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1788, 07, n. 27-30 (5, 12, 19, 26 juillet)
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MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES;
+
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux évènemens de
toutes les Cours ; les Pièces Fugitives nouvelles
en vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions &Décou
vertes dans les Sciences &les Arts ; les Spes
tacles ; les Causes célèbres ; les Académies di
Paris & des Provinces ; la Notice des Édits,
Arrêts;les Avis particuliers , &c.&c.
SAMEDIS JUILLET 1788 .
A PARIS,
AuBureau du Mercure , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins , N° . 18 .
Avec Approbation , & Brevet du Roi.
TABLE
Du mois de Juin 1788 .
1 PIECES IÈCES FUGITIVES. Contes ſages & foux.
ELÉGIE.
Vers.
Bouts-Rimés.
80
Voyage d'Auvergne . 102
3 De la Morale naturelle. 110
Vers à Mile.de Garcins .
La Bravoure Heivétique.
5º Hiftoire abrégée.
97 L'Elève du Plaisir.
49 Bibliothèque Physico Ec. 118
120
123
98 La Vie de Frederic, Baron
Gente. Idein. de Trenck.
150
A Mme. du Boccage.
A Mine. de ***.
99 Dictionnaire de Musique. 166
AM. D...
145 Dela.
146
180
Variétés. 35. 118.
SPECTACLES.
Charades, Enigmes & Logogrip.
5 , 14, 100, 14 148.
NOUVELLES LITTÉR. Académ. Ray. de Musiq. 182-
Theatre de Sophocle.
Suite des Eloges.
Administration .
L'influence de la découverte
de l'Amérique.
Ecninie.
Eloge historique .
:
$ Comédie Françoise. 83 , 130.
22
34Comédie Italienne. 135
17 Annonces &Notices , 47, 88,
67
137 .
74
A Paris , de l'Imprimerie de MOUTARD , rue
des Mathurins, Hôtel de Chuni,
MERCURE
AP
DEFRANCE. 20
M52
1788
July
SAMEDI JUILLET 1788.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A Mile. DE SCHAKOWKOY , le jour
de fa Fête.
O D'AGLA É fidelle image !
Princeſſe enqui l'on voit le brillant aſſemblage
Des plus rares tréſors de l'eſprit & du coeur,
Daignez accepter cette fleur ;
Elle est fraîche , elle eſt nouvelle :
Maisque fon fort du vôtre eſt différent !
Elle ſe fane à chaque inſtant ,
Et chaque inſtant vous rend plus belle.
(Par M. Dayd . )
A2
MERCURE
1
SONETTO ( 1 ).
Sopra la citta di Parigi , fatto dal Signor
Conte PEPOLI , Nobile Veneto,
O nella ruota dell eta presente
In motti , arti , ſaper , piaceri , e Scene
Della faceta , ed ingegnofa Atene
Emula , tu , Lutexia ſeducente ,
:
QUAL.piu ti fei ? giuliva oppur dolente?
Ardita o vile ? al mal piu preſta o al bene ?
Vivace o dotta ? inguiſta alle camene
Oliberal ? loquace od eloquente ?
INCONCEPIBILfei. Simile al mare १
Ogni pregio , e ogni danno in te s'aduna ,
Nè al guardo mai tutto il tuo ſen traſpare,
So che a stupor ti fabbricò fortuna ;
So che infieme a fervir vivi , & a regnares
So che ſei di virtudi e tomba e cuna.
1
(1) M. l'Abbé Boldoni ayant trouvé ce Sonnet digne
des meilleurs Poëtes , a défiré qu'il fût inféré dans le
Mercure de France.
DE FRANCE.
TRADUCTION LIBRE
Du Sonnet précédent.
PARIS, ville célèbre ,, en merveilles féconde,
Qui , d'Athènes rivale , offres ſans ceſſe au Monde
Des vices , des vertus le ſpectacle divers ;
Paris , vaſte abrégé de ce vaſte Univers ,
Me diras-tu quel nom il faut que l'on te donne?
Des talens , des Beaux-Arts la gloire t'environne
L'ignorance les ſuit & marche à leur côté ,
Et le luxe t'habite avec la pauvreté.
Affemblage confus de grandeur , de misère ,
Eh ! qui pourra jamais ſaiſir ton caractère ?
Semblable à l'Océan , tu portes dans ton ſein
Tous les biens , tous les maux que fur le genre
humain
Verſe indifféremment l'aveugle Deſtinée ;
Libre , & des préjugés eſclave infortunée ,
Tableau Couvent terrible & ſouvent gracicux ,
Tu n'as rien qui n'afflige ou n'étonne les yeux.
(Par M. le Ch. de Cubieres. )
1
A 3
MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eſt Maîtreffe ; celui
de l'énigme eſt Gatté; celui du Logogriphe
eft Poulain , où l'on trouve Lion , Loup,
Pain , Pou , Lapon , Nil , Pô.
CHARADE .
EN un jour folennel , jour où l'on doit prier ,
On entend dans les airs retentir mon dernier :
La veille , jour de pénitence ,
De poulets faiſant abſtinence ,
On peut fe contenter de manger mon premier,
Ou bien , ſi l'on veut , mon entier.
( Par M. N. D. de Neuville aux Loges ,
Corr.deLang. Et. de l'Imp. deMonfieur.)
ÉNIGME.
QUEL eſt cet animal ? fa marche eſt fingulière ;
Il va fur quatre pieds lors du ſoleil levant ,
DE FRANC 7
Sur deux à fon midi , fur trois à fon couchant :
Devine , ou de tes jours je finis la carrière.
(ParM. Valant. )
LOGOGRIPHE.
PoOuUR payerune dette , ou faire une largeſſe,
Bien ſouvent à moi l'on s'adreſſe.
Lecteur , en fix pieds au total ,
Je t'offre un vêtement , une fleur , un métal ,
Un mot ſynonyme à fineſſe ; ..
Celle que de ton fils le lien conjugal
Rend digne auffi de ta tendreſſe ;
Un endroit où l'on paffe &repaſſe ſans ceffe;
Amille ſcélérats un inſtrument fatal.
Pour en venir au point final ,
Lecteur , après m'avoir ſi ſouvent dérangée ,
Tranche ma tête , & vois ce féroce animal
En qui Caliſto fut changée
Après qu'elle eut perdu fon honneur virginal .
( Par M. N. D. de Neuville aux Loges. )
A 4
MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
DISCOURS prononcés dans l'Académie
Françoise , le Mercredi 14 Mai 1788 ,
à la réception de M. DE FLORIAN.
A Paris , chez Demonville , Imprimeur-
Libraire de l'Académie Françoise , rue
Christine , aux armes de Dombes.
PEU de Gens de Lettres font parvenus
auſſi jeunes à l'Académie Françoiſe , & y
ſont entrés avec autant d'éclat que M. le
Chevalier de Florian ; peu avoient plus
mérité le choix de l'Académie , & l'ont
mieux juſtifié après l'avoir obtenu ; un talent
aimable & original , un ſtyle toujours doux
& toujours piquant , plein de délicateſſe
& de naturel , d'eſprit & de ſenſibilité,
de grace & de naïveté ; voila ce qu'on
trouve par-tout dans Galatée, dans Eftelle,
& avec plus d'élévation dans Numa ; voilà
ce qu'on retrouve dans tous ces jolis Contes
allégoriques , tant en proſe qu'en vers ,.
qui peignent le caractère , les moeurs , les
abus , les travers , les ridicules des différentes
Nations , & qui par- là joignent l'utilité
de l'Hiſtoire à l'agrément du Conte ;
-
DE FRANCE . 9
dans ces Comédies , où un art fi fin & fi
nouveau ennoblit juſqu'aux objets effentiellement
burleſques , où , ſelon M. Sédaine
, bon Juge fur-tout dans le genre
dramatique , le principal perſonnage qui ,
juſqu'à M. de Florian , n'avoit été connu
que par fa » balourdiſe & par ſes facéties
Bergamaſques , devient ſous ſa plume un
être ſenſible , bon mari , bon père , bon
>>maître , & force preſque l'Auditeur au
>> reſpect par ſes vertus naïves ".
S
Il l'y force fi bien , que le plus grand
Prince , & , ce qui eſt encore plus grand ,
Phomme le plus vertueux ne pourroit
qu'être flatté de lui réſſembler.
Au reſte , il feroit aifé de transformer
un être bouffon en un être ſenſible , de
donner des vertus naïves à un perſonnage
connu , principalement par des vices naïfs ;
il feroit aifé , diſons - nous , d'ennoblir &
d'embellir en dénaturant ; mais c'eſt ce que
P'Auteur n'a ni fait ni voulu faire. En
rendant ce perſonnage attendriſſant & digne
de nos refpects par ſes vertus , il lui a confervé
ſes formes comiques & confacrées ,
fes facéties Bergamasques. Et quelle adreſſe
ne falloit-il pas pour fondre les couleurs
&affortir les nuances de manière que le
contrafte des chofes & du ton n'eût rien
de tranchant ni de bizarre , & qu'on pût à
la fois s'attendrir ſur les ſentimens , & rire
de l'expreffion , fans que l'un de ces plaifirs
nuisît jamais à l'autre , fans que le
As
7
10 MERCURE
même perſonnage ceſsât un momentd'êtr,e
reſpectable & d'être comique ? C'eſt un
art inestimable , & dont le goût ſeul a le
fecret.
>
Ajoutons à ces divers titres deux Prix en
vers , remportés à l'Académie ; un Eloge de
Louis XII , qui l'eût remporté ſans doute, ſi
un plan dramatique , ingénieux & heureux
à quelques égards , imaginé par l'Auteur
outre l'inconvénient , qui n'en eût point
été un , d'offrir une forme inufitée ,n'avoit
eu celui de tenir plus de la diſcuſſion que
de l'éloquence , & de répandre fur l'enſemble
un peu de monotonie , en ramenant
ſouvent dans les détails la même
marche & les mêmes formules .
On voit combien nous ſommes toujours
prêts à ne pas lui épargner la critique , &
que plus il a l'heureux don de ſe faire
aimer & dans ſes écrits & dans ſon commerce
, plus nous nous tenons en garde
contre ces éloges , qu'on est toujours avec
tant de plaiſir forcé de lui donner. Il peut
fe rappeler encore avec quel empreffement,
en rendant compte de ſa charmante
Pastorale d'Eſtelle , nº . ; , nous avons faiſi
l'occafion de lui faire une querelle de
Savant , pour ne pas dire d'Allemand , fur
une opinion qui n'étoit ni ne pouvoit être
la fienne , puiſqu'elle tendoit à profcrire ce
genre de la Paftorale, qu'il a cultivé avectant
de ſuccès ; mais cette opinion il ne l'avoit
pas, felon nous , repouffée avec affez de
DE FRANCE. 11
-
force , fans doute parce que c'eût éré
plaider ſa propre cauſe , & nous lui avons
preſque fait un crime de ce qui n'étoit en
lui que modeſtie & délicateſſe. Ces critiques
au reſte ſont comme les chanſons que
les Soldats Romains faifoient contre le
Triomphateur.
Dans tout ce qui ne paſſe point par
l'épreuve des Sciences , qu'on nomine
exactes ; dans tout ce qui ne peut ni ſe
calculer , ni ſe meſurer, ni ſe peſer , il
reſte toujours un peu d'arbitraire ; on regarde
donc ou on peut regarder les divers
choix de l'Académie comme mêlés de
justice & de grace : le perſonnage du Récipiendaire
eſt d'y voir fur- tout une grace ;
celui du Directeur , eſt d'en montrer la
justice , & de juftifier l'Académie. De là
un fonds général perpétuellement uniforme,
& qui doit être épuiſé depuis long-temps.
L'art de l'Orateur conſiſte à le rajeunir par
de nouveaux motifs & par les circonstan
ces perſonnelles. M. de Florian -tire un
grand parti de ſa jeuneſſe. S'il a peint avec
tranſport fon amour pour les Lettres & le
bonheur qu'il leur doit , s'il parle de lui :
A mon âge , dit- il , on n'a pu étudier
> l'homme que dans for-même . Si, jeune
encore , il fe trouve aſſis au milieu de ceux
qu'il appelle ſes Maîtres:>>>Je perdrois trop ,
>> dit- il , de mon bonheur , en imaginant
» le devoir à moi-même , & mon coeur
>> jouit mieux d'un bienfait , que ma va
A 6
2 MERCURE
1
>> nité ne pourroit jouir d'un triomphe ".
Ici ſa reconnoiſſance ſe tournoit naturellement
vers un Prince ( 1 ) " que foixante
>> ans d'une vie pure & fans tache ont
ود
ود
rendu l'objet de la vénération publique ,
dont le nom , tant de fois béni par le
>> pauvre , n'a jamais été prononcé que
» pour rappeler une bonne action ; qui ,
ور né dans le fein des grandeurs , comblé
>> de tous les dons de la fortune , ignore
» s'il eſt d'autres jouiſſances que celle
» d'être bienfaiſant; celui dont l'aimable
>> modeftie fouffre dans ce moment de
>> m'entendre révéler ſes ſecrets , & qui
>> aura peine à me pardonner la douce
émotion que je vous cauſe : il a daigné
> ſolliciter pour moi : fon rang n'auroit
pas captivé vos ames libres & fières ;
>> mais ſes vertus avoient tout pouvoir fur
• vos coeurs vertueux & fenfibles ".
ود
ور
Elle fut bien douce en effet , bien vive
&bien univerſelle, cette émotion dont
parle l'Orateur , & elle laiſſera un long
ſouvenir. Au reſte , ce qu'il dit ici eſt vrai
fur tous les points , & il n'y a rien à en
rabattre ; l'interceffion du Prince , même
le plus vertueux , n'eût pu faire pencher
(1 ) Son Alteſſe Séréniffime Mgr. le Duc de
Penthièvre préſent à cette Séance , ainſi que LL.
AA. SS. Madame la Duchefſe d'Orléans , les Princes
ſes fils , & Madame la Princeſſe de Lamballe.
DE FRANCE. 13
Ja balance en faveur d'un mérite infuffifant
ou inférieur ; mais qu'il étoit doux , &
qu'il fut heureux pour les Juges de trouver
dans leur équité même un moyen de flatter
le coeur généreux & bienfaifant d'un Prince,
l'objet de l'amour & du reſpect publics !
L'émotion redoubla & parvint à fon
comble , quand on étendit l'Eloge de M.
le Cardinal de Luynes , plein de traits de
bonté , honorables à ſa mémoire , amener
, à la faveur d'une tranſition adroite&
heureuſe , celui de deux Princeſſes , " dont
>> l'une appelée par fon rang & par des
>> devoirs chéris de ſon coeur auprès d'une
>>Reine bienfaiſante , ne veut de crédit
ود que pour être utile , & de faveur que
» pour être aimée; dont l'autre , modèle
>> adoré des filles , des épouſes , des mères ,
>> en vivant toujours pour les autres , rend
>> impoſſible à tout ce qui l'entoure , de
>> vivre autrement que pour elle , n'a
>>jamais cherché que ſa propre eftime ,&
» s'eſt attiré un culte public , s'étonne
> qu'on lui ſache gré de devoirs qui font
ود ſes plaiſirs , & que nous voyons placée
» entre l'exemple & la récompenſe de ſes
>>vertus , ſon père qu'on auroit cru inimi-
>> table fans elle, & ſes enfans qui déjà
>> reſſemblent à leur aïeul ".
A ces mots , quel tranſport univerſel ,
quel applaudiſſement ! comme il s'élança
du fond des coeurs & de tous les coeurs à
la fois ! Quel ſpectacle ! quel hommage
6
14 MERCURE
rendu à la vertu ! Comme tous les yeux
mouillés de larmes de tendreſſe ſe tournoient
vers les objets de ce culte public !
comme tout rappeloit ces vers de Bérénice
fur Titus :
Tous ces yeux qu'on voyoit venir de toutes parts
Confondre ſur lui ſeul leurs avides regards.
Avec quelle fatisfaction , avec quelle joie
pure chacun d'eux a pu dire :
:
Oui , j'ai lu devant toi ,
Dans leurs yeux attendris l'amour qu'ils ont pour
moi .
Ce fiècle , ce pays fera aufli corrompu
qu'on voudra ; mais il aime & il aimera
toujours la vertu : jamais on n'a mieux
juſtifié cette grande vérité , ſi éloquemment
expofée par Greffet :
Voyez à nos Spectacles
Quand on peint quelque trait de candeur , de
bonté,
Où brille en tout fon jour la tendre humanité ,
Tous les coeurs ſont remplis d'une volupté pure ,
Et c'eſt là qu'on entend le cri de la Nature.
>>Nous la voyons placée entre l'exemple
» & la récompenſe de fes vertus , fon père
> & fes enfans ..
Quelles heureuſes paroles,&quel intérêt
DE FRANCE.
elles répandent ſur ces jeunes Princes en
qui la France va contempler les fruits d'une
inſtitution unique , ainſi que l'Inſtituteur !
Grand exemple , qui prouve que les emplois
ſont dus à ceux qui ſavent le mieux
les remplir ; que les diftinctions & les
exceptions font faites pour le mérite; qu'il
faut favoir s'élever au deſſus de l'uſage , &
braver les petites objections , quand il s'agit
de procurer à ſes enfans , à de grands
Princes , le bienfait ſi rare d'une excellente
éducation . Certainement ſi l'honneur d'élever
les Princes de la Maiſon d'Orléans
avoit été mis au concours , il étoit impoffible
qu'il tombât dans des mains plus habiles ;
& pour le prouver , on n'a beſoin que
d'un mot : Voyez les Princes. C'eſt le cas
de dire aſſurement :
Fortes creanturfortibus & bonis ; .....
Nec imbellem feroces
Progenerant aquila columbam.
Mais il faur ajouter auffi :
Doctrinafed vim promovet infitam
Rectique cultus pectora roborant.
Revenons à M. de Florian , dont nous
ne nous ſommes pas trop écartés , & obſervons
l'art délicat qu'il fait toujours employer
juſque dans ſes mouvemens les plus natur
rels. Un Orateur moins adroit auroit cru
bien faire en rapprochant , comme nous
14
1
MERCURE
l'avons fait , de l'éloge du Prince ſon Bienfaiteur
, celui des Princeſſes ſes filles , &
des Princes ſes petits-fils ; & par cette accumulation
peu réfléchie , il en eût affoibli
l'effet . M. de Florian , pour donner à chaque
tableau tout l'effet particulier dont il
eſt fufceptible , en uſe tout autrement ; il
place au commencement de ſon Difcours ,
le remercîment à Monſeigneur le Duc de
Penthièvre , que tout le monde attendoit
d'abord ; mais ne perdant pas de vue ſes
intérêts , & ſe ſouvenant combien il importe
de finir par un trait remarquable , &
de laiſſer une impreſſion profonde, il finit
par l'éloge de Madame la Ducheffe d'Orléans
, qui eſt le complément du premier ,
& après lequel il n'y avoit plus rien à dire.
Sur d'autres points encore , l'Auteur fait
profiter de tout , & même du malheur des
conjonctures. M. de Buffon étoit mort , M.
Geffner venoit de mourir au moment où
M. de Florian venoit d'être élu : tour homme
de Lettres devoit un tribut de regret & de
reſpect à de tels hommes ; M. de Florian
s'empare de leur éloge , & prépare des tortures
à leurs Panégyriſtes futurs : il eſt facheux
, par exemple , pour les ſucceſſeurs ,
qu'on ait dit avant eux , que la vie de M.
de Buffon peut être comptée au nombre
des époques de la Nature ; c'eſt-là ce que
le Métromane appelle , dérober nos neveux.
Quant à l'éloge de M. Geffner , il appartenoit
en propre à M. de Florian. » Le
DE FRANCE. 17
>> bonheur , dit-il , n'eſt jamais fans mé-
>> lange ; j'ai perdu Geffner quand vous
>> m'adoptiez. Les félicitations de mes amis
» ont été troublées par les plaintes dont
>> retentiſſent les monts Helvétiques , par
ور les regrets de tous les coeurs ſenſibles ,
» qui redemandent Geffner à ces plaines ,
» à ces vallons qu'il a dépeints tant de
>> fois, à ce printemps qui renaît ſans lui,
» & qu'il ne chantera plus. Ah ! quoiqu'il
>> ne fût pas François , quoiqu'il ne tînt à
» cette Académie que par ſes talens &
>> par ſes vertus , qu'il me foit permis ,
ود au milieu de vous, de lui offrir mon
>> tribut de reſpect, d'admiration ! Que mes
>> nouveaux Bienfaiteurs me pardonnent la
>> reconnoiffance , & me laiſſent jeter de
>> loin quelques fleurs fur le tombeau de
» mon ami ! fur ce tombeau où la piété
>> filiale , la tendreſſe paternelle , la dif-
>>> crète amitié , l'amour pur & timide ,
>> pleurent enſemble leur Poëte ! Le Chan-
>> tre d'Abel , de Daphnis , le Peintre ai-
>> mable des moeurs antiques , celui dont
ود les Idylles touchantes laiffent toujours
>>> au fond de l'ame ou une tendre mélan-
> colie , ou le déſir de faire une bonne
action , ne peut être étranger pour vous.
En quelque lieu que le haſard les ait
placés, tous les grands talens , tous les
coeurs vertueux ſont frères ; ils reffemblent
à ces fleurs brillantes qui , diſperſées
dans tout l'Univers , ne forment
"
"
ود
33
ود
* pourtant qu'une feule famille " .
a48 MERCURE
M. de Florian donne de juſtes éloges à
plufieurs de ſes nouveaux Confrères ; on a
pu les lui reprocher ; ceux dont le noble métier
eſt d'infulter tous les Ecrivains avoués
de la Nation,& de réſerver la louange pour
ceux fur qui la louange ne sçauroit prendre
, ont pu prononcer que ces éloges n'étoient
pas mérités ( car comment un Académicien
, comment le Secrétaire de l'Académie
feroit-il un bon Ecrivain ? ) Si cet
ufage de donner une marque d'eſtime
diftinguée à ſes amis ou aux plus illuftres
Académiciens en entrant dans l'Académie,
ſi cet uſage que M. de Florian a trouvé
tout établi & n'a fait que ſuivre , avoit
beſoin d'apologie , il en trouveroit ici une
particulière dans le ſentiment qui paroît
animer l'Auteur , dans le ſentiment qu'exprime
ce vers de Zaïre :
Je veux que tous les coeurs foient heureux de ma
joie.
Mais en mettant à part M. de Florian ,
qui ne mérite que des éloges pour tous
ceux qu'il a donnés , & en généraliſant la
queſtion , ne pourroit on pas en effet
trouver quelque inconvénient à cet uſage
des éloges particuliers des Académiciens
vivans ? Ces éloges conviennent- ils bien à
un Corps dont l'eſprit général & le principe
favori eſt l'égalité ? Ne mettent-ils pas
une diſproportion trop marquée entre l'A
DE FRANCE. 19
cadémicien nommé ou déſigné,& l'Académicien
paffé ſous filence ? Ne peuvent- ils
pas même quelquefois induire en erreur
le Public ignorant fur la meſure&la comparaiſon
du mérite des différens Académiciens
? Quand M. de Voltaire , dans fon
Diſcours de réception, a dit : " Le Théatre ,
je l'avoue , » eſt menacé d'une chute pro-
ود
ود
ود
chaine ; mais au moins je vois ici ce
>> génie véritablement tragique , qui m'a
ſervi de maître quand j'ai fait quelques
pas dans la même carrière : je le regarde
>> avec une fatisfaction mélée de douleur ,
comme on voit ſur les débris de ſa
>> patrie un Héros qui l'a défendue « . II
a dit certainement une très - belle choſe;
mais le vieux Crébillon en ce moment ne
devenoit- il pas trop grand en comparaifon
de ſes Confrères ? Ne le devenoit - il pas
plus peut- être que l'Auteur ne le vouloit ?
N'éclipſoit-il pas même un peu trop l'Académie
entière ?
N'eſt- il pas à craindre d'ailleurs qu'avec
le temps l'injuſtice & la partialité ne parviennent
à corrompre ces éloges ? Chaque
Récipiendaire ne donnera-t-il jamais rien
à l'amitié ou à la haine ? Tiendront- ils
tous la balance parfaitement égale entre
ceux qui auront ſecondé leur électron &
ceux qui l'auront contrariée ? N'arriverat-
il jamais que le filence , perfideinent combiné
avec la louange , devienne un inſtrument
de vengeance contre des ennemis ,
20 MERCURE .
1
& foit , à l'égard de ceux-ci , un outrage
& un acte d'hoftilité ? Et quand le Lecteur,
fur la foi de ce filence , conclura , en difant
comme Auguſte dans Cinna :
1
Le reſte në vaut pas l'honneur d'être nommé.
Ou comme Don Diegue , dans le Cid :
Qui n'a pu l'obtenir ne le méritoit pas.
conclura-t-il roujours juſte ?
ہک
1
Concluons donc nous-mêmes que le plus
für ſeroit de ſupprimer tous ces éloges
particuliers , & de s'en tenir à cet éloge
général de l'Académie, que la reconnoiffance
paroît inſpirer au Récipiendaire , & qui
ſemble naître de l'occaſion. Encore le temps
eft-il venu peut-être de ſupprimer juſqu'à
cet éloge général , épuisé par tant de répé
titions. Que le Récipiendaire faſſe l'éloge
de fon Prédéceſſeur , que le Directeur le
regrette au nom de la Compagnie , c'eſt
un hommage légitime à la mémoire des
morts , & d'ailleurs les circonstances perfonnelles
peuvent toujours rendre cet éloge
nouveau; mais pourquoi remettre toujours
, pour ainfi dire , en queſtion la gloire
& la fupériorité de l'Académie dans les
Lettres , en la faiſant toujours établir &
célébrer par une perſonne intérefice , puifqu'elle
fait déjà partie de la Compagnie ?
Quel beſoin d'ailleurs l'Académie a-t-elle
d'être louée ? Qui pourroit blamer Hercule?
DE FRANCE. 21
M. Sédaine , Directeur , fait auſſi dans
ſa réponſe quelques éloges particuliers
mais ils font amenés par la circonſtance :
il cite au Récipiendaire l'exemple de trois
Académiciens , dont deux ſont vivans , &
qui tous trois font entrés jeunes à l'Académie
comme M. de Florian , & qui tous
trois , comme M. de Florian ſe le propoſe
&en a pris l'engagement folennel , ont ,
depuis leur entrée à l'Académie , ajouté de
grands titres aux titres qui les avoient fait
admettre. Il y a beaucoup de convenance
dans le choix de ces exemples , & dans la
manière dont ils ſont préſentés.
M. Sédaine ajoute auffi à l'éloge com.
plet que M. de Florian avoit fait de M. le
Cardinal de Luynes , des anecdotes qui
répandent de l'intérêt ſur la perſonne de
ce Prélat , rendent ſa vieilleſſe vénérable ,
& peignent avec vérité cette éloquence
funple , facile & fans préparation , qui l'a
diftingué dans plus d'une occaſion importante.
Le Directeur rend aufli aux grands Princes
qui l'écoutoient , Thommage que tout
le monde aime à leur rendre , & dont
chaque Académicien lui envioit dans ſon
coeur l'heureuſe occaſion .
-.. Nous voudrions pouvoir entretenir nos
Lecteurs des jolies Fables par leſquellesM.
de Florian , jaloux de juſtifier de plus en
plus le choix de l'Académie , a terminé
cette Séance ; elles ont paru à tout l'Au
22 MERCURE
ditoire pleines d'efprit , de gaîté , de grace;
de fineffe , & de ſimplicité.
:
FÉNÉLON, Poëme ; parM. MARCHANT.
Je chante Fénélon , c'eſt chanter la vertu.
A Paris, de l'Imprimerie de MONSIEUR ;
& se trouve chez Royez , Lib . , quai des
Augustins , à la defcente du Pont-Neuf.
CET Opufcule eſt le début d'un jeune
homme. Le titre de ce Poëme infpire ce
double intérêt que l'on doit à l'union des
talens ſans vanité & de la vertu ſans faſte ;
& l'âge de l'Auteur ſollicite l'indulgence.
Confacrer à Fénélon le premier eſſai de
ſa plume , c'eſt annoncer qu'on n'ambitionne
la gloire des talens que pour honorer
les bonnes moeurs , les Lettres humaines
, la Religion fans fanatiſme. Cet encens
qu'exhale une ame encore neuve ,
toucheroit ſans doute celle du Prélat fi
recommandable auquel il eſt offert , s'il
pouvoit monter au ciel & s'élever juſqu'à
elle. Choififfons, pour encourager M. Marchant,
les meilleurs endroits de ſa Pièce.
Toi qui ſus allier , en dépit de l'Envie ,
AuxdevoirsduChrétien les travaux du génie ,
DE FRANCE. 23
Fénélon , c'eſt à toi que s'adreſſent mes chants.
Viens d'un ſouffle divin échauffer mes accens.
Mille autres ont chanté les Tyrans de la Terie ,
Les Conquérans fameux, les crimes & la guerre 5
Je chante Fénélon, c'eſt chanter la vertu.
La cendre d'un grand Homme enfante les talens.
Après avoir fait allufion à quelques traits
de cette vertu ſimple & indulgente dont
l'Archevêque de Cambrai étoit l'Apôtre &
le modèle , M. Marchant parle du Télémaque
.
Chef-d'oeuvres immortels de Virgile & d'Horace ,
Qui planiez, fans rivaux, au ſommet du Parnaffe ,
Quittez le premier rang. Le Télémaque en main ,
Fénélon vient jouir d'un triomphe certain,
On ne citeroit point ces vers , qui ne
ſont pas bons , s'ils ne renfermoient une héréſie
littéraire qu'il n'eſt plus permis de
répéter , & que le Panégyriſte de Fénélon
lui - même a fi bien réfutée. » Cet amour
» qu'il inſpire à ſes Lecteurs , n'a-t-il pas
un peu égaré ceux qui ont voulu regar-
*" der le Télémaque comme un Poëme
" épique ? C'eſt dans l'Eloge même de
>> Fenelon , c'eſt en invoquant ce nom
>> cher & vénérable qui rappelle les prin-
» cipes de la vérité & du goût , qu'il faut
24 MERCURE
هد
>> repouſſer une erreur que ſans doute il
condamneroit lui-même. Ne confondons
» point les limites des Arts , & reflouve-
>> nons-nous que la Proſe n'eſt jamais la
>> langue du Poëte. Il ſuffit , pour la gloire
ود de Fénélon , qu'elle puiſſe être celle du
» génie " . Eloge de Fénélon, par M. de la
Harpe.
Les vers où M. Marchant rappelle la
mort du Duc de Bourgogne , que le refpectable
Prélat avoit formé aux vertus &
à la ſcience du Gouvernement , ont quelque
par rapport à ceux de la Henriade ſur
le même ſujet, & il n'eſt pas étonnant qu'ils
ne foient pas auffi beaux.
Du fond de ſa retraite , il voyoit à la Cour
Un Prince, des François & la gloire & l'amour ,
Digne, par fon grand coeur, du plus beau diadême ,
N'aſpirer en ſecret à la grandeur ſuprême
Que pour finir les maux d'un peuple malheureux.
Du ſage Fénélon , difciple généreux ,
Prince & ſujet fidèle , il faiſoit à la France
D'un ſiècle de bonheur entrevoir l'eſpérance.
Il devoit rappeler les beaux jours de Titus ,
Et ſon règne eût été le règne des vertus.
Mais , ô cruel deſtin d'un Prince trop aimable !
Sous les coups redoublés de la Mort implacable,
Iltombe , &de ſon peuple emportant les regrets ,
Il mérite le nom de Père des François.
Fénélon,
DE
25
FRANCE.
Fénélon , fi la Parque a détruit ton ouvrage ,
Si tu nous as flattés d'une trop vaine image ,
Quand tu nous promettois un règne fortuné ,
Ce n'étoit qu'à Louis qu'il étoit deftiné.
En voyant les bienfaits qu'il ſe plaît à répandre ,
On le croit ten Elève , & l'on doit s'y méprendre.
Le Jura libre enfin , fait voir à l'Univers
Lesglorieux débris de ſes antiques fers .
Nos vaifſeaux reſpectés ſur les plaines de l'onde ,
Semblent donner des Loix à l'un & l'autre Monde.
L'Inde applaudit encore aux lauriers de Suffren ;
D'Estaing & Rochambeau, la Fayette & Guichen ,
Arrachent l'Amérique au joug de l'Angleterre ,
Dont le François vainqueur éteignit le tonnerre :
Cherbourg, en un moment , forti du ſein des eaux ,
Rend l'Europe attentive à ſes hardis travaux.
Ce Poëme annonce le germe d'un talent
foible encore , mais qui n'eſt pas infecté
de mauvais goût. L'âge & le travail
apprendront à l'Auteur l'art d'approfondir
ſes idées & ſes ſentimens , & de donner
à ſon ſtyle l'empreinte d'une plume plus
exercée.
(Cet Article estde M.de Saint-Ange.)
Nº . 27. 5 Juillet 1788,
26 MERCURE
DISCOURS fur l'Economie , ou l'Eloge
de la Simplicité , prononcé dans une
Séance publique de l'Académie de Dijon,
le 28 Novembre 1787 , par M. le Comte
DE LA TOURAILLES , en présence de Son
Alteſſe Séréniſſime Mgr.le Prince DE
CONDÉ. A Dijon, chez L. N. Frantin ,
Imprimeur du Roi ; & fe trouve à Paris,
chez les Marchands de Nouveautés.
DANS l'Encyclopédie , obſerve M. le
Comte de la Tourailles , il eſt queſtion de
trois genres d'Economie , qui , malgré leur
différence , dérivent à peu près du même
principe de ſageſſe. La première appartient
au régime des Gouvernemens : c'eſt elle
qui decide de leur deſtinée , & qui vient
au ſecours des maux civils , inféparables de
toutes les inftitutions humaines . On a écrit
des volumes innombrables fur cette Economie
appelée Politique depuis une vingtaine
d'années ; mais ce n'eſt point de cellelà
dont il eſt ici queſtion. Il ne s'agit point
non plus de ce qu'on doit penfer des Livres
des Economiſtes, de ces Livres ſi eſtimés &
fi mépriſés , fi loués & fi décriés; fi utiles
à la gloire & à la profpérité des Etats ,
diſent les uns ; ſi inutiles & même ſi perpicieux
, affirment les autres , foit par par en
DE FRANCE. 27
rêtement dans leurs idées , ſoit par cette
indifférence pour le bien public , le premier
obſtacle à tout ce qui pourroit le favorifer.
Cette matière paroît ſi délicate à
M. le Comte de la Tourailles , & fi fouvent
couverte d'un voile infidieux , que
le Philofophe , dit-il , peut en gémir en
filence , fans ofer s'en plaindre en public.
On peut à cet égard lui appliquer ces vers
de Voltaire :
Je n'en dirai pas plus ſur ces points délicats.
Le Ciel ne m'a point fait pour régir les Etats ,
Pour conſeiller les Rois , pour enfeigner les Sages.
La ſeconde , appelée Rurale , a pour objet
la culture de la terre & les dentées que
l'on en récolte. Mais fi d'un côté l'Agriculture
ne peut que gagner aux travaux des Savans,
fi , comme l'obſerve M. l'Abbé de Lille
dans ſon excellent Difcours préliminaire
fur les Géorgiques , par leur fecours , elle
fortira inſenſiblement des ſentiers étroits
que lui a tracés la routine , & des ténèbres
où la retient un inſtinct aveugle ; de Fautre
on eſt preſque forcé de convenir, felon M.
le Comte de la Tourailles , que le Paysan
cultivateur en fait autant par la propre expérience
, que tous les Académiciens agricoles
par leur théorie.
こ
La troiſième enfin appartient plus parriculièrement
à toutes les claffes de la So-
B 2
28 MERCURE
ciété. C'eſt de cette Economie domeſtique,
& de la ſimplicité morale qui en eſt le
ſoutien , qu'il eſt queſtion dans ce Difcours .
Cette matière étoit digne d'être difcutée
dans un temps où le Luxe , père de tant
de beſoins , de tant de misères & de tant
de crimes , trouve des apologiſtes , où le
fuperflu prive tant de gens du néceſſaire.
On aura beau ſe laiſſer éblouir par
l'éclat du luxe , cet éclat funeſte eſt ſemblable
à celui des Comètes, qui brillent au
deſſus de la terre , qu'elles menacent d'une
totale deſtruction , ou de ces météores qui
font admirés des peuples , alors même que
leur influence dans l'atmosphère engendre
des maladies populaires, Ecoutons l'Auteur
lui-même .
>> Tout ce qui a rapport à la pureté des
>>moeurs , tout ce qui peut éclairer la
وو pauvre humanité ſi ſouvent égarée , ne
>> peut être étranger à cette Académie. Un
» petit eſſai de Philofophie me paroît plus
>> digne de ſon attention , que le jargon ap-
>> prêté d'une éloquence menſongère " ......
ود C'eſt pour la gloire de cette Nation
>> quelquefois frivole , mais toujours aima-
>> ble , & chez laquelle ſes rivaux même
>> viennent apprendre le plaifir & l'heu-
>> reux talent de plaire , qu'il ſemble per-
» mis de louer une vertu dont elle ſe
>>joue, mais qui devient, fans qu'elle s'en
>>doute , la ſauve-garde de ſes propriétés.
DE FRANCE. 20
L
» Sans l'Economie, un père diffipateur va
bientôt fuccomber ſous le poids flétriffant
d'une banqueroute ſouvent patibu-
>> laire & fans ceffe impunie ; mais s'il
>>échappe au ſupplice qu'il mérite , il ne
ود
ود pourra ſe dérober à l'opprobre qui l'en-
>> vironne. Son fils , élevé dans les mêmes
>> principes d'une turpide diffipation , n'éprouve
que le regret , & ne ſent que
l'impuiſſance de ne pouvoir être aufli
>> mépriſable que ſon père " .
<
ود
Cette réflexion terrible de M. le Comte
de la Tourailles n'eſt malheureuſement que
trop vraie. L'ame enivrée par le poifon
délicieux & funeſte d'un luxe , ſource de
honteuſes déprédations , ſe gangrène &
meurt en quelque forte au repentir , la
dernière& la feule vertu des hommes longtemps
abuſés par les paflions. Ce qui fuit
donne une nouvelle force à cette leçon
✓ frappante.
ود Il y a des familles chez leſquelles le
>> vice eſt héréditaire comme la goutte ;
>>mais pour compenfer ce défordre moral,
ور il eſt d'autres générations d'autant plus
>> vertueuſes , qu'elles ſont plus ignorées ,
» & loin des dangers de la célébrité «.
A ces tableaux, fi humilians & trop reconnoiffables
des excès de la prodigalité
l'Académicien , par un heureux contraſte
fait fuccéder la peinture » d'un fimple &
د
د
B3
30 MERCURE
r
>> vertueux père de famille qui ne ſe per-
>> met que des dépenſes meſurées ſur ſes
>> pouvoirs , & toujours calculées fur l'inf-
ود
ود
tabilité des biens de la fortune ; fa vie
n'eſt pas brillante, mais elle eſt ſans trouble
& fans reproche : il ne craint ni l'ufurier
infame , ni l'avide créancier ; &
>> tandis que le fanfaron ruiné eſt dans l'a-
>> gitation de l'infomnie , le Citoyen éco-
>> nome dort paiſiblement fur l'oreiller de
70
رو la prudence . Cette eſquiſſe tracée avec
des couleurs puiſées dans la Nature , ou ,
pour mieux dire , dans l'ame de l'Auteur ,
repoſe l'efprit fur des idées confolantes. M.
le Comte de la Tousailles n'a prétendu exprimer
que ce qu'il a fenti & trouvé au
fond de ſon coeur : mais ceux qui ont l'avantage
d'être dans ſa familiarité , y trouveront
, avec ſa perſonne , plufieurs traits
de reſſemblance plus flatteurs encore pour
l'homme que pour l'Ecrivain. Il faut lire
le Diſcours entier , Difcours agréable &
ſolide , où l'Auteur n'enfeigne que ce qu'il
a pratiqué , & donne , fans morgue doctorale
, les leçons de l'expérience.
(Cet Article eft de M. de Saint-Ange. )
DE FRANCE.
RECHERCHES fur l'origine & le fiége du
Scorbut & des Fièvres putrides ; Ouvrage
traduit de l'anglois de M. MILMAN, par
M. VIGAROUS DE MONTAGUT ,
Docteur en Médecine , & Membre de la
Société Royale des Sciences de Montpellier.
A Paris , chez P. F. Didot jeune,
Imp- Lib. , quai des Augustins.
Si l'obſervation eſt la marche la plus
sûre pour arriver , en Médecine comme en
Phyſique , à des théories judicieufes , quelle
Nation et plus à portée d'inſtruire les autres
fur les caufes & les remèdes du Scorbut
, que celle dont la Marine fait la principale
force , & qui a par conféquent le
plus d'intérêt à la confervation des hommes
qu'elle y emploie ? C'eſt donc nous
rendre un ſervice eſſentiel que de faire
paffer en notre Langue les bons Ouvrages
de ces Médecins .
Accoutumés à regarder la diffolution &
la putridité du fang comme la cauſe du
Scorbut & des fièvres putrides , nous ne
pouvons nous défendre d'un mouvement
de ſurpriſe & d'improbation en voyantM.
Milman afligner pour caufe prochaine une
foibleffe générale , ſuite de la léfion du
pouvoir vital ; en un mot , en placer le
B 4
32 MERCURE
fiége dans les ſolides : mais une erreur, pour
être ancienne , n'en eſt pas moins une erreur
; & fi M. Milman prouve , il faut
croire ; il faut plus , il faut abandonner
l'ancienne méthode curative , en général fi
peu heureuſe , pour adopter la nouvelle ,
qui , fondée ſur une théorie plus sûre ,
promet aufli plus de fuccès.
Nous renvoyons à l'Ouvrage même les
gens de l'Art , & les perſonnes curieuſes
de ces Recherches , perfuadés qu'ils y trouveront
des preuves ſurabondantes & décifives.
Nous nous bornerons ici à indiquer
les cauſes & les remèdes de cette
maladie , d'après les idées neuves du Médecin
Anglois .
Entre les cauſes nombreuſes & variées
du Scorbut , telles que raffoibliſſement de
la ſanté par des maladies précédentes , l'indolence
, les fatigues exceſſives , la plus
fréquente eft le froid & l'humidité. Les
caufes occafionnelles , ou excitantes , font
une nourriture indigefte , des alimens qui
contiennent peu de matière nutritive , certaines
paflions de l'ame , fur tout le découragement.
Le Docteur Lind penſe que
le régime des Marins n'eft abſolument préjudiciable
, que parce que leur nourriture
eſt de difficile digestion ; ſes mauvais effets
ne devant pas être attribués aux ſels qu'elle
contient , puiſque l'eſprit de ſel marin a
même été recommandé comme un préfervatif,
& que les Equipages du Capitaine
DE FRANCE. 33
Cook ont vécu impunément de proviſions
falées , en ſe tenant propres , en évitant les
fatigues exceſſives , & en buvant de l'eau
fraiche.
Il réfulte de la nouvelle Théorie , que
les meilleurs moyens pour prévenir ou
combattre & le Scorbut & les Fièvres putrides
, font un air ſec & tempéré , la précaution
de ménager les forces des Equipages
, combinée avec le ſoin de les exercer
&d'y entretenir la gaîté , des alimens fubftantiels
faciles à digérer , & des cordiaux.
On peut adminiſtrer avec ſuccès le quinquina
, les amers , les martiaux , & l'elixir
de vitriol. Il est convenable autli de mettre
les convalefcens dans une eſpèce de fronde
ou hamac , à la partie inférieure de l'avant,
ou entre les ponts ; on a obſervé que les
mouvemens qu'ils y éprouvoient contribuoient
fingulièrement au rétabliſſement
de leurs forces .
M. Milman termine ſon Ouvrage par
une Hiſtoire abrégée de cette Maladie ; il
prouve qu'elle étoit connue des Anciens
ſous les différens noms de Splen magnus ,
de Convolvulus fanguineus , de Stomacace.
La fatigue exceflive & la difette ont occafionné
, au rapport de Pline , le.Stomacace
& le Sceletyrbe dans les armées Romaines.
Les mêmes circonstances réunies à un air
impur , ont enveloppé l'armée de S. Louis
dans les mêmes calamités.
BS
34
MERCURE
2
Le Préjugé vaincu , ou Lettres de Mme.
la Comteffe DE *** , & de Mme. DE ***
réfugiée en Angleterre , par M. le Comte
DAY *** , Officier au Régiment de.
Beaujolois ; & Mine. FILH*** D'H***
A Paris, chez Royez, Libraire, quai des
Augustins . II Parties , in- 12. Prix , 2 .
liv. 8 fous .
MME. de *** , réfugiée en Angleterre
dans le temps de la révocation de l'Edit
de Nantes , laiffe, en partant, à la Comteſſe
de ***, fon amie , qui fait ſon ſéjour à.
Paris , une fille unique nommée Théophile,
que des circonstances l'empêchent d'expatrier
avec elle. La Comteſſe s'eſt engagée à.
élever ſa pupille dans la foi de ſes pères..
Milord C ... , arrivé en France avec deux
enfans, Sir Charles & Miss Julie, à la ſuite.
du Roi Jacques , ſe trouve lie avec Mme..
la Comteffe de ***. Cette Dame , par un
hafard heureux , rend un ſervice eſſentiel à
Milord , en donnant des fecours & des
foins à ſa fille , trahie & abandonnée , à
fon arrivée à Paris , par une Gouvernante
infidelle , à qui fon père l'avoit confiće.
Miſs Julie & Théophile ſe lient de l'amitié
la plus étroite. Sir Charles , en faifant vi
fire à ſa foeur , voit fon amie & en devient
DE FRANCE.
35
éperdument amoureux . Il veut l'époufer.
La Comteffe emploie tout fon crédit auprès
de Mme. de * * * , pour l'engager à
donner fon confentement à l'union de ces
deux Amans. Quoique tendrement attachée
à ſa fille , & convaincue de l'avantage d'une
telle alliance , Mme. de *** s'y refuſe.
Eloignée conftamment & par principes de
tout ce qui diffère de ſa croyance , elle ſe
feroit reproché de la trahir en ſouſcrivant
à un mariage dont une des conditions ef
ſentielles étoit que Théophile abjurât le
Proteftantifme . Milord C .... , contrarié
par cet obſtacle , engage ſon fils à s'éloigner
, perfuadé que l'abſence & la réflexion -
lui feront vaincre ſon penchant. Théophile,
de ſon côté , ſe diſpoſe à rejoindre ſa mère
en Angleterre , lorſque Miladi Sutterfon
écrit à la Comteffe, que fon amie est tombée
dangereufement malade. Théophile en
eſt vivement affectée : elle ſe reproche de
caufer la mort de ſa mère par les contrariétés
que lui fait éprouver ſon attach(-
ment à Sir Charles. Elle veut partir , rononcer
à fon Amant , & facrifier l'amour
à la tendreſſe filiale. Avant que ce projet
puiſſe être exécuté , Miladi Sutterfon , qui
devoit fon bonheur à Mme . de *** apprend
à la Comteſſe la mort de cette infortunée
, qui vient enfin de ſuccomber à
fes chagrins. Elle lui fait en même temps
paffer des lettres que fon amie a écritess
avant d'expirer. Par ces écrits , Madame
د
B6
36 MERCURE
de *** dégage la Comteſſe de ſes ſermens,
lui tranfimet ſes droits fur Theophile , &
donne à fa fille des leçons de fermeté &de
conftance propres à foutenir fon courage
dans tous les évènemens de fa vie. Elle lui
laille au furplus la liberté ſur ſa croyance ,
& meurt dans la fienne. Théophile , après
avoir donné de juſtes larmes à la perte
qu'elle vient de faire , vaincue par les inftances
de Miſs Julie , par celles de Sir
Charles , & plus encore par l'amour qu'elle
reffent pour cet aimable Anglois , confent
à lui ſacrifier ſon culte , & fe diſpoſe à lui
donner fa main .
Tel eſt le plan de ces Lettres , dont les
détails & les développemens font d'autant
plus intéreſſans, que les acteurs qui y figu
rent , paroiffant tour à tour ſur la ſcène , ne
laiffent aucune interruption dans les faits ,
&fauvent, ppaar des réponſes akernatives
la monotonie ordinaire aux Ouvrages de
ce genre, lorſque les Lettres ne font écrites
que par une ou deux perſonnes ſeulement.
,
On s'appercevra ailément que.Madame
d'H*** , à qui nous devons ces deux petits
Volumes, n'a pas pu ſurveiller à l'impreffion
de ſon Livre , qui fourmille de fautes
typographiques & d'orthographe , dont on
ne doit accuſer que l'éloignement où elle
s'eſt trouvée de ſon Imprimeur. Ces légèrestaches
qu'on ne peut , fans une très-grande
injuftice , imputer à l'Auteur, que d'ailleurs
la chaleur du ſtyle, la variété des ſituations
DE FRANCE .
37
& l'agrément des détails font aifément
oublier , lui laiſſe la plénitude de tous les
droits que fon sèxe & ſes talens lui donnent
fur les fuffrages des Lecteurs ; & ils
les lui accorderont d'autant plus volontiers,
que ces Lettres font les prémices de ſa plume .
VARIÉTÉS.
LETTRE au Rédacteur du Mercure .
Vous le ſavez , MONSIEUR , il n'y a jamais
eu de Voyages qui aient autant excité de curiofité
&d'admiration , que ceux du célèbre Capitaine
Cook; l'Europe attentive à ſes découvertes , en
a toujours lu les Relations avec le plus grand
intérêt. On aime à voir Cook affronter ces mers
de glace , où nul mortel , avant lui , n'avoit pénétré.
On le ſuit avec étonnement dans ces vaſtes
pays où la civiliſation a fait ſi peu de progrès ;
&on ſe plaît fur-tout à connoître ce peuple enfant
qui couvre les Ifles délicieuſes de la mer du
Sud. Preſque par-tout où nous conduit ce brave
Navigateur , nous ſemblons aſſiſter au ſpectacle
d'une création nouvelle , & nous pouvons , fi
j'oſe m'exprimer aina , contempler le Monde au
fortir du berceau.
Ce font des tableaux ſi attachans , qui ont
engagé le Docteur Kippis , Membre de la Société
Royale de Londres, à écrire la Vie du Capitaine
38 MERCURE
,
Cook , ou plutôt l'Histoire philoſophique de fes
découvertes. Il s'eſt ſervi pour cela non ſeulement
des Journaux de Cook , mais de ceux des
Officiers qui l'accompagnoient. Lord Howe a
fait ouvrir à M. Kippis les dépôts de l'Amirauté.
Lord Sandwich , M. Stephens , l'Amiral Graves
Sir Hugh Pallifer , & la veuve du Capitaine
Cook, ſe ſont empreſſés de fournir tous les renſeignemens
poffibles ; de forte que cette Hiftoire
a le double mérite de renfermer ce qu'il y
a eu de plus intéreſſant dans les expéditions du
Marin Anglois , ou dans ſa vie particulière , &
d'être privée des détails nautiques qui rendent
les Relations toujours trop longues & ſouvent
fatigantes.
L'Ouvrage de M. Kippis doit paroître à Londres
dans le mois de Juillet; un Homme de Lettres
, qui l'a reçu à meſure qu'on l'imprimoit ,
P'a traduit en françois ; & c'eſt cette Traduction ,
qui fera inceſſamment fous preffe à Paris , que
je vous prie d'annoncer.
J'ai l'honneur d'être , &c.
AParis , le 27 Juin 1788 .
SPECTACLES.
COMÉDIE - ITALIENNE.
I E Vendredi 20 Juin , on a donné la
première repréſentation de Candide marié
DE FRANCE.
59
Opéra Comique en deux Actes & en Vaudevilles
mêlés de profe.
Candide a époufé Cunégonde ; il n'eſt
pas heureux avec elle , & il ne fait pas fon
bonheur. Pangloff& Martin, qu'ils ont retirés
chez eux , qui font toujours en querelle,
& qui ne ceffſent de répéter leurs ennuyeux.
adages , ne contribuent pas peu a les impatienter
; & déjà ils ont tellement laffé
Le fils de Candide , qu'il a déſerté la maifon
paternelle. Un vieillard qui a deux
filles , l'une mariée , l'autre en âge de l'être ,
a donné afile au jeune homme. Celui - ci
eft devenu amoureux de la ſeconde fille
du vieillard ; mais fa paffion ne le diſtrait
point de l'amour qu'il doit à ſa mère , &
tous les jours il apporte dans un endroit
où elle aime à ſe retirer, des fleurs qu'il
fait lui être agréables. On foupçonne que
ces fleurs font apportées par un Amant :
Cunégonde même , ſur les conſeils de Pangloff,
va profiter de ces préſens pour fein
dre d'écouter les voeux de l'Inconnu , afin
de réveiller l'amour de Candide , quand
elle apprend que c'eſt à fon fils qu'elle en
doit l'hommage . Tel eſt le premier Acte . Au
fecond , on voit le ménage du vieillard. Lë
tableau de la vie ſimple & douce qu'on y
mène eſt agréable & attachant. Candide &
la femme arrivent dans cette retraite ruftique.
Cuncgonde regrette fon fils && le bonbeur.
Elle affure Ton mari qu'ils pourroient
40 MERCURE
44
être encore heureux , s'ils retrouvoient leur
fils . Celui- ci , qui étoit monté ſur un arbre
pour en cueillir les fruits , entend & voit
ce qui ſe paſſe; il ſe laiſſe couler doucement
, & ſe trouve dans lesbras de ſa
mère au moment même où elle prononçoit
fon nom. Le jeune Candide épouſe ſa
Maîtreffe.
Il y a de jolis tableaux dans cette petite
Pièce , dont le fond eſt très-peu de choſe ,
& qui a peu d'action . Les détails en font
ſouvent très- heureux , les couplers coupés
avec facilité , & les vers tournés avec grace .
Le choix des airs eſt très - agréable , & fouvent
il ajoute au mérite des paroles . On a
fait répéter pluſieurs couplets qui refpirent
une ſenſibilité douce , & dont la manière eft
aimable. Cette bagatelle , que ſes Auteurs
appellent une fleurette , & qui eſt une jolie
fleur , eſt de MM. RADET & BARRÉ :
elle fait fuite à leur Comédie-Parade , intitulée
Léandre Candide , ou les Reconnoiſſances
en Turquie.
Le Jeudi 26 on arepréſenté pour la première
fois le Rival Confident , Comédie
en deux Actes& en proſe , mêlée d'Ariettes ;
par M. Forgeot , Muſique de M. Grétry .
Un Procureur, nommé Rollet , a profité
dabord de la confiance du feu Marquis de
DE FRANCE. 41
Saint-Clair fon client, enſuite de l'abfence
de Soligny fon fils , pour leur faire foutenir
ou pour foutenir en leur nom une mauvaiſe
caufe. Son but étoit d'acquérir , en
multipliant les frais , la propriété d'une jolie
terre appartenante au Marquis. Son pro-
A jet , après cette acquifition , étoit de demander
en mariage Rofalie , fille de M. Dolmont
, Capitaine de Vaiſſeau , ſon ancien
ami , dont il a fait élever les enfans , & dont
il a géré les affaires pendant ſes courſes ma
ritimes . Une partie de ces deſſeins a réuſſi.
Il a acheté la terre ſous le nom de Dolmont
, qui s'eſt prêté à ce tripotage en vrai
marin , fans en prévoir les conféquences .
Rollet a pris poffeffion, & on lui apromis la
main de Rofalie. Mais la fille de Dolmont
eſt aimée de Soligny , & elle répond à fa
tendreffe . Celui-ci a quitté fon régiment ,
& s'eft traveſti en payſan ſous le nom de
Georget. Thibaut , Jardinier de Koller , &
ancien ſerviteur de la famille Saint-Clair ,
le fait paffer pour fon neveu ; il le fert
de tout fon pouvoir contre ſon nouveau
maître . Rollet , jaloux , a ſu que Roſalie
avoit un amant; il voudroit ſavoir quel eſt
fon rival , & il propoſe à Thibaut d'engager
ſon neveu Georget à ſuivre par - tout
Roſalie , afin de le mettre à portée d'éloigner
celui qu'on ſemble lui préférer. Thibaut
& Soligny profitent de l'erreur de
Rollet. Le vieux fripon devient , ſans
s'en douter , le protecteur des feux de fon
42 MERCURE
rival. En conféquence il lui lit une lettre
qu'il a reçue dans l'obscurité , & qui étoit
deftinée à Soligny , & il le charge de s'oppoſer
à l'exécution des projets dont on y
parle. Cette lettre donne un rendez-vous
àun Amant ; le ſeul moyen de le troubler,
eſt de ſe rendre ſur la terraffe , lieu indiqué
par la lettre ; on peut monter fur
certe terraffe avec une échelle , & Soligny
ſe rend chez ſa Maîtreſſe ſous les yeux &
à l'aide de Rollet, qui tient le pied de
l'échelle , de peur que le jeune homme ne
ſe bleſſe. Pendant qu'il attend patiemment
au bas de la terraſſe , Dolmont le vient
trouver. Tout le village parle de Rollet avec
mépris , chacun l'accuſe d'avoir trompé le
Marquis de Saint- Clair , & d'avoir ſpolié ſa
ſucceſſion. Ces reproches alarment Dolmont
, qui le prévient , que s'il eſt un fripon,
que s'il l'a aufli trompé , il en fera juftice.
Rollet s'inquiète ſérieuſement, & imagine
de faire ſervir le fauxGeorget à le tirer
d'embarras. Il lui propoſe de pren tre le nom
de Soligny , & de ſe préſenter à Dolmont ,
en faiſant ce qu'il faut pour le convaincre
qu'il eſt un honnête homme , afin de le réfoudre
à conclure fon mariage avec Rofalie;
Soligny feint de fe prêter à la rufe. Deux
mots mettent Dolmont au fait du déguifement
de Soligny , & lorſque Rollet croit
avoir trouvé un fantôme de juſtification ,
il ſe trouve devant une accufation réelle.
Honteux , confondu , il prend le parti de
DEFRANCE. 43
fuir , & il part au milieu des brocards de
ceux qu'il a cru un inſtant ſes vaſſaux. Soligny
retrouve ſa terre , & il époufe Rofalie.
On a trouvé dans la Muſique du rer. Acte
de cette Comédie le talent ordinaire de M.
Grény , celui d'embellir les moindres idées
par beaucoup d'eſprit , de grace , & par l'art
de prêter toujours au langage muſical l'expreſſion
propre à chacun des perſonnages
qu'il fait parler dans les différentes ſituations
où ils ſe trouvent. On a applaudi une foule
de petits airs du chant le plus agréable &
le plus gai ; on en a fait répéter quelques
uns. L'air de bravoure qui commence
le ſecond Acte, a paru foible ; il paroît que
M. Grétry feroit très-bien de le retirer abfolument
: s'il ne nuit pas beaucoup à l'action,
illui eft parfaitement inutile. Les morceaux
de muſique qui ſuivent cet air dans le
fecond Acte , ont paru moins faillans que
ceux du premier; cela peut provenir de la
grande gaîté du morceau qui termine celuici
. En général, c'eſt une compoſition encore
fort eftimable à bien des égards , & propre
à prouver que les reſſources dramatiques de
M. Grétry font loin d'être épuiſées .
Quantà la Pièce, l'intrigue n'en eſt pasbien
neuve ; mais les incidens en ſont piquans ,
la marche en eſt raiſonnable , & le ſtyle en
eſt ſoigné. Il y a de la gaîté dans les fituations&
dans les mots; & nous prions quelques
Auteurs de ce Théatre d'obſerver que
44 MERCURE
ce n'est point en terminant ſes couplets par
des idées graveleuſes , que M. Forgeot a fu
leur communiquer de la gaîté. C'eſt du fond
des chofes & du ſein des fituations qu'un
Auteur doit tirer ſes plaifanteries ; & celui
qui ne peut parvenir à exciter le rire des
Spectateurs qu'en amenant , rant bien que
mal , des jeux de mots ou des équivoques
dont la décence peut s'effaroucher, ne préfente
pas les reſſources de fon eſprit ſous
une face bien avantageuſe. M. Forgeot eft
un des Écrivains qui ont travaillé pour
le Théarre Italien, dont la Muſe eſt la plus
étrangère au ton graveleux , devenu fi fort
à la mode , & fes productions annoncent
toujours un homme d'eſprit & un homme
de goût.
ANNONCES ET NOTICES.
MEMOIRE fur t'amélioration de la Sologne ,
par M. d'Autroche , Membre de la Société Royale
d'Agriculture d'Orléans. Brochure in-8 ° . de 82
pages. A Paris , chez la veuve Valade , Imp. -Lib .
rue des Noyers.
La Société Royale de Phyſique , d'Hiſtoire Naturelle
& des Arts d'Orléans , ne pouvoit fignaler
plus dignement ſon nouvel établiſſement, qu'en
portant d'abord ſes regards patriotiques vers une
Province voifine , dont le nom ſeul réveille l'idée
de la pauvreté & de la misère Pourroit-elle méDE
FRANCE.
45
riter micux de ſes Concitoyens, qu'en invitant par
des Prix , à indiquer >> par quel genre de culture
>> ou d'induſtrie on pourroit améliorer le fol de la
>> Sologne Orléanoiſe, & augmenter ſon produit«?
Le Mémoire que nous annonçons eſt traité
d'une manière intéreſſante , quelquefois brillante ;
il annonce des vûes ſages , & peut être d'une
grande utilité. M d'Autroche a traduit preſque
tout Horace en beaux vers ; & fa manière d'éerire
en profe trahit ſon long commerce avec
les meilleurs Ecrivains,
Ela ,ou les Illuſions du coeur , traduit de l'anglois;
in-12. A Paris , chez Lagrange , Lib. rue
$. Honoré , vis-à-vis le Palais-Royal,
BIBLIOTHÈQUE Univerſelle des Dames. A
Paris , rue & Hôtel Serpente.
Il vient de paroître de cette intéreffante Collection
le 20e. Volume de l'Hiſtoire , & fe rer de
la Phyſique générale , pat M. Sigaud de la Fond.
La Souſcription pour les 24 Volum, reliés , eſt
de 72 liv. , & de 54 liv. brochés ,
COLLECTION Univerſelle des Mémoires
relatifs à l'Histoire de France ; Tome XXXIX ,
in-8 °. A Londres ; & ſe trouve à Paris , rue &
Hôtel Serpente,
Ce Volume contient la fin des Mémoires de
François de Rabutin , & le commencement de
ceux de Bertrand de Salignac .
Le prix de la Soufcription de ce précieux Recueil
eſt de 43 liv. pour 12 Volumes. Les Soufcripteurs
de Province payeront de plus 7 liv. 4 f.
acaufe des frais de Poſte.
46 MERCURE
L'Etat libéré , Brochure in- 8 °. de 73 pages.
Prix , I liv. 10 f. , & 1 liv. 16 f. franc de port
par la Pofte. A Paris , chez Maradan , Libr. rue
des Noyers.
par
Traité des Haras , auquel on a ajouté la manière
de ferrer , hongrer & angloifer les Poulains
; des Remarques fur quelques-unes de leurs
maladies , des Obfervations fur le pouls , fur la
faignée & fur la purgation , avec un Traité des
Mulets, Jean-George Hartmann ; traduit de
l'Allemand ſur la 2. édition , & ſous les yeux
de l'Auteur ; avec Figures ; revu & publié par M.
Huzard , Vétérinaire à Paris , de pluſieurs Académies
, &c . in- 8 ° . Prix , sliv. br. A Paris, chez
Théophile Barrois le jeune , Libr. quai des Auguftins.
Cet Ouvrage eſt un des meilleurs que nous
ayons fur cette matière.
Hifloire d'Angleterre , depuis la première defcente
de Jules-Céfar dans cette Iſſe , écrite fur.
un nouveau plan par le Docteur Henry , l'un des
Miniſtres d'Edeinbourg ; Ouvrage traduit de l'anglois,
in-4 °. Tomeler. A Paris , chez Nyon l'aîné
&fon fils , Lib. rue du Jardinet.
Nous reviendrons fur ce grand Ouvrage , eftimable
par le plan & l'exécution.
Ordonnance du Roi Henri III , Roi de France
&de Pologne , fur les plaintes &doléances faites
par les Députés des Etats de ſon Royaume , convoqués
& aflemblés en la Ville de Blois. Donnée
à Paris au mois de Mai 1579 ; avec des Notes ,
&Tindication des Ordonnances, Edits , Déclarations
, Lettres-Patentes , Arrêts de Réglement , ou
DE FRANCE.
47
د
Arrêts notables , &c. , par M. Boucher d'Argis ,
Conſeiller au Châtelet , &c. , formant le Tome
XIVe , de la fuite du Recueil minuel , contenant
le tableau des fucceffions , le texte de la Coutume
de Paris & les principales Ordonnances du
Royaume en matières civile, criminelle , du Commerce
, Subſtitutions , Donations , Teftamens
Hypotheques , Eaux & forêts , &c. A Paris , chez
Le Boucher , Libraire , au coin des rues du Marché
Pallu & de la Calandre , en la Cité.
,
Apperçu des Expériences à faire & des connoiffances
à acquérir pour la conſtruction des Ponts
de fer, d'ane très grande étendue , ſuivi d'une
obſervation fur les Ponts de bois ; pour faire
fuite au Profpectus d'un Pont de fer , préſenté
au Roi , & publié en 1783 , par M. Demonpetit.
A Paris , chez l'Auteur , rue du Gros - Chenet ,
N°. 3 .
Cet Apperçu mérite l'attention du Public. Le
Profpectus en a été inféré en entier dans le
Mercure.
Principes du parfait Ingénieur-Geographe, contenant
pluſieurs exemples utiles aux Commençans ;
première Partie. Prix , 3 liv. Même adreffe,
1
Petite Carte des environs de Paris , pour la
poche , contenant ; à 4 lieues à la ronde. Prix ,
12 f.; 1 liv. 10 f. lavée. Chez le même ; & chez
Gattey , Lib. au Palais -Royal.
COLLECTION de Portraits d'Hommes illuftres
vivans. A Paris , chez Me. Tournier , Avocat, ruc
des Petites Ecuries du Roi , au coin de celle Mar
tel ; Didot le jeune , Impr. -Libr. , quai des Au
:
48 MERCURE DE FRANCE .
guftins ; Royez , même quai ; Hardouin & Gattey
, au Palais-Royal.
Cetre 2e. Livraiſon , qui eſt auſſi bien exécutée
que la précédente , contient les Portraits de M. le
Baron DE BRETEUIL , de L'IMPÉRATRICE DE
RUSSIE , de WAGINGTON , & de SPERMAN.
Les Soins mérités , Eſtampe gravée d'après Lavrince
, par Delaunay le jeune. Prix , 3 liv. A
Paris , chez l'Auteur , rue & porte St. Jacques ,
près le Petit-Marché , Nº. 112 .
Cette agréable Eſtampe fait ſuite de grandeur ,
& pendant à la Confolation de l'abfence , gravée
d'après le même , peinte par M. Delaunay l'aîné.
Faute à corriger.
La Vie du Baron de Trenck , analyſée dans le
N° . précédent , ſe trouve chez Buiffon , Libr. ,
Hôtel de Coëtloſquet , rue Haute-feuille, N° : 20.
VERS.
Sonerto.
Traduction libre .
TABLE.
3 Discours fur l'Economie. 26
4 Recherches.
Le Préjugé vaincu.
31
34
Charade, Enigme & Log. Variétés.
37
Discours. 8 Comédie Italienne. 38
Fénélon , Poёт . 22 Annonces & Notices. 41
J'AI Ju ,
APPROΟΒΑΤΙΟ Ν .
د
lu par ordre de Mgr. le Garde des Sceaux ,
le MERCURE DE FRANCE pour le Samedi s
Juin 1788. Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe cи
empêcher l'impreſſion. AParis, le 4 Juillet 1788.
SÉLIS.
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
POLOGNE.
De Varsovie , le 7 Juin 1788 .
LE 15 avril , mande-t- on de Conftantinople
, l'Ambaſſadeur envoyé par la Porte
Ottomane à Madrid , eſt entré dans le
port : les vaiſſeaux Eſpagnols qui l'ont
conduit, avoient auſſi à leur bord un Envoyé
de l'Empereur de Maroc , qui a apporté
au Grand-Seigneur un préſent , en
eſpèces , très-conſidérable. Le 12 , un bâtiment
venant d'Egypte , a débarqué une
quantité de provifions & une ſomme de
350 mille piaſtres ( un million cinquante
mille livres tournois ) , partie de la contribution
promiſe par le Gouvernement
du Caire au Capitan-Pacha.
Les troupes de l'Empereur, qui avoient
élevé contre Choczim des batteries dans
le village Polonois de Braha , les ont aban-
No. 27. 5 Juillet 1788 . a
(2)
données le 17 mai ; le lendemain , les
Turcs ont détruit ces batteries ſans faire
aucun mal au village ni aux environs .
Paul Jones , écrit-on de Pétersbourg ,
nommé Contre- Amiral des armées navales
de l'Impératrice , eſt parti , le 18
mai , pour Cherſon , où il commandera
une partie de l'eſcadre de la mer Noire.
On apprend de la Crimée , que l'on a
vu à la hauteur de Koflow l'eſcadre du
Capitan-Pacha. Il paroît que cet Amiral
tenteraunedeſcente de ce côté-là. Koflow
eſt ſitué ſur la côte occidentale de la péninfule
, au-deſſus de Batſchiſarai,
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 14 Juin.
LaCommiſſion chargée , depuis un an ,
à Copenhague , d'examiner les divers projets
relatifs à l'affranchiſſement des payſans
Danois , a fait ſon rapport au Conſeil
d'Etat , le 30 mai dernier , & il a été
arrêté de libérer les payſans des ſervices
féodaux & perſonnels auxquels ils étoient
aſſujettis . Ondoit en grande partie cette
falutaire opération à M. le Comte de
Bernstorff, Principal Miniſtre d'Etat , qui
déja avoit aboli , dans ſes terres de Danemarck
& du Holſtein , la fervitude de la
glèbe. Cependant le Gouvernement a eu
!
(3)
la ſageſſe de ne point bruſquer ce changement
, dont la ſolidité même repoſe ſur
les précautions à prendre avant de l'effectuer
: on a craint , avec raiſon , de faire
une choſe utile & juſte , avec violence
& deſpotiſme : l'abolition totale de la fervitude
féodale ſera graduelle ,& entièrement
conſommée ſeulement dans une
dixaine d'années. Par-là , on a ménagé
les intérêts particuliers , qui doivent toujours
être ſacrés , lorſqu'ils ont en leur
faveur une preſcription légale , & l'on
s'eſt aſſuré des moyens de parvenir , ſans
bouleverſement , à l'exécution d'un plan
qui auroit trouvé peut- être une invincible
réſiſtance. Le jour même de cette réfolution
du Conſeil , MM. de Schack-Ratlow
& de Rofenkrantz , Conſeillers Privés &
Miniſtres d'Etat , ont donné leur démiſfion.
-
Le Prince Royal de Danemarck a dû
partir, le 13 de ce mois , pour la Norwège
, dont il viſitera toutes les places , &
paſſera les troupes en revue. S. A. R. fera
de retour à Copenhague vers le milieu
d'août. Le bruit d'une entrevue de ce
Prince avec le Roi de Suède n'avoit aucun
fondement , puiſque S. M. S. eft revenue
de Carlſcroon à Stockholm , le 2
de ce mois , après avoir inſpecté la flotte
qui a mis à la voile , approviſionnée pour
a ij
( 4)
quatre mois . Elle est compoſée , ainſi que
nous l'avons dit antérieurement , de 12
vaiſſeaux de ligne & de 4 frégates , fous
les ordres du Duc de Sudermanie , accompagné
du Vice-Amiral Wrangel. - Le paquebot
de cette ville à Liebau en Livonie
, a rencontré , le 5 , cette eſcadre fai
fant voile au Nord Eft .
L'armée Suédoiſe qu'on raſſemble fur
les frontières de la Finlande , fera de 30
mille hommes ,& commandée par le Général
de Hürdt , ſous les ordres du Roi
lui-même. -Des couriers ont été expédiés
de Stockholm à Pétersbourg & à
Berlin. Tous les Officiers de la Marine
royale de Suède , abſens par congé , ont
reçu ordre de revenir,
Un Journal Allemand a donné récemment
quelques détails nouveaux de la navigation
du Capitaine Belling, dont nous
avons parlé plus d'une fois .
« Les dernières nouvelles de ce MarinAnglois ,
fontdatéesd'Ochotsk, le 15 mai de l'année dernière.
M. Belling arriva par terreà la rivière de Kolyma ;
il fit conftruire ſur le champ deux Bâtimens de
25 pieds de quille , & d'environ 15 pieds de
largeur, ſur leſquels ils'embarqua avec 60 hommes
de ſa ſuite. En deſcendant la rivière , il en prit
la hauteur environ au milieu ,& il réuffit à cette
opération à 4 milles de l'embouchure. Le 25 juin
(vieux ſtyle) , il paſſa dans la mer glaciale , qui
étoit encore remplie de glace ,&dirigea ſa courſe
vers le Cap-nord ; ſon projet eſt de revenir par le
( 5 )
Kamtſchatka , fi les vents le lui permettent , ou
de retourner au Kolyma. Il réſulte de ſes opérations
, dont on joindra ici le tableau , que l'embouchure
de cette rivière eſt ſituée deux degrés
plus à l'Eſt , & auſſi plus au Sudque l'on n'avoit
cru juſqu'à préſent. »
« Longitude & latitude priſes fur le Kolyma ,
les unes àl'établiſſement ſupérieur de cette rivière ,
& les autres priſes de l'embouchure. >>
Obfervations du fieur BELLING .
Latitude nord.
1/65° 28′ 25″
2/68° 17′ 44"
Latitude nord.
66° 5'
Longit. ſur l'iſle de Féro .
171° 5 ' 11"
180° 58′ 30″
Obfervations précédentes du fieur LAPTEF.
68° 40′
Longit. ſur l'ifle de Féro.
169° 20′.
178° 15′ 1
Déviation de la Bouſſole à l'Eſt , d'après M. Belling.
1/7° 33′ 10″
2/ 14° 14′ 9′
De Vienne , le 14 Juin .
La Gazette d'aujourd'hui rapporte officiellement
quelques nouvelles eſcarmouches
, dont le récit abrégé paroîtra peutêtre
trop long à quelques-uns de nos
Lecteurs .
« Le 4juin , pluſieurs bâtimens Turcs parvinrent
juſqu'à Jacoba. L'ennemi tenta de faire une defcente
, mais nos avant-poſtes l'ont repouffé.
Le Colonel Kray manda , le 27 mai , que la plu-
-
a 11)
( 6 )
-
part des Turcs , poſtés à Zinzaren & à Krajova ,
s'étoient retirés à Bucharest .
La dépêche du
Général de Fabris rend compte de l'expédition
du Colonel Horwath contre Fokfan , dont la garnifon
montoit à environ 400 Turcs , Arnautes
& Wallaques . Le Colonel fit détruire , le 27 mai ,
le pont ſur la Sireth , qui établiſſoit une communication
entre Fokfan , Gollest , Giganet & Tekurt
, continua enfuite ſa marche vers Fokſan , &
arrivadans la grande plaine le 29. L'ennemi l'ayant
aperçu , ſe jeta dans le monastère fortifié de
Szvunt Juon , mais il ne s'y défendit pas longtemps
, & prit la fuite. Le Colonel Horwath y
entra & fit 26 prifonniers ; l'ennemi a eu dans
Faction environ 50 tués & un grand nombre de
bleſſés. On prit à Fokſan 8 drapeaux , 2 timbales
, une trompette , & 20 chariots chargés de
froment. Le Colonel laifſa un détachement à Fokfan
, & rentra au camp d'Adſchud avec le reſte de
fa troupe. Le 31 mai , environ 3,000 Turcs ,
infanterie & cavalerie , attaquèrent notre cordon
depuis la rivière de Glina juſqu'à la redoute de
Sztaro-Szelo. Le feu du canon de cette redoute
les détermina à l'abandonner , & à ſe porter fur
lepontdeKattinowacz ; mais le petit détachement
qui s'y trouva , empêcha l'ennemi d'exécuter ſon
projet&depaſſerla rivière.Une partie de l'ennemi
ſeportaenfuite du côté des moulins de Vranow;
mais une diviſion du régiment des Sicules & une
compagnie du 1. régiment duBannat, l'attaquèrent
&le mirent en fuite. A cette occaſion le Major
Sakitfth , ſeptuagénaire , voulant couper retraite à
l'ennemi , tomba fur lui avec So hommes , mais
il fut environné & périt avec 40 de ſes foldats
& un Enfeigne. On a trouvé ſur la place 34
hommes tués de l'ennemi , & environ 30 autres
-
er
( 7 )
dans le ruiſſeau deGlinska.-Le 31 mai , un détachement
de Volontaires du corps d'armée du
Général de Wartensleben enleva à l'ennemi un
tranſport de vivres deſtiné pour Belgrade. >>
Il y a cinq ſemaines que les avis du
camp de Semlin annonçoient le paſſage
de la Save & le fiége de Belgrade , comine
deux évènemens qui devoient avoir lieu
d'un jour à l'autre. Les lettres des 23 , 24
& 25 mai , affuroient poſitivement que ,
d'après les ordres émanés du quartier général
, on avoit jeté trois ponts ſur la Save,
& afſigné à chaque régiment la place qu'il
devoit occuper le 27 , jour auquel le paffage
de ce fleuve devoit s'exécuter ; mais
tout-à-coup on a envoyé par-tout des
contre ordres , & même la groſſe Artillerie
, tiréede la fortereſſe de Péterwaradin ,
y a été renvoyée. »
Tels étoient les bruits répandus il y a
huit jours , & les dernières lettres du
quartier général en ont confirmé la vérité.
La grande armée Impériale , à ce qu'il
paroît maintenant , ne paſſera point la
Save , & le fiége de Belgrade eſt remis à
un temps plus favorable. Ces nouvelles
ont caufé ici un étonnement univerſel ,
& fait naître mille conjectures . La plus
plauſible , en apparence , ſuppoſoit un
accommodement prochain entre les Puifſances
belligérantes. Des préparatifs auſſi
1
a iv
( 8 )
difpendieux que ceux dont nous avons
été témoins depuis fix mois , la marche
de deux cents mille hommes , la préfence
du Souverain , l'ardeur des travaux
-& la multiplicité des attaques entrepriſes
de divers côtés , nous avoient perſuadés
qu'on alloit , fans délai , entreprendre
une guerre offenfive vigoureuſe- Si
donc les diſpoſitions ont ſubitement changé
, il n'eſt pas ſurprenant qu'on en ait
cherché la cauſe dans des négociations
pacifiques. Cependant il eſt fort douteux
qu'on ait rencontré juſte. La défenſive ,
à laquelle l'armée ſe réduit , peut être le
fruit de l'incertitude où l'on eſt encore
fur le vrai deſſein du Grand-Vifir. De
Sophia , de Niffa , de Widin , où fon armée
doit s'être progreſſivement avancée,
il eſt maître de marcher vers Belgrade ,
ou de tenter une diverſion , en pénétrant
dans le Bannat de Temeſwar , province
dont les défrichemens ont coûté des fommes
immenfes à la maiſon d'Autriche. -
D'autres attribuent ce changement de
plan à des myſtères de cabinet , dont la
profondeur eſt telle , qu'on n'entreprend
pas de les expliquer .
L'Empereur a ordonné que le Corps
du Général Comte de Wartensleben fût
renforcé inceſſainment , ſur la connoiffance
que ce Commandant a eue des mou
(9 )
vemens des Tures. Pour cet effet , 8 bataillons
d'Infanterie & autant d'escadrons
de Cavalerie ſe ſont détachés de la grande
armée , pour paſſer dans le Bannat de
Temeſwar. On affure qu'un Corps de
6 mille hommes a été deſtiné à garder le
poſte de Vipalanka , & un autre , preſque
de la même force , pour occuper celui de
Méhadia , l'un & l'autre étant de la plus
grande importance pour empêcher les
ennemis de pénétrer dans le Bannat , où
la grande armée même paſſera , auſſi-tôt
quele Grand-Viſir fera mine de pénétrer
de ce côté- là . On voit par-là que les provinces
limitrophes font menacées d'une
devaſtation , fi le Maréchal de Romanzofne
force les ennemis à ſéparer leurs
forces . »
« Les avis de la Buckowine portent
que quelques bataillons Ruſſes , avec du
canon , ont paru , pour ainſi dire , inopinément
fur les bords du Nieſter , & fe font
approchés du Prince de Cobourg , pour
foutenir les opérations de ce Général
contre la fortereſſe de Choczim,qui réſiſte
toujours à ce Commandant , étant défendue
par une garniſon nombreuſe. »
L'Archiduc François a quitté , au commencementde
ce mois,le quartier général,
pour aller viſiter le cordon de l'armée le
long de la Save. On croit que S. A. R.
av
( 10 )
ira auſſi à Trieſte , d'où Elle viendra paffer
ici quelques ſemaines .
On apprendde la Croatie , qu'un Corps
Ottoman s'avance vers la Dalmatie , pour
faire de ce côté une irruption dans les
poſſeſſions de l'Empereur.
Le Prince de Cobourg mandedu camp de Rukzin,
que, le29 mai , le Lieutenant-Colonel Kopzolany ,
poſté à Vaſſuli , a été attaqué par 400 Spahis commandés
par Fanbag ; mais il repoussa l'ennemi
qui perdit 17 hommes qui furent tués : il a eu 30
bleffés ; nous avons eu 4 morts & 2 bleſfés. Le
Lieutenant-Colonel Kopzolany s'eſt retiré enſuite ,
avec ſa troupe , à Jaſſy.
Le Prince Ypsilanti , fait priſonnier à
Jaffy , eſt arrivé à Lemberg le 26 mai ;
il ſe rendra , dit-on , à Brinn , pour y faire
fon féjour.
DeFrancfort-fur- le- Mein , le 21 Juin.
Des Déſerteurs de Choczim aſſurent
que le nombre des malades dans cette
fortereſſe eſt conſidérable , & que la diſette
des vivres de toute eſpèce y augmente
de jour en jour.
S'il faut en croire des lettres de Pancſova
, un Corps conſidérable de la grande
armée de l'Empereur va s'y rendre, les
troupes du Bannat n'étant pas affez nom
( 11 )
breuſes pour s'oppoſer aux irruptions des
Turcs.
Dix mille hommes de la grande armée
ont paſſé le Danube pour ſe porter à
Weiskirchen & à Méhadia ; un autre
Corps de 40,000 hommes ſe tient prêt à
marcher.
"Le 1. juin , le Prince de Cobourg étoit
encoredans ſon camp près de Rukzin .
Les Cuiraſfiers de Waldek font arrivés
au camp du Prince de Lichtenstein , dont
l'armée eſt actuellement de 10,000 hommes
; elle pourroit être portée à près de
50,000 , s'il ne falloit pas tant de troupes
pour la formation du cordon .
Un Corps de 6,000 Spahis eſt entré à
Belgrade le 31 mai .
On croit que l'Empereur abandonnera
le projet d'affaillir cette place , & qu'il
préfère d'attendre l'ennemi pour lui livrer
bataille. On eſt attentif aux opérations
du Grand-Viſir , dont le plan général
ne pourra ſe développer entièrement
que vers la fin de ce mois. On aſſure que
■ juſqu'à cette époque l'Empereur a fufpendu
toutes les opérations militaires .
L'armée Suédoiſe , qui s'aſſemble dans
la Finlande , ſera forte d'environ 40,000
hommes .
« Il ſeroit imprudent , dit une lettre de Vienne,
a vj
( 12 )
du 9 , d'entrer dans le détail des diverfes raifons
qu'on allègue , & des conjectures qu'on fait fur
les opérations de notre armée ; mais ce qui n'eſt
ſujet à aucun doute , c'eſt la douleur du peuple
à la vue de préparatifs ſi coûteux , qui , juſqu'àcejour
, n'ont produit d'autre avantage que d'avoir
repouffé , non fans perte , l'ennemi dans preſque
routes ſes attaques. On ne fauroit concevoir par
quelle fatalité une guerre , qui , dans les mois de
février & mars , avoit éclaté par tout d'une manière
offenfive , avoit pu ſe changer tout-à-coup ,
en avril & en mai , en une guerre purement
défenſive; on comprend encore moins comment
la plus belle arméequ'on ait jamais vue au confluent
du Danube & de la Save , a pun'en treprendre
autre chofe , depuis 6 femaines qu'elle eſt
en état d'agir , que le ſiège d'une bicoque qui ne
pouvoit réſiſter au feu de l'Artillerie que 3 ou 4
heures au plus. Il eſt prouvé , par le fait , que le
fiége de Belgrade , quand on ne l'auroit même
entamé que vers les premiers jours de mai , auroit
pu être continué juſqu'à préſent fans que le
Grand-Vifir eût pu le troubler en aucune manière
, la marche de ce Général étant plus lente
qu'on ne l'avoit cru juſqu'ici , puiſqu'on avoit
des avis certains au camp de Semlin , que l'armée
Ot omanepourra être à peine rendue à Niſſa dans
le courant du mois de juin. Quelle que puiſſe être
d'ailleurs la forcede la garniſonde Belgrade , cette
place n'auroit pu tenir que 3 ſemaines contre une
armée formidable , contre l'artillerieAutrichienne ,
pour l'éloge de laquelle il fuffira de dire , que Frédéric-
le-Granden a toujours fait le plus grand cas .
Cela étant ainsi , il n'eſt point étonnant qu'à l'armée
même , on ſoit dans l'opinion que d'heureuſes négociations
vontterminer ſecrètement les différends
des Puiſſances belligérantes reſpectives; mais cer(
13 )
tainementon fetrompe, car iln'en eſt aucunement
queſtion juſqu'ici , & cette conduite tient à des raiſons
qu'il eſt difficile de pénétrer ,& encore plus
dangereux dedébiter trop légèrement. Tout ce que
l'on peut dire , c'eſt qu'on ne ſauroit affez admirer
laforce& l'influence que les Miniſtres des Cabinets
ont fur lesp'usgrands événemens polítiques.>>>
«Une choſe qui ne cauſe pas moins de ſurpriſe
dans les pays héréditaires , c'eſt de voir dans ces
circonstances le Feld- Maréchal Laudhon pafſſer tranquillement
ſes jours dans la retraite qu'il a choiſie ,
loindu bruit des armes , ainſi que des chagrins qui
en font inſéparables dans l'état actuel des choses ;
mais la nationn'en chérit pas moins les talens&les
vertus de ce Héros. Tout ce qu'on débite de fon
départ pour l'armée , eft controuvé. »
Suivant le Journal de Berlin , le nombre
des naiſſances , dans cette capitale , en
1787 , a été de 5,081 , dont 462 enfans
illégitimes ; ily eſt mort 5,129 perſonnes.
Excédent des morts ſur les naiſſances , 48 .
1
ESPAGNE,
De Madrid , le 11 Juin.
Il eſt plus que jamais queſtion de mettre
en ferme & en régie , pour le compte
CuRoi , le chocolat , le sucre & la canelle ,
on a auſſi préſenté au Roi un projet de
changement dans la forme de l'adminiſtration
des revenus du tréſor royal , qui
affureroit un bénéfice de 10 millions de
réaux par an.
Le Ror a fait expédier dans tous fes
1
( 14 )
Etats d'Europe & des deux Indes , des
ordres , pour que toutes les vieilles eſpèces
d'or & d'argent , ſuſceptibles d'être peſées
, quoique cordonnées , foient portées
dans ſes hôtels de monnoies , dans deux
mois en Europe , & dans fix mois en Amérique
, pour tout délai , &c .
On écrit de Cadix , du 28 mai , qu'un
des vaiſſeaux de l'eſcadre y vient d'arriver
en affez mauvais état , & qu'il rejoindra
auſſi-tôt qu'il ſera réparé.
On ajoute qu'il ya ordre d'augmenter
les garnifons des ifles & des préſides ſitués
ſur la côte d'Afrique , particulièrement à
Oran , où on envoie deux régimens de
plus.
«On écrit de Culera , du 15 mai, qu'Hyacinthe
Domingo, âgé de 33 ans , épouſe de Sébastien Mas,
laboureur , âgé de 35 ans , après 8 mois completsde
groſſeſſe , accoucha de trois garçons &d'une fille
tous vivans & bien formés , & qui furent baptiſés
le même ſoir àla paroiſſe de cette ville. Cinq
jours après elle accoucha d'une fille morte beaucoup
plus petite , & moins bien formée que les autres ;
deux des trois garçons ne vécurent qu'un jour ,
l'autre mourut le quatrième jour , & la fille le
ſeptième: les uns & les autres n'avoient pas la
force de têter , & ne purent être nourris qu'avec
quelques gouttes de lait. Cetre femme eſt accouchée
fix fois pendant quinze années de mariage
,& a donné le jour à ſeize enfans ; ſavoir ,
4 fois à un garçon & à une fille.
I fois à deux garçons & à une fille.
I autre , qui eſt la dernière , aux cinq enfans
( 15 )
dont on vient de parler. Il lui reſte cinq enfans
bien portans , & elle jouit elle-même de la meilleure
ſanté.
GRANDE - BRETAGNE.
De Londres , le 24 Juin.
A
<< Jeudi paſſé , dit la dernière Gazette
>> de la Cour , un meſſager du Cabinet a
>> apporté au Bureau du Marquis de Car-
>> marthen , principal Secrétaire d'Etat au
>> département diplomatique , le traité
>> proviſoire d'une alliance défenſive entre
» S. M. & le Roi de Pruſſe , ſigné à Loo
>> le 13 du courant , par S. E. le Chevalier
>>> Harris , Ambaſſadeur extraordinaire &
>>plénipotentiaire de S. M. auprès des
>> Etats-Généraux , & par M. d'Alvenzle-
» ben , Envoyé extraordinaire du Roi de
>>Pruſſe à la Haye , duement autoriſé à
>> cet effet. » -On eſpère que les négociations
d'un nouveau traité de commerce
entre l'Angleterre & les Provinces-Unies ,
feront terminées affez promptement ;
&, s'il en faut croire le bruit public , le
Chevalier Harris eſt autorisé à les faciliter,
en offrant à la Hollande la reſtitution de
Negapatnam.
L'Amirauté a reçu , le 18 , des dépêches
de l'Amiral Gower , dont l'Eſcadre eſt
fortie de la Manche , & croiſe dans le
( 16 )
golfe de Gascogne; chaque jour l'Amiral
exerce ſes équipages aux différentes évolutions
navales. -Le bruit ſe répand dans
tous les chantiers , qu'on mettra en peu
de jours ſept vaiſſeaux de ligne en commiffion
, pour remplacer dans le ſervice
de gardes - côtes ceux qui croiſent actuellement
ſous les ordres de l'Amiral Gower.
La ſemaine dernière , le Houghton , la
Rofe,le King-George , le Nottingham , le
Melville- Caftle & le Walpole , navires appartenans
à la Compagnie des Indes , &
venant de la Chine , font entrés dans nos
ports à jours différens .
Le CapitaineMontgomery aété nommé au commandement
du Mercury de 28 canons , & le Capitaine
Montague à celui de l'Aquilon de 32 : ces
deux frégates font en équipement à Deptford.
Le Camel ( ci - devant le Mediator) de 44 canons
, en réparation à Wolwich , eſt deſtiné
à tranſporter d'Amérique des bois de conſtruction
- pour la marine.
La Pomone de 28 canons , a été miſe en commiffion
, & le commandement en a été donné au
Capitaine Domott : on équipe en toute diligence
les vaiſſeaux mis en commiſſion dernièrement ,
mais les Matelots ſe préſentent lentement .
La frégate leMonfieur de 40 can. , priſe
fur les Françoispendant ladernière guerre,
& achetée depuis peu par un marchand
de cette Ville pour le ſervice des Turcs ,
a été arrêtée à Deptford par ordre du
gouvernement , vu que fon équipage étoit
-
( 17 )
compoſé de matelots anglois. Ses hunniers
étoient largués , & elle alloit appareiller
lorſque l'ordre eſt arrivé. - La Sibille ,
autre frégate de vingt- huit canons , achetée
pour le même ſervice a trouvé
le moyen de ſe ſouſtraire aux pourſuites ,
&de gagner le large.
ま
,
Le Parlement ſera ajourné vendredi .
Peu de Seſſions auront été plus ſtériles que
celle qui vient de s'écouler. On n'y a agité
aucune des grandes motions annoncées
à l'ouverture; celle , entre autres , dont
l'eſclavage& la traite des Nègres devoient
être l'objet , s'eſt réduite à un Bill préſenté
par le Chevalier William- Dolben ,& con.
tenant un nouveau réglement à impoſer
aux armateurs qui tranſportent les Nègres
dans nos Colonies. Ce Bill, dont nous préſenterons
bientôt la ſubſtance , emporte
des meſures &des conditions dans ce trafic,
qui préviennent l'inhumanité avec laquelle
on loge , on entaſſe , on entretient
les Nègres pendant leur traverſée de la
côte d'Afrique aux Antilles. Les villes
occupées de ce commerce , ont fait entendre
contradi&oirement leurs confeils à
la barre des Communes , ce qui n'a pas
empêché l'acceptation du Réglement. Il
eſt maintenant ſoumis à la Chambre-
Haute , où il a éprouvé quelques objections
: Bristol, Liverpool , & un affez grand
1
( 18 )
nombre d'habitans de Manchester , ont
préſenté des pétitions à leurs Seigneuries
contre cet Ade : leurs conſeils feront ouis ;
mais il paroît indubitable que la Chambre
joindra fon fuffrage à celui des Communes
, & qu'avant trois jours le Bill aura
la fanction du Parlement.-Tout porte à
croire que la motion principale contre la
durée de ce commerce & la ſervitude
des Nègres , rencontrera les plus fortes
difficultés , fi l'année prochaine elle eſt
traitée en Parlement. Les adouciſſemens
'à cet efclavage , la réforme des lois à cet
égard dans nos Colonies ,& le Bill dont
nous venons de parler , feront peut- être
tout ceque l'adminiſtration jugera prudent
d'accorder à l'enthouſiaſme d'humanité.
-Les Cotons eux- mêmes ont tenté d'en
prévenir les effets , en corrigeant le régime
auquel les Nègres font aſſujettis .Voici ce
qu'on mande ,à ce ſujet , de la Jamaïque ,
endate du 5 avril 1788 .
>> L'aſſemblée de certe île a enfin pro-
>>mulgué une loi en faveur des Nègres .
>>Cette loi contient les diſpoſitions fui-
>> vantes : 1º. Aucun poffeffeur de Nègres
>> ne pourra renvoyer aucun eſclave ; même
>> lorſqu'il fera incapable de travailler par
>> maladie ou par caducité , il ſera obligé
>>de fatisfaire à ſes beſoins , ſous peinede
> no liv. ſterl. pour chaque offenſe. 2°.
( 19 )
>> Toute perſonne qui mutilera un eſclave ,
>> paiera une amende de 100 liv. fterl. , &
>> ſera emprisonnée pour une année;même
>> dans certains cas atroces , Fefclave ſera
>> affranchi . 3 °. Toute perſonne qui , in-
>> volontairement ou de deffein prémédité ,
>> tuera un eſclave , ſouffrira peine de mort.
>>>4°. Toute perſonne qui fouettera , mal-
>> traitera , bleſſera ou emprifonnera un
>> eſclave qui ne lui appartient point , fera
>> foumis à une amende & à l'emprifon-
>>nement. 5º. Il ſera levé une taxe paroif-
>> fiale pour l'entretien des Nègres cadu-
>> ques ou malades qui n'auront pas de
>> maîtres. <<
5
a
Le procès de M. Haflings , ou plutôt
l'immortelle durée que lui promet , jufqu'ici
, l'adreffe des accuſateurs , fait
naître , le 17 , dans les Communes , une
queſtion qui mérite d'être examinée par
les Jurifconfultes de tout pays : il s'agit
de ſavoir fi des témoins , ou arrachés à des
emplois hors de leur patrie , ou appelés
endépoſition du fond de leur province ,
& retenus à Londres par les accuſateurs ,
ſous prétexte que leur témoignage eſt
néceſſaire , ont droit de réclamer l'indemniſation
de leur temps perdu , de leurs
voyages , de leur ſéjour à Londres , &des
pertes que peut leur occaſionner leur abſence.
Enfuite , fi les témoins employés
(20 )
dans l'inſtruction , doivent ſeuls ſupporter
les frais de leur déplacement : en est- il de
même des témoins également ſommés ,
déplacés , arrêtés à Londres juſqu'à l'iſſue
des féances , & renvoyés enfin ſans avoir
été produits à la barre ?
Le Major Scott renouvela , le 17 , la
demande d'indemnité faite aux Communes
par le Major Gilpin , par M. Holt ,
le Capitaine Williams , & le Capitaine
Jonathan Scott. » Le premier , dit- il , a
» été mandé du Comté de Lancaftre , où
>> il réſidoit , & fommé de comparoître à
>> la barre des Communes , du mois de
>> mars à celui de juillet 1786 , & à la
>> barre de la Cour des Pairs , du mois de
>>janvier au mois de juin de cette année.
>>>M. Holt devoit retourner dans l'Inde
>> pour y reprendre ſon ſervice; il a perdu
>>fon paffage & fon emploi juſqu'à nouvel
>>>ordre. Les Capitaines Williams & J.
>> Scott ont été ſommés , le premier au
>> fond du pays de Galles , le ſecond dans
>>>le Shropshire, d'arriver à Londres , & d'y
>> reſter du mois de janvier à celui de juin.
>> Les deux premiers témoins ont comparu
>>&déposé. Les deux derniers ont attendu
>>juſqu'à ce jour qu'on reçût leur témoir
" gnage , mais on l'a écarté après l'avoir
>>> requis . Les accuſateurs ayant ſu que
>>le rapport de ces officiers devoit leur
( 21 )
>> être entièrement défavorable , les ont
>> congédiés au bout de trois mois , en leur
>>>fermant l'accès au Tribunal. Si les accu
>>>ſateurs avoient été animés de la moindre
>>> étincelle de cet amour de la vérité, dont
>> le nom eſt toujours ſur leur langue , ils
>> ſe ſeroient empreſſés de recueillir les
>>>informations eſſentielles & néceſſaires
>> de deux témoins péremptoires , parfai-
>> tement inftruits , & d'une intacte pro-
>> bité ; mais ces témoins , ont-ils appris ,
>>>auroient détruit toutes les affertions de
» MM. Shéridam , Adam , &c. , & ils ont
» été congédiés ſans être ouïs. Je demande
>> maintenant s'il eſt juſte , s'il eſt équi-
>> table de ſe jouer ainſi de particuliers
>> vivant à leur aiſe à cent milles de
>> Londres avec une fortune modique , &
>>>hors d'état de venir diſſiper leur petit
>> revenu en promenades & en ſéjours
>> dans la Capitale ? «
M. Pitt fut d'avis que ces plaintes
méritoient examen , mais qu'elles devoient
être renvoyées aux folliciteurs du procès
de la part du Comité d'Impéachment ; ce
qui fut agréé après quelques diſcuſſions.
Depuis l'arrivée des dernières lettres
du Bengale , le bruit court que Milord
Cornwallis défire de réſigner le gouvernement
général , & que le Chevalier
Archibald Campbell , Gouverneur de Ma
( 22)
dras , a pareillement ſollicité ſa démiſſion..
Ce changement ne ſurprendra perfonne ,
& il eſt difficile de croire qu'aucun homme
de tête & d'honneur , ne tremble aujourd'hui
d'accepter un commandement dans
l'Inde.
On renouvelle le projet d'établir une
communication par terre entre la Chine
& le Bengale , pour la plus prompte expédition
des nouvelles de Canton enEurope
, & vice versa. Ce plan s'exécuteroit
par le moyen d'une Caravane, qu'on établiroit
à travers la Peninſule de l'Inde
ultérieure , juſqu'à l'embouchure du Gange
, près de Dyczabad. La propofition en
a été faite aux Chinois ; s'ils l'adoptent ,
il en réſultera de grands avantages. La
route à ſuivre ſera de Canton à Tonkin ,
de Tonkin à Leigach , de Leigach à
Chittingham , & de Chittingham à Dyczabad.
L'exécution du projet eſt douteuſe ;
mais ſi l'Empereur de la Chine l'agrée, on
en tentera au moins l'entrepriſe. Les Rufſes
s'occupent d'un ſemblable projet pour
paſſer de Canton au Kamtzchatka.
La Banque royale d'Ecoſſe , qui vient
d'obtenir de la Couronne le renouvellement
de ſa Charte , a été autoriſée en
même temps à doubler fon Capital , qui
va être maintenant de 600,000 liv. ſterl.
(environ 14 millions tournois.) En 1727
( 23 )
-
il n'étoit que de 111,000 liv. En 1738 ,
on le porta à 151,000 liv. on l'éleva enfin
à 300,000 liv. en 1784.
Le 8 de ce mois , un nommé Fitztimons a été
transféréde la priſon de Newgate à la Cour du banc
du Roi , pour y être jugé ſur l'accuſation d'avoir
ſéduit des Ouvriers dans les divers genres de Tiſſéranderie
, pour aller s'établir en Eſpagne , & y
introduire les Manufactures Angloiſes les plus
utiles & les plus nouvelles. M. Ashurst , premier
Juge de la Cour , après avoir conſidéré la ſageſſe
dela loi qui pourvoit à la préſervation de notre
commerce , & démontré les pertes fans nombre
que feroient les Manufactures Angloiſes , ſi on
laiſſoit de pareilles offenſes impunies , prononça
laSentence de la Cour , qui condamna le Priſonnier
à une amende de 500 liv. ft .& à douze mois
de priſon ou davantage , juſqu'à ce qu'il ait payé
l'amende. On est étonné que malgré une peine fi
rigoureuſe, il ſe trouve des gens aſſez hardis pour
la riſquer. Mais les Eſpagnols emploient tant
de ſoins à ſe former des Manufactures indépendantes
de l'Etranger , & leurs Agens opèrent avec
tant d'adreſſe , qu'il eſt à craindre que l'Eſpagne
n'exécute fon projet , à moins que nos Fabriquans
ne ſe réuniſſent pour l'empêcher par des pourſuites
vives& foutenues.
Le crédit de la Ruſſie eſt tellement déprécié
en Angleterre , que le Rouble
qui , felon le change , étoit reçu ici pour
43 pences , n'y vaut plus aujourd'hui que
36pences & demie. Cediſcrédit eſt même
au point que deux bâtimens de 500 tonneaux
chacun , chargés de marchandiſes
indiſpenſa'bles aux Ruſſes en cemoment ,
3
( 24 )
reſtent à l'ancre , juſqu'à ce que les Armateurs
aient reçu de Pétersbourg des
affurances en bons & folides effets , du
paiement des cargaisons. Quant aux Billets
du papier monnoie du gouvernement,
ils perdent 70 pour 100 Roubles dans la
négociation ; les Banquiers refuſant de les
eſcompter à un moindre taux.
Selon l'état des réclamations faites auprès
du Gouvernement par les Loyaliſtes
Américains , ainſi qu'il a été préſenté à
la Chambre des Communes , il paroît que
le nombre de ces réclamations , juſqu'au
5 avril 1788 , eſt monté à 1724 liv. ſterl.
formant un capital de 1,887,548 liv. fterl .
foit une rente de 75,504 liv. ſterl. Il eſt
à remarquer que ſur plus de 1700 réclamations
faites par cette claſſe d'Américains
, il n'y en a eu que douze dont les
demandes aient été reconnues frauduleuſes.
1
Une lettre de MM. Comyns & Donythorne ,
dePenfacole à un Marchand de Dublin , rapporte
que le 23 avril dernier , le Miſſiſſipi ſortit de ſon
lit , & inonda les Villes de la Nobille & de la
Nouvelle Orléans. L'eau s'éleva dans ces deux
Villes au-deſſus des remparts , & furmonta les
rues à la hauteur de 18à20 pieds. Les Eglifes
étant ſituées dans l'une & l'autre Ville ſur des hauteurs
, les Habitans effrayés s'y rendirent en foule ,
&reſtèrent dans une ſituation fort pénible pendant
pluſieurs heures , au bout deſquelles les eaux
commencèrent à s'abaiſſer , & à rentrer dans leur
lit
( 25 )
lit , par des ouvertures pratiquées dans les murailles
de la ville. Le dommage a été au reſte peu conſidérable
, à l'exception des troupeaux qui ont été
noyés , & des marchandiſes prêtes à embarquer
qui ont été perdues. On eſtime que la perte totale
n'excède pas 3 ou 400 liv. ſterl.
M. Hopkins vient d'acheter les jardins
finguliers de Cobham , dans le comté
de Surrey , appartenans ci - devant à
M. Hamilton. Une anecdote peint l'originalité
de ce dernier. Il s'aviſa un jour
de donner avis qu'il défiroit trouver une
perſonne qui voulût habiter l'hermitage
de ſa maifon de Cobham , aux
conditions ſuivantes : ſavoir , qu'elle habiteroit
cet hermitage pendant ſept années
; que l'Hermite ſeroit pourvu d'une
Bible , de lunettes & de télescope , d'une
natte pour lui ſervir de lit, d'un havrefac
aulieu decouffin, &d'un clepsydre au lieu
de montre ; que fa boiſſon ſeroit l'eau du
ruiffeau qui couloit près de la cellule , &
que ſes alimens lui ſeroient apportés tous
les jours de la maiſon , par un domeftique
auquel il luiſeroit interditde dire une fyllabe
; M. Hamilton vouloit de plus que
l'Hermite fût vêtu d'une robe de camelot,
qu'il ne ſe coupât jamais les ongles ni la
barbe, qu'il portât des ſandales , qu'il ne le
permît pointde ſe promener dans les lieux
ouverts , ni de paſſer les limites qui lui
ſeroient aſſignées. La récompenſede cette
N°. 27. 5 Juillet 1788 . b
1
( 26 )
longue abſtinence étoit de 700 guinées ;
mais la moindre infraction aux conditions
rendoit le marché nul. M. Hamilton trouva :
une perſonne aſſez courageuſe pour entreprendre
cette pénible tache ; mais elle
ne put refifter au- delà de trois ſemaines ,
& annulla le marché au bout de ce
temps la.
La nommée Mulholland eſt morte ces
jours derniers , à Lurgau , à l'âge de 102
ans. Elle a confervé ſes facultés juſqu'au
dernier moment; elle liſoit les petits caractères
d'impreſſion fans lunettes , fignoit
fon nom , & marchoit auſn droit qu'une
perſonne de vingt ans. Il exiſte actuel
lement à Knottingley , près de Serrybridge
, dans la province d'Yorck , une
veuve âgée ſeulement de 66 ans , qui
eſt mère , grand'mère & arrière grand'mère
de79 enfans.
Les Papiers publics ont publié l'extrait
d'une lettre d'un Médecin de Philadelphie
àl'un de ses amis à Londres , dans laquelle
ontrouve quelques obfervations interefſantes
fur les maladies des Nègres : elle
eſt datée du 21 avril 1788.
« La maladie appelée Locked Jaw or Jaw Fall
par les planteurs Anglois, eſt très-commune parmi
les enfans des Negres ,& porte une atteinte cruelle
à leur population. Après bien des recherches , je
me ſuis enfin aſſuré qu'elle provient de la chan
leur&de la fumée des cabanes dans lesquelles les,
( 27 )
noirs vivent , & de leur expoſition fubite à l'ait
frais. >>>
« L'Hypocondriasis , ou ce qu'on appelle dans
les iſles françoifes le mal d'eſtomac , eſt très-communeparmi
les esclaves. Elle les attaque bientôt
après leur arrivée aux illis , &les mène fou
vent au tombeau avec des ſymptômes effrayans ,
que l'on attribue fort mal àpropos à l'usage d'un
poifon lent. Cette maladie & fes conféquences
terribles , font uniquement l'effet de la douleur,
&le reproche en tombe ſeulement ſur l'esclavage. >>
« La groſſeffe des Négreſſes eſt accompagnée
aux ifles d'accidens & de dangers. Cela vient de
ceque leurs corps y font déformés dès leur tendre
jeuneſſe, en portant des fardeaux au- deſſus de leurs
forces,& ſouvent de ce que la forme du baffin
eſt quelquefois dérangée par les coups de pied
auxquels ces malheureuſes créatures font ex
poſées dès leur âge le plus tendre , par la bru
talité de leurs maîtres. »
<<Toutes les maladies chroniques qui proviennent
de la diète trop rigoureuse , ou de l'excès de
nourriture , ſont communes parmi les noirs aux
ifles. On ne fauroit remédier à ce mal , tant que
l'eſclavage reſtera ſur le pied actuel ; car des calculs
fort exacts ont prouvéque le bénéfice total d'une
habitation telle qu'on l'adminiſtre aujourd'hui ,
oſt pris ſur les vêtemens & la nourriture des efclaves,
"
«Malgrétoutes ces maladies , &une complication
de beaucoup d'autres maux que les eſclaves
endurent , leurs maîtres diſent qu'ils font heureux
, puiſqu'ils font gais. La gaieté & le bonheur
font des ſenſations très-distinctes. J'ai entendu
un homme , dire le jour de ſon mariage ,
pour s'excuſer de ce qu'il ne ſe livroit pas à la
gaieté ainſi que ſes convives : " qu'il étoit trop
bij
( 28 )
N
heureux pour être gai . » Le goût des Noirs dans
les iſles , pour la danſe& le chant , ſont des effets
de la gaieté & non du bonheur. On a ſouvent le
coeur gros dans la gaieté : de-là vient la juſteſſe
de l'obſervation deSalomon , qui dit , qu'au milieu
des ris le coeur est triſte. Dans la guerre de 1746 ,
entre la Grande-Bretagne & la France , le feu
prit accidentellement à bord d'un tranſport anglois ;
les Bâtimens qui alloient de conſerve avec lui ,
firen de vains efforts pour le ſecourir une partie
de l'équipage ſe ſauvadans la chaloupe , quelques
autres ſejetèrent à la mer ,&périrent avant d'atteindre
les Bâtimens qui étoient à leur vue. Le
reſte de l'équipage qui reſta à bord , remplit l'air
de ſes cris & de ſes lamentations pendant quelque
temps. Tout-à-coup le bruit ceſſe , & l'on
n'entend à bord que le ſon d'un violon jouant
un air très-gai ; l'équipage ſe met à danſer avec
fureur pendant une demi-heure , au bout de laquelle
la ſcène finit , le vaiſſeau & les hommes
furent engloutis dans les flots. Ce fait curieux
m'a été communiqué par le fils d'un ancien Lieutenant
de vaiſſeau , qui avoit été témoin de cette
catastrophe ,&qui répétoit ſouvent à ſes amis cet
exemple de gaieté douloureuſe dans des hommes
dévoués à la mort , comme une des choſes les
plus étonnantes. D'après ces faits , au lieu de confidérer
les chanfons&les danſes des Nègres comme
des marques de leur bonheur , je les ai toujours
regardées comme des ſymptômes de mélancolie
&de démence , &par conféquent comme des
preuves évidentes de leur misère. »
FRANCE.
De Versailles , le 25 Juin.
Le 22 de ce mois , la Ducheſſe de
( 29 )
Fleury a eu l'honneur d'être préſentée à
Leurs Majeftés & à la Famille Royale par
la Princeſſe de Tingry , & de prendre le
tabouret chez la Reine .
Le même jour , le Marquis de Pons ,
Ambaſſadeur du Roi près Sa Majesté
Suédoiſe , le Vicomte de Vibraye , le
Comte de Vergennes , & le fieurBarthélemi
, Miniſtres Plénipotentiaires du Roi ;
le premier , près l'Electeur de Saxe ; le
ſecond , près l'Electeur de Trèves , & le
troiſième , près le Roi d'Angleterre , ont
eu l'honneur de prendre congé de Sa
Majesté pour ſe rendre à leur deſtination ,
étant préſentés par le Comte de Montmorin
, Miniſtre & Secrétaire d'Etat ,
ayant le Département des Affaires Etrangères.
Le Roi , accompagné de Monfieur&de
Monſeigneur Comte d'Artois , s'eſt rendu,
le 22 , en l'Egliſe paroiſſiale de Notre-
Dame , pour affifter au ſervice anniverfaire
fondé pour le repos de l'ame de la feue
Reine , & auquel le ſieur Jacob, Curé de
la Paroiffe , a officié.
Le Roi , la Reine & la Famille Royale
ont figne le contrat de mariage du Marquis
de Fontanges , Officier au régiment du
Roi , Infanterie , avec demoiselle Marie-
Magdelaine-Pauline de Pont.
MM. Hennin & Dupont , Secrétaires
biij
( 30 )
4
de l'Aſſemblée des Notables , ont eu
l'honneur de préſenter au Roi& à la Famille
Royale le Procès-verbal de cette Afſemblée.
Le 29 de ce mois , la Cour prendra le
deuil , pour 11 jours , à l'occafion de la
mort du Duc Louis-Ernestde Brunswick-
Wolfenbuttel .
De Paris , le 30 Juin .
Le 12 Juin dernier , le Roi, accompagné
de Monfieur , de Monfeigneur
Comte d'Artois , du Prince de Condé ,
des Maréchaux de Broglie & de Stainville
, de M. l'Archevêque de Sens , fon
principal Miniftre , de M. le Comte de
Brienne , Secrétaire d'Etat de la Guerre ,
des Membres du Conſeil de la Guerre , de
plufieurs Officiers - généraux , de M. le
Prince de Poix, fon Capitaine des Gardes ,
de M. le Duc de Briffac , fon Capitaine
des Cent- Suiffes , du Major & de deux
Officiers de ſes Gardes , s'eſt rendu, de
Saint- Cloud , à l'Hôtel Royal des Invalides .
Sa Majesté eft entrée dans le dôine par
la porte royale , ayant à ſes côtés le Gouverneur
, & n'étant gardée que par les
Invalides; les détachemens de ſes Gardes
font reftés pour eſcorter les voitures.
Le Curé , à la tête du Clergé , atten
( 31 )
doit le Roi à l'entrée du dôme , où il a
eu l'honneur d'haranguer Sa Majefté.
On avoit rangé , dans l'intérieur de ce
dôme , les Invalides mutilés , qui en occupoient
les degrés ; le Roi n'a pu arrêter
ſes regards fur ce ſpectacle touchant . , fans
en être attendri.
Sa Majeſté , après avoir examiné l'in
térieur de ce ſuperbe édifice ,a entendu la
Meſſe , pendant laquelle les Orphelins
militaires ont exécuté diverſes ſymphonies
guerrières , après quoi Elle a traverſé l'Eglife
, qui étoit remplie d'Officiers & de
Soldats , & a témoigné ſa fatisfaction de ſe
trouver au milieu de ces braves Militaires ,
de cesVétérans ; Elle s'eſt rendue au réfectoire
des aveugles ,& a viſité enſuite la cuifinedes
Officiers & celle des Soldats , où elle
a goûté la ſoupe. De-là le Roi eſt allé voir
l'emplacement où ont été déposés les plans
en relief qui étoient à la galerie du Louvre.
Après avoir vu le logement des Officiers
& des Soldats , Sa Majesté a paflé aux in.
firmeries , dont Elle a admiré l'ordre &
la propreté ; Elle a auſſi goûté le pain dans
la paneterie ; & après avoir vu dîner les
Officiers dans leur réfectoire , Elle s'eſt
rendue à, la ſalle du Conſeil , où Elle a
figné les comptes qui avoient été arrêtés
le matin.
Le Roi , dans eette journée , a bien
biv
( 32 )
voulu accorder la croix de Saint-Louis à
quatre Officiers invalides , & recevoir luimême
ceux qui ſe ſont trouvés préſens.
Sa Majeſté a , en même temps , donné
quelques commiſſions de Lieutenant- colonel
, de Commandant de bataillon , de
Capitaine &de Lieutenant. Elle a fait
diftribuer 6,000 liv. aux Soldats , & ordonné
qu'il fût donné un mois de gratification
aux Officiers ; 6 liv. de plus par
mois aux douze des plus infirmes ,& 3 liv .
par mois aux douze bas-Officiers & Soldats
qui, par leurs infirmités , en avoient le
plus de beſoin. Enfin , Sa Majefté a laiſſé
une fomme de 30,000 liv. deſtinée à faire
un fonds de penfion pour les pauvres
veuves de Soldats .
Le Roi s'étant rendu chez le Gouverneur
, lui a témoigné toute ſa ſatisfaction
du bon ordre , de la ſage adminiſtration ,
&de la difcipline dont Sa Majesté venoit
d'être témoin ; & pour en donner à M. le
Marquis de Sombreuil , Gouverneur de
Hôtel , un témoignage authentique, Elle
abien voulu lui faise préſent de fon portrait
; après quoi le Roi eſt remonté dans
fon carroffe au milieu des acclamations de
tout l'Hôtel.
&
Le Lundi , 23 du même mois , la Reine ,
accompagnée de Madame , Fille du Roi,
de Madame , de Madame Elifabeth de
( 33 )
France , & des Dames de leur fuite , s'eſt
auſſi rendue à l'Hôtel royal des Invalides ,
& y a été reçue par le Secrétaire d'Etat
de la Guerre , les Membres du Confeil
de la Guerre , le Gouverneur de l'Hôtel ,
&plufieurs Officiers -généraux. Sa Majefté
étoit ſuivie de l'Officier des Gardes-du-
Corps de ſervice auprès de ſa perſonne.
Elle eſt entrée par la porte royale du dôme,
où le Curé des Invalides a également eu
l'honneur d'haranguer Sa Majefté. Les
Soldats mutilés étoient rangés ainſi qu'ils
l'avoient été lors de la viſite que le Roi
a faite de cet établiſſement.
Après avoir entendu la Meſſe , Sa Majeſté
a viſité les différens réfectoires , les
infirmeries , les cuiſines & la paneterie ;
Elle a goûté le pain & la ſoupe , & l'a
fait goûter à Madame , Fille du Roi. Sa
Majefté , en fortant de la chambre du
Conſeil pour ſe rendre chez le Gouver
neur , où Elle s'eſt repoſée un quartd'heure
, a trouvé ſur ſon paſſage les
Orphelins militaires au nombre de près
de 200, dont pluſieurs avoient exécuté
pendant la Meſſe , & dans tous les lieux
qu'Ellea vifités , des ſymphonies guerrières .
Sa Majefté , après avoir fait à M. le Marquis
de Sombreuil , l'éloge de l'ordre
qu'Elle a trouvé établi par-tout , a daigné
yjoindre ſon portrait. Sa Majesté a auſſi
by
( 34 )
remis à l'Adminiſtration de l'Hôtel , une
fomme d'argent pour être diſtribuée aux
bas -Officiers & Soldats , & a chargé le Secrétaire
d'Etat de la Guerre , de demander
au Roi l'ordre de faire payer un mois
de gratificatien aux Officiers ; Elle a fait
eſpérer encore qu'Elle s'occuperoit des
moyens de procurer des fecours durables
aux pauvres filles des Invalides , auxquelles
Elle a bien voulu en accorder de momentanés
, en ajoutant ; s'il m'étoit poffible de
l'oublier , ma fille m'en rappelleroit , fans
doute , le ſouvenir.
Elles
Les Ambaſſadeurs de Tippoo Saeb , attendus
depuis fi long-temps , font enfin
arrivés à Toulon , le 10de ce mois , à bord
dela corvette du Roi l'Aurore , commandée
par M. de Monneron , Capitaine de
vaiſſeau Portugais , & Lieutenant de vaifſeau
de France pour la campagne . Ces
Envoyés ont été reçus dans le plus grand
appareil , ainſi qu'on le verra par la relation
ſuivante.
« Le 10juin , dès le plus grand matin, ilfut préparé
dans l'Aríenal, 10 Canors deſtinés pour aller
prendrelesAmbaſſadeurs àbord; trois étoientrichementdécorés
de tendelets de damas cramoiſi ornés
degalons& franges d'or. »
«Amidi les tambours des Troupes de la Ma
rine, ainſi que ceux des Troupes de la Garniſon ,
battirentdanstoute l'étenduedela ville , &au même
inſtant tous les Bâtimens de la rade furent pa(
35 )
voiſés de la manière la plus brillante; les grands
pavillons flottèrent ſur le vaiſſeau Amiral & fur
tous les autres qui font mouillés dans le Port; les
Galères arbórèrent également leurs étendards bleus
&blancs. »
« Vers les trois heures & demie de l'aprèsmidi
, tous les Canots partirent pour a'ler prendre
les Ambaſſadeurs , qui deſcendirent dans ces Chaloupes;
fur les quatre heures , tous les Bâtimens
de la rade les ſaluèrent de 15 coups de canon
chacun ; & à meſure que le premier Canot en- .
troit dans le Port par la chaîne vieille , le vaiſſeau
Amiral les falua auffi de 15 coups de canon. »
A quatre heures&quart , les Envoyés mirent
pied à terre ; M.le Marquis de Caſtellet , Directeur
général de l'Arfena!, les reçut & les complimenta.
Neuf carroſſes ſe trouvoient préparés
pour les conduire , ainſi que tous les gens de leur
fuite, à l'Hôtel de M. leCommandant. M. de
Caſtelle donna la main aux Ambaſſadeurs ,& les
fit entrer dans le premier & le plus beau , où il
prit place lui-même ſur le devant; tous les OfficiersdelaſuitedesAmbaſſadeurs,
M.deMonneron
&tous les Officiersde la Marine qui étoient dans
les Canots , prirent place dans les autres carroſſes.
Au moment où les carroſſes marchèrent vers la
porte de l'Arfenal , les tambours battirent au
champ. Etant arrivés à la porte de l'Arſenal , 6
Archers de la Prévôté de la Marine , poſtés en
dedans la grille , ayant à leur tête l'Exempt de
Prévôt , leur préſentèrent les armes ; lorſqu'ils
furent vis-à-vis du Corps-de-Garde , le détachement
de la Marine , de garde , préſenta également
les armes , le tambour battit au champ. Deux
Suiſſes à la grande livrée du Roi , étoient à la
porte de l'Arſenal ,& ouvrirent les deux battans
àl'arrivée des carroſſes ; le premier carroſſe étoit
bvj
( 36 )
également efcorté par 4 autres Suiffes à la grande
livrée du Roi , deux aux portières , & deux portant
un ſponton. Lorſqu'ils furent fortis de l'Arfenal
, le détachement de Troupes de terre qui
bordoit la haye , leur préſenta les armes , leDrapeau
les falua ,& les tambours battirent au champ ;:
en même-temps ce détachement les accompagna
juſqu'à l'Hôtel de M. le Commandant , précédé
de toute la muſique du Régiment de Dauphiné,
qui exécuta différentes marches ; ils paſsèrent ainfi
au milieu de la 6me. diviſion de la Marine qui
bordoit la haie au champ de bataille , & qui leur
préſenta les armes. »
« Les Ambaſſadeurs deſcendirent de carroſſe
dans la cour de l'Hôtel qui leur étoit deſtiné ,&
dans cet inſtant les Remparts de la Porte Royale
les faluèrent de quinze coups de canon , & un
moment après la Batterie Royale , ſituée à côté
de la mâture , en fit autant. »
« Leurs Excellences étant entrées dans l'Hôtel
où M. le Comte d'Albert de Rions , accompagné
de beaucoup d'Officiers de la Marine en grand
uuiforme les attendoient , vint les recevoir à la
porte de la Salle de réception qui étoit richement
décorée. Etant couvert , il porta la main au front ,
& leur donna l'accolade , ainſi que deux jeunes
Officiers qui ſe préſentèrent pour la recevoir ; ce
Général, qui dans ce moment repréſentoit le Roi ,
Beur donna la main ,& les conduifit prendre place
à ſa droite , où ils s'affirent ſur trois fauteuils plus
bas que celui de ce Commandant , qui avoit à
fa gauche M. le Directeur Général . >>
« Ce Général , toujours couvert ,témoigna alors
à ces Ambaſſadeurs que le Roi lui avoit ordonné
de les recevoir avec la plus grande magnificence,
qu'ils n'avoient qu'à demander , que tout étoit à
leurs ordres , qu''oonn leur corderoit tout ce qui
( 37 )
pourroit leur être utile & agréable. Dans cet intervalle
un Officier de la Garniſon vint offrir aux
Ambaſſadeurs une Garde d'honneur, qu'ils ne voulurent
point accepter ; ce même Officier leur demanda
de la part de MM. les Lieutenans du Roi ,
& commandant la place en l'absence de M. de
Coincy, le temps où il plairoit à leurs Excellences
de leur donner audience. Elles répondirent qu'étanttrès-
fatiguées , elles ne pouvoient point encore
déterminer le jour; enfin , après une très-courte
converſation avec M. d'Albert de Rions , elles ſe
retirèrent dans leurs appartemens pour ſe repoſer. »
« Le premier de ces Ambaſſadeurs s'appelle
Mahom t Durvesh-Kan ; le ſecond , Achirolby-
Kan; & le troiſième , Mahomet Olchman. »
« Les Officiers & autres gens de la ſuite de ces
Ambaſſadeurs font partis de l'Inde au nombre de
41 ; il en est mort trois en route , & ils font
arrivés au nombre de 38 , faiſant celui de 44
perſonnes , les Ambaſſadeurs compris. »
« Commelanourriture des Afiatiques eſt eſſen--
tiellement du Riz , on avoit eu foin ici de s'en procurer
de pluſieurs fortes du plus fin & du plus
blanc; & attendu qu'ils ne mangent de viandes
que celles des animaux tués par eux , on avoit
également eu la précaution de s'approviſionner de
Moutons ,de Gibier & de Volailles de différentes
eſpèces , comme Pigeons , Perdrix , &c. »
La route de ces Ambaſſadeurs juſqu'ici
ſera une fête continuelle : l'hôtel qui doit
les recevoir dans cette capitale , rue Bergère
, étoit préparé depuis long temps .
Ils font Muſulmans , comme leur Maître
Tippoo Saëb , & non Indous : leur langue
eſt probablement le Perſan ; nous
( 38 )
rapportons leurs noms d'après le récit de
Toulon , fans engarantir l'exactitude.
« Le navire le Saint- Charles , Capitaine le Normand,
forti de la rivière de Caen le7de ce mois ,
àmidi , fut furpris, le 8, à une heure du matin, d'un
orage terrible , accompagné d'éclairs & de grêle.
Les voiles furent ſucceſſfivementbriſées&emportées.
Lebâtiment , qui étoit alors à huit lieues de la
Hève , entraîné par l'impétuoſité des vents , alla
faire côte , à huit heures du matin , à Luc , à un
quartde lieuede terre. Le mouſſe fut englouti dans
les flots au moment du naufrage; deux matelots reftoient
accrochés aux cordages: le rivage étoit couvert
de ſpectateurs , qui ne pouvoient faire que des
voeux impuiſſans pour leur falut. Le Capitaine , excellent
nageur , ſe jeta à la mer dans l'eſpérance de
trouver quelque moyen de les ſauver ; il ſe trouva
épuiſé de fatigue lorſqu'il aborda. Le ſieur de Caligny,
Seigneur de Luc , offrit inutilement ſa bourſe
auxmatelots dela côte , qui n'auroient pas eu beſoin
decet encouragement pour aller au fecours des malheureux
, ſi cela eût été poſſible. A onze heures le
vaiſſeau ſe brifa ,& les deux hommes diſparurent. >>
« La même tempête a démâré un autre bâtiment,
qui a fait côte dans le voiſinage , & dont la mâture
a été retrouvée à Courſeules , avec ſes agrès & apparaux;
& on n'eſt pas ſans inquiétude fur le fort de
deux autres navires , fortis de la rivière dans la même
marée , dont on n'a pas de nouvelles. "
A la fin du mois dernier , & au commencement
de celui- ci , on a éprouve dans
le Périgord des orages déſaſtreux. Tous
les environs de Bergerac ont été dévaſtés ,
les vins & bleds emportés , même dans
( 39 )
ン
pluſieurs endroits le terrain juſqu'au roc,
pluſieurs arbres abattus & déracinés .
Le même orage a auſſi entraîné une
maiſon près Sauſſignac , & l'a tranſportée
au bas de la côte , avec tous les effets
qu'elle contenoit. Une malheureuſe fille
a été la victime de cet évènement : elle
a été trouvée deux jours après dans un
vallon , parmi le ſable & les débris , tenant
encore des deux mains un bois de
lit , auquel elle s'étoit accrochée au premier
moment.
On mande de Weintringen, village à
2 lieues de Sierck , qu'un Praticien Allemand
, faifant le métier de Braconnier ,
s'aviſa , il y a quelques jours , de tirer fur
une poule qu'il voyoit au fommet d'un
toit de chaume , tandis qu'on étoit à la
Grand'Meffe ; il manqua loiſeau , mais
non la paille , & s'enfuit au lieu d'appeler
du ſecours. La flamme ſe communiquant
de proche en proche , 32 maifons ,
la plupart avec leurs meubles , & quantité
de beftiaux, furent la proie desflammes .
Madame la Princeffe de Lævenſtein , qui
réſide a Weintringen , s'eff empreffée ,
dans cette occafion , de manifeſter ſes
ſentimens de bienfaiſance aux Villageois
qu'a ruinés cette funeſte imprudence.
( 40 )
Lettre au Rédacteur.
MONSIEUR ,
Senlis, ce 24 Juin 1788.
«Ancien Elève du Corps Royal du Génie , je
me ſuis occupé par goût , depuis ſeize ans , à deffiner
dans le genre de la gravure, les ſceaux , monogrammes,&
échantillons d'écritures des diplômes &
des chartes des IX , X , XI & XII ſiècles. »
« Parvenu à former une collection de 4000 empreintes
de ces ſceaux , que j'ai deffinés ſur les
chartes mêmes où je les ai trouvés attachés , jj''ai
penſé que le dépôt où je devois les placer étoit
celui de législation , hiſtoire & droit public ,
que le Roi a établi à la Bibliothèque même de la
Chancellerie , où Sa Majefté fait raſſembler les
preuves de notre hiſtoire , & les monumens de
notre législation&de notre droit public. »
Attaché à cette Bibliothèque par ce genre de
travail , j'ai la permiſſion d'offrir les mêmes fervices
à toutes les Familles , Abbayes , Chapitres
, &c. qui feroient bien - aiſes de ſauver des
ruines de la vétuſté , les anciens ſceaux qui atteftent
l'authenticité de leurs titres ;& je puis également
leur procurer la vue de mes autres deſſins ,
dans le cas où quelques-uns d'eux leur préſenteroient
des armoiries intéreſſantes pour leurs maifons.
»
« Je me ferai donc un devoir de répondre à
la confiance de toutes les perſonnes auxquelles
mon talent peut être utile , ſi elles veulent bien
m'écrire & fe nommer ; je leur ferai part même
des ſceaux de leurs maiſons que j'aurai découverts ,
& j'uferai avec grand plaifir en leur faveur du
droit qui m'a été accordé d'en tirer de nouvelles
copies pour tous ceux qui pourroient en avoir
beſoin , & d'en certifier la fidélité. »
( 41 )
1
La Société Royale d'Agriculture de la Généralité
de Lyon propoſe , pour le concoursde 1789 ,
la queſtion ſuivante :
Quellesfont les plantes qui peuvent être cultivées
en France , pour être utilement employées , comme
engrais , dans les lieux où les fumiers ne font pas
fuffifans, telle que le lupin , le bled farafin , &c.?
Quels sont les avantages & les inconvéniens de
cette culture ?
Le prix eſt de 300 liv. Les Mémoires ne ſeront
admis au Concours que juſqu'au 1. ſeptembre
1789. Ils feront adreſſés , francs de port , à M.
l'Abbé de Vitry , Secrétaire perpétuelde la Société
Royale d'Agriculture , rue St. Dominique , ou envoyés
directement à M. Terrai , Intendant de Lyon.
M. Vincens , Directeur , en a fait l'ouverture
par un difcours allégorique fur l'union de l'Agriculture
& de l'Induſtrie.
Mme. la Baronne de Bourdie , a lu une ode
Anacreontique , & une épître en vers.
M. Granier,D. M. , a lu une diſſertation phyficobotanique
ſur la Fraxinelle.
L'Académie Royale de Niſmes a tenu
une ſéance publique le 9 mai.
M. Vincens de St. Laurent a lu une traduction
en vers du XV , chant du Roland furieux.
M. le Baron de Marguerittes a rendu compre
des travauxde l'Académie pendant l'année qui vient
de s'écouler.
M. Razou , D. M. , Secrétaire perpétuel , a terminé
la Séance par la lecture du programme cijoint
;
L'Académie a déjà propoſé pour le prix de
1789, de
Déterminer , par l'expérience, lespropriétés hygrométriques
de la foie écrue , & d'après ces propriétés ,
7
( 42 )
indiquer les avantages & les déſavintages desdifférentes
manières deconditionner les foies , à l'air ou
aufeu, fiées dans le Commerce.
Elle propoſe pour la même année 1789 , un
prix de Poëfie. Le ſujet , le genre du Poëme , &
la meſure des vers , font au choix des Auteurs.
On défire que 'a pièce n'excède pas deux cents
Vers .
L'Académie propoſe d'avance pour ſujet d'un
prix d'éloquence qu'elle donnera en 1795 , l'Eloge
deMarguerite de Valois , Reine de Navarre,foeur de
Francois 1er.
Ces différens prix feront chacun de trois cents
liv. Les paquets feront adreſſes francs de port ,
àM. Razoux , D. M. Secrétaire perpétuel de lAcadémie.
Ils ne feront pas reçus après le premier
mars de l'année pour laquelle le prix eſt indiqué.
Ce terme eſt de rigueur.
« Le 25 avril dernier, le feu a pris au
> village de Beaucamp-le-jeune en Nor-
>> mandie , près Aumale , Diocèse de
>>> Rouen , & en moins de trois heures ,
>> il a confumé 14 habitations , entr'au-
>> tres , celles de deux Fabricans de Ser-
>> ges qui occupoient les Paroiſſes voifi-
> nes. Les Incendiés n'ont rien ſauvé. La
>> perte eſt évaluée à plus de cent mille
>> livres. Les perſonnes compatiffantes qui
>>>voudroient leur faire paffer des fecours ,
>> pourront s'adreſſer à M. Poiffonnier ,
>> Curé de Beaucamp-le jeune. »
Aujourd'hui 30jun, s'est fait en l'Hôtelde-
Ville de Paris, le tirage des douze Series
de l'emprunt de 120 millions , créé par
( 43 )
Editdenovembre 1737;voici les numéros,
ſuivant l'ordre de fortie : 6,2,7,12 ,
4,5,9,8,10,11 , 1 , 3. D'après
ce tirage, il eft attribué , aux termes de
l'Edit, des rentes à 5 pour cent , aux Séries
repréſentées par les n° . 6,7,4,9,10 ,
1 ; & des rentes à 4 pour cent , aux Series
repréſentées par les nºs. 2 , 12,5,8 ,
11,3 .
Les Numéros fortis au Tirage de la
Loterie Royale de France , le 1er. de ce
mois , font : 3,78 , 67 , 15 & 36.
PAYS- BAS.
•
De Bruxelles , le 27 Juin 1788.
Ala demande des Etats de Brabant ,
LL. AA. RR. ont accordé l'oubli du
paffé au Docteur Clavers & aux 27 autres
Membres de l'Univerſité de Louvain , qui
avoient réſiſté au Gouvernement.
Le Baron de Tork de Rosendaal , MM.
Spiegel, Grand Penſionnaire de Hollande,
d'Aylva & Pesters , nommés par L. H. P.
pour aller complimenter le Roi de Pruffe
àWefel , font de retour à la Haye , &
ont fait le rapport de leur commiſſion à
l'Aſſemblée des Etats-Généraux.
«Ils furent admis , le 9 , à l'audience de S. M. ,
qui répondit de la manière la plus obligeante au
compliment du Baron de Tork de Roosendaal. Sa
( 44 )
Majefté témoigna fa reconnoiſſance de l'attention
de Leurs Hautes Puiſſances , & aſſura leurs Députés
de ſa ferme réſolution de protéger toujours
& foutenir , de la manière la plus forte , la
Maiſon d'Orange , ainſi que la conſtitution de
l'Etat nouvellement rétablie. Meſſieurs les Députés
furent enſuite invités à la table de Sa Majeſté ,
qui pendant le repas s'entretint très- ſouvent avec
eux, »
«Ces Seigneurs partirent, le 10, de Weſel pour
Roosendaal , où ils paſsèrent la nuit ; le II , ils ſe
rendirent au château de Loo , où ils ont eu l'honneur
de dîner & de fouper avec Sa Majeſté . Ils y
font reſtés les 12 , 13 & 14 avec le Chevalier
Harris, Ambaſſadeur & Plénipotentiaire de S. M.
Britannique , & le Baron d'Alvensleben , Envoyé
extraordinaire de Sa Majesté le Roi de Pruſſe. »
« Il y a en tous les jours de grandes conférences
au Château de Loo , entre Sa Majefté Prufſienne
, L. A. S. & R. le Prince & la Princeſſe
d'Orange , M. Harris , M. d'Alvensleben , & le
Conſeiller-Penſionnaire van de Speigel. Il ne tranfpire
encore rien de certain fur ces conférences ;
mais il y a tout lieu de croire qu'elles produiront
un nouveau lien entre les trois Puiſſances pour
affermir la conſtitution de la République. »
S. M. P. eft repartie , le 14 , de Loo ,
où Elle a réfidé trois jours , paffés dans des
fêtes continuelles , dont on écrit le détail
fuivant:
» Le Roi de Prufſſe arriva ici le 11 , vers le
midi , les perſonnes de ſa ſuite étant reftées avec
le Prince Royal , qui arriva une heure plus tard.
Une foule immenfe s'étoit tranſportée ici de toutes
les parties des ſept Provinces , & faifoit retentir
l'air des acclamations de vive le Roi ! Faute
de logemens on campoit ſous des tentes , fous
( 45 )
1
les arbres , au milieu des bruyères. Après le dîné
&une courte promenade , l'auguſte compagnie
aſſiſta à la repréſentation du Barbier de Séville. »
* Le 12 , il y eut , à 11 heures , un déjeûné
public , à l'endroit de la campagne appelé laVolière.
Après midi , grand dîné , pendant lequel il
fut permis à chacun de faire le tour de la table
pour voir le Roi. Un Payfan de Friſe , qui ſe
trouvoit du nombre des ſpectateurs , s'arrêtant
devant Sa Majesté , lui dit dans ſon langage ,
après quelques momens de filence : J'ai fait
trente - cinq lieues pour venir vous voir ;je vous
ai vu , &je retourne content dans ma chaumière.
A fix heures on repréſenta au théâtre l'Ecole
des Rères & la Mélomanie ; après quoi il y eut
un grand ſoupé , illumination , feu d'artifice &
bal.»
« Le 13 , déjeûné à l'orangerie ; grand dîné
enpublic , comme la veille ; à cinq heures, concert,
dans lequel la Princeſſe Louise d'Orange ſe fit
entendre ſur le clavecin. Le ſoir , on repréſenta
la Colonie ; & après ſoupé , vers minuit , le Roi
repartit pour Berlin , après avoir comblé de dons
°râces toutes les perſonnes qui avoient contribué
ou à ſon ſervice ou à ſon amusement . Le
Prince Royal eſt allé faire un tour incognito en
Hollande , d'où S. A. R. compte être de retour
ici le 22 de ce mois. »
En effet , le Prince Royal eſt arrivé à
Amſterdam le 19 , ſous le nom de
Comte de Lingen , &accompagné de fon
Gouverneur le Comte de Brühl , de M.
d'Alvensleben , du Comte de Meden &du
Capitaine Schack. Une foule immenſe ſe
rendit ſur les bords de l'Amſtel pour voir
le Prince , qui débarqua du Yacht de l'A
(46 )
mirauté d'Amſterdam . Le lendemain
S. A. R. viſita les établiſſemens & édifices
publics; il ſe rendit enſuite aux chantiers
de l'An irauté , d'où on lança , en fa préfence
, deux frégates. Dans la ſoirée , le
Prince fortit d'Amſterdam , & alla vifiter
le troiſième jour les poſtes fameux d'Amfſtelveen
& d'Ouderkerk. Le 23 , S. A. S.
eſt partie pour la Haye.
La Cour de Ruſſie ne voit qu'avec
chagrin les difpofitions générales ,& probablement
invincibles des Dantzickois , à
ſe mettre ſous la protection du Roi de
Pruſſe. Elle avoit déclaré que « Dantzick
>> ſe flattoit vainement de changer de
>> domination; que les Traités s'y oppo-
>> foient , qu'ils étoient garantis par la
>> Ruſſie , & qu'on ne les rendroit pas
>>> illuſoires . >> Nonobſtant cette déclararation
, le Tiers- Ordre de Dantzick a perfifté
à ne vouloir envoyer aucun Député
à Warſovie.
Paragraphes extraits des Papiers Anglois&autres.
Comme les Turcs ont fait entendre qu'ils n'offenſeroient
perſonne qui ſeroit habillé à la Polonoiſe
, s'ils faifoient une invaſion dans la Pologne,
tous les habitans fur les frontières de la République
quittent l'habit Alleniand ou Franço's , & remettent
l'habit Polonois. (Gaz &Amst. ,nº. 51. )
Le Chargé d'affaire de l'Empereur à Venife , a
remis depuis peu au Sénat un Mémoire , par lequel
( 47 )
il demande , par ordre de Sa Majeſté Impériale&
Royale, le paſſage, l'aſſiſtance ,& même ſi les circonſtances
l'exigent , les quartiers pour les troupes
que ce Monarque a deſſein de faire paſſer par la
Da'matie. Pour appuyer cette demande , le Miniſtre
Rufe a auſſi remis le même jour un Μέ-
moire au Sénat. On ignore encore la réponſe qui
a été faite aux deux Miniſtres ; mais l'on apprend
que la République a garni de onze régimens ſes
frontières en Dalmatie , & qu'elle continue d'armer
encore plus de vaiſſeaux. ( Idem. )
« On aſſure que des Députés de la Valteline
ſe ſont préſentés au gouvernement de Milan , pour
offrit de ſe ſoumettre à la maiſon d'Autriche. On
fait qu'il n'y a pas encore deux ans , que ce peuple
fit de grandes plaintes aux Seigneurs Grifons , &
des menaces de ſedétacher de leur gouvernement ,
s'ils ne portoient d'abord remède aux défordres
qu'occaſionnoient les confuls qui gouvernoientleurs
bailliages. On ignore encore ſi la maiſon d'Autriche,
dans les circonstances préſentes de guerre ,
acceptera cette offre qui pourroit exciter la jalouſie
d'autres puiſſances. Ce beau pays cependant , qui
eſt extrêmement fertile , ſurtout en excellens vins ,
&qui uniroit le Tirol au Milanois , conviendroit
beaucoup aux Souverains de l'Autriche , quand
même ils n'en tireroient d'autre avantage que celui
d'unir leurs Etats d'Italie à ceux d'Allemagne , de
façon qu'on n'auroit plus beſoin , pour aller dans
le Milanois , de paſſer par les Etats Vénitiens ,
avantage qui ſeul ſeroit des plus grands. La Valteline
ſe retrouveroit auſſi par- là ſous la domination
d'un gouvernement dont elle dépendoit
du temps des Ducs de Milan. ( Gazette deMantoue.
) »
« On parle d'un Congrès de paix qui ſe rafſemblera
, dit-on , à Semlin ,&dont les Miniſtres
( 48 )
plénipotentiaires doivent s'y rendre pour le commencement
du mois prochain. Ce Congrès devra
durer 6 ſemaines , & pendant ce temps , toutes
les hoftilités feront ſuſpendues entre les troisEmpires
. Les Miniftres médiateurs y examineront tous
les moyens qu'ils croiront les plus propres à parvenir
à une réconciliation durable ; & pour cela
ils auront , à ce que l'on prétend , des pouvoirs
très-étendus. (Gazette d'Augsbourg. ) » 225
N. B. ( Nous negarantiſſons la vérité ni l'exactitude
desParagraphes ci-deſſus).
:
MERCURE
D
DE FRANCE.
SAMEDI 12 JUILLET 1788.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ZÉLIS AU BAL ,
Déguisée en Servante.
J'AVOIS cru que fans ſes atours
Zélis feroit moins féduiſante ;
Quelle erreur ! ſemblable aux Amours ,
La nudité la rend brillante.
En vain d'un luxe précieux
D'autres étaloient la richeſſe ;
Elles éblouiſſoient les yeux ,
Et Zélis les charmoit ſans ceſſe.
DORVAL , épris de tant d'attraits ,
Diſoit à ſa moitié : Ma chère ,
No. 28. 12 Juillet 1788. C
MERCURE
Vous cherchiez une femme ... Eh ! mais !
Cela feroit bien notre affaire .
CET oeil ſi vif afſurément
Annonce de l'intelligence ,
Et ce pied léger m'eſt garant
De la plus prompte obéiſſance.
AH ! dit Mondor , venez chez nous ,
L'ennui n'en approchera guères :
Moi , je n'ai pas beſoin de vous ;
Mais mon fils n'est pas fans affaires,
Un jeune Abbé , plein de ferveur ,
S'écrioit : Dieux ! la belle fille!
Que ne ſuis-je le Serviteur
•D'une Servante ſi gentille !
Je ne perdis pas un propos ,
Pas un regard , pas un ſourire ;
Mais pour ma tête & mon repos ,
Je les perdois ſans l'ofer dire .
AH ! crois-moi , laiſſe ces habits
Qui n'ont pu défarmer l'envie ,
Et fois encore , ô ma Zélis !
La Maîtreſſe la plus chérie.
(Par M. Auguste Gaude,
Noth. L'Auteur va mettre au jour un Recueil
peu volumineux de Poéfies fugitives. Cette jolic
Piéce doit en donner une idée avantageufe,
DE FRANCE.
SI
ACROSTICHES.
1.
<AINQUEURdeslieux chéris qu'arroſe l'Hipocrène,
On l'a vu ſoixante ans courtiſant les neuf Soeurs,
Teur ravir ſans effort des lauriers eu des fleurs :
Houjours avec ſuccès careſſant Melpomène ,
➤vingtans il obtint ſes plus chères faveurs :
Il excita l'envie , il eut des Détracteurs
Féveillés trop fouvent par les cris de la haine,
tit bientôt il n'aura que des Admirateurs.
1
(Par M. le Ch. de Noiret , Officier
au Corps Royal de Génie. )
1L
<ENEZ, amis des Arts , & lifez ces Ecrits
Oi les plus beaux talens ſe diſputent le prix :
à de ſublimes vers célèbrent l'héroïſme ,
Herraſſent ſans retour l'odieux fanatiſme ;
muſante ou ſévère , ici la même voix
Inftruit les Nations, eſt même utile aux Rois.
Pien n'a plus illuftré ni la Grèce , ni Rome ;
It cette gloire immenſe eſt celle d'un ſeul homme.
(Par M. D*** T******. )
C2
52 MERCURE
1
ILI.
CIEILLARD, de tes ſuccès jouis ſous ces ombrages
Où Corneille (1 ) & Tacite ( 2) , & Térence (3 ) &
Milton(4) ,
Fiſent avec tranſport tes fublimes Ouvrages ,
Hous en te couronnant des lauriers d'Apollon ;
Temple renommé des Filles de Mémoire ,
Haſcrit des ton printemps entre Horace ( 5 ) &
: Newton ( 6 ) ,
Wien ne peut affoiblir les rayons de ta gloire ,
Et l'Univers entier retentit de ton nom.
(ParM. Mutel de Boucheville.)
I V.
<ERS l'immortalité , dès mes plus jeunes ans ,
On me vit m'élancer , guidé par mon génie.
es plus heureux ſuccès prouvèrent mes talens ;*
Hour à tour je fixai Melpomène & Thalie.
ux immortels lauriers dont Henri ſe couvrit ,
'ajoutai par mes vers une branche nouvelle.
empli d'autres projets , l'amour m'interrompit ,
Et vint, en folâtrant, me dicter la Pucelle.
( Par un Abonné, )
(1 ) La Tragédie,
(2) L'Hiſtoire.
(3) LaComédie.
(4) Le Poëme épique,
(5 ) Les Odes , Epîtres , & autres genres de Paéfio.
(6) La Physique & la Philofophic.
DEFRANCE. 53
V.
A
<ENGEUR de la Raiſon , fléau du Préjugé ,
On lui doit les progrès d'un ſiècle de lumière;
es ſuccès , en tout genre , honorent ſa carrière;
Hout François dut gémir quand il fut outragé.
pprécié trop tard , & prêt à diſparoître ,
-l n'a vu que l'apprêt d'un triomphe nouveau ;
Parement on jouit du jour qu'on a fait naître ,
at l'arbre de Virgile eſt né ſur ſon tombeau.
( Par M. D. Y. G. )
Nouvel Acroftiche.
BUFFON.
BOUTS - RIMÉS.
Il s'eſt gliſſe une faute d'impreſſion au quatrième
vers des derniers Bouts-rimés ; on a mis Gourdon
pour Bourdon. Nous allons les répéter ici , en
priant les perfonnes qui les ont déjà remplis , de
corriger leur quatrième vers.
MOUILLE.
CORDON
PATROUILLE.
BOURDON.
BUSE .
FRAC.
ARQUEBUSE.
BISSAC. 1
C3
54
MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eſt Poiffon ; celui
de l'Enigme eft l'Homme; celui du Logogriphe
eſt Bourse , où l'on trouve Robe , Rofe,
Or, Rufe , Bru , Rue , Roue , & Ourfe.
CHARADE.
Ce que l'on voit enclore
Les beaux préſens de Flore,
C'eſt mon premier ;
Une utile machine
Sépare la farine
De mon dernier ;
Quelquefois en voyage
On cherche de l'ombrage
Sous mon entier..
:
(ParM. N. D. de Neuville aux Loges.)
ÉNIGME.
SI les foibles morrels aimoient la vérité ,
Ils ne ſe plaindroient pas de ma fincérité,
DE FRANCE.
55
Jabhorre le farcaſme & l'adroite fatire
Qui reprend pour blâmer, & jamais pour inſtruire .
Lecteur, vois qui je fuis , je le dis en deux mots ,
J'épure le génie , & laiffe en paix les fots.
( Par M. le Ch. de Meude-Monpas.)
LOGOGRIPHE.
Mon corps qui , fur fix pieds a reçu l'exiſtence,
Éſt,àn'en pas douter, dans la chambre du Roi ;
Lorſqu'on veut à cheval faire fon tour de France ,
Ames pareils toujours on donne de l'emploi ;
Dans un carré parfait , en me coupant la tête ,
Vous pouvez aifément me trouver quatre fois.
Si juique-ra , Leeteur , rien ne t'arrête,
Sur trois pieds autrefois je fus , un jour de fête ,
La monture du Roi des Rois.
(Par M. Pievoſt de Montigny , Garde
du Corps deMgr. Comse d'Artois.)
C4
56 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
DE l'Importance des Opinions religieuses ,
par M. NECKER .
Priſtinis orbati muneribus , hæc ftudia
renovare capimus , ut animus moleftiis
hác potiffimum re levaretur , &
prodeffemus civibus noftris quâ re
cumque poffemus.
CICÉRON.
A Londres ; & fe trouve à Paris , Hotel
de Thou , rue des Poitevins.
7
J'ÉCRIS de Dieu , je compte fur peu de
Lecteurs ; c'eſt la première ligne d'un Ouvrage
philoſophique de ce fiècle , qui a eu beaucoup
de Lecteurs : la cauſe de Dieu eſt celle
de l'humanité; & qu'on l'attaque ou qu'on la
défende , fi on ſe rapproche de la hauteur
du ſujet par ſes idées & par fon éloquence ,
on est bien für de rendre l'humanité entière
attentive .
Les Philoſophes qui veulent pénétrer
tous les ſecrets de la Nature , & les hommes
d'Etat , par qui les loix de la Nature
ont été ſi ſouvent violées , ſont ceux qui
DEFRANCE.
57
ont été le plus accuſés de rejeter le dogme
confolant & fublime de l'existence d'un
Dieu : & c'eſt un évènement affez nouveau
dans l'Hiſtoire de la Religion, de voir
un eſprit éminemment philofophique , &
un homme qui , pendant pluſieurs années,
a gouverné avec éclat les finances d'un
grand Empire , raſſembler toutes les forces
de ſon talent , non pour impofer un Dieu
àun peuple , mais pour le prouver à toute
la Terre.
Il paroît que les premiers Inſtituteurs
des Sociétés , après avoir établi les règles
d'une bonne Adminiſtration , appelèrent
Dieu même à leur ſecours, pour attacher les
hommes à leurs devoirs par un nouveau
lien, L'étymologie du mot Religion l'annonce
. L'Auteur de cet Ouvrage, fans chercher
ſans doute à les prendre pour modeles
, mais guidé par un eſprit & par une
ame ſemblable , a ſuivi la même marche.
L'eſprit de l'Ecrivain eſt infiniment fécond
, & le ſujet eſt infini comme la Nature
même ; car c'eſt toute la Nature qui
ſert de témoin dans cette cauſe : nous tacherons
cependant d'embraſfer dans un extrait
les principales idées d'un ſi grand Ouvrage.
Il ne faudra pas beaucoup de citations
enfuite , pour faire connoître le talent qui
en embellir les détails.
