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Nom du fichier
1788, 05-06, n. 18-26 (3, 10, 17, 24, 31 mai, 7, 14, 21, 28 juin)
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33.30 Mo
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855
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Texte
MERCURE
=
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI ,
1
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES;
: CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
** toutes les Cours ; les Pièces Fugitives nouvelles
en vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & lesArts ; les Spectacles
; les Causes célèbres ; les Académics de
Paris & des Provinces ; la Notice des Édits ,
Atrêts ; les Avis particuliers,&c. &c.
C
SAMEDI 3 MΑΙ 1788.
A PARIS ,
Au Bureau du Mercure , Hôtel de Thou,
rue des Poitevins , Nº . 18 .
Avec Approbation , & Brevet du Roi .
TABLE
Du mois d'Avril 1788 .
PIECES IÈCES FUGITIVES . Zoraide.
Vers.
Affaires de l'Inde.
74
102
De la Mesure du Temps . 112
Les Vents & la Rose . Alle Decours. 117
4 Moyen proposé à la France .
gorie.
A mon Fils. 49 & c. 149
A une Dame.
97 Amusemens. 164
Le Bonheur. 145
Inscription. 146 Variétés. 131 , 166.
Charades , Enigmes & Logo- SPECTACLES.
griphes. 6, 10, 99. 146. Académ. Roy. de Muf.
NOUVELLES LITTÉR.
'Choix de Fabliaux. 7
32
Concert Spirituel. 77 , 136 .
Comédie Françoise .
Collettion de Comptes ren- Comédie Italienne.
dus. 30
37.83 .
40, 84.
ElogehiſtoriquedeMably. 51 Annonces &Notices , 44 , 88.
Obfervacions.
242,
186.
AParis , de l'imprimerie de MoUTARD , Flue
des Mathurins , Hôtel de Cluni.
4
Complisets
7-16-37
24009
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 3 MAI 1788.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
SUR la mort de M. DE BUFFON.
AMANT de la Nature & fon Peintre fidèle ,
BUFFON en dévoila juſqu'aux moindres ſecrets :
Tu l'as frappé , Mort trop cruelle;
Mais ſa gloire échappe à tes traits :
Oui , ſes tableaux vivront autant quo le modèle.
(ParM. D**. ******. )
A
6
MERCURE
Tous deux denotre fubfiftance
Sont les principaux fondemens ;
L'un prépare nos alimens ,
L'autre prépare leur naiffance.
(Par le Neveu du Coufin Jacques. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
:
ROLAND FURIEUX , Poëme héroïque
de l'Arioste ; nouvelle Traduction littérale
& fidèle , avec le texte italien à côté de
chaque Stance , dédiée à Mgr. le Comte
DE MONTMORIN , Ministre des -
Affaires Etrangères. A Paris, chez Plaffan
, Libraire , Hôtel de Thou , rue des
Poitevins . Dix Volumes petit in -
Prix en blanc , 30 liv.; broch . , 32 liv. ;
reliés , 36 liv .
12.
L'ESSAI ſur l'art de traduire, qui précède cette
Traduction , contientdes réflexions judicieuſes &
d'excellens préceptes. Son principe fondamental
eft que toute Traduction doit , autant qu'il eſt
poffible, étré en même temps littérale & élégante.
Si cette règle n'eſt pas nouvelle , on
s'en eft ſi ſouvent écarté dans des Ouvrages
qui n'ont pas laiſſe de jouir d'une certaine réputation
, qu'il étoit bon de la rappeler & de
la mettre dans tout fon jour.
Chaque Langue a ſon génie qui dépend de
Torganikation du peuple qui la parle , de lanaDE
FRANCE. 7
ture du climat , de la Religion , du Gouvernement
, des Meurs , des Arts , du Commerce ,
des relations extérieures , & qui fuit néceſſairement
les progrès de la civiliſation.
Ce génie n'est pas fixe & invariable. Il doit
changer à chaque ſiècle avec les moeurs , & à
meſure que les Arts & les connoiſſances s'étendent.
Lorſqu'une Nation moderne a atteint
dans les Arts & dans les Sciences la même
perfection que les peuples de l'Antiquité , la
Langue de cette Nation n'a plus, dans fon génie
particulier , rien qui puiſſe l'empêcher de ſe
rendre propres toutes les beautés des Langues
anciennes.
Le françois , comparé à la plupart des autres
Langues , paroit être la moins favorable de
toutes à l'art d'écrire . Privée des déſinences
variées qui modifient les noms & les verbes
embarraſſée d'articles , de pronoms , de verbes
auxiliaires , elle ſe traîne quand les antres volent;
mais nos grands Maîtres ont vaincu tous
ces obstacles : elle est devenue entre leurd
mains capable de tout exprimer& de tout pain.
dre: elle est la Langue univerſelle de l'Europe.
Ce n'eſt donc pas au caractère de cette Langue
qu'il faut s'en prendre , fi nous avons et
long- temps de ſi mauvaiſes Traductioης ; δε
l'on a trop exagéré l'influence du génie des
Langues , en le regardant comme une barrière
infurmontable à l'art de traduire.
Il y a cependant quelques Langues , telles
que laGrecque & la Latine , par exemple , qui
font fi riches , fi harmonienfes , que pluſieurs
de leurs expreſſions ne pourroient être rem.
dues en françois ; elles ont des beautés loca
les de circonſtances , d'alluſions aux moeurs ,
qu'on ne peut rendre : mais ces cas font moins
communs qu'on n'imagine ; & il n'y a rien
A 4
S MERCURE
dont un vrai talent & un travail opiniatre ne
puiffent venir à bout quand ils font dirigés par
une bonne méthode.
Pour parvenir à cette exactitude , à cette
fdélité ſcrupuleuſe qui eſt la qualité laplus efſentielle
de toute Traduction : » Il faut , dit
» Μ. Ρ ........ , commencer par fe pénétrer
>> de l'eſprit de l'original , lui consacrer toutes
>> ſes facultés , fondre ſa penſée , pour air fi
,
dire , dans la fienne , afin de mieux faifir
>>toutes les formes , toutes les tournures de
fon eſprit : quand on est ainſi préparé , il
» faut rendre les mots , fi les deux Langues
>>>par leur analogie , le permettent ; enfuite
» les idées , les penſées , les figures , les com-
>> paraiſons dans leur entier , ſans ſe permettre
>> d'y rien ajouter ou fupprimer " . Mais ce
premier travail n'est encore que la moindre
partie de la tâche du Traducteur. » Il ne fuffit
22 pas de rendre les mots , les idées ; c'eſt leur
>> valeur , leur expreffion , leur tour que l'on
>> deit fur tout s'attacher à faitir , afin de pro-
>> duire dans la Traduction le même effet que
dans l'original ; & l'on ne pent ſe flatter
>> de parvenir à ce but , ſi l'on ne fuit exacte-
>> ment le ſtyle & le mouvement de toutes les
>>périodes de l'Auteur. Le ſtyle eft le cachet
>> des grands Ecrivains : il eſt l'expreffon de
>>> leur ame , de leur caractère ; il indique l'or-
>> dre & le mouvement de leurs penfees .......
Un grand Ecrivain fe reconnoît à fon ftyle ,
comme un Peintre à ſa manièrea.
Voilà ce que n'entendoit point La Motte ,
Auteur de tant d'héréſies littéraires accréditées
de nos jours. Il faut, felon lui , dès qu'on a
faiti le fens d'un Auteur , oublier fon expref.
fion , & chercher foulement à exprimer ce fens
comme il l'aurait exprijné lui- même s'il vivoit
parmi nous. C'eſt ce mauvais principe qui a
DE FRANCE.
prévalu fi long-temps, qui a retardé les progrès
de l'art de traduire : c'eſt dans La
>> Motte que les partiſans des Traductions li-
>> bres vont chercher les mauvaiſes raiſons
>>dont ils s'appuient. Rendre les idées d'un
>> Auteur fans leurs véritables expreſſions ,
» c'eſt n'avoir rempli ſa tâche qu'à demi ........
>N'est- il pas ridicule de faire parler un An
>> cien, comme ilſe fût exprimé s'il eût vécu
>> de nos jours ? Ce n'eſt pas Céſar dans Paris
>> qu'on veut connoître , c'eſt Céfar au milieu
२२ de Rome & des factions
!
Ce qui donne à chaque Auteur cette phyfionomie
particulière qui le diftingue de rous
les autres , ce font principalement les mouve
mens du ſtyle. Il fautdone fur-tout s'appliquer
à les conferver : il fant que le Traducteur foit
doux , modéré, vif, rapide, véhément dans fon
ftyle , ſelon que fon Auteur est calme , ou
emporté par quelque paflion.
Μ. Ρ ...
.... conſeille à ceux qui n'ont
pas l'habitude de traduire , de commencer par
faire une Traduction linéaire ; de ranger enfuite
cette Traduction dans l'ordre que leur
preſcrit la Syntaxe de leur Langue ; de polir
enfin & de corriger ſans ceſſe cette dernière
Traduction , en s'écartant du texte le moins
qu'il eſt poſſible.
DuMarfais abeaucoup infifté fur l'excellente
méthode des Traductions interlinéaires.. Il n'y
en a point de meikcure pour apprendre promptement
& sûrement une Langue ancienne ou
étrangère ; mais il n'est pas beſoin d'avertir
que M. P....... ne veut fans doute ici
qu'indiquer la meilleure manière de ſe mettre
en état de bion traduire , & nort celle de faire
de bonnes Traductions. La première condition
néceſſaire àun bon Traducteur , c'eſt de pof-
A
ro MERCURE
féder à fond la Langue de l'Auteur qu'il veut
traduire : lorſqu'on a acquis cette connoiffance
parfaite , la Traduction linéaire doit être de
peu d'uſage ; & quand on ne l'a pas encore ,
il feroit imprudent de traduire ainſi en tátonnant
: avec tout l'eſprit & le ta'ent poſſible ,
on tomberoit à tout moment dans des bévues
inévitables .
Il faur auffi mettre quelques reſtrictions à ce
que dit l'Auteur de l'Eſſai , fur l'utilité dont --
feroient les Traductions , ſi elles acquéroient
la perfection dont elles font fufceptibles : » On
>>>pourroit alors , dit- il , ſe paſſer des origi-
>> naux ; il feroit très-inutile de lire dans une
>> Langue morte un Auteur qui ſeroit parfai
>>> tement rendu dans la fienne ". Pour réfuter
ce qu'il y a de trop dans certe affertion , il
futiroit de citer à M. P..... ce qu'il a
dit lui - même de la Langue Grecque & de la
Langue Latine; mais cette diſcuſſion ſeroit ici
fort inutile. L'Auteur doit ſentir mieux que
perfonne, qquuee par une illufion fort naturelle ,
Popinion qu'il de l'utilité des bonnes Traductions
, l'a emporté trop loin. Il aime trop
véritablement les Lettres ,pour vouloir autorifer
par ſon ſentiment le diſcrédit où la pareffe
moderne a laiſſe tomber l'étude des Langues
anciennes , & dont les excès ridicules du bel
efprit &du mauvais goût font les déplorables
fuites.
a
L'exorde de la Vie'de l'Arioſte , écrite par
M. Framery , peut en même temps donner une
idée de ſon ſtyle , & fournir un nouveau té
moignage contre les Détracteurs du Poëte Fer
rarois.
>>La Vie des hommes , célèbres par leurs ta-
➤ lens littéraires , eſt ordinairement peu féconde
en évènemens. Conſacrée preſque
DE FRANCE. 11
* toute entière à l'étude , l'hiſtoire de leurs
>> actions importe bien moins que celle de leurs
>>>travaux ,&n'offre à la curiofité aucun dé
>> tail auſſi intéreſſant que leurs Ouvrages. Ce-
» pendant , lorſqu'un homme de génie ſe pré-
> fente à la Poſtérité , à la tête de ſon ſiècle
>> qu'il a marqué du ſceau de ſa gloire , tout
>>ce qui a rapport à lui devient facré pour
>>elle: elle aime à le connoître juſque dans
>>les circonſtances les plus légères ;l'éclat qui
» l'environne ſe répand juſque ſur les détails
> les plus minutieux........ On aime à croire
>> que le génie qui lui dicta tant de merveilles
» préſida de même à ſes moindres diſcoars ,
>> à ſesmoindres actions. Cet intérêt , qui n'eſt
>> pas l'effet d'une partialité aveugle , mais de
>> la vénération profonde qu'inſpirent les grands
>>talens, eſt dû , ſans doute , à l'Arioſte , qui
» mérita d'être affis au rang des premiers Poë-
>> tes du Monde , à côté d'Homère & de Vir-
» gile , à l'Arioſte , l'un des Reſtaurateurs des
» Lettres , l'un de ces brillans météores qui
>>firent la ſplendeur de l'Italie & dubeau fiè
>> cle de Léon X«.
Cette Vie est tirée de divers Auteurs Italiens
, &principalement d'un Abrégé de J.-B.
Pigna. Cet Auteur & le nouveau Biographe
nem'ont paru différer que ſur un point important.
Selon M. F...... , lorſqu'Ariofte fut
tombé dans la diſgrace du Cardinal Hippolite,
il s'en confola dans la retraite : » Il avoir
>>perdu les faveurs incertaines d'un Maitre ; il
>> s'en crut dédommagé par les douceurs conf-
» tantes du repos & de la libertë. Les foins
» qu'il avoit donnés à ſa fortune , preſque aux
» dépens de ſa vie , il les donnoit alors à
> l'Ouvrage qui devoit lui aſſurer l'immorta
» lité , &c. «
A6
12 MERCURE !
Selon l'Auteur Italien , au contraire , le re
froidiſſement qu'il éprouvoit fit qu'il ſe retira
comme de lui-même de la faveur de fon Maître
, & qu'il interrompit pendant quatorze ans
ſes travaux poétiques . Pendant four ce temps ,
fon extrême trifteffe , & le tourment que lui
donnèrent quelques procès , l'empêchèrent de
rien compofer. Ainfi fut perdue la meilleure
partie de ſes antes , perte dont ſe doivent
affliger tous ceux qui penſent aux fruits qui
en pouvoient naître pour l'utilité générale des
hommes. Fece che quafi egli da se della gratia
di fuo patronefi traeffe , e che lo scrivere interponeffe
per quattordici anni. Nel qual tempo per
Effer molto dalla meftitia , e da certe liti travagliato,
non potè mai compor nulla. E cofi dellis
miglior parte de fuoi anni una perdita fi fece di
che da dolerfi ha chiunque al frutto riguarda che
per utile della communanza de li uomini ne potea
nafcere.
,
La première opinion nous fait voir l'Ariofte
plus Philofophe ; mais on pouvoit tirer de la
feconde un parti plus philoſophique . Un grand
Poëte, un de ces Cygnes harmonieux ( 1 ) qui portent
les noms des hommes au Temple de l'Immorta'ité
, affez dupe des faveursde Cour
pour les payer d'un fentiment qu'on ne doit
qu'à l'amitié , & pour ſe condamner au Glence
lorſqu'il s'eft apperçu de fon erreur : quelle
leçon pour ſes parcils , & pour ceux qui , fans
avoir le même génie , feroient fufceptibles de
la même illufion ! Un Prince dont toute la
faveur ne pouvoit être qu'un foib'e retour de
ce qu'il devoit à l'Arioſte , réduisant au fierce
la Mufe qui l'avoit tant célébré , privant peut-
'être par un refroidifement injuste la Poſterité
d'un ou de plufieurs autres Chet-d'oeuvres , &
(1) Alluſion à une charmante allégorie de l'Arione.
DE FRANCE.
ſe privant ainfi lui - même de quelques nouveaux
titres de gloire quelle ſource de réflexions
pour Iss Grands, s'ils ſe donnoient la
peine de réfléchir !
Tous les détails de cette Vie intéreſſent : il
en eſt qu'on ne ſcauroit trop faire connoitre.
L'idée qu'on a d'un Ouvrage influe ſouvent
fur celle qu'on ſe forme,de l'Auteur; & cellesi
peut, à fon tour, diriger quelquefois la première.
Il feroit aſſez fingulier que cet homme ,
d'un caractère grave, & d'un eſprit aufh fage
qu'adroit , qui fut employé , de préférence à
tout autre , dans une ambaflade difficile auprès
du violent Pontife Jules II, qui fut choiſi par
le Duc de Ferrare pour appaiſer les différens
& concilier les factions dans une partie de fes
Etats , & qui , dans ces deux occafions , ſe
conduifit avec une prudence consommée , ne
pût inventer que des impertinences , & racon
ter que des folies..
:
On aiine à voir , dans la ſeconde de ces
commifions délicates, un Chef de brigands ,
faifi de refpect au nom & à la vue de Louis
Ariofte , folliciter l'honneur de lui fervir d'efcorte
, & payer aux Muſes un tribut d'admiration
qu'elles ontichnent quelquefois à peine
de la claſſe qu'on nomme choifie.
On aime à avoir que les moeurs étojent
douces , qu'il étoit d'une fociété aimable &
grie, quoique naturellement porté à la métancole.
Il n'est pas jusqu'à fon portrait ,peint
aar le célèbre Titien , dont on ne fache gré à
de tous avoir 1. F. rappelé les trats.
1 tot de tai le plus qu'ordinaire , & bien
apr portable , mais un peu voîké ; brun
po de vißge , mis très-blanc dans tout le refte
o da cores ; de afpect grave , fériceuuxx , &
» strader plein de deuctur & de franchiſes
» des dents fuperbes , des lèvres vermeilles ,
14 MERCURE
>> un nez grand & aquilin , des yeux brillans
>>d'eſprit& de feu , donnoient à ſa figure au-
» tant de nobleſſe que d'amabilité « .
Mais un portrait plus intéreſſant encore , eſt
celui qu'il nous a laiſſe de la beauté de fon
génie dans le Poëme du Roland furieux. L'efquiffe
rapide que j'en ai tracée ( r) , ne ſuffit pas
pour endonner une idée juſte ; mais elle peut
aider à ſe mettre dans la ſituation d'eſprit &
dans le point de vue néceſſaires pour le lire
avec fruit & le juger ſainement. Il me reſte
à faire connoître par quelques citations le travail
des nouveaux Traducteurs .
..
L'un des morceaux du premier Chant , qu'on
relit toujours avec un nouveau plaifir , eſt
celui de la fuire d'Angélique. Voyons comment
M. P ... l'a rendu. Les Amateurs
de la Langue Italienne me fauroient mauvais
gré de ne pas rapporter le texte italien , qui
d'ailleurs étant joint dans l'ouvrage même à
Ja Traduction , ne pourroit, fans infidélité , en
être ſéparé dans Fextrait.
Fugge tra felve spaventose escure,
Per lochi inabitati , ermi , e selvaggi.
Il mover dellefrondi e di verzure,
Che di cerri fentia , d'olmi e di faggi ,
Fatto le avea , conſubitepaure ,
Trovar di quà e di là ſtrani viaggi;
Ch'ad ogni ombra veduta , o in monte , o in valle,
TemeaRinaldo averfempre allespalle.
» Angélique fuit à travers les forêts effrayantes
, obfcures au milieu , des lieux déſerts,
(1) Voyez le Mercure dernier , article VARIÉTÉ.
DE FRANCE.
15
>> fauvages, eſcarpés. Lemouvement d'une bran-
>>che , du feuillage des chênes , des hêtres , des
>>ormeaux, en lui inſpirant des terreurs pa-
» niques , lui font prendre de côté & d'autre
>>desroutes détournées ;&toute ombre qu'elle
> apperçoit ou dans les vallons ou dans les
>>montagnes , lui ſemble toujours être Renaud
>>prêt à la joindre « .
L'expreſſion des terreurs paniques , qui n'eſt
point dans l'original , eſt peut être un peu familière;
le cinquième & le fixième vers font
moins bien rendus que les autres ; & après le
mouvement , an fingulier , lui font prendre , au pluriel
, eſt une légère inadvertence;mais on voit
dans le reſte de la Stance, que le Traducteur
fidèle à ſes principes , s'écarte le moins qu'il
peut du texte , & s'attache à conferver l'ordre
des idées & même des expreſſions.
Qualpargoletta damma, o capriola ,
Che tralle frondi del natio bofchetto,
Alla madre veduta abbia la gola
Stringer dalPardo , e aprirle'l e fianco o'lpetto,
Difelva infelva dal crudel s'invola ,
Edipaura trema e diſoſpetto :
Adogni flerpo che paſſando tocca ,
Efferfi crede all' empiafera in bocca..
>>Telle une jeune biche, ou une chevrette qui a
>> vu dans le bois où elle reçut le jour , à tra
>> vers le feuillage , un leopard cruel étrangler
ſa mère, lui déchirer les flancs & les en-
>> trailles , s'échappe&fuit de forêts en forêts ;
>> tremble de crainte &d'épouvante , & à cha
» que buiſſon qu'elle touche dans ſa fuite ,elle
-le croit déjà dans la gueule fanglante de cette
MERCURET
N
>> bête cruelle ". Tralle frondi del natio bofchetto
, eſt rendu un peu longuement ; c'eſt en
partie la faute de la Langue ;mais on pourroit
du moins éviter l'embarras qui règne dans la
phrafe françoiſe, en mettant:"Qui avu à travers
les feuillages du bois où elle reçut le jour. Le
dernier vers est encore preſque paraphrafe,
Il étoit fort difficile à traduire , il est même
impoſſible de faire paffer dans la Traduction ce
qui fait ſa principale beauté , c'eſt le mot in
bocca , rejeté à la fin du vers , & qui est d'un
effet admirable.
Quel di e la notte , emezzo l'altro giorno
S'andò girando , e nonsapeva dove :
Trovoffi al fine in un boſchetto adorno
Che lievemente lafresca aura move.
Due chiari rivi mormorando intorno ,
Semprel'Erbevifan tenere e nove :
Erendea ad ascoltar dolce concento
Rotto tra picciolfuffi il correr lento.
» Ce jour , la nuit , & la moitié encore du
>>jour fuivant , Angélique s'en va courant , &
>> fans ſavoir où. Enfin elle ſe trouve dans
>> un petit bois délicieux qu'un frais zephir
>>>agite mollement : deux clairs ruiffeaux , en
>> murmurant tout à l'entour , y entretiennent
» une verdure toujours fraiche;& nouvelle.
>> Leur cours lent, & rompu par de petits cail-
>> loux, formoit de doux fons à l'oreille ..
Il faudroit , pour l'exactitude grammaticale' ,
formoit desfons doux à l'oreille. Dans les quatre
vers du milieu de cette Stance , il feroit difficile
d'être en même temps plus élégant &
plus littéral.
DE FRANCE. 17
Quivi parendo a lei d'efferficura ,
Elontane a Rinaldo mille miglia ,
Dalla viaftanca e dall' Estiva arfura ,
Di ripofare alquanto fi configlia.
Trà fiori fmonta , e lascia alla pastura
Andare ilpalafren ſenza la briglia;
E quel va errando intorno alle chiare onde ,.
Che difrefch' erba avean piene leſponde.
» Là ſe croyant en sûreté , & au moins à
>> cent lieues de Renaud ,1, fatiguée de la route
» & de la chaleur du jour , elle prend le
>> parti de s'y repoſer un peu. Elle deſcend
>> donc fur des fleurs , & laiſſer paître fon
palefroi fans bride ; & celui - ci porte ſes
» pas errans le long des clairs ruiſſeaux , dont
>> les bords font tout couverts d'herbes fraî-
>> ches «.
Dont une herbe fraîche couvroit les bords ,
foutiendroit peut-être mieux la fin de cette
Stance qui eſt un peu tombante.
C
:
Ecco non lurgi un bel cespugliovede
Di fpin fioriti e di vermiglie rofe ,
Che delle liquide onde a ſpecchiofiede ,
Chiuso dal folfra l'alte querce ombrofe
Cofovoto nel mezzo , che concede
Frescastanza fra l'ombre più naſcoſe ;
-E lafoglia co'rami in modo è miſta ,
Che'lfol non v'entra , non che minor vista.
Dentro letto vi fan tenere erbette ,
Che invitana a pofar chi s'appresentaz
:
18 MERCURE
Labelladonna in mezzo a quelfi mette ,
Ivi fi corca, ed ivi s'addormenta.
>>Tout à coup elle apperçoit près d'ells uni
beau buiffon d'épines fleuries & de rofes
>> vermeilles , à qui une onde pure & criſtalline
> ſemble fervir de miroir, & que des chênes
» élevés & touffus defendent de l'ardeur du
>> foleil. Ce buiffon offre un frais afile au
>> milieu de l'ombrage le plus épais ; Car le
>> feuillage y eſt tellement erxremêlé avec
» les rameaux , que non ſeulement le ſoleil ,
> mais même la vue ne peuvent y pénétrer.
>> L'herbe tendre y formoit un lit qui invitoit
دد tous les paffans à s'y repoſer. La belle An-
>> gélique s'affied au milieu de ce buifion , s'y
couche , & s'y endortc.
Le vers che'l fol non v'entra , non che minor
viſta , contient un italianiſme qui paroit avoir
échappé, par diffraction , à M.P ..... :il
fignifie, littéralement que non feulement la vue ,
mais même le soleil, n'y peuvent pénétrer; ce
qui eft le contraire de fa verfion. Dans la
deſcription de ce buifion fleuri , l'italien dit
anſi qu'au milieu eſt un eſpace vide qui offre
un frais afile parmi l'ombre la plus épaiſſe. La
traduction françoiſe ne rend pas fi nettement
cette jolie diftribution. Et s'y endort finit bien
moins heureuſement la phrafe , que l'italien e
quivi s'addormenta : mais ce n'eſt pas la faute
du Traducteur, qui ne pouvoit retrouver dans
ſa Langue l'harmonie lente & imitative du verbe
addormentare.
C'eft quelques Stances après que ſe trouve
cette charmante comparaiſon , ſi heureuſement
imitée de Catulle.
:
DE FRANCE . 19
4
La Verginella è fimile alla rofa ,
Ch'in bel giardin , fulla nativa spina,
Mentre fola eficurafi ripofa ,
Nègregge nè Pastorse le avvicina;
L'Aura foave e l'alba ruggiadoſa ,
L'acqua e la terra alſuo favor s'inchina :
Giovani vaghi , e donne innamorate ,
Amano averne efeni e tempie ornate ;
Manon fi toſtodalmaternoflelo
Rimoſſa viene , e dalſuo ceppo verde ,
Che quanto avea dagli uomini e dal cielo
Favor, gratia , e bellezza , unto perde .
La Vergine , &c.
>>> La jeune Vierge eſt ſemblable à la rofe :
> tant que folitaire & paiſible , elle repoſe
> dans un beau jardin fur l'épine qui l'a vis
>> naître : tant que le troupean ni le Berger
>> n'en approchent pas , le doux zéphir , la ro-
>> ſée de l'aurore , l'eau, la terre inême , tout
> confpire à l'embellir ; les jeunes amans
>> & leurs belles Maitreſſes la défirent pour
>'>en parer leurs cheveux&leur fein".
>>Mais elle n'a pas ſi-têt été arrachée de fa
>>tige maternelle & de la verte épine , qu'elle
>> perd tout ce que les hommes & le ciel lui
>>prodiguoient de faveur , de grace & de
>> beauté. Ainfi la jeune fille , &c.c
On trouvera peut- être que de la verte épine
n'est pas d'un bon effet après de fa tige maternetle
: mais leTraducteur n'a voulu employer
ni le mot tronc , ni le mot fouche , pour rendre
dal ſuo ceppo verde, & cependant il n'a poiss
९० MERCURET
voulu s'écarter. du texte : on peut obſerver en
général , que lorſqu'il fait un facrifice, c'eſt pour
en éviter un plus confidérable.
En parlant des connoiſſances géographiques
de l'Arioſte , j'ai dit qu'on reconnoît encore
la deſcription qu'il fait de Paris , & qu'on y
fuit , pour ainſi dire , les traces de Rodomont.
Quelques morceaux du long affaut qui dans
le Poeme eſt pluſieurs fois interrompu , &
répandu dans pluſieurs Chants , pourront le
prouver , & donneront en même temps une
idée de la manière dont M. P..... fuit fon
modèle dans des récits où il faut au ſtyle d'autres
qualités que la correction & l'aifance,
CH . XIV. Siede Parigiin una gran pianura
Nell' ombilico a Francia anzi nel core : `` `
Gli paffa la riviera entro le mura ,
Ecorre ,
:
:
ed efce in altra parte fuore ;
Mafaun' ifola prima, e v'aſſicura
Della città una parte , e la migliore.
L'altre due ( che in tre parti è la gran terra )
Difuor la foffa , e dentro il fiumeferra.
>> Paris eſt aſſis dans une grande plaine , précifement
au coeur de la France : la Seine
>> paffe dans ſes murs , & la traverſe d'un bout
à l'autre ; mais elle forme d'abord une ifle
qui garantit la plus forte partie de cette ville.
>>>Les deux autres ( car cette grande ville
peſt diviſée en trois ) font défendues d'un
côté par la rivière & au dehors par un
>> foré .
ככ
On trouvera plus d'exactitude dans les Stances
fuivantes : dans celle- ci M.P..... paroit
-
DEFRANCE.
2
L
s'être reláché de ſa fidélité ordinaire. Il ſeroit
facile d'en rétablir ainſi les fix derniers vers.
>> La Seine paffe dans ses murs , la parcourt,
>> & fort du côté oppofé : mais elleforme d'abord
>> une ifle , & y garantit la meilleure partie de
>> la Cité. Les deux autres , ( car cette grande
ville eft divisée en trois ) font fermées au
>> dehors par un fofſé , & au dedans par le
>> fleuve«.
Agramant affcoit fon camp au delà de la
Seine, du côté du couchant , & fait donner
le ſignal de l'affaut.
Sono appoggiate a un tempo milleſcale,
Chenon han men di duo per ogni grado : .
Spinge ilfecondo quel che innanzifale ,
Che 'l terzo lui montarfafuo malgrado.
Chi pervirtù , c'hi per paura vale ;
Convien che ognun perforza entri nelguado;
**Che qualunque s'adagia , il Re d'Algiere
Rodomonte crudele,uccide ofere.
>> En même temps fe dreffent mille échelles ,
>> qui ne portent pas moins de deux foldats fur
>> chaque degré. Le premier afſaillant ſe ſent
>> preſſé par le ſecond; & celui- ci ſe trouve ,
» malgré lui, porté en avant par le troiſième.
>> Les uns ſont ſoutenus par leur courage, les
>> autres par la crainte : tous font également con-
>> traints de s'expoſer au danger , car tous
>> ceux qui balancent, le Roi d'Alger, le cruel
>> Rodomont, les bleſſe ou les tue «.
Rodomont franchit les foſſés àla nage, s'élance
ſur les remparts , & pénètre ſeul dans
la ville, toutes ſes troupes étant tombées dans
un piège, & confumées par les flammes. L'effroi
22
MERCURE
ſe répand dans tout Paris : il y fait un carnage
affreux.
CH. XVI . Quel che la tigre dell' armento imbelle
Ne' campi Ircani , o là vicino al Gange ,
Oil lupo delle capre e dell' agnelle
Nelmonte che rifco foto fifrange ,
Quivi il crudelpagan facea di quelle
Non dirò ſquadre, non dirò falange ,
Ma vulgo e popolazzo voglio dire ,
Degno , prima che nasca , di morire.
Ce que le tigre fait des foibles animaux (1 )
>> dans les champs d'Hyrcanie ou fur 1.3
>>>bords du Gange , ce que le loup fait des
» brebis & des agneaux ( 2) fur la montagne
>> qui accable le Géant Tiphée , l'impitoyable
Sarafın en fait de même , je ne dirai pas de
>> ces troupes ni de ces bataillons , mais de
cette vile populace , qui , même avant de
>> naître , ne méritoit que de mourir «.
:
Non ne trova un che veder poſſa infronte ,
Fra tanti che ne taglia , fora , e fvena.
Per quella ſtrada , che vien dritto alponte
DifanMichel ,fi popolata e piena ,
Corre il fiero eterribilRodomonte.
•Parmi tant d'hommes qu'il taille , qu'il perce
» & qu'il afſfomme (3) , il ne s'en trouve au-
(1 ) D'un foible troupeau.
(2) Des chèvres &des brebis,
( 3) Qu'il égorge
DE FRANCE.
23
>> cun qui le puiſſe ſeulement voir en face (1).
>> Le fier & terrible Rodomont court alors le
>>long de cette grande rue ſi peuplée , qui
> aboutit au Pont Saint-Michel , &c. «
Voilà Rodomont dans la rue de la Harpe.
Il égorge les citoyens , & met le feu aux
maiſons&aux temples.
Le cafe eran, per quel cheſen'intende
Quasi tutte di legno in quelli tempi :
Eben crederfi può , chè in Parigi ora
Delledieci lefeifon cofiancora,
» On dit qu'en ce temps les maiſons de Paris
>> étoient preſque toutes de bois , ce qui n'eſt
pas difficile à croire , puiſqu'aujourd'hui plus
>> de la moitié est construite avec la même
matière ; ( pourquoi ne pas dire encore plus
>> littéralement : puisqu'aujourd'hui fur dix mai-
>>fons, fix font encore ainſi bâties?)
"Aujourd'hui même , à près de trois ſiècles
de l'aujourd'hui de notre Poëre , combien de
maiſons dans la Cité reſſemblent à celles dont
il parle ! mais l'Adminiſtration de la ville paroît
avoir pris à tâche d'effacer cette reſſemblance.
Rodomont continue ſon ravage; il atraque
enfin le Palais , où le peuple effrayé s'étoit
réfugié en foule. C'eſt là qu'eſt cette belle
imitation du Pyrrhus de Virgile , briſant les
portes du palais de Priam. Charlemagne marche
contre Rodomontà la tête de ſes Paladins.
Le peuple & les guerriers ſe réuniſſent pour
attaquer le Roi d'Alger. Après des efforts incroyables
de valeur, il eſt enfin obligé de fonger
à la retraite.
( 1) C'eſt au contraire , qu'il puiſſe voir enface.
24
MERCURES
:
:
Tutto difangue il fier Pagano afperſo ,
Lafciando capi feffi , e bracci monchi ,
Espalle , e gambe ed altre membra ſparte
Ovunque ilpaſſo volga , alfin fi parte .
Della Piazza ſi vede in guifa torre
Che nonſi può notar ch'abbia paura ;
Ma tutta volta col penfier difcorre ,
Dove sia per ufcir via piùficura.
Capita alfin dove la Senna corre
Sotto all'ifola , e va fuor delle mura.
La gente d'arme , e'l popolfatto audace
1
Lo stringe e incalza , e gir nolleſcia in pace.
,
Le fier Sarafin tout couvert de ſang,
laiffant par - tout où il paſſe destêtes coupées
(1) , des bras abastus (z ) , des épaules ,
des jambes fracaffées , quitte enfin laplace.
>>Mais la manière dont il la quitte n'annonce
aucun ſentiment de crainte. Toutefois il penſe
১১
১১ de quel côté il pourra fortir plus fûrement .
>> A la fin il arrive à l'endroit où la Seine
» coule au deſſous de l'ifle , & où fes ondes
>> quittent les murailles de Paris . Mais les
foldats ,&le peuple qui a repris courage ,
preſſe,
en paix
ככ
le
le talonne, & ne le laiſſe point aller
Le Traducteur ayant pour ſyſtème de ferrer
toujours de près l'original , auroit pu rendre
plus brièvement e va fuor delle mura. Il aauffi
laiſſé échapper trois verbes , preſſe , talonne ,
&laiffe , au fingulier , qui doivent être au
(1) Des têtes fendues.
(2) Des bras coupés.
pluriel ,
DE FRANCE. 25-
plurich , ayant pour nominatif les foldats & ic
peuple.
Qual per lefelve Nomadi, •Maffile
Cacciatava lagenerofa belva ,
Che ancorfuggendo mostra il corgentile,
Eminacciofa e lentafi rinfelva
*Tal Rodomonte, in niſſun atto vile,
Dastrana circondato efierafelva
D'afie , e di spade ,e divolanti dardi,
Si sira alfiume a paffi lunghi e tardi.
:
Tel qu'un généreux lion pourſuivi par des
chaffeurs dans les forêts de Numidie , mon-
*tre même en fuyant toute la fierté de fou
courage, &, toujours menaçant , ne regagne
> le bois qu'apas lents: de même Rodomont ,
>> toujours inacceſſible à la crainte , s'avan-
>>ce an travers d'une épaiſſe forêt de lances,d'épées&
de dards, ſur les bords de la rivière ,
• apas lents& tardifs «.
Trois fois il revient ſur ſes pas , & fait un
nouveau carnage du peuple de Paris ; enin,
accablé par le nombre , il s'élance dans le
fleuve , & le traverſe à la nage , en gémiſſant
de n'avoir pas détruit toute laville.
Les Exordes des Chants de l'Arioſte ont
une réputation qu'ils méritent pour la plupart .
En voici un fort connu , que Voltaire a imité.
C'eſt celui du XXIVe. Chant , où commence
la Traduction de M. Framery.
Chi mette ilpicfu l'amorofa pania ,
Cerchi ritrarlo, e nonv'inveſchi l'ale,
No. 18. Mai 1788,
B
:
:
1
26 MERCURE ..
Che non è in fomma ginorfe non infania
A giudicio de ſavi univerfale :
Efebben , come Orlando , ognun non ſmania
Suo furor mostra amuzich altro fegnale.
E qual è di pazziaſegno piit eſpreffo ,....
Che , per altri voler, perder ſe ſteſſo
1
>> Quiconque a mis le pied fur les gluaux de
>>>l'amour , doit chercher bien vite à l'en
> retirer ,, &n'y pas laiffer empêtrer ſes ailes ;
>> car enfin l'amour n'est qu'une folie : c'eſt
>> ainſi qu'en ontjugé tous les Sages : & quoi-
>> que tout le monde n'extravague pas commé
>>Roland , en manifele toujours fa démence
>> par quelque autre figne. Eh ! quel figne plus
>> clair d'égarement , que de ſe perdre pour
>> en obtenir un autre ?
On ne peut reprendre dans cette Stance
que les deux premiers vers & le, fixieme , qui
ne font peut etre pas traduits avec affez de
légèreté . Un ou deux mots ajoutés ne paroiffent
d'aucune importance ; mais quand cette petite
licence revient plufieurs fois dans la même
octave , elle puit néceſſairement à la grace de
la Traduction,
" Varj gli effetti for, mala pazzig
E tutt' una però che li fa uscire :
Gliè come una gran felva , ovela via
Conviene a forza a chi vì va fallire,
Chi fù , chỉ gìn , chì quà , qui là travia ,
Per concludere in ſomma io vi vo' dire :
A chi in amor s'invecchia , oltre ogni pena
Si convengono i ceppi, e la catena.
:
:
DE FRANCE . 27
» Les effets de cette manie font différens ; mais
>> le délre qui égare les mortels eft le même :
>> c'eſt comme une immenfe forêt où l'on
» n'entre point fans être sûr de fe fourvoyer :
en haut , l'autre par en bas; 55
"
l'un prend par
l'un à te , l'autre à gauche. En droite , un mot
>>pour conclure , ſachez que celui qui laiffe
>> invétérer fon amour , ontre les maux qu'il
éprouve déjà , mérite encore qu'on le lie & 33
>> qu'on le renferme «.
Qui égare les mortels, pour che li fa ufcire ,
au fecond vers , paroîtfortir du ſtyle du reſte
de ce Prologue. Sans m'arrêter à quelques
autres petites obſervations , je paſſe au dernier
vers. Qu'on le lie est moins four que le texte;
& qu'on le renferme n'y eſt pas M. Framery
a craint de ne pouvoir faire fentir con françois
la différence qui eft entre iceppi e la catena,
les entraves & la chaine.
Ben mi fi potria dir: frate , tu vai
L'altrui moftrando , e non vedi il tuo fallo.
Lo vi riſpondo che comprendo affai
Or che di mente ho lucido intervallo ;
Ed ho gran cura , ( esperofarlo omai)
Di ripofar mi e d'vfcirfuor di ballo :
Ma tofto far comevorrei non poffe ,
Chè ' l male è penetrato infin all'offo.
>>On pourroit bien me dire : Frère , toi qui
>> vas prêchant les autres , tu ne vois pas par
>> où tu pèches . Je vous répondrai que je le
>> fens tres - bien , maintenant que je jouis
d'un intervalle lucile. J'ai bien le projet ,
» & j'eſpère en venir à bout , de me repoſer &
23
B2
28 MERCURE
>> de fortir des rangs. Mais jene puis le faire
> auſſi- tôt que je le voudrois : le mal a pénétre
juſqu'aux os «..
La conftruction du ſecorders eft : Mostranda
il fallo altrui , e non vedi il tuo ; & le ſens
littéral ; Tu vas révélani le péché des autres ,
& tu ne voispas le tien ; il n'y eſt nullement
queſtion de prêcher , & l'expreſſion par où tu
pèches, eft un peu trop populaire. Le reſtede
JaStance est très-bien rendu: il étoit, par exem
ple, diffici de trouver pour ufcir diballo, une expreſſion
plus heureuſe que forrir des rangs , qui
non ſeulement a le même ſens , mais qui eft
du même ton .
Onparle ſouvent du voyage d'Aſtolphe dans
la lune : l'on ne fera peut-être pas fâché de
voir ici quelques morceaux de cet épiſode fatirique.
Conduit par Saint Jean fur ce globe
où se trouvent , comme ſur le nôtre , des
fleuves , des lacs, des montagnes , des villes ,
des forêts , Aftolpue arrive dans un vallon où
va ſe rendre tout ce qui ſe perd ici -bas. Ce
fontnon feulement les Empires & les richeſſes
ſoumis à la roue de la Fortune , mais des biens
qu'elle ne donne ni n'enlève , tels que des
réputations que le temps mine & dévore. Qa
y voit auſſi les voeux & les prières que nous
autres pécheurs nous adreſſons àDieu,
Le lacrime, e ifofpiri degli amanti ,
L'inutiltempoche siperde a gioco ,
El'ozio lungo d'uomini ignoranti ,
Vani disegni che nonhan mai loco :
Ivanidefiderjſono tanti ,
Che la piè parte ingombran di quel loco :
Ciò che inſomma quà giù perdefii mai ,
Lafufalendo ritrovarpotrai,
4
DE FRANCE. 29
5 Les larmes &les foupirs des Amans ; les
> heures inutilement employées au jeu; la
>> longane oiſiveté de l'ignorance; les vains pro-
>> jets qui ne font jamais exécutés ; les vains
defirs fur-tout y fent en fi grand nombre ,
>> qu'ils occupent la plus grande partie de ce
>> vallon. En un mot, tout cequ'on a perdu
> fur la terre , on peut être sûr , en montant
>>ka-haut , de l'y retrouver «.
Un monceau de veffies enflées contenoit
les couronnes antiques des Aſſyriens , des Lydiens
, des Perſes & des Grecs.
Amid'oro e d'argento appreſſo vede
In una maſſa , ch'erano quei dani
Chefifan con ſperanza di mercede
Ai Rè, agli avari Principi, ai Patroni.
V'ed: in ghirlande afcoſi lacci ; e chiede ,
Ed ode che fon tutte adulazioni :
Di cicale ſcoppiate immagine hanno
Verfi, che in lodedei Signorfifanno.
>> Tout à côté il voit en un tas des hameçons
» d'or & d'argent; c'étoient les dons offerts ,
>> dans l'eſpoir d'une récompenfe , aux Rois ,
>> aux Princes avides , à d'ingrats protecteurs .
» Il demande ce que c'eſt que des filets qu'il
>>apperçoit cachés fous des guirlandes de fleurs :
" il apprend que ce font toutes les flatteries .
>>Les vers faits à louange des grands Seigneurs
>>y prenoient la forme de cigales crevées « .
Cigales crevées n'eſt ni noble ni harmonieux
à la fin d'une Stance. Ileſt vrai qu'on ne peut
rendre autrement cicale ſcopiate , &qu'il falloit
conferver cette image ; mais il étoit poſſible
B3
30 MERCURE
de faire paſſer l'expreſſion en la gliſſant dans
le commencement de la phrafe.
Après avoir reconnu une foule d'autres objets,
le Paladin en vient à ce que nous croyons
tous avoir , puifque nous ne le demandons
jamais au Ciel cft le bon fens, Aftolphe
trouve celui de Roland qu'il cherchoit
partie du fien qu'il ne cherchoit pas , & cekai de
beaucoup de gens qu'il ne foupçonnoit pas d'en
avoir perdu une drachme.
Aliri in amarlo perde , altri in onori ,
Altri in cercar , fcorrendo il mar, ricchezze,
'Altri nelle speranze de' Signori ,
Altri dietroalle magicheſciocchezze ,
Altri in gemme , altri in opre di pittori ,
Edaltri in altro che più d'altro
Di Sofifti , e d' Astrologi raccolto ,
E di Poeti ancor ve n'era molio.
apprezze.
une
Pambition aux >> L'amour l'enlève aux uns
>> autres ;ilen eft qui le perdent à parcourir
>> les mers pour amaffer des richeſſes ; d'autres
>>par leur fotte confiance dans les Grands ;
>> quelques - uns en ſe livrant aux extrava-
>>>gances de la magie ; d'autres par la manie
>> des pierres précieuſes ou des tableaux ; d'au
>> tres enfin le facrifient à d'autres penchans
» par lesquels ils font dominés. On trouvoit en
>> abondance celui des Sophſtes , des Aftrolo-
» ques , & même celui des Poëtes «.
Je ne poufferai pas plus loin ces cirations ,
&certainement ce n'est pas faute de matière. On
trouvepeut-être déjà que je les ai trop étendues ;
mais j'avoue que je me crois excufable de
n'avoir point voulu juger dans pen de lignes
:
DE 31 FRANCE
T
d'avoir un Poëme en guarante fix Chants , &
appuyé de quelques raiſons & de quelques
exciples nton fentiment fur un Ouvrage en
dix volumes .
Jewal point craint de paroître trop févère
aux nouveaux Traducteurs C'est la fidélué ha
bituelle de leur verſion qui m'a rendu plus
fenfibles de légères inexact tudes ,j'ai cru , en
les relevant , entrer dans leurs vues , qui ont
pour double objet de faciliter l'étude de la
Langue Italienne , & de perfectionner l'art de
traduire. Mais je répéterai iciavee plaifir ce que
j'ai déjà dit : fi f'on veut étudier l'Arioſte dans
fa Langue originale , cane Traduction nouvelle
fera lenteilleur guide que l'on puifle chcifir
& fi l'on veur connoitre fon génie, avoir une
idée de ſon ſtyle & de fa manière , fans le connoître
dans fa propre Langue , c'eſt encore à
cene Preftetion qu'on peur recourir , préféra
blement à toutes celles qui ont paru juſqu'ici .
(Par M. G***. )
TICES
le
& NOT Extraits des Manuscrits de
la Bibliothèque du Roi , lus au Comité
établi par Sa Majellé dans l'Académie
Roya des Infcriptions &Belles- Lettres .
Tome Ier., très-gros in-4 . A Paris ,
de l'Imprimerie Koyale ; & se trouve à
Paris char Moutard , Hotel de Cluni.
1
Car Ouvrage , qui ne peut foriner dans
fa fuite qu unc riche & importante Collection
, lera un des monumens de la pro-

B4
32 MERCURE
C
:
tection accordée dans ce Siècle aux Lettres
& aux Sciences.Le Roi , & le Miniftre
des Académies , qui en a été ſi ſouvent le
bienfaiteur , ont défiré que la Nation pût
jouir des richeſſes manufcrites que renferme
la Bibliothèque Royale. D'après ces vûes ,
il fut décidé que huit Académiciens des
Infcriptions& Belles-Lettres s'occuperoient
à faire connoître par des Notices exactes
&des Extraits raiſonnés, les Manufcrits
de la Bibliothèque du Roi , à traduire , &
même à publier dans leur Langue originale,
les Pièces qu'on jugeroit dignes d'être inpriméesenentier;
que troisde ces Académiciens
extrairoient les Manufcrits Orientaux;
deux, les ManufcritsGrecs& Latins; les trois
entres, les Manufcrits qui concernent l'Hiftoire
de France , & en général les Antiquités
de moyen âge , & que chacun d'eux
recevroituntraitement annuel pour ce travail
particulier.
On invita auſſi tous les Savans , tant de
la Capirale que des Provinces, à donner de
pareilles Notices des Manufcrits qui leur
auroient été communiqués dans les Bibliothèques
publiques & particulières , &
de les adreſſfer à l'Académie , qui , d'après
l'examen, les feroit imprimer en Volumes
ſéparés , avec le nom de l'Auteur à la tête
de chaque Article.
Le Roi , pour la première fois feulement,
a voulu nommer:les huit Académiciens ,
qui à l'avenir ſetont nommés par l'Acadé
mie elle -même , ſous l'agrément de Sa
DE FRANCE. 35
Majeſté ; & il a choifi MM. de Guignes ,
de Brequigny , Gaillard , de la Porte du
Thail , d'Anfle de Villoifon, Larcher , de
Kéralio , & l'Abbé Brotier. MM. Larcher
& l'Abbé Brotier s'étant excufés , ont été
remplacés par M. de Vauvilliers & M. Şilveſtre
de Sacy.
Ce travail a déjà fourni le Volume que
nous annonçons. Il commence un Recueil
qui pourra faire ſuite à celui de l'Académie
des Inſcriptions : on n'attend pas ici
-l'extrait d'un Volume compoſé d'Extraits &
de Notices. Les noms des Auteurs répondent
de la manière dont ils ſont rédigés ;
& l'on doit tout attendre d'un zèle auffi
éclairé.
VARIÉTÉS.
LETTRE au Rédacteur du Mercure.
ONSIEUR ,
TANDIS que CiciLE & CALISTE, c'est-à-dire ,
les Lettres de Lausanne & leur fuite , occupent
encore le Public , il n'y a pas d'apparence que
vous l'ennuyiez en lui communiquant, comrne je
vous prie de le faire , le jugement que moi &
mes amis , Lecteurs afſſez attentifs , enavons porté.
Dès les premières Letures , nous avons accusé
B
3. 2 dans le
& r
talks qu'il
Es la réalité,
cerslerer l'image.
ce , zara-t-il dit, à
pause, je m'en ferois
, Cur lacomplamace,
en
a pas dans un
mele Cheva-
July yo to 3
and stor sr
Paus
de M. Toe, de
ther objet d'oren
les parens
dla Nature nous
are bitince dé--
beaucoup plus .
oit, du moins
wale de la Nosewlisans
financielrit
, & de gros jeu ,
er entendre IAuteur ?
qu sek za moins entendu
Wet qu'en certain fir d'alembee
, in vors dalleclamare doux Gentilshommes ,
A la monte , dans le cabler Cu cenfin amonnexes
tua d'eux , roose Languedocien , me
Hit & Rest , que te fus bien ate qu'on lui ait
dow e oco que air de rodité en le faitant parent
.......... qui fait fi nous ne
verrors pas un roieton des
briler ailleurs
que dans un Roman ? Je tuis bien aite auffi que
le livre foit dédié à Madame la Marquiſe de....
c'est un hommage rendu avec une pudeur judi
Scicule aux plus pares vertus , parées de l'eclat de
la plus holte naidance.
DE FRANCE
35
!
:
Ce que je dis des notions fur la Nobletle , je
le dis de tout le reße, de cette première Parve.
Une éducation qui le tire uniquement des circonftances,
& que la tendreſſe donne fans projet
&fans ſyſtéme, ne s'imite point. Si l'Auteur ne
T'a pas fenti , c'eſt une erreur de ſon jugement.
Nous eſpérons qu'aucune mère, ne prendra la
mère de Cécile pour modèle , car la ſeule chofe
qu'elle pût faire , feroit d'être infouciante & négligente
je ne dis pas que celle-ci ſoit l'un ou
Pautre ; mais elle ne differe, d'une mère imprudente
que par une tendrefie fi grande & fi excluſive,
qu'elle en devient une mère à part. II
ya bien un petit Sermon fur la Pureté , que je
crois très-utile , & d'autant plus utile, que , fans
le rendre indécert , on l'a rendu plus clair que
les exhortations de ne le font ordinaigenre
rements mais c'eſt aux jeunes filles elles-mêmes
qu'il s'adreffe , & peut-être les empêchera-t-on
de le lire , fous, prétexte de ne pas devoir faire
naître chez elles une idée dangereuſe; car le penchant
d'un sexe pour l'autre est une de ces choſes
qu'on croit anéantir en n'en parlant pas ( 1 ),
Anéantir la Nature ! & cela à ſi peu de frais
par un moyen ſi facile & fi fimple , en la pafiant
Lous filence !
ce
1
:
La ſeconde Partie , encore moins destinée , fans
doute , à rien enſeignet , à rien produire , me
paroît plus propre que la première à produire
quelques très-bons effets . L'Auteur y abandonne
la manière des Peintres Hollandois , qui mettent
volontiers dans leuts tableaux un clof a demi
(1) L'Auteût des Eclairciffemens hiftoriques nous a
rappelé bien heureuſement'ce mot heureux de Mme. de
"Maintenon On croit anéantir les chofessen n'en
» parlant pas ,
B6
34
MERCURE
l'Auteur d'avoir écrit fars tut, de n'avoir voula
que s'art.fer à développer & répandre dans le
Monde quelques idées qui lui plaifoient , & furtout
à peindre une mère & ure fille telles qu'il
les cherchait peut être en vain dars la réalité ;
& telics qu'il yût fe plaire à en confidérer l'image.
-
Si cela produit quelque choſe, aura-t-il dit , à
>> la borne heure ". A fa place , je m'en fcrois
peu facté.
Le fentiment de cette ftear d'honneur , fur laquelle
il s'étend avec tant de complaifance , en
parlant de fa Noblefe , re fe prend pas dans un
Livre : on l'a dès le berceau , comme le Cheva-
Hier fans pour & fans reproche ,fi on est fait
pour l'avoir : it ſe tire des premiers mots que
nous entendens , de rotre premier objet d'orgueil,
de notre première morification : les parens
ypervert quelque chofe , quand la Nature nous
a fornés , avec prédilection , d'une ſubſtance dé--
licate & fubtile le hafard y fout beaucoup plus.
Dans les temps de Chevakrie , c'coit, du moins
nous le croyons , la teinte générale de la Nobleſſe
; dans nos teraps de ſpéculations financielles
, de luxe exceff, de bel- efprit , & de gros jeu ,
fait-on affuz ce que c'eſt, four entendre l'Auteur ?
Ce qui m'aſſure qu'il s'eſt du moins entendu
lei - même , c'est qu'un certain foir d'afflemblée
, je vois diftinctement deux Gentilshommes ,
à fa manière , dans le cabinet du cousin amonreux
; & l'un d'eux , le jeune Languedocien , me
plaît fi fort , que je fuis bien aiſe qu'on lui ait
donné quelque air de réalité en le faifant parent
M. l'Ev. de ......... : qui fait fi nous ne
verronspas un rejeton des briller ailleurs
que dans un Roman ? Je ſuis bien aiſe auffi que
le Livre foit dédié à Madame la Marquiſe de ....
c'eſt un hommage rendu avec une pudeur judi
cieuſe aux plus pures vertus , parées de l'éclat de
la plus belle naiffance..
de
DE FRANCE 35
Ce que je dis des notions fur la Noblotle , je
le dis de tout je refle, de cette première Partic.
Une éducation qui ſe tire uniquement des circonftances
, & que la tendrefle donne fans projet
&fans fyftéme,ne s'imite point. Si l'Auteur ne
P'a pas fenti , c'est une erreur de fon jugement.
Nous eſpérons qu'aucune mère, ne prendra la
mère de Cécile pour modèle ; car la feule chofe
qu'elle pût faire , feroit d'être infouciante & nédis
pas gligente : jc,ne que celle-ci foir l'un
Fautre
ou
re ; mais elle ne differe, d'une mère imprudente
que par une tendreile fi grande & fi excluſive
, qu'elle en devient une mère à part. Il
ya bien un petit Sermon fur la Pureté , que je
crois très utile , & d'autant plus utile, que , fans
le rendre indécept , on l'a rendu plus clair que
les exhortations de ce genre, ne le font ordinairement;
mais c'eſt aux jeunes filles elles-mêmes
qu'il s'adreffe , & peut-être les empêchera-t-on
de le lire , ſous prétexte de ne pas devoir faire
naître- chez elles une idée dangereuſe; çar le penchant
d'un sexe pour l'autre eſt une de ces chofes
qu'on croit anéantir en n'en parlant pas ( 1 ).
Anéantir la Nature ! & cela à fi peu de frais ,
par un moyen ſi facile & fi fimple , en la pafiant
Lous filence!
זי
:
i
La ſeconde Partie , encore moins destinée , fans
doute , à rien enfeigner , à rien produire , me
paroît plus propre que la première à produire
quelques très-bons effets . L'Auteur y abansionne
la manière des Peintres Hollandois , qui mettent
volontiers dans leurs tableaux un cloud à demi
( 1 ) L'Auteur des Eclaircifermens hiſtoriques hous a
rappelé bien heureuſementice mot heureux de Mme. de
"Maintenon ! On croit anéantir les chofes en n'en
pärlant pas é ,
B6
:
MERCU36RE
T
:
rouillé, un bout de ficelle ufé, une voile rapiécée,
& il n'a pas longé à rendre ſa Caliſte plus exifcante
& plus réelle en lui donnant des imperfecrions.
S'il ne fait pas de ſa figure une deſcription
fantaſtique & romaneſque , il n'en fait pas non
plus un portrait qui eût pu borner & gener notre
pensée ; & l'on ne dira pas de Caliſte , ce qu'a
dit un Connoificur d'une Vénus du Corrège :
Quoique belle au delà de ce qu'on peut dire, ce
-n'est qu'une copie d'après Nature. Non certainement
, Califte n'eſtà aucun égard une copie
d'après Nature. Qu'aucun jeune homme ne s'imagine
en avoir trouvé l'original. Se peindre ſa
Maitrefle d'après Califte , feroit une erreur bien
dangereuse , qui pourroit être ſuivie d'un amer
** long repentir; mais que les femmes, les hon-
Bêtes femines , les jeunes filles à qui on permettra
certe lecture , ou qui la feront en cachette ,
tâchent de reffembler un peu à. Caliſte , d'être
auffi douces , aulli defintéreſſées , aufli peu exigeantes:
que & eles brodent , ou peignent , ou
chantent , ce foit avec autant de complaiſance
&d'à propos ; avec auſſi peu d'apparat de vanité
& de coquetterie ; & pourvu qu'aucune tache
'ait terni leur vie, ne les ait condamnées à
l'humiliation , elles pourront être un peu plus
gaies que Califte ; & quand même elles feroient
auffi tendres , autfi conftantes, peut- être ſcrontelles
beureuſes , car même avec cet Amant que
nos hommes le piquent de trouver fi indigne
d'elle, & par confequent fi au deſſous d'eux ,
Caliſte auroit été heureuſe , & le père cut confenti
à leur mariage.
L'Héroïne de ce Roman a pour moi le charme
& la dignité du beau idéal , du beau plus beau
que Nature , en même temps que la poſſibilité
néceflaire pour m'attacher , & je cherche malDE
FRANCE. 37
gré moi Caliſte , quoique bien sûr de ne latrouver
nulle part.
On reproche à l'Auteur des négligences && des
incorrections , & il est vrai qu'à la feconde lecture
j'en ai trouvé quelques-umes ;mais en revanche,
j'ai remarquéqu'il avoit laiſſe dans le vague
tout ce qui devoit y être ; qu'il nous a montré
Lord L..... plus occupé de l'éducation de Califte
que de ſa poffefſion ; qu'il n'a pas fait de Lady
Bettyune méchante femme , & qu'il ne lui a pas
donné décidément des Amans : fic'estun foinde
l'Auteur , il n'est pas fans nobleſſe ; si c'est un
haſard, je le trouve heureux.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Ce 3 Avril 1788.
SPECTACLES.
COMÉDIE ITALIENNE,
22
:
LEMardi Avril, on a remis à ce
Theatre Anaximandre , ou le Sacrifice aux
Graces, Comédie en un Acte & en vers.
Anaximandre aime Aſpaſie ; meus un
Oracle a prononcé qu'il ne plairoit à l'objet
de ſa tendreffe, qu'après avoir facrifié aux
Graces. Il obéit ; & cette obéiffance produit
un ſi grand changement dans fa petfoune,
qu'Afpafie le méconnoît. Ilprofite
38 MERCURE
?
de fon erseur pour l'éprouver , apprend
avec raviſſement qu'il eſt aimé ; le fait
connoître , & devient heüreux .
Cette Comédie , qui a été donnée pour
la première fois le 20 Décembre 1782 ,
& qui avoit eu du ſuccès , n'en a pas eu
moins à cette repriſe. On la même revue
avec un intérêt d'autant plus vif , que fon
Auteur , qui y avoit reçu les encouragemens
les plus, Batteurs , s'en eft montré
digne depuis par la Comédie, des Etourdis,
& par les changemens heureux qu'il a
faits
ود
à fon premier Cuvrage.
-
La Pièce eſt jouée avec foin : le principat
rêle eft celui d'Anaximandre , & c'eſt
M.Granger qui te joue : Les nuances
>> légères dont il fetour à tous pour
montrer enſemble l'Amant & te Thilofophe,
annoncent autant d'ame que
>> d'efprit & d'adreſſe. Rien de bruſqué ,
>>rien de trop tranchant ; toujours des
tranfitions indiquées par la Nature , &
dirigées par l'Art . C'eſt aipfi que nous
avons parlé de cet Acteur , en rendant
compre d'Anaximandre le 4 Janvier 1784.
Nous nous répéfons dans les éloges que
nous lui devons, parce qu'il s'eſt lui même
répété dans ſon talent.
ود
ود
1
:
LE Vendredi 25 , on a repréſenté pour
la première foisla Supernherie par amour,
DE FRANCE.
39
ou le Fils fuppofé , Comédie en ; Actes
& en profe , imirée de l'Eſpagnol .
M. de Saint- Albe s'eft battu ; il a bleſfe
fon adverfaire , il a cru l'avoir tué ; il a
pris la fuite, & eft arrivé à Lyon . Frappé
des ateraits d'une jeune femme , dont il
ignore le nom & le rang , il en eſt devenu
amoureux , & il cherche,les moyens de
s'approcher d'elle. En fuyant il a changé
de nom, & il a pris celui de Verval, qui lui
a étépropofé par La Flour , fonValet, Ce nom
eft , par hafard , celui d'un joune homme
dont on attend à chaque infant le recour ,
& que , par une fuite d'aventures malheu
reuſes , fon père n'a jamaiş yu .
i
Un vieux donectique de Limon ( c'eſt
lemonda père de Verval ) , trompé par le
faux nom de Saint-Albe , la prend pour
fon jeune Maitre, le vient trouver , l'an
nonce à Lifimón, & La Fleur profite de cette
mépriſe pour introduire chez Saint-Albe
Lifimon . Celui- ci réſiſte long-temps; mais
pour ſe foumettre tous les incidens quilui
pourroient nuire , La Fleur a prévenu Lifi
mon que le faux Verzal'avoit des abfences
depuis une maladic facheuſe qu'il avoit
elfuyée. Il répond par cette feinte aux refus
obſtinés & réitérés de fon Maître, de pafles
pour le fils de Lilimon. La perfonne que
Saint-Albe a vue & qu'il aime , eſt fille de
ce même Lifumon : elle eſt veuve; en paflant
pour fon frère , Saint-Albe peut la voir
40
MERCURE
lui parler à toute heure ; l'amour l'emporte,
& l'Amant embraſſe le vieillard comme
ſon père. Pendant que tout ceci ſe paſſe , la
fille de Liſimon rencontre une jeune perſonne
aimable , intéreſſante , fugitive , dont
lavoiture vient de ſe briſer : elle lui offre un
afile, l'introduit chez elle, & reſpecte fon
fecret, que la fugitive lui demande lapermifſionde
garder encore.Cette jeune perſonne
eſt la ſoeur de Saint-Albe. Amante aiméede
Verval, fils de Liſimon , elle lui avoit accordé
un rendez - vous ; les amans avoient cre
furpris par le frère , & c'étoit Verval que
Saint-Albe croyoit avoir tué. La bleſſure du
jeune homme étoit légère ; il a écrit à ſa
maîtreſſe , l'a invitée à ſe rendre à Lyon ,
où il lui a promis de l'époufer , & elle s'y
eſt rendue même avant lui. La fille de Liſimon
n'a pas ſeulement inſpiré de l'amour
à Saint-Albe , elle en a pris pour lui ; en
conféquence elle eſt ſurpriſe & chagrine
de trouver un frère dans celui qu'elle regardoit
comme un amant. Elle ſe prête avee
peine aux fentimens de l'amour fraternel ,
& elle ne peut pas ſe perfuader que le
faux Verval n'éprouve point un autre ſentiment.
Elle est en proie à ſon inquiétude ,
quand Mademoiselle de St-Albe, qui a reconnu
ſon frère , & qui tremble tant pour
elle que pour ſon amant, vient la trouver
&la met au fait de tout. Eclairée fur rout
cequi ſe paffe , elle tranquilliſe la jeune perfonne,
&& lui promet d'adoucir ſon frère. S.
DE FRANCE 41
Albe, de ſon côté, ne peutpas feindre plus
long-temps; il vient trouver ſa maîtrelſe ,
dont nous n'avons pas encore dit le nom ,
& qui s'appelle Madame de Jennemours;
ilbalance,tremble de parler , & finit par
lui dire tout ce qu'elle fait déjà. Madame
de Jennemours affecte de la colère , ſe
plaint de l'indécence & de l'irrégularité des
procédés de Saint-Albe , qui ſollicite fon
pardon avec une grande chaleur; elle fait
alors paroître Mile. de S. Albe. Son fière
veut éclater , Madame de Jennemours l'art
rêtes & àtout ce qu'il dit, elle répond par
les mêmes expreffions que tout à l'heure il
employoit pour ſe juftifier. Avant cette doty
ble entrevue, unValet de Verval s'étoit prés
fenté chez Liſmon pour annoncer l'arrivée
devon Maître; l'infidieux La Fleur l'avoit
fait paller pour un fripon; on l'avoitmis à la
la porte,& il étoitalle retrouver ſon Maître ,
qui,furieux , s'étoitpréſenté lui- même pour
démaſquer les ufurpateurs de fon nom & de
fesdroits. Il avoit rencontré la jeune Saint-
Albe; celle-ci l'avoit conjuré , au nom de
l'amour & de la pitié, de diſparoître pour
quelques momens , & il s'éroit retiré. Il reparoît
alors , & il eſt repouffé par ſon père; :
inais onéclairelevieillard fur toute l'intrigues
on lepreffe , on le follicite , on en obtient la
grace de tout le monde. Les deux ennemis
s'embraffent pour devenir frères , & chacun
d'eux épouſe l'objet de fou amour.
Cette Pièce , principalement au premier
:
!
42 MERCURE
Ade , reſſemble beaucoup a un Opera- comique
de M. Patrat , donné le 5 Novembre
1786 , & qui a pour titre les Méprises
parreffemblance. Il ne faut pas s'en etonner;
les deux Auteurs ont puite dans la même
fource ; ainſt de part & d'autre il n'y a point
de plagiar
: La Comédie dont nous rendons compre
nous paroît pourtant fort fupérieure à l'Out
vrage de M. Patsat. Il eft vrai qu'une Comédie
eſt plus fufceptible de développemens
qu'un Opera- comique , &xe comme ils
font ſouvent interdits dans les Ouvrages
de ce dernier genre , ſous peine de les rendre
longs , triſtes & ennuyeux , on ne ſcauroit
faire reproche à un Auteur des défauts
auxquels il eſt toujours forcé de ſe foumettre
pour permettre au Muficien de marcher à
l'effet & de déployer les reſſources de fon
Art. Mais il y a aufli plus de conduite &
d'inteligence chez le ſecond que chez le
premier imitateur; ſon ſtyle eſt plus aima
ble & plus foigné , & la marche de fon intrigue
eſt mieux foutenue depuis l'expofition
juſqu'au dénouement. Le dialogue eft
quelquefois long , les détails ont ſouvent
un peu d'abondance ; mais ily a partout
des chofes plaifantes & même comiquesi de
róle de Verval elt trop fuerifié à celui de
Saint Albe, & la part ' qu'il a au dénouément
efttrop rapide & trop brafque. La re
connoiflance du père & du fils devroit ſe
DE FRANCE. 43
commencer derrière la ſcène , & s'achever
fur le théatre: Le dénouement deviendroit
plus vrai , plus chaud ,& fon effet feroit
plus für. L'Ouvrage doit une partie de fon
fuccès au jeu intéreſſant de Mesdames Verteuil
, Saint-Aubin , & de M. Granger ...
ANNONCES ET NOTICES.
ONNa mis en vente, le Lundi 28 Avril 1788 ,
chez Moutard , Libraire-Imprimeur de la REINE ,
à Paris , rue des Mathurias , Le Compte rendu cu
Roi en Mars 1788 , & publié par fes ordies.
Volume in-49. de 183 pages. Prix , 4 liv. 16 f.
RECUEIL de Pièces intéreſſantes concernant les
Antiquicés, les Beaux-Arts , les Belles-Lettres &
la Philofophie ; traduites de différentes Langues ,
in-8°. A Paris , chez Barrois l'aîné , Libr. , quai
des Auguſtins ; à Strasbourg , a la Librairie Académique
, rue des Serruriers , No. 21 ; à la Hays,
chez Van Cleef, Lib. , fur le Spug.
On fait quel ſuccès mérité avoit obtenu en
France le Journal étranger. Ce nouvel Ouvrage,
dont il parcit déjà trois Volumes , eſt define à
y faire fuite. Le choix nous en a paru bien fait ,
les morceaux qu'il renferme font variés &&' intéreffans.
Parmi les Anteurs d'où ils font tirés , on
veit avec plaifir MM. Beyne , Beattie , Ramler,
Klopstock , Leffing , &c. Il en paroîtra quatre Yolumes
par an.
MERCURE
COURS complet d'Agricultur:, ou Leçons périodiques
fur ect Art , par Cahiers qui paroîtront
le 1 & le 15 de chaque mois ; par M. de Sutières-
Sarcey, ancienCapitaine au Régiment de Breragne,
infanterie. A Paris , chez l'Auteur , rue de
La Sourdière , N°. 14-
Il pareît trois Cahiers de cet Ouvrage , qui
nous ſemble digne de l'emprefiement du Pablic.
L'Auteureft neveu de M. de Sutières; & il fuffre,
pour avoir une bonne idée de ſon travail , de
Fentendre parler lui -même ſur la manière dont
il l'a commencé. Il quitta la Terre de ſon oncle
pour cultiver celle d'autrui : >> Feignant de fie
>>>rien ſavoir, dit-il , je parcourus avec une ar
>>>dente curiofité pluſieurs Provinces du Royaume,
>>follicitant le travail que chez moi je pouvois
>>> donner à d'autres ..... Je m'afierviflois à
» l'obéillance, & une vanité ſecrète que me don-
>> noit l'espérance du fucsès, ne rendeit fier du
>> ma foumiffione.
Une pareille vocation eſt un garant du ſuccès.
La Souſcription est de 24 liv. pour Paris , & de
17 liv. pour la Province.
,
HISTOIRE de Sophie & d'Ursule ou Lettres
extraites d'un Portefeuille, miſes en ordre , &
publiées par M. de Charnois; 2 Volum. in-12. A
Londres,& fe trouve àParis, chez Baiſſon, Lib . ,
Hôtel de Meſgrigny , rue des Poitevins , Nº. 11 .
Prix , 3 liv. 12 L.
PETITE Bibliothèque des Théatres. A Paris ,
chezBelin , Libraire , rue S. Jacques ; & Brunet ,
Lib. , rue de Marivaux , place du Théatre Italien.
Cette Collection jouit toujours du même ſuccès.
Les 2 Volum. que nous annonçons,font le 17e. des
DE ERANCE,
Comédies du Théatre François, contenant leTARTUFE
& le MISANTHROPE ;le ise, des Tragédies,
contenant le GuSTAVE de Pirou , & l'EDOUARD
deGreffer.
COLLECTION de Portraits d'Hommes illuftres
kivans ; in - folio , contenant le ROI , M. DE
MALSSHERBES , M. DE BUFFON , M. FRANKLIN,
AParis , de l'Imprimerie de MONSIEUR ; & fe
trouve chez l'Editour , rue des Petites Ecuries du
Rơi , au coin de celle Martel ; Didot le jeune ,
Impr. -Libr. , quai des Auguſtins; Royez , même
quai ; & Hardouin , au Palais-Royal,
Nous avons annoncé les Figures; nous avons
reçu après coup le difcours , qui nous a paru écrit
avec correction &préciſion.
LEONARD DE VINCI mourant dans les brasde
François I, gravéd'après le Tableau de F. G. Me
nageet , Peintre du Roiz par JJ. Ch. Levafleur,
Graveurdu Roi, A Paris , chez l'Auteur, rue des
Maçons , Nº.-12.
Le Public verra avecplaifir cette Eſtampe, dont
le Tableau original a été expoſé avec ſuccès au
Sallon il y a quelques années.
LeTestament déchiré , gravépar le même , d'a
près le Tableau de M. Greuze,
Cette Eſtampe eſt gravée avec effet, &recevra
fans doute des Amateurt un accueil favorable.
ITINERAIRE des Gouvernemens de la France ;
Cartesdreifées pour la commodité des Voyageurs
Etrangers qui veulent parcourir ce Royaume .
Paris,cchheezz llaaveuveBourgoin , rucSaint-Jacques,
& A
46 MERCURE
!
vis-à-vis la nouvelle égliſe de Sainte-Geneviève
maiſon d'une Lingère.
Les Carres qui paroiffent , font , Ics Gouvernemens
de l'ifle de France , de Picardie, de Normandie
, de Champagne , de Franche - Comté , &
de Maine. Prix, 18. fous pièce. Les perſonnes qui
défireront le procurer le tout , payeront is fous
la Carte.
L
On trouvera chez la même veuve Bourgoin ,
un Atlas élémentaire de Géographie , avec une
Introduction à la Géographie , in-folio oblong.
Prix , 10 liv. relié en carton.
:
EMBARQUEMENT de Conflance & Débarque
ment de Constance , deux Eltampes dont les ſujets
font tirés de l'Homme de Lai, par Chaucer.
L'Artifte a choiſi, pour la première , l'inftant où,
entraînée par fon cruel époux vers le rivage , elle
eft forcée à s'embarquer dans une frêle nacelle , &
abandonnée à la fureur des flors. Conftance preſſe
fon fils contre fon fein .
avec
Dans la ſeconde , Conſtance , feule & obligée
de conduire che-même fa barque fragile, aberde
le continent. Le Seigneur d'un château veifin ,
& ſa digne épouſe, qui ſe promenoient fur le
rivage, la regardent admiration & s'approchent
d'elle en filence . La fenfible Conſtance lève
les yeux au Ciel , & leur témoigne , par ſes regards
, la reconnoiffance que lui infpire la part
qu'ils prennent à ſes mallieurs ; elle ſe jette à
leurs ppiieeddss,, étend ſes bras vers eux , & implore
leur générosité.
On trouve ces deux Estampes à Paris , chez
Crépy, rue S. Jacques, N°. 252.
Prix, biſtre ou noir
riées , 12 liv. chaque .
6 liv. chaque ; & coloDE
FRANCE.
47
1
TABLEAUX des François qui ſe ſont ſignalés par
des actions d'éclat , ou Recueil d'Estampes de 9
pouces & demi de hauteur fur i pied de largeur,
avec une Defcription hiſtorique des évènemens,
où le trouvent la date& lesnoms des Héros qui
en font le ſujer.
L'Auteur de cette Collection a penfé , avec
raifon, que le Tableau de Thonneur François
méritoit bien d'attirer nos regards ; trop longtemps
fixés fur la Mythologieou fur P'Antiquité,
& que, pour nous former a la pratique de toutes
les vertus, il nous ſuffiroit de l'exemple des grands
perſonnages qui ont Hluſtré la Patrie. Ce Recueil
commence à Pepin , dit le Bref , & continue jufqu'à
nos jours. In fera composé de 24 ſujets les
plus frappans de l'Hiſtoire..
Les 4 premières Eftampes font :"
:
Li re. , Philippe-Anguite dépoſant la couronne
fur un autelà la veille de donner bataille. La ze,,
Ja Bataille de Bouvines en 1214. Laze. , le Dé--
vouement des Bourgeois de Calais en 1346. La
46.,la Reddition de la ville de Calais en 1346 ..
Les 4 premières , qui font on vente , nous ont
paru foignées pour la compoſition & la gravure.
Le prix de chaque Estampe , ; liv. pour Paris, Les
perſonnes qui voudront le faire inferire , recevront
Les épreuves fuivant l'ordre de leur infcription.
On ſe fait infcrire , & on délivre les Eſtampes
àParis, chez Vidal , Graveur , rue de la Harpe ,
Nº. 181 ; & chez les principaux Marchands des
villes du Royauие. За 45
TABLEAU de la Lorerje Royale de France , ou
Tables avec lesquelles on peat, d'un coup d'oeil, &
fans calepl , fe rewire compte , par l'expérience ,
du réſultat des différentes combinaisons. Prix, zl.
AParis , chez Germain , Suifle de la Compagnie
des Indes; & chez le Coeur , Graveur , rue Saint-
Jacques , No. 55 .
a
"
1
48 MERCURE DE FRANCE.
La Bouteille caffée , gravée d'après l'original
deBounicu , Peintre du Roi, par le C..de L....
AParis , chez Maflard, Graveur du Roi , ruc &
porte S. Jacques, N8, 122.
6Airs variés pour la Harpe, Violan ad lib. ,
dédiés à Mlie. Caroline des Carfins ; parHenty
Petrini , Quy. 8c. Prix , 7 liv. 4C. A Paris , chez
l'Auteur , rucMontmartre ,vis-à-vis celledu Jeur,
Nº. 272.
NUMEROS 219 & 220 du Journal &Ariettes
Italiennes , dédié à la Reine , contenant un Due
de l'Italiana in Londra del Signor Cimarofa. Prix,
3 liv. 12 f. ; &un Ait degli schiavi per amore det
Signor Paikello. Prix , 2 livres 8 fous. Abonnesment,
36 & 42 livres. A Paris , chez M. Bail-
Jeux, Md. deMuſique de la Famille Royale, rue S.
Honoré, près celle de la Lingerie, à la Règle d'or.
VERS.
TABLE.
Charade, Enigme & Log.
Rolandfurieux.
Notices. 3
3Pariisis.
Comédie Italienne.
Annonces & Norices.
13
39
43
APPROBΑΤΙΟΝ.
J'Arlu, par ordre deMgr. leGarde des Secaur ,
K MERCURI DE FRANCE , pour le Samedi 3
Mai 1788. Je n'y ai riba rouvé qui puifle ca
empêches l'impreſſion.AParis, le 2 Mai 1788.
SELIS, Confeur Royalı
17
!
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES .
POLOGNE.
De Varsovie , le 6 Avril 1788.
Les différentes lettres arrivées de Conftantinople
s'accordent à rapporter que la
déclaration de guerre de la part del'Empereur
, a peu affecté les Ottomans ; elle
a ſeulement augmenté l'activité déja trèsgrande
des préparatifs de guerre. Ledépartdu
Grand-Vifir étoit fixé entre le
& le 15 mars. Son armée ſe raſſembloit
en force dans la plaine d'Andrinople ;
divers Corps tirés de la Macédoine étoient
en marche vers Sophia, & l'on ſuppoſoit
au Miniſtre le projet de ſe porter directementau
ſecoursde Belgrade.En quittant
Conftantinople , il doit emmener M. Bulgakof,
Envoyé de Ruffie , & le faire tranfporter
ſur les frontières.
*No. 18. 3 Mai 1788. a
( 2)
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 13 Mars.
On écrit de Guſdahl , dans l'Evêché de
Chriftiania , que le 7 mars , à 7 heures
du matin , on y a éprouvé , ainſi que dans
pluſieurs autres paroifles , différentes ſecouffes
de tremblement de terre dans la
dire&ion du ſud au nord.
Suivant nos lettres de Copenhague , du
5 de ce mois , le Commodore Américain
PaulJones , arrivé depuis peu , y a acheté
deux vaiſſeaux de la Compagnie de la Balrique,
qui feront employés comme tranfports
à l'eſcadre Ruſſe , où Paul Jones
prendra lui-même du ſervice.
On a obſervé que l'importation de toutes les
eſpèces de tabac en Suède, pendant l'année 1781,
amonté, ſelon les regiſtres des douanes, à 1,227,709
livres peſant ; ſi l'on y ajoute le tabac,introduit
par fraude dans ce royaume , on peut admettre que
le montant s'eſt élevé à un million & demi livres
peſant, ce qui , la livre à 3 groſchen ſeulement
a faitun objet de dépenſe de 156,250 rixdalers ,
au 31,250 louis d'or...
1
,
-Le montant des ſommes d'aſſurance pour incen
diedans les Duchés de Sleswick &de Holstein ,
s'eſt élevé , l'année dernière , à 22,860,75 8 rixdalers;
la part des villes fait un objet de 9,159,189
rixdalers.
La population de la Seigneurie de Pinneberg ,
( 3 )
obſervent quelques Economiſtes , diminue vifi
blement tous les ans; elle ne monte actuellement
guère au-delà de 29,000 ames : on ne peut y
compter qu'un mariage ſur 150 perſonnes , tandis
que dans un Etat bien peuplé on compte toujours
un mariage ſur 108 individus. Les fermes
fontaunombrede 2,300 , &àla fin de l'année
1786 il n'y avoit que 2,135 individus , depuis
l'âge de 16 ans juſqu'à 36 , pour les cultiver. On
attribue cette dépopulation au voiſinage de Hambourg
& d'Altona , qui ôtent annuellement à la
charrue un grand nombre de jeunes gens pour les
employer au commerce.
Le nommé Lars Jorgensen , âgé de cent
ans , eſt mort dernièrement à Odenſée.
Deux autres centenaires , homme &
femme mariés , y ſont auſſi morts depuis
peu. Ces époux étoient remarquables par
la jalouſie qui les a tourmentés juſqu'a
la fin de leurs jours ; ils s'épioient & fe
ſuivoient constamment.
De Vienne, le 12 Avril.
Nous ſommes toujours réduits à l'annonce
de très-petits évènemens racontés
dans de longs bulletins.. Quelques avenues
de frontières occupées pour faciliter
l'entrée du pays ennemi , un poſte avancé
de Spahis tués ou pris en Moldavie , une
efcarmouche en Esclavonie , voilà le réfumé
des nouvelles du moment. Mais pour
fatisfaire les Amateurs des détails , voici
a ij
( 4)
les deux derniers bulletins officiels publiés
fur ces expéditions .
Bulletin du 5 .
«Cefut le 19 mars que le Prince de Cobourg ,
Général de Cavalerie , reçut à Czernowitz l'avis
que le Pacha Ibrahim Nazir s'étoit mis en marche
vers Bottuſchau , avec 500 Spahis , 3 à 400 Janiffaires
& 3 canons , dans l'intention de prendre
poſleſſionde cette ville le 21. Pour empêcher que
le Pacha ne continuât ſa marchejuſqu'à Choczim ,
& profiter en même temps des circonstances qui
pourroient ſe présenter pour chaffer les ennemis
qui s'étoient établis à Bottufchau , le Colonel Fabry
reçut à cet effet l'ordre de quitter Dorogoie le 22
au matin , & d'avancer vers Bot uſchau avec + efcadrons
du régiment Huſſards d'Erdody , qui ſe
trouvaient ſous ſes ordres , 4 compagnies du 2 .
régiment d'Infanterie des Gardes frontières Vallaques
, 2 canons& so Arquebufiers . »
« L'avant-garde de cette troupe étoit compoſée
d'un eſcadron de Huſſards d'Erdody & de
50 Arquebuſiers , ſous les ordres de M. Sereni ,
Capitaine de Cavalerie ; enſuite marchoit une colonne
de 2. eſcadrons d'Erdody & de 4 compagniesdu
régiment Vallaque , avec les 2 canons ; un
efcadron de Huſſards faifoit l'arrière-garde : la
marche, dirigée par le Major Froon , par le Capitaine
du Corps du Génie , Chastelain , & par le
Capitaine de l'Etat-Major , Buschel , ne rencontra
aticun obſtacle , ni fur le grand chemin de Bottufchau
& de Jaſſy , couvert des deux côtés par des
patrouilles volantes qu'on y avoit poſtées , ni fur
les collines entre Branieſtie & Monaſterdomri ,
juſqu'au défilé en deçà de Branieſtie , près le moulínUriskoſe.
Sur la colline vis-à-vis de ce défilé ,
il y avoit 3 à 400 de ces Spahis , commandés par
( 5 )
Ibrahim , qui obſervoient la marche de nos troupes.
"
« Malgréle feu continuel de ces Spahis , leCapitaine
Sereni avançacontre eux avec l'avant-garde,
ferréedans le meilleur ordre ; & pendant cet intervalle
arriva auſſi la colonne , qui , ayant paflé le
défilé, gagna la colline , chaſſant toujours lesTurcs
pas à pas. L'ennemi ſe repliant ſur le village de
Bobøutz , & étant déja de l'autre côté de ce village
, fe tourna ſur la gauche vers le chemin de
Choczim ; fur quoi l'on fit marcher quelques détachemens
de notre Cavalerie de ce côté- là, pour
empêcher l'ennemi de nous prendre par derrière.
L'avant-garde & les ſuſdits détachemens de Cavalerie
formoient juſqu'ici l'aile gauche entre le
village de Boboutz & la ville de Bottuſchau ; le
reſte des troupes avança ſur la droite vers Bottuſchau.
Les Turcs eſſayèrent une ſeconde foisde
faireune attaque fur notre aile gauche , avec un feu
de mouſqueterie affez vif; mais nos troupes qui ſe
tenoientferrées,foutinrent cette attaque avec beau
coup de fermeté , jufſqu'à ce que, renforcées par
deux compagnies d'Infanterie qui , par une manoeu
vre adroite , s'étoient jointes à cette aile gauche
avet 2 canons & 2 eſcadrons , elle fit un feu fi
vif& fi bien ordonné contre les Turcs , que ceuxci
ſe virent forcés de ſe retirer , & de ſe poker
dans les endroits bourbeux où ils ſe trouvèrent ,
en attirant vers eux leur Infanterie & le reſte
de leurs Spahis. "
"Pendant que l'aile gauche avançoit de lamanière
ſuſdite , l'aile droite,compoſée des deux autres
compagnies du régiment Vallaque & de 6 pelotons
de Huſſards d'Erdody , marchant contre la
ville, ſous la conduite du Major Reviy, du régiment
d'Erdidy , ferroit de près l'aile gauche de
l'ennemi. Le Turcs eſſayèrent encore cette fois de
1
a 11)
( 6 )
ſedéfendre par le feude leurs canons; mais auffitôt
que les nôtres eurent atteint le ſommet de la
colline , tambour battant , ils prisent la fuite avec
ta plus grande promptitude ,juſqu'à 3 lienes audelà
de Strogeſtie , fur le chemin de Jaſſy. Par
cette action , qui a fait échoner l'entrepriſe du
Pacha , lequel , fuivant les apparences , vouloit
mener ſa troupe à Choczim ,ses nôtres font devenus
maîtres du poſte avantageux de Fo uſchau
&de tout le diſtrict des environs ;enco.iféquence,
le Prince de Cobourg , Général de Cavalerie , a
joint aux troupes du Colonel Fabry deux compagnies
du régiment Vallaque , 2 canons& une divifion
de Hullards d'Erdody , pour mettre cet O
ficier à même de ſe foutenir plus facilement dans
la poſſeffion de ce poite &de ce diſtrict. Dans
cette efcarmouche , les côtres ont eu un homme
&4 chevaux bleffés. Les Tures ont la ſie 3 chevaux
morts fur le champ de bataille ; & fuivant le
rapport des Habitans de la ville de Bottuſchau ,
3 morts & 17 bleſſés ont été emmenés par les
Turcs fur les chariots , indépendamment de 17
chevaux qui ont été bleſſés . »
Bulletin du 9 .
«Suivant les rapports d'Eſclavonie , du 30
mars , les troupes Ottomanes , poftées à Dubocfacz
( Turc) , eſſayèrent , le 25 , au rombre de
1000 hommes , d'atraquer de deux côtés Dubocfacz
( Autrichien ) fur l'aile gauche du régiment
de Gradifca , & , après s'en être emparé, détruire
encore Schumegje & Sbieg , fur l'aile droite
du régiment de Brood. »
,
« L'ennemi commença par un feu vif de fon
canon & de fa moufqueterie tant de la vieille
redoute fruée ſur la rivede la Save , que des maifons
, greniers & toits de ces maiſons , où il avoit
( 7 )
formé des créneaux à ce deſſein ; enſuite il monta
pluſieurs vaiſſeaux chargés en partie de foin&de
bois qui étoient en feu ,pour ſe tranſporter denotre
côté; mais le Lieutenant-Colonel Brodanovich , du
régiment de Gradista , ayant fait avancer à temps
deux diviſionsde troupes ſous ſes ordres , s'étoit
mis tellement ſur la défenſive , que les Turcs ne
purent paſſer que la moitié du fleuve , & furent
forcés detetourner ſur leurs pas. »
« lls revinrent pourtant à la charge , en formant
une nouvelle attaque ; mais il leur fut impoffible
encore une ſeconde fois de ne paſſer le
fleuve qu'à la moitié , & ils furent, tellement
repouffés par nos troupes , qu'ils ſe déſiſtèrent
entièrement de cette entrepriſe 27
<<Nos canons étoient placés de manière qu'ils
pouvoient prendre la redoute du côtéde l'ennemi',
tant de front qu'en flanc , & par ce moyen on
parvint à détruire entièrement ſes gabions & à
faire taire ſon canon. Le combat dura depuis 7
heures du matinjuſqu'à 5 heures du foir.
« Le front de Dubocfacz (Autrichien ) étant
garni d'un grand nombre de gabions fermes &
bien remplis , derrière leſquels , ainſi que derrière
les maiſons , nos troupes trouvoient une retraite
aſſurée, nous n'avons pas eu un feul homme de
tué ou de bleſſé , au lieu que les Turcs ont ew
so morts & pluſieurs bleſſés . »...
" L'ennemi ayant pris fa retraite de l'autre côté
du rivage de Dubocfacz , poſta , près les 4 vaif
ſeaux qui lui avoient fervi de tranſporis, un détacliement
avec du canon. »
a Pour ſe rendre maître de ces vaiſſeaux , le
CapitaineBrodanovich , du régiment de Brood , prit
la réſolution de paſſer la Saveravec un détachement
de 80 hommes,fur deux vaiſſeaux plats ; ce
a Iv
( 8 )
qu'il exécuta vers les 6 heures du ſoir, avec tant
d'adreſſe&un fuccès ſi heureux, qu'il mit en fuite
le détachement Turc, &s'empara de trois grands
vaifſſeaux qui furent emmenés de notre côté , l'ennemi
y perdit 8 des fiens ,& prit le parti de mettre
lescanons fur les chevaux, en laiſſant les lavettes
après lui. «
Suivant les avis du Bannat , le Corps franc,
nouvellement érigé , de transfuges Turcs , prend à
tâche de troubler l'ennemi dans toutes ſes entrepriſes
, & de l'attaquer ſuivant les circonftances
qui lui font offertes ; pluſieurs des Turcs y ont
perdu la vie , ayant été tués ou taillés en pièces
par ces Volontaires , dont un détachement pofte
dans les défilés de Korulcza , eut encore , le 30
mars , l'avantage d'enlever un tranſport de chariots
chargés de foin, qui , par un détachement de
troupes Turques , étoit convoyé deBelgrade à Semendria
, où la garniſon ſe trouve manquer de
tout. Pluſieurs Soldats de l'eſcorte reſtèrent fur la
place ,& les autres prirent la fuite. »
1
« Les Volontaires emmenèrent avec eux à Ho
molicza , fitué denotre côté , un butin de 14paires
de boeufs , 4 chevaux & pluſieurs fuſils ; les 17
chariots chargésde foin furent brûlés fur le chemin
qui conduit àKorulcza. »
C'étoit un bruit du genre de ceux dont
nous fommes journellement bercés , que
celui du paſſage de la Save par M. de
Lafcy à la tête de 40 mille hommes , &
de la priſe de Sabaſcz avec la garnifon
entière de mille hommes. La fonte des
neiges a enflé la Save , vers la fin du mois
dernier , au point de la faire conſidéra
blement déborder, & de rendre imprati
cable toute opération pour le moment!
(و )
L'Empereur a été obligé de transférer
fon quartier général de Futack à Péterwaradin.
Ce changement eſt néceſſité par
une mortalité de chevaux qu'on attribue
aux eaux & à la qualité des foins de
ces diftrias. S. M. a perdu 63 chevaux
de ſes écuries , & le Maréchal de Lafcy
quelques-uns. On parle d'une nouvelle
courſede l'Empereur pourviſiter les poftes
du Bannat. La grande armée a perdu le
Prince Charles de Lichtenstein , fon meilleur
Général de Cavalerie , qui est allé
prendre le Commandement en Croatie.
A l'inſtant où nos troupes pénétrèrent
dans laBoſnie, onyfit répandre de la part
de l'Empereur , le Manifeſte ſuivant en
langue Eſclavone.
« A tous ceux de l'Egliſe Orientale qui vivert
ſous la domination Ottomane , en général , & en
particulier à ceux qui habitent les provinces de la
Boſnie,Albanie, Servie,& autres ſujettes à l'Empire
Ottoman , aux Métropolitains , Archevêques ,
Evêques , anx autres Directeurs , aux Archiprêtres
actuels &leurs ſucceſſeurs , ainſi qu'à tous les
Archimandrites , Prieurs & Gardiens , à leurs
Vicaires , aux Prêtres réguliers , de même qu'aux
Gouverneurs des villes & places , conjointement
aux Supérieurs des monastères , Chefs ſéculiers ,
& enfin au reſte de la Nation qui exiſte dans ces
contrées , &c. ſavoir faiſons: »
« Que la Porte Ottomane ayant hoftilement
attaqué l'Impératrice de toutes les Ruffies , le très-
Auguſte Empereur ſe trouve , comme étant Con
Allié , dans l'obligation de mettre également fes
av
( 10 )
troupes en mouvement ,&de les faire agir contre
la Porte ; & par un effet de ſa clémence ſouveraine
, S. M. ayant pris en conſidération les funeſtes
conféquences qui pourroient réſulter de
cette guerre , au grand dommage de ſes Habitans ,
& voulant prévenir la ruine des Peuples Chrétiens
qui reſteront tranquillement dans leurs maifons
, dans leurs monastères, & dans quelqu'endroit
qu'ils puiffent habiter , où ils mèneront une vie
tranquille dans l'exercice de leurs arts & de leur
commerce , Elle déclare que tant les Eccléſiaſtiques
que les Séculiers qui ſe tiendront dans leur
devoir , feront pris fous fa protection fouveraine ,
&qu'Elle les confidérera comme tous ſes autres
Sujets , de façon qu'ils pourront librement exercer
leurs profeffions , arts & commerce en tous
lieux , & que fur-tout ils feront maintenus dans
le libre&paiſible exercice de leur Religion Chrétienne;
que l'on conſervera les égliſes , les monaftères
dans la poſſeſſion de leurs biens , contribu
tions , & tous autres droits qu'ils avoient coutume
d'exiger : du reſte , tous ceux de l'Eglife Orientale
qui auroient beſoin de ſubſiſtance , & qui ,
par l'intervention de leurs Che's eccléſiaſtiques &
Directeurs ſpirituels , en feroient demander à Sa
Maj . Imp. , Elle leur en fera fournir de ſa propre
caiffe. Toutes les Perſonnesde rang&de mérite ,
qui habitent les villes&autres lieux , & qui pofsèdent
légitimementdes fiefs, ſeigneuries&terres,
feront maintenues dans leurs poffeffions& priviléges
: lavolonté ſouveraine deS. M. I. étant que
tous les Chrétiens , tant de la Servie que de la
nationGrecque,qui ſeront fidèles au ſervice militaire
&dans l'exercice des emplois civils , foient confirmés
dans leurs poſtes & dans leurs biens. S. M.
veut, par un effet de ſa clémence , que les Morlaques
,Gens de la campagne & Laboureurs , par(
11)
P
ticipent aux mêmes avantages : au contraire ,tous
ceux qui abandonneroient leurs maisons , égliſes ,
biens & emplois , pour ſe retirer dans un pays
étranger , d'où ils ne reviendroient pas dans un
courteſpace de temps, feront privés pour toujours
deleurs biens&poffeffions , pour être diſtribués à
ceuxqui reſteront fidèles à ſa domination ; & tous
ceux qui oferoients'oppoſerà l'armée Impériale, ou
qui s'enmontreroient ennemis par leur conduite ,
feront traités avec la plus extrême rigueur , tant
dans leurs perſonnes qu'à l'égard de leurs femmes
, enfans , familles & biens ; & ,pour que perfonne
ne puiſſe en prétendre cauſe d'ignorance ,
nous avons fait publier la préſente , munie du
fceau du Souverain , &c . »
On compte dans la Boſnie & dans la
Servie 219 lieux fortifiés , qui ſervent de
retraite aux Turcs , & dont il faudra les
chaffer. Nos troupes enont déja emporté
17 ; mais dans les divers afſfauts que les
Ottomans ont eu à ſoutenir , ils ſe ſont
défendus avec la plus grande bravoure ,,
&n'ont abandonné leurs poſtes qu'après
une réſiſtance opiniâtre .
V
1. Les fonds de la Caiſſe de religion font
inſuffiſans à toutes les dépenſes dont elle
eft chargée.Onpréſume, en conféquence,
que l'on a formé le projet de taxer à
7 & demi pour cent , tous les Ecclefiaftiques
dont le revenu, annuel excédera la
fomme de 600 forins.
Par un nouveau décret de la Cour, les
Juifs de domination Autrichienne font af
1
i
a vj
( 12 )
ſujettis à s'adreſſer au Souverain pour les
cas de diſpenſes matrimoniales , réſervés
à ſa déciſion dans le Reſcrit concernant
les mariages des Chrétiens.
t
DeFrancfort-fur-le-Mein, le 16 Avril.
Le Comte de Goërz, nouveau Miniſtre
Plénipotentiaire du Roi de Pruſſe à la
Diète de l'Empire , eſt arrivé à Rariſbonne
le 4de ce mois. Le Comte de Schmetiau
eſt àſa ſuite en qualité de Conſeiller de
Légation.
On a acheté dans la Bavière & le haut
Palatinat , plus de 600 chevaux pour le
compte de l'Empereur. On continue auffi
lesachats de blé& de farine pour l'armée
deHongrie.
:
Le Corps de troupes que leMargrave
d'Anſpach & Bareuth fournit aux Provinces-
Unies , monte à 1400 hommes ;
ſavoir , 400 Grenadiers , 800 Fufiliers &
200Chaſſeurs ; ils feront commandés par
leBrigadier Baron de Reizenſtein.
On écrit de Rat sbonne , que l'on y procédera
inceſſamment à la vente de la belle collection de
médailles&monnoies modernes , d'or &d'argent ,
du feu Baron de Schwarzenau , Miniſtre du Roi
de Pruſſe à la Diète. Les pièces d'argent pèfent
au-delà de 21 mares , & celles d'or plus de 150
ducats.
1
( 13 )
:
ESPAGNE.
De Madrid ,le 5 Avril.
L'Infant nouveau-né a étébaptifé, après
l'intervalle d'uſage , par le Patriarche des
Indes , & a reçu les noms de Charles ,
Marie, Isidore , Benoît , &c. &c .
On écrit de Manille, du 17 juin 1787 , que la
frégate du Roi l'Aſtrée, frérée par la Compagnie
Royale des Philippines , eſt arrivée heureuſement
au port de Cavite , venant du Callao de Lima ,
après 75 jours de traverſée : elle devoit partis
pour Cadix dans le mois de décembre , avec un
riche chargement des productions des iſles Phi
lippines ,du Bengale , de la côte de Coromandel
→&de la Chine.
L
Les lettres de Cadix, du 18 mars , annoncent
auili l'entrée en ce port du vaiſſeau de la même
Compagnie, l'Aigle Impérial , avec une cargaiſon
conſidérable.
ITALIE.
De Venise , le 31 Mars .
LeConſeil de Santé vientde renouveler, parune
proclamation récente , les ordres les plus précis
d'infliger unepeine capitale àtous Patrons ouCapi
taines denavires qui tairont les rencontres ou les
viſites qu'ils auront éprouvées en mer avec des
bâtimens armés en courſe.
Le fort du Baron de Herbert , Internonce Impérial
,ditune lettre deConſtantinople , a étébeaucoup
plus heureux que celui de M. de Bulgakof.
( 14 )
M. de Herbert a préſenté lui -même à la Porte la
déclaration de guerre de l'Empereur , & a demandé
en même temps ſon congé. Le Miniſtre
Ottoman lui témoigna la plus grande honnêteté ,
en lui accordantla permiflion de ſe retirer; mais il
lui a ſignifié que toute la Nation Allemande devoit
en faire autant. M. de Herbert s'eſt embarqué
le 14 février , fur un bâtiment François deftiné
pour Livourne. Les Sujets Toſcans ayant été jufqu'ici
ſous la protection de l'Internonce , ils vont
paſſer ſous celledu Miniſtre deS. M. Sicilienne. Les
Allemands font fons la protectionde l'Ambaſſfadeur
de France, La déclaration de guerre a interrompu
les voies de communication avec l'Allemagne , &
cet évènement a retardé ledépartdes Couriers : on
apris un arrangement à cet égard. Le Miniftre de
Naples expédiera à l'avenir fon Courier deux
fois par mois , le 10 & le 25 , comme cela ſe
pratiquoit à Vienne. Le Miniſtre d'Eſpagne continuera
d'expédier le ſien le 1. &le 15 de chaque
mois , par la voie d'Ancône ; & le Baile de Veniſe
expédiera le ſien les 14& 19 de chaque mois,
Le Courier qui eſt parti le II du courant pour
Vienne , étoit accompagné de deux Gardes , &
muni d'un Firman comminatoire du Grand- Seigneur,
afin qu'on lui laiſſat le paſſage libre ; mais
on craint néanmoins qu'il n'ait été arrêté par les
troupes de l'une ou l'autre Puiſſance qui entourent
Belgrade.
«Le Comte Zambeccari est toujours captif. II
eftplacé chez un Officier de l'Arsenal , où il eft
fervi & traité avec égard , & à l'abri des atteintes
de la peſte. On croit cependant que la liberté ne
tardera pas à lui être accordée .»
« La Porte vient d'apprendre que lesRuffes
ont entièrementdéfait un Corps deTatars,Lesghis
furles frontières de la Géorgie ; on ne fait point
encore les circonstances de cet évènement. >>
,
( 15 )
De Mantoue , le 6 Avril.
!
Il eſt parti d'ici , le 2, pour Trieſte , deux
barques armées de 20 canons chacune
ayant à bord 10 caiſſes de fufils , 50 calfettes
contenant des balles à fufil , &
4800 boulets de canons. Un nombre de
recrues doit partir dans peu pour la mêmé
place.
On attend auſſi de Milan 300 recrues
qui pafferont par ici pour aller à Triefte ;
les tranſports étant faits de cette manière
, feront moins diſpendieux, plus furs ,
mieux foignés , & fans fatigue pour les
Soldats.
GRANDE- BRETAGNE
De Londres, le 22 Avril.
:
Le 18, M. Jackson , Secrétaire du Chevalier
James Harris , notre Ambaſſadeur
à la Haye, eſt arrivé au Bureau du Marquis
de Carmarthen avec le Traité d'alliance
défenſive, conclu & ligné le 15 entre
notre Cour & les Provinces-Unies. La
Gazette de Londres a annoncé cette nouvelle
, que M. Pitt a lui-même confirmée
à la Chambre des Communes.
Le Comte d'Harington ne remplace
point M. Firz Herbert à Pétersbourg. On
:
1
i
( 16 )
prétend que les conjonctures aquelles
ne permettent pas de l'envoyer avec le
caractère d'Ambaſſadeur , comme il l'avoit
défiré.
Le Général Meadows , nouveau Commandant
de Bombay , a eu dernièrement
une longue conférence avec le Miniſtre ,
& s'embarquera au premier jour pour
les Indes orientales .
Le Prince Guillaume Henri , toujours à
Plimouth , a été nommé au Commandement
de l'Andromède de 32 canons ,
fur laquelle il ſe rendra , dit on , à Hallifax
, avant la fin du mois .
Les Marchands intéreſſés au Com
merce de la Méditerranée & de la Baltique
, ont eu une entrevue avec le Miniſtre
, qui leur aura donné l'affurance
poſitive qu'on veilleroit attentivement à
la ſûreté de leurs navires pendant la guerre
aquelle entre la Porte & la Ruffie . On a
joint la frégate l'Ambuscade de 32 canons,
à l'eſcadre aquelle du Commodore Cosby,
dans la Méditerranée , qui ſe trouve compoſée
des vaiſſeaux le Trusty de 50canons,
le Phaéton 32 , la Perle 32 , l'Ambuscade
32, le Southampton 32, le Carysfort 28 ,
le Ferret 16 , le King's - Fisher 16 .
Le Salisbury de 50 canons , le Winchelfea&
le Lowestoffe de 32, la Rofe de 28,&le
( 17 )
floop l'Echo , formeront cette année l'efcadre
de Terre-Neuve.
L'Amirauté a ordonné de poſer , dans
le cours de l'année , les quilles de cinq
vaiſſeaux qu'on va mettre en conſtrution;
ſavoir , à Chatam, le Thunderbolt de 100
canons ; à Portsmouth , le Bedfordde 90;
à Plimouth , le Duc d'Yorck de 80 ; à
Woolwich , la Princeſſe de 74; à Deptford,
le Foudroyant de 74 .
Les dépoſitions rendues à Westminster-
Hall font , comme nous l'avons dit précédemment
, fi imparfaitement ou fi partialement
rendues dans ceux des Papiers
publics qui oſent s'en rendre les Interprètes
, qu'il eſt impoſſible de préfenter
ces propos découſus à des Lecteurs raifonnables
, comme un regiſtre authentiquede
témoignages. Souvent la tradition
des harangues Parlementaires dans les Gazettes
, eft contraire à ce qu'ont avancé les
Orateurs. Il ne s'agit-là , cependant , que
de ſaiſir le canevas &le ſens général de
la tractation du ſujet; mais comment admettre
de pareils organes pour la tradition
de témoignages , dont un ſeul mot
altéré peut changer toute lanature ? Nous
avons en main un détail manuſcrit , affez
étendu, de ces dépoſition ; mais ce n'eft.
ici ni le lieu ni le moment d'en faire
ulage , & de fatiguer le Public de toutes
( 18 )
les particularités juridiques d'une affaire
dont il commence à témoigner quelque
Jaffitude. Par la même raifon , nous lui
épargnerons les énormes Failums des Accufateurs
, & les Répliques qui y feront
faites , nous bornant à des réfumés trèsfuccincts
des incidens principaux , & fuc
ceffivement aux réſultats des preuves fur
chaque Chef.
M. Fox, nous l'avons dit , a proteſté
contre la déciſion des Grands Juges . Voici
les termes dans lesquels ce protêt eſt exprimé.
« Les Commiſſaires de la Chambre des Communes
m'ont chargé d'informer Vos Seigneuries ,
qu'ils ne peuvent acquiefcer à la réſolution que
le noble& favant Lord leur a communiquée , fans
déſavouer hautement & directement le principe
fur lequel elle porte. Organe de leurs fentimens,
je les partage ; obligés , en effet , comme ils le
font, de fuivre avec vigueur le procès&les charges
intentées contre Warrin Haflings , ils auroient dû
ſentir qu'il étoit de leur devoirde rendre compte
de cette réſolution à la Chamhre des Communes ,
&de lui remettre la déciſion de ce qu'ils avoient
à faire; mais jaloux de ſuivre ce procès avec autant
de célérité que de vigueur, ils ont pris le parti
d'acquiefcer pour le moment , ſauf la proteſtation
folennelle que je fais aujourd'hui. Cependant , en
acquiefcant , ils vous prient d'obſerver. qu'ils main
tiennent leur droit à ramener la même queſtion
ſous les yeux de Vos Seigneuries , & de la foumettre
de nouveau &d'une autre manière à votre
examen, fi la pourſuite ultérieure des charges leur
( 19 )
,
-
en fait voir la néceffité. Ils ont fenti que cela étoit
dela plus grande importance , non pas tant pour
le cas particulier qui a donné lieu à cette réfolution
que pour une foule d'autres d'une conféquence
infiniment plas grande , auxquels cette
déciſion pourroit s'appliquer également ; & ils
n'ont pu ſe diffimuler combien cette meſure
pourroit reſtreindre le cours de la juſtice publique.
Permettez-moi devous faire obſerver qu'un procès
par impéachment , n'attaque jamais que des perſonnes
d'un rang & d'un crédit confidérables ; il
faut donc s'attendre que les témoins à examiner
ne feront pas des témoins volontaires. On
ne doit guère compter trouver que des complices de
Vaccufé, ou des gens obligés envers lui à la reconnoiffance
: ticer la véritéde leur bouche , eft fans
doutelevoeu fincère comme le devoirindifpenfable
&des Commiffaires du procès , &da Tribunal qui
l'examine; mais c'eſt ce qui devient très difficile
enpareilles circonstances , & qui par conféquent
exige l'exercice de tous les pouvoirs de la Cour.
Desgensd'unegrande considération , cités enjuſtice,
ont néceſſairement un crédit proportionné à cette
confidération. Ils peuvent faire agir ces deux
grands refforts du coeur humain , l'efpérance &
la crainte ; il en eſt un troiſième encore plus particulier
au cas préſent , celui de la reconnoiffance.
L'accufé , par la nature de la grande place qu'il a
remplie , a néceſſairement attaché à ſes intérêts un
grand nombre de ceux qu'il a protégés par fon
pouvoir , ou a élevé à l'opulence par fa faveur.
Beaucoupde ces perſonnes qui,par les poſtes qu'elles
ont occupés , feroient en état de nous donner les
meilleurs renſeignemens , font impliquées dans les
crimes dont la Chambre des Communes charge l'ac
cufé. Il est donc du devoir de fes Commiflaires,
&eſſentiel au ſuccès de la justice publique , de
( 20 )
maintenir , en procédant à l'examen de ces per
ſonnes , le droit de faire des queſtions telles que
celle fur laquelle Vos Seigneuries ont donné leur
réſolution contraire. Cependant les Commiſſaires
delaChambre s'empreſſent, d'adhérer pour le moment
à cette déciſion , convaincus du zèle & de
l'amour de Vos Seigneuries pour la justice , &
perfuadés que quand la Chambre Haute verra
l'exercice de leurs droits indiſpenſable , elle ſera
lapremièreà les foutenir. Un autre motifde leur
conſentement , une nouvelle raiſon qui les raſſure ,
c'eſt que quoique la déciſion ſemble refuſer aux
Commiſſaires des Communes le droit de faire de
telles queſtions , droit auquel ils ne renonceront
jamais, ils ſentent qu'on ne peut le refuſerTau
prifonnier nià ſon Conſeil; ils jugent néceffaire
d'en faire uſage; ils ſavent aussi que cette Cour ,
dont les voeux ardens , d'accord avec ſon devoir ,
font de chercher la vérité , & d'y parvenir par
tous les moyens poſſibles , en conſidérant l'objet
qui les occupe ſous toutes ſes faces , a le droit
de faire , & fera certainement ces queſtions , fi
elles ſe préſentent à ſa ſageſſe comme néceſſaires
pour jeter du jour ſur la procédure. Déterminés
par ces raiſonspuiſſantes , &par le vifdefir qu'ils
ont de pourſuivre l'affaire avec autant de cétérité
quedevigueur , les Commiſſaires ont réſolu pour
le moment de mettrede côté la queſtion de droit ;
cependant ils ne peuvent s'empêcher de témoigner
en même temps à Vos Seigneuries , combien ils
font ſurpris que ceTribunal auguſte , après avoir
déclaré à l'ouverture du procès qu'il ſe dirigeroit
&ſe gouverneroit d'après les formes& les ufages
des Cours inférieures , juge néceſſaire ou utile
des'écarter , dans ce cas particulier , de la pratique
connue, conftante & uniforme de tous les Tribunaux
fubalternes du Royaume. »
( 21 )
Cette déclaration eſt ſans doute écrite
avec autant de nobleſſe que de modération
; mais il faut convenir que l'application
du principe de défiance à l'égard
des témoins , n'eſt pas heureuſe dans le
cas préſent. Des complices de M. Haflings
ne feroient pas affez fots pour ignorer que
le für moyen de ſe ſauver eux-mêmes
feroit de ſervir à le perdre. De plus , il
a à combattre lui ſeul les Communes , un
parti entier formé de Perſonnes éminen-,
tes par leur naiſſance , par leur fortune ,
par leur crédit , vingt Orateurs ou Gens
dedoi , Chefs de ceparti, & tenant à tout
le Royaume . Des témoins qui oſeroient
braver une ſemblable phalange , en ſe
parjurant , pour donner à leur Suborneur ,
dans les liens d'une accufation criminelle ,
une preuve de leur gratitude , feroient afſurément
des témoins bien héroïques, &
par cela même bien incapables d'être des
inftrumens du crime ; mais M. Fox a dû
tenir ce langage , ſtyle de Barreau , & il
l'a tenu .
Après avoir lu le détail des forfaits imputés
à M. Hastings dans l'affaire de
Cheyt-Sing , on ne ſe douteroit guère du
délit ſur la preuve duquel on a appeſanti
l'examen de M. Benn , l'un des témoins
interrogés. On lui a ſérieuſement demandé
ſi l'on avoit ou non empêché Cheyt
( 22 )
Sing de fumer pendant ſa détention dans
ſa maiſon ; fi ce n'étoit pas un crime énorme
d'empêcher un Gentoux de la première
caſte de fumer du tabac ; fi enfin
l'Arrêt perſonnel d'un Gentoux , à qui l'on
ôtoit ſa pipe , déshonoroit la première , la
ſeconde , la troiſième ou la quatrième
caſte. Cela rappelle un autre procès , auſſi
d'un Commandant dans l'Inde , que l'on
interrogea pour ſavoir s'il n'avoit pas fait
chanter un Capucin dans la rue. M. Benn
a répondu , qu'ôter une pipe à un Baja
c'étoit ôter à un Lord Anglois la tabatière.
Cette comparaiſon ayant fait rife
l'Aſſemblée , M. Burke prit le fait au
férieux , & argumenta fur la pipe , fur les
dignités & le décorum de Benares , mit
le Chancelier en ſcène , paſſa à l'hiſtoire
de l'araignée du prifonnier de la Baftille
, &c.
,
Le Colonel Gardner autre témoin ,
a répondu avec la plus grande candeur
à toutes les queſtions. En infirmant la
plupartdes affertions du Comité , il dit que ,
ſelon fon opinion , Cheyt- Sing n'avoit pas
prémédité la révolte , puiſqu'il eût été
maître après le maſſacre des Cipayes
Anglois , de prendre M. Hastings luimême
, reſté preſque ſans défenſe. La
preuve , en effet, que M. Hastings n'avoit
craint ni le courage , ni une révolte ou-
,
( 23 )
verte de Cheyt- Sing, c'eſt qu'il étoit arrivé
à Benarès avec une très- foible eſcorte , &
n'avoit pris aucune eſpèce de précaution
contre l'évènement. Le Colonel Gardner
dit encore que Cheyt-Sing étoit d'un caractère
doux & facile , mais qu'il étoit
gouverné par fon frère , homme très - violent,
qui s'étoit emparé de l'Adminiſtration
. Quant à M. Hastings , il n'avoit jamais
connu un plus aimable caractère
privé. 1
Dans la quatorzième Séance , M. Adam
pérora ſur les Begums d'Oude. Nous ne
1. tenterons pas d'analyſer ſon diſcours de
trois heures & demie , rendu en trois pages
in -folio dans les papiers publics. Nous
donnâmes l'année dernière , en ſa totalité,
le difcours de M. Sheridan ſur le même
ſujet, & nous devons ſauver au Public la
répétition de ces plaidoyers ; mais nous
ne pouvons garder le filence ſur une ſcène
de cette journée. Dans le cours de fon
argumentation , M. Adam avança qu'une
lettre de M. Haftings à M. Middelton ,
réſident à Oude , avoit été forgée après
coup par l'Accuſé pour colorer ſa conduite
envers les Begums , en paroiffant
inftruit,a'la date de ſa lettre,d'une prétendue
rébellion de ces femmes , que luimême
avoit fait éclater deux mois après .
Dans le premier mouvement d'indigna
( 24 )
tion , M. Hastings eut l'imprudence de
dire à M. Sumner , l'une de ſes cautions ,
qui étoit à côté de lui : voilà une infigne
fauffeté ! M. Adam l'entendit , & en finiffant
ſon expofé , dit avec fureur :
« Si le Priſonnier avoit l'infolence d'ofer répéter
>>queje dis faux , j'ai les preuves en main pour le
» confondre. Membre de la Commiſſion Accu-
» ſatrice , & Délégué des Communes , je pour-
>> rois demander justice d'une conduite auffi ſcan-
>> daleuſe ; mais je mépriſe un homme chargé de
>> crimes. Cependant , s'il avoit la hardieſſe de
>> tenter encorede m'inſulter par quelqu'obſerva-
» tion , j'invoquerai l'intervention de la Cour.
» Je parle aux Pairs, comme Sénateurs , comme
» pères , comme fils , comme Anglois , comme
» Chrétiens , en ſollicitant leur juſtice pour les
» Princeſſes infortunées , victimes de M. Haf-
» tings. »
:
Que cet Ex-Gouverneur ait été indifcret
& répréhenſible , on ne peut le conteſter.
Un Accuſé doit être impaſſible ; &
quoiqu'un Accuſateur , fût-il le Chancelier
d'Angleterre , ne ſoit pas unJuge , il a
droit de réclamer le filence inviolable du
prifonnier ; mais de quel oeil conſidérer
une apoftrophe pareille , de la part d'un
Membre des Communes , appuyé de toute
leur autorité , & de tout l'aſcendant que
lui donne ſa poſition , contre un prifonnier
déſarmé , à qui l'honneur arrache un
cri d'indignation ? On cite un bourreau
qui prioit le patient de ne pasfaire l'enfant;
( 25 )
fant; on n'en trouveroit pas qui ait eu
la lacheté de traiter d'infolent le malheureux
dont il aloit ferrer la gorge. Cet
excès inqui n'a d'exemple, que dans les
féroces battemens de mains dont on accompagnoit
à la Grève le baillonnement
du Général Lally. Quant à la bravade de
menacer de preuves l'Accuté , s'il oloit
récidiver , en voici le ſens littéral : « Si vous
› parlez , je vais vous confondre ; mais
>> auparavantje demande qu'on vous faffe
taire.»
On ſera ſans doute curieux de ſavoir
quel eſt ce Chrétien zelé , fi humain envers
les femmes du Bengale, fioruel envers
unde ſes Compatriotes livré au glaive de la
Juftice. M. Adam , Ecoſlois , eſt un protégé
de Milord North , ſous le Ministère
duquel il cingloit à pleines voiles au
vent de la faveur , déja Tréſorier de
l'Artillerie , Chevalier à outrance de la
guerre d'Amérique & de ſes opérations .
Les Généraux quiincendioient les villes ,
qui éventroient les enfans , clouoient leurs
mères par les mamelles , faifoient enlever
le crâne des Infurgens , avoient en lui un
zélé défenſeur. Ala fuite d'un débat parlementaire
, il appela M. Fox en duel ,
&lebartit avec lui au piſto'et. Les mêmes
Gazettes, qui viennent de célébrer l'heroïſime
de fa conduite envers M. Hastings,
N°. 18. 3 Mai 1788. b
(26 )
imprimèrent alors que le duelliſte étoit
payé par les Miniſtres pour les défaire de
M. Fox. ( Nous ne citons cette horreur
extravagante , que pour faire apprécier
le crédit que méritent ces papiers
publics. ) M. Adam perdit ſon emploi &
les reſſources par la diſgrace de Milord
North ; il furnagea avec lui par la COALITION
; il embraſſa chrétiennement M.
Fox pour lui aider à culebuter Milord
Shelburne & M. Pitt. Ils réuſſirent ,
& M. Adam redevint tréſorier de l'artillerie.
Renverſé de nouveau , il s'eſt fait Jurifconfulte&
Accuſateur public. Voilà le
perſonnage qui ſe ſuppoſe des titres affez
puifſans pour fouler aux pieds un adverfaire
immobile ſous l'épéede la Juftice,
&ſans lequel l'Inde ſeroit délivrée à jamais
du joug de l'Angleterre .
Dans la 15. Séance , M. Pelham termina le
plaidoyer fur cette ſeconde charge relative aux
Princeſſes d'Oude. Le même jour , M. Sheridan&
d'autres queſtionnèrent le Major Scott ſur un ouvrage
intitulé , Réplique aux Charges préſentées
contre ". Hastings ,&c. , demandant s'il avouoit
cet écrit. M. Scott répondit d'une manière claire
&explicite , que cette défenſe, faite ſur l'autorité
& l'aveu de M. Haflings , n'étoit ſon ouvrage
qu'en partie ; que, preſſé par le temps , il en avoit
remis le travail à lui Major Scott , à MM. Halhra
, Middelton , Major Gilpin , & autres de ſes
armis, que la préface ſeule &l'article des Rohilhasappartenoient
à M. Hastings , & qu'ainſi on ne
( 27 )
pouvoit argumenter contre lui quedece qui étoit
réellement ſon ouvrage.
Les Séances de ce procès font languir
toutes les affaires Parlementaires. La
Chambre Haute n'a traité depuis huit
jours qu'une queſtion de forme. Dans les
Communes , M. Pitt a annoncé l'ouverture
du Budget pourlahuitaine ;M.Bastard
a renouvelé , ſans ſuccès , fa motion en
faveur des Capitaines oubliés dans la dernière
promotion d'Amiraux ; M. Gilbert,
fonBillpour le foulagement des pauvres ,
qui a été remis àune autre ceffion. Quant
à la pourſuite du Chevalier Impey , elle
traîne comme tout le reſte; mais fi elle
n'eſtpas renvoyée de nouveau, la queſtion
d'impeachment occupera dans huit jours
le Comité général de la Chambre. M.
Francisa été entendu , le 10, ſur lejugement
de Nunducomar.
M. Rigby , ancien Tréſorier-Générat
del'armée , eſt mort dernièrement , laiſſanl
àM. Hale , fon héritier , une fortune de
300,000 liv. fterl.
:
FRANCE.
De Versailles , le 23 Avril.
Le20 de ce mois , le Maréchal de
Caſtries , Miniſtre d'Etat , a prêté ſerment
entre les mains du Roi pour le Gouver
bij
( 28 )
nement de Flandre & de Hainaut , dont
Sa Majefté avoit bien voulu le pourvoir
après la mort du Maréchal Prince de Soubile.
Le Roi , la Reine & la Famille Royale
ont ſigné , le même jour , le contrat de
mariage du Marquis de Boiſgelin avec
Demoiselle de Harcour, & celui du Marquis
de Villeneuve de Flayofe , avec la
Comteffe de Sorbin , Chanoineffe du Chapitre
Noble de Neuville .
Le même jour , la Comteſſe de Gouwello
a eu l'honneur d'être pſentée à
Leurs Majeftés & à la Famille Royale par
la Comteffe de Chevigné.
Le Baron de Choileul , Ambaffadeur
du Roi près le Roi de Sardaigne , de retour
en cette Cour par congé , a eu , le
20,i'honneur d'être préſenté à Sa Majefté
par le Comte de Montmorin., Miniftre
& Secrétaire d'Etat, ayant le Départeinent
des Affaires Etrangères.
De Paris , le 30 Avril.
« Le Miniftre , inſtruit de la ſtagnation
>>> actuelle des manufactures de Rouen, oc-
>> caſionnée par la grande inmportation de
>> marchandises angloiſes , vient d'accorder
>> une gratification de 300 milie livres aux
Manufacturiers , & c'eſt la Chambre du
>>. Commerce qui est chargée d'en faire la
* diir.buion. »
( 19)
<< Il vient d'arriver à l'Orient deux vaif-
>> ſeaux de la Compagnie richement chat-
» gés , & venant du Bengale ; ces vaif-
>>ſeaux font, le Duc de Duras & le Ver-
>> gennes : ils avoient relâché avec levaif-
>> ſeau le Maréchal de Castries , à l'lile de
» France. Ce dernier eft attendu de jour
" en jour , & la Compagnie en attend
» 9 autres qui formeront une totalité de'
>> 12 vaiſſeaux de retour pour la Compa-
>> gnie aquelle. >»
L'Académie royale des Inſcriptions & Belles-
Lettres tint fon Aſſemblée publique le premier de
ce mois. Le ſieur Ameithon , en l'abfence du freur
Dacier, Secrétaire perpétuel , ouvrit la Séance par
P'annonce fuivante. Le ſujet du prix que l'Acadé
mie devoit adjuger étoit: Quelles ont été les differarmes
peuplides de Barbares , transportés , par les
Empereurs Romains, fur lesfrontières de l'Empire ?
en quel temps , pourquoi & contment fe font faces
ces émigrations , & quelle a été l'influence de ces,
peuplades fur les loix , les mours , le langage des
contrées où elles font établies? Quoique plufiears
des Mémoires qui lui ont été adreflés , méritent
des éloges à beaucoup d'égards , aucun cependant
ne lui a paru digne du prix. Elle propoſe enconféquence
le même ſujet pour Pâque 17 0 , &invite
les Auteursà ſe borner, en le traitant , aux penplades
tranſportées ou établies far les frontières
des provinces de l'Empire , depuis Auguſtejuſqu'an
VI. fiècle de l'ère chrétienne ; à ne le point trop
livrer à l'eſprit de ſyſtême , ſouvent plus propre
à égarer qu'à conduire à la vérité ; à donner. leins
reche ches plus d'étendue & plus de profondeur;
à citer de préférence l'autorité des Auteurs conbj
(30 )
temporains , & à ne faire ufage des modernes ,
qu'après avoir vérifié leurs citations ,&les inductions
qu'ils en tirent.
L'Académie décernera, à la Saint-Martin 1789 ,
un prix double qui devoit être adjugé l'annéedernière
,& qui a été alors remis , dont le ſujet eft
de rechercher : Quels furent l'origine , les progrès
& les effets de la pantomime chez les Anciens ?
Aprèsces annonces, le fieur Ameilhon lut l'extrait
dun Mémoire dans lequel , après avoir annoncé
un projet ou une méthode pour ſe procurer fur
les couleurs dont il eſt parlé dans les Ecrivains
de l'antiquité , des notions moins vagues& plus
préciſes que celles que nous en ont donné nos
Commentateurs , cet Académicien traite de l'état
de la teinture chez les Anciens.
Cette lecture fut fuivie de celle d'un mémoire
intitulé : Horace confidéré comme Fabuliſte , &
comparé avec quelques - uns des Fabuliftes les plus
célèbres , tant anciens que modernes , par le ſieur
Gaillard.
Le fieur Belin de la Ballu lut enſuite ſon Mémoire
fur la chaſſe chez les Anciens.
Après cette lecture , le ſieur de Rochefort fit
celle d'un Effai fur la comparaiſon des moeurs &
des usages de la Chevalerie, avec les maurs & les
usages des premiers fiècles de la Grèce.
Cette lecture fut ſuivie de celle d'un ſecond
Mémoire du ficur Houard , fur le recueil intitulé:
Leges Wallica , imprimé à Londres en 1730 ;
fur l'état& les moeurs des Gallois , avant l'entrée
de Céfar en Angleterre , & jur les révolutions que
leur législation a éprouvées depuis , jusqu'à la réunion
de leur pays à la Grande-Bretagne.
LaSéance fut terminée parla lectured'un Mémoire
du ſieur de l'Averdy , concernant l'affiette d'une
( 31 )
impofitionfaite en Normandie, dans l'année 1430 ,
dans lequel les usagesd'abus font rapprochés de ceux
du temps actuel.
«Toutes les villes de commerce & de manufactures
ſe ſont empreſſées , depuis quelque temps ,
deprocurer des fecours aux ouvriers que les conjonctures
attuelles laiſſent ſans ouvrage & fans
pain. La bienfaiſance particulière des Négocians
&des Fabricans de Rouen , les facrifices qu'ils
ont faits en foutenant la fabrique , comme i les
débouchés pour la vente étoient toujours les mêmes,
ont long-temps rendu inutiles les reſſources de la
bienfaitance publique. Mais enfin les Magiftrats ,
MM. de l'Hôtel-de-Ville &de l'Octroi des Marcliands
ont fenti la néceſſité de venir àl'appui de
ces Citoyens généreux , & de ne pas les laiſſer
plus long-temps riſquer de compromettre leur fortune
par des avances infuffifantes autant qu'onéreaſes
, qui finiroient par ajouter un mal à un
autre. »
a La Ville a donc pris des délibérarions tendantes
à ſe procurer les moyens de ſecourir efficacement
les ouvriers & les fileuſes de coton ſans
ouvrage. Mais les formalités à remplir avant d'obteniirrles
autoriſations indiſpenſables,peuvent entrainer
des délais peu compatibles avec le beſoin du
moinent. Le bureau a arrêté d'offrir, en attendant ,
àlabienfaiſance publique & particulière, un moyen
proviſoire des'exercerpar la voie d'une foufcription
libre&volontaire , qui , à compter de ce jour ,
eft ouvença l'Hotel-de-Ville. » (Journ. de Norm.)
Nous publions la lettre ſuivante , que
vient de nous adreffer un Militaire refpedable
, ainsi que l'indication qui l'accompagne
, d'un remède contre la rage ,
fans prononcer fur l'efficace de cette rebiv
( 32 )
1
çette, qui paroît cependant , comme on
vale lire , avoir en ſa faveur une longue
& heureuſe expérience.
Lanteronde,paroiffe de Gofné , diocèsede Rennes ,
le 29 mars 1788.
Monfieur,
«Je me détermine pa un principe d'humanité ,
à vous communiquer la recette d'un remède con re
Phidrophobie , éprouvé avec un ſuccès certain ,
par use expérience plus que centenaire de mes
ancêtres , tant fur les hommes que fur les animaux ,
dansdes environs de Plormel , a'eſtroit , Jollelin ,
Redon, Rennes , Vitré , Fougères , Antrain , ta
zouges, Saint-Aubin , du Cormier, Derval , Fougerai
, &c. &c.
«
<<Comme il eſt poſſible que quelque perfonne
charitable entreprenne d'adminiſtrer de point en
point ce remède (exactitude très eſſentielle ) , je
ne cars plusde vous inviter à le rendre public.
" Mon père , étant Officier au régiment des
Leuville , actuellement Béarn , traita & guérit
quelques perſonnes enAlface vers 1912.
«Ce que jepuis atteſter ,comme témoin oculaire
, eft que mamère a traité &guéri pluſieurs
centaines de perſonnes mordues , égratignées &
meurtries par des loups , chiens & chats enragés ;
elle a quéri des femmes enceintes , des nourrices ,
des enfans à la mamelle , des gens de tout âge,
&un notribre confidérable de chevaux , boeufs
vaches , chèvres , cochons , & même des chiens
de chaffe & gardiens de troupeaux
1
»
,
Il exife dans ce pays un grand nombre de
perfonnes qui ont été préſervées par les foins de
ma mère ; mais entre autres il y en a trois qui
avoient étémordues par un loup enragé Lenommé
Julien Maugé , ayant été terraſfé & ayant eu le
crime entamé au point que les dents du loup y
( 33 )
étoient marquées, il ſe fit dans la fuite pluſieurs
exfoliations conſidérables , & il aſſure n'avoirja-,
mais aucune douleur de tête. L'exemple de ma
mère a porté mes foeurs à adminiſtrer ce remède
à tous les malheureux qui y ont eu recours . Elles
le font encore actuellement avec le même fuccès ,
& toujours gratuirement , comme l'ont fait tous mes
ancêtres. »
« Si vous croyez , Monfieur , que les certificats
foient néceſſaires pour accréditer ce remède , les
perſonnes notables du pays , & MM. les Eccléſiaſtiques
atreſteroient volontiers fon efficacité
l'ayant pris eux-mêmes. »
"Quoique la recette que je vous adreſſe ſoit,
je crois , affez clairement expliquée , ſi quelqu'un
aquelque queſtion à me faire , je defire que ce
foit par la voie du Mercure , que je lis régulièrement.
Je fuis , &c.
DU BOISQUEHENEUC,
Chevalierdel'Ordre Royal
& Militaire de S. Louis ,
Capitaine de la première
claffe au Corps Royal des
Invalides.
«P. S. Monfiew du Boisquehenen: de la Villion ,
mon coufin , demeurant acttellement chez moi ,
habitant ci -devant fa terre de la Villion , paroiſſe
de Caro , près Maleſtroit , a traité & guéri me
quantité conſidérable de perſonnes ,& figné avec
moi. "
DU BOISQUEHENEUC ,
DELA VILLION ,
Chevalierde l'OrdreRoyal
&Militaire de S. Lor's ,
Capuaine de la première.
claiſe au Corps Royal des
Invalides.
bv
( 34 )
Recetted'un remède afſuré contre la rage,
&qu'il faut prendre le plus tôtpefible après
l'accident.
1°. Marguerites champêtres , Feuilles ,partie
ou Paquerettes.
2°. Corne
de la racine&
de cerfraze fauvage, fleurs lorſqu'on
ou Paſſe-Rage. en trouve.
3°. Eglantier, ou Rofier ſauvage : bourgeons ,
écorce & feuilles.
4. Ruë puante des jardins.
5. Saugemenus . Si ellemanque , on metdouble
doſe de grande ſauge.
Toutes cesherbes doivent être employées vertes.
La doſe eſt de chacune une forte poignée.
6º. Une tête d'ail , ou environ neuf gouffes;
la goufſſe eſt une partie de la tête.
7°. Quatre écailles d'huitres concaſſées & non
calcinées . Celles de deſſous font les meilleures. Si
elles ſont petites , on en met cinq ou fix.
8°. Soufre en bâton concaffé , une once &
demie.
9°. Une poignée de gros fel marin , fans mê-
Langedeterre. Nota. Cette obſervation eſt eſſentielle
dans les pays de Gabelle.
Letout hachétrès- menu , doit être mis à infuſer
àfroid, du fois au matin (ou en cas de beſoin
au moment qu'on veut s'en fervir ) avec une pinte
de bon vin blanc , dans un pot de terre neuf ,
qu'on n'aura pas méme lavé , non plus que les
herbes , l'eau ne devant jamais entrer dans le remède.
Si l'on ffertd'un deterre ſpongieuſe , on
pot
met trois chopines de vin blanc.
Le malade étant à jeun , on fait faigner toutes
ſes plaies , égratignures&contufions , fans aucuneexception
, avec un canif, lancette , ou autre inftrument.
On applique ſur chaque plaie un peu
(35)
du marc du remède; on les bande , après quoi le
malade boit un verre de la liqueur , qui doit durer
neuf jours , pendant leſquels on répète le même
traitement. Enſuite il faut attendre deux heures
avant de boire ou manger.
Pendant le cours des neuf jours , ſi les plaies
étoient fermées& paroiſſoient guéries , il faudroit
les rouvrir pour les faire faigner.
Il faut bien remuer le pot chaque fois qu'on
verſe la liqueur. Sur la fin , quand elle paroît
trouble , on peut la paſſer dans un linge ou tamis.
Si pendant les derniers jours , les herbes ne
rendoient plus de liqueur , il faudroit les étreindre:
on peut ajouter au beſoin un peu de vin blanc.
Après les neuf jours , ſi les plaies ne font pas
guéries , on les traite comme plaies ſimples.
Pedant les neufpremiers jours , ſi les plaies font
remplies de pus , on les lave avec de l'eau où
P'on a fait fondre du gros ſel marin , avant d'y
appliquer les herbes.
Si les habits de la perſonne qui a été mordue
ſont enfanglantés &déchirés par l'animal , on doit
les laver exactement avant de les faire fervir . A
l'égard des linges qui ſervent aux plaies , il faut
lesmettreenterre, afin qu'aucun homme ou animal
ne contracte le venin.
On doit bien prendre garde de ſe bleſſer avec
P'inſtrument dont on ſe ſert en grattant les plaies.
Lamoindrebleſſure obligeroit à prendre ſoi-même
le remède.
Il faut faire repaſſer l'inſtrument quand letraitement
eft fini , ſi l'on ne préfère de le réſerver
uniquement à cet usage.
L'expérience a fait connoître qu'il eſt néceſſaire
de panfer les moindres contufions que des animaux
enragésauroient faites au travers des hardesles plus
épailles. Il eſt abſolument eſſentiel d'entamer ces
:
:
bvj
( 36 )
contuſions pour en faire fortir le ſang extravafé,
&de les traiter comme il eſt dit, pour les mor.
fures.
Quant aux plaies , contufions ou égratignures.
faires par les loups enragés, il faut donner leremède
pendant dix-huit jours ; mais il n'eſt plus
néceſſaire de faire faigner les plaies pendant les,
neuf derniers jours. Si le malade ſe trouvoit fatigué
du breuvage , on pourroit lui accorder quelques
jours de repos , avant de lui donner les neuf der-,
nières dofes.
יז
On prépare la même doſe pour les enfans ,
même pour ceux qui font à la mamelle , parce .
qu'on en perd toujours en le leur donnant; mais,
quand ils prennent tout , ce remèdene leureſt point
nui ble. Les femmes enceintes , les nourrices &
gens de tout âge le prensent auffi fansaccident ,
parce que loin d'arfoiblir l'estomac , il le fortifie ,,
&ranime l'appétit.
Régime.
..
Après avoir fini le remède , & en le prenant
un an entier , le malade évitera abfolument :
1º. De dormir à l'ombre des noyers , à caufe
de l'odeur forte de cet arbre.
29. De travailler à la réco'te & préparationdes
chanvres , par la raiſon ci-deſſus.
3º. Dechauffer les fours, fourneaux de charbon,
briques , fayence , &c. de même que les grands
feux des cuifines..
١٠
4°. De laver la leſſive & de s'arrêter au bord
des eanx.
5º. De s'emivrer , parce que l'expérience a
démontré que ceux qui ſe font enivrés ont pris
le emède fars fruit , foit que l'excès de la
boiffon leur at allumé le fang , ou que dans l'état
divrefle ils aient fait des imprudences contraires
au régime.
3.
F
(37)
Toutes ces abhinences ſont auſſi eſſentielles que
le remède. Au reſte , il n'y a rien à changer à la
manière ordinaire de vivre,&nul n'a rien à craindre
en vivant & couchant avec la perſonne qui l'a
pris.
Il eſt arrivé pluſieurs fois que des gens ont
caché des plaies ou violé les règles du régime ,
& qu'i's ont péri dans les accidens de la rage ;
mais du moins ils ont eu une mort plus douce,
La difficulté de découvrir toutes les plaies des
animaux , met quelquefois obſtacle à leur guérifon.
Cependant il n'en arrive pas d'accident pour l'or
dinaire, pourvuqu'on puiſſeles empêcher delécher
leurs plaies pendant le traitement des neuf premiers
jours , qui eft exactement le même que celui des,
hommes.
Les Illuftres François , ou Tableaux Historiques
des Grands Hommes de la France ; Par M. Ponce ,
Graveur ordinaire de M. Comte d'Artois . I1
paroît
déja 9 Livraiſons de ce Recueil intéreſſant ,
exécuté avec le goût, le choix & 1 habileté connus
de l'Artiſte à qui l'on doit cette entrepriſe.
Chaque Livraiſon de deux Estampes , ſe vend
3 liv. en feuilles , chez l'Auteur , rue St. Hyacinthe
, porte St. Michel , n . 19 Les Portraits
de cetre Collection ſont gravés d'après les meil
leurs Originaux , & chacun d'eux eſt arcompagné
d'une note hiſtorique , où l'Auteur a raffemblé,
avec une fidélité très-fcrapulenfe , les principaux
évènemens de la vie du Perſonnage repréſenté.
« Le ſieur René Courault , âgé d'anvi
>> ron 14 ans , né à Sainte Croix de la ville
>> deTours , capitale dela Touraine, taille
>> de 5 pieds 4 pouces , chevux & faar--
>> cils châtains mêle's de b'ane , tête en
:
(40 )
• partie chauv
>> aquilain , yeu
>> abſenté (po
huit ans , de
>> exerçoit l'ét
>> depuis cette
> ſes nouvelles
>> auroient que
>> exiftence &
> de vouloir t
Sergens & Soldars des deux baraillons durégiment d.remam-Genera de Hardenbrok&da premier
batail on au regiment du Général-MajorHoustoun, de même qu'a caux des compagnies d'Artilleurs
na Demerant-Colonel Geek & du Capitaine Paart, que e Confeil deguerre de Fois-le-Duc
a tecare n'être point coupables des pillages & mercmares zu: ont en lien aBois'e-Duc; queS.A. atter Jeux qu'isle conduiront
comme d'hon- meres it eamares mitaires ,fas fejaifferjamais
Corestals
commentre quelques defordres ou where huntins , sue, dans cetteattente , leurs armes car evenrendues, S. A.voulant qu'aucun revere me emotcac à l'egarddecequi s'eft
4 Buns-e-Duc , les renant pour ablouspar awer
nagee à ceux qui ont été trouvés
25.rachaion
celebannill.ment
de. cere quiontere fufpids, va quisn'ontpaprouver leuriomocence
, emmcignart enfin andtGouverneur de fairetreles ordres de S. A. devantles autres
regins& corps delagarmion dontilalecom- mandament, legt detesdantbien expreſſementde fire aucun reproche au lajetdeleurdéfarnement
à ceux des corps fufnommésquiontétédéclarés unmocers, fouspeine d'être rigoureusement
pun's. Le même ordre a été envoyé par . A. S. ar-Général-MajorComrede Welderen, CommandantdeMaestriche,
àl'égarddes Sergens , Capo- raux, Tambeurs,Grenadiers&Sed. tsdurégiment
du General Major deMonster, quele Confeit de grerede aeftichradéclarén'êtrepointcor:pables, des plages & défordres commisàBois-le-Duc, dansles nurs du 8au9& da tonovembre der-
>> dame Deffou
>>> à Paris en f
>> riche ſuccel
» pour moitié
>> trouveroit qu
>> fieur Courau
>> le nom de l
>> inhumé , on
>> de donner le
» fieur Chabber
» à Tours , pou
>> l'extrait mor
On s'eft tron
dernier Journal
demandé , par f
porté àMontba
à cet égard , &
ſes obsèques f
lonté duquel le
été embaumé & 店

