rêté des instructions strictes, des espèces
de mandats impératifs, et des défenses
non moins impératives à ces Députés.
De sorte que , si chaque Province suit
la même marche , il s'ensuivra qu'il y
aura autant d'instructions et de conciles
particuliers que de Provinces. Voici
comment les Affiches de Dauphiné rene
( 207 )
dent compte de cet acte des Etats ; nous
n'en retranchons que les éloges , qu'il ne
nous appartient pas de décerner .
« Le 31 Décembre , fur le rapport du travail
de la Commiffion , l'aſſemblée générale décide ,
en premier lieu , qu'il ſeroit payé à chacun des
Députés de la province aux Etats généraux , pendan
tout le temps de leur durée, & à compter
dehuit jours avant celui de lear ouverture , 12
livres par jour; & qu'au furplus , ils recevroie t
480 liv. pour frais de voyage , dont 240 livres
pour s'y rendre , & autant pour le retour. Enfuite
elle approuva le mandat ſpécial de ces Députés
, ou le réſumé de la conduite qu'ils doivent
tenir aux Etats-généraux , foit pour les intérêts
particuliers de cette province , ſoit pour l'intérêt
général du royaume , rela ivement à ſa conftitu
tion , qu'il s'agira ſans doute d'y régénérer &de
perfectionner. Ce mandatſpecial eſt , en très-grande
parcie , l'ouvrage de M. Mounier , fecrétaire des
Etats: il obtint l'unanimité des fuffrages. (1)>> 1
(1) u Voici ce mandatſpécial; mais nous préve
nons nos lecteurs , que la copie qui nous en a
éré envoyée , a été faite ſeulement d'après la
lectue publique , nous ne répondons pas , par
conféquent, qu'elle foit exacte. D'ailleurs , il y
apluſieurs lettres écrites deRomans, qui diſent
que toutes ſes diſpoſitions ne font pas encore dé
cidément arrêtées . n
« L'aſſemblée perfiſtant dans les principes
qu'elle a profeſſés dans ſa lettre au roi , du 8 novembre,
&z dans ſa délibération du 9 decembre ,
doans ma idat à MM.... de épréſenter la Province
aux Etars généraux du royaume; lear donce
( 208 )
Enfuite (le 1. janvier) M. Mounier fir lecture
des inſtructions& pouvoirs particuliers à donner
aux députés de la province , indépendamment de
-
mandat ſpécial de ne jamais ſe ſéparer en ordres
particuliers , de ne délibérer qu'en trois ordres
réunis , & de ne prendre ſéance aux Etats-généraux
, qu'autant que tous les Députés en auront
été librement élus ; que leTiersy fera en nombre
égal aux deux premiers ordres réunis ; qu'on ydé--
libérera en trois ordres ,& les fuffrages comptés
par têre ; & dans le cas où ils contreviendroient
à ce mandat , l'aſſemblée déclare les déſavouer ,
&& leur retirer ſes pouvoirs. Elle leur
donne mandat ſpécial , quand l'aſſemb'ée des
Etats-généraux ſera ainfi formée , de concourir
de tous les efforts de leur zèle , à procurer à la
France une heureuſe conſtitution , qui aſſure d'une
manière inviolable & facrée les droits du Prince
&des Sujets ; à tous les citoyens la liberté &
la ſureté individuelle ; qu'ils ne permettent pas
que la loi ſoit portée ſans l'autorité du Prince&
le confentement du peuple réunis dans des affemblées
nationales& périodiques;que les miniſtres ,
les tribunaux , ni aucun ſujet du Roi ne puiſſent
violer les lois impunement. - Qu'aucun impôt
ne puiſſe être perçu ſans l'octroi de la nation
dans les Etats-généraux , en préférant les
genres d'impôts les moins onéreux à la liberté
individuelle , & les plus facilement fufceptibles
d'être proportionnellement répartis fur tous les
ordres & fur toutes les perſonnes ; de procurer
la réforme des abus relatifs aux tribunaux , & à
Padminiſtration de la justice. - Leur défend expreſſément
de s'occuper des ſubſides avant d'avoir
aſſuré la conftitution , à moins que les circonftances
preſſantes n'exigeaſſent impérieuſement
( 209 )
-
cemandat; l'affemblée conclut avec lui , que l'on
devoit les borner , 10. à confentir les aliénations
des domaines de la Couronne , & à faire confirvante,
-
un fecours extraordinaire & momentané ; leur enjoint
de prendre une connoiffance exacte de la
dette publique , pour y proportionner les facrificesdes
ſujets. - Leur défendd'octroyer l'impôt
à temps illimité & autrement , que pour l'intervalle
d'une aſſemb ée d'E ats-généraux àla fui-
Leur laiſſe la liberté de ſuivre les
mouvemens de leur honneur & confcience dans
tout ce qui ne fera pas contraire au mandat cideſſus,
en conſultant eſſentiellement dans toutes
leurs démarches , ce que la justice , l'eſprit de
modération , l'amour & le reſpect pour la perſonne
ſacrée du Roi , la conſervation des propriétés,
la liberté & l'honneur du peuple Français
leur inſpireront. -Et comme rien de ce
qui peut intéreſſer la dignité de l'homme ne peut
être étranger à l'aſſemblée , en reſpectant les juſtes
prérogatives dela préſéance due aux deux premiers
ordres , elle défend expreſſément à ſes députés
de confentir à aucune des distinctions humiliantes
qui avilirent les communes dans les précédens
Etats-généraux. »
«Ce mandat ſpécial annonce des inſtructions
particulières & de détail auxquelles les Députés
ſe conformeront, ſi les circonstances le permettent.
Il eſt terminé ainfi : " Quoique la province
ait abandonné l'exercice d'une partie de ſes droits
particuliers , pour les exercer conjointement avec
le reſte du royaume , elle ſe les réſerve néanmoins
expreſſement , dans le cas où les Etats-généraux
ne parviendroient pas à établir une conſtitution
ſtabie , & conforme aux voeux énoncés
dans ce mandat. » ( Affiches de Dauphiné.)
(210 )
mer celles qui ont été faites dans cette province ,
2º. à demander la deſtruction des entraves qui
s'oppoſent aux progrès de l'induſtrie&du commerce;
3°. de demander la faculté de racheter
les péages qui obftruent & gênent la liberté du
commerce ; & 4°. à faire prendre en conſidéra
tion le grand nombre de roures que le Dauphiné
eſt obligé d'entretenir & de faire , quoique la
plupart ne fervent que pour le paſſage des troupes
, & qu'il n'en tire d'ailleurs aucune utilité ;
ainſi que le grand nombre des ouvrages d'art qui
lui font occafionnés par ſes montagnes & fes
torrens. Cependant il fut , de plus, ſtatué d'inviter
tous les bons patriotes à faire des mémoires
fur les divers objets d'utilité pour cette province ,
&de les adreſſer à la Commiſſion intermédiaire
àGrenoble. M. Mounier termina ſes obfervations
&ſes réſultats , par la propoſition de faire jurer
fur l'évangile les Députés , qu'ils obſerveroient
avec zèle , honneur & fidélité , toutes les obli
gations preſcrites par le mandat & les pouvoirs
cete propoſition fut adoptée par de grandes &
gé érales acclamations. »
Deux Pères de famille ,de Chevreuse ,
l'un , nommé Baudouin, âgé de 60 ans ,
et l'autre , Tassoureau , âgé de 45, allè
rent ensemble , le 31 décembre , au marché
de Bucq , distant d'environ trois
lieues, pour y vendre leurs marchandises.
Ils se remirent en route avant d'avoir
diné , espérant trouver du pain dans
quelque ferme sur la route. Le froidet
la faim les assaillirent ; ils abandonnèrent
leurs chevaux , et ne purent trouver de
nourriture . Baudonin alloit tomber en
défaillance ; le généreux Tassoureau ,
( 211 )
très-souffrant lui-même , le porta sur son
dos , l'espace de deux lieues. Après avoir
déposé son fardeau dans un moulin vois
sin de la ville , il courut à Chevreuse
chercherdes secours . Il rencontra son fils
et celui de Baudouin , que le retour
des chevaux sans les Cavaliers , avoient
alarmés . Les jeunes gens rapportèrent
Baudouin chez lui totalement gelé ;
comme on a eu l'imprudence de l'approcher
du feu , il est douteux qu'il en
réchappe . Tassoureau , victime de sa
généreuse sensibilité , a les extrémités
gelées , et éprouve aussi les dangereux
effets des topiques chauds. Ceux qui
s'intéresseroient au sort de ces deux infortunés
, peuvent adresser leurs secours
à M. Moutardier, Procureur au Parle
ment , rue du Four Saint - Honoré , à
Paris... :
Les Numéros sortis au Tirage de la
Loterie Rovale de France , le 2 janvier ,
sont : 34, 53, 55, 18 , 37. Ceux du 16 ,
sont : 3, 11 , 35,82 , 12,
PAYS - BAS .
:
L
De Bruxelles , le 17 janvier.
:
1.1
Depuis le 4 jusqu'au 8, le froid, par
un vent d'Est , devint excessif sur nos
côtes. Le port d'Ostende fut gelé assez
fortement pour qu'on pût traverser la
( 212 )
glace à pied et à cheval. La Mer a été
prise jusqu'à quatre lieues de distance
des fortifications extérieures de cette
place , dont aucun Navire ne pouvoit
approcher. Vainement divers Bâtimens
pêcheurs et marchands ont essayé d'entrer
dans le port. Le 6, un bateau chargé
de 5 hommes de l'équipage d'un de ces
Navires , a péri au milieu des glaces.
Il a été impossible de les sauver , malgré
l'offre de 150 ducatspar personne , qu'ont
faite les Magistrats à ceux qui voudroient
secourir ces infortunes.
Durant l'année dernière , il est entré
dans ce même port d'Ostende 1009 Navires,
et il en est sorti 984.
La Cour de Vienne a ordonné d'établir
dans l'Electorat de Cologne , des
magasins de blé et de fourrage. On sait
aussi que la Régence du Vezel a reçu
une Patente du Roi de Prusse , qui enjoint
de rassembler , avant le printemps ,
des munitions de bouche pour 40 mille
hommes.
Nous recueillerons ici , de suite , quelques-
unes des observations météorologiques
faites le mois dernier en Allemagne.
• A Hanovre , ſur le thermomètre de Fahrenheit,
expofé au nord & à l'air libre :
Le2, temps clair , au lever du ſoleil , 11 degrés
au deſſus deo , à midi 15 degrés au deſſus , à 1
heures du ſoir 5 degrés au deſſus.
.. Le4, temps couvert , au lever du ſoleil, 5 degrés
(213 )
au deſſus , à midi 19degrés au deſffs,à ro heures
da foir 19 degrés au deſſus.
Le6 , temps clair, au leverdu ſoleil, 14degrés
au deſſus , à midi 18 degrés au deſſus , & à 10
heures du ſoir 7 degrés au deſſus.
Le7, temps couvert , au leverdu ſoleil, 2degrés
au deſſous de o , à midi 8 degrés au deſlus , à
10 heures du ſoir 7 degrés au deſſus.
Le8 , temps couvert , au lever du foleil , 15 degrés
audeſſus , àmidi 23 degrés au deſſus , à 10 heures
du ſoir 6 degrés au deſſus.
Le9, temps couvert , au lever du ſoleil , 4 degrés
audeſſus , à midi 20degrés au deſſus , à 10heures
du ſoir 15 degrés au deſſus.
Le14, temps couvert , neige , au lever du ſoleil,
6degrés au deſſous , à midi 9 degrés au deſſus ,
à 10heures du ſoir 3 degrés au deffus.
Le 15 , temps clair , au lever du ſoleil , 1 degré
au deſſous de o , à midi o , à ro du ſoir 16 degrés
au deſſous .
Le 16, temps couvert , au lever du ſoleil , 20
degrés au deſſous , à midi 9 degrés au deſſous
à to heures du ſoir 17degrés au deſſous.
Le 17 , temps clair, au lever du ſoleil , 5 degrés
au-deſſous , à midi 5 degrés au deſſus , à 10heures
du ſoir 2 degrés au deſſous.
Le 18 , temps couvert, neige , au lever du ſoleil,
5 degrés au deſſous ,à midi 14 degrés au deſſus ,
à to heures du ſoir 17 degrés au deſſus,
Le 22, temps couvert , au lever du ſoleil , 18
degrés au deſſus , à midi autant , à 10 heures du
foir 9 degrés au deſſus.
Cematin, au lever du ſoleil , I degré au deſſus
de o.
Depuis le 24 novembre , il a gelé nuit&jour.
Brème , du 17 décembre. Depuis le 1er. de ce
mois , l'hiver eſt ici plus rigoureux qu'il n'étoit dans
les années 1740 & 1783. Le thermomètre de
(214)
Fahrenheit , le 13 à midi , detcendit à 4 degrés au
deſſous de o ; le ſoir il eſt remonté à 12 degrés
au deſſus de o. Le 15 au matin , il marqua un
degré au deſſous de 0 , & 4 au foir; le 16 , à7
heures &demie du matin, il deſcendit à 12 degrés ,
&à 9 heures & demie à 14 trois quarts. Ce
froid exceffif a diminué ſur le foir; le thermomètreremontajuſqu'à
5 degrés au deſſous de o;
le vent étoit S. S. E. En 1740 , le plus grand
froid fut 4 degrés au deſſous de o, mais il dura
long-temps ; le plus grand froid , en 1783 , fut le
31 décembre au matin , 8 degrés au deſſons de o,
mais il neduratel que juſqu'à 10 heures.
Dreſde, mêmedate. Le 9 au matin , le thermo
mètre de Réaumur marquoit 20 degrés au deſſous
de o , & 16 au foir; le 10 au matin io &
demi , & 2 & demi au foir ; le 11 au matin 2
trois quarts , & 2 au foir ; le 13 au matin 9 , &
7& demi au foir; le 14 au matin 18 & 20 au
foir ; le 15 au matin 24& demi , & 23 au foir;
le 16 au matin 21 & 19 au foir , & ce matin 25
degrés trois quarts. Le plus grand froid qu'on ait
éprouvé ici dans ce ſiècle , fut le 28 janvier 1776 ,
où le thermomètre defcendit à 26 degrés &demi.
L'Elbe eſt entièrement couverte de glace ; elle
porte des chariots de tranſport. L'on trouve fur
les routes beaucoup de perſonnes mortesde froid;
des foldats ont été relés à leurs poſtes.
Erlang, le 24 décembre. Le 18 de ce mois ,
le thermomètre de Réaumur au mercure , eſt deſcendu
à 23 degrés au deſſous de la congélation;
le baromètre étoit à 27 pouces une ligne ; le vent
àl'eft.
Weimarl,e 17. Aujourd'hui le thermomètre
de Réaumur , au mercure , eſt à 23 degrés au deffous
de o.
Gotha , même date, 19 degrés & demi .
Augsbourg, le 19 , 21 degrés.
( 215 )
Le 23 Décembre , à 2 heures du
matin , et un peu avant 7 heures du
soin ,con ressentit à Mayence et aux
environs , deux secousses de tremblement
de terre. Le lendemain le temps
fut orageux, et il tomba beaucoup de
neige : sur le soir il dégela ; mais le vent
étant redevenu Nord , le froid se fit sentir
de nouveau avec vivacité , et s'est
soutenu jusqu'à la fin du mois .
Extrait d'une lettre particulière d'Oczakof,
écrite le 19 décembre .
>> Oczakof est dans nos mains ;
mais nous l'avons payé. L'explosion
d'un magasin à poudre a favorisé l'assaut
général. La brèche étant du côté
du Liman , nos soldats ont passé sur
la glace. L'attaque se fit le 17 , entre
six et sept heures du matin. Nos troupesdont
combattu avec une ardeur
enragée. En cinq quarts d'heure , elles
ont emporté un des meilleurs retran
chemens , le fort d'Hassan Pacha (1) ,
et ont pénétré dans la ville . L'action a
été sanglante ; les Turcs se sont défendus
en désespérés , c'est-à-dire , en gens
d'honneur. Nos soldats auroient eu labar-
(1) Il y a deux mois que les relations Russes
assuroient déjà qu'on étoit maître de ce fort.
( 216 )
bariede massacrertoute lagarnison, si on
ne les enteût empêchés. Chaque maison
étoit , pour ainsi dire , un fort dont
il falloit faire la conquête. On a tué sans
miséricorde ceux qui s'y trouvoient . Le
Pacha, réfugié dans la citadelle avec un
corps de Janissaires , s'y est défendu pendant
quelque temps , mais enfin il a été
forcéde se rendre. Un Officier l'a sauvé
de la rage de nos soldats , qui vouloient le
mettre en pièces , et le conduisit auprès
du Prince Potemkin. La ville.est jonchée
de cadavres ; plus de 6000 Turcs ont été
tués ; nous avons 3,000 morts , et plus
de 2000 blessés . Le Général Prince
Wolkonsky , chef des Chasseurs de
Livonie , et le Brigadier Soritz ont
perdu la vie. LePrince d'Anhalt-Schaumbourg
pénétra le premier dans la forteresse
, à la tête d'un corps de Grenadiers
et deChasseurs de Catharinoslaf. La for-
-tune et le désespoir de nos soldats , qui
périssoient de froid par cinquantaine
chaque nuit , ont décidé notre succès, >
1.72
7
JOURNAL POLITIQUE
:
DE
BRUXELLES.
SUEDE.
De Stockholm, le 31 Décembre 1788 .
AVAVANNTT son départ de Gothenbourg, le
Roi a voulu raffermir la fidélité de ses
Sujets Finois , par une lettre exhor
tatoire , pareille à celle qu'il adressa ,
dans l'été , à la Suède même. Voici la teneur
de cette exhortation :
,
» Nous GUSTAVE , &c. àvous noschers Sujets
d'un rang supérieur ou inférieur , Propriétaires de
bien-fonds, ou habitans dans le Grand-Duché de
Finlande notre bienveillance particulière & gracieuse
affection , avec la protection du Tout-Puiffant.
Nous vous avons déja informés , ſous la
date du 29 Septembre dernier, et nous vous
avons prévenus , ainſi que tous nos autres fidèles
Sujets , des tentatives qu'entreprennent
les ennemis duRoyaume , pour ſemer la diviſion
N° 5. 31 Janvier 1789. k
( 218 ) parmi la Nation Surdoise , & pour la détacher
de la fidélité qu'elle nous doit, ainſi qu'à l'Etat.
Cependant , des circonstances particulières exigent
que nous vous exhortions encore , d'une manière
ſpeciale , à l'union , à la concorde , & au courage : vertus qui ont toujours diftingué nos braves ancêtres , & qui vous ont concilié
auſſi l'affection cordiale qui nous lie à vous
depuis le commencement de notre règne. Jus- qu'à ce jour , aucun Roi de Suède n'avoit ſi ſouvent
visité vos Contrées , ni employé plus de ſoins pour effacer & réparer les malheurs que
le Pays avoit éprouvés durant une guerre def- tructive par la barbarie des Ruſſes.- Les plus
âgés parmi vous ſe reſſouviendront encore avec
horreur, comment les Egliſes ont été profa- nées , les Villes & les Bourgs brûlés , les Côtes
ravagées , les petits Enfans arrachés du ſein de leur Mère , les Femmes& les Filles ravies ;comment
enfin , la faim a terminé les jours de ceux
qui , nus & dépouillés de tout , avoient échappé
au fer & aux flammes .
2
Pour prévenir de pareils désastres , dont une
attaque menaçante nous offroit à plus d'un égard
la perspective , nous ſommes venus parmi vous avec les forces que nous avions raſſemblées ; &, ſous l'aſſiſtance divine , vous n'avez éprouvé
encore aucun des désagrémens dont la guerre , mêmela plus heureuſe , eſt ſouvent accompagnée.
rendit
L'attaque imprévue d'un autre voiſin notre retour en Suède indiſpenſablement néceffaire.
-Nous ne nous ſéparâmes de vous que pénétrés des ſentimens de la plus vive cordialité, quoique nous puſſions confier votre défenſe avec
tant de sûreté à un frère chéri , dont la victoire
a déjà récompensé l'héroïque valeur . Les affaires
duRoyaume ne nous permettent pas encore de retourner chez yous , quelque conforme que ce
( 219 )
retour puiſſe être à nos désirs. La faifon va a
préſent augmenter bientôt les difficultés qui
nous empêchent de recevoir aſſez ſouvent des
informations de votre érat ; ma's l'on a fait
tout les arrangemens , & l'on a pris toutes les
meſures de précaution, qui , par la bonté de
la Providence , feront suffisantes pour prévenir
l'attaque des ennemis , et le progrès de leurs
armes.
ΓΙ
» Cependant , mes chers Sujets , de retenir
PEnnemi , ce n'est pas notre follicitude.-Caufer
une ſciffion entre Nous & vous ; vous rendre
ſuſpecte notre affection cordiale pour vous ;
vous inſpirer même de la défiance les uns envers
les autres; vous aveugler fur votre propre
bien-être; vous ſéduire par des promeſſes éblouiffantes
:- voi'à les moyens par leſquels un
Ennemi artificieux & avide de conquêtes , cherche
à obtenir ce qu'il déseſpère peut- être d'effectuer
par fes forces , déjà ſuffifamment affoiblies.--
Jusqu'à préſent de pareilles tentatives
n'ont eu encore aucun ſuccès dans le ſein de la
Patrie même ; et rien ne fauroit nous affliger
davantage , ni vous déshonorer plus , que fi
la façon de penser que les Finois manifeftèrent
anciennement , eût éprouvé quelque changement
de nos jours. Ce à quoi vous êtes particulièrement
obligés envers Nous , votre confcience
vous le dira. Rappe'ez-vous les prérogatives
que vous a procurées votre union avec la
Suède la véritable connoiſſance de l'Etre-Suprême,
la lumière des ſciences , d'utiles établiſ-
Temens, des branches profitables d'induſtrie , des
moeurs plus réglées. Rappelez - vous combien
de fois le fang des Su dois a coulé pour votre
défenſe,&combien peu, juſqu'àpréſent, vos propres
forces y fuffiſent. Considérez le fort d'autres
Pays, l'état de la Pologne , de la Courlande ,
kij
(220 )
,
de la Crimée , que la promeſſe d'une prétendue
indépendance a réduites ſous le pouvoir arbitraire,
&jetées dans la misère. Profitez de leur triſte
exemple , comme d'un avertiſſement néceſſaire.
Interrogez vos anciens Compatriotes , qu'une
paix malheureuſe a livrés au pouvoir de i'ennemi
, qui courbent aujourd'hui le col ſous le
joug, qui gémiſſent ſous le poids de charges
intolérables , mépriſés , flétris dans une ſituation
déplorable Placez - vous au milieu de toutes ces
circonstances ; voyez les malheurs qui peuvent
vous accabler , ſi , ſans examen préalable , vous
vous laiſſez induire à oublier vos devoirs
comme Sujets & Citoyens. Réuniſſez - vous en
de fidelles prières , pour obtenir la grâce &
la bénédiction du Très-Haut , ainſi qu'en louanges
& en actions de grâces , pour les bienfaits
qu'il vous a déjà accordés. Ne doutez point de
notre ſollicitude paternelle en votre faveur. Soyez
aſſurés que chaque goutte de notre ſang eſt confacrée
à votre défenſe. Mais ſi l'honneur de
mourir pour la Patrie est auſſi confolant pour
Nous , que pour le Roi dont nous portons le nom;
vous aufli , de votre côté , vous devez reſſember
au Peuple pour l'amour duquel il s'eſt ſacrifié.
Juſqu'ici , nous avons appris votre conftance
avec joie : perſévérez toujours ainſi dans
le zèle& la fidélité qui conviennent à des Sujets ,
& ne vous laiſſez point ſéduire par l'artifice & la
méchanceté, qui ont commencé à répandre leur
venin parmi vous. Nous vous recommandons à
la puiſſante protection de l'Etre - Suprême ; &
ſommes toujours , à l'égard de vous , nos fidèles
Sujets , d'un rang ſupérieur & inférieur , tous
fans exception , votre Roi gracieux &affectionné.
A Gothenbourg , le 6 Décembre 1788. (L.S. R. )
(Signé) GUSTAVE (&plus bas) E. Schroderhein.
-
(221 )
Le 17 , le Clergé et la Bourgeoisie de
cette Capitale ont élu leurs Députés à
la Diète du Royaume , au nombre de
quatre pour le premier de ces deux Ordres
, et de dix pour le second.
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 13 janvier 1789 ..
Le Vice-Amiral Defin , qui commandoit
l'escadre Russe en rade à Helsingor ,
retourne à Pétersbourg , et sera remplacé
par le Vice-Amiral Pawalischin. Les
lettres de Copenhague , qui nous informent
de ce changement , parlent d'une
manière très-équivoque du succès des nëgociations
entamées pour ramener la
paix entre les Puissances de la Baltique ,
Le Baron de Borck , Ministre et Commissaire-
Général du Roi de Prusse , est
arrivé de Gothenbourg à Copenhague
au commencement de l'année.
A la date du 4, le Sund étoit encore
presqu'entièrement couvert de glaces ;
un huitième 'de mille seulement , restant
libre entre Cronenbourg et Helsingborg.
>> Pendant l'année dernière , il a paffé par ce
Détroit , 9,216 Navires; favoir, 1,259 Danois ,
3,272 Anglois , 1,513 Hollandois , 1,315 Sué
dois, 904 Pruffiens , 171 Roſtokois, 169 Dantzikois
, 79 Impériaux , 71 Hambourgeois , 62
kiij
(222)
Lubekois , 64 François , 61 Turcs , 38 Américains
, 15 Eſpagnols , 5 Courlandois , 16 Portugais,
172 de Brême , 27 de Papenbourg , 2
d'Oldenbourg & un Vénitien.
-
Plusieurs escadrons de Cavalerie de
l'armée Polonoise , sont entrés à Kaminieck
, et quelques Compagnies du Régiment
d'Ostrog, ont recu l'ordre de se
rendre à Dubno. Les lettres de Varsovie
, du 27 décembre , nous annoncent
aussi la prorogation de la Diète
jusqu'au 7 de ce mois , et le départ du
Prince de Nassau pour Pétersbourg.
Le jeune Comte de Golz , attaché à la
légation Prussienne , s'est mis en route
pour Berlin , doù on l'attendoit le 10 de
ce mois à Varsovie.
L'année dernière on a compté ici et
dans les deux faubourgs 900 mariages ,
2,784 naissances , dont 282 illégitimes ,
et 3,008 morts .
» A Copenhague , 927 mariages , 3,058 naiffances,
dont 1558 Garçons& 1,500 Filles ;& 3,733
morts , dont 2,053 Hommes & 1,680 Femmes.
AAltona & dans la Seigneurie de Pinneberg,
344 mariages , 1,872 naiſſances ,& 1,626 morts.
» Dans l'Evêché de Fionie , y compris Langeland
, Alſen , Arroe , Lalande & Falſter
1,535 mariages , 5,283 naiſſances & 4,821
morts.
,
>> Dans la Pomeranie Pruffienne & la principauté
de Camin (le Militaire non compris ) 3,228
mariages , 45,694 baptêmes , & 10,674 morts ;
( 223)
Parmi ces derniers il s'en elt trouvé 92 depuis ot
ans juſqu'à 90 ; 21 depuis 91.jusqu'à 9511
depuis 96 ans juſqu'à 99 ; 4 cent-naires , & 8
depuis 101 ans juſquà 105 .
>> A Kænigsberg , 532 mariages , 2,090 naifſances
, 2,160 morts.
Le 21 du mois dernier , un incendie ,
dont on ignore encore l'origine , a embrasé
plus de la moitié du Palais Ducal
de Mittau . L'escalier principal , décoré
d'une colonnade , le portail, la couver
ture en fer du dôme , ont croulé dans
les flammes , qui ont consumé une gran
de partie des meubles et des ornemens
de ce bel édifice. Ce n'est qu'avec beaucoup
de peines qu'on est parvenu à
sauver les plus précieux , d'ailleurs fort
endommagés. Les archives ont été transportées
à l'académie , et dans le plus
grand désordre .
Francfort surle Mein, le 17 janv.
Le Lieutenant Colonel Bauer a apporté
à Pétersbourg les premières nouvelles
de la prise d'Oczakof, sans apprendre
à la Cour d'autres particularités de
cet événement , que celles que nous
avons rapportées la semaine dernière .
Le nombre des Assiégeans et des Assiégés
, celui des morts et blessés de part
et d'autre , ne sont pas constatés encore ,
et probablement ne le seront pas de
kiv
( 224 )
long-temps . Il paroît certain que l'entreprise
de cet assaut fortuné a été , de
la part des Russes , l'effet du désespoir ,
ou tout au moins de la nécessité. Les
plaines d'Oczakof et toutes les contrées
d'alentour étant couvertes de neiges
abondantes l'armée Russe en étoit
comme assiégée, et sa cavalerie avoit
été obligée d'abandonner le camp pour
aller subsister à 60 lieues dela. L'excès du
froid, le défaut de bois, dont on ne trouve
pas une altumette dans le Budziack
la privation de plusieurs articles de première
nécessité , avoient misl'armée dans
une tel délabrement , que depuis le premier
novembre , l'intempérie , les maladies
et la disette , lui avoient enlevé plus
de quatre mille hommes. Il ne restoit
plus d'autre ressource que celle de tenter
un assaut général .
En confequence , le 17 Décembre , à 7 heures
du matin , 6 colonnes , compoſées chacune de
2à 3 millehommes , & foutenues par l'artillerie ,
ſe portèrent contre fix endroits différens. Cinqde
ces colonnes eurent ordre d'eſcalader la ville , tandis
que la fixième monteroit à la brèche. Celle-ci
étoit précédée de 300 volontaires , dont la moitié
fut tuée par les affiégés au pied de la brèche.
Malgré cette perte , le reſte y monta courageufement,
& força l'ennemi à s'éloigner. Vers les
fept heures & demie , les fix colonnes ſe trouvèrent
ſur les ouvrages d'Oczakof , combattant
avec une valeur extraordinaire contre les
Turcs , qui ſe défendirent de même ; mais le défordre&
la confuſion ne tardèrent pas à ſe mettre
,
( 225)
parmi ces derniers , ils lâchèrent pied en pluſieurs
endroits: ce fut par-là que les Ruffes parvinrent
àpénétrer dans la place. Il eſt aifé de concevoir
la fureur du Soldat Ruffe, qui avoit tant ſouffert
pendant 5 mois , & qui avoit toujours éprouvé
la plus forte réſiſtance de la part de l'ennemi :
auffi , dit-on , les Officiers ont eu bien de la peine
à faire ceſſer le maſſacre ; & au départ du courrier,
on avoitdéjà compté plus de fix mille Turcs couchés
fur le carreau. Cinq quarts d'heure après la première
eſcalade , un détachement Ruffe amena au Prince
Poumkin,le Pacha d'Oczakof prifonnier avec
ungrand nombre d'autres Officiers. A 2 heures
après-midi on a compté 2,500 Janiſſaires au
nombre des prifonniers , & celui des habitans qui
s'étoient rendus à diſcrétion vers les 4 heures
s'élevoit à 25 mille hommes, les Juifs compris .
Les Ruffes ont trouvé 300 pièces de canon de
fonte dans cette fortereſſe , dont les ouvrages ,
après la ceſſion de la Crimée , avoient été confidérablement
augmentés ſous la direction de deux
ingénieurs François. Les magaſins de munitions
detoute eſpèce ſont conſidérables , ſuivant l'affurance
du Prince Potemkin.
,
L'occupation d'Oczakof assure à la
Russie la Crimée , et couvre la nouvelle
Servie , ainsi que Cherson , qui n'est éloigné
de cette forteresse que de 6 milles
au Nord; enfin , elle rend les Russes maî--
tres du Niéper. Si leur armée n'étoit
pas ruinée comme elle l'est , et si les
Turcs leur laissent le temps de la renouveler
, cette conquête peut avoir .
pour eux des suites très -heureuses à la
campagne prochaine . Il reste à la Porte ,
kv
( 226 )
entre Oczakofet le Danube, trois forteresses
qu'il lui importe de garantir , et
sans lesquelles ses ennemis neferoientque
des progrès imparfaits ; ces trois places
sont Bender , sur le Niester , qui soutint
en 1770 un siège sanglant contre leGénéral
Panin , valeureux et digne élève de
Munich, et qui emporta la forteresse à
la fin d'août ; Bielgorod, également sur
le Niester , pris par M. de Romanzof, à
la finde 1770, et Brailow , sur le Danube
, contre lequel ce Général échoua
en 1769 , et qu'il enleva par stratagème
au mois d'octobre 1770. Il est hors de
doute que les Ottomans ne portent une
armée considérable entre le Danube et
le Niester , dès que la saison le permettra
; car le Capitan Pacha est resté à
Varna , et l'on assure que le Grand-
Visir s'est rapproché de lui , en se postant
à Silistrie. Le Capitan Pacha est
nommé Séraskier d'Ismaïl; il n'a renvoyé
à Constantinople que ses gros vaisseaux
sous les ordres de son Vice-
Amiral, que le Grand- Seigneur a nommé
Pacha à deux queues.
Le Prince Evêque de Paderborn , de
la Maison des Barons de Westphalen,
est mort , le 6 de ce mois , dans sa résidence
, âgé de 62 ans ; il sera remplacé
par son Coadjuteur actuel , le Baron de
Furstenberg.
>> Pendant, l'année dernière , on a compté à
Wenne & dans les faubourgs , 1,939 mariages,
( 227 )
9,831 naiſſances , y compris 455 morts-nés ; les
garçons baptiſés étoient au nombre de 4,802 , &
les filles, de4,574; celui des morts a été de 12,668,
dont 2 , 620 femmes , 3,766 garçons , & 3,318
filles; 541 perſonnes font mortes d'apoplexie , 250
de la perite vérole , & 17 par accident.
AMunich, 283 mariages , 1,244 naiſſances ,
&1,334 morts.
» AAugsbourg , 279 mariages , 1,097 naiſfances,
& 1,304 morts.
» A Gotha , 117 mariages , 337 naiſſances ,
&391 morts.
ESPAGNE.
:
De Madrid , le 3 janvier.
:
:
Le Roi a déclaré qu'il rempliroit nonseulement
les engagemens de son Au
guste Prédécesseur , mais encore ceux
de Philippe V et de Ferdinand VI.
Cesdispositions ont été signées de S. M.
dans un Rescrit du 18. Les dettes de la
Couronne y sont divisées en trois classes ;
dons et pensions , rentes et fournitures.
Cesdifférentes classes sont plus ou moins
favorisées selon leur nature, et selon que
les créances sont dans les mains des propriétaires
originaires , ou qu'elles ont
passé en d'autres mains , par des cessions
ou par des ventes .
Le Comte d'Orelly, qui , comme l'on
sait , résidoit depuis plus d'un an en
Galice , par ordre du Roi , a cru que
Kvj
(228 )
Ja mort de son ancien Maître l'autorisoit
à quitter cette province , et à venir
rendre ses hommages au nouveau Souverain
. Mais , au moment de son arrivée
à la Cour , il a reçu ordre de retourner
àla Corogne
On compte déja 18 places supprimées
dans la cuisine du Roi , et quantité d'autres
dans différens départemens de sa
Maison et celle de la Reine .
Nous apprenons de Naples , que l'Empereur
ayant demandé au Roi un secours
de douze mille hommes , pour couvrir
Trieste et les frontières de l'Autriche dans
Ja mer Adriatique , S. M. Sicilienne s'étoit
crue obligée de le refuser par différens
motifs de convenance et de politique.
Le vaisseau, le Saint-François de Paule
de 74 canons , a été lancé très-heureu--
sement à Carthagène , le 20 décembre .
GRANDE BRETAGNE.
De Londres, le 20janvier.
Mardi dernier ( 13 ), les Communes
devoient entendre le rapport du Comité
, chargé d'examiner les Médecins
de S. M. M. Pitt se présenta à la
barre avec le volume de cet Examen ,
et en demanda la lecture , lorsque M.
( 229 )
Burke, pour ne point perdre de temps ,
jugea convenable de disserter à l'avance
contre ce rapport , et de s'opposer
à ce qu'il fût lu. Ses raisons furent
que le Comité n'avoit pas fait sorr
devoir ; qu'outre les Médecins , il auroit
dù interroger les Chirurgiens et les Apo--
thicaires ; qu'on avoit opposé insidieusement
les réponses du Docteur Willis
à celles du Docteur Warren; et que ,
pour accorder leurs opinions discordantes
, il eût fallu entendre d'autres
Médecins ; qu'enfin le rapport étoit imparfaitetmutilé.
« Jen'accuse personne,
>> continua-t-il , de déloyauté et de haute
>>> trahison ; mais j'affirme et je dénonce
>>> au Parlement que la vie du Roi est
>>> dans un danger imminent , par la
>> témérité désespérée , et la sauvage
>> spéculation du Docteur Willis, pour
>> lequel on néglige l'expérience , l'omni
>> science, les rares et profondes con-
>>> noissances du Docteur Warren. Je
>> m'oppose donc à la lecture du Rap--
>> port , et je demande qu'on le RECOM-
>> MENCE de nouveau. »
La Réplique de M. Pitt fut tranchante.
« M. Burke , dit- il , se plaint
>> de l'imperfection du Rapport ; il a
>> 400 PAGES in-folio. Il accuse le Co-
>> mité d'avoir formé une opinion
>> moyenne d'après les seuls avis con-
>>>traires du Docteur Warren et du
>> Docteur Willis , tandis qu'on a in(
230 )
terrogé avec le même soin tous les
>>>autres Médecins de S. M. Les fonc-
>>> tions d'un Comité des Communes
> ne sont pas de faire une perquisi-
>> tion dogmatique sur l'habileté res-
>> pective de deux Médecins : quant
> au danger prétendu de la vie du Roi ,
» M. Burke fait allusion à la permis-
>>sion qu'a donnée le Docteur Willis
» à S. M. de se raser elle-même ; on
>> a interrogé ce Médecin à ce sujet , il
» en a donné des raisons satisfaisantes.
>> La Chambre en jugera. »
Après quelques mots de M. Wyndham
et du Solliciteur général , la motion
de M. Burke fut rejetée , l'introduction
du Rapport lue pour la forme ,
et l'ordre d'imprimer des copies de cet
in-folio pour chaque Membre , arrêté .
Ensuite la Chambre s'ajourna en grand
Comité pour le vendredi suivant. :
Nous vîmes l'année dernière le Parlement
passer une session entière
à écouter des Romans Orientaux dans
la salle basse de Westminster. Aujourd'hui
, à l'instant où toutes les affaires
sont en souffrance , les paiemens des
pensions , fournitures , gages , appointemens
civils et militaires suspendus
par le défaut de la signature Royale , etles
affaires extérieures de nature à exiger
des décisions , cette Assemblée s'est
dévouée à des débats et à des recherches
sur la capacité comparative de
(231 )
deux Médecins. Si l'on en jugeoit
par ce qui s'imprime et se dit de
toutes parts , l'un d'entre eux semble
occasionner ces troubles et ces délais.
L'Opposition protége trop chaudement
le Docteur Warren , et maltraite avec
trop d'acrimonie le Docteur Willis ,
pour que les ressorts de cette scène
des passions ne soient pas à découvert.
Nous n'en dirons pas davantage sur un
sujet si délicat ; mais on ne peut passer
sous silence qu'une Auguste. Princesse
, à qui ses vertus éminentes ont
mérité le respect universel , se trouve
indignement compromise dans ces scandaleuses
altercations. Elle a donné sa
confiance au Docteur Willis , qui a
adouci sa douleur par des espérances
peut-être très - fondées ; c'en est assez
pour susciter contre celui - ci la jalousie
de ses confrères , l'impudence des folliculaires
, et les accusations les plus extravagantes.
Nous ne rendrons point ici les fictions
imprimées dans quelques papiers ,
sous le titre d'Extrait du Rapport du
Comité ; mais , dans huit jours , nous
analyserons ce Rapport même , authentiquement
imprimé .
On y verrà la preuve de l'animosité
qui poursuit le Docteur Willis , et en
même temps de sa pénétration et de son
courage. Des six Médecins questionnés ,
( 232 )
quatre se sont accordés à certifier un
changement heureux dans la maladie du
Roi : on devine que l'avis contraire a
été celui du Docteur Warrenet du
Chevalier Baker.
Par suite de l'ajournement du 13, les
Communes ont délibéré , vendredi 16 , sur
les restrictions à la Régence . Elles consistent
en 5articles ,tels que nousles annonçâmes
il y a 15 jours. Par le premier ,
on défère au Prince de Galles l'autorité
exécutive de la Couronne , momentanément
, pendant la maladie du Roi ; à
l'exception , 1º. du pouvoir de créer des
Pairs ; 2°. de celui d'accorder des places
nommées Patent - places , places , pensions
à vie et survivances ; 3°. de posséder
ou de gérer les propriétés réelles
ou personnelles de la Couronne ;
4. enfin , la personne du Roi est confiée
à la Reine , sous la direction de laquelle
seront tous les Officiers de la Maison
du Roi. Voilà le précis de ces limitations ,
que nous présenterons la semaine-prochaine
en leur entier , ainsi que les débats
qu'elles ont fait naître . Nous sommes
forcés pour le moment de nous restraindre
à annoncer que M. Pitt développa
et justifia la nécessité de chacune de ces
limitations , dans un discours , l'un des
plus mémorables qu'on ait prononcés
en aucun pays. Rarement on s'est servi
avec plus de talent , de clarté , de courage
, de vigueur , de la puissance de
(233 )
la raison. Le Ministre analysa aussi
Je rapport du Comité, l'examen des Médecins
, les imputations dont nous avons
parlé, et confirma les espérances d'un rétablissement
plus ou moins prochain de
S. M. M. Powys , au nom de l'Opposition,
ayant proposé par amendement
de revêtir le Prince de Galles
d'une autorité sans limites , cette motion
fut rejetée par 227 voix contre 154 ;
majorité73. La première limitation concernant
le pouvoir de créer des Pairs ,
fut débattue avec la même, chaleur , et
passaàlamajorité de 59 voix, La seconde
et la troisième exceptions furent résolues
sans divisions de suffrages ; et hier 19 ,
la quatrième a eu 229 voix contre 165
majorité 64. Aujourd'hui ces cinq réso ,
lutions ont été envoyées à la Chambre
Haute.
La fureur de l'esprit de parti dans la
clientelle subalterne des différens chefs ,
est montée à son comble: de la mille
faussetés journalières dans les papiers
publics. Le Public Advertiser remarque
qu'il est étrange de voir les sensibles
et compatissans personnages , dont
le coeur se fendoit au récit fantastique
des douleurs des Princesses d'Oude , insulter
à celle de la mère de l'Héritier
du Trône sans égard pour sa situacion,
pour son sexe , pour son inexprimable
attachement à tous ses devoirs .
On a imprimé que cette Princesse avoit
,
( 234 )
dicté au Roi un testament , et on a dit le
contenu de ces dispositions , qu'on date
du 25 octobre , tandis que le 1er. bulletin
des Médecins , le 22 du même mois ,
constatoit l'impuissance de tester où se
trouvoit alors S. M. Un Papier public
s'étant avisé de dire que le Roi avoit 2
millions sterlings de ses économies , un
second Papier a compté 3 millions , un
troisième 4 millions , enfin on a été jusqu'à
onze. Lorsque Nodot prétendit
avoir trouvé à Belgrade le manuscrit
de Pétrone , on lui dit : <<Montrez-
» nous ce manuscrit. » Disons de
même : « Montrez-nous ce Testament ,
>> et le bordereau signé de la cassette
>> du Roi d'Angleterre. >>>
Voici une invention plus gaie.<<Dans
>> le cours de l'examen , dit le Public-
>>> Advertiser, M. Burke , après avoir
>> fatigué le Docteur Willis d'interro-
>> gatoires , s'avisa de lui porter une ques-
>>.> tion pertinente en ces termes : Vous
>> dites avoir guéri beaucoup d'insen-
» sés , où sont-ils ? Willis , gardant
>> sa présence d'esprit et son sang-froid ,
>> répliqua : Monsieur , où ils sont
» INDIVIDUELLEMEENNTT,, je ne
>>> puis le dire ; mais , EN GROS ,
>>> vous les trouverez rassemblés dans
>> la Chapelle de Saint - Etienne à
» Wetsminster. » ( lieu où siége le Parlement).
Ce sont les petits boutiquiers , à ce
( 235 )
qu'on assure , qui ont fait vacarme à
la Taverne de Londres , lorsqu'on y a
proposé et voté l'adresse de remercie
ment à M. Pitt, et à la majorité des
Communes. La plupart des Banquiers ,
Négocians et Marchands considérables ,
ont signé cette adresse , en faveur de laquelle
on reçoit chaque jour de nouveaux
suffrages. Après le débat qu'occasionna
cette démarche , quelques opposans
, dit le World, allèrent congratuler
l'Apothicaire Stock , qui avoit
péroré contre le Ministre , et s'étendirent
sur ses talens pour la discussion , sur
son naturel , son sel Attique , elc. etc.
selAttique ! reprit l'Orateur , j'ai dans
ma Pharmacie un grand nombre de
Sels , mais celui- là me manque; pourriez-
vous me le procurer ?
Il s'est tenu ces jours derniers une
Assemblée au Bureau de l'Amirauté , où
le Lord Hood a assisté : plusieurs Officiers
ont recu leurs Commissions , et
il a été arrêté d'équiper sur- le - champ
quelques Cutters pour croiser dans la
Manche.
« On mande de Bridgewater que , le 3 Janvier,
la rivière de cette ville étant entièrement
gelée, un homme qui avoit amené un ours d'une
ville voifine , imagina de le lâcher ſur la glace ,
&de le faire combattre avec des chiens , pour
Pamuſement des ſpectateurs. Ayant exécuté ce
projet , l'animal ſe défendit d'abord avec ſuccès ;
mais un des chiens l'ayant fortement ſaiſi à la
( 336 )
gorge, les ſpectateurs ſe preſsèrent en foulepour
voir l'iſſue du combat. La glace , ſurchargée de
ce poids trop conſidérable , vint à ſe rompre.
L'ours , ſon maître , les chiens& les curieuxtombèrentdans
larivière. La confuſion futtrès-grande ;
mais comme heureuſement la ſcène ne ſe paſſoit
pas dans un des endroits les plus profonds de la
rivière , il n'arriva aucun accident funeſte. »
La Tamise a dégelé fort doucement
depuis huit jours ; et , quoiqu'elle fût
couverte de monde et de baraques en
plusieurs endroits , lorsque le dégel a
commencé , il n'est arrivé aucun acci--
dent notable. Peu de navires ont été
endommagé par les glaces.
On a adressé dans le World , trois
Jettres au Prince de Galles , fignées un
Breton , (A Briton), et dont la franche
énergie a fait une très-grande sensation.
On ne regrettera pas de lire quelques
fragmens de cette correspondance
d'un homme libre , avec l'Héritier du
Trône. Voici les deux dernières Lettres .
MONSIEUR ,
*Vous êtes offenſé du langage que j'ai ofé
vous tenir ; mais un jour viendra où ſa ſincérité
même lui donnera un nouveau prix à vos
yeux. Quel motif peut vous faire attendre du
Parti que vous avez épouſé , la voix calme de
la raiſon ? Par les conſeils que vous en avez déja
reçus , jugez de ceux que vous en recevrez
encore. »
« En effet , qui vous a conſeillé de permettre
qu'on réclamât en votre faveur le droit d'envahir
( 237 )
les dépouilles royales d'un père encore vivant ?
Qui vous a conſeillé d'avouer M. Fox , prophétiſant
dans la Chambre des Communes , les
bénédictions d'un miniſtère prêt à paroître , d'un
miniſtère qui alloit faire pleuvoir les brevets fur
tous les déſerteurs de l'ancien , & ouvrir un aſile
àla proſtitution politique ? >>
:
•En ſentant quelle doit être votre réponſe ,
ſongez quels font les réſultatsde la conduite que
yous avez tenue. »
;
« La Majorité immédiate de ſoixante - ſept
Membres de la Chambre des Communes , contre
votreParti& fes Conciliabules , doit vous intimer
la conviction qu'ils vous trompent , en vous
faiſant inſiſter ſur une prétention , du ſuccès de
laquelle ils vous flattent fauſſement ; car il n'eft
pas un citoyen honnête en Angleterre qui ne
s'élève contre vous, >>
aMais j'eſpère que vous êtes capable de difcernement
, & que la raiſon vous ramenera à
des idées plus judicicuſes. Jetez un coup-d'oeil fur
votre Parti , puiſque ce Parti vous eft perſonnel:
voyez-' e compofé de gens qui , de l'abyme du
désespoir , lèvent les yeux vers l'espérance. C'est
une foule à qui l'orage ne peut nuire : fans doute
leurs intrigues font raiſonnables ; le tourbillon
peut les relever , il ne fauroit les abattre plus
complettement. Je les compare àun homme tenant
uncoin de nos Gazettes , & qui s'efforce de lire
à l'autre l'annonce d'une place qu'il convoite (1) ."
« Mais vous vous devez d'obſerver les cononctures
ſous un point de vue plus ſérieux. Il
(1) It is man at one corner of te GAZETTE ,
looking up to Post at the other.
( 238)
ne s'agit pas ici de former un miniſtère paſſager ,
niune loterie de places. Non , Monfieur , il s'agit
d'une choſe qui frappe toutes les têtes & tous
les coeurs ; il s'agit de ſavoir fi vous ſacrifierez
àun Parti quelconque , ces devoirs d'affection
que les Grands peuvent ſentir , &que les petits
ſeuls favent pratiquer. »
• « Soumettez vos démarches au jugement de
votre coeur. Pour le ſoulagement du Roi votre
père , quel a été le réſultat des avis de tous les
médecins ?
DU REPOS , DE LA TRANQUILLITÉ.
Un Médecin , doué de plus de ſagacité , a dit :
*les inquiétudes qui affectent la ſanté d'un Roi ,
>> doivent probablement être plus longues à cal-
» mer que celles d'une ame ordinaire. >>>
« Eh bien , Monfieur , d'après cette obſervation,
quel parti comptez-vous prendre ? "
Peignez-vous l'avenir , ſi le Ciel jugeoit à
propos de rendre à Sa Majesté l'uſage de ſa
raiſon >>
«Graces à Dieu , s'écrieroit- il , je ſuis revenu
à moi-même ! où ſont mes enfans ?
« Qu'on appelle mes Officiers d'Etat & mon
Minfte.n
1 Quel Miniſtre lui ameneriez - vous ? quel
tableau préſe teriez vous à ſes yeux ?
Des Serviteurs renvoyés !
ءا
DE NOUVEAUX PERSONNAGES étrangers à ſa
confia ce!
La Patrie mécontente !
Les fonds publics avilis !
Une Epouse , une Mère , gémiſſante de douleur!
Et vous feul , cauſe de tous ces changemens !
« Est-ce là mon pays , pourroit-il s'écrier!
«Qui m'indiquera où je ſuis ? >>
Qui que ce ſoit ofera-t-il conſidérer ceci
( 239 )
comme une diſcuſſion politique , ou une dispute
de pouvoir? Non , c'eſt la cauſe de la piété filiale ,
de la ſenſibilité domeſtique , de tous les tendres
mouvemens qui honorent la nature humaine. >>
•Acceptez donc la Régence comme la Conftitution
vous l'offre légalement ; acceptez -la comme
un dépôt que vous conſervez à votre Père ; gardez-
la fidèlement , tant qu'il y aura espérance
qu'il puiſſe la reprendre un jour. Si le temps &
lesdécrets de la Providence font évanouir cet efpoir
, alors vous aurez le droit de choiſir les
ſerviteurs qui rempliront le mieux l'attente de la
Patrie. »
« Il n'entre dans ma franchiſe , peut-être hardie,
ni vues politiques , ni admiration pour M.
Pitt; j'ai cette opinion du bon-ſens de mes compatriotes
, qu'ils ne ſouffriroient pas long-temps
un mauvais Miniſtre , & que M. Fox ou M. Pitt
offensâſſentla Nation , elle flétriroit également l'un
ou l'autre par ſon déſaveu.
« Oui , Monfieur , c'eſt uniquement pour l'honneur
de votre ſenſibilité & de votre caractère
perſonnel que je m'adreſſe à vous. Un jour vous
pouvezêtrepèree,, & alors vous louerez mon zèle.
Mais ce nom ſi touchant dans la vie naturelle ,
ne pourra-t-il vous engager à le mériter dans
la vie politique ? Peut- être eſt-ce aujourd'hui le
précieux moment de votre vie , où ſera irrévocablement
déterminé ſur quelle baſe vous prétendez
établir votre droit à être appelé LE PÈREDE
VOTRE PEUPLE .
( 240 )
SECONDE LETTRE.
MONSIEUR ,
«Quand le Miniſtre d'Angleterre a affirmé en
pleinParlement, que vous n'avez pas plus de droits
àla Régence qu'aucun autre ſujet, il a tenu un
langage parfaitement d'accord avec l'eſprit de la
Conſtitution. Celui qui n'a point de droit abſolu ,
inhérent à ſa perſonne , ne peut acquérir ce droit
que par délégation. Le Corps qui le lui confère
est formé des deux Ordres afſſemblés en Parlement,
qui font & feront indubitablement lesjuges
du pouvoir , & de la meſure de pouvoir
qu'eux& eux ſeuls peuvent accorder.
«L'opinion que j'énonce eſt en général celle
de la patrie; il ſemble réanmoins que vous ſoyez
encore incertain de lajuſteſſe de ces principes. »
«Voyez , Monfieur, la honte , le ridicule , la
déroute de quelques membres qui ont foutenu
l'opinion contraire ; & , mettant la main fur la
confcience , dites nous s'il feroit fage à vous, dans
le premier acte par lequel vous vous manifeſtez
àvotre peuple , de faire cauſe commune avec un
pareil parti ? Y at-il dans les trois Royaumes
un homme honnête & de ſang-froid , qui vous
en inſpirât le confeil ? Et fi cela eſt impoffible ,
commej'en ſuis sûr , ferez-vous , de votre chef,
une choſe dont vous ne trouverez perſonne , dans
toute l'Argleterre , qui veuille dire : C'est moi
qui l'ai conſeillée?
«Si ces lettres étoient de nature à comporter
le panégyrique de M. Pitt , fous quel jour brillant
ne pourrois-je pas le montrer à la poſtérité ?
Sans ſe laiſſer intimider par les menaces , ou
ſéduire par des promeſſes ,certain de rencontrer
des
( 241 )
des difficultés , preſqu'aufli für de perdre ſaplace ,
il a ofé combattre pour lacauſe de la Conftitution;
il eſt allé au-devant d'une queſtion délicate,
que d'autres auroient éludée; & bravant
les dangers préfens , il s'eſt dit : « C'est pour l'avenir,
pour la postérité quej'agis , pour ceux dont
je n'entendrai pas les remerciemens , des louanges
de qui je ne jouirai jamais.>>>
«Mais ce n'eſt point pour rendre juſtice à
M. Pittque ces lettres paroiſſent dans le monde ,
c'eſt pour vous y guider , Monfieur ; & fans
m'inquiéter de ce que vous penſerez de moi ,
dûſſiez-vous même me connoître un jour , je vais
vous dire franchement ce queje penie & ce que
jelens."
«Et d'abord permettez-moi de vous faire un
aveu qui me coûte , mais que la vérité m'arrache.
Malheureuſement vous ne vous êtes pas
concilié le coeur de vos peuples : c'eſt pourta
un phénomène étonnant, une énigme difficile à
expliquer, lorſqu'on fait attention aux avantages
de votre perſonne , à l'affabilité de vos manières ,
&à l'intelligence qui vous diftingue.
«Mais, Monfieur , ſans rappeler trop amerement
des travers de jeuneſſle , il eſt une remarque
digne de votre attention, Celui qui peut
êtreRoi unjour , doit s'élever dans ſes moeurs audeffus
de fon peuple. Avez-vous entièrement ob-
•fervé cette règle ? Ne trouvez-vous pas quelque
difficulté, aujourd'hui que la fortune vous porte à
uneplace éminente, à vous débarraſſer des familiarités
de vos anciennes connoiſſances ,& des libertés
que prennent avec vous des gens que vous
n'avez pas în écarter à la diſtance convenable ? »
"Cependant , la patrie a droit de vous demander
quelque choſe de plus , quelque chosefur quoi
Ellen'est pas encore raſſurée. Les gens amis des
précautions , ne ſavent que croire de ce qu'ils
N°. 5. 31 Janvier 1789. }
( 242 )
:
:
ont entendu dire autrefois , ou de ce qu'ils voient
journellement. Une Déclaration du Parlement
ſemble combattre le fait ,& cependant fes probabilités
acquièrent de jour en jour un nouveau
degréde certitude, »
«Si jamais une explication franche , claire &
préciſe parut néceſſaire , c'eſt en ce moment. Les
précautions que le Parlement a cru devoir prendre
autrefois , ne ſuffiſent pas aujourd'hui , & ce
qui a été prohibé par un Acte , pourroit être
permis par un autre.>>
«Car ce n'eſt point un principe inné de la
Conftitution , qu'il ſoit impoffible qu'un Papiſte
fuccède à la Couronne. La Chambre des Communes
a droit de prononcer ſouverainement dans
ce cas; & quand un Prince a été le défenſeur
le plus zélé d'un parti , qu'il a fait les plus grands
efforts en ſa faveur , qui pourra aſſigner les bornes
que ce Parti mettra à ſa reconnoiſſance ? »
«D'après ces conſidérations , puiſque vous
pouvez être nommé Régent , vous devez écarter
tous les obſtacles à l'amour de vos peuples.
Renverſez les barrières qui arrêtent la popularité;
éloignez tout ce qui peut donner lieu à la défiance&
au mécontentement. Repouſſez les amis
qui , en flattant vos foibleſſes , vous nuiſent plus
quedes ennemis invétérés ; & vousdégageant des
nuages qui ont obfcurci votre caractère auguſte ,
montrez au monde la digne & véritable image
d'un ROI. »
FRANCE.
De Versailles , le 27 janvier.
- Le 13 de ce mois, le Comte de Fernand-
Nunnès, Ambaſſad ur d'Eſpagne , eut une audience
particulière du Roi , pendant laquelle il
remit à Sa Majesté ſes nouvelles lettres-de-créan(
243)
ce. Le Roi donna , immédiatement après , une
audience particulière au Bailli de Virieu , Miniftre
plénipotentiaire de l'Infant d'Eſpagne , Due
de Parme , qui remit, en cette qualité , fa lettre-
de-créance à Sa Majeſté. Le Comte de Fernand-
Nunnès & le Bailli de Virieu furent.conduits
à cette audience & à celle de la Reine &
de la Famille Royale , par le ſieur Tolozan , IntroducteurdesAmbaſſadeurs;
le ſieur de Séqueville
, Secrétaire ordinaire du Roi pour la conduitedes
Ambaſſadeurs , précédoit. »
a Le Chevalier de Maillant a eu l'honneur de
préſenter auRoi , le 18 de ce mois , (le Commandeur
d'Estourmel faiſant par interim les fonctions
d'Ambaſladeur de l'Ordre de Malte ) les faucons
que le Grand - Maitre de la Religion est dans
l'uſaged'envoyer annuellement à Sa Majeſté Ce
préſent aété reçu par le Chevalier de Forget ,
Commandant du vol du Cabinet. »
I
aLeurs Majestés & la Famille Royale ont ,
le même jour , ſigné le contrat de mariage du
Comte de Luxembourg , Capitaine , en ſurvivance,
des Gardes-du-Corps du Roi , avec Mademoiselle
de Becdelièvre de Cany; & celui du
Baron de Miſery , Chef d'eſcadron du régiment
de la Reine , cavalerie , avec Mademoiſelle Foacier.
»
« La Princeſſe de Croï & la Princeſſe de
Solre , ont eu l'honneur d'être préſentées à Laurs
Majeſtés & à la Famille Royale par la Ducheſſe
de Croï , & de prendre le tabouret chez la
Reine. »
Le ſieur Grafe , Entrepreneur de la Manufactuse
royale des cires à cacheter , établie à Sèves ,
a eu l'honneur de préſenter au Roi un tab eau ,
préſentant, ſous verre, vingt- fix cachets de cires,
*d'autant de couleurs , ſavoir , trois bleu de Roi
bleu pâle & violette , dont la compoſition , ainfi
:
,
lij
(244 )
quecelledes autres couleurs , examinée par des
Commiſſaires de l'Académie royale des Sciences,
aeu l'approbation de cette Coripagnie , à qui
le ſieur Grafe avoit remis un pareil tableau. »
ce Le ſieur Blin a eu l'honneur de préſenter à
SaMajesté la vingt-unième livraiſon des Portraits
desgrandshomines , Femmes illustres &ſujets mémorables
de France , gravés & imprimés en couleur,
dont Sa Majesté a bien voulu agréer la dédi-
сасе(г). »
:
De Paris, le 28 Janvier.
Arrêt du Conseil d'Etat du Roi , du
17 janvier 1789 , portant homologation
des délibérations des Actionnaires de la
Caisse d'Ecompte , des 8 et 15 janvier
1789.
*LeRoi s'étant fait repréſenter ,en ſon Confeil,
l'extrait des Délibérations priſes par les Actionnaires
de la Caiſſe d'Eſcompte , en leurs aſſem-
-blées générales des 8 & 15 du préſent mois ,
concernant un prêt de vingt-cinq millions , qu'ils
ont unanimement offert àSa Majesté , pour quinze
-mois ,& à l'intérêt de cinq pour cent l'an , ſans
retenue , enſemble le plan de remboursement dudit
prêt annexé auxdites délibérations , Sa Majeſté
a reconnu que ce prêt étant fourni des deniers
de chaque Actionnaire en particulier , il
n'altéroit en rien le gage des porteurs de Billets
de Caiſſe : En conféquence , Sa Majesté s'eſt déterminée
à accepter les offres des Actionnaires ,
&àfaire profiter ſes finances& lachoſe publique,
d'un empreſſement ſi louable& ſi patriotique. A
(1) Cette livraiſon , compoſée des portraits de
Jeanne de Navarre , et d'Anne de Dreux , Ducheſſede
Bretagne , ſe trouve à Paris , chez l'Auteur
, place Maubert , nº. 17.
( 245 )

quoi voulant pourvoir : Oui le rraappppoorrtt;; le Ro
étant en fon Confeil , a homologué & homologue
les délibérations des Actionnaires de la
Caiſſe d'Efcompte , des 8& 15 préſent mois,
ainſi quele plan dudit prêt & du remboursement ,
par formede Loterie ,y annexé ; ordonne Sa Majeſté
que , pour va'eur des vingt-cinq millions qui
feront verſés au Tréfor royal , conformément
aux offres des Actionnaires , il ſera délivré des
affignations fur les Fermes générales , la Régie
générale , la Ferme des poſtes ,& autres revenus
de Sa Majesté , payables en avril 1790 , tant
pour le capital deſdits vingt-cinq millions , que
pour les intérêts à cinq pour cent , montant à
un millioncinq cent foixante-deux mille cinq cents
livres: Veut Sa Majesté que leſdites affignations
demeurent entre les mains des Adminiſtrateurs
de la Caiſſe d'Efcompte pour en recevoir le
montant à leur échéance,& l'employer avec la
retenue déterminée par les Actionnaires , devoir
être faite ſur les dividendes , au remboursement
du capital , intérêts &primes des vingt- cinq mille
meconnoiſſances de mille livres de capital chacune ,
dont le modèle eſt ci-annexé : autoriſe Sa Majeſté
les Adminiſtrateurs à faire ſigner leſdites reconnoiffances
par le ſieur de Varigny , Caiffier de
la recette génerale , & à les faire viſer par le
fieur Vincens ,Directeur général de laCaiſſed'Efcompte:
Autoriſe en outre Sa Majesté lesditsAdminiftrateurs
à faire faire publiquement , en Janvier
1790, & par voie du fort , le tiragedu rembourſement
defdires vingt-cinq mille reconnoiffances,
dans la forme accoutumée , en préſence
des Commiſſaires que les Actionnaires jugeront
à propos dechoiſir parmi eux , dans l'aſſemblée
générale qui ſe tiendadans les premiers joursdu
mois de Janvier 1790 , & qui , à cet effer , ſe
réuniront aux Administrateurs de laditeCaifſe. »
1 iij
(246 )
Fait au Conseil d'État du Roi , Sa Majesté y
étant, tenu à Versailles le dix-fept janvier mil
fept centquatre-vingt-neuf. Signé , LAURENT DE
VILLEDEUIL.
,
Le remboursement de cès 25 millions ,
tel qu'il a été arrêté le 15 dans l'assemblée
générale des Actionnaires , sera fait
en 15 mois , et consistera : 1 °. en 25 mil.
lions de capital. 2°. Intérêt payé par le
Roi à 5 pour cent pendant lesdits 15
mois , montant à 1,562,500 livres
3°. Montant d'une retenue de 25 livres
par chaque action sur les trois prochains
dividendes , 1,875,000 liv. Ces trois sommes
forment ensemble un total de
28,437,500 liv . , lequel sera remboursé
en avril 1790, рpar forme de Loterie.
Voici le plan de cette Loterie.
2
a
1 lot de 50,000 liv.
40,000.
20,000.
..
50,000liv.
80,000 ,
100,000
2 ..
5
12 10,000 120,000
30 5,500. 165,000
150 • 3,500. . 375,000
800 1,500 . • . 1,200,000
6000. 1,150. 6,900,000
18000 . 1,080 . 19,440,000
Une prime au premierN°. sorti 7,500
TOTAL. 28,437,500 liv .
Arrêt du Conseil d'Etat du Roi , du 7
décembre 1788 : Qui excepte de la prohibition
portée par l'Arrêt du 28 septembre
dernier , les huiles de Baleine et
( 247 )
d'autres Poissons , ainsi qui les fanons
de Baleine , provenant de la pêche des
Etats-unis de l'Amérique .
Vingt-deux Gentilshommes de Franche-
Comté avoient protesté contre la résolution
prise par d'autres membres de
la Noblesse de cette Province , au sujet
de l'admission du Tiers-état en nombre
égal aux Etats-généraux. Le Parlement,
instruit de cette démarche , manda le
Notaire qui avoit reçu l'acte de cette
protestation , et le força de le déposer
au greffe. Le Peuple attroupé voulu se
porter aux plus violens excès contre les
Membres de la Cour; mais les Gentilshommes
qui avoient signé la protestation
, furent les premiers à calmer la
fermentation. Cinq cents annoblis , tout
le Tiers , ont pris la défense de leur
systême , et les vingt - deux Gentilshommes
ont cru leur honneur intéressé
à rendre compte à Versailles de l'arrêté
du Parlement ; ils y ont envoyé sur-lechamp
un courrier , pour porter au Roi
la lettre suivante , signée d'eux tous :
» Sire. Pénétrés de reconnoiſſance & de ref
> pet pour le Réſultat du Conſeil de V. M. ,
» du 27 décembre , nous n'avons pas cru qu'il
>>nous fût poſſible d'adhérer aux proteſtations ,
» en date du 6 de ce mois , contre ce réſultat ,
>> par une partie de la chambre de la Nobleſſe
>> desEtats de cetteprovince. 22 Gentilshommes ,
»Membres de cette chambre , obéiffant au cri
" de leur conſcience , & pleins de confiance
» dans les vues d'équité que V. M y annonce
liv
( 248 )
pour le bonheur & le foulagement de fon
» peuple , ont réclamé contre ces proteſtations.
» A eux s'eſt joint un de vos anciens Miniſtres ,
» ( M. le Prince de Montbarrey ).. -Sur le
>> refus d'inférer leurs réclamations fur le regiftre,
ils ont déposé l'acte qui les atteſſe chez
>> unOfficier public. -Votre Parlement de Franche
- Comté , inftruit de cette démarche de
vos fidèles Sujets , vient de faire enlever cette
* minute précieuſe pournous, en ce qu'elle étoit
> un monumentde notre reſpect pour vos volon-
» tés paternelles, d'amour pour notre pays , &
> le ſeul témoignage que nous puiffions vous
> offrir de notre reconnoiffance. -En violant
> un dépôt ſacré, votreParlement ne peut nous
» forcer au filence. Il a pu fupprimer l'acte qui
> renfermoit nos fentimens, mais il ne peut em-
> pêcher que l'expreffion n'en parvienne au pied
» du Trône. Nous oublions , Sire , la fuppref-
» fion violente de cet acte national , parce que
>> les voeux qu'il contient , font gravés dans
>> tous les coeurs vraiment patriotiques & Fran-
» çois. Nous cherchons moins à demander le
>> redreſſement du tort honorable que l'on nous
» a fait , qu'à manifeſter àtous nos concitoyens
les fentimens d'amour & de reſpect pour votre
> perſonne ſacrée , & d'adhéſion aux principes
>>généreux de liberté & de fidélité publiques
que Voue Majesté confacre. Nous fom-
» mes , &c. »
Le Conseil d'Etat du Roi a cassé, le
21 janvier 1789, l'Arrêt du Parlement
de Besançon , par un Arrêt dont voici
ledispositif.
« Le Roi s'étant fait repréſenter , en ſon
Confeil , l'Arrêt rendu en ſon Parlement de
Franche-Comté , le 12 du préfent mois , par le-
:
( 249 )
quel cetteCour , après s'être fait rapporter deuxProteſtations
dess&6 du préſent mois remifes
chez un Notaire , l'une par neuf Membres de
l'Ordre du Clergé , l'autre par vingt-deuxMembres
de l'Ordre de la Nobleſſe , en auroit fupprimé
les Actes de dépôt , ſans avoir aucun égard
aux juſtes & louables ſentimens dont elles préſentoient
l'honorable expreffion ; Sa Majeſté a jugé
qu'Elle ne pouvoit laiſſer ſubſiſter un Arrêt ,
dont les Membres du Clergé& de la Nobleſſe ,
qui ont ſigné ces déclarations , auroient unjuſte
droit de ſe plaindre. A quoi voulant pourvoir :
Oui le rapport ; le Roi étant en fon Confeil , a
caffé& annulle , caſſe & annulle l'Arrêt rendu
le 12 de ce mois au Parlement de Franche-Comté:
Déclarant Sa Majesté qu'Elle honore de fon approbation
ſpéciale , les motifs d'amour , d'obéiffance
& de zèle qui ont dicté ces déclarations .
Et pour donner aux Membres des deux Ordres
qui les ont ſouſcrites , une marque authentique
de fa fatisfaction , veut Sa Majefté que le contenu
auxdites déclarations foit annexé au préfent
Arrêt , & qu'il ſoit imprimé & affiché partout cù
beoin ſera. »
Acet Arrêt , sont annexés les actes de
réclamation de plusieurs Membres de la
Chambre du Clergé des Etats de Franche-
Comté , et de plusieurs Membres de
la Chambre de la Noblesse , contre le
dernier arrêté de leurs Chambres respectives.
Le dernier de ces actes porte :
« L'obéiſſance aux ordres du Prince , eſt un
devoir auquel tout François eſt aſſujetti , quand il
ne lui preſcrit rien qui ſoit contraire aux loix.
Le Réſultat du Conſeil , contre lequel la Chambre
proteſte aujourd'hui , eſt l'acte le plus favotable
aux droits de la Nation , qui foit jamais
lv
(250 )
émané de la justice du Souverain. Il yreconnoît
que l'ancienne Conſtitution autoriſe. les trois
Ordres à délibérer & voter ſéparément ; que
l'intention de Sa Majeſté eſt ſeulementde mettre
les Etats-généraux à portée d'adopter l'une ou
l'autre forme de deliberation ; que l'ancienne délibération
par Ordre ne peut être changée que
par le concours des trois Ordres. Le Roi reconnoît
les droits de la Nation , & la convoque
pour qu'elle difcute ſes intérêts. »
" 'eſt dans ce moment qu'une partie de la
Nobleſſe de Franche-Comté s'oppoſe à ces vues
d'équité , en refufant de paroître ou de prendre
part aux Etats-généraux ,& en cherchant à lier
lesMembres de cette Chambre par ſes proteſtations.
Quel en peut être le motif ? Nous n'en
voyons point d'autre qu'une convocation plus
complette du Tiers- état , dont la province même
adonné l'exemple , en regardant auffi comme
indifférent le nombre des Repréſentans reſpectifs
de chaque Ordre. Nous ne pouvons ni ne devons
pas davantage nous oppoſer à la convocation
par bailliages , qui tient à la conſtitution du:
Royaume , & quia été adoptée lorſque cette province
fut appelée aux Etats de Tours, Enfin ,
nous avons cru qu'il étoit du devoir de tout Fran
çois d'adhérer à la conſtitution que jugeront à
propos de ſe donner les Repréſentans de laNation
aſſemblée en Etats-généraux. »
«Forcés par nos principes , mais avec douleur
, nous déclarons hautement que nous n'entendons
adhérer en rien à ladite proteſtation , réclamant
contre la violence injuſte qui feroit
faite à nos opinions , & qui les entraîneroit dans
le voeu illégalement exprimé par une pluralité
incompétente pour ſtatuer ſur les intérêts de la
Nation entière. Déclarons de plus , que le préſent
acte , dicté par ſa néceſſité& par notre zèle pour
(251 )
le bien public , ſera remis à MM. les Commiſſaires
du Roi , aux Chambres du Clergé &,
du Tiers ; que copie en ſera déposée chez un
Notaire, pour recevoir l'adhéſion de ceux de
notre Ordre qui adopteront notre ſentiment. >> .
«Fait en la Chambre de la Nobleſſe , le fix
janvier mil ſept cent quatre-vingt-neuf. Signé ,
le Prince de Saint-Mauris , le Vicomte de Toulongeon,
d'Arçon , Baron de Raclet de Marcey ;
Monciel, Lefay- Marnezia , Comte de Portier ,
Comte de Reculot , le Baron de Fraguier ,le Marquis
de Château-Renaud,le Chevalier d'Autume ,
leMarquisde Froiſſard de Bersaillin , le Comte de
Raincourt, le Baron de Glâne , le Vicomte de Sagey,
le Marquis de Vaulchier du Defhaux , le Baron
de Montjustin ,le Chevalier de Treflondans , de
Chaillot , le Vicomte de Romanet ; le Marquis de
Toulongeon , de Grammont. »
Le dégel s'étant soutenu graduellement
pendant 12 à 15 jours , la débacle des
glaces de la Seine n'a eu lieu que la semaine
dernière , et heureusement sans
dommages considérables dans la capitale
même. Les rives du fleuve au-dessus
de Paris , ont été plus maltraitées en
quelques districts. On compte beaucoup
de bateaux brisés ou emportés ,
mais nousn'avons pas encore de rapport
assez exact pour faire mention de ces
divers accidens .
Nous récevons des bords de la Loire
desrelations infiniment plus affligeantes .
Voici ce que mandoit d'Orléans une
personne respectable , le 19 de ce mois.
:
I vj
( 252 )
. » Hier 18 , à 2 heures , la débacle de
la Loire s'est annoncée par des bruissemens
assez forts; le vent étoit sud-ouest ,
le thermomètre de Réaumur au vif argent
, entre 5 ou 6 degrés au-dessus de
glace. A une lieue Est d'Orléans , les
glaces se sont accumulées par une crue
de neuf pieds , et àun tel point , qu'elles
arrêtèrent le cours du fleuve ; mais les
fontes venues de plus haut ont levé les
obstacles , et entre deux et , trois heures
après midi , la quantité d'eaux et de
glaces a ouvert un passage , crevé les
chaussées du côté du midi , de manière
qu'en quatre heures de temps , tout le
paysque l'on appelle le Val, s'est trouvé
submergé, ainsi que la partie de la ville
nommée le Paterean , et qui n'en est
séparée que par le Pont. L'étendue du
terrain peut être évaluée de six à sept
lieues. Représentez-vous tout ce que la
désolation offre de plus déplorable. Les
hommes sur le comble des maisons , dans
Jes arbres , implorant des secours qu'il
étoit impossible de leur donner , les cris
jmpuissans , l'image de la mort à chaque
instant devant les yeux de nos conci
toyens. L'attention de M. l'Intendant et
des Ingénieurs a veillé aux moyens d'arrêter
les effets de ce fléau , en ordonnant
des barques pour porter, des alimens
aux malheureux qui crioient
merci. Les détails ne sont pas encore
venus à ma connoissance ; mais il est
( 253 )
à craindre qu'il y ait un grand nombre
de victimes. Que d'infortunés perdent
toute leur propriété avec l'espoir même ,
mal plus affreux que la perté réelle!>>>
Nous apprenons qu'à Blois , à la Charité
, à Saint-Diez , la même débacle a
occasionnédes dégâts plus ou moins déplorables.
Les glaces ont mis quatre jours à parcourir
le fleuve de Roanne à Orléans ;
car on nous écrit de la première de ces
deux villes , que la débacle s'y est faite
le 14, à 8heures du matin , et qu'elle a
duré près de 24heures. Le courant entraînoit
des plateauxde glacede plusieurs
toises de largeur , et de l'épaisseur d'un
pied . Nombre de bateaux ont été détruits
, et le pont de bois fort endommagé.
Le 15 , la crue de la Loire fut de dix
pieds.
- Le Rhône , dont les eaux très - basses
avoient facilité la congélation totale à
Lyon , a commencé à dégeler le 12 , par
un vent de sud , et la débacle des glaces
s'et faite le 14. On trembloit pour la sûreté
du Pont Morand, bâti en bois , mais
qui a heureusement très - bien résisté , à
Paide des éperons qui en garantissent
les arches. Deuxdes éperons , cependant,
ont été emportés , ainsi qu'un des pilotis
du pont. Les glaçons , de 14 à 18
pouces d'épaisseur , et partagés en grands
plateauxde cent pieds carrés de surface ,
Font entraîné des moulins , des usines et
( 254 )
des bateaux. La débacle de la Saône ,
dans la même ville , a été plus tardive
de deux jours que celle du Rhône , et
encore plus funeste. L'un des ponts de
boisde300 pieds de long , a été renversé,
et les 4 cinquièmes des usines et moulins
sont endommagés.
De toutes les Provinces du royaume,
l'Alsace est celle qui a éprouvé la plus
grande intensité du froid. Le 18 décembre,
le thermomètre descendit à Neuf-
Brisack, à 24degrés . Nous avions soupçonné
quelque exagération dans ce rapport;
mais on ne peut douter de son exactitude
, d'après le nom et le caractère de
PObservateur , dont nous n'avons eu connoissance
que très-récemment ; c'est le
Comte de Caire , Colonel et Chef de
Brigade du Corps-Royal du Génie , qui
a fait et attesté lui-même l'observation.
Le Curé de Sainte-Marguerite , dont
la Paroisse embrasse ici tout le Faubourg
Saint -Antoine, a établi des marmites
, où l'on prépare une soupe économique
, composée de purée de pommes
de terre , de pain , d'oignons , de sel et
d'eau . A l'aide de cet aliment , ce respectable
Ecclésiastique fait vivre chaque
jour huit mille indigens , de trente mille
dont sa Paroisse est affligée . C'est luimême
qui a attesté , dans une feuille publique
journalière , ces deux nombres
douloureux. Trente mille pauvres dans
une seule Paroisse de Paris ! On nous
( 255 )
assure que celle de Saint-Laurent est
aussi infortunée : celles de Saint-Médard
et de Saint-Etienne-du-Mont, également
très-peuplées , sont également pleines de
nécessiteux. Dans la Feuille périodique
que nous avons citée, on donne dix
mille indigens à la Paroisse du Gros
Caillou , voisine des barrières . Calculez
maintenant le nombre effrayant d'individus
réduits à la charité publique dans
l'une des plus florissantes Villes-de l'univers;
et toutes les grandes capitales offrent
plus ou moins le même tableau !
Et il se trouve des démonstrateurs élégans
du bonheur qui attend l'humanité
dans ces gouffres de misère et de popu
lation ! Grace à la sobriété naturelle
du peuple en France, l'indigence peut
y être moins difficilement secourue ;
mais un Allemand, un Milanais, un Anglais
, se contenteroit-il de soupes économiques
?A Londres, oùles charités ont
étéégalement immenses pendant le froid,
onadistribué aux nécessiteuxde la bière ,
du pain , du fromage , de la viande et
du charbon. Cette subsistance dispendieuse
y étoit nécessaire , tandis qu'on
nourriroit unEspagnol avec deux oignons
etun morceau de pain par jour.
UnMémoire sur les calamités de l'hi-
Peractuel, lû dans une Assemblée générale....
des Curés de Paris , tenue le 9 à l'Hôtel
de-ville , et dont l'Auteur est M. Desbois
de Rochefort , Curéde St. André-des
(256 )
...
Arcs, n'autorise que trop ces tristes ré
flexions. Ce respectable Pasteur , qui ,
dès le commencement des froids , a ouvert
sa porte , et distribué ses secours à
tous les pauvres de sa Paroisse , et dont
on ne pourroit trop célébrer le zèle intelligent
, le courage ,, la charité immense
, développe dans ce mémoire les
causes de la misère générale, ainsi que
les moyens de la diminuer. Il observe
avec justesse qu'il ne faut pas attribuer
cette déplorable situation du Peuple à
la seule rigueur de la saison , jointe à
la cherté du pain. La suspension des
Cours souveraines , l'acharnement aux
chances des Loteries , la langueur des
Manufactures , celle d'une multitude de
Professions de luxe , la diminution trèssensible
des consommations en divers
genres, ont frappé à- la-fois toutes les
classes du Peuple : ces effets se feront
sentirencorelorsquele froid auradisparu.
«On croit , dit M. le Curé de S. André-des-
» Arcs , que nulle part il n'ya autant de charités
» qu'à Paris . Ah ! a-t-on bien ſaiſi le rapport de
> ces charités avec le nombre & la nature des
>> isfortunes ? Ne craignons pas de le dire ,
» Meſſieurs , le Journal de Paris , les compagnies
>> de fecours , les bienfaiteurs parlent bien haut ;
» maisles malheureux obſervent un filence long&
>>profond. Parlons donc publiquement pour eux.
Oui , malgré tout ce grand éclat de bienfai
>>fance , les infortunés ne font pas fecourus ,
»& font mille fois plus malheureux qu'autre
>>part. Nous ne faiſons que livrer à la terre des
( 257 )
>> corps que la honte le froid & la faim ont
» fait périr. La ville est tropgrande pour qu'on
>>>y parle par-tout des malheurs qui arrivent dans
>> un quartier ; & preſque toujours la ſenſation
» d'un malheur atroce eſt perdue pour le public.
>> Combien de ſuicides & d'autres attentats que
>>l'eſpérance ſeule empêche ! Nous ne voyons
>> que les ſuperficies , & nous ſommes preſque
*toujours inal inſtruits & diſtraits . >>>
L'Auteur a résumé lui-même , en ces
termes , les principales idées de ceMe
moire...
« Le froid exceffif de cette fa fon ,&lacherté
du pain , ne font ni les ſeules , ni même, les
principales calamités qui affligent le peuple de
Paris.
"Il eſt important de foutenir l'effet de la
ſenſibilité publique , après les rigueurs de cat
hiver.»
Il yaura une fubvention d'une partie des
biens eccléſiaſtiques de cette ville pendant cette
année, pour faire face àtous les malheurs ; &
M. l'Archevêque , ou l'Hôtel-de-ville , feront
priés de raſſembler , le plus inceſſamment poffible,
les bénéficiers & les députés des communautés
monaftiques & eccléſiaſtiques , pour requérir
leur agrément à ce ſujet. »
« Il ſe tiendra chez M. l'Archevêque , tous
lesquinzejours ,& le plus tôt poſſible ,une affemblée
compoſée de la manière indiquée , ou qu'on
jugera plus utile, »
«On tiendra , dans chaque paroiſſe , un tureau
paroiſſia!, qui correſpondra , ſoit avec l'afſemblée
générale , ſoit avec le bureau du
qua tier.»
«Dans les grandes paroiſſes , feront établies
des fous-diviſions de quartiers de la contenance
( 258 )
de huit ou dix mille paroiffiens. Chacun fera
inſpecté par un bureau composé de la manière
indiquée , ou autrement. >>
Un bon Observateur nous mande de
Roanne , que la gelée y a commencé au
15 novembre, et qu'elleaduré jusqu'au 21
janvier , à l'exception des 20 et 21 novembre
, et des 4 , 5 , 25 et 26 décembre.
Du 18 au 31 de ce dernier mois , le thermomètredescendit
, à sept heures du matin
, à 10 , 15 , 13 , 14 degrés au-dessous
de zéro . Le 31 , à 161; le 4 janvier , à
12 , et le lendemain , à 17
Les Amateurs et Possesseurs d'arbres
et d'arbustes exotiques , que l'on appelle
communémentde pleine terre, devroient
donner leurs observations sur les effets de
lagelée qu'aura éprouvée cettebelle partiede
labotanique , et en marquer les
circonstances , en tenant compte de la
quantité de neige dont la terre a été
couverte , du verglat dont les branches
ont été enduites , de l'âge des individus ,
de l'influence de la gelée sur les feuilles
qui sont les parties les plus sensibles ,
sur les jeuries branches , sur le tronc et
sur les racines .
«Suivant des lettres du 15 , de l'Ile-de-Rhé,
lamer , pendant un mois , n'a offert qu'une glace
contiguë , depuis les bords de l'Ifle juſqu'à la Rochelle.
Le froid fut précédé d'un violent ouragan.
Tous les vaiſſeaux qui étoient dans ces parages ,
ſouffri rent différentes avaries. Un fur-tout , arrivant
de Terre-Neuve , fut jeté ſur les roches
( 259 )
de la citadelle de Saint-Martin. Sept matelots ſe
précipitèrent dans la chaloupe qui fut ſubmergée.
Tant que la communication avec le continent a
été fermée par les graces , l'Iſle a été dépourvue
de bois &de bled que lui fourniſſent les côtes
voiſines. Les habitans , réduits aux extrémités de
la faim &du froid , ont été même privés de la
reſſource des coquillages dont ſe nourrit le bas
peuple : une chérive récolte de pommes deterre,
étoit gelée &pourrie, Les équipages de pluſieurs
vailſſeaux engagés dans les graces des rades , ayant
vainement attendu des ſecours , ſe ſont rendus à
terse& ont augmenté la diſette. »
Le plus grand froid observé à Metz ,
dans le courant de décembre , a été de
15 degrés , le 18 et le 30. Du 8 au 15 ,
les Oiseleurs ont attrapé une alouette
de Sibérie , oiseau superbe , tellement,
rare en Europe, que M. de Büffonn'a
pu se le procurer pour en faire la desa
cription d'après nature , et plus de 24
Ortolans de neige , qui vivent l'été dans
les glaces du Spitzberg et les Alpes Laponnes
, et se retirent en hiver dans les
neiges de la Sibérie. Enfin, le 31 décembre
, un Aigle commun, de six pieds
d'envergeure , pressé sans doute par la
faim et la fatigue , s'est abattu dans un
jardin de cette ville, et dela est allé tomber
au village de Rurange , où il a été
pris vivant. Les Chasseurs ne se souviens
nent pas d'avoir jamais vu passer aucuns
de ces oiseaux dans cette province.. :
( 260 )
Dans une Assemblée des trois Ordres
de la ville de Bar-le-Duc , tenue le 7 ,
il a été unanimement arrêté :
«Que les trois Ordres , remplis de confiance
dans les bontés du Roi , adreſſeront une lettre à S.
M. , dans laquelle ils renouvelleront inſtamment
leur voeu & leurs très-humble ſupp'ications ,
pourobtenir , de la juſtice de S. M. , le rétabliſſement
des Etats particuliers du Barrois avant la
convocation des Etats-généraux. >>>
«Que cette grace, quoiqu'un bienfait éminent
pour leDuché , non-feulement tournera au profit
de l'Etat , mais qu'elle aura encore cette marque
effentielle , de ne pouvoir nuire àperfonne , qu'aucune
contrée voiſine , aucune corporation ne
ſera fondée à réclamer.
«Qu'ily abiendes exemples dans le Royaume,
quepluſieurs Provinces , compoſant une méme
ont chacune leurs Etats particu-
Chabanlinh
Generale ,
liers. »
«Que ſi le Roi ſe déterminoit à ne prononcer
ſur cette réclamation que dans la tenue des
Etats-généraux , S. M. fera très - humblement
fuppliée d'accorder aujourd'hui la permiffion à ſes
Sujets du Barrois , de ſe réunir, pour fairechoix
d'un nombre ſuffi ant de Repréſentans pour ſe
rendre directement aux Etats de la Nation.
Il s'est élevé de grandes contestations
entre les divers Ordres des Etats d'Artois.
Chacun d'eux a pris des arrêtés contradictoires
au sujet de la nomination des
Députés de la Province aux Etats d'Artois
, de la plus grande influence réclamée
par le Tiers-état , et d'autres
questions de la même gravité.
( 261 ) :
PAYS- BAS.
DeBruxelles, le 29 décemb. 1788.
Le Comte de Trautmansdorf, Mi
nistre de l'Empereur auprès de nos Provinces
, étoit parti pour Vienne , et se
trouvoit déjà à Mons , lorsqu'une nouvelle
dépêche de S. M. Impériale , en
date du 7, l'a ramené en cette Capitale.
Le refus des Etats de consentir aux subsides
exigés a occasionné cette dépêche,
par laquelle , assure-t-on , l'Empereur
déclare qu'il se regarde comme
dégagé des obligations du pacte inaugural,
et ordonne à son Ministre d'employer
la force militaire pour faire
lever les subsides. La ville est plongée
dans la consternation , et par-tout cette
nouvelle a fait naître le mécontentement
le plus violent.
Philippe Coets , né en Bohême , eſt mort àAnvers
, dans le courant du mois dernier , à l'âge
de 104 ans. Soldat depuis ſa jeuneſſe , il fit toutes
les campagnes ſous le Prince Eugène contre les
Turcs. Il ſe trouva à la priſe de Belgrade en
1717. Agé de quarante ans , il ſe maria .&vécut
avec ſa première femme pendant douze années ;
il en eut fix enfans , dont ſurvivent dix petits
enfans. Al'âge de ſoixante ans , il ſe remaria ,&
eut de cette femme huit enfans , dont il exiſte
trente petits enfans..
Ayant perdu ſa ſeconde femme , il épouľa la
troiſième à l'âge de quatre-vingt-douze ans ;
(262 )
il n'en eut point d'enfans. Ce vieillard a toujours
joui d'une bonne ſanté , & a confervé l'uſage de
tous ſes ſens , à l'exception de l'ouie , juſqu'à fes
derniers jours. »
Suivant les observations météorologiques
faites à Cologne , sur le thermomètre
de Reaumur , depuis le 24 no-
'vembre jusqu'au 31 décembre dernier , le
plus grandfroid y a été , le 15 décembre ,
de 13d. , et le 17 du même mois , de
15 d. Le 30, le thermomètre ne descendit
qu'à 13 d. 4 , et qu'à 9 le 31 .