Les Philoſophes qui ont traité de l'exiftence
de Dieu , ont pris des routes différentes
pour arriver au même but.
CS
8 MERCURE
Clarke a commencé par la notion laplus
abſtraite de l'ÊTRE en général ; & par un
enchaînement de conféquences , il conclut
de cetre notion , que l'Etre exiftant par luimême
, que l'Etre éternel eſt ſpirituel &
non pas matériel , qu'il eſt unique , qu'il
eſt infiniment puiſſant , qu'il eſt infiniment
bon , que tout ce qui exiſte hors de lui a
reçu néceffairement de lui l'exiſtence : c'eſt
de toutes ces conféquences que Clarke
forme & la preuve & les idées d'un Dieu.
Defcartes & ſes Diſciples , tel que Mallebranche
, ont cru que la meilleure preuve
de l'exiſtence d'un. Dieu étoir dans l'idée
que l'homme a conçue de l'infini.
Newton, qui õtoit , dit- on , fon chapeau
toutes les fois qu'on prononçoit devant
lui ce mot Dieu , voyoit fur-tout ce Dieu,
objet de ſes adorations , dans ces ſphères ,
dans ces mondes , dont fon génie avoit
meſuré les diſtances, les maſſes & les mouvemens
.
Fontenelle auſſi a écrit un morceau fur
l'exiſtence de Dieu ; il en donne pour
preuve l'ordre & la ſymétrie qui règnent
dans tout l'Univers. L'Univers , dit Fontenelle
, eſt plein de ſtatues qui annoncent
le Statuaire ; mais c'est dans l'Aftronomie
& dans l'Anatomie fur-tout que l'infcription
est la plus distincte & la plus nette.
Après tous ces Philofophes, eſt venu le
Vicaire Savoyard, c'est-à-dire, lePhiloſophe
de Genève ,Jean- Jacques Rouffeau a dit :
DE FRANCE .
59
Tout est en mouvement dans l'Univers, &
j'ai beau faire , par ſa nature , je ne puis
concevoir la matière qu'en repos ; dès que
j'apperçois un corps en mouvement , ou
j'apperçois aufli , ou je conclus que ce mouvement
a été donné & reçu . Il faut donc
chercher le premier moteur hors de la matière.
Je veux mouvoir mon bras , & je le
meus. Voilà une volonté, c'est- à-dire, quelque
choſe qui n'eſt pas matière qui met
mon bras ou la matière en mouvement. Je
conclus que c'eſt une volonté toute-puiffante
, toute- intelligente , qui a mis aufli en
mouvement tout l'Univers.
Cen'eſt pas là ſeulement l'idée d'un Ecrivain
éloquent,c'eſt l'idée d'unPhilofophe qui
adugénie. La première partiede la profeflion
du Vicaire Savoyard me paroît la meilleure
démonstration de l'existence de Dieu. Aufli
eft-ce la démonstration que les MATÉRIALISTES,
qui ont paru depuis , ſe ſont particulièrement
attachés à combattre . L'Aureur
du Systême de la Nature ,de tous les Ecrivains
de ce genre le plus dangereux , parce
qu'il attaque Dieu avec une ame faite pour
Fadorer , & un talent fait pour en célébrer
les merveilles , pour principe fondamentak
de ſon ſyſtême , cherche à établir contre
le Vicaire Savoyard, que le mouvement
eſt eſſentiel à la matière , que le repos
n'est qu'apparent , que le mouvement eft
éternel , qu'il eſt par- tout &dans les flancs
du rocher qui ſemble immobile , comme
C
60 MERCURE
1
dans la cataracte qui ſe précipite de rocher
en rocher , du haut des montagnes de
Niagara.
L'Auteur de l'Importance des Opinions
religieuses avoit un génie trop original ,
pour n'avoir pas dans la même queſtión
une marche toute neuve. Accoutumé à
méditer fur les malheurs des hommes &
fur les intérêts des Sociétés politiques , c'eſt
du beſoin que les Sociétés & les hommes
ont d'un Dieu , qu'il eſt parti pour arriver
à la preuve de ſon exiſtence.
Aina chacun cherche cet Etre Suprême
dans le genre d'études & de méditations
qui lui font les plus familières; & comme
il doit être par-tout ou nulle part , par- tout
on le trouve.
M. Necker part de cette grande idée,
qui ſemble d'un Légiflateur des Nations
; il cherche d'abord ſi la morale dont
les Sociétés ont beſoin pour le maintien
* de leur ordre & les particuliers pour leur
bonheur , peut être établie fur des bafes
purement humaines & indépendantes des
opinions religieuſes. Il analyſe ſucceſſivement
la force & l'influence de chacun de
ces principes d'une morale naturelle : il
cherche à démontrer que les vertus dont .
les Sociétés ont beſoin , ne peuvent pas
naître de l'accord de l'intérêt particulier
avec l'intérêt général , parce que l'ordre
ſocial n'eſt pas un ordre affez parfait , affez
harmonieux, pour que les intérêts particuDE
FRANCE. 61
liers foient toujours fuffisamment dédom .
magés des ſacrifices qu'ils feront à l'intérêt
général ; parce qu'un homme qui n'a rien ,
& qui ne peut ſe procurer le plus étroit
néceſſaire que par un excès de travail , ne
peut pas voir évidemment quel grand avantage
il trouve dans ſon reſpect pour les
droits de ceux qui ont tout.
Les Loix établies pour maintenir cet état
de chofes , paroiſſent à M. Necker également
infuffilantes ; elles ne règlent que ce
qu'il y a de plus général dans les actions
des hommes , de plus rare , & ne peuvent
étendre leur empire à cette multitude
d'affections intimes &d'actions privées , qui
font de tous les jours , de tous les inſtans ,
qui font germer le bonheur ou le malheur
de l'Etat par des moyens inviſibles , à
peu près comme ces forces ſecrètes de la
Nature , qui , par d'invifibles refforts , font
naître les poiſons & les plantes falutaires.
Les Loix ont des peines pour les délits , &
n'ont point de récompenfes pour les vertús.
Elles font des maximes générales & abftraites
, dont l'imagination des hommes ne
peut pas être vivement frappée. Il faut à
la multitude un motif qui foit le plus grand
de tous, qui foit unique,& qui ſoit fenfible:
ce qui la frappe le plus fur la terre ,
c'eſt un Roi ; il lui faut un Roi de l'Univers
.
Les Loix de l'éducation , qui tirent leur
force de celle de tous les autres motifs
62 MERCURE
humains,ne peuvent pas fuppléer à leur
infuffiſance. On cite les prodiges de l'éducation
publique chez les Spartiates ; mais
ce fut à l'Oracle de Delphes que Lycurgue
fut redevable de la puiſſance que ſes Loix
exercèrent ſur les eſprits : mais à Sparte ,
où il n'y avoit guère que deux vertus , le
courage militaire & l'amour de la Patrie
onn'avoit pas beſoin d'une morale trèsétendue
; mais à Sparte , il n'y avoit que
deux claſſes d'hommes , des eſclaves qu'on
gouvernoit avec le fouet & avec le poignard
, & des citoyens, égaux en liberté ,
en propriété , en puiſſance , qui , n'ayant
rien à s'envier , n'avoient rien à ufurper
les uus ſur les autres. Ce qui rend la morale
extrêmement difficile à établir chez les
Modernes , c'est que la claſſe condamnée
aux plus pénibles travaux de la Société , eft
libre , qu'elle n'a rien , & qu'on veut cependant
qu'elle ait des vertus.
Par les progrès ſucceſſifs des lumières
il s'eſt établi depuis quelques années une
nouvelle autorité , qui a une grande influence
ſur les moeurs , l'opinion publique ;
mais l'opinion publique n'exiſte que pour
les hommes qui jouent un grand rôle fur
la ſcène du Monde , les Rois , les Miniftres
, les Héros , les fublimes Artiſtes , les
hommes publics& célèbres ; elle ne s'entretient
point de ceux que la médiocrité de
leur état cache dans la multitude ; elle
juge , punit ou récompenſe les actions écla
DEFRANCE 63
tantes , & ne prononce rien ſur les actions
les plus ordinaires de la vie humaine . Sa
puiſſance, qui ſe concentre ſurun petit nom--
bre de fairs & fur un petit nombre d'hommes
, quoique très forte , eſt donc trèsbornée.
Bien différente de l'opinion publique,
les opinions religieuſes s'étendent
des palais des Rois aux cabanes des pauvres;
elles réſervent des triomphes aux
vertus les plus humbles , comme aux vertus
qui frappent les hommes d'étonnement &
d'admiration ; elles n'attendent pas que le
bien ſoit achevé , pour le récompenfer ;.
elles tiennent compte d'un déſir , d'une
intention , d'un effort : elles n'ont point
ce danger de l'opinion publique , qui fait
de la vertu une eſpèce de jeu de theatre ,
où l'on fait les plus héroïques facrifices
pour unbattement de mains.
Pour les hommes qui vivent, non fous
les regards d'une Nation , mais ſous les
yeux de leurs voiſins , l'eſtime ſemble remplacer
l'opinion publique ; mais cette eſtime,
obfcure prefque toujours comme ceux
qui la diftribuent , n'a pas , comme l'opir
nion publique , des ſignes certains qui la
manifeſtent ; elle n'amène pas, comme l'opinion
publique , des récompenfes à fa
fuite , des places , de la fortune , du pouvoir
; chacun reſte donc le maître de juger
de fon prix comme il lui plaît , & de lui.
préférer ſouvent la fatisfaction de les
pallions& de fes défirs.
64 MERCURE
Quelques Philofophes ont penſé qu'il
ne falloit pas tant d'efforts & d'inftitutions
pour inſpirer à l'homme des vertus ,
qui naîtront facilement & abondamment de
ſa nature , fi on n'en altère pas la pureté. Ils
ont fait l'homme très -bon , pour prouver
qu'il peut fe paffer d'un Dieu ; mais il eſt
difficile de reconnoître ſa nature primitive
au milieu de tant d'inſtitutions , qui l'ont
modifiée tantôt en bien , tantôt en mal;
il eft poffible qu'on attribue à ſa nature
les inclinations heureuſes qu'il doit à fon
éducation , qu'on ſe ſerve pour lui perfuader
que l'opinion d'un Dieu-ne lui eft
pas néceſſaire , des vertus qui lui ont été
inſpirées par cette opinion. L'idée la plus
favorable qu'on puiſſe prendre de ſa nature
, c'eſt que , ſemblable à un fol heureux
& fertile , elle eſt diſpoſée à ſe couvrir
des plus belles productions , lorſque la
culture aura ouvert ſon ſein & y aura
déposé des germes féconds . Dans la Société
où des hommes oififs ne ſe raſſemblent
que pour s'occuper de leurs frivoles plaifirs
, on eft facile ſur les vertus ; la ſeule
qu'on exige avec rigueur , c'eſt cette indulgence
qui diſpenſe de toutes les autres;
mais les vertus qui peuvent faire la profpérité
de tout un peuple , commandent
de grands facrifices , & ce n'eſt que ſous
le régard d'un Dieu que les, Empires peuvent
ſe couvrir de ces vertus .
L'exemple des hommes qui ont adoré la
DE FRANCE. 65
Vertu fans adorer un Dieu , cette obje&ion
ſi ſouvent reproduite pour combattre la
néceflité des opinions religieuſes , eſt une
objection bien foible. Ces hommes , toujours
en petit nombre , n'ont rejeté que
dans un âge avancé le Dieu dont on s'étoit
ſervi pour inſpirer l'amour des vertus à leur
enfance : ils ont le grand intérêt de fou-
-tenir par l'exemple de leurs moeurs , leur
ſyſtême , qui ne peut pas l'être par des raifonnemens
: ils font, pour la plupart, des
Philofophes étrangers , par leur vie retirée
& ſtudieuſe , à tous les grands intérêts qui
conduifent aux grands crimes ; & dans
aucun cas, l'exemple d'un très- petit nombre
d'hommes qui ont eu quelques vertus fans
croire en Dieu , ne peut ſervir à prouver
qu'une Nation entière , ſans l'opinion de
l'exiſtence d'un Dieu , peut avoir toutes les
vertus ſur leſquelles doit s'élever ſa fé-
-licité.
Telle eſt donc pour l'ordre ſocial Pinſuffiſance
de toutes les baſes naturelles ou
politiques ſur lesquelles on voudroit établir
la morale ; mais la plus grande partie
du bonheur des hommes n'a point été
miſe en communauté ; elle n'eſt point le
produit des relations qu'ils ont les uns avec
les autres dans la Société ; elle prend naifſance
dans leurs ſentimens les plus intimes
, dans leurs affections , dans leurs penſées,
dans la manière diverſe dont leur
imagination eſt émue ; & c'eſt ici qu'on
66 MERCURE
1
découvre une puiffance admirable dans la
Religion , & qui n'appartient qu'à elle .
C'eſt un phénomène très-remarquable de
la nature de l'homme, que, quoique dans les
diverſes époques de fa durée, le préſent ſeul
foit à lui , quoique le paſſe ne ſoit plus ,
& que l'avenir ne foit pas encore , ce n'eſt
jamais cependant par le charme des jouiffances
préſentes qu'il eſt heureux. Son ame
eſt toujours dans l'avenir , toujours occupée
, non de ce qu'elle poſsède ,mais de
ce qu'elle eſpère. Ce n'eſt pas ſeulement
dans une paſſion que l'homme montre ce
caractère , c'eſt dans toutes les paffions ,
dans l'amour , dans l'amour de la gloire ,
dans l'ambition : tout ce qui limite nos
jouiffantes les détruit , & dans tous les
genres , la borne qu'on apperçoit eſt comme
un tombeau dans lequel notre bonheur eft
enfeveli. La Religion , qui déploie aux regards
de l'homme des eſpérances immortelles
& des avenirs inépuiſables en quelque
forte, s'accorde donc merveilleuſement
avec la nature de l'homme. C'eſt la Religion
qui , en promettant des plaiſirs éternels
, répand leur plus grand charme fur
les plaiſirs mêmes de la terre , parce que
c'eſt elle qui en ôte ou qui en efface les
limites ; c'eſt la Religion ſeule qui offre des
confolations pour ces pertes que la Nature
a rendues irréparables : c'eſt elle ſeule qui
fait continuer de doux entretiens entre un
fils qui n'eſt plus , & fa mère défolée qui
DE FRANGE. 67
le pleure ; par elle les tombeaux même
font peuplés de vivans ; la mort , dont
l'image attriſte la création , par elle n'eſt
plus qu'une apparence , & c'est la vie ſeule
qui eſt réelle.
C'eſt par ces eſpérances fi hautes , fi
illimitées & univerſellement promiſes , que
la Religion attache tous les hommes à la
vertu , &fur la terre même , la vertu ſeule
peut affurer leur bonheur. Les plaifirs des
Tens ſont paſſagers , & leurs longs intervalles
remplis de langueurs ; les jouiſſances
de l'opinion , telles que celles du pouvoir
&de la gloire , ſont preſque toujours des
fantômes qui s'évanouiſſent ſous la main
qui eſt prête à les atteindre. Ce n'eſt pas
au Triomphateur , trop ſouvent fatigué fur
fon char de victoire , que la pompe du
triomphe paroît le plus magnifique. La
vertu, qui ſeule a des projets conftans &c
un but fixe , peut ſeule auſſi épargner à
l'homme cette inſtabilité & ces variations
continuelles de ſes déſirs , qui ſont un des
plus grands tourmens de ſon exiſtence ; fans
lavertu, toutes nos opinions flottent incertaines
, & c'eſt la morale qui arrête à jamais
nos idées dans cet équilibre qui conſtitue
la raiſon: c'eſt elle encore qui étend les
vûes de notre eſprit fur les beſoins & fur
la félicité de tout un peuple. Par un enchaînement
admirable de ſes heureuſes
influences , la vertu , qui par elle - même
mériteroit les adorations de la terre , donne
68 MERCURE
1
:
encore à la raiſon humaine toute ſa certitude
, & au génie toute ſa grandeur.
S'il n'y a que la Religion qui puiffe répondre
& à la Société du maintien de fon
ordre , & aux hommes de leurs vertus &
de leur bonheur , on conçoit combien elle
eſt plus néceſſaire encore pour les Souve
rains , ſoit qu'on regarde à fes commande.
mens , ſoit qu'on regarde à ſes promeſſes ,
Tout ce qui agit ſur les autres hommes ne
peut pas agir fur les Rois : ils ne font pas
foumis aux Loix , parce qu'ils les font ; ils
ne ſont pas foumis à l'opinion publique ,
parce qu'ils ne l'entendent pas. Le cours entier
de la plus longue exiſtence peut être embelli
pour les autres hommes par cette fucceffion
variée de beſoins , de déſirs , d'eſpérances&
de travaux ſemés ſur toute la roure
de leur vie. Tous ces balancemens, qui font
le charme de notre exiſtence , ſont perdus
pour l'existence des Rois. En les comblant
de tous les biens , on les a privés du plus
grand de tous , de l'eſpérance ; dès le berceau
, on leur a préparé leur ennui. Si l'on
veut que les Rois aient quelque choſe à
craindre , il faut donc qu'ils aient une Religion.
Si l'on veut qu'ils aient quelque choſe
à efpérer, il faut donc qu'ils aient une Religion
. Sur un trône on ne peut porter ſes
regards qu'au Ciel. La Religion élève les
autres hommes au deſſus de leur nature :
elle est néceffaire aux Rois , pour les faire
deſcendre encore à la nature des hommes.
L
DE FRANCE. 69
Ce n'eſt pas ſeulement la Religion qui
eſt bienfaisante , ſes ſolennités même le
font : fes folennités réuniſſent les coeurs
des hommes , en les raſſemblant dans des
cérémonies touchantes ; elles donnent des
jours de repos à ces travaux par leſquels
le riche écraſe le pauvre.
La ſeule idée d'un Dieu ſuffiroit pour
ſervir d'appui à la morale. C'eſt à cette
fublime idée que s'attachent & tous les ſentimens
& toutes les réflexions qui compoſent
la légiflation d'un être moral.
Foibles& environnés de dangers, l'inftinct
àchaque inſtant nous fait tendre les bras au
Ciel pour implorer des ſecours ; mais comment,
avec une ame fouillée de crimes ou de
vices , oferions -nous adreffer des prières à
un Etre parfait ? Pour ofer demander , il
faut avoir quelques droits à obtenir. Nos
penſées ne peuvent s'élever à la notion
d'un Dieu , ſans le conſidérer comme l'atuteur
de l'ordre admirable qui éclate de
toutes parts dans l'univers phyſique ; &
c'eſt une conféquence bien naturelle , que ,
pour lui plaire , il nous faut entrer dans
le deſſein de cette ſuperbe ordonnance des
choſes ,& limiter , autant qu'il eſt en nous ,
dans la compofition de l'architecture ſociale
, cette oeuvre qui nous a été confiée.
Si , comme Ordonnateur des êtres , l'idée
d'un Dieu eſt une ſi haute leçon de morale
, elle en eſt une bien plus touchante
encore en le conſidérant comme leur Bien
70
MERCURE
faiteur: en vain les maux de la vie ont éré
exagérés par une ſenſibilité trop délicate ,
ou par une philofophie chagrine ; les maux
font des accidens ſur une longue route
femée de biens ; tous nos beſoins font des
fources de plaiſirs ; toutes nos facultés font
dans leur exercice des moyens de jouiſſance.
La vie du plus grand nombre des hommes
eft bornée à l'enfance & à la jeuneffe , ces
deux âges où le bonheur eſt ſi facile , & où
toutes les ſenſations ſont des enchantemens
; & pour ceux qui paſſent cet âge , ſi
les plaiſirs font moins vifs , ils ſont plus
purs , parce qu'ils font choiſis par l'expérience
; ils font mieux goûtés , parce qu'ils
font approuvés par la raifon. C'eſt un ſophiſme
de dire que tout le monde eſt ſi
mécontent de ſa vie , que perſonne ne
voudroit la recommencer aux mêmes conditions.
Lorſque nous regardons la vie en
arrière , nous la voyons dépouillée de ſes
deux principaux ornemens , la curiofité &
l'eſpérance; & ce n'eſt point dans cet état
qu'elle nous a été donnée & que nous en
avons joui. Dès que nous penſons à Dieu ,
l'oeuvre entière de la création nous paroît
donc une oeuvre de bienfaifance ; & de
quelque côté que nous portions nos regards,
nous voyons une main éternelle , toujours
ouverte pour laiſſer tomber des biens &
des plaiſirs fur les êtres qu'il a formés.
C'eſt avec ces attributs , les modèles les
plus parfaits & les plus touchans de la
DE FRANCE. 71
morale , que l'idée d'un Etre Suprême s'eſt
toujours préſentée au genre humain ; & un
des moyens les plus sûrs pour arriver à la
vérité , c'eſt de ſuivre le cours de ces ſentimens
ſimples & de ces penſées primitives
, qui ont guidé l'eſprit & le coeur de
l'homme , dans quelque pays & fous quelque
climat que le Ciel l'ait fait naître.
Mais on eſt forcé de combattre enfuite
une philofophie armée d'objections & de
difficultés qui a épuiſé ſa ſagacité , pour
voir ou pour imaginer des contradictions ,
foit entre les attributs mêmes de cet Erre
Suprême , ſoit entre ſes attributs & ceux
de l'homme. La plus inſoluble de ces difficultés
, en apparence, eſt celle qui préſente
la liberté de l'homme & la prefcience divine
comme inconciliables : & cependant
fi Dieu ne fait pas tout ce qui doit arriver
, il eſt borné ; & fi l'homme n'eſt pas
libre , il n'y a plus de morale ; c'est-à-dire
qu'il n'y auroit plus ni de morale ni de
Dieu. Mais l'homme eſt libre , le ſentiment
nous l'affure; & fi l'on étoit réduit à croire
qu'il y a une contradiction abſolue entre
Ja libertéde l'homme & la prefcience divine,
c'eſt fur celle- ci , peut- être , que nos doutes
porteroient un moment : mais il n'y a point
de contrariété entre elles ,& toutes les deux
enſemble on peut &l'on doit les adopter . Ce
n'eſt pas la prefcience qui détermine les évè
nemens futurs ; car la fimple connoiſſance de
l'avenir ne fait pas l'avenir : tous les évène
72 MERCURE
mens futurs ſont fixés, ſoit qu'ils foient prévus
, foit qu'ils ne le foient pas ; car la contrainte
& la liberté conduiſent également
à un terme poſitif : il eſt donc sûr qu'un
évènement prévu ou imprévu aura lien
dans tel temps ; mais fi la liberté n'eſt point
contrariée par cette certitude inévitable ,
comment le feroit-elle , parce qu'il exiſteroit
un Etre inſtruit à l'avance de la nature
préciſe de cet évènement ? Sans doute
l'homme eſt déterminé à agir par des défirs ,
par des motifs : mais ces motifs le déter- 2
minent & ne l'entraînent pas , puiſqu'il
s'arrête à chaque inſtant pour balancer leurs
avantages & leurs inconvéniens, pour faire
un choix que prononce ſa penſée , qui ne
dépend que d'elle-même ; or la liberté de
notre penſée , c'eſt la nôtre. La penſée ſe
fert des témoignages des ſens ; mais elle ne
leur obéit pas plus que le Juge n'obéit
aux témoins , dont les dépoſitions lui fervent
à rendre ſes Arrêts. Nos ſens ſont
tellement fubordonnés à cette partie fublime
de nous-mêmes, qu'ils n'agiſſent pour
elleque ſuivant ſa volonté ; elle leur commande
, tantôt de lui préſenter le tableau
des richeſſes de la Nature , tantôt de parcourir
affidument les regiſtres de l'eſprit
humain , tantôt de prendre l'équerre & le
compas pour lui rendre un compte exact
de ce qu'elle défire connoître avec précifion
; quelquefois elle leur indique les
moyens dont ils doivent ſe ſervir pour
augmenter
DE FRANCE.
73
augmenter leur puiſſance. Ce n'eſt donc
pas l'eſprit qui eſt l'eſclave des ſens , ce
font les ſens qui ſont des miniſtres de
l'eſprit , toujours foumis à ſon empire.
Mais qu'importe , diſent encore les
mêmes Philoſophes , qu'importe que notre
ame ne ſoit pas dans la dépendance de nos
ſens , fi , née avec eux , avec eux elle doit
périr encore ? Qu'importe pour la morale
qu'il exiſte un Dieu , ſi ſes jugemens ne
font pas prononcés ſur la terre , & fi la
mort, qui nous détruit tout entiers , nous
met hors d'atteinte de tous les autres jugemens
&de tout autre Juge ? Mais c'eſt la
Nature elle-même qui , au milieu de tant
de deſtructions dont elle nous rend les
témoins , nous a donné cette idée de l'immortalité
de notre ame. C'eſt elle qui , parmi
tous les phénomènes de l'Univers , nous a
fait remarquer le phénomène de la penfée
comme le ſeul qui ſera à jamais inexplicable
, & par toutes les qualités,& par tous
les mouvemens de la matière. Y a-t-il plus
loin de l'exiftence à l'immortalité , que du
néant à l'exiſtence ? & cependant nous
exiſtons ,& vivre eſt un auſſi grand prodige
que vivre éternellement. Dans toute la nature
phyſique règne une harmonie admirable;
parmi tous les autresêtres animés , leurs
déſirs font en proportion avec le terme où
ils tendent , & leurs facultés ne ſont pas
au deſſus de leur deſtinée. Dans le monde
moral règnent la confuſion & le déſordre
NO. 28. 12 Juillet 1788.
D18
2
74
MERCURE
&tout annonce une autre vie , où l'ordre &
P'harmonie du monde. moral égalera la
beauté du monde phyfique. L'homme ſeul,
parmi toutes les eſpèces vivantes , a plus
de lumières qu'il ne lui en faudroit pour
parcourir l'eſpace étroit de cette courte vie ;
ſeul il afpire à une exiſtence qui n'ait point
de limites , & il a le gage de cette vie immortelle
dans ces facultés ſublimes , qui
feroient fuperflues ou même funeſtes , s'il
n'étoit pas né pour l'éternité. Sans ceſſe
penchés ſur le bord de cet abîme de l'in
fini , tout nous déclare , notre instinct &
notre raiſon , que l'infini doit être notre
partage , & que, plongés par la mort dans
cet abîme , nous irons reparoître dans une
autre vie , qui ne doit avoir de bornes ni
dans l'eſpace ni dans la durée.
Il y a donc un Dieu : c'eſt l'Univers qui
Y'a proclamé dans tous les ſiècles , & es
merveilles qui l'annoncent ſe manifeſtent
par des bienfaits aux hommes les plus
fimples, comme par l'admiration aux regards
du Philoſophe qui en contemple les beautés
& qui en cherche les ſecrets. Il y a
quelque choſe d'éternel ; cette vérité, qui
eft incorapréhenſible , eſt pourtant inconteſtable
; c'eſt donc l'Univers qui eſt éternel
, ou il a un auteur à qui ſeul appartient
Véternité. Mais quoique l'ouvrage foit
fous nosyeux & non pas l'Ouvrier , quoique
l'Ouvrier foitbeaucoup plus difficile à consevoir
que l'ouvrage , tel eſt pourtant le
DE FRANCE.
75
penchant irréfiſtible de notre eſprit , que
nous ſommes forcés à penſer que l'Univers
a été fait& qu'il n'exiſte pas de lui-même.
Aucun des caractères que nous voyons ou
que nous découvrons dans l'Univers , ne
nous annonce une exiftence néceffaire ,
mais des êtres qui ont reçu l'existence ; &
fi dans tout ce que nous appercevons ,
nous cherchons quelque choſe qui nous
donne l'idée de ce qui a pu faire un tel
Ouvrage , la penſée ſeule de l'homme , qui
conçoit un plan & qui l'exécute , nous
danne l'idée de l'Architecte éternel qui a
conftruit les Mondes. Ils font donc l'ouvrage
sd'une intelligence , mais infinie dans fa
puiffance , dans ſa ſageſſe &dans ſa bonté.
En vain ceux qui veulent mettre la Nature
à la place de Dieu , ont tenté d'expliquer
la formation de l'Univers , ou par des atomes
doués de propriétés & de mouvemens
, ou par de grandes maſſes de matiè
res , auxquelles leur forme & leur organiſation
font aufli néceſſaires que leur
Texiſtence; les propriétés qu'ils attribuent à
la matière font aufli inviſibles que le Dieu
qu'ils rejettent , & elles répugnent à l'imagination
de l'homme, autant que l'idée d'un
Dieu lui convient & la fatisfait. Il eſt de
l'effence d'une bonne philofophie d'expliquer
les phénomènes par les puiſſances avec
leſquelles ils ont le plus de rapport & d'identité,
&cependant les Matérialiſtes expliquent
l'Univers par des chocs , par des
D 2
76 MERCURE
adhéſions , par des mouvemens aveugles ;
& parmi les inftrumens qui ont pu concourir
à ce ſuperbe ouvrage , ils ne veulent
pas adimettre la pensée, qui ſeule eſt capable
d'en concevoir le plan & l'ordonnance.
On croit voir des hommes ſe difputer fur
les moyens dont on s'eſt ſervi pour élever
une pyramide , & nommer tous les genres
d'inſtrumens , excepté ceux qu'on trouve
encore aux pieds de l'édifice.
Parvenus , par le ſentiment des beſoins
de la Société & des nôtres , par l'inſtinct
&par la raiſon , à ces vérités ſuprêmes, que
l'homme eft libre , que fon ame eft immortelle,
qu'un éternel bonheur lui eſt réſervé
s'il s'en rend digne; de ces trois vérités
qui ne font que la même vérité , tant elles
font étroitement unies entre elles , naiſſent
avec un caractère frappant d'évidence toutes
celles qui font néceſſaires au genre humain
& aux Sociétés dans leſquelles elle eſt partagée.
Leglaive tombe des mains du perfécuteur;
car il doit voir que la perfuafion &
la conviction, ou l'action de la penſée ſur
la penſée , peuvent ſeules élever les eſprits
à ces hautes conceptions , & que quiconque
emploie la force pour convertir les
ames, traite les ames comme ſi elles étoient
matérielles.
Le Philoſophe aura plus d'indulgence
pour les erreurs qui , dans les diverſes conirées
de la terre, auront pu ſe mêler à ces
DE FRANCE. 77
dogmes qui doivent être ceux du genre humain..
En voulant détruire des préjugés , il
craindra de porter des coups mortels aux
vérités qui y font unies. Il ceſſera de ſubſtituer
au raiſonnement, dans ces profondes
matières , ces légères plaiſanteries par lefquelles
il flatte un monde frivole , & tue la
raiſon ſous prétexte de l'égayer; il n'aura que
des ſentimens de refpect & d'amour pour
leLégislateur de la morale Chrétienne , qui
a mis au même rang l'amour de Dieu &
l'amour du prochain , qui a renverſé les
barrières qui ſéparoient le Samaritain & l'enfant
d'Iſraël , qui a déclaré que le temps
étoit venu d'adorer l'Éternel , non ſeulement
fur la montagne & dans le temple , mais en
efprit&en vérité ; qui , parmi les maux affreux
que produit l'inégalité des richeſſes ,
afait du riche le protecteur & le tuteur des
pauvres, en faiſant de la charité la vertu la
plus agréable à celui qui a créé l'Univers.
Telle eſt la fuite des principales idées de
ce Livre , mais dépouillées de la multitude
infinie des idées acceſſoires qui les enrichiffent
, des images éclatantes qui les embelliffent
, des ſentimens pleins d'énergie
ou d'onction qui les font pénétrer juſques
au fond des ames. C'eſt l'enceinte dans laquelle
l'édifice a été élevé, plutôt que l'édifice
même. Vingt fois, en faiſant cette analyſe ,
j'ai été tenté de m'arrêter &de la ſupprimer.
Je ſentois qu'en abrégeantun Livre où tout
D3
78 MERCURE
eft original , la penfée & le ſtyle , on le dénature
, parce que la création & l'effet font
prefque toujours dans les détails , & qu'en
ne détachant que les idées principales , on
fait plutôt connoître la matière qui eft à
tout le monde, que l'Ouvrage qui n'eſt qu'à
l'Auteur. C'est trop ſouvent l'art perfide
de ceux qui veulent faire paroître commun
un Ouvrage où tout est neuf. Un tel art
ne fut jamais à mon uſage. J'ai pensé que
ceux qui font peu accoutumés à ces lectures
qui demandent de la méditation , trouveroient
quelques fecours dans une analyſe
où je rapproche des vûes ſéparées dans
le Livre par d'arres vões de détail , trop
belles encore pour ne pas arrêter l'attention
& l'admiration , & les détourner de
l'enchaînement qui conflitue l'enſemble.
Mais dans cet extrait même , il eſt difficile
peut- être de ne pas appercevoir la manière
neuve & profonde dont eſt traitée la
queſtion la plus importante pour le genre
humain.
Beaucoup de gens avoient dit que l'opinion
ſeule de l'exiſtence d'un Dieu pouvoit
donner une bafe & une ſanction à la
morale ; M. Necker eſt le premier qui
ait fongé à meſurer le degré de force de
toutes les caufes qui peuvent agir fur l'efprit&
furle coeur de Phomme, pour lui infpirer
des vertus ; & indépendamment même
de la queſtion qu'il agite , c'eſt une grande
vue philoſophique & législative , que cette
DEFRANCE.
79
appréciation de la puiſſance des Loix , de
l'opinion publique , de l'eſtime , de l'éducation
, des affectations naturelles qui nous
portent au bien. C'eſt une manière nouvelle
de conſidérer la nature humaine , la Société,
&les refforts qui peuvent agir fur l'une &
fur l'autre .
On peut croire qu'il n'accorde pas toujours
affez à la force de chacune de ces
puiſſances ; qu'il ne recherche pas quel
feroit le réſultat de toutes ces puiflanges
agiſſant à la fois , lorſque de bons Légif
lateurs leur donneroient à toutes le mouvement
par une feule impulfion , & les feroit
tendre de concert au même but. Mais
les difficultés mêmes qu'on peut lui faire à
ce ſujet , naîtront de la manière nouvelle
dont il a vu ces chofes , & il faudroit lui
en rapporter le mérite.
1
Il eût pu paroître plus naturel& plus phi
lofophique d'établir la vérité des Opinions
religieuſes avant leur néceſſité; mais fi elles
font néceſſaires , c'eſt déjà une grande préfomption
de leur vérité ; & nous fommes
diſpoſés à recevoir plus facilement & plus
favorablement des Opinions ſi umiles à notre
bonheur.
Par-tout dans cet Ouvrage règne une fagacité
d'eſprit prodigieuſe; & ce qui donne
à la ſagacité de l'Auteur un caractère qui
lui eft propre , c'eſt que tantôt elle ſe manifeſte
par des idées que feul il a cues ,
tantôt par la force qu'il découvre ou qu'il
まつMERCURE
donne à des idées communes à tout le
genre humain, mais négligées par les Phiłofophes
à caufe de leur familiarité même..
Il n'y a pas dans tout l'Ouvrage un feul
Chapitre fans des idées & des beautés fupérieures
; mais il y a un Chapitre qui nous
a paru très-ſupérieur à tous les autres. C'eft
celui qui porte pour titre que la ſeule idée
d'un Dieu fuffiroit pourſervir d'appui à la
morale. Nous ne connoiſſans point de morcesu
où la Philofophie ait percé plus avant
dans les myſtères des facultés & des. deftinées
de l'homme.C'eſt là que l'Auteur traite
les queſtions de la liberté&de la prefcience
divine , & il n'a pas ſeulement fondé cet
abîme , il l'a éclairé. Que les autres diſent
ce qu'ils ont éprouvé ; moi ,c'eſt un grand
étonnement.
Par ces juſtes éloges, qui ne font que l'énoncé
des impreſſions que nous avons reçues
, on voit combien nous craignons peu
d'affliger la haine , l'envie , & l'indifférence
même qui ne pardonne pas à qui la veut
forcer d'admirer. Ce n'eſt pas pour les confolerque
nous ferons quelques obfervations
àM. Necker , mais parce que nous ſommes
perfuadés que la vérité doit être fur - tout
chère à un eſprit qui la découvre ſi ſouvent
, lorſqu'elle eſt inacceffible aux autres
hommes.
L'ordre ſocial , dit M. Necker , n'est pas
une choſe affez parfaite , affez harmonieuſe,
pour ſervir de baſe à la morale ;
DE FRANCE. δε
la multitude qui n'a rien, ne peut pas voir
facilement l'accord de l'intérêt particulier
avec l'intérêt général. Il trace ( page 35 )
un tableau énergique de toutes ces inégalités
qui ſéparent les hommes & leurs conditions
dans nos Empires, &il paroît croire
qu'il n'y a aucun moyen de les éviter ; il
prononce formellement que ce ſont-là des
effets inséparables des Loix de propriété.
Quelle vérité terrible, s'il n'y avoit aucun
moyen d'en douter ! Mais l'ordre ſocial
n'eſt pas une choſe abſolue & toujours la
même ; il varie & fe modifie de cent manières
, ſuivant les différences des Nations,
des Gouvernemens , des moeurs, &des lumières.
L'ordre ſocial n'eſt pas le même
dans une République & dans une Monar-
✓chie; dans la même Monarchie & dans la
même République , il change avec les Monarques
, avec les moeurs & les Loix. Il ſe
perfectionne , il ſe corrompt; & il s'en
faut bien que chez aucun peuple , & dans
aucun ſiècle, il ait jamais atteint le degré
de perfection qu'il pourroit recevoir. Si ce
qu'on appelle l'ordre ſocial n'eft que la
tyrannie du petit nombre &le malheurde
tous , il eſt bien vrai que la vertu & la
morale ne pourront pas naître de cet ordre
prétendu , qui eſt lui-même la plus grande
de toutes les injustices , & la fource de
toutes les autres. Mais faites que l'ordre
focial ait l'objet qu'il devroit avoir , le bienêtre
du plus grand nombre, & vous verrez
Ds
MERCURE
alors que les intérêts particuliers & l'intérêt
général s'accorderont enſemble , puifqu'ils
ne feront qu'un ſeul &même intérêt.
Mais cet accord , dit M. Necker , ne ſe
démontre que par des raiſonnemens hors
de la portée de la multitude
Quand cet accord n'existe pas dans les
chofes même &dans les Loix, il ne ſe démontre
d'aucune manière : tous les raifonnemens
du monde ne font alors que des menfonges,
lorſqu'ils font faits par les Politiques,
& des fictions, lorſqu'ils font faits par les
Philoſophes . Quand cet accord exiſte réellement
dans les Loix & dans les chofes ,
on n'a nul beſoin de le démontrer , l'ordre
ſocial le montre de lui -même aux yeux
par des faits éclatans & qui renaiffent tous
les jours.
Je ne sçaurois , je l'avoue , ajoute M.
Necker , me repréſenter qu'avec une forte
de dégoût & même d'épouvante , une Société
politique , dont tous les Membres ,
fans motif dominant , ne feroient contenus
que par une prétendue liaiſon de leur intéret
particulier avec l'intérêt général. Que
de Juges isolés ! quelle multiplicité innombrable
d'opinions , defentimens & de volontés!
Toutferoit en confufion,fion laiſſoit aux
hommes la liberté defaire de pareils calculs
Dans une Société où cette liaiſon ne
feroit pas une choſe prétendue , mais réelle,
par-là même très-ſenſible , ce ne feroît
pas un réſultat caché & qu'il fallût dé
DE FRANCE. 85
couvrir par des calculs : ce ne ſeroit pas
une choſe incertaine , abandonnée à la
variété des opinions. Ce feroit un ordre
affez fimple , mais magnifique & touchant ,
qui ſe manifeſteroit par des bienfaits à
tous les regards & à tous les coeurs comme
P'ordre de la Nature. Les Juges n'en feroient
pas iſolés. Un pareil jugement ſeroit prononcé
par un fentiment univerſel de bienveillance
& de reconnoiſſance , qui feroit
dans toutes les ames , qui paſſeroit des unes
aux autres , & les uniroit toutes enſemble
par une forte de paffion à la Patrie adorée ,
fource inépuiſable de tant de bienfaits. Loin
qu'un pareil tableau pût inſpirer quelque
degoût,& quelque épouvante ,je n'en conçois
pas fur la terre de plus digne des regards
même de cot Etre Suprême , qui
auroit les moyens de récompenfer tant de
félicités par des félicités infinies.
Mais , ajoute M. Necker , tous ces défordres
font des effets inséparables des Loix de
propriété.
Si j'avois à répondre ici à un de ces prétendus
hommes d'Etat, par qui les Etats
font toujours opprimés , qui , jetant à peine ,
un regard fur ce qui eft , n'ont aucune connoiffance
de ce qui a été, ni aucune idée
de ce qui pourroit être, je ne fais trop ce
que j'aurois à lui dire.
1
Avec M. Necker , que la Philofophie a
élevé au Ministère , & qui , après une adminiftration
pleine de gloire , eft renué
D6
84 MERCURE
dans le ſein de la Philofophie ; avec celui
qui dépenſe en grande partie ,par ſes vertus ,
une fortune acquite par fes talens , qui pouvant
être au rang des plus grands propriétaires
, dès ſes premiers Ecrits à élevé la voix
contre la tyrannie des grandes proprietés ,
je me trouve à mon aife , & je n'ai pas
beſoin de voiler ma penſée ſous les ménagemens
des bienséances , ou de la taire par
la crainte de ne paroître qu'un faiſeur de
Romans politiques, à l'homme qui a tenu en
main les deſtinées d'un grand Empire.
J'oſerai donc dire d'abord, qu'il n'eſt point
du tout prouvé que là propriété foit néceffaire
à l'ordre ſocial.
Pluſieurs Empires ont ſubſiſte ſans propriété
pendant des fiècles.
Je fais que la Polirique moderne &même
la moderne Philofophie affecte un grand
dédain pourles inſtitutions des Crétois&des
Spartiates. Mais il y a deux faits pourtant
qui méritent quelque conſidération ; c'eſt
qu'il n'y a point d'inſtitutions ſociales qui
aient infpiré plus d'admiration à l'Univers ,
&plus d'amour à ceux qui leur étoient
foumis. Dans l'impoffibilité. de révoquer
en doute l'existence de la Crète & de Lacédémone
, on a dit que c'étoient des plans
de ſociété extraordinaires , bizarres, & hors
de la Nature : & au contraire , fi on confulte
l'Histoire . & les Voyageurs , on voit
que preſque toutes les Sociétés naillantes,
celles qui fuivent encore dans leurs uſages
1
DE FRANCE. 85
l'instinct de la Nature , ne conhoiffent
point ou prefque point la propriété. Si on
confulte la nature de l'homme , on voit
que l'état le plus heureux pour lui eſt celui
où il défire beaucoup ; qu'il eft fait pour
poſſéder paffagèrement& pour défirer conftamment;
que les beſoins & les déſirs font
les véritables enchanteurs qui embelliffent
l'Univers à fes regards , & rempliffent
toute l'étendue de la plus longue vie , des
vives impreſſions de l'enfance &de la jeuneffe.
La propriété a deux effets bien remarquables
: ou content de ce qu'on pofsède
, on s'y borne , &alors ' us d'avenir ,
plus de défirs , plus de plaifirs ; Iame tombe
dans cet affaiffement où l'on meurt d'ennui
au milieu de tous les objets de jouiſſance ,
état fi commun dans les pays des grandes
propriétés , & ignoré par-tout ailleurs : ou
infenfible à ce qu'on poffède déjà , on en
fent croître le beſoin d'obtenir ce qu'on
ne poffède pas encore ; & alors les ames
foibles deviennent avares , les ames énergiques
, avides. On les blâme beaucoup ;
mais ce font celles qui ont confervé le
mieux l'instinct de la Nature , qui veut que
nous craignions & que nous défirions fans
cefle.
L'homme n'eſt fait ni pour tout voir
ni pour tout avoir , ni pour tout ſavoir
ǎlafois.
Je ne crois pas , en ſecond lieu , que toutes
tes inégalités odieuſes qui règnent parmi
7
86 MERCURE
nous , foient des ſuites néceſſaires & inévitables
de la propriété: les inégalités des
propriétés ont d'autres ſources que la propriété
elle-même. On les voit naître de la
conquête , qui donna les deux tiers des terres
à une armée , & ne laiſſa que le tiers aux
Nations vaincues ; du droit d'aîneſſe , Loi
barbare , qui donne tout à un enfant , pour
en laiſſer cinq ou fix dans la misère; des
Loix plus barbares encore , des ſubſtitutions
, qui permettent à la vanité d'un
mourant de laiſſer ſur la terre une volonté
tyrannique , qui fera des victimes & des
pauvres pendant pluſieurs générations ; des
priviléges exclufifs , qui concentrent dans
un perit nombre de mains les fruits que
l'induſtrie &le commerce devroient répandre
ſur les Empires ; des fortunes de la
finance, qui ont fait paffer dans les mains de
quelques particuliers les tréſors de tout un
Peuple ; des vices de notre éducation , ou
plutôt de ce qui nous manque abſolument ,
une éducation nationale , qui , en donnant
quelque égalité aux eſprits & aux talens ,
enmettroit auffi bientôt dans les fortunes-&
dans la condition des hommes. Tous ces
vices de l'ordre ſocial ne naiſſent point de
la propriété; ce ſont au contraire tous ces
defordres qui rendent la propriété ſi inégale,
6 tyrannique.
On peut m'objecter que M. Necker parle
des ſociétés actuelles ; mais non , il parle
de l'ordre focial ; & il faut bien confidérer
DE FRANCE. 87
P'ordre ſocial dans ce qu'il a été & dans ce
qu'il pourroit être , furtout quand on le
rapproche de la notion de Dieu , d'un Etre
éternel.
Je voulois diſcuter avec la même ſincérité
quelques autres raiſonnemens de M.
Necker ; mais je n'attaquerois que fes preuves,&
l'on croiroit que j'attaque ſes dogmes..
Un eſprit original ne peut pas être un
Ecrivain imitateur; des pensées neuves ſe
préſentent naturellement fons des expreffions
& fous des formes nouvelles : mais
c'eſt un inconvénient de ce double mérite,
d'étonner également le commun des
Lecteurs , & par ſes idées,& par ſon ſtyle.
Il est très vrai que le génie & les principes
de goût , qui font à l'uſage de la multitude,
ſe trouvent fouvent en contradiction .
Un efprit très-étendu , par exemple , ne
peut ſe défendre de quelque amour pour
les termes abſtraits & généraux ; ces termes
raſſemblent un grand nombre d'idées , &
ils ſemblent faits pour le génie , qui a
beſoin d'en énoncer beaucoup à la fois ;
mais ils fatiguent l'eſprit de la multitude ,
qui ne peut faifir à la fois que très-peu d'idées.
Un eſprit très - pénétrant eſt ému par
des idées très-profondes ; il ferm paffionné
& métaphyfique , parce que pour lui rien
n'eft métaphyfique , ou que tout l'eft; mais
fon émotion ne ſera pas toujours partagée
par le grand nombre , qui n'eſt remué que
'par les ſens , que par des images.
88 MERCURE
UnÉcrivain qui a long-temps médité un
fujet d'un intérêt univerſel , ſe place naturellement
ſur un vaſte théatre ; il élève naturellement
le ton & les accens de ſa voix:
il parle aux Nations & aux Siècles ; & fa
voix , ſon ton , doivent paroître exagérés
à ceux qui n'ont jamais parlé que dans
quelques cercles des intérêts d'un jour &
d'une maifon.
Il nous ſemble que ce parallèle explique
aſſez bien & le ſtyle de M. Necker , & les
reproches que nous avons entendu lui faire.
Detous ces reproches, celui d'une dignité
trop foutenue nous paroît le plus mérité.
Le ton conſtamment noble & oratoire
met en quelque forte un intervalle entre
l'Ecrivain & le Lecteur. C'eſt la familiarité
& la foupleſſe du ſtyle qui rapproche
le Lecteur de l'Auteur : pour répandre au
loin la lumière , quand elle est née , il faut
peut-être l'éclat du ſtyle oratoire ; mais pour
In faire naître , il faut la fimplicité & la
préciſion du ſtyle purement philofophique
; & ce ſtyle, de la clarté ſeule fait tirer
encore des beautés & des graces : mais
combien, il faut en convenir cependant,
combien cette fimplicité & cette familiarité,
qui font une adreſſe de l'eſprit plutôt
qu'un talent , font inférieures aux beautés fi
communes & fi multipliées dans l'Ouvrage
de M. Necker ! Je pourrois citer vingt
morceaux ; en voici un que je n'ai pu me
laſſer de relire.
DE FRANCE.
» Il eſt des idées ſimples , il eſt des
>> ſentimens qai ſemblent nous approcher
» de bien plus près que la méraphyſique ,
>>des confolations & des eſpérances qui
>> nous font néceſſaires. On ne peut médi
>> ter profondément ſur les merveilleux at-
১৯ tributs de la penſée ; on ne peut arrêter
>>ſon attention ſur le vaſte empire qui lui
>> a été ſoumis ; on ne peut réfléchir ſur la
>> faculté qui lui a été donnée de fixer le
»paffé , de rapprocher l'avenir , de rame-
>>ner à elle le ſpectacle de la Nature & le
>>tableau de l'Univers , & de contenir
>>pour ainfi dire en un point , l'infinité
>> de l'eſpace & l'immenſite des temps ; on
>> ne peut conſidérer un pareil prodige fans
>> réunir à un ſentiment continuel d'admi-
>> ration , l'idée d'un but digne d'une fi
>> grande conception,& digne de celui dont
>>nous adorons la ſageſſe. Pourrions - nous
> cependant le découvrir , ce but , dans
>> le ſouffle paſſager , dans l'inftant fugitif
>> qui compoſe la vie. Pourrions - nous le
>>découvrir dans une ſucceſſion d'appari-
» tions éphémères,qui ne ſembleroient def-
>>tinées qu'à tracer la marche du temps ?
>>Pourrions - nous fur tout l'appercevoir
> dans ce ſyſtême général de deftruction, où,
>>devroit s'anéantir de la même manière ,&
» la plante inſenſible qui perit ſans avoir
>> connu la vie , & l'homme intelligent qui
>> s'inſtruit chaque jour du charme de l'exif-
>> tence? Ne dégradons pas ainſi nous-mê
MERCURE
> mes notre fort & notre nature , & jugeons
, efpérons mieux de ce qui nous
>> eſt inconnu. La vie , qui eſt un moyen
>> de perfection , ne doit pas conduire à
>> une mort éternelle. L'eſprit , cette ſource
" féconde de connoiffances & de lumières,
➤ ne doit pas aller ſe perdre dans les om-
>> bres ténébreuſes du néant. Le ſentiment ,
> cette douce & pure émotion qui nous
ود
ود
unit aux autres avec tant de charmes ,
>> ne doit pas ſe diffiper comme la vapeur
» d'un fonge; la confcience , ce rigide ob-
> ſervateur de nos actions , ce Juge fi fier
" & ft impofant , ne doit pas avoir été
>> deſtiné à nous tromper ; & la piété , la
vertu, ne doivent pas élever en vain leurs
regards vers ce modèle de perfection ,
» l'objet de leur amour & de leur adora-
* tion . L'Etre Suprême, à qui tous les temps
>> appartiennent , ſemble avoir ſcellé déjà
>>notre union avec l'avenir , en nous faiſant
> le don de la prévoyance, &en plaçant au
>> fond de notre coeur le défir paflionné
>> d'une longue durée,& le fentiment con
>> fus qui nous en donne l'attente . Il y a
* quelque relation encore obſcure , quelque
30 rapport encore ignoré, entre notre nature
>>morale & les temps éloignés de nous ,
» & peut-être que nos voeux , nos efpé-
" rairces font un ſixième fens , & un ſens à
>> diſtance, s'il eſt permis de s'exprimer ainfi ,
>> dont un jour nous éprouverons la fatif-
>> faction. Quelquefois auſſi j'imagine que
DE FRANCE.
»
ود
:
le don d'aimer , le plus bel ornement de
la nature humaine , le don d'aimer , enchantement
fublime , eſt un gage myſté-.
>> rieux de la vérité de ces eſpérances ;
"
ود car en nous dégageant de nous-mêmes&
>> en nous tranſportant au delà des limites
>> de notre être , il ſemble comme un pre-
ود mier pas vers une nature immortelle; &
>> en nous préſentantl'idée , en nous offrant
>> l'exemple d'une exiſtence hors de nous ,
>> il paroît vouloir interpréter à notre ſentiment
ce que notre eſprit ne peut coz.r
prendre.
ود
ود
» Enfin , & cette réflexion eſt la plus
>> impofante de toutes , quand je vois l'ef-
>> prit de l'homme atteindre à la con-
>> noiſſance d'un Dieu , quand je le vois
» s'approcher du moins d'une fi grande
» idée , ce degré d'élévation me prépare
رد
" to
ود
en quelque manière à la haute delince
» de notre ame. Je cherche une proportion
» entre cette immenfe penſée&tous les intérêts
de la terre , & je n'en découvre
aucune ; je cherche une proportion entre
>> cette méditation fans bornes &le tableau
>>rapproché de la vie , & je n'en apperçois
>>point. Il y a donc, n'en doutons point ,
>> quelque magnifique ſecret derrière tour
ود
ce que nous voyons ; il y a quelque éton-
>> nante merveille derrière cette toile en-
>>core baifféc; & de toutes parts , autour
20 de nous , nous en découvrons les com-
>> mencemens. Ah ! comment imaginer ,
92 MERCURE
ود
comment ſe réſoudre à penser que tout
ce qui nous ment & nous anime , que
>> tout ce qui nous guide &nous entraîne,
>>eſt une ſuite de preftiges , un affemblage
>> d'illufions « !
Comme, dans ce merceau , la penſée eſt
toujours profonde , & l'expreſſion toujours
ſenſible& animée. J'en connois peu d'auíli
beau dans notre Langue.
Le nom de M. Necker, comme fon Ouvre,
fervira un jour aux défenſeurs de la
cauſe de Dieu. On dit aujourd'hui que Newton
& Locke croyoient en Dieu : il viendra
un temps où l'on dira auſſi que Turgot &
Necker y ont cru .
( Cet Article est de M. Garat. )
/
TRAITÉ élémentaire ſur l'Art de peindre
en miniature , par le moyen duquel les
Amateurs qui ont les premiers principes
du Deffin , peuvent atteindre à la perfečtion
dans cegenre ſans leſecours d'un
Maitre, par M. VIOLET , Peintre en
miniature , & Membre de l'Académie de
Lille en Flandre. Prix , 30f. A Paris,
chez l'Auteur , rue Chauffée- d'Antin ,
vis-à vis l'Hôtel Monteſſon ; & Guillot ,
Libraire de MONSIEUR , rue Saint-
Jacques , vis-à-vis celle des Mathurins.
II. feroit à ſouhaiter que les Artiſtes
célèbres vouluſſent bien écrire ſur l'Art
DE FRANCE
qu'ils ont exercé , & dont ils ont reculé
les limites. Leurs règles , leurs apperçus
même décéleroient ces ſecrets, que leGénie
& la Nature ſemblent ne réſerver qu'aux
adeptes : mais , nous en convenons à regret,
l'Artiſte qui fait ſi bien peindre tout ce qu'il
conçoit , & embellir la Nature & fes créations
, feroit embarraſſe ſouvent à fixer ſa
penſée ſur le papier. Son imagination ſi
brillante quand ſa main tient le pinceau ,
devient froide quand elle prend la plume,
La raiſon de cette impuiſſance eſt facile à
deviner ; c'eſt que l'Artiſte en général ne
fût point pénétré de ce précepte fi vrai de
Voltaire fur l'union qui exiſte entre les
Beaux-Arts , & qu'au lieu de les cultiver
tous , il n'en chérit qu'un :
Tous les Arts font amis ainſi qu'ils font divers ;
Qui veut les féparer eſt loin de les connoître.
۔ود
On ne fera point ce reproche à M. Violet ,
qui, par ſes portraits, a prouvé qu'il étoit
Peintre , & qui prouve encore qu'il l'eft
en écrivant. C'est ainſi qu'il définit ſon
Art , & tous les Arts en peu de mots.
ToutArt proprement diitt eft une rén-
>>nion de préceptes , de règles , d'expé-
>>riences & de raiſonnemens. Ariftore le
» definit, une méthode de bien faire quel-
» que chofe. Selon Lucien, c'eſt un recueil de
>> préceptes pour une fin utile à l'homme " .
M. Violet parle-t- il de l'origine de fon
94 MERCURE
Art? "Tout l'Art, dit-il, confiftoit d'abord
>> à peindre ce qu'on voyoit & ce qu'on
>> fentoit. On ne ſavoit pas choitir..... Les
>> Grecs , doués d'un génic heureux, fai-
ود firent eufin avec netteté les traits effen-
• tiels.& capitaux de la belle Nature ,&
comprirent clairement qu'il ne fuffifoit
pas d'imiter les chofes, qu'il falloit encore
les choifir. Jufſqu'a cux les Ouvrages
n'étoient encore remarquables que par
>> l'énermité des maſles . Les Grecs ſen-
>>> tirent qu'il étoit plus beau de charmer
>>>l'eſprit , que d'étonner ou d'éblouir les
גנ
." 1
ود
yeux. Ils jugèrent que l'unité , la variété ,
la proporcion , devoient être le fonde-
>> ment de tous les Arts :& fur ce fond ,
fi beau , fi jufte , fi conforme aux loix
du goût & du ſentiment , on vit chez
eux la toile porter le relief & les couleurs
de la Nature ; le pinceau enfanta
>> des miracles ".
ود
دو
ود
Les préceptes que l'Auteur donne font
infpirés par le goûr le plus délicar.
ود
» Le
but d'un Artiſte , dit-il , doit être d'ex-
» primer la Nature , de la rendre , & non
ود de la farder. C'eſt la déguiſer,la contre-
>> faire , que de montrer l'Art : il perd tout
fon prix dès qu'il eſt apperçu. Son mérite
confifte à ne laiffer aucune trace de
lui-même, à ne pas ſe laiſſer ſoupçon-
> ner, s'il ſe peut ; en ſe décelant , il détruit
l'illufion & le charme , qui font la
> vraie ſource du plaifir que donnent tous
ود
ود
DE FRANCE.
95
و
les Ouvrages d'imitation « . L'Auteur
fait enſuite des applications particulières
à fon Art ; & enfin il donne des leçons
fi claires , des définitions fi exactes , des
réſultats fi vrais qu'il eſt impoffible qu'on
life fa brochure fans fruit. On y'eſt entraîné
par l'agrément du ſtyle , & par la
vérité & la précition des préceptes. Toutes
les règles de l'Art & du goût font renfermées
dans vingt trois Chapitres , & chaque
Chapitre eft auffi court & auffi inftructif
qu'il doit l'être ; tant il eſt vrai qu'on
peut dire beaucoup de choſes dans 70
pages ! Nous finirons cette analyſe par une
citation du vingt- deuxième Chapitre , où
M. Violet relève un ridicule trop commun
à ceux qui ſe font peindre.
>>Rien ne ſemble plus ridicule , dit- il ,
>> que de vouloir être peint en riant ; ce-
>> pendant chacun dans ce ſiècle veut rire
» en peinture ..... On ne peut faifir qu'un
ود inſtant dans l'imitation d'un portrait. Le
» moins ridicule eſt celui qui convient le
>> mieux , & c'eſt ſans contredit celui où
ود
ود
l'on a l'air de s'occuper de quelque idée
>>agréable , qui mettant du jeu dans les
yeux && dans tous les traits , y fait naître
une gracieuſe hilarité. Mais il y a loin
>> de l'action légère & preſque imperceptible
des muſcles dans un demi-fourire
aimable , aux convulfions d'un rite im-
>>modéré ou forcé..... Je ſuppoſe qu'un
> Génie mal- faiſant s'introduisît dans un
ود
ود
96
MERCURE
10
"
>> cercle où la groſſe gaîté auroit gagné
» tous les alliſtans , & que fixant leurs
> traits dans l'état où ils ſeroient , au moment
de l'accès du rire , il les condamnât
à y reſter toute leur vie , comme un
>> portrait qui ne change jamais d'expreffion
; je demande fi ces mêmes perfon-
" nes éparſes enſuite en différens lieux , ne
>> ſeroient pas regardées comme des imbé-
>>cilles ou des foux ; & rien n'eſt agréable
>> que quand il eſt momentané ". Nous
avons en effet obſervé à l'expoſition des
tableaux , que les portraits étoient caractérifés
, fur-tout par ce rire , qui prononçoit
les figures d'une manière ridicule. Tout
eſt de mode; & à ce rire déplacé ſuccédera
un jour un maintien trop grave. Ces excès
font malheureuſement très voiſins. M. Violet
eſt l'Artiſte qu'il faut pour ſavoir ſe
tenir à cette distance qu'un goût sûr indique.
Ses miniatures en offrent des preuves
continuelles, & nous ne craignons pas de
dire que plus ſon talent fera connu , plus
il ſera prifé & recherché.
VARIÉTÉS.
DE FRANCE. 97
VARIÉTÉS.
NOTICE fur M. RISBЕСК.
DEPUIS les progrès que les Allemands ont faits
dans la Littérature , depuis que les chef-d'oeuvres
qu'ils ont produits , ont excité les François à connoître
leur Langue & à traduire leurs Ouvrages,
la perte des Litterateurs diftingués de l'Allemagne
ne peut plus paroître indifférente à la Nation Fran
çoiſe. Un grand Homme , un bon Ecrivain ſont
de tous les pays , & Buffon eſt pleuré en Angleterre
, en Italie , en Ruſſie , comme il l'eſt en
France. Le Monde littéraire devroit être regardé
comme une famille dans laquelle tous les membres
qui la compoſent viennent dépoſer les richeſſes
de leur imagination ; &, la perte de l'un
de ces membres , de quelque Nation qu'il ſoit ,
ne peut qu'exciter les regrets de tous les autres.
Les Gens de Lettres François ſont ceux qui ſe
font le plus long-temps refuſés à cette eſpèce de
fraternité avec leurs voiſins, & fur-tout avec les
Allemands : leur juſtice envers eux a été lente
&tardive ; mais depuis environ quinze ans qu'ils
commencent à connoître leurs Ouvrages , ils les
ont appréciés , & ont forcé leurs préjugés défavorables
à ſe taire. C'eſt ici le moment de rappeler
les regrets touchans que M. de Florian a
exprimés , au milieu de l'Académie , fur la perte
de ſon ami Geffner. Il étoit beau de faire verfer
des larmes , fur la mort d'un Ecrivain étranger ,
Nº. 28. 18 Juillet 1788 ,
E
98 MERCURE
àune Nation qui peut montrer des modèles dans
preſque tous les genres : il étoit encore plus beau
que ces regrets partiſſent d'un jeune Ecrivain que
l'on eft toujours tenté de imettre en parallèle
avec Goffner : c'étoit Virgile jetant des fleurs fur
le tombeau de Théocrite.
Ces réflexions , Meſſieurs , m'ont engagé à vous
parler de M. Risbeck , jeune Auteur Allemand
enlevé aux Lettres il y a deux ans, & moiffonné à
la fleur de fon âge; j'ai pensé que quelques détails
fur la vie paroîtroient d'autant plus intéreffans,
que les deux principaux Ouvrages viennent
d'être traduits en françois ( 1) .
M. Gaſpard Risbeck est né ca 1750 , dans une
petite ville près de Maïence. Son père étoit Négociant
à Eukſt , & jouiſſoit d'une fortune aſlez
conſidérable. C'eſt à tort que l'on a imprimé qu'il
étoit Baron ; non, Meſſicurs, Risbeck n'étoit point
un homine de qualité , mais il étoit quelque choſe
de mieux , c'étoit un homme de génie. Il fut
envoyé à Maïence pour y faire ſes études : la
ſcience du Droit étoit celle pour laquelle on le
deftinoit. Cette ſcience cependant n'étoit point
faite pour le jeune Risbeck; fon imagination brûlante
, ſon caractère impétueux le rendoient peu
propre à l'étude aride, mais néceſſaire, des Loix.
(1) Son Voyage enAllemagne , dans une ſuite de Lettres ,
trad. de l'Anglois. Il n'étoit guère poſſible que cette Verfion ,
faite d'après la Traduction Anglaiſe, pût être très-fidelle ni
très- élégante. L'Edition qui a été revue ſur l'original Alle
mand, eſt meilleure .
Le fecondOuvragede Risbeck eſt une Histoire d'Allemagne,
dontM Doray de Lougrais a annoncé la Traduction dans le
Journal de Paris, du Vendredi , Mai.
DE FRANCE.
99
Souvent il ſe rendoit aux Cours de ſes Profeffeur's
avec Verther ou l'immortel Poème du Meffie dans
ſa poche ; & là , retiré dans un coin , au lieu de
prêter ſon attention aux préceptes qui affurent les
droits des citoyens , il s'attendriffoit fur le fort de
l'infortunée Charlotte ; ou , tranfporté par Klop
tock , élevoit fa penſée juſquà l'Etre Suprême.
Obligé donc de ſe livrer à des Sciences pour
leſquelles il avoit un dégoût inſurmontable , ſes
premières années ne furent point marquées par des
ſuccès, & le terme de ſon éducation étoit arrivé
fans qu'il eût commencé ſes études. Malheureuſement
, à cette époque, régnoit en Allemagne une
Secte , dont les principes dangereux n'ont formé
que trop de profélytes ; elle s'appeloit la Secte des
Génies par excellence ( das Genieveſen ). Ses principes
fondamentaux étoient le mépris fouverain
des convenances ſociales, l'éloignement pour toute
affaire quelconque. Les eſprits fublimes de ſes
partifans regardoient comme au deflous d'eux
les emplois , les engagemens politiques , les fonctions
qui exigeoient un travail ſuivi ; enfin la
liberté étoit l'idole chimérique qu'ils encenfoient
&à laquelle ils facrifioient toutes les réalités. Une
Société fondée ſur de ſemblables principes , &
qui en impofoit par quelques noms célèbres , devoit
naturellement flatter la jeuneſſe , toujours
prompte à fair les liens, quelque légers qu'ils
foient. L'effervefcence dans les têtes fut prodigieuſe,
& bientôt l'on vit une foule de jeunes
gens accourir pour ſe ranger ſous les drapeaux
des Chefs de la Secte .
Risbeck ne fut point des derniers à fe rendre
auprès de ces nouveaux Diogènes. Son ame ardente
& indomptable , qui peut- être avoit déjà deviné
dans la folitude ces principes dangereux , ſe fentit
E 2
JOO MERCURE
comme électriſée par cux ,& alors reçut tout fon dé-
'veloppement , femblable à un feu qui couve depuis
long-temps ſous la cendre , & qui , à l'approche
d'une flamme légère, s'embrafe & confume
tout ce qui l'environne. Il ne tarda pointà ſe repentir
de s'être laiflé emporter par ſon imagination.
Obligé , d'après ſes principes , de mépriſer l'état
auquel le deftinoit ſon père , il diffipa dans peu
le bien dont il avoit hérité , & ſe vit enfin réduit,
pour fubfifter , à ſe mettre aux gages des
Libraires : ainfi , en pourſuivantune liberté idéale,
il tomba dans un véritable eſclavage. Plaignons
fes erreurs mais applaudiflons - nous qu'elles
n'ayent point été couronnées du ſuccès. Risbeck ,
fectateur heureux & favorisé de la fortune , fut
refté plongé dans une entière apathie ; le malheur
J'éveilla, & , en le retirant de ſa léthargie, le rendit
aux Lettres , pour lesquelles il ſembloit être
perdu.
,
Risbeck quitta ſa patrie , & fut s'établir à Saltzbourg.
C'eſt là qu'il débuta dans la Littérature par
les ſecond & troiſième volumes des Lettres fur
les Moines. Le premier volume de cet Ouvrage ,
qui eſt attribué à M. de la Roche , fit une trèsgrande
fenfation ; fon objet principal étoit de dévoiler
la conduite des Moines dans les pays Catholiques
de l'Allemagne , la manière dont ils
cherchoient à enraciner les préjugés dans le peuple
pour ſe rendre maîtres de ſon eſprit , & le
plus ſouventpour rançonner l'ignorance dans laquelle
ils le maintenoient , & qui enchaînoit ces
malheureux à leur joug. Risbeck , qui avoit déjà
parcouru l'Allemagne , & qui dès - lors raſſembloit
des matériaux pour le Voyage qu'il publia
quelques années après , avoit été témoin
de leur conduite. Il entreprit donc de continuer
l'Ouvrage , & les deux volumes qu'il publia curent
DE FRANCE. 101
plus de ſuccès que le premier. Cependant il vou-
Iut faire croire qu'ils fortoient de lamême plume,
en imitant le ſtyle de M. de la Roche; mais le
preſtige ne fut que pour le vulgaire. Les Gens de
Lettres reconnurent , dans la continuation , un
Écrivain plus hardi dans ſes vûes , plus nerveux
dans ſon ſtyle , & malgré le voile de l'anonyme
dont il s'étoit envelopppé , ſon ſecret fut bientot
divulgué.
Toujours paffionné pour les Voyages , Risbeck
voulut voir la Suifle , & fut ſe fixer quelque temps
à Zurick : là , il coopéra à la rédaction de la fameuſe
Gazette politique de cette ville , & publia
fes Voyages ſous le titre de Lettres d'un Voyageur
François fur l'Allemagne. Si Risbeck , dans fon
premier Ouvrage , fe fit connoître comme bon
Ecrivain & obfervateur exact , dans celui-ci il ſe
montra génie original , profond penfeur, Ecrivain
élégant; fon eſprit , qui n'étoit plus retenu par
la gêne de l'imitation , ni refferré dans les børnes
d'une carrière tracée par une main étrangère , put
prendre tout ſon effor. Je ne m'étendrai point
fur ces Lettres ; leur fuccès a déterminé le jugement
que l'on en doit porter ; je me bornerai
ſeulement à regretter que dans la Traducion
françoiſe , les graces du ſtyle de l'original aient
entièrement difparu , &que les fleurs que M.
Risbeck a ſu y répandre , en quittant le fol natal
, ſe foient flétries & décolorées .
Ici finiffent les ſuccès Littéraires dont a joui
M. Risbeck pendant ſa vie ; il quitta Zurick, &
s'iſola dans le village d'Arau. Ses malheurs avoient
-aigri ſon caractère ; bientôt une noire mélancolie
ſe répandit fur toutes ſes idées , & le jeta dans
une eſpèce de miſanthropie. Vers la fin de ſes jours,
il ne connut plus d'autre ſociété que celle des ca
E 3
102 MERCURE
barets. En vain MM. Geffner & Lavater employèrent
les plus vives ſollicitations pour l'engager à
revenir à Zurick , & lui offrirent de l'aider de leur
bourſe & de leur crédit; il ſe refuſa conftamment
à leur généreuſe bienveillance , & perfifta dans
le nouveau genre de vie qu'il avoit adopté.
Risbeck cependant écrivoit dans ſon village
une Hiſtoire d'Allemagne , il en traçoit les révolutions
avec cet eſprit d'indépendance & cette
vigueur de ſtyle qu'il avoit montrés dans ſes précédens
Ouvrages déjà il touchoit au terme de
fon travail & alloit jouir du ſuccès de ſes veilles ,
lorſque la mort l'enleva à ſa gloire. L'Allemagne
attendoit cet important Ouvrage. Enfin il a paru ,
grace aux foins de M. Vinkopp , qui l'a terminé,
&n'a point démenti les hautes idées que l'on s'en
étoit formées.
Risbeck est mort à Arau , les Février 1786.
(Par M. le Prince Baris de Galitzin. )
ANNONCES ET NOTICES.
VOYAGES Imaginaires , Romaneſques , Merveilleux
, Allégoriques , Amuſans , Comiques &
Critiques ; ſuivis des Songes & Viſions , & des
Romans Cabaliſtiques , ornés de Figures ; 12e.
Livraiſon contenant les Hommes volans , le
Voyageur aérien , Micromegas , Julien l'Apoftar ,
cu Voyages dans l'autre Monde , les Aventures
de Jacques Sadeur,
,
:
DE FRANCE. 103
Cette Collection formera 36 Volumes in- 8 °. ,
dont le prix eft de 3 liv. 12 f. le Volume broché ,
avec 2 Planches .
Il paroîtra régulièrement 2 Volumes par mois.
On continue de s'infcrire pour cette Collection ,
àParis , rue & hôtel Serpente , chez CUCHET
Libraire, Editeur des OEuvres de Le Sage , 15 vol.
in-8 °., avec Fig.; de celles de l'Abbé Prévoſt ,
39 vol. idem ; & du Cabinet des Fées , 37 vol.
in-8°. & in-12 , avec & fans Figures .
•OEUVRES choiſies du Comte de Treſſfan ; 20.
Livraiſon, contenant la ſuite de l'Amadis de Gaulc,
Roland l'amoureux , Roland furieux. 2 Volumes
in- 8 ° . , avec Figures.
CesOEuvres formeront 12 Vol. in- 8 °. , ornés de
Fig. & du Portrait de l'Auteur ; & contiendront l'Amadis
de Gaule, l'extrait de Roland l'amoureux ,
Roland furieux , Corps d'extraits de Romans de
Chevalerie , Mélanges & OEuvres pofthumes en
vers & en proſe , Lettres du Roi de Pruffe , du
Roi de Pologne , & de Voltaire , au Comte de
Treflan.
On délivrera 2 Vol. de deux en deux mois. Le
prix eft de 4 liv. 4 f. le Volume broché , avec 2
Planches.
On s'infcrit à Paris , chez CUCHET , Lib. , rue
& hôtel Serpente ; & chez les principaux Libraires
de l'Europe.
La Science de la Législation , par M. le Chevalier
Gaëtano Filangieri , Confciller d'Etat au Département
des Finances de Naples ; Ouvrage traduit
de l'Italien, d'après l'Edition deNaples de 1784,
Tomes III , IV & V. A Pariiss,chez Cuchet,ruc
& hôtel Serpente , 1787 , in-89,
104 MERCURE
La matière de ces trois volumes eft la Légiflation
criminelle. En attendant que nous puillions
faire une expoſition détaillée des principes de cet
important Ouvrage , nous nous contenterons de
dire que jamais on n'en offrit de plus approprié
aux circonstances , ni de plus analogue aux idées
qui occupent actuellement les eſprits.
,
Les Histoires de Sallufte , & des Pièces entières
tirées des Fragmens , traduites en françois , avee
le latin , revu & corrigé , des Notes critiques ,
& une Table géographique ; quatrième Edition
revue & corrigée avec ſoin ; par M. Beauzée , de
l'Académie Françoiſe , &c. in- 12. Prix , 3 liv. relié.
A Paris , chez Barbou , Imprimeur- Libraire , rue
des Mathurins.
La réputation de cet Ouvrage eſt faite depuis
long temps.
Dictionnaire universel , François - Latin , par
MM. Lallemant ; Ouvrage compofé ſur le modèle
du Dictionnaire Latin-François de M. Boudot;
ſeptième Edition ; prix , 6 liv. A Paris , chez
Barbou , rue des Mathurins ; Brocas , rue Saint-
Jacques; &Nyon le jeune , près le Collége Mazarin.
Les mêmes Libraires ſe diſpoſent à donner une
nouvelle Edition du Dictionnaire Latin François
de Boudot , avec des changemens & des améliotions
confidérables , qui doivent y donner un
nouveau prix. Ces deux Ouvrages doivent trouver
place dans les Bibliothèques.
OEuvres complètes de Gilbert , in-8° . Prix , 21.
10 f. papier ordinaire , br. papier fin , 31. 12 f. A
Paris , chez Lejay , Libraire , rue Neuve des Petits-
Champs , près celle de Richelicu
DE FRANCE.
105
Nous reviendrons ſur ce Poëte , qui a fourni
une fi courte carrière avec bien plus de talent que
de bonheur.
Avis important fur l'Economie Politico-Rurale
des pays de montagnes , fur la cauſe & les effets
pregreffifs des torfens, &c par M. B*** , Inſpec-
-teur- Général des Ponts & Chauffées . Brochure
de 15 pages. A Paris , chez Royez , Libr. quai
des Auguſtins.
CetteBrochure renferme des obſervations utiles.
Collection des principaux Hiſtoriens , Philofophes,
Poëtes& Romanciers Anglois, en anglois ,
6e. Livraiſon, contenant Robertfon's Hiſtory of
Charles V, tome Ier. in-8 °. Prix , 3 liv. br. A
Paris , chez Piffot , Libraire , quai des Auguſtins ,
no. 211
On a accueilli en France la Collection des Auteurs
Latins , donnée par M. Barbou ; celle des
Auteurs Italiens , publiée par M. Prault. Ces deux
Collections ont eu le plus grand ſuccès , & le méritoient
à tous égards, tant par le choix des Auteurs
, que par la beauté de leur exécution &
par l'exactitude de leur texte. La Collection des
Auteurs Anglois que nous annonçons aujourd'hui ,
& dont il paroît 8 vol. in-8 . au prix indiqué de
3 liv. chaque vol. br. mérite le même accueil &
les plus grands éloges. La beauté des caractères
&du papier ne laiſſe rien à défirer. Les progrès
que la Langue Angloiſe a faits depuis pluseurs
années (puiſqu'on la regarde aujourd'hui comme
faifant partie de l'éducation de la Jeuneffe ) , &
le nombre conſidérable de bons Auteurs en tout
genre que cette Nation a produits , doit néceflairement
en aſſurer le ſuccès. Le but du Libraire eſt
de faciliter l'acquifition des Ouvrages utiles & in106
MERCURE
téreſſans de cette Langue pour un prix raiſonnable
; car le prix exorbitant des Livres Anglois
les met hors de la portée de beaucoup de Lecteurs
. C'eſt donc répondre aux voeux des Amateurs ,
que de leur procurer , fans peine & à peu de frais ,
leurs meilleurs Auteurs en tout genre. On ne donne
point d'argent d'avance 3 il fuffit ſeulement de fe
faire infcrire,& de s'engager à prendre ces Ouvrages
à meſure qu'ils paroîtront. On n'est pas obligé
de ſouſcrire pour la Collection entière ; ce qui eft
avantageux pour les perſonnes qui ont déjà pluſieurs
Auteurs Anglois. Les Livraiſons , qui ſe
ſuccèdent rapidement , prouvent que cette entrepriſe
ſe pourſuit avec activité.
C'eſt chez le même Libraire que l'on foufcrit
pour le Général Advertiſer , Journal en anglois,
qui , comme nous l'avons déjà annoncé , eſt un
extrait de tout ce que les Papiers , Journaux , Magafins,
Pamphlets Anglois & Américains fourniffent
de plus intérefiant ſur les affaires de la Grande-
Bretagne & des Etats- Unis de l'Amérique. Le prix
eſt de 48 liv . franc de port , pour l'année ; prix
modique , comparé au prix exceſſif des Feuilles
Angloifes.
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Collection des Mémoires de IHiſtoire de Franse,
Tome XL. A Paris , rue & hôtel Serpente.
Ce Volume contient la fin des Mémoires de
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, de M. de la Chaſtre , & de Guillaume de
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Ce nouveau Volume eſt le rre. du Théatre, &
contient le Misanthrope & le Médecin malgré lui.
DE FRANCE. 107
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Jardins Anglois qui ſont en France , accompagnées
de leurs deſcriptions , nº. 3. Prix 6 liv. chez
Simon , rue du Plâtre S. Jacques , nº . 7 .
د
Ce troiſième nº. complète la deſcription d'Ermenonville.
}
Théatre de la guerre actuelle entre l'Empereur &
le Turc , l'Impératrice de Ruffie & le Turc , par
M. Moithey , Ingénicur-Géographe du Roi , &c.
A Paris, chez l'Auteur, rue de la Harpe, la porte
cochère vis-à-vis la Sorbonne , No. 109 ; & chez
Crépy , rue S. Jacques , No. 252. Prix de chaque
Partie , 3 liv .
Cet Ouvrage eſt diviſé en deux Parties , chacune
de deux feuilles d'aſſemblage ; la première
comprend la Carte générale de l'Empire de
Ruflie; & la ſeconde renferme les Royaumes de
Hongrie & de Bohème , partie de la Ruffie , la
Petite Tartarie , la Beſſarabie , la Moldavie , la
Tranfilvanie , & la Turquie d'Europe , &c.
Ces deux Cartes ont été dreſſées pour la lecture
des Journaux & autres Annonces périodiques,
Pot - Pourri d'Airs connus & autres pour le
Forté-Piano , par M. Steibelt. Prix , 3 liv. , formant
le N° . 53 du Journal de Pièces de Clavecin
, par différens Auteurs,
=Sonate pour le Clavecin , avec Violon &
Violoncelle , par J. F. Sterkel, Prix , 3 liv. , for
mant le N° . 54 du même Journal.
= Six Sonates pour le Piano-Forté , dont cinq
avec accompagnement de deux Violons , & la 6e .
avec Hautbois ou Clarinette, par M. Julien Navoigille
; Duv, se. Prix , 9 liv.
TOS MERCURE DE FRANCE .
=Douze nouveaux Quatuors concertans pour
deux Violons , Alto & Violoncelle , par M. Cambini
; première Livraiſon de trois Quatuors. Prix,
6 liv.
Trois Sonates pour Clavecin , dont deux avec
Violon obligé , la ze. fans accompagnement , par
M. Dufſek; OEuv. se, Prix , 9 liv.
Six Duos dialogués pour deux Violons , par
M. Ignace Pleyel ; OEuv. 13e. Prix , 7 liv . 4 f.
A Paris , chez M. Boyer , Md. de Muſique , rue
de Richelieu , ancien Café de Foy ; & chez Mme,
Lemenu , rue du Roule , à la Clef d'or,
TABLE.
Acrostiches.
ZELTS au Bal .
Charade, Enig. & Logog. 54
49 nions religieuses. 56
5: Traité élémentaire.
Var évés.
92
97
De l'Importance des Opi- Annonces & Notices . IGZ
APPROBATION.
J'Allu , par ordre de Mgr . Ie Garde des Sceaux ;
le MERCURE DE FRANCE , pour le Samedi 1
Juillet 1788. Je n'y ai rien trouvé qui puifle en
empêcher l'impreſſion. AParis, le 11 Juillet 1788.
SÉLIS.
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
POLOGNE.
De Varsovie , le 14 Juin 1788.
DANS une lettre au Général de Witt ,
Commandant de Kaminieck , le Prince de
Saxe- Cobourg s'eſt plaint des ventes de
bleds faites aux Turcs de Choczim par les
Polonois , en demandant que la République
fît ceffer ce commerce , & fermer
les moulins où les Ottomans font moudre
leurs grains. Acette réquifition , il a joint ,
dit-on, la menace d'employer des moyens
violens pour interrompre cette communication.
Le Confeil Permanent , à qui cette
dépêche& ces menaces ont été envoyées ,
ena témoigné la plus grande ſurpriſe : on
ne connoît pas encore les inftructions ultérieures
qu'il a fait paſſer au Général de
Witt , mais l'on ſe demande généralement
ici , fi la neutraliré de la République ne
N°. 28. 12 Juillet 1788.. c
( 50 )
deviendroit pas illuſoire , du moment où
elle vendroit des ſubſiſtances aux Autrichiens
, & les refuſeroit aux Ottomans ; fi
⚫une infraction auſſi poſitive de nos traités
& de cette neutralité même , n'expoteroit
pas l'Etat aux légitimes hoftilités
des Sujets de la Porte'; & ſi , ſous aucune
confideration , il peut nous convenir de
tompre ainſi , ſans ménagemens , le derhier
fil des liaiſons qui uniffent encore la
République au ſeul Allié qui lui foit refté
fidèle , à l'époque de ſes dernières infortunes.
Choczim n'eſt ni pris , ni même aſſiégé
en forme; les Autrichiens le bloquent feuement
, lui coupent les convois , & ne
arderont pas probablement à s'en rendre
maîtres , fi la place ne reçoit des ſecours
immédiats .
On apprend de Niémerow , que le Maréchal
de Romanzof, dont l'armée , y
compris les Corps des Généraux d'Elmpt,
Soltikof & Kamenskoi , eſt de trente mille
hommes , s'eſt poſté ſur les deux rives du
Niefter , & qu'il paroît avoir pour objet
He couper la communication entre l'armée
Turque ſur le Danube & celle ſur le
Niefter .
( 51 )
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 21 Juin .
L'impératrice de Ruſſie a décoré de
l'Ordre de St. Alexandre Newski , le Général
Saborofsky , qui doit commander en
Chef les troupes de débarquement qui
pafſferontdans la Méditerranée , ſur la flotte
de Cronſtadt , ſi toutefois cette flotte fort
de la Baltique. En attendant, le Général
Saborofsky , accompagné du Prince de
Heffe-Philipsthal , Capitaine aux Gardes- àcheval
, fe rend en Italie.
Le 13 de ce mois , le Prince Royal
de Danemarck eſt parti de Copenhague
pour Fladſtrand , avec ſa ſuite , compoſée
du Maréchal de Cour de Bulow , d'un Gentilhomme
de la Chambre , d'un Adjudant
général , d'un autre Adjudant , d'un Secrétaire
& d'un Chirurgien. S. A. R. s'eſt
embarquée à Fladſtrand, le 18 , pour Fridrichſtadt
en Norwège , & fera probablement
de retour dans la capitale le 18
août.
Pluſieurs Politiques entreprennent l'apologie
de la Régence de Dantzick contre
la pluralité des Négocians de cette ville .
Ils ſoutiennent , entre autres , que pendant
plus de trois fiècles Dantzick , heureuſe
ſous la protection de la Pologne ,
cij
( 52 )
devoit à ce royaume toute ſa proſpérité ;
qu'elle ſe couvriroit de la plus noire ingratitude
, fi elle conſentoit à changer ſa
conſtitution actuelle , ſans être déliée formellement
du ferment qui l'attache au
Roi de Pologne , &fans la participation
de la Ruffie ; enfin , que le Magiſtrat ne
pourroit pas diſpoſer des terres confidérables
qui ont été données par les Rois
dePologne à nombrede particuliers Dantzikois
, avant d'avoir à cet égard leur exprès
conſentement. Sans nier les obligations
rappelées dans ces raiſonnemens , le Parti
oppoſé prétend qu'elles ont perdu toute
leur force , du moment où la Pologne
même ſe trouve impuiſſante à protéger
le commerce & l'indépendance de Dantzick
, ainſi que la libre navigation de la
Viſtule ; qu'ayant malheureuſement participé
aux déſaſtres de la République , cette
ville feroit, comme elle,le jouetdes intérêts
étrangers , fi elle ne mettoit les débris de
fon exiſtence politique & de fon commerce
, ſous l'égide d'un Suzerain puiſſant;
qu'environnée aujourd'hui de fon territoire
, de ſes douanes , & pouvant l'être
de ſes troupes à chaque inftant, Dantzick
n'offre plus les mêmes avantages à la Palogne
, & qu'en lui reſtant ſubordonnée ,
alle ne le ſera réellement qu'aux Ruffes ,
auxquels il importe de conſerver une in
( 53 )
fluence ſouveraine fur un port auſſi eſſen.
tiel dela Baltique, ſurun port qui coupe &
ſépare la Pomeranie & la Pruffe ,& dont la
réunion à ces deux Provinces de la même
Monarchie , donneroit à celle-ci une influence
dans le Nord , qu'il convient à
la Ruffie de prévenir.
On apprend de Suède , que le nouveau
réglement de la diſtillation des eaux- devie
, rencontre toujours beaucoup d'oppoſitions.
On fait qu'autrefois cette diſtillation
étoit libre , & qu'elle est devenue
enfuite un droit régalien. Le réglement
du 20 décembre dernier révoque, à la vérité
, tous les réglemens antérieurs ; mais il
établit,ſurla permiſſion de diſtiller,un droit,
non pas perſonnel , comme on l'avoit cru,
mais inhérent à la terre de chaque propriétaire.
On a compté l'année dernière , à Gothembourg
, 197 mariages , 572 naiſſances
& 564 morts.
Lapopulation de cette ville , non compris
la garniſon , s'élève à 12,685 habitans.
L'armée Suédoiſe qui s'aſſemble dans
la Finlande , ſera compoſée de 25,000
hommes , dont 1,200 font de la garde du
Roi.On préfume que le Général de Hordt ,
qui a quitté le ſervice de Suède en 1756 ,
pour entrer dans celui du Roi de Prufſe ,
:
ciij
( 54 )
reviendra dans ſa Patrie , & fe rendra à
l'armée. Le 14 , le Roi étoit encore à
Stockholm , attendant les régimens des
provinces ſeptentrionales qui s'embarqueront
immédiatement , & qui paſſeront en
Finlande ſous la conduite même de Sa Majefté.
De Vienne , le 21 Juin.
Les avis de Semlin , juſqu'au g , ne
parlent que des diſpoſitions défenſives
qu'on a ſubſtituées dans la grande armée ,
au premier plan de campagne antérieurement
adopté. On travailloit à élever autour
du camp des redoutes qu'on garnira
d'artillerie : par la multiplicité den retranchemens
, par le nombre des batteries,
on eſpère rendre ce camp inexpugnable.
Les poſtes qui ſe trouvoient ſur le territoire
Ottoman ont été retirés , & il ne
reſte plus fur la droite de la Save , que
$400 Autrichiens formant la garniſon de
Sabatſch . Ces précautions,dictées par un
nouveau ſyſtême , dont on ne connoît encore
qu'imparfaitement & la nature &
l'étendue , ont un peu refroidi le courage
de nos troupes , fauſſement perfuadées
que toutes les forces de l'Empire Ottoman
vont tomber fur Semlin .
Au contraire , il paroît avéré que le
Grand-Vifir , fur la marche duquel on n'a
( 55 )
-
pas d'ultérieures nouvelles , a détaché un
Corps d'armée en Boſnie , & un ſecond
vers le Dannat , s'avançant lui-même avec
ſes forces principales vers Belgrade. Déja
fix mille Spahis arrivèrent , le ier. juin , devant
cette place , & s'y établirent ſous des
tentes . Le reſte de l'avant- garde de 30
mille hommes , dont ces Spahis font partie
, s'eſt approché ſucceſſivement , & , le
8 , 16 mille Turcs campoient fous Belgrade
. Les premières lettres nous apprendront
probablement la réunion de ces
forces à celles qui les ſuivent. Quelques
Soldats , & même un Officier de
notre armée , font paſſés chez l'ennemi
cette déſertion a été imitée par une affer
grande partie des Rafciens , habitans de
la Servie , qui s'étoient armés en notre
faveur , dans l'eſpoir de la priſe très-prochaine
de Belgrade & de la province entière.
La crainte d'être ſaiſis , & celle de
voir égorger leurs familles laiſſées en Sei
vie,les ont fait rentrer ſous leurdomination
légitime , & ils font allés implorer leur
grace du Séraskier.
En comptant les renforts envoyés au
Général Wartensleben, qui commande dans
le Bannat ,& les garniſons des places frontières
, nous avons actuellement 28 mille
hommes pour défendre cette province.
Non-ſeulement M. de Wartensleben & leGé
civ
( 56 )
néral Fabris ont conſervéjuſqu'ici les poftes
qu'ils ont occupés en Valachie , mais ils
paroiffent s'approcher graduellement de
Bucharest. La priſe de Fockiani prouve
que nous avons pouffé nos poſtes à 16
milles au-delà des frontières de la Tranfylvanie.
Au défaut de nouvelles pofitives & de
grands évènemens , nous raſſemblerons ici
quelques paragraphes épars dans les différentes
Gazettes des Etats de l'Empereur.
<< 15juin. Lenombre des Turcs augmente
confidérablement dans la Boſnie , & cette
circonſtance rend très-déſagréable la pofition
du Prince Lichtenstein , qui a été
obligé de détacher des troupes pour couvrir
la côte Autrichienne. L'ennemi menace
de faire une irruption du côté de la
Dalmatie. „
<<18 juin. On écrit d'Agram, que leGénéral-
Major de Kuhn y eſt mort de ſes
bleſſures le 7 de ce mois , & que le Général-
Major de Sehlaun eſt preſque entièrement
guéri.
<< 15 juin. Ileſt arrivé, le30mai, àSemlin,
des dépêches de Conſtantinople, relatives à
l'échange des priſonniers de guerre , & au
commerce des ſujets reſpectifs. ".
« Le Conſeil Aulique de guerre a commandé
5000 chevaux de friſe , auxquels
on travaille ſans relâche . >>>
2juin. Deslettres de Mehadia,du 31 mai,
( 57 )
confirment la nouvelle qu'un gros corps de
l'armée du Grand-Viſir eſt arrivé àWidin,
fur le Danube. Il paroît que ce Miniſtre
porte ſes vues ſur la Tranſylvanie & le
Bannat. On y attend d'un jour à l'autre
l'arrivée de 10,000 hommes de la grande
armée de Semlin. Depuis Schuppanck jufqu'à
Weiskiſchen& Vipalanka , on poftera
huit bataillons d'infanterie , & deux régimens
de cavalerie.
2juin. Six bataillonsd'infanterie,& deux
régimens de cavalerie font en marche de
Banofzi pour ſe rendre à Mehadia. On
apprend que 40,000 Turcs ſe portent vers
leBannat, du côté du défilé de Terzbourg.
« Le régiment de Latterman , & fix
autres bataillons ; ſavoir, deux de Reisky,
un de Langlois , un de Stein , un de Brechainville
, & unde Wolfenbuttel, viennent
de partir pourle Bannat. L'Empereur a
donné ordre aujourd'hui de ſe ranger en
ordre de bataille . La fraîcheur des nuits
& la chaleur exceſſive pendant le jour ,
occaſionnent beaucoup de maladies parmi
les troupes.>>>
-
Le ſupplément de la Gazette d'aujourd'hui
est très-peu important. Ony lit que ,
<< le 6 de ce mois , un détachement de
Tures a tenté une ſurpriſe vis à-vis de la
Tſchartake de Pruſniza, dans l'Eſclavonie ;
mais il fut découvert , attaqué par le Ca-
CV
( 58 )
-
pitaine Chivich , & forcé de prendre la
faite. Nos Volontaires , qui étoient en
embuſcade près du couvent de Petkovicza
en Servie , ont furpris des Turcs , en ont
bleſſé un, & pris trois autres. - Le 4, les
Volontaires du Corps du Général de Wartensleben
ſe ſont emparés de 10 boeufs &
de 150 moutons ; le 6 , ils ont pris à
l'ennemi , près de Sémendria , 33 boeufs .
-Le Prince de Cobourg a fait paſſer des
Pontoniers à Kalaſch , pour y établir un
ponton pour le paſſage fur le Nieſter des
troupes du Général de Soltikow. »
DeFrancfortfur-le- Mein, le 28 Juin .
Le 16 , le Roi de Pruſſe eſt arrivé à
Charlottenbourg, de retour de fon voyage
dans ſes Etats de Westphalie & à Loo .
Le Chapitre de Conſtance a élu unanimement
, pour Coadjuteur de l'Evêché ,
le Baron de Dahlberg , Coadjuteur de
Mayence.
Le Grand - Viſir tâche de fatiguer les
armées de l'Empereur par des marches &
des contre - marches . En effet , le mouvement
qu'il a fait prendre à un corps confidérable
de fon armée , qui ſe porte vers
le Bannat , fait honneur à ſes connoiſſances
militaires , qu'on dit être dirigées par
unhabile renégat, qui a ſervi dans la guerre.
de ſept ans . Ce plan auroit des ſuites heu(
59 )
reuſes pour les Turcs , ſi l'Empereur ne
les prévenoit en diligence. La cavalerie
Ottomane, en ſe portant rapidement dans
le Bannat & la Transylvanie , qui ne
-ſont pas ſuffiſamment garnis pour faire réſiſtance
à l'ennemi , force la grande armée
affemblée près de Semlin de paſſer le Danube&
de gagner ces 2 provinces:opération
qui n'eſt pas facile à exécuter , parce que
le pays à parcourir eft coupé de marais &
de rivières . Enfin , l'armée du Grand-Vifir
paſſant le Danube , ſe mettroit entre les
armées Autrichienne & Ruffe , &pourroit,
par ce moyen , foutenir au beſoin les
corps Ottomans de la Moldavie & de la
Servie . L'armée de l'Empereur auroit
d'ailleurs de la peine à ſe procurer les vivres
, la navigation du Danube étant interceptée
; il faudroit alors les faire tranfporter
par terre .
Ce plan des Ottomans a fûrement entraîné
le changement total de celuide l'Empereur.
Ayant appris que le Grand-Vifir
avoitdétaché des corps conſidérables vers le
Bannat & la Croatie, ce Prince a détaché
lui - même du camp de Semlin 40,000
hommes qui ſe rendent dans le Bannat ,
pour joindre le corps du Général de Wartensleben
, & un autre corps de 20,000
hommes qui doit ſecourir en Croatie le
Prince de Lichtenstein. Environ 20,000
ovj
( 60 )
hommes reſteront à Semlin pour défendre
cette place & la digue de Befchanie , &
40,000 formeront un corps d'obſervation
qui fera prêt à ſe rendre où les circonftances
l'exigeront.
La fièvre épidémique connue ſous le nom d'Influenza
, règne à Munich de nouveau depuis fix ſemaines
, & il eſt peu de perſonnes qui n'en foient
attaquées. Elle s'y étoit manifeſtée en 1782 , venant
, comme elle en vient encore , de la Ruffie ,
où elle a pris fon origine , par la Pologne & la
Hongrie. Elle fit alors de grands ravages , particulièrement
en Bavière , où l'on en ignoroit les
remèdes. L'expérience acquiſe en rend aujourdhui
les accès rarement dangereux. Des fluxions douloureuſes
, des maux de gorge violens , un abattementgénéral,
font les ſymptômes ordinairesde
cette maladie , dans laquelle il faut s'abſtenir de la
faignée: elle eſt mortelle. L'uſage des boiſſons
fudorifiques , dès l'inſtant qu'on s'en fent atteint ,
en arrête preſque toujours les progrès. »
ESPAGNE.
De Madrid , le 18 Juin .
Le 14 de mai , il arriva à Gibraltar , de
Deptford , un bâtiment Anglois de 850
tonneaux , ayant à bord 68 pièces de canon
du calibre de 32 livres de balle , outre
une grande quantité de boulets , bombes ,
poudre à canon , & autres munitions de
guerre. Cette cargaiſon eſt deſtinée pour
Conftantinople ; la Porte tire actuellement
( 61 )
de la Grande-Bretagne une partie des approviſionnemens
dont elle a beſoin. L'efcadre
Portugaiſe qui croiſe dans le détroit,
mouilloit à la fin de mai devant la rade
de Gibraltar.
GRANDE-BRETAGNE.
De Londres , le 1er. Juillet.
LeBill porté de la Chambredes Communes
à celle des Pairs , & dont l'objet
eft de régler le tranſport des Nègres fur
des vaiſſeaux Anglois , de la côte d'Afrique
aux Indes occidentales , a occaſionné dans
la Chambre Haute , comme nous l'avions
fait preſſentir, de très-vives diſcuſſions . Le
25 juin , cette Chambre s'étant formée en
Comité , pour prendre cet acte en confidération
, Milord Bathurst ouvrit le débat
, en foutenant que la date de laquelle
le Bill devoit être en force , ſavoir
le to juin , le rendoit ſouverainement injuſte
, en lui donnant un effet rétroactif ;
que les Armateurs ayant fait leurs préparatifs
, avant même que ce Réglement eût
été propoſé , il étoit inique de les fouinettre
à l'obligation d'une Ordonnance
non rédigée à l'inſtant de leurs entrepriſes.
Les Lords Rodney , Haatfield , Sandwich,
le Duc de Chandos , le Marquis de Town
( 62 )
shend, le Chancelier & Lord Sydney, Secre
raire d'Etat , attaquèrent auſſi la forma
actuelle & la date du Bill. Lord Sydney ,
entre autres , remarqua l'imprudence de
ces difcuffions prématurées , & dit que le
Parlement devoit , ſans tarder , ou affranchir
les Nègres , ou garder le plus profond
filence à ce ſujet , juſqu'au jour où
il prendroit une réſolution. « Il eſt trop
>> dangereux , dit-il , que les Nègres de
>> nos Colonies apprennent , par la voix
>> publique , que la Nation s'occupe
>> de leur liberté , tandis que les Colons
>>plaident pour continuer leur ſervitude :
>> le maſſacre entier de ces derniers feroit
>> inévitablement l'effet de ces débats , &
>> les lettres reçues de la Jamaïque prou-
>> vent que ces craintes ne font pas chi-
>> mériques. >>
(En effet , les extraits de ces lettres ,
cités par le Miniftre, indiquent au moins
l'alarme des Iſles ſur la conféquence dont
les menace l'incertitude de la Métropole.
)
,
Elles furent combattues , ainſi que les
obje&ions au Bill, par le Duc de Richmond,
par les Lords Carlisle & Stanhope ; enfin
on tomba d'accord de changer la date ,
&de mettre le Réglement en vigueur du
1. août , au lieu du 10 juin.
er
Le 27 , & hier 30 du même mois , la
(63 )
Chambre a difcuté différentes clauſes de
l'acte , les a modifiées , & étendra peut- être
ces changemens au point de les faire rejeter
par la Chambre des Communes , à
qui ceBill dénaturé devra être ſoumis de
nouveau. Par cette raiſon , nous différerons
encore d'en préſenter l'extrait à nos
Lecteurs . D'ailleurs, point d'affaires dansles
Communes . Le Parlement ne pourra être
prorogé qu'après le fort du Bill dont nous
venons de parler.
On a remarqué dans ce débat , une
oppoſition mêlée d'aigreur , entre quelques
- uns des Membres du Cabinet ;
ce qui a accrédité l'opinion d'une di-
_ viſion parmi les Miniſtres. On les dit féparés
en deux partis , dont l'un compte
le Chancelier , le Marquis de Carmarthen
& Milord Stafford ; l'autre , M. Pitt , le
Duc de Richmond , & à quelques égards
Milord Sydney. Le Comte de Cambden ,
Préſident du Conſeil-Privé , eſt neutre , à
ce qu'on dit , & tient la balance.
La Thétis , venant du Bengale , eſt arrivée
dans la Tamiſe , ces jours derniers .
Le Roi en fon Conſeil- Privé a défendu ,
le 25 , l'introduction des bleds des Etats-
Unis d'Amérique , parce qu'on a découvert
que ces bleds ſont atraqués d'un
infe&e qu'il ſeroit très-dangereux de propager
en Angleterre .
( 64 )
Le 26 du mois dernier , l'eſcadre du
Contre-Amiral Gower, après avoir croifé
à l'ouest des Sorlingues , a jeté l'ancre
dans la rade de Plymouth , d'où elle remettra
à la voile , à ce qu'on croit , dans
peu de jours , & ira reprendre ſa première
croifière.
:
Le Contre-Amiral Elliot a arboré , le
24 juin , fon pavillon à bord du Salifbury
de 50 canons , qui a mis à la voile
quelques jours après , pour ſe rendre à ſa
ſtation de Terre-neuve.
La corvette l'Echo de 16 canons , montée
par le Capitaine Reynolds , & deftinée
pour la même ſtation a fait voile de
Portsmouth le 25 .
,
Le Parlement d'Irlande , qui avoit été
prorogé au mardi 17 juin , l'a été de nouveau
au mardi 19 août prochain .
L'Aſſemblée des Actionnaires de la
Compagnie des Indes , a fixé le dividende
du dernier fémestre échu à la St. Jean
à 4 pour cent.
,
,
,
La Minerve Capitaine Williams
partie du portde Londres pour l'Afrique ,
a péri , le 17 mars dernier , près du Cap
Blanc ; la cargaiſon de ce vaiſſeau a été
pillée ,& les gens de l'équipage emmenés,
comme esclaves , par les Naturels. Ces infortunés
, au nombre de 7 , ont été entièrement
dépouillés ; il en eſt mort un de
( 65 )
puis ; un autre a été conduit dans l'intérieur
du pays , & les cinq autres font reftés
près de la côte.
Le Lowdon , commandé par le Capitaine Berkley,
fut acheté ſur la Tamiſe , il y a deux ans ,
par une Compagnie de Particuliers qui ont tenté
le commerce des Loutres de mer aux ifles Sandwich
, dans la mer du Sud. Ce vaiſſeau , frété à
Oftende , mit à la voile vers le milieu de décembre
1786 , & pendant tout le voyage il ne
perdit pas un ſeul homme de maladie ; mais cinq
perſonnes de l'équipage ayant abordé dans une
chaloupe à l'une des iſles Sandwich pour y faire
de l'eau , elles furent ſurpriſes par un nombre de
naturels qui les maſſacrèrent. Le vaiſſeau partit
pour Owhyhea , iſte célèbre par la mort du Capitaine
Cook , où il diſpoſa de ſa cargaiſon contre
une immenſe proviſion de fourrures. Après avoir
prisſonchargement , le Capitaine Berkley fit voile
pour Macao , où il ſe défit très-avantageuſement
de ſes Loutres ; il vendit enſuite ſon vaiſſeau à
quelques marchands Portugais , en s'en réſervant
lecommandement. Ilprit un nouveau chargement ,
& appareilla pour Joa , d'où il ſe propoſoit de
partir à la fin de l'été prochain. L'équipage fut
licencié en entier à Macao , & remplacé par des
Portugais. Trois hommes de l'équipage ſont rentrés
en Angleterre fur le Lafcelles , & le reſte eft
embarqué ſur les vaiſſeaux de l'Inde qui font attendus
inceſſamment.
L'équipage a rapporté de cette iſle pluſieurs
choſes curieuſes , ſemblables à celles qu'avoit embarquées
le malheureux Capitaine Cook.
Les Sheriffs de cette capitale ont publié
un état officiel & détailléde la priſon de
Newgate , pendant les deux dernières
( 66 )
années . Ce dénombrement des Prifonniers
, jugés , exécutés ou élargis , eſt intéreſſant
à connoître : c'eſt une eſpèce
de thermomètre de la dépravation publique
, & du plus ou moins de ſévérité dans
l'Adminiſtration de la Juſtice criminelle.
Il feroit très-curieux de comparer cette
note , avec celle des Criminels &des fupplices
dans les autres grandes capitales de
l'Europe; mais il n'en eſt aucune où ces
rapports affligean aient la publicité &
Pauthenticité de ceux qu'on va parcourir.
L'état de la priſon de Newgate , depuis le 28
ſeptembre 1785 , juſqu'au 28 ſeptembre 1786 ,
fous les Sheriffs Jacques Sanderson & Brook Waifon
, Ecuyers, renferme :
<<Y compris quatre cent quarante- un prifonniers
reçus des précédens Sheriffs Hopkins &Boydell,
« Mille ſept cent quatre-vingt-feize prifonniers ,
deſquels ont été
exécutés .
envoyés aux galères .
enlevés de mort naturelle .
déchargés .
68
350
16
... 891
1325
reftés ſous ſentence de mort , mais ayant
obtenu un repis , condamnés à être tranſportés
, ou à une amende , & reftans pour
les ſeſſions du 28 ſeptembre 1786 ...... 471
Total . ...... 1796
« Les quatre cent ſoixante-douze ci -deſſus cotés
( 67 )
ontété remisdans la forme uſitée,le 28 ſeptembre
1786, à MM. le Mefurier& Higgins ;&depuis cette
époque juſqu'au 28 ſeptembre 1787 , il y en a
eu de reçus , pour attendre leur procès :
« Millecinq cent trente-fix , faifant , avec les 471
ci-deſſus , en tout .. 2007
« Sur ce nombre , on a diſpoſé de Mille quatre
cent cinquante-quatre de la manière ſuivante :
exécutés .
tranſportés à la baie de Botanique .
envoyés aux galères .
morts naturellement .
déchargés .
.. 87
..... 117
225
16
969
553
2007
reftés ſous ſentence de mort ou de tranfportation
faiſant en tout ..
« Les cinq cent cinquante-trois ont été remis ,
à l'ordinaire , aux Sheriffs actuels , à leur entrée
encharge.»
«Ces tableaux des priſons , les premiers qui
aient jamais été publiés , ſont ſingulièrement détaillés
, le nombre des prifonniers pour chaque
crime s'y trouvant exactement ſpécifié ; mais il
nous eſt impoſſible d'en copier tous les articles;
nous nous bornerons donc à faire mention de deux
des plus remarquables.-Durant cesdeuxdernières
années , le nombre de meurtres a été de trente-huit;
mais il n'y en a eu que fix de prouvés , &dont
les auteurs aient été exécutés. Il y a eu également
38 crimes de faux , dontfix ſeulement ont
été punis du dernier fupplice. »
« Ces détails conduiſent à une reflexion naturelle
; c'eſt qu'il y a eu bien peu d'exécutions en
proportion des delits , & que le nombre des perſonnes
acquittées & déchargées ſurpaſſe de beaucoup
celui des criminels atteints & convaincus .
( 68 )
La charité , même la plus indulgente , ne nous
permettra guère non plus de penſer que , fur la
quantité prodigieufe de prifonniers déchargés &
élargis , un grand nombre retourne à une vie laborieuſe
&honnête. Ges renſeignemens , à ce que
nous croyons , peuvent être utiles à l'obſervateur
qui voudra faire des recherches ſur la balance des
crimes & des châtimens , & tâcher de trouver
quelque plan qui les prévienne. »
• Avant de finir cet article , nous ferons remarquer
que fur les 156- malfaiteurs punis de mort ,
il ne s'en trouve que 52 de Londres. Le reſte
étoit de la campagne , quelques - uns d'Amérique
, un petit nombre étrangers. Les profeffions
des criminels font auffi partie du tableau que nous
avons ſous les yeux , & il eſt étonnant que la
plupart foient de la claſſe agricole. »
«D'après ces liſtes , il paroît que ceux qui
ſe plaignent que l'Angleterre a des loix trop fanguínaires
, & que les exécutions yfonttrop multipliées,
n'ont pas fuffitament balancé les circonftances.
S'ils trouvent révoltant qu'on exécuté 87
perſonnes dans une année , ils doivent conſidérer
quelle partie ces 87 font de deux mille ſept.
Cette proportion deviendra bien plus foible , ſi
l'on fonge qu'en général les deux tiers de ceux
qui ſont condamnés à mort,reçoivent leur pardon,
oudu moins obtiennent que la ſentence ſoit commuée
en une ſimple tranſportation. »
Nous joindrons aux liſtes précédentes ,
celle des débiteurs détenus dans la prifon
de Newgate.
CC Le nombre de débiteurs empriſonnés à Newgate
depuis le 28 ſeptembre 1785 , juſqu'au 28
ſeptembre 1786 , donne :
( 69 )
bienportans malades morts.
pour le plus grand , 266 6
pour le plus foible , 119 I
pour letermemoyen , 147 3 7
Du 28 ſeptembre 1786 au 28 ſeptembre 1787.
bien portans malades morts.
154 6
118 I
141 10
3
La dernière Séance de Westminster-Hall
-fournit la matière d'une obſervation digne
de quelque remarque. Lorſque M. Shéridan
eut terminé ſon Plaidoyer , des jeunes
gens de fon parti, placés derrière lui ,
eurent l'imprudence de faire entendre
quelques battemens de mains. Cette manière,
inufitée en Angleterre , de manifefter
ſon approbation , a été univerſellement
& vivement blâmée , ſoit dans les
Cercles , foit dans les Papiers publics . On
a jugé d'une commune voix que , malgré
les rapports de tout genre qu'avoit
ce ſpectacle judiciaire avec nos repréſentations
théâtrales , ce dernier trait de conformité
étoit de trop , & qu'il offenſoit la
majeſté du Tribunal ainſi que l'Orateur.
Nous ne parlons pas de l'inhumanité de ce
jeu d'applaudiſſemens ; il ſeroit dériſoire ,
après tout ce qui s'eſt paſſé , de réclamer,
enfaveurde l'Accuſé , les égards de la décence
la plus vulgaire; maisle cri du Public
}
( 70 )
reſpectable & le mécontentement de la
Cour des Pairs , prouvent combien on eft
encore éloigné ici de tolérer l'oubli des
bienſéances , devenu fi commun dans un
royaume voifin , où les ſalles des Tribunaux
, des Académies , &c. font devenues
autant de Théâtres , où l'on ſe permet de
traiter un Magiſtrat , un Orateur , un Phi .
lofophe , comme l'on traite un Bouffon.
Nous recevons journellement des let- _
tres , où l'on nous queſtionne ſur la durée
&fur l'époque de la fin de ce Procès.
Perſonne au monde ne peut répondre
pertinemment à cette demande. Nous répéterons
ſeulement ce que nous avons dit
depuis deux ans , qu'il ne peut échapper
aujourd'hui à aucun Obſervateur pénétrant
, que les ennemis de M. Hastings
éloigneront ſa défenſe& fon jugement ,
par les reſſources inépuiſables que préſente
une cauſe de cette eſpèce : elle ſeroit
décidée maintenant , fi on y avoit procédé
avec l'intention ſincère d'accélérer
le jour de la vérité ; mais des harangues
de quinze heures ſur un ſeul Chef, précédées
d'autres harangues de deux Séances,
toujours ſur le même Chef , & D'UNE.
INSTRUCTION DE MILLE PAGES IN -FOLIO
(1 ) ſur les deux premières charges ,
(1) Si quelqu'un avoit le courage de parcourir
( 71 )
promettent à l'autre fiècle le dénouement
de cette ſcène. En attendant ſon iſſue ,
l'Accuſé reſte en butte à la plus ſanglante
diffamation ; ſon ſupplice ſe prolonge de
ſemaine en ſemaine , de mois en mois ,
d'année en année ;& à peine la coupe du
poifon qu'on verſe goutte à goutte fur
es bleſſures ſaignantes , eſt-elle épuiſée ,
qu'on reprend des forces pour en renou.
eler la compofition , en dévouant la vicime
à recevoir , dans l'intervalle & en
lence, tous les coups de poignard de la
Prévention , de la malignité , de l'impuence
mercenaire , de la légèreté publijue
(2). Les Accuſateurs ont eu la précaucet
immenſe recueil , le Rédacteur de ce Journal
en offre la lecture aux Amateurs . Sans cette lecture
, il eft impoſſible d'adopter une opinion juſte
fur ces deux premières charges. On y verroit ,
avec ſurpriſe , que les aſſertions de M. Sheridan
yfont preſque toujours détruites par cette inftruction
même , dont il a FEINT d'expoſer la récapitulation.
(2) Voici un exemple fingulier de cette légèreté.
Un avocat François fait à Paris un Mémoire
dans une cauſede ſcandale domeſtique entre deux
particuliers. Qui croiroit qu'au milieu de ce Mémoire
, cetAvocat s'eſt cru en droit d'intercaller une
déclamation vraiment burleſque ſur l'affaire de M.
Hastings ? Il a recueilli des Gazettes les épithètes
les plus infamantes , échappées aux accuſateurs de
cet ancienGouverneur-Général,&le peint comme
un monftre à la face de la France , ſur la foi de ces
( 72 )
tion de prolonger adroitement l'inſtruction
de chaque charge , juſqu'à l'approche
de l'ajournement du Tribunal , pour faire
la clôture des Séances par leur Plaidoyer
définitif , pour laiſſer ainſi l'opinion ſe
repoſer ſur leurs véhémentes aſſertions ,
& pour ôter par-là à l'Accuſé muet , la
reffource de la balance des défenſes & des
attaques . Cet artifice n'eſt point une ſuppoſition
; c'eſt un fait prouvé par les deux
derniers ajournemens de la Courdes Pairs.
Il en réſulte que ſi M. Hastings eſt coupable
, le ſupplice le plus cruel n'égalera
jamais celui auquel il eſt livré, depuis deux
ans , par cette combinaiſon profonde ; &
que , s'il eſt déclaré innocent , il n'eſt plus
mêmes accuſateurs. Comment un Juriſconſulte
peut-il oublier à ce point les devoirs ſacrés de fon
état ? Peut-on ſe permettre une pareille diffamation,
fans rapporter les preuves de ſonjugement?
Eſt-il croyable que cet Avocat , à la pourſuite
d'objets auffi étrangers au procès deM. Hastings ,
ait eu le temps & la volonté de s'inſtruire de tout
cequ'ilfaut néceſſairement ſavoir , pour prononcer
fi deſpotiquement contre l'honneur d'un homme ,
dont l'existence publique a été liée à tant d'évènemens
, fur lesquels les autorités légales font au
moins partagées ? L'Ecrivain que je relève eſt
d'autant plus blamable de s'être livré à une
fortie auffi déplacée , qu'il annonce le plus grand
amour de la justice , de l'ordre , de l'humanité ,&
le talent de les défendre.
au
( 73 )
au pouvoir ni des loix , ni du Gouvernement
Anglois , de trouverune réparation
capable de compenſer l'horreur & l'injufticede
la longue oppreſſion dont cet Innocent
aura été l'objet.
Une lettre écrite par un Marchand établi à Liverpool
à ſon ami à Dublin , porte que le Swallow,
beau vaiſſeau de 400 tonneaux , commandé par le
Capitaine Doran , & montant un équipage de 70
hommes , a été malheureuſement ſurpris par un
pombre conſidérable de naturels qui l'ont abordé
dans la nuit du 16 mars dernier , comme il étoit
àl'ancre dans la rivière Bonny , fur la côte au vent
d'Afrique. L'équipage, compoſé d'Anglois , d'Ecoffois&
d'Irlandois , a fait une réſiſtance opiniâtre ;
& ayant monté quelques pierriers ſur le pont ,
illes aſi bienpointés contre les aſſaillans, que leplus
grand nombre d'entre eux a été renverſé , & le
reſte voyant l'équipage auſſi déterminé , s'eſt jeté
à la nage comme des barbets dans la rivière , ne
ſedonnant pas le temps de regagner les chaloupes.
Levaiſſeau ſe trouvant pour lors à l'abri du plus
grand des dangers , continua de faire feu de ſes
pierriers&de ſes menues armes ſur les malheureux
fuyards pendant près d'une demi-heure , &
on préſume qu'il y en a eu beaucoup d'eſtropiés
&denoyés, la diſtance pour regagner le rivage étant
d'environ un mille. Le Swallow a eu 7 hommes
bleſſés pardes couteaux de fer , des piques & de
petites pierres avec leſquelles étoient chargés les
fuſils des Nègres. Le capitaine a reçu pluſieurs
ballesdans ſeshabits, mais qui ne lui ont fait aucun
mal. Le vaiſſeau a acheté ungrand nombre d'efclaves
ſur différentes parties de la côte , & on fuppoſe
qu'il aura fait voile pour les ifles au commencement
de mai.
N°. 28. 12 Juillet 1788.
(74)
FRANCE.
De Versailles, le 2 Juillet .
Le Roi a nommé à l'Abbaye de Saint-
Vincent , Ordre de S. Benoît , Diocèſe
du Mans , l'Evêque de Tarbes , fur la nomination
& préſentation de Monfieur , en
vertu de ſon apanage ; & à l'Abbaye régulière
de Moncel , Ordre de Prémontré ,
Diocèſe de Châlons- fur-Marne , le ſieur
Deſlandes , Religieux du même Ordre .
L'Evêque d'Orléans a prêté, le 28 du
mois dernier , pendant la Meſſe , ſerment
de fidélité entre les mains du Roi.
Le 29 du même mois , la Baronne de
Montmorency a eu l'honneur d'être préſentée
au Roi , à la Reine & à la Famille
Royale , par la Ducheſſe de Montmorency
, & de prendre le tabouret chez la
Reine.
Le même jour , la Princeſſe de Léon ,
préſentée par la Ducheffe de Rohan , a
auſſi eu l'honneur de prendre le tabouret
chez la Reine.
Ce jour , le Roi , la Reine & la Famille
Royale ont ſigné le contrat de mariage
du ComtedeBotderu , Capitaine au régiment
d'Artois , Cavalerie , avee,demoiselle
Sophie du Cambout de Coiſlin. Elles
avoient figné , le 22 , celui du Comte de
( 75 )
Vanſſay , Ecuyer de main de la Reine ,
& Capitaine au régiment de la Reine ,
Dragons , avec demoiselle de Grandpré.
De Paris , le 8 Juillet .
Arrêt du Conſeil d'Etat du Roi , du 28
juin 1788, portant fuppreffion des Délibérations
& Proteſtations des Cours &
autres Corps & Communautés , faites depuis
la publication des Loix portées au
Lit de Juſtice du 8 mai dernier; extrait des
regiſtres du Conſeil d'Etat du Roi.
Le Roi s'étant fait repréſenter pluſieurs écrits
clandeſtinement publiés , Sa Majeſté a reconnu
qu'Elle n'avoit conſulté juſqu'à ce moment que
fon indulgence , en les livrant à l'oubli dont ils
fontdignes.
La publication affectée qu'on leur adonnée ; les
ſignatures multipliées par leſquelles on a cherché à
les accréditer,déterminent ſa ſageſſe à les profcrire,
après en avoir fait ſentir à ſes Peuples l'illuſion &
ledanger.
Ces écrits ,répandus ſous le nom d'Arrêtés ou de
Proteſtations de pluſieurs Cours , Corps ou Communautés
, ne portent avec eux qu'un caractère de
déſobéiſſance& de révolte , contraire au devoir de
tous ſes Sujets ,& fur-tout des Officiers qui compoſent
ces Corps , dont l'exercice n'a pas toujours
étécontinuel , que le Roi avoit le droit de faire vaquer
ſuivant ſa volonté , même d'interdire de leurs
fonctions ,&auxquels il vientde dérendre de former
aucune aſſemblée , de prendre aucune délibération
*fans de nouveaux ordres de Sa Majesté , de laquelle
ſeule ils tiennent leurs pouvoirs&la faculté de les
exercer,
dij
( 76 )
Dansla forme, ces écrits font donc illicites ; dans
l'effet que l'on cherche à leur faire produire , ils ſon,
illufoires.
Dans leur contenu ils ne font pas moins condamnables.
Les Officiers & autres Sujets qui y parlent ,
s'élèvent au-deſſusdel'Autorité Royale , ofent juger
&proſcrire les Actes émanés du Roi , les déclarer
abfurdes dans leurs combinaisons , despotiques dans
leursprincipes , tyranniques dans leurs effets , deftructifsde
laMonarchie, des droits & des capitulations
desProvinces;comme ſi le Roi n'avoit pas déclaré
par ſes Loix enregiſtrées au Litde Juſtice du huit
Mai dernier, qu'il n'entendoit porter aucune atteinte
aux droits& priviléges des Provinces ;
Commes'il pouvoit jamais appartenir à des Sujets
d'élever des Actes d'une autorité particulière ,
contre lesAstes de l'autorité légitime ;
Commefi laNation pouvoitjamais croire que le
Monarque voulût détruire la Monarchie ; que le
Roi qui eſt venu au fecours de ſes Peuples , qui leur
a confié la répartition des Impôts pour en alléger
le poids , veut changer la Monarchie en Defpotifme;
Comme ſi la Nation pouvoit jamais croire qu'il
exiſte entre les mains de quelques Officiers du Roi ,
unpouvoir national ,&un droit de contrarier l'autoritédont
ils émanent ,&d'en déterminer le caractère.
Les uns ofent paſſer de l'examen des Actes , à
celuidu pouvoir qui les a ordonnés. Ils voudroient
perfuader que le Roi a ignoré & ignore ce qui
s'eſt paſſé par ſes ordres dans toutes les Coursdu
Royaume. Delà ils annoncent aux Peuples que le
Roi a été forpris ,& eſt trompé ; que toutes les
avenues du Trône ſont fermées à la vérité;
Comme s'il étoit poſſibleque le Roi ignorâtce
qui s'eſt paſſéfous ſes yeux&enfon Lit de Juſtices
5
(77 )
Comme ſi tout ce qui s'eſt fait dans les Provinces
, n'étoit pas une ſuite de ce premier enregiſtrement;
Comme ſi les Edits portés au Litde Juſtice du 8
mai , ne prouvoient pas à la Nation entière ,que les
vérités les plus intéreſſantes pour le Peuple , ont
environné le Trône.
Quele Roi a entendu la vérité , lorſqu'il a ſtatué
fur lesplaintes detous les Juſticiables , ruinés par le
déplacement &par les frais de la Juſtice ;
Lorſqu'il a écouté les crisdesAccuſés,renfermés
dans lesprifons, ſouvent fans ſecours , fans moyens
de ſe juſtifier, & expoſés à des peines contre lefquelles
ils ne pouvoient réclamer l'indulgence du
Roi ou ſajuſtice;
Lorſqu'il a été ſenſible aux plaintes du Peuple ,
gémiſſant de l'oppreffion qu'il éprouvoit , par la
muititude des priviléges qu'a occafionnés la maltitude
des Charges &desTribunaux ;
Lorſqu'il amis un freinà la réſiſtancedesCoura
contre toutes les opérations du Gouvernement,
poureemmpêcherles charges publiquesdepeſerd'une
manière plus forte fur le pauvre que fur les autres
Sujets du Roi : réſiſtance fondée ſur des motifs qui
s'éloignent de l'intérêt général , &dont l'effet reconnueft
une inégalité de répartition au préjudice
duPeuple.
D'autres ont prétendu que les nouveaux Edits
changeoient la Monarchie en Ariftocratie;
CommefiuneCour unique, compoſéed'Officiers
du Roi, ſoumiſe à fon autorité&circonferite dans
fes facultés, n'étoit pas analogue à la Monarchie&
au pouvoir du Monarque.
D'autres ont confidéré cette Cour comme le
moyealeplus fûr du defpotifme.
Ia vérité furcesgrands objets eſt encoreparvenue
auTrône.
dij
( 78) :
1
Iln'yapointde deſpotiſme où la Nation exerce
tous fes droits ; & le Roi a déclaré qu'il vouloit la
rétablir dans tous ceux qui lui appartiennent , en la
convoquant toujours pour les ſubſides qui pourront
être néceſſaires à l'Etat , en écoutant ſes plaintes&
ſes doléances ; en ne ſe réſervant de pouvoir que
celui qui atoujours été en France dans les mainsdu
Monarque , & qui ne peut être partagé dans une
Monarchie fans entraîner le malheur du Peuple.
D'autres , en reprenant le ſyſtême proſcrit dans
tous les temps , que les Parlemens ne fontqu'un
Corps donttous les Membres ſont diſtribués dans,
les différentes Provinces du Royaume , mais tous
indiviſibles , prétendent qu'ils forment un Corps
national;
Comme ſi cen'étoient pas des Officiers du Roi
qui compofoient tous ces Corps , &que des Officiersdu
Roipuſſent être les repréſentansde laivation.
Ainfton veut attribuer aux Parlemens une autorité
perſonnelle , comme s'ils pouvoient en exercerune
autre que celle duRoi.
Paffant des principes aux conféquences , des
Cours , des Corps ſe ſont érigés en Legislateurs
pour leurs intérêts particuliers .
Ils ont eſſayé d'arrêter le cours de la Juſticedans
le Royaume , en faiſant ſignifier par toutes fortes
de voies , leurs Arrêtés & Proteſtations à des Tribunaux
du ſecond ordre , dont la plus grande partie
des Membres connoiſſent leurs devoirs , comme Sa
Majesté connoît leur fidélité.
Ils ont cherché à ébranler l'attachement de ces
Tribunaux au Roi, & leur devoir envers les
Peuples , en déclarant traîtres à la Patrie & notés
d'infamie , ceux d'entr'eux qui obéiroient à l'autorité
légitime , qui recevroient ou qui exerceroient
l'augmentationdu pouvoir que le Roi leur a confié ;
(79)
Comme s'il dépendoit d'Officiers des Cours ou
de tous autres Corps , de faire des Loix ,& de les
approprier aux circonſtances qui les intéreſſent;
Comme ſi la Patrie réſidoit en eux&dans leurs
vaines prétentions ;
Comme s'il leur appartenoit de retenir dans leurs
mains un pouvoir dont le Roi ſeul eſt diſpenſateur ,
& que Sa Majesté eſt forcée de reſtreindre pour
l'intérêt de ſes Peuples .
Quelques-uns ont ofé faire craindre au Peuple
de nouveaux Impôts , tandis que Sa Majesté a
folennellement déclaré qu'Elle n'en demanderoit
aucun nouveau avant l'Aſſemblée des Etats ;
Tandis que les meſures qu'Elle a annoncées ,
prouvent que , juſqu'à cette époque , de nouveaux
Impôts ne lui font pas néceſſaires;
Tandis qu'il n'eſt aucune réforme, aucun facrifice,
auxquels Sa Majesté ne ſe ſoit livrée pour épargner
denouvelles charges à ſes Peuples , &qu'elle vient
deleur remettre l'augmentation qu'Elle auroit pu ſe
promettre pour cette année , d'un Impôtdéja établi,
&dont l'accroiſſement neprovenoit que d'une plus
entière& égale répartition.
Il eſt de lajustice de Sa Majeſté d'éclairer la Nation
ſur ſes véritables intérêts , comme de la rappelerà
ſes véritables droits.
Il eſt de fa bonté d'attendre que la réflexion &
lerepentirviennent effacer des écarts dontElle voudroit
perdre le ſouvenir.
Sa Majesté doit à ſon autorité ,Elle doit à ſes
fidèles Sujets , Elle doit à ſes Peuples de prévenir
pourl'avenir depareils Actesqui ,dénuésdes formes
les plus ſimples, rendus fans pouvoir , hors des
lieux des Séances ordinaires , contre les ordres
exprès de Sa Majesté , échappent à la caſſation par
levicemême de leurs formes , puiſque , les caſſer ,
ſeroit leur ſuppoſer une exiſtence régulière; mais
div
(80 )
qui ,répandusavec profufion pour alarmer les Peuples
ſur les véritables intentions de Sa Majesté , n'en
méritent pasmoins toute ſon animadverfion , puifqu'ils
font capables de troubler la tranquillité publique,
par l'efprit d'indépendance & de révolte
qu'ilsreſpirent.
Aquoi voulant pourvoir , ouï le rapport , LE ROI
ETANT EN SON CONSEIL , a ordonné & ordonne
queles Délibérations & Proteſtations de ſes Cours
& autres Corps & Communautés , faites depuis la
publication des Loix portées au Lit de Juſtice du
huit Mai dernier , pour en empêcher l'exécution ,
ou en dénaturer les objets , feront & demeureront
fupprimées comme ſéditieuſes , attentatoires à l'Autorité
Royale , faites fans pouvoir , & tendantes à
tromper lesPeuples fur les intentions de Sa Majeſté.
Faitdéfenſesàtoutes perſonnes , notamment à tous
lesOfficiersdefes Cours, ou autres Juges , & à tous
Corps ou Communautés , de prendre de ſemblables
Délibérations,&defairedeſemblables Proteſtations,
aux peines portées par les Ordonnances , & notamment
à peine de forfaiture & de perte de tout état ,
charge.commiffion& emploi militaireou civil,contre
tous ceux qui les auroient délibérées ou ſignées. Fait
auſſi défenſes Sa Majeſté , ſous les mêmes peines , à
tous& chacun ſes Officiers , dans les différens Tribunaux
de fon Royaume , d'avoir égard auxdits
Arrêtés&proteſtations,&aux fignifications qui auroient
pu leur en être faites;déclare en conféquence
Sa Majesté , prendre ſpécialement fous ſa protection,
pour le préſent & pour l'avenir, ceuxde fos
Tribunaux & autres ſesSujets, qui , ſoumis auxdites
Loix , s'empreſſent de les exécuter , & en conféquence
vouloir & entendre les garantir par la
fuite & en toute occafion , des menaces impuiffantes&
féditieuſes qui auroient pu ou pourroient
alarmer leur fidélité ; comme auffidéclare leſdis.
(81 )
Tribunaux&autres ſes Sujets , fidèles au Roi, à la
Nation&à l'Etat ; ordonne aux Commandans pour
SaMajesté & aux Commiſſaires départis dans les
Provinces , de tenir la main à l'exécution du préfent
Arrêt , lequel fera imprimé , publié& affiché partoutoù
beſoin ſera ,& notifié de l'ordre exprès de
Sa Majesté , à tous lesGrands-Bailliages& Piéfidiaux
de fon Royaume.
Fait au Conſeil d'Etat du Roi , Sa Majesté y
étant , tenu à Verſailies , le 20 Juin mit ſept cent
quatre-vingt-huit.
Signé, LE BARON DEBRETEUIL.
Depuis leur arrivée à Toulon , les Ambaffadeurs
de Tippoo Saïb ont été l'objet
de fêtes continuelles , dont le Journalde
Provence rapporte toutes les particulari
rés. Nous allons en extraire ce que ces
relations offrent de plus intéreſfant.
« Le 11 juin , leurs Excellences anno. cèrent
qu'Elles pourroient donner audience & recevoir
des viſites l'après-midi ; en conféquence , vers les
4heures , M. le Comte d'Albert de Rions , chef
d'Efcadre , commandant la Marine , accompagné
deM.Poffel, Commiſſaire-Général Ordonnateur ,
le premier à la tête du corps de la Marine en
grands uniformes , & le fecond à la tête de l'Adminiftration
, en l'absence de M. de Mallouer , Intendant
de la Marine, furent rendre leur viſite aux
Ambaſſadeurs ; M. le Comte d'Albert leur fir
compliment au nom de fon Corps , & M. Poffel,
en celui de l'Adminiſtration ; cet Ordonnateur fit
connoître dans cette circonſtance à leurs Excellences
, les ordres que le Roi avoit donnés pour
pourvoir à tout ce qui pouvoit leur être néceſſaire
&agréable, & leur témoigna le pla.fir qu'il avoit
d'être chargéd'une femblable commiffion. M. de
( 82 )
Moneron , qui accompagnoit M. le Commandant,
fut auffi chargé de faire connoître aux Ambaſfadeurs
, que le Roi avoit donné les ordres les plus
précis à Breft , pour qu'ils y fuſſent reçus avec
la plus grande magnificence , & que tout y avoit
érédiſpoſéen conféquence depuis pluſieurs mois;
mais qu'ayant été avertis trop tard de leur arrivée
à Toulon , ce port , qui les attendoit depuis la miavril
, n'avoit pu ſe conformer , comme il l'auroit
déſiré , aux intentions de Sa Majefté. Ces Ambaſſadeurs
parurent ſenſiblement pénétrés de l'accueil
honorable qu'ils avoient reçu à l'entrée de
cet Empire , & firent dire par un Interprète qu'ils
ne trouvoient point d'expreſſion pour faire connoître
toute l'étendue de leur reconnoiſſance. Dans
ce moment, un Officier de leur Maiſon , portant
un vafe en argent rempli d'eau de fénteur , vint
lepréſenter àM. le Commandant pour s'en laver
les mains , & enfuite à M. l'Ordonnateur ; auffitôt
après , on apporta ſur un baffin , un vafe
d'argent , dans lequel étoient différens compartimens
avec pluſieurs petites graines que l'on ne
put connoître , de la canelle &des parfums od -
riférans. MM. le Comte d'Albert &de Poffel , affis
àcôtédes Amdaſſadeurs dans des fauteuils , prirent
chacun quelques graines qu'ils mâchèrent , & on
en préſenta enſuite à tous les Officiers du cortège
qui en firent autant. »
« A fix heures préciſes, leurs Excellences montèrent
en carrofſſe avec les principaux Officiers
de leur maifon , & ſe rendirent à la ſalle du ſpectacle,
accompagnés deM. deMoneron&de pluſieurs
Officiers de la Marine : un détachement du Régiment
de Barrois eſcorta les carroſſes juſqu'à la
falle ; à côté dupremier carroffe , étoient les quatre
Suiffes à la grande livrée du Roi. Les Ambaffadeurs
étant entrés dans la Salle , on les conduifit
( 83 )
dans la Loge de M. le Commandant de laMarine
qui les y attendoit : ils aſſiſtèrent à une repréſentation
de Richard Coeur de Lion , à la ſuite
duquel on exécuta pluſieurs Ballets. Leurs Excellencesparurent
très-fatisfaites de cet amuſement. »
« Le 12 , à cinq heures du foir , deux des
Ambaſſadeurs montèrent en carroſſe avec leurs
deux enfans & quelques perſonnes de leur fuite ,
&ſe rendirent à la Fonderie Royale , accompagnés
de M. le Comte d'Albert de Rions , de M. de
Caftellet & de M. de Moneron. Les carroſſes étoient
eſcortés par deux détachemens des Régimens de
Dauphiné & de Barrois , & des quatre Suiſſes
à la grande livrée , qui n'ont jamais quitté les
portières du premier carroſſe. »
>> En entrant dans la Fonderie , les Ambaſſadeurs
furent falués d'une décharge de 21 boîtes
d'artillerie , & aſſiſtèrent à la fonte de fix Obuſiers
en caronade, coulés en leur préſence , ainſi que
pluſieurs petits clous pour doublage. »
«Après avoir parcouru cet atelier , leurs
Excellences ſe rendirent à l'Arſenal. Le CorpsdeGarde
de la porte leur préſenta les armes , le
tambourbattit au champ ,& les Suiſſes s'armèrent
de leurs eſpontons. Les Ambaſſadeurs furent conduits
au Parc d'Artillerie , dont ils viſitèrent les
magaſins & les ateliers ; ils paſsèrent enſuite à
la falle d'Armes , & de-là à la Corderie , où , ſe
trouvant fatigués , ils remontèrent en carroſſe &
ſe rendirent à leur Hôtel „
« Le 13 , leurs Excellences ſe rendirent à la
falle du ſpectacle dans le même ordre qu'elles
avoient été à la Fonderie , &, accompagnées des
mêmes perfonnes , elles aſſiſtèrent à une repréſentation
d'Azémia , ou les Sauvages , ſuivied'un Ballet
Turc. »
« Le 14, on a tiré un feu d'artifice ſur le champ
dvj
(84)
debataille. L'Hôtel des Ambaſſadeurs étoit ilk
miné intérieurement. A neuf heures du ſoir les
Ambaſfadeurs parurent au balcon de l'Hôtel ; la
Muſique de la Marine , placée devant, la terraſſe
, exécuta différens morceaux qui durèrent autant
que le feu. Leurs Excellences s'étant aſſiſes ,
ainſi que MM . le Comte d'Albert , le Marquis de
Caftellet & de Poffet, qui leur faifoient compagnie,
un des Ambaſſadeurs mit le feu à un
Dragon volant qui le porta à la première pièce.
Clétoit une étoile d'Orient , accompagnée de plufieurs
artifices de différente ſorte; une ſeconde
pièce offritune croix de Malte brillante, entounée
de gerbes de fen. Divers artifices variés
zmusèrent quelque temps , & furent ſuivis de la
grande&principale pièce , qui repréſentoit unArc
de triomphe ; au milieu étoient deux colonnes de
feutournantes , accompagnées de pluſieurs artifices,
&furraontées d'une pièce , au centre de laquelle
on vit un Indien ayant un Palmier devant lui ,
& la Lune au-deſſus de ſa tête. Le feu fut terminé
par une grande falve d'artifice. "
Le 15, on a donné aux Ambaſſadeurs le divertiſſement
de l'exercice de la Joûte & de celui.
de laBague. On avoit formé dans la Darce vieille
une enceinte, bornée au fud par cinq pontons ,
dont un pour leurs Excellences , les Chefs des
Corps & les Dames les plus diftinguées ; deux
pour les Officier,s des différens Corps &lesPerfomnes
de marque; & les deux autres pour le
Public. Il y avoit fix bateaux deſtinés à la Joûte...
Après avoir joui de ces divertiſſemens , les
Arabaffadeurs ſe rendirent à la ſalle du ſpectacle ,
où ils aſſiſtèrent à une repréſentation de laDor,
fuivie d'un ballet analogue à la circonftance. Le
lendemain, la Marine leur donna un bal magni
beye dans. Phôtel de l'Intendance. Uss'y rendirent
( 85 )
vers les 9 heures du ſoir ,&y reſtèrent juſqu'à
2heures après minuit. Le concours brillant de
cette Aſſemblée , compoſée de plus de 500 perſonnes
, parut leur faire le plus grand plaifir ,
&ils s'exprimerent avec éloge ſur le caractère aimable
des Dames Françoiſes.
Le 17 , les Ambaſſadeurs jouirent , du haut
du balcon de leur hôtel , du ſpectacle d'une ba
taille ſimulée , donnée par les régimens de Barrois
& de Dauphiné , en garnifon à Toulon , &
qui a duré depuis 6 heures du ſoir juſqu'à 8.
Après ce fimulacre de combat , les deux régimens
ſe font rangés en ordre , & ont défilé devant
LL. EE. , qui étant forties de leur hôtel , ont enfuite
vifité les lignes. On avoit réſervé pour ce
même jour la réception des Majors en fecond de
ces deux régimens ; elle ſe fit alors en préſence
des Ambaſſadeurs avec l'appareil militaire & les
cérémonies d'ufage. Leurs Excellences ſe rendirent
lemême foir à la ſalle de ſpectacle , où l'on donnaune
repréſentation du Tableau parlant , ſuivie dur
Mortvivant par amour. On avoit élevé au fonddu
théâtre un Arc de triomphe , au milieu duquel
paroiſſoit à droite le portrait du Roi ,& à gauche
celui de Tipoo. Au bas de chacun de ces portraits,
étoit une légende en caractères Indiens , & audeſſus
les noms & titres des Ambaſſadeurs , écrits.
en mêmes caractères. Après la première pièce ,
un détachement du régiment de Dauphiné exécuta
fur le théâtre différentes manoeuvres. Un petitGénie
defcendit enſuite du plafond dans la loge
des Ambaſſadeurs , & leur offrit une couronne
de laurier & différentes fleurs . Deux enfans de
ladame Zanini , ayant exécuté différentes danſes
de caractère , ſe rendirent auſſi àla même loge
&préſentèrent des bouquets à LL. EE. , quái
frent bemicoup de careffes à ces enfam, &c
dantèrent feize tonis .
( 86 )
Le 20, les Ambaſſadeurs ſe ſont rendus à l'arfenal
, ont viſité le baſſin , ſont entrés dans le
vaiſſeau le Commerce de Marseille de 118 canons ,
qui y eſt en conſtruction ,& font montés à bord
du Triomphant de 80 canons. Ils ſe ſont rendus
enfuite à l'hôpital de la Marine. Ayant apprisla
veille que deux Canonniers avoient été bleſſés
dans le combat fimulé du 19 , ils écrivirent
en Arabe au Major de la Marine une lettre
pleine de ſentimens d'humanité , donnèrent 60
louis pour être partagés entr'eux , & prirent leurs
noms pour folliciter à la Cour une penſion en
leur faveur. En viſitant l'hôpital , ils eurent l'attention
de demander des nouvelles de ces deux
Canonniers.
Le 21 , jour fixé pour leur départ , ces Ambaffadeurs
font montés, à 9'heures &demie du matin,
dans des carroſſes de la diligence royale , après
avoir jeté de l'argent au Peuple. Dans le premier
carroſſe , à fix chevaux , étoit le premier Ambaffadeur
, feul ; dans deux autres à quatre chevaux,
étoient les deux autres Ambaſſadeurs , l'un Géné.
ral d'armée de Tipoo-Sultan , & l'autre , Chef
de la Religion : ils avoient avec eux le fils de ce
dernier ,&un autre jeune Indien recommandé au
fecond Ambaſſadeur.
Ils ont reçu à leur départ , ainſi qu'à leur arrivée,
les honneurs militaires dus à leur dignité .
Les préfens qu'ils portent au Roi n'ont point été
vus à Toulon : ils font renfermés dans fept caiſſes ,
& on en fait monter la valeur à 30,000,000 , argent
de l'Inde. ( 1 )
( 1 ) On re comprend pas clairement cette
évalution. L'argent de l'Inde le compte en roupies;
or , 30,000,000 de roupies feroient près de 70 millions
de France , ce qui est bien fort.
( 87 )
Le 26 mai , quinze maiſons , qui com
poſoient 23 ménages , ont été confumées
à Vaucelles ; la Commiſſion intermédiaire
Provinciale , pour ſubvenir aux premiers
beſoins des Incendiés , leur a fait diftribuer
600 liv:, et le Bailliage a donné une
ſommepareille.
« On écrit du Cap Saint- Domingue ,
- que le 21 mars dernier, (jour duVendredi-
Saint) , le feu prit à la Ville de la Nouvelle
Orléans dans la Louiſianne , par une Chapelle
ou Repoſoir chez le Tréſorier-Général.
Il ſe communiqua avec une telle
rapidité , qu'en moins de 12 heures 936
maiſons devinrent la proie des flammes.
On eſtime à 20 millions la perte qui en
eſt réſultée ; on ſait que le plus grand
-nombre des habitans de cette Ville ſont
encore des François . >>>
- « La nuit du 19 au 20, entre onze heures &
minuit , les vents étant au nord , le Chaſſe-marée
l'Anonyme , de l'Orient , venant de Nantes &
allant à Redon , chargé des bagages du Régiment
de Conti , Dragons , qu'accompagnoient un Lieutenant
, un Brigadier , un Maréchal- des - Logis ,
un Dragon & un Muſicien , a fait naufrage
fur le four , ayant manqué de virer de bord. A
l'inſtant où le Bâtiment s'eſt ouvert, les Paſſagers
&l'Equipage ſe ſontjetés au nombre de onze dans
leBateau , long d'environ dix pieds , & le Navire
a coulé auſſi- ốt; mais quelque temps après , ils ſe
font approchés d'une partie de la carcaffe, s'y
font amarrés à l'abri des coups de mer, & font
reſtés en cet état , continuellement occupés à
(88 )
vider l'eau juſqu'à huit heures du matin , qu'ils
ont aperçu un Bateau Sardinier , à qui ils ont
fait des fignaux , en mettant un mouchoir au
haut d'un aviron. Ce Bateau n'ofant aller à eux ,
dans la crainte de toucher fur les roches , s'eſt
mis en travers pour les attendre,, Ils ont abandonné
la carcaſſe du Bâtiment , & à force de nager
avec deux petits avirons , ils ont enfin joint le
Sardinier , qui les a reçus , & où ils ont été mouillés&
couchés fur la fougère jusqu'au 23 , fix heures
du matin , qu'ils font parvenus , à force de louvoyer
pendant près de trois jours , à entrer dans
cePort. On a fur le champ envoyé des Bateaux
Pêcheurs pour fauver les effets du Régiment ;
mais comme il y en avoit beaucoup fur le Pont ,
oncraintquelaperte neſoit conſidérable. (Courrier
Maritime.
Extrait d'une lettre écrite de Marseille au
Rédacteur.
<<Jeſpère , Monfieur , que vous voudrezbien
donner une place à la deſcription abrégée de la
Salle de Spectacle dont nous jouiſſons à Marseille
depuis le 31 novembre dernier. »
Cette nouvellefalle , conſtruite dans un quarré
longde vingt- fix toiſes ſur dix-huit, eſt décorée
fur laface principale d'un périſtile d'ordre ionique
antique , lequel , par fa pureté & fabelle proportiongardéedans
ſes entrecolonnemens , produit un
effet impoſant. Les faces latérales ſont d'un ſtyle
fimple mais noble. »
«Unveſtibule, orné de vingt colonnes doriques,
conduit aux premières loges & à un foyer public
par deux efcaliers vaſtes & très-bien diftribués.
Indépendamment de l'enſemble qu'on admire dans
ce foyer , ony diftingue quatre encadremens dans
Baxe de chacune de fes faces , leſquels , formés
( 89 )
d'ordre ionique compoſé, prouvent que l'Architecte
s'est fait un principe de ne jamais s'écarter
du ſujet qu'il avoit à traiter, ce qui fe remarque
principalementdans les chapiteaux dontlesvolutes,
formées pardes tyrſes enrichis de pampres , font
très-bien accompagnées par des maſques de différens
caractères ſubſtitués aux oves communément
employés dans cet ordre. Les autres ornemens acceſſoirs
ſontdans le même ſtyle. , »
« L'intérieurde la Salle , dont le ſervice ſe fait
par fix eſcaliers réſervés aux ſeuls ſpectateurs , eſt
auſſi vaſte que commode , &d'une décoration vai
ment neuve. Cette Salle, d'une forme elliptique ,
eſt ornée de huit colonnes ioniques ſurmontées
d'un entablement. Ce que l'on diftingue fur-tout ,
c'eſt la manière dontelles ſont diſpoſées entre elles ,
&dont elles portent un plafond d'une élégante
&riche compoſition. Ce plafond ſeul mériteroit
une deſcription détaillée. L'Architecte a préferé
un amphithéâtre circulaire ou galerie. (comme
au Théâtre François à Paris ) aux amphithéâtres
droits , tels qu'on les a communément pratiqués.
Lethéâtre eſt vaſte , d'un ſervice commode , ayant
de chaque côté des magaſins ſuffiſans pour ferrer
les décorations , &deux eſcaliers particuliers faiſant
le ſervice de fond-en-comble. "
<<En tout il y a dix forties , ſept pour le public
, trois pour lethéâtre , dont deuxjournalières ,
&une de ſecours donnant dans les deſſous. »
« La Salle est très-fonore ,& l'acteur ſe fait
'entendre de toutes les places ſans être obligé de
forcer ſa voix. L'orcheſtre produit auf un trèsbon
effet. "
« L'Architecte qui a exécuté ce monument ,
M. Bénard , que nous préſumons très-aifément
devoir être connu dans lacapitale par plus d'une
preuve de ſes talens, >>
) وه (
« Nous regrettons que cet Artiſte , qui n'a dâêu
l'exécution de cet édifice qu'au choix du Gouvernement
, d'après lejugement de l'Académie Royale
d'Architecture , ſoit retourné dans la capitale fans
avoir eu le temps de jouir du premier fruit de
ſes travaux , par l'approbation du public & des
étrangers, à qui nous n'avons vu faire que des comparaiſons
avantageuſes , &c. »
« Philibert Clemencet , Fermier de St. Beury ,
près Vilteaux en Bourgogne , a renouvelé les cérémonies
de fon mariage avec Pierrette Bertrand ,
le 24 juin 1788 , après 51 ans & fix jours de
mariage. Il étoit accompagné de ſes ſix enfans ,
&des enfans de ſes enfans au nombre de 26. 11
a fait célébrer une meſſe ſolennelle. Après la cérémonie
, ce bon père de famille adonné à toute
ſa ſuite in repas frugal où l'on a vu régner l'amour
paternel & le reſpect filial.
Armand de Montaut , Chevalier , Baron deCaftelnau
, d'Arbien & de Quinſal , Marquis de
Saint-Julien , Chevalier de l'Ordre royal& militaire
de Saint Louis , Lieutenant-général pour Sa
Majesté au Gouvernement de Normandie , eſt
mortàParis.
Alexandre , Marquis de Culant , Chevalier ,
Baron de Ciré , Seigneur de Flaſſay , grande &
petite iſle de Flay , Meſtre-de-camp de dragons,
Chevalier de l'Ordre royal & militaire de Saint
Louis , eſt mort , le 2 du mois dernier , en fon
château de Ciré.
PAYS - BAS.
De Bruxelles , le 4 Juillet 1788 .
Les VII Provinces -Unies , ainſi que le
Pays de Drenthe , s'étant expliquées ſur
(91 )
la propoſition desEtats de Hollande & de
Weſt-Frife, que la charge de Stadthouder,
Gouverneur , Capitaine & Amiral -Général-
Héréditaire dans la Maiſon d'Orange ,
telle qu'elle lui a été conférée en 1747, &
que le Stadthouder actuel en a pris pofſeſſion
en l'année 1766 , ſeroit garantie
mutuellement par tous les Confédérés
comme une loi fondamentale ; les Etats-
Généraux ont trouvé bon & réſolu : qu'il
fera fait entre les Provinces respectives un
engagement commun pour garantir mutuellement
la chargede Stadthouder , Capitaine
& Amiral-Général Héréditaire , non-feulement
comme une partie effentielle de la
confiturion & de la forme de Gouvernement
de chaque Province , mais auffi comme une
loi fondamentale des VII PROVINCESUNIES,
qui , fuivant l'UNION d'Utrecht ,
forment un Corps d'Etat.
<< Les renforts que doit recevoir le Prince
deLichtenstein, écrit- ondeVienne, le23juin,
font en marche. Outre ceux de la grande
armée , il recevra auſſi pluſieurs bataillons
de la garniſon de Vienne. Un corps de
Turcs menace de paſſer la rivière deGlina,
& de tomber ſur le derrière de l'armée
deceGénéral, ou de ſe porter ſur Agram &
Carlſtadt.- L'ennemi a déja mis le feu à
pluſieurs villages de la Croatie.- 15000
hommes fe rendent en diligence dans le
き
A
( 92)
- Bannat. Le Général de Fabris , dans la
Tranſylvanie , a reçu ordre de joindre le
Général de Wartensleben.-Un corps de
16000 hommes reſtera du côté de Belchania
, & on laiſſera une forte garnifen
à Semlin. La garniſon de Péterwaradin fera
de 20,000hommes.
Ilſe confirme qu'un corpsTurc s'avance
vers Jaffy.
Des lettres de Cherſon diſent que l'astmée
Turque s'approche d'Oczakof.
L'Archiduc François n'a pas continue
le voyage qu'il s'étoit propoſé. Il a été au
camp du Prince de Lichtenstein , & eft
revenu enfuite à Semlin.
Les ferres malignes commencent à
régner dans l'armée Autrichienne ; 430
hommes en font morts dans le camp de
Mahadie.
Le Major-Général de Lilien eſt arrivé,
le4de ce mois, à Pancſova , où les troupes
ont commencé le 9 à camper...