La nouvelle
Conftitution
Américaine
n'a palé
dans
l'Etat
de Maffachulett's
,
qu'à la majorité
de 19 fuffrages
; 192
( 41 )
!:
ayant opiné pour l'adopter , & 163 pout
la rejeter. Cette fanction n'a même été
que conditionnelle , & on en a foumis la
ratification aux clauſes ſuivantes :
Dans l'Assemblée des Représentans du Peuple de
Massachusett's , du 6 Fevrier 1788 .
L'Aſſemblée ayant examiné avec impartíalité
&mûrement confidéré la Conftitution pour les
Etats-Unis de l'Amérique , propofée au Congrès
par la convention des Députés defdits Etats-Unis,
&foumiſe à notre délibération par une réfolution
de la Cour- Générale de ladite République , en
date du 25 octobre dernier ; reconroiffant avec
des coeurs pleins de gratitude la bonté de l'A-bitre-
Suprême de l'univers ,pour l'occaſion qu'il a.
plu à la divine providence d'accorder au peuple
des Etats-Unis, de convenir enſemb'e avec calme
&tranquillité , d'une manière pacifique , fans artis,
fice ni furpriſe , d'un acte de confédération clair
&folemnel , en approuvant& tatifant une neuvel'e
Conftitution , qui tende à fixerune union
parfaite, à établir la justice, à affermir la tran
quillité domeſtique , à pourvoir à ladéfenſe com
mune , à avancer le bien- être général , & à affurer
à eux & à leur poſtérité les bénédictions de la
liberté : Nous , au nom & comme ayant-cauſe
du peuple de la République de Maſſachufett's ,
approuvons & ratifions ladite Conftitution pro
polée pour lesEtats Unisde l'Amérique. Et comme
c'eſt l'opinion de cette Aſſemblée , que certaines
améliorations &altérations dans ladite Conſtiturion
écartéroient les craintes & la follicitude de plu
ſieurs des bons citoyens de cetre République, &
les mettroient plus efficacement à l'abri d'une gef
tionmal dirigée du gouvernement tédératif , à cos
caules, l'Atlemb'ée récommande qu'il ſoit admis
4
( 42 )
dans ladite conſtitution les altérations & ftipulations
de précaution qui fuivent :
« I. Qu'il foit déclaré en termes clairs& pofi-
>> tifs , que tout pouvoir qui n'est pas deleguéexpref-
>fémentparladite conſtitution,est révervé aux Etats
* respectifs, pour être exercé par eux. »
« II. Qu'ily aura un Repréſentant pour chaque
>> nombre detrente mille citoyens , ſuivant le cens
» ou cadaſtre mentionné dans la conſtitution , juf-
» qu'à ce que le nombre entier des Repréſentans
>> monte à deux cents. »
" III. Que le Congrès ne fera point uſage da
>> pouvoir dont il eſt revêtu par la fection qua
>> trième de l'article I , ſinon dans le cas qu'un
>> Etat négligeroit ou refuſeroit de faire les réglemensqui
yfont mentionnés , ou lorſque ces ré-
>> glemens contiendroient des arrangemens qui fuf
> ſent de nature à miner les droits du peuple pour
>> une repréſentation libre & égale en Congrès ,
conformément à la Conſtitunon. »
» IV. Que le Congrès n'impofera point de
-taxes réelles , finon dans le cas que les ſommes
> provenantes des impôts ou acciſes établis ne fuf-
> firoient pas aux beſoins communs de la confé-
»dération ,&pas même alors fans que leCongrès
> ait préalablement requis les Etats particuliers
>>d'impoſer , lever & payer leurs quotes refpectives
en la fomme demandée , conformément
» au cens fixé par ladite Conſtitution , de telle
» manière& entelle forme que le pouvoir légifla-
>> tif de chaque Etat jugera la meilleure : & qu'en
> cecas, lorſque que'que Etat refuſera ou négligera
>> de payer ſa quore -part , en conféquenced'une
> pareille demande , alors ſeulement il ſera libre
> au Congrès d'impoſer la quote - part de cet
>> Etat , & de la lever avec intérêt de fix pour
» cent par an , à compter de l'époque fixée par
( 43 )
» telle réquifition pour le paiement de cette
» quote. >>
«V. Que le Congrès n'établira point de Com-
>>pagnie de Négocians avec des priviléges de com-
» merce exclufifs . >>
» VI. Que perfonne ne ſera traduit en juge-
» ment pour un délit qui implique une peine in-
» famante ou capitale , avant d'avoir été cité par-
>> devant un Grand-Juré , exceptédans des cas qui
» pourroient ſurvenir relativement à l'adminiſtra-
» tion & à la direction des forces de terre & de
» mer. »
» VII. Que la Cour-Suprême n'aura point de
>> jurisdiction dans des cauſes entre des Citoyens
u d'Etats différens , à moins que l'objet en litige
>> fo't réel ou perſonnel , n'importe la valeur de
>> trois mille dollars : que le pouvoir judiciaire de
>> la confédération ne s'étendra pas nonplus à des
» cauſes entre des Citoyens d'Etats différens , à
» moins que l'objet en litige foit réel ou perfon
» nel , n'importe la valeur d'au moins quinze
>> cens dollars . »
"
» VIII. Que dans des cauſes civiles entre les
Citoyens d'Etats différens , lejugement fondé
>>dans le droit commun , fera rendupar un Juré ,
>> fi les parties ou l'une d'elles le requièrent. »
« IX. Que le Congrès ne confentira jamais à
» ce que quelque perſonne , revêtue d'un emploi
> de confiance ou de profit au ſervice des Etats-
> Unis, accepte de quelque Roi , Prince , ou Etat
» étranger , des lettres de nobleſſe, ou quelque
autre titre , honneurs ou charges quelconques."
Et l'Afſfemblée charge au nom & comme ayant
cauſedu peuplede cette République, ſes Repréſentans
en Congrès d'employer tout leur pouvoir
&leur influence juſqu'à ce que les ſuſdites altérations
& ftipulations de précaution ayent été
:
(44)
priſes enconſidération , conformément à l'articleV
de la ſuſdite Conflitution , ainſi que de mettre en
ufage tous moyens raifonnables & légitimes , pour
obtenirune ratification deſdits changemens &précautions,
de telle manière qu'il eſt prefcit par
l'article ſuſdit.
Et afin que les Etats Unis affemblés en Gongrès
foient légalement informés de l'approbation &
ratification que la préfente a Temblée a donnée à la
fufdite Conftitution , il a été réſolu : » que la fule
dite approbation& ratification fera mife au net,
>> écrite fur vélin , enfenible la recommendation&
>> inftruction fufdue ; & qu'elle fera expé liée, avec
>> la préſente réſolution, par Son Excellence Jean
Hancock, Préfident, & par l'Honorable & iliam
» Cushing, Vice-Préſident de cette Aſſemblé , aux
>>Etats-Unis en Congrès, le tout contre-figné par
le Secrétaire de cette Affemblée , & revêtu de
>>leurs feings&cachets refpectifs. »
Signées , Jean Hancock , Président , William
Cushing, Vice-Président, Contre-figné , George
Richard Minor , Secrétaires
Lettre au Rédacteur.
« Voulez- vous bien, Monfieur , annoncer à
l'Europe un acte de munificence & de patriotifime ,
que toutes les ames vraiment Françoifes trouveront
auffi doux de ſentir que juſte de publier ? Je,
fuis done parfai ement füre que vous aimerez à
l'inférer dans votre Journal : fa plus noble defti- .
nation eft de conſacrer de tels faits ; ils honorent ,
lanation qui les fournit , celle qui les répète , &
toutes y doivent rendre hommage..Mais j'oub'ie
que les grands caractères redoutent peut-être l'é-,
loge , en proportion de ce qu'ils le méritent , &
qu'un ſimple expofé dira bien plus que toute mon
admiration : en voici le ſujet . >>

( 45 )
« M. le Comte Potecki , Palatin de Ruffie ,
Général Commandant de l'armée Polonoiſe en .
Ukraine& aux frontières de laTurquie, demanda,
ily a quelque temps, des fecours au Roi & au
Confeil permanent , pour les frais & l'entretien
de ſes troupes. La ſomine qu'il demandoit étoit
auſli modique qu'indifpenfable .>>>
« Le Roi & le Conſeil répondirent qu'il étoit
impoſſible de l'envoyer pour le moment ,& qu'il
falloit l'at endre. «
« Le Comte Potocki , vivement touché des
beſoins de l'armée , avança la ſomme de 120 mille
livres tournois , & en écrivit au Roi & au Confeil."
«Le Roi & le Conſeil firent l'éloge le plus
folemnel d'une libéralité fi' rare , & écrivirent an
ComtePotocki des lettres remplies de louanges &
dé remerciemens. Quelque temps après , on fit
ſavoir à M. le Comte que le tréſor de la Répub'ique
venoit de recevoir les ordres néceſſaires
pour remboutfer la fomme qu'il avoit fi utilement
comme fi noblement avancée »
« Le Comte Potocki tépondit par une lettre ou
refpiroit l'élévation de ſentimens qui caractériſe
ta nation Polonoife: on fait combien ceux de çe
nom illuftre y marquent dignement à tous les
titres , & que le Roi actuel les a avecjuftice appelés
les Fabius de la Pologne ;M le Comte Potocki
, dis-je , (dont le patriotiſme généreux rappelle
de plus en pus ces fameux ſiècles , où des
héros étoient les appuis & la gloire des Républiques,)
prioit par ſa lettre le Roi & le Confeil
d'agréer qu'il fit don àferat de cette forme ,
laquelle i térieurement il avoir déjà deftinée aux
pauvres meiers & Soldats bleffés, a'nſi qu'aux
familles de ceux qui avoient péri ,&ſurtout à leurs
veuves,»
( 46 )
Cette lettre eſt parvenue au Roi & au Conſeil
; mais il n'a pas été jugé à propos qu'e'le fût
lue,&l'on en ignore la raifon. Pour moi , certaine
que toute action mémorable a par ellemême
une force invincible , je préſume qu'on ne
la couvre jamais d'un voile que pour lui laiſſer
l'immortel honneur de le percer. »
« J'ai l'honneur d'être , Monfieur , votre trèshumble
& très-obéiſſante ſervante.
LA COMTESSE DE
***
Autre Lettre au Rédacteur.
Monfieur ,
Naples, le 29 mars 1788 .
« Me permettrez-vous de diſpoſerd'une feuille
de votre Journal , pour annoncer aux ſavans , aux
muſiciens , aux amateurs de la langue grecque ,
une nouvelle qui me paroîtdevoir les intéreſſer ? -
«Pluſieurs auteurs anciens , entre autres Theor
de Smirne , &Porphyre, citent ſouvent avec éloge
lenom d'un Adraste, Philoſophe péripatéticien ,
auteur d'un ouvrage ſur la muſique. -Marc
Meibomius ,qui raſlembla &publia , dans le ſiècle
dernier , ſept auteurs anciens qui ont écrit ſur la
muſique , regrette amèrement , dans la préfacede
ſon recueil , la perte de l'ouvrage d'Adraſte.
Je voudrais , dit-il , pouvoir l'acquérirau poidsde
l'or.n
-
« Eh bien , Monfieur , cet ouvrage précieux
que le ſavant Fabricius (1) a mis au rang des livres
perdus , vient d'être retrouvé parmi les manufcrits
de labibliothèque publique duRoi des deux Siciles.
(1) V. Fabrici Bibliotheca Græca , T. III , liv. 3,
eh. 10 : Scriptores deperditi.
(47)
Je l'ai vu. Il eſt àla fin d'un volume de format
in-4°. qui contient deux ou trois autres manufcrits
d'ouvrages connus. L'écriture en eſt belle, trèsliſible&
fur de bon vélin. En voici le titre tel
que je l'ai copié ſur le manufcrit même :
Αδράτε περιπαθητικῶ ἄρμωνεων βιβλίον.
«L'ouvrage eſt diviſé en trois livres. On rencontre
en le feuilletant , des figures géométriques
très-bien deſſinées , &qui ſervent fans douted'explication
au texte.»
« Si cet ancien traité contribue ànous donner
des idées plus nettes du ſyſtême harmonique des
Grecs, ee ne ſera pas , ſelon mei , une découverte
inutile.
"D. Pasquale Baffi, Bibliothécaire , eſt chargé
de traduire l'ouvrage d'Adraſte. C'est un jeune
homme d'unegrande érudition , actif& laborieux ,
qualités rares dans ce pays. »
« Lemême ſavants'occupe , parordre du Gouvernement
, à traduire un traité des vertus&des
vices , par Philodems , Philoſophe Grec , dont les
ouvragesont été trouvés ſous les cendres qui couvrent
Herculanum, v
« J'ai l'honneur d'être , »
DUVAL.
P.S. L'Empereur eſt parti deFutak, le 30mars,
pour aller viſiter le cordon des troupes dans le
Bannat. S. M. fe propoſoit d'arriver le 7 avril à
Temeſwar , &de revenir le 14 au quariergénéral.
L'Archiduc François eſt parti pour la Sirmie.
La Gazene de Vienne , du 12 , a paru ſans
Supplément.
LesLettres de Livourne , reçues à Vienne le
10dece mois , confirment l'arrivée , dans cette
ville , du Baron de Herbert , Internonce Impérial
àConftantinople.
( 48 )
Paragraphes extraits des Papiers Anglois & autres .
Le 2 Mars, il eſt arrivé à Tunis un Bâtiment
Marchand Anglois, venant de Gibraltar , avec
cent barrils de poudre , deux gros canons de
bronze , de nouvelle invention , & une quantité
deboulets . Ce Navire avoit été rencontré& viſité ,
le 26 Février précédent , àla vue du port Farine ,
par un Frégate& un Chebec Vénitiens , commandés
par le noble Vénitien Correr. Le Capitaine
Anglois, furpris ſi près des côtes de Tunis , montra
ſes lettres de mer pour Livourne , & s'excufa en
difant que le beſoin de vivres l'avoit éloigné de
ſa route, en le forçait à en prendre ſur les côtes
d'Afrique. Le Commandant Vénitien lui fit aufſitôt
donner de l'eau , du biſcuit , & quelques
moutons , & l'accompagna de conſerve avec le
Chebec , pour le remettre dans ſa route prétendue.
Mais l'armement Vénitien l'ayant quitté à la
hauteurdela Sardaigne ,le CapitaineAnglois profita
de la nuit pour virer de bord &fe rendre à
Tunis.
N. B. (Nous ne garantiſſons la vérité ni l'essastitude
d'ancuns des Paragraphes ci-deſſus ).
MERCURE
DEFRANCE.
SAMEDDII 10 MAI 1788.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A
L'ANE ET LA ROSE ,
FABLE.
CERTAIN Ane broutoit le chardon épineux
Croiffantavec la ronce en un tertein pierreux ;
Le dróle ayant grand faim, dans ce licu folitaire
Trouvoit abondamment de quoi te fatisfaire ;
Quand il vit, par hafard, pendre ſur les chardons ,
Du fommet d'une haie , une Rofe charmante.
(Les Rofes quelquefois brillent dans les buiffons ;
Au village ſouvent la beauté nous enchante. )
Ho ! ho ! dir le Daudet en alongeant le cou ,
Voilà pour mon defert une feur fucculente ;
Nº. 19. 10 Mai 1788 .
C
ز
so MERCURE
Gobons-la ; de chardons auſſi bien je ſuis fou
Ainfidit , ainſi fait ; il la flaire & la hape.
Mais fi , s'écria-t-il : oh ! la maudite fleur !
Quelle infipidité ! quel goût ! quelle fadeur !
Amanger d'un tel mets , ſi jamais on m'attrape ,
Qu'on me pende , ou plutôt qu'on m'aſſomme de
coups ;
Je ſuis tout affadi d'un aliment ſi doux :
Il me faut du piquant. Meſdames les Abeilles ,
Je ne toucherai plus à vos Roſes vermeilles.
N'ai-je pas mes chardons ? vive leur âpreté !
Par leur ſel picotant , l'appétit excité ,
Ytrouve , avec le goût, de quoi ſe ſatisfaire.
Mais pour vos fottes fleurs , duffé-je vous déplaire ,
J'en fais très-peu de cas. L'Ane avoit bien raiſon ;
UnAne n'est pas fait ainsi qu'un Papillon,
Il faut des mets groffiers pour de groſſiers organes ;
Les fots ne goûtent point le ſel des bons Ecrits ;
Et la Roſe qui plaît aux goûts les plus exquis ,
Eſt fans ſaveur pour eux , ainſi que pour les Anes,
(ParM. le Marq, de C***. V***. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE
E mot de la Charade eſt Carroffe ; celui
de l'énigme eſt Redingote ; celui du Logogriphe
eſt Fleur, où l'on trouve Fer, Feu
DE FRANCE.
CHARADE.
Mon premier tous les ans n'arrive qu'une fois ;
Mon ſecond ſur la tête élégamment s'arrange;
Etmon tout, ſur les coeurs, a le pouvoir d'un Ange
Qui deſcendroit du Ciel pour nous donner des loix.
(Par Mme. la Comtesse de B***. )
ÉNIGME.
Je fais ici bas bien ou mal ;
Souvent on me perſonnifie ;
Mais Lecteur , je te le confie ,
Je ne ſuis qu'un être idéal.
Cruel , affreux , digne d'envie ,
On me vante , ou l'on m'injurie ,
(Ce qui ſans doute te ſurprend. )
Des évènemens de la vie
Chacun veut que je fois garant.
Il n'est point d'homme fur la Terre
Qui ne m'invoque chaque jour ;
L'infortuné dans la misère ,
Le malheureux dans ſon amour ;
De l'orgueilleux , dans l'opulence .
J'abaiſſe le front infolent ;
Et je me ris le plus ſouvent
C
:
52
MERCURE
Du Monarque & de fa puiſſance,
Je porte au faite des honneurs
L'homme qui rampoît dans la fange ;
Et c'eſt ainſi que je me venge
Des mortels & de leurs fureurs .
Eft-il plus étonnant caprice ?
Parfois j'accable de bienfaits
Le méchant qu'on n'aima jamais ...
Mais tu m'accuſes d'injustice ...;
Tu m'as deviné ? je me tais.
( Par le Solitaire de S ... eux. )
LOGOGRIPHE ,
QU'UNE autre, des Trajan , Titus & Marc-Aurèle ,
Fafle paffer les noms à la Poſtérité;
Que trop tôt moiſionnés par la Parque cruelle ,
Henri IV & Sulli , tous deux chers aux François ,
Dans fes faftes facrés revivent à jamais ;
De leurs rares vertus , que le tableau fidèle ,
Tracé par de favantes mains,
Aux Miniftes , aux Souverains
Inſpire le défir de ſuivre leur modèle
Pour moi , ſous un maſque emprunté ,
Lecteur ,je peux audi t'intéreſſer , te plaire ,
DE FRANCE. 53
Dans quelque rang que le fort t'ait placé.
De mes Héros , la troupe menfongère ,
Aux Princes , aux Sujets , au Noble , à l'Artifan ,
Sait donner des leçons utiles à tout âge :
Mais, hélas ! dans un fiècle où l'on croit être fage ,
A peine me voit- on dans les mains d'un enfant.
Je t'offre en mes huit pieds de la mer le rivage
Ceque toujours , aux yeux de ſes Amans ,
La coquette Derine , en fardant fon vifage ,
Voudroit en vain cacher; un des quatre élémens ;
Une ſubſtance réſincufe
Un manoir trifte , étroit , pour les foux deſtiné;
Un vil infecte , eſpèce vermineuse ;
Chez les Orientaux un fupplice ufité ;
Ce qu'au milieu des flots, fans craindre pour la vie,
Le Voyageur franchit d'un pas léger ;
Une ville ; une note; un ficuve d'Italie .
(Par M. Du***. )
C3
36 MERCURE
Deſpréaux, qui fert d'épigraphe à ſa Pièce :
Il n'eſt point de ferpent ni de monftre odieux ,
Qui par l'Art imité ne puitſe plaire aux yeux.
On n'attend pas fans doute que l'Auteur
de cet Article ſuive là marche de cette
Tragédie , d'Acte en Acte , de Scène en Scène.
Cette analyſe ſeroit inutile & peu agréable.
Le fond de l'action eſt affez connu. On
fait que Térée , Roi de Thrace , époufa Progné
, fille de Pandion , Roi d'Athènes . On
connoît la, tendre amitié de Progné pour
fa foeur Philomèle. Cette amitié dans la
ſcène d'expoſition , eſt exprimée par M.
Le Mierre avec beaucoup d'intérêt. C'eſt
Progné qui parle à ſa Confidente .
Tu connois l'amitié qui m'unit à ma foeur ,
Etquel rendre retour j'ai trouvé dans ſon coeur.
Tu fais àquels regrets mon ame fut livrée ,
Lorſqu'il fallut partir pour époufer Térée.
Attachés fur le port , mes inquiets regards
D'Athène avec douleur virent fuir les remparts ;
Et même quand des yeux je perdis Philomèle ,
Je demeurai les bras tendus long-temps vers elle .
Tu fais , dans l'amitié , fi mon coeur affermi ,
De fon abfence , hélas ! fur le trône a gémi.
Un charme indépendant des liens da fang même ,
Détermina pour nous cette tendreffe extrême .
Après cinq ans d'hymen j'ai voulu la revoir
Dircé , l'aveu du Roi m'en perimetroit l'efpoir.
>
DE FRANCE.
$7
Les vents enfloient déjà la voile préparée .
De deſſein tout à coup je vis changer Térée.
Térée part lui-même : il aime avec fureur
la foeur de ſa femme. Loin de l'amener à
Athènes , il la conduit au fond d'un vieux .
palais, dans la forêt de Mars , alluvit, par
violence , la rage de ſa paffion , ne peut
endurer les reproches de fa victime , &
paſſant de l'amour à la haine , lui artache
la langue , comme s'il eût pu , par ce
nouveau crime , ensevelir dans l'oubli du
filence l'horreur du premier. On fait
que Philomèle , dans ſa prifon, peignit fur
une toile les attentats de Térée , & envoya
ce tiflu à Progné , qui , fur la foi de
ſon barbare époux , croyoit que fa foeur
n'étoit plus , & lui avoit dreſſe un maufolée.
On fait que Progné , le jour de la
fête des Orgies vint à la tête d'une
troupe de Bacchantes délivrer Philomèle.
M. Le Mierre a très bien préparé cet incident
des la première Scène. Dircé cherche
à conſoler les inquiétudes de la Reine ,
qui , depuis un an d'abfence ,attend en vain
fon époux & ſa ſoeur.
,
:
Loin de vous obſtiner à craindre du deſtin
Unmalheur chimérique ou du moins incertain,
Peignez-vous-la plutôt cette foeur fortunée ,
A vous , à votre peuple en triomphe amenée.
Le Roi n'aura tardé que pour joindre en ces lieux
Lesfêtes de ſa Cour àcelles de nos Dieux.
C
38
MERCURE
:
T
Le retour de l'aurore endormant les Bacchantes,
Suſpend les cris aigus de leurs fureurs errantes ;
Sur ces monts , fur ses bords le tumulte a ceſſe.
Rendez-vous au repos .
PROGNÉ.
Du repos ! ah ! Dirce, &c.
Athamas, perſonnage inventé par M. Le
Mierre , jeune Prince Thébain , Amant de
Philomèle , partage les alarmes de Progné.
Dans l'absence de Térée , il a défendu
ſes Etats. Voici comme il s'exprime luimême
à ce ſujet, en vers trop beaux pour
n'être pas cités.
LePirate chaſſé par votre heureuſe armée ,
Aconnu l'épouvante après l'avoir ſemée;
Et Mars , Dieu du pays , en dirigeant nos traits ;
Met ces brigands en fuite & vos Etats en paix.
Il veut partir , ramener Philomèle , la défendre
ou la venger , lorſqu'Adaſtre , Miniſtre
des Loix , vient annoncer le retour
de Térée.
Dans la Pièce entière , l'Auteur , à peu
de choſe près , a ſuivi l'Histoire fauſſe
ou vraie : felon la Fable , Térée annonce
à Progné la mort de Philomèle : mais
l'Auteur ſuppoſe qu'il aime toujours celleci
; s'il lui a donné pour prifon un monument
ſépulcral , il ne lui a point en
DE FRANCE.
core arraché l'organe qui peut révéler l'odieux
mystère de ſa paſſion : il s'avengle
au point de vouloir l'époufer , & déclare
en ſecret à Adaftre qu'il veut répudier
Progné. On ne voit pas trop quel avantage
il peut attendre d'un divorce que le
Miniſtre des Loix condamne , & dont il
lui repréſente les ſuites funeftes : car enfin
il eft contre toute vraiſemblance qu'après
avoir outragé Philomèle , il la détermine
jamais à ufurper le lit& le trône d'une ſoeur
fi tendre & fi chérie, Selon la Fable encore,
Progné pleure letrépas de Philomèle au tour
d'un tombeau élevé ſur la Scène. Elle la
regrette, &, dans un monologue, lui adreſſe
ces vets , qui ont une beauté particulière
dans la ſituation :
Je ne perds point les voeux que j'offre à ta mémoire;
Tun'es point morte entière , & fi je dois en croire
Ce fentiment qu'en nous le temps avoit accru ,
Non, tu n'as point péri : tu n'as que diſparu .
Au moment où Athamas mêle les pleurs
de l'amour aux larmes de l'amitié , on
apprend qu'un Thrace veut remettre à la
Reine un tiſſu qu'il a reçu des mains de
Philomèle. On apporte la toile , & on la
déroule ſur la ſcène. Ceux qui ont trouvé
que ce moyen étoit puérile , & trop femblableà
la lanterne magique, n'ont pas voulu
voir que dans cette Pièce il est très - naturel
& néceſſiré par le ſujet même. Ils
C6
69
MERCURE
n'ont pas voulu voir qu'on ne peut interdire
à un Auteur ces incidens , fans le
réduire à rentrer dans toutes les ſituations
déjà connues au Théarre. On va voir ce
que M. Le Mierre en a fu faire : du reſte ,
je laiſſe à juger s'il a dû ou non ſe priver
d'une pareille ſcène.
PROGNÉ.
Hélas ! je reconnois ces précieux tifſſus ,
Qu'abſente de ma ſooeur tant de fois j'en reçus :
C'est un dernier préfent que m'a fait ſa tendreſſe.
Le don qui m'eſt offert arrive de laGrèce.
ATHAMAS.
Quelle étrange aventure a frappé mes regards !
PROGNÉ.
:
La rive du Strymon ! la forêt du Dieu Mars !
Dans un bois, dans la nuit, quelle ſcène d'alarmes !
Un affreux ſouterrain , une Captive en larmes , )
Un pied dans la caverne & les mains vers les cieux.
२०००नि
ATHAMAS.
Quelle imago terrible !
ם ת נ ה נ
PROGNÉ.
راد
Eft-ce une erreur ? ô Dicux !
viral ano suOATHAMAS
.
Se peut-il ?... tous les traits ..
Interdite, éperdue...
DE FRANCE. σε
Examinez.
ATHAMA S.
PROGNÉ.
Je n'oſe y reporter la vue.
Chaque coup d'oril ....
ATHAMAS.
Madame !
PROGNÉ.
Ah ! ciel !
ATHAMAS .
Ah ! quelle horreur !
PROGNÉ.
Non,je n'en puis douter : la victime eſt ma foeur.
ATHAMAS.
Philomele ! grands D'eux je frémis ; mais j'eſpère.
D'un forfait ténébreux je perce le myſtère..
LaPrincetſe eſt vivante ,& l'on nous atrompés.
PROGNÉ.
Mais de quel autre objet mesyeux font-ils frappés ?
Et quel eſt ce Tyran , qui , d'une main cruelle ,
Donne ainſi le ſignal d'entraîner Philomele
ATHAMA S.
Son caſque , ſa cuiraffe... Ah ! que faut-il de plus ?
J'y vois de fes aïcux les divers attributs ;
C'eſt lui , c'eſt ſon image, elle est trop avérée. :
MERCURE
PROGNÉ .
Eh ! qui donc croyez-vous reconnoître ?
ATHAMAS.
PROGNÉ.
Térée ! ô ciel ! Térée !
ATHAMAS .
Térée.
Oui , lui-même.
Ofez- vous
PROGNÉ,
D'un ſi noir attentat ſoupçonner mon époux ?
ATHAMAS.
Regardez-donc ces traits ; voyez donc cette armure.
PROGNÉ.
Non , je ne puis , Seigneur , encor vous écouter,
ATHAMA S.
Après ce témoignage , en pouvez-vous douter ?
PROGNÉ .
A l'accuſer , ô Ciel ! me croyez-vous ſi prompte ?
Il eſt le fangdes Dieux !
ATHAMAS.
Il n'en est que lahonte.
Cen'eſt plus qu'un Tyran, un traître, un raviſſeur;
Votre oppreffeur, le mien , celui de votre ſoeur,
DE FRANCE. 63
i
C'eſt de ſon ſang impur , la main toute fumante ,
Que je cours de ce pas délivrer mon Amante,
PROGNÉ.
L'immoler !
ATHAMAS.
Lepunir.
PROGNÉ.
Ah ! Seigneur , arrêtez.
Moi complice des coups que vous auriez portés.
Voilà la Scène ourdie ſur le tiſſu de Philomèle
: certes elle n'eſt ni fans mouvement
ni fans effet. L'Auteur de cet Article
n'a point vu la repréſentation : mais ce qui
eſt beau à la fiimple lecture , doit s'embellir
encore par le jeu des Acteurs. Progné
ſe détermine à fortir du palais ſous l'habit
d'une Bacchante ; Athamas ſeconde cette
démarche : elle ramène ſa ſoeur dans l'ombre
de la nuit , au milieu du tumulte des
Orgies ſacrées.
Cependant Térée arevu Philomèle. C'eſt
alors que , furieux de ſes mépris , de ſes
reproches & de ſes menaces , il a pouffé
la barbarie juſqu'à lui couper la langue.
Il rentre ſur la Scène à l'ouverture du
quatrième Acte .
Où ſuis-je ? voeux trompés ! effroyable délire !
Queltourmentje sapporte !àpeſheje reſpire!
6.4 MERCURE
Plus de paix pour mon coeur ; plus d'hymen , plus
d'efpoir.
Tout l'enfer me pourſuit ; falloit -il la revoir ?

Je ſuis vengé, puni ...
La jalousie , autant que l'idée de cacher fon
crime, l'a pouffé à cet excès de rage. C'eſt pen
que la Princeſſe l'ait appelé un monftre.
Athamas! Athamas ! ton nom ſeul dans ſa bouche...
Je ne l'entendrai plus.
Ce mot terrible, & en firuation , doit faire
frémir le Spectateur. Philomèle eſt ramenée
au palaisdans le temps del'orgie : on la dérobe
aux yeux de Térée. Dans le déſordre de cet
enlèvement nocturne, on ne s'eſt pas apperçu
qu'elle n'avoitplus l'organe de la voix. On a
imputé ſon ſilence à ſa frayeur & à fon
trouble. Je paſſe les reproches de Progné
à fon cruel époux : il les repouffe avec indignation
; il nie tout , juſqu'à ce que la
Reine , levant le rideau qui cache la toile
attachée au tombeau de Philomèle, lui dife :
Regarde ce tiffu tracé par ta victime :
Reconnois-y , cruel , ton image , ton crime .
Athamas ſoulève le peuple pour venger
fon Amante. Mais il eſt vaincu par Térée ,
& chargé de fers. Ce barbare pouffe le
raffinement de ſa vengeance juſqu'à ſe réDE
FRANCE. 65
concilier en apparence avec Progné. Il
paroît confentir à l'hymen de ſa ſoeur
avec Athamas. On ſe félicite de ce bonheur
ineſpéré : voilà le moment où Phr
lomèle paroît enfin ſur la Scène. Je ne fais
point comment cette ſcène a été rendue
au Théatre ; mais j'avoue qu'elle me paroît
neuve , & non moins attendriſſante que
terrible .. Obfervez que Philomèle eſt couverte
d'un voile .
PROGNÉ.
O chère & tendre foeur! ma joie & mon eſpoir !
Sans alarme à la fin je puis donc te revoir.
Depuis le jour , hélas ! où Progné t'a quittée ,
Les Dieux favent combien fon coeur t'a regrettée.
J'ai pleuréton abſence , & même ton trépas ;
Cette tombe en fait foi. Maisje ſuis dars tes bras ;
Tu remets le repos dans mon ame éperdue.
Après tant de malheurs, tu m'es enfin rendue .
:
Tu ne me réponds point : tu reſpires à peine.
Par mon émotion je juge de la tienne .
Hé ! quoi ? le front baiſſé , tu gémis dans mes bras.
Quel est donc ton effroi ?
ADRASTE .
Ne l'interrogez pas.
Hélas ! vous la voyez ſe fa're violence ,
Se jeter dans vos bras , y reſtor en filence .
1
6.4 MERCURE
Plus de paix pour mon coeur ; plus d'laymen , plus
d'efpoir.
Tout l'enfer me pourſuit ; falloit-il la revoir ?
Je ſuis vengé, puni ...
La jalousie , autant que l'idée de cacher fon
crime, l'a pouffé à cet excès de rage. C'eſt pen
que la Princeſſe l'ait appelé un monftre.
Athamas ! Athamas ! ton nom ſeul dans ſa bouche ...
Je ne l'entendrai plus.
Ce mot terrible , & en firuation , doit faire
frémir le Spectateur. Philomèle eſt ramenée
au palais dans le tempsdel'orgie: on la dérobe
aux yeux de Térée. Dans le défordre de cet
enlèvement nocturne, on ne s'eſt pas apperçu
qu'elle n'avoitplus l'organe de la voix. Ona
imputé ſon filence à ſa frayeur & à fon
trouble. Je paſſe les reproches de Progné
à fon cruel époux : il les repouffe avec indignation
; il nie tout , juſqu'à ce que la
Reine , levant le rideau qui cache la toile
attachée au tombeau de Philomèle, lui dife :
Regarde ce tiffu tracé par ta victime :
Reconnois-y , cruel , ton image, ton crime.
Athamas ſoulève le peuple pour venger
fon Amante. Mais il eſt vaincu par Térée ,
& chargé de fers. Ce barbare pouffe le
raffinement de ſa vengeance juſqu'à ſe réDE
FRANCE. 65
concilier en apparence avec Progné. Il
paroît confentir à l'hymen de ſa ſoeur
avec Athamas. On ſe félicite de ce bonheur
ineſpéré : voilà le moment où Phỉ
lomèle paroît enfin fur la Scène. Je ne fais
point comment cette ſcène a été rendue
au Théatre ; mais j'avoue qu'elle me paroît
neuve , & non moins attendriſſante que
terrible .. Obfervez que Philomèle eft couverte
d'un voile.
PROGNÉ.
O chère & tendre foeur ! ma joie & mon eſpoir !
Sans alarme à la fin je puis donc te revoir.
Depuis le jour , hélas ! où Progné t'a quittée ,
Les Dieux ſavent combien fon coeur t'a regrettée.
J'ai pleuré ton abſence , & même ton trépas ;
Cette tombe en fait foi. Mais je ſuis dars tes bras ;
Tu remets le repos dans mon ame éperdue .
Après tant de malheurs , tu m'es enfin rendue.
Tu ne me réponds point : tu reſpires à peine .
Par mon émotion je juge de la tienne.
Hé ! quoi ? le front baiſſé , tu gémis dans mes bras.
Quel estdonc ton effroi ?
ADRASTE .
Ne l'interrogez pas .
Hélas ! vous la voyez ſe fa're violence ,
Se jeter dans vosbras , y refter en filence.
66 MERCURE
4
PROGNÉ.
ODicux ! hé ! quel eſt donc ce filence ?
ADRASTE.
Eternel.
PROGNÉ.
Ah ! que vous ajoutez à mon trouble cruel.
Je veux ſavoir .
ADRASTE.