Le 17 de décembre , le thermomètre
de Reaumur descendit , & Varsovie , à
25 degrés au-dessous du point de congélation
, et à 26 le lendemain.
Nous ne savons point encore si le
froid , dans le midi de l'Europe , a été relativement
aussi aigu qu'ailleurs . Sous
'les mêmes latitudes on a observé de
grandes inégalités dans l'intensité de la
gelée. A Genève , le plus grand froid
n'a été que de 14 degrés et demi , le 31
décembre ; mais le 7 janvier , il se soutenoit
encore à 10 degrés depuis plusieurs
jours . Les eaux du Rhône ont
éprouvé, à la fin de décembre , unebaisse
extraordinaire , et ce fleuve , malgré sa
rapidité , a été gelé d'un bord à l'autre .
Le lac l'a été pareillement , jusqu'à une
demi-lieue de distance , depuis le port
de Genève , et on l'a traversé à cheval
et en traîneau.
( 263 )
Paragraphes extraits des Papiers Anglois&autres.
Dans la correſpondance littéraire ſe crète ,
datée de Paris , du 15 Novembre 1788, après avoir
parlé ( pag. 375 ) du bruit qui ſe répandoit que
le fameux Séraskier de Romélie eſt neveu deM.
de Beaumarchais, on ajoute que les conteurs d'anecdotes
, qui ont l'art de tout arranger&de coudre
les aventures ensemble , prétendent que le Grand-
Viſir est un Jacobin François. On le fait fortir en
1755, du couvent de Lyon , enlevant une jeune
Lyonnoise& le tréfor des RR. PP. Après beaucoup
d'aventures peu vraiſemblables , on dit qu'il
arbora le turban, & est devenu , à force de vertus ,
Grand-Vifir. Le journaliſte n'oſant garantir la
vérité de toutes les circonstances de ce roman ,
ajoute : LE SUR DE CETTE HISTOIRE eft que
VÉRITABLEMENT , en 1755 , il y eut un Jacobin
qui se défroqua , & enleva le tréfor du couvent
&uneLyonnoife.
Les Dominicains de cette ville croient devoir
à leur réputation & à la vérité , ledéſaveu le plus
formel de cefait même que l'auteur de la feuille
donne comme súr. Ils avoiententrepris , en 1754 ,
d'achever la conſtruction de leur couvent , &
cette dépense avoit entièrement conſommé le
fruit modique de leurs épargnes , en forte que
leur caiſſe étoit abſolument vide , & aucun de
leurs Religieux ne pouvoit l'ignorer. Il eſt faux
qu'aucun Dominicain ſe ſoit évadé de leur maifon
en 1755 , &l'enlèvement de la jeune Lyonnoiſe
eſt une pure calomnie. Les évènemens de
ce genre ne manquent point de faire du
bruit; quelque ſoin qu'on prenne pour les cacher,
la malignité, toujours active , en perpétue long
( 264 )
empsle ſouvenir. Les Dominicains réclament ici
avecconfianceletémoignage de leurs concitoyens:
perſonne n'a entendu parler à Lyon , en 1755 ,
de l'évaſion du re igieux , du vol de la caiſſe , ni
de l'enlèvement dont il s'agit ; & l'on ne doute
pas que l'Auteur de la correspondance littéraire
fecrète ne s'empreſſe , ſi cet éclairciſſement parvient
juſqu'à lai , de déſavouer lui-même cette
anecdote romanesque , qui n'a en aucune forte de
fondement.(Journal de Lyon).
2
MERCURE
+
1 DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ;
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux évènemens de
toutes les Cours ; les Pièces Fugitives nouvelles
en vers & en profe ; l'Annonce & IAnalyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles
; les Causes célèbres ; les Académies de
Paris & des Provinces ; la Notice des Édits ,
Arrêts; les Avis particuliers , &c. &c .
SAMEDI 7 FÉVRIER 1789 .
A
PARIS ,
Au Bureau du Mercure , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins , Nº . 18 .
AvecApprobation, & Privilége da Roi.
TABLE
Du mois de Janvier 1789.
PIECES IÈCES FUGITIVES. felles. 75
Mecanique Analyrique
Vers. 1
Dictionnairedes Jardini.rs. 83
VoyagedujeuneAnackarfis
Constitution de l'Angleterre.
Eptire.
49 409
AMille. Caroline. 52 Le Galanterie. 128
Epitaphe. 57 Constitutions de l'Angleurre.
150
Acroftiches.
و ه
A'manach Littéraire. 167
Epigramme. 99 Traité des Bandages. 174
Quel danger ! Anecdoce. 100 Six Sema nes. 176
Les deux Vénus .
145 Zoologie Univerſelle . 104
A Mile. E. D***.
17 Traité d'Agriculture. 2:1
Vers.
39 Etraanes de Mnemosyne. 228
Eplire, 194
Charedes, Enigmes & Logos. Variétés.
28
4,52, 107, 148 , 198.
Académie Françoife. 85
NOUVELLES LITTÉR . SPECTACLES.
Lestres d'Euler.
Confiderationsfur i Espris 54
Lanval & Viviane.
L'Ami des jeunes Demoi.
70 Annonces & Notices , 41,91,
138, 184, 915.
26Comédie Frang, 36, 110, 179
Comédie halienre. 87,181.
A Paris , de l'imprimerie de MOUTARD ,
rue des Mathurins , Hôtel de Clumi,
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 7 FÉVRIER 1789.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
Pour le Portrait de M. le Bailli DE SUFFREN.
REDOUTÉ de l'Anglois , au rivage Indien ,
Ce Héros quatre fois enchaina la Victoire :
Couronné par ſon Roi , Malte en lui vit ſa gloire ,
Neptune fon rival , & l'Etat ſon ſoutien.
ParMole Ch. de Thui...
A2
4 MERCURE
CHANSON
'A Mme. la Marquise D'ER .... , adreſſée à
M. le Marquis Des .... , qui me demandoit
des Im-promptus pour elle.
L
Air : Avec les Jeux dans le Village.
DE ma verve indulgent Mécène ,
Tu veux que par des Im-promptus ,
J'oſe chanter de Célimène
Et les appas & les vertus.
Trouverai -je des rimes prêtes
Pour célébrer autant d'attraits !
Ainſi qu'elle fait des conquêtes ,
Crois-tu qu'on faſſe des couplets ?
Sr de ſon eſprit qui pétille ,
Le mien avoit les traits ſaillans ,
Je chanterois comme elle brille ,
Et mes vers ſeroient des élans.
Je cède au déſir qui me preſſe ;
Mais je me traîne après un Air ,
Tandis que ſon regard , qui bleffe ,
•Part aufli vite que l'éclair,
MIEUX que toi , Célimène inſpire ,
In-promptu bizarre & maudit !
DE FRANCE.
Si des vers vantent ſon empire ,
C'eſt ſon ouvrage qu'elle lit.
Quoi ! ton caprice me rejette ,
Quand mon zèle ardent te pourſuit?
Tu reſſembles à la Coquette ;
Dès qu'on la recherche , elle fuit.
COMME la mouſſe du Champagne ,
Tu ne pétilles qu'un inſtant ;
Le délire qui t'accompagne ,
Ne vient jamais lorſqu'on l'attend.
Je renonce à ce Dieu bizarre ;
Célimène , reçois mes voeux ;
Est-il beſoin qu'on ſe prépare ?
Mes Im-promptus ſont dans tes yeux.
(ParM. Sabatier de Cavaillon, an
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE
E mot de la Charade eſt Vertu ; celui
de l'Enigme eſt Fuſeau; celui du Logogriphe
eſt Sonnet , où l'on trouve Tonne
Son , Os , Ton .
A 3
MERCURE
CHARADE
4 SUURn monpremier,unProphètefameux,
Unbeau matin s'envoſa vers les Cieux;
Mon fecordeft feuvent argument fans réplique;
Mais pour mon tout , Lecteur , qui s'y fratte, s'y
pique.
(ParM. le Ch. deP***. )
ÉNIGM E.
JE fuis fort répandu ; deſſus &deflousterre
J'exerce mes talens ;
Ce n'eft là tout men ſavoir-faire ::
Je commande à trois éléinens 5
Je fais, de l'Eau , de l'Air & du Feu, mes eſclaves
Etje leur donne à tous trois des entraves
Qui garantiffent mes ſuccès..
Pour mieux medéfigner, vous faut-il d'autres traits ?
J'annonce que je fois au poil comme à la plume ,,
Et fouventdur comme une enclume..
Je prends même à l'Eglife un ton
Qui , très- ſouvent, n'eſt pas mignon ;
Je parcours quelquefois les monts & les vallées ,.
D'autant plus aisément que j'ai le ventre creux ;.
Je monte au hautdes toits, &juſqu'aux cheminées;
Et , qui pis eft , je defiends juſqu'aux lieux..
DE FRANCE. 7
Quoique ce mot , Meſſieurs , vous effarouche ,
Par mon canal pourtant,pluſieurs, dans d'autres cas,
Sententque l'eau leur en vientàla bouche.
Ici , mon cher Lecteur, fi tu ne me tiens pas ,
A mon furnem peut-être
Tu pourras mieux me reconnoître ,
Car on m'appelle , en riant , quelquefois Nicolas.
(ParM. Benoît. , de Dourdan.)
LOGOGRIPHE.
EUT- ON m'avoir fans VEUT- ON queue ? on me préſente
:
aux Grands ;
1
Veut-on m'avoir ſans tête on s'adreſſe aur Marchands.
4
(ParM. LeGrand.)
A 4
8 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
De l'Adminiftration Provinciale , & de la
réforme de l'Impôt ; par feu M. LE
TRONE , ancien Avocat du Roi au
Préfidial d'Orléans .
Quomodo ceſſavit exactor, quievit tributum
? .... Cùm requiem dederit tibi
Deus à labore tuo , & à concuffione
tuâ & à ſervitute durâ quâ ante ſerviſti....
Terra gaviſa eſt & exultavit.
ISAÏ , CAP . 14.
وت
2 Vol. in- 8 ° . Prix , 12 liv. brochés , &
14 liv. reliés. A. Bâle ; & se trouve à
Paris , chez Pierre J. Duplain , Libraire ,
rue de l'ancienne Comédie Françoise
Cour du Commerce.
DANS le nombre des Ouvrages fur
P'Adminiſtration qui paroiffent depais
quelque temps , il en eſt peu qui méritent
de fixer autant l'attention publique que
celui dont on vient de lire le titre. Il eft
le fruit des longues recherches & des
AA
DE FRANCE.
9
méditations profondes d'un Magiſtrar vertueux
& éclairé , à qui les Sciences morales
& politiques doivent une partie des
progrès qu'elles ont faits en France dans
ces derniers temps.
L'objet de cet Ouvrage eſt de développer,
dans toute ſon étendue, la vaſte théo.
rie de [ Impôt ; de montrer les inconvéniens
de la perception actuelle , fes offers
fur la culture , les avantages d'un Impôt
régulier , & les moyens de l'établir. Il eſt
aité de fentir toutes les difficultés qui environnent
un pareil ſujet. Il faut raffembler
une foule de matériaux , les placer
dans le moindre elpace poſſible , & tirer
de chacun d'eux le degré de lumière qu'il
renferme ; s'elever à un principe général
par l'analyſe, la diſcuſſion , le rapproche.
ment d'un grand nombre de faits & de calculs
particuliers ; chercher , non pas ce qu'il
eſt toujours rigoureuſement juſte de faire ,
mais ce que l'opinion , les coutumes , les
préjugés , qui font de véritables puiſſances ,
permettent de tenter , afin de ne pas compromettre
les intérêts de la juſtice &de la
verité, par des démarches imprudentes & des
opérations irréfléchies. Il faut ſavoir diftinguer
ce que l'on doit abandonner au temps ,
dece qu'on peut tout de fuite demander à la
raifon du Siède , & exiger des circonftances
; il faut , en un mot , conftammend
eſſayer les principes ſur les hommes & fur
les chofes, & ne jamais perdre de vue dans
As
10 MERCURE
la theorie , comme dans la pratique de
l'Adiminiſtration, ce mot d'un homme ſupérieur
: >> Lorſqu'on a manqué la bonne
>>> route, on ne peut la regagner que par
» un chemin de traverſe ".
Tel eſt l'eſprit qui a guidé M. le Trône
dans la compofition de cer Ouvrage. On ne
lui reprochera donc point d'avoir formé un
plan d'Adminiſtration chimérique ; d'avoir
propoſé un Syſtême de perfection imalliable
aux circonstances; d'avoir fait abftraction
des obſtacles , d'en avoir diffimulé
le nombre ou méconnu la force. M. le.
Trône avoit trop de lumières &trop d'expérience
, pour ne pas prévoir & calculer
tour ce qui , dans un plan général de réforme
, pourroit arrêter on rendre inutiles
les moyens de rétablir l'ordre public. Une
analyſe rapide de ſon Ouvrage va donner
une idée de l'étendue de fon travail à cer
égard , & dés principes qui l'ont dirigé dans
famarche.
CetOuvrage eſt diviſé en onze Livres.
Dans le premier , l'Auteur établit. les principes
de l'impôt en général, & expole les
effets de l'Impôt indirect fur le revenu Territorial
& fur le revenu public. La queſ
tion de l'impôt , dit- il , fur laquelle tous
les Gouvernemens ont tellement varié
qu'on la croiroit dénuée de tout principe ,
fe trouve invariablement décidée , dès que
l'on est convaincu de ces vérités d'une éviDE
FRANCE. IL
dence physique , » que la terre eſt la ſource
>> unique de toutes les richeſſes , que le
>> travail de la culture eſt le ſeul produc-
ود tif, que ce travail ne peut s'exécuter fans
» dépenſe , & que le ſuccès du travail &
>>la fertilité de la terre dépendent de l'état
» des avances ". L'entretien de la Société ,
au dedans & au dehors, exige une dépenſe.
L'Impôr eſt donc deſtiné à une dépense ;
& comme il n'y a qu'une fource commune
de toutes les dépenses , l'Impôt ne peut
être qu'une portion des fruits de la terre,
deſtinée & employée à la dépenſe publique,
après avoir prélevé les frais qui l'ont
fait naître... Il n'y a donc d'Impôt régulier
que celui qui eſt aſlis ſur le produit net de
la culture , & exigé des Propriétaires ; tout
autre Impor , quelque circuit qu'il prenne ,
retombe définitivement ſur le Propriétaire,
>> en diminution de revenu & en augmen
>> tation de dépenſe ".
La Loi de l'Impôt eſt, ſuivant M. le Trône
, la ſeconde Loi conſtitutive d'une Société
régulière. Il fait le tableau des déſordres
qui ſont nés de l'oubli de certe Loi.
C'eſt principalement , dit il , depuis deux
ecles que le défordre fiſcal s'eſt tellement
accru , & a tellement épuiſé le Territoire ,,
que le revenu public, malgré tous les efforts
qu'on fait pour l'accroître, off tou
jours au deſſous des beſoins. La raiſon ena
eft qu'en fait d'Impôts indirects , && furtour
d'Impôts fur les consommations on ne

A6
12 MERCURE
double pas la recette en doublant l'Impôt,
car ces Impôts ſe dévorent eux-mêmes , &
détruiſent la valeur des productions & le
débit«.
M. le Trône compare le revenu public de
la France , en 1776 , au revenu public tous
Louis XI & fous Louis XII, & évaluant ,
aux deux époques , la valeur numéraire de
l'argent , & la valeur d'échange avec les
denrées , il prouve que le revenu public,
en 1770 , étoit moindre qu'il n'étoit fous
Louis XI & ſous Louis XII. » Le Roi ,
dit-il , ne ſe trouve avoir ( en 177 ) que
eing millions cinq cent foixante -dix dept
mille ſetiers emplovables à la dépenſe publique
, comparativement à Lonis XII ,
qui , relativement à la même etendue de
territoire , c'est- à- dire , aux deux tiers du
territoire actuel, iouiffoit de douze millions
de fetiers ....... Et il faut remarquer que
ſous Louis XII , le Peuple étoit heureux &
à fon aife , & payoit , fans furcharge , la
valeur de douze millions de fetiers ; preeve
incontestable du bon état de la culture. Aujourd'hui
que le Royaume eſt plus grand
d'un tiers, il eſt rotoire que le Peuple eft
beaucoup trop foulé , quoique le Roi ne
reçoive que dix-huit millions huic cent cinquante
mille fetiers. La raiſon en eft , 1°!
que quoique le Roi ne reçoive que cere
fomme , le Peuple paye près de trentequatre
millions de fetiers , parce cu'une
partie de l'Impôt eſt levée par des moyens
DE FRANCE.
qui courent le double pour avoir le fima
ple ; 2° . que par leur nature , ces Impôts
font deftructifs de la valeur & de la repro
duction ; 3 ° . que l'arbitraire qui préſide à
la répartition des autres parties de l'Impôt,
eft encore un obstacle an ſuccès de la cul
ture..... Ges comparaiſons d'un règne à
l'autre , ajoute M. le Trône, ſont des points
bien importans à difcuter , & plus dignes
des recherches de nos Savans & de nos
Academies , que la plupart des faits de cri
tique qui les occupent " .. Il termine ce
Chapitre par un tableau, rapide de l'Ad
miniftration des Finances de France, depuis
François I juſqu'au commencement de ce fiè
cle. Il oppoſe l'Administration de Colbert
à celle de Sully. Après avoir parcouru les
principales parties de la première , il dit :
ود Il feffit, pour jugerdes principes de ces
deux Adminiſtrations , de confidérer qu'en
1610 Ja Nation étoit dans l'aifance ; &
qu'en 1683 , elle étoit dans la déneffe ; &
queColbert étoit forcéde répréſenter au Roi,
en 1680, que la misère des peuples étoit
très - grande , & que toutes les letres qui
venoient des Provinces, des Intendans, des
Receveurs , & même des Evêques , l'attef
toient de toure part. On oppoſera peut- être
que le goût de Louis XIV pour la guerre ,
pour les bâtimens &le luxe , entraîna Colbert
hors de les meſures , & le força de
multiplier les Impôts & de recourir à de
faux moyens. Cela est vrai , ſans doute:
14 MERCURE
mais s'il n'avoit pas ruiné la culture pat
Faviliſſement du prix des denrées ; s'il n'avoit
pas troublé le commerce national par
fes tarifs & fes idées excluſives ; s'il avoit
connu les vrais moyens d'accroître les richeffes&
la puiſſance , il auroit trouvé des
reſſources dans le territoire. Cette détreffe,
dans laquelle il laiſſa la Nation & le Souverain
, ne fit qu'augmenter d'année à autre
, juſqu'à la fin de ce règne ſi vanté par
les Poëtes & les Orateurs , eſpèce de gens
née pour gâter les Princes , corrompre l'opinion
publique , & abuſer une Nation
ignorante , qui ſe laiſſe éblouir par des
mots. Les vingt dernières années de ce règne
ſi célèbre furent l'époque la plus défaſtreuſe
pour la Nation ".
:
Dans le Ile . Livre , M. le Trône établit
la néceſfiré de la réforme de l'Impôt , &
parle des obſtacles qui s'y oppoſent. Selon
lui , ces obftacles réſultent de l'ancienne
forme de notre Gouvernement, de l'ignorance
, de la forme d'Adminiſtration propre
à quelques Provinces , de l'Admimiftration
du Clergé , des intérêts parciculiers
, de la crainte d'un retard dans la perception
, de la difficulté de remplacer la
Ferme générale. Il calcule ſéparément le
degré de force de chacun de ces obſtacles ,
& indique les opérations qu'il croit les plus
propres à les faire furmontes.. Il propoſe
PAdminiſtration Provinciale , non ſeulement
comme moyen d'opérer , mais aufli
DE FRANCE
15
comme moyen de faciliter & d'affurer la
réforme; mais ilveut que les Membres de:
cette Adminiſtration foient pris parmi les
Propriétaires & choiſis librement , ſans diftinction
des trois Ordres , parce que cer
Etabliſſement n'a aucunrapport aux anciens
Etats-Généraux. M. le Trône obſerve qu'une
Administration Provinciale, bien organiſée,
doit fur - tout faire mître un esprit natio
nal....... »Tous les hommes ſont fufceptibles
d'attachement à un ordre de chofes
où l'on remplit un rôle , où l'on obtient
des fonctions nouvelles, où l'on eſt compté
pour beaucoup , où l'on a des foins à prendre,
& un miniſtère journalier à remplir......
L'eſprit national eft comme le ciment de
rédifice politique. Il prévient les mouvemens
; il étouffe les intrigues ; il déconcerte
le parti des oppofans ; il donne de la
conſiſtance à l'opération. Il devient d'aurant
plus néceſſaire dans un temps de réforme,
qu'on ne sçauroit opérer , fans relâ
cher , & même détruire , par une opinion
contraire, quelques-uns de ces liens factices
qui fuppléent à cer eſprit, qui démembrent.
la Société, & la diviſentendifférens Corps
oppoſés entre eux par leurs opinions , leurs
prétentions & leurs privileges. Beaucoup
d'états ont leurs principes à parr , trèscontraires
fouvent à l'intérêt général. On
ne peut croire combien cet eſprit particu-
Lier de Corps détache les hommes de la
Société générale &du bien commun , pour
16 MERCURE
concentrer toutes leurs idées , tous leurs
foins , tous leurs voeux dans l'intérêt du.
Corps; ce qui tend àdivifer & fubdivifer
la Société, & la mettre aux priſes. Mais il
faut aux hommes un intérêt auquel ils s'attachent.
Lorſque la Société générale ne leur
préſente que des rapports vagues & trop
étendus , ils cherchent à rétrécir la Sphère,
& à placer quelque part leur affection , au
préjudice de la grande Société : ils font de.
tel & tel état , & ne font pas Citoyens "."
:
Dans le IIIe. Livre , M. le Trône parle
des Impôts de la Ferme générale , &de ce
que coutent , tant directement qu'indirectement
, les principaux d'entre eux. Il avoit
établi dans le ler. Livre , comme une propoſition
incontestable , que les Impôts
ود
ود
י"
perçus par la Ferme générale coutent le
double pour avoir le ſimples. Il vamon
trer maintenant que ces Impôts , par leurs
effets ultérieurs fur la valeur & la reproduction
, font encore plus onéreux que par
leurs frais de perception. Il entreprend cette
difcuffion relativement à la Gabelle , au
Tabac , aux Aides , & aux droits de Traites,
qui font les principaux objets de la Ferme,
&donne une idée de ce que coutent ces
Impôts , foit en dépense eff clive , foit en
anéantiſſement de richeffe. Il ne faut pas
oublier , en examinant les différentes parties
de ce Livre , que les calculs de l Auteur
ont pour baſe les données qui exiftoient
avant 1779 , époque de la première
DE- FRANGE. 17
éditionde cet Ouvrage. Ce III Livre , qui
eſt le plus contidérable de tous , eſt auili
le plus intéreſſant par la multitude de faits
& de calculs que l'Auteur a raſſemblés ; il
évalue à cent millions , y compris les faux
frais , le prix du ſel vendu à la Nation ,
tant par la Ferme que par la contrebande ,
pour fournir au Roi quarante-cinq millions ,
Jeſquels doivent être réduits à trente - fix
millions effectifs , puiſque , ſelon l'Auteur ,
Le Roi y contribue d'un sc. comme à tous
les autres Impôts de la Ferme.
Il en coute beaucoup plus encore à la
Nation en anéantiſſement de richeffes & de
revenus. Quoique cette partie ne foit pas
dans tous ſes points ſuſceptible de calculs ,
l'Auteur en dit allez pour faire ſentir com,
bien cette perte furpaſſe la dépenſe directe.
>> Le ſel étoit autrefois une des produc
tions les plus précieuſes de la France; la Gabelle
a preſque anéanti cette richeſſe , & du
côté de la quantité de la production , & du
côté de la valeur ...... Nos ſels font les
meilleurs qui exiftent, principalement pour
les ſalaiſons. De tout temps les étrangers
s'en fourniffoient en France par préférence,
Les difficultés qu'ils ont éprouvées, dans
leurs achars , ont forcé les gens du Nord
d'aller chercher des ſels inférieurs & corrot
ifs , non foulement en Eſpagne & en Por,
tugal , mais juſqu'en Sicile , où il s'en vend
tous les ans une quantité très-confidérable,
Ce ne peut donc être que les entraves miles
19 MERCURE
... ..
à ce commerce, qui les empêchent d'acheter
les nôtres qui font meilleurs & plus
à leur portée. Les Hollandois tirent du ſel
par évaporation. Ne préféreroient- ils pas
d'acheter les nôtres ? Nos Salines
font en partie abandonnées , & cette branche
de production fi lucrative eft réduite
au niveau de la confomation. Toutes nos
côtes atteſtent ce fait , & offrent de toure
part des ruines de marais falans , autrefois
entretenus , & détruits depuis qu'on les a
rendus inutiles à la confommation, & infructueux
aux Propriétaires. Croit- on que
la culture des grains pût ſe ſoptenir, & que
le revenu des terres ne fûr pas anéanti ,
fi l'on mettoit en ferme le droit de vendre
du blé , & qu'on livrât les Laboureurs,
pour lavente de leur production , à la dif
crétion d'un Fermier exclufif
Ala perte fur le ſel même , c'est-à-dire;
ſur la quantité de fel que la France produiroit
, il faut joindre la perte ſur la pêche
&les ſalaiſons , ſur les beftiaux & la cul
ture : on fent bien , comme nous l'avous
dit , que toutes ces eſpèces de dommages
ne peuvent être ſoumiſes à un calcul trèsexact.
Auſi l'Auteur ſe contente-t-il de préfenter
ici des réflexions générales , qui fuffiſent
pour convaincre le Lecteur de l'anéantiſſement
de richeſſe produit par laGabelle.
L'impôt ſur le Tabac , ſuivant M. le
Trône , coute à la Nation 70,000,000 liv.
en dépenfe effective , & 18 enanéantif
DE FRANCE. 19
fement de richelles ; total , 88,000,000 liv.
pour en fournir au Roi 24 :
Il analyſe de la même manière les Imr
pôts conmus ſous le nom d'Aides ; il porte
PImpot fut les vins à 30 millions pour le
Roi. Mais cet Impôt en conte foixante de
dépense effective , & préjudicie de 80 fur
Ja valeer; toral , 140,000,00s pour en
avoir 30. Il évalue enfuite la perte que
cauſe l'Impôt fur la quantité polible de la
production , & développe les effets de la
fuppreffion des Aides far la population , fe
commerce& Tinduſtrie.'
Il parle avec Белиcoup dedétail des droits
des Traites, en indique Lorigine , & en
fuit la marche progreffive. » Les Etats de
16: 4, dir- il , follicitèrent la ſuppreſſion de
toutes lesTraites intérieures,dont ils n'enrent
pas de peine à faire ſentir les inconvéniens;
la fixation d'un tarif uniforme
& précis, fi l'on vouloit conferver des
droits ſur la fortie & l'entrée ; & l'abolition
d'une infinité de droits locaux :
mais leurs repréſentations n'curent aucun
effer. L'épuiſement des Finances , effer du
déſodre de l'impôt, a toujours mis obſtacle
aux réformes les plus etſentielles ". Il éva-
Jue à 30 millions la dépenfe & la perte
totale que les Traies content à la Nation.
Il parcourt enſuire les autres eſpèces d'Impots
connus ſous le nom de Domaine d'Oc
sident , droit d'amorriffement, de franc
:
1
20 MERCURE
fief, d'aubaine , de monnoyage; les Impôts
fur les actes , les conventions & les ſucceffions
; les Impôts ſur l'adminiſtration de
la juſtice ; les Impôts ſur les cuirs , les papeteries&
les forges. Il rapproche , par exemple
, la liſte des tanneries qui exiſtoient en
1759 , époque de la Régie des cuirs , de la
liſte de 1775 , & il en conclut que cette
Régie a été très-funeſte à la fabrique & au
commerce des cuirs ..... Lc Parlement de
Grenoble , témoin des effets de cette Régie ,
fupplioit le Roi , en 1765 & 1766 ,
vouloir bien faire ceſſer un Impôt ſi onéreux
à ſes peuples , dont les frais de Régie
confomment près des deux tiers de la
perception ; un Impôt qui porte le plus
grand préjudice au commerce & aux Fabriques
; qui oblige les Ouvriers à s'é
migrer ; qui donne un ſi grand avantage
» de
l'Etranger , qu'on lui porte nos matières
premières , & que les manufactures s'accroiffent
, tandis que les nôtres dépériſſent
& ſe détruiſent ". On retrouve les mêmes
faits & les mêmes plaintes dans le cahier
de l'aſſemblée des Communautés de Provence
de 1786 , & dans le procès verbal
des Etats de la même Province de 1788 .
>>L'Etranger s'eſt enrichi de nos pertes ,
eft-il dit dans le premier cahier ; les côtes
d'Italie ont vu s'élever un genre de fabrications
autrefois inconnu pour elle , formé
par des Fabricans François , qui ont été
porter leurs fonds & leur induſtrie dans
DE FRANCE. 21
un pays où , moins gênés par les Loix fifcales
, ils avoient plus d'avantages à eſpérer
, & les Fabriques nationales ont perdu ,
peut-être fans reſſource , la poſſeſſion cù
elles avoient toujours été d'alimenter ces
*contrées ".
Dans le IVe. Livre, M. le Trône expoſe
les moyens de remplacer le produit des Impôts
perçus par la Ferme générale , & des
autres Impôts de même nature , qu'il conſeille
de ſupprimer. Ces moyens de remplacement
ſont au nombre de neuf :
1º. Economie dans les dépenſes. 2°. Reduction
des arrerages , gages & penſions .
3°. Un troiſième vingtième. 4°. Un Impôt
fur les marais ſalans. 5º. Un Impôt direct
fur la vigne . 6°. Les droits de Traites à
l'entrée , & le Domaine d'Occident. 7°.
Contingens fournis par les Provinces fur
leſquelles la perception de la ferme qu'on
ſupprime porte directement ou indirecte .
ment. 8°. La capiration du Clergé. 9° .
Un Impôt perſonnel de ſupplément. Il indique
la manière d'aſſeoir ces différens
moyens de remplacement.
Dans le Ve. Livre, il trace le plan de
l'Adminiſtration Provinciale , dont il a parlé
dans le Livre II. Mais ce plan eſt bemcoup
trop refferré ; & on peut reprocher
ici à M. le Trône, de n'avoir pas confidéré
-ſon ſujet dans tous ſes rapports , & d'y
avoir va quelquefois ce qui ne doit pas y
22 MERCURE
être (1). Ce qu'il nous paroît avoir lemieux
fenti & développé dans ce Livre, c'eſt la nécefité
d'intéreſſer la Nation au rétabliſſement
de l'ordre public. » Il faut , dit-il ,
que toute la Nation , qui ſemble aujourd'hui
privée de vie & d'action , qui n'a
qu'une forte d'existence paflive , devienne
animée & organisée dans toutes ſes parties,
pour former un véritable corps ſocial ....
La Nation eſt nulle dans les pays d'élection,
puiſqu'elle ne y peut avoir de volonté.
Les corps , les individus qui la compoſent
ont fans doute leur volonté particulière,
mais ce n'eſt pointune volonté commune,
une volonté ſociale ; ou plutôt cet état ne
peut préſenter qu'une oppoſition éternelle
de volontés diſcordantes , d'intérêts con
traires , de prétentions reſpectives. Le Souverain
en eſtil plus grand, plus puiflant ,
&la Nation plus heureuſe ?
Le VIC. Livre traite de la manière d'alſeoir
d'abord les Impôts de remplacenient.
Le VIIc. a pour objet Pétabliſſement de
l'impôt seel , & renferme les détails des
diverſes opérations qui doivent le prépa-
(1 ) Cette partie de l'Ouvrage de M. le Trône
vient d'être traitée avec beaucoup d'érendue & de
profondeur par un Philofophe célèbre, dont le Livre,
plein d'obſervations exactes, d'idées neuves, &
de principes rigoureuſement démontrés , pour être
regardé comme un ſyſtème complet de Conftitazion&
d'Administration pour la France.
DEFRANCE.
2岁
rer: cette ſeconde partie de la réforme
de l'impôt conſiſte , dans le ſyſtême de
M. le Trône , à rendre réelle la Taille d'exploitation
, à circonfcrire le territoire par
arrondiſſement , à évaluer tout le revenu ,
à établir l'Impot proportionnel de toute
part , & à prendre les moyens de le tenir
toujours dans cette proportion.
Dans le VIIIc. Livre , il indique les
règles de la perception de l'Impôt ; les
moyens de conſerver l'ordre établi dans
fon allierre , la manière de tenir les regiftres
où les baux doivent être inſcrits;
& après avoir éabli que la réforme ne
doit être entrepriſe que fur un plán général
, régulier & conftant , il répond aux
objections qu'on pourroit faire , foit par
rapport à l'étendue & à la difficulté de
l'opération, ſoit par rapport aux intérêts des
différentes parties de l'Etat , & dequelques
claffes de la Société.
Le I Xe. Livre renferme le tableau des
opérations qui doivent accompagner &
fuivre la réforme. Ces opérations confiftent
dans la fuppreffion des offices inutiles
, & dans le payement des intérêts ,
dans la fuppreffion des Maîtriſes & Jurandes
, follicitée par les Erats -Généraux
de 1614 , dans celle des péages , des droits
de halle & de marché , & des banalités
dans le templacement des octrois des vi les
& des hôpitaux , &danscelui de la dime
,
24
MERCURE
4
2
i
ecclefiaftique , &c. &c. M. le Trône con
vient que de telles opérations ne peuvent
manquer d'accroître la ſomme de la dette
publique ; mais il croit auſſi qu'elles donneront
beaucoup à gagner à la Nation, en la
libérantd'une foule de charges indirectes qui
Jui font beaucoup plus onéreuſes que ne peuvent
être couteux les intérêts à payer; de ma
nière que quand même il ſeroit néceſſaire
d'augmenter le fou la livre , pour fournir
à ces intérêts , il y auroit encore un grand
avantage " .
Le Xe. Livre a pour objet la fixation
de la dépenſe publique ; la diſtribution
de la dette nationale entre les Provinces;
la manière d'affeoir l'Impôt après l'extinetion
de la dette , & la comptabilité. Il
eſt indiſpenſable , ſuivant M. le Trône ,
de fixer la dépenſe publique , avant de ré
partir la dette nationale entre les Généralités.
» L'ordre , dit-il , ne peut s'établir
d'une manière durable , ſi la dépenſe n'eſt
balancée avec la recette; fans cela, il faut
la
que
recette varie continuellement ; &
fi l'on craint de la forcer , on cherchera
à y ſuppléer par des moyens extraordinaires,
qui obèrent l'Erat & qui néceffitent à la
fin de nouveaux Impôts. Cependant le droit
d'augmenter l'Impêt à volonté , eſt menaçant
pour la propriété , & incompatible
avec la Loi fondamentale des Sociétés. Il
faut néceſſairement que la dépenſe ſoit
fixée
DE FRANCE
fixée, pour que la recette puiſſe l'être. Ce
n'eſt pas la recette qu'il faut meſurer fur
ladépenſe; c'eſt la dépense qu'il faut contenir
dans les bornes de la recette , fans
quoi on exiftera dans un déſordre toujours
renaiſlant " .
Dans le XIc. Livre, M. le Trône examine
les différens ſervices qu'on peut tirer
de l'Adminiſtration Provinciale : il croit ,
par exemple , que chacune de ces Adininiftrations
particulières pourroit former des
Comités, foit pour la diſtribution des aumônes
, foit pour la conciliation des affaires
perfonnelles , & l'examen paiible & délintéreſſé
des conteſtations , qui ſont maintenant
un des plus redoutables fléaux des
campagnes. Il exifte en Hollande un Tribunal
de Juges conciliateurs , à peu près
ſemblable à celui que propoſe ici M. le
Trône : on les appelle faiſeurs de paix.
Quelques perfonnes ont formé en France
de pareils établitiemens dans leurs terres ;
& on doit eſpérer que l'eſprit de justice
& de bienfaisance qui les y a fait naître ,
devenu plus commun par le progrès des
lumières & lebeſoin de l'eſtime publique,
multipliera, dans tout le reſte du Royaume,
les exemples d'une ti noble & fitouchante
inſtitution .
Ce dernier Livre eſt accompagné d'une
differtation ſur la féodalité. Après en avoir
tracé l'origine , les progrès & l'état actuel ,
№.6.7 Fév. 1789 B
26 MERCURE
M. le Trône en développe les inconvéniens,
& expofe les moyens de la fupprimer. Il
difcure avec beaucoup de foin les raifons.
de droit qu'on oppoſe à cette fuppreffion;
ne diflimule pas les difficultés qui y font attachées
, & propoſe la manière d'opérer qui
lui paroîr la plus conforme à la juftice , la
plus propre à concilier les intérêts de la
propriété avec l'intérêt public.
On a placé à la ſuite de ce morceau ,
une addition que l'Auteur a faite en 1780 ;
ce font de nouvelles vues qui contiennent
une combinaiſon plus fimple des moyens
& des reflources , & qui tendent à rens
dre plus faciles & plus fores les opérations
propoſées dans le plan général,
Cet Ouvrage , auſſi précieux par la
multiplicité des faits , des raiſonnemens &
des calculs , que par la clarté & la fagefle
du ſtyle , mérite d'être lu avec attention
par tous ceux qui s'occupent des matières
d'économie politique ; peu de Livres offriront
aux Citoyens qui vont concourir au
rétabliſſement de l'ordre public , d'aufli
grandes lumières ſur la nature & l'étendue
des abus , & fur les moyens d'en tarix
la ſource.
( Cet Article est deM. G.... )
;
*
DE FRANCE .
27
HARANGUES tirées d'Hérodote , de
Thucydide , des Hiftoires Grecques de
Xénophon, defa retraite des Dix mille,
& de fa Cyropédie ; inférées dans un
Abrégé des Hiftoires de ces mêmes Ar
teurs , avec des Notes far le texte des
Harangues de Thucydide , traduites par
M. l'Abbé AUGER , Vicaire-Général
de Leſcar , de l'Académie des Infcriptions
& Belies - Lettres . 2 gros Volumes
in- 12 . A Paris , chez Nyon l'aîné& fils ,
Libr. , rue du Jardinct.
Ces deux Volumes complètent les Traductions
Grecques de M. l'Abbé Auger .
La tâche que vient de remplir ce ſavant
&infatigable Traducteur , cit vraiment effrayante,&
fait admirer aurant ſon courage ,
qu'elle fait eſtimer ſon talent. Il a traduit
environ ſoixante Diſcours de Démosthène ,
c'est- à-dire, tout ce qui nous eſt reſté de cet
Orateur ; Ifocrate en entier , avec quelques
Diſcours tirés de Platon , de Xénophon &
d'autres Ecrivains Grecs ; enſuite Lyfias ,
Iſée , Andocide , Antiphon , Lycurgue , &
autres Orateurs Grecs ; & il faut obſerver
que la plupart de ces Ouvrages n'avoient
jamais été traduits , & que ſans
B
28. MERCURE
doute ce qui avoit empêché de les traduire ,
c'éroit la difficulté de les bien entendre. Il
a fallu fouvent , pour faciliter l'intelligence
de ce qu'il interprétoit , donner des préliminaires
généraux , des ſommaires , des
notes claires & préciſes , & quelquefois
rétablir dans le texte des ahérations ſans
nombre. Outre ces travaux capables de
rebuter le plus intrépide & le plus laborieux
Ecrivain , M. l'Abbé Auger a donné
les Editions Grecques de tout Ifocrate & de
tout Lyfias , avec une vention latine , des
analyſes , des nores , des tables de diverſes
natures. Après 1 énumération d'un pareiler
vail, il eſt trifte & afiligeant d'entendre dire
à M, l'Abbé Auger , que ſa fortune &des
avances dont il eſt loin d'avoir retiré les
Frais ne lui permettent point de donner
les EditionsGrecques & Latines de Démolthène
, d'Efchine , & de ce qu'on appelle
les petits Orateurs Grecs, dont il a éparé
و
le texte.
Il ne s'agit point ici de louer la Tradnetion
que nous annonçons ; la manière de
M. l'Abbé Auger eft connue & appréciée ,
& il n'est pas inférieur à lui-même dans
ces deux Volumes, Nous nous boraerons
à donner une idée de ce nouveau travail.
Ayane voulu finir parles Harangues des principaux
Hiſtoriens Grees , il a imagine un
cadre fort heureux : il a compoſé enmême
temps , pour amener naturellement leurs
Harangues , un abrégé de leurs Hiftoires ,
1 DE FRANCE.
capable d'intéreſſer les Lecteurs par une
ſuite de faits non interrompue .
Nous allons termier cet article par un
morceau pris au hafard. C'eſt un fragment
de l'Eloge des Guerriers morts pendant la
guerre du Péloponnèſe;c'eſt Périclès qui le
prononce .
• Les Otateurs qui parlent en ce lien &
-> dans les mêmes circonstances , ne man-
» quent pas de vanter comme ſage , la
>> coutumne d'ajouter aux honneurs d'une
>> ſépulture publique , l'Eloge des Guerriers
>> morts les armes à la main. Pour moi ,
j'ai toujours penſé qu'il étoit ſuperflu de
louer par des paroles , des Héros affez
1 loués par leurs actions ; qu'il (uftifoit de
» célébrer leur mémoire , ainſi que nous
faiſons ici , par d'honorables funérailles
>>fans compromettre la gloire d'un grand
" nombre d'hommes , en la faifant dépen-
52
و و
dre de l'éloquence d'un ſeul , qui , de
," quelque maniere qu'il parle , n'eft jamais
sûr de trouver des Auditeurs favorables . 57
53
"
En effet , chacun ayant ſa manière de voir
> & de fentir , il eſt bien difficile , dans
" Eloge , de plaire également à tout
le monde. Les Auditeurs font-ils inſtruies
des faits ou diſpoſés à les croire ? l'Ora-
>> teur n'en dit jamais aſſez : les faits leur
>>paroiſſent- ils nouveaux , ou les jugen: ils
>> au deffus de leurs forces? l'envie lear dit
>> toujours qu'on a exagéré la louange. Tant
B5
30 MERCURE
ود
ود
ود
» que nous nous croyons au niveau des
belles actions qu'on nous raconte', nous
en fupporrons allez patiemment le récit;
fi - tôt qu'elles s'élèvent au deſſus de ce
que chacun ſe ſent en état de faire ,
>>P'orgueil s'irrite & refuſe même d'écou-
2
" ter ".
Cependant l'Orateur ſe ſoumet à l'uſage,
& après avoir célébré Athènes , il paſſe aux
Guerriers dont il doit faire l'Eloge.
رد
>>En parlant de notre gloire , dit-il, j'ai
>>> acheve l'Eloge de nos Guerriers , puiſque
c'eſt à leur valeur &à celle de leurs pareils
que nous en ſommes redevables , puiſque
>> dans toute laGrèce ils font les ſeuls pour
>> qui la louange ne puiſſe jamaisparoître au
deffus des actions .... ". - ود
a De tous ceux qui repoſent ici , au-
>> cun , pour jouir plus long-temps de fes
richafles, n'a refuſé le combat ; dans l'ef-
>> poir de ſe ſouſtraire par la fuite à la pau-
>> vreté, n'a fui le pétil; mais ne voyantrien
"
" deplus doux que de vaincre un ennemi, ni
>>de plas grand que de ſervir une i belle
>>canis , tous ont fait les derniers facrifices
à Thonneur de défendre la Patrie , &
>>au plaifir de la venger. Abandonnant à
ود la fortune tout ce qui dépend d'elle ,
>> ne ſe réſervant que le courage qui dé-
>> pend de nous , réfolus de tout fouffrit
>>pour repoufler l'injure plutôt que de
• rien céder pour acheter leur falut à ce
DE FRANCE.
31
>> prix , ils ont ſauvé leurs jours de tout
>> reproche , livré leurs corps à tous les
>>>coups; & dans l'inſtant fatal qui a dé-
ود cidé du fort des armes , ils ont enviſagé
le péril d'un oeil fixe , & font fortis de
>> la vie avec toute leur vertu ". ود
MISS ANYSIE , ou le Triomphe des
Moeurs & des Vertus ; par Madame DE
FUMELII ; in' 12. Prix , 1 liv. 10 f. A
Bruxelies , chez H. Dujardin , Libraire
de ta Cour ; & à Paris , chez Defer de
Maisonneuve , Lib. rue du Foin-Saint-
Jacques , Hotel de la Reine Blanche.
CET Ouvrage eſt un petit Roman dị-
viſé par chapitres ; il mérite que nous en
donnions une idée à nos Lecteurs .
Anyſie , quien eſt l'Héroïne , née d'un
père vertueux , qui , après avoir bien ſervi
le Roi , eft tombé dans la diſgrace , le
trouve orpheline & fans fortune. Sa mère,
en mourant , la recommande à fon frère ,
Sir Woftay , qui promet d'en prendre foin.
Ce dernier a un fils, Sir Hermeng , doué de
toutes las qualités cftimables , & qui conçoit
pour Anyfie une paffion qu'il splità
Jui faire partager, Leur fecret découvert
irrite contre eux Worthy , qui leur dod
J
B4
32 MERCURE
de fonger à s'unir par le mariage. Mais
ce qu'il interdit à fon fils , il eft loin de
ſe l'interdire à lui-même , il offre fa main
à la fidelle Anyfie , qui la refuſe. De là des
perfécutions , qui finiſſent par des remords
de la part du père , &par le mariage des
deux Amans.
Voilà le fond de l'intrigue; nous ne fuivrons
pas l'Auteur dans les divers détails
qui fervent à la développer. On lui reprochera
de la déclamation , & un ſtyle ſouvent
incorrect ; mais il y a de la chaleur ,
de la morale , & un ton de ſenſibilité qui
fait eſtimer & aimer l'Auteur , ſans le connoître.
Au reſte, ce Roman remplit parfaitement
ſontitre; c'eſt véritablement le triomphe
des moeurs &de la vertu. En le parcourant,
on ne ſe trouve environné que de perſonnages
honnêtes & ſenſibles. Le feul qui
foit coupable , Sir Wothy, ne l'eſt qu'un
moment ; & il meurt de ſes remords, &
des reſtes d'un amour qu'il a facrifié ſans
mouvoir le vaincre. Nous allons terminer
cet article, en citant quelques lignes qui
feront juger du ſtyle de Madame de Fumelh
: c'eſt Anyſie qui s'applaudit d'avoir
épousé ſon Amant.
» O jours paiſibles qui devez ſuivre le
» plus fortuné de mon exiſtence ! prolon-
> gez votre courſe rapide. Dieu de l'Uni-
» vers, exauce mes voeux ! Que l'époux
> d'Anyſie ſoit toujours digne detes bienDE
FRANCE .
33
- faits, & qu'il foit heureux ! Je te rends
>> grace , & feul Arbitre qui daignes com-
>> bler mes ſouhaits ! que tu m'es propice!
>> reçois tous mes konimages. Et tei , époux
ود que j'adore , reçois ce coeur dont les
>> vertus ( feul héritage demes pères) font la
» dot unique qucje t'apporte ! Mon amour,
ود ma tendreſſe te ſuffifent, ami généreux! ...
>> Apprends que je ſuis gloricuſe de tenir
> tout de toi ! ... Ah ! que ne fuis-je maîtreſſe
d'un Empire , quand mon Amant
ود a ma foi ! il feroit&mon Roi&mon
» époux. J'ai donc reçu le titre auguſte d'é-
>> poufe ! Je ſuis à lui ; c'eſt pour la vie !.....
>> O fermens inviolables ! que vous avez
d'attraits ! ... que vous êtes chers à ce
>> coeur que vous foumettez ! oni , fans efforts
,,je remplirai les devoirs que vous
>> impoſez: l'amour les rend faciles, l'amitié
>> les dirige , l'honneur les preſcrit, la verta
>> les rend poſſibles , & le bonheur mar-
" che à la fuire. Douce & aimable chai
» ne ! &c. « .
ABS
34 MERCURE
SPECTACLES.
THEATRE DE MONSIEUR.
L'OUVERTURE de ce nouveau Theatre ,
tant déſirée& fi long-temps attendue , s'en
faire enfin le Lundi 26 de ce mois , par un
Opéra Bouffon Italien , intitulé : Le Vicende
amorofe, les Viciſſitudes amoureuses, & non
pas les Aventures amoureuses , comme on
l'a mis dans la traduction. Le ſieur Saint-
Preux , ancien Acteur du Théatre Italien ,
attaché maintenant à celui de MONSIEUR,
dans l'emploi des pères nobles , a prononcé
le Difcours ſuivant :
MESSIEURS ,
» Un nouveau Temple s'élève à l'Art dramatique
; les Mofes Nationales & Ls Muſes Etrangères
y ferert- ho morées avec une égale ferveur.
Vos plaiſirs fontle but de toutes les Fêtes qu'on
y doit célébrer; c'est donc à yous , MESSIEURS,
qu'en appartient la Dédicace ; daignez agréer
Mommage que nous vous en préſentons.
>> C'est moins cependant un édifice ſolide &
achevé que nous offrons à yes regards , que le
DEFRANCE. 35
modèle , le ſimple projet de celui que nos ſoins ,
foutenus de vos conſeils, doivent élever fuccef
fivemcar. Nous reiſemblons à ces Elèves qui
foumettent à l'aſſemblée des Maîtres leurs plans
& leurs deffins ; l'un indique une irrégularité qui
le bleſſe , elle eſt ſoudain effacée; l'autre propoſe
un ornement de meilleur goût , à l'inftant il eft
remplacé : peu à peu la difpofition s'améliore ,
les défauts difparoiffent , les beautés raflortent
davantage , & l'eflai du jeune Art'ſte devient un
onvrage parfait.
>> Telle eſt , MESSIEURS , notre plus chère efpérance.
O combien une entrepriſe aufli compliquée
offriroit de matière à la Critique , fi elle
vouloit exercer toute fa rigueur ! Un nouveau
Spectacle dans une Vilie qui abonde en Specta
cles ; un genre d'Ouvrage en Langue étrangère,
qui compte peut- être encore bien peu de partifans;
les unitations de ces mêmes Pièces , où les
Auteurs refferrés dans les entraves de la Muſique ,
ne pourront répandre ce goût épuré qui caractérife
la Nation Françoiſe; un Répertoire entièrement
neuf & trop circonfcrit encore pour avoir
permis beaucoup de ſévérité dans le chox; enfin
des Acteurs de tous genres qui n'ont pas eu le
temps de confulter vos lumières & de ſe former
à vos leçons : voilà , MESSIEURS , ce qui nous
effraie , & nous ôteroit même le courage d'effayer
votre indulgence , fi nous n'étions raſſurés
par quelques confidérations .
› Ce nouveau Théatre , déré depuis longtemps,
excifera fans doute une émulation louable,
qui ne peut que tourner au profit des Arts.
Plus d'une fois on avoit tenté d'établir l'Opéra
-Bouffon Italien en France ; mais peut être eft-ce
moins à ſes défauts qu'à des circonstances particulières
qu'il faut attribuer ſon peu de fuccès.
B6
36 MERCURE
Le goût change avec les années : aujourdhui la
Muſique Italienne, mieux connue , plus goûtée ,
peut offrirà la nôtre des modèles précieux. Tout
ce que l'Italie poffède de Virtuofes , tout ce
qu'elle produit de Chef-d'oeuvres chaque année ,
font les tributs que nous voulons vous préfenter
: les délices de Rome & de Naples feront
ajoutées à vos plaiſirs.
>> Mais cette Muſique , fi charmante dans ſa
pureté native , perdoit infiniment de ſon mérite
pour les perſonnes qui ne font point familiarifécs
avec la Langue Italienne; elles étoient donc privées
d'une jouiſſance qui va leur être rendue.
» Convaincus des difficultés fans nombre qui
aſliègent les Auteurs de ces Imitations , vous
voudrez bien , MESSIEURS , pardonner quelques
fautes dramatiques en faveur des beautés mufisales.
,
>> Nos Comédies , au moins nous ofons l'efpérer
ne feront pas jugées plus ſévèrement..
Auteurs , Acteurs , preſque tous débutent à
fois ces premiers cilais peuvent nous conduire
à la perfection , fi vos bontés ſoutiennent notre
courage. Daignez , MESSIEURS , vous rappeler
que c'eſt à un Theatre élevé fous les mêmes
aufpices , que vous devez des Chef-d'oeuvres immoricis.
Le nom ſous lequel nous paroiffons
devant vous , eſt encore un titre d'espérance ;
pourriez-vous , MESSIEURS , traiter avec rigueur
un Etabliſſement honoré de la protection d'un
PRINCE, que les Arts ont tant de raiſon de
chérit!
>>Non , nous ne le craignons pas trop de motifs
nous encouragent à mettre en vous une ensière
confiance ; nous nlavens qu'un déſic, celui
1
DE FRANCE. 37
de vous plaire : ce défir manque rarement fon
effet , quand il eſt auſſi ardent que le notre ; mais
fi nous nous écartons des moyens d'y parvenir ,
daignez vous-même être nos guides ,& nos ſuccès
feront certains .
Le Public a répondu à ce Diſcours par
de grands applaudiſſemens ; on a fur-tout
très-vivement ſenti l'éloge du Prince , dont
la protection honore ſpécialement ceThéatre.
On a écouté avec beaucoup d'attention
les détails relatifs aux différens genres
que ce Spectacle doit réunir , & les motifs
ſur lesquels l'Adminiftration s'appuie
pour folliciter l'indulgence. On en a fenti
lajuſteſſe ; on a promis intérieurement cette
indulgence néceſſaire ; mais à des conditions,
car toute convention doit être réciproque
; & puiſque les Loix de bienséance
ſociale ne permettent pas au Public en corps
de faire entendre ſa voix , puiſque ſes conditions
ſont demeurées tacites, nous oferons
lui fervir d'organes , interpréter les ſentimens
que nous croyons être ceux du plus
grand nombre , & répondre ainſi en fon
nom aux principaux points de ce Difcours.
Vous nous annoncez un Opéra bouffon
Italien , & vous convenez qu'il a peu de
partiſans encore : c'eſt à eux ſeuls à vous
répondre , car ceux qui n'aiment point ce
genre de ſpectacle , ayant le droit de n'y
pas venir, n'ont pas celui de le trouver
mauvais. Ne vous effrayez donc pas trop
)
:
38 MERCURE
des murmures qui ont troublé votre pre
mière repréſentation. La curiofité ſeule y
avoit attiré une foule de Spectateurs qui
n'avoient pas trop ſongé à ce qui devoit
ou non leur plaire. Peu à peu chacun ſuivra
ſon goût particulier , & la tranquilliré
Tenaîtra. Mais aux conditions que vous ne
nous donnerez pas indiftinctement tout ce
qu'on a donné en Italic, même avec une
forte de fuccès ; que vous ferez févères dans
-le choixde ces productions exotiques , &
que vous vous bornerez à celles qui conviennent
le mieux à notre goûr.
1"
Nous exigeons encore que vous élaguiez
ce fatras de récitatifs qu'on pardonne en
Italie , où perſonne ne l'écoute , mais qui
ne réuffira pas plus à Paris qu'à Londres ,
où on n'en laffe que ce qui eft abſolument
néceffaire, pour expoſer Pintrigue &
amener les airs. Le dialogue Italien eft rarement
allez bon , pour perdre beaucoup à
ces facrifices. Vous retrancherez même
quelquefois des airs , for- tout dans les rôles
Tubalternes , lorſqu'ils, feront languir la
fcène & promettront peu d'effet . Vous
vous rappellerez que vous ne devez de
complaifance qu'an: Public exclufivement.
L'eſſai que vous en avez fait à votre feconde
repréſentation , & le ſuccès qui en
eſt réſuté , vous prouvent que ces confeils
font le voeu du plus grand nombre
Nous vous promettons bien de n'être pas
:
DE FRANCE.
39
difficiles fun le choix des Poëmes Itakens.
Nous ſavons qu'il ne dépend pas de vous
de changer le génie dramatique de l'Italie,
&nous nous prêterons aux abfundités delle
Vicende amorose , comme nous nous fommes
prêtés à celles de la Frafcatana &
d'autres qui ne valoient pas mieux : mais
vous avez des Poëtes Italiens ; qu'ils sentendent,
s'il le faut, avec vos Auteurs François
pour donner à ces Poëmes une marche
un peu plus régulière , une difpofition
un peu plus raifonnable.
Donnez vous- mêmes à vos Acteurs étrangers,
des avis pour réuilir en France. Dites
aux uns que la prononciation eſt une chofe
effentielle; qu'on ne sçauroit goûter la
meilleure muſique , quand on n'entend pas
ce qu'elle veut exprimer. Dires aux autres
que nous n'aimons point les caricatures
exagérées qui font toujours les mêmes ;
que nous préférons une manière naturelle,
aimable , qui n'a rien de hideux , & qu'enfin
on peut être très-comique ſans le défigurer.
A ces conditions , dont vous avez déjà
rempli uue partie , nous vous ſçaurens un
gré infini de vos ſoins conftans , de vos
dépenfes prodigicuſes pour nous procurer
les meilleurs ſujets de l'Italie. Nous vous
tiendrons compte de vos efforts , même
quand ils n'auront pas réuffi comme vous
Teſpériez.
40 MERCURE
Vous nous expoſez fort bien les difficultés
qui arrêtent les Auteurs d'Opéras Italiens
parodiés. Nous les ſentons en grande
partie , & nous y aurons égard. Mais nous
nepouvons pas porter trop loin cette indulgence.
Nous n'exigerons pas que les ſujets
Toient auſſi piquans& aufli neufs que fion
avoit été maître du choix; mais nous ne permettrons
pas qu'ils foient abſurdes & ridicules,
comme la plupart des ſujets Italiens; car
vous aviez le droit d'y faire les changemens
néceſſaires , ou de les abandonner , s'ils n'en
pouvoient admettre aucun. Il vous reſtera
toujours la reffource, dont vous uſerez ſans
doute par la fuire , d'adapter à des ſujers
d'imagination, des ſituations muſicales, prifes,
autant qu'il fera poſſible , dans les Ouvra
ges du même Maître. Nous ſentons que
certe tâche eſt bien plus pénible que celle
d'une ſimple traduction. Mais il en réfultera
auſſi des Pièces infiniment préférables.
Nous ne ferons pas autli rigoureux fur le
ſtyle que dans les autres pièces , parec
que nous ſavons que la muſique permet
rarement le choix des mots. Mais cela ne
vous donne pas le droit de violer toutes
les loix de la verfification &de la langue. Si
l'on pardonne à des vers d'Arietres de ne pas
contenir beaucoup de raiſon , on voudroit
au moins y trouver la rime. Songez que fe
mérite dans les Arts conſiſte dans ladifficulté
vaincue. Quel mérite auroient donc
vos Auteurs , s'ils paſſoient , fans la vain
DE FRANCE. 41
ere , par-deflus cette difficulté ? La contextare
de vos Pièces ne ſera pas toujours fort
régulière;àlabonne heure, pourvu que vous
ne ſuiviez pas piedà pied la marche extravagantede
vos originaux. Comme vous êtes
les maîtres de la difpofition de vos ſcènes ,
de la gaîté , du naturel &du piquant dans
le dialogue , nous deviendrons de plus en
plus exigeans fur ces deux articles. Mais
nous ne le ſerons pas d'abord : en faveur
de la ſuperbe muſique de Paisiello , & du
mérite réel de vos quatre premiers Acteurs,
nous applaudirons beaucoup le Marquis
Tulipano. Nous ſavons que l'Auteur
est très-jenne , qu'il a beaucoup d'efprit
, & qu'il eſt capable de mieux faire ,
quand il voudra ſoigner ſon ſtyle , avoir
plus d'égard à la proſodie , à l'accent mufical,&
à la marche dramatique ; mais enfin
ſa Pièce eſt gaie , & nous avons voulu
encourager un premier effai.
Vos Comédies .... Mais arrêtons : nous
n'avons rien à dire au nom du Public fur
les Comédies. La manière dont il s'eſt expliqué
lui même à la première repréſentarion
du Bouquet du Sentiment , n'eſt pas
celle que nous aurions adoptée. Nous ne
prendrons pas la défenſe de cette Pièce;
mais il nous ſemble qu'il eût été plus juſte
de ne pas traiter un Theatre naiſſant avec
autant de rigueur qu'un Theatre déjà fair;
de confidérer, ainſi qu'on l'a dit dans le
42 MERCURE
Diſcours , qu'un Etabliſſement qui débute
n'avoit pas eu beaucoup de moyens de choifir
ſon répertoire; que fi autrefois on avoit traité
de même les farces de Molière qui ont précédé
l'Etourdi , on auroit perdu Tarcuffe ,
lAsare& le Misanthrope. On ſe devoir ces
égards à foi-même , ne fût- ce que pour connoître
les Acteurs , dont on n'a pu pren-
'dre aucune idée.
*. Dans le prochain Nº. nous parlerons
des Pièces qui auront réuffi , & des Sujets
quicompofent les trois Troupes; non plus de
ce ton impérieux & tranchant avec lequel
nous venons de repréſenter le Public , mais
du ton plus modéré qui convient à des
Journaliſtes. Nous ne donnerons plus d'ordres;
nous propoferons des avis; mais nous
-profiterons de ce que ce Théatre'commence ,
de ce que les Acteurs ne font pas encore
gâtés par un tribut périodique de louanges,
qu'ils ne doivent pas s'attendre à trouver
ici. En les avertiſſant de leurs défauts par
une critique impartiale , & qui ne fera
jamais amère , nous croyons mieux ſervir
&leurs talens & le Public. Ils n'en feront
que plus fenfibles aux éloges que nous nous
emprefferons de leur donner , quand ils les
Sauront véritablement mérítés.
i
:
1.
DE FRANCE.
43
ANNONCES ET NOTICES .
PROCÈS fameux de tous les temps & de toutes
les Nations, cortenant les détails qui ont accompagné
la condamnation & le fupplice des grands
:Crimirels. tome ge. par M. des Ellarts , Avocat,
Membre de pluficuts Académies , Secrétaire ordinaire
de MONSIEUR. Prix , 2 liv. 10 f.; & les 9
Volumes 22 liv, 10 f à Paris , & 24 liv. francs
de port dans toute l'étendue du Royaume ; chez
P'Auteur, rue du Théatre François , près la place,
& chez les principaux Libraires.
• Les hunt premiers Volumes de cet Ouvrage ont
été accueillis très- favorablement. Quoique la lecture
en foit trifte, elle est attachante. On aime
à pénétrer dans le coeur des coupables , & à dévoiler
les refforts fecrets qui les ont fait agr.
On aime fur- tout à lire les diſcours qu'ils ont
prononcés avant de recevoir la mort. M. des
Effarts a confervé fcrupuleuſement les paroles
mêmes de ces infortunes . Plusieurs de ces difcours
, entre autres ceux des Criminels Anglois ,
contiennent des idées fortes & des pensées pleines
d'énergie. On doit ſavoir gré à M. des Eflarts ,
d'avoir donné cette Hiftoire , dont le but , qui
teed à inſpirer de l'horreur pour le crime , eſt
également moral & utile.
Épitre à M. de B***. de la Société Philantropique
, par M. l'Abbé Dourncan , de pluſieurs
Academies , & ancien Curé de Saint D***. A
Paris , chez les Marchands de nouveautés.
L'Auteur de cette Brochure ena deſtiné le produit
à ſes Paroiſliens. La ſenſibilité dn Poëse ajoute
à l'intérêt du fujet.
MERCURE
:
Mémoires d'une jeune Fille , écrits pár elle
même , Hiſtoire véritable. 2 Vol. in- 12. A Bruxelles;&
le trouve à Paris , chez Defer de Mai-
Ionneuve, Lib. rue du Foin-Saint-Jacques, Hôtel
de la Reine Blanche.
Cette jeune fille qui écrit ſes Mémoites , nec
de parens honnêtes mais pauvres , eſt élevée
dans un Couvent, auprès d'un oncle à qui elle
eft chère. De retour dans la maiſon paternelle ,
durement traitée par un autre oncle qui peut tout
far l'eſprit de ſa mère , & ne pouvant le réfoudre
à accepter pour époux le plus hideux des
hommes , elle ſe confie àun homme qui la ſtduit
, lui fait une promefle de mariage , & fimit
par l'abandonner. Dupe de fon premier Amant ,
Agathe ſe décide affez facilement à en faire elkmeme.
Mais à la fin elle ſe retire avec une petite-
fortune chez fa famille , qui lui pardonne , &
hai trouve un époux plus a'mable que le premier.
Oraiſon funèbre d'Eminentiffime & Révérendif-
Arne Seigneur Paul d'Albert de Luynes , Cardinal,
Prêtre de la Sainte Egliſe Romaine , Archevêque ,
Vicomte de Sens , Primat des Gaules & des Germains
, Abbé-Comte de Corbic , Commandeur de
POrdre du S. Eſprit , &c, &c. &c. , de l'Académie
Françoiſe, & de celle des Sciences , &c. Prononcée
dans l'Eglife Patriarcale & Métropolitaine de
Sens, le Vendredi 14 Mars 1788 , par M. l'abbé
Le Gris , Chanoine de la même Eglife. Format in-
-4°. de 43 pages. Sens, de l'imprimerie dela
veuve Tarbe, Imp. du Diocèfe ; & ſe trouve à
Paris, chez Née de la Rochelle, Lib. rue du Harepoix;
& chez les principaux Libraires des Diocefes
de Sens &de Bayeux.
A
DE FRANCE. 45.
Effai fur le droit & te teſoin d'être défendu
-quand on est accufë , & fur le rétabliſſement d'un
• Conſeil ou Défenſeur après la confrontation ; par
M. Avocat au Parlement. 1 Vol. in-12,
ي د
عب
......
A Paris , chez Savoie , Lib, rue S. Jacques.
Elffai analytique ſur I Air pur & les différentes
espèces d'Air; 1 Vol. in-8 °. , par M. de la Metherce
, Docteur en Médecine, & Membre des
Académies de Dijon & de Maïence; 20. édition.
Prix brochés , 10 lv.; & reliés , 12. liv. AParis,
chez Cuchet , Lib, rue & hôtel Serpente,
Nouveau Syſtème fur la Mythologie, par le Sr.
P. A. Girardet , Chanoine de Nozeroy ; formar
in-48. A Dijon , chez J. B. Capel , Impn,
Cet Ouvrage eft détaché d'un autre plus con :
ſidérable du même Auteur , fur la Mythologie &
la Religion Paienne. Son Syſteme pourra trouver
des contradicteers; mais on s'accordera à rendre.
juftice à l'érudition de l'Auteur ,
Nouvelle Méthode de pratiquer l'opération Céfarienne
, & parallèle de cette opération & de la
fectionde laSymphiſedes OS pubis .; par M.1. Lau
verjat , Membre du College & de l'Académi.e
Royale de Chirurgie, Aſſocié àcelle de Wilna en
Lithuanic , &c. AParis , Méquignon , Libr.
rue des Cordeliers, In-8 °. Prix , 3 liv. 12
chez
Cet Ouvrage n'eſt pas de nature à être analyſé
dans ce Journal , & nous laitions aux gens de l'Art
àprononcer ſur le ſyſtème de l'Auteur ; mais nous
croyons que la lecture en fera très - utile. M.
Lauverjat raiſonne ici , non d'après une aveugle
routine , mais d'après ſes méditations & fon expérience.
Son talent de Praticien eft connu ; & les
fuccès qu'il a obtenus & qu'il obuient chaque
46
MERCURE
jour, forment un préjugé bien avantageux en faveur
de la Méthode qu'ilexpoſedans ſon Ouvrage.
Traité de la culture du Chéne , contenant les
meilleures manières de ſemer les Bois, de les planter
, de les entretenir , de rétablir ceux qui font
dégradés , & de les exploiter ; avec les différens
moyens de tirer un parti avantageux de toutes
fortes de terreins & de toutes fortes de Bois.
Ouvrage néceſſaire à ceux qui veulent avoir une
connoiffance entière de la culture des Arbres
champêtres , & de leur produit ; ppaarrM. Juge de
St. Martin , Correſpondant de la Société Royale
d'Agriculture; in-8°. A Paris, chez Cusher, Lib.
rue& hôtel Serpente ; & Royez , quai des Auguſt.
Cet Ouvrage eft recommandé par une Approbefionhonorable
de la Société Royale d'Agriculture.
Mémoire historique fur divers objets d'adminiftration
, parM. de Laurens , Avocat au Parlement
de Paris , ancien Médecin des Camps & Armées
du Roi , ancien Maire , Chef de Police de Rochefort,
Député de cette Ville & des principales de
la Saintonge & de l'Angoumois. A Londres ; & ſe
trouve à Paris , chez Cailleau , Impr- Libr. rue
Galande. Brochure in- 8 °. de 135 pages.
Il y a dans cet Ouvrage , du zèle & des lumières,
double titre à l'eſtime publique.
Traité de la Peinture au Pastel; du ſecrer d'en
compofer les crayons , & des moyens de le fixer ;
avec l'indication d'un nombre de nouvelles fubftances
propres à la Peinture à l'huile, & les moyens
de prévenir l'altération des couleurs ; par M. P.
R. de C... C. ap. de L. Vol. in- 12. A Paris , chez
Defer de Maiſonneuve , Libr. rue du Foin-Saint-
Jacques , Hôtel de la Reine Blanche .
....
47
DE FRANCE.
•Cet Ouvrage ſuppoſe des recherches & des connoiffantes,
& il préſente des vûes utiles à tous ceux
qui s'intéreſlent à l'Art dont il traite.
Histoire de l'origine de la Médecine , par M.
Cookley Letifom , M. D. , Membre du Collége
Royal de Médecine , & des Sociétés Royales , &
des Antiquaires; traduit de l'Anglois par M. H...
Brochure in-8 ° . de 182 pages. A Londres ; & à
Paris , chez la veuve Hérifiant , Impr-Libr. , rue
Neuve-Notre-Dame ; & Théophile Barrois , Lib,
quai des Auguſtins,
Lettres de Sterne, nouvellement publiées à Londres,
& traduites de l'Anglois, pour ſervir de Supplément
au Voyage Sentimental , & aux autres
Ouvrages du même Auteur. Volume in- 18 de 276
pages. Prix, 1 liv. 16 f. br. A Paris , chez Defray ,
Lib. quai des Auguftins , N°. 37 .
Le nom de Sterne fuffit pour faire rechercher ces
Lettres ; on n'y trouve pas moins d'originalité que
dans les autres Productions du même Auteur. Nous
reviendrons ſur cet Ouvrage.
Capnologie , ou Traité théorique de la Fumée
avec différens procédés pour en préſerver nos ha
bitatious dans tous les cas ; par Charles-Philippe
Barret, de Châtillon- fur-Saone. A Paris, chez Née
de la Rochelle, Lib. rue du Hurepoix ; à l'Hôtel
deCalais , rue Coquillière ; & chez les principaux
Libraires de France. Brochure in-8°. de 55 pages,
Prix , 1 hv. 4f,
Grammaire Hébraïque , à l'usage des Ecoles de
Sorbonne , avec laquelle on peut apprendre les
principes de l'Hébreu fans le ſecours d'aucun
Maître; par M. l'Abbé Ladvocat , Docteur , Bi
48
bliothécaire, & Profeffeur de la Chaire d'Orléans,
en Sorbonne. A Paris , chez Méquignon l'ainé ,
Lib. rue des Cordeliers , près des Ecoles de. Chirurgic.
In- 8 °. Prix broche, 3 liv. 12 f..
MERGURE DE FRANCE.
Dictionnaire de Synonymes François, par fea le
R. P. Timothée de Lyvoy , Barnabire , de l'Açadémiedes
Arcades de Rome & de cellede Boulogne
; nouvelle édition , revue , corrigée & confidérablement
augmentée, par M. Beauzée , de FAcadémic
Françoife , de celle Della Crufca , des
Académies Royales de Rouen, de Metz , & d'Ar
ras , Profeffeur Royal émérire de l'Eco'e Miliraire
, & Secrétaire - Interprète de Monseigneur
Comte d'Arteis, Prix, 7 liv. 10 f. relić. A Paris ,
chez Nyon Painé & fils , Lib. rue du Jardinet.
L'Amour inginieux ; Télémaque & Eucharis ;
Eftampes faifant pendant, gravées d'après M. Henoré
Fragonard , chez AugultinLe Grand, rue
Saint Jalien le Pauvre , No. 13, Prix , 3 liv ,
TABLE.
VERS. 27
Chanson.
Charade, Enig. & Lagog, a) Theatre de Mofizur 34
Del'Ama٥٦٠ 8,Annonces Nasices. 43
APPROBATIΟΝ.
leGarde das Sceaux , At lu par ordre de Mgr.
le MERCURS DE FRANCE , pour le Samedi 1
Janvier 1789. Je n'y ai rien trouvé qui puifle en
ompêcher l'impreſſion. A Paris , le 6 Févrice
1789,
SELIS.
MERCURE
DE FRANCE .
SAMEDI 14 FÉVRIER 1789 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
i
VERS
AM. le Comte D'OGNI , Intendant général
des Poftes & Relais de France , à l'occafion
de la nouvelle année 1789 .
QUe demander pour vous aux Cieux ,
Comre auſſi bienfaiſant qu'aimable ?
L'Amour , l'Hymen ſe ſont unis tous deux
Pour vous donner une épouſe adorable :
Nº. 7. 14 Fév. 1789, C
:
:
so
MERCURE
Votre bonheur eſt écrit dans ſes yeux .
La Fortune & Plutus , par un accord infigne ,
Ont tous les deux ſoulevé leur bandeau :
Entre tous les Mortels , du deſtin le plus beau ,
Ils vous ont, par leur choix, conſacré le plus digne,
Pour compléter votre félicité ,
Eſculape a de la ſanté
Verfé ſur tous vos ſens le baume falutaire,
Un voeu tout ſeul me reſte à faire :
Les Dieux daigneront l'exaucer.
Quand ennuyé du féjour ſublunaire ,
Et de l'auguſte emploi qu'il vous faut exercer ;
Quand de Neftor vous aurez paflé l'âge ,
Quand il faudra marcher vers l'infernal rivage ;
Des Relais de la France , Intendant trop actif,
Gardez -vous d'ordonner un fringant équipage ,
DontlesCourfiers Anglois, brûlant d'un feu trop vif,
En'un clin d'oeil franchiroient le paſſage.
Mais faites compoſer un tardif attelage
De limoniers caducs , bien lourds , bien pareſſeux ,
Les uns pouflifs & les autres boiteux ;
Et qu'ils mettent cent ans à faire le voyage.
(Par M. Dancourt. )
DE FRANCE .
Sr
VERS
A Mime. DUGAZON , Penſionnaire du Roi ,
après lui avoir vu jouer Sophie dans la
reprise de Sargine.
Sorr dans Nina , ſoit dans Sargine ,
Chacun s'écrie : Elle est divine.
Son jeu , fans étre concerté,
A le vif effor du génie ,
Entraîne par la vérité ,
Et plaît au coeur par l'énergie.
Oui , belle & charmante SOPHIE ,
Ton guide fut toujours le goût :
Tu n'a plus de modèle à prendre ;
La Nature t'a donné tout ,
Et l'Art n'a plus rien à t'apprendre.
( Par M. L. B. de Bouyon, de plufieurs Ac. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
Le mot de la Charade eſt Chardon ; celui
del'Enigine eſt Tuyau ; celui du Logogriphe
eſt Placet, où l'on trouve Place , Lacet.
T
C2
MERCURE
M
CHARADE.
ON premier , dans vos jeux , fert à vous
divertir ;
Mon ſecond, à monter fert ainſi qu'à deſcendre;
Et mon tout, chez les Grands, qu'on veut toujours
furprendre ,
Fait aller l'Intrigant, qui n'y fait que mentir.
(Par Mme. la Comtesse de B ... )
ÉNIGME.
La pudeur m'inventa pour cacher mille charmes,
Et pour faire enrager les Amans curieux.
Lorſqu'à des indifcrets on oppoſe mes armes ,
Si les maux que je fais ne font pas dangereux ,
Souvent de mon poignard le fang rougit les traces,
Etje fais éprouver d'aſſez fortes douleurs.
Julie a le fecret de s'attacher les coeurs ,
Et moi j'ai le talent de fixer fur les graces
Tout ce qui peut parer & voiler la Beauté.
Au lis de fon beau ſein , ſi la Roſe eſt unic ,
Cette Rofe me doit , depuis qu'elle eft cueillie,
Sa gloire , fa conſtance , & fa félicité.
Le Papillon léger ceſſe d'être volage
Quand une fois j'ai pu le percer de mon trait :
Sèxe mystérieux de moi tu fais uſage
Quand Zéphyr veuttrahir quelque joli fecret.
(Par M. de Vig... Lieutenant de *. )
DE FRANCE. 53
LOGOGRIPHE
Efuis une priſon où les captifs ferrés ,
Gémiffent détenus ſous des verroux dorés ;
De cet obfcur cachot , le Geolier , s'il eſt ſage,
Pour le bien des captifs , doit ferner ce paffage
Atous les élémens. Ciel ! qu'il eſt malheureux ,
T'écrieras -tu, Lecteur , d'être en de pareils lieux !
Garde-toi de le croire : on eſt digne d'envie
Quand on peut s'y gêner tous les jours de ſa vie.
En fouillant mes ſept pieds, tù trouveras dans moi
Les armes , & le nom , & le titre d'un Roi ;
Une lourde monnoie en vogue en fon Empire ;
L'undes fripons, Iris , pour lesquels je ſoupire ;
Uneproche parente ; un goût ;une fureur
Dont l'immortel Regnard nous retrace l'horreur ;
Un animal ailé ; ce miroir de nos ames
Que l'âge enfin ternit, que colorent nos Dames.
( Par M. Plaimpelfils, de Dunkerque. )
-1
€ 3
54 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
DISCOURS prononcés dans l'Académie
Françoise , aux réceptions de M. VICQ
D'AZYR , & de M. le Chevalier de
BOUFFLERS. A Paris , chez Demonville
, Imp- Lib. de l'Académie Françoise,
rue Christine , aux armes de Dombes.
Nous réuniffons ces Diſcours , quoique
les réceptions ſe ſoient faites ſéparéinent;
M. Vicq - d'Azyr ayant été reçu le 11 Décembre
1788 , & M. le Chevalier de
Boufflers le 29 du même mois : le premier
ſuccédoit à M. de Buffon ; le ſecond à M.
de Montazer , Archevêque de Lyon.
M. Vicq-d'Azyr , reçu ayant vingt-trois
ans à l'Académie des Sciences , Secrétaire-
Perpétuel de la Société Royale de Médecine
, connu par diverſes découvertes importantes
dans l'Anatomie , & qui conſacre
depuis quelques années à cette utile
Science trop peu encouragée , un vaſte &
beau monument , jouit dans ſa profeſſion
d'une réputation qui vient de lui procurer
la place de premier Médecin de la Reine ,
DE FRANCE.
35
pendant que le talent d'écrire & l'éloquence
qu'il joint à ſes grandes connoiſſances lui
procuroient à l'Académie Françoiſe l'honneur
de fuccéder à M. de Buffon. Il fembioit
avoir été réſervé pour cette place , &
c'eſt de quoi on eft frappé d'abord en lifant
fon Difcours , en voyant la convenance
parfaite du ton avec le ſujet ; en retrouvant
la majesté , la richefle , l'harmonie du
ſtyle de M. de Buffon dans fon Panégyriſte.
C'eſt ainſi que M. de Buffon eût fait fon
éloge , s'il avoit pu le faire; c'eſt ainſi qu'il
avoit fait autrefois celui de M. de la Condamine
entrant àl'Académie Françoiſe. C'eſt
lui qu'on croit entendre s'écrier :
ود
".
ود
ود
ود
>> Quel grand , quel étonnant ſpectacle
» que celui de la Nature ! Des Aſtres étin-
>> celans & fixes qui répandent au loin la
>>> chaleur & la lumière ; des Aſtres errans
>> qui brillent d'un éclat emprunté , & dont
les routes font tracées dans l'eſpace ; des
forces oppofées , d'où naît l'équilibre des
Mondes ; l'élément léger, qui ſe balance
autour de la Terre ; les eaux courantes
» qui la dégradent & la fillonnent ; les
eaux tranquilles , dont le limon qui la
féconde forme les plaines ; tout ce qui
vitfur ſa ſurface , & tout ce qu'elle ca.
che en ſon ſein , l'homme lui - même
dont l'audace a tout entrepris , dont l'in-
*,, telligence a tout embraſſe , dont l'induftrie
a meſuré le temps & l'eſpace ; la
chaîne éternelle des cauſes , la ſérie
"
"
ود
ود
"
"
"
C 4
56 MERCURE
?
mobile des effets , tout eſt compris dans
>> ce merveilleux enſemble ".
N'est- ce pas encore M. de Buffon qui
ſemble dire :
» Autour de l'homme , à des diſtances
> que le ſavoir & le goût ont meſurées ,
>> il plaça les animaux dont l'homme a fait ود
ود laconquêre ; ceux qui le ſervent près de
>> ſes foyers , ou dans les travaux champe-
>> tres ; ceux qu'il a ſubjugués , & qui re-
>>fuſent de le ſervir ; ceux qui le ſuivent,
• le careffent & l'aiment; ceux qui le fai-
>> vent&le careſſent ſans l'aimer; ceux qu'il
>>> repouſſe par la ruſe , ou qu'il attaque à
ود force ouverte ; & les Tribus nombreuſes
>> d'animaux qui bondiſſant dans les taillis,
ود
"
?
ſous les furaies , ſur la cime des monta-
>> gnes , ou au ſommet des rochers , ſe
nourriffent de feuilles & d'herbes , &
les Tribus redoutab'es de ceux qui ne
» vivent que de meurtre & de carnage. A
>>ces groupes de quadrupedes , il oppola
ود
des groupes d'oiſeaux. Chacun de ces
>>êtres lui offrit une phyſionomie, & reçut
>> de lui un caractère. Il avoit peint le Ciel,
>> la Terre, l'Homme , & ſes âges , & fes
» jeux , & fes malheurs , & ſes plaiſirs : il
» avoit aſſigné aux divers animaux toutes
>> les nuances des paſſions. Il avoit parlé
>> de tout , & tout parloit de lui........
Vous n'avez point oublié avec quelle
>> nobleſſe , rival de Virgile , M. de Buffon
a peint le Courſier fougueux , s'animant
"
DE FRANCE. 57
:
7
au bruit des armes , & partageant avec
>> l'Homme les fatigues de la guerre & la
> gloire des combats ; avec quelle vigueur
> il a deſliné leTigre, qui, raffafié de chair,
ود eſt encore altéré de fang. Comme on eft
> frappé de l'oppoſition de ce caractère
• féroce avec la douceur de la Brebis, avec
" la docilité du Chameau , de la Vigogne
" & du Renne , auxquels la Nature a tout
>> donné pour leurs Maîtres ; avec la pa-
>> tience du Boeuf , qui est le ſoutien du
>> ménage & la force de l'agriculture ! Qui
» n'a pas remarqué parmi les oiſeaux dont
>>>M. de Buffon a décrit les moeurs , le cou-
" rage franc du Faucon , la cruauté lâche
>> du Vautour, la ſenſibilité du Serin, la pé-
>> rulance du Moineau , la familiarité du
>>Troglodyte, dont le ramage& la gaîté bra-
>> vent la rigueurde nos hivers,& les douces
>> habitudes de la Colombe , qui fait aimer
"
ور
"
"
ſans partage , & les combats innocens des
>>>> Fauvettes , qui ſont l'emblême de l'amour
" léger ! Quelle variété , quelle richeſſe
>> dans les couleurs avec leſquelles M. de
Buffon a peint la robe du Zèbre , la fourrure
du Léopard , la blancheur du Cygne
, & l'éclatant plumage de l'Oiseau-
>> Mouche ! Comme on s'intéreſſe à la vue
>> des procédés induſtrieux de l'Eléphant &
>> du Caſtor ! Que de majellé dans les épiſodes
où M. de Buffon compare les terres
anciennes & brûlées des déferts de FAS
arabic où tout a cellé de vivre , avec les
C
58 MERCURE
>> plaines fangeuſes du nouveau Continent;
» qui fourmillent d'inſectes , où ſe traî-
» nent d'énormes reptiles , qui ſont cou-
> verts d'oiſeaux raviſſeurs , & où la vie
ſemble naître du ſein des eaux" ! ود
Mais ſi M. Vicq- d'Azyr a cette heureuſe
facilité de s'élever à la hauteur majestueuſe
du ſtyle de M. de Buffon , de s'y foure-.
nir , d'égaler ſa richeſſe & ſa variété en
retraçant fes productions , comme M. de
Buffon égaloit lui - même la richeffe & la
variété de la Nature , en peignant ſes ouvrages,
s , il n'en a pas moins un caractère à
lui, qui nous paroît confifter principalement
dans une philoſophie douce , humaine ,
conciliante , aimable , & dont voici des
exemples ſenſibles .
" J'oſerai pourtant faire un reproche à
» M. de Buffon. Lorſqu'il peint la Lume
» déjà refroidie; lorſqu'il menace la Terre
➤ de la perte de ſa chaleur & de la def-
>>> truction de ſes habitans , je demande ſi
>>>cette image lugubre & fombre , fi cette
>> fin de tout fouvenir , de toute penſée ,
>> fi cet éternel filence n'offrent pas quel-
➤ que choſe d'effrayant à l'eſprit ? Je de-
>> mande ſi le déſir des ſuccès & des triom-
➤ phes , fi le dévouement à l'étude , fi le
>>zèle du patriotiſme , ſi la vertu même
>> qui s'appuie ſi ſouvent ſur l'amour de
ود la gloire , ſi toutes ces paſſions , dont les
- voeux ſont ſans limites , n'ont pas beſoin
* d'un avenir ſans bornes ? Croyons plutor
DE FRANCE.
رو
> que les grands noms ne périront jamais ;
» & quels que foient nos plans , ne tou-
ود
رد
chons point aux illuſions de l'eſpérance ,
ſans leſquelles que reſteroit- il, hélas ! à
>> la triſte humanité « ?
On aime toujours à voir , ſur tout dans
un Ouvrage d'éloquence , ſubſtituer ainſi le
ſentiment au raiſonnement : ces fortes de
traits font toujours sûrs de leur ſuccès.
Ce même caractère de conciliation , de
douceur & d'impartialité ſe fait bien fentir
encore dans les Parallèles , auxquels donnent
lieu les contradictions que M. de
que
Buffon a eſſuyées , ou les rivalités dont il a
été l'objet.
"
Parallèle de M. de Buffon & de M.
l'Abbé de Condillac.
ود M. l'Abbé de Condillac fut le plus
redoutable de ſes Adverſaires. Son eſprit
>> jouiſſoit de toute ſa force dans la dif-
» pute. Celui de M. de Buffon , au con-
ود
"
traire ,y étoit en quelque ſorte étranger.
Veut- on les bien connoître? que l'on
>> jette les yeux fur ce qu'ils ont dit des
ſenſations. Ici , les deux Philoſophes par-
>> tent d'un même point , c'eſt un homme
"
ود que chacun d'eux veut animer. L'un ,
>> toujours méthodique , commence par ne
>> donner à ſa ſtatue qu'un ſeul ſens à la
>> fois. Toujours abondant , l'autre ne re-
>> fuſe à la ſienne aucun des dons qu'elle
C6
62 MERCURE
>> auroit pu tenir de la Nature. C'eſt fo
>> dorat , le plus obtus des organes , que le
>> premier met d'abord en ulage. Déjà le
ود ſecond a ouvert les yeux de ſa ſtarueà la
» lumière , & ce qu'il y a de plus brillant
> a frappé fes regards. M. l'Abbé de Con-
>> dillac fait une analyſe complète des im-
• preſſions qu'il communique. M. de Buf-
> fon , au contraire , a diſparu ; ce n'eſt
>> plus lui , c'eſt l'homme qu'il a créé , qui
» voit , qui entend& qui parle. La ftatue
▸ de M. l'Abbé de Condillac, calme , tran-
• quille , ne s'étonne de rien , parce que
>> tout eſt prévu , tout eft expliqué par fon
७ Auteur. Il n'en eft pas de même de celle
>> de M. de Buffon ; tout l'inquiète , parce
» qu'abandonnée à elle - même , elle eft
ود
ود
ود
ود
ود
ſeule dans l'Univers : elle ſe meut , elle
ſe fatigue , elle s'endort , fon réveil eft
>> une ſeconde naiſſance ; & comme le
trouble de ſes eſprits fait une partie de
" ſon charme , il doit excuſer une partic
>> de ſes erreurs. Plus l'homme de M.
l'Abbé de Condillac avance dans la car-
>>rière de fon éducation , plus il s'éclaire ;
>>il parvient enfin à généraliſer & à découvrir
en lui- même les causes de fa
» dépendance & les ſources de ſa liberté.
>>Dans la ſtatue de M. de Buffon , ce n'eſt
" pas la raiſon qui ſe perfectionne , c'eſt
>> le ſentiment qui s'exalte ; elle s'empreſſe
ود
ود
de jouir , c'eſt Galatée qui s'anime fous
>> le ciſeau de Pygmalion , & l'Amour
DE FRANCE. 61
→ achève fon exiftence. Dans ces produc-
ود tions de deux de nos grands Hommes ,
» je ne vois rien de ſemblable. Dans l'une,
>> on admire une poétie ſublime ; dans l'au-
>> tre, une philofophie profonde. Pourquoi
" ſe traitoient-ils en rivaux , puiſqu'ils al-
>> loient par des chemins différens à la
>>gloire , & que tous les deux étoient également
sûrs d'y arriver « ? "
La rivalité de M de Buffon & de M. de
Linné n'avoit pas de fondemens beaucoup
plus folides : ces deux hommes , diverſement
célèbres , pouvoient ſe ſervir l'un à
l'autre , & ne pouvoient pas ſe nuire. Il y
a place pour tout le monde dans le Temple
de la Gloire .
95
"

Parallèle de M. de Buffon & de M.
de Linné.
>> Le ſavant Naturaliſte d'Upfal dévoua
tous fes momens à l'obſervation ; l'examen
de vingt mille individus ſuffit à
peine à fon activité Il ſe ſervit , pour
>>les claffer , de méthodes qu'il avoit inventées;
pour les décrire , d'une Langue
» qui étoit fon ouvrage ; pour les nom-
» mer , de mots qu'il avoit fait revivre
>> ou que lui-même avoit formés. Ses ter-
>> mes furent jugés bizarres; on trouva que
"
"
:
و
ſon idiome étoit rude , mais il étonna
>>par la préciſion de ſes phrases ; il rangea
62 MERCURE
>> tous les êtres fous une loi nouvelle.