Un Courrier Rufle , accompagné d'us
Officierde l'armée du Prince de Cobonrg ,
eſtarrivé,le6de ce mois,au quartier général
de l'Empereur , avec une lettre de l'Impératrice.
Sa Majeſté a eu fur le champ une
longue conférence avec le Maréchal de
Lafcy, & le même Courrier a été réexpédié
le lendemain matin.
Nous nous faiſons un devoir de publier
( 93 )
la lettre authentique ſuivante , écrite de
Vienne , le 24 juin dernier , & que nous
fommes autorités à faire connoître.
« La manière dont les diverſes Gazettes
ont rendu compte de l'expédition de Jaffy,
& de la priſe de l'Hoſpodar Prince Ipfilandi
, eſt tout à la fois contraire à la vérité
& à la justice due à ce Prince , qui a
eu le malheur d'être une des premières
victimes de la guerre. La veille du jour
où le Colonel de Fabris parut devant Jaffy,
-il avoit battu pour la ſeconde fois & mis en
fuite Ibrahim Pacha, qui s'étant replié fur
■ la Ville , ne jugea pas à propos de joindre
ſes forces à celles du Prince ; ce qui auroit
mis ce dernier à même de défendre ſa réfidence
en faiſant face à l'ennemi. >>
Au contraire , Ibrahim Pacha ſe refuſant
à toutes les inſtances da Prince , ſe
retira vers le Pruth, abandonnant l'Hof
podar , auquel il ne reſtoit plus que de trèsfoibles
moyens de défenſe ; il n'avoit plus
à ſa diſpoſition que ſes Arnautes , ſur lefquels
il ne pouvoit pas compter , ainſi que
l'expérience l'a prouvé , avec un corps
d'environ 900 Turcs , qui , non - feulement
, refusèrent de lui obéir , mais qui ſe
mutinèrent , ſe montrant déterminés à la
fuite. Dans cette extrémité, le Prince n'avoit
d'autre reſſource que de fuir luimême
: il le fit ; mais les Huſſards Autri
(94)
chiens lui ayant coupé la retraite,&l'ayant
environné de forces beaucoup ſupérieures
aux fiennes , il ſe vit réduit à la triſte néceſſité
de ſe rendre en cédant à la force , &
après avoir eſſuyé pluſieurs coups de fufils,
dont fes habits furent percés , &des morts
à ſes côtés. "
<< Tous les ſoupçons qu'on a cherché à
répandre fur la fidélité du Prince , font
autant de calomnies inventées par la malignité
; & c'eſt par une ſuite de cette fauffeté
, qu'on a ſuppoſé qu'il avoit écrit à S.
A. M. le Prince de Kaunitz, pour le prier
de s'intéreſſer auprès de la Porte en faveur
de ſa famille. Une ſimple expoſition des
faits fuffit pour justifier ſa conduite ; fa
confiance& les longs ſervices qu'il a rendus
à la Porte , le feront triompher des
effortsde ſes ennemis , qui mettent à profit
le malheur des circonstances pour ſe
livrer à la haine qu'ils lui portent. »
« J'ai cru devoir à la vérité & à la juſ
tice, comme témoin oculaire, de rendre
ce compte au Public , &c. &c. »
P. S. Nous recevons à l'inſtant le ſupplémentofficiel
à la Gazette de Vienne, du
25 juin , & chargé , comme à l'ordinaire ,
de faits minutieux , à l'exception du dernier
, que l'on rapporte en ces termes dans
ceBulletin.
Par un rapport du Feld-Maréchal - Lieutenant
( 95 )
de Fabris, du 17 de ce mois , on apprend que le
Co'on 1 Horwath , poſté à Adſchud , inſtruit que
l'ennemi avoitdeſſein , le 5 ou le 6 de ce mois , d'enlever
notre garniſon de Fockſan , ce Colonel détacha
tout de ſuite le Major Lajos des Szecklers ,
avec deux diviſions d'infanterie , 50 Arquebufiers,
un eſcadron d'Huſſards , &4 canens de trois livres
de balle , avec l'ordre de tomber ſur les Turcs
&de les prendre à dos.
Undéfilé fort étroit , que la troupe du Major
Lajos eut à paſſer au milieu des vignobles entrecoupés
de chemins de traverſe , retarda ſa marche,
de façonque pour n'être pas pris àdos par l'ennemi
, il fit replier une diviſion d'infanterie avec
toute ſa cavalerie &deux canons , par ledéfilé vers
la plaine , les plaça de manière que l'infanterie
avoit à l'aile droite & en dos des vignobles ,
& que la cavalerie forma l'aile gauche.
Dans lemoment qu'il avoit pris cette poſition ,
l'ennemi ſortit , avec toute ſa cavalerie , d'une
embuſcade , & forma ainſi l'attaque de front.
LesTurcs ayant laiſſé approcher le Capitaine
Beaurepart à la tête de la diviſion d'infanteriejufqu'à
la portée du canon , le repouſsèrent d'abord
parun feu vif qu'ils firent ſur lui , &ſe formèrent
enfuite endemi-lune , pour attaquer le flanc gauche
de la diviſion , qui , faiſant le quarré , repouſſa
à diverſes fois leur attaque , avança fur eux
ſous unfeu continuel ,&, foutenue enfuite par la
cavalerie, les mit enfin en déroute.
Pendant cette affaire , le poſte de Fockſan ,
compoſéd'Arquebuſiers , d'Huſſards&de Volontaires
, fut attaqué avec tant de violence par l'ennemi
, que pluſieurs Arquebufiers & Volontaires
furent tués & la plupart diſperſés. Mais les Huffards,
commandés par le premier Lieutenant Ernst,
ayant trouvé moyen de ſe replier &de ſe joindre
en bon ordre au détachement qui arriva à leur
( 96 )
fecours , on attaqua d'abord le flane droit de l'ennemi
par un feu de canon &de mouſqueterie
vif, que l'ennemi ſe ſauva en défordre.
Nous comptons 14Arquebuſiers de diſperſés&
xoo Volontaires , qui, s'étant retirés dans les vignobles
, auront pu rejoindre leur Corps.
Suivant les avis du Colonel Horwath, l'ennemi
a eu dans cette affaire 200 morts & 300 bleſſés.
Les Arquebufiers& les Fantaſſins de la Compagnie
du Capitaine Zillich , lui ont pris deux drapeaux&
fait un prifonnier.
Peu après cette dernière affaire , l'ennemi a été
renforcé de Braila ainſi que de la Valaquie , de
8000 hommes& de 8 canons , ce qui a porté le
Colonel Horwath à changer de difpofition , & à
ſe relever , le 11 , près de Petruskan , à 4 lieues
d'Adſchud , pour être à portée de former ſesdifpoſitions
d'après les mouvemens que feroient les
Turcs vers la Valaquie ou la Moldavie. Peridant
le rapport que le Colonel Horwath fit de cette
affaire , le 12 , de fon camp de Petruskan , 3 à
mille Turcs vintent occuper un camp près de
Fockſan , le Prince Valaque Maurojeny ayant
beaucoup à coeur la conſervation de cette place,
qui lui ſert à entretenir la communication entre les
VillesdeBuccareſt , de Braila , de Gallaz&deJaſſy
ERRATA pour le Numéro 27.
Ajoutez à la fin de la lettre qui ſe trouve
page 40 , fur les ſceaux , monogrammes , diplomes
, &c .
J'ai l'honneur d'être , &
DESMARESIZ ,
Ancien Préſident de l'Ele&ion de Senlis.
ERRATA pour le Numéro 26.
Enannonçant la Poudre de M. Faynard , page
182 , au lieu de , il y a des boîtes de deux priſes,
lifezdesboîtesde deux prix , de 12liv.&de 24 liv.
MERCURE
DEFRANCE.
SAMEDI 19 JUILLET 1788 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
· ÉPITRE
AM. MARCHANT , Auteur d'un Poëme
fur FÉNÉLON (1 ).
J'ai lu tes vers ; & leur noble harmonic
Sans l'étonner , a flatté ma raiſon ;
Tu fais , ami , pour chanter Fénélon ,
Aux traits de l'ame unir ceux du génie.
Ah ! ton Héros conduiſoit ton crayon ,
Quand tu peignois ſa vertueuſe hiſtoire ;
Et déjà même au Temple de Mémoire ,
(1) se trouve à Paris , chez Royez , Libraire , quai des
Auguftins ; & chez les Marchands de Nouveautés .
No. 29. 19 Juillet 1788 . E
110 MERCURE
41
)
Auprès du ſien gravant auſſi ton nom ,
La Renommée a publić ta gloire.
MAIS , cher ami, lorſque la main du Temps
Sème de fleurs ta naiffante carrière ,
Quand le Plaiſir , de ſon aile légère ,
Vient embellir les jours de ton printemps ,
Et que le Dieu qu'on adore à Cythère ,
Par ſes faveurs , a des droits à tes chants ,
Commeun Caton , ta morale eſt auſtère ;
A la Vertu tu cours offrir l'encens
Qu'en fouriant t'a demandé Glycère.
Eh ! quel empire as-tu donc fur tes ſens ?
Quoi ! pas une Hymne encor pour ta Bergère !
Ton oeil fait bien exprimer le défir ;
Mais ton eſpritjuſqu'à tel point s'abufe
Que lorſqu'il faut nous parler du plaifir ,
A ce portrait ton pinceau ſe refuſe.
Ah ! laiſſe-moi diffiper ton erreur.
Pour mériter & la gloire & l'honneur ,
Tu fis fonner la trompette héroïque ,
Et dédaignant un triomphe érotique ,
Tu pris l'épine & tu laiſſas la fleur ;
Maistes beaux vers font l'oeuvre d'un beaufonge.
Et tu dormois loin de la volupté ;
Va , mon ami , la gloire eſt un menfonge ,
Et le plaifir une réalité.
Si , comme à toi , la Nature en partage,
M'avoit donné l'eſprit & les talens ,
DE FRANCE: 11
Si j'avois ſu moduler pour ton Sage
Sur un luth d'or tes ſublimes accens ,
Ainſi que toi , j'aurois vu ce grand homme ,
Près de Louis , défendre avec ardeur
Les droits du Peuple & l'Egliſe de Rome.
Pour affurer aux François le bonheur ,
Je l'aurois vu , digne rival d'Homère ,
Donnant des Loix au fang de nos Bourbons,
Dans l'art d'aimer & dans celui de plaire ,
Lui prodiguer les plus ſages leçons ;
Alors , des maux du fils du Roi d'Itaque ,
Je t'aurois fait un récit ébauché ;
Epris enſuite autant que Télémaque ,
Ghez Calypſo j'aurois au moins couché.
Et quelle nuit ! ... J'aurois vu la Déeſſe
Al'étranger lancer un doux ſouris ,
Un doux regard où ſe peint la tendreſſe ;
Etdéployant ſa grace enchantereſſe ,
Lui dire hélas ! je vaux bien Eucharis. ...
Mars je m'arrête , & crois déjà t'entendre
Ames avis répondre avec aigreur :
>> La raiſon brille à côté de l'erreur ;
>>Du Roſſignel , l'accent flexible & tendre
>> Meurt dans les airs, quand l'Aigle menaçane
>> A fonbémol marie un cri perçant :
>> Ainſi celui qui prêche la ſageſſe ,
>>D>oit au plaifir refuſer des autels :
>> On chante mal l'honneur & ſa Maîtreffe ce
F2
712 MERCURE
MAIS ton ouvrage eit fait pour des mortels ,
Et leur vertu , c'eſt l'amoureuſe ivreſſe ;
Elle doit plaire aux yeux des immortels ;
Ils ont fait l'homme , ami , pour la tendreſſe;
En inſtruiſant ilfaut parler au coeur.
Ainfi , VERNET , ton pinceau créateur ,
D'un ciel noirci , lançant l'affreux orage
Sur le vaiſiſeau prêt à faire naufrage ,
Sait quelquefois peindre un père adoré ,
Qui, l'oeil en pleurs, veut, d'une main tremblante,
Sauver des flots le corps défiguré
De ſon enfant , de ſa fille expirante.
La vague s'ouvre ; ils ont péri tous deux.
Un peu plus loin s'offre un couple amoureux ,
t
Qui , înépriſant la foudre & la tempête ,
Par l'amour ſeul , oſe ſe croire heureux ,
Si le carreau qui roule ſur ſa tête ,
D'un même coup ferre & brife ſes neoeuds.
Le Ciel eft fourd à ſes timides voeux.
D'un mât rompu ſe détache un cordage
Les deux Ainans s'entrelacent encor;
Unis enſemble , ils vont braver la inort :
Sur un débris ils tentent le voyage ;
Dudoigt l'Amour leur montre le rivage ,
Et c'eſt l'Amour qui les conduit aubord.
Que leur bonheur me féduit & m'enchante !
J'ai plaint le père , & tremblé pour l'Amante,
Pour moi le Dieu rallumant ſon flambeau ,
M'a fait chérir le Peintre & le tableau.
DE FRANCE. 113
Aton exemple , amitié paternelle ,
Je ſouſcrirai , j'aimerai mon enfant ;
Et comme toi , fublime & tendre Amant ,
Je ferai tout pour l'Amour & ma Belle .
De la vertu, le ſentier tortuenх
Offre par-tout & la ronce & l'épine.
De loin en loin , place fur la colline
Quelques bouquets , ils fixeront mes yeux ;
Pour les avoir , devenu courageux ,
Auhaut du montje gravirai fans peine ;
En les cueillant j'aurai repris haleine ,
Et fans effort je ſerai vertueux.
MAIStroplong-temps monApollon m'inſpire ;
C'en eſt aſſez , plus de guerre entre nous :
Et déſormais , ivre d'un beau délire ,
Prenant un ton moins fublime & plus doux ,
Du Dieu des coeurs fais-nous chérir l'empire.
De l'Amitié ſuis encor le conſeil;
Laiffe un inftant repoſer la trompette ,
Et de l'Amour , hâtant le doux réveil ,
Emprunte- lui fes couleurs , fa palette.
Lors , à ſes pieds , avec lui badinant ,
Peins une Muſe aimable autant que belle ,
Qui , d'Erato , pinçant le luth galant ,
Vient tour à tour dans ce cercle brillant ( 1 )
(1) Getze Epître a été lue dans une Société Littéraire
que Madame Du.... ne charme quelquefois par la lecture
de ſes Ouvrages.
,
E3
114 MERCURE
Lire ou chanter ces vers que l'Immortelle
Dicta fans doute à ſa plus chère enfant.
Peins fon oeil vif& ſon ſouris touchant ;
Peins le déſir qu'a de portér ſa chaîne
L'heureux mortel qui la voit ou l'entend.
Mais parle au moins , parle de notre peine ,
Quand elle garde un filence affligeant ;
Et l'on dira pour célébrer Du ... ne ,
Il faut avoir tout l'eſprit de Marchant.
;
POUR moiffonner des lauriers au Parnafie ,
Ilt'a fuffi de chanter Fénélon ;
Il eſt encor des fleurs ſur l'Hélicon .
Le coeur rempli de la plus noble audace ,
Cours les cueillir , place-les fur ton front :
Mais pour avojecette double couronne,
Il faut , ami , célébrer la Beauté;
Car c'eſt toujours la Beauté qui la donne.
Ainfi jadis , fur ce bord enchanté ,
Jaloux de voir fa gloire univerſelle ,
۱
Le Chantre heureux du plus grand de nos Rois,
Pour l'obtenir, baiſſant un peu la voix ,
Près de Henri conduifit la Pucelle.
Par M. Mejan Du Luc. )
DE FRANCE. 115
ENVOI DE ROSES
A Madame la Comteffe DE V ***
CONSOLEZ -VOUS de n'exifter qu'un jour ,
Roſes , ce jour vaut la plus longue vie.
Vivre & mourir ſur le ſein de Lesbie ,
C'eſt l'éternité pour l'amour.
( Par M. des Robardieres . )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE
E mot de la Charade eſt Buiſſon ; celui
de l'énigme eſt la Critique ; celui du Logcgriphe
eit Sangle , où l'on trouve Angle ,
Ane.
CHARADE.
C'est un des élémens qui produit mon premier ;
Dans un fecond s'étend & ſo perd mon dernier ;
Dans un troifième eft mon entier.
(ParM. Allard Hurel de Verneuil. )
F4
116 MERCURE
ÉNIGME.
Lorsque du chaos ténébreux
L'Éternel eut tiré le Monde ,
Je pris ma place dans les Cieux ;
Et bientôt , d'une main féconde
Qui regit encor'l'Univers ,
J'embraſſai la Nature entière ;
J'éclairai les mortels des traits de ma lumière ;
J'enchaînai tous les coeurs par mes charmes divers.
Tu vois donc quel eft ma puiſſance ?
Connois auffi tous les biens que je fais .
Je protège les Arts , je fixe l'abondance ;
Et j'offre en tous les temps le bonheur & la paix.
Veux-tu d'autres allégories ?
Mère de deux filles chéries ,
J'exoite les plus doux tranſports ;
Et par de fublimes accords ,
Je parle aux ames attendries :
Enfin, parmoila porte des Enfers
S'ouvrit au Chantre de la Thrace ;
Autrefois je dictai les vers
Du Taffe , de Milton , de Virgile& d'Horace ;
J'animai les rochers , ſous les doigts d'Amphion ;
J'enflammai le divin Homère ;
Je prêtai mes chants à Voltaire ,
Etjemontai le luth d'Anacreon .
1
(Par M. L... D. M. C. M. des
Dragons de la Rochefoucauld.)
ر
DE FRANCE. 117
LOGOGRIPHE.
Je ſuis un jeu cruel , affreux & fanguinaire ,
Et je ne ſuis qu'un jeu d'enfant.
Que cela te ſuffiſe , Elvire , en ce moment ;
Du jaloux Logogryphe , à l'Enigme contraire ,
Ainfi le veut l'impérieuſe Loi. 1
Si tu veux bien chercher , tu trouveras en moi
Ce qu'un Cenſeur ſévère , un fâcheux Journaliſte ,
Souvent par un ſeul mot excitent ſans raiſon ;
Cequ'on fait ennuyé d'une morale triſte ;
Le ſoin du Jardinier émondant le bouton ;
Ce qui dans une Belle a le droit de ſéduire ,
Et qu'Elvire ſur-tout a ſouple & fait autour ;
Deux choſes qu'à regret l'on quitte chaque jour ;
Ce qu'à plus d'un Auteur fait porter la fatire :
Enfin .... mais ces détails font plus que ſuffiſans ;
Le babil eſt permis , mais ce n'est qu'aux Amans.
( Par M. des Robardieres. )
Es
1
118 MERCURE
1
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LE VERGER , Poëme , par M. DE
FONTANES. A Paris , chez Prault , Imprimeur
du Roi , quai des Augustins , à
l'Immortalité.
CET Ouvrage mérite particulièrement
l'attention des Amateurs de la haute Poéfie.
Il eſt la Production d'un talent qui , dès
fa naiſſance , a été regardé par les Juges
de l'Art comme leur plu belle eſpérance,
& qui alors brillant de ſes promeffes , ſe
montre aujourd'hui riche de ſa maturité.
Le ſujet eſt un de ceux où la Poéfie trouve
encore l'occaſion trop rare ou trop négligée
de reſſaitir fon caractère antique.
Ce double intérêt que préſente ce nouveau
Poëme , peut être le motif de quelques
réflexions qui ne lui font point étrangères.
Le talent a ſes époques ; l'Amateur des
Arts fe plaît à les obſerver. C'eſt une chofe
remarquable que les premiers vers de M.
de Finenes offrirent le caractère d'un goût
perfectionné, heureux préfage fur lequel
les Connoiffeurront raifon de compter
toujours. L'art de la compoſition s'acquiert.
DE FRANCE. 119
C'eſt donc fur leur manière qu'il faut juger
les jeunes Ecrivains : une manière franche,
forte & neuve , a paru celle de M. de Fontanes.
L'expérience , un goût naturel éclairent
àla fin fur l'ordre & le plan des Ouvrages
: c'eſt l'époque où M. de Fontanes
eft parvenu.
Quels ſujets plus dignes d'exercer un
talent tel que celui dont je viens d'indiquer
le caractère , que ces ſujets toujours
vierges , où l'imagination du Poëte devient
néceſſairement plus véridique & plus auguſte
, parce qu'elle n'eſt plus que la repréſentation
de la Nature ? Les Anciens ,
plus près que nous de ce modèle éternel
des Beaux Arts , y reviennent toujours dans
leurs Ouvrages ; & pour ne parler ici que
du fujer qui nous occupe , voyez la Mufe
Guerrière enrichir d'un Verger lheureux
Alcinous ; voyez la Muſe Géorgique fe
plaire dans le Verger du vieillard du Galèfe.
Aufli on peut appliquer à ce ſujet le
vers d'un grand Poëte de nos jours :
Il inſpiroit Virgile , il ſéduiſoit Homère .
Une dernière obſervation que je me permertrai
avant d'examiner le Poëme de M.
de Fontanes , eft encore à fon avantage.
Demuis quelques années , quelques jeunes
Poëres , M. de Fontanes à leur tête
viennent aux principes qui ont dirigé les
Maîtres ; ils ont abandonné les déclama-
FG
re120
MERCURE
tions en forme d'Epîtres &de Diſcours, où
le faux talent ſe flattoit de prendre l'allure
du génie . Un goût plus ſain paroît les éclairer
ſur ces figures forcées que la médiocrité
prit long-temps pour de la chaleur ,
fur les expreſſions bourſouftlées qu'elle prenoit
pour de l'énergie. L'art des vers ne
ſe borne plus , dans les compoſitions dos
jeunes Poëtes , à ces formes communes qui
favoriſent la pareſſe & l'impuiflance. On
cherche les fecrets du ſtyle , les effets d'une
harmonie plus ſavante , & les hardieſſes de
l'expreſſion qui rajeuniſſent la penſée ſans
encourir les reproches du goût. Il faut le
dire , deux Poëtes, dans ces derniers temps,
M. de St- Lambert & M. l'Abbé de Lille ,
ont contribué beaucoup à renouveler ces
études ſévères dont l'art des vers a plus
beſoin que jamais.
M. de Fontanes explique dans un Avant-
Propos ſes principes ſur les Jardins. Il y
montre , comme dans ſon Poёте , » fon
ود peu de goût pour les ParcsAnglois , avec
>>d'autant plus de liberté , que ceux qu'il
avus en Angleterre même lui ود
ود
ont peutenêtre
donné le droit d'avoir un avis fur
>> cette matière " . Il ajoute : » Au reſte ,
>> quelque parti qu'on prenne entre les
Parcs Anglois & les Parcs François ,
tre Kent & le Nôtre , le Verger ſubſiſtera
>> toujours ; c'eſt le Jardin néceſſaire, utile
» & vraiment agréable , quoiqu'il foit le
> plus commun. On a fort bien obſervé
ود
ود
:
DE FRANCE. 121
dans un Ouvrage ( 1 ) plein d'imagina-
» tion& de charme , que les plus douces
>> jouiſſances font toujours celles que la
Nature a miſes à la portée de tous les
hommes ". C'est donc le Verger qu'a
voulu peindre M. de Fontanes , & dans
ſon ſujet il a eu pour but de tracer, comme
il le dit lui-même ,
ود
ود
Le Jardin du Berger , du Poëte & du Sage.
On va voir que ſon but eſt rempli .
L'Auteur , dans un morceau ſur le choix
- des fires , caractériſe les environs de Paris
& il ajoute une réflexion qui eſt à la fois
un ſentiment & un confeil.
Que ces lieux me plairoient ! mais des Grands les
habitent.
Le Sage , avec reſpect , doit s'écarter loin d'eux ;
Et fi j'en crois les vers de ce Poëte heureux ,
Qu'on relit à tout âge, & qu'on cite à toute heure,
Je ne bâtirai point autour de leur demeure.
Voilà pour le Sage. La Neuſtrie , l'Occitanie
, les bords de la Loire font les lieux
où il appelle les amis de la Nature . Enfin
(1) Cet Ouvrage dont parle M. de Fontanes
eft de M. Bernardin de Saint-Pierre , comme on
l'apprend par une Note de cet Avant-Propos , où
l'Auteur rend un noble tribut d'admiration aux
Etudes de la Nature.
,
122 MERCURE
il n'oublie point ce qui plaît au Poëte , les
champs où d'antiques monumens retracent
des ſouvenirs; & le Poitou , ſa patrie, lui
en offre des exemples .
Mémie dans ma patrie il eſt quelque beauté ;
Le fameux la Trimouille y reçut la naiſſance ;
L'amour y règne encore ainſi que la vaillance ;
Le château qu'habita la jeune d'Aubigné ,
Du plus charmant vallon s'élève environné ;
Et je n'oublierai point cette cité voifine ,
Où du haut de ſa tour gémiſſoit Méleufine.
Mais il eſt un ſéjour qu'aucun des plus
beaux tites ne peut remplacer. Voyez par
quel fentiment aimable le Poëte veut vous
y fixer.
C'eſt le Séjour témoin des jeux du premier âge ,
Que pour ſes derniers ans il eſt doux d'embellir ;
C'eſt près de mon berceau que je voudrois vieillir.
Ce dernier vers eſt un de ceux qu'on
n'oblie point ; & comme il eſt heureox
de donner a des précepres ces acceſſoires
touchans dont le genre didactique ſemble
moins tefeeprible que tout autre !
Le grand arr dont Virgile eſt le Maître ,
cet art de rompre l'uniformité des leçons
parde riches dé ai's qui ne leur foient p int
étrangers , va ſe manifefter ici avec un
éclar peu common 1. de Fontanes recommande
la régularité des plants , & leur
partage.
DE FRANCE.
123
L'ordre convient toujours à nos foibles travaux.
Tout à coup le plus bel élan de la verve
poétique produit un magnifique contale.
Il s'agit d'oppoſer aux vains efforts de l'Art
imitateur les impoſantes créations de la
Nature.
Trop vaine ambition ! ah ! peut-être comme eux
J'admire la Nature en ſes ſublimes jeux.
Mais ſi je veux jouir de ſes grandes images ,
Je m'écarte je cours au fond des lieux fauvages.
Alpes, & vous , Jura , je reviens vous chercher !
Sapins du Mont- Envers puiffiez-vous me cacher !
Dans cet antre azuré que la glace environne ,
Qu'entends-je ? l'Arvéron bondit , tombe & bouillonne
,
Rejaillit & retombe , & menare à jamais
Ceux qui tentent l'abord de ces âpres ſommets.
Plus haut 'a'gle a fon nid , l'éclair luic , les vents
grondent ,
Les tonnerres lointains fourdement ſe répondent.
L'orgueil de ces grands monts , leurs immenfes
contours ,
,
Cent fiècles qu'ils ont vu paſſer comme des jours ,
De l'homme humilié terraſſent l'impuiſſarce ;
C'eſt là qu'il rêve , adore ou frémit en filence :
Et lorſqu'abandonnant ces infor nes beautés ,
Qui repouffent bientôt les yeux épouvartés ,
J'entrevis ces vallons , ces bex eux où r. fire,
Un charme que Saint-Preux n'a pu même décrire ,
J
124 MRCUREE
Quand de l'heureux Léman je découvris les flots ,
Oui , je crus , qu'échappé des débris du chaos ,
L'Univers tout à coup naiſſant à la lumière ,
M'étaloit ſa jeunefle & fa beauté première.
O véritable Poéſie ! quelle compofition
ſagement hardie ! Sans doute l'effet de ces
beautés eft généralement ſenti ; cependant
qu'il me ſoit permis de m'arrêter un inftant
à les détailler. Et d'abord remarquez
cette perfection du goût dans un jeune
Poëte , qui , dans tout le cours d'un morceau
où l'imagination ayant à peindre les
formes variées de la Nature , paroît devoir
prendre la meſure de cet immenfe coloſſe ,
ne ſe permet pas une ſeule image giganteſque,
un ſeul ſentiment exagéré , & qui
ſemblable à fon modèle , laiſſe entrevoir
un ordre ſecret dans cette irrégularité de ſes
peintures. Enfin , s'il s'agit de la verſification
, quel connoiffeur n'admirera point
ces formes de la phraſe poétique , ces fufpenſions
adroites de la meſure , ces doubles
effets des mouvemens & des fons qui
produiſent une harmonie parfaitement imitative
, & cet enchaînement périodique des
vers , qui fait de la diction comme un tiſſu
auquel on ne peut rien ôter, rien ajouter ?
On n'attend point de moi que je faſſe
dans cet article l'extrait ſuivi & néceflairement
fatigant de tout ce Poëme , qu'il
faut lire en entier : mais avant de citer
DE FRANCE. 125
encore quelques morceaux qu'un Journal
vel que celut - ci aime à recueillir , je vais
faire voir avec quelle adreſſe & quel bonheur
M. de Fontanes ſurmonte la difficulté
des tranſitions , cet ecueil toujours renaiffant
du Poëme didactique & defcriptif. Le
Poëte veut parler en paſſant de l'abeille ,
dont on ne peut pas parler long-temps après
Virgile. Il vient de peindre les fleurs qui
ſe plaiſent dans le Verger. Les fleurs font
le butin de l'abeille ; les vers de l'Auteur
favent l'y conduire.
Ces fleurs même , ces fleurs, charme de notre afile ,
Ne frappent point les yeux d'un éclat inutile ;
Al'entour un eſſaim bourdonne ſourdement :
C'est là que , pénétré d'un double enchantement,
Vous lifez au doux bruit de la ruche agitée ,
Ces vers plus doux encore où gémit Ariſtée ;
C'eſt là qu'on rit parfois , Réaumur à la main ,
Des aimables erreurs du Poëte Romain.
Un des caractères, du grand talent eſt
d'enrichir d'acceſſoires nouveaux , des ſujets
où l'on eſt preſque toujours devancé
par l'imagination du Lecteur. M. de Fontanes
en offre des exemples. Il a parlé des
terreins où l'eau décèle ſon lit. La Citerne
eſt ce qu'il va peindre. Voici comme il
embellit ce détail aride.
Muſe , tranſporte-moi chez l'Arabe indompté !
Fais-moi voir ſous les feux d'un éternel été ,
126 MERCURE
1
Dans le fond du déſert , ces hordes vagabondes ,
Qui recherchent de loin les Cîternes profondes ;
Peints les joyeux tranſports : montre-moi les chameaux
,
Et courbant leurs genoux , & poſant leurs fardeaux
:
Rappelle-moi les moeurs de ces temps poétiques ,
Où les filles des Rois , dans les ſources publiques,
Venoient blanchir le lin, la toiſon des agneaux ,
Elles-mêmes puiſoient les ſalutaires eaux ,
Ou couroient quelquefois , d'une main bienfaifante
,
Offrir à l'étranger l'urne rafraîchiſſante .
L'étranger admiroit leur beauté , leur douceur ,
Et béniſſoit la main propice au voyageur.
Je ne quitterai point le morceau des
Eaux , fans citer les vers ſur le Ruiffeau ,
dont les derniers offrent une ſenſation parfaitement
ſaiſie .
Un ruiſſeau doit ſuffire au ſéjour des Bergers.
Suivez-le , il vous invite ; à vos yeux il retrace
Les bords de Blanduſie où méditoit Horace.
Oui , le frais Sperchius avoit moins de clarté ;
Ici la rêverie attend l'homme enchanté :
Il s'arrête , il s'alied , repoſe , & fur la rive
Dans un vague abandon flotte l'ame penſive...
C'eſt avec raiſon qu'on a dit ,
Uniſſez tous les tons pour plaire à tous les goûts.
DE FRANCE. 127
M. de Fontanes ſait préſenter dans ſes
vers la grace à côté de la force. On connoît
déjà quelques peintures de la Rofe .
Eh ! qui peut refuſer un hommage à la Roſe ?
L'Auteur du Verger l'a décrite d'une manière
qui lui eft propre. Le Lecteur nous
faura gré de rapporter ces vers pleins de
grace & de charme.
Et fur-tout que la Roſe , embaumant ce ſentier ,
Brille comme le teint de la Vierge ingénue ,
Que fait rougir l'amour d'une flaimme inconnue.
Ces tréſors pour vous ſeuls ne doivent pas fleurir ;
Ala jeune Bergère on aime à les offrir ;
Elle rend un ſourire : hélas ! belle Rofière ,
D'autres amis des moeurs doteront ta chaumière ;
Mes préſens ne font point une ferme, un troupeau,
Maisje puis d'une Roſe embellir ton chapeau .
Les épiſodes répandent ſur le Poëme
didactique l'agrément & l'intérêt , ſans lefquels
l'auſtère mérite de l'utilité eſt ſans
effet dans tout Ouvrage en vers. L'art eſt
de les proportionner à l'étendue du Poëme,
de les amener naturellement , & de leur
donner la phyſionomie du ſujer. Ces qualités
ſe trouvent dans une Fable Ecoffoife
fur le Rouge-gorge & un Enfant. Le Poëte;
qui conſeille d'aimer les oiſeaux , qui invite
à les nourrir dans les jours de froidure
, fortifie ſon précepte d'un exemple ,
1
728 MERCURE
en même temps qu'il embellit ſon Ouvrage
d'un morceau charmant , dont l'idée tou
chante & l'excellente narration nous con
damnent à l'uniformité des éloges. La voici :
Jadis fut un Enfant , qui , dans un bois prochain ,
Voyant le Rouge-gorge affligé par la faim ,
Accueillit ſa misère en des temps de froidure ;
Tous deux ils partageoient la même nourriture ,
Ettous les jours l'oiſeau viſitoit ſon ami .
Mais ce bonheur fut court ; un beau-père ennemi ,
Au fondde la forêt , d'une main criminelle
Egorgea cet Enfant remis ſous ſa tutelle.
L'oiſeau, qui du taillis parcouroit l'épaiffeur ,
Reconnut dans ſon vol fon jeune bienfaiteur ;
Trifte alors , & couvrant les dépouilles chéries ,
Et de mouſſe ſéchée & de feuilles flétries ,
A l'aide de fon bec il leur fit un tombeau.
Dès ce jour , l'Ecoſſois , au fortir du berceau
Nourrit la pauvreté du Rouge-gorge aimable.
Soyons Enfans aufſi : c'eſt le but de ma Fable..
: Dans les citations que je viens d'offrir
au Lecteur , on a pu ſaiſir la marche de
l'Ouvrage. Mais les bornes de ce Journal
ne m'ont pas permis de parler de pluſieurs
détails qui , dans le Poëme , forment , en
s'uniſſant , la perfection de l'enſemble , tels
que le Potager , l'Eſpalier , la Grotte , les
Arbres , la Récolte des fruits , & le Cadran
falaire, morceaux qui tous ont leurs beautés
particulières. Cependant il me ſemble
,
1
DE FRANCE. 1.29
qu'il manqueroit quelque choſe à l'idée
que j'ai voulu donner de cet Ouvrage , &
au plaiſir qui m'entraîne à citer de ſi beaux
vers , ſi j'oubliois ceux-ci, où l'Auteur préſente
en groupe les vues propres au Verger.
Daignez, aux habitans de la ferme voiſine ,
Accorder un chemin à l'abri des chaleurs .
Que les jeunes enfans croiſſent parmi vos fleurs !
Près de vous , loin de vous , l'oeil charmé ſe promène
:
Contemplez ces lointains, ces côteaux, cette plaine.
QuandAvril reparoît, quand le jour renaiſſant
-Se gliffe à travers l'ombre , & l'efface en croiſſant ,
La fécondeGéniſſe abandonne l'étable ,
Mugit , & du hameau , nourrice inépuiſable,
Broutant juſqu'à la nuit un gazon ranimé,
Groffit le doux tréſør de fon lait parfumé.
L'oeil la ſuit dans ces bois, dans ce noir labyrinthe,
Où de ſes pieds peſans s'approfondit l'empreinte.
Là font des Laboureurs , &dans legras vallon ,
Penchés ſur leur charrue , ils ouvrent un fillon ;
Tandis que les brebis , qui paiſſent confondues ,
Vous préſentent de loin, aux rochers ſuſpendues ,
D'un nuage argenté l'immobile blancheur ;
A vos pieds ſe promène un robuſte Faucheur.
L'herbe tombe & s'entaſſe , en monceaux diviſéc;
Souvent frémit la faux ſur la pierre aiguiſée.
Peindrois-jedansles champs les Moiſſonneurs épars.
Les gerbes àgrands cris s'élevant ſur les chars ,
130
MERCURE
Et les folâtres jeux que la vendange amène ?
Peut-être ſous vos yeux , d'une marche incertaine ,
Deux Amans ſe perdront au fond de la forêt ;
Pardonnez à l'amour , & gardez leur ſecret :
Ce font-la vos Vernets , vos Pouffins , vos Albanes.
Toujours une compoſition également habile
, toujours des images intéreſſfantes , &
des vers d'une forme ſavante & facile. La
Poéſie deſcriptive peut-elle être plus pittoreſque
que dans ces vers-ci ?
Tandis que les brebis , qui paiſſent confondues ,
Vous préſentent de loin , aux rochers ſuſpendues ,
D'un nuage argenté l'immobile blancheur.
Quel tableau plus aimable que celui de ce
vers ,
Que les jeunes enfans croiſſent parmi vos fleurs !
Enfin quelle attention heureuſe & pleine
d'art à placer toujours l'homme au milieu
des deſcriptions , dans les derniers vers ſur
les deux Amans qui ſe perdent dans la
forêt.
Voilà bien des éloges. Le moyen de les
affoiblir feroit de n'y mêler aucune critique,
J'ai affez prouvé que ce n'eſt pas là mon
intention. Je les préſente avec d'autant
plus de confiance , qu'elles ſont déjà accueillies
de l'Auteur lui-même. Heureuſement
pour nous deux , elles ſont peu im
portantes .
-
DE FRANCE.
131
-
Grace à la inode enfin , Beaujon ou Lucullus ,
Seuls ont droit de prétendre à ces Jardins modeſtes
Dont l'éclat flétriroit les ornemens agreſtes .
Dans ces vers , le dont eſt amphibologique.
Nous ſavons qu'on les a entendus
d'une manière oppoſée à la penſée de
l'Auteur.
Tandis que promenant les ſoucis avec eux ,
De riches poſſeſſeurs languiront immobiles
Dans leurs Parcs , &c .
Il y a ici une légère inadvertence. On ne
ſe figure pas des riches qui languiffent immobiles
en promenant avec eux les foucis.
Enfin , la dernière critique tombe fur le
morceau qui termine l'Ouvrage , l'Invitation
à un repas champêtre. Ce n'eſt pas
qu'il ne ſoit d'une exécution & d'une imagination
heureuſes ; mais le ton ne m'en
paroît point affez champêtre. La couleur
de tout l'Ouvrage devroit s'y reproduire ; &
il y a dans les Invitations faites aux convives,
une eſpèce de déſunion que l'Auteur
ſaura corriger. En un mot, il falloit peutêtre
faire plus l'éloge du banquet que des
convives , dont le nom rappelle aſſez le
mérite. Cependant la fin de ce morceau
me ſemble à l'abri de ce reproche. Nous
la citerons , pour nous hater de terminer
notre cenfure,
132
MERCURE
De tous les conviés, les fleurs ceignent la tête ,
Et vous , Marnéſia ( 1) , daignez orner ma fête :
Votre lyre a chantéde ſemblables plaiſirs .
Vos Jardins étendus dans vos heureux loiſirs ,
Enornant le château , nourriffent l'indigence .
Dans ces Conſeils nouveaux , ſeul eſpoir de la
France ,
Montrez-vous , défendez les droits du Laboureur ;
Vous chantiez ſes travaux , méditez ſon bonheur.
Bientôt , grace à vos ſoins , à votre aimable Muſe ,
Le modeſte Suran égalera Vaucluſe.
De l'art d'orner les champs étendez les leçons;
Répétez-moi vos vers , j'ai fini mes chanfons.
Le talent des célèbres convives que M. de
Fontanes , dans ſon Souhait poétique , appelle
à ſon banquet , eft caractériſé avec
beaucoup de juſteſſe. M. de Florian , M. de
Parny, M. de Langeac , reçoivent des éloges
qu'on ne peut pas trouver exagérés, & M. de
la Harpe , ainſi que M. Ducis, y ſont mis à
leur rang. Enfin un plus jeune convive ,
M. de Flins , eſt préſenté comme une des
(1) M. le Marquis de Marnéſia eſt l'Auteur d'un
Ouvrage intitulé, le Bonheur dans les Campagnes ;
Ouvrage intéreſſant, ſur-tout dans les circonstances
actuelles. C'eſt à lui qu'on doit encore l'Effaifur
la Nature champêtre , où , comme le dit M. de
Fontanes lui-même >>>on doit louer la Poéfie ai-
,
>> mable , l'abandon touchant du ſtyle , & le goût
>> de la Campagne «.
eſpérances
DE FRANCE.
133
eſpérances de la Poefie , & doit cette affociation
autant à ſon talent qu'à l'amitié.
Nous faififfons cette occafion d'annoncer
de ce jeune Poëte un Poëme intitulé , Agar
& Ismaël , qui multipliera les titres que
d'heureux effais lui ont donnés .
11 réſulte de l'examen du Poëme de M.
de Fontanes , que cet Ouvrage eſt compoſé
avec tout l'art d'un eſprit excellent , &
d'un goût mûri par l'expérience ; que le
talent des vers eſt de nos jours rarement
porté à un ſi haut degré , & qu'on doit tous
attendre d'un jeune Poëte qui réunit tant,
de qualités éminentes. On a vu que ſur un
fujer , riche fans doute , mais ufé dans quelques
parties , il a ſu répandre les trefors
nouveaux d'une imagination variée : c'eſt
dans ces fortesde ſujets que les connoiffeurs
doivent tenir compte à l'Auteur & de ce
qu'il dit,& de ce qu'il fait ne pas dire : enfin
on peut appliquer à fon Ouvrage cette penſéede
fon Avant - Propos , en changeant le
ſens qu'il lui donne , le Verger fubfiftera
toujours.
Ón préſume bien que l'Ecrivain à qui
l'on doit le Difcours préliminaire de la
Traduction en vers de l'Effaifur l'Homme,
ſe montre toujours avec autant d'éclar dans
Yes autres morceaux de profe. Une Note
fur Ermenonville , & en général fur les
Jardins Anglois , qu'on trouve à la fuite
du Verger , eft d'un raiſonnement vigoureux,
& d'un ſtyle digne des meilleurs Pro
Nº. 29. 19 Juillet1788. F
134
MERCURE
fateurs. Cette Note où les Jardins d'Ermenonville
font fort critiqués , aura ſans doute
beaucoup de contradicteurs. Sans prendre
parti dans cette contrariété d'opinions , j'obſerverai
que l'Auteur ſépare ſon opinion ſur
Ermenonville , de l'eſtime que mérite le Propriétaire.
Le Verger eſt détaché des Poésies de M.
de Fontanes , dont l'impreſſion y eft annon
cée ,& fera impatiemment attendue .
Π (Cet Article eftde M. de Boisjolin. )
LEÇONS de Grammaire fuivant la méthode
des Tableaux Analytique , Synthétique
, & de celui du Mécanisme de
la Grammaire Francoise , destinés à apprendre
les principes de cette Langue par
le moyen d'un Jeu ; dédiées à Mgr. LE
DAUPHIN, parM, PAbbéGAULTIER.
A Paris , au Cours de Jeux inftructifs
pour ta Jeunesse , fous la protection du
Gouvernement , rue Neuve S. Augustin ,
Nº . 28 ; 1 Vol. in- 8 °. Prix , 3 livres ;
avec les Tableaux & les inftrumens du
Jeu , 15 liv.
A meſure que les lumières s'accroif-
, fent , dit un des meilleurs eſprits de ce
fiècle , » les méthodes d'inſtruire ſe perfectionnent
, l'efprit humain ſemble s'agrandir
, & fes limites ſe resuler "
1
Cette
DE FRANCE.
135
vérité n'eſt plus conteſtée aujourd'hui que
par les hommes,dont le caractère ou le
métier eſt de décrier tout ce qui ſe fait de
bon& d'utile dans un fiècle auquel ils ſe
vantent fièrement de ne rien devoir; ce
qu'ils prouvent très bien par le mérite de
leurs Ouvrages , & fur tout par le ſuccès de
leurs déclarations יניימה
...Si toutes ces méthodes nouvelles ſont un
deş plus grands abus de l'eſprit philoſo ,
phique de ce ſiècle , comme l'aſſurent les
perſonnesdont nous parlons , il faudra bien
s'accoutumer à cet abus , car il n'eſt pas an
pouvoir des hommes de l'arrêter . Les lumières
tendent fans ceffe à ſe mettre en
équilibre dans toutes les claſſes de la Société;
maisicetjéquilibré ne peut s'établir d'une
manière conftante que par des procédés
fimples & faciles. Ce n'eſt donc qu'avec
le temps , & à force de tâtonnemens & de
combinaiſons , que l'eſprit humain peut ,
dans ces inatières , comme dans toutes les
aürres , parvenir à la vérité.
Quelque indifférence quelque averfion
même qué puiſſent témoigner pour tesimout
veaux moyens d'inſtruction , des,hommes
qui n'ont pour philofophie que l'habitude,
&pont règle de conduite qua, l'exemple
duspaffe , il faut eſpérer que les bons
eſprits continudront à rechercher avec coufagei,
avec conſtance , les moyens propres
àprendre papulaires routes les vérités qui in
téreſſent le bonheur de l'eſpèce humaine.
F2
136 MERCURE
Laméthode en général eſt l'art de diriger
les facultés de l'eſprit , d'en augmenter ,
d'en étendre les forces. C'eſt , en quelque
forte, le lévier de l'intelligence. Plus cette
méthode ſe rapproche de la Nature , plus
elle eſt parfaite. Or , comme la Nature, par
une loi invariable que nous ne ſavons pas
toujours remarquer , nous conduit fans
celle des idées ſentibles, aux idées abſtraites,
du connu à l'inconnu , il s'enfuit que
la meilleure méthode eſt celle qui ſe conforme
à cette opération ſecrète , à ce développement
involontaire de notre raiſon .
2
Cen'eft pas d'après ce principe , il faur
l'avouer , que les Méthodiſtes même les
plus fameux ont compoſé leurs Ouvrages ;
preſque tous , avec le défir d'applanir les
routes des Sciences & des Arts , n'ont fait
que les embarraſſer de difficultés inſurmontables.
Ils vouloient aider la Nature , & ne
ſembloient occupés qu'à en troubler la
marche. Leur eſprit analyſoit , il eft vrai';
mais les Savans ſont peu attentifs d'ordi
naire à leurs ſenſations , & cette loi de
l'analyſe étoit trop ſimple pour qu'ils puffent
Pappercevoir. L'Abbé de Condillac eſt le
premier qui l'ait ſaiſie dans toute ſon étendue
, & qui l'ait appliquée au ſyſtême des
connoiſſances humaines. Cette découverte
de notre ſiècle eſt un des plus grands bienfaits
de la Philofophie moderne , & il eſt
impoffible de calculer juſqu'oùſon influence
peut s'étendre,
DE FRANCE. 137
M. l'Abbé Gaultier vient développer
aujourd'hui , par ce grand principe de dé
compofition & de recompoſition , tous les
rapports de la Grammaire. Sa méthode
confifte dans un jeu ; & quoique cette
forme foit commune à beaucoup de ſyſte
mes d'inftruction , la méthode qu'il propoſe
nous paroît ſupérieure à toutes celles
qu'on a publiées , parce qu'elle eſt véritablement
analytique.
Locke conſeille de faire fervir les jeux
à l'inſtruction des enfans. » Quelle pitié !
s'écrie à ce ſujet l'Auteur d'Emile , »"un
>> moyen plus fûr que tous ceux là , &
» celui qu'on oublie toujours , eſt le défir
» d'apprendre ". Mais n'est- ce pas leur
donner ce défir d'apprendre, que de leurpropofer
l'étude comme une chose honorable ,
- agréable, & divertiſſante par elle - même ?
(Locke, de l'Educar. des Enfans, §. rsi . )
Voilà précisément ce que Locke croyoit
poſſible , parce que ſon expérience le lui
avoit démontré ; & fans doute quatorze
pages de réflexions & de faits , écrites par
un Philofophe qui conſacra toute fa vie
à l'étude de l'homme , & qui renouvela.
par ſes propres forces l'eſprit humain tout
entier , méritoient une autre réponſe qu'une
expreffion de mépris.
Nous rapporterons içi comme une preuve
incontestable de l'utilité de cette forme d'inftruction,
lorſqu'elle eſt employée parunbon
efprit, le jugement qu'ont porté ſur le jeu
1
!
F3
¥38 MERCURE
grammatical de M. l'Abbé Gaultier , MM.
lesCommiffaires del'Académie des Infcriptions
& Belles-Lettres , chargés de l'examen
defa méthode.
On fe défie ordinairement des jeux
proposés pour l'inſtruction de la Jeuneſſe
>> On craint , avec raiſon , qu'ils ne ten,
→ dent qu'à tout applanir ſous ſes pas , &
à favorifer la pareffe , fi naturelle à
T'homme. On fait de quelle conféquence
>> il eſt d'habituer de bonne heure l'efprit
> à fentir, des, difficultés , à lutter , à ſe
" roidir contre des obitacles , à faire des
>>efforts pour les vaincre , enfin à n'ac-
" quérir des forces que par un exercice
" un peu pénible , & à n'arriver au repos
, que par le travail. Le jeu propofé parM.
» l'Abbé Gaultier , ne traîne pas ces incon
* véniens à la fuite. C'eſt au contraire
رو
et
une application continuelle de la pratique
à la théorie, & cette théorie ne
>> s'acquiert que par une étude graduée &
fuivie. Elles s'y prérent conftamment un
fecours mutuel , & fe fortifient l'une
>> Pautre. Pour qu'un Joueur puiſſe ſe
>> flatter de quelque fuccès , il faut , par
>> exemple , qu'il fache imperturbablement
>> les déclinaiſons des noms & les quatre
conjugaifons des verbes , parce qu'il eſt
» perpétuellement dans le cas d'en rendre
compre. Le goût de l'amusement inſpire
» le défir d'exercer la mémoire ; il oblige
>> de fimplifier , d'analyſer , de claſſer les
>>idées ; il fournit les moyens de former
ود
ود
ود
DE FRANCE .
» le jugement & un fens droit; il habitue
>>à réveiller &à foutenir l'attention. L'in
>> térêt , l'amour - propre bien ordonné ,
>>l'émulation , la gloire , la honte, font
>>aurant de mobiles qu'il met en actiona
>>Tels font les effets qui nous paroiffent
>> devoir en réſulter ; tels font auffi en
>> partie ceux dont nous avons été témoins
dans une Séance particulière , où nous
✓ avons vu jouer fix enfans de l'un & de
» l'autre ſexe , de ſept jusqu'à douze ans .
>> L'ardeur d'un combat auſi inſtructif
» qu'innocent , brilloit dans leurs yeuxa
» Ces jeunes ames paroiffoient animées
ود
ود
ود
des ſentimens dont nous venons de
>>parler, la joie éclatoit ſur le viſage du
>>Joueur, qui avoit réuffi au gré des Audi
» teurs ; un peu de confufion même ne
décourageoit point ceux qui avoient
failli : ſouvent les Joueurs & toute l'Af
ſembléc étoient égayés par les idées &
>> par les réponſes de ceux qu'on inter-
>> rogeoit , quelquefois même par les fau-
>> tes qui leur échappoient. Sans nous
étendre davantage , nous pouvons dire,
& d'après cet eflai ,& plus encore d'après
>> notre examen , que la méthode de M.
ود
ود
ود l'Abbé Gaultier nous paroît auffi utile
>> qu'ingénieuſe , fur tour ſi, un certain
nombre d'enfans ſe trouvent réunis pour
le jeu grammatical qu'il propoſe ( 1 ) " .
ود
ود
٢٠
(1 ) M. l'Abbé Gaultier , perfuadé qu'il ne pou-
F4
140 MERCURE
Les trois premiers Chapitres de ces
Leçons de Grammaire , que l'Auteur appelle
Instruction préliminaire , ont pour objet de
donner aux pères de famille & aux Inſtituteurs
les moyens propres à préparer
l'efprit des enfans à la connoiffance de la
Grammaire. 1º. En leur faifant connoître
ce que c'eſt qu'un mot ; 2º. en les exerçant
à faire l'énumération d'un affemblage
quelconque de mots , & à les diftinguer
les uns des autres par les différentes idées
que chacun d'eux exprime ; 3 ° . en leur
apprenant à ranger tous les mots d'une
Langue en trois claſſes principales; ſavoir ,
Nom , Verbe , Particule.
Quelques perfonnes qui ne connoiffent
que des méthodes peu philofophiques ,
pourroient ne pas approuver cette divifion
en trois parties effentielles du Difcours
cependant l'Aureur n'a fait que ſuivre le
ſentiment de pluſieurs Grammairiens célèbres
, il paroît même que cette divifion
n'appartient pas aux Modernes , ainſi que
l'a remarqué M. de Rochefort , l'un de
MM. les Commiffaires.
Pour aider encore plus l'intelligence des
enfans , M. l'Abbé Gaultier fait uſage avec
voit rendre fa méthode plus généralement & plus
conftanıment utile , qu'en adoptant le moyen de
réunion qu'indique ic,i MM. les Commiffaires de
l'Académie , vient de former un Cours de Jeux
instructifs pour la Jeuneſſfe , que le Gouvernement
a jugé digne d'etre mis fous fa protection .
k
DE FRANCE. 141
eux de deux moyens pen connus juſqu'a
préſent dans les Livres élémentaires , mais
qu'il croit de la plus grande utilité.
Le premier de ces moyens eſt l'Etymologie.
» Il eſt certain , di - il , que tous les
>> mots qui expriment les rapports de la
>> Grammaire , ne font pour les enfans
>> que des mots vides de ſens , des mots
>>barbares ; mais que ces mots foient
» expliqués par l'étymologie, les enfans ne
>> manqueront pas d'être conduits à la
>> connoiffance du rapport qu'ils expriment.
" Il eſt étonnant qu'après tour ce qui a
* été dit par le Préſident de Brofles fur
l'Art de ll''ééttymologie , il n'y ait encore
ود
وو
» qu'un très petit nombre de perſonnes qui
en aient connu les avantages.
ود >> Le ſecond moyen dont l'expérience
» m'a fait voir qu'on peut faire ufage avec
> ſuccès pour aider l'intelligence des enfans ,
>> eft celui des gestes. Ce langage fimple, na-
» turel & fenfible, conduit fans peine leur
> eſprit à l'analyſe des rapports les plus
>> abſtraits , les plus compliqués , & les
ود moins perceptibles de l'Art de la parole,
>>fi l'on fair en tirer parti fans en abufer ,
>&fans afbfiblir l'action de l'entendement.
Je ſuis perfuadé que, fi cette même
» vérité éroit plus généralement connue ,
ود
ود
fi elle étoit fur-tout adoptée dans l'édu-
>> cation avec les procédés néceſſaires pour
» qu'elle ſoit conftamment utile , elle
» pourroit avoir plus d'influence qu'on ne
F
147 MERCURE
ود
>>penſe ſur les progrès de l'eſprit humain,
» Elle le formeroit preſque naturellement
>>à l'analyſe la plus claire , la plus facile,
> d'un grand nombre d'idées compliquées ,
“ reçues par les oreilles. Ce ſens, fi paref-
« ſeux par lui-même , feroit avantageufe-
» ment remplacé par celui des yeux , ſens
>>exquis dans les enfans , & qu'on doit
beaucoup exercer , lorſqu'on veut leur
donner une véritable inſtruction. ود
>>On ſe plaint ſouvent que l'intelli-
> gence des enfans ne ſe développe pasallez,
>>quoiqu'ils travaillent beaucoup ; mais
>> cette lenteur ne ſeroit - elle pas notre
>> ouvrage ? Nous ne parlons jamais à tout
>> leur eſprit, & même, en lui parlant, nous
>> ne nous mettons pas à ſa portée « .
1:
Nous avons cru devoir rapporter ce
morceau de l'Avant- Propos des Leçons de
Grammaire , afin de donner une idée de
la ſagacité de l'Auteur , & de la manière
vraiment philofophique avec laquelle il a
éclairci & développé une des parties les
plus abſtraites du ſyſtême des connoiffances
humaines.
4
M. l'Abbé Gaultier , après avoir offert
dans ſes Leçons préliminaires les principaux
rapports de la Grammaire , expoſe
les autres dans les Leçons ſuivantes , fous
les titres de Développement du Nom , développement
du Verbe , développement de la
Particule. Chacune de ces Leçons eſt ſuivie
de l'exercice du jeu qui lui eft relatif , & du
tableau de fon mécanisme .
DE FRANCE 143
Il fuffit de réfléchir un peu fur cette
méthode, pour ſentir combien elle eft propre
à faire difparoître les difficultés qu'on
a regardées juſqu'à préſent comme inféparables
de l'étude de la Grammaire , & à
mettre en peu de temps les perſonnes même
les moins inſtruites en état de l'enſeigner
aux autres.
11、
1
८९
८९
PANÉGYRIQUE de Saint LOUIS , Roi
de France , prononcé dans l'Eglise des
Prêtres de l'Oratoire , rue S. Honoré
devant MM. de l'Académie Royale des
Infcriptions & des Sciences, le 25 Août
1787 , par M. l'Abbé LAMBERT , Chanoine
& Grand - Chantre de Vienne. A
Paris , chez Periffe , Libraire , Pont S.
Michel; & chez les Marchands de Nouveautes
.
ود Le premier voeu des Peuples,dit M.
» Lambert , en ſe donnant des Rois, a été
» d'être heureux. Ils ont voulu ramener
» parmi eux la justice & la paix. Ils ont
ود
CL
penſé qu'en remettant leurs intérêts en-
» tre les mains d'un ſeul , il les rendroit
>> plus ſacrés ; que le dépofitaire de l'an-
>> torité ſouveraine la feroit fervir au bien
de tous ; qu'il feroit l'appui du foible
le fléau du méchant, le vengeur de lin-
"'nocent. Le malheureux , ont ils dit ,
>> car il entre dans les deffecins de la Pro
"
در
F6
MERCURE
> vidence qu'il y ait des infortunés ſur
>>la terre , malgré les efforts des hommes ,
ود le malheureux du moins aura un pro-
>> tecteur ; il ira à ſon Roi , & s'en retour-
>> nera confolé .
ود
>>Parmi les Sonverains cependant dignes
» de régner dans la mémoire des hommes,
>> j'en découvre un célèbre par ſes talens
» & par ſes vertus , qui a rendu ſes Peu-
>> ples tout à la fois heureux & puiffans ,
>> qui au grand nom de Héros a joint le
nom plus glorieux de Roi Citoyen ; en
" un mot , qui a été grand , & qui a été
» bon. Ce Souverain eſt S. Louis , Roi de
» France ; & c'eſt ſous ce point de vue que
>> je me propoſe de vous le préfenter " ."
M. Lambert préſente auſſi- tôt la ſituation
du Royaume à la mort de Louis VIII ,
des troubles que Blanche de Caſtille , Régente
, eut la fageffe de diftiper, en oppofant
un vallal à l'autre , & en gagnant les
Miniſtres Anglois. S. Louis , jeune encore,
conduit les foldats & marche à l'ennemi.
Il donne à Taillebourg des preuves de la
plus grande valeur & d'une exceffive prudence.
Le tableau des ſcènes qui ſe reproduiſoient
dans tous les Royaumes , quoique
purement hiſtorique & dégagé de la .
pompe oratoire , eſt ingénieuſement rapproché
, & fert à faire fortir S. Louis de
cere foule de Rois ſes contemporains ,
parmi leſquels il devoit tenir la première
place.
DE FRANCE. 145
Au précis des expéditions guerrières de
ce Roi , M. L... fait ſuccéder ſes réformes ,
& ſa législation , partie vraiment importante,
& celle où Louis IX a montré ſa
ſageife & fa bonté. Les abus de la féodalité
fourniffent à M. L... des peintures intéreſſfantes.
Il peint le génie de S. Louis
ditſipant les factions & les léaux , ſuites
de l'anarchie ; l'affranchiſſement des Serfs ,
l'appel des Sentences des Barons furent
deux grands reſſorts qui donnèrent à la
Monarchie un pouvoir étendu & une ſupériorité
marquée ſur tous les vaffaux &
les feudataires. M. L... trouve une occafion
de comparer Charlemagne, Louis XIV & S.
Louis. Le parallèle nous paroît jufte , en ce
que ces trois Rois ont donné chacun une
grande impulfion à la France. Charlemagne
fut grand & bon , & certes il ne fit rien
pour s'emparer d'un pouvoir abfolu ; Saint
Louis fit tout pour ſes ſujets , & trop peu
pour la royauté ; Louis XIV ne fit pas grand'-
choſe pour fon peuple , & crut trop que
tout dans le Royaume lui appartenoit. Le
nom de Grand eſt dân à Louis XIV ; mais
celui de Légiſlateur de ſes Peuples , d'un
Roi occupé du bonheur ſeul de ſes Peuples
, ne lui ſera point accordé. Ce nom
fut donné à Louis XII ; Henri IV le mérita;
mais Louis XIV ne l'a point recherché.
Nous pourrions reprocher à M. L....
de n'avoir été qu'Hiſtorien dans certe première
partie de l'Eloge de Louis IX , & de
146 MERCURE
n'avoir pas aſſez tiré parti des faits qui
pouvoient animer l'éloquence & produire
de grands mouvemens. Son ſtyle eſt plus
hiſtorique qu'éloquent , ſes réflexions ne
font point préfentées comme un Orateur
doit& fait des mettre en oeuvre. On est
peu ému , peu frappé. Il n'écrit pas toujours
correctement , & il ne ſe défend pas
affez de tomber dans le genre familier ,
& de ſe ſervir d'expreflions trop peu
dignes de l'éloquence : mais il eſt toujours
ſage , meſuré ; il a eu l'art d'échap--
per au piége qui attend les Orateurs de
Louis IX. En ne ſe chargeant point de juftifier
ni de condamner les Croiſades , dix
lignes lui fuffifent pour parler de fonHéros,
vainqueur à Damiette , traverſant le Nil à
la nage , repouffant des milliers de Barbares
. Cette réſerve eſt adroite , & annonce
un homme vrai , qui ne veut rien hafarder,
& qui , pour louer un Roi , ne croit pas
être obligé de tout excufer. Un fecond
écueil qui intimide les Orateurs , eſt cette
multiplicité de Panégyriques ſur le même
Roi , qui ont tant de fois répété les mêmes
actions , les mêmes vûes , les mêmes maximes
. Que dire d'un perſonnage fi fouvent
loué , dont l'Hiſtoire eſt ſi connue ,
&fur le compte duquel tout a été dit &
cent fois répété Peut-être feroit- il temps
d'en reſter là , de laiſſer Louis IX dans
toute ſa gloire , & d'offrir un autre modèle.
Toujours Louis IX , diſent les Etran
DE FRANCE. 147
gers ; les François n'ont- ils eu que ce Roi
qui fût grand & bon ? Nous concevons
que Louis , placé parmi les Saints , eft le
feul de nos Rois dont les Chaires de nos
Temples puiffent entreprendre l'éloge , &
dont nos Pontifes puiffent s'occuper ; mais
ici c'eſt un Panegyrique propoſé par une,
Compagnie ſavante , qui peutdonner àdes
Laïques le droit de leur parler d'un bon
Roi. Louis IX , comme Saint , appartient
aux Orateurs facrés ; mais comme Roi , il
appartient à tous les Orateurs François.
Que les Temples nous entretiennent de ſa
fainteté ; mais que nos Académies nous
offrent en lui le modèle des meilleurs Rois.
La ſeconde Partie du Panégyrique deM.
L... eft conſacrée à nous retracer la bonté
de Louis IX. Cette Partie nous a paru
intéreſſante ; elle eſt toute entière de M.
L... , qui n'avoit point de modèle , & il en
a tiré parti. ” Je fais , dit- il , & S. Louis
>> ne l'ignoroit point, que , dans le principe
» & dans l'origine des Sociétés , les Rois
>>furent créés pour les Peuples , & que le
>> contraire n'a pu s'établir depuis ; que ſi ,
» dans un ſens , les Souverains font les
→ pères de leurs ſujets , dans un autre ſens
>> plus exact & plus vrai , les Peuples font
>> les pères des Rois...... ". Telles furent
les maximes de Louis IX. M. L.... paffe à
un des plus beaux momens de ce Roi.
C'eſt dans Joinville, dit - il , qu'il faut
voir le tableau de ces ſcènes touchan
ور
1
148 MERCURE
>> tes où ſe déployoit cette ſenſibilité ré-
>> ciproque du Peuple & du Monarque.
>>'Souvent , nous dit ce naïf Historien , S.
" Louis alloit dans le bois de Vincennes
>> rendre la justice : il s'afleyoit au pied
» d'un chêne ; grands & petrs, nous nous
>>>rangions tans distinction autour de lui :
>> fan, garde , fans pompe , il ſe rendoit
>> accelible a tout le monde ; la , le malheureux
venoit dépoter les chagrins dans
>> fon ſein , & il ſe conſoloit : la veuve
>> affligée , d'une main tremblante lui préfentoit
la lifte de ſes enfans delantes &
"
au berceau , & il leur afturoit à tous du
> pain : l'orphelin , trifte & pâle comme
>> au jour lugubre des funérailles de fes
دو
parens , venoit exhaler à ſes pieds fa
>>douleur , & il lui difoit: Pourquoi vous
>> affligez-vous ? elt- on fans père quand on
» a un Roi ? vous êtes tous mes enfans.
> A ce diſcours , l'admiration ; la recon-
>> noillance , tous les ſentimens tendres
> pénétroient tous les coeurs; de douces
>>larmes s'échappoient de tous les yeux ,
>>tout pleuroit, & Monarque & Sujets, &
>> Courtifans & Laboureurs ; tous étoient
heureux; le ſentiment , la vertu , le bon-
>> heur confondoient tous les coeurs & tous
les regs. Siècle de ſimplicité& de gloire,
>> vous reverrons-nous " ? Ce morceau ne
peut manquer d'attendrir les Lecteurs ; il
eſt écrit avec cette fimplicité que le ſentiment
comporte; toute autre parure eût été
DE FRANCE.
149
déplacée. M. Lambert termine fon Difcours
par une apostrophe à Louis IX , qui nous a
paru réunir l'onction & le caractère propres
à l'Orateur facré.
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
,
I Es avantages & l'utilité de l'Ecole Royale
de Déclamation font maintenant démontrés,
& il n'y a plus à douter que cet établiſſement
ne doive régénérer l'Art de la Comédie
en France. L'accueil diftingué que le
Publica fait à M. Talma & à Mademoiſelle
Maſſon , le début éclatant & les ſuccès foutenus
deMademoiselle de Garcins , élève de
l'Ecole Royale comme ces deux ſujets ,
diſent mieux que ne le pourroient faire
toutes les réflexions & tous les éloges , combien
cet établiſſement eſt déjà utile & intéreffant
: il peut le devenir davantage. Ce
n'eſt pas ſeulement pour le Théatre François
que l'Ecole de Déclamation forme des
Comédiens ; ce Theatre ne sçauroit offrir
des places à tous les ſujets dont on y exerce
les talens : ainfi l'Ecole peut être conſidérée
comme une pépinière deſtinée à fournir aux
ISD MERCURE
Troupes des Provinces les remplacemens
dont elles auront beſoin. Il eſt malheureufement
trop vrai que l'amour d'une extrême
liberté, & la voix toujours impérieufe
du beſoin , forment ſouvent fouls la vocation
des jeunes gens qui prennent le parti
du Théatre. Que peut- on attendre de ces
Acteurs qui ou n'ont point reçu d'éducation
, ou n'ont point profité de celle qu'on
leur a voulu donner?
Les Elèves de l'Ecole Royale, outre qu'on
leur développe les principes de l'Art , qu'on
leur donne la tradition raifonnée des rôles,
&qu'on cultive avec ſoin leurs difpofitions ,
font encore accoutumés à la décence , au bon
ordre , à l'obſervation des bienféances. On
peut donc iefpérer & même ſe perfuader ,
qu'en peuplant lesThéatres de Province de
pareils ſujets , on y portera un meilleur ton ,
une manière plus vraie , un goût plus pur
que celui qu'on y trouve , & qu'on y redonnera
à la Comédie les charmes qu'à
bien peu d'exceptions près , elle a perdus
preſque par- tour.
D'après ces obſervations , on fentira aifément
que c'eſt une idée très-heureuſe que
celle d'établir une correſpondance entre
l'Ecole Royale & les Comédies de la Province.
Le but de cette correfpondance ſera
de faire connoître les différens gentes de
talens qui , formés dans cette Ecole , ſeroient
ſuſceptibles d'être placés avec avantage fur
DEFRANCE. FRE
les principaux Théatres du Royaume. M.
Mont-Roſe père, ancien Comédien, à communiqué
ſur cette correfpondance , àMM.
les premiers Gentilshommes de la Chambre,
un plan qu'ils ont cru devoir approuver &
encourager. Pour ſe mettre en état de ne
manquer à aucune des parties de fon plan
M. Mont-Roſe vient de faire une tournée
dans les Provinces. Ily a ſcrupuleuſement
obſervé les talens des principaux Acteurs
qui y jouent la Comédie ,& il a pu ſavoir
quels font les ſujets devenus nécellaires aux
différens Théatres ..
Le Bureau de correſpondance de M.
Mont-Rofe, établi ſous le bon plaifir comme
fous la protection de MM. les premiers
Gentilshommes de la Chambre , eft fitué à
Paris , rue de Condé , fauxbourg Saint-
Germain, maiſon du fieur Flamet ,M
Limonadier. C'eſt là que les Directeurs ou
Actionnaires des Spectacles dé Province
pourront adreſſer leurs demandes , tant pour
les Acteurs qui auront déjà joue la Comé--
die fur des Theatres connus , que pour
les ſujets de l'Ecole Royale , dont ils pourrolent
avoir befoin.
: ور
1
Le Vendredi , 4 Juillet , on a repréſenté,
pour la première fois , la jeune Epouse,
Comédie en trois Actes & en vers .
Mélite eſt l'épouſe de Derval : c'eſt une
152 MERCURE
a
femme pleine de qualités & de vertus ; mais
elle eſt frivole , légère , étourdie , inconféquente;
elle donne lieu à la médifance , &
par'une ſuite naturelle , elle donne de la
jaloufie à fon époux. Derval aune foeur;
un Chevalier, qui paroît n'avoir pas mené
juſqu'alors une conduite bien régulière , eft
amoureux de cette foeur , & Derval croit
qu'il eſt l'amantde ſa femme. Une lettre du
Chevalier, que Derval interprète comme un
jaloux , le confiume dans l'idée qu'il eſt
trahi. Il trouvé un Domestique caché ,
&il l'a pris pour un Emiſſaire d'amour ; il
a vu un portrait entre les mains de fa
femme , & il s'eſt perfuadé que c'éroit le
portrait du Chevalier. Sa femme fait journellement
des viſites dont elle ne veur pas
lui expliquer le myſtère. Toutes ces circonftances
réunies & rapprochées , le rendent
furieux, alors il parle de ſe ſéparer de fa
femme , & va même juſqu'à la menacer de
la faire enfermer. C'eſt à ce moment que
le Chevalier avoue tour haut& fans équivoque
, ſon amour pour la jeune Derval ,
& que la Femme de chambre de Mélite
vient apprendre à ſon Maître que les vifites
qui lui donnent tant d'ombrage , ſont faites
àune pauvre Dame qui n'exiſte que de ſes
bienfaits , & pour laquelle elle a même mis
ſes bijoux en gage. Ces explications ramènent
la paix , & le Chevalier épouſe ſa
maîtreffe.
Lé titre de cette Comédie eſt unpeu
1
DE FRANCE.
153
vague ; elle pouvoit tout aufli bien être
intitulée : l'Etourdie , l'Indiſcrète , ou l'Inconféquente
, que la jeune Epouſe. Le but
moral eft bien apperçu : il n'eſt en effet que
trop de ces femmes qui ne veulent pas ſe
perfuader que pour mériter de la confidération
, de l'eftime & du reſpect , il ne
uffit pas d'être vertueuſe , mais qu'il faut
encore le paroître. On peut reprocher de
l'exagération au caractère du jaloux , un ton
trop élevé au commencement du troiſième
Acte , & à peu près étranger à celui de la
Comédie. On peut encore être étonné de
ce que le dénouement s'opère ſur la funple
déclaration d'une Femme de chambre. Il
nous ſemble qu'un fait aufli grave à expliquer
que celui que ſuppoſe le jaloux , demandoit,
pour être éclairci,une autorité plus
recommandable que celle d'une domeſtique,
La Pièce a été fort applaudie juſqu'au moment
où Derval éclate tragiquement contre
Mélite ; la , elle a eſſuyé un échec,dont elle
s'est relevée. A la fin , le Public a demandé
l'Auteur , & M. Saint-Phal eſt venn dire
que l'Ouvrage étoit de M. le Chevalier de
Cubières .
1
154
MOEVR CAURE
ANNONCES ET NOTICES.
يف
TABLEAU des guerres de Frédéric le Grand ,
ou Plans figurés de vingt fix Batailles rangées ,
ou Combats effentiels donnés dans les trois guerres
de Siléfie avec une explication préciſe de chaque
Bataille ; Ouvrage qui peut fervir à l'intellil
gence de la partiemilitaire de la Vie de Frédéric II ,
traduit de l'allemand de Louis Müller , Lieutenant
du Génie au ſervice de Pruſſe ; in-4°. de 92 pages .
APotsdam ; & fe trouve à Strasbourg, chez J. G.
Treuttel , Lib .; & à Paris , chez Durand neveu ,
Lib. rue Galande.
13
-Cet Ouvrage, très bien exécuté , tiendra lieu
tout à la fois de Mémoires & de preuve pour la
Vie du Grand Frédéric.
**Première fuite de l'Aventurier François , ou
Mémoires de Grégoire Merveil , Marquis d'Erbeuil
; nouvelle édition in 12. Tomes I& II,
faifant le IIIe . & le IVe! de Fouvrage. A Londres;
&fe trouve à Paris , chez l'Auteur , Hôtel
de Malte , rue Chriftine ; Quilleau Taîné , Lib.
même rue la veuve Duchefne , rue, S. Jacquess
Belin , même rue ; Mérigot le jeune , quai des
Auguftins ; & Duboſc , même quai .
Le même Auteur , qui a fait ſouvent preuve
dimagination & de fécondité , vient de donner
auſſi les Tomes IV, V & VI , qui terminent fon
Philofophe parvenu .
*
Moïse confidéré comme Législateur & commeMoralifte
, par M. de Paftoret , Conſeiller à la Gour
desAides, de l'Académie des Inſcriptions & Belles
DE FRANCE ISS
Lettres , de celles de Madrid , Florence , Cortone,
&c. &c . &c. in- 8 °. Prix , sliv. br. , 6 liv. relié
& 5 liv. 10 f. franc de port par la Pofte. AParis ,
chez Cuchet , Lib . rue & hotel Serpente.
Nous reviendrons fur cet Ouvrage, que recommande
le nom de fon Auteur , connu par d'autres
Productions eftimables,
Idées neuves fur la conſtruction des Hôpitaux ,
appliquées à celles des Hôpitaux de Paris ; par M.
Chirol ; in-4°. de 30 pages. A Paris , chez l'Auteur
, à la Penfion académique , grande rue du
Fauxbourg S. Honoré , Nº. 42 ; & chez les Marchands
de Nouveautés.
Principes de Traduction , ou les diverſes ma
nières de rapprocher les tours de la Langue Françoiſe
de ceux de la Langue Latine , afin de rendre
fidélement & élégamment le françois en latin , par
ordre alphabétique ; par M. Salomon, Maître de
Penfion à Montmédy ; in- 12 . ABouillon ; & fe
trouve à Paris , chez Moureau , Lib . quai des Auguftins.
Principes de la Langue Françoise & de la Langue
Latine, combinés & rapprochés de manière à indiquer
les vrais moyens de traduire le latin 'en
françois, par le même ; chez le même. ::
La méthode adoptée dans ces deux Ouvrages ,
a réuni des fuffrages concluans , qui ont été con
firmés par des ſuccès.
Carte du voyage de l'Impératrice de Ruſſie ,
contenant 320 lieues du Nord au Sud , & environ
200 lieues de l'Eft à l'Oueſt , traduite du ruffe
en caractère romain . A Paris , chez le Rouge ,
Ingénieur - Géographe du Roi , rue des Grands
Auguſtins. Prix , i livsliv lävée,
156 MERCURE DE FRANCE .
2. , 3. & 4. Cahiers du Journal de Guitare ,
ou choix d'Airs nouveaux de tous les caractères ,
avec Préludes , Accompagnemens , Airs variés ,
&c. pincé & doigté marqués pour l'inſtruction ,
par M. Porro , Profeffeur de Muſique & de Guitare.
Prix de la Souſcription pour 12 Cahiers &
les ETRENNES de Guitare , 12 livres , port franc ;
ſéparément chaque Cahier , 2 livres ; & les
Etrennes , 7 liv. 4 ſous. Les Numéros paroiſſent
tous les 15 du mois.
rer. , 2 ,, ze. & 42. du Recueil des Délaffemens
de Polymnie , ou les Petits Concerts de Paris,
contenant des Airs nouveaux de tous les genres ,
par les premiers Compoſiteurs François & Etrangers
, mêlés d'obſervations ſur l'Art du Chant &
l'expreffion muſicale; accompagnement de Violon,
Bafle ou Clavecin, Abonnement pour 12, Recueils ,
18 liv. francs de port. Chaque Recueil paroît le
Is de chaque mois , 2 liv. 8 fous. A Paris , chez
l'Auteur , M. Porro , rue Michiel- le Comte
Nº. 26 ; en Province , chez les Directeurs de Pofte
&Mds. de Muſique. Les 3 années ſe vendent 48 1.
EPITRE.
TABLE.
A 1109 Leçons de Grammaire. 134
EnvoideRofes.
Charade, Enig. & Log. Ibid. C. métie Françoife.
LeVerger.
115 Panegyrique de S. Lou's 143
1181Annonces & Notices .
APPROBATIΟΝ.
149
154
JAALt lu , par ordre deMgr. le Garde des Sceaux ,
le MERCURE DE FRANCE , pour le Samedi 19
Juin 1788. Je n'y ai rien trouvé qui puifle en
empêcher l'impreffion. AParis,le 18 Juillet 1788.
SÉLIS
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 28 Juin.
L'on n'a encore aucun avis certain des
mouvemens de l'eſcadre Suédoiſe , fortie
de Carlſcroon , le 9 , ſous les ordres du
Duc de Sudermanie & du Vice- Amiral
Wrangel: la véritable deſtination eft donc
encore un problème. On eſt inftruit ſeulement
qu'elle a détaché la Corvette le
Patriotede 13canons , pour Dantzick , où
ce vaiſſeau , arrivé le 12 , a ſéjourné jufqu'au
18. Comme le but apparent de
cette courſe s'eſt réduit à l'achat d'une
cargaiſon de porc ſalé , on conjecture que
la corvette avoit des ordres plus ſecrets ,
& l'on revient à l'opinion que l'eſcadre
Suédoiſe elle-même pourroit bien entrer
dans la rade de Dantzick. Ce premier &
confidérable armement de la Suède a été
No. 29. 19 Juillet 1788.
e
( 98 )
-
immédiatement ſuivi de celui de fix autres
vaiſſeaux de ligne , dont on preſſe l'équipeinent
à Carlſcroon , ainſi que celui des
trois frégates neuves , de 40 canons , la
Bellone , la Vénus & la Diane. - S. M. S.
ayant paffé en revue les régimens ſeptentrionaux
arrivés à Stockholm, on préſumoit
qu'Elle s'embarqueroit , le 23 , avec ces
troupes , pour la Finlande . Les opinions
ſe partagent ſur ces diſpoſitions vraiment
extraordinaires ;& tandis que les uns,
raſſurés ſur la tranquillité du Nord , ne
voyent dans ces armemens que des mefures
proviſionnelles , le plus grand nombre
y pénètre le projet d'une diverfion
en faveur des Ottomans : diverſion qui
pourroit entraîner des entrepriſes ſur les
provinces arrachées par la Ruſſie à la
Suède , au commencement du ſiècle , &
dépourvues , en ce moment, des troupes
néceſſaires à leur défenſe. Quant à l'efcadre
de Cronſtadt, le Public paroît l'oublier
, quoiqu'on renouvelle le bruit , fort
hafardé , de ſa prochaine apparition à la
rade de Dantzick. Il règne à Pétersbourg
leplus profond filence fur les évènemens
auxquels l'Empire eſt aujourd'hui mêlé
&la Cour n'a publié d'autres nouvelles
que la priſe de trois ou quatre bâtimens
de tranſports chargés de grains , & de
,
( 99 )
quelques Soldats pour Oczakof. Cette
capture a eu lieu les 13 & 14 mai.
De Vienne , le 29 Juin.
Par l'extrait que nous avons donné du
dernier bulletin officiel , en date du 25 ,
on a vu que les Turcs , s'approchant en
force de Fockiani , avoient obligé le Colonel
Horwarth , qui s'étoit emparé de ce
pofte , à rétrograder d'Afchud à Pétriskau ,
&d'abandonner Fockiani même aux Ottomans.
On craint , qu'au lieu de pénétrer au
centre de laValachie, comme on l'avoit efpéré,
nostroupes neſevoyentnéceffitées àſe
replier fur Jaffy, dont la conſervation eft
même aſſez précaire. Le ſupplément officiel
, publié hier 28 , ne contient aucunes
nouvelles de cette partie du théâtre de la
guerre. Une eſcarmouche légère fur
l'Unna , une autre en Eſclavonie , & une
chaffe de bateaux en forment la ſubſtance..
Nous n'en rapporterons que le dernier
fait , dont les particularités font affez originales.
« Les rapports du Prince de Cobourg , Général de
Cavalerie, datés du camp de Rukzin , le 17 juin ,
nous apprennent que le Genéral Jordis, occupant
le poſte de Bilowce , trouva , la nuit du 15 , les
eaux du Nieſter tellement accrues , par les fréquentes
pluiesqu'yoccaſionnèrent la fontedes neiges
1
e ij
( 100 )
fur les montagnes , que le pontonjeté furle fleuve,
&qui ſervoit de communication avec le Corps.
d'armée du Prince , couroit le plus grand danger
d'être emporté. »
« Le Général y détacha inceſſamment le Capitaine
Hohenbruck , avec les Pontoniers ſous ſes
ordres. Cet Officier , dans le rapport qu'il en fit
au Général , à 5 heures du matin , aſſura que vers
le midi le ponton ſeroit entièrement rétabli. >>
« Pendant le travail , trois vaiſſeaux plats , fervaneà
tranſporter le bois& les fourrages ,& abandonnés
déja de leurs conducteurs, furent jetés, par la
rapidité des flots , avec tant de violence vers le ponton
, que toute la réſiſtance des Pontoniers devint
inutile , & que le ponton , le Capitaine&les Pontoniers
furent emportés par les eaux.
<< Quoique le Capitaine d'Infanterie , poſté près
de cet endroit, ait envoyé un détachement de ſes
gens, pour ſecourir les Pontoniers , & que leGénéral-
Major Jordis eût fait avertir , par un de ſes
Huſſards expédié à la hâte , le Baron de Kienmayer,
Capitaine de Cavalerie , occupant le poſte d'Okopi
, de voler , avec le militaire ſous ſes ordres &
les habitans de cet endroit , à leur ſecours ; les
débrisdu ponton , avec les gens qui s'y trouvoient ,
furent emmenés par les flots , juſqu'à l'ifle ſituée
entre Okopi & Swaniez , près d'llakowze , où ,
après s'être arrêtés unmoment, ils furent diſperfés
par les flots, de forte qu'une partie fut jetée
vers le rivage Turc , & l'autre ſur celui de Pologne.
"
« Le Capitaine des Pontoniers s'étant d'abord
aperçu de la direction que prenoient les débris des
vaiſſeaux , employa tous les foins poffibles pour
les éloigner du rivage Turc ; mais ſes efforts
furent inutiles , la violence des eaux ayant déjà
emporté les ancres & rompu les cordes qui atta(
101 )
choient la plupart des vaiſſeaux , & voyant dera
approcher un détachement de la garniſon de
Choczim , pour le faire prifonnier , kui &fes gens ,
il ne lui reſta d'autre moyen que de couper les
cordes qui attachoient deux vaiſſeaux aux autres
débris du ponton , de gagner fur ces vaiſſeaux le
rivage de Swaniez , & de ſe ſauver ainſi pendant
que la violence des eaux du Nieſter emporta les
autres vaiſſeaux vers Choczim , où les Turcs ,
accourant de toute part , s'en emparèrent d'abord
en les attachant avec des cordes en bas des remparts
dela forterefle . "
« A peine le Capitaine Baron de Kienmayer ,
poſté, avec la troupe ſous ſes ordres , dans la
forêt , en face de la fortereſſe , eut-il été averti
de cet accident , qu'il vola au ſecours , fuivi
par 15 Chaſeurs , le premier Lieutenant Kyrthy
&18 Huſſards, fit deſcendre les Huſſards à terre,
& leur ordonta , ainſi qu'aux Chaſſeurs , de ſe
déshabiller , d'avancer à demi-corps dans l'eat ,
&de ripofler ainſi du feu de leurs fafils à celui que
les Turcs faisoient inceſſamment fur eux des
vaiſſeaux où il s'étoient placés. Après un feu vif,
qui dura plus de trois quarts-d'heure , pluſieurs
des vaiſſeaux que les Turcs n'avoient pas affez
fortement attachés au bas des remparts , en furent
détachés , & emportés en grande partie par la
violence des eaux. "
« Dès que le Capitaine Baron de Kienmayer
s'en aperçut , il ſuivit, ces vaiſſeaux , avec la troupe
fous fes ordres , en longeant le rivage , ce que les
Turcs firent auſſi par centaines , de leur côté , ſous
un feu continuel des deux parts , juſqu'à ce qu'arrivés
à Barabar , ils reprirent le chemin de leur
fortereſſe. Le Baron de Kienmayer , poursuivant
t ujours les vaiſſeaux dans le cours qu'ils pre
noient , trouva le moyen de faire approcher
e nj
( 102 )
quelques centaines de payſans , qui parvinrent à
la fin à s'emparer de ces vaiſſeaux près de Mallinovecz
, à trois quarts de lieue de Choczim , à
les traîner vers le rivage de la République , & à
les y attacher. "
<<Par une ſuite de cet accident , le ponton a été
entraîné vers le même endroit où le Général Ruſſe ,
Comte de Soltikof , ſe propoſoit de paſſer le
Nieſter ; on s'eſt d'abord occupé à le rétablir , pour
• le faire fervir à cet uſage. >>>
Quelques petits chocs en Croatie , que!-
ques defcentes de pelotons Turcs à la pointe
de la Save , & deux ou trois expéditions
deHuffards , rempliffoient le reſte du bulletin
du 25 ; il feroit faftidieux de revenir
à ce détail .
La ſeule nouvelle certaine qu'on apprenne
du quartier général, eſt que l'Empereur
ſe porte bien , & que fon neveu
l'Archiduc étoit attendu à Semlin du 26
au 28.-Douze mille hommes travaillent
avec ardeur aux nouveaux retranchemens
de cette ville ; le camp de Beſchania & la
digue fur la Save tiennent toujours , &
juſqu'ici les Ottomans n'ont réitéré aucune
entrepriſe ſérieuſe fur cet ouvrage.
Il eſt étrange qu'on ignore ou qu'on
cèle entièrement la marche ultérieure du
Grand- Vifir. Eft-il à Sophia , à Niffa , à
Widin ? Pas un mot authentique là-deffus.
En attendant , ce Miniſtre continue
d'envoyer des troupes , ſoit à Belgrade ,
ſoit en Valachie ; & de tous ces projets
( 103 )
futurs, on ne paroît ſoupçonnerque celui
d'une irruption dans le Bannatde Temefwar.
Outre les 8 bataillons & les 6 divifions
de Cavalerie que l'on y a fait paffer
de la grande armée, le 1. de ce mois , on
vient de détacher encore 6 mille hommes
au Général Wartenſleben , menacé du côté
de Pancſova , de Vipalanka , de New-Orſowa
& de Mehadia. - On voit , par ces
diſpoſitions , qu'au lieu de porter le fléau
de la guerre ſur le territoire Ottoman , ce
qu'on a toujours repréſenté comme praticable
& avantageux à tous égards , les
Impériaux craignent de voir envahir leur
propre pays par une nombreuſe armée ,
qui probablement ne l'épargnera pas . Les
poftes avancés que nous venons de nommer
, auffi-bien que celui de Baja , font
trop foibles pour pouvoir oppoſer une
réſiſtance ſuffiſante à l'ennemi ; ces poftes
feront emportés à l'apparition de 20 mille
hommes , & on aſſure qu'ils ont ordre
de ſe replier vers Temeſwar , en cas
qu'ils foient attaqués par une force trop
ſupérieure. Si l'armée est obligée de faire
campagne dans le Bannat , c'est- à-dire ,
dans le climat le plus mal-fain de toute la
Hongrie , on prévoit qu'elle ſouffrira infiniment
par les maladies. On faitque
les Turcs ont achevé leur pont ſur leDanube
, près de Kladowa , & que 60,000
-
1
e iv
( 104 )
hommes , dont plus de la moitié de Spahis
, ont paflé ce fleuve. Nous avons en
tête 300,000 combattans , auxquels nous
oppofons 23,000 hommes en Tranfylvane
, 12,800 dans le Bannat, & 103,000
au camp de Semlin.
«On prétend que la Cour Impériale ayant
trouvé les moyens de faire ſentir au Grand-Vifir
les fuites que pourroit avoir l'uſage cruel de
quelques troupes Ottomanes , d'inſulter aux
cadavres de ceux que le fort faiſoit périr dans les
combats , ce Miniſtre a déc'aré que jamais la
Sublime Porte n'avoit donné d'ordres ſemblables ,
contraires à ſa façon de penſer; que ce n'étoient
pas des troupes difciplinées , mais celles que les
Commandans n'avoient pu contenir dans les
bornes , qui s'étoient fouillées de ce crime contre
l'humanité , & qu'il alloit prendre de telles
meſures , qu'à l'avenir tout Soldat qui inſulteroit
àun cadavre , feroit ſévèrementpuni. »
Le Prince Ypsilandi eſt arrivé le 23 à
Brünn.
DeFrancfortfur le Mein , le 5 Juillet.
Si l'on confidère que la Cour de Ruffie
ne publie preſque pas une ligne ſur les
évènemens de cette guerre , & que les
particuliers ne ſe mêlent pas de fuppléer
àce filence; que les Chefs Ottomans n'expédient
aucunes relations , & paroiſſent
fort peu jaloux de ce qu'on pourra penferde
celles de leurs ennemis , on ne s'impatientera
pas de l'eſpèce de nullité où ſe
( 1ος )
trouve l'hiſtoire du moment. La distance
rend les récits moins fidèles & plus rares :
d'ailleurs , ce n'eſt guère qu'en comparant
avec réflexion les rapports des deux pare
tis , qu'on peut apercevoir la vérité. De
tout ce qui s'eſt paſſé à Constantinople ,
depuis le départ du Grand Vifir , on ne
fait avec certitude que celui du Capitan-
Pacha , dont la harangue authentique
ſes Officiers , mérite d'être conſervée
comme un monument du caractère de ce
guerrier , que la molleſſe raiſonneuſe de
notre fiècle fera tentée de croire un perſonnage
fabuleux. Avant de faire voile
pour la Crimée , il a affemblé tous les Officiers
de la flotte ,& leur a dit :
" Vous ſavez d'où je ſuis venu , & ce que
j'ai fait. Unnouveau champ d'honneur m'appelle ,
ainſi que vous , à facrifier le dernier foupir à
l'honneur de notre religion , au ſervice du Sultan ,
&de la nation invincible qui , dans les circonftances
actuelles , demandent la dernière goutte de
notre fang. C'eſt pour remplir ce devoir ſacré ,
queje me ſépare maintenant de ceux de ma famille
qui me font les plus chers : j'ai donné la liberté
à tous mes eſclaves des deux ſexes , & je les ai
récompensés ſuivant leurs mérites : je leur ai
payé tout ce queje leur devois; j'ai dit le dernier
adieu à mon épouse , & je vole à cette miſſion
importante , dans la ferme réſolution de vaincre
ou de mourir. Si j'en reviens , ce ſera une faveur
infigne de Dieu , que je prie de prolonger mes
jours , pour que je puiffe mourir content &avec
gloire ::vvooiillàà ma réſolution inébranlable ; &
ev
( 106 ) 1
:
vous , qui avez toujours été mes compagnons
fidèles , je vous ai convoqués pour vous exhorter ,
&pour vous commander de ſuivre mon exemple
dans cette conjoncture déciſive. S'il eſt quelqu'un
parmi vous qui ne ſe ſente pas le courage de
vaincre ou de mourir , courage néceſſaire à cette
expédition , je le prie de le déclarer ouvertement,
fans crainte de m'offenfer , & je lul promets fon
congé. Ceux , au contraire , qui manqueront de
coeur en exécutant mes ordres dans une action ,
ne doivent pas s'attendre à pouvoir s'excuſer par
les prétextes du vent , ou de déſobéiſſance de
l'équipage; car je leur jure , par Mahomet & par
la vie du Sultan , que je leur ferai couper la tête ,
à eux& à tout l'équipage ; mais celui qui mon -
trera du courage en s'acquittant de ſon devoir ,
fera récompenfé avec largeſſe : que tous ceux qui
voudront me ſuivre à ces conditions , ſe lèvent
donc , & qu'ils me jurent fidélité& obéiſſance. >>>
A ces mots , tous les Capitaines s'étant
levés , jurèrent de vaincre ou de mourir
avec leurGrand-Amiral , qui pourſuivit
en diſant : « Je vous reconnois pour mes
>> braves & fidèles compagnons. Allez ,
>> retournez à vos vaiſſeaux , faites affem-
>> bler les équipages , communiquez- leur
>> ma harangue , prenez leur ferment , &
>> tenez-vous prêts à appareiller demain. >>
On travaille nuit & jour dans les ar-
"fenaux de Vienne . On a expédié à
l'armée 60 chariots chargés de canons &
de vivres. Vingt-ſept bâtimens font auffi
partis , ayant à bord du vin , du vinaigre ,
de la poudre à canon, des drogues ,
-
( 107 )
- deux cents Artilleurs & des Recrues .
On a calculé que les dépenſes de la guerre
actuelle montent déja à foixante-quatre
millions de florins ,y compris 16 millions
avancés à la Cour de Pétersbourg. - Suivant
l'ordre de l'Empereur , on conftruit
endiligence 12 hôpitaux mobiles , qu'on
fera paffer à l'armée. On évalue à 17,000
les malades de l'armée Autrichienne , &
à 30,000 ceux de l'armée Ruſſe ; mais
d'où fait-on avec tant de préciſion ce
nombre d'Invalides ? Les directeurs des
hôpitaux ont-ils communiqué leurs feuilles
aux Nouvelliſtes ? Tout au plus peut- on
faire à cet égard un calcul d'approximation,
& celui-ci paroît exagéré , fur- tout
à l'égard des Ruffes..
<< L'armement de la grande eſcadre de
Cronſtadt , ne fait point perdre de vue ,
diſent les Ruffes , l'eſcadre qui doit agir
fur la mer Noire. Trois vaiſſeaux de ligne
ont été lancés l'année dernière à Cherfon ,
&3 autres font prêts à l'être . On les armera
fur le champ , le nombre de Matelots néceffaires
étant déja raſſemblé. On eſpère
que cette eſcadre pourra encore agir cet
été , & foutenir les opérations de l'armée
de terre du côté d'Oczakof. >>>
Le Roi de Pruſſe vient de lever la défenſe
d'exporter de Konigsberg les bleds
venant de Pologne ; mais cette défenſe 1
e vj
( 108 )
continuera d'avoir lieu pourlebled venant
des provinces de S. M.
Ce Prince a aſſigné des ſommes confidérables
à l'amélioration des fabriques dans
fes Etats , & au ſecours de pluſieurs villes
de province. Les manufacturesde lainerie
fur-tout , ont reçu de grands encouragemens.-
Le réglement pour les Invalides
eft figné , & paroîtra inceſſamment.Une
partie des Invalides qui pourront encore
fervir, fera miſe dans les bataillons de dépôt
, l'autre reftera dans la grande maiſon
des Invalides ; ceux qui ne pourront plus
ſervir , ſeront répartis dans depetites villes,
où l'on établira des maifons de travail
pourles occuper,chacun ſelon ſes forces.
- Le Comte de Romanzof, Envoyé de
Ruffie à la Cour de Pruſſe , a payé tous
ceux qui avoient quelque prétention à la
charge de fa maiſon , & va retourner à
Pétersbourg.- Les courriers de Cabinet
ſe ſuccèdent rapidement à Berlin , & les
négociations paroiffent fort actives avec
les Cours de Londres & de Stockholm. On
a remarqué la promptitude avec laquelle
le Roi eſt revenu de Loo , ayant fait en
deux jours & demi le trajet juſqu'à Charlottenbourg
, malgré les fables de l'Electorat
d'Hanovre .
( 109 )
GRANDE-BRETAGNE.
De Londres , le 8 Juillet.
Le 1er. de ce mois , on a reçu auBureau
du Marquis de Carmarthen , Principal
Secrétaire d'Etat au département de l'Etranger
, la Ratification du Traité provifoire
d'Alliance défenſive , ſigné à Loo , le
13 juin dernier , entre les Cours de St.
James & de Berlin , &échangé à laHaye,
le 27du même mois , par les Plénipotentiaires
reſpectifs.
Le Chevalier Georges Baker , Médecin
de S. M. , lui a conſeillé l'uſage des eaux
minérales de Cheltenham:en conféquence ,
la Familie Royale partira , le 14 , du palais
de Bukinghain pour le Glouceftershire
, où Elle reftera au moins un mois
ou fix ſemaines. Leurs Majestés occuperont
, pendant leur ſéjour , la maiſon de
Milord Fauconberg.
Le3, au matin ,le Royal Amiral , vailſeau
de la Compagnie des Indes , eſt entré
à Deal , venantde la Chine. Ce vail.
feau a appareillé de Ste. Hélène , le 8 mai
dernier , & à cette époque il ne reſtoit
aucuns bâtimens dans ce port.
Le 30 juin , apprend-t-on de Plymouth,
l'Amiral Gower a fait le fignal à fon ef(
110 )
cadre de remettre à la voile , & auſſi-tôt
les vaiſſeaux ſuivans ont levé l'ancre ; favoir
, l'Edgard , monté par l'Amiral , le
Coloffus , le Culloden , le Magnificent , tous
de 74 canons ; le Scipio & le Crown de
64 ; l'Hébé de 36 , l'Andromède de 32 , &
le Trimmerde 16.
On peut ranger vraiſemblablement au
nombre des plaifanteries médiocres qui
rempliffent nos Papiers , l'article ſuivant ,
concernant la première deſtination de
cette eſcadre. « Un des principaux ob-
>> jets de ſa croiſière , étoit de faire l'eſſai
» d'un aſſortiment de nouveaux pavil-
>> lons , de l'invention de Lord Howe ,
» & pour l'explication deſquels il a écrit
>> un livre d'inſtructions très-long & très-
» détaillé. Il a été reconnu que les pa-
>> villons étoient trop compliqués pour
>> pouvoir en faire uſage ſubitement , trop
>> lourds pour être déployés par un
>> vent frais ordinaire , & que l'explication
>> n'étoit pas affez claire pour être enten
>> due. >>
Vendredi dernier , on a lancé à Woolwich
le beau vaiſſeau le Prince de 90 canons
, qui , depuis quatre ans , étoit en
conſtruction fur ce chantier. Ce ſpectacle
avoit attiré de Londres un grand concours
de Spectateurs diftingués . On va placer
fur la forme vacante la quille d'un nou
( 11 )
veau vaiſſeauquiſera nommé le Médiator.
Le Boyne de 98 canons , le Minotaure de
74, & une frégate, font en conftruction
fur le même chantier. Dès que le Prince
aura pris ſes måts & ſes apparaux, il defcendra
la rivière , &fe rendra à Plymouth ,
pour y être mis en ordinaire.
Le Royal George , ſuperbe vaiſſeau
neuf, de 110 canons , actuellement en
conſtrution à Chatham , qui devoit être
lancé ce mois18 , ne le ſera qu'en ſeptembre.
« La frégate la Vestale , de 28 canons , qui a
été rencontrée à la hauteur du Cap de Bonne-
Eſpérance par la Thetis , de la Compagnie des
Indes, arrivée depuis peu, fut envoyée parleGouvernement
dans l'Inde , au mois d'octobre dernier ,
pour y donner avis de la ſituation des affaires avec
la France , & pour porter des inſtructions aux
Gouverneurs de cette partie du monde. Le Chevalier
Robert Strachan , qui la commande , étoit
chargé de lettres particulières pour le Chevalier
Archibald Campbell , à Madraff , & le Gouverneur
général au Bengale. LaVestale est le ſeul vaiſſeau
de guerre que l'Angleterre ait dans l'Inde. Le
Gouvernement a répandu qu'il y avoit deux ou
trois corvettes actuellement employées dans cette
tation ; mais ſi elles exiſtent , ni leur nom , ni
leur Capitaine , ne ſe trouvent portés fur la
liſte de la Marine. >>>
La Chambre Haute a repris , le 2 , l'examen
du Bill de réglement pour la Traite
des Nègres. Après avoir reçu les Pétitions
A
( 112 )
particulières de quelques Marchands Anglois,
Commiſſionnaires d'achats de Nègres
pour l'Eſpagne & la France , les Pairs
difcutèrent & paſsèrent différens amendemens
ou clauſes nouvelles de ce Réglement.
Lorsque ce travail fut achevé ,
Milord Hawkesbury prit la parole ,& prononça
un Difcours qui entraîna une converſation
que nous devons rapporter, puifqu'elle
annonce clairement les limites où
le Gouvernement ſe renfermera dans
cette grande queſtion du fort des Nègres.
Lord Hawkesbury dit :
«Dès l'origine, j'ai défiré qu'on réglât le commerce
des Eſc aves par des réformes néceſſaires;
mais en même temps j'euſſe reculé ce travail jufqu'à
l'époque où le Parlement , mieux infiruit ,
auroit été plus à portée de prononcer avec connoiſſance
de cauſe. Quand j'ai vu le Bill produit
&foutenu , je m'en fuis occupé long-temps ; &
quoique je n'aie pas montré d'inclination à favorifer
les meſures qu'on vouloit prendre, Vos Seigneuries
ſe rappelleront que je ne m'y fuis pas ouvèrtement
oppoſé. Deuxprincipes fondamentaux
doivent être , ce me ſemble , toujours préſens à
l'eſp it des Membres de cette Aſſemblée ; veiller
d'abord , & foigneusement , à la confervation
du Commerce , ou du moins ne bleſſer ſes intérêts
que le plus légèrement qu'il eſt poſſible ; en
introduiſant des réglemens &des réformes , confuer
le voeu de l'humanité , & le concilier avec
l'existence du Commerce & la convenance des
Marchands qui s'en occupent: voilà les deux bafes
de mes réflexions. Je n'ai point oublié que l'achat
& la revente des Nègres font une branche très
(113 )
importante de trafic ; que la proſpérité de nos
ifies d'Amérique dépend , en grande partie , de ſa
confervation ; que les Negres ſont effentiels à la
culturede nos Golonies,&le fol decelles - ci à la production
d'une foule d'objets ſans leſquels nos arts&
nos manufactures ne peuvent ſe foutenir , & qu'on
ne peut tirer ni d'ailleurs ni par d'autres moyens :
tels font l'indigo , la cochenille , & beaucoup de
drogues néceſſaires à la teinture , qui nous viennent
de l'Amérique ſeule ; en conféquence , je
m'oppoſerai toujours à cequ'on mette fin au comme ce
des Nègies par aucun Acte violent , & j'ai à vous
offrirquatre propoſitions , qui , après un mûrexamen
, me paroiſſent indiſpenſables à l'accord néceffaire
qui doit exiſter entre le Bill préſenté , &
le deux principes que je viens d'indiquer à Vos
Seigneuries. Les trois premières tendent à aſſurer
le ſuccès duBill dans ſon principal objet , la préſervation
des Nègres; la quatrième doit rendre ce
même Bill agréable aux Négocians , diriger leur
intérêt à employer tous les moyens poffibles
pour être chargés du tranſport des Nègres en
Amérique , même aux conditions de les y amener
bien portans. >>>
« On a prouvé juſqu'à l'évidence , que la plupartdes
inconvéniens dont on ſe plaint , & particulièrement
la mortalité ſur les vaiſſeaux employés
autranſport desNègres , venoient moins des cruels
traitemens qu'on leur faifoit éprouver , ou du lieu
refferré qu'on leur aſſignoit ſur les vaiſſeaux , que
de l'ignorancedes Capitaines , & de leur peu d'intelligence
dans l'adminiſtration de ces tranſports.
Une des manières d'aſſurer l'exécution du Bill , eft
donc de ne confier ce commerce qu'à des gens
qui ſachent le faire , de ne le permettre qu'à ceux
qui s'y fontformés par la pratique & l'expérience :
dans cette vue , ma première clauſe a pour objet
( 114)
k
1
dedonner force de loi au réglement ſuivant : Que
perſonne ne s'ingère d'entreprendre le voyage d'Airique
en qualité de Capitaine de vaiſſeau Negrier , fans
y avoir déja fait un voyage en qualité de Maître
d'équipage, ou deux voyages comme Contre-Maitre,
ou trois comme ſecond Contre-Maître. Une des intentions
du Bill étant de faire , autant qu'il fera
poffible, ce commerce par de petits navires , j'ajoute
pour feconde clauſe , qu'il era défendu à tout
vaiſſeau , de quelque grandeur qu'il puiſſe être , de
mettre àla voile fans avoir un Chirurgien àfon bord;
ma troiſième clauſe eſt de défenare aux Marchands
de faire affurer la ve des Nègres. Qu'ils faſſent
aſſurer les vaiſſeaux& la cargaifon contre les nau-.
frages , le feu , ou tout autre des dangers ordinaires
de la navigation , mais le meilleur moyen de les
forcer de veiller à la conſervation de leurs eſclaves
, c'eſt de leur interdire abfolument l'aſſurance.
Par ma quatrième clauſe , j'affignerois une gratification
de cent livres . ſterl. à chaque Marchand
qui, ſurdeux cents Eſclaves , n'en auroit perdu que
deux dans le trajet d'Afrique en Amérique , &
dans le même cas une de cinquante livres ſterl. au
Chirurgien.>>>
« Lord Hawkesbury, motivant ces trois clauſes ,
obferva, entr'autres , qu'on avoit prouvé évidemment
que le bénéfice du Marchand étoit de deux
ou trois livres ſterl. fur chaque Nègre rendu en
ſanté dans nos iſles. Qu'on porte ce profit à cinq
livres par tête , comme on a également établi que
la valeur d'un Nègre étoit de 33 liv. ft. juſqu'à
50 , prenons le plus bas prix moyen de 35 liv. ft.
Suivant ce calcul , la valeur d'un Nègre amené
bien portant, ſe trouvoit équivalente au bénéfice
fait fur ſeptNegres.-Cette conſidération , jointe
à la gratification ftipulée , aiguillonnera puiſſamment
les intéreſſés à ce commerce ,& leur fera
(115)
regarder la confervation de leurs eſclaves comme
l'objet le plus important. En conféquence , ils
n'embarqueront naturellement que le nombre qu'ils
prévoiront pouvoir conduire ſain & ſaufen Amérique.
Le profit de cette cargaiſon , augmenté par
la gratification , compenfera amplement les déſavantages
auxquels les expoſent les reſtrictions du
Bill , & la probabilité de leur gain croîtra au lieu
de diminuer. »
« Lord Walfingham déclara que ces propofitions
, felon lui , tendoient eſſentiellement à feconder
l'efprit du Bill. Il étoit fatisfait d'apprendre ,
fur l'autorité du noble Lord , que le Gouvernement
ne ſepropoſoit point , dans la prochaine ſeſfion
, de mettre fin au commerce des Nègres par
aucun afte violent. Cette déclaration ferviroit plus
à tranquilliſer ceux qu'elle intéreſſoit , qu'aucune
modification du Bill actuel ; elle calmeroit les
alarmes qu'on avoit conçues d'une inſurrection
prochaine des Nègres dans nos Colonies . »
<< Je ſuis loin , dit le Duc de Chandos , de voir
cette affaire comme le noble Lord; loin de penſer,
comme lui , que les clauſes propoſées puiffent
tranquilliſer les Intéreſſés , je crains plutôt qu'elles
ne tendent , ainſi que le reſte du Bill , à exciter
la révolte des Nègres , & à compromettre nos
Colonies. Permettez-moi de lire une lettre de M.
Stephen Fuller , Agent de la Jamaïque , lettre dont
il a déſiré que je fiſſe part à V. S. ( le Duc lut
cette lettre de M. Fuller , ainſi que l'extrait de
deux autres ; l'une, de Sir Hyde Parker, en date
du 25 avril ,&l'autre, de M. Cheffolm , en date du
27 avril , toutes deux écrites de la Jamaïque :
ſuivant la première , ſi on ne prenoit quelques
meſures pour prévenir les effets de la difcuffion
ſur la traite des Nègres , elle donneroit néceſſairement
lieu à des troubles dans l'Iſſe. L'autre , par\
( 116 )
lant d'une inſurrection des Negres à Antigod ,
ajoutoit qu'on en craignoit une à la Jamaïque ;
lesblancs ayant eu l'imprudence de s'entretenir à
tablede cette queſtion , les Negres avoient écouté
ces converſations avec inquiétude & avidité ; l'Ecrivain
en donnoit avis au Gouvernement , afin
qu'on fit marcher affez de troupes pour convaincreles
Eſclaves que s'ils eſſayoient de ſe révolter,
les habitans de l'Iſle étoient prêts à les repouſſer
& à les foumettre. M. Fuller avoit ajouté une
obſervation de fon chef à la fin du ſecond extrait .
Il y demandoit s'il n'étoit pas naturel que d'après
la conduite actuelle du Parlement , les Nègres ſe
perfuadaſſent que le Roi, les Pairs & les Communes
prenoient leur parti , & fongeoient à les
affranchir ? ) Le Duc de Chandos dit qu'il étoit
de l'avis de M. Fuller fur ce point , & qu'il s'oppofoit
au Bill de tout fon pouvoir. »
« Le Duc de Richmond obferva ſur ce qui
avoit échappé au Duc de Chandos , qu'il avoit
connu M. Stephen Fuller pendant nombre d'années
, que c'étoit un homme reſpectable ; mais en
qualité d'Agent de la Jamaïque , il rempliffoit fes
fonctions avec un zèle qui , quoique très-honorable
, devoit inſpirer quelque défiance de fes opinions.
L'effet du Bill ſeroit de faire hauffer le prix
des Nègres , à leur arrivée à la Jamaïque , de 3 ou
4liv. sterling ; or , la ſeule probabilité de ce renchériſſement
fuffiſoit pour alarmer M. Stephen
Fuller,&à lui faire tout employer pour garantir la
Jamaïque de ce qu'il regardoit comme un fléau
de fon commerce. D'après la connoiſſance du caractère
de cet Agent , il étoit donc facile de rendre
compte de ſes ſentimens ; mais quant à ſes raifonnemens
, il fuffiſoit d'examiner les deux extraits
joints à ſa lettre au noble Duc. Le premier porte
ſeulement que : « Si l'on ne prenoit les meſures
(117)
»convenables pour prévenir la fermentation que
>>la diſcuſſion de la traite des Nègres caufoit dans
» tous les eſprits , elle donneroit probablement
» lieu à quelques troubles. >> La choſe étoit poſſible;
mais qu'avoit de commun cette crainte avec le
Bill préſenté à leurs Seigneuries ? L'autre extrait ,
il falloit en convenir , avançoit qu'il s'étoit déja
manifeſté une infurrection à St. John; mais il ne
prouvoit pas qu'elle eût été cauſée par la dif
cuffion de la traite des Nègres : point de détails ,
point de circonstances ; il n'indique pas même
juſqu'à quel point la violence s'étoit portée avant
qu'on l'appaiſat. Les conféquences déduites par
M. Fullerou par le noble Duc , manqueroient donc
de juſteſſe. « M. Fuller a conclu , pourſuivit le
» Duc de Richmond , que les Nègres regardoient
>>le Roi , les Pairs &les Communes de la Grande-
>>Bretagne , comine leurs amis , & qu'ils étoient
» perfuadés qu'on penſoit à les mettre tous en
» liberté. Que les eſclaves regardent le Roi , les
-> Pairs& les Communes comme leurs amis , c'eſt
» ce que je crois&défire vivement , parce qu'il eſt
>> infinimentà ſouhaiter que les ſujetsde laGrande-
>> Bretagne , dans quelque claſſe & quelque lieu
qu'ils ſe trouvent , regardent le Gouvernement
» &le Corps législatif , commediſpoſés, dans tous
>> es temps, à s'occuper de leurs intérêts , &à leur
>>aſſurer la protection & la faveur dont ils peu-
>> vent avoir beſoin ; mais il ne fuit pas delà
» que les Nègres aillent juſqu'à imaginer que le
» Roi & le Parlement fongent à les déclarer
>>libres. Le noble Due nous a dit , il y a quel
» ques jours , que les Nègres font éclairés ,&qu'ils
" lifent exactement les gazettes. Si cela est vrai,
>> tant mieux , ces papiers leur montreront ce
» qu'eſt réellement le Bill actuel , & les infor-
> meront de fon objet. Ils ne pourront pas con-
>> fondre une déciſion du Parlement, relative à
( 118 )
1
» un réglement en leur faveur dans une branche
>> particulière de commerce , avec la déciſion de la
>> queſtion générale de l'abolition abſolue de la
>> traite des Nègres. Je puis certifier au noble Duc ,
>> quej'ai vu une lettre d'un riche Planteur de la Ja-
>> maïque , quicontient desopinions bien différentes
>> de celles qui ſe trouvent dans les extraits de
» M. Fuller. Loin de témoigner les appréhen-
>> ſions de ce dernier , il déclare qu'il faut abſo-
>> lument des réglemens pour la traite des Nè-
» gres , & que ces réglemens produiront de très-
>> heureux effets. Je ne doute pas que les Minif-
» tres de Sa Majesté , & le noble Lord affis en
>> face de moi (Lord Hawkerbury) n'aient égale-
» ment reçu d'Amérique un grand nombre de
>> lettres qui contiennent beaucoup d'opinions
>> différentes fur ce ſujet , ce qui prouve qu'on
>> doit faire peu de fond fur des avis particu-
>> liers , & ſpécialement ſur ceux des perſonnes
>> intéreſſées directement à cette transaction. Je
» déclare que je ſuis enchanté d'avoir entendu le
>>noble Lord propoſer les quatre clauſes ; je
>> ſuis entièrement de ſon avis fur leur néceſſité
>> indiſpenſable , & fur leur juſteſſe. Je n'ai pas
>> moins de plaiſir à voir que le noble Lord a
>> toujours penſé qu'il falloit des réglemens & un
>> Acte du Parlement pour obliger les Capitaines
>> des vaiſſeaux employés à la traite des Nè-
>> gres , à faire uſage de ventilateurs , à ſe bor-
» ner à un certain nombre d'Eſclaves , & à
>> prendre les autres précautions requiſes pour
>> aſſurer la ſanté des infortunés qui font l'objet
>> immédiat du Commerce d'Afrique. »
Le Comte Stanhope ſe leva pour demander à
Lord Walfingham l'explication d'une phraſe de
ſon difcours, dans laquelle il avoit conſidéré la
déclaration faite par Lord Hawkesbury, qu'on ne
deyoit jamais mettre fin à la traite des Nègres par
( 119 )
aucun acte'violent , comme une indication que
leGouvernement n'aboliroit point ce Commerce
à la prochaine Seffion. Cette explication vague
& indéfinie des deſſcins du Gouvernement , pouvoit
paſſer pour une déclaration ; qu'une perſonne
dans une haute place ( M. Pitt ,) & abfente
de cette Chambre , s'étoit raviſéefur ce ſujet , &
ſe gardoit prudemment de parler pour ou contre
une affaire dont le Parlement avoit déclaré publiquement
qu'il remettoit l'examen en entier aux
débats de la prochaine Seffion .
« Jen'ai prétendu , répondit Lord Walfingham,
>> compromettre perſonne quant à fon opinion
>> ſur la queſtion générale de l'eſclavage des Nè-
>> gres , bien moins encore donner à entendre
» quel pouvoit être , ou n'être pas , l'avis d'une
>>perſonne qui occupe un rang auffi confidéra-
>> ble. Quand j'ai témoigné ma fatisfaction en
>> apprenant qu'il n'étoit pas probable que la traite
* fût abolie par un acte violent du Gouvernement ,
> je n'ai parléque d'après mon opinion privée , que
» leGovuernement ne le doit pas ; &, dans le fait,
» Lord Hawkesbury avoit dit ne point compren-
>> dre ce qu'entendoient les gens qui parloient de
>> l'abolition de la traite des Nègres ; qu'en con-
>> ſidérant que l'existence de nos iſles d'Amérique
>>dépendoit en grande partie de la continuation
>> de ce trafic; que la balance annuelle de notre
» Commerce avec ces iſles , étoit de quatre mil-
>> lions ſterling en notre faveur , fans compter le
>> revenu des droits d'importation , qui montoient
>> à un million , ou même 1200,000 liv ſterling ,
>> il ne voyoit pas de motifs raiſonnables d'abo-
>> lir la traite des Nègres , de laquelle dépendoit
>> ce commerce important: il ne pouvoit donc
>> qu'être très- ſatisfait d'entendre dire ce qui ,
» d'après ſon opinion , pouvoit tendre plus efficacement
à tranquilliſer les intéreſſés.»
( 20
こ
LordHawkesbury dit qu'il étoit jaloux degarantir
ſes expreffions de toute interprétation fauile;
qu'en conféquence , il ſe levoit pour expliquer luimême
une de ſes phraſes, dénaturée en paſſant
par la bouche de Mylord Stanhope. Il déclaroit
donc qu'il eſpéroit qu'on ne mettroit pas fin à la
traite des Nègres par un Afte violent ; il défiroit
qu'on l'entendit dans ce ſens , qu'il eſpéroit que
ce Commerce ne ſeroit aboli NI DIRECTEMENT ,
NI INDIRECTEMENT ; mais que , dans tous les
réglemens qu'on pourroit propoſer , on ſe gouverneroit
d'après les deux grands principes qu'il
avoit établis ; ſavoir , qu'on veilleroit à la confervation
du Commerce , &qu'en ne perdant jamais
devue ce but important , on reſpecteroit , autant
qu'il feroit poſſible, on favoriferoit même les intérêtsde
l'humanité dans la confectiondes rég'emens.
Les trois clauſes propoſées par Milord
Hawkesbury ayant été unanimement admiſes,
on paſſa le lendemain à la troiſième
lecture du Bill général , qui eut en fa
faveur 19 voix contre 11. Porté , le 4 ,
à laChambre des Communes, M. Steele ,
l'un des Secrétaires de la Tréſorerie , propoſade
renvoyer à 3 mois , c'est- à-dire , de
rejeter l'examen des amendemens faits au
Bill primitifpar la Chambre Haute. Cette
Motion admiſe ſans débats , le Chevalier
W. Dolben propoſa un nouveau Billy qui
fut lu trois fois , & agréé dans le même
jour , reporté enſuite , vers la fin de la
Séance , à la Chambre des Pairs , où l'on
en fit les deuxpremières lectures . Enfin ,
le 7, cette Chambre , en Comité , alloit
entendre
( 121 )
3
entendre la troiſième lecture , lorſque le
Duc de Richmond dit qu'il ſe trouvoit
dans le Bill encore quelques erreurs , &
qu'il falloit en renvoyer le dernier examen
à huitaine; ce qui fut agréé.
Le Lord Say et Sèle , de da famille de
Twisleton , attaqué de mélancolie depuis
quelque temps , a mis fin à ſon exiſtence
la ſemaine dernière.Pendantque ſon valetde-
chambre, qui ne le perdoit jamais de
vue , étoit deſcendu pour lui ſécher une
chemiſe , il s'eſt ſaiſi d'une épée , oubliée
dans ſon cabinet de toilette , & s'en eſt
percé à trois repriſes. Ce funeſte évènement
plonge dans la douleur la famille
&les amis de ce Seigneur , rempli d'eftimables
qualités & de vertus domeſtiques .
Il n'avoit jamais connu ni les haines , ni
les cabales , ni les perfécutions de parti.
Parvenu au grade de Major-Général , &
Colonel du ge. régiment d'Infanterie ,
LordSay et Sèle laiſſe quatre enfans fort
jeunes , & ſa perte eſt d'autant plus déplorable,
qu'il laiſſe une fortune médiocre
,dont il faifoit le meilleur emploi.
Cette maiſon de Twisleton eſt de la plus.
ancienne nobleſſe du Royaume , & pofsède
la Pairie depuis l'an 1447.
Les dernières Gazettes de New Yorck,
juſqu'au 9 juin dernier , rapportent , commeil
fuit, le nombre des Membres.com-
No. 29. 19 Juillet 1788 . £
( 122 )
poſant les ſept Conventions qui ,juſqu'au
milieu de mai , avoient ratifié l'ouvrage de
la Convention fédérative , & celui des
Membres oppoſans .
La Convention
Du Maffachuffett contenoit 355
Membres. Oppofans.
168
Dela Penfylvanie, 69 23
Delaware, 22 00
Maryland, 74
II
N.Jersey, 39
00
Connecticut , 168 40
Georgie, 33 00
TOTAUX, 760 242
Cette Table authentique prouve donc
que les deux tiers de ces fept Ftars , qui
contiennent, à ce qu'on croit, 1,467,000
habitans , payant tous les Impôts ,& ayant
tous le droit d'élire leurs Repréſentans ,
ſe ſont déclarés pour la nouvelle Conftitution
fédérale. Un huitième Etat ajoint
depuis fon fuffrage à celui des ſept précédens
; c'eſt la Caroline méridionale ,
dont la Convention a adopté , le 23 mmai,
la nouvelle Conftitution à la pluralité de
149 voix contre 73 .
M. George Selwyn , bien connu par
Yes facéties , rencontra , le mois dernier
dans Saint- Jarnes Street , une troupe de
(143)
Ramoneurs de cheminées , qui , ornés de
guirlandes de papier doré, célébroient en
gala , ce jour- là , le Bill qu'a paſſé le Parlement
en leur faveur. Quelques-uns de
ces petits Ramoneurs s'approchèrent de
M. George Selwyn , en danſant autour
de lui , au cliquetis de leurs tacloirs , &
en lui demandant une étrenne. Avecbeaucoup
d'aménité , il leur préſenta une demi
- couronne , ôta ſon chapeau , & leur fit
aine profonde révérence, en diſant : <<J<'ai
>> fouvent entendu parler de SA MAJESTÉ
LA PEUPLE ANGLOIS , mais je n'avois
pas eu juſqu'ici l'honneur de voir d'auſſi
>> près lesjeunes Princes defon Sang.
N. B. Il s'eſt gliſſé dansle dernier Nº.
article de Londres , p. 58, une faute efſentielle
à relever. En donnant la lifte des
Criminels à exécuter à Londres, en 1786
& 1787 , on a eu tort d'avancer que la
plupart d'entr'eux étoient de la claffe agricole.
C'est une mépriſe du Traducteur ,
&en vérifiantl'original anglais, nous trouvons
lemot labourer , qui ne fignifie point
agriculteur , mais ouvrier , homine qui vit
de fon travailmanuel.
11
FRANCE.
De Versailles , le 9 Juillet.
Le Marquis de Roffel , ancien Capitaine
de vaiſſeau , a eu Thonneur de préſenter
fij
( 124 )
au Roi le cinquième des tableaux exécucutés
par ordre de Sa Majesté , repréſentant
la priſe de la frégate Angloiſe le Fox,
par la frégatedu Roi la Junon, commandée
par le Vicomte de Beaumont , Capitainede
vaiſſeau , le II ſeptembre 1778 .
Le 6 , le Marquis de Cordon , Ambaffadeur
de Sardaigne , a eu une audience
particulière du Roi , pendant laquelle il a
remis ſa lettre de créance à Sa Majeſté. II
a été conduit à cette audience , ainſi qu'a
celle de la Reine &de la Famille Royale ,
par le ſieur de la Garenne , Introducteur
des Ambaſſadeurs ; le ſieur de Séqueville,
Secrétaire ordinaire du Roi pour la conduite
des Ambaſſadeurs , précédoit.
Le même jour , Leurs Majestés & la
Famille Royale ont figné le contrat de
mariage du Vicomte de Mirabeau , Colonel
du régiment de Touraine , avec la
Comteffe Adélaïde de Robien , Chanoineſſe
de Largentière.
Le ſieur Blin a eu l'honneur de préſenter
au Roi la 15 °. Livraiſon des Portraits
des grands Hommes , Femmes illuftres
& Sujets mémorables de France , gravés
& imprimés en couleur , dont SaMajeſtéabien
voulu agréer la dédicace (1) .
(1) Cette Livraiſon, contenant lesportraits deMathieu II
&d'Anne de Montmorency , 5. & 6e. Connétables de
oette Maiſon , avec la préſentation faite par le premier
( 125 )
DeParis, le 16 Juillet.
6
Arrêt du Conſeil d'Etat du Roi , du 5
juillet 1788 , concernant la Convocation
des Etats Généraux du royaume ; extrait
des regiſtres du Confeil d'Etat.
Le Roi ayant fait connoître , au mois de novembre
dernier , ſon intention de convoquer les
Etats-Généraux du Royaume ; Sa Majesté a ordonné
auſſitôt toutes les recherches qui peuvent
en rendre la convocation régulière ,& utile à ſes
Peuples.
Il réſulte du compte que Sa Majesté s'eſt fait
rendre des recherches faites juſqu'à ce jour , que
les anciens Procès-verbaux des Etats préfentent
aſſezdedétails ſur leur police, leurs féances & leurs
fonctions ; mais qu'il n'en eſt pas de même ſur les
formes qui doivent précéder & accompagner leur
convocation .
Que les Lettres de convocation ont été adreſſées
tantôt aux Baillifs & Sénéchaax , tantôt aux Gouverneurs
des Provinces.
Que les derniers Etats , tenus en 1614 , ont été
convoqués par Bailliages ; mais qu'il paroît auffi
que cette méthode n'a pas été commune à toutes
les Provinces; que depuis il eſt arrivé de grands
changemens dans le nombre & l'arrondiflement
des Bailliages ; que pluſieurs Provinces ont été
réunies à la France ,& qu'ainſi on ne peut rien
ל
à Philippe Auguſte , des enſeignes enlevées aux Impériaux
à la bataille de Bouvines , & la mort du ſecond
à la bataille de S. Denis , ſe trouve à Paris , chez l'Auteur,
place Maubert , nº. 17. La régularité des Livraisons
de ce Recueil ajoute au mérite de ſon exécution.
fij
(126 )
déterminer par l'uſage à leur égard; qu'enfin wen
ne conſtate d'une façon poſitive la forme des
Elections , non plus que le nombre & la qualité
desElecteurs & des Elus .
Sa Majefté a cependant conſidéré que fi ces
préliminaires n'étoient pas fixés avant la convocation
des Erats-Généraux , on ne pourroit recueillir
l'effet ſalutaire qu'on en doit atrendre; que
le choix des Députés pourroit être ſujet à des
conteſtations; que leur nombre pourroit n'être
pas proportionné aux richeſſes& à- la population
de chaque Province; que les droits de cerraines
Provinces & de certaines Villes pourroient être
compromis ; que l'influence des différens Ordres
pourroit n'être pas fuffifamment balancée; qu'enfin
le nombre des Députés pourroit étre trop ou rop
peu nombreux , ce qui pourroit mettre du trouble
&de la confufion , ou empêcher la Nation d'être
ſuffiſamment repréſentée.
Sa Majefté cherchera toujours à ſe rapprocher
des formes anciennement uſitées ; mais lorſqu'elles
ne pourront être conſtatées , Ellene veut fuppléer
au fi'ence des anciens Monumens , qu'en demandant,
avant toute détermination , le voeu de fes
Sujets, afin que leur confiance ſoit plus entière
dansune Aſſemblée vraiment Nationale, par fa
compoſition , commepar ſes effets.
En conféquence , le Roi a réſolu d'ordonner
que toutes les recherches poſtibles ſoient faites
dans tous les Dépôts de chaque Province, fur tous
les objets qui viennent d'être énoncés.
Que le produit de ces recherches ſoit rem's aux
EtatsProvinciaux & Affemblées Provinciales&de
Diſtrict de chaque Province , qui feront connoître
à Sa Majesté leurs voeux par des Mémoires ou
Obſervations qu'ils pourront hui adreſſer .
Sa Majefté recueille avec fatisfaction un des
( 127 ) plus grands avantages qu'Elle s'eſt promis des Aflemblées Provinciales : quoiqu'elles ne puiffe t pas, comme les Etats Provinciaux , députer aux Etats-Généraux , elles offrent cependant à Sa Majefté un moyen facile de communiquer
avec ſes Peup'es , & de connoître leur voeu fur ce qui
les intéreſſe. Le Roi eſpère ainſi procurer à la Nation , la tenue d'États la plus régulière & la plus conve- nable ; prévenir les conteftations qui pourroient en prolonger inutilement la durée; établir dans la com.- poſitionde chacun des trois Ordres ,la proportion& P'harmoniequ'il eſt ſi néceflaired'yentretenir ; affurer à cette Affemblée la confiance des Peuples , d'après le voeu deſquels elle aura été formée ; enfin la rendre ce qu'elle doit être, l'Aſſemblée d'une grande
Famille , dyant pour Chefle Père commun.
A quoi voulant pourvoir, oui le rapport , LE ROI ÉTANT EN SON CONSELL , a ordonné & ordonne
ce qui fuit :
ART . I. Tous les Officiers Municipaux des
Villes & Coinmunautés du royaume , dans lefquelles
il peut s'être fait quelques Elections aux
Etats-Généraux , feront tenus de rechercher in- ceffamment dans les Greffes deſdites Villes &
Communautés , tous les Procès-verbaux & Pièces
concernant la convocation des Etats,& les Elections
faites en conféquence , & d'envoyer fans
délai lefdits Procès-verbaux & Pièces ; favoir
aux Syndics des Etars Provinciaux & Affemblées
Provinciales , dans les Provinces où il n'y a pas
d'Affemblées fubordonnées auxdirs Etats Provinciaux
ou aux Affemblées Provinciales ; & , dans
celles où ily a des Aſſemblées fubordonnées, aux
Syndics defdites Affemblées fubordonnées , ou à
leurs Commiffions intermédiaires.
II. Seront tenus les Officiers des Jurisdictions ,
,
fiv
(128 )
de faire la même recherche dans les Greffes de
leur Jurifdiction ,& d'en envoyer le réſultat à M.
leGardedes Sceaux , que Sa Majefté a chargé de
communiquer ledit réſultat auxdits Syndics &
Commiffions intermédiaires.
III. Sa Majefté invite dans chacune des Provir.
cesde fon royaume tous ceux qui aurort connoifſance
deſdits Procès-verbaux , Pièces ou Renfeignemens
relatifs à ladite convocation , à les
envoyer pareillement auxdits Syndics.
IV. L'intention de Sa Majeſté eſt que de leur
côté leſdits Syndics & Commiſſions intermédiaires
faſſent à ce ſujet les recherches néceſſaires , &
ſeront leſdites recherches miſes ſous les yeux
deſdits Etats & Aſſemblées , pour être par elles
formé un voeu commun , & être adreſſé un
Mémoire ſur les objets contenus auxdites recherches,
lequel ſera envoyé par leſdits Syndics à
M. le Garde des Sceaux.
V. Dans les Provinces où il y a des Affemblées
fubordonnées , le voeu defdites Aſſemblées
fera remis,avec toutes les Pièces quiyferontjointes,
àl'Aſſemblée ſupérieure, qui remettra pareillement
fon voeu , & l'enverra , comme il eſt dit , à M.
le Garde des Sceaux , avec le voea , les Mémoires
& les l'ièces qui lui auront été remiſes par les
Aflemblées fubordonnées.
VI. Au cas où toutes leſdites recherches ne
feroient pas parvenues auxdits Syndics avant la
tenue prochaine des Etats & Affemblées , Sa
Majefté voulant que les réſultats qu'Elle demande ,
lni parviennent, au plus tard, dans les deux premiers
mois de l'année prochaine , entend qu'à raiſon
du défaut deſdites Pièces & Renſeignemens , lefdites
Aſſemblées , tant fubordonnées que ſupérieures
, ne puiffent ſe diſpenſer de former un voeu ,
& de drefler un Mémoire fur les objets relatifs
( 12) )
au préſent Arrêt , fauf aux Syndics & Commiffions
intermédiaires à envoyer , après la ſéparation
defdites Aſſemblées , les Pièces nouvelles intéreſfantes
qui pourroient leur parvenir.
VII Si dans quelques-unes deſdites Aſſemblées
, il y avoit diverſité d'avis , l'intention de
Sa Majesté eſt que les avis différens ſoient énoncés
, avec les raiſons ſur leſquelles chacun pourroit
être appuyé ; autoriſe même , Sa Majefté, tout Député
deſdires Aſſemblées de joindre au Mémoire
général de l'Aſſemblée, tous Mémoires particuliers
en faveur de l'avis qu'il aura adopté.
VIII. Sa Majesté invite en même-temps tous
les Savans& perſonnes inſtruites de fon royaume ,
&particulièrement ceux qui compoſent l'Académie
des Inſcriptions & Belles Lettres de ſa bonne..
Ville de Paris , à adreſſer à M. le Garde des
Sceaux tous les Renſeignemens & Mémoires fur
les objets contenus au préſent Arrêt.
IX. Auſfi-tôt que leſdits Mémoires , Renfeignemens
& éclairciſſemens feront parvenus à M.
le Garde des Sceaux , Sa Majeſté s'en fera rendre
compte , & fe mettra à portée de déterminer
d'une manière préciſe , ce qui doit être obſervé
pour la prochaine convocation des Etats-Généraux
,&pour rendre leur Aſſemblée auſſi nationale
& auſſi régulière qu'elle doit l'être.
Fait au Conſeil d'Etat du Roi , Sa Majeſté y
étant , tenu à Versailles , le cinq juillet mil ſept
cent quatre- vingt-huit.
Signé , LE BON. DE BRETEUIL.
Arrêt du Conſeil d'Etat du Roi , du 31
mai 1788 , concernant les Abonnemens
de Vingtièmes , & portant remiſe de toute
fv 1
( 130)
augmentation fur ladite Impoſition pour
lapréſente année 1788 .
«Dans le préambule de cet Arrêt , Sa Majesté
reconnoît le vice attachéàla nature detout Impôt
» de quotité , qui fe meſure fur les revenusdesCon-
>> tribuables ,&non fur les befoins de l'Etat ,baſe
» unique de la légitimité des Impôts exigés des
>> Peuples. En conféquence,Elle ordonne queles
>>augmentations des Vingtièmes , votées par neuf
» Alfemb'ées Provinciales , & par quelques pays
>> d'Etats , n'aurontpas lieu cette année ,&que les
>> Provinces qui ont effectué l'augmentation , les
>> obtiendront en moins impoſé ſur les rôles de
>>l'année ſuivante. Sa Majeſté annonce en même-
>> temps les meſures économiques qu'elleprendpour
>alléger le fardeau des Impofitions,& cel'e qu'Elle
>> déterminera dans la prochaine Aſſemblée des
>> Etats-Généraux. »
Arrêt du Conſeil d'Etat du Roi , du 28
juin 1788 , concernant les Greffes des
Tribunaux d'exception fupprimés , & les
pourſuites , en matière criminelle , relatives
au recouvrement des Impofitions.
Idem , même date , qui adapte aux Bordereaux
qui font encore dans le Public,les Reconnoiſſances
&Billetsde chance , reſtant à délivrer au Tréfor
royal , du nombredes cent vingt mille Reconnoiffances&
Billetsde chance , expédiés en exécution
del'Editdenovembre 1787.
Idem , du 18 juin 1788, qui fait remiſe
du droit de Mutation fur toutes les parties
de Rentes & intérêts qui y étoient affujettis.
( 131 )
RÉPONSE DU ROI aux Remontrances
du Clergé , le 26 juillet 1788 .
« Je vois par les Remontrances du Clergé, qu'il
n'apas faifi mes véritables intentions dans l'inter
prétation qu'il a donnée à pluſieurs articles demon
Edit portant Rétabliſſement de la Cour Plénière.
« Jen'ai jamais voulu déroger aux priviléges&
capitulations des Provinces: leurs droits font expreſſément
réſervés dans mon Edit , &je n'ai defiré
d'uniformité que pour les Loix qui , devant être
communes à tout le Royaume , ne peuvent fans
inconvénient être différentes , ou diverſement modifiées.
" :
<<Tout reſpire dans mon Edit la ferme réfolutionden'établir
aucune impofition fans le confertement
des Etats-Généraux. L'enregistrementprovifoire
, ordonné par l'article XII, ne peut être
préſumé devoir être indéterminé ni pour fa durée
ni pour fon objet. Mon intention a toujours été
que cet enregiſtrement ne devant avoir d'effet que
juſques aux Etats , ne fût jamais ſéparé de leur
convocation , à une époque prochaine & déterminée.
»
>>Les emprunts dont il eſt queſtion dans l'articleXIII
, font des emprunts de pure Adminiſtration
, tels que ceux qui tendent à convertirunedette
plus onéreuſe en une dette qui l'eſt moins , à faire
des rembourſemens , à couvrir des anticipations ,
&à d'autres opérations du même genre , qui améliorent
la fortune publique , & ne l'altèrent pas . »
« Je n'ai point entendu ſubſtituer à la Nation
une Cour dont les Membres tiendroient de moi
leur pouvoir & leurs fonctions. Nulle Cour ne
peut repréſenter la Nation , qui ne peut l'être que
par lesEtats-Généraux . »
« Je ne dois pas tolérer que des Corps particu
f vj
( 132 )
liers ufurpent mes droits&les ſiens ; mais j'ai dit
que je voulois confier de nouveau à la Nation
l'exercice de ceux qui lui appartiennent. J'ai dit
que je l'aſſemblerois non une fois , inais toutes les
fois que les beſoins de l'Etat l'exigeroient. Mes
paroles ne font ni équivoques , ni illuſoires : c'eſt
au milieu des Etats que je veux , pour affurer à
jamais la liberté & le bonheur de mes Peuples ,
conſommer le grand ouvrage que j'ai entrepris ,
de la régénération du Royaume , &du rétabliſſement
de l'ordre dans toutes les parties.>>
» Au ſurplus , j'examinerai les Remontrances
du Clergé , & les peſerai avec toute l'attention,
qu'elles méritent. »
Les lettres de Breſt portent qu'il y a
eu ordre de mettre en armement le vaiffeau
le Superbe de 74 canons , avec les
frégates l'Aftrée , l'Iphigénie & la Junon :
on croit que cette diviſion eſt deſtinée.
pour l'Inde ,& que M. Bernardde Marigny
paſſeradans ces contrées .
Les Ambaſſadeurs de Tippoo Saïb , partis le
21 juin de Toulon , arrivèrent à Marseille vers
les ſept heures du foir.
2
L'entrée de leurs Excellences fut annoncée par
une ſalve de cinquante boîtes qu'on avoit placées
à la porte de Rome.
Un détachement de trente hommes de la Garde
dela Ville , environna les voitures de leurs Excellences
, & marcha , tambour battant , juſqu'à
l'hôtel où elles furent logées. A leur arrivée à
l'hôtel , elles furent faluées de nouveau par cinquante
boîtes. Une foute immenfe bordoit les
rues par où les Ambaſſadeurs paſſerent.
Deſcendus à leur hôtel , les Envoyés reçurent
la viſite des Maire , Echevins & Afſeſſeur; le
( 133 )
même jour& le dimanche matin , celles du Corps ,
de la Marine , de la Chambre du Commerce, qui
leur offrit un préſent d'honneur, de l'Etat-Major
du régiment de Vex'n , en garniſon dans les forts
de Marſeille, des différens Corps , &des perfonnes
de diſtinction .
Le dimanche, leurs Excellences aſſiſtèrent à une
repréſentation de l'Opéra de Panurge. Dès qu'elles
furent placées , une corbeille , furmontée de la:-
riers& remplie de fleurs , defcendit devant leur
place.
Le lundi 23 , leurs Excellences ſe rendirent à
l'Hôtel-de-Ville. On leur préſenta unet ble chargée
de fruits confits , de dragées & de diverſes
fortes de biſcuits; les Ambaſladeurs n'y touchèrent
pas , mais ils demandèrent que le tout fût
offert aux dames qui étoient alors dans la Salle.
Ils conſidérèrent les divers tableaux de la Salle
Conſulaire , regardèrent beaucoup le portrait de
Louis XV, & s'arrêtèrent auprès du buſte en marbre
de S. M. Louis XVI. I's témpignèrent qu'ils
auroient defiré voir auprès du buſte du Roi , le
portrait de M. le Bailli de Suffren . Le mêmejour,
à fix heures du foir , leurs Excellences montèrent
en voiture , & furent au Concert. Elles ſe rendirent
de-là au Bal paré , qui leur avoit été préparé
dans la Salle des Spectacles.
Le mercredi 25 juin , les Ambaſſadeurs montèrent
en voiture & quittèrent cette ville , précédés
de la Maréchauſſée , & eſcortés juſqu'à la
porte d'Aix par un détachement de la Garde de
laville. (2)
« Le même jour , ils arrivèrent à Aix vers
lesfixheuresdu foir. Le Comte de Caraman , Commandant
en chef de la Province , leur fit rendre
les honneurs militaires les plus diftingués. Les
Ambaſſadeurs mirent pied à terre , & le premier
(134)
d'entre eux, beau-frère du Sultan , embrafía M. le
Commandant , qui lui préſenta M. le Marquis de
Saint Tropez,Brigadier des Armées du Roi , frère
deM. le Bailli de Suffren. Son Excellence le ferra
auſfitôt dans ſes bras avec les plus grandes marques
d'amitié. La Troupe , compoſée des deux bataillons
de Lyonno's & de celui de Vexin , ſous
les ordresdeM. le Marquis de Miran , Commandant
les Troupes de la Province , préſenta les armes ,
les tambours battirent au champ , les drapeaux
faluèrent , & ce fut dans cet ordre que ce cortège ,
précédé d'une Brigade de Maréchauffée &de Sapeurs,
entra dans la Ville au bruit des boîtes. Une
garde d'honneur de cinquante hommes& un drapeau
de couleur les attendoit à l'Hôtel des Princes ,
où on leur avoit préparé leur logement , & y
reſta juſqu'au lendemain ,jour de leur départ. »
On apprend d'Angoulême que , le ro
juin , neuf criminels ſe ſont ſauvés des prifons
de cette ville ; ils avoient pratiqué , à
cet effet , un trou dans la chapelle. Il eſt
à craindre que ces ſcélérats , en ſe répandant
dans la campagne , ne fe rendent
coupables de nouveaux crimes.
Le ſamedi 28 juin dernier , écrit-on deTonques
enNormandie , on effuya un orage affreux
qui fut attiré par la forêt de Touques avec tant
de force , que vers les fix heures du foir, les eaux
débordèrent &vinrent ſe répandredans le bourg
ſi rapidement , qu'en moins de trois quarts d'heu--
res le plus grand nombre de maiſons ſe trouva
inondé juſqu'à la hauteur de 7 à 8 pieds , fans
qu'on en ait pu retirer aucuns effets ni marchandifes
, fubmergés &emportés par le torrent , qui
a fait crouler quelques maifons ; plufieurs habitans
n'ont échappé au péril qu'à la faveur des
( 135 )
échelles qui leur furent apportées. Ce défaſtre a
réduit nombre d'habitans à l'indigence.
« L'Académie royale des Sciences &
>> Belles-Lettres de la ville d'Angers pro-
» poſe , pour ſujet du prix qu'elle doir
>>> diſtribuer dans la Séance publique du
» 19 juin 1789 , l'Eloge hiſtorique de
» Charles de Coffé , premier du nom ,
>> connu sous le nom de Maréchal de
» Briffac , mort en 1563 .
>> Ceux qui voudront concouris , font
>> priés d'adreſſer leurs ouvrages , francs
>> de port , à M. de Narce , Secré-
» taire perpétuel de l'Académie , à An-
>> gers. On ne les recevra que juſqu'au
>> dernier février 1789. >>
A l'appui du Bill dont s'occupe le Parlement
d'Angleterre , pour la conſervation
des Nègres durant leur trajet aux Antilles
, on lira avec intérêt un mémoire
utile, que vientde publier,dansune Feuille
périodique , M. de Lifle-Thibault.
«Le commerce de la Traite des Nègres eft expofé
à une foule d'événemens qui ruinent trèsfouvert
les opérations les mieux concertées. Les
Capitaines expérimentés , voyent avec douleur
que les foins les plus affidus , les alimens les
mieux choiſis en ce genre , la propreté la plus
ſcrupuleuſe , ne préſervent pas les Nègres de la
mort cu du fco:but , dont ils font généralement
attaqués lorſqu'ils arrivent dans les Colonies. On
n'a pas affez conſidéré , juſqu'à ce jour , l'air
qu'ils reſpirent , comme l'Agent principal de leur
( 136 )
confervation. Nous ne devons pas douter , il eſt
même d'une vérité reconnue , que l'air expiré ſe
change en vapeur , & que cette vapeur humide
&chaude devient un poiſon très-actif pour ceux
qui la reſpirent. C'eſt l'inconvénient où ſe trouvent
réduits les Nègres placés dans l'entre-pont
des Vaiſſeaux. Les ventilateurs qui y font pratiqués
ne ſuffiſent pas au renouvellement de l'air.
Ce dernier , qui entre en petite quantité , n'a pas
affez de reffort pour chaſſer le fluide humide qui
doinine dans un lieu où les rayons du foleil ne
pénètrent jamais. »
« Trois choſes concourent à détruire la pureté
de l'air , le méphitiſme de la cale , la chaleur
exceſſive ,& les vapeurs de l'expiration. Il eſt un.
moyen aifé & très-peu diſpendieux pour le renouveler
, fondé ſur l'expérience. »
« Si à chaque ventilateur pratiqué dans l'entrepont
, on adapte une trompe , dont l'orifice fupérieur
ait de diamètre quatre fois& plus que l'o
rifice inférieur ; que la partie ſupérieure de cette
trompe ſoit fixée à une petite vergue; que la vergue
foit ſuſpendue à une perche placée verticalement
& au deſſus du ventilateur , alors l'air pénétrera
avec d'autant plus de viteſſe , qu'à celle
du vent ſe joindra la rapidité que doit néceſſairementprocurer
le rétréciſſement de la trompe.
Elle doit être élevée de quatre à cinq pieds audeſſus
du plat-bord. La manière dont on la fufpend,
doit laiſſer au vent la facilité de la tourner
à angle droit à ſa direction. Pour ne point interrompre
le cours de l'air , il faut que le bord
inférieur de la trompe traverſe le fabord, & foit
de niveau avec le côté inférieur du verguage. La
trompe doit être garnie au-dedans de cercles
qui décroiſſent en raiſon du grand &du petit orifice.
Si dans cet état l'air entroit avec aſſez de
fix
(137 )
force pour incommoder les hommes qui ſeroient
placés vi -à-vis , on peut la prolonger & l'élever
au-deſſus de leurs têtes. »
« L'agitation de la mer , le mouvement qu'elle
donne au vaiſſeau , feront dire aux gens de l'art ,
quedans les gros temps on ſera forcé de les retirer
pour fermer les petits fabords : on a prévu
à cet inconvénient. Il ſera placé au-dehors de
chaque ventilateur , une machine de toile goudronnée,
aſſez large pour laiſſer le libre mouvementdu
fabord , dans le cas où la mer la déchireroit
, ce qui ſeroit très-rare , je dis même impoffible.
Cette machine ſeroit foulevée & foutenue
par des cordons,&embraſſeroit la trompe ,
qui,par ce moyyeenn,, ſetrouveroit enchaſſée.
<<Telle est la choſe ſimple que j'ai employée.
Voici le réſultat que j'ai obtenu. »
« On fait que les vaiſſeaux qui cinglent au
plus près du vent , n'en reçoivent l'impulfion que
d'un côté , c'eſt-à-dire , celui qui lui eſt oppoſé.
Dans cette poſition , le côté ſous le vent & les
cabanes qui y font pratiquées , ont une odeur &
une chaleur inſupportables. On fait encore qu'un
Navire affourché préſente toujours la proue au
vent , & que dans cet état l'air eſt toujours ſtagnant
dans les ponts ; c'eſt le cas où ſe trouvent
les Négriers pendant tout le temps que dure leur
traite. J'ai exposé un thermomère de Réaumur à
l'air libre ; j'ai obfervé que , dans l'inſtant de la
plus forte chaleur du jour , la liqueur s'eſt élevée
au vingt-fixième degré , quand un fecond , placé
dans l'entre - pont vide , & où les ventilateurs
étoient ouverts , s'élevoit à trente & même trentedeux
degrés. J'ai mis les trompes , & j'ai aperçu
que la liqueur tomboit , à un degré près , au niveau
du thermomètre placé au dehors. J'ai remarqué
en outre que l'air méphitique qui venoit
de la cale ſe diſſipoit entièrement.>>
( 138 )
« Je crois que cette expérience prouve affez
pour mériter l'attention des marins employés à
la traite. La chaleur du fang eſt toujours plus
forte dans les climats chaud de fix , huit , &
même dix degrés que celle de l'atmosphère. La
première augmente toujours en proportion de
la ſeconde. Il eſt des temps où cette dernière eſt ſi
forte , qu'elle atteint celle du fang ; alors la ſituation
des êtres qui l'éprouvent eſt ſi pénible , que
beaucoup en meurent. On en a vu des exemples
en Syrie , & ces exemples ne ſe renouvellent que
trop dans les Batimens qui reviennent des côtes
orientales de l'Afrique , où l'on aperçoit preſqu
toujours, en ouvrant les panneaux, que que Nègres
imorts pendant la nuit , qui, la veille , n'avoient
doané aucun igue d'incommodité, &beaucoup
d'autres meurent ſubitement. »
Les Numéros fortis au Tirage de la
Loterie Royale de France , le 16 de ce
mois , font : 75,74,62,38 & 2.
PAYS - BAS.
De Bruxelles , le 12 Juillet 1788.
La famille Stadthoudérienne eft revenue
de Loo à la Haye , d'où le Prince
royal de Pruffe partit le 26 du mois dernier
, pour vifiter Helvoeftluis , Rotterdam,
& revenir à Clèves par Utrecht&
Loo. Avant fon retour , le Prince Stadthouder
a paffé en revue à Nimégue ,
les troupes du Margrave d'Anſpach , priſes
au ſervice de la République , & qui
(139 )
reſtent en garniſon dans cette capitale de
laGueldre.
L. H. P. ont envoyé, le 3 , au Stadthouder
Héréditaire une députation cérémonielle
, pour ratifier d'une manière ſolennelle,
au nom de toutes les Provinces
reſpectives , le Stadthoudérat-Héréditaire
&& la Constitution rétablie. Cette Députation
fe rendit en cinq carroffes , accompagnée
de ſeize Meſſagers d'Etat ,
a la Maifon- du- Bois. En arrivant , les
woupes qui s'y trouvent , lui rendirent les
grands honneurs militaires ; S. A. S. &
les deux jeunes Princes les Fits , vinrent
la recevoir à l'eſcalier.