Tout eſt ſu : je voudrois en vain vous le cacher.
Térée , inconcevable en ſa fureur extrême ,
Enferma fon ſecret dans ſa victime même.
Philomèle s'évanouit ; elle tombe ſur les
marches du tombeau qui lui avoit été
dreſſé , & y meurt entre les bras de ſa
foeur & de fon Amant. Térée eſt agité
par les Furies : dans ſon délire atroce , il
croit voir Progné immoler fon fils , lui en
faire un feſtin & lui préſenter la tête
ſanglante du malheureux Itis ; & il ſe
tue. On voit que M. Le Mierre a fait allufion,
dans ces fureurs de Térée, aux différens
traits de la Fable. Ce dénouement ,
qui avoit ſes difficultés , n'eſt pas , ce me
ſemble , fans adreſſe. Mon but , comme
on voit , n'est pas de critiquer cette Tragédie.
Je me ſuis borné à en donner un
expofé ſuccinct. A examiner les Ouvrages
à la rigueur , il n'y en a point où l'on
ne trouve à redire. On ne peut refuſer à
DE FRANCE
. 67
M. Le Mierre de la force dans les idées ,
& de l'énergie dans l'expreſſion. Ses vers
donnent beaucoup à penſer. Il ne néglige
point l'effet theatral. Il y a peu de ſes
Tragédies qui n'offrent quelque ſituation
neuve & frappante ; & s'il a ſouvent réuffi,
ce n'eſt pas au choix heureux de ſes Pièces
qu'on peut attribuer ſes ſuccès.
( Cet Article est de M. de Saint-Ange. )
VOYAGE EN CORSE , & vûes politiques
fur l'amélioration de cette Iſle , ſuivi de
quelques pièces relatives à la Corſe , de
plufieurs Anecdotes fur le caractère & les
vertus de ſes habitans ; orné d'une Carte
géographique ; par M. l'Abbé GAUDIN,
Vicaire-Général de Nebbio , de l'Académie
de Lyon. A Paris , chez Lefevre,
Libraire , rue Neuve des Bons- Enfans ,
vis-à-vis l'Hôtel de Toulouse , Nº . 18 .
In-8º de 300 pages, très-belle impreſſion .
La Corſe ne nous eft plus étrangère ; elle
augmente le nombre de nos Provinces , & puiſque nous l'avons conquiſe , nous devons
la rendre heureuſe .
Il faut bien que cette ifle ne foit pas une
mauvaiſe acquifition , dit Voltaire ( Siècle
68 MERCURE
de Louis XV ) , puiſque tous ſes voiſins en
ont toujours recherché la domination.......
Et nous ajouterons : Il faut bien que ſes habitans
ſoient autres que nous les ontdépeints
les Génois , leurs éternels opprefleurs , puifque
J. J. Roufſean les a conftamment regardés
comme les Spartiates modernes. On
croit lire Plutarque ; on eſt ſaiſi de reſpect
& d'admiration , en voyant dans l'Hiftoire
de ce Peuple , &dans le Livre de M. l'Abbé
Gaudin,les traits de vertu auxquels le Corſe
s'eſt ſouvent élevé , malgré le Gouvernement
le plus corrompu & le plus corrupteur de
l'Europe.
Comme point de poſition , la Corſe devoit
être vivement ambitionnée par les
Anglois. La France y avoit tous les droits
de la Nature& de la Politique ; aufli fut-elle
en profiter fous le Ministère de M. de Choiſeul
; & un temps peut venir où la poffeffion
de Bastia ſeroit un très - grand avantage
dans les intérêts qu'on auroit à déméler
en Italie .
Comme territoire , cette ifle peut valoir
pour nous , en bois , réfines , goudrons ,
marbres , foies , huiles , ſavons , vins , fruits ,
& effences , des ſommes équivalentes au
produit même de nos premières Colonies .
Mais il faut que la France uſe de ſa puiſſance
pour la policer , pour la peupler , pour l'enrichir
, en y faiſant fleurir l'Agriculture , le
Commerce &: les Arts .
Le vrai moment d'une régénération , di
DE FRANCE.
69
fons plus , d'une réfurrection , eſt enfin årrivé.
Ce Peuple eſt mûr; il eſt las de fes privations,&
jaloux de nos jouiſſances. Il compare
avec un défavantage cruel pour lui ,
Paifance & la politeffe des habitans de Baftia
, à la triſte & miférable vie qu'il traîne
dans les habitacles iſolés de ſes rochers ; & ,
depuis que l'idole de la liberté en eft chafſée
, il n'y remonte plus qu'en attachant des
regards d'envie fur ces heureuſes cités où
Ton goûte paitiblement l'abondance au milieu
des douceurs de la ſociété.
Cependant, il faut l'avouer , la réputation
de ce Peuple , les idées atroces qué
réveillent fon caractère inquiet , jaloux &
vindicatif, afforbliffent un peu l'intérêt qu'il
doit naturellement Inſpirer à des François.
Voici comment M. l'Abbé Gaudin fait plaider
cette caufe dans un Difcours prélimi
naire , fouvent écrit &penfé comme l'Eifai
fur les Moeurs des Germains , pag. 14......
>> L'extrême ſobriété du Corſe , fon mé
pris du luxe , fon affurance que ne peuvent
jatimider ni le rang ni la puiflance , font
des traits perdus depuis long-temps chez
les Nations les plus civiliſées ",
>>On a beaucoup décrié ſa paflion pour la
vengeance. On auroit dû placer à côté ſa ſenfibilité
pour les bienfaits :ſelon qu'il a été
prévenu , fon ame ſe porte vers l'une on
vers l'autre avec la même énergie. C'eſt la
forme originelle de l'homme. Si les ſcènes
de vengeance ont été plus multipliées dans
72 MERCURE
ſépare jamais fon plaifir de leur bonheur.
Par- tout il compare ce qu'on a fait avec
ce qu'on a dû faire, par-tout le patriotifime
anime & multiplie fes obſervations , & les
traits épars des diverſes Sociétés qu'il nous
fait connoître , ſervent à perfectionner l'érude
de l'efprit humain , autant qu'à dimi
nuer les erreurs & les maux politiques qui
nous accablent. Heureux les Peuples que
viſitent les vrais Philofophes ! ils fentiront
tôt ou tard l'influence puiffante, irréfiftible
de ces génies réparateurs , dont le propre
fut toujours de voir en grand , de ne penfer
que d'après eux-mêmes , & de déterminer
enfin l'opinion de la multitude & des Maî-
"tres du Monde.
:
C'eſt au nombre de cent cinquante mille
ames qu'on évalue aujourd'hui la population
d'une ifle , qui , dans le feizième fiècle
, comptoit plus de cinq cent mille habitans
! Quelles peuvent être les cauſes de
cette deſaſtreuſe diminution ? ...... latyrannie
, les diſcordes civiles , les impôts
exceflifs. Quels ferorent les moyens de
rendre à la Corfe fa fplendeur & fon ancienne
fécondité ? M. l'Abbé Gaudin les
indique dans des apperçus excellens ,
auxquels nous ſommes forcés de renvoyer
nos Lecteurs. Il faut lire fur-tout le beau
Chapitre des Prêtres & des Moines , qui eſt
écrit encore avec plus de ſagelle que les
aurres. En voici le réſultat. La petive ifle de
Corſe compte plus de deux cent cinquante
Curés ,
1
DE FRANCE.
73
Curés , dont M. l'Abbé Gaudin fait le plus
grand éloge. Elle eſt le ſiége de cinq Evêques
, à la plupart deſquels il rend juftice....
Mais il y a en outre quinze à vingt habi
tués attachés àpreſque toutes ces pareiffes.
Il y a foixante-quinze couvens dhommes
& quatre de filles. Il y a environ douze
cents Moines mendians , fans compter les
Cathédrales , les Collégiales , les Abbayes,
les Confréries , les Hermites. Par un calcul
moyen , la ſubſiſtance de chacun de ces
Etres eſt de soo liv., dont le total monte
par conféquent à 550 mille liv. ; ſomme
exorbitante dans un pays où la ſubyention
payée au Roi , c'est-à dire , le vingtième de
tous les revenus de l'ifle , ne produit que
120 mille liv.
Le Voyage au Niolo, mélé de proſe & de
vers, préſente une très-grande variété d'objets
nouveaux à décrire. La proſe en eft
ſouvent gaie & piquante , les vers toujours
doux & faciles ; nous ſommes fachés que
les bornes de cet Extrait ne nous permettent
pas de citer ce que l'Auteur raconte
des moeurs &des uſages des Corſes établis
à Loretto & à Veſcovato. Rien de fi vrai,
de fi charmant , que les obfervations du
Philoſophe voyageur ; c'eſt le Plaiſit qui
ſemble rendre compte lui-même de la route
qu'il a fuivie.
Le volume de M. l'Abbé Gaudin el ter
miné par un Difcours académique , tendant
àprouver que , » vu le progrès des lumières
Ν.. 19. 10 Mai 1780, D
74 MERCURE
:
» & la multitude des ſecours répandus dans
ود les principales villes de Province, les
>> Lettres peuvent y réuſſir comme dans la
>> capitale ". Ce morceau de Littérature eſt
rempli d'idées fines & de portraits brillans .
L'Auteur y démontre ſa propoſition , & les
Graces ſemblent couvrir de fleurs le fil heu,
reux de ſa logique. Nous invitons nos
Lecteurs à faire une attention particulière
à l'Eloge de Monteſquieu.
1
VARIÉTÉS.
AVIS
1
aux Nations de l'Europe.
Novembre 1787 .
évènenient important pour l'Europe ſe
ilfe pafic
UN
prépare en ce moment ; que dis-je ? il
en ſe dérobant à l'obſervation , & fans que perſonne
prévoie les conféquences funeſtes qu'il doit
amener à ſa ſuite. Ce début eft effrayant , & je
vais le justifier.
Il exifte dans les Iſles de la mer du Sud un
grand végétal appelé l'Arbre à pain. Jamais la
Providence en la bonté n'a fait à l'homme un
plus beau préſent.
: Cet Arbre , qui eft de la groffcur & de la
2
DEFRANCE. 54
hauteur d'un grand pommier , porté un fruit à
peu près gros comme la tête d'un enfant, con
tenant, fous une écorce épaiſſe , une ſubſtance
blanche , qui , cuite au four , eſt affez ſemblable
à,la mie du pain blanc , & d'un goût agréable
& doux. Ses fruits ſe recueillent pendant huit mois
de l'année ; & pendant ce temps , les Habitans
n'ulent d'aucune autre nourriture du genre du
pain. C'est ainſi qu'en parloit Dampier il y a
précisément cent ans. ;
Selon le Lord Anfon , pendant toute ſa relâche
à Tinian , ſon équipage le nourrit conftamment
du fruit pain, auquel il donnoit la préférence fur
le pain même.
Le Capitaine Cook, dans ſon premier Voyage,
après avoir décrit l'Arbre & le fruit , & la préparation
qu'y donnent les Habitans des Ifles de
la Société pour le conſerver par-delà la ſaiſon
de la récolte , ajoute que de tous les végétaux
dontſe nourriflent ces Inſulaires , le fruit pain
eft le principal , & qu'il ne leur coute que lapeine
de le cucillir.
Dans fon ſecondVoyage à Otahcitée , il nous
apprend que les Infulaires ne plantent jamais
l'Arbre à ppaaiinn : » On voit , dit-il, que lesjeunes
>> arbres font des rejetons des racines des an-
>> ciens , qui courent fur la furface du terrein ;
de forte qu'on peut croire que cet Arbre cou
>> vriroit naturellement les plaines , & que les
Habitans d'Orahcitée , au lieu d'être obligés de
planter leur Pain , font plutôt obligés d'em-
>> pêcher l'Arbre qui le produit de ſe multiplier
trop , pour conferver quelques autres eſpèces
d'arbres , & avoir un peu de variété dans leur
nourriture de
Sur les idées que ces Voyageurs ont données
de l'Arbre à pain , le Gouvernement Anglois vient
D2
78 MERCURE !
Re
Stant en même temps propre à la nourriture des
animaux domeſtiques par ſa feuille & par fon
fruit , ces animaux s'y multiplieront. Leur chair
y tiendra bientôt lieu des viandes falées & de
ka morue ; dès-lors ces divers genres de ſubſiſtance
pourront plus y être portés d'Europe. Les
Coloniesferont déformais l'abri de la difette ,
de cette difette qui fait fi bien ficurir le Commerce
, en faifant vendre.& les farines de Moiffac
, &, le boeuf falé d'Irlande , & la morue de
Terre-Neuve , 100 & 200 pour cent au dela du
prix auquel les Etrangers les fourniroient , fi on
Jeur, laiffoit la diberté.
a
Or ,je le demande , dans cet état de choſes , ne
voit-on pas que les villes de Bordeaux, de Nantes ,
&c.de Liverpool , de Bristol , &c. perdront les
richefſes qui leur arriveient par le commerce de
'Amérique ? Ne voiton pas qu'un ſemblable
évènement ruinera en Angleterre& en France la
pêche de la morue , & le commerce des farines
&celui des viandes falées , & la navigation qui
n'exifte que par cette pêche & par ce commerce
exclufif, & la puiffance fondée fur cette navigation
, puiſque tels font, felon la politique qu'on
a ſuivie juſqu'ici , les dommages que doivent recevoir
les Métropoles de l'Europe , fi les Colonies
peuvent ceffer de recevoir d'elles & leurs
farines & leur morue , & leurs viandes falées ?
Faut-il des autorités pour juftifier ces craintes ?
En voici de bien graves.
Tout le monde connoît la corduite de l'Eſpagne
envers ſus Colonies. On fait que le Gouver
nement Eſpagnol a défendu la plantation des
vignes&des oliviers dans ces beaux climats , où
le fol&le foleil ſembloient appeler ces riches
&utiles productions. Les Miniftres qui ont gou
yerné cette Monarchie , ont penfé , dès le 166
1
DEFRANCE.
79
hècle,ce que penſent encore aujourd'hui la plu
part des Hommes d'Etat de l'Europe , que pour
établir entre la Métropole & fes Colonies uné
balance de commerce avantageuſe à celle-là , il
falloit rendre l'existence de celle - ci abfolument
précaire & dépendante de la mère- Patric; qu'il
falloit que le Mexique & le Pérou , pays plus
vaſtes que les plus grandes Monarchies d'Europe
&d'Afie , attendiſſent leur nourriture quotidienne
&les objets de leurs premiers beſoins , de quelques
villes & ports , & de quelques Marchands
d'Europe ; qu'elles payaffent ces denrées & marchandiſes
littéralement au poids de l'or & de
l'argent de leurs mines , & aux prix exceſlifs que
leur donneroit un monopole appuyé de toute
l'autorité & de toute la force de la Métropole.
Cette politique n'est pas particulière à l'Eſpa
gne. L'Angleterre l'a conſtamment pratiquée ; &
dans le projet auquel elle ſe laiſſe aller aujourd'hui
, elle eſt en contradiction avec toutes les
anciennes maximes.
En France , lorſqu'un Arrêt, du 30 Août 1784 ,
a permis aux Colons des Ifles Françoifes , ruinés
par la guerre , de recevoir par des navires étrangers
, àun prix plus modéré que celui auquel les
François les leur vendoient , des bois pour réparet
leurs bâtimens d'exploitation , des charbons
de terre pour les travaux de leurs fucreries , des
animaux & beftiaux vivans , inftrumens indifpenfables
de leur culture , du boeuf falé , de la
morue , du riz , du maïs , des légumes , fubfiftances
néceflaires , les Chambres du Commerce,
les Négocians des ports du Royaume , enfin tous
les Politiques qui croient à la balance du commerce
& à l'Administration ancienne des Colonies
, n'ont-ils pas annoncé la ruine du commerce
François comme une ſuite inévitable de
D4
६० MERCURE
cette tolérance ; & quoique juſqu'ici les maux
qu'ils ont prédits , ne ſoient pas encore. arrivés ,
ne continuent - ils pas de répandre leurs plaintes
& leurs terreurs ?
Si des Hommes d'Etat , fi tant de perfonnes
qu'on fuppofe inſtruites dans les matères du
Commerce , & éclairées fur les véritables intérêts
des Nations , ne ſe trompent pas groffièrement,
que penfer de l'entrepriſe qu'on dénonce
ici? Il ne s'agit plus pour les Métropoles de porter
à lents Colonies un seu moins de farines ,
& de riz & de maïs , parce que les vaificaux
etrangers leur en porteront auli ; il s'agit de ne
leur en point porter du sout , car l'Arbre à pain
leur tiendra licu de tout cela . >
A la vérité , les Nations qui ont adminiftré
Aeurs Colonies d'après ces principes , en ont refſenti
quelquefois d'affez grands inconvéniens .
Les Colonics ont ſouvent éprouvé d'horribles
fanines ou des chertés équivalentes à ces fléaux.
Alors les capitaux des malheureux Américains ,
étant arrachés à la culture par le haut prix des
denrées d'Europe , on a vu la dégradation des
avances de toutes les entrepriſes qu'on leur pert
mettoit encore de fuivre ; non feulement la Colonie
a ceflé de faire des progrès , mais bien contrairement
aux vûes de la Métropole , elle s'eft
appauvrie & dépeuplée , &c..
Les Métropoles , dis - je , ont éprouvé ces inconvéniens';
mais il faut bien que les Hommes
d'Etat n'en aient pas été frappés , puiſqu'ils n'en
font pas moins reſtés fidèles, depuis le temps de
Chriftophe Colomb, à la politique qui s'eſt élevés
après la mortde ce grand Homme , & qui a
regardé tous les Habitans de cetre moitié du
Monde, & les Blancs eux-mêmes , auffi bien que
les Noirs & les Bronzés , comme Efclavespar naDE
FRANCE. Sf
ture de la race Européenne , &, ce qui étoit non
moins difficile à comprendre , comme ne pouvant
enrichir l'Europe qu'en reſtant toujours pauvres
&privés des biens les plus néceflaires &les plus
réels , la ſubſiſtance de tous les jours.
Cette opinion de tant de perſonnes inſtruites ,
ces exemples des plus célèbres Nations, font d'une
affez grande autorité , fans doute, pour déterminer
un Gouvernement fage à prévenir, & empécher
, s'il eſt poffible,un événement fi malheureux.
Je penſe donc que ſi on veut tenir aux principes
anciens & reſpectés ſi long-temps de l'Adminiftration
des Colonies , il faut envoyer en
Angleterre un habile Négociateur , qui tâche de
détourner le Gouvernement Anglois de cette funefte
entrepriſe , & qui obtienne du Ministère
de ne point envoyer ce vaiſfieau de la Baie de
Botanique à Otahcitée.
Il fera peut - être plus difficile d'engager les
Promoteurs de la Souſcription à renoncer a lear.
projet; cependant , comme elle eft propofée par
les Planteurs & Marchands Anglois aux Iles do
l'Amérique , il fuffira de choiſir parmi les Négo
cians de nos villes maritimes ceux qui le plaignent
le plus vivement de l'Arrêt du 30 Août
1784. Ils feront adopter aisément à leurs Confrères
les raiſons qu'ils ont miſes juſqu'à préſent
fans ſuccès ſous les yeux du Ministère François.
La Société Angloiſe pour l'encouragement des
Arts & des Sciences pourroit s'obſtiner à foutenir
cette funeſte entrepriſe ; mais ſi on parvient
une fois à la faire abandonner par le Gouvernement
Anglois & par les Flanteurs & Négocians
en Amérique , les moyens de cette Société feront
trop foibles pour qu'on puiſſe en craindre le ſuccès.
Si ou ne pouvoit empêcher la transplantation
Ds
1
& MERCUREA
de l'Arbre à pain aux Ifles de l'Amérique , ne
peut - on pas efpérer que quelque partifan bien
zélé des principes anciens , bien convaincu de la
néceflité de tenir les Colonies dans une entière.
dépendance de la Métropole , employera quelque
moyen détourné pour empêcher cette production
de profpérer 3 conime , par exemple , en arrofant
les premiers plants d'eau bouillante , ainſi qu'on
prétend que cela a été pratiqué , quoique fans
ſuccès, pour détruire les giroffiers & les muſcadiers
tranſplantésà l'Iſle de France parM. Poivre?
Enfin je ne craindrai pas de dire qu'une guerre
entrepriſe pour empêcher la tranſplantation do
l'Arbre à pain aux Iles de l'Amérique, feroit aufli
raiſonnable qu'aucune guerre de commerce dont
l'Hiſtoire fafle mention. De pareils moyens ſemblent,
à la vérité , odieux au premier coup d'oeil
maisl'intention les excuſe, a l'intention en effet
eſt bonne & juſte , comme on n'en peut douter ,
lorſqu'on adopte ce grand principe que les Colonies
ne font faites que pour les Métropoles.
On pourra m'oppofer un exemple d'une conduite
bien différente de celle queje conſeille ici
dans l'ordre donné par Louis XVI a ſes vaiſſeaux ,
de refpecter fur toute l'étendue des mers , & d'aider
de leurs fecours , le vaiſſeau du Capitaine
Cook, allant porter àdes Ifles & des terres nouvellement
découvertes , les Arts , les inftrumens, &
les plantes de l'Europe.
Mais ſi l'on prétend trouver dans ce trait d'humanité
la condamnation de mon ſyſtème , c'eft
qu'on ne fait pas attention à une différence extrême
dans les circonstances. Ces pays nouveaux,
auxquels les Européens ont montré tant de bienveillance
& de bienfaiſance , n'étoient encore habités
que par des hommes & non par des Colons.
Vraiment on fait bien qu'il faut traiter avec bonté
DE FRANCE. 83
1
une peuplade encore naillante , qui périroit bien
vite de misère , fi on ſe conduifoit avec elle
comme une Métropole covers ſa Colonie. Mais
dans les bons principes de la politique moderne ,
dont on commence inalheureuſement à s'écarter
dès que ce peuple eſt adulte, il faut le faire travailler
, non plus pour lui - même & pour fon
bonheur , mais pour le feul bien de la mèré-Patrie
, pour laquelle ſeule il doit déſormais exifter .
,
Enfin , ſi l'on est choqué de l'idée de traverfer
le projet bienfaifant des Anglois, je n'ai rien a
répondre aux perfonnes qui uniront cene maniere
de juger à une grande paffion pour la liberté , a
la haine de tout monopole , de tout privilége ,
la doctrine de l'égalité parfaite des droits, entte
les Habitans des Colonies & ceux de la Métropole.
Il faudroit combattre leurs principes , &
cen'est pas mon projet de me livrer à cetre dif
cuffion; mais pour les partifans des prohibitions
de-commerce , pour ceux de nos Négocians qui
demandent, avec de ſi vives inſtances, d'être tes
ſeuls vendeurs & les feuls acheteurs aux Colonjes
qui le plaignent fi amèrement de ce que les Amé
ricains portent à nos Itles des farines& du mais
je me flatte qu'ils ne feront pas affez inconfequens
pour s'élever contre mon lévete ,'mats faluraire
projet , qui n'est qu'une conféquences très-étroi
tement liée avec leurs propres principes , princi
pes qu'ils donnent eux-memes, &,qu'on regarde
depuis filong - temps comune les feuls fur lef
quels on puiffe établir folidement la profrerte
des Nations qui ont des Colonies , quoiqu'il f
bien faire proſpérer par quelque autre moyen
celles qui n'en ant pas.
faille
: -
...
D6
$4
MERCURE "
SPECTACLES
.
ACADÉMIE ROY. DE MUSIQUE.
LE
ce
E 29 du mois dernier, on a donné fur
Théatre la première repréſentation
d'Arvire & Evelina , Tragédie lyrique de
M. Guillard , miſe en muſique par feu
Sacchini.
Arvire , Roi des Silures , après avoir réfité
long- temps aux forces des Romains ,
eſt à la fin vaincu par Oftorius ; ſa femme
lui eſt enlevée ; il eſt obligé lui même de
fuir , & il vient ſe réfugier parmi les Druïdes
dans les ſombres forêts de l'iſle de
Mona.
Meſſala , Général Romain , découvre fa
retraite ; mais déſeſpérant de l'en arracher
par la force , il ſe détermine ày employer
la rufe. Il a entre ſes mains pour orages
deux Princes Bretons , fils d'Elfrida , Reine
de Lenox , fecrétement alliée aux Romains,
C'eſt fur eux qu'il compte pour parvenir à fon
but. Il leur enjoint d'aller trouver Arvite
& de l'amener entre ſes mains , fous prétexte
de le mettre à la tête d'une nouvelle
armée Bretonne, raffemblée en ſa faveur.
DE FRANCE. 83
Irvin , le plus jeune des deux Princes , d'un
caractère noble & généreux, eſt révolté de
cette lâche propoſition; mais comme le Géné
ral inſiſte , & que leur liberté eſt à ce prix ,
fon frère Vellinus conſent à ce qu'on exige ,
& ſe charge d'y déterminer Irvin. Cependant
il n'en vient pas facilement à bout,
Les raiſonnemens n'ont aucun pouvoir fur
cette ame franche , mais le fentiment a
plus de force.
Hé bien ! oſe accomplit tes illuftres projets .
Qu'un vieillardinconnu l'emporte ſurtamère.
Oleà ſes intérêts facrifier ton frère ....
:
Irvin, preſque vaincu par cette image ,
répond :
Juge mieax un frère qui t'aime .
Ah! je ſens trop que dans mon coeur
Ton intérêt balance l'honneur même .
On entend les Druïdes deſcendre de la
montagne au ſon d'une ſymphonie reli
gieuſe ; vêtus de longues robes blanclies,
& couronnés de feuilles de chêne , ils viennent
à la clarté de la lune célébrer leurs
myſtères dans ce lieu facré.
Arvire paroît avec ſa fille. Son ame
avide de gloire & ulcérée par la défaite ,
ne peut goûter de repos. Il accuſe les Dieux
mêmes.
J'étois né fur le trône ,&je ne ſuis plus rien.
Ces Dieux m'ont tout ravi.
86 MERCURE
On annonce que deux étrangers viennent
d'être arrêtés dans cette retraite. Le grand
Druïde frémit de cetre profanation, & oblige
Arvirede ſe cacher derrière les autels . C'eſt
Vellinus & fon frère. Le premier excuſe
Jeur ſacrilége par l'iniportance de la commillion
dont ils font chargés. Il n'a pas plus
tôt expofé le prétendu ſecours qu'il vient
offrir au Roi , que l'impatient Arvire ſe
montre , & , féduit par la vue d'un an
neau que Vellinus lui préfente de la part
de fon épouse , il ſe livre en entier à la
trahifon.
Auſecond Acte, le théatre repreſente une
grotte magique , deſtinée aux myſtères ſecrets
des Druïdes. Modred , le premier d'entre
eux , implore l'eſprit prophétique , &
entrevoit de grands malheurs prêts à fondre
fur l'ifle de Mona. La jeune Princefle vient
ajouter à ſes craintes. Elle ſoupçonne la
foi de ces étrangers.
Dans un coeur auſſi pur, le foupçon doit furprendres
Qui peut vous l'infpirer ?
EVELINA.
La Nature& mon coeur.
Il s'agit de mon père & de tout mon bonheur ;
Hélas!je n'ai pu m'y méprendre.
Elle a remarqué que le plus jeune eft
agité , n'oſe parler , ni même fixer les yeux
fur elle: elle juge Vellinus coupable; mais
DE FRANCE.
87
elle croit Irvin innocent , & laiſſe déjà voir
pour lui un tendre intérêt .
Modred veut les interroger. Vellinus ſe
défend avec hauteur , mais le Druïde lui
en impofe. Il exige que l'un d'eux faſſe le
ferment d'ufage fut un autel tedoutable au..
parjure , qui ne fut fouillé jamais avec
impunité. C'eſt Irvin qu'il choifit pour
cette épreuve terrible , & déjà fon coeur
en eſt troublé. Il ſe ſent tourmenté avec
violence par l'affreuſe alternative de trahir
fon frère ou de trahir un Roi malheureux,
dont la fille , remplie de charmes , a fare
naître en lui les plus doux ſentimens. Il
conſent à Pépreuve , dans l'eſpoir d'y trouver
lamort. Mais Evelina vient elle-même
ajouter encore à ſa perplexité. S'il a pu
défendre ſon ſecret contre la crainte des
fupplices , réſiftera- t - il aux vertus d'une
jeune Princeſſe intéreſſante, & à Pattrait
d'un amour naiffant ? Elle le preſſe de queftions
auxquelles il ne peut répondre ; elle
lui dévoile toute la trame qu'elle a devinée,&
dont elleaccuſe hautement Vellinus ;
enfin on croit que fon ſecret va lui échapper
: mais le danger de ſon frère le retient.
Il concilie ces intérêts divers en propoſant
de prendre les armes pour Arvire contre les
Romains , pourvu qu'on lui réponde des
jours de Vellinus .
Il eſt bientôtdifpenfé de ce foin. Ce traître
a pris la faite. Irvin, furieux contre lui , n'eſt
plus retenu par ancun égard. On annonce
MERCURE
la deſcente des Romains dans l'iſſe; on a
des troupes à leur oppofer , mais il leur
faut un Chef. Arvire veut se mettre à leur
tête ; les Druïdes l'en empéchent,ils répondent
de ſes jours. Irvin ſe propoſe ; fon
courage & ſa candeur permettent de l'accepter.
On marche à l'ennemi ſur un choeur
qui termine l'Acte.
On voit, dans le troiſième , les Romains
pénétrer dans les détours les plus cachés,
&s'emparer de tous les poftes. Vellinus ,
qui craint pour fon frère , n'imagine d'autre
moyen pour le ſauver , que de brûler
les forêts & d'aller l'arracher de force à la
vengeance des Druïdes. Mais les foldats
Bretons ont attaqué déjà les Romains qui
commencent à plier. Meſſala vole à leur
fecours. Vellinus reſté ſeul, ſe livre à ſes
remords ; mais il entend du bruit , il fe
met avec ſes ſoldats en embuscade. C'eft
Evelina que l'on conduit vers fon père dans
lesgrotteess oùon l'a forcéde ſe retirer. Vellinus
& les fiens s'emparent de ſa perſonne.
Meſſala , qui reparoît , ordonne qu'on la
conduiſe ſur ſes vailleaux.
Cependant la victoire a couronné la juftice.
Le Grand Druide annonce au Roi
qu'Irvin eſt vainqueur , & on le voit bientot
paroître avec Meffala captif. Ce Romain
, pour diminuer la joie de leur triomphe,
leur apprend la perte d'Evelina. Tandis
qu'on délibère pour voler à ſon ſecours,
Vellinus arrive avec clic. Il jette fòn épée
DE FRANCE.
89
aux pieds de ſon frère , &, pénétré de regrets
, il demande grace pour ſa trahifon.
Arvire enchanté lui pardonne , & rend la
liberté au Général Romain. Celui- ci , doublement
vaincu par ce procédé généreux, lui
offre la paix & l'alliance des Romains ; Arvire
accepte l'une & l'autre , & pour récom
penſer. Irvin, lui donne la main d Evelina .
Ce fujer , fondé fur des faits historiques,
a été traité en Angleterre par M. Maſon ,
fous le titre de Caraflacus. Ce Poëme en
elt une imitation ; mais il fera facile à
ceux qui connoiffent la Pièce Angloiſe
de voir combien l'intitation l'emporte fur
l'original. La Tragédie de M. Mafon n'a
aucune intrigue , & n'a point non plus de
dénouement. Vellinus y perfiſte dans ſa
trahiſon ; Caractacus (le même qu'Arvire) y
eft fait prifonnier ; Irvin , Evelina , les
Druïdes font emmenés captifs à Rome.
Evelinay fait des avances àIrvin (fous le nom
d'Elidurus , & la ſcène où elle l'interroge ,
traitée par M. Guillard avec un intérêt fi
preſſant , & écrite avec une fimplicité f
touchante , ne produit aucun effet dans le
drame original . M. Guillard a fait diſparoître
auffi le perſonnage du fils d'Arvire qui
ne ſervoir en rien à l'action. Le repentir
de Vellinus , qui achève de repofer l'ame
des ſpectateurs , eft encore de l'invention de
M. Guillard. On doit fur- tout admirer l'art
avec lequel il atraité lapaffion naillante dans
les coeurs d'Irvin & d'Evelina, Comme il
وم
MERCURE
a fenti que cet amour ne pouvoit être qu'acceſſoire,
il n'en a laiſſe voir qu'autant qu'il
enfalloit pour intéreſſer en leur faveur. Le
mot d'amour y eſt à peine prononcé.
Le ſtyle a de la force , ſouvent de la grace
&de la fimplicité , preſque par- tout du
ſentiment. Ce Poëme a obtenu un prix au
concours de l'année dernière.
La muſique eſt de Sacchini. C'eſt ſon dernier
ouvrage , c'eſt celui qu'il a fait avee
le plus de ſoin....... Qu'ajouteroit- on à cet
éloge? On y remarque fur-tour le premier
choeur , dont le chant& l'accompagnement
expriment très bien l'arrivée mystérieuse des
Romains , & avec lequel le choeur ſuivant
contrafte parfaitement. Celui des Druïdes,
d'un ton religieux & convenable à la ſitua
tion , n'a pas moins de mérite.
Preſque tout le fecond Acte eſt un chefd'oeuvre.
L'air d'Arvire : Oma Patrie , eft
ſuperbe ; les deux airs d'Irvin ſont peurêtre
ce que Sacchini a écrit de plus beaur.
On diftingue fur- tout , au troiſième Acte ,
l'air de Vellinus : Hélas ! je ne quittois ces
repaires funestes , d'une mélodie fimple &
touchante ; mais il eſt peut - être un pen
trop long.
Sacchini n'a écrit de cet Acte que jufqu'aux
vers :
Amis, obſervez tout; mais, ſans mon ordre exprès,
Gardez-vous de rien entreprendre.
DIE FIANCE. १५
y
Le reſte a été mis en muſique par M.
Rey juſqu'au dernier morceau , qui eft parodié
ſur un quatuor de Sacchini. M. Rey
a regardé comme un devoir de l'amitié d'achever
cet ouvrage , & fon zèle a été couronné
par le fuccès. On diftingue entre
autres morceaux un choeur en ſituation , &
un bruit de guerre conçu d'une manière trèsingénieuſe
&d'un très-bel effet.Onl'applaudiroit
encore davantage , ſi l'attention n'étoit
pas diſtraite par le mouvement du combat ,
diſpoſé avec beaucoup d'art & d'une manière
très-pittorefque par M. Gardel.
1
1
Lesdécorations du premier& du troiſième
Actes font fort belles & parfaitement convenables
au fujet. Celle du ſecond Acte á
éré brûlée.
A la ſeconde repréſentation , le rôle
d'Evelina a été rempli par Mlle. Lillette
jeune , Elève de l'Ecole Royale de Chant ,
d'une manière infiniment intéreſfante , &
avec un grand ſuccès. Mlle. Lillette , à qui
il reſte peu de choſe à faire pour ſe perfectiouner,
eſt un des ſujets dont le Public
doit efpérer le plus . :
i
1
ود
MEROU RE
ANNONCES ET NOTICES.
!
1
1
La Vie de Frédéric , Baron de Trenck , écrite
par lui-même , & traduite de l'allemand en fran +
çois par M. le Baron de Bock , ze. édition , coLT
rigéc & confidérablement augmentée ; 2.Volumes
in- 12. A Paris , chez Belin ,Lib. , rue S. Jacques,
J Le grand & rapide fuccès de eet Ouvrage eft
justifié par l'intérêt des évènemens , & par le
mérite de la Traduction.
La Chaffe au fufil, Ouvrage divifé en deux
Parties , dont la première contient des recherches
fur les armes de trait qui ont précédé les armes
à feu; un détail de tout ce qui concerne la fabricationdes
canons de fulil, tant ordinaires qu'à
ruban, & autres, &c. l'examen de plusieurs quef
tions touchant kur portée relativement a la longueur
, au calibre , &c. La feconde , tous les enfeignemens
& connoifarces néceffaires pour chaffer
utilement les différentes eſpèces de gibier qui
ſe trouvent en France , &c Vol. in- 89. de plus
de 600 pages', avec 9 Planches en taille - douce.
De l'Imprinterse de Monfieur ; & fe vend, à Paris ,
chez Théophile Barois, Lib . , quai des Auguftins ,
N°. 18. Prix , 7 liv. 4 f. broché.
Cet Ouvrage nons paroît mériter un accueil
favorable de la part des Amateurs de la Chaffe.
L'Auteur , ( M. Magné de Marolles ) , eſt déjà
conon par un petit Traité fur le même fujet , intitulé
Effai für ta Ch ffe au fufil , imprimé en
1781 , & réimprimé l'année fuivante . Le ſuccès de
DEFRANCE.
98
eet Elfai doit faire préſumer avantageuſement du
Traité conmplet qu'il publie aujourd'hui , qui ſuppoſe
dans fon Auteur des connoiſſances qui ne
peuvent s'acquérir que par une longue pratique.
Ony trouve d'ailleurs le détailde plufieurs Chafſes
peu connues, & qui n'ont point encore été
décrites, & des recherches curieuſes & intéreffantes
même pour les Lecteurs qui n'ont pas le goût
de laChaffe.
LE Testament déchiré , Estampe, A Paris , chez
P'Aurear , J, Ch. Levallkur , rue des Maçons ,
Nº. 12.
כז
On déire que nous faflions connoître le ſujet
de certe Eftampe , qui doit faire fuite aux, difte
rens caracteres de la vie , que M. Greuzeadéjà
praités. Le fujet en eft cxtraordinaire , quoique
fondé fur uunn fait réellement arrivé
2
Un pote de famille , poflefleur d'une fortune
confiderable, avoit deux enfans , fon fils & fa
bru. Ce père, parvenu à l'âge où les hommes
voient l'avenir de fang froid, fit ſon Teftament ,
que l'aveugle confiance qu'il avoit en fon fils
l'empêcha de déposer chez un Notaire, Peu de
temps après, il tomba malade. L'iflue de cette
maladie fut une léthargie ſi profonde , que fes
enfans la prirent pour la mort même. Leurs pre-
Domeftiques , & d'écarter Jes
1
miers. foins furent
depprroefiterdumilieude lanuit pour ſouſtraire les
dernières volontés de leur père. Un flambeau à
lamain, le viſage pale & l'oeil ſec , le fils , accompagné
de la femme, entre fans bruit dans la *
chambre du reſpectable vieillard , ouvre le fecrétaire,&
porte ſes mains tremblantes ſur le dépôt
facré qu'il contient ; mais , 6 moment terrible !
Ic père revoit la lumière & fon coupable fils .
La femme alors ſe tenoit debout derrière le
94
MERCURET
Fauteuil de fon mari , qui , après la lecture du Teftament , s'étoit écrié en le déchirant : Il n'eft
plus ! Le vieillard , les yeux étincelans de colère , s'élance aufli-tôt ſur ſon fils , & lui dit : Arrête , malheureux ! respecte les dernières volontés de ton père. Foudroyé par ce reproche , il meurt , les dér bris du Teftament dans les mains, La femme épouvantée
, le ſoutient dans ſes bras.g
Portrait de FRÉDÉRIC II , Roi de Pruſſe ,
peint par Rambert , & gravé par F. Huot, A Paris , chez Huot, Graveur , enclos de St-Jean-
'de-Latran , cour de la Tour. Prix , 2 liv. Ce Portrait eſt le premier de la Collection des
grands Hommes de ce ſiècle , que l'Auteur ſe pro- pofe de donner au Public. Il a choifi les Souve
rains dont le règne fait ou fera époque dans l'Hif- toire, foit comme Conquérans , foit comme Le- giflateurs ; tels que FRÉDÉRIC II , JOSEPH II , PIERRE I , CATHERINE II , & c. "Les Hommes
'de Lettres , dont les talens ont illuftreleur Patrie , Tels que CRÉBILLON, VOLTAIRE, J. J.ROUSSEAU, BUFFON , &c. Les Généraux & Politiques , tels que le Maréchal de SAXE, VASINGTON , FRANKLIN
, &c.
: Ces Portraits , du format d'un grand in - 12 ,
feront enrichis d'une brodure analogue au ſujet ,
defiinée par M. Marillier .
Les perſonnes qui voudront fe procurer ceffe
Collection , fornt priées de ſe faire infcrire chez
TAuteur , enclos de St-Jean-de-Latran; elles feront
afſurées d'avoir les premières épreuves.
CARMEN fæculare , Poëme latin d'Horace ,
mis en muſique par M. D. Philidor ; dédié à Sa
Majefté l'impératrice de toutes les Ruffies. Prix ,
36 liv. AParis, an Bureau de la Coprefpondance
des Spectacles de Provinces , chez le Sr. Lawallo
l'Ecuyer , Md. de Muſique , Cour du Commerce,
fauxbourg Saint- Germain.
DE FRANCE,
4
Outre le înérite de cette ſuperbe compofition ,
dont nous avons eu ſouvent l'occafion de parter
avec de juftes éloges , on doit admirer cucore
dans cette partition le frontiſpice exécuté aved
beaucoup d'eſprit par M. Martini. En tête eſt le
Portrait reffemblant de Catherine. II , avec cette
Légenden
Jam Scythe reſponſa petunt fuperbi nuper.
A côté eſt la tête d'Horace , avec ces vers pris
de fon Poëme !
Spiritum Phabus, mihi Phabus artem
Carminis nomenque dedit Poeta.
:
Le Portraitde M. Philidor, auffi très-reſſemblant ,
y fert de pendant, avec ces vers du même Poëme ,
très-ingénieuſement appliqués :
Reddidi Carmen docilis modorum
VatisHorati,
OUVERTURE , Airs& Duos d'Evelina , avec
accompagnement de Clavecin , par M. Lachnit.
Prix, 9 liv. Toutes les Romances d'Eſtelle, avec
Forte-Piano & Flûte ; muſique de M. Devienne.
Prix , 9 liv. A Paris , chez Imbault , rue Saint-
Honoré , entre la rue des Poulies & l'Hôtel d'Aligre
, N°. 627 . **
Partition des Promeſſes de Mariage , ou la fuite
de l'Epreuve villageoise , Opéra bouffon en deux
Actes & en vers, par M. Desforges , muſique de
M. Le Berthon, Penfionnaire du Roi. Prix , 24 liv.
>
Partition des Curieux punis , Comédie en un
Acte & en proſe , melée dd''Ariettes , par M. Bonnay.
, de l'Acadéinje Royale de Muſique. Prix ,
18 liv, A Paris , chez Imbault , adreſſe ci-deſſus.
و ا
MERCURE DE FRANGE .
CONCERTO del Signor Borghi , pour le Clavecin
, aViolons , Alto & Batle , Cors & Hautbois
ad lilium , par M. Schroetter , Cuv. loc. Prix, livres. = 3 Sonates pour le Piano , la ſcconde
avec Violon obligé par M. L... Adam , OEuv. 6e. Prix , 7 liv. 4 . . Ouverture & Entr'acte
de laNoce Béarnoiſe ,pour Clavecin , Vio- leri ad lib.; par M. Cefar. Prix , x 2 liv. 8fous. =
2Sonates pour Clavecin , Violon ad lib.; pat M.
J. Pleyel , OEuv. IIC. Prix ,4liv. 16 fous, = 8c, Symphonie pour le Clavecin , avec Violon & Bafle, par M. Charpentier , Organiſte de l'Egliſe de Paris . Prix, liv. 12 f. Gette Symphonic fait
partie des fix d'Haydn , formant l'oeuv, sie. du
Répertoire de la Loge Olympique. Les 6 premières
d'Haydn , pour Clavecin , font arrangées par M. C. Fodor. Ces OEuvres ſe trouvent chez M.
Boyer , rue de Richelieu, paſſage du Café de Foys &Madame Lemenu, rue du Roule, à la Clefd'or.
TABL, E.
L'ANE & la Rose , Fable, Voyage en Corfe.
49 Variétés.
54.Annonces & Nutices.
67
74
Charades , Erig. & Log. 51 AcadémieRoy. de Musage 84
Térée,Tragédie.
93
APPROBATION.
J'Ardu , par ordre de Mgr. le Garde des Sceaux ,
le MERCURE DE FRANCE , pour le Samedi Le
Mai 1788. Je n'y ai rien trouvé qui puiffe on
cmpêcher Kimpreſion. AParis, le 9 Mai 1788.
SÉLIS.
!
JOURNAL POLITIQUE
:
DE
BRUXELLES .
POLOGNE.
De Varsovie , le 13 Avril 1788.
On a répandu , il y a huit jours , d'après
quelques avis réels ou ſuppoſés de Conftantinople
, en date du 15 mars (date bien
récente pour la réception de ces nouvelles),
que le Grand- Vifir , précédé de
l'Etendard de Mahomet , étoit parti en
pompe , avec une ſuite très nombreuſe ,
& que le Grand Seigneur l'avoit accom
pagné à quelque diſtance de Conftantinople
; qu'avant le départ de ce Miniſtre ,
il avoit été définitivement réſolu dans le
Divan de pouffer la guerre avec toute la
vigueur poſſible , d'employer toutes les
forces de l'Empire contre les armées ennemies
, & d'entrer même fur notre territoire
, en cas de néceſſité , puiſque notre
alliance avec la Porte lui donnoit les
N°. 19. 10 Mai 1788. ε
( 50 )
mêmes droits qu'exercent aujourd'hui
l'Empereur & la Ruſſie.
En conséquence de cette dernière réfolution
, on aſſure que le Khan des Tartares
a écrit au Palatın de Ruffie , Comte
Potocki , une lettre qui porte :
« Le deſir que nous avons d'avoirdes nouvelles
de la ſanté de votre Excellence , eſt un effet tout
pur de l'amitié que nous vous avons vouée ; outre
cela , voici encore une autre circonſtance qui nous
porte à vous écrire.>>
« Les traités de paix conclus entre la ſublime
Porte & la République de Pologne , ayant été
obſervés inviolablement en tout temps & dans
toutes les circonstances , la fublime Porte n'a auffi
en ce moment d'autre vue que de les maintenir
dans toute leur intégrité. " << Mais comme les Moſcovites font entrés dans
votre pays pour parvenir à nos frontières , quepar
ce moyen vous êtes la cauſe que notre ennemi fe
renforce chez vous , fans que vous prétendiez violer
l'amitié qui ſubſiſte entre nous , & que les
Ruſſes ſont auſſi vos amis, la fublime Porte , qui
fe trouve dans le même cas , & qui est conftamment
l'amie de la Pologne , vous fait notifier par
nous , que nos armées , lorſque le cas le requerra ,
pénétreront ſur le même pied en Pologne. Nous
eſpérons que vous ne tarderez pas , à la réception
decette lettre amicale , à nous envoyer votre réponfe.
"
DE VOTRE EXCELLENCE ,
l'Ami & le Voiſin.
Cette lettre eſt ſans date ; on n'indique
pas mieux le jour du départ du Grand-
Vifir : omiſſions qui doivent laiſſer des
( 51 )
doutes ſur la certitude de ces rapports ,
auxquels on ajoute :
Qu'une eſcadre Ottomane a mis à la
voile , au milieu de mars , pour Oczakof,
& que quatre vaiſſeaux , dont deux de
ligne , devoient la fuivre dans peu. La
grande flotte fous les ordres du Capitan-
Pacha n'étoit point encore fortie , & paroiffait
toujours deſtinée à porter un Corps
de troupes nombreux en Crimée.-Un
particulier qui ſe nommoit Comte de Belveno,
en ſe diſant fauſſement Vénitien ,
a éré ſaifi & interrogé à Conftantinople ,
d'après les révélations d'un Grec , auquel
il paroît avoir confié des correfpondances
illicites concernant l'Internonce Impé-
Hal.
,
On augure que la grande armée Ortomane
raſſemblée dans les plaines d'Andrinople
, ſe ſera diviſée en trois Corps ,
&mife en marche à la fin de mars . La
première colonne,d'environ 100,000hommes
, aux ordres du Grand-Viſir , ira fecourir
Belgrade : il lui faut 45 jours de
marche ; la feconde , de 80,000 hommes ,
commandée par le Séraskier de Siliſtrie ,
paſſera en Beſſarabie : la troiſième , de
60,000 hommes , ſous l'ancien Reis-Effendi
, eſt deſtinée pour la Moldavie &
la Valachie.
M. Bucholtz, Miniſtre duRoi de Pruffe
cij
( 52 )
près de la République , eſt revenu, le 8 ,
de Berlin en cette réſidence .
ALLEMAGNE
.
De Berlin , le 19 Avril.
Le Traité d'alliance conclu entre notre
Cour & les Provinces-Unies , a été ſigné
le 15 de ce mois; les ratifications en feront
échangées inceſſamment : voici la copie
authentique de cette Tranſation .
Soit notoire à tous ceux à qui il appartient.
« La Maiſon Royale de Pruſſe & Electorale de
Brandebourg ayant entretenu avec les Provinces-
Unies des Pays-Bas , depuis les temps les plus
éloignés , non- feulement un bon voisinage , mais
auffi les liaiſons les plus étroites d'amitié & d'alliance
, & S. M. le Roi de Pruſſe ayant nouvellement
donné à la République des marques non
équivoques de ſon affection , & lui ayant même
rendu des ſervices importans & efficaces pour le
rétabliſſement de la tranquillité intérieure , il en
eſt réſulté un defir mutuel & réciproque , de renouveler&
de reſſerrer ces anciennes liaiſons, par
un traité d'alliance défenſive , pour our le bien des
deux parties , & pour le maintien de la tranquillitégénérale&
particulière.Pour remplir un butauſſi
falutaire , S. M. le Roi de Pruſſe a nommé& autoriſé
ſes Miniſtres d'Etat & de Cabinet, le ſieur
Charles-Guillaume , Comte Finck de Finckenstein ,
Chevalier de l'Ordre royal de l'Aigle-Noir , &
de l'Ordre militaire & hofpitalier de St. Jean de
Jérusalem , & Commandeur de Schievelhein ; &
le ſieur Ewald-Frédéric, Comte deHertzberg, Che(
53 )
valier de l'Ordre de l'Aigle Noir ; & Leurs Hautes
Puiſſances les Etats-Généraux des Provinces -Unies
ont noimme & autorisé leur Envoyé Extraordinaire
& Miniſtre Plénipotentiaire auprès de S. M.
le Roi , le ſieur Arent- Guillaume, Baron de Reede ,
Colonel d'Infanterie , & Aide-de-camp-général de
S. A. S. Monſeigneur le Prince d'Orange & de
Naffau; leſquels , après s'être communiqué leurs
pleins pouvoirs en bonne forme, & après avoir
conféré entr'eux , ſont convenus des articles fuivans:
»
plus
« Art. I. Il y aura une amitié & une union
fincères&conftantes entre S. M. Pruſſienne , ſes
héritiers & ſucceſſeurs , & les Seigneurs Etats-
Généraux des Provinces-Unies , enforte que les
hautes Parties contractantes apporteront la p
grande attention à maintenir entre Elles , leurs
Etats & Sujets , cette amitié & correſpondance
réciproques , & s'engagent à contribuer , autant
qu'il fera en leur pouvoir , de ſe conſerver& défendre
mutuellement en paix& en tranquillité. >>>
« 11. En conféquence de l'engagement contracté
par l'article précédent , les deux hautes Partie;
contractantes travailleront de concert pour le
maintien de la paix; & dans le cas où l'une d'elles
feroit menacée d'une attaque , l'autre emploiera
d'abord fes bons offices pour prévenir les hoftilités&
ramener les choſes dans la voie de la conciliation.
»
«111. Mais ſi les bons offices ci-deſſus énoncés
n'avoient pas l'effet defiré , & que l'une des deux
hautes Parties contractantes für hoftilement attaquée
par quelque Puiſſance Européenne , dars
quelque partie de ſes poffeffions que ce ſoit ,
l'autre Partie contractante s'engage de ſecourir ſon
Allié , pour ſe maintenir mutuellement dans la
poffeffion de tous les Etats ,territoires , franchiſes
cij
( 54 )
&libertés , domaines , villes & places qui leur
avoient appartenu reſpectivement avant le com.
mencement de ces hoftilités ; pour lequel effet ,
S. M. le Roi de Pruſſe fournira à la République
des Provinces-Unies , ſi elles étoient attaquées , un
fecours de dix mille hommes d'Infanterie & de
deux mille hommes de Cavalerie ; & fi S. M.
Pruffienne vient à être attaquée , L. H. P. les
Etats-Générauxdes Provinces-Unies lui fourniront
un fecours de cinq mille hommes d'Infanterie &
de mille hommes de Cavalerie; lequel fecours
refpectif fera fourni dans l'eſpace de deux mois
après la réquiſition faite par la Partie attaquée,&
demeurera à ſa diſpoſition pendant toute ladurée
de laguerre dans laquelle elle ſe trouvera engagée.
Ce fecours fera payé & entretenu par laPuiffance
requife , par-tout où fon Allié le fera agir ;
mais la Partie requérante lui fournira le pain &le
fourrage néceſſaires , fur le pied uſué pour ſes
propres troupes. ر
a IV. Si L. H. P. les Etats Généraux trouvoient
de la difficulté à fournir à S. M. Pruffienne leur
fecours en troupes , il leur fera libre de le faire
en argent, excepté dans le cas que S. M. Pruffienne
fût attaquée dans ſes Etats fitués entre le Weſer
&la Meufe , dans lequel cas il fera au choix de
S. M. d'exiger le ſecours de la République en
troupes ou en argent : fi de même L. H. P. venoient
à être attaquées par une Puiffance Européenne
fur mer , ou dans leurs poffeſſions d'outre
mer , S. M. ne fera point obligée de leur fournir
le fecours ftipulé en troupes ; mais il dépendra de
fon choix de le donner en troupes ou en argent ;
enfin, dans le cas que les deux hautes Parties contractantes
ſe fourniroient le fecours ſtipulé en argent
, ce fecours ſera évalué à 100 mille florins
deHollande par an , pour 1000 hommes d'Infan(
55 )
terie , & 120 mille florins , même valeur , pour
1000 hommes de Cavalerie , par an , ou dans la
même proportion par mois. >>>
«V. Dans le cas où le ſecours ſtipulé ne ſeroit
point fuffifant pour la défenſe de la Puiſſance requérante
, la Puiſlance requiſe l'augmentera fucceffivement,
felon les beſoins de fon Allié , les
circonstances& le concert qu'on prendra alors. »
« VI. Si le cas arrive que les deux hautes Parties
contractantes ſe trouvent engagées directement
dans une guerre contre un même ennemi ,
elles s'engagent réciproquement à ne mettre bas
les armes que d'un commun accord , & elles ne
pourront faire des propofitions de paix ou de
trève , que du confentement mutuel des deux Parties.
VII. Pour d'autant mieux cimenter la bonne
correſpondance & union entre les Nations Pruffienne
& Hollandoiſe, il eſt convenu , en attendant
que les deuxhautes Parties contractantes faffent
entr'elles un traité de commerce , que les Sujets
de la République feront traités dans les Etats
Pruffiens, relativement au commerce & à la na
vigation , commelaNation la plus favorifée; il en
fera ufé demême dans les Provinces Unies à l'égard
des Sujets de S. M. »
a VIII. Comme il fubfifte quelques différends
fur les limites entre les Etats des deux hautes Parties
contractantes , elles nommeront des Commif
faires , qui tâcheront d'ajuſter ces différends fur les
lieux, d'une manière amicale.>>>
« IX. S. M. Pruſſienne garantit de la manière
la plus efficace le Stadthouderat héréditaire , ainſi
que la charge deGouverneu, héréditaire de chaque
province , dans la Séréniffime Maiſon d'Orange ,
avec toutes ſes charges & prérogatives , comme
CIV
( 56 )
faiſant partie eſſentielle de la conſtitution des Provinces-
Unies , fuivant les réſolutions & diplomes
des années 1747 & 1748 , en vertu deſquels le
Stadthouder actuel eſt entré dans la poffeffion de
fes cha ges en 1766 , & a été réintégré en icelles
en 1787 , s'engageant à maintenir cette forme de
gouvernement contre toute attaque & entrepriſe
directe & indirecte , de quelque nature qu'elle
puiſſe être.>>
« X. La préſente alliance durera pendant le
cours de 20 années confécutives , à compter du
jourdela ſignature de ce traité ,& les hautes Parties
contractantes tâcheront de convenir alors ultérieurement.
»
« XI. Le préſent traité ſera ratifié par S. M. le
Roi de Pruſſe & L. H P. les Etats-Généraux des
Provinces-Unies , & les lettres de ratification en
bonne forme feront délivrées, de part & d'autre ,
dans le temps d'un mois , ou plus tôt ſi faire ſe
peut, à compter du jour de la fignature du préfent
traité. »
« En foi de quoi nous ſoufſignés , munis de
pleins pouvoirs de S. M. le Roi de Pruffe & de
L. H. P. les Etats-Généraux des Provinces-Unies ,
avons , en leurs noms, figné le préſent traité , &
yavons appofé les cachets de nos armes. »
« Fait à Berlin , le 15 avril , l'an de grace mil
ſept cent quatre vingt-huit. >>>
CHARLES-GUILLAUME , Comte de FINCKENSTEIN.
( L. S. )
EWALD-FRÉDÉRIĆ , Comte de HERTZBERG .
( L. S. )
ARENT- GUILLAUME , Baron de REEDE. ( L.S. )
De Vienne le 19 Avril.
,
Les rapports ultérieurs de la Croatie ,
(57)
publiés officiellement , font datés du 8 de
ce mois, & contiennent ce qui ſuit :
Un Corps nombreux de troupes Ottomanes ,
diviſé en trois colonnes , ſe mit en marche le 4
du même mois , d'Oſtrofaz , dans le d. ffein de ſe
remettre en poffefſſion du district de Dreſnik , pris
par le ColonelPeharnik, du régiment de Carlſtadt-
Ogulins , &de ſe porter delà , fuivant les circonftances
, plus avant dans le territoire Autrichien :
il commença donc l'attaque au fon de ſa muſique.
La première colonne ſe porta avec violence fur
le petit fort , du côté droit de la Czartaque, près
de Kakoiza , en tâchant de gagner les flancs jufqu'à
l'entrée de la forêt; dans le même temps ,
l'ennemi forma , avec ſa ſeconde colonne , une
autre attaque fur le fort , devant Orihovo-Selifte ,
& la Czartaque à Saketino , ſe portant , avec la
troiſième colonne, vers le pont neuf du Corana ,
fans doute dans le deſſein de détruire le pont du
chemin de Bihach , & prendre à dos le détachement
de nos troupes poſté ſur ce chemin ; mais
par les bonnes diſpoſitions qu'avoit faites le Colonel
Peharnik , ainſi que par les troupes arrivées
à temps au ſecours , l'ennemi , après avoir répété
trois fois fon attaque avec beaucoup de va'eur , fe
vit obligé de fe retirer.
LesTurcs , s'apercevant du peu de progrès que
faifoient ces colonnes ainſi partagées , ſe formèrent
en Corps fur les collines prèsdeDreſnik , &tenterent
de s'emparer du château de ce nom , en l'environnant
detous les côtés ; mais le feu vif qu'on fit
fur eux , du château , ainſi que celui du fort, de
l'autre côté de la Corana , les empêcha toujours
de s'approcher de trop près , & occafionna la perte
de pluſieurs des leurs.
Le nombre de nos troupes ſe trouvant conti
CV
(58 )
nuellement renforcé , les obligea
menant leurs canons avec eux .
de ſe retirer , em-
Nos troupes ſe mirent alors à la pourſuite de
l'ennemi juſqu'à la Corana , & de telle manière ,
qu'il ne fut pas le maître de choifir le meilleur
paffage, mais ſe vit forcé de gagner le rivage le
plus eſcarpé , où il perdit beaucoup des ſiens , &
fut obligé d'abandonner aux vainqueurs le bétail
dont il s'étoit rendu maître dans le diſtrit de
Dreſnik , ainſi qu'un drapeau & pluſieurs fufils :
on prit auffi pluſieurs chevaux à l'ennemi .
L'attaque dura depuis 8 heures du matin juſqu'à
midi .
On ne peut pas évaluer au juſte la perte qu'y
firent les Turcs ; on a trouvé environ 42 morts
diſperſés ſur les campagnes , dont pluſieurs dediftinction
, à en juger par leur habillement ; & fuivant
les rapports de nos Séreſſans , qui s'étoient
cachés dans la forêt , ils ont chargé pluſieurs chevauxde
corps morts& de bleſſés.
Nous y avons perdu 5 des nôtres ; 19 , avec le
Capitaine Baffé, font bleſſés ; les Turcs , dans leur
retraite,mirent le feu à pluſieurs cabanes des habitans
deDrefnik , ci-devant Sujets de la Porte.
Le Colonel Peharnik donne de juſtes éloges à
la bonne volonté , ainſi qu'au courage que nos
troupes montrèrent à cette occafion ; il rend en
même tempsjuftice auxCapitaines Baffe , Wunsch,
Mamula & Tomlyanovich , qui ſe font beaucoup
diftingués.
Suivant les rapports d'Eſclavonie , l'ennemi ſe
trouve attaqué par-tout & à chaque occaſion favorable
, par le Corps des Volontaires compofé
de transfuges Turcs ; ces Volontaires ont tué &
bleſſé beaucoup de leurs anciens compatriotes : i's
rendent fur-tout des ſervices ſignalés , en ce qu'ils
(59 )
coupent aux habitans de Belgrade toute communication
avec Jagodin & autres endroits voiſins ,
ils en donnèrent encore des preuves le 31 mars ,
enſemettant ſur les traces d'une troupe compofée
de 300hommes à cheval ,&de400 piétonsdétachésde
Belgrade , pour convoyer, de Jagodin à
dette fortereſſe , un tranſport de munitions de
guerre&de farine. Ces Volontaires ayant pris
pofte non loin du défilé près de la Czartaque Karaula
, firent entrer le convoi dans le défilé , ſans
le troubler d'aucune manière , & l'attaquèrent alors
de deux côtés , avec un feu & vif , & qui dura
pendant deux heures , que 100 morts reſterent fur
la place , pluſieurs furent bleſſés , &le reſte mis en
fuite, les Volontaires n'ayant eu que deux morts
&deux bleflés,
La jonction des armées Ruſſes & Autrichiennes
, tantde fois annoncée , & toujours
fauſſement, n'étoit encore réaliſée
qu'en petite partie à la fin de mars, puifque
la Cour a fait publier que, le 21 de
ce mois-là ſeulement , quatre bataillons
Ruffes , ſous les ordres du Général West.
mitinow,s'étoientréunis auCorps duPrince
de Cobourg.
Nos diverſes expéditions en Croatie ont
été affez meurtrières , pour qu'il ſe trouvât
, le 28 mars , dans l'hôpital de Carlftadt,
43 Officiers , preſque tous jeunes ,&
231 Soldats bleſſés.
L'Empereur a vifité , dans la tournée qu'il a
faite, Dreſnik: ce monarque étoit accompagnédu
Général Devins , qui n'eſt pas totalement diſgracié
, puiſqu'il commandera en ſecond ſous les or
evj
( 60 )
dresduPrince Charles de Lichtenstein. Lorſque S.M.
vit le Colonel Peharnik , Elle lui dit : «Jefuis
» très-charmé de vous avoir vu , M. le Colonel; vous
» êtes lefeul qui ayez foutenu dans cepays l'hon-
» neur des armes Autrichiennes. » S. M. laiſſa une
ſomme affez conſidérable pour récompenſer le détachement
du régiment Ogulin. Mais le Colonel ,
chargé de la diftribution , eut beaucoup de peine à
faire accepter ce préſent aux braves Croates ; ils lui
diſoient : « Noussommes affez récompenfés den'a-
» voir pas échoué , comme nos camarades ont fait
» devant Dubitza. » Le Colonel les interrompit
pour les affurer que leur amitié & la confiance
de leur Souverain étoient au-deſſus de tout l'or du
monde. Preſſés enfin par ſes inſtances , ils prirent
l'argent , en jurant qu'ils ſeroient toujours prêts à
vaincre ou mourir avec leur brave Commandant.
Le Prince Charles de Lichtenstein , Général
de Cavalerie , eft arrivé à Carlſtadt
le 4 de ce mois , & a pris le comman-'
dement en chef du Corps d'armée dans
la Croatie.
DeFrancfort-fur- le- Mein , le 25 Avril.
LeRoide Pruſſe a nommé M. de Boëhmer
ſon Miniſtre Plénipotentiaire auprès
des Princes & Etats du cercle de Franconie.
Le Corps de troupes,que le Ducrégnant
'deBrunswich a cédé à la Hollande , s'eſt
mis en marche le 4. Il eſt commandé par
le Lieutenant-général de Riedefel ,& com-
;
(61 )
1
posé de 3,000 hommes. Les Chaſſeurs
ne ſont pas encore complets. Ce Corps a
pris avec lui dix pièces de canon.
Le Général Hollandois de Monster s'eſt
rendu à Caffel vers la fin de mars , &
en eſt reparti le 6 de ce mois. On fait
qu'il étoit chargé d'une négociation relative
à un Corps de Heſſois pour le ſervice
des Provinces Unies .
L'Electeur Palatin , Duc de Bavière , écrit-on
de Munich , a approuvé le plan d'augmentation
de ſes troupes , qui lui a été propoſé par la Commiſſion
établie à ce ſujet. L'augmentation ſera de
fix mille hommes.-Le Comte dePappenheim ,
Gouverneur d'ingoſtadt, a été nommé au commandement
en chef de toutes les troupes électorales.
Six cents hommes travaillent depuis le
commencement de ce mois à réparer les
fortications de Weſel.
La revue des régimens Westphaliens
aura lieu cette année , en 2 camps , l'un
près de Lipſtadt , l'autre près de Weſel .
Après les revues de Potzdam, de Berlin
&de la Pomeranie , le Roi de Pruſſe repartira
pour Magdebourg , le 1. juin ;
les manoeuvres faites , il ſe rendra , le 4
du même mois , à Brunswick , les à Minden
, le 6 à Ham , & delà à Wefel &
Clèves , où il ſera le 10.
Il a paru nouvellement à Vienne une carte géographique
du royaume de Bośnie& des provinces
adaceates , telles que la Croatie, l'Eclavonie , la
(62 )
Servie. l'Albanie , Temefwar , Ragufe & la Dalmatie
Vénitienne. Cette carte a été rédigée par le
fieur Schimeok , ſur des cartes militaires manuf
crites du Prince Eugène , de Khevenhuller , Marfigli
& Pallavicini , & fur d'autres relations au
thentiques : elle est très-propre à aider le Lecteur
à ſuivre les événemens militaires de la guerre
actuelle.
GRANDE - BRETAGNE .
De Londres , le 29 Avril.
Quelques objets d'adminiſtration intérieure
, indifférens à nos Lecteurs , ont
à- peu - près rempli ſeuls les dernières
Séances du Parlement. La Chambre
Haute s'eſt bornée à l'examen de l'élection
de Lord Cathcart , foutenu par
le Ministère , à la place d'un des feize
Pairs Ecoſſois fiégeant au Parlement .
Milord Cathcare y étoit déja admis ,
lorſqu'une enquête exacte a réprouvé le
fuffrage du Lord Ruthersford , comme
non qualifié à voter pour l'élection. Cette
voix unique ayant donné à Milord Cathcart
la prépondérance ſur le Comte de
Dumfries , fon concurrent , le premier de
ces deux Pairs a dû quitter la Chambre
Haute provifoirement. Cette fufpenfion
n'a pas été longue , à la demande de Lord
Cathcart , la Chambre , après examen ,
a également déclaré illégal le fuffrage de
( 63 )
Lord Colville , en faveur de Milord Dumfries
, ce qui redonne à fon Compétiteur
la ſupériorité d'une voix & ſa place dans
le Parlement .
Nousavons vu antérieurement les plaintes
qu'a fait naître l'omiffion de quelques.
anciens Capitaines de Marine dans la dernière
promotion d'Amiraux , les motions
produites dans les deux Chambres pour
le redreſſement de cette injustice , & le
peu de ſuccès de ces démarches. M. Baftard
lesrenouvela, le 18 , dans la Chambre
des Communes , où fa motion entraîna
un débat intéreſſant ſous plus d'un rapport.
Un affez grand nombre des Partiſans
ordinaires du Miniftre , ſe déclarèrent
contre lui , & blâmèrent la conduite de
l'Amirauté : entr'autres , le Chevalier
George Howard , l'un des plus anciensGénéraux
, & qu'on fait approcher journellement
de la perſonne du Roi , déſapprouva
formellement ce paſſe-droit; même il
laiffa échapper que Sa Majesté avoit
été fort éloignée d'y donner fon confentement.
Lediſcours de ce reſpectable Militaire
, celui de M. Fox , le mérite infiniment
recommandable des Officiers oubliés
, & l'opinion fondée du décourage.
ment que cet exemple pouvoit jeter dans
le Corps de la Marine , entraînèrent affez
de voix , pour ne laiſſer au Miniſtre qu'une
( 64 )
ſupériorité de 17 fuffrages. ( 133 contre
150. ) Cette motion doit être reproduite
inceſſamment fous une autre forme ; fi
fon iſſue eſt contraire au Miniſtre , ce ne
ſera pas un événement indifférent. M. Pitt
voit ſe réunir contre lui , depuis 3 mois ,
un tiers Parti , qui chaque jour prend de
nouvelles forces. Son dernier Bill au fujet
de l'Inde , rejeté par l'aſſemblée des
A&ionnaires de la Compagnie , n'a emporté
la San&ion Parlementaire qu'avec
de grandes difficultés. L'influence du Miniſtre
ſur cette même Compagnie des
Indes , a tellement baiſfé , qu'on a refuſé
dernièrement à l'élection annuelle de fix
Directeurs , M. Scott , appuyé des amis
du Gouvernement. On voit avec un mécontentement
univerſel le Bureau de
Contrôle dirigé par M. Dundas ,& le crédit
de celui ci ſur l'eſprit du Miniſtre ; on
n'a point oublié que le deſſein d'écarter
M. Haflings de ce Bureau , a donné à
l'impéachment l'appui de quelques - uns des
Miniftres & de leurs adhérens ..... De
toutes ces conſidérations , fur leſquelles
nous ne devons pas nous étendre , on infère
une révolution plus ou moins prochaine
dans le Gouvernement : déjà le
Public nommoit les Miniſtres près d'être
deftitués ; mais ſans hafarder aucunes dé
fignations , on peut ranger ce change(
65 )
ment au nombre des fortes probabilités.
Il paroît certain que M. Dundas , en par
ticulier, ne conſervera pas long-temps la
Préfidence du Bureau de Contrôle.
Hier 28 , le Chevalier Gilbero- Elliot ,
dans un diſcours qui vaut un livre par l'étendue
, plaida la première charge contre
Sir Elijah- Impey , concernant le jugement
de Nunducomar. En retranchant les
préambules & les digreſſions , nous tacherons,
dans hui jours, d'analyſer ce mémoire
, que fon Auteur n'achevera que
le 7 mai , jour où l'on difcutera la motion
d'impeachment ſur ce premier article.
Le 25 , un Exprès a apporté à l'hôtel
de la Compagnie des Indes , la nouvelle'
de l'arrivée du vaiſſeau le Busbridge, venu
deBengale en quatre mois : c'eſt une des'
traverſées les plus courtes que l'on connoiffe.
Les dépêches de Calcutta , dont
ce vaiſſeau étoit chargé , ſont en date du
26décembre. Elles apprennent qu'à cette
époque le Comte de Cornwallis étoit de
retour& en bonne ſanté; que le Bengale
jouiſſoit d'une tranquillité parfaite , &
qu'aucun mouvement n'y donnoit la
moindre inquiétude. Par le Busbridge , on
a auffi reçu un grand nombre de témoignages
de perſonnes de toute condition ,
&des Begums d'Oude , en particulier ,décififs
en faveur de M. Hastings , dont la
1
(66 )
conduite eſt aujourd'hui encore l'objet de
laplushaute vénération&de la gratitude la
plus reſpectueuſe dans l'Indoſtan entier .
Il eſt aiſé d'imaginer le ridicule que jette
fur les phraſes ampoulées des Commiffaires
du Procès , ces honorables dépofitions
de la contrée & des perſonnes mêmes
qu'on accuſe M. Hastings d'avoir
horriblement opprimées . Auſſi , ceux de
ces Commiſſaires dont le caractère eſt
ſupérieur aux motifs de haine , de vanité
& de vengeance qui animent leurs Collègues
, ne font ils pas à ſe repentir amèrement
du pas dangereux dans lequel ils
ont été entraînés. Déja s'eſt pleinement
réaliſé ce que nous n'avons ceffé de dire
dès l'origine , qus lorſqu'il faudroit foute
nir ces jeux d'éloquence par des preuves
poſitives , on reconnoîtroit bientôt la foibleſſe
des inſtrumens avec leſquels on
attaquoit M. Haftings. Ni lui , ni fes Confeils
n'ont encore prononcé un mot, n'ont
exhibé une preuve , n'ont préſenté un
témoin , & le ſeul réſultat des moyens
fournis par les Accuſateurs , a déja dúcidé
l'opinion des Auditeurs impartiaux
fur les deux premiers , les plus graves
articles de l'impéachment. Le recueil des
preuves & des dépoſitions eſt imprimé à
l'uſage de chaque Pair; nous eſpérons en
avoir bientôt communication,&ne pas faire
( 67 )
regretter à nos Lecteurs les traductions que
nous aurions pu leur donner des infidèles
rapports des Papiers publics raſſemblés enſuite
fous le titre de Procès deM. Haftings.
Endeuxmots nous réſumerons aujourd'hui
leprécis de ces premières procédures .
On a vu combien les Accuſateurs mêmes ont
été mécontens de leurs propres témoins. Ouvertement
&itérativement , ils ont déclaré qu'ils ne
pouvoient leur rien arracher , & que leur compli
cité, la reconnoiſſance , l'amitié, les enchaînoient au
ſilence. Ce n'eſt là qu'une de ces défaites que les
parties ſe renvoient mutuellement. M. Hastings auroitpu
dire avec autant de raiſon , ſi les dépofitions
lui euſſent été contraires , que la crainte, l'intérêt
, le reſſentiment, la jalouſie armoient contre
lui les dépoſans. Et puis les Accuſateurs , après
avoir énoncé des inculpations ſi violentes , avec
un acharnement fi continu , ont-ils bonne grace
aujourd'hui à ſe plaindre de leur embarras à trouverdes
preuves ?
Les dépoſitions ſur l'affaire de Benarès ont,
prouvé les faits avoués parM. Hastings ; pas une
n'a prouvé les aſſertions qu'il avoit niées. LesAccufateurs
devoient établir la réalité de la ſouveraineté
indépendante de Cheyt-Sing ; ils ont queftionné
M. Stables fur la qualité du père de ce
Faja , dont ils avoient fait un POTENTAT ; il a
répondu qu'ilpaffoit dans le pays pour un homme
très-confiderable. M. Calcraft, interrogé fur le pillage
de la caffettede la mère de Cheyt-Sing, exé.
cuté par les foldats , a répondu qu'il avoit cru
queM. Hastings abſent , avoit ordonné cette ſpoliation.
Ce Gouverneur étoit accuſé des plus inſignes
violences contre Cheyt-Sing , au moment de
ſadétention ; nous avons vu que les preuves à
( 68 )
ce ſujet, ſe ſont réduites à trois heures d'exercice
de bel-efprit & d'érudition fut les pipes à tabac
dans l'Indoftan .
Sur l'affaire des Begums , interrogatoires fur interrogatoires
, récollemens, confrontations fur confrontations
, pour prouver que les Etats du Nabab
d'Oude avoient perdu leur proſpérité. ci , l'on
a entendu cinq ou fix heures M. Holt , jeune
homme , ci -devant Adjoint à la réſidence d'Oude,
&on lui a demandé , non pas feulement des faits,
mais des bruits publics ſur les événemens. L'un
des conſeils deM. Hastings remarqua la nouveauté
de cette eſpèce de preuves , &, ſans la rejeter ,
demanda que l'Accuſé à fon tour fût également
admis à en faire uſage. Tous les vices d'Adminiſtration
du Nabab furent amplement déduits par
M. Holt ; il ne reſtoit plus qu'à établir pourquoi
ces vices devoient être imputés au Gouverneur
de Calcutta : ici le flambeau s'éteignit , &l'évidence
refta à la charge d'autres démonstrateurs.
M. Holt fut encore examiné fur un monopole
de toiles, fuppofé fait par M. Scott , négociant
très-conſidéré. Un monopole de toiles ! & il s'agit
de ſavoir fi M. Hastings a , ou non , excité un
fils à dépouiller ſa mère !
Après M. Holt , parurent le major Browne, pour
certifier que les Bégums étoient degrandes dames ,
ce que perſonnene conteſtoit ,& M. Goring , qui ,
le lendemain, fut obligé de rectifier ſa première
dépofition. Comme d'abord il avoit avancé que
la vieille Begum lui déclara , lorſqu'il prit ſon audience
de congé , ques'il eût tenté de la faire fortir
de fon Harem , elle ſe fût poignardée , & eût poignardé
deux mil'e femmes du palais , il paroiſſoit
étrange que cette Princeſſe eût attendu pluſieurs
mois à faire cette déclaration , après avoir gardé
le filence au moment du danger. Pour lever cette
( 69 )
incongruité , M. Goring, en ſe corrigeant le lendemain
, dit qu'à la vérité il n'avoit pas communiqué
à la Begum le projet de la faire fortir
duHarem ou Zenana, fans qu'elle témoignât quelque
inquiétude. M. Burke diſſerta enſuite fur les Sultanes
validés de Conſtantinople , & cita le Prince
Cantemir. Puis M. Middelton , appointé par les
Accuſateurs , fut déclaré par ces mêmes Accufateurs
témoin non- recevable ; ils ne l'en interrogèrent
pas moins des heures entières , ſans pouvoir
lui arracher une ſyllabe : ils s'obſtina à foutenir
que ſa mémoire n'étoit pas afſſez bonne pour
répondre pertinemment dans une affaire criminelle,
furune multitude d'incidens , de faits & de tranfactions
d'arcienne date.
Nous devons à la juſtice dedire ici , que
l'emportement inourde M. Adam envers
M. Haftings , a révolté l'Aſſemblée &la
Nation ; que M. Fox, dont l'eſprit fupérieur
& le caractère noble ſont fi fort au
deſſus du rôle qu'on lui fait jouer ici ,
malgré lui , arrêta lui-même le fougueux
Accuſateur , & témoigna le chagrin qu'il
reſſentoit d'une ſcène auſſi déshonorante.
Un cri général ſe fit entendre dans la Salle;
& fi M. Adam eût ajoutéun mot , le Chancelier
lui eût interdit la parole. M. Haftings
, dont la fermeté & la modération
n'ont pas varié depuis l'ouverture du Procès,
étoit d'autant plus pardonnable d'être
forti un inſtantde ſon caractère , que M.
Adams'étoit tourné vers lui , & , en le me .
naçant du geſte , l'avoit inſulté directement,
comme nous l'avons rapporté.
( 70 )
Suivant les derniers états remis depuis peu à
l'Amirauté , le nombre des vaiſſeaux en commifſion
conſiſtoit en 15 vaiſſeaux de ligne , cinq de
50 , trente frégates & foixante corvettes répartis
de la manière ſuivante : ſavoir ,
Dans lesports , 15 vaiſſeaux de ligne , 4 frégates
& 17 corvettes.
En croisière , 7 frégates & 30 corvettes.
Ala Jamaïque , un de 50 can. , 4 frégates &
3 corvettes,
Aux Iſles- du-Vent , un de 50 can. , 5 frégates
& 2 corvettes.
Dans la Méditerranée , un de 50 can. , 5 frégatos
& 2 corvettes .
Sur la côte d'Afrique , un de 44 can. , & une
corvette.
Dans l'Inde , une frégate & 2 corvettes .
En Amérique , un de 50 can. , 3 frégates &
3 corvettes.
- En armementpour Terre-Neuve , un de 50 can . ,
3 frégates & une corvette.
Etatdesvaiſſeaux en construction au 18 avril 1788.
Royal-George , 110 canons , à Chatham .
Queen Charlotte , 110 , à Chatham .
Windforcaſtle , 98 , à Deptford.
Boyne , 98 , à Woolwich.
Prince deGalles, 98 , à Portsmouth.
•Glory , 98 , à Plymouth.
Prince , 90 , à Woolwich.
Céfar , 80, à Plymouth .
Brunswick , 74 , à Deptford.
Leviathan , 74 , à Chatham .
Minautaur , 74 , à Woolwich.
Illustrious , 74 , à Bucklashard.
Léopard , 50 , Sheerneſſ.
L'Illuſtrious de 74 , eſt le ſeul vaiſſeau de guerre
enconſtruction hors des chantiers du Roi.
( 71 )
FRANCE.
De Versailles , le 30 Avril.
Le Roi a nommé à l'Evêché de Carcaſſonne ,
l'Abbé de Vintimille , vicaire-général de Soiſſons ,
AumônierdeSaMajeſté ; à l'Abbaye deSaint-Jean,
envallée, ordrede S. Auguſtin, diocèſe de Chartres,
l'Abbé de Chabrillan , Vicaire-général d'Arles ,
Aumônierde Sa Majeſté ; à celled'Andres , Ordre
de S. Benoît , diocèſe de Boulogne , l'Abbé de
Montrichard , Vicaire-généralde Cambray; àcelle
de Gaillac , même ordre , diocèse d'Alby , l'Abbé
deFaudoas , Vicaire-générald'Evreux ; à celle de
Joſaphat, même ordre, diocèſede Chartres , l'Abbé
de Fénélon , Archidiacre de Metz ; & à celle de
Saint - Quentin , ordre de S. Augustin , diocèſe de
Beauvais , l'Abbé de Broglie.
Le Baron de Riéger , Miniſtre plénipotentiaire
de Wirtemberg , eut une audience particulière du
Roi , pendant laquelle il remit à Sa Majefté
ſa lettre decréance. Ilfut conduit àcette audience,
ainſi qu'à cellesdela Reine&dela Famille Royale ,
par le ſieur de Tolozan , Introducteur des Ambaſſadeurs
; le ſieur de Séqueville , Secrétaire
ordinaire du Roi pour la conduite des Ambaſſadeurs
, précédoit .
Le Marquis de Saint-Blancard & le Chevalier
de Grave ont été préſentés au Roi & à la Famille
Royale , par le Duc de Chartres ; l'un comme
ſon premier Gentilhomme ,& l'autre comme ſon
premier Ecuyer.
L'Abbé de Maillan , premier Aumônier , en
ſurvivance , de Madame , a eu l'honneur d'être
préſenté , en cette qualité , au Roi & à la Reine
par cette Princeſſe.
( 72 )
LeRoi ,laReine & laFamille Royale ont ſigné,
le27, lecontratde mariage du Comte deCaumont
avec demoiselle de Lamoignon; celui duMarquis de
CharrydesGouttes, Major en ſecond du régiment
de Lorraine , infanterie, avec demoiselle de Luppé;
& celui du Baron de Moufin de Bernecourt ,
Lieutenant des Gardes - du - corps de Monfeigneur
Comte d'Artois , avec demoiselle Nobler de
Sillery.
Le même jour, la Marquiſede Boiſgelin, laMarquiſe
deBalivière, laComteſſedu Parc, laComteſſe deTavannes,
la Comteſſe de Meſſey , ont eu l'honneur
d'être préſentées à Leurs Majeſtés ;la première, par
la Comteſſe de Boiſgelin; la ſeconde, par laMarquiſe
deRadepont ; la troiſième , par laDucheſſe
de Saulx , dame du Palais ; la quatrième , par la
Ducheſſe de Mortemart; & la cinquième , par la
Vicomteſſe de Talleyrand.
:
De Paris , le 7 Mai.
Edit du Roi , donné à Verſailles au
mois de mars 1788, regiſtré en la Chambre
des Comptes, le 28 avril fuivant , portant
fuppreffion de tous les Offices de
Gardes du Tréfor Royal, de Treſoriers de
la Guerre , de la Marine , de la Maiſon du
Roi & de la Reine, des Bâtimens , des Dépenſes
diverſes , des Ponts & Chauffées ;
& création de cinq Adminiſtrateurs pour
gérer conjointement tout cequi concerne
les Recettes & Dépenſes du Tréfor Royal.
Louis,&c. Nos Finances éprouvent depuis long.
temps les inconvéniens fans nombre qui réſultent
de la multitude des Caiſſes où nos revenus font
ſucceſſivement
( 73 )
J
ſucceſivement verſés pour acquitter lesdépenses
auxquelles ils font destinés.
Ce grand nombre de Caifſes donne lieu à des
opérations diverles , qui , nepartant ni des mêmes
principes , nides mêmes intérêts , ſe nuiſent quelquefois
réciproquement,&fouventcompromettent
lecréditgénéraldont elles devroient être le ſoutien
&l'aliment.
L'habitude & même la néceſſité de verſer dans
ces Caiſſes , à des époques déterminées , les fonds
qui leur font aſſignés , privent ſouventnotreTréſor
Royal de ſommes dont il lui ſeroit important de
ne ſe pas deſſaiſir , & qui , au moment où elles
en font tirées , ne font pas toujours néceſſaires
pour fatisfaire aux paiemens auxquels elles font
deſtinées.
Ces remiſes habituelles & anticipées de fonds
conſidérables ſont quelquefois d'autant plus préjudiciables
à notre Tréſor Royal , que , dans la
néceſſité où il eſt de recourir à des anticipations ,
il peut arriver qu'il reçoive enſuite comme fonds
d'avance une partie des mêmes ſommes dont il
aété fans néceſſiré obligé de ſe deſſaiſir.
Enfin , il eſt arrivé que quelques Tréſoriers de
ces différentes Caiſſes ne ſéparant pas toujours
leurspropres affaires decelles qui leur étoient confiées
, le déſordre ſurvenu dans leur fortune eft
retombé fur notre Tréſor Royal , foit par des
avances qu'on a eu la facilité de leur faire , foit
par la confuſion des traites , & la difficulté de
diftinguer cellesqui ont eu rapport à notre ſervice ,
ſoit par des débets , que , malgré les précau ions
priſes parles ordonnances , il a été ſouvent impof-
Able de recouvrer en leur entier.
Pour remédier à ces inconvéniens , nous avons
prisla réſolution,dont le plan nous a été en quelque
forte inſpiré par le voeu public , de ſupprimer ces
N°. 19. 10 Mai 1788. d
( 76 )
deate , & il ſera tenu d'en rendre compte enfuite
à la Chambre des Comptes , &c.
LE COMPTE RENDU à S. M. au mois
de mars 1788 , & publié par ſes ordres ,
eſt forti de l'Imprimerie Royale depuis dix
jours. La France eſt trop intéreſſée aux
réſultats de ce grand & important travail
du Conſeil des Finances , pour ne pas
nous empreſſet d'en mettre ſous les yeux
de nos Ledeurs , les réſumés , dont la tranfcription
peut être compatible avec la forme
&la nature de ce Journal. CE COMPTE
RENDU eſt précédé d'un Diſcours que nous
allons rapporter en fon entier.
:
Avant de ſoumettre à Votre Majesté les différens
articles de ce Compte , Elle voudra bien
permettre que nous lui en expoſions , en peu de
mots, les principes , l'intention & les réſultats.
Un Compte peut être conſidéré & rendu ſous
trois rapports ; & s'il y a un déficit , la véritable
notion de ce déficit dépend de celui de ces rapports
ſous lequel le Compte eſt rendu.
Ainſi un Compte peut être le bilan de la fortune
de celui qui le rend , & dans ce cas le déficit
, s'il y en a , tombe ſur les capitaux ; & tant
qu'il y a des capitaux libres , il n'y a pas de déficit
réel.
Un Compte peut être le réſumé de l'eftimation
d'une année commune du revenu de celui qui le
rend ; & dans ce cas , le déficit tombe ſur les
revenus & non ſur les capitaux ; mais comme des
rembourſemens & autres charges extraordinaires ,
ne peuvent entrer dans l'eſtimation d'une année
commune, le déficit dans un tel Compte , ne peut
être calculé que d'après les dépenses ordinaires &
( 77 )
les intérêts des ſommes néceſſaires pour acquitter
les dépenſes extraordinaires.
Enfin un Compre peut être l'état des recettes
&des dépenſes pour une année déterminée. Si
untel Compte ſe rend au commencement de l'année,
il n'eſt que l'aperçu de ces recettes& de ces dépenſes;
ſi l'année eſt terminée , il en eſt le Compte
effectif.
Dans un tel compte , le déficit eſt tout ſimplement
la différence entre la recette & la dépenſe .
Si cettedifférence eſt entre la recente & la dépenſe
ordinaires , le déficit eſt habituel & permanent ;
il n'eſt que paſſager& éventuel , fi la différence
vient de cauſes extraordinaires qui diminuent la
recette ou augmentent la dépenſe.
De ces trois manières de rendre un Compte ,
la première ne convient pas au Compte des finances
publiques. Quoiqu'on puiſſe dire que les revenus
de l'Etat ſuppoſent un capital qui fert d'hypothèque
aux dettes qu'il contracte , ce n'est pas de
ces capitaux qu'il importe de s'occuper , & jamais
leur difcuffion ne peut être un objet d'intérêt ni
d'inquiétude.
La ſecondemanièrede rendre un Compte , ſeroit
pour un Etat , fi on y mettoit trop de confiance
,une fource d'erreurs&d'illufions. En s'y
hornant , on pourroit ſe perfuader qu'il n'y a pas
de déficit , tandis qu'il yauroit chaque année impoſſibilité
de ſuffire à ce qui doit être acquitté. Il
yaplus, ce calcul d'une année commune s'évanovit
roit à chaque inftant : dans l'année où le revenu
ſeroit inférieur à la dépense, il faudroit y fuppléar
par un Emprunt; les intérêts de cet Emprunt dérangeroient
les calculs des années ſuivantes ; & l'année
commune qu'on auroit ſuppoſée , finiroit pu
n'avoir jamais exiſté.
Ce n'eſt donc, Sire,ni un Compte qui foit le
diij
( 78 )
bilangénéral des finances , ni unCompte qui préfente
l'eftimation d'une année commune , qu'il s'agit
aujourd'hui de vous préſenter ; c'eſt l'état des
recettes & des dépenses d'une année déterminée;
& comme nous ſommes au commencement
de celle qu'il faut parcourir , l'état qui doit être
mis fous vos yeux , eſt l'aperçu des recettes & des
dépenſes de l'année 1788. Il ſera poffible en 1789,
de vous préſenter le Compte effectif (1 ) .
C'eſt ce Compte d'une année déterminée , qui
dans la pratique a une réelle utilité ; c'eſt ce Compte
qui , renouvelé tous les ans , vous fera connoître
la ſituation de vos finances : c'eſt enfin ce Compte,
qui peut être entendu & même jugé par les perfonnes
les moins verſées dans ces matières
même temps que les ſpéculateurs attentifs y trouveront
les élémens néceſlaires à leurs combinaifons.
en
Ce Compte ainſi rendu , eſt , comme tout
Compte, composé de recette &de dépenſe; l'une
(1 ) Quand on dit qu'un Compte effectif pourra être
rendu en 1789, on n'entend point un Compte qui necomprenne
que les recettes & les dépenses appartenantes à
P'année 1788. Il n'eſt perſonne qui n'éprouve dans ſa fortune
, que tous les revenus d'une année ne ſont jamais
perçus dans l'année même , ni toutes les dépenſes acquittées.
On fupplée à ces retards néceſſaires par des chapitres
de repriſe , qui avancent la comptabilité , mais ne
la complètent pas. Leuruſage introduit dans les Comptes
publics, en accéléreroit la reddition; mais quelque prompte
qu'elle foit, cene ſera jamais en 1789 qu'on pourra efpérer
derendre le Compte de tout ce qui appartient proprement
à l'année 1-88. Ce qu'on peut ſe promettre , & qui ſuffit
pour le bon ordre , c'eſt de rendre le Compte des recettes
faites&des dépenses acquittées en 1788 , à quelqu'année
que les unes & les autres puiſſent appartenir. C'eſt ce
Compte qui correſpondra à l'aperçu que celui-ci préſente ,
&qui en fera la vérification ,&dans ce ſens il peut être
regardé comme effectif.
( 79 )
& l'autre font ordinaires ou extraordinaires (2) ,
l'une& l'autre feront jointes fous le même titre ,
pour éviter les répétitions ; mais pour la clarté ,
les réſultats en feront ſéparés à la fin du Compte ;,
& cette diftinction est d'autant plus néceſſaire, que
ſi la totalité du déficit peut , au premier aſpect ,
inſpirer quelqu'effroi , on eſt raſſuré , en conſidérant
que les dépenſes extraordinaires en font la
plus grande partie; que ces dépenſes ont un terme ,
&qu'ainſi elles ne peuvent former un déficit habituel
& permanent.
Nous pouvons aſſurer Votre Majesté qu'on s'eſt
donné tous les ſoins pour mettre dans toutes les
parties du Compte, l'exactitude qu'Elle avoit recommandée.
Pour s'en afſſurer encore , Elle a voulu
que la recette fût viſée & certifiée par des
perſonnes éclairées & dignes de la confiance publique
, en même temps que les états de la dépenſe
ſeroient remis par les Ordonateurs mêmes
qui la dirigent. Enfin , Votre Majefté a ordonné
que tous les articles fuſſent examinés , dans pluſieurs
conférences , par tous ceux qui ont l'honneur
de compoſer le Conſeil des Finances .
Malgré ces précautions , ce ſeroit induire Votre
(2) On entend par dépenſes ordinaires , celles qui font
habituelles , quoique variables ; & par dépenfes extraordinaires
, celles qui ſont paffagères , quoique les mêmes
pendant le temps de leur durée. Il faut cependant convenir
que cette diſtinction n'a pu être tellement ſuivie , que ,
parmi les dépenſes ordinaires , il ne s'en trouve quelquesunes(
comme les intérêts des Emprunts dont le rembourſement
ſe fait annuellement ) qui pourroient auſſi être placées
parmi les dépenses extraordinaires ;& que de même
parmi celles- ci , il ne s'en trouve ( comme celles qui concernent
des travaux) qui auroient pu également être rangées
parmi les dépenſes ordinaires ; mais une extrême
préciſion n'a pu être obſervée , &on peut remarquer que
fous quelque rapport qu'on eût enviſagé ces dépenſes , le
séſultat eût été à-peu-près le même.
div
(80 )
Majesté en erreur , que de lui répondre que ce
Compte en ſera entièrement exempt. Il n'eſt que
T'aperçu pour 1788 , des recettes &des dépenfes ,
&le Compre effectif ſeul , peut être à l'abri de
Oute incert tude.
Ce qui rendroit quelques erreurs fingulièrement
excufables , c'eſt la méthode que nous avons
été obligés de ſuivre.
Les recettes & les dépenſes ne ſont pas claſſées
dans ce Compte comme ellesdevroientll''êêtre;les
déductions jointes aux recettes n'en font pas toujours
dépendantes ; le même département puiſe
en pluſieurs caiffes; les dépenses du même genre
ne font pas réunies fous le même Ordonnatour ;
ces défauts , Sire,tiennent à d'anciens uſages & au
manque d'une comptabilité bien entendue. Si nous
avions voulu nous écarter de la route tracée , nous
auriens embarraffé ceux que nous devions employer;
vos ordres & l'attente publique n'auroient
pas été remplis.
Il a fallu , pour une première fois , ſe ſoumettre
àune méthode moins parfaite ; il a fallu s'y foumettre
pour arriver à une plus régulière & plus
ſimple. Nous pouvons dire avec confiance que ce
Compte eſt le plus entier , le plus complet, le plus
détaillé qui ait jamais été rendu ; mais nous ajoutons
en même temps , qu'il ſe perfectionnera chaque
année , & fur-tout par l'ordre général que
VotreMajefté ſe propoſe de mettre dans la comptabilité.
L'économie auffi , en améliorant la recette& réduifant
la dépenſe , rendra les comptes plus fimples&
plus réguliers , comme des comptes plus réguliers
rendront l'économie plus facile. Déja celui-
ci nous a fait entrevoir pluſieurs retranchemens;
les détails que chaque année ajoutera , en
découvriront d'autres qu'on ne pouvoit foupçon
( 81 )
ner : tout , Sire , tient à l'ordre , & Pordre lum
même à la publicité que Votre Majesté a adoptée;
il n'eſt point d'abus que l'ordre & la publicité
ne parviennent à détruire.
Envous préſentant chaque article , Sire , nous
yjoindrons le plus fuccinctement que nous pourrops
, les réflexions dont il fera fufceptible. Il nous
reſte à vous offrir , en peu de mots , l'enſemble du
Compte& ſes réſultats.
Votre Majesté y verra ,
1°.Que le produit des recettes ordinaires , dé
duction faite des paiemens qui s'effectuent avant
que ce produit foit porté au Tréſor royal , & du
ſupplément indiſpenſable pour compléter ces paiemens
, eſt de 211,708,977 liv.
2°. Qu'attendu que tous ces paiemens ne font
pas partie de ladépenſe ordinaire , & qu'au contraire
il s'en trouve pour 20,285,852 liv. en rem,
bourſemens & dépenſes extraordinaires , dont par
conféquent le montant ne doit pas être déduit de
la recette ordinaire , le produit de cette recette
ordinaire , eſt , pour l'année 1788 , de 231,994,829
liv./
3°. Que la dépenſé ordinaire payée par le Tréfor
royal monte, pour l'année 1788 , åla fomme
de 286,834,369 liv.; ce qui érablit entre la recette
ordinaire & la dépenſe ordinaire du Tréfor
royal, une différence de 54,839,540 liv. , qui détermine
ce qu'on peut appeler le déficit ordinaire
pour l'année 1788.
4°. Que ce déficit ordinaire ſe trouve aiofi réduit
, 1º. par les bonifications obtenues fur la recetre
ordinaire qui , pour l'année 1788 , ſe portent
àla ſomme de 4,038,037 liv.; 2. par les réduc
tions des dépenfes ordinaires , qui ont été diminuées
pour l'année 1788 , de 26,735,800 liv. fans
dv
( 82 )
leſquelles bonifications & réductions , le déficitordinaire
eût monté à 85,663,377 liv.
Dans les réductions ſur les dépenſes , on trouve
la ſuſpenſion des amortiſſemens ordonnés par l'Edit
de novembre 1787. C'eſt ſans doute avec regret
qu'on a propoſé à votre Majefté de les interrompre
; mais quand on est obligé de payer des
anticipations à fix & fix && demi , quand on eſt
forcé d'emprunter à très-gros intérêt , il n'y a ni
ordre ni économie àrembourſer des Emprunts non
exigibles , & dont l'intérêt eft moindre. On propofera
à votre Majefté de rétablir ces rembourſemens
dès qu'il fera poffible , mais en les affectant
toujours de préférence aux Emprunts les plus onéreux.
Votre Majesté verra ,
5°. Que ce déficit ordinaire ainſi réduit , eft
confidérablement augmenté , 1 °. par les rembourfemens
auxquels il étoit indiſpenſabie de fatisfaire ;
2" . par les dépenſes extraordinaires qui n'ont pu
être évitées ou qui doivent être foldées pendant
ľannée 1788.
6°. Que ces rembourſemens , tant ceux qui font
compris dans les déductions , que ceux qui font
acquittés par le Tréſor royal , forment une ſomme
totale de 76,502,367 liv .
Et les dépenses extraordinaires , pareillement ,
tant celles qui font partie des déductions , que celles
quiſont acquittées par le Tréſor royal , une ſomme
de 29.395,585 livv...;; ce qui comporte une fomme
totale de dépenſe extraordinaire pour l'année 1788,
de 105,87,952 liv.
7°. Que cette fomme de 105,897.952 liv. étant
ajoutée à celle du déficit ordinaire de 54,839,5401.
forme une fomme totale de 160,737,492 liv. , qui
repréſente le déficit total de l'année 1788 , lequel
( 83 )
défieit auroit montéà la ſommede 191,561,3291. ,
ſans les bonifications & économies faites fur les
recettes&dépenfes ordinaires de cette même année(
4).
8°. Que cette fomme de 160,737,492 liv. , qui
forme le déficit total de l'année 1788 , eſt entièrement
remplie , 1. par les recettes extraordinaires
qui ont pu avoir lieu pour l'année 1788 ; 2 °. par
les emprunts auxquels on a été contraint d'avoir
recours : ces recettes extraordinaires & ces Emprunts,
forment une ſomme de 168,130,5001 . ,
qui excède le déficit total de celle de 7,393.0601.;
de forte qu'au moyendes meſures que Votre Majeſté
a priſes , Elle a été aſſurée , dès le mois de
janvier , que , ſans aucun moyen ni expédient
nouveau , pendant le cours de l'année , tous fes
engagemens feroient remplis , & toutes les dépenfes
néceſſaires acquittées.
Votre Majesté verra enfin , que cette aſſurance
eſt d'autant plus fondée , qu'on n'a point compté
dans les reſſources de l'année , 1º. le produit qui
réſultera de l'augmentation des vingtièmes , ni celui
qu'on doit attendre de lacontribution du Clergé ;
2º. le bénéfice de pluſieurs économies , dont les
unes font calculées d'après la plus foible eſtimation ,
&dont les autres s'opèrent journellement ou ne
font encore que projetées , mais qui , dès cette
année même ,ne feront pas inutiles; 3°. le produit
de la vente de la maiſon acquiſe par Madame
la Ducheſſe de Bourbon , & celui qu'on doit efpérerde
la ventedes Maiſons royales,ordonnée par
Votre Majesté ; 4º. quelqu'augmentation dontpluſieurs
parties de recettes font ſuſceptibles , & en
(4) Il auroit même été à 196,914,329 liv. , fi on y
ajoutoit 5,353,000 liv. de bonifications faites fur la recette
extraordinaire ; car les bonifications & déductions pour
l'année 1788 , forment un total de 36,176,832 liv.
dvj
( 4)
particulier , celle qu'on doitattendre des arrangemens
que Votre ajeſté vient de prendre ſur les
Domaines ; 5º enfin , pluſieurs rentrées dont on
ne pouvoit déterminer le taux & le moment ,
telles que celles qui proviendront de la liquidation
des biens des ſieurs de Sainte-James & de Serilly,
& d'autres affaires qui ont beſoin de diſcuſſion
pour être utilement terminées.
Ces différens produits doivent procurer , pour
l'année , de nouvelles reſſources , & faire eſpérer
à Votre Majesté , que les anticipations pourront
être diminuées , au moins pour l'année 1789.
Tel eſt , Sire , le réſultat du compte que nous
allons vous préſenter , & on en peut conclure:
1º. Que, tant à raiſon de quelques articles qui
ont été exacten ent vérifiés , qu'à raiſon des dépenſes
que les huit derniers mois de 1787 ont exigées
, le déficit , loin d'être douteux , ou d'avoir
éré exagéré , eſt pour l'année 1788 , ſupérieur à
celui que l'examen des Notables avoit pu conftater
, & qui paroiſſoit réſulter de leur commune
opinion.
2°. Que , pour remplir ce déficit , Votre Májeſté
a dû commencer par recourir à tous les retranchemens
& réductions dont ſes dépenses
étoient ſuſceptibles ; qu'Elle s'y eſt portée avec
courage & fans délai , malgré la peine extrême
qu'Elle a éprouvée , en rétractant , pour ainſi dire ,
une partie de ſes dons , en fe privant de ſerviteurs
fidèles , en retranchant des charges remplies
par des perſonnes qu'Elle honore de fa bienveil
lance, en fupprimant & réduifant des Corps diftingués
par leur zèle & par leurs fervices; que ces facrifices
rigoureux ,mais néceſſaires , ont , dès cette
année, produit uneéconomie conſidérable, & quile
fera encore plus pour les années ſuivantes ; mais
quelqu'idée qu'on puiffe ſe faire de ces produits ,
( 85 )
il étoit impoffible qu'ils puſſent ſuffire à remplir
le déficit de 1788; de forte qu'il étoit indiſpenſable
pour Votre Majesté , de recourir à d'autres
moyens , ou ( ce dont l'idée ſeule révoltera toujours
) de manquer à une partie de ſes engagemens.
3°. Que c'eſt par cette raiſon impérienſe , &
dont l'intérêt public , ainſi que l'honneur & la juftice
faifoient une loi à Votre Majesté , qu'Elle s'eſt
déterminée àdemander de nouveaux ſecours à fes
Peuples; mais que conſidérant que ces fecours ne
pourroient jamais atteindre la totalité du défieit , &
ne confultant que fon amour pour ſes Sujets ,
s'eſt bornée àne chercher ce fecours extraordinaire
que dans l'exacte répartition d'un impôt déjà établi
; ne voulant pas qu'il en réſultât aucune furcharge
pour les claſſes inférieures & mal - aifées
qui fatisfaifoient à cet impôt en ſon entier ; &
comptantque les perſonnes plus riches ne ſe trou
veroient pas léſées , lorſque , remiſes au niveau
commun, elles ne feroient qu'acquitter , pour le
ſoulagement de l'Etat , une charge qu'elles auroient
dû , depuis long-temps , partager avec plus d'égalité.
4°. Que Votre Majesté s'eſt d'autant plus déterminée
à ſe contenter de cette contribution ,
qu'Elle a conſidéré qu'une grande partie des
charges qu'il falloit acquitter , étant momentanée,
il n'étoit queſtion , pour fortir de la détreſſe
dans laquelle l'État paroiſſoit ſe trouver ,
que de gagner un certain nombre d'années pendart
leſquelles ces charges paſſagères viendroient
à diſparoître , & qu'il étoit poſſible d'y parvenir
au moyen d'emprunts fucceffifs , dont les intérêts
ſe trouveroient afforés par l'extinction de ces
mêmes charges qui doivent ceffer , & plufieurs
même en peu d'années.
1
( 86 )
59. Que fi ces emprunts n'euſſent pas été effectués
, il étoit , vu l'énormité du déficit ordinaire
& extraordinaire , impoſſible de prévoir l'extrémité
dont l'Etat étoit menacé, tandis qu'au moyen
de ces emprunts , tous les paiemens font aſſurés
cette année , & qu'à l'aide de ceux que Votre
Majesté a en même temps ordonnés , Elle peut
ſe promettre la même certitude pour les années
ſuivantes.
6º. Enfin , que cette certitude ſe fortifiera chaque
année par l'accroiſſement du produit des éccnomies&
des réductions, par la ceſſation de pluſieurs
dépenſes extraordinaires , par la diminution
des rembourſemens , par l'extinction des rentes
viagères , enfin par le rétabliſſement de l'ordre
dans toutes les parties.
Votre Majesté verra , dans ce compte , ce que
les moyens qu'Elle a adoptés pour y parvenir,
ont déjà pu produire. Il eſt certain que ces mêmes
moyens feront diſparoître en 1789 une grande
partie de ce qui reſte du déficit habituel & permament.
Il ne fera preſque plus queſtion alors que
de pourvoir aux rembourſemens qui font la plus
grandepartie du déficit , & qui , dans le fond, ne
font pas une nouvelle charge , ainſi qu'à des dépenſes
extraordinaires , dont le nom feul annonce
une fin néceſſaire & la poſſibilité de la rendre
plusprompte.
C'eſt ſur la diminution des dépenſes ordinaires ,
&la ceſſation fucceſſive des autres , que repoſe le
rétabliſſement des affaires. Quiconque méditera ce
compte avec attention , découvrira dans preſque
tous les chapitres qui le compoſent , le principe
&le germe de ce rétabliſſement ; il ne s'agifloit
que d'obtenir du temps , qui ſeul avec l'ordre ,
fuffit à un grand Etat pour tout réparer , & qui
fera bientôt oublier le paſſe, ſi rien ne trouble la
( 87 )
fuite& la marche des opérations que Votre Majeſté
a ordonnées.
Suivant tous les états certifiés des recettes
, tant ordinaires qu'extraordinaires
de dépenſes de même nature , de bonifications
, retranchemens & économies , &
tous ces articles enſemble donnent le réſultat
ſuivant.
Les dépenſes ordinaires ſur les revenus ,
ou aſſignées ſur le Tréſor royal , s'élèvent
enſemble à ... 527,255,089 1 .
Et les mêmes recettes à.. 472,415,549
Déficit ſur les rembourſemens
. .
Déficit ſur cette partie .. 54,839,540
76,502,367
29.395.585
TOTAL du Déficit .... 160,737,492 1.
Déficit ſur les dépenſes
extraordinaires .
...
Les Recettes extraordinaires
, compoſées du
dernier emprunt de
120millions,&autres,
inontent à . .. ..
Parconséquent il reſte un
excédent , pour cette
année 1788 , de
$168,130,500
... . 7,393,008 1.
Au Journal ſuivant nous préſenterons
une énumération plus détaillée de ces differens
objets .
( 88 )
« Les Ordonnances Militaires qui paroiſſent
font au nombre de 39 , en y comprenant divers
Réglemens , & l'Edit de création des Charges de
Commiſſaires des Guerres. Nous donnerons fucceſſivement
l'analyſe de ces loix , qui fərmeront
un code nouveau. Nous allons commencer par
celle qui porte réglement ſur le commandement
dans les Provinces , ainſi que fur la diviſion , l'organiſation,
la police , la difcipline & l'adminiftration
générale de l'armée.>>
« Outre les Gouvernemens-Généraux qui exiftent
, & fur leſquels Sa Majesté ſe réſerve de
ſtatuer par la fuite , d'après le plan général qu'elle
s'eſt formé , il y aura dans toute l'étendue du
Royaume , y compris la Corſe , dix-sept commandemens
en chef, & dans chacun d'eux un
Commandant en ſecond; les trois premiers , qui
font la Flandre & le Hainault , les Évêchés &
l'Alface, feront deſtinés à des Maréchaux de France,
&les quatorze autres à des Lieutenans-Généraux ,
à l'excluſiondes Maréchaux de Camp : favoir , la
Lorraine , la Franche Comté , le Dauphiné , la
Provence, la Corſe , le Languedoc, le Rouffi'lon ,
laGuyenne , le Poitou, Saintonge , & pays d'Aunis
, la Bretagne , la Normandie , la Picardie ,
Boulonnois , Cambrefis & Artois , la Bourgogne
&le cours de la Loire dans les Provinces de l'intérieur
non compriſes dans les autres commandemens.
Tous les Commandans en troisième ſont
ſupprimés . Chaque Commandant en chef aura 20
mille livres de traitement fixe , & 4 mille livres
par chacun des trois mois de réſidence. Lorſque
ces Commandans feront Maréchaux de France ,
leur traitement ſera de 30 mille livres , & leurs
moisde réſidence de 6 mille. Les Commandans en
ſecond qui feront Lieutenans-Généraux , 10 mille
livres de traitement , & 3 mille livres par chacun
1
(89 )
des 4mois exigés de réſidence ; ceux qui ne font
que Maréchaux de Camp, n'auront que 6 mille
livres de traitement , mais 3 mille livres par mois
de réſidence.»
«Tous les régimens d'Infanterie, de Cavalerie,
de Dragons& de Hufſards, formeront de deux
en deux une brigade ,&toutes les brigades formeront
21 diviſions , compofées autotal de 216
bataillons , &de 216 eſcadrons. >>
«Les garniſons feront fixes pour les régimens ,
&ils ne changeront que dans le cas de néceffité.
Sa Majeſté a vu dans cette permanence de garnifons
, l'avantage de les rendre plus favorables à ſes
troupes, en combinant les moyens de logement
&de ſubſiſtance, &parmi ces moyens eft la conceffion
par bail ou vente aux régimens , d'un terrain
aux environs des places, pour faire cultiver
des légumes à l'uſage des foldats.
(La fuite au Journal prochain.)
Le célèbre la Tour , Peintre du Roi , eſt
mort le 17février dernier , âgé de 85 ans ,
à St. Quentin , ſa patrie , où il s'étoit retiré,
& où pluſieurs établiſſemens utiles
de ſa fondation atteſtent qu'il faiſoit un
auſſi bel uſage de ſa fortune que de ſes
talens. Ses ouvrages font trop connus &
trop généralement eſtimés , pour qu'il foit
beſoin d'en renouveler ici l'éloge.
Jeanne Leobardy des Linières , demoiſelle
du Limousin , eſt morte à Limoges ,
le 10 avril , âgé de 110 ans 2 mois & 3
jours.
André-Hercule de Roffet, Duc de Fleury,
Pair de France , premierGentilhomme
-
(१० )
de la Chambre du Roi , Chevalier de fes
Ordres , Lieutenant-général des armées de
Sa Majesté , Gouverneur de la Lorraine
& du Barrois , Grand-Bailli d'Epée de
Nancy, Gouverneur & Viguier des ville
&viguerie d'Aigues-mortes , eſt mort à
Paris , le 14 du mois dernier.
Les Numéros ſortis au Tirage de la
Loterie Royale de France , le 2 de ce
mois , font : 23 , 10 , 30 , 42 & 32.
PAYS - BAS.
De Bruxelles , le 2 Mai 1788 .
Le 28 , les troupes Pruſſiennes reftées
en Hollande ſous les ordres du Général
Kalkreuth , ont évacué cette Province
pour ſe rendre en Westphalie.
Les Députés des Etats de Hollande & de West-
Friſe , ont produit à l'aſſemblée de L. H. P. , la
réſolution des Etats leurs Commettans , pour récompenfer
les ſervices des Officiers employés ſur
l'eſcadre commandée par le Capitaine-Commandant
Van Braam., dans les Indes orientales , pendant
les années 1783-1786 , il ſera accordé des gratifications
auxdits Officiers , proportionnées à leur
grade , & qu'en même temps ledit Capitaine-Commandant
Van Braam fera recommandé à S. A. S. ,
pour qu'il lui plaiſe de l'élever , à la première occafion
convenable , au rang de Contre-Amiral de
Hollande & de West-Frife,
Les Etats ont auſſi réſolu d'accorder
pendant l'eſpace de douze années confé
( 91 )
cutives , une Primeannuellede 500florins
à chaque vaiſſeau qui ſortira pour la pêche
-duHareng.
Dans ce moment , où la mort duPrince Charles
Edouard ſemble mettre fin aux troubles excités
par les prétentions des Stuards , le Public lira
néanmoins avec ſenſibilité une anecdote inté-"
reſſante & très-peu connue , touchant cette famille
infortunée.
,
Jacques III, quoique fugitif, conſervoit l'eſpoir
de monter ſur letrône qu'avoit occupé fon père ;
il vouloit aſſocier à ſa gloire un des plus grands
Héros du 17. fiècle , Jean Sobieski , Roi de Pologne,
en épouſant ſa fille Clémentine. CettePrinceffe&
fa mère , qui ſe rendoient deVarſovie à
Rome , furent arrêtées à Inſpruck par ordre de
P'Empereur Charles VI, à la follicitation de l'Electeur
d'Hanovre,qui redoutoit ce mariage. Etroiement
ferrées dans une maiſon , dont les gens
étoient gagnés & toutes les avenues gardées par
les ennemis de Jacques III , la jeune Princeſſe ne
s'attendoit pas à recouvrer de fitôt fa liberté.
Quatre Gentilshommes Irlandois, Officiers au régiment
de Dillon , nommés Gaydon , Wogan ,
Toole & Miffet , jurent à leur Prince de délivrer
la Princeſſe : feuls , ils l'entreprennent ; ſeuls , ils
l'exécutent : prévoyant tous les dangers , furmontant
tous les obſtacles , la Princeffe Clémentine
eſt enlevée , & remplacée dans ſon lit par la
femme de chambre de l'épouſe du Capitaine
Miffet , qui elle-même reçoit la Princeſſe à la
chute d'une fenêtre dans un jardin. Jacques III ,
malgré la vivacité de ſes voeux , & fa confiance en
l'activité & la prudence de ſes fidèles amis , doute
encore du ſuccès de l'entrepriſe , lorſque la Princeſſe
eſt déja en fureté hors des Etats de l'Empereur.
(Il étoit en Eſpagne.) Arrivée à Rome, où
( 92 )
elleeſt fêtée , &fes libérateurs décorés des dignités
de Patriciens &de Sénateurs , la Princeſſe y attend
Jacques III juſqu'au 1". ſeptembre 1719 , que les
illuſtres époux reçoivent la bénédiction nuptiale
par l'Evêque de Monte-Fiaſconi ; & quinze mois
après , endécembre 1720 , la Reine donna le jour
au Prince Comte d'Albany qui vient de mourir.
-
Nos dernières nouvelles officielles font
en date du 16 & du 19. Le bulletin
de la Gazette du 16 porte en ſubſtance
ce qui fuit :
« Le19 mars , 400 cavaliersTurcs attaquèrent
avant le jour un de nos poſtes près du couventde
Sinay, occupé par 38 fufiliers & 24 chaſſeurs ,
mais ils furent repouſſés &ils prirent la fuite.-
Le 22 , 120 cavaliers Arnautes entreprirent de
rouvrir l'abattis que nous avions fait devant le défilé
de Rothenthurm; le feu de nos chaſſeurs les forc
de ſe retirer fans avoir pu exécuter leur projet ,
9 de ces cavaliers furent tués à cette occafion. -
Le 24 , un détachement ennemide 1500 cavaliers
&de 800 fufiliers s'avança ſur les 9 heures du
matin contre le couventde Sinay. Le lieutenant
Geizſoutint avec cent fufiliers &quelques chaſſeurs
la première attaque de l'ennemi , qui ne pouvant
rien faire de ce côté , ſe porta en grand nombre
du côté droit de notre avant-garde , & la força
d'abandonner ſa redoute & de ſe retiver fur une
hauteur. Les Tarcs profitèrent de cette circonftance,
paſsèrent ſur les hauteurs derrière le couvent,
empêchèrent par- là la jonction de l'avant-garde
avec la garniſon de Sinay, & mirent le feu au
couvent. Nos troupes, inférieures en nombre à
l'ennemi , ont donné dans cette occaſion les plus
grandes preuves d'intrépidité & de valeur. Trois
cents Turcs , ycompris le Pim-Pacha , leur chef,
( 93 )
- Le
&Pechey-Aga ont été tués ; nous avons eu 27
hommes , tant tués que bleſſés : au nombre des
derniers ſe trouve le Lieutenant Geiz. - Le
25 , l'ennemi , au nombre de 140 homines d'infanterie&
60 cavaliers,attaqua le Capitaine Richard
du régiment d'Orocz , qui étoit poſté au défilé de
Rothenthurm. L'infanterie ennemie étant parvenue
aux hauteurs pour attaquer fur le derrière le Capitaine
Richard , ſe retira juſqu'à ce qu'il parvint
au poſte occupé par le Lieutenant-Colonel Turati.
On attaqua enfuite l'ennemi , qui fut obligé de ſe
hetirer avec perte juſqu'à Ardis & Sibla.
même jour , 4000 Turcs à pied & à cheval firent
une invaſion près de Klokoch; ils attaquèrentune
redoute défendue par 36 hommes , qui périrent
tous après avoir combattu avec un courage héroïque
, & fe répandirent enfuite dans lesvviillllaages
de Ruſſaja & de Klokoch. Un détachement de
nostroupes étant accouru , diſperſa l'ennemi , qui
a laiflé fur la place 96 tués ; il a emporté les
autres tués&lesbleſſlés. Notre perte àcette occafion
monteà 48 tués.-Le 26, undétachement ennemi
tenta en vain de pénétrer du côté du défilé de
Vulcan; il fut repouſſé avec perte. L'attaque de
ce côté fut renouvelée le lendemain matin par
900-cavaliers Turcs. Le majorKetner, foutenu par
le Capitaine Bajalich , qui étoit arrivé avec une
diviſion de huſſards de Léopold de Toscane , les
força à ſe retirer , &les pourſuivit à la diſtance de
près d'une lieue. Le Pim-Pacha de Tſemes & un
vice-Aga furenttués à cette occaſion ; on a enterré
le premier à Fladeny: il avoit rendu de grands
ſervices à la Porte dans la dernière guerre contre
les Ruſſes. Le 27, au matin 1000 Turcs s'avancèrent
vers Koífia , mais ils ne purent rien entreprendre
de ce côté ; ils furent même obligés de ſe
retirer avecune perte de 100 hommes.-Le 31 ,
(94)
le bataillon franc formé des ſujets transfuges de
laPorte , attaqua près de Karaula un tranſportde
munitions de guerre &de bouche,deſtiné pourBelgrade,&
eſcorté de 300 cavaliers&de400 hommes
d'infanterie , en tua cent hommes , & força les
autres à prendre la fuite.- Le 4 avril , les Turcs
marchèrent en trois colonnes contre le Colonel
Beharnik. La première attaqua la redoute près de
Kakovicka , la feconde , celle près de Grihovo
Sclifte , & la troiſième ſe porta vers le pont neuf
de Corana. Les bonnes diſpoſitions du Colonel
&le ſecours qu'il reçut à temps , anéantirent
premier projet de ll''eennnneemmii , qui ſe réunit enſuite
fur les hauteurs de Dreſnik , dont il tenta de ſe
rendre maître ; mais d'un côté le feu bien dirigé
contre lui de ce château , & de l'autre côté la
canonnade de la redoute en deçà de la rivière de
Corana , l'obligèrent à ſe retirer &à paſſer cette
rivièreavecprécipitation. Cette affaire a durédepuis
7 heures &demie juſqu'à 11 &demie. On igno
le nombre d'hommes que l'ennemi a perdu à cette
occaſion : on n'en a trouvé que 42 tués ; il a emporté
les autres & les bleſſés. Nous avons eu s
tués & 19 bleſſés. »
Bulletin du 19 avril.
Cebulletin renferme les détails de ce qui s'eſt
paſſé à l'armée commandée par le Prince de
Cobourg : « L'ennemi , y est-il dit , entreprend
tout pour nous faire quitter les poſtes que nous
avons occupés ;mais ſes tentatives n'ont pas réuſſi
juſqu'à préſent. Le 24 mars , un détachement ennemi
s'approcha , avec 4 canons , de notre avantgarde
, & ſe retira auſſitôt. Le 1. de ce mois ,
3000 hommes , tant Turcs que Tartares , firent
une invaſion près de Toboruez & de Karanche ;
une compagnie d'Infanterie & trois eſcadrons de
cavalerie , en tout environ 600 hommes , défen(
95 )
dirent leurpoſte fi bien depuis 9 heures du matin
juſqu'à 2heures de l'après midi , que l'ennemi ,
après avoir laiſſé ſur le champ où l'action s'eſt
paſſée , environ cent tués , ſe vit obligé de ſe
réfugier à Choczim Les tués de notre côté montent
à 60 hommes ; les bleſſés ont été conduits
àCſchernoviz. Le lendemain, le Lieutenant Querlemon
fut détaché avec 10 cavaliers à Kinkatch ;
un pay an , qui le rencontra , l'inſtruiſit qu'un détachement
ennemi étoit dans ce village. Malgré
cet avis , cet officier y entra avec quelques hommes
, & laiſſa les autres devant le pont du lieu.
L'ennemi l'environna auſſitôt: il ſe défendit courageuſement;
mais ſon cheval étant tombé , &
deuxde ſes cavaliers tués, il fut obligé de ſe rendre
avec ſon Caporal & les autres Cavaliers qui
l'avoient accompagné. On a conduit cet Officier
à Choczim , le Caporal & les deux Cavaliers à
Jafly. Le 3 , le reſte des troupes qui étoient
Encore à Cſchernoviz reçut l'ordre d'avancer , &
le4, à trois heures du matin , le Prince de Cobourg
s'eſt renduà l'armée.-Quatre bataillons de l'arméeRuſſe,
accompag és chacun d'une compagnie
d'Artilleurs , ont joint notre corps d'armée le 21
mars; ony attend auſſi au premier jour l'arrivée
du Général Soltikof avec neuf régimens. >>>
-
«Le quartier général de la grande armée ſe
trouve actuellement entre Semlin & Banofze ; on
établit trois camps , l'un à Semlin , l'autre à Pe
terwaradin , & le troiſième àSupanek , vis-à-vis
de Neuorfova. Toute l'armée devoit camper le
15 de ce mois. >>
<<LeBaron deHerbert , ajoute la mêmeGazette
officielle, ayant fait remettre,le9 Février, auDivan,
ladéclaration de ſa Cour , & demandé en même
temps les paſſeports néceſſaires à ſon départ , ce
( 96 )
1,
L
miniſtre les aobtenus ; il eſt parti le 15 du même
mois avec ſa ſuite pour Livourne. Les ſujets de
l'Empereur , qui ne peuvent encore quitter l'empire
Ottoman , ſe ſont mis ſous la protection de
-l'Ambaſſadeur de France. Le 23 février, une diviſion
de l'eſcadre Turque a fait voile de Conf
tantinople pour la mer Noire. - Le Grand-Vifr
eſt parti le 20 mars. >>
De Snyatin, les avril.
Le 3de ce mois , l'armée du Prince de Cobourg,
qui a été jointe par une partie de l'armée Ruffe ,
s'eſt miſe en marche avec l'artillerie néceſſaire
pour ſe rendre du côté de Choczim.
:
Errata pour le n°. 16 , p. 186.
Au lieu de Monneroi , lifez Monnero
MERCURE
DE FRANCE .
:
SAMEDI 17 MAI 1788.
PIECES FUGITIVES
EN- VERS ET EN PROSE.
A
VERS
M. de B*** , qui avoit fait défendre
ſa porte , en lui envoyant l'Almanach
des Muſes pour Etrennes,
Avec ſon helvétique audace ,
Et me toifant du haut en bas ,
Quand ton Cerbère à large face
Sur ton feuil attachoit mes pas ,
En vérité je n'allois pas ,
Queique uſage qui follicite,
Nº. 20. 17 Mai 1788.
:
E
ود
MERCURE
De ce qu'on appelle viſite ,
Te cauſer le long embarras.
Si tu le penſes , tu t'abuſes :
J'allois te plaire par le don
D'un Livre avoué d'Apollon ,
Sous le nom d'Almanach des Muſes.
Parmi les Ouvrages charmans
Qu'avec ſoin le goût y raſſemble ,
S'il n'eſt aucuns de mes enfans ,
C'eſt que , pour les monter aux range
Qu'Imbert & tant d'autres enſemble
'Viennent embellir tous les ans ,
Hs ont grand beſoin , ce me ſemble ,
De ſe renforcer quelque temps.
Avant de prétendre à s'infcrire
Sur les immortelles_hauteurs
Qu'habite le Dieu de la Lyre ,
Du moins il eſt bon de s'inſtruire
Dans le langage des Neuf Soeurs.
Pour ofer des Beaux-Arts parcourir la carrière
Avec Parni ,Le Brun , Ginguené , Frédéric ,
De l'aveu d'Apollon, de l'aveu du Public ,
Il faudroit pouéder les talens de Voltaire.
( Par M. Charon. )
1
DE FRANCE.
११
HISTOIRE D'OKANO ,
Fragment d'un Voyage à S. Domingue.
LS ont preſque entièrement diſparu ces
Caraïbes qui couvroient les ifles de l'Amérique
à l'arrivée de Chriftophe Colomb
fur le nouvel hémisphère. Ils font déjà
retranchés de la race humaine , & les
foibles reſtes de ces peuples , qu'on rencontre
encore épars dans quelques - unes
des Antilles , ſont abâtardis ou prêts à
s'éteindre. Les barbares conquérans , qui
commencèrent par les exterminer , les peignirent
enſuite avec les traits les plus défavorables
; mais en les calomniant , pour
chercher à diminuer l'horreur que leur
deſtruction doit inſpirer , ils n'ont pas pu
s'empêcher de nous laiſſer appercevoir combien
les moeurs de ces malheureux Indiens
étoient douces & enfantines. Quand on
les confidère , même dans les tableaux
noircis des Hiſtoriens Eſpagnols , on trouve
un rapport frappant entre les Caraïbes &
ces Infulaires de la mer du Sud , que c
célèbre Capitaine Cook & M. de Bougainville
nous ont repréſentés ſous des
couleurs fi intéreſſantes. Voilà , en offer ,
E 2
1
160 MERCURE
l'homme de la Nature ; doux , fimple , &
ne s'occupant jamais qu'à jouir. La terre
féconde , le climat fortuné où il ſe trouve,
lui procure abondamment , ſans le plus léger
travail , tout ce qui convient à ſon
bonheur;& les paflions factices des peuples
policés , ou les beſoins des peuples lauvages
qui habitent des contrées moins favorifées
, n'ont point dégradé ſa bonté primitive.
L'amour est la feule paflion un peu
vive qu'il reflente , & qui puiffe le troubler
: car la Nature ſemble toujours avoir
voulu vendre , au prix de quelques tourmens
jaloux , ce beſoin ſi attrayant & fi
délicieux de lamour.
,
Les Caraïbes , malgré leur profonde
apathie , éprouveient les excès de certe
pafion impérieuſe ; & comme ils s'y-livroient
avec plus d'abandon , comme ils
en connoiffoient mieux toutes les délices
que ne favent les connoître les peuples que
d'autres foins diftraient , ils ſentoient peutêtre
avili plus vivement la gêne des contradictions
& des obftacles ; ces hommes
fi paiſibles s'oublioient alors juſqu'à invoquer
la vengeance. Ils devenoient même
quelquefois ſanguinaires. Le récit que je
vois faire en est une preuve ; & cet exemple
pourra ſervir à donner quelques notons
du caractère de ce peuple dont l'Hiftoire
reſtera probablement à jamais ignorée .
Arraché , il y a quelques années aux
erreurs , au délire , à l'infouciance de la
:
د
DE FRANCE. 101
première jeuneſſe , & à tous les charmes de
l'étude & de l'amitié , je traverſai la mer,
&j'arrivai àSaint-Domingue. La fortune,
qui venoit de m'éloigner de tour ce que
j'avoisde plus cher au monde, ſembla vouloir
un peu m'en dédommager , en me
faiſant rencontrer dans cette Iffe un de
ces hommes rares , qui joignent les vertus
au génie , qui font tout par eux-mêmes , &
qui commandent toujours, ſans le vouloir
le reſpect & l'admiration. Je ne le nomme
point ici, de peur de bleffer ſa modeftie ,
égale à fon mérite : mais il ne pourra pas
plas empêcher qu'on le reconnoille , qu'il
n'a pu éviter les diftinctions de la Cour ,
qui ont été le chercher dans la fimple
claſſe des Citoyens où il ſe renfermoit.
Malgré la difproportion de nos âges , cer
homme fi eftimable vint à moi avec empreffement
, & fon ame s'empara bientôt
de la mienne. Le climar m'avoit fait éprouver
cette révolution cruelle , à laquelle font
foumis tous ceux qui arrivent ſous la Zone
Torride. Dès-lors mon nouvel & bienfaifant
ami m'engagea à quitter la ville du Cap ,
pour changer d'air & pour paffer ma convalefcence
ſur ſon habiration.
Là , je pouvois m'abandonner librement
à ce goût de la folitude & des rêveries ,
qui m'a toujours dominé. Souvent , avec un
volume d'Homère , de Racine , ou de Fénélon
, je marchois le long des plammarions
de cannes de fucre, pour me rendre au
E3
102 MERCURE
1
bord de la rivière qui entoure la vaſte habitation
où j'étois ; puis je defcendois encore
en ſuivant un magnifique berceau de
bambous , qui couronne cette rivière juſques
à fon embouchure. Une petite prairie
, nommée Savane , d'après le mot efpagnol
, Savana , que les Créoles de St-
Domingue ont franciſé , offre en cet endroit
un coup d'oeil charmant , & eft ombragé
en partie par une forêt de bois de
campêche & de mangliers. De l'autre côté
de la rivière, font les dunes qui ſéparent le
Limbé du port Margot ; & de là enfin on
peut conſidérer une immenfe étendue de
mer,fur laquelle on découvre inceſſamment
ou des vailleaux qui traverſent , ou des
poiffons qui bondiffent.
,
Tandis que j'admirois ce fuperbe ſpectacle
, & que mon ame emportée ſur les
ondes , ſuivoit les navires dont j'avois apperçu
les voiles , ou revoloit vers ma patrie
& mes amis , un homme nu traverfoit
ſouvent la plage , un peu loin de moi ,
jetoit fes filets dans la mer , & rentroit
chargé de ſa proie, dans le petit bois de
mangliers. Je le pris long-temps pour quel
que Métis , Pêcheur des environs. Mais
enfin fon affiduité dans ce lieu folitaire
m'infpira de la curiolité , & un jour je
marchai fur ſes pas , comme il regagnoit
fon afile . Là, quelques feuilles de
palmier formoient un petit hangat propre
à le mettre à l'abri des fortes pluies. Un
DE FRANCE. TO
hamac de pitre ( 1 ) , artiſtement treffé , étoit
ſuſpendu à deux arbres voiſins , & pluſieurs
calebaſſes de diverſes grandeurs , trèsbien
découpées & gravées , compofoient
tous ſes uſtenfiles.
Je reconnus , en m'approchant , que
cet homme étoit de race Indienne. Ses
cheveux liſſes , ſa peau cuivrée, ſon front
applari , ſes yeux qui ſembloient fe chercher
l'un l'autre , tout m'annonçoit fon
origine. Je l'obſervai en filence ; & lai ,
ſans me dire une feule parole, continua
de ſe livrer à ſes occupations. D'abord il
creuſa un grand trou dans le ſable ; il y
mit beaucoup de bois ſec qu'ilalluma , &
qui fut bientôt changé en braſier ardent.
Enfuite il poſa ſur ce brafier le poiffon.
qu'il venoit de pêcher , en l'arrofant, pendant
qu'il cuiſoit, d'un peu de ſel & de
piment, & de beaucoup de jusde citron ;
& quand ce poiffon fut bien grillé , il
l'étendit ſur une grande feuille de bananier
, avec un tas de bananes ,& il m'invita
à manger. Cette invitation fut le premier
diſcours qu'il me tint ; car juſqu'à
ce moment il avoit agì comme s'il n'y avoir
eu perſonne devant lui. Son air de franchiſe
& de fimplicité , ainſi que la couleur dorée
de ſes mets , m'empêcha de refuſer le bon
Sauvage. J'avoue même que je n'ai jamais
: (1 ) Eſpèce de chauvre qui croît ſpontarément ce
Amérique.
104 MERCURE
mangé de poiffon aulli excellent. Mon'
appétit charmoir môn hếte , & il ne parut
ſi content de moi , qu'après le repas , je
me hafardar à lui ad eller quelques quefi
tions.
>>Tu es Caraïbe , lui dis-je ? Ah ! oui ,
me répondit - il en laiffart tomber fa
têté fur fa poitrine , & fès yeux ſe rem
plirent de larmes. Puis tout-à-coup il fe
releva , & regarda autour de lui , comme
s'il avoit craint qu'on nous eût entendus,
Mon ami, ajoutai-je alors, depuis combien
de temps es - tu dans cette baie ?-Depuis
trois ans , me répliqua-t-il ; & tu vois coinment
j'y vis . Les Nègres des habitations
voiſines m'apportent des banmes & du
tabac. Je leur donne en échange une partie
de ma pêche , & quelque calebaffe que
je m'amuſe à graver pour eux .
ود - Ouhabitois-tuavantdevenirici?
Acette queſtion il poutſa encore un profond
foupir , & les pleurs recommencerent
à couler.- » Mais apprends-moi au moins
ton nom , continuai je. Mon nom ? mon
nom ? répliqua-t- il d'un air égaré , tú le
fauras:mais ne le répète jamais tant que
j'habiterai ce lieu. Mon nom eſt Okano .
En prononçant ce mot, il ſe jeta le vifage
fur le fable , & de ſes mains il preffoit
la terre comme s'il eût fouhaité qu'elle
s'entr'ouvrit pour le cacher. Mes confolations
, toutes les marques d'intérêt & de
pitié que je lui donnai , l'obligèrent enfin
:
DE FRANCE.
fof
à ſe relever : mais je ne pus plus en arracher
une parole ; & aux approches de la
nuit , je me retirai , le coeur pénétré de
triſtelle".
Quelque préoccupé que je fufle demon
aventure , je me gardai Bien d'en parler à
perſonne; mais je me promis de revoir
Okano , & de l'engager à fatisfaire entié
rement ma curiofité. Je ne voulus cependantpoint
lui marquer trop d'empreſſement,
de peur de lui infpirer de la méfiance ;
le lendemain j'attendis qu'il fût un peu tard
pour retourner au bord de la mer. Je ne
fis même aucune queſtion ce jour là au Ca
raïbe. Je me contentai de hui préſenter des
feuilles de tabac & divers fruits ; ce qui parut
le flatter beaucoup. Les jours fuivans ,
j'y revins familièrement; & il s'accoutuma
fi bien à ma préſence , qu'il ne faiſoit plus
guère ſon repas du ſoir que je ne fufle arrivé
. Malgré cela , toutes les fois que je
lui demandois fon hiſtoire , il-gardoit un
profond tilence , pleuroit , me faifoit figne
de la main de ne pas continuer, & fou
vent il-fe jetoit à terre.
Un jour que j'étois allé pour le viſiter
de meilleure heure que de coutume , je
ne le trouvai pas , & je paflai vainement
l'après midi à l'attendre. Son hamac ref
toit ſuſpendu , ſes calebaſſes étoient en
ordre. Rien ne manquoir dans ſon afile .
Le lendemain & pluſieurs jours de fuite ,
je perdis égalentent mes pas à le chercher.
Es
106 MERCURE
Okano ne reparut plus. Divers biuits fe
répandirent alors ſur la mort de ce malheureux
Indien. Les Nègres qui l'aimoient,
s'épuifèrent en conjectures. Les uns prétendoient
que les Zombis (1) l'avoient enlevé
; les autres , qu'il s'éroir tué lui-même,
& un grand nombre croyoit avec plus de
vraiſemblance , qu'il avoit été dévoré par
quelque requin ou par quelque caïman.
Enfin je partis de l'habitation où j'étois
alors , fans pouvoir découvrir ce qu'il étoit
devenu.
Plus d'un an après je fis un voyage dans
le quartier du Port-au Prince , fi malheureufement
célèbre par les tremblemens de
reure qui l'ont ſouvent dévaſté. Je défirai
alors de voir les grands lacs qui ſéparent
en cet endroit de St-Domingue les établiffemens
François des Eſpagnols ; & une
partie de chaſſe que je fis avec quelques
habitans , m'en fournit l'occaſion. Nous
étions cinq chaſſeurs blancs , fuivis de
cinq eſclaves nègres & de quelques mulets
chargés de nos bagages , de bifcuit & de
vin. Nous nous rendîmes juſqu'au fond de
la plaine du Cul de-fac , où nous nous embarquâmes
dans une pirogue pour traverſes
le premier lac ; nous envoyâmes nos nègres ,
nos chevaux & nos mulets , par les défilés
(1) Les Zombis jouent un grand rôle parmi les
Negres ; ce font leurs larves ,leurs farfadets..
DE FRANCE . 107
de la montagne ; & nous les rejoignimes
ſur la hatte d'un Eſpagnol nommé Narciſſa.
Les Eſpagnols de St - Domingue mènent
en général une vie nomade & patriarcale
qu'il n'eſt peut-être pas indifférent de connoître.
Le tableau de celle de Narciſſa en
préſentera une idéc.
Propriétaire d'une hatte d'environ quatre
lieues de large fur huit de long , Narciffa
poſſede plufieurs grands troupeaux de viches
, de jumens , de chèvres & de brebis.
Sa maiſon , ſituée au milieu d'une vaſte
prairie , eſt très- ſimple & très- commode.
Les galeries qui l'entourent , & le périſtile
qui la partage , y entretiennent une perpétuelle
fraîcheur. Dans ce périſtile font tendus
pluſieurs légers hamacs, où les hommes
fe balancent , tandis que les femmes aſſiſes
tout autour fur des plians de cuir , s'occupent
à brøder , à coudre leurs vêremens ,
ou chantent quelques ballades qu'elles accompagnent
de leur guitare.
Aquelqueheuredu jour que les étrangers
arrivent là , on leur offre du café , des confitures
, des fruits , & du lait excellent ; &
un refus eft preſque une injure. Narciffa
paroiſſoit alors âgé d'une cinquantaine d'années;
ſa femme plus jeune , & d'origine
Indienne, étoit encore très-belle, & cinq
filles charmantes compoſoient leur famille.
Nous courûmes quatre ou cinq jours de
fuite à la chaffe & à la pêche , excellive
E6
108 MERCURE
ment abondantes dans ce pays - là. Nous
étions raffafliés de poiffons , de pintades
fauvages, de paons , de courlis , de ramiers ,
&de pluſieurs autres eſpèces de gibier ,
non moins exquis. Enfin , moi qui voulois
viſiter les deux lacs , je propoſai à un de
mes compagnons de me feconder. Tandis
que les trois autres reſtoient chez Narcilla ,
celui- ci paffa le long des montagnes de
Baroco; je m'acheminai fuivi de mon
nègre , du côté oppofé , & nous nous
donnâmes rendez vous à la baie de
Neybe.
د
Le fecond jour de ma route , après avoir
long- temps côtoyé les bords du lac , je
fus obligé de m'en écarter pour chercher
un afile . Je remontai , environ deux licues ,
le long d'une petite rivière , & je découvris
enfin au milieu de pluſieurs touffes de
cocotiers & de bananiers , une affez belle
cabane. Je m'y rendis , & je demandai
Phoſpitalité à une femme Indienne qui ſe
préſenta fur la porte. Sa réponſe me preffa
de deſcendre ; & pendant que mon nègre
prenoit ſoin de mes chevaux , j'étendis
mes provifions , & j'offris à manger non
feulement à l'Indienne qui m'avoit accueilli ,
mais encore à deux autres beaucoup plus
jeunes , dont une tenoit un nourrillon
pendu à ſa mamelle. Ces femmes m'acceptèrent
amicalement ; & après que mon
nègre eut foupé comme nous , je lui fis
tendre mon hamac ſous la petite galeriede
DE FRANCE.
109
la cabane , & je me couchai. Les Indiennes
venoient de rentrer chez elles , & il étoit
abfolument nuit borſqu'un homme arriva.
A la manière dont on le reçut , je ne
pus pas douter qu'il ne fûr le maitre de
la cabane : mais qu'on juge de ma farpriſe,
dès que je crus , en écoutant fa voix , entendre
celle d'Okano. Je ne pouvois cependant
pas me le perfuader entièrement. J'imaginois
qu'Okano étoit trop bien morr
au Limbé , pour qu'il eût pu reffufcirer à
Neybe. Je n'ofai même point appeler mes
hôtes pour minformer de la vérité. Je
patfai la nuit dans cette inquiétude , &
ce ne fur qu'au lever du ſoleil que mes
-yeux reconnurent le bon Caraïbe.
Sa furpriſe égala la mienne;& ilm'eſt impoflible
d'exprimer fes tranſports. Il me baifoit
les mains&les pieds, il pleurcit, rioit,
poufloit des cris de joie ,& lautoit comme
un enfant. Enfin , après que nous cúmes
déjeuné Okano, lui dis-je , maintenant
que tu me ſembles heureux , tu me raconteras
tes aventures. - Volontiers , me
réponditil. Je n'aurai plus rien de caché
pour toi. Et fondain il commença le récit
qu'on va lire , & que ſes larmes interrompirent
fouvent.
>> Je ſuis du petit nombre des francs
Indiens qui exiſtent encore dans cette ifle .
Jamais le ſang Eſpagnol ni le ſang Africain
ne ſe font mélés à celui de ma race.
Né fur les bords de l'Ozama , j'y vivois
:
110 MERCURE I
#
heureux & indifférent , quand une femme
Indienne , dont le mari étoit mort depuis
peu , vint chercher un aſile auprès de notre
petite retraite. La réputation de mon père
avoit fait croire à cette femine qu'elle trouveroit
en lui un protecteur , & fon efpérance
ne fut point vaine. Ma mère étoit
au tombeau. Mon frère aîné demeuroit ici
avec ſa femme & ſes deux filles que voilà ,
me dit- il en montrant les trois Indiennes.
J'étois le ſeul enfant que mon père eût
auprès de lui , & ce bon vieillard,s'empreſſa
d'accueillir la veuve qui l'imploroit.
Mais,hélas ! pourquoi faut-il que je raconte
une aventure ſi chère & fi funeſte ? une
aventure à laquelle je dois le peu de momens
heureux que j'ai goûrés, & qui a empoifonné
le reſte de ma pénible vie. La
veuve Indienne dont je viens de te parler,
n'étoit pas feule. Elle étoit ſuivie de ſa fille ,
ou plutôt d'un de nos Zemés ( 1 ) , qui avoit
daigné prendre une forme humaine. A la
fleur de fon âge , la belle Yango réuniſſoit à
rous les charmes qu'on puifle ſouhaiter dans
lesfemmes,cette candeur céleste qu'elles poffedent
quelquefois .Sa taille avoit la nobleffe
des jeunes palmiers ,& la flexibilité des fouples
roſeaux : mais ſa taille & la grace de
( 1 ) Les Indiens croyoient que les Zemés étoient
des Intelligences céleftes ; mais ils regardoient le
Maniton , ou le Diable, comme bien plus puiſſant
que les Zemés.
-
DEFRANCE. LTP
ſes traits n'étoient que les moindres de ſes
dons. Yango furpaſſoit en douceur l'amoureuſe
& timide colombe. Enfin , dès que
mes yeux la virent , mon coeur l'adora.
Je ne tardai pas à le dire à ma bien-aimée
, & je la trouvai fenſible à ma paffion.
Cependant à peine j'en avois reçu le
prix, que la mort vint m'enlever mon père.
Ce malheur fut le premier que je fentis :
mais Yango & fa mère pleuroient avec
moi ; & les larmes d'Yango adouciffoient
lesmiennes. Hélas ! pouvois-je prévoir alors
que je la pleurerois bientôt elle-même ?
>>Pendant que mon père touchoit à ſes
derniers momens , il avoit été vifité par
un Caraïbe , nommé Tinamou , qui connoiſſoit
beaucoup la vertu des plantes ,
mais qui cependant n'en avoit point trouvé
de falutaire pour nous. Ce Caraïbe vit
alors Yango , & le poiſon de l'amour
entra dans ſon coeur. Bientôt Tinamou
perdit une femme dont il avoit eu deax
enfans , & il s'empreſſa de venir demander
Yango pour la remplacer. Yango &
ſa mère lui avouèrent avec franchiſe le
lien qui nous uniffoit. Alors le Caraïbe
ſe retira en filence ".
» Quelques mois s'étoient écoulés depuis:
cette aventure ; nous l'avions même oublice,
quand je formai le projet d'aller pêcher
dans l'Ozama une eſpèce de poiffon
qu'Yango aimoit beaucoup , & qui ſe
Houvoit en abondance dans un petit en-.
i
1
1
112 MERCURE
foncement du fleuve , à quelques lieues
de notre habitation. Je partis au ſoleil levant
: mais avant de partir , j'embraflai ma
bien aimée. Elle verſoit des pleurs , & jamais
les careſſes n'avoient été ſi vives &
ſi touchantes. O Ciel ! je crois encore la
voir, l'entendre, & fentir ſes embraſſemens !
Je n'allois à la pêche que pour Yango;
&pourtant je fus toute la journée accablé
de mélancolie Le Ciel me donnoit
un prefientiment confus de mon malheur
; car fois bien cerrain que nos bons
Zemés cherchent toujours à nous découvrir
le mal qui nous attend , pour nous le faire
éviter: mais le Manitou nous entraine malgré
eux"..
ود Ma pêche fut abondante. Je reprenois
ma ſérénité , quand l'idée de Timamou
vint me frapper. Soudain je revolai
vers ma cabane : mais il étoit trop tard. Le
crime étoit commis ; & le premier objet
que je vis en entrant chez moi , fur la
mère d'Yango étendue fur le corps de ſa
mourante fille , & s'efforçant en vain de
la ranimer. Je me précipitai autli fur ma
bien-aimée. Je reçus ſon dernier foupir.
Elle expira dans mes bras. Si tu as jamais
aimé, mon ami , & fi tn as perdu
P'objet de ta tendreffe , au moment que tu
Paimois le plus , juge de mon déſeſpoir.
Sans cela tu ne peux pas l'imaginer. Je
ne ſavois pas pleurer : mais j'étois furieux ,
je tombois fur la terre dans de longs éva
DEFRANCE.
113
nouiffemens , & je ne ſortois de cetre flupeur
, que pour jeter des cris de rage , &
pour invoquerla mort, qui ne voulut point
m'exaucer . Enfin, au bout de quelques
jours que mes fens furent un peu cahnés ,
&qu'une douleur plus tranquille ent fuccédé
à mon égarement , on m'apprit la
cauſe de la nort de mon épouſe ; on
me dit que le barbare Tinamou avoit profité
de mon abfence , & veillé l'inſtant
où Yango alloit ſe baigner dans l'Ozama ,
pour la ſurprendre. Là, le monftre s'éroit
emparé d'elle , & l'avoit forcée d'avaler
une pomme de mancenillier, poiſon le plus
terrible que la Nature ait produit ".
>> Alors je jurai de vivre pour venger
ma bien- aimée. Je courus chez Tinamou. Il
n'y étoit point. Je le cherchai vainement
pluſieurs mois de fuite. Enfin j'imaginai
qu'il pouvoit être dans cette baie de notre
Ile , où les Eſpagnols emploient encore
quelques Indiens à tirer des perles du fond
de la mer. C'étoit la ſaiſon de la pêche. Je
m'y rendis. En arrivant , je me mêlai aux
Caraïbes qui étoient fur le rivage , & j'ob
ſervai les plongeurs qui difparoiffoient ou
qui revenoient avec des huîtres. Quelle fur
ma fatisfaction , quand je recomus Tinamou
! Pour lui , il ne me diftingua point.
Pattendis l'inſtant où il replongeoit : foudain
je me précipitai après lui ; je me ſaiſis
d'une de ſes jambes, & je l'entraînai bien
loin dans la mer, réſolu de le faire périr ,
114 MERCURE
& de périr avec lui , s'il le falloit. Tinamou
avoit au moins deux fois mon âge , & étoit
bien plus robuſte que moi ; mais tous ſes
efforts furent vains. Je l'avois fi bien cramponné,
qu'il ne put pas fe faire lâcher ;
enfin je ſentis ſes membres engourdis : il
étoit noyé ; & je l'abandonnai ſous les eaux.
Revenu fur le rivage , je racontai aux: Indiens
mon malheur & ma vengeance : ils:
m'applaudirent tous " .
>> Cependant Tinamou avoit laiffé deux
fils , qui furent bientôt devenus des hommes.
L'ufage parmi nous eſt de punir toujours
la mort par la mort. Les deux fils de
Tinamou réſolurent la mienne , & je fus
obligé de quitter les bords de l'Ozama pour
leur échapper. Je me retirai dans les monta
gnes de Cibao : ils vinrent m'y chercher.
Je gagnai Samana , ils m'y fuivirent encore ;
& enfin je ne pus me cacher que fur le rivage
du Limbé , où tu m'as connu. Au
boutde fix ans d'exil & de craintes , je vis
une, nuit, en fonge , mon frère aîné , qui
ſembloit implorer mon fecours. Soudain je
partis ; je vins ici , & j'appris que les deux
fils de Tinamou , déſeſpérés de ne pas me
trouver , avoient maſſacré mon malheureux
frère , & venoient d'abandonner l'Ifle de
Saint --Domingue. J'allai revoir d'abord
mon ancienne demeure , & pleurer fur la
tombe d'Yango. N'y trouvant point fa
mère , qui étoit allé mourir loin de là
j'exhumai les reftes de ma bien-aimée; je les
DE FRANCE. 113
portai ici , & je les enſevelis au milieu de
ces cocotiers , où je puis les adorer tous les
jours " .
>> J'établis alors ma réſidence en ce lieu ,
pour ſervir de protecteur à la veuve & aux
filles de mon frère. Te l'avouerai je ? elles
ont voulu toutes les trois que je devinffe
l'époux de celle que tu vois avec un nourriflon;
& j'ai cédé à leur défir & au voeu
de la Nature. O Yango !' me le pardonneras-
tu ? ...... " . En prononçant ces derniers
mots , ſes larmes coulèrent avec plus
d'abondance : mais fa jeune époufe , qui
pleuroit auffi , s'avança & lui préſenta fon
enfant. Okano le prit , le careſſa , ſe mit
même à lui fourire; & je vis que dans les
plus profondes douleurs , les affections &
les épanchemens de la Nature font toujours
doux & confolans.
( Par M. de C... )
3
116 MERCURE
Explication de la Charade, de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eſt Maitreſſe; celui
de l'Énigine est le Sort ; celui du Legogriphe
eſt Apologue, où l'on trouve Plage,
Age, Eau , Glu, Loge , Pou , Pal, Pole,
Pau , La , Pô.
CHARADE.
D
ANS plus d'un Jeul'on trouve mon premier;
Et ceux qui donnent mon entier ,
Du haut juſques en bas font ſouvent mondernier.
(Par M. Bonnay. )
ÉNIGM E.
VEUX-Tu ſavoir mon origine ,
Cher Lecteur ? j'exiſtois du temps des vieux Remains.
Ne penſe pas que j'imagine
Un nom pour m'exalter ; mes titres ſont certains.
En doutes-tu ? parcours l'Histoire ,
Tu verras comme à chaque mois
DE FRANCE.
117
i
Ce Peuple , d'heurenſe mémoire ,
Fetoit celles à qui je dois
Et mon nom & mon existence .
Veux-tu favoir ce nom ? écoute maintenant :
Au nouvel an ( telle eft mon inconſtance )
On voit chez moi grand changement.
Des caprices du fort , j'éprouve l'influence.
Icije ſuis porté par de vils Savoyards ,
Qui me donnent pour quelques liards :
Là de ma dignité je ſoutiens mieux la marque ;
Amenfrontvois les traits de ton digne Monarque;
Vois comme en ce cadre doré ,
On lit mille bons mots dont je ſuis décoré.
Riche , Pauvre , Jurifconfulte ,
Prélat , Prince, tout me confulte.
Loinde cacher ce que j'ai dit ,
Chacun dans ſes lettres l'écrit.
Te faire chercher plus , Lecteur , ſcroit dommage ;
Cejour, combien du mois?.. t'en faut-il davantage?
(Parle C. de C. près Breteuil. )
LOGOGRIPHE.
Vous me connoiffez bien, Lecteur ; mais je parie
Que votre eſprit ingénieux ,
Avant que de m'avoir faifie ,
Sur cent objets divers arrêtera les yeux.
420 MERCURE
tion des Pédans , & la hardieſſe plus dangereuſe
encore des Novateurs . Toujours
guidé par un eſprit juſte & une raifon
exercée, il a fur tant d'autres Légiflateurs
Littéraires , l'avantage d'avoir pratiqué ce
qu'il enſeigne , d'avoir appris par l'expérience
, qu'il ne ſuffit pas de connoître les
règles d'un Art , qu'il faut ſavoir les modifier
, les plier même quelquefois ſelon le
genre & le ſujet des Ouvrages qu'on apprécie
, que l'application trop rigoureuſe
de ces règles expoſeroit à de fréquentes erreurs
, parce que leurs Auteurs n'ayant pu
prévoir les diverſes inſpirations du génie ,
n'ont pu tracer irrévocablement ſa route.
C'eſt ainſi qu'en Politique , après qu'on a
dicté le meilleur Code poſſible , des évènemens
inattendus amènent la néceſſité d'y
faire quelques réformes , & même d'y ajouter
quelques nouvelles Loix. Enfin les vues
fines & ſouvent profondes que renferment
ces Elémens , ſont toujours énoncées avec
tant de clarté , qu'on peut dire que cerOuvrage
fera utile à ceux qui ſe diſpoſent à
courir la carrière littéraire, & même à ceux
qui l'ont parcourue avec ſuccès.
Cette nouvelle Livraiſon des OEuvres de
M. Marmontel eſt compoſée , comme les
précédentes, de quatre Volumes, dont deux
terminent les Elémens de Littérature , &
les deux autres renferment les Incas &
un Effai fur les Romans. Les Elémens n'étant
pas fufceptibles d'une analyſe ſuivie ,
nous
DE FRANCE . 121
nous allons en pauler encore ,comme nous
avons déjà fait , en nous arrêtant fur quelques
articles pris au hafard.
Ceux qui commencent le Ve. Volume de
Ges Élémens , font autant de differtations
fur l'Ode , fur l'Opéra , &c. , & nous y
renvoyons nos Lecteurs. Nous avons déjà
dit que M. Marmontel met autant de netteté
que de fineſſe dans la définition comme
dans la diſcuſſion des objets qu'il traite
dans chaque Article. C'eſt ainſi qu'il fait
connoître l'origine de la Pantomisme chez
les Romains. Chez les Anciens , l'action
79
théatrale ſe réduiſoit au geſte. Les Ac-
>> teurs , ſous le maſque, étoient privés de
l'expreffion du viſage , qui , chez nous ,
eſt la plus ſenſible : & fi on demande
>>pourquoi ils préféroient un maſque immobile
à un viſage où tout ſe peint, c'eft; 19
18 1º. que pour être entendu dans un am-
>>phitheatre qui contenoit au moins fix
>> mille.Spectateurs , il felloit que l'Auteur
>> eût à la bouche une eſpèce de trompe ;
2 ود º. que dans l'éloignement, le jeu du
>>viſage eût été perdu , quand même on
>> cût joué fans maſque : or l'action théa-
ود trale étant privée de l'expreffion du vi-
> ſage , on s'efforça d'y ſuppléer par l'ex-
>> preſſion du geſte , & l'immenſité des
>>Théatres obligea de l'exagérer d
ود
>>Par degrés cet Art fut porté au point
d'ofer prétendre à ſe paſſer du ſecours
>>de la parole , & à tout exprimer lui ſeul.
Nº. 20. 17 Mai 1788. F
122 MERCURE
1
ود » De là cette eſpèce de Comédiens muers,
- qu'on n'avoit point connus dans la
>> Grèce , & qui eurent à Rome un ſuccès
ii follement outré " .
M. Marmontel , après avoir expoſé les
cauſes de ce ſuccès , en fait connoître en
même temps les dangers, & il en conclut
qu'un Gouvernement ſage doit préſerver
les peuples d'un trop grand amour pour
le genre de la Pantomime , qui , par les
moyens les plus ſimples, produiſant les plus
grands effets , doit éteindre néceſſairement
le goût des autres Spectacles. En effet , la
Pantomime parle d'une manière plus pafſionnée
que la parole; aucun genre d'éloquence
, aucune Langue ne peut en égaler
la vehemence , la force , la chaleur & la
rapidité , puiſque l'action n'y eſt jamais retardée
par la parole, ni refroidie par aucun
récit. Le Spectateur n'a preſque pas beſoin
de penfer ; il n'a beſoin que de ſe livrer à
ſes ſenſations. Mais il en réſulte auſſi que
cet Art-là n'ayant qu'à eſquiſſer une action ,
au lieu de la développer , n'ayant à parler
qu'aux yeux, bien plus faciles à ſéduire que
P'oreille , l'eſprit & la raiton , il en réſulte
que cet Art-là doit faire négliger celui qui
exigeant de plus grands talens , promet des
fuccès moins faciles.
L'établiſſement & la faveur de ce genre de
Spectacle chez les Romains ſuccéda à laTragédie
& àla Comédie, & fut, pour ainſi dire,
la dégénération de l'Art dramatique. Mais fi
DE FRANCE:
123
laPantomime annonce le déclin dư Théatre,
le goût qui domine aujourd'hui ne ſe rapproche-
t- il pas du goût de la Pantomime ? Cet
amour outré pour ce qu'on appelle action
&coups de théatre ; ce ſoin de ne rien
développer & de marcher toujours ; cette
condeſcendance pour l'impatience du Spectateur
, qui voudroit maintenant voir toujours
agir l'Acteur , & n'entendre jamais
raiſonner le perſonnage , ne rappelle-t - il
pas ce temps où les Spectateurs n'apportoient
au Théatre que des ſens , & fembloient
laiſſer repoſer leur coeur & leur raiſon?
Ce n'eſt pas ainſi que Molière & tous
nos grands Maîtres traitoient l'Art dramatique.
Ils mettoient en oeuvre les refforts
d'une action ; mais ils ſe donnoient le temps
de développer les penſées &les ſentimens
des perſonnages qu'ils faifoient agir ; leur
dialogue n'étoit pas tout compofé de ces
petits mots qu'on appelle traits ou mots
comiques ; & nous croyons comme eux ,
qu'il faut avoir affez bonne opinion de
l'eſpèce humaine, pour penſer que des hommes
qui prennent lapeine de ſe raffembler
pour voir les productions du génie , méritent
bien qu'il s'entretienne , pour aing
dire , avec eux , & que non content d'amuſer
leurs ſens , il veuille bien parler à
leur raiſon en intéreſſant leurs coeurs . Nous
n'adoptons pas tout-à-fait le rigoureux fyftême
de ceux qui exigent que toute Pièce
de Théatre foit une action morale , parce
F2
124 MERCURE
que nous penſons que même un amusement
innocent eft utile à l'humanité ; mais nous
croyons qu'on doit ſuppoſer à des Spectateurs
railonnables le défir & la force d'entendre
raifonner , & qu'ils voudront bien ,
même au ſein de leurs plaiſirs , qu'on exerce
en eux la faculté de penſer..
Puiſque nous en ſommes à l'Art dramatique
, arrêtons - nous un moment à l'Article
Parterre , qui a fourni à M. Marmontel
des réflexions très-judicicuſes. Il faut
ſe rappeler qu'il a écrit là - deſſus avant
qu'on ſe fût décidé à faire affeoir toutes
les claffes de Spectateurs. On ne peut nier
que l'idée qu'il donne de notre Parterre
ne ſoit très -juſte. Chez nous , le Par-'
>> terre eſt compoſé communément des
>>Citoyens les moins riches , les moins
» maniérés , les moins raffinés dans leurs
» moeurs; de ceux dont le naturel eſt le
>> moins poli , mais aufli le moins altéré ;
>> de ceux en qui l'opinion & le ſentiment
>> tiennent le moins aux fantaisies paflagè-
20
res de la mode , aux prétentions de la
>>vanité , aux préjugés de l'éducation ; de
» ceux qui communément ont le moins de
- lumières , mais peut être auſſi le plus de
ود bon fens , & en qui la raiſon plus ſaine
>»,& la ſenſibilité plus naïve forment un
> goût moins délicat ,,mais plus sûr que le
>> goût léger & fantaſque d'un Monde où
>> tous les ſentimens font factices ou em-
- pruntés".
M. Marmontel explique enfuite pourDEFRANCE.
125
-
quoi l'on trouve dans le Parterre ce tact
communément sûr & rapide , qui ſaiſit les
plus légers défauts & les beautés les plus
fines. » Il faut ſavoir, dit il , que dans le
Parterre tout n'eſt pas ce qu'on appelle
>> peuple , & que parmi cette foule d'hom-
>> mes fans culture , il y en a de très-échairés
: or c'eſt le jugement de ce peut
>> nombre qui forme celui du Parterre ; la
>> multitude les écoute ,& elle n'a pas la
>>vanité d'être humiliée,de leurs leçons';
au lieu que dans les Loges , chacun ſe
>> croit, inftruit , chacun prétend juger d'a-
>> près foi même ". :
» Le Parterre , conclut M. Marmontel ,
>>eſt donc habituellement compofé d'hommes,
fans culture & fans prétentions
dont la ſenſibilité ingénue vient fe livrer
aux impreffions qu'elle reçoit du Spectacle
, & qui , de plus , ſuivant l'impulfion
qu'on leur donne , ſemblent ne faire
qu'un efprit&qu'une ame avec ceux qui ,
plus éclairés , les font penfer & fentir
avec eux ".
1
De là , M. Marmontel paſſe au problême
du Parterre affis &du Parterre debout , &
il s'exprime ainſi : Mais que le Parterre
foit affis, ce ſera tout un autre monde ; foit
>> parce que les places en feront plus chères,
>> foit parce qu'on y fera plus commodé-
>> ment. Alors le Public des Loges & celui
>> du Parterre ne ſeront qu'un ; & dans le
ſentiment du Parterre, il n'y aura plus ni la
F3
126 MERCURE
"
"
>> méme liberté, ni lamême ingénuke, ofons
ledire, ni les mémes lumières : car dins
le Parterre, comme je l'ai dit , les igitorans
ont la modeitie d'étre à l'école &
>>> d'écouter les gens instruits ; au heu que
>> dans les Loges , & par comféquent dans
> un Parterre atlis, l'ignorance eſt préſomptueaſe
: tout y est caprice , vanité ou
> prévention ".
On voit par-là que M. Marmontel ne
peiche point pour le Parterre affis ; on
pourra ne pas adopter ſon ſentiment , mais
il fera difficile de combattre ſes raiſons. Il
eſt certain qu'il y aplus d'humanité & de
politeffe à faire affeoir tranquillement les
gens , qu'à les tenir debout & mal à leur
aife; mais il n'en eſt pas moins vrai que le
courage de braver ce mal-aiſe ſuppoſoit
dans le Parterre debout cet enthousiasme
de l'Art qui rend l'attention imperturbable,
& qui annonce cette ſenſibilité vive &
prompte , fi propre à recevoir & à communiquer
les impreffions de gaîté ou d'attendriſſement
qu'on veut lui faire éprouver;
& il eſt poſſible que l'Art ait perdu à
cette révolution. Aufſi,depuis quelques années
, cette étonnante ſagacité du Parterre
eft-elle affez ſouvent en défaut ; les arrêts
qui émanent de fon tribunal démentent
très- fréquemment ſa vieille infaillibilité ; &
ce qui achève de rendre ſes erreurs plus
fréquentes , c'eft que cette prépondérance
des gens éclairés qui donnoient le ſignal
DE FRANCE. 129
de l'approbation , ne ſubſiſte plus ; les lumières
, en ſe répandant un peu plus dans
le Public , lui ont fait perdre ſa docilité ;
autant de Spectateurs , autant de Juges ; &
chacun d'eux n'étant pas affez inſtruit pour
bien juger , l'eſt aſſez pour ſe faire illufion
fur fon propre jugement : de là tant d'arrêts
qui font gémir les gens de goût ; car
on fait que les demi-connoiſſeurs font les
fléaux de tous les Arts .
Nous invitons nos Lecteurs à lire & à
méditer l'article Poésie. Ce n'est pas le Cha
pitre d'un Ouvrage; il forme à lui ſeul un
Ouvrage excellent : c'eſt une Hiſtoire complète
& raifonnée de la Poéfie chez les Anciens&
les Modernes. Cette Differtation ,
qui a beaucoup d'étendue , eſt pleine de
ſens , d'érudition & de goût.
des Dans l'article Poëte , on trouvera
morceaux vivement fentis , fortement exprimés,
mais jamais auxdépens du jugement.
Tel eſt celui que nous allons citer : » C'eſt
» peu d'être auili variée , auſſi féconde que
>> la Nature même , la Poétie compofe des
>> aimes , comme la Peinture imagine des
» corps : c'eſt un affemblage de traits pris
» çà & là de différens modèles , & dont
>>l'accord fait la vraiſemblance. Ses fer-
>> ſonnages ainſi formés , elle les oppoſe
»& les met en action ; action plus vive ,
>>plus touchante qu'on ne h voit dans la
Nature ; action variée dans fon unité ,
foutenue dans la durée , liée dans toutes
!
F4
128 MERCURE
fes parties , & fans ceſſe animée dans ſes
>>progrès par les obtacles & les combats.
ود
ور
ود
"
C'est ici fur-tout que l'Art de l'Orateur.
me femble le céder à celui du Poëte .
Inſtruire , intéreſſer , émouvoir , font
leur objet commun ; mais la tâche de
>> l'Orateur eſt de perfuader la vérité ; celle
*" du Poëte , le menfonge , & le menfonge
connu pour tel. L'un, pour remuer fon
auditoire , a des intérêts ſérieux , réels ,
>> & préfens ; l'autre n'a que des fables ou
des ſouvenirs éloignés: Tun , fi j'oſe le
>> dire , produit ſes effets avec des corps ,
> & l'autre avec des ombres .
ور
"
ود Que Cicéron ferre dans ſes bras , en
>> préſence des Juges, Pincus fon ami, fon
>>> bienfaiteur & fon client , & qu'il le baigne
> de ſes larmes; il en fera répandre , rien
ود
در
ود
de pluş naturel qu'il preſſe dans ſon
>> fein le fils de Flaccus encore enfant ; que
dans ſes bras il le préſente aux Juges ,
& qu'il s'écrie d'une voix déchirante :
>> Miferemini familia , Judices , miferemini
>>>fortiffimi patris , miferemini filii; l'atten-
>>driffement, la douleur dont il eſt pénétré
>> paflera dans toutes les ames ; & voilà le
ود dernier effort de l'Art oratoire. Mais
>> qu'avec le fantôme d'Oreſte &de Pilade ,
>> d'Andromaque & d'Aftianax , le Poëte
ود obtienne le même effet , & un effet plus
>> grand , voilà le merveilleux de l'Art du
>> Poëte; & il ſeroit incompréhenſible , fi
>> l'on ne ſavoit pas quel eſt ſur nous l'emDE
FRANCE . 129
>> pire de l'imagination , une fois frappée
» &féduire".
Nous l'avions déjà dit en parlant de ces
Elémens de Littérature ; M. Marmontel ,
quand il eſt abandonné par l'intérêt du
ſujet, eſt toujours ſecouru par les agrémens
de fon eſprit , & par les reſſources de fon
ſtyle; il eſt agréable fans ceſſer d'être didactique
; il couvre de fleurs l'aridité des préceptes
, & il égaye même ſouvent la morale
par de piquantes anecdotes. Dans le Chapitre
Logique , on ne s'attend pas à lire
avec plaifir ce qui regarde le Syllogiſme ,
l'Enthymème , &c. Voici l'exemple moderne
qu'il a choiſi pour faire connoître l'argument
qu'on appelle l'Induction. » Un Cha-
>> noine de Paris avoit un neveu pauvre ,
>>mais libertin , & qu'il avoit abandonné.
» Ce neveu , reduit à la mendicité , s'adreſſe
>> a un Philoſophe éloquent , & le conjure
>>d'aller parler à ſon oncle & de le fléchir.
>> L'homme dont il avoit imploré l'entre-
>> mife , ne connoiffoit pas le Chancine.
>> Il va pourtant le voir ; mais aux premiers
>> mots qu'il lui dit en faveur du jeune
>>libertin , le Chanoine s'irrite , lui reproche
ود de s'intéreſſer pour un être indigne de
>> ſa compaffion , & lui raconte ,
>>colère , tous les chagrins que ce malheu-
ود
avec
feux lui a donnés. Le Solliciteur , lui
>> ayant laiſſé répandre l'amertume de ſes
>>reproches , reprend : Il m'a dit tous fes
torts; ilm'en a même confeſſé un que vous
FS
130
MERCURE
» diffimulez. Quel eſt- il ,demanda le Cha
>> noine ? De vous avoir unjour attendu à
>> la porte de la facriſtie , au moment que
>> vous defcendiez de l'autel ; de vous avoir
ود mis le couteau fur la gorge, & d'avoir
» voulu vous afſaffiner. Cela n'eſt pas vrai,
" s'écria le Chanoine avec horreur. Quand
>> cela feroit vrai , reprit l'homme éloquent ,
>> il faudroit ufer de miféricorde envers votre
» neveu , & lui donner du pain. A ces mots ,
tout l'emportement du Chanoine fut
étouffé ; fon ame s'amollit ; quelques lar-
>> mes coulèrent , & le jeune homme fut
» fecouru «.
ود
هد
L'article Rhétorique eft remarquable par
des morceaux pleins de chaleur , & des
vues philoſophiques & morales , dans celui
de Satire , parmi pluſieurs détails heureux,
nous allons citer cette diſtinction, aulli
ingénieuſe que vraie , entre la Satire & la
Comedie. Le caractère général de laComé-
>>die eſt d'attaquer les vices & les ridicules ,
>>>abſtraction faire des perſonnes , & en
cela elle diffère de la Sarire; mais ce qui
>>les diftingue encore , c'eſt leur manière
> de procéder contre le vice qu'elles arta-
>> quent. Chaque ligne , dans Ariftophane,
در
eſt uue infulte ou une allufion , & ce
n'est pas ainſi que doit invectiver la véritable
Comédie: elle met en ſcène & en
firmation le caractère qu'elle veut peindre,
le fait agir comme il agiroit , & lui fait
>> parler fon langage , alors c'eſt le vice per-
2
13
DE FRANCE..
131
- ſonnifié , qui de lui-même ſe rend mé-
>> prifable & riſible. Tel fut le comique de
>>> Menandre , & tel eſt celui de Molière.
>> Aristophane le fait ſouvent ainfi , mais
>> toujours en Poëte fatirique , &non pas en
>>Poëte comique : car l'un differe encore
>>de l'autre par l'individualité ou la géné-
❤ralité du caractère qu'il expoſe. Traduire
en ridicule un tel homme , Cléon , La-
>> machus , Démosthène , Euripide , ce n'eſt
> pas compofer , c'eſt copier un caractère.
» La Comédie invente , & la Satire per-
>>ſonnelle contrefait en exagérant : l'origi-
" nal de la Comédie eſt le vice; l'original
>>de la Satire perſonnelle est tel homme
> vicieux : tout homme atteint du même
- vice peut ſe reconnoître dans le tableau
> comique ; & dans le portrait fatitique un
>> ſeul homme ſe reconnoît ; l'Avare de
>>Molière ne reſſemble précisément à au-
>>cun Avare ; le Corroyeur d'Ariftophane
>> ne peut reſſembler qu'à Cléon ".
Quoiddee plus jufte que cette obſervations
fur le genre d'intérêt qu'on doit donner aux
paflions que l'en met en ſcène ? Ainfi les
> qualités eſſentielles du caractère intéref-
>> fant , font la droiture , la ſenſibilité , la
>> candeur , la nobleſſe , & mieux encore ,
, la grandeur d'ame. Si la paſſion qui le
>> domine le rend injuste , il doit s'en accufer;
s'il dilimute, ce ne doit être que
- malgré lui &en rougiſfant ; s'il eſt forcé
→deparoître ingrat , il doit en avoir honte
132 MERCURE
دو
"
» & s'en faire un crime. Son caractère ac
tuel peut être la foibleffe ,jamais la fauffeté
; l'ambition , jamais l'envie; la haine ,
>>jamais la calomnie , & encore moins la
>> trahifon ; le reffentiment, la vengeance ,
>> jamais la dureté , la lâcheté , ni la noir-
>> ceur ; la violence , l'emportement , jamais
ود la cruauté froide , tranquille & réfléchie.
>> Sa colère ne doit être qu'une ſenſibilité
>> révoltée par l'excès de l'injure ; qu'une
ود fierté bleffée par l'indignité de l'offense ;
>> qu'un vif reſſentiment du mal fait à lui-
>> même , ou à ce qu'il a de plus cher ;
» qu'un mouvement d'indignation contre
>> l'orgueil qui l'humilie , l'ingratitude qui
>> l'aigrit , la force injuſte qui l'opprime ,
>> le crime , en un mot , qui l'irrite , ou le
>> vice impudent qui lui eſt odieux ; les fu-
>> reurs de ſa jalouſie ne doivent être que
>> les tranſports d'un amour violent qui ſe
>> croit outragé. Ainfi toutes ſes paſſions
>> doivent porter avec elles une forte d'excuſe
& d'apologie , qui le faffe plaindre
- d'en être la victime , & qui empêche de
le haïr. ود
"
>>C'eſt en cela qu'on nous aceuſe de ren-
>> dre les paffions aimables ; & il est vrai
>> que nous les parons , mais comme des
victimes , pour apprendre à les immoler.
Il ne s'agit pas de les fire haïr , mais
de les faire craindre ; c'eſt l'attrait qui en
>> fait le danger : pour en prévenir la ſeduction
, il faut donc les peindre avee
>> tous leurs charmes ".
ود
ود
DE FRANCE.
133
On trouvera dans l'article Usage , qui
avoit été lu dans une ſéance publique de
V'Académie Francoiſe , une foule d'obſervations
utiles , de penſées dont la fineſſe
n'exclut pas la vérité , &toujours un coup
d'oeil philoſophique , qui checrhe le fecret
du goût de chaque Nation , dans le ſyſteme
de ſes moeurs connues. C'est ainſi que ſont
appréciées les Langues Grecque &Romaine ;
celles de l'Eſpagnol & de l'Italien , de l'Angleterre
& de la France.On y voit les divers
caractères qu'a pris ſucceſſivement la Langue
Latine , ſelon les diverſes formes morales
que les Romains ont reçues des divers événemens.>>
D'abord rude & auftère , comme
"
ود
ود
ود
ladifcipline & comme les Loix dont elle
étoit l'organe , pauvre comme le Peuple
» qui la parloit , fumple & grave comme
ſes moeurs , inculte comme ſon génie ,
elle éprouva les mêmes changemens que
>> le caractère && les moeurs de Rome « .
M. Marmontel fait obſerver combien ,
dans des temps de molleſſe & de luxe , certe
Langue ſi rude & fi auſtère acquit de grace
&de volupté dans les mains d'Ovide & de
Tibulle.
Après avoir expliqué comment parmi
les Langues modernes , l'Eſpagno! & l'Italien,
ſe font fixés les premiers , l'un à cauſe
de l'incuriofité naturelle des Caftillans , &
de leur fierté nationale , l'autre , à cauſe du
reſpect trop timide que les Italiens conçurent
pour leurs premiers grands Ecrivains ,&de
134 MERCURE
la Loi prématurée qu'ils s'impofèrent à
eux-mêmes , de n'admettre dans le bon ſtyle
&dans le langage épuré, que les expreffrons
conſignées dans les écrits de ces hommes
célèbres ; après cela , M. Marmontel
paſſe à la Langue Angloife. Le même ef-
> prit de liberté & d'ambition qui anime
>>la politique & le cominerce de l'Angleterre
, lui a fait enrichir ſa Langue de
>> tout ce qu'elle a trouvé à ſa bienféance
dans la Langue de ſes voiſins; & fans les "
ود vices indeſtructibles de ſa formation pri-
>> mitive, elle ſeroit devenue , par fes ac-
» quititions, laplus belle Langue duMonde.
>>Mais elle altère tout ce qu'elle emprunte,
> en voulant ſe l'affimiler. Le fon , l'ac-
>> cent , le nombre , l'articulation , tout y
→ eſt changé; ces mots dépayfés refiemblent
" à des Colons dégénérés dans leur nouveau
- climat , & devenus méconnoiffables aux
>> yeux même de leur Patrie “.
Enfin M. Marmontel s'arrête plus long
temps for la Langue Françoiſe , & on lira
avec autant de plaisir que d'utilité ſes judicieuſes
obfervations ſur les pertes & les
acquifirions de ce bel idiome , confacré par
tantde chefs- d'oeuvres .
Le plaifir que nous avons eu à tranfcrire
les idées de M. Marmontel , & à communiquer
à nos Lecteurs les obfervations qu'il
nous a infpirées , a donné beaucoup d'étendue
à cet article. Nous regrettons qu'il
ne nous reſte plus d'eſpace pour parler des
DE FRANCE.
138
Incas. Il eſt vrai que cet Ouvrage eft trèsconnu
; & l'on a déjà rendu juftice au méfire
du ſtyle & de la difficulté vaincue , &
àla moralité du fond & des dérails .
Le douzième Volume eſt terminé par un
Effaifur les Romans , ouvrage très-inftructif,
malgré fon peu d'étendue , parce que
le ſujet y est traité avec beaucoup de précifion
, & très-agréable à lire par les morceaux
curieux & intéreſfans , & même par
pluſieurs idées neuves qu'il renferme.
GRAMMAIRE Latine , à l'usage des.
Colléges , fuivie d'une nouvelle Gram-
* maise Françoise , & d'un petit Livrefur
l'Art de lire & d'orthographier 3 parM.
GOULLYER.A Paris , chez Varin, rue du
Petit-Pont , au bas de celle S. Jacques,
N°. 22. 3 petits vol.Séparés.
C'est avec une grande fatisfaction que
nous rendons compte de ces deux Grammaires,
qui nous ont paru les plus fimples ,
les plus courtes& les plus lumineuſes qu'on
ait encore miſes entre les mains des jeunes
gens: on verra que , malgré leur fimplicité
apparente , ces deux Ouvrages ne peuvent
être que le fruit d'une longue méditation
& d'une parfaire analyſe. C'eſt l'efprit de
Dumarlais, rectifié par de nouvelles decou
136 MERCURE
vertes , & appliqué avec ſageſſe & fobriété
à toutes les parties de la Grammaire. Les
définitions y étonnent toujours par leur
briéveté , & les exemples par le bonheur
du choix. Ce que dit l'Auteur ſur les idiotiſmes
, c'est- à- dire , ſur les tours particuliers
à chaque Langue , celui ſur le ſens
propre & fur le ſens figuré , & enfin l'article
ſur les figures de conſtruction , font
des morceaux fans tache : nous ne pouvons
mieux faire que de citer ici le rapport
des Commiffaires de l'Univerſité . » Nous
>> avons lu cet Ouvrage , diſent - ils , avec
>> toute l'attention dont nous ſommes ca-
>>pables. Nous eſtimons qu'il mérite à tous
>> égards , c'est-à-dire & par la forme & par
>>le fond , l'attache diftinguée de la Com-
>> pagnie ſavante à laquelle on a cru de-
>> voir le préſenter. Il faut ſe garder de le
>> confondre avec cette foule obſcure de
>> Rudimens routiniers qu'on imprime tous
>> les jours , & qui tous les jours perpé-
>> tuent les erreurs grammaticales. C'eſt un
>> Livre vraiment élémentaire , une mé-
>> thode courte & lumineuse , un réſultat
➤ des meilleurs principes des Grammaires
>>célèbres , que l'Auteur paroît avoir pro
>> fondément médités. Il ne jure point fur
>> la parole de ces grands Maîtres ; il ofe les
> redreſſer quand ils s'écartent de la vérité,
•& ſa critique eſt toujours folide & philo-
>> ſophique. A leur exemple, il ne ſe borne
point à développer le mécaniſme d'un
DE FRANCE .
137
>>idiome particulier; il s'élève juſqu'à l'a-
>>nalyſe de la Grammaire générale , qui eft
ود la clefde toutes les Langues , & la lo-
>> gique univerſelle. Ses dillertations ſur la
>>Syntaxe , principalement deftinées pour
>>les Maîtres , nous ont paru rapidement
>> écrites , & ſagement penſées. Elles con-
> tiennent des obſervations neuves , ou ex-
>>poſées dans un nouveau jour. Si , comme
>> le penſe M. Rollin dans ſon Traité des
>>Etudes , il eſt d'une grande importance
>> que les méthodes qu'on met entre les
ور mains des jeunes gens foient faires avec
>> foin , celle - ci ſemble remplir ſes vues.
>> Nous croyons donc, que les Elèves & les
>>jeunes Maîtres de nos Ecoles ne peuvent
13 quc gagner infiniment à l'étudier , & que
» l'Univerſité ne ſçauroit accueillir avec
ود trop de diftinction & l'Auteur & l'Ou-
» vrage ".
Ces éloges n'ont point été brigués ; l'Anteur
étoit pauvre , & il vient de mourir.
Ce dernier avantage eſt grand ſans doute ,
lorſqu'on a fait un Ouvrage de génie ; mais
il doit être compté pour rien , quand on n'a
fait qu'un Livre élémentaire ; car ce n'eſt
pas l'envie , c'eſt le préjugé que ces fortes
de Livres ont à combattre. » Je vais , dit
>>l'Auteur dans la Préface, avouer de bonne
foi les cauſes qui ont retardé le ſuccès
de mon Ouvrage , ou du moins lui ont
ôté une publicité plus générale ; en un
>> mot , lui ont fermé la porte de la plu-
ود
ود
"
138 MERCURE
>> part des Colléges : mais on avouera aufli
>>> que tout ce qui tient à la nouveauté com-
>> mence par effaroucher ; on n'en voit que
>> lentement le but. Ce qui est le plus vrai
>> ne paroît pas toujours le plus vraiſemblable
: on maudit les Novateurs avant
d'examiner leurs aſſertions ".
"
ود
Nous ne nous étendrons pas davantage
fur ces deux Grammaires. Le Public , à qui
on a long, temps & trop ſouvent mal parlé
d'un objet , ne veut plus l'entendre nommer
, quelque beſoin qu'il en ait encore.
La ſcience la plus néceſſaire , l'art de parler
&d'écrire correctement , ſe trouve dans ce
cas-là ; le ſeul nom de Grammaire inſpire
le dégoût. C'eſt que chacun a fait la fienne,
&que le nombre & la variété des fyftêmes
ont fatigué les Colleges : on ne fait à qui
entendre. Il faut bien que la ſcience pérille,
quand il y a plus de Profeffeurs que d'Ecoliers.
CetArticle eftde M. L. C. de R.
ANNONCES ET NOTICES.
ETERNITÉ malheureuse , ou les fupplices éternets
des Répronvés ; par Drexelius, Jéfuite Allemand;
tradut du iarin par le P. Colomme , Ba
nabite ; in- 12. A Paris , chez Briand , Lib. , quai
des Auguſtins , N°. sa.
DE FRANCE.
139
Nous nous en tiendrons pour cet Ouvrage édifiant
, à l'approbation du Cenſeur , qui penſe que
cette Production » d'un Auteur déjà bien connu ,
>> peut être très-utile aux Fidèles de notre ſiècle ,
>> en les prémuniflant contre les ſophifmes de nos
>> prétendus efprits forts , qui ne paroiſſent réunis
>> que pour combattre les vérités fondamentales
>> de notre ſainte Religion ..
LES Faftes du Commerce , Poëme en douze
Chants; par M. T. Rouffean; in-8°. Prix , 31.
12 f. br. A Londres ; & ſe trouve à Paris , chez
PAuteur, rue du Coq St-Honoré, entre un Traiteur
& un Ebéniſte , près le Louvre ; & chez les
Marchands de Nouveautés.
Nous reviendrons fur cet Ouvrage.
BIBLIOTHÈQUE Univerſelle des Dames.
Paris , rue & Hôtel Serpente.
Cenouveau Volume eſt le XIXe. de l'Histoire.
COLLECTION Univerfelle des Mémoires
relatifs à l' Hiftoire de France ; Tome XXXVIH ,
in-8°. A Londres ; & ſe trouve à Paris , fue &
Hôtel Serpente.
Ce nouveau Velume contient les Mémoires
de François de Rabutin,
Le prix de la Souſcription de ce précieux Rccueil
eft de 48 liv. pour 12. Volumes. Les Soufcripreurs
de Province payeront de plus 7 liv. 46.
àcaufe des frais de Dofte.
PROCÈS-VERBAL des Séances de l'Affemblée
Provinciale du Berri , tenue à Bourges en Octobre
& Novembre 1783 ; ſeconde édition. Prix ,
liv. br. ABourges , chez B. Crifto , Impr. du
Roi; & à Paris , chez Née de la Rochelle ,Lib. ,
rue duHurepoix.
1
140 MERCURE
Les perſonnes qui ont fouferit recevront ce 2e.
Volume gratis , en rapportant leur quittance de
Soufcription. Celles qui n'ont rien retiré encore ,
font prices de retirer les deux Volumes .
LETTRE d'un Vieillard à un jeune homme qui
entre dansle Monde. Prix , 36 f. A Paris , chez
Belin , Lib . , rue S. Jacques.
CetOuvrage renferme des avis très-utiles aux
jeunes gens , fur le choix des profeſſions qui leur
conviennent, fur les dangers auxquels leur fen-
Abilité les expofe , fur les connoiffances qu'ils
doivent acquérir pour rendre leurs voyages plus
fructueux . L'Auteur, mêlant, la Politique à laMorale
, préſente an tablean des évènemens publics ,
tels que ceux de l'Aſſemblée des Notables , des
Aſſemblées Provinciales , du rappel des Proteftans
, des révolutions dans leMinistère. Des idées
douces & confolantes fortent des diverſes ré-
Hexions de l'Auteur , & intéreſſent au fort, du
Vieillard , qui ne diffimule pas à fon jeune Elève
fes foiblefies & fes malheurs.
LES Flèches d'Apotion , eu nouveau Recueil
d'Epigrammes anciennes & modernes. 2 Velumes
in-16. A Londres; & à Paris, chez les Marchands
de Nouveautés.
Recueil dans lequel on trouve quelques Pièces
très- médiocres , & un grand nombre d'excellentes
Epigrammes de nos meilleurs Auteurs depuis Ma-
Tot juſqu'à nos jours. Nous n'en citerons qu'une
de Gombauld ; elle eſt intitulée les Gensdu Monde,
Le Vice eft tout leur entretien ;
Le Luxe eſt leur fouverain bien ;
Leur tab'e en délices abonde;
Leurs pieds au mal font diligens,
Je plus grands marauds du mon
nomment les honnêtes gens .
DE FRANCE. 141
DICTIONNAIRE Hydrographique de la France,
ou Nomenclature des Fleuves, Rivières, Ruificaux
& Canaux ; le lieu où ils prennent leurs ſources ,
loar étendue , cu égard à leurs finuoſités , leur
commerce flottable ou navigable avec les Villes
qu'ils arrofent ; ſuivi d'une Diviſion Hydrogra
phique de ce Royaume , & d'une Deſcription de
Ics Ports , &c. enrichi d'une Carte de la France
relative à l'objet. Dédié au Roi ; par M. Moithey.,
Ingénieur-Géographe du Roi , &c. A Paris , chez
l'Auteur , rue de la Harpe, la porte cockere visà-
vis la Sorbonne , N°. 109 ; Le Roy , Lib. , rue
S. Jacques , Nº. 34 ; & Prévoſt, rue de la Harpe,
Nº. 102. In-89. Prix , 4 liv. 10 ſous br.; ; liv.
- 14 f. relié en veau.
Les perſonnes qui défireront fe procurer cet
Quvrage utile pour la Géographie , écriront di-.
rectement à l'Auteur, qquuii le leur ferapafler franc
de port, en affranchiſſant la lettre d'avis &
de l'argent.
le
port
MÉMOIRE pour fervir à l'Histoire de quelques
Insectes connus ſous les noms de Termès ou Fourmis
blanches , par M. H. Smcathman ; Ouvrage
rédigé en françois par M. Cyrille Rigaud , Docteur
en Médecine de l'Univerſité de Montpellier ,
& accompagné de Figures en taille- douce. Brochure
in-89. de 56 pages. AParis , chez Née de
la Rochelle , Lib . , rue du Hurepoix , près du Pont
S. Michel .
1
Ce Mémoire est vraiment curieux. Les Termès,
ou Fourmis blanches , qu'on trouve ſur les côtes,
de Guinée , & qui ſont dignes des obſervations
des Naturaliſtes & de la curiofité des Amateurs ,
ſont également remarquables & par leur induſtrie,
& far les dégâts qu'ils font avec une rapidité incroyable.
Nous renvoyons pour les détails à l'Our
vrage meme,
142 MERCURE
DICTIONNAIRE d'Amour , par le Berger Sylvain
; 2 Parties in- 16. Prix , 2 liv. 8 f. AGnide ;
& ſe trouve à Paris , chez Briand , Lib. , quai des
Auguſtins.
L'Auteur de l'Ouvrage ſe plaint que l'Art d'aimer
n'ait pas encore ſon Dictionnaire , tandis que
tantd'autres Sciences en ont un. L'idée de ce badinage
eſt gaie ; une lecture de ſuite en ſeroit fade&
fatigantes mais s'il y a , comme de raiſon , plufieurs
articles froids ou coUMURS , ily en a qui
ſont gais ou ingénieux : en voici quelques-uns.
>>ABC. Plût aux Dieux que l'Amour en für
refté là « !
>> EVENTAIL , inſtrument inventé par la coquet-
> terie; petit meuble de femme très - commode
>>>pour ſuppléer au défaut de pudeur , & tailléde
>> manière qu'il laiſſe tout voir ſans qu'on ſoit
>>>obligé de rougir ce.
>>RABAT-JOIE, Vieille expreſſion. Voy. MARI C
PLANISPHERE Aſtronomico-Géographique , par
M. Ruelle , Elève de l'Obſervatoire Royal de
Paris. A Paris , chez l'Auteur , à l'Obfervatoire ;
&Dezauche , ſucceſſeur de M. de Lille & Buache,
premiers Géographes du Roi, rue des Noyers.
Prix, 4liv. avec l'Introduction ſignée de l'Auteur .
DÉCOUVERTE contre les Incendies , les dangers
des eaux , de l'air méphitique ou contagieux,
&de pluſieurs autres maux qui affligent l'humanité
; avec un Supplément contre les dangers des
voyages & des chutes. Brochure in- 12 de 36 pag.
AParis , chez l'Auteur , rue Dauphine , Hôtel de
Mouy , au Cabinet Littéraire ; & chez les Marchands
de Nouveautés.
M. Le Roux eft connu par des Découvertes
utiles à l'humanité. Nous exhortons nos Lecteurs
à parcourir la Brochure que nous annonçons.
DE FRANCE.
145
EPITRE à MM. les Savans & Amateurs en
Chimie , pour ſervir de réponſe à un Article des
Elémens d'Histoire Naturelle & de Chimie de M.
de Fourcroy ; par M. le Baron de Bormes ; in-8°.
ABruxelles ; &ſe trouve à Paris , chez Hardouin
& Gattey , Lib. , au Palais-Royal.
Dans cette Brochure , M. le Baron de Bormes ,
eſtimé par ſes connoiſſances en Chimie, répond à
M. de Fourcroy , qui ſemble donner ſur lui la
préférence à M. le Marquis de Courtanvaux & à
M. de la Planche , pour un Procédé ſur l'Ether.
Il cite des témoignages , des atteſtations qui milirent
en ſa faveur. M. le Baron de Bormes a joint
aux pièces de cette réclamation , pluſieurs Mémoires
fur des opérations nouvelles & curieuſes en
Chimic.
MÉMOIRE & Instruction ſur la culture, l'uſage
&les avantages de la Racine de Diſette ou Betterave
champêtre ; nouvelle édition , dans laquelle
l'Auteur a refondu les nouvelles expériences que
l'on a faites pour fumplifier cette culture , ainſi
que les obſervations effentielles qui lui ont été
communiquées , tant ſur l'uſage , que fur les
avantages de cette Racine ; par M. l'Abbé de
Commerell , de la Société Royale des Sciences &
Arts de Metz, de celle d'Agriculture de Paris .
&c. Brochure de 47 pages. A Paris , chez Onfroy ,
Lib. , quai des Augustins ; & Petit , au Palais-
Royal.
Le produitde la vente de ce Mémoire eſt deftiné
à un Prix publié ſur l'amélioration de l'Agriculture
, au choix de la Société Royale d'Agriculture
, qui a bien voulu agréer Thommage que
l'Auteur lui en a fait.
IDÉESfur les Impôts publics , qui peuvent à la
fois Loulager les Peuples de plus de la moitié , &
144 MERCURE DE FRANCE.
les Nobles & Privilégiés de plus du quartade to
qu'ils payent , & enrichir l'Etat de 300 millions
& plus de revenu annuel ; par M. Tho. Miffau
de la Miftringue ; in-8 °. de 113 pages. A la Hutte
du Pare ; & fe trouve à Paris , chez Belin , Lib . ,
ruc S. Jarques , près Saint-Yves ; &chez les Marchands
de Nouveautés.
No. 1 , Sonates chantantes pour Flures cu
Violons , formées d'un très-bon choix d'Airs des
meilleurs Opéras bouffons & férieux , arrangés &
choifis par l'Editeur; par ſouſcription , 9 liv. pour
12 Numéros , 1 liv. 4 f. chaque. A Paris , chez
Mercier , rue des Prouvaires , près celle Saint-
Honoré , Nº. 33 ; à Rouen , chez le Sr. Thiémé
Editeur , rue du Petit-Enfer.
,
NUMÉRO 3 du Journal de Violon , dédié aux
Amateurs pour deux Violons ou Violoncelles .
Prix , 2 liv. chaque Numéro. Abonnement pour .
12 Numéros , 15 & 18 liv. A Paris , chez M. Bornet
l'aîné , Profefſeur , rue Tiquetonne , Nº . 10 .
VERS.
TABLE.
97 montel 119
9 Grammaire Latine. 135
138
Histoire d'Okano.
Charade. Enig. Logog . 116 Annonces & Notices .
OEuvres complètes de M. Mar-
APPROBATIΙΟΝ.
J'Allu, par ordre de Mgr. le Garde des Sceaux ,
IC MERCURE DE FRANCE, pour le Sainedı 17
Mai 1788. Je n'y ai rien trouvé qui puiile ca
empêcher l'impreffion, AParis, le 16 Mai 1788.
SĚLIS.
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
POLOGNE.
De Varsovie , le 20 Avril 1788.
Des avis récens ne laiſſent aucun doute
fur le départ du Grand-Viſir, le 15 mars ,
ni fur celui d'une diviſion de la flotte Or-
..tomane,qu'on ſuppoſe avoirfaitvoile pour
Oczakof. Une parfaite tranquillité régnoit
d'ailleurs parmi le peuple de Conftantinople.
Le Mufti , à qui l'on reprochoit
l'indifférence d'un eſprit trop pacifique
dans les circonstances , a été déposé , &
remplacé par le Kadileſquier de Romélie ,
homme ferme, & dont le caractère a plus
d'analogie avec celui des autres Miniftres .
C'eſt l'Aga des Janiſſaires , qui a été élevé
au polte important de Caïmacan , forte
Vice-Grand-Vifir .
L'on parle avec la même certitude de
l'élargiſſement de M. de Bulgakof. Cer
No. 20. 17 Mai 1788 . e
( 98 )
Envoyé Raffe , forti des Sept-Tours , a
eu permiffion de s'embarquer , après le
départ du Grand-Viſir , fur un navire Anglois
qui a dù le conduire à Livourne. Le
Firman délivré à l'Internonce Impérial ,
n'étant pas indigne de la curioſité de nos
Lefleurs , voici la formule de ce paſſeport:
« Très-illustres Calis , fource de ſc'ence&de
fageſſe . Juges , Commandans, Vaivodes , Officiers
&autres Commandans dans les ifles & fur les côtes
de lamer, depuis Conſtantinople juſqu'à Livourne :
quand vous recevrez cet ordre auguſte , vous faurez
que moi , Porte de félicité , quoique je n'aie en
que des intentioks pures & Jacifiques envers la
Cour de Vienne , celle-ci a remis à la fublime
Porte un Manifeſte , par lequel elle déc'are que
fon alliance avec la Ruffie l'oblige à prendre part
à la guerre actuelle. Son Internonce a préſenté
de même deux mémoires , pour expoſer qu'il a
ordre de fa Cour de retourner dans ſon pays
avec toutes les perſonnes de ſa ſuite ,& que les
affaires des ſujets A lemard; font recommandées
àl'Ambaffadeur de Fiance. Cette déclaration rompant
tous les liens qui ſubiſtoient entre ladite
Cour & ma ſublime Porte , l'Ambaſſadeur de
France a demandé un ordre , à ce qu'il n'y eût
aucun empêchement au départ de l'Internonce ,
qui s'embarquera pour Livourne , ſur un bâtiment
François , commandé par le Capitaine Vidal ,
avec un Drageman , trois Secrétaires , un Prêtre ,
110 Chirurgien , & 15 D Domestiques ; & pour qu'il
ne foi: pas moleſté , ma's aucontraire reçu , affifté
& protégé dans tous les ports où il ſera obligé
de s'arrêter , vous , Juges , Officiers , &c. , êtes
chargés , en vertu de cet ordre, de faire enforte quéle
( 99 )
fuſdit Internoncene foit pas moleſtédans ſa route ,
mais au contraire reçu , ailiſté & protégé dans tous
les ports&dans les eauxdemonEmpire; comme
auſſi de leur faciliter tousles moyens de fe pourvoir
, avec leur argent , de tout ce dont ils aurontbeſoin
; enton , d'avoir tous les foins pour qu'ils
puiſſent arriver ſains& faufs dans lear pays ; &
vous informerez de leur paſſage ma fublime Porte.
J'ordonne donc que , dès que cet ordre ſuprême
qui vient de moi , vous fera parvenu , vous y
obéifliez avec foumiffion , &ayez à exécuter tout
ce qu'il contient , vous gardant bien de ne rien
faire qui y foit contraire.>>>
:
Du 14février.
Une pièce plus intéreſſante eſt le Manifeſte
que la PorteOttomane fit remettre,
le 28 février , à tous les Membres du
Corps Diplomatique , en réponſe à la
Déclaration de l'Empereur. On y remonte
aux premiers griefs de la Nation
contre la Ruffie , & l'on en ſuit l'hiſtorique
juſqu'au moment de la rupture ; enfuite
on expoſe la conduite amicale de la
Porte envers l'Autriche depuis la priode
Belgrade , & la légitimité des motifs qui
forcent les Ottomans à foutenir la guerre
contre l'Empereur. Ce Manifeſte est trèslong,
ce qui nous oblige à n'en préfemer
aujourd'hui que la première partie.
" Il est connu de toutes les Puiſſances de l'Europe
, amies de la juſtice & de l'équité , que depuis
la conclufion du traité de Kaidnargi , la fublime
Porte n'a point manqué à l'obſervation rigoureuſe
des engagemens pris par les deux Puif
e ij
( 100 )
fances contractantes ; qu'elle s'eſt gardée de tout
ce qui pouvoit y être contraire , & , qui plus eft,
qu'elle n'a pointceffé de faire, dans chaque occaſion,
tous fes efforts , afin de raffermir la bonne intelligence
& l'amitié réciproque pour la conſervation
&la durée de la paix entre les Sujets des deux
Parties , comme il convient pour l'utilité de toutes
les Puiſſances en général. Au lieu de répondre à
ce procédé exemplaire de la fublime Porte , &
d'éviter tout ce qui pourroit être contraire à ce
ſyſtême , la Ruſſie , déja immédiatement après la
conclufion de ce traité , n'a pas diſcontinué de ſe
fervir de moyens tout-à-fait oppofés. »
nos <<Toutes les Puiſſances Européennes
Amies , ſavent parfaitement que proprement ce
traité n'étoit fondé qu'uniquement ſur l'indépendance
de la Crimée , qui en faifoit l'objet principal
; que cet Etat ne devoit être foumis à perſonne
, ni tenu de reconnoître aucune autre dépendance
, ſi ce n'eſt celle de l'Etre Suprême , en
ſtipulant même qu'aucun autre , finon ce Gouvernement
, feroit en droit de ſe mêler de ſes affaires.
Au mépris de ces engagemens , la Cour
de Ruffie , qui avoit déja formé le plan d'envahir
cet Etat, n'a pas manqué de prendre , tant publiquement
qu'en ſecret toutes les meſures poffibles
pour remplir ſes vues. A l'aide de ſes propres
troupes , elle a amené le Prince Schahin-Guerai
dans laCrimée; &, contre la teneur claire & expreſſedes
articles du traité qui concernoient l'indépendance
, elle a induit quelquesMembres dudit
Gouvernement par voie de force , d'autres par
rufe & par ſurpriſe , à reconnoître ledit Prince
dans la qualité de leur Chef légitime , comme elle
a propoſé pareillement à la Porte de le reconnoître
pour tel , en ajoutant qu'autrement la Cour de
Ruſſie lui déclareroit la guerre. De cette manière ,
,
( 101 )
ladite Cour a porté atteinte au fondement principal
du traité , & la Porte a dû s'y plier pour
* épargner aux deux Parties l'effuſion du fang , &
pour ſuivre ſon propre penchant naturel à la douceur
& à la compaſſion envers les Habitans innocens
, quoique tout cela ait été contraire à la
foi des traités. »
«. Dans la fuite, la Cour de Ruffie a mis fur
le tapis pluſieurs articles , pour être inférés dans
le foi-diſant traité de commerce , quoique , pour
la plus grande partie , ils fuſſent contraires à la
teneur du traité de Kainardgi , preſſant en même
temps leur fignature ; & toutes les fois, qu'il a été
repréſenté à ſon Miniſtre , réſidant près la fublime
Porte , que le ſens de ces articles ne s'accordoit
nullement avec le ſens dudit traité , elle n'a reçu
d'autre réponſe dudit Miniſtre , ſinon « que ſes inf-
> tructions ne lui permettoient point de faire aucun
>>changement à ces articles , & que fi la fublime
» Porte refuſoit de les ſigner ſur le pied propoſé ,
> la Cour de Ruffie regarderoit ce refus comme
>> un procédé contraire à l'exécution du traité en
» queſtion. » Ce furent les propres termes dont
ce Miniſtre ſe ſervit; & tel a été le moyen dont
on a tré pour maintenir un ſyſtême auquel la
fublime Porte a acquiefcé par un motif d'humanité,
ainſi que tout le monde impartial peut en
rendre témoignage. »
« Encorepeu fatisfaitede cette condeſcendance,
la Cour de Ruffie a jugé à propos de prendre
publiquement poſſeſſion de la preſqu'iſle de Crimée
, en la faiſant occuper par une nombreuſe
armée : elle a fait enlever & transférer en Ruffie
le Prince Schahin-Guerai ; & , enſuite d'une infraction
ſi ſenſible faite au traité , le Ministre de
Ruſſie près la fublime Porte a fait connoître de
bouche , & dans pluſieurs mémoires remis tant
enj
1
1
( 102 )
par lui que par le Ministre de la Cour Germa
nique , « que fi la fublime Porte ſe refufoit à
>> figner un nouvel accommodement , par lequel
>> l'article concernant 'indépendance de la Crimée
fût fupprimé du traité de Kainardgi , & fi elle
>> ne vouloit déclarer en même temps qu'elle cé-
>> doit laCrimée à la Ruſſie , ces deux Cours étoient
»prêtes, à recommencer les hoftilités &àdéclarer
>> la guerre.»
<<Telles ont été les propofitions faites de leur
côté , & auxquelles la fublime Portea cru devoir
donner les mairs , plutôt que de s'expofer à la rupture
dont elle étoit menacée. Tout le monde est à
même de juger comment elle a été forcée à fouffrir
des chofes d'une fi grande conféquence; per
ſonne n'ignore non plus comment ( outre ce qu'on
a pofé ci-deſſus ) la Cour de Ruffie a tâché d'effectaer
, par ſes procédés , tout ce qui étoit contraire
au traité; comment les Varchands , Sujets de
la fublime Porte , qui ſe rendoient tant en Ruffie
que dans la Crimée , ont dû y effuyer nombre
de mauvais traitemens; comment l'on ya grevé
Jeurs marchandises de droits de douane fi exorbitans
, qu'ils furpaſſoient de beaucoup la valeur
des effets ; comment l'on a forcé àcoups de canon
les navires marchands à tenir le large; comment ,
furle territoire de la fublime Porte, l'on a débauché
publiquement & fecrettement ſes Sujets , &
comment on les a tranſportés en Ruſſie , par mer
ou autrement, »
« Il s'en faut bien que la condeſcendance que
la fublime Porte montra , ainſi qu'on vient de le
dire , au milieu de tous ces événemens ,doive s'attribuer
à la crainte ou à la fibleffe , beaucoup
moins à l'impuiſſance ou à l'inſenſiblité , puiſqu'il
est manifeſte qu'elle n'a eu proprement d'autre
fource que labonne foi&la fidélité à l'engagement
( 103 )
qu'elleavoitpris par leſuſdit traité; ſavoir, « qu'elle
>> ne ceſſeroit jamais de contribuer à l'avancement
" & au maintien de la paix. » Cependant la Cour
deRuſſie , fe fondant fur l'idée particulière qu'elle
s'étoit faite , qu'une pareille condeſcendance ne réfultoitproprement
que de foibleſſe & de pufillanimité,
s'eſt imaginée qu'ellepourroit obtenir tout
ce qu'elle voudroit ſe propofer ; & il eſt certain
que ſe conduifant d'après cette ſuppoſition dont
elle s'étoit perfuadée , peu contente encore de tout
ce qui s'étoit déja fait, elle a employé des moyens
clandeftins , pour attirer dans fon parti le Prince
Heraclius de Teftis , quoique celui-ci eût reçu plus
d'une fois avec fatisfaction le Diplome dont la
fublime Porte l'avoit revêtu . Au mépris de l'article
du traité , par lequel il avoit été clairement
ſtipulé & arrêté en même temps avec ſa concluſion
, " queles deux Parties ne s'inquiéteroient point
*» l'ume&P'autre , ni pub'iquement , nien fecret ,
> beaucoup moins qu'elles feroient rien qui pût
>> tendre au dam ou au préjudice de l'au re Patie
>> contractante , » la Cour de Ruffie a fait dreffer,
àl'infu de la fublime Porte, un traité entre elle &
le ſuſdit Princede Teflis ; &, comme fi certe Cour
étoit en droit de tout faire de ſon côté , elle a cra
pouvoir amener lafublime Porce à reconnoître ledit
Prince fur le pied comme s'il étoit Ruſſe ; elle a
auſſi porté des plaintes & des accufations à la
charge du Pacha de Cildir , relativement audit
Prince; & , après bien des démarches inutiles à ce
ſujet , elle s'eſt contentée de donner à connoître à
la fublime Porte, par le moyen de l'Ambaſſadeur
de France , a que cette conteſtation pourroit être
>>aplanie fimplement par un ordre que la fu-
" blime Porte, voudroit bien envoyer ац Pacha
» de Cildir , & qui ne contiendroit rien aure
choſe, finon que de recommander ledit Prince
e iv
( 104 )
» à ſa protection. » Par égard pour la médiation
de la Cour de France , la fublime Porte fit expédier
cet ordre. Quelque temps après , le Miniſtre
de Ruffie , dans une conférence avec celui de la
Porte , remit cette affaire fur le tapis , faiſant revivre
les anciennes réquisitions ;& , fur ce qu'on
Ini dit que l'affaire en queſtion avoit déja été ré-
>> glée ſur le pied ſuſdit, par la médiation de la
Cour de France , » il répliqua , que la France
» n'avoit aucun droit de ſe mêlerde leurs affaires.
On aſſure que 16,000 Turcs ont pris
poſte dernièrement près d'laſſy , & qu'ils
yattendent de nouveaux renforts , foit
pour protéger Choczim , foit pour couvrir
la Moldavie contre l'invaſion des Autrichiens.
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 26 Avril.
L'armement de la flotte Ruffe à Crouftadt
continue avec une grande activité , &
deja l'on parle de la mettre en mer vers
Je milieu de mai. Suivant les dénombremens
des Gazettes , cette formidable efcadre
feroit compoſée de 26 vaiſſeaux de
ligne , dont deux à trois ponts , de 248
frégates ou tranſports , & de 13 gros batimens
avitailleurs,& auroit à bord 15,000
Matelots & 28,800 Soldats .
De Vienne , le 25 Avril.
L'Empereur ayant abrégé fa tournée
(105 )
dans le Bannat , eſt revenu , le7 , àFutack,
d'où le quartier général n'a point été
transféré à Carlowitz , comme on l'avoit
fauſſement débité. Les bataillons de Fufiliers
& de Grenadiers , qui ſe trouvoient
ici & dans les environs , ſe ſont embarqués
ſur le Danube du 12 au 19.
Depuis le 12 , à ce qu'on apprend de
Semlin , on avoit commencé les difpofitions
pour entrer en campagne. Le camp
étoit tracé entre Semlin & Banofve ; &
le 15 , l'armée entière , à l'exception des
Grenadiers & de la Cavalerie , pafla fous
les tentes. Il étoit queſtion dans le Public
d'une attaque projetée ſur Sabatſch ,
fortereſſe ſur la rive méridionale de la
Save , à 6 lieues au deſſus de Belgrade .
4,000 hommes, ſous les ordres des Généraux
de Rouvroy , de Clairfait & de Mitrowski
, devoient avoir reconnu cette
place; mais l'ayant repréſentée comme
gardée par une garnifon nombreuſe &
bien pourvue , on a remis l'entrepriſe à
des forces plus confidérables. Une autre
colonne doit , à ce qu'on ajoute , inveftir
Semendria , au-deſſous de Belgrade ; un
troiſième Corps , occuper les gorges du
mont Hémus , pour fermer aux ennemis
le paſſage de la Servie , &c ... Nous faurons
la réalité de ces divers projets , lorfqu'ils
auront été exécutés. En général ,
ev
( 106 )
on remarque qu'on ſe rapproche ſingulièrement
des ſavantes difpofitions faites
par le Prince Eugène en 1717.
Pour toutes nouvelles , la Gazette du
26 nous a donné l'extrait ſuivant de la
Gazette de Lemberg , du 15 de ce inois.
«Deux cents Arnautes , qui accompagnoient un
Aga, porteur de dépêches à Choczim , le livrèrent,
le 4 de ce mois , au premier détachement
de nos troupes qu'ils ont rencontré , & prirenten
même temps ſervice dans notre armée. Dans ces
dépêches le Divan faiſoit part au Pacha de
Choczim , que dans 14jours il obtiendroit un renfort
de 20,000 hommes ,& l'exhortoit de ſe défendre
courageuſement juſqu'à l'arrivée de ce
Corps. Aujourd'hui la première colonne de
l'armée Ruffe , ſous les ordres du Général Soltikof,
ajoint notre armée , le reſte la joindra le 20 de ce
mois.-On préfume que le fiége de Choczim fera
commencé le 16.
La ville Turque de Gradiſca ne s'eſt pas
encore rendue , quoiqu'on l'ait bombardée
ſans relâche. Les troupes qui y font
ſe défendent avec opiniâtreté : en général
, nous ne pouvons gagner dans la
Boſnie un pouce de terrain , ſans faire
de grands efforts ; les Boſniaques combattent
courageuſement pour leurs
foyers.
Par un ordre du 11 de ce mois , l'Empereur
a permis à tous les Sujets de l'Empire
Ottoman, qui ſéjournentdans la do
( 107 ).
mination de S. M. , de quitter librement
fes Etats . On leur délivrera les paffe-ports
néceſſaires .
De Francfort-fur-le-Mein, le 2 Mai.
Le 15 de ce mois , 4,000 Heffois ſe
mettront en marche pour ſe rendre en
Hollande.
On a formé fur les frontières de la Moldavie
trois camps ; ſavoir , à Vieux-Capi ,
à Toporonz & à Taureny. Le premier eſt
composé de 4,000 Ruffles , de trois bataillons
d'Infanterie & de 2 régimens de Cavalerie
de troupes Autrichiennes ; le ſecond
, de 5 bataillons d'Infanterie & d'un
régiment de Cavalerie ,& le 3º. de 4 bataillons
d'Infanterie & de 5 diviſions de
Cavalerie. Chaque bataillon a 15 Claaffeurs
& 5 pièces de campagne. Le Général
Ruſſe Soltikof eſt à 8 milles des
Autrichiens ; il eſt poſté près de la ville de
Morr, avec 25,000 hommes & beaucoup
d'artillerie.
Le projet de l'Empereur , portent pluſieurs lettres
deVienne , eſt d'attaquer Schabats , fitué fur
la Save , & lorſqu'on l'aura pris , de faire paſſer
cette rivière à 4 ou 5 régimens , de fioir dans l'intervalle
la digue près de Beſchania , & de faire
paſſer enfuite la Save à toute l'armée , pour ſé
porter à Belgrade , que l'on commencera à bombarder
du côté de la redoute du Prince Eugène ;
:
1
e vj
( 108 )
Parmée s'avancera,& le Corps de réſerve achèvera
la réduction de cette place.
Un Officier du régiment de Pfuhl ,
écrit-on de Berlin , a inventé une eſpèce
d'affûtage pour les fufils des Chaſſeurs , au
moyen duquel ces armes porteront jufqu'à
400 pas. Le Collège Supérieur de
guerre a fait connoître fa fatisfaction a
l'auteur de cette invention , & on croit
qu'il en fera fait uſage.
ITALIE.
De Livourne , le 21 Avril.
Le bruit d'une menace de guerre faite
aux Anglois par l'Empereur de Maroc ,
avoit acquis affez de crédit pour déterminer
M. Udny, Conful-général de la Factorerie
Britannique en ce port , à écrire en
ces termes au Commodore Cosby , Chef
de l'eſcadre Angloiſe dans la Méditerranée.
« La lettre que V. S. m'a fait l'honneur d'écrire
ces jours derniers , a donné lieu à une aſſemblée
nationale , & caufé de la conſternation dans
cette place ; nous nous trouvons donc dans la néceffité
de recourir à V. S , afin qu'elle nous communique
fon opinion , & s'il y a à craindre une
upture de paix entre S. M. l'Empereur de Maroc
&la Cour Britannique. »
« Nous avons l'honneur d'être, »
Livourne, le 14 avril 1788.
109 )
Réponse du Commodore Cosby.
Monfieur,
« En réponſe à la lettre que V. S. Illuft . m'a
écrite , en date d'hier , au nom de la FactorerieAngloiſe
réſidante à Livourne , relativement au
Tujet de la lettre que je vous ai fait remettre , en
conféquence des informations que j'avois reçues de
M. Matra , Conful-général de S. M. Britannique
à Tanger ; ce n'étoit pas ſeulement mon-devoir
, mais auſſi mes intentions de vous faire part ,
le plus promptement poffible , des circonstances
ycontemies , pour pouvoir faire prendre aux Négocians,
Sujets de S. M. , les précautions qu'ils
jugeront néceſſaires; mais qu'il y ait aucunes mefures
hoftiles contre le commerce , cela n'eſt , à
mon opinion , ni prémédité , ni les intentions de
l'Empereur de Maroc; & que l'on accorde convois&
protection au commerce dans les différens
ports , c'eſt l'objet des inſtructions données à tous
les Commandans des vaiſſeaux & bâtimens de
guerre de S. M. , tant en guerre qu'en paix. »
« J'ai l'honneur d'être. ».
De la pl ge de Livourne , à bord du vaiſſeau de
S. M. Britannique , le Truſty , le 15 avril 1788 .
Le refus fait à l'Empereur de Maroc
de deux frégates Angloiſes , pour convoyer
quelques bâtimens munitionnaires
& chargés de troupes , que ce Prince envoie
à Conftantinople , paroît avoir occaſionné
la crainte d'une rupture.
GRANDE-BRETAGNE
De Londres , le 6 Mai.
C'eſt le 29 du mois dernier que M.
( 110 )
Bastard a renouvelé , dans la Chambre
Baſſe , ſa Motion en faveur des Capitaines
de Marine , omis par la dernière promotion
d'Amiraux , comme nous l'avons précédemment
rapporté. Ce Membre propoſa
de rechef une réſolution de la
Chambre, qui déclarât hautement inju-
>> rieux au ſervice , & injufte , le paſſe-
>> droit fait à des Officiers recommanda-
>> bles , non exclus par aucun ordre de
>> Sa Majeſté en fon Confeil. " Cette
Motion fut foutenue , non-feulementpar
la plupart des Amiraux ou Officiers de
Marine Membres de la Chambre , mais
encore par un nombre de Repréſentans
des Comtés ( Country Gentlemen . ) Tous
témoignèrent leur ſurpriſe , & quelquesuns
leur indignation , d'avoir vu omettre
de la liſte des Amiraux , des Officiers auſſi
diftingués que les Capitaines Balfour ,
Thompson & Laforey. Les Miniftres com.
battirent la Motion par les formes , qui ne
permettoient pas à la Chambre d'intervenir
ainſi dans les opérations du pouvoir
exécutif. M. Drake termina le débat
en diſant que , comme Citoyens , com-
>>> me Sénateurs , comme hommes , les
>> Membres de l'Affemblée devoient vo-
» ter unanimement pour la Motion. >>
Tous ces efforts furent inutiles ; elle eur
contre elle une majorité de 51 voix ( 220
1
( 111 )
contre 169 ). C'eſt ici , à ce qu'il ſemble ,
un facrifice palpable de l'intérêt national
à celui des Chefs de l'Amirauté , auxquels
on a voulu épargner le blâme de leur partialité.
Leprojet d'un nouveau Bill pour prévenir l'exportation
illicitedes laines , a été foumis à un
examen préparatoire. On a entenda fur les faits
pluſieurs témoins , entr'autres M. Anstie , le Chevalier
Bancks & M. Arthur Young , dont nous
rapportâmes , il y a quelques mois , la diſſertation
fur ce ſujet. Il ne paroît pas que ces dépoſitions
ayent été incontestables ; car , le premier de ce
mois , fur la Motion de porter en comité le Bill
enqueſtion , 112 voix contre 47 ſe ſont déclarées
en faveur de la meſure propoſée. I es raiſons des
partiſans du ſyſtême de M. Youngdans ce débat ,
ont été de la plus grande foibleſſe. M. Pitt , qui
les combattit, ainſi quep'uſieurs autres Sénateurs ,
obſerva que fi la quantité de laine exportée étoit
auffi peu conſidérable que l'avançoient les antagoniſtes
de la prohibition , leBill ne pouvoit nuire
aux propriétaires ; qu'au contraire, ſi cette exportation
s'élevoit à 13,000 balles , elledevenoit nuifible
aux manufactures .
Hier 5 , M. Pitt a ouvert le Budget ,
c'eſt-à-dire , préſenté l'état annuel des Finances
publiques. Nous donnerons ce tableau
détaillé, ainſi queſondéveloppement.
Pour l'inſtant , il eſt prudent d'attendre la
vérification des comptes produits par les
Papiers publics , qui peuvent fort bien
n'être pas ceux du Chancelier de l'Echiquier.
Suivant le Morning- Chronicle , qui
( 112 )
eſt le guide le plus fûr pour les affaires
Parlementaires , M. Pitt établit que , malgré
3 11,000 1. ft . exigés par l'armement de
l'été dernier& les ſervices acceſſoires, malgré
l'augmentation faite dansl'armée , qui
emporte une dépenſe de plus de 100,000
liv. ft. , malgré celle dans le ſervice de la
Marine & de l'Artillerie , les 181,000 1. ft .
votés pour payer les dettes du Prince de
Galles , & le million ſterl. confacré annuellement
à l'amortiſſement de la dette
nationale , il ſe trouvoit dans la balance
des recettes & des dépenſes publiques un
excédant , en faveur des premières , de
270,000 liv . ft.
Les dépenſes étant de . 15,522,000 1. ft .
Les recettes de
• 15,792,000 ..
M. Sheridan diſcuta ce compte, & prétendit
trouver au contraire un déficit de
750,000 l. ft.; mais des raiſonnemens oppoſés
à des pièces juſtificatives ſur leBureau
, ayant peu de poids , nous attendrons
que M. Sheridan ait donné fes
preuves, pour le ſuivre dans ſon argumentation,
Les trois dernières Séances du procès
de M. Haftings , les 29, 30 avril & 1 .
mai , ont eu pour objet les dépoſitions du
Major Scott & de M. Middelion. Le premier
de ces témoins a produit un effet
décifif. Nous donnerons dans huit jours
( 113 )
un précis de ces importans témoignages ,
dont nous venons de recevoir des extraits
authentiques , & nous récapitulerons en
peu de mots , le réſultat des preuves teftimoniales
fur cette grande affaire des
Begums, réduite maintenant à ſa juſte valeur.
On a calculé que ce procès coûtoit
à l'Etat 300 liv . ft. par jour , pour les honoraires
du Comité & de ſes Conſeils ,
pour les dînés qu'on leur paie chaque jour
de Séance,&c . Pour peu que cela durat , les
revenus de l'Inde n'y ſuffiroientpas ; auſh
ſe propoſe-t-on de mettre des bornes à
cette dépenſe , dont le fruit ſera
ce que tous les gens ſages & inſtruits ont
prévu dès l'année dernière.
. ...
Les frégates le Loweſtoffe , l'Hyène , la
Méduse & le Myrmidon , ont reçu ordre
de paſſer de la Manche dans la Méditerranée
, pour y protéger notre commerce.
L'Aquilon, l'Amphytrite ,le Mercure & la
Pomone les remplaceront dans la Manche .
Les vaiſſeaux de garde qui font à Portsmouth ,
ont reçu ordre de ſe préparer à mettre à la voile
pour Spithead , le mois prochain , & ils reſteront
ſtationnés dans cette rade pendant l'été. Ces vaiffeaux
font le Barfleur de 98 canons , à bord duquel
l'Amiral Drake a fon pavillon arboré ; le Goliath
l'Edgard , le Magnificent , le Coloſſus , le Bedford
&l'Elifabeth de 74. Le Lord Howe , l'Amiral Gower
&les autres Commiſſaires de l'Amirauté fontattendus
dans ce port , pour l'inſpection qui doit
fe faire au mois de juillet. La frégate l'Andromè le
(114 )
ſe rendra aufinà Portmouth avant de faire voile
pour Halifax , pour la commodité du Prince de
Galles & du Duc d'Yorck qui ſe propoſent
d'aller prendre congé de leur frère , avant ſon départ.
2
La Corvette le Greyhond eſt déſignée pour
porter dans peu des dépêches à Gibraltar , d'où
elle fera voile pour la côte d'Afrique , où elle
remettra d'autres lettres au Capitaine Parry qui
commande dans cette ſtation ,& qui monte l'Adyenture
de 44 canons .
L'Amiral Alexandre Hood , que le Public fait
aller dans l'Inde au mois d'octobre prochain ,
emmenera avec lui un vaiſſean de 50 canons ,
deux frégates & une corvette. La Meduſe , vaiſſeau
neuf de 50 canors , aaccttuueellement à Plymouth ,
lancé depuis la paix , eft défigné pour l'Amiral .
Le bruit s'eſt répandu que le Chevalier
George Yonge , Miniſtre actuel du
Département de la guerre , alloit être
nommé au Gouvernement de la Jamaïque.
Les unsdonnent ſon Département
à Lord Rawdon; d'autres , à Lord Beauchamp.
FRANCE.
De Versailles , le 7 Mai.
1
Le 3 , le Roi accompagné de Monfieur , s'eſt
rendu à la plaine des Sablons , où Sa Majefté a
paſſé en revue le régiment des Gardes Françoifes
&celui des Gardes Suiffes ; Monſeigneur Comte
d'Artois , Colonel de ce dernier Corps , étoit à
la tête. Les troupes , après avoir fait l'exercice ,
ont défilé devant Leurs Majeſtés , Monfieur .
Madame , & Madame Elifabeth de France.
( 115 )
Le Duc de Fleury a, le 4 , prêté ferment ,
entre les mains du Roi , pour la charge de premier
Gentilhomme de la Chambre de Sa Majeſté , dont
il a été pourvu après la mort da Duc de Fleury ,
fon aïeul.
Sur la démiſſion du Duc d'Aiguillon , le Duc
d'Agénois, ſon fils, a été pourvude la Lieutenancegénéralede
Bretagne au Comté Nantois; & il a ,
le 4, prêté ferment entre les mains de Sa Majefté.
Le même jour , Leurs Majeftés & la Famille
Royale ont ſigné le contrat de mariage du Baron
de Montmorency , fils aîné du Duc deMontmorency
, Chef du nom& armes de fa maiſon , avec
Anne- Louiſe - Caroline de Matignon ; celui du
Marquis de Laval , fils aîné du Duc , & petit-fils
du Maréchal de Laval , avec Fonne- Charlotte-
Reré-Adélaïde de Montmorency - Luxembourg ;
& celui du Marquis d'Eſterno , Officier an Régiment
du Roi, cavalerie , avec demoiselle de Coffe-
Briflac.
LeComte d'Eſterno& leMarquis de la Coſte ,
Miniſtres Plénipotentiaires du Roi, le premier à
la Cour de Berlin , & le ſecond à celle de Deux-
Ponts , ont eu l'honneur de prendre congé de Sa
Majesté, pour ſe rendre à leur deſtination , étant
préſentés par le Comte de Montmorin , Miniftre
& Secrétaire d'Etat au département des Affaires
étrangères.
Le Comte de la Touche a eu l'honneur d'être
préſenté au Roi & à la Famille Royale par le
Duc d'Orléans , en qualité de ſon Chancelier.
Le fieur Blin a eu l'honneur de préfenter
au Roi la 13º. Livraiſon des Portraits
des grands Hommes , Femmes illuftres
& Sujets mémorables de France , gra
(116 )
vés & imprimés en couleur , dédiés à Sa
Majefté ( 1 ) .
De Paris , le 14 Mai.
Le 8 de ce mois , S. M. tint à Verfailles
un Lit de Juſtice pour l'Enregiſtrement
de différentes Loix , dont on va
connoître la nature. Les Princes du Sang ,
les Pairs , les Grands Officiers , les Minif.
tres & le Parlement de Paris y aſſiſtèrent ,
en vertu de leur convocation.
Dans l'après-midi du même jour , les
mêmes Loix furent enregiſtrées à la Chambre
des Comptes & à la Cour des Aides ,
mandées également à Versailles ; Enregifgiſtrementfait
en préſence de MONSIEUR ,
dans la première de ces Cours ,& de M.
Comte d'ARTOIS , dans la ſeconde. Voici
les différens Diſcours prononcés par Sa
Maj . & par M. le Garde des Sceaux , au
lit de Juftice ; nous donnerons ſucceſſivement
les Edits qui en font l'objet.
Diſcours du Roi, à l'ouverture du Lit de
Juſtice , tenu à Versailles , le 8 mai 1788 ,
Il n'eſt point d'écart auquel mon Parlement de
Paris ne ſe ſoit livré depuis une année.
(1)Cette Livraison comprend les Portaits de Jean
Orléans , Comte de Dunois , etde Blaise de Montluc ,
Maréchal de France , ainsi qu'une Action mémorable
de chacun de ces deux Capitaines . Elle se
trouve , avec les précédentes , chez l'Auteur , à Paris ,
place Maubert , nº. 17.
( 117 )
Non content d'élever l'opinion de chacun de
ſes Membres au niveau de ma volonté , il a ofé
faire entendre qu'un enregistrement auquel il ne
pouvoit être forcé , étoit néceſſaire pour confirmer
ce que j'aurois déterminé , même fur la demande
de la Nation.
Les Parlemens de Province ſe font permis les
mêmes prétentions , les mêmes entrepriſes .
Il en réſulte , que des Loix intéreſſantes &défirées
ne font pas généralement exécutées ; que les
meilleures opérations languiſſent ; que le crédit
s'altère ; que la juſtice eſt interrompue ou fufpendue
, qu'enfin la tranquillité publique pourroit
être ébranlée.
Jedoisà mes Peuples , je me doisà moi- même ,
je dois à mes ſucceſſeurs , d'arrêter de pareils
écarts.
J'aurois pu les réprimer ; j'aime mieux en prévenir
les effets.
J'ai étéforcé de punir quelques Magiſtrats ; mais
les actes de rigueur répugnent à ma bonté , lors
même qu'ils font indiſpenſables.
Je ne veux donc pointdétruire mes Parlemens ,
mais les ramener à leur devoir & à leur inſtitution.
Je veux convertir un moment de criſe en une
époque falutaire pour mes Sujets ;
Commencer la réformation de l'Ordre judiciaire
par celle des Tribunaux , qui en doit être la baſe;
Procurer auxjuſticiables unejustice plus prompte
& moins diſpendienſe ;
Confier de nouveau à la Nation l'exercice de
ſes droits légitimes , qui doivent toujours ſe concilier
avec les miens .
Je veux fur-tout mettre dans toutes les parties
de la Monarchie , cette unité de vues & cet enſemble
, ſans lesquels un grand Royaume eſt af(
118 )
1
foibli par le nombre même & l'étendue de fes
Provinces.
L'Ordre que je veux établir n'eſt pas nouveau:
leParlement étoit unique , quand Philippe-le-Bel
le rendir ſédentaire à Paris. Il faut à un grand
Etat , un ſeul Roi , une ſeule Loi , un ſeulEnregiftrement
; Des Tribunaux d'un reſſort peu étendu , chargés
de juger le plus grand nombre des Procès ;
Des Parlemens auxquels les plus importans feror.t
réſervés ;
Une Cour unique dépofitaire des Loix communes
à tout le Royaume , & chargée de leur
enregiſtrement , Enfin, des Etats-Généraux aſſemblés ; nonune
fois , mais toutes les fois que les beſoins de l'Etat
l'exigeront :
Telle eſt la reſtauration que mon amour pour
mes Sujets a préparée & confacre aujourd'hui pour
leur bonheur.
Mon unique but fera toujours de les rendre
heureux. Mon Garde des Sceaux va vous faire connoître
plus en détail mes intentions .
Difcours de M. le Garde des Sceaux ,
pour annoncer l'Ordonnance du Roi , fur
'Adminiſtration de la Juſtice .
Meſſieurs ,
Avant d'exercer aujourd'hui dans cette Courla
plénitude de ſa puiſſance , le Roi s'eſt faitrepréfenter
dans ſes Conſeils , les plus falutaires Ordonnances
de ſes Prédéceſſeurs.
SaMajeſté a reconnu d'abord , par la ſeule infpection
de leurs enregiſtremens , que l'autorité
fouveraine avoit été obligée de ſe déployer toute
entière , pour ordonner aux Parlemens de vérifier
la plupart des Loix qui ont aſſuré la proſpérité
de la Nation.
( 119 )
Cet examen a déterminé Sa Majesté à faire
publier en ſapréſence, pluſieursnouveaux Edits ,
que fa fagefe aconçus pour lebiende ſes Peuples.
Ce n'eſt en effet , Meſſieurs , que dans cette
forme abfolue , ou du très-exprès commandement
du Roi , que font inſcrites dans vos Regiſtresles
mèilleures Loix de cette Monarchie.
L'Ordonnance de Charles V, qui fixe la majorité
des Rois à quatorze ans , de 1375 ;
L'O. donnance de Charles VIII , fur le fait de
la juſtice , de 1493 ;
L'Ordonnance de Louis XII, donnée à Blois
en1498;
L'édit de François I , portant création d'un
Lieutenant - Criminel dans chaque Bailliage &
Sénéchauffée , de 1523 ;
L'Edit de Création & l'Edit d'Ampliation des
Préfidiaux , d'enri II , en 1551 ;
L'Ordonnance d'Orléans , de Charles IX , en
1560;
'Edit de Rouſſillon , de 1563 ;
L'Ordosnance de la même année , fur l'Abréviation
des Procès ;
L'Edit de Charles IX, fur la Jurisdiction des
Juges- Confuls , de 1563 ;
LaDéclaration fur l'Ordonnance de Moulins ,
en 1566 ;
L'Ordonnance de Blois , en 1572 ;
L'Edit d'Henri III , portant Etabliſſement des
Greffes, pour les Contrats ſujets à retraits lignagers
, de 1586 ;
L'Edit d'Henri IV , portant Création des Greffiers
Civils & Criminels ,en 1597 ;
L'Ordonnance de Louis XIII , fur les plaintes
des Etats Généraux , en 1614 ;
L'Edit de Louis XIII , fur le Domaine , en
1619 ;