>> Plein d'enthouſiaſme , il ſembloit qu'il
>> eût un culte à établir , & qu'il en fût le
>> Prophète ..... Avec tantde ſavoir &
"
"
ود
de caractère , Linné s'empara de l'enſeignement
dans les Ecoles ; il eut les ſuccès
d'un grand Profeſſeur ; M. de Buffon
>> a eu ceux d'un grand Philoſophe. Plus
» généreux , Linné auroit trouvé dans les
» Ouvrages de M. de Buffon des paſſages
>> dignes d'être ſubſtitués à ceux de Sénè-
>> que , dont il a décoré les frontifpices de
ود ſes Divifions. Plus juſte , M. de Buffon
auroit profité des recherches de ce Savant
>>laborieux. Ils vécurent ennemis , parce
>> que chacun d'eux regarda l'autre comme
pouvant porter quelque atteinte à ſa ود
" gloire. Aujourd'hui que l'on voit com-
>> bien ces craintes étoient vaines , qu'il
> me ſoit permis à moi , leur admirateur
» & leur Panégyriſte , de rapprocher , de
>>réconcilier ici leurs noms , sûr qu'ils ne
>> me déſavoueroient pas eux-mêmes , s'ils
> pouvoient être rendus au Siècle qui les
regrette ,& qu'ils ont tant illuſtré «. ور
Le plaiſir de tranſcrire de pareils mor
ceaux nous entraîneroit aisément au delà
des bornes que nous devons nous prefcrire
; nous renverrons donc au Difcours
même , pour pluſieurs autres tableaux d'un
grand prix , tels que la deſcription du Jardin
du Roi , dans l'état où l'ont mis les
foins de M. de Buffon; la peinture deM.
DE FRANCE. 63
de Buffon lui - même , avec ſa belle phyſionomie
, ſes cheveux blancs , ſes attitudes
nobles,& le feu du génie dans les yeux, compoſant
au milieu des jardins de Montbar
'Hiſtoire de la Nature ; la peinture même de
la pompe funèbre de ce grand Homme ; l'éloge
toujours agréable aux François de cet
Adminiſtrateur qui , tantôt dans la retraite ,
éclaire les Peuples par ſes Ouvrages , &
tantôt dans l'activité du miniſtère , les raffure
par la préſence & les conduit par ſa
ſageſſe ; celui de cette excellente & vertueuſe
amie de M. de Buffon , qui a été
témoin de ſes derniers efforts , qui a reçu
ſes derniers adieux , qui a recueilli ſes dernières
penſées ; le tableau charmant de
l'union de ces trois ames ſublimes , que rapprochoient
des ſentimens communs d'admiration
, d'eſtime &d'amitié.
M. Vicq - d'Azyr avoit acquis beaucoup
de gloire dans l'éloge hiſtorique. Il nous
paroît ſupérieur à lui -même dans l'éloge
oratoire ; car c'eſt ainſi qu'il faut conſidérer
ce Diſcours , qui n'eſt plein par-tout
que de M. de Buffon. Jamais l'éloquence
ne s'eſt permis d'y briller un moment aux
dépens du goût , & notre critique , en
cherchant bien , n'a pu y trouver qu'un
mot à reprendre. L'Orateur dit que l'Académie
Françoiſe a été fondée par un Roi
qui fut lui-même un grand Homme. La liberté
de l'Hiſtoire doit pouvoir au moins aller
juſqu'à dire que Louis XIII , avec des qua
64 MERCURE
lités d'ailleurs eſtimables , ne fut ni ce
qu'on appelle un grand Roi , ni ce qu'on
appelle un grand Homme :
Mais il n'égalera ni ſon fils ni ſonpère.
M. Vicq- d'Azyr , & M. de Buffon qui
ne pouvoit pas ne pas revenir fans ceife
danstous les Diſcours de cette journée , font
d'autant mieux loués dans le Diſcours de M.
de Saint-Lambert , qu'ils le font d'un ſtyle
moins oratoire que philoſophique ,& dont
on peut dire ce que M. de Saint-Lambert
lui-même dit du ſtyle de M. de Buffon ,
dans une de ſes deſcriptions : Ce style n'est
point élevé , il est élégant & fimple ; il
eſt d'ailleurs plein & noble , & convenable
à tous égards au Directeur de l'académie
Françoiſe. Il a cette perfection de goût ,
cette correction qui caractériſe tout ce que
M. de Saint- Lambert écrit , ſoit en profe,
foit en vers.
M. de Buffon a mêlé quelques erreurs
aux grandes & belles vérités que contiennent
ſes Ouvrages , M. Vicq - d'Azyr ne
l'avoit pas ditfimulé. Sans doute , dit M.
de Saint- Lambert , » la doctrine de la for
" mation des planètes & de la génération
» des êtres animés, ſera citée au tribunal
> de la raiſon ; mais elle y ſera citée avec
>> les erreurs des grands Hommes. Les idées
» éternelles de Platon, les tourbillons de
>> Deſcartes, les monades de Leibnitz , tant
DE FRANCE. 65
:
d'autres moyens d'expliquer toutes les
>> origines , tous les mouvemens , toutes
ود
ود
ود
"
"
les formes , n'ont point altéré le reſpect
» qu'on a confervé pour leurs inventeurs.
M. de Buffon , dans le Jardin du
>> Roi , pouvoit jouir , comme le Czar
Pierre , du plaifir d'avoir repeuplé &
enrichi ſon Empire. Il y recevoit les
viſites& les hommages des Savans , des
>> Voyageurs , des Hommes illuftres dans
tous les genres , & même des têtes cour
ronnées . Pluſieurs lui apportoient ou
lui envoyoient des animaux , des plantes
, des fofliles , des coquillages , de
>> toutes les parties de la Terre , des
>> rivages de toutes les Mers. Ariftote ,
ود
"
ود
ود
pour raſſembler ſous ſes yeux les pro-
>> ductions de la Nature , avoit eu beſoin
» qu'Alexandre fit la conquête de l'Afie :
>> pour raſſembler un plus grand nombre
>> des mêmes productions , que falloit-il à
>> M. de Buffon ? ſa gloire .
Nous n'avons pas beſoin de faire remarquer
combien cette manière de finir eſt
noble & heureuſe.
M. le Chevalier de Boufflers débute par
un contraſte non moins heureux , que lui
fourniſſoit naturellement la comparaiſon du
moment & du lieu , avec le ſouvenir du
Sénégal & des Sauvages des côtes de l'Afrique;
mais les idées les plus naturelles ne
ſe préſentent guère qu'aux gens d'eſprit
&de goût.
66 MERCURE
ود
" Je parcourois n'aguère ces plages dér
folées , dont le premier afpect offre
l'emblême & la preuve de l'eſprit inculte
de leurs habitans. J'aimois à pé-
>>> nétrer dans ces pays fy peu connus , fi
"
د
ود
ود
ود
"
ود
ود
mal obſervés , où la main de la Nature,
>>> a tout fait , où la main de l'homme n'a
rien changé ; j'y converfois avec ces
hommes fimples , qui , réduits aux ſeuls
beſoins phyſiques, bornés à des notions ,
>> pour ainſi dire , animales , ignorant juf
» qu'au nom d'Arts & de Sciences , pa
roiffent condamnés à des ténèbres éternelles
..... Voilà les hommes que je
>> quitte , & je me trouve au milieu de
>> ceux dont les plus éclairés attendent &
>>reçoivent à chaque inſtant de nouvelles
>> lumières , de ceux à qui la penſée doit
>> ſes plus riches tréſors & ſes plus bril-
>> lastes conquêtes. J'ai vu juſqu'où l'ef-
>> prit humain peut tomber , je vois juf-
» qu'où il peut s'élever ; j'ai vu ce que
>>> la Nature a fait de l'homme , je vois ce
» que l'homme a fait de laNature « .
Ce Diſcours eft , pour ainſi dire , diviſé
en trois parties ; 1°. Les complimens
d'uſage. 2º. L'éloge de M. l'Archevêque
de Lyon . 3 °. Des réflexions ſur la
clarté du ſtyle. Il préſente par tout d'ailleurs
des vûes fines , des traits d'eſprit ,
des tournures ingénieuſes & piquantes ,
enfin une manière propre à M. le Chevalier
de Boufflers , qu'on attendoit de lui ,
& où on le reconnoît.
>
DE FRANCE. 67
ود
ود
Dans les déſerts de l'Afrique , la foible
étincelle de raiſen que chacun reçut
>> en naiffant , ne ſert qu'à lui feul.....
Dans nos climats , au contraire , l'eſprit
d'un homme peut appartenir à tous , &
>>> celui de tous à chacun .....
ود
ود
Le Cardinal de Richelieu conçur l'idée
d'un Tribunal , » qui , pour régler l'opi-
- nion dans ce qui tient au langage , la
> confulteroit ; qui , en écoutant le Pu-
ود blic , s'en feroit écouter; qui ..... fau-
>> roit oppofer la plus ſaine partie de la
>> multitude à la multitude même , ......
» & lui dicter des arrêts qu'elle-même au-
>>>roit prononcés .....
ود
2 C'eſt l'amitié , c'eſt la commune bicnveillance
qui m'ont admis d'une voix
>> unanime ; & ce que chacun de vous n'a
- dû qu'à lui ſeul , c'eſt à chacun de vous
que je le dois " .
: L'Eloge de M. l'Archevêque dè Lyon
offre d'abord celui de deux de ſes frères ,
dont l'un le pleure au fond d'une retraite
» où il a porté des vertus dont il parut ود
ود orné dès ſes premiers ans , & des agré-
» mens qui embelliront encore ſes derniers
>> jours ; l'autre, enlevé trop tôt à l'eſpoir
ود de l'armée & à l'amour de deux grandes
>> Nations qu'il ſervit également , eſt ce
ود brillant François dont les talens diſtin-
>> gués & la noble valeur trouveroient en-
>> core pour garant , dans cette Affemblée ,
l'ennemi le plus à craindre &l'approba- ود
MERCURE
» teur le plus à déſirer ( le PrinceHenti )".
Quant à M. l'Archevêque de Lyon , vit
on jamais , dit l'Orateur , » Homme d'E-
>> glife , l'Homme du Monde , & l'Homme
» de Lettres , prononcés d'une manière
>>plus diftincte & réunis d'une manière
>> plus intime ? Un mot le peindra ; il fut
ود ce qu'il devoit être........ Il ſembloit
>>avoir preſcrit à ſes penſées la marche
>> qu'elles devoient ſuivre, & à ſes agrémens
>>>le cercle où ils devoient ſe renfermer ...
>> La grace inféparable de toutes ſes actions
» & de tous ſes diſcours , loin d'affoiblir
» la dignité de fon état, en avoit pris l'em
>> preinte ; & plus piquante encore dans
>> la décence , elle ſembloit ſe parer du
> voile même qui la couvroit ".
وہ
Le tableau de ſa charité eſt aufli touchant
qu'édifiant. Dans ces momens de
eriſe pour les manufactures de Lyon , dans
ces temps où les fléaux célestes & les
fléaux politiques , ſouvent plus terribles en
core , amènent une économie à laquelle ,
pour le bonheur commun , il falloit , dit
l'Auteur , ou ne jamais renoncer , ou ne
jamais revenir , l'Archevêque ſe montroit
à ſon peuple affligé; ſes diſcours " promet-
>> toient des temps plus heureux , ſes bien-
> faits permettoient de les attendre .....
ود Dansla commune détreſſe , il devenoit
>> le tréfor commun &la vertu d'un
د
homme balançoit une calamité publi ود
que .....
DE FRANCE. 09
ود
" Bonté touchante , s'écrie l'Auteur ,
fecourable inquiétude, beſoin délicieux
>>>des plus belles ames , foyez à jamais la
baſe de la morale univerſellet...... ود
"
...
S'il vous falloit des récompenfes , ne
>> craignez point d'en manquer. Les hommes
peuvent être ingrats , mais le genre
humain ne l'eſt point ".
"
ود
C'eſt peut-être là le plus beau mot de
tout ce Difcours , où il y a tant de mots
heureux.
ود
"
>>En mourant, il ne laiſſa que fon nom
& ſes exemples. J'en atteſte ſes parens
chéris & déshérités , qui , dans ce
» moment , fiers de ſa gloire , émules de
>> ſes vertus , jouiffent de voir le patri-
"
ود
ور
ود
moine public accru de l'héritage qu'ils
avoient le droit d'attendre ; & leur amour
a fait graver fur le marbre de ſa tombe ,
un fait qui n'eût peut - être été connu
que par les murmures de tant d'autres
familles ".
Les réflexions ſur la clarté du ſtyle tiennent
plus qu'elles ne promettent , c'eſt en
petit la poétique générale du ſtyle , & la
clarté n'eſt là qu'un prétexte modefte. La
Rhétorique , dit ingénieuſement l'Auteur ,
ود
ود
eſt à l'éloquence ce que la galanterie eſt
à la paffion , ce font les mêmes diſcours ,
>> ce n'eſt point le même accent " .
L'Auteur fait la guerre aux faux ornemens,
à ce luxe impoſteur , à cette pa70
MERCURE
"
rure artificielle , fi chère à la médiocrité ,
>> ſi prodiguée par le mauvais goût ; voile
inutile dont on couvre ou des beautés
ou des
défauts qu'il valoit mieux éviter. C'eſk
>>à la Nature que les femmes doivent ce
>> qu'il valoit mieux laiſſer voir
ود
ود
20
ſtyle fi léger , fi facile & fi clair dont
>> quelquefois nous fommes jaloux ; leur
>> exemple nous apprend que la pénétra-
» tion voit mieux que l'étude , & que la
Nature en fait plus que la ſcience .... "
Tout en elles eft plus expreffif; des fibres
plus délicates , une phyſionomie plus mobile
, un accent plus flexible , un maintien
plus naïf; tout parle plus clairement à nos
regards ; leur ame enfin ſemble moins in
viſible.
Les mots clairs & clairement reviennent
de temps en temps & font ramenés avec
adreffe , mais n'en ſoyons point les dupes;
l'Auteur a beau vouloir paroître borner
ſon ſujet , voyons en toute l'étendue ; il
ne s'agit pas feulement de clarté ou d'obfcurité
, il s'agit du naturel ou du recherché
, du bon ou du mauvais goût.
د Si la vérité n'eſt pointla loi du Mon-
>> de , dit M. le Chevalier de Boufflers ,
ود c'eſt moins la faute de ceux qui l'enten-
>> dent , que de ceux qui la diſent ; elle
» n'eſt rejetée que tant qu'elle eſt mécon-
>> nus ; elle n'eſt méconnue que tant qu'il
refte un moyen de la méconnoître ". ور
Ici nous ne ſommes pas allez heureux
DE FRANCE. 71
pour que l'Orateur ait indiſtinctement raifon
; ce n'est pas faute d'évidence dans
les principes , ni de clarté dans les difcours
ou dans les Livres , que tout le monde n'eſt
pas vertueux ; mais c'eſt toujours ſervir la
vérité que de l'annoncer , non pas ſeulement
avec plus de clarré , mais avec plus
d'éclat , de force & de douceur , de la
rendre aimable , de lui donner du charme ,
en un mot , de la faire goûter.
Ce goût exquis de M. de Saint-Lambert
ſe fait peut - être encore mieux ſentir
dans ſa réponſe à M. le Chevalier de
Boufflers , que dans ſa réponſe à M. Vicqd'Azyr.
Tout y eft fin & pur.
" La fineſſe de l'eſprit , l'enjouement ,
» je ne ſais quoi de hardi , qui ne l'eſt
>> point trop , des traits qui excitent la fur-
>> priſe & ne paroiffent pas extraordi-
>> naires , le talent de ſaiſir , dans les cir-
>> conſtances & le moment , ce qu'il y a
ود de plus piquant & de plus agréable ;:
>> voilà , dit- il à M. de Boufflers , le caractère
de vos Pièces fugitives ; elles ne
>> rappellent aucun des modèles , & les
» égalent ſans leur reſſembler .... "
ود
ود
La ſociété d'une mère & d'une famille
célèbres par les agrémens de leur efprit,
vous ont entouré de leçons agréables &
>> d'exemples heureux .. La Cour du
"
ود
...
Koi de Pologne étoit fans affaires & fans
>> orages ..... C'eſt là que Voltaire a com-
» pofé pluſieurs de ſes Tragédies , ces
72 MERCURE
>>-Contes philofophiques qui ne font pas
" oublier le charmant Conte d'Aline .....
>> Montesquieu y-a compoſé pluſieurs de
>>ſes plus beaux chapitres de l'Eſprit des
» Loix ... Dans cette Cour , l'amusement
>>avoit toujours de l'eſprit , & l'eſprit tou-
>>jours du goût .
Ce goût , ce ſentiment délicat des
>> convenances, ne ſe borne pas à diriger
» le jugement qui prononce ſur les Ou-
>>vrages de l'art , il ſe fait ſentir dans la
conversation , il en bannit la négligence,
>>la précipitation & l'empire ..... Il dé-
»
ور fend à la plaifanterie de bleſſer jamais
>> ni la décence ni la bonté ; il étend
» même ſon influence ſur les moeurs; il
ود demande qu'elles foient ſages &non pas
>>auſtères ; qu'on écarte le défordre &
>> non le plaifir ; que la vertu attire & non
>> qu'elle commande de la ſuivre «.
Ce ſont-là des vérités que tout le monde
n'apperçoit pas , ou du moins n'exprimeroit
pas ainſi , mais auxquelles tout bon efprit
donne ſon aſſentiment auſſi-tôt qu'elles
font exprimées. Voici encore une vérité
d'une plus grande importance.
» Il ya une grande différence entre l'hy-
>> pocrite de la ſuperſtition & celui de la
» verru. Le premier peut conſerver ſon
» maſque avec honneur par quelques pra-
» tiques minutieuſes , de vaines ſimagrées,
" un ton auſtère , & l'apparence des pri-
>>vations. Mais pour n'être point démaf-
» qué ,
DEFRANCE
73
. qué , à quoi s'oblige l'hypocrite de la
>> vertu ? à faire le bien...... Bientôt il
» ne lui en coute plus d'être ce qu'il vouloit
parcitre ..... La vertu eſt comme
une fille aimable & belle ; ce ne ſera pas
impunément que vous feindrez d'en étra
>> amoureux; dites ſouvent que vous l'air
& vous finirez par prendre pour
- elle la paflion la plus vive & la plus
» tendre .
:
" moz ,
Cette comparaiſon rappelle les vers fuivans
d'ovide :
Quod non es fimula, pofitoſque imitare furores :
Sicfacies verè quod meditatus eris.
Sæpè ego ne biberem volui dormire videri ;
Dum videor ,fomno lumina vilta dedi.
Deceptum rifi , qui fe fimulabat amare ,
In laqueos- auceps decideratque fuos :
Intrat amor mentes ufu, dediſcitur ufu.
Il faut voir dans l'Ouvrage même le
morceau fur l'eſclavage des Negres , le
morcean fur les Affemblées provinciales ,
&c. Il faut tout voir , & on voudrait tour
tranfcrite.
2
10
No. 7. 14Fev. 1789.
!
74
MERCURE
4
CALENDRIER Muſical univerſel , contenant
l'indication des cérémonies d'églife,
en muſique ; les découvertes& les
anecdotes de l'année ; des variétés ; un
choix de Poésies relatives à la Muſique;
des détails sur la Muſique des églises de
Paris; la noticedes Pièces en musique , repréſentées
à Paris , en Province , fur les
différens Théatres de l'Europe &des principales
villes d'Italic ; le relevé des Ouvrages
fur la Muſique & les Productions
muficales , publiées à Londres & à Paris;
la liste des Profeffeurs , des Marchands de
Musique, Luthiers, Facteurs d'Inftrumens,
Graveurs, Imprimeurs, Copiſtes , &c. &c.
pour l'année 1789. Prix, 36S. A Paris,
chez l'Auteur , maison de M. Leduc ,
au Magasin de Muſique & d'Inftrumens ,
: rue du Roule , n . 6.
Nous avons dit , en annonçant cet Ouvrage
, qu'il étoit fait avec encore plus de
ſoin que celui de l'année dernière : voici
en quoi conſiſte ſur-tout les améliorations .
L'indication des cérémonies d'égliſe ,
qui ſe trouve en regard avec les jours du
L
1
DE FRANCE.
75
Par
mois , & qui annonce les Te Deum , les
Meſſes & Saluts en muſique , les jours
de Concert ſpirituel , &c. eſt infiniment
plus exacte. Les Anecdotes& Variétés font
plus piquantes ; on y a raſſemblé particulièrement
les traits de bienfaiſance auxquels
la Muſique a donné lieu. Ony fait connoître
l'état de la Muſique dans les égliſes de
Paris. Ces articles , qui manquoient au Calendrier
de l'année paffée,ſont courts ; mais
c'eſtmoins la faute du Rédacteur, que celle
de ces mêmes égliſes , où l'art muſical ,
conſacré de tout temps à célébrer les louan-,
rges de l'Etre Suprême , eſt maintenant terriblement
négligé,
Les notices des Ouvrages dramatiques
s'y trouvent comme l'an paſſé ; mais le
Rédacteur a fondu en quelques lignes les
Jugemens des différens Journaliſtegnes les
être feroit-il mieux encore de fupprimer les
extraits des Pièces , quoiqu'il les expoſe
fort clairement, Preſque toutes ces Pièces
font connues en Province & à Paris lorfque
le Calendrier en parle , & celles qui
ne le ſont pas , ne valent pas la peine
d'être extraites. La ſimple annonce &
quelques mots ſur leur ſuccès ſuffiroient.
La norice des pièces étrangères eſt trèscurieuse
& fort intéreſſante pour les Amateurs.
On a bien fait de ne parler que des
willes qui ont donné des nouveautééss;; mais
on eſt fâché de ne pas trouver dans ce Calendrier
de plus grands détails ſur les Spec-
D2
76 MERCURE
racles de nos Provinces. Le Rédacteur s'en
plaint lui-même , & en accuſe la négligence
des Directeurs , qui ne fentent pas affez
que les matériaux qu'ils fourniroient à cet
Ouvrage , leur deviendroient réciproquement
de la plus grande utilité.
: Les adreſſes des Muſficiens , des Profef
feurs en tout genre , font beaucoup plus
exactes , & le deviendront encore davantage
, à mesure que cet Ouvrage , d'une
wilité réelle , obtiendra le ſuccès qu'il mé
rite , & que les Muſiciens eux-mêmes concourront
à ſa perfection .
RÉPERTOIRE des Lectures faites au Mur
Sée des Dames, par Madame la Baronne
Dupleffy; Tome I, Ire. Partie , in-1
AParis , chez l'Auteur , rue Montmar
tre , no . 274; chez Cailleau , Imprimeur-
Libraire , rue Galande; & chez les Mar
chands de nouveautés.
:
MME. la Baronne Dupleſſy voudroit voir
multiplier pour les femmes les moyens
d'inftruction. Il y a beaucoup d'Académies
pour les hommes ; les femmes n'y font
admiſes que par exception , & ces exceptions
ſont très-rares. Zélée pour la gloire
& le bonheur de fon sèxe , l'Auteur da
cot Ouvrage ſe propoſe d'établir un Mulée
DEFRANCE. 77
pour les femmes. Son projet a été agréé
par le Gouvernement; & il s'agit maintenant
de le faire adopter par le Publis.
Madame la Baronne Dupletly , dans un
Avant - propos , fait voir les dangers de
l'ignorance , & les avantages de l'inſtruction
pour les femmes ; elle plaide fort bien
la cauſe de ſon sèxe ; & nous ne prendrons
point fur nous de la juger. Si nous adhérions
fans restriction àſon fentiment, les hommes
n'y verroient peut - être que de la galanterie;
fi nous le combattions , les femmes n'y
verroient que de l'humeur ; ainſi nous autions
toujours prononcé en pure perte. Un
-point ſur lequel il ſera bien plus facile de
s'accorder , c'eſt le talent , c'eſt l'eſprit orné
de l'Auteur de ce Répertoire. Le Mufce
que veut établir Madame la Baronne Dupletly,
fera unCours établi tous les Jeudis ,
dans lesquels on fera des Lectures fur toutes
les connoiffances qui conviennent aux
Dames. Les morceaux que renferme cette
Ire. Partie, méritent beaucoup d'éloges, &
donnent une opinion avantageuſe de ce
projet. On y trouve un Plan de Géographie
, une Differtation ſur les Génies , un
Abrégé de la Sphère , une Differtation fur
le Dieu Pan : tous ces morceaux font fobt
b'en faits Le Volume eſt terminé par des
Vers fur la mort de Marie Stuart , adreflés
au Musée des Dames : l'Auteur de ces vets,
eft une Demoiselle de 17 ans , dont le talent
mérite d'être encourage.
D3
78 MERCURE
SPECTACLE S.
COMÉDIE FRANÇOISE.
APRPRÈÈSS avoir remis, avec fuccès , deux
Tragédies qui étoient preſque oubliées , les
Comédiens François ont voulu remuer aufli
leur Répertoire comique ,& ils en ont tiré
deux Comédies , Ffope à la Cour , de
Bourſault ,& la Fille Capitaine, de Montfleury.
Eſope à la Cour avoit été remis il y a
quelques années. C'eſt un Ouvrage que
l'on voit toujours avec plaisir , & c'eſt le
chef d'oeuvre de Bourſault; inais ſon ſuccès
, c'est-à-dire , le plus ou le moins d'effet
qu'il produit au Théatre , dépend toujours
du Comédien qui en repréſente le
principal role. Il faut , pour bien rendre
Eſope à la Cour , une intelligence trèsérendue
, un organe fouple & facile , un
débit raiſonné , ſenti, & très-varié. Il faut
ſavoir prendre tour à tour tous les tons ,
paſſer aisément de la fineſſe à l'austérité ,
de la familiarité à la nobleſſe. Cette dernière
nuance eſt la plus difficile à faifir
dans un perſonnage tel que celui d'Eſope,
t
F
C
k
DE FRANCE. 79
5.1
parce que l'expreſſion des ſentimens qui
agitent un perſonnage dramatique , doit
s'accorder avec ſes habitudes phyſiques. La
nobleſſe d'Eſope ſeroit fauſſe, ſi elle avoit
trop de fierté , & le contraſte qu'elle feroit
avec ſa malheureuſe conformation , la rendroit
fouverainement ridicule. C'eſt par la
franchiſe des accens , par la candeur du
débit , par le ſentiment intérieur d'une
confcience pure & irréprochable , par l'afcendant
d'une raiſon douce & jamais orgueilleuſe
, que cette nobleſſe doit ſe déveflopper
& paroître ; & il n'y a qu'un Comédien
conſommé , qu'un talent naturel
&vrai , qui puiſſe vaincre toutes les difficultés
de ce rôle qu'on a joué depuis La
Noue , mais qu'on n'a pas ſu jouer comme
lui. La remiſe d'Eſope à la Cour n'a pas
eutout le ſuccès qu'on en pouvoit attendre.
A qui la faure ? Eſope à la Cour eſt un.
Ouvrage trop connu, pour qu'il foit beſoin
d'en faire l'analyſe ; mais il faut rappeler,
ici que la Scène du cinquième Acte , où
Eſope , accuſé d'avoir renfermé des tréſors
immenſes dans un coffre , tire de ce même
coffre un habit d'esclave , eſt imirée de la
Fable de La Fontaine , qui a pour titre :
le Berger & le Roi. C'eſt la dixième du
dixième Livre. On peut comparer les deux
morceaux , & l'on verra qu'il y a entre
eux un: exacte reſſemblance. Bourfault
mourut avant d'avoir mis la dernière main
à ſon ouvrage ; on le joua tel qu'il fut
D 4
80 MERCURE
trouvé dans ſes papiers , &cet Auteur n'a
pasjouidu ſuccès de la production qui lui
fait le plus d'honneur.
La Fille Capitaine eſt citée comme la
meilleure Pièce de Montfleury. On a dit
que l'intrigue en étoit ſimple , naturelle ,
& agréablement conduite ; qu'il y régnoit
une gaîté ſoutenue , une foule de ſituations
piquantes & theatrales. Tout cela est vrai;
mais il auroit fallu ajouter qu'il y a peu
d'Ouvrages de Théatre où la décence ſoit
fort bleffée , où les moeurs ſoient plusmauvaiſes
, & dont le ton foit plus ordusier.
Le mot eſt fort, mais c'eſt le mot de
la chofe. Dans cette Pièce, un M. le Blanc,
mari déjà furanné d'une jeune perfonne ,
cherche à en ſéduire une autre ,& s'oppoſe,
pour cette raiſon, au mariage de celle ciavec
Damon, fon neveu & fonrival. Pour parvenir
à vaincre fa réſiſtance , Angélique ,
couſine de Lucinde , prend l'habit d'un Capitaine
, fe préſente comme le frère de ſa
coufine , careffe Madame le Blanc, furprend
le vieux libertin aux pieds de Lucinde , lui
fait figrer un engagement à la pointe de
l'épée,&ne fait connoître ſon ſtratagême ,
dont tout le monde est complice , qu'à
l'inſtant où l'on a conclu l'hymen de Damon
avec Lucinde. Pour faire connoître les moeurs
de cet Ouvrage, nous allons extraire d'abord
quelque choſe du rôle d'Angélique. Voici
cominent elle fait connoître ſon caractère
dès la première Scène du premier Actc.
t
DE FRANCE.
1
Pour n'aimer qu'un mari,j'aime trop ma perſonne;
J'aime le jeu , le bal , la danſe , l'entretien ;
J'aime à troubler les coeurs fans engager le mien ;
A tourner d'un Amant l'ardeur en ridicule ;
Avivre fans attache,& railler ſans ſcrupule ;
Aflatter vingtGalans de l'eſpoir de ma main ,
Er même quelquefois àdauber le prochain :
Si bien qu'à ces plaiſirs dorinant mon ame en profe,
Des fottifes d'autrui je me fais une joie ;
Et re veux point troquer, par de ſemblablesnoeuds,
Taut de plaiſirs certains contre un plaifir douteux.
Dans quelle Société ſeroit admiſe une
femme de ce caractère ? A cette queſtion ,
il eft impoffible qu'il y ait deux réponſes .
A préfent , deux mots de Cato , fuivante
de Lucinde. On verra que cette jeune perfonne
eſt en bonnes mains .
C'eſt bien à des maris à faire les galans !
Onleur garde , ma foi , des filles de quinze ans !
Encor, fi ce magot ( M. le Blanc ) étoit un homme
àplaire !
Hé bien ?
LUCINDE.
CATO.
1
: Eh! ... l'onverroit ce que l'on pourroit faire.
:
Quand, à douze Scènes de là , M. le Blanc
appelle Cato ,Marchande de joie , il n'a pas
tout le tort. DS
$2 MERCURE
Terminons pardeux citations de cemême
M. le Blanc. Scène ſixième du quatrième
Acte. Le vieillard eſt ſeul , & il s'exprime
ainſi ſur ſes projets.
Je me propoſe
De voir ſi , ſur l'eſpoir d'être ma femme un jour
Lucinde me voudroit prêter un peu d'amour ;
Tâcher de l'engager , voir fi , par ma morale ,
Saſageſſe pourroit avoir quelque intervalle;
Eſſayer fi de nous rien ne peut la tenter ,
Et, ſelonle ſuccès , la ſuivre ou la quitter.
Dans la Scène ſuivante , il propoſe à Lucinde
un cominerce clandeſtin avant le
mariage ; & voici comme il termine ſes
inftances.
Devant tous les humains, je ſoutiens qu'il eſt vrai
Quequi tend àl'hymen en doit faire l'efſai ,
Que la joie à ce Dieu doit fervir d'entremiſe ,
It que faire autrement , c'eſt faire une ſottiſe.
C'eſt par ménagement pour nos Lecteurs
que nous n'avons pas cité pis que ce qu'on
vient de lirer Nous devons dire que le
Public ayant témoigné ſon mécontentement
pour toutes les expreffions mal-honnêtesdont
ſes oreilles étoient frappées , on en a fait
diſparoître une grande partie. Mais qu'ont
fait ces fuppreffions au fonds de la Pièce?
En est - il moins vicieux Dans un temps
DE FRANCE. 83
où le goût des Spectacles eſt devenu général,
où leur influence ſur les moeurs doit
par conséquent être univerſelle , on aura
toujours raiſon de s'étonner qu'on permette
la repréſentation de Pièces auffi dangereuſes
que la Fille Capitaine. C'eſt d'ailleurs bien
affez que les Théatres forains offrent journellement
des exemples du Cyniſme effronré
, de la malheureuſe dépravation de nos
moeurs , ſans qu'on ſoit encore obligé d'en
rencontrer de nouveaux ſur le premier
Théatre de la Nation.
:
COMÉDIE ITALIENNE.
PARMI les Acteurs de province qui
viennent de temps en temps faire cilai de
leurs talens , ou tenter la fortune ſur les
Théatres de Paris , il faut diftinguer M.
Rézicourt. Ce Comédien avoit déjà débuté
à ce Spectacle en 178t , & il paroît que
depuis cette époque , il a travaillé ſon état
enhomme attaché à ſon talent. Il a reparu
le 24 Janvier par le rôle de Dorimon dans
La Fausse Magie, où il a eu beaucoup de
ſuccès. Sa voix n'eſt pas très-étendue ; mais
il a de l'adreſſe , du goût , de l'art , & il
entire ſouvent un grand parti. Il jove anſſi
la Comédie , & peut- être eft- il fait pour
D6
8.F MERCURE
y plaire davantage que dans l'Opéra Co
mique. Son jeu y eſt vif, animé , foutenu ;
il y matque une grande intelligence de la
Scène, une habitude raiſonnée du jeu muer,
&une étude approfondie de ſes rôles. It
a de la chaleur & de la ſenſibilité ; mais
cette ch leur , cette ſenſibilité l'égarent
quelquefois . Elles donnent à fa gefticulation
des mouvemens &des formes défagréables.
Une légère attention fur lui même fera aifément
difparoite ces défauts. Cet Acteur
pourroît être fort utile au Théatre Italien ,
&nous ne voyons pas que dans la pofition
actuelle de ce Spectacle , il puiffe exifter
des raiſons qui s'oppoſent à ce qu'il y ſoit
attaché. Ce n'est pas le zèle qui manque
aux Acteurs Italiens , c'eſt une réunion de
talens propres à rendre les repréſentations
du genre françois auſſi intéreſſantes qu'elles
devroient l'être: il eſt bien temps d'y penſer.
THEATRE DE MONSINUR.
Noouuss avons promisdes détails ſur les
Pièces repréſentées à ce Théatre , & fur
les Acteurs qui compoſent les trois Tronpes
; nous commencerons par la Troupe
Italienne. :
L'Opéra par lequel on a ouvert ce Spee
DE FRANCE. 85
tacle, Le Vicende Amorofe, eſt del Signor
Tritta,Compoſiteur avantageufement connu
en Italie depuis quelques années. Malheu
reuſement on ne peut pas trop juger de
ſes talens par cet Ouvrage , parce que le
fujet eſt trop peu theatral pour nous , &
que la plupart des morceaux qu'on nous
afait entendre ne font pas de lui. On en
a fubßitué aux fiens un affezgrand nombre
de divers Compoſiteurs , & c'eſt peut- être
une faute de l'Adminiftration, que de l'avoir
permis. Tous les ſujets , pour mieux briller
, veulent chanter des morceaux qui leur
font propres ; mais il en réfulte une dif
parate de ſtyle choquante pour les oreilles
delicates ,& qui détruit en même temps
la variété que l'Auteur avoit miſe entre
fes morceaux. Ces deux vices , tour con
traires qu'ils paroiffent être l'un à l'autre ,
fe font fentir dans cette Pièce. Quoique
la plupart des morceaux appartiennent à
des Auteurs différens , on y remarque une
uniformité de mouvemens qui les fait
paroître tous de la même couleur. Un autre
inconvénient , c'eſt que ces airs ainſi tranfportés,
font tirés d'autres Ouvrages où nous
ne pourrons plus les revoir , quoiqu'ils y
foient mieux placés. Par exemple , le duo
entre le Buffo & la ſeconda donna , Il dubbio
ch'io tingo , eft de la Villanella rapita , del
Ggnor Bianchi , qu'on nous donnera peut
être quelque jour.
86 MERCURE
L'intrigue de cet Opéra eſt fort peu de
choſe. Nous n'en parlons qu'en faveur
de ceux qui , ne ſe ſouciant pas d'en lire
la traduction , veulent pourtant en avoir
une idée.
: Arpalice , Chanteuſe Italienne , a été
aimée à Veniſe par le Marquis. Dublas ,
Seigneur Hollandois , ami de celui ci , l'a
connue à Naples , où elle paſſoit pour une
grande Dame. Délaiffés tous deux , ils ont
juré à tout le ſexe une haine implacable.
Arpalice , ſous le nom de Laurette , s'eft
retirée dans le même village qu'cux. Ils ſe
retrouvent. De là des reproches ſanglans . Ar
palice , toujours coquette , a enflammé le
plus conſidérable Bourgeois du village
homme ridicule , qui fait des promeſſes de
mariage à trois femmes à la fois. Après
beaucoup de mouvement , fans chaleur &
fans liaiſon , le Bourgeois D. Polibio retourne
à ſa première Maîtreſſe , & Arpalice
épouſe le Marquis.
Nous ignorons où certe Pièce a été donnée
pour la première fois. Elle a été repréſentée
l'Eté dernier à Rome avec ſuccès
( Voyez le Calendrier Muſical univerfel
, page 181. ). Les morceaux qu'on a
diftingués ici, font, 1.l'introduction ; 2°. le
duetto dont nous avons parlé ; 3º. la cavatina
de la prima Donna , Che piacer che
bel diletto , qui eſt de M. Mengozzi ; 4°.
un terzetto , O che barbaro accidente ; s .
DEFRANCE. 87
unair de Dublas (Baſſo ſerio) Appena l'occhi
miei, & le final du premier Acte. Dans
le ſecond, le terzetto Unfuave gentil campanello
& le final.
La prima donna eſt Mademoiſelle Ba
letti , jeune Allemande , dont la voix juſte,
ſuave , eſt enchantereſſe. Elle a une adreſſe
infinie , qui donne l'air de la facilité àtout
ce qu'elle exécute. Elle avoit aſſuré déjà
ſon ſuccès au Concert ſpirituel & dans une
grande Societé. Ceux qui prennent un intérêt
réel à ſon talent , l'invitent à ſoigner
davantage ſa prononciation. C'eſt une erreur
funeſte de croire que les paroles italiennes
ne doivent pas être articulées. Les
Maîtres Italiens ont la plus grande attention
à cet égard , & les célébres Cantatrices quie
nous avons entendues en ont prouvé la
facilité. Mademoiselle Baletti réunit trop
d'avantages pour négliger celui- là; c'eſt
peut- être le feul travail qui lui refteà
faire.
La ſeconda donna , Madame Marianna
Santoro Limperani , a une voix agréable &
facile, avec unegrande d'habitude du Théatre.
Elle chante avec beaucoup de grace
le duetto du premier Acte , & un air du
même Acte, de la compofirion de M. Men
gozzi. Elle a chanté , dans l'Automne de
1787, à Pife , à Saint-Pierre d'Arena , & à
Gênes , les rôles de première femme.
M. Carlo Rovedino , baſſe ſérieuse ,
88 MERCURE
chante le rôle de Dublas , un Hollandois.
Savoix eft fuperbe , & quoique très grave,
&avec le caractère propre à fon diapalon,
elle eſt légère , & capable d'exécurer des
pallages avec facilité. La méthode de M.
Rovedino eft excellente. Le ſuccès prodigieux
qu'il avoit déjà eu dans une Société
nombreuſe & brillante, a été confirmé par
le Public Il a chanté , en 1787 , à Milan ,
à Monza , à Rome , & étoit encore dans
cettedernière ville au Printemps de 1788 .
M. Filippo Scalzi eſt le tenore. Son chant
ande grace & de la facilité. Il a parcouru ,
de 1787 àà 1788, les Théatres de Cenro , de
Fertare, de Florence, de Livourne, de Lugo,
&de Rovigo.
Le Buffoaricato , genre de rôle qui
répond à nos comiques , & dont la voix
eit une balle ou un tenore , mais plus ordinairement
une balle, eft chanté par M.
Luigi Raffanelli. Sa voix n'est pas excel
lente, mais elle a bien le caractère de ſes
rôles ; il chante avec beaucoup d'adreſſe 3
de préciſion , & de la manière qui con
vient à une baffe. Il joue en Acteur con
Tommé , & fait voir beaucoup d'intentions
comiques. Si dans les premières repréſentations
il a un peu outre-pallé la meſure que
Kon accorde à la caricature en France, ce n'eſt
pas à lui qu'il faut s'en prendre, mais au
goût de fon pays. Comme il paroît entendse
très bien la ſcène , il fuffit de l'avertir
DE FRANCE.
de ce que nous aimons & de ce que nous
rejetons . Par exemple , nous croyons devoir
lui dite qu'en noirciſſant ſes ſourcils, il
ſe prive, par cette grimace factice , de beaucoup
d'avantages naturels. Sa phyſionomie
, très-mobile , ſe prêteroit affez d'ellemême
au comique. Elle y perd beaucoup
de jeu & d'expreffion. Madame Raffanelli ,
ſon épouſe , chante les troiſièmes rôles .
Elle paroît exercée au Théatre. On peut
juger que ſa voix a été bonne , mais elle
ena perdu la plus grande partie.
M. Bianchi a chante un rôle de rempliffage
, dans lequel on ne ſçauroit le ju
ger. Il a débuté une fois , l'année dernière ,
à Verſailles . On a trouvé ſa voix foible,,
mais agréable ; & beaucoup plus d'aiſance
dans ſon maintien , que les Acteurs de fa
nation n'en ont ordinairement.
: L'orchestre , composé des plus célèbres
Artiſtes de Paris , mérite auffi les plus
grands éloges par fon enſemble & l'exacte
obfervation des nuances du doux au fort .
M. Mengozzi , déjà connu par ſes talens
pour le chant & pour la compeftion , tiet
le clavecin. M. Janeiwicks eſt le premier
violon pour la Troupe italienne.
On prépare à ce Théatre il Re Teadoro
à Venezia , Ouvrage charmant du célèbre
Paifiello , dont la réputation eſt déjà faite
en France , & par lequel , peut - être , on
auroit dû conimencer.
وه MERCURE
Nous ne dirons rien encore de laTroupe
de Comédie Françoiſe , nous attendrons
qu'un ſuccès nous en montre les Acteurs
avec avantage. Sans doute que le Public ,
quelquefois ennemi de ſes plaiſirs & de
fon intérêr , finira par mettre moins de rigueur
dans ſes jugemens.
Nous ne parlerons également de la
Troupe Françoiſe d'Opéra comique , que
lorſque tous les Sujets qui la compoſent
actuellement ſe ſeront fait connoître au
Public , & ce ſera dans le prochain Nº.
ANNONCES ET NOTICES.
:
SUPPLÉMENT à l'Edition in -folio des oeuvres
de M. Perronet , contenant la deſcription deplu
fieurs Ponts nouveaux , & pluſieurs Mémoires
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chronologie de ſes Grands-Maîtres ; accompagnés
de Notes critiques , & ornés des. Portraits de ſes
plus illuftres Chevaliers ; dédiés à S. A. E. Mgr.
le Grand-Maître de Malte , & ſous les aufpices
de M. le Bailli de Cruffol , Chevalier des Ordres
du Roi , Adminiftrateur général du Grand-Prieuré
de France ; par M. l'Abbé de Laqueſnoy , Religieux
de l'Ordre de Malte , Prédicateur ordinaire
du Roi , Grand -Vicaire du Diocèſe de Luçon ,
Prieur du Temple , &c. &c. ; par M. le Comte
de la Platière , Membre des Académies Royales
d'Arras , d'Orléans , du Collège des Philatères de
Lille ;de l'Académie des Arcades de Rome. A
Paris, chez tous les Marchands de Nouveautés.
Nous invitons à lire le Proſpectus intéreſſant
de cetimportant Ouvrage. On fait quel rôle brillant
l'Ordre de Malte a joué dans le monde Chré
tien. Les Auteurs de l'Ouvrage que nous annon
çons , donneront des eſquiſſes de tous les grands
Hommes de l'Ordre de Malte; & les détails feront
rejetés dans des Notes , qui offriront ce que l'Hif
toire fournira de plus piquant. On invoque à cet
égard les fecours des Maiſons qui ont fourni à l'Ordredes
ſujets d ſtingués. Les Gravures feront faites
par L. J. Allais, jeune Artiſte avantageuſement connu.
On ne demande qu'une foumiſſion de prendre
&payer à meture chaque Livraiſon , qui paroîtra
tous les mois. Prix , 6 liv . Ceux qui ne ſe ſeront
pas fair inferire , payeront 8 liv. Tout ce qui ſera
relatif à cet Ouvrage , doit être adreffé , franc de
port, à M. le Comte de la Platière , en ſonHôtel,
rue Mêlée, Nº . 58 ; & à M. le Prieur du Temple,
au Temple. Il paroît une Livraiſon qui prévient
en faveur de cette entrepriſe.
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AmufeitedesGreffes &des Maigres , contenant
douze,Douzaines de Calembourgs , avec des Fari
boles de M. Plaiſantin, les Subtilités de la Comtele
Tation , & les Remarques de l'Abbé Vue ;
rédigée par une Société de Caillettes. AuCap de
Bonne-Espérance ; & ſe trouve à Patis, chez la
Libraire qui donne trois livres pour quarante-cing
fols, rue du Roule , No. 11 , près da Pont-Neuf
CetOuvrage fera utile aux Amateurs qui font
briller dans leMonde leur eſprit enCalembourgs ;
ils pourront y faire, le matin, leur proviſion pour
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Tome XLVI . A Paris, rue & hôtel Serpente.
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&Belin junior , quai des Vuguſtins , N° . 20.
Prix , 3 liv.
,
1
Abrégé de l'Histoire Univerſelle , en Figures ,
deſſinées par les premiers Artiſtes de la Capitale ;
on Recucil d'eftampes repréſentant les fujets les
plus frappans do Hiſtoire tant facrée que pro
fane avec les explications qui s'y rapportent ;
par M. Vauvilliers , de l'Académie Royale des
Infcriptions & Belles-Lettres, Ouvrage deſtiné à
l'inſtruction de la Jeuneſſe. Le prix du Cahier in-
8°. eft de 4 livres, He. Livraiſon. A Paris , de
l'Imprimerie de Didot le jeune; & chez les Marchands
de Nouveautés.
Cet Ouvrage jouit toujours d'un ſuccès mérité,
La Réforme du Théatre , ou yues d'un Amateur,
fur les moyens d'avoir des Acteurs à talens fur
les Théatres de Paris & des grandes Villes du
Royaume, & de prévenir les abus des Troupes am
bulantes, fans priver les petites Villes de l'agrément
des Spectacles. Ouvrage dédié au Théatre
François; par M. M***. de Saint-Aubia. AParis,
chez Guillot, Libraire de Monfieur, Frère du Roi,
tue St-Jacques. Brochure in- 8°. de 124 pages.
-L'Auteur connoît parfaitement le ſujet qu'll
traite ; & le zèle qu'il montre pour relever une
Profefſion que trop de circonstances concourent à
sabaifer , mérite des éloges .
Le Confervateur , ou Bibliothèque choiſie de
Littérature, de Morale & d'Histoire ; Année 1788 .
Tomes I & II . A Paris , chez Buiffon , Libr. rue
Haute - feuille , Hôtel de Coërloſquet , à Lyon ,
chez J. S. Grabit , Lib, rue Mercier.
CeRecueil intéreſſant eſt déjà connu du Public.
94
MERCURE
Le Muséum de Florence , ou Collection de
Pierres gravécs , Statues , &c. dédié & préſenté à
MONSIEUR , Frère du Roi ; gravé parM. David,
Graveur de la Chambre & du Cabinet de Monfieur,
&c. avec des explications françoiſes; parM.
Mulot , Docteur en Théologie de la Faculté de
Paris , & Chanoine de St- Victor. 6e. Livraiſon .
Prix , 8 liv. A Paris , chez M. David , rue des
Cordeliers , au coin de celle de l'Obſervance.
Livraiſon faiſant partie du Tome IIe. Nous
avons annoncé cette précieuſe Collection dans le
Nº. 48 de ce Journal. Nous ajouterons , d'après
les Connoiſſeurs , que le travail de M. David
n'eſt pas moins beau que l'original , nous ofons
dire même qu'il eſt plus agréable. On y remarque
furtout la hardieſſe& la pureté du trait, & beaucoup
d'expreffion.
Mémoirefur les Isles Ponces , & Catalogue raiſonnédes
produits de l'Etna , pour ſervir a l'Hiftoire
des Volcans, fuivie de la Deſcription de l'éruption
de l'Etna du mois de Juillet 1787 ; par
M. le Commandeur Deodat de Dolomicu , Correſpondant
de l'Académie des Sciences , &c. &c.
Ouvrage qui fait ſuite au Voyage aux Iſles de
Lipary. I Vol. in-8°. , du même Auteur. Prix ,
s liv. br. , & 6 liv. rel. A Paris , chez Cuchet ,
rue & hôtel Serpente.
Nous avons parlé avec éloge du Voyage aux
Iſles de Liparys ce Mémoire n'est pas moins curicux
, & ne fera pas moins d'honneur à fon
Auteur,
Mémoires lus dans la Séance publique du Bureau
Académique d'Ecriture , en préſence de M.
Thiroux de Crofne , Lieutenant -Général de Police,
& de M. de Flandrede Brunville , Procureur
DE FRANCE .
95
du Roi au Châtelet , Préſident du Bureau de M.
Moreau , Confeiller d'Etat , Préſidenthonoraire ,
le 17 Avril 1788 , par MM. Harger , Membre
&Secrétaire ; Clément , Agrégé; Saintomer , Affocié.
A Paris , de l'Imprimerie de la Veuve
d'Houry & Debure , Imp-Lib. de Mgr. le Duc
d'Orléans , rue Haute-feuille.
Effais en vers, préſentés àMgr. Lambert , Con
trôleur -Général, par l'Auteur des Contes Orien
taux, au profit des Cultivateurs maltraités par
l'orage du 13 Juillet dernier ; 25. édition. Prix ,
A Paris , chez le 24 Portier du No. 101 , ruc
de Seine.
Cette ſecondeédition juſtifie les éloges que nous
avons donnésà cet Ouvrage.
LeRiva! confident , Comédie en deux Actes &
en proſe , mêlée d'Ariettes; par M. Forgeot , muſique
de M. Grétri ; repréſentée pour la première
fois par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi ,
le 26 Juillet 1788. Prix , 30 fous. A Paris , chez
Prault , Imp. du Roi , quai des Auguſtins.
Cet Ouvrage a eu du ſuccès comme tous les
Ouvrages que le même Auteur adonnés aux deux
Théatres.
Le Citoyen conciliateur , contenant des idées
ſommaires politiques & morales ſur le Gouvernement
Monarchique de la France ; ſuivies d'un
Projet de Convocation des Etats - Généraux du
Royaume , ſans s'écarter des formes anciennes &
uſitées aux dernières Aſſemblées Nationales de ce
genre , notamment celles tenues à Blois en 1576
&1588 , ſous le règne de Henri III , & en 1614;
par M. l'Abbé de Luberſac , in-4°. AParis , chez
26 MERCURE DE FRANCE .
Gattey & Defenne , Libraires , au Palais - Royal
Croullebois , rue des Mathurins ; & à Versailles,
aux Galeries du Château.
Il y a du zèle & des lumières dans cetOuvrage,
Nº. 10 du Journal de Clavecin , par les meilleurs
Maîtres. Séparémenr , 3 liv. Abonnement
pour 12 Numéros , is liv. =Numéros 40 à 47
du Journal de Harpe , par les meilleurs Maîtres.
Numéros so à 52 de la 23e. Année ,& 1-à 5 de
la 24e. Année du Journal Hebdomadaire , compofé
de différens Airs , avec accompagnement de
Clavecin, par les meilleurs Maîtres. Prix chaque
Numéro , 12 f. Abonnement pour chacun de ces
Journaux à sa Numéros , 15 liv. Le tout port fr .
AParis, chez Le Duc , au Magafin de Muſique &
d'Inſtrumens , rue du Roule , Nº. 6.
VERST
TABLE
49 Répertoire.
AMime. Dugazon. 1 Comédie Françoise.
54 Annonces&Notices.
74
Charade,Enigme& Log.se Counédie Italienne.
Difcours prononcés à l'Aca- TheatredeMonfieur.
démie Françoite.
Calenarier Musical.
76
78
83
84
وم
APPROBATION.
par ordre de Mgr. leGarde des Sceaux,
IL MERCURE DE FRANCE, pour le Samedi 14
Février 1789. Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe
en empêcher l'impreffion. A Paris , le 13 Février
:
6 SÉLIS
MERCURE
ط ق
DE FRANCE.
SAMEDI 21 FÉVRIER 1789 .
65
<
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
2
re
LA VEILLÉE DE JANVIER.
AMme. ia Baronne de BALLAINVILLIERS,
Intendante de Languedoc.
D'uUnN crêpe lugubre entoure,,
L'Altre du jour , fur nos demeures ,
Traine fon char décoloré;
Et déjà ſur l'aile des Heures ..
Le mois de Janus s'eft montré.
FLY
Déployant ſa robe argentéc
La Neige preffe nes fillons ,
Et dans fon cours l'Onde arrêtée ,
Νο. 8. 21 Fev. 1789 Ε.
28 MERCURE
A regret baigne nos vallons.
Au fond d'une grotte enfumée,
Reſte antique d'un vieux château ,
Autour d'une sèche ramée ,
S'eſt raffemblé tout le Hameau,
C'eſt le moment de la Veillée.
Sur le tronc d'un chêne placé ,
Tyrène fait à l'Aflemblée
Quelque hiſtoire du temps paſſe :
» J'ai vu , dit-il , pluſieurs années ,
>> La terre refuſer ſes fruits ,
>> Et les Bergères conſternées
>> Arracher l'herbe à leurs brebis,
>>>L'Amour avoit fui du Village ;
>> On ne voyoit plus ſous l'ormeau
>>>Les Bergeres du voisinage
>> Danfer au ſon du chalumeau.
Jeunes Pasteurs , l'affreux Boréeę
>> Enchaîne le criſtal des eaux i
>> Tour languit ; la terre éploréc
20 Refuſe l'herbe à vos troupeaux ,
>> La faim dévaſte la contrée,
>> Et vous danſez dans les Hamcaux ?
>>>Quoi ! nous craindrions l'indigence ,
- Dit le plus jeune des Bergers !
>> Ami , vous ignorez , je penfe ,
› Quel Dieu protège nos Vergers.
2 Vous avez vu , ſage Tyrene ,
>> Ces grains qu'un boeuf, chez nos Fermiers,
>Avec effort, àpas lents traîne,
DE FRANCE.
C'eſt un don de Ballainvilliers «.
A ce doux nom , ſur ſon viſage
Quelques larmes roulent foudain ,
Et la Troupe quittant l'ouvrage ,
Se preffe autour de Zéphirin ( 1).
>> Que ſa préſence m'étoit chère !
» Chaque jour j'allois dans ſon coeur
>> Dépoſer ma douleur amère ,
» Et pour titre, je n'avois guère
» Que ceux que donne le malheur.
>> J'ai vu l'épouſe qu'il adore ;
>> Son teint a la fraîcheur d'Hébé ;
" Danfe-t-elle ? c'eſt Terpſycore ;
>> Quand elle rit , c'eſt Aglać ;
» Elle parle , & c'eſt elle encore.
>> Charmante & tendre tour à tour,
دد L'eſſaim des plaiſirs l'environne ;
>>> C'eſt toujours l'Amour qui couronne
» Les déſirs qu'a formés l'Amour.
>>>Elle a la voix de Philomète ,
>> La taille & les yeux de Cypris ,
La démarche & le doux ſouris
>> Du Dieu charmant qui la fit beile.
» En léger habit de matin ,
>> Négligée & toujours jolie ;
( :) Ce perforinage paroîtra peut-être allégorique à cent
qui ont lu, dans le temps , leN°. 94 du Journal général de
France , 1788.
E2
100
MERCURE
>> Sous la moire , ſous le fatin ,
>> Parée & non pas embellie ,
>> De l'heureuſe Septimanie ,
>>>Ballainvilliers fait le deflin ,
>> Et c'eſt la beauté qu'elle oublie,
23 Un jour , en proie à la langueur ,
Hélas ! fur ma flûte chérie ,
>> Jofai foupirer ma douleur.
» Mes chants réveillèrent la haine.
>> Aux cris de joie & de terreur '
» Se mêle le cri de la chaine
>> Qui m'eft jetée avec fureur.
כ כ
Bientôt une Troupe ennemie
Viendra voir'mon dernier effort ,
>> Epicr un reſte de vie",
>> Et fe repaître de' tha mort.
ב כ
1
Ballainvilliers parle... & mes chaînes,
>> A mes regards, ont diſparú :
» Je fuis ces rives inhumaines ,
>> Bergers , & je vous fuis rendu a,
Il ſe tut...... La Troupe inquiète
Ecoutoit encor Zéphirin",
Et l'on vit la petite Annette ,
En pleurant , lui ferrer la main.
Déjà la feuille confumée
Perdoit un reſte de clané :
Déjà la Troupe avoit compté
Du départ l'heure accoutuméet:
Un brandon de paille enflammée
La guidoit dans l'obſcurité,
DE FRANCE. 101
L'oeil fixe & la tête inclinée ,
Zéphirin Tuivoit les Bergers ;
Ils pleuroient tous ſa deſtinée,
Et béniffoient Ballainvilliers.
ENV 0
1
1.
CES Vers que je viens vous offrir ,
Vous le favez , aimable HORTENSE ,
Sont nes d'un inſtant de loiſir ;
Mais dans les Vers , je hais la négligence ,
• Ce n'est que vous qu'elle peut embellir.
(Parle P. Venance , Capucin- Clerc à
Montpellier.)
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE
E mot de la Charade eft Démarche ; celui
de l'Enigme eft Epingle; celui du Logogriphe
eſt Soulier, où l'on trouve Lis, Louis ,
Sire, Sou , Gil, Soeur, Jeu, Oie, Joue.
CHARADE
Men dernier , grace à mon entier ,
Fait ce qu'exprime mon premier .
(ParMile. ... desAndelis.)
E 3
for MERCURE
ÉNIGME.
IL faut , pour m'indiquer, uſer de laconifme.
Je fuis, moncher Lecteur, un être à double ſens ;
Je préſente, ſous l'un, l'ame d'un fyllogifme ;
Et ſousl'autre, l'objet des voeux de bien des gens.
(ParM. Mouffeaude Maleffset..)
LOGOGRIPHE
Avee trois pieds , aux champs , je cède à sa VEC
faucille;
Combine-les , Lecteur , je chante & je babille.
(Par lePauvre Diable,Et. enDroit. )
DE FRANCE. 101
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
MÉMOIRE fur l'Esclavage des Nègres ;
dans lequel on discute les motifs propofés
pour leur affranchiſſement , ceux qui
s'y oppofent , & les moyens praticables,
pour améliorer leur fort ; par M. MALOUET.
A Neufchâtel ; & à Paris, chez
les Marchands de Nouveautés.
Nota. Un ami de M. Malouet nous a priés de
placer à la têre de notre Extrait les réflexions
ſuivantes , qui ſerviront comme de préambule.
رد L'une des plus grandes & des plus
importantes queſtions que l'on puiffe agirer,
eſt cellede l'affranchiſſement des Noirs,
&de de l'aboliſſement de l'Esclavage. Les deux
points extrêmes de cette queſtion tiennent
, d'une part, à la morale ; de l'autre ,
à la politique : la ſolution du problême
doit les concilier l'une avec l'autre , & accorder
la raiſon d'état avec la justice naturelle.
Celle ci eſt ſi manifeſtement , ſi
cruellement outragée par la ſervitude , que
l'on a peine à concevoir comment l'Ef
E 4
104 MERCURE
clavage de l'homme a pu s'établir fur la
Terre. A quelque époque , & dans quelque
pays, que l'on ſe place pour en retrouver
la première origine , il ſemblera toujours
inconcevable que l'homme , ou rendu
farouche par le défaut de civiliſation , ou
éclairé par la civiliſation même , ſe ſoit
reconnu l'Eſclave d'un autre : car pour
conftituer l'état permanent de la fervitude,
ita fallu , de la part du Serf, un acquiefcement
de ſa volonté , & , pour ainſi dire ,
un affentiment de ſa raiſon; autrement les
fers ſeuls & la priſon euſſent contraint
momentanément ſa liberté , ſans apporter
aucun bénéfice au Maître , &fans conftituer
pour l'Eſclave un état fixe , une condition
héréditaire, Nous ofons l'avouer ,
de toutes les inſtitutions humaines , celle
qui étonne le plus notre jugement , c'eſt
P'Eſclavage , parce qu'il ſuppoſe dans l'homme
, non feulement l'obscurciſſement de
toute lumière, mais encore l'anéantiffement
des facultés qui l'attachent fi fortement à
ſaperfonne.
>>Comment l'Antiquité, qui ſemble avoir
parcouru le cercle entier des vérités & des
erreurs , n'a-t- elle pas même entrevu cette
vérité du premier ordre , que l'Eſclavage
eff une abfurdité morale , un attentat politique
Examinez la doctrine de tous les
Philofophes anciens vous ne verrez pas
qu'un feul d'entre eux , foit par zèle d'humanité
, foit pour contredire & furpaffer
DE
FRANCE.
105
ſes rivaux ( motif ſouvent plus puiſſant que
le premier ) , ait cru devoir dénoncer a la
raifon , à la justice , l'abus d'un homme
devenu la propriété d'un autre. La diftinction
du genre, humain en deux claffes
l'une libre , l'autre eſclave , paroît avoir été
pour les Anciens une vérité imprefcriptible
, éternelle , telle à peu près que la diftinction
des eſpèces , l'une mâle , l'autre
femelle.
» Quel avantige ne donné point aux
Modenes far les Anciens , la queſtion de
Pabolffement de Esclavage , propoſée &
réfolue prefique en même temps:Car , il
faut en convenir, ici le zèle ardent de
Phamanité s'eſt précipité vers la conclufion,
avant de réfléchir fur les moyens ; on a
conclu comme d'après l'évidence , & le
jugement du procès en a devancé le rapport.
Cependant un mal moral & politique
peut avoit tellement vieilli dans la
Conftition d'un Etat , y avoir jeté des
racines fi fortes & fi profondes , que les
arracher tout de fuite, ce ſeroit bouleverfer
le ſol auquel elles font adhérentes..
Ainfi , en fait d'Adminiſtration fur - tout ,
de la théorie à l'exécurion , le paſſage eft
ſouvent difficile : la raiſon & la vertu s'arrérent
devant leurs ſpéculations les plus
juſtes & les plus brillantes ;,elles, woſent
qu'en tremblant porter la main for les abus
qu'elics ont le plus d'empreſſement de dé--
truire.
Es
Y
106 MERCURE
» M. Malouer , Intendant de la Marine
à Toulon , & employé long- temps dans
Padminiftration des Colonies , vient d'élever
des doutes fut la poſſibilité de détruire
l'Efclavage dans les Colonies. Jantais
Avocat ne parut plus étranger à la caufe
qu'il défend , puifque jamais homme ne
porta plus dans fon coeur les fentimens ,
l'efprit de justice & d'humanité. Aufli M.
Malouet n'a entrepris un tel plaidoyer ,
que preffé des lumières de fa confcience ,
qui lui font redouter , dans l'affranchiſſement
des Nègres , une catastrophe funeſte
à tout le Royaume. Comme ſes motifs ſont
purs , il s'avone pour l'Auteur du Mémoire
qu'il produit , & figne la doctrine qu'il profeffe.
Il eſt à propos , dit il , que la Phi-
>> lofophie n'ignore rien de ce que laPo-
" litique , éclairée par l'expérience , peut
>> oppoſer à ſes vûes bienfaiſantes " . L'Extrait
ci-joint fera connoître les raifons dont
M. Malouet s'appuie , & les moyens qu'il
propofe pour fauver à l'Eſclave les rigueurs
de fa condition ; il la met ſous la protection
des Loix : l'Ffclavage dès - lors n'eft
plus qu'une obéiſſance contrainte , & non
pas une condition de peines & de ſouffrances
légitimées par l'ufage. C'eſt àl'Adminiſtration
, c'eſt à la partie éclairée du
Public , à juger des raiſons queM..Malouer
allègue , &des moyens qu'il propofe d'employer.
L'amitié , dans ce court préambule,
n'eut d'autre vûe que de ſauver à l'Auteur
DE FRANCE. 107
du Mémoire des inductions graves , tirées
de fon Ouvrage , à ſa perfonne : & c'eſt
parce que le zèle exagéré d'une cauſe honnête,
peut faire franchir les bornes de l'honnêteté
, que nous allons au devant d'imputations
que des adverſaires d'opinion ſe ſont
déjà permiſes ".
Après ce témoignage rendu par l'amitié
à la perſonne de M. Malouet , c'el nous
qui allons à préſent rendre compte de fon
Ouvrage.
"
» Vous avez voulu connoître , dit M
de Saint - Lambert à M. le Chevalier de
Boufflers , ces Nations que nous dé-
» vouons à l'Esclavage; elles ont intéreſlë
votre coeur, & vous avez cherché à les
* rendre intéreſſantes. Il y a bien des an-
> nées que la Philofophic a élevé la voix "
ور
ود
en faveur de cette race malheureufe ;
> mais les fons de cette voix qui ont retenti
fur l'autre hemisphère , ſe font
>> perdus en Europe parmi les chameurs de
l'avarice protégée. Le Nègre eſt déclaré
>> libre dans les Républiques du Nouveau-
Monde , & il porte nos fers. Cette contrée
que noushabirons, cette contrée fi féconde,
couverte d'un Peuple induſtrieux ,
qui n'a befein coe de fon fol & de fon
indufcie, poar btenir , fans crime, tou-
>> tes les productons éir ngères, la France,
>> dans ſes Colonics , n'a pu faire celler
دم
168 MERCURE
ود
ود
les
> encore le travail ſans récompenfe , les
châtimens arbitraires , les tortures ,
cris ou l'abattement du déſeſpoir , enfin
» l'Esclavage. Des François , dans l'eſpé-
> rance d'augmenter leurs richeſſes , ou-
>> bliant les délices & les moeurs aimables
” de la Patrie où ils vivent , les plaiſirs &
les biens qui les environnent , ſe tranf-
>> portent ſur des plages lointaines, ils s'y
ود
ود
ود
livrent aux excès d'une cupidité barbare
>> qu'on n'a pu juſqu'à préſent réprimer.
>>Là , tels que l'un des Héros de Milton ,
>>quand ce Héros fut précipité dans l'abî-
>>>me , ils ſemblent ſe dire : Ici du moins
on ne nous forcera pas d'être juſtes ".
Nous pouvons regarder ces réflexions
comme le précis de ce qu'on a écrit ailleurs
avec plus d'étendue &de développement
contre l'Eſclavage des Nègres : c'eſt
à ce langage de la Philofophie , qui confulte
avant tout les droits de la Nature &
de l'humanité , que M. Malouet oppoſe les
intérêts du Commerce & de la Politique ,
fans facrifier ceux de l'humanité , qui ne
lui font pas moins chers qu'aux plus ardens
Zélateurs de la liberté des Nègres .
ود
>> Lorſque j'ai voulu traiter, dit- il, cette
>> queſtion de l'Esclavage des Negres , je
me fuis adreſſé d'abord à ma confcience,
qui m'a affure que c'étoit une malheu-
> reuſe inſtitution , & qu'on ne pouvoit
ود
la défendre fans condition. Soutenir d'une
>>manière abfolue, la néceffité , la juſtice
DE FRANCE. 109
>> de la ſervirtude des Negres ! J'aurois
ود fićmi d'en concevoir le projet. Il n'y a
» qu'un examen réfléchi des rapports de
>> cet état de fervitude à l'intérêt national
" & des ſuites défaſtreuſes de fa diffolu-
» tion , qui préſente des motifs juftes &
>>fuffifans pour la maintenir «.
On voit par-là quel eſt l'état de la queftion.
L'Auteur peeuutt avoir raiſon , il peut
avoir tort ; mais enfin cet aff anchiffement
fi défrable des Nègres lui paroît une clofe
impoffible , d'après les combinaiſons de la
politique , & la ſituation préſente des affaires
de l'Europe. Il prétend que les Ecrits auxquels
il répond, ne peuvent pas plus opérer
P'affranchiffement des Negres , qu'un plaidoyer
en faveur de la famille des Incas &
de celle de Montezuma , s'il en exite des
rejetons , ne pourroit leur faire reſtituer le
Mexique & le Pérou. Les Nations & les
Empires , dit- il , repoſent ſur le droit de
preſcription , & leurs propriétés ne ſcauroient
être formiſes à une vérification rigoureuſe
de leurs titres. En remontant
même à l'origine des drous , le fage Locke,
dans fon Traité du Gouvernement civil , dit
que la Nature m'accorde le doi de vie &
de mort for le Captif que je fais à la guerre ,
d'où réſulte le droit d'Esclavige .
Ne pourroit- on pas répondre à M. Malouet
que le fage Locke dit là une choſe
qui n'eft ni ſage ni juſte ? Rien de plus inconteftable
ſans doute que le droit d'une
MERCURE
légitime défenſe ; mais voyons quelles en
font les bornes : Un voleur me voyant
fans armes , m'attaque avec avantage l'épée
à la main ; tout à coup il me voit tirer de
ina poche deux piſtolets qui me rendent
la ſupériorité ; effrayé à cette vue, il tombe
à mes pieds , me remet ſon épée , me demande
pardon . Ai je le droit de lui caffer
la tête d'un coup de piſtolet? Non , fans
doute , & je deviendrois moi- même alors
waffaflin . Le ſeul droit que j'aye fur lui ,
ſi je ſuis à portée de l'exercer , eſt de le
remettre entre les mains de la Juflice , pour
l'intérêt de la Société.
La guerre ne donne pas plusde droit
fur la vie d'un ennemi vaincu; tant qu'il a
les arunes à la main , vous pouvez le mer ,
parce qu'à tout moment vous avez votre
vic à défendre contre lui; mais dès qu'il
eſt défariné , dès qu'il eſt prifonnier , vous
ne pouvez l'égorger ſans être un affatun.
Il eit faux que vous ayez fur lui le droit de
vie on de mort, & vous n'avez pas davantage
celui de le faire Eſclave; il n'y a
que les Nations barbares qui réduitent leurs
prifonniers en Esclavage,; la maxime de
toutes les Nations civiliſées qui font encore
la guerre , eft :
Parcere fubjectis & debellare fuperbos.
Si on objecte aux Colons d'Amérique ,
que par la Traite des Negres , ils ſe rendent
DE FRANCE. 11
complices du brigandage& de la férocité des
Habitans de la côte de Guinée , en offrant
àleur cupidité des objets d'échange pour
leurs Captifs , en multipliant par- là leurs
guerres & leurs invafions , les Colons répondent
, 1º. qu'ils partagent ce reproche
avec tous les Peuples de l'Europe qui ont
des poſleſſions en Amérique , & qui , fr
nous renoncions à la Traite des Nègres ,
n'y renoncercient pas , & remplaceroient
par une augmentation de cukure le dépériffement
de la nôtre ; il y auroit donc toujours
la même ſomme d'Eſclaves , l'humanité
n'y gagneroit tien.
2°. Que quand toutes les Métropoles
profcriroient , par tune Loi commune, la
Traite des Noirs , il y auroit encore fur
le Globe la même ſomme d'Eſclaves ; car
les Princes d'Afrique n'abandonneroient
pas leurs maximes & leurs ufages; ils vendroient
leurs Eſclaves en Aie , ou ils les
conferveroient chez eux, où le Deſpotiſme
eſt inſupportable; celui des Européens du
moins eſt tolérable, & adouci par les moeurs :
ainſi nous rendons réellement par la Traite
des Nègres la conditionde ces malheureux
moins dure , & l'humanité y gagne.
Mais ne pourroit-on pas répliquer que
cette propofition fi commune : Faitons le
" mal pour en profiter , parce que le mal
>> ne s'en feroit pas moins & que d'autres
>> en profiteroient ", eſt un fophiſme de
notre cupidité , que la morale réprouve ?
F12 MERCURE
Commençons , nous dit- elle , par ne pas
faire le mal , premièrement pour n'être pas
coupables , fecondement pour donner aux
aurres l'exemple de ne le pas faire , & pour
les avertir ou leur rappeler que c'eſt un
mal ; en un mot , contribuons, autant qu'il
eſt en nous , à une réforme néceffaire : fi
nous ne fomunes pas imités, ce ne ſera pas
notre faure.
Et j'aurai la douceur d'étrajuſte à mes yeux .
Quant à l'adouciſſement prétendu du
ført de l'Esclave , s'il eſt bien réel, il mérite
fans doute confideration , & il pourroit
faire excufer notre uſage. Mais, 1º. eſt - il
réel ? A cet égard on n'est pas d'accord fur
les faits , & il s'élève de grands cris conue
les cruautés que les Colons d'Amérique
exercent fur leurs Eſclaves Nègres. 2°.
Sommes nous bien bons Juges de la comparaiſon
du Defpotifime Africain & de celui
que les Européens exercent dans leurs
Colonice d'Amérique ? Le premier n'est- il
pas adouci par les habitudes de l'enfance ,
par mille douceurs , mille confolations que
la Patrie & la Nature peuvent raffembler
autour de nous fur le fol natal , & qui
font perdues à 600 lieucs de là ? N'est- ce
rien que d'être tranſplantés dans une terre
étrangère , parmi des inconnus , de s'y voir
afſujettis à des Maîtres qui n'ont avec nous
aucun de ces rapports qui exiſtoient du
DE FRANCE. 113
moins dans le lieu de notre naillance entre
le Maître & l'Eſclave ? Ne diſons donc pas :
Leur condition eſt meilleure , car peut- être
n'en ſavons-nous rien'; mais ſi l'Eſclavage
des Negres doit continuer , travaillons férieuſement
&par toute forte de moyens à
rendre leur condition meilleure ; c'eſt un
des grands objets de M. Malouer dans cet
Ouvrage , qui , fur cet Article au moins ,
doit réunir les fuffrages de tous ceux qui
aiment l'humanité. Mais continuons à difcuter
les raiſons par leſquelles les Colons
d'Amérique tâchent de justifier ou d'excuſer
la Traite des Negres.
: Si un homme vous vendoit lui-même la
liberté , leur dit-on , il y auroit léſion dans
le contrat; & quel droit pouvez-vous acquérir
par la vente que vous fait un tiers
de la liberté d'un Nègre ?
Les droits , répondent ils, réſultent des
conventions & de la ſanction que la Loi leur
donne : or je contracte avec le Marchand
de Nègres , ſous la protection de la Loi qui
confirme le marché...
: Oui , mais cette Loi eſt injuſte , puifqu'el'e
prononce entre vous & un tiers ,
fans appeler au marché la partie intéreſſée.
Réponfe. Je ne fais aucun tort au Nègre,
que je fais paffer d'une condition pire,
où je ne l'ai pas rais, à une condition meilleure
, où il eſt de men intérêt de l'entre-
'tenir , & avec lequel je fais un nouveau
marché qui n'eſt que le pacte univerſel des
114 MERCURE
riches avec les pauvres dans toutes les Sociétés
; ce pacte , c'eſt : » Travaille pour
>> moi , je te nourrirai ".
Fort bien ! répliquera-t on ; le pacte du
tiche avec le pauvre est très - juſte , 1º.
parce qu'il eſt fait avec lui ; mais fi dans
nos Nations libres, un tiers s'aviſoit de
vendre au riche le travail du pauvre , le
pauvre pourroit toujours démentir le marché
; vous auriez beau lui dire : Que
>> t'importe , puiſque je te nourris « ? Il
yous répondroit : Je veux choiſir le riche
par lequel il me convient d'être nourri , &
je ne veux pas que ce choix ſoit fait par
un tiers . 2°. Le pacte du riche avec le
pauvre n'eſt pas indiſſoluble , comme celui
qui concerne l'Esclave , & ce ſeul point
met entre ces deux pactes une différence
qui ne permet entre eux aucune compa-
Faiſon. Le ſentiment de la liberté répand
fes douceurs juſque ſur la pauvreté, le ſentiment
de l'Eſclavage corrompt & empoifonne
tout , même au ſein de l'aiſance ; &
quand il fereit vrai , comme le prétendent
les Colons , que les Eſclaves Negres , plus
aſſurés de leur ſubſiſtance , fuſſent , à cet
égard, plus heureux que les pauvres dans
nos contrées libres , ni les uns ni les autres
ne pourront jamais ſe le perfuader.
C'eſt pourtant fur cette comparaiſon de la
deſtinéedes Eſclaves Negres&de celle des
pauvres dans les pays libres,que les Colons
fondent principalement l'apologie de la
DE FRANCE. $19
Traite & de l'Eſclavage des Nègres . Le
bonheur ou le malheur de l'Esclave eſt trop
dépendant du caractère de ſon Maître ,&
c'eil ce qui fait qu'on n'eſt pas d'accord fur
le réſultat général , parce que les procédés
particuliers varient à l'infini. Le Defpotiſme
feroit le plus heureux de tous les Gouvernemens
, fi le Deſpore étoit toujours
un Ange ou un Dieu ; mais les Romains ,
du temps de Titus & de Marc-Aurèle , auroient
dû s'oppoſer au Deſpotifime , parce
qu'à Titus pouvoit ſuccéder Domitien , &
à Marc Aurèle , Commode. La grande règle
& la ſeule fûre, eft que notre bonheur
ne foie dans la dépendance d'autrui que
le moins qu'il eſt poifible. O ! ſr chaque habitation
préfentoit le tableau du bonheur,
comine celle que décrit M. Malouet dans
un endroit de ſon Ouvrage , les Blancs&
les Noirs ſe diſputeroient à l'envi les douceurs
d'un tel Eſclavage.
Mon père ! ah ! ſi jamais ta Nation cruelle
Avoit, de res vertus , montré quelque étincelle ,
Crois-moi , cet Univers aujourd'hui désolé ,
Andevantde leur joug fans peine auroit volé.
>>Etant à Surinam , par ordre du Roi ,
en 1777 , dit M. Malouet , je parcourus
cette belle Colonie , & fus reçu chez tous
les habitans avec beaucoup d'égard & de
bonté. J'allai diner un jour chez Madame
Godefroy ; le Gouverneur & les princi
116 MERCURE
paux membres de la Régence y étoient invités.
Cette femme reſpectable nous artendoit
en ſe promenant ſur le bord de la
rivière. Nous arrivions en chaloupe. J'ap-'
perçus , en defcendant à terre, un groupe
de Nègres à genoux , qui paroiffoient m'adreffer
leur prière. Un d'eux en effet s'approcha
de moi , & me fupplia, en fondant
en larmes , d'obtenir ſa grace ; il s'éloignoit
, en baiffant les yeux , à meſure que
ſa Maîtreffe venoit à ma rencontre. Sa
femme & fes enfans le ſuivoient en pleurant
& en me tendant les mains. Cette
ſcène de défolation , à mon début dans
une maifon étrangère , me parut d'un finiſtre
préſage ; mais l'air de bonté &
l'accueil obligeant de Madame Godefroy
me raffurèrent. Elle m'annonça que ce
Nègre avoit fait une faute grave , mais
qu'elle ne me refuſeroit pas ſon pardon ,
& la joie ſe répandit dans l'atelier , qui
s'atſembla autour de la famille affligée ,
pour, la féliciter. J'appris alors que la plus
forte punition , infligée par Madame
Godefroy à fes eſclaves , étoit de leur défendre
de paroîrte en ſa préſence; ce' banniffement
étoit la peine capitale. Je n'ai
tiên vu de plús touchant que le ſpectacle
de cette fuperbe habitation . C'étoit le féjour
de la paix , du travail , de l'aiſance ,
& du bonheur. Je parcourus les cafes à
Nègres , dont la diftribution répondoit à la
richeſſe de la maiſon principale. Figurez
DE FRANCE. 117
vous un village de cinq cents habitans ,
commodément logés , abondamment fourvus
de tous les uſtenſiles de ménage , de
toutes les chofes néceflaires à la vie ,, fans
inquiétude pour le lendemain , & ne ſe
réuniſſantjamais aux heures du travail , fans
bénir avec acclamation leur Maîtreſſe adorée
! Le quartier qu'elle habitoit étoit alors
inveſti par une nouvelle troupe de Nègres
marrons . Des détachemens de Soldats formoientun
cordon dans le bois ; l'habitation
'de Madame Godefroy , acceffible par les
derrières , n'étoit gardée que par ſes Nègres
, dont aucun n'avoit jamais déſerté.
Cette femme bienfaiſante ſembloit être
placée, par la Providence , dans une Co-
Tonic , pour apprendre aux Blancs & aux
Noirs combien la justice & la bonté peuvent
rendre leurs relations douces & heureuſes
. Puifle t- elle , dans l'age avancé où
je la crois parvenue , recevoir ce nouvel
hommage que je me plais à rendre à ſes
vertus , & ſe ſouvenir encore du reſpect,
de l'attendriffement & des regrets, avec lefquels
je lui fis mes adieux " !
Ici on pourroit dire à l'Auteur : Tu
» me fais appétit de l'Esclavage " , comme
dans la Réconciliation Normande , la Marquiſe
dit à Nérine : » Tu me fais appétit
>>> de hair " . Ce tableau enchanteur rappelle
celui de l'économie intérieure de la maifon
de M. & de Madame de Wolmar ,
dans la Nouvelle Heloise , & ce mot de
118 MERCURE
Saint-Preux : Pour avoir de tels Domef-
>>tiques , il ne faut pas les chercher , il
" faut les faire ". Sans doute de tels Efclaves
, de tels Domeſtiques avoient été
formés par les meilleurs Maitres du
Monde; mais il reſte toujours entre les
vrais Eſclaves &les ſimples Domeſtiques ,
cette différence inestimable , que quandles
héritiers , les repréfentans ou ayans caufe
de ces excellens Maîtres auront ramené
les paffions , les vices &le malheur à la
place de tant de vertu & de férénité,
les Efclaves reſteront ſous le joug , ſous
un joug que le bonheur précédent aura
rendu d'avance inſupportable , & les Domeſtiques
chercheront d'autres Maîtres plus
dignes des premiers.
Mais enfin peut-on ſe paſſer de laTraite
des Nègres & de leurs bras ſerviles , pour
cultiver nos Colonies ? Non , dit l'Auteur,
on ne le peut pas. Et d'ailleurs que ferionsnous
des Nègres actuellement établis dans
*ces Colonies ? Nousles affranchirions ; alors
ils fe raſſembleront en corps de nation ,
&, comme plus nombreux, ils excluront
les Européens , qui feront les plus foibles.
Mais dans l'érat préſent des chofes , ne
font-ils pas auſſi les plus nombreux ? Ne
pourroient ils pas fe raſſembler de même
en corps de Nation , & l'Esclavage & lés
déſagrémens attachés à cet état ne pourroient
- ils pas leur fournir pour cela un
motifde plus ?
DE FRANCE. 19
Sans doute , continue l'Auteur , on ne
nous fera pas déſirer l'incorporation & le
mélange des races ? Mais l'Esclavage eſt né
ceffaire pour le prévenir. C'eſt à l'ignomi
nie attachée à l'alliance d'un Eſclave noir,
que la Nation doit ſa filiation propre.
Si ce préjugé eſt dérruit , ſi l'homme
>> noir eſt parmi nous affimilé aux blancs,
>>il eſt plus que probable que nous ver
rions inceſſamment des mulâtres nobles,
>> Financiers , Négocians, dont les richef
>> ſes procureroient bientôt des épouses&
>> des mères à tous les ordres de Etar,
>> C'est ainſi que les individus , les fa-
ود
ود
milles , les Nations s'altèrent , fe dégra
dent & ſe diffolvents,
Si ce mélange opéroit la diſſolution de
ces Nations , ce ſeroit ſans doute un trèsgrand
inconvénient ; mais nous ne ferions
pas ſurpris que beaucoup de gens viffent
avec moins d'effroi ce mélange des races,
&en fuffent moins choqués que de l'Efclavage.
Pourquoi en effer cetre ignominie
attachée à l'alliance d'un Noir! Elle no
vient que de l'Eſclavage : le reſte eft préjagé
, & l'Auteur lui-même l'appelle ainfi.
En effer, quelle différence eſſentielle quelques
teintes de plus ou de moins de blanc
ou de noir peuvent-clles mettre entre les
hommes ? Suivons l'Auteur.
)
Il est impoſſible de ſubſtituer pour les
Nègres la fervitude de la glèbe à l'Eſclavage
perfonnel, Faut-il partager ma terre
:
120 MERCURE
avec le Nègre ? Qui m'en rembourſera le
prix ? Et comment le forceróis-je à cultiver
pour lui & pour moi les deux moitiés , fi
une heure , un jour de travail dans la femaine
ſuffit à ſa ſubſiſtance ?
Ne pourroit - on pas répondre : Comme
on y force en France le Serf de la glèbe?
Non , répondra l'Auteur , car celui- ci eft
le plus foible , & les Negres affranchis &
devenus propriétaires feront les plus forts
dans les Colonies .
D'ailleurs il y a d'autres difficultés locales
. Le café , le coton , l'indigo , & furtout
le fucre , exigent le concours dun
grand nombre d'ouvriers , qui puiffent être
commandés à volonté,& diftribués en méme
temps en différens ateliers; il faut que l'intelligence
du Propriétaire ou du Regifleur
détermine avec autorité une répartition utile
des jours & des heures du travail : que je
ne puiſſe plus exiger de l'un que le Lundi,
de l'autre que le Mercredi , fi , le Samedi ,
j'ai beſoin de tous , que deviendra ma manufacture?
En affranchiſſant les Nègres, les emploierat-
on comme Journaliers ? Il en réſulteroit le
renoncement au travail de la part des pareſſeux
ou des gens à l'abri du beſoin.preffant
, ou un prix exorbitant de la maind'oeuvre
; alors nos dentées coloniales ſeroient
exclues de tous les marchés de l'Eu
rope , ne pouvant plus foutenir la concurrence
de celles des autres Peuples qui n'auroient
1
DE FRANCE. 21
:
3
roient point adopté le même régime. Les
Colonies feroient anéanties pour nous , &
deviendroient propres à la ſociété Negre
que nous aurions établie ſur nos ruines.
Eh bien ! diſent les implacables ennemis
de l'Eſclavage , ayons le courage d'abandonner,
nos Colonies ; autli bien elles confomment
des hommes & de l'argent , nous
obligent à l'entretien d'une marine , enlèvent
des bras à l'agriculture & aux manufactures
nationales : & quel intérêt peut
infpirer un établiſſement fondé ſur deux
abus de la Police ſociale , l'émigration &
L'Eſclavage ?
L'ordre des temps & des évènemens ,"
répond l'Auteur , rend cette émigration ,
fourcede cet Esclavage , une condition néceffaire
à l'existence politique de la Nation.
Une cauſe très - ative & très- puiſſante agite
&déplace aujourd'hui les Européens ; c'eſt
le progrès des Arts & les efforts de l'induſtrie,
qui s'élancent d'un pôle à l'autre ,
& cherchent à s'étendre ſur toute la terre ;
la cupidité donne un mouvement prodigieux
aux hommes & aux choses; l'accivité
d'un ſeul réunit dans ſa main l'occupation
& la ſubſiſtance de pluſieurs : il
ſe trouve des ſurnuméraires qu'il eſt utile
d'employer au loin à créer des productions
étrangères ; & le Peuple , qui , le premier ,
enfaitun bon emploi ,voit par cette émigration
augmenter ſes manufactures , fon,
No.8.21 Féy. 1789. F
122
MERCURE
commerce , fon agriculture , & par confequent
ſa population .
-Nos Colonies nous produiſent cent vingt
millions , » qui , par l'action & la réac-
>>tion des échanges , repréſentent une
>>fomme décuple , circulent fans ceffedes
>> caitſes du commerce au tréfor public , &
>>de là aux comptoirs étrangers , &c. «.
-Qu'on retranche eette portion du revenu
mational , très difficile à remplacer , on
ruine l'Etat , on met la derre nationale en
danger, on ſe met hors d'état de fuffire
aux dépenſes indiſpenſables: c'eſt aimi que
tout le tient dans la grande machine d'un
grand Etat, Ce n'est qu'en rendant les autres
Nations tributaires de notre commerce,
qu'on peut empêcher la Nation Françoife
de fuccomber ſous le faix des impôts &
des dettes.
Les produitsde notre cru en vins , huiles
, fels , eaux-de-vie , ne fuffiroient pas
pour que la balance du commerce fût en
notre faveur , ils folderoient à peine les
produits étrangers qui nous manquent.
Ceux de notre agriculture & de nos manufactures
ne trouveroient pas même
hors les temps de difere, un débouché
chez l'Etranger , qui auroit les mêmes productions
, ſouvent à meilleur marché.
Nos Colonies d'Amérique confomment
cês produits que les Etrangers rejetteroient ,
&elles déterminent, à raifon de leur produit
DE FRANCE. 123
T
-

5
ſeulement , la dépendance des autres Nations
à notre égard. Les Colonies font donc
utiles, il importe de les conſerver. Il importe
d'entretenir & d'augmenter la Marine
marchande & militaire , de protéger notre
commerce à la côte de Guinée , de l'étendre
dans le Levant , de l'établir dans le
Nord., de nous fur de notre propre cabotage
, de procurer enfin à la Nation la
plus grande ſomme potlible de ſubſiſtances
&d'industrie.
Nous ignorons ſi la Politique fournie
des répontes folides à ces raiſons tirées de
la politique même, nous le défiretions , se
l'Auteur le désireroit lui - même , car on
fent que cette Traite des Nègres & cen
Eſclavage lui déplaiſent ainſi qu'à nous ; il
montre par-tout autant d'humanité que de
fageffe; il aime la bienfaiſancé , mais il
la veut éclairée , il la veut poſſlible; il ne
vent pas » qu'elle marche comme la tem
» pête , qui déracine les arbres & ten
•verſe les édifices , fans égard pour les
⚫" homines qui vont perit ſous les débris.