Cet Acte de garantie mutuelle eſt trèscourt
, en voici la teneur :
«Les SeigneursEtats desProvinces deGueldre ,
Hollande&West-Friſe,Zéelande ,Utrecht, Frife ,
Over-Yffel & Groningue , avec ceux du pays
de Drenthe , ayant réfléchi ſur les cauſes des es diviſions
domeſtiques , par lesquelles la République
en général , & chaque Province en particulier a
été récemment agitée , & ayant trouvé qu'elles
font réfultées en grande partie des idées erronées
&extrêmement dangereuſes , que quelques perfonnes
fe font fornées réellement ou en apparence
,&qu'elles ont infpirées à d'autres Citoyens
peu éclairés , au ſujet de la conſtitution & de la
forme deGouvernement de ce pays , ſpécialement
touchant l'importance & la néceſſité des dignités
éminentes & héréditaires de Stadthouder , Capitaine-
Général ,&Amiral-Général ; ayant conſidéré
de plus , que lors de l'heureux rétabliſſement du
:
( 140 )
Stadthouderat & de fa confirmation héréditaire en
1747& 1743 , les Confédérés ont regardé comme
un grand avantage pour l'Etat , qu'ils voyoient
réunies ſur la tête d'un ſeul & même Prince ces
hautes Dignités , relativement à toutes les Provinces&
aux pays de la Généralité , & qu'ils s'en
fontpromis une nouvelle force & folidité du lien
de l'Union ; que par conféquent leſdites Dignités
ayant reçu dès-lors une relation plus étroite &
plus immédiate par toute la confédération , devoient
être regardées non- feulement comme une
partieeſſentielleddeela conſtitution& de la forme
de gouvernement de chaque Province , mais de
l'Etat en entier ,&tellement liées à l'Union même ,
qu'il eſt impoffible que l'une fleuriſſe&conferve
ſonbien-être ſans l'autre;&qu'ainſi demêmeque
lesConfédérés font obligés de s'entr'aider réciproquement
au prix de leurs biens & de leur fang,
pour laconfervation du lien de l'Union , il doit auffi
s'enfuivre néceſſairement l'obligation de ſe rafurer
réciproquement fur les premiers & principaux
moyens par leſquels l'Union doit ſe maintenir ,&
deveiller à forces réunies contre toute atteinte qui
y feroit portée , d'autant plus que l'expérience a
apprisdans les derniers troubes , comment des prin
cipesles moins conſidérables , qui d'abord parof
foient avoir pour but de légers changemens , il eſt
réſulté néanmoins une confufion générale , qui a
conduit la confédération fur le point d'une destruction
totale : >>
<<A ces caufes , Meſſieurs les Députés des Provinces
ſuſdites , au nom& par ordre des Seigneurs
Etats leurs Commettans , déclarent folennellement
par la préſente , que les Seigneurs Etats ſuſdits tiennent&
regardent les dignités de Stadthouder , Capitaine-
Général,&Amiral-Général, avec tous les droits
&prééminences qui y font attachés , telles & fur
( 141 )
le pied qu'elles ont été déférées dans leurs Previnces
reſpectives , & priſes en poſſeſſion dans
l'année 1766 par le préſent Seigneur Stadthouder
héréditaire , pour une partie eſſentielle deleur conftitution&
forme de gouvernement , & qu'ils ſe les
garantiſſent réciproquement par forme de confédération
comme une loi fondamentale de l'Etat , promettantde
ne point fouffrir que dans une des Provinces
de la confédération , l'on s'écarte jamais de
cette loi falutaire & indiſpenſable , pour le repos
& la ſûreté de l'Etat. »
La réſolution des Etats-Généraux au
fujet de cet acte, portoit : « Qu'il en feroit
>> dreſſé deux expéditions en forme , dont
>> l'une feroit remiſe à fon Alteſſe , l'autre
» au Conſeil d'Etat de la République ,
» pour être gardée parmi les autres pièces
>>> authentiques qui concernent l'Union ; &
>> de plus , il feroit frappé une médaille ,
>>pour conſerver , ainſi qu'il s'eſt pratiqué
>>>pluſieurs fois en cas ſemblables , la mé-
>> moire de cet événement : un ate aufi
>> folennel étant du plus grand intérêt
>> pour la République , & devant fervir au
>> raffermiſſement de l'Union. >>>Cette médaille
ſera frappée en or.
M. l'Ambaſſadeur de France ayant fait,
le 4, ſa première viſite au Prince Stadthouder-
Héréditaire , S. A. S. a rendu le
lendemain , à midi , à Son Excellence une
contre viſite de cérémonie .
<<Des avis de Helſingor , en date du 28
juin , annoncent qu'il y étoit arrivé quel
( 142 )
ques bâtiunens Marchands de la Baltique ,
dont les Patrons ont rapporté que , le16
juin, jour de leur départ de Cronſtadt , il
étoit forti du même port une eſcadreRuſſe
de II vaiſſeaux de ligne & 4 frégates ,
faiſant la première diviſion de la flotte
Ruſſe, forte de 40 vaiſſeaux de guerre de
tous rangs. Deux jours après , le 18 juin ,
les mêmes Patrons avoient traverſé la flotte
Suédoiſe , faiſant voile alors entre Dagefiord&
la côte de Finlande. Leur rapport
s'accorde avec des lettres de Stettin ,
ſelon leſquelles il a relâché dans ce port
un bâtiment Marchand , dont le Patron
dit avoir vu l'eſcadre Ruſſe en mer , &
enfuite celle de Suède , dont un Officier
étoit venu à fon bord pour s'informer fi
la flotte Ruffe étoit en croiſière , & à
quelle hauteur. »
P. S. Le Roi de Suède s'eſt embarqué ,
le 24 juin, pour la Finlande. Avant fon
départ, ce Monarque avoit ordonné au
Comte Razoumoski , Miniſtre de Ruſſie ,
de fortirde ſes Etats dans l'eſpace de huit
jours. Cette réſolution a été l'effet d'une
Note remiſe à S. M. Suédoiſe , par leMiniftre
Ruffe , que nous donnerons la ſemaine
ſuivante , ainſi que la réponſe du
Roi.
( 143 )
Paragraphes extraits des Papiers Anglois
& autres Feuilles publiques.
Le Chargé d'Affaire de la Ruſſie à la Cour de
Lisbonne , ayant reçu un Courrier de étersbourg,
apréſenté un mémoire , par lequel il donne communication
de la venue prochaine d'une flotte
Ruſſe dans la Méditerranée , &demande en mêire
temps l'admiffion des vaiſſeaux qui la compoſent ,
dans les ports de ce royaume , & de s'y pourvoir
librement de tout ce dont ils pourroient avoir
beſoin. LeMiniſtère y a répondu : « Que S. M.
>> renjours difpofée à donner à S. M. l'Impératrice
>> les preuves les ple's certaines de fa condefcen-
>> dance& de ſon amitié , en tout ce qui pourra
> ſe trouver conforme aux liaiſons de cette Cour
» avec d'autres Puiffarces , permet aux vaiſſeaux
>> Ruſſes d'entrer dans le port de cette capitale,
» au nombre de fix , & de trois dans les autres
» ports , & qu'on n'en laiſſera pas entrer un plus
>>grand nombre à la fois , à moins que ce ne foit
» dans le cas de la néceſſité la plus urgente ,
>> moyennant qu'on en demande auparavant la
>> permiffion ,& feulement pour letemps qui ſera
» néceſſaire aux réparations : que du reſte , ces
» vaiſſeaux & leurs équipages ſeront reçus &
>> traités dans ce royaume , comme la proprièté
» d'une Puiſſance entre laquelle & cette Cour
>>ſubſiſte la meilleure intelligence & la plus
» parfaite amitié." (Gazette d'Amſterdam, nº. 55.)
«Le 5 juin, écrit-on de Semlin , le Sous-LieutenantMayer,
du corps d'armée aux ordres du prince
deCobourg, eſt arrivé comme exprès, avec un courrierRuſſe,
à notre quartier-général , &j'ai appris
( 144 )
!
qu'ils étoient porteurs d'un lettre de la main proprede
l'Impératrice. Le même jour notre Monarque
a eu ici une conférence d'une heure avec le
Feld-Maréchal Lafcy ; & le lendemain matin le
courrier fut réexpédié, après avoir reçu deS. M. un
préfent de cent ducats. Au reſte , S. M. étoit de
la meilleure humeur; mais on n'a pu encore favoir
quelle bonne nouvelle peut en avoir été la
cauſe. Je fais ſeulement qu'en s'en retournant le
Monarque dit à M. deLafcy, en françois: J'espère
que toutira bien. L'automne , ſelon toutes les apparences
, ſera fertile en événemens de guerre importans
; car ces mots &cette joiede l'Empereur
ne peuvent guère s'entendre autrement , puifque
tout le quartier - général eſt dans l'opinion qu'il
n'eſt aucurement queſtion de paix. » Courrier du
Bas-Rhin , n°. 54.
N. B. ( Nous negarantiffons la vérité ni l'exactitude
desParagraphes ci-deſſus). :
MERCURE
DE FRANCE .
A
SAMEDI 26 JUILLET 1788 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉGLOGUE
Traduite de GESSNER.
:
ÉGLÉ , IRIS.
ÉGLÉ.
IL eſt tard; le ſoleil fuit derrière ces monts ,
Et déjà pâlit l'or de ſes derniers rayons ;
Mais l'air que preſſura ſon haleine brûlante ,
Semble affaiſſé du poids de ſa chaleur abſente :
Veux-tu m'en croire, Iris ? fuyons vers ce ruiſſeau ;
L'entends-tu ſoupirer ſous l'antique berceau ,
Et de flots amoureux careſſer ce rivage ?
La fraîcheur nous invite au folitaire ombrage :
Viens , marche ſur mes pas ; allons, Iris , allons .
Nº. 30. 26 Juillet 1788. G
158 MERCURE
IRIS. :
Je te ſuis; mais attends, ouvre un peu ces buiffons,
Ecarte ces rameaux ; ces branches verdoyantes
S'enlacent au tiflu de tes boules flottantes.
ÉGLÉ.
2
Vois-tu ces petits flots rouler parmi les fleurs ,
Eclatans du refletde leurs vives couleurs ?
Oqu'unbainferoit doux! Dieux,quivoyez eetteonde
Sortir en bouillonnant de votre urne féconde
Je jure ici par vous , que, prompte à m'élancer ,
Je vais ...
IRIS,
Arrête, ici quelqu'un peut s'avancer.
ÉGLÉ
Aucunſentier n'y mène , & la flèche homicide
N'y fuit pas dans les airs la colombe timide :
Cet antique pommier , recourbé ſur les caux ,
Abaiſſe un front chargé d'innombrables rameaux ,
Et fous leur fombre voûte on yoit briller à peine
D'un rayon affoibli la lumière incertaine .
Un éternel filence habite ces réduits.
Suis mon exemple , Iris , raſſure tes eſprits.
Églé quitte, à ces mots, la champêtre parure ,
Et ſe gliffe en riant au ſein de l'onde pure ;
L'autre , incertaine encor , la fuit en rougiffant ,
Avance un pied craintif, le retire à l'inſtant ,
DE FRANCE.
159
S'enhardit ; & bientôt par le frais invitée ,
Preſſant d'un pied léger ſa ſurface argentée ,
Voit les flots agités d'un doux frémiſſement ,
Prêter à ſes attraits un voile tranſparent.
Quel charme , dit Églé ! la roſe ici naiſſante,
Ici du doux Zéphir l'haleine bienfaiſante ,
Tout excite à la fois les innocens déſirs :
Cédons ,& varions les innocens plaiſirs
Chantons.
IRIS.
Quoi ! voudrois-tu ,de ces grottes ombreuſes,
Réveiller , par ta voix , les Nymphes pareſſeuſes ?
ÉGLÉ.
Ehbien, n'en parlons plus; contonsun fait nouveau,
Undeces faits qu'on veut cacher dans le hameau ,
Qui font tant de plaifir & tant de peine à dire,
IRIS.
J'enfais un, Églé ; mais...
ÉGLÉ,
Crains-tu de m'en inſtruire ?
Cefeuillagemuet eſt moins diſcret que moi ;
Et puis nevais-je pas raconter après toi ?
IRIS,
Allons , ſoit , tu le veux : Au bord de ce rivage,
Je regardois bondir, dans un gras pâturage ,
Mes chèvres , mes beliers , &mes jeunes agneaux 3
Il eſt un cerifier dont les ſouples rameaux ,
G2
160 MERCURE
4
Mollement inclinés ſur la mouſſe épaſſie ,
Semblent céder au plan de la pente adoucie ;
Tandis que je paſſois; dois-je le dire ainſi ?
C'eſt mon plus grand ſecret.
ÉGLÉ.
Pour toi je vais auſſi
Arracher demon coeur ſon plus tendre myſtère.
IRIS.
Ehbien donc , en ſuivant le ſentier ſolitaire ,
J'entendis une voix dont le timide accent
Sembloit d'un coeur touché s'échapper lentement.
Je ſuſpendis mes pas , attentive , incertaine ;
Mon regard inquiet , abaiſſe ſur la plaine ,
Ne put rien découvrir parmi tous ces objets;
Je laiſſe à l'aventure errer mes pieds diſtraits ;
J'avance encore un pas, & mon oreille heureuſe
Semble déjà toucher la voix mélodieuſe :
Dire ce qu'on chantoit , je ne l'oferai point;
Je le fais bien pourtant.
1
ÉGLÉ.
Oh! finis fur ce point ;
Doit-on diffimuler ſous cette ombre difcrète ?
Au bain on ſe dit tout.
IRIS .
Tu ſeras fatisfaite ;
Mais par où commencer , & dois-je répéter
Des chants que les Bergers inventent pour flatter ?
DE FRANCE. 161
Dieux ! quelle Nymphe enchantereffe
Accourt de ces rians côteaux ?
Eſt-elle Bergère ou Déeffe ,
Le charine de l'Olympe ou l'honneur des hameaux?
Zéphir , qui volez ſur ſes traces ,
Que l'on voit tour à tour ſoulever ſes cheveux ,
Et de ſes vêtemens les replis onduleux ,
Dites , n'eſt-elle pas la plus jeune des Graces ?
Voyez-vous ces oeillets éclore fur ſes pas ?
La rofe croît près d'elle , & ne l'efface pas.
Oui , je les veux cueillir ces plantes amoureuſes ,
Qui baiſoient de fes pieds les empreintes douteuſes ;
Nymphe , je veux les partager.
D'abord au Dieu d'Amour j'en treffe une couronne.
Au plus fidele Amant, ſi ta bonté la donne
L'autre fera pour ton Bergen,
६
Demain , quand l'aurore vermeille
Rougira l'Orient de ſes douces couleurs ,
Je veux à ta fenêtre offrir une corbeille ,
Où les fruits s'uniront par des treffes de fleurs.
Ah ! ſi ſans dépit tu ſens naître 1.1
Dans ton ame attendrie un ſentiment nouveau ,
Les brebis que je mène paître ,
Déſormais auront pour leur Maître
Le plus heureux Berger qui ſoit dans le hameau.
Ainfi finit la voix & le tendre langage,
Monregard, du Berger, cherche en vain le viſage ;
1
1
G3
16 MERCURE
1
L'ombre épaiſſe & le ſoir s'oppoſent à mes voeux
Maintenant, chère Églé, devine fi tu peux.
Ai-je pu m'endormir ? Quand l'herbe repofée
S'émailla des vapeurs d'une douce rofée;
ア
Quand le ciel éclairci brilla d'un tendre azur ,
Bientôtje vis pareître un Berger far le mur ;
(Car d'un pâle rayon ma couche blanchiffante,
Ebauchoit de fes traits une image mouvante.)
Je rougis , & mon coeur ſi promptement battolt....
Auffi-tôt que je crus que le Berger partoit ,
Je me lève; il faut bien m'aſſurer que je veille ;
Je foulève en tremblant l'odorante corbeille ;
Son parfum devançoit le plaisir demes yeux.
Onyvoyoit s'unir les myrtes amoureux ,
L'arboifier s'enlacer à l'épine champêtre ,
Et , fur l'humide ofier, le lilas ſembloit naître.
Tu n'as jamais goûté des fruits d'un goût fi fin .
Pour le nom du Berger, tu l'attends , mais en vain.
Tu ne le fauras pas.
ÉGLÉ.
Suis-je donc envieuſe ?
Il te ſied avec moi d'être myſtéricufe ?
C'étoitmon frère ; ch bien ! tupâlis , tu rougis.
Veux-tu bien m'embraffer ? Mon frère, chère Iris,
T'aime, & déjà pour ſoeur mon coeurt'avoit choiſſe.
IRIS.
T'aurois-je abandonné mon fecret & ma vie ,
Sije ne te voyois tout comme un autre moi ?!
DE FRANCE. 163
f
ÉGLÉ.
1
Eh bien , pour achever de calmer ton effroi ,
Je vais conter auffi; myſtère pour myſtère.
Lepremierjourdu mois , mon vénérable père
Offrit un facrifice à nos Dieux protecteurs .
Il invita Daphnis, le plus beau des Paſteurs ;
Daphnis chanta; (tu fais que danscet art ſuprême,
Rien n'égale Daphnis, ni mon frère lui-même. )
Sur ſes habits de lin flottoient ſes blonds cheveux;
Des guirlandes de leurs en relevoient les nooeuds :
Tel on peint Apollon ſur la molle verdure ,
Accordant fon beau luth au ton de la Narure.
Le facrifice fait , nous allâmes ....
IRIS.
Eh bien!
ÉGLE.
Tai- toi , j'entends du bruit : écoutons.
IRIS.
Ehquoi ! rien.
ÉGLÉ.
Ciel! il eſt près d'ici : Déités ſecourables !
Nymphes de ce rocher , foyez-nous favorables !
L'une & l'autre, à ces mots , vole aux antres défurts.
Pareil aujeune oiſeau , nouvel hôte des airs ,
Qui du rapide Autour voit les ferres cruelles ;
Et ce n'étoit qu'un Faon , auffi timide qu'elles ,
Quí , dufrais averri par l'accent du ruiffeau ,
Vient ſe déſaltérer au courant de fon eau.
( Par Mme, la Comteffe de Fa ... )
164 MERCURE
HISTOIRE
DU JEUNE INCONNU ( 1 ).
MME. la Marquiſe de l'A*** étoit dans
une Terre en Franche - Comté , près de la
petite ville de Saint -Amour, ſeule avec
fes deux fils & leur Gouverneur ; un jeune
homme demande à lui parler. Introduit
dans le fallon , il prie Mme. de l'A*** de
lui faire donner à manger. Interrogé ſur
fon âge , il dit avoir quatorze ans , & fa
phyſionomie n'en annonçoit pas davantage.
Interrogé auſſi ſur ſon état , il répondit
fièrement : Madame , pour me donner à
manger , vous n'avez pas besoin de ſavoir
qui je fuis. On l'envoya diner, ſans lui
faire davantage de queſtions ; mais la réponſe
avoit piqué la curioſité de la Marquiſe
, & l'étrange manière dont le jeune
homme étoit habillé , avoit déjà fait naître
mille ſoupçons dans ſon efprit. Son nou-
(1) Ce morceau nous eſt parvenu avec cette
Note : >> Monfieur le Directeur du Mercure eſt prié
>> de vouloir biendonner place dans fon Journal à
>> l'Hiftoire ci-jointe. On eſpère que ſa publication
>> pourra engager ceux qui s'intéreſferont au fort
>>dujeune Inconnu, àfatisfaire la curiofité que fon
>>fort a infpirée«.
ચ
4
DE FRANCE. 165
vel Hôte portoit une veſte déchirée , fur
laquelle on voyoit des lambeaux de parement
de foie ; il portoit des manchettes
en auíli mauvais érat que ſes paremens ,
une boucle d'argent , & du linge très-fin .
711
Après le dîner , l'on fit ontrer le jeune
Inconnu dans le fallon , & Madame de
l'A *** n'en pouvant tirer aucun éclairciífement
, le laiſſa jouer avec ſes enfans , à
peu près de même âge , & qui étoient bien
avertis de chercher à ſurprendre ſon fecret.
Il ne laille rien échapper ; il s'enquiert
des jeunes gens s'il y a de quoi le coucher ,
& les engage à demander un lit pour lui ,
ce qui lui fut accordé dans l'eſpérance de
découvrir ce qu'il étoit d'ailleurs Mme .
de l'A*** ayant examiné cet enfant, ne
douta pas qu'il ne fût de bonne naiffance ;
elle eſpéra qu'on pourroit venir le réclamer
chez elle ; & en lui donnant l'hofpitalité
, elle crut rendre ſervice à une famille
diftinguée.
Comme les fils de Mme . de l'A*** le
regardoient avec étonnement : » Meflieurs,
>>dit- il , vous me regardez avec étonne-
>» ment , mais je ne vois rien ici qui m'é-
" tonne ; le château eſt bien , ſans être
>> beau " : & il avoit raiſon .
Le ſoir , Mme. de l'A*** lui dit qu'elle
alloit lui faire donner un habit plus propre
: il accepta ſa propoſition. On fut prendre
un habit gros - bleu, qui appartenoit
à un petit de l'A*** ; mais il refuſa de
GS
166 MERCURE
le mettre , diſant : >> Je ne fuis point fait,
Madame , pour porter vos livrées «. La
couleur lui avoit denné lieu de croire que
c'étoit un habit des gens de la Marquiſe.
Tant de fierté ſous l'apparence d'un
Mendiant , ſurprit Madame de l'A*** au
delà de l'expreſſion , & l'embarraffa beaucoup:
elle vouloit le garder , eſpérant des
éclairciſſemens ; mais elle ne favoit à quelle
place le tenir. En l'admettant à ſa table ,
s'il n'étoit qu'un gueux arrogant , elle manquoit
à ceux qui venoient manger chez
elle ;& fi elle mettoit un enfant de qualité
à la table des Domeſtiques , elle manquoit
à ſa famille. Elle prit le parti de le
faire manger ſeul. Elle lui donna un habit
gris, & lui procura les chofes les plus nécetfaires
, dont il voulut faire fon billet ,
promettant qu'elle en feroit payée; & il n'a
jamais rien reçu qu'en donnant fon billet.
Il falloit figner ; il demanda qu'on lui choisît
un nom , & fur la liberté qu'on lui laiffa ,
il prit celui d'Honoré : c'eſt celui que je
Jui donnerai dorénavant. Honoré paroiffoit
très bien élevé. Quand il afſiſtoit aux leçons
de MM. de l'A*** , il les avertiſſoit de
leurs fautes , quoiqu'il n'eût pas une inftruction
au deſſus de fon âge.
Il diſoit qu'il n'avoit pas achevé ſes
études , & il les continua avec MM. de
P'A***.
11 paroiſſoit avoir voyagé , & parloit de
différens pays comme les connoiffantbien.
DE FRANCE. 167
Si l'on paroiſſoit croire qu'il les eût parcourus
, il diſoit qu'il en avoit vu la defcription
, & citoit le Livre. Il étoit trèsinſtruit
fur les familles ; & fi l'on paroifſoit
tirer induction qu'il les connût , il
citoit la page de Moreri où il avoit lu , &
les citations étoient toujours juſtes .
7
Il ne mentoit pas ; il éludoit les queftions
avec les perſonnes les plus adroites.
Un habitant de Saint-Amour , qui avoit été
employé dans les négociations , ſe chargea
de le pénétrer ; mais tous fes efforts furent
inutiles.
On ne remarqua aucun vice dans Honoré
, & il n'avoit d'autre défaut qu'un peu
de hauteur. Il ſe faiſoit reſpecter & fervir
des Domeſtiques, ſans cependant qu'ilseufſent
jamais à ſe plaindre de lui. Il paroiffoit
très - attaché à Mme. de l'A*** , & avoit
pour elle des attentions très délicates ; elle
lui dit un jour qu'elle s'appercevoit de la
préférence marquée qu'il accordoit au cadet
de ſes enfans , & qu'elle feroit fachée, que
l'aîné s'en apperçût.
Honoré avoua qu'il ſe ſentoit plus de
goût pour le cadet ; mais , de ce moment,
il ſe conduifit également avec l'un & l'autre.
Lorſque Mine. de l'A*** alloit diner en
ville , elle le faiſoit prier à dîner par le
Curé ou par quelqu'un de ſon intimité ;
mais elle ne le menoit jamais.
Cependant , comme elle avoit remarqué
qu'il parloit volontiers de Genève , elle
G6
168 MERCURE
imagina que ce pouvoit être ſa patrie; elle
lui dit un jour : >>>Honoré , je compte faire
>> un petit voyage à Genève , & vous y
» mener. - Madame , vous ne me mene-
• rez jamais ; pourquoi irois-je à Genève «?
Quatre mois s'étoient écoulés , Madame la
Marquiſe de l'A*** avoit pris la plus grande
affection pour cet enfant ; elle projetoit ,
en allant à Paris , de le mettre au College,
&de le foigner comune l'enfant le plus
chéri.
Maiş un jour qu'elle avoit envoyé Honoré
dîner chez un ami , elle l'avoit fait
accompagner feulement d'un Jardinier , qui
n'étoit qu'un bon homme. Quand Honoré
fut à la porte du château où il devoit diner,
il dit au Jardinier : » Il eſt inutile que vous
>> entriez avec les chevaux , remmenez-
» les " ; & le jeune homme , au lieu d'en-..
trer dans le château, gagna la campagne, &
difparut fans qu'on ait pu découvrir ce qu'il
étoit devenu. Il n'emporta exactement que
ce qu'il avoit fur lui. On trouva dans ſa
chambre une lettre de remercîment pour
Mme. de l'A***. Quand elle avoit reçu
Honoré , elle l'avoit fait mettre dans les
Papiers publics ; elle y fit mettre auſſi ſa
fuite.
Quelque temps après le départ d'Honoré,
il arriva au château un homme en chaiſe.
de poſte , avec un Valet de chambre . Il
voulut parler à la Dame , & lui demanda
des nouvelles du jeune homine. En appreDE
FRANCE. 169
nant fa fuite , il s'évanouit ; revenu de çe
triſte état , fes queſtions ſur la conduite de
l'enfant , & la fatisfaction qu'il marquoit
en écoutant tout le bien qu'on en difoit ,
ne laiſſoient guère douter qu'il n'en fût le
père. Il accepta avec peine un lit au châreau.
Il ſe coucha fans ſouper, & pria
Mme. de l'A*** de faire venir la Juſtice ;
le lendemain matin , on dreſſa un procèsverbal.
Une partie des haillons de l'enfant
fut dépoſée au Greffe ; il emporta l'autre ;
il fupplia Mme. de l'A*** de lui donner
) le mémoire des dépenfes faites parHonoré.
Elle en remit un très- petit , pour ne pas
l'offenfer ; & il partit aufli-tôt.
Les Domeſtiques du Voyageur avoient
beaucoup queſtionné ceux de la maiſon ſur
le ſéjour du jeune homme , & avoient
marqué une grande joie en entendant faire
fon éloge , mais ils avoient été impénétrables
.
J'avois oublié une circonstance remarquable
; lorſque le jeune Inconnu avoit été
à l'Egliſe , la pompe de nos cérémonies
avoit paru lui être inconnue , &il regardoit
tout le monde pour ſe conformer aumaintien
général. Il apprenoit le Catéchifme
en cachette , & il paroît qu'il n'étoit d'aucune
Religion . Quand Madame de l'A***
lui parloit de notre croyance , il paroiffoit
répondre d'une manière conforme à elle ,
plutôt par déférence que par perfuafion .
Tant de prudence & de réſerve , un
170 MERCURE
caractère ſi beau , une manière de fe conduire
avec tout le monde ti meſurée &
fi fourenue , une reconnoillance véritable
& fentie , mais qui ne le porta jamais à
la confidence, étonnent dans un jeune
homme de quatorze ans , & c'eſt tout ce
qu'il feroit poflible d'attendre d'une perſonne
cónfominée dans les affaires, & vieil-
Jie dans le dédale des intrigues;; car , hors
le ſecret qu'il gardoit ſur ſa naiflance,
Honoré n'étoit point d'un caractère caché.
En voyant ce jeune homme exempt de
vices,&réuniſſant rant de qualités aimables
& fi rares à fon âge, on ne fait que conjecturer
fur ſa fuite de chez ſes parens ;
celledechez Mme. de l'A*** fut occafionnée
enfuite par l'inquiétude que lui donna
le projet de fon retour à Paris ; peut- être
appréhendoit- il auſſi le voyage de Genève,
ou peut-être encore avoit-il entendu par-
Jer d'un homme en chaiſe de poſte , qui
étoit venu dans le village, quelques jours
avant ſa fuite
Madame de l'A*** pleure encore Honoré
; j'écris en 1781 ; il y a deux ans qu'il
a diſparu , & elle eſpère toujours qu'elle en
entendra parler.
DE FRANCE. 5
I
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercureprécédent.
LE mot de la Charade eſt Poiſſon; celui
de l'Enigme eſt Harmonie ; celui du Logogriphe
eft Bataille , où l'on trouve Bataille,
( guerre ) , Bataille ( jeu de cartes ) , Bile ,
Baille , Taille des arbres , Taille du corps,
Table& Lit , Βât.
CHARADE.
Au déclin d'un beau jour, fur la verte fougère ,
Un ruſé Villageois , au fond de mon premier ,
Contok fondoux martyre à la jeuneGlycère:
Ses fermensdans les airs , ainſi que mondernier ,
Se perdoient. Mais hélas ! l'innocente Bergère ,
De ſes ſoupirs trompeurs, loin de fe défier ,
Se rendit ; & l'ingrat, ivre de mon entier ,
Des faveurs qu'il reçut dévoila le myſtère.
(Par M. du ***. )
172 MERCURE
SI
ÉNIGME.
vous voulez croire la Fable ,
Je ſuis , ami Lecteur , une Divinité.
Je vis un objet bien aimable ,
Je l'aimai ; par l'ingrat mon coeur fut rejeté.
Quelle fut alors na détreſſe !
Dans le fond des forêts , dans l'antre le plus noir,
J'allai cacher mon déſeſpoir.
(N'est-ce pas-là le fort de plus d'une Maîtreffe ?..)
Quoi qu'il en ſoit de ce trait fabuleux ,
N'en doutez pas , je ſuis dans bien des lieux.
Des châteaux,des vergers,le creux d'une montagne,
C'eſt là que je me plais ; fi de raſe campagne.
Je fus peut-être autrefois féminin ;
N'importe , maintenant je ſuis au mafculin ,
Et fans ame& fans corps , je ne faurois paroître ;
Ma voix ſeule me fait connoître .
Je ne parle pas le premier ;
Mais , à mon tour , je me tais le dernier.
Qu'on éclate de rire , oubien qu'on ſe lamente ,
Jeme fais tout àtous , je réponds comme on chante.
(Par le C. de C. , près Breteuil. )
DE FRANCE.
173
LOGOGRIPH Ε.
Si dans la ſaiſon des frimas ,
Lecteur , une affaire preffée
Te forçoit à partir pour de lointains climats ,
Prends garde , & la tête baiffée
Ne vaş pas affronter les terribles Autans.
Sans doute on eſt tenté d'un trajet plus rapide ;
Mais choiſis , fi tu peux , dans les deux élémens ;
L'un eft paiſible , sûr , & l'autre eſt un perfide;
Etfi jamais le Sort déployoit ſa fureur
Sur ce dernier , à tes voeux trop contraire ,
Aumilieudes éclairs , des vents & du tonnerre ,
Bientôt tu me verrois dans toute mon horreur.
Inutile , je crois , d'en dire davantage,
Car tu doisme connoître ; il me faut cependant ,
Pour me conformer à l'uſage ,
Dema poſtérité te parler un inſtant.
Vois d'abord de l'Eſpagne une foible monnoie ;
Puis un batlin , où certain animal
Sur un repas groffier ſe jetant avec joie ,
Contente avidement ſon appétit brutal ;
Un paſſage public ; enfin cette furie,
Ce fléau triſte , affreux , cruel ,
Qui , ſous le nom de maladie ,
Afflige également la brute & le mortel.
(Par M. du ***. )
174 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ESSAIS historiques fur l'origine & les
progrès de l'Art Dramatique en France,
Tomes I, II & III. A Paris , auBu-
-reau de la Petite Bibliothèque des Theatres
, rhe Neuve des Petits-Champs, près
la Compagnie des Indes ; & chez Belin ,
Libraire , rue St. Jacques ; Brunet , rue
de Marivaux.
:
N remonte dans cet Effai juſqu'aux
Romains , & des Romains juſqu'aux Grecs,
parce que cet Art n'eſt chez nous qu'une
unitation de ce qu'il fut chez ces deux
Nations , modèles en tout de tous les Peuples
du Monde. On convient affez généralement
aujourd'hui que nous avons égalé
Athènes & Rome en pluſieurs chofes ,
mais que nous les avons infiniment furpaſſées
dans l'Art Dramatique ; & que dans
ce genre nous ſommes enfin parvenus à
notre tour au point de perfection qui peut
être déformais regardé comme le modèle
de toutes les Nations. L'Auteur de cetre
Collection hiftorique parcourt les différenDE
FRANCE.
tes époques de l'Art , juſqu'à celle des
chef d'oeuvres qui forment la Petite Biblio-
-thèque des Theatres. On y voit que chez
nous , comme chez les Romains & les
Grecs , la Religion contribua beaucoup à
la naiſſance de PArt Dramatique , & qu'il
eut une enfance très-longue , quoiqu'il eût
pu ſe fortifier de la maturité qu'il avoit
acquiſe chez eux. On devroit s'étonner
qu'il ne ſe ſoit pas trouvé en France, dès
le 14e. fiècle , quelqu'un capable de faire
paffer dans notre Langue les beautes de
Sophocle & d'Euripide , de Plaute & d'Ariftophane
,fi f'on ne ſavoit que ceux qui
étoient propres à ſentir leur génie , dédaignoient
alors d'écrire en Langue vulgaire ;
de forte que l'Art des Efchyles étoit abandonné
à des Bateleurs ignorans , qui ne
connoiffoient que la Bible & la Légende ,
& qui repréſentoient fur les treteaux de
Theſpis les myſtères ſacrés de la Religion .
Le nouvel Aureur a profité du travail de
MM. Parfait. Juſqu'à eux , l'Hiſtoire du
Théatre François avoit été entièrement négligée.
Sous ce titre , ils donnèrent fucceffivement
is Volumes. Ces Ecrivains méritent
ſans doute des éloges , pour avoir les
'premiers défriché ce champ preſque inculte
avant eux , & hériflé d'épines. On voit
qu'ils poffèdent la matière à fond, & qu'ils
n'ont rien négligé pour faire des recherches
curieuſes & exactes : mais ils ſe font
trop étendus ; un grand nombre de Lec
176 MERCURE
teurs feroit dégoûté des détails faftidieux ,
où leur plan les a ſouvent entraînés . Ce
nouvel Effai eſt plus agréable par le choix
que le Rédacteur a ſu faire dans leur Livre ,
dans celui du Duc de la Valliere , & particulièrement
dans l'Histoire Univertelle
des Théatres. Les deux premiers Tomes
ont paru ſucceſſivement à un an de diftance
l'un de l'autre. Le IIIe. , qui vient
d'être publié , nous fait connoître ſpécialement
Hardi , Auteur de 800 Pièces. Fontenelle
l'a très bien apprécié dans fon Hiftoire
de notre Poéſie Dramatique, l'un des
plus agréables Ouvrages de cet ingénieux
Ecrivain. Voici comme il s'exprime.
>>Dès qu'on lit Hardi , ſa fécondité ceffe
>> d'être merveilleuſe. Les vers ne lui ont
>> pas beaucoup couté , ni la diſpoſition
ود de ſes Pièces non plus. Tous ſujets lui
>> font bons. La mort d'Achille , & celle
>>d'une Bourgeoiſe , que fon mari fur-
>> prend en flagrant délit, tout cela est éga-
>> lement Tragédie chez Hardi. Nul ſcru-
>> pule ſur les moeurs ni fur les bienſéances.
" Tantôt on trouve une Courtiſane au lit,
» qui , par fes difcours , ſoutient allez bien
>> fon caractère. Tantôt l'Héroïne de laPièce
" eſt violée. Tantôt une femme mariće
» donne des rendez- vous à fon Galant. Les
>>premières careſſes fe font ſur le Théatre ;
» & de ce qui ſe paſſe entre les deux
» Amans , on en fait perdre aux Specta-
>>teurs que le moins qu'il ſe peut.... Les
-
DE FRANCE .
177
>.>>perſonnages de Hardi embraſſent volon-
>> tiers ſur le Théatre ; ود &pourvu que deux
- Amans ne foient pas brouillés enſemble,
» vous les voyez fauter au cou l'un de l'au-
>> tre dès qu'ils ſe rencontrent...... Au
>> milieu de ces amours qui ſe traitent ſi
>> librement , il y a lieu d'être étonné de
>> voir que les Amans de Hardi appellent
>> très ſouvent leur Maîtreſſe , ma Sainte.
>>>Ils ſe ſervent de cette expreſſion , comme
>> ils feroient de celle de mon ame, ma vie ;
ود &c'eſt une de leurs plus agréables mi-
>> gnardiſes. Vouloient ils marquer par - là
>> une eſpèce de Cuite ? Il n'y a que les
>>>idées du Culte Païen qui ſoient galantes ;
دد le vrai eſt trop ſérieux. On peut appeler
>> ſa Maîtreſſe ma Déeffe , parce qu'il n'y
" a point de Déeſſes ; & on ne peut l'ap-
» peler ma Sainte , parce qu'il y a des
» Saintes «.
On reconnoît Fontenelle à ces réflexions
fines &piquantes qui caractériſent fon efprit&
ſon ſtyle. Il continue :
ود
» Les bienféances étant ainſi méprifées
dans les, Ouvrages de Hardi , on peut
>>juger que le reſte ne va pas trop bien.
>>Ses Pièces ne font pas de cette ennuyeufe
ود
ود
ود
& infupportable fimplicité de la plupart
de celles qui avoient été faites avant lui ;
mais elles n'en ont pas pour cela plus
» d'art. Il y a plus de mouvement , parce
que les ſujets en fourniſſent davantage :
>> mais ordinairement le Poëte n'y met pas
>>plus du ſien ".
178 MERCURE !
A en juger par Théagène & Cariclée,
Tragédie dont le Rédacteur donne une
analyſe ſuivie , on doit ſuppoſer que Hardi
ne faifoit autre choſe que de mettre en action
les interminables Romans qui étoient
en vogue dans ſon ſiècle. C'eſt un tiſſu
d'Aventures , qui, aujourd'hui même où les
incidens multipliés & invraiſemblables font
fi à la monde , fourniroit matière à une
centaine de Tragédies . On verra néanmoins
, par une citarion ,qu'il n'étoit pas
tout à-fait indigne de la grande renommée
qu'il a eue parmi ſes contemporains . Cariclée
, qui doit être immolée , eſt reconnue
fille du Roi Hydaſpe. Le Peuple, les Sacrificateurs
& les Gardes entourent l'autel.
Hydaſpe leur adreſſe ce diſcours :
Obligé vers les Dieux d'un droit de piété ,
Etdu ferment auſſi que je vous ai prêté ,
Voici , mes bons Sujets, votre Roi déplorable,
Qui ramène à l'autel ſa race miférable.
Pas
Le voici , qui ne veut permettre que ſon ſang
De l'exacte rigueur des Loix demeure franc,
Le voici , qui préfère à l'amour paternelle ,
L'obéiſſance due à la troupe éternelle ;
Qui cède ſon pouvoir aux ftatuts conſervés ,
Et qui l'a toujours fait , hélas ! vous le ſavez,
Vous voyez que mor règne afui la violence.
Je ne commencerai donc pas cette inſolence.
Je vous livre ma fille , & ne la plaindrois tant
Un fucceſſeur de moi en ſa place reftant ,
DE
FRANCE. 179
-
,
Un qui fut héritier non plus de ma couronne ,
Qu'a l'endroit du pays d'une volonté bonne
Las ! qu'il me facheroit , eſprit Plutonien ,
Compagnon des Héros du Parc Eléfien ,
D'entendre la Diſcorde entre vous embraſée,
D'entendre la Province en ligues diviſée ,
Proie de cent Tyrans à l'Empire béans ,
Où le moindre des miens contiendroit ces Géans ,
Leur ſerviroit de bride en réparant ma perte ,
Qu'en ce mien ſucceſſeur je verrois recouverte !
Les Dieux ne veulent pas, contre nous irrités.....
Mais qu'ai-je tant commis contre leurs Déités ?
De quelle horrible offenſe ai-je irrité leur haine
Pour prendre de mon fang une ſi rude peine ,
Retordre deſſus lui le forfait paternel ,
Lui qui n'a point méfait , qui n'eſt point criminel
Célestes , pardonnez à la douleur d'un père
Qui murmure perdant ſa géniture chère .
Et vous , amis , ceſſez vos larmes de pitié ,
Je n'ai pas d'aujourd'hui connu votre amitié.
Afa fille,
....
......
Ma fille , je n'ai plus à conſoler que toi ;
Accuſe de ta mort notre barbare Loi ,
Accufe ta fière deſtinée
Qui , mortelle , te rend la terre où tu fus née,
Les périls étrangers ont épargné ton Chef ;
Mais pour toi ton pays regorge de méchef,
...
180 MERCURE
Naiflante , il t'expoſa ; au retour , il t'immole.
Il te donna la vie à regret qu'il te vole ;
Et au lieu d'allumer ton nuptial flambeau
J'allume le bûcher qui te fert de tombeau.
2
Que ne puis-je , ajoute-t- il , en te reconnoiſſant ,
Par lemien racheter ton trépas innocent ?
Mais , fuprême rigueur ! le Ciel me le dénie.
Te préſervant , je ſuis atteint de tyrannie ,
D'impiété coupable , & diffamé de los ;
Ma fille, tout chemin de grace t'eft forclos ,
Et du côtédes Dieux & du côté des hommes.
Queveux-tu ? tous mortels à la parfin nous ſommes.
Les ſceptres , les honneurs , les plus rares vertus
Se couchentavec nous au ſépulcre abartus.
Chacun doit acquitter ce péage à Nature.
Il est vrai qu'immortel après la ſépulture ,
Notre nom ſe relève , ayant ainſi vaincu
Les vices journaliers , &juſtement vécu ;.
Après avoir utils , obligé ſa Patrie,
Ainſi que tu feras , pour ſon ſalut meurtrie.
Ma fille , arme-toi donc de magnanimité ,
Ne me déshonorant par la timidité.
Un coup emportera tes douleurs & ta vie ,
Où la mienne à cent morts tu laiſſes afſervie.....
Allons , ma fille , allous , approche les autels.
On voit à travers ce vieux ſtyle, de l'énergie
, de la force tragique , & une nobleſſe
de ſentimens peu commune. Ce ze.
Volume
↓
DE FRANCE. 181
Volume termine l'Effai fur la Tragédie.
Dans le 46. on remontera à l'origine de la
Comédie ; on la fuivra dans ſes variations
&dans ſes progres juſque vers le milieu du
17e. fiècle , époque où P. Corneille , dans
la Comédie du Menteur , donna à la France
fon premier Chef - d'oeuvre en ce genre ;
comme dans le Cid , il lui avoit donné fon /
premier Chef-d'oeuvre Tragique.
C
(Cet Article eftdeM. de Saint-Ange.)
ALPHABET Tartare -Manichou , dédié à
l'Académie Royale des Infcriptions &
Belles-Lettres , avec des détails fur les
lettres & l'écriture des Mantchoux ; par
M. L. LANGLÈS , Officier de NN. SS.
les Maréchaux de France. A Paris, chez
Didot l'aîné , Imprimeur du Clergé, rue
Pavée- St-André-des-Arts ; & Née de
la Rochelle, Libraire, rue du Hurepoix.
VOICI le premier Ouvrage Mantchou,
imprimé en Europe , avec des caractères
originaux. Cette Langue a commencé à
devenir vraiment intéreſſante vers la fin
du fiècle denier , &maintenant on peut dire
qu'elle eft indiſpenſable pour le progrès des
Lettres. Ce fut verrss l'an 1644 que les
N°. 30. 26Juillet 178& H
182 MERCURE
Tartares rentrèrent dans la Chine & s'en
emparèrent. Tout le monde connoît la
ſage politique des vainqueurs ; ils adoptèrent
les Loix des vaincus , s'approprièrent
l'uſage de leurs Arts & de leurs Livres :
mais , comme la plupart des Peuples de
l'Afie , naturellement trop attachés à leur
propre Langue pour y renoncer , ou même
la négliger , ils ont traduit en Mantchou
tous les Livres Chinois, ou du moins le plus
grand nombre. Le ſavant M. Amyot , cité
par notre Auteur , nous affure » qu'il n'y
>> a aucun bon Livre Chinois qui n'ait été
>> traduit en Mantchou ; ces traductions
>> ont étéfaites par de ſavantes Académies ,
par ordre & ſous les aufpices des Sou-
» verains .... Elles ont été revues & corrigées
pard'autres Académies, non moins
>> inſtruites «. Voilà poſitivement ce qui
rend aujourd'hui cette Langue bien précieuſe.
On connoît les difficultés du Chinois
; ce langage hiéroglyphique que les
naturels même du pays ne favent ja
mais bien , que preſque aucun Littérateur
Européen n'oſe même étudier : ces
difficultés nous privent d'une foule d'Ouvrages
curieux, enſevelis dans cette Langue,
& qu'on ne pourra jamais en tirer ſans le
fecours d'une intermédiaire. C'eſt le Tartare
qui va nous rendre ce ſervice inappréciable.
Aidé de ce flambeau , nous pourrons
» pénétrer dans le labyrinthe de la
Langue Chinoiſe , où ſe trouvent les
DE FRANCE. 18,
plus anciens monumens littéraires qur
>> foient dans l'Univers ". Il faut eſpérer
que les Savans , qui , rebutés par les difficultés
inconcevables du Chinois , avoient
abandonné à regret cette branche de Littérature
, vont la cultiver avec plus d'ardeur
que jamais , puiſqu'il leur fuffira d'étudier
le Mantchou; ils pourront le ſavoir
à fond en très - peu d'années .
>>Langue , dit M. Amyot , eſt dans le goût
ود
ود Cetre
de celles d'Europe; elle a fa méthode
& ſes règles; en un mot, on yvoit clair" .
Cependant cette étude importante auroit
encore été long-temps négligée , fi ce refpectable
Millionnaire n'eût envoyé fuccefivement
un Syllabaire , une Grammaire &
un Dictionnaire Mantchoux. Ces précieux
matériaux ont été confiés à M. Langlès ;
il s'en eſt occupé avec ardeur , & s'eſt
chargé de les faire imprimer. Il nous donne
dans fon Alphabet une idée de l'utilité du
Mantchou , des peines qu'il a éprouvées,
pour apprendre cette Langue tout feul, &
en faire graver les caractères . Dans ce travail
, pour lequel il n'a eu ni maître ni
guide , les difficultés typographiques ſe réuniffoient
aux difficultés littéraires .
ود
وو
ور Au lieu d'un Alphabet fimple comme
le nôtre , dit-il , les Tartares ont un Syllabaire
de 14 à 1500 groupes , plus ou
>> moins compliqués; ils le nomment les
» douze Têtes, parce qu'il eſt partagé en
>>douze Claſſes , dont chacune contient
H2
184 MERCURE
>> cent douze groupes , fans en compter
>> pluſieurs autres, empruntésdu Chinois"".
Ces combinaiſons rendent tous les fons de
leur Langue , mais ne préfentent pas toures
les figures des lettres , car il en manque
pluſieurs dans le Syllabaire ,& fur - tout
beaucoup de ligatures : on voit combien
il a été difficile pour M. Langlès de ſe
mettre feulement au fait de la lecture du
Tartare. Il vouloit applanir les difficultés
pour ceux qui le ſuivroient dans la même
carrière , & fur-tout il étoit très-impatient
de publier ce Dictionnaire. On ne pouvoit
l'imprimer qu'avec des caractères mobiles
, & il n'avoit devant les yeux que
desmalles informes.Après avoir long-temps
réfléchi fur cette matière aride, il imagina
une opération dont les Tartares eux - mêmes
ne ſe ſont pas avifés ; il analyſa les
Isoo groupes du Syllabaire , & une foule
d'autres mots très-difficiles à lire , & parvint
à en tirer vingt-trois lettres & quelques
ligatures; la plupart ont trois formes,
initiale , médiale , & finale. » J'oſe croire ,
>>dit-il , que c'eſt le premier Alphabet
>>completde cette Langue inconnue, néme
" aux Peuples qui la parlent ; car leurs en-
>>fans apprennent le Syllabaire en chantant,
» &, je crois , avent en pleurant ". Les
Tartares neſedoutentpas certainement qu'ils
apprendroient leurs lettres plus facilement à
Paris que dans leur pays. Il ſeroit trèspoſſible
que le Peuple ſe ſcandalifat de
DE FRANCE. 185
voir qu'on a réduit à une foixantaine de
figures les quinze cents groupes de fon
riche Syllabaire. Accoutumé à être trompé ,
il croiroit qu'en veut lui enlever juſqu'à
ſes lettres ; mais il ne tarderoit pas à ſe
confoler , voyant que ce petit Alphabet
eft bien plus complet que fon Syllabaire ,
& peut lui ſervir à lire tous fes Livres.
L'avantage de cette innovation le rendroit
moins méfiant & moins timide; il pourroit
même voir avec plaifir qu'on a remplacé
ſes planches, groflièrement sculptées,
&deſtinées à n'imprimer qu'un ſeul Ouvrage,
par de fuperbes caractères mobiles ,
gravés par M. Firmin Didot , ſous la di
rection de M. Langlès. Ils peuvent ſervir à
imprimer tous les Livres Tartares , & les
poinçons ne ſe montent pas à foixante ,
tant l'Auteur a fimplifié fon travail. On ne
l'appréciera bien qu'en étudiant le Tartare,
&en connoiffant la Typographie. Cependant
on pourra ſe former une idée de fon
opération fur ces caractères, par un exemple
qu'il donne dans ſon Ouvrage , auquel
nous renvoyons le Lecteur. A la fuite de
fon Alphabet , on trouvera un petit Traité
de la Ponctuation & des Accens du Mantchou,
avec un modèle de lecture . Ce, font
des Sentences Tartares en caractères originaux,
avec la prononciation & la traduction.
Nousen citerons ici quelques-unes. "La vie
»&la mort dépendent d'un moment. Lire
>>un Livre qu'on ne connoît pas , c'eſt
H
186 MERCURE
رد
trouver un bon ami; relire un Livre qu'on
>>> alu , c'eſt revoir ſon ancien ami . Réjouif-
» fez ceux qui vous approchent, dit le
>> Docteur Kongtze ( Confucius ). Il vaut
>> mieux manquer à quelques formalités de
>> Juſtice , que de condamner l'innocent.
> Accoutume-toi à lire le Mantchou, finon,
>> comment pourras-tu entendre parfaite-
>> ment les Livres Chinois « ? Enfin , on
voit que cet Alphabet fuffit pour apprendre
à lire le Mantchou en peu de temps : on
auroit peut- être défiré que l'Auteur ajoutât
un Traité particulier de la prononciation
; mais il auroit ſans doute été obligé
d'entrer dans des détails très- longs & trèsennuyeux
pour le Lecteur , qui ne défire
pas de prononcer le Tartare à Paris avec
la même délicateſſe qu'à Pékin. Ce feroit
une prétention bien frivole. M. Langlès
-s'eſt étendu ſur un objet intéreſſant pour
un plus grand nombre de Savans. Il nous
fait part de ſes recherches ſur l'origine
des caractères Mantchoux. Il nous prouve
que ces caractères ont la plus grande reſſemblance
avec ceux desanciens Arabes, des anciens
Syriens , & des Mongols. Il a même
compofé un Alphabet Harmonique , Saufcrit,
Mongal , Stranghelo , & Matnchou ,
qu'il regrette bien de ne pouvoir donner
au Public , avec pluſieurs Differtations faute
de caractères & de moyens. Il prétend
qu'il doit y avoir entre la Littérature Thibetaine
, Mongole & Mantchou , une plus
grande affinité qu'on n'oferoit l'imaginer.
DE FRANCE. K 187
Les différens Peuplesqui parlent ces Langues
doivent avoir les mêmes Livres ; le Culte
du grand Lama , qui leur eft commun, les
a rapprochés. Cette obſervation , qui ne
paroît pas dépourvue de vraiſemblance
eſt appuyée ſur l'autorité de pluſieurs Savans
reſpectables. Ce feroit alors un nouveau
motif d'étudier le Mantchou ; & l'on
pourroit dire » qu'aucune Langue n'a encore
>>préſenté plus d'avantages , puiſqu'elle
>> peut fuppléer à trois ou quatre autres
>>dans leſquelles ſe trouventdes monumens
» de la plus haute antiquité ". Mais quand
elle ne procureroit que la connoiffance des
Livres Chinois , on devroit ſouhaiter que
M. Langlès publiât le plus tôt poflible , le
Dictionnaire de M. Amyot. A en juger par
la Notice que l'on en donne dans l'Alphabet
Mantchou , ce Dictionnaire eſt trèscomplet.
L'Auteur l'a fait avec le plus
grand ſoin , d'après un Dictionnaire Mantchou-
Chinois. Comme leChinois donne
ود
ود
ود
la définition du mot Tartare avec pro
>>lixité , plutôt que de le rendre par un
>> mot équivalent , l'on trouve fouvent des
détails plus circonstanciés que n'en renferment
ordinairement tous les Lexiques .
>> Cette eſpèce de défaut devient ici un
> avantage inappréciable , & rend ce Dic-
» tionnaire d'une utilité bien plus étendue.
33
ود
دو
Il ſeroit peut- être impoffible de s'en ſervir
, s'il étoit auſſi court que les nôtres ".
M. Langlès dit plus haut , » qu'il n'est pas
H4
188 MERCURE
>> précieux ſeulement pour ceux qui s'oc-
>> cupent des Langues ; il peut encore étre
» d'une grande utilité à quiconque veur
>>connoître &approfondir les Arts & les
>>Sciences de ces Peuples, ſans ſe livrer
» à l'étude de leur langage : on y trouve
>> des éclairciſſenens ſur les moeurs & les
>> coutumes religieuſes & civiles des Tartares
& des Chinois , des notions CH-
>> rieuſes fur la Géographie , les produc
'tions & les animaux de la Tartarie &
de la Chine ".
On voit combien il feroit difficile de
trouver un homme plus capable que
M. Langlès , de conduire cette entrepriſe
qu'en ne ſçauroit trop encourager.
C'eſt à cet Auteur que nous devons
la Traduction des Instituts politiques &
militaires de Tamerlan , annoncée dans ce
Journal avec de juſtes éloges.
EUGÉNIE & fes. Elèves , ou Lettres &
Dialogues à l'usage desjeunes Perfonnes
par Mme. DE LA FITE , Auteur des
Entretiens, Drames &Contes moraux, à
L'usage des Enfans ; 2 Parties in- 12. A
Paris, chezOnfroy & Née de la Rochelle,
Libraires,rue du Hurepoix,près duPont
Saint-Michel.
試
Les Dialogues de Madame de la Fire à
l'usage des Enfans , lui ont mérité les fuf
DE FRANCE. 189
frages du Public , & la reconnoiſſance des
pères & mères de famille. Cette nouvelle
production eſt digne du même ſuccès ; elle
eſt recommandée par le mérite de ſon Auteur
, &par le nom de l'Editeur , Mme. la
Marq. de Silleri , ci-devantComteſſe deGenlis.
Elle est compoſée de Dialogues, de Lettres ,
d'un Drame , & d'un petit Roman ; &
tous ces différens morceaux concourent au
même but , qui eſt d'offrir un Cours de
Morale à la Jeuneſſe , & de lui faire aimer
fes devoirs. Le genre de l'Ouvrage ſe refuſe
à l'analyſe ; nous nous contenterons
de dire qu'on trouve par tout des détails
pleins de vérité & d'intérêt que la morale
& la piété s'y reproduiſent par - rout
fous des formes aimables ; & pour donner
une idée du ſtyle qui réunit l'élégance
&le naturel , nous citerons un morceau
d'un fonge où il eſt queſtion de la pla
nète Herschel ; c'eſt un Ange qui parle à
un prétendu habitant de cette planète..
>>La bonté divine a établi un juſte équi
libre entre les beſoins de ſes créatures,,
& les ſecours qu'elle leur accorde. Il falloit
rappeler ſouvent aux humains & leur éga
liné primitive , & leur glorieuſe deſtina
tion. Une inftirurion pleine de fageffe an
rempli ce double bur. Suivez-moi , péné
trons dans ce vaſte édifice , d'où s'élèvent
des chants facrés , & od rant de mortel'ss
ſe raffemblent.. Là, ces enfans de l'a pouf
H
1
190 MERCURE
ſière répètent les Cantiques des Intelligences
céleftes , & tout les fait ſouvenir qu'ils
font égaux par la Nature , & créés pour
l'éternité. Ici , les diſtinctions s'anéantiffent,
&les rangs ſont confondus. Le Souverain
& le ſujet , le puiffant & le foible adoprent
le même langage , aſpitent aux mêmes
biens , nourriffent les mêmes eſpérances.
On déclare au Souverain , que le Roi des
Rois eft fon Juge , & à l'opprimé , que le
Tout-puiffant eſt fon protecteur. On rappelle
aux Grands qu'ils font mortels , &
aux malheureux , qu'il eſt une autre vie
après la mort. Ici , le riche apperçoit l'indigent
, & ſe ſouvient que les hommes
font frères. Ici , la veuve éplorée vient
adreſſer ſes voeux au père des orphelin &
ſent calmer ſa douleur. Voyez cet fors
tuné , privé de la lumière du jour , fon
coeur s'ouvre à la joie , il entend que des
clartés éternelles lui font réservées Cet
autre , qui lei fervoit de guidé en entrant
dans le temple , ſe trouvoir plus à plaindre
encore ; il pleuroit l'inconftance d'un amp ;
mais on lui annonce que le Dieu qu'il
vient adorer , aime toutes fes créatures.
Cette idée fortifie ſon coeur , en bannit
la triſteffe , y verſe la comolation , & fes
larmes ne font plus amères ".
1
DE FRANCE.
191
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROY. DE MUSIQUE.
LEE Mardi , 15 Juillet , on a donné à ce
Théatre la première repréſentation d'Amphitryon
, Opéra en trois Actes .
Tout le monde connoît la manière charmante
dont Molière a trait,é ce ſujes. M.,
Sédaine , en l'adaptant à la Scène lyrique ,
a fait très - peu de changemens à la con
duite de l'intrigue. Le plus important eſt,
d'avoir donné lieu à Amphitryon de croire
que ſon eſclave eſt d'accord avec ſa femme
pour le tromper. Dans Molière, le Général,
Thébain trouve ſon cachet encore entier
ſur la caſſette où eft renfermé le pré
ſent qu'il apporte à ſa femme. Dans M.
Sédaine, Sofie revient avec la caffette ouverte
, ce qui confirme les ſoupçons d'Amphitryon
, ajoutez -y quelques fêtes , les retranchemens
impoſés par la muſique , c'eft.
à peu près tout ce qu'il y a de différent ,
dans la conduite des deux Ouvrages.
Le ſtyle n'eſt pas non plus le même. On
fait que M. Sédaine a toujours affecté de ne
H6
192 MERCURE
pas regarder cette partie comme effentielle
aux. Ouvrages dramatiques , & de croire
quedes paroles ſont toujours aſſez élégantes
& affez correctes , pourvu qu'elles offrent
des détails agréables au Muſicien : il a penſé
que l'art de celui-ci exigeoit beaucoup de
facrifices ; peut-être les a t- il portés un
peu trop loin ; cette opinion du moins a
paru la plus générale à la première repréſentation.
Iln'eſt pas bien prouvé non plus que le
fujet d'Amphitryon ſoit très-propre à la mufique.
Le merveilleux qui se trouve au dénouement
, a fait croire à M. Sédaine qu'il
appartenoit de droit au Théatre lyrique.
Mais une Scène ne fait pas une Pièce , &
ce font moins les machines que les ficuations
muſicales qui conſtituent un Opéra.
Il y a quelques morceaux au commencement,&
au troiſième Acte une Scène vraiment
faite pour lamuſique; auffi ces endroits
n'ont-ils pas manqué leur effet; le Public
y a retrouvé le talent du Compoſiteur. Le
reſte n'a pas paru faire autant de plaifir.
Nous reparlerons de cetOuvrage ,s'il réuffe
mieux aux repréſentations ſuivantes. Il eſt
arrivé ſouvent à M. Sédaine de voir fes
ſuccès conteſtés d'abord , pour n'en devenir
que plus brillans; & plus d'une fois auffi
la muſique de M. Gretry a foutenu des Onvrages
contre la ſévérité d'un premier jugement.
DE FRANCE . 195
COMÉDIE ITALIENNE.
LE même jour , on a repréſenté pour la
première fois le Siége de Mézières , Cor
médie en trois Actes & en vers libres..
Une puiſſante armée de l'Empereur
Charles-Quint afliégea Mézières , ville de
France , en Champagne. Le célèbre Chevalier
Bayard fit une ſa vigoureuſe réfiftance
, qu'elle fut contrainte à en lever
le fiége en 1521 .. Tel eſt le fond de cet
Ouvrage , fur lequel l'Auteur a brodé les
acceſſoires dont nous allous faire part à
nos Lecteurs.
Au fiége de Breffe , en Italie , Bayard a
été le protecteur & le bienfaiteur d'une
jeune perſonne qu'il a ſauvée de la fureur
foldateſque, & il l'a remiſe entre les mains
de ſa mère. Cette jeune perfonne , qu'on
appelle Laure , étoit aimée d'Octavio
Prince de la famille des Farnèſe. Bayard
n'a pu réſiſter aux attraits de ſa protégée,
il l'a demandée en mariage à ſa mère , &c.
il ſe prépare à l'épouſer. Octavio, toujours
plein de fon amour , arrive à Mézières ,
ſuivi de quelques perfonnes qui lui font
dévouées , ſe déguiſe en Troubadour , s'informe
de la demeure de Laure , & tente
de. l'enlever . Il eſt arrêté , chargé de fers ,
194 MERCURE
۱
conduit au Conſeil de guerre , & menacé
d'être jugé dans toute la rigueur des Ordonnances
militaires. Par un preſſentiment
beaucoup moins naturel que le ne penſent
bien des gens , mais très- commun aux
Amans de Comédie , Laure prend le plus
vif intérêt au prifonnier ; elle parle à
Bayard en ſa faveur , & le généreux Che.
valier promet de tout mettre en oeuvre pour
ſauver ſes jours. Laure va bientôt plus
loin ; elle déclare à ſa mère qu'elle ne
doute point que le prifonnier ne foit fon
cher Octavio , & qu'elle ne peut ſe dérerminer
à devenir l'épouſe de Bayard. La
mère de Laure , après avoir quelque temps
combattu entre la tendreſſe maternelle&
la reconnoiſſance qu'elle doit à Bayard , fe
détermine à lui tout avouer. Elle va le faire ;
mais pour le moment Bayard ne peut pas
lui donner audience. Il attend un Chevalier
qui s'est fait mystérieuſement introduite
dans la ville , & qui y eſt entré la vifière
de ſon caſque baiffée , ne voulant pas être
connu par d'autres perſonnes que Bayard.
Il'entre ; c'eſt le fameux Connérable de
Bourbon. Perfécuté par la Ducheffe d'Angoulême
, diſgracié , il ne reſpire que la
vengeance. Il vient de faire un traité avec
l'Empereur ; il va commander les ennemis
de ſon Maître , porter dans ſon pays natal
le fer & la flamme , & il vient pour tenter
d'entraîner Bayard dans ſa rebellion . On
fent que le Chevalier fans peur & fans re-
1
DE FRANCE.
195 I
proche repouffe très- vigoureuſement une
pareille propoſition. Il eſſaye néanmoins
de ramener le Connétable à des ſentimens
plus dignes de lui ; il lui rappelle ce qu'il
doit au nom de Bourbon ; il lui dit :
Pour la première fois , c'eſt celui d'un rebelle.
Mais il n'eſt plus temps ; le traité eſt ſigné ,
-Le Connétable gémit ſur la réſolution qu'il
a prife, & il ſe retire, après avoir entendu,
par avance, les reproches que lui fit en effet
Bayard mourant, quelque temps après cette
époque. L'intérêt alors ſe rejette fur Octavio
qui , dans une converſation avec Bayard ,
qu'il traite affez cavalièrement , fait connoître
fon nom , ſon amour , fes projets , &
demande la mort. Il ne pouvoit pas la demander
plus à point , car à l'inftant un
Officier vient lui apprendre qu'il eſt con
damné Il y va marcher , ily marche même ;
mais le canon ſe fait entendre; la ville eſt
menacée d'un nouvel aſſaut : on fufpend
l'exécution ; on remène Octavio à la tour.
Les troupes ſe raſſemblent ; les Officiers
viennent prendre las ordres de leur Général.
Bayard voit la confiance qu'il leur infpire
, la tendreffe qu'ils lui portent ; il
leur demande une grace; on la lui accorde
généralement avant de ſavoir quelle elle
peut être ; c'eſt la vie & la liberté d'Octavio.
On marche vers l'ennemi : Octavio
eft libre; il réfléchit fur la grandeur
d'ame , fur la générosité de ſon rival ; il
1
196 MERCURE
fe décide à lui facrifier ſon bonheur, & fe
diſpoſe à retourner en Italie. Bayard rentre ;
il eſt vainqueur : l'Empereur a levé le fiége.
Laure & ſa mère font déterminées à ne
plus revenir , comme elles ſe l'étoient propoſe
, ſur la parole qu'elles ont donnée à
Bayard ; mais le généreux Chevalier a
dompté ſon coeur. Il envoie vers Octavio;
on l'amène , & il lui rend fa Maîtreffe ,
laquelle il renonce pour jamais. La joie
devient générale , & la Pièce eſt terminée
par un Divertiſſement dans lequel on appelleBayard
Le plus juſte des Guerriers,
Le plus loyal des Chevaliers.
Il y a du ſpectacle dans cette héroïque
Comédie ; mais l'intrigue en est découſue ,
&l'intérêt en eſt faible. Le ſtyle , qui eſt
quelquefois très-élevé , eſt auſſi monotone
& ſouvent négligé ; il eſt même incorrect
de temps en temps. On a fort applaudi
quelques idées heureuſes & vraiment patriotiques
; mais à la longue les murmures
ont prévalu ſur les applaudiſſemens , & à
peine a-t-on pu entendre lesderniers vers
du troiſième Acte.
Nous ne ferons qu'une obſervation fur
cette Pièce. Le caractère de Bayard y est
préſenté ſous des traits qui ne conviennent
point à ce perſonnage. Onn'aime point à
entendre le Chevalier fans peur & fans
reproche étaler faſtueuſement les maximes
DE FRANCE. 197
philofophiques du dix-huitième ſiècle ; on
eft faché de lui voir affecter , pour ainfi
dire , des fentimens de bienfaiſance & de
générobté ; à lui dont toute la morale étoit
en action , & qui ſavoit mieux faire que
bien dire. Toutes les fois qu'on s'obſtinera
à donner à Bayardune phyſionomie étrangère
à ſon ſiècle & au caractère que l'Hiftoire
nous en a conſervé , on ſera ſûr de
déplaire. D'ailleurs ce n'eſt point fur la
Scène Italienne qu'il faut préſenter de pareils
perfonnages , parce que ce Théatre
n'a pas le nombre de ſujets ſuffifant pour
repréſenter dignement une action héroïque.
Parmi les Pièces de ce genre qu'on y a
données , il eſt bon de remarquer qu'il
n'en eſt pas reſté au Répertoire une ſeule de
celles qui font tirées de l'Hiſtoire de France,
& que c'eft toujours le charme de la mufique
qui a affure le ſuccès de celles qui
ont été puiſées dans d'autres ſources. Une
exception , ſi elle exiſtoit , ne fuffiroit pas
pour battre en ruine ce que nous avançons.
Nous croyons donc qu'il eſt de la
ſageſfe de MM. les Comédiens Italiens de
bannir, fans retour, de leur Scène , tous les
Drames dont le fond & les formes fe
rapprochent du ton de la Tragédie. Il eſt
néceſſaire , pour l'avantage de l'Art même ,
qu'il exiſte des lignes de démarcation entre
les genres affectés principalement à cha
cun de nos Theatres ; & c'est encore pour
leur intérêt perſonnel que nous les enga-
L
198 MERCURE
geons à donner le premier exemple de raifon
cet à égard.
Chacun ſon lot , nul n'a tout en partage.
ANNONCES ET NOTICES,
Meffageries Royales de France.
ETAT général du ſervice des Meſſageries dans
tout le Royaume , pour l'année 1788 , qui doit
paroître tous les ans au premier Janvier , avec les
changemens ; contenant l'extrait des principaux
Arrêts & Réglemens rendus ſur le fait des Meflageries.
Des Renseignemens particuliers , tant pour les
précautions à prendre pour les Voyageurs , que
pour l'envoi des marchandises , or , argent , &c.
des Billers , Lettres de change , & autres effets
commerçables à recouvrer en Province.
Différens Réglemens de difcipline & d'ordre
pour les Conducteurs , Cochers & autres.
Le Départ & l'Arrivée des Diligences & Voitures
à journées réglées , de Paris pour les principales
villes du Royaume , leur marche, le nombre
de jours en route, le prix des places , celui
du port des paquets , &c. ; & les communications
tant par terre que par eau de ces mêmes Villes ,
dans l'intérieur des Provinces , & chez l'Etranger.
Avec une Carte Géographique qui indique les
principaux Bureaux de la France.
DE FRANCE . 199
Cet Ouvrage , in 12 , contient 350 pages.
A Paris , chez Prault , Imprimeur du Roi, quai des
Auguftins ; & chez les Suiffes de l'Hôtel Royal
des Meſſageries , rue Notre-Dame des Victoires ,
& rue Montmartre.
د
Remarques historiques & politiques fur le Tarif
du Traité du Commerce , conclu entre la France
& l'Angleterre avec des Obſervations préliminaires
; traduit de l'anglois par M. D. S. D. L.,
in-8°. de 175 pages. Prix , 36 f. br. , & 2 1. 2 f.
francde port par la Pofte. ALondres ; & ſe trouve
à Paris , chez Buiffon , Lib. Hôtel de Coëtloſquet,
ruc Haute-feuille , Nº . 20.
Obfervations d'un Actionnaire ſur le Mémoire
de M. L... M... , contre la nouvelle Compagnie
des Indes ; in-8 °. de 131 pages. A l'Orient ; & fe
trouve à Paris , chez Gartey ,Lib . au Palais-Royal.
Vied'Haïder-Ali-Khan , précédée de l'Hiſtoire
de l'ufurpation du pays de Maïflour , & autres
pays voisins , par ce Prince ; ſuivie d'un récit authentique
des mauvais traitemens qu'ont éprouvés
les Anglois qui furent faits priſonniers de guerre
par fon fils Tippou-Khan ; par François Robfon ,
ci-devant Officier au ſervice de la Compagnie des
Indes Angloife. Traduit de l'anglois. I Volume
in-12 ; br. avec ſon Portrait. Prix ,
A Paris , chez Regnault, Lib. rue Saint-Jacques ,
vis-à- vis celle du Plâtre.
2 liv. 10
Hiſtoire & Memoires de l'Académie Royale des
Sciences , Inſcriptions & Belles-Lettres de Tou-
'louſe. Tome III , in-48. A Toulouſe , de l'Imprimerie
de D. Deſclaſſan , Maître-ès -Arts , pres la
Place Royale ; & chez Manavit, Lib. rue Saint-
Rome ; & à Paris , chez Crapart , Lib. place Stę
Michel.
202 MERCURE
1
La Vifite au Grand-Père , gravée dans la manière
angloiſe , d'après Smith ; par Le Coeur. Prix,
3 liv. eu noir , 6 liv . en couleur. Se vend à Paris,
chez l'Auteur , rue S. Jacques , Nº. 55 .
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Différentes fortes de Boutons , gravés par Mlle.
Louiſe-Suſane C. C. , agréables au ſujet , & exécutés
avec ſoin. A Paris , chez M. Sergent ,
Mauconfeil , Nº. 62 ; & chez le Sieur Mionet ,
Doreur & Monteur dé Boutons .
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Fue
Le Sr. LATTRẺ , Graveur ordinaire du Roi , rue
S. Jacques , la porte cochère vis-à-vis celle de ta
Parcheminerie , Nº. 20 , vient de mettre au jour
le Plan de Rome ſur une feuille d'Altas , papier
d'Hollande proprement lavé. Prix , 6 liv.
La Rade de Cherbourg , avec les nouveaux travaux;
feuille d'Atlas , lavée, 2 liv .
Le Théatre de la guerre actuelle entre les Ruſſes
&les Autrichiens alliés, & les Turcs ; en 2 grandes
feuilles , contenant la Ruſſie , la Pologne , la Hongrie,
la Turquie, la Crimée, &toute la mer Noire.
En feuilles , 31.; collée ſur toile , avec étui , 71.
Un autre fait en Angleterre , en 4 feuilles .
LePlan de Belgrade, Capitale de la Servie, avec
ſes nouvelles fortifications, proprement lavé , 21.
C'eſt toujours chez ledit Sr. Lattré qu'on trouve
Atlas moderne , pour la Géographic moderne de
feu l'Abbé Nicole de la Croix , d'accord avec
MM. Barbeau de la Bruyere & Drouet , qui ont
été chargés des éditions depuis le décès de l'Auteur.
On vient d'y ajouter depuis peu la Géographie
ancienne par M. Bonne , qui le porte à 100
Planches,& le complète avec des explicationspour
chaque Planche , & des Tables pour la Geographie
comparée. Cet Atlas ſe vend complet ou par
Volume ſéparé.
DE FRANCE.
203
Histoire de France , repréſentée par Figures ,
accompagnée de diſcours , par M. David , Graveur
ordinaire de la Chambre & du Cabinet de
MONSIEUR , de l'Académie des Sciences , Belles-
Lettres & Arts de Rouen , &c. ze. Livraiſon. A
Paris , chez l'Auteur , rue des Cordeliers , au coin
de celle de l'Obſervance .
Cette Livraiſon eſt compoſée de 4 Planches &
diſcours , imprimées ſur papier vélin ; prix, 8 liv.:
les premières épreuves , imprimées en biſtre anglois;
prix , 10 liv,
avec
?
L'arrivée du Roi de Pruffe aux Champs-Elisées,
&sa réconciliation Voltaire par Henri IV
dédiée & préſentée à Frédéric-Guillaume III , Roi
de Pruffe. A Paris , chez Crépy , rue St. Jacques ,
Nº. 252. Prix , 6 liv. Il y a quelques épreuves
avant la lettre , à 12 liv.
Cette Eſtampe, de 13 pouces & demi de largeur
fur 12 de hauteur , a été compoſée , deffinée &
gravée par Texier. Elle fait auſſi ſuite à celles de
La Réception de Voltaire aux Champs-Elisées par
Henri IV; l' Arrivée de J. J. Rouſſeau aux Champs
Elifées , & autres de même format.
Nouveau Jeu de l'Oie, orné de Fig. &Vignettes,
gravées en taille - douce, Prix , 3 liv, colorié. A
Paris , rue S. Jacques , Nº. 252 .
Erigone , gravée par P. F. Le Grand , d'après -
letableau original de F. Le Roy, A Paris , chez Le
Grand , rue Galande , Nº. 74 .
: = Arianne abandonnée par Thésée , par les
mêmes , & même adreſſe .
Ces deux Eſtampes faifant pendant , ſe vendent
6 liv, chaque,
204
MERCURE DE FRANCE.
NUMÉROS 222 & 223 du Journal d'Ariettes
Italiennes, dédié à la Reine, contenant une Scène
de Piccinni. Prix, 31. 12 1.; un Air de Sarti, 21. 8 f.
Ab. pour 24 Nos. , 36 & 42 liv. A Paris , chez
M. Bailleux, Md. de Muſique de la Famille Royale,
rue St- Honoré , près celle de la Lingerie , à la
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NUMÉROS5 &6 du Journal de Violon, dédié aux
Amateurs , pour deux Violons ou Violoncelles.
Prix , 2 liv. chaque Numéro. Abonnement pour
12 Numéros , 15 & 18 liv. A Paris, chez M. Bor
net l'aîné , Profeſſeur , rue Tiquetonne , No. 10. -
Nos. 28, 29 , 30& 31 des Feuilles deTerpsychore,
pour la Harpe & pour le Clavecin. Prix, z liv.
4f. chaque N°. Abonnement pour 52 Numéros ,
30 liv. AParis, chez Coufineau père & fils , Luthiers
de la Reine , rue des Poulies.
TABLE.
EGLOGUE 157.Eugénie. 14
Hiftoiredu jeune Inconnu. 164 Académ. Roy. de Muf. 192
Charade , Erig. & Log. 171 Comédie italienne.
Effais historiques.
Alphabet Tarzare.
174 Annonces&Notices.
181
194
201
APPROBATION.
J'Arlu , par ordre de Mgr. le Garde des Sceaur,
IC MERCURE DE FRANCE , pour le Samedi 26
Juillet 1788. Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en
smpêcher l'impreſſion. AParis , le 25 Juillet 1788.
SÉLIS
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
:
POLOGNE.
De Varsovie , le 30 Juin 1788 .
LES Autrichiens , à ce qu'on affirme depuis
quelques jours , ont tenté ſur Choczim
une cinquième attaque , non moins
infructueuſe que les précédentes. Les
Afliégeans ayant établi une batterie à
Braha , bourg dépendant de la République
, les Turcs y ont mis le feu. Nous ne
pouvons guère nous plaindre de cette
action, légitimée par les principes de la défenſe
de ſoi même , & par notre infraction
forcée de la Neutralité.
2
Des lettres de l'Ukraine nous apprennentque
l'arinée du Maréchal de Romanzof,
forte de 60,000 hommes , a été diviſée
de manière que 30,000 , ſous les ordres
des Généraux d'Elmpt & de Soltikow ,
joindront l'armée de l'Empereur dans la
N°. 30. 26 Juillet 1788.
(146 )
Moldavie ; 15 autres mille font au-deffus
de Balta , & les 15,000 autres à Niemirow.
Le Capitan-Pacha a débarqué 20,000
hommes près d'Oczakof ; ces troupes
feront jointes par l'armée du Séraskier ,
fortede 50,000 hommes. On préſume que
le Prince Repnin , paffant le Bog, ira audevant
de cette armée , ainſi que le Prince
Potemkin : plus de 200 canons & 6,000
charricts munitionnaires ſuivent cette armée.
Le Maréchal de Romanzof a
paſſé le Niefter , & s'avance vers le Danube.
On apprendra inceſſamment quelque
nouvelle importante de ce côté là.
--
Le 4 juin , le ciel étant ſerein , l'Abbé Jovin
Bystrzyski , Chanoine de la Collégiale de Varfovie
, Aftronome du Roi , obſerva avec une
lunette achromatique de Dollond, de 4 pieds de
Paris , ayant un objectif compoſé de trois verres ,
lecommencement de l'éclipſe de ſoleil, à 8 heures
36 minutes 45 ſec. , &la fin à 10 heures 57
min. 33 fee. , felon la pendule de Londres , de
Shelten. Avec une pareille lunette achromatique ,
le commencement fut aperçu par M. l'Abbé
Gavronski Chancelier de la Cathédrale de
Cracovie, Lecteur de S. M. , à 8 heures 56 min .
50 fec.; la fin , à 10 heures 57 min. 30 fec.
Lagrandeur de cette éclipſe a éré preſque de
5 pouces vers la partie méridionale. Selon le
premier obfervateur , cette éclipſe a duré 2
heures o min. 48 ſec.; felon l'autre , 2 heures
o min. to fec. Selon celui-là , le premier bord
d'une tache folaire notable , qui étoit près de la
( 147 )
circonférence ſolaire , étoit coupé par le bord
de la lune à9 heures min. 4 ſec.; le ſecondbord
de cette tache l'étoit à 9 heures 6 min. 13
Elle étoit totalement découverte ſous la lun
10 heures 41 minutes II ſec'. ; ſelon l'aut
obfervateur , le premier bord de la lune touchoit
le premier bord de cette tache à 9 heures 6 min.
6fec. Le ſecond bord de cette tache à 9heures
6 min. 15 fec. A la fin , cette tache a paru totalement
ſous la lune à 10 heures 41 min. 16
ſec. Toutes ces obſervations ſe réduiſent au temps
vrai. Dans le temps même de cette éclipſe , l'arc
noir qu'on apercevoit ſur le ſoleil avec les
lunettes achromatiques , préſentoit aux yeux des
obfervateurs beaucoup d'inégalités de différente
grandeur , caufées par les montagnes & les vallées
qui fontdans la lune. Celles-ci laiffoient le paſſage
libre aux rayons du ſoleil ; celles-là les abforboient
totalement.
SUÈDE.
De Stockholm , le 27 Juin.
L'Hiſtoire offre peu d'exemples de révolutions
, en apparence , plus ſubites ,
que le changement inopiné ſurvenu dans
la fituation politique de ce royaume. Nul
projet ne fut concerté avec plus de ſecret,
ni exécuté avec une plus étonnante
célérité. On fe croit revenu aux jours où
Charles XII , en 1700 , prépara ſa première
expédition contre le Danemarck ,
fuivie de tant de gloire ,& enſuite detant
d'infortunes , lorſqu'on voit la Suède engij
( 148 )
dormie , depuis un demi-fiècle , dans une
paix qui ne fut troublée qu'un inſtant pendant
la guerre de 1756 , exécuter en deux
mois un armement de terre & de mer ,
tel que les plus grandes Puiſſances auroient
eu de la peine à le réaliſer en auſſi peu
de temps . Le 21 avril , l'ordre d'armer
arriva à Carlſcroon ; & le 9 juin , 12 vaifſeaux
de ligne , des frégates , des tranfports
chargés de troupes , étoient à la
voile. Le 23 mai , on a donné de nouveaux
ordres pourl'équipementd'ane flottille
de galères ,& pour la marche de nouvelles
troupes; un inois après , les galères
font parties , ayant les troupes à leur
bord. Ces étonnantes & rapides diſpoſitions
d'une Puiſſance ſans tréſors , ſans revenus
confidérables , ſans reffources extraordinaires
, ont été confommées le 23
juindernier.
Ce jour-là , à 8 heures du ſoir , le Roi
quitta le château de Stockholm , pour ſe
rendre à bord du yacht l'Amphion. La
Reine , le Prince Royal , le Duc d'Ostrogothie,
la Ducheffe de Sudermanic , les Généraux
, les Seigneurs de la Cour & les
Miniſtres étrangers accompagnèrent S. M.
juſqu'au pont royal, où Elle prit congé
de la Reine , de la Famille Royale , & de
toutes les perſonnes de leur fuite. Le Roi
s'embarqua aux acclamations d'une mul(
149 )
1
1 titude innombrable . La Princeſſe Albertine
, Abbeſſe de Quedlinbourg , arriva de
Berlin encore à temps pour prendre congé
du Roi , fon frère. 28 galères mirent à
la voile pour la Finlande. Ces navires &
des bâtimens marchands que l'on avoit
frétés, prirent à bord l'élite des troupes
Suédoiſes ; les Trabans , les Gardes du
Corps , les Dragons du Corps , le régiment
de Cavalerie du Corps , de 1500
hommes , un Corps d'Artillerie , & les régimens
d'Uplande , de Westmanie , de Dalécarlie
, de Helsingland , de Nericie , de
Sudermanie & d'Ostrogothie. Ces troupes
joindront en Finlande celles qui y ont été
déja tranſportées , & celles qui s'y trouvent
en garnifon. Dans peu de jours , une
ſeconde diviſion , composée de neufrégimens
, s'embarquera fur des bâtimens de
tranſport déja prêts , auxquels ſe joindra
l'eſcadre de Chebecs , armée à Sweaborg.
Les dernières lettres du Duc de Sudermanie
, Grand-Amiral de la flotte , en mer
depuis le 9 , font en date du 18 : ce jourlà
, l'eſcadre ſe trouvoit près de l'ifle d'Oe..
ſel , à l'entrée du golfe de Riga.
Ces grands mouvemens , ces embarquemens
précipités , cedépart du Roi luimême
, fans avoir été précédés d'aucune
déclaration de guerre , ni d'hoftilités antérieures
, font ſuppoſer , avec raiſon, qu'on
g
( 150 )
fera,au premier jour, publiquement inſtruit
des cauſes & du but de cette expédition .
Le congé donné par le Roi au Comte de
Rafoumowski , Miniſtre de Ruſſie , paroît
cependant n'être. qu'accidentel.On verra ,
par la note de cet Envoyé , & par la réponſe
de S. M. , que la réſolution du Roi
a été motivée , non par une rupture formelle
, mais par le vif mécontentement
qu'il a reffenti de quelques expreffions ,
& du deffein affecté du Mémoire remis ,
le 18 , par le Comte de Rafoumowski au
Comted'Oxenstiern , Miniſtre des Affaires
Etrangères ; en voici la teneur : 1
✓ « A la fuite des objets dont le ſoufſigné , Envoyé
Extraordinaire & Miniſtre Plénipotentiaire
de la Cour Impériale de Ruffie ,vient d'entretenir/
le Comte d'Oxenstiern , il a l'honneur de lui en
préſenter une récapitulation ſuccincte dans cette
note.
C
<<Quelle qu'ait éré la ſurpriſe de l'Impératrice ,
ma Souveraine , lorſqu'elle fut informée des armemens
quife faifoient en Suède , S. M. Impériale ne
voyant aucun motifs légitimes qui aientpuydonner
lieu, avoit réfoln de garder le filence , tant que ces
mouvemens euflent été renfermés dans l'intérieur
✔du Royaume ; mais apprenant les motifs allégués
dans la communication qui a été faite parle Sénateur
Comte d'Oxenstiern , au Miniftre de Danemarck,
&dont celui-ci , parune ſuite de cette intimité
qui règne entre les deux.Cours , a fait part au
fouffigné , S. M. Impériale s'est déterminée à
rompre ce filence ,& a donné ordre au ſouſligné
d'entrer dans les explications ſuivantes avec le
1
(151 )
Miniſtre de S. M. Suédoiſe. Pendant 26 ans de
règne , l'Impératrice n'a ceſſé de donner des témoignages
au Roi& à la Nation Suédoiſe, de ſon défir
de cultiver avec elle un bon voisinage & une
bonne harmonie , ainſi que la dernière paix d'Abo
les avoit établis entre les deux Cours. Si au milieu
du repos dont fon Empire jouiſſoit du côté de
fes autres voiſins , S. M. Impériale n'avoit jamais ,
conçu la moindre idée de troubler ou d'altérer le
moins du monde cet ordre de chofes , il feroit hors
de toute vraiſemblance de la lui attribuer au moment
où elle ſe trouve engagée dans une guerre que
lui a ſuſcitée injuſtement un ennemi puiſſant , & à
laquelle elle ne fauroit donner trop d'attention.Provoquéede
cette manière à déployertous les moyens
qu'elle tient de la Providence , pour repouſſer l'attaque
de ſon ennemi , elle a eu ſoin d'en prévenir
amicalement toutes les Puiſſances de la Chrétienté
, & nommément elle a obſervé cetre conduite ,
lorſqu'elle a pris la réſolution d'armer une flotte
pour l'envoyer dans l'Archipel, & que le ſouſſigné
en a ,par ordre deS.M., communiqué l'intention
au Miniſtère de Suède. Toutes ces diſpoſitions &
ces préparatifs ſe rapportant viſiblement& uniquement
à la circonſtance circonstance dans laquelleſetrouvoit la
Ruffie , n'étoientnullement faites pour alarmer ſes
autres voiſins , qui ne nourriroient pas quelques
deſſeins cachés de multiplier ſes embarras & d'en
profiter. En admettant pour un inſtant , que la
Cour de Ruffie ait ſuppoſé detels deffeins à celle
de Suède , quelques contraires qu'ils foient à la
religion des traités qui les lient , la ſaine raiſon,
ainſi que l'intérêt , devoient borner toutes ſes
meſures au ſoind'en prévenir les effets , & non de
les provoquer ; en effet, celles que la prudence
dicta , & qui furent adoptées ſur les bruits qui ſe
répandirent de toutes parts , des armemens qui ſe
giv
(152)
1
faiſoient en Suède , ſe réduiſoientàun renfort trèsmodique
de troupes Ruſſes en Finlande , & à la
deftination de l'eſcadre ordinaire qui a coutume de
croiſer tous les ans dans la Baltique , pour 'expérience
des Marins , coutume à laquelle la Suède n'a
jamais porté attention ,& qui ne lui ajamais caufé
d'ombrage. Cependant ces armemens avançoient
&fe renforçoient journellement , ſans que la Cour
de Stockholm jugeât à propos de s'en ouvrir formellement
vis-à-vis de celle de Pétersbourg ; &
lorſqu'enfin ils font parvenus à leurmaturité ,M. le
Sénateur Comte d'Oxenstiern , au nom du Roi , n'a
pas balancé de déclarer au Miniſtre d'une Cour
intimement alliée à la nôtre ,&ſuppoſée par conféquentne
devoir pas nous le cacher , que ces préparatifs
étoient dirigés contre la Ruſſie, dans la ſuppoſition
que la Suède étoit menacée d'en être attaquée.
Dans ces termes , l'Impératrice ne balance
pasnonplus de ſon côté de faire déclarer , par le
ſouſſigné , au Miniſtre de S. M. Suédoiſe , ainfi
qu'à tous ceux dela Nation qui ont quelque part à
l'Adminiſtration , que S. M. Impériale ne ſauroit
leurdonner une preuve plus ſolide de ſes diſpoſitions
pacifiques à leur égard ,&de l'intérêt qu'elle
prend à la conſervation de leur tranquillité , qu'en
les aflurant fur ſa parole Impériale , que toutes les
intentions contraires qu'on pourroit lui imputer,
fontdeftituées de tout fondement ; mais que fi une
affurance auffi formelle , auſſi poſitive , jointe aux
argumens ſimples &convaincans qui fe préſentent
dans ce qui eſt expoſé ci-deſſus , n'étoient pas ſuffifans
pour rétablir le calme& la tranquillité , S. M.
Impériale eſt réſolue d'attendre l'événement avec
cetteconfiance&cette fécurité que doivent luiinſpirer
la pureté& l'innocence de ſes intentions, ainſi
que la ſuffifance des moyers que Dieu lui a mis en
main, & qu'elle n'ajamais employés que pour la
(153 )
gloire de fon Empire & le bonheur de ſes Sujets, »
Stockholm , le 18juin 1788.
Signé, le Comte de RASOUMOWSKI .
En réponſe à cette Note , le Comte
d'Oxenstiern a fait remettre la Contre-
Note fuivante à chacun des Membres du
Corps Diplomatique.
« Pendant que le Roi , foigneux de maintenir la
bonne harmonie avec tous ſes voiſins , n'a rien
négligé pour la cultiver avec la Cour de Ruſſie , il
n'a pu voir qu'avec étonnement le peu d'effet que
ſes ſentimens ont produit ſur la conduite du Miniſtre
de cette Puiſſance ;& le langage qui , depuis
quelques mois , accompagne ſes démarches , paroît
encore porter l'empreinte du ſyſtème de diviſion
que fes Prédéceſſe irs ſe ſont tranfmis & qu'ils ont
toujours travaillé à étendre. Le Roi cherchoit
encore à ſe faire illuſion ſur ces objets . Il ſouhaitoit
pouvoir douter des efforts que faiſoit l'Envoyé
de Ruffie ,pour ramener la Nation Suédoiſe aux
erreurs qui l'avoient ſéduite pendantle temps de
l'anarchie , & pour répandre de nouveau dans le
ſeinde l'Etat , cet ancien eſprit de défunion que
le ciel & les foine de Sa Majesté ont fu heureument
éreindre'; lorſqu'enfin le Comte de Razoumowski
vient de lever , par fa note du 18 juin , tous
les doutes que le Roi aimoit encore à conferver à
cet égard. A la fuite des aſſurances d'amitié de
l'Impératrice pour le Roi , dont cette note eſt
remplie , le Miniſtre n'a pas héité d'en appeler
encore à d'autres qu'au Roi ſeul : il s'adreſſe à tous
ceux qui ont part à l'adminiftration ainſi qu'à la
Nation même , pour les affurer des fentimens de fa
Souveraine , & de l'intérêt qu'elle prend à leur
tranquillité. La Suède ne la devant plus qu'à ta
gv
(154 )
propre union ,' le Roi n'a pu voir qu'avec la plus
grande ſurpriſe une Déclaration conçue dans ces
termes ,& n'y reconnoît que trop la politique &
les difcours des Prédéceſſeurs de ce Miniſtre , qui ,
pen contens defemer la diviſion parmi les Sujets de
Sa Majesté Suédoiſe , auroient encore voulu oppofer
d'autres autorités au pouvoir légitime , &
ſapper les Loix fondamentales de l'Etat , en appelant
au ſecours de leurs aſſertions , des témoins
que la forme du Gouvernement ne peut reconnoître.
Sa Majesté chercheroit vainement à concilier
les afſurances d'amitié de l'Impératrice de Ruffie
d'un coté , & l'interpellation des Sujets Suédois de
l'autre. Chargé de déclarer les ſentimens de fes
Maîtres , tout Miniſtre ne doit , ne peut les
annoncer qu'au Souverain ſeul auprès de qui il eſt
accrédité : toute autre autorité lui eſt étrangère ;
tout autre témoin lui devient ſuperflu : telle eſt la
loi , tel eſt l'uſage conftant de tous les Cabinets de
l'Europe , & cette règle n'ajamais ceſſé d'être obſervée,
à moinsque,pardes infinuations captieuſes ,
on n'ait pour but , comme autrefois en Suède , de
brouiller les chofes , de tout confondre ,&d'y relever
de nouveau les barrières qui ſéparoient jadis
laNation&le Souverain. Bieffé de cette manière ,
parl'endroitle p'us ſenſible à ſa gloire , & n'apercevant
plus chez le Comte de Razoumowski , le langage
d'un iniſtre chargé, juſqu'à préſent, d'annoncer les
ſentimens amicals de l'Imperatrice ;ne pouvant plus
d'ailleurs ſe figurer que des expreffions auffi contraires
aux loix fondamentales de la Suède, & qui,
en ſéparant le Roi & l'Etat , rendroient tout fujet
coupable, lui ayant été preſcrites , le Roi
aime mieux. les attribuer aux fentimens particuliers
du Miniſt e deRuffie, qu'il a aflez manifeſtés, qu'aux
ordres de fa Cour. Cependant , après ce qui vient
de ſe paſſer , après des Déclarations auffi contraires
( 155 )
au bonheur du Royaume , qu'aux Loix & aux
égards dûs au Roi , Sa Majesté n'eſt plus en état
de reconnoître le Comte de Razoumowski dans la
qualité de Miniſtre ,& ſe voit obligé d'exiger fon
départ de la Suède , en confiant à fon Miniſtre à
la Cour de Ruffie , la réponſe aux autres points
delanote qui vient d'être communiquée. Il n'a pas
fallu moinsqu'une attaque auſſi directe àà lagloire
duRoi de la part du Comte de Razoumowski , pour
ſe réfoudre à demander de ſe ſéparer de quelqu'un
qu'il a honoré de ſa bonté particulière ; mais ſe
voyant à regret réduit à cette néceſſité, Sa Majesté,
par une ſuite de ſon ancienne bienveillance , a
cherché à diminuer ce que le moment avoit de
déſagréable ,par les foins qu'elle vient de prendre
pour le dépat du Comte de Razoumowski , &
par les attentions qu'on aura à l'égard du temps
&de ſa commodité dans le voyage& le trajet de
Saint-Pétersbourg. Sa Majesté voulant que le corps
Diphlomatique fût informé de ce qui vient d'être
expoſé ci- deſſus , le Sénateur Comte d'Oxentiern
a l'honneur d'en faire part par fon ordre,&c.
Stockholm , le 23juin 1788.
Signé , le Comte d'OXENSTIERN.
Le 19, on expédia à Pétersbourg un
Courrier , qu'on affure être porteur de
l'Ultimatum duRoi. Le Baron d'Engeftrom,
envoyé à Varfovie au mois de novembre
dernier, a été nommé par S. M. fon Miniſtre
Plenipotentiaire auprès du Roi& de
la République de Pologne.
ALLEMAGNE.
1
:
De Hambourg , le's Juillet.
-Le Prince Royal de Danemarck eſt ar
:
gvj
( 156 )
rivé à Fridérickſtadt le 19juin,dans l'aprèsmidi
. S. A. R. fut reçue par le Feld-Maréchal
Prince Charles de Heffe & le Prince
Frédéric fon fils . Elle ſe renditbientôt après
au camp , & affifta aux manoeuvres des
troupes. Ces grandes manoeuvres ont eu
lieu les 20, 21 ; & le 24 , S. A. R. eft repartie
pour Friderickshall : les troupes
font rentrées dans leurs garniſons reſpectives.
On calcule de la manière ſuivante la
force reſpective des Marines de Suède , de
Danemarck & de Ruffie . Celle de Suède"
eſt compoſée de 27 vaiſſeaux de ligne ,
dont quelques-uns font très-vieux , 12
frégates , 40 galères , & plufieurs autres
bâtimens armés . Celle de Danemarck confiſte
en 38 vaifſeaux de ligne & 20frégates
; on a conſtruit 21 vaiſſeaux de ligne
depuis 1758 juſqu'en 1787. Enfin celle
de Ruffie eſt compoſée de 33 vaiſſeaux de
ligne & de 18 frégates.
PRUSSE.
De Berlin le 6 Juillet.
,
LeRoi a fait remettre une ſomme d'argent
au Général de Mellendorf, pour être
diftribuée parini les Soldats chargés de
plus de deux enfans .
S. M. a décoré le Miniſtre d'Etat , Ba-
;
( 157 )
ton de Zedliz, du grand Ordre de l'Aigle->
Noir , & Elle a nommé M. de Woelner
Miniſtre Privé d'Etat , & lui a conféré la
direction des affaires eccléſiaſtiques.
Le Profeſſeur Klaproth a publié ici ſa découverte
d'une gravure fur verre &. fur porcelane.
Ce Chimiſte a trouvé dans le fpath foſible un
acide qui , décompoſé , a la propriété d'attaquer
le verre & le vernis de la porcelaine , & de les
faire évaporer. Voici les deux procédés qu'indique
ce ſavant. On couvre d'abord le verre ou la pièce
de porcelaine fur leſquels l'on veut graver , d'une
couche de vernis dont ſe ſervent ordinairement
les Graveurs , ou ſeulement d'une couche de cire ,
fur Jaquelle on defline avec la pointe tels deffins
que l'on juge à propos. On entoure les côtés
dú verte & de la porcelaine d'un bord fait de cire ,
& on verſe enfuite fur la pièce ou la planche der
finée,une eſpèce de vernis , pré aré de parties
égales de poudre de ſpath fufible & d'huile de
variol , que l'on aura foin de bien mélanger . Cette
finie, il faut couvrir laplanche
avec un couvercle , & la laiffer anfi pea lant
Ccpé ation it la pièce ou
quelques heures ſansy toucher. On débarraffera enfuite
la pièce des couches , & on'verra que de
cette manière les deſſins s'y trouveront auffi nertement
imprimés que ceux fur une planche de
cuivre gravée à l'eau forte.-Le ſecond procédé
eſt préférable au premier , parce qu'au lieu de
verſer le vernis de ſpath fuſible & d'huile de vitriol
fur la pièce de verre ou de porcelaine, on
expoſe ſeulement cette pièce à recevoir la vapeur
ou le gaz de ce vernis , & de cette manière les
traits du deſſin deviennent plus fins & plus réguliers
. Voici comment il faut opérer. On dreſſe.
debout 3 ou 4 petits bâtons de bois , de manière
1
(160 )
23 juin, environ 200 Turcs paſsèrent l'Unna ,
entre Czerzin Logas , & mirent le feu à la
Tſchartake du dernier endroit : ils étoient ſur le
point de brûler auſſi le bled; mais un détachement
de Cavalerie&d'Infanterie, accouru à temps,
les a forcés de repaſſer la rivière.-GeBulletin
porte aufli que l'Empereur est toujours à Semlin ,
que l'Archiduc François eft revenu au quartier
général le 28 , & que le Général Soltikof devoit
joindre , le 30juin , le Prince de Cobourg. >>>
La poſition du Grand-Vior entre Sophia
, Niffa & Widin , a entraîné la diſlocation
de notre grande armée. Nous avons
déja parle d'une partie de ces démembremens
, dont le plan eſt plus exatement
détaillé dans la note ſuivante .
1
On laiffe dans les retranchemens de Semlin
22,454 hommes ſous les ordres da Général d'Artillerie
Baron de Rouvroy , & du Feld Maréchal
Lieutenant de Clairfait , & le refte de la-grande
armée de Hongrie eft pamagé de la manière
fujyante. On en détache un Corps de 1.64640
hommes pour renforcer celui que commande en
Eſclavonie le Comte Mitrows is pous parer à une
diverhon que pourroit faire l'ennemi du côté de
Zwornik ; un régiment de Cavalerię le 1200
hommes ira pareillement renforcer l'armée du
Prince Lichtenstein en Croatie. Ua Corps de 27000
hommes pallera dans les environs de Pacfowa ,
où l'on préſume que ſera le quarrier-général ,
par conféquent le Feld-Maréchal Lafey & l'Empereur
; un autre Corps de 21000 hommes campera
près de Vipalanka , fous les ordres du Général
d'Artillerie Baron de Gemmingen ; celui que le
Comte Wartensleben a fous fon commandement
prèsdeMéhana, fer fera renforcé juſqu'à20 20 mille ن
( 161 )
hommes ; & leGénéral Fabris, qui commande en
Tranſylvanie, ſe tiendra près du pas de Tertzbourg
avec une armée de 25,450 hommes , dès que
l'on ſera certain que le Grand-Vifir eſt ſur le
Danube. Ainfi , depuis les frontières de Tranſylvanie
juſqu'en Eſclavonie , il y aura un cordon
d'environ 130 mille hommes. Ce nouveau plan
indique que le reſte de la campagne reiſemblera
à ſes commencemens , fi ce n'eſt peut-être que
la petite guerre ſera plus vive, plus continue ,
plusmeurtrière.
DeFrancfortfur-le-Mein, le 12 Juillet.
Il règne une telle diverſité de rapports
fur les mouvemens préfumés , plutôt que
certains , de la grande armée Ottomane ,
qu'il eſt difficile de débrouiller ce galimatias
des Gazettes , qui, tous les 3 jours ,
font changer de plan au Miniſtre Ottoman.
-Quant aux Ruſſes , à chaque ordinaire
on les fait joindre les Autrichiens,
ou s'en éloigner , aller & revenir , avancer
& reculer , paffer les fleuves &les repaffer,
préparer des fiéges ſans les faire , arriver un
jourà Bender , un autre à Oczakof, un 3e.
à Choczim. Jamais troupe de voltigeurs
n'a été plus fatiguée que ne le font ces
pauvres troupes par les Nouvelliſtes. On
ne peut ſe former aucune idée nette des
opérations , au milieu de ces variations
perpétuelles . Chaque courrier nous apporteunnouveau
plan de campagne.Voici
ledernier qu'on fait circuler àVienne.
(162)
«Les dernières lettres de la grande armée de
>> l'Empereur,diſent que les mouvemens concertés
» entre les deux Cours Impériales tendent aujour-
» d'hui à empêcher le Grand-Vifir de paffer le
» Danube. Les troupes dans le Bannat couvrent
n les côtés occidental & méridional de la Va-
>>lachie; celles dans la Tranſylvanie , au nord de
>>cette province; l'avant-garde de l'armée du
>> Prince de Cobourg touche , d'un côté, aux Corps
» du Général de Rall, &del'autre côté à l'armée
» du Maréchal de Romanzof, qui s'étend le long
>> du Danube juſqu'à Gallas.--Les troupesdans
>> la Transylvanie , aux ordres du Gézéral de
>> Fabris , occupent un camp près de Mira , entre
>> la Valachie & la Mo'davie; l'aile droite eſt
» poſtée en deça de la rivière de Milkow , l'aile
>> gauche entre Afchud& Fockfan ; l'avant-garde,
> touche les frontières de la Valachie. Les
>>troupes légères ſe répandent juſqu'à Ribaik. »
Voilà fans doute un ordre mathématique
; mais depuis qu'il eſt dreſſe , il a deja
ſubi des dérangemens : par exemple , l'aile
gauche du Général Fabris , enTranſylvanie
, a quitté Fockſan & Afchud , pour
retrograder vers le Corps d'armée .
<< On prétend avoir des avis du côté de
Cherſon, qui font mention de l'arrivée de
la flotte ſous les ordres du Capitan-Pacha
devant Oczakof , compoſée de plus de
200 voiles , parmi leſquelles 30 vaiſſeaux
de ligne. L'intention du Capitan Pacha
paroiſſoit être de détruire Cherfon , où il
yauneaffez forte garniſon. Ces lettres parlent
d'une action courageuſe d'un Officier
1
ةيمل
( 163 )
Ruffe , le Capitaine Saken , qui commandoitun
petit bâtiment armé en guerre. Il
ſe vit attaqué , le 31 du mois dernier , par
12 chaloupes , que les Turcs appellent
Irlanguisches: il ſe battit endéſeſpéré;mais
arrivé à l'embouchure du Bog,& ne voyant
plus de moyens d'éviter le fort qui l'attendoit,
les ennemis ſe préparant à l'aborder
en grand nombre , il obligea ſes gens à ſe
jeterdans la chaloupe , pour entrerdans la
rivière à force de rames ,& ayant enfuite
mis le feu à la Sainte-Barbe , il ſe fit fauter,
préférant ce genre de mort à celle que les
Turcs auroient pu lui faire fubir. >>
On écrit de Vienne , que l'Empereury
a envoyé l'ordre de fabriquer 18 millions
de billetsde banque , & de frapper pour
10 millions de creuzers.
Le ſavant&judicieux Profefleur Schloëzer
a publié , dans le dernier n°. de få Correfpondancepolitique,
quelques réflexions bien
frappantes fur les Finances de la Pruffe ,
« Graces au bon ordre , la Pruſſe a de tels
revenus , que , nonobſtant l'entretien d'une armée
très-nombreuſe, dont les troupes ſont ſagement
réparties , elle peut épargner annuellementun certain
nombre de millions. Les paiemens ordinaires
relatifs à l'Etat , étant faits , il reſte encore quelques
millions à la diſpoſition du Souverain ; &
qu'on n'imagine pas que ces épargnes caufent aucun
vided'argent comptant,ou en arrêtent la circulation;
aucontraire, il eſt en ſi grande abondance, quele prix
de tous les immeubles monte extraordinairement
( 164 )
haut , tandis que les intérêts tombent des juſqu'à
4 ou 3 & demi pour cent. A mon avis , cela eſt
dû à l'avantage dela barance du commerce étranger
dont jouit la Proffe. "
" Quant au projet de créer autant de billets
qu'il y a d'argent comptant annuellement mis en
épargne dans le tréſor public , il s'exécute à certans
égards, en ce qu'actuellement preſque toutes
les Provinces , comme la Siléfie , la Marche , la
Pomeranie & les deux Pruffes , ont chacune un
Systéme de crédit porté de 20 à 30 millions enpapier-
monnaie ; ce moyen a conſidérablement augmenté
la repréſentation du numéraire , &affermi
le crédit des Propriétaires de fonds de terre. Nous
ne diffimulerons pas que ceux qui ſe plaiſent à
voir les choſes en noir, craignent qu'à l'époque
d'une guerre , & dans le cas où les intérêts ne
pourroient être payés, il n'en réſulte une banqueroute
conſidérable , & peut - être même totale.
Cet inconvénient éloigné ſe ſtrouve compenfé
d'avance par l'avantage actuel qui réſulte du
ſyſtême adopté. Il paroît fingulier que le papier
gagne ici 5 & juſqu'à 6 pour cent dans les opérations
d'Agio , & qu'on nous envoie une quantité
d'eſpèces étrangères , apparemment pour en tirer
intérêt. >>
« Les aperçus inférés dans les Mémoires de
l'Académie , par M. le Comte de Hertzberg , & qui
ont ſurpris tant d'étrangers , ont tous été rédigés
d'après les tables officielles , & ces tables
d'après les déclarations des Marchands : déclarations
qu'on fait n'être jamais au-delà , mais plutôt
en deçà des exportations &importations réelles. »
( 165 )
GRANDE - BRETAGNE.
De Londres , le 15 Juillet.
Le It de ce mois , à 3 heures après
midi , le Roi s'eſt rendu à la Chambre des
Pairs , où il a prorogé le Parlement , &
prononcé le Diſcours de clôture ſuivant :
« Milords & Meffieurs ,
›› Le période avancé de la ſaiſon , &
>> l'application laborieuſe qu'ont exigé de
>> vous les affaires publiques , me font.
>> juger néceſſaire de terminer la préſente
>> Seffion du Parlement. Je ne le ferai
>> point ſans vous exprimer la fatisfaction
>> avec laquelle j'ai vu l'affiduité & la
>> diligence de vos délibérations , fur les
>> différens objets de l'intérêt national. »
<< Meffieurs de la Chambre des Communes.
>> L'empreſſement & la libéralité que
» vous avez montrés dans l'octroi des
>> fubfides de l'année , exigent mes re-
>> mercimens particuliers. Vous devez
>> éprouver la plus grande fatisfaction d'a-
>> voir ſu pourvoir aux beſoins extraon-
>> dinaires de l'année paffée , indépendam-
» ment des beſoins habituels , ſans aug-
>> menter le fardeau de la Nation , & fans
>> toucher à la ſomme annuelle , appro
( 166 )
» priée à la réduction de la Dette natio-
>> nale. >>
« Milords & Meſſieurs ,
>> Je vois avec chagrin la continuation
>> de la guerre entre la Ruffie & la Porte ,
>> guerre dans laquelle l'Empereur eſt
>> auſſi enveloppé ; mais la ſituation gé-
> nérale du reſte de l'Europe , & les affu-
>> rances pacifiques que je reçois des
>> Cours étrangères , me donnent tout
>> ſujet d'eſpérer que mes Sujets conti-
>> nueront à reffentir les bénédictions de
>> la paix.
>> Les engagemens récens que j'ai con-
>> tractés avec mon digne Frère le Roi de
>> Pruſſe , & avec les Etats-Généraux des
> Provinces-Unies , qui vous ont déja été
>> communiqués , font dirigés vers cet ob-
» jet , que je ne perds jamais de vue. Il
>> en réſultera, j'eſpère , les plus heureuſes
> conféquences pour la ſécurité&la prof-
> périté de mes Etats , comme pour la
>> tranquillité générale de l'Europe.
Après ceDifcours , le Chancelier ſe leva
, & par ordre de S. M. il prorogea le
Parlement au 25 ſeptembre prochain.
Avant la ſéparation , cette Affemblée a
enfin terminé la diſcuſſion du Bill de réglementpour
le tranſport des Negres. Un
premier Bill , comme nous l'avons vu ,
( 167 )
arrêté par la Chambre Baffe , fut modifié
par les Pairs , renvoyé avec ſes médifications
auxCommunes,quilerejetèrent,& en
-préſentèrent unfecond. Celui- ci fut trouvé
incorrect par la Chambre Haute , & encore
renvoyé aux Communes , qui ,le 8 , en
dreſsèrent un troisième corrigé. Enfin , à la
troiſième lecture , les Pairs ont agréé ce
dernier à l'unanimité , & il a reçu la SanctionRoyale.
,
Il y a près d'un an que la rumeur publique
annonça une révolution miniſtérielle
dans le département de l'Amirauté ;
cette rumeur acquit beaucoup de créance
à l'inſtant des débats très-animés qui s'élevèrent
cet hiver au ſujet de la dernière
promotion d'Amiraux. Cette promotion ,
dans laquelle pluſieurs Capitaines eſtimés
furent paffés ſous filence , laiſſoit un vif
mécontentement contre Milord Howe
Président de l'Amirauté. S. S. vient de
réſigner cette place éminente , & par
forme de dédommagement , le Roi l'a
élevé au rang deComte. Il est remplacé
à l'Amirauté par le Comte de Chatham ,
frère aîné de M. Pitt , & ci-devant Capitaine
dans un régiment d'Infanterie. M.
Brett, ſecondCommiſſaire du même Département
, l'a également abandonné :
C'eſt le célèbre Amiral Lord Hood qui lui
ſuccède. On est enclin à ne regarder cet
( 168 )
arrangement que comme provifoire , &
l'on foupçonne que le Marquis de Buckingam
, qui ambitionne la Prefidence de
l'Amirauté , y arrivera inceſſamment , laiffant
la Vice-Royauté d'Irlande au Comte
deChatham.
La loi exigeant de tout homme qui
accepte une place dans l'Adminiſtration ,
qu'il réſigne celle qu'il pourroit occuper
dans les Communes, Lord Hood eft obligé
de ſe ſoumettre à une nouvelle életion
du quartier de Weſtminster , dont il eſt
l'un des Repréſentans. On ſe rappelle
combien, à la dernière Election générale,
cette nomination , dont les Miniſtres vouloient
exclure M. Fox , fut briguée &
débattue : les mêmes brigues vont recommencer.
L'oppoſitiondonne pour concurrent
à Milord Hood, le jeune Lord John
Townshend , fils du Marquis de ce nom ,
foutenu de l'influence des grandes familles.
de Devonshire , deBedford& de Portland.
M. Fox, qui devoit voyager à Genève &
en Suiſſe , & qui reſte en ce moment
ſeul Repréſentant de Westminster , ne s'éloignera
pas , à ce qu'on préſame , fa
préſence étant très-néceſſaire au débat déja
ouvert pour le choix de fon Collègue .
Les libelles contre Lord Hood ont déja
commencé. Les Etrangers qui auroient
peine à croire que l'eſprit de parti pût
s'emporter
( 169 )
s'emporter à outrager un Citoyen eftimable
, un Amiral à qui la Nation doit.:
tant de reconnoiffance , un Membre
du Parlement , digne de toutes fortes
d'égards , doivent ſavoir que dans un
de ces libelles , multipliés par chaque
Papier public , & adreſſés aux Electeurs
de Westminster , à la fuite d'une kyrielle
d'injures , l'Auteur finit en diſant : << Le-
» vez-vous , mmeess fidèles Concitoyens ,&
>> frappons un coup qui décide à jamais
>> des libertés de Westminster. Ne vous
>> dégradez pas juſqu'à réélire Lord Hood.
>> Levez vous , dis - je , on va vous pré-
>> ſenter un Candidat digne de vous ,&
>> un effort vigoureux de 15 jours nous
> affure la victoire. Ne perdez pas une
>> heure , &c. >>
M. Fox fut l'objet des mêmes gentilleſſes
en 1784.
Le Dower ,le Fitz Williams , l'Atlas ,
la Britannia , l'Amiral Barrington , le
Hawke , le Besboroug , le Henri Dundas
&le Marquis de Lansdown , vaiſſeaux de
la Compagnie des Indes , venant, les
de la Chine , les autres du Bengale
la Côte , font entrés dans nos ports
maine dernière .
uns
&de
la fe-
Le Roi eſt parti le 12 pour Cheltenham,
avec la Reine & trois des Princeſſes ſes
Filles . S. M. va boire les eaux minérales
No. 30. 26 Juillet 1788.
だい
د
( 170 )
de ce bourg , diſtant de Londres de 95
milles.
Le Glory , vaiſſeau neuf de 98 canons ,
a été lancé, le 5 , à Plinouth. Ce vaiſſeau
étoit depuis fix ans en conſtruction , &
il doit être mis en ordinaire dans le même
port.
Le Worcester de 64, & le Preston de 50, ayant
été condamnés comme hors d'état de ſervir, ont
été convertis en machines à mâter , le premier à
Deptford , & le ſecond à Woolwich .
Le Suffolk de 74 canons , en ordinaire à Plimouth
, est heureuſement arrivé à Chatam , où il
doit entrer dans le baffin pour y être complettoment
réparé. Ce vaiſſeau a été conftruit à Portfmouth
en 1765 , & fes couples font encore trèsfaines&
très-bonnes ..
Le Sloop le Fairy de 16 canons , actuellement
en réparation à Woolwich , a été mis en commiſſion
à Woolwich , & le commandement en a
été donné au Capitaine Manley.
Voici un état de l'ordinaire de la Ma
rine dans les différens Ports extérieurs , tel
qu'il a été drefflé le premier de ce mois ,
& envoyé au Bureau de l'Amirauté.
APlimouth , 85 vaiſſeaux de ligne , de 50 ,
26 frégates , & 5 corvettes & cutters.in
APortsmouth , 46 vaiſſeaux de ligne , I de 50 ,
29 frégates , & 30 Corvettes.
2995.1
A- Chatham , 36 vaiſſeaux de ligne, 7 de 50
canons , 26 frégates , & 5 corvettes& cutters .
A Scherness , 10 vaiſſeaux de ligne , 2 de 50
canons , 4 frégates , & 7 corvettes.:
AWoolvich, 14 fregates , 3 corvettes & un
Gutter...... 889810161017 14
( 171 )
A Deptford , 18 frégates , fix corvettes & deux
cutters .
Le total eſt de 127 vaiſſeaux de ligne , 11 de
50 canons , 101 frégates , 40 corvettes &4 cutters
.
La diminution dans l'ordinaire de la Marine du
mois dernier , eſt d'un vaiſſeau de ligne & d'un
de 50 , convertis en machine à mater , de 5 frégates
, & de deux corvettes miſes en comm ſſion.
Vaiſſeaux en conſtruction dans les différens chantiers.
A Plimouth,le César de 80: on placeſes bordages.
APortfnouth , Prince de Galles 98 ; on élève ſes
côtes.
A Chatham , Royal- George 110 , ſera lancé en
ſeptembre prochain .
- Queen Charlotte 110 : on place ſes
bordages ; Leviathan prêt à être
lancé.
A Sheerness , Léopard 50.
A Woolwich , Boyne 98 : on place ſes bordages.
Minotaur 74 : on élève ſes côtes .
A Deptford , Windfor- Castle 98 : on place ſes
bordages ; Brunswick 74 : les côtes ſont élevées ;
onplace ſes bordages. Voici l'état exact de tous
les vaiſſeaux en conſtruction , excepté l'Il'ustrious
de 74 , qui eſt preſque achevé à Bucklershard :
il a été donné des ordres de placer de nouvelles
quilles.
Dans le petit nombre des Ouvrages
hiſtoriques de la première claſſe , on a
placé , avec juſtice , les Mémoires de la
Grande-Bretagne & de l'Irlande , par le
Chevalier John Dalrymple. Juſqu'ici
l'Auteur n'avoit publié de cet Ouvrage
que le premier volume , qui embraffe
f h. ij
1
4
( 172 )
:
A
en
lesévènemens compris entre l'année 1681 .
& la bataille dela Hogue , incluſivement.
Non- feulement on y dittingua un talent
du premier ordre , mais encore la nouveauté
& l'importance des faits inconnus
que dévoila l'Auteur. Il prouva ,
tr'autres , par des pièces justificatives irrécufables
, par les dépêches de Barillon ,
Ambaſſadeurde Frarce à Londres , la venalité
des principaux Whigs du Parlement
vers la fin du règne de Charles II , & les
intrigues de ce même Parti à la Cour de
Saint- Germain , pour rétablir le Roi
Jacques qu'il avoit détrôné. S'il étoit néceflaire
de deinontrer de quelles inconféquences
, de quelles injustices , de
quel oubli de toute pudeur & de tout
devoir , les factions font capables , on trouveroit
cette furabondance de preuves dans
l'ouvrage du Chevalier John Dalrymple.
Après un intervalle de bien des années
occafionné probablement par les clameurs...
de l'eſprit de parti & de l'eſprit de famille,
cet Ecrivain Ecoffois vient de publier le
ſecond volume de ſes Mémoires , quis'étend
juſqu'à l'incendie des Galions à
Vigo (1) . On y trouve , comme dans le
(1) Le premier volume in-4°. de cet Ouvrage
furbien traduit, & imprimé à Genève en 1776..
Il ſeroit à ſouhaiter que le même Traducteur, s'oc...
( 173 )
:
5
précédent , ce qu'on cherche ſi vainement
dans la plupart des Hiſtoriens , c'est- à-dire ,
les véritables cauſes des évènemens. Nous
donnerons ici un exemple du pinceau élégant
, ingénieux & fidèle de l'Hiftorien :
c'eſt le morceau où il rapproche la mort
de Jacques Il de celle de fon gendre
Guillaume III.
«Aufſi-tôt qu'à la fin de juin 1701 , le Parlement
eut terminé ſes ſéances , le Roi Guillaume ſe
rendit en Hollande pour faire renaître de ſes
cendres la grande alliance , conformément aux réfolutions
priſes par les deux Chambres , & pour
concerter avec les Généraux étrangers , réunis à
la Haye , le plan de la prochaine campagne.
Quoique ſa ſanté fût dans le dépérifſſement , fes
jambes enfiées , ſa voix auſſi foible que le cri d'une
cigale; quoiqu'affoibli encore par fon afthme ,
maladie d'autant plus infupportable , que chaque
mouvement de la reſpiration redonne à l'asthmatique
le ſentiment de ſes ſouffrances ,& aux fpectateurs
la crainte de le voir expirer ; le Roi ,environné
d'Hommes d'Etat & de Généraux , conſervoit
l'oeil de l'Aigle , cet oeil qui frappa le
Duc de Berwick , lorſqu'il vit Guillaume , pour
la première fois , à la bataille de Landen. L'efprit
del'Aigle reſtoit auſſi au Monarque ; il confioit
å ſes amis ce qu'il cherchoit à cacher au Publiç ,
cupât du ſecond voinme , & qu'un livre de cette
importance ne tombât pas entre les ma'ns de quelqu'un
de ces Execureurs typographiques , dépourvus
de toutes connoiffances ,même de celle de l'Anglois,
& qui étouffent la France de romans &de pame
phlets, indignes d'être lus , même en original .
hiij
(174)
qu'il n'avoir plus que quelques momens à vivre ;
&, perfuadé de cette vérité , il s'efforçoit de profiter
de chacun de ſes derniers inftans .
« A-peu-près dans ce même temps , l'infortuné
Jacques II, couché à Saint-Germain dans fon
litde mort , étoit entouré de Prêtres &de quelques
ferviteurs Ecoflois & Irlandois qui lui reſtèrent
fidèlesjuſqu'àfa fin . LouisXIV, dont les démarches
furent toujours dictées par un mélange étonnant
de politique & de fentiment , & chez qui , tantôt
Pun , tantôt l'autre de ces mobiles prévaloit , fit
une viſite au Roi Jacques dans ce moment. On
ne fait fi la civilité ſeule amenoit le Monarque
François , ou s'il fut conduit à Saint-Germain
par la pitié & par une eſpèce de ſympathie. »
« Lorſque Louis entra , Jacques II , les yeux
fermés , repofoit fur fondos : c'etoit ſa poſition
crdinaire. Il méditoit ait, ſans diſtractions , ſur
les grandes vérités de 1 Religion. Ceux qui
le ſervoient étoient à genoux autour de fon lit.
Le Roi de France le crut mort , & voulut ſe retirer;
mais fur l'annonce qu'on fit au malade de
P'arrivée de Louis XIV Jaces tourna fes yeux
languiffans fur l'appartement , & s'écria , où eft-il ?
Iouis s'approcha du lit ; mais Jurques , déja privé
de laparole, prit la main du Roi ,la ferra des deux
fiennes , la baifa , &y lafſa tomber trois ou quatre
laranes. >>
>> Louis XIV reſta frappé du contraſte de tant
d'infortune avec ſa propre grandeur. Il pleura , &
affura le malheureux Jacques de toute ſa protection
pour fon fils , en lui promettant qu'il le
froit proclamer Roi ,dans le cas d'un événement
qu'il eſpéroit ne pas être fi prochain . Tous les affiftans
ſe profternoient & fondoient en larmes. Cet attendriflement
paſſa juſqu'aux Gardes du Roi ,
juſqu'au Peuple afſemblé devant le Palais. Lorſque
(( 175 )
Louis XIV remonta dufis fa voiture , toutes les
voix s'élevèrente pour le bénir & faire des voeux
en fa faveur , ſans réfléchir qu'il venoit de prendre
le parti le plus dangereux à fon repos & à celui
: defon peuple; mais lui-même ſe trouvoit peut-être
plus heureux dans ce beau mouvement de ſenſibilité
, qu'il ne l'avoit été aux jours éclatans de
ſa gloire. A fon paſſage, il fit appeler l'Officier
qui cominandoit la Garde , & lui ordonna qu'au
moment où Jacques II expireroit , fon fils fût
proclamé Roi de la Grande-Bretagne. Feu de
jours après , le 17 ſeptembre , ce Prince ayant
rendu l'ame , la proclamation ſe fit en effet avec
la pompe des Hérauls, des trompettes , & avec
les autres cérémonies accoutumées. »
1
« Cette nouvelle embraſa l'Angleterre. Ceux
même qui s'interelement a la ivianon de start,
virent , avec indignation , qu'un Roi de France
eût nommé à la Couronne de l'Angleterre , fans
la participation des ſujets de ce Royaume . Delà
les adreſſes préfentées de toutes parts au Trône.
On béniſſoit le Ciel de l'heureuſe révolution qui
avoit mis le Prince d'Orange fur le Trône Britannique
; on juroit foi & hommage à Guillaume
& à la Maifon d'Hannovre ; on follicitoit la guerre
contre la France. Le Roi faifit habilement cette
circonſtance. La Chambre baſſe s'étoit précédemment
oppoſée de toutes ſes forces , au voeu du
Roi , des Min ſtres & de la Chambre Haute ,
d'entrer dans une guerre qu'il étoit dangereux
d'entreprendre avec un Parlement fi diviſe & fi
mécontent. Guillaume convoque , en novembre ,
un nouveau Parlement , & voit triompher ſes
deſſeins. L'Alembée nationale approuve l'al--
liance avec la Hollande , l'Empereur , le Danemarok
&la Suède, confent à lalevéede 40,000
Soldats , de 40,000 Matelots , & exhorte le Roi à
i
1
hiv
( 176 )
1.
2
ne faire la paix avec la France , que lorſqu'on aura
fatisfaction de l'affront reçu à Saint - Germain ;
dégrade un enfant de 12 ans , qui avoit é é proclame
Roi d'Angleterre , & propoſe deux Bills
l'unpour obliger tous ceux qui poſſédoient quelque
charge importante d'abjurer le rejeton de la Maiſon
de Stuard; &le ſecond , pour dégrader ſa mère :
maisles plus généreux d'entre les Pairs s'opposèrent
audernier de ces Bills. »
» Au milieu de ſes projets& deſes négociations ,
Guillaume III fit une chute de cheval près d'Hamptoncourt
& fe démit la clavicule. Son Chirurgien
le fit coucher , & le preſſa de reſter à Hamptoncourt;
mais les affaires publiques le rapeloient à
Kenfirgton ; il yrevint, l'eſprit p'us occupédde
fes) vaſtes penfées que de fon érat & de fa douleur :
le mouvement de la voiture dérances Panmavail
& fa fanté étant d'ailleurs ufée , il mourut peu de
jours après, des ſuites de ce léger accident .
Jusqu'aumomentde fa mort il conſerva ſa pleine
• connoiffance , s'entretint avec tous les Seigneurs
de fa Cour , & fit appeler le Lord Portland (1)
à fon dernier inſtant. N'ayant déja plus l'uſage de
la parole , il-prit la main de ce Seigneur , la ferra
far fon coeur , & expira le huit mars (vieux ſtyle ),
dans la 52°. année de ſon âge. »
>> Les dernières paroles de Charles II furent
L'expreffion d'un homme qui regrette le monde &
* les plaifirs. Faites ouvrir les rideaux , avoit dit ce
*Prince , afin que je voye encore le jour. Mais Guil-
(1) Le Lord Portland étoit de l'illuftre famille
-Hollandsiſe de Bentinck; il avoit fuivi Guillaume
en Angleterre , il ne fut créé Duc qu'en 1716 :
c'eſtdelui que deſcend le Duc dePortlandd'aujour
d'hui. ( Note du Traduct.ur. )
( 177)
Laume mourut avec l'indifférence d'un eſprit maître
de lui-même , qui ſouffre ce qu'il ne peut empêcher.
Je tire vers mafin , furent ſes derniers mots. »
» Cromwel , qui avoit renverſé la Conftitution
Britannique , reçut les honneurs des funérailles
publiques ; Guillaume, qui l'avoit ſauvée, ne les eut
point. On ne fit rien pour honorer la méntoire
de ce Monarque , parce que ſes ſucceſſeurs détapprouvèrent
tout ce qu'il avoit fait , que lePar'ement:
pouſſa la léſine juſqu'à l'excès , & que l'ingrat
public s'attache plus à ceux qui peuvent lui faire
du bien , qu'à celui de qui il en a reçu. »
«Quelquesperſonnes obſervèrent malignement ,
que le înême cheval dont la chute caufa la mort
du Roi , avoit appartenu au malheureux Sir John-
•Fenwick , dont le ſupplice fut généralement blâ
mé ( 2 ) . Mais les hommes généreux & les eſprits
droits rappelèrent qu'on devoit à Guillaume III,
le premier acte de tolérance connu en Angleterre
&imité une ſeule fois depuis , ſous le règne actuel ,
pendant le ministère de Lord North; que ceMonarque
avoit érigé la Banque nationale ; qu'il avoit
donné des ailes au crédit public de ll''Angleterre;
fondé la Compagnie des Indes ; mis fur le Trône
laMaiſond'Haanovre , quoiqu'il fût bien que l'Electrice
Sophie le haïſſoit ; qu'il avoit mépriſé toutes
les injures perſonnelles , pour ne fonger qu'au plus
grand bien de la Patrie , au gouvernement de laquelle
il avoit été appelé; que s'il viola les droits
de la nature , il fauva la Liberté , la Religion Procef
(2) Ce Chevalier , accufé d'avoir conſpiré en
faveur du Roi Jacques , fut jugé & condamné
par Ls Communes , qui , à la pluralité de 182
contre 156 , portèrent contre lui , en 16,6 , un
Bill d'Attainder , en vertu duquel il fut exécuté.
(Note du Traducteur.)
hv
( 178 )
tante , l'Angleterre , la Hollande & une grande
partie de l'Europe ; que des trois Nations libres
qui exiftent fur la terre , la Suiffe , la follande &
laGrande-Bretagne,les deux dernières lui devoi nt
le falut de leur lib rté ; enfin , qui donna à l'Univers
leg and ſpectacle d'une Monarchie , dontde
Monarque tire plus de grandeur & de fûreté de
l'indépendance du Peuple , que les autres Princes
n'en tirentde leurs armées & de leurs trefors .
>> Ajoutons que le dernier Traité qu'il figna ,
fit lafeconde grande alliance. La dernière nomination
qu'il fit d un Ambaſſadeur pour mettre le ſceau
à cette alliance , fut celle du fameux Marlborough ,
dont il connoiſſoit le mérite , mais dont il avoit
les plusjuftes raiſons de plainte. La dernière Charte
qu'il approuva , & que fon fucceffeur figna d'abord
après fa mort, fut celle qui portoit la réunion des
deuxCompagnies des Indes. Le dernier acte du Parlement
auquel il donna ſa ſanction , affara la fucceffion
à la Maiſon d'Hannovre. Le dernier Meffage
qu'il envoya au Parlement , cinq jours avant
ſa mort , étoit deſtiné à lui recommander l'union
entre les deux parties de l'Iſle , union dont dépendoit
la orce de l'Angleterre , & la fûreté contre
les entrepriſes de fes ennemis.Enfin , le dernier difcours
qu'il prononça au Parlement , fut le plus
grand & le plus noble qui foit jamais forti de la
bouche d'aucun Prince. »
< FRANCE.
De Versailles , le 16 Juillet,
Le 13 , Leurs Majestés & la Famille
Royale ont figné le contrat de mariage
du Comte deMontmorency avec demoi((
179))
こ
felle de Luynes ,& cel and 1 Comte Amalric
de Narbonne-Pellet avec demoiselle
de Sérént.
Le rs , la Reine , accompagnée de Madame
Elifabeth de France , a quitte Verfailles
pour aller à fon château de Trianon
, où Sa Majefté paffera environ un
mois . Madame , Fille du Roi , s'y est rendue
le lendemain.
20
De Paris , le 23 Juillet.
Arrêt du Conſeil d'Etat du Roi , du 27
mai 1788 , qui autoriſe provifoirement les
fieurs Intendans & Commiffaires départis
dans les généralités connues ſous la dénomination
de pays d'Election , ou leurs
Subdélégués , à viſer les, contraintes décernées
par les Receveurs particuliers des
finances , pour le recouvrement de la
Taille& des acceſſoires de cette Impo-
Sition .
Autre, du 13 juin 1788 , qui attrib e
aux fieurs Intendans & Commiffaires départis
dans les provinces , les fonctions cidevant
exercees par les Tréſoriers de
France, pour raifon des alignemens , périls
imminens , réfaction & adjudication
de paves dans les villes & autres lieux fitués
dans l'étendue des Justices royales ,
autres néanmoins que la ville & faubourgs
de Paris .
hvj
( 180 )
1
Réglement fait par le Roi , le 30 mai
1788 , concernant la Société Royale d'Agriculture.
Réglement arrêté par le Roi , le 18 mai
1788 , portant établiſſement d'un Directoire
d'adminiſtration , & d'un Conſeil de
Santé pour les Hôpitaux Militaires .
2
vers
Le 13 , à 8 heures & demie du matin ,
on a effuyé ici un orage ,dont la principale
colonne n'a atteint cependant qu'une
partie de la ville & de ſes environs. Depuis
une quinzaine de jours , le vent ſe
foutenoit au fud&fud-oueft: dans la ſoirée
du 12 , il foufla quelques coups de vent
de nord & nord-oueft; le tonnerre ſe fit
entendre , des nuées menaçantes ſe formèrent
à l'ouest , & étincelèrent d'éclairs
continus depuis 8 heures juſqu'à dix. La
nuit fut calme ; mais le lendemain
les 8 heures , l'état du ciel annonça un
orage effrayant; le ventd'oueſt ſoufla avec
impétuofité ; les tonnerres ſuccédèrent :
l'obfcurité étoit profonde ; les nuages , al
ternativement noirs , jaunâtres & blancs ,
rouloient & tourbillonnoient comme à
l'approche d'un ouragan : il s'en échappa
une pluie très-abondante pendant une
heure ,& quelques grains de grêle , ſeulement
dans la partie méridionale de la
ville. Il en tomba beaucoup , en plus
grande quantité & d'une groffeur prodi-
1
( 181 )
gieuſe dans le faubourg St. Antoine. Vincennes
, Montreuil , le Raincy , Montfermeil
, ont été faccagés. L'orage a été non
moins épouvantable , & fes ravages auſſi
affreux dans les parties occidentales de
* la Généralité , qui ſe ſont malheureuſement
trouvées ſous cette colonne meurtrière.
On ne reçoit de tous côtés que
les rapports les plus douloureux ; & l'on
verra , par ceux que nous allons donner ,
quelle étendue de pays a été frappée de
cette calamité.
Sous les yeux de Sa Majesté & de Monfieur ,
fon Frère , cet horrible ouragan a fait de funeſtes
ravages à Rambouillet. On affure que le toit entier
du commun de ce château a été emporté ;
de très-gros arbres ont été briſés ,& les fenêtres
fracaſſées. Le même nuage avoir , à huit heures &
demie du matin , entièrement dévaſté quatre à
cinq lieues de pays , entre la forêt de St. Germain
& celle de Marly. La terre de Chambourci ,
qui ſe trouve au milieu de cet eſpace , a perdu ,
en huit minutes de temps , toute eſpèce de récolte
de l'année ; & pour pluſieurs autres , l'eſpérance
du produit des arbres fruitiers , qui font une
partie du revenu de ſes habitans. Ce n'étoit pas
une grêle , c'étoit un déluge d'énormes glaçons
durs comme le diamant , & dont les plus gros
(ce qui ne s'eſt preſque jamais vu ) étoient
tellement élastiques , qu'ils bondifſſoient ſur la
terre , & portoient quatre ou cing coups meurtriers
à tout ce qu'ils rencontroient. On en a
peſé , à Chambourci , quelques-uns qui étoient
du poids de dix livres , & il s'en eſt trouvé un
à Fourqueux qui en peſoit huit. Leurs formes
( 182)
inciſives ont coupé, abattu les tiges les plus fortes ;
&une forêt de châtaigniers qui eſt au-deſſus de
ces villages , au midi , ne préſente plus que le
ſpectacle d'un pays où l'ennemi a paffé. Moiffon ,
luzernes , fruits , légumes , arbres fruitiers , tout
eft enterré , abimé , déraciné ; les toits ont été
découverts , les vitres briſées ; les vaches & les
moutons ont été tués ou bleſſés , & plufieurs
habitans, hommes & femmes , ont reçu de dangereuſes
contufions. On n'a point encore pu
évaluer ces horribles d'faftres; mais on ne pent
trop tôt les mettre fous, les yeux de l'adminiſtration
bienfaifante, qui s'empreſſera, fans doute, de venir
au fecours de tant de malheureux .
ASartrouville , le 14 Juillet 1788 , distant de Paris
de trois lieues.
« On nous écrit de Sartrouville , que l'orage y
a détruit toutes les récoltes . »
a
« A huit heures & demie du matin , la colonne
de grèle qui croiſſoit depuis environ une heure
aſſailli ce diſtrict d'un déluge incroyable de gla .
çons , dont les moindres étoient gros comme des
oeufs , & d'autres de fix & huit livres ; en un inftant
la campagne a été couverte de glace : les
grains coupés & battus font totalement perdus ;
les vignes abfolument dépouillées de leurs feuilles
&de leurs fruits ; & il ne reſte aux malheureux
habitans , après l'eſpoir d'une récolte abondante ,
méritée par leurs travaux , leurs avances & leurs
foin , que la perſpective de la plus affligeante mifère
De 450 feux dont cette Paroiffe est compoſée
, à peine cent fort-ils en état de réſiſter à cette
catastrophe: il en reſte donc 350 qui n'ont d'eſpérance
que dans la charité de ceux qui voudront
bien les ſecourir. »
2
( 183 )
On nous mande , dans une lettre de
Montdidier , en date du 14:
« Nous ſommes ici dans la plus grande conſternation
: hier 13 , rous avons efluyé une tempête
, dont il n'y a pas mémoire d'honime. Vers
les fix heures du matin , le tonnerre gronda au loin ,
les éclairs ſe ſuccédèrent rapidement , & le ciel fut
en feu. A neuf heures , un vent impétueux du
midi& du fud- ouest nous a amené une pluie abondante,
accompagnée de grête d'une groſſeur extraordinaire
: il s'en est trouvé des morceaux qui pefoient
juſqu'à deux livres & demie ; en moins
d'une heure les vitres ont été brifées , il re reſta
pas un ſeul carreau à la grande partie des croifées
: tous les toits des malons expolées au vert
ont été entevés , & les cheminé s renverſés ;
&après l'orage , le pavé étoit couvert de décombres
des toits & des cheminées Tous les arbres
de la promenade du Prieuré ont été caffés ; un
des plus forts , ayant 51 pouces de circos f rence ,
a été déraciné & renversé par terre. Les bâtimens
neufs de cette maiſon ont été aufli très- maltraités .
Ap ès l'orage terminé , d'après une viſite faite ,
Meffieurs les Officiers Vunicipaux ont fait fermer
les portes de ceste Eglife , où il n'eft p'us poilible
decélébrer 'office divin ;les Moines out commencé
dès le même jour à faireleur office à 'Hôtel Dieu .
Les Eglifes de S. Pie re & das Capucins ont auffli
fouffert confidérab ement. Nous n'avons eu dans
nos Faro'ffes que des Mettes baſſes , à onze heures
&deme , pour nous tenir li u de Grand'Meſſe.
Tous les bâtimens, depuis le Prieuré jusqu'à la porte
Paris , faifat face au Ménil-Saint- George , font
abymés ; l'Auditoire est très endommagé : la
grêe & les tuiles de la maiſon de Hardoin Tailleur
, ont brifé les vitres de notre maiſon ; le toit.
a été enlevé par le vent: ily a pour plus de 60
( 184 )
mille livres de réparations à faire aux bâtimens de
laVille, fans y comprendre le dommage de l'Egliſe
du Prieuré , & la perte entière de la récolte
qui éroit prête à ſe faire , & qui a été maſfacrée
par la grêle. Les Laboureurs , les Vignerons &
les Jardiniers font dans la plus grande déſolation:
toutes récoltes en tous genres ſont entièrement
perdues , de manière que nous voilà fans
aucuns légumes d'après cet orage. Il y a eu des
débordemes d'eau conſidérable ; il y en avoit
quatre pieds de hauteur au milieu de la Ville :
toutes les prairies & les jardins le long de la rivière
ſont encore fubmergés. Nous ne ſommes
-malheureuſement pas les ſeuls qui ont fouffert de
cetorage: il a commencé àRantigny, entre Clermont
& Creil , & s'eſt étendu , dit-on , juſqu'à
Corbie& Péronne ; les Villages les plus maltraités
de nos environs font Royaucourt : l'Egliſe eſt
maſſacrée , le clocher renverſé , plufieurs maiſons
également renverſées : le Ménil Saint - George ,
Cratibus , Daveubcourt ſont grêlés totalement ,
les payſans reſtent ſans récolte. Les moulias du
Petit Crêve-coeur, Ménil Saint-George , Haugeſt ,
&le comble de celui de Figuère ont été détruits ,
une infinité de granges des fermes des environs
ont été culbutées ,&l'on affure que près de
80Villages ont fouffert de cet orage affreux. Il s'eft
étendu fur environ 13 lieues de longueur , mais
très peu de largeur , puiſqu'il n'y a rien ni à Cautigny
ni à Pienne , qui ne font l'un & l'autre qu'à
cinq quarts de lieue de Montdidier. »
Le même otage s'eſt prolongé au-delà
de l'Iſle de-France & de la Picardie , comme
on jugera par la lettre fuivante de
Douay.
« La ville de Douay a efſuyé , le 13 de ce
( 185 )
८
mois, vers onze heure du matin ,un orage affreux,
qui a cauſé un dégat immenſe. La grêle a caffé
toutes les vitres de la ville qui ſe trouvoient
expoſées au midi. Dans les égliſes , le ſervice divin
a été interrompu. Cette grêle a été précédée
d'un tonnerrecontinuel, qui a roulé fans cefle pendantungrosquart
d'heure ; enſuite le ciel s'eft obfcurci
,& eft devenu , non pas noir, mais d'un jaune
verdâtre; pluſieurs perſonnes ont pris des Junkières .
Lesvieil'ards neſe ſouviennentpas d'un pareilorage.
Notre perte n'eſt rien en comparaiſon des dommages
caufés dans plus de cent villages des environs.
Les récoltes preſqu'entièrement perdues , ne
ſont plus que du fumier ſur la campagne. L'ouragan
a été fi fort dans certains endroits , qu'il'a
renverſé des granges , des maisons , des moulins
&une quantité immenſe d'arbres des plus forts .
Les légumes&les fruits font entièrement dévaſtés.
La grêle a duré pendant douze minutes : on a vu
desglaçonsqui peſoient juſqu'à une livre&demie.»
J
1
« Le 24 janvier dernier , le navire le
Franc-Maçon , du Havre , comme par
le Capinine Legran erant mouillé dans
la rivière duGabon , les Noirs formant fa
cargaiſon , ſe ſont révoltés ,& ont affommé
le Capitaine avec trois ou quatre
hommes de l'équipage. Le reſte s'eſt ſauvé
dans la chaloupe du navire l'Abracadabra ,
que le Capitaine Plet avoit envoyée à leur
fecours , après avoir fait des efforts inutiles
pour dompter les Noirs . Ces derniers
ont coupé les cables du navire , qui a été
s'échouer à quatre lieues de diſtance. Les
habitans du pays s'en font emparés , ainſi
que des marchandises. Quatre hommes
( 186 )
de l'équipage , reſtes malades dans leurs
hamacs , ont été épargnés , & fe fontdepuis
rendus à bord de l'Abracadabra. De
ce nombre étoit le Chirurgien , mort de
ſes bleffures trois jours après .-LesNoirs
ſauvés du Franc-Magon ont été vendus
aux Anglois. ( Courrier mar time.)
« La province du Comtat Venaiſſin ,
>> reconnoiffant la néceſſité de réformer
>> la procédure qui y eſt en ufage , & qui
>> rend les procès interminables , propoſa
» en 1787 deux prix , confiftant, l'un en
>>> une médaille d'or de la valeur de 600 1 .
» & l'autre d'une médaille d'or de la va-
>> leur de 300 liv. pour les meilleurs mé-
>>> moires qui lui feroient préſentés ſur la
>> manière de remédier aux vices de fes
formes judiciaires. Dans l'aſſemblée des
>> trois Etats de la province, tenue cette
>> année , le prix de 600 1. a été adjugé
» à un mémoire , dont l'auteur eft M.
" Bernardi , Lieutenant général au fiége
>>> du Comté de Sault en Provence , connu
>> déja par pluſieurs ouvrages de ce genre
>> très eftimables , entr'autres par un dif-
>> cours fur les loix criminelles , couronné
>> par l'Académie de Châlons-fur- Marne ,
>> en 1780 , & dont il va paroître une
>> nouvelle édition , par un effai profond
>> fur les révolutions du droit françois, pu-
>> blié à Paris en 1785 , & par des lettres
(187 )
>> ſur la procédure criminelle de la France.
>> Le ſecond prix a été adjugé à un mé-
>> moire tot l'auteur est M. Raphel ,
>> Avocat de la ville de Carpentras , dans
>>> le Comtat Venaiffin. On a fait une
>>> mention honorable d'un troiſième mé-
> moire dont l'auteur eſt inconnu. >>
PAYS - BAS .
6
De Bruxelles , le 19 Juillet 1788 .
Le Traité provifoire d'Alliance entre les
Cours de Londres & de Berlin , confifte.
en ſept articles , dont voici la teneur ,
ainſi que te préambule.
a L. M. le Roi de Pruſſe & de la Grande-
Bretagne défirant d'augmenter & de conſolider
l'union & l'amitié qui fubfiftent fi heureuſement
entre elles , & de concerter les mesures les plus
propres pour affurer leurs intérêts mutuels , elles
ont réfolu de renouveler & de refferrer ces liens
par un traité d'alliance défenſive , & elles ont
autorisé pour cet effet , S. M. le Roi de Prufſſe ,
le fieur Philippe- Charles d'Alvensleben , Chambel-
Jan, Chevalier de f'ordre de Saint-Jean de Jérufalem
, envoyé-extraordinaire de S. M. auprès
Ade L. H. les Etats-Généraux des Provinces-
Unies; & S. M. le Roi de la Grande-Bretagne ,
le fieur Jacques Harris , Conſeiller privé , Chevalier
de l'ordre du Bain , membre du Parlement
de la Grande-Bretagne , Ambaſſadeur extraordinaire
& plénipotentiaire de S. M. auprès de
L. H. P. les Etats-Généraux des Provinces- Unies :
leſquels, après s'être communiqué réciproquement
leurs pleins pouvoirs , ſont convenus des articles
ſuivars: »
( 188 )
«Art. I. Il y aura une amitié conſtante & fincère
, & une harmonie & union intime & parfaite
entre leſdits ſéréniffimes Rois , leurs héri-
<tiers& fucceſſeurs , leurs Royaumes , Etats & Sujets
reſpectifs ; & ils emploieront tant leur plus
grande attention, que tous les moyens que la
providence leur a confiés , pour maintenir cette
liaiſon&correſpondance d'amitié étroite ,&pour
avancer leurs intérêts communs , pour ſe défendre
mutuellement , en conformité du traité d'alliance
conclu entre la Pruſſe & l'Angleterre , à Weftminſter
, le 18 novembre 1742 , en y rendant les
ſtipulations conformes aux circonstances del'Europe.
८
« II. Les hautes parties contractantes s'engagent
particulièrement , & promettent d'agir en tout
temps , de concert& en mutuelle fiance , dans
le but de maintenir la sûreté , l'indépendance &
le gouvernement de la République des Provinces-
Unies, conformément aux engagemens qu'elles
viennent de contracter avec ladite République ,
c'eſû-à- dire , S. M. Prufſſienne , par untraité conclu
àDedin,le 15 avril 1788 , & S. M. Britannique
par un traité conclu le même jour à la Haye ,
que leſdites hautes parties contractantes ſe ſont
communiqués l'une à l'autre. »
>> III. Au cas qu'il vînt à arriver dans une
occaſion quelconque , qu'en vertu des ſtipulations
deſdits traités , les hautes parties contractantes ſe
viſſent obligées d'augmenter les ſecours à donner
aux Etats-Généraux ,au-delà des nombres ſpécifiés
dans leſdits traités , ou de les aider de toutes
leurs forces , leſdites hautes parties contractantes
ſe concerteront eaſemble ſur ce qui peut être
néceſſaire relativement à l'emploi de leurs for es
reſpectives , pour la fûreté & la défenſe de ladite
République. <<<
IV. Au cas que l'une ou l'autre deſditeshautes
( 189 )
parties contractantes vint en aucun temps futur à
être attaquée , molestée ou inquiétée dans quelques-
uns de ſes Etats , droits , poffeffions ou intérêts
, par quelque autre puiſſance , en conféquence
d'aucun des articles ou ſtipulations renfermés
dans leſdits traités , ou des meſures à
prendre par leſdites parties contractantes , reſpectivement
en vertu de cela , l'autre partie contrac
tante s'engage de la fecourir &del'affifter contre
une telle attaque,; &leſdites parties contractantes ,
dans tous les cas ſemblables , promettent de ſe
maintenir & garantir l'une & l'autre dans la poſ.
ſeſſion de tous les Etats , villes & places qui
leur appartenoient reſpectivement avant le commencement
de telles hostilités. »
« V. Les fecours mentionnés dans l'article pré--
cédent, conſiſteront en 16 mille hommes d'in
fanterie , & 4 mille de cavalerie, qui feront fournis
dans d'eſpace de deux mois après la réquisition
faite par la partie attaquée , & reſteront à fa dif
poſition durant la guerre, pour être employés fur
le continent de l'Europe , de telle manière que
la partie requérante le jugera à propos ; ils ſeront
auffi payés & maintenus par la puiſſance qui les
fournit; mais la partie requérante fournira aux
troupes de la partie requife , quand elles ferontdans
ſes Etats,le grain& le fourrage néceſſaires ,
fur le pied uſité dans ſes propres troupes. »
« VI. Au cas que les ſecours ſtipulés ne feroient
pas fuffifans pour la défenſe de la puiſſance requérante
, l'autre puiſſance les augmentera ſuivant
lanécetřité du cas ,& l'aidera de toutes ſes forces ,
ſi les circonstances l'exigent: » .
C
T
VII. Le préſent traité proviſionnel ſerá ratifré e
de part& d'autre , & l'échange des ratifications
ſe feradans fix ſemaines, ou plustôt, fifaire ſepentem
<< Fait à Loo en Gueldre , le 13 juin1988
(Signé) PHILIPPE CHARLES D'ALVENSLEBEN.
JAMES HARRIS .
( 190 )
Extrait d'une lettre de Paris, du 15 juillet .
« Une des machines à filer le coton , inventées
par M. de Barneville , & dont nous avons parlé
dans le temps , vient d'être placée à Rouen. Le
ſecours de cent mille écus , accordé par le
Gouvernement aux manufactures de la Normandie
, concourt , avec cette manipulation ſimple &
vraiment utile , à redonner une grande activité
aux fabriques de cette province. >»
« Les Actionnaires de la Caiffe d'Efcompte ont
tenu une aſſembléegén. le8 de ce mois, dans laquelle
on leur a préſenté l'état de ſituation du ſémeſtre
expiré ; il en réſulte que les fommes efcomptées
s'élèvent à 262.933,187 liv, 18 fols 11 den ., ce qui
aproduit un bénéfice de ... 2,440,3741. 181.9 d.
Intérêtsde 70millions verſés
auTréſor royal ........ 1,750,000 " "
Bénéfice dudernier ſemeſtre
pour eſcompte duportefeuille
au 31 décembre .. 551,184 5 "
TOTALdesbénéfices .4,741,5591. 36. 9d.
.....
Dépenſes générales pendant
leſemeſtre .
Efcompteduporte-feuilleau
30juin
147,7391.18 f. 1d.
568,795 14 3
TOTAL ....... 716,535 12
Bénéfice à répartir ...... 4,025,023 11
25000 Dividendes ....... 4,000,000
Il reſte en fraction à reporter
4
5
аз "
au prochain ſemeſtre .... 25,0231.11f. 5d.
( 191 )
Sur les avis qu'on a reçus à Pétersbourg
des armémens de Suède , la Ruffie ſe prépare
à lui faire face. Le Comte de Razonmowski
, Gen. Major, eſt parti, le 20 juin,
pour Fridériesham , & fera aux ordres du
Général Michelfon , qui commandera à
Vilmanſtrand un Corpsde 22000 hommes,
dès qu'on pourra le raffembler.
Le Comte de Poufchkin , Vice-Préfident
au Collège de la guerre , ayant fous fes
ordres le Comte d'Anhalt, Lieutenant-général
, commandera , près de Revel , un
Corps d'armée plus conſidérable , qui doit
être porté à 30,000hommes . On croit que
le Grand-Duc ſera de cette armée.
P. S. Le Bulletin de Vienne , du 9 Jullet,
rend compte de diverſes actions entre
les troupes de l'Empereur & les Turcs
juſqu'au 28 juin. La plus conſidérable eſt
celle que mande le Général de Fabris ,
dans ſa dépêche datée d'Hermanſtadt , le
25 Juin : il rapporte que le 19, le Colonel
Horwarth allant avec ſa troupe de
Pétruskan vers Adſchud, fut attaqué par
un corps ennemi d'environ 3,000 hommes
, qu'il défit & diſperſa après un combat
opiniâtre. L'ennemi a perdu beaucoup
de monde : on attend un rapport plus circonſtancié
de cette affaire .
Six vaiſſeaux de guerre Ruſſes, dont 3
(192 )
de ligne , venant de Cronſtadt, ſont arrivés
, le 5 juillet , près de Dragoë.
Comme le vent étoit très - favorable au
départ du Roi de Suède , on préſume que
ce Prince ſera arrivé le 26 ou le 27 juin ,
avec les troupes , aux côtes de Finlande.