( 120 )
L'Edit de Louis XIV , contre les Duels , en
1651 ;
L'Ordonnance Civile de Louis XIV , en 1667 ;
L'Edit de Louis XIV , portant Etabliſſement
des Greffes pour la confervation des Hypothèques
, en 1673 ;
L'Edit pour les Epices , Vacations & autres
frais de justice , de la même année ;
Enfin , l'Edit de 1774 , qui vous a rétablis dans
vos fonctions .
Ces exemples , Meſſieurs , avertiſſent le Roi
du digne uſage qu'il peut faire du pouvoir fuprême
, pour le bien de la Nation.
Sa Majesté doit incontestablement la justice à
fes Peuples.
Mais juſqu'à préſent cette grande protection a
été trop lente& trop difpendieuſe dans ſesEtats.
Des plaintes univerſelles avertiſſent depuis
long-temps Sa Majeſté de pluſieurs abus importans
en ce genre; & toutes les provinces de fon
royaume lui demandent également d'y pourvoir,
En matière criminelle , vous éprouvez ſouvent,
Meſſieurs , que vos jugemens portent fur desdélits
commis à cent lieues de la capitale.
C'eſt de la même diſtance , qu'en matière. civile
les Sujets du Roi font obligés de venir folliciter
vos Arrêts ; & ce n'est bien ſouvent qu'aprèspluſieurs
années d'attente , qu'ils parviennent
à les obtenir.
Des conteftations , dont le plus grand nombre
eſt de peu d'importance , les afferviſſent à de
longs & ruireux ſéjours dans la capitale ; & l'art
inépuiſable de la chicane , applique encore à de
légers intérêts , les formes lentes des diſcuſſions
les plus épinenfes & les plus compliquées.
Cependant SaMajefté ne vous impute point ces
lenteurs , & Elle ſe plaît à rendre aujourd'hui ,
Mefſieurs ,
( 121 )
Meſſieurs , un témoignage ſolennel de fatisfaction
à votre activité , à votre zèle , à vos lumières.
Quoique cet inconvénient d'un trop long délai
ſoit plus marqué dans cette Cour , à cauſede
l'immenſe étendue de fon reſſort , Sa Majeſté
n'ignore pas qu'il ſe fait encore trop fentir dans le
reffort de ſes autres Parlemens.
Pour y remédier , le Roi s'eſt vu réduit à l'inévitable
alternative , ou de multiplier ſes Cours
Souveraines , ou d'augmenter les pouvoirs des
Tribunaux du ſecond ordre.
C'eſt ce dernier moyen que ſa ſageſſe a préféré.
En conféquence le Roi ſe détermine à donner
une conſtitution nouvelle à ſes Bailliages ; il les
autoriſe tous à juger définitivement les conteftations
dont le fond n'excédera pas 4,000 liv.
En même temps , & au-deſſus de ce premier
ordre de Bailliages , Sa Majesté choiſfit dans les
villesles plus conſidérables de votre reffort , les
Tribunaux qui y font établis , pour les élever à
une compétence plus conſidérable; & fous la dénomination
de Grands-Bailliages , ils décideront
fans appel les affaires criminelles , de même que
les procès civils , lorſque la valeur de l'objet contefté
ne s'élèvera pas au-deſſus de 20,000 liv.
Ainfi Sa Majeſté vous réſerve , Meſſieurs , en
matière civile, toutes les conteftations qui excéderont
cette dernière attribution , & de plus ,
toutes les cauſes qui , de leur nature , doivent
reſſortir à ſes Cours; & en matière criminelle ,
vous connoîtrez , comme par le paſſé , des cauſes
des Privilégiés.
Par cet ordre qu'Elle preſcrit, Sa Majeſté vous
fixe à vos véritables fonctions.
Elle conferve aux Eccléſiaſtiques , aux Gentilshommes
, & à tous ceux de ſes Sujets qui participent
à leurs priviléges , le droit de n'avoir que
No. 20. 17 Mai 1788. f
( 122)
vous feuls pour Juges ſuprêmes en matière cri
minelle.
Elle vous attribue également en matière civile ,
lejugement définitif des grandes affaires , pour
leſquelles fes Cours ont été principalement établies
, ſelon les termes du Roi Henri II , dans
PEdit de création des Préſidiaux .
Le Roi regardant comme un ſage principe de
légiflation , de ſoumettre àdeux jugemens différens
, les queſtions d'une certaine importance ,
aſſure à tous ſes Sujets deux degrés de Jurifdiction
pour les affaires de cette eſpèce.
Ainfi Sa Majefté n'abolit aucun Tribunal ,
n'exerce aucune contrainte , & Elle ſe borne à
rapprocher la Juſtice des juſticiables , dans les
mêmes Tribunaux qui la leur rendent depuis longtemps.
Il en coûtera aux Peuples beaucoup moins de
peine , de temps &de dépenſe pour l'obtenir.
Quant aux jugemens criminels , quoique la vie
d'un homme ſoit , aux yeux de Sa Majefté, d'un
prix incomparablement plus grand que les propriétés
les plus importantes , de ſages confiderations
ont pourtant déterminé le Roi à accorder le
dernier reſſort aux Grands-Bailliages er matière
criminelle , en même temps qu'il restreint , en
matière civile , leur droit de juger fans appel , à
la ſomme de 20,000 liv.
Sa Majeſté m'ordonne de vous faire connoître
les motifs qui l'ont décidée & raſſurée dans cette
diſpoſition de ſa Loi.
D'abord, Meſſieurs , les grandes queſtions en
matière civile , font infiniment plus contentieuſes
&plus embarraffantes que les cauſes criminelles.
Les artifices de la plaidoirie tendent encore à les
compliquer ; & comme il faut plus de lumières
&de talens pour les diſcuter , il faut auſſi plus
(123 )
de pénétration&de ſavoir pour les réfondre .
Les Jurifconfultes que ces queſtions ſavantes
exigent , ſe trouvent rarement hors de l'enceinte
desCours.
Les procès criminels , au contraire , dans lefquels
il ne s'agit que d'éclaircir &de conſtater les
faits , d'après les témoignages & les preuves , &
d'en déterminer l'eſpèce & le rapport avec, la,
Loi , font beaucoup plus ſimples de leur nature.
Or ce n'eſt pas tant , Meſſieurs , à l'importance
des queſtions qu'à la difficulté, de les juger,
que le Législateur doit avoir égard, en affignant
à la jurisdiction des Tribunaux ſon étendue &
ſes limites.
C'est d'après ce principe , que nos Rois ont
áccordé ledroit dejuger ffans appel, en matière
criminelle , à pluſieurs Tribunaux particuliers ;
tandis qu'ils n'ont jamais donné , en matière civile ,
aux Juges inférieurs , la prérogative du dernier
reffort , que pour une ſomme déterminée.
C'eſt encored'après ce principe , que ces mêmes
Juges inférieurs font déja chargés dans le Royaume
de l'inſtruction des procès criminels; & c'eſt fur
la foi de leurs lumières &de leur intégrité , que
les Cours prononcent , puiſque c'eſt l'inſtruction
qui détermine le jugement.
Ainfi, Meſſieurs, tout le reſſort du Parlement
ſera conſervé ; mais il ſera partagé en Jurifdictions
nouvelles, qui rendront l'adminiſtration de
laJuſtice plus facile , plus prompte & moins difpendieuſe.
Des Commiſſaires dignes de la confiance publique
, vont parcourir, par ordre du Roi , toutes
les Provinces , pour marquer les diviſions des
refforts , écouterles repréſentations des villes , &
tracer à la ſageſſe de Sa Majeſté la route qu'Elle
doit tenir dans cette diſtribution .
fij
:
( 124)
1
1
:
Dès que ce travail ſera terminé , le Roi diftribuera
convenablement , & dans le nombre néceflaire,
les Tribunaux inférieurs ; il réduira au
beſoin du ſervice , dans chaque Siége , le nombre
desOfficiers ſabalternes de la Juſtice, & s'occи-
pera enfin , pour la réforme des priſons , d'une
nouvelle Adminiſtration , qui auroit été impraticable
ſans la diſtribution des procès criminels en
un plus grand nombre de Tribunaux
Tels font, Meſſieurs , les réglemens préliminaires
qui doivent préparer& fimplifier la réforme
des Loix criminelles & civiles.
L'érection des Grands-Bailliages facilitera toutes
ces opérations importantes; & en acquittant une
ſigrande dette de ſa Juſtice , le Roi aura la double
fatisfaction de ſuivre le mouvement de fon coeur ,
&d'exaucer le voeu de ſes Peuples.
Diſcours de M. le Garde des Sceaux ,
pour annoncer l'Edit du Roi, portant Suppreſſion
des Tribunaux d'Exception .
Meſſieurs ,
Il exiſte dans le royaume un très-grand nombre
de Tribunaux particuliers , qui font autant d'exceptions
à l'Adminiſtration de la Juſtice ordinaire.
La plupart des Juges qui les compoſent , ne
ſont pas mêmetenus d'être gradués.
Tels font les Bureaux des Finances , avec la
Chambre du Domaine & Tréſor , les Jurifdictions
des Traites, des Greniers à Sel , des Eaux&
Forêts, & les Elections.
Chaque eſpèce d'intérêt a, pour ainſi dire , ſes
Juges particuliers dans les Etats de Sa Majefté.
Les Sujets du Roi ſe méprennent fouvent fur la
Jurifdition à laquelle leurs diverſes cauſes appar
(125 )
tiennent ,&ne ſavent à quel Tribunal ils doivent
demander juſtice.
Il réfulte de cette multitude de Tribunaux des
procès continuels de compétence.
Tous ces Offices de Judicature, dont la néceffité
du ſervice doit ſeule fixer le nombre , font
également onéreux aux Peuples , par les exemptions
dont les Titulaires ontdroit de jouir , & au
Roi lui-même , par la dépenſe annuelle qu'ils impoſent
au Domaine de Sa Majeſté.
Pour fimplifier l'Adminiſtration de la Juſtice
dans fon royaume , le Roi veut , Meffieurs , que
l'unité des Tribunaux réponde déſormais à l'unité
desLoix.
Sa Majeſté ſupprime donc aujourd'hui dans ſes
Etats tous les Tribunaux d'exception , comme
Corps de Judicature , & elle réunit ces Jurifdictions
particulières aux Juſtices ordinaires.
Il fuffit ſans doute , Meſſieurs , d'énoncer ce
nouveau bienfait du Roi pour en manifeſter l'utilité.
Mais en retirant des Tribunaux d'exception la
Jurifdiction contentieuſe qui trouble le cours de la
Juſtice , la ſageſſe de Sa Majesté conferve&confirme
la plénitude de leurs pouvoirs dans la partied'Adminiſtration
relative à la police & au bon
ordre qui leur est confiée ,&que ſes Juges ordi
naires ne pourroient ni ſurveiller , ni régler avec
le même ſuccès...
Le Roiva multiplier , Meffieurs , le nombre des
Juges dans les Tribunaux inférieurs ; Sa Majesté
ſe propofe d'y admettre ceux des Officiers fup-~
primés qu'Elle jugera dignes de ſa confiance , de
forte qu'ils auront tous , felon les intentions du
Roi , l'alternative d'un remplacement ou d'un rembourſement
fucceffif.
Difcours de M. le Garde des Sceaux ,
füj
( 126 )
pour annoncer la Déclaration du Roi , relative
à l'Ordonnance Criminelle,
Meſſieurs,
La néceffité de réformer l'Ordonnance criminelle
& le Code pénal , eſt univerſellement reconnue.
Toute la Nation demande au Roi cet Acte
important de Législation , & Sa Majesté a réſolu
dans ſes Conſeils , de ſe rendre au voeu de ſes
:Peuples.
Sa Majesté a voulu d'abord qu'on établit dans
l'Ordonnance criminelle une diftinction préciſe
entre les abus qui tiennent à l'enſemble de la Légiflation
, & les abus qui n'étant pas de même inhérens
à la loi, peuvent en être détachés avant
- la rédaction générale de la réforme.
Le premier & le plus alarmant de ces abus particuliers
, celui qui , fous une Législation défec.
tueuse , rendroit tous les autres irréparables, c'eſt
la difpofition de l'Ordonnance , qui enjoint l'exécution
des arrêts de mort , dès qu'ils ont été prononcés.
,
, qui C'eſt pour prévenir de funeſtes erreurs
font rares fans doute mais dont les faſtes des
Tribunaux ne fourniſſent encore que trop d'exemples
, qu'en accordant aux Grands Bailliages le der.
nier reffort en matière criminelle , le Roi veut
afflurer à tous les condamnés le temps néceſſaire
pour folliciter fa clémence ou pour éclairer fa
juſtice.!
Dans cette vue , Sa Majeſté ordonne , par da
Loi que vous allez connoître , un mois de furſéance
pour l'exécution de tous les arrêts de
mort.
:
Cette précaution , commandée pat la cinconftance
, ſera également précieuſe à conſerver après
la réforme des Loix criminelles .
( 127 )
Il eſt notoire en effet, Meſſieurs , que dans les
Etats les plus éclairés de l'Europe , tous les jugegemens
portantpeine de mort , ſont ſoumis à l'autoriſation
préalable du Souverain.
C'eſt un-ufage d'autant plus digne de paſſer en
Loi dans la Monarchie Françoiſe , que le droit de
fairegrace étant le plus bel attribut de la Royauté ,
cette prérogative deviendroit illuſoire fi les jugemens
étoient exécutés , avant que le Prince pût.
ſavoir qu'ils ont été rendus.
Mais en s'aſſurant ainſi pour toujours un droit
dont il ne veut ufer qu'avec ſageſſe ,le Roi autoriſe
néanmoins l'exécution immédiate des arrêts
de mort , dans les cas d'émeute & de rebellion ,
où la promptitude des fupplices peut hâter le rétabliſſement
de l'ordre.
En accordant à tous les condamnés un mois de
furféance , le Roi a ſtatué que ce délai de l'exécution
dateroit du jour où le coupable auroit entendu
la lecturede fon jugement.
Cette diſpoſition que Sa Majefté avoit profondément
méditée dans ſes Conſeils , a excité vos
réclamations.
Mais vous le ſavez , Meſſieurs , la confcience
des coupables , les interrogatoires qu'ils ont fubis ,
les preuves qu'on leur a oppoſées , leur paſſage
de la priſon commune dans les cachots , immédiatement
après leur condamnation , leur renvoi
devant les premiers Juges , enfin je ne fais quelle
publicité ſoudaine que les déciſions de la Justice
ont communément dans l'enceinte qui raſſemble
les malfaiteurs , ne leur laiſſent prefque jamais
ignorer leur fort , dès qu'il eſt irrévocablement
fixé.
L'état habituel des choſes a donc ici préparé
d'avance la diſpoſition de la Loi.
• Mais quand même ce feroit une innovation , fi
fiv
( 128 )
elle eſt juſte& falutaire , la compaſſion qu'on lui
oppoſe a-t-elle droit d'y mettre obſtacle ?
Ce n'est point à de tels mouvemens que le Légiſlateur
doit ſe livrer.
Sa compaffion conſiſte , d'une part , à diminuer
la rigueur des peines , autant que le maintien de
l'ordre & de la sureté publique lui permet de les
modérer ; de l'autre , à ménager aux condamnés
tous les moyens légitimes d'éviter le fupplice.
Il eſt donc eſſentiel , Meſſieurs , d'établir un
ordre nouveau , où le jugement de l'accuſé lui ſoit
révélé , afin qu'il puifle profiter & du délai qu'il
a pour ſe défendre , & du conſeil qu'il a pour
s'éclairer.
N'y eût-il , Meſſieurs ,dans tout un ſiècle qu'un
feul innocent à qui cette fignification anticipée pût
conferver la vie , c'eſt de celui-là que le Légiflateur
doit s'occuper,
Ala ſuite de ce réglement , la vigilance du Roi
s'eſt portée vers d'autres objets non moins dignes
deſa ſageſſe.
Ainfi Sa Majeſté interdit la formule adoptée
dans la rédaction de vos arrêts , pour condamner
àmort ſur les cas réſultans du procès, fans articuler
les crimes quevous puniſſez au nom de la Loi.
La dignité même de vos jugemens exige l'énonciation
expreſſedes délits .
Quel Tribunal pourroit être jaloux de la prérogative
d'infliger des peines capitales , ſans motiver
ſes arrêts ?
LeRoi a donc penſé , Meſſieurs , que toute condamnation
folennelle qui met la peine à la ſuite du
délit , devoit montrer le délit à côté de la peine.
Après avoir déterminé la forme du jugement
des coupables , le Roi s'eſt occupé des dédommagemers
que vous décernez aux innocens , lorſqu'ils
ont fubi , fur de faux indices, les rigueurs d'une
pourſuite criminelle.
(129 )
SaMajeſté a voulu connoître le genre des réparations
que la Loi devoit leur avoir aſſurées.
Je dois le déclarer hautement , Meſſieurs , Sa
Majeſté a vu avec la plus grande ſurpriſe , que la
Légiſlation de ſon Royaume n'avoit encore rien
ſtatué en leur faveur;&que , s'il ne ſe trouvoit
pas au procès une partie civile qui pût être condamnée
aux frais de l'impreſſion& de l'affiche de
ces jugemens d'abſolution,cette foible indemnité
n'étoit pas même accordée à l'innocence.
3 Le Roi s'occupe de ces réparations , qu'il regarde
comme une dette de ſa juſtice.
Mais en attendant que Sa Majesté puiſſe atteindre
cebutd'uneLégislation vraiment équitable ,
qui , prévoyant la poſſibilité de confondre d'abord
l'innocent avec le malfaiteur , ne ſe borne point
à punir ,& fe croit alors obligée à dédommager,
Elle veut que ces jugemens d'abſolution foient imprimés
& affichés aux dépens de fon Domaine.
Les mêmes conſidérations d'humanité &de juftice
qui ſuggèrent au Roi ces précautions tutélaires
en faveur de l'innocence , déterminent Sa Majeſté
à lui épargner une honte qu'elle ſubit quelquefois
devant vous ; & c'eſt dans ce deſſein que le Roi
vient d'abolir l'uſage d'interroger les accuſés fur
lafellette.
Cette formalité futadmiſe dans les Tribunaux ,
comme un adouciſſement d'humanité envers les
priſonniers qui comparoiſſoient autrefois chargés
de fers devant leurs Juges.
Mai dans nos moeurs lafellette eſt devenue une
véritable flétriſſare.
L'Ordonnance de 1670 y avoit aſſujetti les accuſés
contre leſquels il y auroit des concluſions
à peine afflictive ; l'uſage y a foumis tous les accuſés
contre leſquels il y ades concluſions à peine
infamante.
f
: ( 130)
Cependant le miniſtère public eft leur partie ,
&non pas leur juge.
Il ne doit donc pas avoir le droit de leur imprimer
, avant même leur jugement , une eſpèce
de tache déshonorante , par le ſeul énoncé de fon
opinion , qui n'obtient pas toujours la fanction de
ves arrêts .
Si l'accufe eſt coupable, l'humanité défend de
le troubler ; & s'il eſt innocent , la justice ne permet
pas de le flétrir.
Enfin un dernier objet de réforme préparatoire
a fixé l'attention de Sa Majeſté:
C'eſt la queſtion préalable.
Sa Majefté a conſidéré que la Loi réprouvoit
elle-même ce cruel moyen de découvrir la vérité ,
puiſqu'elle frappe de nullité les aveux que le patient
ne ratifie pas quand il a ceſſe de ſouffrir ;
Que ces déclarations , arrachées par la violence
de la douleur , & foutenues enfuite par la crainte
d'être remis à la torture , pouvoient faire tomber
les Juges dans les erreurs les plus funeſtes ;
Enfin qu'il ſuffiſoit que l'utilité & la néceffité
de la queſtion préalable fuſſent conteftées par tant
dé réclamations , pour que le Législateur dût efſayer
un autre moyen d'obtenir des coupables la
révélation de leurs complices.
Telles font , Meffieurs , les difpofitions par lefquelles
Sa Majesté commence à procéder à la réforme
des Loix criminelles .
Tous les temps font propres fans doute à prévenir
le mal & à faire le bien; & lorſque l'utilité
d'un changement dans la Législation eft manifeſte,
&que l'exécution en eſt poſſible , c'eſt un bienfait
publicqu'il ne fautjamais différer.
:
Difcours de M. le Garde des Sceaux ,
pour annoncer l'Edit du Roi , portant Ré-
1
( 131 )
duction d'Offices dans la Cour de Parlement
de Paris .
Meſſieurs ,
Les principes qui forment la baſe de l'Ordonnance
du Roi ſur l'Adminiſtration de la Juftice ,
appellent les conféquences que vous allez voir développéesdans
un nouvel Edit de Sa Majesté ,concernant
la ſuppreſſion de pluſieurs offices dans cette
Cour.
Il y aura beaucoup moins d'affaires à juger;
iln'eſt donc plus néceſſaire d'y entretenir le même
nombre de Juges.
Mais avant de prononcer cette fuppreffion , le
Roi a commencé par s'aſſurer qu'elle n'auroit rien
de contraire à la ſage & célèbre Ordonnance de
Louis XI , du 21 octobre 1467 , ſur l'inamovibilité
des Offices.
Ladiſcuſſion de cette Loi mémorable s'est faite
dans le Conſeil du Roi , & elle a pleinement rafſuré
la justice de Sa Majeſté.
1
Voici , Meſſieurs , les termes précis de cetteOrdonnance
, qui intéreſſe encoreplus les Juſticiables
que les Juges.
Comme depuis notre avenement à la Couronne ,
pluſieurs mutations ont étéfaites en nos Offices , ...
nous ſtatuons que désormais nous n'en donnerons aucun,
s'il n'eftvacant par mort , ou par réſignation ,
ou par forfaiture préalablementjugle. :
C'eſtdonc,Meffieurs , à l'inconvénientdelamutation
, que la Loi de Louis XI a voulu remédier.
Quandiln'yapoint de mutation dans les Offices,
ladifpofition de l'Ordonnance n'a donc plus d'application.
1
Ainſi nosRois ont renoncé à l'ufage ancien &
abufif, de dépouiller un Jugede ſon Office, pour
en revêtir un autre,
Mais par la même raiſon qu'ils ont toujours
*
41
fvj
( 132 )
pu multiplier ces Offices dans les Tribunaux, ils
n'ont jamais perdu le droit inhérent à la Couronne ,
d'en réduire le nombre, dès que le bien de l'Etat
ex geroit cette réduction .
Ii eft en effet de toute évidence , que c'eſt l'inamovibilité
des Officiers , & non pas la perpétuité
des Offices de Judicature , qu'a établie l'Ordonnance
de Louis XI .
Depuis cette époque , Meſſieurs , nos Rois ont
créé de nouveaux Parlemens ; ils ont aboli des
Cours entières qui n'exiftent plus ;& ces créations
& ces fuppreffions n'ont été que l'exercice naturel
de l'Autorité ſouveraine .
Sa Majeſté reconnoît hautement que la deſtitution
perfonnelle d'un Juge , pour en ſubſtituer un
autre , ou , ce qui ſeroit la même choſe , la fuppreffion
d'un Tribunal pour le remplacer par un
autre, exige wne forfaiture préalablementjugée.
Voilà, Meßients , la fauve-garde de la Magiftrature
, ou prutor des Peuples, auxquels vous
adminiſtrez la justice au nom du Roi.
Mais Sa Majefté a appris des Ordonnances de
fon Royaume , ainſi que des exemples de ſes Prédéceſſeurs,
qu'une fuppreffion collective d'Offices ,
qui n'est qu'une réforme néceſſaire dans un corps
de Judicature, ne doit pas être confondue avec ces
deſtitutions individuelles qui exigent un jugement
préalabl ', & qu'elle appartient eſſentiellement à
l'Adminiſtration générale de l'Etat.
Après avoir fait un légitime uſage de ſa puifſance,
en réduisant le nombre des Juges au beſoin
des Juſticiables , le Roi n'a négligé dans cette fuppreſſion,
aucune des précautions que pouvoit lui
ſuggérer la plus exacte & la plus impartiale juſtice.
Sa Majesté conferve d'abord à ceux d'entre vous
fur qui tombe la ſuppreffion qu'elle va ordonner ,
tous les honneurs attachés à vos Offices, hors du
1
( 133 )
Tribunal dont vous ceſſerez d'être Membres.
En fupprimant les charges des Magiftrats qui
ont été le plus récemment pourvus d'Offices en
cette Cour , le Roi leur en rembourſe dès-à-préſent
la finance en deniers comptans.
Les ordres font donnés, les fonds ſont prêts,
&ces rembourſemens n'etſuieront aucun délai .
Cette fuppreffion s'opérera d'ailleurs fans diftinction
, fans exception ,& fuivant rigoureuſement
l'ordre du tableau.
Les Offices actuellement vacans feront comptés
au nombre de ceux que le Roi ſupprime ; & l'excédant
de la ſuppreſſion portera fur les derniers
Titulaires reçus dans cette Cour.
Enfin , Meſſieurs , Sa Majesté m'ordonne de
déclarer en fon nom , que , lorſqu'il y aura déformais
des Charges vacantes dans ſon Parlement ,
Elle les accordera de préférence à ceux des Magiftrats
dont Elle fupprime les Offices.
C'eſtune confolation que le Roi ſe plaît àdonner
à ſon Parlement , que l'eſpérance de voir fucceffivement
revenir dans ſon ſein ceux de ſes Membres
qui méritent ſes regrets ,& que les circonftances
obligent Sa Majefté d'en ſéparer.
Diſcours de M, le Garde des Sceaux ,
pour annoncer l'Edit du Roi, portant Rétabliſſement
de la Cour Plénière.
Meſſieurs ,
Avant même que cette Cour fût compoſée d'un
ſi grand nombre de Magiftrats , François I ,
Henri II , Henri IV , & Louis XIII , avoient fenti
le danger d'admettre la jeune Magiftrature aux
délibérations de leurs Parlemens fur les affaires
publiques.
Ils avoient conſidéré , qu'étant exclue du jugement
des cauſes importantes , elle devoit bien
ميللا
( 134)
moins encore participer à la diſcuſſion de celles
qui intéreſſoient l'Etat , où elle auroit dominé par
le nombre.
Frappé des mêmes inconvéniens , le Roi exécute
aujourd'hui le projet que ſes Prédéceſſeurs
avoient conçu.
Sa Majesté n'admet de ſon Parlement de Paris ,
que la ſeule GrandChambre à la Cour qu'elle
rétablit , pour procéder à la vérification & publication
de ſes Lois générales .
Mais , jaloux de rendre cette Cour auffi digne
qu'il eſt poſſible de ſa confiance & de celle de la
Nation , le Roi réunit cette portion éminente de la
Magiftrature aux Princes de ſon ſang, aux Pairs de
fon Royaume , aux Grands- Officiers de fa Couronne
, à des Prélats , des Maréchaux de France ,
&autres perſonnages qualifiés , des Gouverneurs
de province , des Chevaliers de ſes Ordres , un
Magiftrat de chacun de ſes Parlemens , desMembres
choiſisdans ſon Confeil , deux Magiſtrats de
la Chambre des Comptes & deux de la Cour des
Aides de Paris .
C'eſtdans cette forme que le Roi rétablit aujourd'hui
ce Tribunal Suprême qui exiſtoit autrefois
, & qui , felon les expreſſions mémorables de
Philippe de Valois & de Charles- le-Sage , étoit
be confiftoire des Féaux & des Barons , la Cour du
Baronnage &des Pairs, le Parlement univerſel , La
Justice capitale de la France , la feule image de la
Majesté Souveraine , la ſource unique de toute la
Justice du Royaume,& le Principal Confeil desRois.
Cette réſolution , Meſſieurs , n'eſt pas nouvelle
dans les Conſeils de Sa Majeſté ; vous n'avez pas
oublié qu'elle vous fut annoncée dans la première
de ſes Loix , au moment où vous fûtes rendus
à vos fonctions .
Mais il falloit que l'exécution d'un ſi grand changement
fût follicitée par les circonstances.
(135 )
:
Les circonstancesl'exigent en effet.
Cen'eſt pas , Meſſieurs , que juſqu'à la convocation
des États-Généraux , promiſe par le Roi ,
Sa Majefté ſe propoſe de rien ajouter aux impôts
qui ont déja reçu leur fanction légale.,
Et fi par malheur une guerre imprévue ou
d'autres néceflités urgentes de l'Etat, rendoient indiſpenſables
de nouvelles perceptions , ce ne feroit
que provifoirement & juſqu'à l'Aſſemblée de la
Nation , que le Roi demanderoit à la Cour Plé--
nière d'en vérifier les Edits .
Mais il y a d'autres Loix que des Loix burſales ,
des Loix d'une importance reconnue , dont la réfiſtance
des Parlemens a diverſement contrarié
l'exécution , & qui exigent qu'une ſeule& même
fanction les mette en activité dans tout leRoyaume.
De l'unité de ce Conſeil Suprême doivent néceſſairement
réſulter , Meſſieurs , des avantages
ineſtimables pour une grande Monarchie.
Déja les diverſes Coutumes qui régiſſent les
différentes Provinces , &même ſouvent les differentes
villes de chaque Province , ont faitun chaos
de la Légiſlation Françoiſe.
Il entre dans lesvues législatives de Sa Majesté ,
de fimplifier ces coutumes diverſes , & d'en réduire
le nombre avec tous les ménagemens que
méritent d'anciennes Loix, lorſqu'elles font liées
aux, moeurs locales.
Mais ſi , à cette diverſité de Loix particulières ,
il falloit ajouter encore , dans l'exécution des Loix
générales , de nouvelles différences caufées dans
chaque reffort , tantôt par le refus , tantôt par les
clauſes de l'enregiſtrement , il n'y auroit plus ni
unitédans la législation , ni enſemble dans laMonarchie.
Aces confidérations , qui ſeules auroient rendu
indiſpenſable le rétabliſſement de la Cour Plé(
136 )
nière , ſe joignent encore , Meffieurs , des motifs
d'ungrand poids .
Le Roi , ſans doute, eſt loin de ſuppoſer que
ſes Parlemens puiſſentjamais oublier tout ce qu'ils
doivent d'obéiſſance & de fidélité à l'Autorité
Souveraine.
Mais enfin , Meſſieurs , ſous l'empire des Loix ,
toutes les claſſes de citoyens doivent ſe reconnoître
juſticiables d'un Tribunal ;& les Parlemens
n'auroient eu juſqu'à préſent d'autre Juge que le
Roi ſeul , dans le cas même de forfaiture,
Ce n'eſt qu'à la Cour Plénière que Sa Majeſté
-peutconfier cette fonction rigoureuſe , dont l'exercice
doit éviter à ſa bonté l'uſage perſonnel de fon
autorité contre les Magiſtrats qu'elle s'eſt vuepluſieurs
fois dans la néceſſité d'employer.
Pour rétablir cette Cour, leRoi n'a eu beſoin
d'aucune innovation ; il lui a fuffi de remonter
au-delà de l'érection de les Parlemens.
C'eſt dans les monumens de notre Hiſtoire que
Sa Majefté a trouvé le modèle de cette grande
inftitutior .
En effet , avant la création des Cours dans les
Provinces , dont la première époque eft du qua-
-torzième ſiècle , il n'exiſtoit encore que le Parlement
de Paris , qui enregiſtroit les Loix pour tout
leRoyaume.
Ce premier Parlement formoit alors la Cour
Plénière dans les occafions importantes ; & cette
Cour Plénière étoit compoſée comme le Roi la
compoſe aujourd'hui.
i Quant aux Parlemens de Province , dont la
création ſucceſſive eſt poſtérieure à cette ancienne
forme d'adminiſtration , ils doivent être d'autant
moins étonnés de perdre le droit d'enregiſtrement ,
que nos Rois leur ont interdit la connoiſſance de
pluſieurs eſpèces de cauſes attribuées ſans réclamation
au ſeul Parlement de Paris.
( 137 )
Cependant , Meſſieurs , pour ne point ſe priver
des connoiſſances locales qui peuvent avertir fa
bonté ou éclairerſa juſtice , le Roi almet à ſa Cour
Plénière un Magiſtrat de chacun de ſes Parlemens.
Ainſi ,quand les Provinces de leurs refforts auront
des intérêts particuliers à y difcuter , elles y
trouveront toujours un fidèle interprête de leurs
réclamations & de leurs droits.
Pour vous , Meſſieurs , vous ferez tous appelés
ſucceſſivement , par ordre d'ancienneté , à cette
CourAuguſte.
Vous ne ſubirez , pour devenir Membres de la
Cour Plénière , que les mêmes délais auxquels
vous êtes foumis pour ſiéger à laGrand' hambre,
Rendusà vos fonctions naturelles , vous jouirez
déſormais paiſiblement de la conſidération que mé
ritent vos ſervices.
Vous verrez l'Etat profpérer ſous une Adminiſtration
économique , tranquille & modérée;
vous bénirez le Roi qui ſe montrera entièrement
occupé à réparer , de concert avec la Nation ,
les maux paſſés , & à préparer les biens àvenir ;
qui , loin d'avoir voulu concentrer fon Autorité
dans un ſeul Corps,pour la rendre arbitraire , ne
demandera jamais , ſoit à la Nation , ſoit à ce Tribunal
patriotique , qu'un zèle ſincère , des conſeils
éclairés , le reſpect de la Juſtice , l'amour des Peuples
, un courageux dévouement au bien public ,
&qui enfin eſt auſſi décidé à n'abuſer jamais de
ſa puiſſance , qu'à la maintenir & à la faire refpecter.
Diſcours de M. le Garde des Sceaux ,
pour annoncer la Déclaration du Roi , fur
les Vacances .
Meſſieurs ,
En vertu de la nouvelle Ordonnance du Roi
(138 )
fur l'Adminiſtration de la Juſtice , la plupart des
procès actuellement engagés dans les Cours Souveraines
, doivent être renvoyés & diſtribués aux
Tribunaux du ſecond ordre , pour y êtrejugés en
dernier reffort.
Il vous feroit preſque impoſſible , Meſſieurs ,
d'apprécier vous- mêmes , dans la foule& la confuſion
de tant d'intérêts divers , cette exacte valeur
des objets conteſtés , qui déſormais doit être
la meſure des différentes attributions .
C'eſt aux parties intéreſſées à convenir de leurs
prétentions réciproques , & à recourir enconféquence
au Tribunal auquel il appartient d'en décider.
&
Ces difcuffions préliminaires demandent du
temps pour être réglées entre les plaideurs
pour leur éviter tous ces procèsdecompétence,
que le Roi , dans le nouveau plan qu'il a conçu
relativement à l'Adminiſtrationde la Justice, a eu
tant à coeur de prévenir.
Enfin , quand même lesdéplacemens des cauſes ,
&le changement des défenſeurs , auroient exigé
moins de délais , & que la diſtribution des procès,
felon lavaleur des objets en litige , eût pu s'exécuter
fans retardement, la pourſuite des procès
n'en feroit pas moins inévitablement interrompue ,
en attendant que les Tribunaux du ſecond ordre
foient formés complètement ,& leurs diſtricts déterminési
Il doit y avoir en effet un accord perpétuel &
une correſpondance continue entre l'activité des
Tribunaux inférieurs , & celle des Cours Souveraines.
Cette harmonie , Meſſieurs , fera inceſſamment
&parfaitement établie.
Mais, pour donner à tous ſes Tribunaux cette
conftitution graduelle & régulière d'où leur accord
( 139 )
dépend, Sa Majesté a jugé indiſpenſable de fufpendre
l'exercice de vos fonctions.
Le Roi trouve d'autant moins d'inconvénient
à cette interruption dans l'action de ſes Cours
Souveraines , qu'elle n'est qu'une extenfion de vos
vacances ordinaires .
Sa Majesté vous rappellera , Meſſieurs , aux
fonctions qui vous font réſervées , dès que les
deux ordres de Bailliages qu'elle inſtitue feront formés
dans votre reffort.
Difcours du Roi , à la fin du Lit de Juf
tice , tenu à Versailles , le 8 mai 1788.
Vous venez d'entendre mes volontés .
Plus elles fontmodérées , plus elles feront fermement
exécutées; elles tendent toutes au bonheur
de mes Sujets.
Je compte fur le zèle de ceux d'entre vous qui
doivent dans le moment compofer ma Cour Plé -
nière; les autres mériteront fans doute par leur
conduite d'y être ſucceſſivement appelés .
Je vais faire nommer les premiers , & leur ordonne
de reſter à Versailles ; & aux autres , de ſe
retirer.
1
Nous rapporterons ſucceſſivement les
principaux Edits que précèdent les Difcours
qu'on vient de lire ,&d'abord , voici
celui portant Rétabliſſement de la Cour
Plénière.
Editdu Roi , portant rétabliſſement de
laCour Plénière.
Louis,&c. Par notre nouvelle Ordonnance fur
l'Administration de la Juſtice, Nous avons changé
la compofition & augmenté les pouvoirs de nos
Tribunaux du ſecond ordre ; mais après avoir
ainſi établi dans toutes les Provinces , des Juges
( 140)
>
qui puiſſent terminer définitivement le plus grand
nombredes procès ſur les lieux , ou près des lieux
qui les voient naître , la Législation générale demandeencoreque
Nous faſſions connoîtrenos intentions
ſur le dépôt univerſel de nos Loix& fur leur
enregiſtrement.
Les Loix qui intéreſſent uniquement un reſſort
ou une partiede notre Royaume , doivent inconteſtablementêtrepubliées&
vérifiéesdans les Cours
fupérieures qui font chargées d'y rendre lajuſtice
à nos Peuples ; mais ſi les Loix qui doivent être
communes à toutes nos Provinces , continuoient
d'être adreffées à chacun de nos Parlemens , Nous
ne ſaurions Nous promettre , dans leur enregiſtrement
, lapromptitude&l'uniformité qu'exige
leur exécution.
Cet inconvénient devient de jour en jour plus
ſenſible depuis une année. Notre Edit concernant
les Aſſemblées Provinciales , défirées par lesNotables
, éprouve encore , dans quelques-uns de nos
Parlemens , uneréſiſtance que l'utilité de cesAffemblées&
le voeu de laNation ne permettoient pas
depréfumer.
PluſieursdenosProvincesſont également privées
des avantages qui doivent réſulter pour elles , de
la liberté du commerce des grains & de la converſion
de la corvée en une preſtation pécuniaire.
La prorogation du ſecond Vingtième , enregiſtrée
en notre Parlement de Paris , déja adoptée
par lesEtats Provinciaux&parpluſieurs Aſſemblées
Provinciales , eſt auſſi rejetée par pluſieurs de nos
Cours. La Loi même qui fixe l'état civil de nos
Sujets non Catholiques , eſt devenue l'objet des
remontrancesde deux de nos Cours ; & ces Remontrancesn'ont
pu être arrêtées par notre volonté
bien connue de n'y point déférer.
Cette réſiſtance peut fans doute être vaincue
( 141 )
1
par notre autorité , & en ladéployant dans toute
ſa force , Nous ramènerions nos Cours à l'uniformité&
à la foumiffion dont elles n'auroient pas
dûs'écarter ; mais ces actes multipliés& continuels
derigueur, quelque néceſſaires qu'ils puiſſent être ,
répugnent à notre bonté paternelle. Pendant que
Nous ſommes obligésd'y avoir recours , l'inquiétude
&Palarme ſe répandent , le crédit s'altère , les
meilleures opérations reſtent problématiques ou
imparfaites , &il Nousdevient impoſſible de ſuivre
dans fonuniverſalité le plan d'adminiftration que
Nous avons arrêté dans nos Conſeils.
Ces conſidérations ont long-temps occupénotre
ſageſſe; elles doivent convaincre nos Peuples ,
comme elles Nous ont convaincus nous-mêmes ,
qu'il est néceſſaire que lesLoi.xcommones à tout
le Royaume foient enregiſtrées dans une Cour qui
foit auffi commune à tout leRoyaume. La néceffité
de cette Cour unique est devenue encore
plus urgente , par la déclaration que Nous ont
faitpreſque tous les Parlemens , qu'ils étoient
incompetens pour procéder à l'enregiſtrement
de l'accroiſſement ou de l'établiſſement d'aucun
impôt.
Quoique les meſures que nousavons priſes par
nosbonifications&nos économies , Nous donnent
toute eſpérancederétablir l'ordredansnosFinances,
fans recourir à de nouvelles impoſitions , il n'eſt
pas poſſible que , dans des circonstances extraordinaires
, des beſoins preſſans ne Nous obligent
d'établir des impôts paſſagers. La Loi de l'enregiftrementNousparoît
trop conforme à nos intérêts
&à ceux de nos Peuples , pour n'êrre pas invariablement
maintenue ;& il eſt par conféquent indiſpenſablequ'ilyait
habituellement dans nosEtats
uneCour toujours ſubſiſtante pour vérifier immédiatement
nos volontés & les tranſmettre à nos
Peuples.
( 144 )
tionpour Nous aſſurer du zèleéclairéde ce Conſeil ,
que Nous chargeons expreffément de Nous faire
connoître lavérité. Dans lavuede compoſer notre
Cour Plénière , de la manière la plus propre à
inſpirer à nos peuples une confiance univerſelle ,
Nous y appelons des Membres choiſis dans les
premiers Ordres de l'Etat .
Moyennant ce rétabliſſement légal& perpétuel
de notre Cour Plénière , il n'yauradéſormais pour
tous nos Etats qu'un enregistrement unique &
folennelde toutes nos Loix générales ; & ces Loix
ainſi promulguées par une feule Cour , ne feront
plus expoſées à perdre , tantôt par défaut de vérification
, tantôt par des modifications particulières
, qui en rendent l'exécution incertaine &
variable , le caractère d'univerſalité & d'uniformité
qu'elles doivent avoir dans toute l'étenduede notre
Royaume.
4
A CES CAUSES , & autres à ce Nous mouvant,
de l'avis de notre Conſeil , & de notre certaine
ſcience , pleine puiſſance& autorité Royale , Nous
avons , par le préſent Edit , perpétuel & irrévocable
, dit , ſtarué & ordonné , difons , fſtatuons&
ordonnons , voulons& nous plaît ce qui
fuit :
ART. I. Avons rétabli&rétabliffons notre Cour
Plénière.
II . La Cour Plénière ſera compoſée de notre
Chancelier oude notre Garde des Sceaux , de la
Grand Chambre de notre Cour de Parlementde
Paris, dans laquelle prendront ſéance les Princes
de notre Sang,les Pairs de notreRoyaume , les
deux Conſeillers d'Honneur nés ,&les fix Conſeillersd'Honneur
, fans qu'aucun pourvu de lettres
d'honoraire puiſſe y être admis.
LaditeCour ſera auſſi compoſée denotreGrand-
Aumônier,Grand-Maître de notreMaiſon ,Grand-
Chambellan
( 1 )
Chambellan & Grand-Eruyer, de deux Archevêques
& deux Evêques , deux Maréchaux de
France , deux Gouverneurs & deux Lieutenars-
Généraux de nos Provinces , deux Chevaliers de
nos Ordres , quatre autres Perſonnages qualifiés
de notre Royaume , fix Conſeillers d'Etat , dont
un d'Eglife&un d'Epée, quatre Maîtres des Requêtes,
unPréfident on Confeillerde chacun des autres
Parlemens , deux de la Chan bre des Comptes &
deux de la Cour des Aides de Paris .
Le Capitaine de nos Gardes y aura entrée&
féance avec voix délibérative , toutes les fois qu'il
-Nous yaccompagnera .
III. NotreGrand-Aumônier , Grand-Maître de
notre Maifon , Grand Chambellan & Grand-
Ectiyer, les Archevêques &E êques , Maréchaux
de France , Gouverneurs& Lientenans - Généraux
de nos Provinces , Chevaliers de nos Ordres , &
autres perſonnages, Conſeillers d'Etat , Maîtres des
Requêtes, Prélidens ou Confeillers des autres Par-
Jemens, Chambre des Comptes & Cour des Aides ,
ferontparNous nommés aux places à eux deſtinées
en ladite Cour plénière ,&auront de Nous des
provifions , à ladite Cour adreſſantes , pour y être
enregiſtrées : Voulons que pour cette fois feulement
, ceux qui ont prêté ferment pour leurs
charges , places & offices , y foient reçus ſans
autre ferment; & quant à ceux qui n'en auroient
prêté aucun , feront tenus de le prêter àleur réception
ennotreCour plénière , en la forme parNous
preſorite: voulons au furplus qu'à l'avenir tous
Jes Membres de ladite Cour ſoient tenus de s'y
faire recevoir en la forme accoutumée , fans néanmoins
examen , & d'y prêter ferment .
IV. Les Membres de la Cour plénière feront
irrévocables & à vie.
V. Ladite Cour ſera préſidée par Nous , & en
Supplément auN° . 20. a
(2)
notre abſence , par notre Chancelier , & à fon
défaut, parnotre Garde des Sceaux , anquel ſera
expédié des proviſions à cet effet ; & à leur défaut ,
par le Premier Préſident & autres Préfidens de
notre Parlement de Paris,y exerceront nosAvocats
& Procureur Généraux audit Parlement , les fonctions
du Ministère public. 1
VI. Le Greffier en chefde notre cour de Parlement
de Paris , aſſiſtera ſeul à toutes les délibérations
de la Cour plénière , y exercera toutes
les fonctions du greffe , tiendra pour les arrêts &
autres actes de cette Cour , un regiſtre ſéparé dont
il aura ſeul la garde , & dont toutes les expéditions
feront collationnées & ſignées de lui ſeul ;
fera néanmoins , en cas d'abſence ou autre empêchement
, ſuppléé par les Greffiers de la Grand'-
Chambre.
VII. Ladite Cour ſera ſuffisamment garnie , &
en étatde rendre arrêt , encore que pluſieurs claffes
tout- entières des Membres qui la compoſeront ,
n'aſſiſtent à la délibération ; &dans le cas où plus
de la moitié des Magiſtrats admis dans ladite Cour,
viendroit à s'en abfenter., Nous appellerons pour
les remplacer les Membres de notre Conſeil ,pris
parmi les Confeillers d'Etat , & à leur défaut ,
parmi les Maîtres des Requêtes , ſuivant l'ordre
de leur réception en notre Conſeil ; & ce dans
un nombre fuffiant pour qu'ily ait toujours dans
ladite Cour la moitié au moins du nombre des
Magiftrats qui doivent la compofer.
VIII. La Cour plénière tiendra ſes féances habituelles
en la Grand Chambre de notre Parlement
de Paris , & dans les maisons de notre ſéjour ,
lorſquenouslejugerons convenable ; & lors même
que Nous ne tien drons pasen ladite Cour plénière
notre Lit de Juſtice ,les places y feront occupées
dans le même rang& dans le même ordre quen
१८
( 3 )
ce genre de ſéance; excepté que notre Grand-Aumônier
, les Archevêques & Evêques ſeront placés
à la ſuite des Pairs Eccléſiaſtiques ; les perſonnes
qualifiées , à la ſuite des Pairs Laïcs ; les Préfidens
ou Con'eillers des autres Parlemens , à la ſuite de
laGrand'Chambre du Parlementde Paris ;& ceux
des Chambre des Comptes & Cour des Aides ,
à la fuite des Préſidens ou Conſeillers des autres
Parlemens. Voulons auſſi qu'en ladite Cour plénière
,&dans ſes ſéances ordinaires , les avis foient
demandés & donnés à haute voix.
IX. Ladite Courtiendra tous les ans ſes ſéances ,
depuis le premier décembrejuſqu'au premier avril ;
Nous réſervantdedonnerdes Lettres-Patentes pour
lacontinuation de ſon ſervice , même de l'aſſembler
extraordinairement, lorſque l'importance des
affaires Nous paroitia l'exiger.
X. Les Aſſemblées extraordinaires ſe feront en
vertu de nos ordres , qui feront adreſſés à chacun
desMembres qui compoſeront ladite Cour ; contiendrontaufurplus
leſdits ordres lejour où leſdites
Aſſemblées devront commencer .
XI. A compter du jour de la publication &
enregiſtrement du préſent Edit , notre Cour plé--
nière procédera ſeule , excluſivement à toutes nos
Cours , à la vérification , enregistrement& publication
de toutes nos Lettres en forme d Ordonnaces
, Edits , Déclarations & Lettres-Patentes en
matière d'Adminiſtration&de Légiflation générale
&commmune à tout le Royaume.
XII. Voulonsnéanmoinsquedans lecasdeguerre
ou d'autres circonstances extraordinaires où nous
ferions obligés , pour fatisfaire aux befoins preffans
de l'Etat ou aux intérêts & remboursemens d'emprunts
, d'érablir de nouveaux impôts fur tous nos
Sujets , avant d'aſſembler les Etats-Généraux de
notre Royaume , l'enregiſtrement deſdits impôts
a ij
( 4 )
en notre Cour plen'ère n'ait qu'un effet provifoire,
& juſqu'à l'Aſſemblée deſdits Etats queNous convoquerons
, pour fur leurs délibérations être par
Nous ſtatué définitivement ; ledit enregiſtrement
fans préjudice aux droits , priviléges&uſages des
différensEtats particuliers établis dans quelques-unes
de nos Provinces .
XIII. Voulons au ſurplus que tous emprunts ,
dont les intérêts & le remboursement pourront
être affectés & s'acquitter fur nos revenus actue's ,
& par l'effet de leur adminiſtration , foient or-'
donnés & ouverts de notre autorité , & enregiſtrés
ſeulement en notre Chambre des Comptes,
pour ce qui concerne la comptabilité.
XIV. Lorſque pluſieurs Loix par Nous adreſſées
à notredite Cour plénière , pour y être publiées
& enregistrées , feront par elle renvoyées à des
Commiſſaires pour en fairepréalablement l'examen ,
il fera formé autant de Bureaux de Commiſſatres
qu'il y aura de Loix , & chacun de ces Bureaux
fera compoſé d'un Préfident de notre Parlement ,
des Princes de notre Sang qui voudront yaffiſter ,
&& de douze Commiffaires pris dans les différentes
claſſes qui forment ladite Cour; ſavoir , trois parmi
les Pairs du royaume , trois parmi les Grands Officiers
de la Couronne , Archevêques & Evêques ,
Maréchauxde France , Gouverneurs & Lieutenans-
Généraux de nos Provinces , Chevaliers de nos
Ordres, & autres perſonnes qualifiées ; deux parmi
les Confeillers d'Etat , Maitres des Requêtes , &
Préſiders ou Conſeillers des différentes Cours ; &
Crate parmi les Membres de la Grand Chambre
cu Parlement de Paris : pourront aufurplus notre
Chancelier, notreGardedesSceaux& notre Premier
Préſident , entrer & préſider le Bureau qu'ils efti
meront convenabie.
XV. Pourra notre Cour plénière Nous faire
( 5 )
avant d'enregiſtrer , toutes Remontrances & Repréfnations
qu'elle estimera , àla charge deNous
les adreſſer dans deux mois , à compter du jour
où nosOrdonnances,Edits,Déclarations & Lettres-
Patentes lui auront été préſentés par nos Avocats
&Procureur-Généraux ; & pour que notre déter- ,
mination fur leſdites Remontrances foît priſe avec
uneplus grande connoiſſance de caufe , Voulons
qu'après la préſentation qui Nous en aura été faite,
quatre des douze Commiſſaires qui auront formé
le Bureau où lesdites Remontrances auront été
rédigées , fojent appelés en notre Confeil , pour ,
avec leſdits Membres , &en notre préſence , être
fait la lecture & la difcuffion derdites Remontrances
.
XVI. L'enregistrement fait en la Cour plénière ,
vaudra dans tout notre Royaume , Pays & Terres
de notre obéiſſance : fera tenu notre Procureur-
Général en ladite Cour d'envoyer dans la huitaine ,
tant à nos Procureurs-Généraux de nos Parlemens
& antres Cours , qu'à nos Procureurs ès Préſidiaux
&Grands-Bailliages de tout notre Royaume , copiescollationnées
des Edits, Déclarations ou Lettres-
Patentes qui auront été regiſtrés en notre Cour
plénière , & de l'Arrêt d'enregistrement.
Lefdites Cours& Juges feront tenus d'en ordonner
incontinent la tranfcription & publication ,
Lauf à envoyer enfuite à notre Cour plénière les
Remontrances ou Repréſentations qui pourront
être arrêtées ſur les inconvéniens locaux des dif
férens refforts , leſquelles Remontrances ouRepréſentations
Nous feront préſentées par notredite
Cour plénière , s'il en eſt ainſi par elle délibéré.
XVII. Les Lettres en forme de Déclarations
&Lettres-Patentes, qui n'intéreſſeront quele reffort
oul'arrondiffementd'ud'unneCour oud'undesGrands-
Bailliages , feront enregiſtrées par nos Cours ou
an
1
1
( 6 )
parnosGrands-Bailliages ,ſuivant qu'il Nous p'aira
de leur adreſſer directement ces loix , conformément
à ce qui eſt preſcrit par notre Ordonnance
du préſent mois, fur l'Adminiſtration de la Juſtice.
XVIII. Pourront nos Cours , avantde procéder
à l'enregiſtrement des Lettres qui leur feront par
Nous adreſſées ſur des objets qui n'intéreſſeront
que leurs refforts , nous faire telles Remontrances ,
&nos Juges , adreſſer à notre Chancelier ou Garde
desSceaux , telles Repréſentations quel.fditesCours
&autres Juges eſtimeront néceſſaires .
XIX. La Cour plénière nejugera aucuns procès.
civils ou criminels , fi ce n'eſt ceux concernant
les forfaitures énoncées notamment dans notre Ordonnance
du mois de novembre 1774 , & celles
encourues par les contraventions à notre préſent
Edit, ou par le défaut de ſoumiſſion aux Arrêts.
de ladite Courplénière : connoîtra ladite Cour defdites
forfaitures directement & en dernier reffort ,
contre toutes nos Cours & Juges ſupérieurs ou
inférieurs , fans aucune exception , & prononcera
fur icelles les peines portées par nos Ordonnances .
XX. Dans le cas où , indépendamment de la
forfaiture l'Officier ſeroit accuſé de quelqu'autre
délit , il ſera renvoyé aux Cours & Juges qui en
doivent connoître , pour être jugé fur ledit délit
en la forme ordinaire , même , fi beſoin eſt , les
Chambres aſſemblées ; fauf après le jugement du
délit , être ledit Acccuſé jugé , s'il y a lieu, en
la Cour plénière , pour la forfaiture.
XXI. Ne pourront néanmoins aucuns Membres
d'une Cour accuſée de forfaiture , encore qu'ils
foient Membres de la Cour plénière , & qu'ils ne
foient perſonnellement accufés , aſſiſter ni opiner
au jugement fur l'accuf.tion portée contre ladite
Cour, mais leditjugement ſera rendu par les autres
Membres de laCour plénière , & les abfens feront
( 7 )
fuppléés ainſi qu'il eſt porté en l'Article VII cideffus.
SI DONNONS EN MANDEMENT à nos amés &féaux
Conſeillers , les Gens tenant notre Cour de Par
lement à Paris , que notre préſent Edit ils aient
à faire lire , publier & obferver ſelon ſa forme
& teneur , CAR TEL EST NOTRE PLAISIR. Erafin
que ce ſoit choſe ferme & ſtable à toujours , Nous
yavons fait mettre notre Scel. DONNÉ à Verſailles ,
aumois de mai , l'an de grace mil ſept cent quatrevingt-
huit , & de notre règne le quatorzième.
Signé LOUIS.
Etplus bas , par leRoi , leBoD. DE BRETEUIL.
Visa DE LAMOIGNON.
Le Roiféant en fon Lit de Justice , a ordonné&
ordonne que le préſent Editfera enregistré au Greffe
defon Parlement , & que fur le repli d'icelui ilfoit
mis que lecture en a été faite, & ledit enregistrement
ordonné , ce requérant fon Procureur-Général , pour
être le contenu en icelui exécuté ſelon ſa forme &
teneur. Fait en Parlement , le Roi tenant fon Lit
de Justice , au Chateau de Versailles , le huit mai
mil ſept cent quatre- vingt-huit.
Signé LEBRET.
PAYS - BAS.
De Bruxelles , le 9 Mai 1788 .
La ſemaine dernière ſont arrivés à Anvers
un bataillon d'Infanterie , une divifionde
Dragons ,& 8 Conſeillers du Confeil
Souverain de Brabant , chargés , diton
, de faire publier dans cette ville l'Edit
du 17 décembre dernier , concernant
l'exécution des préalables , de réinſtaller
( 8 )
le Margrave Cuylen , & de nommer un
nouveau Bourguemeſtre , qu'on dit être
M. Schorel ancien Commiſſaire de
Cercle.
,
Ala réquiſition du Général Schroeder , qui arrivoit
de Bruxelles , le Recteur de Louvain & fes
députés ont rendu , le premier de ce mois, une publication
, qui enjoint à chacun des Suppôts de
PÚniverſité de ne pas fe trouver plus de trois
enfemble dans les rues , & de n'inſulter d'aucune
manière , ni le Militaire, ni aucun individu , avertiffant
que les troupes avoient ordre d'arrêter tous
ceux qui feroient trouvés en contravention , & en
cas de réſiſtance de ſe ſervir de leurs armes. Le
Magiſtrat de la ville a donné les mê.nes ordres
aux Bourgeois pour huit jours , mais i's peuvent
étre jusqu'à huit ensemble. Le ſoir du même jour
toute la garniſon fut ſous les armes , & diftribuée
par détachemens dans toute la ville , juſqu'à minuit.
On ignore abſolument le motif de tant de
precautions.
Le 19 avril , un bataillon de Grenadiers
&le régiment du Prince Frédéric , faifant
partie du Corps de Brunswickois , paſſe
à la folde des Provinces Unies , eft arrivé
à Maſtricht , & y reſtera en garnifon.
On a ciré publiquement à la Haye, avec les formalités
ordinaires , à comparoître devant la Cour
de Hollande, le 9 Juin prochain , fous peine de
banniſſement , M. Bernard Block, ci-devant Secré
taire du Collége des Conſeillers - Comités dans
Ja Weftfrife & le quartier de la Hollande ſeptentrionale
, & Commis des Finances du même
quartier. Pareillement on a cité pour la troiſième
fois à comparoître le 26 du mois prochain , Fre
déric , Rhingrave de Salm.
( 9 )
Supplément à l'article de Vienne.
Le 23 avril , il a paru un Supplément
officiel à la Gazette de cette ville , dont
voicila ſubſtance .
« Le 27 mars , le Lieutenant Queslemonde, du
régiment de Levenher ayant été détaché de l'armée
du Prince de Cobourg , avec un Caporal , &
6hommes pour faire la patrouille , a été ſurpris
à Ringaz par 300 Turcs : trois de fes foldats
ont été tués , & lui , le Caporal & les 3 autres
hommes , ont éré faits prifonniers. -Lepremier
avril , un détachement ennemi de 2,500homes ,
a attaqué près de Bojana un de nos poſtes avan-'
cés, composé de 400 hommes ; l'ennemi fut repouffé;
le nombre de ſes tués monte à 69 ; nous
avons eu 28 tués , to bleſfés , & £6 hommes font
tombés entre les mains de l'ennemi.-Le 9 avril ,
une partie du Corps d'armée de laGallicie eſt entrée
au camp de Rarence.>>
« Les rapports de l'Eſclavonie , du Bannat&
de la Croatie portent que l'ennemi fait fouvent
des tentatives pour pénétrer dans le territoire de
S. M. Les Corps Francs occupent tous les défilés
ſur la rive gauche de laMorava , depuis Jagodina
juſqu'à Haſſan-Baffa Balanca;& fur la rive
droite , ceux qui font aux environs de Refſava. >>
« Le quartiergénéral de l'Empereur est àSemlin..
S. M. & le Maréchal de Lafcy occupent enſemble
une hôtelleriedans un faubourg.-Les troupes ont
commencé à former un camp général entre Semlin
&Banofze , en remontant le Danube. »
« Le 9 , un détachement de 6,000 hommes
fortit pour aller du côté de Schabats. On vouloit
reconnoître cette place. L'Empereur , le Maréchal
de Lafcy, les Généraux de Rouvroy& de Kinsky
étoient préfens.A l'approche de nos troupes, l'en(
10 )
1
nemi fit feu de tous côtés. Le Général de Rouvroy
ayant fait avancer huit gros canons , les fit
pointer contre la porte de cette fortereſſe que l'on
fracaſſa. Onse retira enfuite. "
« On n'a pas encore de détails relatifs à l'irruption
des Turcs dans la Croatie. On fait ſeulement
que le Prince Charles de Lichtenstein ayant
appris la marche de 16,000 Turcs , fit les préparatifs
néceſſaires pour les recevoir. Piuſieurs petits
détachemens reçurent l'ordre d'avancer , & de
rétrograder enſuite pour faire approcher l'ennemi.
Cet ordre fut exécuté ponctuellement ; l'ennemi
s'approcha & attaqua ; il fut mis en déroute &
obligé de ſe ſauver. Il a perda environ 1,800 hommes
qui font reſtés ſur le champ de bataille. Les
Chevaux-légers deKinsky ſe font bien ſignalés
àcette occafion , mais ce régiment aauffi beaucoup
fouffert.
Paragraphes extraits des Papiers Anglois
& autres Feuilles publiques.
« On a quelques raiſons de douter que la
relation du dernier ſupplément à la gazette de
Vienne , concernant l'invaſion que les Turcs ont
faite enCroatie , le 25 mars dernier , du côté de
Klokocz , foit aſſez exacte : toutes les lettres qu'on
a reçues de ce pays-là, nous affurent poſitivement
que les ennemis ont entièrement détruit ce dernier
endroit , après en avoir tiré les femmes & les
enfans , qu'ils ont enumenés avec eux fur des chariots.
Les Turcs étoient au nombre de 4000 , &
leur invention étoit de ſurprendre Cariftade ; се
qu'ils auroient peut-être exécuté , fi différens corps
de Croates ne s'étoient réunis affez tôt pour les
repouſſer , ſans cependant leur caufer beaucoup de
perte.
( 11 )
M. leGénéral Comte de Kalckreuth a rendu aujourd'hui
30 avril,à huit heures du matin,aux troupes
de laRépublique la Porte de Leyde, dont leCorps
à ſes ordres étoit reſté en poſſeſſion depuis la reddition
d'Amſterdam . En même temps les troupes
Pruſſiennes qui étoient encore reſtées près d'Amfterdam,
ſe font miſes en marche pour retourner dans
les états du Roi leur maître. La première diviſion
du Régiment de Woldeck avoit déjà pris les dévans
la veille ; & le 6 mai , l'arrière-garde , compoſée
desdeux bataillons de Grenadiers de Schach
& de Droſte , ainſi que du détachement du Régiment
d'Eben , Huſſards, ſous les ordres du Général-
Major de Romberg , évacuera finalement le
territoire de la République Le Comte de Kalckreuth,
ennous quittant, emporte l'eſtime de tout
ce qu'il y a chez nous de Citoyens amis de l'ordre&
de la tranquillité : il s'eſt ſur-tout concilié
la reconnoiſſance publique par l'exacte diſcipline
qu'il a maintenue dans ſon Corps , par la juſtice
avec laquelle il a écouté & réparé les plantes qui
lui étoient portées , en un mot par la modération
&l'équité qui ont réglé ſes procédés. (Gazette
de Leyde, no. 36. )
Des avis du Dnieſter , en date des 4 & 7 Avril ,
portent que les choſes ſont encore dans le même
état , relativement à Bender & Choczim ; que
dans la dernière fortereſſe, il a été établi cinq
nouvelles batteries dans le château , & fept autres
dans le faubourg qui fait face au territoire
Polonois , à côté de Zwanieck &
la place eſt abondamment pourvuede toutes fortes Brahe ; & que
demunitions de guerre & de bouche. On y avoit
reçu d'Oczakow la nouvelle que le Pacha de ce
Gouvernement , qui commandoit à l'attaque de
Kinburn , avoit été étranglé par ordre duGrand-
Seigneur, & que ſatête avoit été portée à Conftantinople.
M. de la Fitte , connu pour avoir
( 12 )
:
:
dirigé l'Artillerie dans l'expédition fus - menmentionnée
, a, dit-on , accusé ce Pacha auprès de
la Porte, d'avoir été cauſe que l'entrepriſe a échoué.
Cet Ingénieur François se trouve , à ce qu'on
affure , à préſent à Belgrade , où il dirige aufli
l'Artillerie.
Toute communication eſt interrompue entre
Choczim & Kaminieck. Les Tures tirent furtout
ce qui veut paſſer le Dnieſfer.
On est toujours dans la plus vive crainte que
les Turcs n'exécutent leurs menaces , & n'entrent
dans laPologne. Si cela arrivoit , on auroit encore
d'autres mouvemens à redouter , & il ſe pourroit
bien qu'il fût tiré in cordon par des troupes étrangères
du côté occidental , & fort avant fur leterritoire
de la Pologne.
Le29 mars , on entendit à Kaminieckune forte
canonnade, qui partoit de Choczim. On apprit
que ce qui y avoit donné lieu , étoit l'arrivée
d'un renfort de Janniſſaires. Les Turcs firent fans
effet quelques décharges de leurs canons fur une
troupe d'Officiers Autrichiens qui s'étoient rendus
à Brahe pour y choiſir un endroit propre à établir
une batterie deſlinée contre Choczim. Autour de
cette fortereſte, on a planté des pieux , fur lefquels
on a placé destêtes qui ont appartenues à
des foldats Autrichiens. (Gaz. de la Haye, nº. 55)
N. B. ( Nous negarantifſſons la vérité ni l'exattitude
des Paragraphes ci-defus).
MERCURE
DEFRANCE .
SAMEDI 24 MAI 178 8 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
INSCRIPTIONS
L
POUR des Statues & Portraits de Héros
& d'Hommes célèbres.
POUR
QUINAULT.
SES/ VCIS , Es'vers , quoique ſans force , ont un
Suprêmei
charme
Les tendres coeurs ſur-tout doivent en être épris :
On diroit que l'Amour les a dictés lui-même ,
Etque ſes Soeurs les ont écrits.
Nº . 21. 24 Mai 1788 . G
146 MERCURE
:
POUR REGNARD .
POETE plein d'eſprit , de raifon , d'agrément ,
Il eſt cher à Thalie : elle-même l'inſpire ;..
Et s'il fait penſer rarement ,
En revanche , il fait toujours rire,
(Par M. D***. T***. )
A M. IMBERT , à l'occaſion deſa conva
lefcence, peu de jours après une repréfentation
du Jaloux fans amour.
QUAUANNDD la fille du Styx menaçoit votre vie ,
L'autre ſoir on donnoit le Jaloux fans amour;
Dans la Loge-Boudoir , votre Muſe chérie
Applaudifioit , ſoupiroit tour à tour.
Mais le Dieu révéré ſur la double colline,
Le Dieu des Vers & de la Médecine ,
Apollon parué enchanté,
Et cédant aux déſirs d'une Muſe jalie ,
Vous rendit à la fois le laurier de Thalic
Et les roſes de la ſanté.
(ParM. de la Mothe.)
.23
DE FRANCE. 147
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
mot de LE
la Charade eſt Affaut; celui
de l'énigme eſt Calendrier ; celui du Logogriphe
eſt Bouche , où l'on trouve Cohue ,
Boue , Oh ! Bûche , Chou , Ou, Cube , Cou,
Bec.
CHARADE.
JOSTE & premier puiſſent-ils être
L'épithète de tous les Rois !
Les Peuples, foumis à leurs Lois ,
Puiffent-ils , comme nous , connoître
Ce bonheur & le publier !
Pères & nombreuſes lignées ,
Enbéniſlant leurs deſtinées ,
Diroient à leur ami, lui ſouhaitant l'ertier
Viens à l'inſtant chez notre ménagère ,
Amène-nous tes enfans & leur mère ,
Nous mangerons l'oiſeau fécond & familier,
Qu'aux Payfans , chaque dernier,
Promettoit des François le Vainqueur & le Père.
:
(Par l'Auteur du MANUEL DES OISIFS. )
G2
148 MERCURE
ÉNIGME.
Par mon nom agréable & cependant vulgaire ,
Des plantes que l'on trouve en cent climats divers,
Je ſuis la plus commune & la plus néceſſaire ;
On ne voit point de peuple en ce vaſte Univers
Qui de me conferver ne ſe faſſe une affaire :
Je crains avec raiſon la rigueur des hivers ,
Et me cache avec ſoin dans un temps fi contraire.
Au moment que je naîs je ſuis grande d'un pić,
Je croîs aſſez long-temps; mais telle eſt ma nature,
Que quand même je ſuis plus grande de moitié ,
Un pied de ma grandeur fait toujours la meſure :
Les autres arbriſſeaux ſe parent de leurs fleurs ,
Etalent à mes yeux mille aimables couleurs ;
Mais quoique je ne ſois ni belle ni féconde ,
Je porte, ſaus fleurir , le plus beau fruit du monde.
Je ſuis utile aux Rois que le fafte environne ;
Je leur aide à porter le faix de leur couronne ;
Et a quelqu'un pouvoit m'ôter au grand Seigneur ,
On verroit à l'inſtant décroître ſa grandeur.
D'un même enfantement nous naiſſons deux jumelles
:
Qu'on ne peut ſéparer ſans des douleurs cruelles ;
Quandon nous voit enl'air, le préſage eſt fâcheux,
Celui d'une Comète eſtbien moins dangereux.
DE FRANCE . $49
Vous , qu'un peu de plaiſir excite à me connoître ,
Lecteur, je ne ſuis pas à fix pieds de vos yeux ;
Mais comme c'eſt le ſoir qu'on me découvre mieux,
Attendez juſque-là , vous me verrez peut-être .
( Par M. Guérin , Maître d'Ecriture , &
Prof, &Arith, à Valenfolle en Provence.)
LOGOGRIPΗ Ε.
A MADA MADAME B ***
B***, plus de mélancolic ,
Adopte la philoſophie
D'Héraclite; en tout temps
Voyant avec gaité triſtes évènemens ,
Avec toi pour toujours je me réconcilie.
Peut-être diras-tu , merveilleuſe leçon ,
Que l'on donne aiſement; mais l'exécution .....
De l'exemple auffi-tôt ma leçon eſt ſuivie.
Arme ta main d'un coutelas ,
Coupe, taille, en morceaux diffèque ma perfonne ,
Et ſous le glaive tu verras
Que jamaisje ne crie,&jamais ne friſſonne.
Des fâcheux changemens qu'alors je ſubirai ,
De mes membres épars , fi diverſe partic
Setrouve réunic ,
Méraclite nouvean, je me confolerni.
G3
150
MERCURE
Quelques-uns forment-ils le vieillard reſpectable ?
Sans doute aux Princes redoutable ,
Puiſqu'ils baifent fes pieds , ſes pieds je baiferai.
Reçoivent-ils le nom de la rivière
Où Phaëton termina ſa carrière ?
Sur ſa téméritéje moraliſerai.
Te font-ils fermer la paupière ?
Sur la pointe du pied , B*** , je marcherai.
Paroitſent-ils fur le Théatre
Muets , en action , ou battus comme plâtre2
Avec les Spectateurs , amusé , je rirai .
Défignent-ils la ville très-connue ,
Où tous les ans ſe donne un combat de maſſue ?
Embraſſant les vainqueurs , je les couronnerai.
Livrent-iis au hafard de ruineuſe chance
L'or, que jamais ne riſque la prudence?
Malheureux Beverley ,je vous ſoulagerai.
Indiquent-ils le fruit que cueillit une femme ?
Diſciple ſoumis , je croirai.
Occupent-ils deux places dans la game ?
La Mufique vous plaît , Madame ,
Tête à tête avce vous ſouvent je chanterai.
T'offrent-ils les vieux corps en Egypte célèbres ?
Mépriſant des tombeaux les épailes ténèbres ,
Aux curieux je ine préſenterai,
1
DE FRANCE . 131
Deviennent-ils volumineuſe mafie ,
Où l'orgueil des Aineurs ne peut, d'une Préface ,
Aux Lecteurs faire grace ? :
Ouverte, ils bailleront; près d'eux je baillerai.
Est-ce ſagefle , eft-ce folic
Dem'adopter ? crois moi , B*** , fois nion amic.
( ParlAuteur du MANUEL DES OISIF'S. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
DISCOURS fur l'amour de la Patrie,
prononcé le 18 Novembre 1787 , dans
l'Eglise Cathédrale d'Orléans, devant
lAffemblée Provinciale de l'Orléanois,
par M. DE THORAME , Membre de la
même Assemblée , Chanoine , & Sous-
Doyen de l'Eglise Cathédrale de Blois
Vicaire-Général de Lisieux. Brochure de
30 pages in-4°. Prix , 12f. en papier
ordinaire , & 36 fous en beau papier. A
Orléans, de l'Imprimerie de Courer de
Villeneuve , Imprimeur du Roi & des
Aſſemblées Provinciales de l'Orléanois,
&se trouve à Paris, chez Nyon l'aîné,
G4
132
MERCURE
Libraire , rue du Jardinet ; Cucher, rue
&hôtel Serpente ; Deſenne, au Palais-
Royal ; Royez , quai des Augustins; Néc
de la Rochelle , rue du Hurepoix ; Belin',
rue S. Jacques ; & à Versailles , chez
Blaifot , Lib . , rue Satory.. :
VOLTAIRE a remarqué plus d'une fois ,
que fi l'éloquence n'eſt plus parmi nous ce
qu'elle étoit parmi les Anciens , fi elle ne
paroît plus fufceptible de ces grands mouvemens
qu'on admire dans les Cicéron ,
dans les Démosthène , ce n'eſt pas que nous
en ayons perdu les principes , ni que nous
manquions d'hommes de génie pour les
mettre en pratique. La cauſe en eft dans
la forme de notre Gouvernement. Une
Monarchie où les Citoyens n'ont aucune
part directe aux affaires , où les grands.intérêts
de l'Etat ne font jamais livrés à une
diſcuſſion publique , ne laiffe aux Orateurs
aucun de ces ſujets auxquels foient attachées
la fortune, la liberté, la vie de tout
un peuple ; il n'a point ces moyens
puiffans d'entraîner des ames déjà violemment
émues par le ſeul tableau de la caufe
qu'il va traiter. Notre éloquence , bornée
au Barreau , à la Chaire , aux Académies ,
ne peut exercer un véritable empire que
fur un petit nombre d'Auditeurs. Le plus
habile Panegyriſte pourra faire couler quel
DE FRANCE.
153
ques larmes à ceux qui ont connu , qui ont
chéri fon Héros ; mais les autres ſe contenteront
d'admirer froidement les refforts
de fon att, le choix de ſes penſées , & l'élégance
de ſom ſtyle. La morale , il est vrai,
ale droit plus général d'intéreſſer tous les
hommes ; mais chacun eft content de celle
qu'il s'est faite, & fon a beau nous en
retracer fortement les devoirs , il eſt rare
que ceux même qui les pratiquent le moins
en foient vivement troublés. Le Barreau
eft peut être la lice où l'éloquence peut
s'exercer avec le plus d'avantage. Sans doute
il eſt des cauſes attachantes, non ſeulement
pour ceux qui y font directement compli
qués , mais encore pour tous les autres
qui, par un retour fur eux mêmes, gemif
fent à l'image de malheurs qui peuvent
auſſi les menacer. L'Orateur profite habi
lement de cette difpofition favorable ; mais
ilya loin de cet intérêt à celui de la guerre
des Athéniens contre Philippe , & de la
découverte des Conjurés de Catilina.
On pourroir dire que ce que nous perdons
du côté de l'éloquence , nous le regagnons
du côté du bonheur ; que c'est
dans le ſein du trouble & des divifions que
font nées les plus belles Harangues , & que
le calme intérieur d'une Nation est préfe
rable au plus beau Difcours ; mais il vaut
mieux remarquer que les Affemblées Provinciales,
fi utiles à la politique du Royaume,
& dont l'économie fe promet avec raifon
GS
154
MERCURE
de ſi grands avantages , n'en aura pas moins
pour cette branche de notre Littérature;
que par cette inſtitution , l'éloquence va
retrouver ſa deſtination naturelle, fans qu'il
en coute rien à notre tranquillité.
Eftil rien en effet de plus noble & de
plus digne d'elle , que d'avoir à régler l'intérêt
général de toute une Province , & d'y
accorder l'intérêt partiel de chaque individu
; de concilier avec les droits , toujours
affez connus , de la puiſſance & de
la richeffe, les droits ſouvent obſcurs &
négligés de la foibleffe & de la pauvreté ?
L'eſpoir d'être admis un jour dans ces Afſemblées
où il eſt permis aux Citoyens de
faire preuve de talent & de courage , eſt
un germe qui fera naître par-tout le
rage &les talens, & cette émulation ne
peut manquer de tourner au profit de la
Patrie. On aimera ſa Patrie du moment
qu'on pourra lui être d'une utilité directe ,
& qu'on aura l'eſpoir d'en être diftingué.
cou-
Cet amour étoit donc le premier fentiment
qu'on devoit réveiller dans le coeur
de chaque Citoyen à la première des Affemblées
Provinciales , & c'eſt ce qu'a fait
avec beaucoup de fuccès M. l'Abbé de
Thorame. Non qu'il ait cherché à l'infpirer
, il étoit für de le trouver dans
toutes les ames; mais pénétré d'un deſſein
encore plus noble & plus conforme à fon
miniſtère , il a cherché à prouver que ce
ſentiment, loin d'être contraire au ChrifDE
FRANCE.
155
,
tianiſme , comme quelques Philoſophes
modernes ont ofé le prétendre , en étoit
au contraire l'un des premiers réſultats
lui appartenoit néceſſairement. Notre Religioncommande
& inſpire le Patriotiſme ;
voilà la première partie de ſon Difcours :
il prouve dans la feconde , qu'elle le règle
& le confacre , & toutes ſes preuves font
appuyées , non ſeulement par l'autorité des
Livres faints , mais encore par celle de la
raiſon. Son ſtyle fimple & ſévère , mais
élégant & noble, a toute la dignité qui
convenoit à fon fujer ; & malgré l'avantage
que lui donnoit la circonſtance majestueuſe
dans laquelle il a été prononcé , nous ne
doutons pas qu'il ne falſe autant de plaifir
à ceux qui le liront, qu'il en a fait à ceux
qui l'ont entendu.
C'eſt aux preſſes de M. Courer de Villeneuve,
Imprimeur du Roi , & des Affemblées
Provinciales d'Orléans , que nous
devons ce Difcours;& nous en prendrons
occafion de rappeler les autres obligations
que nous avons à fes foins. Si la Littérature
a raifon de regarder la Capitale comme
le foyer d'où part la lumière pour ſe répandre
dans les Provinces, il eſt bon qu'elle
connoille à fon tour ce que font aufli quelquefois
les Provinces pour l'alimenter. M.
Couret de Villeneuve ne doit pas être confondu
dans la claſſe des Imprimeurs qui
ne portent pas leur intelligence plus loin
que le mécanifine de leur Art. Avec un ef
GG
1
3
450. MERCURE
prit cultivé , nourri de bons modèles , &
qui s'eſt exercé avec ſuccès duis la Litté
rature agréable , il s'eſt attaché à nous don
ner des éditions précieuſes , où il a joint
le mérite d'un Editeur ſavant à celui d'un
Imprimeur, exact.
Le premier Ouvrage imprimé chez lui
eft l'Horace , avec le Commentaire margi
nal de Bond. L'édition la plus recherchée
de cet Ouvrage étoit celle des Elfevirs ,
parce que c'eſt la ſeule qui étoit faite en
lettres rondes ; mais cette édition , devenue
très- rare, étoit extrêmement chère . M. Cou
ret de Villeneuve père a rendu aux Littéra,
teurs le ſervice de la réiraprimer avec une
conformité de caractères très rigourenſe, &
d'autant plus intéreſſante , qu'Horace ef
le Livre chéri de tous les Gens de Lettres,
&que cette édition eſt pour eux un vade
mecum d'une fingulière commodité. Autli ne
reſte til plus qu'une cinquantaine d'exem
plaires de cet Ouvrage , dont le prix eſt de
liv.; ainſi que de celui qui a pour time
Phadri Fabula , L. Annai Seneca , ac P,
Syri Sententia , joliment imprimé en petit
caractère appelé Sédanoife , & qui ſe vend
sliv.
Une autre entrepriſe de M. Couret de
Villeneuve encore plus intéreſſante , qu'on
a déjà annoncée avec éloge dans ce Jour
nal , mais qui mérite que nous la fallions
connoître plus en détail , c'eſt la Collection
des Poftes Italiens, Preſque tous les Gens
DE FRANCE.
$57
de Lettres , & beaucoup de gens du Monde
cultivent la Langue Italienne ;on ne s'en eft
même jamais plus occupé que depuis quel
ques années , que la Muſique de cette Nar
tion commence à plaire davantage à la
nôtre. On a fenti que pour pouvoir l'apprécier
avec plus de juſtice , il falloit avant
tout en comprendre l'expreſſion. C'eſt donc
une choſe infiniment agréable ,de pouvoir
ſe procurer la Collection des meilleurs
Auteurs Clafliques de cette Langue en un
format ſemblable , en beau papier , beaucoup
mieux imprimée que ne le ſont com
munément les éditions Italiennes , & d'un
prix fort inférieur à celui des Livres Ita
liens que l'on vend à Paris.
Le premier des Poëmes que M. Couret
de Villeneuve ait fait paroître , eſt le Ric
çiardetto de Niccolo Carteromaco, On fait
que cet Ouvrage eſt le fruit d'une gagcure.
L'Auteur avoit parié qu'en ſe livrant à fa
ſeule imagination, fans méditer aucun plan,
&, pour ainfi dire , d'abondance , il feroit
un Poëme dans le goût de celui de l'Arioſte .
Peu de jours après , il lut à la Société, qui
avoit été témoin du défi , les Chanrs du Richardet,,
qu'on trouva pleins d'eſprit , de
gaité,d'une folie auſſipiquante qu'ingénieuſe,
&toutes les Nations en ont porté le même
jugement. L'édition du Richarder, faite par
M. Courer , eſt en 2 Vol. & ne ſe vendque
$liv. 6 f. brochée.
Enfuite a paru l'Orlando Furioso , Ro
158
MERCURE
:
land Furieux , de Louis Arioſte. Nous ne
dirons rien de ce Poëme célèbre , fi connu
en original & par une multitude de traductions.
M. de Villeneuve l'a mis en ; Vol . ,
Le vend 7 liv. to f.
La troiſième Livraiſon est compoſée des
Poéfies dramatiques d'Apoftolo Zeno , Précurfeur
de Métaſtaſe. Elle forme onze vol .
qui ſe vendent , brochés , 29 liv. 8 f. Peutêtre
ſe demandera-t- on pourquoi Apoftolo
Zeno eſt moins connu en France que Métaſtaſe
? Ils étoient à peu près contemporains
, puiſque l'un donnoit ſes derniers
Ouvrages , lorſque l'autre faifoit repréſenter
fes premiers ; & quel que foit le mérite
dramatique de Métaſtaſe , ce n'eſt pas par-là
qu'il a pu faire oublier ſon rival. Peut- être
en doit- on accufer en partie , comme le
remarque M. Couret de Villeneuve , les
fautes typographiques , &les incorrections
fans nombre qui déparoient la ſeule édition
qu'on nous ait donnée des OEuvres d'Apoftolo
Zeno en 1737 , & qui est devenue fort
rare. Mais il doit exiſter une autre raiſon
plus relative au mérite perſonnel des deux
Auteurs. Métaſtaſe étoit Muſicien. En écrivant
des Ouvrages pour la mufique , il a
ſenti le premier tout ce qu'il avoit à faire
pour faciliter au Compoſiteur lamélodie &
Pexpreffion . En méditant les procédés de
la muſique , il a vu que les formes périodiques
& régulières lui étoient effentielles ,
que fans elles il n'eſt point de chant pro
DE FRANCE.
159
prement dit. Il a penſé que la Poéfie,deftinée
à être miſe en muſique , pour bien
s'accorder avec elle & ne lui pas nuire ,
devoit ſe plier à ſes formes , &devenir périodique
à fon tour ; que la Poéfie ne pouvoit
que gagner à cetre régularité , au lieu
que la Mufique perdroit tout à en être
privée. Il a doncdonné à tous les morceaux
de Poéfie qu'il deſtinoit au chant , la ſymé
crie la plus rigoureuſe. Non feulement tous
les Vers qui compofent un air font de la
même longueur& fe correſpondent exacte
ment, mais ils ont encore une céfure égale ,
&le rythme en eſt ſi parfait, que fi la première
ſyllabe d'un Vers eſt longue , on peut
être fûr que la ſeconde est breve , & toujours
ainfi alternativement , comme la mufique,
dont les notes font foumiſes à lamême
alternation.
Il eſt de ces vérités ſi palpables , qu'il fuffit
de les montrer à des êtres ſenſibles , pour
qu'elles foient généralement adoptées. A
peine Métaſtaſe eut-il donné le modèle de
ces morceaux de chant , que tous les Compoſiteurs
d'Italie fentirent l'avantage qui en
réſultoitpour leur Art,& tout le parti qu'ils
en pouvoient tirer. C'eſt à l'époque de cette
invention qu'eſt né le véritable chant dramatique.
Toute l'Italie adopta cette forme
de Poéſie lyrique , & ne voulut plus en
entendre d'autres dans ſes Opéras. Ceux
d'Apostoło Zeno manquoient de cette forte
de mérite . Les Vers de fes morceaux de
1
160 MERCURE
chant font , à la vérité , plus courts que les
autres, mais ils font libres , fans ſymétrie,
ſans régularité: les Compoſiteurs cefferent
d'en faire uſage , ils abandonnèrent tout à
coup ſes Opéras , & il eſt tout ſample que
les étrangers aient peu cultivé unPoëre qui
avoit perdu la faveur de ſa propre Nation. )
Métaſtaſe régna donc ſeul fur la ſcène
pendant un demi- fiècle. Il eut quelques
rivaux, mais trop foibles pour rien diminuer
de ſa gloire , & l'on négligeoit le ſeul qui
auroit pu la balancer. Ce n'eſt que depuis
quelques années que les Italiens , las fans
doute de ne voir que les mêmes Ouvrages
fur leurs théatres , ſe ſont avifés enfin de
revenir à ceux d'Apoſtolo Zeno , en donnant
ſeulement à ſes airs la coupe de ceux de
Métaſtaſe. C'est alors qu'on a mieux ſenti
le mérite du premier. En effet, ſans adopter
la comparaiſon que l'on à fait de l'un à
Corneille , & de l'autre à Racine , il faur
convenir que Zeno a dans le ſtyle , avec
autant d'élégance , une vigueur & un feu
qui manque quelquefois à fon rival. Si les
plans de celui-ci font plus ſimples & plus
réguliers , ſi ſes ſujets ſont moins roma
neſques , l'autre a auſſi plus de ſituations
fortes & attachantes ; il plaît davantage à
l'imagination . L'Auteur de cet article a
entendu dire plus d'une fois à Sacchini ,
que ce n'étoit jamais de fon choix qu'd
avoit mis enmuſique les Opéras deMétaf
taſe; fon génie étoit bien plus animé par
ceux d'Apoftolo Zeno.
DE FRANCE. 161
Dans l'édition qu'a donnée M. Couret de
Villeneuve , on trouvetoutes ſes Tragédies ,
ſes Comédies ( car il faut bien donner ce
nom à des Drames qui, ſans avoir la forme
ni le ton des Opéras bouffons , ne font
pourtant pas des Tragédies ) , ſes Pièces
facrées , appelées très - improprement en
françois Oratoires , ſes Cantate , ſes Serenate,
eſpèces de petits Drames deſtinés à
des fêtes , à des amuſemens de ſociétés particulières
, &dont l'uſage , infiniment agréable
, ne s'eſt pourtant pas encore introduit
parmi nous. Les trois derniers volumes
contiennent les Ouvrages faits en ſociété
avec l'Abbé Pariati. M. Couret de Villeneuve
a cru , avec raiſon , qu'on lui fauroit
beaucoup de gré de les avoir raſſemblés.
Il a ſuivi dans le reſte l'ordre du temps où
chacun de ces Drames a été compoſé. Cette
méthode eſt toujours la meilleure. Il eſt
agréable au Lecteur attentifd'avoir ce moyen
deinger des progrès de l'Auteur dans un
genre à la perfection duquel il a beaucoup
contribué.
La livraiſon qui a paru la dernière , eſt
compofée des trois plus célèbres Paftorales
kaliennes'; ſavoir , L'Aminte du Taſſe , le
Paftor Fido du Guarini , & la Philis de
Scyros (la Filli di Sciro ) du Comte Guidubaldo
de' Bonarelli. On trouve avec plaifir
raſſemblés euun ſeul volume ces troisOuvrages
, que leur célébrité a rendus clafliques,
&que tout Amateur de la Langue Italienne
1
162 MERCURE
doit avoir indiſpenſablement. Le prix de ce
volume eſt de so ſols. Les premières éditions
de la Filli di Sciro , remplics de fautes ,
étoient infupportables à la lecture. Les ſoins
qu'a pris M. Couret de Villeneuve de les
faire diſparoître , méritent beaucoup de
reconnoillance , & follicitent de la part du
Public toutes fortes d'encouragemens en
faveur d'une entrepriſe auſſi utile.
( Cet Article eft de M. Framery. )
MÉMOIRE fur cette Question : Quels
feroient les Moyens compatibles avec
les bonnes moeurs , d'aſſurer la confervation
des BATARDS , & d'en tirer une
plus grande utilité pour l'Etat ? Ouvrage
qui a remporté le Prix de la Société
Royale des Sciences & des Arts de
Metz en 1787 ; par M. DE BOURMARD,
Capitaine au Corps Royal du Génic.
AMetz ; &fe trouve à Paris, chez Prault ,
Imprimeur du Roi , Quai des Augustins.
C'est déjà un préjugé bien grand , en
faveur d'un Ouvrage , que de ſavoir qu'il
a été couronné par une Société dont le
difcernenient n'eſt pas moins remarquable
par les jugemens qu'elle a portés , que par
DE FRANCE. 163
le choix des objets qu'elle a offerts à l'émulation.
Tout le monde fait que c'eſt l'Académie
de Metz qui a propofé pour ſujer
d'un des Prix qu'elle a diftribués , de trouver
les moyens de détruire le préjugé bárbare
qui étend aux deſcendans des criminels
l'opprobre qui réſulte de leur fupplice ;
&perſonne n'ignore non plus de quelle
manière brillante M. de la Cretelle a mérité
& remporté la couronne. L'objet du
Mémoire dont nous allons rendre compte,
n'eſt affurément pas moins intéreſſant , &
nous croyons que fon Auteur a encore des
tieres particuliers à notre eſtime; car il eſt
honorable pour notre ſiècle, qu'un Militaire
, très-connu par ſon application à fon
métier , emploie d'une manière fi utile le
peu de loiſir qui lui reſte , & ſemble expier
ainſi par les ſervices qu'il rend à l'hur
manité entière , tout ce qu'ont de partiel &
d'exclufif ceux que ſon état lui impoſe.
: L'Ouvrage dont nous voulons donner
une idée à nos Lecteurs étant écrit d'un
ſtyle ferme & concis, nous préférerons de
tranfcrire ici quelques-uns des paſſages qui
montrent le mieux le but de l'Auteur , &
les motifs d'après leſquels il s'eſt déterminé
pour le plan qu'il propofe. Après avoir
témoigné combien il a licu d'être furpris
de l'eſpèce d'indifférence que la Légifſlation
moderne a montrée ſur le ſort des Bâtards ,
il eſſaie de découvrir comment l'égal de
>> tous dans l'ordre de la Nature, ſe trouve
164 MERCURE
" le dernier de tous dans l'ordre de la So-
>>ciété.- L'ordre ſocial une fois établi ,
>> dit-il, bientôt naquit l'inégalité entre les
» hommes ; bientôt , pour conferver la
ود
ود
paix , il fallut fortifier en tous ſens les
barrières que la propriété avoit poſées
>> autour des poffeflions de ceux que le
" travail , l'induſtrie, ou d'heureux hafards,
» avoient mieux ſervis que le grand nom-
» bre. La Société naiſſante ne parvint à
» prêter un appui sûr à ces barrières ,
» qu'en ſe ſervant du pouvoir de l'éduca-
» tion pour inſpirer aux jeunes Citoyens
ود un grand reſpect pour les Loix. Le fils
» du Citoyen pauvre apprit de fon père
ود que les conventions , en vertu deſquelles
" ils faifoient l'un && l'autre partie de la
» Société , avoient été conſenties par lui
»& par fes pères ; que la première de ces
> conventions avoit été que chacun ref
» pectat la propriété d'autrui pour jouir
>>paiſiblement de la ſienne ; que de là étoit
>>dérivée pour toujours la néceflité que
» celui qui manqueroit du néceſſaire , l'obtiendroit
, en échange de fon travail , de
» quiconque auroit du ſuperfu. Le fils du
» Citoyen pauvre , formé par l'exemple de
" ſon père , mieux encore que par ſes dif-
> cours , au travail & à la frugalité , de,
>> vint lui-même le Citoyen le plus utile ,
>> devint le nourricier & le défenſeur de
» l'Etat. Tels furent pour la Société en
>>général les avantages de l'éducation, bien
:
DE FRANCE. 165
" plus grands chez les Anciens , qui étoient
> plus près de l'établiſſement des Sociétés ,
>> que chez nous autres Modernes , dont
> le fort eſt de jouir des anciennes Infti-
› tutions, ſans nous en rappeler le prin-
» cipe & la fin. La ſurveillance des pères
» fur leurs enfans , d'où dérivoit tout le
>> reſpect pour les Loix, étoit à ſon tour
» appuyée de toute la force des Loix. Le
>> pouvoir paternel dans la plupartdes Gou-
>> vernemens anciens , étoit fans bornes ;
» & les Gouvernemens qui maintinrent le
>> plus long-temps ce pouvoir, le plus ferme
>> appui de l'ordre ſocial , furent ceux qui
ſubſiſtèrent le plus long - temps , parce
>> qu'ils conſervèrent le plus long - temps
> les bonnes moeurs , qui , à leur tour ,
>> conſervèrent les Loix. Rien en effet n'eft
>>plus capable de garantir la Société du dé-
> fordre des paſſions privées , que de les
mettre ſous le joug de la ſageffe &de
>>> l'expérience " .
" Il étoit doncnaturel que celui qui ne
pouvoit offrir cette garantie , que l'em-
>> fant ſans famille , que le Bâtard devînt
>> ſuſpect , parût dangereux dès la naiſſance
des Sociétés; aufli l'expoſoit-on , &, à
>> moins que quelque Citoyen ne voulûr
>> le recueillir & l'élever , ce qui empor-
>> toit l'adoption , il périffoit ! LesGouver-
>> nemens anciens , ſi ardens à l'encoura-
>> gement de la population , the vouloient
»qu'une populatio,n vertueuſe; ils nepré-
1
1
4
166 MERCURE
ود ſumoient pas qu'il fût poflible dedevenir
» vertueux fans le ſecours de l'éducation ,
» & de perſévérer dans la vertu , privé de
ود la furveillance d'un père &d'une famille.
» Dans ces Sociétés neuves encore , on
" ſentoit trop vivement ſans doute l'avan-
>>tage de l'ordre ſocial fur celui de la Na-
>> ture , dont on ne faiſoitque de fortir ; de
ود làle Citoyen étoit tout , l'homme n'étoit
" rien ".
50 Dans nos Gouvernemens modernes
➤ qui paroiffent avoir méconnu l'appui que
>>l'éducation peut prêter aux Loix , & qui,
>> pour les faire reſpecter , ont mieux aimé
» s'en remettre à la terreur des fupplices,
» qu'à la ſurveillance paternelle, dans nos
>> Gouvernemens modernes , les Bâtards ont
été traités plus humainement. Le Citoyen
>> n'étant preſque plus rien , Thomme re-
>> devint quelque choſe; l'égal de tous par
" la Nature , l'étoit encore devenu par la
>> Religion : cette Religion divine apprit
d'ailleurs qu'un prix infini étoit réſervé
à toute ame humaine qu'éclairoit fon
Hambeau ; des-lors fut révoquée à jamais
ود
ود
ود
" la proſcription prononcée par une poli-
>> tique farouche contre ces êtres innocens;
» & entre tant de biens que la Religion
>> Chrétienne a fairs à l'humanité , celui-ci ,
>> plus que tout autre , la diftingue , &
" prouve fon excellence , en établiſſant par
» un fait incontestable ſa ſupériorité ſur la
>>Religion naturelle , qui , dans cet Empire
1
DE FRANCE.
167
» fi vanté , qu'elle régit depuis tant de fiè-
> cles , n'a point encore pourvu à la con-
• ſervation , non ſeulement des Bâtards ,
>> mais même des enfans en général .
Mais cette Religion, aux yeux de laquelle
rien n'eſt abject , & qui veille à la confervation
du pauvre comme du riche , du Bâtard
comme du premier Citoyen , ne s'eſt
pas chargée du bonheur paſſager que peuvent
éprouver ſur la terre des êtres dont
elle ne protège la courte exiſtence que pour
les rendre dignes d'une autre vie. C'eſt à
la Légiflation qu'il appartient de les confidérer
comme membres de la Société : mais
que peut cette Législation fur celui qui n'a
pas été inſtruir dès l'enfance à connoître -
les rapports qui lient les hommes entre
eux? C'eſt donc dans la première éducation,
quelque groſſière qu'elle foit , qu'on apprend
à reſpecter la propriété, à le pénétter
de ce principe , que celui qui n'a pas
depart à certe proprière , jouit du moins
de celle de ſon induftrie , & que c'eſt le
travail ſeul qui donne droit à partager la
fortune du riche. Le Bâtard, au contraire,
>> nourri dans un Hôpital, ſequeſtré de la
» Société , en ignore abſolument les Loix.
» Il reçoit régulièrement ſa ſubſitance ;
elle n'eſt point le prix de ſon travail ,
>elle en eſt indépendante. L'infuffiſance
>> de ce travail ne lui fait point éprouver
>> de privation , & ſon ſuccès le plus grand
>> ne lui procure point de jouiſſance ;l'obli168
MERCURE
d.
>> gation qu'on lui en fait n'eſt donc à ſes
>> yeux qu'une contrainte dont rien ne mo
ود
tive la durée , & dont il ſe promet bien
de l'affranchir au moment où il fortira
› de la priſon où on le retient. Ce travail
>> d'ailleurs , néceſſairement ſédentaire par
ود la nature de ces établiſſemens , s'oppoſe
» au développement de ſes facultés phyſi-
» ques , que d'autre part la corruption de
>>l'air , produite par l'entaſſement d'un
➤ trop grand nombre d'êtres refpirans , ne
>> peut que vicier ; le moral s'en reffent,
وو &tout le zèle , tous les ſoins des per-
>> ſonnes vraiment reſpectables , qui ſe
» dévouent à l'éducation de ces infortunés
>> enfans , ne peuvent triompher des vices
>> inhérens à la nature de ces établiſſemens,
» ou réſultans néceſſairement de l'inſuffi-
>> ſance d'une tutelle trop étendue ". )
>>C'eſt de là qu'avec un phyſique fois
ble , ou même vicié , un moral nécef-
>> ſairement peu développé ou négligé ,
→ une ſtupide inexpérience , un dégoût du
travail pouffé juſqu'à l'horreur , un pen-
» chant à la licence que tout a réprimé ,
& que rien ne va plus contenir ; c'eſt
» de là que le Bâtard , juſqu'alors mal
>> nourri & mal vêtu par l'Etat , eſt aban-
>> donné à lui - même dans l'âge où ſes
forces peuvent lui procurer ſa ſubſiſtance
CD le rendant utile à la Société. Mais
malheureusement cer âge eſt celui - là
même où les paſſions naiffent en tumulte,
»&
DE 169 FRANCE .
» & où elles égarent infailliblement, ſi l'on
>> manque de guide & d'appui. Que de-
>> viendra donc le Bâtard récemment échap-
>> pé de l'Hôpital , & jouiſſant enfin d'une
>> dangereuſe indépendance ? Comment ſe
>>préſervera-t-il des vices qui infectent les
>> grandes villes devenues ſon premier afile?
>> Comment échappera-t-il à la corruption
de leurs moeurs ? Comment réſiſtera-t- il
>> au ſpectacle attrayant & déſeſpérant du
luxe dont il eſt entouré , à l'indignation
>> que lui cauſe l'ordre même de la Société,
» qui ne ſemble avoir tout arrangé , tout
>> diftribué , que pour le priver , que pour
>> l'exclure de tout ? Je dis qu'il eſt pref-
>> que impoſſible qu'il réſiſte à la tentation
>> de troubler cet ordre.
...
>>Ne nous étonnons plus ſi nous voyons
» & les Dépôts de mendicité , & les Mai-
>> fons de force, & les Prifons , & les Ga-
>> lères , peuplés en grande partie par la
>>jeunelle élevée dans nos Hôpitaux , &
>>récemment échappée de ces affles funcı-
» tes ".
Ces réflexions ſuffiſent pour nous mettre
fur la trace de l'Auteur , & pour nous faire
voir par quel chemin il a été conduit
au grand réſultat : que ce n'eſt que dans
une famille particulière qu'on peut former
des êtres dignes d'être membres de la famille
générale , qui eſt l'Etat, la Patrie; &
que par conféquent on n'élèvera jamais les
Bâtards à la dignité de Citoyen , fi on ne
No. 21. 24 Mai 1788, H
47
170 MERCURE
leurdonne auparavant un père & une mère,"
enfin ſi on ne les régénère , pour ainſi dire ,
par l'adoption ; & qu'on ne croye pas ce
projet chimérique ou difficile à exécuter :
M. Necker , dont l'ouvrage fur l'Adminiftration
des Finances eſt devenu claſſique
au moment même où il a vu le jour , éva
lue à 40,000 le nombre des Enfans-trouvés
entretenus dans nos Hôpitaux , & il fait
monter à 6 millions la partie des fonds dé
charité deſtinée à leur entretien , ce qui
reviendroit à 150 liv. par tête. Ces enfans
ne fortent qu'à l'âge de ſeize ans des Hôpitaux
où ils ont été élevés : or M. de
Bourmard , qui , pour éviter toute conteftation
, réduit cette ſomme à 120 liv. , propoſe
d'allurer à toute femme qui , de l'aveu
de fon mari, voudra adopter un Enfanttrouvé,
& le nourrir de ſonlait , la ſomme
de 100 liv. par chaque année , juſqu'à ce
que cet enfant ait atteint l'âge de ſeize ans.
Les 20 liv. dont on pourroit encore difpofer,
il les place dans les fonds publics ou
dans une caiſſe établie ad hoc ,& il calcule
que les intérêts accroiffant toujours le car
pital , ces placemens annuels de 20 livres
ſeulement, produiront, au bout de 16 ans ,
une fomme de 453 liv., laquelle fera délivrée
aux parens adoptifs , s'ils la demandent
, & s'ils juſtifient de l'emploi. Dans le
cas où l'Enfant trouvé ſeroit parvenu à l'âge
de vingt-cinq ans ſans la toucher , elle lui
feroit remiſe à lui- même, & elle feroit alors
de 622 liv.
DE FRANCE.
171
** Qu'on réfléchiſſe maintenant , 1º. que le
beſoin oblige beaucoup de femmes à s'offrir
pour Nourrices aux Hôpitaux des Enfans-
trouvés , & cela pour un prix très mo
dique; tandis que les 100 liv. qu'elles recevroient
annuellement pour récompenſe
de. l'adoption , les mettroient en état de
foutenir les enfans qu'elles auroient eus précédemment,&
ceux qu'elles pourroient avoir
par la ſuite : 2º. que l'expérience prouve /
que les femmes s'attachent pour le moins
aurant à leurs nourriſſons qu'à leurs propres
enfans; & qu'ainfi il n'est pas à craindre
que l'enfant adopté ſoit jamais négligé
par ſa mère ; 3°. que dans la plupart de
nos campagnes , la ſomme de 453 liv. eft
Tuffifante pour l'établiſſement d'un garçon
ou d'une fille ; ſoit qu'ils fe marient , foit
qu'ils prennent un métier : 4º . que l'appât
de cette fomme , dont les parens adoptifs
ne manqueront pas de profiter , puiſque
J'aifance de leur enfant fera en même temps
da leur , eft affez puiſſante pour intéreffer ,
au défaut du ſentiment & de l'habitude ,
les parens adoptifs à la conſervation de
l'innocente créature dont ils ſe feront chargés.
Nous ne fommes pas Juges des difficultés
que pourroit éprouver la Loi d'adoption
, effayée d'abord dans ce cas ſeul;
mais comme M. de Bourmard a confulté
pluſieurs Magiſtrats reſpectables , & qu'au
lieu de vaines amplifications , dont de pareils
Ouvrages ne font que trop ſouvent
1
H2
172
MERCURE
:
remplis , il a donné lui-même le projet de
la Loi qu'il propoſe , nous ſommes portés
à lui accorder toute notre confiance , &
nous terminerons cet extrait en invitant nos
Lecteurs à ne pas juger ſeulement par une
fimple analyſe, d'un Ouvrage dont le ſtyle
&la méthode répondent parfaitement à
l'importance du ſujet.
HERBERT , ou Adieu Richeſſes , ou les
Mariages ; 3 Vol. in- 12 , A Paris , chez
Buiſſon , Libraire , Hôtel de Mesgrigny,
rue des Poitevins , No. 13. Prix , s liv .
brochés , & s liv. 15 f. francs de port
par la Poſte,
CE Roman , dont les premiers développemens
font trop étendus , & qui pourroit
être facilement réduit à deux Volumes ,
a de l'originalité , des ſituations piquantes ,
&unbut moral très-marqué. Nous allons
dire quelques mots de l'action principale.
M. Herbert eſt le fils légitime du Lord
Meroff. Celui- ci , qui l'a eu d'une femme
qu'il avoit épousée en France , & dont
il n'avoit jamais parlé que comme d'une
maîtreffe , s'eſt obſtiné long-temps à ne le
point reconnoître ; enfin il s'y détermine.
Avant d'être reconnu , Herbert a rencontré
par hafard Miff Sophie Vernon , jeune
DE FRANCE. 173
perſonne très bien née , & douée des
qualités les plus aimables; il en eſt devenu
amoureux , & il a produit lui-même une
très-vive impreſſion ſur le coeur de Sophie.
Mais il trouve un rival dans Sir G. Obrien,
homme fans principes , ſans moeurs , &
capable de tous les excès. Cet Obrien , ne
pouvant obtenir la main de Miff Vernon
par ſes aſſiduités & par l'étalage de ſon
amour , feint d'être frappé d'une maladie
mortelle , aceuſe Sophie d'avoir cauſe ſa
mort , & déclare qu'il la lui pardonnera ,
s'il meurt ſeulement avec le titre de fon
époux. La ſenſible Miff Vernon conſent à
épouſer Obrien in extremis , & Obrien ref
fufcite. Cependant M. Herbert devient
Lord Melroff par la mort de ſon père.
Celui - ci , avant de mourir , a fait un teltament
, par lequel il a inſtitué ſon fils fon
légataire univerſel , à condition que , conformément
au voeu général de ſa famille
>> il épouſera la Demoiſelle Janetta Sutherland
, fille de Henri Sutherland & d'Anne
Redfort , aujourd'hui Lady Sommerfer , &
que , faute par lui de remplir cette claufe ,
il ſera tenu de céder à ladite Janetta le
château de Mont-Herbert , ou une rente de
3500 liv. ſterl. ". Le mariage de Sophie
porte dans le coeur du Lord un chagrin
qu'il cherche en vain à diffimuler , car il
n'aime pas moins Madame Obrien qu'il
n'aimoit Miff Vernon , & il n'est rien
moins que diſpoſé à devenir l'époux de
H
,
174 MERCURE
>
Janetta . Enfaite un évènement bizarre
ſemble lui rendre l'eſpérance d'être heureux.
Obrien ruine ſa femme , excroque
au Lord une ſomme de deux cent mille
livres, difparoît, & bientôt après on apprend
la nouvelle de ſa mort. Le Lord revoit
Sophie , s'enivre d'amour , & fe difpofe
à devenir fon époux , en faiſant à Janetta
Sutherland une rente de 3500 liv. fterl.
aux termes du reftament de ſon père ,
quand non ſeulement & Lord Sommerfer
refuſe la rente avec indignation , & Sc
phie ſupplie le Lord de renoncer à elle ,
mais encore quand il rencontre Obrien ,
ſe bat avec lui au piſtolet , le bleſſe , eſt
arrêté & conduit en prifon. Ce vil Obrien
'avoit fait courir lui même le bruit de ſa
mort , bien sûr que cette nouvelle rendroit
au Lord Melroff ſes eſpérances , &
qu'en reparoiſſant , il en obtiendroit de
nouveaux facrifices ſur ſa fortune. En effer,
malgré leur combat , on les rapproche
quand le Lord est forti de fa prifon, &
celui-ci a encore la bonté de faire à Obrien
une forte penſion , à condition qu'il fera
avec ſa femme un divorce 'volontaire.
Obrien y confent; Herbert promet de ſon
côté de ne point revoir Mifl Vernon , &
afin de donner une preuve de la conftance
de ſes réſolutions, il ſe détermine à
épouſer Janetta Sutherland. Ce mariage
n'est pas heureux. Janeta , qui dès fa première
jeuneffe a ſecoué tous les principes
DE FRANCE. 175
ne
a
de vertu , qui a été la Maîtreſſe d'Obrien ,
ſe comporte pas avec plus de retenue ,
quand elle est devenue Lady Melroff. Le
Lord, indigné de ſes égaremens , prend un
parti vigoureux , la conduit à Mont-Hetbert,
la confine dans ſa chambre , fupprime
ſa garde- robe ordinaire ,y ſubſtitue une fobe
de groffe étoffe grife , & fait veiller ſur ſes
actions avec la plus grande exactitude . C'eſt
à Lady Sommerſet , nièce de Janetta , que
le Lord doit tous ſes chagrins. C'eſt elle qui
La été la confidente d'Obrien dans ſon projet
d'épouſer Miff Vernon. Elle a connu le
con merce de fa fille & d'Obrien . Elle a
preſque dicté le teſtament de Melroff le
père. Elle été la complice du vol de
deux cent cent mille liv. fait au Lord
par Obrien. Elle a appuyé la faufle nouvelle
de la mort de ce miférable. Enfim ,
abuſant de la générofité du Lord & de
fon extrême délicateſſe , elle l'a conduit
à devenir l'époux d'une fille perdue. On
ſent qu'une femme de ce caractère , quind
elle ſe voit démaſquée , eft capable de
tout. Le traitement que fa fille éprouve ,
lui infpire une nouvelle fureur. Elle veut
ſe venger , & elle choisir denx victimes ;
Obrien , parce qu'il a été le ſéducteur de
Janerta , & Miff Vernon , parce qu'elle
attribue la rigueur de Meltoff à l'amour
qu'il a pour elle. Elle les fait enlever
Tun & l'autre, les retient dans une prifon
étroite , où elle fait vêtir Sophie d'un habit
H4
176 MERCURE
,
ſemblable à celui que Melroff a fait faire
pour Janetta. Son projet est d'envoyer l'un
aux Ifles dans un vaiſſeau qui va faire
voile & de faire renfermer l'autre à
Bridewel ( maiſon de force ) , apres l'avoir
fait marquer d'un fer chaud. Le jour deftiné
à l'exécution , un ami de Melroff enlève
Madame Obrien, tandis que l'on conduit
le mari bien garrotté ſur le vaiſſeau
l'Amphitrite. Pendant la nuit , Lady Melrof
s'échappe de ſa prifon. Trompés par Thabit
, les gens de Lady Sommerfet l'apperçoivent
, la prennent pour Sophie , s'en
emparent , la marquent d'un fer chaud ,
tandis qu'elle s'écrie en vain : Grace, Milady
! grace , ma mère ! & la conduiſent
à Bridewel , où elle meurt dans la rage.
Obrien, débarqué à l'Ifle Ténériffe, y meurt
d'une fièvre ardente ; & Lord Melroff, re .
devenu M. Herbert, après avoir renoncé à
tous ſes titres , époufe Sophie Vernon , &
trouve le bonheur dans ce ſecond hymen.
Au travers de cette action , paffent quelques
perſonnages gais ou intéreffans. Il
faut citer entre ceux-ci une Hélène Spenfer
, fille du Lord Sommerſet , devenue
P'épouse d'un ſimple campagnard , femme
pleine de vertus , de douceur & de fen-
Abilité ; un M. Nugent , époux de cette
Hélène Spenſer , Philofophe ſans prétention
, ami chaud, bon père , bon époux , &
dont le caractère est fort original : ce perſonnage
eſt un des plus puiſſans refforts
DE FRANCE.
177
de l'action principale , où il joue un rôle
très-difficile & très - intéreſſant : enfin un
Sir George Irwin , eſpèce de dévot , homme
foible , pufillanime , ſuperſtitieux , qui ſe
mêle de tout à tortà travers , fait toujours
des ſottiſes , qui va ſe puniſſant , ſe difciplinant
, fe morigénant , en toute humilité,
pour des fautes dans lesquelles il ne tardera
pas à retomber , & qui , las d'être toujours
un imbécille , finit par ſe jeter dans
uncloître.
Les caractères de G. Obrien , celui de
Lady Sommerfet , & de Janetta Sutherland
, nous ont paru un peu chargés ; ils
font quelquefois ſi odieux , qu'ils en font
révoltans ; mais un des inconvéniens artachés
à l'obſervation exacte des moeurs ,
eſt de paroître quelquefois au deſſus de
la vérité , lors même qu'on a cherché à
l'adoucir. La générofité d'Herbert , la conrageuſe
franchiſe de Nugent , la raiſon aimable
de Mill Hélène , la douce ſenſibilité
de l'intéreſfante & malheureuſe Miff Vernon
, font oublier ce que les autres perſonnages
ont de repouffant , & rendent
très-attachante la lecture de cer Ouvrage ,
dont le ſtyle eft quelquefois foible , mais
où il y a ſouvent de la chaleur , de l'imagination
& de l'intérêt.
H
178 MERCURE
:
ACADÉMIE.
ACADÉMIE FRANÇOISE.
I A Séance publique de l'Académie Francoiſe
, tenue le 14 de ce mois pour la réception
de M. le Chevalier DE FLORIANà
la place de M. le Cardinal DE LUYNES,
a été des plus brillantes, tant par l'affluence,
que par le choix de l'Affenbice. Leurs Altetſes
Séréniffimes Monfeigneur le Duc de
Penthièvre , Mme. la Duchefle d'Orléans
& les jeunes Princes , & Mme. la Princefle
de Lawballe , ont ajouté, par leur préſence,
à l'intérêt de la réception & des lectures
qui ont été faites.
Le Difcours de M. DE FLORIAN a para
fort bien écrit , & d'une éloquence convenable
au fujer. Une élégance de ſtyle &
de pensée en fait le caractère & le mérite ,
& une douce ſenſibilitéy ajoute aux graces
de l'eſprit. On y a remarqué un rapprochement
des plus heureux , qui a été
vivement applaudi ; il a repréſenté fon
Prédéceſſeur s'inftruifant dans la jeunelle
avec Fénelon ; ce nom confacré par une
DE FRANCE.
179
forte de religion , n'eſt jamais rappelé fans
intérêt.
M. Sedaine , en qualité de Directeur
actuel , a répondu au Récipiendaire , &
les éloges qu'il a décernés ſuivant l'uſage ,
ont paru diſtribués juſtement , & judicieuſement
diſcurés. Nous rendrons compte ,
comme à l'ordinair'e, de ces deux Difcours
( 1 ) .
M. de la Harpe a lu enſuire une Épître
ft les effets de la Nature champêtre & la
Poésie descriptive , qui a reçu beaucoup
de juſtes applaudiffemens ; & M. le Chevalier
DE FLORIAN a terminé la Séance pår
des Fables , où l'on retrouve cêtre ingénieuſe
naïveté qui caractériſe ſes autres
Ouvrages .
( 1 ) Ils se trouvent chez Demonville , rue
Chrißine.
H6
180 MERCURE
SPECTACLE S.
COMÉDIE ITALIENNE.
LEE Mercredi 14de ce mois , on a repréſenté
pour la première fois Sargines ,
ou l'Elève de l'Amour , Comédie lyrique
en 4 Actes , par M. MONVEL , muſique
de M. le Chev. D'ALEYRAC .
C'eſt dans une Anecdore de M. d'Arnaud
, imprimée au ſecond Volume de ſes
Epreuves du Sentiment , que M. Monvel
a puiſé le fond de la Comédie dont nous
allons rendre compte. Préliminairement ,
nous ferons un extrait ſuccinct de l'Anecdote.
Sargines eft fils d'un Chevalier attaché
à la Cour de Philippe Auguſte , & l'ami
de ce grand Roi. Loin de marcher ſur les
traces de ſes aïeux , qui tous ſe ſont diftingués
dans le métier des armes , il languit
dans une indolence , dans une ſtupidité ,
dans une inertie dont rien ne peut le faire
fortir. En vain ſon père multiplie- t- il les
moyens qui peuvent donner du refort à
fon ame, en échauffant ſon amour-propre ;
en vain le Roi lui-même lui fait- il préfent
de ſon épée , Sargines reſte abſorbé dans
un engourdiffement abſolu. Le père au déDE
FRANCE. 181
ſeſpoir le relègue dans une Terre éloignée,
&ne laiſſe auprès de lui qu'un vieux Serviteur,
qui ſe nomme Pierre,& qui gémit
tous les jours fur la nullité de ſon jeune
Maître. Sargines demeure quelque temps
inſenſible ſur ſa pofition, comme aux confeils
& aux reproches de ſon ſubalterne
Inſtituteur ; enfin il voit par haſard la Demoiſelle
d'Apremont. La beauté , les charmes
, les graces de la jeune perſonne font
palpiter fon coeur & lui inſpirent le défir
de plaire. Pierre , qui s'en apperçoit , profire
de cet amour pour mettre en oeuvre
les premières diſpoſitions à bien faire qu'il
entrevoit dans Sargines. Son zèle & fa
tendreſſe ſuppléent aux connoiffances qui
lui manquent; il propoſe au jeune fils des
exercices à cheval, à la lance; il y préſide
comme il peut , & voilà Sargines en action .
La Demoifelle d'Apremont, qui commence
par plaindre Sargines , & qui finit par le
trouver aimable, lui apprend à lire, à écrire ;
elle l'éclaire fur les devoirs des Nobles , des
Chevaliers ; elle lui inſpire du courage &
l'amour de la gloire. On publie que , pour
célébrer le mariage de ſon fils Louis , Philippe-
Auguste a ordonné un tournoi, auquel
toute la jeune Nobleſſe eſt invitée à diſputer
le prix. Sargines frémit ; le tournoi eſt
prochain ,& il n'eſt pas encore en état de
s'y préſenter. La Dlle d'Apremont ſe ſert
de fon aſcendant , l'excite à de nouveaux
exercices; échauffé par les yeux & par les
1182 MERCURE
:
1
encouragemens de fon Amante , le jeune
homme fait de rapides progrès. Il ſe rend
au tournoi ; il fait des prodiges , y est
proclamé vainqueur , & fe fait reconnoitre.
On juge de l'étonnement, des tranſports du
vieux père , qui , tout à l'heure , en voyant
les prouelles du jeune Chevalier , penfoit
douloureuſement à la honte de ſon fils.
-Pendant que les acclamations générales ,
que les inftrumens militaires élèvent jufqu'aux
cieux la gloire du Vainqueur , un
Chevalier s'évanouit , on délace fon cafque.
On reconnoît Sophie d'Apremont ,
qui , revenue à elle , raconte à fon père
la cauſe réelle de ſa préfence & de fon.
évanouiffement. La ſévérité des moeurs
chevalereſques éclate d'abord contre l'irrégularité
indécente de la conduite de Sophie
; mais le Roi , le Prince fon fils , & fon
époufe, s'intéreſſent au bonheur des jeunes
gens, & on finit par les unir.
Cette Anecdote , dont nous ne pouvons
donner qu'une ilée très imparfaire , eft
pleine de détails vrais , naturels , attachans ,
propres à faire aimer la noble fimplicite
de ces moeurs antiques , qui ont difparu
pour jamais avec la Chevaterie , & nous
regrettons qu'il rous foit impoſſible de les
fane connoître.
Voyons quel parri M. Monvel a tiré de
l'Ouvrage de M. d'Arnaud , & comment
l'a accommodé pour le Théatre.
DE FRANCE. 183
,
Sargines, au commencement du premier
Acte , rongit déjà depuis quelque temps de
fon oifiveté & de fon ignorance. Il te propoſe
de ceſſer de mériter les reproches qu'il
s'entend faire par tout le monde. H aime
Sophie de Villehardouin , ſa coufme ; il en
eft aimé , mais il l'ignore , & la jeune perfonne
met tout en oeuvre pour lui inſpirer
de l'énergie. Le Roi Philippe a projeté de
marier Sophie , dont il aime la famille
avec le Sire de Montigny , brave Capitaine ,
dont il veut récompenfer la valeur ; il envoye
Montigny auprès de Sophie , en le
chargeant d'une lettre explicative de ſes intentions.
Sophie cache ſon trouble ; Sargines
laiſſe entrevoir de la jalousie ,& Montigny
ſe retire en attendant la réponſe de la Demoifelle
de Villehardouin. L'inquiétude de
Sargines attendrit Sophie ; elle lui déclare
qu'elle ne ſerajamais l'épouse de Montigny ,
& l'enhardit ainſi à eſſayer une déclaration
de fon amour. Quand il va la faire , elle
veut l'eſquiver , en lui propoſant de prendre
avec elle une leçon de lecture ; mais c'eſt en
vain; la lecture eſt elle même le motif de
la déclaration de Sargines , & de l'aven du
retour de Sophie. Fidèle à ſes principes
d'honneur, celie ei profire du moment pour
éclaiter fon jeune amant fur les devoirs des
Chevaliers . Cependant Philippe va combattre
à Bovines ; la bataille ſera déciſive ;
le falur de la France dépendra de fon fuccès:
tous les braves du Royaume ſe font
184 MERCURE
propoſés d'y ſeconder le courage&les efforts
de leur Roi , & c'eſt dans le château même
où Sargines eſt relégué,que Philippe doitvenir
raſſembler ſes Chefs & donner ſes derniers
ordres. Le vieux Satgines précède fon Maître;
il veut voir ſi enfin fon fils est forti de fon
humiliante apathie. A la vue , aux difcours
ſévères de ce père aigri dès long- temps par
une coupable indolence , le jeune homme
tremble & friſſonne. Le vieillard ordonne à
fon fils de ſe couvrir d'une armure , & de
ſe meſurer contre un de ſes Ecuyers. Pendant
le combat , il accumule les reproches
d'ignorance , de lâcheté , & décourage ainfi
le pauvre Sargines , qui est complètement
battu, qui veut mourir , & qui n'eſt rendu
à lui même que par la tendre & noble Sophie.
Le vieux Sargines ſe croit abfolument
déshonoré par un fils indigne de lui ; il a
toujours aimé Sophie , il reverſe fur elle
route ſa tendreffe,& il lui parle avec intérêt
de fon mariage avec le Sire de Montigny.
Il n'eſt pas peu furpris quand il trouve la
nièce rebelle à ſes ordres & à ceux du Roi.
Il fort menaçant &déſeſpéré. Enfin le Roi
arrive. Tout occupé d'abord de la grande
action qui va ſe paſſer , il en entretient ſes
Capitaines , puis il demande à Sargines où
eſt ſon fils. Le vieillard va en parler avec mépris
; le Roi l'interrompt , lui reproche doucement
de le décourager , affure qu'il ne
voit en lui que de la timidité , qu'il apperçoit
du feudans ſes yeux, de l'expreſſlion dans
DE FRANCE. 185
ſes traits. Achaque parole du Roi , le jeune
homme s'échauffe ; le Roi le fait Ecuyer ,
& lui fait préſent de ſon épée. Après ce
don royal, Sargines paroît totalement changé,
& il ſe diſpoſe à ſuivre le Roi au combat.
Philippe va fortir avec ſes Capitaines ; il
apperçoit une ſtatue de Charles le Grand ;
il s'arrête , & dépoſant ſa couronne aux
pieds de la ſtatue du Héros , il s'écrie : >> Si
>> quelqu'un d'entre vous ſe croit plus digne
» que moi de commander à des François ,
>>qu'il le déclare , & je conſens à marcher
>>fur ſes pas ". Une acclamation univerſelle
atteſte que lui ſeul eſt jugé digne d'un tel
honneur. Le Roi fort ,& va combattre . Dans
le premier mouvement de ſon déſeſpoir , le
vieux Sargines a laiflé éclater devant la nièce
le deſſein de chercher la mort à Bovines :
celle-ci , qui a été accoutumée dès l'enfance
aux exercices militaires , a projeté de ſuivre
fon oncle & de l'arracher au trépas , aux
dépens même de ſa vie. La bataille ſe
donne ; les ennemis ont porté par-tout le
fer & la flamine; leurs eſcadrons font enfoncés
; Philippe & ſes Braves veulent achever
la victoire , ils poursuivent les fuyards.
Au même inſtant le Roi & le vieux Sargines
font enveloppés , & courent riſque
de la vie ou de la liberté. Deux Chevaliers
s'élancent , terribles , portant la mort partout
où ils paffent ; l'un délivre Sargines ;
l'autre ſauve le Roi , qui demande à connoître
ſon libérateur,&qui ſe voit préſenter
186 MERCURE
l'épée dont il a fait don au jeune Sargines.
>> Voilà mon choix juftifié " , s'écrie un
Chevalier dont la viſière eſt baillée : on reconnoît
Sophie , c'est elle qui a ſauvé lon
oncle. Le Roi , inſtruit de la paſſion des
jeunes gens , fe retourne vers Montigny ,
qui renonce à fes droits , & Sargines époufe
la Demoiselle de Villehardonin.
Il nous ſemble que la marche employée
par M. d'Arnaud , pour développer l'ame
indolente & engourdie de Sargines , eft plus
fimple , plus naturelle & plus vraie que
celle qui a été adoptée par M. Monvel .
Dans l'Anecdote , les ordres du père , les
bontés du Roi, les reproches , les menaces ,
tout est infufefant à réveiller le courage du
jeune homme , dont le coeer eft encore
plongé, pour ainſi parler ,dans un profond
fommeil. Une femme paroît , belle, brillante
, ſenſible , courageufe , habituée à
manier l'épée & la lance. Le jeune homme
eft frappé; il fort de ſon indifférenceil
veut plaire , il y travaille : on l'encourage,
-on l'anime ; à force de foins , de tendreffe,
-de patience, de moyens confolateurs , on
l'élève an deſſus de lui-même , & le défir
de ſe rendre digne d'un objet fait pour
l'eſtime & pour l'amour , le porte à devenir
unHéros. Tout cela eſt raisonnable , jufte ,
fenti , & voilà véritablement l'élève de
l'Amour. Nous ne croyons pas qu'il en ſoit
-ainfi du Sargines de M. Monvel , quoique
le fecond titre de fa Pièce annonce une
DE FRANCE . 187
intention très déterminée de le préſenter
ſous cet aſpect. Si le Sargines lyrique eft
élève de l'Amour , on peut concevoir qu'il
reſte encore dans une eſpèce d'engourdifle,
ment , jusqu'à l'inftant où il apprend qu'il
eft aimé ; mais quand ill'a appris, pourquoi
ne s'arrache-t-il pas tout à coup à fon inertie ?
Pourquoi les encouragemens de fonAmante
font-ils moins puiſſans ſur ſon ame , que les
reproches de ſon père ? Et depuis quand
donc une première paffion , une paffion
qui a été doublée par un mouvement de
jalousie , qui a dù s'accroître encore , non
ſeulement par le retour qu'on lui accorde ,
mais par les préférences qu'on lui donne ,
a-t-elle ſi peu de pouvoir qu'elle puiſſe
-être fubordonnée à quelque choſe ? Cela eft
ſi peu dans la Nature , que, depuis la déclaration
de Sophie juſqu'à l'entrée de Philippe
Auguſte , un grand nombre de Spectateurs
a regardé Sargines comme un homme
décidément incurable, parce que rout le
monde cherchoit en lui cer élève de l'Amour
qu'on avoit annoncé , & qu'on ne le trouvoit
point. Oui , Sophie eft pour quelque
choſe dans la régénération de Sargines ;
mais ce n'est pas elle qui l'opère ; c'eſt
Philippe qui la détermine par les ſecouffes
qu'il donne à fon ame , & par le don de
fon épée. Ajoutons à ces obſervations, que,
pendant trois Actes , Sargines eft conftamiment
duis des ſituations qui le dégradent ;
qu'il eft en batte aux difcours & aux repro
188 MERCURE
ches de ſes ſubalternes , & qu'il eſt difficile
de s'intéreſſer à un perſonnage longuement
avili, fur- tout quand il ne fait que de médiocres
efforts pour fortir de l'état de langueur
où il eſt détenu par une habitude indigne de
lui. Nous n'avons pas aimé la manière dont
l'Auteur expoſe ſon ſujet. Sargines , caché
dans un coin du théatre pour écouter la
converſation de deux jeunes payſans qui
s'entretiennent de lui , & inftruiſant les
Spectateurs , dans des aparté multipliés ( 1) ,
de ſes réſolutions pour l'avenir , nous a paru
produire un effet péu vrai & peu noble.
Nous n'avons pas aimé davantage le ton ici
très-bruſque , pour ne rien dire de plus ,
là très - recherché , très - ſpirituel du bon
homine Pierre , fi touchant , fi vrai dans
l'Anecdote de M. d'Arnaud ; & nous nous
ſommes demandés vingt fois comment la
Demoiſelle de Villehardouin , qui a tant
d'égards , tant de bontés pour fon coufin ,
fouffroit qu'on l'humiliat ſans ceſſe dans un
château qu'elle habite avec lui. Un peu de
réflexion pouvoit faire difparoître toutes ces
taches , &donner plus de dignité au
jeune homme pour lequel l'Auteur devoir
( 1 ) A la ſeconde repréſentation , l'Auteur a
fait diſparoître cet aparte. Il en réſulte deux
avantages . L'expoſition eſt plus claire , plus rapide
, & Sargines n'y ce plus avili. Nous invitons
M. Monvel à faire de pareils chamgemens
dans d'autres ſcènes , & nous ofons l'aſſurer que
ſon perſonnage y gagnera beaucoup.
DE FRANCE. 189
commencer d'abord par inſpirer un trèsvif
intérêt. Arrêtous- nous ſur les réflexions
critiques , &venons à ce que l'Ouvrage de
M. Monvel a d'eſtimable. Le caractère de
Sophie est vrai , noble , aimable , & digne
des beaux jours de la Chevalerie. La ſcène
de la double déclaration , au ſecond Acte ,
eſt auſſi bien filée qu'elle eſt conçut avec
adreſſe , & qu'elle eſt dialoguée avec grace .
Celle entre Philippe-Auguste & Sargines , au
troiſième Acte , rappelle ces temps anciens ,
où , fans aucun riſque , la fierté du caractère
, l'autorité ſouveraine & le titre de
Maître n'excluoient point la familiarité des
manières & la ſimplicité du langage. Le grand
Roi y parfe comme un Chevalier loyal , ſenfible
, fait pour avoir des amis. Tel fut depuis
ce bon Henri , cet adorable Henri ,
qui fera , tant qu'une bouche humaine articulera
fon nom , l'admiration & l'amour du
monde. Le tableau que préſente le quatrième
Acte, eſt tout à la fois varié , pittoresque ,
touchant , & pathétique. Il s'agit d'une
bataille ( 1 ) qui décida du ſalut de la France ,
d'une action où l'un de ſes plus grands Rois
vit pluſieurs fois ſa vie& ſon Royaume en
danger , & la part qu'a le jeune Sargines à
(1) Nous ne devons pas oublier que le combat
qui termine le quatrième Acte , & qui produit un
très-bel effet , a été deſſiné par M. Veftris le père,
& exécuté d'après les repréſentations qu'il en a
fait faire avec un zèle égal à ſon intelligence.
ا و د
MERCURE
4
cette action , en ſauvant les jours de fon
Prince , fait oublier l'état de dégradation
où on l'a vu trop long-temps.
Le ſuccès de l'Ouvrage a été complet. On
a remarqué dans la Muſique un ſtyle varié ,
de beaux effets , une grande intelligence
de la ſcène, & de la fierté dans les motifs qui
en exigent. On a demandé les Auteurs : M.
Monvel a paru feul; il a été long- temps &
vivement applaudi. La Pièce eſt jouée avec
beaucoup d'enſemble ; mais on doit des
éloges particuliers à Mme. du Gazon , qui
joue avec beaucoup de décence & d'intérêt
le rôle de Sophie , & à M. Philippe
, qui repréſente le Roi avec la franchife
& le naturel d'un loyal Chevalier.
Mlle. Renaud a parfaitement exécuté un
air de bravoure au commencement du fecond
Acte , morceau de placage , qui paroîtroit
bien ridicule s'il n'étoit pas chanté
par elle.
ANNONCES ET NOTICES .
CONFIDENCE Philofophique , 4e. édition , revue&
fort augmentée; 2 Vol. in-8°. A Londres;
& ſe trouve à Paris , chez Lagrange , Lib. , rue
S. Honoré.
L'Auteur de cet Ouvrage l'a revu avec beau
coup de foin , & y a fait des changemens qui
doivent ajouter à ſon premier ſuccès.
DE FRANCE.
rgf
TABLEAU des Moeurs de ce fiècle en forme
d'Epitres. Epitre Ire. & 26., fuivies de pluſieurs
Fragmens d'un Poëme intitulé Saint Alme &Zé
lie; du Tombeau & de l'Apothéoſe de J. J. Roufſeau
, Poëme ; d'une Epitre à la plus honnête des
femmes ; d'une Lettre für une découverte célèbre ;
&de Pièces fugitives. ALondres ; & fe trouve
àParis, chez le Tellier, Lib. , quai des Auguſtins.
Nous reviendrons ſur cet Ouvrage .
La Francefous les cinq premiers Valois , ou
Hiſtoire de France depuis l'avénement de Philippe
de Valois juſqu'à la mort de Charles VII ; précédée
d'une Introduction , dans laquelle on fuit
les révolutions & les progrès de la Monarchie ,
depuis le règne de Pepin juſqu'à la mort de Charles
le Bel; par M. Lévesque ; 4 Vol. in- 12. A Paris ,
chez Debure l'aîné , Libr. , rue Serpente , Hôtel
Ferrand.
Nous reviendrons fur cet Ouvrage , dont l'Auteur
eft connu par nombre de Productions juſtement
eſtimées.
LE Verger, Poëme , par M. de Fontanes ;
in- 8 ° . A Paris, chez Prault, Imprimeur du Roi,
quai des Augustins .
M. de Fontanes , fans avoir donné encore un
grand nombre d'Ouvrages , s'est fait diftinguer
parmi les Poëtes modernes. Ce Poëme ne peut
qu'ajouter à l'eftime qu'on a pour ſon talent.
PALÉMON , Paftorale ; par M. l'Abbé Chefneau
; petit in - 12. Aux Alpes ; & ſe trouve à
Paris , chez Leſclapart , Lib. , rue du Roule,
Il y a de la franchiſe & de la ſenſibilité dans
sette Paftorale , qui reſpire par tout l'honnêteté
& la délicateffe,
1
1
129 MERCURE DE FRANCE.
Six Duos concertans pour deux Alto , par M.
Cambini , 2e. Livre de Duos pour Alto. Prix ,
7liv. 4 C. francs de port par la Pofte .
Quatuor pour le Clavecin , avec Violon ,
Alto & Bafle , par M. W. A. Mozart , OEuv. 142.
Prix , 4 liv. 4 Ε.
=Soirées de la Comédie Italienne , ge. Recueil
d'Airs d'Opéras , &c . de différens genres , avec accompagnement
de Clavecin , par les meilleurs Auteurs.
Prix , 6 liv. port franc.
=NUMÉROS 3 & 4 du Journal de Clavecin ,
par les meilleurs Maîtres. Prix ſéparément , 3 liv.
Abonn. pour 12 Nos. , 15 liv. francs de port.
=NUMÉROS 19 à 27 du Journal Hebdomadaire
, compofé d'Airs de différens genres , avec
accomp. de Clavecin.
=NUMÉROS 9 à 17 du Journal de Harpe ,
par les meilleurs Maîtres. Prix , chaque Numero ,
12 f. Abonn.pour 52 Nos, de chaque Journal , 15
liv. francs de port. A Paris , chez Leduc , auMagafin
deMuſique & d'Inſtrumens , rue du Roule ,
N°. 6.
TABLE.
INSCRIPTIONS.
AM Imbert
Charade, Enig.&Logog. 147 Académie Françoise.
161
172
178
145 Mémoire.
146Herbert.
Discours sur l'amour de
la Patrie.
Comédie Italienne.
151 Annonces &Notices .
180
191
APPROBATIΟΝ.
J'AI lu , ppaarr ordre de Mgr. le Garde des Sceaux ,
de MERCURE DE FRANCE , pour le Samedi 24
Mai 1788. Je n'y ai rien trouvé qui puifle en
cmpêcher l'impreſſion . AParis, Ic 23 Mai 1788.
SÉLIS.
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES .
3
POLOGNE.
De Varsovie , le 27 Avril 1788 .
Le dernier Manifeſte de la Porte , dont
nous avons rapporté la première partie , eſt
terminé par l'expofition que l'on va lire.
Il avoit été déterminé, par le traitédes limites à
Kinburn , « que les Habitans d'Oczakof auroient
>> le droit d'aller prendre le ſel dans les lacs entre
>>les forts de Kirburn & de Kilkoi ; trafic d'ou
>> ces Habitans avoit tiré de tout temps leur fub-
» ſiſtance : que , munis de paſſe-ports desCom-
>>mandans de la part des deux Parties contractan-
» tes, ils pourroient ſe rendre ſur les lieux mê-
» mes ;& que , parune ſuite naturelle de 'a bonre
>>intelligence ſubiſtant entre elles& du bon vo-
- finage, il leur feroit libre d'y recueillir du ſel
»&de le tranſporter. » L'on convint en conféquence
qu'il n'y auroit plus à ce ſujet ni critiques
ni difficultés.
Cet article avoit été obſervé ainfi , de part &
d'autre , durant 5 ou 6 ans , ſans la moindre con-
N°. 21. 24 Mai 1788 . g
( 146)
teſtation; mais les Ruſſes ayant élevé enſuite quelques
difficultés , la Sublime Porte , fur les repréfenta
ions qu'elle fit d'abord faire à ce ſujet , reçut
pour réponſe , « que fuivant toute apparence cette
>> difficulté n'étoit que l'effet de quelque mal-en-
>>tendu ; que la Cour de Ruſſie avoit déja donné
> des ordres ſur cette affaire ,& que l'article qui
>> faiſoit l'objet de la conteſtation , feroit exécuté
» comme ci-devant. Cette réponſe fait voiraſſez
clairement que la Cour de Ruſſie reconnoiſſoit
quela Sublime Porte avoit raiſon, commeelle le témoigna
en même temps dans une rép nſe à la lettre
que la Sublime Porte lui avoit écrite , relativement
à cet objet. La Sublime Porte étoit donc en droit
d'inſiſter ſur l'accompliſſement de cet article: cependant
, au mépris de fa teneur , les Ruffes ont
mis peu après , aux ſuſdits Habitans , tant d'entraves
lorſqu'ils venoient prendre & emmener le fel ,
que même à la fin ils leur ont interdit d'approcher
du lac ſuſdit. Cette atteinte , portée audit article ,
fut repréſentée plus d'une fois au Miniftre de Ruffie.
Au commencement il feignit d'ignorerles o:-
dres que ſa Cour avoit donn's précédemment fur
cetobjet. De temps en temp, il diſoitque nos Commiſſaires
avoient commis quelques mépriſes dans
les expreffions dont on s'étoit ſervi , lorſque les
limites avoient été réglées ; en général , il donna
toujours des réponſes ambiguës , & il eſſaya enfin
d'anéantir entièrement tout l'article:il foutint
publiquement que les Habitans d'Oczakof n'avoient
aucun droit d'aller prendre du ſel dans le
lac en queſtion , & que de la part des Rufſes il
ſeroit pris des meſures pour les en empêcher.
Par le traité de Kainardgi , il avoit été ſtipulé
de plus , " qu'on ne garderoit ni ne protégeroit ,
>> de part ni d'autre , fous quelque prétexte que
» ce pût être , les transfuges, lorſque lesSujetsde
L
(147 )
>>l'une ou de l'autre Partie ſe réfugieroient fur le
>> territoire de l'autre , excepté le cas , lorſque ceux
>>qui ſe ſeroient retirés ſur le territoire Ruffle , au-
> roient embraſſé la religion Chrétienne , ou que
>> ceux qui auroient paſſe ſur le territoire Ottoman
>>euffent fait profeſſion de la religion Muſulma-
>> ne; qu'au contraire, ils feroient livrés fur le
champ ou chaffés du pays,dans lequel ils ſe ſe-
>>roient retirés , àl'effet d'éviter que, pour l'amour
>>d'auffi mauvais Sujets , il ne s'élevat de la mé-
>>ſintelligence entre les deux Puifiances. » L'on
vouloit prévenir ainſi tout ce qui pouvoit y donner
occafion. De plus , il fut convenu que les Sujets
de l'une des deux Parties contractantes qui ,
après avoir commis quelque délit , viendroient ſe
réfugier ſur le territoire de l'autre , quel que pût
êtreleur deſſein , feroient livrés ſur la première
réquiſition qui en ſeroit faite.
Telle étoit la téneur des articles ſus-mentionnés
, à l'égard des perſonnes qui fe réfugieroient
du territoire de l'une des Parties fur celui de
l'autre , à cauſe de crimes ou de délits. En vertu
doncde ces ftipulations,la Sublime Porte avoit demandé
l'extradition du Prince Alexandre de Moldavie,
qui s'étoit retiré à l'inſtigation des Ruffes
mêmes ,&s'étoit ſauvé fur le territoire de Ruffie.
Après pluſieurs détours & fubterfuges peu conformes
au traité , le Miniſtre Ruſſe donna pour
réponſe , " que quand même l'extradition du
>> Prince feroit conforme au traité , ſa Cournéan-
>>moins ne le livreroit point, »
Après tout cela , le Miniſtre Ruſſe informa la
Sublime Porte par un mémoire , « que le Géné
ral Potemkin avoit reçu la commiffion de fe
>> rendre ſur les frontières , à la tête de 60,000
hommes , pour mettre ordre à quelques affai-
» res , & que lui-même il avoit été chargé de
gij
( 148 )
>> fuivre ſes inſtructions à cet égard. » Quoique
cemême mémoire eût pu être conſidéré comme
une provocation formelle aux hoſtilités , la Sublime
Porte l'a néanmoins reçu , en faiſant femblant
de n'en pas comprendre le contenu , & elle
donna pour réponſe , « que , puiſque ce Général
» avoit été chargé d'une pareille commiſſion , il
>> étoit néceſſaire que la Sublime Porte lui déſi-
>>gnât les articles auxquels elle avoit droit , con-
>> formément à la teneur du traité , pour qu'il pût
" y avoir égard& prendre les meſuresnéceſſaires
» à leur exécution. » Le Miniſtre Ruſſe répliqua
fur le même ton déciſif qu'auparavant , « que la
» Cour de Ruſſie ne vouloit ſe relâcher en rien
>> relativement au Prince de Teflis , qu'elle nevou-
>> loit non plus condeſcendre à rien pour ce qui
>> regardoit le fel , & qu'elle ne livreroit point le
» Prince de Moldavie.n
Uneréponſe ſi catégorique de la part du Miniſtre
de Ruſſie , l'atteinte portée aux engagemens
pris ſous ferment , l'exaction continuelle de ce qui
y étoit contraire , la déclaration du Miniſtre que
le Général Potemkin avoit ordre de ſe rendre fur
les frontières à la tête de 60 mille hommes , toutes
ces démarches étoient fondées uniquement ſur la
ſuppoſition que la Sublime Porte n'étoit pas en
étatde faire laguerre. Au mépris de la façon d'agir
entre amis , & plus encore en negligeant les
égards que ſe doivent des Têtes couronnées ,c
violation directe du ſyſtême d'amitié & d'ordre
permanent , tant envers des Puiſſances Souveraines,
qu'entre les rangs &états reſpectifs du genre
humain , par confequent ſur le même principe
que la Cour de Ruſſie avoit déja ſuivi en occupant
la Crimée, elle a cru pouvoir forcer la
SublimePorte à ſe prêter à ſes vus, quoique dis
rectement contraires au traité.
(149)
Voilà donc les mauvaiſes intentions que cette
Cour avoit en provoquant la Sublime Porte , &
en la mettantdans le cas de ne pouvoir éviter la
guerre , après avoir mis au grand jour comment
l'amitié qui avoit ſubſiſté entre elle&ladite Puifſance,
s'étoit changée en hoftilité ouverte; en conſéquence
de quoi elle ſe croyoit obligée de faire
marcher vers les frontières une armée pourvue de
tout ce qui étoit néceſſaire pour la guerre : cependant
la Sublime Porte n'avoit pas encore perdu
de vue le rétabliſſement de la paix , à laquelle
elle étoit inclinée. Ayant mandé le Minitre de
Ruſſie , elle lui donna à connoître " que , puiſque
>> tous ces déſagrémens s'étoient enſuivis unique-
>> ment de la violation de l'article concernant la
>> Crimée , qui néanmoins faiſoit l'objet principal
>> du traité de Kainardgi , la Sublime Porre étoit
>> prête à donner les mains à un accommodement ,
> ſi la Cour de Ruffie étoit diſpoſée à rétablir fur
> l'ancien pied ledit article concernant l'indépen-
>> dance de la Crimée. » Mais ce Miniſtre ayant
perſiſté dans le refus d'accepter une pareille pro.
pofition , il a été conduit au château des Sept-
Tours, ſuivant l'ancien uſage de la Sublime Porte.
La Sublime Porte a déclaré ainſi la guerre à la
Cour de Ruffie , parce que celle-ci avoit violé le
traité. Durant l'époque d'une paix non interrom
pue depuis cinquante ans entre elle & la Cour
Germanique, fon bon ami & fon voifin, elle ne
lui a donné aucun ſujet quelconque de mécontenrement
; beaucoup moins lui a-t- elle fourni , par
quelqu'atteinte portée à ſes engagemens , matière
à ſuſpecter la pureté de ſes intentions à fon égard:
au contraire , la Sublime Porte n'a négligé dans
aucune occafion de cultiver , par des efforts bien
intentionnés , l'amitié mutuelle ,& de montrer de
la condeſcendance envers ladite Cour, par rapport
giij
( 150)
àtous les objets qui s'offroient tout-à-fait hors des
relations du traité ſubſiſtant entre eux. La Cour
Gerinanique ſouhaita particulièrement d'avoir la
poffeffion d'unterritoite affez étendu dans laMoldavie,
contre la teneur du traité; elle en a fixé les
limites , & les a priſes à fon bon plaifir ; elle a
envoyé à cet effet un nombre conſidérable de troupes,
& elle a donné à entendre par fa déelaration,
« qu'au cas que la Sublime Porte refusât de
lui céder ce territoire , elle ſe montreroit dif-
>> poſée à une attaque hoftile. La Sublime Porte
préférant la paix à l'inimitié , & defirant encore
encette occafion de conferver le repos de ſon côté ,
ainſi que de cultiver & d'étendre l'amitié , a fait
terminer cet objet par une commiſſion ; elle a cédé
ledit territoire , quoique la demande qui en avoit
été faite fût injuſte , & elle a ratifié le tout par
un acte par écrit.
Perſonne n'ignore que la Régence d'Alger forme
un Etat libre ; que les traités qu'elle fait avec les
Puiſſances ſes amies , n'ont aucune relation avec
quelqu'autre que ce ſoit ; que la Cour Germanique
a ſouvent traité ſéparément avec cet Etat ; que
les hoftilités réciproques ſubſiſtoient uniquement
entre eux , fans que quelqu'autre Puiſſance s'en
foit jamais mêlée ; l'on fait également que le traité
entre la Sublime Porte & la Cour Germanique ne
fait pas la moindre mention des différends entre
cettedernière& la Régence d'Alger , & que par
conféquent la Sublime Porte n'étoit en aucune façon
reſponſable des incidens qui pouvoient furvenir
entre elles. Cependant la Cour Germanique
a exigé que la Sublime Porte déclarât: a qu'elle
> garantiffoit les vaiſſeaux des Sujets Germani-
» ques , & qu'elle les aſſuroit contre tous dom-
» mages qui leur feroient caufés de la part de
> ladite Régence. >> Elle a infiité en même temps
( 151 )
que cette garantie fût confirmée par un acte écrit.
LaPorte a encore acquiefcé à l'une &à l'autre de
ces demandes : pareil acte a été réellement paſſé.
Enfuite la Cour Germanique a prétendu qu'elle
devoit jouir de la libre navigation & d'un libre
commerce fur la mer Noire , quoique pareillement
elle ne pût déduire de ſon traité avec la Sublime
Porte aucun droit à cette liberté : elle infiſta abfolument
fur ce que la ſuſdite conceffion fût compriſe
en huit articles , qui ſeroient confirmés par
un diplome. Quoique chacun de ces articles contint
une ftipulation évidemment préjudiciable aux
intérêts de la Sublime Porte , la Cour Germanique
obtint encore à cet égard tout ce qu'elle avoit
ſouhaité , &en conféquence elle acquit pour ſes
navires la libre navigation, & une entiere liberté
dans toutes les mers & fur toutes les rivières de
ce département , avec exemption même de toutes
les recherches à faire par les Officiers autrement
à ce préposés .
La Cour Germanique avoit été ellemême la
cauſede la rupture du traité dePaſſarowitz , en l'an
1130 de l'hégire. Les articles de ce traité furent
abrogés lors de la concluſion de celui de Belgra
-de, l'an 1150 de la même ère , & mis en oubli
de part& d'autre , ainſi qu'il conſte par la teneur
de ce dernier traité. Cependant la Cour Germanique,
ajoutant encore à ſes autres demandes peu
amiables , defira que les articles du traité de Paffarowitz
, relatifs an commerce , fufſent de nouveau
remis en vigueur , quoiqu'ils euſſent perdu
leur effet: l'on a encore tout accordé en paffant à
cet effet un actepar écrit ſur le pied que l'exigeoit
ladite Cour.
Il étoit abſolument hors d'exemple, & le traité
concernant la Moldavie n'en faifoit non plus aucune
mention , qu'il dût y réſider an Conful-Al
giv
(152 )
lemand; cependant , d'après le defir de la Cour
Germanique d'y avcir un agent, la Sublime Porte,
fans s'arrêter à un grand nombre de conſidérations
politiques qui ont donné lieu à beaucoup d'inconvéniens
& de prejudices , mais uniquement par
amour pour la paix & le repos , a bien voulu-accorder
encore cette demande : elle a expédié , re-,
lativement à chacun des objets importans mentionnés
ci-deſſus , les diplomes qu'on ſouhaitoit ,
&cependant elle n'a jamais ceſſé de donner à la
Nation Allemande beaucoup de preuves d'affection
, à bien des égards au-delà du traité , & indépendamment
de ſes ſtipulations , purément par
amitié & par condeſcendance.
Les articles même que la Ruſſie avoit mis en
avant après la concluſion du traité de Kainardgi ,
ont paflé par l'appui que leur donnoit la Cour
Germanique , par fon influence contre tous les
devoirs de l'humanité , uniquement en ſa confidération.
Outre & indépendamment de cette amitié&
de ces attentions marquées que la Sublime Porte
n'a celé detémoigner à la Cour Germanique , à la
face du monde entier , elle n'a point négligé , après
que la guerre contre la Ruſſie eut éclaté, de repréſenter
plus d'une fois au Miniſtre de la même--
Cour: que l'Empire Ottoman n'avoit aucun mau-
>> vais deſſein à fon égard , que ſon amitié pour
>> elle reſtoit toujours la même , & que la Subli-
> me Porte fe flattoit (ainſi qu'elle avoit droit de.
>> s'y attendre ) que ces fentimens de fa part trou-
>> veroient de la réciprocité. »
"
La Cour German que , au contraire , a mis en
oubli une amitié cultivée depuis 50 ans ; elle a
effacé le ſouvenir de toutes les attentions , de tous
les égards dont nous avons fait le détail ; elle n'a
pas eu même la moindre conſidéra ion pour tout
( 153 )
ce que la Sublime Porte afait lorſque la CourGer.
manique s'eſt trouvée ſuffisamment réduite à l'étroit;
cependant alor ,& en pluſieurs occafions ,
pour peu que la Sublime Porte eût fait paroître
desdiſpoſitions pour une attaque hoftile , ou qu'elle
eût ſeulement remplacé ſa condeſcendance par de
lahauteur , elle eût obtenu tout ce qu'elle pouvoit
defirer, La Cour Germanique voit parfaitement
bien , non moins que tous ceux qui ont quelque
perfpicacité , où en auroient été a'ors ſes
affaires. Cependant , malgré cette opportunité , la
Sublime Porte s'eſt bien gardée de donner à ce
ſujet raiſon de foupçonner ſes deſſeins , comme
étant contraires à l'humanité , ainſi qu'au lien ſacré
de ſes engagemens & du traité , ce dont tout l'univers
lui eſt témoin.
En revanche, la Cour Germanique oublie abſolument
aujourd'hui les fruits de l'humanité que
la Sublime Porte lui a montrée à un ſi haut degré
; elle a conçu dans ſon imagination le projet
de forcer la Sublime Porte , & d'en faire ellemême
ſon profit : elle vient d'expoſer aux yeux
du Public l'obligation que lui impoſe ſon alliance ,
&qui lui fert de prétexte pour tirer avantagedes
troubles qui ſe ſont élevés entre la Ruffie & la
Porte Ottomane; & de cette obligation , en vertu
de laquelle elle dit être tenue à prendre part à la
guerre , elle déduit la violation da trat : dans
cette vue , elle a donné ordre à ſon Miniſtre qui
réſide près la Porte , de revenir ; &par l'envoi d'un
Manifeſte , elle vient de rompre le noeud de l'amitié
, ſans la moindre cauſe ni raiſon. La Sublime
Porte n'a point voulu arrêter ni le Miniſtre
ni ſa ſuite , & elle leur a accordé la liberté de
partir: elle a fait expédier en conféquence un
ordre pour ſa fûreté & ſa tranquillité , afin qu'il
puiſſe faire le voyage d'une manière commode &
gy
(154)
convenable ; en même temps elle a pris fur elle,
du fu de l'Ambaſſadeur de France , la protection
des Sujets Allemands,juſqu'à ce qu'ils ayent atteint
les frontières.
Dans tout ce que l'on vient d'expoſer en détail
, il n'y a rien qui puiſſe faire reprocher à la
Sublime Porte Ottomane qu'elle en ait éré lapremière
cauſe ; pour le reſte , elle s'en rapporte à la
pénétration ainſi qu'aujugenient équitablede toutes
les Puiſſances Européennes.
Le Grand-Viſir conduit fon armée en
Servie par la Romélie & la Bulgarie ; en
conféquence , il a été envoyé des ordres
aux Princes de Moldavie & de Valachie
de fournir à fon armée les vivres néceffaires
. Le Séraskier de Sophia fe rend
avec fon Corps d'armée dans la Moldavie,
contre l'armée combinée des Ruffes
&des Autrichiens.
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 2 Mai.
Les Capitaines Ruffos de Landskoy &
de Federof ont paffé,le 27 avril, par cette
ville , comme Couriers, l'un allant à Copenhague
, & l'autre à Munich.
Le Roi de Suède a envoyé ordre à Carlſcrone
d'armer une eſcadre de 22 vaiſſeaux , dont 12 de
ligne,& qui fortira à la fin du mois , ou au com
mencement de juin , avecdes provifions pour plu
freuts mois. Voici la liſtedes vaiſſeaux de figne&
des fregates , tirée de la Gazece de Stockholm ,
.
1
( 155 )
du 24 avril ; ſavoir , le Gustave III, SophieMagdeleine
, Adolphe Frédéric , Hedwige Elifabeth Charlotte
, de 70 canons ; Frédéric Adolphe , Wasa ,
Gustave Adolphe, Fadernaſlandet ( patrie ) , Oemheten
(tendreffe ) , Dygden ( vertu ) , Aeran ( honneur
), Foerfigtigheten ( prudence ) de 60; frégates,
Froja, Minerva, Thetis , de 40; Illerim de 36, &
Jaramas de 34.
LeCollège de Commerce à Stockholm
a publié un ordre du Roi , du 12 avril ,
par lequel S. M. défend à ſes Sujets de
freter aux Sujets des Puiſſances actuellement
en guerre,aucuns bâtimens pour être
employés comme tranſports .
>> On a lancé , le 26 avril , écrit-on de Copenhague
, un vaiſſeau de ligne de 74 canons , nomme
l'Odin. Un autre de la même force & d'une
nouvelle conſtruction , ſera lancé au mois d'août.»
« Outre les deux vaiſſeaux de ligne en armement
, on arme encore la Princeſſe LouiseAugufte
de64 canons , & la Guillelmine Caroline de 60.
-« Le Lieutenant Paul Egède vient de publier
fon Journal de voyage pour la découverte de l'ancien
Groënland. >>>
« Jens Larfen Moller , Menuifier , eſt mortici
le 18 de ce mois , dans la 102. année de fon
âge. »
De Vienne
,
le 2 Mai.
Les opérations de la grande armée ſont
actuellement ouvertes , & déja nous fom-
-mes inftruits de deux faits d'armes impor
tans , par les nouvelles officielles publiées
gvj
( 156 )
le 30 du mois pafle, & dont voici la ſubſtance
:
« Suivant les avis d'Eſclavonie , du 17 de ce
mois , le Capitaine Dedovitz , du régiment Péterwaradin
, des frontières, fut envoy , avecla Compagnie
ſous ſes ordres & quelques Arquebufiers ,
de l'autre côté de la Save, pour occuper, dans le
voiſinagede la fo tereſſe Turque de Schabacz , le ,
ponts de Dumacſa , Brest , Miſchaska & Jabakalai,
»
« Les poſtes diſtribués de cette manière , furent
attaqués , le 12 , par un détachement Turc d'environ
700hommes; &quoiqu'il leur fût impoffiblede
ſe rallier en Corps, ils foutiarent pourtant
un affez long eſpace de temps l'attaque de l'ennemi
, & feulement avec perte de 16 morts , parmi
lefquels le Capitaine Dedovitz, & de trois de
nos Soldats égarés ; en ſe retirant, ils emmenerent
ſept de leurs bleſſés : l'ennemi tranſporta fes
morts à Zwornik . »
« Suivant les rapports faits au commandement
général delagrand grande armée , par le Général-Major
Staader , détaché , avec le Corps ſous ſe, ord.es ,
pour diriger les travaux de la conſtruction des
ponts&digues à Beſchania , un Corps de troupes
Turques , d'environ 3000 hommes, s'emba qua,
le 22 de ce mois , avant le jour, fur la Save, après
s'être tenu caché quelque temps dans les brouffailles
ſur le bord de la rivière , & , fourenu
par le feu des canons de Belgrade, attaqua nos
poſtes avancés , ſous le commandemen: du Capitaine
Comte de Klenau, des Chevaux-légers de
Kinski, qui montra en cetteoccafion une grande
préſence d'eſprit , faiſant retirer ces poftes avancésdans
le meilleur ordre poſſible. »
« L'ennemi pourſuivit ſa marche le long de la
Save , juſqu'à l'endroit où se trouvoient nos pon(
157 )
tons deſtinés pour Boliefze , & s'empara de deux
de ces pontons , ainſi que d'une Saïque de patrouille;
mais challé par le feu de nos cartouches ,
il retourna ſur ſes pas ,& reparut près de la digue
, d'où , quoique long-temps retenu par le feu
denos canons , qui lui fit encore efſuyer une perte
conſidérabledes fiens , il ſe tourna bientôt après ,
foutenu par le feu de 14 canons , placés ſur la
colline de Bratſch , vers les Ualans des régimens
de Kinsky & de Lobkowitz , & un détachement
d'infanterie d'Alton avec une telle vigueur &
impétuoſité , qu'il fit replier ces troupes ,& s'empala
de 4 de nos canons placés ſur le Wadedi. »
,
« Mais les Capitaines Comte Schiaffinati &de
Buchot, du régiment d'Alton , s'étant avancés avec
une diviſion ſous leurs ordres , foutenus encore par
une autre du régiment SanuelGiulay, placée près
de la digue , l'ennemi, d'abord attaqué& repoulſé
par la bayonnette de nos troupes , qui montrèrent
en cette occafion beaucoup de courage &
de fermeté , fut enfin repouſlé ; on lui reprit deux
de nos canons , & il ſe vit forcé d'abandonner le
deſſein qu'il avoi formé de brûler &dedétruire le
pont& ladigne conftruits par nos troupes. >>
>>Suivant le témoignage du Général-Major de
Staader & du Général-Major Prince de aldeck ,
le Major Bolza & le Capitaine Rottermund , du
régiment de Lobkowitz , ont ramené les Uhlans
ſous leurs ordres ( obligés d'abord de ſe retirer ),
avec beaucoup de fermeté&de courage , vers
l'ennemi , combattant avec eux le fabre à la main.
Ces Généraux donnent encore les plus grands éloges
au courage qu ont montré en cette occafion
le Capitaine Faletti , du régiment de Giulay , le
Capitaine Tyrmann& le premier Lieutenant Freizenberg,
da ſecond régiment dArtillerie. »
« Le Leutenant-général Bechard, Di: ecteur en
i
( 158 )
chefdes conſtructions des ponts &digues , a reçu
un coup de feu au bras droit, en allant à la rencontre
de l'ennemi, à la tête de la diviſion du
régiment d'Alton. >>>
« Acette attaque , nous avons perdu , en Officiers
, les Capitaines Faletty & Moflenge , ainfi
que le premier Lieutenant Auffenberg & l'En
ſeigne Baptifchig: parmi les bleflés ſe trouvent le
Capitaine Buchot , le premer Lieutenant Betta ;
les Enſeignes Baronio& Plunkett , & le Capitaine
Tyrmann , du ſecond régiment d'artillerie. Le
nombre des morts , du Sergent & Caporal au
Soldat, ſe monte à 117 hommes ; 31 chevaux
ont été tués : le nombre des bleſſés est de 84. "
« L'ennemi a emporté deux de nos canons de
3 livres de balle , l'un avec l'autre fans avanttrain.
On ne peut pas évaluer ſa perte en cette
occafion; il a enlevé la plupart de ſes morts ,
&emmené ſes bleſſés. »
« Le Corps ſous les ordres du Lieutenant-général
Comte de Mittrowsky , & destiné au ſiege
de la fortereſſe de Sabatſch , ſituée à 7 milles de
Belgrade , au bord de la Save , ſe mit , le 16&
le 18 de ce mois , en cantonnement étroit dans
le village de Klenack & autres villages Autrichiens.
"
« Le 18 , l'Empereur y arriva , & prit fon
quartier dans le village de Klenack , l'Artillerie ,
qui devoit fervir au fiége , arrivant encore le
même jour. »
" Le 19 au foir , on étoit parvenu à tirer le long
de la rive les grands vaiſſeaux & vaifſſeaux plats:
le même jour , & le matin du 20 , on fit les difpofitions
néceſſaires pour l'embarquement des
troupes ; ce qui s'effectua vers les trois heures de
l'après -midi , par l'embarquement de la Cavalerie,
de l'infanterie & de l'Artillerie , de forte que
(159 )
tous les vaiſſeaux de tranſport à la fois quittèrent
le rivage,& que l'abordage ſe fit à l'endroit où
lapetiterivière de Dumacſa ſe jette dans la Save ,
à trois quarts de lieue de la fortereſſe. Les troupes
paſsèrent la nuit aux bords du fleuve , fur une
grandeplaceouverte,environnée d'une forêt. Lear,
à l'aube du jour , s'effectua l'abordage des troupes
reſtées encore en arrière, mais plus haut aux bords
duDumacfa. »
«L'ennemi s'étant aperçu , le 20 , de l'embarquement
de nos troupes , mit le feu à toutes les
maiſons ſituées ſur les bords de la Save,&qui lui
interceptoient lavue; mais il laiſſa intact le grand
faubourg de Bayer , ſitué à 200 pas derrière la
fortereffe."
« De notre côté , on ouvrit , la nuit du 20,
les tranchées ſur la rive gauche du fleuve ; on
érigeades batteries , defquelles on tira , dès le matin
du 21 , fur la place , principalement dans la
vue de couler à fond un grand nombre de-vaifſeaux
que l'ennemi avoit attiré vers le rivage. "
« Le Corps d'armée ſe mit en marche dès les
cinqheures du matin , & n'arriva , par les grands
détours qu'il fallut prendre, par les mauvais chemins
à traverſer , & les ponts qu'il fallut jeter ,
que vers les dix heures au bord de la forêt ; la
Cavalerie fraya le chemin , & fut ſuivie par l'Infanterie
, de forte que le Corps d'armée ſe trouva
d'abord en face des ennemis , éloigné ſeulement
d'un quart-d'heure de la place. "
« S. M. fit d'abord avancer 2 bataillons vers
le faubourg de Bayer ; on le trouva entièrement
abandonné , & les bataillons y prirent poſte à
l'avenue la plus proche de la fortereſſe. »
« S. M. alla elle-même reconnoître le faubourg,
mais étant d'avis qu'à cauſe des rues étroites &
preſqu'impraticables,il feroit impoffible d'y tranf--
:
7
( 160 )
porter lagroſſe Artillerie, ainſi que d'y établir
des quartiers pour les troupes , les maiſons &cabanes
de bois dont tout le faubourg étoit rempli
, pouvant être aisément miſes en feu par lagarnifon
de la fortereſſe , Elle prit la réſolutionde
l'abandonner & de le faire mettre e.. cendres , ce
qui s'exécuta la nuit ſuivante.>>
« Le Corps paſſa la nuit ſous les armes devant
la forê:& fans tentes. Le même jour 21 , on avoit
commencé de jeter un ponton fur la Save, large
de ce côté de 600 pieds , & ce ponton ſe trouva
entièrement en état de pouvoir être paſſé vers le
matin du 22 ; on fit a ors tranſporter les tentes ,
le pain , laviande & les vivres de toutes eſpèces ,
ainſi que l'avoine , le foin, la pailie pour les chevaux.
On continua auſſi le même jour de tirer de
nos canons fur les vaiſſeaux ennemis ; mais on fit
ceſſer le feu dès qu'on s'aperçut que tous ces vaifſeaux
étoient coulés à fond,& on tranſporta alors,
la nuit , la groſſe Artillerie devant ſervir au
fiége. »
« Le 23 , on marqua les places néceſſaires pour
érigerles batteries , qui furent établies cette nuit , &
les tranchées ouvertes pour commencer , le lendemain
24, à bombarder la place. >>
<<Pendant qu'on alloit reconnoître & prendre
poſſeſſion du faubourg, le feu de l'ennemi étoit
aſſez vif, mais fans nous porter le moindre dommage
, & nous n'avons eu qu'un ſeul Soldat de
Ferdinand-Toſcane légèrement bleſſé. »
«Dans la nuit du 23 au 24 , les approches
ayant été ouvertes tout près de Sabatſch , & les
barteries élevées , S. M. arriva le 24 , à l'aube du
jour ,dans lecamp', & on commença bientôtap es
à faire feu de toutes les batteries ſur la fortereſſe,
& avec beaucoup de ſuccès. >>
« La palanque ſe trouva bientôt incendiée par
( 161 )
le feu denos bombardes ; & S. M. s'étant aper
çue , pendant l'incendie qui ſe répandit bientôt
par-tout , que le côté de la rivière étoit le meilleur
pour monter à l'aſſaut fur la palanque , &
s'en emparer , fit approcher à cet effet un détachement
du Corps franc de Servie , ainſi que les
Arquebuſiers du régiment de Péterwaradin , foutenus
par le régiment de Nicolas Eſterhazy. >>>
« L'affaut eut un ſi heureux ſuccès que , malgré
le foſſé large & profond rempli d'eau , le
rempart fut furmonté avec les paliſſades qui l'environnoient,
& l'ennemi obligé d'aller ſe renfer-'
mer dans un fort au haut de la fortereſſe , environné
encore d'une autre palanque. »
«L'ennemi ſe trouvant preſſé decette manière
de tous côtés , S. M. , pour épargner le fang humain
, & touché de compaffion envers l'ennemi ,
fes femmes & fes enfans , le fit ſommer de ſe
rendre : il ſe rendit d'abordà diſcrétion . »
« S. M. déclara la garniſon priſonnière de
guerre , mais accorda , pour la brave réſiſtance
qu'elle avoit faite , la libre retraite à leurs femmes
& enfans , avec tous leurs effets & un fauf-canduitjuſqu'à
Zwornich , où ils demanloient à être
tranſportés.>>
« Une heure après la garniſon mit bas les armes
, & fortit de la place. >>
<<Elle conſiſtoit dans l'Aga des JaniſſairesMehemed,
Commandant de la place , &en pluſieurs
auwes Agas , en Janiſſaires & Soldats au nombre
de 800 hommes . >>>
« On trouva 17 cano is de différens calibres ,
20 drapeaux & autres uſtenſiles de guerre. »
« Le nombre des femmes & enfans monte à
2000_perſonnes. »
( 162 )
W
:
- De notrecôté , nous n'avons eu que 6 morts
& 1 bleſſés. "
« L'ennemi a eu pluſieurs des ſiens légèrement
bleffés& plufieurs morts;d'autres,plus grièvement
bleffés , ont été , ſuivant les rapports de la garni
niſon , confumés par les flammes. >>
« S. M. a daigné marquer ſa fatisfaction tant
aux Officiers qu'aux troupes mêmes. On regrette
infiniment que le Général d'Artillerie Baron de
Rouvroy, qui , le premier , à la têtede quelques
Compagnies , s'approcha juſqu'au bord du follé ,
ait été bleſſé , de même que le Lieutenant-Colonel
Prince de Poniatowsky, qui a reçu une bleſſure
à la cuiffe droite; mais on eſpère leur prompte
guérifon.>>
* S. M. a ordonné que leCorps raſſemblé pour
cette expédition , reſteroit dans ſon camp le 25
&le 26 , & fe mettroit en marche le 28 pour rejoindre
, le 30 , la grande armée au camp de Semlin.
»
Sabatſch eft un bourg ſur la Save, muni
d'une fortereſſe médiocre , dans une ifle ,
& à environ 17 lieues de Belgrade.
DeFrancfort-fur-le-Mein , le 9Mai.
Les derniers avis de Semlin ont conftaté
la priſe de Sabatſch , & l'échec antérieur
des Autrichiens près de Beſchania.
Suivant les lettres particulières , cette dernière
expédition des Ottomans s'eft exécurée
avec une célérité ſans exemple. Le
détachement ſorti de Belgrade pafla la
4
(163 )
Save,& tomba à l'improviſte fur un Corps
Impérial de 5000 hommes. Pluſieurs régimens
étant accourus , les Ottomans ſe
replièrent avec ordre , & repaſsèrent la
Save ſans avoit perdu beaucoup de monde.
L'affaire paroît avot été plus meurtrière
pour les Autrichiens ; plufieurs de
leurs Officiers en grade ont été tués ou
bleffés. -La garniſon de Sabatſch étoit
au plus de 7 à 800 hommes , dont la
moitié ſeulement de troupes régulières.
Le feu terrible des Affiégeans a bientôt
fait taire les 17 canons qui formoient toute
l'artillerie de ce fort , & l'affaut n'a été ni
long ni bien ſanglant.
Il ſe répand , d'un autre côté , que
l'armée du Prince de Cobourg , a furpris
un Corps commandé par l'Hoſpodar de
Moldavie , l'a enveloppé , lui a tué
quatre à cinq mille hommes a failli
prendre l'Hoſpodar lui-même ; & qu'après
cette victoire , le Prince de Cobourg s'eft
rendu maître de Jaſſy. Cet évènement eſt
rapporté de tant de manières , qu'il eſt
bon d'attendre laGazettede Vienne pour
en ſavoir la vérité .
Le ſiége deBelgrade ſera entrepris , dit-on , par
80,000 mille hommes; le Corps de réſerve eſt de
12,000 hom. Un Corps d'armée de 40,000hom.
ſe poſtera de manière , à ce qu'on croit , que la
communication entre Belgrade&Conſtantinople
( 164 )
ſe trouve coupée. L'armée marchera en quarré;
elle aura fur chaque flanc 82 canonss ;lesangles
feront défendus chacun par 12 obuſiers.-Il eſt
arrivéà l'armée une certaine quantitéde fuſilsd'une
nouvelle conſtruction; ces armes ſont arrangées de
manière que l'on n'a pas beſoin de verſer de la
poudre ſur le baſſinet , & qu'après la décharge
elles ſe bandent d'elles-mêmes .-Le bruit ſe répand
que le Grand-Viſir , à la tête de 150 mille
hommes , s'avance rapidement dans la Servie.-
Selon des lettres de Vienne , du 28 avril , l'on y
avoit reçu la nouvelle qu'un magafin de poudre à
Triefte a ſauté en l'air, ainſi que pluſieurs Artilleurs.
Le 21 avril , le Magiſtrat de Cologne
a révoqué la permiſſion qu'il avoit accordée
aux Proteftans de cette ville de faire
conftruire dans ſon enceinte un oratoire ,
un preſbytère & une maiſon d'école .
Le Prince Royal de Pruſſe ſuivra le Roi
en Westphalie ; & après la revue des
troupes S.A R. , accompagnée du Comte
de Brülh ,fon Gouverneur , commencera
ſes voyages par la Hollande , l'Angleterre ,
la France & l'Italie .
Les fubfides que les Etats -Généraux
des Provinces Unies paient par an au Duc
de Brunswick , montent à la ſomme de
200,000 florins .
« Suivant les nouvelles qui arrivent à l'inf
tant , un Corps Autrichien ayant pénétré juſqu'à
Jaſſy, s'eſt emparé de cette ville , & a fait prifonnier
l'Hofpodar de Moldavie. Les Turcs
ſe propoſentdetester une attaque ſur la Tranſyl-
-
( 165 )
vanie. Le Corps Ruſſe , composé de 16,000
hommes , a quitté l'armée du Prince de Cobourg
pour retourner à l'armée de Romanzof. On dit que
cette démarche eſt le réſultatde l'entrevue qu'eurent
à Kremenſehuk le Prince Potemkin& le Maréchal
de Romanzof, dans laquelle ces deux Généraux
tombèrent d'accord qu'il falloit retirer ce
Corps , pour mieux faire face à l'armée Turque
qui eft en marche, pour couvrir la Crimée&pour
attaquerBender. La conduite des Ruſſes a fait une
granaddeeſenſationdans l'arméeduPrincede Cobourg,
qui en a informé ſur le champ l'Empereur. On
ajoute que S. M. a dépêché auſſi-tôt un courier à
Pétersbourg.
ITALIE.
De Livourne , de 25 Avril.
L'alarme de la Factorerie Angloiſe, ſur
les diſpoſitions hoftiles de l'Empereur de
Maroc, a pris ſa ſourcedans une eſpèce de
Manifeſte, que ce Prince fit remettre , le
9mars , aux ConſulsEuropéens àTanger,
&que ſa plaiſante logique nous engage à
rapporter.
4
« Au nom de Dieu , à tous les Confuls , paix
foità ceux qui fuivent le droit chemin : Sachez
que depuis 30 ans que nous avons cbfervéla conduite
des Anglois & étudié leur caractère , nous
avons toujours trouvé qu'ils ne tiennent point parole
: nous n'avons jamais pu approfondir leur ca-,
ractère , puiſqu'ils n'en ont pas d'autre que de
mentir. Celui des autres Nations chrétiennes nous
eſt connu; nous ſavons qu'elles tiennent parole:
( 166 )
mais uneNation comme les Anglois, dont on ne
ſauroit connoître le caractère , qui ne tient point
parole, & qui ne fait rien que mentir , ne mérite
pas qu'on lui parle , qu'on lui écrive , ou qu'on
lui diſe rien ; car , felon notre religion , le menfonge
eſt le plus maudit de tous les vices. »
« Leur Ambaſſadeur Curtis nous avoit dit qu'il
avoit des ordres de ſa Cour que les vaiſſeaux conftruits
fur nos chantiers , & que nous voudrions
renvoyer à Gibraltar , y feroient complettement
réparés ; en conféquence , nous avons envoyé nos
vaiſſeaux à Gibraltar , pourvus de tout ce qui y
appartenoit & de l'argent néceſſaire ; mais ils ont
renvoyé nos vaiſſ aux ,&ils n'y ont rien fait. En
attendant , ce qui nous a touché encore plus que
tout le reſte , c'est qu'ils nous ont auſſi renvoyé
les vaiſſeaux que nous leur avions envoyés pour
lesconduire à notre frère le Sultan Abdul-Hamed ,
(le Grand-Seigneur ) , que Dieu conſerve. Après
cela , il n'y a plus rien à dire. »
« Le 17 de la lune de Jumadilula , l'an 1202 (le
25 février 1788 ). »
Nonobſtant les plaintes de S. M. Marocaine
, la reconstruction d'une de ſes frégates
à Gibraltar , en 1786 , coûta cinq
mille liv. fterl . au Gouvernement Anglois .
Cet hiver , il a fallu recevoir deux autres
frégatos du Monarque Africain , & on
lui a fourni gratis des ancres& des cordages.
Aujourd'hui il demande aux Anglois
10 mille tonneaux de poudre , pour
en faire préſent au Grand-Seigneur,
Il circule ici une lettre d'Alexandrie , en
date du 25 décembre dernier, qui peint ,
( 167 )
ences termes , la ſituation aquelle de l'E
gypte.
: « I'maël Bey a fait artêter tous les Mamelues
qu'il pouvoit ſoupçonner au Caire , Partiſans d'/-
brahim & Murat Bey; on en fixe le nombre à
938: déja on en a conduit 150 à Smyrne; 300 ſeront
exilés en Chypre : par cette opération , la puiffance
de la Porte ſe raffermiroit en Egypte. Le
Corps des Mamelucs une fois détruit , il fera facile
d'empêcher qu'il ſe régénère : la Géorgie ne
fournit plus d'eſclaves , & la Porte pourra veiller
à ce que la Circaffie & la Mingrelie n'en fourniſſent
plus ; c'eſt de cette racede renégats eſclaves
que ſe forme le Corps des Mamelucs , qui , n'étantplus
recruté , diſparoîtra bientôt. Dans cemoment
il est difficile d'en foupçonner plus de
300,000; du reſte , dès le moment que cette milice
n'exiſtera plus , leursBeys perdront leur force,
& l'Egypte rentrera naturellement ſous la puifſance
Ottomane; mais il reſteroit à deſirer pour
lecommercedesEuropéens , que les Chrétiens Levantins
, qui font à la tête des douanes , & qui ſe
font emparés du commerce de Livourne & de
Trieste , & en partie de celui de Venise , fuſſent
abaiſſés.»
« Il s'eſt paſſé à Rome , il y a 15 jours .
un évènement atroce. Un Barigel avoit
renvoyé , depuis quelques jours , deux de
ſes familiers pour mauvaiſe conduite ; le
5, à 7 heures du ſoir , ce Barigel s'étant
rendu au palais du Gouverneur , au moment
où l'Abbé Groſſi deſcendoit de voiture
, il partit un coup de piſtolet qui atteignit
l'Abbé de 14 gros plombs , dont il
mourut fur le champ : on entendit en
( 168 )
با
M
même temps une voix qui dit: ce n'estpas
lui, & aufli- tôt on tira un ſecond coup de
piſtolet ſur le Barigel , qui fut bleſſé en deux
endroits : les meurtriers ſont un Sbine
natifde Rieti , & deux Génois : ils ont été
arrêtés à bord d'un navire François à Civita-
Vecchia , ſur une permiſſion du Corſul
de cette nation : ils ſe ſont défendus ,
un Sbirre a été tué d'un coup de fufil ;
les trois coupables font dans les priſons.
GRANDE - BRETAGNE .
De Londres , le 13 Mai.
Le 7 de ce mois, le Chevalier Yonge,
Secrétaire d'Etat au département de la
guerre ,& le Vice-Amiral Alexandre Hood,
frère du Lord de même nom , ont été inftallés
, en cérémonie , Chevaliers de l'Ordre
du Bain.
On a contremandé le départ des quatre
frégates deſtinées à paſſer dans la Méditerranée,
fur le rapport envoyé par le Conful
Britannique à Tétuan , que notre différend
avec l'Empereur de Maroc alloit être
inceſſamment terminé .
La Compagnie des Indes a reçu la nouvelle
de l'arrivée du Général Elliot , navire
venantdeBombay, & au premier jour
on s'attend d'apprendre celle du Comte
de Chesterfield.
:
Forcés
( 169 )
Forcés,par l'étendue néceſſaire que nous
devons donner aujourd'hui à d'autres articles
de ce Journal , de remettre encore
de huit jours , le développement & les
preuves du Compte rendu par le Chancelier
de l'Echiquier , ainſi que le ſommaire
authentique des preuves & des dépoſitions
produites juſqu'à ce moment à Weſtminfter-
Hall , ſur le ſecond Chefd'Accuſation
contre M. Haftings (1) , nous nous bornerons
à l'énoncé rapide des dernières
Séances Parlementaires .
Le 6 , la Chambre des Communes a
entendu le rapport du Budget, les objections
de quelques Membres contre divers
de ſes articles , les reponſes & éclairciſſemens
ultérieurs de M. Pitt ou d'autres
Membres de la Tréſorerie.
Le 7 , le Chevalier Gilbert Elliot continua
fa longue differtation contre le Chevalier
Elijah- Impey; après quatre heures
& demie de parlage non interrompu , l'Orateur
demanda grace pour achever un
autre jour. Le Chevalier Richard Sutton
obſerva que depuis affez long-temps on
(1) Comme cene sontpas des rapports de Gazettee
que nous devons présenter sur cet objet à nos Lecteurs,
nous avons dû prendre le temps nécessaire pour recevoir
et pour résumer des informations parfaitement
certaines , qui ne laisseront aucun doute sur l'évidence,
l'accord , la valeur des témoignages rendus.
No. 21. 24 Mai 1788 . h
( 170 )
tenoit dans l'anxiété le Chevalier Impy,
en le fatigant de délais en delais ; qu'il
falloit un terme à ce ballotage , qu'on ne
pouvoit le jouer ainſi de la ſenſibilité d'un
Accuſé, & qu'il demandoit que le Comité
procédât ultérieurement ſans déplacer. M.
Burke prétendit qu'on ne devoit d'égard
qu'à l'Accufateur épuiſé ; que loin d'être
affecté de cette pourſuite , le Chevalier
Impey ſemontroità Westminster-Hall ( où
il a déposé , d'une manière bien fâcheuſe
pour M. Burke , ſur quelques articles de
la ſeconde charge contre M. Hastings ), le
montroit, dis -je , obſtiné, arrogant, préfomptueux
.... Il alloit continuer cette kyrielle
d'invectives , lorſque de toutes parts on
cria , à l'ordre ! à l'ordre ! M. Pitt prit enfin
la parole , & témoigna combien il
ſeroit à défirer qu'on achevât l'examen le
jour même ; mais que , vu le maraſme de
M. Gilbert Elliot, on remettroit la concluſion
de fon Diſcours au vendredi 9 .
En effet , ce jour- là , cet Orateur termina
ſa harangue , & fit la Motion d'impeachment
ſur le premier Chefconcernant
l'exécution de Nunducomar. Le Chevalier
R. Sutton la combattit , & fut ſuivi du
Procureur-général & du Solliciteur-général
, qui diſcutèrent la queſtion avec autantde
folidité que d'évidence , & qui tous
deux affirmèrent que dans le cas en quel(
171 )
tion ils euſſent certainement condamné
Nunducomar. M. Pulteney, & M. Pitt , qui
parla une heure entière , juſtifièrent aufli
pleinementlaconduite de cetAccuſé.MM.
Fox , Francis , Burke & le Colonel Fullarton
ſecondèrent la Motion , qui fut rejetée
par 73 voix contre 55. Nous reviendrons
à cette Séance déciſive , qui a réduit
au néant toutes les fables débitées
für ce vertueux , cet héroïque Nunducomar.
La Chambre des Communes auroit pu
décréter l'ancien Juge de Calcutta , ſans
que ce décret eût prouvé ſon delit en aucune
manière ; mais il en auroit fortifié
le foupçon: aujourd'hui, ce foupçon même
diſparoît. Ceque cette affaire offie de plus
étrange , c'eſt peut- être le ſpectacle d'un
fière accufant fon propre frère mort , d'avoir
connivé au prétendu afſaffinat de
Nunducomar,par amitié pour M. Haftings .
Le ſérieux de la Séance du 9 , qui ſe prolongea
juſqu'à 7 heures de la matinée du
10 , fut égayé par une ſcène du Chevalier
James Johnstone, Baronnet Ecoffois,&
intrépide ſoutien des impéachmens , qui ,
en revenant de la buvette , prétendit que
M. Sumner lui avoit pris ſa place. Ce débat
interrompit celui de la Chambre : vainement
Lord Mornington eſſaya de faire
revenir à lui le Baronet échauffé , il eut ,
ſa part des épithètes : enfin , M. Pitt &
hij
( 172 )
l'Orateur de la Chambre intervinrent , &
foumirent le Chevalier à des excuſes à la
Chambre , à M. Sumner & à Lord Mornington
: M. Johnstone s'y prêta de bonne
grace , après avoir juré énergiquement qu'il
n'en feroit rien.
Ce même jour 9 , M. Burgeff propoſa
d'exiger des Solliciteurs du Comité chargé
de la pourſuite du procès de M. Haftings,
un état des dépenſes qu'occafionnoit
cette repréſentation juridique. M.
Pitt l'appuya fortement , ſe récriant ſur
l'énormité de cette diſſipation ; M. Burke,
lui donna un démenti : le Miniſtre prouva
que M. Burke ſe familiariſoit de plus en
plus avec un langage fait pour des lieux
très-différens d'une aſſemblée des Communes
Britanniques. Après quelques Difcours
, la Motion fut agréée , & M. Burke,
le lendemain , exhiba l'état demandé. Il en
réſulte que les dépenſes montent ce jour-là
à 80581. ft. , ou près de 194 mille l. tournois
. On n'a pas encore fini le ſecondChef,
& l'on évalue que , ſi la choſe continue
avec ce train d'économie & de brièveté ,
il en coûtera , à la fin de cette Seſſion ſenlement
, 70,000 liv. ſterl. à la Nation ,
pour avoir donné àMM. Burke , Sheridan,
Grey, Adam , &c.&c. le plaiſir de mettre
leur eſprit en ſpectacle : l'éloquence de
Démosthènes n'étoit pas fi chère.
( 173 )
Le 9 également , M. Pitt fit la Motion
qu'à l'ouverture de la prochaine Seſſion on
s'occupât des pétitions préſentées à la
Chambre contre la Traite des Négres .
FRANCE.
De Versailles , le 14 Mai.
Le Roi a nommé à l'Abbaye de Saint-Faron ,
Ordre de S. Benoît, Diocèse de Meaux , l'Abbé
de Ruallem , Chef du Confeil de Mesdames Adélaïde
& Victoire de France; à celle de l'Iſle- Dieu ,
Ordre de Prémontré , Diocèſe de Rouen , l'Abbé
de Maillé , Vicaire-général du Puy ; à celle de
Senanque , Ordre de Citeaux , Diocèſe de Cavaillon
, l'Abbé d'Efgrigny , Vicaire-général de Bordeaux;
à celle de Saint-Etienne-de-Vaux , Ordre
de S. Benoît , Diocèſe de Saintes , l'Abbé de la
Magdelène , Vicaire-général du même Diocèſe ;
& à l'Abbaye régulière de Jarcy , même Ordre ,
Diocèſe de Paris , la Dame de Florian , Religieuſe
profeſſe au Monastère de S. Paul , à Arles.
Le 1r de ce mois , jour de la Pentecôte , les
Chevaliers , Commandeurs & Officiers de l'Ordre
du S. Eſprit , s'étant aſſemblés , vers les onze heures
&demie du matin , dans le grand Cabinet du Roi,
Sa Majesté a tenu un Chapitre , dans lequel elle
a nommé Chevaliers de l'Ordre du S. Eſprit le
Comte de Thiard, Commandant en chefpour le
Roi dans ſa province de Bretagne ; le Comte de
Brienne , Secrétaire d'Etat , ayant le Département
de la Guerre ; & le Prince de Luxembourg ,
Capitaine des Gardes-du- corps de Sa Majefté. Le
Roi eſt ſorti enſuite de ſon appartement , pour
ſe rendre à la chapelle , précédé de Monfieur , de
Monseigneur Comte d'Artois , de Son Alteſſe
Royale Monſeigneur le Duc d'Angoulême , du
:
hij
(174 )
Duc d'Orléans , du Princede Condé, du Duc de
Bourbon, du Duc d'Enghien , du Prince de Conti ,
&des Chevaliers , Commandeurs & Oficiers de
FOrdre : deux Huiſſiers de la Chambre du Roi
portant leurs maſſes. Le Roi après avoir entendu
la Grand'Meſſe , chantée par ſa Muſique , &
célébrée par l'Archevêque de Narbonne , Prélatcommandeur
de l'Ordre , a été reconduit à fon
appartement , en obſervant l'ordre dans lequel il
en étoit forti. La Reine , Madame , Madame Elifabeth
de France ont aſſiſté , dans la Tribune , ala
Meſſe, à laquelle la Comteſſe de Gouvernet a fait
La quête.
De Paris , le 21 Mai .
ORDONNANCE DU ROI ,
Sur l'Administration de la -Justice.
Louis , &c. Depuis que Nous avons porté nos
regards ſur l'Adminiſtration de la Juſticedans notre
Royaume, Nous avons été frappés de la néceſſité
de foumettre àuneréviſiongénérale nos Loix civiles
&notreOrdonnance criminelle ;&la régénération
de nos Tribunaux s'eſt d'abord préſentée à Nous ,
comme une partie eſſentielle & un préliminaire
indiſpenſable de cette double réforme.
Nous avons reconnu dès-lors que s'il étoit de
notre justice d'accorder à nos Sujets la faculté
d'avoir dans la diſcuſſion de leurs droits , deux
degrés de jurifdiction , il étoit auffi de notre bonté
de ne pas les forcer d'en reconnoître un plus grand
nombre. Nous avons reconnu qu'en matière civile ,
des conteftations peu importantes avoient eu quelquefois
cinq ou fix jugemens à ſubir; qu'il réfultoit
de ces appels multipliés , une prolongation inévitabledans
les procès, des frais immenfes , des dépla
cemens ruineux & enfin une continuelle affluence
1
( 175 )
des plaideurs , du fond de leurs provinces dans les
villes où réſident nos Cours , poury folliciter un
jugement définitif. Nous avons reconnu que cet
inconvénient , ſi préjudiciable ànos Sujets en matière
civile , ne l'étoit pas moins en matière criminelle.
Le premier remède qui s'offroit à notre autorité
pour obvier à tant d'abus , c'étoit de diminuer
l'étendue de la jurisdiction aſſignée à nos Cours;
mais de grandes& importantes conſidérations ne
Nous permettantpas de reſtreindre les reſſorts de
nos Parlemens , Nous avons cherché dans notre
ſageſſe d'autres moyens de rapprocher lesjuſticiables
de leurs Juges.
Cegrand objetde Législation avoit ſouvent attiré
l'attention des Rois nos Prédéceſſeurs : ce fur dans
le même eſprit qui nous anime , &dans la vue de
fimplifier l'Adminiſtration de la Justice , que fut
rendue l'Ordonnance de Louis XII en 1498 , l'Ordonnance
de François I en 1535 , l'Ordonnance
dumêmePrince donnée à Villers- Cotterets en 1539,
pour l'abréviation des procès , l'Ordonnance d'Orléansen
1560, l'Ordonnance duchâteau deRouflil-
Jon en 1563 , l'Ordonnance de Moulins en 1566 ,
l'Ordonnance de Blois en 1579 , enfin l'Ordonnance
de Louis XIV en 1667, & fon Ordonnance
criminelle en 1670.
Mais la plus fage de toutes les Loix de nos Prédéceſſeurs
fur cette matière , c'eſt l'Edit de création
des Préſidiaux , donné par Henri II en 1551. Le
principe de cette Loi eſt , que nos Cours Souveraines
ont été principalement établies pour juger de
grandes affaires dont ily avoit appelinterjeré; &fa
diſpoſition veut que les Préſidiaux décident fans
appel toutes les conteſtations dont le fondsn'excédera
pas la valeur de deux cent cinquante livres..
Immédiatementaprès notre avénementauTrône ,
hiv
( 176 )
nous crûmes Nous-mêmes ne pouvoir donner à
nos Peuples une preuve plus ſignalée de notre
amour , qu'en augmentant cette Juſtice endernier
reffort , qu'ils étoient obligés d'aller chercher loin
de leur domicile , fur des objets de médiocreimportance.
Nous donnâmes en conféquence , dès le
mois de novembre 1774 , une extenſion aux pouvoirs
des Préfidiaux. L'expérienceNous a fait connoître
depuis , & l'infuffisance de cette nouvelle
ampliation que le prix progreſſifde l'argent laiſſoit
encore au-deſſous de l'attribution primitive , &
l'abus des formalités preſcrites pour décider préalablement
la compétence Préfidiale , abus qui a
multiplié les délais , les conteftations & les frais
que Nous avions eu l'intention de diminuer.
Ces confidérations Nous ont déterminé à établir
dans l'Adminiſtration de la Justice , un ordre &
une diſtribution plus conformes à l'eſprit de l'Edit
de Henri II ; & Nous avons jugé que le moyen
le plus fimple & le plus sûr d'y parvenir , étoit
d'augmenterdanstoute l'étendue de notreRoyaume
les pouvoirs des Tribunaux du ſecond ordre , tant
en matière civile qu'en matière criminelle.
Nousn'avons cependant pas oublié que les Juſtices
Seigneuriales font partie du droit des Fiefs ; &
la protection que Nous devons à tontes les propriétés
de nos Sujets , écartera toujours de nos
Conſeils l'intention d'y porter atteinte. Ainsi loin
de rien retrancher des Juſtices des Seigneurs , Nous
les maintenons dans l'exercice d'une juftice immé
diate& locale , &Nous les déchargeons en mêmetems
de tous les frais des pourſuites criminelles ,
pourva que leurs Officiers foient exacts à les commencer
, & à les déférer à nos Tribunaux. Nous
n'interdiſons d'ailleurs à aucuns de leurs juſticiables ,
le recours à leurs jurisdictions , quand les deux
parties jugerontà propos de s'y ſoumettre. Mais
( 177 )
en laiſſant à tous ceux de nos Sujets domiciliés dans
lediſtrict de ces Juſtices inférieures , la liberté d'y
défendre leurs droits à la charge de l'appel ,
Nous leur donnons en même temps la facultéde
franchir ce premier degréde jurifdiction , & Nous
autoriſons chacune des parties à traduire l'autre
immédiatement aux Tribunaux de la JuſticeRoyale.
Ces Tribunaux de première inſtance feront nos
Préſidiaux , que Nous compofons d'une manière
proportionnée à l'accroiſſement de leurs pouvoirs ,
&nous leur attribuons le droit dejuger en dernier
reffortjuſqu'à la concurrence de la fomme de quatre
mille livres .
Mais au-deſſus de ces premiers Préſidiaux,
Nous avons ſenti la néceſſité d'en établir de fupérieurs
dans les Refforts de toutes nos Cours ,
pour tenir le milieu entre les procès qui peuvent
être terminés au premier degré de la Jurifdiction
Royale , & les cauſes dont ladéciſion doit être ré
fervée à nos Cours: telle eſt la deſtination des
Grands-Bailliages que nous inftituons ; en conféquenceNous
avons ſoin de les former de la manièrela
pluspropre à inſpirer une confiance univerſelle
à nos Peuples , &Nous les autoriſons à juger
en dernier reffort toutes les conteſtations dont le
fond n'excédera pas vingt mille livres .
En réglant ainſi les limites de chaque degré de
Jurisdiction , Nous avons eu ſoin d'excepter , dans
les difpofitions de notre Ordonnance , toutes les
cauſes qui , par leur nature , doivent être réſervées
à la décifion de nos Cours , indépendamment de
la valeur du fond conteſté.
Moyennant cette nouvelle diſtribution , nos
Cours rempliront l'objet eſſentiel & primitif de
leur établiſſement , & ne feront plus occupées que
d'affaires importantes , qu'elles pourront examiner
avecattention& expédier avec célérité. Il n'y aura
>
hv
( 178 )
doncplus déformais dans notre Royaume que deux
degrés de Jurifdiction forcés en matière civile, pour
les plus grands intérêts , quand les parties voudront
s'y reſtreindre . Telle doit être la marche d'une
Légiflation fage ; & files parties confentent refpectivementà
fubir un plus grand nombre de déciſions
judiciaires ſujettes à l'appel , ce fera de leur part
un aſſujettiſſement volontaire qu'elles ne pourront
plus imputer à la Loi.
La même ſimplicité&lemême ordre qui borneront
ainſi à deux jugemens toutes les conteſtations
civiles , maintiendront également à deux degrés
inévitables dejurisdiction,toutes les pourſuites criminelles.
Les procès decette dernière claſſe, commencés
d'abord , quand il y aura lieu , par les Juges des
Seigneurs , pour conſtater les délits , recueillir les
preuves& s'affurer des coupables , pourront être
aufi-tôt déférés à nos Préfidiaux ,qui les jugeront
en première inſtance , & ils feront portés enfuite
par appel à nos Grands-Bailliages , qui prononseront
en dernier reffort , à moins qu'ils ne concernent
des Eccléſiaſtiques , des Gentilshommes ,
ou autres privilégiés , que nous maintenons dans
le droit de n'être jugés en dernier reſſort qu'en nos
Cours , en matière criminelle. Cet ordre que nous
introduifons dans l'Adminiſtration de notre Juſtice
criminelle , aura l'avantage , pour les accufés qui
feront innocens , ou qui ne feront coupables que
de légers délits , de diminuer la peine & le danger
d'être long - temps détenus dans les prifons , qui
ne font trop ſouvent pour eux qu'une école du
crime.
Le ſoin principal qui doit maintenant occuper
notre ſageſſe, c'eſt de donner aux Tribunaux inférieurs
une compofition qui réponde à l'importance
des fonctions que nous allons leur confier. Nous
nousypréparons d'avance parl'exécutiongraduelle
( 179 )
&générale d'un plan de Législation dont toutes
les parties ſe correſpondent , & fingulièrement en
donnant l'attention laplus ſérieuſe à l'amélioration
des études que nous ferons ſurveiller de plus près
dans nos Univerſités , &qui feront conſtatées par
des examens & des épreuves plus ſévères. La réforme
de nos Facultés de Droit eſt arrêtée , &
elle ſera bientôt miſe à exécution dans toute fa
vigueur. Mais en attendant que ces précautions
&lesprérogatives que nous attachons dès-à-préſent
aux Magiftrarures du ſecond ordre aient excité
une émulation univerſelle parmi ceux qui aſpireront
à occuper des charges de Judicature , Nous trouverons
dans la fuppreffion des Tribunaux extraordinaires
, dans la réduction d'un grand nombre
d'Offices , & dans la réunion de pluſieurs Siéges
inférieurs , affez de Sujets inſtruits & intègres ,
pour remplir dans nos Préfidiaux , ainſi que dans
nos Grands-Bailliages , les vues de notre ſageffe ,
& l'attente de nos Peuples.
A CES CAUSES , & autres à ce Nous mouvant,
de l'avis de notre Conſeil ,& de notre certame
ſcience , pleine puiſſance & autorité royale, Nous
avons dit , déclaré & ordonné ; diſons , déclarons
& ordonnons , voulons & nous plaît ce qui fuit :
ART. I. Avons érigé& érigeons enGrands-Bailliages
, dans toute l'étendue de notre Royaume,
les Bailliages & Sénéchauffées dénommés dans
l'Etat annexé ſous le contre-ſcel de la préſente Ordonnance
, auxquels attribuons provifoirement
pour reffort & arrondiſſement , les Jurifdictions
énoncées audit Etat, ainfi que celles ſituées dans
l'arrondiſſement formé par leſdites Jurisdictions ,
encore que ledit Etat n'en contienne une énonciation
expreſſe.
II. Voulons que tous les autres Bailliages &
Sénéchauflées de notre Royaume ſoient érigés en
hv
( 180 )
Préſidiaux , énforte qu'il n'y ait dans nos Etats
d'autres Jurifdictions nuement reſſortiffantes en nos
Cours , que des Préfidiaux& des Grands-Bailliages;
Nous réſervons en conféquence de ſupprimer &
réunir à des Préſidiaux voiſins , les Bailliages &
Sénéchauffées dans leſquels la Préfidialité ne pourroit
être établie ou maintenne , d'en créer de nouveaux
où beſoin fera , mêmed'ordonner les augmentations
& distractions de Reffort néceſſaires ,
letout d'après les procès-verbaux auxquels Nous
ordonnons par l'Article LX de la préſente Ordonnance
, être inceſſamment procédé , fauf à établir
dans les lieux où les fuppreffions feront effectuées,
des Prévôts ou autres Officiers pour y maintenir
la tranquillité publique, en la forme qui fera cis
après preſcrite.
III. Révoquons l'attribution endernier reſſort ,
ci-devant donnée à nos Préſidiaux , en matière
criminelle , par nos Edits & Ordonnances ; en
conféquence ne pourront noſdits Préfidiaux connoître
d'aucuns crimes & délits qu'à la charge de
l'appel.
IV. Augmentons l'attribution préſidiale en matière
civile ,juſqu'à la fomme de quatre mille livres ;
voulons que nos Préfidiaux jugent en dernier reffort
juſqu'à concurrence de ladite ſomme.
V. Attribuons à nos Grands-Bailliages le droit
de connoître en dernier reffort , par appel des
Jurifdictions y reffortiſſantes , juſqu'à concurrence)
de vingt mille livres .
VI. Chacun de nos Préſidiaux& de nos Grands-
Bailliages fera composé d'un Lieutenant Général ,
un Lieutenant Criminel , un Lieutenant Particulier
Civil&un Lieutenant Particulier Criminel ; feront
au furplus compoſés nos Préſidiaux , de huit Conſeillers
, un notre Avocat & un notre Procureur
feulement;&nosGrands-Bailliages,de vingt Confeillers
, deux nos Avocats & un notre Procureur.
VII. Avons créé& établi , créons & établiſſons
( 181 )
dans chacun de nos Préfidiaux & Grands-Bailliages
, où il n'y auroit des Offices créés dans le
nombrepreſcritpar l'Article précédent , les Offices
néceſſaires pour completter ce nombre ; Nous réſervant
de l'augmenteroù le demanderont la multitude&
l'importance des affaires .
VIII . Continueront nos Préſidiaux à ne former
qu'une Chambre , tant pour les cauſes du dernier
reſſort , que pour celles à charge de l'appel. A
l'égard des Grands-Baitliages , le ſervice y ſera
diftribué en deux Chambres ; la première , qui
fera la Chambre du dernier reffort, fera compoſée
du Lieutenant Général , du Lieutenant
Criminel&dequatorze Conſeillers ; &la ſeconde
Chambre , laquelle ne pourra juger qu'à la charge
de l'appel, ſera compoſée du Lieutenant Particuller
Civil , du Lieutenant Particulier Criminel & de
fix Confeillers .
IX. LesDoyen& Sous-Doyendes Confeillers aux
Grands-Bailliages demeureront fixés à la première
Chambre ; feront les autres dix-huit Conſeillers
diftribués entrois colonnes , formées dela manière
uſitée en notre Châtelet de Paris , deux deſquelles
ferviront à la première Chambre , pendant que la
troiſième ſera de ſervice à la feconde; tourneront
lefdites colonnes & changeront de ſervice tous les
ans , à la rentrée de la Saint-Martin.
X. Les affaires criminelles dont la connoiffance
appartenoit aux Bailliages &Sénéchauſſées érigés
en Préſidiaux , feront portées auxdits Prefidiaux ,
poury êtrejugées à la charge de l'appel ; à l'égard
des affaires civiles , celles excédantes la ſomme de
quatre mille livres , y feront pareillement jugées à
la chargede l'appel ,&celles non excédantes ladite
fomme, en dernier reffort.
XI . Les affaires criminelles dont la connoiſſance
appartenoit aux Bailliages & Sénéchauffées érigés
( 182 )
enGrands-Bailliages , feront portées aux ſecondes
Chambres deſditsGrands-Bailliages,poury être pareillement
jugées , à la charge de l'appel : à l'égard
desaffaires civiles , il n'y aura que celles excédantes
laſommedequatre mille livres , qui ſoient portées
auxdites ſecondes Chambres , pour être jugées à
la charge de l'appel; celles non excédantes ladite
fomme feront portées aux premières Chambres ,
&yjugées en dernier reffort.
XII . Les appels desjugemens rendus en matière
criminelle , tant par les ſecondes Chambres dénos
Grands-Bailliages , que par les Préſidiaux de leur
reffort& arrondiſſement , ainſi que par les Juſtices
yſituées , feront portés aux premières Chambres
defdits Grands-Bailliages , pour y être les accuſés
jugés en dernier reffort.
XIII Ne feront compris dans la diſpoſition de
l'Article précédent ,les privilégiés auxquels le droit
appartient de ne pouvoir être pourſuivis ni jugés
en matière criminelle , que les Chambres de nos
Parlemens aſſemblées , ou qu'ès Grand Chambres
defdites Cours; les Eccléſiaſtiques,Gentilshommes ,
Oficiers de Juftice & autres accuſés , autoriſés à
requérir le renvoi auxdites Grand Chambres , non
plus que ceux à qui le droita été accordé , de ne
pouvoir être jugés que dans les Cours où ils font
pourvus d'Offices .
XIV. Voulons néanmoins queles LieutenansGénéraux
& Particuliers , nos Avocats & Procureurs
aux Préfidiaux & Grands -Bailliages , leſquels ont
ledroit de requérir le renvoi auxdites Grand Chambres
, puiffent , s'ils font accuſés de prévarications
ou fautes commiſes dans l'exercice des fonctions
endernier reffortattribuéesà leurs Siéges, demander
d'être jugés, les deux Chambres du Grand-Bailliage
aſſemblées , fans que le renvoi puiſſe leur être
refuſé , ni qu'après ladite demande , aucune pour(
183 )
ſuite puiſſe être continuée contr'eux en aucune
Chambre de nos Parlemens .
XV. Les appels des Sentences rendues en matière
civilepar nosPréſidiaux& par les ſecondesChambres
desGrands-Bailliages , feront portés aux premières
ChambresdeſditsGrands-Bailliages , lorſque
l'affaire n'excédera la ſomme de vingt mille livres ,
poury être leſdits appels jugés en dernier reſſort ;
&ès affaires excédantes ladite ſomme, les appels
feront directement portés en nos Cours.
XVI. Nos Préſidiaux&Grands Bailliages connoitront
, exclufivement ànos Prévôts , Châtelains
&autres nos Juges intérieurs & aux Juges des
Seigneurs , de tous les cas Royaux & de toutes
les autres matières dont la connoiſſance étoit fpécialement
attribuée aux Bailliages & Sénéchauſſées
auxquels iis feront fubrogés.
XVII. Les Prévôts , Châtelains & autres nos
juges inférieurs ne pourront rendre , en matière
criminelle , aucun jugement définitif; leur interdiſons
à cet égard l'exercice de la Jurisdiction
criminelle.
XVIII. Enjoignons aux Seigneurs Haut-Jufticiers
, conformément aux Ordonnances des Rois
nos Prédéceſſeurs , d'avoir Auditoire , Greffe &
Priſons faines & sûres ; voulons auſſi qu'ils aient ,
dans leChef- lieu de leur Juſtice , un Juge gradué
un Procureur Fifcal , un Greffier & un Géolier
y réſidens & domiciliés , reçus au Préſidial ou
Grand - Bailliage , après information de vie &
moeurs , & examen de leur capacité ; ſi ce n'eſt
qu'il fuffira au Géolier , pour être approuvé d'après
l'examen , de faire preuve qu'il fait lire & écrire ;
tous lesquels Officiers feront en outre tenus de faire
au Greffe foumiſſion , dont l'acte ſera vite dans
le jugement de réception , de continuer leur réſidence
& domicile , tant qu'ils conferveront leurs
Offices.