5 Nou , non , s'écrie-t- il , l'amour du bieng
> la parfaite bonté , ont un autre carab
tère, leurs graces attirantes ont un autre
effet ". Voici quels feroient , ſelonml'Auteur
, ceux de la ceſſation de la Traite&
de l'Esclavage dans les Colonies , & de
l'annonce même de cet évènement. Les
Eſclaves apprenant que leur érat va chany
ger, fe croiroient invités à la révolte ; on
F2
124
MERCURE
auroit peine à prévenir leur inſurreccion
générale , leur impatience de ſecouer le
foug , & lagiration que cauferoit parmi
cux le ſpectacle de l'inquiétude & de l'embarras
des Colons.
Mais c'eſt ſur les propriétés & les tranſations
du commerce & des Colonies que
cette inquence ſeroit le plus funeſte ; elle
occafionneroit une réduction ſubite de toures
les valeurs , la reſciſion des contrats , la
failite générale de tous les créanciers refpectifs.
On ne peut pas douter , dit l'Auteur ,
que le prix des biens fonds dans les Colonies
ne baiflat confidérablement. Les hypothèques
dont il ſont grevés feroient altérées
dans la même proportion ; totes
les créances pour raiſon d'acquifition , partage
, mariage , ſucceſſion , fubiroient la
même réduction, ainſi que toutes celles qui
dériveroient de ces premiers engagemens :
enfin 1Auteur ne craint pas de dire en
propres termes , que le premier acte du
Gouvernement qui annonceroit la ceſlation
de la ſervitude des Noirs, feroit une torche
allumée pour incendier les ports & les
Colonies.
2.
Il regarde donc la Traite des Nègres &
leur E clavage dans les Colonies comme
une choſe qui , vicieuſe dans ſon principe,
ſe trouve hée aujourd'hui à tant
d'objets eſſentiels d'intérêt , de commerce ,
DE FRANCE. 125
de politique , de juſtice même , qu'il n'eſt
plus poſſible de l'en détacher ſans des convulfions
funeſtes ; il veut donc que cet
Eſclavage ſubſiſte , mais de manière que
les Nègres eux mêmes puiſſent à peine défirer
l'affranchiſſement; il veut que leurs
fers foient fi doux , ſi légers, qu'ils puiffent
même les regretter , & il n'abandonne
point aux divers caractères des Maîtres , ce
ſoin d'adoucir & d'améliorer la condition
des Nègres , il veut que cet adouciffement
ſoit l'ouvrage d'une excellente Légiflation ;
il la follicite depuis long-temps , & il s'attache
encore , dans cette differtation , à en
démontrer la néceſſité & l'utili é : c'eſt ainfi
qu'il rend d'une part à l'humanité , à la
juſtice, ce qu'il paroît leur enlever de l'autre
ce qu'il ne leur enlève que malgré
lui,& pour prévenir des maux qui nuifoient
encore plus à cette même humanité , à
cette même équité.
F3
12 MERCURE .
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE ( 1 )
ON a porté pluſieurs fois fur la Scène
le fujer d'Aftianax , & toujours il y a été
malheureux. Le premier Aftianax François
futjoué le 7 Janv. 1658. L'Auteuranonyme
de cet Ouvrage étoit , dit-on , protégé par
le Roi. La préſence du Protecteur donna
un fimulacre de ſuccès à cette Tragédie ,
qui méritoit d'être oubliée , & qui le fur
en effet auffi-tôt qu'elle ceſſa d'être protégée,
En 1696 , un autre anonyme fit jouer
un ſecond Aftianax , qui ne fut pas mieux
accueilli que le premier. On a mis en queftion
, fi cette Tragédie n'étoit pastout fimplement
une repriſe de la première ; mais
comme des deux Ouvrages un ſeul a été
imprimé , la question eft impoſſible à réfoudre.
Châteaubrun est l'Auteur du troiſième
Aftianax , qui n'eut qu'une repréſen-
(1) C'eſt M. de Charnois qui , depuis 1779 jufqu'à
ce jour , a rédigé & rédige encore les Articles
des Théaties François & Italices. Ceux de Pacadémie
Royale de Muſique & du Théatre de Monficur
, font d'une autre main.
DE FRANCE 127
!

ت ن
15
ارم
tation ( Lundi 5 Janvier 1756. ). Cet Ecrivain
avoit fait jouer lesTroyennes en 1754.
Dans cette Pièce , comme dans toutes celles
qui ont été faites fur le même ſajer , on
arrache Anianax des bras de ſa mère Andromaque
, pour le livrer aux Grecs ; mais
ici le Grand-Prêtre le ſouſtrait à leur fureur.
Il eſt vraiſemblable que cet épiſode
parut à Châteaubrun fufceptible de remplir
L'intérêt de toute une Tragédie : malheureuſement
la fable qu'il imagina étoit un
Roman incroyable. Les trois premiers Actes
, où l'on remarqua de grandes beautés,
en diſſimulèrent les défauts ; mais le quatrième
( 1 ) & le cinquième furent très-mal
reçus. On a toujours pensé qu'avec des
corrections & des coupures il auroit été
poſſible de donner à cet Ouvrage un cours
de repréſentations; mais l'Auteur, aufli modeſte
qu'eſtimable , ne voulut point appeler
du jugement du Public.
Le quatrième Aſtianax , qui a été donné
pour la première fois le Samedi 7 de ce
mois , eſt , dit- on , le début de fon Auteur.
Une partie de l'intrigue d'Andromaréunie
à l'imitation de quelques feenes,&
fur - tout de la plus intéreſſante fique
(1) Il faut remarquer que , dans Sénèque , Aftianax,
près d'être livre àUlyffe , s'écrie : Ma
nère ! ayez pitié de moi ; que Châtevabrun
imita Sénèque en ceci , & que ce cri de la Nature
fit rire les Spectateurs jusqu'aux larmes.
F4
128 MERCURE
tuation des Troyennes de Sénèque , forme
l'action de cette nouvelle Tragédie , que le
Public a traitée comme il traite depuis
quelque temps toutes les Pièces nouvelles ,
c'eſt à dire , très- rigoureuſement.
>
En voici l'analyſe. Troie vient d'être
faccagée , on voit encore les flammes qui
en dévorent les édifices. Au ſein des ruines
& du carnage , Pyrrhus a vu Andromaque
, & il a conçu pour elle une
pallion violente. Lui plaire , la ſervir ,
adoucir ſes malheurs , braver pour elle
s'il le faut , la Grèce entière , voilà les difpofitions
de ſon ame. Cependant les Grecs
demandent la mort d'Aſtianax . Fils d'Hector
, il peut venger un jour ſon père &
les Troyens , ſon trepas est néceflaire.
Ulyffe , qui ſoupçonne Pyrrhus de le protéger
, vient , au nom de la Grèce , lui
demander la mort de cet enfant , dont Andromaque
elle même ignore encore le fort
&la retraite.
Cette Scène eſt une imitation détournée
de Senèque ( Sène ſeconde du ſecond
Acte des Troyennes ). Pyrrhus prend chez
l'Auteur moderne , le caractère qu'Agamemnon
a chez Sénèque , & Ulyffe y a
le caractère de Pyrrhus , fauf les injures
qu'on en a fait difparoître. Racine avoit
déjà fait uſage de cette Scène dans deux
endroits de fon Andromaque : 1º. dans ces
vers qu'Hermione adreſſe à Pyrrhus.
DE FRANCE. 119-
Du vieux père d'Hector la valeur abattue
Aux pieds de ſa famille expirante à la vue ,
Tandis que dans ſon ſein votre bras enfoncé
Cherche un reſte de ſang que l'âge avoit glacé.
Dans des ruiſſeaux de fang, Troie ardente plongée.
Que peut-on refuſer à ces généreux coups ?
2º . Dans la tirade de Pyrrhus à Oreſte ,
Scène ſeconde du premier Acte , &qui finit
par ces vers :
Mon courroux aux vaincus ne fut que trop ſévère.
Mais que ma crauté ſurvive à ma colère
Que malgré la pitié dontje me ſens faifir ,
Dans le ſang d'un enfant je me baigne à loiſir !
Non , Seigneur.
Il y a du génie dans les imitations-de
Racine , il y a de l'adreſſe dans celles de
l'Auteur moderne.
1
Ulyſſe n'obtient rien de Pyrrhus. On
cherche Aftianax. Andromaque vient pleurer
ſur le tombeau d'Hector. C'eſt à côté
de ce tombeau que Phinéas oſe parler àAndromaque
de l'amour de Pyrrhus , dont il
eſt le confident. Elle frémit , elle s'indigne,
elle éclate , & le fort d'Aftianax , qu'elle
ignore toujours , ajoute à fes douleurs. Enfin
un Troyen , nomine Theſtor , a pris une.
armure Grecque , & fous ce traveſtillement
il a ſauvé Aftianax ; il en avertit fa
F5
130 MERCURE
mère , que cere nouvelle rend un moment
à la vie. Mais les Grecs cherchent cet enfant
,& il eft intéreſſant de le ſouſtraire
à leur fureur. Andromaque ſe dérermine à
le cacher dans le tombeau de ſon père.
On l'y fait entrer. Ulyfle paroît. It de
mande Atianax à la veuve d'Hector. Elle
feint que fon fils n'eſt plus , elle jore qu'il
eſt deſcendu chez les morts . Ulyffe craint
d'être trompé par l'amour maternel , il dif-
Amule. Il fait à Andromaoue la peinture de
la moit cruelle à laquelle la Grèce avoie
condamné fon fils. Au trouble qu'elle
éprouve , à la douleur vient altérer
tous ſes traits, il ne doute point qu'Aftianax
ne refpire , & if ordonne qu'on
détruife le tombeau d'Heetor. Après les
reproches les plus vifs ſur un pareil atrentat
, l'infortunée balance quelque temps
entre le refpect qu'elle doit à la mémoire
de fon époux , & Famour qu'elle porte
à fon fils. Enfin elle croit que l'âge de
celuiaci , fes malheurs , fes prières touchantes
intéreferont Ulyfle , & elle le fait
fortür du tombeau. C'eſt vainement qu'on
implore la clémence du Roi d'Itaque. L'intérêt
de la Grèce parle , il eſt inflexible.
Le rôle du vieux Theſtar doit , fans
doute , ſon existence à un détail du ſecond
Livre de l'Eneïde ,& au Vieillard qui , dans
Sénèque , entre avec Andromaque à la premiere
Seène du 3e. Acte; mais les motifs du
Pocre latin &de fon imitateur ne ſontpas les
DE FRANCE. 131
mêmes . Quant à la Scène qui ſe paſſe entwe
Ulyffe& Andromaque, elle est abfolumene
imitée de Sénèque (1). Elle avoit déjà éré
imitée par Robert Garnier en 1578 , par
Sallebray en 1640 , par Pradon en 16793
& par Charcaubeun en 1754. Toutes ces
imitations étoient à peu près connues des
Amateus de PArt dramatique. Une qui
certainement l'eſt beaucoup moins , c'eft
celle qu'en a faire Jean de la Taille de
Bondaroy , dans ſa Tragédie intitulée la
Pamine ou les Gabaonites.
Dans cette Tragédie , un Prophère dé
clare que your faire ceffer le téau qui ta
vage le Royaume d'Iſraël , il faut immoler
les enfans de Saül. Rézèfe , veuve de Said,
& Mérobe fa file, cachent ces enfans dans
le tombeau de leur père. Joab vient les
demander. Rézèfe répond à peu près comme
Andromaque ; mais Joab fait des queſtions
infidicules , il les multiplie , it les croife
avec- tant d'adreſſe , que l'amour maternel
ſe trahit. Cu arrache les enfons du tombeau
, & on les enlève des bras de leur
mère expirante de douleur. Nous forumes
fachés que l'efpace ne nous permene pas
( 1) Sénèque a pris ſes Troyennes dans deux
Pièces d'Euripede , Hécube & La Troade ; waisila
créé la Scène d'Ulyffe & d'Andromaque. Si l'on
veut y faire attention , on verra que l'efprit qu'UJyle
y dép'oic , a beaucoup d'analogie avec le caractère
de finefle qui étoie propre à Sérèque.
F6
434
MERCURE
,
de tranfcrire cette Scène vraiment artachante
, très bien faite pour le temps , &
qui dut produire un grand effet. Au reſte
l'Ouvrage exifte , il a été imprime à Paris ,
chez Morel en 1573 , & les curieux peuvent
en prendre connoiffance. Revenons au
nouvel Aftianax.
Dès que Pyrrhus apprend qu'Ulyffe a
en'evé Aftianax , il entre en fureur , & al
fort après avoir juré de le ſauver. Andromaque
reprend quelque eſpérance , elle fe
livre même à la joie de revoir ſon fils ,
quand Theftor vient lui annoncer que Pyrrhus
lui-même l'a livré aux Grecs , & qu'il
a été précipité du haut d'une tour. Accablée
fous le poids de toutes les douleurs ,
Andromaque prend la réſolution de quirrer
la vie ; elle va ſe poignarder , quard
ſa confidente la défarrae & lorſqu'elle voit
Pyrrhus reparoître avee Aftianax ( 1). Un
enfant dont les traits ſemblables à ceux
du jeune Prince pouvoient tromper les
ג
( 1 ) Dans Euripide , Aftianax eft précipité du
hautd'une tour, & on apporte fon corps àHé ube
Sur le bouclier d'Hector , qui doit fui fervir de
cercueil. Dans Sénèque , il éprouve le même forr,
mais on fait funplement le récitde la mort. L'Auteur
moderne , en fa fant rendre ce jeune Prince à
Ta mère, a fuivi une anciense Tradition déjà
ade prée par Racine , quand il fait dire par Orefle
Vous favez wop avec quel artifice
Un faux Allianax fut conduit au fupplices
DE FRANCE. 135
yeux les plus clairvoyans , a été précipité à
faplace.
La Pièce , qui avoit excité de grands &
de longs murmures , qui avoit été fur le
point d'être arrê ée au troiſieme Acte
étoit arrivée là ; Pyrrhus diſoit à Andromaque
le vers ſuivant :
و
Je ne veux point forcer votre reconnoiſſance ;
lorſque tout à coup les Acteurs ſe ſont interrompus
, ont regardé le Souffleur , fe
font dit tout bas quelques mots , &ont falué
le lublic. Pourquoi cette brufque retraite
? On pouvoit bien entendre vingr
vers qui , peut être , reftoient encore à
dire , & ces vingt vers ne pouvoient rien
ajouter à la Pièce , dont le fort ér it déjà
fixé. Puifque les Comédiens ont ſouvent
la foibleſſe de recevoir , par acclamation ,
des Ouvrages médiocres , ils devroient avoir
auffi le courage de les repréfenter juſqu'à
la fin.
On a fait à l'Auteur pluſieurs reproches
graves, entre autres celuid'avoir paru lutter
contre Racine dans un fujet qui a commencé
fahaute renommée.En rendantPyrrhus amoureux
d'Andromaque fous les murs même de
Troie , aux pieds du rombeau d'Hector
il a fait une faute que Racine a ſu éviter.
Dans l'Andromaque de celui-ci , Pyrrhus eft
en Epire depuis peu de temps , & rendu au
fein de fon Royaume , il a pu voir d'un
A
134
MERCUREoeil
plus atentif la veuve d'Hector & ea
devenir amoureux. Son amour a donc toute
la violence d'une pallion nouvelle , & les
bienféruces y font ménagées , puifque l'efpace
de temps qui s'eſt écoulé entre la quine
de Troie& cette époque, ſemble déterminé
par ces deux vers :
:
Ah ! fi du fils d'Hector la perte droitjurée ,
Pourquoi d'un an entier l'avons-nous différée ?
Si l'Awear s'étoit donné la peine de
penfer que les moeurs antiques font à peu
près énangères à la plus grande partie des
Spectreins , & que ceux qui les connoitfent
exigent que , ſur notre Scène , on les
dépouille de ce qu'elles ont de trop choquant
pour nos habitudes , de trop oppolé
à nos convenances ; ou il auroit fuivi
Racine de plus près, ou il auroit ſagement
renoncé à une concurrence qui ne pouvoir
être que fatale pour lui. En imitant Sénèque
, il auroit eu le ſoin d'écarter du
Lôle d'Ulyffe toures les petites finelles que
lui a prêtées le Poëte Latin , & qui font
véritablencent indignes de la noblefe tragique.
Au reſte , il a été féduit , comme
tous ceux qui avoient traité le même ſujet
avant lui , par le troiſième Acte des
Troyennes de Sénèque ; il n'a envisagé
cette firuation que par le fond, il en a né
gligé les formes , & cette erreur eſt bien
parionnable à un jeune homme qui ense
dans la carrière.
DE FRANCE. 139
Ona remarqué dans certe Tragédie une
connoiffance très étendue desAuteurs Grecs
& Latins , de belles idées , des vers bien
tournés , des images poétiques , le germe
du talent : mais on y a auffi remarqué de
Venture , des récits trop multipliés , trop
de defcriprions épiques , & des défauts de
goût afez nombreux, fuite néceſſaire , indiſpeníable
de l'étude de Sérèque , homme
que nos premiers Tragiques ont fouvent
pris pour modèle , & le plus dangereux que
l'on puifle choiſir.
THEATRE DE MONSIEUR.
PARMI les quatre Comédies repréſentées
àce Spectacle, on ne peur pas encore compter
un véritable fuccès , quoique la dernière ,
la Maison à louer , offre au moins des fituations
fort comiques , &des détails remp'is
d'eſprit. On devoit cependant s'attende
qu'un Theatre qui commence , ne peut
avoir des Ouvrages aufli réguliers que ceux
qui font établis depuis long-temps ; on devoit
penſer que des Auteurs diftingués ne
riſqueront pas de donner leurs Productions
à des Acteurs qu'ils ne connoiffent pas ,
& qui n'ont pas encore de droits à la confrance.
M a bien falla compoſer le premier
Répertoire d'eflais de jeunes gens, ou
136 MERCURE
il
de. Pièces refuſées ailleurs. De pareilles
tentatives avoient beſoin d'encouragement
&d'indulgence ; pourquoi donc le Public
les a t-il traitées avec cet excès de rigueur ?
Eſt-ce l'effer de cabales réunies , ou n'eſt ce
pas plutôt celui de l'eſtime que ce même Publica
conçue pour ce Spectacle dès fon établiſſement
? En comptant le Théatre de
MONSIEUR au rang des grands Théatres ,
auroit cru fans doute l'avilir en y fouffrant
les Ouvrages médiocres qu'il ne veut fupporter
que fur les treteaux. Il fait que les
talens dramatiques ſe relâchent & s'endorment
dès qu'il montre un peu trop de
condeſcendance; il a cru que le fouet de
la eritique étoit néceſſhire pour les tenir
éveillés, & qu'à force de repoufler des
Pièces foibles , il finiroit par en avoir de
bonnes.
:Quoique ce calcul ne nous paroiſſe pas
très jufte , nous aimons mieux nous en
tenir à cette ſuppoſition , que de fuppofer
des cabales , idée qui ne nous paroît ni raifonnable
ni poſſible. Les autres Théatres
favent trop bien qu'un Spectacle de plus
ne peut leur faire aucun tort; que l'abondance
en ce genre ne fait qu'en exciter le
goût , & que depuis vingt ans leurs recettes
ſe ſont augmentées en proportion de ce
que les Spectacles ſe ſont multipliés. D'ail-.
leurs, s'il y a quelques Particuliers qu'on .
puifle accufer d'un procédé pareil,'ce feroit.
uae injuftice & un ourrage que d'en fonp
DE FRANCE. 137
conner des Corps. Eſpérons donc que
le Public ſe laſſera bientôt d'être ſi ſévère ,
& que le Théatre de MONSIEUR lui en
fournira moins l'occaſion .
د
Les Acteurs de la Troupe Françoiſe qui
ont paru juſqu'ici , ſont M. Saint - Preux ,
dans les pères nobles ; M. Dalainval, dans
les rôles à manteau ; M. Chevalier , dans
les amoureux : tous trois fort connus du
Public , ſous les yeux duquel ils ont été
long-temps; le premier au Théatre Italien
les deux autres au Théatre François. Tous
trois ont un talent fait , & auquel l'étude
ne ſçauroit plus guère ajouter. Il ne nous
appartient donc pas de faire leur éloge ;
car on ne doit louer que ceux qu'on peut
auſſi blamer ; & puiſqu'à leur égard la critique
ne ſeroit qu'affligeante & inutile ,
tout éloge ſeroit également fade & fuper-
Au. M. Mongaultier , qu'on a vu auſſi au
Théatre François, joue les jeunes amoureux.
Il aune figure , une taille fort agréable ;
ſon jeu a de la légèreté , de la grace ; il
promet beaucoup , mais il lui reſte beaucoup
à acquérir : il mérite d'être enceuragé.
MM. Péliffier & Folleville jouent les
Valets. Ils paroiſſent juſqu'ici très - capables
de remplir cet emploi; mais pour enjuger
d'une manière plus abſolue , il faudroit les
avoir vus dans des rôles plus marquans.
Mme. Péliffier , dans les caractères , montre
des diſpoſitions. Elle a beſoin d'un peu
38 MERCURE
d'habitude , mais l'habitude s'acquiert , &
elke poffède une qualité qui ne s'acquiert
pas; c'eſt de l'ame & de la chaleur. Mi c
Jolley & Mile. Dumont , l'ume dans les
jeunes amoureuſes ,&l'autre dans les Soubretres
, poffedent déja tous les dons que
la Nature puifle faire à des Acteurs. Une
figure délicieufe, uneſenſibilité douce , &
beaucoup de graces, diftinguent la première;
-Pautre annonce de la vivacité , la fineſſe la
plus piquante, &un efprit infini. Avec de
pareils avantages , il feroit difficile d'être
bien exigeant fur ce qu'elles peuvent encore
acquérir.
L'Opera-Comique François , le ſeul genre
qui ait encore réuffi complètement à ce
Théatre , exigeroit de nous de plus grands
détails ; & cependant nous ne pouvons
preſque parler que de trois Acteurs. Mme
Le Sage , première amoureuſe , a une délicieuſe
voix , juſte , moëlleuſe, intéreſſante
&facile , au moins dans ce que nous en
avons entendu. Nous ignorons ce qu'elle
feroit dans des morceaux d'exécution ; mais
quand même il lui manquercit cette parthe
, affez rare dans ſon emploi , il lui cá
refte affez d'autres pour être sûre du plus
grand fuccès. Elle chante avec infiniment
d'adreífe: fon jeu eft noble ou léger , gai
on fenible , toujours décent , toujours
animé fans caricature , & d'une intelligence
qui la rend propre à tous les rôles
dont elle voudra ſe charger. Elle a fur-sour
DE FRANCE. 139
a prononciation la plus parfaite que nous
connoillions à aucune femme, Les bonnes
geus qui aiment à entendre ce qu'on leur
chanre, comme ce qu'on leurdit, font sûrs
avee elle de ne pas perdre une fyilabe.
.
M. Fleury , qui joue les vieillards , les
comiques , a une voix forte & fonore.
C'est une Baffe taille; & fa manière de
chanter convient à ce genre de voix. Son
jeu , également éloignéde la caricature &de
la froideur, eft très-comique & plein d'intels
ligence. Il a une grande habitude du Théar
He,&neparoîtpas en abufer. Quelques per
ſonnes trouvent ſa voix dure, parce qu'elle
eft mordante; on auroitraiſon de lui faire ce
reproche , s'il affectoit la tournure de chant
des amoureux. Mais pour l'emploi qu'il a
choiſi, elle nous ſemble très convenable.
Cette dureré même, fi elle exiſte , répand
fur ſa manière un fel comique qu'elle n'auzoit
pas avec plus de moelleux.
M. Martin eſt un jeune Acteur qui
doune les plus grandes eſpérances. Sa voix
eſt cequ'on appelle en France un concor
dant, en ce qu'elle réunit quelques - unes
des cordes graves de la Baffe avec les fons
plus élevés de la.Taille. Elle est fonore &
pleine , & d'une prodigieuſe facilité. Tout
ce que les tencres aigus & clairs peuvent
exécuter de broderies & d'agrémens , il
T'exécure avec une aifance infinie , & avee
le fon plus maëlleux & plus argentin. Mais
plus il promet de talent, & plus il mérite
140 MERCURE
qu'on ſoit ſévère. Le Public , qui jouit an
jour le jour , fans s'inquiéter de l'avenir ,
craint peu de gâter l'Acteur qu'il aime ,
parce qu'il ſe réſerve le droit de le offler
le jour qu'il lui déplaira. Mais les véritables
Amateurs , plus prévoyans , croient
devoir des conſei's à ceux qu'ils chériffent
le plus , afin de les chérir toujours , & c'eſt
le devoir des Journaliſtes de les leur faire
paſſer. On craint donc que M. Martin n'abuſe
quelquefois de ſa facilité à faire des
paſſages & des broderies , pour les porter
à l'excès & les placer mal à propos. Tout
ce qu'il fait , dira - t - on , eſt toujours
fort applaudi . Cela peut être ; mais un
Acteur vraiment épris de ſon art , fait facrifier
au bon goût ces applaudiſſemens
aveugles & paflagers. On défire encore
que, trop fûr de l'effet de fon chant , il ne
néglige pas fon jeu ; qu'il ſe rappelle qu'il
✓ n'a nulle habitude de la Scène. De fâcheux
exemples ontpu lui apprendre qu'on ſe dégoûte
bientôt d'un Acteur qui ne fait que
chanter.
Mile. Dumont , dont nous avons parlé
dans la Comédie, joue auſſi de petits rôles
dans l'Opéra - comique. Sa voix n'eſt pas
forte , mais elle a de l'agrément & de la
juſteſſe. Nous avons peu de choſe à dire
de Mlle. Dolley , fi ce n'est que fa voix a
de beaux fons; mais fa prononciation eff
fi fort négligée , qu'on ne peut entendre
ce qu'elle dit , ni par conféquent la juger..
DE FRANCE. 141
Toutes les autres perſonnes qui compofent
à préſent cette Troupe , ou ont paru
dms des rôles trop peu importans , ou font
encore trop peu formés, pour que nous en
puiſlions rien dire .
On prépare une nouvelle Parodie , intitulée
la Rencontre imprévue , par MM.
Piccinni ; & la première repriſe de la Feinte
Jardinière , en deux Actes , & avec des changemens.
La Trompe Françoiſe a au moins
fur la Troupe Italienne l'avantage de beancoup
de zèle & d'activité,
Nota. Nous pardonnera-t-on de placer
ici quelques obſervations en faveur de qui
il appartiendra ? Le nom de Théodore , en
Italien Teodoro , doit s'écrire ſans h. Le
nom de l'Auteur delle Vicende amorose ,
est Iritta , & non Tritto. Le nom de l'Auteur
del Re Teodoro eſt Paifiello , & non
Paëfiello. Nous avons déjà dit que celui
d'Atys & de Didon eft Piccinni & non
Piccini. En attendant que nous puiffions
bien ſentir le mérite de ces homines célè--
bres , ayons l'air du moins de bien ſavoir
leurs noms.
:
442
MERCURE
ANNONCES ET NOTICES.
LA 300. Livraiſon de l'Encyclopédie, qui devoit
paroître ce mois-ci , ne pourra être délivrée aux
Soufcripteurs que le 14 ou le 21 Mars; la 318,
paroîtra à la fin d'Avril. Nous comptons , par les
nouveaux arrangemens que nous avons pris , publier
au moins fix Livraiſons cette année , & cn
donner une toutes les fix ſemaines ou tous les mois
l'année prochaine , quelquefois même nous publie
rons des Livraiſons doubles. Ce font les froids
rigoureux qui ont retardé la 30e. Livraiſon .
" Almanach du Commerce , des Arts&Métiers..
des Villes de Lille , Douai & Dunkerque , pour
L'annéz 1789. Prix , 1 liv. to fous. ALille , chez
Vana kere , Lib. rue de la Grande-Chaufiée , au
Bureau de l'Almanach du Commerce ; & à Paris
chez Onfroy , Lib, rue S. Victor , Nº . 11 .
Almanach général du Dauphiné , pour l'année
1789. A Grenoble , chez J. L. A. Giroud , Imp.-
Libr. à la Salle du Palais ; à Lyon , chez Roffer ,
Lib. rue Mercière ; & à Paris , chez Buiffon , rue
Haute-feuille , Hôtel de Coctlofſquet , No. 23.
DesEtats-Généraux & autres Affemblées Nationales
; Tomes XI , XII , XIII & XIV , in-8 °.
d'environ soo pages chacun ; contenant la fuite
des Procès-verbaux des Etats-Généraux tenus fous
les règnes de Charles IX & de Henri III. Prix ,
4liv. 10 f. le Volune broché , s liv. 10 f. relié ,
& liv. broché franc de port par la Pofte. A Paris ,
chez Buifion, Libraire, Hótel de Coëtlaquer , rue
Hante fen lle , N° . 20 .
1
DE FRANCE. 143.
Droit Public du Comti-Etat de la Provence , fur
Ja Contribation aux Impoſitions ; par Charles-Fr..
Bouche , Avocat au Parlement d'Aix. 1 Vol, in-8°.
feconde édition . A Aix.
Nous fomines antoriſés a prévenir le Public que
l'Approbation du Cenfeur Royal , qui ſe trouve à
la findece Volume, n'a trait qu'aux derniers Chapitres
X & XI , qui lui ont été préſentés ſous le
titre de Supplément , titre qu'a omis l'Imprimeur;
&qu'il n'a pu approuver les Chapitres précédens .
dont il n'a cu aucune connoiffance.
Henri IV& Sulli après la bataille d'Ivri , peine
par Bounicu , gravé par Laurent. A Paris , chez
M. Ollivier , Négociant, rue S. Denis , N°. 189,1
Cette Eftampe fait pendant au Rendez-vousdo
Chaffe, par Cuttemberg; & ſe vend le même prix.
Portrait en couleur de Louis XVI, reint &
gravé far de Bucourt , Peintre du Roi. Eftampe
de 16 pouces de haut fur 12 & demi de targe,
Prix , 16 liv . A Paris , chez l'Auteur , Cour dir
Louvre , ia se. porte à gauche en entrant par fa
colomade , au ier.
Toutes les Estampes de cet eftimable Artiſte
ent joui d'un fuccès mérité ; le ſujet & les circonfiances
donnent à ce dernier un nouvel intérét
de plus,
Taffetas Agglutinatif, dit Taffetas de France.
pour les coupures , &c .
Le S. Vollant jeure , qui s'eſt appliqué à la
recherche d'une Compofition propre à remplacen
Le Taffetas d Angleterre, employé pour les Coupures,
&c, a fait fous les yeux de MM. les Com
miffaires nommés par la Faculté & par la Société
Royale de Médecine , les différentes Epreuves
néceſſaires pour leur faire connoître fon Procédé ,
qui en a été approuvé. Le Taffetas Agglutinatif
qu'il fabrique, a des qualités auſti sûres que celle
des meilleurs Taffetas d'Angleterre. Pour évitér
oute contrefaction , il a fait imprimer du carac
44 MERCURE DE FRANCE.
tère de l'Imprimerie des Aveugles de la Société
Phdanthropique , des Enveloppes qui contiendront
chacune une pièce de fon Taffetas , dans laquelle
on trouvera auffi la manière de s'en ſerver dans
toutes les de Coupures, de quelque nature qu'elles
foient, afin de prévenir les ſuites qui réfukkert
de la négligence que l'on apporte dans de femblables
circonstances. Il a érabli à cet effet dans
les différens quartiers de la Ville &de la Banlieue
de Paris , & dans toutes les Villes du Royaume ,
ainſi que dans les Villes de Londres , Madrid ,
Bruxelles , Amſterdam & Naples , des Dépôts de
fon Taffetas , où s'en fera la datribution , & qui
ſeront indiqués par des tableaux : on y trouvera
du Taffetas des trois couleurs , noir , blanc , &
rofe. Les Enveloppes annonceront les dimenſions
régiées,& le prix de ce Taffetas , fixé par MM.
les Commitfaires. Les Pauvres en trouveront chez
MM. les Curés de chaque Paroifie. La Manufacsure
& le Bureau général dudit Sr. Vollant jeune,
font établis rue Mêlée , N°. 30.
Fautes à corriger dans leSuppl. du No,précédent.
Page 11 , Euvres complètes deM. Paliffor , 4
Vol. in-8°. br. 24 liv. , & 30 liv. rel.; lifez 301.
br. , & 36 liv. rel.
Les mêmes, avec Fig. , 36 1. br. , & 42 1. rel.
LA
TABLE.
de Janvier. 97 Comédie Françoise.
101
A Veillée
Charale, Enig. Logog.
Mémoire far Efclavage des
Nègres.
J'AI lu
10 ,
116
Theatrede MONSIEUR. 135
Annonces & Notices. 14
APPROBATIΟ Ν.
par ordre de Mgr. le Garde des Sceaux,
le MERCURE DE FRANCE , pour le Samedi 21
Février 1789. Je n'y ai rien trouvé qui puiſie en
empêcher l'impreſſion. A Paris le 20 Février
1789.
,
SÉLIS.
MERCURE
F
4
DE FRANCE.
SAMEDI 28 FÉVRIER 1789 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
IM - PROMPTU ,
Trouvé au pied du Buſte de Madame la
Ducheffe DE CASTRIES , pendant la
fête que M. le Duc DE GUINES , for
père , Gouverneur de l'Artois , a donnée
aux Etats de cette Province.
:
Ses traits favent bien tout féduire ,
Ses yeux favent tout exprimer ;
Mais l'Art ne pouvoit nous inſtruire
Detoutes les vertus qu'elle a ſu ſe donme.z
Nº. 9. 28 Fév. 178
( Par un Abonné. )
G
146 MERCURE
VERS
A M. l'Abbé DELILLE , furfa Traduction
des Géorgiques. Ce Poëte est né dans
une Ville d'Auvergne.
Arvernique aufi Latioſe fingerefratres ,
Sanguine ab Iliaco , Populi.
Et les Peuples d'Auvergne qui oſent ſe
dire frères des Romains , &deſcendus,
comme eux , de la ville d'Ilion .
LUCAIN , Pha fule , Liv. 1.
Des vallons du Mont d'or, l'habitant orgueilleux,
Du rivage Troyen ,fait fortir ſes aïeux ,
Et jaloux d'illuftrer ſon antique Patrie ,
Ofe affeoir fon berceau ſur les champs d'Hefpérie
Les Muſts & les temps lui tranfmirent ſes droits :
Pour les mieux établir , j'é èverai ma voix ;
D'unnoeud plus ferme encor, l'Auvergne & l'Aufonie
Vont s'unir dans mes vers. J'en appelle au génie ,
J'en appelle au laurier que Delille a cucilli ,
AVirgile étonné de ſe voir umbelli..
Voilà des droits facrés , on y croira fans peine.
Eh ! quel autre , en effet , qu'use Mufc Romaine ,
Auroit pu , fars péril , chanter l'Agriculteur ,
Des champs déshonorés relever le labeur ,
Et conſacrant la Langue après l'avoir vaincue ,
Du charme des beaux vers ennoblir la charrue
DE FRANCE.
147
Que ne peut le talent ? Un vulgaire Ecrivain ,
Traducteur Géomètre , un compas à la main ,
De Milton qu'il copie , alignant les pensées ,
Eteindra le génie en ſes rimes glacées ,
Et toujours méthodique & jamais créateur ,
Parun reſpect ſervile , outragera l'Auteur.
Voyez comme Delille , en ſa verve divine ,
Conferve les accens de la Muſe Latine !
Libre au milieu des fers ,& brûlant d'enfanter ,
Il créa de nouveau , mais pour mieux imiter,
Quel brillant coloris , quelle touche facile !
Aux Champs Elyséens n'a- t-on pas vu Virgile ,
De for riva. heureux, avouer les ſuccès ,
Adopter pour fon fils le Virgile François ?
>> Voila , s'écrioit-t-il,l'héritier de mon ame.
>> Et toi , Delille , & toi , fi cet aveu t'enflamme
>>Ofe accomplir ta gloire , & croire à ton talent ;
>>>Viens couronner mon frontd'un laurier renaiſſant;
>> Je remets dans tes mains la trompette héroïque ,
>>>Et Virgile t'attend dans la carrière épique,
>>>Romains qu'il égala , n'en ſoyez point jaloux;
>> C'eſt par le droitdu ſang qu'il montajuſqu'à vous;
>> L'Auſenic & l'Auvergne ont eu les mémes pères,
>> Et Delille a prouvé que yous êtes ſes frères <«.
(Par M, Dorfeuille , Débutant au Th, Fra
G
148 MERCURE
HISTOIRE
DU MAJOR ANDRÉ.
ANDRÉ& SOPHIE S'aimoient comme deux
ames qui viennent de s'ouvrir à l'amour.
Mais point d'eſpoir. Un père tendre ne l'é
toit pas encore affez pour accorder Théritière
d'une grande Maiſon à celui qui n'avoit
en retour qu'un coeur & des vertus.
Folle paflion de la guerre , une fois tu femblas
utile au but ſacré de la Nature.-
• André , dit le vieillard , Sophie t'aime ,
>> Sophie t'eſt chère ; & votre bonheur à
tous deux adouciroit mes vieux ans. La
guerre eit allumée dans un autre hémifphère
; vole , & reviens couvert de lau-
>>riers . Que ta gloire te tienne lieu d'une
naiſſance illuftre ! Sophie en fera le prix.
* Adieu , mon fils ". Son fils ! répère
en écho le coeur enflammé d'André.
Et tout eſt dit. Plus tranquille, il eût rougi
d'accabler de ſa liberté , des millions de
ſujets. André ne vit que Sophie. O So-
(phie! ........ O mes amis ! excufons l'amour
fortifié des préjugés d'un père.
"
- -
Il va partir. Les larmes de la tondre Sophie
le ſuivront à travers les mers , dans
fes combats , au milieu des déſerts. Tour
DE FRANCE. 149
eſt prêt. O pauvre Sophie ! alors qu'une
permiffion indiſcrette fortit de ta bouche ,
tu ne fentois pas qu'il y auroit un moment
d'adicu ; d'adieu ...... Eh ! quel Amant ,
dans ſa fougue délicieuſe , a penſé qu'on
pouvoit ſe quitter ? Sophie a vu des ſemaines
, des jours , des heures devant
elle .......... ; & les heures , les jours ,
les ſemaines ſe ſont enfuis , comme ils
ſe ſont écoulés pour l'Artiſan paiſible. Un
jour leur reſte encore. Ce jour leur ſemble
un fiècle de bonheur ; & leur bonheur futur
, qui vient s'y confondre , ne fait pour
eux qu'un moment de bonheur , de l'érernité
entière ...... Les lentes vingt-quatre
heures font uſées auſſi. Quel efci ! l'abîme
qu'ils ne voyoient pas ſe découvre ;
la douleur enveloppe &ferre leurs coeurs.
Ecoutez la déſeſpérée Sophic. Qu'il
vive, qu'il vive ; c'eſt tout pour moi ". -
Eh ! de quel droit ......... Mais que
peuvent&fos tourmens & fes remords , &
ſa triſte voix qui va maudiſſant une fatale
ambition , & fes emportemens contre l'Amant
qui s'y abandonne ? On plaint l'amour,
& fes fureurs ne font point écoutées.
André eſt ſur la mer ; il vogue .
-
Chaque flot qui l'éloigne de Sophie ,
porte à André un nouvel eſpoir. Quelques
mois encore , & il vivra tout dans l'avenir.
Sophie eft plus difficile à confoler.
Mais enfin, quand le déſeſpoir d'un coeur
G ;
MERCURE
a long- temps éclaté en vain, la paix revient ,
ou le coeur s'anéantit. Un jour Sophic
put goûter l'eſpérance ; doux préfent des
cieux , elle s'accrut chaque jour ; & les
triſtes reſtes d'un paſſé délicieux s'effaçoient
en même temps. Enfin fon coeur put s'en
nourrir. Ainfi tu es , Amour ! dans l'abfence
, il n'eſt que l'eſpoir pour toi. Et
quand tu n'eſpères plus ...... O Amitié !
Déeſſe de ma jeuneſſe , plus folide & autli
douce , chez toi chaque moment eft jouiffance
, & jouiffance y naît d'avoir joui. Tu
ne crains point les ailes du Temps , & tu
laiſſes à l'Amour celles de l'eſpoir. En toi
même eſt le honheur. Amitié , je t'ai adorée
; le reſte de mon exiſtence s'écoulera
pour toi.
Deux années ne font pas encore paffées ;
mille exploits ont couronné ſa vaillance.
Une place bonorable , & plus encore ſa
gloire , diftinguent le jeune André. Au
milieu des horreurs d'une guerre civile , il
ſemble îmême que ſa vertu eſt reconnue ;
il n'en paroît que plus grand. Et fon coeur ,
dans les ſuccès que lui vaut l'Amour , loin
d'en être ébloui , n'en devient que plus ſen
fible à l'amour.
Arnold , nom dévoué à l'exécration des
fiècles un traître Américain , veut livrer
aux Anglois une place forte dont dépend
un vaſte pays. Il demande un homme pour
convenir des démarches réciproques & du
DE FRANCE.
ISI
prix de ſon crime. Des richeſſes , des honneurs
le contenteront. Dieu ! quelque luxe
de plus , quand ſon coeur fera chargé de
remords ! des honneurs , à celui là qui trahit
ſa Patrie ! L'impérieuſe politique accorde
tout. Elle ſe joue des richeffes , de
la vie , de l'honneur; mais la vertu .....
Il n'y a plus qu'à chercher dans l'armée un
homme intelligent qui ſache conferver fa
têre au milieu des périls , & que le crime
n'épouvante pas davantage. Helas ! André
ne vit que Sophie ...... ou peut - être le
vain nom de rebelle ſéduiſit ſa vertu or
dinaire. Le Général Anglois balançoit entre
mille; André ſe préſente à lei. Le Géné
ral rongit; tel eſt l'empire de la vertu . En
gemiflant , il remet à l'infortuné André les
inſtructions qu'un traître ſeul cût dû avoir.
André eſt parti la joie dans le coeur; il
croyoit voler à ſa Sophie.
André a pénétré juſqu'à Arnold . Il l'a vu ;
il l'a vu traiter pour quelque or , du fang
de tout un Peuple , & du malheur des générations
futures. Un coup de foudre n'anéantit
pas plus vivement. Et fon ame eſt
navrée des premiers remords ..... Mais
comment faire ? le déshonneur par tout ,
par-tout plus de Sophie. Il paroît cependant
qu'il reprit le chemin du camp. Sa
tête n'y étoit plus ; il tomba dans un parti
d'Américains. Fouillé , convaincu , il eſt
waîné devant Vashington. Oh ! Thon-
G4
192 MERCURE
neur...... Cet homme que ſon retor
eût couvert de gloire , le voilà condamné
à mourir du ſupplice des lâches. Et il le
méritoir. L'honneur ..... c'eſt le voile de
la vertu & le maſque du vice.
L'échafaud eſt dreſſé. Le crime de l'Amant
alloit s'expier : la noble fierté du
Héros revint dans ſon ame. Et après qu'on
l'a vu naguère fuir honteuſement vers les
lauriers qui l'attendoient , maintenant il
marche au gibet comme il eût marché au
combat ; heureux par ſon ſupplice d'effacer
ſon opprobre , heureux de perdre une vie
de remords , indigne de Sophie.
>> Américains , diſoit André du haut de
>>l'échafaud , braves ſoldats dont je fus di-
• gne , dont le nom m'avilit , j'aimois ;
> voilà mon crime & voilà mon excuſe.
» Mais je voulois votre perte ; & vous me
>> rendez ma gloire. C'eſt an gibet que je
vais la retrouver. Oh ! je portois dans
>> mon coeur les tourmens des enfers ; je
» ne pouvois adorer la vertueuſe Sophie .
• Américains ,que le tombeau qui s'en-
>> trouvre , n'enferme pas avec moi mon
>> opprobre ! Et ſi mon crime peut deman-
>>der de la pitié , puiſſe une larme de
- vous , puiffe un ſoupir généreux plaindre
ود celuiqui fut vertueuxtrente ans, pour être
>> coupable un jour ! Américains , il fuffira
» à mon coeur ; & la tendre Sophie n'en
DE
153
FRANCE.
>> tendra point le nom avili de ſon Amant ".
Les Soldats pleuroient ; le Général pleuroit.
On dit même que le traitre Arnold
fut ému en l'apprenant.
Et Sophie .... Sophie vit encore. L'ame
qui n'a plus d'eſpoir , a bien de la force
contre le malheur. Quant au forfait d'A
dré , Sophie ne l'en mépriſa pas. Homine
juſte , nie - moi tes foibleſles ; homme
paffionné , te diras - tu à l'abri du crime ?
Hélas ! nos paſſions ſublimes dans leur
ſource , tiennent pas moins de la nature hu
maine dans leurs écarts. La Loi punit ;
l'homme vertueux tremble. Périſſe celui qui
mépriſe ! Sophie le plaignit; les Américains
même l'avoient plaint. Sophie l'aima ; elle
exiſte encore pour l'aimer.
GJ
134 MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
Le mot de la Charade est Tourne-Broche ;
celui de l'Enigme eſt Or; celui du Logogriphe
eſt Epi.
CHARADE.
MApremière a fix Scoeurs , filles de l'Harmonics
Parma ſeconde , Eglé vous êtes obfcurcie ;
Où vous conduit mon tout , je paſſerois ma vie.
(Par un enfant. )
ÉNIGME.
DE mes frères , Zulmé, le plaifir le plus dotix
Eſt d'être, ainſi que moi, fans cefle auprès devous.
S'il en eſt parmi nous qu'on taxe d'inconftance ,
Ceux que vous captivez ne peuvent plus changer :
Sans vous ils connoîtroient la froide indifférence ;
Croyez que c'eſt pour euxque fut fait l'art d'aimer.
Vous nous en cachez un qu'on cherche & qu'on
défire ,
Apouvoir l'enlever , chacun de nous aſpire.
DE FRANCE.
155
Quoique frères, Zulimé, nous ſommes tous rivaux ;
Nous cherchons le bonheur pat la même carrière ,
Nous combattons ſouvent fans haine &fans colère,
Et nous en voulons tous à l'auteur de nos maux .
(Par M. de Vig... Lieutenant de Vx. )
LOGOGRIPH Ε.
Ou 1 , mes amis , venez à la campagne ;
Là, ſouvent, par la table , on charme ſon loifir ,
Et fi l'on n'y boit pas tous les jours du Champagne,
Avider mes cinq pieds on a quelque plaifir.
Il faut bien quelquefois vivre un peu de ménage .
Entre amis , eſt-il vrai ? c'eſt la bonne façon ;
Etmon individu rempli dans la maiſon ,
Quoique donné fans beaucoup d'étalage ,
Souvent , en paroiſſant , inſpire une chanſon .
En ine décompoint vous me voyez en Suifle ;
Et fi dedans Paris vous conduiſez vos pas ,
Vous m'y voyez le Mardi-Gras ;
Enfin en metaillant je puis rendre juftice
AuxHéros après leur trépas.
(ParM. Prevost de Montigny. )
G6
I156 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
CONTES , Fables & Sentences tirés de
différens Auteurs , avec une Analyse du
Poëme de Ferdouſſy ſur les Rois de
Perfe; par le Traducteur des Inſtituts
Politiques & Militaires de Tamerlan. A
Paris , chez Royez , Libraire , quai des
Augustins , près le Pont-Neuf.
M. LANGLÈS , Auteur de cette Traduction
, eſt le même , comme le titre l'annonce
, qui nous a donné, l'année dernière ,
les Inftituts de Tamerlan , traduits de la
Langue Perfane , & qui a compofé , d'après
les Auteurs Orientaux , une vie de
ce Conquérant ; le même qui fait imprimer
un Dictionnaire Tartare - Mantchou ,
dont les Savans connoiſſent & eſtiment le
Prospectus ; le même qui a fait une nouvelle
Traduction du Gulistan de Saadi,
qu'il s'apprête à publier ; le même encore
dont on annonce une édition des Voyages
de Chardin ,avec des Notes puiſées , en
partie , dans la Littérature Orientale, &
une Analyse raiſonnée de tous les Voyages
faits en Perſe par les Européens. Ce LitDE
FRANCE.
157
térateur , déjà diſtingué entre les Savans
par ſon érudition & le nombre de ſes travaux
, n'a pas encore vingt quatre ans.
Les mines de la Littérature Orientale ,
dont il a déjà fondé pluſieurs filons , lui
ſemblent fécondes en richeſſes , & quand il
s'exagéreroit à lui - même l'abondance de
leurs tréſors , ce préjugé lui est néceſſaire
pour ſoutenir ſon courage. Il voit tous les
genres exercés , avec plus ou moins de ſuccès
, par les Arabes & les Perfans. L'Hiftoire
ſeule , dont l'exactitude fait le premier
mérite , qui ne doit connoître d'autres
moyens de plaire qu'une élégante ſimplicité
, & dont les ornemens doivent euxmêmes
reſſembler à la Nature , eft peu
faite pour l'imagination exaltée des Orientaux
; ils croiroient ramper humblement
s'ils n'élevoient pas leur vol juſqu'aux régions
éthérées. La vériré leur paroîtroit
fans charines , s'ils n'enveloppoient pas ſa
belle nudité ſous les parures de la Fable.
D'étonnantes expéditions , des révolutions
effrayantes, de ſanglantes guerres, des vertus
&des crimes énergiques , offrent de riches
matériaux à leurs Hiſtoriens ; mais ils ne
les raſſemblent que pour les mêler confufément
avec tous les menſonges que leur
imagination peut enfanter. La Nature leur
a donné le talent d'exceller dans les Contes ,
&ils portent ce talent dans l'Hiftoire.
,
» Si le Syſtême politique de l'Afie , dir
>> M. Langles , a fait naître l'Apologue, c'eſt
158 MERCURE
>> le climat & le caractère même des Na-
» turels qui , chez eux , a créé la Poésie.
» Dans ces délicieuſes contrées , où l'hom-
>> me trouve aisément à ſatisfaire ſes be-
>> ſoins phyſiques , il peut ſe livrer tout
- entier à la méditation ; la campagne offre
> à ſes yeux des beautés que ſon coeur eft
- digne de ſentir; les charmes d'un sèxe
» qu'il commence par adorer , & dont il
ود
finit preſque toujours par ſe rendre le
tyran, ſans jamais ſavoir le gouverner ,
" éveillent chez lui une pafſion trop facile
» à enflammer ; le concours de tous ces ob
>> jets inſpire des ſentimens qui ne peuvent
» s'exprimer dans un langage ordinaire.
" L'eſprit travaille , l'imagination s'exalte,
>> la voix prend un accent animé ; on cher-
>> che des expreſſions rapides , cadencées ,
>>capables de rendre les tranſports que
>> l'on éprouve : on ſent le beſoin d'être
➤ Poëte , ou plutôt on l'eſt par inſtinct. La
>>vivacité de ces ſenſations a dû engager
>> l'homme à trouver un idiome pour les
>> exprimer : il eſt donc très-probable que
>> les Orientaux ont fait des vers avant que
» d'écrire en proſe ".
C'eft donc auffi l'amour qui , le plus
ſouvent , leur inſpire des vers. Leurs Elégies
touchautes ont une teinte de mélancolie
qui pénètre juſqu'à l'ame. Conſacrées
le plus ſouvent à peindre les aimables foibleffes
d'un coeur tendre , elles s'ennoblifſent
quelquefois en célébrant l'homme ver
meux qui n'eſt plus.
DE FRANCE. هرو
Un genre dans lequel les Arabes & les
Hébreux ſe ſont diftingués , eſt celui des
louanges , que nous appelons Preaumes ,
parce qu'on les chantoit en s'accompagnant
de l'inſtrument, que lesGrecs nommoient
Pfaltérion. M. Langlès n'en a pas traduit ;
mais il ſemble qu'on peut rapporter à ce
genre un morceau qu'il a traduit de Ferdouſſy
, l'Homère des Perfans.
"
» Jamais le brillant printemps n'a vu ;
il ne verra jamais un pareil Monarque.
» Sa Cour , ſemblable au firmament , eſt
>> un lieu de délices, dont la terre ſent
>> l'ambre , les pierres font d'or , & il y
>> règne un agréable printemps. Son front
>> toujours riant fait le bonheur du
>> monde ; point de colline auſſi élevée
>> que fon palais , point de verger auffi
ود
vaſte que l'eſtrade où il s'aſſied. Quand
>> je m'approchai de ce Monarque , ſa tête
>> ſembla ſe confondre parmi les étoiles ;
>> il avoit un Eléphant à ſa droite , & un
" Lion à ſa gauche ; l'Univers lui ſervoit
>> de marche-pied ; l'Eléphant portoit un
>> trône d'or ſur ſon dos , le cou du Lion
» étoit orné d'un collier précieux. Dans
» l'excès de ma joie, je m'avançai vers ce
>> Prince incomparable , & je vis alors un
trône enrichi de pierres précieuſes , &
fur lequel étoit aſſis un Monarque beau
» comme la Lune: ſes cheveux avoient la
>> couleur du muſc , & ſes joues reffem-
> bloient aux feuilles de la roſe ; fon coeur
ود
ود
160 MERCURE
>> aimoit la juſtice , & fa bouche diſoit la
vérité .
Un morceau de même Poëte nous peut
faire connoître l'Elégie Orientale. » Voici
>> le temps de boire le bon vin ; mainte-
>> nant les collines exhalent une délicieuſe
"
"
ود
"
odeur de muſc ; la roſe bien épanouie ,
» orne les jardins ; les montagnes font
>>tapiſſées de tulipes & de jonquilles ; le
Roſlignol gémit au fond des vergers :
ſenſible à ſes plaintes , la roſe ouvre fon
calice parfumé. Le chantre des boſquets
» gazouille dans l'obſcurité de la nuit ;
mais le vent & la pluie refferrent la
roſe : je vois la tempête ſortir du ſein
des nuages , & je ne fais à quoi attribuer
la triſteffe du Roſſignol ; car il badine
ordinairement au milieu des par-
>> terres , & déploie ſa voix harmonieuſe
» en ſe balançant mollement ſur les bran-
ود
ود
N
ود
ود
"
"
ches des rofiers. Comprends - tu ce qu'il
dit ? ſais - tu ce qu'il cherche ſous les
feuilles de la roſe? Fais ta cour à l'Aurore
, & tu pourras entendre le Roffi-
>>gnol s'exprimer dans une Langue auſſi
douce que le Pelhvi; il gémit ſur la
>> mort d'Asfendiar : Mon Prince , dit - il ,
m'eſt enlevé « .
"
ود
C'eſt ordinairement l'intérêt qui inſpire
les Preaumes. On célèbre le Prince ou le
Grand de qui l'on attend des récompenfes.
S'il ne ſe montre pas généreux , l'avarice
du Poëte s'irrite & lui dicte des fatires. Un
DE FRANCE. 161
but moral ne répare pas , comme chez les
Européens , ce que ce genre a d'odieux ;
les Orientaux le montrent dans toute fon
horreur.
Ils ſe plaiſent à la Poéſie deſcriptive ,
dont les beautés fatiguent bientôt , quand
elles n'empruntent pas les charmes du ſentiment.
D'ailleurs ils ont un grand défaut ,
qui n'est pas toujours étranger aux Poëtes
de l'Europe ; c'eſt de chercher leurs images
trop loin du ſujet. Ferdouſſy veut-il peindre
un Guerrier que n'épouvante pas le
nombre des ennemis ? » Barzou fixa , dit-il ,
» ces dix Cavaliers comme un lion fu-
>>rieux prêt à fondre ſur ſa proie. Il frappa
des mains , ſe couvrit de ſa cuiraffe bril-
>>lante, ceignit ſon baudrier d'or , & pofa
ود
" ſur ſa tête un caſque ; enfin il tira
> une flèche de ſon carquois. Tantôt il ſe
» penchoit en avant ſur ſon courſier ; tan-
>> tôt il paroiffoit immobile comme une
montagne. Armé de ſa longue lance & "
ود de fon fabre éclatant comme le diamant,
> il portoit des coups auſſi rapides que la
» pluie qui tombe du ſein des nuages. En
" voyant ce Guerrier invincible ainſi cou-
>> vert de ſes armes , vous eufliez dit : Voilà
" le Firmament qui brille dans toute ſa
>> ſplendeur. Il pouvoit encore ſe compa-
" rer à ces torrens qui coulent dans les
>> premiers jours du printemps ; enfin vous
l'euffiez pris pour un arbre de fer , lorf-
>> qu'il étendoit ſes deux bras comme les
>> rameaux d'un platane ".
ود
162 MERCURE
Le même Poëte nous montre-t-il la belle
Frankis , apprenant le complot formé par
fon barbare père , pour faire périr le jeune
Siavèche , ſon époux ? » Elle arracha , dit-
>> il, les jacinthes de ſes cheveux avec une
ود douleur inexprimable , &dans fon dé-
>> ſeſpoir , cette jeune Princeſſe meurtrit
• ſon tendre ſein; elle difperfa le muſc.
.de ſes treſſes ſur l'ivoire de ſon beau
ود front. Les fources qui couloient de ſes
- yeux inondèrent les tulipes de ſes joues ;
l'infortunée verſoit des torrens de larmes
>> en penfant au cruel deſſein d'Afrafiab ".
Les richeſſes poétiques que nous ont légućes
les Grecs & les Romains , celles que ,
depuis la renaiſſance des Lettres , out créées
les modernes Habitans de l'Europe , peuvent
nous rendre indifférens aux tréfors
poétiques des Orientaux : » Mais , dit M.
Langlès , l'Aftronomie, la Atédecine , la
Chimie , l'Hiſtoire Naturelle , dont les
branches font ſi nombreuſes , ont éré
cultivées avec ſuccès en Afie. Il fuffit
de jeter les yeux ſur le petit nombre
>> d'Ouvrages Orientaux , traduits & pu-
>> bliés juſqu'aujourd'hui en Europe , &
ور
ود
"
ود
ود
2 de parcourir l'excellente Bibliothèque
» Orientale de M. d'Herbelot , l'immenfe
» Catalogue des Manufcrits Arabes de la
>> Bibliothèque de l'Eſcuriale , celui de la
>>Bibliothèque du Roi , &c. on verra combien
ces tréſors renferment de richeſſes ود
ود dont nous ne ſommes pas méme tentés
» de profiter ".
DE FRANCE. 163
lh
185
ن ا
Le Recueil que nous annonçons auroit
peu de prix , fi les morceaux qui le compoſent
étoient traduits de l'Italien ou de
l'Anglois ; mais ils piquent notre curioſité ,
& nous inſpirent même une forte de vé
nération , parce qu'ils font l'ouvrage de
Peuples éloignés de nous : Major è longinquo
reverentia. Peut- être même , en parcourant
ces Poéſies , nous livrons - nous
moins au plaifir de la lecture , qu'à la fatisfaction
ſecrète de voir que nous pofédons
une perfection de goût qui manque
aux Habitans de la plus belle des parties
de notre Globe. Une vérité peu glorieuſe
pour l'eſpèce humaine , c'eſt que notre
melignité n'eſt pas la ſource la moins abondante
de nos plaiſirs . 1
Lorſque nous finiſſions cet Extrait , M.
Langlès a publié une nouvelle Traduction ,
intitulée : Ambaſſades réciproques d'un Roi
des Indes , de la Perfe , & c . & d'un Empereur
de la Chine ; traduit's du Perfan ,
avec la Vie de ces deux Souverains , & des
Notes tirées de différens Auteurs Orientaux
manufcrits & imprimés.
Cet Ouvrage ſe trouve chez le même
Libraire.
164 MERCURE
PROJET d'Edit pour la reftauration de
la Choſe publique, la Convocation régulière
des Etats-Généraux, & c. Ouvrage
précédé des Lettres adreffées à Leurs
Majestés ; & fuivi de l'esquiſſe d'un Code
uniforme pour tout le Royaume ; par
l'Auteur de l'Abus & des Dangers de
la Contrainte par corps. In-8 ° . de 115
pages. A Paris , chez Royez , Libraire,
quai des Augustins ; Lejay fils , rue de
l'Echelle ; & Gattey , au Palais-Royal.
En rendant compte des abus & dangers
de la contrainte par corps , nous avons dit
qu'il étoit à ſouhaiter que les vûes de M.
Ducloſel puſſent être de quelque poids
aux yeux du Chef ſuprême de la Juſtice ;
le dernier Ouvrage qu'il vient de donner
ne mérite pas moins d'être accueilli.
Il renferme des projets de Loix ſur le
Droit public & civil du Royaume ; ces
Loix ſont précédées de deux Lettres adrefſées
à Leurs Majeftés, &d'avertiſſemens qui
fervent d'introduction à l'Ouvrage.
M. Ducloſel , en parlant du danger de
rendre un ſeul Tribunal Juge en premier &
en dernier reſſort , s'exprime ainſi ... » L'ex-
➤ périence a prouvé que dans les Tribunaux
DE FRANCE.
165
>> les mieux compoſés , les Magiftrats trop
> ſouvent y adoptent une même opinion,
>> y font dominés par la même influence.
>> Les Parlemens même n'ont pas toujours
>> été exempts des funeſtes effets d'une pre-
>> mière effervescence , de l'épidémie des
» préjugés d'état , ou de l'aſcendant oppref-
>> ſeur d'une cabale dominante ; & s'il ne
>> faur taire aucune vérité à Votre Majesté,
>> j'avouerai que les Calas auroient été dif-
>> ficilement abſous à Toulouſe , la fille
" Salmon à Rouen , & les Accuſés de
>> Chaumont au Parlement de Paris .....
> Au moins , ajoute M. Ducloſel , dans
ود les Cours ſouveraines , le nombre des
>> Magiſtrat eſt tel, qu'il en eſt toujours
>> quelques-uns qui ſe rendent fingulière-
>> ment recommandables par l'étendue de
>> leurs lumières , l'austérité de leurs prin-
>> cipes , l'éminence de leurs vertus ; la
"
, ience alors en impoſe à l'ignorance
» & la probité ſert de frein à l'homme le
> plus cupide “ .
M. Duclozel parle enfuire de l'namovibilité
des offices , & il penſe qu'il ne
devroit pas y en avoir d'autres que celle
qui aſſure au Juge choifi & nommé par
fes concitoyens , le libre exercice de ſes
fonctions pendant le temps marqué par
laLoi.
» Cette inamovibilité eſt la ſeule qui
>> foit déſirée par tous les ordres de l'Etat ,
166 MERCURE
" la ſeule qui ait été connue dans l'Em-
>> pire Romain , la ſeule qui préſerve
>> l'Ang'eterre d'un entier aſſerviſſement,
رد la ſeule qui puiſſe garantir à vos Peu
>> ples P'adminiſtration impartiale de la Juf-
» tice ".
M. Ducloſel termine cette Lettre au Roi,
en obfervant qu'il n'eſt qu'un ſeul moyen
de remplir les vues de Sa Majefté pour la
formation des Etats - Généraux , c'eſt de
rendre cette Allemblée telle , qu'elle repréſente
véritablement la Nation.
"
M. Duclofel donne à la ſuire de cette
Lettre , un avertitlement dans lequel il obſerve,
que ſi la venalité des charges étoit
>> fupprimée , les Magiſtrats qui font vraiment
recommandables par leur application
, leurs lumières & leurs vertus ,
fcroient non feulement continués dans
leurs fonctions , mais même nommés
» aux premières places de l'Etat : l'amovibilité
n'eſt donc redoutable que pour des
» Juges ignorans ou prévaricateurs ; ils
ne méritent pas , dit l'Auteur , que je
» m'occupe d'eux " .
رد
"
"
M. Duclofel donne enfuite ſon projet
d'Edit, pour lequel nous renvoyons à l'Ouvrage
même. Quel qu'en ſoit le ſuccès ,
nous fommes afflurés que nos Lecteurs diront
avec nous : C'est au moins le rêve d'un
bon Citoyen,
E 167 DE FRANCE .
nue dans
ÉTRENNES du Parnaffe , pour l'année
11789 ; par M. VARON. A Paris , chez
Lezeca
Ra
P. N. Durand fils , Lib , rue Galande ,
N°, 74.
On pourro't comparer les Recueils de
Pièces fugitives qui reparoiffent périodiquement
, à ces lieux publics dont les honnêtes
gens font convenus de faire leur rendezvous.
Tant qu'on a le ſoin de n'en permettre
l'entrée qu'à des perfonnes faites pour être
admiſes,en bonne compagnie,
Aged
la
compole
sy
tout ce qui
rend avec plaifir , la fouley
abonde, les Affemblées y font ordinairement
brillantes, Mais ſi la négligence en bannit
野標語Pordre des bienfeances , fi on y laiffe indiffereminent
s'introduire tout le monde :
ABA
bientôt
le
dégoût
, la fatigue
, la
crainte
d'être
compromis
engagent
la
claſſe
la
plus
diftinguée
des
Citoyens
à
s'en
retiner
pour
jamais
; &
les
mêmes
lieux

l'on
voyoit
journellement
le réunir
tout
ce que
la beauté , la richeſſe, lubenité , les graces
& la jeunelle avoient de plus éclarant &
de plus aimable , font abandonnés & déferts
, on ex.lufivement livrés à la tou be
qui les déshonore . Nous crayons la comparaiſon
juste , & le fort des Enennes du
Parnaſſe ſuffit pour en prouver la jufteffe,
Cet Almanach, qui le premier a rivaliſé ce168
MERCURE
lui des Muſes , a eu un certain ſuccès pendant
quelque temps; mais s'il a perdu inſenſiblement
tout ſon crédit , c'eſt moins
pour avoir eu , peut- être , autant de Réda
teurs que d'années , que pour avoir été l
vré à une horde d'Auteurs médiocres &
barbares , dont les noms ou obfcurs , ou
malheureuſement trop connus , ne pou
voient inſpirer que le dédain & le mépris.
Telle eft , finon la feule , au moins la principale
cauſe pour laquelle les Gens de Lettres
& les Amateurs de Littérature qui ont
un peu de reſpect pour eux , avoient renoncé
, depuis pluſieurs années , à faire
imprimer des morceaux de Poéſie dans ce
Fecueil. Si quelques Auteurs connus,ont
fait exception à la réſolution générale , il
faut en accuſer des raiſons particulières
qu'il eſt prudent de ne point approfondir ,
ou bien l'ennui des importunités.
Cet Almanach , qui, dès l'année dernière ,
a paffé entre les mains d'un nouveau Redacteur
, a paru très -ſupérieur à ce qu'il
étoit depuis longtemps; il faut mêine
ajouter , pour être exactement juſte , qu'il
a changé du tout au tout. On trouve dans
la collection de cette année, quelques pièces
qui avoient déjà été imprimées dans les
Journaux. La plupart d'entre elles ont le
mérite propre à motiver le choix du Rédacteur,&
la préférence qu'il leur a donnée.
Parmi celles qui font neuves pour le Public ,
on en diftingue pluſieurs de M. d'Arnaud.
On
DE FRANCE. 169
On lit avec plaifir une Ode ſur la guerre ,
qui a les formes & les mouvemens du Dithyrambe.
On y trouve de la chaleur , de
grandes images , des oppoſitions heureufes
, mais quelquefois un peu d'abondance,
& des négligences de ſtyle qui frappent
d'autant plus facilement, qu'elles contraſtent
avec des morceaux aufli vigoureuſement
écrits qu'ils font fortement penfes . On y
remarque encore une autre pièce du même
Auteur , qui a pour titre : L'Idylle retirée
à N. M. d'Arnaud ( 1) ſuppoſe que dans un
bocage formé par la Nature , il trouve une
Bergère endormic. Cette Bergère est l'Idylle.
Voici comme eile ſe fait connoître .
Sur des bords enchanteurs , aux rives de la Grèce ,
Mon oeil s'ouvrit au jour ; les Grazes & Vénus
M'abreuvèrent des caux du magique Permeſſe.
Le Dieu des Vers forma mes accens ingénus ;
La fiûte des Paſteurs dans mes mains fut remife ;
Je chantai le Printemps , le filence des bois ,
L'innocente Beauté par le Berger ſurpriſe.
Mes timides accords , enhardis quelquefois ,
Osèrent célébrer & les Dieux & les Rois.
Deces climats heureux , fugitive & bannie ,
J'emportai mes regrets aux champs de l'Aufonie.
( 1 ) M. d'Arnaud ſe diſpoſe à continuer ſes
Délaffemens de l'Hommefenfible , & à donner une
fuite aux Epreuves du Sentiment,
Νο. 9. 28 Fév, 1789. H
170 MERCURE
A l'exception de quelques inverſions qui
nous ont paru un peu forcées , toute la
pièce eſt écrite de ce ſtyle ; mais il nous
ſemble que dans les détails que nous venons
de citer , l'Auteur confond I'ldylle
avec l'Eglogue , & quoiqu'elles ſe refferablent
beaucoup , il y a pourtant des différences
connues qui les diftinguent.
Ce qui manque peut-être à l'Almanach
du Parnaſſe de cette année , c'eſt la variété.
En général, les morceaux que le Rédacteur
a recueillis font longs , & d'un
genre un peu ſévère pour le commun des
Lecteurs . Or c'eſt ce commun des Lecteurs
qui occafionne le débit des Recueils annuels
, & à ce titre il eſt eſſentiel de s'occuper
de lui . Cette réflexion a.plus de rapport
avec l'intérêt du Libraire , qu'avec le
goût du Rédacteur , qui eſt eſtimable quoique
très-rigoureux; mais il faut fonger à
tout le monde.
,
Nous engageons les Lecteurs à choiſir
dans ce Recueil une Elégie du Père Venance
, Capucin de Carcaſſonne , qui a
déjà été imprimée dans le Journal général
de France ; un fragment de Barnevelt
Tragédie de M. Le Mierre , ſcène qui nous
ſemble faite pour produire encore plus d'effet
au Théatre qu'à la lecture ; des ſtances
fur Rome , & une Ode fur l'eſprit de conquête,
par le Rédacteur, enfin un fragment
d'un Poëme de Pſyché. Ce fragment , qui
fait défirer de connoître le reſte du Poëme ,
a de la facilité , de la grace, de la fraîDE
FRANCE.
174
cheur; on y remarque de l'imagination &
de la po fie. Donnors en une preuve. L'Au
teur feint que Pſyché, qui a perdu l'Amour,
va s'informer de ſon ſort au ſéjour de la
Renommée. On reconnoîtra fans peine
Poriginal d'un tableau que la Muſe de l'Hif
toire a gravé dans le Palais de la Déeſſe .
Ici de la grotte profonde
D'où les vents fougueux & bruyans ,
Dans les Airs , fur la Terre & l'Onde
Précipitent leurs fifflemens ,
Mugit , s'échappe , roule & gronde
Un ouragan qai , dans le monde
Porte le Démon des Combats
Le fer , la flamme , le trépas.
A travers cette flamme ardente,
Une Reine pâle , haletante ,
S'élance , échauffe ſes ſoldats
Abattus , glacés d'épouvante :
Son fils mourant eft dans ſes bras ;
On croit l'entendre , elle s'écrie :
>> Où fuyez -vous ? ſauvez , ingrats ,
• Sauvez les reſtes de ma vie ,
>>> Sauvez mon fils «. Dans tous les coeurs
Paſſent fa force & fon courage ;
•Sa voix a diſſipé l'orage :
Le jour ſuccède à tant d'horreurs ,
Et la victoire eſt ſon,partage.
Pour citer une Pièce entière , nous choi
!
Ha
172
MERCURE
firons l'Epitre d'un Anonyme à un enfant
âgé d'un an.
Premier fruit d'un premier amour ,
Uncharme attendrifſfant vers ton berceau m'attire;
J'aime à te contempler , comme j'aime & j'admire
L'aube naiſſante d'un beau jour .
Tu dors , aimable enfant ! préſent du premier âge ,
Doux repos que cherche le Sage ,
Calme de l'innocence , inaltérable paix ,
C'eſtl'enfantqui vousgoûte,&l'homme vous ignore!
Tu dors , & ne fais pas encore
Qu'il eſt desmalheureux qui ne dorment jamais.
Pour combiende mortels eft-ce un malheur de naître!
Pourtoi, c'eſt un bonheur. En ce moment, peut-être,
Un fonge qui folâtre amuſe ton fommeil ,
Et devant toi fa't voltiger l'image
Des jeux qui ſuivront ton réveil .
La grace & le fourire animent ton viſage ;
Comme une jeune fleur , ton front s'épanouir.
Eh ! que ne peux-tu voir l'image plus touchante
De ta mère attentive à ta joie inaccente !
De l'erreur de tes ſens , c'eſt elle qui jouit.
Compagne de tes jeux , fa muette tendreffe
Ates bras étendus demande une careffe :
Ton gefte errant la guide , & fa bouche pourfuit
Sur ta bouche enfantine un baiſer qui la fuit.
Si ta main fur fon coeur s'arrête ,
Heureuſe d'un hafard, tout ſon coeur treffaillit,
01

i
DE 173 FRANCE.
Et c'eſt elle encor qui regrette
Le ſonge qui s'évanouit.
Mais déjà les heures rapides
Ramènent le char du Soleil :
Ta mère fur ton front vermeil
Imprime ſes baiſers avides ,
Etſes careſſes moins timides
Ontprécipité ton réveil.
Pardonne à ſes tranſports , à ſes tendres alarmes ;
De ſes embraffemens ne trouble point les charmes ;
Sur lefein maternel , légèrement preffé ,
Dans ſes bras careſſans , mollement balancé ,
Est-ce à toi de verſer des larmes ?
Aton âgeil eft donc des chagrins , des malheurs !
Notre destinée eſt pareille ;
Comme toi , nous vivons bercés par des erreurs ;
Leur perte nous afflige , & nous verſons des pleurs.
L'homme qu'on croit heureux , c'eſt l'enfant qui
fommeille ;
L'infortuné , c'eſt l'enfant qui s'éveille.
ble
Cette Epître reſpire une ſenſibilité aima-
& douce ; il y règne la grace , la molleſſe
, l'abandon mélancolique propres aux
pièces de ce genre. Ceux qui aiment à juger
les objets par comparaiſon , peuvent
rapprocher de cette Epitre , une autre Epiue
à mon fils premier né , par M. de Rozoi
, qui ſe trouve page 317 du Panthéon
littéraire , nouveau Recueil périodique. Ce
H3
174 MERCURE
rapprochement pourra leur prouver d'uris
manière ſenſible , la différence qui exifte
entre le ton du talent naturel , & celui
du faux bel eſprit.
A la fin de l'Almanach du Parnafſe , on
litune Noticede quelques Ouvrages qui ont
paru en 1788. Cette Notice eſt éloignée
de renfermer tous les écrits qui ont mérité
d'être conn s; donc elle eſt imparfaite & à
peuprès mutile. Il y règne d'ailleurs un tonde
Lévérité qui nous paroît très déplacé , parce
que cen'est pas fans preuves,ſansdétails,que
l'on peut fixer ſur unOuvrage le jugement
du Public , qui d'ailleurs eſt déjà prononcé ,
quand les Recueils annuels viennent à
paroître. Ce n'eſt pas que les Notices de
M. Varon reſſemblent à celles de quelques
Ecrivains tranchans & fuperficiels, qui prenpent
le ton leſte pour de la facilité , &des
plaifanteries bonnes ou mauvaiſes pour des
raiſons fuffifantes : elles annoncent au contraire
un homme éclairé , quia , ſur les
Arts , des connoiſſances acquiſes & perfectionnées
par l'expérience ; mais elles arrivent
trop tard pour être néceſſaires ; elles
font trop rapides pour être probantes , &,
comme on l'a dit très-raiſonnablement , en
rendant compte de ce Recueil ( Nº . 10 du
Mercure de France de l'année dernière
page 56 ) : Dans ces fortes d'annonces , il
ور il eſt plus convenable de rapporter l'o-
• pinion publique , que d'énoncer un ju-
> gement particulier ".
DE FRANCE.
1
17
ESSAIfur l'Histoire des Comices de Rome,
des Etats - Généraux de la France,&
du Parlement d'Angleterre. 3 Volumes
in-8°. A Paris , chez Maradan , Libr. ,
rue des Noyers .
CET Ouvrage , attribué à un de nos
meilleurs Ecrivains ( qui ne le défavoue
pas), eſt le fruit de dix ans de lecture &
de travaux ; on y trouve le précis de tous
nos Etats-Généraux , & ce qui eſt plus précieux
, les matériaux de la conſtitution après
laquelle nous ſoupirons , conſtitution qui
ſeule peut régénérer la France , affurer la
liberté civile & perſonnelle , & prévenir
à jamais la dilapidation des Finances .
Perſuadé qu'en des temps difficiles tout
Citoyen doit à ſa Patrie le tribut de ce qu'il
peut ou de ce qu'il fait , l'Auteur a cru
remplir un devoir ſacré, en diſant d'auſtères
vérités qui peuvent affliger, mais quine doivent
offenfer perſonne. Il importe de connoître
les fautes des temps qui nous ont
précédés , afin de n'en point faire de ſemblables.
Depuis que cet Ouvrage eſt ſorti
de ſes mains , il s'eſt élevé des diſcuſſions ,
& il s'eſt paflé des événemens relatifs aux
Etats-Généraux , & qui font pourtant étrangers
au but que l'Auteur s'eſt propoſé dans
ce Livre. Fait fans eſprit de parti , il n'eſt
H4
176 MERCURE .
propre à aucun parti. Ce n'eſt point un
Factun ; c'eſt une Hiſtoire. Elle ne convient
qu'à l'homme ſage qui ne cherche
que la vérité , qui ne détire que le bonheur
public,&qui ne mêle à cette recherche ni
intérêt particulier , ni paſſion , ni faction .
Elle peut fur-tout comparer les ſiècles &
les moeurs .
Ce grand Ouvrage nous paroît fur tout
utile & législatif pour les Repréſentans
auguſtes de la Nation. Tous les cahiers préſentés
à tous les Etats , tous les Difcours
des trois Ordres , les Harangues , les Plaidoyers
, y font analyſés oratoirement , &
peuvent fervir , finon de modèles , du
moins de directions dans la marche des
grandes affaires que l'eſprit d'analyſe peut
feul claffer , abréger & finir. Le troifième
Volume eſt terminé par cent pages trèsphilofophiques
ſur la conſtitution d'Angleterre.
On y verra ce qui lui cſt propre , &
ce qui peut nous être commun. Cet Effai
eft , avec l'Ouvrage de Delolme , & les Lettres
philofophiques fur P'Hiſtoire d'Angleterre
( 2 Vol. in- 8 °. ) , ce qu'on peutdire
de plus fort & de mieux fait fur tout ceci.
Le règne des Pamphlets paffe enfin; les Livres
folides , les recherches comparées ,
notre Hiftoire préſentée ſous fon vrai point
de yue , & à la manière de Condillac &
de Mabli , voilà la pâture qu'il faudra dé .
formais à nos eſprits , s'il est vrai que le
patriotiſme décide enfin leur maturité, après
DE FRANCE. 177
l'enfance de mille ans que l'Europe nous
reprochoit.
SUPPLÉMENT au Traité Elémentaire fur
l'Art de peindre en miniature ; par M.
VIOLET , Peintre en Miniature , Profeffeur
de Deffin des Elèves du Génie ,
de l'Artillerie & de la Marine , Membre
de pluſieurs Académies ; in- 12 . Prix,
1 liv. 10 f. A Paris , chez l'Auteur ,
rue Chaussée-d'Antin , vis- à- vis l'Hôtel
Monteffon ; Guillot , Libraire , rue St-
Jacques ; Bailly , rue St-Honoré ; & au
Palais - Royal.
Nous avons annoncé dans le Nº . 28
de çe Journal de l'année dernière , le
Traité dont l'Auteur publie aujourd'hui un
Supplément; nous avons donné des éloges
à l'Artiſte qui ſavoit ſi agréablement définir
& développer les principes de fon
Art ; rous n'avons point manq: é d'oblerver
qu'il s'exprimoit toujours avec juſteſſe ,
& ſouvent avec grace. Les ſuccès ont répondu
à notre attente : l'Auteur, aiguillorné
tout à la fois par les Amateurs de l'Art
de peindre en miniature,& par ſes Lecteurs,
a cru devoir ajouter à ſes préceptes les développemens
dont ils étoient fufceptibles,
178 MERCURE
& il publie un Traité complet. On trouve
en effet, dans cette nouvelle Production, des
articles qui manquoient à la première , &
des développemens que les autres paroifſent
exiger. - J'ai tâché , dit M. Violet,
de ne rien écrire qui ne fût fondé ſur
la Nature & l'expérience , les ſeuls guides
des Arts. J'ignore ſi j'ai réufli à peindre
tout ce que je ſentois ; mais il me ſemble
qu'un portrait en miniature, fait d'après
les principes raſſemblés dans ce Traité , doit
rappeler ces vers charmans :
Un Elclave empreſſe , frappe , arrive à grands pas ,
Apportant un Tableau d'une main inconnue :
C'étoit moi. Je ſemblois reſpirer & parler ;
Mon coeur en longs ſoupirs paroifſoit s'exhaler ;
Et mon air & mes yeux , tout annonce que j'aime.
L'Art ne ſe montroit pas , c'eſt la Nature même ,
Ła Nature embellie ; & par de doux accords ,
L'ame étoit ſur la toile aufſh bien que le corps.
Une tendre clarté s'y joint à l'ombre obfcure ,
Comme on voit au matin le Soleil , de ſes traits ,
Percer la profondeur de nos vaſtes forêts ,
Et dorer les moiſſons , les fruits & la verdure.
VOLTAIRE , Les trois Manières.
Il ſuffit de parcourir l'Ouvrage de M.
Violet, pour ſoupçonner qu'il eſt rempli de
cette aimable érudition qui eſt ſi propre à
égayer l'imagination active & laborieuſe de
DE FRANCE, 179
l'Artiſte. L'hommage qu'il rend à Voltaire
n'eſt point un hors - d'oeuvre ; c'eſt bien
plutôt une preuve du goût de M. Violet:
pour définir ſon Art , il a ſu emprunter
les expreffions d'un Poëte qui , le premier ,
abienſenti l'union qui exiſte entre les Arts .
Tous les Arts font amis, ainſi qu'ils font divins ;
Qui veut les ſéparer , eſt loin de les connoître ,
a dit Voltaire ; il eût ſans doute ſouri aux
miniatures de M. Violet , qui fait le recommander
d'une manière diftinguée comme
Peintre & comme Ecrivain. Il eſt peu
d'Artiſtes qui aient parlé aufli agréablement
que lui , de l'art qu'ils ont pratiqué. Veutil
définir combien la connoiffance de l'Anatomie
eſt effentielle au Deffin ?- , Elle eft ,
dit- il , pour un Peintre , ce que la Gram- "
ود maire eft pour un Ecrivain. Le genre de
>> la miniature , ajoute-t il , n'exige pas de
lui une étude détaillée de toute l'économie
animale ; mais il doit connoître au
moins l'infertion & les fonctions des
muſcles principaux de la tête ".-Veutil
faire fentir la néceffité d'étudier la perfpective
?- Elle borne , dit il , les écarts
ود
ود
ود
ود
" & les mépriſes qui peuvent donner le
>> change à l'oeil le plus exercé. Ceux qui
trouveront cette étude trop longue , igno-
>> reront long-temps la ſeule roure qui con-
ود
ود duiſe au vrai talent. Le plus beau coloris
>> ne peut effacer ni maſquer les fautes de
H
180 MERCURE
>> deffin . L'Art ne doit devenir habitude ,
>> que quand il eſt bien für d'être toujours
>>> d'accord avec la Nature & la raiſon " .
Ce que M. Violet dit ſur l'Optique , n'eſt
ni moins juſte , ni moins agréablement exprimé.-
Les Peintres les plus coloriſtes,
ود
ود
tels que le Titien , le Corrège , & Wan-
>> dich, ont été ſans doute d'excellens Pein-
» tres ; mais il ne faut pas croire qu'ils le
"
ور
foient devenus ſans s'être attachés à la
théorie de l'Optique. Girardon& Mirès ,
>> qui ont fi bien atteint le vrai , avoient
>> coutume , en tirant d'après le naturel ,
ود
-
de ſe ſervir d'un miroir convèxe , pour
>> mieux arrondir les objets. Une chambre
>> optique ſeroit encore d'un meilleur uſage.
>>La Nature ſemble ſe plaire à s'y repré-
>> ſenter , parce qu'elle ne s'y défigure ja-
» mais ". Nous voudrions pouvoir indiquer
toutes les définitions de l'Art , que
M. Violet amène toujours heureuſement :
mais dans l'impoſſibilité où nous nous
trouvons de le fuivre, nous terminerons
cet extrait par deux citations qui ne paroîtront
point déplacées.-> Amour. Ce terme,
رو
dit M. Violet , ſouvent employé par les
>> Artiſtes , marque l'attention , la patience ,
>>le plaitur qu'ils prennent à faire quelque
choſe Un travail fait avec amour ,
eſt désirable en miniature. Ainfi ce mot
charmssut , dont s'embellit toute la Na-
>> ture , figure heureuſement par-tout , &
>> ſes acceptions , quoique variées , fem-
"
ود
DE FRANCE. 181
>> blent vouloir toujours nous ramener au
>> même but. -Un peu plus bas , il ajoute :
Plus votre miniature ſera petite ,
>> plus elle doit être peinte d'une ma-
> nière tendre par le degré du ton ; que
» la variété des teintes ſoit bien paffée ,
ود
ود bien unie : peignez le plus tendrement
» qu'il fera poflible . - On prendra plai-
>> fir à voir comment M. Violet fait expri-
» mer ſon amour pour l'étude de la Na-
» ture.- Voyons, dit -il , un Artiſte habile
>> travailler d'après elle , & lui faire rece-
>> voir , pour ainfi dire , une ſeconde vie de
ود
"
"
ſon pinceau; c'eſt pour lui que l'Univers
>> déploie toute la fublimité de ſon ſpectacle.
Avec quelle touchante curiofité
fon oeil obfervateur la contemple , pour
en deviner , pour en arracher les ſecrets
» & la faire renaître ſous ſes doigts ....
>> C'eſt pour lui que la terre ſe couvre
>> de moiffons , que les arbres ſe char-
ود
ود
ود
gent des plus beaux fruits ; c'eſt pour
>> lui que l'Aurore vient annoncer l'Aftre
>> majestueux qui la ſuir ; c'eſt pour lui
>> que cette fuperbe cascade répand continuellement
ſes eaux , qu'il faura re-
>> préſenter li parfaitement , que celui qui
" l'examinera croira entendre ce murmure
>> confus qui étonne & effraie même l'i-
>> magination . Voyons encore cet homme
" célèbre s'occuper d'objets plus fimples &
>> non moins dignes de lui , examinons le
>> s'occupant à former une rofe ; le charme
182 MERCURE
ود
>>
que font alent répand ſur ſes Ouvrages ,
» eſt le même partout , il en jouit le
» premier. Avec quelle douce fatisfaction
• il voit s'arrondir ſous ſon pinceau les
>> contours de cette charmante fleur ! quelle
>> fraîcheur ! quel coloris ! l'oeil s'y trompe ;
lui -même a preſque oublié qu'il en eft
le créateur , il croit en reſpirer le parfum
" . C'eſt ainſi que tout eſt jouiſſance
& délices pour l'homme habile qui travaille:
on peut en dire autant de toutes les
Sciences. -M. Violet eſt du nombre des
Artiſtes qu'on doit encourager & eſtimer.
ود
ود
AMUSEMENS Géographiques & Hiftoriques
, ou les Mémoires de M. *** ,
contenant fes Voyages & fes Aventures
dans les quatre parties du Monde? 2
Vol. in- 8 ° ,, ornés de Cartes géographiques
& de Figures. Avec approbation
& privilége du Roi. A Paris, chez Belin,
Lib . rue St- Jacques , près St- Yves ; &
se trouve rue de la Harpe , la 2e. porte
cochère au deſſus de la rue des Cordeliers,
No. 131 .
>>CES Mémoires préſentent les premières
connoiffances de la Géographie avec un intérêt
dont cette Science ne paroît pas en
DE FRANCE. 183
général fort ſuſceptible ". Telle eſt la manière
dont M. Mentalle , Cenſeur Royal ,
s'eſt exprimé en rendant compte de cetOuvrage
à Monſeigneur le Garde des Sceaux ,
ajoutant même , » que c'eſt un Livre d'au-
>> tant plus fait pour être mis entre les
> mains des jeunes gens , que certainement
ود il leur plaira , &qu'il leur inſpirera le goût
>> de faire des études plus approfondies.
Le but de l'Editeur de ces Mémoires a
été effectivement de les inſtruire en les
amuſant . Le Voyageur qui y parle , parcourt
ſucceſſivement les divers pays du
globe , en donne des deſcriptions , des
abrégés hiftoriques, & rapporte ce que chacun
d'eux offre de remarquable : toutes
ces deſcriptions ſont entremélées d'une
** foule d'aventures propres à exciter la curioſité
, de forte que le délir de parvenir
au dénouement , force en quelque forte le
Lecteur à pourſuivre , &, par une ſuite néceſſaire,
à acquérir les connoiffances qui font
le but de cet Ouvrage. La Géographie , qui
ne devroit être qu'une Science d'amuſement,
devient pour beaucoup de perſonnes une
étude fatigante par cette nomenclature fans
findonton commence ordinairement à charger
la mémoire des Elèves; il n'en fera pas de
même en leur mettanten main cesMémoires.
La jeuneſſe avide d'aventures ſe plaira au
contraire à ſuivre un Voyageur qui l'intéreffe.
Sa route étant tracée ſur les Cartes
184 MERCURE
qui font jointes à cet Ouvrage , il leur fera
impoffible de le perdre un inſtant de vue ,
&de cette manière elle ne peut manquer
de retenir tout naturellement ſans travail ,
&, pour ainſi dire , fans s'en appercevoir ,
les noms & les poſitions des différens lieux
dont rend compte notre Voyageur. Si ce
Livre n'entre pas dans ces foudiviſions ou
détails qui appartiennent plus à un corps
complet de Géographie qu'à un Ouvrage
'élémentaire , il n'en fera pas moins fuffiſant
pour apprendre même, ſans le ſecours d'aucun
Maître , non ſeulement les noms &
les poſitions reſpectives des premières diviſions
du Globe , des divers pays que
chacune de ces diviſions renferme , & de
leurs principales villes mais encore la
nature de ces différens pays , l'enſemble de
leurs révolutions , leur conftitution actuelle ,
les moeurs de leurs habitans , enfin ce que
chaque climat offre de particulier.
و
DE FRANCE. 185
VARIÉTÉS.
LETTRE au Rédacteur du Mercure.
MONSIEUR ,
:
L'EMPRESSEMENT avec lequel vous accueillez
tout ce qui tend à l'utilné publique , m'engage
à vous communiquer quelques nouveaux Moyens
que j'ai imaginés pour fubftituer le fer au bois
dans les constructions ; Moyens dontj'efp. qu'on
fenrira facilement tous les'avantages , comme on
a reconnu ceux des planchers en fer , que j'ai la
fatisfaction de voir employer , avec ſuccès , en
fuivant le Procédé que j'ai indiqué , & que vous
avez cu la complaiſance de publier dans un de
vos Numéros.