Ona expédié , le 4, de Copenhague un
Courrier pour le Miniſtre du Roi de Danemarck
à Stockholm. -Un cutter a mis à
la voile en diligence pour la mer du nord. -
-Les Matelots de Norwège&de Holſtein
font arrivés à Copenhague.-La Louife-
Augufte , vaiſſeau de ligne de 74 canons ,
eſt allée en rade , à la même date...
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES;
+
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux évènemens de
toutes les Cours ; les Pièces Fugitives nouvelles
en vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions &Décou
vertes dans les Sciences &les Arts ; les Spes
tacles ; les Causes célèbres ; les Académies di
Paris & des Provinces ; la Notice des Édits,
Arrêts;les Avis particuliers , &c.&c.
SAMEDIS JUILLET 1788 .
A PARIS,
AuBureau du Mercure , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins , N° . 18 .
Avec Approbation , & Brevet du Roi.
TABLE
Du mois de Juin 1788 .
1 PIECES IÈCES FUGITIVES. Contes ſages & foux.
ELÉGIE.
Vers.
Bouts-Rimés.
80
Voyage d'Auvergne . 102
3 De la Morale naturelle. 110
Vers à Mile.de Garcins .
La Bravoure Heivétique.
5º Hiftoire abrégée.
97 L'Elève du Plaisir.
49 Bibliothèque Physico Ec. 118
120
123
98 La Vie de Frederic, Baron
Gente. Idein. de Trenck.
150
A Mme. du Boccage.
A Mine. de ***.
99 Dictionnaire de Musique. 166
AM. D...
145 Dela.
146
180
Variétés. 35. 118.
SPECTACLES.
Charades, Enigmes & Logogrip.
5 , 14, 100, 14 148.
NOUVELLES LITTÉR. Académ. Ray. de Musiq. 182-
Theatre de Sophocle.
Suite des Eloges.
Administration .
L'influence de la découverte
de l'Amérique.
Ecninie.
Eloge historique .
:
$ Comédie Françoise. 83 , 130.
22
34Comédie Italienne. 135
17 Annonces &Notices , 47, 88,
67
137 .
74
A Paris , de l'Imprimerie de MOUTARD , rue
des Mathurins, Hôtel de Chuni,
MERCURE
AP
DEFRANCE. 20
M52
1788
July
SAMEDI JUILLET 1788.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A Mile. DE SCHAKOWKOY , le jour
de fa Fête.
O D'AGLA É fidelle image !
Princeſſe enqui l'on voit le brillant aſſemblage
Des plus rares tréſors de l'eſprit & du coeur,
Daignez accepter cette fleur ;
Elle est fraîche , elle eſt nouvelle :
Maisque fon fort du vôtre eſt différent !
Elle ſe fane à chaque inſtant ,
Et chaque inſtant vous rend plus belle.
(Par M. Dayd . )
A2
MERCURE
1
SONETTO ( 1 ).
Sopra la citta di Parigi , fatto dal Signor
Conte PEPOLI , Nobile Veneto,
O nella ruota dell eta presente
In motti , arti , ſaper , piaceri , e Scene
Della faceta , ed ingegnofa Atene
Emula , tu , Lutexia ſeducente ,
:
QUAL.piu ti fei ? giuliva oppur dolente?
Ardita o vile ? al mal piu preſta o al bene ?
Vivace o dotta ? inguiſta alle camene
Oliberal ? loquace od eloquente ?
INCONCEPIBILfei. Simile al mare १
Ogni pregio , e ogni danno in te s'aduna ,
Nè al guardo mai tutto il tuo ſen traſpare,
So che a stupor ti fabbricò fortuna ;
So che infieme a fervir vivi , & a regnares
So che ſei di virtudi e tomba e cuna.
1
(1) M. l'Abbé Boldoni ayant trouvé ce Sonnet digne
des meilleurs Poëtes , a défiré qu'il fût inféré dans le
Mercure de France.
DE FRANCE.
TRADUCTION LIBRE
Du Sonnet précédent.
PARIS, ville célèbre ,, en merveilles féconde,
Qui , d'Athènes rivale , offres ſans ceſſe au Monde
Des vices , des vertus le ſpectacle divers ;
Paris , vaſte abrégé de ce vaſte Univers ,
Me diras-tu quel nom il faut que l'on te donne?
Des talens , des Beaux-Arts la gloire t'environne
L'ignorance les ſuit & marche à leur côté ,
Et le luxe t'habite avec la pauvreté.
Affemblage confus de grandeur , de misère ,
Eh ! qui pourra jamais ſaiſir ton caractère ?
Semblable à l'Océan , tu portes dans ton ſein
Tous les biens , tous les maux que fur le genre
humain
Verſe indifféremment l'aveugle Deſtinée ;
Libre , & des préjugés eſclave infortunée ,
Tableau Couvent terrible & ſouvent gracicux ,
Tu n'as rien qui n'afflige ou n'étonne les yeux.
(Par M. le Ch. de Cubieres. )
1
A 3
MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eſt Maîtreffe ; celui
de l'énigme eſt Gatté; celui du Logogriphe
eft Poulain , où l'on trouve Lion , Loup,
Pain , Pou , Lapon , Nil , Pô.
CHARADE .
EN un jour folennel , jour où l'on doit prier ,
On entend dans les airs retentir mon dernier :
La veille , jour de pénitence ,
De poulets faiſant abſtinence ,
On peut fe contenter de manger mon premier,
Ou bien , ſi l'on veut , mon entier.
( Par M. N. D. de Neuville aux Loges ,
Corr.deLang. Et. de l'Imp. deMonfieur.)
ÉNIGME.
QUEL eſt cet animal ? fa marche eſt fingulière ;
Il va fur quatre pieds lors du ſoleil levant ,
DE FRANC 7
Sur deux à fon midi , fur trois à fon couchant :
Devine , ou de tes jours je finis la carrière.
(ParM. Valant. )
LOGOGRIPHE.
PoOuUR payerune dette , ou faire une largeſſe,
Bien ſouvent à moi l'on s'adreſſe.
Lecteur , en fix pieds au total ,
Je t'offre un vêtement , une fleur , un métal ,
Un mot ſynonyme à fineſſe ; ..
Celle que de ton fils le lien conjugal
Rend digne auffi de ta tendreſſe ;
Un endroit où l'on paffe &repaſſe ſans ceffe;
Amille ſcélérats un inſtrument fatal.
Pour en venir au point final ,
Lecteur , après m'avoir ſi ſouvent dérangée ,
Tranche ma tête , & vois ce féroce animal
En qui Caliſto fut changée
Après qu'elle eut perdu fon honneur virginal .
( Par M. N. D. de Neuville aux Loges. )
A 4
MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
DISCOURS prononcés dans l'Académie
Françoise , le Mercredi 14 Mai 1788 ,
à la réception de M. DE FLORIAN.
A Paris , chez Demonville , Imprimeur-
Libraire de l'Académie Françoise , rue
Christine , aux armes de Dombes.
PEU de Gens de Lettres font parvenus
auſſi jeunes à l'Académie Françoiſe , & y
ſont entrés avec autant d'éclat que M. le
Chevalier de Florian ; peu avoient plus
mérité le choix de l'Académie , & l'ont
mieux juſtifié après l'avoir obtenu ; un talent
aimable & original , un ſtyle toujours doux
& toujours piquant , plein de délicateſſe
& de naturel , d'eſprit & de ſenſibilité,
de grace & de naïveté ; voila ce qu'on
trouve par-tout dans Galatée, dans Eftelle,
& avec plus d'élévation dans Numa ; voilà
ce qu'on retrouve dans tous ces jolis Contes
allégoriques , tant en proſe qu'en vers ,.
qui peignent le caractère , les moeurs , les
abus , les travers , les ridicules des différentes
Nations , & qui par- là joignent l'utilité
de l'Hiſtoire à l'agrément du Conte ;
-
DE FRANCE . 9
dans ces Comédies , où un art fi fin & fi
nouveau ennoblit juſqu'aux objets effentiellement
burleſques , où , ſelon M. Sédaine
, bon Juge fur-tout dans le genre
dramatique , le principal perſonnage qui ,
juſqu'à M. de Florian , n'avoit été connu
que par fa » balourdiſe & par ſes facéties
Bergamaſques , devient ſous ſa plume un
être ſenſible , bon mari , bon père , bon
>>maître , & force preſque l'Auditeur au
>> reſpect par ſes vertus naïves ".
S
Il l'y force fi bien , que le plus grand
Prince , & , ce qui eſt encore plus grand ,
Phomme le plus vertueux ne pourroit
qu'être flatté de lui réſſembler.
Au reſte , il feroit aifé de transformer
un être bouffon en un être ſenſible , de
donner des vertus naïves à un perſonnage
connu , principalement par des vices naïfs ;
il feroit aifé , diſons - nous , d'ennoblir &
d'embellir en dénaturant ; mais c'eſt ce que
P'Auteur n'a ni fait ni voulu faire. En
rendant ce perſonnage attendriſſant & digne
de nos refpects par ſes vertus , il lui a confervé
ſes formes comiques & confacrées ,
fes facéties Bergamasques. Et quelle adreſſe
ne falloit-il pas pour fondre les couleurs
&affortir les nuances de manière que le
contrafte des chofes & du ton n'eût rien
de tranchant ni de bizarre , & qu'on pût à
la fois s'attendrir ſur les ſentimens , & rire
de l'expreffion , fans que l'un de ces plaifirs
nuisît jamais à l'autre , fans que le
As
7
10 MERCURE
même perſonnage ceſsât un momentd'êtr,e
reſpectable & d'être comique ? C'eſt un
art inestimable , & dont le goût ſeul a le
fecret.
>
Ajoutons à ces divers titres deux Prix en
vers , remportés à l'Académie ; un Eloge de
Louis XII , qui l'eût remporté ſans doute, ſi
un plan dramatique , ingénieux & heureux
à quelques égards , imaginé par l'Auteur
outre l'inconvénient , qui n'en eût point
été un , d'offrir une forme inufitée ,n'avoit
eu celui de tenir plus de la diſcuſſion que
de l'éloquence , & de répandre fur l'enſemble
un peu de monotonie , en ramenant
ſouvent dans les détails la même
marche & les mêmes formules .
On voit combien nous ſommes toujours
prêts à ne pas lui épargner la critique , &
que plus il a l'heureux don de ſe faire
aimer & dans ſes écrits & dans ſon commerce
, plus nous nous tenons en garde
contre ces éloges , qu'on est toujours avec
tant de plaiſir forcé de lui donner. Il peut
fe rappeler encore avec quel empreffement,
en rendant compte de ſa charmante
Pastorale d'Eſtelle , nº . ; , nous avons faiſi
l'occafion de lui faire une querelle de
Savant , pour ne pas dire d'Allemand , fur
une opinion qui n'étoit ni ne pouvoit être
la fienne , puiſqu'elle tendoit à profcrire ce
genre de la Paftorale, qu'il a cultivé avectant
de ſuccès ; mais cette opinion il ne l'avoit
pas, felon nous , repouffée avec affez de
DE FRANCE. 11
-
force , fans doute parce que c'eût éré
plaider ſa propre cauſe , & nous lui avons
preſque fait un crime de ce qui n'étoit en
lui que modeſtie & délicateſſe. Ces critiques
au reſte ſont comme les chanſons que
les Soldats Romains faifoient contre le
Triomphateur.
Dans tout ce qui ne paſſe point par
l'épreuve des Sciences , qu'on nomine
exactes ; dans tout ce qui ne peut ni ſe
calculer , ni ſe meſurer, ni ſe peſer , il
reſte toujours un peu d'arbitraire ; on regarde
donc ou on peut regarder les divers
choix de l'Académie comme mêlés de
justice & de grace : le perſonnage du Récipiendaire
eſt d'y voir fur- tout une grace ;
celui du Directeur , eſt d'en montrer la
justice , & de juftifier l'Académie. De là
un fonds général perpétuellement uniforme,
& qui doit être épuiſé depuis long-temps.
L'art de l'Orateur conſiſte à le rajeunir par
de nouveaux motifs & par les circonstan
ces perſonnelles. M. de Florian -tire un
grand parti de ſa jeuneſſe. S'il a peint avec
tranſport fon amour pour les Lettres & le
bonheur qu'il leur doit , s'il parle de lui :
A mon âge , dit- il , on n'a pu étudier
> l'homme que dans for-même . Si, jeune
encore , il fe trouve aſſis au milieu de ceux
qu'il appelle ſes Maîtres:>>>Je perdrois trop ,
>> dit- il , de mon bonheur , en imaginant
» le devoir à moi-même , & mon coeur
>> jouit mieux d'un bienfait , que ma va
A 6
2 MERCURE
1
>> nité ne pourroit jouir d'un triomphe ".
Ici ſa reconnoiſſance ſe tournoit naturellement
vers un Prince ( 1 ) " que foixante
>> ans d'une vie pure & fans tache ont
ود
ود
rendu l'objet de la vénération publique ,
dont le nom , tant de fois béni par le
>> pauvre , n'a jamais été prononcé que
» pour rappeler une bonne action ; qui ,
ور né dans le fein des grandeurs , comblé
>> de tous les dons de la fortune , ignore
» s'il eſt d'autres jouiſſances que celle
» d'être bienfaiſant; celui dont l'aimable
>> modeftie fouffre dans ce moment de
>> m'entendre révéler ſes ſecrets , & qui
>> aura peine à me pardonner la douce
émotion que je vous cauſe : il a daigné
> ſolliciter pour moi : fon rang n'auroit
pas captivé vos ames libres & fières ;
>> mais ſes vertus avoient tout pouvoir fur
• vos coeurs vertueux & fenfibles ".
ود
ور
Elle fut bien douce en effet , bien vive
&bien univerſelle, cette émotion dont
parle l'Orateur , & elle laiſſera un long
ſouvenir. Au reſte , ce qu'il dit ici eſt vrai
fur tous les points , & il n'y a rien à en
rabattre ; l'interceffion du Prince , même
le plus vertueux , n'eût pu faire pencher
(1 ) Son Alteſſe Séréniffime Mgr. le Duc de
Penthièvre préſent à cette Séance , ainſi que LL.
AA. SS. Madame la Duchefſe d'Orléans , les Princes
ſes fils , & Madame la Princeſſe de Lamballe.
DE FRANCE. 13
Ja balance en faveur d'un mérite infuffifant
ou inférieur ; mais qu'il étoit doux , &
qu'il fut heureux pour les Juges de trouver
dans leur équité même un moyen de flatter
le coeur généreux & bienfaifant d'un Prince,
l'objet de l'amour & du reſpect publics !
L'émotion redoubla & parvint à fon
comble , quand on étendit l'Eloge de M.
le Cardinal de Luynes , plein de traits de
bonté , honorables à ſa mémoire , amener
, à la faveur d'une tranſition adroite&
heureuſe , celui de deux Princeſſes , " dont
>> l'une appelée par fon rang & par des
>> devoirs chéris de ſon coeur auprès d'une
>>Reine bienfaiſante , ne veut de crédit
ود que pour être utile , & de faveur que
» pour être aimée; dont l'autre , modèle
>> adoré des filles , des épouſes , des mères ,
>> en vivant toujours pour les autres , rend
>> impoſſible à tout ce qui l'entoure , de
>> vivre autrement que pour elle , n'a
>>jamais cherché que ſa propre eftime ,&
» s'eſt attiré un culte public , s'étonne
> qu'on lui ſache gré de devoirs qui font
ود ſes plaiſirs , & que nous voyons placée
» entre l'exemple & la récompenſe de ſes
>>vertus , ſon père qu'on auroit cru inimi-
>> table fans elle, & ſes enfans qui déjà
>> reſſemblent à leur aïeul ".
A ces mots , quel tranſport univerſel ,
quel applaudiſſement ! comme il s'élança
du fond des coeurs & de tous les coeurs à
la fois ! Quel ſpectacle ! quel hommage
6
14 MERCURE
rendu à la vertu ! Comme tous les yeux
mouillés de larmes de tendreſſe ſe tournoient
vers les objets de ce culte public !
comme tout rappeloit ces vers de Bérénice
fur Titus :
Tous ces yeux qu'on voyoit venir de toutes parts
Confondre ſur lui ſeul leurs avides regards.
Avec quelle fatisfaction , avec quelle joie
pure chacun d'eux a pu dire :
:
Oui , j'ai lu devant toi ,
Dans leurs yeux attendris l'amour qu'ils ont pour
moi .
Ce fiècle , ce pays fera aufli corrompu
qu'on voudra ; mais il aime & il aimera
toujours la vertu : jamais on n'a mieux
juſtifié cette grande vérité , ſi éloquemment
expofée par Greffet :
Voyez à nos Spectacles
Quand on peint quelque trait de candeur , de
bonté,
Où brille en tout fon jour la tendre humanité ,
Tous les coeurs ſont remplis d'une volupté pure ,
Et c'eſt là qu'on entend le cri de la Nature.
>>Nous la voyons placée entre l'exemple
» & la récompenſe de fes vertus , fon père
> & fes enfans ..
Quelles heureuſes paroles,&quel intérêt
DE FRANCE.
elles répandent ſur ces jeunes Princes en
qui la France va contempler les fruits d'une
inſtitution unique , ainſi que l'Inſtituteur !
Grand exemple , qui prouve que les emplois
ſont dus à ceux qui ſavent le mieux
les remplir ; que les diftinctions & les
exceptions font faites pour le mérite; qu'il
faut favoir s'élever au deſſus de l'uſage , &
braver les petites objections , quand il s'agit
de procurer à ſes enfans , à de grands
Princes , le bienfait ſi rare d'une excellente
éducation . Certainement ſi l'honneur d'élever
les Princes de la Maiſon d'Orléans
avoit été mis au concours , il étoit impoffible
qu'il tombât dans des mains plus habiles ;
& pour le prouver , on n'a beſoin que
d'un mot : Voyez les Princes. C'eſt le cas
de dire aſſurement :
Fortes creanturfortibus & bonis ; .....
Nec imbellem feroces
Progenerant aquila columbam.
Mais il faur ajouter auffi :
Doctrinafed vim promovet infitam
Rectique cultus pectora roborant.
Revenons à M. de Florian , dont nous
ne nous ſommes pas trop écartés , & obſervons
l'art délicat qu'il fait toujours employer
juſque dans ſes mouvemens les plus natur
rels. Un Orateur moins adroit auroit cru
bien faire en rapprochant , comme nous
14
1
MERCURE
l'avons fait , de l'éloge du Prince ſon Bienfaiteur
, celui des Princeſſes ſes filles , &
des Princes ſes petits-fils ; & par cette accumulation
peu réfléchie , il en eût affoibli
l'effet . M. de Florian , pour donner à chaque
tableau tout l'effet particulier dont il
eſt fufceptible , en uſe tout autrement ; il
place au commencement de ſon Difcours ,
le remercîment à Monſeigneur le Duc de
Penthièvre , que tout le monde attendoit
d'abord ; mais ne perdant pas de vue ſes
intérêts , & ſe ſouvenant combien il importe
de finir par un trait remarquable , &
de laiſſer une impreſſion profonde, il finit
par l'éloge de Madame la Ducheffe d'Orléans
, qui eſt le complément du premier ,
& après lequel il n'y avoit plus rien à dire.
Sur d'autres points encore , l'Auteur fait
profiter de tout , & même du malheur des
conjonctures. M. de Buffon étoit mort , M.
Geffner venoit de mourir au moment où
M. de Florian venoit d'être élu : tour homme
de Lettres devoit un tribut de regret & de
reſpect à de tels hommes ; M. de Florian
s'empare de leur éloge , & prépare des tortures
à leurs Panégyriſtes futurs : il eſt facheux
, par exemple , pour les ſucceſſeurs ,
qu'on ait dit avant eux , que la vie de M.
de Buffon peut être comptée au nombre
des époques de la Nature ; c'eſt-là ce que
le Métromane appelle , dérober nos neveux.
Quant à l'éloge de M. Geffner , il appartenoit
en propre à M. de Florian. » Le
DE FRANCE. 17
>> bonheur , dit-il , n'eſt jamais fans mé-
>> lange ; j'ai perdu Geffner quand vous
>> m'adoptiez. Les félicitations de mes amis
» ont été troublées par les plaintes dont
>> retentiſſent les monts Helvétiques , par
ور les regrets de tous les coeurs ſenſibles ,
» qui redemandent Geffner à ces plaines ,
» à ces vallons qu'il a dépeints tant de
>> fois, à ce printemps qui renaît ſans lui,
» & qu'il ne chantera plus. Ah ! quoiqu'il
>> ne fût pas François , quoiqu'il ne tînt à
» cette Académie que par ſes talens &
>> par ſes vertus , qu'il me foit permis ,
ود au milieu de vous, de lui offrir mon
>> tribut de reſpect, d'admiration ! Que mes
>> nouveaux Bienfaiteurs me pardonnent la
>> reconnoiffance , & me laiſſent jeter de
>> loin quelques fleurs fur le tombeau de
» mon ami ! fur ce tombeau où la piété
>> filiale , la tendreſſe paternelle , la dif-
>>> crète amitié , l'amour pur & timide ,
>> pleurent enſemble leur Poëte ! Le Chan-
>> tre d'Abel , de Daphnis , le Peintre ai-
>> mable des moeurs antiques , celui dont
ود les Idylles touchantes laiffent toujours
>>> au fond de l'ame ou une tendre mélan-
> colie , ou le déſir de faire une bonne
action , ne peut être étranger pour vous.
En quelque lieu que le haſard les ait
placés, tous les grands talens , tous les
coeurs vertueux ſont frères ; ils reffemblent
à ces fleurs brillantes qui , diſperſées
dans tout l'Univers , ne forment
"
"
ود
33
ود
* pourtant qu'une feule famille " .
a48 MERCURE
M. de Florian donne de juſtes éloges à
plufieurs de ſes nouveaux Confrères ; on a
pu les lui reprocher ; ceux dont le noble métier
eſt d'infulter tous les Ecrivains avoués
de la Nation,& de réſerver la louange pour
ceux fur qui la louange ne sçauroit prendre
, ont pu prononcer que ces éloges n'étoient
pas mérités ( car comment un Académicien
, comment le Secrétaire de l'Académie
feroit-il un bon Ecrivain ? ) Si cet
ufage de donner une marque d'eſtime
diftinguée à ſes amis ou aux plus illuftres
Académiciens en entrant dans l'Académie,
ſi cet uſage que M. de Florian a trouvé
tout établi & n'a fait que ſuivre , avoit
beſoin d'apologie , il en trouveroit ici une
particulière dans le ſentiment qui paroît
animer l'Auteur , dans le ſentiment qu'exprime
ce vers de Zaïre :
Je veux que tous les coeurs foient heureux de ma
joie.
Mais en mettant à part M. de Florian ,
qui ne mérite que des éloges pour tous
ceux qu'il a donnés , & en généraliſant la
queſtion , ne pourroit on pas en effet
trouver quelque inconvénient à cet uſage
des éloges particuliers des Académiciens
vivans ? Ces éloges conviennent- ils bien à
un Corps dont l'eſprit général & le principe
favori eſt l'égalité ? Ne mettent-ils pas
une diſproportion trop marquée entre l'A
DE FRANCE. 19
cadémicien nommé ou déſigné,& l'Académicien
paffé ſous filence ? Ne peuvent- ils
pas même quelquefois induire en erreur
le Public ignorant fur la meſure&la comparaiſon
du mérite des différens Académiciens
? Quand M. de Voltaire , dans fon
Diſcours de réception, a dit : " Le Théatre ,
je l'avoue , » eſt menacé d'une chute pro-
ود
ود
ود
chaine ; mais au moins je vois ici ce
>> génie véritablement tragique , qui m'a
ſervi de maître quand j'ai fait quelques
pas dans la même carrière : je le regarde
>> avec une fatisfaction mélée de douleur ,
comme on voit ſur les débris de ſa
>> patrie un Héros qui l'a défendue « . II
a dit certainement une très - belle choſe;
mais le vieux Crébillon en ce moment ne
devenoit- il pas trop grand en comparaifon
de ſes Confrères ? Ne le devenoit - il pas
plus peut- être que l'Auteur ne le vouloit ?
N'éclipſoit-il pas même un peu trop l'Académie
entière ?
N'eſt- il pas à craindre d'ailleurs qu'avec
le temps l'injuſtice & la partialité ne parviennent
à corrompre ces éloges ? Chaque
Récipiendaire ne donnera-t-il jamais rien
à l'amitié ou à la haine ? Tiendront- ils
tous la balance parfaitement égale entre
ceux qui auront ſecondé leur électron &
ceux qui l'auront contrariée ? N'arriverat-
il jamais que le filence , perfideinent combiné
avec la louange , devienne un inſtrument
de vengeance contre des ennemis ,
20 MERCURE .
1
& foit , à l'égard de ceux-ci , un outrage
& un acte d'hoftilité ? Et quand le Lecteur,
fur la foi de ce filence , conclura , en difant
comme Auguſte dans Cinna :
1
Le reſte në vaut pas l'honneur d'être nommé.
Ou comme Don Diegue , dans le Cid :
Qui n'a pu l'obtenir ne le méritoit pas.
conclura-t-il roujours juſte ?
ہک
1
Concluons donc nous-mêmes que le plus
für ſeroit de ſupprimer tous ces éloges
particuliers , & de s'en tenir à cet éloge
général de l'Académie, que la reconnoiffance
paroît inſpirer au Récipiendaire , & qui
ſemble naître de l'occaſion. Encore le temps
eft-il venu peut-être de ſupprimer juſqu'à
cet éloge général , épuisé par tant de répé
titions. Que le Récipiendaire faſſe l'éloge
de fon Prédéceſſeur , que le Directeur le
regrette au nom de la Compagnie , c'eſt
un hommage légitime à la mémoire des
morts , & d'ailleurs les circonstances perfonnelles
peuvent toujours rendre cet éloge
nouveau; mais pourquoi remettre toujours
, pour ainfi dire , en queſtion la gloire
& la fupériorité de l'Académie dans les
Lettres , en la faiſant toujours établir &
célébrer par une perſonne intérefice , puifqu'elle
fait déjà partie de la Compagnie ?
Quel beſoin d'ailleurs l'Académie a-t-elle
d'être louée ? Qui pourroit blamer Hercule?
DE FRANCE. 21
M. Sédaine , Directeur , fait auſſi dans
ſa réponſe quelques éloges particuliers
mais ils font amenés par la circonſtance :
il cite au Récipiendaire l'exemple de trois
Académiciens , dont deux ſont vivans , &
qui tous trois font entrés jeunes à l'Académie
comme M. de Florian , & qui tous
trois , comme M. de Florian ſe le propoſe
&en a pris l'engagement folennel , ont ,
depuis leur entrée à l'Académie , ajouté de
grands titres aux titres qui les avoient fait
admettre. Il y a beaucoup de convenance
dans le choix de ces exemples , & dans la
manière dont ils ſont préſentés.
M. Sédaine ajoute auffi à l'éloge com.
plet que M. de Florian avoit fait de M. le
Cardinal de Luynes , des anecdotes qui
répandent de l'intérêt ſur la perſonne de
ce Prélat , rendent ſa vieilleſſe vénérable ,
& peignent avec vérité cette éloquence
funple , facile & fans préparation , qui l'a
diftingué dans plus d'une occaſion importante.
Le Directeur rend aufli aux grands Princes
qui l'écoutoient , Thommage que tout
le monde aime à leur rendre , & dont
chaque Académicien lui envioit dans ſon
coeur l'heureuſe occaſion .
-.. Nous voudrions pouvoir entretenir nos
Lecteurs des jolies Fables par leſquellesM.
de Florian , jaloux de juſtifier de plus en
plus le choix de l'Académie , a terminé
cette Séance ; elles ont paru à tout l'Au
22 MERCURE
ditoire pleines d'efprit , de gaîté , de grace;
de fineffe , & de ſimplicité.
:
FÉNÉLON, Poëme ; parM. MARCHANT.
Je chante Fénélon , c'eſt chanter la vertu.
A Paris, de l'Imprimerie de MONSIEUR ;
& se trouve chez Royez , Lib . , quai des
Augustins , à la defcente du Pont-Neuf.
CET Opufcule eſt le début d'un jeune
homme. Le titre de ce Poëme infpire ce
double intérêt que l'on doit à l'union des
talens ſans vanité & de la vertu ſans faſte ;
& l'âge de l'Auteur ſollicite l'indulgence.
Confacrer à Fénélon le premier eſſai de
ſa plume , c'eſt annoncer qu'on n'ambitionne
la gloire des talens que pour honorer
les bonnes moeurs , les Lettres humaines
, la Religion fans fanatiſme. Cet encens
qu'exhale une ame encore neuve ,
toucheroit ſans doute celle du Prélat fi
recommandable auquel il eſt offert , s'il
pouvoit monter au ciel & s'élever juſqu'à
elle. Choififfons, pour encourager M. Marchant,
les meilleurs endroits de ſa Pièce.
Toi qui ſus allier , en dépit de l'Envie ,
AuxdevoirsduChrétien les travaux du génie ,
DE FRANCE. 23
Fénélon , c'eſt à toi que s'adreſſent mes chants.
Viens d'un ſouffle divin échauffer mes accens.
Mille autres ont chanté les Tyrans de la Terie ,
Les Conquérans fameux, les crimes & la guerre 5
Je chante Fénélon, c'eſt chanter la vertu.
La cendre d'un grand Homme enfante les talens.
Après avoir fait allufion à quelques traits
de cette vertu ſimple & indulgente dont
l'Archevêque de Cambrai étoit l'Apôtre &
le modèle , M. Marchant parle du Télémaque
.
Chef-d'oeuvres immortels de Virgile & d'Horace ,
Qui planiez, fans rivaux, au ſommet du Parnaffe ,
Quittez le premier rang. Le Télémaque en main ,
Fénélon vient jouir d'un triomphe certain,
On ne citeroit point ces vers , qui ne
ſont pas bons , s'ils ne renfermoient une héréſie
littéraire qu'il n'eſt plus permis de
répéter , & que le Panégyriſte de Fénélon
lui - même a fi bien réfutée. » Cet amour
» qu'il inſpire à ſes Lecteurs , n'a-t-il pas
un peu égaré ceux qui ont voulu regar-
*" der le Télémaque comme un Poëme
" épique ? C'eſt dans l'Eloge même de
>> Fenelon , c'eſt en invoquant ce nom
>> cher & vénérable qui rappelle les prin-
» cipes de la vérité & du goût , qu'il faut
24 MERCURE
هد
>> repouſſer une erreur que ſans doute il
condamneroit lui-même. Ne confondons
» point les limites des Arts , & reflouve-
>> nons-nous que la Proſe n'eſt jamais la
>> langue du Poëte. Il ſuffit , pour la gloire
ود de Fénélon , qu'elle puiſſe être celle du
» génie " . Eloge de Fénélon, par M. de la
Harpe.
Les vers où M. Marchant rappelle la
mort du Duc de Bourgogne , que le refpectable
Prélat avoit formé aux vertus &
à la ſcience du Gouvernement , ont quelque
par rapport à ceux de la Henriade ſur
le même ſujet, & il n'eſt pas étonnant qu'ils
ne foient pas auffi beaux.
Du fond de ſa retraite , il voyoit à la Cour
Un Prince, des François & la gloire & l'amour ,
Digne, par fon grand coeur, du plus beau diadême ,
N'aſpirer en ſecret à la grandeur ſuprême
Que pour finir les maux d'un peuple malheureux.
Du ſage Fénélon , difciple généreux ,
Prince & ſujet fidèle , il faiſoit à la France
D'un ſiècle de bonheur entrevoir l'eſpérance.
Il devoit rappeler les beaux jours de Titus ,
Et ſon règne eût été le règne des vertus.
Mais , ô cruel deſtin d'un Prince trop aimable !
Sous les coups redoublés de la Mort implacable,
Iltombe , &de ſon peuple emportant les regrets ,
Il mérite le nom de Père des François.
Fénélon,
DE
25
FRANCE.
Fénélon , fi la Parque a détruit ton ouvrage ,
Si tu nous as flattés d'une trop vaine image ,
Quand tu nous promettois un règne fortuné ,
Ce n'étoit qu'à Louis qu'il étoit deftiné.
En voyant les bienfaits qu'il ſe plaît à répandre ,
On le croit ten Elève , & l'on doit s'y méprendre.
Le Jura libre enfin , fait voir à l'Univers
Lesglorieux débris de ſes antiques fers .
Nos vaifſeaux reſpectés ſur les plaines de l'onde ,
Semblent donner des Loix à l'un & l'autre Monde.
L'Inde applaudit encore aux lauriers de Suffren ;
D'Estaing & Rochambeau, la Fayette & Guichen ,
Arrachent l'Amérique au joug de l'Angleterre ,
Dont le François vainqueur éteignit le tonnerre :
Cherbourg, en un moment , forti du ſein des eaux ,
Rend l'Europe attentive à ſes hardis travaux.
Ce Poëme annonce le germe d'un talent
foible encore , mais qui n'eſt pas infecté
de mauvais goût. L'âge & le travail
apprendront à l'Auteur l'art d'approfondir
ſes idées & ſes ſentimens , & de donner
à ſon ſtyle l'empreinte d'une plume plus
exercée.
(Cet Article estde M.de Saint-Ange.)
Nº . 27. 5 Juillet 1788,
26 MERCURE
DISCOURS fur l'Economie , ou l'Eloge
de la Simplicité , prononcé dans une
Séance publique de l'Académie de Dijon,
le 28 Novembre 1787 , par M. le Comte
DE LA TOURAILLES , en présence de Son
Alteſſe Séréniſſime Mgr.le Prince DE
CONDÉ. A Dijon, chez L. N. Frantin ,
Imprimeur du Roi ; & fe trouve à Paris,
chez les Marchands de Nouveautés.
DANS l'Encyclopédie , obſerve M. le
Comte de la Tourailles , il eſt queſtion de
trois genres d'Economie , qui , malgré leur
différence , dérivent à peu près du même
principe de ſageſſe. La première appartient
au régime des Gouvernemens : c'eſt elle
qui decide de leur deſtinée , & qui vient
au ſecours des maux civils , inféparables de
toutes les inftitutions humaines . On a écrit
des volumes innombrables fur cette Economie
appelée Politique depuis une vingtaine
d'années ; mais ce n'eſt point de cellelà
dont il eſt ici queſtion. Il ne s'agit point
non plus de ce qu'on doit penfer des Livres
des Economiſtes, de ces Livres ſi eſtimés &
fi mépriſés , fi loués & fi décriés; fi utiles
à la gloire & à la profpérité des Etats ,
diſent les uns ; ſi inutiles & même ſi perpicieux
, affirment les autres , foit par par en
DE FRANCE. 27
rêtement dans leurs idées , ſoit par cette
indifférence pour le bien public , le premier
obſtacle à tout ce qui pourroit le favorifer.
Cette matière paroît ſi délicate à
M. le Comte de la Tourailles , & fi fouvent
couverte d'un voile infidieux , que
le Philofophe , dit-il , peut en gémir en
filence , fans ofer s'en plaindre en public.
On peut à cet égard lui appliquer ces vers
de Voltaire :
Je n'en dirai pas plus ſur ces points délicats.
Le Ciel ne m'a point fait pour régir les Etats ,
Pour conſeiller les Rois , pour enfeigner les Sages.
La ſeconde , appelée Rurale , a pour objet
la culture de la terre & les dentées que
l'on en récolte. Mais fi d'un côté l'Agriculture
ne peut que gagner aux travaux des Savans,
fi , comme l'obſerve M. l'Abbé de Lille
dans ſon excellent Difcours préliminaire
fur les Géorgiques , par leur fecours , elle
fortira inſenſiblement des ſentiers étroits
que lui a tracés la routine , & des ténèbres
où la retient un inſtinct aveugle ; de Fautre
on eſt preſque forcé de convenir, felon M.
le Comte de la Tourailles , que le Paysan
cultivateur en fait autant par la propre expérience
, que tous les Académiciens agricoles
par leur théorie.
こ
La troiſième enfin appartient plus parriculièrement
à toutes les claffes de la So-
B 2
28 MERCURE
ciété. C'eſt de cette Economie domeſtique,
& de la ſimplicité morale qui en eſt le
ſoutien , qu'il eſt queſtion dans ce Difcours .
Cette matière étoit digne d'être difcutée
dans un temps où le Luxe , père de tant
de beſoins , de tant de misères & de tant
de crimes , trouve des apologiſtes , où le
fuperflu prive tant de gens du néceſſaire.
On aura beau ſe laiſſer éblouir par
l'éclat du luxe , cet éclat funeſte eſt ſemblable
à celui des Comètes, qui brillent au
deſſus de la terre , qu'elles menacent d'une
totale deſtruction , ou de ces météores qui
font admirés des peuples , alors même que
leur influence dans l'atmosphère engendre
des maladies populaires, Ecoutons l'Auteur
lui-même .
>> Tout ce qui a rapport à la pureté des
>>moeurs , tout ce qui peut éclairer la
وو pauvre humanité ſi ſouvent égarée , ne
>> peut être étranger à cette Académie. Un
» petit eſſai de Philofophie me paroît plus
>> digne de ſon attention , que le jargon ap-
>> prêté d'une éloquence menſongère " ......
ود C'eſt pour la gloire de cette Nation
>> quelquefois frivole , mais toujours aima-
>> ble , & chez laquelle ſes rivaux même
>> viennent apprendre le plaifir & l'heu-
>> reux talent de plaire , qu'il ſemble per-
» mis de louer une vertu dont elle ſe
>>joue, mais qui devient, fans qu'elle s'en
>>doute , la ſauve-garde de ſes propriétés.
DE FRANCE. 20
L
» Sans l'Economie, un père diffipateur va
bientôt fuccomber ſous le poids flétriffant
d'une banqueroute ſouvent patibu-
>> laire & fans ceffe impunie ; mais s'il
>>échappe au ſupplice qu'il mérite , il ne
ود
ود pourra ſe dérober à l'opprobre qui l'en-
>> vironne. Son fils , élevé dans les mêmes
>> principes d'une turpide diffipation , n'éprouve
que le regret , & ne ſent que
l'impuiſſance de ne pouvoir être aufli
>> mépriſable que ſon père " .
<
ود
Cette réflexion terrible de M. le Comte
de la Tourailles n'eſt malheureuſement que
trop vraie. L'ame enivrée par le poifon
délicieux & funeſte d'un luxe , ſource de
honteuſes déprédations , ſe gangrène &
meurt en quelque forte au repentir , la
dernière& la feule vertu des hommes longtemps
abuſés par les paflions. Ce qui fuit
donne une nouvelle force à cette leçon
✓ frappante.
ود Il y a des familles chez leſquelles le
>> vice eſt héréditaire comme la goutte ;
>>mais pour compenfer ce défordre moral,
ور il eſt d'autres générations d'autant plus
>> vertueuſes , qu'elles ſont plus ignorées ,
» & loin des dangers de la célébrité «.
A ces tableaux, fi humilians & trop reconnoiffables
des excès de la prodigalité
l'Académicien , par un heureux contraſte
fait fuccéder la peinture » d'un fimple &
د
د
B3
30 MERCURE
r
>> vertueux père de famille qui ne ſe per-
>> met que des dépenſes meſurées ſur ſes
>> pouvoirs , & toujours calculées fur l'inf-
ود
ود
tabilité des biens de la fortune ; fa vie
n'eſt pas brillante, mais elle eſt ſans trouble
& fans reproche : il ne craint ni l'ufurier
infame , ni l'avide créancier ; &
>> tandis que le fanfaron ruiné eſt dans l'a-
>> gitation de l'infomnie , le Citoyen éco-
>> nome dort paiſiblement fur l'oreiller de
70
رو la prudence . Cette eſquiſſe tracée avec
des couleurs puiſées dans la Nature , ou ,
pour mieux dire , dans l'ame de l'Auteur ,
repoſe l'efprit fur des idées confolantes. M.
le Comte de la Tousailles n'a prétendu exprimer
que ce qu'il a fenti & trouvé au
fond de ſon coeur : mais ceux qui ont l'avantage
d'être dans ſa familiarité , y trouveront
, avec ſa perſonne , plufieurs traits
de reſſemblance plus flatteurs encore pour
l'homme que pour l'Ecrivain. Il faut lire
le Diſcours entier , Difcours agréable &
ſolide , où l'Auteur n'enfeigne que ce qu'il
a pratiqué , & donne , fans morgue doctorale
, les leçons de l'expérience.
(Cet Article eft de M. de Saint-Ange. )
DE FRANCE.
RECHERCHES fur l'origine & le fiége du
Scorbut & des Fièvres putrides ; Ouvrage
traduit de l'anglois de M. MILMAN, par
M. VIGAROUS DE MONTAGUT ,
Docteur en Médecine , & Membre de la
Société Royale des Sciences de Montpellier.
A Paris , chez P. F. Didot jeune,
Imp- Lib. , quai des Augustins.
Si l'obſervation eſt la marche la plus
sûre pour arriver , en Médecine comme en
Phyſique , à des théories judicieufes , quelle
Nation et plus à portée d'inſtruire les autres
fur les caufes & les remèdes du Scorbut
, que celle dont la Marine fait la principale
force , & qui a par conféquent le
plus d'intérêt à la confervation des hommes
qu'elle y emploie ? C'eſt donc nous
rendre un ſervice eſſentiel que de faire
paffer en notre Langue les bons Ouvrages
de ces Médecins .
Accoutumés à regarder la diffolution &
la putridité du fang comme la cauſe du
Scorbut & des fièvres putrides , nous ne
pouvons nous défendre d'un mouvement
de ſurpriſe & d'improbation en voyantM.
Milman afligner pour caufe prochaine une
foibleffe générale , ſuite de la léfion du
pouvoir vital ; en un mot , en placer le
B 4
32 MERCURE
fiége dans les ſolides : mais une erreur, pour
être ancienne , n'en eſt pas moins une erreur
; & fi M. Milman prouve , il faut
croire ; il faut plus , il faut abandonner
l'ancienne méthode curative , en général fi
peu heureuſe , pour adopter la nouvelle ,
qui , fondée ſur une théorie plus sûre ,
promet aufli plus de fuccès.
Nous renvoyons à l'Ouvrage même les
gens de l'Art , & les perſonnes curieuſes
de ces Recherches , perfuadés qu'ils y trouveront
des preuves ſurabondantes & décifives.
Nous nous bornerons ici à indiquer
les cauſes & les remèdes de cette
maladie , d'après les idées neuves du Médecin
Anglois .
Entre les cauſes nombreuſes & variées
du Scorbut , telles que raffoibliſſement de
la ſanté par des maladies précédentes , l'indolence
, les fatigues exceſſives , la plus
fréquente eft le froid & l'humidité. Les
caufes occafionnelles , ou excitantes , font
une nourriture indigefte , des alimens qui
contiennent peu de matière nutritive , certaines
paflions de l'ame , fur tout le découragement.
Le Docteur Lind penſe que
le régime des Marins n'eft abſolument préjudiciable
, que parce que leur nourriture
eſt de difficile digestion ; ſes mauvais effets
ne devant pas être attribués aux ſels qu'elle
contient , puiſque l'eſprit de ſel marin a
même été recommandé comme un préfervatif,
& que les Equipages du Capitaine
DE FRANCE. 33
Cook ont vécu impunément de proviſions
falées , en ſe tenant propres , en évitant les
fatigues exceſſives , & en buvant de l'eau
fraiche.
Il réfulte de la nouvelle Théorie , que
les meilleurs moyens pour prévenir ou
combattre & le Scorbut & les Fièvres putrides
, font un air ſec & tempéré , la précaution
de ménager les forces des Equipages
, combinée avec le ſoin de les exercer
&d'y entretenir la gaîté , des alimens fubftantiels
faciles à digérer , & des cordiaux.
On peut adminiſtrer avec ſuccès le quinquina
, les amers , les martiaux , & l'elixir
de vitriol. Il est convenable autli de mettre
les convalefcens dans une eſpèce de fronde
ou hamac , à la partie inférieure de l'avant,
ou entre les ponts ; on a obſervé que les
mouvemens qu'ils y éprouvoient contribuoient
fingulièrement au rétabliſſement
de leurs forces .
M. Milman termine ſon Ouvrage par
une Hiſtoire abrégée de cette Maladie ; il
prouve qu'elle étoit connue des Anciens
ſous les différens noms de Splen magnus ,
de Convolvulus fanguineus , de Stomacace.
La fatigue exceflive & la difette ont occafionné
, au rapport de Pline , le.Stomacace
& le Sceletyrbe dans les armées Romaines.
Les mêmes circonstances réunies à un air
impur , ont enveloppé l'armée de S. Louis
dans les mêmes calamités.
BS
34
MERCURE
2
Le Préjugé vaincu , ou Lettres de Mme.
la Comteffe DE *** , & de Mme. DE ***
réfugiée en Angleterre , par M. le Comte
DAY *** , Officier au Régiment de.
Beaujolois ; & Mine. FILH*** D'H***
A Paris, chez Royez, Libraire, quai des
Augustins . II Parties , in- 12. Prix , 2 .
liv. 8 fous .
MME. de *** , réfugiée en Angleterre
dans le temps de la révocation de l'Edit
de Nantes , laiffe, en partant, à la Comteſſe
de ***, fon amie , qui fait ſon ſéjour à.
Paris , une fille unique nommée Théophile,
que des circonstances l'empêchent d'expatrier
avec elle. La Comteſſe s'eſt engagée à.
élever ſa pupille dans la foi de ſes pères..
Milord C ... , arrivé en France avec deux
enfans, Sir Charles & Miss Julie, à la ſuite.
du Roi Jacques , ſe trouve lie avec Mme..
la Comteffe de ***. Cette Dame , par un
hafard heureux , rend un ſervice eſſentiel à
Milord , en donnant des fecours & des
foins à ſa fille , trahie & abandonnée , à
fon arrivée à Paris , par une Gouvernante
infidelle , à qui fon père l'avoit confiće.
Miſs Julie & Théophile ſe lient de l'amitié
la plus étroite. Sir Charles , en faifant vi
fire à ſa foeur , voit fon amie & en devient
DE FRANCE.
35
éperdument amoureux . Il veut l'époufer.
La Comteffe emploie tout fon crédit auprès
de Mme. de * * * , pour l'engager à
donner fon confentement à l'union de ces
deux Amans. Quoique tendrement attachée
à ſa fille , & convaincue de l'avantage d'une
telle alliance , Mme. de *** s'y refuſe.
Eloignée conftamment & par principes de
tout ce qui diffère de ſa croyance , elle ſe
feroit reproché de la trahir en ſouſcrivant
à un mariage dont une des conditions ef
ſentielles étoit que Théophile abjurât le
Proteftantifme . Milord C .... , contrarié
par cet obſtacle , engage ſon fils à s'éloigner
, perfuadé que l'abſence & la réflexion -
lui feront vaincre ſon penchant. Théophile,
de ſon côté , ſe diſpoſe à rejoindre ſa mère
en Angleterre , lorſque Miladi Sutterfon
écrit à la Comteffe, que fon amie est tombée
dangereufement malade. Théophile en
eſt vivement affectée : elle ſe reproche de
caufer la mort de ſa mère par les contrariétés
que lui fait éprouver ſon attach(-
ment à Sir Charles. Elle veut partir , rononcer
à fon Amant , & facrifier l'amour
à la tendreſſe filiale. Avant que ce projet
puiſſe être exécuté , Miladi Sutterfon , qui
devoit fon bonheur à Mme . de *** apprend
à la Comteſſe la mort de cette infortunée
, qui vient enfin de ſuccomber à
fes chagrins. Elle lui fait en même temps
paffer des lettres que fon amie a écritess
avant d'expirer. Par ces écrits , Madame
د
B6
36 MERCURE
de *** dégage la Comteſſe de ſes ſermens,
lui tranfimet ſes droits fur Theophile , &
donne à fa fille des leçons de fermeté &de
conftance propres à foutenir fon courage
dans tous les évènemens de fa vie. Elle lui
laille au furplus la liberté ſur ſa croyance ,
& meurt dans la fienne. Théophile , après
avoir donné de juſtes larmes à la perte
qu'elle vient de faire , vaincue par les inftances
de Miſs Julie , par celles de Sir
Charles , & plus encore par l'amour qu'elle
reffent pour cet aimable Anglois , confent
à lui ſacrifier ſon culte , & fe diſpoſe à lui
donner fa main .
Tel eſt le plan de ces Lettres , dont les
détails & les développemens font d'autant
plus intéreſſans, que les acteurs qui y figu
rent , paroiffant tour à tour ſur la ſcène , ne
laiffent aucune interruption dans les faits ,
&fauvent, ppaar des réponſes akernatives
la monotonie ordinaire aux Ouvrages de
ce genre, lorſque les Lettres ne font écrites
que par une ou deux perſonnes ſeulement.
,
On s'appercevra ailément que.Madame
d'H*** , à qui nous devons ces deux petits
Volumes, n'a pas pu ſurveiller à l'impreffion
de ſon Livre , qui fourmille de fautes
typographiques & d'orthographe , dont on
ne doit accuſer que l'éloignement où elle
s'eſt trouvée de ſon Imprimeur. Ces légèrestaches
qu'on ne peut , fans une très-grande
injuftice , imputer à l'Auteur, que d'ailleurs
la chaleur du ſtyle, la variété des ſituations
DE FRANCE .
37
& l'agrément des détails font aifément
oublier , lui laiſſe la plénitude de tous les
droits que fon sèxe & ſes talens lui donnent
fur les fuffrages des Lecteurs ; & ils
les lui accorderont d'autant plus volontiers,
que ces Lettres font les prémices de ſa plume .
VARIÉTÉS.
LETTRE au Rédacteur du Mercure .
Vous le ſavez , MONSIEUR , il n'y a jamais
eu de Voyages qui aient autant excité de curiofité
&d'admiration , que ceux du célèbre Capitaine
Cook; l'Europe attentive à ſes découvertes , en
a toujours lu les Relations avec le plus grand
intérêt. On aime à voir Cook affronter ces mers
de glace , où nul mortel , avant lui , n'avoit pénétré.
On le ſuit avec étonnement dans ces vaſtes
pays où la civiliſation a fait ſi peu de progrès ;
&on ſe plaît fur-tout à connoître ce peuple enfant
qui couvre les Ifles délicieuſes de la mer du
Sud. Preſque par-tout où nous conduit ce brave
Navigateur , nous ſemblons aſſiſter au ſpectacle
d'une création nouvelle , & nous pouvons , fi
j'oſe m'exprimer aina , contempler le Monde au
fortir du berceau.
Ce font des tableaux ſi attachans , qui ont
engagé le Docteur Kippis , Membre de la Société
Royale de Londres, à écrire la Vie du Capitaine
38 MERCURE
,
Cook , ou plutôt l'Histoire philoſophique de fes
découvertes. Il s'eſt ſervi pour cela non ſeulement
des Journaux de Cook , mais de ceux des
Officiers qui l'accompagnoient. Lord Howe a
fait ouvrir à M. Kippis les dépôts de l'Amirauté.
Lord Sandwich , M. Stephens , l'Amiral Graves
Sir Hugh Pallifer , & la veuve du Capitaine
Cook, ſe ſont empreſſés de fournir tous les renſeignemens
poffibles ; de forte que cette Hiftoire
a le double mérite de renfermer ce qu'il y
a eu de plus intéreſſant dans les expéditions du
Marin Anglois , ou dans ſa vie particulière , &
d'être privée des détails nautiques qui rendent
les Relations toujours trop longues & ſouvent
fatigantes.
L'Ouvrage de M. Kippis doit paroître à Londres
dans le mois de Juillet; un Homme de Lettres
, qui l'a reçu à meſure qu'on l'imprimoit ,
P'a traduit en françois ; & c'eſt cette Traduction ,
qui fera inceſſamment fous preffe à Paris , que
je vous prie d'annoncer.
J'ai l'honneur d'être , &c.
AParis , le 27 Juin 1788 .
SPECTACLES.
COMÉDIE - ITALIENNE.
I E Vendredi 20 Juin , on a donné la
première repréſentation de Candide marié
DE FRANCE.
59
Opéra Comique en deux Actes & en Vaudevilles
mêlés de profe.
Candide a époufé Cunégonde ; il n'eſt
pas heureux avec elle , & il ne fait pas fon
bonheur. Pangloff& Martin, qu'ils ont retirés
chez eux , qui font toujours en querelle,
& qui ne ceffſent de répéter leurs ennuyeux.
adages , ne contribuent pas peu a les impatienter
; & déjà ils ont tellement laffé
Le fils de Candide , qu'il a déſerté la maifon
paternelle. Un vieillard qui a deux
filles , l'une mariée , l'autre en âge de l'être ,
a donné afile au jeune homme. Celui - ci
eft devenu amoureux de la ſeconde fille
du vieillard ; mais fa paffion ne le diſtrait
point de l'amour qu'il doit à ſa mère , &
tous les jours il apporte dans un endroit
où elle aime à ſe retirer, des fleurs qu'il
fait lui être agréables. On foupçonne que
ces fleurs font apportées par un Amant :
Cunégonde même , ſur les conſeils de Pangloff,
va profiter de ces préſens pour fein
dre d'écouter les voeux de l'Inconnu , afin
de réveiller l'amour de Candide , quand
elle apprend que c'eſt à fon fils qu'elle en
doit l'hommage . Tel eſt le premier Acte . Au
fecond , on voit le ménage du vieillard. Lë
tableau de la vie ſimple & douce qu'on y
mène eſt agréable & attachant. Candide &
la femme arrivent dans cette retraite ruftique.
Cuncgonde regrette fon fils && le bonbeur.
Elle affure Ton mari qu'ils pourroient
40 MERCURE
44
être encore heureux , s'ils retrouvoient leur
fils . Celui- ci , qui étoit monté ſur un arbre
pour en cueillir les fruits , entend & voit
ce qui ſe paſſe; il ſe laiſſe couler doucement
, & ſe trouve dans lesbras de ſa
mère au moment même où elle prononçoit
fon nom. Le jeune Candide épouſe ſa
Maîtreffe.
Il y a de jolis tableaux dans cette petite
Pièce , dont le fond eſt très-peu de choſe ,
& qui a peu d'action . Les détails en font
ſouvent très- heureux , les couplers coupés
avec facilité , & les vers tournés avec grace .
Le choix des airs eſt très - agréable , & fouvent
il ajoute au mérite des paroles . On a
fait répéter pluſieurs couplets qui refpirent
une ſenſibilité douce , & dont la manière eft
aimable. Cette bagatelle , que ſes Auteurs
appellent une fleurette , & qui eſt une jolie
fleur , eſt de MM. RADET & BARRÉ :
elle fait fuite à leur Comédie-Parade , intitulée
Léandre Candide , ou les Reconnoiſſances
en Turquie.
Le Jeudi 26 on arepréſenté pour la première
fois le Rival Confident , Comédie
en deux Actes& en proſe , mêlée d'Ariettes ;
par M. Forgeot , Muſique de M. Grétry .
Un Procureur, nommé Rollet , a profité
dabord de la confiance du feu Marquis de
DE FRANCE. 41
Saint-Clair fon client, enſuite de l'abfence
de Soligny fon fils , pour leur faire foutenir
ou pour foutenir en leur nom une mauvaiſe
caufe. Son but étoit d'acquérir , en
multipliant les frais , la propriété d'une jolie
terre appartenante au Marquis. Son pro-
A jet , après cette acquifition , étoit de demander
en mariage Rofalie , fille de M. Dolmont
, Capitaine de Vaiſſeau , ſon ancien
ami , dont il a fait élever les enfans , & dont
il a géré les affaires pendant ſes courſes ma
ritimes . Une partie de ces deſſeins a réuſſi.
Il a acheté la terre ſous le nom de Dolmont
, qui s'eſt prêté à ce tripotage en vrai
marin , fans en prévoir les conféquences .
Rollet a pris poffeffion, & on lui apromis la
main de Rofalie. Mais la fille de Dolmont
eſt aimée de Soligny , & elle répond à fa
tendreffe . Celui-ci a quitté fon régiment ,
& s'eft traveſti en payſan ſous le nom de
Georget. Thibaut , Jardinier de Koller , &
ancien ſerviteur de la famille Saint-Clair ,
le fait paffer pour fon neveu ; il le fert
de tout fon pouvoir contre ſon nouveau
maître . Rollet , jaloux , a ſu que Roſalie
avoit un amant; il voudroit ſavoir quel eſt
fon rival , & il propoſe à Thibaut d'engager
ſon neveu Georget à ſuivre par - tout
Roſalie , afin de le mettre à portée d'éloigner
celui qu'on ſemble lui préférer. Thibaut
& Soligny profitent de l'erreur de
Rollet. Le vieux fripon devient , ſans
s'en douter , le protecteur des feux de fon
42 MERCURE
rival. En conféquence il lui lit une lettre
qu'il a reçue dans l'obscurité , & qui étoit
deftinée à Soligny , & il le charge de s'oppoſer
à l'exécution des projets dont on y
parle. Cette lettre donne un rendez-vous
àun Amant ; le ſeul moyen de le troubler,
eſt de ſe rendre ſur la terraffe , lieu indiqué
par la lettre ; on peut monter fur
certe terraffe avec une échelle , & Soligny
ſe rend chez ſa Maîtreſſe ſous les yeux &
à l'aide de Rollet, qui tient le pied de
l'échelle , de peur que le jeune homme ne
ſe bleſſe. Pendant qu'il attend patiemment
au bas de la terraſſe , Dolmont le vient
trouver. Tout le village parle de Rollet avec
mépris , chacun l'accuſe d'avoir trompé le
Marquis de Saint- Clair , & d'avoir ſpolié ſa
ſucceſſion. Ces reproches alarment Dolmont
, qui le prévient , que s'il eſt un fripon,
que s'il l'a aufli trompé , il en fera juftice.
Rollet s'inquiète ſérieuſement, & imagine
de faire ſervir le fauxGeorget à le tirer
d'embarras. Il lui propoſe de pren tre le nom
de Soligny , & de ſe préſenter à Dolmont ,
en faiſant ce qu'il faut pour le convaincre
qu'il eſt un honnête homme , afin de le réfoudre
à conclure fon mariage avec Rofalie;
Soligny feint de fe prêter à la rufe. Deux
mots mettent Dolmont au fait du déguifement
de Soligny , & lorſque Rollet croit
avoir trouvé un fantôme de juſtification ,
il ſe trouve devant une accufation réelle.
Honteux , confondu , il prend le parti de
DEFRANCE. 43
fuir , & il part au milieu des brocards de
ceux qu'il a cru un inſtant ſes vaſſaux. Soligny
retrouve ſa terre , & il époufe Rofalie.
On a trouvé dans la Muſique du rer. Acte
de cette Comédie le talent ordinaire de M.
Grény , celui d'embellir les moindres idées
par beaucoup d'eſprit , de grace , & par l'art
de prêter toujours au langage muſical l'expreſſion
propre à chacun des perſonnages
qu'il fait parler dans les différentes ſituations
où ils ſe trouvent. On a applaudi une foule
de petits airs du chant le plus agréable &
le plus gai ; on en a fait répéter quelques
uns. L'air de bravoure qui commence
le ſecond Acte, a paru foible ; il paroît que
M. Grétry feroit très-bien de le retirer abfolument
: s'il ne nuit pas beaucoup à l'action,
illui eft parfaitement inutile. Les morceaux
de muſique qui ſuivent cet air dans le
fecond Acte , ont paru moins faillans que
ceux du premier; cela peut provenir de la
grande gaîté du morceau qui termine celuici
. En général, c'eſt une compoſition encore
fort eftimable à bien des égards , & propre
à prouver que les reſſources dramatiques de
M. Grétry font loin d'être épuiſées .
Quantà la Pièce, l'intrigue n'en eſt pasbien
neuve ; mais les incidens en ſont piquans ,
la marche en eſt raiſonnable , & le ſtyle en
eſt ſoigné. Il y a de la gaîté dans les fituations&
dans les mots; & nous prions quelques
Auteurs de ce Théatre d'obſerver que
44 MERCURE
ce n'est point en terminant ſes couplets par
des idées graveleuſes , que M. Forgeot a fu
leur communiquer de la gaîté. C'eſt du fond
des chofes & du ſein des fituations qu'un
Auteur doit tirer ſes plaifanteries ; & celui
qui ne peut parvenir à exciter le rire des
Spectateurs qu'en amenant , rant bien que
mal , des jeux de mots ou des équivoques
dont la décence peut s'effaroucher, ne préfente
pas les reſſources de fon eſprit ſous
une face bien avantageuſe. M. Forgeot eft
un des Écrivains qui ont travaillé pour
le Théarre Italien, dont la Muſe eſt la plus
étrangère au ton graveleux , devenu fi fort
à la mode , & fes productions annoncent
toujours un homme d'eſprit & un homme
de goût.
ANNONCES ET NOTICES.
MEMOIRE fur t'amélioration de la Sologne ,
par M. d'Autroche , Membre de la Société Royale
d'Agriculture d'Orléans. Brochure in-8 ° . de 82
pages. A Paris , chez la veuve Valade , Imp. -Lib .
rue des Noyers.
La Société Royale de Phyſique , d'Hiſtoire Naturelle
& des Arts d'Orléans , ne pouvoit fignaler
plus dignement ſon nouvel établiſſement, qu'en
portant d'abord ſes regards patriotiques vers une
Province voifine , dont le nom ſeul réveille l'idée
de la pauvreté & de la misère Pourroit-elle méDE
FRANCE.
45
riter micux de ſes Concitoyens, qu'en invitant par
des Prix , à indiquer >> par quel genre de culture
>> ou d'induſtrie on pourroit améliorer le fol de la
>> Sologne Orléanoiſe, & augmenter ſon produit«?
Le Mémoire que nous annonçons eſt traité
d'une manière intéreſſante , quelquefois brillante ;
il annonce des vûes ſages , & peut être d'une
grande utilité. M d'Autroche a traduit preſque
tout Horace en beaux vers ; & fa manière d'éerire
en profe trahit ſon long commerce avec
les meilleurs Ecrivains,
Ela ,ou les Illuſions du coeur , traduit de l'anglois;
in-12. A Paris , chez Lagrange , Lib. rue
$. Honoré , vis-à-vis le Palais-Royal,
BIBLIOTHÈQUE Univerſelle des Dames. A
Paris , rue & Hôtel Serpente.
Il vient de paroître de cette intéreffante Collection
le 20e. Volume de l'Hiſtoire , & fe rer de
la Phyſique générale , pat M. Sigaud de la Fond.
La Souſcription pour les 24 Volum, reliés , eſt
de 72 liv. , & de 54 liv. brochés ,
COLLECTION Univerſelle des Mémoires
relatifs à l'Histoire de France ; Tome XXXIX ,
in-8 °. A Londres ; & ſe trouve à Paris , rue &
Hôtel Serpente,
Ce Volume contient la fin des Mémoires de
François de Rabutin , & le commencement de
ceux de Bertrand de Salignac .
Le prix de la Soufcription de ce précieux Recueil
eſt de 43 liv. pour 12 Volumes. Les Soufcripteurs
de Province payeront de plus 7 liv. 4 f.
acaufe des frais de Poſte.
46 MERCURE
L'Etat libéré , Brochure in- 8 °. de 73 pages.
Prix , I liv. 10 f. , & 1 liv. 16 f. franc de port
par la Pofte. A Paris , chez Maradan , Libr. rue
des Noyers.
par
Traité des Haras , auquel on a ajouté la manière
de ferrer , hongrer & angloifer les Poulains
; des Remarques fur quelques-unes de leurs
maladies , des Obfervations fur le pouls , fur la
faignée & fur la purgation , avec un Traité des
Mulets, Jean-George Hartmann ; traduit de
l'Allemand ſur la 2. édition , & ſous les yeux
de l'Auteur ; avec Figures ; revu & publié par M.
Huzard , Vétérinaire à Paris , de pluſieurs Académies
, &c . in- 8 ° . Prix , sliv. br. A Paris, chez
Théophile Barrois le jeune , Libr. quai des Auguftins.
Cet Ouvrage eſt un des meilleurs que nous
ayons fur cette matière.
Hifloire d'Angleterre , depuis la première defcente
de Jules-Céfar dans cette Iſſe , écrite fur.
un nouveau plan par le Docteur Henry , l'un des
Miniſtres d'Edeinbourg ; Ouvrage traduit de l'anglois,
in-4 °. Tomeler. A Paris , chez Nyon l'aîné
&fon fils , Lib. rue du Jardinet.
Nous reviendrons fur ce grand Ouvrage , eftimable
par le plan & l'exécution.
Ordonnance du Roi Henri III , Roi de France
&de Pologne , fur les plaintes &doléances faites
par les Députés des Etats de ſon Royaume , convoqués
& aflemblés en la Ville de Blois. Donnée
à Paris au mois de Mai 1579 ; avec des Notes ,
&Tindication des Ordonnances, Edits , Déclarations
, Lettres-Patentes , Arrêts de Réglement , ou
DE FRANCE.
47
د
Arrêts notables , &c. , par M. Boucher d'Argis ,
Conſeiller au Châtelet , &c. , formant le Tome
XIVe , de la fuite du Recueil minuel , contenant
le tableau des fucceffions , le texte de la Coutume
de Paris & les principales Ordonnances du
Royaume en matières civile, criminelle , du Commerce
, Subſtitutions , Donations , Teftamens
Hypotheques , Eaux & forêts , &c. A Paris , chez
Le Boucher , Libraire , au coin des rues du Marché
Pallu & de la Calandre , en la Cité.
,
Apperçu des Expériences à faire & des connoiffances
à acquérir pour la conſtruction des Ponts
de fer, d'ane très grande étendue , ſuivi d'une
obſervation fur les Ponts de bois ; pour faire
fuite au Profpectus d'un Pont de fer , préſenté
au Roi , & publié en 1783 , par M. Demonpetit.
A Paris , chez l'Auteur , rue du Gros - Chenet ,
N°. 3 .
Cet Apperçu mérite l'attention du Public. Le
Profpectus en a été inféré en entier dans le
Mercure.
Principes du parfait Ingénieur-Geographe, contenant
pluſieurs exemples utiles aux Commençans ;
première Partie. Prix , 3 liv. Même adreffe,
1
Petite Carte des environs de Paris , pour la
poche , contenant ; à 4 lieues à la ronde. Prix ,
12 f.; 1 liv. 10 f. lavée. Chez le même ; & chez
Gattey , Lib. au Palais -Royal.
COLLECTION de Portraits d'Hommes illuftres
vivans. A Paris , chez Me. Tournier , Avocat, ruc
des Petites Ecuries du Roi , au coin de celle Mar
tel ; Didot le jeune , Impr. -Libr. , quai des Au
:
48 MERCURE DE FRANCE .
guftins ; Royez , même quai ; Hardouin & Gattey
, au Palais-Royal.
Cetre 2e. Livraiſon , qui eſt auſſi bien exécutée
que la précédente , contient les Portraits de M. le
Baron DE BRETEUIL , de L'IMPÉRATRICE DE
RUSSIE , de WAGINGTON , & de SPERMAN.
Les Soins mérités , Eſtampe gravée d'après Lavrince
, par Delaunay le jeune. Prix , 3 liv. A
Paris , chez l'Auteur , rue & porte St. Jacques ,
près le Petit-Marché , Nº. 112 .
Cette agréable Eſtampe fait ſuite de grandeur ,
& pendant à la Confolation de l'abfence , gravée
d'après le même , peinte par M. Delaunay l'aîné.
Faute à corriger.
La Vie du Baron de Trenck , analyſée dans le
N° . précédent , ſe trouve chez Buiffon , Libr. ,
Hôtel de Coëtloſquet , rue Haute-feuille, N° : 20.
VERS.
Sonerto.
Traduction libre .
TABLE.
3 Discours fur l'Economie. 26
4 Recherches.
Le Préjugé vaincu.
31
34
Charade, Enigme & Log. Variétés.
37
Discours. 8 Comédie Italienne. 38
Fénélon , Poёт . 22 Annonces & Notices. 41
J'AI Ju ,
APPROΟΒΑΤΙΟ Ν .
د
lu par ordre de Mgr. le Garde des Sceaux ,
le MERCURE DE FRANCE pour le Samedi s
Juin 1788. Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe cи
empêcher l'impreſſion. AParis, le 4 Juillet 1788.
SÉLIS.
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
POLOGNE.
De Varsovie , le 7 Juin 1788 .
LE 15 avril , mande-t- on de Conftantinople
, l'Ambaſſadeur envoyé par la Porte
Ottomane à Madrid , eſt entré dans le
port : les vaiſſeaux Eſpagnols qui l'ont
conduit, avoient auſſi à leur bord un Envoyé
de l'Empereur de Maroc , qui a apporté
au Grand-Seigneur un préſent , en
eſpèces , très-conſidérable. Le 12 , un bâtiment
venant d'Egypte , a débarqué une
quantité de provifions & une ſomme de
350 mille piaſtres ( un million cinquante
mille livres tournois ) , partie de la contribution
promiſe par le Gouvernement
du Caire au Capitan-Pacha.
Les troupes de l'Empereur, qui avoient
élevé contre Choczim des batteries dans
le village Polonois de Braha , les ont aban-
No. 27. 5 Juillet 1788 . a
(2)
données le 17 mai ; le lendemain , les
Turcs ont détruit ces batteries ſans faire
aucun mal au village ni aux environs .
Paul Jones , écrit-on de Pétersbourg ,
nommé Contre- Amiral des armées navales
de l'Impératrice , eſt parti , le 18
mai , pour Cherſon , où il commandera
une partie de l'eſcadre de la mer Noire.
On apprend de la Crimée , que l'on a
vu à la hauteur de Koflow l'eſcadre du
Capitan-Pacha. Il paroît que cet Amiral
tenteraunedeſcente de ce côté-là. Koflow
eſt ſitué ſur la côte occidentale de la péninfule
, au-deſſus de Batſchiſarai,
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 14 Juin.
LaCommiſſion chargée , depuis un an ,
à Copenhague , d'examiner les divers projets
relatifs à l'affranchiſſement des payſans
Danois , a fait ſon rapport au Conſeil
d'Etat , le 30 mai dernier , & il a été
arrêté de libérer les payſans des ſervices
féodaux & perſonnels auxquels ils étoient
aſſujettis . Ondoit en grande partie cette
falutaire opération à M. le Comte de
Bernstorff, Principal Miniſtre d'Etat , qui
déja avoit aboli , dans ſes terres de Danemarck
& du Holſtein , la fervitude de la
glèbe. Cependant le Gouvernement a eu
!
(3)
la ſageſſe de ne point bruſquer ce changement
, dont la ſolidité même repoſe ſur
les précautions à prendre avant de l'effectuer
: on a craint , avec raiſon , de faire
une choſe utile & juſte , avec violence
& deſpotiſme : l'abolition totale de la fervitude
féodale ſera graduelle ,& entièrement
conſommée ſeulement dans une
dixaine d'années. Par-là , on a ménagé
les intérêts particuliers , qui doivent toujours
être ſacrés , lorſqu'ils ont en leur
faveur une preſcription légale , & l'on
s'eſt aſſuré des moyens de parvenir , ſans
bouleverſement , à l'exécution d'un plan
qui auroit trouvé peut- être une invincible
réſiſtance. Le jour même de cette réfolution
du Conſeil , MM. de Schack-Ratlow
& de Rofenkrantz , Conſeillers Privés &
Miniſtres d'Etat , ont donné leur démiſfion.
-
Le Prince Royal de Danemarck a dû
partir, le 13 de ce mois , pour la Norwège
, dont il viſitera toutes les places , &
paſſera les troupes en revue. S. A. R. fera
de retour à Copenhague vers le milieu
d'août. Le bruit d'une entrevue de ce
Prince avec le Roi de Suède n'avoit aucun
fondement , puiſque S. M. S. eft revenue
de Carlſcroon à Stockholm , le 2
de ce mois , après avoir inſpecté la flotte
qui a mis à la voile , approviſionnée pour
a ij
( 4)
quatre mois . Elle est compoſée , ainſi que
nous l'avons dit antérieurement , de 12
vaiſſeaux de ligne & de 4 frégates , fous
les ordres du Duc de Sudermanie , accompagné
du Vice-Amiral Wrangel. - Le paquebot
de cette ville à Liebau en Livonie
, a rencontré , le 5 , cette eſcadre fai
fant voile au Nord Eft .
L'armée Suédoiſe qu'on raſſemble fur
les frontières de la Finlande , fera de 30
mille hommes ,& commandée par le Général
de Hürdt , ſous les ordres du Roi
lui-même. -Des couriers ont été expédiés
de Stockholm à Pétersbourg & à
Berlin. Tous les Officiers de la Marine
royale de Suède , abſens par congé , ont
reçu ordre de revenir,
Un Journal Allemand a donné récemment
quelques détails nouveaux de la navigation
du Capitaine Belling, dont nous
avons parlé plus d'une fois .
« Les dernières nouvelles de ce MarinAnglois ,
fontdatéesd'Ochotsk, le 15 mai de l'année dernière.
M. Belling arriva par terreà la rivière de Kolyma ;
il fit conftruire ſur le champ deux Bâtimens de
25 pieds de quille , & d'environ 15 pieds de
largeur, ſur leſquels ils'embarqua avec 60 hommes
de ſa ſuite. En deſcendant la rivière , il en prit
la hauteur environ au milieu ,& il réuffit à cette
opération à 4 milles de l'embouchure. Le 25 juin
(vieux ſtyle) , il paſſa dans la mer glaciale , qui
étoit encore remplie de glace ,&dirigea ſa courſe
vers le Cap-nord ; ſon projet eſt de revenir par le
( 5 )
Kamtſchatka , fi les vents le lui permettent , ou
de retourner au Kolyma. Il réſulte de ſes opérations
, dont on joindra ici le tableau , que l'embouchure
de cette rivière eſt ſituée deux degrés
plus à l'Eſt , & auſſi plus au Sudque l'on n'avoit
cru juſqu'à préſent. »
« Longitude & latitude priſes fur le Kolyma ,
les unes àl'établiſſement ſupérieur de cette rivière ,
& les autres priſes de l'embouchure. >>
Obfervations du fieur BELLING .
Latitude nord.
1/65° 28′ 25″
2/68° 17′ 44"
Latitude nord.
66° 5'
Longit. ſur l'iſle de Féro .
171° 5 ' 11"
180° 58′ 30″
Obfervations précédentes du fieur LAPTEF.
68° 40′
Longit. ſur l'ifle de Féro.
169° 20′.
178° 15′ 1
Déviation de la Bouſſole à l'Eſt , d'après M. Belling.
1/7° 33′ 10″
2/ 14° 14′ 9′
De Vienne , le 14 Juin .
La Gazette d'aujourd'hui rapporte officiellement
quelques nouvelles eſcarmouches
, dont le récit abrégé paroîtra peutêtre
trop long à quelques-uns de nos
Lecteurs .
« Le 4juin , pluſieurs bâtimens Turcs parvinrent
juſqu'à Jacoba. L'ennemi tenta de faire une defcente
, mais nos avant-poſtes l'ont repouffé.
Le Colonel Kray manda , le 27 mai , que la plu-
-
a 11)
( 6 )
-
part des Turcs , poſtés à Zinzaren & à Krajova ,
s'étoient retirés à Bucharest .
La dépêche du
Général de Fabris rend compte de l'expédition
du Colonel Horwath contre Fokfan , dont la garnifon
montoit à environ 400 Turcs , Arnautes
& Wallaques . Le Colonel fit détruire , le 27 mai ,
le pont ſur la Sireth , qui établiſſoit une communication
entre Fokfan , Gollest , Giganet & Tekurt
, continua enfuite ſa marche vers Fokſan , &
arrivadans la grande plaine le 29. L'ennemi l'ayant
aperçu , ſe jeta dans le monastère fortifié de
Szvunt Juon , mais il ne s'y défendit pas longtemps
, & prit la fuite. Le Colonel Horwath y
entra & fit 26 prifonniers ; l'ennemi a eu dans
Faction environ 50 tués & un grand nombre de
bleſſés. On prit à Fokſan 8 drapeaux , 2 timbales
, une trompette , & 20 chariots chargés de
froment. Le Colonel laifſa un détachement à Fokfan
, & rentra au camp d'Adſchud avec le reſte de
fa troupe. Le 31 mai , environ 3,000 Turcs ,
infanterie & cavalerie , attaquèrent notre cordon
depuis la rivière de Glina juſqu'à la redoute de
Sztaro-Szelo. Le feu du canon de cette redoute
les détermina à l'abandonner , & à ſe porter fur
lepontdeKattinowacz ; mais le petit détachement
qui s'y trouva , empêcha l'ennemi d'exécuter ſon
projet&depaſſerla rivière.Une partie de l'ennemi
ſeportaenfuite du côté des moulins de Vranow;
mais une diviſion du régiment des Sicules & une
compagnie du 1. régiment duBannat, l'attaquèrent
&le mirent en fuite. A cette occaſion le Major
Sakitfth , ſeptuagénaire , voulant couper retraite à
l'ennemi , tomba fur lui avec So hommes , mais
il fut environné & périt avec 40 de ſes foldats
& un Enfeigne. On a trouvé ſur la place 34
hommes tués de l'ennemi , & environ 30 autres
-
er
( 7 )
dans le ruiſſeau deGlinska.-Le 31 mai , un détachement
de Volontaires du corps d'armée du
Général de Wartensleben enleva à l'ennemi un
tranſport de vivres deſtiné pour Belgrade. >>
Il y a cinq ſemaines que les avis du
camp de Semlin annonçoient le paſſage
de la Save & le fiége de Belgrade , comine
deux évènemens qui devoient avoir lieu
d'un jour à l'autre. Les lettres des 23 , 24
& 25 mai , affuroient poſitivement que ,
d'après les ordres émanés du quartier général
, on avoit jeté trois ponts ſur la Save,
& afſigné à chaque régiment la place qu'il
devoit occuper le 27 , jour auquel le paffage
de ce fleuve devoit s'exécuter ; mais
tout-à-coup on a envoyé par-tout des
contre ordres , & même la groſſe Artillerie
, tiréede la fortereſſe de Péterwaradin ,
y a été renvoyée. »
Tels étoient les bruits répandus il y a
huit jours , & les dernières lettres du
quartier général en ont confirmé la vérité.
La grande armée Impériale , à ce qu'il
paroît maintenant , ne paſſera point la
Save , & le fiége de Belgrade eſt remis à
un temps plus favorable. Ces nouvelles
ont caufé ici un étonnement univerſel ,
& fait naître mille conjectures . La plus
plauſible , en apparence , ſuppoſoit un
accommodement prochain entre les Puifſances
belligérantes. Des préparatifs auſſi
1
a iv
( 8 )
difpendieux que ceux dont nous avons
été témoins depuis fix mois , la marche
de deux cents mille hommes , la préfence
du Souverain , l'ardeur des travaux
-& la multiplicité des attaques entrepriſes
de divers côtés , nous avoient perſuadés
qu'on alloit , fans délai , entreprendre
une guerre offenfive vigoureuſe- Si
donc les diſpoſitions ont ſubitement changé
, il n'eſt pas ſurprenant qu'on en ait
cherché la cauſe dans des négociations
pacifiques. Cependant il eſt fort douteux
qu'on ait rencontré juſte. La défenſive ,
à laquelle l'armée ſe réduit , peut être le
fruit de l'incertitude où l'on eſt encore
fur le vrai deſſein du Grand-Vifir. De
Sophia , de Niffa , de Widin , où fon armée
doit s'être progreſſivement avancée,
il eſt maître de marcher vers Belgrade ,
ou de tenter une diverſion , en pénétrant
dans le Bannat de Temeſwar , province
dont les défrichemens ont coûté des fommes
immenfes à la maiſon d'Autriche. -
D'autres attribuent ce changement de
plan à des myſtères de cabinet , dont la
profondeur eſt telle , qu'on n'entreprend
pas de les expliquer .
L'Empereur a ordonné que le Corps
du Général Comte de Wartensleben fût
renforcé inceſſainment , ſur la connoiffance
que ce Commandant a eue des mou
(9 )
vemens des Tures. Pour cet effet , 8 bataillons
d'Infanterie & autant d'escadrons
de Cavalerie ſe ſont détachés de la grande
armée , pour paſſer dans le Bannat de
Temeſwar. On affure qu'un Corps de
6 mille hommes a été deſtiné à garder le
poſte de Vipalanka , & un autre , preſque
de la même force , pour occuper celui de
Méhadia , l'un & l'autre étant de la plus
grande importance pour empêcher les
ennemis de pénétrer dans le Bannat , où
la grande armée même paſſera , auſſi-tôt
quele Grand-Viſir fera mine de pénétrer
de ce côté- là . On voit par-là que les provinces
limitrophes font menacées d'une
devaſtation , fi le Maréchal de Romanzofne
force les ennemis à ſéparer leurs
forces . »
« Les avis de la Buckowine portent
que quelques bataillons Ruſſes , avec du
canon , ont paru , pour ainſi dire , inopinément
fur les bords du Nieſter , & fe font
approchés du Prince de Cobourg , pour
foutenir les opérations de ce Général
contre la fortereſſe de Choczim,qui réſiſte
toujours à ce Commandant , étant défendue
par une garniſon nombreuſe. »
L'Archiduc François a quitté , au commencementde
ce mois,le quartier général,
pour aller viſiter le cordon de l'armée le
long de la Save. On croit que S. A. R.
av
( 10 )
ira auſſi à Trieſte , d'où Elle viendra paffer
ici quelques ſemaines .
On apprendde la Croatie , qu'un Corps
Ottoman s'avance vers la Dalmatie , pour
faire de ce côté une irruption dans les
poſſeſſions de l'Empereur.
Le Prince de Cobourg mandedu camp de Rukzin,
que, le29 mai , le Lieutenant-Colonel Kopzolany ,
poſté à Vaſſuli , a été attaqué par 400 Spahis commandés
par Fanbag ; mais il repoussa l'ennemi
qui perdit 17 hommes qui furent tués : il a eu 30
bleffés ; nous avons eu 4 morts & 2 bleſfés. Le
Lieutenant-Colonel Kopzolany s'eſt retiré enſuite ,
avec ſa troupe , à Jaſſy.
Le Prince Ypsilanti , fait priſonnier à
Jaffy , eſt arrivé à Lemberg le 26 mai ;
il ſe rendra , dit-on , à Brinn , pour y faire
fon féjour.
DeFrancfort-fur- le- Mein , le 21 Juin.
Des Déſerteurs de Choczim aſſurent
que le nombre des malades dans cette
fortereſſe eſt conſidérable , & que la diſette
des vivres de toute eſpèce y augmente
de jour en jour.
S'il faut en croire des lettres de Pancſova
, un Corps conſidérable de la grande
armée de l'Empereur va s'y rendre, les
troupes du Bannat n'étant pas affez nom
( 11 )
breuſes pour s'oppoſer aux irruptions des
Turcs.
Dix mille hommes de la grande armée
ont paſſé le Danube pour ſe porter à
Weiskirchen & à Méhadia ; un autre
Corps de 40,000 hommes ſe tient prêt à
marcher.
"Le 1. juin , le Prince de Cobourg étoit
encoredans ſon camp près de Rukzin .
Les Cuiraſfiers de Waldek font arrivés
au camp du Prince de Lichtenstein , dont
l'armée eſt actuellement de 10,000 hommes
; elle pourroit être portée à près de
50,000 , s'il ne falloit pas tant de troupes
pour la formation du cordon .
Un Corps de 6,000 Spahis eſt entré à
Belgrade le 31 mai .
On croit que l'Empereur abandonnera
le projet d'affaillir cette place , & qu'il
préfère d'attendre l'ennemi pour lui livrer
bataille. On eſt attentif aux opérations
du Grand-Viſir , dont le plan général
ne pourra ſe développer entièrement
que vers la fin de ce mois. On aſſure que
■ juſqu'à cette époque l'Empereur a fufpendu
toutes les opérations militaires .
L'armée Suédoiſe , qui s'aſſemble dans
la Finlande , ſera forte d'environ 40,000
hommes .
« Il ſeroit imprudent , dit une lettre de Vienne,
a vj
( 12 )
du 9 , d'entrer dans le détail des diverfes raifons
qu'on allègue , & des conjectures qu'on fait fur
les opérations de notre armée ; mais ce qui n'eſt
ſujet à aucun doute , c'eſt la douleur du peuple
à la vue de préparatifs ſi coûteux , qui , juſqu'àcejour
, n'ont produit d'autre avantage que d'avoir
repouffé , non fans perte , l'ennemi dans preſque
routes ſes attaques. On ne fauroit concevoir par
quelle fatalité une guerre , qui , dans les mois de
février & mars , avoit éclaté par tout d'une manière
offenfive , avoit pu ſe changer tout-à-coup ,
en avril & en mai , en une guerre purement
défenſive; on comprend encore moins comment
la plus belle arméequ'on ait jamais vue au confluent
du Danube & de la Save , a pun'en treprendre
autre chofe , depuis 6 femaines qu'elle eſt
en état d'agir , que le ſiège d'une bicoque qui ne
pouvoit réſiſter au feu de l'Artillerie que 3 ou 4
heures au plus. Il eſt prouvé , par le fait , que le
fiége de Belgrade , quand on ne l'auroit même
entamé que vers les premiers jours de mai , auroit
pu être continué juſqu'à préſent fans que le
Grand-Vifir eût pu le troubler en aucune manière
, la marche de ce Général étant plus lente
qu'on ne l'avoit cru juſqu'ici , puiſqu'on avoit
des avis certains au camp de Semlin , que l'armée
Ot omanepourra être à peine rendue à Niſſa dans
le courant du mois de juin. Quelle que puiſſe être
d'ailleurs la forcede la garniſonde Belgrade , cette
place n'auroit pu tenir que 3 ſemaines contre une
armée formidable , contre l'artillerieAutrichienne ,
pour l'éloge de laquelle il fuffira de dire , que Frédéric-
le-Granden a toujours fait le plus grand cas .
Cela étant ainsi , il n'eſt point étonnant qu'à l'armée
même , on ſoit dans l'opinion que d'heureuſes négociations
vontterminer ſecrètement les différends
des Puiſſances belligérantes reſpectives; mais cer(
13 )
tainementon fetrompe, car iln'en eſt aucunement
queſtion juſqu'ici , & cette conduite tient à des raiſons
qu'il eſt difficile de pénétrer ,& encore plus
dangereux dedébiter trop légèrement. Tout ce que
l'on peut dire , c'eſt qu'on ne ſauroit affez admirer
laforce& l'influence que les Miniſtres des Cabinets
ont fur lesp'usgrands événemens polítiques.>>>
«Une choſe qui ne cauſe pas moins de ſurpriſe
dans les pays héréditaires , c'eſt de voir dans ces
circonstances le Feld- Maréchal Laudhon pafſſer tranquillement
ſes jours dans la retraite qu'il a choiſie ,
loindu bruit des armes , ainſi que des chagrins qui
en font inſéparables dans l'état actuel des choses ;
mais la nationn'en chérit pas moins les talens&les
vertus de ce Héros. Tout ce qu'on débite de fon
départ pour l'armée , eft controuvé. »
Suivant le Journal de Berlin , le nombre
des naiſſances , dans cette capitale , en
1787 , a été de 5,081 , dont 462 enfans
illégitimes ; ily eſt mort 5,129 perſonnes.
Excédent des morts ſur les naiſſances , 48 .
1
ESPAGNE,
De Madrid , le 11 Juin.
Il eſt plus que jamais queſtion de mettre
en ferme & en régie , pour le compte
CuRoi , le chocolat , le sucre & la canelle ,
on a auſſi préſenté au Roi un projet de
changement dans la forme de l'adminiſtration
des revenus du tréſor royal , qui
affureroit un bénéfice de 10 millions de
réaux par an.
Le Ror a fait expédier dans tous fes
1
( 14 )
Etats d'Europe & des deux Indes , des
ordres , pour que toutes les vieilles eſpèces
d'or & d'argent , ſuſceptibles d'être peſées
, quoique cordonnées , foient portées
dans ſes hôtels de monnoies , dans deux
mois en Europe , & dans fix mois en Amérique
, pour tout délai , &c .
On écrit de Cadix , du 28 mai , qu'un
des vaiſſeaux de l'eſcadre y vient d'arriver
en affez mauvais état , & qu'il rejoindra
auſſi-tôt qu'il ſera réparé.
On ajoute qu'il ya ordre d'augmenter
les garnifons des ifles & des préſides ſitués
ſur la côte d'Afrique , particulièrement à
Oran , où on envoie deux régimens de
plus.
«On écrit de Culera , du 15 mai, qu'Hyacinthe
Domingo, âgé de 33 ans , épouſe de Sébastien Mas,
laboureur , âgé de 35 ans , après 8 mois completsde
groſſeſſe , accoucha de trois garçons &d'une fille
tous vivans & bien formés , & qui furent baptiſés
le même ſoir àla paroiſſe de cette ville. Cinq
jours après elle accoucha d'une fille morte beaucoup
plus petite , & moins bien formée que les autres ;
deux des trois garçons ne vécurent qu'un jour ,
l'autre mourut le quatrième jour , & la fille le
ſeptième: les uns & les autres n'avoient pas la
force de têter , & ne purent être nourris qu'avec
quelques gouttes de lait. Cetre femme eſt accouchée
fix fois pendant quinze années de mariage
,& a donné le jour à ſeize enfans ; ſavoir ,
4 fois à un garçon & à une fille.
I fois à deux garçons & à une fille.
I autre , qui eſt la dernière , aux cinq enfans
( 15 )
dont on vient de parler. Il lui reſte cinq enfans
bien portans , & elle jouit elle-même de la meilleure
ſanté.
GRANDE - BRETAGNE.
De Londres , le 24 Juin.
A
<< Jeudi paſſé , dit la dernière Gazette
>> de la Cour , un meſſager du Cabinet a
>> apporté au Bureau du Marquis de Car-
>> marthen , principal Secrétaire d'Etat au
>> département diplomatique , le traité
>> proviſoire d'une alliance défenſive entre
» S. M. & le Roi de Pruſſe , ſigné à Loo
>> le 13 du courant , par S. E. le Chevalier
>>> Harris , Ambaſſadeur extraordinaire &
>>plénipotentiaire de S. M. auprès des
>> Etats-Généraux , & par M. d'Alvenzle-
» ben , Envoyé extraordinaire du Roi de
>>Pruſſe à la Haye , duement autoriſé à
>> cet effet. » -On eſpère que les négociations
d'un nouveau traité de commerce
entre l'Angleterre & les Provinces-Unies ,
feront terminées affez promptement ;
&, s'il en faut croire le bruit public , le
Chevalier Harris eſt autorisé à les faciliter,
en offrant à la Hollande la reſtitution de
Negapatnam.
L'Amirauté a reçu , le 18 , des dépêches
de l'Amiral Gower , dont l'Eſcadre eſt
fortie de la Manche , & croiſe dans le
( 16 )
golfe de Gascogne; chaque jour l'Amiral
exerce ſes équipages aux différentes évolutions
navales. -Le bruit ſe répand dans
tous les chantiers , qu'on mettra en peu
de jours ſept vaiſſeaux de ligne en commiffion
, pour remplacer dans le ſervice
de gardes - côtes ceux qui croiſent actuellement
ſous les ordres de l'Amiral Gower.
La ſemaine dernière , le Houghton , la
Rofe,le King-George , le Nottingham , le
Melville- Caftle & le Walpole , navires appartenans
à la Compagnie des Indes , &
venant de la Chine , font entrés dans nos
ports à jours différens .
Le CapitaineMontgomery aété nommé au commandement
du Mercury de 28 canons , & le Capitaine
Montague à celui de l'Aquilon de 32 : ces
deux frégates font en équipement à Deptford.
Le Camel ( ci - devant le Mediator) de 44 canons
, en réparation à Wolwich , eſt deſtiné
à tranſporter d'Amérique des bois de conſtruction
- pour la marine.
La Pomone de 28 canons , a été miſe en commiffion
, & le commandement en a été donné au
Capitaine Domott : on équipe en toute diligence
les vaiſſeaux mis en commiſſion dernièrement ,
mais les Matelots ſe préſentent lentement .
La frégate leMonfieur de 40 can. , priſe
fur les Françoispendant ladernière guerre,
& achetée depuis peu par un marchand
de cette Ville pour le ſervice des Turcs ,
a été arrêtée à Deptford par ordre du
gouvernement , vu que fon équipage étoit
-
( 17 )
compoſé de matelots anglois. Ses hunniers
étoient largués , & elle alloit appareiller
lorſque l'ordre eſt arrivé. - La Sibille ,
autre frégate de vingt- huit canons , achetée
pour le même ſervice a trouvé
le moyen de ſe ſouſtraire aux pourſuites ,
&de gagner le large.
ま
,
Le Parlement ſera ajourné vendredi .
Peu de Seſſions auront été plus ſtériles que
celle qui vient de s'écouler. On n'y a agité
aucune des grandes motions annoncées
à l'ouverture; celle , entre autres , dont
l'eſclavage& la traite des Nègres devoient
être l'objet , s'eſt réduite à un Bill préſenté
par le Chevalier William- Dolben ,& con.
tenant un nouveau réglement à impoſer
aux armateurs qui tranſportent les Nègres
dans nos Colonies. Ce Bill, dont nous préſenterons
bientôt la ſubſtance , emporte
des meſures &des conditions dans ce trafic,
qui préviennent l'inhumanité avec laquelle
on loge , on entaſſe , on entretient
les Nègres pendant leur traverſée de la
côte d'Afrique aux Antilles. Les villes
occupées de ce commerce , ont fait entendre
contradi&oirement leurs confeils à
la barre des Communes , ce qui n'a pas
empêché l'acceptation du Réglement. Il
eſt maintenant ſoumis à la Chambre-
Haute , où il a éprouvé quelques objections
: Bristol, Liverpool , & un affez grand
1
( 18 )
nombre d'habitans de Manchester , ont
préſenté des pétitions à leurs Seigneuries
contre cet Ade : leurs conſeils feront ouis ;
mais il paroît indubitable que la Chambre
joindra fon fuffrage à celui des Communes
, & qu'avant trois jours le Bill aura
la fanction du Parlement.-Tout porte à
croire que la motion principale contre la
durée de ce commerce & la ſervitude
des Nègres , rencontrera les plus fortes
difficultés , fi l'année prochaine elle eſt
traitée en Parlement. Les adouciſſemens
'à cet efclavage , la réforme des lois à cet
égard dans nos Colonies ,& le Bill dont
nous venons de parler , feront peut- être
tout ceque l'adminiſtration jugera prudent
d'accorder à l'enthouſiaſme d'humanité.
-Les Cotons eux- mêmes ont tenté d'en
prévenir les effets , en corrigeant le régime
auquel les Nègres font aſſujettis .Voici ce
qu'on mande ,à ce ſujet , de la Jamaïque ,
endate du 5 avril 1788 .
>> L'aſſemblée de certe île a enfin pro-
>>mulgué une loi en faveur des Nègres .
>>Cette loi contient les diſpoſitions fui-
>> vantes : 1º. Aucun poffeffeur de Nègres
>> ne pourra renvoyer aucun eſclave ; même
>> lorſqu'il fera incapable de travailler par
>> maladie ou par caducité , il ſera obligé
>>de fatisfaire à ſes beſoins , ſous peinede
> no liv. ſterl. pour chaque offenſe. 2°.
( 19 )
>> Toute perſonne qui mutilera un eſclave ,
>> paiera une amende de 100 liv. fterl. , &
>> ſera emprisonnée pour une année;même
>> dans certains cas atroces , Fefclave ſera
>> affranchi . 3 °. Toute perſonne qui , in-
>> volontairement ou de deffein prémédité ,
>> tuera un eſclave , ſouffrira peine de mort.
>>>4°. Toute perſonne qui fouettera , mal-
>> traitera , bleſſera ou emprifonnera un
>> eſclave qui ne lui appartient point , fera
>> foumis à une amende & à l'emprifon-
>>nement. 5º. Il ſera levé une taxe paroif-
>> fiale pour l'entretien des Nègres cadu-
>> ques ou malades qui n'auront pas de
>> maîtres. <<
5
a
Le procès de M. Haflings , ou plutôt
l'immortelle durée que lui promet , jufqu'ici
, l'adreffe des accuſateurs , fait
naître , le 17 , dans les Communes , une
queſtion qui mérite d'être examinée par
les Jurifconfultes de tout pays : il s'agit
de ſavoir fi des témoins , ou arrachés à des
emplois hors de leur patrie , ou appelés
endépoſition du fond de leur province ,
& retenus à Londres par les accuſateurs ,
ſous prétexte que leur témoignage eſt
néceſſaire , ont droit de réclamer l'indemniſation
de leur temps perdu , de leurs
voyages , de leur ſéjour à Londres , &des
pertes que peut leur occaſionner leur abſence.
Enfuite , fi les témoins employés
(20 )
dans l'inſtruction , doivent ſeuls ſupporter
les frais de leur déplacement : en est- il de
même des témoins également ſommés ,
déplacés , arrêtés à Londres juſqu'à l'iſſue
des féances , & renvoyés enfin ſans avoir
été produits à la barre ?
Le Major Scott renouvela , le 17 , la
demande d'indemnité faite aux Communes
par le Major Gilpin , par M. Holt ,
le Capitaine Williams , & le Capitaine
Jonathan Scott. » Le premier , dit- il , a
» été mandé du Comté de Lancaftre , où
>> il réſidoit , & fommé de comparoître à
>> la barre des Communes , du mois de
>> mars à celui de juillet 1786 , & à la
>> barre de la Cour des Pairs , du mois de
>>janvier au mois de juin de cette année.
>>>M. Holt devoit retourner dans l'Inde
>> pour y reprendre ſon ſervice; il a perdu
>>fon paffage & fon emploi juſqu'à nouvel
>>>ordre. Les Capitaines Williams & J.
>> Scott ont été ſommés , le premier au
>> fond du pays de Galles , le ſecond dans
>>>le Shropshire, d'arriver à Londres , & d'y
>> reſter du mois de janvier à celui de juin.
>> Les deux premiers témoins ont comparu
>>&déposé. Les deux derniers ont attendu
>>juſqu'à ce jour qu'on reçût leur témoir
" gnage , mais on l'a écarté après l'avoir
>>> requis . Les accuſateurs ayant ſu que
>>le rapport de ces officiers devoit leur
( 21 )
>> être entièrement défavorable , les ont
>> congédiés au bout de trois mois , en leur
>>>fermant l'accès au Tribunal. Si les accu
>>>ſateurs avoient été animés de la moindre
>>> étincelle de cet amour de la vérité, dont
>> le nom eſt toujours ſur leur langue , ils
>> ſe ſeroient empreſſés de recueillir les
>>>informations eſſentielles & néceſſaires
>> de deux témoins péremptoires , parfai-
>> tement inftruits , & d'une intacte pro-
>> bité ; mais ces témoins , ont-ils appris ,
>>>auroient détruit toutes les affertions de
» MM. Shéridam , Adam , &c. , & ils ont
» été congédiés ſans être ouïs. Je demande
>> maintenant s'il eſt juſte , s'il eſt équi-
>> table de ſe jouer ainſi de particuliers
>> vivant à leur aiſe à cent milles de
>> Londres avec une fortune modique , &
>>>hors d'état de venir diſſiper leur petit
>> revenu en promenades & en ſéjours
>> dans la Capitale ? «
M. Pitt fut d'avis que ces plaintes
méritoient examen , mais qu'elles devoient
être renvoyées aux folliciteurs du procès
de la part du Comité d'Impéachment ; ce
qui fut agréé après quelques diſcuſſions.
Depuis l'arrivée des dernières lettres
du Bengale , le bruit court que Milord
Cornwallis défire de réſigner le gouvernement
général , & que le Chevalier
Archibald Campbell , Gouverneur de Ma
( 22)
dras , a pareillement ſollicité ſa démiſſion..
Ce changement ne ſurprendra perfonne ,
& il eſt difficile de croire qu'aucun homme
de tête & d'honneur , ne tremble aujourd'hui
d'accepter un commandement dans
l'Inde.
On renouvelle le projet d'établir une
communication par terre entre la Chine
& le Bengale , pour la plus prompte expédition
des nouvelles de Canton enEurope
, & vice versa. Ce plan s'exécuteroit
par le moyen d'une Caravane, qu'on établiroit
à travers la Peninſule de l'Inde
ultérieure , juſqu'à l'embouchure du Gange
, près de Dyczabad. La propofition en
a été faite aux Chinois ; s'ils l'adoptent ,
il en réſultera de grands avantages. La
route à ſuivre ſera de Canton à Tonkin ,
de Tonkin à Leigach , de Leigach à
Chittingham , & de Chittingham à Dyczabad.
L'exécution du projet eſt douteuſe ;
mais ſi l'Empereur de la Chine l'agrée, on
en tentera au moins l'entrepriſe. Les Rufſes
s'occupent d'un ſemblable projet pour
paſſer de Canton au Kamtzchatka.
La Banque royale d'Ecoſſe , qui vient
d'obtenir de la Couronne le renouvellement
de ſa Charte , a été autoriſée en
même temps à doubler fon Capital , qui
va être maintenant de 600,000 liv. ſterl.
(environ 14 millions tournois.) En 1727
( 23 )
-
il n'étoit que de 111,000 liv. En 1738 ,
on le porta à 151,000 liv. on l'éleva enfin
à 300,000 liv. en 1784.
Le 8 de ce mois , un nommé Fitztimons a été
transféréde la priſon de Newgate à la Cour du banc
du Roi , pour y être jugé ſur l'accuſation d'avoir
ſéduit des Ouvriers dans les divers genres de Tiſſéranderie
, pour aller s'établir en Eſpagne , & y
introduire les Manufactures Angloiſes les plus
utiles & les plus nouvelles. M. Ashurst , premier
Juge de la Cour , après avoir conſidéré la ſageſſe
dela loi qui pourvoit à la préſervation de notre
commerce , & démontré les pertes fans nombre
que feroient les Manufactures Angloiſes , ſi on
laiſſoit de pareilles offenſes impunies , prononça
laSentence de la Cour , qui condamna le Priſonnier
à une amende de 500 liv. ft .& à douze mois
de priſon ou davantage , juſqu'à ce qu'il ait payé
l'amende. On est étonné que malgré une peine fi
rigoureuſe, il ſe trouve des gens aſſez hardis pour
la riſquer. Mais les Eſpagnols emploient tant
de ſoins à ſe former des Manufactures indépendantes
de l'Etranger , & leurs Agens opèrent avec
tant d'adreſſe , qu'il eſt à craindre que l'Eſpagne
n'exécute fon projet , à moins que nos Fabriquans
ne ſe réuniſſent pour l'empêcher par des pourſuites
vives& foutenues.
Le crédit de la Ruſſie eſt tellement déprécié
en Angleterre , que le Rouble
qui , felon le change , étoit reçu ici pour
43 pences , n'y vaut plus aujourd'hui que
36pences & demie. Cediſcrédit eſt même
au point que deux bâtimens de 500 tonneaux
chacun , chargés de marchandiſes
indiſpenſa'bles aux Ruſſes en cemoment ,
3
( 24 )
reſtent à l'ancre , juſqu'à ce que les Armateurs
aient reçu de Pétersbourg des
affurances en bons & folides effets , du
paiement des cargaisons. Quant aux Billets
du papier monnoie du gouvernement,
ils perdent 70 pour 100 Roubles dans la
négociation ; les Banquiers refuſant de les
eſcompter à un moindre taux.
Selon l'état des réclamations faites auprès
du Gouvernement par les Loyaliſtes
Américains , ainſi qu'il a été préſenté à
la Chambre des Communes , il paroît que
le nombre de ces réclamations , juſqu'au
5 avril 1788 , eſt monté à 1724 liv. ſterl.
formant un capital de 1,887,548 liv. fterl .
foit une rente de 75,504 liv. ſterl. Il eſt
à remarquer que ſur plus de 1700 réclamations
faites par cette claſſe d'Américains
, il n'y en a eu que douze dont les
demandes aient été reconnues frauduleuſes.
1
Une lettre de MM. Comyns & Donythorne ,
dePenfacole à un Marchand de Dublin , rapporte
que le 23 avril dernier , le Miſſiſſipi ſortit de ſon
lit , & inonda les Villes de la Nobille & de la
Nouvelle Orléans. L'eau s'éleva dans ces deux
Villes au-deſſus des remparts , & furmonta les
rues à la hauteur de 18à20 pieds. Les Eglifes
étant ſituées dans l'une & l'autre Ville ſur des hauteurs
, les Habitans effrayés s'y rendirent en foule ,
&reſtèrent dans une ſituation fort pénible pendant
pluſieurs heures , au bout deſquelles les eaux
commencèrent à s'abaiſſer , & à rentrer dans leur
lit
( 25 )
lit , par des ouvertures pratiquées dans les murailles
de la ville. Le dommage a été au reſte peu conſidérable
, à l'exception des troupeaux qui ont été
noyés , & des marchandiſes prêtes à embarquer
qui ont été perdues. On eſtime que la perte totale
n'excède pas 3 ou 400 liv. ſterl.
M. Hopkins vient d'acheter les jardins
finguliers de Cobham , dans le comté
de Surrey , appartenans ci - devant à
M. Hamilton. Une anecdote peint l'originalité
de ce dernier. Il s'aviſa un jour
de donner avis qu'il défiroit trouver une
perſonne qui voulût habiter l'hermitage
de ſa maifon de Cobham , aux
conditions ſuivantes : ſavoir , qu'elle habiteroit
cet hermitage pendant ſept années
; que l'Hermite ſeroit pourvu d'une
Bible , de lunettes & de télescope , d'une
natte pour lui ſervir de lit, d'un havrefac
aulieu decouffin, &d'un clepsydre au lieu
de montre ; que fa boiſſon ſeroit l'eau du
ruiffeau qui couloit près de la cellule , &
que ſes alimens lui ſeroient apportés tous
les jours de la maiſon , par un domeftique
auquel il luiſeroit interditde dire une fyllabe
; M. Hamilton vouloit de plus que
l'Hermite fût vêtu d'une robe de camelot,
qu'il ne ſe coupât jamais les ongles ni la
barbe, qu'il portât des ſandales , qu'il ne le
permît pointde ſe promener dans les lieux
ouverts , ni de paſſer les limites qui lui
ſeroient aſſignées. La récompenſede cette
N°. 27. 5 Juillet 1788 . b
1
( 26 )
longue abſtinence étoit de 700 guinées ;
mais la moindre infraction aux conditions
rendoit le marché nul. M. Hamilton trouva :
une perſonne aſſez courageuſe pour entreprendre
cette pénible tache ; mais elle
ne put refifter au- delà de trois ſemaines ,
& annulla le marché au bout de ce
temps la.
La nommée Mulholland eſt morte ces
jours derniers , à Lurgau , à l'âge de 102
ans. Elle a confervé ſes facultés juſqu'au
dernier moment; elle liſoit les petits caractères
d'impreſſion fans lunettes , fignoit
fon nom , & marchoit auſn droit qu'une
perſonne de vingt ans. Il exiſte actuel
lement à Knottingley , près de Serrybridge
, dans la province d'Yorck , une
veuve âgée ſeulement de 66 ans , qui
eſt mère , grand'mère & arrière grand'mère
de79 enfans.
Les Papiers publics ont publié l'extrait
d'une lettre d'un Médecin de Philadelphie
àl'un de ses amis à Londres , dans laquelle
ontrouve quelques obfervations interefſantes
fur les maladies des Nègres : elle
eſt datée du 21 avril 1788.
« La maladie appelée Locked Jaw or Jaw Fall
par les planteurs Anglois, eſt très-commune parmi
les enfans des Negres ,& porte une atteinte cruelle
à leur population. Après bien des recherches , je
me ſuis enfin aſſuré qu'elle provient de la chan
leur&de la fumée des cabanes dans lesquelles les,
( 27 )
noirs vivent , & de leur expoſition fubite à l'ait
frais. >>>
« L'Hypocondriasis , ou ce qu'on appelle dans
les iſles françoifes le mal d'eſtomac , eſt très-communeparmi
les esclaves. Elle les attaque bientôt
après leur arrivée aux illis , &les mène fou
vent au tombeau avec des ſymptômes effrayans ,
que l'on attribue fort mal àpropos à l'usage d'un
poifon lent. Cette maladie & fes conféquences
terribles , font uniquement l'effet de la douleur,
&le reproche en tombe ſeulement ſur l'esclavage. >>
« La groſſeffe des Négreſſes eſt accompagnée
aux ifles d'accidens & de dangers. Cela vient de
ceque leurs corps y font déformés dès leur tendre
jeuneſſe, en portant des fardeaux au- deſſus de leurs
forces,& ſouvent de ce que la forme du baffin
eſt quelquefois dérangée par les coups de pied
auxquels ces malheureuſes créatures font ex
poſées dès leur âge le plus tendre , par la bru
talité de leurs maîtres. »
<<Toutes les maladies chroniques qui proviennent
de la diète trop rigoureuse , ou de l'excès de
nourriture , ſont communes parmi les noirs aux
ifles. On ne fauroit remédier à ce mal , tant que
l'eſclavage reſtera ſur le pied actuel ; car des calculs
fort exacts ont prouvéque le bénéfice total d'une
habitation telle qu'on l'adminiſtre aujourd'hui ,
oſt pris ſur les vêtemens & la nourriture des efclaves,
"
«Malgrétoutes ces maladies , &une complication
de beaucoup d'autres maux que les eſclaves
endurent , leurs maîtres diſent qu'ils font heureux
, puiſqu'ils font gais. La gaieté & le bonheur
font des ſenſations très-distinctes. J'ai entendu
un homme , dire le jour de ſon mariage ,
pour s'excuſer de ce qu'il ne ſe livroit pas à la
gaieté ainſi que ſes convives : " qu'il étoit trop
bij
( 28 )
N
heureux pour être gai . » Le goût des Noirs dans
les iſles , pour la danſe& le chant , ſont des effets
de la gaieté & non du bonheur. On a ſouvent le
coeur gros dans la gaieté : de-là vient la juſteſſe
de l'obſervation deSalomon , qui dit , qu'au milieu
des ris le coeur est triſte. Dans la guerre de 1746 ,
entre la Grande-Bretagne & la France , le feu
prit accidentellement à bord d'un tranſport anglois ;
les Bâtimens qui alloient de conſerve avec lui ,
firen de vains efforts pour le ſecourir une partie
de l'équipage ſe ſauvadans la chaloupe , quelques
autres ſejetèrent à la mer ,&périrent avant d'atteindre
les Bâtimens qui étoient à leur vue. Le
reſte de l'équipage qui reſta à bord , remplit l'air
de ſes cris & de ſes lamentations pendant quelque
temps. Tout-à-coup le bruit ceſſe , & l'on
n'entend à bord que le ſon d'un violon jouant
un air très-gai ; l'équipage ſe met à danſer avec
fureur pendant une demi-heure , au bout de laquelle
la ſcène finit , le vaiſſeau & les hommes
furent engloutis dans les flots. Ce fait curieux
m'a été communiqué par le fils d'un ancien Lieutenant
de vaiſſeau , qui avoit été témoin de cette
catastrophe ,&qui répétoit ſouvent à ſes amis cet
exemple de gaieté douloureuſe dans des hommes
dévoués à la mort , comme une des choſes les
plus étonnantes. D'après ces faits , au lieu de confidérer
les chanfons&les danſes des Nègres comme
des marques de leur bonheur , je les ai toujours
regardées comme des ſymptômes de mélancolie
&de démence , &par conféquent comme des
preuves évidentes de leur misère. »
FRANCE.
De Versailles , le 25 Juin.
Le 22 de ce mois , la Ducheſſe de
( 29 )
Fleury a eu l'honneur d'être préſentée à
Leurs Majeftés & à la Famille Royale par
la Princeſſe de Tingry , & de prendre le
tabouret chez la Reine .
Le même jour , le Marquis de Pons ,
Ambaſſadeur du Roi près Sa Majesté
Suédoiſe , le Vicomte de Vibraye , le
Comte de Vergennes , & le fieurBarthélemi
, Miniſtres Plénipotentiaires du Roi ;
le premier , près l'Electeur de Saxe ; le
ſecond , près l'Electeur de Trèves , & le
troiſième , près le Roi d'Angleterre , ont
eu l'honneur de prendre congé de Sa
Majesté pour ſe rendre à leur deſtination ,
étant préſentés par le Comte de Montmorin
, Miniſtre & Secrétaire d'Etat ,
ayant le Département des Affaires Etrangères.
Le Roi , accompagné de Monfieur&de
Monſeigneur Comte d'Artois , s'eſt rendu,
le 22 , en l'Egliſe paroiſſiale de Notre-
Dame , pour affifter au ſervice anniverfaire
fondé pour le repos de l'ame de la feue
Reine , & auquel le ſieur Jacob, Curé de
la Paroiffe , a officié.
Le Roi , la Reine & la Famille Royale
ont figne le contrat de mariage du Marquis
de Fontanges , Officier au régiment du
Roi , Infanterie , avec demoiselle Marie-
Magdelaine-Pauline de Pont.
MM. Hennin & Dupont , Secrétaires
biij
( 30 )
4
de l'Aſſemblée des Notables , ont eu
l'honneur de préſenter au Roi& à la Famille
Royale le Procès-verbal de cette Afſemblée.
Le 29 de ce mois , la Cour prendra le
deuil , pour 11 jours , à l'occafion de la
mort du Duc Louis-Ernestde Brunswick-
Wolfenbuttel .
De Paris , le 30 Juin .
Le 12 Juin dernier , le Roi, accompagné
de Monfieur , de Monfeigneur
Comte d'Artois , du Prince de Condé ,
des Maréchaux de Broglie & de Stainville
, de M. l'Archevêque de Sens , fon
principal Miniftre , de M. le Comte de
Brienne , Secrétaire d'Etat de la Guerre ,
des Membres du Conſeil de la Guerre , de
plufieurs Officiers - généraux , de M. le
Prince de Poix, fon Capitaine des Gardes ,
de M. le Duc de Briffac , fon Capitaine
des Cent- Suiffes , du Major & de deux
Officiers de ſes Gardes , s'eſt rendu, de
Saint- Cloud , à l'Hôtel Royal des Invalides .
Sa Majesté eft entrée dans le dôine par
la porte royale , ayant à ſes côtés le Gouverneur
, & n'étant gardée que par les
Invalides; les détachemens de ſes Gardes
font reftés pour eſcorter les voitures.
Le Curé , à la tête du Clergé , atten
( 31 )
doit le Roi à l'entrée du dôme , où il a
eu l'honneur d'haranguer Sa Majefté.
On avoit rangé , dans l'intérieur de ce
dôme , les Invalides mutilés , qui en occupoient
les degrés ; le Roi n'a pu arrêter
ſes regards fur ce ſpectacle touchant . , fans
en être attendri.
Sa Majeſté , après avoir examiné l'in
térieur de ce ſuperbe édifice ,a entendu la
Meſſe , pendant laquelle les Orphelins
militaires ont exécuté diverſes ſymphonies
guerrières , après quoi Elle a traverſé l'Eglife
, qui étoit remplie d'Officiers & de
Soldats , & a témoigné ſa fatisfaction de ſe
trouver au milieu de ces braves Militaires ,
de cesVétérans ; Elle s'eſt rendue au réfectoire
des aveugles ,& a viſité enſuite la cuifinedes
Officiers & celle des Soldats , où elle
a goûté la ſoupe. De-là le Roi eſt allé voir
l'emplacement où ont été déposés les plans
en relief qui étoient à la galerie du Louvre.
Après avoir vu le logement des Officiers
& des Soldats , Sa Majesté a paflé aux in.
firmeries , dont Elle a admiré l'ordre &
la propreté ; Elle a auſſi goûté le pain dans
la paneterie ; & après avoir vu dîner les
Officiers dans leur réfectoire , Elle s'eſt
rendue à, la ſalle du Conſeil , où Elle a
figné les comptes qui avoient été arrêtés
le matin.
Le Roi , dans eette journée , a bien
biv
( 32 )
voulu accorder la croix de Saint-Louis à
quatre Officiers invalides , & recevoir luimême
ceux qui ſe ſont trouvés préſens.
Sa Majeſté a , en même temps , donné
quelques commiſſions de Lieutenant- colonel
, de Commandant de bataillon , de
Capitaine &de Lieutenant. Elle a fait
diftribuer 6,000 liv. aux Soldats , & ordonné
qu'il fût donné un mois de gratification
aux Officiers ; 6 liv. de plus par
mois aux douze des plus infirmes ,& 3 liv .
par mois aux douze bas-Officiers & Soldats
qui, par leurs infirmités , en avoient le
plus de beſoin. Enfin , Sa Majefté a laiſſé
une fomme de 30,000 liv. deſtinée à faire
un fonds de penfion pour les pauvres
veuves de Soldats .
Le Roi s'étant rendu chez le Gouverneur
, lui a témoigné toute ſa ſatisfaction
du bon ordre , de la ſage adminiſtration ,
&de la difcipline dont Sa Majesté venoit
d'être témoin ; & pour en donner à M. le
Marquis de Sombreuil , Gouverneur de
Hôtel , un témoignage authentique, Elle
abien voulu lui faise préſent de fon portrait
; après quoi le Roi eſt remonté dans
fon carroffe au milieu des acclamations de
tout l'Hôtel.
&
Le Lundi , 23 du même mois , la Reine ,
accompagnée de Madame , Fille du Roi,
de Madame , de Madame Elifabeth de
( 33 )
France , & des Dames de leur fuite , s'eſt
auſſi rendue à l'Hôtel royal des Invalides ,
& y a été reçue par le Secrétaire d'Etat
de la Guerre , les Membres du Confeil
de la Guerre , le Gouverneur de l'Hôtel ,
&plufieurs Officiers -généraux. Sa Majefté
étoit ſuivie de l'Officier des Gardes-du-
Corps de ſervice auprès de ſa perſonne.
Elle eſt entrée par la porte royale du dôme,
où le Curé des Invalides a également eu
l'honneur d'haranguer Sa Majefté. Les
Soldats mutilés étoient rangés ainſi qu'ils
l'avoient été lors de la viſite que le Roi
a faite de cet établiſſement.
Après avoir entendu la Meſſe , Sa Majeſté
a viſité les différens réfectoires , les
infirmeries , les cuiſines & la paneterie ;
Elle a goûté le pain & la ſoupe , & l'a
fait goûter à Madame , Fille du Roi. Sa
Majefté , en fortant de la chambre du
Conſeil pour ſe rendre chez le Gouver
neur , où Elle s'eſt repoſée un quartd'heure
, a trouvé ſur ſon paſſage les
Orphelins militaires au nombre de près
de 200, dont pluſieurs avoient exécuté
pendant la Meſſe , & dans tous les lieux
qu'Ellea vifités , des ſymphonies guerrières .
Sa Majefté , après avoir fait à M. le Marquis
de Sombreuil , l'éloge de l'ordre
qu'Elle a trouvé établi par-tout , a daigné
yjoindre ſon portrait. Sa Majesté a auſſi
by
( 34 )
remis à l'Adminiſtration de l'Hôtel , une
fomme d'argent pour être diſtribuée aux
bas -Officiers & Soldats , & a chargé le Secrétaire
d'Etat de la Guerre , de demander
au Roi l'ordre de faire payer un mois
de gratificatien aux Officiers ; Elle a fait
eſpérer encore qu'Elle s'occuperoit des
moyens de procurer des fecours durables
aux pauvres filles des Invalides , auxquelles
Elle a bien voulu en accorder de momentanés
, en ajoutant ; s'il m'étoit poffible de
l'oublier , ma fille m'en rappelleroit , fans
doute , le ſouvenir.
Elles
Les Ambaſſadeurs de Tippoo Saeb , attendus
depuis fi long-temps , font enfin
arrivés à Toulon , le 10de ce mois , à bord
dela corvette du Roi l'Aurore , commandée
par M. de Monneron , Capitaine de
vaiſſeau Portugais , & Lieutenant de vaifſeau
de France pour la campagne . Ces
Envoyés ont été reçus dans le plus grand
appareil , ainſi qu'on le verra par la relation
ſuivante.
« Le 10juin , dès le plus grand matin, ilfut préparé
dans l'Aríenal, 10 Canors deſtinés pour aller
prendrelesAmbaſſadeurs àbord; trois étoientrichementdécorés
de tendelets de damas cramoiſi ornés
degalons& franges d'or. »
«Amidi les tambours des Troupes de la Ma
rine, ainſi que ceux des Troupes de la Garniſon ,
battirentdanstoute l'étenduedela ville , &au même
inſtant tous les Bâtimens de la rade furent pa(
35 )
voiſés de la manière la plus brillante; les grands
pavillons flottèrent ſur le vaiſſeau Amiral & fur
tous les autres qui font mouillés dans le Port; les
Galères arbórèrent également leurs étendards bleus
&blancs. »
« Vers les trois heures & demie de l'aprèsmidi
, tous les Canots partirent pour a'ler prendre
les Ambaſſadeurs , qui deſcendirent dans ces Chaloupes;
fur les quatre heures , tous les Bâtimens
de la rade les ſaluèrent de 15 coups de canon
chacun ; & à meſure que le premier Canot en- .
troit dans le Port par la chaîne vieille , le vaiſſeau
Amiral les falua auffi de 15 coups de canon. »
A quatre heures&quart , les Envoyés mirent
pied à terre ; M.le Marquis de Caſtellet , Directeur
général de l'Arfena!, les reçut & les complimenta.
Neuf carroſſes ſe trouvoient préparés
pour les conduire , ainſi que tous les gens de leur
fuite, à l'Hôtel de M. leCommandant. M. de
Caſtelle donna la main aux Ambaſſadeurs ,& les
fit entrer dans le premier & le plus beau , où il
prit place lui-même ſur le devant; tous les OfficiersdelaſuitedesAmbaſſadeurs,
M.deMonneron
&tous les Officiersde la Marine qui étoient dans
les Canots , prirent place dans les autres carroſſes.
Au moment où les carroſſes marchèrent vers la
porte de l'Arfenal , les tambours battirent au
champ. Etant arrivés à la porte de l'Arſenal , 6
Archers de la Prévôté de la Marine , poſtés en
dedans la grille , ayant à leur tête l'Exempt de
Prévôt , leur préſentèrent les armes ; lorſqu'ils
furent vis-à-vis du Corps-de-Garde , le détachement
de la Marine , de garde , préſenta également
les armes , le tambour battit au champ. Deux
Suiſſes à la grande livrée du Roi , étoient à la
porte de l'Arſenal ,& ouvrirent les deux battans
àl'arrivée des carroſſes ; le premier carroſſe étoit
bvj
( 36 )
également efcorté par 4 autres Suiffes à la grande
livrée du Roi , deux aux portières , & deux portant
un ſponton. Lorſqu'ils furent fortis de l'Arfenal
, le détachement de Troupes de terre qui
bordoit la haye , leur préſenta les armes , leDrapeau
les falua ,& les tambours battirent au champ ;:
en même-temps ce détachement les accompagna
juſqu'à l'Hôtel de M. le Commandant , précédé
de toute la muſique du Régiment de Dauphiné,
qui exécuta différentes marches ; ils paſsèrent ainfi
au milieu de la 6me. diviſion de la Marine qui
bordoit la haie au champ de bataille , & qui leur
préſenta les armes. »
« Les Ambaſſadeurs deſcendirent de carroſſe
dans la cour de l'Hôtel qui leur étoit deſtiné ,&
dans cet inſtant les Remparts de la Porte Royale
les faluèrent de quinze coups de canon , & un
moment après la Batterie Royale , ſituée à côté
de la mâture , en fit autant. »
« Leurs Excellences étant entrées dans l'Hôtel
où M. le Comte d'Albert de Rions , accompagné
de beaucoup d'Officiers de la Marine en grand
uuiforme les attendoient , vint les recevoir à la
porte de la Salle de réception qui étoit richement
décorée. Etant couvert , il porta la main au front ,
& leur donna l'accolade , ainſi que deux jeunes
Officiers qui ſe préſentèrent pour la recevoir ; ce
Général, qui dans ce moment repréſentoit le Roi ,
Beur donna la main ,& les conduifit prendre place
à ſa droite , où ils s'affirent ſur trois fauteuils plus
bas que celui de ce Commandant , qui avoit à
fa gauche M. le Directeur Général . >>
« Ce Général , toujours couvert ,témoigna alors
à ces Ambaſſadeurs que le Roi lui avoit ordonné
de les recevoir avec la plus grande magnificence,
qu'ils n'avoient qu'à demander , que tout étoit à
leurs ordres , qu''oonn leur corderoit tout ce qui
( 37 )
pourroit leur être utile & agréable. Dans cet intervalle
un Officier de la Garniſon vint offrir aux
Ambaſſadeurs une Garde d'honneur, qu'ils ne voulurent
point accepter ; ce même Officier leur demanda
de la part de MM. les Lieutenans du Roi ,
& commandant la place en l'absence de M. de
Coincy, le temps où il plairoit à leurs Excellences
de leur donner audience. Elles répondirent qu'étanttrès-
fatiguées , elles ne pouvoient point encore
déterminer le jour; enfin , après une très-courte
converſation avec M. d'Albert de Rions , elles ſe
retirèrent dans leurs appartemens pour ſe repoſer. »
« Le premier de ces Ambaſſadeurs s'appelle
Mahom t Durvesh-Kan ; le ſecond , Achirolby-
Kan; & le troiſième , Mahomet Olchman. »
« Les Officiers & autres gens de la ſuite de ces
Ambaſſadeurs font partis de l'Inde au nombre de
41 ; il en est mort trois en route , & ils font
arrivés au nombre de 38 , faiſant celui de 44
perſonnes , les Ambaſſadeurs compris. »
« Commelanourriture des Afiatiques eſt eſſen--
tiellement du Riz , on avoit eu foin ici de s'en procurer
de pluſieurs fortes du plus fin & du plus
blanc; & attendu qu'ils ne mangent de viandes
que celles des animaux tués par eux , on avoit
également eu la précaution de s'approviſionner de
Moutons ,de Gibier & de Volailles de différentes
eſpèces , comme Pigeons , Perdrix , &c. »
La route de ces Ambaſſadeurs juſqu'ici
ſera une fête continuelle : l'hôtel qui doit
les recevoir dans cette capitale , rue Bergère
, étoit préparé depuis long temps .
Ils font Muſulmans , comme leur Maître
Tippoo Saëb , & non Indous : leur langue
eſt probablement le Perſan ; nous
( 38 )
rapportons leurs noms d'après le récit de
Toulon , fans engarantir l'exactitude.
« Le navire le Saint- Charles , Capitaine le Normand,
forti de la rivière de Caen le7de ce mois ,
àmidi , fut furpris, le 8, à une heure du matin, d'un
orage terrible , accompagné d'éclairs & de grêle.
Les voiles furent ſucceſſfivementbriſées&emportées.
Lebâtiment , qui étoit alors à huit lieues de la
Hève , entraîné par l'impétuoſité des vents , alla
faire côte , à huit heures du matin , à Luc , à un
quartde lieuede terre. Le mouſſe fut englouti dans
les flots au moment du naufrage; deux matelots reftoient
accrochés aux cordages: le rivage étoit couvert
de ſpectateurs , qui ne pouvoient faire que des
voeux impuiſſans pour leur falut. Le Capitaine , excellent
nageur , ſe jeta à la mer dans l'eſpérance de
trouver quelque moyen de les ſauver ; il ſe trouva
épuiſé de fatigue lorſqu'il aborda. Le ſieur de Caligny,
Seigneur de Luc , offrit inutilement ſa bourſe
auxmatelots dela côte , qui n'auroient pas eu beſoin
decet encouragement pour aller au fecours des malheureux
, ſi cela eût été poſſible. A onze heures le
vaiſſeau ſe brifa ,& les deux hommes diſparurent. >>
« La même tempête a démâré un autre bâtiment,
qui a fait côte dans le voiſinage , & dont la mâture
a été retrouvée à Courſeules , avec ſes agrès & apparaux;
& on n'eſt pas ſans inquiétude fur le fort de
deux autres navires , fortis de la rivière dans la même
marée , dont on n'a pas de nouvelles. "
A la fin du mois dernier , & au commencement
de celui- ci , on a éprouve dans
le Périgord des orages déſaſtreux. Tous
les environs de Bergerac ont été dévaſtés ,
les vins & bleds emportés , même dans
( 39 )
ン
pluſieurs endroits le terrain juſqu'au roc,
pluſieurs arbres abattus & déracinés .
Le même orage a auſſi entraîné une
maiſon près Sauſſignac , & l'a tranſportée
au bas de la côte , avec tous les effets
qu'elle contenoit. Une malheureuſe fille
a été la victime de cet évènement : elle
a été trouvée deux jours après dans un
vallon , parmi le ſable & les débris , tenant
encore des deux mains un bois de
lit , auquel elle s'étoit accrochée au premier
moment.
On mande de Weintringen, village à
2 lieues de Sierck , qu'un Praticien Allemand
, faifant le métier de Braconnier ,
s'aviſa , il y a quelques jours , de tirer fur
une poule qu'il voyoit au fommet d'un
toit de chaume , tandis qu'on étoit à la
Grand'Meffe ; il manqua loiſeau , mais
non la paille , & s'enfuit au lieu d'appeler
du ſecours. La flamme ſe communiquant
de proche en proche , 32 maifons ,
la plupart avec leurs meubles , & quantité
de beftiaux, furent la proie desflammes .
Madame la Princeffe de Lævenſtein , qui
réſide a Weintringen , s'eff empreffée ,
dans cette occafion , de manifeſter ſes
ſentimens de bienfaiſance aux Villageois
qu'a ruinés cette funeſte imprudence.
( 40 )
Lettre au Rédacteur.
MONSIEUR ,
Senlis, ce 24 Juin 1788.
«Ancien Elève du Corps Royal du Génie , je
me ſuis occupé par goût , depuis ſeize ans , à deffiner
dans le genre de la gravure, les ſceaux , monogrammes,&
échantillons d'écritures des diplômes &
des chartes des IX , X , XI & XII ſiècles. »
« Parvenu à former une collection de 4000 empreintes
de ces ſceaux , que j'ai deffinés ſur les
chartes mêmes où je les ai trouvés attachés , jj''ai
penſé que le dépôt où je devois les placer étoit
celui de législation , hiſtoire & droit public ,
que le Roi a établi à la Bibliothèque même de la
Chancellerie , où Sa Majefté fait raſſembler les
preuves de notre hiſtoire , & les monumens de
notre législation&de notre droit public. »
Attaché à cette Bibliothèque par ce genre de
travail , j'ai la permiſſion d'offrir les mêmes fervices
à toutes les Familles , Abbayes , Chapitres
, &c. qui feroient bien - aiſes de ſauver des
ruines de la vétuſté , les anciens ſceaux qui atteftent
l'authenticité de leurs titres ;& je puis également
leur procurer la vue de mes autres deſſins ,
dans le cas où quelques-uns d'eux leur préſenteroient
des armoiries intéreſſantes pour leurs maifons.
»
« Je me ferai donc un devoir de répondre à
la confiance de toutes les perſonnes auxquelles
mon talent peut être utile , ſi elles veulent bien
m'écrire & fe nommer ; je leur ferai part même
des ſceaux de leurs maiſons que j'aurai découverts ,
& j'uferai avec grand plaifir en leur faveur du
droit qui m'a été accordé d'en tirer de nouvelles
copies pour tous ceux qui pourroient en avoir
beſoin , & d'en certifier la fidélité. »
( 41 )
1
La Société Royale d'Agriculture de la Généralité
de Lyon propoſe , pour le concoursde 1789 ,
la queſtion ſuivante :
Quellesfont les plantes qui peuvent être cultivées
en France , pour être utilement employées , comme
engrais , dans les lieux où les fumiers ne font pas
fuffifans, telle que le lupin , le bled farafin , &c.?
Quels sont les avantages & les inconvéniens de
cette culture ?
Le prix eſt de 300 liv. Les Mémoires ne ſeront
admis au Concours que juſqu'au 1. ſeptembre
1789. Ils feront adreſſés , francs de port , à M.
l'Abbé de Vitry , Secrétaire perpétuelde la Société
Royale d'Agriculture , rue St. Dominique , ou envoyés
directement à M. Terrai , Intendant de Lyon.
M. Vincens , Directeur , en a fait l'ouverture
par un difcours allégorique fur l'union de l'Agriculture
& de l'Induſtrie.
Mme. la Baronne de Bourdie , a lu une ode
Anacreontique , & une épître en vers.
M. Granier,D. M. , a lu une diſſertation phyficobotanique
ſur la Fraxinelle.
L'Académie Royale de Niſmes a tenu
une ſéance publique le 9 mai.
M. Vincens de St. Laurent a lu une traduction
en vers du XV , chant du Roland furieux.
M. le Baron de Marguerittes a rendu compre
des travauxde l'Académie pendant l'année qui vient
de s'écouler.
M. Razou , D. M. , Secrétaire perpétuel , a terminé
la Séance par la lecture du programme cijoint
;
L'Académie a déjà propoſé pour le prix de
1789, de
Déterminer , par l'expérience, lespropriétés hygrométriques
de la foie écrue , & d'après ces propriétés ,
7
( 42 )
indiquer les avantages & les déſavintages desdifférentes
manières deconditionner les foies , à l'air ou
aufeu, fiées dans le Commerce.
Elle propoſe pour la même année 1789 , un
prix de Poëfie. Le ſujet , le genre du Poëme , &
la meſure des vers , font au choix des Auteurs.
On défire que 'a pièce n'excède pas deux cents
Vers .
L'Académie propoſe d'avance pour ſujet d'un
prix d'éloquence qu'elle donnera en 1795 , l'Eloge
deMarguerite de Valois , Reine de Navarre,foeur de
Francois 1er.
Ces différens prix feront chacun de trois cents
liv. Les paquets feront adreſſes francs de port ,
àM. Razoux , D. M. Secrétaire perpétuel de lAcadémie.
Ils ne feront pas reçus après le premier
mars de l'année pour laquelle le prix eſt indiqué.
Ce terme eſt de rigueur.
« Le 25 avril dernier, le feu a pris au
> village de Beaucamp-le-jeune en Nor-
>> mandie , près Aumale , Diocèse de
>>> Rouen , & en moins de trois heures ,
>> il a confumé 14 habitations , entr'au-
>> tres , celles de deux Fabricans de Ser-
>> ges qui occupoient les Paroiſſes voifi-
> nes. Les Incendiés n'ont rien ſauvé. La
>> perte eſt évaluée à plus de cent mille
>> livres. Les perſonnes compatiffantes qui
>>>voudroient leur faire paffer des fecours ,
>> pourront s'adreſſer à M. Poiffonnier ,
>> Curé de Beaucamp-le jeune. »
Aujourd'hui 30jun, s'est fait en l'Hôtelde-
Ville de Paris, le tirage des douze Series
de l'emprunt de 120 millions , créé par
( 43 )
Editdenovembre 1737;voici les numéros,
ſuivant l'ordre de fortie : 6,2,7,12 ,
4,5,9,8,10,11 , 1 , 3. D'après
ce tirage, il eft attribué , aux termes de
l'Edit, des rentes à 5 pour cent , aux Séries
repréſentées par les n° . 6,7,4,9,10 ,
1 ; & des rentes à 4 pour cent , aux Series
repréſentées par les nºs. 2 , 12,5,8 ,
11,3 .
Les Numéros fortis au Tirage de la
Loterie Royale de France , le 1er. de ce
mois , font : 3,78 , 67 , 15 & 36.
PAYS- BAS.
•
De Bruxelles , le 27 Juin 1788.
Ala demande des Etats de Brabant ,
LL. AA. RR. ont accordé l'oubli du
paffé au Docteur Clavers & aux 27 autres
Membres de l'Univerſité de Louvain , qui
avoient réſiſté au Gouvernement.
Le Baron de Tork de Rosendaal , MM.
Spiegel, Grand Penſionnaire de Hollande,
d'Aylva & Pesters , nommés par L. H. P.
pour aller complimenter le Roi de Pruffe
àWefel , font de retour à la Haye , &
ont fait le rapport de leur commiſſion à
l'Aſſemblée des Etats-Généraux.
«Ils furent admis , le 9 , à l'audience de S. M. ,
qui répondit de la manière la plus obligeante au
compliment du Baron de Tork de Roosendaal. Sa
( 44 )
Majefté témoigna fa reconnoiſſance de l'attention
de Leurs Hautes Puiſſances , & aſſura leurs Députés
de ſa ferme réſolution de protéger toujours
& foutenir , de la manière la plus forte , la
Maiſon d'Orange , ainſi que la conſtitution de
l'Etat nouvellement rétablie. Meſſieurs les Députés
furent enſuite invités à la table de Sa Majeſté ,
qui pendant le repas s'entretint très- ſouvent avec
eux, »
«Ces Seigneurs partirent, le 10, de Weſel pour
Roosendaal , où ils paſsèrent la nuit ; le II , ils ſe
rendirent au château de Loo , où ils ont eu l'honneur
de dîner & de fouper avec Sa Majeſté . Ils y
font reſtés les 12 , 13 & 14 avec le Chevalier
Harris, Ambaſſadeur & Plénipotentiaire de S. M.
Britannique , & le Baron d'Alvensleben , Envoyé
extraordinaire de Sa Majesté le Roi de Pruſſe. »
« Il y a en tous les jours de grandes conférences
au Château de Loo , entre Sa Majefté Prufſienne
, L. A. S. & R. le Prince & la Princeſſe
d'Orange , M. Harris , M. d'Alvensleben , & le
Conſeiller-Penſionnaire van de Speigel. Il ne tranfpire
encore rien de certain fur ces conférences ;
mais il y a tout lieu de croire qu'elles produiront
un nouveau lien entre les trois Puiſſances pour
affermir la conſtitution de la République. »
S. M. P. eft repartie , le 14 , de Loo ,
où Elle a réfidé trois jours , paffés dans des
fêtes continuelles , dont on écrit le détail
fuivant:
» Le Roi de Prufſſe arriva ici le 11 , vers le
midi , les perſonnes de ſa ſuite étant reftées avec
le Prince Royal , qui arriva une heure plus tard.
Une foule immenfe s'étoit tranſportée ici de toutes
les parties des ſept Provinces , & faifoit retentir
l'air des acclamations de vive le Roi ! Faute
de logemens on campoit ſous des tentes , fous
( 45 )
1
les arbres , au milieu des bruyères. Après le dîné
&une courte promenade , l'auguſte compagnie
aſſiſta à la repréſentation du Barbier de Séville. »
* Le 12 , il y eut , à 11 heures , un déjeûné
public , à l'endroit de la campagne appelé laVolière.
Après midi , grand dîné , pendant lequel il
fut permis à chacun de faire le tour de la table
pour voir le Roi. Un Payfan de Friſe , qui ſe
trouvoit du nombre des ſpectateurs , s'arrêtant
devant Sa Majesté , lui dit dans ſon langage ,
après quelques momens de filence : J'ai fait
trente - cinq lieues pour venir vous voir ;je vous
ai vu , &je retourne content dans ma chaumière.
A fix heures on repréſenta au théâtre l'Ecole
des Rères & la Mélomanie ; après quoi il y eut
un grand ſoupé , illumination , feu d'artifice &
bal.»
« Le 13 , déjeûné à l'orangerie ; grand dîné
enpublic , comme la veille ; à cinq heures, concert,
dans lequel la Princeſſe Louise d'Orange ſe fit
entendre ſur le clavecin. Le ſoir , on repréſenta
la Colonie ; & après ſoupé , vers minuit , le Roi
repartit pour Berlin , après avoir comblé de dons
°râces toutes les perſonnes qui avoient contribué
ou à ſon ſervice ou à ſon amusement . Le
Prince Royal eſt allé faire un tour incognito en
Hollande , d'où S. A. R. compte être de retour
ici le 22 de ce mois. »
En effet , le Prince Royal eſt arrivé à
Amſterdam le 19 , ſous le nom de
Comte de Lingen , &accompagné de fon
Gouverneur le Comte de Brühl , de M.
d'Alvensleben , du Comte de Meden &du
Capitaine Schack. Une foule immenſe ſe
rendit ſur les bords de l'Amſtel pour voir
le Prince , qui débarqua du Yacht de l'A
(46 )
mirauté d'Amſterdam . Le lendemain
S. A. R. viſita les établiſſemens & édifices
publics; il ſe rendit enſuite aux chantiers
de l'An irauté , d'où on lança , en fa préfence
, deux frégates. Dans la ſoirée , le
Prince fortit d'Amſterdam , & alla vifiter
le troiſième jour les poſtes fameux d'Amfſtelveen
& d'Ouderkerk. Le 23 , S. A. S.
eſt partie pour la Haye.
La Cour de Ruſſie ne voit qu'avec
chagrin les difpofitions générales ,& probablement
invincibles des Dantzickois , à
ſe mettre ſous la protection du Roi de
Pruſſe. Elle avoit déclaré que « Dantzick
>> ſe flattoit vainement de changer de
>> domination; que les Traités s'y oppo-
>> foient , qu'ils étoient garantis par la
>> Ruſſie , & qu'on ne les rendroit pas
>>> illuſoires . >> Nonobſtant cette déclararation
, le Tiers- Ordre de Dantzick a perfifté
à ne vouloir envoyer aucun Député
à Warſovie.
Paragraphes extraits des Papiers Anglois&autres.
Comme les Turcs ont fait entendre qu'ils n'offenſeroient
perſonne qui ſeroit habillé à la Polonoiſe
, s'ils faifoient une invaſion dans la Pologne,
tous les habitans fur les frontières de la République
quittent l'habit Alleniand ou Franço's , & remettent
l'habit Polonois. (Gaz &Amst. ,nº. 51. )
Le Chargé d'affaire de l'Empereur à Venife , a
remis depuis peu au Sénat un Mémoire , par lequel
( 47 )
il demande , par ordre de Sa Majeſté Impériale&
Royale, le paſſage, l'aſſiſtance ,& même ſi les circonſtances
l'exigent , les quartiers pour les troupes
que ce Monarque a deſſein de faire paſſer par la
Da'matie. Pour appuyer cette demande , le Miniſtre
Rufe a auſſi remis le même jour un Μέ-
moire au Sénat. On ignore encore la réponſe qui
a été faite aux deux Miniſtres ; mais l'on apprend
que la République a garni de onze régimens ſes
frontières en Dalmatie , & qu'elle continue d'armer
encore plus de vaiſſeaux. ( Idem. )
« On aſſure que des Députés de la Valteline
ſe ſont préſentés au gouvernement de Milan , pour
offrit de ſe ſoumettre à la maiſon d'Autriche. On
fait qu'il n'y a pas encore deux ans , que ce peuple
fit de grandes plaintes aux Seigneurs Grifons , &
des menaces de ſedétacher de leur gouvernement ,
s'ils ne portoient d'abord remède aux défordres
qu'occaſionnoient les confuls qui gouvernoientleurs
bailliages. On ignore encore ſi la maiſon d'Autriche,
dans les circonstances préſentes de guerre ,
acceptera cette offre qui pourroit exciter la jalouſie
d'autres puiſſances. Ce beau pays cependant , qui
eſt extrêmement fertile , ſurtout en excellens vins ,
&qui uniroit le Tirol au Milanois , conviendroit
beaucoup aux Souverains de l'Autriche , quand
même ils n'en tireroient d'autre avantage que celui
d'unir leurs Etats d'Italie à ceux d'Allemagne , de
façon qu'on n'auroit plus beſoin , pour aller dans
le Milanois , de paſſer par les Etats Vénitiens ,
avantage qui ſeul ſeroit des plus grands. La Valteline
ſe retrouveroit auſſi par- là ſous la domination
d'un gouvernement dont elle dépendoit
du temps des Ducs de Milan. ( Gazette deMantoue.
) »
« On parle d'un Congrès de paix qui ſe rafſemblera
, dit-on , à Semlin ,&dont les Miniſtres
( 48 )
plénipotentiaires doivent s'y rendre pour le commencement
du mois prochain. Ce Congrès devra
durer 6 ſemaines , & pendant ce temps , toutes
les hoftilités feront ſuſpendues entre les troisEmpires
. Les Miniftres médiateurs y examineront tous
les moyens qu'ils croiront les plus propres à parvenir
à une réconciliation durable ; & pour cela
ils auront , à ce que l'on prétend , des pouvoirs
très-étendus. (Gazette d'Augsbourg. ) » 225
N. B. ( Nous negarantiſſons la vérité ni l'exactitude
desParagraphes ci-deſſus).
:
MERCURE
D
DE FRANCE.
SAMEDI 12 JUILLET 1788.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ZÉLIS AU BAL ,
Déguisée en Servante.
J'AVOIS cru que fans ſes atours
Zélis feroit moins féduiſante ;
Quelle erreur ! ſemblable aux Amours ,
La nudité la rend brillante.
En vain d'un luxe précieux
D'autres étaloient la richeſſe ;
Elles éblouiſſoient les yeux ,
Et Zélis les charmoit ſans ceſſe.
DORVAL , épris de tant d'attraits ,
Diſoit à ſa moitié : Ma chère ,
No. 28. 12 Juillet 1788. C
MERCURE
Vous cherchiez une femme ... Eh ! mais !
Cela feroit bien notre affaire .
CET oeil ſi vif afſurément
Annonce de l'intelligence ,
Et ce pied léger m'eſt garant
De la plus prompte obéiſſance.
AH ! dit Mondor , venez chez nous ,
L'ennui n'en approchera guères :
Moi , je n'ai pas beſoin de vous ;
Mais mon fils n'est pas fans affaires,
Un jeune Abbé , plein de ferveur ,
S'écrioit : Dieux ! la belle fille!
Que ne ſuis-je le Serviteur
•D'une Servante ſi gentille !
Je ne perdis pas un propos ,
Pas un regard , pas un ſourire ;
Mais pour ma tête & mon repos ,
Je les perdois ſans l'ofer dire .
AH ! crois-moi , laiſſe ces habits
Qui n'ont pu défarmer l'envie ,
Et fois encore , ô ma Zélis !
La Maîtreſſe la plus chérie.
(Par M. Auguste Gaude,
Noth. L'Auteur va mettre au jour un Recueil
peu volumineux de Poéfies fugitives. Cette jolic
Piéce doit en donner une idée avantageufe,
DE FRANCE.
SI
ACROSTICHES.
1.
<AINQUEURdeslieux chéris qu'arroſe l'Hipocrène,
On l'a vu ſoixante ans courtiſant les neuf Soeurs,
Teur ravir ſans effort des lauriers eu des fleurs :
Houjours avec ſuccès careſſant Melpomène ,
➤vingtans il obtint ſes plus chères faveurs :
Il excita l'envie , il eut des Détracteurs
Féveillés trop fouvent par les cris de la haine,
tit bientôt il n'aura que des Admirateurs.
1
(Par M. le Ch. de Noiret , Officier
au Corps Royal de Génie. )
1L
<ENEZ, amis des Arts , & lifez ces Ecrits
Oi les plus beaux talens ſe diſputent le prix :
à de ſublimes vers célèbrent l'héroïſme ,
Herraſſent ſans retour l'odieux fanatiſme ;
muſante ou ſévère , ici la même voix
Inftruit les Nations, eſt même utile aux Rois.
Pien n'a plus illuftré ni la Grèce , ni Rome ;
It cette gloire immenſe eſt celle d'un ſeul homme.
(Par M. D*** T******. )
C2
52 MERCURE
1
ILI.
CIEILLARD, de tes ſuccès jouis ſous ces ombrages
Où Corneille (1 ) & Tacite ( 2) , & Térence (3 ) &
Milton(4) ,
Fiſent avec tranſport tes fublimes Ouvrages ,
Hous en te couronnant des lauriers d'Apollon ;
Temple renommé des Filles de Mémoire ,
Haſcrit des ton printemps entre Horace ( 5 ) &
: Newton ( 6 ) ,
Wien ne peut affoiblir les rayons de ta gloire ,
Et l'Univers entier retentit de ton nom.
(ParM. Mutel de Boucheville.)
I V.
<ERS l'immortalité , dès mes plus jeunes ans ,
On me vit m'élancer , guidé par mon génie.
es plus heureux ſuccès prouvèrent mes talens ;*
Hour à tour je fixai Melpomène & Thalie.
ux immortels lauriers dont Henri ſe couvrit ,
'ajoutai par mes vers une branche nouvelle.
empli d'autres projets , l'amour m'interrompit ,
Et vint, en folâtrant, me dicter la Pucelle.
( Par un Abonné, )
(1 ) La Tragédie,
(2) L'Hiſtoire.
(3) LaComédie.
(4) Le Poëme épique,
(5 ) Les Odes , Epîtres , & autres genres de Paéfio.
(6) La Physique & la Philofophic.
DEFRANCE. 53
V.
A
<ENGEUR de la Raiſon , fléau du Préjugé ,
On lui doit les progrès d'un ſiècle de lumière;
es ſuccès , en tout genre , honorent ſa carrière;
Hout François dut gémir quand il fut outragé.
pprécié trop tard , & prêt à diſparoître ,
-l n'a vu que l'apprêt d'un triomphe nouveau ;
Parement on jouit du jour qu'on a fait naître ,
at l'arbre de Virgile eſt né ſur ſon tombeau.
( Par M. D. Y. G. )
Nouvel Acroftiche.
BUFFON.
BOUTS - RIMÉS.
Il s'eſt gliſſe une faute d'impreſſion au quatrième
vers des derniers Bouts-rimés ; on a mis Gourdon
pour Bourdon. Nous allons les répéter ici , en
priant les perfonnes qui les ont déjà remplis , de
corriger leur quatrième vers.
MOUILLE.
CORDON
PATROUILLE.
BOURDON.
BUSE .
FRAC.
ARQUEBUSE.
BISSAC. 1
C3
54
MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eſt Poiffon ; celui
de l'Enigme eft l'Homme; celui du Logogriphe
eſt Bourse , où l'on trouve Robe , Rofe,
Or, Rufe , Bru , Rue , Roue , & Ourfe.
CHARADE.
Ce que l'on voit enclore
Les beaux préſens de Flore,
C'eſt mon premier ;
Une utile machine
Sépare la farine
De mon dernier ;
Quelquefois en voyage
On cherche de l'ombrage
Sous mon entier..
:
(ParM. N. D. de Neuville aux Loges.)
ÉNIGME.
SI les foibles morrels aimoient la vérité ,
Ils ne ſe plaindroient pas de ma fincérité,
DE FRANCE.
55
Jabhorre le farcaſme & l'adroite fatire
Qui reprend pour blâmer, & jamais pour inſtruire .
Lecteur, vois qui je fuis , je le dis en deux mots ,
J'épure le génie , & laiffe en paix les fots.
( Par M. le Ch. de Meude-Monpas.)
LOGOGRIPHE.
Mon corps qui , fur fix pieds a reçu l'exiſtence,
Éſt,àn'en pas douter, dans la chambre du Roi ;
Lorſqu'on veut à cheval faire fon tour de France ,
Ames pareils toujours on donne de l'emploi ;
Dans un carré parfait , en me coupant la tête ,
Vous pouvez aifément me trouver quatre fois.
Si juique-ra , Leeteur , rien ne t'arrête,
Sur trois pieds autrefois je fus , un jour de fête ,
La monture du Roi des Rois.
(Par M. Pievoſt de Montigny , Garde
du Corps deMgr. Comse d'Artois.)
C4
56 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
DE l'Importance des Opinions religieuses ,
par M. NECKER .
Priſtinis orbati muneribus , hæc ftudia
renovare capimus , ut animus moleftiis
hác potiffimum re levaretur , &
prodeffemus civibus noftris quâ re
cumque poffemus.
CICÉRON.
A Londres ; & fe trouve à Paris , Hotel
de Thou , rue des Poitevins.
7
J'ÉCRIS de Dieu , je compte fur peu de
Lecteurs ; c'eſt la première ligne d'un Ouvrage
philoſophique de ce fiècle , qui a eu beaucoup
de Lecteurs : la cauſe de Dieu eſt celle
de l'humanité; & qu'on l'attaque ou qu'on la
défende , fi on ſe rapproche de la hauteur
du ſujet par ſes idées & par fon éloquence ,
on est bien für de rendre l'humanité entière
attentive .
Les Philoſophes qui veulent pénétrer
tous les ſecrets de la Nature , & les hommes
d'Etat , par qui les loix de la Nature
ont été ſi ſouvent violées , ſont ceux qui
DEFRANCE.
57
ont été le plus accuſés de rejeter le dogme
confolant & fublime de l'existence d'un
Dieu : & c'eſt un évènement affez nouveau
dans l'Hiſtoire de la Religion, de voir
un eſprit éminemment philofophique , &
un homme qui , pendant pluſieurs années,
a gouverné avec éclat les finances d'un
grand Empire , raſſembler toutes les forces
de ſon talent , non pour impofer un Dieu
àun peuple , mais pour le prouver à toute
la Terre.
Il paroît que les premiers Inſtituteurs
des Sociétés , après avoir établi les règles
d'une bonne Adminiſtration , appelèrent
Dieu même à leur ſecours, pour attacher les
hommes à leurs devoirs par un nouveau
lien, L'étymologie du mot Religion l'annonce
. L'Auteur de cet Ouvrage, fans chercher
ſans doute à les prendre pour modeles
, mais guidé par un eſprit & par une
ame ſemblable , a ſuivi la même marche.
L'eſprit de l'Ecrivain eſt infiniment fécond
, & le ſujet eſt infini comme la Nature
même ; car c'eſt toute la Nature qui
ſert de témoin dans cette cauſe : nous tacherons
cependant d'embraſfer dans un extrait
les principales idées d'un ſi grand Ouvrage.