( 184 )
XIX. Dans le cas où leſdits Seigneurs Haut-
Juſticiers n'auroientremplitoutcequi leur eſt enjoint
par l'Article précédent , ou faute par eux d'avoir
dans la fuitedes Juges reçus & réſidens , ainſi &
de la manière y preſcrite , l'exercice de leur Juſtice
criminelle demeurera de plein droit ſuſpendu , &
ſera la connoiſſance des crimes & délits commis
dans l'étendue de leur Justice, dévolue à nos Préfidiaux
& Grands-Bailliages.
XX. Permettons néanmoins&même enjoignons
ànos Prévôts & nos autres Juges inférieurs , ainſi
qu'aux Juges des Seigneurs , encore qu'ils n'aient
la qualité& la réſidence portées en l'Article XVIII
ci-deſſus , ou que les Juſtices où ils ſeroient étab'is ,
manquent deprifons ou d'auditoire , dans les termes
preſcrits par ledit Article , d'informer &décréter ,
même arrêter les accuſés en flagrant délit ou à la
clameur publique, ainſi que tous vagabonds &
gens fans aveu ; à la charge , par nofdits Juges
inférieurs , de renvoyer à nos Préfidiaux &Grands-
Bailliages , la procédure&les accufés après l'interrogatoire
, & par les Jugesdes Seigneurs , de faire
le renvoi de la procédure dans les vingt - quatre
heures après le décret , & le renvoi des accuſés ,
s'ils font arrêtés , immédiatement après leur capture:
même à la charge , par le Procureur Fifcal ,
dans le cas où la capture en flagrant délit ou autrement
, auroit précédé l'information , d'envoyer
à notre Procureur une liſte de lui fignée , indicative
des témoins qu'il conviendroit faire ouïr .
XXI. En fatisfaiſant , par les Officiers des Seigneurs
, à tout ce qui eft prefcrit par l'Articleprécédent
, tous les frais néceſſaires pour l'inſtruction ,
le jugement & fon exécution , feront à la charge
de notre domaine , fans aucune répétition contre
les Seigneurs.
XXII. Voulons auſſi que lors même que les Sei
( 185 )
gneurs auront rempli tout ce qui leur eft ci-deſſus
preſcrit pour l'exercice de leur Juſtice , leurs Juges
puiſſent renvoyer les procès & les accuſés , après
l'interrogatoire , à nos Préſidiaux &Grands-Baillages
, après lequel renvoi tous les frais feront
à notre charge.
XXIII. Maintenons nos Préſidiaux & Grands,
Bailliages dans le droit de prévention & concurrence
, en matière criminelle , tant ſur les Juges
des Seigneurs que furnos Juges inférieurs ; & lorfqu'ils
auront prévenu les Juges des Seigneurs ,
foit que ceux-ci n'aient que le droit d'informer
& décréter , ou qu'ils aient le droit de juger , tous
les frais feront à la charge des Seigneurs.
XXIV. Aurontauſſi noldits Préfidiaux&Grands-
Bailliages la prévention &concurrence , en matière
civile,fur nos Juges inférieurs , même ſur ceux des
Seigneurs , fi ce n'eſt dans les coutumes qui interdiſent
expreſſément à nos Juges la prévention ſur
les Juges des Seigneurs , dans leſquels nos Préfidiaux
& Grands - Bailliages ne connoîtront par
prévention fur leſdits Juges, quejusqu'àla revendication
des Seigneurs.
XXV. Nos Préſidiaux & Grands - Bailliages
auront prévenu , lorſque le demandeur aura fait
affigner devant leſdits Siéges , ou que le défendeur
aura déclaré dans ſes défenſes leur porter la
noiſſance de l'affaire .
con-
XXVI. Voulons auſſi qu'où les parties auroient
laiſſé rendre des jugemens par nos Juges inférieurs
ou ceux des Seigneurs , il foit libre à l'un ou à
l'autrede porterdirectement la cauſed'appel , ſuivant
la valeur de l'objet conteſté , à nos Préſidiaux ,
à nos Grands-Bailliages ou en nos Conrs , fans
qu'aucune deſdites parties ſoit tenue de ſuivre aucun
degré intermédiaire de jurisdiction ; & à cet effet
pourra l'intimé , ſi l'appel a été porté à quelque
1
1
( 186 )
jurifdiction intereste ire , en demanderl'évocation ,
encore qu'un de y être ſtatué à l'audience
&fur le champ ,le tout faufla revendication des
Seigneurs dans les coutumes qui leur en accordent
expreſſementSe droit.
XXVII. Réſervons toutefois à nos Prévôts ,
Châtelains & autres nos Juges inférieurs & à ceux
des Seigneurs , l'exercice de la police , les appofitions
de ſcellés , les actes de tutelle , même les
confections d'inventaire , dans les cas où nos Ordonnances
autoriſent les Juges ày procéder , fans
que nos Préſidiaux & Grands-Bailliages puiffent
les troubler dans aucune de ces fonctions , par prévention
ou autrement , même à la réquiſitiondes
parties , fi cen'eſtdans les cas ſpécialement attribués
par nos Ordonnances aux Bailliages &Sénéchauſſées
dont ils exercent les droits.
XXVIII. Toute compétence en dernier reffort
Préſidiale ou de Grand-Bailliage , ſera réglée par
la fomme demandée , ou par la valeur de l'objet
conteſté , ou par la reſtriction du demandeur ; &
ne feront compris dans ladite ſomme , valeur ou
reftriction , les intérêts , arrérages & fruits échus
avant ou après la demande , ni les dommages ,
intérêts & dépens .
XXIX. Pourra le demandeur , pour obtenir
d être jugé en dernier reſſort , déclarer en tout état
de cauſe , avant lejugement définitif, qu'il restreint
&évalue ſa demande à la ſomme fixée pour la
compétence Préſidia'e ou de Grand - Bailliage ,
encore qu'elle ait pour objet un fond ou un droit
incorporel; & feront , audit cas , les Juges tenus
de donner au défendeur , par le jugement définitif ,
l'option de délaiſſer l'objet conteſté , ou de payer
la ſomme portée en la reſtriction .
XXX. Ne pourra ladite reſtriction être faite par
aucune perſonne qui n'auroit la libre difpofition
( 187 )
de ſes biens , qu'elle n'y ſoit duement autoriſée,
ni par les gens de main-morte , qu'avec les formalités
preſcrites pour l'aliénation de leurs biens.
XXXI. Pourra le défendeur qui voudra êtrejugé
en dernier reffort , prouver par les mercuriales ,
baux à ferme& autres documens , que l'objet conteſtén'excède
la ſomme fixée pour la compétence
Fréſidiale ou deGrand-Bailliage, ſans qu'audit cas
le demandeur , ſi la demande lui eft adjugée ,
puiſſe être obligé de ſe contenter du montant de
l'eſtimation.
XXXII. Ne feront tenus nos Préſidiaux &
Grands-Bailliages de rendre aucun jugement de
rétention , nideſtatuer ſur la compétence , qu'elle
ne foit conteftée.
XXXII . Tout jugement de compétence fera
rendu ſur les conclufions de nos Avocats & Procureurs
, à l'audience ou fur délibéré , ſansqu'il puiſſe
être prononcé aucun appointement.
XXXIV. Autoriſons nos Procureurs à requérir
d'office , que les affaires de la compétence Préſi
dia'e ou deGrand-Bailliage ,foient jugées en dernier
reffort par leſdits Sièges , même à les revendiquer ,
devant quelques Cours qu'elles foient portées ,
à l'effet de faire prononcer par leſdits Siéges fur
la compétence ; à obtenir en conféquence unjugement
pour affigner les parties , avec défenſes de
procéder ailleurs avant que ladite compétence foit
pogée , à peine de nullité , caſſation & amende ;
&ce, en offrant par nofdits Procureurs , d'établir
la valeur de l'objet ccoonteſté par l'une des voies
ci-deſſus preſcrites.
XXXV. Ne pourront nos Préſidiaux &Grands-
Bailliages connoître en dernier reſſortde la Régale
& autres droits de notre Couronne , des affaires
de notreDomaine , de celles des Pairies , des ſéparations
d'habitation ou de biens , des interdictions ,
( 188 )
del'étatdesperſonnes, nidesappels commed'abus,
excepté dans les cas où ils ſeroient incidens à une
affaire de leur compétence.
XXXVI. Voulons auſſi qu'ils ne puiffent connoître
en dernier reſſort des appoſitions deſcellés
&confections d'inventaire , ſice n'eſt que la valeur
des effets mis ſous les ſcellés , ou celle de la fucceſſion
comprife dans l'inventaire , foit convenue
par toutes les parties ; & à l'égard des qualités
d'héritier , aſſocié , femme commune ou ſéparée,
ainſi qu'à l'égard des partages , mouvances , droits
&devoirs ſeigneuriaux , retraits ſeigneuriaux &
ignagers , ils pourront en connoître lorſque les
qualités d'héritier & autres ne feront conteſtées
que par voie d'exception & incidemment à une
demande principale , ou que la valeur de la part
réclamée dans la maſſe à partager , celle de la
mouvance , droit ou devoir ſeigneurial , le prix
&les loyaux coûts de la vente qui aura donné lieu
au retrait , n'excéderont la ſomme fixée pour leur
compétence.
XXXVII. Dans tous les cas où les ſentences
confulaires ſont ſujettes à l'appel , il ſera porté en
nos Préfidiaux &Grands-Bailliages , encore que
lacondamnation foit par corps , pour y être jugé
en dernier reſſort , joſqu'à concurrence de la fomme
fixée pour leur compétence ; & à l'égard defdites
fentences non ſujettes à l'appel , is connoîtront
en dernier refort de leur exécution.
XXXVIII . Pourront les premières Chambres
de nos Grands-Bailliages , prononcer en dernier
reſſort des injonctions & pcines , même des amendes
, juſqu'à concurrence de ladite fomme fixée
pour leur compétence , contrenos Juges inférieurs ,
ceux des Seigneurs & autres leurs Juſti.iables ,
excepté les privilégiés déſignés en l'article XIII
ci-deſſus ; n'entendons néanmoins qu'ils puiſſent
faire aucuns réglemens entre noſdits Juges inférieurs
& ceux des Seigneurs .
( 189 )
XXXIX. Les réglemens faits par nos Cours fur
les droits & fonctions de noſdits Préſidiaux &
Grands-Bailliages , n'auront effet & exécution
que relativement à la jurisdiction de première
inftance , reſſortiſſante eſdites Cours: à l'égard de
la jurisdiction en dernier reſſort, réſervons àNous
& à notre Conſeil le droit de faire les réglemens
qu'il appartiendra.
XL. Nos Lettres en forme de Déclaration &
Lettres-Patentes feront par Nous adreſſées aux
Grands-Bailliages , pour les vérification & enregiſtrement
d'icelles, ſoit que leſdites Lettres ſoient
données ſur requête de partie , ou de notre propre
mouvement , pourvu toutefois qu'elles n'intéreffent
que l'arrondiſſement particulier deſdits
Grands-Bailliages , ou qu'elles ne portent que fur
le bien & l'accélération de la justice dans leur
reffort.
XLI. Ne pourraêtre rendu endernier reſſort aucunjugementPréſidial
qu'au nombrede ſept Juges ,
ni aucunjugementdeGrand Bailliagequ'au nombre
de dix; auquel effet autoriſonsnos Grands-Bailliages
à emprunter à l'une des Chambres pour le
ſervice de l'autre ; & nos Préſidiaux , même nos
Grands-Bailliages , juſqu'à ce que les Officesnouvellement
créésyſoient remplis, àappeler, ſi beſoin
eft , desGradués.
XLII. Aucun jugement préparatoire , interlo
cutoire oudéfinitif , mêmede compétence , ne fera
fans appel , s'ilne porte expreſſément dans le diſpoſitif
qu'il eſt donné en dernier reſſort ; & il ſuffira
dans les Grands-Bailliages , qu'il ſoit ſigné par l'Officier
qui aura préſidé & par le Rapporteur.
XLIII. Ne pourra aucun jugement portant dans
lediſpoſitif qu'il eſt donné en dernier reſſort , être
attaquéque paroppoſition , s'iln'eſt contradictoire ,
par requête civile , par réviſion en matière cri
(190)
minelle , &par caſſation ennotre Conſeil; défendonsàtoutes
lesparties,notamment à nosProcureurs.
Généraux , d'en interjeter appelpour quelque cauſe
que ce puiſſe être ,même d'incompétence ouautrement;
aux Maîtres desRequêtes ordinaires de notre
Hôtel , d'en expédier ou ſceller aucunes Lettres ;
àtousHuifiers, de les ſignifier ni mettre à exécution
; à tous Procureurs ,de ſe préſenter ni occuper ,
&ànosCours , derecevoir ledit appel ,ni connoître,
ſoit par évocation , ſoit ſous prétexte d'inſpection
de police , ou pour toute autre cauſe , de ce qui
aura été prononcépar leſdits jugemens ; leur défendons
auffi d'ordonner l'apport du procès auGreffe ,
à l'effet de vérifier s'il étoitdans le cas d'êtrejugé
en dernier reſſort , ou de décerner des amendes
&autres peines contre les parties qui feroient exé
cuter ou contre ceux qui exécuteroient leſdits jugemens;
le tout à peine de nullité&de caſſation
des procédures : & encore les parties , Procureurs
&Huiſſiers , à peine de tous dépens , dommages
& intérêts , & de trois mille livres d'amende ,
encouruepar chacun des contrevenans & à chaque
contravention ; leſquelles nullité , reſtitutions &
amendes feront prononcées en notre Conſeil.
XLIV. Autoriſons nos Procureurs ès Préſidiaux
&Grands-Bailliages à ſe pourvoir en notre Conſeil,
poury faire ſtatuer ſur la nullitédes appels , procédures&
arrêts en contravention à l'article précédent
; & feront les contrevenans condamnés aux
amendes y portées , encore qu'il n'y ait fur ce
chef des concluſions de noſdits Procureurs ;
Nous réſervant d'annuller & caſſer leſdits appels ,
procédures&arrêts , par des Arrêts rendus ennotre
Conſeil,denotrepropre mouvement&fansrequête
departie.
XLV. Dans tous les cas où il aura été readu ,
tant auxdits Préſidiaux &Grands-Bailliages , qu'en
1
( 191 )
nos Cours , des jugemens&des arrêtsdedécharge
des affignations , défenſes de procéder ailleurs &
autres ſemblables , il ſera expédié des Lettres ou
Arrêt de Réglement de Juges ;& fera ledit Réglement
ſommai ement jugé en notre Confeil , fur
une feule requête de chacune des parties.
XLVI. Il fera libre aux Lieutenans-Généraux&
aux Lieutenans Criminels de nos Grands-Bailliages ,
d'entrer & préſider à la ſeconde Chambre pour
lejugementdes affaires civiles ou criminel es, même
de s'en réſerver l'inſtruction ; à la charge , par
eux , dene pouvoir juger en la première Chambre ,
les affaires où ils auront fait enpremière inſtance
quelque partiede ladite inſtruction , donné quelque
ordonnance , ou affifté à quelque jugement , ſans
que de la permiſſion d'aſſigner , de celled'informer,
ou d'aucun appointement ſimple ſur requête ,
il puiſſe réſulter contr'eux aucune récufation , ni
autre empêchement.
XLVII . Lorſque le Lieutenant Général ou le
Lieutenant Criminel d'un Grand -Bailliage fera
récuſable , abſent ou empêché , ſera tenu le Lieutenant
Particulier civil, oule LieutenantParticulier
criminel , de paſſer de la ſeconde Chambre à la
première, poury préſider aujugementdes affaires ;
&fera , audit cas , l'inſtruction en la première
Chambre , dévolue au LieutenantParticulier chargé
de préſider.
XLVIII. Enjoignons au ſurplus aux Lieutenans
Particuliers deſdits Grands-Bailliages , dans tous
les cas où ils ne ſeront pas occupés au ſervice de
la feconde Chambre , d'aſſiſter à tous lesjugemens
en la première ; & aux Lieutenans Généraux &
Particuliers desPréſidiaux , d'aſſiſter à tous lesjugemens
rendus par leſdits Préfidiaux.
XLIX. Les Lieutenans Généraux&Particuliers ,
AsosAvocats&Procureursdes Préſidiaux&Grands
( 192 )
Bailliages feront tenus de ſe faire recevoir & de
prêterfermentès Grand ChambredenosParlemens ,
A ce n'eſt qu'ils en ſoient par Nous diſpenſés ;
voulons qu'audit cas ils ſoient reçus & prêtent ferment
aux Préſidiaux& Grands-Bailliages. Al'égard
de tous les autres Officiers , ils feront recevoir&
prêteront ferment auxdits Préſidiaux&Grands-Bailliages.
L. En cas d'abſence ou autre légitime empêchementdenos
Procureurs ès Préfidiaux &Grands-
Bailliages , leurs fonctions dans les affairesen dernier
reffort feront dévolues à nos Avocats , préférablement
à leurs Subſtituts,dans les lieux où il y ena
d'établis.
LI . Seront tenus nos Procureurs ès Préſidiaux
d'envoyer tous les trois mois à nos Procureurs ès
Grands-Bailliages , l'état des prifons du Préfidial
&de celles de fon reffort , contenant le nom des
prifonniers qui y font écroués , la date& la cauſe
de leur écrou ; &àcet effet , feront tenus nosProcureurs
, ceux des Seigneurs , & les Géoliers des
priſonsdenos Jurisdictions inférieures &des Juſtices
desSeigneurs reſſortiſſans èſdits Préſidiaux , d'envoyer
tous les trois mois à nos Procureurs eſdits
Siéges,un état en la forme ci-deſſus,deſdites priſons
&des prifonniers y écroués.
LII. Hſera tenu en chaque Préſidial des féances
différentes pour les cauſes en dernier reſſort & pour
celles àlachargede l'appel , ſans qu'il foit néceſſaire
de fentence de renvoi d'une ſéance à l'autre , mais
feulement d'une ſentence de remiſe àla ſéance du
dernier reſſort , ſignifiée , ſi beſoin eſt , comme
ſentence d'inſtruction , & fans que pour ſaiſir le
dernier reffort , tant au Grand - Bailliage qu'au
Préſidial , il ſoit beſoin de commiffion , ni que
les amendes & droits du Greffe pour les défauts
faute de comparoir , puiſſent y être perçus que
fur le même pied qu'ils l'ont été juſqu'à préſent ,
ds
( 1 )
ès Bailliages& Sénéchauffées ; voulons au furplus
que lesjugemens de compétence , de revendication
&autres interlocutoires , ne foient expédiés en parchemin
, ſcellés ni ſignés en chef.
LIII. Eteignons& fupprimons dans nos Grands-
Bailliages, les Offices de Préſidens , dontla réunion
à ceux de Lieutenans Généraux & de Lieutenans
Criminels ne feroit effectuée; en conféquence ne
pourront les pourvus deſdits offices en exercer à
l'avenir aucunes fonctions ; voulons qu'ils foient
tenus de remettre dans trois mois , ès-mains du
Contrôleur-Général de nos Finances ,leurs titres de
propriété , quittances de finance & autres pièces ,
pour , par eux , recevoir leur remboursement
des deniers qui feront par Nous à ce deſtinés ;
Nous réſervant de reprendre& faire payer ladite
finance par ceux qui , à la première vacance des
offices de Lieutenant Général & de Lieutenant
Criminel , en feront par Nous pourvus ; jouiront
néanmoins leſdits Préfidens , pendant leur vie
despriviléges attachés à leurs offices , avec entrée
rang , ſéance après l'Officier qui préſidera , & voix
délibérative.
,
LIV. Accordons aux Lieutenans-Généraux &
Particuliers , Civils & Criminels , Conſeillers , nos
Avocats & Procureurs en nos Grands-Baillinges
ſeulement, la Nobleſſe perſonnelle ; voulons qu'elle
foit tranſmiſe à leur poſtérité par leſdits Lieute
nans Généraux & Particuliers , nos Avocats &
Procureurs , lorſque le père& le fils auront fucceffivement
rempli un deſdits Offices , chacun
pendant vingt-cinq ans révolus , ou feront décédés
dans l'exercicedudit Office ; & parles Conſeillers ,
lorſque l'aïeul , le père & le fils auront fucceffivement
rempli un deſdits Offices , chacun pendant
trente ans révolus , ou y feront pareillement dé
cédés,
Supplément au No. 21 . a
( 2)
LV. Accordons auxdits Lieutenans -Généraux
&Particuliers , nos Avocats& Procureurs en nos
Grands-Bailliages ſeulement , le droit de porter
la robe rouge dans les cérémonies publiques , & à
l'audience de la rentrée de la Saint- Martin.
LVI. Les Offices de Lieutenans-Généraux &
Particuliers , Civils & Criminels , nos Avocats&
Procureurs en nos Grands-Bailliages , ne pourront
dorénavant être réſignés; mais vacations avenant
pardécès , démiſſion ou autrement , il y fera par
Nous pourvu , & la finance , ſur lepiedde l'évaluationde
l'Office , rembourſée dans les fix mois
par Nous , ou par celui à qui Nous en accorderons
desprovifions; diſpenſons enconféquence les pourvus
deſdits Offices du centième denier , ſans qu'ils
puiſſent , ni leurs héritiers , être recherchés pour
les années non payées , ni que la finance , pour
raiſon de ce , puiſſe être diminuée lors du rembourſement.
LVII. Avons évoqué & évoquons à Nous &
à notre Conſeil, les affaires civiles & criminelles
qui n'excèdent l'attribution donnée aux Fréſidiaux&
Grands-Bailliages par la préſenteOrdonnance
, & qui font pendantes & indéciſes dans
nos Cours : renvoyons leſdres affaires auxdits
Préſidiaux & Grands-Bailliages , pour y être jugéesendernierreſſort
, ſuivant les derniers erremers
; & dans le cas où le réſidial ou Grand-
Bailliage auquel la connoiſſance en appartiendroit ,
ne pourroit en connoître , foit pour les avoir jugées
en première inſtance , ou pour toute autre
cauſede récuſation ou empêchement , les renvoyons
au Préfidial ou GrandBailliage le plus
voiſin non ſuſpect ; voulons que les accufés écroués
dans les prifons près nos Cours , ſoientrenvoyés &
leurs procès , auxdits Préſidiaux & Grands-Bailliages;&
quant aux affaires civiles , défendons à tous
( 3 )
Greffiers de retenir les actes & pièces que les
parties voudront retirer de leurs Greffes ; à tous
Procureurs , d'occuper & procéder devant leſdites
Cours ; aux parties , de ſe pourvoir ailleurs qu'efdits
Préfidiaux & Grands-Bailliages , à peine de
nullité , caſſation , dépens ,dommages&intérêts ,
&de trois mille livres d'amende contre les Greffiers
, les Parties&leurs Procureurs , encourue par
chacun des contrevenans , &pour chaque contravention
; & feront leſdites peines prononcées en
notre Confei!.
LVIII. NotreChâtelet de Paris, comprisdans le
nombredes Siéges auxquelsNous avons accordé l'attribution
donnée aux Grands - Failliages par la
préſente Ordonnance , continuera néanmoins de
porter lenom&titre de Châtelet ; voulons que
juſqu'à ce qu'il en ſoit par Nous autrement ordonné
,d'après les mémoires qui feront inceffamment
remis à notre Garde des Sceaux , par les
Officiers, dudit Châtelet,les appels des Sentences
en matière criminelle , ainſi que les appels des ſer.-
tences dans les affaires civiles non excédantes la
fommede vingt mille livres ,rendues tant par ledit
Châtelet que par les Juges de fon reſſort & arrondiffement
, foient portés à la féance du Préſidial
poury être jugées en dernier reffort ; pourront
enconféquence, tant le Lieutenant-Civil que le
Lieutenant-Criminel dudit Châtelet , entrer &préfider
à ladite ſéance du Préſidial , pour le jugement
, tant à l'Andence qu'au Conſeil , de toutes
les affaires civiles & criminelles , même s'en réſerver
l'instruction , ainfi &de la manière qu'il a été
par Nous c-leffus ftatué à l'égard des Lieutenan's
Généraux & Lieutenans. Criminels des autres
Grands-Bailliages .
LIX. Augmentons juſqu'à la fomme de vingt
mille livres ,l'attribution accordée au ConſeilPio
a ij
( 4 )
vincial Artois , pour juger en dernier reſſort en
matière civile , ſans rien innover quant à la Jurifdiction
criminelle dudit Confeil .
LX. Incontinent après la publication & enregiftrement
de la préſente Ordonnance, des Commiſſaires
feront par Nous députés , à l'effetd'examiner
ſi l'arrondiſſement provifoirement donné
aux Grands-Bailliages ci-deſſus établis , doit être
rendu définitif , ou s'il convient d'y porter quelque
changement ; s'il est néceſſaire d'y créer de
nouveaux Préfidiaux , d'en fupprimer&d'en réunir
d'anciens ; de laiſſer à chacun des Préſidiaux
qui feront confervés , leur territoire & reffort, de
Y'augmenter ou diminuer ; entendront , pour raifon
de ce, leſdits Commiſſaires , les Officiers des différentes
Jurifdictions , ainſi que les Officiers Municipaux
, & généralement prendront tous les
éclairciflemens convenables , pour procurer fur
lės licux une plus prompte & meilleure juſtice ;
feront en même temps chargés de vérifier par
eux-mêmes ou par les perſonnes qu'ils commettront
, &, fi beſoin eſt , de conſtater par eftimation
d'experts , l'état des Auditoires , Greffes &
Prifons , la qualité des Juges & autres Officiers
-des Seigneurs , & fi lesdits Juges&Officiers font
domiciliés & réſidens , pour , fur les procès verbaux
deſdits Commiſfaires , être par Nous ordonné
ce qu'il appartiendra ; & juſqu'à ce qu'il ait été
par Nous ſtatué , défendons à toutes nos Cours&
Jugesde connoître d'aucunes conteftations qui pourroient
s'élever à ce ſujet , leſquelles évoquons à
Nous& à notre Confeil.
LXI . Voulons au ſurplus que la préſente Ordonnance
foit gardée & obſervée dans tout notre
Royauine, à compter du jour de la publication
qui en fera faite: Abrogeons toutes Ordonnances ,
Loix , Coutumes & Ufages différens , ou qua
( 5 )
feroient contraires aux difpofitions y contenues.
SI DONNONS IN MANDEMENT à nos amés&
féaux les Gens tenant nos Cours de Parlement ,
Grand-Confeil, Chambre des Comptes, Cour des
Aides ,Grands-Bailliages , Préſidiaux ,&tous autres
nos officiers , que ces Préſentes ils gardent , obſervent,
entretiennent , faſſent garder , obſerver &
entretenir;&pourles rendrenotoires à nos Sujets ,
les faſſent lire , publier & registrer ; CAR TEL EST
NOTRE PLAISIR. DONNÉà Versailles , au mois de
mai , l'an de grace mil ſept cent quatre- vingt-huit ,
&de notre règne le quatorzième.
Signé LOUIS.
Etplus bas , par le Roi , le Bon. DE BRETEUIL.
Vifa DE LAMOIGNON.
Le Roiféant en fon Lit de Justice , a ordonné&
ordonne que la préſente Ordonnance fera enregistrée
au Greffeddeefor Parlement ,&quefurlerepli d'icelle
ilfoit mis que lecture en aété faite& ledit enregiftrement
ordonné , ce requérant fon Procureur-Général
pour être lecontenu en icelle exécutéfelon faforme
&teneur. Fait en Parlement, le Roi tenant fon Lit
de Justice au Château de Versailles , le huit mai
milfept cent quatre-vingt-htir.
3
Signé LEBRET.
ETAT DES GRANDS BAILLIAGES.
Parlement de Paris.
ChâteletdeParis.Amiens.Angoulême. Beauvais
Bourges. Châlons-fur-Marne, Langres. Lyon.Le
Mans. Moulin. Orléans. Poitiers. Riom. Sens.
Soiffons. Tours.
Parlement de Toulouse.
Toulouſe. Auch. Carcaffone. Nifmes. Villefranche
en Rouergue.
ам
( 6 )
Parlement de Grenoble.
Le Pailliage de Gréfivaudan féant àGrenoble .
Valence.
Parlementde Bordeaux.
Bordeaux. Condom. Dax. Périgueux.
Parlement de Dijon.
Dijon. Châlons-fur-Saône. Bourg-en-Brelle.
Parlement de Rouen.
Ronen. Caen. Alençon.
Parlement &Aix.
Aix. Digne.
Parlement de Pau.
La Sénéchauſſée de Pau .
Parlementde Rennes.
Rennes. Nantes . Quimper.
Parlement de Merz.
Metz.
Parlement de Besançon.
Beſançon. Vefoul.
Parlementde Douay.
La Gouvernance de Douay.
Parlement de Nancy.
Nancy. Mirecourt.
Confeil Supérieur de Rouffillon.
Perpignan.
ConfeilSupérieur d'Alface.
Colmar
Fait & arrêté au Conseil d'Etat du Roi , Sa
Majefté y étant , tenu à Versailles , le premier mai
mil ſept cent quatre-vint-huit.
Signi, LE Bon DE BRETEVIL.
Le Roiféant en fon Lit de Justice, aordonné&
ordonne que le préſent Etat fera enregistré au Greffe
de son Parlement, & que sur le repli d'icelui ilfoit
mis que lecture en a été fatte,& ledit enregistrement
ordonne, ce requérant fon Procureur-Général , pour
@tre le contenu en icelui exécuté felon fa forme Er
( 7 )
teneur. Fait en Parlement , le Roi tenant fon Lit
de Justice , au Château de Versailles , le huit mas
mil fept cent quatre-vingt-huit.
Signé LEBRET.
Les vaiſſeaux arrivés dernièrement de
l'Inde pour la Compagnie , ont apporté
des lettres de Pondichery , par leſquelles
on apprend que le Comte de Conwayy
eft arrivé à bord de la frégate l'Aftrée , &
a pris immédiatement le commandement
général des établiſſemens François. On fe
loue beaucoupdes talens, de l'intelligence
& de l'affabilité de ce Général , qui a for
mé en arrivant un Conſeil politique pour
la conduite des principales affaires de l'Adminiſtration
, d'après le plan adopté par le
Miniſtre de laMarine. M. d'Entrecasteaux
avoit quitté Pondichéry a bord du vaifſeau
la Résolution , pour aller prendre le
Gouvernementde l'Iſle de France, & foccéder
à M. de Souillac, qui eft repaflé en
France.
Il y a eu dans le reffort de la Sénéchauffée
Angers , en 1787 , 9682 naiſſances , 2674 ma-
Tiages , & 9361 morts. La différence en plus des
naiſſances aux morts eſt de 313 ; il est né 382
garçons plus que de filles , & il eft mort 211
hommes plus que de femmes , les profeffions en
religion ont été au nombre de 8 , & les morts
en religion auffi au nombre de 8. En comparant
le nombre des morts de l'année dernière avec
ceux des dix années précédentes , on le trouve
( 8 )
bien inférieur ; ils avoient toujours excčdé dix
mille , ſouvent même onze mille.
Le 8 mars dernier , écrit-on de Périgueux
, environ midi , le nommé Maron
Privat, de la paroiſſe de Creſſenſac , dans
l'accèsd'une fièvre maligne ,s'étant échap
pé de force , grimpa fur un arbre , à la vue
de plus de quarante perſonnes , juſqu'à la
hauteur d'environ 45 pieds , diſant qu'il
vouloit voler ; il quitta ſa chemiſe , garda
ſa culotte , & s'élança ; il tomba ſur ſes
pieds ſans fe faire le moindre mal , & marqua
de l'étonnement de n'avoirpu voler.
Maintenant qu'iljouitde ſonbon ſents, il ne
ſe ſouvient pas du tout de cette aventure.
Le Journal de Normandie , du 10 mai ,
renferme l'état ſuivant des navires arrivés
d'Angleterre dans les ports de Rouen &
du Havre , depuis le 1. janvier juſqu'au
30 avril 1788.
er
Navires Anglois. 22 chargésde ſalaiſons , 51 de
charbon , 5 d'alun , 16de charbon &faïence, 8 de
bois abrûler & quelques marchandiſes, 1 decornes
deboeuf, ide cheminées àbrûlerdu charbon , 1 de
cuivre en feuilles & en faïence , & 43 de diverſes
marchandiſes & faïence. Total, 148.
NaviresFrançois. 1 chargé de plomb&demarchandiſes
, de beurre & marchandises , I de falaiſons
, étain& marchandiſes , 3 de marchandises,
& 1 de bois à brûler & meubles. Total, 7 .
Navires Hollandois . 2 chargés de marchandises ,
1 de faïence& marchandises , & 1 de charbon .T.4-
Récapitulation. 148 Anglois , 7 François &4
Hollandois. Total , 119.
( 9 )
Don Philippe-Marie Ponte , Comte de
Scarnafis , Chevalier , Grand- croix &
Commandeur de l'Ordre royal & militaire
de Saint-Maurice& de Saint- Lazare , Gentilhomme
de la Chambre du Roi de Sardaigne
, & fon Ambaſſadeur auprès de Sa
Majefté très-Chrétienne , eſt mort à Paris ,
le 22 avril.
Très haute & très-puiſſante Dame Marie
Roſſoline d'Arcyde la Varenne , épouse
de très haut & Très- puiſſant Seigneur
Meſſire Claude - Matthieu de Damas ,
Comte d'Audou , eſt décédée le 26 avril
1788 , à Paris , rue Taranne , paroiſſe St.
Sulpice.
Buiffon , Libraire, rue de Poitevins, Hôtel de
Mégrigny, vient de mettre en vente un Ouvrage
intitulé : Confidérations généralesfur leProcès intenté
àM. Hastings. On y examine ce Procès ſous le
grand rapport d'une Affaire d'Etat , & d'après
d'authentiques documens. Cet écrit , qui n'a aucune
analogie avec tout ce qu'on a publié en France à
ceſujet , eſt composé d'un Diſcours préliminaire ,
où l'on expoſe l'hiſtoire ſommaire de M. Hastings ,
l'origine de fon procès , le parallèle de l'Indoſtan
fous fon adminiſtration& ſous celle dé ſes prédéceſſeurs
, enfin les ſuites politiques que doit entraîner
une pareille pourſuite. Cette première partie
eſt ſuiviede la traduction d'un Ouvrage Anglois ,
dont l'Auteur a traité avec force , clarté & élévation
un fujerdont il fait fentir l'importance por
toutes les Nations intéreſſées au commerce de
,
'nde. Cet ouvrage broché ſe vend 2 liv. 8 fols.
Les Numéros fortis au Tirage de la
:
( 10 )
Loterie Royale de France , le 16 de ce
mois , font : 65,55 , 63 , 79 & 78.
PAYS - BAS.
De Bruxelles , le 9 Mai 1788 .
Les troupes Pruſſiennes ontentièrement
évacué le territoire des Provinces Unies,
&font arrivées dans le Duché de Clèves ,
d'où leur Général , Comte de Kalkreuth ,
eſt parti immédiatement pour fe trouver
à Magdebourg à l'arrivée du Roi fòn
maître. Le régiment Brunswickois de
Riedefel , quatre Compagnies de Dragons
&deux d'Artillerie des mêmes troupes,
font entrés le 30 avril à Maeftrichr.
Ce Corps y reftera en garmiſon comme le
précédent , & l'on y attend encore une
Compagniede Chaffeurs....
-
Le 8, s'eſt fait à la Haye, entre le Chevalier
Harris & les Députésde L. H. P. ,
l'échange folennel des ratificationsdu der
nier traité couclu entre la Cour de Londres
& la République.
Le Bulletin officiel de la Gazette de Vienne,
du 3 mai , porte en ſubſtance ce qui
fuit:
44 Le 14 avril , les Turcs , au nombre de 2000.
liommes de Cavalerie & de 1500 d'Infanterie ,
attaquèrent au defilé de Bozan , dans la Tranſyl
vanie , un détachement des Sekiers , Infanterie ,
commandé par le Capitaine Waller , & le forcerent
de reculer malgré la réſiſtance la plus vive :
( 11 )
mes.
nous perdimes le Capitaine & trente - cinq hom-
Une diviſion de Cavalerie ayant Joint
peu de temps après les Seklers , on chargea de
nouveau l'ennemi , qui céda à la fin&prit la fuite;
on le pourſuivit jusqu'à Oferay. Nous avons eu
54 tués & 14 bleſſés ; la perte de l'ennemi ne
peut point être indiquée : il a emporté les tués
&les bleſſés , mais dans les premiers ſe trouve
un Aga& un autre Officier. Le 15 , l'ennemi ,
au nombre de 800 hommes , attaqua notre pofte
de la vallée de Priporn , près de Periſun ; une
diviſion du régiment d'Orotz étant accourue avec
des pèces de campagne , lesTurcs furent repousſés
avec perte , après un combat qui a duré près
de troisheures.
Le 21 , le corps d'armée de Croatie , commandé
par le Prince de Lichtenstein, ſe campa
près de la fortereſſe Turque de Dubirza. Ce
jour même & le lendemain , on cannona cette
place. Contme on apprit que les Turcs ferenforçoient
aux environs , deux détachemens ſe mirent
en marche pour les reconnoître;l'un d'eux fut furpris
par mille Turcs , dans le moment où il tâchoit
de gagner une hauteur ; l'action fut très-opiniâtre:
156 hommes de notre côté reſtèrent ſur la place ,
parmi leſquels ſe trouvent les Capitaines Mandel
& Rebrachat , & trois autres Officiers : nos bleſſés
font au nombre de 7. Parmi les tués de l'ennemi ,
ſe trouve le fi's du Bey de Bredar. Le Prince de
Lichtenstein donnal'ordre d'aller à l'aſſant de Dabizta,
après avoir fait ouvrir la tranchée. Lagarniſon
, qui reçut un renfort de Banialuka , fo rit
au nombre d'environ 12 000 hommes , & attaqua
nos troupes avec une fureur incroyable ; l'action
dura plus de trois heures en plein-champ , mais
à la fin l'ennemi ne put tenir contre la bonne contenance&
la bravoure de nos troupes , & feretira .
( 12 )
LePrincede Lichtenstein confiderant que nos batteries
avoient été détruites par l'ennemi , & ayant
'appris qu'il recevoit des re forts detoutes parts, prit
la réſolution de repaſſer l'Unnadans la nuitdu 25
de ce mois , & de ſe camper für la hauteur entre
Dubriza & Bacin , afin de pouvoir mieux couvrir
nos frontières , & de diriger les opérations de
manière qu'il pût recommencer le ſiége de Dubriza
, ou ſe porter ail'eurs fe'on les circonstances.
Le nombre des tués & des bleſſés de notre côté
fera publié à l'ordinaire prochain ; mais parmi les
derniers ſe trouve le Feld Maréchal- Lieutenant de
Vins , qui a reçu deux coups de feu , le Major-
Général de Schlaun , qui eſt b'eſſe mortellement,
&le Major - Général de Kuhn , qui a perdu la
jambe gauche. On ne peut point déterminer la
perte de l'ennemi , qui est très- conſidérable, n
«Le rapportdu Prince de Cobourg du 21 avril ,
porte en ſubſtance , que le Colonel Fabr. s'étant
porté de Bottuſchan avec ſon détachement qui y
étoit poſté , à Larga , y a attaqué Ibrahim Nazir ,
Pacha, & l'a forcé de prendre la fuite. Ce Colonel
s'avança enſuite jusqu'à Jaſſly , & eut le bonheur
de prendre le Prince de Moldavie avec
toute fa fuite& fes bagages: ce Prince alloitjoindre
à Ifmail Ibrahim Pacha ; on l'a envoyé à
Czernoviz. Dans l'action avec ce Facha , nous
n'eûmes que 2 tués & 12 bl.ſſés , doat un Ca
pitaine; les tués de l'ennemi, que nous avons enterrés
, montent à43 ; nous leur avons pris 10
Officiers & 13 hommes. »
Cebulletin porte encore que les Autrichiens
ont quitté, le 12 avril , le Couvent de Kofia , &
ſe font retirés à l'approche de 1200 Turcs ; il
rapporte auffi l'action qui eut lieu le 15 avril , au
défilé de Rothenthurn , où 800 Turcs ont été
repouffés.
MERCURE
DE FRANCE.
:
SAMEDI 31 MAI 1788 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE
:
A M. le Comte FRANÇOIS D'HARTIG ,
Chambellan de l'Empereur , fur la mort
de M.le Comte DE BUFFON..
TANDIS qu'enGermanie , où l'Aigle des Céfars.
Du farouche Othoman menace les remparts ,
Vous portez aux Saxons ( 1 ) la pacifique olive ,
Ami , vous le ſavez , ſur ſa tranquille rive
(1) M. le Comte d'Hartig vient d'être nommé par
l'Empereur ,Envoyé extraordinaire à la Cour Ele&orale
de Saxe..
No.22. 31 Mai 1788. I
1
:
494 MERCURE
La Seinę a vu tomber le Pline de nos jours .
Il n'eſt plus ! l'art en vain prodiguant ſes ſecours ,
Avoulu prolonger ſa vie& non fa gloire.
Il n'eſt plus ! ... qu'ai-je dit ? au Temple deMémoire
Son nom avec réſpect fera toujours cité ;
La mort pour legrand homme eſt l'immortalité .
Quel autre a mérité plus d'encens &d'hommages?
La Grèce eût elle-même adoré ſes images;
LaGrèce , qui vit naître Ariftore & Platon ,
Grande par ſes exploits autant que par leur nom ,
La Grèce eût de BUFFON admiré le génic ,
Et ſon ſtyle , où la force à la grace eſt unie .
J'ai vu Necker , attentif à ſes doctes leçons ,
Se ranger noblement parmi ſes Nourriffons ,
Et fe former fous lui dans le grand art d'écrire.
Necker , qui gouverne le timon de l'Empire ,
Ames regrets obfcurs vient de mêler ſes pleurs ,
Et fa tendre compagne a répandu des fleurs
Sur l'urne où d'un ami va repoſer la cendre.
O BUFFON ! s'il eſt vrai que tu puiſles m'entendre ,
Pardonne à mes acsens , pardonne à ma douleur!
Ils peignent foiblement notre commun malheur ;
Mais ta bonté pour moi fut prefque paternelle ,
Et la reconnoiffance en doit être éternelle.
Unjour , il m'en fouvient , du cygne harmonicux
Il me liſoit l'Hiſtoire . On voyoit dans ſes yeux
D'un talent créateur refplendir la lumière ;
Mais il devoit bientôt terminer ſa carrière ,
DE 195 FRANCF .
Etdéjà fous ſes pieds s'ouvroit le monument.
Hélas ! qui me l'eût dit , qu'en co fatal moment
La Mort n'étoit pas loin , & que cygne lui -même ,
L'infortuné touchoir à ſon heure ſuprême e
Vous le pleurez aufli ; vous aimicz à le voir ,
DuDieu qui le créa révélant le pouvoir ,
Raconter & décrire avec magnificence
L'ordre de l'Univers , ainſi que ſa naiſſance,
Des trois règnes nombrer les miracles divers ,
Claſſer les Habitans de la Terre & des Airs ,
Et nommer l'homme enfin le Roi de la Nature.
Vous avez dévoré la Cavante peinture
Où des cieux il meſure & fonde la hauteur ,
Etnous montre le globe enflé ſous l'Equateur.
Quel feu dans ſes tableaux Sous fa touche hardic
LaNature fi belle eft encore embellie.
Rival de Prométhée , il étonne les cieux.
Nous peint-il le Lion fuperbe, audacieux ?
Du Roi des animaux ſon ſtyle a la nobleſſe.
Comme il fait de ce Roi defcendre fans baffefle
Juſqu au timide infecte ,&comme, avec grandeur ,
De l'Eléphant bientôt il atteint la hauteur!
Comme au milieu des airs il fuit le volatile !
Comme il erre à l'entour des replis du reptile !
Comme iken développe & compte les anecaux !
Avec le potffonmêmeil nage fousles eaux.
Quel éclat enchanteur ! s'il nous décrit la Roſe ,
On croit la voir. Quels vers, de fa fablime prote
12
196 MERCURE
Peuventà nos regards remplacer les couleurs ?
Les plus beaux fruits toujours s'y cachent ſous les
fleurs.
Oh ! pourquoi n'eſt-il plus ? De la Mort inflexible
Pourquoi l'affreuſe main, portant le coup terrible ,
A-t-elle ſuſpendu l'écrit ingénieux ( 1 )
Où BUFFON , couronnant ſes travaux glorieux ,
Etabliſſoit du Beau les règles immortelles ,
Et joignoit le précepte à ſes nombreux modèles ?
Du fort qui nous pourſuit tel fut donc le décret ;
BUFFON a dans la tombe emporté ſon ſecret.
Mais devant la vertu diſparoît le génie ,
Etcelle de BUFFON aux talens fut unie.
Satisfait de ſa gloire , on ne le vit jamais
D'un peuple de rivaux envier les ſuccès ,
Et pour les rabaiſſer employer la ſatire .
Il aima de Piron l'ingénieux délire :
Crébillon le remplit d'une noble terreur ;
Et pour la vérité quand Rouſſeau prit l'erreur ,
Quand il ſe confeſſa devant l'Europe entière ,
Etſe dit criminel d'une voix humble & fière ,
BUFFON ne ceffa point d'adinirer ſes talens.
Que de fois je l'ai vu , malgré le poids des ans ,
De la beauté ſenſible enviant le ſuffrage ,
Venir à Beauharnois offrir un pur hommage ,
(1 ) M. de Buffon avoit commencé, durant la dernière
maladie , une Differtation fur le Style , que la mort l'a
cmpêché d'achever.
DE FRANCE . 197
Et daigner applaudir avec un doux ſouris
Ades vers faits par elle ou pour elle entrepris !
Je ne veux point ici , d'une voix téméraire ,
Pour exalter BUFFON , calomnier Voltaire :
Je révère l'Auteur d'Alzire , de Brutus ,
Et ſes talens fur-tout qui ne renaîtront plus .
Mais Voltaire , on le fait , eut toujours la manie
D'ébranler la Statue élevée au Génie.
Il provoque BUFFON , & veut , léger Soldat ,
AvecſonGénéral engager le combat.
Il s'arme du ſtylet de la plaifanterie ,
Et l'aiguiſe déjà d'une main aguerrie.
Plus ami de la paix , fur-tout plus généreux ,
-BUFFON rit del'attaque, & trompant tous ſes voeux,
Lui répond ſeulement par un noble filence.
Sur les pas de Voltaire un Champion s'élance ,
Champion s'eſcrimant du pied , non de la main ;
BUFFON le voit à peine , & pourſuit fon chemin.
Contre le vieux Lion que peut l'Ane en farie ?
Airfi lorfque les fils de la froide Orithie ,
Sur l'onde ſe heurtant , s'efforcent à grand bruit
De plonger un vaifleau dans la profonde nuit ,
L'habile Nautonnier qui craint peu les naufrages ,
L'amène dans le port à travers les orages.
Nommerai-je à préſent les nombreux ennemis
Qu'étonna ſon génic , & qu'il n'a point ſoumis ?
Ceux qui traitent d'erreurs ſes ſublimes ſyſtêmes ?
Je crois les voir parcils à des Vampires blèmes ,
13
198 MERCURE
Dans Pombre de la nuit ſe traîner à pas lents ,
Et s'afieoir fur la tombe on dorment ſes talens.
Détracteurs acharnés , quel Démon vous poſſede ?
Quand la Vérité brille , il faut que tout lui cède :
Je la préfère à tout. Mais qui peut affurer
2
Qu'à ſes yeux cette Vierge ait daigné ſe montrer
Telle qu'aux Immortels , fans voile , fans parure ?
Quel lambeau peut percer la nuit de la Nature ?
Si BUFFON quelquefois nous apprend à douter ,
S'il est vrai qu'il s'égare , il faut le reſpecter.
Ainfi penſe d'Hartig.Les ferpens de l'envie ,
De leur ſouffle empeſté ne troublent point ſa vie :
Il coule enpaix ſesjours dans le ſein des Beaux-Arts
Et préférant le myrte aux palmes des Célars ,
En vers harmonieux il chante ſa Maîtreffè :
Jeune encore , il unit l'amour & la fageffe ,
Voyage en Thilofor he ( 1), & deffine àgrands traits,
Du Monde qu'il a vu , de fublimes portraits.
Il fait plus : de BUFFON imitateur fidèle ,
Dans ſes tabicaux ſouvent il l'a pris pour modèle ,
Chaque jour avec lui cherchant la vérité ,
Noble amant de la gloire , & cher à la Beauté.
(1) M. le Comte d'Hartig a publié des Lettres forr in-
Séreffantes for Pitalie , la France & l'Angleterre , quel
ques Ouvrages d'Histoire Naturelle , & en dernier licu un
Volume intualé : Mélange de Vers & de Pr se.
(ParM. le Ch. de Cubieres . )
DE FRANCE. 199
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Bonjour ; celui
de l'Énigine eſt la Plante des pieds ; celui
du Logogriphe oft Optimisme, où l'on trouve
Pie , Po , Somme , Mimes , Pife , Mise ,
Pomme , Si , Mi , Momies , Tome.
CHARADE.
Je ſuis Dien des Bergors , to dira mon premiers
Je ruine les fots , te dira mon dernier ;
Auxportes des Bureaux s'attache mon entier.
(Par M. Glaffon de la Severie. )
ÉNIGME .
Inconnue à beaucoup de gens ,
On difpute depuis long-temps ,
Si dans ma fonction j'ai des droits légitimes .
Mais quoi qu'il en puifle être, il eſt certain, Lecteur,
Queje mets au jourbien des crimes.
Quand on éprouve ma rigueur ,
14
200 MERCURE
Il eſt bien fan qui ſe peut taire ;
Le plus ferme fuccombe àmon cruel effort ,
Et fatale aux méchans ,je fuis pour l'ordinaire
L'avant- conrrière de leur mort.
( Par M. Guérin. )
1
LOGOGRIPH Ε .
HUMBER fille du Luxe & de l'Oifivere ,
J'ai donné l'origine aux Arts , à l'Induſtrie .
Le cruel Déſeſpoir voyage à mon côtế.
Parfois l'Honneur me fuit ; fouvent l'Improbité ,
Dirigeant mes efforts , me livre à l'infamie .
Défunis les huit pieds ſur leſquelsje m'appuie ,
A l'inſtant tu verras un mot cher à ton coeur ;
La mère des humains ; un animal rongeur ;
Ce qu'on fait très -ſouvent dans l'état militaire;
Un légume commun ; une chande ſaiſon ;
Aux rayons du ſoleil ce qu'exhale la terre ;
Un quadrupède utile , & propre à ton bouillon ;
L'inſecte que tu pends au perfide hameçon ;
Dans les champs ennemis ce qui ſuſpend la guerre ;
Deux notes de musique ; un petit animal
Que tu vois à ton pré faire ſouvent grand mal :
Enfin, pour abréger , Lecteur , ma kyrielle ,
Ce qu'un manoeuvre enfonce avec la demoiselle.
(Par M. Duriou. )
DE FRANCE. 201
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LÉGISLATION PHILOSOPHIQUE ,
Politique & Morale ; par M. LANDREAU
DE MAINE AU PICQ , Avocat , & Affeffeur
en la Maréchauffée de Saintes ; 3
Volumes in- 12 . A Paris , chez l'Auteur,
rue du Jardinet, au grand Hôtel de Toulouſe
; & chez Debure aîné , Libraire ,
rue Serpente.
IL eſt des matières fur leſquelles il importe
de revenir. Il n'en eſt point qui intéreſſe
cutant qu'une réforme dans le Code
pénal. Tous ceux qui la demandent font
sûrs de trouver des encouragemens auprès
des Miniftres qui nous gouvernent , & de
l'indulgence parmi les gens de bien. Nous
ne centurerons donc ni le plan, ni la forme,
ni la manière dont M. Landreau a rempli
la tâche qu'il s'étoit impoſée. Quelques citations
mettront les Lecteurs à portée de
juger ſon ſtyle. Tel qu'il eſt , ſon Ouvrage
annonce une ame honnête , qui veut le
bien & qui s'en eſt occupé.
Is
262 MERCURE
Lycurgue ne voulut pas qu'on touchât
aux Loix. Il crut avoir tout prévu , & fermé
le cercle dans lequel les nations futures
devoient être arrêtées. Il ſemble que la plupart
des Peuples modernes aient voulu
imiter ce principe , en confervant de vieilles
Loix, ouvrages des fiècles reculés. Il connoiffoit
mieux les hommes cet Empereur ( les
Novelles , CXI.), qui diſoit qu'il faut changer
les Loix privées tous les cent ans. Julien
les fit compiler, & les rendit perpétuelles .
Cet exemple a écé funeſte aux Peuples modernes,
qui ont penſé que les Loix devoient
être éternellement permanentes . On n'étoit
point allez avancé pour voir qu'il ne faut
conferver que celles qui ſont d'accord avec
les moeurs , & qu'il faut abroger celles que
cette morale univerſelle, fille de l'opinio.n
des Peuples & baſe du pacte ſocial , n'a
point enfantées. L'idée d'un Code bien
combiné a été trop lente à éclore. Un rapide
coup d'oeil ſur les Nations fuffira pour
s'en convaincre. Les Grecs avoient neuf
cents ans de civiliſation , & ils n'avoient
point un Code pénal. Zaleucus , Légiflareur
des Locriens , fixa le premier l'eſpèce
de chaque crime , & la durée des peines.
L'Egypte voulut inſpirer le bien,& manqua
fon but en puniſſant auffi févérement ceux
qui refuſoient de faire une belle action ,
que ceux qui ſe rendoient coupables d'un
délir. Le Gouvernement Theocratique des
Juifs préſenta ſouvent des fupplices. Les Loix
-
DE FRANCE.
d'Athènes furent long-temps craelles , & réfervèrent
enfin la peine de mort aux feuls
alfaflins. Lycurgue introduifit la corruption
dans Sparte , en protégeant trop la Conftitution
militaire . Platon compofa un Roman de
vertu . Les Romains favorisèrent les vices
qui pouvoient leur être utiles . On reconnut
aisément trois Ordres dans cette République;
le premier étoit traité avec douceur
, le ſecond étoit puni ſévèrement , le
peuple avec une rigueur exceſſive. La Loj
Porcia fut trop long- temps attendue ; trop
de victimes avoient rougi de leur fang la
roche Tarpéenne, Juſque la preſque aucune
Loj n'a paru dictée par l'humanité , ni
convenable à chaque Peuples
Les Barbares qui déchiroient le ſquelette
Romain , tombèrent dans le Gouvernement
féodal , y trouvèrent des fers & pour
toute juftice , les épreuves de l'eau , du
feu , qu'on appeloit les jugemens de Dieu .
Les Croifades augmentèrent ce défordre ,
& furent fuivies par la découverte de l'Amérique
, les guerres de Religion , & enfin
par un de ces Tribunaux de ſang , où la
caufe de Dieu fut confondue avec celle de
P'ordre focial. Qu'on s'arrête devant ce tableau.
L'Angleterre fur la première qui donna
au citoyen les Pairs pour Juges , un défenſeur
qui ren dit l'instruction publique ,
16
204 MERCURE
& qui l'établit ſur la préſomption de l'innocence
. Le Chancelier de l'Hôpital diſoir
dans le Lit de Juſtice tenu à Rouen le 17
Août 1563 , que les Loix qui empêchent
les crimes , font meilleures que celles qui
les puniffent. On pourroit appliquer cette
réflexion aux Loix Angloiſes , & non point
aux nôtres , par leſquelles on voit que
l'inftruction criminelle eſt établie fur la
préſomption du crime , & paroît préparée
pour le ſuccès de l'accufation , bien plutôt
que pour la décharge de l'accufé. Que penferoit
un Anglois , en parcourant notre
tarif des peines ? Il ne verroit par- tout
que la mort & l'infamie. La plus douce
des Nations offre aux yeux de l'étranger
un Code févère : elle a une foule de Loix,
enfantées dans des temps différens , marquées
d'ane tache de barbarie & de vaffalité.
Une indifférence auffi grande pour les plus
chers intérêts , mériteroit trop le reproche
de cette légèreté dont on nous accuſe , ſi
nos moeurs ne réagiſſoient point à leur
tour fur ces Loix dont la plupart reſtent ſans
exécution . Il n'a pas tenu au Préſident
Lamoignon que l'Ordonnance criminelle
ne fût adoucie. Son opinion fut malheureuſement
contredite dans les conférences
tenues pour la rédaction de cette Loi.
Nous allons devoir cet adouciſſement à
un de ſes deſcendans actuellement élevé
à la première place de la Magiftrature de
l'Etat.
DE FRANCE.
205
M. Landreau a cédé à ſon tour à l'opinion
entièrement tournée vers cette utile
& néecffaire réforme. Un pareil motif
ſuffit pour le rendre recommandable : nous
allons faire connoître l'eſprit dans lequel il
a écrit ſon Ouvrage , en nous arrêtant fur
les principaux chapitres .
Il s'élève comme l'ont fait pluſieurs
Philofophes , contre la peine de mort , qu'il
ne réſerve qu'à l'aſſaffin. La peine de mort ,
dit-il , eft injuste , conſidérée du côté de la
Religion. Le Sauveur du Monde ne veut
pas la mort du pécheur; mais qu'il ſe convertiffe
& qu'il vive. Pietre , coupant l'oreille
à Malchus , fut repris. Jefus Chrift
ais à la femme adultère ! Allez- vous- en , &
ne péchez plus . On conviendra que la Société
a beaucoup altéré ce texse pacifique
; à la parole d'un Dieu , on a fubaitué
la voix de l'homme. Les Hébreux
mettoient cependant en eſclavage les voleurs
juſqu'à ce qu'ils euffent payé deux
ou trois ou quatre fois l'objet vole. Matt.
18 , v. 15. Les Romains avoient imité les
Hébreux , Gell. lib . 10 , Noct. Att. Ils n'avoient
point de Bourreaux , dit M. Landreau
, qui commet une erreur dans ce
point : mais il pourroit ajouter que du
moins on n'a point trouvé chez eux un fief
érigé à la charge de remplir cene tenible
fonction. Le nom de bourreau vient de
Borel : Quòd faciebat fufpendere latrones
206. MERCURE
quos capiebatur in feode de Bellencombre
; en conféquence il prétendoit que
le Roi lui devoit les vivres tous les jours
de l'année ( 1261 ). Nous avons rapporté
ce fair , pour donner une idée de l'extravagance
des motifs qui ont fait eriger la
plupart des fiefs , & de la bizarrerie des
redevances impoſées. Tous les criminels,
dit M. Landreau , font des foux. C'est une
vérité que le Législateur n'auroit pas dû
méconnoître. Des foux ont beſoin d'un
régime , qui demande à être adminiſtré
avec autant de bonté que de fageffe.
Nous ne pardonnons point àM. Landreau
de vouloir perpétuer le préjugé d'infamie ,
qui Aétrit les parens & la famille du coupable.
En Angleterre , en Suiffe , les parens
he font point déshonorés ; il n'y a pas plus
de criminels qu'ailleurs. M. Landreau trouvera
tous les Légiftes, tous les Philofophes ,
toutes les ames ſenſibles réunies pour con-
Jamner fon opinion. Grotius , 3 , 1. Si pæna
alicui irrogatur , receptum est commentitio
jure ne ad haredes tranfeat , cujus rei ratio
illa videtur , quia pæna conftituitur in emendationem
hominum , qua mortuo eo in quem
conftitui videtur definit. Nous avions , en
1298 , époque où affurément on connoiffit
, on ne peut pas moins , les droits de
l'homme , un moyen d'échapper à l'infamic;
un Arrêt conſigné dans les olim du
Parlement , permettoit à tous les parens
DEFRANCE. 207.
d'un homicide d'abjurer dans l'an fa
parenté , autrement ils, étoient punis de la
même peine que kui. Fh ! comment une
famille pourroit-elle ſurveiller à ces monftres
qui dès leur naiffance ont marché vers
les échafauds ? Comment retenir ceux qui
vivent à une grande diſtance de leurs parens
? Les Empereurs Arcadius & Honorius
ordonnèrent que la peine ne passar point
les coupables. Augufte dit lui-même qu'il
n'a jamais refuſé aux familles les coups des
criminels. Il n'y avoit donc point d'opprobre
à Rome à s'avouer parent d'un conpable
; autrement on ſe feroit caché , & on
n'auroit point redemandé le corps de celui
qui férriffoit ſa poſtérité. Pourquoi avonsnous
partagé en France, notre opinion fur
ce préjugé , qui devoit ne pas exifter ou
être général ? Pourquoi ce préjugé ne confond
- il pas Nobles & Peuples ! La tête
tranchée efface tout. On a vu un Gentilhomme
prouver ſa deſcendance par un
Arrêt qui condamnoit un de ſes auteurs à
avoir la tête tranchée , & cer Arrêt être
admis par les Juges. Telle est la force de
l'opinion , que l'homme ſage approuvera
toujours , quand elle aura des effets heureux
, mais qu'il repouffera toutes les fois
qu'il ſera queſtion d'accréditer un préjugé
d'infamie : la défenſe de ce préjugé ſeroit
une infulte faite au Tiers-Etat. J'aimerois
bienmieux que M. Landreau eût dit : Brûlez
208 MERCURE
tous les vingt ans les regiſtres de vos Greffes
criminels , anéantiſſez juſqu'à la mémoire
des fupplices . Ce cri de ſenſibilité & d'humanitéeût
été fondé fur la raiſon & fur la
-juftice. J'aime encore plus la plaifanterie de
Duclos , qui cachoit un grand fens ſous un
badinage. Il vouloit que tous les criminels ,
fans diftinction, fuflent attachés au gibet.
A la longue , diſoit-il , chacun aura fon
pendu , & on n'aura rien àfe reprocher.
Nous n'approuvons pas davantage la
marque fur le front , que M. Landreau dé
fire fubftituer à la flétriffure fur les épaules.
Quel eſpoir auroit-on de tirer parti d'un
parcil homme , & de quelle utilité Ton
amendement pourroit - il lui être ? Comment
, par quels efforts pourroit il effacer
cette empreinte indélébile ? Il ne vit point ,
a dit Sénèque in Agam. , celui qui vit fans
pudeur ; lui ôter cette pudeur, c'eſt lui ôter
plus que la vie. Ubi nullus timor , honor &
reverentia cedunt. Senec. in Edip . N'orez
aux hommes ni l'eſpérance ni la crainte :
Res imperiofa timor. Martial. 11 , 59 .
N'est- ce pas déjà une erreur dans la Lei ,
de flétrir l'homme qu'on laitſe en liberté?
N'est-ce pas une précaution barbare , priſe
par un Légiflateur qui ſemble faire grace
à regret pour la première fois , & qui prend
des meſures pour reconnoître ſa victime,
& pour lui inffiger , non pas la peine qu'il
va mériter par un nouveau délit , mais la
DE FRANCE .
209
mort , parce qu'il acommis deux fois lemême
délit , qui ne comportoit point un pareil
fupplice ? La marque ne fert qu'à produire
cette cruauté ; il faudroit la rejeter entièrement.
Ve banniſſement n'eſt pas mieux fondé
en . C'est un troc affreux , établi entre
Lars , qui vomiflent tour à tour fur
curs trontières des ſujets dangereux. La dé
portation eſt plus raisonnable. On rend les
hommes utiles à l'Etat : les Anciens peuplèrent
ainſi pluſieurs colonies. Pendant
Long - temps on a rélégué dans l'ifle de
Malte les malfaiteurs. Le temps n'eſt plus
où le banniffement étoit une véritable peine
morale. On avoit une patrie , des préjugés
qui ne permettoient pas de ſupporter la
penſée d'être enterré loin du tombeau de
les pères. Que Virgile a bien exprimé cette
douleur !
1
Nos patriæ fines & dulcia linquimus arva ,
Nos patriam fugimus ...... ....
At nos hinc aliifitientes ibimus Afros.
La mère d'Euryale dit :
Heu terrâ ignota data prada Latinis
Alitibusquejaces , nec te tua funera mater
Produxi , preffive oculos aut vulnera lavi.
210 MERCURE
Nous penſons comme M. Landreau fur
les cachots , qu'on a déjà rendus plus
ſupportables. Carcer ad continendos homines,
non ad puniendos, habere debet. Ulpian.
in l. Aut. Damnum , 8 , §. ff. de poen. 1. 6,
§. 7. Les lettres de cachet paroiffent néceffaires
à M. Landreau .
M. Landreau n'a point parlé des confifcations
, fi effentielles dans le Code pénal ,
qui réduiſent à la misère des familles'entières,
à l'aviliſſement deſquelles l'indigence
contribue autant que le préjugé d'infamie,
Sylla introduiſit ce Droit à Rome ; mais
Cefar, les Antonins , Trajan, le rejetèrent.
Sous un bon Prince on peut dire : Mala
caufa fisci fub, bono. Principe. La confifcation
, dit Bodin , Rép Liv. V, Ch. 3 , no
devroit aller qu'à l'équivalent des frais.
M. Landreau a omis la réparation due à
Vinnocent. INeus ſommes fachés de ne pas
pouvoir citer les Diſcours que l'Académie
deChâlons-fur- Marne a diftingués en 1781,
par la manière avec laquelle ils avoient difcuté
cette importante queſtion.
Le troisième Volume de M. Landreau ne
roule que ſur la néceffité de marier les
Prêtres , & de donner aux Curés un revenu
fuffifant. On fait que juſqu'au onzième
fiècle , les Prêtres furent mariés, Quat
au revenu des Prêtres , il feroit à ſouhaiter
DE FRANCE 211
qu'on renouvelât les défenfos faites , le 27
Août 1583 , aux Evêques de Normandie ,
de n'ordonner que ceux qui peuvent ſe
nourrir. Nous obſerverons que dans le
quinzième fiècle , il fut défendu d'entreprendre
l'apologie du mariage des Prétres.
On ne doutera plus maintenant
des intentions d'un Miniſtère qui , ſans
nuire à la Religion , ne veut ni maintenir
de vieilles erreurs , ni accréditer les nouvelles.
On permet tout ce qui tend à l'amélioration
des moeurs , des Loix , & des
fortunes.
MANUEL de la Jeuneſſe Françoise , ou
Modèles de Patriotisme & de Vertu ,
tirés de l'Histoire ancienne & moderne ;
1 Vol. in- 12 de 450 pages , divisé en
111 Parties. A Paris , chez Périſſe ,
Libraire , Pont Saint-Michel.
Le premier volume de la Morale en
action , rédigé par un de nos Poëtes les plus
aimables , dit le Rédacteur de ce Recueil ,
a en un ſi grand ſuccès dans les maiſons
d'éducation , que nous avons été encou
ragés ày joindre ce volume, que nous avions
déjà compoſé dans les mêmes vues. Il
212 MERCURE
intéreſſera ſans doute une Nation naturellement
brave & généreuſe , & fera utile
aux jeunes gens qu'on inſtruit dans les
Ecoles militaires .
En effet , comme l'éducation eſt actuellement
, preſque dans rout le royaume,
revêtue de l'uniforme militaire , n'eſt- il pas
naturel & plus conforme au goût de la
jeunefle Françoiſe, de la former à la vertu
par les leçons des Héros ?
Les Héros de l'Antiquité lui apprendront
, dans la première partie de ce Recueil
, les devoirs que la Nature & la
Patrie impoſent à l'homme &au citoyen.
De l'homme de probité au Chrétien , le
chemin paroît court & facile.
La plupart des Héros modernes en donneront
des preuves frappantes dans les
feconde & troisième Parties de cette Collection
, qui ſuppoſe des lectures immenfes ,
& les intentions excellentes des Rollin &
des Le Batteux.
Voilà donc l'éducation qui ſe moderniſe
dans les colléges ! on y apprend journellement
l'Hiſtoire nationale , la Géographie
, la Littérature Françoife. Les plans ,
d'abord tant critiqués d'un La Chalotais ,
de l'Abbé Coyer , de l'Abbé Papon , de
l'Abbé Garnier , ſont exécutés en grande
DE FRANCE.
213
partie , en attendant qu'on renonce à une
méthode qui paroît infuffifante aujourd'hui.
Graces foient rendues aux courageux , aux
infatigables Ecrivains qui ne ſe laffent
pas de décrier , de ridiculiſer , de combattre
les abus en tout genre , qui heureuſement
enfin parvenus au comble de
leur regne , doivent hâter la réforme générale
, après laquelle les bons citoyens
foupirent.
LETTRES de Mademoiselle DE TOURVILLE
àMme. la Comteffe DE LENONCOURT.
A Paris , chez Barrois l'aîné , quai des
_Augustins , No. 19 .
UN Roman ordinaire n'eſt qu'un Roman,
mais celui-ci n'eſt point un Roman ordinaire.
Les aventures qu'il contient , quoiqu'un
peu bizarres ( ce qui paroît déjà
un avantage quand on ſonge à tant d'aventures
communes & répétées ) , quoiqu'attachantes
( ce qui eſt toujours un grand
mérite), & même ſi rapidement accumulées
ſur la fin , qu'elles laiſſent à peine reſpirer ,
ſeront cependant ce qui nous occupera le
moins. Les tableaux de la Société , les por
216
MERCURE
Son amant autrefois louoit toujours avec
tranſport la blancheur éclatante & l'arrangement
regulier de ſes dents , elle ſe les fait
toutes arracher les unes après les autres ; elle
ſe tue,& fait reinettre, après ſa mort, à fon
amant cette treife & ces dents , dépouilles
d'elle -même , monument d'amour & de
fureur , avec deux lettres terribles , l'une à
ſon amant , l'autre à ſa rivale. On plaint
cette malheureuſe ,& on ne la haît pas , car
elle avoit beaucoup aimé. Mademoiselle de
Tourville,qui paroît plus froide,parce que la
ſageſſe paroît toujours froide quand elle eſt
en parallele avec la folie , ſe montre furtout
fort aimable & fort intéreſſante dans
la manière dont elle reçoit les ſoins affidus
&paflionnés de ſon amant , qu'elle ne croit
encoreque ſon ami , dans le cours d'une longue
& violente maladie , effet des attentats
de ſa rivale ; elle ſe rend quand elle doit fe
rendre , elle aime quand elle doit aimer ;
ſa vertu eſt ſans exagération comme fon
caractère eſt ſans foibleſſe.
Elle a beaucoup d'eſprit , car tout Auteur
de Roman donne à ſon Héroïne tout
l'eſprit qu'il peut avoir ; mais elle a pour
une jeune fille un trait bien fingulier dans
le caractère , c'eſt ſa haine active & intolérante
pour les ſots. Une jeune fille ordinairement
occupée d'autres intérêts que
ceux de l'eſprit , s'en tient , à l'égard des
gens ſans eſprit , à l'indifférence & à l'indulgence.
Les Héroïnes de Richardſon,
Clariffe ,
DE FRANCE. 217
Clariffe, Miff Byron , Pamela , ont bien de
l'eſprit; elles voient , peignent & jugent
bien ; les ridicules ne leur échappent pas ,
mais ils les frappent ſans les bleſſer , ſans
les irriter. Ici c'eſt une ſévérité extrême ſur
l'eſprit , & un mépris mêlé de haine pour
la fottiſe. A coup fûr c'eſt une affaire de
ſentiment & de caractère dans l'Auteur ,
quel qu'il foit, car, avec leur eſprit, les Romanciers
donnent auſſi les principaux traits
de leur caractère à leurs Héros & à leurs
Héroïnes. Rouliean n'a eu garde de donng
àSaint-Preux ces graces extérieures que les
Romanciers n'avoient jamais ofé refuſer à
leursHéros; il nous déclare nettement que
Saint-Preux n'a point ces graces tant vantées
qu'il affecte de dédaigner , peut- être
parce qu'il n'en étoit pas fort pourvu ; il y
Tubſtitue une ame de feu , une ſenſibilité
profonde , un extérieur afforti à ces caractères
& qui les annonce. Nous conjecturons
de même que Mademoiſelle de Tourville,
dans l'expreffion de ſa haine pour la
fottiſe & les fots , n'est que le Secrétaire de
l'Auteur , & quel que foit eet Auteur, nous
ne pouvons que l'exhorter ſur ce point à
la toléranee.
:
Il a le droit au refte d'être difficile fur
l'eſprit ; on trouvera beaucoup de preuves
du ſien dans la partie qui ſemble n'être
qu'acceſſoire , & qui , felon nous , eft la
principale , c'est-à-dire , celle qui contient
les jugemens , les portraits , &c. L'Aureur
NO.22. 31 Mai 1788. K
218 MERCURE
ne hait point le paradoxe; nous l'avons
déjà infinué : il rejette l'inoculation ; mais
s'il eſt paradoxal dans cette opinion , il ne
P'eſt pas, dans fes raifons , car ce ſont celles
qui nt été alléguées de tout temps , &
qu'on croit avoir réfurées. Il juge la Comédie
célèbre du Philofophe marié, avec une
févérité voifine , felon nous , de l'injustice.
Il y a de rout dans ces Lettres ; on y
agite une multitude de queſtions différentes
: c'eſt à beaucoup d'égards un Traité de
morale. On y trouve une foule d'excel-
Jentes maximes bien exprimées , telles que
celle-ci :
>>Perfonne n'a le courage de ſavoir être
pauvre , ni la ſageſſe de ſavoir être
>> riche " .
"
On y trouve auffi ce qu'on appelle des
Synonymes , qui , comme on fait , ne font
pas des Synonymes ; mais au contraire une
diftinction fine des différences principales
qui ſe trouvent entre les mots qui paroiffent
le plus ſe rapprocher par leur fignification
générale. Il nous paroît difficile de mieux
faire en ce genre que dans les deux exemples
ſuivans.
1 Le Goût & le Tact,
Je pense que le goût & le táct font
deux avantages différens & tellement
>> distincts , qu'il eſt fort commun d'avoir
>>l'un fans avoir l'autre. Le goût eſt le ſen.
DEFRANCE.
219
>> timent des beautés; le tact eſt celui des
» converiances : le premier ſuppoſe un
eſprit fin & délicat; le ſecond annonce
>> un eſprit clairvoyant & ſage : l'un nous
>> éclaire par ſa juſteſſe ; l'autre nous dirige
" par la prudence. Le goût a des percep-
>> tions plus ſéduiſantes; le tact en a de
plus ſolides : fi le premier donne l'avan-
" tage de bien dire , le ſecond donne l'ap-
ود perçu de dire à propos: fi le goût fait
» mettre quelque choſe à ſa place , le tact
ſait placer chaque choſeà fon temps. Le
>> goût s'épure &s'agrandit par la comparai-
> fon& par la réflexion ; le tact s'augmente
& ſe perfectionne par l'obſervation &
>> par l'expérience : leurs domaines me fem-
>>lent différens. Tout ce qui tient aux
>>Ouvrages de l'eſprit , des talens & des
" Arts , eſt dans le département du goût ;
>> tout ce qui tient à la conduite de la vie ,
à la ſcience du monde , à la connoiſſance
» des hommes , à l'art de les conduire , de
>> les gouverner , de les employer , de s'en
" ſervir , eſt dans le département du tact.
" Auteur , je préférerois le goût au tact ;
>> Miniſtre ou Négociateur , je préférerois
» le tact au goût. Dans tous les cas , il feroit
>> fans doute plus heureux de réunir l'un
»&l'autre «..
" Cet article ne peut être que de quelqu'un
qui les réuniſſe dans un degré bien
rare.
K 2
220
"
MERCURE
Amusant & Divertiſſant.
>> Être amusant , être divertiſſant , ne me
> paroît point ſynonyme. Il y a quelque
"
وو
choſe de plus doux &de plus égal dans
" le premier ; de plus vif & de plus inat-
„ tendu dans le ſecond. Etre amusant eſt
» une qualité de l'eſprit , où le goût me
ود
ود
:
ſemble jouer le premier rôle : être divertiffant
eſt auſſi un avantage de l'eſprit,
» mais où le goût domine moins que l'ima-
» gination. Il y a plus de charme dans le
>> premier , plus de gaîté dans le fecond.
» Je préférerois l'avantage d'être amuſant
» à celui d'être divertiffant : il eſt plas
» noble, moins journalier , toujours de
ſaiſon. L'art d'amuser eſt conftamment
>> agréable , celui de divertir ne l'est que
momentanément : le premier ne laffe
» jamais ; quelquefois , ſouvent peut être ,
>> le ſecond fatigue ".
ود
Nous ne voyons pas là un trait vague
ni arbitraire , encore moins un trait faux.
Les portraits ne font pas un des moindres
ornemens de cet Ouvrage. On en trouve
preſque à chaque page ; les uns font faits
d'office par l'Auteur ,& font intitulés, Pore
traits , avec des noms ſuppoſés. Nous ignorons
s'ils font allégoriques , & nous n'en
parlons que parce que nous n'en reconnoiffons
aucun ; tout ce que nous en pouvons
dire , c'eſt qu'ils ont cette expreffion
DEFRANCE. 222
marquée , cet air de vie & de vérité qui ,
en peinture comme en morale & en fatire ,
font juger que des portraits ſont reffemblans
, quoiqu'on n'en ait jamais connu les
originaux. ५.७०
**
Les autres font, Dramatiques , car ce
mot ſur lequel l'Auteur ſemble vouloir
jeter quelque ridicule , eſt le mot propre
pour ſignifier que dans ces portraits les
perſonnages ſe peignent eux- mêmes par
Icurs diſcours & par le ton. C'est la manière
la plus brillante de peindre , c'eſt celle
de la Comédie: point de Peintre; montrez
moi ſeulement les perſonnages , le portrait
Te faitde lui-même.Mademoiselle de Tourville
a pluſieurs de ces converſations dramatiques
& pittoreſques avec un frère hautain
& defpotique , qui prétend la marier
malgré elle.
. " Nous allons , m'a-t-il dit , avoir un nou
" vel Hôte,j'ai cru devoir vous en prévenir.-
Il n'étoit nullement néceffaite. Mais
>> c'eſt que vous y êtes intéreſſée.-Moi ?
ود Qui, vous.-Eh! comment, s'il vous
plaît ? Ici l'embarras a redoublé. Mais....
» c'eſt que....... enfin....... vous êtes dans
l'âge.... vous devez bien croire..... que je .
» m'occupe de votre établiſſement.- Ne
>>vous en tourmentez pas , je vous fup-
› plie; rien ne preffe. Comment! tien
- زور
-
-
ne preffe ? Vous aurez dans quatre mois
>> dix-neuf ans . -Ehbien ! il n'y a pas de
>>temps perdu encore.- Soit; mais .......
K 3
222 MERCURET
>> enfin je ſuis bien aiſe de vous voir éra
>> blie : je n'ai point d'enfans. Il feroit très-
> fâcheux que le bien de notre Maifon
>> paſsat dans une famille étrangère. J'ai
» penſé au Marquis de Tourville ; il a de
>> la fortune. Son père est fort aiſe qu'il
>> vous époufe. Il le feroit , vous voulez
dire.-Non , il l'eft ; il en a reçu la pro-
" poſition avec un grand empreſſement.
La propofition ! Eh ! de quelle part ?
De la mienne apparemment.
>> bien , mon frère , conſeillez- lui de mo-
→ dérer la joie. Comment , vous refuſez
ود
-
- -Eh
d'époufer le Marquis de Tourville
>> - Qui, mon frère.-Quel caprice !C'eſt
>> donc parce que je le déſire. - Point dù
>> tout, c'eſt fimplement parce que je ne le
>> défire pas. Et quelle est la raifon de
>>cette oppofition ? - J'en peux avoir plu
> fieurs d'abord je ne le connois point.
Bhbien , vous le connoîtrez ; il va
"Ivenir demeurer avec nous . Et fait-il
votre projet ? Sans doute. En ce cas ,
> mon frère , vous trouverez bon que je
me diſpoſe à retourner à M ***. - Je ne
le fouffritai parbien pas. Nous verrons.
Il n'y a point à voir. Je ſuis votre
tuteur, & par conféquent votre maître.
Mon tuteurs mon maître , mon frère,
tout ce qu'il vous plaira, fuffiez-vous mon
>>père , ſoyez für que vous ne më marierez .
pas malgré moi. Peut-être qu'aprèsavoir
vu M. de Tourville , vous serez moins
EX
DE FRANCE.
223
>> cruelle. - Il a donc une belle figure ? Eh
bien , je ne ferai pas fachée de vous faire
>> voir l'empire qu'une belle figure a fur
» moi . A ces derniers mots , il m'a quittée
» bruſquement , a ouvert précipitamment
» ma porte , l'a refermée avec bruit , &
>> j'ai repris froidement mon article de
» Bayle ".
Quelque temps après , autre converfa .
tion ſur le même ſujet, » Mon frère , après
bien des combats , s'armant enfin de tout ود
ود fon courage , m'a demandé ce que je
>> penſois de ſon coufin.- Rien , lui ai-je
>> répondu. - Comment rien ? Vous ne le
trouvez pas grand, bien fait , d'une belle
>> figure ? -C'eſt ce que j'en veis ; yous me
» demandez ce que j'en penſe.- Mais ,
>>puiſque vous lui accordez tous ces avan-
>> tages , il me ſemble que vous en penfez
> fort bien. -Encore une fois , je n'en
» penſe choſe au monde , vous dis -je ,
» puiſque je ne le connois point.-
> ment ! vous ne le connoillez pas', depuis
>>>huit jours que vous demeurez enſemble ?
ود
ود
ود
-
Com-
Nous pourrions y demeurer huit ans
de cette manière, ſans que nous nous en
connuſſions davantage. -Ma foi , il eſt
> tout fimple qu'il ne vous parle pas ; vous
le regardez avec une fierté , un dédain !
Vous voulez dire, fans doute , avec
>> une indifférence ? -Eh ! n'eſt ce pas la
>> même choſe ? -Je ne le croyois pas .- Enfin
>> ce qui eſt ſûr , c'eſt qu'il n'oſe pas vous
ود
- ود
K +
224 MERCURE
ود direune parole.-Il eſt bien timide.-Je
>> puis donc l'encourager? - Non pas , je
>> vous ſupplie.-Que vous êtes bizarre !
ود -Mon frère , fans vous en apperce-
» voir , vous ne laiſſez pas auſſi d'être fin-
>> gulier. -Ah ! cela devient un peu trop
>> fort. Et fur cette exclamation , il m'a
>> bruſquement tourné le dos. Cet homme ,
>> ma chère Comtelſe , ne vous ſemble- til
>> pas bien propre aux négociations « ?
Ce qu'ily a de plaifant&de bien moral ,
c'eſt qu'il s'agit du même homme qu'elle
aime & qu'elle épouſe dans la fuite , lorfqu'elle
n'eſt plus tourmentée en ſa faveur
par fon frère ; & on juge bien que c'eſt
par des manières directement contraires à
celles de ce frère, qu'il parvient à ſe faire
aimer.
C'eſt encore à la manière de la Comédie
que l'Auteur peint le ridicule dans ce billet
qu'écrit une Abbeſſe glorieufe & bête , &
où on voit à chaque mot ce qu'on appelle
la crainte d'en trop faire , crainte qui ne
tombe guère que dans l'eſprit d'un fot ,
affez immoral & naturellement porté à
Pinjustice.
ود
"J'ai reçu , Mademoiselle, la lettre que
>> vous m'avez fait le plaiſir de m'écrire.
Je vous fuis obligée de cette déférence.
Mon frère le Commandeur & mon neveu
>> le Marquis m'ont dit qu'ils avoient qu
>>l'avantage de vous rencontrer à Fontaine-
»bleau ".
DEFRANCE 229
S'il faut abfolument de la critique dans
l'extrait d'un Ouvrage , comme Madame de
la Suze dit que,
Dans l'équipage d'une Belle ,
Il faut un Amant maltraité ,
nous ne ferons aucune critique 'de notre
chef, mais nous en répéterons une que
nous avons entendu faire. Des perſonnes
qui ſe piquent de délicatetle, ou qui en ont,
trouvent que Mlle. de Tourville en manque
un peu pour une jeune perfonne bien
élevée, lorſqu'elle parle d'un homme qui
ne s'exprime que par B. & par F. , qui
mange comme un Pacant, &c. le mor
Pacant est d'un trop bas ufage ; & quant
aux B. & aux F. , quand M. Greffer dit :
Les B. & les F. voltigeoient fur fon bec ,
c'eſt un homme qui parle , & il a grand
foin d'ajouter :