Le premier de ces Moyens eft de conſtruire en
fonte les barrières qu'on place autour des cours
pour y fervr d'ornement , ou pour garantir les
murs du chec des voitures. La durée de ces barrières
en bois , que le ſoleil fait fendre , & que
la pluie pénètre , n'excède pas huit années : la
peinture qu'on est obligé de renouveler au moins
tous les deux ans , ne les garantit pas de la pourrizure
; au lieu qu'étant de fonte , elles auroient
beaucoup plus de folidité , & feroient bien plus
durables.
Il eſt poſſible de fondre toutes les pièces de
ces barrières dans les mêmes proportions & avec
les mêmes ornemens que celles de bois , tant les
poteaux qui font plantés en terre , que les liffos
qui s'y aſſemblent.
186 MERCURE
Le fecond Moyen eſt de remplacer aufn par
la fonte les marches des eſcaliers de caves , qui ,
en pierre , s'écornent & s'ufent promptement,
fort courir des dangers aux perſonnes qui les
defcendent , & entraînent des réparations difpendieuſes;
on pourroit de même employer le
for fondu pour les premières marches d'escaliers
au rez-de- chauffée, pour les ſcuils des portes , les
foyers de cheminées , les éviers de cuiſine , les
gargouilles , & autres objets d'un ſervice continucl
, pour lesquels la pierre n'eft pas de durée.
Le troiſième Moyen eft très-économique , &
tout aufli avantageux que les précédens pour la
folidité. Tout le monde ſait combien il en coute
de for , de plomb , & de façons , pour armer les
pieds dits des portes cocheres & les piliers des
remifes , & combien cette pratique eſt nuiſible
à la folidité. Je propoſe de placer au droit du
choc des moyeux de voiture , une ou deux affifes
en fonte, dont les noyaux ſeraient remplis en
maçonnerie. Indépendamment de l'économie de
ce Procédé , il en réſultera plus de ſolidité , &
en même temps plus de propreté.
L'Art de la Fonderie eſt tellement perfectionné,
que tous ces objets peuvent aisément ſe mouler
en fante ; & des Artiſtes intelligens , auxquels
j'ai communiqué mes idées , & qui en ont reconnu
l'utilité , ſe chargent de les exécuter ſur
les deſſins que je leur fournirai.
J'ai l'honneur d'être très-parfaitement ,
MONSIEUR ,
Votre , &c. J. P. ANGO ,
Architecte Juré-Expert.
Paris, le 26 Janvier 1789 .
DE FRANCE. 187
SPECTACLES.
THEATRE DE MONSIEUR.
Le temps ne nous penner que d'annon
cer , ſans autre détail , le brillant ſuccès
del Re Theodoro à Venezia , exécuté ſur ce
Théatre le Samedi 21. Ce ſuccès eft dâ
autant au mérite des principaux Acteurs ,
qu'à la grande beauté de la Muſique , qui
a été rendue dans ſon véritable eſprit &
avec les mouvemens de l'Auteur. Nous en
parlerons dans le Nº . prochain.
188 MERCURE
ANNONCES ET NOTICES.
VOYAGES Imaginaires , Romanefques , Merveilleux
, Allégoriques , Amuſans , Comiques &
Critiques ; fuivis des Songes & Vifions , & des
Romans Cabaliſtiques , ornés de Figures ; 16e.
Livraiſon ; contenant le Songe de Boccace , les
Rêves d'Ariftobule , les Songes d'un Hermite , les
Songes & Vifions philofophiques , par M. Mercier.
Certe Collection formera 36 Volumes in - 8°. ,
dont leprixeftde 3 liv. 12 f. le Volume broché,
'avec 2 Planches.
Il paroît régulièrement 2 Volumes par mois.
On continue de s'infcrire pour cetteCollection,
à Paris , rue & hotel Serpente , chez CUCHET ,
Libraire, Editeur des OEuvres de Le Sage , 15 vol.
in- 8 ° . , avec Fig.; de celles de l'Abbé Prévoſt ,
39 vol. idem ; & du Cabinet des Fées , 37 vol.
in-8°. & in - 12 , avec & fans Figures.
OEuvres choisies du Comte de Treffan ; 42.
Livraiſon , contenant, le Corps d'Extraits des Romans
de Chevalerie. 2 Vol . in- 8°. , avec Figures.
Ces OEuvres formeront 12 Vol . in- 8°. , ornés de
Fig. & du Portrait de l'Auteur ; & contiendront l'Amadis
de Gaule , l'extrait de Roland l'amoureux ,
Roland furieux , Corps d'Extraits de Romans de
Chevalerie , Mélanges & OEuvres pofthumes en
vers & en profe , Lettres du Roi de Pruffe , du Roi
de Pologne , & de Voltaire , au Comte de Treflan.
On délivre 2 Vol. de deux en deux mois. Le
prix eſt de 4 liv. 4 f. le Volume broché , avec 2
Ilanches.
On s'inferit à Paris , chez CUCHET , Lib . , rue
& hôtel Serpente ; & chez les principaux Libraires
de l'Europe.
Ыые
gi
L
LP
P
D
le
I
P
DE FRANCE. 189
Remarques fur la Nobleſſe , dédiées aux Affemblées
Provinciales ; par M. Maugard , Généalogifte
; 22. édition , avec Supplément , Dialertations
& Notes biſtoriques ; in- 8°. A Paris , chez
Lamy , Lib. , quai des Auguſtins ; & Gattey , au
Palais-Royal.
Etat des finances de Saint-Domingue , contenant
le réfuiné des recettes & dépenfes de toutes
les Caiſſes publiques , depuis le 10 Novembre
1765 ju qu'au ter. Janvier 1788. Au Port- au-
Prince , de l'Imprimerie de Mezard.
La Pratique du Deſſin de l'Architecture Bourgeoise;
par M. Dupain de Montelfon , ancien Ingénieur
des Camps & Armées du Roi. Brochure
in-8°. de 126 pages. Prix , 2 liv . 8 f. A Paris ,
chez Didot fils ainé , Lib. rue Dauphine.
Histoire de la Décadence & de la chute de
l'Empire Romain , par M. Gibbon , 18 Volumes
in 8°. Prix de chaque Vol. , 5 liv . br. , & 6 liv .
rellé. A Paris , chez Moutard , Libr-Inpr. de la
Reine , rue des Mathurins , Hôtel de Cluni. Traduction
complette .
Nous reviendrons ſur cet important & bel
Ouvrage , qui a obtenu beaucoup de ſuccès en
Angleterre.
,
Education des Femmes ou Cours complet
d'Inftruction . Tome VI , qui contient le tableau
de l'Europe depuis 1095 juſqu'en 1223. Prix de
chaque Volume br. , 3 liv. 12 f.; relé , sliv,
Les Tomes VII & VIII font fous prefle. AParis ,
chez le même Libraire que ci dellus .
Le Voyageur François. Tomes XXIX & XXX,
liv. br. , & 6 liv. rel. Chez le même.
1
190
IERCURE
Odes facrées , par M. de Lagrange. I Volume
in-80 . A Paris , chez Planche , Libr. rue de Richelieu
- Sorbonne.
Nouvel Eloge de M. de Fénelon. In-4º. de 28
pages. AParis , chez Méquignon le jeune , Lib.
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Nouvel Abrégé Chronologique de l'Histoire de
France , contenant les évènemens de notre Hiftoire
, depuis la mort de Louis XIV , juſqu'à la paix
de 1783 , faiſantfuire àcelui du Préfident Hainault;
par l'Abbé des Odoards-Fantin , Vicaire - Général
Embrun . 2 Vol. in- 8 °. Prix br. , 8 liv . ; reliés,
10 liv . A Paris , chez Briand , Libr. , Hôtel de
Villiers , rue Pavée-St-André-des-Arts , Nº . 22 .
Toutes les éditions du Préſident Hainault, ſoit
en deux , foit en trois Volumes , finiſlent à l'époque
de la mort de Louis XIV , année 1715. La
fuite que nous annonçons peut ſervir également
àcompléter les unes & les autres. Le Continuateur
fuit exactement la méthode de ſon illustre modèle
; le papier , le format , & l'impreffion , fent
les mêmes. On trouvera chez le même Libraire
des Exemplaires reliés en écaille , filets , tranche
marbrée , reliure qui a été adoptée pour les trois
premiers Volumes.
L'an 1789 , ou la Vérité au pieddu Trône. In-
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71
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chez l'Auteur M. Porro, rue Tiquetonne, No. 10.
TABLE.
IM-PROM M-PROMPTU.
Vers.
HiftoireduMajor André. 148 Supplément.
145/ Etrennes du Parnoffe. 167
146Efa. 175
17
182
185
156 Théatre de Monfieur. 187
1 4Annonces & Novices. 188
Chorate, Erig.& Logog 154 Amalmens.
Contes , Fabies & Sentences . Mariézés .
Projet d'Edit.
APPROBATIO Ν.
J'AI lu , par ordre de Mgr. le Garde des Sceaux ,
le MERCURE DE FRANCE, pour le Samedi 28
Février 1789. Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe
en empêcher l'imprefiion. A Paris , le 27 Février
1789. SELIS
JOURNAL POLITIQUE
D.E
BRUXELLES.
;
1
ALLEMAGNE .
De Vienne, le 19 janvier.
:
زر
٢٠
ΟN a recu de toutes les parties dela
Monarchie les plus tristes détails des
malheurs occasionnés par le froid. Les régimens
qui se trouvoient en marche pour
leurs quartiers d'hiver , ont horriblement
souffert . Nombre de Soldats ont eu les
doigts , le nez , les oreilles , ou les pieds
gelés.
Le Prince Gundaccar de Colloredo - Mansfeld,
ayant été nommé Vice-Chancelier de l'Empire
par l'Archevêque - Electeur de Mayence , en fa
qualité d'Archi-Chancelier, prêta, le 9 leferment
uſité entre les mains de l'Empereur , en préſence
du Prince de Stahremberg , du Comte de Rofenberg
&du Baron d'Albini. 17
S. M. I. a autorisé ses caisses públiques
à recevoir des capitaux à l'intérêt
de 5 pour cent, pourvu cependant qu'on
No. 6. 7 Février, 1789.
a
( 2)
les laisse à la disposition des caisses pendant
8 ans. Au bout de ce terme , on les
remboursera à ceux qui l'exigeront, après
en avoir fait leur demande six mois auparavant.
On apprend de Linz , que les 2 batall-
Ions deBréchainville, qui y sont arrivés
le 8 de ce mois , sont réduits de 2,800
hommes à318.
DeFrancfort sur le Mein, le 24janvier.
M. Bode , Aftronome de l'Académie des Sciences
de Berlin , a publié l'avis suivant , concernant
laComète que l'on préſume devoir paroître.
«En 1661 , on aperçut une Comête , dont le
cours étoit à-peu-près le même que celui de la
Comète de 1532. Cette circonstance a fait penſer
àpluſieurs Aftronomes que ces deux Comètes n'étoient
que la ſeule & même Comète qui , dans
l'eſpace d'environ 129 ans, achevoit ſon cours autour
du ſoleil , & qui , par conséquent , devoit reparoître
en 1789 ou 1790. Mais une ſemblable
prédiction aſtronomique n'a pas des baſes auffi
ſûres que celle de l'époque d'une éclipſe de ſoleil
ou de lune. Aucun Aſtronome n'ofera certainement
déterminer , avec une certitude entière , l'apparition,
dans tel ou tel mois , d'une Comète prétendue
connue. Pluſieurs Aftronomes doutent que
la Comète de 1532 ſoit la même que celle de
1661 ; & fi leur opinion eſt fondée , la Comète
de 1661 ne reparoîtra certainement pas dans les
années 1789 & 1790. Mais ſi le contraire ſe vérifiait,
il eſt très-probable que cette Comète ne ſeroit
pas viſible à fon troiſième retour. Du moins est-il
certain qu'elle n'approchera pas aſſez près de la
terre, pour être vue au firmament dans unegran
( 3 )
deurtrès-conſidérable , & avec une longue queue ,
que l'on admire ordinairement le plus. Elle ne
paroîtra , nommément en Europe , que très-petite
,& on ne pourra l'obſerver qu'avec des télefcopes.
Cet avis ſuffira pour tranquilliſer toutes les
inquiétudes ſur l'apparition de la Comète prochaine.
Celle obſervée à Paris par M. Meffier , dans
JaGrande-Ourſe , ne peut point être celle dont on
préſume le retour. »
GRANDE-BRETAGNE .
De Londres , le 27 janvier.
Nous avons gardé le silence , depuis
quinze jours , sur l'état du Roi , dans
l'attente de l'examen des Médecins et du
rapport du Comité des Communes. Ce
rapport est entre nos mains , et nous en
avons dévoré la lecture , pour en extraire
la substance . Voici ce témoignage péremptoire
qui réduit à néant toutes les
rumeurs , et qui constate , à la pluralité
de six contre deux , les espérances du
rétablissement , la diminution de la violence
du mal , et, par-dessus tout , les intrigues
que l'un des Médecins a jugé nécessaire
de mêler avec ses recettes. Cet
examen a été fait comme celui des téa
moins appelés l'année dernière à déposer
das l'affaire de M. Hastings. Jamais
Juges d'instruction n'ont employé plus
de subtilités , plus
d'interrogatoires captieux
, plus de digressions indécentes , potr
a ij
1
(4)
surprendre quelques-uns des Docteurs
examinés. Mais , afin d'abréger , nous
supprimons ces hors - d'oeuvres singuliers.
CC
-
Sir Lucas Pepys, examiné le premier , déclara
que Sa Majefté étoit incapable de venir au Parlement
, & de s'occuper des affaires . Le Dépoſant
confervoit les mêmes eſpérances du rétabliſſement
du Roi. Il ne pouvoit néanmoins conjecturer
avec probabilité le terme de la maladie.- Le 27
décembre , il avoit vu Sa Majeſté dans un tel
calme , dans un état ſi approchant de la raifon ,
que , fi les choſes euſſent continué d'aller auffi
bien , les fignes de convalefcence n'auroient pas
tardé à paroître ; mais ces ſymptômes favorables
n'avoient eu lieu que pendant une heure , & depuis
il n'avoit pas vu de ſignes de convalefcence--
SaMajeſté ſe ſaiſſoit gouverner plus aifément ; en
conféquence , il eſpéroit que fon rétabliſſement
approchoit , quoiqu'on n'en vit pas encore de
ſymptômes préfens-- Les perſonnes qui avoient
étudié la maladie particulière de Sa Majesté, en
jugeoient mieux que les autres Médecins.
plus grand nombre des perfonnes affectées comme
Sa ilajefté en guériſſoient. Le 27 décembre , Sa
Majefté s'étoit rappelée d'avoir éré en délire à
Windfor ; mais Elle fut ſurpriſe d'apprendre que
fon délire continuoit depuis trois ſemaines. On
n'avoit jamais eſſayé directement ou indirectement
d'influer fur ſes bulletins. L'orgaſme avoit beaucoup
diminué depuis le dernier examen : en un
mot, il ſe croyoit plus fondé à promettre la guérifon
du Roi. »
-Le
Le R. Docteur F. Willis établit qu'il avoit
de telles eſpérances du rétabliſſement de Sa Majeſté
, qu'il n'en douteroit point du tout , s'il avoit
chez lui une perſonne affectée de la même mala(
5 )
Roi.
die.-Il ne pouvoit aiſigner le terme de celle du
-Interrogé s'il voyoit quelques ſignes de
convalefcence actuelle ; il répondit : « Il y a envi
ron quinze jours que Sa Majesté , en prenant un
livre , n'en pouvoit lire une ligne : aujourd'hui ,
Elle I't pluſieurs pages de fuite , & fait à mon
avis d'excellentes remarques. Au total , je trouve
que le Roi agit avec beaucoup plus de raiſon qu'auparavant
, & en certains cas , auffi raiſonnablementqu'il
eſt poſſible. » Deux ou trois fois lui Willis
avoit refufé de ſigner le bulletin officiel , parce
qu'il croyoit le Prince mieux qu'on ne le diſoit ;
il avoit même exigé , pour donner ſa ſignature ,
qu'ony fit les changemens qu'iljugeoit conformes
àla vérité ; mais dernièrement , à peine avoit il
lu le bulletin : il s'étoit contenté de le parcourir
fans trop examiner s'il étoit d'accord ou non avec
fon avis , & cela de peur d'avoir des altercations
avec ses confrères. Il n'avoit jamais employé
que des raiſonnemens pour leur perfuader de corriger
leurs rapports ; il n'étoit pas bien für s'il
n'avoit pas dit , le 2 janvier , que le changement
indiqué par une grande Princeſſe, étoit trop léger
pour difputer long-temps fi on l'admettroit; d'ailleurs
, ce changement lui avoit paru approcher
davantage de la vérité.-Sa Majeſté étoit hier ,
7 janvier , beaucoup mieux que jamais : les intervalles
lucides avoient été beaucoup plus longs ,
l'irritation infiniment moins violente. Sa Majesté
avoit pu lire ou écouter une heure entière.- 11
regardoit la diminution de l'irritabilité comme un
prélude à des ſymptômes de convalefcence. Le
Roi avoit les nerfs moins agacés qu'il ne les avoit
eus, &les fuites de l'irritation duroient deux fois
moins>.>>>
-
«Le Docteur Marren dit qu'il n'avoit pas vu
de fignes de convalefcence , ni , autant qu'il pouvoit
en juger , aucun intervalle de mieux dans
a iij
( 6 )
-
la maladie, à aucune époque depuis fon commencement.-
Il y avoit quatorze jours que Sir Lucas
Pepys avoit obſervé que le Roi parloit d'une manière
plus raiſonnable; mais cet heureux intervalle
s'étoit tellement évanoui au bout de quelques
heures , qu'il ne doutcit pas que Sir Lucas Pepys
n'eût été trompé parfon zèle. Le Docteur Ifilis
avoit écrit au Prince de Galles des lettres où il
annonçoit un mieux&des progrès de la guériſon ,
que lui Warren ne pouvoit découvrir. On
lui avoit rapporté que le Docteur illis avoit
écrit dans le même genre à M. Pitt, à minuit précis
, le jour du débat dans la Chambre des Communes
; il en avoit parlé au Docteur Willis le
Jendemain matin , & lui avoit reproché d'avoir
donné un faux expoſé ; mais ayant fait des perquifitions
ultérieures , il lui avoit été impoffiblede
ſeconvaincre que le Docteur eût écrit une pareille
lettre; auſſi s'étoit-il empreſſéde lui faire des excufes
d'avoir hafardé une imputation qu'il ne pouvoit
prouver.-il ne ſe rappeloit pas de qui il tenoit
ce faux bruit.-Il avoit eu occaſion de voir les
lettres originales écrites à M. Pitt le jour du débat
&le lendemain ; il y en avoit une du fils du Docreur
Willis , datée de cinq heures & demie du
même jour du débat , contenant un bulletin favorable.-
Quant à l'exactitude , il ne pouvoit en
rien dire , ne fachant pas en quel état étoit alors
Sa Majesté. Il avoit cru néceſſaire de demander
excuſe au Docteur de l'injustice qu'il lui avoit faite,
parce que ce Médecin s'étoit plaint d'avoir été
calomnié par lui.-Il avoit fait toutes les recherches
poffibles , ſans pouvoir découvrir qu'aucune
lettre eût été écrite à minuit; en conféquence , il
en avoit conclu qu'il y avoit eu erreur. Le Lord
Chancelier avoit envoyé chercher chez M. Pitt
toutes les lettres qu'il avoit reçues ce jour-là du
Docteur Willis ;il les avoit vues ainſi que la ré(
7 )
ponſe de M. Pitt.- Au reſte, il ne pouvoit dire
de qui il avoitappris l'existence d'une pareillelettre. »
- Quant à la question faite au Docteur Warren
, ſi on avoit jamais eſſayé d'influer directement
ou indirectement ſur ſon rapport , relativement
à la ſanté du Roi ; il dit : « Le Docteur
Willis fit vendredi dernier un uſage impardonnable
du nom d'une grande Princeſſe ; je dis impardonnable
, parce que je ne faurois me perfuader
qu'il fût en droit de l'employer pour me déterminer
, tandis que je rédigeois le rapport que je
devois envoyer à Saint-James .-Lerapport que
je me propofois d'envoyer étoit conçu en ces
mots : » Sa Majesté a paſſe tranquillement la
journée d'hier. Elle a eu une très-bonne nuit , &
eſt calme ce matin. » Le Docteur Willis ſouhaita
qu'on pût faire uſage de quelque expreſſion qui
indiquât des progrès depuis la ſurveille dans la
guériſon de Sa Majeſté. Je m'y oppoſai , parce
que ma converſation avec le Roi m'avoit bien
convaincu du contraire ;alors le Docteur Willis
me dit : « Il y a un grand perſonnage qui ne fouffrira
pas que les chofes aillent ainfi , & le blâme
en retombera fur vous . » - Le Docteur Reynolds
étoit préſent à cediſcours. Je ne fis pas pour le moment d'obſervations au Docteur Willis ; mais
après avoir encore un peu caufé avec lui fur la
fanté de Sa Majesté , je compoſai avec le Docteur
Reynolds le rapport fuivant: "Sa Majesté a paſſé
lajournée d'hier à-peu-près de la même manière
que laprécédente ; Elle a eu une très-bonne nuit ,
& ſe trouve aujourd'hui comme hier, » Les Docteurs
Reynolds , Willis & Warren ſignèrent ce
rapport. Nous l'envoyâmes , & il nous revint
avec ordre de changer ces mots , « comme hier , >» en ceux-ci : « le mieux continue. » Le Docteur
Warren demanda qu'on lui fit l'honneur de l'ena
iv
1
( 8 )
:
tendre , & fur l'expoſedeſes raifons , on resonça
à employer ces mots: "le mieux continue , » &
ony fubftitua ceux-ci : « Sa Majesté va paſſablement
bien ce matin >>
Second Interrogatoire , le 8 Janvier.
-
Examen de Sir Georges Baker.
-
« Il ne voyoit point de fignes de convalefcence ;
il croy it que la majeure partie des perſonnes
de l'âge de Sa Majesté , attaquées , à cette épcque,
de fa maladie , n'en guériſſoient pas .
Comme Elle étoit reſtée à-peu- près dans le même
état depuis le dernier examen , il ne voyoit rien
qui favorisat les espérances. Il ne favoit pas par
quelle autorité on avoit donné des ordres pour
interdire l'appartement du Roi fans la permitfion
du Docteur illis ou de fon fils; mais le Docteur
lui avoit app is enfuite que c'étoit lui-même
qui avoit écrit cet ordre : rien ne le motivoit
a fes yeux ; du refte , on n'avoit jamais eſſayé
d'influer fur lui , quant à la tèneur des bulletins. »
« Le Doct ur Henry Revell Reynolds dit que Sa
Majefté étoit plus tranquille, plus docile aux conſeils
de fes Médecins, &en général mieux portante ;
toutes circonstances favorables , qui , ſuivant lui ,
condu foient à la guérifon ; mais il ne pouvoit
dire s'il y avoit un mieux actuel , relativement à la
principale indiſpoſition de Sa Majefté ;-ſa durée
the pouvoit pas faire perdre l'espoir , peu de per-
Jonnes ſe rétabliſſant promptement en pareil cas.
-Sa Majesté étoit plus docile depuis une quinzaine
de jours ; - ſa ſanté n'avoit point décliné ;
Elleparoiſſoit alerte & active : en général , la
ſanté corporelle de Sa Majeſté s'étoit améliorée
depuis le mois dernier : il regardoit ce mieux
dans la Yante du corps même, fans un mieux pro(
9 )
portionné dans les facultés intellectuelles , comme
un ſymptôme probab'e du retour de la caifon.
« Le Docteur Thomas Gisborne regarde lafanté
de Sa Majefté comme meilleure qu'elle ne aété
les trois ſemaines précédentes ; Sa Majesté étoit
plus tranquil'e on pouvoit eſpérer d'après ces
ſignes qu'Elle iroit toujours de mieux en mieux.
-Il n'avoit point conno ſſance de remède particulier
adminiftré au Roi par l'ordonnance du Docteur
Willis , ſans la participation de ſes confrères ;
-aucuns d'es remèdes adminiſtrés par les Médecins
de Sa Majesté n'avoient eu les effets défirés ;
-cependant il croyoit aujourd'hui le rétabliſſement
auffi probable que lors de fon examen devant
le dernier Comité. »
« Le Docteur illis , rappelé & examiné pour
la ſeconde fois , déclara qu'il comproit beaucoup
plus fur le rétabliſſement du Roi que lors de fon
premier examen ; il le voyoit en état de prendre
des livres , de faire d'excellentes réflexions ſur ſes
lectures : c'étoit , ſuivant lui , un motifd'eſpérance
ſupérieur à tous ceux qu'il avoit eus avant le der
nier Comité :: vviinngt-ſept années d'expérience appuyoient
fa confiance & fon jugement. ( Ici
le Docteur illis fit Pénumération des remèdes
adminiſtrés à Sa Majeſté ) , c'étoient le quinquina ,
des ſels purgatifs , des pilules altérantes , & une
très-petite doſe de calomelas ;- il étoit très-rare
qu'il mit plus de trois mois à guérir ſes malades ,
il eſpéroit un rétabliſſement beaucoup plus prompt
que lors de fon examen devant le dernier Comité,
parce que les ſymptômes alarmans étoient calmés ,
&que Sa Majeſte ſe trouvoit en état de donner
aux choſes plus d'attention qu'il ne l'auroit eſpéré ,
relativement au peu de temps écoulé depuis l'adminiſtration
des remèdes :- les progrès du rétabliſſement
de Sa Majesté étoient beaucoup plus
rapides qu'ils ne le font en pareil cas.-Le trop
av
( 10 )
d'exercice& de fobriété dans l'uſage du vin. Le
poids des affaires publiques , & le beſoin de repos
avoient caufé la maladie. »
-
« Le Docteur Warren. Il avoit vu Sa Majeſtélire
deux ou trois fois , mais jamais plus d'une ou deux
lignes de ſuite ,& toujours de manière à prouver
fortement le dérangement de tête. Il avoit vu
Sa Majesté hier , 8 janvier ; Elle n'étoit pas mieux
qu'au commencement de la maladie ;-les Médecins
avoient été parfaitement d'accord relativement
aux remèdes & au régime. »
Quatrième jour d'examen , 10 janvier.
-
« Le Docteur Willis. Le repos de Sa Majeté
avoit été troublé par l'entrée indifcrette de plufieurs
perſonnes dans ſon'appartement ; une fois ,
entre autres , le Roi n'avoit pu s'endormir à caufe
de l'arrivée du Docteur Warren ; ill'avoit
pourtant averti qu'il ne falloit pas entrer , parce
que Sa Majesté avoit eu une mauvaiſe nuit ; qu'Elle
venoit de dormir une heure , & que les Pages
croyoient qu'Elle alloit reprendre le ſommeil. - I
n'avoit pas vu alors de raiſon particulière quijuſtifiât
l'entrée du Docteur. Quand il traverſa la
chambre des Pages , M. Braund &M. Compton
s'opposèrent à ce qu'il entrât ; il leur répondit ,
commeil l'avoit déjà fait à lui (Docteur Willis)
qu'il entreroir , PARCE QU'IL ÉTOIT CHARGÉ DE
LES ESPIONNER TOUS.- S'il avoit dit au nom
d'une perſonne très-qualifiée , qu'elle ne ſouffriroit
pasqu'on répandit un bulletin d'une tournure particulière
, c'étoit parce qu'il préſumoit que cette
perfonne ſavoit par les Pages du Roi , qu'il avoit
paflé une meilleure nuit ,& qu'il alloit mieux que
le bulletin ne le portoit.-Quant à l'interdiction
de l'appartement de Sa Majesté fans fa permiffion ,
ou celle de fon fils , il l'avoit écrite & fignifiée
( II )
-
par l'ordre du Lord Chancelier. -Les lectures
étoient du choix du Roi , qui avoit lu davantage
à chaque repriſe , en un jour, qu'il ne l'avoit fait
dans aucun des fix jours précédens. - Sa Majeſte
étoit mieux hier,& avoit coonnttiinnuuéé à donner des
ſignes d'attention & d'aptitude à réfléchir , jufqu'au
temps où Elle s'étoit miſe au lit. S:
M. cauſe ſouvent ſur ſes lectures faites pluſieurs
heures auparavant , & rend auffi-bien compte de
tous les livres qu'Elle a lus avant ou après ſamaladie
, que perſonne au monde le puiſſe faire ;-
il regardoit cette attention à la lecture comme une
marque de convalescence , & un ſigne non- équivoque
d'un prochain rétabliſſement; en un mot ,
il nedoutoit pas que leRoi ne revînt à la raiſon. »
Cinquièmejour , 12janvier...... "
«Le Docteur Willis. -La Reine avoit des
bulletins de la ſanté du Roi à toutes les heures ,
bulletins qui devoient être ſouvent plus favorables
que celui de St-James , qu'on ne délivre que tous
les matins , époque où les ſymptômes ont toujours
été plus mauvais ;-il regardoit le bulletin
de Saint - James comme plutôt défavorable que
conforme à l'exacte vérité. »
« Le Docteur Gisborne. Il avoit vu Sa Majeſté
te vendredi au foir, entre huit & 10 ; Elle jouoit
au piquet avec la Reine , & il y avoit un mieux
ſenſible. "
, Le Docteur Warren , appelé & interrogé
après avoir déclaré que,Sa Majesté étoit dans un
état d'iritation , continua à foumettre au Comité
Pexpoſé de la première confultation que les Mé-
-decins avoient tenue avec le Docteur Willis ,
ainſi que la conduite ſubſéquente de ce Docteur ;
&dit : » Le jour même que j'introduiûs le Docteur
Willis auprès du Roi , j'invitai les autres Méa
vj
( 12)
,
decinsà une conſultation chez moi . On y
établit d'abord en principe, qu'il falloit s'efforcer
d'obtenir par tous les moyens poſtibles le repos
du corps& de l'eſprit , & qu'on écarteroit foigneufement
du Roi tout ce qui pourroit tendre à
letroubler.-- Onétablit également qu'on feroit
ufage d'une ſévérité judicieute,& qu'on fauveroit
au Roi toutes les émotions. --Que quoique
Sa Majesté n'eût manifesté aucune intention d'attenter
à fa propre perſonne , il étoit néanmoins
néceflaire , d'après les violences imprévues auxquelles
ſe portent les perſonnes dans cet état , d'écarter
tout ce qui pourroit donner lieu à quelque
malheur. Le Docteur Willis fut du
même avis cependant , le lendemain même
il mit entre les mains de Sa Majeſté un canif et
un rafoir; je lui demandai comment il oſoit hafarder
une pareille choſe , il répondit qu'ilfrémiffoit
à la feule idée de l'avoir permife. - Le
douze décembre, à ce que l'on m'a dit , le Roi
fit un tour de promenade dans le jardin , & on
lui préſenta quelques-uns de ſes Enfans ;-cela
produiſit une émotion conſidérable , accompagnée
de geſtes qui la prouvoient. - Nonobſtant cet
effet , le Docteur Willis introduifit le lendemain
auprès de ſon Malade , cette perſonne dont nous
ſavons tous que ſes grandes &aimables qualités en
font néceſſairement l'objet des plus tendres &des
plus chères affect ons de Sa Majefté . -L'entrevue
fut courte. Bientôt après le Roi ſe trouva
dans un état d'orgaſme; il fallut ſe rendre maître
du Walade cette nuit-là , pour la première fois , à
ce que je crois , on appliqua également les véſicaroires
cette même nuit. -J'avois toujours été
regardé par la Cour comme premier Médecin, en conséquence
je me croyois particulièrement reſponſable ;
jepenfois donc devoir INSPECTER tout ce qui regardoit
le Roi : peu de jours après , je vis un livre
( 13)
,
entre les mains de Sa Majesté; cela m'affecta
beaucoup , & je me plaignis fur-le-champ au Doct
teurd'une choſe que je regardois comme da gereuſe.
Je ne rapporte pourtant pas l'hiſtoire de cè
livre pour lui en faire un crime, je ſuis perfuadé
qu'il n'a point eu intention de mettre entre les
mains du Roi un pareil ouvrage : c'étoit la pièce
duRoi éar , non dans un volumede Shakespeare,
mais Léar corrigé par Colman , & inféré dans
fon théâtre. Sa Majesté me dit que le Docteur
Willis qui avoit apporté ce livre , &le Docteur
ne le nia pas ; encore un coup , je ne-lui en
fais pas un crime mais cette circonstance me
détermina à exécuter ce à quoi j'avois déja penfé
relativement au Docteur ; car les obſervations de
Sa Majefté fur cette tragédie m'affectèrent finguliè
rement. J'en fis mon rapport au Prince de Gab
-les, qui voulut en cette occaſion , comme il l'a
faitdans toutes les difficu'tés ſurvenues pendant
lamaladie , queje foumiſſe l'affaire au Lord Chan
celier . Le Lord Chancelier vint à Kew , du moins
à ce que je crois , &le réſultat quandje le vis و
fut que les règes de la conſultation devoient être
ſtrictement gardées. Le Docteur Willis a introduit
une ſeconde fois la même grande & aimable perfonne
; j'appris qu'il en éroit réſulté quelques degués
d'irritation perdant la nuit ; mais ayant conclu
, d'ap ès différentes circonstances , que c'étoit
au Docteur illis qu'on avoir laiffé le pouvoir
d'admettre quelques perfonnes auprès du Roi , je
n'en fis aucune plainte. "
1
Sixièmejour, 13janvier.
Le Docteur illis. Il rappela la confultation relative
aux remèdes partica liers , & convint d'avoir
m'sun rafoir & un carif entre les mains du Roi ,
le lendemain ; mais il en donna les raiſons fui(
14)
vantes. -» Il y avoit long-temps que Sa Majeſté
n'avoit été raſée, peut-être quinze jours ou
trois ſemaines , & la perſonne qui étoit dans l'ufage
de le faire , ne pouvoit lui raſer les lèvres.
Je fixai attentivement Sa Majeſté, &, fûr d'El'e en
cemoment, jeſouffris qu'Elle ſe rasât Elle-même ;
alors elle désira d'être entièrement ſavonnée pour
pouvoir faire courir le raſoir fur le refte du viſage ,
ce qu'Elle fit de la manière la plus calme. Le Roi
avoit également beſoin de couper ſes ongles ; d'après
ſon aſſurance , & ma confiance dans l'état de
ſes yeux , je permis qu'il ſe les coupât avec un
canif, mais fans le perdre de vue un inftant.-
Il eſt néceſſaire pour un Médecin , ſpécialement en
pareil cas , d'être en état de juger dans le moment
s'il peut ſe fier ou non à fon Malade ; quant à
moi , je n'ai jamais été trompé , ſoit en acquiefcant,
ſoit en refuſant. >>>-Jamais je ne dis au Docteur
Warren quej'avois friffonné de ma hardieſſe ;
au contraire , je lui affirmai que ces inſtrumens
étoient fans danger entre les mains du Roi .--
Parlant enfuite du reproche d'avoir ménagé à Sa
Majesté pluſieurs entrevues avec quelques perſonnesdela
famille Royale, il dit : >> Je ſuis trèsfur
que ces conférences ne peuvent être trop
fréquentes , parce qu'elles confolent & fortifient le
Malade , en lui fa fant peaſer qu'il eſt avec ſa
familie , & qu'elle s'intéreſſe à lui. Il y a mieux ;
c'eſt que m'étant informé de cet effet à gens guéris
de la même maladie , ils m'ont toujours répondu
qu'ils en avoient tiré la plus grande confolation
, & qu'ils croyoient que cela avoit accéléré
leur rétabliſſement. - « L'entrevue de Sa
Majesté avec la Reine & la plus jeune des Frinceffes
avoit été touchante & affectueuse : le Roi
avoit montré les plus grandes marques de tendreſſe
paternelle à la Princeſſe ,&d'attention à la
Reine, avec laquelle il avoit converſé l'eſpace d'un
( 15 )
quart d'heure. -- Il étoit préſent , mais il
n'avoit pu juger s'il y avoit de l'incohérence dans
lediſcours de Sa Majesté , parce qu'elle avoit prononcé
pluſieurs phrases en Allemand; cependant ,
àla finde l'entrevue , le Roi avoit pris congé de
la Reine&de la Princeſſe , d'une manière fort raifonnable.
Quant à ce qui avoit été dit par le Docteur
Warrenrelativementà la tragédiedu Roi Léar, S. M.
dit le Docteur Willis , me demanda le Roi Léar ,
jelui dis que cela n'étoit pas-à-propos ; il ſe borna
doncà me demander les Comédies de Foote ou de
Colman ; j'ignorois que Colman avoit donné une
édition du Roi Léar , & , dans le fait , je n'avois •
jamais lu les OEuvres de Colman; le Chancelier
ignoroit auſſi bien que moi qu'elles continſſent
cette pièce ; & quand le Docteur Warren m'accuſa
de l'avoir donnée à Sa Majeſté , je crus ne
pas l'avoir fait ,& même je le niai poſitivement.
Comme c'étoit le même jour que le Docteur
Warren m'avoit accufé , de la manière la plus extraordinaire,
d'avoir écrit ce que je n'avois pas
écrit ,& fait pardes vues de politique ce queje
n'avois pas fait , je crus réellement que le Docteur
m'avoit fait une imputation auffi fauſſe dans cette
occafion que dans l'autre. Je fus très-furpris , en
entrant dans la chambre des Pages , de trouver le
Roi Lear dans le troiſième volume des OEuvres
de Colman ; mais qu'il en ſoit ce qu'il voudra , cela
n'étoit pas de conféquence , car Sa Maj. n'étoit pas
alors en état de lire trois mots de ſuite dans aucun
livre. La fin de cet examen tendit à montrer
que Sa Majesté , ſe ſouvenant de temps en
temps qu'Elle étoit Roi , & s'apercevant de fa
détention dans fon appartement , étoit fujette à
des accès de violence qui lui prenoient foudai-
-nement à la plus légère contradiction , & qu'il
--
1
( 16 )
falloit depuis quelque temps beaucoup plus de
précautions pour gouverner l'Auguſte Malade.
Depuis ce rapport , la santé du Roi n'a
pas varié. Les bulletins de St. James
présentent l'uniforme annonce de plus
ou moins de calme , de plus ou moins
deperturbation. S. M. eut, ilya 15jours ,
une nouvelle entrevue avec la Reine , et
montra beaucoup de tranquillité.
La connoissance du rapport des Médecins
aide le Public a apprécier la nécessité
des mesures , que la majorité inflexible
des Communes et des Pairs a
sanctionnées . La délégation de la Régence
, pendant la maladie du Roi , au
Prince de Galles , que le Parlement requiert
de se charger de l'autorité exécutive
et constitutionnelle de la Couronne ,
forme la première Résolution. Les suivantes
ont pour objet les quatre restrictions
suivantes :
1 ° . Le Régent ne pourra élever aucun
Sujet à la Pairie, excepté les Fils de Sa
Maj . , à leur majorité , c'est-à-dire , à 21
ans.
2°. Il ne pourra accorder ni pensions àvie,
niaucunesdes places désignéessous lenom
dePatent-places, ni aucunes survivances
à cesplaces , à l'exception de celles , comme
les,Offices de Judicature suprême ,
constituées par les loix. ( Ces Patentplaces
sont des places dont le brevet est
scellé du grand sceau , ou places par
lettres-patentes.) Toutes les places à vie
( 17)
ont besoin de cette formalité : ainsi le
Régent reste libre dans la concession des
autres graces ou emplois amovibles . C'est
exactement le contraire de ce qu'ont annoncé
laplupart des Gazettes étrangères,
qui se sont absolument méprises sur cet
article. )
3°. Le Régent n'aura aucune autorité
sur les propriétés réellesou personnelles
de la Couronne .
4°. Le soin de la personne du Roi sera
confié à la Reine , qui pourra exercer le
pouvoir de démettre et de nommer les
Officiers de la Maison de S. M. , et celui
de disposer et de régler , comme il lui
semblera bon , tout ce qui concerne le
Roi. Pour l'aider dans ses fonctions , il
lui sera donné un Conseil chargé de l'aviser
au besoin , avec le droit d'interroger,
de temps à autres , les Médecins sur
l'état de S. M.
C'est le 16 que ces cinq Résolutions furent
débattues dans les Communes : nous
avons promis le précis de ces intéres
santes discussions.
Nous ne tenterons point l'analyse détaillée
de ces débats , et nous sommes forcés à
nous réduire à quelques fragmens , entre
autres , duDiscours de M. Pitt. Aprèsque
ce Ministre eut présenté l'état de la question,
il résuma et discuta le rapport du
Comité.
« Quoique les Médecins,dit-il , foient partagés
(18)
furun grand nombre d'articles , ils s'accordent tous
à dire que le retour de la raiſon du Roi eft
auſſi probable que ci-devant; leur différence d'opinion
me paroit tenir à deux circonſtances ; la
connoiffance de la maladie en général , on la
connoiſſar ce du tempérament particulier du malade.
Trois des Médecins de S. M. font verſés
dans la connoiſſance de ſon infirmité; les deux
autresconnoiſſent parfaitement ſa conftitution. Ces
deux derniers , Sir Georges Baker & le Docteur
Warren, foignent le Roi deux heures par jour ,
&les trois autres , depuis le ſoir juſqu'à 1
heures du matin, »
« Or, ceux qui paſſent le plus de temps auprès
de S. M. , doivent être les meilleurs juges de fon
état ; auſſi remarquons-nous que le Docteur
Warren & Sir Georges Baker eſpèrent le moins ,
tandis que les Docteurs Reynolds & Gisborne
augurent mieux , & le Docteur illis , celui de
tous le plus affidu auprès de l'auguſte Malade ,
montre le plus d'eſpérance : Sir Lucas Pepys
établit également dans ſon rapport , des circonftances
qui prouvent la diminution du mal . ».
« Je fais que quelques perſonnes affectent peu
de confiance dans le Docteur Willis ; qu'on me
laiſſe leur oppofer à mon tour , l'intégrité , le
talent , & le bon ſens reconnu de ce Médecin ;
ces qualités ont été prouvées par un examen
ſévère ,& même captieux. Quoi qu'il puiſſe convenir
aux intrigues politiques du temps préſent ,
de répandre des bruits défavorables dans Londres
& ſes environs , je ne veux pas anticiper fur
les réflexions que ces intrigues medonneront peutêtre
lieu de faire un jour. Que le Comité ſache
quel eſt le Médecin à qui convient réellement
l'imputation d'avoir préſenté un faux rapport de
la ſanté de S. M. Si l'on reprochoit à quelque
autre d'avoir influé ſur le rapport des bulletins ,
(19 )
juſqu'à ce qu'on ſe hafardât à l'avancer onvertement
, je ne le croirois pas . Quand je me
ſers du mot de hafarder , ce n'eſt pas relativement
au rang de la PERSONNE qu'ona en vue , mais à
la choſe en elle-même. Non , je ne crois pas que
perſonne ofât ſe permettre aucune imputation
ſur la FEMME reſpectable dont il eſt queſtion ; fur
une FEMME qui , pendant trente années , a donné
dans ce pays l'exemple de toutes les vertus publiques
& privées , dont la calomnie même a
toujours reſpecté la réputation , & qui ne mérite
pas d'être en butte àſes traits , dans un moment
où elle eſt affligée d'une calamité qui frappe rarement
un individu obſcur , & qui sûrement eſt
encore plus amère , lorſque le ciel la réſerve à
une famille dont le chef eſt auſſi celui de la
Nation. »
"Quant au fait en lui-même , le Docteur
Warren est convenu qu'il y avoit un mieux apparent.
Enconséquence , l'auguſte Epouſe de notre
Souverain a défiré que le bulletin pût faire partager
au public ſes eſpérances. Qui ofera foutenir
qu'en ce'a elle a abuſé de l'influence de fon rang ,
pour dicter une choſe injuſte ou peu délicate ? »
« Le premier objet auquel la Chambre doit
pourvoir , continua le Chancelier de l'Echiquier ,
c'eſtà l'inſtitution d'un Gouvernement; du fonds
même & de la nature de cette prévoyance , naît
un autre devoir , & auſſi ſacré , c'eſt de prendre
garde que ces établiſſemens proviſoires n'aillent
au-de'à de l'exigence du cas. Le Comité doit
donner des pouvoirs pour l'exercice du Gouvernement
; il doit auſſi placer ces pouvoirs dans
des mains convenables; mais fur toutes choſes ,
nous devons nous ſouvenir que nous ne plaçons
pas un Roi fur le Trône. N'oublions jamais qu'il
n'est pas vide , & qu'il n'exifte d'autre droit
d'exercer l'autorité royale , que celui qui eſt
(20 )
1
conféré par le Parlement : encore un coup ,nous
devons prendre toutes les précautions néceſſaires
pour ne faire rencontrer ni embarras , ni obr
tacles au poſſeſſeur légitime de l'autorité , s'il
plaît à la Providence de le mettre en état de la
reprendre. "
" Par le droit de créer des Pairs, la Nation
a voulu mettre le Souverain en état de diſtribuer
des récompenfes au mérite émirent , & donner
à la Couronne des moyens de re, forcer l'une des
branches de la Législature ; la création des
Pairs eſt un de ces priviléges qui appartiennent
ſpécialement au Roi. L'acco der au Régent, c'eſt
rendre poffible un abusui perd oitla Chambre-
Haute , qui renver'ero'tla Conflitution nationale ,
feroit dégénérerleGouvernement en Monarchie ,
enOligarchie , ou en Ar ſtocratie Au contraire ,
à moins qu'on ne dût s'attendre à une Confédération
de déſeſpérés, & à une cabale qui ſe fit un
plaiſir de traverſer les mesures priſes pour le bien
public , on ne voyoit pas d'inconvéniens à ôter
pourun temps au Régent le droit de créer des
Pairs; mais il étoit poſſibe qu'il s'élevât une
autre Confédération , une autre Cabale , formant
(comme on l'en avoit convaincue i y avoit peu
d'antées ) le projet de renverſer la Constitution ,
donnant au Régent des avis que la Couronne
auroit rejetés , & l'induisant à créer un tel nombre
de Pairs , qu'il embarraſſeroit le jeu des reſſorts
du Gouvernement,& le Roi lui-même , à l'époque
où il reprendroit les rênes de l'Empire.
La prudence de la Chambre devoit prévoir& prévenir
de fi grands malheurs. »
«Au premier coup-d'oeil , les principes qu'il
avoit établis paroiſſoient ſe borner à une branche
dela Législature. On laiſſoit au Prince le pouvoir
de diffoudre la Chambre-Baſſe; & l'on défireroit
peut-être que les mêmes Communes , qui ont
(21 )
"
prouvé leur loyauté en faveur du Souverain de
Ja Nation, puflent féliciter le Roi de fon rétabliſſement
, ſi le ciel le lui accorde; mais il eft
bon de laiffer au Peuple , fi le Parlement eſt
diflout , l'oceafion favorable de montrer fon jugement
ſur la conduite de fes Repréſentans ; il ne
peut y avoir de danger pour le Souverain à ren-
Membres à leurs Conftituans , fi.le
Régent penſe que ce ſoit une meſure fage & judicieuſe;
car il retrouveroit toujours le même
peuple, dont la loyauté a été ſi évidemment
manifeſtéepar ſesgémiſſe nens univerſels à l'affreuſe
nouvelle de la maladie de S. M. »
voyer ces
: M. Powis, Lord North , le Colonel
Fullartonet M. Sheridan combattirent
le plan général des restrictions .
M. Powys dit : Je m'oppoſe à l'enſemble du
ſyſtême préſenté par M. Pitt; ſyſtême que je regarde
comme une production monftrueuſe , ter-
Cante à mutiler & démembrer l'autorité conſtitutionnellede
la Couronne. LeComité a voté qu'il
étoit de ſon devoir de conſerver l'autorité royale
pleine & entière. Pourquoi le convoque-t-on aujourd'hui
? Pour diffoudre , pour féparer , morceler
cette autorité royale dont il ajure folennellement
la conſervation. Quelle est l'autorité conftitutionnelle
de la Couronne ? Je la prends pour
l'aſſemblage de tous les droits de l'office royal ,
définis par les ſtatuts. Quand , & auquel des trois
Ordres a été afſigné le pouvoit d'accorder des diftinctions
? A la Couronne ; & le pouvoir de la
Couronne émane de la même founce que celui de
la Chambre : c'eſt une partie intégrale du pouvoir
du Peuple. Les Réſolutions ſemeront la difcorde ,
non-feulement dans le royaume , mais même entre
les Membres de la Famille Royale. Ellesarmeront
(22)
lamère contre lefils. Eſt-ce là le moyen de donner
de l'énergie , de la vigueur à notre Gouvernement?
»
«M. Sheridan , après une exorde ſatirique contre
Lord Belgrave , ſe plaignit de la manière dont le
Chancelier de l'Echiquier avoit parlé du Docteur
Warren. Dans des occafions pareilles , dit-il , il
eſt ridicule de s'aſſervir à un cérémonial pointilleux
, & de reſpecter l'étiquette;& je dirai franchement
que , s'il y a ici un témoin qui paroiſſe
prévariquer , c'eſt le Docteur Willis. Quand je l'ai
entenduattribuer la maladie de Sa Majesté à vingtſept
ans d'application , d'abſtinence & de travail ,
&déclarer enſuite que l'auguſte Malade ſe rétabliſſoit
parl'effet d'une médecine qu'il luiavoitdonnée
dans lajournée ( 1) , qu'ai-je dû penſer de l'Eſculape
Willis ? & peut-on garder ſon ſérieux en
l'entendant aſſurer que ſa médecine peut furmonter
en un jour les effets de vingt-ſept années de
fatigue, de vingt-lept années de travaux appliquans
, & enfin de vingt- ſept années d'une fobriété
exceſſive ? Cette aſſertion m'a rappelé nos
Charlatans , guériſſant avec leur baume ceci &
cela , &puis encore le guignon en amour, &leharaffement
produit par les longs voyages de mer. «
»M. Pitt a dévoilé lui-même le véritable motif
de ſa conduite. Il a aſſuré que le Régent changeroit
l'Adminiſtration,& que le Gouvernement tomberoit
entre les mains de gens que le T. H. M.
oſoit accuſer d'une confédération pour bouleverſer
PEtat. Tel étoit le vrai reſſort qu'avoit mis en
jeu le T. H. M. dans toute cette affaire de la
Régence ; & l'on n'auroit jamais entendu parler
(1) Le Docteur Willis n'a pas dit un mot
dans ſon examen de la fottiſe que lui prête M.
Sheridan.
de
cr
du
d
bi
fo
r
C
t
(23 )
N
Ide
21
Jenal
D
de restrictions , fi le Ministère préſent eût pu
croire que leRégent le conſerveroit. Toutela conduite
du T. H. M. étant évidemment calculée
d'après l'eſpritde parti ,& pour fatisfaire ſon ambition
perſonnelle , le T. H. M. avoit plus d'une
fois attaqué inconſidérément ce côté de la Chambre;
lui ne faiſoit pas ſcrupulede déclarer qu'il
regardoit comme la gloire & l'honneur de ſa vie
d'appartenir à ce parti. Il en connoiſſoit le caractère
& les principes ; il ſavoit qu'y être admis
étoit unhonneur que tout homme eſtimable devoit
ambitionner. Etoit-ce une honte d'avoir été
formé ſous le marquis de Rokingham , & d'avoir
combattu avec ſuccès ſous ſes bannières enfaveur
du peuple ? Etoit-ce une honte d'être lié avec le
duc de Portland , homme de qualité , qui n'avoit
été pouſſé ni par les motifs fordides de l'intérêt,
ni par ceux de l'ambition ? Perſonne ne pouvoit
connoître M. Fox ſans êtrefrappé d'admiration à
la vue d'une tête ſi vaſte, d'une ſagacité fi perçante :
onconcevoit fur-le-champ de l'amourpourſesvertus;
on s'atrachoitàluipar principes depatriotisme.Je
ſuis fier,pourſuivit M. Sheridan,dejouir du bonheur
d'être ſon ami , &je demanderai avec confiance
fi le duc de Portland & M. Fox font moins dignes
de celle de leur pays , moins propres au
Miniſtère, parce qu'un envieux plein de lui-même
a affez de présomption pour les calomnier?
«Le T. H. M. n'a pas fait moins de quarante-
huit Pairs dans les cinq années de fonMiniſtère;
cependant il n'avoit jamais entendu dire
que cette grêle de Pairs eût engendré aucune
factiondans cette branche de la Législature (2). »
(2) Nous remarquâmes l'année dernière le peu
de confiance que méritoient les aſſertions deM.
Sheridan ; en voici une nouvelle preuve .Au lieu
( 24 )
«M. Sheridan termina cette ſcène de perſonnalités,
pardes farcafmes fur le pouvoir qui reſteroit
à M. Piut , maître du patronage de laMaiſon du
Roi , & de la caffette de S. M.»
«On verroit,dit-il, l'ex- Miniſtre defcendreprocefſionnellement
à laChambre-Baffe , avec le chapeau
de la liberté au bout d'un bâtonblanc ,' ſuivi d'un
cortège de gens à baguettes blanches & noires ,
renforcés d'une armée de hoquetons , que commanderoient
le Grand- Ecuyer, le Lord Stewart
&leLord Chambellan , occupés à faire faire place
au Généraliffime juſqu'à la tribune où Sa Grandeur
viendroit fièger fièrement. »
Les quatre premières Résolutions ayant
éu la majorité en leur faveur , on remit
à délibérer , le 20 , sur la cinquième ,
concernant le pouvoir de la Reine sur la
Maison de S. M. Les débats ce jour-là
ne furent ni moins longs , ni moins animés
; mais sans tomber dans d'inévitables
répétitions , il seroit difficile d'en rendre
compte. La première partie de la Résolution
, qui confie à la Reine le soin de
son auguste Epoux , n'éprouva pas de
contradictions ; elles furent amères et
violentes sur le projet de laisser à cette
Princesse la disposition des emplois de
la Maison de S. Maj . M. Pitt divisa ces
charges en trois classes ; l'une embrasse
tous les Officiers sous le Grand-Maître;
de quarante-huit Pairs,M.Pitt, depuis 1784 inclufiveinent,
n'en a créé que vingt - cinq. Voyez
le Royal Kalendar de 1789.
la
( 25 )
la seconde , ceux sous le Lord Chambellan
; la troisième , ceux sous le Grand-
Ecuyer. Lord Maitland s'opposa le premier
à la Résolution, et la représenta
comme tendante à remettre aux mains
de la Reine un patronage de 80,000 1.
sterl. , comme annihilant toute responsabilité
des Ministres du Régent , comme
créant un monstre anti - constitution
nel, un quatrième Etat dans le royaume ,
etc. M. Pultney réfuta ces objections ,
et , après lui , M. Bouverie proposa ,
parAmendement, de rejeter la dernière
partie de la Résolution. Milord North
et M. Fox employèrent toutes les ressources
de leur talent à prouver la nécessité
de cet Amendement. Le dernier ,
dans le cours de ses argumens , se permit
de traiter avec le plus grand mépris les
13 Lords de la Chambre du Roi , appelés
Lords Bed Chamber. Ils les nomma
la Garde-Prétorienne des troupes de la
Maison du Roi, serviteurs affidés de M.
Pitt, etc. Le Solliciteur-Général, M.
Wilberforce et le Chancelier de l'Echiquier
combattirentl'Amendement , qui ,
à la levée des suffrages , fut rejeté par
220 voix contre 164. La Résolution ,
telle queM. Pitt l'avoit proposée, fut de
nouveau lue et agréée , ainsi que les précédentes
; il fut arrêté de les communiquer
aux Pairs , en leur demandant une
Conférence.
Le 22 , la Chambre-Haute les prit en
N. 6. 7 Février, 1789. b *
( 26 )
considération. Milord Cambden, Président
du Conseil , ouvrit le débat par un
discours aussi sage que mesuré : « Il rap-
>> pela , entre autres , queles Lords de la
>> Chambreétoient des Nobles que l'ami-
>> tié du Roi appeloit auprès de sa per-
>> sonne , qui partageoient sa conversa-
>> tion , ses plaisirs , sa confiance ; et
>> qu'aux fréquens changemens d'Admi-
>> nistration , on les avoit toujours respecťés
comme des amis choisis par S. M.
>> et qu'Elle seule pouvoit éloigner. Si
>> le ciel lui rend sa santé , ce sera
>> déja pour Elle une vive douleur de voir
>>le Gouvernement en des mains étran-
>> géres à sa confiance. Que seroit-ce , s'il
>> retrouvoit ses amis de longues années ,
>> écartés de sa personne ? Que les nou-
>>> veaux Ministres se conduisent aveczèle
>> et intégrité ; qu'ils augmentent nos re-
» venus , qu'ils avancent notre Com-
>> merce , qu'ils fortifient notre crédit ,
>> qu'ils rehaussent notre considération
>>politique par de sages Traités et d'utiles
>> Alliances ; alors ils ne s'effrayeront
>> pas de l'Opposition possible de 12 ou
>>> 13 Lords . >>>
Deux d'entre eux , les Comtes de Fauconberg
et de Winchelsea exprimèrent
leur indignation des propos qu'on hasardoit
sur le compte des Lords de la
Chambre , et dirent que les insinuations
qu'on s'étoitpermises dans les Communes
ne méritoient qu'un profond mépris. Le
( 27 )
Comte de Sandwich , l'Evêque de Landaff,
les Lords Carlisle et Fitzwilliams
attaquèrent les Résolutions , dont les
trois premières n'en passèrent pas moins
à la pluralité de 94 voix contre 66 ; majorité,
28. L'examen des deux dernières
restrictions fut renvoyé au lendemain.
Dans cette Séance du 23 , les Pairs ont
adopté les cinq Résolutions à la pluralité
de 23 voix. Protêt de la part de la
Minorité ; nouvelle conférence avec les
Communes , le 26. Arrêté de celles-ci ,
sur la motion de M. Pitt , de s'assembler
le mercredi suivant pour voter une
Adresse au Prince de Galles , à qui l'on
offrira la Régence, telle que le Parlement
vicatde lalimiter. Dans peu de jours, probablement,
cette Adresse sera présentée ;
puis le lendemain , on convertira les cinq
Résolutions en Bill constitutif de la Régence.
Cette forme a été dictée au Ministre
par la rumeur générale de l'extrême
mécontentement du Prince. Avant
de passer le Bill , il faut être sûr que Son
A. R. acceptera la Régence .
On a remarqué dans les derniers débats
une aigreur et une violence plus
qu'ordinaires de la part de l'Opposition ,
quoique le Parti ministeriel se soit piqué
d'une constante modération . On ne peut
douter des sentimens du Prince , en lisant
sa correspondance avec M. Pitt, qui s'etoit
cru obligé de lui communiquer le
plande restrictions. La lettre du Mini
bij
( 28)
tre est décente , mais ferme et froide;
on trouve de l'humeur dans celle de
S. A. R. , que la voix publique attribue
à M. Sheridan. Nous manquons d'espace
pour publier aujourd'hui cette correspondance.
Les Négocians et Marchands de Londres
ont présenté à M. Pitt et à la Majorité
des Communes une Adresse de
remercîmens , chargée de plus de 1500
signatures . On évalue à 50 millions sterlings
, les fortunes réunies de ces Signataires
, au nombre desquels sont la plupart
des grandes maisons de commerce
de la Cité. Lancastre , Coventry , les
Comtés deDurham,dAnglesea, Leeds,
Newcastle, etc. etc. , et l'Ecosse presque
entière , ont envoyé au Ministre de semblables
Adresses . Dans une Assemblée
générale du Comté de Devon , il a été
arrêté de présenter une Pétition au Princede
Galles, pour lui demander de conserver
les Ministresactuels, et une Adresse
de remercîmens à M. Pitt.
2
On assure que le premier acte d'autorité
qu'exercera la Reine et son Conseil
sera de congédier tous les Médecins qui
approchent aujourd'hui du Roi, excepté
le Docteur Willis et son fils .
La dernière vente de thé qui s'eſt faite à l'hôtel
de la Compagnie des Indes ,& qui a été fermée le
14 de ce mois, n'ayant pas été affez conſidérable
pour fournir aux Débitans de cette denrée la quantité
dont ils avoient beſoin, les Directeurs ont or(
29 )
donné que , dans la vente prochaine qui commencera
en mars , il en foit expoſé 5,150,000 livres
pefant.
L'Assemblée générale de la Jamaïque
a commencé sa session à St. -Yago de la
Vega, le 4 octobre. Sur la motion de
M. Shirley , il a été nommé un Comité
pour examiner et rendre compte à la
Chambre des allégations et charges contenues
tant dans les lettres de l'Agent
de l'Isle en Angleterre , que dans les
pétitions nombreuses présentées à la
Chambre des Communes d'Angleterre ,
au sujet du commerce des nègres , et de
leur traitement dans les îles à sucre.
Dans le débat qui survint sur la motion
de M. Shirley , M. Redwood fut d'avis
que la Chambre ne devoit point faire
prendre ces informations ; les charges
contre les Planteursétant la plupart mal
fondées , il n'étoit point de la dignité
de la Chambre de les réfuter sérieusement.
Mais cette opinion fut vivement
combattue par M. Edward , dans un
discours fort éloquent , dont voici la péroraison.
>> Notre firation préſente , Meſieurs , eſt
des plus délicates. Nousfomnics accefés & traduits
devant l'un des plus auguftes tribunaux de
l'univers , le Parlement de la Grande-Betagne.
Le Peuple Anglois eft notre accufatear; fes Repréfentars
font nos juges & trois grendes régions
du globe , l'Europe , l'Afrique & l'Amérique,
font ſpettatrices de cette graade, rové ure.
Dans une caute de cette importance , refter muets
,
bij
( 30 )
&aſſurer la conviction par notre filence , celeroit
ſacrifier nos intérêts & ceux de notre pof
térité. Il ne s'agit pas feulementde nos poffeffions
actuelles , il s'agit encore de notre répu ation , de
notre conſidération parmi les Nations de la terre ,
du bien- être de nos enfans , de l'amour & de
l'eſtime de la poſtérité. Si nous abardonnons le
poſte que la Providence nous a afſigné dans cette
époquede notrejugement , nous jouerions le rê'e
de poltrons ou de traîtres ; nous trahirions nos
intérêts & ceux des générations futures. Je ne
doute point que nous ne puiſſions parvenir à
nous en acquitter honorablement. Ilnenousferapas
difficile de nous diſculper de la plupart des calomnes
groſſières que l'on nous a impurées en
Angleterre;&je ſuis perfuadé que ſi nousyproc:-
dons avec modération & avec prudence , le torrent
du préjugé s'abattra , & nos ennemis les
plusdéclarés conviendront que nous avons été
baſſement trahis , & ignominieuſement tratés.
Mais mon ambition s'étend à un objet p'us noble
encore que le mérite d'une ſimple difculpation :
Nous pouvons , Monfieur , & Dieu veuille que
nous n'en perdions pas la précieuſe occafion ,
convertir les cenfu es de nos ennemis en approbation
& en applandiſſemens. Je pense que l'époque
préſente , fi elle eſt miſe à profit , peut de.
venir l'une des plus importantes dans les annales
de l'humanité. I a révolution d'Amérique a autant
contribué à éclairer le morde, & à répandre
par-tout l'eſprit de liberté, qu'aucun des événemens
parei's qui l'ont précédée. La France ,
qui contribua fi fort à fon accompliſſement , s'efforce
généreuſement à profiter de cet exemple.
L'Eſpagne , le Portugal & les autres Nations de
l'Europe , fuivront vraiſemblablement ſes traces.
Ne ſoyons donc pas les derniers à cette glorieuſe
réformation. L'occaſion qui ſe préſente eſt en
( 31 )
core plus favorable aux habitans des îles , qu'à
aucone autre Nation de la terre ; l'humanité-l'approuve
& s'en félicite. Quoique depuis vingt
années on ait beaucoup fait améliorer la condition
de nos eſclaves , tout le monde convient
qu'il reſte encore plus à faire. C'eſt à nous de
travailler ſur ce premier fonds. Nous pouvons , par
notre propre exemple , par une follicitude & une
attention conſtantes , par la furveillance de nos
piqueurs , changer graduellement le caractère de
nos Nègres , corriger leurs vices , adoucir leurs
diſpoſitions , éclairer leur eſprit juſqu'à ce qu'i's
deviennent par degrés propres à recevoir un affranchiſſement
qui , s'il leur étoit maintenant
diſpenſé , cauferoit leur ruine. Un gouvernement
vraiment vertueux & éclairé , s'élève au deſſus du
cercle des conſidérations locales , & confidère
les hommes de toutes les nations , de toutes les
religions , de toutes les eſpèces , comme l'ouvrage
d'un ſeul & même créateur. Nous avons
en notre pouvoir d'augmenter le bonheur de
250,000hommes, du travail deſquels rous tirons
notre ſubſiſtance journalière ; ure nouvelle création
nous eft , pour ainſi dire , confiée. Quel'es
conſidérations plus nobles peuvent échauffer
notre zèle & notre inclination naturelle au bien ?
En conſidérant les choſes même ſous un point
de vue perſonnel , on peut dire que l'homme
humain eſt encore le meilleur politique. Ainfi , en
fatisfaifant l'impulsion de notre coeur , nous ajouterons
à la proſpérité de nos affaires temporelles ,
Pappro
l'approbation des hommes & les bénédictions du
Ciel.
On assure que , depuis , l'Assemblée de
la Jamaïque a revisé les réglemens con
biv
( 32 )
cernant les Nègres, et arrêté les réformes
suivantes.
1 °. Il eſt défendu à tout homme qui poſſédera
un esclave , de le renvoyer lorſque l'âge
ou la maladie l'aura mis hors d'état de travailler
; & il lui eſt enjoint de lui procurer tout
les beſoins de la vie , ſous peine de dix livres
ſterlings pour chaque contravention.
>> 2°. Toute perſonne qui mutilera un efclave
, paiera une amende qui n'excédera pas
100 livres , & fera emprisonnée pendant l'eſpace
de deux mois au plus ; &dans le cas où elle
commettroit à fon égard des atrocités , l'eſclave
fera déclaré libre.
> 3°. Tonte perſonne qui tuera un eſclave
en plaiſantant , ou de ſang-froid , ſubira la peine
demort. «
» 4°. Toute perſonne qui fouettera, eſtropiera ou
bleſſera un eſclave qui ne lui appartiendra pas ,
&qui ne fera pas confié à ſes ſoins , fera aliujettieà
une amende & à la prifon » .
» 5 °. Il ſera levé une taxe paroiffiale pour
le ſoutien des Negres qui ſe trouveront hors
d'état de travailler , foit par le grand âge , ou
par maladie, & qui n'appartiendront à perſonne ».
On prétend que la législature de la Grenade "
s'occupera dans peu du même objet. »
FRANCE.
De Versailles , le 28 janvier..
« Le Duc de la Force , le Comte Charles
de Mailé ,le Marquis de Chaponnay-Morancé ,
e Vicomte de Pins , qui avoient eu l'honneur
d'éire préfentés au Roi , ent eu , le 23 , celui de
(33)
20
PROCE
da
monter dans, les voitures de Sa Majeſté , & de
la fuiyre à la chaſſe, " 9
Le Roi a nommé à l'Abbaye d'Eſſomès ,
Ordre de S. Auguftin , diocèſe de Soiffons ,l'Abbé
de Larfac , Aumônier de Madame Victoire ; à
celle de Doudeauville , même Ordre , diocèse de
Boulogne, FAbbé Digrigny ,Vicaire-général de
Bordeaux; à celle de Senanque , Ordre de Citeaux,
diocèſe de Cavaillon , l'Abbé de Demandols ,
Vicaire-général de Marseille ; à l'Abbaye régulière
de Saint-Sauveur , Ordre de S. Benoît ,
diocele d'Evreux , la dame de Narbonne-Lara ,
Abbeſſe de Saint-Louis de Vernon ; & à celle
de Saint- Louisde Vernon , Ordre de S. Auguftin ,
même diocèfe , la dame de Florian , Abbefle de
Jarcy. "
» Le 25 de ce mois, la Vicomteffe de Pont-
Bellanger & la Vicomteſſe de Moges ont eu
T'honneur d'être préſentées à Leurs Majestés &
à la Famille Royale; la première , par la Marquiſede
Chabanois ; la feconde , par la Marquife
de Caulaincourt , dame pour accompagner Ma
dame Comteffe d'Artois. »
De Paris , le 4 février.
Suivant la Gazette de France , le travail
du Commissaire Joron , sur la population
de la ville et faubourgs de Paris
, pendant l'année 1788 , offre le tableau
qui suit: 20,708 baptêmes , 19,959
morts , 5375 mariages , 5822 enfans-trouvés,
et 122 professions religieuses . Il résulte
de ce tableau que le nombre des
baptêmes excède celui des morts de 749.
La comparaison de l'année 1787 avec
bv
(34)
1788 , annonce qu'il y a eu , en 1788 ,
330 baptêmes de plus qu'en 1787 , 120
mariages de moins , 1820 morts de plus ,
90 enfans-trouvés de moins , et 15 professions
religieuses de plus.
Il s'est tenu des Assemblées des trois
Ordres à Montpellier , et dans plusieurs
autres villes du Languedoc , qui demandent
toutes une nouvelle Constitution
plus représentative des habitansque celle
des Etats actuels. Voici les demandes
des trois Ordres de Montpellier .
« 1 °. Que le Roi ſera ſupplié d'accorder à
la province du Languedoc , une Conſtitution repréſentative
des trois États ou Ordres de la province,
ainſi qu'il a bien voulu l'accorder à la
province du Dauphiné. 2°. Que ſous la vigilance
des Commiſſaires qu'il lui plaira de nommer
S. M. veuille bien autoriſer laprovince du Languedoc
à s'aſſembler en tel lieu que S. M. voudra
indiquer, parDéputés élus librement , pour former
un plan d'adminiſtration , qui ſera mis ſous les
yeux de S. M. 3°. Que dans cette première
Aſſemblée des trois Ordres, le Tiers-Etat aura
un nombre de voix égal à celui des deux autres
Ordres réunis , & qu'on y votera par tête &
-non par Ordre. 4°. Quetout contribuable pourra
être Electeur ou Eligible , de quelque nature que
foit la contribution , ſauf à S. M. à en régler
la cotité,& faufles exclufions qui lui feront propoſées
par l'Aſſemblée généraledes trois Ordres.
5°. Que les trois Ordres contribueront proportionnellement
à toute natured'impoſition ,& qu'il
ſera établi , autant qu'il ſera poffible , une manière
uniforme de répartir l'impoſition. 6°. Que dans
le procès-verbal de l'Aſſemblée des trois Ordres
( 35 )
du diocèſe de Montpellier , il ſera fait une proteſtation
générale contre tout ce que les Etats
provinciaux , convoqués par le Roi pour le 15
de ce mois , pourroient faire ou délibérer contre
les voeux & les droits de ladite Aſſemblée des
trois Ordres de ce diocèſe , & de prier les Miniftres
de prendre ces proteftations en confidération
, & de vouloir bien les remettre ſous les
yeux du Roi. 7°. Qu'il ſera nommé une Commiffion
intermédiairedes trois Ordres du diocèſe ,
pourveiller à ſes intérêts,& entretenir les correfpondances
que les circonstances pourront exiger. »
L'ouverture de l'Assemblée générale des
Etats de la Province d'Artois , s'est faite
le 29décembre dernier : cette Assemblée
ne dure ordinairement que quinze jours ;
mais les prétentions respectives des différens
Ordres , relativement à la Convocation
prochaine des Etats Nationaux ,
ont prolongé ses Séances , et l'on ignore
quand elles finiront.
Un grand nombre de nos Abonnés ont
bien voulu se prêter à nos désirs , en
nous envoyant les observations métécrologiques
, faites en une infinité de lieux
du Royaume , pendant les derniers froids .
Ce concours obligeant mérite toutenotre
reconnoissance , et c'est avec regret que
nous sommes réduits , par la nature de
ce Journal , et par la multiplicité des observations
, à ne donner ici que le résultat
sommaire de celles qui nous ont paru
les plus détaillées .
AJoigny , le froid a commencé le 12 novem
b vj
(36 )
bre, & a firi le 12 Janvier 1789 , en tout 53
jours : le 31 décembre , le thermomètre de Rezumur
y defcendit à 15 degrés à huit heures du
matin; c'eſtle froid le plus vif qu'on y ait re
fenti. L'épaſſeur de la glace ſur la rivière d'Yonne
étoit de 14pouces. La rigueur du froid a fait feadre
ungrand nombre d'arbres avec exploſion. Quelques
vignerons affurent que les vignes ont beaucoup
fouffert , et que beaucoup de boutons à fruit ont
été gelés. L'Yonne a débaclé fans accidens. Le
Pont de Joigny eût couru de grands dangers
fans la précaution qu'eu l'ingénieur du departement,
de faire établir un mouton fur le Pontmême
pour rompre les glaces. Cette meſure , aufi fimple
qu'aiſée , & d'ufage en pluſieurs pays , a été
abfolument négligée dans la plupart des grandes
Villes , où l'on re croit difpenfe des précautions ,
en décidant qu'elles sont inutiles.
,
AChâlons-sur-Saône; leplus grand froid , le 3 t
décembre , à 7 heures du matin , thermomètre à.
18 degrés : même foid le 5 janvier. Digel le 11
du même mois.
ALons-le-Saunier , en Franche-Comté; le plus
grand froid , au lever du Soleil , le 31 décembre
, thermomètre à 19 degrés 2 lig.
Aux- Sables-d'Olonne ; le plus grand froid le
30 novembre, à 10 heures du foir ; thermomètre
à 10 degrés ; digel le to janvier: en tout47
jours de corgelation. Eu 1783 & 1784 , il y en
eut 28,&leplus grandfroid fut, au 1er, févr. de 7
degrés.
AHonfleur ; le plus grand froid le 30 décem
bre, à huit heures du foir; lothermomètre à 14
degrés ; le 31 , à 8 heures du matin , 7 degrés 8
O fentement : digel le 9 janvier. Durée de la
gelée depuis le 24 novembre. Il réfulte de ces cbfervations
que le froid fur cetve panie des cores
( 37 )
de la Normandie , a éte bien moins conſidérable
qu'àParis.
Haut-Vivarais , au pied de la montagne du
Mexin , le plus grand froid , le 31 décembre , à
une heure après minuit, le thermomètre à 15
degrés. Les chemins furent obft ués de neiges le
27; pluſieurs perſonnes y ont péri .
Pendant la nuit du 16 au 17 janvier ,
sept arches du pont de la Charité-sur-
Loire furent renversées par les glaces , et
la rivière forcée de changer de cours :
les eaux se répandirent dans deux villages
voisins qui furent submergés , et
dont les habitans durent la vie au courage
de 6 Mariniers et du sieur Brière
de Pouilly , qui allèrent les secourir. II
y a eu une multitude de bateaux fracassés
et de marchandises dispersées .-
Quatre arches du beau pont de Tours
ont été détruites , et une cinquième endommagée.
A l'instant de leur chute, un
carrosse à quatre chevaux traversoit le
pont; les deux chevaux de devant ont été
précipités dans la rivière , et l'on n'a sauvé
la voiture qu'en coupant subitement les
traits d'atelage des deux chevaux .
M. Adam, Chanoine etProfesseur de
Philosophie de Caën , a réfuté le préjugé
que les bleds semés après le dégelmanquoient
ordinairement , dans une lettre
très-judicieuse , dont nous croyons utile
de faire connoître les principaux fragmens.
1°. Il est conftant , dit-il , que la gelée desèche
!
(38 )
,
la terre , qu'elle diviſe , atténue ſes parties & la
rend plus meuble ; 2 °. qu'elle empêche les ſoufres
ou matières gaſeuſes de ſe développer & s'évaporer;
3°. que la neige contient une grande quar.-
titéde nitre ,&qu'elle a une parfaite affinité avec
la matière électrique , choſes néceſſaires & trèsavantageuses
à la germination &à l'accroiſſement
des plaintes ; 4°. qu'après que la terre a été gelée
, la chaleur centrale agit avec plus de force
les grains germent & croiffent : lus promptement.
Pour prouver ce que j'avance , je ne m'arrêterai
point à des expériences particulières & faites en
petituneou deux fois ſeulement; j'omettrai encore
ce qui ſe paſſe dans pluſieurs contrées de la Moscovie,&
dont le ſavant Profeſſeur Pallas nous a
donné le détail dans la relation de ſes voyages.
Je ne parlerai que de ce qui ſe paſſe dans la Norwége
la plus avancée au nord. Il eſt certain que ,
dans le court eſpace des mois de juin , juillet &
août , les habitans labourent , sèment& récoltent
deux fois dans la même terre des grains qui font
à leur parfaite maturité. Les perfonnes les plus
judicieuſes qui ont viſité ces contrées , ne balancent
pas à affirmer que les neiges abondantes qui
ſéjournent pendant huit mois fur ces terres , font
le principe actif de certe fécondité , lorſqu'au retour
de la ſaiſon la terre eſt échauffée par le
foleil. Certe vérité étoit connue depuis plus de
1800ans; Columelle diſoit que la neige qui tombe
aumois de mars engraiſſe la terre ; &nous avons
en France pour proverbe, que la neige qui tombe
en février, vaut du fumier , parce que les ſels des
neiges qui tombent dans ce temps ne font. pas
ſi ſujets à être diſſous & entraînés par les pluies.
Celle qui , depuis 56 jours , couvre nos campagnes
n'eſt pas de février ni de mars , mais elle en a
tous les ſels , qui ſont conſervés ſur la terre& non
entraînés par les pluies; d'où je conclus que les
( 39 )
laboureurs peuvent&doivent enſemencer en blés
leurs terres au sirôt après le dégel. Si nous avons
lebonheur que ce dégel ne ſoit pas trop humide
&que l'été ſoit ſec , ils auront la fatisfaction d'avoir
une récolte abondante. Je prie qu'en liſant
ma lettre , on ne compare pas l'hiver de l'année
précédente avec celui- ci , qu'on ſache que la
diſette du blé n'est provenue que de ce qu'il pleuvoit
pendant le temps de la fleuraiſon. «
M. Houel , Peintre du Roi & de pluſieurs
Académies , ayant terminé ſon voyage Pittorefque
de Sicile , Lipari & de Malte , en 4 vol.
in-folio , ornés de264 planches , gravées à l'imitation
du Lavis au fiſtre , d'après les deſſins originaux
, avertit le Public qu'il reſte encore que!-
ques exemplaires de cet Ouvrage , dont il peut
diſpoſer en faveur des Amateurs des arts & de
Phiſtoire naturelle , que l'incertitude d'un ſi grand
Ouvrage , exécuté par un homme ſeul , avoit empêché
de s'engager.
Le dernier chapitre de cet Ouvrage eſt terminé
par les eſtampes qui font connoître le lieu qu'habiroit
Calypfo , Héroïne du fameux Roman de
Télémaque. M. HOUEL a reconnu par ce qui
en reſte , confronté avec les faits rapportés dans
le Roman , qu'iln'y a plus rien à defirer ſur la
certitude du local , tel qu'Homère , &, après li ,
M. de Fenélon, nous le décrivent ; & qu'ainſi le
perſonnage de Calypso & fon éjour , ne doivent
plus être rangés parmi les fables,
Pour obtenir cet Ouvrage , on s'adreſſera chez
l'Auteur , rue du Coq Saint-Honoré , à côté du
Café des Arts , ou chez la plupart des Lib aires
du Quai des Auguftins , à Paris ; & à Londes ,
chez Elmsley , dans le Strand ; van Cleef , à la
Haye ; Gay , à Vienne ; Treuttel , à Strasbourg ;
(40)
Godefroy & be klay, a bluxelles ; le Roux , à
Mayence , &c.
Le prix de chaque Cahier ou Chapitre eſt de
12 liv.; il y en a quarante- quatre dans tout
l'Ouvrage complet.
La féchereſſe extraordinaire qui a régné l'éré
dernier , & la rigueur du froid qui lui a fuccédé
tout-à- coup , ayant mis pluſieurs cantons de la
Lorraine dans la crainte de manquer de farine ,
faute d'eau pour mettre en activité lears moulins ;
laSociété Royale de Nanci , qui donne conftamment
la préférence aux ouvrages d'utilisé publique,
propoſe un prix extraordinaire pour la folerion
du prob'ême ſuivant : Trouver un moyen fmole
&peu difpendreux de faire mouvoir , par une prif
fance quelconque , les molins dans les temps où les
елих manquent , de manière que le bléfoit moulu convesnablement.
Le prix fera de 300 livres; la Sociérě
Royale l'adjagera au premier des ouvrages qui
remplira fes vues ; elle ſe réſerve même de donner
une gratificatition proportionnée à la perfection de
Pouvrage , & fur-tout à la promptitude avec la
quelle il aura été préſenté : cette gratification
pourra monter à une fomme égale à celle du prix .
Les ouvrages feront remis , dans la forme ordinaire
, au Secrétaire perpétual de l'Académie , rue
du Manège , n . 4.
«L'A cadémie des Sciences , Belles-Lettres&
Arts de Lyon , avoit propoſé un prix, confiftant
endeux médailles d'or , de la valeur , chacune,
de 300 liv. , pour être décerné cette année ,
après la fête de Saint-Louis , à celui qui auroit
déterminé la manière la plus fimple , la pla prompre
& la plus exalle , de reconnaitre la présence de bolam
&fa quantité, lorſqu'il est en diffo ntion des de
να , & βατικαat dans un vin très-coloré.
( 41 )
Après un ſecond rapport , l'Académie a cru
devoir renvoyer , de nouveau , la diſtribution
du prix , juſqu'à la ſéance publique du mois
d'Août , en 1789 , fans néanmoins ouvrir un
nouveau concours , quinze Mémoires qu'elle a
reçus , confervant feuls le droit de concourir au
prixpropofé. »
« L'Académie d'Angers , dans ſa ſéance publique
du 19 du mois de novembre , a couronné
un mémoire fur le cours de la Loire
, portant
pour épigraphe:
..... ... Ità magno turbidus imbri
Molibusincurrens validis cum viribus amnis , &c .
L'auteur n'ayant jugé à propos d'indiquer fon
nom que par ces trois lettres initiales D. L. M. ,
l'Académie le prie de ſe faire connoître ; ou , ft
ſa modeſtie lui impoſe la loi de garder l'anonyme
, d'indiquer une adreſſe à laquelle on puiſſe
faire parvenir le prix. Dans l'un & l'autre cas
il faudra , pour ſe fai e connoître , qu'il joigne
àla lettre qu'il écrira à l'un des Secrétaires de
P'Académie , pluſieurs phrases da commencement
&de la fin de fon mémoire. »
Les Numéros sortis au Tirage de la
Loterie Royale de France, le 31 janvier
1789 , sont : 62,77, 40 , 71 , 20 .
PAYS - BAS.
De Bruxelles , le 31 janvier 1789.
Nous annonçâmes , dans le Journal
précédent , les ordres menaçans intimés
,
(42)
par l'Empereur à son Gouvernement des
Pays-Bas , au sujet du refus des subsides.
Ces ordres ont été accompagnés d'une
Dépêche aux Etats de Brabant , et dans
laquelle S. M. I. parle en Souverain irrité.
Voici la teneur de cette lettre :
« Le refus aux Subſides ordinaires auquel a
>> ofé ſe porter le Tiers-Etat de mon Duché :
>>de Brabant , fans que les premiers Membres
>> ayent fait le moindre effort pour y mettre or-
>> dre , a dù exciter toute mon indignation , &
>> m'engage à révoquer , dès ce moment, pour
>>cette province , toutes les Conceffions que je
>> lui avois faites ,& nommément celle de l'oubli
>> de tout ce qui s'eſt paſſé pendant les derniers
>> troubles que j'avois eu la clémence de lui
>> accorder .
,
» Je défends en même temps à mon Gouverne-
>> ment général de ne plus me propofer de grace
>>quelconque pour les individus , foit du Civil ,
» ou du Clergé de cette province , & de n'en
>> placer aucun.
>> Je ſuſpens auffi toute nomination ultérieure
>> aux Abbayes du Brabant ; & mon Gouverne-
>> ment général , à l'aide du Militaire , fera la re-
>>cherche laplus exacte des perſonnes de toutes les
>>claſſes& conditions de la même province , qui ,
>> pendant les derniers troubles , ſe ſont rendues
>>coupables de faits , de paroles ou par écrit , pour
>> les punir felon que je le trouverai convenir aux
>> circonstances .
>>Après le refus que vous ofez vous permettre
>>de conſentir aux Subſides qui font dus& in-
>>diſpenſables pour l'entretiende l'Adminiſtration
» publique , vous ne pourrez plus , dans aucune
>> matière , réclamer la Joyeuſe-Entrée, à laquelle
>>je ne me crois plus lié , tandis que vous ofez
(43 )
edelin
Gove
» oublier ce que vous me devez , de votre côté,
>> comme de fidèles Sujets. A tant , &c. »
«Vienne , le 7janvier 1789.
« Signé , JOSEPΗ , »
On a répandu dans l'Etranger que cette
Dépêche avoit occasionné un soulèvement
et des projets de résistance . Ce bruit
n'est pas fondé. Au contraire , après la
lecture de laDépêche , le 26 , les Etats ont
envoyéune Députation au Ministre Plépotentiaire
Comte de Trautmansdorf,
pour lui témoigner ladouleur que ressentoient
les Etats d'avoir déplu à S. Μ.Ι. ,
et lui déclarer ;
د
1°. Que les deux premiers Ordres obéiroient
en toute foumiſſiion à ce qui seroit ſtatué par
S. M. , en vertu de la plénitude de ſa puiſſance
&de ſon autorité ſouveraine , quant au ſupplément
au défaut de conſentement du Tiers-Erar.
2°. Que les Etats fupplioient S. M. de regarder
comme ron-avenues leurs repréſentations du prem'er
décembre dernier , qui avoient excité son
indignation.
3°. Qu'ils déſiroient d'être autoriſés à porter
au pied du Trône , par une Députation tirée des
trois Ordres , les hommages de la Province , y
demander à S. M. le retour de ſa clémence envers
fon peuple , et la conſervation de la Conftitution;
&que fur les points de cette conftitution ,
qui pourroient ſe trouver incompatibles avec les
vues falutaires de S. M. , i's s'empreſſeroient de
lui donner des preuves de leur, foumiflion & de
leur zèle.
Le Ministre a témoigné à la Députation
, que cette démarche seroit portée
( 44 )
àla connoissance de S. M. , pour attendre
ses ordres ultérieurs .
L'Empereur a nommé le Comte de
Cobentzel au poste de Ministre Plénipotentiaire
à Bruxelles , et le Comte de
Trantmansdorfà la placede Vice- Chancelier
d'Etat et de la Cour , qu'occupoit
M. de Cobentzel.
Il est entièrement faux que le Roi
de Prusse ait ordonné des emmagasinemens
à Wesel , et il n'est pas plus
vrai qu'il est arrivé à Lipstadt des Ingénieurs
chargés de fortifier cette ville.
Les glaces dont le Rhin étoit couvert
depuis le 22 décembre , se sont ébranlées
et rompues à Cologne , le 19. Cette
débacle , effrayante par l'amas et la gros
seur des glacons , a occasionné peu de
dommages. Quelques bateaux ont été
brisés ; de grandes barques ont même
souffert; mais , en général , le dégât n'a
pas été tel qu'on le craignoit. D'autres
districts riverains du même fleuve ont
été moins heureux. Le pont fine de
Grimlinghausen a été renversé , et le
pont volant jeté au milieu du Rhin .
emporté par les glaces. Dans la nuit du
19 au 20 , les eaux surmontèrent la digue
de Woringen ; on sonna le tocsin , et les
habitans se sauvèrent en emmenant leurs
effets les plus précieux. Dès le lendemain ,
les eaux baissérent de 15 pieds .
Nousapprenons que , le 26 et le 27, une
partie dupeuple de Genève s'est soulevé à
(45 )
Poccasion d'un renchérissement dans le
prixdupain;qu'àdeux reprises ila repoussé
la troupe réglée , s'est emparé de plusieurspostes
etd'une des portes de la ville ,
et forcé le Sénat à rétablir l'ancien prix
dupain , ainsi qu'à accorder une amnistie
générale qui , le 27 , a été publiée à
son detrompe. Nous donnerons dans huit
jour les détails authentiques de cet évè
nement : les avenues de la partie supérieure
de la ville , où se trouvent l'Hôtelde-
ville , les Casernes et l'Arsenal , étoient
encore barricadées , et gardées de poste
en poste , au départ des lettres , le mereredi
matin.
La Diète de Pologne a repris ses Séan
ces le7. Le Maréchal de laConfédération
l'ouvrit par un Discours , où il annonça
que la Députation des Affaires Etrangères
, chargée de dresser les instructions
des Ministres de la République , lui avoit
remis celles destinées à l'Ambassadeur
qui se rendra àBerlin , qu'on devoit en
faire lecture , et les sanctionner . Elles
furent reçues avec une satisfaction générale.
On'lut ensuite divers projets , dont
les uns tendoient à la réforme du Gouvernement
, les autres à l'augmentation
de l'armée et des impôts . La plupart
furent mis en délibération , et il n'en
passa qu'un seul , présenté par M. Sucholdolski,
Nonce de Chelm. Il ordonne
des enrôlemens forcés pour tous les
vagabonds et gens sans aveu,
( 46 )
Séance du Jendi 8.
que
«Le travail de cette Séance a paru porter
moins fur le Gouvernement intérieur de la République,
que ſur ſes rapports avec les Puiſſances
qui l'environnent. M. Krafinski , Nonce de Podolie
, prononça un discours plein d'éloquence ,
où , rappelant aux Etats la Cour de Ruffie
n'avoit point encore fait de réponſe catégorique
à la note ſur l'évacuation de ſon armée ,
il finit par cette phrase : « Les Troupes Ruſſes
>>s'étant emparées d'Oczakof , ont moins beſoin
» que jamais d'hiverner en Pologne ; & depu's
>> trop long-temps nos mains défarmées n'ont
>> pu qu'app'audir à leurs triomphes , nos larmes
>> arroſer leurs lauriers ,&leur donner plus de
>> fraicheur & d'éclar. "
« Le Prince Sapicha , Maréchal de la Confédération
de Lithuanie , prit alors la parole , &
dit : Qu'il avoit préparé le projet d'une pareille
note , & demanda qu'on en fi : lecture , ce que
la Chambre lui accorda auſſi-tôt. La lecture finie ,
S. M. appela à Elle fon Ministère , & dt:
Qu'une ſemblable déciſion méritant qu'on lui
donnât plus de maturité , Elle renvoyoit la féance
juſqu'au lendemam à dix heures.