Il ne faudra pas beaucoup de citations
enfuite , pour faire connoître le talent qui
en embellir les détails.
Les Philoſophes qui ont traité de l'exiftence
de Dieu , ont pris des routes différentes
pour arriver au même but.
CS
8 MERCURE
Clarke a commencé par la notion laplus
abſtraite de l'ÊTRE en général ; & par un
enchaînement de conféquences , il conclut
de cetre notion , que l'Etre exiftant par luimême
, que l'Etre éternel eſt ſpirituel &
non pas matériel , qu'il eſt unique , qu'il
eſt infiniment puiſſant , qu'il eſt infiniment
bon , que tout ce qui exiſte hors de lui a
reçu néceffairement de lui l'exiſtence : c'eſt
de toutes ces conféquences que Clarke
forme & la preuve & les idées d'un Dieu.
Defcartes & ſes Diſciples , tel que Mallebranche
, ont cru que la meilleure preuve
de l'exiſtence d'un. Dieu étoir dans l'idée
que l'homme a conçue de l'infini.
Newton, qui õtoit , dit- on , fon chapeau
toutes les fois qu'on prononçoit devant
lui ce mot Dieu , voyoit fur-tout ce Dieu,
objet de ſes adorations , dans ces ſphères ,
dans ces mondes , dont fon génie avoit
meſuré les diſtances, les maſſes & les mouvemens
.
Fontenelle auſſi a écrit un morceau fur
l'exiſtence de Dieu ; il en donne pour
preuve l'ordre & la ſymétrie qui règnent
dans tout l'Univers. L'Univers , dit Fontenelle
, eſt plein de ſtatues qui annoncent
le Statuaire ; mais c'est dans l'Aftronomie
& dans l'Anatomie fur-tout que l'infcription
est la plus distincte & la plus nette.
Après tous ces Philofophes, eſt venu le
Vicaire Savoyard, c'est-à-dire, lePhiloſophe
de Genève ,Jean- Jacques Rouffeau a dit :
DE FRANCE .
59
Tout est en mouvement dans l'Univers, &
j'ai beau faire , par ſa nature , je ne puis
concevoir la matière qu'en repos ; dès que
j'apperçois un corps en mouvement , ou
j'apperçois aufli , ou je conclus que ce mouvement
a été donné & reçu . Il faut donc
chercher le premier moteur hors de la matière.
Je veux mouvoir mon bras , & je le
meus. Voilà une volonté, c'est- à-dire, quelque
choſe qui n'eſt pas matière qui met
mon bras ou la matière en mouvement. Je
conclus que c'eſt une volonté toute-puiffante
, toute- intelligente , qui a mis aufli en
mouvement tout l'Univers.
Cen'eſt pas là ſeulement l'idée d'un Ecrivain
éloquent,c'eſt l'idée d'unPhilofophe qui
adugénie. La première partiede la profeflion
du Vicaire Savoyard me paroît la meilleure
démonstration de l'existence de Dieu. Aufli
eft-ce la démonstration que les MATÉRIALISTES,
qui ont paru depuis , ſe ſont particulièrement
attachés à combattre . L'Aureur
du Systême de la Nature ,de tous les Ecrivains
de ce genre le plus dangereux , parce
qu'il attaque Dieu avec une ame faite pour
Fadorer , & un talent fait pour en célébrer
les merveilles , pour principe fondamentak
de ſon ſyſtême , cherche à établir contre
le Vicaire Savoyard, que le mouvement
eſt eſſentiel à la matière , que le repos
n'est qu'apparent , que le mouvement eft
éternel , qu'il eſt par- tout &dans les flancs
du rocher qui ſemble immobile , comme
C
60 MERCURE
1
dans la cataracte qui ſe précipite de rocher
en rocher , du haut des montagnes de
Niagara.
L'Auteur de l'Importance des Opinions
religieuses avoit un génie trop original ,
pour n'avoir pas dans la même queſtión
une marche toute neuve. Accoutumé à
méditer fur les malheurs des hommes &
fur les intérêts des Sociétés politiques , c'eſt
du beſoin que les Sociétés & les hommes
ont d'un Dieu , qu'il eſt parti pour arriver
à la preuve de ſon exiſtence.
Aina chacun cherche cet Etre Suprême
dans le genre d'études & de méditations
qui lui font les plus familières; & comme
il doit être par-tout ou nulle part , par- tout
on le trouve.
M. Necker part de cette grande idée,
qui ſemble d'un Légiflateur des Nations
; il cherche d'abord ſi la morale dont
les Sociétés ont beſoin pour le maintien
* de leur ordre & les particuliers pour leur
bonheur , peut être établie fur des bafes
purement humaines & indépendantes des
opinions religieuſes. Il analyſe ſucceſſivement
la force & l'influence de chacun de
ces principes d'une morale naturelle : il
cherche à démontrer que les vertus dont .
les Sociétés ont beſoin , ne peuvent pas
naître de l'accord de l'intérêt particulier
avec l'intérêt général , parce que l'ordre
ſocial n'eſt pas un ordre affez parfait , affez
harmonieux, pour que les intérêts particuDE
FRANCE. 61
liers foient toujours fuffisamment dédom .
magés des ſacrifices qu'ils feront à l'intérêt
général ; parce qu'un homme qui n'a rien ,
& qui ne peut ſe procurer le plus étroit
néceſſaire que par un excès de travail , ne
peut pas voir évidemment quel grand avantage
il trouve dans ſon reſpect pour les
droits de ceux qui ont tout.
Les Loix établies pour maintenir cet état
de chofes , paroiſſent à M. Necker également
infuffilantes ; elles ne règlent que ce
qu'il y a de plus général dans les actions
des hommes , de plus rare , & ne peuvent
étendre leur empire à cette multitude
d'affections intimes &d'actions privées , qui
font de tous les jours , de tous les inſtans ,
qui font germer le bonheur ou le malheur
de l'Etat par des moyens inviſibles , à
peu près comme ces forces ſecrètes de la
Nature , qui , par d'invifibles refforts , font
naître les poiſons & les plantes falutaires.
Les Loix ont des peines pour les délits , &
n'ont point de récompenfes pour les vertús.
Elles font des maximes générales & abftraites
, dont l'imagination des hommes ne
peut pas être vivement frappée. Il faut à
la multitude un motif qui foit le plus grand
de tous, qui foit unique,& qui ſoit fenfible:
ce qui la frappe le plus fur la terre ,
c'eſt un Roi ; il lui faut un Roi de l'Univers
.
Les Loix de l'éducation , qui tirent leur
force de celle de tous les autres motifs
62 MERCURE
humains,ne peuvent pas fuppléer à leur
infuffiſance. On cite les prodiges de l'éducation
publique chez les Spartiates ; mais
ce fut à l'Oracle de Delphes que Lycurgue
fut redevable de la puiſſance que ſes Loix
exercèrent ſur les eſprits : mais à Sparte ,
où il n'y avoit guère que deux vertus , le
courage militaire & l'amour de la Patrie
onn'avoit pas beſoin d'une morale trèsétendue
; mais à Sparte , il n'y avoit que
deux claſſes d'hommes , des eſclaves qu'on
gouvernoit avec le fouet & avec le poignard
, & des citoyens, égaux en liberté ,
en propriété , en puiſſance , qui , n'ayant
rien à s'envier , n'avoient rien à ufurper
les uus ſur les autres. Ce qui rend la morale
extrêmement difficile à établir chez les
Modernes , c'est que la claſſe condamnée
aux plus pénibles travaux de la Société , eft
libre , qu'elle n'a rien , & qu'on veut cependant
qu'elle ait des vertus.
Par les progrès ſucceſſifs des lumières
il s'eſt établi depuis quelques années une
nouvelle autorité , qui a une grande influence
ſur les moeurs , l'opinion publique ;
mais l'opinion publique n'exiſte que pour
les hommes qui jouent un grand rôle fur
la ſcène du Monde , les Rois , les Miniftres
, les Héros , les fublimes Artiſtes , les
hommes publics& célèbres ; elle ne s'entretient
point de ceux que la médiocrité de
leur état cache dans la multitude ; elle
juge , punit ou récompenſe les actions écla
DEFRANCE 63
tantes , & ne prononce rien ſur les actions
les plus ordinaires de la vie humaine . Sa
puiſſance, qui ſe concentre ſurun petit nom--
bre de fairs & fur un petit nombre d'hommes
, quoique très forte , eſt donc trèsbornée.
Bien différente de l'opinion publique,
les opinions religieuſes s'étendent
des palais des Rois aux cabanes des pauvres;
elles réſervent des triomphes aux
vertus les plus humbles , comme aux vertus
qui frappent les hommes d'étonnement &
d'admiration ; elles n'attendent pas que le
bien ſoit achevé , pour le récompenfer ;.
elles tiennent compte d'un déſir , d'une
intention , d'un effort : elles n'ont point
ce danger de l'opinion publique , qui fait
de la vertu une eſpèce de jeu de theatre ,
où l'on fait les plus héroïques facrifices
pour unbattement de mains.
Pour les hommes qui vivent, non fous
les regards d'une Nation , mais ſous les
yeux de leurs voiſins , l'eſtime ſemble remplacer
l'opinion publique ; mais cette eſtime,
obfcure prefque toujours comme ceux
qui la diftribuent , n'a pas , comme l'opir
nion publique , des ſignes certains qui la
manifeſtent ; elle n'amène pas, comme l'opinion
publique , des récompenfes à fa
fuite , des places , de la fortune , du pouvoir
; chacun reſte donc le maître de juger
de fon prix comme il lui plaît , & de lui.
préférer ſouvent la fatisfaction de les
pallions& de fes défirs.
64 MERCURE
Quelques Philofophes ont penſé qu'il
ne falloit pas tant d'efforts & d'inftitutions
pour inſpirer à l'homme des vertus ,
qui naîtront facilement & abondamment de
ſa nature , fi on n'en altère pas la pureté. Ils
ont fait l'homme très -bon , pour prouver
qu'il peut fe paffer d'un Dieu ; mais il eſt
difficile de reconnoître ſa nature primitive
au milieu de tant d'inſtitutions , qui l'ont
modifiée tantôt en bien , tantôt en mal;
il eft poffible qu'on attribue à ſa nature
les inclinations heureuſes qu'il doit à fon
éducation , qu'on ſe ſerve pour lui perfuader
que l'opinion d'un Dieu-ne lui eft
pas néceſſaire , des vertus qui lui ont été
inſpirées par cette opinion. L'idée la plus
favorable qu'on puiſſe prendre de ſa nature
, c'eſt que , ſemblable à un fol heureux
& fertile , elle eſt diſpoſée à ſe couvrir
des plus belles productions , lorſque la
culture aura ouvert ſon ſein & y aura
déposé des germes féconds . Dans la Société
où des hommes oififs ne ſe raſſemblent
que pour s'occuper de leurs frivoles plaifirs
, on eft facile ſur les vertus ; la ſeule
qu'on exige avec rigueur , c'eſt cette indulgence
qui diſpenſe de toutes les autres;
mais les vertus qui peuvent faire la profpérité
de tout un peuple , commandent
de grands facrifices , & ce n'eſt que ſous
le régard d'un Dieu que les, Empires peuvent
ſe couvrir de ces vertus .
L'exemple des hommes qui ont adoré la
DE FRANCE. 65
Vertu fans adorer un Dieu , cette obje&ion
ſi ſouvent reproduite pour combattre la
néceflité des opinions religieuſes , eſt une
objection bien foible. Ces hommes , toujours
en petit nombre , n'ont rejeté que
dans un âge avancé le Dieu dont on s'étoit
ſervi pour inſpirer l'amour des vertus à leur
enfance : ils ont le grand intérêt de fou-
-tenir par l'exemple de leurs moeurs , leur
ſyſtême , qui ne peut pas l'être par des raifonnemens
: ils font, pour la plupart, des
Philofophes étrangers , par leur vie retirée
& ſtudieuſe , à tous les grands intérêts qui
conduifent aux grands crimes ; & dans
aucun cas, l'exemple d'un très- petit nombre
d'hommes qui ont eu quelques vertus fans
croire en Dieu , ne peut ſervir à prouver
qu'une Nation entière , ſans l'opinion de
l'exiſtence d'un Dieu , peut avoir toutes les
vertus ſur leſquelles doit s'élever ſa fé-
-licité.
Telle eſt donc pour l'ordre ſocial Pinſuffiſance
de toutes les baſes naturelles ou
politiques ſur lesquelles on voudroit établir
la morale ; mais la plus grande partie
du bonheur des hommes n'a point été
miſe en communauté ; elle n'eſt point le
produit des relations qu'ils ont les uns avec
les autres dans la Société ; elle prend naifſance
dans leurs ſentimens les plus intimes
, dans leurs affections , dans leurs penſées,
dans la manière diverſe dont leur
imagination eſt émue ; & c'eſt ici qu'on
66 MERCURE
1
découvre une puiffance admirable dans la
Religion , & qui n'appartient qu'à elle .
C'eſt un phénomène très-remarquable de
la nature de l'homme, que, quoique dans les
diverſes époques de fa durée, le préſent ſeul
foit à lui , quoique le paſſe ne ſoit plus ,
& que l'avenir ne foit pas encore , ce n'eſt
jamais cependant par le charme des jouiffances
préſentes qu'il eſt heureux. Son ame
eſt toujours dans l'avenir , toujours occupée
, non de ce qu'elle poſsède ,mais de
ce qu'elle eſpère. Ce n'eſt pas ſeulement
dans une paſſion que l'homme montre ce
caractère , c'eſt dans toutes les paffions ,
dans l'amour , dans l'amour de la gloire ,
dans l'ambition : tout ce qui limite nos
jouiffantes les détruit , & dans tous les
genres , la borne qu'on apperçoit eſt comme
un tombeau dans lequel notre bonheur eft
enfeveli. La Religion , qui déploie aux regards
de l'homme des eſpérances immortelles
& des avenirs inépuiſables en quelque
forte, s'accorde donc merveilleuſement
avec la nature de l'homme. C'eſt la Religion
qui , en promettant des plaiſirs éternels
, répand leur plus grand charme fur
les plaiſirs mêmes de la terre , parce que
c'eſt elle qui en ôte ou qui en efface les
limites ; c'eſt la Religion ſeule qui offre des
confolations pour ces pertes que la Nature
a rendues irréparables : c'eſt elle ſeule qui
fait continuer de doux entretiens entre un
fils qui n'eſt plus , & fa mère défolée qui
DE FRANGE. 67
le pleure ; par elle les tombeaux même
font peuplés de vivans ; la mort , dont
l'image attriſte la création , par elle n'eſt
plus qu'une apparence , & c'est la vie ſeule
qui eſt réelle.
C'eſt par ces eſpérances fi hautes , fi
illimitées & univerſellement promiſes , que
la Religion attache tous les hommes à la
vertu , &fur la terre même , la vertu ſeule
peut affurer leur bonheur. Les plaifirs des
Tens ſont paſſagers , & leurs longs intervalles
remplis de langueurs ; les jouiſſances
de l'opinion , telles que celles du pouvoir
&de la gloire , ſont preſque toujours des
fantômes qui s'évanouiſſent ſous la main
qui eſt prête à les atteindre. Ce n'eſt pas
au Triomphateur , trop ſouvent fatigué fur
fon char de victoire , que la pompe du
triomphe paroît le plus magnifique. La
vertu, qui ſeule a des projets conftans &c
un but fixe , peut ſeule auſſi épargner à
l'homme cette inſtabilité & ces variations
continuelles de ſes déſirs , qui ſont un des
plus grands tourmens de ſon exiſtence ; fans
lavertu, toutes nos opinions flottent incertaines
, & c'eſt la morale qui arrête à jamais
nos idées dans cet équilibre qui conſtitue
la raiſon: c'eſt elle encore qui étend les
vûes de notre eſprit fur les beſoins & fur
la félicité de tout un peuple. Par un enchaînement
admirable de ſes heureuſes
influences , la vertu , qui par elle - même
mériteroit les adorations de la terre , donne
68 MERCURE
1
:
encore à la raiſon humaine toute ſa certitude
, & au génie toute ſa grandeur.
S'il n'y a que la Religion qui puiffe répondre
& à la Société du maintien de fon
ordre , & aux hommes de leurs vertus &
de leur bonheur , on conçoit combien elle
eſt plus néceſſaire encore pour les Souve
rains , ſoit qu'on regarde à fes commande.
mens , ſoit qu'on regarde à ſes promeſſes ,
Tout ce qui agit ſur les autres hommes ne
peut pas agir fur les Rois : ils ne font pas
foumis aux Loix , parce qu'ils les font ; ils
ne ſont pas foumis à l'opinion publique ,
parce qu'ils ne l'entendent pas. Le cours entier
de la plus longue exiſtence peut être embelli
pour les autres hommes par cette fucceffion
variée de beſoins , de déſirs , d'eſpérances&
de travaux ſemés ſur toute la roure
de leur vie. Tous ces balancemens, qui font
le charme de notre exiſtence , ſont perdus
pour l'existence des Rois. En les comblant
de tous les biens , on les a privés du plus
grand de tous , de l'eſpérance ; dès le berceau
, on leur a préparé leur ennui. Si l'on
veut que les Rois aient quelque choſe à
craindre , il faut donc qu'ils aient une Religion.
Si l'on veut qu'ils aient quelque choſe
à efpérer, il faut donc qu'ils aient une Religion
. Sur un trône on ne peut porter ſes
regards qu'au Ciel. La Religion élève les
autres hommes au deſſus de leur nature :
elle est néceffaire aux Rois , pour les faire
deſcendre encore à la nature des hommes.
L
DE FRANCE. 69
Ce n'eſt pas ſeulement la Religion qui
eſt bienfaisante , ſes ſolennités même le
font : fes folennités réuniſſent les coeurs
des hommes , en les raſſemblant dans des
cérémonies touchantes ; elles donnent des
jours de repos à ces travaux par leſquels
le riche écraſe le pauvre.
La ſeule idée d'un Dieu ſuffiroit pour
ſervir d'appui à la morale. C'eſt à cette
fublime idée que s'attachent & tous les ſentimens
& toutes les réflexions qui compoſent
la légiflation d'un être moral.
Foibles& environnés de dangers, l'inftinct
àchaque inſtant nous fait tendre les bras au
Ciel pour implorer des ſecours ; mais comment,
avec une ame fouillée de crimes ou de
vices , oferions -nous adreffer des prières à
un Etre parfait ? Pour ofer demander , il
faut avoir quelques droits à obtenir. Nos
penſées ne peuvent s'élever à la notion
d'un Dieu , ſans le conſidérer comme l'atuteur
de l'ordre admirable qui éclate de
toutes parts dans l'univers phyſique ; &
c'eſt une conféquence bien naturelle , que ,
pour lui plaire , il nous faut entrer dans
le deſſein de cette ſuperbe ordonnance des
choſes ,& limiter , autant qu'il eſt en nous ,
dans la compofition de l'architecture ſociale
, cette oeuvre qui nous a été confiée.
Si , comme Ordonnateur des êtres , l'idée
d'un Dieu eſt une ſi haute leçon de morale
, elle en eſt une bien plus touchante
encore en le conſidérant comme leur Bien
70
MERCURE
faiteur: en vain les maux de la vie ont éré
exagérés par une ſenſibilité trop délicate ,
ou par une philofophie chagrine ; les maux
font des accidens ſur une longue route
femée de biens ; tous nos beſoins font des
fources de plaiſirs ; toutes nos facultés font
dans leur exercice des moyens de jouiſſance.
La vie du plus grand nombre des hommes
eft bornée à l'enfance & à la jeuneffe , ces
deux âges où le bonheur eſt ſi facile , & où
toutes les ſenſations ſont des enchantemens
; & pour ceux qui paſſent cet âge , ſi
les plaiſirs font moins vifs , ils ſont plus
purs , parce qu'ils font choiſis par l'expérience
; ils font mieux goûtés , parce qu'ils
font approuvés par la raifon. C'eſt un ſophiſme
de dire que tout le monde eſt ſi
mécontent de ſa vie , que perſonne ne
voudroit la recommencer aux mêmes conditions.
Lorſque nous regardons la vie en
arrière , nous la voyons dépouillée de ſes
deux principaux ornemens , la curiofité &
l'eſpérance; & ce n'eſt point dans cet état
qu'elle nous a été donnée & que nous en
avons joui. Dès que nous penſons à Dieu ,
l'oeuvre entière de la création nous paroît
donc une oeuvre de bienfaifance ; & de
quelque côté que nous portions nos regards,
nous voyons une main éternelle , toujours
ouverte pour laiſſer tomber des biens &
des plaiſirs fur les êtres qu'il a formés.
C'eſt avec ces attributs , les modèles les
plus parfaits & les plus touchans de la
DE FRANCE. 71
morale , que l'idée d'un Etre Suprême s'eſt
toujours préſentée au genre humain ; & un
des moyens les plus sûrs pour arriver à la
vérité , c'eſt de ſuivre le cours de ces ſentimens
ſimples & de ces penſées primitives
, qui ont guidé l'eſprit & le coeur de
l'homme , dans quelque pays & fous quelque
climat que le Ciel l'ait fait naître.
Mais on eſt forcé de combattre enfuite
une philofophie armée d'objections & de
difficultés qui a épuiſé ſa ſagacité , pour
voir ou pour imaginer des contradictions ,
foit entre les attributs mêmes de cet Erre
Suprême , ſoit entre ſes attributs & ceux
de l'homme. La plus inſoluble de ces difficultés
, en apparence, eſt celle qui préſente
la liberté de l'homme & la prefcience divine
comme inconciliables : & cependant
fi Dieu ne fait pas tout ce qui doit arriver
, il eſt borné ; & fi l'homme n'eſt pas
libre , il n'y a plus de morale ; c'est-à-dire
qu'il n'y auroit plus ni de morale ni de
Dieu. Mais l'homme eſt libre , le ſentiment
nous l'affure; & fi l'on étoit réduit à croire
qu'il y a une contradiction abſolue entre
Ja libertéde l'homme & la prefcience divine,
c'eſt fur celle- ci , peut- être , que nos doutes
porteroient un moment : mais il n'y a point
de contrariété entre elles ,& toutes les deux
enſemble on peut &l'on doit les adopter . Ce
n'eſt pas la prefcience qui détermine les évè
nemens futurs ; car la fimple connoiſſance de
l'avenir ne fait pas l'avenir : tous les évène
72 MERCURE
mens futurs ſont fixés, ſoit qu'ils foient prévus
, foit qu'ils ne le foient pas ; car la contrainte
& la liberté conduiſent également
à un terme poſitif : il eſt donc sûr qu'un
évènement prévu ou imprévu aura lien
dans tel temps ; mais fi la liberté n'eſt point
contrariée par cette certitude inévitable ,
comment le feroit-elle , parce qu'il exiſteroit
un Etre inſtruit à l'avance de la nature
préciſe de cet évènement ? Sans doute
l'homme eſt déterminé à agir par des défirs ,
par des motifs : mais ces motifs le déter- 2
minent & ne l'entraînent pas , puiſqu'il
s'arrête à chaque inſtant pour balancer leurs
avantages & leurs inconvéniens, pour faire
un choix que prononce ſa penſée , qui ne
dépend que d'elle-même ; or la liberté de
notre penſée , c'eſt la nôtre. La penſée ſe
fert des témoignages des ſens ; mais elle ne
leur obéit pas plus que le Juge n'obéit
aux témoins , dont les dépoſitions lui fervent
à rendre ſes Arrêts. Nos ſens ſont
tellement fubordonnés à cette partie fublime
de nous-mêmes, qu'ils n'agiſſent pour
elleque ſuivant ſa volonté ; elle leur commande
, tantôt de lui préſenter le tableau
des richeſſes de la Nature , tantôt de parcourir
affidument les regiſtres de l'eſprit
humain , tantôt de prendre l'équerre & le
compas pour lui rendre un compte exact
de ce qu'elle défire connoître avec précifion
; quelquefois elle leur indique les
moyens dont ils doivent ſe ſervir pour
augmenter
DE FRANCE.
73
augmenter leur puiſſance. Ce n'eſt donc
pas l'eſprit qui eſt l'eſclave des ſens , ce
font les ſens qui ſont des miniſtres de
l'eſprit , toujours foumis à ſon empire.
Mais qu'importe , diſent encore les
mêmes Philoſophes , qu'importe que notre
ame ne ſoit pas dans la dépendance de nos
ſens , fi , née avec eux , avec eux elle doit
périr encore ? Qu'importe pour la morale
qu'il exiſte un Dieu , ſi ſes jugemens ne
font pas prononcés ſur la terre , & fi la
mort, qui nous détruit tout entiers , nous
met hors d'atteinte de tous les autres jugemens
&de tout autre Juge ? Mais c'eſt la
Nature elle-même qui , au milieu de tant
de deſtructions dont elle nous rend les
témoins , nous a donné cette idée de l'immortalité
de notre ame. C'eſt elle qui , parmi
tous les phénomènes de l'Univers , nous a
fait remarquer le phénomène de la penfée
comme le ſeul qui ſera à jamais inexplicable
, & par toutes les qualités,& par tous
les mouvemens de la matière. Y a-t-il plus
loin de l'exiftence à l'immortalité , que du
néant à l'exiſtence ? & cependant nous
exiſtons ,& vivre eſt un auſſi grand prodige
que vivre éternellement. Dans toute la nature
phyſique règne une harmonie admirable;
parmi tous les autresêtres animés , leurs
déſirs font en proportion avec le terme où
ils tendent , & leurs facultés ne ſont pas
au deſſus de leur deſtinée. Dans le monde
moral règnent la confuſion & le déſordre
NO. 28. 12 Juillet 1788.
D18
2
74
MERCURE
&tout annonce une autre vie , où l'ordre &
P'harmonie du monde. moral égalera la
beauté du monde phyfique. L'homme ſeul,
parmi toutes les eſpèces vivantes , a plus
de lumières qu'il ne lui en faudroit pour
parcourir l'eſpace étroit de cette courte vie ;
ſeul il afpire à une exiſtence qui n'ait point
de limites , & il a le gage de cette vie immortelle
dans ces facultés ſublimes , qui
feroient fuperflues ou même funeſtes , s'il
n'étoit pas né pour l'éternité. Sans ceſſe
penchés ſur le bord de cet abîme de l'in
fini , tout nous déclare , notre instinct &
notre raiſon , que l'infini doit être notre
partage , & que, plongés par la mort dans
cet abîme , nous irons reparoître dans une
autre vie , qui ne doit avoir de bornes ni
dans l'eſpace ni dans la durée.
Il y a donc un Dieu : c'eſt l'Univers qui
Y'a proclamé dans tous les ſiècles , & es
merveilles qui l'annoncent ſe manifeſtent
par des bienfaits aux hommes les plus
fimples, comme par l'admiration aux regards
du Philoſophe qui en contemple les beautés
& qui en cherche les ſecrets. Il y a
quelque choſe d'éternel ; cette vérité, qui
eft incorapréhenſible , eſt pourtant inconteſtable
; c'eſt donc l'Univers qui eſt éternel
, ou il a un auteur à qui ſeul appartient
Véternité. Mais quoique l'ouvrage foit
fous nosyeux & non pas l'Ouvrier , quoique
l'Ouvrier foitbeaucoup plus difficile à consevoir
que l'ouvrage , tel eſt pourtant le
DE FRANCE.
75
penchant irréfiſtible de notre eſprit , que
nous ſommes forcés à penſer que l'Univers
a été fait& qu'il n'exiſte pas de lui-même.
Aucun des caractères que nous voyons ou
que nous découvrons dans l'Univers , ne
nous annonce une exiftence néceffaire ,
mais des êtres qui ont reçu l'existence ; &
fi dans tout ce que nous appercevons ,
nous cherchons quelque choſe qui nous
donne l'idée de ce qui a pu faire un tel
Ouvrage , la penſée ſeule de l'homme , qui
conçoit un plan & qui l'exécute , nous
danne l'idée de l'Architecte éternel qui a
conftruit les Mondes. Ils font donc l'ouvrage
sd'une intelligence , mais infinie dans fa
puiffance , dans ſa ſageſſe &dans ſa bonté.
En vain ceux qui veulent mettre la Nature
à la place de Dieu , ont tenté d'expliquer
la formation de l'Univers , ou par des atomes
doués de propriétés & de mouvemens
, ou par de grandes maſſes de matiè
res , auxquelles leur forme & leur organiſation
font aufli néceſſaires que leur
Texiſtence; les propriétés qu'ils attribuent à
la matière font aufli inviſibles que le Dieu
qu'ils rejettent , & elles répugnent à l'imagination
de l'homme, autant que l'idée d'un
Dieu lui convient & la fatisfait. Il eſt de
l'effence d'une bonne philofophie d'expliquer
les phénomènes par les puiſſances avec
leſquelles ils ont le plus de rapport & d'identité,
&cependant les Matérialiſtes expliquent
l'Univers par des chocs , par des
D 2
76 MERCURE
adhéſions , par des mouvemens aveugles ;
& parmi les inftrumens qui ont pu concourir
à ce ſuperbe ouvrage , ils ne veulent
pas adimettre la pensée, qui ſeule eſt capable
d'en concevoir le plan & l'ordonnance.
On croit voir des hommes ſe difputer fur
les moyens dont on s'eſt ſervi pour élever
une pyramide , & nommer tous les genres
d'inſtrumens , excepté ceux qu'on trouve
encore aux pieds de l'édifice.
Parvenus , par le ſentiment des beſoins
de la Société & des nôtres , par l'inſtinct
&par la raiſon , à ces vérités ſuprêmes, que
l'homme eft libre , que fon ame eft immortelle,
qu'un éternel bonheur lui eſt réſervé
s'il s'en rend digne; de ces trois vérités
qui ne font que la même vérité , tant elles
font étroitement unies entre elles , naiſſent
avec un caractère frappant d'évidence toutes
celles qui font néceſſaires au genre humain
& aux Sociétés dans leſquelles elle eſt partagée.
Leglaive tombe des mains du perfécuteur;
car il doit voir que la perfuafion &
la conviction, ou l'action de la penſée ſur
la penſée , peuvent ſeules élever les eſprits
à ces hautes conceptions , & que quiconque
emploie la force pour convertir les
ames, traite les ames comme ſi elles étoient
matérielles.
Le Philoſophe aura plus d'indulgence
pour les erreurs qui , dans les diverſes conirées
de la terre, auront pu ſe mêler à ces
DE FRANCE. 77
dogmes qui doivent être ceux du genre humain..
En voulant détruire des préjugés , il
craindra de porter des coups mortels aux
vérités qui y font unies. Il ceſſera de ſubſtituer
au raiſonnement, dans ces profondes
matières , ces légères plaiſanteries par lefquelles
il flatte un monde frivole , & tue la
raiſon ſous prétexte de l'égayer; il n'aura que
des ſentimens de refpect & d'amour pour
leLégislateur de la morale Chrétienne , qui
a mis au même rang l'amour de Dieu &
l'amour du prochain , qui a renverſé les
barrières qui ſéparoient le Samaritain & l'enfant
d'Iſraël , qui a déclaré que le temps
étoit venu d'adorer l'Éternel , non ſeulement
fur la montagne & dans le temple , mais en
efprit&en vérité ; qui , parmi les maux affreux
que produit l'inégalité des richeſſes ,
afait du riche le protecteur & le tuteur des
pauvres, en faiſant de la charité la vertu la
plus agréable à celui qui a créé l'Univers.
Telle eſt la fuite des principales idées de
ce Livre , mais dépouillées de la multitude
infinie des idées acceſſoires qui les enrichiffent
, des images éclatantes qui les embelliffent
, des ſentimens pleins d'énergie
ou d'onction qui les font pénétrer juſques
au fond des ames. C'eſt l'enceinte dans laquelle
l'édifice a été élevé, plutôt que l'édifice
même. Vingt fois, en faiſant cette analyſe ,
j'ai été tenté de m'arrêter &de la ſupprimer.
Je ſentois qu'en abrégeantun Livre où tout
D3
78 MERCURE
eft original , la penfée & le ſtyle , on le dénature
, parce que la création & l'effet font
prefque toujours dans les détails , & qu'en
ne détachant que les idées principales , on
fait plutôt connoître la matière qui eft à
tout le monde, que l'Ouvrage qui n'eſt qu'à
l'Auteur. C'est trop ſouvent l'art perfide
de ceux qui veulent faire paroître commun
un Ouvrage où tout est neuf. Un tel art
ne fut jamais à mon uſage. J'ai pensé que
ceux qui font peu accoutumés à ces lectures
qui demandent de la méditation , trouveroient
quelques fecours dans une analyſe
où je rapproche des vûes ſéparées dans
le Livre par d'arres vões de détail , trop
belles encore pour ne pas arrêter l'attention
& l'admiration , & les détourner de
l'enchaînement qui conflitue l'enſemble.
Mais dans cet extrait même , il eſt difficile
peut- être de ne pas appercevoir la manière
neuve & profonde dont eſt traitée la
queſtion la plus importante pour le genre
humain.
Beaucoup de gens avoient dit que l'opinion
ſeule de l'exiſtence d'un Dieu pouvoit
donner une bafe & une ſanction à la
morale ; M. Necker eſt le premier qui
ait fongé à meſurer le degré de force de
toutes les caufes qui peuvent agir fur l'efprit&
furle coeur de Phomme, pour lui infpirer
des vertus ; & indépendamment même
de la queſtion qu'il agite , c'eſt une grande
vue philoſophique & législative , que cette
DEFRANCE.
79
appréciation de la puiſſance des Loix , de
l'opinion publique , de l'eſtime , de l'éducation
, des affectations naturelles qui nous
portent au bien. C'eſt une manière nouvelle
de conſidérer la nature humaine , la Société,
&les refforts qui peuvent agir fur l'une &
fur l'autre .
On peut croire qu'il n'accorde pas toujours
affez à la force de chacune de ces
puiſſances ; qu'il ne recherche pas quel
feroit le réſultat de toutes ces puiflanges
agiſſant à la fois , lorſque de bons Légif
lateurs leur donneroient à toutes le mouvement
par une feule impulfion , & les feroit
tendre de concert au même but. Mais
les difficultés mêmes qu'on peut lui faire à
ce ſujet , naîtront de la manière nouvelle
dont il a vu ces chofes , & il faudroit lui
en rapporter le mérite.
1
Il eût pu paroître plus naturel& plus phi
lofophique d'établir la vérité des Opinions
religieuſes avant leur néceſſité; mais fi elles
font néceſſaires , c'eſt déjà une grande préfomption
de leur vérité ; & nous fommes
diſpoſés à recevoir plus facilement & plus
favorablement des Opinions ſi umiles à notre
bonheur.
Par-tout dans cet Ouvrage règne une fagacité
d'eſprit prodigieuſe; & ce qui donne
à la ſagacité de l'Auteur un caractère qui
lui eft propre , c'eſt que tantôt elle ſe manifeſte
par des idées que feul il a cues ,
tantôt par la force qu'il découvre ou qu'il
まつMERCURE
donne à des idées communes à tout le
genre humain, mais négligées par les Phiłofophes
à caufe de leur familiarité même..
Il n'y a pas dans tout l'Ouvrage un feul
Chapitre fans des idées & des beautés fupérieures
; mais il y a un Chapitre qui nous
a paru très-ſupérieur à tous les autres. C'eft
celui qui porte pour titre que la ſeule idée
d'un Dieu fuffiroit pourſervir d'appui à la
morale. Nous ne connoiſſans point de morcesu
où la Philofophie ait percé plus avant
dans les myſtères des facultés & des. deftinées
de l'homme.C'eſt là que l'Auteur traite
les queſtions de la liberté&de la prefcience
divine , & il n'a pas ſeulement fondé cet
abîme , il l'a éclairé. Que les autres diſent
ce qu'ils ont éprouvé ; moi ,c'eſt un grand
étonnement.
Par ces juſtes éloges, qui ne font que l'énoncé
des impreſſions que nous avons reçues
, on voit combien nous craignons peu
d'affliger la haine , l'envie , & l'indifférence
même qui ne pardonne pas à qui la veut
forcer d'admirer. Ce n'eſt pas pour les confolerque
nous ferons quelques obfervations
àM. Necker , mais parce que nous ſommes
perfuadés que la vérité doit être fur - tout
chère à un eſprit qui la découvre ſi ſouvent
, lorſqu'elle eſt inacceffible aux autres
hommes.
L'ordre ſocial , dit M. Necker , n'est pas
une choſe affez parfaite , affez harmonieuſe,
pour ſervir de baſe à la morale ;
DE FRANCE. δε
la multitude qui n'a rien, ne peut pas voir
facilement l'accord de l'intérêt particulier
avec l'intérêt général. Il trace ( page 35 )
un tableau énergique de toutes ces inégalités
qui ſéparent les hommes & leurs conditions
dans nos Empires, &il paroît croire
qu'il n'y a aucun moyen de les éviter ; il
prononce formellement que ce ſont-là des
effets inséparables des Loix de propriété.
Quelle vérité terrible, s'il n'y avoit aucun
moyen d'en douter ! Mais l'ordre ſocial
n'eſt pas une choſe abſolue & toujours la
même ; il varie & fe modifie de cent manières
, ſuivant les différences des Nations,
des Gouvernemens , des moeurs, &des lumières.
L'ordre ſocial n'eſt pas le même
dans une République & dans une Monar-
✓chie; dans la même Monarchie & dans la
même République , il change avec les Monarques
, avec les moeurs & les Loix. Il ſe
perfectionne , il ſe corrompt; & il s'en
faut bien que chez aucun peuple , & dans
aucun ſiècle, il ait jamais atteint le degré
de perfection qu'il pourroit recevoir. Si ce
qu'on appelle l'ordre ſocial n'eft que la
tyrannie du petit nombre &le malheurde
tous , il eſt bien vrai que la vertu & la
morale ne pourront pas naître de cet ordre
prétendu , qui eſt lui-même la plus grande
de toutes les injustices , & la fource de
toutes les autres. Mais faites que l'ordre
focial ait l'objet qu'il devroit avoir , le bienêtre
du plus grand nombre, & vous verrez
Ds
MERCURE
alors que les intérêts particuliers & l'intérêt
général s'accorderont enſemble , puifqu'ils
ne feront qu'un ſeul &même intérêt.
Mais cet accord , dit M. Necker , ne ſe
démontre que par des raiſonnemens hors
de la portée de la multitude
Quand cet accord n'existe pas dans les
chofes même &dans les Loix, il ne ſe démontre
d'aucune manière : tous les raifonnemens
du monde ne font alors que des menfonges,
lorſqu'ils font faits par les Politiques,
& des fictions, lorſqu'ils font faits par les
Philoſophes . Quand cet accord exiſte réellement
dans les Loix & dans les chofes ,
on n'a nul beſoin de le démontrer , l'ordre
ſocial le montre de lui -même aux yeux
par des faits éclatans & qui renaiffent tous
les jours.
Je ne sçaurois , je l'avoue , ajoute M.
Necker , me repréſenter qu'avec une forte
de dégoût & même d'épouvante , une Société
politique , dont tous les Membres ,
fans motif dominant , ne feroient contenus
que par une prétendue liaiſon de leur intéret
particulier avec l'intérêt général. Que
de Juges isolés ! quelle multiplicité innombrable
d'opinions , defentimens & de volontés!
Toutferoit en confufion,fion laiſſoit aux
hommes la liberté defaire de pareils calculs
Dans une Société où cette liaiſon ne
feroit pas une choſe prétendue , mais réelle,
par-là même très-ſenſible , ce ne feroît
pas un réſultat caché & qu'il fallût dé
DE FRANCE. 85
couvrir par des calculs : ce ne ſeroit pas
une choſe incertaine , abandonnée à la
variété des opinions. Ce feroit un ordre
affez fimple , mais magnifique & touchant ,
qui ſe manifeſteroit par des bienfaits à
tous les regards & à tous les coeurs comme
P'ordre de la Nature. Les Juges n'en feroient
pas iſolés. Un pareil jugement ſeroit prononcé
par un fentiment univerſel de bienveillance
& de reconnoiſſance , qui feroit
dans toutes les ames , qui paſſeroit des unes
aux autres , & les uniroit toutes enſemble
par une forte de paffion à la Patrie adorée ,
fource inépuiſable de tant de bienfaits. Loin
qu'un pareil tableau pût inſpirer quelque
degoût,& quelque épouvante ,je n'en conçois
pas fur la terre de plus digne des regards
même de cot Etre Suprême , qui
auroit les moyens de récompenfer tant de
félicités par des félicités infinies.
Mais , ajoute M. Necker , tous ces défordres
font des effets inséparables des Loix de
propriété.
Si j'avois à répondre ici à un de ces prétendus
hommes d'Etat, par qui les Etats
font toujours opprimés , qui , jetant à peine ,
un regard fur ce qui eft , n'ont aucune connoiffance
de ce qui a été, ni aucune idée
de ce qui pourroit être, je ne fais trop ce
que j'aurois à lui dire.
1
Avec M. Necker , que la Philofophie a
élevé au Ministère , & qui , après une adminiftration
pleine de gloire , eft renué
D6
84 MERCURE
dans le ſein de la Philofophie ; avec celui
qui dépenſe en grande partie ,par ſes vertus ,
une fortune acquite par fes talens , qui pouvant
être au rang des plus grands propriétaires
, dès ſes premiers Ecrits à élevé la voix
contre la tyrannie des grandes proprietés ,
je me trouve à mon aife , & je n'ai pas
beſoin de voiler ma penſée ſous les ménagemens
des bienséances , ou de la taire par
la crainte de ne paroître qu'un faiſeur de
Romans politiques, à l'homme qui a tenu en
main les deſtinées d'un grand Empire.
J'oſerai donc dire d'abord, qu'il n'eſt point
du tout prouvé que là propriété foit néceffaire
à l'ordre ſocial.
Pluſieurs Empires ont ſubſiſte ſans propriété
pendant des fiècles.
Je fais que la Polirique moderne &même
la moderne Philofophie affecte un grand
dédain pourles inſtitutions des Crétois&des
Spartiates. Mais il y a deux faits pourtant
qui méritent quelque conſidération ; c'eſt
qu'il n'y a point d'inſtitutions ſociales qui
aient infpiré plus d'admiration à l'Univers ,
&plus d'amour à ceux qui leur étoient
foumis. Dans l'impoffibilité. de révoquer
en doute l'existence de la Crète & de Lacédémone
, on a dit que c'étoient des plans
de ſociété extraordinaires , bizarres, & hors
de la Nature : & au contraire , fi on confulte
l'Histoire . & les Voyageurs , on voit
que preſque toutes les Sociétés naillantes,
celles qui fuivent encore dans leurs uſages
1
DE FRANCE. 85
l'instinct de la Nature , ne conhoiffent
point ou prefque point la propriété. Si on
confulte la nature de l'homme , on voit
que l'état le plus heureux pour lui eſt celui
où il défire beaucoup ; qu'il eft fait pour
poſſéder paffagèrement& pour défirer conftamment;
que les beſoins & les déſirs font
les véritables enchanteurs qui embelliffent
l'Univers à fes regards , & rempliffent
toute l'étendue de la plus longue vie , des
vives impreſſions de l'enfance &de la jeuneffe.
La propriété a deux effets bien remarquables
: ou content de ce qu'on pofsède
, on s'y borne , &alors ' us d'avenir ,
plus de défirs , plus de plaifirs ; Iame tombe
dans cet affaiffement où l'on meurt d'ennui
au milieu de tous les objets de jouiſſance ,
état fi commun dans les pays des grandes
propriétés , & ignoré par-tout ailleurs : ou
infenfible à ce qu'on poffède déjà , on en
fent croître le beſoin d'obtenir ce qu'on
ne poffède pas encore ; & alors les ames
foibles deviennent avares , les ames énergiques
, avides. On les blâme beaucoup ;
mais ce font celles qui ont confervé le
mieux l'instinct de la Nature , qui veut que
nous craignions & que nous défirions fans
cefle.
L'homme n'eſt fait ni pour tout voir
ni pour tout avoir , ni pour tout ſavoir
ǎlafois.
Je ne crois pas , en ſecond lieu , que toutes
tes inégalités odieuſes qui règnent parmi
7
86 MERCURE
nous , foient des ſuites néceſſaires & inévitables
de la propriété: les inégalités des
propriétés ont d'autres ſources que la propriété
elle-même. On les voit naître de la
conquête , qui donna les deux tiers des terres
à une armée , & ne laiſſa que le tiers aux
Nations vaincues ; du droit d'aîneſſe , Loi
barbare , qui donne tout à un enfant , pour
en laiſſer cinq ou fix dans la misère; des
Loix plus barbares encore , des ſubſtitutions
, qui permettent à la vanité d'un
mourant de laiſſer ſur la terre une volonté
tyrannique , qui fera des victimes & des
pauvres pendant pluſieurs générations ; des
priviléges exclufifs , qui concentrent dans
un perit nombre de mains les fruits que
l'induſtrie &le commerce devroient répandre
ſur les Empires ; des fortunes de la
finance, qui ont fait paffer dans les mains de
quelques particuliers les tréſors de tout un
Peuple ; des vices de notre éducation , ou
plutôt de ce qui nous manque abſolument ,
une éducation nationale , qui , en donnant
quelque égalité aux eſprits & aux talens ,
enmettroit auffi bientôt dans les fortunes-&
dans la condition des hommes. Tous ces
vices de l'ordre ſocial ne naiſſent point de
la propriété; ce ſont au contraire tous ces
defordres qui rendent la propriété ſi inégale,
6 tyrannique.
On peut m'objecter que M. Necker parle
des ſociétés actuelles ; mais non , il parle
de l'ordre focial ; & il faut bien confidérer
DE FRANCE. 87
P'ordre ſocial dans ce qu'il a été & dans ce
qu'il pourroit être , furtout quand on le
rapproche de la notion de Dieu , d'un Etre
éternel.
Je voulois diſcuter avec la même ſincérité
quelques autres raiſonnemens de M.
Necker ; mais je n'attaquerois que fes preuves,&
l'on croiroit que j'attaque ſes dogmes..
Un eſprit original ne peut pas être un
Ecrivain imitateur; des pensées neuves ſe
préſentent naturellement fons des expreffions
& fous des formes nouvelles : mais
c'eſt un inconvénient de ce double mérite,
d'étonner également le commun des
Lecteurs , & par ſes idées,& par ſon ſtyle.
Il est très vrai que le génie & les principes
de goût , qui font à l'uſage de la multitude,
ſe trouvent fouvent en contradiction .
Un efprit très-étendu , par exemple , ne
peut ſe défendre de quelque amour pour
les termes abſtraits & généraux ; ces termes
raſſemblent un grand nombre d'idées , &
ils ſemblent faits pour le génie , qui a
beſoin d'en énoncer beaucoup à la fois ;
mais ils fatiguent l'eſprit de la multitude ,
qui ne peut faifir à la fois que très-peu d'idées.
Un eſprit très - pénétrant eſt ému par
des idées très-profondes ; il ferm paffionné
& métaphyfique , parce que pour lui rien
n'eft métaphyfique , ou que tout l'eft; mais
fon émotion ne ſera pas toujours partagée
par le grand nombre , qui n'eſt remué que
'par les ſens , que par des images.
88 MERCURE
UnÉcrivain qui a long-temps médité un
fujet d'un intérêt univerſel , ſe place naturellement
ſur un vaſte théatre ; il élève naturellement
le ton & les accens de ſa voix:
il parle aux Nations & aux Siècles ; & fa
voix , ſon ton , doivent paroître exagérés
à ceux qui n'ont jamais parlé que dans
quelques cercles des intérêts d'un jour &
d'une maifon.
Il nous ſemble que ce parallèle explique
aſſez bien & le ſtyle de M. Necker , & les
reproches que nous avons entendu lui faire.
Detous ces reproches, celui d'une dignité
trop foutenue nous paroît le plus mérité.
Le ton conſtamment noble & oratoire
met en quelque forte un intervalle entre
l'Ecrivain & le Lecteur. C'eſt la familiarité
& la foupleſſe du ſtyle qui rapproche
le Lecteur de l'Auteur : pour répandre au
loin la lumière , quand elle est née , il faut
peut-être l'éclat du ſtyle oratoire ; mais pour
In faire naître , il faut la fimplicité & la
préciſion du ſtyle purement philofophique
; & ce ſtyle, de la clarté ſeule fait tirer
encore des beautés & des graces : mais
combien, il faut en convenir cependant,
combien cette fimplicité & cette familiarité,
qui font une adreſſe de l'eſprit plutôt
qu'un talent , font inférieures aux beautés fi
communes & fi multipliées dans l'Ouvrage
de M. Necker ! Je pourrois citer vingt
morceaux ; en voici un que je n'ai pu me
laſſer de relire.
DE FRANCE.
» Il eſt des idées ſimples , il eſt des
>> ſentimens qai ſemblent nous approcher
» de bien plus près que la méraphyſique ,
>>des confolations & des eſpérances qui
>> nous font néceſſaires. On ne peut médi
>> ter profondément ſur les merveilleux at-
১৯ tributs de la penſée ; on ne peut arrêter
>>ſon attention ſur le vaſte empire qui lui
>> a été ſoumis ; on ne peut réfléchir ſur la
>> faculté qui lui a été donnée de fixer le
»paffé , de rapprocher l'avenir , de rame-
>>ner à elle le ſpectacle de la Nature & le
>>tableau de l'Univers , & de contenir
>>pour ainfi dire en un point , l'infinité
>> de l'eſpace & l'immenſite des temps ; on
>> ne peut conſidérer un pareil prodige fans
>> réunir à un ſentiment continuel d'admi-
>> ration , l'idée d'un but digne d'une fi
>> grande conception,& digne de celui dont
>>nous adorons la ſageſſe. Pourrions - nous
> cependant le découvrir , ce but , dans
>> le ſouffle paſſager , dans l'inftant fugitif
>> qui compoſe la vie. Pourrions - nous le
>>découvrir dans une ſucceſſion d'appari-
» tions éphémères,qui ne ſembleroient def-
>>tinées qu'à tracer la marche du temps ?
>>Pourrions - nous fur tout l'appercevoir
> dans ce ſyſtême général de deftruction, où,
>>devroit s'anéantir de la même manière ,&
» la plante inſenſible qui perit ſans avoir
>> connu la vie , & l'homme intelligent qui
>> s'inſtruit chaque jour du charme de l'exif-
>> tence? Ne dégradons pas ainſi nous-mê
MERCURE
> mes notre fort & notre nature , & jugeons
, efpérons mieux de ce qui nous
>> eſt inconnu. La vie , qui eſt un moyen
>> de perfection , ne doit pas conduire à
>> une mort éternelle. L'eſprit , cette ſource
" féconde de connoiffances & de lumières,
➤ ne doit pas aller ſe perdre dans les om-
>> bres ténébreuſes du néant. Le ſentiment ,
> cette douce & pure émotion qui nous
ود
ود
unit aux autres avec tant de charmes ,
>> ne doit pas ſe diffiper comme la vapeur
» d'un fonge; la confcience , ce rigide ob-
> ſervateur de nos actions , ce Juge fi fier
" & ft impofant , ne doit pas avoir été
>> deſtiné à nous tromper ; & la piété , la
vertu, ne doivent pas élever en vain leurs
regards vers ce modèle de perfection ,
» l'objet de leur amour & de leur adora-
* tion . L'Etre Suprême, à qui tous les temps
>> appartiennent , ſemble avoir ſcellé déjà
>>notre union avec l'avenir , en nous faiſant
> le don de la prévoyance, &en plaçant au
>> fond de notre coeur le défir paflionné
>> d'une longue durée,& le fentiment con
>> fus qui nous en donne l'attente . Il y a
* quelque relation encore obſcure , quelque
30 rapport encore ignoré, entre notre nature
>>morale & les temps éloignés de nous ,
» & peut-être que nos voeux , nos efpé-
" rairces font un ſixième fens , & un ſens à
>> diſtance, s'il eſt permis de s'exprimer ainfi ,
>> dont un jour nous éprouverons la fatif-
>> faction. Quelquefois auſſi j'imagine que
DE FRANCE.
»
ود
:
le don d'aimer , le plus bel ornement de
la nature humaine , le don d'aimer , enchantement
fublime , eſt un gage myſté-.
>> rieux de la vérité de ces eſpérances ;
"
ود car en nous dégageant de nous-mêmes&
>> en nous tranſportant au delà des limites
>> de notre être , il ſemble comme un pre-
ود mier pas vers une nature immortelle; &
>> en nous préſentantl'idée , en nous offrant
>> l'exemple d'une exiſtence hors de nous ,
>> il paroît vouloir interpréter à notre ſentiment
ce que notre eſprit ne peut coz.r
prendre.
ود
ود
» Enfin , & cette réflexion eſt la plus
>> impofante de toutes , quand je vois l'ef-
>> prit de l'homme atteindre à la con-
>> noiſſance d'un Dieu , quand je le vois
» s'approcher du moins d'une fi grande
» idée , ce degré d'élévation me prépare
رد
" to
ود
en quelque manière à la haute delince
» de notre ame. Je cherche une proportion
» entre cette immenfe penſée&tous les intérêts
de la terre , & je n'en découvre
aucune ; je cherche une proportion entre
>> cette méditation fans bornes &le tableau
>>rapproché de la vie , & je n'en apperçois
>>point. Il y a donc, n'en doutons point ,
>> quelque magnifique ſecret derrière tour
ود
ce que nous voyons ; il y a quelque éton-
>> nante merveille derrière cette toile en-
>>core baifféc; & de toutes parts , autour
20 de nous , nous en découvrons les com-
>> mencemens. Ah ! comment imaginer ,
92 MERCURE
ود
comment ſe réſoudre à penser que tout
ce qui nous ment & nous anime , que
>> tout ce qui nous guide &nous entraîne,
>>eſt une ſuite de preftiges , un affemblage
>> d'illufions « !
Comme, dans ce merceau , la penſée eſt
toujours profonde , & l'expreſſion toujours
ſenſible& animée. J'en connois peu d'auíli
beau dans notre Langue.
Le nom de M. Necker, comme fon Ouvre,
fervira un jour aux défenſeurs de la
cauſe de Dieu. On dit aujourd'hui que Newton
& Locke croyoient en Dieu : il viendra
un temps où l'on dira auſſi que Turgot &
Necker y ont cru .
( Cet Article est de M. Garat. )
/
TRAITÉ élémentaire ſur l'Art de peindre
en miniature , par le moyen duquel les
Amateurs qui ont les premiers principes
du Deffin , peuvent atteindre à la perfečtion
dans cegenre ſans leſecours d'un
Maitre, par M. VIOLET , Peintre en
miniature , & Membre de l'Académie de
Lille en Flandre. Prix , 30f. A Paris,
chez l'Auteur , rue Chauffée- d'Antin ,
vis-à vis l'Hôtel Monteſſon ; & Guillot ,
Libraire de MONSIEUR , rue Saint-
Jacques , vis-à-vis celle des Mathurins.
II. feroit à ſouhaiter que les Artiſtes
célèbres vouluſſent bien écrire ſur l'Art
DE FRANCE
qu'ils ont exercé , & dont ils ont reculé
les limites. Leurs règles , leurs apperçus
même décéleroient ces ſecrets, que leGénie
& la Nature ſemblent ne réſerver qu'aux
adeptes : mais , nous en convenons à regret,
l'Artiſte qui fait ſi bien peindre tout ce qu'il
conçoit , & embellir la Nature & fes créations
, feroit embarraſſe ſouvent à fixer ſa
penſée ſur le papier. Son imagination ſi
brillante quand ſa main tient le pinceau ,
devient froide quand elle prend la plume,
La raiſon de cette impuiſſance eſt facile à
deviner ; c'eſt que l'Artiſte en général ne
fût point pénétré de ce précepte fi vrai de
Voltaire fur l'union qui exiſte entre les
Beaux-Arts , & qu'au lieu de les cultiver
tous , il n'en chérit qu'un :
Tous les Arts font amis ainſi qu'ils font divers ;
Qui veut les féparer eſt loin de les connoître.
۔ود
On ne fera point ce reproche à M. Violet ,
qui, par ſes portraits, a prouvé qu'il étoit
Peintre , & qui prouve encore qu'il l'eft
en écrivant. C'est ainſi qu'il définit ſon
Art , & tous les Arts en peu de mots.
ToutArt proprement diitt eft une rén-
>>nion de préceptes , de règles , d'expé-
>>riences & de raiſonnemens. Ariftore le
» definit, une méthode de bien faire quel-
» que chofe. Selon Lucien, c'eſt un recueil de
>> préceptes pour une fin utile à l'homme " .
M. Violet parle-t- il de l'origine de fon
94 MERCURE
Art? "Tout l'Art, dit-il, confiftoit d'abord
>> à peindre ce qu'on voyoit & ce qu'on
>> fentoit. On ne ſavoit pas choitir..... Les
>> Grecs , doués d'un génic heureux, fai-
ود firent eufin avec netteté les traits effen-
• tiels.& capitaux de la belle Nature ,&
comprirent clairement qu'il ne fuffifoit
pas d'imiter les chofes, qu'il falloit encore
les choifir. Jufſqu'a cux les Ouvrages
n'étoient encore remarquables que par
>> l'énermité des maſles . Les Grecs ſen-
>>> tirent qu'il étoit plus beau de charmer
>>>l'eſprit , que d'étonner ou d'éblouir les
גנ
." 1
ود
yeux. Ils jugèrent que l'unité , la variété ,
la proporcion , devoient être le fonde-
>> ment de tous les Arts :& fur ce fond ,
fi beau , fi jufte , fi conforme aux loix
du goût & du ſentiment , on vit chez
eux la toile porter le relief & les couleurs
de la Nature ; le pinceau enfanta
>> des miracles ".
ود
دو
ود
Les préceptes que l'Auteur donne font
infpirés par le goûr le plus délicar.
ود
» Le
but d'un Artiſte , dit-il , doit être d'ex-
» primer la Nature , de la rendre , & non
ود de la farder. C'eſt la déguiſer,la contre-
>> faire , que de montrer l'Art : il perd tout
fon prix dès qu'il eſt apperçu. Son mérite
confifte à ne laiffer aucune trace de
lui-même, à ne pas ſe laiſſer ſoupçon-
> ner, s'il ſe peut ; en ſe décelant , il détruit
l'illufion & le charme , qui font la
> vraie ſource du plaifir que donnent tous
ود
ود
DE FRANCE.
95
و
les Ouvrages d'imitation « . L'Auteur
fait enſuite des applications particulières
à fon Art ; & enfin il donne des leçons
fi claires , des définitions fi exactes , des
réſultats fi vrais qu'il eſt impoffible qu'on
life fa brochure fans fruit. On y'eſt entraîné
par l'agrément du ſtyle , & par la
vérité & la précition des préceptes. Toutes
les règles de l'Art & du goût font renfermées
dans vingt trois Chapitres , & chaque
Chapitre eft auffi court & auffi inftructif
qu'il doit l'être ; tant il eſt vrai qu'on
peut dire beaucoup de choſes dans 70
pages ! Nous finirons cette analyſe par une
citation du vingt- deuxième Chapitre , où
M. Violet relève un ridicule trop commun
à ceux qui ſe font peindre.
>>Rien ne ſemble plus ridicule , dit- il ,
>> que de vouloir être peint en riant ; ce-
>> pendant chacun dans ce ſiècle veut rire
» en peinture ..... On ne peut faifir qu'un
ود inſtant dans l'imitation d'un portrait. Le
» moins ridicule eſt celui qui convient le
>> mieux , & c'eſt ſans contredit celui où
ود
ود
l'on a l'air de s'occuper de quelque idée
>>agréable , qui mettant du jeu dans les
yeux && dans tous les traits , y fait naître
une gracieuſe hilarité. Mais il y a loin
>> de l'action légère & preſque imperceptible
des muſcles dans un demi-fourire
aimable , aux convulfions d'un rite im-
>>modéré ou forcé..... Je ſuppoſe qu'un
> Génie mal- faiſant s'introduisît dans un
ود
ود
96
MERCURE
10
"
>> cercle où la groſſe gaîté auroit gagné
» tous les alliſtans , & que fixant leurs
> traits dans l'état où ils ſeroient , au moment
de l'accès du rire , il les condamnât
à y reſter toute leur vie , comme un
>> portrait qui ne change jamais d'expreffion
; je demande fi ces mêmes perfon-
" nes éparſes enſuite en différens lieux , ne
>> ſeroient pas regardées comme des imbé-
>>cilles ou des foux ; & rien n'eſt agréable
>> que quand il eſt momentané ". Nous
avons en effet obſervé à l'expoſition des
tableaux , que les portraits étoient caractérifés
, fur-tout par ce rire , qui prononçoit
les figures d'une manière ridicule. Tout
eſt de mode; & à ce rire déplacé ſuccédera
un jour un maintien trop grave. Ces excès
font malheureuſement très voiſins. M. Violet
eſt l'Artiſte qu'il faut pour ſavoir ſe
tenir à cette distance qu'un goût sûr indique.
Ses miniatures en offrent des preuves
continuelles, & nous ne craignons pas de
dire que plus ſon talent fera connu , plus
il ſera prifé & recherché.
VARIÉTÉS.
DE FRANCE. 97
VARIÉTÉS.
NOTICE fur M. RISBЕСК.
DEPUIS les progrès que les Allemands ont faits
dans la Littérature , depuis que les chef-d'oeuvres
qu'ils ont produits , ont excité les François à connoître
leur Langue & à traduire leurs Ouvrages,
la perte des Litterateurs diftingués de l'Allemagne
ne peut plus paroître indifférente à la Nation Fran
çoiſe. Un grand Homme , un bon Ecrivain ſont
de tous les pays , & Buffon eſt pleuré en Angleterre
, en Italie , en Ruſſie , comme il l'eſt en
France. Le Monde littéraire devroit être regardé
comme une famille dans laquelle tous les membres
qui la compoſent viennent dépoſer les richeſſes
de leur imagination ; &, la perte de l'un
de ces membres , de quelque Nation qu'il ſoit ,
ne peut qu'exciter les regrets de tous les autres.
Les Gens de Lettres François ſont ceux qui ſe
font le plus long-temps refuſés à cette eſpèce de
fraternité avec leurs voiſins, & fur-tout avec les
Allemands : leur juſtice envers eux a été lente
&tardive ; mais depuis environ quinze ans qu'ils
commencent à connoître leurs Ouvrages , ils les
ont appréciés , & ont forcé leurs préjugés défavorables
à ſe taire. C'eſt ici le moment de rappeler
les regrets touchans que M. de Florian a
exprimés , au milieu de l'Académie , fur la perte
de ſon ami Geffner. Il étoit beau de faire verfer
des larmes , fur la mort d'un Ecrivain étranger ,
Nº. 28. 18 Juillet 1788 ,
E
98 MERCURE
àune Nation qui peut montrer des modèles dans
preſque tous les genres : il étoit encore plus beau
que ces regrets partiſſent d'un jeune Ecrivain que
l'on eft toujours tenté de imettre en parallèle
avec Goffner : c'étoit Virgile jetant des fleurs fur
le tombeau de Théocrite.
Ces réflexions , Meſſieurs , m'ont engagé à vous
parler de M. Risbeck , jeune Auteur Allemand
enlevé aux Lettres il y a deux ans, & moiffonné à
la fleur de fon âge; j'ai pensé que quelques détails
fur la vie paroîtroient d'autant plus intéreffans,
que les deux principaux Ouvrages viennent
d'être traduits en françois ( 1) .
M. Gaſpard Risbeck est né ca 1750 , dans une
petite ville près de Maïence. Son père étoit Négociant
à Eukſt , & jouiſſoit d'une fortune aſlez
conſidérable. C'eſt à tort que l'on a imprimé qu'il
étoit Baron ; non, Meſſicurs, Risbeck n'étoit point
un homine de qualité , mais il étoit quelque choſe
de mieux , c'étoit un homme de génie. Il fut
envoyé à Maïence pour y faire ſes études : la
ſcience du Droit étoit celle pour laquelle on le
deftinoit. Cette ſcience cependant n'étoit point
faite pour le jeune Risbeck; fon imagination brûlante
, ſon caractère impétueux le rendoient peu
propre à l'étude aride, mais néceſſaire, des Loix.
(1) Son Voyage enAllemagne , dans une ſuite de Lettres ,
trad. de l'Anglois. Il n'étoit guère poſſible que cette Verfion ,
faite d'après la Traduction Anglaiſe, pût être très-fidelle ni
très- élégante. L'Edition qui a été revue ſur l'original Alle
mand, eſt meilleure .
Le fecondOuvragede Risbeck eſt une Histoire d'Allemagne,
dontM Doray de Lougrais a annoncé la Traduction dans le
Journal de Paris, du Vendredi , Mai.
DE FRANCE.
99
Souvent il ſe rendoit aux Cours de ſes Profeffeur's
avec Verther ou l'immortel Poème du Meffie dans
ſa poche ; & là , retiré dans un coin , au lieu de
prêter ſon attention aux préceptes qui affurent les
droits des citoyens , il s'attendriffoit fur le fort de
l'infortunée Charlotte ; ou , tranfporté par Klop
tock , élevoit fa penſée juſquà l'Etre Suprême.
Obligé donc de ſe livrer à des Sciences pour
leſquelles il avoit un dégoût inſurmontable , ſes
premières années ne furent point marquées par des
ſuccès, & le terme de ſon éducation étoit arrivé
fans qu'il eût commencé ſes études. Malheureuſement
, à cette époque, régnoit en Allemagne une
Secte , dont les principes dangereux n'ont formé
que trop de profélytes ; elle s'appeloit la Secte des
Génies par excellence ( das Genieveſen ). Ses principes
fondamentaux étoient le mépris fouverain
des convenances ſociales, l'éloignement pour toute
affaire quelconque. Les eſprits fublimes de ſes
partifans regardoient comme au deflous d'eux
les emplois , les engagemens politiques , les fonctions
qui exigeoient un travail ſuivi ; enfin la
liberté étoit l'idole chimérique qu'ils encenfoient
&à laquelle ils facrifioient toutes les réalités. Une
Société fondée ſur de ſemblables principes , &
qui en impofoit par quelques noms célèbres , devoit
naturellement flatter la jeuneſſe , toujours
prompte à fair les liens, quelque légers qu'ils
foient. L'effervefcence dans les têtes fut prodigieuſe,
& bientôt l'on vit une foule de jeunes
gens accourir pour ſe ranger ſous les drapeaux
des Chefs de la Secte .
Risbeck ne fut point des derniers à fe rendre
auprès de ces nouveaux Diogènes. Son ame ardente
& indomptable , qui peut- être avoit déjà deviné
dans la folitude ces principes dangereux , ſe fentit
E 2
JOO MERCURE
comme électriſée par cux ,& alors reçut tout fon dé-
'veloppement , femblable à un feu qui couve depuis
long-temps ſous la cendre , & qui , à l'approche
d'une flamme légère, s'embrafe & confume
tout ce qui l'environne. Il ne tarda pointà ſe repentir
de s'être laiflé emporter par ſon imagination.
Obligé , d'après ſes principes , de mépriſer l'état
auquel le deftinoit ſon père , il diffipa dans peu
le bien dont il avoit hérité , & ſe vit enfin réduit,
pour fubfifter , à ſe mettre aux gages des
Libraires : ainfi , en pourſuivantune liberté idéale,
il tomba dans un véritable eſclavage. Plaignons
fes erreurs mais applaudiflons - nous qu'elles
n'ayent point été couronnées du ſuccès. Risbeck ,
fectateur heureux & favorisé de la fortune , fut
refté plongé dans une entière apathie ; le malheur
J'éveilla, & , en le retirant de ſa léthargie, le rendit
aux Lettres , pour lesquelles il ſembloit être
perdu.
,
Risbeck quitta ſa patrie , & fut s'établir à Saltzbourg.
C'eſt là qu'il débuta dans la Littérature par
les ſecond & troiſième volumes des Lettres fur
les Moines. Le premier volume de cet Ouvrage ,
qui eſt attribué à M. de la Roche , fit une trèsgrande
fenfation ; fon objet principal étoit de dévoiler
la conduite des Moines dans les pays Catholiques
de l'Allemagne , la manière dont ils
cherchoient à enraciner les préjugés dans le peuple
pour ſe rendre maîtres de ſon eſprit , & le
plus ſouventpour rançonner l'ignorance dans laquelle
ils le maintenoient , & qui enchaînoit ces
malheureux à leur joug. Risbeck , qui avoit déjà
parcouru l'Allemagne , & qui dès - lors raſſembloit
des matériaux pour le Voyage qu'il publia
quelques années après , avoit été témoin
de leur conduite. Il entreprit donc de continuer
l'Ouvrage , & les deux volumes qu'il publia curent
DE FRANCE. 101
plus de ſuccès que le premier. Cependant il vou-
Iut faire croire qu'ils fortoient de lamême plume,
en imitant le ſtyle de M. de la Roche; mais le
preſtige ne fut que pour le vulgaire. Les Gens de
Lettres reconnurent , dans la continuation , un
Écrivain plus hardi dans ſes vûes , plus nerveux
dans ſon ſtyle , & malgré le voile de l'anonyme
dont il s'étoit envelopppé , ſon ſecret fut bientot
divulgué.
Toujours paffionné pour les Voyages , Risbeck
voulut voir la Suifle , & fut ſe fixer quelque temps
à Zurick : là , il coopéra à la rédaction de la fameuſe
Gazette politique de cette ville , & publia
fes Voyages ſous le titre de Lettres d'un Voyageur
François fur l'Allemagne. Si Risbeck , dans fon
premier Ouvrage , fe fit connoître comme bon
Ecrivain & obfervateur exact , dans celui-ci il ſe
montra génie original , profond penfeur, Ecrivain
élégant; fon eſprit , qui n'étoit plus retenu par
la gêne de l'imitation , ni refferré dans les børnes
d'une carrière tracée par une main étrangère , put
prendre tout ſon effor. Je ne m'étendrai point
fur ces Lettres ; leur fuccès a déterminé le jugement
que l'on en doit porter ; je me bornerai
ſeulement à regretter que dans la Traducion
françoiſe , les graces du ſtyle de l'original aient
entièrement difparu , &que les fleurs que M.
Risbeck a ſu y répandre , en quittant le fol natal
, ſe foient flétries & décolorées .
Ici finiffent les ſuccès Littéraires dont a joui
M. Risbeck pendant ſa vie ; il quitta Zurick, &
s'iſola dans le village d'Arau. Ses malheurs avoient
-aigri ſon caractère ; bientôt une noire mélancolie
ſe répandit fur toutes ſes idées , & le jeta dans
une eſpèce de miſanthropie. Vers la fin de ſes jours,
il ne connut plus d'autre ſociété que celle des ca
E 3
102 MERCURE
barets. En vain MM. Geffner & Lavater employèrent
les plus vives ſollicitations pour l'engager à
revenir à Zurick , & lui offrirent de l'aider de leur
bourſe & de leur crédit; il ſe refuſa conftamment
à leur généreuſe bienveillance , & perfifta dans
le nouveau genre de vie qu'il avoit adopté.
Risbeck cependant écrivoit dans ſon village
une Hiſtoire d'Allemagne , il en traçoit les révolutions
avec cet eſprit d'indépendance & cette
vigueur de ſtyle qu'il avoit montrés dans ſes précédens
Ouvrages déjà il touchoit au terme de
fon travail & alloit jouir du ſuccès de ſes veilles ,
lorſque la mort l'enleva à ſa gloire. L'Allemagne
attendoit cet important Ouvrage. Enfin il a paru ,
grace aux foins de M. Vinkopp , qui l'a terminé,
&n'a point démenti les hautes idées que l'on s'en
étoit formées.
Risbeck est mort à Arau , les Février 1786.
(Par M. le Prince Baris de Galitzin. )
ANNONCES ET NOTICES.
VOYAGES Imaginaires , Romaneſques , Merveilleux
, Allégoriques , Amuſans , Comiques &
Critiques ; ſuivis des Songes & Viſions , & des
Romans Cabaliſtiques , ornés de Figures ; 12e.
Livraiſon contenant les Hommes volans , le
Voyageur aérien , Micromegas , Julien l'Apoftar ,
cu Voyages dans l'autre Monde , les Aventures
de Jacques Sadeur,
,
:
DE FRANCE. 103
Cette Collection formera 36 Volumes in- 8 °. ,
dont le prix eft de 3 liv. 12 f. le Volume broché ,
avec 2 Planches .
Il paroîtra régulièrement 2 Volumes par mois.
On continue de s'infcrire pour cette Collection ,
àParis , rue & hôtel Serpente , chez CUCHET
Libraire, Editeur des OEuvres de Le Sage , 15 vol.
in-8 °., avec Fig.; de celles de l'Abbé Prévoſt ,
39 vol. idem ; & du Cabinet des Fées , 37 vol.
in-8°. & in-12 , avec & fans Figures .
•OEUVRES choiſies du Comte de Treſſfan ; 20.
Livraiſon, contenant la ſuite de l'Amadis de Gaulc,
Roland l'amoureux , Roland furieux. 2 Volumes
in- 8 ° . , avec Figures.
CesOEuvres formeront 12 Vol. in- 8 °. , ornés de
Fig. & du Portrait de l'Auteur ; & contiendront l'Amadis
de Gaule, l'extrait de Roland l'amoureux ,
Roland furieux , Corps d'extraits de Romans de
Chevalerie , Mélanges & OEuvres pofthumes en
vers & en proſe , Lettres du Roi de Pruffe , du
Roi de Pologne , & de Voltaire , au Comte de
Treflan.
On délivrera 2 Vol. de deux en deux mois. Le
prix eft de 4 liv. 4 f. le Volume broché , avec 2
Planches.
On s'infcrit à Paris , chez CUCHET , Lib. , rue
& hôtel Serpente ; & chez les principaux Libraires
de l'Europe.
La Science de la Législation , par M. le Chevalier
Gaëtano Filangieri , Confciller d'Etat au Département
des Finances de Naples ; Ouvrage traduit
de l'Italien, d'après l'Edition deNaples de 1784,
Tomes III , IV & V. A Pariiss,chez Cuchet,ruc
& hôtel Serpente , 1787 , in-89,
104 MERCURE
La matière de ces trois volumes eft la Légiflation
criminelle. En attendant que nous puillions
faire une expoſition détaillée des principes de cet
important Ouvrage , nous nous contenterons de
dire que jamais on n'en offrit de plus approprié
aux circonstances , ni de plus analogue aux idées
qui occupent actuellement les eſprits.
,
Les Histoires de Sallufte , & des Pièces entières
tirées des Fragmens , traduites en françois , avee
le latin , revu & corrigé , des Notes critiques ,
& une Table géographique ; quatrième Edition
revue & corrigée avec ſoin ; par M. Beauzée , de
l'Académie Françoiſe , &c. in- 12. Prix , 3 liv. relié.
A Paris , chez Barbou , Imprimeur- Libraire , rue
des Mathurins.
La réputation de cet Ouvrage eſt faite depuis
long temps.
Dictionnaire universel , François - Latin , par
MM. Lallemant ; Ouvrage compofé ſur le modèle
du Dictionnaire Latin-François de M. Boudot;
ſeptième Edition ; prix , 6 liv. A Paris , chez
Barbou , rue des Mathurins ; Brocas , rue Saint-
Jacques; &Nyon le jeune , près le Collége Mazarin.
Les mêmes Libraires ſe diſpoſent à donner une
nouvelle Edition du Dictionnaire Latin François
de Boudot , avec des changemens & des améliotions
confidérables , qui doivent y donner un
nouveau prix. Ces deux Ouvrages doivent trouver
place dans les Bibliothèques.
OEuvres complètes de Gilbert , in-8° . Prix , 21.
10 f. papier ordinaire , br. papier fin , 31. 12 f. A
Paris , chez Lejay , Libraire , rue Neuve des Petits-
Champs , près celle de Richelicu
DE FRANCE.
105
Nous reviendrons ſur ce Poëte , qui a fourni
une fi courte carrière avec bien plus de talent que
de bonheur.
Avis important fur l'Economie Politico-Rurale
des pays de montagnes , fur la cauſe & les effets
pregreffifs des torfens, &c par M. B*** , Inſpec-
-teur- Général des Ponts & Chauffées . Brochure
de 15 pages. A Paris , chez Royez , Libr. quai
des Auguſtins.
CetteBrochure renferme des obſervations utiles.
Collection des principaux Hiſtoriens , Philofophes,
Poëtes& Romanciers Anglois, en anglois ,
6e. Livraiſon, contenant Robertfon's Hiſtory of
Charles V, tome Ier. in-8 °. Prix , 3 liv. br. A
Paris , chez Piffot , Libraire , quai des Auguſtins ,
no. 211
On a accueilli en France la Collection des Auteurs
Latins , donnée par M. Barbou ; celle des
Auteurs Italiens , publiée par M. Prault. Ces deux
Collections ont eu le plus grand ſuccès , & le méritoient
à tous égards, tant par le choix des Auteurs
, que par la beauté de leur exécution &
par l'exactitude de leur texte. La Collection des
Auteurs Anglois que nous annonçons aujourd'hui ,
& dont il paroît 8 vol. in-8 . au prix indiqué de
3 liv. chaque vol. br. mérite le même accueil &
les plus grands éloges. La beauté des caractères
&du papier ne laiſſe rien à défirer. Les progrès
que la Langue Angloiſe a faits depuis pluseurs
années (puiſqu'on la regarde aujourd'hui comme
faifant partie de l'éducation de la Jeuneffe ) , &
le nombre conſidérable de bons Auteurs en tout
genre que cette Nation a produits , doit néceflairement
en aſſurer le ſuccès. Le but du Libraire eſt
de faciliter l'acquifition des Ouvrages utiles & in106
MERCURE
téreſſans de cette Langue pour un prix raiſonnable
; car le prix exorbitant des Livres Anglois
les met hors de la portée de beaucoup de Lecteurs
. C'eſt donc répondre aux voeux des Amateurs ,
que de leur procurer , fans peine & à peu de frais ,
leurs meilleurs Auteurs en tout genre. On ne donne
point d'argent d'avance 3 il fuffit ſeulement de fe
faire infcrire,& de s'engager à prendre ces Ouvrages
à meſure qu'ils paroîtront. On n'est pas obligé
de ſouſcrire pour la Collection entière ; ce qui eft
avantageux pour les perſonnes qui ont déjà pluſieurs
Auteurs Anglois. Les Livraiſons , qui ſe
ſuccèdent rapidement , prouvent que cette entrepriſe
ſe pourſuit avec activité.
C'eſt chez le même Libraire que l'on foufcrit
pour le Général Advertiſer , Journal en anglois,
qui , comme nous l'avons déjà annoncé , eſt un
extrait de tout ce que les Papiers , Journaux , Magafins,
Pamphlets Anglois & Américains fourniffent
de plus intérefiant ſur les affaires de la Grande-
Bretagne & des Etats- Unis de l'Amérique. Le prix
eſt de 48 liv . franc de port , pour l'année ; prix
modique , comparé au prix exceſſif des Feuilles
Angloifes.
:
Collection des Mémoires de IHiſtoire de Franse,
Tome XL. A Paris , rue & hôtel Serpente.
Ce Volume contient la fin des Mémoires de
Bertrand de Salignac , ceux de Gafpard de Coligni
, de M. de la Chaſtre , & de Guillaume de
Rochefort.
Bibliothèque Univerſelle des Dames. Même
adreffe.
Ce nouveau Volume eſt le rre. du Théatre, &
contient le Misanthrope & le Médecin malgré lui.
DE FRANCE. 107
Vues Pittoresques , Plans , &c. des principaux
Jardins Anglois qui ſont en France , accompagnées
de leurs deſcriptions , nº. 3. Prix 6 liv. chez
Simon , rue du Plâtre S. Jacques , nº . 7 .
د
Ce troiſième nº. complète la deſcription d'Ermenonville.
}
Théatre de la guerre actuelle entre l'Empereur &
le Turc , l'Impératrice de Ruffie & le Turc , par
M. Moithey , Ingénicur-Géographe du Roi , &c.
A Paris, chez l'Auteur, rue de la Harpe, la porte
cochère vis-à-vis la Sorbonne , No. 109 ; & chez
Crépy , rue S. Jacques , No. 252. Prix de chaque
Partie , 3 liv .
Cet Ouvrage eſt diviſé en deux Parties , chacune
de deux feuilles d'aſſemblage ; la première
comprend la Carte générale de l'Empire de
Ruflie; & la ſeconde renferme les Royaumes de
Hongrie & de Bohème , partie de la Ruffie , la
Petite Tartarie , la Beſſarabie , la Moldavie , la
Tranfilvanie , & la Turquie d'Europe , &c.
Ces deux Cartes ont été dreſſées pour la lecture
des Journaux & autres Annonces périodiques,
Pot - Pourri d'Airs connus & autres pour le
Forté-Piano , par M. Steibelt. Prix , 3 liv. , formant
le N° . 53 du Journal de Pièces de Clavecin
, par différens Auteurs,
=Sonate pour le Clavecin , avec Violon &
Violoncelle , par J. F. Sterkel, Prix , 3 liv. , for
mant le N° . 54 du même Journal.
= Six Sonates pour le Piano-Forté , dont cinq
avec accompagnement de deux Violons , & la 6e .
avec Hautbois ou Clarinette, par M. Julien Navoigille
; Duv, se. Prix , 9 liv.
TOS MERCURE DE FRANCE .
=Douze nouveaux Quatuors concertans pour
deux Violons , Alto & Violoncelle , par M. Cambini
; première Livraiſon de trois Quatuors. Prix,
6 liv.
Trois Sonates pour Clavecin , dont deux avec
Violon obligé , la ze. fans accompagnement , par
M. Dufſek; OEuv. se, Prix , 9 liv.
Six Duos dialogués pour deux Violons , par
M. Ignace Pleyel ; OEuv. 13e. Prix , 7 liv . 4 f.
A Paris , chez M. Boyer , Md. de Muſique , rue
de Richelieu , ancien Café de Foy ; & chez Mme,
Lemenu , rue du Roule , à la Clef d'or,
TABLE.
Acrostiches.
ZELTS au Bal .
Charade, Enig. & Logog. 54
49 nions religieuses. 56
5: Traité élémentaire.
Var évés.
92
97
De l'Importance des Opi- Annonces & Notices . IGZ
APPROBATION.
J'Allu , par ordre de Mgr . Ie Garde des Sceaux ;
le MERCURE DE FRANCE , pour le Samedi 1
Juillet 1788. Je n'y ai rien trouvé qui puifle en
empêcher l'impreſſion. AParis, le 11 Juillet 1788.
SÉLIS.
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
POLOGNE.
De Varsovie , le 14 Juin 1788.
DANS une lettre au Général de Witt ,
Commandant de Kaminieck , le Prince de
Saxe- Cobourg s'eſt plaint des ventes de
bleds faites aux Turcs de Choczim par les
Polonois , en demandant que la République
fît ceffer ce commerce , & fermer
les moulins où les Ottomans font moudre
leurs grains. Acette réquifition , il a joint ,
dit-on, la menace d'employer des moyens
violens pour interrompre cette communication.
Le Confeil Permanent , à qui cette
dépêche& ces menaces ont été envoyées ,
ena témoigné la plus grande ſurpriſe : on
ne connoît pas encore les inftructions ultérieures
qu'il a fait paſſer au Général de
Witt , mais l'on ſe demande généralement
ici , fi la neutraliré de la République ne
N°. 28. 12 Juillet 1788.. c
( 50 )
deviendroit pas illuſoire , du moment où
elle vendroit des ſubſiſtances aux Autrichiens
, & les refuſeroit aux Ottomans ; fi
⚫une infraction auſſi poſitive de nos traités
& de cette neutralité même , n'expoteroit
pas l'Etat aux légitimes hoftilités
des Sujets de la Porte'; & ſi , ſous aucune
confideration , il peut nous convenir de
tompre ainſi , ſans ménagemens , le derhier
fil des liaiſons qui uniffent encore la
République au ſeul Allié qui lui foit refté
fidèle , à l'époque de ſes dernières infortunes.
Choczim n'eſt ni pris , ni même aſſiégé
en forme; les Autrichiens le bloquent feuement
, lui coupent les convois , & ne
arderont pas probablement à s'en rendre
maîtres , fi la place ne reçoit des ſecours
immédiats .
On apprend de Niémerow , que le Maréchal
de Romanzof, dont l'armée , y
compris les Corps des Généraux d'Elmpt,
Soltikof & Kamenskoi , eſt de trente mille
hommes , s'eſt poſté ſur les deux rives du
Niefter , & qu'il paroît avoir pour objet
He couper la communication entre l'armée
Turque ſur le Danube & celle ſur le
Niefter .
( 51 )
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 21 Juin .
L'impératrice de Ruſſie a décoré de
l'Ordre de St. Alexandre Newski , le Général
Saborofsky , qui doit commander en
Chef les troupes de débarquement qui
pafſferontdans la Méditerranée , ſur la flotte
de Cronſtadt , ſi toutefois cette flotte fort
de la Baltique. En attendant, le Général
Saborofsky , accompagné du Prince de
Heffe-Philipsthal , Capitaine aux Gardes- àcheval
, fe rend en Italie.
Le 13 de ce mois , le Prince Royal
de Danemarck eſt parti de Copenhague
pour Fladſtrand , avec ſa ſuite , compoſée
du Maréchal de Cour de Bulow , d'un Gentilhomme
de la Chambre , d'un Adjudant
général , d'un autre Adjudant , d'un Secrétaire
& d'un Chirurgien. S. A. R. s'eſt
embarquée à Fladſtrand, le 18 , pour Fridrichſtadt
en Norwège , & fera probablement
de retour dans la capitale le 18
août.
Pluſieurs Politiques entreprennent l'apologie
de la Régence de Dantzick contre
la pluralité des Négocians de cette ville .
Ils ſoutiennent , entre autres , que pendant
plus de trois fiècles Dantzick , heureuſe
ſous la protection de la Pologne ,
cij
( 52 )
devoit à ce royaume toute ſa proſpérité ;
qu'elle ſe couvriroit de la plus noire ingratitude
, fi elle conſentoit à changer ſa
conſtitution actuelle , ſans être déliée formellement
du ferment qui l'attache au
Roi de Pologne , &fans la participation
de la Ruffie ; enfin , que le Magiſtrat ne
pourroit pas diſpoſer des terres confidérables
qui ont été données par les Rois
dePologne à nombrede particuliers Dantzikois
, avant d'avoir à cet égard leur exprès
conſentement. Sans nier les obligations
rappelées dans ces raiſonnemens , le Parti
oppoſé prétend qu'elles ont perdu toute
leur force , du moment où la Pologne
même ſe trouve impuiſſante à protéger
le commerce & l'indépendance de Dantzick
, ainſi que la libre navigation de la
Viſtule ; qu'ayant malheureuſement participé
aux déſaſtres de la République , cette
ville feroit, comme elle,le jouetdes intérêts
étrangers , fi elle ne mettoit les débris de
fon exiſtence politique & de fon commerce
, ſous l'égide d'un Suzerain puiſſant;
qu'environnée aujourd'hui de fon territoire
, de ſes douanes , & pouvant l'être
de ſes troupes à chaque inftant, Dantzick
n'offre plus les mêmes avantages à la Palogne
, & qu'en lui reſtant ſubordonnée ,
alle ne le ſera réellement qu'aux Ruffes ,
auxquels il importe de conſerver une in
( 53 )
fluence ſouveraine fur un port auſſi eſſen.
tiel dela Baltique, ſurun port qui coupe &
ſépare la Pomeranie & la Pruffe ,& dont la
réunion à ces deux Provinces de la même
Monarchie , donneroit à celle-ci une influence
dans le Nord , qu'il convient à
la Ruffie de prévenir.
On apprend de Suède , que le nouveau
réglement de la diſtillation des eaux- devie
, rencontre toujours beaucoup d'oppoſitions.
On fait qu'autrefois cette diſtillation
étoit libre , & qu'elle est devenue
enfuite un droit régalien. Le réglement
du 20 décembre dernier révoque, à la vérité
, tous les réglemens antérieurs ; mais il
établit,ſurla permiſſion de diſtiller,un droit,
non pas perſonnel , comme on l'avoit cru,
mais inhérent à la terre de chaque propriétaire.
On a compté l'année dernière , à Gothembourg
, 197 mariages , 572 naiſſances
& 564 morts.
Lapopulation de cette ville , non compris
la garniſon , s'élève à 12,685 habitans.
L'armée Suédoiſe qui s'aſſemble dans
la Finlande , ſera compoſée de 25,000
hommes , dont 1,200 font de la garde du
Roi.On préfume que le Général de Hordt ,
qui a quitté le ſervice de Suède en 1756 ,
pour entrer dans celui du Roi de Prufſe ,
:
ciij
( 54 )
reviendra dans ſa Patrie , & fe rendra à
l'armée. Le 14 , le Roi étoit encore à
Stockholm , attendant les régimens des
provinces ſeptentrionales qui s'embarqueront
immédiatement , & qui paſſeront en
Finlande ſous la conduite même de Sa Majefté.
De Vienne , le 21 Juin.
Les avis de Semlin , juſqu'au g , ne
parlent que des diſpoſitions défenſives
qu'on a ſubſtituées dans la grande armée ,
au premier plan de campagne antérieurement
adopté. On travailloit à élever autour
du camp des redoutes qu'on garnira
d'artillerie : par la multiplicité den retranchemens
, par le nombre des batteries,
on eſpère rendre ce camp inexpugnable.
Les poſtes qui ſe trouvoient ſur le territoire
Ottoman ont été retirés , & il ne
reſte plus fur la droite de la Save , que
$400 Autrichiens formant la garniſon de
Sabatſch . Ces précautions,dictées par un
nouveau ſyſtême , dont on ne connoît encore
qu'imparfaitement & la nature &
l'étendue , ont un peu refroidi le courage
de nos troupes , fauſſement perfuadées
que toutes les forces de l'Empire Ottoman
vont tomber fur Semlin .
Au contraire , il paroît avéré que le
Grand-Vifir , fur la marche duquel on n'a
( 55 )
-
pas d'ultérieures nouvelles , a détaché un
Corps d'armée en Boſnie , & un ſecond
vers le Dannat , s'avançant lui-même avec
ſes forces principales vers Belgrade. Déja
fix mille Spahis arrivèrent , le ier. juin , devant
cette place , & s'y établirent ſous des
tentes . Le reſte de l'avant- garde de 30
mille hommes , dont ces Spahis font partie
, s'eſt approché ſucceſſivement , & , le
8 , 16 mille Turcs campoient fous Belgrade
. Les premières lettres nous apprendront
probablement la réunion de ces
forces à celles qui les ſuivent. Quelques
Soldats , & même un Officier de
notre armée , font paſſés chez l'ennemi
cette déſertion a été imitée par une affer
grande partie des Rafciens , habitans de
la Servie , qui s'étoient armés en notre
faveur , dans l'eſpoir de la priſe très-prochaine
de Belgrade & de la province entière.
La crainte d'être ſaiſis , & celle de
voir égorger leurs familles laiſſées en Sei
vie,les ont fait rentrer ſous leurdomination
légitime , & ils font allés implorer leur
grace du Séraskier.
En comptant les renforts envoyés au
Général Wartensleben, qui commande dans
le Bannat ,& les garniſons des places frontières
, nous avons actuellement 28 mille
hommes pour défendre cette province.
Non-ſeulement M. de Wartensleben & leGé
civ
( 56 )
néral Fabris ont conſervéjuſqu'ici les poftes
qu'ils ont occupés en Valachie , mais ils
paroiffent s'approcher graduellement de
Bucharest. La priſe de Fockiani prouve
que nous avons pouffé nos poſtes à 16
milles au-delà des frontières de la Tranfylvanie.
Au défaut de nouvelles pofitives & de
grands évènemens , nous raſſemblerons ici
quelques paragraphes épars dans les différentes
Gazettes des Etats de l'Empereur.
<< 15juin. Lenombre des Turcs augmente
confidérablement dans la Boſnie , & cette
circonſtance rend très-déſagréable la pofition
du Prince Lichtenstein , qui a été
obligé de détacher des troupes pour couvrir
la côte Autrichienne. L'ennemi menace
de faire une irruption du côté de la
Dalmatie. „
<<18 juin. On écrit d'Agram, que leGénéral-
Major de Kuhn y eſt mort de ſes
bleſſures le 7 de ce mois , & que le Général-
Major de Sehlaun eſt preſque entièrement
guéri.
<< 15 juin. Ileſt arrivé, le30mai, àSemlin,
des dépêches de Conſtantinople, relatives à
l'échange des priſonniers de guerre , & au
commerce des ſujets reſpectifs. ".
« Le Conſeil Aulique de guerre a commandé
5000 chevaux de friſe , auxquels
on travaille ſans relâche . >>>
2juin. Deslettres de Mehadia,du 31 mai,
( 57 )
confirment la nouvelle qu'un gros corps de
l'armée du Grand-Viſir eſt arrivé àWidin,
fur le Danube. Il paroît que ce Miniſtre
porte ſes vues ſur la Tranſylvanie & le
Bannat. On y attend d'un jour à l'autre
l'arrivée de 10,000 hommes de la grande
armée de Semlin. Depuis Schuppanck jufqu'à
Weiskiſchen& Vipalanka , on poftera
huit bataillons d'infanterie , & deux régimens
de cavalerie.
2juin. Six bataillonsd'infanterie,& deux
régimens de cavalerie font en marche de
Banofzi pour ſe rendre à Mehadia. On
apprend que 40,000 Turcs ſe portent vers
leBannat, du côté du défilé de Terzbourg.
« Le régiment de Latterman , & fix
autres bataillons ; ſavoir, deux de Reisky,
un de Langlois , un de Stein , un de Brechainville
, & unde Wolfenbuttel, viennent
de partir pourle Bannat. L'Empereur a
donné ordre aujourd'hui de ſe ranger en
ordre de bataille . La fraîcheur des nuits
& la chaleur exceſſive pendant le jour ,
occaſionnent beaucoup de maladies parmi
les troupes.>>>
-
Le ſupplément de la Gazette d'aujourd'hui
est très-peu important. Ony lit que ,
<< le 6 de ce mois , un détachement de
Tures a tenté une ſurpriſe vis à-vis de la
Tſchartake de Pruſniza, dans l'Eſclavonie ;
mais il fut découvert , attaqué par le Ca-
CV
( 58 )
-
pitaine Chivich , & forcé de prendre la
faite. Nos Volontaires , qui étoient en
embuſcade près du couvent de Petkovicza
en Servie , ont furpris des Turcs , en ont
bleſſé un, & pris trois autres. - Le 4, les
Volontaires du Corps du Général de Wartensleben
ſe ſont emparés de 10 boeufs &
de 150 moutons ; le 6 , ils ont pris à
l'ennemi , près de Sémendria , 33 boeufs .
-Le Prince de Cobourg a fait paſſer des
Pontoniers à Kalaſch , pour y établir un
ponton pour le paſſage fur le Nieſter des
troupes du Général de Soltikow. »
DeFrancfortfur-le- Mein, le 28 Juin .
Le 16 , le Roi de Pruſſe eſt arrivé à
Charlottenbourg, de retour de fon voyage
dans ſes Etats de Westphalie & à Loo .
Le Chapitre de Conſtance a élu unanimement
, pour Coadjuteur de l'Evêché ,
le Baron de Dahlberg , Coadjuteur de
Mayence.
Le Grand - Viſir tâche de fatiguer les
armées de l'Empereur par des marches &
des contre - marches . En effet , le mouvement
qu'il a fait prendre à un corps confidérable
de fon armée , qui ſe porte vers
le Bannat , fait honneur à ſes connoiſſances
militaires , qu'on dit être dirigées par
unhabile renégat, qui a ſervi dans la guerre.
de ſept ans . Ce plan auroit des ſuites heu(
59 )
reuſes pour les Turcs , ſi l'Empereur ne
les prévenoit en diligence. La cavalerie
Ottomane, en ſe portant rapidement dans
le Bannat & la Transylvanie , qui ne
-ſont pas ſuffiſamment garnis pour faire réſiſtance
à l'ennemi , force la grande armée
affemblée près de Semlin de paſſer le Danube&
de gagner ces 2 provinces:opération
qui n'eſt pas facile à exécuter , parce que
le pays à parcourir eft coupé de marais &
de rivières . Enfin , l'armée du Grand-Vifir
paſſant le Danube , ſe mettroit entre les
armées Autrichienne & Ruffe , &pourroit,
par ce moyen , foutenir au beſoin les
corps Ottomans de la Moldavie & de la
Servie . L'armée de l'Empereur auroit
d'ailleurs de la peine à ſe procurer les vivres
, la navigation du Danube étant interceptée
; il faudroit alors les faire tranfporter
par terre .
Ce plan des Ottomans a fûrement entraîné
le changement total de celuide l'Empereur.
Ayant appris que le Grand-Vifir
avoitdétaché des corps conſidérables vers le
Bannat & la Croatie, ce Prince a détaché
lui - même du camp de Semlin 40,000
hommes qui ſe rendent dans le Bannat ,
pour joindre le corps du Général de Wartensleben
, & un autre corps de 20,000
hommes qui doit ſecourir en Croatie le
Prince de Lichtenstein. Environ 20,000
ovj
( 60 )
hommes reſteront à Semlin pour défendre
cette place & la digue de Befchanie , &
40,000 formeront un corps d'obſervation
qui fera prêt à ſe rendre où les circonftances
l'exigeront.
La fièvre épidémique connue ſous le nom d'Influenza
, règne à Munich de nouveau depuis fix ſemaines
, & il eſt peu de perſonnes qui n'en foient
attaquées. Elle s'y étoit manifeſtée en 1782 , venant
, comme elle en vient encore , de la Ruffie ,
où elle a pris fon origine , par la Pologne & la
Hongrie. Elle fit alors de grands ravages , particulièrement
en Bavière , où l'on en ignoroit les
remèdes. L'expérience acquiſe en rend aujourdhui
les accès rarement dangereux. Des fluxions douloureuſes
, des maux de gorge violens , un abattementgénéral,
font les ſymptômes ordinairesde
cette maladie , dans laquelle il faut s'abſtenir de la
faignée: elle eſt mortelle. L'uſage des boiſſons
fudorifiques , dès l'inſtant qu'on s'en fent atteint ,
en arrête preſque toujours les progrès. »
ESPAGNE.
De Madrid , le 18 Juin .
Le 14 de mai , il arriva à Gibraltar , de
Deptford , un bâtiment Anglois de 850
tonneaux , ayant à bord 68 pièces de canon
du calibre de 32 livres de balle , outre
une grande quantité de boulets , bombes ,
poudre à canon , & autres munitions de
guerre. Cette cargaiſon eſt deſtinée pour
Conftantinople ; la Porte tire actuellement
( 61 )
de la Grande-Bretagne une partie des approviſionnemens
dont elle a beſoin. L'efcadre
Portugaiſe qui croiſe dans le détroit,
mouilloit à la fin de mai devant la rade
de Gibraltar.
GRANDE-BRETAGNE.
De Londres , le 1er. Juillet.
LeBill porté de la Chambredes Communes
à celle des Pairs , & dont l'objet
eft de régler le tranſport des Nègres fur
des vaiſſeaux Anglois , de la côte d'Afrique
aux Indes occidentales , a occaſionné dans
la Chambre Haute , comme nous l'avions
fait preſſentir, de très-vives diſcuſſions . Le
25 juin , cette Chambre s'étant formée en
Comité , pour prendre cet acte en confidération
, Milord Bathurst ouvrit le débat
, en foutenant que la date de laquelle
le Bill devoit être en force , ſavoir
le to juin , le rendoit ſouverainement injuſte
, en lui donnant un effet rétroactif ;
que les Armateurs ayant fait leurs préparatifs
, avant même que ce Réglement eût
été propoſé , il étoit inique de les fouinettre
à l'obligation d'une Ordonnance
non rédigée à l'inſtant de leurs entrepriſes.
Les Lords Rodney , Haatfield , Sandwich,
le Duc de Chandos , le Marquis de Town
( 62 )
shend, le Chancelier & Lord Sydney, Secre
raire d'Etat , attaquèrent auſſi la forma
actuelle & la date du Bill. Lord Sydney ,
entre autres , remarqua l'imprudence de
ces difcuffions prématurées , & dit que le
Parlement devoit , ſans tarder , ou affranchir
les Nègres , ou garder le plus profond
filence à ce ſujet , juſqu'au jour où
il prendroit une réſolution. « Il eſt trop
>> dangereux , dit-il , que les Nègres de
>> nos Colonies apprennent , par la voix
>> publique , que la Nation s'occupe
>> de leur liberté , tandis que les Colons
>>plaident pour continuer leur ſervitude :
>> le maſſacre entier de ces derniers feroit
>> inévitablement l'effet de ces débats , &
>> les lettres reçues de la Jamaïque prou-
>> vent que ces craintes ne font pas chi-
>> mériques. >>
(En effet , les extraits de ces lettres ,
cités par le Miniftre, indiquent au moins
l'alarme des Iſles ſur la conféquence dont
les menace l'incertitude de la Métropole.
)
,
Elles furent combattues , ainſi que les
obje&ions au Bill, par le Duc de Richmond,
par les Lords Carlisle & Stanhope ; enfin
on tomba d'accord de changer la date ,
&de mettre le Réglement en vigueur du
1. août , au lieu du 10 juin.
er
Le 27 , & hier 30 du même mois , la
(63 )
Chambre a difcuté différentes clauſes de
l'acte , les a modifiées , & étendra peut- être
ces changemens au point de les faire rejeter
par la Chambre des Communes , à
qui ceBill dénaturé devra être ſoumis de
nouveau. Par cette raiſon , nous différerons
encore d'en préſenter l'extrait à nos
Lecteurs . D'ailleurs, point d'affaires dansles
Communes . Le Parlement ne pourra être
prorogé qu'après le fort du Bill dont nous
venons de parler.
On a remarqué dans ce débat , une
oppoſition mêlée d'aigreur , entre quelques
- uns des Membres du Cabinet ;
ce qui a accrédité l'opinion d'une di-
_ viſion parmi les Miniſtres. On les dit féparés
en deux partis , dont l'un compte
le Chancelier , le Marquis de Carmarthen
& Milord Stafford ; l'autre , M. Pitt , le
Duc de Richmond , & à quelques égards
Milord Sydney. Le Comte de Cambden ,
Préſident du Conſeil-Privé , eſt neutre , à
ce qu'on dit , & tient la balance.
La Thétis , venant du Bengale , eſt arrivée
dans la Tamiſe , ces jours derniers .
Le Roi en fon Conſeil- Privé a défendu ,
le 25 , l'introduction des bleds des Etats-
Unis d'Amérique , parce qu'on a découvert
que ces bleds ſont atraqués d'un
infe&e qu'il ſeroit très-dangereux de propager
en Angleterre .
( 64 )
Le 26 du mois dernier , l'eſcadre du
Contre-Amiral Gower, après avoir croifé
à l'ouest des Sorlingues , a jeté l'ancre
dans la rade de Plymouth , d'où elle remettra
à la voile , à ce qu'on croit , dans
peu de jours , & ira reprendre ſa première
croifière.
:
Le Contre-Amiral Elliot a arboré , le
24 juin , fon pavillon à bord du Salifbury
de 50 canons , qui a mis à la voile
quelques jours après , pour ſe rendre à ſa
ſtation de Terre-neuve.
La corvette l'Echo de 16 canons , montée
par le Capitaine Reynolds , & deftinée
pour la même ſtation a fait voile de
Portsmouth le 25 .
,
Le Parlement d'Irlande , qui avoit été
prorogé au mardi 17 juin , l'a été de nouveau
au mardi 19 août prochain .
L'Aſſemblée des Actionnaires de la
Compagnie des Indes , a fixé le dividende
du dernier fémestre échu à la St. Jean
à 4 pour cent.
,
,
,
La Minerve Capitaine Williams
partie du portde Londres pour l'Afrique ,
a péri , le 17 mars dernier , près du Cap
Blanc ; la cargaiſon de ce vaiſſeau a été
pillée ,& les gens de l'équipage emmenés,
comme esclaves , par les Naturels. Ces infortunés
, au nombre de 7 , ont été entièrement
dépouillés ; il en eſt mort un de
( 65 )
puis ; un autre a été conduit dans l'intérieur
du pays , & les cinq autres font reftés
près de la côte.
Le Lowdon , commandé par le Capitaine Berkley,
fut acheté ſur la Tamiſe , il y a deux ans ,
par une Compagnie de Particuliers qui ont tenté
le commerce des Loutres de mer aux ifles Sandwich
, dans la mer du Sud. Ce vaiſſeau , frété à
Oftende , mit à la voile vers le milieu de décembre
1786 , & pendant tout le voyage il ne
perdit pas un ſeul homme de maladie ; mais cinq
perſonnes de l'équipage ayant abordé dans une
chaloupe à l'une des iſles Sandwich pour y faire
de l'eau , elles furent ſurpriſes par un nombre de
naturels qui les maſſacrèrent. Le vaiſſeau partit
pour Owhyhea , iſte célèbre par la mort du Capitaine
Cook , où il diſpoſa de ſa cargaiſon contre
une immenſe proviſion de fourrures. Après avoir
prisſonchargement , le Capitaine Berkley fit voile
pour Macao , où il ſe défit très-avantageuſement
de ſes Loutres ; il vendit enſuite ſon vaiſſeau à
quelques marchands Portugais , en s'en réſervant
lecommandement. Ilprit un nouveau chargement ,
& appareilla pour Joa , d'où il ſe propoſoit de
partir à la fin de l'été prochain. L'équipage fut
licencié en entier à Macao , & remplacé par des
Portugais. Trois hommes de l'équipage ſont rentrés
en Angleterre fur le Lafcelles , & le reſte eft
embarqué ſur les vaiſſeaux de l'Inde qui font attendus
inceſſamment.
L'équipage a rapporté de cette iſle pluſieurs
choſes curieuſes , ſemblables à celles qu'avoit embarquées
le malheureux Capitaine Cook.
Les Sheriffs de cette capitale ont publié
un état officiel & détailléde la priſon de
Newgate , pendant les deux dernières
( 66 )
années . Ce dénombrement des Prifonniers
, jugés , exécutés ou élargis , eſt intéreſſant
à connoître : c'eſt une eſpèce
de thermomètre de la dépravation publique
, & du plus ou moins de ſévérité dans
l'Adminiſtration de la Juſtice criminelle.
Il feroit très-curieux de comparer cette
note , avec celle des Criminels &des fupplices
dans les autres grandes capitales de
l'Europe; mais il n'en eſt aucune où ces
rapports affligean aient la publicité &
Pauthenticité de ceux qu'on va parcourir.
L'état de la priſon de Newgate , depuis le 28
ſeptembre 1785 , juſqu'au 28 ſeptembre 1786 ,
fous les Sheriffs Jacques Sanderson & Brook Waifon
, Ecuyers, renferme :
<<Y compris quatre cent quarante- un prifonniers
reçus des précédens Sheriffs Hopkins &Boydell,
« Mille ſept cent quatre-vingt-feize prifonniers ,
deſquels ont été
exécutés .
envoyés aux galères .
enlevés de mort naturelle .
déchargés .
68
350
16
... 891
1325
reftés ſous ſentence de mort , mais ayant
obtenu un repis , condamnés à être tranſportés
, ou à une amende , & reftans pour
les ſeſſions du 28 ſeptembre 1786 ...... 471
Total . ...... 1796
« Les quatre cent ſoixante-douze ci -deſſus cotés
( 67 )
ontété remisdans la forme uſitée,le 28 ſeptembre
1786, à MM. le Mefurier& Higgins ;&depuis cette
époque juſqu'au 28 ſeptembre 1787 , il y en a
eu de reçus , pour attendre leur procès :
« Millecinq cent trente-fix , faifant , avec les 471
ci-deſſus , en tout .. 2007
« Sur ce nombre , on a diſpoſé de Mille quatre
cent cinquante-quatre de la manière ſuivante :
exécutés .
tranſportés à la baie de Botanique .
envoyés aux galères .
morts naturellement .
déchargés .
.. 87
..... 117
225
16
969
553
2007
reftés ſous ſentence de mort ou de tranfportation
faiſant en tout ..
« Les cinq cent cinquante-trois ont été remis ,
à l'ordinaire , aux Sheriffs actuels , à leur entrée
encharge.»
«Ces tableaux des priſons , les premiers qui
aient jamais été publiés , ſont ſingulièrement détaillés
, le nombre des prifonniers pour chaque
crime s'y trouvant exactement ſpécifié ; mais il
nous eſt impoſſible d'en copier tous les articles;
nous nous bornerons donc à faire mention de deux
des plus remarquables.-Durant cesdeuxdernières
années , le nombre de meurtres a été de trente-huit;
mais il n'y en a eu que fix de prouvés , &dont
les auteurs aient été exécutés. Il y a eu également
38 crimes de faux , dontfix ſeulement ont
été punis du dernier fupplice. »
« Ces détails conduiſent à une reflexion naturelle
; c'eſt qu'il y a eu bien peu d'exécutions en
proportion des delits , & que le nombre des perſonnes
acquittées & déchargées ſurpaſſe de beaucoup
celui des criminels atteints & convaincus .
( 68 )
La charité , même la plus indulgente , ne nous
permettra guère non plus de penſer que , fur la
quantité prodigieufe de prifonniers déchargés &
élargis , un grand nombre retourne à une vie laborieuſe
&honnête. Ges renſeignemens , à ce que
nous croyons , peuvent être utiles à l'obſervateur
qui voudra faire des recherches ſur la balance des
crimes & des châtimens , & tâcher de trouver
quelque plan qui les prévienne. »
• Avant de finir cet article , nous ferons remarquer
que fur les 156- malfaiteurs punis de mort ,
il ne s'en trouve que 52 de Londres. Le reſte
étoit de la campagne , quelques - uns d'Amérique
, un petit nombre étrangers. Les profeffions
des criminels font auffi partie du tableau que nous
avons ſous les yeux , & il eſt étonnant que la
plupart foient de la claſſe agricole. »
«D'après ces liſtes , il paroît que ceux qui
ſe plaignent que l'Angleterre a des loix trop fanguínaires
, & que les exécutions yfonttrop multipliées,
n'ont pas fuffitament balancé les circonftances.
S'ils trouvent révoltant qu'on exécuté 87
perſonnes dans une année , ils doivent conſidérer
quelle partie ces 87 font de deux mille ſept.
Cette proportion deviendra bien plus foible , ſi
l'on fonge qu'en général les deux tiers de ceux
qui ſont condamnés à mort,reçoivent leur pardon,
oudu moins obtiennent que la ſentence ſoit commuée
en une ſimple tranſportation. »
Nous joindrons aux liſtes précédentes ,
celle des débiteurs détenus dans la prifon
de Newgate.
CC Le nombre de débiteurs empriſonnés à Newgate
depuis le 28 ſeptembre 1785 , juſqu'au 28
ſeptembre 1786 , donne :
( 69 )
bienportans malades morts.
pour le plus grand , 266 6
pour le plus foible , 119 I
pour letermemoyen , 147 3 7
Du 28 ſeptembre 1786 au 28 ſeptembre 1787.
bien portans malades morts.
154 6
118 I
141 10
3
La dernière Séance de Westminster-Hall
-fournit la matière d'une obſervation digne
de quelque remarque. Lorſque M. Shéridan
eut terminé ſon Plaidoyer , des jeunes
gens de fon parti, placés derrière lui ,
eurent l'imprudence de faire entendre
quelques battemens de mains. Cette manière,
inufitée en Angleterre , de manifefter
ſon approbation , a été univerſellement
& vivement blâmée , ſoit dans les
Cercles , foit dans les Papiers publics . On
a jugé d'une commune voix que , malgré
les rapports de tout genre qu'avoit
ce ſpectacle judiciaire avec nos repréſentations
théâtrales , ce dernier trait de conformité
étoit de trop , & qu'il offenſoit la
majeſté du Tribunal ainſi que l'Orateur.
Nous ne parlons pas de l'inhumanité de ce
jeu d'applaudiſſemens ; il ſeroit dériſoire ,
après tout ce qui s'eſt paſſé , de réclamer,
enfaveurde l'Accuſé , les égards de la décence
la plus vulgaire; maisle cri du Public
}
( 70 )
reſpectable & le mécontentement de la
Cour des Pairs , prouvent combien on eft
encore éloigné ici de tolérer l'oubli des
bienſéances , devenu fi commun dans un
royaume voifin , où les ſalles des Tribunaux
, des Académies , &c. font devenues
autant de Théâtres , où l'on ſe permet de
traiter un Magiſtrat , un Orateur , un Phi .
lofophe , comme l'on traite un Bouffon.
Nous recevons journellement des let- _
tres , où l'on nous queſtionne ſur la durée
&fur l'époque de la fin de ce Procès.
Perſonne au monde ne peut répondre
pertinemment à cette demande. Nous répéterons
ſeulement ce que nous avons dit
depuis deux ans , qu'il ne peut échapper
aujourd'hui à aucun Obſervateur pénétrant
, que les ennemis de M. Hastings
éloigneront ſa défenſe& fon jugement ,
par les reſſources inépuiſables que préſente
une cauſe de cette eſpèce : elle ſeroit
décidée maintenant , fi on y avoit procédé
avec l'intention ſincère d'accélérer
le jour de la vérité ; mais des harangues
de quinze heures ſur un ſeul Chef, précédées
d'autres harangues de deux Séances,
toujours ſur le même Chef , & D'UNE.
INSTRUCTION DE MILLE PAGES IN -FOLIO
(1 ) ſur les deux premières charges ,
(1) Si quelqu'un avoit le courage de parcourir
( 71 )
promettent à l'autre fiècle le dénouement
de cette ſcène. En attendant ſon iſſue ,
l'Accuſé reſte en butte à la plus ſanglante
diffamation ; ſon ſupplice ſe prolonge de
ſemaine en ſemaine , de mois en mois ,
d'année en année ;& à peine la coupe du
poifon qu'on verſe goutte à goutte fur
es bleſſures ſaignantes , eſt-elle épuiſée ,
qu'on reprend des forces pour en renou.
eler la compofition , en dévouant la vicime
à recevoir , dans l'intervalle & en
lence, tous les coups de poignard de la
Prévention , de la malignité , de l'impuence
mercenaire , de la légèreté publijue
(2). Les Accuſateurs ont eu la précaucet
immenſe recueil , le Rédacteur de ce Journal
en offre la lecture aux Amateurs . Sans cette lecture
, il eft impoſſible d'adopter une opinion juſte
fur ces deux premières charges. On y verroit ,
avec ſurpriſe , que les aſſertions de M. Sheridan
yfont preſque toujours détruites par cette inftruction
même , dont il a FEINT d'expoſer la récapitulation.
(2) Voici un exemple fingulier de cette légèreté.
Un avocat François fait à Paris un Mémoire
dans une cauſede ſcandale domeſtique entre deux
particuliers. Qui croiroit qu'au milieu de ce Mémoire
, cetAvocat s'eſt cru en droit d'intercaller une
déclamation vraiment burleſque ſur l'affaire de M.
Hastings ? Il a recueilli des Gazettes les épithètes
les plus infamantes , échappées aux accuſateurs de
cet ancienGouverneur-Général,&le peint comme
un monftre à la face de la France , ſur la foi de ces
( 72 )
tion de prolonger adroitement l'inſtruction
de chaque charge , juſqu'à l'approche
de l'ajournement du Tribunal , pour faire
la clôture des Séances par leur Plaidoyer
définitif , pour laiſſer ainſi l'opinion ſe
repoſer ſur leurs véhémentes aſſertions ,
& pour ôter par-là à l'Accuſé muet , la
reffource de la balance des défenſes & des
attaques . Cet artifice n'eſt point une ſuppoſition
; c'eſt un fait prouvé par les deux
derniers ajournemens de la Courdes Pairs.
Il en réſulte que ſi M. Hastings eſt coupable
, le ſupplice le plus cruel n'égalera
jamais celui auquel il eſt livré, depuis deux
ans , par cette combinaiſon profonde ; &
que , s'il eſt déclaré innocent , il n'eſt plus
mêmes accuſateurs. Comment un Juriſconſulte
peut-il oublier à ce point les devoirs ſacrés de fon
état ? Peut-on ſe permettre une pareille diffamation,
fans rapporter les preuves de ſonjugement?
Eſt-il croyable que cet Avocat , à la pourſuite
d'objets auffi étrangers au procès deM. Hastings ,
ait eu le temps & la volonté de s'inſtruire de tout
cequ'ilfaut néceſſairement ſavoir , pour prononcer
fi deſpotiquement contre l'honneur d'un homme ,
dont l'existence publique a été liée à tant d'évènemens
, fur lesquels les autorités légales font au
moins partagées ? L'Ecrivain que je relève eſt
d'autant plus blamable de s'être livré à une
fortie auffi déplacée , qu'il annonce le plus grand
amour de la justice , de l'ordre , de l'humanité ,&
le talent de les défendre.
au
( 73 )
au pouvoir ni des loix , ni du Gouvernement
Anglois , de trouverune réparation
capable de compenſer l'horreur & l'injufticede
la longue oppreſſion dont cet Innocent
aura été l'objet.
Une lettre écrite par un Marchand établi à Liverpool
à ſon ami à Dublin , porte que le Swallow,
beau vaiſſeau de 400 tonneaux , commandé par le
Capitaine Doran , & montant un équipage de 70
hommes , a été malheureuſement ſurpris par un
pombre conſidérable de naturels qui l'ont abordé
dans la nuit du 16 mars dernier , comme il étoit
àl'ancre dans la rivière Bonny , fur la côte au vent
d'Afrique. L'équipage, compoſé d'Anglois , d'Ecoffois&
d'Irlandois , a fait une réſiſtance opiniâtre ;
& ayant monté quelques pierriers ſur le pont ,
illes aſi bienpointés contre les aſſaillans, que leplus
grand nombre d'entre eux a été renverſé , & le
reſte voyant l'équipage auſſi déterminé , s'eſt jeté
à la nage comme des barbets dans la rivière , ne
ſedonnant pas le temps de regagner les chaloupes.
Levaiſſeau ſe trouvant pour lors à l'abri du plus
grand des dangers , continua de faire feu de ſes
pierriers&de ſes menues armes ſur les malheureux
fuyards pendant près d'une demi-heure , &
on préſume qu'il y en a eu beaucoup d'eſtropiés
&denoyés, la diſtance pour regagner le rivage étant
d'environ un mille. Le Swallow a eu 7 hommes
bleſſés pardes couteaux de fer , des piques & de
petites pierres avec leſquelles étoient chargés les
fuſils des Nègres. Le capitaine a reçu pluſieurs
ballesdans ſeshabits, mais qui ne lui ont fait aucun
mal. Le vaiſſeau a acheté ungrand nombre d'efclaves
ſur différentes parties de la côte , & on fuppoſe
qu'il aura fait voile pour les ifles au commencement
de mai.
N°. 28. 12 Juillet 1788.
(74)
FRANCE.
De Versailles, le 2 Juillet .
Le Roi a nommé à l'Abbaye de Saint-
Vincent , Ordre de S. Benoît , Diocèſe
du Mans , l'Evêque de Tarbes , fur la nomination
& préſentation de Monfieur , en
vertu de ſon apanage ; & à l'Abbaye régulière
de Moncel , Ordre de Prémontré ,
Diocèſe de Châlons- fur-Marne , le ſieur
Deſlandes , Religieux du même Ordre .
L'Evêque d'Orléans a prêté, le 28 du
mois dernier , pendant la Meſſe , ſerment
de fidélité entre les mains du Roi.
Le 29 du même mois , la Baronne de
Montmorency a eu l'honneur d'être préſentée
au Roi , à la Reine & à la Famille
Royale , par la Ducheſſe de Montmorency
, & de prendre le tabouret chez la
Reine.
Le même jour , la Princeſſe de Léon ,
préſentée par la Ducheffe de Rohan , a
auſſi eu l'honneur de prendre le tabouret
chez la Reine.
Ce jour , le Roi , la Reine & la Famille
Royale ont ſigné le contrat de mariage
du ComtedeBotderu , Capitaine au régiment
d'Artois , Cavalerie , avee,demoiselle
Sophie du Cambout de Coiſlin. Elles
avoient figné , le 22 , celui du Comte de
( 75 )
Vanſſay , Ecuyer de main de la Reine ,
& Capitaine au régiment de la Reine ,
Dragons , avec demoiselle de Grandpré.
De Paris , le 8 Juillet .
Arrêt du Conſeil d'Etat du Roi , du 28
juin 1788, portant fuppreffion des Délibérations
& Proteſtations des Cours &
autres Corps & Communautés , faites depuis
la publication des Loix portées au
Lit de Juſtice du 8 mai dernier; extrait des
regiſtres du Conſeil d'Etat du Roi.
Le Roi s'étant fait repréſenter pluſieurs écrits
clandeſtinement publiés , Sa Majeſté a reconnu
qu'Elle n'avoit conſulté juſqu'à ce moment que
fon indulgence , en les livrant à l'oubli dont ils
fontdignes.
La publication affectée qu'on leur adonnée ; les
ſignatures multipliées par leſquelles on a cherché à
les accréditer,déterminent ſa ſageſſe à les profcrire,
après en avoir fait ſentir à ſes Peuples l'illuſion &
ledanger.
Ces écrits ,répandus ſous le nom d'Arrêtés ou de
Proteſtations de pluſieurs Cours , Corps ou Communautés
, ne portent avec eux qu'un caractère de
déſobéiſſance& de révolte , contraire au devoir de
tous ſes Sujets ,& fur-tout des Officiers qui compoſent
ces Corps , dont l'exercice n'a pas toujours
étécontinuel , que le Roi avoit le droit de faire vaquer
ſuivant ſa volonté , même d'interdire de leurs
fonctions ,&auxquels il vientde dérendre de former
aucune aſſemblée , de prendre aucune délibération
*fans de nouveaux ordres de Sa Majesté , de laquelle
ſeule ils tiennent leurs pouvoirs&la faculté de les
exercer,
dij
( 76 )
Dansla forme, ces écrits font donc illicites ; dans
l'effet que l'on cherche à leur faire produire , ils ſon,
illufoires.
Dans leur contenu ils ne font pas moins condamnables.
Les Officiers & autres Sujets qui y parlent ,
s'élèvent au-deſſusdel'Autorité Royale , ofent juger
&proſcrire les Actes émanés du Roi , les déclarer
abfurdes dans leurs combinaisons , despotiques dans
leursprincipes , tyranniques dans leurs effets , deftructifsde
laMonarchie, des droits & des capitulations
desProvinces;comme ſi le Roi n'avoit pas déclaré
par ſes Loix enregiſtrées au Litde Juſtice du huit
Mai dernier, qu'il n'entendoit porter aucune atteinte
aux droits& priviléges des Provinces ;
Commes'il pouvoit jamais appartenir à des Sujets
d'élever des Actes d'une autorité particulière ,
contre lesAstes de l'autorité légitime ;
Commefi laNation pouvoitjamais croire que le
Monarque voulût détruire la Monarchie ; que le
Roi qui eſt venu au fecours de ſes Peuples , qui leur
a confié la répartition des Impôts pour en alléger
le poids , veut changer la Monarchie en Defpotifme;
Comme ſi la Nation pouvoit jamais croire qu'il
exiſte entre les mains de quelques Officiers du Roi ,
unpouvoir national ,&un droit de contrarier l'autoritédont
ils émanent ,&d'en déterminer le caractère.
Les uns ofent paſſer de l'examen des Actes , à
celuidu pouvoir qui les a ordonnés. Ils voudroient
perfuader que le Roi a ignoré & ignore ce qui
s'eſt paſſé par ſes ordres dans toutes les Coursdu
Royaume. Delà ils annoncent aux Peuples que le
Roi a été forpris ,& eſt trompé ; que toutes les
avenues du Trône ſont fermées à la vérité;
Comme s'il étoit poſſibleque le Roi ignorâtce
qui s'eſt paſſéfous ſes yeux&enfon Lit de Juſtices
5
(77 )
Comme ſi tout ce qui s'eſt fait dans les Provinces
, n'étoit pas une ſuite de ce premier enregiſtrement;
Comme ſi les Edits portés au Litde Juſtice du 8
mai , ne prouvoient pas à la Nation entière ,que les
vérités les plus intéreſſantes pour le Peuple , ont
environné le Trône.
Quele Roi a entendu la vérité , lorſqu'il a ſtatué
fur lesplaintes detous les Juſticiables , ruinés par le
déplacement &par les frais de la Juſtice ;
Lorſqu'il a écouté les crisdesAccuſés,renfermés
dans lesprifons, ſouvent fans ſecours , fans moyens
de ſe juſtifier, & expoſés à des peines contre lefquelles
ils ne pouvoient réclamer l'indulgence du
Roi ou ſajuſtice;
Lorſqu'il a été ſenſible aux plaintes du Peuple ,
gémiſſant de l'oppreffion qu'il éprouvoit , par la
muititude des priviléges qu'a occafionnés la maltitude
des Charges &desTribunaux ;
Lorſqu'il amis un freinà la réſiſtancedesCoura
contre toutes les opérations du Gouvernement,
poureemmpêcherles charges publiquesdepeſerd'une
manière plus forte fur le pauvre que fur les autres
Sujets du Roi : réſiſtance fondée ſur des motifs qui
s'éloignent de l'intérêt général , &dont l'effet reconnueft
une inégalité de répartition au préjudice
duPeuple.
D'autres ont prétendu que les nouveaux Edits
changeoient la Monarchie en Ariftocratie;
CommefiuneCour unique, compoſéed'Officiers
du Roi, ſoumiſe à fon autorité&circonferite dans
fes facultés, n'étoit pas analogue à la Monarchie&
au pouvoir du Monarque.
D'autres ont confidéré cette Cour comme le
moyealeplus fûr du defpotifme.
Ia vérité furcesgrands objets eſt encoreparvenue
auTrône.
dij
( 78) :
1
Iln'yapointde deſpotiſme où la Nation exerce
tous fes droits ; & le Roi a déclaré qu'il vouloit la
rétablir dans tous ceux qui lui appartiennent , en la
convoquant toujours pour les ſubſides qui pourront
être néceſſaires à l'Etat , en écoutant ſes plaintes&
ſes doléances ; en ne ſe réſervant de pouvoir que
celui qui atoujours été en France dans les mainsdu
Monarque , & qui ne peut être partagé dans une
Monarchie fans entraîner le malheur du Peuple.
D'autres , en reprenant le ſyſtême proſcrit dans
tous les temps , que les Parlemens ne fontqu'un
Corps donttous les Membres ſont diſtribués dans,
les différentes Provinces du Royaume , mais tous
indiviſibles , prétendent qu'ils forment un Corps
national;
Comme ſi cen'étoient pas des Officiers du Roi
qui compofoient tous ces Corps , &que des Officiersdu
Roipuſſent être les repréſentansde laivation.
Ainfton veut attribuer aux Parlemens une autorité
perſonnelle , comme s'ils pouvoient en exercerune
autre que celle duRoi.
Paffant des principes aux conféquences , des
Cours , des Corps ſe ſont érigés en Legislateurs
pour leurs intérêts particuliers .
Ils ont eſſayé d'arrêter le cours de la Juſticedans
le Royaume , en faiſant ſignifier par toutes fortes
de voies , leurs Arrêtés & Proteſtations à des Tribunaux
du ſecond ordre , dont la plus grande partie
des Membres connoiſſent leurs devoirs , comme Sa
Majesté connoît leur fidélité.
Ils ont cherché à ébranler l'attachement de ces
Tribunaux au Roi, & leur devoir envers les
Peuples , en déclarant traîtres à la Patrie & notés
d'infamie , ceux d'entr'eux qui obéiroient à l'autorité
légitime , qui recevroient ou qui exerceroient
l'augmentationdu pouvoir que le Roi leur a confié ;
(79)
Comme s'il dépendoit d'Officiers des Cours ou
de tous autres Corps , de faire des Loix ,& de les
approprier aux circonſtances qui les intéreſſent;
Comme ſi la Patrie réſidoit en eux&dans leurs
vaines prétentions ;
Comme s'il leur appartenoit de retenir dans leurs
mains un pouvoir dont le Roi ſeul eſt diſpenſateur ,
& que Sa Majesté eſt forcée de reſtreindre pour
l'intérêt de ſes Peuples .
Quelques-uns ont ofé faire craindre au Peuple
de nouveaux Impôts , tandis que Sa Majesté a
folennellement déclaré qu'Elle n'en demanderoit
aucun nouveau avant l'Aſſemblée des Etats ;
Tandis que les meſures qu'Elle a annoncées ,
prouvent que , juſqu'à cette époque , de nouveaux
Impôts ne lui font pas néceſſaires;
Tandis qu'il n'eſt aucune réforme, aucun facrifice,
auxquels Sa Majesté ne ſe ſoit livrée pour épargner
denouvelles charges à ſes Peuples , &qu'elle vient
deleur remettre l'augmentation qu'Elle auroit pu ſe
promettre pour cette année , d'un Impôtdéja établi,
&dont l'accroiſſement neprovenoit que d'une plus
entière& égale répartition.
Il eſt de lajustice de Sa Majeſté d'éclairer la Nation
ſur ſes véritables intérêts , comme de la rappelerà
ſes véritables droits.
Il eſt de fa bonté d'attendre que la réflexion &
lerepentirviennent effacer des écarts dontElle voudroit
perdre le ſouvenir.
Sa Majesté doit à ſon autorité ,Elle doit à ſes
fidèles Sujets , Elle doit à ſes Peuples de prévenir
pourl'avenir depareils Actesqui ,dénuésdes formes
les plus ſimples, rendus fans pouvoir , hors des
lieux des Séances ordinaires , contre les ordres
exprès de Sa Majesté , échappent à la caſſation par
levicemême de leurs formes , puiſque , les caſſer ,
ſeroit leur ſuppoſer une exiſtence régulière; mais
div
(80 )
qui ,répandusavec profufion pour alarmer les Peuples
ſur les véritables intentions de Sa Majesté , n'en
méritent pasmoins toute ſon animadverfion , puifqu'ils
font capables de troubler la tranquillité publique,
par l'efprit d'indépendance & de révolte
qu'ilsreſpirent.
Aquoi voulant pourvoir , ouï le rapport , LE ROI
ETANT EN SON CONSEIL , a ordonné & ordonne
queles Délibérations & Proteſtations de ſes Cours
& autres Corps & Communautés , faites depuis la
publication des Loix portées au Lit de Juſtice du
huit Mai dernier , pour en empêcher l'exécution ,
ou en dénaturer les objets , feront & demeureront
fupprimées comme ſéditieuſes , attentatoires à l'Autorité
Royale , faites fans pouvoir , & tendantes à
tromper lesPeuples fur les intentions de Sa Majeſté.
Faitdéfenſesàtoutes perſonnes , notamment à tous
lesOfficiersdefes Cours, ou autres Juges , & à tous
Corps ou Communautés , de prendre de ſemblables
Délibérations,&defairedeſemblables Proteſtations,
aux peines portées par les Ordonnances , & notamment
à peine de forfaiture & de perte de tout état ,
charge.commiffion& emploi militaireou civil,contre
tous ceux qui les auroient délibérées ou ſignées. Fait
auſſi défenſes Sa Majeſté , ſous les mêmes peines , à
tous& chacun ſes Officiers , dans les différens Tribunaux
de fon Royaume , d'avoir égard auxdits
Arrêtés&proteſtations,&aux fignifications qui auroient
pu leur en être faites;déclare en conféquence
Sa Majesté , prendre ſpécialement fous ſa protection,
pour le préſent & pour l'avenir, ceuxde fos
Tribunaux & autres ſesSujets, qui , ſoumis auxdites
Loix , s'empreſſent de les exécuter , & en conféquence
vouloir & entendre les garantir par la
fuite & en toute occafion , des menaces impuiffantes&
féditieuſes qui auroient pu ou pourroient
alarmer leur fidélité ; comme auffidéclare leſdis.
(81 )
Tribunaux&autres ſes Sujets , fidèles au Roi, à la
Nation&à l'Etat ; ordonne aux Commandans pour
SaMajesté & aux Commiſſaires départis dans les
Provinces , de tenir la main à l'exécution du préfent
Arrêt , lequel fera imprimé , publié& affiché partoutoù
beſoin ſera ,& notifié de l'ordre exprès de
Sa Majesté , à tous lesGrands-Bailliages& Piéfidiaux
de fon Royaume.
Fait au Conſeil d'Etat du Roi , Sa Majesté y
étant , tenu à Verſailies , le 20 Juin mit ſept cent
quatre-vingt-huit.
Signé, LE BARON DEBRETEUIL.
Depuis leur arrivée à Toulon , les Ambaffadeurs
de Tippoo Saïb ont été l'objet
de fêtes continuelles , dont le Journalde
Provence rapporte toutes les particulari
rés. Nous allons en extraire ce que ces
relations offrent de plus intéreſfant.
« Le 11 juin , leurs Excellences anno. cèrent
qu'Elles pourroient donner audience & recevoir
des viſites l'après-midi ; en conféquence , vers les
4heures , M. le Comte d'Albert de Rions , chef
d'Efcadre , commandant la Marine , accompagné
deM.Poffel, Commiſſaire-Général Ordonnateur ,
le premier à la tête du corps de la Marine en
grands uniformes , & le fecond à la tête de l'Adminiftration
, en l'absence de M. de Mallouer , Intendant
de la Marine, furent rendre leur viſite aux
Ambaſſadeurs ; M. le Comte d'Albert leur fir
compliment au nom de fon Corps , & M. Poffel,
en celui de l'Adminiſtration ; cet Ordonnateur fit
connoître dans cette circonſtance à leurs Excellences
, les ordres que le Roi avoit donnés pour
pourvoir à tout ce qui pouvoit leur être néceſſaire
&agréable, & leur témoigna le pla.fir qu'il avoit
d'être chargéd'une femblable commiffion. M. de
( 82 )
Moneron , qui accompagnoit M. le Commandant,
fut auffi chargé de faire connoître aux Ambaſfadeurs
, que le Roi avoit donné les ordres les plus
précis à Breft , pour qu'ils y fuſſent reçus avec
la plus grande magnificence , & que tout y avoit
érédiſpoſéen conféquence depuis pluſieurs mois;
mais qu'ayant été avertis trop tard de leur arrivée
à Toulon , ce port , qui les attendoit depuis la miavril
, n'avoit pu ſe conformer , comme il l'auroit
déſiré , aux intentions de Sa Majefté. Ces Ambaſſadeurs
parurent ſenſiblement pénétrés de l'accueil
honorable qu'ils avoient reçu à l'entrée de
cet Empire , & firent dire par un Interprète qu'ils
ne trouvoient point d'expreſſion pour faire connoître
toute l'étendue de leur reconnoiſſance. Dans
ce moment, un Officier de leur Maiſon , portant
un vafe en argent rempli d'eau de fénteur , vint
lepréſenter àM. le Commandant pour s'en laver
les mains , & enfuite à M. l'Ordonnateur ; auffitôt
après , on apporta ſur un baffin , un vafe
d'argent , dans lequel étoient différens compartimens
avec pluſieurs petites graines que l'on ne
put connoître , de la canelle &des parfums od -
riférans. MM. le Comte d'Albert &de Poffel , affis
àcôtédes Amdaſſadeurs dans des fauteuils , prirent
chacun quelques graines qu'ils mâchèrent , & on
en préſenta enſuite à tous les Officiers du cortège
qui en firent autant. »
« A fix heures préciſes, leurs Excellences montèrent
en carrofſſe avec les principaux Officiers
de leur maifon , & ſe rendirent à la ſalle du ſpectacle,
accompagnés deM. deMoneron&de pluſieurs
Officiers de la Marine : un détachement du Régiment
de Barrois eſcorta les carroſſes juſqu'à la
falle ; à côté dupremier carroffe , étoient les quatre
Suiffes à la grande livrée du Roi. Les Ambaffadeurs
étant entrés dans la Salle , on les conduifit
( 83 )
dans la Loge de M. le Commandant de laMarine
qui les y attendoit : ils aſſiſtèrent à une repréſentation
de Richard Coeur de Lion , à la ſuite
duquel on exécuta pluſieurs Ballets. Leurs Excellencesparurent
très-fatisfaites de cet amuſement. »
« Le 12 , à cinq heures du foir , deux des
Ambaſſadeurs montèrent en carroſſe avec leurs
deux enfans & quelques perſonnes de leur fuite ,
&ſe rendirent à la Fonderie Royale , accompagnés
de M. le Comte d'Albert de Rions , de M. de
Caftellet & de M. de Moneron. Les carroſſes étoient
eſcortés par deux détachemens des Régimens de
Dauphiné & de Barrois , & des quatre Suiſſes
à la grande livrée , qui n'ont jamais quitté les
portières du premier carroſſe. »
>> En entrant dans la Fonderie , les Ambaſſadeurs
furent falués d'une décharge de 21 boîtes
d'artillerie , & aſſiſtèrent à la fonte de fix Obuſiers
en caronade, coulés en leur préſence , ainſi que
pluſieurs petits clous pour doublage. »
«Après avoir parcouru cet atelier , leurs
Excellences ſe rendirent à l'Arſenal. Le CorpsdeGarde
de la porte leur préſenta les armes , le
tambourbattit au champ ,& les Suiſſes s'armèrent
de leurs eſpontons. Les Ambaſſadeurs furent conduits
au Parc d'Artillerie , dont ils viſitèrent les
magaſins & les ateliers ; ils paſsèrent enſuite à
la falle d'Armes , & de-là à la Corderie , où , ſe
trouvant fatigués , ils remontèrent en carroſſe &
ſe rendirent à leur Hôtel „
« Le 13 , leurs Excellences ſe rendirent à la
falle du ſpectacle dans le même ordre qu'elles
avoient été à la Fonderie , &, accompagnées des
mêmes perfonnes , elles aſſiſtèrent à une repréſentation
d'Azémia , ou les Sauvages , ſuivied'un Ballet
Turc. »
« Le 14, on a tiré un feu d'artifice ſur le champ
dvj
(84)
debataille. L'Hôtel des Ambaſſadeurs étoit ilk
miné intérieurement. A neuf heures du ſoir les
Ambaſfadeurs parurent au balcon de l'Hôtel ; la
Muſique de la Marine , placée devant, la terraſſe
, exécuta différens morceaux qui durèrent autant
que le feu. Leurs Excellences s'étant aſſiſes ,
ainſi que MM . le Comte d'Albert , le Marquis de
Caftellet & de Poffet, qui leur faifoient compagnie,
un des Ambaſſadeurs mit le feu à un
Dragon volant qui le porta à la première pièce.
Clétoit une étoile d'Orient , accompagnée de plufieurs
artifices de différente ſorte; une ſeconde
pièce offritune croix de Malte brillante, entounée
de gerbes de fen. Divers artifices variés
zmusèrent quelque temps , & furent ſuivis de la
grande&principale pièce , qui repréſentoit unArc
de triomphe ; au milieu étoient deux colonnes de
feutournantes , accompagnées de pluſieurs artifices,
&furraontées d'une pièce , au centre de laquelle
on vit un Indien ayant un Palmier devant lui ,
& la Lune au-deſſus de ſa tête. Le feu fut terminé
par une grande falve d'artifice. "
Le 15, on a donné aux Ambaſſadeurs le divertiſſement
de l'exercice de la Joûte & de celui.
de laBague. On avoit formé dans la Darce vieille
une enceinte, bornée au fud par cinq pontons ,
dont un pour leurs Excellences , les Chefs des
Corps & les Dames les plus diftinguées ; deux
pour les Officier,s des différens Corps &lesPerfomnes
de marque; & les deux autres pour le
Public. Il y avoit fix bateaux deſtinés à la Joûte...
Après avoir joui de ces divertiſſemens , les
Arabaffadeurs ſe rendirent à la ſalle du ſpectacle ,
où ils aſſiſtèrent à une repréſentation de laDor,
fuivie d'un ballet analogue à la circonftance. Le
lendemain, la Marine leur donna un bal magni
beye dans. Phôtel de l'Intendance. Uss'y rendirent
( 85 )
vers les 9 heures du ſoir ,&y reſtèrent juſqu'à
2heures après minuit. Le concours brillant de
cette Aſſemblée , compoſée de plus de 500 perſonnes
, parut leur faire le plus grand plaifir ,
&ils s'exprimerent avec éloge ſur le caractère aimable
des Dames Françoiſes.
Le 17 , les Ambaſſadeurs jouirent , du haut
du balcon de leur hôtel , du ſpectacle d'une ba
taille ſimulée , donnée par les régimens de Barrois
& de Dauphiné , en garnifon à Toulon , &
qui a duré depuis 6 heures du ſoir juſqu'à 8.
Après ce fimulacre de combat , les deux régimens
ſe font rangés en ordre , & ont défilé devant
LL. EE. , qui étant forties de leur hôtel , ont enfuite
vifité les lignes. On avoit réſervé pour ce
même jour la réception des Majors en fecond de
ces deux régimens ; elle ſe fit alors en préſence
des Ambaſſadeurs avec l'appareil militaire & les
cérémonies d'ufage. Leurs Excellences ſe rendirent
lemême foir à la ſalle de ſpectacle , où l'on donnaune
repréſentation du Tableau parlant , ſuivie dur
Mortvivant par amour. On avoit élevé au fonddu
théâtre un Arc de triomphe , au milieu duquel
paroiſſoit à droite le portrait du Roi ,& à gauche
celui de Tipoo. Au bas de chacun de ces portraits,
étoit une légende en caractères Indiens , & audeſſus
les noms & titres des Ambaſſadeurs , écrits.
en mêmes caractères. Après la première pièce ,
un détachement du régiment de Dauphiné exécuta
fur le théâtre différentes manoeuvres. Un petitGénie
defcendit enſuite du plafond dans la loge
des Ambaſſadeurs , & leur offrit une couronne
de laurier & différentes fleurs . Deux enfans de
ladame Zanini , ayant exécuté différentes danſes
de caractère , ſe rendirent auſſi àla même loge
&préſentèrent des bouquets à LL. EE. , quái
frent bemicoup de careffes à ces enfam, &c
dantèrent feize tonis .
( 86 )
Le 20, les Ambaſſadeurs ſe ſont rendus à l'arfenal
, ont viſité le baſſin , ſont entrés dans le
vaiſſeau le Commerce de Marseille de 118 canons ,
qui y eſt en conſtruction ,& font montés à bord
du Triomphant de 80 canons. Ils ſe ſont rendus
enfuite à l'hôpital de la Marine. Ayant apprisla
veille que deux Canonniers avoient été bleſſés
dans le combat fimulé du 19 , ils écrivirent
en Arabe au Major de la Marine une lettre
pleine de ſentimens d'humanité , donnèrent 60
louis pour être partagés entr'eux , & prirent leurs
noms pour folliciter à la Cour une penſion en
leur faveur. En viſitant l'hôpital , ils eurent l'attention
de demander des nouvelles de ces deux
Canonniers.
Le 21 , jour fixé pour leur départ , ces Ambaffadeurs
font montés, à 9'heures &demie du matin,
dans des carroſſes de la diligence royale , après
avoir jeté de l'argent au Peuple. Dans le premier
carroſſe , à fix chevaux , étoit le premier Ambaffadeur
, feul ; dans deux autres à quatre chevaux,
étoient les deux autres Ambaſſadeurs , l'un Géné.
ral d'armée de Tipoo-Sultan , & l'autre , Chef
de la Religion : ils avoient avec eux le fils de ce
dernier ,&un autre jeune Indien recommandé au
fecond Ambaſſadeur.
Ils ont reçu à leur départ , ainſi qu'à leur arrivée,
les honneurs militaires dus à leur dignité .
Les préfens qu'ils portent au Roi n'ont point été
vus à Toulon : ils font renfermés dans fept caiſſes ,
& on en fait monter la valeur à 30,000,000 , argent
de l'Inde. ( 1 )
( 1 ) On re comprend pas clairement cette
évalution. L'argent de l'Inde le compte en roupies;
or , 30,000,000 de roupies feroient près de 70 millions
de France , ce qui est bien fort.
( 87 )
Le 26 mai , quinze maiſons , qui com
poſoient 23 ménages , ont été confumées
à Vaucelles ; la Commiſſion intermédiaire
Provinciale , pour ſubvenir aux premiers
beſoins des Incendiés , leur a fait diftribuer
600 liv:, et le Bailliage a donné une
ſommepareille.
« On écrit du Cap Saint- Domingue ,
- que le 21 mars dernier, (jour duVendredi-
Saint) , le feu prit à la Ville de la Nouvelle
Orléans dans la Louiſianne , par une Chapelle
ou Repoſoir chez le Tréſorier-Général.
Il ſe communiqua avec une telle
rapidité , qu'en moins de 12 heures 936
maiſons devinrent la proie des flammes.
On eſtime à 20 millions la perte qui en
eſt réſultée ; on ſait que le plus grand
-nombre des habitans de cette Ville ſont
encore des François . >>>
- « La nuit du 19 au 20, entre onze heures &
minuit , les vents étant au nord , le Chaſſe-marée
l'Anonyme , de l'Orient , venant de Nantes &
allant à Redon , chargé des bagages du Régiment
de Conti , Dragons , qu'accompagnoient un Lieutenant
, un Brigadier , un Maréchal- des - Logis ,
un Dragon & un Muſicien , a fait naufrage
fur le four , ayant manqué de virer de bord. A
l'inſtant où le Bâtiment s'eſt ouvert, les Paſſagers
&l'Equipage ſe ſontjetés au nombre de onze dans
leBateau , long d'environ dix pieds , & le Navire
a coulé auſſi- ốt; mais quelque temps après , ils ſe
font approchés d'une partie de la carcaffe, s'y
font amarrés à l'abri des coups de mer, & font
reſtés en cet état , continuellement occupés à
(88 )
vider l'eau juſqu'à huit heures du matin , qu'ils
ont aperçu un Bateau Sardinier , à qui ils ont
fait des fignaux , en mettant un mouchoir au
haut d'un aviron. Ce Bateau n'ofant aller à eux ,
dans la crainte de toucher fur les roches , s'eſt
mis en travers pour les attendre,, Ils ont abandonné
la carcaſſe du Bâtiment , & à force de nager
avec deux petits avirons , ils ont enfin joint le
Sardinier , qui les a reçus , & où ils ont été mouillés&
couchés fur la fougère jusqu'au 23 , fix heures
du matin , qu'ils font parvenus , à force de louvoyer
pendant près de trois jours , à entrer dans
cePort. On a fur le champ envoyé des Bateaux
Pêcheurs pour fauver les effets du Régiment ;
mais comme il y en avoit beaucoup fur le Pont ,
oncraintquelaperte neſoit conſidérable. (Courrier
Maritime.
Extrait d'une lettre écrite de Marseille au
Rédacteur.
<<Jeſpère , Monfieur , que vous voudrezbien
donner une place à la deſcription abrégée de la
Salle de Spectacle dont nous jouiſſons à Marseille
depuis le 31 novembre dernier. »
Cette nouvellefalle , conſtruite dans un quarré
longde vingt- fix toiſes ſur dix-huit, eſt décorée
fur laface principale d'un périſtile d'ordre ionique
antique , lequel , par fa pureté & fabelle proportiongardéedans
ſes entrecolonnemens , produit un
effet impoſant. Les faces latérales ſont d'un ſtyle
fimple mais noble. »
«Unveſtibule, orné de vingt colonnes doriques,
conduit aux premières loges & à un foyer public
par deux efcaliers vaſtes & très-bien diftribués.
Indépendamment de l'enſemble qu'on admire dans
ce foyer , ony diftingue quatre encadremens dans
Baxe de chacune de fes faces , leſquels , formés
( 89 )
d'ordre ionique compoſé, prouvent que l'Architecte
s'est fait un principe de ne jamais s'écarter
du ſujet qu'il avoit à traiter, ce qui fe remarque
principalementdans les chapiteaux dontlesvolutes,
formées pardes tyrſes enrichis de pampres , font
très-bien accompagnées par des maſques de différens
caractères ſubſtitués aux oves communément
employés dans cet ordre. Les autres ornemens acceſſoirs
ſontdans le même ſtyle. , »
« L'intérieurde la Salle , dont le ſervice ſe fait
par fix eſcaliers réſervés aux ſeuls ſpectateurs , eſt
auſſi vaſte que commode , &d'une décoration vai
ment neuve. Cette Salle, d'une forme elliptique ,
eſt ornée de huit colonnes ioniques ſurmontées
d'un entablement. Ce que l'on diftingue fur-tout ,
c'eſt la manière dontelles ſont diſpoſées entre elles ,
&dont elles portent un plafond d'une élégante
&riche compoſition. Ce plafond ſeul mériteroit
une deſcription détaillée. L'Architecte a préferé
un amphithéâtre circulaire ou galerie. (comme
au Théâtre François à Paris ) aux amphithéâtres
droits , tels qu'on les a communément pratiqués.
Lethéâtre eſt vaſte , d'un ſervice commode , ayant
de chaque côté des magaſins ſuffiſans pour ferrer
les décorations , &deux eſcaliers particuliers faiſant
le ſervice de fond-en-comble. "
<<En tout il y a dix forties , ſept pour le public
, trois pour lethéâtre , dont deuxjournalières ,
&une de ſecours donnant dans les deſſous. »
« La Salle est très-fonore ,& l'acteur ſe fait
'entendre de toutes les places ſans être obligé de
forcer ſa voix. L'orcheſtre produit auf un trèsbon
effet. "
« L'Architecte qui a exécuté ce monument ,
M. Bénard , que nous préſumons très-aifément
devoir être connu dans lacapitale par plus d'une
preuve de ſes talens, >>
) وه (
« Nous regrettons que cet Artiſte , qui n'a dâêu
l'exécution de cet édifice qu'au choix du Gouvernement
, d'après lejugement de l'Académie Royale
d'Architecture , ſoit retourné dans la capitale fans
avoir eu le temps de jouir du premier fruit de
ſes travaux , par l'approbation du public & des
étrangers, à qui nous n'avons vu faire que des comparaiſons
avantageuſes , &c. »
« Philibert Clemencet , Fermier de St. Beury ,
près Vilteaux en Bourgogne , a renouvelé les cérémonies
de fon mariage avec Pierrette Bertrand ,
le 24 juin 1788 , après 51 ans & fix jours de
mariage. Il étoit accompagné de ſes ſix enfans ,
&des enfans de ſes enfans au nombre de 26. 11
a fait célébrer une meſſe ſolennelle. Après la cérémonie
, ce bon père de famille adonné à toute
ſa ſuite in repas frugal où l'on a vu régner l'amour
paternel & le reſpect filial.
Armand de Montaut , Chevalier , Baron deCaftelnau
, d'Arbien & de Quinſal , Marquis de
Saint-Julien , Chevalier de l'Ordre royal& militaire
de Saint Louis , Lieutenant-général pour Sa
Majesté au Gouvernement de Normandie , eſt
mortàParis.
Alexandre , Marquis de Culant , Chevalier ,
Baron de Ciré , Seigneur de Flaſſay , grande &
petite iſle de Flay , Meſtre-de-camp de dragons,
Chevalier de l'Ordre royal & militaire de Saint
Louis , eſt mort , le 2 du mois dernier , en fon
château de Ciré.
PAYS - BAS.
De Bruxelles , le 4 Juillet 1788 .
Les VII Provinces -Unies , ainſi que le
Pays de Drenthe , s'étant expliquées ſur
(91 )
la propoſition desEtats de Hollande & de
Weſt-Frife, que la charge de Stadthouder,
Gouverneur , Capitaine & Amiral -Général-
Héréditaire dans la Maiſon d'Orange ,
telle qu'elle lui a été conférée en 1747, &
que le Stadthouder actuel en a pris pofſeſſion
en l'année 1766 , ſeroit garantie
mutuellement par tous les Confédérés
comme une loi fondamentale ; les Etats-
Généraux ont trouvé bon & réſolu : qu'il
fera fait entre les Provinces respectives un
engagement commun pour garantir mutuellement
la chargede Stadthouder , Capitaine
& Amiral-Général Héréditaire , non-feulement
comme une partie effentielle de la
confiturion & de la forme de Gouvernement
de chaque Province , mais auffi comme une
loi fondamentale des VII PROVINCESUNIES,
qui , fuivant l'UNION d'Utrecht ,
forment un Corps d'Etat.
<< Les renforts que doit recevoir le Prince
deLichtenstein, écrit- ondeVienne, le23juin,
font en marche. Outre ceux de la grande
armée , il recevra auſſi pluſieurs bataillons
de la garniſon de Vienne. Un corps de
Turcs menace de paſſer la rivière deGlina,
& de tomber ſur le derrière de l'armée
deceGénéral, ou de ſe porter ſur Agram &
Carlſtadt.- L'ennemi a déja mis le feu à
pluſieurs villages de la Croatie.- 15000
hommes fe rendent en diligence dans le
き
A
( 92)
- Bannat. Le Général de Fabris , dans la
Tranſylvanie , a reçu ordre de joindre le
Général de Wartensleben.-Un corps de
16000 hommes reſtera du côté de Belchania
, & on laiſſera une forte garnifen
à Semlin. La garniſon de Péterwaradin fera
de 20,000hommes.
Ilſe confirme qu'un corpsTurc s'avance
vers Jaffy.
Des lettres de Cherſon diſent que l'astmée
Turque s'approche d'Oczakof.