Lesjeunes Soeurs crurent qu'il parloitgrec.
Il est vrai que la jeune fille la micux élevée
peut avoir entendu ces mots dans la rue ,
mais elle ne les indique pas fi précifément ;
elle ſe jette dans des généralités; elle parle
vaguement de mots grofiers , indignes de
ſe trouver dans la bouche d'un homme qui
a reçu la moindre éducation.
Quoi qu'il faille penfer de cette obſer-
Κ
226 MERCURE
..
vation , cet Ouvrage eſt ſûrement d'une
perfonne à qui le Monde & les Couvens ,
la bonne compagnie & les bons Ecrivains ,
font également bien connus. Le ftyle a de
la franchiſe , de la vivacité , de la liberté ,
de l'audace : on ſent que l'Auteur parle
bien plus comme il eſt affecté , que comme
on eft convenu de parler & d'écrire.
VARIÉTÉS
.
LE Major Davy en Angleterre , & M. I***
en France , nous ont fait connoître les Inſtituts
de TIMOUR , désigné en Europe ſous le nom da
TAMERLAN. On a été étonné de trouver dans
ce Recueil une foule de Maximes & de Réglemens
ſages; mais ce n'eſt pas le ſeul monument
de ce genre que l'on rencontre en Afie. L'Hiftoire
nous préſente plus d'une fois le phénomène de
ces Conquérans , d'une main enfanglantant les
contrées qu'ils ufurpoient, & de l'autre , traçant
des préceptes fublimes de morale & de gouvernement.
On conçoit qu'un génie hardi & élevé ,
après avoir été le fléau des Nations , ambitionne
d'en devenir le Législateur. Malheureuſement
, c'eſt leur exemple &non leur morale que
leurs fucceſſeurs ont imité:
:
En 1783 , on a imprimé à Calcutta , en trois
Volum. in-4º. , les Inſtituts de l'Empereur Akber ,
que nos Hiſtoires nomment Acbar. Ce Livre
ngulier , intitulé Ayeen Acbery , a été traduit,
DE FRANCE.
227
1
d'après l'original Perfan , par M. Francis Gladwin
, & publié ſous les aufpices de M. Haftings
& du Confeilde Bengale. Il renferme la Conftitution
primitive de l'Empire Mogol , & les Réglemens
établis dans le Gouvernement de l'Indoſtan
par cet Empereur, Filalzdeen Mohammed
Akber , né en 1542 , mort en 1605 , après un
règne de 49 ans , & 6e. defcendant de Timour.
Le Colonel Dow, dans ſon Histoire de l'Indoftan ,
a parlé de ce Prince , d'après la Chronique du
Perfan Caffim Feriſtha , écrite à peu près à l'époque
de la mort d'Akber , par laquelle cet Afiatique
termine ſon Ouvrage ; mais il existe une
Hiſtoire complète &foignée de cet Empereur célèbre
, écrite par fon Vifir Abulfazet , & publiée
ſous le nom d'Akber- Namech. Ayeen Akber ,
dont nous allons rapporter quelques Fragmens ,
paroît être un fupplément à cette Hiftoire , quoiqu'il
forme lui-même un Ouvrage complet (1 ) .
Si cet Empereur Akber , qui avoit paſſe le
Gange à la nage fur fon éléphant , envahi le
Guzzarate , le Bengale , une partie du Décan , &
placé à Delhy le fiége d'une puiflance plus durable
& plus étendue que celle de Tamerlan
eût entendu un Aftrologue de fa Cour lui annoncer
qu'à la révolution d'un fiècle & demi, des
Marchands venus d'une Ifte Occidentale de l'Europe
, régneroient ſur ſes conquêtes , décideroient
du fort de ſon Empire , & fonderoient fur les
bords du Gange une ville plus peuplée , plus opu-
(1) M. Haftings l'a cité dans sa Défenſe à la Chambre
des Cominunes . Cet Ouvrage définit les différens offices de
l'Empire , leurs prérogatives , leurs devoirs , leur dépén
dance du Chef: ony voir réduit, à leur jufte valeur, ces
Rajas , ces Zemindars , ces Nababs , fur la fouveraineté
defquels on fait aujourd'hui des contes Cérieux enAngle
terre & ailleurs,
K6
228 MERCURE
lente que Dolhy , où, par un art ingénieux, les
Inftituts feroient communiqués à toutes lesNations
dans une Langue étrangère ; l'Aftrologue ,
conſidéré comme infenfé , cut certainement été
caffé aux gages.
Cet Ouvrage n'a pas été encore répandu , ni
réimprimé en Europe; trois ou quatre Particuliers
ſeulement le poſſedent à Londres. Un Homme de
Lettres , Anglois , pour qui j'ai la plus haute confidération,
frappé des beautés ,de l'élégance & des
principes fublinaes de cette Production Orientale,
m'a communiqué un extrait manufcrit , malheureuſement
fort court , du premier Volume ; mais
l'on jugera fuffisamment du caractère de ce Livre
remarquable pa les raffages que l'on va lire,
Adèlement traduits .
( Mallet du Pan.
Au nom du Dicu de Miféricorde .
>> Seigneur, tous tes myſtères font impénétrables.
>>> Ton commencement & ta fin font inconnus.
>> En toi ſe perdent le commencement& la fin .
>> Ces noms font bannis du ſéjour de ton éternité.
>> Je ne dois que t'offrir mes actions de graces,
&te méditer dans létonnement.
Ta connoiffiance fuffit au raviſſement de mes
efprits.
>> Le mortel le plus recommandable eft celui
qui s'efforce d'accomplir des actions vertucuſes ,
plutôt que de raffiner ſes diſcours , & dont la
conduite , foible ébauche de quelques - unes des
wuvres merveilleuses du Créateur, mérite à tes
yeux une immortelle félicité <
L'Auteur , en décrivant les devoirs d'un Rei ,
s'exprime ainfi :
DE FRANCE.
219
" Il fait fléchir ſa colère ſous l'empire de la
ſageſſe , de crainte qu'une fureur aveugle ne le
furmonte , &que l'imprudence ne l'entraîne hors
des limites de la raiſon,
>> Il fe place ſur le trône de l'humanité , afin
que ceux qui ſe ſont écarrés de leurs devoirs
aient un cherin ouvert pour y rentrer, fans être
expoſés à l'ignominie : telle eſt l'aménité de fes
dehors , que devant lui le ſuppliant ſemble être
le Juge , & lui-même demander justice. Il confidère
le bonheur de ſon peuple comme le plus
beau don de labonté du Créateur; mais en cherchant
à plaire au peuple , jamais il n'offenſe la
raiſon. Il cherche affidument ceux qui difent la
vérité ; il ne repouife pas des paroles , ſouvent
amères en apparence , mais toujours douces dans
leurs effets.
>> Il examine la nature du diſcours , & le rang
de celui qui lui parle. Ilne ſe contente pas de s'interdire
à lui - même toute violence , il veille en-
•core à ce qu'on ne commette aucune injustice dans
ſonEmpire. La ſanté du Corps politique fixe toure
fon attention , & il fait remédier aux maladics
dont l'Etat feroit attaqué.
>> Comane l'union propre des éléntens produit
l'heureux équilibre de la conftitution animale ; de
même la conftitution politique est heureuſement
tempérée par lajuſte diſtribution des rangs ; &
les purs rayons de la concorde , d'une immenfe
multitude ne forment qu'un ſeul Corps.
>> La grande Société qui compoſe l'Univers
peut ſe divifer en quatre claſſes: les Guerriers
dans le Corps politique , ont la nature du feu ,
dont les flammes, dirigées par la raiſon , confument
les alimens de la rebellion &de la difcorde :
les Artiſans & les Marchands tiennent la place
de l'air ; leurs travaux & leurs voyages rendent
univerſels les bienfaits du Créateur ; les jouiffan
232 MERCURE
>> La polygamie entraîne en général un grand
nombre d'inconvéniens ; mais Sa Hautefle , par
l'effet de ſa prudence , fait la faire ſervir à l'inté
rêt public; car en s'uniflant aux filles des Princes
de l'Indoſtan & d'autres contrées , Elle met fon
Royaume à l'abri des ſoulèvemens intérieurs , &
forme de puiffantes alliances au dehors.
Sa Hautefie aporté ſon attention fur le Dé
partement des cuiſines, & l'a foumis à de fages
Réglemens.
Elle ne ſe met à table qu'une fois dans l'ef
pace de 24 heures , & Elle en fort toujours avec
J'appétit. Il n'y a pas d'heure fixe pour ce repas ;
mais les Officiers fervent avec tant de promptitude,
qu'une heure après l'ordre donné , la table
eſt chargée de plus de cent mets différens.
rement fait-Elle uſage de la viande ; des mois
s'écoulert fans qu'Elle touche à aucune nourritare
animale ec.
:
Dela manière dontleRoi emploiefon temps .
>> Il n'a en vue dans ſes travaux que de le
concilier le coeur de tous ſes Sujets . Au milieu
d'une foule d'affaires , au milien des plus pénibles
occupations, ſa ſérénité n'eſt jamais trou
blée; il fait la conſerver. Il s'étudie à ne faire
que ce qui peut être agréable à la Divinité ; &
fon génie embraffe les plus abſtraites , les plus
profondes ſpéculations. Toujours avide de la fageffe
, il cherche constamment à profiter des
connoiſſances d'autrui , fans tenir compre de ſes
propres lumières. Il prête à tout une oreille attentive
, parce que fon ame peut être éclairée
par la communication d'un ſentiment , dirigée
par la raifon ou par le récit d'une action louable.
Quoique depuis long-temps il pratique cet
uſage , il n'a rencontré perſonne dont les con
DE FRANCE.
233
feils fufſent préférables anx fiens; les Miniftres
même les plus cxpérimentés ſont confus de leur
infuffisance , en jetant les yeux fur cet ornement
du trône. Cependant ſa ſageſſe ne lui permettra
jamais de renoncer au défir de s'inſtruire. Malgré
la pompe & l'éclat qui l'environnent , on ne
Ie voitjamais ſe livrer à l'emportement.
Les autres Rois ſe font lire l'Histoire , pour
accélérer l'instant de leur fommeil. Mais Sa Hauteſſe
l'écoute pour pouvoir le retarder. Sévère à
lui-même , le Roi pratique en ſecret & en public
différentes auſtérités; il reſpecte même les bienféances
extérieures , afin de ne point ſeandaliſer
ceux qui font attachés aux coutumes établies.
>> Il ne tourne jamais aucune Seſte ni aucune
Religion en ridicule. Il ne diffipe jamais fon
temps , ne néglige aucun de ſes devoirs. Convaincu
de la pureté & de la bonté de ſes intentions
, j'oſe dire que l'on peut regarder chaque
action de la vie comme un hommage à la Divinité.
Ce Prince rend de continuelles actions de
graces à la Providence, & fait fans cefle l'examen
de fa conduite.
ת Il aimeàépargner la vie des coupables; fon
défir eftde ſemer le bonheur ſur rous fes Sujets.
>>>Le jour & la nuit ſont conſacrés aux affaires
preffantes; il ne leur enlève que peu d'inftans
destinés au fommeil. Il prend quelque repos le
foir & le matin. La plus grande partie de la nuit
eſt employée à terminer les affaires. Alors les
Sages & les hommes vertueux font admis , &
premment place dans le Conſeil-Privé ; alors ils
communiquent au Prince leurs avis rééchis.
Dans ces affemblées , il fonde la profondeur des
connoiſſances , pèſe la valeur des anciennes Inftitutions
, crée de nouveaux Réglemens , afin que
les vieillards puiffent revenir de leurs crieurs,
234 MERCURE
4
wla
& que la génération naiſſante ait des règles sûres
de conduite. A ces aſſemblées ſe préfententencore
de ſavans Hiſtoriens chargés de citer les
Annales des temps paffés, les évènemens , avec
la ſcrupuleuſe vérité de leurs circonstances ; une
grande partie de la nuit s'écoule à entendre les repréſentations
fur l'état de l'Empire , & à donner
les ordres néceflaires à chaque Département «.
On trouve dans cet Ouvrage un Traité des
Monnoies de l'Indoſtan , & une Deſcription des
différentes pièces & de leur valeur , avec la manière
de purifier & d'eſſayer les métaux ; mais
comme les termes que l'Auteur emploie font
Perfans , & que le Traducteur n'a pas donné les
ſynonymes en Anglois , il est impoffible d'ont
une analyſe claire de ce morceau curieux .
Le même Ouvrage renferme de curieuſes particularités
ſur les éléphans , fur leurs eſpèces dif
férentes, fur la manière de prendre , d'élever &
de conferver cet animal ingenieux , ſi hautement
eftimé dans l'Inde : mais les termes Perſans qu'a
laiffe fubfifter le Traducteur , rendroient inintelfigible
tout extrait de ces matières. Les Naturels
de l'Indoftan font fi grand cas de cet animal ,
que, felon cux , un feul éléphant vaut soo chevaux.
Le mâle eſt aſſez généreux pour ne jamais
attaquer la femelle , quoiqu'elle foit la cauſe immédiate
de la captivité. Il ne ſe bat jamais avec
un plus jeune que lui. Il eſt reconnoiffant , & ne
maltraite jamais fon Maître. On lui enfeignedivers
tours fort adroits. Il apprend des mesures
què les Muficiens ſeuls peuvent connoître , & fe
meut en cadence , &c. &c. &c.
1
DEFRANCE.
235
ANNONCES ET NOTICES.
ABRÉGÉ de l'Histoire Univerſelle en Figures ,
deflinées & gravées par les premiers Artiſtes de la
Capirale , ou Recueil d'Estampes repréfentant les
fujets les plus frappans de l'Histoire , tant facrée
que profane , avec les explications qui s'y rapportent
; par M. Vauvilliers , de l'Académie Royale
des Infcriptions& Belles-Lettres . Ouvragedeftiné
à l'inſtruction de la Jeuneſſe. Le prix du Cahier
in-4f., avec bordure, eſt de 4 liv. , se. Livraiſon.
Al'Imprimeric de P. Fr. Didot le jeune ; & fe
trouvejà Paris , chez Duflos , rue S. Victor , la zę .
porte cochère à gauche en entrant par la place
Maubert; Didot le jeune , Libr. , quai des Auguftins;
& Moutard, rue des Mathurins.
Cettenouvelle Livraiſon , auffi foignée que les
précédentes , eſt le No.f de l'Hiftoire profane.
i
BIBLIOTHÈQUE Univerſelle des Dames. A
Paris , rue & Hôtel Serpente.
Le Volume que nous annonçons eſt le ge. des
Voyages, La Soufcription pour les 24 Vol. reliés
de cetre intéreſſante Collection, eſt de 72 liv. , &
de 54 liv. brochés.
PETITE Bibliothèque des Theatres. AParis ,
chez Belin, Libraire , rue S. Jacques ; & Brunet ,
Lib. , rue de Marivaux , place du Théatre Italien .
Certe Collection jouit toujours du même ſuccès.
Le Volume que nous annonçons eft le 18e. des
Comédies du Théatre. François , il contient plu-
Tieurs Pièces de Molière : Amour Médecin
Médecin malgré lui , le Sicilien , & Avare,
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136 MERCURE
:
Supplément néceſſaire à l'importancedes opinions
religieuses , par M. Necker ; ou Nouvelle Lettre
Provinciale. Brochure de 26 pages in-8°. Dans la
Cité à Londres ; & ſe trouve à Paris, chez Royez,
Libr. , quai des Auguſtins ; Deſenne , Gattey &
Debray, au Palais-Royal ; & la Cloye, près l'orme
S. Gervais.
OEuvres de Montesquieu, nouvelle édition, plas
correcte & plus complète que toutes les précédentes;
5 Vol. in-8 °. A Paris , chez Jean- Franç.
Baftien , rue des Mathurins.
Cette édition , faite avec foin , eſt augmentée
dequelques Ouvrages qui n'avoient paru qu'après
la mort de l'Auteur , & qu'on n'avoit joints à at
cune des éditions précédentes. On fait que nous
devons au même Editeur pluſieurs autresOuvrages
qui ont été recherchés , & qui doivent prévenir
enfaveur de l'édition que nous annonçons.
Catalogue d'une grande & telle Collection deTa
bleaux des meilleurs & plus célèbres Peintres de
l'Ecole Flamande, Hollandoiſe & Italienne; Sculptures
en marbre, en ivoire , en bois , modèles de
terre, beaux plâtres; Raretés ; quelques branches
de F'Histoire Naturelle, de Porcelaine ; de Manufcrits
enrichis de miniatures, &c. d'Eſtampes &
de Livres , dont une quantité ſont proprement
enluminés ; le tout raſſemblé depuis nombre d'années
avec goût & une grande dépenſe , par feu
M Dominique Bernard Clemens , dont on com
mencera publiquement la vente le Lundi 2 Juin
1788, & les jours ſuivans, en argent de change ,
dans la grande Salle de la Confrérie de Saint
George, àGand. A Gand, chez Louis le Maire,
Imp-Lib. , Place d'Armes ; & à Paris , chez Deburel
'aîné, Lib. , hôtel Ferrand ,rue Serpente.
DE FRANCE.
437
Costumes Espagnols , 4e. Livraiſon. Prix , 1.
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des Grands-Degrés, Nº. 17 ; & chez MM. Cheraux
& Joubert , rue des Mathurins.
Cette Livraiſon eſt auſſi ſoignée & aufh bien
coloriée que les précédentes,
LesAventures comiques & plaisantes &Antoine
Varnich , traduites de l'Anglois , avec Figures ;
4Parties in- 12 , brochées. Prix , 4 liv. 16 fous,
A Londres; & ſe trouve à Paris, chez Regnault,
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Théatre de Sophocle , traduit en entier avec
des Remarques & un examen de chaque Pièce;
précédé d'un Difcours fur les difficultés qui ſe rencontrentdans
la Traduction des Poëtes tragiques
Grecs , & d'une Vie de Sophocle; par M. de Rochefort
, de l'Académie Royale des Infcriptions &
Belles - Lettres ; 2 Vol. in-8°. , papier ordinaire
veau écaille , filets , 12 liv. ; 2Vol. in-8 ° ., grand
papier, veau écaille , filets , 24 liv. ; 2Vol., in4º,
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chez Nyon l'aîné & Fils , Lib. , rue du Jardinet.
Nous reviendrons fur cette eſtimable Traduction
, dont l'Auteur efl très-verſé dans la connoiffance
des Anciens , qui ſeront toujours des modèles
même pour ceux qui les auront furpaflés.
CONNOISSANCE des Temps, à l'uſage des Aftronomes
& des Navigateurs , pour l'année commune
1790 , publiée par ordre de l'Académic des
Sciences , par M. Méchain , de la même Académie
; in- 86. Prix liv. 16 fous. A Paris , chez
Moutard , Imp. -Lib .de la Reine , rue des Mathu
rins, Hôtel de Cluni,
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des Effarts , Avocat , Membre de plufieurs Académies
, Député de la Ville de Cherbourg. Tome
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Reine , rue des Mathurins , Hôtel de Cluni.
Cet Ouvrage jouit toujours d'un ſuccès mérité.
Ce Volume va juſqu'à la Lettre H inclufivement.
La Soufcription est toujours ouverte à raiſon de
to liv . 10 f. br. , & 12 liv. 10 f. rel. Le Tome
V paroîtra le ser. Juin..
ART du Potier d'Etain , par M. Salmon , Md.
Potier d'Etain , à Chartres ; première & feconde
Parties , in-folio , avec Figures . Prix , 22 livres
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Cet Ouvrage fait partie d'une Collection inter
rompue depuis deux ans , mais qui va fe continuer
avce activité. Les Arts fuivans font fous preffe :
l'Art du Constructeur des vaiſſeaux , Art du Fabricant
d'étoffes de foie, 7e. Section , 2e. Partic
par M. Paulet ; & l'Ari du Glacier , par M. Allut.
SEVIGNIANA , Ou Recueil de Penséesingé
nicuſes, d'Anecdotes littéraires , hiſtoriques &morales
, tirées des Lettres de Madame de Sévigné ,
avec des Remarques pour Tintelligence du texte;
in- 12. A Auxerre, de l'Imprimerie de L. Fournier ;
& ſe trouve à Paris, chez Mufier , Lib . , rue Pavée
S. André ;,Durand père & fils, ruc Galande ;
& Colas , place Sorbonne.
7
dée de le monde s'accor-
Tout le monde n'approuvera peut-être pas l'ice
Recueil , mais tout
dera à louer ce qu'il contient. Quoique cette manière
de dépecer un Auteur célèbre ait des inconvéniens,
on tira avet grand plaiſir cēs traits naïfs
& ingénieux , ces faillies heureuſes & piquantes
quicaractériſent les Ouvrages de Mme de Sévigné.
DE FRANCE .
239
REMARQUES fur la Noblefe , dédiées aux Afſemblées
Provinciales. Brochure in- 89.- de 75
pages. Prix , I liv. to fous , franc de port par la
Pofte , &en s'adreffant à l'Auteur , rue Favarr , à
Paris , en affranchiſlant ; ſe trouve auſſi chez
Prault , Imp. -Lib. , quai des Auguftins ; & Hardouin
& Gattey, au Palais-Royal.
La Dile . LATOUR a l'honneur d'annoncer à
toutes les Dames , que s'étant occupée de la compofition
d'un Rouge végétal , qu'elle croit avoir
porté à ſa perfection , elle a obtenu le fuffrage
de la Société Royale de Médecine.
La Dile. Latour n'a voulu devoir qu'aux ſeuls
végétaux le Rouge qu'elle annonce .
Point de ſubſtances métalliques , point de fels
minéraux.
Le Rouge de la Dlle. Latour unit au parfum
de la roſe ſon coloris le plus brillant fous toutes
ſes nuances. Les Chimiſtes les plus habiles l'ont
guidée dans la compoſition de ce Rouge. Il foutiendra
facilement la concurrence avec les Rouges
les plus renommés. L'annoncer , c'eſt rendre un
véritable ſervice à la Société , puiſque c'eſt à la
fois fervir & raſſurer la beauté.
f
Il y a des Pots à 3 , 6 , 12 , 24 , & même à
48 liv. , ſuivant le plus ou moins de degré de
perfection avec laquelle chaque eſpèce de Rouge
aura été élaboré la qualité fera toujours également
falubre.
La Dile. Latour fait des envois en Province &c
chez l'Etranger .
Sa demeure eſt rue Montmartre , N°, 182 ,
près S. Jofeph , à Paris .
1
240
MERCURE DE FRANCE.
ETUDE de la main gauche , contenant douze
Airs connus , arrangés pour la Harpe ; par M.
Henry Pétrini , OEuv. ge. Prix, 7 liv. 4fous. A
Paris , chez l'Auteur , rue Montmartre , vis- à-vis
celle du Jour , No. 272 .
Ariettes & Duos choifis des Opéras bouffons
Italiens repréſentés au Palais-Royal par les Fantoccini
, avec accompagnement de Bafie. Les paroles
françoiſes , par M. Moline. Prix , 3 liv. AParis ,
chez M. Santineri , au Théatre des Fantoccini
Italicus, au Palais-Royal ; & chez Deſenne, Lib. ,
près les Variétés , Nº. 216.
NUMÉROS 4& 5 du Journal de Violon, dédié aux
Amateurs , pour deux Violons ou Violoncelles.
Prix , 2 liv. chaque Numéro. Abonnement per
12 Numéros , 15 & 18 liv. A Paris , chez M. Bornet
l'aîné, Profeſſeur , rue Tiquetome , No. 19.
TABLE.
Charade, Enig. & Log. 1.99 Leatres.
EPITRE.
193 Françoise. 211
24
216
Manuel de la Jeunesse Annonces & Norices... 23
Légista ion Philosophique. 203 Voriétés,
APPROBATION.
J'Ailu, par ordre de Mgr. Ic Garde-dos Sceaux ,
ICMERCURE DE FRANCE , pourle Samedi 31
Mai 1788. Je n'y ai rien trouvé qui puifle en
empêcher T'impreſſion. AParis, le 30 Mai 1788 .
SELIS.
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
;
POLOGNE.
De Varsovie ,le 4 Mai 1788.
Le projet d'une Confédération , qu'on
avoit eſpéré d'aſſoupir par la convocation
de la Diète ordinaire au 30 ſeptembre
prochain , a repris toute ſa force. Le Parti
oppoſé aux intérêts des deux Cours Impériales
& au Ministère , infiſte énergiquement
que la Nation s'arme ſans délai
pour maintenir ſon indépendance , &
faire reſpecter à ſon égard le droit des
gens. De tous côtés , on ouvredes ſouſcriptions
pour la défenſe de lacauſe publique,
fur-tout avec une ardeur particulière dans
laGrande-Pologne. Les Palatinatsde cette
province ont envoyé ici deux Députés ,
anciens Nonces à la dernière Diète , avee
une note remiſe au Roi & au Conſeil
Permanent , par laquelle ils déclarent au
No. 22. 31 Mai 1788 .
i
( 194 )
nom de l'Ordre Equestre , « que la No-
> bleſſe eſt réunie dans le deſſein de le-
>> ver à ſes dépens les fonds néceſſaires à
>> l'entretien d'un plus grand nombre de
>> troupes , & que pour l'établiſſement
>> de cette caiſſe elle attend l'aveu du
>>> Roi & du Conſeil. » Celui- ci a délibéré
fur ce mémoire fans répondre , & l'on
conçoit parfaitement les raiſons de ce filence
, qui néanmoins ne peut être de
longue durée. -Chaque jour ce même
Conſeil Permanent reçoit des plaintes de
l'Ukraine , au fujet des enrôlemens forcés
que les Ruffes continuent à ſe permettre.
On a fait paffer , à ce ſujet, de nouvelles
inſtructions au Palatin de Ruffie , Comte
Potocki.
de-
Les diſcuſſions à Dantzick , pour vivifier fon
commerce par un changement demaître,
viennent très-férieuſes. Le 3 avril, le Corps des
Négocians tint une aſſemblée , à laquelle ſe trouvèrent
ſes principaux Membres , & où il fut unanimement
réſolu d'envoyer 12 Députés à l'aflemblée
des trois Ordres de la ville , pour lui faire
des repréſentations de ſa part , & lui déclarer :
«que le Corps des Commerçans& Négocians de
>>Dantzick eſt d'accord avec les louables quartiers ,
» qui ont donné leur avis le 10 mars de la pré-
>> fente année 1788; que par conséquent il regarde
> commehautement néceſſaire que, dans l'urgence
>> extrême & la misère que la ville ſupportede-
>> puis 15 ans avec la conſtance la plus exem-
>>plaire , le Noble Conſeil ne continue plus de
>> prendre la voie accoutumée , pour faire revivre
(195 )
» le commerce; qu'il faut prendre d'autres me-
>>fures , puiſqu'il eſt certain que la convention de
» 1785 peut opérer auſſi peu en faveur du bien-
» être de Dantzick , que le nouveau tarif fixe
" pour la douane de Fordan; que par toutes ces
>> conſidérations le Corps du commerce ſe voit
>>dans la néceſſité de repréſenter au Noble Con-
» ſeil , ainſi qu'à tous les Ordres de la ville , que,
>> ſuivant fon opinion , le parti le plus utile ſe-
➤ roit de demander à S. M. le Roi de Pologne ,
>> avec toute la ſoumiſſion due , mais en termes
>> clairs& exprès , que , fi S. M. Polonoife n'eft
» pas en état de faire jouir de nouveau la ville de
» Dantrick des privilèges, qu'Elle lui a confirmés
» Elle-même , & de lui affurer par conséquentdans
toute leur étendue la poſſeſſion du port & une libre
navigation fur la Viftule , fans être afſujettie à
» aucunes douanes , il lui plaife , par un effet de fa
m bonté & de son équité naturelle , de laiſſer à la
ville de Dantrick la liberté d'entamer elle-même ,
» pour obtenir des droits de douane égaux avec
» les Etats Prufſfiens , au milieu desquels elle est fi-
» tuée , ainsi que pour jouir de la liberté du com-
»merce avec les Habitans de la province , une né-
>> gociation directe avee S. M.le Roi de Pruffe ,
&de traiter avec Elle fans intervention de qui que
» ce foit , afin de prévenir par ce moyen la ruine
>> entière de la ville de Dantzick& deſes Citoyens ,
» & de la préſerver, s'il en est encore temps, fous
» l'aſſiſtance divine , deſa perte abfolue& totale. »
Cette réſolution n'a pas caufé moins
dedéplaifir à notre Cour, qu'à la Régence
-même de Dantzick , dont l'intérêt polir
tique s'accorde péu en ce moment avee
les vues du reſte de la ville...
i ij
( 196 )
:
:
L'attention publique ſe porte depuis
quelques jours ſur un évènement lié aux
difpofitions générales dont nous avons
fait mention. Voici le fait. Le Comte
Jean Potocki , gendre de Mde. laPrinceſſle
Lubomirska , ayant quitté tout d'un coup
T'habillement à la Françoiſe, a paru en public
dans le coftume national , & a diftribué
un écrit dédié au Roi , dans lequel
il annonce un nouveau démembrement
de la Pologne , & propoſe les moyens
de s'y oppofer. Le 19 , ce Seigneur vint
à la Cour, s'agenouilla devant le Poi, &
remit ce mémoire à S. M. Depuis ce moment
, on a employé tous les refforts pour
détourner le Comte de ſes projets ; mais
il n'a point été féduit ,& il eſt parti pour
Dobrzin dans la Cujavie , où probablement
il mettra tout en oeuvre pour augmenter
le nombre des mécontens. -
L'écrit du Comte Jean Potocki a échauffé
pluſieurs jeunes Seigneurs ; ils ont pris le
coftume national , ouvert une ſouſcrip
tion , & acheté des armes.
De Vienne , le 9 Mai.
La prife de Sabatſch, & l'enlèvement
du Prince Ypsilanti , Hoſpodar de Moldavie
, qui n'entraîne aucune utilité politique
ou militaire , n'ont pas contrebalancé
ici la fâcheuſe impreſſion qu'ont
( 197 )
laiffé les derniers évènemens . Cette fortie
vigoureuſe& meurtrière de la garniſon
de Belgrade , qu'on aſſure avoir fort endommagé
la digue & les batteries de Befchania
, la perte de preſque tous nos pof
tes en Valachie ,tant de rencontres plus
ou moins déſavantageuſes , la retraite des
Ruſſes , qui laiffent le Prince de Cobourg
hors d'état de rien tenter , & qui ſe confirme
; enfin , la dernière opération en
Croatie, cette intrépidité furieuſe des Ot.
tomans à fortir par la brêche même de
Dubitza , cet affaut abandonné , nos bat-
_teries détruites , notre armée diminuée
parune perte confidérable , & la mort de
tant de braves Officiers , reculent beaucoup
nos eſpérances. On varie dans le
public fur la quantité d'hommes que nous
aemportés cette affaire de Dubitza ; on
da dit très-confidérable :la Gazette de la
Cour l'évalue à 120 morts & 400bleflés ,
ſans compter les égarés. Outre la perte
d'un Général-Major , outre les bleffures
du Feld-Maréchal de Vins , du Général-
Major de Kuhn & du Lieutenant-Colonel
de Rozenberg, nous avons eu 14 Officiers
tués ou bleſſés .
Les lettres particulières de l'armée citent
quelques traits de l'attaque de Sabatſch.
« Onvit, difent-elles , l'Aga, Commandant dece
i üj
(198 )
fort , avec les autres Officiers, donner fur les remparts
les ordres néceſſaires pour la défenſe , avec
un courage& un ſang-froid dignes des plus grands
éloges , malgré le feu le plus meurtrier de notre
Artillerie,&une grêle de balles que nos Chaſſeurs
fur-tout faifoient pleuvoir ſur eux : cela prouve
fans contredit , que ces braves gens ne ſe font
rendus que par néceſſité , &vu l'impoſſibilité de
pouvoir réſiſter davantage ; on aſſure mêmeque ,
s'il n'yavoit eudans Sabatſch ungrand nombre de
femmes& d'enfans , ils ſe ſeroient expofés plutôt
à être tous paflés au fil de l'épée, que de ſe rendre
à diſcrétion . Du côté des Impériaux on a vu le
Maréchal de Lafcy aller arracher de ſes propres
mains une des paliſſades du fort , ſous le feu le plus
vifdes ennemis, de forte que des Officiers attachés
à ſa perfonne avoient cru devoir l'avertir
différentes repriſes , & le prier de ſe retirer, vu
qu'onentendoit les boulets & les balles fiffter de
tous côtés , ma's le Maréchal a voulu donner cet
exemple de bravoure aux troupes dans cette occafion.
L'Empereur même s'eſt trouvé dans un
danger imminent , ayant vu tomber & bleffer
quelques hommes tout près de ſa perfonne. Le
Prince Poniatowsky , nevcu de S. M. le Roi de
Pologne , a donné en cette occaſion des marques
éclatantes de valeur ; il a été affez grièvement
blefléd'un coup de feu à la cuiffe , & on ne l'a entendu
ſe plaindre , pendant qu'on le tranſportoit
en deça de la Save , que du malheureux accident
qui le mettoit hors de combat. >>
Onregarde comme certain que le Corps
Ruſſe fous les ordres du Géneral Soltikow
, qui , en partie , avoitjoint la petite
armée du Prince de Cobourg , a reçu ordre
de ſe replier , & de rejoindre l'armée du
( 199)
Maréchal de Romanzof, qui a beſoin de
toutes ſes forces pour s'oppoſer à l'en
nemi qu'on voit s'aſſembler en grandnombre
près de Bender.-Cette circonſtance
deſtrutive du plan d'opérations projeté ,
a obligé le Prince de Cobourg de retourner
à Czernoviz , où il attend un renfort
de troupes de Bohême , de Siléſie & de
Moravie.
-
On a ordonné une nouvelle levée de
6,000 hommes dans cette dernière province.-
Un Couriera auſſi porté à Prague
l'ordre de faire partir ſur le champ pour
la Hongrie pluſieurs Compagnies d'Ar
tilleurs;& le 10 , huit bataillons d'Infanterie
auront quitté la Bohême pour fe
rendre à l'armée. D'ici , le régiment
entier de Waldeck eſt auſſi appelé enHongrie;
il ſera remplacé par deux diviſions
des Carabiniers de Toſcane.-Ordre général
de faire dans tous les Etats Héréditaires
une nouvelle levée d'hommes que
l'on porte à 30,000. Cette Capitale fournira
feule mille recrues ,& à peine la guerre
a-t-elle commencé. Nuit & jour on
travaille à réparer les fortifications d'Efſeck;
400 payſans font employés au travail
des remparts & des redoutes ; on
craint une irruption prochaine des Ottomans
en Esclavonie.-Depuis la priſe de
Sabatſch, la grande armée n'a fait aucuns
-
iiv
( 200 )
mouvemens , & l'on ignore le moment
où l'on entamera le fiége de Belgrade.
Par ordre de l'Empereur , on a publié
une amniſtie générale en faveur
de ceux qui ont déſerté des troupes de
S. M. Imp.
On vient d'adreſſer des lettres circulaires
à tout le Clergé des Etats Hérédi
taires , par lequel on l'informe que les
fonds de la caiffe de religion étant infuf.
fifans pour ſatisfaire à tous les objets dont
elle eft chargée , S. M. avoit jugé à propos
d'impoſer à tous les bénéfices quelconques
, au-deſſus de 600 florins , une
nouvelle taxe de 7 florins & 30 creuzers
pourcent , qui ſera verſée tous les fix mois
dans la caiffe de religion.
De Francfort-fur-le-Mein, le 17 Mai.
Le Landgrave de Heſſe-Caffel eſt allé
faire un voyage à Berlin, où,le 6, le Général
de Mollendorf paſſa la revue particulière
de l'Infanterie , en garniſon dans cette
Capitale : pour la première fois , les régimens
ont paru dans leur nouvel uniforme.
M. de Jacobi , qui juſqu'à préſent demeuroit à
Vienne en qualité de Réſident du Roi de Pruiſe ,
retourne dans cette capitale avec le caractère de
Miniftre Plénipotentiaire pour l'Electorat de Brandebourg
; on aſſure qu'il eſt chargé de ſa Cour de
(201 )
prendre l'inveſtiture des grands fiefs qui relèvent
de l'Empire.
Des lettres particulières de Vienne , du
10 de ce mois , annoncent que le Général
de Khun , qui a eu la jambe emportée
à Dubitza , eſt mort de ſes bleſſures ,
& que l'on n'eſt pas fans inquiétude ſur la
viedesGénéraux de Rouvroy& de Bechard,
bleſſes à Sabatſch. Ces lettres fontmonter
à plus de mille le nombre d'Autrichiens
tués dans l'affaire de Dubitza ; elles ajoutent
que le Prince de Lichtenstein fur luimême
en danger d'être pris ou tué. Un
Aga le pourſuivoit,& étoit déja tout près
de lui , lorſque le Prince l'étendit mort
d'un coup de piſtolet.-Ce Prince a demandé
un renfort de Cavalerie : fon armée
, il eſt vrai , eſt de 40,000 hommes ,
mais une grande partie de ces troupes fert
à former le cordon.
Les troupes Ottomanes , en garnifon à
Bucharest , montent à 15,000 hommes .
Sur les confins de la Tranſylvanie , leur
nombre eftde7,000; ils ſe portent fans ceffe
fur les poſtes Autrichiens ,& les attaquent
fucceflivement de tous côtés . Fotſchan
eſt le rendez vous des troupes que commande
Maurojeni , Hoſpodar deValachie.
- Quant aux Ruffes , ils ont défilé vers
Bender , & paroiſſent abandonnerChoczim.
On ne conçoit pas encore ces dé
iv
( 202 )
marches; mais le myſtère qui ſemble les
envelopper , probablement ne tardera pas
à s'expliquer .
ITALIE.
De Livourne , le 2 Mai.
L'incorrecte traduction inférée dans les
Gazettes , d'après laquelle nous avons
rapporté le Manifeſte Arabe adreſſé, an
nom du Roi de Maroc, à tous les Confuls
, nous oblige à préſenter une verfion
plus exacte de cette Déclaration , ainfi
conçue :
«Sachez que depuis près de 30 ans nous
correfpondons ſur les affaires des Anglois & fur
leur ſituation. Jamais nous n'avons compté ſur leurs
paroles;nous ne les avons point connus de manière
àles caractériſer ; mais il n'y a en eux que menfonge.
Le caractère des autres Nations nous eft
au contraire bien connu , ainſi que leur langage.
Or, toute Nation qui , comme les Anglois , a un
naturel difficile à pénétrer, n'a proprement point
de parole, & ne poſsède que la fauſſeté, ne
mérite pas que les autres correſpondent , traitent
ou parlent avec elle, parce que , fuivant notre
religion & nos principes, le menfonge eſt la plus
grande des offenfes. Curtis , leur Ambaſſadeur ,
s'étant préſenté à nous , nous avoit déclaré par
ordre de fa Cour , que nous pouvions envoyer
tous nos vaiſſeaux dans le port de Gibraltar , où
on les équiperoit. Nous y avons enconféquence
expédié nos vaiſſeaux , avec ordre d'y ſéjourner ,
&après leur avoir fourni tout l'argent dont ils
1
( 203 )
pouvoient avoir beſoin. Les Anglois nous les ont
renvoyés ſans y avoir fait aucune réparation ;
auffi ne reſteront-ils pas dans nos bonnes graces
au même point où ils étoient auparavant , & en
cela ils ne reſſembleront point à nos vaiſſeaux
qu'ils ont laiſſés dans le même état où ils étoient
lorſque nousles fîmes partir pour Gibraltar , dans
l'eſpoir qu'ils pourroient y être mis en état d'étre
envoyés à Conſtantinople , à notre frère le Sultan
Abdul-Hamed , que Dieu lui ſoit en aide. Il a
été ordonné le 17 de la lune de DJEMAZIULULA,
l'an de l'HÉGIRE 102. "
GRANDE-BRETAGNE
De Londres , le 20 Mai.
Hier , on a tenu dans la Chapelle de
Henri VII, Eglife de Westminster , un
Chapitre général de l'Ordre du Bain , pour
l'inſtallation de LordRodney, LordHeathfield,
& de neuf autres Chevaliers admis
précédemment , & non encore reçus .
Onparlede faire croiſer dans la Manche,
durant l'été , les vaiſſeaux l'Edgar , le Culloden
, le Coloſſus ,le Magnificent de 74
canons , le Crown & le Scipio de 64. Ils
ont ordre , à ce qu'on dit , de prendre des
vivres pour 6 mois .
Ledébat des Communes ſurla première
charge contre le Chevalier Elijah- Impey
eſtd'une telle étendue, qu'il eſt impoffible
de le rapporter ici en fon entier. D'ailleurs
, le différend eſt jugé , & la plai
ivj
( 204 )
doirie perd beaucoup de ſon intérêt.
Nous nous en tiendrons à un abrégé fommaire
des preuves alléguées , ſans nous
arrêter aux déclamations & au verbiage
oratoire.
Le Chevalier Richard Sution expoſa le premier
, avec force & fimplicité , les preuves écrites
& manifeftes qui devoient décider la queftion.
» Je ne parlerai point , dit- il , pendant
» quinze heures , comme l'a fait Sir Gilbert El-
» liot; je ne fuis ni Orateur , ni Jurifconfulte ,
>> mais je n'ai pas beſoin de tant d'érudition &
>>>de talent pour démontrer des choſes auffi claires
» que le jour. »
«L'Accuſateur eſt le premier homme à qui
l'on ait jamais, entendu parler de l'innocence de
Nunducomar. Perſonne au monde ne s'eſt avifé de
foutenir cette opinion. Le crimede cet ludienfut de
notoriété publique ,&jugé ſur l'évidence. Or , que
le Chevalier Elijah- Impey fût l'ami ou l'ennemi
deM. Haftings , Nunducomar n'en étoit pas moins
coupable d'un délit que nos loix puniffent de
mort; &qu'il eût ou non répandu d'infâmes calomnies
contre M. Haflings , fa fentence n'en
étoit pas moins juſte ; tout Tribunal 'auroit prononcée.>>>
"Que le Chevalier Impey ait conſpiré contre
ce Criminel , c'eſt ce qui eſt formellement démenti
par la dépoſition de M. Farrer, aujourd'hui
Membre de cette Chambre , & qui fut le Confeilmêmede
Nunducomar. Cettedépofition eft fur
la table ; en voici les paſſages eſſentiels. ( Il lut
ici ce témoignage , qui prouve ſans réplique les
fecoursdetoutgenre que leChevalier Impey donna
àl'Accuſé pour ſa défenſe. )»
(205)
« On a affecté de conſidérer , comme des complimens
vagues de politeſſe, les lettres des premiers
Jurifconfultes de la Nation en faveur de
Sir Elijah : voici les lettres. ( Il les lut. ) Elles établiffent
que Milord Mansfield nie très-poſitivement
d'avoir appelé le jugementde Nunducomar
un meurtre legal ; & que Blackstone & M. Dunning
eftimèrent la conduite du Juge de Bengale dans
cette affaire , comme parfaitement régulière , &
au-deſſus de tout reproche.>>
M. Gilbert Elliot a prétendu que ſon frère n'avoit
jamais rendu témoignage à l'intégrité de la
Cour de Calcutra; voici la lettredeM.Alexandre
Elliot à Sir Elijah. ( Il lut la lettre entière. ) « Je
→ vous écris au moment de mon départ ; comp-
>> tez que j'aime trop la vérité pour ne pas être
>> à Londres votre plus zélé défenſeur & celui
>> de vos Collègues. Votre cauſe eſt ſouveraine-
>> ment juſte ; pour la ſontenir , je n'ai besoin ni
» de déguiſemens ni de fauſſes couleurs , &c. "
« M. Francis nous a dit que la crainte d'être
pourſuivi par la Cour de Juſtice de Calcutta , avoit
décidé le Général Clave ing à rejeter la pétition
de Nunducomar , & à la faire brûler par la main
du bourreau , fur la motion dece même M. Francis.
Jamais le Général Clavering ne put appréhender
une pareille chimère , puiſque la Charte conftitutive
de cette Cour lui défend de pourſuivre , ni
le Gouverneur-général , ni aucun Membre du
Conſeil Suprême , excepté pour Haute Trahifon
ou grande Félonie. Voici la Charte. ( Il lut le paragraphe
entier. ) »
«On a fait les plus grands efforts pour établir
le ſoupçon d'un complot entre M. Hastings&
Sir Elijah , contre Nunducomar ; mais on ne nous
apas fourni la moindre preuve de cette accufation .
Quand deux ou trois perſonnes ſe réuniffent pour
( 206 )
commettre une injustice, on doit en effet ſuppoſer
entre elles un concert prémédité. Mais quel befoin
auroit-on eu de cette combinaiſon pour perdre
un fauffaire , condamné par des preuves fans
nombre , & par conféquent par la loi ? »
«Cette loi Angloiſe , a-t- on foutenu , étoit inconnue
dans l'Inde. Elle y étoit tellement connue
, & tellement en exercice , qu'elley fut porsée
par un acte de la 26e. année du règne de
George II,& proclamée de nouveau en 1762. En
1765 , RadachundMetre fut condamné également
pour crime de faux. Voici , en outre , unelongue
liſte de fentences rendues à Calcutta , en vertu
des loixAngloiſes , ſur différens crimes de grande
&petite félonie. "
« L'Honorable Accuſateur nous a fait perdre
notre temps à écouter ſes longs raiſonnemens &
l'étalage de ſon érudition ſur la nature des Chartes
, fur le droit de la Couronne d'en accorder ,
fur les dangers dont cette prérogative menaçoit
la liberté , fur le droit de conquête , ſur les conceffions
du Mogol , ſur l'ufurpation que commer
tent le Roi & le Parlement en paſſant des Réglement
pour l'Inde , &c. Toutes ces diſcuſſions font
àpure perte. Le Parlement & la Couronne ont
fait la Charte, ont inſtitué la Cour de Calcutta;
poursuivrez-vous un Juge parce qu'il a obéi à ces
ordonnances du Légifta eur , fous prétexte que le
Légifſlateur a abufé de fon autorité ? n
" Les Gentoux , fuivant l'Accufſateur , ſe virent
avec horreur foumis au jugement des loix An
gloiſes. Les Gentoux , au contraire , témoignérent,
par une adreſſe que voici , leur approbation
de la fentence de Nunducomar. Ils requièrent ſeu
lement le maintien abſolu de leurs loix & coutumes
religieuſes. Sir Elijah , dans ſa réponſe que
voici , ( l'Orateur lut ces différentes pièces) leur
(207)
donna à cet égard toute la fécurité poſſible , en
leur déclarant que les ſeuls dé its auxquels la loi
Angloiſe étoit applicable parmi eux , étoient ceux
qui violoient les obligations reçues chez toutes les
Nations , tels que le meurtre, le faux , lafélonie,
&c.
(Nous reviendrons ſommairement à lasuitedece
debat.)
Pour remplir notre engagement , de
donner un précis authentique des Séances
du Procès de M. Hastings , relatives au
ſecond Chef d'Accufation , nous allons
préfenter le rapport authentique qui nous
a été fourni de cette Evidence , & le ſubſtituer
aux extraits mutilés , amphigouriques
, & ſouvent imaginaires , qu'on a pu
lire ailleurs .
« Le Comité d'accuſation ayant entrepris la
feconde charge, nomméedes Princeffes d'Oude , ou
Begums , cette enquête à commencé le 15 avril ,
&n'eſt pas finie au moment où j'écris le 15 mai.
C'eſt biendu temps pour prouver des faitsdonnés
comme évidens.""
« Les Accuſateurs firent d'abord paroître , le 17
avril , M. Holt , jeune homme qui , lui-même ,
déclara n'avoir été âgé que de 16 ou 17 ans , à
l'époque des événemens ſur lesquels on l'interrogeoit.
Quoique la production de ce témoin fût
irrégulière , parce qu'il ſe trouvoit au moment de
quitter l'Angleterre pour retourner dans le Bengale;
quoique le témoignage d'un adolefcent furdes faits
ficompliqués& fi problématiques , n'eût pas tout le
crédit néceſſaire , on prodigua les heures à varier
l'examen de M. Hott fur une multitude d'incidens ,
principalement relatifs à la conduite du Lieutenant(
208 )
Colonel Hannay, chargé par le Nabab d'Oude
&de l'aveu du Gouvernement de Bengale , du
Commandement dans les diſtricts de Goroucpour
&Bareicht. Preſque toutes les dépoſitions dutémoin
roulèrent furdes bruits &des opinions populaires :
l'âge de M. Holt , & l'emploi fubalterne qu'il occupoit
, ne permettoient pas , en effet , qu'il pût
répondre d'une manière plus affirmative & pertinente.
»
« Le reſte de la ſéance ,&celles des 22 , 23&
24, ſe diſlipèrent en lectures de lettres officielles ,
&d'extraits de minutes du Conſeil , ainſi qu'en
audition ultérieure de l'évidence orale , deſtinée à
prouver les allégations ſuivantes , telles qu'elles
font arrangées dans le texte de la première charge,
ſavoir, 1. que les deux Begums , mère& grandmèredupréſent
Nabab d'Oude, fontdes perfonnes
de haut rang & de naiſſance noble . 2º. Qu'elles
avoient acquis ou hérité leurs Jaghires (revenus
territoriaux ) & leurs tréſors , de leurs défunts
maris. 3 °. Que les Jaghires & les tréſors de la
pius jeune Begum lui furent aſſurés en perpétuelle
&tranquille poffeffion par unTraité avec leNabab
fon fils , traité garanti par la Compagnie Angloiſe,
4°. Que pareilles convention & garantie avoient
éré accordées à la vieille Begum pour le même
objet. n.
« Que la première de ces quatre aſſertions foit
vraie ou faufle , M. Haftings n'a point cherché à
la combattre , puiſqu'il étoit obligé envers les
Begums aux égards que méritoit leurparenté avec
leNababAffof-ul Dowla , allié de la Compagnie ;
que les Begums tiraſſent leur origine de fang de
Timur, ou qu'elles fuſſent nées dans la plus infume
populace,cetteobligation conſervoitla même force.
La ſeconde queſtion , à l'appui de laquelle onn'a
produit aucune preuve recevable , ſemble même
209 )
invalidée par la troiſième; car le Traité &laGarantiedont
parle celle-ci , déſignent littéralement
les tréſors cédés à la jeune Begum , comme étant
te patrimoine du Nabab ſon fils : par conféquent
elle n'y avoit aucun droit antérieur à la ſignature
de ces deux tranſactions .
« Le troiſième article a été pleinement admis
parM. Haftings, dans toute fon étendue. En effet ,
le point capital de cette charge ne repoſe pas fur
le problême des droits de la Begum ; mais fur la
certitude& la nature des actes dont M. Hafting
induifit le cas de forfaiture de ces mêmes droits.
Lequatrième chef, s'il étoit prouvé , donneroit lieu
à la même obſervation ; mais les dépofitions fur
leſquelles on avoit eſperéde l'appuyer, en ont totalement
infirmé la vérité. "
Après cet expoſé , réfumons ſommairement
les principales particularités de l'évidence
rendue. "
« Le 22 avril , on entendit M. Burke affirmer
devant la Cour des Pairs , que les perſonnesdu
ſexe font tellement ſacrées dans toutes les contrées
oùdomine la religion Muſulmane, qu'elles peuvent
commettre impunément tous les actes qu'il leur
plaît; & que les mères des Princes régnans ont
ſpécialement le droit de lever des trompes de leur
propre autorité , &de gouverner toutes les affaires
de l'Etat . A l'appui de ce paradoxe , M. Burke
citadeuxpaſſages de l'hiſtoireOttomane du Prince
Cantemir , qui ſetrouvent dans les notes du ſecond
chapitre , liv. IV de cet ouvrage ; mais ces citations
font bien loin d'accréditer les idées de M. Burke;
elles rapportent ſeulement un trait de déférence
de Sultan Achmed III, envers la Sultane Validé ,
les honneurs que l'on rend à celle-ci , & l'autorité
qu'elle exerce furles Officiersde ſonſérail.M.Burke
ignoreroit-il que les Sultanes Validés n'ont jamais
(210)
eudetroupes , nid'apanages territoriaux, & qu'elles
font, par la loi comme par l'ufage , abſolument
écartées du Gouvernement ?
« Le 29 avril , les Accuſateurs firent dépoſer
M. Middleton , ancien Réſident à Oude , & lui
adreſsèrent une infinité de queſtions infidieuſes ,
dans le but de prouver l'intimité de ſes relations
avec M. Haflings , & de décréditer ainſi d'avance
le témoignage qu'il alloit rendre. Ils l'interrogèrent
enfuite fur un accord , dont il devoit avoir
été l'agent, entre le Nabab d'Oude & fa grandmère
, par lequel ce Viſir s'étoit engagé à ne faire
aucune demande ultérieure à la vieille Princeſſe.
Il parut clair qu'en effet M. Middleton entama une
négociation de ce genre , pour mettre fin aux dif
pures continuelles & aux prétentions des Parties ;
mais il fut incontestablement démontré que ce
Réſident avoit agi de ſon chef, fans aucun ordre,
inſtruction ni communication de M. Hastings ou
de fon Confeil, & que par conséquent la convention
, eût - elle été faite & ſignée , n'étoit
nullement obligatoire pour la Compagnie , dont
leGouverneur & le Confeil ne l'avoient ni autoriſée
ni ratifiée. >>>>
« Le même jour , on lut divers papiers deftinés
à prouver la méſintelligence du Nabab & de fa
grand-mère , le defir de M. Hastings de les raccommoder,
la détreffe de la Compagnie en 1781 ,
& l'efpérance qu'eut M. Hastings , dans ſon voyage
de Benarès, de trouver des reffources. >>
« Les documens fournis le 30 avril, eurent pour
objet un don de 100,000 liv. ft. que le Nabab fit
à M. Haffings , comme préſent àce Gouverneur
même , qui les reçut & les employa à l'ufage de
la Compagnie. Ici le Major Scott fut appelé, &
rendit une dépoſition non équivoque. On l'in
terrogea longuement & artificieuſement ſur une
(211 )
lettre de M. Haftings , datée de Benarès , le 22
janvier 1782 , & remiſe de ſa part à la Cour des
Directeurs , par le Dépoſant: lettre où M. Haftings
dopnoit à ſes Conſtituans la première information
du préſent que lui avoient fait le Nabab
&ſes Miniftres à Chunar , ainſi que de l'emploi
de cette fomme appliquée à payer les arrérages
de l'armée & autres ſervices publics non moins
urgens. "
<<Ne pouvant conteſter cette deſtination des
100,000 1. ſterl. , nile ſacrifice qu'en fit M.Haflings
à la Compagnie , les accuſateurs, réduits à lui prêter
l'intention de garder ce préfent , demandèrent au
MajorScott , pourquoi la réception de cesdix lacks
de roupies n'avoient pas été plutôt annoncée à la
direction à Londres. ( Cette ſomme fut reçue vers
la fin de ſeptembre 1781. ) « Le paquebot le
» Swallow, répondit M. Scott , étoit le ſeul navire
» qui pouvoit ſe charger des dépêches du Gou-
» verneur ; M. Hastings , alors dans la province
>>de Benarès , pria le Conſeil de retarder le départ
>> de cebâtiment; le bâtiment n'en mit pas moins
>> à la voile. Il fallut en préparer un autre , qui ,
>> peu de temps après , fut chargé des feules &
>>premières lettres publiques ou particulières que
» M. Hastings pût envoyer en Angleterre , depuis
>> la ceſſation des troubles deBenarès , &l'ouver-
>> ture des communications entre cette province
» & Calcutta. »
Iln'eſt pas aiſe d'abréger cette dépoſition, pleinementdéciſive,
de la rectitude des intentions comme
de la conduitede M. Hastings dans cette affaire ;
quoique l'interrogatoire ait duré pluſieurs heures ,
& avec toute la fubtilité &l'adreſſe dont les examinateurs
font capables , le témoin répondit à tout
avec une telle promptitude , préſence d'eſprit
&clarté d'expreſſions , qu'il frappa le jugement
(212)
.
detous les auditeurs; c'eſt le premier témoignage,
depuis l'instruction du procès , qui ait paru faire
une impreflion viſible fur les Juges , & porter
la lumière dans leur eſprit. >>
« Pendant le cours de cet examen du Major
Scott , on lui demanda s'il penſoit que le devoir
d'un Gouverneur Géréral étoit d'obéir aux ordres
des Directeurs. « Je penſe , répliqua-t-il , quele
>> premier,devoir d'un Gouverneur Général , eft
» de DÉSOBÉIR à tous les ordres de la Direction
>> quipeuvent compromettre la ſûreté del'Empire,
>> parce que ſon premier devoir eſt d'en maintenir
» la conſervation. C'eſt à lui à répondre enfuite
>> de ſes meſures , à la Mère-Patrie& à la Com-
» pagnie. »
« Le 1er. mai , le même témoin fut encore
fomnis à différentes queſtions oifeuſes ou incideng
telles ,&tellement étrangères au fond de l'affaire,
qu'il feroit abfurdede les répéter.Dans cetteféance,
le Major Scott offrit de produire toute fa correfpondance
particulière avec M. Hastings , fi leTribunal
lejugeoit à propos , & il affirma que M. H.
avoit payé fix mille liv. ſterl de fa hourſe , pour
différens exprès qui lui avoient porté des dépêches
de Londres à Calcutra.
« M. Middleton reparut le mêmejour. Les accuſateurs
ayant entrepris de lui arracher quelques
indices de la fauſſeré des intentions hoftiles attribuées
aux Begums , il maintint , au contraire , que
tout le pays en avoit été inſtruit , & qu'il avoit
cru , comme il le croyoit fermement aujourd'hui ,
à la pleine certitude de ces rapports. M. Sheridan
lui oppofa une correfpondance amicale entre les
Begums & le Capitaine Gordan , d'où l'on devoit
induire les ſervices que ces femmes rendirent aux
Anglois.M.Middleton éclaircit lamineusement l'hiftoiredé
cette correſpondance ,&dit quele Capitaine
( 213 )
Gordonlui-même étoit à Londres , ſollicitant avec
inſtance & chaque jour d'être appelé à la barre ,
pour y rendre compte des évènemens fur leſquels
omélevoit des doutes infidieux. M. Sheridan ayant
craint ce témoin ſi décisif & refusé de le faire
entendre; d'un autre côté , M. Haftings ne pouvant
l'appeler qu'au moment , encore éloigné , où il
produira ſa défenſe , voici les faits authentiques
qui concernent cet Officier. »
« Le Capitaine Gordon eſt de la noble famille
Ecoſſaiſe de ce nom. Ilcommandoit un corps de
soo hommes dans les Etats du Nabab-Vifir , à
l'inſtantde l'infurrection de Benarès. Dans ſamarche
à Fyzabad , réſidence des Begums , il fut attaqué
par les ennemis , les repouíla plufieurs fois , &
riva enfin fur les bords de la rivière Tanda',
ne doutant pas de trouver un aſyle får dans les
domaines de ces femmes. Un de leurs Officiers
commandoit à l'endroit où le Capitaine Gordon
devoit paffer la rivière Tanda ; il s'oppoſa formellement
à ce paſſage , & par l'effet de cette
trahison , le détachement entier du Capitaine
Gordon , fes bagages , fon convoi, furent enlevés :
lui même n'échappa que par miracle , & fe réfugia
dans une factorerie ſur les rives du Tanda. Dans
l'attente de nouvelles plus favorables de Benarès ,
&voyant ſa vie à la merci des Begums , il écrivit
à l'une d'elle en lui demandant laprotection qu'elle
devoit aux Alliés du Nabab fon fils. CettePrinceſſe
n'oſantplus lever ſi ouvertement le maſque, envoya
une garde au Capitaine Gordon pour le conduire
auprès du Colonel Hannay ; il l'en remercia elle
&fes Eunuques par des lettres ſubſéquentes. Dans
l'affidavit qu'il rendit enfuite ſur les lieux , il ne
fit aucune mentionde cette correſpondance , qui ,
depart&d'autre , n'avoit eu lieu que pour ſauver
les apparences. »
( 214 )
ne
» L'année dernière , M. Sheridan , qui croyoit
encore le Capitaine Gordon à Calcutta
manqua pas , dans ſa fameuſe déclamation furles
Begums, de relever cet incident , & l'oubli qu'en
avoit fait le Capitaine Gordon dans fon Affidavit;
mais cet Officier , revenu de l'Inde en 1784 , s'étoit
établi avec ſon épouſe dans le midi de la France ,
par raiſon de ſanté. Dès qu'il eut connoillance du
diſcours de M. Sheridan , il partit ſur le champ ,
&revint en Angleterre , pour venger fon honneur
&faire connoître la vérité. L'impéachement letrouvant
décidé & déjà porté à la Cour des Pairs,
M. Gordon repaſſa en France avec une ſanté trèsaltérée
; mais au péril de ſa vie, il eſt revenu à
Londres à l'ouverture du procès , & a demandé
opiniâtrément d'être entendu, M. Hastings ne
peut le citer encore ; mais l'on ne douteispoint
que M. Sheridan ne s'empreſſat de faire paroître
un témoin ſi néceſſaire à la découverte de la vérité.
Cependant , à lagrande ſurpriſe de l'audience ,
M. Sheridan, le premier mai , dite " non , certaine-
>> mentnon , le confeil de l'accuſé; peut appeler M.
» Gordon , fi cela lui plaît »
Detoutes les dépoſitions juſqu'au premier mai
incluſivement , la plupart confuſes & incertaines,
il n'eſt réſulté qu'une vérité claire ; c'eſt que dans
tous les temps , M. Haflings fut le défenſeur figna'e
des Begums , & le médiateur amical de leurs dif
putes interminables avec le Nabab, juſqu'au moment
où , en 1781 , l'appui donné de leur part à
la révolte de Cheyt-Sing, leur fit perdre la prorectiondugouvernement
de Calcutra , & l'adminiſtration
de leurs Jaghires. Obfervons qu'en reprenant
ces Jaghires , on leur donnoit un revenu
équivalent , fixé par elles-mêmes , & qui , pour
les mettre à l'abri de nouvelles chicanes du Nabab,
devoit leur être payé à l'avenir par le réfident
Anglois à Oude.
( 215 )
» Le 6 mai , M. Sheridan, qui préſide à l'examen
des témoins ſur la ſeconde charge, examen auquel
il avoit déjà conſacré ſur un ſeul point toute la
ſemaine précédente , s'engagea devant la Cour à
lui fournir des preuves évidentes du deſſein
prémidité , formé , dit - il , par M. Hastings de
s'emparer des tréſors des Princeſſes d'Oude , ainſi
que d'une confédération antérieure contre elles
pour arriver à ces fins. S'il tient parole , il aura
fait tout ce qu'on peut attendre de la magie oratoire,
& de la ſubtilité ſophiſtique. Après avoir
exposé l'affaire à ſa manière , il demanda la lecture
d'une lettre de M. Hastings au Lieutenant-
Colonel Popham , & des extraits de la narration
publiée par M. Hastings lui -même de l'infurrection
de Benarès. La première ne contenoit que
des remontrances contre l'appropriation du butin
du fort de Bidjégur à l'armée qui l'avoit pris , &
la dernière quelques raiſonnemens hypothétiques
duGouverneur-Général , d'après l'impreffion que
les grands beſoins de l'Etat avoit néceſſairement
faite fur fon efprit ; idées particulières , deſquelles ,
fil'onen faifoit uſage dans l'évidence, il ne réſulteroit
d'autre preuve, finon que cette impreſſion étoit
profondément gravée dans le coeur de l'accuſé , &
que le falut de l'Etat formoit le principe dominant
de toure ſa conduite. Enſuite M. Sheridan interpellaSir
Elijah- Impey, ancien Chef de Justice à
Calcutta, avec le deſſein de fortifier , par lapreuve
de l'intimité de ce Magiftrat& de l'Accuſé , l'indicedu
complot dont M. Sheridan s'eſt chargé de
maintenir la réalité. »
•Sir Elijah-Impey avoit entrepris un voyage
dans les Provinces ſupérieures , afin de prendre
connoiſſance par lui-même de quelques circonftances
qui devoientle diriger dans ſa réformation
des Cours provinciales. Tandis qu'il rempliſſoit
(216)
ſa miffion , M. Haftings jugea ſa préſence indilpenſable
à Benares , & le preſſa de s'y rendre.
Sir Elijah , jaloux de ſervir l'Etat , ſous quelque
rapport qu'on pût lui indiquer, ſe hâta de foufcrire
à la demande du Gouverneur-Général ; &
voilà comment il eut accidentellement connoifſance
des événemens ſur leſquels on l'interrogeoit.
Son examendura cinq heures;&quoiqu'unegrande
partie de cette enquête ſit liée à ure acculation
contre lui , foutenue à laChambre des Communes
parl'undes Directeurs de l'impeachement deM.Haf
tings , ce qui l'autoriſoit, d'après les loixAngloiſes , à
unrefus abſoludedépoſer, cependant Sir Elijch Ime
pey,à fongrand honneur& à celui du caractère de
M. Hastings , répondit à toutes les objections légales
, &donna avec une noble franchiſe , avec un
généreux empreſſement , le précis le plus clair ,
folide , énergique & direct de toutes les circonf
tances relatives aux tranſactions dont il avoit eu
connoiſſance ,& auxquelles il s'étoit trouvé mêlé. »
>> Il eſt auſſi impoffible de détailler minutieuſement
tous les différens objets ſur leſquels il fut
examiné , que d'apprécier avec la juſtice qui lui eft
dûe, la netteté , le bon ſens & la vigueur de fa
dépoſition. Nous nous contenterons donc d'en établir
d'une manière générale les points capitaux. "
>>Rappelons d'abord que la rébellion inattendue
deCheyt-fing dérangea le projet primitif qu'avoit
M.Hastings de viſiter le Nabab- Viſir , &de remédier
au déſordre de fon adminiſtration , comme
il l'exécuta depuis. Cependant ce Prince marcha
volontairement au ſeccurs deM. Haflings , caveloppé
de dangers : leur entrevue donta lieu au
Traité, nommé Traité de Chunar , par lequel on
ſtipula des meſures capables de réparer le déla
brement des affaires du Viſir , &de faciliter la
liquidation de ſadette à la Compagnie. Entr'autres
chofes,
( 217 )
chofes , on ftipula la repriſe des Jaghires des Princeſſes
d'Oude , comme leur rébellion paſſée en
donnoit le droit. Ceux de la Bhow Begum , mère
duNabab , avoient été garantis par la Compagnie ;
mais après s'être déclarée&armée contr'elle , cette
garantie tomboit d'elle-même. Le feu Nabab avoit
amafléde grandes fommes d'argent laiſſées endépôt
à cette Princeſſe : ces tréfors lui avoient été
garant's comme les Jaghires. Le Viſir régnant, qui
regardoit ce dépôt comme appartenant à l'Etat ,
l'avoit fréquemment réclamé, maisenvain, tant que
lecas légitime degarantie ſubſiſtoit:ce cas n'exiftant
plus ,& la Begum ayant elle-même , par ſes hoftilítés
, renoncé à la protection de la Compagnie , M.
Haftings laiſſa au Nabab la liberté de faire valoir
fes droits& de reprendre les Jaghires.>>>
Le témoignage de Sir Elijah-Impey conftata ,
larébellionnotoire des Princefies : « Ce fait, dit-il,
>> fut aufli notoire que le fat à Londres , en 1745,
»la révolte du nord the l'Ecofle en faveur du
»Prétendant. » Ifjuftifia la cefſation de la garantie,
la reprife des Jaghires& la ſaiſiedes trefors;
il prouva demonftrativement que , loin qu'il
eût exiſté aucun concert prémidité à ce ſujet, les
Bégums elles - mêmes avoient amené ſucceſſivement
toutes ces meſures par leur conduite injuftifiable.
Le 7 , M. Sheridan poursuivit l'inftruction
&prétendit prouver que les troubles du Gooruckpoor&
Bareeck , loin d'avoir été excités par les
Begums , prééxiftèrent à leur rébellion. Onproduifit
une liafle de papiers relatifs à ces troubles ,
qu'on aſſura avoir pris leur fource dans les rigueurs
exercées par les Collecteurs ; mais les Begums
furent accuſées non-feulement de levées de
troupes ennemies dans les diſtricts de leurs Jaghires
, mais encore d'exciter à la révolte lesZémin-
No. 22. 31 Mai 1788 . k
,
( 218 )
:
:
:
dars, toujours prêts à s'oppoſer à l'autorité du
Nabab. "
CC M. Middleton fut enſuite interpellé de prouver
que le Nabab-Vifir ne confentit , qu'après la
plus grande ré,ugnance, à la repriſe des Jaghires ,
quoiqu'il en eût demandé la permiffion , & qu'il
P'eût obtenue dans le traité de Chunar. Le témoignage
de M. Middleton prouva , au contraire , que
certe répugnance du Nabab n'avoit eu aucunement
pour objet la repriſe des Jaghires des Princefles ,
mais celle des Jaghires tenuspar ses propres Favoris,
également compriſe dans le Traité:leGouverneur
général ayant jugé que ce feroit un fcandalede
Jaiffer ces établiſſemens entre les mainsdes Compagnons
de débauche du Viſir , tandis que l'on
dépoſſédoit les Princefles des leurs propres.>>>
« Les Accufateurs arguèrent d'inconſiſtance
compte que rendoit M. Middleton de la conduite
du Nabab ; cependant la dépoſition même de ce
témoin n'offrit aucune variation dans les faits;
mais il étoit impoſſible de ne pas tracer une
fuite d'inconféquences , en décrivant la Auquation
perpétuelle d'un eſprit auſſi foible que celui du
Nabab, inconftant dans ſes projets , incertain dans
ſes principes , & toujours prêt à en croire le dernier
donneur d'avis , ſans être jamais déterminé
par fon propre jagement. »
« Le 8 , 25. Séance du Procès ; les Accufateurs
annoncèrent qu'ils alloient prouver que les
Begums n'avoient point connivé à exciter leurs
Jagheerdars à la réſiſtance. Malheureuſement la
principa'e lettre dont ils choiſirent la lecture ,
porte que le Chef Eyauque des Begums , "Bahar
Aly Khawn déclara qu'il fouleveroit la contrée,
ſi l'on eſſayoit de reprendre les Jaghires., Vintent
enfuite d'autres lectures abſoluinent étrangères à
ce fujet, puis M. Middleton fut appelé de nouveau
( 219 )
& exan iné. Ayant répondu à certaines queſtions:
ſpéculat ves fur des choſes d'opinion & non de
fait, il fut confronté par les Conſeils de M. Haftings
, & dépofa que Shuja Dowla garda toujours
ſes tréſors dans le Zenana ( Harem) , & que , quoique
confié à la garde de la Bow Begum , ce dépôt
appartenoit à l'Etat. Le reſte de l'examen de
M. Middleton eut pour objet un regiſtre de lettres ,
contenant des copies de quelques parties de ſa cor
reſpondance , dreſſé à l'ufage privé de ce témoin
& remis par lui-même , comme document , à la
Chambredes Communes. Cejournal étant incomplet
, les Accufateurs prétendirent qu'on en avoit
déchiré des feuilles & mutilé d'autres. Il fut clairement
prouvé que cette imperfection avoit fa
cauſe dans la précipitation avec laquelle ces copies
avoient été faites & affemblées ; en effet , i
eft impoſſible que M. Middleton eût formé le
projet de mutiler un brouillard épiftolaire , qui
étoit fa propre & particulière propriété , qui ne
fut jamais deſtiné à devenir public, & qquuee luimême,
volontairement , avoit offert & remis à la ,
Chambre des Communes. »
« Il ſe préſente ici une remarque bien extraordinaire
à l'Obfervateur le plus fuperficiel. Eſt- il
concevable que dans une grande & folennelle
Enquête ſur treize ans d'adminiſtration du Gouverneur-
général d'un grand Empire , les Conducteurs
de la pourſuite , ayant à mettre en avant
lés actes les plus eſſentiels des grands départemens
de Police , Finance , Légiflation , Alliances
& autres opérations du Gouvernement fuprême
, au lieu de traiter de fi importantes.
queſtions politiques, conſument le temps de la
Cour des Pairs en recherches puériles fur la condition
d'un livre de copie , ou en fubtils interrogatoires,
plutôt calculés dans le butd'embar
1
kij
( 220 )
raſſer lejugement d'unTémoin ,que d'éclairer celui
des Juges!»
Vraiſemblablement il n'existe pas un
premier exemple d'une pareille inftruction
teftimoniale. Elle porte à chaque ligne
la trace de l'artifice le plus raffiné. Après
avoir entendu les aſſertions tranchantes ,
les qualifications cruelles , & le ton décifif
des Accuſateurs dans leurs difcours ,
on eût été pardonnable de leur ſuppoſer
en main les preuves manifeſtes des crimes
énormesdont ils chargeoientM. Haftings.
Quelle n'eſt donc pas la ſurpriſe des
hommes impartiaux , en voyant ces Accuſateurs
, fi confians dans leurs drames parlementaires
, réduits maintenant à des
tours de force multipliés , aux recherches
les plus frivoles , aux queſtions les plus
captieuſes , à des fragmensde lettres qu'ils
ontencore beſoind'interpreter,pour toutes
preuvescontrel'Accuſé?Teltémoin aétéinterrogé,&
torturé de ſubtilités pendant20
à 30 heures . Si dans aucun pays un Juge
ofoit provoquer un témoin par des interrogations
fuggeftives & fallacieufes , &
l'examiner ainſi comme il examineroit
l'Accuſé lui-même , il ſeroit caffé de fes
fonctions & déshonoré. Nous nous en
rapportons, fur la vérité de ces remarques,
àtous ceux qui font à même de confulter
le recueil authentique d'Evidence, tel qu'il
a été imprimé à l'uſage des Pairs.
( 221 )
FRANCE.
De Versailles, le 18 Mai.
Le lundi , 12 de ce mois , l'Aſſemblée générale
extraordinaire du Clergé , ayant à ſa tête l'Archevêque
de Narbonne ,s'eſt rendue à Verſailles ,
où elle a eu une audience du Roi , à laquelle elle
a été conduite par le ſieur de Nantouillet , Maître
des cérémonies. Elle a été préſentée par leBaron
deBreteuil , Miniſtre & Secrétaire d'Etat , ayant
les affaires du Clergé dans ſon département. L'Archevêque
de Narbonne , au nom de l'Affemblée
qu'il préſide , a porté la parole à Sa Majesté ,
& lui a nommé & préſenté les Députés du premier
& du fecond Ordre.
L'Aflemblée du Clergé a eu enfuite l'honneur
d'être admiſe à l'audience de la Reine , à laquelle
elle a été conduite & préſentée de la même ma
nière.
Dans l'après-midi , le Roi & la Reine ont tenu
fur les fonts de Baptême , dans la Chapelle du
château , le Duc de Chartres &le Ducde Montpenfier.
LeDuc de Chartres a été nommé Louis
Philippe , & le Duc de Montpenfier , Antoine
Philippe. Les cérémonies du Baptême ont été ſuppléées
par l'Evêque de Metz , Grand-Aumônier
de France, en préſence du ſieur Jacob , Curé dè
la paroiffe Notre-Dame.
Le Roi a nommé à l'Archevêché de Lyon
l'Evêque d'Autun ; à l'Abbaye de Tonnay-Charente,
Ordre de Saint-Benoît , Diocèſe de Saintes ,
l'Abbé Boulogne , Prédicateur ordinaire de S.M ;
&à celle de Bournet , même Ordre , Diocèſe
d'Angoulême , l'Abbé de Gaston , Aumônier de
Monſeigneur Comte d'Artois , fur la nomination
kij
( 221 )
&preſentation de ce Prince, en verturde fon apanage.
Leurs Majestés & la Famille Royale ont figné,
le même jour , le contrat de mariage du Comte
Alexandre-François de la Rochefoucauld , fils du
Duc de Liancourt , avec demoiselle de Chaſtulé;
&celui du Vicomte de Machault, Colonel attaché
au régiment de Dragons de la Reine , avec demoś
felle de Machault d'Arnouville.
Le Roi , la Reine, Madame Elifabeth de France
ſe ſont rendus , le 14 , au château de S. Cloud.
Monſeigneur le Duc de Normandie , qui doit y
être inoculé , & Madame , Fille du Roi, s'y étoient
rendus la veille.
De Paris , le 28 Mai.
,
ADI
Le 15 de ce mois , M. le Duc de Normandie
a été inoculé , par ordre du Roi ,
dans le châteaude Saint-Cloud, à 9 heures
& demie du ſoir. Le ſieur Jauberthou a
pratiqué , ſuivant la méthode des piqûres ,
fur les deux bras du Prince , l'infertion
du levain variolique. Ce levain avoit été
pris ſur les boutons varioleux & en pleine
ſuppuration d'un enfant de fix ans . L'ordre
avoit été donné au ſieur Brunyer , Médecin
de Monſeigneur le Dauphin & des
Enfans de France , & au fieur Jauberthou,
Médecin confultant de Mgr. Comte
d'Artois , d'examiner & de conſtater d'avance
l'état actuel de l'enfant , dont ils
ontété auſſi fatisfaits que de la bonne fanté
de la mère.
( 223 )
:
DECLARATION DU ROI ,
Du premier mai 1788 ,
Relative à l'Ordonnance Criminelle.
Louis , &c. Les grands objets d'adminiftration
dont nous ſommes occupés , ne Nous font pas
perdre de vue les autres genres de bien que peut
opérer notre amour pour nos Peuples. La Légiflation
de notre royauummee ſollicite particulièrement
notrevigilance. Nos Loix criminelles fur-tout , cette
portion ſi importante de l'ordre public , méritent
d'autant plus de fixer notre attention , qu'elles intéreſſent
à la fois notre humanité & notre juſtice .
Lorſque Louis XIV , de glorieuſe mémoire ,
voulut donner à ſes Tribunaux le Code qui règle
encore aujourd'hui leurs jugemens en matière cri
minelle , il fit précéder cet acte mémorable de ſa
ſageſſe par des conférences folennelles ;& après
s'être éclairé par les conſeils des Magiftrats les
plus recommandables de la Nation , il publia fon
Ordonnance de mil fix cent foixante & dix.
Malgré des précautions ſi dignes de concilier à
cette Loi le fuffrage univerfel , nous ne faurions
Nous diffimuler , qu'en confervant le plus grand
nombre de ſes diſpoſitions , nous pouvons en
changer avantageuſement pluſieurs articles principaux
, & la réformer ſans l'abolir. Nous avons
donc conſidéré que ces Commiſſaires eux- mêmes
n'ont pu tout prévoir , en débrouillant le chaos
de la Jurisprudence criminelle , que les procèsverbaux
de leurs conférences atteſtent qu'ils furent
ſouvent diviſés ſur des points importans ,&
que la déciſion ne parut pas confirmer toujours
les avis les plus ſages; que depuis la rédaction
de cette Ordonnance , le feul progrès des lumières
fuffiroit pour Nous'inviter à en revoir atten
kiv
( 224 )
tivement les diſpoſitions ,& à les rapprocher de
cette raiſon publique , au niveau de laquelle nous
voulons mettre nos Loix; enfin , que le temps
lui-même a pu introduire ou dévoiler , dansl'exécution
de l'Ordonnance criminelle , des abus effentiels
à réformer; & à l'exemple des Légiſlateurs
de l'antiquité , dont la ſageſſe bornoit l'autorité
de leur Code à un période de cent années, afin
qu'après cette épreuve laNation pûr juger les Loix,
nous avons obfervé que ce terme étant maintenant
expiré , nous devions foumettre à une réviſion
générale cette même Ordonnance criminelle qui a
ſubi le jugement d'un fiècle révolu.
Pour procéder à cegrand ouvrage avec l'ordre
& la ſageffe qu'il exige, Nous nous propofons
de Nous environner de toutes les lumières que
nous pourrons réunir autour du Trêne où la divine
Providence Nous a placés. Tous nos Sujets auront
la faculté de concourir à l'exécution du projet qui
Nous occupe , en adreſſant à notre Garde des
Sceaux les obſervations & mémoires qu'ils juge
ront propres à Nous éclairer. Nous éleverons ainfi
au rang des Loix les réſultats de l'opinion publique
après qu'ils auront été foumis à l'épreuve d'un mûr
& profond examen , & nous chercherons tous
les moyens d'adoucir la févérité des peines , fans
compromettre le bon ordre & la fûreté générale.
L'eſprit ſyſtématique n'excitera jamais que notre
méfiance. Nous voulons éviter tout excès dans la
réforme de nos Loix criminelles , celui même de
la clémence , auquel il feroit ſi doux de ſe livrer,
s'il n'enhardiſſoit au crime par l'eſpoir de l'impunité.
Notre objet invariable dans la réviſion de nos
Loix criminelles , eſt de prévenir les délits par la
certitude & l'exemple des ſupplices , de raffurer
l'innocence , en laprotégeantpar les formes les plus
( 225 )
propres à la manifeſter; de rendre les châtimens
inévitables , en écartant de la peine un excès de
rigueur , qui porteroit à tolérer le crime plutôt
qu'à le dénoncer à nos Tribunaux; & de punir les
malfaiteurs avec toute la modération que l'humanité
réclame & que l'intérêt de la ſociété peut
permettre à la Loi.
Mais en attendant que notre ſageſſe ait opéré
une fi utile révolution , dont nous eſpérons que
nos Sujets éprouveront inceſſamment les heureux
effets, nous voulons , en annonçant nos intentions
à nos Peuples , abroger dès-à-préſent plufieurs
abus auxquels il Nous a paru inſtant de remédier.
Le principal abus qui rendroit en ce genre tous
Tes autres irremédiables juſqu'à la parfaite réforme
de nos Loix criminelles , a pour principe la difpofitionde
l'article vingt-un du titre vingt-cinq de
l'Ordonnance de mil fix cent ſoixante-dix , qui ,
-en ordonnant que les jugemens feront exécutés le
même jour qu'ils auront été prononcés aux condamnés
, laiſſe aux Juges la faculté de les mettre
à exécution auſſi-tôt qu'ils font rendus. Cette
promptitude peut étre utile dans des cas particuliers
où il importe de rétablir le bon ordre , par
la terreur d'un exemple qui ne ſouffre point de
délai ; & Nous l'avons autoriſée dans ces circonftances.
Mais dans la punition des autres délits ,
une pareille forme rend illuſoire l'eſpoir de recourir
ànotre clémence ou d'éclairer notre Justice.
Notre humanité n'eſt point effrayée de mettre
un intervalle entre la ſignification des arrêts de
mort & leur exécution. Nous avons reconnu que
les condamnés étoient preſque toujours inſtruits
d'avance de leurs jugemens dans les prifons , &
quecette notification étoit d'autant plus néceſſaire ,
qu'elle ne ſeroit encore qu'inſuffisamment ſup
kv
( 226 )
pléée , par le conſeil que Nous nous propofens
de leur donner pour les diriger dans leurs défenſes.
Un autre abus que nous pouvons fupprimer
dès-à-préſent , c'eſt l'interrogatoire ſur la fellette.
Cette formalité flétriſſante n'entrajamais dans la
claſſe des peines impofées par nos Loix; elle bleffe
d'ailleurs ouvertement le premierde tousles principes
en matière criminelle , qui veut qu'un accufé,
fût-il condamné à mort en première inſtance , foit
toujours réputé innocent aux yeux de la Loi , jufqu'à
ce que ſa ſentence foit confirmée en dernier
reſſort. Il n'eſt donc pas juſte que le fupplice de
l'ignominie précède cet arrêt définitif , qui peut
feul conſtater irrévocablement ſon crime,& l'expoſe
à perdre la tranquillité d'eſprit dont il a beſoin
pour ſe défendre devant fes Juges.
Attentifs à Nousdéfendre de toute précipitation
dans l'amour même du bien , nous avions déjà
porté nos regards ſur ce genre de peines que la
Loi avoit autorisé dans l'enceinte desTribunaux.
Nous avions pensé que la queſtion, toujours injufte
pour completter lapreuve des délits , pouvoit être
néceſſaire pour obtenir la révélation des complices;
&en conféquence , par notre Déclaration du 24
août 1780 , nous avions profcrit la queſtion préparatoire
, fans abolir encore la queſtion préalable.
Denouvelles réflexions Nous ont convaincus de
Pillufion&des inconvéniens de ce genred'épreuve,
qui ne conduit jamais fûrement à la connoiſſance
de la vérité , prolonge ordinairement ſans fruit le
fupplice des condamnés , & peut plus ſouvent
égarer nos Juges que les éclairer. Cette épreuve
devient preſque toujours équivoque par les aveux
abfurdes , les contradictions & les rétractations des
criminels. Elle est embarraſſante pour les Juges,
qui ne peuvent plus déméler la vérité au milieu
( 227 )
des cris de la douleur. Enfin,elle eſt dangereuſe
pour l'innocence , en ce que la torture pouffe les
pariens à des déclarations faufies , qu'i's n'ofent
plus rétracter de peur de voir renouveler leurs
tourmens.
Ces confidérations Nous ont déterminés à tenter
un moyen plus doux , fans être moins fûr , pour
forcer les malfaiteurs de nommer leurs complices.
Nous avons penſé que la Loi ayant confié à la
religion du ferment les plus grands intérêts de la
fociété , puiſqu'elle en fait dépendre la vie des
hommes , elle pouvoit l'adopter aufli pour garant
de la sûreté publique, dans les dernières déclarations
des coupables. Nous nous ſommes donc décidés
à eſſayer , darmoins provifdirement , de ce
moyen; Nous réſervant , quoiqu'à regret , de rétablir
la queſtion préalable , ſi , d'après quelques
années d'expérience , les rapports de nos Juges
Nous apprenoient qu'elle fût d'une indiſpenſable
néceffiré.
Laſage inſtitution de faire imprimer & afficher
les arrêts en matière criminelle , nous a paru d'autant
plusprécieuſe au maintien de l'ordre public , qu'elle
multiplie en quelque forte l'exemple des ſupplices ,
qu'elle contribue à prévenir les crimes par la crainte
des châtimens , qu'elle reproduit ſans ceſſe ſous les
yeux des Peuples l'actiondes Loix qui les protégent,
&qu'elle fert à exciter la vigilance des Juges ,
par la ſeule publicité de leurs jugemens .
Mais pluſieurs de nos Cours ont restreint l'influence
d'un uſage ſi ſalutaire , en adoptant dans
leurs arrêts une formule vague , qui , fans articuler
expreffément le crime , ne motive les jugemens
portant peinede mort , que fur les ſeuls cas réfultans
duprocès. D'où il ſuitque nos Peuples peuvent
quelquefois ignorer les caufes de ces condamnations
folennelles , qui , en mettant la peine à la fuitédu
kvj
( 228 )
délit , doivent toujours montrer le délit à côtéde
lapeine.
Cette formule, ſi évidemment contraireà l'objet
&àl'eſprit des Loix pénales , Nous expoſant d'ailleurs
Nous-mêmes tous les jours à demander des
éclairciſſemens ſur les arrêts qui nous font déférés ,
Nous avons cru devoir enjoindre à nos Cours ,
ſoit qu'elles prononcent en première ou en dernière
inſtance , d'indiquer à l'avenir , en termes exprès
&formels dans leurs jugemens , les crimes pour
leſquels elles infligeront des peines afflictives ou
infamantes.
Enfin , Nous avons confidéré que les précautions
qu'exige la fûreté publique , obligeoient quelquefois
nos Tribunaux de ſuivre , dans la recherche
des crimes , des indices trompeurs , & les expofoient
à confondre d'abord les innocens avec les
coupables. Cependant , après que fur de fauſſes
apparences , nos Sujets ainſi traduits en Juſtice ,
ont ſubi toutes les rigueurs d'une pourfuite criminelle
, s'il n'ya pointde partie civile au procès ,
fur laquelle tombent les dépens , nos Cours les
déchargent , il eſt vrai , de toute accufat on & les
renvoient abſous , mais elles ne font point imprimer
& afficher , au nom de la Loi , ces arrêts
d'abſolutionqui doivent les réintégrerdans l'opinion
publique. Nous défirons&Nous eſpérons de pouvoir
leur procurer dans la fuite les dédommagemens
auxquels ils ont alors droit de prétendre ; &
Nous nous réduiſons avec peine aujourd'hui àn'accorder
pour indemnité à leur innocence , que la
certitude d'être ſolennellement reconnue& manifeſtée
; mais du moins , en attendant que Nous
puiſſions compenſer pleinement les dommages
qu'elle aura ſoufferts , Nous voulons lui affurer
des ce moment, dans toute fon intégrité , cette
réparation qui laiſſe encore à notre Justice de ſi
légitimes regrets.
( 229 )
L'honneur de tous nos Sujets étant ſous notre
protection ſpéciale , comme la plus précieuſe de
leurs propriétés , c'eſt à Nous à fournir aux fiais
de l'impreſſion & de l'affiche de ces jugemens
d'abſolution ; & Nous ne balançons pas d'en impoſer
la charge à notre Domaine comme une
portion eſſentielle de la Juſtice que Nous devons
ànos Peuples.
,
ACES CAUSES,& autres à ceNous mouvant ,
de l'avis de notre Conſeil , & de notre certaine
ſcience , pleine puiſſance& autorité royale , Nous
avons par ces Préſentes , dit , déclaré& ordonné ,
diſons, déclarons& ordonnons, voulons &Nous
plaît cequi fuit.
ART. I. Aboliffons l'uſage de la ſellette; feront
les accuſés , ainſi que les impetrans nos lettres
d'abolition , rémiffion& autres en matière criminelle
, interrogés , lors du jugement , derrière les
barreau , encore qu'il y ait contr'eux des condamnations
ou concluſions à des peines afflictives ou
infamantes ; ordonnons àcet effet qu'il ſera placé
dansnos Cours&Jurisdictions , derrière le barreau ,
un fiége ou banc de bois , aſſez élevé pour que
les accuſés puiffent être vus de tous leurs Juges;
laiſſons au choix deſdits accuſés de reſter debout.
ou affis , ce dont les Préſidens de nos Cours &
les Juges qui préſideront au jugement dans les
Jurisdictions , feront tenus de les avertir.
II. Défendons de dépouiller les accuſés des
vêtemensdiſtinctifs de leur état , même des marques,
extérieures de leurs dignités , s'ils en ſont revêtus ;
pourront néanmoins étre obligés de quitter leurs
armes.
III. Nepourront nos Juges , même nos Cours,
prononcer en matière criminelle , pourles cas réfultans
du procès; voulons que tout arrêt oujugement
énonce & qualifie expreſſément les crime
(230 )
&délits dont l'accuſé aura été convaincu , &pour
leſquels il fera condamné ; exceptons les arrêts
purement confirmatifs de ſentences des premiers
Juges , dans lesquelles leſdits crimes & délits feroient
expreffément énoncés ; à la charge par nos Cours
de faire tranſcrire , dans le vu de leurs arrêts ,
lefdites ſentences des premiers Juges , le tout à
peine denullité.
IV. La difpofition de nos Ordonnances , par
laquelle il ſuffit, pour que les arrêts en matière
criminelle paſſent à l'avis le plus ſévère , que cet
avis prévaille de deux voix, n'aura lieu qu'à l'égard
de toutes autres peines que celles de mort; voulons
qu'aucune condamnation à la peine de mort ne
puiſſe être prononcée en dernier reſſort ſi l'avisne
prévaut de trois voix.
V. Aucunjugement portant peine de mort naturelle
ne pourra être exécuté qu'un mois après
qu'il aura été prononcé au condamné : ordonnons
ànos Procuteurs-Généraux , ainſi qu'à nos Procureurs
ès Grands - Bailliages , d'inſtruire notre
Chancelier ou Garde des Sceaux , par le premier
courier qui ſuivła la date deſdites jugemens , de
lanature des délits ſurleſquels ils feront intervenus,
de la date du jour où ils auront été rendus , &
de celle du procès-verbal de leur prononciation
au condamné ; leur défendons de faire en aucun
cas procéder à l'exécution avant l'expiration dudit.
délai , ſi ce n'est qu'il enſoitpar Nous autrement
ordonné.
VI. Exceptons de la diſpoſition de l'Article
précédent , lesjugemens reudus pour le cas de fédition
ou émotion populaire; feront leſditsjugemeas
exécutés le jour qu'ils auront été prononcés aux
condamnés.
VII. Nos Cours & Juges ordonneront que tout
arrêt ou jugement d'abſolution , rendu en dernier
( 231 )
reffort ou dont il n'y ama appel, ſera imprimé
& affiché aux frais de la partie civile , s'il y en
a , finon aux frais de notre Domaine; les ausorifons
à décerner , pour leſdits frais , exécutoire
fur norreDomaine,en la forme ordinaire , juſqu'à
concurrence de deux cents exemplaires en notre
Cour de Parlement & Cour des Aides de Paris ,
cent- cinquante exemplaines en nos autres Cours
fupérieures , & cent exemplaires en nos Grands-
Bailliages ; fauf aux accuſés , renvoyés abſous , d'en
faire imprimer & afficher un plus grand nombre
àlems frais.
VIII . Notre Déclaration du 24 août 1780 ,
fera exécutée , &y ajoutant , abrogeons la queſtion
préalable.
IX. Voulons néanmoins quelejour de l'exécution
, il foit procédé par le Juge- Commiffaire ,
en la forme preferite par nos Ordonnances , à
l'interrogatoire des condamnés à mort ; & feront
lefdits condamnés interrogés , encore qu'ils aient
constamment dénié dans le cours de l'inſtruction ,
& qu'il paroifle par la nature du crime & par
la qualité des preuves , qu'il n'ya lieu à révélation
d'aucuns complices.
X. Voulons auſſi qu'encore que lesdits condamnés
aient perſiſté à dénier dans leurdit interrogatoire
, ils ſcient recollés ſur icelui , & qu'il
ne foit procédé au recollement qu'au moment
de l'exécution , à l'effet de quoi fera tout condamné
préalablement conduit à la ſalle deftinée au Juge
ou Commiffaire.
XI. Dans le cas où le condamné auroit chargé
des complices , il fera procédé à la confrontation
en la forme ordinaire , de la ſeule ordonnance du
Commiſſaire.
XII. Laiſions néanmoins à la prudence dudit
Commiſſaire d'ordonner qu'il ſera procédé fur le
( 232 )
champ au recollement , dans les cas où il yauroit
néceffité urgente , conſtatée par le rapport de
médecins ou gens àce connoiſſans , lequel rapport
ſerajoint au procès ; & fera tout ce qui eſt prefcrit
par le préſent article & par les deux articles
précédens , obſervé , à peine de nullité de l'interrogatoire
& recollement , qui ne pourront faire
charge&ne ferviront que de ſimple mémoire ,&c.
EDIT DU ROI , portant Suppreſſion des
Tribunaux d'exception.
Le Roi fupprime les Bureaux des Finances ,
Elections& Jurisdictions des Traites dans tout le
Royaume , ainſi que la Chambre du Domaine &
du Tréfor établie à Paris ; ſépare la jurifdiction
contentieuſe appartenante à ces Tribunaux , de
la partie d'adminiſtration qui pourroit leur avoir
été accordée , ſe réſervant de ſtatuer inceſſamment
ſur le renvoi de ladite partie d'adminiſtration,
tant en fon Conſeil qu'auxEtats provinciaux
&Aſſemblées provinciales du Royaume; ſépare
pareillement de l'adminiſtration appartenante aux
Maîtriſes des Eaux & Forêts , & aux Greniers à
ſel , la jurifdiction contentieuſe, maintient les Officiers
dans l'adminiſtration , aménagement , infpection
&viſite des Eaux &Forêts , &dans le
droitde veiller à l'enmagafinement & diftribution
du ſel , &c. Attribue la connoiſſance des affaires
deſdits Tribunaux ſéparés , aux Préfidiaux &
Grand- Bailliages , pour y être jugées en dernier
reffort , ou à la charge de l'appel aux Cours de
Parlement ou Cours des Aides.
EDIT DU ROI, portant Rédu&iond'Offices
dans ſa Cour du Parlementde Paris.
CetteCour fera compoſée , à l'avenir , de la
Crand - Chambre , de la Tournelle& d'une Cham(
233)
bre des Enquêtes , formant 67 Membres. Les 2º.
&3. Chambres des Enquêtes ſont fupprimées. La
fuppreffion tombera d'abord ſur les offices vacans,
enſuitefur lesoffices dont font pourvus les Conſeillers
derniers reçus. Les titulaires & propriétaires
des offices ſupprimés , remettront , dans
trois mois , leurs titres de propriété , quittances
de finances& autres pièces au Contrôleur-général
, pour recevoir leur rembourſement , à moins
qu'ils ne préfèrent de conſerver leurs offices pour
être remplacés lors des vacances qui pourront fur.
venir; dans ce cas, ils font autoriſés à garder leurs
quittances de finances , dont l'intérêt leur fera payé
à raiſon des pour 100 , juſqu'à ce que leur rem
placement puiſſe s'effectuer. is font maintenus dans
les privilèges attribués à leurs offices , & les con
ferveront pendant leur vie. Le Premier Préſident
eſt autorifé àdéterminer , avec le Procureur-général
, le nombre auquel devront être fixés, pour le
bien du ſervice , les offices de Greffiers , Procu
reurs&Huiffiers en la Cour du Parlement . Nul
ne pourra être reçu en l'office de Conſeiller qu'il
n'ait 25 ans accomplis , ſi ce n'est qu'il ſoit fils
ou petit- fils de Préſident , Conſeiller , Avocat ou
Procureur-général ; alors il pourra l'être à 23 ans
Aucun Conſeiller en ladite Cour , ne pourra
avoir voixdélibérative , ni même entrée& féance
à l'aſſemblée des Chambres , qu'il n'ait 30 ans
révolus. Pour être admis auxdits offices de Confeillers
, outre l'âge requis ci- deſſus , il faudra
avoir fervi , pendant quatre ans , dans un des offi
ces de Lieutenant , Conſeiller , Avocat ou ProcH
reur du Roi au Châtelet de Paris , ou autre grand
Bailliage, ou dans l'office de Subſtitut du Procureur-
général , ou fuivi , pendant le même nombre
d'années , les audiences , & exercé la profeſſion
d'Avocat au Parlement.
( 234 )
DÉCLARATION DU ROI ſur les vacances
, qui dureront juſqu'après l'établiſſement
des grands Bailliages & autres
Sièges , & l'entière exécution du nouvel
ordre que Sa Majefté veut établirdans les
Tribunaux inférieurs du royaume .
L'étendue & la nature des nouvelles
Ordonnances Militaires , au nombre de
35 , ne nous permettant ni de les rapporter
ni de les analyſer , nous ſommes réduits
à en indiquer ſeulement les titres.
La 16°. , en date du 17 mars , porte réforme
des cinq derniers régimens de Cavalerie ; ſavoir,
les Evêchés , Franche-Comté , Septimanie , Querci&
la Marche , & incorporation deſdits régimens dans
les douze régimens de Chaſſeurs, & dans les fix
régimens de Huſſards.
La 17. porte : Réforme du régiment de Cavalerie
de Naſſau-Saarbruck.
La 18. fupprime éventuellement toutes les
charges de Colonels-généraux , ainſi que toutes
celles dénommées d'Etat-major , attachées à différens
corps de troupes , &qui fixe en même temps
tous les droits , privilèges & prérogatives que conſerveront
, tant leſdites charges , que les régimens
qui endépendent , juſqu'àce qu'elles foient éteintes.
La 19. porte : Réglement fur la hiérarchie de
tous les emplois militaires , ainſi que ſur les promotions
& nominations auxdits emplois.
La20. porte:Réglement ſur le commandement
dans les provinces , ainſi que ſur la divifion , l'organiſation
, la police , la difcipline & l'adminiftration
générale de l'armée.
La 21. porte : Suppreffion de l'Ecole des
Trompettes établie à Strasbourg.
( 235 )
La 22. porte: Suppreffion du Dépôt des Recrues
, établi à l'ifle de Ré.
La 23. concerne la fuppreffion de la Régie de
l'habillement , l'établiſſement d'une commiffion ,
ſous lenomde Direttoire , deſtinée à la remplacer ,
&les retenues à exercer ſur les maſſes des troupes ,
pour fournir aux dépenſes des fournitures à leur
faire par les ſoins du Directoire.
Une dernière Ordonnance , du 17 avril , concerne
la conſtitution, la compofition & les fonc
tions de Commiſſaires des guerres .
On ne lira pas fans quelqu'intérêt la relation
ſuivante , que nous empruntons du
Couri Maritime. C'eſt l'extrait du Journal
du ſieur Calvy, Capitaine en ſecond
de la corvette la Galathée , naufragée l'année
dernière fur l'iſle George-Diskio, dans
le levant.
«Nous appareillames de l'Ifle d'Orlac , pour
Marſeille , par un vent de Nord, petit frais &
beau temps. Quelques heures après , le vent s'étant
élevé à la partie du N. N. O. , avec brume ,
nous primes un ris à chaque hunier. On ferra la
grande voile & les voiles d'étai ; & nous continuâmes
notre route avec la ſeule miſaine , portant
le cap à l'O . & O. N. O. , & par intervalles au
N.; mais le vent croiffant avec violence , accompagné
de grêle & de neige , les vagues , ou plutôt
desmontagnes de mer , menaçoient à chaque inftant
de nous engloutir. Il n'y avoit à portée aucun
port de relâche , & il étoit dangereux de courir
au Cap Dore , cù le Capitaine Perille& fon équipage
venoient de ſe perdre ; il fallut tenir la mer.
« Quoiqu'un de nos premiers ſoins eût été de
déblayer le pont & l'entre-pont , les Matelots
avoient de l'eau juſqu'à la ceinture , étoient ſans
TL
( 236)
ceſſe battus par les lames , & à demi-gelés par le
froid exceffif qui , vers le foir , vint ſe joindre à
toutes les horreurs d'une tempête aufli affreuſe
qu'opiniâtre. Les pompes s'étant engorgées, nous
eſſayâmes en vain des barils vides. Les routes réduites
, nous nous trouvâmes à l'eſt , & à la diftancede
trois lieues de Saint-Georges Diskio. On
vira difficilement de bord ; on gouverna relativement
à la voilure ; mais , malgré tous les efforts
imaginables pour tenir le plus près , nous portions
le cap au S. quart S. E. , preſqu'à l'oppoſé.
Alors la conſternation fut générale , & l'équipage ,
au comble de l'abattement &du défeſpoir , alla ſe
jeter fur quelques monceaux de bled reſtés dans
l'entre-pont , dans l'attente cruelle d'une mort prochaine&
affurée.
«Reſté ſeul à l'habitacle , il étoit environ 11 h. ,
lorſque je découvris deux écueils à une très-petite
diſtance , ce qui me fit juger que nous ferions
bientôt ſur l'ifle. J'appelai nos malheureuxMatelets
, en leur annonçant une perte certaine. Ils
répondirent à ma voix par des foupirs & des gémiſſemens
; & je les vis , hors deux hommes qui
n'avoient pas eu la force de ſe relever, ſe trainer
fur le pont , &, dans un filence morne , enviſager
d'un oeil fixe & immobile , le terme de leur pénible&
douloureuſe existence. Bientôt nous apperçûmes
la pointe E. de l'Iſle. Le naufrage étoit
inévitable. Le navire , n'obéiſſant plus , toucha
fur des roches éloignées de terre d'une lieue. Au
premier choc , le gouvernail ſe décrocha , le mất
rompit & écraſa par ſa chûte le canot & la chaloupe.
Enun inſtant la chambre fut pleine d'eau.
Un fecond coup entr'ouvrit le bâtiment , & un
troiſième le partagea , de façon cependant que
la majeure partie reſta au pouvoir de l'équipage.
« On concevra difficilement que ſur un débrès
( 237 )
,
toujours prêt à nous échapper , à demi nuds ,
couverts de neige , ſans pain , ſans vin , fans
eau , dévorés par la faim & la ſoif , épuiſés
de fatigue , accablés de ſommeil , tranſis de
froid , battus par les vents & ballottés par les
vagues en furie , au milieu des écueils & des
ténèbres , nos coeurs fuſſent encore acceſſibles à
l'eſpérance ; cependant à la vue de la côte , près
de laquelle nous nous trouvâmes au point du
jour , un treſſaillement de joie nous faifit , & le
couragenous revint. Nous pensames auſſi -tôt à
faire un radeau ; mais le froid exceffif , qui fit
périr à mes côtés un Matelot Vénitien , âgé de
22 ans rendit nos efforts inutiles , & nous ne
dûmes notre conſervation qu'au généreux &
intrépide dévouement d'un Matelot de la Ciotat ,
nommé Jean-Baptiste Monteau. A peine ce brave
Marin voit-il l'exécution de notre radeau impofſible
, que , ſans dire unſeul mot & fans perdre
un ſeul inſtant , il s'empare du bras de la grande
voile , s'élance à la mer , &luttant contre les flots
mutinés , avec une vigueur & une rapidité qui
nous étonnent , atteint le rivage , tout couvert de
meurtriffures & de fang , & y amarre la corde,
ſur laquelle nous nous gliſſons les uns après les
autres. Deſcendus àterre, au nombre de douze ,
nous éprouvâmes un ſentiment vif de plaifir &
dereconnoiſſance. Iln'eut que la duréed'un éclair ,
& fit place à des réflexions d'autant plus alarmantes
, que l'aſpect ſauvage des lieux où nous
venions d'aborder , nous fit craindre de n'avoir
échappéà la fureur des ondes, que pour devenir
la proie des bêtes féroces ou périr de froid , de
faim&de misère ſur des rocs eſcarpés , où tout
faifoit ſoupçonner qu'aucun mortel n'avoit jamais
pénétré.Réduitsàcetétatdedétreſſe&de déſeſpoir,
où , avec la liberté d'agir , l'on entreprend tout ,
( 240 )
» lui dit Faure en l'embraſlant , je ſuis devenu
> plus pauvre encore ; mais quand tu viendras
> une autre fois , tu partageras ce que j'aurai , &
>>> tu coucheras avec moi. »
On écrit de S. Paul de Fayence, à 3
lieues de Fréjus , que M. de Colombet a
délivré les Habitans du voiſinage d'un
ferpent d'une taille extraordinaire , qui
portoit l'effroi dans la campagne : il fuivoit
les troupeaux , & dévoroit les moutons.
M. de Colombet ſe tranſporta fur les
lieux, & ſe mit à ſa pourſuite avec un
ſeul chien Anglois. Il l'aperçut dans des
brouſſailles , l'approcha de dix pas , lui
tira deux coups de fufil , & l'atteignit à
la tête; il lui entira deux autres par précaution.
L'animal mourut en ſe débattant ..
avec tant de force , qu'il rompoit avec ſa
queue de très-groſſes branches d'arbres:
il s'eſt trouvé peſer deux quintaux&demi.
Il eût été à defirer qu'on eût donnédes
détails ſur la véritable eſpèce de ce rep
tile, dont la groffeur paroît avoir été immenſément
exagérée. Drapper fait mention,
dans fon hiſtoire de l'Amérique , d'un
ſerpent que l'on trouve au Bréfil, & qui
a 24 pieds de longueur;& ChrétienMene
zelins dit qu'ily en a dans les Indes orientales
qui dévorent & qui avalent un buffe
tout entier. ( Courier d'Avignon. )
Monfieur ,
(1)
Monfieur ,
« Vous donnez ſouvent place à la bienfaiſance
dans votre Journal, voudriez-vous bien en donner
une à la reconnoiſſance.
Une femme aimable , près de laquelle les malheureux
font aſſurés d'avoir un appui , eſt informée
qu'un jardinier maraicher du voiſinage , a
épuiſé toutes ſes reſſources pour reconftruire fa
chaumière qu'un coup de vent avoit deux fois
renverſée ; elle ſe tranſporte ſur les lieux , trouve
un vieillard de 92 ans , ſon fils le jardinier , ſa
femme & trois enfans menacés de paſſer l'hiver
expoſés aux injures de la ſaiſon : ce ſpectacle la
détermine auſſitôt à ſe charger ſeule des ſoins &
frais dela bâtiſſe: en moinsde 15 jours l'ouvrage
fut achevé , & la maiſon habitable ; c'étoit un
contraſte bien frappant de voir cette intéreſſante
philantrope courir dès le matin à la cabane dont
elle étoit le premier piqueur , & fon mari , Architecte
par état , ſe rendre aux charmans hôtels
qual conſtruit. J'étois dans la confidence , & je
ne trahirai point un ſecret auſſi reſpectable. Il ſuffit
qu'on ſache que ce nouveau genre de charité peut
être ſouvent&utilement exercé dans la Capitale.
Quelle fête que le jour où cette pauvre famille
pritpoſſeſſiondelachaumière! Le chefnonagénaire
venoit d'être inſcrit ſur la liſte de 3 penſionnaires
de la ſociété philantropique. La cave étoit garnie
d'une proviſion de pommes de terre recueillies à
la plaine des Sablons, & de pluſieurs voies de
tourbe. L'hiver ſe paſſa , lejour à travailler , & le
foir à bénir celle qui avoit logé, chauffé & nourri
la pauvre famille. Leur bonheur fut troublé au
printemps par une maladie qu'éprouva leur bienfaitrice
, bientôt l'aſyle qu'ils tenoient d'elle fut
rempli de cris de douleur , & leurs foupirs ſe mêlèrent
à leurs voeux. J'allai pour les confoler , &
Supplément au N°. 22. a
(2)
leur annoncer que l'objet de leur affliction étoit
rendu à l'humanité , à ſes proches & à fes amis:
la famille faifoit un pélerinage au mont Valérien ;
je ne trouvai que l'honnête vieillard au coin du
feu , pleurant& priant. Je fortis de cet aſyle de
la charité&de la reconnoiſſance , pénétré de cette
vérité , qu'il y a de grandes jouiſſances réſervées
aux hommes riches & bienfaifans , s'ils favoient
ſe les procurer .
J'ai l'honneur d'être , Monfieur ,
P.
Paris , ce 25 avril.
>> François Bourgeade , Meûnier , habitant
de la terre de Vaudreuil, eſt mort le
5 Avril , à l'âge de 100 ans trois mois. 11
avoit joui juſqu'à ce moment d'une ſanté
parfaite , & avoit conſervé l'uſage de les
fens. Il faifoit encore de longues courfes
à pied , dirigeoit lui ſeul les travaux du
moulin dont il étoit chargé , & fa gaîté
amuſoit ſes voiſins. La veille de fa mort ,
il foupa avec un de ſes amis , âgé de 80
ans , qu'il avoit invité ; il chanta plufieurs
chanſons d'une voix forte & pleine. La
famille de M. le Marquis de Vaudreuil fut
témoin de ſa bonne humeur. Il ſe portoit
àmerveille ; mais s'étant trop livré à fon
appétit , il eut une indigeſtion qui a caufé
ſa mort. Il contoit que fon père & fon
grand -père étoient morts l'un 105 ,
l'autre à 108 ans , & qu'à l'âge de 100
ans les dents leur étoient revenues . Un
exemple remarquable de longevité , eſt
à
( 3 )
celui qu'offre une Paroiffe limitrophe de
la terre deVaudreuil , où , fur fix à ſept
cents habitans , il y a plus de trente centenaires
. >>
Carte exacte& complette du théâtre de la guerre
entre les Turcs , les Rufjes &l'Empereur , ou Carte
de la mer Noire , comprenant la plus grande partie
de l'Empire Ottoman , partie des Etats de l'Empereur
, de la Ruffie & de la Pologne , dreffée par
Dezauche , Géographe.
AParis , chez l'auteur , rue des Noyers.
La famille du ſieur M. L. F. X. L. B.
D. C. , parti le 24 janvier 1787 , le prie
inſtamment, quelque pays qu'il habite , de
donner de ſes nouvelles , foit directement ,
foitindirectement.
Antoine de Malvin de Montazet , Archevêque
& Comtede Lyon , Primat de France , de la
Maifon & Société de Sorbonne , Abbé commesdataire
de l'Abbaye royale de Saint-Victor , &de
celle du Monſtier en Argonne , l'un des 40 de
l'Académie Françoiſe , eſt mort, à Paris , en fon
palais abbatial de S. Victor , le 2 de cemois..
Le Bureau Académique d'Ecriture , à la têre
duquel étoient les Magiſtrats, fes Préſidens, a tenu ,
le17de ce mois, àla BibliothèqueduRoi, fa féance
publique. M. Harger , Secrétaire , l'a ouverte par
la lecture d'un mémoire fervant de réponſe à une
critique de lapartie de l'écriture qui est dans l'ency.
clopédie, & dans laquelle on prétend aſſujétir les
belles écritures à la rigueur des proportions géométriques.
M. Harger a fait fentir la différence
qu'il y a entre le Peintre ou le Sculpteur , dont
Part a pour baſe la nature , & l'Ecrivain qui n'a
a ij
( 4)
à repréſenterque des caractères conventionnels , oà
le principal mérite eſtdans le toucher & dans la
liberté de la main.
M. Bedigis en a lu un ſur les qualités d'un bon
maître d'écriture , & les moyens qu'il doit employer
pour conduire fes élèves à la perfectior.
M. Clément a traité du commerce , de ſes avantages,
de ſes différentes branches , des connoiſſances
néceſſaires au Négociant , & de l'ordre qui doit
régner dans ſes écritures , &c .
M. Saintomer a lu un mémoire fur les torts
que fouffrent les habitans des campagnes , dont
les poffeſſions ne font pas circonfcrites par des
limites , & qui , après des débordemens , ou autres
accidens de la nature , font expoſés , par l'illifibilité
de leurs titres , à perdre partie deleurs héritages.
Il a engagé les Notaires à remédier à ces
inconvéniens en adoptant l'écriture italienne prepofée
dans la dernière Séance au lier de l'écriture
coulée , où il ne faur ſouvent qu'un point ajouté
ou retranché fur un mot pourlui donner un autre
fens.
Meſdemoiselles Vallain & Chatilain ont eu l'honneur
de recevoir chacune une médaille des mains
de Madame de Croſne , que l'amour du bien
public a conduite dans cette aſſemblée.
Après la Séance du Bureau , M. Haiy , Fun
de fes membres , & Inftituteur desAveugles , qui
vient d'imaginerun moyen pour leur faire tracer
des caractères , a fait une très-courte analyſe de
fes moyens , dont la poſſibilité a enfuite été démontrée
par deux aveugles de fon inftitution.
La Société Littéraire de Grenoble propofe au
concours l'Eloge hiſtorique du Connérable de Lefdiguières.
Le prix fera une médaille d'or de la valeur de
300 liv. , qui fera diſtribuée dans la Séance pu
blique du mois de Juin 1789.
(5 )
Cette Compagnie décernera un prix dans fa
Séance publique du mois de février 1989 , fur
la queſtior fuivante: - Quels feroient les moyens
d'extirper& de préven'r désormais la mendicité en
Dauphiné ?- Les Mémoires feront reçusjuſqu'au
1. janvier.
er
Dans 'a même Séance du 12 mars , la Société
a renouvelé l'annonce du prix qu'elle doit décerner
après la S. Jean , l'Elogehistorique du Ch. Ba arda
Les Mémoires feront reçus juſqu'au I '. mai .
PAYS - BAS.
De Bruxeles , le 23 Mai 739.
Lebulletin de Vienne , du , offre plu
fieurs rapports des Généraux des divers
Corps d'armée, rapports trop dénués d'interêt
pour être préſentés dans leurs détails .
En voici la fubfiance":
"Du 20 au 30 Avril , les Tures ort fit
pluſieurs tentatives pour pérétrer dansla Tarsylvanie
du côté du défilé de Terzbourg ;
ma'sis ont été repouſſés , & les poftes près
d'Oradie font toujours occupés par nos troumes.
2
« Le Prince de Tichtenstein a confervé inſqu'ici
la pofition qu'il a priſe après l'affaire de D bitza ,
Les Turcs augmentent en nombre de ce côté ; &
àjuger d'après leurs mouvemens. , ils paroiſſent
projeter une irvafion dans la Croatie, >>
« Le 24 Avril , le acha de Choczim fortit
de cette place avec 3000 hommes , tant d'Infanterie
que de Cavalerie , fe porta du côté de Rohavn
, & vatta wa nos poftes. La réſiſtance fut
fi vigoureuse , qu'l fut obligé de ſe retirer&de
retourner à Chocom, L'ennemi a perdu cette
auj
( 6)
occaſion , à ce qu'on cron, soo hommes, tant
tués que bleſſés. »
« Le corps qui a furpris Jaſſy étoit compofé
du régiment des Huſſards d'Erdoti , d'un bataillon
d'Empereur , Infanterie , & de quatre compagnies
de Sheklers. Le Bojard Cantakuzens
& l'Evêque de Roman font arrivés au quartier
général , & ont demandé la protection de l'Empe.
reur ; ils ont promis de fournir à Sa Majefté un
corps de 6000 Arnautes .- Le Colonel de Fabris ,
qui commandoit ce corps , a enlevé auffi à l'ennemi
un tranſport de 150 chariots chargés de
farine. »
D'après des avis certains du Danube ,
le Grand-Viſir devoit arriver au commencement
de mai à Iſacchia. Le Khan des
Tatars fe porte avec 20,000 hommes du
côté de Bender vers le Pruth, & Ismaël
Pacha s'avance vers Soroko ſur le Nieſter.
« Il n'y aura point d'accommodement, dit une
lettre authentique de Conſtantinople , avant qu'il
fe frappe quelque coup décifif: jamais les Turcs
n'ont été plus animés. I's ont déjà publié divers
avantages fur les Impériaux ; mais au lieu d'y ajouter
foi, nous imaginons , &nous sommesforcés de
croire que c'est une rufe pour encourager le peuple à
s'enrôler de bonne volonté. Des corps de troupes
nombreux , comme de votre temps , arrivent &
partent journellement. Le Vifir eſt enfin parti le
18 : les Ambaſſadeurs ont été fouhaiter un bon
voyage & toute forte de fuccès à S. E. On ne
peut rien voir de p'us impoſant & de plus riche
que ſes tentes , fes armes , ſes équipages & fes
gardes. Sa maifon eſt de 6000 hommes , & fa
caiſſe militaire très- conſidérable. »
Voici l'extrait d'une autre lettre parti
( 7 )
10 culière plus détaillée , en date de Conſtantinople
, du 30 avril.
•Lundi 17, leGrand-Viſir fortit de cette capitale
avec ſa nombreuſe ſuite. On avoit déjà été prévenu
, vers la fin de la ſemaine dernière , de fon
départ , par l'avis que ſes tentes avoient été.drefſées
à trois lieues de la ville. Le ſamedi ſuivant ,
une partie de ſes domeſtiques ſe rendit en cer endroit
pour l'y attendre , & le ſur-lendemain il
campa. Le 18 , il reçut la viſite d'un grand nombredeperſonnes
de diſtinction , ainſi que lesjours
ſuivans. On dit que la nuit du 19& même dans
la journée du 21 , il a été incognito en ville , afin
d'arranger pluſieurs affaires avec Sa Hauteſſe , qui
continue à lui donner les marques de la plus grande
confiance. Le 26 , il eſt parti pour le Danube. Il
ira d'abord à Andrinople , où il compte s'arrêter
ſeulement 3 jours , & gagnera Philippopoli par
une marche de8 jours ; il y ſéjournera48 heures ,
&emploiera 6 autres jours de marche pour ſe
rendre de-là à Sophie , & autant pour ſe porterà
Niſſa , ne s'arrêtant que deux jours dans chacune
des deux dernières villes. C'eſt à Niſſa que ce Miniſtre
réunira toutes les parties de fon armée , ee
qui pourra employer 8 ou 10 jours , & en 15 il
ſe rendra de- là à Belgrade. Si cet itinéraire eſt
exact, le Grand-Viſir ſera à ſa deſtination vers le
20 du mois de mí. La feconde divifion de la
flotte du Capitan-Pacha en auffi fortie de notre
port, & elle mouille actuellement à Bujukderé ,
prête à faire voile au premier vent.>>
La mort du Prétendant ayant reporté
rattention publique fur ce Prince , oublié
depuis ſes anciennes, infortunes
ayons , à diverſes repriſes ,préſenté à n
، nous
( 8 )
;
Lecteurs quelques particularités à ce fur
jet; mais aucunes ne font peut-être autli
étranges que celles dont nous allons faire
part au Public. Elles ſe trouvent dans
une lettre parfaitement authentique du
célèbre Hume au Chevalier Pringle ,
mort Prefident de la Société Royale de
Londres . Le Rédacteur de ce Journal la
donne avec d'autant plus de confiance ,
qu'il a lui-même entendu Milord Maréchal
& Milord Elcho , Comte de Weymiff, tous
deux martyrs de la caufe des Stuarts ,
confirmer les jugemens & les anecdotes
que l'on va lire. Nous nous sommes permis
feulement de retrancher de l'original
Anglois quelques traits trop injurieux à la
mémoire du Prétendant.
Nettrede feu DAVID HUME , à feu Sir Joht
Pringle, Docteur en Médecine, Saint-Andrew's
Square, Edinburgh , Feb. 10 , 1773-
>> Mon cher Monfieur ,
certaine. -
« Que le Prétendant fût à Londres en 1753 .
c'eſt cedont je fuis parfaitement für ; je le tiens
deMilordMaréchal, qui m'a dit le favoir de ſcience
Deux ou trois jours après m'avoir
inform é de ce fait , il m'apprit que la furveille ,
uneDame que j'imaginai être Lady Primrose
quoique Milord refufât de me la nommer , l'avoit
inftruit de plufieurs particularités curieuſes relatives
à ce voyage. Le Prétendant vint chez elle le
'oir, fans la préparer à ſa viſite par aucun avis ,
entra dans, l'appartement où elle avoit grand
,
( 9 )
cercle ; elle-même étoit au jeu ; il ſe fit annoncer
fous un nom étranger : à ſon apparition , elle
penſa laiſſer tomber ſes cartes de ſurpriſe ; mais
elleeut affez de préſence d'eſprit pour lui adreſſer
la parole& lui demander , en employant le nom
qu'il avoit choiſi , depuis quand il étoit en Angleterre,
& combien il comptoit y reſter . Après
qu'il ſe fut retiré , ainſi que toute la Compagnie ,
les Domestiques remarquèrent avec étonnement
combien ce Seigneur étranger reſſembloit au portraitdu
Prince, fuſpendu au-deſſus de la cheminéedu
fallonmêmedans lequel il étoit entré. MilordMaréchal
ajouta , (toujours , je penſe , d'après l'autorité
de lamêmeDame) que Charles-Edouard prit fi peu
deprécaution , qu'on le vit paroître dans les rues
en plein jour, vêtu à ſon ordinaire , excepté qu'il
avoit quitté le cordon bleu & l'étoile de la Jarretière
; il ſe promena même dans le parc Saint-
James , & fit un tour dans le mail . »
Je fis part de cette hiſtoire , il y a environ cinq
ans , à Lord Holderness , qui étoit Secrétaire d'Etat
en 1753 , en ajoutant qu'à mon opinion, cette
anecdote fingulière n'étoit pas venue à ſa connoiffance
dans le temps. « Vous vous trompez , me
>> répondit-il , je la ſavois ; & qui croyez - vous
» qui m'en aitdonné la première nouvelle ? Le Roi
» lui-même!- Qui , le Roi, qui ajoutaces propres
» mots : « Eh bien , Milord , comment pensez-vous
» que j'en agirai àfon égard ? » Lord Holderness
m'avoua que la réponſe lui avoit paru d'autant
plus embarraffante, qu'il avoit craint que l'expreffion
de ſes ſentimens réels ne ſemblat annoncer
de l'indifférence pour les intérêts de la Famille
Royale ; le Roi s'apercevant de fon embarras ,
l'en tira , en diſant: " Vous ne savez pas ce queje
» ferai , Milord ? Rien du tout. Quand il se trou-
» vera las d'être enAngleterre, ils'en ira. » Je penfe
( 12 )
une excellente qualité,&faire ſon éloge; en effet,
tous deux avoient coutume de ſe moquer de ce
qu'ils appeloient ma manière étroite de penſer ſur
ce chapitre. J'espère, mon cher John, que vous me
faites la grace de me rendrejustice à cet égard, n
>>Je ne doute pas que ces détails ne paroiffent
très-curieux à Milord Hardwicke , auquel je vous
prie de préſenter mes reſpects ;je crois qu'il regardera
ce mêlange inoui d'audace & de timidité
dans le même caractère , comme une des plus
grandes fingularités morales. »
Je ſuis , &c.
DAVID HUME. A
Paragraphes extraits des Papiers Anglois
& autres Feuilles publiques.
On contredit à préſent l'avis que M. deBul
gakow, Miniſtre deRuffie, avoit été remis en lberté;
on aſſure qu'il ſe trouve encore au château
desSept-Tours , & que fon élargiſſement eft encore
fort douteux.
On aſſure que la Porte a envoyéordre à l'armée
de traiter avec ménagement les prifonniers
de guerre, & de les échanger quand l'occafion
s'en préſentesa. ( Gazette d'Amsterdam , n°. 40. )
N. B. ( Nous ne garantiſſons la vérité ni l'exafli
tude desParagraphesci-deſſus).
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES;
د
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux évènemens de
toutes les Cours ; les Pièces Fugitives nouvelles
en vers & en prose; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions &Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Specracles;
les Causes célèbres ; les: Académies de
Paris &des Provinces ; la Notice des Édits ,
Arrêts ; les Avis particuliers , &c. &c.
SAMEDI 7 JUIN 1788 .
A PARIS,
Au Bureau du Mercure , Hôtel de Thou ;
rue des Poitevins , Nº. 18 .
Avet Approbation , & Brevet du Roi. :
TABLE
Du mois de Mai 1788.
PIECES FUGITIVES . Discours fur l'amour de
Nes.
la Patrie.
3 Mistoire.
L'Are & la Rose, Fable, 49 Herbert.
151
162
172
97 Léziga ion Philofophique . 201
99 Alanuel de la Jeunesse
Pers.
Hoitotre d'Okano .
Ife io ions. 145
Françoije.
211
M. Imbert. 146 Lettres. 213
Fire. 191
Académie Françaiſe. 173
Charades , Enigmes & Logogr
. 4, 116 , 147 , 190 Καντéτές, 35.74.226.
NOUVELLES LITTÉR .
Rolandfurieux.
Notices
SPECTACLES.
Academ. Roy. de Maf 84
Tere, Tragélie.
L'oyage en Corfe.
31
54 Corvédie Italienne. 37. 180,
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Grammaire Latine.
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135
138 121 , -150
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des Mathurins , Hôtel de Cluni,
MERCURE
DEFRANCE.
مل
SAMEDI 7 JUIN 1788.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉLÉGIE.
Imitation de Pétrarque.
vous qui , dans mes vers , ſemblez encore cu
tendre
Le ſon de mes ſoupirs , de ces ſoupirs brûlans ,
Aliment de mon coeur dans un âge plus tendre ;
Si vous avez connu l'amour & ſes tourmens ,
Vous devez pardonner mes plaintes , mes alarmes ,
Et mes vaines douleurs & mes frivoles larmes .
Que dis-je ? à mon deſtin vous donnerez des pleurs;
Le trouble de mon ſtyle ira juſqu'à votre ame ;
A 2
MERCURE
L'amour , qui de ma vie a fait tous les malkcurs ,
L'amour excufera mon délire & ma flamine.
Hélas ! je l'avoûrai , d'un tendre ſouvenir ,
Dans l'hiver de mes ans en vainje veux rougir ;
Le coeur ne vicillit point : plus calme & plus paifible
,
Je n'ai point de regrets d'avoir éré ſenſible.
Le temps, qui détruit tout, ne peut rien ſur l'amour;
Laure, il flétrit les lis du plus charmant viſage;
L'éclat de tes beaux yeux doit s'affoiblir un jour ;
Mais jamais dans mon coeur ton immortelle image
Ne perdra ſa fraîcheur , ſes graces , ſes attraits.
Le coeur de ton Amant , abri de ta jeuneſſe ,
Te fera triompher du temps & deſes traits ;
Ce n'eſt que pour les ſens qu'exiſte la vieilleſſe.
(Par M. Le Meteyer , Secrét, du Roi. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
Lemot de la Charade eſt Pancarte; celui
de l'Enigme est la Question ; celui du Logogriphe
eſt Pauvreté, où l'on trouve Père,
Eve, Rat , Revue , Rave , Eté , Vapeur ,
Veau, Ver, Trève, Ut,Ré, Taupe, Pavé.
DE FRANCE.
s
CHARADE & LOGOGRIPHE.
LAfeconde enrichit , & le premier dévore :
Entière on me détruit ; combinée , on m'adore.
( Par l'Auteur du MANUEL DES OISIFS. )
ÉNIGME.
Sans m'enquérir de rien , j'oblige & déſoblige ,
Lecteur , les naturels comme les étrangers ;
Sans avoir de l'eſprit , leurs défauts je corrige ,
Et ne flatte non plus les Rois que les Bergers ;
J'injurie un chacun fans le mettre en colère ;
Je me détruis mol méme en me multipliant ;
Je montre aux férieux une face lévère ,
Et rounds à qui me rit un viſage riant ;
Je ne sçaurois parler, & pourtant je confeille ;
Je reçois toute choſe &je ne garde rien ;
On peut m'injurier , car je n'ai point d'oreille ,
Et prends d'un front égal & le mal & le bien.
Je rejette auſſi-tôt tout ce qu'on me préſente;
Mabeauté ſe ternit par les moindres vapeurs ;
Jamais Caméléon n'eut l'humeur fi changeante ,
Car en un feul moment je prends mille couleurs.
Ce que je n'eas jamais, à charumje le montre ;
On croit voir quelque chofe, & ce n'estque du vent.
Ceux qui font imparfaits évitert ma rencontre ,
Et ceux qui s'aiment bien me vificent fouvent.
A3
6 MERCURE
Mieux qu'unPeintre excellent je forme unepeinture;
Enunmomentje fais quantité de tableaux ,
Qui ſeuls ont te pouvoir d'égaler la Nature
Sans employer crayon, ni couleurs , ni pinceaux.
On me craint en cent lieux de la machine ronde ;
Auxplus fuperbes coeursje fais donner la loi ;
Ils font ce que je veux , & la moitié du monde ,
Pour l'autre afſujettir , ne ſe ſert que de moi .
On m'aime , on me chérit en cent lieux de la terre ,
On m'y révère ainſi qu'une Divinité ;
Les plus rares tréſors, qu'en ſes flancs elle enferre,
N'y font rien eftimés au prix de ma beauté.
Mais parmi cet amas de tant de belles chofes
Qui charment les eſprits & donnent de l'amour ,
Mondeftin eft commun avec celui des rofes ,
Ma beauté quelquefois ne dure qu'un ſeul jour ;
Mais ſouvent je vis plus que ceux qui m'ont fait
nafire.
Objet rarc & charmant que je fers tous les jours ,
Aiguiſez votre eſprit , faites-le nous paroître ;
Devinez qui je ſuis par cet obfcur difcours.
(Par M. Guérin , Maître d'Ecriture, &
Prof. d'Arith. à Valenſolle en Provence.)
LOGOGRIPHΕ.
MONARQUES de laTerre , illuftres Conquérans ,
Vous tous ambitieux , qui , jaloux de la gloire ,
DE FRANCE.
Désirez une place au Temple de Mémoire ,
Par moi vos noins fameux triompheront des temps
Et vous , jeunes François , coutez à la victoire ,
Sans craindre le péril affrontez le trépas ;
Par moi tous vos exploits, conſacrés dans l'Histoire ,
Exciteront vos fils à voler fur vos pas .
La vérité toujours doit être ma compagne.
Je ſuis , ami Lecteur , facile à deviner;
Mais attends , & voyons fi tu fais combiner .
Treuve dans mes neufpieds unfleuve d'Allemagne )
Le Chef de ton pays , jaloux de ton bonheur ;
Le titre qu'on lui donne en place de Monfieur ;
Ce qu'on lui fait à Reims ; le ſiége qu'il occure ;
Et comment on appelle un homme ſouvent dupe 1
Un fel ; un temps pafie ; deux notes ; un métal ,
Etle fruit précieux d'un petit animal;
Le nom de ce Miniſtre aimé tant dans la France ,
Dont on cite par-tout le zèle & la prudence ;
Une fleur ; un oiſeau; ce qu'il faut par trois fois
Pour compofer men tout ; & le Dieu des Chineis
Le nom de ce vieillard , l'Oracle de la Grèce ;
Ce pain mystérieux qu'on conſacre à la Mefle;
Un nombre ; une couleur ; ce que tout Capucin
Doit avoir dans ſa bourſe; un fleuve de la France ;
La ville de Priam ; l'oppofé du matin;
Ce que la tendre bouche a profé dans l'enfance.
Il eſt temps de finir, crainte de t'enauyer ;
C'eſt ſouvent le défaut des gens de mon métier.
( ParM. de Bourrienne, de Sens . )
A 4
8 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
THÉATRE de Sophocle , tradit in
entier , avec des Remarques & un examen
de chaque Pièce ; précédé d'un
Discours fur les difficultés qui se encontrent
dans la Traduction des Poëtes
Tragiques Grecs , & d'une Vie de Sophocles
par M. DE ROCHEFORT , de
l'Académie des Infcriptions & Belles-
Lettres. A Paris , chez Nyon l'aîné
& Fils , rue du Jardinet. Deux Volumes
in-8° . , papier ordinaire , veau écaille ,
filets , 12 liv.; grandpap. , veau écaille,
: filets , 24 liv. ;.2 Volumes in 4. papier
vélin , veau écaille , filets , 43 liv. :
Nous poffedions dans notre Langue
trois Tragédies de Sophocle , données par
le P. Brunoy , Traducteur plus élégant que
fidèle , & trop peu favant dans la Langue
de fon Auteur. ' ous avions l'Edipe koi,
traduit par Boivin & Da.ier. M. Dupuy,
dont l'Europe ſavante connait l'éruditisn ,
+
1
DE FRANCE.
avõit traduit les quatre Pièces dont Brumoy
s'étoit contenté de faire l'extrait. Une nouvelle
Traduction de ces quatre Tragédies
a été inférée dans la dernière édition du
Théatre des Grecs. Mais les perſonnes qui
veulent connoître le Prince des Tragiques
Gress , le Poëte de l'Antiquité , à qui le
fuffrage des meilleurs Juges accorde la première
palme après Homère , devoient-elles
ére fansfaites de ne pouvoir ſe procurer
que quelques- unes de ſes Pièces détachées,
ou d'être obligles de chercher les autres
dans un Recueil avec celles d'Eſchyle ,
d'Euripide & d'Aristophane ? Que diroiton,
ti l'on ne pouvoit acheter les OEuvres
de Corneille qu'avec celles de Molière ,
on le Théatre de Racine qu'avec celui de
Regnard?
Il étoit donc à défiret que ce qui nous
refte des Pièces de Sophocle , raiſemblé par
une feule main, fit traduit par un Interprète
affez habile pour prêter notre Langue
à l'un des hommes qui a le mieux parlé
la plus belle des Langues ; pour lui conferver
au moins une grande partie de fes
beautés , en le forçant à parler un idiome
erranger & bien inférieur an fien : entreprife
difficile fans doute , & dans laquelle
le faccès ne peut être complet ; forre
d'exercice où le but eft placé à une dif
tance qu'il eſt impoſſible d'atteindre , &
où celui qui en a le plus approché mérite
les honneurs du prix. La première diffi-
A
10 MERCURE
culté , qui n'eſt aſſurément pas la ſeule ,
eft de rendre dans une Langue timide &
peu abondante , tout ce qu'un homme de
génie a exprimé dans une Langue riche &
hardie ; comme ſi l'on vouloit renfermer
dans un petit vaſe toute la liqueur contenue
dans un grand vaiſſeau.
Un Athlète exercé pouvoit ſeul hafarder,
fans trop de préſomption , cette lutte inégale.
Mais fi le Public avoit dû confier à
un Traducteur de ſon choix cette entrepriſe
hardie , n'auroit - il pas choiſi , ou
nommé du moins entre ceux qui devoient
balancer fon fuffrage, un Ecrivain qu'il connoît
& qu'il eſtime , celui quia prouvé par
ſa Traduction en vers des Poemes d'Homère
, qu'il s'eſt long-temps exercé à connoître
la Langue poétique des Grecs ; à
mentir en quelque forte affez adroitement
à ſes Lecteurs , pour paroître trouver dans
une Langue très-bornée, toutes les reſſources
d'une Langue qui connoît à peine des
bornes ; à faire ſuppléer l'image àl'image ,
le fentiment au ſentiment , quand il ne
pouvoit oppofer l'expreffion à l'expreffion ;
à renfermer enfin dans un ſtyle meſuré, des
idées qui n'étoient pas les fiennes, & qu'il
ſembloit avoir conçues lui-même , puiſqu'il
les exprunoit avec netteté : Ce que l'on
concoit bien s'énonce clairement .
Il s'en faut bien , il est vrai , que l'in- .
relligence des Poëmes d'Homère ſuppoſe
une intelligence facile des Tragédies de
DE FRANCE. 11
Sophocle. Le ſtyle de ces deux Poëtes eft
bien différent , leur Langue n'eſt en quelque
forte pas la même ; & les Cantiques
qui compofent en grande partie les choeurs,
ces Cantiques remplis des figures les plus
hardies que puifle ſe permettre la Poétic
Dithyrambique & Orientale , font loin d'avoir
la clarté du récit & des harangues
d'Homère , qui eſt toujours fimple , meme
lorſqu'il eſt fublime. Mais on ne peut fuppoſer
qu'un homme qui a dû taire une
étude profonde d'Homère , n'ait étudié que
cet Auteur , & qu'il n'y ait pas joint unve
lecture réfléchie des Tragiques , pour les
faire fervir, en quelque forte, de Commentateurs
au Prince des Poëtes . On avouera
d'ailleurs que l'étude d'Homère eſt dů
moins une excellente,préparation à celle
des autres Poëtes de la Grèce.
On ne rendroit qu'une juſtice imparfaire
à M. de Rochefort, ſi l'on ſe bornoit à le
conſidérer uniquement comme Traducteur.
Quelque degré d'eſtime qu'il mérite en
cette qualité , il doit en obtenir davantage
en qualité d'Auteur qui penſe avec juſteſle,
& qui , des richeſſes de l'érudition , fait
créer des richeſſes nouvelles qui lui font
propres. On a reconnu le mérite des obſervations
qui accompagnent fa Traduction
d'Homère ; on ne lira pas avec moins d'inttérêt
celles qui précèdent fa Traduction de
Sophocle , & les examens qu'il a faits des
différentes Pièces de ce Poëte.
A6
12 MERCURE
Les Modernes ,& fur-tout les François,
ont allez genéralement établi pour fin de
laTragédie , la punition du crime & la récompenfe
de la vertu , & ils ont cru que
ce principe avoit été celui des Anciens. M.
de Rochefort a recomu que les Grecs ne
l'avoient pas toujours ſuivi , &: il a décou
vert qu'ils ſe propofoient une fin bien plus
importante , & fur-tout bien mieux adaptée
à leur fituation. Ce but de l'Art tragique
des Grecs étoit d'offiir aux Ciroyens
aſſemblés le tableau des grandes révolutions
de la vie humaine , & de leur apprendre
à les prévoir & à les ſupporter. On a dit
qu'ils repréſentoient les fantes & les malheurs
des Rois , pour plaire à un Peuple
ennemi des Rois ; difons plutôt qu'ils choi
fiffoient , pour les montrer dans le malheur,
les hommes les plus élevés au detlins des
autres , afin de mieux prouver qu'il n'eſt
aucune fortune à l'abri des grands revers.
ود
> On ne trouve point fans doute , dit M.
de Rochefort , dans les Tragédies de So-
>> phecle, ces émotions délicieufes & amolliffantes
qui font le charme d'une partic "
-2"
ود
ود
de la vie , & fouvent le regret de l'au-
> tre ; mais on y trouve ce qui eft urile à
>>la jevnefle , à la maturité de l'age , à la
vieilleffe ; on y trouve , dis-je, cetre vigueur
de ſentimens qui n'eſt point exa-
>>gérée , & qui appartient à tous les hom-
>> mes, qui convient à tous les remps , &
» qui ſeule conſtitue une ame libre, indéDE
FRANCE.
13
* peudante & forre. On y trouve un en-
> teignement continuel de l'intabilité de
ود la fortune , des maux qui ailiegen: Thur
manité , des grandes révolutions auxe
>> queiles les Rois ſont ſujets comme les
>>> autres hommes. Est - ce donc un mal
>> qu'on n'y rencontre pas , comme dans
>> les nôtres , ce bonheur idéal qui n'exiſte
» qu'un moment, qui oft fobiet des fou-
» pirs de deux êtres palliontes , & dont
» Tanage trompeuſe ſednit trop aitement
>> les jeunes gens des deux sexes , qui ,
>> fans expérience , jugent le monde par le
The the: Pourquoi , parvenus à un cerr
tain âge , les hommes réfléchis ſe dégoû
tent - ils du Spectacle , de celui même
>> qui ſemble en apparence le plus digne
- de leur raifon ? C'est qu'ils n'y trouvent
ود
»
que trop des fentimens qu'ils n'ont plus,
» & qui leur font devenus comme étrangers,
& qu'ils n'y rencontrent point ceux
qui kur importent davantage , ou qui
leur font plus familiers .
ود
ود
ود
ود
Les Grecs avoient plas beſoin que
>>>neas de ſe familiarifer avec les révolu-
» tious de la vie humaine. Les guerres
>> cruelles auxque les is érolent expofés ,
ود &dont les fuites entrainoient fouvent
>>le ravage de leur Patrie, la mort , ou la
" fervitude pire que le trepas, ne leur per-.
>> mettoient pas de vivre dans cette indo-
ود lence où nous fommes entretenus dans
>>la tranquillité de nos villes.
14 MERCURE
1
ود
ود
ود
ود
» Sur - tout pendant la guerre du Péloponnèſe
, le Citoyen de la condition la
,, plus relevée , la plus opulente , la plus
heureuſe famille ne pouvoit ſe flatter de
vivre & de mourir tranquillement au
ſein de ſes foyers , & de ne pas tomber
>> du ſein de la poſpérité dans les humiliations
de la ſervitude. Il falloit donc fortifier
les Athéniens contre de fi terribles
révolutions ; il falloit les inſtruire en les
» amusant , & ce beſoin étoit fi grand pour
» eux , qu'au milieu des calamités de la
>> guerre, les fonds deftinés à entretenir la
>> magnificence des Spectacles ne pouvoient,
ſous peine de la vie, être détournés de
leur deſtination pour être employés au
falut de l'Erat ".
ود
ود
ود
"
ود
ود
Cette dernière obſervation est impor
tante ; elle répond aux Politiques modernes
, qui n'ont vu que la frivolité desAthéniens
dans la Loi qu'ils portèrent pour affurer
l'entretien de leurs Spectacles . Cette
Loi , contre laquelle on a ſi violemment
déclamé , faute d'en avoir pénétré l'eſprit ,
étoit d'une politique profonde. Le premier
moyen que les Chefs de la République devoient
employer pour ſauver la Patrie ,
c'étoit de veiller au maintien des Spectacles,
parce que c'étoient les Spectacles qui inſpiroient
aux Citoyens les ſentimens néceffaires
pour braver le danger des armes.
Comme, parmi nous il eſt effentiel d'exercer
les corps des Guerriers avant de les
DE FRANCE.
15
envoyer aux combats , il l'étoit chez eux
d'exercer leurs ames par le ſpectacle des
Tragédies.
C'étoit fur-tout en repréſentant les hommes
ſoumis à des décrets immuables des
Dieux , à des arrêts impénétrables des Deftinées
, que les Anciens armoient le Peuple
contre tous les dangers de la guerre &
toutes les vicinitudes de la fortune. Les
actions de toutes les Tragédies de Sophocle,
les maximes qu'il y a répandues , tout ſe
rapportoit à cette idée afligeante , mais
capable de contraindre les Spectateurs à la
réfignation . Le Choeur terminoit la Tragédie
d'Edipe Roi, en chantant : » Regardez ,
>> ô Athéniens ! regardez ; le voilà cet
>> Edipe qui pénétroit le ſens des énig-
» mes les plus difficiles , & qui , parvenu
>> au faite du pouvoir , ne conſidéroit ni
" l'envie de ſes concitoyens , ni les révo-
>> lutions de la fortune : voyez dans quel
océan de maux il eſt tombé. Apprenez
à fixer vos regards vers les derniers jours
de la vie , & à ne donner à aucun
mortel le titre d'heureux avant qu'il ait
achevé ſa carrière ſans avoir éprouvé
d'infortune “ .
ود
ود
ود
ود
در
23
C'eſt par cette même maxime qu'Hérodote
attribue à Solon , que commence la
Tragédie des Trachiniennes , Pièce dont le
Héros offre un exemple d'autant plus frappant
, qu'il eſt fils du Maître des Dieux ,
que ſa vie eſt ſemée de travaux & de malheurs
, & que fa mort eft affreufe .
16 MERCURE
Dien des difficultés , comme l'obſerve M.
de Rochefort, environnent un Traducteur
des Tragiques Grecs : à celles du travail ,
ſe joignent celles de réunir auprès des Lectears.
Les gens da Monde , & même les
gens de Lettres qui ne favent pas la Langue
de l'original , ont entendu célébrer le ſtyle
du Poëte dont on leur offre une Traduction
, & ils veulent trouver dans cette
Traduction tous les charmes de l'idée qu'ils
ſe font faite. Sans prendre la peine de fe
tranſporter dans le pays & le siècle de l'Auteur
, d'en adopter , pour le temps de leur
lecture , les moeurs & les idées , ils accufent
14 Traducteur de tout ce qui ne fçaroit
plaire à des gens qui ne peuvent fe
dépouiller un inftant des moeurs & des idé.s
franço fes. On voit que c'eſt la claife des
Nobles qui a éte pumi 'nous Paroire de
la Langue. Il n'y a de anos nobles que ceux
qui font à l'afage de cette Noblelle oifive
ou guemère. Mais ch z les Grecs, tout ce
qui étoit utile étoit noble; & pailija'on ne
peut les traduire avec précifin qu'en re
dilant tout ce qu'ils ont dit, il faut done
employer des termes & des idées qui man
quent pour nous de nobl ffe , & qui n'en
manquoient pas pour eux.
10
Les noms de boeuf, du porc , de l'âne ,
entroient dans leur poéfie épique : ils tiroient
leurs comparadons de lindaſtrie du
Bûcheron , du Charron , du Jardinier. Les
Héros , les Rois , preparoient eux - mêmes
1
DE FRANCE.
17
leurs repas , dépeçoient eux-mêmes les
animaux , en faifoient eux mêmes cuire les
chairs ; tous les termes que nous abandonnons
avec dedain aux Bouchers , aux Cuifiniers
, adx harcuriers , étoient done nobles
dans leur Langue, Les moeurs étoient
bien plus voirines de la Nature que les
nôtres , & le ſtyle étoit comme les moeurs.
Il eſt timple dans Homère ; il l'eſt preſque
toujours dans le dialogue des Poëtes tragiques
, le langage y eit ſouvent bien plus
familier que dans ce que nous nous fomavifés
d'appeler lahaute Comédie(1) .
Si , pour contenter notre délicateffe , un
'Interprète ne traduit pas cette familiarité ;
6 , après s'être élevé avec fon Auteur , il
craint de defendre avec lui , il eſt infidèle ,
& fe rend coupable du plus condannable
des contre-fens , celui de rendre un ſtyle
par un aure ftyle. Mais s'il prête au Tragique.
Grec un ſtyle que nous avons rejeté
mes
( 1) On peut voir , entre autres , un exemple
de cette familiarité , Tome II , pag. 31 & fuiv. ;
mais il faut attribuer aux Copiates , & non au
Poëte, l'infolence in vraiſe...blable de Lickas . Tout
ce qu'on fait prononcer à Déjanire dars les édi
ticus & les Traductions , depuis cos mots , Lichi5,
regardez-moi , juſqu'à la fin de la page 35 , doir
éere dins la bouche du Meiſager. Cette correction
certaire& réceffaire eft deM. Tyiwin , & a été ,
adeptée par M. Bran.k. C'est une ſcène du même
geure que celle de l'Edipe Roi , entre le vieux
Domefique S: le Moufager.
18 MERCURE
-
1
de notre Tragédie , il fera condamné de
tous ceux des Lecteurs qui ne peuvent approuver
ce qui s'écarte de nos uſages. Il
aura donc plus de peine à obtenir la juſtice
qu'il mérite ; mais il doit ſe conſoler; parce
qu'il a rempli ſon devoir. Le Traducteur
qui ſe contente d'imiter au lieu de traduire,
ne fait que nous inftruire imparfaitement ;
il nous égare même , puiſque le langage
eſt l'expreſſion des moeurs & du coſtume ,
& qu'en changeant ce langage , il tranf
forme les moeurs & le coftume des Grecs
en un coftume & des moeurs différentes. 11
jouira quelque temps d'une réputation qu'il
ne devra qu'à l'ignorance de fes Lecteurs ,
& qu'il perdra quand ils feront mieux inftruits.
A ne confidérer même qu'à cet égard la
Traduction de M. de Rochefort , elle eft
préférable à l'élégante imitation du P. Brumoy
: elle l'eſt encore , parce que le ſavant
Académicien , avec l'intention de fe moins
écarter de fon original , en a aufli une plus
grande intelligence , & qu'il a profité des
travaux de ſavans Editeurs que le P. Brumoy
n'a pu connoître. Ce n'eſt que depuis
un petit nombre d'années queM. de Vauvilliers
a mis au jour ſon édition de Sophocle ,
dans laquelle il a tantôt rectifié des leçons
fautives , & tantôt éclairci des pallages difficiles
. M. de Rochefort n'avoitpas encore
fini fon travail , quand a paru la belle édi
tion de M. Brunck , Critique d'une vaſte
DE FRANCE. 19
érudition & d'une étonnante ſagacité , familier
avec toutes les formes de la Langite
des Grecs , avec tous les rhythmes de leur
poélie , & devant qui ſe diſflipent les ténèbres
que les Copiſtes , les Scholiaftes , les
Editeurs avoient répandues ſur les plus
précieux monumens de l'Antiquité.
Les bornes de cet extrait ne nous permettent
qu'une courte citation. Nous la
prenons au hafard dans la Tragédie des
Trachiniennes. Lichas amène à Déjanire
les prifonnières faites par ſon époux , & ,
entre elles , la jeune Iole qu'elle ne connoît
pas encore pour ſa rivale. Déjanire s'attendrit
à la vue de cette Princeſſe infortunée
, qui , ſans le vouloir , lui a ravi le
coeur d'Hereule.
>>Je dois fans doute me réjouir , dit- elle ,
>> quand mon époux est heureux. Cepen-
>> dant il eſt de la prudence de craindre
que l'infortune ne ſuive la proſpérité.
» O mes amies ! une vive pitié s'empare
» de moi à la vue de ces captives infor-
>> tunées , tranſportées loin de leur famille
» & de leur patrie , dans une terre étran-
>> gère , libres autrefois & maintenant eſcla-
>> ves . O toi qui préſides aux revers des
» mortels , ô Jupiter ! puiffé je ne te voir
> jamais approcher ainſi de mes enfans ; ou
" ſi tu les frappes , que ce ne foit du moins
» qu'après que j'aurai perdu la vie ! Quelles
>> craintes la vue de ces captives n'a telle
ود
pas excitées en mon coeur ! Infortunée !
20 MERCURE
>> ( elle s'adreſſe à Iole ) , qui êtes -vous ?
>> êtes-vous encore fans époux ? êtes-vous
>> mère : Si j'en juge par votre air, Thymen
30 vous eft inconnu ; mais vous êtes d'un
>>fang noble . Lichas , quelle eſt cette étran-
>> gère ? A quals parens doirelle le jour ?
>> Parlez , c'eſt entre ces Captives celle que
» je plains davantage , en voyant combien
elle ſe diftingue de ſes compagnes par le
fenti nene qu'elle paroîtavoir de fes maux.
ود
"
LICHAS . Que ne demandez vous , Ma-
>> dame , & que puis -je vous dire ? Il eſt
vraiſemblable qu'elle n'eſt pas d'un feng
> obfcur.
رد
2
DÉJANIRE..>> Seroit-elle de la race des
Rois ? feroit- ce une fille d'Eurytus ?
LICHAS. » Je l'ignore ; je me fuis per
>>informé de.ce qui la regardoit.
DÉJANIRE. » Quoi ! vous n'avez pas
même appris par ſes compagnes quel eft
>> fon nom?
33
LICHAS. En aucune manière. J'ai rem-
>> pli mon devoir en filence.
23
وو
DÉJANIRE à Iole. » Infortunée , parlez
donc vous-même, puiſque c'eſt un malheur
pour moi d'ignorer qui vous étes.
LICHAS. » Rien ne pourra l'engager à
>>parler plus qu'elle n'a fait encore. Elle n'a
>> pas proféré un ſeul mot depuis qu'elle
DE FRANCE 21
*
a quitté ſa malheureuſe patrie; mais gé-
>>miflante ſous le poids de ſes douleurs ,
>>l'infortunée ne celle de verſer des larmes.
" Son obſtination eſt ſans doute un tort ,
• mais il eſt bien pardonnable.
:
DÉJANIRE. " Eh bien , ceſſons de la
>> contraindre, & qu'à fon gré elle ſe retire
» dans ce palais : n'ajoutons pas des peines
» nouvelles aux peines qu'elle éprouve ;
» c'eſt allez de ce qu'elle a ſouffert " .
La Traduction de M. de Rochefort , généralement
fidelle & précite , peut fervir
de Livre claſſique aux perſonnes qui , médiocrement
avancées dans la connoillance
de la Langue Grecque , voudront lire Sophocle
: comme notre Langue exige toujours
la plus grande clarté, elles vaincront
plus ailément bien des difficultés de l'Autour,
qu'avec le ſecours des Scholiaftes, des
Annorateurs , & des Traductions littérales
en Langue Latine , qu'on ne peut bien entendre
ſi l'on n'entend pas au moins pallablement
le grec.
22 MERCURE
1
1
by
SUITE des Eloges lus dans les Séances
publiques de la Société Royale de Médecine
, par M. VICQ - D'AZYR , Secrétaire
Perpétuel de la Société , &c. VIe.
Cahier.
PEU de réputations Littéraires ont été
en croiffant aulli rapidement & aufli conftamment
que celle de M. Vicq - d'Azyra
chaque nouveau Volume de ſes Eloges."Il
ne manque peut-être à cette réputation que
d'être fondée ſur des objets dont le Public
s'occupe davantage & avec plus de plaifir .
Ce n'eft pas cependant le mérite de l'utilité
qui manque à ces objets ; mais les
objets les plus utiles ne font pas toujours
les plus recherchés , l'agrément eſt plus a
l'uſage & à la portée de la multitude ; M.
Vicq-d'Azyr en répand beaucoup fur toutes
les matières qu'il traite , mais il ne peut pas
les dénaturers la Médecine & toutes les
Sciences qui en dépendent , outre l'inconvénient
qu'elles ont de rappeler des idées
lugubres & de préſenter fans ceſſe le tableau
des mifères humaines, n'ont d'ailleurs
d'attraits que pour un petit nombre d'initiés
; la foule ne s'y livre pas , & s'en rapporte
à ceux qui s'y livrent. Il eſt pourtant
vrai , comme le dit M. Vicq- d'Azyr , qu'en
général le goût des Sciences , même les
DE FRANCE. 23
plus auftères , eſt beaucoup plus répandu
qu'il ne l'étoit autrefois , il est vrai encore
qu'on commence à eftimer les chofes en
proportion de leur utilité ; mais nous n'en
fommes pas encore au point que la réputation
des talens dans les genres utiles
ait aurant d'éclat & d'étendue que dans les
genres agréables .
L'eſtime des Savans , des Gens de Lettres
&des Connoiffeurs, eſt acquiſe depuis longtemps
à M. Vicq- d'Azyr. Il a partagé deux
fois preſque également avec le Vainqueur
les fuffrages de l'Académie Françoife ; c'eſt
les avoir obtenus, c'eſt preſque avoir vaincu
lui-même ; c'eſt du moins le préſage heureux
& gloriçux d'une pleine & prompte
victoire. M. Vicq d'Azyr aura toujours le
fuffrage de ceux qui aiment à voir le talent
d'écrire s'appliquer à des objets intéreſlans,
&porter fur la baſe folide de l'inftruction ;
on ne peut trop favorifer cette alliance de
Péloquence & de l'utilité , dont il réſulte
que l'éloquence devient pour les connoiffances
humaines un puiſſant véhicule , un
grand moyen de communication , & qu'elle
eft aux Sciences ce que le Commerce eft
aux denrées , qui , ſans ce ſecours , ſe confumeroient
& périroient fur le fol qui les
vit naître, fans aucun fruit pour la Société.
Şans l'éloquence , ſans le talent d'écrire ,
la Science n'eſt que le tréfor ſecret & enfoui
d'un petit nombre d'hommes ; par ce
talent tout ſe répand , tout ſe communi24
MERCURE
1
4
1
que , tout ſe vivifie , tout eſt mis en coeuvre.
Voyez combien l'éloquence de M. de Buffon
a rendu populaires les notions d'Hiltoire
Naturelle qui n'exiſtoient avant lui
que pour un petit nombre de Naturaliſtes
de profeffion : c'eſt M. de Fontenelle qui
a le premier donné aux Sciences cette henreuſe
popularité ; mais ce n'eſt qu'à force
d'agrément , de clarté , de lumières , qu'il
a pu acquérir le droit d'inſtruire des perſonnes
qui avant lui ne prétendoient pas
même à l'inſtruction ; il a craint d'abuferde
ce droit d'inſtruire ſi nouvellement acquis;
en faiſant l'Hiſtoire des Savans , il a
quelquefois à defſcin ou négligé ou traité
un peu fuperficiellement l'Hiſtoire de la
Science; il avoit pour maxime ,ſapere ad
fobrietatem. » Il craignoit fans doute , dit
M. Vicq-d'Azyr , » de rebuter par des lon-
>>gueurs , des hommes peu accoutumés ar
» degré d'attention que les Sciences exi-
>>gent, &de manquer, par une expoſition
>> trop exacte , l'effet qu'il a ſi bien pro-
» duit ".
Le pas qu'il avoit fait étoit trop important,
pour n'être pas ſuivi de progrès confidérables.
Aujourd'hui que, grace à lui, le
goût des Sciences eft preſque univerfellement
répandu , ce goût même a impofé
aux Auteurs des éloges de Savans , des
obligations nouvelles. A l'Hiſtoire du Savant
, il faut joindre l'Hiſtoire de la Science ;
il faut montrer en quel état chacun des
Sayans
DE FRANCE.
25
Sivans l'a trouvée , & en quel état il l'a
laiffée , & par conféquent ce qu'il a fait
pour elle. Les véritables époques des Sciences
font marquées par les grandes inventions
, & ce ſont ſur-tout ces époques qu'il
faut obſerver ; il faut dire les découvertes
qui appartienhent à chaque Auteur ; il faut
les comparer avec ceux qui les ont précédés
, ofer même prédire leur influence fur
ceux qui les ſuivront. Sur tous ces articles
M. Vicq-d'Azyr ne donne pasde précepte
dont il n'ait donné l'exemple. Dans l'éloge
des divers Savans , il cherche toujours à
faifir l'idée qui a dû être le principe de leur
conduite & le mobile de leurs travaux.
>> J'ai vu , dit-il lui même , dans Fothergill
> l'amour de l'humanité ; dans Haller ,
l'amour de la gloire ; dans Linné, l'amour
de la Nature ; dans Serrao , la haine
• des préjugés. Girod fut l'ami des pau-
ور
"
"
L
vres; Lamure , l'ami de ſes élèves ;
» Lorry , l'ami de ſes malades. Sanchez ,
> malheureux & perfécuté , cacha dans la
>>retraite ſes talens & ſa vertu.... Macquer
porta dans la Chimie la méthode & la
clarté ; Spielman , l'érudition ; Bergman
» la préciſion du calcul ; & Schéele , l'inf-
>> tinct du génie. Gaubius & Van-d'Evren,
›› dignes élèves de Boerhave , firent briller
" dans ſa chaire l'éclat d'un profond ſavoir
»& d'une Littérature étendue. Hunter
érala dans l'étude des Sciences & dos
Lettres le luxe d'une grande fortune.
Nº . 23. 7 Juin 1788
ود
"
B
26 MERCURE
1
1
>> Macbride & Pringle appliquèrent la
>>Phyſique à la Médecine. Leuitaud mit de
la préciſion dans l'Anatomie. Bucquer
>> mourut dévoré par la ſoif des connoiffances
& par le défir des ſuccès. Cution
laiſſa couler doucement la vie , & ne
>> traça que les efquiffes des grands projets
» qu'il avait conçus. L'infatigable du Ha-
, mel embraſſa toute la Phyfique «.
وو
L'Auteur a vraiment mérité de pouvoir
ſe rendre ce juſte & noble témoignage ,
qu'il reſpecte affez le Public pour ne lui
offrir que des productions ſur lesquelles il
a médité long-temps. J'atteſte , dit- il , les
manes de ces grands Hommes , que je
" n'ai pas à me reprocher d'avoir négligé
> la moindre circonſtance qui pût intéreſſer
leur gloire ; que je ne parlai jamais fans
émotion de leurs ſuccès & de leurs ver-
» tus , & que fi mes talens avoient égalé
mon zèle , ils auroient été loués d'une
manière digne d'eux ".
ود
ود
12
C'est le cas de dire avec M. de Voltaire ;
C'eſt ainſi qu'un grand coeur fait penfer d'un
grand homme,
J'ai des rivaux quej'aime ;
Je prends part à leur gloire , à leurs maux , à
leurs biens ;
LesArts nous ont unis, leurs beaux jours fone
les miens.
DE FRANCE .. 27
Plusieurs des Eloges que contient ce nouveau
Cahier, ont déjà été annoncés & analytés
dans ce Journal. Parmi ceux dont il
nous reſte à parler , un des plus brillans
& des plus piquans eft celui de M. Watelet
. C'eſt déjà une fingularité de rencontrer
cét Eloge dans un recueil qui paroît confacré
uniquement à la gloire des Médecins
& de la Médecine. M. Vicq-d'Azyr a fenti
qu'il avoit à répondre à la queſtion qu'on
ne manqueroit pas de faire à cet égard , &
il répond que M. Watelet , à qui aucune
connoillance agréable ou urile n'étoit étrangère
, avoit contribué par fon crédit & par
ſes conſeils , à l'inſtitution de la Société
Royale de Médecine , & en conféquence en
étoit Affocié libre.
Quand on eft Hiſtorien , mais Panégyrifte
, & qu'on parle d'un homme tel que
M. Warelet , qui , parmi tant de moyens de
phite, par l'efprit, par les moeurs , par le caractère
, &c . , avoit encore celui de ne point
affliger l'amour propre , de ne point irriter
l'envie par une ſupériorité trop marquée
& trop humiliante ; dont tous les talens
étoient aimables fans être décourageans , de
qui on pouvoit dire :
Infràſe poſitás.
Non prægravat Artes
Quand fur-tout on a été l'ami particulierde
cet homme , on est bien tenté de paſſer un
1
B 2
28 MERCURE
T
:
H
peu la juſte meſure d'éloge qui lui eſt due ,
& d'ajouter à l'idée des talens en faveur de
l'amabilité & de l'amitié. M. Vicq-d'Azyr a
ſu éviter cet écueil avec beaucoup de dextérité
, il a rempli tous ſes devoirs ; il a
donné à la vérité tout ce qu'elle exigeoit , à
l'amitié tout ce qu'elle demandoit ; nulle
exagération , nulle diffimulation; peut-être
même ( car l'amitié a ſa pudeur & fa délicatcile
, & fe refuſe quelquefois le plaifir
de donner des éloges qu'il lui feroit trop
dur de ne pas voir adopter ) peut-être n'at-
il pas ofé dire des Comédies de M. Watelet
tout le bien qu'il défiroit d'en dire ,
& qu'elles nous ont paru mériter , lorſqu'en
1784 nous en avons entretenu le Public
dans ce même Journal. Au reſte, tous ceux
qui ont connu M. Watelet , & qui par conféquent
l'ont aimé , applaudirent avec tendreſſe
à la vérité parfaite du portrait qu'en
trace l'Auteur , & ſe rappelleront les plus
doux ſouvenirs , en voyant cette defcription
du Moulin joli , inséparable d'un éloge de
M. Watelet , & en reliſant dans une Note
ces vers touchans , ces vers enchanteurs de
l'Abbé de Lille fur cette heureuſe retraite ,
& fur le Sage qui l'habitoit.
Cet Eloge eſt ſuivi d'un Ouvrage qui ne
lui eſt pas étranger ; ce ſont des réflexions
fur la ſociabilité de l'homme & fur l'influence
des Lettres & des Arts , en réponſe
aux objections tirées de écrits de J. J. Roufſeau.
L'opinion de J.J. Rouſſeau fur ce ſujet
DE FRANCE. 29
:
eſt abandonnée de tout le monde, au moins
dans ſes exagérations , & elle cft combattue
ici par de très-bonnes raiſons. Mais il nous
vient un doute : eſt il certain que fur la
queftion de l'avantage ou du danger des
Lettres &des Arts relativement aux moeurs,
la cauſe desArts foit abſolument la même
que celle des Lettres ? Les Lettres s'allient
affez naturellement avec la Morale; les Arts
ont beſoin du luxe & de l'opulence , c'eſtà-
dire, de tout ce qui détruit les moeurs ;
les Gens de Lettres, fur-tout les Savans ,
confervent affez les moeurs de la pauvreté ;
ils ſe vengentde la richeſſe qu'ils n'ont pas ,
en affectant de la mépriſer; ils font intérelles
àdiminuer autant qu'il eſt en eux, le refpect
de l'or , à braver le
Majeftas.
Sanctiffima divitiarum
Les Artiſtes,qui ne ſubſiſtent que par les
fantaifies , les beſoins factices , les extravagances
du luxe & de la vanité , ſont évidemment
intéreſſés à les entretenir , à les
étendre , à les multiplier , à établir une
émulation funeſte entre les riches & les
moins riches ; à détruire chez ceux- ci , &
même chez les autres , toute proportion
entre les defirs & les facultés , entre les ber
foins & les moyens de les fatisfaire ; de là
cette obligation de briller & de paroître,
impoſée par l'exemple ; de là ce propos de
Comédie : Qu'il n'est pas néceſſaire d'être
B3
30
MERGURE
:
:
riche, pourvu que l'on faſſe de la dépense ,
devenu une propofition littéralement vraie;
de là les infidélités, les injuftices de toute
eſpèce , une ruine plus ou moins prompte ,
mais infaillible. Voyez les exemples; voyez
s'il eſt quelque fortune qui fuftile ! Les
" Arts , dit-on , font enfans de l'opulence
& du goût. Ils ne peuvent leurir qu'au
milieu d'un Peuple riche , c'est- à - dire,
» déjà cerrompu " ..
30
C'eſt convenir qu'ils ne vivent que de
richeffes & de corruption. Ils trouvent le
mal,commencé fans doute, mais ils l'aug
mentent , ils l'achèvent ; du moins nous
craignons que cette opinion ne puiffe étre
foutenue en ce qui concerne les Arts fealement
, que nous diftinguons fur ce point
d'avec les Lettres .
Cette queſtion revient encore dans un
éloge bien intéreſlant de ce Recuil , celui
de M. Maret , Secrétaire perpétuel de l'Académie
de Dijon. L'Analyſe des Ouvrages
de ce Savant utile , eſt ici un morceau du
plus grand intérêt ,& que nous ne pouvons
trop louer.
En rendant compte d'un Mémoire cou
ronné en 1771 , à l'Académie d'Amiens,
& où M. Marer examine quelle est l'anfluence
des moeurs des François fur la ſanté,
M. Vicq d'Azyr développe toute l'utilité de
ceMémoire , préſente desidées qui auroient
pu l'augmenter encore , & conclut que les
» maurs & la fanté des peuples font ,
के
DE FRANCE. 31
:
>> ainſi que leur fortune , entre les mains
>> de leurs Chefs , qui en répondent : vérité
ود que l'on a déjà dite, mais qu'il faudra
>> redire encore , juſqu'à ce qu'elle foit
» dévenue familière au petit nombre d'hom-
ود mes par qui le monde eft gouverné " .
En parlant de ce que M. Maret a écrit
fur les Hôpitaux , c'étoit une occafion bien
naturelle de parler de l'empreflement avec
lequel le Roi , ſes Miniftres , & les divers
Ordres de Citoyens , concourent à la formation
des afiles que la bienfaifance doit
confacrer à l'humanité ſouffrante.
ود
L'Orateur ajoute enſuire cette réflexion :
>>Au reſte, quelque bonne que foit certe
>> action , c'eſt la justice & non la généro-
>> fité qu'ilfaut louer en elle. Ce n'eſt pas un
>>préſent que la Nature fait aux pauvres ,
mais un oubli qu'elle répare , une dette
>> ſacrée qu'elle paye ; car de même qu'on
>> doit à l'indigent un ſalaire pour fon tra
>>vail , on lui doit au moins un lit où il ſe
>> repoſe lorſqu'il fuccombe à la fatigue ,
>> ou lorſqu'il eſt prêt de terminer une vie
1
ود dont le riche ſeul a profité «.
Voilà la véritable éloquence que l'humanité
inſpire ; voilà comment il eſt beau de
défendre les droits de l'homme & du paus
vre. Cette phrafe , qui fait beaucoup penſer
, a encore un plus grand avantage",
celui de faire beaucoup aimer l'Auteur.
M. Maret mourut victime de fon zèle
dans letraitement des épidémies de la Bour-
B 4
32 MERCURE
gogne , qu'il dirigeoit depuis 1760 ; ce fut
celle de Freſne-Saint-Mametz qui l'emporta
le 11 Juin 1786. Dès ſon arrivée, l'épidé
mie le frappa , mais elle fut long-temps à
l'abattre ; il continuapendant plufieurs jours
d'exercer ſes fonctions. » C'étoit alors un
>> malade courageux, qui viſitoit les autres,
و د
& qui s'efforçoit de les rappeler à la vie
» que lui -même alloit quitter...... Dans fon
» délire , il ne parloit que des infortunés
habitans de Saint Mametz , il les interil
croyoit en-
و د
>> rogeoit fur leurs maux ,
>> tendre leurs plaintes ".
:
و ر
"
Il n'avoit celle de travailler & de s'inftruire.
Il a donné , dit ſon Panegyrifte ,
> un bel exemple à ceux qui paffent la
dernière moitié de leur vieàne rien faire ,
>>à louer ce qu'ils ont fait, & à blåmer ce
que les autres font; forte de manie très-
" incommode dans la Société , & três - facheuſe
pour ceux qui en font atteints
> car la vieilleſſe eſt peut- être celle de
>>toutes les ſaiſons de la vie où l'étude
"
و د
و د
offre les jouiſſances les plus douces &
> les plus néceſſaires, où l'on a le plus be-
> ſoin d'entretenir autour de foi le bruit
>> de la renommée; celle enfin où il eſt le
> moins permis de repoulfer ſes ſembla-
>>bles, dont les ſecours , les reſpects , les
" affections & les éloges compoſent tout
» l'apanage qui reſte alors à l'humanité " .
Nous admirons ceux qui meurent avec
courage , leur force raffure notre foibleffe
DE FRANCE.
33
fur ce terrible paffage; nous aimons ceux
qui paroiſſent regretter davantage la vie ;
leur ſenſibilité , ou leur, foibleffe excuſe la
nôtre. M. de Lamure , Médecin célebre de
Montpellier , ne diffimula point cette fenfabilité
, & le tableau de ſa mort a ici quelque
choſe de touchant. » Ceux qui ont
fu , comme lui , ſe rendre la vie agréable&
douce, doivent , comme lui, crain-
>>dre de la quitter. Heureux par ſes goûts ,
»& fur-tout par les ſoins de ſon épouſe ,
>>les biens les plus attachans le retenoient;
» il laiſſa couler des larmes qu'il devait à
> la tendreſſe & à l'amitié. Plus de réfo-
>>lution ſe trouve ſans doute dans ceux
en qui de fortes paffions ſe ſont éteintes ;
ils ne tiennent au monde que par des
" ſouvenirs ; ou dans ceux qui , célèbres de-
-->> puis long-temps , voient enfin ſe fermer
pour eux la carrière de la gloire. Ils doi-
>> vent peu s'effrayer de l'avenir pour le-
➤ quel ils ont vécu ce n'est pas auprès
» d'eux , c'eſt près des hommes,modeftes
» & ſenſibles , qu'il faut apprendre à mou-
"
"
ود
t
M. Vicq d'Azyr , dans un Difcours préliminaire
, prouve quelle peut être l'utilité
des Eloges hiſtoriques, il n'en faut pas d'autre
preuve que les fiens.
BS
34 MERCURE
?
ADMINISTRATION.
LES
ES Grands Bailliages d'Amiens, Langres ,
Moulins , Bourges, Kiom, Soiffons, Tours ,
Poitiers, Rouen, Besançon, Nanci &Caen ,
font déjà établis , & pluſieurs en exercice
de la nouvelle competence qui leur a été
attribuće. Les Edits enregistrés au Lit de
Juſtice du 8 Mai, ont auffi été publiés dans
Ics Sièges de Vierzon, Compiègne, Enghien,
Melun , Fontainebleau, Montereau , Dreux,
Montargis, Beaufort, Sainte - Menehould ,
Pontoiſe , Abbeville, Romorantin , Bar-fur-
Aube , Chaumont, Bar le-Duc , St- Dizier
Montreuil, Boulogne , Calais , Ardes , Nemours
, Tonnerre , Evreux , Oleron , Libourne,
Douai, Lille, Bailleul, & Caudebec..
Pluſieurs des Grands - Bailliages ont témoigné
au Roi leur reconnoiffance & leur
foumiffion , & ont déjà rendu des Jugemens
en exécution de l'Ordonnance fur l'adminiſtration
de la justice.
DE FRANCE.
35
VARIÉTÉS .
LETTRE à MM. les RÉDACTEURS
du MERCURE DE FRANCE ,
fur l'exposition des Tableaux , Deffins ,
Esquiſſes, &c. des Elèves de la Peinture,
dans la Place Dauphine , le 29 Mai
1788 , contenant un Eloge hiftorique de
M. DROUAIS , Elève de l'Académie
Royale de Peinture.
30 Mai 1788 .
Lorsque dans la dernière Lettre que j'ai eu
l'honneur de vous adreſſer ſur l'expofition de la
Place Dauphine , j'ai engagé les Elèves de la
Peinture à être plus ſévères avec eux mêmes ,
lorſque je leur ai annoncé que déſormais ils ſeroient
jugés avec plus de rigueur que par le pallé ,.
je n'ai pas prétendu , Meſſieurs , renoncer abfolument
au ſyſtème d'indulgence qui juſqu'alors
avoit guidé mes obſervations. Parmi les perfonnes
qui cherchent à développer , dans cette efpèce
de galerie , les premiers germes de leur réputation,
il en eft quelques-unes qui ſe ſont fait
connoître depuis pluſieurs années; & celles- là ,
qui ont reçu des encouragemens & des confeils ,
doivent s'attendre à une ſévérité devenue nécef-:
faire pour elles , fi elles n'ont pas répondu aux
eſpérances qu'elles ont données;mais chaque an
1
B6
36 MERCURE
née voit éclore de nouveaux talens , & l'Eleve
qui ſe préſenteavec toute l'inexpérience d'un premier
effor, ne doit pas être jugécomme celui qui
a déjà multiplié ſes Effais. Je crois ma diftinetion
juſte , & je ſuis certain que vous penſerez
comme moi. C'eſt d'après cette diftinction que je
vous dirai mon avis fur l'expofition d'hier; mais
préalablement je vais vous donner une notice for
la vie & fur les talens de feu M Drouais, Elève de
F'Académie Koyale de Peinture. Vous n'avez point
parlé, dans votre Journal, de la mort malhen .
reufe & preſque ſubite de ce jeune Artiſte digne
des plus grands regrets : je penſe donc que vous
imprimerez avec plaifir les détails dans leſquels
je vais entrer. On a peut-être trop prodigué depuis
quelque temps les Eloges funèbres; peut-être
la louange publique , en s'attachant à des ſujets
peu méritans , & même médiocres , a - t-elle été
en quelque façon proſtituée : ici , loin de pouvoirl'étre,
elle eft au contraire rappelée à ſavéritable
deſtination; & ce ſeroit être injuſte que
de la refufer aux talens & aux qualités perfonnelles
de l'homme intéreſlant dont je vaisvous
entretenir. Cet Eloge d'ailleurs me paroît trouver
naturellement ſa place dans un Arricle destiné à
l'encouragement des Elèvesqui ſe préfentent d'une
manière avantageuſe dans lacarrière de laPeinture.
GERMAIN-JEANDROUAIS étoit né le 25 Novembre
1763 ; fon père , Membre de l'Acadé
mie Royale, s'étoit diftingué dans le genre du
portraic. Des fon enfance il montra pour la
Peinture un goût fi décidé , qu'il alloit juſqu'à
Penthouftafme. Sa facilité étoit égale à fon in
telligence , & cette intelligence étoit extrême
elle étonnoit tout le monde. On le mit entre
DE FRANCE.
37
,
les mains de M. Brenet. Les leçons de cer
habile Profeſſeur lui firent bientôt faire des progrès
très rapides. Quand M. David revint de
Rome , où il avoit exercé & perfectionné le
fentiment qui lui étoit naturel de tout ce qui
eſt beau , grand& noble dans l'Art de la Peintilre
, le jeune Drouais défira de paffer a fon
école; ony contentit. Il étoit impoflible qu'un
tel Maitre & un tel Elève , enflammes tous
deux de l'amour du talent & de la gloire, ne fe
convinſſent pas fingulierement ; il l'étoit encore
que les chefs-d'oeuvres de M. David n'ajoutaffent
point à l'ardeur de M. Drouais , & n'exaltaſſent
point ſa paffion pour un Art dont il
étoit idolatre ; auffi ne tarda-t-il point à annoncer
qu'unjour il devoit parvenir auxplus grands
ſuccès. En 1783 , il concourut pour le prix de l'Académie.
La crainte de ne ſe point montrer ,
dès le premier pas digne du célèbre Maître
dont il dévoroit les leçons , lui infpira une méfiance
de lui- même, qui alla ſi loin , que , dans
un mouvement d'impatience , il coupa fon tableau
par la moitié , & en porta un lambeau a
M. David. » Ah , malheureux ! s'écria celui- ci
>> en confidérant le lambeau , vous renoncez'
>> au prix ! - Eh quoi ! vous êtes content re-
>> prend le jeune homme ? - Si je le fuis !
> ajoute le Mattre : ah ! oui. Mais le Prix ....
>> Je l'ai le Prix , dit M. Drouais en interrom-
>> pant M. David ; votre fuffrage eft leſeul que
>>je défire. Que l'Académie couronne un autre
>> cette année; l'année prochaine j'eſpère qu'elle
>> me couronnera pour un Ouvrage plus digne
» de l'Elève d'un Maître tel que vous .
Getre petite ſcene fuffie ſeule pour peindre à
grands traits le Maître & leDifciple. Alurefte
cette année l'Académie në couronna perfonne,
&le prix fut remis.L'année ſuivante,le jeune
A
38 MERCURE
:
1
Drouais concourut en effet. Le ſujet du prix
étoit la Chananéenne aux pieds de Jésus- Christ.
Jamais concurrent n'avoit paru avec un talent
anſſi diſtingué : il fut couronné par une acclamation
générale. Undes premiers Peintres de notre
école fut tellement furpris de l'extraordinaire
talent qu'il remarqua dans le tableau de M.
Drouais , qu'il propoſa de l'admettre dès ce
moment,& par une exception qui hui paroiffoit
juſte , au nombre des Membres de l'Académie.
On réclama les règles & les ufages; on
maoqua, par une foumiſſion ſervile à ces uſages,
à ces règles , à donner un grand exemple aux
Artiſtes , & un grand fujet d'émulation aux
Elèves. Loin d'éprouver de la jaloufie , ſes rivaux
lui prouvèrent d'une manière éclatante
l'admiration qu'il leur avoit inſpirée. Ils le couronnèrent
de lauriers , & le portèrent , malgré
lui , en triomphe, d'abord chez M. David , enfuite
chez ſa mère. Quelques efprits chagrins
blåinèrentdans le temps cet enthouſiaſme. Oublions
pour l'honneur des Aruſtes , qu'un hommage
aufli candide & dont l'objet étoit fi digne,
ait pu encourir un blâme qui ne pouvoit trou
ver de place que dans des ames feches & dans
des coeurs Aétris .
L'année ſuivante , M. David partit pour
Rome avec M. Drouais. Le jeune homme s'y
pénétra bientôt du goût le plus vif pour l'antique
, & principalement pour Raphaël. Tous
les jours il travailloit depuis quatre heures du
matin jusqu'à la nuit. C'étoit en vain que fon
Maitre lui repréſentoit qu'il pourroit altérer
enſemble for talent& fa fanté : Peintre ou Rien,
répondoit-il à toutes les obſervations qu'on vouloitlui
faire.
| Au bout d'une année de ſéjour à Rome ,
M. David revint à Paris , & quitta, non fans
DE FRANCE.
59
regret , fon élève& fon ami . Ce fut alors que
celui- ci compoſa ſon tableau de Marius. Tout
Páris a vu & admire ce tableau , que l'on
pourroit critiquer dans quelques parties , mais
qu'on doit conſidérer comme une compofition
très-eftimable, &même très-ſupérieure à l'âge de
fonAuteur. Le caractère de tête de Marius auroit
ſeul annoncé une conception forte ; il y
a d'ailleurs une pureté de deinn, une connoiſſance
de l'harmonie& des effets , propre à
prouver un grand talent qui ſe développoit.A
Marius fuccéda une figure académique, repréfentant
Philoftere exha ant des imprécations contre les
Dieux. On affure quecette figure, quieſt un chefd'oeuvre
, a couté la vie au jeuneDronais. Il mit
tant de chaleur à la peindre & à la finir , qu'il
enflamma fon ſang d'une manière irrémédiable..
Il préparoit une nouvelle compoſition plus importante,
que toutes celles qui l'avoient précédée.
C'étoit un tableau de onze pieds de haut
for feize pieds de large , repréſentant C. Gracchus
fortant de fa maifon , entouré de fes amis
pour aller appaiſer la fédition où il périt. Les
études de cette compofkion étoient faites ; les
figures étoient tracées , quand une fièvre inflam-.
matoire , compliquée par la petite vérole , affaillit
Finformné jeune homme, qui mourut quelques
jours après.
On ne peutpenfer fans attendriſſementàune
mort fi funeſte&fi précoce. Il n'eſt pas un ami
desArts qui ne doive un tribut de pleurs à un
Artiſte moiffonné fi jeune & dans la fleur de
fon talent; & it n'est point d'ame ſenſible
qui ne lui doive des regrets comme hon.me,
M. Drouais étoit beau , grand, fortement & noblement
conftitué. Ses regards peignoient fon
ame , vive. honne , douce , & généreuse . Il étoit
né riche , & il ne trouvoit à cela d'autre bon40
MERCURE
A
a
heur que celui d'avoir plus de moyens pour
avancer vers la gloire , & pour obliger les
malheureux. Il étoit la feule confolation. la
dernière eſpérance d'une mère qu'il chériſſoit
auffi tendrement qu'il en étoit chéri. Cette fem
me , qui ſurvit aujourd'hui à tout ceqquu'elle
aimé , qui pleure bien plus fur le fils qu'elle n'a
plus, que fur la gloire à laquelle il étoit fait
pour atteindre , avoit déjà perdu un mari jeune
encore , une fille belle, fage , & âgée de feize
ans , & elle est condamnée à vivre dans un
monde où il n'y a plus rien pour elle. Quelle
deftinée ! Je reviens à M. Drouais. Ses moeurs
étoient auffi pures que fon ame étoit belle. Il
ne connoiffoit d'autres jouiffances que celles de
l'étude & du travail. La gloire d'abord , diſoit- il
fouvent , & puis le plaisir aura peut- être fon
tour. Et c'étoit avec tous les moyens de plaire
& de ſe faire aimer , qu'il tenoit ce langage!
Quel modèle à offrir à ceux qui crojent pouvoir
marcher en même temps dans les ſentiers
de la gloire & dans ceux des plaifirs ! Je finirai
, Meffieurs , cette notice par un mot de
M. David, qui annoncejuſqu'à quel point il étoit
attaché à ſon Diſciple. Les progrès étonnans du
jeunehomme , loin de faire naitre dans l'ame du
Maître cette jaloufie qui trouve ſi ſouvent fa
place dans le coeur humain , principalement
chez les Artiftes , lui faifoient éprouver la plus
vive fatisfaction ; il ſe complaifoit dans fon
ouvrage , & il auroit voulu applaudir aux
fuccès du jeune Drouais , quand même celui-ci
auroit acquis une réputation ſupérieure à la
fienne. Auffi , après la mort de fon Elève , répeta-
t-il ſouvent , dans l'amertume de
leur :
১১
30
Cadou-
Drouais m'échauffoit , fes progrès aug
montoient mon amour pour laPeinture. Il est
mort;c'en eft fait, j'ai perdu mon émulations .
DE FRANCE. 41
Ce dernier mot , pardonnable à la douleur , ne
le feroit point à la réflexion ; il reſte à M.
David pour émulation , des rivaux à vaincre , &
Raphaël à imiter.
Je pourrois , Meſſieurs , entrer dans de phus
grands détails ſur M. Drouais & fur ſa famille;
mais je n'ai point prétendu faire un article de
Nécrologie , & il me fuffit d'avoir jeté quelques
fleurs fur la tombe d'un des jeunes Artiſtes
qui a le plus mérité de gloire par fes
eſſais ,&de regrets par ſes vertus. Paffons maintenant
à l'expoſitionde la Place Dauphine. Mes
obſervations ne feront pas très-étendues , car
j'ai trouvé peu de productions dignes d'ètre re
marquées.
Trois Elèves de Mlle. de Beaulieu , Mile.
Eléonore , MM. Charles & Emmanuel du Paty,
ont exposé des Deffins foibles ; mais ils font
tous trois très jeunes , & on ne peut pas leur
reprocher leur médiocrité.
Trois autres Deffins de Mile. M. V. ne méritent
pas plus d'éloges , & annoncent auffi une
main très -jeune , comme un crayon fort indécis.
Parmi des Deſſins de M. Huet le fils , on en
diftingue quelques-uns où il y a de la fineſſe ,
d'autres où ilyabeaucoup d'incorrection , & un
amas de Cartes , de Figures , d'Estampes & de
papiers réunis en unTableau qui produit quel
que illufion.
Trois Tableaux de M. Delauney , dont un
Portrait & un Payſage, font peints d'une manière
molle. J'invite ce jeune Artiſte à faire
attention à ce défaut, que je crois déjà lui avoir
reproché. Il y a de la vérité dans fes compofitions
, & il feroit fâcheux qu'il ne fongeât pas
à perfectionner un talent qui peut devenir eftimable.
42 MERCURE
UnTableau repréſentant une femme occupée
à peindre , & parlant à un Jokei , a de l'effet
par la couleur ; mais la taille de la femme n'a
point de proportions , elle a de la roideur , &
la phyfionomie eft fans expreffion. Les acceffoires
font honneur au talent de l'Auteur, dont
le nom , je crois , eſt M. Dabos .
P
J'ai fixé très -difficilement mon attention fur
une foule de croquis à peu près informes, que j'ai
apperçus ça & là , parce que la foule étoit nombrenfe
, & qu'il étoit très-mal aiſfé d'approcher
de la galerie , cù l'on ſe heurtoit , on se pouf
foit, on ſe coudoyoit . on ſe marchoit für les
pieds , de façon à dégoûter les ofervateurs . Je
donnerai donc en blae un fer ! avis à M.M. P. Hubert
, Delamarre , Meunier , Montjole , de Varenne
, Boquet ,& Huet le jeune : c'eſt de foigner
davantage les compofitions qu'ils voudront
expofer en public. Preſque toutes les
Etudes , Tableaux ou Deffins que j'ai vus expofés
ſous leurs noms, ont été viſiblement faits
d'une manière hâtive. Il ne convient pas aux
Artiſtes qui n'ont pas encore fort exercé leur
crayon ou leur pinceau , de vouloir faire au premier
coup.
Quelques Tableaux de M. Delerive m'avoient
d'abord prévenu contre lui. Beaucoup
d'incorrection dans le deſſin , un ton de
couleur faux , des effets calculés plus que
ſentis , m'avoient donné une mauvaiſe idée de
fon talent. Mais un homme armé de la tête
à la ceinture , un Cavalier Eſpagnol , & vn
combat à outrance entre deux Pandours , m'ont
paru d'un bon effet , agréablement peints , deffinés
avec eſprit,&m'ont réconcilié avec lui.
Je vous ai déjà parié avantageuſement de
M.F. Duval&de M. Créville. Le premier a expoſé
un Payſage où j'ai trouvé de l'intelligence,
DE FRANCE.
43
&un faire facile , mais point affez de vérité
dans les verds. Je dois beaucoup d'éloges à
trois Tableaux de Nature morte , composés par
le même Artiſte. Il y a des effets nenfs &
piquans. Ce genre , généralement facile & monotone
, n'est peut-être eftimable qu'autant qu'il
est neuf& varié. Quant à M. Créville , il eſt
*encore fupérieur cette année à ce qu'il étoit l'année
dernière. Son geure eft auffi laNature morte;
maisil y eſt d'une vérité qui fait illufion, &
cetre illufion eft d'autant plus remarquable , que
c'eſt en réduisant les objets à de très-petites
proportions , que M. Créville fait encore être
vrai .
Des Emaux , des Camées , des Miniatures ,
par M. Enfantin , ont été vus avec plaifir . Je
lui aj reproché , l'année precédente , de forcer
quelquefois ſes proportions. Je n'ai pas aujourchui
le même reproche à lui faire. Son ton
de couleur eſt aimable ,& fi tous les Portraits
qu'il a expoſes ſont auſſi refſemblans que celui
de M. Chenard , de la Comédie Italienne , c'eſt
encore up motif d'éloges.
Au coin de la Place Dauphine qui avoiſine
le' Palais , j'ai apperçu , fans nom d'Auteur, le
Portrait d'une trèsjolie femme; fi , commeje l'ai
entendu dire, ceTableau a été fait par un homnte
qui juſqu'à ce moment s'étoit livré à un tout .
autre genre ,je dois l'encourager à faire des Portraits.
Celui dont je parle eft agréablement peint ,
mais il fent le travail , & il annonce un pinceau
encore incertain.
no Une fuite de Defims au lavis& ala gouache,
a attiré & fixé ma curiofité . Il me parois qu'ils
font tous du même Auteur. Ils repréfentent des
Halres, des Campenens , des Marches. J'y ai
trouvé de l'efprit , de la fineſſe , de la légéreté
dans la totiche , & un art tres- rare de faire
44 MERCURE
:
valoir les détails fans nuire à l'effet principal.
Je ne fais pas nonplus quels fontles Auteurs
de trois grands Tableaux repréſentant des Payfages
& une Marine. Les Payſages font d'un
ton cru & faux ; tout y eft blen & jaune. La
Marine eſt plus eſtimable , & le bouillonnement
des eaux qui ſe briſent ſur un rocher pendant
l'orage , eft d'un effet fenti .
Ilya trop d'empâtement dans deux Eſquifles
de M. Thiémet , dont l'une eſt vraiſemblablement
un Portrait d'après Nature . 1
A
Je m'ai pas vu ſans intérêt un petit Tableau
deM. Boilly , repréſentant une femme qui pince
la guitare. Il eſt d'un joli ton ; la figure de la
femme a une expreffion aimable , &l'enſemble 1
du Tableau plaît; mais la couleur est un peu
brillantée.
Deux Deſſins à la gouache , par M. Vappereau,
annoncent de la facilité &de l'intelligence.
On dit eet Elève très-jeune , & il promet du
talent.
M. Schell a expofé un Payſage remarquable
par un bon ton de couleur, par un choix de
fites ingénieux , & par une connoiffance des
effats de lumière très bien entendué. CeTableau
, qui repréſente Apollon accordant à la
Sibylle de Cumes la faculté de vivre autant
d'années que ſes mains réunies contiennent de
grains de fable , eft fait pour donner une idée
avantageuſe de fon Auteur.
4
J'ai félicité l'année dernière Mlle. le Roux
de la Ville ſur ſes progrès ; il faut que je l'en
félicite encore. Son Tableau repréſentant leCapitaineMorden
rendant viſite à Clariffe la veille
de ſa mort , eſt ſagement & noblement compofé.
Cette action étoit très- difficile à traiter, &il me
ſemble qu'on doit être ſurpris qu'une Élève le
foit tirée auffi heureusement d'un ſujet,tranDE
FRANCE. 4
quille& preſque fans mouvement. Clarifſe eſt
endormie. Peut- être eût - il mieux valu prendre
la ſcène au moment où elle ſe réveille. Au travers
de fon accablement , onauroit pu appercevoir
l'effroi ſecret que lui auroit inſpiré la
vue du Capitaine , dont elle fait le caractère&
dont elle peut deviner les projets. Cette ſituation
auroit été plus aiſée à rendre , & l'effet en
auroit été plus fûr. La figure de Morden , qui
ſe groupe très -bien avec deux autres , eſt d'une
expreffion excellente ; on y voit ſa douleur
amère à la vue de l'intéreſſante victime de Lo-:
wèlace; & on ne peut la regarder ſans partager .
Ton indignation. Cette compofition , à laquelle
je reprocherai un peu de longueur dans les
proportions , eſt remarquable par une belle entente
des détails , par une grande intelligence
de la lumière , & par la ſageſſe du ſtyle. Eile
ne peut qu'ajouter à la réputation que Mlle. ,
le Roux de la Ville s'étoit juſtement acquiſe.
Une Tête d'étude repréſentant Artémiſe qui
preffe fur fon coeur l'urne contenant les cendres
de Mauſole , eſt le début de Mlle. la Ville ,
cadette. Les proportions de cette figure ſont
un peu fortes , & le bras droit ne ſe détache
point affez de l'urne. Artémiſe n'a point l'expreffior:
qui lui convient. Pour bien rendre cette
expreffion, il faut la chercher dans ſon coeur ;
c'eſt là qu'eſt le foyer du talent propre à exécuter
les ſujets qui doivent parler à l'ame. Je fais
cette réflexion , parce que j'ai trouvé dans Artémiſe
une recherche d'eſprit qui m'a choqué..
On peut croire d'ailleurs que Mlle. la Ville ,
cadette , acquerra du talent , fi elle veut travailler.
Son deſſin eſt ferme , & fon coup de pinceau
eſt prononcé ; il y a dans le fairede ce
Tableau une hardieſſe rare dans une femme ,
&une touche très-décidée.
46 MERCURE
-Je finirai , Meſſieurs , par les Tableaux de
Mademoiſelle Nanine Vallain: L'on repréſente
une femme qui étudie une leçon de Muſique
, l'autre une Elève coftumée à l'antique,
qui brûle un grain d'encens fur l'autel de la
Peinture , & le troisième ſon Portrait peint par
elle-même. J'aime moins la femme qui étudie, que
les deux autres Tableaux, parce que fon attitude
eſt un peucontrainte , & à la rigueur forcée. Le
Portrait eft très-reſſemblant. La têre eſt pleine
d'expreffion , & le ton de la robe eft vigoureux
& vrai. Mais la figure dans le genre
de l'antique eſt digne de tous les éloges. Elle
eft deſſinée avec une grande pureté , drapée
avec graces , la couleur en eft bonne & aimable;
elleeft d'un ton qui ſuppoſe une étude
très-réfléchie des grands modeles , & elle annonce
que Mile. Vallain profite avec beaucoup
d'avantage des leçons de M. Suvée, fon Maître.
Je dois dire de Mille. Vallain , que d'expofition
en expofition elle s'eſt toujours montrée ſupérieure
à elle-même. La rapidité de ſes progrès
me fait préfumer qu'elle deviendra une Aruſte
très-diftinguće , fi rien n'arrête Theureux effor
que ſes talens paroiffent prendre de jour en
jouг.
J'ai l'honneur d'être , &c.
P. S. On m'a vanté beaucoup un Payſage de
M. Thiebaut. Je n'ai jamais pu m'approcher de
ce morceau ni de quelques autres ; mais des
Artiſtes diftingués m'ont aſſuré que celui- ci
prouveun beau talent, &je le répèce volontiers
d'après eux.
DE FRANCE 47
ANNONCES ET NOTICES.
Dédicace d'un Poëme érique , gravé d'après le
Tableau originalde P. A. Wille , Peintre du Roi ,
par A. F. Dennel. Prix , 9 liv. A Paris , chez l'Aureur
, rue du Petit Bourbon , près la Foire Saint-
Germain , No. 23 ; & chez Joubert , fucceffcur
de M. Chereau , rue des Mathurins.
Cette agréable Eſtampe fait pendant à une autre
qui a parų il y a quelque temps , & dont le
ſujet étoit piquant, ſous le titre de l'Effai du corfet.
Gi'erie du Palais - Royal, gravée d'après les
Tableaux des différentes Ecoles qui la compofent,
avec un Abrégé de la Vie des Peintres, & une defcription
Liſtorique de chaque Tableau. A Paris ,
chez J. Couché , Graveur , rue Sainte Hyacinthe ,
Nº. 4 ; & chez J. Bouillard , rue d'Argenteuil ,
N°. 95 .
Cette grande & intéreſſante entrepriſe le continue
toujours avec le même ſuccès. Cette roe. Livraiſon
contient le BAPTÊME , du Pouſſin ; LOTH
ET SES FILLES , de Dom Diego Valaquez de Silva ;
CHOC DE CAVALERIE , de Jacques Courtois , dit
le Bourguignon ; la MAITRESSE DU TITIEN ; &
IC SACRIFICE D'ISAAC , par Dominique Zampieri ,
dit le Dominiquain,
Bergère d' Arcadie, & Fruitière d'Ariadie, deux
Eftampes par Legrand. Prix , en couleur , 30 f.
chaque; biſtre & noir , 15 f.
Ces 4 Estampes ſe trouvent même adreſſe.
48 MERCURE DE FRANCE.
Portraitde M. de Buffon , deſſiné par A. Pujos,
gravé par Vin. Vangeliſty. Se trouve à Paris , chez
M. Pujos , Peintre , place de l'Eſtrapade , la 2c.
maiſon à côté du Corps-de-garde.
Aubas de ce portrait reſſemblant , ſe trouvent
ces quatre vers de M. l'Abbé de Lille :
LaNature pour lui prodiguant fes largeffes ,
Dans fon génie , ainſi que dans ſes traits ,
Amis la force & la nobleife;
En la peignant , il paya fes bienfaits,
Faute àcorriger dans le No. précédent.
Page 194, vers 16, qui gouverne ; lifez qui gouverna
.
ELÉGIE.
TABLE.
Charade, Enigme& Log.
Theatre de Sophocle .
Suite des Eloges 22
Adminiftration .
Variétés.
Annonces & Notices.
34
47
APPROBATIΟΝ.
J'AI lu , par ordre de Mgr. le Garde des Sceaux,
Ic MERCURE DE FRANCE pour le Samedi 7
Juin 1788. Je n'y ai rien trouvé qui puiſſe cu
empêcher l'impreffion. AParis, le 6 Juin 1788.
SÉLIS.
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES .
ALLEMAGNE.
De Vienne , le 16 Mai.
Les derniers bulletins officiels publiés
par la Cour , font du 10 & du 14. Dans
celui du 10 , on nous apprend les cir.
conſtances de quelques attaques des Ottomans
contre des détachemens Autrichiens
poſtés au paſſage de Terzbourg
en Tranfilvanie. L'ennemi n'a réuſſi dans
aucune de ces petites actions. Il a été
également aux priſes avec quelques pelotons
des troupes du Bannat, qui ſe ſont
emparées d'un étendard & de 12 hommes ,
outre 40 fuyards échappés d'Orfowa. Le
bulletin du 14 détaille une autre affaire
de poſte plus conſidérable ; en voici la
ſubſtance:
Suivant le rapport du Prince de Cobourg , Ge
néral de Cavalerie, en date du 30 avril , le Gé-
No. 23. 7 Juin 1788 . a
( 2 )
4
41
néral-Major Schmerzing , qui commande à Derbafchiniz
, ayant détaché une diviſion de Khevenhuller
à Bojana-Loſa , elle fut attaquée , le 24
avril , à huit heures &demie du matin , par 1500
Turcs & Tartares de Choczim , à pied & à chevol;
une partie de ce Corps ſe porta d'abord vers
un piquet de notre Infanterie poſté avec un canon
en avant de Bojana-Lofa; mais une patrouille ,
commandée par le Baron Kienmayer , Capitaine au
régiment de Barco , Huſlards , ſe joignit au piquet
d'Infanterie , & ces deux petits Corps forcèrent
les Turcs à deſcendre la montagne.
Le cheval du Capitaine y fut bleſſé , ainſi que
6 chevaux des Huſſards ; il y eut un homme de
tué& un de bleſſé .
Cependant les 1500 ennemis ayant pu s'approcher
des nôtres en ſe portant fur les hauteurs
les plus eſcarpées , nos gens , pour ne pas perdre
toute communication avec le Corps auquel ils appartenoient
, ſe retirèrent avec leur pièce de
canon.
Le Baron Kienmayer , pour couvrir la retraite
de l'Infanterie, fit de temps àautre face à l'ennemi .
Les Turcs parvinrent toutefois à l'environner ;
mais au moyen des diſpoſitions que MM. Klein
& Borwitz avoient faites la veille , le feu conti
nuel de l'Artillerie & la fermeté de nos troupes ,
pendant trois heures & demie , obligèrent l'ennemi
à ſe retirer , & à renoncer au projet qu'il avoit
formé de s'emparer de toute la diviſion .
Nous avons eu 19 hommes tués dans cette affaire
& 72 bleſſés : au nombre des derniers ſe
trouve le Capitaine Borwitz, qui a reçu deux bleſfures.
Il n'a reſté que 8 Turcs & 18 de leurs chevaux
fur le champ de bataille , parce qu'ils ont
ſoin d'emporter leurs morts &bleflés.
!
( 3 )
L'une des quatre Compagnies du premier régiment
, poſtées à Rohatin, ſous les ordres du Général-
Major Jordis , commandée par le Capitaine
O'donowan , fut attaquée , le 24 avril , entre 8 &
9 heures du matin , par 4000 Turcs Janiſſaires &
Cavaliers ; mais elle ſe défendit pendant quelque
temps avec opiniâtreté, tant par le feu de fa mouf
queterie, que par celui de 2 canons .
Le Major Plank , du nê ne régiment , qui étoit
au grand pofte avec les trois autres Compagnies ,
ayant entendu le rapport du canon , envoya le
Capitaine Portier , avec ſa Compagnie , pour ſecourir
M. O'donowan , & couvrir le flanc de la
redoute de Rohatin,& mit les deux Compagnies
qui lui reſtoient ſous les armes.
Deux heures après , l'ennemi parut avec toutes
ſes forces fur la hauteur oppoſée à la redoute de
Rohatin , d'où ſa Cavalerie attaqua la nôtre avec
une viteſſe incroyable; mais le Major Plank ayant
eu le temps de ſe faire amener les deux canons
reftés dans la redoute , & de recevoir les troupes
envoyées à ſon ſecours , il fit , pendant une heure
&demie , une attaque ſi vive ſur l'ennemi , qu'il
Fobligea à ſe retirer , par la vallée , dans le plus
grand dé ordre.
Nous y avons perdu 37 hommes , entr'autres le
brave Cap. Pottier. On comppttee 56bleſſés ,&ilen
manquoit cinq au rapport. Les Turcs ont laiffé
fur la place 30 des leurs , pluſieurs turbans , des
tabres &des couteaux. Ils avoient caché de leurs
morts dans une meule de foin.
Le Prince de Cobourg a appris , fuivant le bruit
courant , que les Tures font monter leur perte ,
cette occafion , à 2000 hommes .
en
Les Soldats du premier régiment , qui ont vieilli
ſous les armes , fe font pariculièrement
gués.
aj
( 4)
Pour preuve de l'héroïfme de ces vieux &
dignes Soldats , le Général-Major Jordis a crude
voir faire connoître le nom de Jean Greger, Fufilier:
malgré la hardieſſe des Turcs qui s'étoient
avancés , à quelques pas de notre front, derrière
das arbres , ce brave homme ayant vu l'un d'eux
qui portoit un drapeau , où étoit empreinte en noire
la main de Mahomet , court fur lui , le joint , lui
paſſe ſa bayonnette au travers du corps , s'empare
du drapeau , & rentredans fon rang. Le Prince
de Cobourg a confenti fur le champ à ce que les
quatre Compagnies du régiment de garniſon portaſſent
à l'avenir le drapeau pris par Greger
l'ennemi , comme un ſouvenirde
fur
leurbravoure.
On fait, par les nouvelles de l'Eſclavonie , en
date du 3 mai , que toutes les fois que notre feu
renverſe quelques ouvrages avancés de la fortereſſe
deGradiska , les Turcs s'occupent fur le champ
de les réparer ou d'en conſtruire d'autres , & que
dernièrement leur moſquée avoit été totalement
renverſée par notre canon.
Selon le rapport de la Croatie , en date du
même jour , les troupes au commandement du
Prince Lichtenstein , Général de Cavalerie , cam.
pées ſur les frontières , ont déja fait toutes les di
poſitions que les différens mouvemens des Turcs
pourroient rendre néceſſaires; ces derniers ſe réuniſſent
toujours en plus grand nombre , principalementdans
les environs deDubitza ,& fontauffi
campés.
M. de Fabry , Colonel du régiment d'Erdody ,
qui a été envoyé à Jaſſy avec un détachement , y
étoit encore le 28 avril : depuis que le Prince de
Moldavie a été fait prisonnier, les affaires étant
adminiſtrées par le Préſident du Divan , en préfencedes
Boyards aſſemblés , le Prince de Cobourg
ajugé à propos d'y renvoyer M. le Baron deMetz(
5 )
bourg , Agent de S. M. I. à Jaſſy & Bukarest , afin
de veiller au bien-être de nos troupes.
Les avis les plus récens de la grande
armée n'annoncent point encore l'inveſtiſſement
de Belgrade , ni même le paſſage
d'aucun Corps ſur le territoire Ottoman.
La garniſon de Belgrade a reçu un renfort
de 4 à 5 mille hommes ,& on la croit forte
aujourd'hui de 18 mille. Depuis le 22
avril au 2 mai , elle n'a fait aucune entrepriſe
ultérieure fur nos poftes avancés ,
ni fur nos ouvrages. On continuoit , près
de Semlin , la digue deſtinée à refferrer
le lit de la Save , & à recevoir des batteries
qui puiffent atteindre l'ennemi.
Les opinions ſont partagées ici ſur l'affaire
de Dubitza , qu'on repréſente diverſement
d'une manière plus au moins déſavantageuſe.
« Les uns , s'appuyant du bulletin officiel, foutiennent
que lePrince de Lichtenstein repouſſaconftamment
les attaques réitérées des ennemis , &
expliquent la retraite de ce Général pendant la
nuit qui ſuivit le combat , par la néceſſité où il ſe
vit de céder au grand nombrede Boſniaques qu'on
avoit vu paroître , après le coucher du ſoleil , fur
les montagnes voiſines ,&qui le lendemain auroient
infailliblement enveloppé les Impériaux. Ce
Prince , ajoutent-ils , n'avoient entrepris le ſiége
de Dubitza , avec 7 à 8 mille hommes, que parce
quedes ordres ſupérieurs le lui avoient preſcrit ; ce
nombre de troupes étant au reſte de beaucoup
infuffifant pour une entrepriſe qui l'avoit forcé de
detacher environ 2 mille hommes pour aller rea
inj
( 6 )
4
connoître le pays d'alentour. D'autres , au contraire
, aſſurent que ce Corps d'armée a été battu
&défait ſous Dubitza ; qu'il a laiſſé près de 3
mille hommes ſur le champ de bataille ; qu'il a
perdu toute l'Artillerie & les bagages , avecnombre
de drapeaux , & que les Boſniaques l'avoient
ſi bien environné de toutes parts , qu'ils l'auroient
entièrement détruit , ſi la nuit n'étoit heureuſement
ſurvenue : ils ajoutent que les Impériaux ,
lesOfficiers , auffi bien que les Soldats , prévoyant
qu'ils n'avoient aucun quartier àattendre , s'étoient
défendus avecla plus grande valeur,&avoient combattu
comme des lions , vendant cher leur vie à
un ennemi réſolu de les tailler en pièces. Ceux
qui font de cette dernière opinion fur ce fâcheux
évènement , & dont le nombre commence à prédominer
dans cette capitale , difent qu'ils neconçoivent
pas comment une armée , affiégeant une
place , a pu être ſurpriſe par 10 mille Bofniaques
venus du côté de Banjaluka , fans qu'elle ait été
avertie de leur approche, ſoit par ſes poftes avancés
, foit par les détachemens qu'elle avoit envoyés
pour reconnoître les environs. Ils comprènnent
encore moins , continuent-ils , comment on
a pu fe hafarder à mener le Soldat à une brêche
de 3 à 4pieds d'ouverture , dont la vue feule devoit
le rebuter. Quoi qu'il en ſoit de ces deux
opinions contraires , on doit rendre juftice au conrage
du Prince , qui fit les plus grands efforts pour
repouſſer l'ennemi &pour fauver ſes troupes de
leur entière défaite. Il s'eſt trouvé, durant l'action ,
expoſé plus d'ane fois au tranchant du fabre de
Vennemi ; il tua un Officier Boſniaque d'un coup
de, piſtolet , au moment qu'il alloit lui ôter la vie ;
il échappa à deux autres qui alloient l'accabler ,
&il eut un cheval bleſſé ſous lui. Aufſi , ce que
l'on aura peut- être à reprocher à ce Général , c'eſt
( 7 )
le trop grand courage qu'il a déployé en cette
occafion. »
« Les Turcs , de leur côté , ont donné des
preuves non équivoques d'une valeur extraordinaire
, ainſi que de la conduite la plus intelligente
dans l'attaque& la ſurpriſe de l'arméeAutrichienne.
Etant arrivés près du camp , ils ſe trouvèrent
devantun ruiſſeau qui avoit 4 à 5 pieds d'eau de
profondeur ; l'Infanterie ſe voyant arrêtée par cet
obftacle , prit auffi-tôt le parti courageuxde s'attacher
à la Cavalerie , en tenant des deux mains
la queue des chevaux , & ſe laiſſa ainſi traîner
jusqu'aubord oppoſé , où , ayant mis pied à terre,
elle fondit aufli rapidement que la Cavalerie fur
l'ennemi,ſans lui donnerle temps de ſe reconnoître.
Il faut convenir qu'aucune milice Européenne ne
montra jamais plus de bravoure. Juſqu'ici les
Ortomans ſe ſont conduits dans toutes les rencontres
comme gens auſſi intrépides qu'entendus. S'ils
ſemontrent tels dans lesgrandes actions,, onprévoit
que cette guerre fera plus longue , plus fanglante&
plus opiniâtre qu'on ne l'a cru d'abord. »
Le 2 , on avoit reçu à Semlin la nouvelle
que l'avant- garde de la grande armée
Ottomane étoit arrivée aux frontières
de la Servie. On lui donne 100,000
hommes , dont 60,000 d'élite.
L'Amniſtie accordée par l'Empereur à tous les
Déſerteurs de ſes armées, exclut uniquement les
Soldats qui , hors la déſertion , ſe ſeroient rendus
coupables de quelque crime grave. Ce pardon général
aura ſon effet pendant 12 mois , à compter
du 1er. mai 1788 , date de l'Amniſtie actuelle.
DeFrancfort-fur-le-Mein , le 24 Mai.
On écrit de Berlin , que le Prince Henri
a iv
( 8 )
a de nouveau demandé au Roi lapermilfion
d'aller faire un voyage enFrance &en
Italie , & que S. M. lui a répondu qu'elle
ne pouvoit ſe paſſer de ſes conſeils ; mais
qu'enfin elle a conſenti à ce que ce Prince
fit un voyage à Paris , où il pourra refter
pendant l'été.
La garniſon de Poftdam , écrit-on de
cette ville , fe rend trois fois par ſemaine
dans la plaine , pour y faire fes exercices.
Le Roi ne manque jamais de s'y
trouver. Le Prince Royal eſt employé
à la première aile du premier bataillon
des Gardes , & il commande depuis quelques
femaines la compagnie du Corps.
Ce Prince l'exerce avec tant d'exactitude ,
qu'il fait l'admiration de tous les Officiers.
Très - ſouvent il ſe rend au lieu des
exercices , à pied, & à la tête de ſa compagnie
: il ne fouffre pas que l'on frappe
le Soldat; mais lorſqu'il voit que l'un ou
l'autre n'ont pas fait leur devoir , il écrit
leurs noms fur fes tablettes ,& après l'exercice
général il les fait exercerde nouveau.
Il admet toujours à ſa table quelques Officiers
de fa garnison. Le jour de l'anniverſaire
de fon Gouverneur Comte de
Briuhl, il donna un grand dîné : pendant
le repas , il porta la ſanté du Comte ; à
peine le verre fut-il vidé , que les portes
d'une falle voiſine s'ouvrirent , & l'on en(
9 )
tendit une muſique délicieuſe. Cette marqued'amitié
a infiniment touché le Comte
deBrühl .
Depuis quelques années , les Ecrits fur lesSociétés
ſecrettes ou myſtiques ſe ſont prodigieuſement
multipliés enAllemagne: nous avons , entre
autres , parlé plus d'une fois de ceux qui attribuent
aux Jéſuites une influence puiſſante & cachée
ſur la Franc- Maçonnerie. A l'appui de cette
opinion de pluſieurs Ecrivains Allemands , on apprend
qu'il vient de paroître en France un ouvrage
en deux volumes , intitu'é lesJésuites retrouvés
dans les ténèbres , par M. de Bonneville , qu'ont
déja fait connoître divers Eſſais littéraires ,&une
traduction eſtimée du Théâtre Allemand. Dans
la première partie de ces recherches , l'Auteur
développe celles qui ont été faites ſur les anciens
Templiers , fur la conſervation ſecrette de leur
Ordre,& examine les ſyſtemes divers , par lefquels
on a cherché à expliquer l'origine de la
Franc-Maçonnerie. La feconde partie a pour
but d'expliquer les chiffres & les ſymboles , de
manière à accréditer l'idée que les Jéſuites ſont
les Moteurs & les Supérieurs inconnus de cette
Société fi nombreuſe & fi reſpectable Nous
n'examinerons point quelle peut être la force des
preuves de l'Auteur ; mais fon livre doit piquer
fortement la curioſité .
ESPAGNE.
De Madrid , le 8 Mai.
« La Cour vient d'apprendre, par un exprès de
Cadix , que la première eſcadre armée dans ce
port , en a mis à la voile le 22 avril , compoſée
de 5 vaiſſeaux de 74 canons , deux de 64 , 3 fréav
( 10 )
ش
gates de 30 , & 3 ou 4 corvettes ou autres bâtimens
plus petits. Un des vaiſſeaux de ligne, le
Saint-Sébastien , de 74 canons , eut le malheur de
toucher près de Rota ; mais peu après il ſe-dégagea.
Il eſt retourné à Cadix, afin de s'y réparer
promptement ; & l'on comptoit qu'il iroit rejoindre
fans délai le reſte de l'eſcadre. Le Miniftre de
Ruffie a notifié au Gouvernement la prochaine
entrée d'une eſcadre de ſa Nation dans la Méditerranée
, & a demandé pour elle la liberté de relâcher
dans les ports d'Eſpagne, en cas denéceflité.
Notre Cabinet a accordé lademande, ſous la ſeule
condition uſitée auffi à l'égard d'autres Nations ,
que les vaiſſeaux de guerre Ruſſes n'entreront pas
dans les ports Eſpagnols en grand nombre à la
fois. Le Conſeiller de Légation, qui faiſoit ici les
fonctions de Secrétaire de l'Ambaſſade Ruſſe , eſt
parti ſur le champ en Courier pour aller porter
cette réponſe à la Cour de Pétersbourg. -
Eden, nouvel Ambaſſadeur Britannique , eſt arrivé
ici le 3 de ce mois , venant en dernier lieu de
Paris. »
GRANDE - BRETAGNE.
De Londres , le 27 Mai.
M.
L'armement d'une eſcadre deſtinée , ſelon
les uns , à faire des évolutions dans la
Manche , pendant l'été , & felon d'autres ,
à une croiſière d'obſervation , eſt non-feulement
arrêté , mais encore en pleine activité.
Certe eſcadre fera compofée des fix
vaiſſeaux de ligne que nous avons nommés
au Journal précédent , &dont la plupart
font déja à Spithéad : le Commodore
LevefonGower en aura le commandement,
(11 )
1
& cet Officier , parti pour Portfmouth ,
arborera fon pavillon fus l'Edgar de 74
canons. Le Prince - William Henri ſeréunira
, dit- on , avec ſa frégate à cette
eſcadre, ainſi que l'Aquilon , frégate neuve
de 32 canons , & la Pomone de 28 , toutes
deuxmiſes encommiſſion à Deptford , par
ordre récent de l'Amirauté. - On équipe
auſſi à Woolwich , en diligence , les frégates
l'Amphitrite & le Mercure , dont les
Capitaines feront inceſſamment nommés.
- Des maiſons de rendez-vous font ouvertes
en pluſieurs ports , pour recevoir
les Matelots qui doivent completter les
équipages de l'eſcadre.
Le munitionnaire du vaiſſeau de la
Compagnie des Indes le Chefterfield , eſt
arrivé le 21 au ſoir à l'hôtel de la Compagnie
, avec la nouvelle de l'heureuſe arrivée
de ce bâtiment, le 20 , à la hauteur
de l'iſle deWight, venantde Bencoolen
. Le Lafcelles , arrivé de la Chine , a
précédé le Chesterfield de quelques jours .
La Compagnie attend inceſſamment quatre
autres vaiſſeaux , venant de ſes divers
établiſſemens.
Le 23 , Lord Rawdon demanda à la
Chambre Haute la ſeconde lecture d'un
Bill qu'il avoit déja propoſé , en faveur des
Débiteurs inſolvables . Le Chancelier combattit
la Motion , & traita le Bill avec
avj
( 12 )
beaucoup de ſévérité ; quelques autres
Pairs furent plus indulgens , & rendirent
un juſte hommage aux motifs de Milord
Rawdon , dont la Motion fut rejetée à la
pluralité de 48 voix contre 13 .
autres objets traités depuis 8 jours dansla
mêine Chambre , font dénués de tout intérêt
pour nos Lecteurs.
- Les
Il n'en eſt pas abſolument de même de
ceux qui ont été agités par les Communes.
Depuis quelques jours, les états &
documens fur les Finances de la Compagnie
des Indes , ayant été ſoumis à l'examende
la Chambre , M. Dundas , en qualité
de Préſident du Bureau de Contrôle ,
préſenta , le 23 , le Budget de l'Inde , ſoit
le compte autenthique des revenus , des
dépenses & de la dette de la Compagnie
dans cette partie du monde. Ces eſtimations
détaillées ont été envoyées par le
Comte de Cornwallis , aujourd'hui Gouverneur-
général , & relevées des regiſtres
du Confeilde Calcutta. On jugera par le
ſommaire de ce Bilan , à quel point M.
Dundas eut raiſon , en débutant , de félieiter
la Nation ſur la proſpérité aquelle
de ſes affaires dans l'Indoſtan,
Les revenus fixes duBengate
& Provinces dépendantes
, s'élèvent à cinq
crores, fixlacks,&48,906
( 13 )
roupies , faiſant , argent
d'Angleterre ......... 5,688,000 1. ft.
Les Dépenses civiles , militaires
,&c. montent à .. 3,449,420
Excédent de la Recette
ſur la Dépenſe . ....
Les Revenus fixes du
Gouvernement de Madras
font de .. ....
Les Dépenses
Surplus libre
. ...