Séance du vendredi 9..
: Sa Majesté s'y étant rendae de' bonne henre ,
l'ouvrit par un difcours où Elle s'exprima de la
manière la plus patriotique, au ſijet de l'évacuation
des troupes Rufies ; aſſurant que, bien loin
d'y être contraire , Elle défiroit qu'aucune armée
étrangère n'entrât déſormais fur le territoire
de la République : qu'en conféquence , Elle demandoit
que l'on ne s'écartat point des projets qui
avoient pour but l'augmentation de l'armée &des
impôts. Entin , Elle finit par l'éloge de M. Suchorzewski,
Nonce de Kaliſch , qui avoit le pre
mier donné l'exemple d'un impôt volontaire , auquel
tie
talle
all.
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G
qu
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B
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le
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L
( 47 )
:
:
is
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१.८
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NE
quel lui & fa famille avoient conſacré une partie
de leurs revenus .
Après ce diſcours , le Grand - Maître d'artillerie
, Potocki , annonça à la Chambre qu'il
alloit retourner en Ukraine , où peut- être ſa préfence
ſeroit néceſſaire , ſi la révolte des payſans
Grecs', dont on menaçoit cette Province , avoit
quelque réalité. Il ajouta , qu'avant de partir , il
ſe croyoit obligé , comme Nonce du Palatinat de
Braclaw , de procefter contre tout impôt qui , par
ſa nature , ne retomberoit que fur les Provinces
du midi de la Pologne , tel que celui qui a été
propoſé , de doubler l'impôt affecté ſur les
ch minées.
« La répartitiondes charges nouvelles qu'exigent
les nouveaux besoins de l'Etat , devint le ſujet
de débats très -vifs , qui terminèrent cette ſéance.
La traduction de tous ces diſcours paſſeroit de
beaucoup le, bornes de cette feuille ; mais voici
à peu-près les baſes qu'on penche à adopter. »
« 1º. La Chambre paroît déterminée à ne rien
ajouter aux impôts que payent déja les payfans:
ce qui est très-remarquable de la part d'une afſemblée
de Nobles Souverains.
" 2°. On a parlé de retranchemens dans ce que
l'on appelle la liste civile : économie qui ne produira
pas degrandes ſommes car il n'est aucun
pays où l'adminiſtration ſoit moins chère qu'en
Pologne; mais ſon avantage fera de tranquillifer
la tation ſur l'emploi des deniers publics. »
« 3 °. L'Abbé Oszowski , citoyen éc'airé ſur tous
les objets relatifs aux finances & au commerce ,
a propoſé de faire acheter aux poſſeſſeurs des
bieas royaux (ſtaroſties ) l'hérédité de ces mêmes
biens, dont les uns font à vie , & les autres à
bail emphitéorique. »
" 4°. Ensuite l'on compte venir aux objets de
luxe , aux timbres de toute eſpèce , aux entrées
(48 )
des villes pour les légumes&viandes recherchées ,
& autres impofitions qui ne retombent que fur
les riches ; mais comme dans un pays auſſi peu
travaillé en finance , il eſt impoſſible de connoître
la richeſſe de chacune de ſes ſources , elles ne
peuvent ſervir que comme allégement futur , &
non comme reſſource préſente: celle- ci n'eſt , &
ne peut être que dans un impôt ſur les terres
nobles héréditaires ,& dont la répartition feroit
laiſſée au choix des provinces.
Les Commissionaires chargés de l'achat
des armes pour la République , ont
trouvé les plus grandes facilités dans les
fabriques Prussiennes , qui même ont eu
ordre de leur livrer le dépôt de réserve
à l'usage de l'Etat. A la fin de mai , on
compte avoir 30,000 hommes équipés ,
et prêts à servir .
Le Roi de Prusse a envoyé le Cordon
de l'Aigle-Noir au Prince Radziwill,
Palatin de Wilna , qui a remis au Courrier
une gratification de 500 ducats .
Le même Souverain a décoré du
même Cordon de l'Aigle-Noir les deux
Avoyers de la République de Berne ,
MM. Sinneret Steiguer.
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
f
POLOGNE.
De Varsovie , le 18 janvier 1789. :
Les dernières Séances des Etats Confédérés,
depuis le 9, ont été très-orageuses,
par la multiplicité des projets qu'on y
a adroitement jetés en avant, et par les
difficultés de celui qui regarde les nouvelles
impositions . Ces débats ont em
pêché toutes résolutions ultérieures
excepté celle , très-importante , qui concerne
le serment des Grands Généraux
et de la Commission de guerre : ce serment
a été prêté à la Confédération
actuelle , et non au Roi.
,
Nous annonçâmes , ily a huit jours ,
une nouvelle Note présentée à l'Anibassadeur
deRussie, au sujet de l'évacuation
des troupes de cette Puissance. Voici
cette réquisition :
NOTE. L
« Les Souſſignés , par ordre exprès du Roi
N. 7. 14 Février. 1789 C
(50)
&&des Etats confédérés de la République , ent
l'honneur de repréſenter à S. E. M. le Comte
de Stackelberg , Ambaſſadeur de S. M. Impériale
de toutes les Ruffies : Que les Etats aſſemblés ,
comptanttoujours ſur le ſuccès de leurs repréfentations
adreſſées à S. M. Impériale , & ſe
promettant auffi une réponſe favorable à leur
Note, remiſe le 17 novembre , relativement à
l'évacuation des troupes Ruſſes , reçoiventcependant,
malgré leur attente , des rapports officiels
dela partdes Commandans nationaux , qui leur
annoncent , & l'établiſſement de nouveaux magafins,&
unedéſignation de nouveaux quartiers
pour les ſuſdites troupes , dans le territoire de
la République; motifs qui déterminent les Etats
affemblés, à renouveler les instances de voir
leurs voeux réaliſés. Et quoique les Etats étay
bliſſent leur demande ſur les droits de toute Nationindépendante,
ſurlesraiſons les mieux fondées,
ils ne réclament pas moins les ſentimens magnanimes
deS. M. Impériale , leur influence ne pouvant
que répondre à l'amitié que le Roi & la
République de Pologne cherchent toujours à lui
témoigner. Les afſurances de S. M. l'Empereur
des Romains, par lesquelles ce Souverain a manifeſté
la réparation & la compenſation de tous
lesdommages caufés par ſes troupes aux Citoyens
limitrophes , durant la préſente guerre , promettent
aux Etats aſſemblés une pareille fatisfaction
de la partde S, M. Impériale , dès que des plaintes
ſemblables contre lestroupesRuffes feront conftatées
& prouvées. Cette perfuafion des Etats
aſſemblés , n'eſt que le réſultat de ſon opinion
fur les ſentimens de juftice qui caractériſent éminemment
S. M. Impériale.
Varsovie, ce 14 Janvier 1789.
STANISLAS NALECZ MALACHOWSKI , Réfé(
51 )
T
لي ال
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rendairede la Courorine,MaréchaldelaDièreoc de
laConfédération pour les provinces de laCouronne.
CASIMIR PRINCE SAPIEHA , Maréchal de la
Confédération pour legrand Duché de Lithuanie.
: L'institution d'une armée, la réforme
duDépartement militaire, rentré sous les
loix de la Diète , et l'envoi de divers Ministres
auprès de quelques Cours Etrangères
, sont les troispoints fondamentaux
déterminés par les Etats avant leur dernière
prorogation. Il ne paroît pas que
l'établissement des subsides nécessaires
s'avance aussi rapidement. La plupart des
nouveaux impôts proposés ont éprouvé
de grandes contradictions ; cependant ,
tout l'édifice des plans de la Diète repose
sur cette base, sans laquelle point d'armée
, point d'indépendance , point de
sûreté,pointde stabilitédans les derniers
arrangemens.
En ôtant au Conseil-Permanent le
département militaire , les Etats Confédérés
ont frappé le coup le plus important.
Cette vérité deviendra sensible a
la lecturede quelques fragmens d'un discours
de M. Stanislas Potocki, Nonce
du Palatinat de Lublin, prononcé dans
la Diète , lorsqu'on y adélibéré surle rétablissement
de laCommission de guerre ;
mais , pour entendre ce sujet, il faut se
rappeler lesdivers changemens qu'a subis
le pouvoir militaire en Pologne.
Jusqu'au commencement du règne actuel,
lesGrands Généraux gouvernèrent
cij
( 52)
l'armée avec une autorité presque illimitée
. En 1764 , on établit une Commission
de guerre , à laquelle cette partic
capitale de l'Administration publique fut
confiée , sous la Présidence des Grands
Généraux. Elle éprouva peu de changemens
jusqu'en 1775 , époque de la
perte que fit la République de ses plus
belles provinces , de l'institution du Conseil-
Permanent , de la garantie et de la
subversion presque totale de l'ancien
Gouvernement. On rétablit alors en
grande partie le pouvoir des Grands Généraux
, et la Commission fut à-peu-près
anéantie. Ce changement ne dura qu'un
instant, La Diète violente et forcée de
1776 dépouilla les Grands Généraux ,
cassa la Commission , et remit l'armée
entre les mains du Conseil-Permanent ,
'sous la direction du Département de
guerre , qui en a fait partie jusqu'aujourd'hui.
Cette même Diète de 1776 , dont
on ferma l'entrée , les armes à la main ,
à tous les Citoyens qui se seroient oppo- OPPO
sés au nouveau Code, permit au Conseil-
Permanent D'INTERPRÉTER LES LOIS ,
et le rendit ainsi maître de la Législation
et de l'armée. C'est pour prévenir les
abus d'un pouvoir ainsi cumulé , que
l'on a institué la Commission indépendante
, dont M. Stanislas Potocki a été
l'un des Promoteurs les plus habiles et
les plus zélés.
« Il ne nous reſtoit plus , dit ce généreux Ci
( 53)
toyen , que lenom de Polonois , nom jadis illuftre
par la gloire de nos ayeux , aujourd'hui fameux
par nos déſaſtres : nom dont l'existence même
n'étoit durable qu'autant qu'il plaiſoit à nos puiffans
voiſins de ne pas le rayer du nombre des Nations.>>>
« Une longue ſuite de calamités publiques s'apeſantifſfoient
fur nous: d'abord ſe ſont élevés dans
l'intérieur du pays , ces troubles affreux , qui préſentoient
par-tout le triſte tableau de l'oppreffion ,
de la défolation & de la misère. Bientôt nous vimes
violer ce ſanctuaire des lois par un attentat inoui
dans l'hiſtoire des Nations. Cette terre natale fut
arroſée du fang denos frères , que verſa non- feulement
le glaive étranger , mais que nos propres
concitoyens osèrent répandre. Bientôt nous vimes
tomber nos anciennes frontières ; la Pologne , ſans
être vaincue par les armes (trifte& rare exemple) !
perdit, ſans les défendre , ſes domaines & fa liberté.
»
." Rappellerai-je au milieu de Citoyens fi zélés ,
cequ'aucunbonPolonois ne fauroit ſe retracer fans
honte& fans effroi ? C'est qu'en même temps que
les Etrangers s'emparoient de notre pays , la violence
& l'avidité , proficant du malheur public de
la manière la plus vile , le pilloient & le déchiroient
au dedans. Le crime ſe fit une récompenfe
de nos biens , & les forfaits publics furent payés
aux dépens de l'Etar.>>>
« Cette Dète (1) longue & mémorable à jamais
, par les malheurs de la Patrie , pourroit paſſer
pour lecomblede ſes déſaſtres, ſi lafuivante n'avoit
violé les droits les plus ſacrés de la Nation , lorſque
tout Polonois , libre & indépendant , fut repouffé
comme eſclave de ce fanctuaire de la liberté , qui .
alors , entouré d'armes , fut fermé aux plus ver-
(1) De 1775 .
c irj
( 54)
treux Citoyens. Tritte temoin de ces honteuſes
violences , quoique dans ma première jeuneſſe ,je
les ai vivement ſenties , &j'en porterai juſqu'au
tombeau un ſouvenir ineffaçable.>>>
«Nous voyons enfin briller un rayon d'efpérance;
au bruit des armes , au milieu de l'incendie
d'une guerre voiſine & de cet orage qui gronde
detous côtés , notre Nation , puiſlante encore au
milieu de ſes ruines , ſe réveille enfin:elle rejetre
loind'elle l'injuſte reproche d'une craintive inacsivité
;&en faifant le premier pas vers fon ancienne
gloire , elle franchit le plus difficile de
10115.»
« Il s'agit , Sire , d'établir , d'une manière ſtable
pour l'avenir , notre propre ſureté, celle de nos
enfans , de nos biens, de notre liberté ; il s'agit,
ſije puis me fervir de cette expreffion , dedoner
une nouvelle exiſtence à notre Patrie , pour qu'en
nous affurant tous ces biens, elle puiſſe étendre
fur nous l'appui bienfaiſant de ſon bras paternel.
«Il fautdonc, avanttout,déterminerune armée
qui réponde à ce premier beſoin ; & pour loss
nous pourrons nous glorifier du meilleur & du
plus noble emploi de nos biens , lorſqu'en les confacrant
à la Parie , nous aurons afſuré notre propre
félicité. Fixer d'avance, au contraire, felon la quantíté
d'impôts établis , une armée ſans doute infoffifante
à ladéfenſe de l'Etat , ce feroit , fans rien
faire pour la Patrie , nous charger d'un fardeau
inutile. Nos troupes actuelles ſuffiſent pour la garde
intérieure & pour l'appareil ; le bien de l'Etat &
laraiſon doivent nous empêcherde les augmenter
dans cette vue , tandisque tout nousinvite àproportionner
le nombrede nos troupes à ladéfenſe
du pays. Les contributions que nous nous impoferons
conformément àce but , ne fauroient nous
peſer : elles nous paroîtront légères , lorſqu'elles
nous auront délivré du joug étranger ,lorſqu'elles
( 55 )
nous aurons arrachés àtoute eſpèce de domination ,
& lorſqu'elles nous auront rendu notre Patrie.
Enétabliſſant, au contraire , untréſor avant d'avoir
fixé le nombre & le gouvernement de l'armée ,
cous aurons immanquablement ou une armée ſans
moyen de défenſe , ou des impôts ſans armée. »
« Je dirai plus : nous ne ſaurions être arrêtés par
la conſidération de modifier les impôts ſelon les
facultésdupays; leur poids ne peut nous effrayer :
il fera léger , non-feulement parce que nous le
ſupporterons pour la Patrie , mais il le ſera en
effet. Ne peut-on pas fe convaincre , au premier
coup d'oeil , de la facilité de lever ſoixante mille
hommes de troupes & même plus ſi on le veut ,
dans un pays auíli étendu , auffi fert le que le rôtre ,
&comptant encore près de ſept millions d'habitans
? Que celui qui en doute , jette un regard
ſur les pays voiſins,& qu'il apprenne àconnoître
fes reſſources d'après celles des autres. »
« Ilne fuffit cependant pas d'avoir une armée,
il ne ſuffit pas dela mettre en état , il faut encore
la régler de manière , qu'en nous défendant
du joug étranger, elle ne puiſſe pas devenir l'inftrument
d'une oppreffion domeſtique; qu'elle ſerve
uniquement la Patrie , & non quelqu'un dans la
Patrie. Je ne fuis ici que l'organe de la voix publique
, & c'eſt au nom du public que je parle.
Si l'appareil honteux de la Pologne fans armes&
fans défenſe l'indigne , l'idée d'une armée nombreuſe
mal adminiſtrée l'étonne & l'effraye.
La Nation voit avec crainte tous les moyens
de la République réunis entre les mainsd'une ſeule
magiftrature : elle s'aperçoit avec quelle rapidité
JeConſeilpermanent, crééuniquementpour veiller,
dansl'intervalledesDiètes, ſur le maintien duGouvernement
, ens'arrogeant l'interprétationdes lois ,
s'eſt élevé au deſſus du pouvoir législatif , s'eſt
rendu maître de l'armée , & fait même le deciv
(56)
venir du tréſor lorſque bon qui ſemble. C'eſt ainfi
que le pouvoir civil s'eſt réuni au pouvoir militaire
dans les mêmes mains , viſiblement contre
Vinſtitution même du Conſeil ; car, créé uniquement
pour inſpecter les autres corps deMagiſtrature
, comment peut-il fatisfaire à ce devoir, lorfqu'ens'emparantdu
pouvoir militaire , il eſt devenu
de toutes les Magiftratures celle qui exige la furveillance
la plus attentive ? >>
<<Je ne parle pas des abus fans nombre que l'on
reproche au département de la Guerre; chacun les
connoît,& tout le pays s'en eſt reſſenti. N'entendons-
nous pas à chaque Diète s'élever contre lui
les voix des Citoyens les plus zélés ? Mais alors
même que la force & l'existence du Conſeil font
éteintes,telleeſt ſaprépondérance, que le ſouvenirdu
paffé& la crainte de l'avenir étouffent juſqu'à
laplainte.>>>
«Quel obſtacle pourroit nous arrêter dans une
entrepriſe auffi falutaire, dont dépend notre fureté
&l'indépendance du Pays ? Qui pourroitnous con
feiller de feparer ces deux objets inſéparables
Farmée & fon Gouvernement , qui doivent êue
confiderés , non-feulement ſous l'aspect militaire ,
mais , avant tout , ſous leur rapport politique avec
l'état , afin que préparant des armes pour notre
défenſe , nous ne nous forgions pas un joug prêt
à nous écrâfer ? Ce ſera une gloire éternellepour
un Roi Citoyen , ce ſera , illuilres Etats confédérés
, une marque certaine de votre prévoyance,
que d'affurer la liberté & l'indépendance de notre
Gouvernement au dehors & au dedans , de manière
que ni le cours du temps, ni le changement des
circonſtances ne puiffent altérer un ouvrage auffiimportant
pour le bonheur de la Nation. Vous éleverez
, Sire , un monument plus durable & plus
glorieux à votre mémoire , que ceux que la vanité
des Monarques toutpuiſſans cimente par le
( 57 )
fang& les larmes de leurs peuples, lorſque le
bonheur & la gloire dela Pologne deviendront
votre_ouvrage. »
<<Et toi , grand Dieu ! qui connois la pureté de
mes ſentimens, toi dont la main bienfaiſante ,
en me créant libre & Polonai , m'a donné une
ame ſenſible au plus grand de tes bienfaits , exauce
mes voeux , Dieu puitiant ! c'est à l'ombre de tes
ailes que s'eſt élevée en puiſſance et en grandeur
certe Nation aujourd'hui avilie , fur laquelle tu as
daigné jadis répandre l'honneur , la victoire &
toute eſpèce de bénédictions ; mets une fin à ſa
honte , déchire le bandeau qui couvre ſes yeux ,
donne-lui cet eſprit de concorde et de conſeil par
lequel les Nations et les Puiſſances s'élèvent &
s'affermiſſent. »
Cediscours , et la plupart de ceux qu'on
prononce dans les Diètes , avoient été
jusqu'ici lus , et non récités ; mais l'usage
contraire a prévalu dans les dernières,
Séances , comme plus conforme à la véritable
éloquence. Les anciens appeloient
Orateurs ceux qui parloient , soit de mémoire
, soit sans préparation ; et Rhéteurs,
ceux qui débitoient sur le papier
des harangues étudiées à l'avance : on
sait dans quel mépris tombèrent ces derniers.
La Diète maintenant aura donc
de vrais Orateurs , comme le Parlement
d'Angleterre , où les discours sont autant
d'impromptus , dont le texte général est
dans quelques notes écrites.
Les troupes Prussiennes sur les frontières
de Pologne, se tiennent toujours
prêtes à marcher au premier ordre. En- .
CV
(58 )
viron 170 chariots munitionnaires sont
partis vers la fin de l'année dernière
de Konigsberg , pour se rendre à Bromberg.
:
Le commercede Dantzick eſt toujours languiffant.
Il n'yeſt arrivé l'année dernière que 12,149
laſt de toutes fortes de grains; il en a été exporté
11,885 . Les proviſions enbled, quiy font encore ,
montent à 3,000 laſt de froment , et 7,000 de
feigle.-Le nombre des bâtimens arrivés l'année
dernière au port de cette ville , a monté à 410 ,
& à 419 ceux qui en ſont partis; parmi les bâtimens
arrivés on a compté 82 Anglois , 63 Hollandois
, 23 Danois , 43 Suédois , 38 Pruffiens &
108 de Dantzick. Le nombre des mariages
dans cette ville, pendant l'année dernière, s'eſt élevé
à 275 ; celui des naiſſances , à 1,101 , et à 2,080
selui des morts.
-
Pendant l'année dernière , onacompte
dans cette capitale 828 mariages, 3,649
baptêmes, et3,149morts: 29Dissidenset
16 Juifs ont embrassé , dans la même
année , la Religion catholique.
P. S. Le Conseil -Permanent a été
décidément cassé dans la Séance
du lundi 19, à la pluralité de 120 voix
contre 11.
ALLEMAGNE.
De Hambourg, le 26janvier.
Du 2 au 20 , le grand Belt a été entiè
rencht couvert de glaces ; on l'atraversé
( 59 )
à pied et en voiture. Sur la côte , la
glace touchoit presque le fond de l'eau :
plus loin , en mer, elle avoit une aune
Danoise et trois quarts d'épaisseur. Entre
Calmar et Oelande , le Sund a été fermé
par les glaces; les voitures y passoient
depuis le 18 décembre .
M. de St. Saphorin, Ministre du Roi
de Danemarck à Pétersbourg , est désigné
pour remplacer à Londres , en
cette qualité , le Comte de Reventlau ,
qui passera à la Cour de Berlin .
Le 4, le thermomètre de Réaumur
descendit à 21 degrés au-dessous de zéro ,
à Copenhague. Le froid de 1709 y fut
moins rigoureux.
,
Pendant l'été dernier , il eſt arrivé à Archangel
129 navires , dont 6+ Anglois, 24 Hollandois
20 de Hambourg , 7 Ruffes, 6 Danois , 5 de
Brême , I de Dantzick , 1 Pruffien& 1 Impérial;
tous ſont repartis avec des crgaiſons,àl'exception
des bâtimens Ruſſes . L'hiver a commencé de bonne
heure àArchangel ; le 11 de ce mois, la Dwina
étoit déja fermée par les glaces.
De Vienne, le 26 janvier.
:
1
L'Empereur a paru deux fois au spectacle
depuis sa convalescence, et il s'est
promene en traîneau. Dès le 9 , les audiences
ont été ouvertes à tout le monde,
et le 11 il y eut cercle dans les appartemens
de S. M. I.
* Le 10 de ce mois, un bataillon du régiment
cvj
( 60 )
deWolffenbuttel ,venant de laHongrie, eſt arrivé
dans les environs de la capita'e. Quelques centaines
de ſoldats ont été transportés auffitôt à l'hôpital ,
à demi-gelé. & exténués des fatigues qu'ils ont effuyées
dans cette pénible ma che. Tous nos officiers
s'occupent ici avec la plus grande activité
àfaire exercer les recrues qui viennent de différentes
provinces,& qu'on fait partir ſucceſſivement
pour les lieux de leur deſtination , malgré la riguzur
de'a faifon. Ces jours derniers , quelques
tranfports ont pris la route de la Croatie , d'où
l'on mande que les bataillons partis de la Syrmie
au mois de novembre dernier , y éto ent arrivés
ayant un nombre conſidérab'e de malades, >>
« Le Maréchal Comte de Lafcy ſe trouve depuis
quelques jours aux bains de Baden. Outre
la vifre de quelques officiers de fos amis , il reçoit
fréquemment celle du Prince deDietrichstein,
Grand Ecuyer de la Cour. Le public eſt impatient
de ſavoir ſi ce Maréchal ſe rétablira au point de
pouvoit reprendre le commandement de la grande
armée; les Médecins paroiſſent n'en point douter ,
tandis que nos politiques, dans la perfuafion où ils
font qu'il ne pourra plus foutenir les fatigues d'une
campagne , lui donnent pour ſucceſſeur le Maréchal-
Baron de Laudhon.
La Croatie est couverte de neiges:
amoncelées ; les routes sont impraticables
, les postes arrêtées , et de mémoire
d'homme on ne se souvient d'un pareil
hiver. Les boeufsni les chevaux.nepeuvent
plustraverser les chemins desmontagnes.
Le froid eft exceffif ici , écrit- on du Bannat , à
Ja datedu 5 , & la neige d'une hauteur prodigieuſe,
Jes montagnes Aumafch en font remplies ; les
chemins entre Szla ina & Terregova font impraticables.
Depais 15 jours on n'a pu faire pafler
(61 )
à Méhadie des munitions de bouche. On tente
tous les moyens poffibles pour procurer des fecours
aux détachemens portés ſur les frontières .
Tous les régimens seront augmentés ; ceux de cavalerie
de z eſcadrons Les tranſports des recrues
arrivent fucceffivement. La ſemaine dernière il a
paſſépar Témeſwar à Deva,deux diviſions du nouveau
batai'lon de Belgiojoſo : ce régiment a perdu
l'été de nier beoucoup de mondepa: des maladies..
Le 18, il partit de cette capitale un
train d'artillerie considérable. On a trans
porté des munitions de guerre dans les
forteresses de Plesf, de Thérésienstadt ,
d'Olmutz et de Konigsgratz. Les régimens
de Brentano et de Wolfenbuttel,
qui sont revenus de la Hongrie , se rendentdans
laHaute Autriche et laBohème. ,
Il ſe confirme que quelques détachemens de
Tures ont paffé le Danube ,& font entrés dans
Ja Valachie. Leur deſſein eſt d'obſerverles Ru Tes ,,,
&le corps du Prince de Cobourg , dont les quar
tiers de cantonmemens font à Vieux - Suczowa ,
Roman, Niema & Beiko dans la Moldavie. L'Hofpodar
Maurojeni a augmenté le nombre de ſes
troupes à Bucharest,
De Francfort surleMein,le31janvier.
Plus d'une fois , nous avons averti nos
Lecteurs des surprises journalières que
les Papiers publics font à leur crédulité ;
en particulier , nous les avons invités à
recevoir avec la plus grande défiance les
rapports lointains , tels que ceux que
les Gazetiers font arriver de Constanti(
62 )
4
nople. Voici un exemple véritablement
comique de la hardiesse de ces fictions,
qu'on éviteroit de rapporter comme des
faits, si la rédaction des Feuilles publiques
reposoit sur la connoissance , indispensable
néanmoins , de l'histoire des
contrées dont on prétend réciter les
évènemens.
La plupart des Gazettes se sont opiniâtrées
à annoncer une révolution imaginaire
dans le Ministère Ottoman; et
pour donner crédit à ce rapport , une
Feuille périodique a sérieusement transcrit
ce qu'on va lire. Suivant l'Auteur ,
voici la cause de la révolution sérieuse
qui a eu lieu à la Cour du Grand-Seigneur.
L'un des Eunuques avoit , dans le courant de
SEPTEMBRE DERNIER , recommandé une certaine
affaire civile à un Juge du Divan. Mais celui-ci ,
trop juſte pour avoir égard à ſa recommandation ,
ąrendu undécret conforme à l'équité. Les noirs ,
irrités du mépris de leur protection, s'en vengèrent
enaffaffinant le Juge ;& pour mieux cacher leur
crime , ils avoient imaginé de faire miner les fondemens
de la maiſon qu'il habitoit , de forte
qu'ayant été enſeveli ſous les décombres , on regarda
long-temps cet événement comme purement
fortuit. Cependant les gens de loi eurent quelque
foupçon de la perfidie , qui bientôt, par la viſite
des lieux , fe tourna en certitude. Mais avantd'obtenir
fatisfaction , il flloit pouvoir parvenir julqu'au
Sultan, cequi n'étoitpourt facile, parce que
leKflar-Aga on chef des Eunuques noirs , &fon
complice, étoien à même de fermer toutes les
(63)
avenues du trône , & ainſi de voiler leurs crimes.
Toutefois le Mufti trouva enfin le moyen de
faire remettre dans les mains du Sultan un mémoire
, où étoient détaillées , ſous les couleurs les
plus vives& les plus touchantes ,tant cette injufte
vio'ence , que toutes les autres vexations dont s'étoient
rendus coupables les deux favoris.
LeGrand-Seigneur ouvrit les yeux ; & ayant
reconnu la vérité de ces accufations , il les purit
comme le méritoient ces Miniſtres prévaricateurs ,
comme le méritent tous ceux qui abuſent de la
confiance de leur Souverain pour écrâfer les foibles.
Le premier jour de novembre , jour auquet
Ies Janiſſaires qui ſont de quartier , ont coutume
deprendre leur repas dans la cour extérieure du
férail où eſt le Divan , on vit tout-à-coup paroître,
au grand étonnement des ſpectateurs , les
têtes du Kiflar-Aga&de fon complice, tandisque
leurs cadavres furent pendus à la porte du ſérail
pendant trois jours. La vue de ce ſpectacle n'a
pas peu fervi à contenter le peuple , & à faire
ségnerdans la ville le calme& la tranquillité.
Ladiſgrace des deux favoris en entraîna d'autres,
comme c'eſt l'ordinaire. On y enveloppa
bientôt toutes les perſonnes qui avoient eu quelque
relation avec eux , & notamment celles qui ,
par la protectiondu Kifla -Aga avoient été élevées
adifférens poſtes honorables ou lucratifs , mais
d'où elles pouvoient impunément commettretoutes
fortesdemalverſations. L'Arménien Jacoub,Cour
zier du férail , Caiffier du Kiflar , & l'un de fes
plus intimes confidens , fut arrêté des premiers ;&
après avoir été mis à la queſtion ,&là, contraint ,
par laviolencedes tourmens,de dévoiler où étoient
les immenfes richeſſes de fon protecteur , il fut
étranglé& jeré à la mer.
Si l'on confidère que le Kiflar a eu pendant dix
années on ASCENDANT EXTRAORDINAIRE , PRES
(64 )
QUE DESPOTIQUE SUR L'ESPRIT DE SON MAÎTRE,
qu'enconféquence ildiſpoſoit de tous les emplois
Iucratifs , de toutes les graces , de tous les honneurs
, qu'il faifoit & defaifoit les Miniſtres , que
ceux- ci même, pendant long-temps, n'étoient que
les ſimples exécuteurs des firmans qu'il extorquoit
au Sultan , l'on conviendra que la chute de ce favori
peut entraîner une révolutien totale dans le
miniſtère comme dans l'eſprit de la Cour Ottomane
, & par conséquent devenir un acheminement
à des ſentimens plus pacifiques .
Ce qui le fait d'autant plus préſumer, c'eſt que
leMufti & le Caïnacan ont en la principale part
à cette révolution , & ſe ſont attirés par leur conduite
en cette occafion, la bienveillance de S. H.
On sera passablement surpris d'apprendre
que cette belle histoire des
révolutions de la Cour Ottomane, au
mois de septembre dernier, date du
règne de Mahomet V , qui occupa le
trône , avec honneur, depuis 1730 jusqu'en
1754. C'est en 1746 ou 1747 qu'arriva
toute l'aventure qu'on vient de lire
avec les réflexions , l'assasinat du Moulah
de Scutari, le châtiment du Kislar-Agasshy
, nommé Bekir, et né dans l'ifle de
Bornéo , celui deson Arménien Jakoub,
etc. etc. Iln'y manque que les incendies
par lesquels se manifesta la fureur de
peuple de Constantinople , et qui avertirent
le Sultan d'abandonner son Favori.
Les lecteurs curieux trouveront tous ces
détails , dont on fabrique la nouvelle du
jour, dans le huitième chapitre des Observations
surles Turcs, par M. Porter,
( 65 )
Envoyé Britannique à la Porte. Cet
Ouvrage , traduit en François , a été imprimé
à Neuchâtel en 1770.
On ressentit , le 18 de ce mois , à 3
heuresde l'après-midi, plusieurs secousses
de tremblement de terre à Mayence ,
Epstein et Zolms-Laubach . La commotion
se renouvela le 20 avant midi .- La
débacle sur la Moselle a occasionnéplus
de malheurs que celle du Rhin : environ
40 bâtimens ont été entraînés et fortement
endommagés par les glaçons.
".Depuis la priſe d'Oczakof, les raiſonneurs politiques
ſont dans une eſpèce de délire : ils prétendent
qu'il fera facile auxRuſſes , dans la campagne,
prochaine, de s'approcher de Conſtantinople, &d'y
mettrele ſiège. Rien de plus ridicule que ces arrangemens
des Gazetiers. L'eſcadre du Capita
Pacha exiſte encore en entier ; il faudroit d'abord la
détruire , avant que de paſſer d'Oczakof à Conftantinople
, & on fait que les Ruſſes ont trèspeu
de vaiſſeaux de ligne dans la mer-noire , &
aufli peu de bâtimens detranſport. Du côté de
la Méditerranée , la choſe n'est pas nonp'us ailée";
car indépendamment que les Suédois donneront
de l'occupation à l'eſcadre de Cronftait , il faut
d'abord ſe rendre naître des Dardanelles avant
d'arriver à la Capitale de l'Empire Ottoman. Un
fimple fiége de terre ne ſuffiroit pas pour la réduction
de cette place. »
ESPAGNE.
De Madrid, le 17 janvier.
La proclamation de notre nouveau
(66 )
Monarque a été célébrée ce matin , à 11
heures , avec toute la pompe, la magnificence
et le concours dont une pareille
cérémonié peut être susceptible; laproclamation
a été répétée 4 fois , aux acclamations
de la multitude.
S. M. a accordé àDon Pedro de Lerena
et à Don Antonio Portier, l'entrée
au Conseil d'Etat. Elle a donné 13 colliersde
laToison d'Or, entre autres àM. le
Duc de Bourbon et au Duc de la Vauguyon
, et nommé 14Grands-Croix de
POrdre de Charles III. Il y a eu aussi
une promotion dans les armées de terre
etdemer.
FRANCE.
De Versailles , le4février.
LeMarquis de Murat-l'Eſtang , le Comte du
Pac de Bellegarde , le Comte Pierre d'Aftorgue
&le Marquisde Bayly , qui avoient eu l'honneur
d'être préſentés au Roi , ont eu , le 27 du
mois dernier , celui de monter dans les voitures
de Sa Majesté & de la ſuivre à la chaſſe .
Le Roi a pourvu de la Charge de Premier
Préſident du Parlement de Paris , vacante par la
mortde Mr. Lefevre d'Ormeſſon , Mr. Bofchard
de Saron , Préſident de la même Cour. Ce Magiſtrat
a eu , le 29 , l'honneur de faire ſes remercimens
à Sa Majeſté , étant préſenté par leGardedes-
Sceaux de France.
LeRoi a diſpoſé de la place de ſon Médecin ,
premier confultant , occupée ci-devant par le
beur leMonnier , actuellement ſon premierMé
( 67 )
decin, enfaveur du ſieur Vicq-d'Azyr , qui en
conféquence a pris les premières entrées de la
Chambre de Sa Majeſté.
Le ſieur de Sauvigny , Chevalier de S. Lonis ,
Cenſeur royal , a eu l'honneur de préfenter au-
Roi les 61 , 62 & 63e cahiers de ſes Effais
fur l'histoire des Francs.
Le Comte de Fontette-Sommery, le Baron
d'Harambure , le Chevalier de Narbonne , le
Comte de Vaux , qui avoient eu l'honneur d'être
préſentés au Roi , ont eu , le 31 du mois
dernier , celui de monter dans les voitures de
Sa Majesté , & de la ſuivre à la chaſſe .
Le Ier de ce mois , Mr. Boſchard de Saron ,
Premier Préſident du Parlement de Paris , a
prêté , en cette qualité , ferment entre les mains
duRoi.
Le même jour , l'Univerſité de Paris , ayant
àſa tête Mr. Dumouchel , Recteur , a eu l'honneur
de préſenter au Roi , ſuivant l'uſage , le
cierge de la Chandeleur.
La Marquiſe d'Eſterno a eu l'honneur d'être
préſentée à Leurs Majestés &à la FamilleRoyale ,
par la Comteſſe d'Ecquevilly.
Le 2 , jour de la Purification de la Vierge , les
Chevaliers , Commandeurs & Officiers de l'Ordre
du Saint-Eſprit , s'étant aſſemblés , vers les onze
heures&demie, dans le grand Cabinet du Roi ,
Sa Majeſté a tenu un Chapitre , dans lequel Elle
a nommé Chevalier de l'Ordre du S. Eſprit , Son
Alteſſe Royale Monſeigneur le Duc de Berry.
Enſuite le Roi , devant qui marchoient deux
Huiffiers de la Chambre , portant leurs maſſes ,
& précédé de Monfieur , de Monfeigneur Comte
d'Artois , de Son Alteſſe Royale Monſeigneur
le Duc d'Angoulême , du Duc d'Orléans , du
Prince de Condé , du Duc de Bourbon , du Duc
d'Enghien , du Prince de Conti , des Chevaliers ,
(68 )
Commandeurs &Officiers de l'Ordre , entre le
quels leDucde Chartres marchoit , en habit de
Novice , s'eſt rendu à la Chapelle du Château ;
Sa Majefté y a entendu la Meſſe chantée_par ſa
Mufique ,& célébrée parl'Archevêque de Lyon ,
Prélat-Commandeur de l'Ordre. La Reine, Madame,
Madame Elifabeth de France y ont affifté
dans la Tribune , & la Ducheſſe de Fleury y
a fait la quête.
Après la Meſſe , le Roi eſt nionté ſur fon
Trône , & a reçu Chevalier le Duc de Chartres
; enfuite Sa Majesté eſt rentrée dans ſon
appartement , accompagrée comme Elle l'étoit,
pour ſe rendre à la Chapelle. Le Duc de Chartres
avoit repris fon rang entre le Duc d'Orléans
&le Prince de Condé,
L'après -midi , Leurs Majestés & la Famille
Royale , après avoir entendu le Sermon pro
noncé par l'Abbé Beauregard , Prédicateur ordinaire
du Roi, ont aſſiſté aux Vêpres chantées
par la Mufique de Sa Majesté , & auxquelles a
officié l'Abbé de Ganderatz , Chapelain de la
grande Chapelle.
De Paris , le 11 février.
LETTRE DU Roi pour la Convocation des Etats-
Généraux , à Verfailles , le 27 Janvier 1789.
DE PAR LE ROI.
Notre amé & feal , Nous avons beſoin du concours
de nos fidèles Sujets pour nous aider à fur-..
monter toutes les difficultés où nous nous trouvons
, relativement à l'état de nos finances , &
pour établir , fuivant nos voeux , un ordre conftant&
invariable dans toutes les parties du Gouvernement
qui intéreſſent le bonheur de nos Sujets&
la profpérité de notre Royaume. Ces grands
( 69 )
motifs nous ont déterminé a convoquer l'Aſſemblée
des Etats de toutes les provinces de notre
obéiffance , tant pour nous confeiller & nous
affifter dans toutes les choses qui feront miſes
fous ſes yeux, que pour nous faire connoître les
fouhaits & les doléances de nos Peuples ; demanière
que , par une mutuelle confiance & par
un amour réciproque entre le Souverain & ſes
Sujets , il foit apporté le plus promptement pofſible
un remède efficace aux maux de l'Etat , &
que les abus de toutgenre foient réformés & prévenus
par de bons & fo'ides moyens qui affurent
la félicité publique , & qui nous rendent à Nous
particulièrement le calme & la tranquillité dont
rous ſommes privé depuis ſi long-temps.
Aces caufes, Nous vous avertillons & fignifions
que notre volonté eſt de commencer à tenir
les Etats libres &généraux de notre Royaume ,
au lundi 27 avril prochain , en notre Ville de
Verſailles , où nous entendons & défirons que ſe
trouvent aucuns des plus notables Perſonnages
de chaque Province , Bailliage & Sénéchauflée.
Et pour cet effet , vous mandons& très-expreffément
enjoignons qu'incontinent la préſente reçre,
vous ayez à convoquer& aſſembler en rotre
Villede dans le plus bref temps
que faire ſe pourra , tous ceux des Trois-Etats
du Bailliage ( ou Sénéchauffée ) d pour
conférer & pour communiquer enſemble , tant
des remontrances , plaintes&doléances , que des
moyens & avis qu'ils auront à propoſer en l'Afſemblée
générale de noſdits Etats ; & , ce fait ,
élire, choifir & nommer
ſans plus de chaque Ordre ,
tous Perſonnages dignes de cette grande marque
deconfiance par leur intégrité & par le bon efpritdont
ils feront animés: leſquelles convoca-
1
( 70 )
tions & élections ſeront faites dans les formas
preſcrites pour tout le Royaume, par le Réglement
annexé aux préſentes Lettres ; & feront
leſdits Députés munis d'inſtructions & pouvoirs
généraux& fuffitans pour propoſer, remontrer,
avifer&conſentir tout ce qui peut concerner les
beſoins de l'Etat , laréforme des abus , l'établiſfement
d'un ordre fixe& durable dans toutes les
parties de l'Adminiſtration , la proſpérité générale
de notre Royaume , & le bien de tous &
de chacun de nos Sujets ; les aſſurant que de
notre part ils trouveront toute bonne volonté&
affection pour maintenir& faire exécuter tout ce
qui aura été concerté entre Nous&leſdits Etats ,
ſoit relativement aux impôts qu'ils auront confentis
, foit pour l'établiſſement d'une règle conftante
dans toutes les parties de l'Administration
&de l'ordre public; leur promettant de demander&
d'écouter favorablement leurs avis ſur tout
cequi peut intéreſſer lebiende nos peuples , &
de pourvoir ſur les doléances & propoſitions
qu'ils auront faites , de telle manière que notre
Royaume, & tous nos Sujets en particulier ,
reffentent pour toujours les effets ſalutaires qu'ils
doivent ſe promettre d'une telle & fi notable
Aſſemblée.
Donné à Versailles , le vingt-quatre Janvier
mil ſept cent quatre-vingt-neuf.
Signé LOUIS. Et plus bas , LAURENT DE
VILLEDEUIL.
RÉGLEMENT FAIT PAR LE ROI ,
Pour l'exécution des Lettres de Convocation.
Du 24 janvier 1789.
LE ROI , en adreſſant aux diverſes Provinces
ſoumiſes à ſon obéiſſance , des Lettres de
convocation pour les Etats-généraux , a voulu
( 71 )
que ſes Sujets fuſſent tous appelés à concourir
aux élections des Députés qui doivent former
cette grande & folenne le Aſſemblée ; Sa Majeſté
a défiré que des extrémités de fon Royaume&
des habitations les moins connues , chacun
fût aſſuré de faire parvenir juſqu'à Elle ſes voeux
&ſes réclamations ;Sa Majefté ne peut ſouvent
atteindre que par ſon amour à cette partiede ſes
Peuples , que l'étendue de ſon Royaume & l'appareil
duTrône ſemblent éloigner d'Elle , & qui ,
hors de la portéede ſes regards , ſe fie néanmoins
à la protection de ſa justice & aux foins prévoyans
de ſa bonté. Sa Majesté a donc reconnu
avec une véritable fatisfaction , qu'au moyen des
Aſſemblées graduelles ordonnées dans toute la
Francepour la repréſentation du Tiers-état , Elle
auroit ainſi une forte de communication avec tous
les habitans de ſon Royaume , & qu'Elle ſe rapprocheroit
de leurs beſoins & de leurs voeux
d'une manière plus fûre &plus immédiate. Sa
Majesté a tâché de remplir encore cet objet particulier
de fon inquiétude , en appelant auxAfſemblées
du Clergé tous les bons& utiles Pafteurs
qui s'occupent de près & journel'ement de
l'indigence & de l'aſſiſtance du peuple , & qui
connoiffent plus intimement ſes maux & ſes appréhenſions.
Le Roi a pris ſoin néanmoins que ,
dans aucun moment , les paroiſſes ne fuſſent privéesde
la préſence de leurs Curés , ou d'un Eccléſiaſtique
capable de les remplacer ; & dans
ce but , Sa Majefté a permis aux Curés qui n'ont
point de Vicaires , de donner leur fuffrage par
procuration.
LeRoi appelle au droit d'être élus pourDéputés
de la Nobleſſe , tous les Membres de cet
Ordre indiſtinctement , propriétaires ou non propriétaires
: c'eſt par leurs qualités perſonnelles ,
c'eſt par les vertus dont ils ſont comptables en(
72)
vers leurs ancêtres , qu'ils ont fervi l'Etat dans
tous les temps & qu'i's le ferviront encore ; &
le plus eſtimable d'entre eux ſera toujours celi
qui méritera le mieux de les repréſenter.
Le Roi , en réglant l'ordre des convocatiors
&la forme des Aſſemblées , a voulu ſuivre les
anciens uſages autant qu'il étoit poffible. Sa Majeſté
, guidée par ce principe , a confervé à tous
les bailliages qui avoient député directement aux
Etats-généraux en 1614 , un privilége confacré
par le temps , pourvu du moins qu'ils n'euſſent
pas perdu les caractères auxquels cettediſtinGion
avoit été accordée ; & Sa Majesté , afin d'établir
une règle uniforme , a érendu la même prérogative
au petitnombre de bailliages qui ont acquis
des titres pareils depuis l'époque des derniers Etatsgénéraux.
Il eſt reſulté de cette diſpoſition , que de petits
bailliages auront un nombre de Députés ſupérieur
à celui qui leur auroit appartenu dans une
diviſion exactement proportionnée à leur population;
mais Sa Majesté a diminué l'inconvénient
de cette inégalité , en aſſurant aux autres bailliages
une députation relative à leur population
&à leur importance;& ces nouvelles combinaifons
n'auront d'autre conféquence que d'augmenter
un peu le nombre général des Députés. Cependant,
le refpect pour les anciens ufages , &
la néceſſité de les concilier avec les circonftances
préſentes , ſans bleſſer les principes de la juftice
, ont rendu l'enſemble de l'organiſation des
prochains Etats-généraux , & toutes les difpofitions
préa'ables très difficiles , & fouvent imparfaites.
Cet inconvénient n'eût pas exiſté ſi l'on eût
ſuivi une marche entièrement libre , & tracéé
ſeulement par la raiſon & par l'équité ; mais Sa
Majesté a cru mieux répondre aux voeux de ſes
Peuples , en réſervant à l'Aſſemblée des Etatsgénéraux
( 73)
généraux le ſoin de remédier aux inégalités qu'on
n'a pu éviter , & de préparer pour l'avenir un
ſyſtême plus parfait.
Sa Majesté a pris toutes les précautions que fon
efprit de ſageſſe lui a inſpirées , afin de prévenir
les difficultés & de fixer toutes les incertitudes ;
Elleattenddesdifférens Officiers chargés de l'exécution
de ſes volontés , qu'ils veilleront affidûment
au maintien ſi déſirable de l'ordre & de
l'harmonie; Elle attend ſur-tout que la voix de
la confcience ſera ſeule écoutée dans le choix des
Députés aux Etats généraux. Sa Majesté exhorte
les électeurs à ſe rappeler que les hommes d'un
eſprit ſage méritent la préférence , &que par un
heureux accord de la morale & de la politique ,
il eſt rare que dans les affaires publiques & nationales
, les plus honnêtes gens ne foient auf
les plus habiles. Sa Majeſté eſt perſuadée que la
confiance dûe à une Aſſemblée repréſentative
delaNation entière, empêchera qu'onnedonneaux
Députés aucune inſtruction propre à arrêter ou à
troubler le cours des délibérations. Elle eſpère
que tous ſesSujets auront ſans ceſſe devant leurs
yeux , & comme préſent à leur ſentiment , le
bien innappréciable que les Etats-généraux peuvent
opérer , & qu'une ſi haute conſidération les
détournera de ſe livrer prématurément à un eſprit
de défiance qui rend ſi facilement injuſte , & qui
empêcheroit de faire ſervir à la gloire & à la
proſpérité de l'Etat , la plus grande de toutes les
forces,l'uniondes intérêts & des volontés. Enfin
Sa Majesté , ſelon l'uſage obſervé par les Rois
ſes prédéceſſeurs , s'eſt déterminée à raſſembler
autour de ſa demeure les Etats-généraux du royaume
, non pour gêner en aucune manière la libertéde
leurs délibérations , mais pour leur conſerver
le caractère le plus cher à fon coeur , celui
No. 7. 14 Février 1789. P
(74)
de conſeil & d'ami. En conſequence , SA MAJESTÉ
a ordonné & ordonne ce qui fuit :
ART. 1. Les Lettres de convocation feront
envoyées aux Gouverneurs des différentes provincesdu
Royaume , pour les faire parvenir dans
l'étendue de leurs gouvernemens , aux Baillis &
Sénéchaux d'Epée , à qui elles feront adreſſées ,
ou à leurs Lieutenans.
II. Dans la vue de faciliter&de ſimplifier les
opérations qui feront ordonnées par le préſent
Réglement , il fera diſtingué deux claſſes de bailliages
& de ſénéchauffées.
Dans la première claſſe ſeront compris tous
les bailliages & fénéchauſſées auxquels Sa Majeſté
a jugé que ſes Lettres de convocation devoient
être adreſſées , conformément à ce qui s'eſt pratiqué
en 1614.
Dans la ſeconde claſſe feront compris ceux des
bailliages& fénéchauffées qui , n'ayant pas député
directement en 1614 , ont été jugés par Sa Majeſté
devoir encore ne députer que ſecondairement &
conjointement avec les bailliages ou fénéchauſſées
de la première claſſe : & dans l'une & l'autre
claſſe, l'on entendra par bailliages& fénéchauffées ,
tous les fiéges auxquels la connoiſſance des cas
royaux eſt attribuée.
III. Les bailliages ou ſénéchauſſées de la première
claſſe ſeront déſignés ſous le titre de Bailliages
principaux , ou de Sénéchauffées principales.
Ceux de la ſeconde claſſe le feront ſous celui de
Bailliages ou Sénéchauffées ſecondaires.
IV. Les bailliages principaux ou ſénéchauffées
principales , formant la première claffe , auront
unarrondiſſement dans lequel les bailliages ou ſénéchauſſées
ſecondaires ,compoſant la ſeconde claſſe,
feront compris & répartis , foit à raiſon de leur
proximité des bailliages principaux ou des fénéchauffées
principales , foit à raifon de leur dé-
1
( 75 )
ا
0
membrement de l'ancien reſſort deſdits bailliages
ou ſénéchaufſſées .
V. Les bailliages ou ſénéchauffées de la ſeconde
claſſe ſeront déſignés à la ſuite des bailliages &
des ſénéchauſſées de la première claſſe dont ils
formeront l'arrondiſſement, dans l'état mentionné
ci-après , & qui ſera annexé au préſent Réglement
.
VI. Enconſéquence des diſtinctions établies par
les articles précédens , les Lettres de convocation
feront adreſſées aux Baillis & Sénéchaux des bailliages
principaux & des ſénéchauffées principales ;
&leſdits Baillis&Sénéchaux principaux , ou leurs
Lieutenans en enverront des copies collationnées ,
ainſiquedu préſent Réglement , aux bailliages &
fénéchauffées ſecondaires.
VII. Auſſitôt après la réception des Lettres de
convocation , les Baillis &Sénéchaux principaux ,
ou leurs Lieutenans , les feront , fur la réquifition
du Procureur du Roi , publier à l'audience , &
enregiſtrer au greffe de leur fiége ; & ils feront
remplir les formes accoutumées , pour leurdonner
la plus grande publicité.
VIII. Les Officiers du fiége pourront aſſiſter
à lapublication , qui ſe fera à l'audience, des Lettres
de convocation; mais ils ne prendront aucune
part à tous les actes , jugemens & ordonnances
que le Bailli ou le Sénéchal , ou fon Lieutenant ,
ou en leur abſence, le premier Officier du ſiége ,
fera dans le cas de faire & de rendre pour l'exécution
deſdites Lettres. Le Procureur du Roi aura
ſeul le droit d'aſſiſter le Bai li ou Sénéchal , ou
fon Lieutenant; & il ſera tenu , ou l'Avocat du
Roi en fon abfence , de faire toutes les réquiſitions
ou diligences néceſſaires pour procurer ladite exécution.
IX. Lefdits Paillis & Sénéchaux principaux,
ou leurs Lieutenans , feront affigner , à la requête
dij
( 76 )
du Procureur du Roi, les Evêques &les Abbés ,
tous les Chapitres , Corps & Communautés Eccléſiaſtiques
rentés , réguliers&féculiers , des deux
ſexes , & généralement tous les Eccléſiaſtiques
poſſédant Bénéfice ou Commanderie , & tous les
Nobles poſſédant Fief dans toute l'étendue du reffort
ordinaire de leur Bailliage ou Sénéchauffée
principal , à l'effet de comparoître à l'Aſſemblée
générale du Bailliage ou Sénéchauſſée principal ,
au jour qui fera indiqué par l'aſſignation , lequel
jour ne pourra être plus tard que le ré mars prochain.
X. En conféquence , il ſera tenu dans chaque
Chapitre ſéculier d'hommes une Aſſemblée qui ſe
féparera en deux parties , l'une deſquelles , compoſée
des Chanoines , nommera un Député , à
raiſon de dix Chanoines préſens & au-deſſous ;
deux au-deſſus de dix juſqu'à vingt , & ainſi de
ſuite ; & l'autre partie , compoſée de tous les Eccléſiaſtiques
engagés dans les Ordres , attachés par
quelque fonction au ſervice du Chapitre , nommera
un Député , à raiſon de vingt deſdits Eccléſiaſtiques
préſens , & au - deſſous ; deux au-deſſus
de vingt juſqu'à quarante , & ainſi de ſuite.
XI. Tous les autres Corps & Communautés
Eccléſiaſtiques rentés , réguliers , des deux ſexes ,
ainſi que lesChapitres& Communautés de filles ,
ne pourront être repréſentés que par un ſeulDéputé
ou Procureur fondé , pris dans l'Ordre eccléſiaſtique,
ſéculier ou régulier.
Les Séminaires , Colleges &Hôpitaux étant des
établiſſemens publics , à la conſervation deſquels
tous les Ordres ont un égal intérêt , ne ſeront
point admis à ſe faire repréſenter.
XII. Tous les autres Eccléſiaſtiques poſſédant
bénéfice , & tous les Nobles poſſédant fief, feront
tenus de ſe rendre en perſonne à l'Aſſemblée , ou
( 77 )
de ſe faire repréſenter par un Procureur fondé,
pris dans leur Ordre.
Dans le cas où quelques -uns deſdits Ecclefiaf
tiques ou Nobles n'auroient point éré affignés , ou
n'auroient pas reçu l'affignation qui doit leur être
donnée au principal manoir de leur bénéfice ou
fief, ils pourront néanmoins ſe rendre en perſonne
à l'Aſſemblée , ou ſe taire repréſenter par des Procureurs
fondés , en justifiant de leurs titres .
XIII. Les affignations qui feront données aux
Pairs de France , le feront au chef-lieu de leurs
Pairies , ſans que la comparution deſdits Pairs à la
ſuite des affignations , puiſſe en aucun cas , ni
d'aucune manière , porter préjudice aux droits &
privilèges de leurs Pairies.
XIV. Les Curés des Paroiſſes, Bourgs.
munautés des campagnes éloignés de plus de deux
lieues de la Vile où ſe tiendra l'Aſſemblée du
Bailliage ou Sénéchauſſée à laquelle ils auront été
aſſignés , ne pourront y comparoître que par des
Procureurs pris dans l'Ordre Eccléſiaſtique , à
moins qu'ils n'ayent dans leurs,Cures un Vicaire
ou Deſſervant réſidant , en état de remplir leurs
fonctions , lequel Vicaire cu Deſſervant ne pourra
quitter la Paroiffe pendant l'absence duCuré.
& Con-
-
XV. Dans chaque Ville , tous les Eccléfiaftiques
engagés dans les Ordres & non poflédant
bénéfice, feront tenus de ſe réunir chez le Curé
de la Paroiſſe ſur laquelle ils ſe trouveront habitués
ou domiciliés ; & là , de choiſir des Députés,
à raiſon d'un ſur vingt Eccléſiaſtiques préfens
& au- deſſous ;deux au-deſſous de vingt jufqu'à
quarante , & ainſi de fuite , non compris le
Curé, à qui le droit de venir à l'Affemblée générale
appartient à raiſon de fon bénéfice.
XVI. Tous les autres Eccléſiaſtiques engagés
dans les Ordres , non-réſidans dans les Villes , &
tous les Nobles non-poſſédant fief, ayant la nodiij
( 78)
bleſſe acquiſe& tranſmiſſible , âgés de vingt-cinq
ans , nés François ou naturaliſés , domiciliés dans
le reſſort du Bailliage , feront tenus, en vertu des
publications&affiches des Lettres de convocation,
deſerendre enperſonne à l'Aſſemblée des TroisÉtats
du Bailliage ou Sénéchauffée, ſans pouvoir
ſe faire repréſenter par Procureur.
XVII. Čeux des Eccléſiaſtiques ou des Nobles
qui poſſéderont des bénéfices ou des fiefs ſitués
dans plufiears Bailliages cu Sénéchauffées , pourront
ſe faire repréſenter à l'Aſſemblée des Trois-
Etats de chacun de ces Bailliages ou Sénéchauffées
par un Procureur fondé , pris dans leur Ordre ;
mais ils ne pourront avoir qu'un fuffrage dans la
même Aſſemblée générale de Bailliage ou Sénéchauſſée
, quel que foit le nombre des bénéfices ou
fiefs qu'ils y poſsèdent.
XVIII. Les Eccléſiaſtiques engagés dans les Ordres
, poſſédant des fiefs non-dépendans des bénéfices
, ſe rangeront dans l'Ordre Eccléſiaſtique ,
s'ilscomparoiſſent en perſonne ; mais s'ils donnent
une procuration , ils feront tenus de la donner à
un Noble , qui ſe rangera dans l'Ordre de la Nobleſſe.
( La fuite au Journalprochain.)
M. d'Ormesson , Premier Président
du Parlement , a succombé, le 27 janvier,
à la maladie dont il étoit attaqué. Messieurs
les Présidens de Gourgues et de
Rosambeau ont été députés vers Sa
Maj . , pour lui demander la place de
Premier Président pour M. le Président
Boschard de Saron, Doyen du Grand
Banc , et S. M. l'a nommé à cette place
importante. Depuis 1736 , lors de la
mortde M. le Premier PrésidentPortail,
(79 )
aucun Premier Président n'étoit mort
en place. M. d'Ormesson emporte au
tombeau la réputation d'un Magistrat
éclairé , intègre , parfaitement attaché à
ses devoirs.
« Parmi les écrits qui ſe multiplient dans les
circonſtances actuelles , on en remarqueun , intitulé
: Qu'est-ce que le Tiers ? de 127 pages d'impreſſion.
Le plan en eſt ſimple. L'Auteur s'y
fait trois queſtions principales ,& ily répond ainfi :
1.Qu'est cequeleTiers ?-Tout . 2 °. Qu'a-t- il été
juſqu'à-préſent dans l'ordre politique ?- Rien.--
3°. Que demande-t-il ? -A y devenir quelque
choſe. Cet Ecrit , ſage et meſuré , a trouvé un
très-grand nombre d'approbateurs . »
<<On apprenddenos ports qu'un assez
grand nombre de navires , qui revenoient
de nos Colonies, ayant été assaillis par des
temps affreux à nos attérages, ont pris
le parti d'aller relâcher à Cadix et dans
quelques autres ports d'Espagne. Quelques-
uns d'entre eux , au-devant desquels
on avoit envoyé de Brest des gabares
pour leur porter des secours , sont entrés
dans nos ports. >>>
<< La Loire a emporté dans sa débacle
les ponts de Cé, de la Charité , de Nevers
et de Tours , de sorte que les communications
se trouvent interrompues
dans tous ces endroits. »
<<<Samedi dernier, l'Académiedes Sciences
a nommé M. de Bougainville à la
placed'Associé libre, vacante parla mort
de M. le Marquis Turgot.>>>
Le 21 janvier , il fut signifie au
div
( 80 )
Syndic-général desEtats de Languedoc ,
assemblés actuellement à Montpellier ,
une protestation contre toute nomination
de Députés de la province , qui
pourroit être faite par lesdits Etats aux
Etats-Généraux du royaume. Cette protestation
est faite au nom du Marquis
d'Escouloubre , comme Syndic de la
Noblesse des Diocèses 'de Toulouse et
de S. Papoul. Les Etats , au reste , sont
fort paisibles , et ils ont accordé , selon
l'usage, le don gratuit qui leur a été demandé,
: LETTRE AU REDACTEUR.
**Monfieur , permettez que je vous marque ma
furpriſe , de trouver toujours dans vos Journaux
des actes de Bienfaisance rapportés , fans doute
pour chercher à infpirer aux ames ſenſibles , le
doux plaiſir de les multiplier.
Mais , Monfieur , n'est-ce pas au contraire donner
une idée affreuſe de la dureté& de la perverſité
du coeur humain ?
Quoi ! dans le nombre de 24 millions d'ames
qu'on eftime en France , à peine dans l'année
eft-il rapporté quarante à cinquante actes de bienfance!
N'est- ce pas trop humilier la pauvre humanité
, tandis que dans tous les états , il eſt encore
tant de ces ames tendres & ſenſibles qui
vont au-devant des peines & des malheurs de
leurs femblables : du moins j'en connois infiniment
plus qui penſent&agiſſent ainſi, quejen'en connois
d'autres. J'en prends la preuve dans les charités
journalières que je vois faire par ceux mêmes qui
ſe refuſent le néceſſaire à cette fin. Certes , c'eſt
donner plus que le denier de la veuve.
(81 )
Non , Monfieur , fouffrez que j'aie l'honneurde
vous le dire , vous ne prenez pas le droit chemin
pour arriver au but que vous vous propoſez
. Vous voulez multiplier à l'infini les actes
de bienfaiſance ! taiſez-les ; mais au contraire di
vulgnez les actions barbares , inhumaines ; les pè
res de famille qui placent leurbien à fonds perdu,
les divorces , les lâchetés , les injuftices , les friponneries
, les biens acquis par astuce , les moeurs
perverties , &c. Jetez tout l'odieux qui naturellement
doit être attaché à ces abominations fréquentes
; nommez les perſonnes , circonstanciez
leurs actions .
Que tous les Tribunaux du Royaume vous
adreſſent tous ces Procès iniques , établis par l'injuſtice
la plus reconnue , mais foutenus par la
faveur; que les Notaires vous déclarent les Contrats
qu'ils auront paſſés pourles pères de famille
qui vendent leur bien à fonds perdu , faute
de quoi les Notaires vous feroient cirés ; qu'il
foit du devoir de tous MM. lesCurés, Prêtres &
autres , de déclarer les moeurs effrénées : la publicité
ſera rendue avec la ſignature des dénonciateurs,
Voilà le ſeul moyen de multiplier la bienfaifance
,&de rétablir les moeurs , les citoyens honnêtes
, les bons ménages , l'honneur dans tous
les coeurs , les vrais patriotes , les Juges intègres,
les Prêtres reſpectables , & d'extirper cet eſprit
d'égoïfme , deſtructeur de toute ſociété.
Peut-être , Monfieur , me direz- vous qu'il
vous faudroit faire imprimer des in-folio, au lieu
d'une ſimple feuille ſuffiſante pour inférer les
actes de bienfaifance.
Votre obfervation , Monfieur , est très - juſte ,
pour lapremière année ſeulement; mais un in-8°
fuffiroit la ſeconde année , & une feuille in- 16 la
dy
(82 )
troiſième. Par- là , en peu de temps , vous auries
lagloire de changer les moeurs ſociales , tout
tendroit au bien général & de l'Etat , véritablemest
la bienfaisance remplaceroit la perverſité.
Jugez mes vues, Meſſieurs , ſans examiner mon
ſtyle, qui ne vaut l'attention de perſonne.
J'ai l'honneur d'ètre, &c. le Bon. DE CLINCHAMPS.
En partageant le zèle et les intentions
parfaitement lowables de M. le Baron de
Clinchamp, nous devons lui représenter
les inconvéniens de la censure qu'il nous
défère. A notre avis, il n'a que trop
raison dans ses reproches à l'affectation
moderne de publier des actes ordinaires
de bienfaisance. Le style exagérateur
du siècle a gâté même les vertus : on
a habitué le public à les confondre avec
les devoirs , à célébrer des actions estimables
comme des actions héroïques ,
et des dettes acquittées envers la société
comme des sacrifices généreux. La moindre
aumône est érigée en bienfait; le
moindre effort de probité délicate , en
devouement à ses semblables: quelqu'un
sauve -t - il un cheval d'un incendie , on
lui décerne une Couronne civique : le
monde se peuple ainsi de héros , et les
fables de l'age d'or n'approchoient pas
du tableau journalier de nos réalités. Il
n'en est point de la vertu comme du
point d'honneur; à ce dernier , il faut
du spectacle; les regards publics lui donnent
la vie: il résulte de l'exemple et de
(83)
l'amour de la considération ; au contraire
, la vertu , parmi le peuple , résulte
du sentiment ; et des principes , dans
les classes plus élevées . Aucun Moraliste
n'a dit que les hommes devenoient sincèrement
vertueux par imitation. Celleci,
dans un âge corrompu , n'est que
T'hypocrisie. Cependant il est des circonstances
, telles que celles de l'hiver
actuel , où la publicité des bienfaits réveille
nécessairement les coeurs indifférens
, avertit ceux qui ne le sont pas ,
et donne une impulsion d'enthousiasme
àla Charité publique.
Quant aux révélations dont M. le Baron
de Clinchamps nous confie le ministère
, nous lui observerons que c'est à
la partie publique , et non aux Journalistes
àdénoncer les délits. Ce qu'il nous
propose est proscrit par les lois de tous
les pays, et se nomme de la diffamation.
La société n'a pas plus délégué à aucun
individu ledroit de percerson semblable
des traits de Popinion, qu'elle ne lui a
délégué celui de le tuer sur les grands
chemins . Les Juges , après un long
mûr et froid examen, hésitent encore à
prononcer sur les actions des hommes ;
comment un écrivain osera-t-il se donner
plus de droits que n'en a la Justice
même ? Des exemples très - récens le
démontrent après tant d'autres ; l'usurpation
de la censure ne produit que des
imposteurs ; sous la robe de Caton ,
dvj
(84)
ils cachent l'ame de Cartouche , et au
crime de leurs calomnies , ils joignent
celui de se parer des livrées de la vérité.
M. le Baron de Clinchamps s'apercevra
, sans doute , que le poignard dont
il voudroit nous armer , fut confié à
Rome à une Magistrature de la vertu
la plus éprouvée. C'est au public à exercer
cette police , en imitant le procédé
des Sénateurs Romains envers Catilina.
Lorsque ce brigand eut l'audace de paroître
au milieu d'eux , tous les Pères
conscripts laissèrent vide le banc oùil
étoit assis.
1
Nous ne présumons pas tomber dans
l'inconséquence , en rapportant ici-un
trait de désintéressement du Curé de
C....... a deux lieues du Mans.
Le 5 de Janvier , trente-cinq à quarante pauvres
de ſa paroiſſe vinrent implorer ſon affittance.
Les fecours qu'ils en avoient déja reçuş, l'avoient
mis dans l'impuiſſance de leur en donner de nouveau.
Mes amis , leur dit-il , revenez demain.Auffetôt
il envoie ſa montre & ſes boucles de fouliers
à vendre au Mans par fon domestique &le lendemain
1 diſtribua l'argent qu'il en avoit reçu ,
aux malheureux que lebeſoin ne manqua pas de
lui ramener. 1
Du 30 avril au 31 décembre 1788 , il
est entré dans les deux ports de Rouen
et du Havre 216 navires Anglois ; savoir,
un chargé de riz , un de saumon, 5 en
étain , 8 en alun , 2 en plomb, 2 en
cuivre, 30 en salaisons , 38 en bled et
farine , 63 en charbon , meubles et
(85 )
faïence , 66 en marchandises diverses.
Total, 216.
Si on ajoute à cette liste 148 navires
entrés dans les mêmes ports depuis le
premier janvier jusqu'au 30 avril 1788 ,
on aura un total de 364 navires Anglois
entrés dans les deux seuls ports de Rouen
et le Havre pendant l'année 1788.
«Les plutes abondantes qui ont fait déborder
toutes les rivières de notre contrée , écrit on d'Antibes
, ont été ſuivies , dans les derniers jours de Décembre,
d'une quantiré de neige fi prod greufe &
d'un froid fi excelf , qu'on ne te fouvient pas d'avoir
éprouvé ici un haver auffi rigoureux. Le jour
des Rois , la neige a recommence à tomber avec la
plus grande abondance , depuis une heure après
midi ju qu'à fix heures du foir , accompagnée de
tonnerre, d'éciairs & d'un vent violent d'E. N. E.
& E. S. E. Cet orage a cauté de grands dé aſtres
dans ces parages. Depuis le Cap Noir juſqu'à
Saint-Tropez , dix baumens de différentes Nations
ont té forcés de faire côte , avec pe te de
leurs cargaifons & d'une partie de leurs Equipages.
Le Capitar e Ferrand, de Nice, Maître
de la Tartane l'Elifabeth , rapporte qu'érant
arrivé pendant ce coup de vent, au mouillage
des iſtes Sainte-Marguerite , il y avoit vu quatorze
Navires, dont les cables & les amarres avoient
été rompus, & qui s'entrechoquant les uns contre
les autres , étoient menacés d'une perte infaillible ,
fans le prompt ſecours du Capitaine Guirard ,
commandant le bateau de ſervice de l'iſle Sainte-
Marguerite. Cet is trépide Marin , bravant la mer
&l'orage, s'eft portéau fort du danger, &, ſecondé
par fon équipage & quelques Matelots du Capitaine
Ferrand , eſt parvenu à amarrer & mettre
hors de danger la plus grande partie de ces bâti(
86 )
mens. Le même jour, fur les grêves de cette
Ville & au Nord du Fort-Quarré, a échoué la
Tartane Sainte-Claire , qui a été totalement perdue.
L'équipage ſeul's'eſt ſauvé.-Depuis ce temps ,
la mer paroît au large couverte de débris , qui
annoncent d'autres naufrages >>
« La violence de l'orage a arraché& ébranché ,
dans tous les environs , un très-grand nombre
d'oliviers , d'orangers& de citronniers , auxquels
on craint que le grand froid n'ait caufé les plus
grands dommages »
« Les bleds font ici à un prix exceffif. »
PAYS- BAS.
De Bruxelles, le 7 février 1789 .
Le refue des Subsides ordinaires , qui
a produit les dernières mesures de l'Empereur
, étoit particulier aux Etats de
Hainaut et de Malines , et au troisième
Ordre des Etats de Brabant , le reste
des Pays-Bas Autrichiens n'ayant pas
montré la même opposition. Elle a eu
pour prétexte l'affaire de Louvain , la
translation d'une partie de l'Université
à Bruxelles , et quelques autres griefs
encore moins importans. On se persuadera
de la sensation qu'ont opérée les
- menaces de S. M. I. en lisant l'humble
Supplique que les Etats de Brabant
-viennent d'adresser à l'Empereur .
« Les très-humbles& foumis vaſſaux& fuje's de
Votre ſacréeMajesté , les Prélats , Nobles & Députés
des Chef-Villes , repréſentant les trois Etats
de votre pays & duché de Brabant , demandent
4
(87 )
avec une profonde humume , qu'il leur foit permis
d'expoſer à Votre Majesté l'affliction extrême
où ils font d'avoir pu vous déplaire , Sire , au
point que l'exprime la Dépêche donnée le 7 de
cemois, fous votre ſeing auguſte.n
>>Votre Majesté y annonce , nous chercherions
vainement à nous le cacher , Votre Majefté y fait
éclater contre nous & fon peuple tout le poids
de ſon indignation: hélas ! Sire , & nos regrets
&l'abyme de notre douleur ne pourront jamais
trop bien être repréſentés à votre ſenſibilité paternelle
, à cette clémence , Sire , qui fans ceſſe
ajoute à l'éclatde votre juſtice , de votre gloire. »
F « Dès le moment , Sire , qu'il a été poſſible
d'embraſſer les moyens de défarmer votre courroux,
ils ont été ſaiſis avec empreſſement ;& ces
moyens , Sire , ce font , ce feront toujours ceuxlà
dictés uniquement par da ſoumiffion la plus
parfaite.>>>
«Quoiqu'il ne ſoit pas dans nos droits de
pouvoir déroger aux priviléges du Tiers -Etat ,
il ne vient pas moins d'être pourvu fans délai au
ſervice de Votre Majefté , par la Déclaration de
nous Prélats & Nobles compoſant les deux premiers
Ordres , d'obéir en toute foumiffion à ce
qui ſera ſtatué au nom de Votre Majesté, en vertų
de la plénitude de votre puiſſance , Sire , & de
votre autorité ſouveraine fur le recouvrement
immédiat de ces impofitions. >>
«Votre Majefté daignera entendre au ſurplus,
par les rapports Miniſtériels qui lui feront faits ,
que fuivant la forme de nos délibérations , il n'étoit
pas poſſible aux Députés du Tiers - Etat de
donner à Votre Majesté , conjointement avec les
deux premiers Ordres , cette marque certaine
d'une entière obéiſſance. »
<<Oui , Sire , c'eſt la même voie d'une foumiffion
véritable & fans bornes, que nous ſuivons en
(88 )
fuppliant Votre Majesté d'agréer la prière humble&
préciſe que nous lui faiſons ici , de daigner
regarder comme non-avenues nos dernières Repréſentations
en date du 1er décembre dernier ,
qui ont excité l'indignation de Votre Majeſté;
attachés comme nous ſommes , commenous le ferons
uniquement, Sire , au ſoin de vous fervir
&de tâcher de vous complaire en toutes chofes,
d'aller au-devant du moindre déſir que Votre Majefté
daignera nous manifeſter.>>
«Que ne nous est-il permis , Sire , d'exprimer
nous-mêmes aux pieds de Votre Majesté, le ſentiment
loyal , honorable pour nous , qui ne nous
faitreſpirer que votre ſervice ! au moinsdaignez,
ô vous , Sire , le meilleur comme le plus acceffibledes
Rois , veuillez ſouffrir que nous puiffions
députer vers Votre Majesté quelques perſonnes
des Trois Ordres, pour la ſupplier non-feulement
d'accepter l'hommage que nous faiſons ici d'avance
detoutes les reſſources de vos ſujets , mais furtout
de rendre à votre peuple toute l'étendue de
ves bonnes graces , Sire , de votre bonté & de
votre clémence : fur-tout encore de conſerver à
cepeuple l'intégrité de ſes lois conftitutives , fous
ladouce influence deſquelles il vitheureux depuis
tant de fiècles . "
«Ceferoit alors , Sire , ce ſeroit par le moyen
de ces Députés , imbus de nos principes , pénétrés
de notre eſprit , que Votre Majesté pourroit
ſe convaincre que ſi dans ces mêmes lois , faites
&deſtirées pour affurer le bonheur public, vous
jugiez , Sire , qu'il puiſſe ſe trouver des points
incompatib'es avec les vues falutaires que ſe propoſeroit
Votre Majesté , Elle pourroit nous les
communiquer avec cette confiance que doivent
infpirer, qu'il nous ſoit permisdele dire, notre foumiſſionnon
moins que notre zèle , nous qui devons
vous en donner, Sire , les premiers exem(
89 )
ples, comme les plus Notables appelés d'entre
vos ſujets. >>
«Ce feroit alors , Sire , que ces Députés , inftruits
, éclairés , dirigés par la ſageſſe propre, à
Votre Majesté , pourroient à leur retour nous en
tranſmettre les oracles : dès-lors la félicité deviendroit
générale dans tous les Ordres de l'Etat ;
&quels nouveaux efforts , Sire , ne pourroit pas
votre Clergé , aſſuré de ſon exiſtence, pour concourir
aux vues,de Votre Majeſté ! tout, en un
mot , deviendroit bientôt une ſource précieuſe &
fécondede joie, de bénédictions qui s'éleveroient de
toutepart vers le trône de Votre Majeſté. »
«Telle eft , Sire , la diſpoſition fincère & à
jamais des coeurs de vos Etats ; tels font les feuls
titres qu'ils ofent invoquer auprès de Votre facrée
Majesté,, pour mériter ſon indulgence, faprotection&
fa fouveraine clémence.»
«En quoi , &c. »
«De notre Assemblée générale tenue à Bruxelles,
le 26 Janvier 1789. Signé , DE Cоск. »
Le Gouvernement général , suivant
les ordres éventuels de l'Empereur , a
envoyé des Commissaires à Mons , pour
y dissoudre les Etats de Hainaut , et y
faire publier et exécuter l'Ordonnance
que voici:
Nous déclarons & ordonnons :
ART. I. Qu'à compter de ce jour , tous les Privilèges&
Conceffions faites &accordées par Nous
aux États de notre Pays & Comté de Hainaut ,
font & demeureront révoqués , caffés & annullés.
II. Seront pareillement ſupprimés , à compter
de ce jour, le Comité intermédiaire des Etats
de Hainaut , connu ſous le nom de députation
des Etats , ainſi que tous les Receveurs , Offi
( 90 )
ciers&autres employés deídits Etats fans exception.
III. Déclarons néanmoins que ces Receveurs ,
Officiers & Employés pourront continuer à remplir
comme auparavant les devoirs & fonctions
de leursplaces reſpectives ,&jouir du même gage
ou traitement qu'ils ont perçu juſqu'ici , moyennant
qu'ils nous faſſent au préalable le ferment
appartenant à leurs Offices , tel qu'ils l'ont fait précédemment
aux Etats de Hainaut , celui-ci devant
ceffer à tous égards.
IV. Nous pourvoirons inceſſamment , par les
moyens qui feront trouvés convenables & ren
dus publics , an recouvrement des impoſitions &
charges publiques; elles n'excéderont pas le taux
de celles qui ont été levées juſqu'ici ; & on prélevra
fur leur produit les intérêts des rentes &
charges qui y font affectées , & qui feront acqui
tés avec la plus grande exactitude; il ſera pourvu
avec la même exactitude aux rembourſemens des
Capitaux d'après les engagemens contractés avee
les prêteurs , &d'après les excédens qu'il y aura
fur les différens moyens.
V. Nous aſſuronsà tous nos fidèles Sujets , de
quelqu'état&condition qu'ils foient , leurs anciens
droitsde liberté& de propriété individuelle , de
même que celui de ne pouvoir être traités en
quelque matière que ce foit , civile ou
nelle , réelle ou perſonnelle , qu'en Juſlicę réglée ,
par droit&Sentence&pardevant leurjuge compétant;
crimiht
; à l'exception toutefois de ceux qui , à l'ococcaſiondes
évènemens paſſés ou à venir, ſe ſont
rendus ou ſe rendront coupables envers Nous.
VI.Nous prévenons tous & un chacun que
notre volonté ſuprême eſt que ces coupables ,
fur les recherches faites & à fairà leur charge ,
d'après les ordres contenus dans la Dépêche rappelée
ci-deſſus , foient arrêtés d'abord fans autre
(91 )
proviſion de Juſtice, pour être entendus&jugés
felon les circonstances ,& par tel Juge ou Tribunal
que nous trouverons à-propos de déſigner
ou d'établir à cet effet.
VII. Les différentes diſpoſitions énoncées dans
les articles précédens , tiendront lieu juſqu'à ce
que , parune fuite de notre amour pour nos peuples&
de notre ſollicitude conſtante pour le bienêtre
de nos Sujets du Hainaut , nous ayons pu
leur donner une nouvelle Conſtitution , qui en
confervant les droits légitimes & les privi'éges
raiſonnables de l'ancienne , faſſe ceſſer à jamais
les entraves de toute eſpèce, auſſi déplacées que
révoltantes , que des eſprits mal-intentionnés
ont cherché & font parvenus à oppofer depuis
quelque temps à l'exercice de notre autorité Souveraine
, ainſi qu'au bien général de nos Sujets.
Mandons& ordonnons que la préſente Ordonnance
ſoit imprimée , publiée & affichée dans la
Province duHainaut , ès lieux accoutumés , & par
tout où beſoin ſera , afin que perſonne n'en puiſſe
prétexter cauſe d'ignorance. En témoignage de
quoi Nous avons fait mettreà ces préſentes notre
grand Scel.Donné en la ville de Bruxelles, le30.
jour du mois de Janvier , l'an de grace mil ſept
quatre- vingt- neuf ,& de nos règnes , ſavoir , de
l'Empereur Romain, le 24me. , de Hongrie &de
Bohême le ome. Etoit Paraphé Tr. Vt. Contrefigné
P. DÉ LEDERER.
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX.
PARLEMENT DE PARIS , TOURNELLE.
Mémoirejustificatifpour les Sieurs Le Blanc , accuſés
de vol & d'affaffinat ; contre la Dame
Bocquillon , accufatrice & partie civile.
Me Godard , déja connu par des mémoires
(92)
qui ont arrêté ſur lui l'attention publique , &
notamment par celui qu'il a fait dans la cauſe de
l'Hermite de Bourgogne , annonce dans la justificationdesLeBlanc,
qu'il nenéglige rien pourtendre
à la perfection de fon art , tant il eft vrai de
dire que des circonstances extraordinaires à développer
,des faits finguliers àraconter , en un mot ,
des cauſes peu communes à défendre , peuvent
donner un effort plus rapide à de jeunes talens ,
& même les perfectionner.
La défenſe dans laquelle Me Godard s'eſtengagé
pour les malheureux Le Blanc , comparée
aux premiers eſſais de ce jeune athlète , eſt une
preuve non équivoque de ce que nous avançons.
Lacatastrophe qui donne lieu au mémoire que
nous indiquons à nos Lecteurs , eſt connue depuis
long - temps. Pluſieurs écrits ont paru pour les
Le Blanc & pour la Dame Bacquillon , & l'on
attend avec impatience le jugement de cette importante
affaire. Nous nous bornerons donc aujourd'hui
à donner un léger aperçu , une idée
fuccincte du procès.
Le Sieur Bocquillon , Receveur des impoſitions
à Auxonne , arrive à Charenton le 14 Octobre
1778 , fur la fin du jour , & à ſept heures ildifparoît.
Au bout d'un mois , on trouve fon cadavre
flortant fur la rivière , & on le dépoſe à
labaſſe-géole du Châtelet. Trois ans après , on
jette des ſoupçons ſur les Aubergiſtes qui ont
reçu le Sieur Bocquillon. C'étoient les LeBlanc;
ils font dénoncés comme les voleurs& les aſſaffins
du voyageur qui étoit deſcendu chez eux. On
informe, ils font décrétés d'ajournement perfonnel.
La Dame Bocquillon ſe déclare partie civile.
Alors elle interjette appel des décrets décernés
(93)
contre les accuſés ; ils font décrétés de priſe de
corps , & l'affaire eft renvoyée au Bailliage du
Palais , qui condamne les Le Blanc à un banniſfement
de cinq ans , en 10 liv. d'amende envers
le Roi , & en 1000 liv. de dommages & intérêts
, par forme de réparation civile , envers la
Dame Bocquillon. = Les Le Blanc interjettent
appel decette ſentence ,rendue le 5 Janvier 1788.
C'eſt dans cet état que Me Godard a entrepris de
les défendre.
«En général , diſons-le, on argumente aveo
>> trop peu de ménagemens , contre de malheu-
>> reux accusés , des variations ou des contra-
>> dictions dans lesquelles ils ont le malheur de
>> tomber , ſur-tout quand elles ne font relatives
"
qu'à des faits auxquels on n'attache pas ce
>> grand intérêt qui ſollicite fortement l'attention ,
telles que la plupart de ceux auxquels nous ve
>> nons de répondre. Comment peut-on ſe rap-
>> peler avec exactitude des faits , ſi peu importans
» par eux-mêmes , qu'ils n'ont dû faire aucune
>> impreſſion ſur l'eſprit , ou que , s'ils en avoient
>> fait une légère , elle ſeroit entièrement effacée
>>par le temps ? Tout au plus en conſerve-t-on
une idée confuſe ; alors oneſt dans un véritable
>> état d'incertitude , qui tantôt nous porte à croire
» qu'ils ont eu lieu ,& tantôt nousperfuade qu'ils
» n'ent point exiſté. Il eſt done poſſible de les
nierunjour , ou de les avouer l'autre, fansqu'on
» puiſſe en tirer aucun argument contre l'accuſé :
>> ce ſeroit le punird'avoir une mémoire incertaine
» ou infidelle; fes variations font l'effet naturel
>> &involontaired'une incertitude bien digne d'in-
>> dulgence.
"
"
» Mais quand ſes variations ſeroient volontai
>> res , quand il nieroit aujourd'hui volontaire
(94)
> ment ce qu'il a avoué hier , nous foutenons
>> qu'il eſt des cas où de ſemblables variations
>> ne peuventdonner lieu àaucun argument con-
» tre lui. Je me ſuppoſe un inftantà la placede
» Le Blanc père , chargé de fers , accuſé de deux
>> crimes atroces , & détenu depuis long -temps
>> dans la plus dure captivité. Jeparois devant le
>>>Juge inſtructeur; il me demande ſi , le lende-
➤ main de la diſparition du Sieur Bocquillon ,j'ai
» compté de l'argent. Moi qui ſuis innocent, qui
n'ai rien à me reprocher, qui ſouvent ai compté
» de l'argent , ou pour mon propre compte , ou
• pour ſavoir ſi celui qui m'avoit été confié ſe
>>>trouvoit encore tel qu'il avoit été mis en dé-
>>pôt entre mes mains; moi enfin , qui n'aper-
> çois aucun rapport entre cette action de
> ma part & l'absence du ſieur Bocquillon ; moi,
»qui ne puis me perfuader qu'on m'accufera d'a-
» voir volé l'argent du ſieur Bocquillon , parce
» que j'ai compté le mien ; je réponds , fans
» y réfléchir beaucoup , qu'en effet j'ai compté
>>de l'argent le lendemain de cette diſparition.
• Auſfitôt je m'aperçois d'un changement con-
>> ſidérable dans la contenance & dans les quef-
»tions dujuge. Lesqueſtionsdeviennent pluspref-
>> ſantes , ſon viſage plus ſévère. Quelques jours
» après il me redemande encore s'il eſt vrai que
j'ai compté de l'argent le lendemain de la dif
>> paritiondu ſieur Bocquillon . Cette récidive com-
» mence à me ſurprendre; on attache donc , me
>> dis-je alors , une grande importance à ce fait;
> mais pourtant ce fait ne ſignifie rien ; mais il
» n'a aucun rapport direct avec la mort dont on
• cherche l'auteur ; mais il m'a bien été permis
>> de compter mon argent , &ce n'eſt point là
•uncrime: je fais à la hâte toutes ces réflexions ;
»&je finis par nier ce que j'avois avoué quelques
( 95 )
>> jours auparavant , parce que , tout d'un coup ,
» j'ai pensé que fi j'allois une ſeconde fois avouer
>> un fait auquel on pourroit mettre un ſi grand
>> prix , je ſerois perdu dans l'eſprit du Juge ; je
>> me ſuis donc contredit , j'ai donc varié , dans la
>> crainte ſeule qu'un ſecond aveu ne fournit des
>> armes contre moi àun Juge que je croyois déja
>> prévenu & prêt à tirer de cet aveu la confé-
» quence quejefuis coupable. Or, de telles con-
>> tradictions , des variations pareilles font , comme
>> l'on voit , bien innocentes. Répétons-le donc ,
>> il faut être extrêmement circonſpect dans les
conféquences à tirer des variations d'un accuſé,
>> fur-tout quandces variations ne portent que fur
>> des objets de peu d'importance , qui n'ont pas
>> un rapport direct avec le fait qu'il s'agit de dé-
> couvrir , & dont l'époque eſt déja ſi éloignée ,
>> qu'elle ne laiſſe plus detraces dans la mémoire.»
>>
Nous bornons ici cette notice , à laquelle nous
donnerons plus d'étendue lorſque les Juges fouverains
aurontdiffinitivement prononcé.Ontrouve
à la ſuite du mémoire de Me Godard , une confultation
de Me Bonnet , favorable aux Leblanc ,
ſouſcrite auſſi de MMes de la Croix & Fournel.
L'étendue qu'exigeoit l'article de
France dans ce nº, nous force de renvoyer
les nouvelles d'Angleterre. Les
deux Chambres ont présenté leur adresse
au Prince de GALLES pour lui offrir
la Régence qu'il a acceptée , et à
laReine , qui a pareillement agréé l'établissement
qui la concerne. Le bruit
(96)
S'estrépondu que M. Fox abandonnoit
-le punide S. A. R. par un motif qui
honoreroit ce célèbre Orateur, s'il étoit
réel ; mais nous ne rapportons cette
nouvelle que comme une rumeur, peutêtre
dépourvue de fondemens .
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
:
CE
;
POLOGNE.
De Varsovie , le 25janvier 1789.
La Révolution entreprise par la Diéte
actuelle , et qui doit rendre à la République
son indépendance intérieure et
extérieure , est consommée par la cas
sation du Conseil-Permanent , le 19 ,
à la pluralité de 122 voix contre 12. Ce
Conseil , auquel on avoit attribué , en le
créant , l'Administration suprême du
Trésor , des Affaires Etrangères , de
l'armée , et qui , à toutes les branches
essentielles du pouvoir exécutif, joignoit
encore celui d'interpréter les Lois , fut
garanti par la Russie en 1776. Ainsi
la République , en abolissant ce Corps ,
a voulu couper jusqu'aux racines de son
ancienne sujétion.
N° . 8. 21 Février 1789. e
: ( 98 )
Ce Conseil Permanent étoit tellement
détesté des Polonois , qu'aucun Membre
des Etats n'osa se déclarer en sa faveur,
le 19 ; mais ses Partisans secrets propo
sèrent de casser tout ce qui avoit été
arrêté dans la Diète de 1775. Comme un
très -grand nombre de propriétés se trou
vent actuellement fondées sur les arrétés
, les lois et les jugemens de cette
même Diète , l'annuler , c'étoit brouiller
entre eux tous les Membres de l'Assemblée
, armer le Citoyen contre le Cirtoyen,
bouleverser toute la République :
aussi le but secret de cette proposition
fut-il aisément deviné; l'indignation fut
générale : les spectateurs avoient peine à
se contenir, les débats devinrent très-vifs,
et les discours d'une énergie extraordinaire.