L'Archiduc François n'a pas continue
le voyage qu'il s'étoit propoſé. Il a été au
camp du Prince de Lichtenstein , & eft
revenu enfuite à Semlin.
Les ferres malignes commencent à
régner dans l'armée Autrichienne ; 430
hommes en font morts dans le camp de
Mahadie.
Le Major-Général de Lilien eſt arrivé,
le4de ce mois, à Pancſova , où les troupes
ont commencé le 9 à camper...
Un Courrier Rufle , accompagné d'us
Officierde l'armée du Prince de Cobonrg ,
eſtarrivé,le6de ce mois,au quartier général
de l'Empereur , avec une lettre de l'Impératrice.
Sa Majeſté a eu fur le champ une
longue conférence avec le Maréchal de
Lafcy, & le même Courrier a été réexpédié
le lendemain matin.
Nous nous faiſons un devoir de publier
( 93 )
la lettre authentique ſuivante , écrite de
Vienne , le 24 juin dernier , & que nous
fommes autorités à faire connoître.
« La manière dont les diverſes Gazettes
ont rendu compte de l'expédition de Jaffy,
& de la priſe de l'Hoſpodar Prince Ipfilandi
, eſt tout à la fois contraire à la vérité
& à la justice due à ce Prince , qui a
eu le malheur d'être une des premières
victimes de la guerre. La veille du jour
où le Colonel de Fabris parut devant Jaffy,
-il avoit battu pour la ſeconde fois & mis en
fuite Ibrahim Pacha, qui s'étant replié fur
■ la Ville , ne jugea pas à propos de joindre
ſes forces à celles du Prince ; ce qui auroit
mis ce dernier à même de défendre ſa réfidence
en faiſant face à l'ennemi. >>
Au contraire , Ibrahim Pacha ſe refuſant
à toutes les inſtances da Prince , ſe
retira vers le Pruth, abandonnant l'Hof
podar , auquel il ne reſtoit plus que de trèsfoibles
moyens de défenſe ; il n'avoit plus
à ſa diſpoſition que ſes Arnautes , ſur lefquels
il ne pouvoit pas compter , ainſi que
l'expérience l'a prouvé , avec un corps
d'environ 900 Turcs , qui , non - feulement
, refusèrent de lui obéir , mais qui ſe
mutinèrent , ſe montrant déterminés à la
fuite. Dans cette extrémité, le Prince n'avoit
d'autre reſſource que de fuir luimême
: il le fit ; mais les Huſſards Autri
(94)
chiens lui ayant coupé la retraite,&l'ayant
environné de forces beaucoup ſupérieures
aux fiennes , il ſe vit réduit à la triſte néceſſité
de ſe rendre en cédant à la force , &
après avoir eſſuyé pluſieurs coups de fufils,
dont fes habits furent percés , &des morts
à ſes côtés. "
<< Tous les ſoupçons qu'on a cherché à
répandre fur la fidélité du Prince , font
autant de calomnies inventées par la malignité
; & c'eſt par une ſuite de cette fauffeté
, qu'on a ſuppoſé qu'il avoit écrit à S.
A. M. le Prince de Kaunitz, pour le prier
de s'intéreſſer auprès de la Porte en faveur
de ſa famille. Une ſimple expoſition des
faits fuffit pour justifier ſa conduite ; fa
confiance& les longs ſervices qu'il a rendus
à la Porte , le feront triompher des
effortsde ſes ennemis , qui mettent à profit
le malheur des circonstances pour ſe
livrer à la haine qu'ils lui portent. »
« J'ai cru devoir à la vérité & à la juſ
tice, comme témoin oculaire, de rendre
ce compte au Public , &c. &c. »
P. S. Nous recevons à l'inſtant le ſupplémentofficiel
à la Gazette de Vienne, du
25 juin , & chargé , comme à l'ordinaire ,
de faits minutieux , à l'exception du dernier
, que l'on rapporte en ces termes dans
ceBulletin.
Par un rapport du Feld-Maréchal - Lieutenant
( 95 )
de Fabris, du 17 de ce mois , on apprend que le
Co'on 1 Horwath , poſté à Adſchud , inſtruit que
l'ennemi avoitdeſſein , le 5 ou le 6 de ce mois , d'enlever
notre garniſon de Fockſan , ce Colonel détacha
tout de ſuite le Major Lajos des Szecklers ,
avec deux diviſions d'infanterie , 50 Arquebufiers,
un eſcadron d'Huſſards , &4 canens de trois livres
de balle , avec l'ordre de tomber ſur les Turcs
&de les prendre à dos.
Undéfilé fort étroit , que la troupe du Major
Lajos eut à paſſer au milieu des vignobles entrecoupés
de chemins de traverſe , retarda ſa marche,
de façonque pour n'être pas pris àdos par l'ennemi
, il fit replier une diviſion d'infanterie avec
toute ſa cavalerie &deux canons , par ledéfilé vers
la plaine , les plaça de manière que l'infanterie
avoit à l'aile droite & en dos des vignobles ,
& que la cavalerie forma l'aile gauche.
Dans lemoment qu'il avoit pris cette poſition ,
l'ennemi ſortit , avec toute ſa cavalerie , d'une
embuſcade , & forma ainſi l'attaque de front.
LesTurcs ayant laiſſé approcher le Capitaine
Beaurepart à la tête de la diviſion d'infanteriejufqu'à
la portée du canon , le repouſsèrent d'abord
parun feu vif qu'ils firent ſur lui , &ſe formèrent
enfuite endemi-lune , pour attaquer le flanc gauche
de la diviſion , qui , faiſant le quarré , repouſſa
à diverſes fois leur attaque , avança fur eux
ſous unfeu continuel ,&, foutenue enfuite par la
cavalerie, les mit enfin en déroute.
Pendant cette affaire , le poſte de Fockſan ,
compoſéd'Arquebuſiers , d'Huſſards&de Volontaires
, fut attaqué avec tant de violence par l'ennemi
, que pluſieurs Arquebufiers & Volontaires
furent tués & la plupart diſperſés. Mais les Huffards,
commandés par le premier Lieutenant Ernst,
ayant trouvé moyen de ſe replier &de ſe joindre
en bon ordre au détachement qui arriva à leur
( 96 )
fecours , on attaqua d'abord le flane droit de l'ennemi
par un feu de canon &de mouſqueterie
vif, que l'ennemi ſe ſauva en défordre.
Nous comptons 14Arquebuſiers de diſperſés&
xoo Volontaires , qui, s'étant retirés dans les vignobles
, auront pu rejoindre leur Corps.
Suivant les avis du Colonel Horwath, l'ennemi
a eu dans cette affaire 200 morts & 300 bleſſés.
Les Arquebufiers& les Fantaſſins de la Compagnie
du Capitaine Zillich , lui ont pris deux drapeaux&
fait un prifonnier.
Peu après cette dernière affaire , l'ennemi a été
renforcé de Braila ainſi que de la Valaquie , de
8000 hommes& de 8 canons , ce qui a porté le
Colonel Horwath à changer de difpofition , & à
ſe relever , le 11 , près de Petruskan , à 4 lieues
d'Adſchud , pour être à portée de former ſesdifpoſitions
d'après les mouvemens que feroient les
Turcs vers la Valaquie ou la Moldavie. Peridant
le rapport que le Colonel Horwath fit de cette
affaire , le 12 , de fon camp de Petruskan , 3 à
mille Turcs vintent occuper un camp près de
Fockſan , le Prince Valaque Maurojeny ayant
beaucoup à coeur la conſervation de cette place,
qui lui ſert à entretenir la communication entre les
VillesdeBuccareſt , de Braila , de Gallaz&deJaſſy
ERRATA pour le Numéro 27.
Ajoutez à la fin de la lettre qui ſe trouve
page 40 , fur les ſceaux , monogrammes , diplomes
, &c .
J'ai l'honneur d'être , &
DESMARESIZ ,
Ancien Préſident de l'Ele&ion de Senlis.
ERRATA pour le Numéro 26.
Enannonçant la Poudre de M. Faynard , page
182 , au lieu de , il y a des boîtes de deux priſes,
lifezdesboîtesde deux prix , de 12liv.&de 24 liv.
MERCURE
DEFRANCE.
SAMEDI 19 JUILLET 1788 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
· ÉPITRE
AM. MARCHANT , Auteur d'un Poëme
fur FÉNÉLON (1 ).
J'ai lu tes vers ; & leur noble harmonic
Sans l'étonner , a flatté ma raiſon ;
Tu fais , ami , pour chanter Fénélon ,
Aux traits de l'ame unir ceux du génie.
Ah ! ton Héros conduiſoit ton crayon ,
Quand tu peignois ſa vertueuſe hiſtoire ;
Et déjà même au Temple de Mémoire ,
(1) se trouve à Paris , chez Royez , Libraire , quai des
Auguftins ; & chez les Marchands de Nouveautés .
No. 29. 19 Juillet 1788 . E
110 MERCURE
41
)
Auprès du ſien gravant auſſi ton nom ,
La Renommée a publić ta gloire.
MAIS , cher ami, lorſque la main du Temps
Sème de fleurs ta naiffante carrière ,
Quand le Plaiſir , de ſon aile légère ,
Vient embellir les jours de ton printemps ,
Et que le Dieu qu'on adore à Cythère ,
Par ſes faveurs , a des droits à tes chants ,
Commeun Caton , ta morale eſt auſtère ;
A la Vertu tu cours offrir l'encens
Qu'en fouriant t'a demandé Glycère.
Eh ! quel empire as-tu donc fur tes ſens ?
Quoi ! pas une Hymne encor pour ta Bergère !
Ton oeil fait bien exprimer le défir ;
Mais ton eſpritjuſqu'à tel point s'abufe
Que lorſqu'il faut nous parler du plaifir ,
A ce portrait ton pinceau ſe refuſe.
Ah ! laiſſe-moi diffiper ton erreur.
Pour mériter & la gloire & l'honneur ,
Tu fis fonner la trompette héroïque ,
Et dédaignant un triomphe érotique ,
Tu pris l'épine & tu laiſſas la fleur ;
Maistes beaux vers font l'oeuvre d'un beaufonge.
Et tu dormois loin de la volupté ;
Va , mon ami , la gloire eſt un menfonge ,
Et le plaifir une réalité.
Si , comme à toi , la Nature en partage,
M'avoit donné l'eſprit & les talens ,
DE FRANCE: 11
Si j'avois ſu moduler pour ton Sage
Sur un luth d'or tes ſublimes accens ,
Ainſi que toi , j'aurois vu ce grand homme ,
Près de Louis , défendre avec ardeur
Les droits du Peuple & l'Egliſe de Rome.
Pour affurer aux François le bonheur ,
Je l'aurois vu , digne rival d'Homère ,
Donnant des Loix au fang de nos Bourbons,
Dans l'art d'aimer & dans celui de plaire ,
Lui prodiguer les plus ſages leçons ;
Alors , des maux du fils du Roi d'Itaque ,
Je t'aurois fait un récit ébauché ;
Epris enſuite autant que Télémaque ,
Ghez Calypſo j'aurois au moins couché.
Et quelle nuit ! ... J'aurois vu la Déeſſe
Al'étranger lancer un doux ſouris ,
Un doux regard où ſe peint la tendreſſe ;
Etdéployant ſa grace enchantereſſe ,
Lui dire hélas ! je vaux bien Eucharis. ...
Mars je m'arrête , & crois déjà t'entendre
Ames avis répondre avec aigreur :
>> La raiſon brille à côté de l'erreur ;
>>Du Roſſignel , l'accent flexible & tendre
>> Meurt dans les airs, quand l'Aigle menaçane
>> A fonbémol marie un cri perçant :
>> Ainſi celui qui prêche la ſageſſe ,
>>D>oit au plaifir refuſer des autels :
>> On chante mal l'honneur & ſa Maîtreffe ce
F2
712 MERCURE
MAIS ton ouvrage eit fait pour des mortels ,
Et leur vertu , c'eſt l'amoureuſe ivreſſe ;
Elle doit plaire aux yeux des immortels ;
Ils ont fait l'homme , ami , pour la tendreſſe;
En inſtruiſant ilfaut parler au coeur.
Ainfi , VERNET , ton pinceau créateur ,
D'un ciel noirci , lançant l'affreux orage
Sur le vaiſiſeau prêt à faire naufrage ,
Sait quelquefois peindre un père adoré ,
Qui, l'oeil en pleurs, veut, d'une main tremblante,
Sauver des flots le corps défiguré
De ſon enfant , de ſa fille expirante.
La vague s'ouvre ; ils ont péri tous deux.
Un peu plus loin s'offre un couple amoureux ,
t
Qui , înépriſant la foudre & la tempête ,
Par l'amour ſeul , oſe ſe croire heureux ,
Si le carreau qui roule ſur ſa tête ,
D'un même coup ferre & brife ſes neoeuds.
Le Ciel eft fourd à ſes timides voeux.
D'un mât rompu ſe détache un cordage
Les deux Ainans s'entrelacent encor;
Unis enſemble , ils vont braver la inort :
Sur un débris ils tentent le voyage ;
Dudoigt l'Amour leur montre le rivage ,
Et c'eſt l'Amour qui les conduit aubord.
Que leur bonheur me féduit & m'enchante !
J'ai plaint le père , & tremblé pour l'Amante,
Pour moi le Dieu rallumant ſon flambeau ,
M'a fait chérir le Peintre & le tableau.
DE FRANCE. 113
Aton exemple , amitié paternelle ,
Je ſouſcrirai , j'aimerai mon enfant ;
Et comme toi , fublime & tendre Amant ,
Je ferai tout pour l'Amour & ma Belle .
De la vertu, le ſentier tortuenх
Offre par-tout & la ronce & l'épine.
De loin en loin , place fur la colline
Quelques bouquets , ils fixeront mes yeux ;
Pour les avoir , devenu courageux ,
Auhaut du montje gravirai fans peine ;
En les cueillant j'aurai repris haleine ,
Et fans effort je ſerai vertueux.
MAIStroplong-temps monApollon m'inſpire ;
C'en eſt aſſez , plus de guerre entre nous :
Et déſormais , ivre d'un beau délire ,
Prenant un ton moins fublime & plus doux ,
Du Dieu des coeurs fais-nous chérir l'empire.
De l'Amitié ſuis encor le conſeil;
Laiffe un inftant repoſer la trompette ,
Et de l'Amour , hâtant le doux réveil ,
Emprunte- lui fes couleurs , fa palette.
Lors , à ſes pieds , avec lui badinant ,
Peins une Muſe aimable autant que belle ,
Qui , d'Erato , pinçant le luth galant ,
Vient tour à tour dans ce cercle brillant ( 1 )
(1) Getze Epître a été lue dans une Société Littéraire
que Madame Du.... ne charme quelquefois par la lecture
de ſes Ouvrages.
,
E3
114 MERCURE
Lire ou chanter ces vers que l'Immortelle
Dicta fans doute à ſa plus chère enfant.
Peins fon oeil vif& ſon ſouris touchant ;
Peins le déſir qu'a de portér ſa chaîne
L'heureux mortel qui la voit ou l'entend.
Mais parle au moins , parle de notre peine ,
Quand elle garde un filence affligeant ;
Et l'on dira pour célébrer Du ... ne ,
Il faut avoir tout l'eſprit de Marchant.
;
POUR moiffonner des lauriers au Parnafie ,
Ilt'a fuffi de chanter Fénélon ;
Il eſt encor des fleurs ſur l'Hélicon .
Le coeur rempli de la plus noble audace ,
Cours les cueillir , place-les fur ton front :
Mais pour avojecette double couronne,
Il faut , ami , célébrer la Beauté;
Car c'eſt toujours la Beauté qui la donne.
Ainfi jadis , fur ce bord enchanté ,
Jaloux de voir fa gloire univerſelle ,
۱
Le Chantre heureux du plus grand de nos Rois,
Pour l'obtenir, baiſſant un peu la voix ,
Près de Henri conduifit la Pucelle.
Par M. Mejan Du Luc. )
DE FRANCE. 115
ENVOI DE ROSES
A Madame la Comteffe DE V ***
CONSOLEZ -VOUS de n'exifter qu'un jour ,
Roſes , ce jour vaut la plus longue vie.
Vivre & mourir ſur le ſein de Lesbie ,
C'eſt l'éternité pour l'amour.
( Par M. des Robardieres . )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE
E mot de la Charade eſt Buiſſon ; celui
de l'énigme eſt la Critique ; celui du Logcgriphe
eit Sangle , où l'on trouve Angle ,
Ane.
CHARADE.
C'est un des élémens qui produit mon premier ;
Dans un fecond s'étend & ſo perd mon dernier ;
Dans un troifième eft mon entier.
(ParM. Allard Hurel de Verneuil. )
F4
116 MERCURE
ÉNIGME.
Lorsque du chaos ténébreux
L'Éternel eut tiré le Monde ,
Je pris ma place dans les Cieux ;
Et bientôt , d'une main féconde
Qui regit encor'l'Univers ,
J'embraſſai la Nature entière ;
J'éclairai les mortels des traits de ma lumière ;
J'enchaînai tous les coeurs par mes charmes divers.
Tu vois donc quel eft ma puiſſance ?
Connois auffi tous les biens que je fais .
Je protège les Arts , je fixe l'abondance ;
Et j'offre en tous les temps le bonheur & la paix.
Veux-tu d'autres allégories ?
Mère de deux filles chéries ,
J'exoite les plus doux tranſports ;
Et par de fublimes accords ,
Je parle aux ames attendries :
Enfin, parmoila porte des Enfers
S'ouvrit au Chantre de la Thrace ;
Autrefois je dictai les vers
Du Taffe , de Milton , de Virgile& d'Horace ;
J'animai les rochers , ſous les doigts d'Amphion ;
J'enflammai le divin Homère ;
Je prêtai mes chants à Voltaire ,
Etjemontai le luth d'Anacreon .
1
(Par M. L... D. M. C. M. des
Dragons de la Rochefoucauld.)
ر
DE FRANCE. 117
LOGOGRIPHE.
Je ſuis un jeu cruel , affreux & fanguinaire ,
Et je ne ſuis qu'un jeu d'enfant.
Que cela te ſuffiſe , Elvire , en ce moment ;
Du jaloux Logogryphe , à l'Enigme contraire ,
Ainfi le veut l'impérieuſe Loi. 1
Si tu veux bien chercher , tu trouveras en moi
Ce qu'un Cenſeur ſévère , un fâcheux Journaliſte ,
Souvent par un ſeul mot excitent ſans raiſon ;
Cequ'on fait ennuyé d'une morale triſte ;
Le ſoin du Jardinier émondant le bouton ;
Ce qui dans une Belle a le droit de ſéduire ,
Et qu'Elvire ſur-tout a ſouple & fait autour ;
Deux choſes qu'à regret l'on quitte chaque jour ;
Ce qu'à plus d'un Auteur fait porter la fatire :
Enfin .... mais ces détails font plus que ſuffiſans ;
Le babil eſt permis , mais ce n'est qu'aux Amans.
( Par M. des Robardieres. )
Es
1
118 MERCURE
1
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LE VERGER , Poëme , par M. DE
FONTANES. A Paris , chez Prault , Imprimeur
du Roi , quai des Augustins , à
l'Immortalité.
CET Ouvrage mérite particulièrement
l'attention des Amateurs de la haute Poéfie.
Il eſt la Production d'un talent qui , dès
fa naiſſance , a été regardé par les Juges
de l'Art comme leur plu belle eſpérance,
& qui alors brillant de ſes promeffes , ſe
montre aujourd'hui riche de ſa maturité.
Le ſujet eſt un de ceux où la Poéfie trouve
encore l'occaſion trop rare ou trop négligée
de reſſaitir fon caractère antique.
Ce double intérêt que préſente ce nouveau
Poëme , peut être le motif de quelques
réflexions qui ne lui font point étrangères.
Le talent a ſes époques ; l'Amateur des
Arts fe plaît à les obſerver. C'eſt une chofe
remarquable que les premiers vers de M.
de Finenes offrirent le caractère d'un goût
perfectionné, heureux préfage fur lequel
les Connoiffeurront raifon de compter
toujours. L'art de la compoſition s'acquiert.
DE FRANCE. 119
C'eſt donc fur leur manière qu'il faut juger
les jeunes Ecrivains : une manière franche,
forte & neuve , a paru celle de M. de Fontanes.
L'expérience , un goût naturel éclairent
àla fin fur l'ordre & le plan des Ouvrages
: c'eſt l'époque où M. de Fontanes
eft parvenu.
Quels ſujets plus dignes d'exercer un
talent tel que celui dont je viens d'indiquer
le caractère , que ces ſujets toujours
vierges , où l'imagination du Poëte devient
néceſſairement plus véridique & plus auguſte
, parce qu'elle n'eſt plus que la repréſentation
de la Nature ? Les Anciens ,
plus près que nous de ce modèle éternel
des Beaux Arts , y reviennent toujours dans
leurs Ouvrages ; & pour ne parler ici que
du fujer qui nous occupe , voyez la Mufe
Guerrière enrichir d'un Verger lheureux
Alcinous ; voyez la Muſe Géorgique fe
plaire dans le Verger du vieillard du Galèfe.
Aufli on peut appliquer à ce ſujet le
vers d'un grand Poëte de nos jours :
Il inſpiroit Virgile , il ſéduiſoit Homère .
Une dernière obſervation que je me permertrai
avant d'examiner le Poëme de M.
de Fontanes , eft encore à fon avantage.
Demuis quelques années , quelques jeunes
Poëres , M. de Fontanes à leur tête
viennent aux principes qui ont dirigé les
Maîtres ; ils ont abandonné les déclama-
FG
re120
MERCURE
tions en forme d'Epîtres &de Diſcours, où
le faux talent ſe flattoit de prendre l'allure
du génie . Un goût plus ſain paroît les éclairer
ſur ces figures forcées que la médiocrité
prit long-temps pour de la chaleur ,
fur les expreſſions bourſouftlées qu'elle prenoit
pour de l'énergie. L'art des vers ne
ſe borne plus , dans les compoſitions dos
jeunes Poëtes , à ces formes communes qui
favoriſent la pareſſe & l'impuiflance. On
cherche les fecrets du ſtyle , les effets d'une
harmonie plus ſavante , & les hardieſſes de
l'expreſſion qui rajeuniſſent la penſée ſans
encourir les reproches du goût. Il faut le
dire , deux Poëtes, dans ces derniers temps,
M. de St- Lambert & M. l'Abbé de Lille ,
ont contribué beaucoup à renouveler ces
études ſévères dont l'art des vers a plus
beſoin que jamais.
M. de Fontanes explique dans un Avant-
Propos ſes principes ſur les Jardins. Il y
montre , comme dans ſon Poёте , » fon
ود peu de goût pour les ParcsAnglois , avec
>>d'autant plus de liberté , que ceux qu'il
avus en Angleterre même lui ود
ود
ont peutenêtre
donné le droit d'avoir un avis fur
>> cette matière " . Il ajoute : » Au reſte ,
>> quelque parti qu'on prenne entre les
Parcs Anglois & les Parcs François ,
tre Kent & le Nôtre , le Verger ſubſiſtera
>> toujours ; c'eſt le Jardin néceſſaire, utile
» & vraiment agréable , quoiqu'il foit le
> plus commun. On a fort bien obſervé
ود
ود
:
DE FRANCE. 121
dans un Ouvrage ( 1 ) plein d'imagina-
» tion& de charme , que les plus douces
>> jouiſſances font toujours celles que la
Nature a miſes à la portée de tous les
hommes ". C'est donc le Verger qu'a
voulu peindre M. de Fontanes , & dans
ſon ſujet il a eu pour but de tracer, comme
il le dit lui-même ,
ود
ود
Le Jardin du Berger , du Poëte & du Sage.
On va voir que ſon but eſt rempli .
L'Auteur , dans un morceau ſur le choix
- des fires , caractériſe les environs de Paris
& il ajoute une réflexion qui eſt à la fois
un ſentiment & un confeil.
Que ces lieux me plairoient ! mais des Grands les
habitent.
Le Sage , avec reſpect , doit s'écarter loin d'eux ;
Et fi j'en crois les vers de ce Poëte heureux ,
Qu'on relit à tout âge, & qu'on cite à toute heure,
Je ne bâtirai point autour de leur demeure.
Voilà pour le Sage. La Neuſtrie , l'Occitanie
, les bords de la Loire font les lieux
où il appelle les amis de la Nature . Enfin
(1) Cet Ouvrage dont parle M. de Fontanes
eft de M. Bernardin de Saint-Pierre , comme on
l'apprend par une Note de cet Avant-Propos , où
l'Auteur rend un noble tribut d'admiration aux
Etudes de la Nature.
,
122 MERCURE
il n'oublie point ce qui plaît au Poëte , les
champs où d'antiques monumens retracent
des ſouvenirs; & le Poitou , ſa patrie, lui
en offre des exemples .
Mémie dans ma patrie il eſt quelque beauté ;
Le fameux la Trimouille y reçut la naiſſance ;
L'amour y règne encore ainſi que la vaillance ;
Le château qu'habita la jeune d'Aubigné ,
Du plus charmant vallon s'élève environné ;
Et je n'oublierai point cette cité voifine ,
Où du haut de ſa tour gémiſſoit Méleufine.
Mais il eſt un ſéjour qu'aucun des plus
beaux tites ne peut remplacer. Voyez par
quel fentiment aimable le Poëte veut vous
y fixer.
C'eſt le Séjour témoin des jeux du premier âge ,
Que pour ſes derniers ans il eſt doux d'embellir ;
C'eſt près de mon berceau que je voudrois vieillir.
Ce dernier vers eſt un de ceux qu'on
n'oblie point ; & comme il eſt heureox
de donner a des précepres ces acceſſoires
touchans dont le genre didactique ſemble
moins tefeeprible que tout autre !
Le grand arr dont Virgile eſt le Maître ,
cet art de rompre l'uniformité des leçons
parde riches dé ai's qui ne leur foient p int
étrangers , va ſe manifefter ici avec un
éclar peu common 1. de Fontanes recommande
la régularité des plants , & leur
partage.
DE FRANCE.
123
L'ordre convient toujours à nos foibles travaux.
Tout à coup le plus bel élan de la verve
poétique produit un magnifique contale.
Il s'agit d'oppoſer aux vains efforts de l'Art
imitateur les impoſantes créations de la
Nature.
Trop vaine ambition ! ah ! peut-être comme eux
J'admire la Nature en ſes ſublimes jeux.
Mais ſi je veux jouir de ſes grandes images ,
Je m'écarte je cours au fond des lieux fauvages.
Alpes, & vous , Jura , je reviens vous chercher !
Sapins du Mont- Envers puiffiez-vous me cacher !
Dans cet antre azuré que la glace environne ,
Qu'entends-je ? l'Arvéron bondit , tombe & bouillonne
,
Rejaillit & retombe , & menare à jamais
Ceux qui tentent l'abord de ces âpres ſommets.
Plus haut 'a'gle a fon nid , l'éclair luic , les vents
grondent ,
Les tonnerres lointains fourdement ſe répondent.
L'orgueil de ces grands monts , leurs immenfes
contours ,
,
Cent fiècles qu'ils ont vu paſſer comme des jours ,
De l'homme humilié terraſſent l'impuiſſarce ;
C'eſt là qu'il rêve , adore ou frémit en filence :
Et lorſqu'abandonnant ces infor nes beautés ,
Qui repouffent bientôt les yeux épouvartés ,
J'entrevis ces vallons , ces bex eux où r. fire,
Un charme que Saint-Preux n'a pu même décrire ,
J
124 MRCUREE
Quand de l'heureux Léman je découvris les flots ,
Oui , je crus , qu'échappé des débris du chaos ,
L'Univers tout à coup naiſſant à la lumière ,
M'étaloit ſa jeunefle & fa beauté première.
O véritable Poéſie ! quelle compofition
ſagement hardie ! Sans doute l'effet de ces
beautés eft généralement ſenti ; cependant
qu'il me ſoit permis de m'arrêter un inftant
à les détailler. Et d'abord remarquez
cette perfection du goût dans un jeune
Poëte , qui , dans tout le cours d'un morceau
où l'imagination ayant à peindre les
formes variées de la Nature , paroît devoir
prendre la meſure de cet immenfe coloſſe ,
ne ſe permet pas une ſeule image giganteſque,
un ſeul ſentiment exagéré , & qui
ſemblable à fon modèle , laiſſe entrevoir
un ordre ſecret dans cette irrégularité de ſes
peintures. Enfin , s'il s'agit de la verſification
, quel connoiffeur n'admirera point
ces formes de la phraſe poétique , ces fufpenſions
adroites de la meſure , ces doubles
effets des mouvemens & des fons qui
produiſent une harmonie parfaitement imitative
, & cet enchaînement périodique des
vers , qui fait de la diction comme un tiſſu
auquel on ne peut rien ôter, rien ajouter ?
On n'attend point de moi que je faſſe
dans cet article l'extrait ſuivi & néceflairement
fatigant de tout ce Poëme , qu'il
faut lire en entier : mais avant de citer
DE FRANCE. 125
encore quelques morceaux qu'un Journal
vel que celut - ci aime à recueillir , je vais
faire voir avec quelle adreſſe & quel bonheur
M. de Fontanes ſurmonte la difficulté
des tranſitions , cet ecueil toujours renaiffant
du Poëme didactique & defcriptif. Le
Poëte veut parler en paſſant de l'abeille ,
dont on ne peut pas parler long-temps après
Virgile. Il vient de peindre les fleurs qui
ſe plaiſent dans le Verger. Les fleurs font
le butin de l'abeille ; les vers de l'Auteur
favent l'y conduire.
Ces fleurs même , ces fleurs, charme de notre afile ,
Ne frappent point les yeux d'un éclat inutile ;
Al'entour un eſſaim bourdonne ſourdement :
C'est là que , pénétré d'un double enchantement,
Vous lifez au doux bruit de la ruche agitée ,
Ces vers plus doux encore où gémit Ariſtée ;
C'eſt là qu'on rit parfois , Réaumur à la main ,
Des aimables erreurs du Poëte Romain.
Un des caractères, du grand talent eſt
d'enrichir d'acceſſoires nouveaux , des ſujets
où l'on eſt preſque toujours devancé
par l'imagination du Lecteur. M. de Fontanes
en offre des exemples. Il a parlé des
terreins où l'eau décèle ſon lit. La Citerne
eſt ce qu'il va peindre. Voici comme il
embellit ce détail aride.
Muſe , tranſporte-moi chez l'Arabe indompté !
Fais-moi voir ſous les feux d'un éternel été ,
126 MERCURE
1
Dans le fond du déſert , ces hordes vagabondes ,
Qui recherchent de loin les Cîternes profondes ;
Peints les joyeux tranſports : montre-moi les chameaux
,
Et courbant leurs genoux , & poſant leurs fardeaux
:
Rappelle-moi les moeurs de ces temps poétiques ,
Où les filles des Rois , dans les ſources publiques,
Venoient blanchir le lin, la toiſon des agneaux ,
Elles-mêmes puiſoient les ſalutaires eaux ,
Ou couroient quelquefois , d'une main bienfaifante
,
Offrir à l'étranger l'urne rafraîchiſſante .
L'étranger admiroit leur beauté , leur douceur ,
Et béniſſoit la main propice au voyageur.
Je ne quitterai point le morceau des
Eaux , fans citer les vers ſur le Ruiffeau ,
dont les derniers offrent une ſenſation parfaitement
ſaiſie .
Un ruiſſeau doit ſuffire au ſéjour des Bergers.
Suivez-le , il vous invite ; à vos yeux il retrace
Les bords de Blanduſie où méditoit Horace.
Oui , le frais Sperchius avoit moins de clarté ;
Ici la rêverie attend l'homme enchanté :
Il s'arrête , il s'alied , repoſe , & fur la rive
Dans un vague abandon flotte l'ame penſive...
C'eſt avec raiſon qu'on a dit ,
Uniſſez tous les tons pour plaire à tous les goûts.
DE FRANCE. 127
M. de Fontanes ſait préſenter dans ſes
vers la grace à côté de la force. On connoît
déjà quelques peintures de la Rofe .
Eh ! qui peut refuſer un hommage à la Roſe ?
L'Auteur du Verger l'a décrite d'une manière
qui lui eft propre. Le Lecteur nous
faura gré de rapporter ces vers pleins de
grace & de charme.
Et fur-tout que la Roſe , embaumant ce ſentier ,
Brille comme le teint de la Vierge ingénue ,
Que fait rougir l'amour d'une flaimme inconnue.
Ces tréſors pour vous ſeuls ne doivent pas fleurir ;
Ala jeune Bergère on aime à les offrir ;
Elle rend un ſourire : hélas ! belle Rofière ,
D'autres amis des moeurs doteront ta chaumière ;
Mes préſens ne font point une ferme, un troupeau,
Maisje puis d'une Roſe embellir ton chapeau .
Les épiſodes répandent ſur le Poëme
didactique l'agrément & l'intérêt , ſans lefquels
l'auſtère mérite de l'utilité eſt ſans
effet dans tout Ouvrage en vers. L'art eſt
de les proportionner à l'étendue du Poëme,
de les amener naturellement , & de leur
donner la phyſionomie du ſujer. Ces qualités
ſe trouvent dans une Fable Ecoffoife
fur le Rouge-gorge & un Enfant. Le Poëte;
qui conſeille d'aimer les oiſeaux , qui invite
à les nourrir dans les jours de froidure
, fortifie ſon précepte d'un exemple ,
1
728 MERCURE
en même temps qu'il embellit ſon Ouvrage
d'un morceau charmant , dont l'idée tou
chante & l'excellente narration nous con
damnent à l'uniformité des éloges. La voici :
Jadis fut un Enfant , qui , dans un bois prochain ,
Voyant le Rouge-gorge affligé par la faim ,
Accueillit ſa misère en des temps de froidure ;
Tous deux ils partageoient la même nourriture ,
Ettous les jours l'oiſeau viſitoit ſon ami .
Mais ce bonheur fut court ; un beau-père ennemi ,
Au fondde la forêt , d'une main criminelle
Egorgea cet Enfant remis ſous ſa tutelle.
L'oiſeau, qui du taillis parcouroit l'épaiffeur ,
Reconnut dans ſon vol fon jeune bienfaiteur ;
Trifte alors , & couvrant les dépouilles chéries ,
Et de mouſſe ſéchée & de feuilles flétries ,
A l'aide de fon bec il leur fit un tombeau.
Dès ce jour , l'Ecoſſois , au fortir du berceau
Nourrit la pauvreté du Rouge-gorge aimable.
Soyons Enfans aufſi : c'eſt le but de ma Fable..
: Dans les citations que je viens d'offrir
au Lecteur , on a pu ſaiſir la marche de
l'Ouvrage. Mais les bornes de ce Journal
ne m'ont pas permis de parler de pluſieurs
détails qui , dans le Poëme , forment , en
s'uniſſant , la perfection de l'enſemble , tels
que le Potager , l'Eſpalier , la Grotte , les
Arbres , la Récolte des fruits , & le Cadran
falaire, morceaux qui tous ont leurs beautés
particulières. Cependant il me ſemble
,
1
DE FRANCE. 1.29
qu'il manqueroit quelque choſe à l'idée
que j'ai voulu donner de cet Ouvrage , &
au plaiſir qui m'entraîne à citer de ſi beaux
vers , ſi j'oubliois ceux-ci, où l'Auteur préſente
en groupe les vues propres au Verger.
Daignez, aux habitans de la ferme voiſine ,
Accorder un chemin à l'abri des chaleurs .
Que les jeunes enfans croiſſent parmi vos fleurs !
Près de vous , loin de vous , l'oeil charmé ſe promène
:
Contemplez ces lointains, ces côteaux, cette plaine.
QuandAvril reparoît, quand le jour renaiſſant
-Se gliffe à travers l'ombre , & l'efface en croiſſant ,
La fécondeGéniſſe abandonne l'étable ,
Mugit , & du hameau , nourrice inépuiſable,
Broutant juſqu'à la nuit un gazon ranimé,
Groffit le doux tréſør de fon lait parfumé.
L'oeil la ſuit dans ces bois, dans ce noir labyrinthe,
Où de ſes pieds peſans s'approfondit l'empreinte.
Là font des Laboureurs , &dans legras vallon ,
Penchés ſur leur charrue , ils ouvrent un fillon ;
Tandis que les brebis , qui paiſſent confondues ,
Vous préſentent de loin, aux rochers ſuſpendues ,
D'un nuage argenté l'immobile blancheur ;
A vos pieds ſe promène un robuſte Faucheur.
L'herbe tombe & s'entaſſe , en monceaux diviſéc;
Souvent frémit la faux ſur la pierre aiguiſée.
Peindrois-jedansles champs les Moiſſonneurs épars.
Les gerbes àgrands cris s'élevant ſur les chars ,
130
MERCURE
Et les folâtres jeux que la vendange amène ?
Peut-être ſous vos yeux , d'une marche incertaine ,
Deux Amans ſe perdront au fond de la forêt ;
Pardonnez à l'amour , & gardez leur ſecret :
Ce font-la vos Vernets , vos Pouffins , vos Albanes.
Toujours une compoſition également habile
, toujours des images intéreſſfantes , &
des vers d'une forme ſavante & facile. La
Poéſie deſcriptive peut-elle être plus pittoreſque
que dans ces vers-ci ?
Tandis que les brebis , qui paiſſent confondues ,
Vous préſentent de loin , aux rochers ſuſpendues ,
D'un nuage argenté l'immobile blancheur.
Quel tableau plus aimable que celui de ce
vers ,
Que les jeunes enfans croiſſent parmi vos fleurs !
Enfin quelle attention heureuſe & pleine
d'art à placer toujours l'homme au milieu
des deſcriptions , dans les derniers vers ſur
les deux Amans qui ſe perdent dans la
forêt.
Voilà bien des éloges. Le moyen de les
affoiblir feroit de n'y mêler aucune critique,
J'ai affez prouvé que ce n'eſt pas là mon
intention. Je les préſente avec d'autant
plus de confiance , qu'elles ſont déjà accueillies
de l'Auteur lui-même. Heureuſement
pour nous deux , elles ſont peu im
portantes .
-
DE FRANCE.
131
-
Grace à la inode enfin , Beaujon ou Lucullus ,
Seuls ont droit de prétendre à ces Jardins modeſtes
Dont l'éclat flétriroit les ornemens agreſtes .
Dans ces vers , le dont eſt amphibologique.
Nous ſavons qu'on les a entendus
d'une manière oppoſée à la penſée de
l'Auteur.
Tandis que promenant les ſoucis avec eux ,
De riches poſſeſſeurs languiront immobiles
Dans leurs Parcs , &c .
Il y a ici une légère inadvertence. On ne
ſe figure pas des riches qui languiffent immobiles
en promenant avec eux les foucis.
Enfin , la dernière critique tombe fur le
morceau qui termine l'Ouvrage , l'Invitation
à un repas champêtre. Ce n'eſt pas
qu'il ne ſoit d'une exécution & d'une imagination
heureuſes ; mais le ton ne m'en
paroît point affez champêtre. La couleur
de tout l'Ouvrage devroit s'y reproduire ; &
il y a dans les Invitations faites aux convives,
une eſpèce de déſunion que l'Auteur
ſaura corriger. En un mot, il falloit peutêtre
faire plus l'éloge du banquet que des
convives , dont le nom rappelle aſſez le
mérite. Cependant la fin de ce morceau
me ſemble à l'abri de ce reproche. Nous
la citerons , pour nous hater de terminer
notre cenfure,
132
MERCURE
De tous les conviés, les fleurs ceignent la tête ,
Et vous , Marnéſia ( 1) , daignez orner ma fête :
Votre lyre a chantéde ſemblables plaiſirs .
Vos Jardins étendus dans vos heureux loiſirs ,
Enornant le château , nourriffent l'indigence .
Dans ces Conſeils nouveaux , ſeul eſpoir de la
France ,
Montrez-vous , défendez les droits du Laboureur ;
Vous chantiez ſes travaux , méditez ſon bonheur.
Bientôt , grace à vos ſoins , à votre aimable Muſe ,
Le modeſte Suran égalera Vaucluſe.
De l'art d'orner les champs étendez les leçons;
Répétez-moi vos vers , j'ai fini mes chanfons.
Le talent des célèbres convives que M. de
Fontanes , dans ſon Souhait poétique , appelle
à ſon banquet , eft caractériſé avec
beaucoup de juſteſſe. M. de Florian , M. de
Parny, M. de Langeac , reçoivent des éloges
qu'on ne peut pas trouver exagérés, & M. de
la Harpe , ainſi que M. Ducis, y ſont mis à
leur rang. Enfin un plus jeune convive ,
M. de Flins , eſt préſenté comme une des
(1) M. le Marquis de Marnéſia eſt l'Auteur d'un
Ouvrage intitulé, le Bonheur dans les Campagnes ;
Ouvrage intéreſſant, ſur-tout dans les circonstances
actuelles. C'eſt à lui qu'on doit encore l'Effaifur
la Nature champêtre , où , comme le dit M. de
Fontanes lui-même >>>on doit louer la Poéfie ai-
,
>> mable , l'abandon touchant du ſtyle , & le goût
>> de la Campagne «.
eſpérances
DE FRANCE.
133
eſpérances de la Poefie , & doit cette affociation
autant à ſon talent qu'à l'amitié.
Nous faififfons cette occafion d'annoncer
de ce jeune Poëte un Poëme intitulé , Agar
& Ismaël , qui multipliera les titres que
d'heureux effais lui ont donnés .
11 réſulte de l'examen du Poëme de M.
de Fontanes , que cet Ouvrage eſt compoſé
avec tout l'art d'un eſprit excellent , &
d'un goût mûri par l'expérience ; que le
talent des vers eſt de nos jours rarement
porté à un ſi haut degré , & qu'on doit tous
attendre d'un jeune Poëte qui réunit tant,
de qualités éminentes. On a vu que ſur un
fujer , riche fans doute , mais ufé dans quelques
parties , il a ſu répandre les trefors
nouveaux d'une imagination variée : c'eſt
dans ces fortesde ſujets que les connoiffeurs
doivent tenir compte à l'Auteur & de ce
qu'il dit,& de ce qu'il fait ne pas dire : enfin
on peut appliquer à fon Ouvrage cette penſéede
fon Avant - Propos , en changeant le
ſens qu'il lui donne , le Verger fubfiftera
toujours.
Ón préſume bien que l'Ecrivain à qui
l'on doit le Difcours préliminaire de la
Traduction en vers de l'Effaifur l'Homme,
ſe montre toujours avec autant d'éclar dans
Yes autres morceaux de profe. Une Note
fur Ermenonville , & en général fur les
Jardins Anglois , qu'on trouve à la fuite
du Verger , eft d'un raiſonnement vigoureux,
& d'un ſtyle digne des meilleurs Pro
Nº. 29. 19 Juillet1788. F
134
MERCURE
fateurs. Cette Note où les Jardins d'Ermenonville
font fort critiqués , aura ſans doute
beaucoup de contradicteurs. Sans prendre
parti dans cette contrariété d'opinions , j'obſerverai
que l'Auteur ſépare ſon opinion ſur
Ermenonville , de l'eſtime que mérite le Propriétaire.
Le Verger eſt détaché des Poésies de M.
de Fontanes , dont l'impreſſion y eft annon
cée ,& fera impatiemment attendue .
Π (Cet Article eftde M. de Boisjolin. )
LEÇONS de Grammaire fuivant la méthode
des Tableaux Analytique , Synthétique
, & de celui du Mécanisme de
la Grammaire Francoise , destinés à apprendre
les principes de cette Langue par
le moyen d'un Jeu ; dédiées à Mgr. LE
DAUPHIN, parM, PAbbéGAULTIER.
A Paris , au Cours de Jeux inftructifs
pour ta Jeunesse , fous la protection du
Gouvernement , rue Neuve S. Augustin ,
Nº . 28 ; 1 Vol. in- 8 °. Prix , 3 livres ;
avec les Tableaux & les inftrumens du
Jeu , 15 liv.
A meſure que les lumières s'accroif-
, fent , dit un des meilleurs eſprits de ce
fiècle , » les méthodes d'inſtruire ſe perfectionnent
, l'efprit humain ſemble s'agrandir
, & fes limites ſe resuler "
1
Cette
DE FRANCE.
135
vérité n'eſt plus conteſtée aujourd'hui que
par les hommes,dont le caractère ou le
métier eſt de décrier tout ce qui ſe fait de
bon& d'utile dans un fiècle auquel ils ſe
vantent fièrement de ne rien devoir; ce
qu'ils prouvent très bien par le mérite de
leurs Ouvrages , & fur tout par le ſuccès de
leurs déclarations יניימה
...Si toutes ces méthodes nouvelles ſont un
deş plus grands abus de l'eſprit philoſo ,
phique de ce ſiècle , comme l'aſſurent les
perſonnesdont nous parlons , il faudra bien
s'accoutumer à cet abus , car il n'eſt pas an
pouvoir des hommes de l'arrêter . Les lumières
tendent fans ceffe à ſe mettre en
équilibre dans toutes les claſſes de la Société;
maisicetjéquilibré ne peut s'établir d'une
manière conftante que par des procédés
fimples & faciles. Ce n'eſt donc qu'avec
le temps , & à force de tâtonnemens & de
combinaiſons , que l'eſprit humain peut ,
dans ces inatières , comme dans toutes les
aürres , parvenir à la vérité.
Quelque indifférence quelque averfion
même qué puiſſent témoigner pour tesimout
veaux moyens d'inſtruction , des,hommes
qui n'ont pour philofophie que l'habitude,
&pont règle de conduite qua, l'exemple
duspaffe , il faut eſpérer que les bons
eſprits continudront à rechercher avec coufagei,
avec conſtance , les moyens propres
àprendre papulaires routes les vérités qui in
téreſſent le bonheur de l'eſpèce humaine.
F2
136 MERCURE
Laméthode en général eſt l'art de diriger
les facultés de l'eſprit , d'en augmenter ,
d'en étendre les forces. C'eſt , en quelque
forte, le lévier de l'intelligence. Plus cette
méthode ſe rapproche de la Nature , plus
elle eſt parfaite. Or , comme la Nature, par
une loi invariable que nous ne ſavons pas
toujours remarquer , nous conduit fans
celle des idées ſentibles, aux idées abſtraites,
du connu à l'inconnu , il s'enfuit que
la meilleure méthode eſt celle qui ſe conforme
à cette opération ſecrète , à ce développement
involontaire de notre raiſon .
2
Cen'eft pas d'après ce principe , il faur
l'avouer , que les Méthodiſtes même les
plus fameux ont compoſé leurs Ouvrages ;
preſque tous , avec le défir d'applanir les
routes des Sciences & des Arts , n'ont fait
que les embarraſſer de difficultés inſurmontables.
Ils vouloient aider la Nature , & ne
ſembloient occupés qu'à en troubler la
marche. Leur eſprit analyſoit , il eft vrai';
mais les Savans ſont peu attentifs d'ordi
naire à leurs ſenſations , & cette loi de
l'analyſe étoit trop ſimple pour qu'ils puffent
Pappercevoir. L'Abbé de Condillac eſt le
premier qui l'ait ſaiſie dans toute ſon étendue
, & qui l'ait appliquée au ſyſtême des
connoiſſances humaines. Cette découverte
de notre ſiècle eſt un des plus grands bienfaits
de la Philofophie moderne , & il eſt
impoffible de calculer juſqu'oùſon influence
peut s'étendre,
DE FRANCE. 137
M. l'Abbé Gaultier vient développer
aujourd'hui , par ce grand principe de dé
compofition & de recompoſition , tous les
rapports de la Grammaire. Sa méthode
confifte dans un jeu ; & quoique cette
forme foit commune à beaucoup de ſyſte
mes d'inftruction , la méthode qu'il propoſe
nous paroît ſupérieure à toutes celles
qu'on a publiées , parce qu'elle eſt véritablement
analytique.
Locke conſeille de faire fervir les jeux
à l'inſtruction des enfans. » Quelle pitié !
s'écrie à ce ſujet l'Auteur d'Emile , »"un
>> moyen plus fûr que tous ceux là , &
» celui qu'on oublie toujours , eſt le défir
» d'apprendre ". Mais n'est- ce pas leur
donner ce défir d'apprendre, que de leurpropofer
l'étude comme une chose honorable ,
- agréable, & divertiſſante par elle - même ?
(Locke, de l'Educar. des Enfans, §. rsi . )
Voilà précisément ce que Locke croyoit
poſſible , parce que ſon expérience le lui
avoit démontré ; & fans doute quatorze
pages de réflexions & de faits , écrites par
un Philofophe qui conſacra toute fa vie
à l'étude de l'homme , & qui renouvela.
par ſes propres forces l'eſprit humain tout
entier , méritoient une autre réponſe qu'une
expreffion de mépris.
Nous rapporterons içi comme une preuve
incontestable de l'utilité de cette forme d'inftruction,
lorſqu'elle eſt employée parunbon
efprit, le jugement qu'ont porté ſur le jeu
1
!
F3
¥38 MERCURE
grammatical de M. l'Abbé Gaultier , MM.
lesCommiffaires del'Académie des Infcriptions
& Belles-Lettres , chargés de l'examen
defa méthode.
On fe défie ordinairement des jeux
proposés pour l'inſtruction de la Jeuneſſe
>> On craint , avec raiſon , qu'ils ne ten,
→ dent qu'à tout applanir ſous ſes pas , &
à favorifer la pareffe , fi naturelle à
T'homme. On fait de quelle conféquence
>> il eſt d'habituer de bonne heure l'efprit
> à fentir, des, difficultés , à lutter , à ſe
" roidir contre des obitacles , à faire des
>>efforts pour les vaincre , enfin à n'ac-
" quérir des forces que par un exercice
" un peu pénible , & à n'arriver au repos
, que par le travail. Le jeu propofé parM.
» l'Abbé Gaultier , ne traîne pas ces incon
* véniens à la fuite. C'eſt au contraire
رو
et
une application continuelle de la pratique
à la théorie, & cette théorie ne
>> s'acquiert que par une étude graduée &
fuivie. Elles s'y prérent conftamment un
fecours mutuel , & fe fortifient l'une
>> Pautre. Pour qu'un Joueur puiſſe ſe
>> flatter de quelque fuccès , il faut , par
>> exemple , qu'il fache imperturbablement
>> les déclinaiſons des noms & les quatre
conjugaifons des verbes , parce qu'il eſt
» perpétuellement dans le cas d'en rendre
compre. Le goût de l'amusement inſpire
» le défir d'exercer la mémoire ; il oblige
>> de fimplifier , d'analyſer , de claſſer les
>>idées ; il fournit les moyens de former
ود
ود
ود
DE FRANCE .
» le jugement & un fens droit; il habitue
>>à réveiller &à foutenir l'attention. L'in
>> térêt , l'amour - propre bien ordonné ,
>>l'émulation , la gloire , la honte, font
>>aurant de mobiles qu'il met en actiona
>>Tels font les effets qui nous paroiffent
>> devoir en réſulter ; tels font auffi en
>> partie ceux dont nous avons été témoins
dans une Séance particulière , où nous
✓ avons vu jouer fix enfans de l'un & de
» l'autre ſexe , de ſept jusqu'à douze ans .
>> L'ardeur d'un combat auſi inſtructif
» qu'innocent , brilloit dans leurs yeuxa
» Ces jeunes ames paroiffoient animées
ود
ود
ود
des ſentimens dont nous venons de
>>parler, la joie éclatoit ſur le viſage du
>>Joueur, qui avoit réuffi au gré des Audi
» teurs ; un peu de confufion même ne
décourageoit point ceux qui avoient
failli : ſouvent les Joueurs & toute l'Af
ſembléc étoient égayés par les idées &
>> par les réponſes de ceux qu'on inter-
>> rogeoit , quelquefois même par les fau-
>> tes qui leur échappoient. Sans nous
étendre davantage , nous pouvons dire,
& d'après cet eflai ,& plus encore d'après
>> notre examen , que la méthode de M.
ود
ود
ود l'Abbé Gaultier nous paroît auffi utile
>> qu'ingénieuſe , fur tour ſi, un certain
nombre d'enfans ſe trouvent réunis pour
le jeu grammatical qu'il propoſe ( 1 ) " .
ود
ود
٢٠
(1 ) M. l'Abbé Gaultier , perfuadé qu'il ne pou-
F4
140 MERCURE
Les trois premiers Chapitres de ces
Leçons de Grammaire , que l'Auteur appelle
Instruction préliminaire , ont pour objet de
donner aux pères de famille & aux Inſtituteurs
les moyens propres à préparer
l'efprit des enfans à la connoiffance de la
Grammaire. 1º. En leur faifant connoître
ce que c'eſt qu'un mot ; 2º. en les exerçant
à faire l'énumération d'un affemblage
quelconque de mots , & à les diftinguer
les uns des autres par les différentes idées
que chacun d'eux exprime ; 3 ° . en leur
apprenant à ranger tous les mots d'une
Langue en trois claſſes principales; ſavoir ,
Nom , Verbe , Particule.
Quelques perfonnes qui ne connoiffent
que des méthodes peu philofophiques ,
pourroient ne pas approuver cette divifion
en trois parties effentielles du Difcours
cependant l'Aureur n'a fait que ſuivre le
ſentiment de pluſieurs Grammairiens célèbres
, il paroît même que cette divifion
n'appartient pas aux Modernes , ainſi que
l'a remarqué M. de Rochefort , l'un de
MM. les Commiffaires.
Pour aider encore plus l'intelligence des
enfans , M. l'Abbé Gaultier fait uſage avec
voit rendre fa méthode plus généralement & plus
conftanıment utile , qu'en adoptant le moyen de
réunion qu'indique ic,i MM. les Commiffaires de
l'Académie , vient de former un Cours de Jeux
instructifs pour la Jeuneſſfe , que le Gouvernement
a jugé digne d'etre mis fous fa protection .
k
DE FRANCE. 141
eux de deux moyens pen connus juſqu'a
préſent dans les Livres élémentaires , mais
qu'il croit de la plus grande utilité.
Le premier de ces moyens eſt l'Etymologie.
» Il eſt certain , di - il , que tous les
>> mots qui expriment les rapports de la
>> Grammaire , ne font pour les enfans
>> que des mots vides de ſens , des mots
>>barbares ; mais que ces mots foient
» expliqués par l'étymologie, les enfans ne
>> manqueront pas d'être conduits à la
>> connoiffance du rapport qu'ils expriment.
" Il eſt étonnant qu'après tour ce qui a
* été dit par le Préſident de Brofles fur
l'Art de ll''ééttymologie , il n'y ait encore
ود
وو
» qu'un très petit nombre de perſonnes qui
en aient connu les avantages.
ود >> Le ſecond moyen dont l'expérience
» m'a fait voir qu'on peut faire ufage avec
> ſuccès pour aider l'intelligence des enfans ,
>> eft celui des gestes. Ce langage fimple, na-
» turel & fenfible, conduit fans peine leur
> eſprit à l'analyſe des rapports les plus
>> abſtraits , les plus compliqués , & les
ود moins perceptibles de l'Art de la parole,
>>fi l'on fair en tirer parti fans en abufer ,
>&fans afbfiblir l'action de l'entendement.
Je ſuis perfuadé que, fi cette même
» vérité éroit plus généralement connue ,
ود
ود
fi elle étoit fur-tout adoptée dans l'édu-
>> cation avec les procédés néceſſaires pour
» qu'elle ſoit conftamment utile , elle
» pourroit avoir plus d'influence qu'on ne
F
147 MERCURE
ود
>>penſe ſur les progrès de l'eſprit humain,
» Elle le formeroit preſque naturellement
>>à l'analyſe la plus claire , la plus facile,
> d'un grand nombre d'idées compliquées ,
“ reçues par les oreilles. Ce ſens, fi paref-
« ſeux par lui-même , feroit avantageufe-
» ment remplacé par celui des yeux , ſens
>>exquis dans les enfans , & qu'on doit
beaucoup exercer , lorſqu'on veut leur
donner une véritable inſtruction. ود
>>On ſe plaint ſouvent que l'intelli-
> gence des enfans ne ſe développe pasallez,
>>quoiqu'ils travaillent beaucoup ; mais
>> cette lenteur ne ſeroit - elle pas notre
>> ouvrage ? Nous ne parlons jamais à tout
>> leur eſprit, & même, en lui parlant, nous
>> ne nous mettons pas à ſa portée « .
1:
Nous avons cru devoir rapporter ce
morceau de l'Avant- Propos des Leçons de
Grammaire , afin de donner une idée de
la ſagacité de l'Auteur , & de la manière
vraiment philofophique avec laquelle il a
éclairci & développé une des parties les
plus abſtraites du ſyſtême des connoiffances
humaines.
4
M. l'Abbé Gaultier , après avoir offert
dans ſes Leçons préliminaires les principaux
rapports de la Grammaire , expoſe
les autres dans les Leçons ſuivantes , fous
les titres de Développement du Nom , développement
du Verbe , développement de la
Particule. Chacune de ces Leçons eſt ſuivie
de l'exercice du jeu qui lui eft relatif , & du
tableau de fon mécanisme .
DE FRANCE 143
Il fuffit de réfléchir un peu fur cette
méthode, pour ſentir combien elle eft propre
à faire difparoître les difficultés qu'on
a regardées juſqu'à préſent comme inféparables
de l'étude de la Grammaire , & à
mettre en peu de temps les perſonnes même
les moins inſtruites en état de l'enſeigner
aux autres.
11、
1
८९
८९
PANÉGYRIQUE de Saint LOUIS , Roi
de France , prononcé dans l'Eglise des
Prêtres de l'Oratoire , rue S. Honoré
devant MM. de l'Académie Royale des
Infcriptions & des Sciences, le 25 Août
1787 , par M. l'Abbé LAMBERT , Chanoine
& Grand - Chantre de Vienne. A
Paris , chez Periffe , Libraire , Pont S.
Michel; & chez les Marchands de Nouveautes
.
ود Le premier voeu des Peuples,dit M.
» Lambert , en ſe donnant des Rois, a été
» d'être heureux. Ils ont voulu ramener
» parmi eux la justice & la paix. Ils ont
ود
CL
penſé qu'en remettant leurs intérêts en-
» tre les mains d'un ſeul , il les rendroit
>> plus ſacrés ; que le dépofitaire de l'an-
>> torité ſouveraine la feroit fervir au bien
de tous ; qu'il feroit l'appui du foible
le fléau du méchant, le vengeur de lin-
"'nocent. Le malheureux , ont ils dit ,
>> car il entre dans les deffecins de la Pro
"
در
F6
MERCURE
> vidence qu'il y ait des infortunés ſur
>>la terre , malgré les efforts des hommes ,
ود le malheureux du moins aura un pro-
>> tecteur ; il ira à ſon Roi , & s'en retour-
>> nera confolé .
ود
>>Parmi les Sonverains cependant dignes
» de régner dans la mémoire des hommes,
>> j'en découvre un célèbre par ſes talens
» & par ſes vertus , qui a rendu ſes Peu-
>> ples tout à la fois heureux & puiffans ,
>> qui au grand nom de Héros a joint le
nom plus glorieux de Roi Citoyen ; en
" un mot , qui a été grand , & qui a été
» bon. Ce Souverain eſt S. Louis , Roi de
» France ; & c'eſt ſous ce point de vue que
>> je me propoſe de vous le préfenter " ."
M. Lambert préſente auſſi- tôt la ſituation
du Royaume à la mort de Louis VIII ,
des troubles que Blanche de Caſtille , Régente
, eut la fageffe de diftiper, en oppofant
un vallal à l'autre , & en gagnant les
Miniſtres Anglois. S. Louis , jeune encore,
conduit les foldats & marche à l'ennemi.
Il donne à Taillebourg des preuves de la
plus grande valeur & d'une exceffive prudence.
Le tableau des ſcènes qui ſe reproduiſoient
dans tous les Royaumes , quoique
purement hiſtorique & dégagé de la .
pompe oratoire , eſt ingénieuſement rapproché
, & fert à faire fortir S. Louis de
cere foule de Rois ſes contemporains ,
parmi leſquels il devoit tenir la première
place.
DE FRANCE. 145
Au précis des expéditions guerrières de
ce Roi , M. L... fait ſuccéder ſes réformes ,
& ſa législation , partie vraiment importante,
& celle où Louis IX a montré ſa
ſageife & fa bonté. Les abus de la féodalité
fourniffent à M. L... des peintures intéreſſfantes.
Il peint le génie de S. Louis
ditſipant les factions & les léaux , ſuites
de l'anarchie ; l'affranchiſſement des Serfs ,
l'appel des Sentences des Barons furent
deux grands reſſorts qui donnèrent à la
Monarchie un pouvoir étendu & une ſupériorité
marquée ſur tous les vaffaux &
les feudataires. M. L... trouve une occafion
de comparer Charlemagne, Louis XIV & S.
Louis. Le parallèle nous paroît jufte , en ce
que ces trois Rois ont donné chacun une
grande impulfion à la France. Charlemagne
fut grand & bon , & certes il ne fit rien
pour s'emparer d'un pouvoir abfolu ; Saint
Louis fit tout pour ſes ſujets , & trop peu
pour la royauté ; Louis XIV ne fit pas grand'-
choſe pour fon peuple , & crut trop que
tout dans le Royaume lui appartenoit. Le
nom de Grand eſt dân à Louis XIV ; mais
celui de Légiſlateur de ſes Peuples , d'un
Roi occupé du bonheur ſeul de ſes Peuples
, ne lui ſera point accordé. Ce nom
fut donné à Louis XII ; Henri IV le mérita;
mais Louis XIV ne l'a point recherché.
Nous pourrions reprocher à M. L....
de n'avoir été qu'Hiſtorien dans certe première
partie de l'Eloge de Louis IX , & de
146 MERCURE
n'avoir pas aſſez tiré parti des faits qui
pouvoient animer l'éloquence & produire
de grands mouvemens. Son ſtyle eſt plus
hiſtorique qu'éloquent , ſes réflexions ne
font point préfentées comme un Orateur
doit& fait des mettre en oeuvre. On est
peu ému , peu frappé. Il n'écrit pas toujours
correctement , & il ne ſe défend pas
affez de tomber dans le genre familier ,
& de ſe ſervir d'expreflions trop peu
dignes de l'éloquence : mais il eſt toujours
ſage , meſuré ; il a eu l'art d'échap--
per au piége qui attend les Orateurs de
Louis IX. En ne ſe chargeant point de juftifier
ni de condamner les Croiſades , dix
lignes lui fuffifent pour parler de fonHéros,
vainqueur à Damiette , traverſant le Nil à
la nage , repouffant des milliers de Barbares
. Cette réſerve eſt adroite , & annonce
un homme vrai , qui ne veut rien hafarder,
& qui , pour louer un Roi , ne croit pas
être obligé de tout excufer. Un fecond
écueil qui intimide les Orateurs , eſt cette
multiplicité de Panégyriques ſur le même
Roi , qui ont tant de fois répété les mêmes
actions , les mêmes vûes , les mêmes maximes
. Que dire d'un perſonnage fi fouvent
loué , dont l'Hiſtoire eſt ſi connue ,
&fur le compte duquel tout a été dit &
cent fois répété Peut-être feroit- il temps
d'en reſter là , de laiſſer Louis IX dans
toute ſa gloire , & d'offrir un autre modèle.
Toujours Louis IX , diſent les Etran
DE FRANCE. 147
gers ; les François n'ont- ils eu que ce Roi
qui fût grand & bon ? Nous concevons
que Louis , placé parmi les Saints , eft le
feul de nos Rois dont les Chaires de nos
Temples puiffent entreprendre l'éloge , &
dont nos Pontifes puiffent s'occuper ; mais
ici c'eſt un Panegyrique propoſé par une,
Compagnie ſavante , qui peutdonner àdes
Laïques le droit de leur parler d'un bon
Roi. Louis IX , comme Saint , appartient
aux Orateurs facrés ; mais comme Roi , il
appartient à tous les Orateurs François.
Que les Temples nous entretiennent de ſa
fainteté ; mais que nos Académies nous
offrent en lui le modèle des meilleurs Rois.
La ſeconde Partie du Panégyrique deM.
L... eft conſacrée à nous retracer la bonté
de Louis IX. Cette Partie nous a paru
intéreſſante ; elle eſt toute entière de M.
L... , qui n'avoit point de modèle , & il en
a tiré parti. ” Je fais , dit- il , & S. Louis
>> ne l'ignoroit point, que , dans le principe
» & dans l'origine des Sociétés , les Rois
>>furent créés pour les Peuples , & que le
>> contraire n'a pu s'établir depuis ; que ſi ,
» dans un ſens , les Souverains font les
→ pères de leurs ſujets , dans un autre ſens
>> plus exact & plus vrai , les Peuples font
>> les pères des Rois...... ". Telles furent
les maximes de Louis IX. M. L.... paffe à
un des plus beaux momens de ce Roi.
C'eſt dans Joinville, dit - il , qu'il faut
voir le tableau de ces ſcènes touchan
ور
1
148 MERCURE
>> tes où ſe déployoit cette ſenſibilité ré-
>> ciproque du Peuple & du Monarque.
>>'Souvent , nous dit ce naïf Historien , S.
" Louis alloit dans le bois de Vincennes
>> rendre la justice : il s'afleyoit au pied
» d'un chêne ; grands & petrs, nous nous
>>>rangions tans distinction autour de lui :
>> fan, garde , fans pompe , il ſe rendoit
>> accelible a tout le monde ; la , le malheureux
venoit dépoter les chagrins dans
>> fon ſein , & il ſe conſoloit : la veuve
>> affligée , d'une main tremblante lui préfentoit
la lifte de ſes enfans delantes &
"
au berceau , & il leur afturoit à tous du
> pain : l'orphelin , trifte & pâle comme
>> au jour lugubre des funérailles de fes
دو
parens , venoit exhaler à ſes pieds fa
>>douleur , & il lui difoit: Pourquoi vous
>> affligez-vous ? elt- on fans père quand on
» a un Roi ? vous êtes tous mes enfans.
> A ce diſcours , l'admiration ; la recon-
>> noillance , tous les ſentimens tendres
> pénétroient tous les coeurs; de douces
>>larmes s'échappoient de tous les yeux ,
>>tout pleuroit, & Monarque & Sujets, &
>> Courtifans & Laboureurs ; tous étoient
heureux; le ſentiment , la vertu , le bon-
>> heur confondoient tous les coeurs & tous
les regs. Siècle de ſimplicité& de gloire,
>> vous reverrons-nous " ? Ce morceau ne
peut manquer d'attendrir les Lecteurs ; il
eſt écrit avec cette fimplicité que le ſentiment
comporte; toute autre parure eût été
DE FRANCE.
149
déplacée. M. Lambert termine fon Difcours
par une apostrophe à Louis IX , qui nous a
paru réunir l'onction & le caractère propres
à l'Orateur facré.
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
,
I Es avantages & l'utilité de l'Ecole Royale
de Déclamation font maintenant démontrés,
& il n'y a plus à douter que cet établiſſement
ne doive régénérer l'Art de la Comédie
en France. L'accueil diftingué que le
Publica fait à M. Talma & à Mademoiſelle
Maſſon , le début éclatant & les ſuccès foutenus
deMademoiselle de Garcins , élève de
l'Ecole Royale comme ces deux ſujets ,
diſent mieux que ne le pourroient faire
toutes les réflexions & tous les éloges , combien
cet établiſſement eſt déjà utile & intéreffant
: il peut le devenir davantage. Ce
n'eſt pas ſeulement pour le Théatre François
que l'Ecole de Déclamation forme des
Comédiens ; ce Theatre ne sçauroit offrir
des places à tous les ſujets dont on y exerce
les talens : ainfi l'Ecole peut être conſidérée
comme une pépinière deſtinée à fournir aux
ISD MERCURE
Troupes des Provinces les remplacemens
dont elles auront beſoin. Il eſt malheureufement
trop vrai que l'amour d'une extrême
liberté, & la voix toujours impérieufe
du beſoin , forment ſouvent fouls la vocation
des jeunes gens qui prennent le parti
du Théatre. Que peut- on attendre de ces
Acteurs qui ou n'ont point reçu d'éducation
, ou n'ont point profité de celle qu'on
leur a voulu donner?
Les Elèves de l'Ecole Royale, outre qu'on
leur développe les principes de l'Art , qu'on
leur donne la tradition raifonnée des rôles,
&qu'on cultive avec ſoin leurs difpofitions ,
font encore accoutumés à la décence , au bon
ordre , à l'obſervation des bienféances. On
peut donc iefpérer & même ſe perfuader ,
qu'en peuplant lesThéatres de Province de
pareils ſujets , on y portera un meilleur ton ,
une manière plus vraie , un goût plus pur
que celui qu'on y trouve , & qu'on y redonnera
à la Comédie les charmes qu'à
bien peu d'exceptions près , elle a perdus
preſque par- tour.
D'après ces obſervations , on fentira aifément
que c'eſt une idée très-heureuſe que
celle d'établir une correſpondance entre
l'Ecole Royale & les Comédies de la Province.
Le but de cette correfpondance ſera
de faire connoître les différens gentes de
talens qui , formés dans cette Ecole , ſeroient
ſuſceptibles d'être placés avec avantage fur
DEFRANCE. FRE
les principaux Théatres du Royaume. M.
Mont-Roſe père, ancien Comédien, à communiqué
ſur cette correfpondance , àMM.
les premiers Gentilshommes de la Chambre,
un plan qu'ils ont cru devoir approuver &
encourager. Pour ſe mettre en état de ne
manquer à aucune des parties de fon plan
M. Mont-Roſe vient de faire une tournée
dans les Provinces. Ily a ſcrupuleuſement
obſervé les talens des principaux Acteurs
qui y jouent la Comédie ,& il a pu ſavoir
quels font les ſujets devenus nécellaires aux
différens Théatres ..
Le Bureau de correſpondance de M.
Mont-Rofe, établi ſous le bon plaifir comme
fous la protection de MM. les premiers
Gentilshommes de la Chambre , eft fitué à
Paris , rue de Condé , fauxbourg Saint-
Germain, maiſon du fieur Flamet ,M
Limonadier. C'eſt là que les Directeurs ou
Actionnaires des Spectacles dé Province
pourront adreſſer leurs demandes , tant pour
les Acteurs qui auront déjà joue la Comé--
die fur des Theatres connus , que pour
les ſujets de l'Ecole Royale , dont ils pourrolent
avoir befoin.
: ور
1
Le Vendredi , 4 Juillet , on a repréſenté,
pour la première fois , la jeune Epouse,
Comédie en trois Actes & en vers .
Mélite eſt l'épouſe de Derval : c'eſt une
152 MERCURE
a
femme pleine de qualités & de vertus ; mais
elle eſt frivole , légère , étourdie , inconféquente;
elle donne lieu à la médifance , &
par'une ſuite naturelle , elle donne de la
jaloufie à fon époux. Derval aune foeur;
un Chevalier, qui paroît n'avoir pas mené
juſqu'alors une conduite bien régulière , eft
amoureux de cette foeur , & Derval croit
qu'il eſt l'amantde ſa femme. Une lettre du
Chevalier, que Derval interprète comme un
jaloux , le confiume dans l'idée qu'il eſt
trahi. Il trouvé un Domestique caché ,
&il l'a pris pour un Emiſſaire d'amour ; il
a vu un portrait entre les mains de fa
femme , & il s'eſt perfuadé que c'éroit le
portrait du Chevalier. Sa femme fait journellement
des viſites dont elle ne veur pas
lui expliquer le myſtère. Toutes ces circonftances
réunies & rapprochées , le rendent
furieux, alors il parle de ſe ſéparer de fa
femme , & va même juſqu'à la menacer de
la faire enfermer. C'eſt à ce moment que
le Chevalier avoue tour haut& fans équivoque
, ſon amour pour la jeune Derval ,
& que la Femme de chambre de Mélite
vient apprendre à ſon Maître que les vifites
qui lui donnent tant d'ombrage , ſont faites
àune pauvre Dame qui n'exiſte que de ſes
bienfaits , & pour laquelle elle a même mis
ſes bijoux en gage. Ces explications ramènent
la paix , & le Chevalier épouſe ſa
maîtreffe.
Lé titre de cette Comédie eſt unpeu
1
DE FRANCE.
153
vague ; elle pouvoit tout aufli bien être
intitulée : l'Etourdie , l'Indiſcrète , ou l'Inconféquente
, que la jeune Epouſe. Le but
moral eft bien apperçu : il n'eſt en effet que
trop de ces femmes qui ne veulent pas ſe
perfuader que pour mériter de la confidération
, de l'eftime & du reſpect , il ne
uffit pas d'être vertueuſe , mais qu'il faut
encore le paroître. On peut reprocher de
l'exagération au caractère du jaloux , un ton
trop élevé au commencement du troiſième
Acte , & à peu près étranger à celui de la
Comédie. On peut encore être étonné de
ce que le dénouement s'opère ſur la funple
déclaration d'une Femme de chambre. Il
nous ſemble qu'un fait aufli grave à expliquer
que celui que ſuppoſe le jaloux , demandoit,
pour être éclairci,une autorité plus
recommandable que celle d'une domeſtique,
La Pièce a été fort applaudie juſqu'au moment
où Derval éclate tragiquement contre
Mélite ; la , elle a eſſuyé un échec,dont elle
s'est relevée. A la fin , le Public a demandé
l'Auteur , & M. Saint-Phal eſt venn dire
que l'Ouvrage étoit de M. le Chevalier de
Cubières .
1
154
MOEVR CAURE
ANNONCES ET NOTICES.
يف
TABLEAU des guerres de Frédéric le Grand ,
ou Plans figurés de vingt fix Batailles rangées ,
ou Combats effentiels donnés dans les trois guerres
de Siléfie avec une explication préciſe de chaque
Bataille ; Ouvrage qui peut fervir à l'intellil
gence de la partiemilitaire de la Vie de Frédéric II ,
traduit de l'allemand de Louis Müller , Lieutenant
du Génie au ſervice de Pruſſe ; in-4°. de 92 pages .
APotsdam ; & fe trouve à Strasbourg, chez J. G.
Treuttel , Lib .; & à Paris , chez Durand neveu ,
Lib. rue Galande.
13
-Cet Ouvrage, très bien exécuté , tiendra lieu
tout à la fois de Mémoires & de preuve pour la
Vie du Grand Frédéric.
**Première fuite de l'Aventurier François , ou
Mémoires de Grégoire Merveil , Marquis d'Erbeuil
; nouvelle édition in 12. Tomes I& II,
faifant le IIIe . & le IVe! de Fouvrage. A Londres;
&fe trouve à Paris , chez l'Auteur , Hôtel
de Malte , rue Chriftine ; Quilleau Taîné , Lib.
même rue la veuve Duchefne , rue, S. Jacquess
Belin , même rue ; Mérigot le jeune , quai des
Auguftins ; & Duboſc , même quai .
Le même Auteur , qui a fait ſouvent preuve
dimagination & de fécondité , vient de donner
auſſi les Tomes IV, V & VI , qui terminent fon
Philofophe parvenu .
*
Moïse confidéré comme Législateur & commeMoralifte
, par M. de Paftoret , Conſeiller à la Gour
desAides, de l'Académie des Inſcriptions & Belles
DE FRANCE ISS
Lettres , de celles de Madrid , Florence , Cortone,
&c. &c . &c. in- 8 °. Prix , sliv. br. , 6 liv. relié
& 5 liv. 10 f. franc de port par la Pofte. AParis ,
chez Cuchet , Lib . rue & hotel Serpente.
Nous reviendrons fur cet Ouvrage, que recommande
le nom de fon Auteur , connu par d'autres
Productions eftimables,
Idées neuves fur la conſtruction des Hôpitaux ,
appliquées à celles des Hôpitaux de Paris ; par M.
Chirol ; in-4°. de 30 pages. A Paris , chez l'Auteur
, à la Penfion académique , grande rue du
Fauxbourg S. Honoré , Nº. 42 ; & chez les Marchands
de Nouveautés.
Principes de Traduction , ou les diverſes ma
nières de rapprocher les tours de la Langue Françoiſe
de ceux de la Langue Latine , afin de rendre
fidélement & élégamment le françois en latin , par
ordre alphabétique ; par M. Salomon, Maître de
Penfion à Montmédy ; in- 12 . ABouillon ; & fe
trouve à Paris , chez Moureau , Lib . quai des Auguftins.
Principes de la Langue Françoise & de la Langue
Latine, combinés & rapprochés de manière à indiquer
les vrais moyens de traduire le latin 'en
françois, par le même ; chez le même. ::
La méthode adoptée dans ces deux Ouvrages ,
a réuni des fuffrages concluans , qui ont été con
firmés par des ſuccès.
Carte du voyage de l'Impératrice de Ruſſie ,
contenant 320 lieues du Nord au Sud , & environ
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en caractère romain . A Paris , chez le Rouge ,
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Auguſtins. Prix , i livsliv lävée,
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ou choix d'Airs nouveaux de tous les caractères ,
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Etrennes , 7 liv. 4 ſous. Les Numéros paroiſſent
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de Polymnie , ou les Petits Concerts de Paris,
contenant des Airs nouveaux de tous les genres ,
par les premiers Compoſiteurs François & Etrangers
, mêlés d'obſervations ſur l'Art du Chant &
l'expreffion muſicale; accompagnement de Violon,
Bafle ou Clavecin, Abonnement pour 12, Recueils ,
18 liv. francs de port. Chaque Recueil paroît le
Is de chaque mois , 2 liv. 8 fous. A Paris , chez
l'Auteur , M. Porro , rue Michiel- le Comte
Nº. 26 ; en Province , chez les Directeurs de Pofte
&Mds. de Muſique. Les 3 années ſe vendent 48 1.
EPITRE.
TABLE.
A 1109 Leçons de Grammaire. 134
EnvoideRofes.
Charade, Enig. & Log. Ibid. C. métie Françoife.
LeVerger.
115 Panegyrique de S. Lou's 143
1181Annonces & Notices .
APPROBATIΟΝ.
149
154
JAALt lu , par ordre deMgr. le Garde des Sceaux ,
le MERCURE DE FRANCE , pour le Samedi 19
Juin 1788. Je n'y ai rien trouvé qui puifle en
empêcher l'impreffion. AParis,le 18 Juillet 1788.
SÉLIS
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 28 Juin.
L'on n'a encore aucun avis certain des
mouvemens de l'eſcadre Suédoiſe , fortie
de Carlſcroon , le 9 , ſous les ordres du
Duc de Sudermanie & du Vice- Amiral
Wrangel: la véritable deſtination eft donc
encore un problème. On eſt inftruit ſeulement
qu'elle a détaché la Corvette le
Patriotede 13canons , pour Dantzick , où
ce vaiſſeau , arrivé le 12 , a ſéjourné jufqu'au
18. Comme le but apparent de
cette courſe s'eſt réduit à l'achat d'une
cargaiſon de porc ſalé , on conjecture que
la corvette avoit des ordres plus ſecrets ,
& l'on revient à l'opinion que l'eſcadre
Suédoiſe elle-même pourroit bien entrer
dans la rade de Dantzick. Ce premier &
confidérable armement de la Suède a été
No. 29. 19 Juillet 1788.
e
( 98 )
-
immédiatement ſuivi de celui de fix autres
vaiſſeaux de ligne , dont on preſſe l'équipeinent
à Carlſcroon , ainſi que celui des
trois frégates neuves , de 40 canons , la
Bellone , la Vénus & la Diane. - S. M. S.
ayant paffé en revue les régimens ſeptentrionaux
arrivés à Stockholm, on préſumoit
qu'Elle s'embarqueroit , le 23 , avec ces
troupes , pour la Finlande . Les opinions
ſe partagent ſur ces diſpoſitions vraiment
extraordinaires ;& tandis que les uns,
raſſurés ſur la tranquillité du Nord , ne
voyent dans ces armemens que des mefures
proviſionnelles , le plus grand nombre
y pénètre le projet d'une diverfion
en faveur des Ottomans : diverſion qui
pourroit entraîner des entrepriſes ſur les
provinces arrachées par la Ruſſie à la
Suède , au commencement du ſiècle , &
dépourvues , en ce moment, des troupes
néceſſaires à leur défenſe. Quant à l'efcadre
de Cronſtadt, le Public paroît l'oublier
, quoiqu'on renouvelle le bruit , fort
hafardé , de ſa prochaine apparition à la
rade de Dantzick. Il règne à Pétersbourg
leplus profond filence fur les évènemens
auxquels l'Empire eſt aujourd'hui mêlé
&la Cour n'a publié d'autres nouvelles
que la priſe de trois ou quatre bâtimens
de tranſports chargés de grains , & de
,
( 99 )
quelques Soldats pour Oczakof. Cette
capture a eu lieu les 13 & 14 mai.
De Vienne , le 29 Juin.
Par l'extrait que nous avons donné du
dernier bulletin officiel , en date du 25 ,
on a vu que les Turcs , s'approchant en
force de Fockiani , avoient obligé le Colonel
Horwarth , qui s'étoit emparé de ce
pofte , à rétrograder d'Afchud à Pétriskau ,
&d'abandonner Fockiani même aux Ottomans.
On craint , qu'au lieu de pénétrer au
centre de laValachie, comme on l'avoit efpéré,
nostroupes neſevoyentnéceffitées àſe
replier fur Jaffy, dont la conſervation eft
même aſſez précaire. Le ſupplément officiel
, publié hier 28 , ne contient aucunes
nouvelles de cette partie du théâtre de la
guerre. Une eſcarmouche légère fur
l'Unna , une autre en Eſclavonie , & une
chaffe de bateaux en forment la ſubſtance..
Nous n'en rapporterons que le dernier
fait , dont les particularités font affez originales.
« Les rapports du Prince de Cobourg , Général de
Cavalerie, datés du camp de Rukzin , le 17 juin ,
nous apprennent que le Genéral Jordis, occupant
le poſte de Bilowce , trouva , la nuit du 15 , les
eaux du Nieſter tellement accrues , par les fréquentes
pluiesqu'yoccaſionnèrent la fontedes neiges
1
e ij
( 100 )
fur les montagnes , que le pontonjeté furle fleuve,
&qui ſervoit de communication avec le Corps.
d'armée du Prince , couroit le plus grand danger
d'être emporté. »
« Le Général y détacha inceſſamment le Capitaine
Hohenbruck , avec les Pontoniers ſous ſes
ordres. Cet Officier , dans le rapport qu'il en fit
au Général , à 5 heures du matin , aſſura que vers
le midi le ponton ſeroit entièrement rétabli. >>
« Pendant le travail , trois vaiſſeaux plats , fervaneà
tranſporter le bois& les fourrages ,& abandonnés
déja de leurs conducteurs, furent jetés, par la
rapidité des flots , avec tant de violence vers le ponton
, que toute la réſiſtance des Pontoniers devint
inutile , & que le ponton , le Capitaine&les Pontoniers
furent emportés par les eaux.
<< Quoique le Capitaine d'Infanterie , poſté près
de cet endroit, ait envoyé un détachement de ſes
gens, pour ſecourir les Pontoniers , & que leGénéral-
Major Jordis eût fait avertir , par un de ſes
Huſſards expédié à la hâte , le Baron de Kienmayer,
Capitaine de Cavalerie , occupant le poſte d'Okopi
, de voler , avec le militaire ſous ſes ordres &
les habitans de cet endroit , à leur ſecours ; les
débrisdu ponton , avec les gens qui s'y trouvoient ,
furent emmenés par les flots , juſqu'à l'ifle ſituée
entre Okopi & Swaniez , près d'llakowze , où ,
après s'être arrêtés unmoment, ils furent diſperfés
par les flots, de forte qu'une partie fut jetée
vers le rivage Turc , & l'autre ſur celui de Pologne.
"
« Le Capitaine des Pontoniers s'étant d'abord
aperçu de la direction que prenoient les débris des
vaiſſeaux , employa tous les foins poffibles pour
les éloigner du rivage Turc ; mais ſes efforts
furent inutiles , la violence des eaux ayant déjà
emporté les ancres & rompu les cordes qui atta(
101 )
choient la plupart des vaiſſeaux , & voyant dera
approcher un détachement de la garniſon de
Choczim , pour le faire prifonnier , kui &fes gens ,
il ne lui reſta d'autre moyen que de couper les
cordes qui attachoient deux vaiſſeaux aux autres
débris du ponton , de gagner fur ces vaiſſeaux le
rivage de Swaniez , & de ſe ſauver ainſi pendant
que la violence des eaux du Nieſter emporta les
autres vaiſſeaux vers Choczim , où les Turcs ,
accourant de toute part , s'en emparèrent d'abord
en les attachant avec des cordes en bas des remparts
dela forterefle . "
« A peine le Capitaine Baron de Kienmayer ,
poſté, avec la troupe ſous ſes ordres , dans la
forêt , en face de la fortereſſe , eut-il été averti
de cet accident , qu'il vola au ſecours , fuivi
par 15 Chaſeurs , le premier Lieutenant Kyrthy
&18 Huſſards, fit deſcendre les Huſſards à terre,
& leur ordonta , ainſi qu'aux Chaſſeurs , de ſe
déshabiller , d'avancer à demi-corps dans l'eat ,
&de ripofler ainſi du feu de leurs fafils à celui que
les Turcs faisoient inceſſamment fur eux des
vaiſſeaux où il s'étoient placés. Après un feu vif,
qui dura plus de trois quarts-d'heure , pluſieurs
des vaiſſeaux que les Turcs n'avoient pas affez
fortement attachés au bas des remparts , en furent
détachés , & emportés en grande partie par la
violence des eaux. "
« Dès que le Capitaine Baron de Kienmayer
s'en aperçut , il ſuivit, ces vaiſſeaux , avec la troupe
fous fes ordres , en longeant le rivage , ce que les
Turcs firent auſſi par centaines , de leur côté , ſous
un feu continuel des deux parts , juſqu'à ce qu'arrivés
à Barabar , ils reprirent le chemin de leur
fortereſſe. Le Baron de Kienmayer , poursuivant
t ujours les vaiſſeaux dans le cours qu'ils pre
noient , trouva le moyen de faire approcher
e nj
( 102 )
quelques centaines de payſans , qui parvinrent à
la fin à s'emparer de ces vaiſſeaux près de Mallinovecz
, à trois quarts de lieue de Choczim , à
les traîner vers le rivage de la République , & à
les y attacher. "
<<Par une ſuite de cet accident , le ponton a été
entraîné vers le même endroit où le Général Ruſſe ,
Comte de Soltikof , ſe propoſoit de paſſer le
Nieſter ; on s'eſt d'abord occupé à le rétablir , pour
• le faire fervir à cet uſage. >>>
Quelques petits chocs en Croatie , que!-
ques defcentes de pelotons Turcs à la pointe
de la Save , & deux ou trois expéditions
deHuffards , rempliffoient le reſte du bulletin
du 25 ; il feroit faftidieux de revenir
à ce détail .
La ſeule nouvelle certaine qu'on apprenne
du quartier général, eſt que l'Empereur
ſe porte bien , & que fon neveu
l'Archiduc étoit attendu à Semlin du 26
au 28.-Douze mille hommes travaillent
avec ardeur aux nouveaux retranchemens
de cette ville ; le camp de Beſchania & la
digue fur la Save tiennent toujours , &
juſqu'ici les Ottomans n'ont réitéré aucune
entrepriſe ſérieuſe fur cet ouvrage.
Il eſt étrange qu'on ignore ou qu'on
cèle entièrement la marche ultérieure du
Grand- Vifir. Eft-il à Sophia , à Niffa , à
Widin ? Pas un mot authentique là-deffus.
En attendant , ce Miniſtre continue
d'envoyer des troupes , ſoit à Belgrade ,
ſoit en Valachie ; & de tous ces projets
( 103 )
futurs, on ne paroît ſoupçonnerque celui
d'une irruption dans le Bannatde Temefwar.
Outre les 8 bataillons & les 6 divifions
de Cavalerie que l'on y a fait paffer
de la grande armée, le 1. de ce mois , on
vient de détacher encore 6 mille hommes
au Général Wartenſleben , menacé du côté
de Pancſova , de Vipalanka , de New-Orſowa
& de Mehadia. - On voit , par ces
diſpoſitions , qu'au lieu de porter le fléau
de la guerre ſur le territoire Ottoman , ce
qu'on a toujours repréſenté comme praticable
& avantageux à tous égards , les
Impériaux craignent de voir envahir leur
propre pays par une nombreuſe armée ,
qui probablement ne l'épargnera pas . Les
poftes avancés que nous venons de nommer
, auffi-bien que celui de Baja , font
trop foibles pour pouvoir oppoſer une
réſiſtance ſuffiſante à l'ennemi ; ces poftes
feront emportés à l'apparition de 20 mille
hommes , & on aſſure qu'ils ont ordre
de ſe replier vers Temeſwar , en cas
qu'ils foient attaqués par une force trop
ſupérieure. Si l'armée est obligée de faire
campagne dans le Bannat , c'est- à-dire ,
dans le climat le plus mal-fain de toute la
Hongrie , on prévoit qu'elle ſouffrira infiniment
par les maladies. On faitque
les Turcs ont achevé leur pont ſur leDanube
, près de Kladowa , & que 60,000
-
1
e iv
( 104 )
hommes , dont plus de la moitié de Spahis
, ont paflé ce fleuve. Nous avons en
tête 300,000 combattans , auxquels nous
oppofons 23,000 hommes en Tranfylvane
, 12,800 dans le Bannat, & 103,000
au camp de Semlin.
«On prétend que la Cour Impériale ayant
trouvé les moyens de faire ſentir au Grand-Vifir
les fuites que pourroit avoir l'uſage cruel de
quelques troupes Ottomanes , d'inſulter aux
cadavres de ceux que le fort faiſoit périr dans les
combats , ce Miniſtre a déc'aré que jamais la
Sublime Porte n'avoit donné d'ordres ſemblables ,
contraires à ſa façon de penſer; que ce n'étoient
pas des troupes difciplinées , mais celles que les
Commandans n'avoient pu contenir dans les
bornes , qui s'étoient fouillées de ce crime contre
l'humanité , & qu'il alloit prendre de telles
meſures , qu'à l'avenir tout Soldat qui inſulteroit
àun cadavre , feroit ſévèrementpuni. »
Le Prince Ypsilandi eſt arrivé le 23 à
Brünn.
DeFrancfortfur le Mein , le 5 Juillet.
Si l'on confidère que la Cour de Ruffie
ne publie preſque pas une ligne ſur les
évènemens de cette guerre , & que les
particuliers ne ſe mêlent pas de fuppléer
àce filence; que les Chefs Ottomans n'expédient
aucunes relations , & paroiſſent
fort peu jaloux de ce qu'on pourra penferde
celles de leurs ennemis , on ne s'impatientera
pas de l'eſpèce de nullité où ſe
( 1ος )
trouve l'hiſtoire du moment. La distance
rend les récits moins fidèles & plus rares :
d'ailleurs , ce n'eſt guère qu'en comparant
avec réflexion les rapports des deux pare
tis , qu'on peut apercevoir la vérité. De
tout ce qui s'eſt paſſé à Constantinople ,
depuis le départ du Grand Vifir , on ne
fait avec certitude que celui du Capitan-
Pacha , dont la harangue authentique
ſes Officiers , mérite d'être conſervée
comme un monument du caractère de ce
guerrier , que la molleſſe raiſonneuſe de
notre fiècle fera tentée de croire un perſonnage
fabuleux. Avant de faire voile
pour la Crimée , il a affemblé tous les Officiers
de la flotte ,& leur a dit :
" Vous ſavez d'où je ſuis venu , & ce que
j'ai fait. Unnouveau champ d'honneur m'appelle ,
ainſi que vous , à facrifier le dernier foupir à
l'honneur de notre religion , au ſervice du Sultan ,
&de la nation invincible qui , dans les circonftances
actuelles , demandent la dernière goutte de
notre fang. C'eſt pour remplir ce devoir ſacré ,
queje me ſépare maintenant de ceux de ma famille
qui me font les plus chers : j'ai donné la liberté
à tous mes eſclaves des deux ſexes , & je les ai
récompensés ſuivant leurs mérites : je leur ai
payé tout ce queje leur devois; j'ai dit le dernier
adieu à mon épouse , & je vole à cette miſſion
importante , dans la ferme réſolution de vaincre
ou de mourir. Si j'en reviens , ce ſera une faveur
infigne de Dieu , que je prie de prolonger mes
jours , pour que je puiffe mourir content &avec
gloire ::vvooiillàà ma réſolution inébranlable ; &
ev
( 106 ) 1
:
vous , qui avez toujours été mes compagnons
fidèles , je vous ai convoqués pour vous exhorter ,
&pour vous commander de ſuivre mon exemple
dans cette conjoncture déciſive. S'il eſt quelqu'un
parmi vous qui ne ſe ſente pas le courage de
vaincre ou de mourir , courage néceſſaire à cette
expédition , je le prie de le déclarer ouvertement,
fans crainte de m'offenfer , & je lul promets fon
congé. Ceux , au contraire , qui manqueront de
coeur en exécutant mes ordres dans une action ,
ne doivent pas s'attendre à pouvoir s'excuſer par
les prétextes du vent , ou de déſobéiſſance de
l'équipage; car je leur jure , par Mahomet & par
la vie du Sultan , que je leur ferai couper la tête ,
à eux& à tout l'équipage ; mais celui qui mon -
trera du courage en s'acquittant de ſon devoir ,
fera récompenfé avec largeſſe : que tous ceux qui
voudront me ſuivre à ces conditions , ſe lèvent
donc , & qu'ils me jurent fidélité& obéiſſance. >>>
A ces mots , tous les Capitaines s'étant
levés , jurèrent de vaincre ou de mourir
avec leurGrand-Amiral , qui pourſuivit
en diſant : « Je vous reconnois pour mes
>> braves & fidèles compagnons. Allez ,
>> retournez à vos vaiſſeaux , faites affem-
>> bler les équipages , communiquez- leur
>> ma harangue , prenez leur ferment , &
>> tenez-vous prêts à appareiller demain. >>
On travaille nuit & jour dans les ar-
"fenaux de Vienne . On a expédié à
l'armée 60 chariots chargés de canons &
de vivres. Vingt-ſept bâtimens font auffi
partis , ayant à bord du vin , du vinaigre ,
de la poudre à canon, des drogues ,
-
( 107 )
- deux cents Artilleurs & des Recrues .
On a calculé que les dépenſes de la guerre
actuelle montent déja à foixante-quatre
millions de florins ,y compris 16 millions
avancés à la Cour de Pétersbourg. - Suivant
l'ordre de l'Empereur , on conftruit
endiligence 12 hôpitaux mobiles , qu'on
fera paffer à l'armée. On évalue à 17,000
les malades de l'armée Autrichienne , &
à 30,000 ceux de l'armée Ruſſe ; mais
d'où fait-on avec tant de préciſion ce
nombre d'Invalides ? Les directeurs des
hôpitaux ont-ils communiqué leurs feuilles
aux Nouvelliſtes ? Tout au plus peut- on
faire à cet égard un calcul d'approximation,
& celui-ci paroît exagéré , fur- tout
à l'égard des Ruffes..
<< L'armement de la grande eſcadre de
Cronſtadt , ne fait point perdre de vue ,
diſent les Ruffes , l'eſcadre qui doit agir
fur la mer Noire. Trois vaiſſeaux de ligne
ont été lancés l'année dernière à Cherfon ,
&3 autres font prêts à l'être . On les armera
fur le champ , le nombre de Matelots néceffaires
étant déja raſſemblé. On eſpère
que cette eſcadre pourra encore agir cet
été , & foutenir les opérations de l'armée
de terre du côté d'Oczakof. >>>
Le Roi de Pruſſe vient de lever la défenſe
d'exporter de Konigsberg les bleds
venant de Pologne ; mais cette défenſe 1
e vj
( 108 )
continuera d'avoir lieu pourlebled venant
des provinces de S. M.
Ce Prince a aſſigné des ſommes confidérables
à l'amélioration des fabriques dans
fes Etats , & au ſecours de pluſieurs villes
de province. Les manufacturesde lainerie
fur-tout , ont reçu de grands encouragemens.-
Le réglement pour les Invalides
eft figné , & paroîtra inceſſamment.Une
partie des Invalides qui pourront encore
fervir, fera miſe dans les bataillons de dépôt
, l'autre reftera dans la grande maiſon
des Invalides ; ceux qui ne pourront plus
ſervir , ſeront répartis dans depetites villes,
où l'on établira des maifons de travail
pourles occuper,chacun ſelon ſes forces.
- Le Comte de Romanzof, Envoyé de
Ruffie à la Cour de Pruſſe , a payé tous
ceux qui avoient quelque prétention à la
charge de fa maiſon , & va retourner à
Pétersbourg.- Les courriers de Cabinet
ſe ſuccèdent rapidement à Berlin , & les
négociations paroiffent fort actives avec
les Cours de Londres & de Stockholm. On
a remarqué la promptitude avec laquelle
le Roi eſt revenu de Loo , ayant fait en
deux jours & demi le trajet juſqu'à Charlottenbourg
, malgré les fables de l'Electorat
d'Hanovre .
( 109 )
GRANDE-BRETAGNE.
De Londres , le 8 Juillet.
Le 1er. de ce mois , on a reçu auBureau
du Marquis de Carmarthen , Principal
Secrétaire d'Etat au département de l'Etranger
, la Ratification du Traité provifoire
d'Alliance défenſive , ſigné à Loo , le
13 juin dernier , entre les Cours de St.
James & de Berlin , &échangé à laHaye,
le 27du même mois , par les Plénipotentiaires
reſpectifs.
Le Chevalier Georges Baker , Médecin
de S. M. , lui a conſeillé l'uſage des eaux
minérales de Cheltenham:en conféquence ,
la Familie Royale partira , le 14 , du palais
de Bukinghain pour le Glouceftershire
, où Elle reftera au moins un mois
ou fix ſemaines. Leurs Majestés occuperont
, pendant leur ſéjour , la maiſon de
Milord Fauconberg.
Le3, au matin ,le Royal Amiral , vailſeau
de la Compagnie des Indes , eſt entré
à Deal , venantde la Chine. Ce vail.
feau a appareillé de Ste. Hélène , le 8 mai
dernier , & à cette époque il ne reſtoit
aucuns bâtimens dans ce port.
Le 30 juin , apprend-t-on de Plymouth,
l'Amiral Gower a fait le fignal à fon ef(
110 )
cadre de remettre à la voile , & auſſi-tôt
les vaiſſeaux ſuivans ont levé l'ancre ; favoir
, l'Edgard , monté par l'Amiral , le
Coloffus , le Culloden , le Magnificent , tous
de 74 canons ; le Scipio & le Crown de
64 ; l'Hébé de 36 , l'Andromède de 32 , &
le Trimmerde 16.
On peut ranger vraiſemblablement au
nombre des plaifanteries médiocres qui
rempliffent nos Papiers , l'article ſuivant ,
concernant la première deſtination de
cette eſcadre. « Un des principaux ob-
>> jets de ſa croiſière , étoit de faire l'eſſai
» d'un aſſortiment de nouveaux pavil-
>> lons , de l'invention de Lord Howe ,
» & pour l'explication deſquels il a écrit
>> un livre d'inſtructions très-long & très-
» détaillé. Il a été reconnu que les pa-
>> villons étoient trop compliqués pour
>> pouvoir en faire uſage ſubitement , trop
>> lourds pour être déployés par un
>> vent frais ordinaire , & que l'explication
>> n'étoit pas affez claire pour être enten
>> due. >>
Vendredi dernier , on a lancé à Woolwich
le beau vaiſſeau le Prince de 90 canons
, qui , depuis quatre ans , étoit en
conſtruction fur ce chantier. Ce ſpectacle
avoit attiré de Londres un grand concours
de Spectateurs diftingués . On va placer
fur la forme vacante la quille d'un nou
( 11 )
veau vaiſſeauquiſera nommé le Médiator.
Le Boyne de 98 canons , le Minotaure de
74, & une frégate, font en conftruction
fur le même chantier. Dès que le Prince
aura pris ſes måts & ſes apparaux, il defcendra
la rivière , &fe rendra à Plymouth ,
pour y être mis en ordinaire.
Le Royal George , ſuperbe vaiſſeau
neuf, de 110 canons , actuellement en
conſtrution à Chatham , qui devoit être
lancé ce mois18 , ne le ſera qu'en ſeptembre.
« La frégate la Vestale , de 28 canons , qui a
été rencontrée à la hauteur du Cap de Bonne-
Eſpérance par la Thetis , de la Compagnie des
Indes, arrivée depuis peu, fut envoyée parleGouvernement
dans l'Inde , au mois d'octobre dernier ,
pour y donner avis de la ſituation des affaires avec
la France , & pour porter des inſtructions aux
Gouverneurs de cette partie du monde. Le Chevalier
Robert Strachan , qui la commande , étoit
chargé de lettres particulières pour le Chevalier
Archibald Campbell , à Madraff , & le Gouverneur
général au Bengale. LaVestale est le ſeul vaiſſeau
de guerre que l'Angleterre ait dans l'Inde. Le
Gouvernement a répandu qu'il y avoit deux ou
trois corvettes actuellement employées dans cette
tation ; mais ſi elles exiſtent , ni leur nom , ni
leur Capitaine , ne ſe trouvent portés fur la
liſte de la Marine. >>>
La Chambre Haute a repris , le 2 , l'examen
du Bill de réglement pour la Traite
des Nègres. Après avoir reçu les Pétitions
A
( 112 )
particulières de quelques Marchands Anglois,
Commiſſionnaires d'achats de Nègres
pour l'Eſpagne & la France , les Pairs
difcutèrent & paſsèrent différens amendemens
ou clauſes nouvelles de ce Réglement.
Lorsque ce travail fut achevé ,
Milord Hawkesbury prit la parole ,& prononça
un Difcours qui entraîna une converſation
que nous devons rapporter, puifqu'elle
annonce clairement les limites où
le Gouvernement ſe renfermera dans
cette grande queſtion du fort des Nègres.
Lord Hawkesbury dit :
«Dès l'origine, j'ai défiré qu'on réglât le commerce
des Eſc aves par des réformes néceſſaires;
mais en même temps j'euſſe reculé ce travail jufqu'à
l'époque où le Parlement , mieux infiruit ,
auroit été plus à portée de prononcer avec connoiſſance
de cauſe. Quand j'ai vu le Bill produit
&foutenu , je m'en fuis occupé long-temps ; &
quoique je n'aie pas montré d'inclination à favorifer
les meſures qu'on vouloit prendre, Vos Seigneuries
ſe rappelleront que je ne m'y fuis pas ouvèrtement
oppoſé. Deuxprincipes fondamentaux
doivent être , ce me ſemble , toujours préſens à
l'eſp it des Membres de cette Aſſemblée ; veiller
d'abord , & foigneusement , à la confervation
du Commerce , ou du moins ne bleſſer ſes intérêts
que le plus légèrement qu'il eſt poſſible ; en
introduiſant des réglemens &des réformes , confuer
le voeu de l'humanité , & le concilier avec
l'existence du Commerce & la convenance des
Marchands qui s'en occupent: voilà les deux bafes
de mes réflexions. Je n'ai point oublié que l'achat
& la revente des Nègres font une branche très
(113 )
importante de trafic ; que la proſpérité de nos
ifies d'Amérique dépend , en grande partie , de ſa
confervation ; que les Negres ſont effentiels à la
culturede nos Golonies,&le fol decelles - ci à la production
d'une foule d'objets ſans leſquels nos arts&
nos manufactures ne peuvent ſe foutenir , & qu'on
ne peut tirer ni d'ailleurs ni par d'autres moyens :
tels font l'indigo , la cochenille , & beaucoup de
drogues néceſſaires à la teinture , qui nous viennent
de l'Amérique ſeule ; en conféquence , je
m'oppoſerai toujours à cequ'on mette fin au comme ce
des Nègies par aucun Acte violent , & j'ai à vous
offrirquatre propoſitions , qui , après un mûrexamen
, me paroiſſent indiſpenſables à l'accord néceffaire
qui doit exiſter entre le Bill préſenté , &
le deux principes que je viens d'indiquer à Vos
Seigneuries. Les trois premières tendent à aſſurer
le ſuccès duBill dans ſon principal objet , la préſervation
des Nègres; la quatrième doit rendre ce
même Bill agréable aux Négocians , diriger leur
intérêt à employer tous les moyens poffibles
pour être chargés du tranſport des Nègres en
Amérique , même aux conditions de les y amener
bien portans. >>>
« On a prouvé juſqu'à l'évidence , que la plupartdes
inconvéniens dont on ſe plaint , & particulièrement
la mortalité ſur les vaiſſeaux employés
autranſport desNègres , venoient moins des cruels
traitemens qu'on leur faifoit éprouver , ou du lieu
refferré qu'on leur aſſignoit ſur les vaiſſeaux , que
de l'ignorancedes Capitaines , & de leur peu d'intelligence
dans l'adminiſtration de ces tranſports.
Une des manières d'aſſurer l'exécution du Bill , eft
donc de ne confier ce commerce qu'à des gens
qui ſachent le faire , de ne le permettre qu'à ceux
qui s'y fontformés par la pratique & l'expérience :
dans cette vue , ma première clauſe a pour objet
( 114)
k
1
dedonner force de loi au réglement ſuivant : Que
perſonne ne s'ingère d'entreprendre le voyage d'Airique
en qualité de Capitaine de vaiſſeau Negrier , fans
y avoir déja fait un voyage en qualité de Maître
d'équipage, ou deux voyages comme Contre-Maitre,
ou trois comme ſecond Contre-Maître. Une des intentions
du Bill étant de faire , autant qu'il fera
poffible, ce commerce par de petits navires , j'ajoute
pour feconde clauſe , qu'il era défendu à tout
vaiſſeau , de quelque grandeur qu'il puiſſe être , de
mettre àla voile fans avoir un Chirurgien àfon bord;
ma troiſième clauſe eſt de défenare aux Marchands
de faire affurer la ve des Nègres. Qu'ils faſſent
aſſurer les vaiſſeaux& la cargaifon contre les nau-.
frages , le feu , ou tout autre des dangers ordinaires
de la navigation , mais le meilleur moyen de les
forcer de veiller à la conſervation de leurs eſclaves
, c'eſt de leur interdire abfolument l'aſſurance.
Par ma quatrième clauſe , j'affignerois une gratification
de cent livres . ſterl. à chaque Marchand
qui, ſurdeux cents Eſclaves , n'en auroit perdu que
deux dans le trajet d'Afrique en Amérique , &
dans le même cas une de cinquante livres ſterl. au
Chirurgien.>>>
« Lord Hawkesbury, motivant ces trois clauſes ,
obferva, entr'autres , qu'on avoit prouvé évidemment
que le bénéfice du Marchand étoit de deux
ou trois livres ſterl. fur chaque Nègre rendu en
ſanté dans nos iſles. Qu'on porte ce profit à cinq
livres par tête , comme on a également établi que
la valeur d'un Nègre étoit de 33 liv. ft. juſqu'à
50 , prenons le plus bas prix moyen de 35 liv. ft.
Suivant ce calcul , la valeur d'un Nègre amené
bien portant, ſe trouvoit équivalente au bénéfice
fait fur ſeptNegres.-Cette conſidération , jointe
à la gratification ftipulée , aiguillonnera puiſſamment
les intéreſſés à ce commerce ,& leur fera
(115)
regarder la confervation de leurs eſclaves comme
l'objet le plus important. En conféquence , ils
n'embarqueront naturellement que le nombre qu'ils
prévoiront pouvoir conduire ſain & ſaufen Amérique.
Le profit de cette cargaiſon , augmenté par
la gratification , compenfera amplement les déſavantages
auxquels les expoſent les reſtrictions du
Bill , & la probabilité de leur gain croîtra au lieu
de diminuer. »
« Lord Walfingham déclara que ces propofitions
, felon lui , tendoient eſſentiellement à feconder
l'efprit du Bill. Il étoit fatisfait d'apprendre ,
fur l'autorité du noble Lord , que le Gouvernement
ne ſepropoſoit point , dans la prochaine ſeſfion
, de mettre fin au commerce des Nègres par
aucun afte violent. Cette déclaration ferviroit plus
à tranquilliſer ceux qu'elle intéreſſoit , qu'aucune
modification du Bill actuel ; elle calmeroit les
alarmes qu'on avoit conçues d'une inſurrection
prochaine des Nègres dans nos Colonies . »
<< Je ſuis loin , dit le Duc de Chandos , de voir
cette affaire comme le noble Lord; loin de penſer,
comme lui , que les clauſes propoſées puiffent
tranquilliſer les Intéreſſés , je crains plutôt qu'elles
ne tendent , ainſi que le reſte du Bill , à exciter
la révolte des Nègres , & à compromettre nos
Colonies. Permettez-moi de lire une lettre de M.
Stephen Fuller , Agent de la Jamaïque , lettre dont
il a déſiré que je fiſſe part à V. S. ( le Duc lut
cette lettre de M. Fuller , ainſi que l'extrait de
deux autres ; l'une, de Sir Hyde Parker, en date
du 25 avril ,&l'autre, de M. Cheffolm , en date du
27 avril , toutes deux écrites de la Jamaïque :
ſuivant la première , ſi on ne prenoit quelques
meſures pour prévenir les effets de la difcuffion
ſur la traite des Nègres , elle donneroit néceſſairement
lieu à des troubles dans l'Iſſe. L'autre , par\
( 116 )
lant d'une inſurrection des Negres à Antigod ,
ajoutoit qu'on en craignoit une à la Jamaïque ;
lesblancs ayant eu l'imprudence de s'entretenir à
tablede cette queſtion , les Negres avoient écouté
ces converſations avec inquiétude & avidité ; l'Ecrivain
en donnoit avis au Gouvernement , afin
qu'on fit marcher affez de troupes pour convaincreles
Eſclaves que s'ils eſſayoient de ſe révolter,
les habitans de l'Iſle étoient prêts à les repouſſer
& à les foumettre. M. Fuller avoit ajouté une
obſervation de fon chef à la fin du ſecond extrait .
Il y demandoit s'il n'étoit pas naturel que d'après
la conduite actuelle du Parlement , les Nègres ſe
perfuadaſſent que le Roi, les Pairs & les Communes
prenoient leur parti , & fongeoient à les
affranchir ? ) Le Duc de Chandos dit qu'il étoit
de l'avis de M. Fuller fur ce point , & qu'il s'oppofoit
au Bill de tout fon pouvoir. »
« Le Duc de Richmond obferva ſur ce qui
avoit échappé au Duc de Chandos , qu'il avoit
connu M. Stephen Fuller pendant nombre d'années
, que c'étoit un homme reſpectable ; mais en
qualité d'Agent de la Jamaïque , il rempliffoit fes
fonctions avec un zèle qui , quoique très-honorable
, devoit inſpirer quelque défiance de fes opinions.
L'effet du Bill ſeroit de faire hauffer le prix
des Nègres , à leur arrivée à la Jamaïque , de 3 ou
4liv. sterling ; or , la ſeule probabilité de ce renchériſſement
fuffiſoit pour alarmer M. Stephen
Fuller,&à lui faire tout employer pour garantir la
Jamaïque de ce qu'il regardoit comme un fléau
de fon commerce. D'après la connoiſſance du caractère
de cet Agent , il étoit donc facile de rendre
compte de ſes ſentimens ; mais quant à ſes raifonnemens
, il fuffiſoit d'examiner les deux extraits
joints à ſa lettre au noble Duc. Le premier porte
ſeulement que : « Si l'on ne prenoit les meſures
(117)
»convenables pour prévenir la fermentation que
>>la diſcuſſion de la traite des Nègres caufoit dans
» tous les eſprits , elle donneroit probablement
» lieu à quelques troubles. >> La choſe étoit poſſible;
mais qu'avoit de commun cette crainte avec le
Bill préſenté à leurs Seigneuries ? L'autre extrait ,
il falloit en convenir , avançoit qu'il s'étoit déja
manifeſté une infurrection à St. John; mais il ne
prouvoit pas qu'elle eût été cauſée par la dif
cuffion de la traite des Nègres : point de détails ,
point de circonstances ; il n'indique pas même
juſqu'à quel point la violence s'étoit portée avant
qu'on l'appaiſat. Les conféquences déduites par
M. Fullerou par le noble Duc , manqueroient donc
de juſteſſe. « M. Fuller a conclu , pourſuivit le
» Duc de Richmond , que les Nègres regardoient
>>le Roi , les Pairs &les Communes de la Grande-
>>Bretagne , comine leurs amis , & qu'ils étoient
» perfuadés qu'on penſoit à les mettre tous en
» liberté. Que les eſclaves regardent le Roi , les
-> Pairs& les Communes comme leurs amis , c'eſt
» ce que je crois&défire vivement , parce qu'il eſt
>> infinimentà ſouhaiter que les ſujetsde laGrande-
>> Bretagne , dans quelque claſſe & quelque lieu
qu'ils ſe trouvent , regardent le Gouvernement
» &le Corps législatif , commediſpoſés, dans tous
>> es temps, à s'occuper de leurs intérêts , &à leur
>>aſſurer la protection & la faveur dont ils peu-
>> vent avoir beſoin ; mais il ne fuit pas delà
» que les Nègres aillent juſqu'à imaginer que le
» Roi & le Parlement fongent à les déclarer
>>libres. Le noble Due nous a dit , il y a quel
» ques jours , que les Nègres font éclairés ,&qu'ils
" lifent exactement les gazettes. Si cela est vrai,
>> tant mieux , ces papiers leur montreront ce
» qu'eſt réellement le Bill actuel , & les infor-
> meront de fon objet. Ils ne pourront pas con-
>> fondre une déciſion du Parlement, relative à
( 118 )
1
» un réglement en leur faveur dans une branche
>> particulière de commerce , avec la déciſion de la
>> queſtion générale de l'abolition abſolue de la
>> traite des Nègres. Je puis certifier au noble Duc ,
>> quej'ai vu une lettre d'un riche Planteur de la Ja-
>> maïque , quicontient desopinions bien différentes
>> de celles qui ſe trouvent dans les extraits de
» M. Fuller. Loin de témoigner les appréhen-
>> ſions de ce dernier , il déclare qu'il faut abſo-
>> lument des réglemens pour la traite des Nè-
» gres , & que ces réglemens produiront de très-
>> heureux effets. Je ne doute pas que les Minif-
» tres de Sa Majesté , & le noble Lord affis en
>> face de moi (Lord Hawkerbury) n'aient égale-
» ment reçu d'Amérique un grand nombre de
>> lettres qui contiennent beaucoup d'opinions
>> différentes fur ce ſujet , ce qui prouve qu'on
>> doit faire peu de fond fur des avis particu-
>> liers , & ſpécialement ſur ceux des perſonnes
>> intéreſſées directement à cette transaction. Je
» déclare que je ſuis enchanté d'avoir entendu le
>>noble Lord propoſer les quatre clauſes ; je
>> ſuis entièrement de ſon avis fur leur néceſſité
>> indiſpenſable , & fur leur juſteſſe. Je n'ai pas
>> moins de plaiſir à voir que le noble Lord a
>> toujours penſé qu'il falloit des réglemens & un
>> Acte du Parlement pour obliger les Capitaines
>> des vaiſſeaux employés à la traite des Nè-
>> gres , à faire uſage de ventilateurs , à ſe bor-
» ner à un certain nombre d'Eſclaves , & à
>> prendre les autres précautions requiſes pour
>> aſſurer la ſanté des infortunés qui font l'objet
>> immédiat du Commerce d'Afrique. »
Le Comte Stanhope ſe leva pour demander à
Lord Walfingham l'explication d'une phraſe de
ſon difcours, dans laquelle il avoit conſidéré la
déclaration faite par Lord Hawkesbury, qu'on ne
deyoit jamais mettre fin à la traite des Nègres par
( 119 )
aucun acte'violent , comme une indication que
leGouvernement n'aboliroit point ce Commerce
à la prochaine Seffion. Cette explication vague
& indéfinie des deſſcins du Gouvernement , pouvoit
paſſer pour une déclaration ; qu'une perſonne
dans une haute place ( M. Pitt ,) & abfente
de cette Chambre , s'étoit raviſéefur ce ſujet , &
ſe gardoit prudemment de parler pour ou contre
une affaire dont le Parlement avoit déclaré publiquement
qu'il remettoit l'examen en entier aux
débats de la prochaine Seffion .
« Jen'ai prétendu , répondit Lord Walfingham,
>> compromettre perſonne quant à fon opinion
>> ſur la queſtion générale de l'eſclavage des Nè-
>> gres , bien moins encore donner à entendre
» quel pouvoit être , ou n'être pas , l'avis d'une
>>perſonne qui occupe un rang auffi confidéra-
>> ble. Quand j'ai témoigné ma fatisfaction en
>> apprenant qu'il n'étoit pas probable que la traite
* fût abolie par un acte violent du Gouvernement ,
> je n'ai parléque d'après mon opinion privée , que
» leGovuernement ne le doit pas ; &, dans le fait,
» Lord Hawkesbury avoit dit ne point compren-
>> dre ce qu'entendoient les gens qui parloient de
>> l'abolition de la traite des Nègres ; qu'en con-
>> ſidérant que l'existence de nos iſles d'Amérique
>>dépendoit en grande partie de la continuation
>> de ce trafic; que la balance annuelle de notre
» Commerce avec ces iſles , étoit de quatre mil-
>> lions ſterling en notre faveur , fans compter le
>> revenu des droits d'importation , qui montoient
>> à un million , ou même 1200,000 liv ſterling ,
>> il ne voyoit pas de motifs raiſonnables d'abo-
>> lir la traite des Nègres , de laquelle dépendoit
>> ce commerce important: il ne pouvoit donc
>> qu'être très- ſatisfait d'entendre dire ce qui ,
» d'après ſon opinion , pouvoit tendre plus efficacement
à tranquilliſer les intéreſſés.»
( 20
こ
LordHawkesbury dit qu'il étoit jaloux degarantir
ſes expreffions de toute interprétation fauile;
qu'en conféquence , il ſe levoit pour expliquer luimême
une de ſes phraſes, dénaturée en paſſant
par la bouche de Mylord Stanhope. Il déclaroit
donc qu'il eſpéroit qu'on ne mettroit pas fin à la
traite des Nègres par un Afte violent ; il défiroit
qu'on l'entendit dans ce ſens , qu'il eſpéroit que
ce Commerce ne ſeroit aboli NI DIRECTEMENT ,
NI INDIRECTEMENT ; mais que , dans tous les
réglemens qu'on pourroit propoſer , on ſe gouverneroit
d'après les deux grands principes qu'il
avoit établis ; ſavoir , qu'on veilleroit à la confervation
du Commerce , &qu'en ne perdant jamais
devue ce but important , on reſpecteroit , autant
qu'il feroit poſſible, on favoriferoit même les intérêtsde
l'humanité dans la confectiondes rég'emens.
Les trois clauſes propoſées par Milord
Hawkesbury ayant été unanimement admiſes,
on paſſa le lendemain à la troiſième
lecture du Bill général , qui eut en fa
faveur 19 voix contre 11. Porté , le 4 ,
à laChambre des Communes, M. Steele ,
l'un des Secrétaires de la Tréſorerie , propoſade
renvoyer à 3 mois , c'est- à-dire , de
rejeter l'examen des amendemens faits au
Bill primitifpar la Chambre Haute. Cette
Motion admiſe ſans débats , le Chevalier
W. Dolben propoſa un nouveau Billy qui
fut lu trois fois , & agréé dans le même
jour , reporté enſuite , vers la fin de la
Séance , à la Chambre des Pairs , où l'on
en fit les deuxpremières lectures . Enfin ,
le 7, cette Chambre , en Comité , alloit
entendre
( 121 )
3
entendre la troiſième lecture , lorſque le
Duc de Richmond dit qu'il ſe trouvoit
dans le Bill encore quelques erreurs , &
qu'il falloit en renvoyer le dernier examen
à huitaine; ce qui fut agréé.
Le Lord Say et Sèle , de da famille de
Twisleton , attaqué de mélancolie depuis
quelque temps , a mis fin à ſon exiſtence
la ſemaine dernière.Pendantque ſon valetde-
chambre, qui ne le perdoit jamais de
vue , étoit deſcendu pour lui ſécher une
chemiſe , il s'eſt ſaiſi d'une épée , oubliée
dans ſon cabinet de toilette , & s'en eſt
percé à trois repriſes. Ce funeſte évènement
plonge dans la douleur la famille
&les amis de ce Seigneur , rempli d'eftimables
qualités & de vertus domeſtiques .
Il n'avoit jamais connu ni les haines , ni
les cabales , ni les perfécutions de parti.
Parvenu au grade de Major-Général , &
Colonel du ge. régiment d'Infanterie ,
LordSay et Sèle laiſſe quatre enfans fort
jeunes , & ſa perte eſt d'autant plus déplorable,
qu'il laiſſe une fortune médiocre
,dont il faifoit le meilleur emploi.
Cette maiſon de Twisleton eſt de la plus.
ancienne nobleſſe du Royaume , & pofsède
la Pairie depuis l'an 1447.
Les dernières Gazettes de New Yorck,
juſqu'au 9 juin dernier , rapportent , commeil
fuit, le nombre des Membres.com-
No. 29. 19 Juillet 1788 . £
( 122 )
poſant les ſept Conventions qui ,juſqu'au
milieu de mai , avoient ratifié l'ouvrage de
la Convention fédérative , & celui des
Membres oppoſans .
La Convention
Du Maffachuffett contenoit 355
Membres. Oppofans.
168
Dela Penfylvanie, 69 23
Delaware, 22 00
Maryland, 74
II
N.Jersey, 39
00
Connecticut , 168 40
Georgie, 33 00
TOTAUX, 760 242
Cette Table authentique prouve donc
que les deux tiers de ces fept Ftars , qui
contiennent, à ce qu'on croit, 1,467,000
habitans , payant tous les Impôts ,& ayant
tous le droit d'élire leurs Repréſentans ,
ſe ſont déclarés pour la nouvelle Conftitution
fédérale. Un huitième Etat ajoint
depuis fon fuffrage à celui des ſept précédens
; c'eſt la Caroline méridionale ,
dont la Convention a adopté , le 23 mmai,
la nouvelle Conftitution à la pluralité de
149 voix contre 73 .
M. George Selwyn , bien connu par
Yes facéties , rencontra , le mois dernier
dans Saint- Jarnes Street , une troupe de
(143)
Ramoneurs de cheminées , qui , ornés de
guirlandes de papier doré, célébroient en
gala , ce jour- là , le Bill qu'a paſſé le Parlement
en leur faveur. Quelques-uns de
ces petits Ramoneurs s'approchèrent de
M. George Selwyn , en danſant autour
de lui , au cliquetis de leurs tacloirs , &
en lui demandant une étrenne. Avecbeaucoup
d'aménité , il leur préſenta une demi
- couronne , ôta ſon chapeau , & leur fit
aine profonde révérence, en diſant : <<J<'ai
>> fouvent entendu parler de SA MAJESTÉ
LA PEUPLE ANGLOIS , mais je n'avois
pas eu juſqu'ici l'honneur de voir d'auſſi
>> près lesjeunes Princes defon Sang.
N. B. Il s'eſt gliſſé dansle dernier Nº.
article de Londres , p. 58, une faute efſentielle
à relever. En donnant la lifte des
Criminels à exécuter à Londres, en 1786
& 1787 , on a eu tort d'avancer que la
plupart d'entr'eux étoient de la claffe agricole.
C'est une mépriſe du Traducteur ,
&en vérifiantl'original anglais, nous trouvons
lemot labourer , qui ne fignifie point
agriculteur , mais ouvrier , homine qui vit
de fon travailmanuel.
11
FRANCE.
De Versailles , le 9 Juillet.
Le Marquis de Roffel , ancien Capitaine
de vaiſſeau , a eu Thonneur de préſenter
fij
( 124 )
au Roi le cinquième des tableaux exécucutés
par ordre de Sa Majesté , repréſentant
la priſe de la frégate Angloiſe le Fox,
par la frégatedu Roi la Junon, commandée
par le Vicomte de Beaumont , Capitainede
vaiſſeau , le II ſeptembre 1778 .
Le 6 , le Marquis de Cordon , Ambaffadeur
de Sardaigne , a eu une audience
particulière du Roi , pendant laquelle il a
remis ſa lettre de créance à Sa Majeſté. II
a été conduit à cette audience , ainſi qu'a
celle de la Reine &de la Famille Royale ,
par le ſieur de la Garenne , Introducteur
des Ambaſſadeurs ; le ſieur de Séqueville,
Secrétaire ordinaire du Roi pour la conduite
des Ambaſſadeurs , précédoit.
Le même jour , Leurs Majestés & la
Famille Royale ont figné le contrat de
mariage du Vicomte de Mirabeau , Colonel
du régiment de Touraine , avec la
Comteffe Adélaïde de Robien , Chanoineſſe
de Largentière.
Le ſieur Blin a eu l'honneur de préſenter
au Roi la 15 °. Livraiſon des Portraits
des grands Hommes , Femmes illuftres
& Sujets mémorables de France , gravés
& imprimés en couleur , dont SaMajeſtéabien
voulu agréer la dédicace (1) .
(1) Cette Livraiſon, contenant lesportraits deMathieu II
&d'Anne de Montmorency , 5. & 6e. Connétables de
oette Maiſon , avec la préſentation faite par le premier
( 125 )
DeParis, le 16 Juillet.
6
Arrêt du Conſeil d'Etat du Roi , du 5
juillet 1788 , concernant la Convocation
des Etats Généraux du royaume ; extrait
des regiſtres du Confeil d'Etat.
Le Roi ayant fait connoître , au mois de novembre
dernier , ſon intention de convoquer les
Etats-Généraux du Royaume ; Sa Majesté a ordonné
auſſitôt toutes les recherches qui peuvent
en rendre la convocation régulière ,& utile à ſes
Peuples.
Il réſulte du compte que Sa Majesté s'eſt fait
rendre des recherches faites juſqu'à ce jour , que
les anciens Procès-verbaux des Etats préfentent
aſſezdedétails ſur leur police, leurs féances & leurs
fonctions ; mais qu'il n'en eſt pas de même ſur les
formes qui doivent précéder & accompagner leur
convocation .
Que les Lettres de convocation ont été adreſſées
tantôt aux Baillifs & Sénéchaax , tantôt aux Gouverneurs
des Provinces.
Que les derniers Etats , tenus en 1614 , ont été
convoqués par Bailliages ; mais qu'il paroît auffi
que cette méthode n'a pas été commune à toutes
les Provinces; que depuis il eſt arrivé de grands
changemens dans le nombre & l'arrondiflement
des Bailliages ; que pluſieurs Provinces ont été
réunies à la France ,& qu'ainſi on ne peut rien
ל
à Philippe Auguſte , des enſeignes enlevées aux Impériaux
à la bataille de Bouvines , & la mort du ſecond
à la bataille de S. Denis , ſe trouve à Paris , chez l'Auteur,
place Maubert , nº. 17. La régularité des Livraisons
de ce Recueil ajoute au mérite de ſon exécution.
fij
(126 )
déterminer par l'uſage à leur égard; qu'enfin wen
ne conſtate d'une façon poſitive la forme des
Elections , non plus que le nombre & la qualité
desElecteurs & des Elus .
Sa Majefté a cependant conſidéré que fi ces
préliminaires n'étoient pas fixés avant la convocation
des Erats-Généraux , on ne pourroit recueillir
l'effet ſalutaire qu'on en doit atrendre; que
le choix des Députés pourroit être ſujet à des
conteſtations; que leur nombre pourroit n'être
pas proportionné aux richeſſes& à- la population
de chaque Province; que les droits de cerraines
Provinces & de certaines Villes pourroient être
compromis ; que l'influence des différens Ordres
pourroit n'être pas fuffifamment balancée; qu'enfin
le nombre des Députés pourroit étre trop ou rop
peu nombreux , ce qui pourroit mettre du trouble
&de la confufion , ou empêcher la Nation d'être
ſuffiſamment repréſentée.
Sa Majefté cherchera toujours à ſe rapprocher
des formes anciennement uſitées ; mais lorſqu'elles
ne pourront être conſtatées , Ellene veut fuppléer
au fi'ence des anciens Monumens , qu'en demandant,
avant toute détermination , le voeu de fes
Sujets, afin que leur confiance ſoit plus entière
dansune Aſſemblée vraiment Nationale, par fa
compoſition , commepar ſes effets.
En conféquence , le Roi a réſolu d'ordonner
que toutes les recherches poſtibles ſoient faites
dans tous les Dépôts de chaque Province, fur tous
les objets qui viennent d'être énoncés.
Que le produit de ces recherches ſoit rem's aux
EtatsProvinciaux & Affemblées Provinciales&de
Diſtrict de chaque Province , qui feront connoître
à Sa Majesté leurs voeux par des Mémoires ou
Obſervations qu'ils pourront hui adreſſer .
Sa Majefté recueille avec fatisfaction un des
( 127 ) plus grands avantages qu'Elle s'eſt promis des Aflemblées Provinciales : quoiqu'elles ne puiffe t pas, comme les Etats Provinciaux , députer aux Etats-Généraux , elles offrent cependant à Sa Majefté un moyen facile de communiquer
avec ſes Peup'es , & de connoître leur voeu fur ce qui
les intéreſſe. Le Roi eſpère ainſi procurer à la Nation , la tenue d'États la plus régulière & la plus conve- nable ; prévenir les conteftations qui pourroient en prolonger inutilement la durée; établir dans la com.- poſitionde chacun des trois Ordres ,la proportion& P'harmoniequ'il eſt ſi néceflaired'yentretenir ; affurer à cette Affemblée la confiance des Peuples , d'après le voeu deſquels elle aura été formée ; enfin la rendre ce qu'elle doit être, l'Aſſemblée d'une grande
Famille , dyant pour Chefle Père commun.
A quoi voulant pourvoir, oui le rapport , LE ROI ÉTANT EN SON CONSELL , a ordonné & ordonne
ce qui fuit :
ART . I. Tous les Officiers Municipaux des
Villes & Coinmunautés du royaume , dans lefquelles
il peut s'être fait quelques Elections aux
Etats-Généraux , feront tenus de rechercher in- ceffamment dans les Greffes deſdites Villes &
Communautés , tous les Procès-verbaux & Pièces
concernant la convocation des Etats,& les Elections
faites en conféquence , & d'envoyer fans
délai lefdits Procès-verbaux & Pièces ; favoir
aux Syndics des Etars Provinciaux & Affemblées
Provinciales , dans les Provinces où il n'y a pas
d'Affemblées fubordonnées auxdirs Etats Provinciaux
ou aux Affemblées Provinciales ; & , dans
celles où ily a des Aſſemblées fubordonnées, aux
Syndics defdites Affemblées fubordonnées , ou à
leurs Commiffions intermédiaires.
II. Seront tenus les Officiers des Jurisdictions ,
,
fiv
(128 )
de faire la même recherche dans les Greffes de
leur Jurifdiction ,& d'en envoyer le réſultat à M.
leGardedes Sceaux , que Sa Majefté a chargé de
communiquer ledit réſultat auxdits Syndics &
Commiffions intermédiaires.
III. Sa Majefté invite dans chacune des Provir.
cesde fon royaume tous ceux qui aurort connoifſance
deſdits Procès-verbaux , Pièces ou Renfeignemens
relatifs à ladite convocation , à les
envoyer pareillement auxdits Syndics.
IV. L'intention de Sa Majeſté eſt que de leur
côté leſdits Syndics & Commiſſions intermédiaires
faſſent à ce ſujet les recherches néceſſaires , &
ſeront leſdites recherches miſes ſous les yeux
deſdits Etats & Aſſemblées , pour être par elles
formé un voeu commun , & être adreſſé un
Mémoire ſur les objets contenus auxdites recherches,
lequel ſera envoyé par leſdits Syndics à
M. le Garde des Sceaux.
V. Dans les Provinces où il y a des Affemblées
fubordonnées , le voeu defdites Aſſemblées
fera remis,avec toutes les Pièces quiyferontjointes,
àl'Aſſemblée ſupérieure, qui remettra pareillement
fon voeu , & l'enverra , comme il eſt dit , à M.
le Garde des Sceaux , avec le voea , les Mémoires
& les l'ièces qui lui auront été remiſes par les
Aflemblées fubordonnées.
VI. Au cas où toutes leſdites recherches ne
feroient pas parvenues auxdits Syndics avant la
tenue prochaine des Etats & Affemblées , Sa
Majefté voulant que les réſultats qu'Elle demande ,
lni parviennent, au plus tard, dans les deux premiers
mois de l'année prochaine , entend qu'à raiſon
du défaut deſdites Pièces & Renſeignemens , lefdites
Aſſemblées , tant fubordonnées que ſupérieures
, ne puiffent ſe diſpenſer de former un voeu ,
& de drefler un Mémoire fur les objets relatifs
( 12) )
au préſent Arrêt , fauf aux Syndics & Commiffions
intermédiaires à envoyer , après la ſéparation
defdites Aſſemblées , les Pièces nouvelles intéreſfantes
qui pourroient leur parvenir.
VII Si dans quelques-unes deſdites Aſſemblées
, il y avoit diverſité d'avis , l'intention de
Sa Majesté eſt que les avis différens ſoient énoncés
, avec les raiſons ſur leſquelles chacun pourroit
être appuyé ; autoriſe même , Sa Majefté, tout Député
deſdires Aſſemblées de joindre au Mémoire
général de l'Aſſemblée, tous Mémoires particuliers
en faveur de l'avis qu'il aura adopté.
VIII. Sa Majesté invite en même-temps tous
les Savans& perſonnes inſtruites de fon royaume ,
&particulièrement ceux qui compoſent l'Académie
des Inſcriptions & Belles Lettres de ſa bonne..
Ville de Paris , à adreſſer à M. le Garde des
Sceaux tous les Renſeignemens & Mémoires fur
les objets contenus au préſent Arrêt.
IX. Auſfi-tôt que leſdits Mémoires , Renfeignemens
& éclairciſſemens feront parvenus à M.
le Garde des Sceaux , Sa Majeſté s'en fera rendre
compte , & fe mettra à portée de déterminer
d'une manière préciſe , ce qui doit être obſervé
pour la prochaine convocation des Etats-Généraux
,&pour rendre leur Aſſemblée auſſi nationale
& auſſi régulière qu'elle doit l'être.
Fait au Conſeil d'Etat du Roi , Sa Majeſté y
étant , tenu à Versailles , le cinq juillet mil ſept
cent quatre- vingt-huit.
Signé , LE BON. DE BRETEUIL.
Arrêt du Conſeil d'Etat du Roi , du 31
mai 1788 , concernant les Abonnemens
de Vingtièmes , & portant remiſe de toute
fv 1
( 130)
augmentation fur ladite Impoſition pour
lapréſente année 1788 .
«Dans le préambule de cet Arrêt , Sa Majesté
reconnoît le vice attachéàla nature detout Impôt
» de quotité , qui fe meſure fur les revenusdesCon-
>> tribuables ,&non fur les befoins de l'Etat ,baſe
» unique de la légitimité des Impôts exigés des
>> Peuples. En conféquence,Elle ordonne queles
>>augmentations des Vingtièmes , votées par neuf
» Alfemb'ées Provinciales , & par quelques pays
>> d'Etats , n'aurontpas lieu cette année ,&que les
>> Provinces qui ont effectué l'augmentation , les
>> obtiendront en moins impoſé ſur les rôles de
>>l'année ſuivante. Sa Majeſté annonce en même-
>> temps les meſures économiques qu'elleprendpour
>alléger le fardeau des Impofitions,& cel'e qu'Elle
>> déterminera dans la prochaine Aſſemblée des
>> Etats-Généraux. »
Arrêt du Conſeil d'Etat du Roi , du 28
juin 1788 , concernant les Greffes des
Tribunaux d'exception fupprimés , & les
pourſuites , en matière criminelle , relatives
au recouvrement des Impofitions.
Idem , même date , qui adapte aux Bordereaux
qui font encore dans le Public,les Reconnoiſſances
&Billetsde chance , reſtant à délivrer au Tréfor
royal , du nombredes cent vingt mille Reconnoiffances&
Billetsde chance , expédiés en exécution
del'Editdenovembre 1787.
Idem , du 18 juin 1788, qui fait remiſe
du droit de Mutation fur toutes les parties
de Rentes & intérêts qui y étoient affujettis.
( 131 )
RÉPONSE DU ROI aux Remontrances
du Clergé , le 26 juillet 1788 .
« Je vois par les Remontrances du Clergé, qu'il
n'apas faifi mes véritables intentions dans l'inter
prétation qu'il a donnée à pluſieurs articles demon
Edit portant Rétabliſſement de la Cour Plénière.
« Jen'ai jamais voulu déroger aux priviléges&
capitulations des Provinces: leurs droits font expreſſément
réſervés dans mon Edit , &je n'ai defiré
d'uniformité que pour les Loix qui , devant être
communes à tout le Royaume , ne peuvent fans
inconvénient être différentes , ou diverſement modifiées.
" :
<<Tout reſpire dans mon Edit la ferme réfolutionden'établir
aucune impofition fans le confertement
des Etats-Généraux. L'enregistrementprovifoire
, ordonné par l'article XII, ne peut être
préſumé devoir être indéterminé ni pour fa durée
ni pour fon objet. Mon intention a toujours été
que cet enregiſtrement ne devant avoir d'effet que
juſques aux Etats , ne fût jamais ſéparé de leur
convocation , à une époque prochaine & déterminée.
»
>>Les emprunts dont il eſt queſtion dans l'articleXIII
, font des emprunts de pure Adminiſtration
, tels que ceux qui tendent à convertirunedette
plus onéreuſe en une dette qui l'eſt moins , à faire
des rembourſemens , à couvrir des anticipations ,
&à d'autres opérations du même genre , qui améliorent
la fortune publique , & ne l'altèrent pas . »
« Je n'ai point entendu ſubſtituer à la Nation
une Cour dont les Membres tiendroient de moi
leur pouvoir & leurs fonctions. Nulle Cour ne
peut repréſenter la Nation , qui ne peut l'être que
par lesEtats-Généraux . »
« Je ne dois pas tolérer que des Corps particu
f vj
( 132 )
liers ufurpent mes droits&les ſiens ; mais j'ai dit
que je voulois confier de nouveau à la Nation
l'exercice de ceux qui lui appartiennent. J'ai dit
que je l'aſſemblerois non une fois , inais toutes les
fois que les beſoins de l'Etat l'exigeroient. Mes
paroles ne font ni équivoques , ni illuſoires : c'eſt
au milieu des Etats que je veux , pour affurer à
jamais la liberté & le bonheur de mes Peuples ,
conſommer le grand ouvrage que j'ai entrepris ,
de la régénération du Royaume , &du rétabliſſement
de l'ordre dans toutes les parties.>>
» Au ſurplus , j'examinerai les Remontrances
du Clergé , & les peſerai avec toute l'attention,
qu'elles méritent. »
Les lettres de Breſt portent qu'il y a
eu ordre de mettre en armement le vaiffeau
le Superbe de 74 canons , avec les
frégates l'Aftrée , l'Iphigénie & la Junon :
on croit que cette diviſion eſt deſtinée.
pour l'Inde ,& que M. Bernardde Marigny
paſſeradans ces contrées .
Les Ambaſſadeurs de Tippoo Saïb , partis le
21 juin de Toulon , arrivèrent à Marseille vers
les ſept heures du foir.
2
L'entrée de leurs Excellences fut annoncée par
une ſalve de cinquante boîtes qu'on avoit placées
à la porte de Rome.
Un détachement de trente hommes de la Garde
dela Ville , environna les voitures de leurs Excellences
, & marcha , tambour battant , juſqu'à
l'hôtel où elles furent logées. A leur arrivée à
l'hôtel , elles furent faluées de nouveau par cinquante
boîtes. Une foute immenfe bordoit les
rues par où les Ambaſſadeurs paſſerent.
Deſcendus à leur hôtel , les Envoyés reçurent
la viſite des Maire , Echevins & Afſeſſeur; le
( 133 )
même jour& le dimanche matin , celles du Corps ,
de la Marine , de la Chambre du Commerce, qui
leur offrit un préſent d'honneur, de l'Etat-Major
du régiment de Vex'n , en garniſon dans les forts
de Marſeille, des différens Corps , &des perfonnes
de diſtinction .
Le dimanche, leurs Excellences aſſiſtèrent à une
repréſentation de l'Opéra de Panurge. Dès qu'elles
furent placées , une corbeille , furmontée de la:-
riers& remplie de fleurs , defcendit devant leur
place.
Le lundi 23 , leurs Excellences ſe rendirent à
l'Hôtel-de-Ville. On leur préſenta unet ble chargée
de fruits confits , de dragées & de diverſes
fortes de biſcuits; les Ambaſladeurs n'y touchèrent
pas , mais ils demandèrent que le tout fût
offert aux dames qui étoient alors dans la Salle.
Ils conſidérèrent les divers tableaux de la Salle
Conſulaire , regardèrent beaucoup le portrait de
Louis XV, & s'arrêtèrent auprès du buſte en marbre
de S. M. Louis XVI. I's témpignèrent qu'ils
auroient defiré voir auprès du buſte du Roi , le
portrait de M. le Bailli de Suffren . Le mêmejour,
à fix heures du foir , leurs Excellences montèrent
en voiture , & furent au Concert. Elles ſe rendirent
de-là au Bal paré , qui leur avoit été préparé
dans la Salle des Spectacles.
Le mercredi 25 juin , les Ambaſſadeurs montèrent
en voiture & quittèrent cette ville , précédés
de la Maréchauſſée , & eſcortés juſqu'à la
porte d'Aix par un détachement de la Garde de
laville. (2)
« Le même jour , ils arrivèrent à Aix vers
lesfixheuresdu foir. Le Comte de Caraman , Commandant
en chef de la Province , leur fit rendre
les honneurs militaires les plus diftingués. Les
Ambaſſadeurs mirent pied à terre , & le premier
(134)
d'entre eux, beau-frère du Sultan , embrafía M. le
Commandant , qui lui préſenta M. le Marquis de
Saint Tropez,Brigadier des Armées du Roi , frère
deM. le Bailli de Suffren. Son Excellence le ferra
auſfitôt dans ſes bras avec les plus grandes marques
d'amitié. La Troupe , compoſée des deux bataillons
de Lyonno's & de celui de Vexin , ſous
les ordresdeM. le Marquis de Miran , Commandant
les Troupes de la Province , préſenta les armes ,
les tambours battirent au champ , les drapeaux
faluèrent , & ce fut dans cet ordre que ce cortège ,
précédé d'une Brigade de Maréchauffée &de Sapeurs,
entra dans la Ville au bruit des boîtes. Une
garde d'honneur de cinquante hommes& un drapeau
de couleur les attendoit à l'Hôtel des Princes ,
où on leur avoit préparé leur logement , & y
reſta juſqu'au lendemain ,jour de leur départ. »
On apprend d'Angoulême que , le ro
juin , neuf criminels ſe ſont ſauvés des prifons
de cette ville ; ils avoient pratiqué , à
cet effet , un trou dans la chapelle. Il eſt
à craindre que ces ſcélérats , en ſe répandant
dans la campagne , ne fe rendent
coupables de nouveaux crimes.
Le ſamedi 28 juin dernier , écrit-on deTonques
enNormandie , on effuya un orage affreux
qui fut attiré par la forêt de Touques avec tant
de force , que vers les fix heures du foir, les eaux
débordèrent &vinrent ſe répandredans le bourg
ſi rapidement , qu'en moins de trois quarts d'heu--
res le plus grand nombre de maiſons ſe trouva
inondé juſqu'à la hauteur de 7 à 8 pieds , fans
qu'on en ait pu retirer aucuns effets ni marchandifes
, fubmergés &emportés par le torrent , qui
a fait crouler quelques maifons ; plufieurs habitans
n'ont échappé au péril qu'à la faveur des
( 135 )
échelles qui leur furent apportées. Ce défaſtre a
réduit nombre d'habitans à l'indigence.
« L'Académie royale des Sciences &
>> Belles-Lettres de la ville d'Angers pro-
» poſe , pour ſujet du prix qu'elle doir
>>> diſtribuer dans la Séance publique du
» 19 juin 1789 , l'Eloge hiſtorique de
» Charles de Coffé , premier du nom ,
>> connu sous le nom de Maréchal de
» Briffac , mort en 1563 .
>> Ceux qui voudront concouris , font
>> priés d'adreſſer leurs ouvrages , francs
>> de port , à M. de Narce , Secré-
» taire perpétuel de l'Académie , à An-
>> gers. On ne les recevra que juſqu'au
>> dernier février 1789. >>
A l'appui du Bill dont s'occupe le Parlement
d'Angleterre , pour la conſervation
des Nègres durant leur trajet aux Antilles
, on lira avec intérêt un mémoire
utile, que vientde publier,dansune Feuille
périodique , M. de Lifle-Thibault.
«Le commerce de la Traite des Nègres eft expofé
à une foule d'événemens qui ruinent trèsfouvert
les opérations les mieux concertées. Les
Capitaines expérimentés , voyent avec douleur
que les foins les plus affidus , les alimens les
mieux choiſis en ce genre , la propreté la plus
ſcrupuleuſe , ne préſervent pas les Nègres de la
mort cu du fco:but , dont ils font généralement
attaqués lorſqu'ils arrivent dans les Colonies. On
n'a pas affez conſidéré , juſqu'à ce jour , l'air
qu'ils reſpirent , comme l'Agent principal de leur
( 136 )
confervation. Nous ne devons pas douter , il eſt
même d'une vérité reconnue , que l'air expiré ſe
change en vapeur , & que cette vapeur humide
&chaude devient un poiſon très-actif pour ceux
qui la reſpirent. C'eſt l'inconvénient où ſe trouvent
réduits les Nègres placés dans l'entre-pont
des Vaiſſeaux. Les ventilateurs qui y font pratiqués
ne ſuffiſent pas au renouvellement de l'air.
Ce dernier , qui entre en petite quantité , n'a pas
affez de reffort pour chaſſer le fluide humide qui
doinine dans un lieu où les rayons du foleil ne
pénètrent jamais. »
« Trois choſes concourent à détruire la pureté
de l'air , le méphitiſme de la cale , la chaleur
exceſſive ,& les vapeurs de l'expiration. Il eſt un.
moyen aifé & très-peu diſpendieux pour le renouveler
, fondé ſur l'expérience. »
« Si à chaque ventilateur pratiqué dans l'entrepont
, on adapte une trompe , dont l'orifice fupérieur
ait de diamètre quatre fois& plus que l'o
rifice inférieur ; que la partie ſupérieure de cette
trompe ſoit fixée à une petite vergue; que la vergue
foit ſuſpendue à une perche placée verticalement
& au deſſus du ventilateur , alors l'air pénétrera
avec d'autant plus de viteſſe , qu'à celle
du vent ſe joindra la rapidité que doit néceſſairementprocurer
le rétréciſſement de la trompe.
Elle doit être élevée de quatre à cinq pieds audeſſus
du plat-bord. La manière dont on la fufpend,
doit laiſſer au vent la facilité de la tourner
à angle droit à ſa direction. Pour ne point interrompre
le cours de l'air , il faut que le bord
inférieur de la trompe traverſe le fabord, & foit
de niveau avec le côté inférieur du verguage. La
trompe doit être garnie au-dedans de cercles
qui décroiſſent en raiſon du grand &du petit orifice.
Si dans cet état l'air entroit avec aſſez de
fix
(137 )
force pour incommoder les hommes qui ſeroient
placés vi -à-vis , on peut la prolonger & l'élever
au-deſſus de leurs têtes. »
« L'agitation de la mer , le mouvement qu'elle
donne au vaiſſeau , feront dire aux gens de l'art ,
quedans les gros temps on ſera forcé de les retirer
pour fermer les petits fabords : on a prévu
à cet inconvénient. Il ſera placé au-dehors de
chaque ventilateur , une machine de toile goudronnée,
aſſez large pour laiſſer le libre mouvementdu
fabord , dans le cas où la mer la déchireroit
, ce qui ſeroit très-rare , je dis même impoffible.
Cette machine ſeroit foulevée & foutenue
par des cordons,&embraſſeroit la trompe ,
qui,par ce moyyeenn,, ſetrouveroit enchaſſée.
<<Telle est la choſe ſimple que j'ai employée.
Voici le réſultat que j'ai obtenu. »
« On fait que les vaiſſeaux qui cinglent au
plus près du vent , n'en reçoivent l'impulfion que
d'un côté , c'eſt-à-dire , celui qui lui eſt oppoſé.
Dans cette poſition , le côté ſous le vent & les
cabanes qui y font pratiquées , ont une odeur &
une chaleur inſupportables. On fait encore qu'un
Navire affourché préſente toujours la proue au
vent , & que dans cet état l'air eſt toujours ſtagnant
dans les ponts ; c'eſt le cas où ſe trouvent
les Négriers pendant tout le temps que dure leur
traite. J'ai exposé un thermomère de Réaumur à
l'air libre ; j'ai obfervé que , dans l'inſtant de la
plus forte chaleur du jour , la liqueur s'eſt élevée
au vingt-fixième degré , quand un fecond , placé
dans l'entre - pont vide , & où les ventilateurs
étoient ouverts , s'élevoit à trente & même trentedeux
degrés. J'ai mis les trompes , & j'ai aperçu
que la liqueur tomboit , à un degré près , au niveau
du thermomètre placé au dehors. J'ai remarqué
en outre que l'air méphitique qui venoit
de la cale ſe diſſipoit entièrement.>>
( 138 )
« Je crois que cette expérience prouve affez
pour mériter l'attention des marins employés à
la traite. La chaleur du fang eſt toujours plus
forte dans les climats chaud de fix , huit , &
même dix degrés que celle de l'atmosphère. La
première augmente toujours en proportion de
la ſeconde. Il eſt des temps où cette dernière eſt ſi
forte , qu'elle atteint celle du fang ; alors la ſituation
des êtres qui l'éprouvent eſt ſi pénible , que
beaucoup en meurent. On en a vu des exemples
en Syrie , & ces exemples ne ſe renouvellent que
trop dans les Batimens qui reviennent des côtes
orientales de l'Afrique , où l'on aperçoit preſqu
toujours, en ouvrant les panneaux, que que Nègres
imorts pendant la nuit , qui, la veille , n'avoient
doané aucun igue d'incommodité, &beaucoup
d'autres meurent ſubitement. »
Les Numéros fortis au Tirage de la
Loterie Royale de France , le 16 de ce
mois , font : 75,74,62,38 & 2.
PAYS - BAS.
De Bruxelles , le 12 Juillet 1788.
La famille Stadthoudérienne eft revenue
de Loo à la Haye , d'où le Prince
royal de Pruffe partit le 26 du mois dernier
, pour vifiter Helvoeftluis , Rotterdam,
& revenir à Clèves par Utrecht&
Loo. Avant fon retour , le Prince Stadthouder
a paffé en revue à Nimégue ,
les troupes du Margrave d'Anſpach , priſes
au ſervice de la République , & qui
(139 )
reſtent en garniſon dans cette capitale de
laGueldre.
L. H. P. ont envoyé, le 3 , au Stadthouder
Héréditaire une députation cérémonielle
, pour ratifier d'une manière ſolennelle,
au nom de toutes les Provinces
reſpectives , le Stadthoudérat-Héréditaire
&& la Constitution rétablie. Cette Députation
fe rendit en cinq carroffes , accompagnée
de ſeize Meſſagers d'Etat ,
a la Maifon- du- Bois. En arrivant , les
woupes qui s'y trouvent , lui rendirent les
grands honneurs militaires ; S. A. S. &
les deux jeunes Princes les Fits , vinrent
la recevoir à l'eſcalier.