....
Les Revenus du Gouvernementde
Bombay s'élèvent
à .
Les Dépenses à .
..
..
Excédentde la Dépenſe
fur la Recette . ...
2,238,580
1,300,700
1,262,593 .
38,107
147,000
456,000
309,000
(Ici M. Dundas expliqua pourquoi l'établiſſement
de Bombay étoit auſſi diſpendieux
, & fon extrême importance pour
couvrir à l'eſt les autres domaines Britanniques.
)
* De ces trois comptes particuliers ,
>> continua M. Dundas , il réſulte que
>> le Revenu général de
>> nos poffeſſions Aſiati-
>> ques eſt de
>> Les dépenſes totales
7,154,2921 . ft.
>> qu'ils exigent , de . • 5,177,039
1
(14)
» Et par conséquent
>>> l'excédent libre de la
>> Recette ſur la Dépenſe,
de . ....... 1,977,253 l.ft.
>> Mais de cet excédent , il faut déduire
>> fix lacks que coûtent les établiſſemens
>> de Bencoolen & de l'Iſle du Prince de
» Galles ; 13 lacks pour l'entretien des
>> quatre nouveaux Régimens envoyés
>> dans l'Inde ; la perte d'un revenu de
» 154,169 liv. fterl . , par l'abolition de
>> diverſes Douanes , nuiſibles à l'induſtrie
» & au commerce ; les Dépenſes addi-
>> tionnelles néceſſaires à Bombay, mon.
> tant à 54,000 1. ft.; enfin , 11,000 1. ft.
>> que doit coûter un nouveau Corps de
» Cavalerie pour le Bengale.
>>> Ces diverſes défalcations formentune
» ſomme de 373,869 liv. fterl.
» Le Revenu net &M-
>> bre reſte donc de
...
» Auquelilfautajouter
1,535,8841. ft.
>> le bénéfice des ventes
>> des marchandises en-
>> voyées dans l'Inde par
>> la Compagnie , qui
>> monte à . .. 345,446
» Total du Revenu li-
>> bre , effectif &applica-
>> ble , foit à la libération 1
( 15 )
» de la Compagnie , ſoit
» à l'achat de ſes cargai-
>> fons pour l'Europe .. 1,881,3301.ft.
>> Suivant toute proba-
>> bilité , ce Revenu s'éle-
>> vera à deux millions
» sterlings.
>> La dette de la Compagnie dans le
» Bengale , &c . a été diminuée cette an-
>> née de plus de 834,000 liv. fterl. , &
» n'eſt plus aujourd'hui que de 7 crores ,
>>> 62 lacks & 81,563 rou-
>> pies , foit environ de 7,630,000 1. ft.
Ce tableau ne fut conteſté que par
M. Francis , dont les arg imens ſe réduifirent
en ſubſtance à celui-ci :: - << Depuis
>> dix ans , je ne ceſſe de crier que l'Inde
>> eſt ruinée; ainſi commeje nemetrompe
>> jamais , & que je fuis conféquent , je
>> déclare que tous les comptes ſont faux ,
>> que j'ai feul raiſon , & que l'Inde eſt
>> ruinée ainſi que la Compagnie . »
Le Major Scott fit undiſcours que nous
rapporterons par lafuite , & dans lequel
on remarqua entr'autres le paſſage fuivant:
« Sije confidère la Provincede Benarès ,
>> je vois Milord Cornwallis , & après lui
>> M. Dundas , c'est- à-dire, toutleBureau
>> de Contrôle , nousdonnerquarante-qua-
>> tre lacks de revenus annuels dans cette
( 16 )
:
>> Province de Benarès ; ils affirment que
>> ces revenus ſont ſolides, pleinement al-
>> ſurés pour les années ſuivantes. Ce
>> pendant , nous Chevaliers , Citoyens
» & Bourgeois aſſemblés en Parlement ,
>> marchons en cérémonie trois fois par
>> ſemaine à Westminster Hall , pour dé
>> clarer à la Cour des Pairs que jamais
>> on n'a reçu aucun revenude Benarès,
» & que M. Hastings a irremediablement
>>> ruiné cette contrée. >>>
Le 26 , M. Dundas fit le rapport des
réſolutions priſes le 23 au ſujet de ce
Budget Indien & le même jour , M. Pitt
préſenta un o réglementaire des pêcheries
de Terre Neuve. Nous pourrons
revenir ſur quelques- unes de ces Séances,
&nous terminerons dans huitjours le débat
au ſujet du Chevalier Elijah Impey ; mais
pour le moment , nous devons terminer
un objet que nous avons été forcés de
différer , c'est-à-dire , le compte rendu de
M.Piu.
Enoffrant ce tableau des Finances de
l'année, développé devant la Chambre des
Communes , nous nous renfermonsdans le
petitnombrede paſſages qui peuvent intéreffer
nos Ledeurs , ſans trop occuper leur
attention. M. Pitt récapitulad'abord les fubfides
votés pour le ſervice de l'année courante
, enles diviſant parſubſides ordinaires
( 17 )
& extraordinaires ; d'où il réſulte que leur
total , y compris le million fterling confacré
annuellement à l'amortiſſement de la
detre publique , s'élève à 15,634,000 1. ft.
Poury faire face , le revenu
public , du 5 avril
1787 au 5 du même mois
1788 , ſe trouve de .. . 15,792,000
Excédant de la recette
fur la dépenſe ..... 158,000 1. ft.
M. Pitt rendit enſuite raiſon des artieles
extraordinaires qui accroiffoient les
ſubſides cette année.
« On a voté , dit-il , plus de deux cents mille
livres au - delà des ſommes allouées en temps
de paix pour le ſervice de la marine. La dépenſe
de l'armée s'eſt également élevée plus haut par
ľaugmentation des troupes pour la défenſe de nos
poſſeſſions éloignées . La liſte des dépenſes contient
, outre cela, des ſommes qui ne reparoîtront
plus à l'avenir ; l'une de 334,000 liv. employée
aux armemens de l'été dernier ; l'autre de 181,000
livres , à liquider les dettes du Prince de Galles.
De l'accroiffement des extraordinaires de l'armée
& de l'artillerie , ajouté au 500,000 livres ci-deſſus
détaillées , eſt réſulté une addition caſuelle à la dépenſe
ordinaire de 1,282,000 liv. ft. »
Paſſant aux voies & moyens de l'année ,
le Chancelier de l'Echiquier déclara le produit
des taxes diverſes , dites perpétuelles ,
& de celles des terres & de la drèche ,
dites annuelles , comme formant la ſomme
que nous avons énoncée antérieurement :
:
( 18 )
il mit auſſi en compte éventuel une ren
trée de 200,000 liv. fterl. ,& une fomme
de 50,000 liv . due au Gouvernement par
la Compagnie , &dont il étoit afſuré pour
cette année ou le commencement de
l'autre.
« D'autres reſſources , continua-t- il , font préparées
pour augmenter le revenu de l'année prochaine
; entr'autres , trente mille livres ſterlings
d'accroiſſement provenant du nouveau bail des
Poſtes aux chevaux ; 40,000 liv. des permiffions
dediftiller en Ecoſſe ; le bénéfice qui réſultera
d'un Bill deſtineà prévenir les fraudes dans le com.
merce du tabac , Bill qu'il ſe réſervoit de préſenter
à la Chambre, dès le commencement de la
prochaine feffion.»
Depuis la paix , il y avoit eu un accroiſſement
de revenus d'environ trois millions par des taxes
nouvelles , il eſt vrai, mais qui n'avoient pas rendu
leur valeur dès leur établiſſement. La richefſe étoit
augmentée , la population accrue, l'induſtrie plus
animée ; on pouvoit s'en convaincre enjetant un
coup-d'oeil fur le commerce , fur les pêcheries , les
importations & exportations. Notre commerce a
déjapaſſé leplus haut point de proſpérité qu'il eût
atteint avant ladernièreguerre,malgré la perte de
l'Amérique. Ce fait étoit prouvé par la comparaiſon
du total des importations & exportations de
1773 & 1774 , avec celui de nos importations&
exportationsde 1786&de 1787,d'où ilréſultoitque
P'accroiſſementde ces 2 articles avoit été conſidérable,
fur-toutdanslesdeuxdernières années , particulièrement
pour les importations ; circonstance favorable
, puiſque cet accroiſſement d'importanoit
à une plus grande consommation de celui des
1
1
1
( 19 )
matières premières qui alimentent nos manufactures.
Dans l'année 1772 , les importations montèrent
a ..... ....... 14,500,000 l. ft.
Les exportations à ......... 16,000 000
En 1773 , on n'importa que
pour la valeur de. 12,00০,০০০
L'on exporta pour celle de .. 16,000,000
Ces deux années ſont celles des
plus grandes exportations avant
la guerre.
En 1786 les importations ont
été de ........ 15,786,000
Les exportations de 16,300,000 ....
» En 1787, on n'a pas encore
vérifié les importations, mais les
exportations paſſent 16,600,000
La navigation s'eſt accrue dans
la même proportion.
En 1773 & 1774 , la pêcherie
de Terre-Neuve avoit rendu une
année dans l'autre en morues falées......
............
En 1786 , elle en avoit donné
516,000 quin.
732,000
Au lieu de 96 navires qu'on occupoit à cette
pêche en 1773, nous en avons eu l'année dernière,
248 , montés par dix mille matelots , les meilleurs
del'Angleterre.
Même amélioration dans la pêche du Groënland,
quant au nombre de vaiſſeaux , à leur port ,
& à la quantité de matelots. La pêche de la baleine
des mers du ſud , qui n'a commencé que durant la
dernière guerre , s'eſt prodigieuſement accrue pendant
les dernières années. Cet accroiſſement des
( 20 )
reſſources publiques nous a permis de racheter
annuellement unmillion fterling de notre dette ,
le revenu national a acquis cette proſpérité fans
économies puériles ou déplacées , ni fans affoiblir
la guerre , la marine , aucun des départemens: au
contraire , la marine ſeule a reçu 430,000 liv. ft.
de plus par an. Depuis la paix , on a remboursé
ou conftitué plus de 33 millions fterl. de denes ;
&quoique la dépenſepublique ait exigé trois millions
de plus par an, on n'a cependant augmenté
lestaxes que juſqu'à laconcurrence de moitié leu
lement de cette fomme ; le reſte , on l'a trouvé
dans une_adminiftration plus économique du revenu-
Encore un coup , malgré ces épargnes ,
onaabondamment fourni à tous les grandsdépartemensde
l'Etat ; la marine, par exemple , a difpofé
de 7millions fterl. pour la conſtruction de vaiſſeaux
neufs. Durant les cinq années qui fuivirent immédiatement
la paix de 1763 , on ne conſtruifit
ni n'équipa autant de navires que durant les cinq
écoulées depuis la fin de la dernière guerre.
Voici l'état ſommaire du produit net
des différentes taxes , depuis le 5 avril
1787 , à la mêîne dare en 1788 , tel qu'il
a été remis à la Chambre des Communes.
Douanes •
.....
liv.ster!, sch.
3,817,628 15
6,368,189 3
•• 1,211,878 10
Accife
....
Impôt du Timbre
Taxes diverſes , non
compriſes dans les trois
articles précédens , telles
que les impôts ſur les lettres
, le ſel , les places &
( 21 )
penfions , les voitures ,
chevaux , domeſtiques ,
&c..
TOTAL
..
....
1,765,257 3
13,163,561 "
A quoi il faut ajouter le produit de
la taxe ſur les terres & fur la drêche ,
communément eſtimé à 2,750,000 liv.ft. ,
mais qui ne rapportent jamais cette valeur.
Traité d'Alliance défenſive conclu entre Sa Majesté
le Roi de la Grande-Bretagne , & leur Nobles &
Hautes Puiſſances les États-Généraux.
L'amitié naturelle& fincère qui a ſubſiſté depuis
fi long-temps entre Sa Majefté le Roi de la Grande-
Bretagne & leurs Hautes Puiſſances , ayant reçu
une nouvelle force & un nouvel accroiſſement ,
par l'intérêt que Sa Majesté Britannique a récemment
manifeſté pour le maintien de l'indépendance
de la République&de la conftitution , telle qu'elle
eſt établie par la loi , Sadite Majesté & leurs Hautes
Puiſſances ont réſolu , pour cimenter d'une manière
plus folide & plus durable , l'harmonie , la
confiance& la correſpondance entr'elles, de former
un engagement permanent par un traité d'alliance
défenſive, pour le bien des deux parties& pour
le maintien de leur tranquillité générale& particulière.
Afin de remplir ce but falutaire , Sa Majeſté
le Roi de la Grande-Bretagne a nommé &
autoriſé le Chevalier James Harris , fon Ambaffadeur
extraordinaire auprès des États-Généraux;
& leurs Hautes Puiſſances les États-Généraux des
Provinces-Unies, ontnommé& autorisé M. Vander-
Spiegel, grand Penſionnaire de Hollande.
Les Perſonnes ci-deſſus nommées , après avoir
communiqué leurs pleins-pouvoirs en due forme,
(22)
:
&après avoir conféré l'une avec l'autre, ont arrêté
les articles ſuivans .
ART. I. Il exiſtera une amitié fincère &une
union ferme & conftante entre Sa Majefté Britannique
, ſes héritiers & ſes ſucceſſeurs , & les
fufdits Etats - Généraux enforte que les Hautes
- Parties contractantes apporteront la plus
grande attention à maintenir entr'elles , leurs
Etats & Sujets , cette correſpondance amicale &
réciproque ; & elles s'engagent à contribuer alltant
qu'il ſera en leur pouvoir à ſe défendre mutuellement
l'une & l'autre , & à ſe maintenir en
paix& en tranquillité.
II . Dans le cas où l'une des Puiſſances contractantes
feroit attaquée hoftilement par quelque
Puiſſance d'Europe , dans telle partie du monde
que ce puiſſe être , l'autre Puiſſance contractante
s'engage à ſecourir ſon alliée, tant par mer que
par terre , à ſe garantir& maintenir mutuellement
l'une& l'autre dans la poſſeſſion de tous leurs
états , domaines , villes , places , franchiſes & Ebertés
qui leur appartenoient reſpectivement avant
le commencement des hoftilités.
III. Sa Majeſté Britannique garantit de la manière
la plus efficace le Stathoudérat héréditaire
de chaque Province dans la Séréniffime Maiſon
d'Orange , avec toutes ſes charges& prérogatives ,
comme formant une partie eſſentielle de la conf-
-titution des Provinces-Unies , ſuivant les réſolutions
& diplômes des années 1747 & 1748 , en
vertu deſquels le Stathouder actuel eſt entré en
poffeffion de ces charges en 1766 , & a été réintégré
dans ces mêmes charges en 1788 , s'engageant
même à maintenir cette forme de gouvernement
contre toutes les attaques , ſoit directes ,
foit indirectes , ou de telle nature qu'elles puiſſent
être.
( 23 )
IV. Les ſecours mentionnés dans le ſecond arti
cle de ce traité , conſiſteront, de la part de Sa Majeſté
Britannique , en 8000 hommes d'Infanterie ,
2000 hommes de Cavalerie , douze vaiſſeaux de
ligne , & huit frégates ; & de la part des Etats-
Généraux , en 5000 hommes d'Infanterie , 1000
hommes de Cavalerie , huit vaiſſeaux de ligne ,
&huit frégates , leſquels ſecours reſpectifs feront
fournis dans l'eſpace de deux mois , après la réquiſition
qui en fera faite par la partie attaquée ,
&reſteront à ſa dipoſition pendant toute la durée
de laguerredans laquelle elle ſe trouvera engagée ;
&ces fecours , foit en vaiſſeaux , frégates , foit en
troupes , feront payés & entretenus par la Puiffance
qui les fournira par tout où fon allié jugera
à propos de les employer.
V. Dans le cas où les ſecours ſtipulés ne ſeroient
pas ſuffifans pour la déſenſe de la Puiſſance
réquérante , la Puiſſance requiſe les augmentera
ſuivant les beſoins de ſon allié ; elle l'affiltera auſſi
de toutes ſes forces , ſi les circonstances le réquièrent
; mais il eſt expreſſément convenu dans
tous les cas que le contingent des Etats-Généraux
n'excé era pas 10,000 hommes d'Infanterie , 2000
hommes de Cavalerie, 16 vaiſſeaux de ligne , &
16 frégates .
VI. Mais comme il peut arriver ( vu l'éloignement
des poſſeſſions des Puiſſances contractantes)
que les avantages qui réſulteroient de la concluſion
du préſent traitédevinſſentilluſoires pour la défenſe
mutuelle de ces poffeffions , avant que les Gouvernemens
reſpectifs puſſent recevoir des ordres
d'Europe ; en conféquence , il eſt ſtipulé & convenu
que dans le cas où une de ces poſſeſſions
feroit attaquée hofſtilement, ſoit en Afrique , ſoit
en Aſie , par une Puiſſance Européenne , il ſera
enjoint aux Gouverneurs des établiſſemens des
( 24 )
Parties contractantes dans ces parties du monde,
defournir les ſecours lesplus prompts & les plus
efficaces à la Partie attaquée ou menacée de l'être;
&il fera expédié des ordres à cet effet auxdits
Gouverneurs immédiatement après la conclufion
dudit traité ; & les deux Hautes Puiſſances contractantes
ne permettront pas aux vaiſſeaux de
guerre des Puiſſances afſaillantes d'entrer dans
aucundes ports de leurs établiſſemens , juſqu'à ce
que la paix entre la Puiſſance aſſaillante & l'allie
de la Puiflance contractante ſoit rétablie , à moins
que leſdits vaiſſeaux ne foient forcés de s'y réfugier
pour éviter de périr ou d'être naufragés.
VII. S'il arrivo t que les deux Hautes Puiſſances
contractantes de trouvaſſent l'une& l'autre enga
gées dans une guerre contre un ennemi commun,
elles s'engagent réciproquement à ne point
défarmer que d'un conſentement mutuel , &elles
ſe communiqueront en confidence l'une & l'autre
toutes propofitions de paix oudetrève qui pourront
leur être faites.
VIII . Si les Fautes Puiſſances contractantes
defirent fournir leur ſecours de troupes en argent ,
il fera libre à chacune des. Parties de le faire
d'après une évaluation qui fera faite dans un article
ſéparé.
IX. La Puiſſance requérante ſera obligée, tant
que les vaiſſeaux , frégates& troupes qui lui auront
été fournis reſteront dans ſes ports , de les pourvoir
de tout ce dont ils pourront avoir beſoin ,
au même prix que ſes propres vaiſſeaux , frégates
&troupes. Il a été auffi convenu que dans aucun
cas les fuſdites troupes ou vaiſſeaux ne feront à la
charge de la Partie requérante , mais que néanmoins
elle pourra en diſpoſer librement pendant
toute la durée de la guerre dans laquelle elle ſera
engagée: les ſecours ſus-mentionnés feront entièrement
(25 )
rement dirigés d'après les ordres des chefs qui les
commanderont , & ils ne pourront pas être employés
ſéparément ou conjointement, fi ce n'eſt
de concert avec leſdits chefs. Quant à leurs opérations
, ils ſeront entièrement afſujettis aux ordres
du commandant en chefde la Partie requérante,
X. Il eſt convenu en même-temps que les deux
Puiſſances établiront un traité de commerce ; que
des ſujets de la République ſeront traités dans les
Royaumes de laGrande-Bretagne &de l'Irlande ,
comme la nation la plus favoriſée , & qu'il en
ſera de même dans les Provinces-Unies , à l'égard
des ſujets de S. M. Britannique; bien entendu néanmoins
que cet article ne s'étend pas à une diminution
de droits d'importation.
Comme par le quatrième article du traité de
paix figné en 1784 , Sa Majesté Britannique s'engage
à traiter avec les Etats -Généraux pour la
reltitution de Negapatnam avec ſes dépendances ,
dans le cas où lesdits Etats auroient par la ſuite
quelque équivalent à lui offrir pour ces poſſeſſions ,
&comme leurs Hautes Puiſſances ont fait connoître
de nouveau le déſir qu'elles avoient que
cette reſtitution leur fut faite , & qu'on fixât &
déterminât précisément le ſens du ſixième article
du même traité , concernant la navigation des
ſujets Britanniques dans les mers de l'Inde ; Sa
Majefté Britannique , pour donner à la République
une preuvede ſaboune volonté , eſt diſpoſée
àentrer dans les vues dedeurs Hautes Puiſſances ,
& à aſſurer en même temps à la République les
avantages nouveaux& réels d'un commerce dans
cette partie du monde auſſi - tôt que l'équivalent
ſera déterminé, pour lequel Sa Majesté Britannique
ne demandera rien de défavorable aux intérêts&
à la fûreté réciproque des deux Puiſſances
contractantes dans l'Inde ;& pour que les confé-
Nº. 23. 7 Juin 1788. b
( 26 )
rences pour ces arrangemens ne puiſſent pas nuire
à la conclufion du préſent traité, il eſt convenu
qu'ils feront réglés le plus tôt poffible , & déterminés
dans l'eſpace de fix mois, après la date du
préſent traité , & que la convention qui fera faite
aura la même force comme ſi elle étoit inférée
dans le traité même.
Articleséparé En conféquence du huitième article
du traité d'aliance , les deux Bautes Puiſſances
contractantes conviennent que dans le cas où les
fecours ſtipulés feroient fournis en argent , ils
feront évalués à 100,000 florins deHollande par
an pour 1000 hommes d'Infanterie, & 120,000
florins deHollande pour 1000 hommes de Cavalerie
par an , ou dans la même proportion .
On peut juger , par les faits fuivans , combien
les Manufactures Angloiſes de coton font importantes
pour la Grande-Bretagne.
Ilyadans ceroyaume 143 moulins à eau pour
filer le coton , qui ont coûté plus d'un million
ſterling à établir. Ces machines filent d'abord le
coton cardé, & en font enſuite du fil à pluſieurs
brins, propre à être enſuite manufacturé ;&il ne
faut pas croire que ces moulins ſe trouvent tous
réunis dans un même territoire:ils font répandus
dans 27 Comtés divers.
En 1783 , le coton brut manufacturé en Angleterre,
s'eſt monté à 9,546,179 livres peſant en
ſajvaleur; étant ouvré , il a été eſtimé à environ
3,200,000 liv. ſterl.
En 1787 , il a été conſommé 22,600,000 livres
peſant de coton qui , manufacturé , a dû produire
pour plus de 7,500,000 liv, ſterl. de marchandiſes.
Par une eſtimation très-modérée , on préfume
que cette manufacture a dû occuper 350,000
perſonnes.
Quelque brillante que ſoit cette branchede com(
27 )
merce , il eſt notoire qu'elle va ſouffrir conſidé..
rablement , ſi elle n'eſt pas totalement ruinée par
l'importation exceſſive que l'on fait enAngleterre
des marchandiſes de l'Inde , importation qui fait
tomber de plus en plus les prix de cette manufacture.
Les importations de marchandiſes de l'Inde,
pendant l'année 1787 , ont excédé de 324,852
pièces celles des fix années précédentes , & on
s'attend à les voir augmenter encore. Si cela arrive ,
on peut prédire avec certitude qu'une quantité
des machines à filer le coton feront abandonnées
fans reſſource. Les Manufacturiers reſteront oiſifs ,
&plus de 100,000 femmes& enfans , qui maintenant
font occupés par cette filature , au lieu de
trouver, comme auparavant , une ſubſiſtance convenable
, deviendront à chargeà leurs familles ou
à leurs paroiſſes .
Il faut eſpérerque cet objet fixera l'attentiondu
Gouvernement& de la Compagnie elle-même , &
qu'il ſera mis certaines reſtrictions aux importations
de l'Inde , puiſqu'il n'eſt pas de l'intérêt général
qu'une compagnie de particuliers ruine une branche
d'induſtrie nationale par l'introduction forcée
d'une manufacture étrangère.
FRANCE.
De Saint- Cloud , le 29 Mai.
Le 22 de ce mois, jour de la Fête-
Dieu , le Roi , la Reine , Madame , Fille
du Roi , Monſeigneur Comte d'Artois &
Madame Elifabeth de France , ont aſſiſte
à laProceflion du Saint-Sacrement , faite
par le Chapitre de Saint-Cloud.
bij
( 28 )
M. le Duc de Normandie ayant été
inoculé le jeudi 15 de ce mois , la petite
vérole locale s'eſt développée trois jours
après aux endroits des piqûres. Du 7 au
8 de la maladie, s'eſt manifeſté la fièvre
d'invaſion , qui annonce le paſſage de la
matière variolique dans le ſang.
Après l'éruption & le deſsècheinent des
boutons varioliques bien caractériſés fur
différentes parties du corps , le Prince a
été purgé , & fon état actuel ne laiſſe plus
d'inquiétude.
M. Rougier de la Fergerie , de la Société
royale d'Agriculture , a eu l'honneur de préſenter
au Roi , à Versailles , fon ouvrage , intitulé : Recherches
fur les principaux abus qui s'opposent aux
progrès de l'agriculture.
De Paris , le 4 Juin.
Arrêt du Conſeil d'Etat du Roi , du 29
mars 1788 , qui accorde une Prime d'encouragement
aux Armateurs François , qui
feront préparer & porter dans les ports
du royaume les rogues provenant de leur
pêche.
Arrêt du Conſeil d'Etat du Roi , du
27 mai 1787 , qui permet l'admiſſion en
franchiſe des Bâtimens étrangers au Port-
Louis en l'Iſle-de-France.
Lettres-Patentes du Roi , du 21 février 1788 ,
qui confirment un Bref du Pape , du 24 juillet
1787; en ordonnent l'exécution ,&preſcrivent la
( 29 )
forme & la tenue des Diètes dans chacune de
Provinces de la Congrégation de Saint -Maur ,
ainfi que du prochain Chapitre général de ladite
Congrégation.
1
Arrêt du Conſeil d'Etat du Roi , du 18 avril
1788 , concernant la tenue des D.ètes provinciales ,
& du Chapitre prochain de la Congrégation de
Saint-Maur , en conformité du Bref du Pape ,
du 24 juillet 1787.
Déclaration du Roi , du mois de décembre
1787 , en faveur des Curés dépendans
de l'Ordre de Malte ; regiſtrée en Parlement
le 7 mars 1788.
A la fuite des nouvelles Ordonnances militaires,
indiquées précédemment , font pluſieurs
Réglemens , en date du 1. & du 9 avril, faifant
partie de la colletion ; les deux premiers
font provifoires , & concernent , l'un , l'adminiftration
des fourrages des troupes à cheval , l'autre,
Y'adminiftration des vivres.
Les fix autres Réglemens ont été arrêtés par
le Roi ; le premier , en date du rer, avril , rela
tivement à l'opération de la nouvelle formation
du corps des Carabiniers de Monfieur , que Sa
Majesté a déterminée par fon Ordonnance du 17
mars dernier .
Le 2c. concerne la compofition &les fonctions
du directoire des ſubſiſtances militaires.
Le 3e. , en date du 9 avril , eſt pour ſervit
d'inftruction aux Officiers-généraux chargés de l'incorporation
des fix régimens de Cavalerie , que Sa
Majefté a réformés par fon Ordonnance du 17
mars , dans les fix régimens de Huffards , & les
12 régimens de Chaſſeurs-à-cheval.
biij
( 30 )
Le4e, porte: Inſtruction aux Colonels ou Commandans
de régimens de Cavalerie & de Dragons ,
qui ſeront chargés de mettre à exécution la nouvelle
formation que Sa Majefté règle par fon Ordonnance
du 17 mars dernier.
Le se. porte : Inſtruction aux Colonels ou Commandans
des régimens de Huſſards & des Chafſeurs-
à-cheval , pour l'incorporation del'eſcadron
que chacun de ces régimens doit recevoir.
Le 6e. porte : Inſtruction à l'Inſpecteur-général
qui ſera chargé de la réforme& réconftitution du
Corps d'Infanterie de Montréal.
Le Journal de Saintonge, toujours rédigé
par un homme de lettres verſé dans
pluſieurs genres de connoiſſances , en particulier
dans celle des antiquités , annonce
en ces termes la découverte d'une petite
ſtatue d'Iſis , trouvée en Saintonge.
« Cette Statue , très-peu intéreſſante , relativement
à ſa conſervation (elle eft mutilée par
le bas ) & à l'art , qui fut toujours dans un état
de médiocrité chez les Egyptiens , réunit lemérite
de l'antiquité la plus reculée à celui de la ſingularité.
Elle eſt defer,doublée de cuivre; ce qui paroît
d'autant plus extraordinaire , que tous les monumens
Egyptiens dans ce genre , qui ſont connus ,
font de cuivre , de bafalte , de pierre de touche ,
de terre cuite , ou de porcelaine : c'eſt ce qu'on
peut appeler une Statue fourrée , de même qu'on
nomme fourrée une médaille de cuivre fur chaque
côté de laquelle on a appliqué une feuille d'argent.
Cette découverte , qui doit intéreſſer les Saintongeois
, jette un nouveau jour ſur l'antiquité de
Ieur origine , & peut fervir à confirmer l'opinion
1
( 31 )
de quelques Savans , qui ont penſé que les Gaulois
avoient toujours fait le commerce avec lesEgyptiens&
les Phéniciens . >>
<<< Les Chevaliers de l'Ordre de Saint-
>> Michel ſe ſont aſſemblés , le 9 , au cou-
>> vent des Cordeliers de cette ville , &
❤ ont tenu un Chapitre , auquel a pré-
>> fidé , pour Sa Majesté , le Comte de Vin-
>>> timille , Chevalier Commandeur des
>> Ordres de St. Michel & du St. Eſprit .
» Après un Diſcours , qui a été prononcé
>> par le fieur Pourfin de Grandchamp ,
>> Chevalier & Secrétaire dudit Ordre , le
» Comte de Vintimille a reçu Chevaliers ,
>> au nom du Roi , les fleurs Cadet de Li-
» may , Mabru , Pertal , Matthieu ; en-
>> fuite tous les Chevaliers , le Comte de
» Vintimille à leur tête , ſe ſont rendus
>> proceſſionnellement en l'Egliſe dudit
>> couvent , & ont aſſiſté à la Meſſe ſolen-
» nelle qui ſe célèbre tous les ans. >>
« Unpauvre particulier , nommé Pierre Calin ,
dit une lettredeTroyes , âgé d'environ cinquante
ans , a été travaillé de la pierre depuis fon bas
âge ; &, feul , fans aucune connoiſſance d'anatomie
, fans conſeil de perſonne , il s'étoit fait luimême
trois fois l'opération avec ſuccès , à des
intervalles aſſez éloignés : enfin le 18 Avril dernier
, le mal reparoiſſant de nouveau , & déſefpérant
de ſurvivre à une quatrième , il envoie
chercher ſon curé , qui lui conſeille d'attendre le
retour du chirurgien. Le malade cède aux remon
biv
( 32)
trancesdu pafteur éclairé: lanuit fe paffe dans des
angoifles & au milieu de cris perçans ; le jour
arrive, mais le chirurgien ne doit ſe trouver que
le foir. Enfin vaincu , épuisé par la douleur , il
n'écoute plus perſonné, prend un rafoir, ſe fait
une ouverture au raphé, laquelle étant trop étroite,
refuſe le paſſage à la pierre : le patient ſe croit
mort. On court de nouveau chercher les fecours
fpirituels : à leur arrivée , le moribond quitté fon
triſte grabat& les haillous qui le couvroient , &
de cette voix qui perce Fame , & que marque
encoré la pudeur& la fimplicité de la foi : ah !
meſheurs,jesuis perdu , je l'ai manquée.... nous.
-fommes tous Chrétiens. Voyez.... & nous montrant
le fiége du mal & la cicatrice , il fait un
dernier effort : fuivent des mouvemens convulfifs,
tout fon corps ſe roidit, laplaie ſe déchire , la
pierre perce , on la tire, elle tombe à terre ; elle
étoit liffe , de la groſſeur&de la forme d'un oeuf.
de perdrix. Le malade rendu à la vie , demande
du beurre & de l'eau fraîche , ſon remède ordinaire,
il s'en frotte lui-même comme précédemment,
fans employer d'autres moyens de guérifon
, ni d'autre appareil . »
>>Le ſur-lendemain il alla travailler aux vignes
comme de coutume. Il est chargé de trois enfans
&d'une mère preſque octogénaire , n'a de reffource
pour gagner fa vie& celle de fa famillle,
que les bras affoiblis par cette cruelle maladie:
c'eſt fon extrême misère & l'impuiflance où il eft
d'en payer le traitement , qui l'a porté à cetexcès
dehardieffe.«
Dans le nombre des appétits contre nature
, il en eſt peu d'auſſi étranges que
celuid'une fille de Verneuil dans le Perche,
vi
!
( 33 )
dont l'hiſtoire eſt atteſtée par M. le Préfident
de la Chenaye..
- > Cette fille , écrit- il , iſſue du nommé Thibault
, journalier , & née en 1778 , a , dès l'âge
de quatre mois , manifeſté un goût particulier
pour ſa nourriture. Auffi-tôt qu'elle put porter ſes
doigtsdans la,cendre , elle en ramaſſoit ce qu'elle
pouvoit , la portoit à ſa bouche& l'avaloit. Devenueunpeu
plus forte , elle ne vouloit d'autres
alimens quede la terre , quelle qu'elle fût. A peine
eut-elle la force de porter quelque choſe , elle
prenoitſes ſabots ou fes fouliers,& en mangeoit
toute la terre. Cette enfant a vécu ainſijuſqu'à
l'âge de quatre ans.Unjour la femme Thibault , ſa
mère, lui ayant apporté le contenu de trois affiettes
de terre pilée pour être plus facilement avalée , fa
fille en dévora ſur le champ la totalité fi avidement,
que ce repas lui caufa une forte indigeftion,
dont l'effet a été de lui donner une telle averfion
pour cette forte de nourriture , qu'aujourd'hui
encore ſi ſon pain ou autres alimens tombent par
terre, non-feulement elle ne les reprend point, mais
ne veut pas même'en approcher ſi quelqu'un vient à
les ramaſſer. Dans les dernières années , où le goût
dela fille Thibault croiſſoit& augmentoit avec ſes
forces, elle caſſoit tous les colombages des chambres
qu'elle habitoit , pour en manger la terre dont
ils font ordinairement conſtruits chez ces fortes
de gens , ce qui fit qu'à la fin ſa malheureuſe mère
chaſſée, ainſi que fa fille , par tous les propriétaires
qui lui lowoient des chambres , n'ayant pu
trouver aucun aſyle , a été réduite à coucher , en
1782, dans la rue pendant un hiver entier , Ce
qu'il y a d'auſſi ſurprenant encore , c'eſt que cente
fille, avec le goût dépravé d'une nourriture aufli
mauvaiſe&aufli peu nourriſſante ,aitvécu juſqu'à
bawa
( 34 )
:
ce jour: il eſt vrai qu'elle est très-délicate , foible
& pâle , quoiqu'aſſez grande pour ſon âge. <
Lettre écrite à un Anglois par un Citoyen
de Bourg en Breffe.
ABourg, le 28 avril 1788.
«Vous avez trouvé, meſſieurs , quelque reffemblance
entre le climat de Bourg & celui de
pluſieurs parties de l'Angleterre: lapoſitiondecette
ville , l'aménité de ſes habitans , les reſſources
agréables que des étrangers peuventy rencontrer,
vous ont fait penſer que ſi elle étoit plus connue,
elle obtiendroit peut-être une place dans leurs itinéraires.
Je m'empreſſe de vous adreſſer les détails
quevousm'avezdemandés,&je ferois très-heureux
s'ils peuvent vous inſpirer le projet de venir en
vérifier l'exactitude. »
« La ville de Bourg , capitale de la Breſſe ,
& fiége d'un Préſidial étendu , contient environ
huit mille habitans : elle eſt à 46. 12. 30". de
latitude , & à 2°. 53 ' 55" . de longitude, à l'eſt du
méridien deParis; la températureyeſt fort douce;
l'hiver&le commencement du printempsy font
aſſez pluvieux , mais l'été y eſt ordinairement fec
&l'au omne belle. Quoique la conftitution de
l'atmosphère y ſoit en général plus humide que
sèche , l'airy est néanmoins fort ſain ,&convient
même très-bien aux perſonnes qui ont la poitrine
délicate. Il ne faut pas le confondre avec celui
qu'on refpire dans les parties de la Breſſe occupées
*par une multitude d'étangs ; les environs de Bourg.
ne leur reſſembent point , & on n'y obferve pas
plus de maladies que dans beaucoup de villes dont
Phabitation paſſe pour être fort falubre. >>>
«Des prairies arroſées par de petites rivières ,
des champs inégaux & variés , des baffins pittoreſques,
des fites intéreſſans, uneculture ſoignée,
( 35 )
R.
Size, bil
rest
S
des promenades champêtres , de belles avenues ,
compoſent autour de Bourg un agréable tableau.
Aune lieue à l'eſt , il eſt bordé par une chaîne de
coteaux qu'on peut regarder comme les premier
gradins des Alpes : ils font remplis de vignobles
de villages peuplés & de maiſons de campagne '
l'airyest très-vif : ony trouve de ſuperbes points
de vue,&des ſituations très- remarquables. Aune
demi-lieue au midi de la ville , l'horiſon eſt terminé
par une vaſte & beile forêt. »
«Bourg eft le centre du commerce du pays
qui ne confifte qu'en grains , & fes marchés font
très-conſidérables. Pluſieurs grandes routesy aboutiſſent
; les principales ſont celles de Lyon , Beſançon
, Genève , Mâcon & Châlons. Les commu
nications ſont très-faciles , car la poſte peut con
duire enunematinée le voyageur à Lyon, Châlons ,
Mâcon , Lons-le-Saunier ; & un jour peut lui
fuffire pour ſe rendre en Suiſſe , àGenève , Dijon ,
Besançon , &c. »
* « Les comeſtibles font à Bourg auſſi abondans
que de bonne qualité. Cette ville eſt placée de
manière qu'on peut yjouir des meilleures productions
du nord &du midi de la France , & qu'on
s'y procure aifément celles même que le luxe ou
laſenſualité font rechercher. Ainsi , quelle que foit
la façon de vivre ou le régime des étrangers , ils
ne feront point obligés de s'en écarter , & ils pourront
non-ſeulement fatisfaire des beſoins , mais
encorecontenter des goûts. On connoît en effet
la délicateſſe des volailles de Breſſe; d'un autre
côtéle boeuf, le veau &lemoutonyabondent; on
ytrouve toutes fortes de poiſſons , du gibier de
toute eſpèce , beaucoup de laitage , de très-bons
légumes , des fruits excellens ; les auberges y font
bientenues , les prix modérés , &la ville renferme
b vj
(36 )
à peu-près tous les ouvriers &toutes les mar-,
chandiſes d'un uſage ordinaire. n
«Mais ce qui doit principalement toucher les
étrangers, c'eſt la manière dont ils y font généralement
accueillis. Le caractère obligeant & doux
qui diftingue les habitans leur franchiſe , leur
affabilité rendent leur commerce aufli facile qu'agréable;
& le voyageur peut bientôt y former
des liaiſons convenabls foit à fon état , foit à fa,
façonde vivre& de penſer. S'il aime la ſociété ,
il trouvera des aſſemblées nombreuſes , un club
bien compofé , des papiers publics , quelque.ois,
des ſpectacles& des concerts. Si fon goûtle porte
à la folitude , des campagnes riantes& fertiles ,
des promenades variées , desjardins vaftes&bien
entretenus lui offrirontdes délaſſemens. Eſt- il amateur
de la chaſſe ? elle lui ſera facile; celles de la
grande bête & du renard même peuvent ſe faire
aux environs de la ville ; il peut choiſir le genre
qui luiplai-adavantage. LaBreffe renfermepreique
toutes les eſpèces d'animaux que l'homme ſe croit
endroit d'attaquerpour fon plaifi.s Bourg eſt au
centre d'un très-beau pays de chafle , & un Seigneur
diftinguéyentretient depuis long-temps un
équipage conſidérable en chevaux & chiens. >>
S'il cultive les ſciences&les lettres , il pourra
rencontrer des perfonnes qui aimorontà s'inftruite
&às'éclairer avec lui. Hy existe une fociété littéfaire
fous le nom de Société d'Emulation, dont le
zè'e& les travaux ont pour objer l'amélioration
&le bien du pays ,& un très-beau Cabinet de
Phyſique , dâû à labienfaifance de l'adminiftration,
dans lequel on donne chaque année des Cours
publics. L'histoire naturelle peut auffi lui offricun
champ intéreſfant: il verra à trois licues de Bong
la fuperbe collection de M. de Grollier ; il pared
courra nos montagnes , étudiera nos infectes , nos
ID ( 37 )
plantes , notre minéralogie,& il remarquera cer
tainement des faits curieux&peu connus. Lanature
de notre fol , notre agriculture , les progrès
dont elle eſt ſuſceptible , lui fourniront des obſervations
dont nous pourrons profiter. Enfin les
monumens antiques qui peuvent exiſter en Breſſe
&en Bugey , les médailles qu'on y rencontre
ſouvent , lui préſenteront auſſi des objets intéreſfans
d'examen&de diſcuſſion , s'il aime ce genre
d'étude. »
« Ce n'eſtpoint à Bourg qu'illoit venir chercher
des morceaux précieux , des chef- d'oeuvres des
arts , de grands établiſſemens , de beaux édifices :
nous ne pourrons lui montrer que l'égliſeRoyale
deBrou ; mais il y trouvera degrandes beautés, foit
en architecture , ſoit en ſculpture. Cen'eſt point
àBourg qu'il doit attendre le faſte des grandes
villes: onycompte peu de fortunes conſidérables ;
mais l'aifance & la modération en pluſieurs genres
y règnent encore .... Au lieu des plaiſirs bruyans,
du fracas tumultueux des grandes cités , il ne doit
attendre à Bourg que les agrémens d'une vie paifible.
Un air pur , des alimens ſains , une ſociété
douce , de riches campagnes à parcourir , font
des moyens de jouiſſance qui ont bien leur prix ;
&le voyageur aimera certainement à ſeles rappeler
quand il ſera reporté dans le tourbillon de ces
villes oùtant de gens s'agitent en vain pourtrouver
lebonheur."
1. J'ai l'honneur d'ètre , &g..
ارو
L'Académie des Sciences, Belles Let
tres &Arts deMarseille , a tenu ſa Séance
publique le 2 avril dernier.
.. M. Bafdon , Chancelier , faiſant fonction de
Directeur, la Séance par un difcours
relatif aux circonftances , &alu enfuite an poäme
a
( 38 )
furlesprogrèsde lamuſique dramatiqueenFrance,
dans le 18. ſiècle. »
« L'Académie a annoncé qu'elle avoit diſpoſe
de trois places d'Aſſocié en faveur de MM.
Dageville , Directeur de l'Académie Royale de
peinture , &c. Olivier , Docteur en médecine , &
l'Abbé Joſeph Correa du Serra. »
«M. Dageville a prononcé ſon diſcours de
réception. M. le Chancelier , après avoir répondu
à cedifcours , a propoſé pour le ſujet du prix qui
ſera adjugé dans la Séance publique d'après Pâques
1790 , l'énumération des Etangs & des Lacs qui
fonten Provence , avec des détails ſur leur forme,
leur étendue , la nature de leurs eaux , leur in-
Huence relativement à la falubrité de l'air , les
poifions & infectes qui y vivent , lesp'antes qui
ycroiſſent, & l'utilité qu'on peut en retirer. >>
« Le PèreBeraud, de l'oratoire , a reçu les deux
médailles que l'Académie avoit adjugées auxmémoires
ſur le tragacentha&fur les vers marins.>>>
«Ona lu fucceſſivement des extraits des ouvrages
couronnés , un mémoire fur les fatellites
de faturne , par M. Bernard, & l'analyſe des eaux
de l'étang de Valduc , par M. Vidal. »
« L'Académie avoit propofé en 1787 , pour le
fujet du prix qu'elle a jugera en 1789 , qu.ls font
lesmoyensd'étendre &de perfectionner la culture
dukalyen Provence , d'en extraire la foude , &
quels feroient les terrains lesplus propres à cette
culture?>>
«Les ouvrages deftinés à concourir , feront
adreſſés , francs de port , àM. Bernard, Secrétaire-
Perpétuel pour la partie des ſciences , avant le
janvier de l'année où les prix doivent être
adjugés.»
Jean-Gabriël , Comte de Podenas-la-
Roque , Chevalier , Maréchal des camps
( 39 )
& armées du Roi , Chevalier de l'Ordre
royal & militaire de St. Louis , eſt mort å
Aignan en Galcogne , le4 février.
Marie-Françoiſe Guiomar , veuve de Anne-
Antoine Comte d'Aché , Vice-Amiral de France ,
Grand- croix de l'Ordre royal & militaire de Saint-
Louis , &c . eſt morte à Breſt , âgée de 90 ans.
Antoine Edouard , Comte de Fleurigny , Seigneur
dudit Fleurigny , Vallière , la Chapelle- fur-
Oreuſe , & autres lieux, eſt mort , en fon château
deFleurigny, le rer. de ce mois, dans ſa 62º. année.
Hector-Joſeph d'Estampes , Marquis de Vallençay
, Brigadier des armées du Roi , Chevalier
de l'Ordre royal & militaire de Saint-Louis , Commandeur
de l'Ordre de Saint- Lazare & du Mont-
Carmel , Gouverneur d'Honfleur , Capitaine des
Gardes du Duc de Chartres , eſt mort à Paris , le
13 , âgé de près de 52 ans .
Signalement.
Le dimanche 18mai , vers les 6heures du foir ,
le nommé France , Domeſtique , a volé à fon
maître , au bureau général de la petite Pofte&
des Feuilles de Flandres , environ la ſomme de
7,400 liv. enor. Il eſt allemand, natifde Manheim;
quoiqu'il parle aſſez paſſablement le françois ,
il peut facilement être reconnu à ſon accent étranger.
Sataille eſt des pieds 4 pouces ; il eſt nerveux
&affez bien corſé: il eſt âgé de36 à 37 ans ; il ale
teintbafanné, les yeux roux& le front découvert ;
il porte ſescheveux,qui font châtain clair en queue.
Il eſt vêtu d'un habit verd , trouffé en chaſſeur ,
avec des boutons de cuivre , d'un gilet de drap
d'or , d'une culotte blanche de peau de daim , &
il eſt chauſſé en bottes à la huſſarde , ayant des
demi -éperons d'argent rivés. On le ſoupçonne
d'avoir un chapeau rond. Ileſt armé d'un couteau
de chaſſe , ayant la poignée blanche , garnie en
1
(40)
argent , &d'une cannedejoncornéed'une pomme
d'or. On obferve qu'il étoit au ſervice du maître
qu'il vient de voler, depuis 10 ans , &qu'il fortoit
de celui d'un Gentilhomme attaché au ſervice
de la Princeſſe Chrifline, dont les certificats dece
premier maître font reſtés dans les mainsde celui
qu'il vient de quitter. Ila l'usage de fumer, &
la noix de ſa pipe eſt d'écume de mer , montée
d'untuyau àlahuſſarde. On prie MM. les Magil-
JaMaréchauffée trars , &Officiers de Police de
faire arrêter ce fripon,&devouloirbien endonner
auffi-tôt avis au bureaugénéral de la petite Pofte
&des Feuilles de Flandres , rue de l'Abbayede
Loos , nº. 489 , à Lille , qui acquittera les frais
que la capture pourra occafionner. L'on promet
enoutreune récompenſede 300 liv. de France,
àceux qui parviendront à l'arrêter encore porteur
de l'argent volé ou à peu-près.
Les Numéros fortis au Tirage de la
Loterie Royale de France , le 31 de ce
mois , font : 48 , 2, 74 , 25 & 90.
Le cinquième tirage de la Loterie Royale ,
établie pat Arrêt du Conſeil du 4 Octobre 1783 ,
s'eſt fait à l'Hôtel de Ville les 14 , 15 , 16 , 17 ,
18, 19& 21 avril dernier. Suivant la liſte génésale,
il eſt échuun lot de 100,000 1. aun". 13,053 ;
sunde40,000 liv. au nº. 53,968 ; un de 20,000liv.
au nº. 56,994 ; un de 15,000 liv, au n' . 57,744;
4de 10,000 liv. aux nos. 2,854, 17,329, 37,586 ,
49,421 ;& 8 de 6,000 liv. aux nºs, 2,370, 16,130,
21,778 , 21,994 , 22,034,50,688 , & avec les
moindres lots , formant un total de 4,652,600 liv.
PAYS - BAS.
De Bruxelles , le 30 Mai 1738 .
Le fupplément de la Gazette deVienne,
Cat ( 44 )
du 17 mai , contient la relationde deux
eſcarmouches , l'une au défilé de Tomos ,
& Pautre près de Pripora dans la Tranfylvanie.
1
« La première eut lieule 30 avril. Les Turcs, au
nombre de 1200 , furent obligés de ſe retirer&
de retourner à Sinaja. La feconde ſe paſſa le 1
&le z mai. Dans les deux attaques V'ennemi fut
repouffé avec perte ,& il s'eſt retiré à Argyis. »
« La dépêche du Prince de Lichtenstein , datée
du 6 mai , porte en ſubſtance que le nombre des
Turcs augmente près de Lubitza , & qu'ils fe
retranchent vis-à-vis de fon camp , qui eft à Szcrovliani.
»
« Le détachement commandé par le Major
Oeftercicher occupe toujours Baja di Rama &
Tiſmana , dans la Valachie. »
Suivant nos lettres de Vienne , également
du 17 , le LieutenantGénéral Bon.
de.Bechard eſt mort à Semlin , le 9 de ce
mois , des bleſſures qu'il a reçues à l'affaire
de Beſchania . - Le Maréchal de Lacfy
eft malade. - Le 10 de ce mois , l'armée
étoit encore dans le camp de Semlin : on
ne fait pas précisément quand el'e paſſera la
Save ; on affure que l'on attend d'abord
des avis certains relativement à la marche
de l'arméeduGrand-Vifir. Si cette armée
ſe portoit dans laBoſnie , leſiège de Bel-.
grade ſeroit remis à un autre temps .
Le Lieutenant Général Comte de Terzy
ſe rendra à l'armée dans la Croatie ; le
Général de Vins paſſera à Trieſte ,& le
(44)
noncée pourles derniers jours de mai. Quelques
avis font croire qu'ane dallion Danile pourrafe
joindre à certe estede la Suède. Du moinslon
travaille dans les chantiers de l'A Tiranté à Copenhague
a l'equipement de quatre vailleaux de igre,
qui ſe tiendront à la rade prêts à agir felon les
circonstances. ( Gazette de Leyde, n . 42.)
■La Banque de S. Charles, dontla principale
direction reſtetoujours àM.Cabarrus, fans que la
Cour deMadrid aitvoulu lut accorderfa retraite
demandés , travaile actuellement à l'évitfion
de quatre milions de nouveaux billets de crédit.
Le Gouvernement continue d'accorder à cet établiſſement
la protection laplus éclatante. Il faut
e'pérer que le gros de la nation , animé de la
même confiance, recevra cene eſpèce de papiermonnoie
fans difficu'té ,& que la Banque réalikra
à le mettre en circulation fans coup d'autorité. (I.)
Extrait d'une Lettre de Spa , du 28 Mai.
«LeMandement de l'Evêque de Liège, por
tant fuppreffion des jeux de hafard, &c. eft une
pièce imaginée. Cette faiſon fera des plus triftes
&des plus funeſtes pour le peu d'honnêtes gens
qui yviendront, fi toutefois il y en vient. Outre
quatre canons braqués depuis l'année dernière pour
forcer le monde de fréquenter les falles privilégiés
du tripot , ſous peine de prifon & d'exil ,
les étrangers font menacés d'une grê'e d'aventuriers&
autres gens fans reffource, qui nous alarment
beaucoup , vu que nous nous attendons à
biendes rixes de leur part, en ce qu'i's font appelés
pour foutenir la cauſe du tripot. Les prifons font
déjà préparées ; & en conféquence les gens de la
police, le nommé Colfon , mayeur de Liège , &
autres alguafils , ont ordre d'arrêter tous ceux qui
parleront contre l'abus des Jeux, ou divulgueront
les fraudes quis'y commettent annuellement. »
( 45 )
Suivant la Gazette de Cologne , du 22 Mai , un
différend doit s'être é'evé entre le Prince-Evêque
de Liége, de concert avec fon Chapitre Cathédral ,
& les Etats - Généraux des Provinces - Unies ,
concernant quelques réclamations , qui , fuivant
cette Gazette , font le ſojet d'un mémoire compris
en 28 articles , remis à Leurs Hautes-Puiſſances
, &dont voici les principales demandes.
« SonAlteſſe exige que L. H. P. faſſent incefceſſamment
fortir de aeſtricht , la garniſonAllemande
qu'elles viennent d'y introduire. »
« Que le Fort Saint-Pierre , entièrement conftruit
fur le territoire Liégois , ſoit abandonné par
les Hollandois & démoli. »
«Une partie des fortifications de Maeſtricht étant
auffi conftruite ſur ladomination de Liège , S. A.
veut bien la laiſſer ſubſiſter ; mais elle demande
pour cette condeſcendance des dédommagemens
raiſonnables. Son Alteſſe entend que tous les pouvoirs
des Juges Eccléſiaſtiques & des Commiſſaires-
Déciſeurs nommés par elle, ainſi que ceux du
Grand-Mayeur&Magiftrat Liégois établis àMaeftricht
, foient entièrement confervés ſur le même
pied où ils ont été juſqu'à ces innovations. » ( Gazette
d'Amsterdam , n°.43 . )
Le Prince Ipfilanti , Hoſpodar deValachie , peut
s'eſtimer heureuxde ſe trouver à préſent en ſûreté
chez les Autrichiens à Cernowitz , ou à Lemberg.
Depuis quelque temps, il étoit ſuſpect à la Porte,
& déjà un Capidgi - Bachi étoit en chemin de
Conſtantinople , chargé d'un cordon de foie pour
l'étrangler. Le Prince, qui en avoit eu avis, s'élança
vers les troupes Allemandes à bride abattue , des
qu'il les vit , & ſe mit ainſi en fûreté. Ce fut le
Divan Effendi qui le pourſuivit , mais à qui le
brave Capitaine Sereni fendit la tête d'un coup de
fabre. Le Colonel Fabri s'eſt arrêté deux jours à
(44 )
noncée pour les derniers jours de mai. Quelques
avis font croire qu'une diviſion Danoiſe pourrale
joindre à cette efcadre de la Suède. Du moins l'on
travailledans les chantiers de l'Amirauté à Copenhague
à
l'équipement de quatre vaiſſeaux de ligne,
qui ſe tiendront à la rade prêts à agir felon les
circonstances. (Gazette de Leyde , n . 42.)
« La Banque de S. Charles , dont la principale
direction reſte toujours à M Cabarrus , fans quela
Cour de Madrid ait voulu lui accorder fa retraite
demandés ,
travaile
actuellement à l'émiffion
de quatre millions de nouveaux billets de crédit.
Le
Gouvernement continue
d'accorder à cet établiſſement
la protection la plus éclatante. Il faut
eſpérer que le gros de la nation , animé de la
même confiance , recevra cene eſpèce de papiermonnoie
fans difficulté , & que la Banque réuflira
àle mettre en circulation fans coup d'autorité. (L. )
Extrait d'une Lettre de Spa, du 28 Mai.
« Le
Mandement de l'Evêque de Liège , por
tant
fuppreffion des jeux de hafard, &c. eft une
pièce imaginée. Cette faiſon fera des plus triftes
&des plus funeſtes pour le pen d'honnêtes gens
quiyviendront, fi toutefois il y en vient. Outre
quatre canonsbraqués depuis l'année dernière pour
forcer le monde de fréquenter les falles privilégiés
du tripot , ſous peine de priſon & d'exil ,
les étrangers font menacés d'une grê'e d'aventuriers&
autres gens fans refſource, qui nous alarment
beaucoup , vu que nous nous attendons à
biendes rixesde leur part,en ce qu'ils font appelés
pour foutenir la cauſe du tripot. Les prifons font
déjà préparées ; & en
conféquence les gens de la
police, le nommé Colfon , mayeur de Liège , &
autres alguafils , ont ordre d'arrêter tous ceux qui
parleront contre l'abus des Jeux , ou
divulgueront
les fraudes quis'y
commettent
annuellement. "
( 45 )
Suivant la Gazette de Cologne , du 22 Mai , un
différend doit s'être é'evé entre le Prince-Evêque
de Liège, de concert avec fon Chapitre Cathédral ,
&les Etats- Généraux des Provinces - Unies ,
concernant quelques réclamations , qui , fuivant
cette Gazette , font le ſojet d'un mémoire compris
en 28 articles , remis à Leurs Hautes-Puiffances
, & dont voici les principales demandes.
« Son Alteſſe exige que L. H. P. faſſent incefceſſamment
fortir de aeſtricht , la garniſonAllemande
qu'elles viennent d'y introduire. »
<< Que le Fort Saint-Pierre , entièrement conftruit
ſur le territoire Liégois , ſoit abandonné par
les Hollandois & démoli. » :
«Une partie des fortifications de Maeſtricht étant
auffi conftruite ſur ladomination de Liège , S. A.
veut bien la laiſſer ſubſiſter ; mais elle demande
pour cette condeſcendance des dédommagemens
raiſonnables. Son Alteſſe entend que tous les pouvoirs
des Juges Eccléſiaſtiques & des Commiſſaires-
Déciſeurs nommés par elle, ainſi que ceux du
Grand-Mayeur& Magiftrat Liégois établis à Maeftricht
, foient entièrement confervés ſur le même
pied où ils ont été juſqu'à ces innovations. » ( Gazette
d'Amsterdam , n . 43. )
Le Prince Ipfilanti , Hoſpodar de Valachie , peut
s'eſtimer heureux de ſe trouver àpréſent en ſûreté
chez les Autrichiens à Cernowitz , ou à Lemberg.
Depuis quelque temps, il étoit ſufpect à la Porte,
&déjà un Capidgi -Bachi étoit en chemin de
Conſtantinople , chargé d'un cordon de foie pour
l'étrangler. Le Prince, qui en avoit eu avis, s'élança
vers les troupes Allemandes à bride abattue , des
qu'il les vit, & ſe mit ainſi en fûreté. Ce fut le
Divan Effendi qui le pourſuivit , mais à qui le
brave Capitaine Sereni fendit la tête d'un coup de
fabre. Le Colonel Fabri s'eſt arrêté deux jours à
1
(46)

Jaſly,&s'eſt retiré enſuite à Battuſchan. Le Prince
Ipfilanti a fait préſent d'un ducat à chaque foldat
Allemand.
N. B. ( Nous negarantiſſons la vérité ni l'exacti
tudedesParagraphes ci-deſſus).
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX.
PARLEMENT DE DIJON.
Supplément important à l'affaire de l'Hermitede
Bourgogne.
Nous avons déja rendu compte de cette affaire
célèbre , dans le volume qui a précédé celui-ci ,
unepremière fois , pour annoncer que leRoi avoit
que te
renvoyé la réviſion du procès auParlement même
qui avoit rendu les arrêts contre leſquels ons'étoit
pourvu ; la deuxième fois , pour apprendre au
public avec quelle promptitude&quellegénérofité
cette illuftre Cour avoit reconnu fon erreur.
On ſe ſouvient , & nous aimons à le répéter ,
que les accuſés , en venant ſe conſtituer prifonniers
pour obéir aux formes , furent traités par
les magiftrats avec une bonté vraiment paternelle;
qu'ils ne reſtèrent dans les priſons que le temps
néceſſaire pour ſubir leur interrogatoire & l'inftruction
d'uſage ; qu'une nouvelle inftruction relativement
aunommé Larue , qui étoit le coupable,
ayant été jugée eſſentielle , & devant entraîner
desdélais conſidérables , on avoit renvoyé les accuſés
dans leurs familles , en leur diſant qu'on ne
lesrapelleroitque lorſqu'il ſeroitnéceſſaire& pour
lemoinsde temps poſſible. On ſe ſouvientque le
Parlement , àla veille de ſes vacances , qui com-
1
( 47 )
mencent le 15 du mois d'août , avoit écrit au
Roi , pour lui demander des lettres de continuation ,
en vertu deſquelles il pût prolonger ſes ſéances ,
&abréger par conféquent les inquiétudes de pluſieurs
familles accusées , &qui demandoient qu'on
proclamât leur innocence. Enfin on ſe rappelle
que cette innocence fut annoncée avec éclat , que
le Parlement ordonna l'impreſſion &l'affichede
l'arrêt , par lequel il réhabilitoit la mémoire de
Claude Gentil & de Guillaume Vauriot ; déchargeoit
de l'accuſation les nommés Pajot , Loignon
& J. B. Gentil.
Tout le monde avoit admiré&loué la conduite
du Parlement de Dijon , & l'on ne croyoit pas
qu'il dût reſter quelque choſe à faire à cette illuſtre
Compagnie. Mais elle apensé que ſabienfaiſance
étoit une ſeconde juſtice qu'elle devoit aux malheureux
qui venoient d'être déclarés innocens.
En conféquence , elle a arrêté de faire parmi
ſes Membres une quête dont le produit ſeroit
appliqué à foulager l'infortune de ces malheureux.
Leproduit de cette quête a été de 3000 1.; & par
une délibération du 8 février dernier , il a été convenu
que cette ſomme ſeroit remiſe àM. Godard,
leur défenſeur , pour qu'il en fît la diſtribution
entre ſes cliens , comme il le jugeroit à propos.
On ne peut donner trop d'éloges à un tel acte de
bienfaiſance & de générosité , & l'on voudroit
ſavoir les noms de tous les magiſtrats qui compoſentcettedigne&
reſpectable Compagnie , afin
de les porter à jamais dans ſon coeur & dans ſa
mémoire.
Nous devons obſerver ce que tout le monde
remarque ſans doute , que la manière dont cet acte
généreux s'eſt exercé , eſt infiniment honorable
pour M. Godard; & que par la confiance que
( 48)
lui témoigne une Cour Souveraine dont il avoit
été forcé de dévoiler l'erreur , il recueilleun fruit
bien délicieux de ſes travaux. Afin de compléter
P'hiſtoire de ce procès important , nous difons
que le nommé Larue , qui , par l'arrêt qui jufti
floit lesGentil , Vauriot & autres , avoitété con
damné à être pendu , comme atteint & convaincu
du vol de l'Hermite , a été renvoyé an
Prévôt de Maréchauffée de Montargis , dans les
priſons duquel il étoit depuis plus de cinq ans ,
&que , par un jugement prévôtaldu 24 décembre
1787 , il a été condamné à être rompu vif. C'eſt
parcetteexécutionqu'a été terminée la commiffion
adreſſée par l'arrêt du Conſeil du 31 mars 1782,
auxOfficiers de Maréchauffée de Montargis , pour
juger la troupe des brigands qui infeſtoient le
&dont
pays ,
le nommé Charles Hullin étoit le chef.
ins
MERCURE
DE FRANCE.
-
SAMEDI 14 JUIN 1788.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
: VERS
POUR être mis au bas du Portrait de
Madame du B *****.
Du goût , de la délicateffe ,
De l'eſprit & de la nobleffe ,
Dans mes Ecrits tout ſemble réuni ;
Je chantai le péché de notre premier père ....
Si l'on vouloit chanter tous ceux que je fis faire ;
Onn'auroit pas fi-tôt fini .
(Par M. le Comte de laM..... )
N. 4. 14 Juin 1788. C
50- MERCURE
BOUTS - RIMÉS qu'on avoit proposés.
I.
LAA mort nous frappe tousde ſa terrible flèche ;
Elle n'a pas beſoin d'écouter le ....... fcrutin.
Le Courrifan titré, tout fier de fa ..... calèche ,
Dars la nuit du trépas eſt moins que du fretin.
Rien ne peut nous ſauverdes coups de la guenuche ;
Tôt ou tard nous boirons fon funefte .. firop.
L'existence eft pour nous une fragile... cruche
Que nous brifons ſouvent dès le premier galop .
( ParM. d'Eftival de Braban. )
II.
QUAND de notre clocher je découvre la flèche ;
Pour faire unMarguillier quandje vais au fcrutin ,
Plus fortuné que ceux qui roulent en ... calèche ,
Le refte des mortels eſt pour moi du ... fretin.
Toute autre que Nanette à mes yeux eſt guenuche;
Un repas de ſa main me ſemble du..... firop ;
Je préfère au nectar l'eau fraîche de la cruche;
Je la quitte à pas lents , je reviens au... galop .
(Par Mme. de Lille. )
III. 1
L'AMOUR , Roide la terre , a pour ſceptre
une... .... ............ flèche ;
Des plaiſirs , ſes Mignons , mendiant lefcrutin,
DE FRANCE .
Les mortels , au paſſage , affiègent ſa... calèche:
Et tel qui le rebute un jour comme .... fretin,
Le lendemain l'implore aux pieds dune guenuche.
Sous cent flacons divers il nous vend ſon firop ,
Le petit charlatan ! chacun vient à fa... cruche
La Sagefle à pas lents , la Folie au ..... galop .
:
,
(ParM. B. G. habitant de Vaucluse. )
I V.
MAINT Auteur , ne fachant de quel bois
faire ............. .... flèche,
Ade l'Académie affronté le ......... fcrutin.
Chaque jour il promène Araminte cn... calèche ,
De ſes vers doucereux débitant le ...... fretin :
Il l'appelle ſa Muſe , & la vicille ...... guenuche
De ſes fades couplers favoure le....... ftrop ;
Lui , quoique l'Hypocrène ait repouſſe ſa cruche,
Penfe, au fommet du Pinde, arriver au.. galop .
( Par une Demoiselle de 13 ans. )
V.
QUE je plains ceux qu'Amour a bleffés
de fa ........ ......... flèche !
De ſes Etats, banni par un jaloux ..... fcrutin ,
J'y laiſſe mes bijoux , mon or & ma .... cilèche.
A peine ai-je de quoi gruger quelque ... fretin ,
Et nourrir un barbet , ou bien une .... guenuche.
Je prodiguois le vin, la liqueur , le .... firop ,
C2
52 MERCURE
Et je me défaltère à préſent à ma...... crucke :
H faut aller le pas après legrand ....... galop.
( ParM. deMontmarant.)
V I.
Les qualités du Sage.
Le Sage a toujours fu de tout bois faire flèche ;
Il ne craint ni le ſort , ni les loix d'un ... fcrutin ;
Il eſt de même humeur à pied comme en calèche ,
Voit les Grands, fansjamais dédaigner le fretin.
Près de la Belle , il fait ſupporter la.... guenuche.
Frugal , il vit de peu , ſe paſſe de...... firop ,
Au défaut de bon vin , a recours à la... cruche ;
Sans être lent, il va rarement au ...... galop ;
(Parun Abonné,)
VII.
Un Buyeur , de l'Amour ne craint carquois
ni ....................
Pour élire ſon vin , ne va pas
...
.....
flèche,
ferutin ;
Il fait ſous ſa remiſe , au lieu d'une.... calèche ,
Ranger degrands tonneaux ; gros poiſſons
Ou... .... fresin ,
Pour lui font auſſi bons ; ſi ſa femme eft guenuche,
Mongaillards'en conſole en fablant ſon firop.
Sur ſa tonne, à cheval, ſon verre eſt une cruche ,
Et juſqu'à ce qu'il tombe, il ya le grand galop,
(ParM.le Chev. Feret. )
DE FRANCE. 33
VIII.
La Mort , plus vite qu'une ...... fleche ,
Nous place en la même ..
Sans nousballotter au .......... fcrutin ,
.... . calèche
fretin.
guenuche,
Pêle-mêle , ainſi que............
L'impitoyable , la . ...................
Nous gobe tous comme .... ..... firop.
Notre vie est comme une ....... cruche
Qui fe vide le grand........... galop.
(Par M. Caze , Com. de la Mar , à Rochefort.)
ΙΧ.
Lalancette a tué plus d'hommes que la flèche.
J'entrevois Rhadawiante ,& fon fatal.. fcrutin ,
Quandle Docteur chez moi ſe tranſporte
en...
.........
Qu'iltombe fur lesGrands ou fur thamble
......... .....
calèche.
fretin,
La Parque rit d'avance à l'affreuſe .... guenuche
En vain la forme oppofc élixir & ...... firop :
De loocs, de potions , vous buvez une cruche :
La Mort viendroit au pas , elle arrive an galop.
( Par M. de C***. )
4
C3
54 MERCURE
;
BOUTS - RIMÉs à remplir.
MOUILLE.
CORDON.
PATROVILLE.
GOURDON.
BUSE.
FRAC.
ARQUIBUSI.
BISSAC.
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogripne du Mercure précédent.
LEE mot de la Charade eſt Vermine; cchui
de l'énigme eſt Miroir ; celui du Logogriphe
oft Hiftorien, où l'on trouve Rhin , Roi,
Sire, Oint , Trone, Sot, Nitre , Hier, Ré,
Si, Or, Soie, Rofni ( Duc de Sulli ), Rofe,
Oie, Tiers, Tien , Neftor, Hoftie, Trois,
Noir, Rien , Rhône, Troles, Soir , Sein.
MON
CHARADE.
LON premier, cher Lecteur , tient toujours à ra
Mon ſecond très-fouvent annonce la tempête :
:
DE ss FRANCE.
Du jeune sèxe féminin
Mon tout est le cachot divin ,
Où l'Amour par mainte conquête
Fait à la Piété ſouvent plus d'un darcin.
"
(Par M. Glaffon de la Severie. ) :
ÉNIGME.
JE fuis enfant de la Douleur ,
Et la Joie auſſi me fait naître :
C'en eft affez , mon cher Lecteur ,
Et vous devez me reconnoître .
Préfentement obligez-moi ;
Coupez ma tête , je vous prie ;
Alors mon principal emploi
Sera de fervir la Patrie ;
Mais cela n'eſt pas ſuffifant:
Ami, de ma forme nouvelle
1 .
Otez un membre maintenant ,
Et vous me rendrez immortellé.

i
こい
;
(Par M. PP ... )
LOGOGRIPHE.
A MADEMOISELLE DE
:
B***
IRIS,
マト
RIS , demain vous quittez votre mère 3
Soir & matin en oraifon ,
1
C 4
56 MERCURE
-
Vous allez demander pardon
De tous les maux que vosgens ont pu faire.
Craignez; car fi leCiel ,tropjuſte en ſa colère ,
Ne ſe laiſſoitpas plus fléchir que vous ,
Yous nepourriezjamais appaiſer ſon courroux.
Combinez mes neufpieds de diverſes manières ,
Etje vous offrirai troispronoms; trois rivières ;
Une ville de France où l'on est trop rufé ,
S'il en faut croire un certain vieux proverbe;
Encore une rivière ;une ciré fuperbe ;
Un animal utile , & pourtant méprise ;
Cette fleur que Colin compare àſa Bergère ;
UnDica qui ne ſeplaît qu'au milieu des combats ;
Et cette ſubſtance légère
Qui fait mouvoir nos corps , & fe rit du trépás;
Celle à qui vous devez le préſent de la vie;
Unêtre dont le ſort fait quelquefois envic';
Un petit animal ; un Livre fabuleux ;
Un furnomde Virgile; un métal ; ce fameux
Nouvelliſte au longnez ,à la perruque ronde ,
Qui fort gaîment , dit- on , s'en fut dans l'autre
monde ,
Sachant qu'il alloitde cepas
Le premier aux Enfers annoncer ſon trépas :
Enfin , Iris , ce réduit folitaire
Où puiſfé-je , ignoré de laNature entière ,
Mourir d'amour fans ceſſe dans vos bras ,
Et vous faire oublier la maiſon trop auftère
Qui doit en vain poffeder vos appas.
(Par M. Triangle. )
DE FRANCE.
57
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
L'INFLUENCE de la découverte de
l'Amérique fur le bonheur du genre
humain ; par M. l'Abbé GENTY , Profefſſeur
Emérite du College Royal d'Orléans
, & Secrétaire de l'Assemblée Provinciale.
Difcours divisé en fept Parties,
in - 8°. de 310 pages. A Paris , chez
Nyon l'aîné , Libraire , rue du Jardinet.
M.P'Abbé Raynal avoit propoſe unprix
de 1200 liv. au Difcours qui réfoudroit le
mieux ces queſtions :
>>La découverte de l'Amérique a- t-elle
>> été utile ou nuiſible au genre humain ?
>>Si elle a été utile,quels font les moyens
» d'en augmenter les avantages ?
» Si elle a été nuiſible , quels font les
>> moyens d'en diminuer les inconvé
» niens " ?
L'importance du ſujet , la célébrité de
l'Auteur qui le propoſoit , étoient bien
propres à multiplier le nombre des Concurrens.
Ils ſe font en effet préſentés en foule.
Mais l'Académie de Lyon , à qui M. l'Abbé
C
MERCURBO
Raynal avoit laiffé le jugement de cette
queſtion importante , après avoir examine
fcrupuleuſement tous les Diſcours qui lui
ont été préſentés pendant trois années ,
s'est déſiſtée de fon droit, & arenoncé à dés.
cerner une couronne fi diffic le à obtenir.
L'Ouvrage de M. l'Abbé Genty ne lui a
point été offert , & par confequent n'a pu
induer fur fon jugement. C'eſt un malheur
fans doute , parce qu'en ſe reſſerrant dans
les bornes fixées par l'Académie , les talens
de M. PAbbé Genty ſembloient devoit
lui affurer tous les fuffrages. Mais le Public
ya gagné peut être , parce que l'Auteur fe
proppfant un champ plus vaſte, a eu plus
de facilité à développer tourés fes vues ,
& à répandre davantage les lumières d'une
érudition Lage , & d'une philofophie toujours
inſpirée par un zèle ardent pour l'hu
manité.
:
Peut-être pourroir- on lui reprocher d'avoir
trop multiplié les formes oratoires.
dans un ſujetqui demandoit de préférence
les diſcuitions les plus profondes de la Politique;
mais l'éloquence animée de l'Auteur,
fui fervira d'excuſe auprès des Juges
les plus févères , & la beauté de ſes tar
bleaux lui fera aiſément pardonner de les
avoir quelquefois trop étendus dans des
queſtions auffi intereſſantes pour des ames
fenſibles . L'Auteur s'eſt livré principalement
à l'émotion de fon coeur, & l'a peinte
avec des couleurs ſi énergiques , qu'il eſt
DEFRANCE.
مو
preſque für de la faire partager à tous fes
Lecteurs . Son Ouvrage eſt diviſé en ſept
Chapitres . Dans le premier , il examine
Si la découverte de l'Amérique pouvoit être
utile à ses anciens habitans ce qui lui
donne lieu de montrer combien les Arts
de la civiliſation , alors connus en Europe ,
pouvoient répandre de bien dans cette nou
velle partie du Monde; & ce qui fait détefter
encore davantage les abus horribles qu'en
firent ſes nouveaux Tyrans , puiſqu'ils ne
furent s'en ſervir que pour détruire &
anéantir une foule de Nations, qui difparurent
tout à coup de la face du globe.
Lerableau de ces exécrables atrocités , tracé
d'une main énergique & fanglante , remplit
prefque tout le ſecond Chapitre , deftiné
à examiner ,ſi la découverte de l'Amérique
a été utile ou nuisible à ses anciens
habitans. On y voit toutes les parties de l'Amérique
ſucceſſivementdévaſtées,& lesNa
tions qui ont furvécu à cette catastrophe ,
n'ont dû leur falut qu'aux barrières impéné
tables que la Nature avoit élevées pour leur
défenſe. ינ
>> Les habitans des provinces de l'Amé
rique , qui font traverſées par de hautes
montagnes , étoient plas aguerris que ceux
des plaines , & opposèrent aux Efpagnols
ane réſiſtance éplus vigoureuſe. C'eft ce.
qu'ont éprouvé tous les Conquérans qui
ont voulu ravager le Monde. Les montagnes
ſont le vrai féjour de l'indépen
C6
60 MERCURE
dance. L'air pur & libre qu'on y reſpire ,
élève le courage : les formes majestueuſes
qu'elles offrent de toutes parts, donnent
à l'homine une haute idée de lui-même , &
lui inſpirent une noble fierté. Les changemens
fubits qu'on y éprouve endurciffent
à la fatigue , & fortifient contre l'inclé
mence des ſaiſons. La vatiété prodigieufe
des ſites, la mobilité continuelle du ſpecracle
, donnent du reffort à l'imagination ,
& entretiennent l'activité de l'ame. La
chute des torrens , les lavanges & les nombreux
accidens occaſionnés par la fonte des
neiges , les maſſes énormes qui s'abaiſſent
ou s'éboulent avec fracas , les rochers qui
ſe détachent & roulent dans les valiées , les
vents impétueux qui ſemblent ébranler les
fondemens du Monde , les fréquens orages
, les éclats du tonnerre , mille fois répétés
par les échos, les éruptions des volcans,
la terre qui tremble & mugit dansfes
entrailles , tous ces phénomènes impolans,
ſouvent redoutables , prémuniffent contre
les vaines terreurs , & impriment un caractère
d'énergie & d'intrépidité ; les lancs
caverneux des montagnes forvent de rempart
contre la tyrannie, & fourniffent des
retraites à l'eſclave qui a fu rompre fes
chaînes : telles font les principales caufes
qui confervèrent la liberté à la plupart des
peuples de l'Empire de Bogota , ou qui leur
donnèrent les moyens de la recouvrer peu
detemps après la conquête «.
DE FRANCE. G
C'eſt avec la même fierté de pinceau que
l'Auteur décrit les tableaux infiniment variés
que lui offle la nature de ſon ſujer.
Dans les Chapitres III & IV, il difcute , fi
la découverte de l'Amérique a été utile ou
nuisible àses nouveaux habitans , & quel eft.
de ses deux effets celui qu'elle a produit.....
Il montre par-tout le mal qui s'eft fait , à
côté du bien qui pouvoit ſe faire. Les bornes
de cette Analyſe ne nous permettenr.
pas de parcourir tous les détails ; nous ren->
voyons à lOuvrage même.
Larticle de la traite des Negres , écrit
avec toute la chaleur d'une ame ſenſible
ne pouvoit mieux s'annoncer que par ces
réflexions qui le précèdent (page 16.5 ).
Il eſt une autre cauſe plus féconde en
maux de toute eſpèce , qui s'oppoſe conſtamment
à la proſpérité de la plupart des Colonies
de l'Amérique , & fur tout de çelle
desAntilles : c'eſt que la terre n'y eft culţivée
que par des mains chargées de chaî
nes. Je laiffe aux coeurs froids & avares le
plaifir d'éprouver juſqu'à quel point l'homme
peut être abruti, mutilé , avili , ſans perdre
l'inſtinct néceſſaire pour exercer ſes bras
d'une manière utile:je leur laiſſe le foin
d'évaluer les profits qu'on peut faire en
trafiquant de la ſubſtance de l'homme ;
juſqu'à quel degré on peut diminuer &
alrérer fes alimens , fans porter trop d'at
teinte à ſes forces phyſiques; de combien
d'amertumes on peut l'abreuver , fans lui
62 MERCURE
inſpirer un dégoût total de lavie; combien
le fouet des Bourreaux, toujours agité, peut
ſuppléer à la vigueur , à l'émulation , à
l'amour du travail; de combien de châtimens
on peut l'accabler, ſans le porter au
déſeſpoir& à la révolte. Tous ces calculs ,
vraiment dignes des Cannibales , ne peuvent
rien établir contre les premiers principes de
la raiſonl & l'expérience de tous les ages.
Jamais on ne prouvera qu'un atelier de
culture, où les hommes ſont ſous l'aiguillon,
d'un conducteur impitoyable , & appliqués
à l'ouvrage comme de vils animaux , doit
rapporter des fruits auffi abondans qu'une
terre façonnée par des mains libres ".
Il faut lire encore dans l'Ouvrage même
la peinture des traitemens barbares que les
Negres ont à fouffrir depuis leur vente jufqu'à
leur tranſport dans nos Colonies
page 175 ). Le vertueux Las Caſas ne déploroit
pas plus pathétiquement le fort des
malheureux Indiens . Ces réclamations éloquentes
de la Philoſophie indignée feront
tôt ou rard ceffer un fléau ſi defolateur de
Phumanité , & l'on dreſſera des autels aux
hommes courageux qui, comine M. Genty ,
M. L. R. & J. J. Rouffeau , n'ont ceffé d'élever
leur voix contre ces horribles abus .
L'Auteur fuit toujours le même ordre.
La découverte de l'Amérique pouvait- elle
être utile à l'Europe, & l'a-t-elle été véritablement
? C'eſt le ſujet qu'embraffent les
Chapitres V & VI.
DEFRANCE.
63
>> La manière la plus certaine de faire
proſpérer les Etats , eſt de perfectionner
la raiſon univerſelle, de diriger les moeurs .
vers la bienfaitance , de répandre l'aiſance
dans toutes les parties de l'ordre focial ,
d'accroître la population , en rendent plus
nombreux & plus variés les moyens det
fubfiftance ......Or tels font , dit M. l'Abbé .
Genty , les fruits que l'Europe pouvoit ſe
promettre de la découverte de l'Amérique ,
fi la fageffe , la modération , la justice , euffent
préſidé à toutes les entrepriſes qui ont
accompagné cette révolution «.
Le VII . Chapitre a pour objet d'examiner
, quels font les moyens d'augmenter les
avantages, & de diminuer les inconvéniens
de la découverte de l'Amérique. Ce Difcours
eſt le plus fort, le plus magnifique& le plus
utile des ſept qui compoſent cetOuvrage.
Rien de plus éloquent que ſon début.
>> Il ſemble,dit l'Auteur , que la Nature,
ne médite ſes plus hauts deffins que dans
le trouble , & que c'eſt au ſein du déſordre
même qu'elle ſe plaît à préparer ſes plus
grandes merveilles . Les élémens ne ſe mertent
en équilibre que par les tourmentes&
les orages ; le printemps eſt toujours précédé
des tempéres de l'Equinoxe ; les germes
ne deviennent féconds que par l'akération
& la diffolution apparente de leurs
parties;le paſſage de l'enfance à la jeuneſſe
eſtmarqué par une fièvre ardente de l'ame ;
1
64 MERCURE
nos organes ne ſe forment que par des
efforts pénibles; nos membres ne s'accroilfent
que dans les douleurs; nos facultés ne
s'étendent que par les paſſions; notte raiſon
ne ſe développe que dans le délire.......
Pourquoi l'eſpèce humaine, conſidérée dans
fon enſemble, ne ſeroit- elle pas foumiſe
aux mêmes révolutions & aux mêmes Loir
que les individus qui la compoſent ? Pourquoi
l'époque de ſa force & de ſa viriliré
ne feroit-elle pas de même annoncée par des
orages & des tempêtes « ?
Dans ce ſyſtême, ce feroit fansdoute une
conſolation d'imaginer que toutes les faures
qu'on a commiſes étoient néceſſaires ; mais
qu'elles font à peu près épuisées, & que,
fuivant les loix conſtantes de la Nature,
des inftitutions plus fages doivent les remplacer.
On peut ſe flatter de ceſuccès , en
fuivant les conſeils de l'Auteur : ces avantages
qu'il promet doivent réfulter des progrès
de la raiſon univerſelle, qui éclairera
enfin l'homme ſur les vrais intérêts , & lui
apprendra que la vertu & l'humanité peuvent
ſeules faire fon bonheur. Ils réfulreront
de l'indépendance des Anglo-Americains
, dont les ſuccès fontbien propres à
relever le courage & les eſpérances de tous
les peuples de l'Amérique , que leur force
&leur conftitution appellent à être les vengeurs
de la tyrannie, & le refuge de tous
les peuples opprimés.... Enfin ils ſeront le
DE FRANCE 65
だい
1
1
réfultatde la néceſſité même. La ſource de
cet or exécrable , qui a été l'aliment de tous.
nos vices , ſe tarit inſenſiblement dans les
entrailles de la terre. Son abondance diminue
chaque jour ſon prix , & augmente les
dépenſes néceſſaires àfon extraction ; cette
extraction peut devenir ſi couteuſe , que
l'avarice même renoncera à fe le procurer.
Alors, après tant d'illufions & de calamités,
les Eſpagnols & les Portugais feront convaincus
de la fragilité des richeſſes pécuniaires
, & tourneront graduellement vers
l'agriculture & les Arts utiles , une partie
des forces employées à l'exploitation des
mines. Alors les ſources des vraies richeffes
couleront avec d'autant plus d'abondance ,
que celles des richeſſes factices ſembleront
s'épuifer; & à mesure que l'Etat perdra
d'un côté , il ſe régénérera avec plus de
viguer de l'autre ".
Il en ſera de même de la traite des Nè
gres . Ils viendront auffi , poursuit l'Auteur
, ces jours tant déſirés , où l'homme
ne trouvera plus de profit à faire en vendant
ſon ſemblable. Hélas ! ce n'eſt que par
l'extinction progreſſive de la race des Nègres
, qu'on parviendra au terme où le prix
de l'eſclave ſurpaſſera celui qu'on peut en
retirer. En effet , nos cruautés ayant déjà
dépeuplé toutes les côtes de la Guinée , c'eſt
une néceflité de pénétrer foit avant dans les
terres , de multiplier les dépenſes & les
66 MERCURE
travaux pour fe procurer ces malheureux
inftrumens de notre avarice ".
Pour réfumer notre jugement fur cet
Ouvrage , nous dirons hautement & hardiment
, que l'Auteur marche armé de toutes
les forces réunies de l'inſtruction & de
l'éloquence ; que ſon eſprit voit loin &
juſte; que fon ame eft chaude & grande ,
& que peu d'Ecrivains approchent d'auffi
près les Jean-Jacques & les Raynal. L'Académie
n'a pas pu le couronner , puiſqu'il
n'a pas concouru ; mais fon Ouvrage eft
public , & la palme peut aufli bien ſe repoſer
ſur un Volume imprimé que fur un
manufcrit. La Société de Berne décerna cet
honneur aux Entretiens de Phocion , &
l'on eſt étonné qu'un ſi bel exemple ue foit
pas quelquefois imité par nos Sociétés Litveraires.
Il y a quelques années que M. l'Abbé
Genty remporta , le même jour , le prix
d'éloquente à Besançon & à Toulouſe. Il
faut féliciter la ville d'Orléans d'avoir de
pareils hommes à la tête de ſes premiers
établiſſemens.
i
DE FRANGE. 67