Le Prince Sapieha, Maréchal de
la Confédération de Lithuanie , repre
senta que la loi de 1768 ne permettoit
point d'admettre une proposition qui
contînt deux points differens; que celle
q de l'on mettoit en avant , en contenoit
plus de mille, qui encore devoient être
subdivisés ; que la République n'avoit
point le temps de s'occuper d'un pareil
travail; qu'elle avoit besoin d'augmenter
son armée et ses revenus ; que les provin
ces ne payeroient point d'impôts , tant
que le Conseilexisteroit; enfin , il ajouta:
<<<Le Conseil-Permanent doit être cassé ;
<<s'il ne l'est point,les Nonces n'ontplus
« qu'à se séparer , qu'à retournerdans les
-
1
( 99 )
<<provinces , et ne consulter que leur dé-
<< sespoir. >> M.Stanislas Potocki, Nonce
de Lublin , finit son discours par dire :
Le nom de Conseil-Permanent doit
<<< être rayé de nos Constitutions ; s'il ne
<<l'est point par la plume , il le sera par
<< le sabre. » Cependant sept Nonces ,
dont la religion avoit sans doute été
surprise , soutenoient avec un acharnement
extrême, la proposition que nous
avons rapportée..
Sa Majesté ayant appelé à Elle, son
Ministère, prit la parole , et dit : « Qu'Elle
voyoit avec peine que l'on se fût jeté
dans des débats dont les suites pouvoient
être funestes; qu'Elle désiroit que l'on
reprit la matière des impôts; mais que
ne songeant point à séparer son sort de
celui de la nation , Elle continueroit la
Séance , et attendroit la décision ultérieure
des Etats assemblés. >>>
A peine le Roi eut-il fini de parler ,
que l'on requit , avec plus de chaleur que
jamais , la cassation du Conseil. Enfin ,
le Comte de Mniszech , Gran-dMaréchal
, déclara que le devoir de sa charge
l'obligeant à se conformer aux yoeux
d'une pluralité aussi décidée , il alloit
procéder au scrutin. Le Primat (Frère
duRoi) , qui vota le premier, dit : « Que
voyant quelques illégalités dans la proposition
, il s'abstiendroit de donner sa
voix. Cet exemple fut suivi parune trentaine
de Sénateurs et de Nonces ; douze
e ij
( 100 )
voix , comme nous l'avons dit, persiste
rnt à conserver le Conseil , et 122 à
Ianéantir.
Cette grande résolution a eu des effets
sensibles dès la Séance suivante du mer
credi 21. Le concert , la confiance se sont
rétablis ; la marche des affaires , retardée
par la crainte de voir subsister encore le
Conseil-Permanent, est devenue subitement
moins épineuse. L'emprunt de 10
millions pour le Trésor de la Couronne,
et de trois pour celui de la Lithuanie , a
été consenti à l'unanimité.
On croit que le Marquis de Luchesini,
Ministre du Roide Prusse enRussie ,
restera ici , et ne se rendra pas à Pétersbourg.
Il a fait venir ici tous ses effets ,
qui devoient être embarqués à Kænigs
berg.
Le Major-général de Ruchmanof est
arrivé le od'Oczakofà Pétersbourg , avec
une grande relation du siége et de son
issue , que la Cour n'a pas encore publiée.
Seulement elle a présenté une liste des
morts et des blessés , suivant laquelle il
se trouveroit du côté des Turcs , 8,583
tués , dont 283 Officiers , 140 morts de
leurs blessures , 452 Officiers blessés , et
4,000 prisonniers , Soldats et Officiers .
On a pris 180 drapeaux et 310, canons ;
le nombre des habitans de la place mon
te à 25,000. Du côté des Russes : 1,032
tués, dont un Major-général , 1 Brigadier,
3 Officiers de l'Etat-Major , 101 autres
4
( BOI )
Officiers et 926 Soldats ; et 1,747 blessés ,
dont 18 Officiers de l'Etat- Major , 25
autres Officiers et 1704 Soldats.
:
ALLEMAGNE .
De Berlin , le 31 janvier.
Le Gouvernement vient de renouveler
les dispositions concernant la censure
des livres , établie par l'édit du 11 mai
1749 , et par les lettres circulaires du
1. janvier 1772. Le nouveau Réglement
, daté du 19 décembre , renferme
onze articles , dont voici la subtance :
er
1º.Tous les livres & manuſcrits deſtinés à l'impreffion,
feront portés à la cenſure ,& ne pourront
êtrevendus ſans que cette formalité n'ait été
remplie. 2º. La cenſure s'arrêtera à ce qui pourroit
être écrit contreles principes de la religion, contre
l'Etat , l'ordre moral & civil , l'honneur & la réputationdetoutcitoyen.
3°. La cenſure des ouvra
gesThéologiques & Philofophiques dans laMarche
électorale, eſt confiée auConſiſtoire ſupérieur de
Berlin , & aux Conſiſtoires provinciaux dans les
autres provinces: celle des ouvrages concernant la
justice, tant pour cette ville que pour toute la
Marche de Brandebourg , à la Chambre de juſtice
deBerlin,& aux Colléges dejuſtice&Régences dans
lesautresprovinces:celledesouvragesdeMédecine
&deChirurgie, au Collége ſupérieur de Médecine à
Berlin celle des ouvrages fur le droit public de
l'Allemagne , les droits de la maiſon du Roi , ceux
desPuiſſances, étrangères & des Princes d'Allemagne
, &c. , au département des Affaires étran
e iij
( 102 )
gères : celle des journaux , romans , pièces dè
théâtre , &c. , aux Univerſites & Colleges de juítice
: celle des gazettes de Berlin , au département
des Affaires étrangères ; & des gazettes de province
, aux Colléges d'adminiftration dans ces provinces.
4°. De ces diſpoſitions font exceptés:
1°. Les livres& écrits des membres de l'Académie
des Sciences & du Collège de Médecine. 2°. Les
ouvrages imprimés aux Univerſités,qui feront foumis
à la cenſure de la Faculté à laquelle ils appartiennent
; les ouvrages d'hiſtoire & de droit
public, qui feront envoyés au départemens des
Affaires étrangères. 5°. Tous les ouvrages feront
portés , d'après la claſſification ci-deſſus établie ,
par l'auteur , le libraire ou l'imprimeur , au chef
desColléges, pour qu'il en faſſe l'examen&donne
fon approbation. 6°. Les auteurs & libraires qui
ſe croiront lezés de la cenfure, pourront porter
leurs plaintes où il appartiendra. 7°. Les libraires
&les imprimeurs qui ont obtenu la permiſſion
d'imprimertel ou telouvrage, ne feront point refponſables
de leur contenu; les particuliers cependant,
qui ſecroiront offenſés pourcertains paflages ,
pourront ſe pourvoir en justice. 80. Ceux qui imprimeront&
vendront des ouvrages ſans les avoit
foumis à la cenfure, quand même leur contenu
feroit fans reproche , payeront une amende depuis
5 juſqu'à so rixdalers : file contenu eft puniſſable
, l'édition ſera confiſquée ,& le libraire ou
l'imprimeur ſera condamné en outre à l'amende
du double du prix de l'ouvrage ou des frais d'impreſſion.
9°. Le cenſeur recevra pour ſes honoraires
un exemplaire de l'ouvrage qu'il aura examiné,&
en outre 2 groſchens pour chaque feuille
imprimée. ro . Les ouvrages imprimés dansl'étranger,&
pour leſquels la permiſſion d'impreffion
feroit refuſée dans les états du Roi , ne pourront
être vendus par les libraires publiquementai c'an
( 103 )
.deſtinement , fous peine d'une amende de 5 à
50 tixd. &c. 11°. Aufſitôt que les cenfeurs auront
avis d'ouvrages dont le contenu ſeroit contraire à
l'article 2 de cet édit , ils en défendront la vente
aux libraires , &c .
On a compté à Potsdam , l'année dernière
, y compris l'état militaire , 243
mariages , 847 naissances et 722 morts ;
à Brandebourg , 93 mariages , 408 naissances
et 361 morts .
1
Le 29 , l'Académie royale des Sciences célébra
l'anniverſaire de ſa fondation. M. le Comte de
Herzberg , Miniſtre d'Etat & Curateur de cette
Académie , ouvrit la féance par un difcours où il
annonça deux prix , chacun de 50 frídéricsd'or ,
pour le meilleur éloge historique du feu roi , l'un
en françois , & l'autre en allemand; il déclara
enſuite que l'Académie avoit choisi pour Membre
honoraire le Grand-Chancelier & Miniſtre d'Etat
de Carmer , & pour Membre ordinaire , le Profeſſeur
Buria. Dans cette ſéance , le profeſſeur
Klaproth lut un mémoire très- curieux , dans lequel
il rendit compte des eſſais qu'il a faits d'émailler,
Ja platine ſur la porcelaine ; il produifit ces eſſais,
qui ont parfaitement réuſſi.
:
De Vienne , le 31 janvier.
Depuis quelques jours , on avoit répandu
le bruit d'une grande action
auprès de Bender , dans laquelle le Général
Russe Kamenskoy avoit battu et
dispersé une armée Ottomane , tué la
plus grande partie de ce Corps ,et fait
Je reste prisonnier. Les esprits s'étone
iv
( 104)
noient que des armées eussent été en
campagne au milieu des neiges et de la
gelée : aussi n'a-t-il été question que
d'une affaire très-peu considérable , dont
un Supplément officiel à la Gazette a
donné , le 24 , un détail très-volumineux.
Quatre lignes suffiront à nos Lecteurs.
M. de Romanzof, dont le quartier-genéral
est à Jassy, craignant que l'ennemi
n'inquiétât les postes Russesdu côté
de Gangura, chargea un détachement
de son armée de se porter en trois colonnescontrelesTurcs
, et de les déloger.
L'ennemi , au nombre de 900 hommes ,
se présenta , le 20 décembre , au-devant
de l'une des colonnes , et fut repoussé
jusqu'a Kainar , laissant go morts et II
prisonniers. Le lendemain, 21, les Russes
attaquèrent de nouveau les Tartares ré
fugiés à Salkuza , au nombre de 700, et
les poussèrent jusqu'à Monbet , après en
avoir tué 300 , disent- ils , et pris 76, ainsi
que quatre canons et deux drapeaux. Ce
Corps Ottoman étoit commandé par
trois Beys , que le Supplément appelle
des Sultans . Les Russes avouent 5 tués
et 8 blessés .
-
:Philippe Seithner est mort, le 8 de
ce mois , à Hadersdorf, dans la 104 .
année de son âge ; ce particulier avoit
fait ausservice Impérial , plusieurs campagnes
contre les Turcs , dans les guerres
précédentes.
V
( 105 )
De Francfort sur le Mein, le 7 février.
Les seules nouvelles authentiques qu'on
ait de Constantinople , ne passent pas le
18 décembre dernier : la Porte , à cette
date , ne pouvoit être encore instruite
de laperted'Oczakof. Le Capitan-Pacha ,
arrivé de Varna dans la capitale , vers la
fin de novembre, avoit reçu le plus grand
accueil de la part de S. H. La plus grande
partie de sa flotte mouilloit à la rade de
Bujukdéré . Ses pertes durant la dernière
campagne, maintenant constatées, se réduisent
à 5 vaisseaux de 20 à 50 canons.
Le Grand Amiral , dont la libéralité est
immense comme ses richesses , a prisl'engagement
de faire reconstruire à ses
propres dépens , ces vvaaisseaux perdus ,
et de reparoître au printemps sur la mer
Noire , avec des forces supérieures à
celles qu'il avoit eues il y a un an. Le
Reis Effendi , que toutes nos Feuilles
publiques disoient disgracié , parce qu'il
étoit allé conférer avec le Grand-Visir,
étoit aussi de retour , et avoit repris ses
fonctions, Quant au séjour du premier
Ministre , le Public ne savoit rien de
positif : on le croyoit à Sophia , ou à
Silistrie; mais certainement il n'étoit
pas à Andrinople .
Les deux derniers Mémoires lus l'année
précédente par M. le Comte de
Hertzberg,Ministre d'Etat, à l'Académie
ev
( 106)
deBerlin, viennent d'être imprimés. Ces
Discours , chacun le sait , ne sont point
un puéril étalage d'amplifications oratoires
, de lieux communsen style étudié ,
ni de vains mots dont tout le mérite est
dans l'élégance de la diction. M. leComte
de Hertzberg a élevé ce genre d'éloquence,
en traitant dans ces Mémoires
les questions les plus intéressantes de
l'ordre politique , et en y rassemblant le
tableau authentique des faits qui composent
l'Histoire annuelle de la Monarchie
Prussienne. Nous avons analysé les
précédentes Dissertations de ceMinistre ,
et le Public nous saura gré de continuer
aujourd'hui ce travail utile. Le premier
desdeux nouveaux Mémoires , prononcé
le 21 août dernier, tend àdéterminer le
vrai caractère d'une bonne Histoire
et à retracer les principaux évènemens
de la seconde année du règne de Fredéric
Guillaume II.
,
« Comme je ſuis depuis huit ans , dit M. le
Comte de Herzberg , dans l'habitude de rendre à
l'Académie & au public un compte abrégédesprincipales
tranfactions duGouvernement Prufſiendans
le cours de l'année , en y ajoutant mes obfervations
fur quelques objets d'hiſtoiré& de politique
analogues aux circonftances ,je crois bien faire de
m'acquitter aujourd'hui de cette double tâche , en
communiquant à l'Académie & à cette Aflembiée ,
quelques réflexions fur l'utilité , la néceſſué &le
vrai caractère d'une bonne hiſtoire pragmatique.
Ma pofition & mon loiſir circonfcrit ne me permettent
pas d'épuifer cette matière intéreſſante......
( 107 )
Je me bornerai à expoſer en abrégé mes idées particulières
,&quelques obſervations qui font leréſultat
de ce que j'ai In, vu ou appris durant les
quarante-trois ans que je fers la monarchie Prufſienne
, & que j'ai eu quelque part à ſon adminiſtration
publique. Deux motifs particuliers m'ont
fait choiſir cette matière ; d'abord la publication
desOEuvres pofthumes de Fréderic II& de l'hiſtoire
de fon temps , écrite par lui-même , & que je
crois approcher beaucoup de la perfection d'une
bonnehistoire ; enfuite letropgrand nombre d'ouvrages
hiſtoriques ſur la vie de Fréderic II , publiés
par des écrivains qui n'ont ni les matériaux,
ni les qualités néceſſaires pour écrire une hiſtoire
bonne & vraie, & qui publient tant d'anecdotes
&de faits faux ou incertains , qu'il faudroit plus
de peine pour les réfuter & pour rectifier leurs
erreurs , que pour écrire une hiſtoire exacte de ce
grand roi .>>
"Toute hiſtoire d'un temps fort antérieur à
l'époque dans laquelle l'Hiſtorien a vécu , n'eſt
qu'une compilation qui ne mérite de foi qu'autant
qu'elle eft appuyée ſur le témoignage d'auteurs
ou de monumens contemporains dignes de
créance. Cetteſeule raiſon détruit la maxime vulgaire
, qu'une hiſtoire ne doit jamais être écrite
durant,la vie de ceux qui y font intéreſlés . Toute
hiſtoire écrite long- temps après la vie des acteurs ,
ne peut jamais être fuffisamment conſtatée & vérifiée
, parce que les témoins & les preuves des
contemporains y manquent. Une histoire bonne ,
véritable& miſe au-deſſus de toute exception devroit
être écrite, à mon avis , ou par les principaux
acteurs mêmes , ou , ſi ceux-là n'ont pas
la volonté , le loiſir , la capacité néceſſaire pour
cet effet , par un hiſtorien d'office , un écrivain
habile , autoriſé par le gouvernement , & qui ſoit
àportée de coafuiter les principaux acteurs , les
ey)
( 108)
archives , les relations des Miniſtres ,& tous les
monumens publics& particuliers , néceſſaires pour
compoſer une bonne hiſtoire..... On peut , il eſt
vrai , objecterqu'une hiſtoire écrite parlescontemporains,
feroittoujours ſuſpectede partialité&d'adulation
,parce qu'on peut fup ofer que l'hiſtorien
n'oferoit jamais publier des faits & des vérités
défavantageuſes aux acteurs puiſſans ; mais il eſt
poſſible & même aiſé d'obvier à cet inconvenient
&à cette crainte fondée, ſi l'on ne publie pas une
pareille hiſtoire du v vant des principaux acteurs.
Parcette raifon , Puffendorfn'a publié fon hiſtoire
deGustave-Adolphe & du Grand - Electeur que
quelque temps après leur mort,&même FrédericII
n'a pas voulu permettre que fon hiſtoire fût publiée
pendant ſa vie , afin que le public fût d'autant
plus libre de la juger. »
a En léguant au public l'hiſtoire de ſon temps ,
Frederic II a confacré à la poſtérité une hiſtoire
qui me paroît préfé able à toutes les autres , parce
qu'elle embraſſe le grant eſpace de quarantehuit
ans,&des époques auffi mémorables que celles
d'aucune autre hiſtoire ; parce que t'hiſtorien a éré
le principaf acteur de toute cette hiſtoire comme
Roi , Législateur , Négociateur& Général , & qu'il
l'a écrite avec une mode the & une impartialité ,
qui ne laiſſent pas le midre doute ſur la vérité
des faits...... Cette hiſtoire réuniť , à la vérité , les
principales qualités qu'on peut exiger d'une hiffoire
écrite parl'acteur lui-même , & par l'hiſtorien
d'office. Il y a décrit avec la plus grande
impartialité tout ce qu'il a fait lui-même comme
Roi , commeGénéral & Miniftre: on peut ſe repoſer
fur fa mémoire , for ſa véracité , fur fon
exactitude&fon impartialité , ce qu'arteſteroat tous
fes contemporains , témoins & co-acteurs de fa
brillante carrière ; il a confulké les archives , s'en
eft fait faire des extraits , & a aidé ainſi ſa mé(
109 )
:
moire. Je puis moi-même certifier tout cela ,
comme ayant fait pour lai une grande partie des
extraits des archives , & ayant eu entre mes mains
tous ſes papiers & beaucoup de part à ſes principales
négociations. Cependant,je ne diffimulerai
pas que l'exactitude & le détail manquent encore
beaucoup acette hiſtoire , d'ailleurs excelle te. Fréderic
II n'avoit pas aſſez de loiſir pour donner
cette perfection à ſon hiſtoire ; il étoit tropbon
Roi , trop affidu & trop attaché à fon méier principal
, pour pouvoir être un hiftorien parfait. >>>
...... « Je me perfuade en général , que rien ne
contribueroit plus à avancerla proſpérité des nations&
des hommes , que ſi chaque gouvernement
étab'iſſoit un hiſtorien d'office , qui tin, tous les
jours un regiſtre exactde ce qui ſe fait dans l'adminiſtration
& de ce qui ſe paſſe dansl'Erat ; qui
amaſſat les traités , les édits , les fanctions , les
mémoires , les relations des miniſtres &officiers
de l'État interne , & externes , militaires&civils ,
&par conféquent tous les matériaux d'une bonne
hiſtoire ; qui pût demander des éclairciſſemens au
ſouverain , aux généraux & aux miniftres ; qui
rédigeât là-deſſus un précis hiſtorique de chaque
année; & qu'après la mort du fouverain & après
le fin de fonrègne , mais pas plus tô , un homme
ſage, habile, laborieux, vertueux, impartial&intrépide,
qui réunitles qualités d'un bo hiſtorien,lestalens
& e caractère d'un Tacie , dun Robertson
&de Frederic Il même , rédigeât & publiar l'hiftoire
du règne paé. »
...... « Je ne méconnois pas les difficultés qu'on
auroit à ſurmonter pour être un hiſtorien judicieux,
exact & impartial. J'aurois beaucoup à due, pour
expoſertout cequi ſeroit néceſſaiteà uneh itoire par
faite. Il me faudroit plus de temp & de lifir queje
n'en ai actuellement ; je le réſerverai pour un autre
( 110)
temps ; mais je crois en avoir aſſez dit pourque
le public ſage & impartial puiſſe juger combien
l'hiſtoire , cette ſcience reſpectable&utile au genrehumain,
eſt altérée &gâtéepar ces écrivains mercenaires&
malévoles, parces prétendus hiſtoriens
&annaliſtes , par ces compilateurs de diatribes &
de brochures politiques , par ces Arétins de nos
jours , qui ufurpent le titre & la fonction vénérable
d'hiſtorien; qui vendent leur plume au public
& aux particuliers ,& qui n'ayant pour matériaux
que les gazettes & les bruits publics , y
ſuppléent parune imagination ardente &partiale ,
&par la méchanceté de leur coeur; qui s'érigent
en cenfeurs & en juges ſouverains de toutes les
actions des Princes & des Gouvernemens , fans
avoir d'autre connoiffance ſuffifante & fuivie des
évènemens , de leurs cauſes & refforts , que celle
que les papiers publics leur fourniſſent , & que
Veſprit de parti , de méchanceté& de vénalité leur
dictent. Je pourrois alléguer des exemples modernes
& récens de pareilles productions , dont le
public eſtdéja inondé,&dont il eſt encore menacé ,
&qui ne fervent qu'à défigurer labonne hiſtoire ,
&à la rendre douteuſe. C'eſt ſur-tout le cas de l'hiftoirede
Frederic II,& de la Monarchie Pruffienne;
mais il ſe trouvera quelque Cenfeur compétent ,
qui,enexaminant d'après les règles d'une juſtecritique
ces prétendues hiſtoires , montrera au public l'ignorance
,l'infuffiſance , la malice de leurs auteurs ,
&vengera ainſi les droitsdela vérité&de l'hiſtoire. »
A la fin du mois dernier , Manheim
ressembloit à tine isle , par l'épanchement
des eaux et l'accumulation des
glaces du Rhin et du Necker. La digue
de Frisenheiin est rompue , et les environs
sont submergés . Les eaux ont baissé depuis
, et le Rhin est rentré dans son lit.
(111 )
L
GRANDE- BRETAGNE,
De Londres , le 10 février.
Les dernières discussions sur le Réglement
de Régence , et les formalités qui
en ont précédé la conclusion , nous
laissent peu de regrets d'avoir gardé le
silence sur ces matières , la semaine dernière.
Une fois les Restrictions fixées ,
une fois résolues , l'offre à la Reine de
l'Administration du Roi et de sa Maison,
et celle de la Régence au Prince de Galles
, l'activité des deux Chambres s'est
bornée à des conférences , des messages,
des chicanes incidentelles , plutôt que des
débats de la part de l'Opposition. Ce
Journal des opérations est trop dépour
vu d'intérêt , pour que nous entrions
dans ce détail ; il suffira de présenter la
suite historique des délibérations.
Le 29 janvier , le Lord Président du
Conseil , le Garde du Sceau- Privé , le
Chancelier de l'Echiquier , le Maître des
Rôles , Lord Frédéric Campbell et le
Chevalier George Yonge, qui formojent
le Comitédes deux Chambres, se rendi
rent processionnellement, au palais du
Prince de Galles. Le Comtede Cambden
prononçaunDiscours en formed'adresse ,
et remit au Prince la copie des Résolutions
arrêtées par les deux Chambres . Le
( 112 )
Prince étoit accompagné de tous les
Grands Officiers de sa Maison.
Le même jour , les Comtes d'Ailesbury,
de Waldegrave et de Courtown,
Ms. Villiers ; Howard,et le Lieutenant-
Colonel Manners, qui formoient
l'autre Comité nommé par les deux
Chambres , se rendirent chez la Reine à
Kew , avec les Résolutions et l'Adresse ,
pour prier S. M. de se charger du soin
de la personne du Roi et de sa Maison .
La Reine essaya de répondre de vive
voix aux Députés du Parlement ; mais
bientôt suffoquée par ses larmes , elle
fut obligée de s'interrompre , et de
remettre au Comité la Réponse écrite
que voici :
Milords &Meſſieurs ,
« Le reſpect & la reconnoiſſance que je dois
au Roi , mon Epoux , mes sentimens pour le
Peuple au milieu duquel je vis depuis fi lloonngtems
, ne me permettent pas derefuſer l'offre que
me font les deux Chambres du Parlement. Je recevrai
avec reconnoiſſance l'aſſiſtance d'un conſeil
dont j'ai un ſi grand beſoin dans ma ſituation actuelle
, & qui , j'oſe m'en flatter , me mettra en
état de remplir tous mes devoirs , dans un événement
auquel je ſuis ſi vivement intéreſſée ,&
qui ,dans ce moment , eſt auſſi le plus important
inté êt d'uneNation grande,loyale& affectionnée, "
Le Prince de Galles répondit en ces
termes :
Milords &Meffieurs ,
1
«Je vous remercie de la communication que
(113)
vous me donnez des réſolutions des deux Chambres.
Je vous prie de les affarer , en mon nom ,
que ce que je dois au Roi , mon père, le vif intérêt
que je prends à la fûreté & au bien de la
Nation, qui pourroient fouffrir d'une plus longue
fuſpenſiondel'autorité royale , joints à mes égards
pour le voeu commun des deux Chambres. Yemportent
dans mon ame fur toute autre comidéra
tion , & me déterminent à accepter le dépôt
qu'on me propoſe. Je ſens les difficultés qui en
accompagneront l'emploidans les circonstances où
l'on me le confie ; comme elles n'ont point eu
d'exemple antérieur, jene puis fonder aucune efpérancede
ſuccès ſur l'expérience du paſſé ; mais
conſidérant que les limitations miſes à l'autorité
royale , & jugées néceffaires dans ce moment ,
ont été approuvées par les deux Chambres
comme une meſure qui ne doit durer qu'un tems .
enconféquence de l'eſpoir , que je partage bien
ardemment , que la maladie de Sa Majeſté ſera de
courte durée; perfuadé en même-temps que jerecevrai
des deux Chambres & de la Nation un
ſecours zélé & proportionné aux difficultés inféparables
de l'uſage que je dois faire du pouvoir
qu'on me confie dans cet intervalle, je m'abandonne
à l'eſpérance flatreuſe que mes efforts ,
pour conferver les intérêts du Roi , de ſa Cou
ronne & de fon Peuple , pourront être accompagnés
de ſuccès.»
,
Comme jusqu'ici le Parlement n'a sié
gé que par convention , et l'ouverture
de sa Session ordinaire devant se faire
dans les formes usitées , il étoit nécessaire
de suppléer aux fonctions de l'Au
torité Royale en pareil cas. Le Régent
ne pouvoit les remplir , puisque leBill
qui le constitue , doit être sanctionné
(114 )
و
par le Parlement régulièrement assemblé.
On a consulté ce qui s'étoit pratiqué
pendant une absence de George II
LordHardwicke étant alors Chancelier.
Le Ministère a donc proposé , dans la
Chambre Haute , deux Résolutions ; l'une
qui autorisât l'apposition du grand-Sceau
au pouvoir d'une Commission chargée
d'ouvrir le Parlement ; l'autre d'autoriser
une Commission à donner la Sanction
Royale au Bill constitutifde la Régence.
Cette Motion , faite par Milord
Cambden , ramena les débats et les redites
, tant de fois développées dans le
cours de cette contestation. Les noms du
Prince de Galles, du Duc d'Yorcket de
leurs deux oncles , se trouvant parmi
ceux des Membres de la Commission
proposée, leDuc d'Yorckdemandaqu'on
les rayât de cette liste , vu l'opposition
des volontés de ces Princes avec le voeu
du Parlement. Les quatre noms furent
rayés sans la moindre répugnance , et il
n'en fut pas moins arrêté que la Commission
ouvriroit le Parlement le mardi
3 février. Après beaucoup d'altercations,
de répétitions , d'amendemens mus et
rejetés , les Communes adhérèrent , le 2,
aux mêmes Résolutions.
En conséquence , le 3 , la Commission
dela Chambre Basse s'étant rendue à la
Chambre Haute , Lord Bathurst , President
en l'absence du Chancelier, quiétoit
(115)
indisposé,prononça le Discours suivant ;
Milords et Messieurs ,
«En l'abſence d'un grand perſonnage , mon
devoir eſt de vous informer qu'en conféquence
des réſolutions qui ont dernièrement paflé dans
les deux Chambres , le grand ſceau a été appliqué
, au nom de Sa Majesté , à une Commiffion
pour l'ouverture du Parlement. Votre aſſiſtance
eſt donc requiſe pour pourvoir , de la manière
que votre ſageſſe jugera convenable , aux beſoins
des affaires publiques , & à l'exercice de l'autoritéroyale,
pendantl'indiſpoſitionde Sa Majeſté.»
Les Communes étant rentrées dans
leur Chambre , on nomma le Comité
chargé de préparer le Bill de Régence ,
dontla première lecture se fit le5. Lelendemain6,
on alloit procèder à laseconde
lecture , lorsque M. Burke l'interrompit
par une bordée, telle, qu'il eût été dif
ficile de l'attendre, même de cet Orateur.<<<
Ce Bill , dit-il , excluoit , proscri
« voit , excommunioit toute la maison
« de Brunswick; il réduisoit le Prince
<<Régent à la plus affreuse DÉTRESSE
* PECUNIAIRE. S. A. étoit dépouillée
<<de ses meilleurs pouvoirs; il ne pous
<< voit plus protéger les beaux arts , se-
<<<conder les talens naturels , tirer le mé-
<< rite de l'obscurité , ni la vertu de la
<<<misère. On lui voloit la cassette du
« Roi, pour en enrichir la Reine, qui
« ne pouvoit l'employer qu'en moyens
<<de corruption. Qui instruiroit le Par
<<lement du rétablissement du Roi, sil
<< avoit licu ? Une Junte, uunn obscur et
(116 )
<<méprisable Conseil! Le Parlement
<<étoit criminel de Haute Trahison ,et
<<il espéroit bien voir ses Chefs amenés
<<devantles Tribunaux, et punis comme
ils le méritoient. >>>
Auxpremières fleurs de cette harangue,
la Chambre s'étoit contentée d'éclats de
rire ; maissa conclusion excita l'indignation,
et fit, crier à l'ordre de tous côtés.
M. Pitt se leva, et se joignit à ce cri:
<<Non , dit-il, pour son propre compte ,
<<(depuis long temps il étoit fait aux
<<invectives de M. Burke) mais pour la
« décence, pour la dignité des Commu-
«nes. Au reste , il recommandoit l'Ora-
«teur àleur indulgence; car, en verité ,
<<il lui faisoit pitié, M. Burke furieux
se ranima", bombarda d'épithètes tous
<< ses adversaires , les compara à Macbeth
après le meurtre de Banquo, et
se calma ; enfin , après avoir assuré
que l'emportement étoit chez lui l'effet
d'une raison profonde, les éclats de rire
ne permettant plus à l'Orateur de poursuivre
, il se rassit, le Bill fut lu , et mis
en Comité général pour le lendemain .
Cejour- là, 7, le Bill fut lu , discuté ,
attaque et défendu clause par clause.
On a continué cet examen le 8 ; tous les
Amendemens proposés par l'Opposition
ont été rejetés , et tous ses efforts inutiles.
La Chambre termine aujourd'hui sa
décision ; il ne reste plus àdiscuter que
l'article qui statue que le Roi pourra
( 117 )
reprendre les fonctions du Gouvernement
, en vertu d'une simple proclama
tion. Nous donnerons le Bill entier ,
lorsqu'il aura reçu sa sanction finale , et
qu'il nous en parviendra une copie plus
correcte que les extraits des Papiers publics:
Dans cette Séance du 8 , M. Burke
étoit si bien corrigé de la leçon du 6 ,
qu'il s'échappa à dire : que la Divinité
avoit renversé le Roi du trône , et l'avoit
réduit au-dessous de l'état du plus
misérable manant. Le Marquis de Graham
, indigné , cria à l'Ordre , demanda
que le Greffier de la Chambre eût à
prendrenotedeces expressions: laconversation
devint absolument tumultueuse ,
M. Burke criant toujours.
Unautre incident de lamême Séance,
fut la Motion que M. Rolle eut le courage
de proposer , pour exclure de la
Régence toute perzonne qu'on prouveroit
être mariée à une Catholique romaine.
Cette Motion fut traitée avec la
dernière violence par M. Grey, M. Sheridan,
Lord North, etc. M. Pitt, Lord
Belgrave son ami , M. Dundas , et
d'autres adhérens du Ministre , applaudirent
aux intentions de M. Rolle, mais
s'accordèrent à rejeter la Motion comme
parfaitement inutile , d'après le désaveu
solennel qu'avoit fait M. Fox à ce sujet ,
dans la Chambre même , il y a deux ans ,
( 118 )

lorsque le Parlement consentit à payer
les dettes du Prince.
M. Hastings , dont le Procès , dit le
St. James Chronicle , est une meule
demoulin pendue au cou de l'Opposition,
a présenté une Pétition à la Chambre
Haute , par les mains de Lord Dover,
ci-devant Chevalier Yorck, pour demander
qu'enfin l'on voulût bien reprendre
sonprocès. 30,000 liv. sterl. que luicoûte
déja cette persécution , sept Juges morts
dans l'intervalle de l'ajournement , cinq
témoins retournés dans l'Inde , vingt
'autres dont le départ est retardé depuis
deux ans par la même cause , l'iniquité
sans exemple , de laisser s'écouler des
années , tandis qu'un Accusé gémit dans
les liens d'une procédure criminelle et
sous l'oppression de ses Accusateurs ,
forment les fondemens de sa demande.
Il a été arrêté de suivre au procès lundi
prochain ; M. Burke , dans les Communes
, a annoncé que le Comité étoit
prêt , et qu'il commenceroit par l'Accusation
relative àla réception des présens .
C'est la sixième du Bill d'impéachment;
et comme on n'en a suivi que deux
encore , il est apparent que la troisième ,
la quatrième et la cinquième sont abandonnées.
Il s'est fait un changement extrêmement
avantageux et soutenu dans la santé
du Roi : depuis 15 jours Sa Majesté a
été constamment et parfaitement caline,
( 119)
-
sans rechute. Elle a vu , à plusie
prises , la Reine et les Processes
conversé avec elles, s'est promene
que tous les jours, et long-temps. Thats es
jardins de Kew etde Richmond is th
denouveau,Elle-même, es deeranee
et n'a pas encore metre . a spaucorב
près, des symptômes amargus 1-
mélioration. On amisse os seus
effets à la formation dates al sol,
qui donne une aboddanne smgurno
Quoiqu'en disent ves Pacie
des intérêts que coramus irm
ment le rétabusserentes Min
nous ne parlons de sa stacion
et nous n'en avons
des autorités de la postare smacz
FRANC
De Versaire
Le Marquis de Bannera , eme
Caramaa &le Chevalier Mazz
qui avoient en Phomear fere
ont eu, le 4 de ce more , se
les voitures de Sa Marche, sezo
chaffle.
LeRoi anommé à Pie
nique , vacaane par
quier, le ſieur Fotion Ever
quêres , Intendant be a Grunew
a en même-temps desde que se
tendance demeurer Sup
Le 8, Leurs Magista Fantom
(118)
lorsque le Parlement consentit à payer
les dettes du Prince.
M. Hastings, dont le Procès , dit le
St. James Chronicle , est une meule
demoulinpendue au cou de l'Opposition,
a présenté une Pétition à la Chambre
Haute , par les mains de Lord Dover,
ci-devant Chevalier Yorck , pourdemander
qu'enfin l'on voulût bien reprendre
son procès. 30,000 liv. sterl, queluicoûte
déja cette persécution , sept Juges morts
dans l'intervalle de l'ajournement , cinq
témoins retournés dans l'Inde , vingt
autres dont le départ est retardé depuis
deux ans par la même cause , l'iniquité
sans exemple , de laisser s'écouler des
années , tandis qu'un Accusé gémit dans
les liens d'une procédure criminelle et
sous l'oppression de ses Accusateurs ,
forment les fondemens de sa demande.
Il a été arrêté de suivre au procès lundi
prochain ; M. Burke , dans les Communes
, a annoncé que le Comité étoit
prêt, et qu'il commenceroit par l'Accusation
relative àla réceptiondes présens .
C'est la sixième du Bill d'impéachment ;
et comme on n'en a suivi que deux
encore , il est apparent que la troisième ,
la quatrième et la cinquième sont abandonnées.
Il s'est fait un changement extrêmement
avantageux et soutenu dans la santé
du Roi : depuis 15 jours Sa Majesté a
été constamment et parfaitement calme,
(119)
sans rechute. Elle a vu , à plusieurs reprises
, la Reine et les Princesses , a
conversé avec elles, s'est promenée presque
tous les jours , et long-temps, dans les
jardins de Kew et de Richmond , s'est rasé
denouveau, Elle-même, levisage et la tête,
et n'a pas encore montré , à beaucoup
près , des symptômes aussi marqués d'amélioration
. On attribue ces heureux
effets à la formation d'un abcès au cou ,
qui donne une abondante suppuration .
Quoiqu'en disent les Papiers dévoués à
des intérêts que contrarieroit furieusement
le rétablissement de ce Monarque ,
nous ne parlons de sa situation actuelle ,
et nous n'en avons jamais parlé , que sur
des autorités de la plus haute confiance.
FRANCE.
De Versailles , le 12 février.
Le Marquis de Bonneval , le Vicomte de
Caraman &le Chevalier Maurice de Caraman ,
qui avoient eu l'honneur d'être préſentés au Roi ,
ont eu , le 4 de ce mois , celui de monter dans
les voitures de Sa Majesté , & de la ſuivre à la
chaffe.
Le Roi a nommé à l'Intendance de la Martinique
, vacante par la retraite du ſieur de Foulquier
, le ſieur Foulon d'Ecotier , Maître des Requêres,
Intendant de la Guadeloupe. Sa Majeſté
a en même-temps décidé que cette dernière Intendance
demeureroit ſupprimée.
Le 8 , Leurs Majestés & la Famille Royale
(122)
forme ci-après preſcrite , à l'effet de rédiger le
cahier de leurs plaintes&doléances ,& de nommer
des Députés pour porter ledit cahier aux
lieu & jour qui leur auront été indiqués par
l'acte de notification & ſommation qu'ils auront
reçu.
XXV. Les paroiſſes & communautés , les
bourgs , ainſi que les villes non compriſes dans
l'état annexé au préſent Réglement , s'aſſembleront
dans le lieu ordinaire des Aſſemblées ,& devant
le Jugedu lieu , ou en fon abſence , devant tout
autre Officier public , à laquelle Aſſemblée auront
droit d'aſſiſter tous les habitans compoſant
le Tiers-Etat , nés François ou naturaliſés , âgés
de vingt-cinq ans , domiciliés& compris au rôle
des impoſitions, pour concourir à la rédaction
des cahiers , & à la nomination des Députés.
XXVI. Dans les villes dénommées en l'état
annexé au préſent Réglement , les habitans s'afſembleront
d'abord par corporations , à l'effet de
quoi les Officiers municipaux ſeront tenus de
faire avertir , ſans ministère d'Huiffier , les Syndics
ou autres Officiers principaux de chacune
deſdites corporations, pour qu'ils aient à convoqueruneAffemblée
générale de tous les membres
de leur corporation. Les corporations d'arts &
métiers choiſiront un Député à raiſon de cent
individus & au-deſſous , préſens à l'Aſſemblée ;
deux au-deffus de cent , trois au-deſſus de deux
cents , & ainſi de ſuite. Les corporations d'arts
libéraux , celles des Négocians , Armateurs , &
généralement tous les autres citoyens , réunis par
l'exercice des mêmes fonctions , & formant des
Aſſemblées ou des corps autoriſés , nommeront
deux Députés , à raiſon de cent & au-deſſous ,
quatre au-deſſus de cent, fix au-deſſus de deux
cents , & ainſi de ſuite.
En cas de difficulté ſur l'exécution du préſent
1
i
( 123 )
article , les Officiers municipaux en décideront
provifoirement , & leur déciſion ſera exécutée
nonobſtant oppofition ou appel .
XXVII. Les habitans compoſant le Tiers-Etat
deſdites villes , qui ne ſe trouveront compris dans
aucuns corps , communautés ou corporations ,
s'aſſembleront à l'Hôtel-de-ville au jour qui fera
indiqué par les Officiers municipaux , & il y
ſera élu des Députés dans la proportion de deux
Députés pour cent individus & au- deſſous , préfens
àladite Aſſemblée , quatre au-deſſus de cent , fix
au-deſſus de deux cents ,& toujours en augmentant
ainſi dans la même proportion.
XXVIII . Les Députés choiſis dans ces différentes
Aſſemblées particulières , formeront à
l'Hôtel -de-ville , & fous la préſidence des Officiers
municipaux , l'Aſſemblée du Tiers-Frat de
la ville , dans laquelle Aſſemblée i's rédigeront le
cahier des plaintes & doléances de ladite ville , &
nommeront des Députés pour le porter aux lieu
&jour qui leur auront été indiqués.
XXIX. Nulle autre ville que celle de Paris
n'enverra de Députés particuliers aux Etats-
Généraux , les grandes villes devant en être dédommagées
, foit par le plus grand nombre de
Députés accordé à leur bailliage ou fénéchauffée ,
à raiſon de la population deſdites villes , foit par
l'influence qu'elles feront dans le cas d'avoir fur
le choix de ces Députés .
XXX. Ceux des Officiers municipaux qui ne
feront pas du Tiers-Etat , n'auront dans l'Affemblée
qu'ils préſideront aucune voix , foit pour
la rédaction des cahiers, ſoit pour l'élection desDéputés;
ils pourront néanmoins être élus ; & il en
ſera uſé de même à l'égard des Juges des lieux , ou
autres Officiers publics qui préſideront les Affemblées
des paroiſſes ou communautés dans lesquelles
ils ne feront pas domiciliés.
f ij
( 124 )
XXXI. Le nombre des Députés qui feront
choiſis par les paroiſſes & communautés de campagne,
pour porter leurs cahiers , ſera de deux , à
raiſon de deux cents feux & au-deſſous; de trois
au-deſſus de deux cents feux ; de quatre au-deſſus
de trois cents feux , & ainſi de ſuite. Les villes
enver ont le nombre de Députés fixé par l'état
général annexé au préſent Réglement;& à l'égard
de toutes celles qui ne s'y trouvent pas compriſes
, le nombre de leurs Députés ſera fixé à
quaire.
XXXII. Les actes que le Procureur du Roi fera
notifier aux Officiers municipaux des villes & aux
Syndics , Fabriciens ou autres Officiers des bourgs ,
paroiffes && communautés des campagnes , contiendront
Tomination de ſe conformer aux difpofitions
du Réglement & de l'Ordonnance du
Bailli ou Sénéchal , foit pour la forme de leurs
Aſſemblées , foit pour le nombre de Députés que
lefdires villes&communautés auront à envoyer ,
fuivant l'état annexé au préſent Réglement , ou
d'après ce qui eſt porté par l'article précédent.
XXXIII. Dans les Bailliages principaux ou Sénéchauffées
principales , auxquels doivent être envoyés
des Députés du Tiers-Etat des Bailliages ou
Sénéchaufféesſecondaires , les Baillis ou Sénéchaux,
ou leurs Lieutenans en leur abſence , feront
tenus de convoquer , avant le jour indiqué pour
l'Aſſemb'će générale , une Aſſemblée préliminaire
des Députés du Tiers-Etat des villes , bourgs ,
paroiffes&communautés de leur reſſort , à l'effet
par leſditsDéputés d'y réduire leurs cahiers en un
ſeul,&de nommer le quart d'entre eux pour porter
led't cahier à l'Aſſemblée générale desTroisérats
duBailliage ou Sénéchauflée,&pour concourir
avec les Députés des autres Bailliages fecondaires,
tant à la réduction en un ſeulde tous les
cahiers defdits Bailliages ou Séréchauſſées , qu'à
(125 )
l'élection du nombre de Députés aux Etats-Généraux,
fixé par la Lettre du Roi.
* La réduction au quart ci-deſſus ordonnée dans
lefdits Bailliages principaux & fecondaires , ne
s'opérera pas d'après le nombre des Députés pré
fens ,mais d'après le nombre de ceux qui auroient
dû fe rendre à ladite Aſſemblée , afin que l'influence
que chaque Bailliage doit avoir fur la rédaction
des cahiers , & l'élection des Députés aux Etats-
Généraux à raiſon de ſa population , & du nom -
bre des communautés qui en dépendent , ne foit
pas diminuée par l'absence de ceux des Députés
qui ne ſe feroient pas rendus à l'Aſemblée.
XXXIV. La réduction au quart des Députés
des villes& communautés pour l'élection des Dépurés
aux Etats-Généraux , ordonnée par Sa Majefté
dans les Bailliages principaux auxquels dovent
ſe réunir les Députés d'autres Bailliages
ſecondaires , ayant éré déterminés par la réunion
dedeux inotifs ; l'un , de prévenir des Alfemblées
trop nombreuſes dans ces Bailliages principaux ;
Pautre , de diminuer les peines & les frais de
voyages plus longs & plus multipliés d'un grand
nombre de Députés ; & ce dernier motifn'exiftant
pas dans les Bailliages principaux qui n'ont
pas deBailliages ſecondaires , Sa Majefté a ordonné
que dans lesdits Bailliages principauxn'ayant point
de Bailliages ſecondaires, l'élection des Députés
du Fiers -Etat aux Etats Généraux , ſera faite
immédiatement après la réunion des cahiers de
toutes les villes & communautés en un feul , par
tous les Députés deſdites villes & communautés
qui s'y feront rendus , à moins que le nombre
deſdits Députés n'excédât celui de deux cents;
auquel cas ſeulement leſdits Députés feront tenus
de ſe réduire audit nombre de deux cents pour
l'élection des Dépu és aux Etats-Généraux.
XXXV. Les Baillis & Sénéchaux principaux
f iij
(126)
auxquels Sa Majesté aura adreſſé ſes Lettres de
convocation , ou leurs Lieutenans , en feront remettre
des copies collationnées , ainſi que du
Réglement yannexé, aux Lieutenans desBailliages
&Sénéchauffées ſecondaires , compris dans l'a -
rondiſſement fixé par l'état annexé au préſent
Réglement , pour être procédé par les Lieutenans
defdits Bailliages & Sénéchauffées ſecondaires ,
tant à l'enregiſtrement& à la publication deſdites
Lettres de convocation & dudit Réglement , qu'à
la convocation des Membres du Clergé , de la
Nob'eſſe , par-devant le Bailli ou Sénéchal principal
, ou fon Lieutenant ,& du Tiers-Etat, pardevant
eux.
XXXVI. Les Lieutenans des Bailliages& Sénéchauffées
ſecondaires , auxquels les Lettres de convocation
auront été adreſſées par les Paillis ou
Sénéchaux principaux, feront tenus de rendre une
Ordonnance conforme aux diſpoſitions du préſent
Réglement , en y rappelant le jour fixé par l'ordonnance
des Baillis ou Sénéchaux principaux
pour la tenue de l'Aſſemblée des Trois-Etats.
XXXVII. En conséquence , leſdits Lieutenans
desBailliages ou Sénéchauffées ſecondaires, feront
affigner les Evêques, Abbés , Chapitres, Corps&
Communautés eccléſiaſtiques rentés , réguliers &
ſéculiers , des deux ſexes, les Prieurs , les Curés
les Commandeurs , & généralement tous les Bénéficiers&
tous les Nobles poſſédant fiefs dans
l'étendue deſdits Bailliages ou Sénéchauffées ſecondaires
, à l'effet de ſe rendre à l'Aſſemblée
générale des Trois-Etats du Bailliage ou de la
Sénéchauffée principale , aux jour & lieu fixés par
les Baillis ou Sénéchaux principaux.
XXXVIII. Leſdits Lieutenans des Bailliages ou
Sénéchauffées ſecondaires , feront également notifier
les Lettres de convocation , le Réglement &
leur Ordonnance aux villes , bourgs , paroifles &
1
( 127)
communautés fitués dans l'étendue de leur jurif
diction. Les Affſemblées de ces villes & communautés
s'y tiendront dans l'ordre & la forme
portés au préfent Réglement , & il ſe tiendra devant
les Lieutenans deſdits Bailliages ou Sénéchauffées
ſecondaires , & au jour par eux fixé ,
quinzaine au moins avant le jour déterminé pour
l'Afſemblée générale des Trois-Etats du Bailliage
ou Sénéchauffée principale , une Aſſemblée préliminaire
de tous les Députés des villes & communautés
de leur reſſort , à l'effet de réduire
tous leurs cahiers en un feul , & de nommer le
quart d'entre eux pour porter ledit cahier à l'Afſemblée
des Trois-Etats du Bailliage cu Sénéchauffée
principale , conformément aux Lettres de
convocation.
XXXIX. L'Aſſembléedes Trois-Etats du Bailliage
ou de la Sénechauflée principale, fera compoféedes
Membres du Clergé & de ceux de la
Nobleſſe qui s'y feront rendus, foit en conféquence
des affignations qui leur auront été particulièrement
données , ſoit en vertu de la connoiſſance générale
acquiſe par les publications&affiches des Lettres
de convocation ,&desdifférens Députés du Tiers-
Etats qui auront été choisis pour affiſter à ladite
Aſſemblée. :
Dans les féances, l'Ordre du Clergé aura la
droite, l'Ordrede la Nobleſſe occupera la gauche ,
&celui du Tiers ſera p'acé en face. Entend Sa
Majesté que la place que chacun prendra en particulier
dans ſon Ordre, ne puiſſe tirer à conféquence
dans aucun cas, ne doutant pas que tous
ceux qui compoſeront ces Aſſemblées , n'aient les
égards&les déférences que l'uſage a conſacrés pour
les rangs , les dignités &cl'âge.
XL. L'Aſſemblée des trois Ordres réunis fera
préſidée par le Bailli ou Sénéchal , ou fon Lieutenant;
il y ſera donné acte aux comparans de leur
fiv
( 128 )
comparution , & il fera donné défant contre les
non comparans; après quoi il ſera paſlé à la réception
du ferment que feront les Membres de l'AIſemblée,
de procéder fidèlement à la rédaction du
cahier général , & à la nomination des Dépurés.
LesEccléſiaſtiques&les Nobles ſe retireront enfuite
dans le lieu qui leur fera indiqué pour tenir
leurs Affemblées particulières.
XLI. L'Aſſemblée du Clergé ſera préſidée par
celui auquel l'Ordre de la hiérarchie défe,e la préfidence;
celle de la Nobleſſe ſera préſidée par le
Bailli ou Sénéchal ,& en fon abfence , par le
Préſident qu'elle aura élu ; auquel cas l'Aſſemblée
qui ſe tiendra pour cette élection, ſera préſidée
par le plus avancé en âge. L'Aſſemblée du Tiers-
Etat fera préfidée par le Lieutenant du Bailliage
Lou de la Sérréchautiée, &à fon défaut par celui qui
doitle remplacer. Le Clergé & la Nobleſſe nommeront
leurs Secrétaires ; le Greffier du Bailliage
fera Secrétaire duTiers.
XLII. S'il s'élève quelques difficultés ſur lajuſlificationdes
titres & qualités de quelques-uns de
ceux qui ſe préſenteront pour être admis dans
P'Ordre du Clergé ou dans celui de la Nobleſſe,
ces difficultés feront décidées provifoirement par
le Bailli ou Séréchal , & en ſon abfence par fon
Lieutenant , aſſiſté de quatre Eccléſiaſtiques pour
Le Clergé, &de quatre Gentilshommes pour la
Nob'efle, fans la déciſion qui interviendra ,
puiſſe ſervir ou préjudicier dans aucun autre cas.
XLIII. Chaque Ordre rédigera ſes cahiers , &
nommera ſes Députés ſéparément, à moins qu'ils
ne préfèrent d'y procéder en commun , auquel cas
leconſentement des trois Ordres,pris ſéparément ,
ſera néceflaire.
que
XLIV. Pour procéder à lasédaction des cahiers ,
il feranommé des Commiſſaires, qui y vaqueront
sans interruption& fans délai ;&auffitôt que le
(129)
travail fera fini , les cahiers dechaque Ordre ferant
définitivement arrêtés dans l'Alemblée de l'Ordre.
XLV. Les cahiers feront dreſſes& rédigés avec
leplus de préciſion & de clarté qu'il fera poffible;
&les pouvoirs dont les Députés feront munis ,
devront être généraux & fuffifans pour propoſer,
remontter , avifer&confentir, ainſi qu'il eſt porté
aux Lettres de convocation .
XLVI. Les élections des Députés qui feront
fuccellivement choiſis pour former les Affemblées
graduelles ordonnées par le préſent Réglement ,
feront faites à haute voix ; les Députés aux Etats-
Généraux feront ſeuls élus par la voie du fcrutin
XLVII. Pour parvenir à cette dernière é'ection ,
il ſera d'abord fait choix au ſcrutin, de trois Membres
de l'Affemblée qui feront chargés d'ouvrir les
billets , d'en vérifier le nombre, de compter les
voix,& de déclarer le choix de l'Aſſemblée.
Lesbillets de ce premier ſcrutin feront dépofés
partous les Députés fucceſſivement dans un vaſe
placé ſur une table , au-devant du Secrétaire de
l'Aſſemblée , & la vérification en ſera faite par
ledit Secrétaire , aſſiſté des trois plus anciens
d'âge.
Les trois Membres de l'Aſſemblée qui auront eu
le plus de voix, feront les trois Scrutateurs .
LesScrutateurs prendront placedevant le bureau ,
au milieu de la ſalle de l'Aſſemblée , & ils dépoſeront
d'abord dans le vaſe à ce préparé , leur billet
d'élection ; après quoi tous les Electeurs viendront
pareillement, l'un après l'autre , dépoter oftenfiblement
leurs billets dans ledit vafe.
Les Electeurs ayant repris leurs places , les Scrutateurs
procéderont d'abord au compte& recenſement
des billets; & fide nombre s'en trouvoit
fupérieur à celui des fuffrages exiftans dans l'Affemblé
, encomptantceux qui réſultent des procurafy
( 130 )
tions, il feroit , fur ladéclaration des Scrutateurs ,
procédé à l'inſtant à un nouveau ſcrutin , & les
billets du premier ſcrutin ſeroient incontinent
brûlés.
Si le même billet portoit pluſieurs noms , il
feroit rejeté, ſans recommencer le ſcrutin; il en
ſeroitu'é de même , dans le cas où il ſe trouveroit
unou pluſieurs billets qui fuſſent enblanc.
Le nombre des billets étant ainſi conſtaté , ils
feront ouverts , & les voix feront-vérifiées par lefdits
Scrutateurs , à voix baſſe..
La pluralité ſera cenſte acquiſe par une ſeule
voix au-deſſus de la moitié des ſuffrages de l'Afſemblée.
Tous ceux qui auront obtenu cette pluralité, ſeront
déciarésElus.
Au défant de ladite pluralité ,on iraune ſeconde
fois an fcrutin , dans la forme qui vient d'être prefcrise;&
fi le choix de l'Affemblée n'eſt pas encore
déterminé par la pluralité , les Scrutateurs déclareront
les deux Sujets qui auront réuni le plus de voix,
&ceferont ceux- là f uls qui pourront concourir à
l'élection qui fera déterminée par le troiſième tour
de fcrutin , enforte qu'il ne ſera dans aucun cas
néceſſaire de recourir plus de trois fois au ſcrutin.
Encas d'égalitéparfaitede ſuffrages entreles concurrens
dans le troiſièmetour de ſcrutin , le plus
ancien d'âge ſera éìu.
Tous les billets , ainſi que les notes des Scrutateurs
, feront foigneuſement brûlés après chaque
tour de ſcrutin.
Il fera procédé au ſcrutin , autant de fois qu'il y
aura de Députés à nommer.
XLVIII. Dans le cas où la même perfoane au-
Tot été nommée Député aux Etats -Généraux par
phus d'un Bailliage dans l'ordre du Clergé , de la
Nob'effe cu du.Tiers-Etat, elle fera obligéed'opter.
Sdar ive que le choix du Bailliage tombe fur une
:
( 131)
perſonneabſente, il fera fur le-champ procédé dans
la même forme à l'élection d'un ſuppléant pour
remplacer leditDéputé abſent, ſi, à raiſon de l'optionou
dequelque autre empêchement , il ne pouvoit
point accepter la députation.
XLIX. Toutes les élections graduelles des Députés,
y compris celles des Députés aux Etats-
Généraux , ainſi que la remiſe qui leur ſera faite ,
tantdes cahiers particuliers que du cahier général,
feront conſtatées par des procès-verbaux qui con
tiendront leurs pouvoirs.
-
L. Mande &ordonne Sa Majeſté à tous les
Baillis & Sénéchaux , & à l'Officier principal de
chacun des Bailliages & Sénéchauffées , compris
- dans l'état annexé au préſent Réglement, de procéder
à toutes les opérations& à tous les actes preferits
pour parvenir à la nomination des Députés , tant
aux Aſſemblées particulières qu'aux Etat Généraux,
felon l'ordre deſdits Bailliages & Sénéchaufſées
, tel qu'il ſe trouve fixé par ledit état , ſans que
leſdits actes & opérations , ni en général d'aucune
des difpofitions faites par Sa Majesté , à l'occaſion
delaconvocation desÉtats-Généraux , ni d'aucune
des expreffions employées dans le préſent Réglement,
ou dans les fentences & ordonnances des
Baillis& Sénéchaux principaux , qui auront fait
paſſerles Lettres de convocation auxOfficiers des
Bailliages ou Sénéchauffées ſecondaires , il puiſſe
être induit ni réſulter en aucun autre cas aucun
changement ou novation dans l'ordre accoutumé
de ſupériorité , infériorité ou égalité deſdits Bailliages.
LI. Sa Majeſté voulant prévenir tout ce qui
pourroit arrêter ou retarder le cours des opérations
preſcrites pour la convocation des Etats-Gé-
-néraux, ordonne que toutesles ſentences, ordonnances
& déciſions qui interviendront ſur les
citations,lesAffemblées, les é'ections , & générafvj
( 132 )
lement for toutes les opérations qui yferont relatives,
feront exécutées par provifion , nonobſtant
toutes appellations & oppofitions en forme judi-
-ciaire , que Sa Majeſté a interdites , faufaux parties
intéreilées à ſe pourvoir pardevers Elle, par voie de
-repréſertations & par ſimples mémoires.
Fait& arrêté par le Roi , erant en fon Conſeil ,
tenu àVerfailles le vingt-quatre janvier mil ſept
cent quatre-vingt-neuf. Signé, LOUIS :Et plus
bas, LAURENT DE VILIEDEUIL.
, On a joint à ce Règlement l'état
par ordre alphabétique , des Bailliages
royaux et Sénechaussées royales des Pays
d'Elections qui députeront directement
ou indirectement aux Etats-Généraux ,
avec le nombre de leurs députations
chade députation composée d'un Député
du Clergé, d'un de la Noblesse , et
de deux du Tiers-Etat. Le nombre total
des députations est fixé à 156.
,
A l'égard des Pays d'Etat et des Provinces
qui ont passé sous la domination
duRoi depuis 1614, Sa Majesté fera conmoître
ses intentions sur la forme et le
nombre de leurs députations , par des
Réglemens séparés. *
Cet état est suivi d'un autre , aussi
par ordre alphabétique , contenant les
noms des Villes , des Pays d'Elections qui
doivent envoyer plus de quatre Députés
aux Assemblées des Bailliages et Sénéchaussées
, et le nombre des Députés que
chacun y enverra. Les Villes non comprises
dans cet état, enverront à l'Assenblée
des Bailhages ou de la Sénéchaussée
(133)
=
dont elles dépendent , le nombre de
Députés fixés par l'article XXX du Reglement.
(
DÉCLARATION DU Rot, du 21 jan
vier 1789, concernant les Non-Catholiques
, qui proroge jusqu'au premier
janvier 1790, le délai d'un an
prescrit par l'art. XXI de l'Edit de
novembre 1787 ;;registrée en
ment le 10 février 1789.
Parle-
Louis , par la grace de Dieu , Roi de France
&de Navarre : A tous ceux qui ces préſentes
Lettres verront; Salur. Par les articles XXI , XXII
& XXIII de notre Edit du mois de novembre
1787, regiſtré le 29 janvier 1788 en notre Cour
deParlement à Paris ,nous avons accordé à aucunsde
nos Sujets ou Etrangers non-Catholiques,
àcompter du jour de la publication & enregiſtrementdenotre
Edit dans celle de nos Cours dans
lereffort delaquelle ils feroient domiciliés, le terme
&eſpace d'une année, pour ſe conformer , en ce
qui les concerne , aux formalités preſcrites par
notre Edir, & jouir en conféquence du bénéfice
réſultant des diſpoſitionsy contenues; mais étant
informé qu'un grand nombre d'entre eux qui ſe
propofoient deremplir leſdites formalités , ont été
alarmés de voir arriver l'échéance du terme prefcrit
, nous avons penſé qu'il étoit de notre juſtice
nt d'y pourvoir. A ces cauſes , etc.
Le 10 de ce mois , un Arrêt du Parletment,
rendu les Chambres assemblées ,
Sales Pairs y séant , a condamné à être
59 lacéré et brûlé , un écrit en deux volumes
, intitulé : Histoire secrète de
la Cour de Berlin, ou Correspondance
COM
USSR
( 134 )
d'un Voyageur François . CeVoyageur
anonyme a présenté ses titres de créance
dans cet Imprimé , dont eût rougi le gagiste
même de l'Aretin. Il s'annonce
comme un espion subalterne, comme un
écouteurde valets, un suborneur de confidences
, undirecteur de femmes perdues.
Moyennant de l'argent , il promet à son
Correspondant de lui donner le recueil
le plus complet des propos de la cañaille
de Berlin. Les Souverains le voient et
l'admirent : la même sympathie passe
aux Ministres d'Etat , qui révèlent à ce
vagabond mercenaire tous les secrets du
cabinet. Pour les récompenser de leur
accueil, de leursdîners, de leur confiance,
de leur hospitalité , il les déchire avec des
ongles imbibés d'eau forte. Toutes les
portestombentdevantlui; touslesportefeuilles
s'ouvrent ; chacun s'empresse de
Jui faire confidence de ce que la probité
tairoit, si elle savoit la vérité, et il trahit
les confidences de ceux-là seulement qui
lui racontentdes impostures. D'ailleurs ,
Juge compétent des Généraux , supérieur
aux homines d'Etat , aux Souve
rains, aux Ambassadeurs , il ne voit que
luien France , qui, en conscience , puisse
ne pas de honorer le Corps Diplomatique.
La meilleure preuve qu'il donne
de sa sublimité politique , c'est un projet,
sensé, de verser le trésor du RoidePrusse
dans les fonds de France , six mois -avant
la déclaration du déficit. Ses prédictions
répondent à ses grands desseins. Il ré
( 135 )
1 pond sur sa tête brûlée que jamais les
Prussiens ne marcheront en Hollande ,
que la Cour de Berlin et son Ministère
sont complètement endormis , et que
désormais cette Monarchie ne comptera
plus dans les évènemens politiques .
La France avoit déja fait justice de ce
tissu d'horreurs et d'inepties. Chez une
* Nation polie , grande et généreuse , de
pareils outrages au droit des gens et à
la vérité , ne pouvoient rester impunis .
Sans doute il restera toujours quelques
Lecteurs assez ignorans , ou d'une crédulité
assezsotte , pourprostituer leur atten
tion à cette oeuvre de ténèbres; mais du
moins le Parlement aura vengé l'honneur
national .
L'Arrêt est précédé d'un Réquisitoire
de M. Séguier, Avocat-Général , qui caractérise
en traits fort justes cet Imprimé.
« Cettehiſtoire, dit-il,ne préſente par-toutqu'un
recueil d'impostures honteuſes , invraiſemb ables ,
& inventées à plaifir , plutôt pour fatisfaire la
manie de l'Ecrivain , que pour attacher la curioſné
d'un Lecteur qui cherche à s'inſtruire.... "
が・
:
C'eſt un aſſemb'age de réflexions hafardées
ſur des conversations malignes , fur des rapports
mmeennftongers , fur des confidences artificieuſes , &
fur des faits enfin dénués de certitude , rapprochés
à la hate , tranſcrits avec précipitation ,
& que l'Emiffaire caché n'a pas craint d'affirmer
comme véritables , parce que c'étoit la feule
monnoie avec laquelle il pouvoit compenfer Je
traitement qu'on lui faifoit , & dont il reproche
fans ceſſe la médiocrité. »
( 136 )
, pour
«Que penfer d'un Ecrivain qui adopte vo
lontairement le rôle de délateur caché , qui va
s'établir dans une Cour étrangère , avec cette
franchife, cette aifance , cette améniré qui forme
les liaiſons ,&qui , abuſant bientôt des fentimens
qu'il a inſpirés , oſe révéler des particularités qu'il
ne doit qu'à la confiance la plus intime , ofe
calomnier tous ceux qui l'ont reçu avec bonté ,
oſe leur prêter des propos& des projets dont
riennegarantit la fidélité ,&porte l'audace juſqu'a
infulter , avec un cyniſme odieux , des perfornages
fi fort au-deſſus de cet Agent fubalterne,
ainſi qu'il ſe qualifie lui-même , qu'il est difficile
d'ajouter foi à ſes affertions , parce que
Etre vraies , elles doivent être fondées fur la plus
grande intimité , fur une fréquentation pour ainfi
dire habituelle & un commerce d'égal à égal ?
Encore , quel eft l'homme qui s'expoſe à rougi
devant fon ſemblable ? Les Grands peuvent s'ou
blier enpréſence des perſonnes de leur intérieur
Ies beſoins d'un ſervice jourpalier les rendent né
ceffaires. Elles voient l'homme tel qu'il eſt e
effet , & dépouillé de l'appareil du fafte & de
grandeur. Mais un Roi , mais un Prince , mas
un homme conftitué en dignité , ſait toujours
reſpecter devant un Etranger ; quelque famika
rire qu'on lui accorde , il est moralement fufpe&
iln'obtient qu'une confiance paſſagère : on form
avec lui des liaiſons du moment plutôt q
d'habitude. Quel peut en être le produit , lorſquel
cet Etranger avoue lui-même qu'il est regard,
comme un Efpion : & s'il eſt ſoupçonne c
vouloir pénétrer les ſecrets du Gouvernemen
une fage circonſpection n'engage-t-elle pas àlu
donnerle change, & à le tromper par l'apparent
même de la confiance qu'il veut ſurprendre po
en abufer ? »
•Suppoſons néanmoins que l'Auteur tromp
( 137 )
par de faux rapports ou par de faufſes combinaiſons,
ait cru voir réellement tout ce qu'il a
inféré dans ſes Lettres anonymes , l'Ouvrage
entier n'en préſentera pas moins une violation
dudroit des gens , un abus de l'hospitalité , une
infamie, d'autant moins pardonnable , que la familiarité
étoit en lui le manteau de la perfidie,
& que la faire amitié devenoit l'inſtrument de
latrahifon..
fe
«On a regardé ce Libelle comme propre à
foulever toutes les Puiſſances , ffii laJuſtice ne
hâtoit de le proſcrire. Le Roi devoit aux principles
Têtes courommées de l'Europe , une eſpèce
de déſ veu - folenne! des calomnies publiées &
imprimées dans ſes Etats. »
C'est le Roi, lui-même, dit. M. Séguier,
qui a chargé le Ministère public
de dénoncercelibelle, et d'en poursuivre
Ja condamnation. »
La lettre qu'on va lire, nous est adressée
par un homme dont nous respectons
infiniment le caractère et les lumières.
Il se seroit trompé , s'il avoit vu
dans la remarque très-incidentelle qu'il
relève,une désapprobation de la conduite
générale d'une province , à laquelle nous
avons applaudi à plusieurs reprises. Le
Rédacteur de ce Journal étant étranger ,
il seroit souverainement indécent de sa
part de se mêler de discuter , dans les
circonstances présentes , lescopinions ,
les intérêts , les démarches de qui que
ce soit; aussi s'interdira-t-il toutes observations
sur la lettre suivante. Simplement
, nous ferons remarquer que , si
;
(138 )
nous avons été induits en erreur , ce sont
les faits mêmes qui nous ont trompés.
La signature des 15 premiers Députés
du Tiers -Etat aux Etats-Généraux , nom
més par les Etats de Dauphiné ( ce sont
les seulsdontnous avons parlé), ne présentoit
, à deux exceptions près , que des
noms d'Avocats ou d'Officiers municipaux:
l'Auteur de la lettre explique ce
qu'il faut entendre par ces titres ; mais
nous ne pouvions le deviner. Quant aux
Mandats , que notre estimable Informateur
réduit à deux, nous renvoyons à
ces Pouvoirs mêmes qui sont publics.
«Vous avez été mal inſtruit, Monfieur, lorſqu'en
rendant compte, le 24 janvier dernier , de l'électionque
les États du Dauphiné ont faite des
Députés de cette province aux Etats-Généraux ,
'vous avez dit qu'à la réſerve d'un Negociant &
d'un Bourgeois , ceux du Tiers-état étoient tous
ou Avocats ou Officiers-Municipaux , &qu'il ne
ſe trouve dans leur nombre ,pas un habitant de
la campagne , pas unpropriétairede terres proprement
dit. n
« Je pourrois vous obſerver d'abord que le
réglement approuvé par Sa Majefté , qui détermica
les formes de la nomination des Députés
auxEtats-généraux , décide qu'on pourra les choifir
dans toute l'étendue de la Province , fans
aucune obſervation du diſtrict , & fans autre condition
que la confiance des Electeurs &une propriété.
Mais il n'eſt point vrai , Monfieur , que
preſque tous les Députés du Tiers-Etat foient
ou Avocats ou Officiers-Municipaux. Un grand
nombre de perfonnes du Tiers-État de cette Pravince,
qui jouiſſent d'une certaine aifance , ſe font
( 139 )
recevoir Avocats , fans vouloir exercer cette profeffion.
Pluſieurs des Députés ſont du genre de
ceux dont on vient de parler. Pluſieurs n'ont pas
même le titre d'Avocat , & font Agriculteurs ou
Négocians; d'autres ſont revêtus d'Offices de Judicature
ou de Magiſtrature ; plufieurs habitent la
campagne , tous ſont propr étaires de terras ; enfin ,
tous ont recueilli plus de la moitié des ſuffrages
dansune aſſemblée de 288 Electeurs , formée des
troisOrdres de toutes les claſſes,de tous les cantons,
&dontplusde la moitié étoient habitans des campagnes,
Nous n'avons pas cru qu'il fûtbeſoin de
créer des Ordres dans les Ordres , de limiter la
liberté du choix, & de regarder à la profeſſion
dans ceux dont le premier devoir eſt d'oublier la
leur , pour n'être plus que citoyens. >>
« Les villes de commerce , les provinces de
grande agriculture , enverront, ſans doute , plus
que nous d'agriculteurs & de commerçans ; *
nous déíirons , nous eſpérons même que la liberté,
que l'adminiftration publique , que la révolution
morale qui les fuit , fixeront un jour dans les
campagnes, les grands propriétaires& les citoyens
exercés aux affaires publiques.En attendant , Monfieur
, nous avons cru que la criſe dont nous fortons
, que les aſſemblées fréquentes qu'elle a occafionnées
, ayant mis au jour les qualités d'un
grand nombre de citoyens , pourroient auth bien
guider notre choix que toute autre conſidération
; il ne nous reſte de regret que celui de n'avoir
pu l'étendre davantage. Nous n'avons point
cru quela Mairie des villes , après avoir été , pour
ceux qui l'exercent, une ſource de dangers , une
épreuvede patriotiſme , dût aujourd'hui devenir
un titre d'excluſion; que la robe du Tiers-Etat ,
que nous avons vu repouſſer avec tant d'énergie,
l'établiſſement de ces tribunaux qui n'étoient
utiles que pour elle , pût aujourd'hui nous être
( 140 )
ſuſpecte; & que l'uſage des affaires , l'étude des
lois, l'habitude d'écrire & de parler , fuflent des
qualités indifférentes dans une aſſemblée dont le
travail le plus important ſera de faire la conftitution.
»
"Quant au mandat, dont vous blâmez les
difpofitions impératives,elles ſeréduiſent à deux;
celle de n'opin er qu'en Ordies réunis , & cel'e
de n'accorder l'impôt que pour une tenue fixe ,
après avoir fait la conftitution; nous n'imaginons
pas que vos reproches portent fur la dernière.
Quant à l'autre , nous conviendrons que ſi nous
eutfrons pu préfumer que dans les Ordres des
autres provinces, il régnât le même accord &le
même eſprit d'union qui ſubſiſtent dans lanôtre ,
Pilimitation des pouvoirs eût été plus conveni
be. "
«Maisnous avons corsidéré, 1°. Qu'une partie
dela Nobleſſede Bourgogne & de celle deFran
che-Comté , ayant déja fait des proteftations contre
la délibération par tête , il étoitde notre de
voir de prémunir nosDéputés contre un exemple
auffi dangereux , et de mettre pour le fontien
des vraisprincipes , la même opiniâtreté que
l'on mettoit aileurs à la défenſe des préjugés. »
" 2°. Que s'agiſſant de former une conſtitution,
il falloit donner à ros repréſentans des pouvoirs
adhoc; & qu'une fois que nous aurons des Eratsgénéraux
périodiques , & que la conftitution aura
déterminé les fonctions & les droits des repréfentans
du peuple, il ne fera plus au pouvoir des
provinces de leur donner des pouvoirs abſolus. »
" 3º.. Que pour parvenir àune conſtitution , il
eft indiſpenſablement néceſſaire que les Ordres
foient réunis , qu'il ne fauroit y avoir autrement
de véritable aſſemblée nationale ; & que le Fedo
de chaque Orde eſt une forte de réfſiſtance , tandis
que nous avons beſoin d'une force d'action ;
(141 )
qu'en un mot le ſalut public eſt attaché à la déli-
# bération par tête. »
Le Dauphiné , Monfieur , en afait l'épreuve
de uis fix mois ; des momens d'orage ont quelquefois
troublé fon harmonie ; ils ont toujours
été le fruitdela ſéparation des Ordres ; ils n'ont
jama's été terminés que parleur réunion : nulle
part cependant les Ordres n'ont eu plus de modéra,
ion. Mais re'le eſt la pente de l'intérêt , telle
eft la contagion de l'exemple , que les hommes
aſſemblés ſe portent toujours à l'excès , quand ,
au lieu de ſe réſiſter , leurs paſſions s'excitent
mutuellement. t
» Voilà , Monfieur , les principaux motifs qui
nous ont déterminé. LaProvince n'a garde d'oter
àſes Députés le moyen d'arriver , par des conférences,
à la forme défirée , fans laquelle il n'y
a point d'Etats-généraux ; mais elle n'a pas voulu
qu'ils puſſent l'engager avant que cette forme
fût adoptée. En un mot ,elle foumet ſes deſtins
à lavolonté publique qui réſide dans la Nation
affemblée ; elle n'a pas dû les ſoumettre à la volontéparticulière
de trois Corps. Si dans les Etatsgénéraux
la pluralité conſent à délibérer par rête ,
le Dauphiné n'aura qu'à s'applaudir d'avoir donné
l'exemp'e. Si l'on décide que l'on délibérera par
Ordre , alors la Province s'aſſer.blera pourdonner
de nouveaux pouvoirs ; & croyez , Monfieur ,
que d'après les ſentimens de patriotiſme , d'union
&d'e'prit pub'ic, dont juſqu'à préſent elle n'a
ceſſé de donner des preuves , elle déférera au
voeu que la Nation aura exprimé. Tels font ,
Monfieur , les éclairciſſemens que nous eſpérons
que vous voudrez bien inférer dans votre Journal.
»
J'ai l'honneur d'être , &c. UN DAUPHINOIS.:
Paris, le 12février 1789.
(142 )
:
...
Lettre au Rédacteur.
Belcaire, le 15 janvier 1789.
« Monfieur, dans un coin des Pyrénées exifte
le village de Duclat, dont le nom ne mérite d'être
connuque par la quantité d'ours qui vont chercher
uneretraitedans les rochers affreux parmi leſquels
ce mauvais village eſt conſtruit ,&par les chaſſes
périlleuſes que M.de Negre,BaronDuclat, fait tous
les ans, à grands frais , à ces bêtes féroces. »
« La chaſſe detoutes les eſpèces d'ours eft affer
> dangereuſe , ditM. Bourgeois; car fi onne fait
» que bleſſer cet animal fans s'arrêter , il ſe mer
>> en furie,&court ſur le Chaſſeur, qu'il aſſomme
* > avec ſes pattes anterieures , &déchire avec fes
>>>griffes ; il l'embraſſe auſſi avec ces mêmes pattes ,
>>>&cherche à l'étouffer. »
u LesChaſſeurs ſont ſur-tout très-expofés , lortqu'il
n'y a point d'arbres ſur leſquels l'on puifle
ſeréfugier; car fi on ne tue pas l'ours du premier
coup, l'on n'a que l'affreuſe alternative de l'embraſſer,&
de ſejeterdans les précipices , fur les
bords deſquels on ſe met en embuſcade pour les
attendre.>>
«Ces dangers n'effrayent pas M. le BaronDu-
_clat ni ſa famille ; toujours animé du déſir de faire
le bonheur de fes vaffaux , il eſt toujours prêt à
les ſecourir au premier avis . Il fut prévenu , le qua
torzième de novembre dernier , que les ours étoient
en plus grand nombre cette année que dans les
années précédentes ; qu'ils faifoient les plus grands
dégâts dans toute la contrée: il ſe rendit en conſéquence,
le 16 dumême mois,dans ſa terre , avec
M. le Chevalier de Nègre , ſon frère , & la chaffe
fut réſolue pour le lendemain. »
**« J'ai vu, Monfieur, les apprêts de cette chaſſe
dangereuſe , diſpendieuſe & pénible. Soixante
(143)
Payſans armés de haches , une maute de dogues
entourèrent le local où les ours s'étoient retirés ,
&que l'on devoit traquer. Dix Chaffeurs ſe portèrent
dans les paſſages , où il eſt impoſſible d'arriver
autrement qu'en graviſſant : j'étois du nombre
des Chaffeurs; cinq ours furent lancés , M. le
Baron Duclat en tua un, quatre s'échappèrent à
travers les Traqueurs ; un malheureux Payſan fut ,
dans leur fuite , lavictime de leur fureur. M. le
Baron Duclat , toujours infatigable , donna des
ordres pour faire continuer la chaſſe. Le 19 , M..
le Chevalier , fon frère , en tua un ſecond , qui
n'étoit pas moins monstrueux que les autres. Il y
en a encore trois qui ſe ſont retirés dans leur tanière
, &que l'on ne peut pas approcher, à cauſe
de la grande quantité de neiges. Mais le 23 décembre
dernier , ayant été inſtruits que des loups
attroupés faifoient des ravages conſidérables dans
leur terre, ils font partisde ſuite pour aller faire
laguerreàces nouveaux ennemis , plus nombreux,
moins terribles , à la vérité , mais qui ne ſon pas
moins dangereux pour les pauvres Cultivateurs.
Enpeu de jours ils en ont tué quatre ; le reſte de
la troupe a été diſperſé , par conséquent éloigné.
Ainſi les pauvres habitans de ces contrées
regardent MM. Duclat comme leurs libérateurs ;
ils ne peuvent leur offrir d'autre hommage que
leur reconnoiſſance & la publicité des bienfaits
dont ils leur font redevables. «
J'ai l'honneur d'être , &c .
MILAL.
M. Julien-Charles Chartrain , Pré
sident Honoraire au grenier à sel de Mamers
, et Jacqueline Fournier des Marais
, ont célébré , le mercredi 4 de ce
mois , la cinquantième année de leur
mariage.
(144)
Les Numéros sortis au Tirage de la
LoterieRoyale de France, le 16 février
1789, sont : 64, 27 , 24, 38 , 72 .
PAYS - BAS.
DeBruxelles,le 21 février 1789.
La soumission complète et subite.
des Etats de Brabant , a prévenu , par
interim, la dissolutión de cetteAssemblée
; sort qu'a éprouvé celle de Hainault.
Plusieurs Membres des Etats de
cette Province sont en fuite , ou gardés
à vue : la garnison de Mons a été renforcée
de six Compagnies ; pendant l'opération
de la cassation des Etats , les
troupes ont été sur pied, les canonsplacés
dans les rues, etc.
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES .
SUÈDE .
De Stockholm , le 31 janvier 1789.
L'ACTIVITÉ des intrigues pour ranimer
la défiance , et pour affoiblir les dispositions
patriotiques de la Nation , n'est
point découragée par le mépris général
où cesmanoeuvres sont tombées. Chaque
jour voit circuler de nouvelles faussetés ,
dont s'emparent les Gazettes , et qu'elles
propagent sans retenue. Au nombre de
ces rumeurs perfides , est celle que le
Roi , malgré ses promesses et l'envoi des
lettres de Convocation , n'a aucun dessein
de tenir la Diète; que 6 mille Dalécarliens
, dévoués à S. M. , sont en marche
pour cette capitale, et qu'ils y tiendront
les Etats sous une espèce d'oppression .
Ces inventions sont d'autant plus absurdes
, que la Diète seule peut donner
aux projets du Gouvernement l'énergie
Nº. 9. 28 Février 1789.
g
( 146)
nécessaire ; que le Roi est sûr des sentimens
des trois Ordres du Clergé , de la
Bourgeoisie et des Paysans ; et que s'il
s'élève des oppositions , elles n'auront
vraisemblablement pour fauteurs que
certains Membres de la Noblesse.
POLOGNE .
De Varsovie, le 31 janvier.
Les circonstances de la cassation du
Conseil-Permanent , que nous avons détaillées
, nous obligèrent , la semaine dernière
, à différer de rapporter une lettre
apostolique de Sa Sainteté, qui fut lue en
latin , pendant la même Séance du 21 .
PIE PP. VI.
«Mes chers fils , nous vous donnons le salut &
notre bénédiction apoftolique. Il ya long-temps
que nous avons reconnu que votre Ordre Equeftre
méritoit toute notre eſtime , par ſes ſoins pour
laReligion ,& la piété qu'il montroit lorſqu'il étoit
raſſemblé pourdécider du bien de l'Etat. Or, comme
le temps approche où vous allez être afſemblés à la
Diète, nous croyons nous acquitter des devoirs que
nous impoſenotre amour paternel , non pas en vous
exhortant à la vertu , mais en vous faifant connoître
ce que nous attendons de la vôtre. Vous
ſavez fans doute vous-mêmes combien le temps
préſent eſt plein d'envie & d'offenſes envers la
Sainte Eglife , les choſes ſacrées & les hommes
voués àDieu ; enforte que rien n'eſt plus àcrain-
1
( 147 )
dre aujourd'hui que les innovations qui bleſſeroient
les droits de la Religion. C'eſt pourquoi ,
quoique vous y foyez portés de vous mêmes ,
nous vous exhortons encore de conſerver dans vos
comices l'eſprit qui vous rendra favorable le Dieu
des confeils & des oeuvres ; ce qui ne pourroit
pas être , ſi vous négligiez les chofes qui concernent
la Religion orthodoxe& le Siége de la Sainte
Eglife. Mais nous penſons qu'il feroit inutile d'endire
davantage à vous , chez qui l'on va voir réunis
, & qui ferez conduits par la prudence , la foi ,
l'amour de la Patrie, la force de l'ame , l'imitationde
vos ancêtres& la gloire de votre Ordre. »
« Ces Lettres vous feront préſentées par le vénérable
frère Ferdinand , Archevêque de Carthage ,
Nonce ordinaire du S. Siége Apoftolique , interprète
excellent de nos intentions envers vous , &
que nous vous recommandons particulièrement , &
auquel vous pourrez avoir confiance , par quoi
vous augmenterez notre bénévolence paternelle
envers vous.Donné à Rome,à Ste. Marie majeure ,
ſous l'anneau du Pécheur , le 14 août 1788 , dars.
la quatorzième année de notre Pontificat.>>>
La Séance du lundi 26 , a offert une
nouvelle preuve de l'harmonie qui s'est
rétablie dans les délibérations , depuis
l'anéantissement du Conseil - Permanent.
Depuis quelques jours l'on s'occupoit ,
dans les Conférences Patriotiques , d'un
impôt destiné à faciliter l'emprunt dont
nous avons parlé antérieurement , comme
aussi à y suppléer pour le mois
de mars , où la République aura déja
besoinde fonds , tandis que les Négocia
tions avec les prêteurs de Gènes ou
gij
( 148 )
d'Hollande seront à peine terminées . Cet
impôt devoit porter le nom de Protunkowy,
du latin pro-tunc, pour le moment.
Parmi ces projets d'impositions , on
lut celui d'une double capitation pour
les Juifs ; mais M. Kublicki , Nonce de
Livonie , déclara qu'il s'opposeroit à ce
que les Etats ternissent leurs délibérations
d'un acte d'injustice , en portant
les impositions sur une classe d'hommes
déja trop opprimée , et privée de Représentans
dans la Chambre des Nonces.
Cette opposition fut facilement adoptée
par les Etats , et l'on substitua à ce projet
celui d'un impôt sur les feux , payable
par les seuls maîtres, et non par les
paysans. L'impôt pro-tunc sur les feux ,
fera une somme de cinq millions de florins
Polonois .
La Lithuanie se joignant à la résolution
dela Pologne au sujet de cet impôt
du moment , décida , dans la Séance du
27 , le doublement de tous les impôts
directs ; ce qui produira une somme d'un
million quatre cent mille florins Polonois
. Le reste de la Séance fut rempli
par la lecture d'un grand nombre de
projets concernant les Starosties ; et
comme les vues en étoient opposées les
unes aux autres , M. Malachowski , Maréchal
de la Diète , proposa de les discuter
dans des Comités particuliers , ce qui
( 149 )
fut adopté. Ensuite , le même Maréchal
de la Diète et celui de la Couronne annoncèrent
qu'il leur avoit été remis , de
la part de l'Ambassadeur de Russie , la
Note que voici , en réponse à celle qui
avoit pour but l'évacuation des troupes
Russes :
NOTE .
Le Soussigné , Ambassadeur Extraordinaire
et Plénipotentiaire de Sa
Maj.l'Impératrice de toutes lesRussies,
ayant eu l'honneur de recevoir la Note
qui lui a été adressée de la part des
illustres Etats assemblés , se fait un
devoir d'y répondre en témoignant sa
surprise exrême de ce que les Commandans
Nationaux ayent pu former des
rapports sur l'assertion de l'établissement
de nouveaux quartiers pour les
troupes de l' Impératrice. Le Soussigné
n'a pas manqué de faire passer à sa
Courcette seconde réclamation comme
la première, et il peut assurer d'avance
que les deux motifs qui l'ont dictée ,
sont aussi analogues aux principes de
son Auguste Souveraine , qu'aux sentimens
de S. M. Impériale. « L'indépendance
et la liberté de la sérénissime République
sont des vérités trop incontestables
pour qu'elles ayent besoin d'être
rappelées , et qu'elles puissent jamais
être exposées aumoindre doute. Sacrées
giij
(150 )
pourla Pologne, elles n'intéressent pas
moins le systéme invariable de la Russie,
et l'amitié constante de l'Impéra
trice pour le Roi et la République. »
Du moment que le Soussigné, Ambassadeur
Extraordinaire et Plénipotentiaire
de S. M. Impériale, aura été
muni d'une réponse qu'il attend à chaque
instant , il éprouvera une satisfaction
bien vraie , en la transmettant aux
illustres Etats assemblés .
Varsovie, ce 26janvier 1789.
C. STACKELBERG .
Les Séances des jeudi , vendredi et samedi
, ont été consacrées à l'examen
d'un projet qui donne une plus grande
extension à l'impôt du papier timbré ;
l'on fait monter à la valeur d'un million
de florins Polonois , l'augmentation
qu'il procure aux revenus de la République.
Pendant le cours de ces dernières
Séances , M. Aubert , Agent de la Cour
de France , a remis aux Maréchaux de
la Diète , un écrit dont nous allons faire
connoître la teneur .
MM. les Maréchaux,
Jem'empressed'avoir l'honneur d'informervos
Excellences que j'aireçu de
ma Cour une réponse à la communication
officielle , qu'il leur a plu de me
( 151 )
faire, de différentes notes qui avoient
été remises à l'Assemblée de la Diète ,
et des réponses qui y avoient été faites
jusques et y comprise celle du 23 noyembre
dernier.
Je suis chargé de remercier vos Excellences
de cette marque de confiance
que la S. République a donnée à cette
occasion à S. M. T. C. , et je crois ne
pouvoir mieux m'en acquitter qu'en
transmettant ici à vos Excellences la
copie par extrait de la dépêche du 8 du
courant, qui me donné cette flatteuse
commission , ainsi qu'ilsuit : 1
«MM. les Maréchaux de la Diète
<< ayant jugé à propos de s'adresser à
<< vous pour faire parvenir à S. M. les
<<<différentes notes qui ont été remises
« à cette Assemblée, et les réponses
<< qu'elley a faites , je vous prie M. de
<< les remercier, et de leur dire que l'an-
<< cienne amitié qui unit la France et
<< la Pologne , ne peut qu'inspirer à Sa
* Maj.le plus grand intérêt pourtoutce
<< qui contribuera à la tranquillité et à
« la prospérité de la République. Que
« le Roi espère de la sagesse de la Na-
<< tion Polonoise , qu'en s'occupant de
« la restaurationdes diverses branches
« de son Gouvernement , elle évitera
<< tout ce qui pourroit la compromettre
« avec quelque Puissance que ce soit ;
<< qu'elle sentira que ce que des siècles
1
1 giv
( 152 )
<< ont altéré ou détruit, ne peut pas être
« rétabli en peu de mois ; qu'enfin ,
« elle pésera toutes les circonstances
<< que lui impose la nécessité de procé-
<< der avec mesure , pour ne pas s'expo-
« ser à voir s'évanouirjusqu'à l'espérance
de recouvrerjamais sa consis-
« tance et l'éclat que la Nature lui
«avoit assignés parmi les Puissances
<<de l'Europe. »
« Je suis ...
»
Cette lettre n'a pas été lue aux Etats ,
et ne pouvoit pas l'être, parce qu'elle
n'étoit et ne pouvoit être ministérielle ,
le sieur Aubert n'ayant aucun caractère
politique.
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 7 février...
2
Pendantl'année dernière il est entrédans
le port de Stettin (Pomeranie Prussienne),
1266 bâtimens , et il en est sorti 1360.
La Cour de Pétersbourg a rendu publique
la Relation de la prise d'Oczakof,
telle qu'elle l'a reçue du Prince Potemkin.
En voici la traduction :
«Notre Artillerie avoit déja démonté tous les
canons ennemis dans les redoutes du retranchement,
lebaſtion de lafortereſſe ,&la courtine du flanc
gauche, & elle avoit renversé le revêtement de
( 153 )
maçonnerie , au point qu'on y pouvoit eſcalader le
rempart. Cependant l'ennemi ſe montroit encore
toujours également opiniâtre dans la défenſe de la
fortereſſe affiégée. Ainsi , le Commandant en chef
prit enfin le parti de faire donner l'affaut en même
temps au château de Hafſfan-Pacha , au retranchement
de la montagne& au corps de la fortereſſe.