Cet Acte de garantie mutuelle eſt trèscourt
, en voici la teneur :
«Les SeigneursEtats desProvinces deGueldre ,
Hollande&West-Friſe,Zéelande ,Utrecht, Frife ,
Over-Yffel & Groningue , avec ceux du pays
de Drenthe , ayant réfléchi ſur les cauſes des es diviſions
domeſtiques , par lesquelles la République
en général , & chaque Province en particulier a
été récemment agitée , & ayant trouvé qu'elles
font réfultées en grande partie des idées erronées
&extrêmement dangereuſes , que quelques perfonnes
fe font fornées réellement ou en apparence
,&qu'elles ont infpirées à d'autres Citoyens
peu éclairés , au ſujet de la conſtitution & de la
forme deGouvernement de ce pays , ſpécialement
touchant l'importance & la néceſſité des dignités
éminentes & héréditaires de Stadthouder , Capitaine-
Général ,&Amiral-Général ; ayant conſidéré
de plus , que lors de l'heureux rétabliſſement du
:
( 140 )
Stadthouderat & de fa confirmation héréditaire en
1747& 1743 , les Confédérés ont regardé comme
un grand avantage pour l'Etat , qu'ils voyoient
réunies ſur la tête d'un ſeul & même Prince ces
hautes Dignités , relativement à toutes les Provinces&
aux pays de la Généralité , & qu'ils s'en
fontpromis une nouvelle force & folidité du lien
de l'Union ; que par conféquent leſdites Dignités
ayant reçu dès-lors une relation plus étroite &
plus immédiate par toute la confédération , devoient
être regardées non- feulement comme une
partieeſſentielleddeela conſtitution& de la forme
de gouvernement de chaque Province , mais de
l'Etat en entier ,&tellement liées à l'Union même ,
qu'il eſt impoffible que l'une fleuriſſe&conferve
ſonbien-être ſans l'autre;&qu'ainſi demêmeque
lesConfédérés font obligés de s'entr'aider réciproquement
au prix de leurs biens & de leur fang,
pour laconfervation du lien de l'Union , il doit auffi
s'enfuivre néceſſairement l'obligation de ſe rafurer
réciproquement fur les premiers & principaux
moyens par leſquels l'Union doit ſe maintenir ,&
deveiller à forces réunies contre toute atteinte qui
y feroit portée , d'autant plus que l'expérience a
apprisdans les derniers troubes , comment des prin
cipesles moins conſidérables , qui d'abord parof
foient avoir pour but de légers changemens , il eſt
réſulté néanmoins une confufion générale , qui a
conduit la confédération fur le point d'une destruction
totale : >>
<<A ces caufes , Meſſieurs les Députés des Provinces
ſuſdites , au nom& par ordre des Seigneurs
Etats leurs Commettans , déclarent folennellement
par la préſente , que les Seigneurs Etats ſuſdits tiennent&
regardent les dignités de Stadthouder , Capitaine-
Général,&Amiral-Général, avec tous les droits
&prééminences qui y font attachés , telles & fur
( 141 )
le pied qu'elles ont été déférées dans leurs Previnces
reſpectives , & priſes en poſſeſſion dans
l'année 1766 par le préſent Seigneur Stadthouder
héréditaire , pour une partie eſſentielle deleur conftitution&
forme de gouvernement , & qu'ils ſe les
garantiſſent réciproquement par forme de confédération
comme une loi fondamentale de l'Etat , promettantde
ne point fouffrir que dans une des Provinces
de la confédération , l'on s'écarte jamais de
cette loi falutaire & indiſpenſable , pour le repos
& la ſûreté de l'Etat. »
La réſolution des Etats-Généraux au
fujet de cet acte, portoit : « Qu'il en feroit
>> dreſſé deux expéditions en forme , dont
>> l'une feroit remiſe à fon Alteſſe , l'autre
» au Conſeil d'Etat de la République ,
» pour être gardée parmi les autres pièces
>>> authentiques qui concernent l'Union ; &
>> de plus , il feroit frappé une médaille ,
>>pour conſerver , ainſi qu'il s'eſt pratiqué
>>>pluſieurs fois en cas ſemblables , la mé-
>> moire de cet événement : un ate aufi
>> folennel étant du plus grand intérêt
>> pour la République , & devant fervir au
>> raffermiſſement de l'Union. >>>Cette médaille
ſera frappée en or.
M. l'Ambaſſadeur de France ayant fait,
le 4, ſa première viſite au Prince Stadthouder-
Héréditaire , S. A. S. a rendu le
lendemain , à midi , à Son Excellence une
contre viſite de cérémonie .
<<Des avis de Helſingor , en date du 28
juin , annoncent qu'il y étoit arrivé quel
( 142 )
ques bâtiunens Marchands de la Baltique ,
dont les Patrons ont rapporté que , le16
juin, jour de leur départ de Cronſtadt , il
étoit forti du même port une eſcadreRuſſe
de II vaiſſeaux de ligne & 4 frégates ,
faiſant la première diviſion de la flotte
Ruſſe, forte de 40 vaiſſeaux de guerre de
tous rangs. Deux jours après , le 18 juin ,
les mêmes Patrons avoient traverſé la flotte
Suédoiſe , faiſant voile alors entre Dagefiord&
la côte de Finlande. Leur rapport
s'accorde avec des lettres de Stettin ,
ſelon leſquelles il a relâché dans ce port
un bâtiment Marchand , dont le Patron
dit avoir vu l'eſcadre Ruſſe en mer , &
enfuite celle de Suède , dont un Officier
étoit venu à fon bord pour s'informer fi
la flotte Ruffe étoit en croiſière , & à
quelle hauteur. »
P. S. Le Roi de Suède s'eſt embarqué ,
le 24 juin, pour la Finlande. Avant fon
départ, ce Monarque avoit ordonné au
Comte Razoumoski , Miniſtre de Ruſſie ,
de fortirde ſes Etats dans l'eſpace de huit
jours. Cette réſolution a été l'effet d'une
Note remiſe à S. M. Suédoiſe , par leMiniftre
Ruffe , que nous donnerons la ſemaine
ſuivante , ainſi que la réponſe du
Roi.
( 143 )
Paragraphes extraits des Papiers Anglois
& autres Feuilles publiques.
Le Chargé d'Affaire de la Ruſſie à la Cour de
Lisbonne , ayant reçu un Courrier de étersbourg,
apréſenté un mémoire , par lequel il donne communication
de la venue prochaine d'une flotte
Ruſſe dans la Méditerranée , &demande en mêire
temps l'admiffion des vaiſſeaux qui la compoſent ,
dans les ports de ce royaume , & de s'y pourvoir
librement de tout ce dont ils pourroient avoir
beſoin. LeMiniſtère y a répondu : « Que S. M.
>> renjours difpofée à donner à S. M. l'Impératrice
>> les preuves les ple's certaines de fa condefcen-
>> dance& de ſon amitié , en tout ce qui pourra
> ſe trouver conforme aux liaiſons de cette Cour
» avec d'autres Puiffarces , permet aux vaiſſeaux
>> Ruſſes d'entrer dans le port de cette capitale,
» au nombre de fix , & de trois dans les autres
» ports , & qu'on n'en laiſſera pas entrer un plus
>>grand nombre à la fois , à moins que ce ne foit
» dans le cas de la néceſſité la plus urgente ,
>> moyennant qu'on en demande auparavant la
>> permiffion ,& feulement pour letemps qui ſera
» néceſſaire aux réparations : que du reſte , ces
» vaiſſeaux & leurs équipages ſeront reçus &
>> traités dans ce royaume , comme la proprièté
» d'une Puiſſance entre laquelle & cette Cour
>>ſubſiſte la meilleure intelligence & la plus
» parfaite amitié." (Gazette d'Amſterdam, nº. 55.)
«Le 5 juin, écrit-on de Semlin , le Sous-LieutenantMayer,
du corps d'armée aux ordres du prince
deCobourg, eſt arrivé comme exprès, avec un courrierRuſſe,
à notre quartier-général , &j'ai appris
( 144 )
!
qu'ils étoient porteurs d'un lettre de la main proprede
l'Impératrice. Le même jour notre Monarque
a eu ici une conférence d'une heure avec le
Feld-Maréchal Lafcy ; & le lendemain matin le
courrier fut réexpédié, après avoir reçu deS. M. un
préfent de cent ducats. Au reſte , S. M. étoit de
la meilleure humeur; mais on n'a pu encore favoir
quelle bonne nouvelle peut en avoir été la
cauſe. Je fais ſeulement qu'en s'en retournant le
Monarque dit à M. deLafcy, en françois: J'espère
que toutira bien. L'automne , ſelon toutes les apparences
, ſera fertile en événemens de guerre importans
; car ces mots &cette joiede l'Empereur
ne peuvent guère s'entendre autrement , puifque
tout le quartier - général eſt dans l'opinion qu'il
n'eſt aucurement queſtion de paix. » Courrier du
Bas-Rhin , n°. 54.
N. B. ( Nous negarantiffons la vérité ni l'exactitude
desParagraphes ci-deſſus). :
MERCURE
DE FRANCE .
A
SAMEDI 26 JUILLET 1788 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉGLOGUE
Traduite de GESSNER.
:
ÉGLÉ , IRIS.
ÉGLÉ.
IL eſt tard; le ſoleil fuit derrière ces monts ,
Et déjà pâlit l'or de ſes derniers rayons ;
Mais l'air que preſſura ſon haleine brûlante ,
Semble affaiſſé du poids de ſa chaleur abſente :
Veux-tu m'en croire, Iris ? fuyons vers ce ruiſſeau ;
L'entends-tu ſoupirer ſous l'antique berceau ,
Et de flots amoureux careſſer ce rivage ?
La fraîcheur nous invite au folitaire ombrage :
Viens , marche ſur mes pas ; allons, Iris , allons .
Nº. 30. 26 Juillet 1788. G
158 MERCURE
IRIS. :
Je te ſuis; mais attends, ouvre un peu ces buiffons,
Ecarte ces rameaux ; ces branches verdoyantes
S'enlacent au tiflu de tes boules flottantes.
ÉGLÉ.
2
Vois-tu ces petits flots rouler parmi les fleurs ,
Eclatans du refletde leurs vives couleurs ?
Oqu'unbainferoit doux! Dieux,quivoyez eetteonde
Sortir en bouillonnant de votre urne féconde
Je jure ici par vous , que, prompte à m'élancer ,
Je vais ...
IRIS,
Arrête, ici quelqu'un peut s'avancer.
ÉGLÉ
Aucunſentier n'y mène , & la flèche homicide
N'y fuit pas dans les airs la colombe timide :
Cet antique pommier , recourbé ſur les caux ,
Abaiſſe un front chargé d'innombrables rameaux ,
Et fous leur fombre voûte on yoit briller à peine
D'un rayon affoibli la lumière incertaine .
Un éternel filence habite ces réduits.
Suis mon exemple , Iris , raſſure tes eſprits.
Églé quitte, à ces mots, la champêtre parure ,
Et ſe gliffe en riant au ſein de l'onde pure ;
L'autre , incertaine encor , la fuit en rougiffant ,
Avance un pied craintif, le retire à l'inſtant ,
DE FRANCE.
159
S'enhardit ; & bientôt par le frais invitée ,
Preſſant d'un pied léger ſa ſurface argentée ,
Voit les flots agités d'un doux frémiſſement ,
Prêter à ſes attraits un voile tranſparent.
Quel charme , dit Églé ! la roſe ici naiſſante,
Ici du doux Zéphir l'haleine bienfaiſante ,
Tout excite à la fois les innocens déſirs :
Cédons ,& varions les innocens plaiſirs
Chantons.
IRIS.
Quoi ! voudrois-tu ,de ces grottes ombreuſes,
Réveiller , par ta voix , les Nymphes pareſſeuſes ?
ÉGLÉ.
Ehbien, n'en parlons plus; contonsun fait nouveau,
Undeces faits qu'on veut cacher dans le hameau ,
Qui font tant de plaifir & tant de peine à dire,
IRIS.
J'enfais un, Églé ; mais...
ÉGLÉ,
Crains-tu de m'en inſtruire ?
Cefeuillagemuet eſt moins diſcret que moi ;
Et puis nevais-je pas raconter après toi ?
IRIS,
Allons , ſoit , tu le veux : Au bord de ce rivage,
Je regardois bondir, dans un gras pâturage ,
Mes chèvres , mes beliers , &mes jeunes agneaux 3
Il eſt un cerifier dont les ſouples rameaux ,
G2
160 MERCURE
4
Mollement inclinés ſur la mouſſe épaſſie ,
Semblent céder au plan de la pente adoucie ;
Tandis que je paſſois; dois-je le dire ainſi ?
C'eſt mon plus grand ſecret.
ÉGLÉ.
Pour toi je vais auſſi
Arracher demon coeur ſon plus tendre myſtère.
IRIS.
Ehbien donc , en ſuivant le ſentier ſolitaire ,
J'entendis une voix dont le timide accent
Sembloit d'un coeur touché s'échapper lentement.
Je ſuſpendis mes pas , attentive , incertaine ;
Mon regard inquiet , abaiſſe ſur la plaine ,
Ne put rien découvrir parmi tous ces objets;
Je laiſſe à l'aventure errer mes pieds diſtraits ;
J'avance encore un pas, & mon oreille heureuſe
Semble déjà toucher la voix mélodieuſe :
Dire ce qu'on chantoit , je ne l'oferai point;
Je le fais bien pourtant.
1
ÉGLÉ.
Oh! finis fur ce point ;
Doit-on diffimuler ſous cette ombre difcrète ?
Au bain on ſe dit tout.
IRIS .
Tu ſeras fatisfaite ;
Mais par où commencer , & dois-je répéter
Des chants que les Bergers inventent pour flatter ?
DE FRANCE. 161
Dieux ! quelle Nymphe enchantereffe
Accourt de ces rians côteaux ?
Eſt-elle Bergère ou Déeffe ,
Le charine de l'Olympe ou l'honneur des hameaux?
Zéphir , qui volez ſur ſes traces ,
Que l'on voit tour à tour ſoulever ſes cheveux ,
Et de ſes vêtemens les replis onduleux ,
Dites , n'eſt-elle pas la plus jeune des Graces ?
Voyez-vous ces oeillets éclore fur ſes pas ?
La rofe croît près d'elle , & ne l'efface pas.
Oui , je les veux cueillir ces plantes amoureuſes ,
Qui baiſoient de fes pieds les empreintes douteuſes ;
Nymphe , je veux les partager.
D'abord au Dieu d'Amour j'en treffe une couronne.
Au plus fidele Amant, ſi ta bonté la donne
L'autre fera pour ton Bergen,
६
Demain , quand l'aurore vermeille
Rougira l'Orient de ſes douces couleurs ,
Je veux à ta fenêtre offrir une corbeille ,
Où les fruits s'uniront par des treffes de fleurs.
Ah ! ſi ſans dépit tu ſens naître 1.1
Dans ton ame attendrie un ſentiment nouveau ,
Les brebis que je mène paître ,
Déſormais auront pour leur Maître
Le plus heureux Berger qui ſoit dans le hameau.
Ainfi finit la voix & le tendre langage,
Monregard, du Berger, cherche en vain le viſage ;
1
1
G3
16 MERCURE
1
L'ombre épaiſſe & le ſoir s'oppoſent à mes voeux
Maintenant, chère Églé, devine fi tu peux.
Ai-je pu m'endormir ? Quand l'herbe repofée
S'émailla des vapeurs d'une douce rofée;
ア
Quand le ciel éclairci brilla d'un tendre azur ,
Bientôtje vis pareître un Berger far le mur ;
(Car d'un pâle rayon ma couche blanchiffante,
Ebauchoit de fes traits une image mouvante.)
Je rougis , & mon coeur ſi promptement battolt....
Auffi-tôt que je crus que le Berger partoit ,
Je me lève; il faut bien m'aſſurer que je veille ;
Je foulève en tremblant l'odorante corbeille ;
Son parfum devançoit le plaisir demes yeux.
Onyvoyoit s'unir les myrtes amoureux ,
L'arboifier s'enlacer à l'épine champêtre ,
Et , fur l'humide ofier, le lilas ſembloit naître.
Tu n'as jamais goûté des fruits d'un goût fi fin .
Pour le nom du Berger, tu l'attends , mais en vain.
Tu ne le fauras pas.
ÉGLÉ.
Suis-je donc envieuſe ?
Il te ſied avec moi d'être myſtéricufe ?
C'étoitmon frère ; ch bien ! tupâlis , tu rougis.
Veux-tu bien m'embraffer ? Mon frère, chère Iris,
T'aime, & déjà pour ſoeur mon coeurt'avoit choiſſe.
IRIS.
T'aurois-je abandonné mon fecret & ma vie ,
Sije ne te voyois tout comme un autre moi ?!
DE FRANCE. 163
f
ÉGLÉ.
1
Eh bien , pour achever de calmer ton effroi ,
Je vais conter auffi; myſtère pour myſtère.
Lepremierjourdu mois , mon vénérable père
Offrit un facrifice à nos Dieux protecteurs .
Il invita Daphnis, le plus beau des Paſteurs ;
Daphnis chanta; (tu fais que danscet art ſuprême,
Rien n'égale Daphnis, ni mon frère lui-même. )
Sur ſes habits de lin flottoient ſes blonds cheveux;
Des guirlandes de leurs en relevoient les nooeuds :
Tel on peint Apollon ſur la molle verdure ,
Accordant fon beau luth au ton de la Narure.
Le facrifice fait , nous allâmes ....
IRIS.
Eh bien!
ÉGLE.
Tai- toi , j'entends du bruit : écoutons.
IRIS.
Ehquoi ! rien.
ÉGLÉ.
Ciel! il eſt près d'ici : Déités ſecourables !
Nymphes de ce rocher , foyez-nous favorables !
L'une & l'autre, à ces mots , vole aux antres défurts.
Pareil aujeune oiſeau , nouvel hôte des airs ,
Qui du rapide Autour voit les ferres cruelles ;
Et ce n'étoit qu'un Faon , auffi timide qu'elles ,
Quí , dufrais averri par l'accent du ruiffeau ,
Vient ſe déſaltérer au courant de fon eau.
( Par Mme, la Comteffe de Fa ... )
164 MERCURE
HISTOIRE
DU JEUNE INCONNU ( 1 ).
MME. la Marquiſe de l'A*** étoit dans
une Terre en Franche - Comté , près de la
petite ville de Saint -Amour, ſeule avec
fes deux fils & leur Gouverneur ; un jeune
homme demande à lui parler. Introduit
dans le fallon , il prie Mme. de l'A*** de
lui faire donner à manger. Interrogé ſur
fon âge , il dit avoir quatorze ans , & fa
phyſionomie n'en annonçoit pas davantage.
Interrogé auſſi ſur ſon état , il répondit
fièrement : Madame , pour me donner à
manger , vous n'avez pas besoin de ſavoir
qui je fuis. On l'envoya diner, ſans lui
faire davantage de queſtions ; mais la réponſe
avoit piqué la curioſité de la Marquiſe
, & l'étrange manière dont le jeune
homme étoit habillé , avoit déjà fait naître
mille ſoupçons dans ſon efprit. Son nou-
(1) Ce morceau nous eſt parvenu avec cette
Note : >> Monfieur le Directeur du Mercure eſt prié
>> de vouloir biendonner place dans fon Journal à
>> l'Hiftoire ci-jointe. On eſpère que ſa publication
>> pourra engager ceux qui s'intéreſferont au fort
>>dujeune Inconnu, àfatisfaire la curiofité que fon
>>fort a infpirée«.
ચ
4
DE FRANCE. 165
vel Hôte portoit une veſte déchirée , fur
laquelle on voyoit des lambeaux de parement
de foie ; il portoit des manchettes
en auíli mauvais érat que ſes paremens ,
une boucle d'argent , & du linge très-fin .
711
Après le dîner , l'on fit ontrer le jeune
Inconnu dans le fallon , & Madame de
l'A *** n'en pouvant tirer aucun éclairciífement
, le laiſſa jouer avec ſes enfans , à
peu près de même âge , & qui étoient bien
avertis de chercher à ſurprendre ſon fecret.
Il ne laille rien échapper ; il s'enquiert
des jeunes gens s'il y a de quoi le coucher ,
& les engage à demander un lit pour lui ,
ce qui lui fut accordé dans l'eſpérance de
découvrir ce qu'il étoit d'ailleurs Mme .
de l'A*** ayant examiné cet enfant, ne
douta pas qu'il ne fût de bonne naiffance ;
elle eſpéra qu'on pourroit venir le réclamer
chez elle ; & en lui donnant l'hofpitalité
, elle crut rendre ſervice à une famille
diftinguée.
Comme les fils de Mme . de l'A*** le
regardoient avec étonnement : » Meflieurs,
>>dit- il , vous me regardez avec étonne-
>» ment , mais je ne vois rien ici qui m'é-
" tonne ; le château eſt bien , ſans être
>> beau " : & il avoit raiſon .
Le ſoir , Mme. de l'A*** lui dit qu'elle
alloit lui faire donner un habit plus propre
: il accepta ſa propoſition. On fut prendre
un habit gros - bleu, qui appartenoit
à un petit de l'A*** ; mais il refuſa de
GS
166 MERCURE
le mettre , diſant : >> Je ne fuis point fait,
Madame , pour porter vos livrées «. La
couleur lui avoit denné lieu de croire que
c'étoit un habit des gens de la Marquiſe.
Tant de fierté ſous l'apparence d'un
Mendiant , ſurprit Madame de l'A*** au
delà de l'expreſſion , & l'embarraffa beaucoup:
elle vouloit le garder , eſpérant des
éclairciſſemens ; mais elle ne favoit à quelle
place le tenir. En l'admettant à ſa table ,
s'il n'étoit qu'un gueux arrogant , elle manquoit
à ceux qui venoient manger chez
elle ;& fi elle mettoit un enfant de qualité
à la table des Domeſtiques , elle manquoit
à ſa famille. Elle prit le parti de le
faire manger ſeul. Elle lui donna un habit
gris, & lui procura les chofes les plus nécetfaires
, dont il voulut faire fon billet ,
promettant qu'elle en feroit payée; & il n'a
jamais rien reçu qu'en donnant fon billet.
Il falloit figner ; il demanda qu'on lui choisît
un nom , & fur la liberté qu'on lui laiffa ,
il prit celui d'Honoré : c'eſt celui que je
Jui donnerai dorénavant. Honoré paroiffoit
très bien élevé. Quand il afſiſtoit aux leçons
de MM. de l'A*** , il les avertiſſoit de
leurs fautes , quoiqu'il n'eût pas une inftruction
au deſſus de fon âge.
Il diſoit qu'il n'avoit pas achevé ſes
études , & il les continua avec MM. de
P'A***.
11 paroiſſoit avoir voyagé , & parloit de
différens pays comme les connoiffantbien.
DE FRANCE. 167
Si l'on paroiſſoit croire qu'il les eût parcourus
, il diſoit qu'il en avoit vu la defcription
, & citoit le Livre. Il étoit trèsinſtruit
fur les familles ; & fi l'on paroifſoit
tirer induction qu'il les connût , il
citoit la page de Moreri où il avoit lu , &
les citations étoient toujours juſtes .
7
Il ne mentoit pas ; il éludoit les queftions
avec les perſonnes les plus adroites.
Un habitant de Saint-Amour , qui avoit été
employé dans les négociations , ſe chargea
de le pénétrer ; mais tous fes efforts furent
inutiles.
On ne remarqua aucun vice dans Honoré
, & il n'avoit d'autre défaut qu'un peu
de hauteur. Il ſe faiſoit reſpecter & fervir
des Domeſtiques, ſans cependant qu'ilseufſent
jamais à ſe plaindre de lui. Il paroiffoit
très - attaché à Mme. de l'A*** , & avoit
pour elle des attentions très délicates ; elle
lui dit un jour qu'elle s'appercevoit de la
préférence marquée qu'il accordoit au cadet
de ſes enfans , & qu'elle feroit fachée, que
l'aîné s'en apperçût.
Honoré avoua qu'il ſe ſentoit plus de
goût pour le cadet ; mais , de ce moment,
il ſe conduifit également avec l'un & l'autre.
Lorſque Mine. de l'A*** alloit diner en
ville , elle le faiſoit prier à dîner par le
Curé ou par quelqu'un de ſon intimité ;
mais elle ne le menoit jamais.
Cependant , comme elle avoit remarqué
qu'il parloit volontiers de Genève , elle
G6
168 MERCURE
imagina que ce pouvoit être ſa patrie; elle
lui dit un jour : >>>Honoré , je compte faire
>> un petit voyage à Genève , & vous y
» mener. - Madame , vous ne me mene-
• rez jamais ; pourquoi irois-je à Genève «?
Quatre mois s'étoient écoulés , Madame la
Marquiſe de l'A*** avoit pris la plus grande
affection pour cet enfant ; elle projetoit ,
en allant à Paris , de le mettre au College,
&de le foigner comune l'enfant le plus
chéri.
Maiş un jour qu'elle avoit envoyé Honoré
dîner chez un ami , elle l'avoit fait
accompagner feulement d'un Jardinier , qui
n'étoit qu'un bon homme. Quand Honoré
fut à la porte du château où il devoit diner,
il dit au Jardinier : » Il eſt inutile que vous
>> entriez avec les chevaux , remmenez-
» les " ; & le jeune homme , au lieu d'en-..
trer dans le château, gagna la campagne, &
difparut fans qu'on ait pu découvrir ce qu'il
étoit devenu. Il n'emporta exactement que
ce qu'il avoit fur lui. On trouva dans ſa
chambre une lettre de remercîment pour
Mme. de l'A***. Quand elle avoit reçu
Honoré , elle l'avoit fait mettre dans les
Papiers publics ; elle y fit mettre auſſi ſa
fuite.
Quelque temps après le départ d'Honoré,
il arriva au château un homme en chaiſe.
de poſte , avec un Valet de chambre . Il
voulut parler à la Dame , & lui demanda
des nouvelles du jeune homine. En appreDE
FRANCE. 169
nant fa fuite , il s'évanouit ; revenu de çe
triſte état , fes queſtions ſur la conduite de
l'enfant , & la fatisfaction qu'il marquoit
en écoutant tout le bien qu'on en difoit ,
ne laiſſoient guère douter qu'il n'en fût le
père. Il accepta avec peine un lit au châreau.
Il ſe coucha fans ſouper, & pria
Mme. de l'A*** de faire venir la Juſtice ;
le lendemain matin , on dreſſa un procèsverbal.
Une partie des haillons de l'enfant
fut dépoſée au Greffe ; il emporta l'autre ;
il fupplia Mme. de l'A*** de lui donner
) le mémoire des dépenfes faites parHonoré.
Elle en remit un très- petit , pour ne pas
l'offenfer ; & il partit aufli-tôt.
Les Domeſtiques du Voyageur avoient
beaucoup queſtionné ceux de la maiſon ſur
le ſéjour du jeune homme , & avoient
marqué une grande joie en entendant faire
fon éloge , mais ils avoient été impénétrables
.
J'avois oublié une circonstance remarquable
; lorſque le jeune Inconnu avoit été
à l'Egliſe , la pompe de nos cérémonies
avoit paru lui être inconnue , &il regardoit
tout le monde pour ſe conformer aumaintien
général. Il apprenoit le Catéchifme
en cachette , & il paroît qu'il n'étoit d'aucune
Religion . Quand Madame de l'A***
lui parloit de notre croyance , il paroiffoit
répondre d'une manière conforme à elle ,
plutôt par déférence que par perfuafion .
Tant de prudence & de réſerve , un
170 MERCURE
caractère ſi beau , une manière de fe conduire
avec tout le monde ti meſurée &
fi fourenue , une reconnoillance véritable
& fentie , mais qui ne le porta jamais à
la confidence, étonnent dans un jeune
homme de quatorze ans , & c'eſt tout ce
qu'il feroit poflible d'attendre d'une perſonne
cónfominée dans les affaires, & vieil-
Jie dans le dédale des intrigues;; car , hors
le ſecret qu'il gardoit ſur ſa naiflance,
Honoré n'étoit point d'un caractère caché.
En voyant ce jeune homme exempt de
vices,&réuniſſant rant de qualités aimables
& fi rares à fon âge, on ne fait que conjecturer
fur ſa fuite de chez ſes parens ;
celledechez Mme. de l'A*** fut occafionnée
enfuite par l'inquiétude que lui donna
le projet de fon retour à Paris ; peut- être
appréhendoit- il auſſi le voyage de Genève,
ou peut-être encore avoit-il entendu par-
Jer d'un homme en chaiſe de poſte , qui
étoit venu dans le village, quelques jours
avant ſa fuite
Madame de l'A*** pleure encore Honoré
; j'écris en 1781 ; il y a deux ans qu'il
a diſparu , & elle eſpère toujours qu'elle en
entendra parler.
DE FRANCE. 5
I
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercureprécédent.
LE mot de la Charade eſt Poiſſon; celui
de l'Enigme eſt Harmonie ; celui du Logogriphe
eft Bataille , où l'on trouve Bataille,
( guerre ) , Bataille ( jeu de cartes ) , Bile ,
Baille , Taille des arbres , Taille du corps,
Table& Lit , Βât.
CHARADE.
Au déclin d'un beau jour, fur la verte fougère ,
Un ruſé Villageois , au fond de mon premier ,
Contok fondoux martyre à la jeuneGlycère:
Ses fermensdans les airs , ainſi que mondernier ,
Se perdoient. Mais hélas ! l'innocente Bergère ,
De ſes ſoupirs trompeurs, loin de fe défier ,
Se rendit ; & l'ingrat, ivre de mon entier ,
Des faveurs qu'il reçut dévoila le myſtère.
(Par M. du ***. )
172 MERCURE
SI
ÉNIGME.
vous voulez croire la Fable ,
Je ſuis , ami Lecteur , une Divinité.
Je vis un objet bien aimable ,
Je l'aimai ; par l'ingrat mon coeur fut rejeté.
Quelle fut alors na détreſſe !
Dans le fond des forêts , dans l'antre le plus noir,
J'allai cacher mon déſeſpoir.
(N'est-ce pas-là le fort de plus d'une Maîtreffe ?..)
Quoi qu'il en ſoit de ce trait fabuleux ,
N'en doutez pas , je ſuis dans bien des lieux.
Des châteaux,des vergers,le creux d'une montagne,
C'eſt là que je me plais ; fi de raſe campagne.
Je fus peut-être autrefois féminin ;
N'importe , maintenant je ſuis au mafculin ,
Et fans ame& fans corps , je ne faurois paroître ;
Ma voix ſeule me fait connoître .
Je ne parle pas le premier ;
Mais , à mon tour , je me tais le dernier.
Qu'on éclate de rire , oubien qu'on ſe lamente ,
Jeme fais tout àtous , je réponds comme on chante.
(Par le C. de C. , près Breteuil. )
DE FRANCE.
173
LOGOGRIPH Ε.
Si dans la ſaiſon des frimas ,
Lecteur , une affaire preffée
Te forçoit à partir pour de lointains climats ,
Prends garde , & la tête baiffée
Ne vaş pas affronter les terribles Autans.
Sans doute on eſt tenté d'un trajet plus rapide ;
Mais choiſis , fi tu peux , dans les deux élémens ;
L'un eft paiſible , sûr , & l'autre eſt un perfide;
Etfi jamais le Sort déployoit ſa fureur
Sur ce dernier , à tes voeux trop contraire ,
Aumilieudes éclairs , des vents & du tonnerre ,
Bientôt tu me verrois dans toute mon horreur.
Inutile , je crois , d'en dire davantage,
Car tu doisme connoître ; il me faut cependant ,
Pour me conformer à l'uſage ,
Dema poſtérité te parler un inſtant.
Vois d'abord de l'Eſpagne une foible monnoie ;
Puis un batlin , où certain animal
Sur un repas groffier ſe jetant avec joie ,
Contente avidement ſon appétit brutal ;
Un paſſage public ; enfin cette furie,
Ce fléau triſte , affreux , cruel ,
Qui , ſous le nom de maladie ,
Afflige également la brute & le mortel.
(Par M. du ***. )
174 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ESSAIS historiques fur l'origine & les
progrès de l'Art Dramatique en France,
Tomes I, II & III. A Paris , auBu-
-reau de la Petite Bibliothèque des Theatres
, rhe Neuve des Petits-Champs, près
la Compagnie des Indes ; & chez Belin ,
Libraire , rue St. Jacques ; Brunet , rue
de Marivaux.
:
N remonte dans cet Effai juſqu'aux
Romains , & des Romains juſqu'aux Grecs,
parce que cet Art n'eſt chez nous qu'une
unitation de ce qu'il fut chez ces deux
Nations , modèles en tout de tous les Peuples
du Monde. On convient affez généralement
aujourd'hui que nous avons égalé
Athènes & Rome en pluſieurs chofes ,
mais que nous les avons infiniment furpaſſées
dans l'Art Dramatique ; & que dans
ce genre nous ſommes enfin parvenus à
notre tour au point de perfection qui peut
être déformais regardé comme le modèle
de toutes les Nations. L'Auteur de cetre
Collection hiftorique parcourt les différenDE
FRANCE.
tes époques de l'Art , juſqu'à celle des
chef d'oeuvres qui forment la Petite Biblio-
-thèque des Theatres. On y voit que chez
nous , comme chez les Romains & les
Grecs , la Religion contribua beaucoup à
la naiſſance de PArt Dramatique , & qu'il
eut une enfance très-longue , quoiqu'il eût
pu ſe fortifier de la maturité qu'il avoit
acquiſe chez eux. On devroit s'étonner
qu'il ne ſe ſoit pas trouvé en France, dès
le 14e. fiècle , quelqu'un capable de faire
paffer dans notre Langue les beautes de
Sophocle & d'Euripide , de Plaute & d'Ariftophane
,fi f'on ne ſavoit que ceux qui
étoient propres à ſentir leur génie , dédaignoient
alors d'écrire en Langue vulgaire ;
de forte que l'Art des Efchyles étoit abandonné
à des Bateleurs ignorans , qui ne
connoiffoient que la Bible & la Légende ,
& qui repréſentoient fur les treteaux de
Theſpis les myſtères ſacrés de la Religion .
Le nouvel Aureur a profité du travail de
MM. Parfait. Juſqu'à eux , l'Hiſtoire du
Théatre François avoit été entièrement négligée.
Sous ce titre , ils donnèrent fucceffivement
is Volumes. Ces Ecrivains méritent
ſans doute des éloges , pour avoir les
'premiers défriché ce champ preſque inculte
avant eux , & hériflé d'épines. On voit
qu'ils poffèdent la matière à fond, & qu'ils
n'ont rien négligé pour faire des recherches
curieuſes & exactes : mais ils ſe font
trop étendus ; un grand nombre de Lec
176 MERCURE
teurs feroit dégoûté des détails faftidieux ,
où leur plan les a ſouvent entraînés . Ce
nouvel Effai eſt plus agréable par le choix
que le Rédacteur a ſu faire dans leur Livre ,
dans celui du Duc de la Valliere , & particulièrement
dans l'Histoire Univertelle
des Théatres. Les deux premiers Tomes
ont paru ſucceſſivement à un an de diftance
l'un de l'autre. Le IIIe. , qui vient
d'être publié , nous fait connoître ſpécialement
Hardi , Auteur de 800 Pièces. Fontenelle
l'a très bien apprécié dans fon Hiftoire
de notre Poéſie Dramatique, l'un des
plus agréables Ouvrages de cet ingénieux
Ecrivain. Voici comme il s'exprime.
>>Dès qu'on lit Hardi , ſa fécondité ceffe
>> d'être merveilleuſe. Les vers ne lui ont
>> pas beaucoup couté , ni la diſpoſition
ود de ſes Pièces non plus. Tous ſujets lui
>> font bons. La mort d'Achille , & celle
>>d'une Bourgeoiſe , que fon mari fur-
>> prend en flagrant délit, tout cela est éga-
>> lement Tragédie chez Hardi. Nul ſcru-
>> pule ſur les moeurs ni fur les bienſéances.
" Tantôt on trouve une Courtiſane au lit,
» qui , par fes difcours , ſoutient allez bien
>> fon caractère. Tantôt l'Héroïne de laPièce
" eſt violée. Tantôt une femme mariće
» donne des rendez- vous à fon Galant. Les
>>premières careſſes fe font ſur le Théatre ;
» & de ce qui ſe paſſe entre les deux
» Amans , on en fait perdre aux Specta-
>>teurs que le moins qu'il ſe peut.... Les
-
DE FRANCE .
177
>.>>perſonnages de Hardi embraſſent volon-
>> tiers ſur le Théatre ; ود &pourvu que deux
- Amans ne foient pas brouillés enſemble,
» vous les voyez fauter au cou l'un de l'au-
>> tre dès qu'ils ſe rencontrent...... Au
>> milieu de ces amours qui ſe traitent ſi
>> librement , il y a lieu d'être étonné de
>> voir que les Amans de Hardi appellent
>> très ſouvent leur Maîtreſſe , ma Sainte.
>>>Ils ſe ſervent de cette expreſſion , comme
>> ils feroient de celle de mon ame, ma vie ;
ود &c'eſt une de leurs plus agréables mi-
>> gnardiſes. Vouloient ils marquer par - là
>> une eſpèce de Cuite ? Il n'y a que les
>>>idées du Culte Païen qui ſoient galantes ;
دد le vrai eſt trop ſérieux. On peut appeler
>> ſa Maîtreſſe ma Déeffe , parce qu'il n'y
" a point de Déeſſes ; & on ne peut l'ap-
» peler ma Sainte , parce qu'il y a des
» Saintes «.
On reconnoît Fontenelle à ces réflexions
fines &piquantes qui caractériſent fon efprit&
ſon ſtyle. Il continue :
ود
» Les bienféances étant ainſi méprifées
dans les, Ouvrages de Hardi , on peut
>>juger que le reſte ne va pas trop bien.
>>Ses Pièces ne font pas de cette ennuyeufe
ود
ود
ود
& infupportable fimplicité de la plupart
de celles qui avoient été faites avant lui ;
mais elles n'en ont pas pour cela plus
» d'art. Il y a plus de mouvement , parce
que les ſujets en fourniſſent davantage :
>> mais ordinairement le Poëte n'y met pas
>>plus du ſien ".
178 MERCURE !
A en juger par Théagène & Cariclée,
Tragédie dont le Rédacteur donne une
analyſe ſuivie , on doit ſuppoſer que Hardi
ne faifoit autre choſe que de mettre en action
les interminables Romans qui étoient
en vogue dans ſon ſiècle. C'eſt un tiſſu
d'Aventures , qui, aujourd'hui même où les
incidens multipliés & invraiſemblables font
fi à la monde , fourniroit matière à une
centaine de Tragédies . On verra néanmoins
, par une citarion ,qu'il n'étoit pas
tout à-fait indigne de la grande renommée
qu'il a eue parmi ſes contemporains . Cariclée
, qui doit être immolée , eſt reconnue
fille du Roi Hydaſpe. Le Peuple, les Sacrificateurs
& les Gardes entourent l'autel.
Hydaſpe leur adreſſe ce diſcours :
Obligé vers les Dieux d'un droit de piété ,
Etdu ferment auſſi que je vous ai prêté ,
Voici , mes bons Sujets, votre Roi déplorable,
Qui ramène à l'autel ſa race miférable.
Pas
Le voici , qui ne veut permettre que ſon ſang
De l'exacte rigueur des Loix demeure franc,
Le voici , qui préfère à l'amour paternelle ,
L'obéiſſance due à la troupe éternelle ;
Qui cède ſon pouvoir aux ftatuts conſervés ,
Et qui l'a toujours fait , hélas ! vous le ſavez,
Vous voyez que mor règne afui la violence.
Je ne commencerai donc pas cette inſolence.
Je vous livre ma fille , & ne la plaindrois tant
Un fucceſſeur de moi en ſa place reftant ,
DE
FRANCE. 179
-
,
Un qui fut héritier non plus de ma couronne ,
Qu'a l'endroit du pays d'une volonté bonne
Las ! qu'il me facheroit , eſprit Plutonien ,
Compagnon des Héros du Parc Eléfien ,
D'entendre la Diſcorde entre vous embraſée,
D'entendre la Province en ligues diviſée ,
Proie de cent Tyrans à l'Empire béans ,
Où le moindre des miens contiendroit ces Géans ,
Leur ſerviroit de bride en réparant ma perte ,
Qu'en ce mien ſucceſſeur je verrois recouverte !
Les Dieux ne veulent pas, contre nous irrités.....
Mais qu'ai-je tant commis contre leurs Déités ?
De quelle horrible offenſe ai-je irrité leur haine
Pour prendre de mon fang une ſi rude peine ,
Retordre deſſus lui le forfait paternel ,
Lui qui n'a point méfait , qui n'eſt point criminel
Célestes , pardonnez à la douleur d'un père
Qui murmure perdant ſa géniture chère .
Et vous , amis , ceſſez vos larmes de pitié ,
Je n'ai pas d'aujourd'hui connu votre amitié.
Afa fille,
....
......
Ma fille , je n'ai plus à conſoler que toi ;
Accuſe de ta mort notre barbare Loi ,
Accufe ta fière deſtinée
Qui , mortelle , te rend la terre où tu fus née,
Les périls étrangers ont épargné ton Chef ;
Mais pour toi ton pays regorge de méchef,
...
180 MERCURE
Naiflante , il t'expoſa ; au retour , il t'immole.
Il te donna la vie à regret qu'il te vole ;
Et au lieu d'allumer ton nuptial flambeau
J'allume le bûcher qui te fert de tombeau.
2
Que ne puis-je , ajoute-t- il , en te reconnoiſſant ,
Par lemien racheter ton trépas innocent ?
Mais , fuprême rigueur ! le Ciel me le dénie.
Te préſervant , je ſuis atteint de tyrannie ,
D'impiété coupable , & diffamé de los ;
Ma fille, tout chemin de grace t'eft forclos ,
Et du côtédes Dieux & du côté des hommes.
Queveux-tu ? tous mortels à la parfin nous ſommes.
Les ſceptres , les honneurs , les plus rares vertus
Se couchentavec nous au ſépulcre abartus.
Chacun doit acquitter ce péage à Nature.
Il est vrai qu'immortel après la ſépulture ,
Notre nom ſe relève , ayant ainſi vaincu
Les vices journaliers , &juſtement vécu ;.
Après avoir utils , obligé ſa Patrie,
Ainſi que tu feras , pour ſon ſalut meurtrie.
Ma fille , arme-toi donc de magnanimité ,
Ne me déshonorant par la timidité.
Un coup emportera tes douleurs & ta vie ,
Où la mienne à cent morts tu laiſſes afſervie.....
Allons , ma fille , allous , approche les autels.
On voit à travers ce vieux ſtyle, de l'énergie
, de la force tragique , & une nobleſſe
de ſentimens peu commune. Ce ze.
Volume
↓
DE FRANCE. 181
Volume termine l'Effai fur la Tragédie.
Dans le 46. on remontera à l'origine de la
Comédie ; on la fuivra dans ſes variations
&dans ſes progres juſque vers le milieu du
17e. fiècle , époque où P. Corneille , dans
la Comédie du Menteur , donna à la France
fon premier Chef - d'oeuvre en ce genre ;
comme dans le Cid , il lui avoit donné fon /
premier Chef-d'oeuvre Tragique.
C
(Cet Article eftdeM. de Saint-Ange.)
ALPHABET Tartare -Manichou , dédié à
l'Académie Royale des Infcriptions &
Belles-Lettres , avec des détails fur les
lettres & l'écriture des Mantchoux ; par
M. L. LANGLÈS , Officier de NN. SS.
les Maréchaux de France. A Paris, chez
Didot l'aîné , Imprimeur du Clergé, rue
Pavée- St-André-des-Arts ; & Née de
la Rochelle, Libraire, rue du Hurepoix.
VOICI le premier Ouvrage Mantchou,
imprimé en Europe , avec des caractères
originaux. Cette Langue a commencé à
devenir vraiment intéreſſante vers la fin
du fiècle denier , &maintenant on peut dire
qu'elle eft indiſpenſable pour le progrès des
Lettres. Ce fut verrss l'an 1644 que les
N°. 30. 26Juillet 178& H
182 MERCURE
Tartares rentrèrent dans la Chine & s'en
emparèrent. Tout le monde connoît la
ſage politique des vainqueurs ; ils adoptèrent
les Loix des vaincus , s'approprièrent
l'uſage de leurs Arts & de leurs Livres :
mais , comme la plupart des Peuples de
l'Afie , naturellement trop attachés à leur
propre Langue pour y renoncer , ou même
la négliger , ils ont traduit en Mantchou
tous les Livres Chinois, ou du moins le plus
grand nombre. Le ſavant M. Amyot , cité
par notre Auteur , nous affure » qu'il n'y
>> a aucun bon Livre Chinois qui n'ait été
>> traduit en Mantchou ; ces traductions
>> ont étéfaites par de ſavantes Académies ,
par ordre & ſous les aufpices des Sou-
» verains .... Elles ont été revues & corrigées
pard'autres Académies, non moins
>> inſtruites «. Voilà poſitivement ce qui
rend aujourd'hui cette Langue bien précieuſe.
On connoît les difficultés du Chinois
; ce langage hiéroglyphique que les
naturels même du pays ne favent ja
mais bien , que preſque aucun Littérateur
Européen n'oſe même étudier : ces
difficultés nous privent d'une foule d'Ouvrages
curieux, enſevelis dans cette Langue,
& qu'on ne pourra jamais en tirer ſans le
fecours d'une intermédiaire. C'eſt le Tartare
qui va nous rendre ce ſervice inappréciable.
Aidé de ce flambeau , nous pourrons
» pénétrer dans le labyrinthe de la
Langue Chinoiſe , où ſe trouvent les
DE FRANCE. 18,
plus anciens monumens littéraires qur
>> foient dans l'Univers ". Il faut eſpérer
que les Savans , qui , rebutés par les difficultés
inconcevables du Chinois , avoient
abandonné à regret cette branche de Littérature
, vont la cultiver avec plus d'ardeur
que jamais , puiſqu'il leur fuffira d'étudier
le Mantchou; ils pourront le ſavoir
à fond en très - peu d'années .
>>Langue , dit M. Amyot , eſt dans le goût
ود
ود Cetre
de celles d'Europe; elle a fa méthode
& ſes règles; en un mot, on yvoit clair" .
Cependant cette étude importante auroit
encore été long-temps négligée , fi ce refpectable
Millionnaire n'eût envoyé fuccefivement
un Syllabaire , une Grammaire &
un Dictionnaire Mantchoux. Ces précieux
matériaux ont été confiés à M. Langlès ;
il s'en eſt occupé avec ardeur , & s'eſt
chargé de les faire imprimer. Il nous donne
dans fon Alphabet une idée de l'utilité du
Mantchou , des peines qu'il a éprouvées,
pour apprendre cette Langue tout feul, &
en faire graver les caractères . Dans ce travail
, pour lequel il n'a eu ni maître ni
guide , les difficultés typographiques ſe réuniffoient
aux difficultés littéraires .
ود
وو
ور Au lieu d'un Alphabet fimple comme
le nôtre , dit-il , les Tartares ont un Syllabaire
de 14 à 1500 groupes , plus ou
>> moins compliqués; ils le nomment les
» douze Têtes, parce qu'il eſt partagé en
>>douze Claſſes , dont chacune contient
H2
184 MERCURE
>> cent douze groupes , fans en compter
>> pluſieurs autres, empruntésdu Chinois"".
Ces combinaiſons rendent tous les fons de
leur Langue , mais ne préfentent pas toures
les figures des lettres , car il en manque
pluſieurs dans le Syllabaire ,& fur - tout
beaucoup de ligatures : on voit combien
il a été difficile pour M. Langlès de ſe
mettre feulement au fait de la lecture du
Tartare. Il vouloit applanir les difficultés
pour ceux qui le ſuivroient dans la même
carrière , & fur-tout il étoit très-impatient
de publier ce Dictionnaire. On ne pouvoit
l'imprimer qu'avec des caractères mobiles
, & il n'avoit devant les yeux que
desmalles informes.Après avoir long-temps
réfléchi fur cette matière aride, il imagina
une opération dont les Tartares eux - mêmes
ne ſe ſont pas avifés ; il analyſa les
Isoo groupes du Syllabaire , & une foule
d'autres mots très-difficiles à lire , & parvint
à en tirer vingt-trois lettres & quelques
ligatures; la plupart ont trois formes,
initiale , médiale , & finale. » J'oſe croire ,
>>dit-il , que c'eſt le premier Alphabet
>>completde cette Langue inconnue, néme
" aux Peuples qui la parlent ; car leurs en-
>>fans apprennent le Syllabaire en chantant,
» &, je crois , avent en pleurant ". Les
Tartares neſedoutentpas certainement qu'ils
apprendroient leurs lettres plus facilement à
Paris que dans leur pays. Il ſeroit trèspoſſible
que le Peuple ſe ſcandalifat de
DE FRANCE. 185
voir qu'on a réduit à une foixantaine de
figures les quinze cents groupes de fon
riche Syllabaire. Accoutumé à être trompé ,
il croiroit qu'en veut lui enlever juſqu'à
ſes lettres ; mais il ne tarderoit pas à ſe
confoler , voyant que ce petit Alphabet
eft bien plus complet que fon Syllabaire ,
& peut lui ſervir à lire tous fes Livres.
L'avantage de cette innovation le rendroit
moins méfiant & moins timide; il pourroit
même voir avec plaifir qu'on a remplacé
ſes planches, groflièrement sculptées,
&deſtinées à n'imprimer qu'un ſeul Ouvrage,
par de fuperbes caractères mobiles ,
gravés par M. Firmin Didot , ſous la di
rection de M. Langlès. Ils peuvent ſervir à
imprimer tous les Livres Tartares , & les
poinçons ne ſe montent pas à foixante ,
tant l'Auteur a fimplifié fon travail. On ne
l'appréciera bien qu'en étudiant le Tartare,
&en connoiffant la Typographie. Cependant
on pourra ſe former une idée de fon
opération fur ces caractères, par un exemple
qu'il donne dans ſon Ouvrage , auquel
nous renvoyons le Lecteur. A la fuite de
fon Alphabet , on trouvera un petit Traité
de la Ponctuation & des Accens du Mantchou,
avec un modèle de lecture . Ce, font
des Sentences Tartares en caractères originaux,
avec la prononciation & la traduction.
Nousen citerons ici quelques-unes. "La vie
»&la mort dépendent d'un moment. Lire
>>un Livre qu'on ne connoît pas , c'eſt
H
186 MERCURE
رد
trouver un bon ami; relire un Livre qu'on
>>> alu , c'eſt revoir ſon ancien ami . Réjouif-
» fez ceux qui vous approchent, dit le
>> Docteur Kongtze ( Confucius ). Il vaut
>> mieux manquer à quelques formalités de
>> Juſtice , que de condamner l'innocent.
> Accoutume-toi à lire le Mantchou, finon,
>> comment pourras-tu entendre parfaite-
>> ment les Livres Chinois « ? Enfin , on
voit que cet Alphabet fuffit pour apprendre
à lire le Mantchou en peu de temps : on
auroit peut- être défiré que l'Auteur ajoutât
un Traité particulier de la prononciation
; mais il auroit ſans doute été obligé
d'entrer dans des détails très- longs & trèsennuyeux
pour le Lecteur , qui ne défire
pas de prononcer le Tartare à Paris avec
la même délicateſſe qu'à Pékin. Ce feroit
une prétention bien frivole. M. Langlès
-s'eſt étendu ſur un objet intéreſſant pour
un plus grand nombre de Savans. Il nous
fait part de ſes recherches ſur l'origine
des caractères Mantchoux. Il nous prouve
que ces caractères ont la plus grande reſſemblance
avec ceux desanciens Arabes, des anciens
Syriens , & des Mongols. Il a même
compofé un Alphabet Harmonique , Saufcrit,
Mongal , Stranghelo , & Matnchou ,
qu'il regrette bien de ne pouvoir donner
au Public , avec pluſieurs Differtations faute
de caractères & de moyens. Il prétend
qu'il doit y avoir entre la Littérature Thibetaine
, Mongole & Mantchou , une plus
grande affinité qu'on n'oferoit l'imaginer.
DE FRANCE. K 187
Les différens Peuplesqui parlent ces Langues
doivent avoir les mêmes Livres ; le Culte
du grand Lama , qui leur eft commun, les
a rapprochés. Cette obſervation , qui ne
paroît pas dépourvue de vraiſemblance
eſt appuyée ſur l'autorité de pluſieurs Savans
reſpectables. Ce feroit alors un nouveau
motif d'étudier le Mantchou ; & l'on
pourroit dire » qu'aucune Langue n'a encore
>>préſenté plus d'avantages , puiſqu'elle
>> peut fuppléer à trois ou quatre autres
>>dans leſquelles ſe trouventdes monumens
» de la plus haute antiquité ". Mais quand
elle ne procureroit que la connoiffance des
Livres Chinois , on devroit ſouhaiter que
M. Langlès publiât le plus tôt poflible , le
Dictionnaire de M. Amyot. A en juger par
la Notice que l'on en donne dans l'Alphabet
Mantchou , ce Dictionnaire eſt trèscomplet.
L'Auteur l'a fait avec le plus
grand ſoin , d'après un Dictionnaire Mantchou-
Chinois. Comme leChinois donne
ود
ود
ود
la définition du mot Tartare avec pro
>>lixité , plutôt que de le rendre par un
>> mot équivalent , l'on trouve fouvent des
détails plus circonstanciés que n'en renferment
ordinairement tous les Lexiques .
>> Cette eſpèce de défaut devient ici un
> avantage inappréciable , & rend ce Dic-
» tionnaire d'une utilité bien plus étendue.
33
ود
دو
Il ſeroit peut- être impoffible de s'en ſervir
, s'il étoit auſſi court que les nôtres ".
M. Langlès dit plus haut , » qu'il n'est pas
H4
188 MERCURE
>> précieux ſeulement pour ceux qui s'oc-
>> cupent des Langues ; il peut encore étre
» d'une grande utilité à quiconque veur
>>connoître &approfondir les Arts & les
>>Sciences de ces Peuples, ſans ſe livrer
» à l'étude de leur langage : on y trouve
>> des éclairciſſenens ſur les moeurs & les
>> coutumes religieuſes & civiles des Tartares
& des Chinois , des notions CH-
>> rieuſes fur la Géographie , les produc
'tions & les animaux de la Tartarie &
de la Chine ".
On voit combien il feroit difficile de
trouver un homme plus capable que
M. Langlès , de conduire cette entrepriſe
qu'en ne ſçauroit trop encourager.
C'eſt à cet Auteur que nous devons
la Traduction des Instituts politiques &
militaires de Tamerlan , annoncée dans ce
Journal avec de juſtes éloges.
EUGÉNIE & fes. Elèves , ou Lettres &
Dialogues à l'usage desjeunes Perfonnes
par Mme. DE LA FITE , Auteur des
Entretiens, Drames &Contes moraux, à
L'usage des Enfans ; 2 Parties in- 12. A
Paris, chezOnfroy & Née de la Rochelle,
Libraires,rue du Hurepoix,près duPont
Saint-Michel.
試
Les Dialogues de Madame de la Fire à
l'usage des Enfans , lui ont mérité les fuf
DE FRANCE. 189
frages du Public , & la reconnoiſſance des
pères & mères de famille. Cette nouvelle
production eſt digne du même ſuccès ; elle
eſt recommandée par le mérite de ſon Auteur
, &par le nom de l'Editeur , Mme. la
Marq. de Silleri , ci-devantComteſſe deGenlis.
Elle est compoſée de Dialogues, de Lettres ,
d'un Drame , & d'un petit Roman ; &
tous ces différens morceaux concourent au
même but , qui eſt d'offrir un Cours de
Morale à la Jeuneſſe , & de lui faire aimer
fes devoirs. Le genre de l'Ouvrage ſe refuſe
à l'analyſe ; nous nous contenterons
de dire qu'on trouve par tout des détails
pleins de vérité & d'intérêt que la morale
& la piété s'y reproduiſent par - rout
fous des formes aimables ; & pour donner
une idée du ſtyle qui réunit l'élégance
&le naturel , nous citerons un morceau
d'un fonge où il eſt queſtion de la pla
nète Herschel ; c'eſt un Ange qui parle à
un prétendu habitant de cette planète..
>>La bonté divine a établi un juſte équi
libre entre les beſoins de ſes créatures,,
& les ſecours qu'elle leur accorde. Il falloit
rappeler ſouvent aux humains & leur éga
liné primitive , & leur glorieuſe deſtina
tion. Une inftirurion pleine de fageffe an
rempli ce double bur. Suivez-moi , péné
trons dans ce vaſte édifice , d'où s'élèvent
des chants facrés , & od rant de mortel'ss
ſe raffemblent.. Là, ces enfans de l'a pouf
H
1
190 MERCURE
ſière répètent les Cantiques des Intelligences
céleftes , & tout les fait ſouvenir qu'ils
font égaux par la Nature , & créés pour
l'éternité. Ici , les diſtinctions s'anéantiffent,
&les rangs ſont confondus. Le Souverain
& le ſujet , le puiffant & le foible adoprent
le même langage , aſpitent aux mêmes
biens , nourriffent les mêmes eſpérances.
On déclare au Souverain , que le Roi des
Rois eft fon Juge , & à l'opprimé , que le
Tout-puiffant eſt fon protecteur. On rappelle
aux Grands qu'ils font mortels , &
aux malheureux , qu'il eſt une autre vie
après la mort. Ici , le riche apperçoit l'indigent
, & ſe ſouvient que les hommes
font frères. Ici , la veuve éplorée vient
adreſſer ſes voeux au père des orphelin &
ſent calmer ſa douleur. Voyez cet fors
tuné , privé de la lumière du jour , fon
coeur s'ouvre à la joie , il entend que des
clartés éternelles lui font réservées Cet
autre , qui lei fervoit de guidé en entrant
dans le temple , ſe trouvoir plus à plaindre
encore ; il pleuroit l'inconftance d'un amp ;
mais on lui annonce que le Dieu qu'il
vient adorer , aime toutes fes créatures.
Cette idée fortifie ſon coeur , en bannit
la triſteffe , y verſe la comolation , & fes
larmes ne font plus amères ".
1
DE FRANCE.
191
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROY. DE MUSIQUE.
LEE Mardi , 15 Juillet , on a donné à ce
Théatre la première repréſentation d'Amphitryon
, Opéra en trois Actes .
Tout le monde connoît la manière charmante
dont Molière a trait,é ce ſujes. M.,
Sédaine , en l'adaptant à la Scène lyrique ,
a fait très - peu de changemens à la con
duite de l'intrigue. Le plus important eſt,
d'avoir donné lieu à Amphitryon de croire
que ſon eſclave eſt d'accord avec ſa femme
pour le tromper. Dans Molière, le Général,
Thébain trouve ſon cachet encore entier
ſur la caſſette où eft renfermé le pré
ſent qu'il apporte à ſa femme. Dans M.
Sédaine, Sofie revient avec la caffette ouverte
, ce qui confirme les ſoupçons d'Amphitryon
, ajoutez -y quelques fêtes , les retranchemens
impoſés par la muſique , c'eft.
à peu près tout ce qu'il y a de différent ,
dans la conduite des deux Ouvrages.
Le ſtyle n'eſt pas non plus le même. On
fait que M. Sédaine a toujours affecté de ne
H6
192 MERCURE
pas regarder cette partie comme effentielle
aux. Ouvrages dramatiques , & de croire
quedes paroles ſont toujours aſſez élégantes
& affez correctes , pourvu qu'elles offrent
des détails agréables au Muſicien : il a penſé
que l'art de celui-ci exigeoit beaucoup de
facrifices ; peut-être les a t- il portés un
peu trop loin ; cette opinion du moins a
paru la plus générale à la première repréſentation.
Iln'eſt pas bien prouvé non plus que le
fujet d'Amphitryon ſoit très-propre à la mufique.
Le merveilleux qui se trouve au dénouement
, a fait croire à M. Sédaine qu'il
appartenoit de droit au Théatre lyrique.
Mais une Scène ne fait pas une Pièce , &
ce font moins les machines que les ficuations
muſicales qui conſtituent un Opéra.
Il y a quelques morceaux au commencement,&
au troiſième Acte une Scène vraiment
faite pour lamuſique; auffi ces endroits
n'ont-ils pas manqué leur effet; le Public
y a retrouvé le talent du Compoſiteur. Le
reſte n'a pas paru faire autant de plaifir.
Nous reparlerons de cetOuvrage ,s'il réuffe
mieux aux repréſentations ſuivantes. Il eſt
arrivé ſouvent à M. Sédaine de voir fes
ſuccès conteſtés d'abord , pour n'en devenir
que plus brillans; & plus d'une fois auffi
la muſique de M. Gretry a foutenu des Onvrages
contre la ſévérité d'un premier jugement.
DE FRANCE . 195
COMÉDIE ITALIENNE.
LE même jour , on a repréſenté pour la
première fois le Siége de Mézières , Cor
médie en trois Actes & en vers libres..
Une puiſſante armée de l'Empereur
Charles-Quint afliégea Mézières , ville de
France , en Champagne. Le célèbre Chevalier
Bayard fit une ſa vigoureuſe réfiftance
, qu'elle fut contrainte à en lever
le fiége en 1521 .. Tel eſt le fond de cet
Ouvrage , fur lequel l'Auteur a brodé les
acceſſoires dont nous allous faire part à
nos Lecteurs.
Au fiége de Breffe , en Italie , Bayard a
été le protecteur & le bienfaiteur d'une
jeune perſonne qu'il a ſauvée de la fureur
foldateſque, & il l'a remiſe entre les mains
de ſa mère. Cette jeune perfonne , qu'on
appelle Laure , étoit aimée d'Octavio
Prince de la famille des Farnèſe. Bayard
n'a pu réſiſter aux attraits de ſa protégée,
il l'a demandée en mariage à ſa mère , &c.
il ſe prépare à l'épouſer. Octavio, toujours
plein de fon amour , arrive à Mézières ,
ſuivi de quelques perfonnes qui lui font
dévouées , ſe déguiſe en Troubadour , s'informe
de la demeure de Laure , & tente
de. l'enlever . Il eſt arrêté , chargé de fers ,
194 MERCURE
۱
conduit au Conſeil de guerre , & menacé
d'être jugé dans toute la rigueur des Ordonnances
militaires. Par un preſſentiment
beaucoup moins naturel que le ne penſent
bien des gens , mais très- commun aux
Amans de Comédie , Laure prend le plus
vif intérêt au prifonnier ; elle parle à
Bayard en ſa faveur , & le généreux Che.
valier promet de tout mettre en oeuvre pour
ſauver ſes jours. Laure va bientôt plus
loin ; elle déclare à ſa mère qu'elle ne
doute point que le prifonnier ne foit fon
cher Octavio , & qu'elle ne peut ſe dérerminer
à devenir l'épouſe de Bayard. La
mère de Laure , après avoir quelque temps
combattu entre la tendreſſe maternelle&
la reconnoiſſance qu'elle doit à Bayard , fe
détermine à lui tout avouer. Elle va le faire ;
mais pour le moment Bayard ne peut pas
lui donner audience. Il attend un Chevalier
qui s'est fait mystérieuſement introduite
dans la ville , & qui y eſt entré la vifière
de ſon caſque baiffée , ne voulant pas être
connu par d'autres perſonnes que Bayard.
Il'entre ; c'eſt le fameux Connérable de
Bourbon. Perfécuté par la Ducheffe d'Angoulême
, diſgracié , il ne reſpire que la
vengeance. Il vient de faire un traité avec
l'Empereur ; il va commander les ennemis
de ſon Maître , porter dans ſon pays natal
le fer & la flamme , & il vient pour tenter
d'entraîner Bayard dans ſa rebellion . On
fent que le Chevalier fans peur & fans re-
1
DE FRANCE.
195 I
proche repouffe très- vigoureuſement une
pareille propoſition. Il eſſaye néanmoins
de ramener le Connétable à des ſentimens
plus dignes de lui ; il lui rappelle ce qu'il
doit au nom de Bourbon ; il lui dit :
Pour la première fois , c'eſt celui d'un rebelle.
Mais il n'eſt plus temps ; le traité eſt ſigné ,
-Le Connétable gémit ſur la réſolution qu'il
a prife, & il ſe retire, après avoir entendu,
par avance, les reproches que lui fit en effet
Bayard mourant, quelque temps après cette
époque. L'intérêt alors ſe rejette fur Octavio
qui , dans une converſation avec Bayard ,
qu'il traite affez cavalièrement , fait connoître
fon nom , ſon amour , fes projets , &
demande la mort. Il ne pouvoit pas la demander
plus à point , car à l'inftant un
Officier vient lui apprendre qu'il eſt con
damné Il y va marcher , ily marche même ;
mais le canon ſe fait entendre; la ville eſt
menacée d'un nouvel aſſaut : on fufpend
l'exécution ; on remène Octavio à la tour.
Les troupes ſe raſſemblent ; les Officiers
viennent prendre las ordres de leur Général.
Bayard voit la confiance qu'il leur infpire
, la tendreffe qu'ils lui portent ; il
leur demande une grace; on la lui accorde
généralement avant de ſavoir quelle elle
peut être ; c'eſt la vie & la liberté d'Octavio.
On marche vers l'ennemi : Octavio
eft libre; il réfléchit fur la grandeur
d'ame , fur la générosité de ſon rival ; il
1
196 MERCURE
fe décide à lui facrifier ſon bonheur, & fe
diſpoſe à retourner en Italie. Bayard rentre ;
il eſt vainqueur : l'Empereur a levé le fiége.
Laure & ſa mère font déterminées à ne
plus revenir , comme elles ſe l'étoient propoſe
, ſur la parole qu'elles ont donnée à
Bayard ; mais le généreux Chevalier a
dompté ſon coeur. Il envoie vers Octavio;
on l'amène , & il lui rend fa Maîtreffe ,
laquelle il renonce pour jamais. La joie
devient générale , & la Pièce eſt terminée
par un Divertiſſement dans lequel on appelleBayard
Le plus juſte des Guerriers,
Le plus loyal des Chevaliers.
Il y a du ſpectacle dans cette héroïque
Comédie ; mais l'intrigue en est découſue ,
&l'intérêt en eſt faible. Le ſtyle , qui eſt
quelquefois très-élevé , eſt auſſi monotone
& ſouvent négligé ; il eſt même incorrect
de temps en temps. On a fort applaudi
quelques idées heureuſes & vraiment patriotiques
; mais à la longue les murmures
ont prévalu ſur les applaudiſſemens , & à
peine a-t-on pu entendre lesderniers vers
du troiſième Acte.
Nous ne ferons qu'une obſervation fur
cette Pièce. Le caractère de Bayard y est
préſenté ſous des traits qui ne conviennent
point à ce perſonnage. Onn'aime point à
entendre le Chevalier fans peur & fans
reproche étaler faſtueuſement les maximes
DE FRANCE. 197
philofophiques du dix-huitième ſiècle ; on
eft faché de lui voir affecter , pour ainfi
dire , des fentimens de bienfaiſance & de
générobté ; à lui dont toute la morale étoit
en action , & qui ſavoit mieux faire que
bien dire. Toutes les fois qu'on s'obſtinera
à donner à Bayardune phyſionomie étrangère
à ſon ſiècle & au caractère que l'Hiftoire
nous en a conſervé , on ſera ſûr de
déplaire. D'ailleurs ce n'eſt point fur la
Scène Italienne qu'il faut préſenter de pareils
perfonnages , parce que ce Théatre
n'a pas le nombre de ſujets ſuffifant pour
repréſenter dignement une action héroïque.
Parmi les Pièces de ce genre qu'on y a
données , il eſt bon de remarquer qu'il
n'en eſt pas reſté au Répertoire une ſeule de
celles qui font tirées de l'Hiſtoire de France,
& que c'eft toujours le charme de la mufique
qui a affure le ſuccès de celles qui
ont été puiſées dans d'autres ſources. Une
exception , ſi elle exiſtoit , ne fuffiroit pas
pour battre en ruine ce que nous avançons.
Nous croyons donc qu'il eſt de la
ſageſfe de MM. les Comédiens Italiens de
bannir, fans retour, de leur Scène , tous les
Drames dont le fond & les formes fe
rapprochent du ton de la Tragédie. Il eſt
néceſſaire , pour l'avantage de l'Art même ,
qu'il exiſte des lignes de démarcation entre
les genres affectés principalement à cha
cun de nos Theatres ; & c'est encore pour
leur intérêt perſonnel que nous les enga-
L
198 MERCURE
geons à donner le premier exemple de raifon
cet à égard.
Chacun ſon lot , nul n'a tout en partage.
ANNONCES ET NOTICES,
Meffageries Royales de France.
ETAT général du ſervice des Meſſageries dans
tout le Royaume , pour l'année 1788 , qui doit
paroître tous les ans au premier Janvier , avec les
changemens ; contenant l'extrait des principaux
Arrêts & Réglemens rendus ſur le fait des Meflageries.
Des Renseignemens particuliers , tant pour les
précautions à prendre pour les Voyageurs , que
pour l'envoi des marchandises , or , argent , &c.
des Billers , Lettres de change , & autres effets
commerçables à recouvrer en Province.
Différens Réglemens de difcipline & d'ordre
pour les Conducteurs , Cochers & autres.
Le Départ & l'Arrivée des Diligences & Voitures
à journées réglées , de Paris pour les principales
villes du Royaume , leur marche, le nombre
de jours en route, le prix des places , celui
du port des paquets , &c. ; & les communications
tant par terre que par eau de ces mêmes Villes ,
dans l'intérieur des Provinces , & chez l'Etranger.
Avec une Carte Géographique qui indique les
principaux Bureaux de la France.
DE FRANCE . 199
Cet Ouvrage , in 12 , contient 350 pages.
A Paris , chez Prault , Imprimeur du Roi, quai des
Auguftins ; & chez les Suiffes de l'Hôtel Royal
des Meſſageries , rue Notre-Dame des Victoires ,
& rue Montmartre.
د
Remarques historiques & politiques fur le Tarif
du Traité du Commerce , conclu entre la France
& l'Angleterre avec des Obſervations préliminaires
; traduit de l'anglois par M. D. S. D. L.,
in-8°. de 175 pages. Prix , 36 f. br. , & 2 1. 2 f.
francde port par la Pofte. ALondres ; & ſe trouve
à Paris , chez Buiffon , Lib. Hôtel de Coëtloſquet,
ruc Haute-feuille , Nº . 20.
Obfervations d'un Actionnaire ſur le Mémoire
de M. L... M... , contre la nouvelle Compagnie
des Indes ; in-8 °. de 131 pages. A l'Orient ; & fe
trouve à Paris , chez Gartey ,Lib . au Palais-Royal.
Vied'Haïder-Ali-Khan , précédée de l'Hiſtoire
de l'ufurpation du pays de Maïflour , & autres
pays voisins , par ce Prince ; ſuivie d'un récit authentique
des mauvais traitemens qu'ont éprouvés
les Anglois qui furent faits priſonniers de guerre
par fon fils Tippou-Khan ; par François Robfon ,
ci-devant Officier au ſervice de la Compagnie des
Indes Angloife. Traduit de l'anglois. I Volume
in-12 ; br. avec ſon Portrait. Prix ,
A Paris , chez Regnault, Lib. rue Saint-Jacques ,
vis-à- vis celle du Plâtre.
2 liv. 10
Hiſtoire & Memoires de l'Académie Royale des
Sciences , Inſcriptions & Belles-Lettres de Tou-
'louſe. Tome III , in-48. A Toulouſe , de l'Imprimerie
de D. Deſclaſſan , Maître-ès -Arts , pres la
Place Royale ; & chez Manavit, Lib. rue Saint-
Rome ; & à Paris , chez Crapart , Lib. place Stę
Michel.
202 MERCURE
1
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angloiſe , d'après Smith ; par Le Coeur. Prix,
3 liv. eu noir , 6 liv . en couleur. Se vend à Paris,
chez l'Auteur , rue S. Jacques , Nº. 55 .
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Louiſe-Suſane C. C. , agréables au ſujet , & exécutés
avec ſoin. A Paris , chez M. Sergent ,
Mauconfeil , Nº. 62 ; & chez le Sieur Mionet ,
Doreur & Monteur dé Boutons .
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Fue
Le Sr. LATTRẺ , Graveur ordinaire du Roi , rue
S. Jacques , la porte cochère vis-à-vis celle de ta
Parcheminerie , Nº. 20 , vient de mettre au jour
le Plan de Rome ſur une feuille d'Altas , papier
d'Hollande proprement lavé. Prix , 6 liv.
La Rade de Cherbourg , avec les nouveaux travaux;
feuille d'Atlas , lavée, 2 liv .
Le Théatre de la guerre actuelle entre les Ruſſes
&les Autrichiens alliés, & les Turcs ; en 2 grandes
feuilles , contenant la Ruſſie , la Pologne , la Hongrie,
la Turquie, la Crimée, &toute la mer Noire.
En feuilles , 31.; collée ſur toile , avec étui , 71.
Un autre fait en Angleterre , en 4 feuilles .
LePlan de Belgrade, Capitale de la Servie, avec
ſes nouvelles fortifications, proprement lavé , 21.
C'eſt toujours chez ledit Sr. Lattré qu'on trouve
Atlas moderne , pour la Géographic moderne de
feu l'Abbé Nicole de la Croix , d'accord avec
MM. Barbeau de la Bruyere & Drouet , qui ont
été chargés des éditions depuis le décès de l'Auteur.
On vient d'y ajouter depuis peu la Géographie
ancienne par M. Bonne , qui le porte à 100
Planches,& le complète avec des explicationspour
chaque Planche , & des Tables pour la Geographie
comparée. Cet Atlas ſe vend complet ou par
Volume ſéparé.
DE FRANCE.
203
Histoire de France , repréſentée par Figures ,
accompagnée de diſcours , par M. David , Graveur
ordinaire de la Chambre & du Cabinet de
MONSIEUR , de l'Académie des Sciences , Belles-
Lettres & Arts de Rouen , &c. ze. Livraiſon. A
Paris , chez l'Auteur , rue des Cordeliers , au coin
de celle de l'Obſervance .
Cette Livraiſon eſt compoſée de 4 Planches &
diſcours , imprimées ſur papier vélin ; prix, 8 liv.:
les premières épreuves , imprimées en biſtre anglois;
prix , 10 liv,
avec
?
L'arrivée du Roi de Pruffe aux Champs-Elisées,
&sa réconciliation Voltaire par Henri IV
dédiée & préſentée à Frédéric-Guillaume III , Roi
de Pruffe. A Paris , chez Crépy , rue St. Jacques ,
Nº. 252. Prix , 6 liv. Il y a quelques épreuves
avant la lettre , à 12 liv.
Cette Eſtampe, de 13 pouces & demi de largeur
fur 12 de hauteur , a été compoſée , deffinée &
gravée par Texier. Elle fait auſſi ſuite à celles de
La Réception de Voltaire aux Champs-Elisées par
Henri IV; l' Arrivée de J. J. Rouſſeau aux Champs
Elifées , & autres de même format.
Nouveau Jeu de l'Oie, orné de Fig. &Vignettes,
gravées en taille - douce, Prix , 3 liv, colorié. A
Paris , rue S. Jacques , Nº. 252 .
Erigone , gravée par P. F. Le Grand , d'après -
letableau original de F. Le Roy, A Paris , chez Le
Grand , rue Galande , Nº. 74 .
: = Arianne abandonnée par Thésée , par les
mêmes , & même adreſſe .
Ces deux Eſtampes faifant pendant , ſe vendent
6 liv, chaque,
204
MERCURE DE FRANCE.
NUMÉROS 222 & 223 du Journal d'Ariettes
Italiennes, dédié à la Reine, contenant une Scène
de Piccinni. Prix, 31. 12 1.; un Air de Sarti, 21. 8 f.
Ab. pour 24 Nos. , 36 & 42 liv. A Paris , chez
M. Bailleux, Md. de Muſique de la Famille Royale,
rue St- Honoré , près celle de la Lingerie , à la
Règle d'or.
NUMÉROS5 &6 du Journal de Violon, dédié aux
Amateurs , pour deux Violons ou Violoncelles.
Prix , 2 liv. chaque Numéro. Abonnement pour
12 Numéros , 15 & 18 liv. A Paris, chez M. Bor
net l'aîné , Profeſſeur , rue Tiquetonne , No. 10. -
Nos. 28, 29 , 30& 31 des Feuilles deTerpsychore,
pour la Harpe & pour le Clavecin. Prix, z liv.
4f. chaque N°. Abonnement pour 52 Numéros ,
30 liv. AParis, chez Coufineau père & fils , Luthiers
de la Reine , rue des Poulies.
TABLE.
EGLOGUE 157.Eugénie. 14
Hiftoiredu jeune Inconnu. 164 Académ. Roy. de Muf. 192
Charade , Erig. & Log. 171 Comédie italienne.
Effais historiques.
Alphabet Tarzare.
174 Annonces&Notices.
181
194
201
APPROBATION.
J'Arlu , par ordre de Mgr. le Garde des Sceaur,
IC MERCURE DE FRANCE , pour le Samedi 26
Juillet 1788. Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe en
smpêcher l'impreſſion. AParis , le 25 Juillet 1788.
SÉLIS
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
:
POLOGNE.
De Varsovie , le 30 Juin 1788 .
LES Autrichiens , à ce qu'on affirme depuis
quelques jours , ont tenté ſur Choczim
une cinquième attaque , non moins
infructueuſe que les précédentes. Les
Afliégeans ayant établi une batterie à
Braha , bourg dépendant de la République
, les Turcs y ont mis le feu. Nous ne
pouvons guère nous plaindre de cette
action, légitimée par les principes de la défenſe
de ſoi même , & par notre infraction
forcée de la Neutralité.
2
Des lettres de l'Ukraine nous apprennentque
l'arinée du Maréchal de Romanzof,
forte de 60,000 hommes , a été diviſée
de manière que 30,000 , ſous les ordres
des Généraux d'Elmpt & de Soltikow ,
joindront l'armée de l'Empereur dans la
N°. 30. 26 Juillet 1788.
(146 )
Moldavie ; 15 autres mille font au-deffus
de Balta , & les 15,000 autres à Niemirow.
Le Capitan-Pacha a débarqué 20,000
hommes près d'Oczakof ; ces troupes
feront jointes par l'armée du Séraskier ,
fortede 50,000 hommes. On préſume que
le Prince Repnin , paffant le Bog, ira audevant
de cette armée , ainſi que le Prince
Potemkin : plus de 200 canons & 6,000
charricts munitionnaires ſuivent cette armée.
Le Maréchal de Romanzof a
paſſé le Niefter , & s'avance vers le Danube.
On apprendra inceſſamment quelque
nouvelle importante de ce côté là.
--
Le 4 juin , le ciel étant ſerein , l'Abbé Jovin
Bystrzyski , Chanoine de la Collégiale de Varfovie
, Aftronome du Roi , obſerva avec une
lunette achromatique de Dollond, de 4 pieds de
Paris , ayant un objectif compoſé de trois verres ,
lecommencement de l'éclipſe de ſoleil, à 8 heures
36 minutes 45 ſec. , &la fin à 10 heures 57
min. 33 fee. , felon la pendule de Londres , de
Shelten. Avec une pareille lunette achromatique ,
le commencement fut aperçu par M. l'Abbé
Gavronski Chancelier de la Cathédrale de
Cracovie, Lecteur de S. M. , à 8 heures 56 min .
50 fec.; la fin , à 10 heures 57 min. 30 fec.
Lagrandeur de cette éclipſe a éré preſque de
5 pouces vers la partie méridionale. Selon le
premier obfervateur , cette éclipſe a duré 2
heures o min. 48 ſec.; felon l'autre , 2 heures
o min. to fec. Selon celui-là , le premier bord
d'une tache folaire notable , qui étoit près de la
( 147 )
circonférence ſolaire , étoit coupé par le bord
de la lune à9 heures min. 4 ſec.; le ſecondbord
de cette tache l'étoit à 9 heures 6 min. 13
Elle étoit totalement découverte ſous la lun
10 heures 41 minutes II ſec'. ; ſelon l'aut
obfervateur , le premier bord de la lune touchoit
le premier bord de cette tache à 9 heures 6 min.
6fec. Le ſecond bord de cette tache à 9heures
6 min. 15 fec. A la fin , cette tache a paru totalement
ſous la lune à 10 heures 41 min. 16
ſec. Toutes ces obſervations ſe réduiſent au temps
vrai. Dans le temps même de cette éclipſe , l'arc
noir qu'on apercevoit ſur le ſoleil avec les
lunettes achromatiques , préſentoit aux yeux des
obfervateurs beaucoup d'inégalités de différente
grandeur , caufées par les montagnes & les vallées
qui fontdans la lune. Celles-ci laiffoient le paſſage
libre aux rayons du ſoleil ; celles-là les abforboient
totalement.
SUÈDE.
De Stockholm , le 27 Juin.
L'Hiſtoire offre peu d'exemples de révolutions
, en apparence , plus ſubites ,
que le changement inopiné ſurvenu dans
la fituation politique de ce royaume. Nul
projet ne fut concerté avec plus de ſecret,
ni exécuté avec une plus étonnante
célérité. On fe croit revenu aux jours où
Charles XII , en 1700 , prépara ſa première
expédition contre le Danemarck ,
fuivie de tant de gloire ,& enſuite detant
d'infortunes , lorſqu'on voit la Suède engij
( 148 )
dormie , depuis un demi-fiècle , dans une
paix qui ne fut troublée qu'un inſtant pendant
la guerre de 1756 , exécuter en deux
mois un armement de terre & de mer ,
tel que les plus grandes Puiſſances auroient
eu de la peine à le réaliſer en auſſi peu
de temps . Le 21 avril , l'ordre d'armer
arriva à Carlſcroon ; & le 9 juin , 12 vaifſeaux
de ligne , des frégates , des tranfports
chargés de troupes , étoient à la
voile. Le 23 mai , on a donné de nouveaux
ordres pourl'équipementd'ane flottille
de galères ,& pour la marche de nouvelles
troupes; un inois après , les galères
font parties , ayant les troupes à leur
bord. Ces étonnantes & rapides diſpoſitions
d'une Puiſſance ſans tréſors , ſans revenus
confidérables , ſans reffources extraordinaires
, ont été confommées le 23
juindernier.
Ce jour-là , à 8 heures du ſoir , le Roi
quitta le château de Stockholm , pour ſe
rendre à bord du yacht l'Amphion. La
Reine , le Prince Royal , le Duc d'Ostrogothie,
la Ducheffe de Sudermanic , les Généraux
, les Seigneurs de la Cour & les
Miniſtres étrangers accompagnèrent S. M.
juſqu'au pont royal, où Elle prit congé
de la Reine , de la Famille Royale , & de
toutes les perſonnes de leur fuite. Le Roi
s'embarqua aux acclamations d'une mul(
149 )
1
1 titude innombrable . La Princeſſe Albertine
, Abbeſſe de Quedlinbourg , arriva de
Berlin encore à temps pour prendre congé
du Roi , fon frère. 28 galères mirent à
la voile pour la Finlande. Ces navires &
des bâtimens marchands que l'on avoit
frétés, prirent à bord l'élite des troupes
Suédoiſes ; les Trabans , les Gardes du
Corps , les Dragons du Corps , le régiment
de Cavalerie du Corps , de 1500
hommes , un Corps d'Artillerie , & les régimens
d'Uplande , de Westmanie , de Dalécarlie
, de Helsingland , de Nericie , de
Sudermanie & d'Ostrogothie. Ces troupes
joindront en Finlande celles qui y ont été
déja tranſportées , & celles qui s'y trouvent
en garnifon. Dans peu de jours , une
ſeconde diviſion , composée de neufrégimens
, s'embarquera fur des bâtimens de
tranſport déja prêts , auxquels ſe joindra
l'eſcadre de Chebecs , armée à Sweaborg.
Les dernières lettres du Duc de Sudermanie
, Grand-Amiral de la flotte , en mer
depuis le 9 , font en date du 18 : ce jourlà
, l'eſcadre ſe trouvoit près de l'ifle d'Oe..
ſel , à l'entrée du golfe de Riga.
Ces grands mouvemens , ces embarquemens
précipités , cedépart du Roi luimême
, fans avoir été précédés d'aucune
déclaration de guerre , ni d'hoftilités antérieures
, font ſuppoſer , avec raiſon, qu'on
g
( 150 )
fera,au premier jour, publiquement inſtruit
des cauſes & du but de cette expédition .
Le congé donné par le Roi au Comte de
Rafoumowski , Miniſtre de Ruſſie , paroît
cependant n'être. qu'accidentel.On verra ,
par la note de cet Envoyé , & par la réponſe
de S. M. , que la réſolution du Roi
a été motivée , non par une rupture formelle
, mais par le vif mécontentement
qu'il a reffenti de quelques expreffions ,
& du deffein affecté du Mémoire remis ,
le 18 , par le Comte de Rafoumowski au
Comted'Oxenstiern , Miniſtre des Affaires
Etrangères ; en voici la teneur : 1
✓ « A la fuite des objets dont le ſoufſigné , Envoyé
Extraordinaire & Miniſtre Plénipotentiaire
de la Cour Impériale de Ruffie ,vient d'entretenir/
le Comte d'Oxenstiern , il a l'honneur de lui en
préſenter une récapitulation ſuccincte dans cette
note.
C
<<Quelle qu'ait éré la ſurpriſe de l'Impératrice ,
ma Souveraine , lorſqu'elle fut informée des armemens
quife faifoient en Suède , S. M. Impériale ne
voyant aucun motifs légitimes qui aientpuydonner
lieu, avoit réfoln de garder le filence , tant que ces
mouvemens euflent été renfermés dans l'intérieur
✔du Royaume ; mais apprenant les motifs allégués
dans la communication qui a été faite parle Sénateur
Comte d'Oxenstiern , au Miniftre de Danemarck,
&dont celui-ci , parune ſuite de cette intimité
qui règne entre les deux.Cours , a fait part au
fouffigné , S. M. Impériale s'est déterminée à
rompre ce filence ,& a donné ordre au ſouſligné
d'entrer dans les explications ſuivantes avec le
1
(151 )
Miniſtre de S. M. Suédoiſe. Pendant 26 ans de
règne , l'Impératrice n'a ceſſé de donner des témoignages
au Roi& à la Nation Suédoiſe, de ſon défir
de cultiver avec elle un bon voisinage & une
bonne harmonie , ainſi que la dernière paix d'Abo
les avoit établis entre les deux Cours. Si au milieu
du repos dont fon Empire jouiſſoit du côté de
fes autres voiſins , S. M. Impériale n'avoit jamais ,
conçu la moindre idée de troubler ou d'altérer le
moins du monde cet ordre de chofes , il feroit hors
de toute vraiſemblance de la lui attribuer au moment
où elle ſe trouve engagée dans une guerre que
lui a ſuſcitée injuſtement un ennemi puiſſant , & à
laquelle elle ne fauroit donner trop d'attention.Provoquéede
cette manière à déployertous les moyens
qu'elle tient de la Providence , pour repouſſer l'attaque
de ſon ennemi , elle a eu ſoin d'en prévenir
amicalement toutes les Puiſſances de la Chrétienté
, & nommément elle a obſervé cetre conduite ,
lorſqu'elle a pris la réſolution d'armer une flotte
pour l'envoyer dans l'Archipel, & que le ſouſſigné
en a ,par ordre deS.M., communiqué l'intention
au Miniſtère de Suède. Toutes ces diſpoſitions &
ces préparatifs ſe rapportant viſiblement& uniquement
à la circonſtance circonstance dans laquelleſetrouvoit la
Ruffie , n'étoientnullement faites pour alarmer ſes
autres voiſins , qui ne nourriroient pas quelques
deſſeins cachés de multiplier ſes embarras & d'en
profiter. En admettant pour un inſtant , que la
Cour de Ruffie ait ſuppoſé detels deffeins à celle
de Suède , quelques contraires qu'ils foient à la
religion des traités qui les lient , la ſaine raiſon,
ainſi que l'intérêt , devoient borner toutes ſes
meſures au ſoind'en prévenir les effets , & non de
les provoquer ; en effet, celles que la prudence
dicta , & qui furent adoptées ſur les bruits qui ſe
répandirent de toutes parts , des armemens qui ſe
giv
(152)
1
faiſoient en Suède , ſe réduiſoientàun renfort trèsmodique
de troupes Ruſſes en Finlande , & à la
deftination de l'eſcadre ordinaire qui a coutume de
croiſer tous les ans dans la Baltique , pour 'expérience
des Marins , coutume à laquelle la Suède n'a
jamais porté attention ,& qui ne lui ajamais caufé
d'ombrage. Cependant ces armemens avançoient
&fe renforçoient journellement , ſans que la Cour
de Stockholm jugeât à propos de s'en ouvrir formellement
vis-à-vis de celle de Pétersbourg ; &
lorſqu'enfin ils font parvenus à leurmaturité ,M. le
Sénateur Comte d'Oxenstiern , au nom du Roi , n'a
pas balancé de déclarer au Miniſtre d'une Cour
intimement alliée à la nôtre ,&ſuppoſée par conféquentne
devoir pas nous le cacher , que ces préparatifs
étoient dirigés contre la Ruſſie, dans la ſuppoſition
que la Suède étoit menacée d'en être attaquée.
Dans ces termes , l'Impératrice ne balance
pasnonplus de ſon côté de faire déclarer , par le
ſouſſigné , au Miniſtre de S. M. Suédoiſe , ainfi
qu'à tous ceux dela Nation qui ont quelque part à
l'Adminiſtration , que S. M. Impériale ne ſauroit
leurdonner une preuve plus ſolide de ſes diſpoſitions
pacifiques à leur égard ,&de l'intérêt qu'elle
prend à la conſervation de leur tranquillité , qu'en
les aflurant fur ſa parole Impériale , que toutes les
intentions contraires qu'on pourroit lui imputer,
fontdeftituées de tout fondement ; mais que fi une
affurance auffi formelle , auſſi poſitive , jointe aux
argumens ſimples &convaincans qui fe préſentent
dans ce qui eſt expoſé ci-deſſus , n'étoient pas ſuffifans
pour rétablir le calme& la tranquillité , S. M.
Impériale eſt réſolue d'attendre l'événement avec
cetteconfiance&cette fécurité que doivent luiinſpirer
la pureté& l'innocence de ſes intentions, ainſi
que la ſuffifance des moyers que Dieu lui a mis en
main, & qu'elle n'ajamais employés que pour la
(153 )
gloire de fon Empire & le bonheur de ſes Sujets, »
Stockholm , le 18juin 1788.
Signé, le Comte de RASOUMOWSKI .
En réponſe à cette Note , le Comte
d'Oxenstiern a fait remettre la Contre-
Note fuivante à chacun des Membres du
Corps Diplomatique.
« Pendant que le Roi , foigneux de maintenir la
bonne harmonie avec tous ſes voiſins , n'a rien
négligé pour la cultiver avec la Cour de Ruſſie , il
n'a pu voir qu'avec étonnement le peu d'effet que
ſes ſentimens ont produit ſur la conduite du Miniſtre
de cette Puiſſance ;& le langage qui , depuis
quelques mois , accompagne ſes démarches , paroît
encore porter l'empreinte du ſyſtème de diviſion
que fes Prédéceſſe irs ſe ſont tranfmis & qu'ils ont
toujours travaillé à étendre. Le Roi cherchoit
encore à ſe faire illuſion ſur ces objets . Il ſouhaitoit
pouvoir douter des efforts que faiſoit l'Envoyé
de Ruffie ,pour ramener la Nation Suédoiſe aux
erreurs qui l'avoient ſéduite pendantle temps de
l'anarchie , & pour répandre de nouveau dans le
ſeinde l'Etat , cet ancien eſprit de défunion que
le ciel & les foine de Sa Majesté ont fu heureument
éreindre'; lorſqu'enfin le Comte de Razoumowski
vient de lever , par fa note du 18 juin , tous
les doutes que le Roi aimoit encore à conferver à
cet égard. A la fuite des aſſurances d'amitié de
l'Impératrice pour le Roi , dont cette note eſt
remplie , le Miniſtre n'a pas héité d'en appeler
encore à d'autres qu'au Roi ſeul : il s'adreſſe à tous
ceux qui ont part à l'adminiftration ainſi qu'à la
Nation même , pour les affurer des fentimens de fa
Souveraine , & de l'intérêt qu'elle prend à leur
tranquillité. La Suède ne la devant plus qu'à ta
gv
(154 )
propre union ,' le Roi n'a pu voir qu'avec la plus
grande ſurpriſe une Déclaration conçue dans ces
termes ,& n'y reconnoît que trop la politique &
les difcours des Prédéceſſeurs de ce Miniſtre , qui ,
pen contens defemer la diviſion parmi les Sujets de
Sa Majesté Suédoiſe , auroient encore voulu oppofer
d'autres autorités au pouvoir légitime , &
ſapper les Loix fondamentales de l'Etat , en appelant
au ſecours de leurs aſſertions , des témoins
que la forme du Gouvernement ne peut reconnoître.
Sa Majesté chercheroit vainement à concilier
les afſurances d'amitié de l'Impératrice de Ruffie
d'un coté , & l'interpellation des Sujets Suédois de
l'autre. Chargé de déclarer les ſentimens de fes
Maîtres , tout Miniſtre ne doit , ne peut les
annoncer qu'au Souverain ſeul auprès de qui il eſt
accrédité : toute autre autorité lui eſt étrangère ;
tout autre témoin lui devient ſuperflu : telle eſt la
loi , tel eſt l'uſage conftant de tous les Cabinets de
l'Europe , & cette règle n'ajamais ceſſé d'être obſervée,
à moinsque,pardes infinuations captieuſes ,
on n'ait pour but , comme autrefois en Suède , de
brouiller les chofes , de tout confondre ,&d'y relever
de nouveau les barrières qui ſéparoient jadis
laNation&le Souverain. Bieffé de cette manière ,
parl'endroitle p'us ſenſible à ſa gloire , & n'apercevant
plus chez le Comte de Razoumowski , le langage
d'un iniſtre chargé, juſqu'à préſent, d'annoncer les
ſentimens amicals de l'Imperatrice ;ne pouvant plus
d'ailleurs ſe figurer que des expreffions auffi contraires
aux loix fondamentales de la Suède, & qui,
en ſéparant le Roi & l'Etat , rendroient tout fujet
coupable, lui ayant été preſcrites , le Roi
aime mieux. les attribuer aux fentimens particuliers
du Miniſt e deRuffie, qu'il a aflez manifeſtés, qu'aux
ordres de fa Cour. Cependant , après ce qui vient
de ſe paſſer , après des Déclarations auffi contraires
( 155 )
au bonheur du Royaume , qu'aux Loix & aux
égards dûs au Roi , Sa Majesté n'eſt plus en état
de reconnoître le Comte de Razoumowski dans la
qualité de Miniſtre ,& ſe voit obligé d'exiger fon
départ de la Suède , en confiant à fon Miniſtre à
la Cour de Ruffie , la réponſe aux autres points
delanote qui vient d'être communiquée. Il n'a pas
fallu moinsqu'une attaque auſſi directe àà lagloire
duRoi de la part du Comte de Razoumowski , pour
ſe réfoudre à demander de ſe ſéparer de quelqu'un
qu'il a honoré de ſa bonté particulière ; mais ſe
voyant à regret réduit à cette néceſſité, Sa Majesté,
par une ſuite de ſon ancienne bienveillance , a
cherché à diminuer ce que le moment avoit de
déſagréable ,par les foins qu'elle vient de prendre
pour le dépat du Comte de Razoumowski , &
par les attentions qu'on aura à l'égard du temps
&de ſa commodité dans le voyage& le trajet de
Saint-Pétersbourg. Sa Majesté voulant que le corps
Diphlomatique fût informé de ce qui vient d'être
expoſé ci- deſſus , le Sénateur Comte d'Oxentiern
a l'honneur d'en faire part par fon ordre,&c.
Stockholm , le 23juin 1788.
Signé , le Comte d'OXENSTIERN.
Le 19, on expédia à Pétersbourg un
Courrier , qu'on affure être porteur de
l'Ultimatum duRoi. Le Baron d'Engeftrom,
envoyé à Varfovie au mois de novembre
dernier, a été nommé par S. M. fon Miniſtre
Plenipotentiaire auprès du Roi& de
la République de Pologne.
ALLEMAGNE.
1
:
De Hambourg , le's Juillet.
-Le Prince Royal de Danemarck eſt ar
:
gvj
( 156 )
rivé à Fridérickſtadt le 19juin,dans l'aprèsmidi
. S. A. R. fut reçue par le Feld-Maréchal
Prince Charles de Heffe & le Prince
Frédéric fon fils . Elle ſe renditbientôt après
au camp , & affifta aux manoeuvres des
troupes. Ces grandes manoeuvres ont eu
lieu les 20, 21 ; & le 24 , S. A. R. eft repartie
pour Friderickshall : les troupes
font rentrées dans leurs garniſons reſpectives.
On calcule de la manière ſuivante la
force reſpective des Marines de Suède , de
Danemarck & de Ruffie . Celle de Suède"
eſt compoſée de 27 vaiſſeaux de ligne ,
dont quelques-uns font très-vieux , 12
frégates , 40 galères , & plufieurs autres
bâtimens armés . Celle de Danemarck confiſte
en 38 vaifſeaux de ligne & 20frégates
; on a conſtruit 21 vaiſſeaux de ligne
depuis 1758 juſqu'en 1787. Enfin celle
de Ruffie eſt compoſée de 33 vaiſſeaux de
ligne & de 18 frégates.
PRUSSE.
De Berlin le 6 Juillet.
,
LeRoi a fait remettre une ſomme d'argent
au Général de Mellendorf, pour être
diftribuée parini les Soldats chargés de
plus de deux enfans .
S. M. a décoré le Miniſtre d'Etat , Ba-
;
( 157 )
ton de Zedliz, du grand Ordre de l'Aigle->
Noir , & Elle a nommé M. de Woelner
Miniſtre Privé d'Etat , & lui a conféré la
direction des affaires eccléſiaſtiques.
Le Profeſſeur Klaproth a publié ici ſa découverte
d'une gravure fur verre &. fur porcelane.
Ce Chimiſte a trouvé dans le fpath foſible un
acide qui , décompoſé , a la propriété d'attaquer
le verre & le vernis de la porcelaine , & de les
faire évaporer. Voici les deux procédés qu'indique
ce ſavant. On couvre d'abord le verre ou la pièce
de porcelaine fur leſquels l'on veut graver , d'une
couche de vernis dont ſe ſervent ordinairement
les Graveurs , ou ſeulement d'une couche de cire ,
fur Jaquelle on defline avec la pointe tels deffins
que l'on juge à propos. On entoure les côtés
dú verte & de la porcelaine d'un bord fait de cire ,
& on verſe enfuite fur la pièce ou la planche der
finée,une eſpèce de vernis , pré aré de parties
égales de poudre de ſpath fufible & d'huile de
variol , que l'on aura foin de bien mélanger . Cette
finie, il faut couvrir laplanche
avec un couvercle , & la laiffer anfi pea lant
Ccpé ation it la pièce ou
quelques heures ſansy toucher. On débarraffera enfuite
la pièce des couches , & on'verra que de
cette manière les deſſins s'y trouveront auffi nertement
imprimés que ceux fur une planche de
cuivre gravée à l'eau forte.-Le ſecond procédé
eſt préférable au premier , parce qu'au lieu de
verſer le vernis de ſpath fuſible & d'huile de vitriol
fur la pièce de verre ou de porcelaine, on
expoſe ſeulement cette pièce à recevoir la vapeur
ou le gaz de ce vernis , & de cette manière les
traits du deſſin deviennent plus fins & plus réguliers
. Voici comment il faut opérer. On dreſſe.
debout 3 ou 4 petits bâtons de bois , de manière
1
(160 )
23 juin, environ 200 Turcs paſsèrent l'Unna ,
entre Czerzin Logas , & mirent le feu à la
Tſchartake du dernier endroit : ils étoient ſur le
point de brûler auſſi le bled; mais un détachement
de Cavalerie&d'Infanterie, accouru à temps,
les a forcés de repaſſer la rivière.-GeBulletin
porte aufli que l'Empereur est toujours à Semlin ,
que l'Archiduc François eft revenu au quartier
général le 28 , & que le Général Soltikof devoit
joindre , le 30juin , le Prince de Cobourg. >>>
La poſition du Grand-Vior entre Sophia
, Niffa & Widin , a entraîné la diſlocation
de notre grande armée. Nous avons
déja parle d'une partie de ces démembremens
, dont le plan eſt plus exatement
détaillé dans la note ſuivante .
1
On laiffe dans les retranchemens de Semlin
22,454 hommes ſous les ordres da Général d'Artillerie
Baron de Rouvroy , & du Feld Maréchal
Lieutenant de Clairfait , & le refte de la-grande
armée de Hongrie eft pamagé de la manière
fujyante. On en détache un Corps de 1.64640
hommes pour renforcer celui que commande en
Eſclavonie le Comte Mitrows is pous parer à une
diverhon que pourroit faire l'ennemi du côté de
Zwornik ; un régiment de Cavalerię le 1200
hommes ira pareillement renforcer l'armée du
Prince Lichtenstein en Croatie. Ua Corps de 27000
hommes pallera dans les environs de Pacfowa ,
où l'on préſume que ſera le quarrier-général ,
par conféquent le Feld-Maréchal Lafey & l'Empereur
; un autre Corps de 21000 hommes campera
près de Vipalanka , fous les ordres du Général
d'Artillerie Baron de Gemmingen ; celui que le
Comte Wartensleben a fous fon commandement
prèsdeMéhana, fer fera renforcé juſqu'à20 20 mille ن
( 161 )
hommes ; & leGénéral Fabris, qui commande en
Tranſylvanie, ſe tiendra près du pas de Tertzbourg
avec une armée de 25,450 hommes , dès que
l'on ſera certain que le Grand-Vifir eſt ſur le
Danube. Ainfi , depuis les frontières de Tranſylvanie
juſqu'en Eſclavonie , il y aura un cordon
d'environ 130 mille hommes. Ce nouveau plan
indique que le reſte de la campagne reiſemblera
à ſes commencemens , fi ce n'eſt peut-être que
la petite guerre ſera plus vive, plus continue ,
plusmeurtrière.
DeFrancfortfur-le-Mein, le 12 Juillet.
Il règne une telle diverſité de rapports
fur les mouvemens préfumés , plutôt que
certains , de la grande armée Ottomane ,
qu'il eſt difficile de débrouiller ce galimatias
des Gazettes , qui, tous les 3 jours ,
font changer de plan au Miniſtre Ottoman.
-Quant aux Ruſſes , à chaque ordinaire
on les fait joindre les Autrichiens,
ou s'en éloigner , aller & revenir , avancer
& reculer , paffer les fleuves &les repaffer,
préparer des fiéges ſans les faire , arriver un
jourà Bender , un autre à Oczakof, un 3e.
à Choczim. Jamais troupe de voltigeurs
n'a été plus fatiguée que ne le font ces
pauvres troupes par les Nouvelliſtes. On
ne peut ſe former aucune idée nette des
opérations , au milieu de ces variations
perpétuelles . Chaque courrier nous apporteunnouveau
plan de campagne.Voici
ledernier qu'on fait circuler àVienne.
(162)
«Les dernières lettres de la grande armée de
>> l'Empereur,diſent que les mouvemens concertés
» entre les deux Cours Impériales tendent aujour-
» d'hui à empêcher le Grand-Vifir de paffer le
» Danube. Les troupes dans le Bannat couvrent
n les côtés occidental & méridional de la Va-
>>lachie; celles dans la Tranſylvanie , au nord de
>>cette province; l'avant-garde de l'armée du
>> Prince de Cobourg touche , d'un côté, aux Corps
» du Général de Rall, &del'autre côté à l'armée
» du Maréchal de Romanzof, qui s'étend le long
>> du Danube juſqu'à Gallas.--Les troupesdans
>> la Transylvanie , aux ordres du Gézéral de
>> Fabris , occupent un camp près de Mira , entre
>> la Valachie & la Mo'davie; l'aile droite eſt
» poſtée en deça de la rivière de Milkow , l'aile
>> gauche entre Afchud& Fockfan ; l'avant-garde,
> touche les frontières de la Valachie. Les
>>troupes légères ſe répandent juſqu'à Ribaik. »
Voilà fans doute un ordre mathématique
; mais depuis qu'il eſt dreſſe , il a deja
ſubi des dérangemens : par exemple , l'aile
gauche du Général Fabris , enTranſylvanie
, a quitté Fockſan & Afchud , pour
retrograder vers le Corps d'armée .
<< On prétend avoir des avis du côté de
Cherſon, qui font mention de l'arrivée de
la flotte ſous les ordres du Capitan-Pacha
devant Oczakof , compoſée de plus de
200 voiles , parmi leſquelles 30 vaiſſeaux
de ligne. L'intention du Capitan Pacha
paroiſſoit être de détruire Cherfon , où il
yauneaffez forte garniſon. Ces lettres parlent
d'une action courageuſe d'un Officier
1
ةيمل
( 163 )
Ruffe , le Capitaine Saken , qui commandoitun
petit bâtiment armé en guerre. Il
ſe vit attaqué , le 31 du mois dernier , par
12 chaloupes , que les Turcs appellent
Irlanguisches: il ſe battit endéſeſpéré;mais
arrivé à l'embouchure du Bog,& ne voyant
plus de moyens d'éviter le fort qui l'attendoit,
les ennemis ſe préparant à l'aborder
en grand nombre , il obligea ſes gens à ſe
jeterdans la chaloupe , pour entrerdans la
rivière à force de rames ,& ayant enfuite
mis le feu à la Sainte-Barbe , il ſe fit fauter,
préférant ce genre de mort à celle que les
Turcs auroient pu lui faire fubir. >>
On écrit de Vienne , que l'Empereury
a envoyé l'ordre de fabriquer 18 millions
de billetsde banque , & de frapper pour
10 millions de creuzers.
Le ſavant&judicieux Profefleur Schloëzer
a publié , dans le dernier n°. de få Correfpondancepolitique,
quelques réflexions bien
frappantes fur les Finances de la Pruffe ,
« Graces au bon ordre , la Pruſſe a de tels
revenus , que , nonobſtant l'entretien d'une armée
très-nombreuſe, dont les troupes ſont ſagement
réparties , elle peut épargner annuellementun certain
nombre de millions. Les paiemens ordinaires
relatifs à l'Etat , étant faits , il reſte encore quelques
millions à la diſpoſition du Souverain ; &
qu'on n'imagine pas que ces épargnes caufent aucun
vided'argent comptant,ou en arrêtent la circulation;
aucontraire, il eſt en ſi grande abondance, quele prix
de tous les immeubles monte extraordinairement
( 164 )
haut , tandis que les intérêts tombent des juſqu'à
4 ou 3 & demi pour cent. A mon avis , cela eſt
dû à l'avantage dela barance du commerce étranger
dont jouit la Proffe. "
" Quant au projet de créer autant de billets
qu'il y a d'argent comptant annuellement mis en
épargne dans le tréſor public , il s'exécute à certans
égards, en ce qu'actuellement preſque toutes
les Provinces , comme la Siléfie , la Marche , la
Pomeranie & les deux Pruffes , ont chacune un
Systéme de crédit porté de 20 à 30 millions enpapier-
monnaie ; ce moyen a conſidérablement augmenté
la repréſentation du numéraire , &affermi
le crédit des Propriétaires de fonds de terre. Nous
ne diffimulerons pas que ceux qui ſe plaiſent à
voir les choſes en noir, craignent qu'à l'époque
d'une guerre , & dans le cas où les intérêts ne
pourroient être payés, il n'en réſulte une banqueroute
conſidérable , & peut - être même totale.
Cet inconvénient éloigné ſe ſtrouve compenfé
d'avance par l'avantage actuel qui réſulte du
ſyſtême adopté. Il paroît fingulier que le papier
gagne ici 5 & juſqu'à 6 pour cent dans les opérations
d'Agio , & qu'on nous envoie une quantité
d'eſpèces étrangères , apparemment pour en tirer
intérêt. >>
« Les aperçus inférés dans les Mémoires de
l'Académie , par M. le Comte de Hertzberg , & qui
ont ſurpris tant d'étrangers , ont tous été rédigés
d'après les tables officielles , & ces tables
d'après les déclarations des Marchands : déclarations
qu'on fait n'être jamais au-delà , mais plutôt
en deçà des exportations &importations réelles. »
( 165 )
GRANDE - BRETAGNE.
De Londres , le 15 Juillet.
Le It de ce mois , à 3 heures après
midi , le Roi s'eſt rendu à la Chambre des
Pairs , où il a prorogé le Parlement , &
prononcé le Diſcours de clôture ſuivant :
« Milords & Meffieurs ,
›› Le période avancé de la ſaiſon , &
>> l'application laborieuſe qu'ont exigé de
>> vous les affaires publiques , me font.
>> juger néceſſaire de terminer la préſente
>> Seffion du Parlement. Je ne le ferai
>> point ſans vous exprimer la fatisfaction
>> avec laquelle j'ai vu l'affiduité & la
>> diligence de vos délibérations , fur les
>> différens objets de l'intérêt national. »
<< Meffieurs de la Chambre des Communes.
>> L'empreſſement & la libéralité que
» vous avez montrés dans l'octroi des
>> fubfides de l'année , exigent mes re-
>> mercimens particuliers. Vous devez
>> éprouver la plus grande fatisfaction d'a-
>> voir ſu pourvoir aux beſoins extraon-
>> dinaires de l'année paffée , indépendam-
» ment des beſoins habituels , ſans aug-
>> menter le fardeau de la Nation , & fans
>> toucher à la ſomme annuelle , appro
( 166 )
» priée à la réduction de la Dette natio-
>> nale. >>
« Milords & Meſſieurs ,
>> Je vois avec chagrin la continuation
>> de la guerre entre la Ruffie & la Porte ,
>> guerre dans laquelle l'Empereur eſt
>> auſſi enveloppé ; mais la ſituation gé-
> nérale du reſte de l'Europe , & les affu-
>> rances pacifiques que je reçois des
>> Cours étrangères , me donnent tout
>> ſujet d'eſpérer que mes Sujets conti-
>> nueront à reffentir les bénédictions de
>> la paix.
>> Les engagemens récens que j'ai con-
>> tractés avec mon digne Frère le Roi de
>> Pruſſe , & avec les Etats-Généraux des
> Provinces-Unies , qui vous ont déja été
>> communiqués , font dirigés vers cet ob-
» jet , que je ne perds jamais de vue. Il
>> en réſultera, j'eſpère , les plus heureuſes
> conféquences pour la ſécurité&la prof-
> périté de mes Etats , comme pour la
>> tranquillité générale de l'Europe.
Après ceDifcours , le Chancelier ſe leva
, & par ordre de S. M. il prorogea le
Parlement au 25 ſeptembre prochain.
Avant la ſéparation , cette Affemblée a
enfin terminé la diſcuſſion du Bill de réglementpour
le tranſport des Negres. Un
premier Bill , comme nous l'avons vu ,
( 167 )
arrêté par la Chambre Baffe , fut modifié
par les Pairs , renvoyé avec ſes médifications
auxCommunes,quilerejetèrent,& en
-préſentèrent unfecond. Celui- ci fut trouvé
incorrect par la Chambre Haute , & encore
renvoyé aux Communes , qui ,le 8 , en
dreſsèrent un troisième corrigé. Enfin , à la
troiſième lecture , les Pairs ont agréé ce
dernier à l'unanimité , & il a reçu la SanctionRoyale.
,
Il y a près d'un an que la rumeur publique
annonça une révolution miniſtérielle
dans le département de l'Amirauté ;
cette rumeur acquit beaucoup de créance
à l'inſtant des débats très-animés qui s'élevèrent
cet hiver au ſujet de la dernière
promotion d'Amiraux. Cette promotion ,
dans laquelle pluſieurs Capitaines eſtimés
furent paffés ſous filence , laiſſoit un vif
mécontentement contre Milord Howe
Président de l'Amirauté. S. S. vient de
réſigner cette place éminente , & par
forme de dédommagement , le Roi l'a
élevé au rang deComte. Il est remplacé
à l'Amirauté par le Comte de Chatham ,
frère aîné de M. Pitt , & ci-devant Capitaine
dans un régiment d'Infanterie. M.
Brett, ſecondCommiſſaire du même Département
, l'a également abandonné :
C'eſt le célèbre Amiral Lord Hood qui lui
ſuccède. On est enclin à ne regarder cet
( 168 )
arrangement que comme provifoire , &
l'on foupçonne que le Marquis de Buckingam
, qui ambitionne la Prefidence de
l'Amirauté , y arrivera inceſſamment , laiffant
la Vice-Royauté d'Irlande au Comte
deChatham.
La loi exigeant de tout homme qui
accepte une place dans l'Adminiſtration ,
qu'il réſigne celle qu'il pourroit occuper
dans les Communes, Lord Hood eft obligé
de ſe ſoumettre à une nouvelle életion
du quartier de Weſtminster , dont il eſt
l'un des Repréſentans. On ſe rappelle
combien, à la dernière Election générale,
cette nomination , dont les Miniſtres vouloient
exclure M. Fox , fut briguée &
débattue : les mêmes brigues vont recommencer.
L'oppoſitiondonne pour concurrent
à Milord Hood, le jeune Lord John
Townshend , fils du Marquis de ce nom ,
foutenu de l'influence des grandes familles.
de Devonshire , deBedford& de Portland.
M. Fox, qui devoit voyager à Genève &
en Suiſſe , & qui reſte en ce moment
ſeul Repréſentant de Westminster , ne s'éloignera
pas , à ce qu'on préſame , fa
préſence étant très-néceſſaire au débat déja
ouvert pour le choix de fon Collègue .
Les libelles contre Lord Hood ont déja
commencé. Les Etrangers qui auroient
peine à croire que l'eſprit de parti pût
s'emporter
( 169 )
s'emporter à outrager un Citoyen eftimable
, un Amiral à qui la Nation doit.:
tant de reconnoiffance , un Membre
du Parlement , digne de toutes fortes
d'égards , doivent ſavoir que dans un
de ces libelles , multipliés par chaque
Papier public , & adreſſés aux Electeurs
de Westminster , à la fuite d'une kyrielle
d'injures , l'Auteur finit en diſant : << Le-
» vez-vous , mmeess fidèles Concitoyens ,&
>> frappons un coup qui décide à jamais
>> des libertés de Westminster. Ne vous
>> dégradez pas juſqu'à réélire Lord Hood.
>> Levez vous , dis - je , on va vous pré-
>> ſenter un Candidat digne de vous ,&
>> un effort vigoureux de 15 jours nous
> affure la victoire. Ne perdez pas une
>> heure , &c. >>
M. Fox fut l'objet des mêmes gentilleſſes
en 1784.
Le Dower ,le Fitz Williams , l'Atlas ,
la Britannia , l'Amiral Barrington , le
Hawke , le Besboroug , le Henri Dundas
&le Marquis de Lansdown , vaiſſeaux de
la Compagnie des Indes , venant, les
de la Chine , les autres du Bengale
la Côte , font entrés dans nos ports
maine dernière .
uns
&de
la fe-
Le Roi eſt parti le 12 pour Cheltenham,
avec la Reine & trois des Princeſſes ſes
Filles . S. M. va boire les eaux minérales
No. 30. 26 Juillet 1788.
だい
د
( 170 )
de ce bourg , diſtant de Londres de 95
milles.
Le Glory , vaiſſeau neuf de 98 canons ,
a été lancé, le 5 , à Plinouth. Ce vaiſſeau
étoit depuis fix ans en conſtruction , &
il doit être mis en ordinaire dans le même
port.
Le Worcester de 64, & le Preston de 50, ayant
été condamnés comme hors d'état de ſervir, ont
été convertis en machines à mâter , le premier à
Deptford , & le ſecond à Woolwich .
Le Suffolk de 74 canons , en ordinaire à Plimouth
, est heureuſement arrivé à Chatam , où il
doit entrer dans le baffin pour y être complettoment
réparé. Ce vaiſſeau a été conftruit à Portfmouth
en 1765 , & fes couples font encore trèsfaines&
très-bonnes ..
Le Sloop le Fairy de 16 canons , actuellement
en réparation à Woolwich , a été mis en commiſſion
à Woolwich , & le commandement en a
été donné au Capitaine Manley.
Voici un état de l'ordinaire de la Ma
rine dans les différens Ports extérieurs , tel
qu'il a été drefflé le premier de ce mois ,
& envoyé au Bureau de l'Amirauté.
APlimouth , 85 vaiſſeaux de ligne , de 50 ,
26 frégates , & 5 corvettes & cutters.in
APortsmouth , 46 vaiſſeaux de ligne , I de 50 ,
29 frégates , & 30 Corvettes.
2995.1
A- Chatham , 36 vaiſſeaux de ligne, 7 de 50
canons , 26 frégates , & 5 corvettes& cutters .
A Scherness , 10 vaiſſeaux de ligne , 2 de 50
canons , 4 frégates , & 7 corvettes.:
AWoolvich, 14 fregates , 3 corvettes & un
Gutter...... 889810161017 14
( 171 )
A Deptford , 18 frégates , fix corvettes & deux
cutters .
Le total eſt de 127 vaiſſeaux de ligne , 11 de
50 canons , 101 frégates , 40 corvettes &4 cutters
.
La diminution dans l'ordinaire de la Marine du
mois dernier , eſt d'un vaiſſeau de ligne & d'un
de 50 , convertis en machine à mater , de 5 frégates
, & de deux corvettes miſes en comm ſſion.
Vaiſſeaux en conſtruction dans les différens chantiers.
A Plimouth,le César de 80: on placeſes bordages.
APortfnouth , Prince de Galles 98 ; on élève ſes
côtes.
A Chatham , Royal- George 110 , ſera lancé en
ſeptembre prochain .
- Queen Charlotte 110 : on place ſes
bordages ; Leviathan prêt à être
lancé.
A Sheerness , Léopard 50.
A Woolwich , Boyne 98 : on place ſes bordages.
Minotaur 74 : on élève ſes côtes .
A Deptford , Windfor- Castle 98 : on place ſes
bordages ; Brunswick 74 : les côtes ſont élevées ;
onplace ſes bordages. Voici l'état exact de tous
les vaiſſeaux en conſtruction , excepté l'Il'ustrious
de 74 , qui eſt preſque achevé à Bucklershard :
il a été donné des ordres de placer de nouvelles
quilles.
Dans le petit nombre des Ouvrages
hiſtoriques de la première claſſe , on a
placé , avec juſtice , les Mémoires de la
Grande-Bretagne & de l'Irlande , par le
Chevalier John Dalrymple. Juſqu'ici
l'Auteur n'avoit publié de cet Ouvrage
que le premier volume , qui embraffe
f h. ij
1
4
( 172 )
:
A
en
lesévènemens compris entre l'année 1681 .
& la bataille dela Hogue , incluſivement.
Non- feulement on y dittingua un talent
du premier ordre , mais encore la nouveauté
& l'importance des faits inconnus
que dévoila l'Auteur. Il prouva ,
tr'autres , par des pièces justificatives irrécufables
, par les dépêches de Barillon ,
Ambaſſadeurde Frarce à Londres , la venalité
des principaux Whigs du Parlement
vers la fin du règne de Charles II , & les
intrigues de ce même Parti à la Cour de
Saint- Germain , pour rétablir le Roi
Jacques qu'il avoit détrôné. S'il étoit néceflaire
de deinontrer de quelles inconféquences
, de quelles injustices , de
quel oubli de toute pudeur & de tout
devoir , les factions font capables , on trouveroit
cette furabondance de preuves dans
l'ouvrage du Chevalier John Dalrymple.
Après un intervalle de bien des années
occafionné probablement par les clameurs...
de l'eſprit de parti & de l'eſprit de famille,
cet Ecrivain Ecoffois vient de publier le
ſecond volume de ſes Mémoires , quis'étend
juſqu'à l'incendie des Galions à
Vigo (1) . On y trouve , comme dans le
(1) Le premier volume in-4°. de cet Ouvrage
furbien traduit, & imprimé à Genève en 1776..
Il ſeroit à ſouhaiter que le même Traducteur, s'oc...
( 173 )
:
5
précédent , ce qu'on cherche ſi vainement
dans la plupart des Hiſtoriens , c'est- à-dire ,
les véritables cauſes des évènemens. Nous
donnerons ici un exemple du pinceau élégant
, ingénieux & fidèle de l'Hiftorien :
c'eſt le morceau où il rapproche la mort
de Jacques Il de celle de fon gendre
Guillaume III.
«Aufſi-tôt qu'à la fin de juin 1701 , le Parlement
eut terminé ſes ſéances , le Roi Guillaume ſe
rendit en Hollande pour faire renaître de ſes
cendres la grande alliance , conformément aux réfolutions
priſes par les deux Chambres , & pour
concerter avec les Généraux étrangers , réunis à
la Haye , le plan de la prochaine campagne.
Quoique ſa ſanté fût dans le dépérifſſement , fes
jambes enfiées , ſa voix auſſi foible que le cri d'une
cigale; quoiqu'affoibli encore par fon afthme ,
maladie d'autant plus infupportable , que chaque
mouvement de la reſpiration redonne à l'asthmatique
le ſentiment de ſes ſouffrances ,& aux fpectateurs
la crainte de le voir expirer ; le Roi ,environné
d'Hommes d'Etat & de Généraux , conſervoit
l'oeil de l'Aigle , cet oeil qui frappa le
Duc de Berwick , lorſqu'il vit Guillaume , pour
la première fois , à la bataille de Landen. L'efprit
del'Aigle reſtoit auſſi au Monarque ; il confioit
å ſes amis ce qu'il cherchoit à cacher au Publiç ,
cupât du ſecond voinme , & qu'un livre de cette
importance ne tombât pas entre les ma'ns de quelqu'un
de ces Execureurs typographiques , dépourvus
de toutes connoiffances ,même de celle de l'Anglois,
& qui étouffent la France de romans &de pame
phlets, indignes d'être lus , même en original .
hiij
(174)
qu'il n'avoir plus que quelques momens à vivre ;
&, perfuadé de cette vérité , il s'efforçoit de profiter
de chacun de ſes derniers inftans .
« A-peu-près dans ce même temps , l'infortuné
Jacques II, couché à Saint-Germain dans fon
litde mort , étoit entouré de Prêtres &de quelques
ferviteurs Ecoflois & Irlandois qui lui reſtèrent
fidèlesjuſqu'àfa fin . LouisXIV, dont les démarches
furent toujours dictées par un mélange étonnant
de politique & de fentiment , & chez qui , tantôt
Pun , tantôt l'autre de ces mobiles prévaloit , fit
une viſite au Roi Jacques dans ce moment. On
ne fait fi la civilité ſeule amenoit le Monarque
François , ou s'il fut conduit à Saint-Germain
par la pitié & par une eſpèce de ſympathie. »
« Lorſque Louis entra , Jacques II , les yeux
fermés , repofoit fur fondos : c'etoit ſa poſition
crdinaire. Il méditoit ait, ſans diſtractions , ſur
les grandes vérités de 1 Religion. Ceux qui
le ſervoient étoient à genoux autour de fon lit.
Le Roi de France le crut mort , & voulut ſe retirer;
mais fur l'annonce qu'on fit au malade de
P'arrivée de Louis XIV Jaces tourna fes yeux
languiffans fur l'appartement , & s'écria , où eft-il ?
Iouis s'approcha du lit ; mais Jurques , déja privé
de laparole, prit la main du Roi ,la ferra des deux
fiennes , la baifa , &y lafſa tomber trois ou quatre
laranes. >>
>> Louis XIV reſta frappé du contraſte de tant
d'infortune avec ſa propre grandeur. Il pleura , &
affura le malheureux Jacques de toute ſa protection
pour fon fils , en lui promettant qu'il le
froit proclamer Roi ,dans le cas d'un événement
qu'il eſpéroit ne pas être fi prochain . Tous les affiftans
ſe profternoient & fondoient en larmes. Cet attendriflement
paſſa juſqu'aux Gardes du Roi ,
juſqu'au Peuple afſemblé devant le Palais. Lorſque
(( 175 )
Louis XIV remonta dufis fa voiture , toutes les
voix s'élevèrente pour le bénir & faire des voeux
en fa faveur , ſans réfléchir qu'il venoit de prendre
le parti le plus dangereux à fon repos & à celui
: defon peuple; mais lui-même ſe trouvoit peut-être
plus heureux dans ce beau mouvement de ſenſibilité
, qu'il ne l'avoit été aux jours éclatans de
ſa gloire. A fon paſſage, il fit appeler l'Officier
qui cominandoit la Garde , & lui ordonna qu'au
moment où Jacques II expireroit , fon fils fût
proclamé Roi de la Grande-Bretagne. Feu de
jours après , le 17 ſeptembre , ce Prince ayant
rendu l'ame , la proclamation ſe fit en effet avec
la pompe des Hérauls, des trompettes , & avec
les autres cérémonies accoutumées. »
1
« Cette nouvelle embraſa l'Angleterre. Ceux
même qui s'interelement a la ivianon de start,
virent , avec indignation , qu'un Roi de France
eût nommé à la Couronne de l'Angleterre , fans
la participation des ſujets de ce Royaume . Delà
les adreſſes préfentées de toutes parts au Trône.
On béniſſoit le Ciel de l'heureuſe révolution qui
avoit mis le Prince d'Orange fur le Trône Britannique
; on juroit foi & hommage à Guillaume
& à la Maifon d'Hannovre ; on follicitoit la guerre
contre la France. Le Roi faifit habilement cette
circonſtance. La Chambre baſſe s'étoit précédemment
oppoſée de toutes ſes forces , au voeu du
Roi , des Min ſtres & de la Chambre Haute ,
d'entrer dans une guerre qu'il étoit dangereux
d'entreprendre avec un Parlement fi diviſe & fi
mécontent. Guillaume convoque , en novembre ,
un nouveau Parlement , & voit triompher ſes
deſſeins. L'Alembée nationale approuve l'al--
liance avec la Hollande , l'Empereur , le Danemarok
&la Suède, confent à lalevéede 40,000
Soldats , de 40,000 Matelots , & exhorte le Roi à
i
1
hiv
( 176 )
1.
2
ne faire la paix avec la France , que lorſqu'on aura
fatisfaction de l'affront reçu à Saint - Germain ;
dégrade un enfant de 12 ans , qui avoit é é proclame
Roi d'Angleterre , & propoſe deux Bills
l'unpour obliger tous ceux qui poſſédoient quelque
charge importante d'abjurer le rejeton de la Maiſon
de Stuard; &le ſecond , pour dégrader ſa mère :
maisles plus généreux d'entre les Pairs s'opposèrent
audernier de ces Bills. »
» Au milieu de ſes projets& deſes négociations ,
Guillaume III fit une chute de cheval près d'Hamptoncourt
& fe démit la clavicule. Son Chirurgien
le fit coucher , & le preſſa de reſter à Hamptoncourt;
mais les affaires publiques le rapeloient à
Kenfirgton ; il yrevint, l'eſprit p'us occupédde
fes) vaſtes penfées que de fon érat & de fa douleur :
le mouvement de la voiture dérances Panmavail
& fa fanté étant d'ailleurs ufée , il mourut peu de
jours après, des ſuites de ce léger accident .
Jusqu'aumomentde fa mort il conſerva ſa pleine
• connoiffance , s'entretint avec tous les Seigneurs
de fa Cour , & fit appeler le Lord Portland (1)
à fon dernier inſtant. N'ayant déja plus l'uſage de
la parole , il-prit la main de ce Seigneur , la ferra
far fon coeur , & expira le huit mars (vieux ſtyle ),
dans la 52°. année de ſon âge. »
>> Les dernières paroles de Charles II furent
L'expreffion d'un homme qui regrette le monde &
* les plaifirs. Faites ouvrir les rideaux , avoit dit ce
*Prince , afin que je voye encore le jour. Mais Guil-
(1) Le Lord Portland étoit de l'illuftre famille
-Hollandsiſe de Bentinck; il avoit fuivi Guillaume
en Angleterre , il ne fut créé Duc qu'en 1716 :
c'eſtdelui que deſcend le Duc dePortlandd'aujour
d'hui. ( Note du Traduct.ur. )
( 177)
Laume mourut avec l'indifférence d'un eſprit maître
de lui-même , qui ſouffre ce qu'il ne peut empêcher.
Je tire vers mafin , furent ſes derniers mots. »
» Cromwel , qui avoit renverſé la Conftitution
Britannique , reçut les honneurs des funérailles
publiques ; Guillaume, qui l'avoit ſauvée, ne les eut
point. On ne fit rien pour honorer la méntoire
de ce Monarque , parce que ſes ſucceſſeurs détapprouvèrent
tout ce qu'il avoit fait , que lePar'ement:
pouſſa la léſine juſqu'à l'excès , & que l'ingrat
public s'attache plus à ceux qui peuvent lui faire
du bien , qu'à celui de qui il en a reçu. »
«Quelquesperſonnes obſervèrent malignement ,
que le înême cheval dont la chute caufa la mort
du Roi , avoit appartenu au malheureux Sir John-
•Fenwick , dont le ſupplice fut généralement blâ
mé ( 2 ) . Mais les hommes généreux & les eſprits
droits rappelèrent qu'on devoit à Guillaume III,
le premier acte de tolérance connu en Angleterre
&imité une ſeule fois depuis , ſous le règne actuel ,
pendant le ministère de Lord North; que ceMonarque
avoit érigé la Banque nationale ; qu'il avoit
donné des ailes au crédit public de ll''Angleterre;
fondé la Compagnie des Indes ; mis fur le Trône
laMaiſond'Haanovre , quoiqu'il fût bien que l'Electrice
Sophie le haïſſoit ; qu'il avoit mépriſé toutes
les injures perſonnelles , pour ne fonger qu'au plus
grand bien de la Patrie , au gouvernement de laquelle
il avoit été appelé; que s'il viola les droits
de la nature , il fauva la Liberté , la Religion Procef
(2) Ce Chevalier , accufé d'avoir conſpiré en
faveur du Roi Jacques , fut jugé & condamné
par Ls Communes , qui , à la pluralité de 182
contre 156 , portèrent contre lui , en 16,6 , un
Bill d'Attainder , en vertu duquel il fut exécuté.
(Note du Traducteur.)
hv
( 178 )
tante , l'Angleterre , la Hollande & une grande
partie de l'Europe ; que des trois Nations libres
qui exiftent fur la terre , la Suiffe , la follande &
laGrande-Bretagne,les deux dernières lui devoi nt
le falut de leur lib rté ; enfin , qui donna à l'Univers
leg and ſpectacle d'une Monarchie , dontde
Monarque tire plus de grandeur & de fûreté de
l'indépendance du Peuple , que les autres Princes
n'en tirentde leurs armées & de leurs trefors .
>> Ajoutons que le dernier Traité qu'il figna ,
fit lafeconde grande alliance. La dernière nomination
qu'il fit d un Ambaſſadeur pour mettre le ſceau
à cette alliance , fut celle du fameux Marlborough ,
dont il connoiſſoit le mérite , mais dont il avoit
les plusjuftes raiſons de plainte. La dernière Charte
qu'il approuva , & que fon fucceffeur figna d'abord
après fa mort, fut celle qui portoit la réunion des
deuxCompagnies des Indes. Le dernier acte du Parlement
auquel il donna ſa ſanction , affara la fucceffion
à la Maiſon d'Hannovre. Le dernier Meffage
qu'il envoya au Parlement , cinq jours avant
ſa mort , étoit deſtiné à lui recommander l'union
entre les deux parties de l'Iſle , union dont dépendoit
la orce de l'Angleterre , & la fûreté contre
les entrepriſes de fes ennemis.Enfin , le dernier difcours
qu'il prononça au Parlement , fut le plus
grand & le plus noble qui foit jamais forti de la
bouche d'aucun Prince. »
< FRANCE.
De Versailles , le 16 Juillet,
Le 13 , Leurs Majestés & la Famille
Royale ont figné le contrat de mariage
du Comte deMontmorency avec demoi((
179))
こ
felle de Luynes ,& cel and 1 Comte Amalric
de Narbonne-Pellet avec demoiselle
de Sérént.
Le rs , la Reine , accompagnée de Madame
Elifabeth de France , a quitte Verfailles
pour aller à fon château de Trianon
, où Sa Majefté paffera environ un
mois . Madame , Fille du Roi , s'y est rendue
le lendemain.
20
De Paris , le 23 Juillet.
Arrêt du Conſeil d'Etat du Roi , du 27
mai 1788 , qui autoriſe provifoirement les
fieurs Intendans & Commiffaires départis
dans les généralités connues ſous la dénomination
de pays d'Election , ou leurs
Subdélégués , à viſer les, contraintes décernées
par les Receveurs particuliers des
finances , pour le recouvrement de la
Taille& des acceſſoires de cette Impo-
Sition .
Autre, du 13 juin 1788 , qui attrib e
aux fieurs Intendans & Commiffaires départis
dans les provinces , les fonctions cidevant
exercees par les Tréſoriers de
France, pour raifon des alignemens , périls
imminens , réfaction & adjudication
de paves dans les villes & autres lieux fitués
dans l'étendue des Justices royales ,
autres néanmoins que la ville & faubourgs
de Paris .
hvj
( 180 )
1
Réglement fait par le Roi , le 30 mai
1788 , concernant la Société Royale d'Agriculture.
Réglement arrêté par le Roi , le 18 mai
1788 , portant établiſſement d'un Directoire
d'adminiſtration , & d'un Conſeil de
Santé pour les Hôpitaux Militaires .
2
vers
Le 13 , à 8 heures & demie du matin ,
on a effuyé ici un orage ,dont la principale
colonne n'a atteint cependant qu'une
partie de la ville & de ſes environs. Depuis
une quinzaine de jours , le vent ſe
foutenoit au fud&fud-oueft: dans la ſoirée
du 12 , il foufla quelques coups de vent
de nord & nord-oueft; le tonnerre ſe fit
entendre , des nuées menaçantes ſe formèrent
à l'ouest , & étincelèrent d'éclairs
continus depuis 8 heures juſqu'à dix. La
nuit fut calme ; mais le lendemain
les 8 heures , l'état du ciel annonça un
orage effrayant; le ventd'oueſt ſoufla avec
impétuofité ; les tonnerres ſuccédèrent :
l'obfcurité étoit profonde ; les nuages , al
ternativement noirs , jaunâtres & blancs ,
rouloient & tourbillonnoient comme à
l'approche d'un ouragan : il s'en échappa
une pluie très-abondante pendant une
heure ,& quelques grains de grêle , ſeulement
dans la partie méridionale de la
ville. Il en tomba beaucoup , en plus
grande quantité & d'une groffeur prodi-
1
( 181 )
gieuſe dans le faubourg St. Antoine. Vincennes
, Montreuil , le Raincy , Montfermeil
, ont été faccagés. L'orage a été non
moins épouvantable , & fes ravages auſſi
affreux dans les parties occidentales de
* la Généralité , qui ſe ſont malheureuſement
trouvées ſous cette colonne meurtrière.
On ne reçoit de tous côtés que
les rapports les plus douloureux ; & l'on
verra , par ceux que nous allons donner ,
quelle étendue de pays a été frappée de
cette calamité.
Sous les yeux de Sa Majesté & de Monfieur ,
fon Frère , cet horrible ouragan a fait de funeſtes
ravages à Rambouillet. On affure que le toit entier
du commun de ce château a été emporté ;
de très-gros arbres ont été briſés ,& les fenêtres
fracaſſées. Le même nuage avoir , à huit heures &
demie du matin , entièrement dévaſté quatre à
cinq lieues de pays , entre la forêt de St. Germain
& celle de Marly. La terre de Chambourci ,
qui ſe trouve au milieu de cet eſpace , a perdu ,
en huit minutes de temps , toute eſpèce de récolte
de l'année ; & pour pluſieurs autres , l'eſpérance
du produit des arbres fruitiers , qui font une
partie du revenu de ſes habitans. Ce n'étoit pas
une grêle , c'étoit un déluge d'énormes glaçons
durs comme le diamant , & dont les plus gros
(ce qui ne s'eſt preſque jamais vu ) étoient
tellement élastiques , qu'ils bondifſſoient ſur la
terre , & portoient quatre ou cing coups meurtriers
à tout ce qu'ils rencontroient. On en a
peſé , à Chambourci , quelques-uns qui étoient
du poids de dix livres , & il s'en eſt trouvé un
à Fourqueux qui en peſoit huit. Leurs formes
( 182)
inciſives ont coupé, abattu les tiges les plus fortes ;
&une forêt de châtaigniers qui eſt au-deſſus de
ces villages , au midi , ne préſente plus que le
ſpectacle d'un pays où l'ennemi a paffé. Moiffon ,
luzernes , fruits , légumes , arbres fruitiers , tout
eft enterré , abimé , déraciné ; les toits ont été
découverts , les vitres briſées ; les vaches & les
moutons ont été tués ou bleſſés , & plufieurs
habitans, hommes & femmes , ont reçu de dangereuſes
contufions. On n'a point encore pu
évaluer ces horribles d'faftres; mais on ne pent
trop tôt les mettre fous, les yeux de l'adminiſtration
bienfaifante, qui s'empreſſera, fans doute, de venir
au fecours de tant de malheureux .
ASartrouville , le 14 Juillet 1788 , distant de Paris
de trois lieues.
« On nous écrit de Sartrouville , que l'orage y
a détruit toutes les récoltes . »
a
« A huit heures & demie du matin , la colonne
de grèle qui croiſſoit depuis environ une heure
aſſailli ce diſtrict d'un déluge incroyable de gla .
çons , dont les moindres étoient gros comme des
oeufs , & d'autres de fix & huit livres ; en un inftant
la campagne a été couverte de glace : les
grains coupés & battus font totalement perdus ;
les vignes abfolument dépouillées de leurs feuilles
&de leurs fruits ; & il ne reſte aux malheureux
habitans , après l'eſpoir d'une récolte abondante ,
méritée par leurs travaux , leurs avances & leurs
foin , que la perſpective de la plus affligeante mifère
De 450 feux dont cette Paroiffe est compoſée
, à peine cent fort-ils en état de réſiſter à cette
catastrophe: il en reſte donc 350 qui n'ont d'eſpérance
que dans la charité de ceux qui voudront
bien les ſecourir. »
2
( 183 )
On nous mande , dans une lettre de
Montdidier , en date du 14:
« Nous ſommes ici dans la plus grande conſternation
: hier 13 , rous avons efluyé une tempête
, dont il n'y a pas mémoire d'honime. Vers
les fix heures du matin , le tonnerre gronda au loin ,
les éclairs ſe ſuccédèrent rapidement , & le ciel fut
en feu. A neuf heures , un vent impétueux du
midi& du fud- ouest nous a amené une pluie abondante,
accompagnée de grête d'une groſſeur extraordinaire
: il s'en est trouvé des morceaux qui pefoient
juſqu'à deux livres & demie ; en moins
d'une heure les vitres ont été brifées , il re reſta
pas un ſeul carreau à la grande partie des croifées
: tous les toits des malons expolées au vert
ont été entevés , & les cheminé s renverſés ;
&après l'orage , le pavé étoit couvert de décombres
des toits & des cheminées Tous les arbres
de la promenade du Prieuré ont été caffés ; un
des plus forts , ayant 51 pouces de circos f rence ,
a été déraciné & renversé par terre. Les bâtimens
neufs de cette maiſon ont été aufli très- maltraités .
Ap ès l'orage terminé , d'après une viſite faite ,
Meffieurs les Officiers Vunicipaux ont fait fermer
les portes de ceste Eglife , où il n'eft p'us poilible
decélébrer 'office divin ;les Moines out commencé
dès le même jour à faireleur office à 'Hôtel Dieu .
Les Eglifes de S. Pie re & das Capucins ont auffli
fouffert confidérab ement. Nous n'avons eu dans
nos Faro'ffes que des Mettes baſſes , à onze heures
&deme , pour nous tenir li u de Grand'Meſſe.
Tous les bâtimens, depuis le Prieuré jusqu'à la porte
Paris , faifat face au Ménil-Saint- George , font
abymés ; l'Auditoire est très endommagé : la
grêe & les tuiles de la maiſon de Hardoin Tailleur
, ont brifé les vitres de notre maiſon ; le toit.
a été enlevé par le vent: ily a pour plus de 60
( 184 )
mille livres de réparations à faire aux bâtimens de
laVille, fans y comprendre le dommage de l'Egliſe
du Prieuré , & la perte entière de la récolte
qui éroit prête à ſe faire , & qui a été maſfacrée
par la grêle. Les Laboureurs , les Vignerons &
les Jardiniers font dans la plus grande déſolation:
toutes récoltes en tous genres ſont entièrement
perdues , de manière que nous voilà fans
aucuns légumes d'après cet orage. Il y a eu des
débordemes d'eau conſidérable ; il y en avoit
quatre pieds de hauteur au milieu de la Ville :
toutes les prairies & les jardins le long de la rivière
ſont encore fubmergés. Nous ne ſommes
-malheureuſement pas les ſeuls qui ont fouffert de
cetorage: il a commencé àRantigny, entre Clermont
& Creil , & s'eſt étendu , dit-on , juſqu'à
Corbie& Péronne ; les Villages les plus maltraités
de nos environs font Royaucourt : l'Egliſe eſt
maſſacrée , le clocher renverſé , plufieurs maiſons
également renverſées : le Ménil Saint - George ,
Cratibus , Daveubcourt ſont grêlés totalement ,
les payſans reſtent ſans récolte. Les moulias du
Petit Crêve-coeur, Ménil Saint-George , Haugeſt ,
&le comble de celui de Figuère ont été détruits ,
une infinité de granges des fermes des environs
ont été culbutées ,&l'on affure que près de
80Villages ont fouffert de cet orage affreux. Il s'eft
étendu fur environ 13 lieues de longueur , mais
très peu de largeur , puiſqu'il n'y a rien ni à Cautigny
ni à Pienne , qui ne font l'un & l'autre qu'à
cinq quarts de lieue de Montdidier. »
Le même otage s'eſt prolongé au-delà
de l'Iſle de-France & de la Picardie , comme
on jugera par la lettre fuivante de
Douay.
« La ville de Douay a efſuyé , le 13 de ce
( 185 )
८
mois, vers onze heure du matin ,un orage affreux,
qui a cauſé un dégat immenſe. La grêle a caffé
toutes les vitres de la ville qui ſe trouvoient
expoſées au midi. Dans les égliſes , le ſervice divin
a été interrompu. Cette grêle a été précédée
d'un tonnerrecontinuel, qui a roulé fans cefle pendantungrosquart
d'heure ; enſuite le ciel s'eft obfcurci
,& eft devenu , non pas noir, mais d'un jaune
verdâtre; pluſieurs perſonnes ont pris des Junkières .
Lesvieil'ards neſe ſouviennentpas d'un pareilorage.
Notre perte n'eſt rien en comparaiſon des dommages
caufés dans plus de cent villages des environs.
Les récoltes preſqu'entièrement perdues , ne
ſont plus que du fumier ſur la campagne. L'ouragan
a été fi fort dans certains endroits , qu'il'a
renverſé des granges , des maisons , des moulins
&une quantité immenſe d'arbres des plus forts .
Les légumes&les fruits font entièrement dévaſtés.
La grêle a duré pendant douze minutes : on a vu
desglaçonsqui peſoient juſqu'à une livre&demie.»
J
1
« Le 24 janvier dernier , le navire le
Franc-Maçon , du Havre , comme par
le Capinine Legran erant mouillé dans
la rivière duGabon , les Noirs formant fa
cargaiſon , ſe ſont révoltés ,& ont affommé
le Capitaine avec trois ou quatre
hommes de l'équipage. Le reſte s'eſt ſauvé
dans la chaloupe du navire l'Abracadabra ,
que le Capitaine Plet avoit envoyée à leur
fecours , après avoir fait des efforts inutiles
pour dompter les Noirs . Ces derniers
ont coupé les cables du navire , qui a été
s'échouer à quatre lieues de diſtance. Les
habitans du pays s'en font emparés , ainſi
que des marchandises. Quatre hommes
( 186 )
de l'équipage , reſtes malades dans leurs
hamacs , ont été épargnés , & fe fontdepuis
rendus à bord de l'Abracadabra. De
ce nombre étoit le Chirurgien , mort de
ſes bleffures trois jours après .-LesNoirs
ſauvés du Franc-Magon ont été vendus
aux Anglois. ( Courrier mar time.)
« La province du Comtat Venaiſſin ,
>> reconnoiffant la néceſſité de réformer
>> la procédure qui y eſt en ufage , & qui
>> rend les procès interminables , propoſa
» en 1787 deux prix , confiftant, l'un en
>>> une médaille d'or de la valeur de 600 1 .
» & l'autre d'une médaille d'or de la va-
>> leur de 300 liv. pour les meilleurs mé-
>>> moires qui lui feroient préſentés ſur la
>> manière de remédier aux vices de fes
formes judiciaires. Dans l'aſſemblée des
>> trois Etats de la province, tenue cette
>> année , le prix de 600 1. a été adjugé
» à un mémoire , dont l'auteur eft M.
" Bernardi , Lieutenant général au fiége
>>> du Comté de Sault en Provence , connu
>> déja par pluſieurs ouvrages de ce genre
>> très eftimables , entr'autres par un dif-
>> cours fur les loix criminelles , couronné
>> par l'Académie de Châlons-fur- Marne ,
>> en 1780 , & dont il va paroître une
>> nouvelle édition , par un effai profond
>> fur les révolutions du droit françois, pu-
>> blié à Paris en 1785 , & par des lettres
(187 )
>> ſur la procédure criminelle de la France.
>> Le ſecond prix a été adjugé à un mé-
>> moire tot l'auteur est M. Raphel ,
>> Avocat de la ville de Carpentras , dans
>>> le Comtat Venaiffin. On a fait une
>>> mention honorable d'un troiſième mé-
> moire dont l'auteur eſt inconnu. >>
PAYS - BAS .
6
De Bruxelles , le 19 Juillet 1788 .
Le Traité provifoire d'Alliance entre les
Cours de Londres & de Berlin , confifte.
en ſept articles , dont voici la teneur ,
ainſi que te préambule.
a L. M. le Roi de Pruſſe & de la Grande-
Bretagne défirant d'augmenter & de conſolider
l'union & l'amitié qui fubfiftent fi heureuſement
entre elles , & de concerter les mesures les plus
propres pour affurer leurs intérêts mutuels , elles
ont réfolu de renouveler & de refferrer ces liens
par un traité d'alliance défenſive , & elles ont
autorisé pour cet effet , S. M. le Roi de Prufſſe ,
le fieur Philippe- Charles d'Alvensleben , Chambel-
Jan, Chevalier de f'ordre de Saint-Jean de Jérufalem
, envoyé-extraordinaire de S. M. auprès
Ade L. H. les Etats-Généraux des Provinces-
Unies; & S. M. le Roi de la Grande-Bretagne ,
le fieur Jacques Harris , Conſeiller privé , Chevalier
de l'ordre du Bain , membre du Parlement
de la Grande-Bretagne , Ambaſſadeur extraordinaire
& plénipotentiaire de S. M. auprès de
L. H. P. les Etats-Généraux des Provinces- Unies :
leſquels, après s'être communiqué réciproquement
leurs pleins pouvoirs , ſont convenus des articles
ſuivars: »
( 188 )
«Art. I. Il y aura une amitié conſtante & fincère
, & une harmonie & union intime & parfaite
entre leſdits ſéréniffimes Rois , leurs héri-
<tiers& fucceſſeurs , leurs Royaumes , Etats & Sujets
reſpectifs ; & ils emploieront tant leur plus
grande attention, que tous les moyens que la
providence leur a confiés , pour maintenir cette
liaiſon&correſpondance d'amitié étroite ,&pour
avancer leurs intérêts communs , pour ſe défendre
mutuellement , en conformité du traité d'alliance
conclu entre la Pruſſe & l'Angleterre , à Weftminſter
, le 18 novembre 1742 , en y rendant les
ſtipulations conformes aux circonstances del'Europe.
८
« II. Les hautes parties contractantes s'engagent
particulièrement , & promettent d'agir en tout
temps , de concert& en mutuelle fiance , dans
le but de maintenir la sûreté , l'indépendance &
le gouvernement de la République des Provinces-
Unies, conformément aux engagemens qu'elles
viennent de contracter avec ladite République ,
c'eſû-à- dire , S. M. Prufſſienne , par untraité conclu
àDedin,le 15 avril 1788 , & S. M. Britannique
par un traité conclu le même jour à la Haye ,
que leſdites hautes parties contractantes ſe ſont
communiqués l'une à l'autre. »
>> III. Au cas qu'il vînt à arriver dans une
occaſion quelconque , qu'en vertu des ſtipulations
deſdits traités , les hautes parties contractantes ſe
viſſent obligées d'augmenter les ſecours à donner
aux Etats-Généraux ,au-delà des nombres ſpécifiés
dans leſdits traités , ou de les aider de toutes
leurs forces , leſdites hautes parties contractantes
ſe concerteront eaſemble ſur ce qui peut être
néceſſaire relativement à l'emploi de leurs for es
reſpectives , pour la fûreté & la défenſe de ladite
République. <<<
IV. Au cas que l'une ou l'autre deſditeshautes
( 189 )
parties contractantes vint en aucun temps futur à
être attaquée , molestée ou inquiétée dans quelques-
uns de ſes Etats , droits , poffeffions ou intérêts
, par quelque autre puiſſance , en conféquence
d'aucun des articles ou ſtipulations renfermés
dans leſdits traités , ou des meſures à
prendre par leſdites parties contractantes , reſpectivement
en vertu de cela , l'autre partie contrac
tante s'engage de la fecourir &del'affifter contre
une telle attaque,; &leſdites parties contractantes ,
dans tous les cas ſemblables , promettent de ſe
maintenir & garantir l'une & l'autre dans la poſ.
ſeſſion de tous les Etats , villes & places qui
leur appartenoient reſpectivement avant le commencement
de telles hostilités. »
« V. Les fecours mentionnés dans l'article pré--
cédent, conſiſteront en 16 mille hommes d'in
fanterie , & 4 mille de cavalerie, qui feront fournis
dans d'eſpace de deux mois après la réquisition
faite par la partie attaquée , & reſteront à fa dif
poſition durant la guerre, pour être employés fur
le continent de l'Europe , de telle manière que
la partie requérante le jugera à propos ; ils ſeront
auffi payés & maintenus par la puiſſance qui les
fournit; mais la partie requérante fournira aux
troupes de la partie requife , quand elles ferontdans
ſes Etats,le grain& le fourrage néceſſaires ,
fur le pied uſité dans ſes propres troupes. »
« VI. Au cas que les ſecours ſtipulés ne feroient
pas fuffifans pour la défenſe de la puiſſance requérante
, l'autre puiſſance les augmentera ſuivant
lanécetřité du cas ,& l'aidera de toutes ſes forces ,
ſi les circonstances l'exigent: » .
C
T
VII. Le préſent traité proviſionnel ſerá ratifré e
de part& d'autre , & l'échange des ratifications
ſe feradans fix ſemaines, ou plustôt, fifaire ſepentem
<< Fait à Loo en Gueldre , le 13 juin1988
(Signé) PHILIPPE CHARLES D'ALVENSLEBEN.
JAMES HARRIS .
( 190 )
Extrait d'une lettre de Paris, du 15 juillet .
« Une des machines à filer le coton , inventées
par M. de Barneville , & dont nous avons parlé
dans le temps , vient d'être placée à Rouen. Le
ſecours de cent mille écus , accordé par le
Gouvernement aux manufactures de la Normandie
, concourt , avec cette manipulation ſimple &
vraiment utile , à redonner une grande activité
aux fabriques de cette province. >»
« Les Actionnaires de la Caiffe d'Efcompte ont
tenu une aſſembléegén. le8 de ce mois, dans laquelle
on leur a préſenté l'état de ſituation du ſémeſtre
expiré ; il en réſulte que les fommes efcomptées
s'élèvent à 262.933,187 liv, 18 fols 11 den ., ce qui
aproduit un bénéfice de ... 2,440,3741. 181.9 d.
Intérêtsde 70millions verſés
auTréſor royal ........ 1,750,000 " "
Bénéfice dudernier ſemeſtre
pour eſcompte duportefeuille
au 31 décembre .. 551,184 5 "
TOTALdesbénéfices .4,741,5591. 36. 9d.
.....
Dépenſes générales pendant
leſemeſtre .
Efcompteduporte-feuilleau
30juin
147,7391.18 f. 1d.
568,795 14 3
TOTAL ....... 716,535 12
Bénéfice à répartir ...... 4,025,023 11
25000 Dividendes ....... 4,000,000
Il reſte en fraction à reporter
4
5
аз "
au prochain ſemeſtre .... 25,0231.11f. 5d.
( 191 )
Sur les avis qu'on a reçus à Pétersbourg
des armémens de Suède , la Ruffie ſe prépare
à lui faire face. Le Comte de Razonmowski
, Gen. Major, eſt parti, le 20 juin,
pour Fridériesham , & fera aux ordres du
Général Michelfon , qui commandera à
Vilmanſtrand un Corpsde 22000 hommes,
dès qu'on pourra le raffembler.
Le Comte de Poufchkin , Vice-Préfident
au Collège de la guerre , ayant fous fes
ordres le Comte d'Anhalt, Lieutenant-général
, commandera , près de Revel , un
Corps d'armée plus conſidérable , qui doit
être porté à 30,000hommes . On croit que
le Grand-Duc ſera de cette armée.
P. S. Le Bulletin de Vienne , du 9 Jullet,
rend compte de diverſes actions entre
les troupes de l'Empereur & les Turcs
juſqu'au 28 juin. La plus conſidérable eſt
celle que mande le Général de Fabris ,
dans ſa dépêche datée d'Hermanſtadt , le
25 Juin : il rapporte que le 19, le Colonel
Horwarth allant avec ſa troupe de
Pétruskan vers Adſchud, fut attaqué par
un corps ennemi d'environ 3,000 hommes
, qu'il défit & diſperſa après un combat
opiniâtre. L'ennemi a perdu beaucoup
de monde : on attend un rapport plus circonſtancié
de cette affaire .
Six vaiſſeaux de guerre Ruſſes, dont 3
(192 )
de ligne , venant de Cronſtadt, ſont arrivés
, le 5 juillet , près de Dragoë.
Comme le vent étoit très - favorable au
départ du Roi de Suède , on préſume que
ce Prince ſera arrivé le 26 ou le 27 juin ,
avec les troupes , aux côtes de Finlande.
Ona expédié , le 4, de Copenhague un
Courrier pour le Miniſtre du Roi de Danemarck
à Stockholm. -Un cutter a mis à
la voile en diligence pour la mer du nord. -
-Les Matelots de Norwège&de Holſtein
font arrivés à Copenhague.-La Louife-
Augufte , vaiſſeau de ligne de 74 canons ,
eſt allée en rade , à la même date...
Qualité de la reconnaissance optique de caractères