Enconféquence de cette réſolution , il fut donné
ordre de former fix colonnes , quatre à la droite ,
deux à la gauche: celles du flanc droit étoient ſous
lecommandement du Général Prince Repnin ; celles
de la gauche , ſous les ordres du Général d'Artillerie
de Moller. La première colonne du flanc
droit , ſous la conduite du Général-Major Baron
dePalen , deſtinée à l'attaque du château de Haffan-
Pacha&du retranchement qui y appartient , étoit
compoſée du régiment d'Infanterie de Tambow ,
d'un bataillon de Chaſſeurs à pied , de 1000 Coſaques
à pied & de 200 Coſaques à cheval , fous
les ordres du Colonel Platow , ainſi que des Volontaires
d'Arménie , commandés par le Major
Awramow. Cette colonne avoit ordre de ſe porter
directement fur les hauteurs contre le château de
Haffan- Pacha , & il lui fut donné , comme aux
autres colonnes , un nombre de gers pourvus de
haches , pour forcer les portes de ce château. La
ſeconde colonne fut partagée en deux parties , afin
de faciliter ſes mouvemens ſur les deux côtés du
retranchement ennemi. La première diviſion étoit
compoſée du régiment de Grenadiers de Catharinoflaw
,& d'un bataillon du régiment de Grenadiers
de Tauride , ſous les ordres du Brigadier
Lwow. La ſeconde diviſion confiftoit en deuxbataillons
de Chaſſeurs du Corps de Catharinos'aw ,
&en 50 Chaſſeurs du régiment de Cavalerie-légère
d'E'ifabethgorod , conduits par le Colonel Baikow .
L'une& l'autre de ces diviſions devoient fuivre la
V
( 154 )
première colonne. Latroiſième colonne , commandée
par le Général- Major Prince Wolkonski, étoit
forméepar le Corps des Chaſſeurs de Livonie , par
un bataillon du régiment de Cherfon , &par 300
Travailleurs du même régiment. Le Brigadier Baron
de Meyendo ff étoit à la tête de la quatrième
colonne , confiftant en un Corps de Chaſſeurs du
Bug , un bataillon du régiment deGrenadiers d'Astracan
, avec 300 Travailleurs de ce même régiment.
La première&la ſeconde de ces colonnes ,
qui devoient marcher ſur le flanc droit , furent
confiées à la direction du Lieute ant - Général
Prince d'Anhalt- Bernbourg ; la troiſième & la
quatrième au Lieutenant-Général Prince Dolgorucki.
Sur le flanc gauche ,le Lieutenant-Général Samoilowcommandoit
la cinquième colonne , &, fous lui,
leBrigadier Chruschrow : celle-ci étoit formée par
un bataillon de Grenadiers & un de Fufiliers du
régiment d'Alexopolis , & par 250 Travailleurs de
ce même régiment. La ſixième colonne , ſous la
conduite du Brigadier Goritsch l'aîné , étoit compoſéedu
régiment deGrenadiers de Fanagor,desbataillonsdeGrenadiers
de Fiſcher&de Sukow,de300
Canonniers,de 100Arquebuſiersdedivers régimens,
de40 Chaſſeurs du régiment d'Infanterie-legère de
Cherfon , de 180 Coſaques du Bug commandés
par le Colonel Scarfchinski , de 220 Volontaires
conduits par le Colonel Selinski, &de 250 Travailleurs
du régiment de Poloczk. Le reſte de l'Infanterie
fut pa tagé en deux Corps de réſerve , l'un
fur le flanc droit , Pautre fur le flanc gauche , ainfi
que la Cavalerie. Les Troupes legères devoient obferver
les Partis ennemis fur le Duiefter. Le Corps
de réſerve à la droite étoit commandé par le Lieutenant
Généra' Heikin : l'Infanterie en étoit conduite
par le Général- Major Turtſcheninow; la Cavalerie ,
par le Géné al- Major Aprax n. Le Lieutenant-
Général Prince Gallitzin étoit à la tête de la réſerve
( 155 )
de lagauche, ayant fous lui, pour l'Infanterie, le
Brigadier Prince Wolkonski; pour la Cavalerie , le
Général-Major Denifow.
-
Toutes ces colonnes reſpectives eurent des ordres
réitérés d'exécuter l'attaque avec vivacité ,&,
fans s'arrêter à fuſiller, de brufquer l'Ennemi là
bayonnette au bout du fufil. Les Commandans des
colonnes , comme auffi les Officiers de l'Etat-
Major & Supérieurs , furent particulièrement
chargés de maintenir le bon-ordre , de prévenir
toute confufion,&de rie point laiſſer faire debutin,
maisd'agir avec toute la valeur qui convient à des
troupes Ruffes , en attendant fermement le ſecours
de l'Etre- Suprême. Il fut'enjoint également de défarmer
les Turcs qui offriroient de ſe rendre , &
de les envoyer à la réſerve. L'on devoit épargner
les femmes& les enfans , & les expédier pareillement
à la réſerve.-Tout ayant été ainſi réglé ,
le Feld-Maréchal aſſembla tous lesGénéraux défi-
*gnés pour agir dans cette expédition : il leur expofa
itérativement tout ce que chacun avoit à faire ; il
en fixa le moment pour chacun , & il ordonna
d'agir avec autant de célérité que poffible. Toutes
čes instructions furent remplies avec la préciſion la
plus exacte.
( Le volume de cette Relation , nous
oblige à nous arrêter aux particularités
essentielles de l'attaque qui suivit les
dispositions qu'on vient de lire.)
«L'attaque fut commencée de tous les côtés , le
17 décembre, à 7 heures du matin. L'ennemi fit un
feu terrible & bien foutenu. Le Général Palen
pénétra , avec la première colonne , au retranchement
de Haſſan-Pacha; il culbuta l'ennemi avec
la bayonnette au bout des fufils & avec des lances ,
&ſe rendit maître du retranchement, Trois cents
g vj
( 156 )
Turcs reſtèrent au château, mais ils ne ſe défendirent
pas . Ce Général les fit garder par des Cofaques
, & retourna à la fortereſſe. Pendant ce
temps, l'ennemi fortit en grand nombre du retrarchement
de la montagne,&fondit ſur la première
colonne; mais elle le reçut ſi bien , que l'on fit
1500 prifonniers.-Le Prince de Bernbourg &le
Brigadier Lwow s'emparèrent des retranchemens
qu'ils avoient ordre de prendre. Le Comte de
Damas fut le premier ſur le rempart ; la profondeur
du foſſé & la hauteur des paliſſades ne mirent
point d'obstacle à fon ardeur ; de cette manière,
on facilita au Prince deBernbourg les moyens
de parvenir juſqu'aux portes de la fortereſſe. Les
Turcs ſe défendirent en déſefpérés. Les Grenadiers
ne purent entrer dans la ville qu'en paffant pardeſſus
des piles de tués.-L'ennemi fit auffi une
réſiſtance vigoureuſe du côté gauche, mais on parvint
à forcer les portes ſupérieures; & lorſque les
ſoldats furent entrés , ils firent un carnage terrible :
tous les Turcs paſsèrent au fil de l'épée. On pénétra
aux portes inférieures par laglace. L'ennemi ,
attaqué & défa't de tous les côtés , ne put plus
réſiſter. Le butin que l'on a fait eſt immenfe ; on
put équiper fur-le-champ , avec lesarmes néceffaires
, quelques milliers d'hommes de Cavalerielégère
; la quantité de perles , de vafes & d'autres
ornemens d'or& d'argent , & de l'argent comptant,
eft très- conſidérable. On vendit au marché le
ducat d'Hollande pour deux roubles , & un écu
au lion pour 30 copeilles.On a trouvé dans laplace
180 drapeaux , & 310 canons & mortiers.
Un journal de commerce vient de
présenter les détails suivans de l'état ac
tuel du trafic des différentes Nations
Européennes à Canton en Chine."
« Pendant l'année dernière, ſuivant l'auteur , le
(157 )
nombre des vaiſſeaux Européens arrivés à la rade
deWhampon , près de Canton , a monté à ſoixanteneuf
, dont cinquante - un Anglois , cinq Hollandois
, trois François , deux Eſpagnols , deux Suédois
, deuxDanois , deux Américains ,un Pruſſien
& un Italien. Douze vaiſſeaux Européens font
allés à Macao ; favoir , cinq Anglois , quatre Portugais
, deux François& un des Pays- Bas. La
majeure partie du commerce de la Chine fe fait ,
commeon fait , avec de l'argent ; on n'évaluoit
qu'à 500,000 rixdalers la cargaiſon & le numé
raire de chacun des navires: ce commerce a roulé
ſur plus de 40 millions de rixdalers. En 1756 ,
le nombre des vaiſſeaux Européens qui fa foient
le commerce de Chine , ne fut que de quinze ;
ſavoir , fix Hollandois, cinq Anglois , un François,
unDanois , un Suédois & un Pruffien. Les
Chinois s'accommodent très-bien de l'accroiflement
de cette navigation; mais les Européens ſe ruineront
peut-être à ce commerce , où ils font obligés
d'acheter la plus grande partie des marchan
diſes avec de l'argent. Le thé, par exemple, dont
le pikal ne coîroit que 24 asels & demi , il y a
deux ans , eſt vendu actuellement 33 à 36 tael.
Les Anglois ent infiniment contribué à rendre ce
commerce encore plus onéreux aux Européens;
n'étant pas pourvus de fonds fuffifans , ils achetèrent
à crédit , & donnèrent aux Chinois des lettres-
de-change ſur la compagnie des Indes orientales;
les Chinois, avides d'argent ,ne les gardèrent
pas, ils les échangèrent pour de l'argent à 15 &
16 pour cent de perte , exhauſsèrent dans cette
proportion le prix de leurs marchandises , &
recouvrèrent ainſi ce qu'ils paroiſſoient avoir
perdu..

T
Pendant l'année dernière , il est entré,
(158 )
dans le port de Dantzick , 409bâtimens
ét il en est sorti 419.
On a reçu de Pétersbourg les obſervations
météorologiques ſuivantes :On yreſſentit le plus
grand froid le 12 décembre dernier , à neuf
heures du matin , le thermomètre de Réaumur
étant defcendu à 24 degrés & demi au-deſſous
de zéro; le 29 du même mois, le thermomètre
eſt remonté à undegré & un dixième au- deſſous
de zéro. La plus grande chaleur fut éprouvée le
7 juillet dernier , le thermomètre étant monté
à 26 degrés trois quarts. Pendant l'année dernière
, on a compté 100jourstrès- clairs , & 110
entièrement couverts , 57 & un quart de brouillard
, 107 de pluie , 70 de neige , 7 de grêle ,
& 11 d'orage , ſavoir , 3 en juin, 6 en juillet
&2 en acût . On a obſervé 10 aurores boréales ;
ſavoir , le 26 janvier , le 17 mars , les 23 , 24 ,
25 & 26 août , les 15 & 16 ſeptembre , & les
10 & 11 octobre. »
De Berlin , le 7février.
LeDuc de Saxe-Weimar est arrivé,
le3, en cette Résidence , où l'avoit précédé
de quelques jours le Vice-Amiral
Russe Defin , venu de Copenhague.
La Direction générale des bâtimens a
fait publier que l'on ne bâtiroit aucuns
nouveaux édifices aux frais du Roi , dans
cette ville , ni à Potsdam , pendant le
cours de cette année , et que l'on continueroit
seulement la construction de
ceux qui sont commencés.
( 159 )
De Vienne , le 7 février.
On prétend que l'Empereur, avant de
se rendre à l'armée , fera un voyage en
Bohême, pour y visiter les forteresses de
Pless et de Thérésienstadt. On continue
d'envoyer dans ce royaume et dans la
Moravie des transports d'Artillerie.
Plusieurs bataillons de la garnison de
Vienne se mettront en marche, le 27 de
ce mois , pour la Bohème , la Moravie
et la Gallicie.
-
Les régimens ont , dit-on , reçu l'ordre
de quitter leurs quartiers d'hiver dans
le courant de février , pour former des
camps au commencement du mois de
mars .
Le bruit du moment est que le Maréchal
de Lascy aura le commandement
d'une armée que le Public fait aller en
Bohème ou en Gallicie. Le Maréchal de
Laudhon aura le commandement général
contre les Turcs ; le Général de F ins,
celui de la Croatie, et le Prince de Hohenlohe
remplacera , en Transylvanie, le
Général de Fabris, décédé le mois dernier.
On vient de publier un décret de la
Cour , du 27 novembre dernier , qui
défend de recourir à Rome pour y faire
décider l'invalidité des voeux en religion.
Les Religieux ou Religieuses qui voudront
se pourvoir , s'adresseront d'abord
( 160 )
à l'Evêque Diocésain, et ensuite auMétropolitain.
On apprend de Linz , que la débacle
du Danube y a emporté le pont , que
ce fleuve a débordé, et que l'eauapénétré
dans la ville.

De tous les côtés on apprend des
malheurs occasionnés par la débacle des
rivières . Depuis Pettau jusque dans l'Esclavonie,
tous les ponts, moulins , etc.
sur la Drave , ont été détruits . La
débacle de la Save a aussi occasionné
de grands ravages .
-
Le 27 janvier au soir, la glace , dans
le lit principal du Danube , s'est rompue
ici , et a emporté plusieurs arches des
ponts extérieurs.
Les lettres du Bannat , de l'Esclavonie
et de la Croatie , sont remplies de détails
des accidens et des maladies qu'occasionnent
, dans ces provinces , le froid
excessif et la neige profonde qui empêche
les transports nécessaires des vivres.
De Francfort surle Mein, le 14février.
On croit à Vienne que la campagne
prochaine sera ouverte de bonne heure
du côté de la Bosnie. La conquête de
cette province éprouvera bien des obstacles
, puisque indépendamment des
forteresses de Zwornik , de Banialucka,
deBihaczz,, etc. il s'y trouve encore 17
( 161 )
châteaux fortifiés , ceux de Novi et de
Dubicza , pris sur les Turcs l'année dernière,
non compris.
Quant au plan général des opérations
de la campagne prochaine, les Nouvellistes
l'ont pris sans doute dans le portefeuille
des Généraux, car ils le développent
avec la précision que l'on va voir :
<<Aussitôt , disent-ils, que le temps le
<< permettra , les Corps du Maréchal de
<<Romanzof et du Prince de Cobourg
<<< se mettront en marche pour pénétrer ,
<<< par Forzan et Falxin , dans la Vaľachie.
<<Le Corps du Prince de Hohenlohe ,
<<quia pris le commandement des trou-
<<pes en Transylvanie , s'y rendra en
<<<même temps par les défilés Transyl-
<< vains. Quand on se sera emparé de
<< Bucharest , tous ces Corps se réuniront
<<près de Gallaz et d'Ismail , pour y at-
<< tendre le Grand-Visir. On lui dispu-
<<<tera le passage du Danube , ou on
passera ce fleuve , afin de l'empêcher
de retourner vers Belgrade. Les Corps
<< de Soltikofet de Kamenskoy se ren-
<<dent dans cet intervalle devant Ben-
<< der , pour assiéger cette place ; une
<<partie de l'armée de Potemkin s'assu-
<<< reraenmême temps, près d'Akermann ,
<<del'embouchure du Danube,et undéta-
<< chement du Corps de Romanzofs'em-
<<parera du château fort de Giurgiewo.
Le but de ce projet paroît être
<< d'empêcher le Grand-Visir d'aller au
( 162 )
<<secours de Belgrade , quand cette for-
<< teresse sera investie par l'Empereur. »
On voit que ces opérations se font
aussi lestement sur le papier, qu'un
voyage en poste.
On a compté l'année dernière , à Cas
sel , 184 mariages , 624 baptêmes et 661
morts.
::
A Marbourg , 37 mariages, 175 bap
têmes et 147 morts.
ITALIE.
De Livourne , le 30 janvier.
Suivant des lettres d'Alger , en datedu
20 novembre, le Grand-Seigneur a demandé
à cette Régence un Corps de
troupes auxiliaires , que sa Hautesse veut
employer dans l'Archipel, pour défendre
les postes les plus exposés aux attaques
des corsaires Russes. La milice d'Alger ,
en ce moment , ne consiste qu'en 12
mille Turcs. Mais les Gouverneurs s'occupent
d'en augmenter le nombre, et
forment des magasins dans lesProvinces.
Le Dey a formé aux portes d'Alger deux
camps pour exercer les troupes, en attendant
qu'elles s'embarquent . La Ma
rine de cette Régence est très-florissante;
elle consiste en 24bâtimens armés, non
compris le vaisseau Amiral, ni les Bar
ques de
transport.
( 163 )
rade, qua
Shepalme
sopran
éedernie
IE
H
GRANDE - BRETAGNE .
De Londres , le 17 février.
et
Nous connoissions les rapports altérés
d'une classe de Papiers publics , les bruits
hasardés parl'esprit de partiet par l'ambiation;
enfin, lesinnombrablessottisesqu'on
affectoit de répandre contre tout espoirdu
rétablissement de S. M. , lorsque nous
avons persistéà entretenir ces espérances,
malgré les artificieuses allégations transcrites
dans les Gazettes. Nos informations
n'étoient point trompeuses ,
NE POUVOIENT L'ÉTRE ; cette vérité est
maintenant constatée par le changement
capital qui s'est manifesté et soutenu
dans l'état de Sa Majesté. Depuis dix
jours , le Docteur Willis ,et même ceux
des Médecins qui , avec une arbitraire
légèreté , avoient affecté de contredire
ses rapports , s'étoient aperçu d'une diminution
sensible des symptômes défavorables
. Le 10 , ils signèrent que le Roi
annonçoit , la veille , une présence d'esprit
dont il étoit privé depuis l'origine
de sa maladie . En effet , sa conversation
étoit redevenue suivie , il avoit repris
des intervalles de mémoire , et s'étoit
même fait peser , pour comparer son
poids relatif au moment actuel et aux
époques antérieures de son séjour à Chel
tenham et à Windsor. C'est la veille ,
( 164)
précisément , que M. Burke, au mépris
de toute décence et de toute humanité,
s'étoit plu à représenter l'état du Roi , à
la face des Communes , comme une pu
nition du ciel.
ל
Le bulletin du II annonca une nou
velle amélioration , et celui du 12 , signé
des Docteurs Baker, Gisborne et Willis,
rapporta que S. M. se trouvoit dans
un étatprogressifd'amendement. Le 13,
Je même bulletin officiel confirma que le
Roi alloit très-bien;le 14, que l'amélioration
graduelle continuoit;le 15 , que
la nuit avoit été excellente , et le changement
très-sensible ; le 16 , le rétablissement
de S. M. se développoit de plus en
plus ; enfin , ce matin 17 , les Médecins
ont annoncé que Sa Majesté se trouvoit
enplein état de convalescence. Cette rélution
est presqu'entièrement l'effet du
régime moral , de la promenade en
plein air , de la nature et des directions
sages du Docteur Willis, Le Roi
s'est promené chaque jour, quelquefois
deux heures de suite , dans les jardins de
Kew et de Richmond. Il a fréquemment
dîné avec la Reine et les Princesses :
dans la dernière entrevue, sa conversation
fut aussi raisonnable qu'elle l'étoit avant
la maladie. Ses entretiens avec les personnes
qui l'entourent , ont indiqué le
recouvrement total de la mémoire et
de l'ordre des idées : il s'est rappelé son
séjour à Windsor et les premières atta(
165 )
ques du mal; l'état d'où il sort lui paroît
un songe. Dans une visite qu'il fit l'autre
jour à son Observatoire , le Garde , qui
ne l'avoit point vu depuis sa maladie , fut
surpris en l'apercevant entrer , et changea
de couleur. « Si vous n'êtes pas in-
<<disposé , lui dit le Roi avec bonté ,
<<< vous êtes sans doute surpris de me re-
<<voir ; mais cela ira bien , tranquil-
<< lisez- vous. » Ce Prince , durant son
dérangement , avoit perdu l'usage , qui
lui est propre , de faire des questions
d'une manière très-rapide ; il l'a repris ,
et c'est un des premiers symptômes de
convalescence qui ont frappé les Médecins.
Le pouls , qui étoit fréquemment
à 120 pulsations par minute , est retombé
à 64 , tel qu'il étoit à l'époque de la
santé parfaite. De cette circonstance
on induit assez plausiblement que la maladie
de S. M. étoit un délire accidentel
, et nullement l'insanité , durant
laquelle le pouls éprouve rarement d'altération
sensible. C'est le contraire dans
le délire , et une fois la fièvre abattue ,
les facultés mentales se rétablissent. Cette
agitation fébrile a cédé à la nature plutôt
qu'aux remèdes , car on n'a guère administré
à S. M. qu'un peu de tartre émé
tique à deux reprises , et du quinquina.
-
,
Cette révolution ne suffit pas encore
à dissiper toute crainte de rechute ; on
la préviendra en retardant le moment
où S. M. recommencera à se livrer aux
affaires publiques ; il faut , à cet égard ,
( 166 )
et à tous autres , se reposer sur l'intelligence
attentive et pénétrante du Docteur
Willis , bien vengé maintenant des
insultes scandaleuses que l'Opposition a
faites à ses talens et à sa véracité.
Le contentement des Citoyensasuccédé
à la tristesse ; les fonds sont remontés de
3pour cent; mais il est facile d'imaginer le
désappointement et le chagrin mal déguisé
de tous ceux qui s'étoient déja partagé
les lots d'une nouvelle Administration
. La pire confusion est celle des Déserteurs
des intérêts du Roi , de la Reine
et du Ministère : à l'honneur du Parlement
, ils étoient en très-petit nombre
dans les deux Chambres. Celle des Pairs
n'en a compté que deux , le Duc de
Quensbury , Gentilhomme de la Chambre
du Roi , et le Marquis de Lothian ,
faisant les fonctions de Capitaine des
Gardes . On a désigné ces Adorateurs du
soleil levant sous le nom de Rats , et
chacun d'eux a été nommé , persiflé ,
livré à l'opinion dans les Papiers publics .
Il reste incertain aujourd'hui , non si
le Prince de Galles prendra la Régence
(la santé du Roi exigeant encore des
ménagemens assez longs ), mais si Son
Alt. R. bouleversera , pour quelques semaines,
le Ministère entier, occasionnant
ainsi gratuitement une dépense considérable
, sans être même sûr de pouvoir assurer
à son Parti ( puisqu'il en a fait le
sien ) la Majorité du Parlement .
( 167 )
Elle leur est constamment , et même
de plus en plus défavorable. Le 10 , les
Communes ont sanctionné, à la pluralité
ordinaire , la clause du Bill de Régence ,
qui concerne la nomination du Conseil
de la Reine. Ce Conseil sera composé
des Archevêques de Cantorbéry et
d'Yorck , du présent Chancelier Lord
Thurlow , du Président du Banc du Roi ,
Lord Kenyon, et des quatre grands Officiers
d'Etat , le Lord Chambellan , le
Lord Steward, le Grand Ecuyer , et le
premier Gentilhomme de la Chambre.
Lord North, M. Powis, et d'autres , demandèrent
qu'on fît entrer dans ce Conseil
les Fils et les Frères du Roi , ce qui fut
rejeté par 178 voix contre 129. Les objections
de la Minorité contre la dernière
clause du Bill , qui règle la forme dans laquelle
le Roi , après son rétablissement ,
reprendra l'exercice de l'autorité , n'ont
pas eu plus de succès le 11 , 68 voix de
plus en faveur de M. Pitt , ayant consommé
le triomphe complet de ceMinis
tre. Dans cette Séance , M. Burke qui ,
de son aveu , a fait sa quarantaine aux
petites maisons , donna un nouvel essai
de son éloquence Irlandoise, en récapitulant
l'histoire de tous les maniaques qu'il
avoit fréquentés. Il en conclut que leur
rétablissement étoit aussi dangereux que
leur folie , puisqu'il avoit appris dans
les livres et dans la conversation de Médecins
savans , que de 3000 fous guéris ,
( 168 )
333 avoient été des suicides , des parri
cides, etc. etc. Ilauroit continué jusqu'au
lendemain , si un cri d'horreur général
n'eût imposé silence à ce cynisme dégoûtant
, que les adolescens appellent de
l'énergie.
Le Bill de Régence ayant été envoyé
à la Chambre Haute , les Pairs en ont
fait deux lectures, le 13 et le 16, et le
discutent aujourd'hui. Dans la Séance du
13 , il fut arrêté de reprendre le procès
de M. Hastings le 6 avril prochain.
Dans la nuit duir au 12 , le Commodore
Cornwallis a mis à la voile de Ports
mouth , pour se rendre dans l'Inde avec
les Vaisseaux suivans :
Le Crown , 64can . Cap. Cornwallis .
Le Phénix, 36
LaPersévérance, 36
L'Atalanta, 14
L'Ariel , 14
Byron.
Smith.
Delgarno.
Lieut. Moorsom,
Cette escadre a pris à bord six compagnies
du 74°. régiment nouvellement
levé, dont le reste s'est embarqué sur les
vaisseaux de la Compagnie , la Britannia,
l'Europa, le Sullivan et l'Océan ,
qui sont partis avec l'escadre.
L'Amiral Peyton est arrivé heureusement
à Gibraltar , sur le Leander de 50
canons , le 31 décembre dernier , après
une traversée de douze jours. Cet Officier
a pris le commandement de l'escadre
de
( 169 )
de Sa Maj . dans la Méditerranée , dont
étoit chargé le Commodore Cosby.
Ona reçu, le 5 , pluſieurs dépêches du Gouver
neur de la Jamaïque , qui ont été apportées par le
paquebot le Greyhound. Ce bâtiment a appareillé
deKingſton, le 15 décembre ,& il a laiſſé dans
ceport des vaiſſeaux de Sa Majesté ,l'Europe de 50,
montéparleCommodore Gardner, l'Expéditionde
44, Amphion , l'Andromède , l'Aftrée de 32 , l'Aurora
de 28 , le Cygnet la Calypso de 16 , & l'A
lertde14.
La frégate l'Andromède , montéepar le Prince
CuillaumeHenry , arriva , le 15 , dans le havre de
Port-Royal , venart de St. Jean dans la baie de
Fundy. Auſſitôt après ſon arrivée , ſon Alteſſe
Royale fut faluée par les canonsdes forts & par
ceux des vaiſſeaux de Sa Majesté , qui ſe trouvoient
dans le havre de Port-Royal.
Le Gouvernement a freté un vaisseau
du port de 300 tonneaux , qu'on équipe
actuellement à Deptford pour la Baie-
Botanique , et destiné à transporter dans
cette nouvelle Colonie , environ 250 criminels.
Lenombre des vaiſſeaux qui compoſent la flotte
de la Compagnie des Indes , pour cette ſaiſon ,
ſe monte à 32 ,&forme 26,000 tonneaux. Vingt.
un de ces vaiſſeaux doivent aller chercher des thés
à la Chine. Mais comme les demandes ſeront encore
beaucoup plus conſidérables cette année que les
autres ,& que la guerre du nord empêche la Com
pagnie Suédoiſe de faire partir ſes vaiffeaux , la
Compagnie ſe propoſe de prendre de fix à
vaiſſeaux de plus à ſon ſervice , pour envoyer à
la Chine.
dix
Le montant des droits à la douane , acquittés
St aſſurés ſur obligations pendant l'année dernière,
Nº. 9. 28 Février 1789. h
( 170 )
enregiſtrés à l'entrée entreles janv. 1787& les janv.
1788 , est ainſi qu'il fuit :
Argenteffectivement reçu
pour droits, par les différens
receveurs à la douane... 2,347,9861. 17 f. 4d.
Aſſuréſur obligations pour
droits. .. ........ 1,959,9151.156.0-d.
Montant total des droits
acquittés& afſurés fur obligations
pour marchandiſes
enregiſtrées au port de
Londres pour l'année finiffant
au 5 janvier 1788..4,307,9021. 12 f. 4 d.
Il n'y a pas d'exemple , dans les annales de ce
pays , d'aucune recette annuelle de droits auffi confidécable.
On s'est diverti dans les cercles et dans
les Papiers publics , le mois dernier , des
prophéties de Mistriss Prescot, Dame
très-zélée pour le Magnétisme animal.
Elle est tombée en somnambulisme ; et
suivant l'histoire qui court le monde ,
dans ce somnambulisme elle a vu des visións
, et rêvé des rêves .
« Je vois , dit-elle , comme la dame prophète ,
>> dans la farce de M. Sheridan , je vois un couteau
>> plongé dans ſon flanc; je vois fortir de la blef-
>> ſure une matière qui eſt eau minérale & fang.
- Je vois cet épanchement s'élever de la
>> plante des pieds juſqu'à la tête , & s'y fixer
» de manière à occaſionner undérangement mo-
» mentané dans les facultés intellectuelles . Je
*vois que ce dérangement cédera aux remèdes ,
» & que tout ira bien ;&je vois que, revenu à
-
( 171 )
» lui-même , il dira : En vérité, s'ils avoient changé
» mes plans , c'est pour le coup qu'ils m'au oient
» rendu réellement tout-à-fait fou ! »
« On prétend que Lord Rivers , M. Conway
& un Docteur magnétiſant , ont réellement entendu
prononcer la prophétie. Si cela eſt , on
peut dire qu'il y a des oreilles comme des mémoires
, très-différentes de celles du commun des
hommes. »
« En cette occafion , comme dans leplus grand
nombre , l'explication triviale eſt auſſi la plus
vraie. - Il eſt poſſible que madame Preſcot, admirant
les ingénieuſes fictions de Sakespeare & de
Virgile , ait , à leur exemple , prédit le paſſé. »
Le Gentleman Magazine a publié
une information , que nous avons traduite
, etqui ne sera peut-être pas inutile
aux Propriétaires ruraux.
« Les moutons ſont quelquefois affectés d'une
maladiefort incommode , appelée en Ang ois Foothalt,
pour laquelle on ne connoiſfoit point de remède.
C'eſt un vers qui s'introduit dans les pieds
dece bétail , le ronge, le tourmente, & lui donne
quelquefois la mort. Ily a quelque temps que le
haſard fit découvrir à un Fermier du Comté de
Bedford , un remède qui fut publié dans les Papiers
publics. Cette circo ſtance a donné occafion à la
lettre ſuivante , écrite d'Amſterdam, le 14 octobre,
par M. D. R. M. »
« Le Foot-halt eſt preſque auſſi fatal aux moutons
que le Tac. Il eſt caufé par un infecte qui ,
lorſqu'il eſt parvenu à une certaine maturité , refſemble
à un ver de deux , trois ou quatre pouces
de long. Le premier ſymptôme de la maladie eſt
lorſque les moutons commencent à boiter. Cette
incommodité augmente alors au point de les empêcher
de paître,& le manque d'alimens & la
hij
( 172)
douleur font languir l'animal juſqu'à ce qu'il meurt.
Le ſeul remède eſt detirer l'inſecte le plus tôt pofſible
, ce qui est fort aiſé. »
« Aufſi-tôt qu'on aura aperçu le premiet ſigne
*de l'incommodité , il faut examiner lepied ma'ade
entre les doigts , & l'on verra que dans 'a peau
qui ſe trouve à la racine des doigts , il y a un petit
trou, par lequel le ver, encore petit, s'eſt introduit.
L'inſecte une fois entré , remonte le 'ong de
la jambe , entre la peau & l'os ,& arrive à fa grandeur,
& plus il s'enfonce, plus il eſt tranquille,&
trouve de nourriture. Pour tirer cet inſecte , il
*fuffit de remuer les doigts en avant & en arrière ,
en direction contraire. Au bout de quelques inftans
, on verra paroître l'extrémité du ver par le
trou. En continuant de remuer les doigts, e ver ne
tarde pas à ſe débarraſſer entièrement lui-même ,
*ce qui vaut mieux que de le tirer avec les do grs ,
parce qu'on riſqueroit de le caffer ,& de laffer
dans la plaie une partie de ſon corps , qui cauferoit
beaucoup de mal en pourriſſant. Par cette opération
, aufli ſimple qu'aiſée , mon Métayer a guéri
depuis pluſieurs années , & notamment l'année
dernière , tous ceux de mes moutons que cette maladie
avoit attaqués, ſans employer même enfuite
aucun topique; car la nature guériſſoit ſeule le
canal que l'infecte s'étoit ouvert le long de la jambe
de l'animal. »
«Cette maladie fait actuellement de grands
ravages dans la Nort-Hollande.Laplupart des Fermiers
y font très-apathiques , comme ailleurs , &
ne font rien pour la guérir. D'autres ont eſſayé
différensprocédés, mais tous juſqu'ici ſans ſuccès. »
« Le remède que le haſard procura à un Fermier
du Comté de Bedford, & qui conſiſtoitdans
de la chaux non éteinte &de l'eſprit de vitriol répandus
à terre , peut avoir été utile aux moutons
Chez leſquels l'infecte n'avoit pas encore traverſé
( 173)
la peau , ou ne faiſoit que d'entrer. Il eſt probable
que ſi le ver remonte plus haut dans la jambe ,
&à une p'us grande diſtance de l'orifice que lorfqu'il
s'y eſt fait jour , les particules corrofives de la
chaux ou du vitriol nepourroient arriver juſqu'à
l'infecte. D'ailleurs , on ne fait pas le mal que ces
deux matières pourroient occafionner en reſtant
dans l'intérieur de lajambe , après qu'elles auroient
mortifié ou tué les vers. »
« On a remarqué que cette maladie des moutons
eſt plus commune dans certaines années que
dans d'autres ,& plus dans les ſaiſons humides que
dans les ſèches. Il ſe manifeſte plutô: au printemps
& en automne , qu'en été& en hiver. Dans
les terrains élevés&falubres , les moutonsy font
moins ſujets que dans les terrains bas , marécageux,
ou herbeux. On peut inférer de toutes ces circonftances
, que l'infecte , dans ſon premier état , a
pour fon élément le plus naturel , la terre , l'eau
ou l'air, &qu'il ne s'introduit qu'accidentellement
entre les doig s des moutons , où il trouve enfuite
fa nourriture& ſa fûreté. »
Adam Ritehie est mort, depuis peu, à
Gastlebarns , dansles environs de la ville
d'Edimbourg en Ecosse , dans la 106
année de son âge.
La nommée Jeanne Ross , native
d'Ecosse , est morte, le 27 du mois der
nier , dans Piccadilly , âgée de 106 ans,
Elle a conservé ses facultés jusqu'au dernier
moment , et elle lisoit aisément les
plus petits caractères d'impression .
ÉTATS - UNIS D'AMÉRIQUE.
De New-Yorck , le 18 novembre.
«L'année fédérale étant expirée au commenhin
( 174)
cement de ce mois, tous les membres du Con
grès & même les principaux officiers exécutifs
des Etats-Unis ont ſucceſſivement diſparu. Les
nouveaux délégués élus par les différensEtats pour
fervir ſous l'ancienne confédération , arrivent fi
lentement qu'il ne s'en trouve encore que trois
dans cette ville , & l'on a lieu de douterde la formation
d'un Congrès avant le mois de mars prochain
, époque fixée pour la convocation des
Membres du nouveau Gouvernement , dont l'organiſation
fera bien différente de celle qui a été
établie juſqu'ici. Onfait que le Congrès ſera compoſé
de deux Chambres &d'un Préſident exécutif,
&que les pouvoirs de ce dernier auront quelque
analogie avec ceux du Roi d'Agleterre. "
Pendant cet interrègne on s'occupe beaucoup
de l'élection du Préſident , ou Vice-Préſident&
des Sénateurs. Pluſieurs de ces derniers ont déja
été nommés,& paroiſſent dignes de la confiance
de leurs conſtituans. Quant au Vice- Préſident , le
choix des peup'es eſt encore très-incertain , mais
tous les voeux ſe réuniſſent en faveur du Général
Washington pour être le Préſident& le principalappuidecette
nouvelleRépublique fédérative,
dont il eſt encore difficile de prévoir le ſuccès ,
quoique tous les amis du bon ordre &de lajuftice
défirent ardemment qu'elle foit ſolidement
établie. Les antagoniſtes de cette conftitution ont
eu récemment lieu de ſe rtéjouir d'une nouvelle
démarche faite par l'Etat de Rhodes-Island pour la
rejeter ; mais cet Etat eſt d'une ſi petite importance
, que fon oppofition ne pourra être d'une
longue durée , ſi les autres Etats font férieuſement
déterminés à lui faire la loi. Il eſt même à préfumer
qu'un changement dans l'organiſation intérieure
de fon adminiſtration lui fera adopter un
ſyſtême plus compatible avec ſes véritables intérêts.
La Caroline du nordperſiſte également dans
( 175 )
fon refus d'accéder à la nouvelle confédération ;
ellea pris cependant la réſolution de faire lever par
ſes propres officiers tous les impôts qui pourront
être ordonnés par le Congrès , & d'en faire verſer
le produit dans le tréſor fédéral. Cette Confédération
ne fera donc compoſée dans le principe que
de 11 Etats ; & dans ceux-ci il ſe trouve encore
un parti très-puiſſant contre le ſyſtême de conſolidation
qui en forme la baſe. Le ſuccès dépendra
donc en grande partie de la ſageſſe du nouveau
Congrès&de la prudence du Général Washington,
qui pourra être encore une fois le génie tutélaire
deſa patrie. Ce grandhomme a été donné à l'Amérique
pour combattre alternativement la tyrannie
&l'anarchie. Sa dernière tâche ſera plus difficile ,
quoique peut- être moins brillante. »
«Leshabitans de Kentukès s'étoient flattés d'obtenir
de l'ancien Congrès la confirmation de leur
indépendance , qui leur appartient de fait ,&leur
admiſſion à la confédération comme 14. Etat.
Différentes conſidérations locales ont empêché le
Congrès de prêter l'oreille à leurs demandes. Ils
ont formé en conféquence une convention àDauville
pour rédiger une conſtitution ,& pour délibérer
ſur les moyens d'engager les anciens Etats
à les accueillir. Cette convention a également eu
pour objet de faciliter quelques négociations avec
l'Eſpagne , pour obtenir enfin la libre navigation du
Miſſiffipi , qui a été vainement accordée aux Etats-
Unispar laGrande-Bretagne , au moment où cette
Puiſſance ne poſſédoit plus un pouce de terre ſur
le Miſſiſſipi. Les Kentukois regardent cette navigation
comme indiſpenſable à leur proſpérité ;
mais on ne fauroit diſconvenir que leurs réclamations
ne foient plutôt fondées ſur la convenance
que ſur un droit réel. »
« La population de ce diſtrict augmente journellement,
au moyen des émigrations qui s'y font
hiv
(176 )
des anciens Etats. La colonie du Muskingum , fur
la rive droite de l'Ohio , prend auffi des accroiffemens
proportionnés à la fertilité & au bon marché
de fes terres. Le Congrès n'a encore vendu
qu'une petite portion de ce diſtrict; cependantles
contrats montent déja à la ſomme de 2,993,144
dollars , qui ſeront payés en effets publics , &diminueront
graduellement la dette domeſtique des
Etats-Unis. Un grand nombre d'anciens officiers
foldats Américains ſe ſont fixés dans cette colonie ,
dont la capitale ſera appeléeMarietta , ou Marie-
Antoinette. C'eſt unnouveautémoignage de la reconnoiſſance
de ces militaires , & del'attachement
qu'ils ont confervé pour la France. »
« Les ſentimens des Américains pour leurs alliés
ſe manifeſtent dans toutes les occafions. Les
papiers publics ont déja rendu compte de lamanière
dont le Comtede Mouſtier, Miniſtre Plénipotentiaire
de France , a été reçu par le Préſident&les
citoyens duNew-Hampshire. Ila été également bien
accueilli en Virginie , où il s'étoit rendu principalementpour
faire une viſite au GénéralWashing.
ton. A fon paſſage par la ville d'Alexandrie , les
Magiſtrats lui ont adreſſé un diſcours flatteur auquel
il a répondu. »
FRANCE.
De Versailles , le 18 février.
Le Vicomte de Moges, le Comte Hippolyse
de Touſtain-Limery , le Marquis de Tourzel ,
& le Marquis d'Haufſonville , qui avoient eu
T'honneur d'être préſentés au Roi , oat eu, le
133,, celui de monter dans les voitures de Sa
Majesté, & de la ſuivre à la chaſſe .
Le 8 de ce mois , Leurs Majestés & la Famille
( 177 )
Royale ont ſigné le contrat de mariage du ſieur
Lambert , Maître des Requêtes , avec demoiſelle
du Pré de Saint-Maur.
Le Marquis de Roſſel , ancien Capitaine de
vaiſſeau , a eu l'honneur de préſenter au Roi , le
25 du mois dernier , le ſeptième Tab'eau qu'il
a peint par ordre de Sa Majesté , repréſentant le
combat de la frégate la Sur eillante , de 32 canons
, commandée par le ſieur de Couédic , Lieutenant
de vaiſſeau , contre la frégate angloiſe le
Quebec , de meine force , commandée par leCapitaine
Farmer, livré le 6 octobre 1779 , à la
hauteur d'Oueſſant. Ce tableau fait partie de la
Collection qui doit être gravée , & que le Roi
&la Famille Roya'e ont honorée de leur foufcription.
Le 15 , Leurs Majestés & la Famille Royale
ont figné le contrat de mariage du Comte de
Boiffy avec demoiselle d'Aligre , & celui du
Comte de la Rochefoucauld de Couſage avec
demoiselle de Chéry .
Lemêmejour ,laComteſſedeMorard d'Aces ,
a eu l'honneur d'être préſentée à Leurs Majeftés
& àla Famille Royale par la Marquiſe de Fontenilles.
De Paris , le 25 février.
La durée et l'intensité du froid quia
régné cet hiver , ayant pu faire craindre
que les bledsn'eussent été gelés dans quel
ques cantons , la Société royale d'Agriculture
a cru devoir prendre des renseignemens
exacts sur cet objet important.
D'après des observations , faites par ses
Membres et ses Correspondans dans
différentes provinces du royaume ,
hy
( 178 )
conste que les bleds n'ont point souffert
de la gelée , et qu'ils présentent en gé
néral , dans le moment actuel , une trèsbelle
apparence. La Société royale , en
se félicitant de pouvoir donner une pareille
assurance aux Cultivateurs , s'est
empressée de la publier.
Suivant un relevé exact , il est sorti du
Havre, pendant l'année 1788 , 141 navires
pour les Colonies Françoises ; savoir , 68
pour S. Domingue , 34 pour la Martinique
et Guadeloupe, 6 pour Tabago,
I pour Cayenne , 21 pour Guinée , 11
pour le Sénégal .
Pendant la même année 1788 , il est
entré dans le port du Havre 103 navires ,
venant des Colonies ; savoir, 67 de Saint-
Domingue , 28 de la Martinique et Guadeloupe
, 7 de Tabago , I de Cayenne.
L'une des pièces émanées des différens
Corps Municipaux , qui a été la plus remarquée
, est la Requête au Roi , et la
Délibération du Tiers-Etat de la ville
de Dijon , du 18 février 1789. Les requérans
concluent en disant :
« Ainſi le Cle gé ne contribue en ien aux impoſitions.
»
« Ainfi les Nob'es , fingulièrement ménagés
dans 'a répartition des vingrièmes ne payent que
31,000 livres de la capiration régée à 500,000
Ainfi le Tiers-Etat ſupporte feul cette foule
impofitions royales , connues fous les
taillon , garnison , ſubſiſtance&exemptions,
(179 )
"
dons gratuits &extraordinaires , qui montent à près
de 1,500,000 liv. »
Ainſi le Tiers-Etat ſupporte lui ſeul ,&fans
la moindre exception , toutes les charges & les
dépenſes communes de la province , telles que les
gagesdesMaréchauſſées , ceux des Maîtres de Poſtes
&Courriers , l'impôt qui remplace la corvée ,les
appointemens des Gouverneur, Commandant , Intendant
, &de leurs Secrétaires , leurs logemens ,
tous les frais des bureaux , tous ceux relatifs aux
ponts & chauſſées , à la ſuppreſſion de la mendicité
, aux haras ; il paie ſeul la taxe établie pour
le rachat des droits des Courtiers Jaugeurs , Infpecteurs
des boiſſons& boucheries , & pour celui
des droits ſur les huites & les ſavons. Il paye encore,&
toujours ſeul , la totalité des frais du long
voyage que les Flus font à Paris pour la préfentationdes
cahiers de la province à Votre Majeſté ;
il paie (choſe incroyable ) les ſommes ordonnées
par la Nobleſſe & le Clergé , pour être répandues
å titres de fecours & d'aumônes ; il paie ( choſe
honteuſe ) la rétribution des ſommes employées
à l'adminiſtration de la province par les Flus des
premiers Ordres , déja rétribués par une gratification
que ces mêmes Flus reçoivent de VotreMajeſté
: enfin , il paieroit encore le tapis , les bougies
&le papier du bureau particulier de la Chambre
de la Nobleſſe , les gages de fon Capitaine de
la porte , & les journées des Commiſſaires-Vérificateursdes
titres des Gentilshommes , ſi aux Etats
derniers ſeulement les Nobles n'avoient pas daigné
tenir quitte de ces modiques objets l'Ordre du
Tiers-Etat. »
« Ainſi les bâtimens ſomptueux élevés par le
luxe des Administrateurs , & pour leur agrément
ſeul ; ces routes multipliées en tout ſens pour
la commodité des Grands , bien plus que pour
l'utilité du commerce ; ces fêtes publiques dont le
hvj
( 180)
peuple n'a que letumulte ,&les richestoutl'agrément&
l'honneur ; ces dons extraordinaires aux
gens en place , par leſquels les Elus s'ouvrent les
routes de la faveur ; ces médailles , ces jetons frappés
à grands frais & répandus avec une profuſion
ſcandaleuſe; tant dedépenſes ſuperflues , d'autant
plus multipliées , que ceux qui les payent n'ont
pas ledroit de les contredire, tout eſt rejeté ſur
Je ma'heureux Tiers-Etat, »
On est ici toujours écrasé d'une grêle
debrochures. Il est impossible que cette
abondance ne soit disette , et qu'elle
n'amène le dégoût , au moins des Lecteurs
judicieux. On désireroit sur-tout
que les Auteurs d'un grand nombre de
ces pamphlets éphémères , voulussent se
distinguer, nonparlaforcedes invectives,
mais par celle des raisonnemens . C'est
cette classe d'Ecrits qu'a fait allusion
dernièrement , M. le Vicomte de Tousvain,
dans une lettre aux Députés du
Tiers-Etat de Bretagne, où il dit :
** Ces parodies indécentes , ces profanations incroyables
, dont les conditions inférieures de la
>>fociété font infectées par des Litanies , des Glo-
» ria , des Cantiques , des Meſſes, des Vépres , di-
>>rigées contre les claſſes appelées à gouverner une
> multitude pourlaquelle,mais non par laquelle on
>> doit tout faire, lui font perdre inſenſiblement
> tout eſprit de religion ,de morale , de travail ,
>> de déférence & de fubordination , lui font con-
>> foodre la loi avec l'oppreffion , le devoir avec
» l'efc'avage , & ne font pas moins funeftes au
troiſième ordre qu'aux deux premiers. Sans la
>> prévoyance & la vigueur du gouvernement, nous
(181 )
-ſerions preſque menacés d'une ligue ou d'une
» jaquerie..
Il faut espérer que bientôt on ne dis-'
tinguera plus de cette infinité de productions
, prétendues politiques , que celles
où respireront la sagesse , l'énergie des
preuves , et l'esprit de conciliation. De
de genre est une Lettre au Roi, par M.
de Lessac , Militaire estimable , et Ecrivaindu
plus grand talent , à qui l'on doit
Esprit Militaire , Ouvrage aussi bien
écrit que bien pensé , et où l'on a consi
déré sous des développemens neufs , lamorale
des armées , et l'influence de l'esprit
national sur leurs constitutions.
Le parlement deGrenoble a , par arrêt du 16
du mois dernier , ordonné l'enregiſtrement de l'arrêt
du conſeil du 23 février 1788 , &des lettrespatentes
données ſur cet arrêt du 15 ſeptembre ſuivant
, qui maintiennent Meffire Marc-Ostavien
Doudardde Lagrée, Procureur-général à laChambre
des Comptes de Grenoble ,& meſſieurs ſes frères ,
dans leur ancienne nobleſſe. Ils ont éré reconnus
de la même famille queMrs. Doudard , ſeigneurs
des Haies en Bretagne , ayant la même lignée &
defcendance , & tousiſſus du tronc commun,Guil--
laume Doudart, Seigneur de Lagrée & du Prat ,
lequel remonte à Olivier Doudard, qui fut reconnu
noble d'extraction lors de la réformation de 1 426 ,
la plus ancienne de la Bretagne,& à laquelle les .
plusanciennes maiſons de cette province firent leur
attache lors de la réformation de 1658. -
Chambre des Compres a ordonné , par arrêt du
--29 du même mois , l'enregistrement des mê nes
Lettres-patentes & arrêt du Confeil .
-La
Ce Journal n'est nullement destiné à
1
:
(182)
servir de recueil aux débats des Particuliers.
Ceux-ci doivent porter leurs réclamations
devant les Tribunaux , et
observer qu'elles n'intéressent le Public
en aucune manière. Celle qui fait
l'objet de la lettre suivante , a été occasionnée
par un acte de bienfaisance , auquel
nous avons été pressés de donner
de la publicité : elle a excité les plaintes
d'un Intéressé qui méritoit des égards;
l'équité nous oblige de donner cours à
une réplique ; mais nous déclarons , une
fois pour toutes , que , désormais , ce
Journal sera fermé à toutes controverses
de ce genre , fondées ou non.
LETTRE AU RÉDACTEUR.
«Monfieur, jene fais pas encore quel eſt l'auteur
de la mention inférée dans le Mercure de France
du 13 décembre dernier , au ſujet des défrichemens
&plantations que j'ai fait& fait faire fur le
territoire de Monceaux. Je n'ai point défiré d'éloges;
je prévoyois encore moins qu'ils duſſentm'attirer
de la part de M. le Marquis deVillettelesimputationsquej'ai
lues dansla lettre que vous avez tranfcritedans
le Mercure de France, du 10 de ce mois.>>>
« M. le Marquis de Villette affirme quejefais défricher
des terrains qui ne m'appartiennent pas ; que
jem'applaudis d'avoir banni lesprocès; quecependant
mon village est en combulion , & que dix-neuf de
mes paroiffiens ſont condamnés aux eaux& forêts
de Senlis, à rétablir les pâturages ufurpés , &c.
«Si le tiers qui , com neje l'ai dit , m'eſt inconnu ,
m'a félicité d'avoir banni les procès , c'eſt parce
que , fans doure , il eſt inſtruit que depuis 27 ans
que j'exerce endeux paroiſſes les fonctions curiales ,
( 183 )
jen'aijamaisplaidé contre mes paroiffiens,&qu'ils
ne plaident pas davantage les uns contre les autres ;
ma paroiſſe n'eſt donc pas en combuftion. Dix-neuf
demes paroiffiens n'ont point été condamnés à
Senlis , puiſqu'ayant pris le fait-&-cauſe de tous ,
j'en ſuis maintenant à plaider en la table de marbre
des eaux & forêts , ſur la queſtion de ſavoir en
quel tribunal la corteſtation doit être inſtruite&
jugée ; et avec qui ? Avec les ſeuls habitans du
hameau des Ageux , qui ne ſont pas même vaffaux
de M. de Villette. Ceux-ci , qui s'étoient mis
en tête qu'i's pouvoient avoir quelque droit aux
terrains défrichés , parce qu'ils y avoient quelquefois
fait poſſer leurs beftiaux pour ſe rendre à leurs
pâturages , font les ſeuls qui ayent actionné , il y
aneuf ou dix mois , une partie de mes preneurs
à cens. »
«C'eſt auſſi enjuſtice réglée queM. le Marquis
de Villette devroit me provoquer , s'il étoit vrai
qu'une grande partie des terrains défrichés appartint
à ſes communes. Mais il n'y a pas eu juſqu'à
ce jour la moindre réclamation de la part deshabitans
du Plessis- Villette , ni de quelques autres vil-
Lages. J'attendrai donc qu'on fourniſſe en juſtice
réglée des titres , dont la diſcuſſion n'eſt pas faite
pour des ouvrages périodiques. >>
BATAILLE ,
Prieur- Curé de Monceaux.
A Monceaux près Pont-Sainte-Maxence ,
ee 24 janvier 1789 .
Autre Lettre au Rédacteur.
MONSIEUR ,
• Depuis douze ans j'avois une glande au ſein ,
qui en peu d'années fit des progrès ſenſibles , &
( 184 ) me cauſoit des douleurs exceſſives ; elle devint 6
conſidérable , que tous les remèdes intérieurs &
les topiques n'eurent plus aucun effet. Non-ſeulement
la glande augmenta beaucoup , & devint
dure comme du marbre , & du volume d'un gros
citron , mais il ſe forma ſur le haut une tumeur
groſſe comme une noix , enflammée & ouverte ,
qui devint ſi ſenſible, que je ne pouvois plus ſupporter
de linge deſſus. » «Dans cet état de ſouffrances continuelles le
jour & la nuit, ayant une fièvre qui ne me quittoit
pas depuis deux ans , je ne me flattois pas de
guérir ,& je faifois à Dieu tous les jours lefacrifice
de ma vie , enviſageant la mort avec moins
de frayeur que l'opération du cancer par les inftrumens.
»
6"
Mon mari & mes enfans , yivement alarmés
fur la criſte ſituation où ils me voyoient , me par-
Joient depuis un an d'un M. Dorez , Chirurgien ,
lequel avoit guéri une Demoiselle German , & qui avoit entrepris depuis d'autres guériſons avec
fuccès. M. Cofnier , mon Médecin , m'avoit toujoursdonné
ſes ſoins. Connoi fant ma répugnance
invincible pour l'opération & le danger de mon
état , il eut Phonnêteté, par attachement pour moi ,
de ſe dérangerde ſes occupations nombreuſe, pour
ſuivre , avec p'uſieurs de ſes confrères , le traitement
des malades de M. Dorez: il en fut ſi ſatisfait
, qu'il fut perfuadé qu'il me gué iroit comme
les autres par fa méthode ; mais par prudence
il ne voulut jamais prendre l'affirmative pour me
la confeiller , diſant qu'il ſe contentoit de m'inftruire
de tour ce qu'il avoit vu , & que c'étoit à
moi à me décider ſans beaucoup tarder , parce
que mon mal avoit fait un progrès ſi rapide ,
qu'il étoit à craindre qu'il ne devint bientôt adhérent.
"
<<Dans une circonſtance auffi critique , ſenſi(
185 )
sout
ae-
م ا ک
ble , comme je devois l'être , aux tendres follicitations
de mes enfans , qui enviſageoient ma fin
prochaine avec une douleur profonde , j'allai vifiter
moi-même les malades guéris par M. Dorez ,
&celles qui étoient encore dans ſes mains : je fus
fi contente de leur état , que je pris la réſolution
de me rendre aux inſtances de ma famille , & je
me mis dans les mains de M. Dorez. Je ſuis la
huit ème perſonne qu'il a guérie depuis trois ans
qu'il demeure à Paris , ( actuellement rue & Ifle
Saint- Louis , nº. 105 ;) ita le plus grand ſoin de
ſes ma'ades , & n'épargne ni ſes peines , ni fes
pas pour les foulager. "
« J'ajouterai toujours pour le bien de l'humanité
ſouffrante , que la douleur que les malades
éprouvent pendant le cours du traitement , ne
peut fe comparer avec celles quej'ai éprouvées
avant; & je ne puis trop inviter les perſonnes
qui ont des glandes engorgées dans les ſeins , de
ſe faire traiter le plus tôt poſſible , pour éviter
les cruelles fouffrances qui les attendent : car mon
expérience m'a appris que ſouvent , lorſqu'on
s'y prend trop tard, il n'eſt plus poſſible d'employer
le traitement. »
«J'écristous ces détails pour les malheureuſes
femmes qui font danslatriſte poſition où j'étois ,
&pour les enfans qui , comme les miens , mattent
leur bonheur dans la vie de leurs père &
mère , afin de leur faire connoître une reſſource au
dent plus cruel mal. n
fatismat
mic
éroit
i
J'ai l'honneur d'être , &c.
DEMONFLAMBERT DE SAINT SOUPLET.
P. S. Les Dames qui déſireront entrer dans
des détails plus circonftanciés ſur ce traitement ,
pourront s'adreſſer à madamela Marquiſe de Saint
Souplet, en ſon hôtel , vieille rue du Temple ,
feal no. 96.
( 186 )
7
-
Loterie de Bienfaiſance , établie par Arrêt
du Conſeil du 26 avril , au profit des Provinces
ravagées par la Grêle. Liſte générale des dix
mille principaux Lots de ladite Loterie, dont le
tirage a été fait en exécution dudit Arrêt du
Confeil du 26 juillet , & conformément à celui
du 22 novembre 1788 , dans la grande falle de
l'Hôtel-de-Ville de Paris , en préſence de Mefſieurs
les Prévôt des Marchands & Echevins ,
les 1 , 2 , 3 , 4 , 5 , 6, 9 & 10 décembre 1788. »
- 3 mars, 200০. -
«Les billets de ladite Loterie n'ayant été délivrés
que juſqu'au numéro 13,476 , les Lots feront
acquittés au Tréſor Royal , ſuivant la diſtribution
ci-après ; favoir , 17 février 1789 , juſqu'au numéro
1000. 10 dudit ,
3000.- 17 dudit , 4000. - 24 dudit , 5000.
-31 dudit , 6000. - 7 Avril , 7000.- 21
dudit , çooo. 5 Mai , 10,000. 12 dudit ,
11,000.- 19 dudit , 12,000.
13,476. »
-
- 26 dudit ,
<<Emprunt de 80 millions , établi par Edit du
mois de décembre 1785. - Liſte générale des
numéros des Quittances de Finance fortis autroiſième
tirage de rembourſemens des Capitaux des
rentes réſultantes dudit Emprunt , dont les Bulletins
participeront au tirage des Primes , qui aura
lieu au mois de mars 1789; ledit tirage fait dans
la grande falle de l'Hôtel-de-ville , en préſence
de Meffieurs les Prévôt des Marchands & Echevins,
les 11 , 12 , 13 , 15 , 16 & 17 décembre
1788. »
« Les Coupons payés au Tréſor Royal tous
les jeudis de chaque ſemaine , depuis 8 heures
du matin juſqu'à midi , à dater du 8 janvier jufqu'au
25 juin 178. »
« Emprunt de la Ville de Paris , Edit de ſeptembre
1788.- Liſte générale dudeuxième tirage
de rembourſement duditEmprunt, fait en lagrande
( 187 )
ſalle de l'Hôtel-de-Ville de Paris , en préſencede
Meſſieurs les Prévôt des Marchands& Echevins ,
en vertu de l'Arrêt du Conſeil du 17 décembre
1786, le 29 décembre 1788. »
« Ces Liſtes ſe trouvent à Paris , chez Prault;
Libraire , cour de la Trésorerie , au Palais. »
FrançoisHippolyte Sanguin,Marquis de Livry,
Chefd'eſcadre des armées navales de Sa Majesté ,
eſt mort , à Caen , le 9 Janvier.
Marthe d'Abzac , époufe , en premières noces ,
de Jean de Montignac , Lieutenant-colonel de
cavalerie , & , en fecondes noces , de Charles ,
Marquis de Billeulh , Lieutenant-colonel de cavalerie
, eſt morte , dans fon château de Boiſſeulh ,
en Limofin , âgée de 97 ans : elle laiſſe de ſes
deux mariages , 15 enfans , 40 petits- enfans &
23 arrières-petits- enfaus.
PAYS - BAS.
De Bruxelles , le 27 février 1789 .
LaDiète de Suèdea été solennellement
convoquée le 26 , avec la proclamation
d'usage faite par le Hérault du royaume.
L'ouverture en est fixée au 2 février , et
le Roi a nommé les Présidens de chacun
des quatre Ordres. Les préparatifs nécessaires
à la continuation de la guerre sont
suivis sans relâche , et le 21 , le Roi , en
personne , demanda à l'assemblée de la
Commission de guerre , l'estimation des
dépenses nécessaires àll''armement de32
vaisseaux de ligne, et de 60millehommes,
qui seront prêts au premier mai.
Comme , durant les grands froids , on
éprouvoit à Genèvela plus grandedifficul(
188 )
té de moudre, on asupplée aux moulins
par unprocédétrès-simple. Il est le résultatdes
expériences que voici ,faites par la
Société des Arts , et que nous croyons
utile de répandre généralement .
>> Il n'eſt preſque pas de ménage qui ne foit
pourvu d'un inſtrument propre à être employé
avec avantage à moudre le bled. Les moulins à
café ordinaires produiſent cet effet affez rapidement&
affez parfaitement pour pouvoir être
ſubſtitués , an beſoin , aux grands mou'ins àbled.
Unbon moulin à café de grandeur moyenne peut
moudre une livre de b'ed dans 9 minutes. Ce
travail n'eſt pas très-pénible ,& fur ce pied un
moulin pareil , travaillant 10 heures , moudroit
au moins 60 livres de bled. Une heure ſeulement
de travail par jour , fourniroit à l'entretien d'un
ménage de 5 à 6 perſonnes. Il est vrai que fur
trois moulins employés à ces eſſais , celui qu'on
vient de citer a été le plus actif. Un autre amoulu
une livre dans 12 minutes & demie ,& un troiſième
dans 17 minutes & demie. Bren entendu
que ces trois moulins étoient de l'eſpèce de
ceux que l'on fixe aux murs. »
>> Le bled a été foumis à l'action du moulin
fous trois états différens. »
>> 1 °. Tel qu'il fort du grenier. »
» 2º. Après avoir fubi un deſsèchement ſur le
feu. "
3 °. Après avoir été torréfié ou grillé.
» Dans le p emier cas , pour ſéparer la farine
du fon , l'on s'eſt ſervi de deux tamis différens.
On a ainſi obtenu ſur 36 onces , 26
onces&un quart de farine , & 9 onces & un
quartde fon. Cette farine ,paflée au fecondtamis ,
adonné 11 onces & demie de belle fleur , & 14
onces trois quarts de gruau , ou ſeconde farine. »
( 189 )
» En n'employant qu'un ſeul tamis de fineſſe
moyenne , on a obtenu, par une ſeule opération ,
fur 36 onces , 18 onces & demie de farine , &
17 onces & demie de ſon. On voit qu'il reſtoit
encore dans ce ſon à-peu-près la moitié de ſon
poids de farine..
» Avec les farines ainſi obtenues en quantité
fuffifante , on a fait divers eſſais . »
>> Vingt - quatre onces de fine fleur avec 2
oncés de levain , ont produit 36 onces de pain
chaud , affez blanc & d'une très-bonne qualité.
>>Vingt - quatre onces de gruau , mêlé à 12
onces de pommes de terre bouillies & quatre
sonces&demie de levain , ſoit 40 onces en tout ,
ont produit 43 onces de pain chaud , à-peuprèsde
la qualité du pain de munition ordinaire. "
>> Huit onces de gruau , 8 onces de pommes
de terre bouillies& une once & demie de levain ,
foit 17 onces & demie en tout , ont produit 26
onces&demie de pain chaud , mais très-humide&
peu levé.
>> Les expériences ci-deſſus ont été faites avec
du bled de médiocre qualité.
>> Trente - cinq onces de farine , obtenue par
un tamis de fineſſe moyenne , &3 onces de
levain, ſoit 38 onces en tout , ont produit 5
onces de pain chaud , dont la qualité étoit un peu
inférieure à celui de la fine fleur.
» Cette expérience a été faite avec une qualité
de bled ſupérieure à la première.
» Il ſera bon de remarquer , que le bled étoit
en nature à midi , & qu'à 6 heures du ſoir le
pain étoit hors du four.
" Quant au ſon qui garde, comme on voit , àpeu-
près la moitié de ſon poids de farine , on
a eſſayé d'en tirer parti de deux manières .
1°. En le faiſant cuire dans l'eau , & le paffant
enſuite au travers d'un linge , on a chienu
une bouillie épaiſſe & nourriſſante.
( 190 )
» 2º. En employant cette bouillie au lieu de
l'eau pour faire le pain , ce qui n'a produit qu'une
très-légère augmentation du poids dans le pain.
De ces deux méthodes , la première eſt donc de
beaucoup la plus avantageuſe ; mais il vaudroit
peut-être encore mieux garder ce ſon pour le repaffer
enfuite au moulin.
>> Le bled deſſéché à un dégré de feu
qui lui fait perdre environ une once&demie de
fon poids par livre , ſoumis à l'action du moulin
à café , s'y broie plus facilement encore ; mais
le tamis donne de la farine légèrement brune ,
qui a perdu une partie de ſa corde , &dont le
poids eſt à celui du ſon comme 46 à 55. Ce
fon cuit & paffé dans un linge donne , il eſt
vrai , une ſoupe d'un goût plus agréable que le
premier ; mais comme la farine ne peut point
être employée d'une manière auffi avantageuſe ,
il paroît que cette méthode , indépendamment de
ce qu'elle donne plus de peine, eſt inférieure à
la précédente.
>>Enfin , le bled grillé à-peu-près au degré du
café, perd trois onces par livre de fon poids. Il
ſe moud très-facilement , & le ſon s'atténue tellement
qu'il devient inſéparable de la farine. On
ne peut point faire de pain avec le bled ainſi
traité , mais on peut employer cette farine à faire
des ſoupes. »
>> A ces expériences ſur les produits du bled ,
foumis dans divers états à l'action d'un moulin
àcafé , on en a joint d'autres ſur les moyens d'en
tirer parti , indépendamment de cette machine. «
>> Une livre de bled, trempé pendant 2 heures
dans l'eau tiède , haché pendant demi-heure ,
&cuit enfuîte pendant 2heures avec 2 onces de
beurre , du ſel & de l'eau , a donné au moins de
quoi remplir quatre grandes écuelles d'une foupe
excellente , & qu'il n'étoit preſque pas poffible
( 191 )
de diftinguer de la ſoupe ordinaire au gros bled.
Les frais de cette quantité de ſoupe montoient
à 5 ſous 9 deniers , indépendamment du combuſtible
employé à la cuire.
>> Pour diviſer le bled après l'avoir amolli par
l'infuſion , la méthode de le hacher eſt beaucoup
préférable à celle de le piler. Celle-ci emploie
plus de temps , & ne le diviſe pas ſi bien:
Paragraphes extraits des PapiersAnglois&autres.
Un Baron Allemand , Officier dans un Régiment
étranger , s'enferma , il y a quelques jours ,
dans ſa chambre avec ſon chien , brûla la cervelle
à cet animal avec un piſtolet , ſe paſſa ſon épée
au travers du corps, fans ſe bleſſer mortellement,
tomba de foibleſſe & ne put s'achever. Le bruit
de l'arme à feu s'étant fait entendre dans toute
la maison , on accourt à l'endroit d'où il étoit
parti , on enfonce la porte du Baron , on le
trouve baigné dans ſon ſang ,&à force de ſoins ,
on parvient à lui rendre l'uſage de ſes ſens. Interrogé
pourquoi il avoit tué le chien avec un
piſtolet , il répond qu'il aimoit beaucoup cet
animal , qu'il craignoit qu'il ne fût malheureux en
lui ſurvivant , & que par une suite de cet attachement
, il avoit voulu donner à ce compagnon
fidèle la mort la plus prompte , la moins douloureuſe
& la plus fûre ; & que pour fon compte ,
il avoit préféré l'épée comme un inſtrument plus
digne de lui. On voitpar-là que l'extravagance
même du Baron étoit combinée & réfléchie . Ne
pouvant rendre raiſon d'un ſang-froid auffi extraordinaire
, on en fait un honneurà la Philofophie
du jour , qui autoriſe de pareils forfaits , & les
encourage d'une manière que l'expérience rend
trop ſenſible. On a enfin découvert la véritable
cauſe de ce délire du Baron Allemand. On a fu
que peudejours avant cette catastrophe , il étoit
(193 )
allé dans un lieu public , ou un Officier frar çois
lui avoit marché ſur le pied imprudemment. L'Officier
françoisne s'étant point diſpenſé des excuſes
uſitées en pareil cas , n'imaginoit point que
cet accident pût avoir des fuites. Cependant , le
ſoir même, il reçoit un billet du Baron , qui lui
demande en grace de paſſer chez lui le lende
main matin pour affaire de la dernière importance.
L'Officier françois s'y rend ,&trouvele
Baron dans un appartement illuminé comme un
jourdeba' . Il lui demande de quoi il étoitqueftion
; l'Allemand lui témoigne combien il eſt
offenſé de ce qui s'eſt paſſé aveille, Le François
renouvelle ſes proreſtations de n'avoir voulu i'offenſer
en rien ,&lui donne là-deſſus l'alternative
enbon& franc Militaire.... Le Baron , après
beaucoup de réflexions , paroît fatisfait ,&laille
partir ſon adverſaire.... Il est tourmenté bientôt
de nouvelles inquiétudes , & va trouver
un de ſes amis , à qui il demande un confeil ,
après lui avoir fait le récit de ſon aventure. Celui-
ci le raſſure de fon mieux ,& lui promet de
l'avertir s'il court aucun mauvais propos à cette
occafion. Il croit le Baron calmé , mais bientôt
la tête de celui - ci achève de ſe déranger ,
&il ſe porte à la cruelle extrémité dont nous venons
de rendre compte. ( Feuilles de Flandre.)
(N. B. Nous ne garantiſſons la vérité ni l'exactitude
deces Paragraphesextraits desPapiersétrangers.
C'est par ORDRES SUPÉRIEURS que
nous avons dû nous abstenir de présenter
au Public, selon la promesse
que nous en avions faite,les véritables
circonstances et l'heureuse issue de
la dernière révolution de Genève, consommée
le 10 de ce mois.


SUPPLEMENT,
CONTENANT
LES PROSPECTUS ET AVIS
DE LA LIBRAIRIE *.
LIS ILLUSTRES FRANÇOIS, OM Tableaux hiftoriques
des grands Hommes de la France , pris
dins chaque genre de célébrité. Ouvrage national,
format in-fol. dédié à MONSEIGNEUR
COMTE D'ARTOIS ; par M. PONCE , Graveur
ordinaire du Cabinet de ce Prince , de l'Académie
des Sciences & de celle de Deſſin d'Orléans
; des Académies des Sciences & Beiles-
Lettres de Rouen & de la Rochelle ; de celle
de Peinture , Sculpture & Architecture de Marfeille
; Membre du Cerce des Philadelphes du
Cap François , &c. & c. d'après les deffins de
M. Marillier.
,
LA première partie de cet Ouvrage , intéreffant&
utile pour l'éducation de la Jeuneſſe ,
eft actuellement terminée ; elle contient les
Portraits & Notices de Rouſſeau , Voltaire ,
Henri IV , Sully , Descartes , Turenne
Louis XIV , Boffset , Molière , Madame Deshoulières
, Montesquieu , le Secur , le Grand
Condė , Tourville , La Font-ine , Dagueffeau ,
Lully , Quinault , Jules &Hardouin Manfard ,
Louis XII , Boileau , Richelieu , Racine ,
Puget , Vendôme , Catinat , & Buffon. Ces
Portraits font gravés d'après les originaux les
plus fidèles , & environnés de tableaux , mé-
Supplém. No. 5. 14 Février 1789. *
(2)
daillons ou bas reliefs , eſpèce d'apothéoſe ,
repréſentant les différentes actions ou les Ouvrages
qui ont mis le fceau à la célébrité de
ces hommes immortels.
Ces Estampes ſe diftribuent par cahier , au
prix de 1 liv. 10 f. pièce , ainfi la fuite complette
, compoſée de cent Estampes , coutera
aux Sonfcripreurs 150 liv. La première des
quatre parties dont fera compoſé cet Ouvrage,
ſe vend 37 liv. 10 f. en feuilles & 40 liv . br.
encarton ; la même partie , ſupérieurement coloriée
, 115 liv, auſſi en carton. On distribuera
les Eitampes féparément , au prix de 36 f.
pièce. Les Sujets repréſentant François I ,
Pierre &Thomas Corneille ,le Pouffin , Daqueſne
, le Notre & Laquintinie , les Maréchaux
de Saxe & de Berwick , formeront le
prochain cahier , qui paroitra inceſſamment.
Le ſuccès de cet Ouvrage étant afſuré par
les bontés de Sa Majesté , qui a daigné fontcrire
pour un grand nombre dExemplaires , &
par l'accueil favorable du Pablic , rien n'en
peut plus retarder l'exécution , que le temps
abfolument néceſſaire pour l'amener à la perfection
dont il eſt ſuſceptible.
On trouve cet Ouvrage chez l'Auteur
St. Hyacinthe , No. 19 .
,
TUB
Lu & approuvé , ce 25 Septemb. 1788. COCHIN .
Vu Papprobation permis d'imprimer, le 16 Septemb. 1788.
,
DA CROSNE,
GAZETTE des TRIBUNAUX tome XXVII ,
parM. MARS , Avocat au Parlement.
CET Ouvrage , dont quatorze années de
fuccès ont confirms l'utilité , pour tour ce qu'ca
( 3 )
appelle Gens d'Affaires , Sociétés Littéraires ,
&c. , n'a jamais été interrompu depuis le mois
de Décembre. 1775 , qu'il a paru pour la première
fois . Ses principaux articles font des
Notices de Causes intéreſſantes , tant civiles que
criminelles ; des questions fur des points de Droit ,
de Jurisprudence , de procédure , &c. , avec les
réponses des Jurfearfultes ; des indications de
Mémoires , dePlaidoyers importans ; des réquifitoires
de MM. les Gens du Roi ; des Discours
publics ; des Livres de Droit ; Vannonce des
Loix nouvelles ; des Edits , Arrêts & Réglemens ;
enfin de tout ce qui eft relatif à la Magistrature ,
au Barreau , à l'Eloquence , & à la Langue Franzoife.
On s'abonne en tout temps , & fur-tout
en Janvier , qui eſt une des principales époques
, chez l'AUTEUR , rue de la Harpe , visà-
vis la rue Serpente , nº. 20. Prix , 15 liv.
pour recevoir ladite Gazette franche de port
pendant un an. On trouve auſſi chez lui toute
la collection des feuilles depuis leur naiſſance.
Les lettres & paquets qu'on adreſſera à l'Auteur
ne lui parviendront pas s'ils ne font affranchis.
ÉTAT ACTUEL DE PARIS , Ouvrage indispensable
à ceux qui veulent connoître & parcourir Paris
Sans frire aucune question , en 4 vol. in - 24. ,
&cinq Cartes nouvelles .A Paris , chez lefieur
Watin fils , Editeur , rue Sainte - Apolline ,
n°. 33.
LACCUEIL que les Etrangers & les Parifiens
eux-mêmes font à l'Etat aftrel de Paris en
attefiant fon utilité , & la néceſſité de ſe le
procurer pour bien connoître la Capitale , nous
impoſe l'obligation de le rendre de plus en
*ij
(4)
plus exact. Paris varie prodigieuſement ceuahq
année : une foule d'établiſſemens ſe forment ,
fe modifient , diſparoiſſent; des rues s'ouvrent ,
des quartiers ſe bâtiſſent , ſe peuplent en même
temps; des viciſſitudes fans nombre , des mutations
continuelles , des changemens brusques
& inattendus y multiplient les variations au
point qu'il eſt preſque impoffible de les ſuivre.
Nous croyons cependant que dans l'Edition
que nous préſentons pour 1789 , il ne nous
en eſt échappé aucune , au moins aucune im.
portante..
:
Ainfi , dénombrement exact des habitans ,
intéreſſans ou utiles à connoître ,ſuivant l'ordre
de leur domicile ; inventaire précis de tout ce
qui ſe débite& fabrique , anecdotes curieuſes
à recueillir , détail de faits remarquables : tel
eft le plan de cet Ouvrage , qui le rend un
Livre d'inſtruction , d'amusement , d'exercice
&de récréation , qui fupplée ou remplace tout
ce qu'on a pu écrire fur cette importante cité.
Pour mettre à même l'habitant de Paris ,
l'Etranger qui y vient , ou même celui qui ne
peuty venir ou y revenir , en état de connoître
cette grande ville , on a ſuppoſé que l'Erranger
qui y arrive pour la première fois , ne fait
que lire le françois , & ne peut le parler : on
lui préſente d'abord le Plan général de Paris ,
diviſé par les couleurs en quatre grands quartiers
, coupés de l'orient à l'occident par la
Seine , & du nord au ſud par la rue preſque
droite qui part de la barrière St. Denis , traverſe
la Capitale , & ſe rend à la barrière
d'Enfer .
De cette diviſion réſultent quatre ſuperficies
à peu près (gales ; chacune d'elles eſt developpée
dans une Carte ſeparée : en marge font
(5 )
rangles , par ordre alphabétique , toutes les
rues de la diviſion . Chaque quartier a fon velume
, où se trouvent également rangées les
mêmes rues , dans le même ordre alphabétique.
Les volumes & les cartes reçoivent leur
dénomination de leur chef- lien , ou de l'endroit
le plus remarquable ; ſavoir :
Quartiers , cartes & volumes de Notre-Dame ,
de St. Germain , du Temple , & du Louvre.
Dans ces quatre quarriers ſe trouve renfermé
tout ce qu'environne la grande & nouvelle
enceinte de Paris , preſque terminée au midi ,
&dont toutes les barrières du nord indiquent
la circonvallation : elle cât tracée fur toutes les
cinq cartes.
Chaque volume a quatre parties. La première,
le Viographe ; la ſeconde , les Deſcriptions ; la
trofième , les Evénemens ; la quatrième , les
Tables.
Un quart d'heure de l'uſage d'un volume
donnera la preuve que rien d'intéreſſant à
connoître à Paris , n'échappera au Voyageur ;
qu'il faura fe guider , fe diriger , revenir à us
point donné fans riſquer de s'égarer , de faire
des pas inutiles , & fur-tout fans être obligė
de faire ancone question. On peut , à l'aide
du Livre& des Cartes, ſe famil arifer avec les
habitans , les rues , les monumens avant de
les viſiter , & même fans y venir : aufli avonsnous
remarqué que la Province , les Colonies
&les Etrangers ont d'autant plus accueilli cex
Ouvrage, qu'il leur a facilité de correfpondre
avec tous ceux qu'il leur eft utile de connoître
dans la Capitale , &c .
,
( 6 )
PRIX.
àParis. fr. deport
Les quatre vol. br..
Avec les cinq Cartes dans un
étui.
61. Γ. ......
enProv.
71 6.
: 10 11 10
Ia reliure ſe paye ſéparément.
On trouve même maiſon , rue Ste.Apoline ,
nº.33 , la quatrième édition de l'.4rt du Peintre ,
Doreur , Verniffeur , par le ſicur Watin père ,
in-8. de plus de 400 pages ; prix , 4 liv. 16 f.
br. franc de port par tout le Royaume.
Cet Ouvrage eſt néceſſaire à ceux qui veulent
pendre , dorer & vernir leurs appartemens
ou équipages .
Le Sr. Watin père offre aux habitans de la
Capitale d'entreprendre chez eux la peinture ,
dorure & vernis de leurs chambres , appartemens
, maiſons & hôtels , & de les rendre habitables
, fans le plus léger darger , ni la meindre
impreffion d'odeur , vingt- quatre heures
après l'application de fon vernis. Ce vernis
dont il eſt l'inventeur , outre les avantages de
falubrité qu'il préſente , a la propriété de fe
conſerver très- long-temps dans toute fa fraicheur
& fa vivacité ; il faut ſeulement , tous
les ans , dans l'autonine , le laver avec une
éponge & de l'eau tiède ; ce lavage lui rend le
brillant du moment de fon application. La
Marine Royale en fait uſage pour les appartemens
& chambres des Officiers.
Le Sr. Watin offre anſſi aux perſonnes de
province de leur envoyer , bien encaiffées &
emballées , le couleurs néceffaires pour peindre
&décorer leurs lambris , croiſées , jalousies ,
( 7 )
grilles , treillages , trains , caiſſes de leurs équipages
, mettre en couleur les carreaux & parquets,
préparées de manière qu'il n'y ait plus
qu'à y tremper la broffe & à peindre ; ce qui
évite les diſgraces & la mal-propreté des préperations
, ainſi que la quantité fuffiſante de
vernis pour appliquer defius.
Il ſuffir de lui envoyer le nombre de toiſes
que l'on veut peindre ou vernir , & le ton de
la couleur qu'on adopte : les prix étant fixés ,
on peut faire ou faire faire fous ſes yeux , &
favoir fur quelle dépenſe on peut compter. Il
ſe fait un plaifir de joindre à ſes envois tout
ce qu'on peut défirer de la Capitale , fur-tout
dan, la partie des ameublemens.
Les Srs . Watin , père & fils , prient toutes
les perſonnes qui voudront bien s'adreſſer à
eux pour ſe procurer , ou l'Art du Peintre ,
ou les Marchandises , ou l'Etat actuel de Paris ,
de vouloir bien affranchir leurs lettres & le
port de l'argent. Il ſuffit d'écrire à l'un ou à
l'autre , rue Ste. Apolline , nº. 33 ; ils ne répondront
à aucune lettre , fi elle n'eſt franche.
Lu & approuvé , ce 3 Décembre 1788. SUARD.
Vu l'Approbation , permis d'imprimer , le ; Décemb. 1788.
DE CROSNE,
Avis pour l'Année LittÉRAIRE 1789.
La rédaction de cet Ouvrage périodique eſt
actuellement confiée aux foins de M. l'Abbé
Royou ; mais les deux Hommes de Lettres
connus & eſtimés du Public qui le compafoient
auparavant , continueront d'y travailler ,
( 8)
&c'eſt fur leurs talens que M. l'Abbé Royon
fonde ſes eſpérances pour le fuccès de ce
Journal.
Sa réputation eft conſacrée depuis long-temps
par l'eftime publique. On fait que de tous
tamps il a été deſtiné à venger la Region ,
la Morale, & les maximes du Gouvernement,
ataqués par les fanx Philoſophes , ainh que
le goût outregé par les mauvais Ecrivains.
On peut être bien afſuré qu'il ne changera
pas de ton fous la direction de M. l'Abbé
Royou , & que les Auteurs vont s'appliquer
de plus en plus à donner des Extraits appro
fondis&de, critiques motivées , mérite parti :
culier de l'année Littéraire , qui , à cet égard , a
toujours enune ſupériorité marquée ſur tous
les autres Journaux.
L'abonnement est de 24 liv. pour Paris , &
de 32 liv pour la Province.
On reçoit par ſemaine un cahier , tantôt de
deux , tantôt de trois feuilles d'impreffion.
On fouferit à Paris , chez Mérigot le jeune ,
Libraire , fur le quai des Auguſtins , au coin
de la rue Pavée ; & en Province , chez tous
les Libraires , aux Bureaux de la Poſte , & à
ceux des Affiches .
Tous les paquets , lettres ( excepté ceux qui
regardent les fouſcriptions ou les obfervations
concernant la diftribution , qu'il faut adreſſer
francs de port à M. Marigot ), les Livres &
Estampes , doivent être adreſſés francs de port
à M. l'Abbé Royou , rue St. Jacques , entre
le Collège du Pleſfis & celui de Louis le
Grand , Nº. 77-
Lu & approuvé , ce 13 Décembre 1788 DE SAUVIGNY.
Va Papprobation , permis d'imprimer , ce 13 Dec. 1788.
1 DE CROSNE
،)
و
(
"HISTOIRE UNIVERSELLE depuis le commencement
du Monde jusqu'à préſent ; composée en Anglois
par une Société de Gens de Lettres , & traduites
en François, 120 vol. in- 8º . Prix 4 liv . 10 f. le
vol. broché , ou s liv. 10f. relié. A Paris , chez
MOUTARD , Imprimeur- Libraire de la REINE ,
rue des Mathurins , Hôtel de Cluni.
Nous voici donc parvenus à la fin de cette entrepriſe
auſſi importante que dificile , & remarquable
fur-tout par l'exactitude que nous avons
miſe dans la publication du grand nombre de Vo-
Jumes qui la compoſenr. Nous n'ignorons pas que
quelques perſonnes ſe ſont plaint de ce grand
nombre des Volumes ; mais auroient elles donc voulu
un ſquelette abſolun.ent décharné ? Qu'elles examinent
l'étendue de ros Hiſtoires de France , de
celles d'Eſpagne , d'Allemagne , d'Ira'ie , &c . elles
verront que nous n'avons donré qu'un abrégé
très- fuccinct de tous ces Ouvrages , & qu'il n'étoit
pas poſſible de donrer moins , fans courir le riſque ,
non pas ſeulement de ne point donner aflez , mais
même de tronquer l'Hiſtoire Univerſel'e Angloiſe
que nous avons traduire. Les Lecteurs trouveront à
la tête du tome XC de notre Traduction , la ſource
de l'erreur d'après laquelle nous n'avions compté
que fur environ 70 Volumes , & le ſuccès qui a
continué à couronner notre travail, nous fait croire
que le Public nous a juftifiés.
A la fin de l'Hiſtoire Ancienne , nous avons
dorné deux Volumes de Tab'es des matieres , &
deux Volumes de Tab'es chronologiques. L'Hiftoire
Moderne ſera ſuivie de trois Volumes de
Tables des matieres,& de trois Volumes de Tables
chronologiques , qui compléteront l'Ouvrage , &
le porteront à 126 Volumes , comme nous l'avons
( 15 )
annoncépar notre dernier Avis. Ce nombre de trois
Volumes pour chaque eſpece de Tables n'eſt point
trop confidé able, ſi on réfléchit qu'il fautyplacer
les matieres de 80 Volumes. Quant à laTable chronologique
, elle fera fuite à celle qui forme les
Tomes XXXIX & XL de notre Traduction , &
ces cinq Volumes réunis feront un abrégé autfi utile
ga'agréable de tout l'Ouvrage.
Nous ne nous amuferens point à prouver la
néceffité de ces Tables. Comment en effet pourreit-
on confulter un Ouvrage aufli volumineux ,
fansuneTablegénérale ? Ce ſeroit voguer dans une
mer immenfe fans carte& fans bouſlote. Au reſte ,
listention du Libraire eſtde ne forcer perſonne à
la prendre.
En conféquence, lorſqu'on mettra cette Table
fous prefle, il publiera un Avis pour l'annoncera
MM. les Souſcripteurs , & ceux ſeulement qui
feront ja'oix de compléter l'Ouvrage, renouvelleroat
leur fouſcription pour ces fix Volames.
Il ne reſtoit plus aucuns Exemplaires complets
de cet Ouvrage. Sur la demande de pluſieurs
perſonnes, le Libraire s'eſt décidé à réimprimer un
grand nombre de volumes , qui le mettent en érat
de fournir les 48 premiers volumes aux nouveaux
Souferipteurs qui voudroient ſe procurer cet Onvrage
, &méme , pour leur donner plus de facilité
dans l'acquifition , il délivrera fix vol. à fix vol.
Au premier Mai , il fera en état de fournir des
Exemp'aires complets. Ce fera , à la vérité , an
préjudice des anciens Souſcripteu's qui auroient
négligé de retirer les derniers volumes ; c'eft
pourquoi il les invit: de vouloir bien ſe compléter
d'icianpremier Mai 1789, autrement ils riſqueroient
de laiſſer leur Exemplaire imparfair , ou d'attendre
la réimpreffion des volumes qui leur manqueroient.
( 11 )
LIVRES NOUVEAUX ,
Qui se trouvent chez le même Libraire.
Dictionnaire raiſonné du Gouvernement, des Loix ,
des Ulages , des Libertés de l'Églife Galicane ,
parM. l'Abbé des Odoards Fantin,Vicase-général
d'Embrun , 6 vol . in-8 . blanc 30 liv. & rel. 36 1.
Les OEuvres complettes de M. Paliffor , revues &
• corrigées, 4 vol.in- 8 . de l'Imprimerie de M. Didot
jeune, ſuperbe édition , 241. les 4vol.br. & 30l.rel.
Les memes , avec figures , 30 l . br. & 36 1. rel.
N. B. Il en a été tiré so Exemplaires en véliu ,
dont le prix eſt de 48 1.
Lucrece, trad,en vers françois , avec le latin à côté,
parM. le Blanc, 2 vol. in- 8. grand papier, 151.
br. & 18 1. rel.
Mémoires fur la Météorologie , par le P. Corte .
* Paris. Imprimerie Royale. 1788. 2 vol . in - 4. rel .
301 .
L'Académie des Sciences , année 1786. in 4. br. 15 1.
rel. 18 1 .
Les perſonnes qui ont négligé de reviter les
volumes de cette Collection , font priées de ſe
compléter. :
LIVRES nouveaux qui viennent d'étre mis en
vente chez MOUTARD .
>
HISTOIRE de la Décadence &de la Chute
de l'Empire Romain , traduite de l'Anglois'de
Gibbon ; par MM. Demeunier & de Cantwel ;
18 vol. in - 8 .
Cette Hiftoire forme ca Anglois fix vol.
in- 4. , & formera 18 vol. in-8.
Les quatre premiers volumes in- 8. de cette
Traduction paroiffent. Le tome cinquième pa
roîtra le 20 Février ; le ſixième le 20 Mars ,
(12 )
&les autres ſucceſſivement de mois en mois.
Le prix de chaque volume eſt des liv. br.
&6 liv. rel .
On est libre d'acheter les volumes à meſure
qu'ils paroiſſent; mais les perfonnes qui voudront
payer fix vo'umes d'avance , recevront
les vol. francs de port à meſure qu'ils paroîtront.
Les perſonnes qui ont les trois premiers vol.
font difpenfées de les acheter de nouveau ; elles
peuvent commencer leur Souſcription par le
Tome quatrième.
LE VOYAGEUR FRANÇOIS ; par feu l'Abbé de
La Porte , tomes XXXXIIXX && XXX ; 5 liv. br. &
6 liv. les 2 vol. reliés avec Cartes.
Depuis long- temps cet agréable Ouvrage
étoit interrompu ; il ne reſtoit plus à donner
que la France, pour le compléter. Un Homme
de Lettres , connu par pluſieurs Ouvrages eftimables
, s'eſt chargé de cette continuation ,
qui ne fera plus interrompue. Les tomes XXIX
& XXX , que nous donnons aujourd'hui , commencent
le Voyage de France. Cette dernière
partie formera en tout 8 vol. , qui , joints aux
28 qui ont déjà paru , ne doivent pas porter
l'Ouvrage entier à plus de 36 vol.
Ontrouve encore chez le même Libraire quelques
exemplaires des 28 premiers vol. , enrichis
de Cartes géographiques ; c'eſt ce qui diftingue
cette édition des éditions contrefaites , qui font
Yans Cartes.
Les Cartes des 28 premiers volumes ſe vendent
ſéparément en un petit Atlas de format
in-8. 5 liv.
Lu & approuvé. A Paris , ce 10 Février 1789. CAILLEAU,
Adjoint.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le