-
f:
ERMINIE , Poëme en trois Chants ; par
M. DE LANTIER , de l'Académie de
Marseille Chevalier de l'Ordre de S.
Louis , & c. fuivi de deux Contes moraux ,
le 1er. avec ce titre Italien , Fatte ben per
voi ( Faites bien pour vous ) ; & le 2a.
intitulé , le Provincial élevé à Paris , ou
Hiſtoire de Nicolas Remi. Volume in-
12 de près de 300 pages. Se trouve à
Paris, chez Cloufier , Imp .-Lib . , rue de
Sorbonne ; & Buiſſon , Hôtel de Mefgrigny
, rue des Poitevins.
CE Volume charmant , qui fait fuite
aux Travaux de l'Abbé Mouche , annonce
deux talens bien décidés , & rarement ,
réunis. On trouve dans le Poëme d'Ermi-r
nie , imité librement du Taffe , le ſenti-,
ment & la poéſie de la Jérusalem , avec
le ton léger & l'itonie piquante de l'Orlando.
M. de Lantier ,Auteur du Flattear
& de l'Impatient , ſemble né pour nous:
confoler de la perte des Poëtes aimables
que nous regrettons ; il en a le ſtyle , la
grace & les faillies.
Le premier de ces Contes moraux eft
vraiment délicieux , & offre des fituations
qui reflemblent un peu à celles d'Antio١٠
68 MERCURE
chus Soter & de la belle Stratonice , dont
on a fait de ſi magnifiques tableaux.
Le Provincial élevé à Paris eſt un Roman
très - moral , qui prouve que les illufions
de l'orgueil font la fource de nos plus
grands maux. Le ton des Roues de Paris,
& celui des bonnes gens de Province, les
intrigues du bon ton , & les paflions éternelles
, des portraits étincelans d'eſprit, &
des caractères foutenus & développés avec
art , voilà ce qui frappe & ce qui charme
dans ce petit Ouvrage , bien plus intructif
qu'un gros Livre. Nous y reviendrons :
reprenons Erminie.
Qui ne connoît l'amour d'Erminie pour
Tancrède ? Elle fort de Solyme pour aller
ſecourir ce Héros bleffé par Argant ; elle
eſt pourſuivie, & s'enfuit à travers champs.
Un bon vieillard , habitant d'un vallon
folitaire, la recueille : elle y revêt l'habit
de Bergère. Son Ecuyer la découvre , la
ramène auprès de Tancrède, au moment
où celui- ci venoit d'être grièvement bleſle
par Argant. Cet Argant vient d'expirer ;
Fancrède eft mourant. Son Amante le foigne
, panſe ſes bleſſures ; & Tancrède ,
rendu à la vie, lui offre bientôt ſa main ,
qu'Erminie accepte.
Voltaire a dit : Je ne fais rien de pis
que de traduire un Poëme mot pour mot
( il s'agit d'une Traduction en vers ). Ce
principe fert de Préface au Poëte. Il profire
du confeil, & nous donne , au lieu
DE FRANCE.
69
d'une froide eſtampe , d'après le Taſſe , un
tableau plein de vie , d'originalité , & furtout
de ce mol abandon qu'on ne retrouve
guère que dans l'Adonis de La Fontaine ,
dans le Narciffe de Malfilâtre , & dans le
Jugement de Paris. On connoît le plan de
cer Ouvrage ; nous voudrions en faire connoître
pluſieurs détails très-piquans ; mais
malheureuſement il faut borner les citations.
Voici le début :
Combien de fois maudiſſant le délire ,
Et le démon qui m'inſpiroit des vers ,
Dans mondépit ai-je briſé ma lyre ,
Etfait ferment d'abjurer ce travers !
Mais le ruiſſeau ſuivra toujours la pente ,
Leloup toujours pourſuivra la brebis ,
L'homme de Cour la faveur inconſtance ,
Et la Beauté , toujours compatiſſante ,
Afon époux donnera des amis.
Et voilà l'homme , & tel je fuis moi-même ,
Au gré des vents promené fur les flots ;
Et cependant , Philoſophe à ſyſteme ,
Je rêve , penſe , & j'excelle en propos.
Le Dieu du Jour eſt deſcendu dans l'onde ;
Dejà tout dort; du repos ennemi ,
L'homme ſeul veille ,& le vice avec lui.
Que dois-je faire ? Irai-je chez Elmonde
D'ungrand fouper reſpirer tout l'ennui ,
Etudier le jargon du beau monde
Ou méditer , penché ſur montableau,
,
79 MERCURE
*L'orgnette en main , l'art profond du Loto ?
Non , travaillons , & tourmentons ma verve ,
Et que le vers , enfanté par Minerve ,
Comme l'éclair , forte de non cerveau.
Vierges du Pinde , enflammez mon audace ;
Que fi je n'ai des Beaux- eſprits du temps
La voix fonore , & Foreille , & la grace ;
Si je ne puis , dans des cercles brillans ,
Produire ici ma Muſe rayonnante ,
M'enorgueillir dans la chaire éloquente ,
Où font en pompe affis les grands talens ;
Je puis du moins imiter la ſageſſe
De ces Rimeurs fourds à tous les revers ,
Qui , contens d'eux & du Dieu du Permeſſe ,
Se pament d'aiſe aux doux fons de leurs vers.
Et vous , objets de mon culte ſuprême ,
Jeunes Beautés , vous , images des fleurs ,
Comme Erminic, abjurez tout ſyſteme ;
Il n'en faut qu'un pour enchaîner les coeurs :
Il faut aimer : je le fais par moi-ménie ;
Mais d'Erminſe écoutez les malheurs ,
Et venez d'elle apprendre comme on aime.
Un morceau plein de ſentiment & de
naturel eſt, dans le premier Chant , la confidence
qu'Erminie fait à fon Ecuyer. Les
Poëtes lui préféreront peut- être le combat
du Chant 35.; mais nous aimons mieux
offrir à nos Lecteurs le Prologue du Chant
20., comparable à ce que Geffner a écrit
de plus touchant en ce genre.
DE 71 FRANCE.
Oh!quand ferai-je en mon humble hermitage,
Près d'un ruiffcau facile dans ſon cours ,
Maître de moi , caché fous le feuillage ,
Auxjeux du fort abandonnant mes jours,
Foulant aux pieds la fortune volage,
Etla faveur des arbitres des Cours ! .....
Ochamps heureux ! ô retraites du Sage !.
Dans votre ſein cachez-moi pour toujours !
Et vous , Palès ! vous , Vertumne & Pomone ,
Soyez mes Dieux , mes Lares protecteurs ! ..
Plût aux Deſtins que des fimples Paftcurs
Mon front naiffant cût porté la couronne!.
Et quel mortel peut voir ſans treffaillir
Les premiers feux dont l'aurore étincelle ;
Lajeune roſe , image du plaifir ,
Et d'une Vierge à la pudeur fidelle s
Le chêne altier dont le vaſte contour
ر
Preffe la terre & repouile le jour ;
Et cet épi fidèle à ſa promeffe ,
Qui verdit , monte, & déjà plein d'ardeur,
Ofe au Printemps.confier ſa jeuneffe ,
Etdes ſoleils afpirer la chaleur ?
Que fi jamais, briſant ma triſte chaîne ,
Je puis avoir un champêtre verger ,
Vous me verrez , Philoſophe Berger ,
Content du fort', jouir de mon domaine ,
Du frais de l'ombre ,&du jour pallager.
1.
:
Là, quand l'Hiver au Printemps qui le chaſſe,
Aura cédé fon Empire orageux ,
72
MERCURE
1
:
D'un arbrifſcau , jeune préſomptueux,
Armé d'un fer j'arrêterai l'audace ;
Et quand le føir, s'abreuvant de vapeurs,
Epanchera ſa féconde roſée ,
J'irai , d'une onde en filets diviſée ,
Calmer la foif qui defſéchait mes fleurs.
Là , tu viendras , douce mélancolie,
Remplir mon coeur de touchans ſouvenirs ,
Me retracer les fonges de ma vie ;
Mes vains projets , tant de vagues défirs ,
Et ma jeuneffe, hélas , évanouie !
Et pourjamais emportant les plaifirs.
Ettoi, Zulmé , &c.
Ces idées ne font pas neuves , mais le
ſentiment rajeunit tout , mais le ſtyle vrai
anime tout ; rien ne paroît uſe ſous la
plume d'un Ecrivain qui laiffe parler fon
ame, & qui à l'amour de la Nature joint
la connoillance des bons modèles. Les gens
infruits retrouveront dans les vers que
nous venonsde citer, des imitations d'Ovide,
de Virgile , des Anglois & des Italiens....
Surdifférentes fleurs , l'abeille ſe repoſe,
Etfait du miel de toute choſe.
Revenons à Nicolas Remi , fils de Maître
Remi , honnête Procureur de Manoſque en
Provence.
La mère de ce fat force Remi le père à
faire
DE FRANCE.
73
1
faire élever ſon fils à Paris avec des Marquis
& des Chevaliers. Il devient Clerc ,
eferoc , tartuffe , homme à bonnes fortunes
; s'appelle le Chevalier de St-Remi ;
trompe les femmes , en eſt dupé ; joue ,
friponne ; ſe fait challer ; retourne chez
lui, ne peut ſe réfoudre à être Procureur :
il ſéduir une jeune Demoiselle de condition
; ſe fait jeter par les fenêtres ; revient
à Paris jouer de ſon reſte : il eſt mis à
Bicêtre, d'où il ſort pour s'aller noyer àCharenton.
Ces aventures ſont écrites avec tout
l'eſprit poffible. Il paroît que l'Auteur s'eſt
propoſé pour modèle dans ſon ſtyle, Zadig.
Il avoit fait ſes preuves dans le Conte du
Petit Candide. Celui de Remi a le mérite
d'être plus moral ; il donne une grande
leçon aux pères de famille qui envoient
leurs enfansà Paris , où n'apprenant qu'à
rougir de l'état de leurs parens , ils finifſent
par en devenir l'opprobre. Dans un
ſiècle où l'on ne peut plus donner l'inftruction
que dans des Romans gais & courts ,
on diftinguera celui ci : » La contemplation
" de la misère humaine rend le Sage tou
>>jours modéré «.
No.24. 14Juin 1788, D
74
MERCURE
ELOGE Historique de M. GEORGESLOUIS
PHELYPEAUX D'HERBAULT ,
Patriarche , Archevêque de Bourges ,
&c. préſenté au ROI par M. BLIN DE
SAINMORE , Historiographe de ses
Ordres. Imprimé à Paris ſous la direction
de M. Cloufier , Imprimeur du Roi,
par les Enfans aveugles , & se vend à
leurprofit, en leur Maison d'Inſtitution,
rue Notre- Dame des Victoires ,
& chez Clouſier, rue de Sorbonne.
N° 18;
QUELQU'UN a dit que le récit d'une
bonne action rafraichit lefang. L'Eloge que
nous annonçons renferme abondamment
de quoi produire cet effet fur ceux qui le
liront; ils ſe plairont ſans doute à contempler
le portrait d'un homme véritablement
bon , dont toute la vie a été un acte non
interrompu:de bienfaiſance , & dont l'hiltoire
eſt une explication du mot vertu ;
d'un Prélat qui , après avoir travaillé affidument
au bonheur de fon Diocèſe , fera
à jamais , par l'exemple qu'il laiffe , la
gloire de l'Eglife & l'apologie de la Religion,
parce que le zèle pour la Religion &
pour l'Eglife , le zèle pour la Patrie & le
zele pour l'Humanité , furent en lui un.
1
1
DE FRANCE . 75
feul & même ſentiment. Rendons grace à
l'Ecrivain eftimable dont la plume , conduite
par le talent & par la reconnoifkance
, s'empreſſe de révéler des actions qu'un
voile modefte & mystérieux avoit dérobées
juſqu'à préſent à l'admiration publique :
écoutons avec abandon le témoin qui élève
la voix pour rendre hommage à celui dont
il lui a été donné de connoître L'affabilité,
la franchise, la ſenſibilité, & la bonté inépuisable.
Qu'il ne craigne pas de s'enten
dre reprocher une furabondance de détail ,
puiſque tout est fait pour intéreſſer des
enfans dans l'Histoire d'un père verrucux
qu'ils n'ont pas affez connu ; puiſque tout
homme fentible , après avoir lu cet Elage ,
regrettera de n'en pas avoir vu le Héros.
Si l'Auteur cite pluſieurs particularités de
ſes entretiens avec l'Archevêque , & s'il ſe
plaît à raconter les marques d'eſtinue & de
bienveillance qu'il a reçues de ce bon Prélat
, qui pourra lui ſavoir mauvais gré d'avoir
fait entrer dans le portrait ce qu'il a
eu le bonheur de ſaiſur dans le modèle
même ; & s'il eſt permis de ſe glorifier de
la familiarité d'un Grand , n'est - ce pas
lorſque la naiffance & les titres n'ont été
en lui que les acceſſoires de la vertu ?
Tel nous eft préſenté M. l'Archevêque de
Bourges par M. B. de S. M. , qui n'a voulu
employer d'autre art que le récit exact &
fidèle de ce qu'il a fait pour le bonheur de
ſes ſemblables.
D2
76 MERCURE
Les revenus d'un Etabliſſement destiné
à ſervir de retraite aux Curés vieux &
infirmes , portés de 4500 liv. à 20,000 liv.;
des Colléges fondés dans les principales
villes de ſon Diocèſe; des Bureaux de charités
inſtitués pour détruire la mendicité ,
&cette inſtitution rendue efficace par une
bonne adminiſtration; plus de 40,000 liv.
employées à des travaux qui ont fait fubfifter
des indigens pendant les années
1769 & 1770 , indépendamment des ſecours
abondans qu'il verſoit ſur les infirmes
, les vieillards, les chefs d'une nombreuſe
famille ; des penſions payées à nombre
d'Etudians dans les Colléges , & de
jeunes perſonnes dans les Couvens ; des
dots données à celles qui étoient appelées
à la vie religieuſe ; de pauvres Gentilshomnies
foutenus dans le Service par ſa
généreſité délicate &diſcrète ; une ſomme
de 60,000 liv. léguée aux pauvres de la
ſeule ville de Bourges , ne font que les prin
cipaux traits de cette vie bienfaiſante , dont
les détails font infinis , & marquent tous
les pas d'une carrière où l'Hiſtorien ne
trouve aucun intervalle à franchir .
Ce n'eſt point par une de ces figures
uſitées dans les Eloges , où quelquefois les
mots rempliffent le vide des choſes , que
l'Auteur a promis de ſe borner au ſimple
récit des fairs. Ici que peut mettre de foi
le Narrateur , de plus que l'accent d'une
ame profondément émue, en nous mon
DE FRANCE.
77
trant le palais même de l'Archevêqué , &
le château de Turly ſervant d'infirmerie aux
pauvics , qui fortcient de ces lieux hoſpitaliers
avec la ſanté,& des ſecours abondans
pour l'entretenir ?
M. B. de S. ayant repréſenté l'Archevêque
de Bourges , & M. le Duc de Charoft ,
Préſident , comme Chefs des deux premiers
Ordres de l'Etat , la première adminiſtration
Provinciale établie en France , retrace
en peu de mots leur ſenſibilité éclairée &
leur active bienfaiſance ; & il finit ainfi :
:
" Rien ne ſeroit plus propre ( que de
tels exemples ) à régénérer la Nation ,
, & à réveiller dans tous les contrs ce pa-
" triotiſme que la corruption des moeurs
» & l'égoïtime le plus funeſte paroifient
>> avoir alloupi depuis long-temps ..
Cette dernière réflexion de l'Auteur eft
attriſtante : qu'il nous ſoit permis d'en
adoucir l'amertume par des confidérations
vers leſquelles nous conduit Phomme qui
nous eſt repréſenté ſous des traits ſi confolateurs.
L'égoïlme né , foit de l'excès , foit de
l'abus du luxe ( 1 ) , n'est plus , il eſt vrai
le vice de quelques hommes iſolés ; il eſt
devenu un vice public ; mais en tout ,
(1) Nous ſommes bien éloignés de prétendre
décider isi la grande queſtion du luxe.
D
78 MERCURE :
l'excès du mal amène ſouvent le remède.
Si nous avons multiplié nos jouiífances &
ratliné fur tous nos plaitirs', nous avons
auſſi raffiné fur l'expietlion de nos fentimens
, & nous nous piquons d'une forte
de delicateſſe qui ne fera peut- être pas
toujours infructueule ; nous éprouvons
quelque choſe qui approche du remords ,
&nous ne ſommes pas bien loin de rougir
de nos jouiffances & de nos plaiſirs à
la vue des milliers d'indigens qui n'en font
que les témoins : il nous ſemble que leur
nudité fait un contraſte plus humiliant pour
nous que pour eux, avec notre parure élégante.:
que leurs corps pâles & débiles
nous reprochent la délicateſſe de notre table
&la fuperfuité de nos mets; leurs foupirs
troublent l'harmonie de nos concerts,
Pourquoi cette diſpoſition ne feroit - elle
pas naître la réſolution généreuſe de lier
notre bonheur à celui de nos femblables?
Nous voyons , j'en conviens , l'égoïfime
s'étendre & ſe faire une forte de ſyſteme;
mais nous voyons en même temps qu'il ſe
forme de tous côtés des confédérations
pour le combattre ; ſi elles ne peuvent
encore anéantir cet ennemi de la vertu ,
elles réparentdu moins une partie des ravages
qu'il fait , & la contagion falutaire
de leur bienfaiſance ſe communique inſenfiblement.
Ces réflexions ne ſont point étrangères à
l'Eloge de l'ami de l'humanité , » que jaDE
FRANCE.
79
>> mais l'infortuné n'a inutilement imploré,
ود & qui jamais n'a fait effuyer un refus ;
>> dont la main s'ouvroit par-tout avec fon
coeur ; qui ne pouvoit fupporter fans
émotion le tableau de la misère , & qui
>> cependant ne craignoit point de la voir ;
>> dont la conduite inſpiroit la vertu , &
ود
ود
ود
$
dont la perfonne la faifoit aimer «,
Cette ame douce s'irritoit cependant ,
mais c'étoit contre la méchanceté. Quelqu'un
crut un jour ſe faire valoir en venant
l'informer qu'un homme auquel il
cherchoit à être utile, profeſſoit le Calviniſme.
» Qui vous demande cela , répondit
>> le Prélat? je ne veux pas le ſavoir. Eft-
» ce à vous à faire le vil métier de déla-
>> teur : fortez , & ne paroiſſez jamais de-
» vant moi ".
Ce monument élevé à la mémoire d'un
bienfaiteur de l'humanité , ne fera pas
moins d'honneur à M. B. de S. M. auprès
des perſonnes honnêtes & fenfibles ,
que ne lui en ont fait juſqu'à ce jour ſes
Productions littéraires.
D4
MERCURE
CONTES ſages & foux ; 2 Vol. petit
in-12. Prix , 3 liv. br. , 3 liv. 12 fous
francs de port par la Poste. A Paris ,
chez Buiſſon , Hôtel de Mesgrigny , rue
des Poitevins , No. 13.
Ces deux volumes contiennent lept
Contes dans le genre de la Féerie , dans
ce genre qui a tant de graces & d'efprit ,
& dans lequel on eſt très-infipide , quand
ces deux qualités manquent. Comme il
n'est pas aiſé de les réunir, on a mieux
aimé renoncer au genre : de là vient la
rareté des Contes de Féerie , tandis que
les Romans d'Amour , ou d'Histoire , ou
moraux , proprement dits , fatiguent nos
preſſes & les Lecteurs. Ces conſidérations
n'ont point arrêté l'Auteur des Contes
ſages & foux ; les circonstances ont donné
licu , à ce qu'il paroît, à tous ſes Contes ,
& il arempli ſa tâche d'une manière fuffifante.
Dans l'impoſſibilité où la forme
de ſes Ouvrages nous met de rien extraire,
nous nous contenterons de préſenter le
but moral de ſes fictions.
La Bague d'oubli cu les Malheurs de
lafenfibilité, a été publié en 1778 , dans
le Journal des Dames , qui étoit rédigé
par M. Dorat ; il a même été inféré dans
DE FRANCE .
le Mercure.. Le ſens moral de ce Conte
prouve qu'une ame extrêmement ſenſible
ne peut être heureuſe , parce que rien n'y
eſt à ſa meſure.
3 La Princeffe modefte & le Prince fidele
eſt un badinage agréable. La Dame qui c
eſt Auteur a ſouvent ſaiſi la manière d'Hamilton.
LaPrinceffe Pudibonde & le PrinceParangon
, ou les Iſles flottantes, préfente
un parallèle & une oppofition marquée
entre le vice & la vertu .
Lefage Alfaran a pour but de démontrer
que le meilleur moyen de corriger
ou de guérir l'orgueilleux , eftde le réduire
à ſes facultés naturelles .
Les Génies Instituteurs ou la Fontaine
de Sapience , est un Cours d'éducation ;
tout parle à l'enfance , dit l'Auteur , mais
tout ne devroit lui parler que pour l'inf
truire dans l'ordre ſocial ; le bien , le mal,
Berreur , la vérité marchent de compagnie
& ſe préfentent à l'ame qui ne peut encore
les difcerner. Les détails de ce Conte:
font auffi ingénieux qu'intéreffans.
La Fée des Balances ou les Apparences
trompeuſes, peint lavertu aimable , le ſentiment
vrai , le génie tout à la fois fublime
& fage ; en un mot, le mérite réell
caché ſous le voile impénétrable de Esmodestie.
82 MERCURE
-
:
L'Auteur de ce Recueil eſt une femme ,
à ce que nous pouvons en juger , & il
réunit au talent d'écrire agréablement en
proſe , celui de faire facilement de jolis
vers. Sa Dédicace du Conte de la Fée
desBalances commence ainfi:
Quoi ! vouloir que je rime encore !
Lorſque le Ciel ne fait éelore
Pour moi qu'une triſte ſaiſon ?
Quand mes jours fombres , fans aurore,
Ont toujours le même horizon?.
Jamais demande t-on à Flore
D'orner de fleurs les froids glaçons ?
Et quand un fléau les dévore ,
Nos guérets ont-ils des moiffons ?
Non , l'aiguille de Pénélope
Sied mieux à nos nouveaux deſtins.
Que la lyre aux fons argentins
De l'immortelle Calliope.
On lit avec plaisir l'Epitre au Grelot ,
dont on arme la morale , & des Chanføns
qui ont le mérite de la gaîté & de la facilité.
1
!
د
DE FRANCE . 83
SPECTACLES .
COMÉDIE FRANÇOISE.
C'EST ordinairement lorſque le mal eſt
devenu très - grave , que les eſprits légers &
ſuperficiels commencent à s'appercevoir qu'il
exiſte. Le reimède alors eſt au moins équivoque
, s'il n'eſt pas tout- à-fait inutile. Depuis
plus de douze ans , quelques Ecrivains
courageux s'élèvent contre les progrès du
mauvais goût ; ils en recherchent les caufes
, ils les font connoître , ils les dénoncent
au Public , & ce Public avide de plaifirs
, qui devroit chercher à s'en conferver
la jouillance , s'obſtine à fermer l'oreille à
la voix des obſervateurs. On ne s'eſt point
faffé de lui répéter qu'à force d'accorder
ſes ſuffrages à des productions , plus faites
pour parler aux yeux qu'à l'amme & à la
raiſon , il s'accoutumeroit peu à peu à ne
plus chercher au Théatre que du ſpectacle
& des téſultats ; qu'il deviendroit inſenſible
à la repréſentation des chef-d'oeuvres
de notre Scène : enfin , qu'il ne voudroit
plus prêter ſon attention aux détails
philofophiques , aux développemens profonds
& néceſſaires par leſquels les imita-
1
D6
84 MERCURE
د
teurs de Molière voudroient prouver l'étude
qu'ils auroient faite du coeur humain , &
la connoiffance qu'ils en auroient acquiſe.
Loin de goûter ces réflexions , dont le but
ne tendoit pas moins à fon avantage qu'à
celui de l'Art Dramatique , il a ſemblé ſe
faire un jeu d'accueillir tout ce qui étoit
fait pour être repouffé , & de repouffer
tout ce qui méritoit d'être accueilli. Pendant
long temps an avoit regardé le Théatre
comme l'école des moeurs , des bienséances ,
&de la vertu ; ſi quelques Auteurs comiques
s'étoient éloignés de la décence , ou
par goût ou par foibleſſe pour certains
ſpectateurs , d'autres avoient prouvé que
la morale pouvoit s'allier avec la gaîté , &
qu'on pouvoit exciter un rire utile fans le
fecours de la gravelure. Tout eſt changé. Le
Theatre n'eſt plus confidéré que comme un
lieu d'aſſemblée & de divertiſſement , où
la nature & l'effet du Spectacle ſont ablolument
indifférens , pourvu qu'on ytue un
temps dont on ne fait que faire, pourvu
que l'on y trouve une diſtraction capable
d'étourdir fur les caufes de chagrin qu'on
s'eſt préparées, &fur les remords de fa confcience.
Excluſivement avide de ce qu'on appelledes
effets, de coups deThéatre, de fitua
tionspittorefques , blafé fur tout ce qui et
raifonnable, par l'habitude de s'amufer àdes
bouffonneries , aux farces honteuſes , licencieufes
& méprifables qui abondent fur les
treteaux des petits Spectacles , le Public ne
DE FRANCE. 85
:
:
veut plus rien voir aux Theatres Royaux que
ce qu'il s'eſt accoutumé à voir ailleurs. Dans
ſa ridicule impatience , il s'échauffe & fe
paſſionne contre tout ce qui peut le forcer
à une attention ſuivie. Tout ce qui n'attache
point ſes regards par des tableaux , ou fon
eſprit par des mots brillans, lui donne de
Khumeur ; & fans examiner ſi cette humeur
eft fondée, il profcrit d'autorité ce qu'il ne
veut pas entendre.Ala manière dont iljuge,
on croiroit qu'il eſt entré dans l'ame , dans
la penſée , dans les intentions des Auteurs
& qu'il a deviné leurs Ouvrages ! Quel
Homme de Lettres , ſi ces excès continuent ,
voudra affronter le caprice & la frénéſie de
ces Juges téméraires & infenfés , qui tuent
leurs jouiſſances en humiliant les Ecrivains
qui leur confacroient leurs veilles ! Siła gloire
d'une Nation tient en partie à celle de fes
Artiſtes,&à celle des Gens de Lettres principalement,
neſeroit-ilpas à déſirerque le Gouvernement
jetât un coup d'oeil ſévère ſur la
licence qui s'eſt introduite dans nos Salles ,
&qui va toujours en augmentant ?On a pris
le parti d'affeoir les parterres ; on a fenti que
la poſition contrainte dans laquelle ſe trouvoient
les Spectateurs pendant trois heures ,
les Aux, les reflux, pouvoient devenir fatals
à la plupart d'entre eux ; un ſentiment de
justice & d'humanité leur a fair accorder
des places commodes , & ils n'ufent de ce
bienfait que pour infulter plus à leur aiſe
à ceux qui ne leur demandent que de l'in86
MERCURE
dulgence pourprix de leurs études&de leurs
travaux ! Cette inconféquence eſt atroce. Ce
mot nous mène tout droit à l'Inconféquent,
Comédie en cinq actes , qu'on a voulu repréſenter
le Samedi 31 Mai , & dont on n'a pas
pu achever le ſecond Acte. Nous ignorons fi
l'Ouvrage étoit digne de quelque ſuccès ;
les deux Actes que nous avons entendus
avoientdes longueurs , &la marche en étoit
embarraffée ; mais nous y avions remarqué
des traits plaifans , de l'eſprit , & il n'étoit
pas impoſſible que ſon Auteur ſe fût tiré
heureuſement , &d'une manière comique ,
de l'embarras où il s'étoit jeté. Poſons que
l'Ouvrage fût mauvais , le Public le favoit-il?
Qui l'avoit mis dans la confidence ? Souvent
les commencemens d'un ouvrage , d'une
entrepriſe , d'une exiftence quelconque
reffemblent peu à ce qui doit les ſuivre.
Les cinq premières années du règne de Neron
ne promettoient-elles pas un règne adorable?
Quand LouisXII étoit encoreDucd'Orléans
, offroit- il le germe des verrus qui l'ont,
fait appeler le Père du Peuple ? La Tragédie
desHoraces, fi chaude pendant quatre Actes,
annonce- t- elle un dénouement aufli froid
que celui qui la termine ? Le perſonnage
de la Julie du Diffipateur, fi touchant & fi
noble au dénonement de cette Comédie ,
annonce-t-il une honnête femme dans le
cours des quatre premiers Actes ? En tout ,
comme l'a dit Greffet :
Attendre eft, pourjuger, la règle la plus sûre.
,
DE FRANCE. 87
Si leshabitués de nos Partères ne veulent pas
adopter ce principe par raifon , il faut les
contraindre à s'y foumettre. La Nation n'eft
pas deſcendue à ce degré de honte que l'on
puiſſe penſer que les excès de quelques individus
foient ou puiſſent jamais être approuvés
& partagés par ceux qui en confervent
encore le premier caractère. C'eſt donc rendre
ſervice aux honnêtes gens , c'eſt maintenir
l'ordre , c'eſt appeler la paix , c'eſt aſſurer
la tranquillité générale , que d'en impofer
à des Spectateurs trop pétulans , & que de
les forcer à ſe renfermer dans les bornes de
Phonnêteté publique.
Nous rendrons compte, dans le prochain
Mercure, du début de.Mlle. des Garcins , à
la Comédie Françoiſe , & de celui de Mme.
Crétu , à la Comédie Italienne. Nous dirons
ici d'avance , que peu de ſujets ont inſpiré
plus d'intérêt que Mlle. des Garcins dans
les différens rôles qu'elle a joués. On la dit
élève de M. Molé ; mais elle paroît être
auſſi l'élève de la Nature , & c'eſt le premier
de tous les Maîtres.
83 MERCURE
ANNONCES ET NOTICES.
ONa mis en vente à l'Hôtel de Thou, tut
des Poitevins :
La 27e. Livraiſon de l'Encyclopédic. Cette Livraifon
eft compoſée du Tome I ,preinière Partie,
des Beaux-Arts; du Tome I, première Partie , de
Architecture ; du Tome III , première Partie, de
l'Economie Politique &Diplomatique & du Tome
I, première Partie, dela Théologie.
Le prix de ces deux Volumes de Difcours,onde
cosquatre Parties, eft de 24 1. brochés ,& de 211.
en feuilles.
::
Le port de chaque Livraiſon eft au compte des
Souſcripteurs.
Conſidérations générales ſur le Procès intitulé :
AW. Halings , Ecuyer , ancien Gouverneur ginéral
du Bengale. Brochure in-8°. de 112 pages.
Londres; ſe trouve àParis, chez Buition , Lib. ,
tue des Poitevins,Hôtel de Meſgrigny.
Nous reviendrons fur cet Ouvrage intéreflant
par le füjet &par la manière dont il eft traité.
CONSIDERATIONS fur les Finances , & idée
générale d'un moyen Ample , doux & facile , pour
rembourfer la plus grande partie de la dette foncière
de l'Etat , farsaninuer la fortune des Particuliers
, en améliorant de beaucoup leur firuation
, & en fécondant tous les grands moyens de
profpérité de la France ,par M. du Bournial ;
in-89, de 119 pages. A Londres; & ſe trouve à
Paris, chez Belin junior , Lib. , quai des Auguft.
DE FRANCE.
؟و
HISTOIRE des principaux Evènemens arrivés
en Europe depuis 1733 juſqu'au Traité d'alliance
de 1756, pour ſervir de ſuite à l'Hiſtoire de la
Maiſon d'Autriche; par M. le Comte de G*** ;
dédiée à la Reine , Tomes VII , VIII & IX , in-
12. A Paris , chez Moutard , Iump-Lib. de la Reine,
rue des Mathurins ; à Nancy , chez H. Haëner ,
Imp. ; à Strasbourg & à Vienne , chez les Frères
Gay, Libr.
Cet Ouvrage , qui nous eſt échappé dans ſa
nouveaute , ſera lu avee intérêt. Ces trois Volumes
contiennent & complettent les fix que l'Auteur
avoit publiés en 1778 ; ils contiennent les
évènemens qui ſe ſont paſſes juſqu'en 1756.
MÉMOIRES fur les moyens qu'il feroit facile
d'employer pour parvenir sûrement , promptement,
fans bouleverſement & fans commotion, à
toute la perfection dont le Militaire de France eft
fufceptible , &pour établir la ſtabilité ſi déſirée
dans là Conſtitution & dans les Ordonnances qui
le concernent. 2 Parties in -8°. Prix , sliv. Se
trouve à Paris , chez Leclerc , Libr. , quai des
Auguftins.
L'Auteur de cet Ouvrage , dont le titre annonce
l'importance & l'utilité , éclairé par ſes
réflexions & fon expérience , propoſe un nouveau
ſyſtème ſur lequel il ne nous appartient pas de
prononcer , mais qui nous paroît mériter un ſérieux
examen. L'Ouvrage eſt composé de douze
Mémoires ſur des objets dignes de l'attention du
Militaire & de l'Administration.

Rituel duDiocèse de Lyon , imprimé par l'au
torité de Mgr. Antoine de Malvin de Montazet ,
Archevêque & Comte de Lyon , Primat de France.
2Vol. in-4°. ALyon , chez Aimé de la Roche ,
Imprimeur.
MERCURE
Ce Rituel a joni d'une célébrité qui nous difpenſe
de nous étendre fur fon élege.
COURONNES Académiques , ou Recueil des
Prix propoſés par les Sociétés ſavantes , avec les
noms de ceux qui les ont obtenues , des Concurrens
diftingués , des Auteurs qui ont écrit fur les
mémes ſujets , le titre & le licu de l'impreffion
de leurs Ouvrages ; précédé de l'Histoire abrégée
des Académies de France ; par M. Delandine ,
Correſpondant de l'Académie des Belles - Leures
&Infcriptions , &c. 2 Vol. in-8 °. Prix , 6 Lv.
br. , 8 liv. rel. A Paris, chez Cuchet , Lib. , rue
& hôtel Serpente .
Cet Ouvrage , dont le titre ſeul explique l'idée
&le plan , n'eſt point fufceptible d'analyſe. C'étoit
unvéritable ſervice à rendre aux Littérateurs
& aux Savans , que de leur préſenter dans le t
même cadre toutes les queſtions qui ont éré loumiſes
à la diſcuſſion par les diverfes Académies.
Outre ce genre d'utilité affez digne d'attention
il en réſultera un avantage pour les Académics
elles-mêmes ; celui de ne pas propofer des ſujets
déjà traités , comme il arrive affez ſouvent.
M. Delandine nous promet d'en faire autant
pour les Académics Etrangères ; & l'on doit l'encourager
à tenir parole.
On trouve chez le même Libraire les Mémoires
d'Agriculture, d'Economie rurale & domestique, publiés
par la Société Royale d'Agriculture de Paris ,
année 1787. 2 Vol. in-8 °. Trimestre de printemps
&trimestre d'hiver .
Il eſt inutile de faire remarquer ici l'utilité de
cette Collection. "
ser. , 26. & 30. Rapports fur les Hôpitaux. A
Pais, chez Moutard, Imp. -Lib. de la Reine , rue
des Mathurins, Hôtel de Cluni.
,
DEFRANCE.
VOYAGES Imaginaires , Romanesques , Merveilleux
, Allégoriques , Amuſans , Comiques &
Critiques ; fuivis des Songes & Vifions , & des
Romans Cabaliſtiques , ornés de Figures ; не.
Livraiſon 2vol. contenant la fuite de Lamekis ,'
ou Voyages dans la terre intérieure ; Azer , ou le
Prince enchanté ; les Hommes volans , ou les
Aventures de Pierre Wilkins.
Cette Collection formera 40 Volumes in-8°. ,
dont le prix eft de 3 liv. 12 f. le Volume broché,
avec 2 Planches .
Il paroîtra régulièrement 2 Volumes parmois.
On continue de s'inſcrire pour cette Collection ,
àParis , rue & hôtel Serpente , chez CUCHET ,
Libraire, Editeur des OEuvres de Le Sage , 15 vol.
in- 8 °. , avec Fig.; de celles de l'Abbé Prévoſt ,
39 vol . idem ; & du Cabinet des Fées , 37 vol.
in-8 °. & in- 12 , avec & fans Figures .
PLAN de l'Enéide de Virgile , ou expoſition
raiſonnée de l'économie de ce Poëme, pour en faciliter
l'intelligence ; Ouvrage dans lequel on difcute
quel a été le but principal de l'Auteur en
compofant fon Poëme ; par M. Vicaire , Profefſeur
émérite d'Eloquence , & ancien Recteur de
l'Univerſité de Paris ; in - 12 . A Paris , chez Debure
l'aîné , Lib. , rue Serpente , hôtel Ferrand.
Quoique l'Enéïde ſoit un des Poëmes les plus
lus, les plus dignes de l'être , & les plus commentés
, on y rencontre encore des difficultés qui
embarraffent les Lecteurs les plus inftruits. Μ.
Vicaire en a fait une longue & profonde étude;
& par les lumières qu'il a puiſées dans les Anciens
, &notamment dans Homère , il a éclairé
la marche & le but du Poëte Latin. Cet Ouvrage
fera très-utile à tous ceux qui veulent étudier ou
cafcigner la Langue Latine.
92 MERCURE
de 16 .
Idéegénérale de la Turquie & des Tures , pour
fervir à l'intelligence des opérationsdela guerre
actuelle; in-8°. 148 pages. Prix, 1liv.
br. , 2 liv. 8 f. franc de port, ALondres ; & fe
trouve à Paris , chez Leroy, Lib. , rue S. Jacques.
Cet Ouvrage peut être utile dans les circonftances
préſentes. :
Les Pfeaumes traduits en françois , avec des
Réflexions ; par le Père G. F. Berthier ; s Velum.
in-12. Prix, 15 liv. rel. A Paris, chez Mérigot le
jeune , Lib., quai des Auguſtins.
La réputation de cet Ouvrage eſt faite & julrement
acquiſe.
Observations détachées ſur les Coutumes & les
uſages anciens & modernes du reffort du Parlement
deMetz ; par feu M. Gabriel , Doyen & ancien
Bâtonnier de l'Ordre des Avocats au Parlemem
de Metz; in-4°. , Tome II. A Bouillon, aux
dépens de la Société Typographique.
La Visite d'Eté, ou Portraits modernes , par
l'Auteur de Georges Bateman & Maria ; 2 Vol .
in-12; traduit de l'anglois parM. de la Montagne,
Auteurde plufieurs Ouvrages dramatiques. AParis,
chez Knapen & Fils , Imp. -Lib. , au bas du Pont
Saint-Michel...
Robinson Crusoe , nouvelle imitation de l'anglois,
parM. Feutry , de la Société Philoſophique
de Philadelphic , se, édition , revue & corrigée
avec le plus grand foin; 2 Vol. in-12. Fig. br. ,
3 liv. Le méme, in- 18 , fans Fig. ,
Paris, chez Mérigot le jeune , Lib , quai des Auguftins.
2liv. A
Cette nouvelle imitation, débarraflée de beauDE
FRANCE.
95
coup d'inutilités , a obtenu un ſuccès juſtiké pac
ſes nombreuſes éditions.
L'Enfer , Poëme du Dante , traduit de l'italien ,
parM. le Comte de Rivarol , in-8°.
Cette Traduction , dont nous avons parlé dans
ſa nouveauté , a paſſé dans les mains d'un autre
Libraire. Elle ſe trouve chez Cuſſac , Galerie de
Richelieu , au Palais-Royal , Numéros 7 & 8.
Le même Libraire vient de mettre en vente le
XIe. Volume du Théatre des Grecs , Ouvrage trèsintéreſſant
ſur lequel nous reviendrons.
Carte du théatre de la guerre entre les Turcs ,
- les Ruffes & l'Empereur , ou Carte de la Mer
Noire , comprenant la plus grande partie de
l'Empire Othoman , partie des Etats de l'Empereur,
de la Ruflie &de la Pologne. Prix , 6 liv.
Dreffée par Dezauche , Géographe , & fucceffeur
des Sicurs Delifle & Phil. Buache , premiers Géographes
du Roi , de l'Académie Royale des Sciences.
AParis , chez l'Auteur , rue des Noyers.
Cette Carte , en deux grandes feuillos , qui
vient d'être dreſſée pour le théatre de la guerre
actuelle , comprend tous les pays ſitués entre le
346. & le 63e. degré de longitude du Méridien
de l'Iſle de Fer , entre lesquels ſe trouvent compris
Vienne , la Hongrie, la Galicie , la Bukowine,
la Transilvanie , la Slavonie , la Croatie Turque ,
la Bofnic , la Servic , la Dalmatie , la Bulgarie ,
la Romanie ou Roumili , partie de l'Archipel , la
Valakie , la Moldavie , la Beffarabic , l'Ukraine ,
la Petite - Tartarie , le Gouvernement de Tauride
ou la Krimée , les Mers Noire & d'Azow , le
Kuban , &c. &c. &c.
94 MERCURE
:
-
Faits mémorables des Empereurs de la Chine ,
tirés des Annales Chinoiſes , dédiés à MADAME ,
ornés de 24 Eſtampes in-4°. , gravées par Helman
, d'après les Deſſins originaux de la Chine. A
Paris, chez l'Auteur , rue Saint-Honoré, vis -à-vis
P'Hôtel de Noailles , No. 315 ; & chez M.
Ponce , Graveur , rue Sainte-Hyacinthe , Nº. 19.
Prix, in-4°. en feuilles , 12 liv.; &br. en carton,
13 liv. 10 f ; ſur papier vélin en feuilles , 18 liv.;
ſur papier d'Hollande, peine à l'Aquarel , 48 Lv.
Ily aura quelques exemplaires fur grand papier,
qui feront fuite aux Batailles de la Chine. Prix,
18 liv.
L'idée de cette Collection est heureuſe ; & l'exé
ćution nous a paru répondre à l'idée. Elle fera diviſée
en quatre Livraiſons , qui paroîtront tous les
deux mois.
L'Humanité courageuse. A Paris , chez Sergent,
Deffinateur , rue Mauconſeil , N°. 62 ; & chez
le Vachez , Md. d'Ettampes , ſous les colonnades
du Palais-Royal , No. 258. Prix , 24 L.
Cette Eſtampe repréſente l'action auffi courageuſe
que connue de Catherine Vaffent .
L'Irréſolution ou la Confidence, Eftampe gravée
par J. A. Pierron , d'aprèsle Tableau de M.
Trinqueſſe ; & le Retour trop précipité , faltot
pendant, gravéed'après la gouache or ginale deM.
Lavreince. Ces deux Estampes portent 14 pouces
dehaut fur 10 de large. Elles font de même grandeur
que pluſieurs qui ont paru , d'après MM.
Baudoin , Fragonard , Borel , &c. Prix, ; liv.
pièce. Se vend à Paris , chez l'Auteur , rue &
porte S. Jacques, entre le Boucher & le Boulanget,
NO. 164.
DE FRANCE.
مع
12e. Livraiſon de la Galerie Univerſelle , par
M.de Pujol , Commiſſaire principal des Guerres
en Hainant , Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire
de S. Louis , Prévôt , Chef de la Ville & du
Magiftrat de Valenciennes , &c . Prix , 31. 12 f.
Ce Recueil ſe continue avec ſuccès. Cette nouvelleLivraiſon
contient les Portraits & la vie abrégée
de J. Brutus , J. Callor, Hérodote , Innocent XII ,
Philippe II, J. de Seymour , Suger , & Vignole.
On ſouſcrit à Paris , chez Mérigot le jeune ,
Lib. , quai des Auguſtins ; à Valenciennes , chez
Giard; & chez les principaux Libraires du Royaume
& de l'Europe.
Portrait de Pierre- Prime- Félicien Le Tourneur ,
deſſiné parA. Pujos , & gravé par Ch. L. Lingée.
Se trouve à Paris , chez M. Pujos , la 2e. maifon
après le Corps - de-Garde , place de l'Eſtrapade..
Ce Portrait nous a paru reiſemblant &bien fait,
On lit au bas ces quatre vers anonymes :
Ne croyant que traduire , il créa ſes Ecrits ;
Doux , fenfible & modefte , il ignora fa g'oire ;
Il ne mourra jamais au Temple de Mémoire ,
Ni dans le coeur de fes anis.
LeBaifer à la dérobée , Eſtampe nouvelle , d'après
H. Fragonard , par N. F. Regeault. Prix ,
12 liv. A Paris , chez l'Auteur , rue de Montmorency
, No. 22 ,
L
Cette Estampe, qui fait pendant au Verrou
eſtgravée avec ſoin , & d'un effer agréable.....
Theatre Itinéraire de la guerre actuelle entre les
Turcs , d'une part , les Ruffes & les Impériaux ,
d'autre part.
Carte relative au partage éventuel d'une partie
de l'Empire Orlhoman , par M.Brion de Latour ,
Ingénieur-Géographe du Roi , 1788. A Paris, chez
l'Auteur , rue du Platre-Saint-Jacques , Nº . 29 ;
Defnos , Lib. , rue S. Jacques,Cullac , au Palais-
Royal , Nr . 8.
2
6 MERCURE DE FRANCE.
6 Duos concertans , pour Flúre & Violon ,
par M. F. Blaſius, uv. 12e. Prix, 7 liv. 4 1. A
Paris , chez M. Bouin , Md. de Muſique , rue St.
Honoré, au Gagne- petit , No. 504 ; & Blaifot ,
tue Satory, à Verfailles.
Sonare avec Flûte obligée, par M. L. Jadin ,
formant le Numéro 52 du Journal de Clavecin,
par les meilleurs Maîtres. Prix ſéparément , 3 liv.
Abonnem. pour 12 Nos. , 30 liv. francs de port
AParis , chez M. Boyer, Md. de Mukque , palſage
de l'ancien Café de Foy , rue de Richelien;
&Mme. Leaienu , rue du Route , à la Clef d'or.
NUMÉROS 221 & 222 du Journal d'Ariettes
Italiennes , dédié à la Reine , contenant un Air
de Sarti , & un de Cazzaniga. Prix , 2 liv. 8 l.
Ab. four 24 Nos. , 36 & 42 liv. A Paris , chacu
M. Bailleux,Md. de Muſique de la Famille Royale,
rue St - Honoré , près celle de la Lingerie , a la
Règle d'or.
VERS.
Bouts-Rimés.
TABLE.
Charade, Enig. & Log.
L'Influence de la déconvertede
l'Amérique.
49Erminie.
50Eloge historique.
54 Contes jages &foux.
Comédie Françoife.
57Annonces & Notices.
APPROBATION.
67
74
8;
88
J'AI lu, par ordre deMgr. le Garde des Sceaux,
IC MERCURE DE FRANCE , pour le Samedi 14
Juin 1788. Je n'y ai rien trouvé qui puiffe en
empêcher l'impreſſion. AParis, le 13 Juin 1788.
SÉLIS.
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
:
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 24 Mai.
L'ESCADRE Suédoiſe , de 12 vaiſſeaux
de ligne & 5 frégates , dont on achève
l'équipement à Carlſcrone , doit mettre à
la voile à la fin de ce mois. A l'inftant où
cet armement fut ordonné , le Collége
Royal de Commerce notifia , le 15 avril ,
à tous les Confuls & Négocians Suédois ,
que , conformément au traité de neutralité
armée , fait en 1780, tous contrats
de fret paffés pour des bâtimens nationaux
, deſtinés à tranſporter des troupes
ou des munitions de guerre pour le fervice
de l'une des Puiſſances Belligérantes ,
ſeroient regardés comme nuls & non avenus
, & que, n'avouant aucun de ces tranfports
, le Gouvernement n'accordera aucune
protection à ceux de fes Sujets dont
Nº. 24. 14 Juin 1788 .
C
( 50 )
les navires ſeroient attaqués par des vaifſeaux
Turcs ou Barbareſques. On déſigne
le Vice- Amiral Wrangel pour le com.
mandement de l'eſcadre Suédoiſe.
Ce n'eſt pas le ſeul armement qu'on
prépare dans laBaltique : on travaille autli
avec adivité dans les chantiersde Copenhague.
Aux quatre vaiſſeaux de ligne
Danois dont l'équipement a été précédemment
ordonné , on en a ajouté deux
autres de 64 canons. Ces armemens maritimes
donnent lieu à une infinité de
conjectures : on paroît croire que lesdeux
eſcadres ſe réuniront pour agir, de concert
, ſelon les évènemens. On lie leur
destination , non-feulement aux mouvemens
de l'eſcadre Ruffe , mais encoreà la
criſe actuelle de Dantzick , & l'on foupçonne
quelques arrangemens fecrets entre
les Cours de Stockholm , de Copenhague
& de Berlin.- Quoi qu'il en ſoit, cesdifférentes
circonstances cauſent beaucoup
d'inquiétude à Pétersbourg ; & dans la
crainte qu'on ne raffemble un Corps de
troupes Suédoiſes dans la Finlande , la
Cour de Ruffie va former , de fon côté ,
un Corps d'obſervation entre Oranienbaun
& Crafno-Gorko , ſous les ordres
du Général d'Anhalt. -Quelques lettres
interceptées ayant fait foupçonner à Péterfbourg
que l'on faifoit paſſer hors de
(51 )
l'Empire des informations ſur l'état deſes
forces navales & militaires , le Gouvernement,
par un Edit récent , a preſcrit aux
Juifs de borner à l'avenir leur correſpondance
au ſeul objet du commerce.
Nous trouvons dans un Journal de
Commerce,un expoſé de la récolte générale&
de la conſommation des Soies , qui
n'eſt pas indigne de curiofité.
-
La Chine , dit l'Auteur , paſſe pour la patriedes
vers à ſoie ; du moins il eſt certain que la culture
de cet inſecte utile eſt très- ancienne dans cet Em
pire. La province de Tehe-Kiang produit une ſi
grande quantitéde foie , que non-feulement elle en
fournit ſuffisamment aux beſoins des Chinois, mais
qu'elle peut encore en vendre une bonne partie à
l'Europe. La foie qu'on en tire , paſſe pour la plus
fine& la meilleure. Dans ledernier ſiècle , on
fit peu d'uſage en Europe de la foie de Chine ; ce
n'eſt que depuis que nous avons commencé à fabriquer
des blondes & des gazes blanches , que
l'importationde cette foie eſt augmentée progrefſivement.
Avant 1766 , cette importation montoit
déja , année commune , à 88,000 livres peſant ,
dont preſque les trois quarts paſſoient en France.
Depuis cette époque , elle s'eſt confidérablement
accrue. Les Arglois ſeuls ont importé de la Chine ,
dans cette année 1766, 104,000 livres peſant. La
foiede Chine , malgré ſa peſanteur & l'inégalité
des fils , ſera toujours recherchée en Europe , à
cauſe de ſa blancheur , que l'on attribue communément
au climat, mais à laquelle probablement
l'art des Chinois contribue beaucoup plus , puifqu'à
la teinture cette foie laiſſe moins de déjet que
toutes les autres : ce fait prouve aſſez clairément
cij
( 52 )
1
que les Chinois ſontdans l'uſage d'employer , en
dévidant la foie , un moyen propre à en ſéparer
les parties hétérogènes. La foie de Bengale eft auffi
fine que cellede la Chine ; on en exporte annuel.
lement une grande quantité , ſoit écrue, foit ouvrée
, des villes de Tatta , Cambay, Breach &
Surate. Les Hollandois importent peu de cettefoie
enEurope ; ils en envoient la plus grande partie
au Japon. Le bourg de Caſſambazaar eſt le comptoir
Hollandois le plus conſidérable en ſoieries .
La Compagnie Angloiſe des Indestire, par an,
du Bengale, environ 700 ballots de foie , chacun
du poids de 150 à 300 livres , ou pour la valeur
de700,000 liv. ſterl.
eft
La Perſe produit auffi une grande quantité de
foie , & fur-tout les provinces de Gilan& de
Schiroan ſur la Caſpienne. La meilleure , connue
ſous le nom de Scherbaffi, vientde la première de
ces provinces ; elle n'est pas préparée: le fil
mollaffe ,& fa couleur preſque toujours jaune. La
foie de Bourmo eſt aſſez blanche , le fil eſt tendre ,
mais moins mollaſſe que celui de la foie dont on
vient de parler. Après cette qualité , fuit celle
connue ſous le nom d'Adaffin ou foie de Perle , de
la province de Guendſche; le fil n'eſt pas fin ,
mais d'un bel éclat. Le, Anglois donnent la préférence
à la foie de Bourmo. La grande partie de
ces foies de Perſe paſſe à Smirne : le batman de
6 okas de foie Scherbaffi ſe vend 64 à 65 piaftres,
& celui d'Ardaffin, 50 à 55. La foie de Bruſe
eft belle , mais de moindre qualité que la foie
Scherbaffi.- Les foies d'Alep viennent de Perfe
&de Paleſtine ; les blanches font tirées de Baruth ,
de Tripoli , d'Antioche , de Payeſſe , de Monu
&de Bedumeur: les ſoies d'Andros ne peuvent
être employées que pour tapiſſerie.-LaBulgarie
fournit auffi beaucoup de foie; elle eſt blanche
( 53 )
ہک
3
&d'une bonne qualité; la meilleure eſt tirée de
Zagara , Tſchirpan & Kozanlik ; l'oka en coûte
environ 10 piaſtres ; la ſoie de Haskin ne coûte
l'oka te 8 piastres . - La Crimée peut fournir
environ 150 okas de foie.
Celle du Levant s'exporte des iſles de l'Archipel;
Tiroandro , Naxas & Chio en fourniſſent une
grande quantité ; on en eſtime le montant annuel
à environ 20,000 livres peſant. La Morée fournit
auffi une bonne eſpèce de foie , la plupart
jaunes. Celle de Candie eſt mal préparée , & ne
peut ſervir que pour tapiſſeries& étoffes mêlées.
Le batman des ſoies de l'Archipel ſe vend à raifon
de 8 à 10 piaſtres .
<<L'Italie fournit beaucoup de ſoie : elle y eft
parfaitement bien préparée; les meilleures eſpèces
de Piémont , de Meſſine , de Bergame , de Bologne&
de Florence ; ſuivent les foie de Naples ,
de Sicile , de Sienne , de Milan , de Sardaigne. On
évalue à 560,000 livres peſant (la livre de 12
onces ) la foie que fourniſſent par an les Etats
du Roi de Sardaigne. Les fabriques de Lyon emploient
ſeules annuellement pour environ 6 à 7
millions de livres tournois de foie écrue d'Italie.
La république de Veniſe fournit aufii beaucoup
de foie: on fait monter , année commune , celle
de Vicenze& des environs à 200,000 livres peſant.
Les bonnes années produiſent dans la domination
Vénitienne un million de livres de foie
&les médiocres 500,000. Preſque toute cette foie
paſſe en Allemagne. - Les foies de Toſcane
montent une année portant l'autre à environ
200,000 livres peſant; la ſeule ville de Pife &
les environs en fourniſſant 240,000 , le tiers environ
eft exporté. -Leproduit annuel des foies
de Milan eſt porté de 9 à 10 millions de livres.
Naples peut fournir par an un million de livres
cij
( 54 )
pefant de foie , dont 400,000 fontexportées. Le
produit des foies écrues de Sicile monté par an
à pluſieurs millions d'écus. Les foies d'Eſpagne
font belles , & peuvent être employées tour ;
la meilleure eſpèce, qui ſe tire deValerice , peut
monter année commune à 2 millions de livres
peſant , & faire un objet d'environ 30 milliops
deliv. tourn.On reproche à la foied'Eſpagne d'être
trop vernie , & qu'elle eſt difficile à teindre.
Les foies de France font très - eſtimées ; on les
préfè e à la plupartde celles que l'on tire d'Europe,
celles de Piémont&de Bergame exceptées, comme
plus légères. Les ſoies teimes de France ont cependant
plus d'éclat que celles du Piémont; elles
font plus égales &plus ſolides que celles de Bergame.
Le Languedoc fournit par an environ 12
à 1500 ballots de foie à 160 livres peſant leballot.
La vente des foies àBeaucaire, dans la Provence,
s'eft élevée , en 1787 , de 29 à 30 millions de liv.
tournois. Les environs de Tours & de Chinon
fourniffent année commune 12 à 1500 livres
pefant. LeTirol Italien fournit en 1781,2060
quintaux de foie; la haute Autriche peut enproduire
par an quelques centaines de quintaux.-
En 1784, la récolte des ſoies dans la Croatie ,
l'Eſclavonie & la Hongrie, s'éleva à 12,500 livres
pefant ,&dans les Etatsdu Roi de Pruffeà 13,432,
dont 1,738 furent tirées de la Sibérie.-La
culture des vers à foie fait auffi un grand objet
d'industrie dans le Palatinat du Rhin : en 1781 ,
cette branche , qui pourroit y être beaucoup
perfectionnée , rapporta environ 100,000 florins. »
De Vienne , le 23 Mai.
Les derniers Corps de troupes partis
de cette capitale , & les diviſions de divers
( 55 )
régimens, qui ſe ſont miſes en marche depuis
peu , doivent renforcer l'armée de
Croatie, où doivent ſe rendre le Feld-Maréchal-
Lieutenant de Terzy , & le Général
deBrentano .
Depuis le 17 , la Cour n'a publié aucun
Supplément à la Gazette; ce qui fait préſumer
un vide d'évènemens. Les dernières
nouvelles de Semlin , en date du 16 ,
font peu intéreſſantes. L'armée continue
à ſe retrancher , & l'on travaille fans relacke
à la digue , ainſi qu'aux batteries
qu'elle doit porter. Les Turcs de Belgrade
tirent de loin en loin fur les travailleurs ,
mais fans effet. Le régiment de Caprara a
été relevé à Sabatfch par celui de Ferraris.
L'Empereur a fait remettre à Basili
Boffinak, Récollet , Aumônier due régis
ment de Palfy , une médaille d'or de la
valeur de 20 ducats , comme récompenſe
honorifique de la conduite courageufe
qu'il a tenue lors de la prife de Sabatsch .
Ce Religieux futun des premiers à monter
au parapet du fort. Le Brigadier de
fon régiment lui a attaché cette médaille
en préſence de tous les Officiers .
On fait que les Boſniaques ont réparé
Dubitza , & relevé les murs du vieux Gradifca
, rafés par notre canon. C'eſt avec
une ſurpriſe mêlée de terreur , qu'on s'entretient
ici & à l'armée ,de l'indomptable
1 civ
( 56 )
& féroce intrépidité de ces Boſniaques .
Ils ſe battent avec un acharnement qu'aucun
danger ne déconcerte; chaque jour
on en apprend de nouveaux traits . A l'action
deDubitza , on a vu huit Spahis courir
à bride abattue contre une batterie ,
&malgré fon feu foutenu , qui emporta
quatre de ces Cavaliers , les deux furvivans
mettre en fuite les Artilleurs , enclouer
les canons , & périr enfuite accablés
par le ſecours arrivé à nos gens. Les
Gazettes attribuent cette rage à l'uſage
exceffif de l'opium; mais il eſt bien plus
vrai que les Boſniaques ont été de tout
temps. ce qu'ils font aujourd'hui , une
race d'hommes qui joint à la plus grande
force corporelle , le mépris de tous les
dangers , & dont le courage n'eſt énervé,
ni par la fubordination , ni par l'inftruction,
qui apprend à raiſonner beaucoup mieux
qu'à fe battre. D'ailleurs , les Boſniaques
ontune horreur invétérée & héréditaire
pour la domination Autrichienne.
On ne ſe douteroit guère, en lifant ce
qui s'eſt paflé à Dubitza , de la nature
de ce fort Ottoman. C'eſt un vieux chateau
que l'Evêque Thauſſy fit conftruire
fur une colline près de l'Unna, Il eſt entouré
, ainſi que 10 autres maiſons , d'un
gros mur tiré affez régulièrement: devant
ce mur ſe trouvent des redoutes & des
( 57 )
50
Spas
paliſſades. Du côté de la rivière , le château
eſt défendu par la pente d'un rocher
qui le rend inacceſſible. Il y avoit
du côté de terre , mais hors de l'enceinte
du mur , 94 maiſons , qui pendant le fiége
Önt été détruites , à l'exception de 4. La
garniſon de ce château étoit d'environ
600hommes avant l'attaque ; mais le 15
avril elle reçur un renfort de 6,000 hommes
, & aujourd'hui on en compte plus
de 20,000 dans ſes environs .
- Le
Le quartier général du Prince de Cobourg
a été transféré à Rarence .
Major - général Ruſſe de Wiſmitinof est
toujours poſté à Sutfcka , avec un bataillon
de Grenadiers & un de chaſſeurs ,
deux autres bataillons Ruſſes ſont répartis
à Ivanie , Rohiſna & Kuzurmik. -Quant
au Corps du Comte de Soltikof, il a quicté
nos frontières , & l'on ſuppoſe qu'il
s'eſt réuni à l'armée de M. de Romanzof,
qui paroît ſe diriger contre Bender.
Cette fortereffe fut affégée , en 1771 ,
par le fage & valeureux Comte de Panin,
qui ne la prit qu'au bout de deux mois .
Les tranchées furent ouvertes le 30 juil
let : depuis cette date juſqu'au 16 août ,
les Turcs firent ſept forties ,dans leſquelles
ils donnèrent les plus grandes preuves
d'intrépidité : il eft vrai qu'ils perdirent
beaucoup de monde. Mohamed Walirfi ,
CY
( 58 )
Pacha, Gouverneur de la place , ſe tua
lui-même de chagrin. Un autre Pachafut
emporté par unebombe; maislagatnilon
ne perdit jamais courage; elle le donna
un autreGouverneur, qui ne ſerendit que
lorſque la place fut preſqu'entièrement
incendiée : le Comte Panin y ayant fait
jeter un globe de compreffion de 400
pudsdepoudre.(Le pud pèſe 40livres.)
Les Ruffes entrés dans la place, trouverent
dans les plus petites rues une réfiltance
opiniâtre ; les Turcs continuèrent à
ſe défendre juſqu'à ce que tous les chemins
fuſſent jonchés de morts. Lorſque le
Pacha ſe rendit , il ne lui reſtoit plus
qu'environ 12,000 hommes , de plus de
30,000 qu'il avoit au commencement du
fiége.
Le II de ce mois , le feu a pris
dans la ville de Gabel en Bohême &
ya détruit 160 maiſons. Un vent violent
a rendu inutiles les efforts des habitans
& des voiſins pour arrêter plus tôt les
progrès des flammes. Tout l'intérieur de
cette ville eft incendié ; on n'a pu en fauver
que to édifices. La perte des habitans
, preſque tous Manufacturiers , ett
immenfe.
Les relevés des paroiſſes dans l'Autriche intérieure
, qui comprend la Stirie , la Carinthie&la
Carniole, préfentent , pour l'année 1787 , les réſultats
fuivans; ſavoir , 11,024 mariages , dont
( 59 )

م
la place,t
6,233 en Stirie , 1,707 en Carinthie , & 3,084
en Carniole ; 48,685 naiſſances , dont 25,210 en
Stirie , 8,371 en Carinthie , & 15,104 en Carniole
;& 55,793 morts , dont 31,007 en Stirie ,
9,590 en Carinthie ,& 15,196 en Carniole. Dans
le nombre des mariages, on a trouvé 115 Proteftans
& 35 Mixtes; dans celui des naiſſances , 667
enfans Protestans, & 3,855 illégitimes ; dans celui
des morts , 4,065 individus morts de maladies contagieufes
, 597 qui ont péri par accident , 43 affaffinés&
39 fuicides.
DeFrancfortfur-le-Mein, le 31 Mai.
Onades lettres authentiques de Conftantinople
, du 27 avril , qui renferment
pluſieurs rapports intéreſfans ; nous les
citerons , fans en garantir la parfaite certitude.
<< La flotte du Capitan- Pacha , formée
>> en deux diviſions , eſt compoſée de 16
>> vaiſſeaux de ligne , dont l'Amiral de 86
>> canons , le Vice-Amiral de 74 , le Con-
>> tre-Amiral de 64 , un de 68 , quatre
>> de 60 , deux de 58 , un de 54 & cinq
>> de 50 ; ſept frégates , depuis 36 juſqu'à
>> 28; ſept corvettes , depuis 30 juſqu'a
>> 20 ; 13 bombardes , armées chacune
>> d'un canon de 24 , & d'un mortier de
>>> 8 pouces ; 14 chaloupes pontées , &
>> deſtinées aux débarquemens , avec un
>> canon chacune , & g autres bâtirten
>>>ſous le nom d'Avisos ou Kirlanguses
C
( 60 )
وا
>> montés de petits canons: au total , 66.
>> batumens de guerre qui ont fait voile
>> pour la mer Noire , & qui doivent, ou
>> couvrir Oczakow , ou attaquer de nou-
>> veau Kinburn. Aucun Officier étranger
» n'eſt ſur cette armée navale. Le 26
>> avril , on a coupé & expoſé la tête de
» deux Entrepreneurs des charrois de
>>> l'armée , qui n'ont pas fourni , au jout
>> preſcrit , le nombre de chevaux & de
>> chameaux convenu , qui, par cette né-
>> gligence , ont retardé de deux jours le
>> départ de l'armée du Grand-Vifir. »
«Les places frontières de l'Empire font pourvues
de vivres pour trente mois , & garnies de
troupes& d'artillerie... Depuis le départ de l'armée
du Grand- Vifir , le calme règne à Conftantinople
, où la foldateſque commerroit toute forte
d'excè ; mais la peſte a recommencé. »
« Un Tartare dépêché de la Servie, a apporté,
le 26avril, au Cainaican, la nouvelle que 4000
Autrichiens ayant paffé la Save pour faire une
iruption fur le territoire Ottoman , i's avoient
éré attaqués & repouffés avec tant de vigueur
par les troupes du Grand- Vifir , qu'ils avoient été
obligés de regagner la rivière ; mais 'es Impériaux,
poſtés fur la rive oppofée, ayant craint de vor
Indre fur eux avec les fuyards toute l'armée
Turque , prirentle parti de couper les ponts ,&
facrifièrent cegrand détachement , qui a été entèrement
fabré ou fat prifonnier. Cette nouvelle
eſt répandue avec profufion à Conſtantinople : on
faifoit compliment de ce ſuccès au Camaican ; il
vépondit modeitement , en l'attribuant à la puni(
61 )
tion divine , infligée à des infidèles , pour avoir
violé , fans motif, une paix de 50 ans. »
« Le Grand-Seigneur a fait l'acquifition , pour
68 mile paſtres, d'une corvette Angloiſe de 12
canons , qui avoit apporté une cargafon de poudre
ci-devant chetée en Angleterre. Ce bâtiment
va ſe joindre à l'a mée navale du Capitan Pacha ,
retenue encore à l'entrée du Boſphore , par la contrariété
des vents du nord.>>>>
Une frégate & un bricq Eſpagnols , ayant à
bord un Ambaſſadeur de Maroc, font arrivés à
Conftantinople avec 60 millions tournois en argent
, que l'empereur de Maroc envoie en préfent
au Grand-Seigneur , pour l'aider dans la guerre
actuelle : voilà un noble & riche allié ! »
« 6.4 déſerteurs des troupes de l'Empereur ayant
gagné les frontières Ottomanes , ont été conduits
au camp du Grand- Viſir ; & avant de les incorpoter
dans l'armée , on leur a propofé , ſuivant
la loi , de ſe faire Mahométans ; fur leur refus,
unanime , on les a fait paſſer , ſous eſcorte , à
Conſtantinople , où ils font arrivés avec quelques
caines de têtes& quelques Tacs d'oreilles levées ſur
Jes Pandoures Autrichiens. Parmi ces déſerteurs , il
fetrouvoit 28 François , 4 Hollandois , 2 Pruffiens,
un Suédois , & le reſte étoit com ofé d'A lemands
&de quelques Italiens. Leur troupe ayant été menée
an bagne , on y a enchaîné tous ceux que n'étoient
pas François : ceux-ci , temoirs de de barbare traitement
, attendoient dans le déſeſpoir d'en fubir un
pareil , lorſque leur eſcorte les a conduits au palais
de France. A la vue des armes du Roi , placées
ſur la porte du palais , ces malheureux ont
pafté tout-à-coup de la douleur la plus vive è la
joie la plus enivrante ,& ils ont fait retentir le cri
de viveleRoi Le Camaican les a remis en effet à
l'Ambaſladeur , au nom du Grand-Vifir , & la liberté
leur a été rendue. »
(64 )
ITALIE.
De Rome, le 15 Mai.
Le9 au foir , le Pape eſt revenu ici de Terracine,
& de la tournée que Sa Sainteté a faite
aux Marais Pontins : elle s'eſt trouvée un peu
incommodée , & on l'a faignée deux fois parprécaution.
Deux Exprès , l'un d'Imola , l'autre de
Ferrare, arriverent chargés chacun de dépêches
relatives an fait fuivant. Le chemin qui conduit
de Lugo à Imola , s'étoit trouvé li gâré , que les
voituriers & autres , qui devoient le paſſer , furent
obligés de chercher une autre route ; mais ce
chemin s'érant également dégradé , les payfans
eurent recours au Ca dinal Spinelli , Légat deFerrare
, qui ordonna la réparation de la première
roure. Matheureusement elle toucho't les terres
du Cardinal Chiaramonti , Evêque d'Imola , auquel
le Cardinal Spinelli écrivit à ce ſujer , fous
promeff que les fra's de la répa ation lui feroient
remboursés. Le Cardinal Chiaramonti crut avoir
lieu de te p'aindre, & répondit avec aigreur. Cependant
le Cardira! Spinell paſſa outre , &envova
650 hommes pour achever les travaux.
L'autre Eminence ne pouvant fairetête à cette
multitude , eut recours a x armes fpirituel'es, &
lança le lendemain matin les foudres de l'excommunication
, tant contre ceux qui avoient exécuté
les travaux , que contre ceux qui les avoient ordonnés.
Les deux Cardinaux ont porté plainte au
St. Père, chacun de ſon côté , & ils ont expé
dreleurs wémoires par des Expres . Quelle que
foit la décifion du S Siége , te fcandale retombe
fur l'un & fur l'autre , & ne ſera pas aifément
effacé.
( 65 )
1
GRANDE- BRETAGNE
De Londres , le 3 Juin.
Le Scipio de 64 canons , venant de
Sheerneff , eſt le ſeptième &dernier vaiffeau
de ligne arrivé à Spithéad , pour s'y
réunir aux fix autres , qui forment l'eſca -
dre d'obſervation aux ordres de Contre-
Amiral Levefon Gower. On ignore l'inftant
précis où elle mettra à la voile , & le
lieu de ſa croifière. Elle fera jointe par les
frégates l'Hébé & l'Andromède , chargées
de la répétition des fignaux. Cette dernière
eft commandée par le Prince William-
Henri , qui lui même a follicité d'être
employé, fans que Lord Howe , premier
Lord de l'Amirauté , lui eût fait aucune
offre à cet égard.
L'Eſcadre de Terre-Neuve , commandée
par l'Amiral Elliot, devoit appareiller
le 30 du mois dernier. On s'attend à
voir mettre en commiſſion encore trois
vaiſſeaux de ligne , pour faire le ſervice
de vaiſſeaux de garde: le Captain , de 74
canons , dernièrement lancé à Limehouſe ,
eſt arrivé pour cet objet à Plymouth , où
il remplacera le Suffolk , qui ſe rend à
Chatham pour y être réparé. - La frégate
l'Amphitrite,de 24canons, vient auſſi
:
( 64 )
ITALIE.
DeRome , le 15 Mai.
Le 9 au foir , le Pape eſt revenu ici de Terracine
, & de la tournée que Sa Sainteté a faite
aux Marais Pontins : el'e s'eſt trouvée un peu
incommodée , & on l'a faignée deux fois parprécaution
. Deux Exprès , l'un d'imola , l'autre de
Ferrare, arrivérent charges chacun de dépêches
relatives au fait ſuivant. Le chemin qui conduit
de Lugo à Imola , s'étoit trouvé i garé , que les
voituriers & autres , qui devoient le paffer , furent
obligés de chercher une autre route ; mais ce
chemin s'érant également dégradé , les payfans
eurent recou's au Cardinal Spinelli, Légat de Ferrare
, qui ordonna la réparation de la première
roure. Ma'heureusement elle toucho't les terres
du Cardinal Chiaramonti, Evêque d'Imola , auquel
le Cardinal Spinelli écrivit à ce ſujer , ſous
promefl que les fra's de la répa ation lui feroient
remboursés. Le Cardinal Chiaramonti crut avoir
lieu de te p'aindre , & répondit avec aigreur. Cependant
le Cardinal Spinell paffa outre , & envova
600 hommes pour achever les travaux.
L'autre Eminence ne pouvant faire tête à cette
multitude , eut recours a x armes fpirituel'es, &
lança le lendemain matin les foudres de l'excommunication
, tant contre ceux qui avoient exécuté
les travaux , que contre ceux qui les avoient ordonnés.
Les deux Cardinaux ont porté plainte au
St. Père , chacun de ſon côté , & ils ont expé
teeurs mémoires per des Expres . Quelle que
foit la déciſion du S Siége , le ſcandale retombe
fur l'un & fur l'autre, & ne ſera pas aisément
effacé.
( 65 )
GRANDE-BRETAGNE
De Londres , le 3 Juin.
Le Scipio de 64 canons , venant de
Sheerneff , eſt le ſeptième &dernier vaifſeau
de ligne arrivé à Spithéad, pour s'y
réunir aux fix autres , qui forment l'eſca -
dre d'obſervation aux ordres de Contre-
Amiral Levefon Gower. On ignore l'inftant
précis où elle mettra à la voile , &le
lieu de ſa croiſière. Elle ſera jointe par les
frégates l'Hébé & l'Andromède , chargées
de la répétition des fignaux. Cette dernière
eft commandée par le Prince William-
Henri , qui lui même a ſollicité d'être
employé, ſans que Lord Howe , premier
Lord de l'Amirauté , lui eût fait aucune
offre à cet égard. :
L'Eſcadre de Terre-Neuve , commandée
par l'Amiral Elliot, devoit appareiller
le 30 du mois dernier. On s'attend à
voir mettre en commiſſion encore trois
vaiſſeaux de ligne , pour faire le ſervice
de vaiſſeaux de garde : le Captain , de 74
canons , dernièrement lancé à Limehouse ,
eſt arrivé pour cet objet à Plymouth , où
il remplacera le Suffolk , qui ſe rend à
Chatham pour y être réparé.- La frégate
l'Amphitrite, de 24canons, vient auſſi
( 66 )
1
d'être portée en commiffion , fous les or
dres du Capitaine Stirling.
Samedi dernier , dans l'après-midi , la
Princeſſe Elifabeth ſe trouvant ſeule dans
fon appartement , y vit entrer bruſquement
un inconnu d'aſſez mauvaiſe mine.
S. A. R. très-alarmée , fortit précipitamiment
par la porte oppolée , &avertit les
perſonnes de ſervice. L'un des Pages entra
dans l'appartement ,& faiſit l'inconnu,
qui refuſa d'avouer le motif qui l'avoit
conduit au palais,& les moyens par lefquels
il avoit pénétré dans l'intérieur. On
l'avoit relâché , lorſque de lui-même , un
inftant après , il demanda avec instance
d'être introduit auprès de la Princeffe ,
* afin de lui déclarer la paffion qu'il ref-
» jentoitpour elle , & le retour qu'il en at-
» tendoit. A ce mot, on jugea convenable
de l'arrêter , & d'informer fur le
champ Milord Sydney, Secrétaire d'Etat,
qui le fit conduire à M. Addington, Juge
de paix. Ce Magiftrat lui ayant demandé
s'il étoit amoureux de la Princeffe , il répondit
qu'il étoit amoureux de tout le
monde. Au fecond interrogatoire , le furlendemain,
il fut conftatéque ce malheureux
étoit fou. Il dit que les Ducs de
Cumberland , de Glocefter & d'Yorck ,
ainfi que le Roi d'Eſpagne , étoient ſes
parens , & qu'ainſi il avoit le droit d'en1
( 67 )
1,
12
trer au palais de la Reine ; quant à la Princeffe
Elifabeth, il ne ſe rappeloit pas de
l'avoirjamais vue. Danois d'origine , mais
né à Londres , ce maniaque ſe nomme
Spang , & eft Perruquier de profeffion.
Quelques années auparavant , il avoit été
confiné , pour inſanité ,dans l'hofpice de
Bethnal-Green. Il eſt âgé d'environ 30
ans , déguenillé , & fort doux en apparence
: il a verſé des larmes à la plupart
des queſtions qu'on lui a faites. Au moment
de ſa détention , il n'avoit pas le fou
dans fa poche , ni le moindre inſtrument
de violence. Son état a inſpiré de la pitié,
&on s'eft contenté de le remettre pour
quelque temps à l'hofpice de ſa paroiffe ,
où l'on tâchera de rétablir fa raifon.
On pourroit tenir uneeſpècede calendrier
des fous de ce genre depuis quelque
temps. En 1786, Marguerite Nicholfon
s'adreſſa au Roi lui-même , en 1787 ,
Stone à la Princeſſe Royale ; en 1788 ,
Spang à la Princefle Elifabeth.
A l'approche des vacances du Parlement
, les affaires fe précipitent , & les
Bills particuliers , peu fufceptibles de débats
intéreſſans , fe préparent rapidement
, & s'accumulent. Le Journal des
Séances a donc perdu à peu près l'attrait
de la curiofité . La Compagnie des Indes
préſenta , le 27 mai , une pétition aux
( 68 )
Communes , pour en obtenir la permiffion
d'ajouter à fon fond capital un nouvel
emprunt de 1,200,000 1. ft. Le même
jour , il fut décidé de renvoyer à la Sef
fion prochaine l'examen ultérieur de la ſe
conde charge contre Sir Elijah-Impey ,
dite Patna- Cause. Le Procureur-général
obſerva que cette affaire de Patna étoit
en inſtance devant le Conſeil Privé , &
qu'il feroit impropre de faire précéder la
déciſiond'une enquête particulière contre
le Chef-Juge qui avoit préſidé au juge.
ment rendu dans cette caufe. Les Accuſateurs
s'opposèrent à ce délai ; M. Burke,
entr'autre , affura qu'il y avoit collufion
entre la Compagnie des Indes & le Chevalier
Impey : il s'attaqua enſuite à M.
Pitt, qui lui répliqua très - vivement; enfin
, le renvoi fut admis fans divifion de
fuffrages.
Hier , les Communes en grand Comité,
s'occupèrentd'un Bill préſenté parle Chevalier
William Dolben , pour régler la
traite des Nègres par de nouveaux actes ;
on entendit les Conſeils des Intéreffés à
ceCommerce , les témoins qu'ils ont produits
, & leur examen définitiffut remis à
après demain.
Enfin , à la 316. Séance , les Accufateurs
de M. Haftings ont terminé leur
procédure ſur la SECONDE CHARGE , que
( 69 )
Aka
M. Sheridan doit réſumer aujourd'hui .
Voilà quatre mois confumés à la ſeule
enquête des deux premières Accuſations ,
& l'Accuſé doit faire la ſienne à ſon tour ,
& il exiſte 20 Charges au procès ! Le
Chancelier avoit bien raiſon de dire que
c'étoit le fien, & non pas celui de M. Haftings.
De mémoire d'homme , on n'aura
vu pareille procédure ; & qui s'en ſeroit
douté , nous le répétons , à l'ouie des
déclamations affirmatives des Accuſateurs !
Nous rendrons un compte exact de ces
dernières Séances ; mais nous devons le
faire fur une autorité plus valable que celle
des Papiers publics .
La ſemaine dernière , Miſſ Elifabeth ,
l'une des filles de Lord Vicomte de Courtenay,
s'eſt évadée de la maiſon paternelle
avec M. Seymour , fils puiné du Duc de
Beaufort, & ce couple fugitif est allé ſe
marier en Ecoſſe. Cetévènement a furpris
ceux qui connoiſſent la modeſtie ,
la réſerve & toutes les qualités de Miff
Courtenay; mais l'eſpoir de vaincre des
réſiſtances de famille , a probablement déterminé
cette évafion. Milord Courtenay ,
à ce qu'on rapporte , n'avoit point déſapprouvé
l'inclination des deux Amans ;
mais ayant éprouvé quelque réſiſtance aux
ouvertures de mariage qu'il fit au Duc
de Beaufort , la fierté ne lui permit pas de
( 70 )
fouffrir aucune liaiſon entre les deux
jeunes gens, qui fe fontmalheureuſement
crus au-deffus de l'autorité paternelle.
ee Depuis deux mois , écrit-on de New-York
le6 avril, la ſeuleconvention qui ſe ſoit aſſemblée
pour prendre en conſidération la nouvelle conftitution
fédérative , eſt celle du New Hampshire
, convoquée à Exeter le 13 février. Elle
abalancé dans le parti qu'elle devoit prendre' ; &
ne ſetrouvant pas encore allez éclairée fur cette
matière , elle s'eſt ajournée au 17 juin prochain.
Des cinq autres Etats qui n'ont pas encore prononcé
leur voeu , ſavoir, leMaryland, laVirginie,
la Caroline ſept. , la Caroline Mérid.&N.York,
lepremier a convoqué fa convention pour le 21
avril , le fecond pour la fin de mai , le troiſième
pour le 4 juillet , le quatrième pour le 12 mai,
le cinquième pour le 17 juin ; ainſi vers la fin
de juillet , l'Amérique aura décidé cette queftion
fi importante pour ſa proſpérité.
Nos Papiers ont publié l'extrait ſuivant
deM. W. Ellis, Officier à borddu vaiſſeau
de la Compagnie des Indes , le Walfing
ham ,datéede lapointe d'Angra dans l'ifle
de Java, le 22 ſeptembre 1787.
«Nous avons mis à la voile des Dunes pour
la Chine , le 1. avril 1787 , & arraiſonnâmes le
Neptune, vaiffeau de la Compagnie , le 16 mar,
pardeuxdégrésde latitude méridionale ,&à 18° .
de longitude orientale. Nous eûnes les fondes
auxatterrages du cap de Bonne-Eſpérance , le a
juillet, après avoir effuyé pluſieurs coups devent.
Nous aurions défiré toucher à l'ifle S. Paul , qui
ſe trouve par les 37° 51'.de latitude méridionale,
&par les 77°. 53. de longitude orientale, mais
( 71 )
نیا
le vent érant levé de la parti S. E. grand
frais, il nous fut impellibled
wolra,&
parviumes
asdfeau ; les ma-
Le 24 juilkt , notre equ
ce fut avecbeaucoup de peme
à l'empêcher de s'emparer du
telots s'étoient faifi des fers avec lesquels on alloit
lier leurs chefs , ils les avoient jetés à la mer ,
&ils défioient leCapitaine depunir aucun d'eux ;
cependant on vint à bout ,non fans peine, de les
ramener à leur devoir. Le 16 août , nous comp.
tions avoir connoiſſance de l'iſle de Java , & cependant
en prenant hauteur à midi , nous nous
trouvâmes par la latitude du détroit de la fonde
fans la moindre apparence de terre. Cecontretempsmécontenta
fort l'équipage , qui avoit quitté
laterredepuis 22 ſemaines. Lefroid& la pluie nous
avoient beaucoup fait ſouffrir à la hauteur du Cap
deBonne-Efpérance ,&depuis notre départ d'Angleterre
l'équipage avoit été rationné à un quart
degallon d'eau par jour. Nous étions fort embarraffes
fur leparti que nous avions àprendre ; il eût
été également dangereux& incertain de faire route
fur le même rhumb , juſqu'à ce que no's eullions
connoiſſance de la terre de Sumatra ; & comme
la mouiſon du S. E. fouffloit grand frais , il n'y
avoit pas d'apparence que nous puffions y parvenir
de long-temps. »
Unaccident très-alarmant nous décida enfin
fur ce que nous avions à faire. A trois heures
aprèsmidi de ce jour , le vaiſſeau toucha furune
roche ,& y reſta attaché pendant quelques minutes
, au bout deſquelles une lame le fouleva , &
l'éloigna ſans beaucoup d'avarie. Nous virâmes
de bordſurle champ , &envoyâmes des hommes
à la tête du grand mât. Ils crièrent auſi-tôt que
levaiſſeau étoit entouré de rochers&de brifans ,
&en effet nous les aperçûmes bientôt de deſſus
( 72 )
le pont. Nous arrivâmes à l'oueſt avec affez de
voiles , dans l'eſpérance de nous dégager ; mais à
dixheures du ſoir , le vaiſſeau toucha de nouveau
fort rudement. Le choc fut ſi violent qu'il rompit
les portes de la chambre. Le vaiſſeau continua à
talonner vivement ; nous nousattendions à chaque
inſtant à couler bas , & en effet notre ſituation
étoit à-peu-près la même que celle du Grosvenor,
vaiſſeau de la Compagnie , qui a fait naufrage il
y a quelques années fur la côte oppoſée. »
« Čet exemple avoit tellement frappé l'équi
page, qu'il étoit convaincu que ſi levaiſſeau venoit
à ſebrifer,& quelques-uns d'entre eux à être portés
à terre , ils ſeroient infailliblement mangés vifs
par les ſauvages. Une partie des matelots étoient
convenusdefejeter à la mer avec unedes chaloupes);
& comme nous nous imaginions tous être fort
près du rivage , ils étoient réſolus de faire leurs
efforts pours'yrendre. Lepremier Patron& l'Ecrivain
qui étoient ſur le pont, &qui connoiffoient
leurdeſſein,reprochèrent aux matelots leurlâcheté,"
& les engagèrent à abandonner ce deſſein avant
qu'il fût découvert. Ces deux officiers en inſtruifirent
cependant en ſecret le Capitaine , qui prit
toutes les précautionspourqu'un ſi funeſte projet
ne fût pas mis à exécution. »
« Vers les deux heures du matin , le vaiſſeau
talonna ſi rudement que tout le monde s'imagina
qu'il alloit ſe briſer . Il s'éleva immédiatement un
cri général que l'on couloit bas. Nous fondâmes
auſſi-tôt les pompes , & quoiqu'il y eût une voie
d'eau conſidérable , le danger n'étoit pas aſſez imminent
pour nous annoncer une deſtruction immédiate.
Le vaiſſeau enfin arriva dans dix braſſes ,
& nouscoulâmes ſous la carène une amarre d'avant
&d'arrière,&trouvâmes qu'unepartie de fa faufle
quille étoit enlevée. A la pointe du jour, nous
envoyâmes à la fonde une chaloupe,qui nous rapporta
( 73 )
223
porta qu'il y avoit un recif giſſant du N. E. au
S. O. à fix ou ſept milles ; qu'on avoit touché
plufieurs des rochers à la gaffe , & qu'ils portoient
depuis une juſqu'à fix braſſes d'eau. Le Capitaine
&les Officiers ſe conſultèrent alors ſur le meilleur
parti à prendre , étant bien réfolus de nous éloigner
d'une côte où nous avions éprouvé tant de danger.
On convint qu'il falloit faire route pour le
détroit de Malacca , & faire de l'eau à la pointe
d'Achem. En conféquence nous arrivâmes vent
arrière , & nous nous trouvâmes à un dégré de
la ligne , où le calme nous prit , & nous retint
pendant 15 jours . Nous éprouvâmes ici beaucoup
de calamités. L'équipage , commeje l'ai déjà dit ,
avoit été mis à un quart d'eau par jour depuis
notre départ. Il ſe trouvoit réduit à une pinte par
jour &encore à ce taux nous n'avions que pour
ſept jours d'eau à bord. Tout le monde étoit rongé
du fcorbut,& la plusgrandepartiede l'équipage hors
d'état de travailler. Nous nous trouvions ainfi
encalminés dans laſituation la plus fâcheuſe , ayant
perdu notre point , & de plus avec un courant
qui nous éloignoitdeplus en plus de lacôted'Achem
où nous voulions toucher. >>>>
" Dans un conſeil que nous tînmes le 10 ſeptembre
, il fut reconnu impoffible de faire route pour
Achem , attendu que le vent s'étoit élevé de la partie
duN.O.petir frais,&uncouranttrès-contraire. Ilfut
arrêté de mettrele Cap de nouveau ſur la pointe
d'Angra , dans l'iſle de Java. Nous y arrivâmes enfin
10 jours après. Notre équipage étoit dans l'état le
plusdéplorable : la plupart des matelots étant hors
d'état de ſe ſoutenir , on fut obligé de les hiſſer
fur le pont pour les deſcendre à terre. Cependant
l'habileté de notre chirurgien leur rendit bientôt
àtousla ſanté ,& nous n'avons pas perdu un ſeul
homme. J'oubliois de vous dire , qu'heureuſement
N°. 24. 14 Juin 1788.
( 76 )
*
OBJETS DE RECEITES. PRODUITS.
D'autre part....
Remiſe annuelle offerte par les
Adıniniſtrateurs des Domaines
fur leurs traitemens .
5. Revenus cafuels & Marc
dor ..
Ferme des Poftes .
6. Augmentation à caufe de la
fuppreffiondes franchiſes&contre-
412, 24,885
,
200,000
5,665,000
10,8:0,000
ſeings .. 1,200,000
7. Ferme des Meſſageries 1,100,000
8. Fermede Sceaux&de Pofly. 630,000
9. AbonnementdesDroits de la
Flandre maritime ..... 800,000
10. Régie des Poudres .. .... 500,000
11. Loterie royale de. France... 9,860,000
12. Vingtièmes abonnés ... 574,700
13. Bénéfice des Monnoies .... 533,774
14. Ferme des Affinages . ... 120,000.
15. Dixième 966,751
16. Etats de Languedoc.. 8,584,824
17. Etats de Bretagne..... .. 6,115,400
18. Idem, de Bourgogne ...... 3,201,508
19. Idem. de Provence. 1,997,031
20. Recettes générales des finances
de Languedoc&Rouffillon. 1,210,426
21. Idem. deBretagne... 496,060
22. Idem. de Breſſe , Bugey&
Gex..... 938,128
23. Idem. deProvence&terres
adjacentes ... 895,431
24. Idem. de Pau , Bayonne &
Foix 1,260,079
470,173,997
( 77 )
OBJETS DE RECETTES. PRODUITS.
Ci-contre. ............ 470,173,997
25. Créances fur les Etats Unis
de l'Amérique..
26. Forges de la Chauſſade...
27. Fonds des villes pour les
fortifications. ...
Don gratuit du Clergé .Mémoire.
Débets des Comptables , anciennes
créances & autres petites rentes
particulières ........ Mémoire.
1,600,000
৪০,০০০
561,552
472,415,549
Les DÉDUCTIONS pour Charges
&Affignations ſur les divers objets
de Recette ci-deſſus ſpécifiés ,
s'élèvent à la ſomme de... 260,705,572
RESTE NETpour le Tréfor Royal . 211,708,977
DEUXIÈME CHAPITRE .
Recettes extraordinaires.
Emprunt de 120 millions , de
novembre 1787 .
Reſte à recevoir de l'Emprunt
de 15 millions , ouvert en 1737 ,
en Languedoc , pour le compte du
Roi
Emprunt de Provence, au compte
duoi ......
Fonds à remettre au Tréfor
royal , par les Etats de Languedoc,
pour le rachat des quatre fous pour
Iovre de la Capitation , pour dix années
120,000,000
10,000,000
3,000,000
diij
3,000,000
136,000,000
(78 )
DEUXIÈME CHAPITRE. Recettes ordinaires.
De l'autre part ........... 136,000,000,
Fonds à remettre par les Etats
deBourgogne, pour Idem...
Avances des Fermiers généraux ,
fans intérêts
Fonds de 12 millions à remettre
au Tréfor royal par la Compagnie
des Affarances , déduction faite de
l'intérêt à 5 pour cent.
Fonds reſtant au Tréfor
royal , au 1er janvier
1788 ......
Intérêts de Contrats
fur le Clergé & fur le
Languedoc , reçus en
payemens au Tréfor
royal, & autres petites
1,200,000
2,500,000
11,400,000
8,000,000
recettes .
Reſte de l'Emprunt de ro millions
, de la Flandre maritime....
Refre d'un Emprunt de 5 mil-
450,000
2,027,500
1,200,000
Jions ouvert à Genes ...
Bonifications & augmentations
deRecettes pour 1788 , non compriſes
dans l'Etat des,revenus ordinaires.
5,353,000
Totaldes Recettes extraordinaires .. 168,130,500
RÉCAPITULATION.
Reſte net à porter au Tréfor
royal, fur les revenus ordinaires ... 211,708,977
Recettes
extraordinaires
Total
..........
......... 168,130,500
........ 379,839,477
( 79 )
DÉPENSES à payerparle Tréfor Royal,
pendant l'année 1788 , déduction faite des
Diminutions & Réductions déja effectuées . !
No. 1. Département de laguerre,
comprenant la Maiſon militaire du
Roi , l'extraordinaire des guerres,
l'Artillerie& le Génie, les Maréchauflées
& les Garnisons ordinaires,
indépendamment des taxations
desTréſoriers , des frais de comptes,
&c.
2. Département de la Marine&
des Colonies. Déciſion du mois
d'Avril 1787 .........
3 Département des Affaires
étrangères ...
Ligues Suiſſes . ...
Troiſième à compte fur un
ſubſidede4,500,000 florins que le
Roi s'eſt engagé de payer , fuivant
les conventions arrêtées à Fontainebleau,
en 1785 .
4. Département de la Maiſon
du Roi , comprenant celle de Sa
Majesté, celle de la Reine, deMonſeigneur
le Dauphin , les Enfans de
100,230,000
45,000,000
8,300,000
830,000
France, Madame Elifabeth,& Meſdames
, Tantes du Roi; les Bâtimens
, &c. les Maiſons royales ,
les gages des Officiers , &c. .... 23,066,000
5. Fonds accordés par le Roi
pour la Maiſon de Monfieur &de
Madame , de Monſeigneur Comte
&deMadame Comteſſe d'Artois ,
pour M. le Duc d'Angoulême &
177,426,000
div
( 80 )
Del'autre part
M. le Duc de Berry..
6. Appointemens & traitemens
parOrdonnances particulières, accordés
aux perſonnes attachées àla
Maifon du Roi, àcelle de laReine,
&à la Famille roya'e ..
477,426,000
7,612,000
1,239,700
27,000,000
2,010,000
7.Penſions.
8. Ponts & Chauſſées .
9. Port de Cherbourg. ......
950,000
10. Mendicité .
001. Ancienne Compagnie des
Indes, liquidations .
12. Supplément à fournir par le
Tréfor royal , pour les rentes de
T'Hôtel-de-Ville , au-delà des fonds
réſervés ſur la ferme, la Régie générale
, &c. compris les fix millions
de rentes viagères de l'Edit
de Mai 1787 .
13. Diverſes rentes , intérêts &
indemnités pour acquiſitions, échanges
& autres arrangemens ..
......
300,000
13,408,000
4,218,200
14. Dépenſes diverſes , rembourſemens
d'acquifitions , appointemens
& traitemens par Ordonnances
particulières .....
15. Intérêts d'Emprunts....... 22,084,000
16. Intérêts & frais d'anticipations
17. Rembourſemens d'Emprunts
à termes fixes .
18. Traitemens & appointemens
comprisdans les États des gages du
Confeil
19. Gages des offices du Pointd'honneur
1,408,900
14,860,000
4,057,000
... 360 000
276,933,00
( 81 )
4
Ci-contre .
20. Gages , intérêts des finances,
taxations & appointemens, frais
de bureaux &de comptabilité des
Gardes du Tréſor royal , des Tréforiers
généraux , & des Commiffaires
au bureau des dépenſes de la
Maiſon dù Roi ..
276,933,800
3,169,900
21. Supplément pour les dépenfes
civiles de la Corſe .. 250,000
22. Secours aux familles Acadiennes
, établies en Bretagne .. .. 18,000
23. Dépenſes du département
desMines . ... १०,०००
24. Haras.. 334,000
25. Écoles Vétérinaires ....... 72,000
26. Dépenfes de Paris , Police
généra'e du Royanme, Maréchauffée
de l'Ifle-de- France......
27. Académies, Gens de Lettres
3,331,00
& travaux littéraires . 323,000
28. Bibliothéque du Roi ......
29. Jardin du Roi & Cabinet
120,000
d'histoire naturelle .... 107,000
31. Monnoie des médailles ....
30. Imprimerie royale........ १०,०००
42,500
32. Hôpitaux& Enfans-trouvés . 743,000
33. Secours à des Communautés
religieuſes,ſubſiſtance des Jéſui
tes, &c...... 452,500
74,000 34. Forges de laChauſſade .....
35. Retraites & indemnités relatives
aux fuppreffions faites dans
laMaiſon du Roi & de la Reine ,
&dans les traitemens des Commif.
faires du Confeil . ...
dv
683,369
286,834,369
( 82 )
De l'autre part ....
36. Intérêts & rembourſemens
descharges fupprimées dans laMaifon
du Roi& de laReine.
37. Payement de l'arrière des
dépenſes ordinaires de la Maiſon
du Roi& de la Reine.
38. Dépenſes imprévues , réferve,
&c..
286,834,369
..........
TOTAUX ......... 286,834,369
2
Les DÉPENSES extraordinaires
('compris les rembourſemens ) à
ajouter aux DÉPENSES ordinaires
ci-deſſus , forment la ſomme de ... 85,612,100
Total des DÉPENSES ordinaires
&extraordinaires , déductions faites
desDiminutions &Réductions déjà
effectuées . 372,446,469
« Le 6 Mai , il y eut une grande
affluence de peuple , & beaucoup d'étran
gers à la Foire de Vars , gros Bourg fur
la Charente , à deux lieues d'Angoulême.
Aquatre heures du foir , pluſieurs perſonnes
prirent le parti de s'en retourner ,
& entrerent , au nombre de foixante &
plus , hommes & femmes , avec des chevaux
, boeufs , vaches & veaux , dans la
Barque de paſſage ; elle ſe trouva tellement
furchargée, qu'à quelque diſtance
( 83 )
du rivage , elle fut engloutie;cinq perſonnes
ſeulement , dans le nombre defquelles
eſt un des Bateliers, ſe ſont ſauvées
, tout le reſte a péri. Ce déſaſtre a
plongé dans le deuil toutes les familles des
environs. Ily a peu de Villages , à cing ou
fix lieues à l'entour , dont les Habitans
n'ayent à gémir ſur le triſte ſort de quelqu'un
des leurs. Le même ſoir , vingt- cinq
cadavres furent tirés de l'eau ; on en a
depuis découvert quelques autres , mais il
en eſt qu'on n'a pu encore pêcher. Cet
événement doit ſervir à éclairer la juſtice
des Magiſtrats , & les engagera à mettre
un frein à l'imprudente cupidité des Bateliers
, qui ſurchargent leurs barques de fardeaux
énormes , & qui expoſent les paffagers
aux accidens que doit naturellement
oceaſionner le mêlange des beftiaux. >>
« L'Académie de Nancy , après avoir
comparé une nouvelle ſphère mouvante
aux planétaires connus , tel que celui qui
eſtdans le cabinet du Roi & autres , vient
de donner à M. l'Abbé Major , Profeſſeur
au Collége de Bar-le -Duc , qui en eſt
l'Auteur , un des prix fondés par le Roi
de Pologne pour les ſciences & les arts. >>
<<Cette ſphère peut être perfectionnée ;
les plans & les calculs font faits pour montrer
aux yeux , par unmouvement vrai , le
phénomènede la préceſſion des équinoxes :
dvj
(84 )
lespoints équinoxiaux &les divifions celeftes
feront, parallèlement à l'écliptique, une
révolution rétrograde en 25,972 ans , les conftellations reſtant immobiles , &c. Une
pendule réglera tous les mouvemens qui
pourront ſeprécipiter àvolontépour les dé
monftrations défirées. La préciſion est telle,
que ceux qui feront exécuter l'ouvrage
en grand , pourront prédire les écliples
totales , partielles , boreales , &c. qui doivent
avoir lieu dans dix ou vingt ans, &
rétablir après l'opération état aquel du
ciel.>>
Nous avons reçu la lettre ſuivante , au
fujet des Bains medicinaux du fieur Albert ; elle donne une idée exacte de la nature
&de l'utilité de cet établiſſement difpendieux.
MONSIEUR ,
• Le ſieur Albert a fait élever, à grands frais , fur le quai d'Orsay, au coin de la rue de Belle- Chaffe , cet établiſſement , aujourd'hui reconnu de la première néceffité , & qui manquoit à la Capitale. Ily fa't adminiſtrer avec ſuccès les "ains devapeur, &les fumigations sèches & humides , les douches afcendantes & defcendantes, fimples & compofées d'eaux minérales factices , lesBains aromatiques, toniques & émolliens, l'art demaſſer à la manière de l'Inde, les Bains froids, d'immer- ſion & d'afperfion ; & par le moyen d'une Bai- gnoire de marbre de 7 pieds 6 pouces de long , 5 pieds de profondeur , & 4 pieds 6 pouces de large, on peut nager & fe replonger à différentes
( 85 )
repriſes. Cette maiſon ,élevée dans le quartier le
plus aëré de cette Capitale , renferme non-feulement
des Bains médicinaux de tous les genres ;
mais encore 56 chambres garnies chacune d'un lit,
d'une baignoire , & de tout ce qui est néceſſaire
pour l'uſage des Bains ordinaires. »
» Cette maiſon eſt diviſée en deux ſections ,
l'une pour leshommes &l'autre pour les femmes ;
la communication des deux ſexes eſt interceptée
d'abord parune vaſte porte- cochère , ſous laquelle
on deſcend à pieds ſecs , tel temps qu'il faſſe , &
par un grand falon , de 30 pieds de long fur 13
de large , affez bien orné , dans lequel le feu brûle
toute la matinée , & où les perfonnes des deux
ſexes peuvent ſe raſſembler après le Bain , prendre
des rafraîchiſſemens , & refpirer l'air atmoſphérique
avant de monter en voiture. »
» Cet établiſſement réunit tous les avantages
qu'il eſt poſſible d'en eſpérer. Arrive - t-on malade
de voyage ou de la campagne : les malades
de la Capitale font-ils néceſſités de ſe faire tranfporter
aux Bains , d'après l'ordonnance du Médecin
? on trouve des chambres bien meublées , où
règnent l'aiſance & la plus grande' propreté.>>>
>>Cette vaſte maiſon , Monfieur , n'a plus beſoin
que d'être connue de la nation ; les ſuccès , qu'ont
eus , ſous les yeux des Médecins éclairés , les
Bains qu'elle renferme , aſſurent ſa proſpérité.
»
PAYS - BAS.
De Bruxelles , le 6 Juin 1788 .
Le 27 mai , nos Etats affemblés depuis
le23 , ont conſenti lesſubſides ordinaiirreess:;
& le même jour , LL. AA. RR. leur ont
J
( 86 )
adreſſé une dépêche , dans laquelle Elles
déclarent, au nom de l'Empereur, « que
» S. M. daigne accorder l'oubli total du
>> paffé , & rendre à la Nation & à fes
>> Repréſentans , ſon ancienne bienveil.
>> lance& fa confiance, de la continuation
>> deſquelles les Etats ne pourroient mieux
>> s'aſſurer , qu'en lui donnant ſans ceffe
>> les preuves réelles & conftantes de leur
>> attachement à ſa Perſonne & au bien
>> de fonroyal ſervice: ſentimensauxquels
» S. M. eſt d'autant plus en droit de s'at-
>> tendre , que, réſolue de maintenir la
>> conſtitution actuelle de ſes provinces
>> Belgiques , Elle s'occupe conſtamment
>> de tout ce qui peut contribuer à leur
>> bien-être & proſpérité. »
Le Stadthouder & fa famille font partis,
le 29 mai , de la Haye , pour ſe rendre
au château de Loo , où ils recevront la
viſite du Roi de Pruffe. - Un courier de
Berlin a apporté à L. H. P. les ratifications
du traité d'alliance entre S. M. P. & la
République , qui avoient été échangées le
16, par le Miniſtre du Cabinet du Roi &
par le Baron de Rheede , Miniſtre Plénipotentiaire
de L. H. P. Cet Envoyé eft
depuis quelques jours à la Haye , où font
également arrivées les ratifications du
traité d'alliance entre la Grande-Bretagne
& la République.
( 87 )
1
« Il eſt connu , dit à ceſujet la Gazette d'Amfterdam
, que M. Caillard , Chargé d'Affaires de
la Cour de France , a remis à L. H. P. il y a
quelque temps , un Mémoire relatif à ce traité.
Ce Mémoire contient en ſubſtance : « Que la
>> Cour de France avoit été inſtruite de l'Alliance
>> prochaine entre l'Angleterre& l'Etat , & qu'en
>> conſidérant leplande cetteAlliance, Elle avoit en
>> particulier fixé ſon attention ſur le 6º. Article ,
در par lequel il a été ftipulé , principalement:>>>
Qu'au cas qu'une des Hautes Puiſſances Contractantesfût
attaquée ou menacée d'une manière hostile ,
foitenAmérique, foit enAfie, ilferoiu ordonnéauxGou
verneurs de leurs Etabliſſemens dans ces deux Parties
duMonde , d'affifter de la manière laplus prompte& la
plus efficace la Partie attaquée ou menacée , & que les
Hautes Parties contractantes ne permettront en aucun
cas quelconque à quelque vaiſſeau de guerre de la Puiffance
ennemie, d'entrerdans aucun des Ports deſdites
poffeffions. « Qu'en concevant bien cet Article ,
» il paroît renfermer que les Commandans Hollandois
dans les Indes feront ſous les ordres de
>> ceux d'Angleterre , & que ſur la ſimple affir-
>> mation de ces derniers , qu'ils ont à craindre
>> une attaque hoſtile de la part de la France ,
>> les forces de toutes les Poffeffions Hollandoiſes
>> dans ces parties du monde ſeroient à leur dif-
>> poſition ; de forteque les Commandans Hol-
>> landois n'auroient ni le droit de s'aſſurer de
» la vérité à l'égard de pareilles aſſertions , ni
>>la liberté d'attendre des ordres avant d'agir
>> hoftilement contre un Allié de la République.
>> Que le but & les fuites dangereuſes d'un tel
>> Article n'étoient que trop viſibles. Que pour
>> ces raiſons S. M. le Roi de France veut croire
>>volontiers qu'un tel Article, quoique paroif
( 89 )
>> fant dans les copies du Traité qui ont étérendues
>> publiques , ne ſe trouve point dans l'original,
» & Elle met trop de confiance dans la fagelle
» de L. H. P. pour leur pouvoir fuppofer des
>> vues qui feroient diamétralement contraires aux
>> liaiſons qui fubfiftent entre S. M. Très-Chré-
>> tienne& la République. Que cependant S. M.
» n'aimoit pas à demeurer dans l'incertitude à cet
>> égard , puiſque ni ſes principes ni fori caractère
>> ne permettoient pas d'avoir des engagemens in-
>> certains , équivoques & contradictoires , que
» S. M. attend auffi que Leurs Hautes Puiſſances
> ne contracteroient non plus. n
La réponſe de Leurs Hautes Puiſſances a été:
« Que L. H. P. avoient vu avec la plus grande
>> fatisfaction, par l'extrait des dépêches de M. le
" Comte de Montmorin à M. Caillard, Chargé
» d'Affaires de S. M. Très-Chrétienne , que le
>> Roi tendant toujours juſtice à lafaçon de penfer
» de L. H. P. ne doute pas un moment de l'em-
>> preſſement de L. H. P. à donner à S. M. une
>>réponſe claire & préciſe , concernant les diffi-
>> cultés qui paroiſſent s'être préſentées dans le
6. Article du Traité d'Alliance défenſive , con-
>> clu entre S. M. leRoi d'Angleterre&cet Frat.
» Que L. H. P. diſpoſées en effet à donner à
»S. M. en tout temps , & en toute occafion ,
>> des preuves de la ſincérité&de la pureté de
> leurs fentimens &de leurs intentions , éprouvent
>>une fatisfaction proportionnée à la facilité avec
>>laquelle Elles croient fermement pouvoir écar
ter, par un léclairciſſement ſimple & naturel ,
➤ les objections de S. M. Que fans doute Sa
» Majesté a rendu juſtice à L. H. P. en ſuppoſant
>> que l'Article 6 du traité avec l'Angleterre ,
>> diffère effectivement de celui qui fe trouve dans
» les copies qui ont été publiées. Que la con1
( 89 )
>> frontation de cet Article , tel qu'il se trouve
>>> dans l'original , avec les copies , en convaincra
S. M. , qui verra par-là que les Gouverneurs
>> reſpectifs des établiſſemens d'Afrique &d'Afie ,
" ne font pas autoriſés par cet Article à donner
» d'une manière arbitraire&entous cas , une telle
>> aſſiſtance prompte & efficace ; mais qu'il ſe
>> borne à concerter mutuellement , au cas de me-
» naces hoftiles , le ſecours que l'on pourroit ſe
» prêter de la manière la plus prompte & la plus
» efficace , au cas que ces menaces fuſſent ſuivies
» d'une attaque hoftile. Que L. H. P. aurojent
» déjà fait auprès de S. M. la même démarche ,
» &lui auroient communiquéle contenu du Traité
>> conclu avec S. M. le Roi de la Grande-Bre
» tagne , ſi L. H. P. n'avoient pas cru devoir at
>> tendre la ratification de ce Traité, afin d'offrir
» à S. M. Très-Chrétienne une pièce complette
»& consommée. Que cependant cette ratifica-
» tion devant ſuivre au premier jour , & S. M.
» ne pouvant être miſe en état de juger du dif-
>> ferend en queſtion que par une copie authen
» tique , L. H. P. ſe ſervent avec empreſſement
» de cette occafion , pour anticiper de quelques
>> jours ſur la communication qu'Elles avoient
>> deſſein d'en donner à S. M. , la priant de faire
réflexion à la différence mentionnée ci-deſſus.
» Que cependant , il faut que Leurs Hautes Puif-
» ſances y ajoutent , que ſi l'on prenoit ce 6 .
> Article dans le fens que la dépêche du Comte
" de Montmorin paroît avoir en vue , la confé-
>> quence qui en eſt tirée par ladite dépêche ,
>>ne paſſeroit cependant pas encore. Que l'obli-
» gation du traité liant les deux parties & étant
» réciproque, les Gouverneurs des Etabliſſemens
" Hollandois ne feroient pas plus ſous les ordres
>> Anglois , que les Anglois ne le ſeroient fous
(90
1
» les leurs , & qu'ainſi les forces& les places
>> des Holandois dans ces parties du monde, ne
>> dépendroient pas plus des Anglois, que celles
>> des Ar glois ne feroient dépendantes de laRé-
>> publique. Que L. H. P. ont bien voulu entrer
» dans ce détail , ſeulement pour donner à S. M.
>> une preuve réité ée de la bonne foi qu'Elles ſe
>> font propoſée comme une Loi inviolable dans
>>l'obſervation de leurs engagemens , & pour lui
oftrr en même temps un témoignagede leur
>> attachement ſincère pourlaPerfonne&les défirs
>> de Sa Majefté , & dont L. H. P crosent avoit
> donné récemment une preuve incontestable,
>>dans leur façon d'agir àl'égard des Ca onniers
» François , qui , dans les derniers troube , étoient
>> paſſés au ſervice de la Province de Hollande.
» Que quoique leurs plaintes à ce ſujet fuflent
>> toutes juſtes , L. H. P. les avoient cependant
>> ſuſpendues proviſionnellement , dès que leMiniftre
de Sa Majesté leur avoit fait connoitre
» qu'il lui ſeroit agréable de ne pas pouſſer cette
>>affaire. »
:
«Suivant une lettre authentique de Paris , le
>> Gouvernement ayant découvert que la calom-
>> nie qui a couru , ily a quelque temps , furM.
» le Comte de Low... avoit été répandue par un
écrit clandeftin, a ſévi auſſi-tôt contre l'auteur
>> de cet écrit , pour s'être permis de noircir, par
» un odieux menfonge, un nom reſpectable &
» cher à la Nation . »
M. le Comte de Saint-Prieft , Ambalfadeur
& Miniſtre-Plénipotentiaire de Sa
Majefté T. C. auprès de L. H. P. eft arrivé
àlaHaye dans la foirée du 30 mai.
Les Etats de Zélande & ceux de Guel(
91 )
dres ayant donné leur confentement à la
garantie mutuelle du Stathouderat héréditaire
, par les ſept Provinces , conformément
à la propofition des Etats de Hollande
, du 18 février dernier , cette acceffion
complette l'unanimité en faveur de
cet ate & le confomme.
Le dernier Supplement de la Gazette
de Vienne , que nous recevons à l'inſtant ,
eſt endate du 24 mai ; il contient pluſieurs
dépêches , dont nous allons donner laſubſtance.
Les bulletins officiels dont on fe
plaint généralement , font écrits d'un ſtyle
ſi diffus , fi embrouillé & fi barbare , qu'il
eſt impoſſible d'en rapporter la traduction
littérale , d'une manière intelligible , ſurtout
pour les Militaires .
CC Le Général de Wartenſleben mande que le
10 de ce mois , 5,000 Turcs,dont4,000 cavaliers ,
poſtés près de Wladen, ont attaqué à Simbad, dans
la Tranfilvanie , le détachement commandé par
le Colonel Kray. L'attaque fut ſi vigoureuſe que
l'aile droite de ce détachement fut repouſſée ;
l'ennemi paſſa les chevaux de friſe & s'empara
de deux redoutes. Dans cette poſition , le Colonel
Kray prit la réſolution de paſſer par un ravin
avec une partie de ſes troupes , &d'attaquer les
Turcs en flanc ; cette entrepriſe , exécutée avec fermeté,
eut le ſuccès deſiré ; l'ennemi fut repouſſé ,
&s'eſt retiré fur deux colonnes , d'abord à Schillord
&enſuite à Wladen , poſte qu'il a auſſi quitté pour
retourner à Krajova. L'action a duré depuis 8
heures du matin juſqu'à une heure de l'aprèsmidi;
notre perte conſſte en 100 tués& 62 bleſſés ;
( 92 )
celle de l'ennemi ne peut point être indiquée ;
on n'a trouvé que 20 tués ſur le champ de bataille.>>
La dépêche du Général Prince de Lichtenstein ,
du 14 mai , rend compte de pluſieurs tentatives
de l'ennemi fur nos redoutes & le ponton fur
FUnna. Le 11 , un détachement de Turcs s'empara
de pluſieurs de nos redoutes , mais il en
fut chaffé immédiatement après. Le 14 , l'ennemi
ſe porta au ponton ; il fitpluſieurs attaques , &
fut repouſlé chaque fois.>>
desdé-
« Le 14 mai , un détachement de Turcs attaqua
nos poftes avancés près de ladiguedeBefchania
: ſon projet ne réuffit pas , & il fut obligé
de ſe retirer. L'ennemi reparut enfuite renforce ,
tranſporta du canon dans la batterie qu'il a élevée,
mais il ne put rien entreprendre contre ladigue.
LePacha de Pelgrade faitfouventpartir
tachemens pour diffiper nos bataillons francs qui
incommodent beaucoup les Turcs , en leur enlevant
des tranſports de munitions. Un de ces
détachemens a forcé dernièrement nos volontaires
à quitter Croska , & il y a rétabli le pont; mais
bientôt après nos volontaires ont repris ce pofte
&détruit le pont d'Encrevcaw. »
» Le 8 mai , le Prince de Cobourg eſt entré
avec fon corps dans le camp de Rarence. »
Les lettres particulières de Vienne , du
24mai , ajoutent àce qu'on vient delire ,
que
« Tous les régimens qui font en Bohême , ont
reçu l'ordre de marcher. Ils feront remplacés
par de nouveaux régimens qu'on lève dans ce
royame. »
« La grande armée est toujours au camp de
Semlin. On aſſure qu'elle ne paſſera la Save qu'à
l'approche de l'armée du Grand-Vifir , qui dans
( 93 )
3
ce moment ne peut plus étre bien éloignée de
Belgrade. On penſe que fi nos troupes remportent
la victoire , cette fortereſſe ſe rendra ſans
qu'il foit beſoin de l'inveſtir. >>
Paragraphes extraits des Papiers Anglois & autres.
«L'on ne peut difconvenir que les détails
publiés officiellement à Vienne concernant le ſiége
de Dubitza , aient fait naître des réflexions peu
favorables au Prince de Lichtenstein , & qu'ils aient
donné lieu à blâmer ce Général , comme s'il eût
facrifié,ſes troupes au paſſage d'une brêche abfolument
impraticable ; mais l'Empereur lui-même
doit avoir été mieux inftruit des circonstances de
l'entrepriſe , puiſque l'on voit dans le Public des
copies d'une Lettre que ceMonarque lui a écrite
dans les termes les plus flatteurs , & où S. M.
dit entre autres à ce Général : " que , quoique
» l'événement qui venoit de ſe paſſer à fon
>> Corps-d'Armée , dût naturellement lui être peu
>>agréable , Elle ne pouvoit néanmoins que lui
> rendre lajustice la plus complette , d'avoir pris
>> le ſeul parti qui fût convenable aux circonf-
>> tances& aux forces de fon Corps. ( Gazette de
Leyde , no. 45. )
« L'Empereur perſiſte à ne recevoir aucun vo-
>> lontaire dans ſes armées , puiſque M. le Comte
>> de Bulkeley , Lieutenant - Général au Service
>> de France , qui avoit écrit à M. le Maréchal
» de Lafcy , pour obtenir la permiſſion d'aller
>>faire cette campagne en Hongrie , vient d'en
» recevoir une réponſe , datée de Semlin , le 30
>> avril , dans laquelle il lui mande : que S.M.
>>Impériale eſt déterminée à ne point acquiefcer
» à aucune demande ſur ce ſujet. » ( Idem )..
(96 )
que la décharge des condamnations prononcées
contr'eux. Ils ont foutenu que le réglement n'ayant
été fait que pour tous ceux qui exercent des arta
purementméchaniques, il nepeut leur être appli
qué, parce que fuivant les termes des Lettres-Patentes
de 1756 , les Chirurgiens ſont confidérés
comme exerçant un art vraiment libéral , & font
desBourgeois notables , exempts , commetels , de
toutes les charges dont font ternus ceux qui exercent
les arts méchaniques , tels que les Membres des
Communautés d'arts& métiers ; en conféquence,
ils ont demandé à être maintenus dans l'exemption
d'aſſiſter avec des flambeaux à la Proceffion dont
il s'agit. Si d'ailleurs , ont-ils obfervé, il n'exiſtoit
pas de loi qui leur afſfurât cette exemption , un
motif puiſſant d'utilité publique , qui reclamé à
chaque inſtant les ſecours de leur art , feroit ſeul
ſuffiſant pour les exempter de cette afſiſtance.=
L'Arrêt du 26 avril 1788, conforme aux concluſions
de M. l'Avocat Général d'Ambray , a mis
l'appellation&cedont eſt appel au néant ; émendant,
a déchargé les Chirurgiens des condamnations
contr'eux prononcées , les a maintenus , en
leur qualité de Notables-Bourgeois , exerçant un
art libéral , dans l'exemption à eux accordée par
les Lettres-Patentes de 1755 , de toutes les chargesdont
fonttenus lesMembres des Communau
tésd'arts& métiers, & notamment dans l'exemp
tion d'aſſiſter avec des flambeaux à la proceflion
folennelle du Saint-Sacrement dans la Ville de
Kimes.
MERCURE
13 .
DEFRANCE .
SAMEDI 21 JUIN 1788.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A Mademoiselle DE GARCINS , jouant le
rôle de Chimène dans le Cid.
Quina point VU GARCINS , n'a jamais vu
Chimène!
Eh ! qui ſauroit mieux qu'elle émouvoir tous les
coeurs;
Mes yeux, en l'admirant, laiſſent tomber fans peine
Des pleurs qu'ils ne pourroient refuſer à ſes pleurs !
Aplaindre ſes malheurs , un doux penchant m'entraîne
;
Da Cid avec tranſport je partage l'amour ;
Et mon ame étonnée adore tour à tour
Chimène dans GARCINS & GARCINS dansChimene
(Par M Vacherot. )
Nº. 25. 21 Juin 1788 .
E
98 MERCURE
4
LA Bravoure Helvétique.
T
A HUNDER , aux Buveurs , aux Guerriers,
Servit quarante ans de modèle.
Tout bon Suiffe , avec même zèle ,
S'enivre & cueille des lauriers :
>>Camarady , ta Citadelle
>> Contre l'ennemi tiendra-t- elle ?
>> Ne la rendras-tu qu'à la mort ?
>>- Au incins combattrai-je avec gloire
>> Tant qu'il refiera dans mon Fort
>> Un coup. -A tirer ? Non , à boire.
( Par un Abonné. )
CONTE.
GRIPPEDRILLE , Sergent , ſuivi dedeux Recors,
Conduiſoit enprifon , envertu d'un par corps ,
Un Créancier fans doute réfractaire;
Lorſque ſur ſon chemin trouvant un fhen Confrère,
Ce dernier lui cria : N'avancez pas plus loin ...
L'homme que vous tenez, mes amis , c'eſt....
mon père...
Et de l'incarcérer, comme vous, j'aurai foin.
Je fais bien, Maître Grippedrille ,
Qu'il n'est point de profits pour vous à dédaigner ;
Maispuiſqu'on trouve ici quelque choſe à gagner,
Permettez que l'argent reſte dans la famille.
(ParM. le Comte de laM***. )
A
DE FRANCE. 99
if
A Madame DU BOCCAGE , fur la
nouvelle édition de fes Ouvrages,
MusUSeEsS! dans vos vers applaudis
Je revois donc ce Paradis ,
Séjour heureux de l'innocence .
Où, ſages de leur ignorance
Vos bons parens vivoient jadis
Avec beaucoup de bienséance.
Je regretterai ces beaux lieux,
Et ces jardins délicieux
Où nos grandeurs & nos chimères ,
Nos illufions menſongères ,
Nos parchemins , nos cordens bleus
Et nos difrutes littéraires
Ne troubloient point les jours heureux
De nos pacifiques aïcux.
T
Du ſein de leur douce retraite ,
Leur faute les fir exiler.
Sur les gouffres profonds des mers
Je ſuivrai, ſéduit par vos vers ,
De Colomb la nef vagabonde;
Mais je n'aurai point le ſouci
De me fixer au Nouveau-Monde ;
Car vous êtes dans celui-ci.
Par unAbonn .)
Ε2
100
MERCURE
1
1
Explication de la Charade , de l'énigme
du Logogriphe du Mercure précedent.
LEE mot de la Charade eſt Couvent; celui
de l'Enigme eſt Larme; celui du Logogriphe
eſt Monastère, où l'on trouve Mon,
Ton, Son , Marne , Sarte, Sóne, Mans,
Orne, Rome, Ane,Rose, Mars, Ame, Mère,
Sot, Rat, Roman, Marc, Or, Métra,Autre,
CHARADE
.
Pour le jeu fera mon premier ;
Pour le ménage mon dernier ;
Pour la bouteille mon entier,
(ParM. Glaffon de la Severie, )
ÉNIGME.
Pour vous fervir gratuitement ,
Les fers au col, le plus ſouvent ,
Aux Antipodes promptement
Je n'en vais en gambadant ;
Maisj'en reviens plus gravement,
Et c'eſt toujours en pleurant ,
Quelquefois même en criant,
Chargé d'un poids affez peſant
Et néceſſaire à tout vivant.
(ParM. Du Bled, ancien Vic. en Anjou,)
DE FRANCE. 101
LOGOGRIPHE
DÉTESTÉ des mortels, & maudit de Dieu même ,
Hélas ! où puis-je me cacher ?
Chacun, dans ſon courroux , montre une envie
extrême
De m'exterminer , me hacher .
Dans les ſept pieds , Lecteur , qui forment ma ſubſtance
,
On voit un inftrument tranchant ;
Un mot ſynonyme à penchant ;
Ce qu'on fouffre à regret , même dans l'opulence.
Pour mieux me dévoiler à votre intelligence ,
Quoique je vous paroiffe un être mal-faiſant ,
De mon entier ici je vous fais un préſent ;
Et fi cela ne vous contente ,
Ce préſent contient une rente ;
Peut-être aimez-vous mieux un prêt ,
Je vous l'offre fans intérêt.
Si la parenté vous eſt chère ,
En moi vous trouverez un père ;
Mais , malgré ces traits généreux ,
Je n'en ſuis pas moins dangereux ;
Car toujours en mon corps je renferme la peſte .
Si ce n'eſt pas aſſez , ma foi , cherchez le reſte.
(Par M. N. D. de Neuville aux Leges ,
Corr. de Lang. Et. de l'Imp. de Monfieur.)
E3
JOZ : MERCURE
:
NOUVELLES LITTÉRAIRES
VOYAGE d'Auvergne , par M. LE GRAND
D'Aussy ; in-8°. A Paris , quai de la
Mégisferie , No. 45 ; & chez Eugène Onfroy
, Libraire , quai des Augustins.
AURIONS-NOUS enfin debons voyages de
chacune de nos Provinces ? Pourrions-nous
enfin prouver àl'Étranger que la France eft
non ſeulement, par fon local , par ſon éten-.
due,& par les deux mers qu'elle tient aux
deux extrémités de fes poſſeſſions , mais en
core par ſes Stes , par ſes montagnes , par
fes mines, ſes volcans éteints , &fes marbres,
une contrée auffi riche, aufli variée, auffi
pitorefque, aufli fingulièredans ſes productions
, que la Suiffe, l'Italie, le nord & le
midi de l'Europe ? La France alors feroit
bien connue , & un fentiment d'eftime la
recommanderoit à l'Étranger, àqui on n'a
juſqu'ici indiqué , pour ainfi dire , que de
grandes routes; il reſte à montrer les fentiers
par où l'on peut être conduit aux plus inte
reffans réſultats&aux plusgrands effets.
Il ne tiendra point à M. le Grand que
cette manière de voyager, &de décrire une
Province , ne devienne univerſelle ; il a
CURI 103 DE FRANCE
.
fourni un modèle dans ſon Voyage d'Auvergne
, & ſes ſuccès feront fans doute encou
LITTEN rageans. Peut être que des Lecteurs frivoles
ne voudroient point y trouver tant de pages
remplies de détails ſur l'Hiſtoire Naturelle
&fur les volcans, qui ont ſi ſouvent changé
par la furface de l'Auvergne , & l'ont décou-
Paris pée de tant de manières . Nous conviendel
drons au contraire que cette partie nous a
fatisfaits , & que nous favons gré à l'Anteur
d'avoir fuivi les rameaux & la famille
de ces volcans , ainſi que celles des
montagnes dont il nous préſente les fingu-
Polarités & les aſpects , au penchant & fur
la cime deſquelles s'ouvrent ces ſources
bienfaifantes qui ramènent l'eſpérance & la
ſanté. Nous abandonnons avec regret cette
analyfe , qui nous meneroit trop loin ;
mais nous ne pourrions trop répéter que
Auteur fait voir , ſuivre le fil léger de la
Nature qui lie imperceptiblement un règne
à lautre , & qui peut feul nous conduire
dans te dédale obicar des créations. C'eſt
atuſi qu'il parle page 509 , à l'o
fion des ſtalactites. Ce morceau est aufli
'bien vu que bien penfé & bien écrit ; &
la réflexion qui le termine cft fi vraie,
fi douce ! Je ne vous dirai rien , dit-il ,
>> fur les faites du tocher de Chaluffer.
Ce qu'elles ont de plus remarquable, eft
que que la plupart contenant des moufles &
>> desplantes aquatiques qui ont cru fur le
>> rocher,elles offrent ſouvent une forte de
5
ن و ع
ود
د
E +
104
MERCURE
>> végétation pierreuſe ou d'arbuſte pierre.
*>> On en voit même pluſieurs dont une par-
>> tie eſt encore mouſſe verte, flexible , in
>> tacte; tandis que l'autre eſt déjàincrufte
» ou commence à s'incrufter. Fontenelt
>>appeloit cela prendre laNaturefur lefar
C'eſt aves de l'eau que je la voyois for-
>> mer une pierre ; je voyois cette e
>>aller dans les entrailles de la terre , dil
و د
foudre un rocher , l'anéantir en quelqur
>> forte , & après l'avoir tranſporté au de
⚫hors en le rendant inviſible à mes yeux ,
1
tout-à-coup me le montrer, en venant
>>devantmoi, le placer &le former de nou-
» veau ailleurs. La mer a autrefois élevé
» cette montagne , me difois-je à moi-mê-
> me; par la fuite, des feux fouterrains Pont
و د
brûlée & fondue en partie; aujourd'hui
l'eau la ronge intérieurement , tandis
>> qu'au dehors l'air travaille à la couvrir
265
39
de verdure. Dans des milliers de fiècles
>> peut-être elle fera une plaine marneuſe
» & fertile. C'eſt donc ainſi qu'agit la iva-
» ture ! Ce qu'elle fait détruire par les élmens
, elle emploie les élémens à le réta
>>blir. Ici elle diſſout un corps juſqu'à fes
>> dernières molécules; là elle reprend des
>> atomes difperfés, & par eux réédifie des
و ر
mafles dont le volume effraie les regards.
» Sur ce rivage elle envoye les mers dé-
>> vorer & abattre une montagne ; près de
» cet autre , elle leur ordonne de conftruire
>>une montagne dans une plaine. Telle eſt
T
CURE I163 DE FRANCE.
fa marche & l'ordre de ſes loix , ajou
>> tai -je . Diruit , adificat ; elles ne produit
» qu'en détruiſant , elle ne détruit que pour
>> produire ; & c'eſt ainſi que, renouvelant
>> fans ceſſe l'enveloppe de notre foible
>> globe , elle lui donne fans ceſſe la vigueur
५१८ >> d'une nouvelle vie , & les attraits d'une
» jeuneſſe éternelle ". Nous céderons encore
à l'envie de faire connoître de quelle
manière l'Auteur s'exprime ſur l'antiquité
des volcans d'Auvergne .
12
ود
ود
» A l'époque , dit M. le Grand , page
95 , où les volcans brûloient , le pays
>>étoit inhabité ainſi qu'inhabitable. Lorf-
>> qu'ils furent éteints, il reſta , malgré leur
>> extinction , inhabitable encore , parce
» qu'étant par-tout couvert de laves & de
>> ſcories, il demeura ſtérile. Vers le temps
>> de Céſar , au contraire , je le vois peu-
>> plé ; j'y vois une Nation puiſſanre , qui
>> commande à pluſieurs contrées voiſines ,
» & qui a même placé ſur une de ſes mon-
>>tagnes ſa ville capitale; mais ſi les mon-
>> tagnes d'Auvergne étoient habitées alors ,
>> elles étoient donc redevenues fertiles , &
>> pouvoient fournirà l'existence&à la nourriture
d'un grand peuple. Or maintenant
>> calculez , fi vous l'oſez , ce qu'il a fallu
ود
ود de ſiècles à la Nature pour rendre à
> ce canton brûlé fa fécondité primitive,
» pour décompofer&changer en terre vé
» gétale ces laves &ces bafaltes , dont une
>> fi grande partie eft encore intacte au-
Es
106 MERCURE
وا
"
N
"
>> jourd'hui ; pour donner enfin àcetteterre
nouvelle une épaiffeur capable de nourrit
» des végétaux , des pâturages, des moiffons,
>> des arbres: puis, aprèscette ſériede ſiècles,
و د
و د
vous calculerez encore ce qu'il en a fariu
à ſes Montagnards pour ſe multiplier au
>> point d'être devenus , il y a dix-huit cents
> ans, une Nation formidable.
93
La combustion d'un volcan n'eſt point
>> l'évènement de quelques années;envoili
dix- septcents que brûléle Véſuve; l'Etna
brûle depuis 2500. Eh ! qui peut deviner
l'époque où ils s'éteindrontpour tou
jours ? Les volcans d'Auvergne ne le
>> font pas tous enflammés àla fois& dans
ود
وو
le même temps ; vous en conviendrez
>> fans peine. Mais les fiffiez-vous brûler
enfemblepar centaines, je vous demande
à quelle quantité préciſe de ſiècles veus
» fixerez la durée de leur déflagration ?
2
ود
Une grande partie de l'Europe a été
>> volcaniſée ; c'eſt M. de Buffon qui nous
l'apprend. Mais en France les volcans
'n'ont occupé qu'une certaine quantite
de pays : depuis la frontière méridionale
du Bourbonnois juſque vers la Méditerranée
, & du levant au couchant, depuis
>> les montagnes du Forez juſqu'à celles du
Limoufin ". L'Auteur place enfuite les
plus anciens volcans de la Baife- Auvergne
au midi du trou d'Enfer , c'est-à-dire, à la
chaîne des Monts d'Or ; & dans la Haure ,
à celle des Salhers & du Cantal, Ceux-là ,

URL
107
DE FRANCE.
F
1
dit- il , ont brûlé ſous les eaux , & lorſque
leurs montagnes étoient encore couvertes
par l'Océan. Il faut lire dans le Voyage le
tableaux des variétés que préſentent les
montagnes volcanifées.
Quant à la partie des moeurs des habitans
des montagnes , l'Auteur les peint avec
beaucoup de reſſemblance & avec intérêt :
il faut fuivre les Auvergnats ſur les foinmités
dans leurs burons ou chalets , les retrouver
l'hiver dans leurs étables , où les familles ſe
garantiffentdes atteintes piquantes du froid,
& où elles s'y tiennent la moitié de l'année ,
depuis Octobrejuſqu'en Mai, époque défirée
où hommes & bétail brûlent de ſe répandre
dans les champs. Le Curé eſt mandé auflitôt
que la ſaiſon printanière commence ;
il bénit les troupeaux , qui vont s'élancer&
pâturer dans les montagnes. Les conducteurs
dreſſent dans leurs cantonnemens les burons',
qu'ils ne quistent qu'en Octobre .,Les
Auvergnats qui deſcendent dans les grandes
villes , partent après les moiffons ,& tâchent,
par leur économie & leurs travaux , d'amaffer
de petites ſommes qu'ils rapportent
à Pâques , car c'eſt le temps du rercur.
Il eſt rare de voir des mendians dans la
montagne , chacun poſsède fon champ & fa
maifon. Les pauvres font dans la Limagne
&autour de Clermont , de Riom & d'Iffoire.
Le payſan boit beaucoup , danſe &
chante volontiers. Les voixy font généralement
belles. On aime à fêter les Etrangers
E6
108 MERCUBE
dans la montagne à quelque heure qu'on
arrive , on trouve la table mife. Ce feroit
une impoliteſſe marquante de la part du
convive, s'il touchoit le premier au fro
mage, qui eft le mets principal de toutesles
tables. Il eſt très-vrai que le payfan &même
laNobleſſe y font querelleurs & proceffifs;
ilsſebattentpour un rien, &fe raccommo
dent pour un rien ; ils aiment à ſe raſſembler
& à boire en commun.
La Nobleſſe eſt nombreuſe dans les mon
tagnes , elle y mène une vie à peu près conforme
à celle des payfans ; le Gentilhomme
conduit lui-mêmefon bétail, un bonnetrouge
ſur la tête, tient la charrue, & laboure; les
plus riches ne s'en diſpenſent point. Il
compte au nombre de ſes plus doux plaifirs
, celui de boire. Le vin eſt ſon luxe. Il
boit avec lepayſan. Le Dimanche, il eſt paré
avec undrap d'étoffe de maiſon , desguêtres
&des fouliers ferrés. Les autres jours, il
porte des fabots . Non loin d'Anza, dont
jedécris les moeurs , eſt le château d'Uffon ,
célèbre par le manifeſte d'Henri IV & par
la conduite de Marguerite de Valois , qui
y avoit réuni une quantité prodigieuſe de
Nobles ,jaloux de lui plaire. Ces familles
y font reftées, & vivent de la manière dont
Je viens de parler. Le pays n'eſt point riche,
les taxes font fortes , & font en par
tie caufe des émigrations des habitans de
Beffe, d'Anza , de Saint- Flour , de Mau
xiac. La population y est , malgré ces dés
DE FRANCE .
109
placemens périodiques , très - conſidérable.
Les femmes ont en général de belles dents ,
des couleurs vives , une taille moyenne.
Leur caractère eſt gai, prévenant , & facile .
Leshommes font maigres, nerveux , &trapus.
Dans les villes de Riom & de Clermont ,
le ton de ce qu'on appelle la bonne compagnie
eſt le même qu'à Paris. Il y a un
Régiment de Dragons à Clermont-Ferrand ,
qui ne contribue pas peu à maintenir cette
amabilité qui diftingue les habitans. Riom
eft la patrie de M. Chabrol , Conſeiller
d'État , Commentateur célèbre de la Coutume.
Clermont , qui fut le Siége de Maffillon
, & à qui elle doit ſa Bibliothèque , a
vu naîtreDomar, Pascal, Thomas ,M. l'Abbé
Dclile. Quoique les habitans de ces deux
villes ayent des correſpondances étroites &
des liaiſons ſuivies , on remarque me rivalité
ſoutenue entre les deux Corps de
Ville , qui ne peut qu'inſpirer aux habitans
le défir de faire des efforts pour fortir de
cette apathie qu'on leur reproche avec une
forte de justice.
Nous avons auſſi parcouru cette Province
, & M. le Grand nous pardonnera
nos obſervations ſur les moeurs des habitans ;
elles ajoutent aux ſiennes en achevant le tableau
intéreſſant qu'il a préſenté ; il verra
que notre manière de voir eft conforme à
la fienne. Les Lecteurs ne pourront que nous
favoir gré des éloges que nous donnons au
Voyage d'Auvergue.
MERCURE
:
:
DE LA MORALE NATURELLE ;
petit in - 12. Se trouve à Paris , cherz
ies Marchands de Nouveautés.
La Nature eft inépuiſable ,
Et letravail infatigable
Eit un Dicu qui la rajeunit ,
adit M. de Voltaire. Il en eſt de même de
la Morale. Il y a long - temps que tout eft
dit fur ce ſujet;mais combien il reſte encore
a dire où tout eſt dit ! Combien un
efprit éclairé, qui obſerve, qui réfléchit,
qui approfondit , peut faifir de points de
vue nouveaux, appercevoir de côtés négligés
, d'objets même qui ont entièrement
échappé! D'ailleurs , où la nouveauté des
objets manque , le nouveauté dela manière
eft encore quelque chofe , & la manière
peut toujours varier. Celle de l'Auteur de
cepetit Ouvrage est vraiment àlui , & le
diftingue avantageuſement parmi tousles
Moralitles anciens & modernes ; elle eft
remarquable fur-tout par ſa briéveté fublrantielle
, & par le mélange continuel da
ſentiment avec la penſée , d'une chaleur
douce avec la lumière. L'éloge dontl'Auteur
paroît le plus jaloux , eſt celui d'écrire
de bonne foi il a raiſon, c'est un mérite
Fare, unméritéaimable, &qui répand fur
DE FRANCE. 111
-
13

quelques détails de fon ſtyle une naïveté
intéreſſante.
Il y a de l'enſemble dans ce Livre , compoſé
d'une multitude de Chapitres détachés.
C'eſt à la Morale naturelle que l'Auteur
ſe borne. Nos actions ſont réglées ou
par les beſoins mêmes de la Nature , ou
par les uſages de la Société, ou par les Loix
poſitives duGouvernement ſous lequel nous
vivons , quelques-unes encore par certaines
coutumes religieuſes qui ont reçu de l'autorité
du Gouvernement une fanction plus
ou moins précife.
د
Il n'y a qu'à ſuppoſer un moment que
ces uſages , ces Loix ces coutumes n'ont
jamais exifté ; il exiſtera toujours des rapports
antérieurs , qui ont rendu l'établiſlement
de ces règles utile ou néceſſaire : ce
font ces rapports dont l'Auteur recherche
la première trace ; ces grands objets religieux
, politiques , civils , qu'il ſemble met
tre pour un moment à l'écart , il les ramè
nera bientôt & encore plus à leur avantage,
ou plutôt il nous y ramènera fans
effort par la Morale naturelle qui nous en
fera fentir la néceſlité ou l'utilité : enfin it
enchaîne toutes fes idées le plus qu'il eſt
poffible , & les fait toutes naître les unes
des autres. Il en a de très-fécondes , & qui
font , pour ainſi dire, des idées - mères.
» Ce que nous appelons bonheur , dit- il ,
>> qu'eſt- il autre choſe qu'un ſentiment plus
112 MERCURE
4
"
vif , plus pur , plus étendu de notre
>> exiftence ? C'eſt le charme de l'Amour
» qui le fit éprouver à l'homme pour la
>> première fois , c'eſt ce charme divin qui
l'identifie de la manière la plus intime
>> avec l'objet de ſa tendreſſe , qui en fait
>>un autre lui-même , mais un autre lui-
>>même qu'il préfère à ſoi ; de là tant de
>> facrifices généreux, tant d'efforts qu'on eft
>> tenté d'appeler ſurnaturels , car l'homme
>.>ne fait pasaffez par lui-mêmejuſqu'oùvont
>> en tout genre les forces delaNature, il s'en
>> défie trop , ſe rebute trop aiſement; &
> c'eſt cette défiance , c'eſt cette imparience
» qui l'empêche de parvenir au degré de
> perfection dont il eſt ſuſceptible. Combien
d'hommes , dit l'Auteur , reffem-
>>blent à ce Duc d'Olonne, qui avoit parié
>> qu'il traverſeroit le grand baffin des Tui-
>> leries , & qui , arrivé au milieu , aima
>> mieux convenir qu'il avoit perdu , & re-
>>venir ſur ſes pas que de paffer à l'autre
>> bord" !
Mais revenons nous-mêmes ſur nos pas,
car nous nous écartions. Le bonheur n'est
donc qu'un accroiſſement d'existence , le
malheur, qu'une perte d'existence. Voilà le
motifde nos eſpérances&de nos craintes ,
le principe de nos inclinations & de nos
averfions. Il eſt donc de la nature de l'homme
d'aimer la liberté qui le fait jouir de
toutes fes forces; il eſt de lanature de chérir
DEFRANCE. 113
22
la gloire qui ajoute à l'opinion qu'il a luimême
de ſes forces , celle qu'en ont les autres.
Il eſt de ſa nature enfin de défirer l'immortalité,
qui donne au ſentiment de ſon
exiſtence toute l'étendue , toute la durée
que ſes voeux peuvent concevoir. Voyez
combien de grandes idées religieuſes , morales
, politiques, &c. naiffent de certe définition
du bonheur. De là auſſi l'apologie
de l'amour moral contre un grand Philofophe
&un grand Ecrivain , qui a dit qu'il
n'y a que le phyſique de l'amour qui ſoit
bon. Eh ! comment propoſer à l'homme
ſenſible de renoncer par ſageſſe aux plus
douces émotions du coeur & de l'imaziination
? Pourquoi vouloir en dépouiller
>> le feul de nos beſoins phyfiques qui en
> foit fufceprible " ? ...... Eh ! que ſerviroit
à l'homme d'avoir un coeur & de l'imamagination
, fi ce n'eſt pour aimer mieux ?
A l'article de l'amitié : Je ne mourrai pas,
dit l'Auteur ,fans avoir connu le bonheur ;
j'eus une amie. Et pour la peindre, il paroît
qu'il s'eſt mépris de pinceau , & qu'il
a employé celui de l'Amour..
» Oh !' s'écrie-t-il , comme mon ame étoît
attachée à la fienne ! oh ! comme mon
>> exiſtence étoit toute en elle ! Il m'a fallu
>> des années entières pour m'habituer à
→ l'idée de me voir ſeul au monde ; j'avois
>> pris une ſi douce habitude de lui confa-
* crer tous mes voeux , toutes mes pensées ,
114 MERCURE
» de ne vivre que pour elle!..... Son ex-
>> trême confiance ne m'avoit caché aucun
>> de fès défauts; mais ce caractère de no
>>bleffe & d'élévation qui n'appartenoit
» qu'à elle , ce naturel fi vrai , fi céleste,
> cette grâce tout à la fois fi pure & li fa
quels font les défauts ,
- quels font les torts meine que tant de
>> charmes n'euffent fait adorer "?
وو milière ; hélas!
Elle étoit cependant égoïfte & perfom
nelle; mais ces mots vont être expliqués ,
&ilnous femble que c'eſt encore l'Amour
qui les explique. » Ce moi , à qui elle avoit
l'air de tout rapporter, ce moi étoitmeins
le fien , qu'iln'étoit, pour ainſi dire, celui
de tout ce qui l'entouroit; elle ne s'ai-
>moit véritablement que pour être mieux
>> aimée, pour répandre autour d'elle plus
>>de charme & plus de bonheur. On étoit
>> cent fois plus heureux de ce qu'on fai-
>> foit pour elle, que de ce qu'on faifoit pour
> foi. Le temps dont elle oſoit vous demander
le facrifice , il étoit plus douxde
Koublier près d'elle, que de l'employer de
toute autre manière; le ſentiment qu'elle
>> vous inſpiroit étoit toujours au deſſus de
>> l'empire qu'elle aimoit àprendre fur vous;
>> vous penficz jouir doublement de votre
>> eſprit, de votre ame, de tout voire être,
>> après les avoir abandonnés à ſa douce
>> fantaisie «.
رد
ود
ور
(Et toujours, comme on voit, cetre aug-
1
DE FRANCE . 115
t
mentation de jouiſſance & d'existence compriſe
dans la définition du bonheur. )
"
>> Il n'eſt point de caractère qui , ſous ce
charme intéreffant, ne patût s'adoucir ;
>> l'eſprit devencit meilleur , le mérite
>> plus aimable ; ſa ſeule préſence animoit
>> tout & du plus vif défirde plaire , & de
>> ce mélange heureux de réſerve & de confiance
qui fait toutes les délices de la
Société ".
وو
"
>
> Que no puis-je , ô ..... rendre immertelle
le culte que t'a voué ima tendreffe ?
>> Pourquoi faut- il mourir fans laiffer quel-
» que monument digne de porter ron
>> nom aux ſiècles à venir « ?
L'amour eſt inſéparable de la jaloufie ,
&la jaloufie de la colère ; auſſi ces articles
ſe ſuivent&naiffent les uns des autres. La
colère , dit Sénèque , eſt la ſeule paſſion qui
ne foit accompagnée d'aucun plaifir. Notre
Auteur trouve ce mot plus aimable que
vrai. La violence , dit-il, eſt le délire du
» pouvoir ; la colère eſt l'ivreſſe de la vio-
>> lence; ce qui donne à l'homme un ſenti-
>>ment fi vifde ſes forces , n'a qu'un charme
trop puillant , quelque triſtes , quelque
funeſtes qu'en foient les fuites " .
"
"
( Toujours la définition. )
» Ne vous flattez pointque les meilleures
>> raiſons du monde l'emportent jamais fur
→ la colère ; ſouvenez- vous du trait fublime
)
116 MERCURE
"
ود
"
ود
ود
de Pafcal : La violence & la vérité m
peuvent rien l'une fur l'autre ".
Dans l'énumération des paffions qui font
toutes traitées trop favorablement par l'Auteur
, parce qu'elles donnent beaucoup
d'existence , l'avarice même eſt traitée avec
indulgence.
L'Auteur la juge plus ridicule dans fes
effets , que déraisonnable dans fon principe.
> Lorſque cette paffion ne franchit pas
de certaines bornes , elle ſauve d'une inh-
>>nité de foibleſſes & garantit plufieurs qua
>>lités eſſentielles, l'eiprit de calcul, l'efprit
>> d'ordre , l'eſprit de modération : appli
>>quée à la choſe publique , elle peut de-
• venir même une grande vertu ".
Ecoutons ce que dit l'Auteur ſur la len-
Abilité.
" De toutes les hypocrifies, celle de la
> ſenſibilité me paroît la plus ridicule &
la plus mépriſable ; & c'eſt proprement
le travers de ce fiècle. Où est Molière !
Point de vice à la mode qui air mieux
mérité qu'on en faffe une juftice écla
tante au Théatre «.
Ecoutons ce qui fuit ,& quiconque ofera
exagérer ſa ſenſibilité , s'en vanter ou s'en
plaindre , ſera par cela ſeul convaincu den
manquer.
» Comme le véritable amour , la véri
DE FRANCE.
- table ſenſibilité craint les regards indif-
" crets ; elle a , ſi j'oſe m'exprimer ainfi ,
>> ſa modeftie & fa pudeur " .
Rien de plus vrai , ni de mieux ſaiſi.
Le dernier Chapitre a pour titre : Maximes
trop fouvent oubliées. Elles méritent
qu'on s'en fouvienne ; en voici quelquesunes.
" Gardez-vous , a dit un Sage de Perfe ,
>>gardez- vous d'épuiſer jamais la coupe cé-
> leſte du déſir & de l'eſpérance.
>>Ne poffedez que pour jouir,& jouif-
• ſez toujours comme ſi vous ne poffédiez
> point ; vos jouiſſances en feront plus vi-
" ves , vos regrets en auront moins d'a-
» mertume , vos ſouvenirs plus de charme.
>> Ne point s'abandonner à ſes fantaisies ,
>> ce n'eſt point affez pour le Sage , il craint
» même de s'abandonner à ſes idées ".
Voilà un extrait bien long d'un Ouvrage
bien court; mais ce petit Livre eſt d'un
grand prix.
In tenui labor , at tenuis non gloria,
Nous en ignorons l'Auteur,
118 MERCURE
BIBLIOTHÈQUE Phyfico - Economique,
Instructive & Amusante , Année 1788,
ou ye. Année, contenant des Mémoins,
Obfervations - pratiques fur l'Economia
rurale ; les nouvelles Découvertes les plus
intéreſſantes dans les Arts utiles &
agréables; la description & la figure des
nouvelles Machines & Instrumens qu'on
doit y employer , d'après les expériences
de leurs Auteurs ; des Recettes , Prati-
• ques , Procédés , Médicamens nouveaux,
externes ou internes, quifont relatifs aux
hommes & aux animaux ; les moyens
d'arrêter les Incendies & autres évènemens
provenant des vices & de l'altération
de l'air; de nouvelles Vûes fur plufieurs
points d'économie domestique , &
en général fur tous les objets d'utilité &
d'agrément dans la vie civile & privée.
2 Vol. in-12 , avec des Planches. Prix,
5 liv. 4 f. brochés, francs de portparla
Pofte; & 6 liv. reliés. A Paris , cher
Buiffon , Libraire , rue Haute-feuille,
N°. 20.
Nous avons déjà parlé plukeurs fois
avantageuſement de ce Recueil, qui ſe
continue avec le même ſoin & d'après les
mêmes principes. On y raſſemble tout ce
qui a paru d'intéreſſant dans l'année fur
tous les objets ci-deſſus détaillés, non ſeaDE
119
FRANCE.
dans les Papiers publics François ,
même dans ceux des diverſes Nations
urope , & dans tous les Ouvrages
omie , d'Histoire Naturelle , &c. Il
mpoſſible à aucun Particulier de fe
er toutes ces Feuilles éparſes , & d'y
ser , au beſoin , l'objet qu'il y auroit
u ; cette Bibliothèque lui en donne
iré : ce n'eſt pas que tous les Articles
= renferme foient également utiles ;
iteurs eux - mêmes , loin d'avoir la
tion de le croire , font les premiers
cir leurs Lecteurs , que telle ou telle
e ou Découverte prétendue qu'on a
e , n'eſt digne d'aucune confiance ,
e précaution méme eſt un nouveau
pour leur Recueil , puiſqu'ils metn
garde contre beaucoup de charlaes
, dont on auroit peut- être été la
fi on ne les avoit vues annoncées que
or Auteur. Les Notes dont ils ent
'accompagner les Articles , leur fern
quelque forte de préſervatif. Voici ,
temple , comment ils préſentent un
de conſeillé contre la Goutte,
a publié que l'uſage habituel de la
cion de feuilles de frêne en boiffon
e les accès de la Goutre. On met s
euilles dans un demi - ſeptier d'eau
ante , qu'on laiſſe encore jeter deux
is bouillons. La doſe eſt d'un demi-
,à jeun. On y met un peu de ſucre
-firop de guimauve , capillaire , ou
120 MERCURE
:
1
Nota. Il y a lieu de préſumer qu'une lé
gère ſueur , ou de la moiteur, ou des urines
abondantes, font les moyens que la Nature
emploie pour expulfer ou corriger l'humeur
goutteuſe, ou la partie des humeurs viciées
qui la forment. Il y a une multitude de
plantes dont la décoction peut avoit le
même effet falutaire , mais il faut que ce
foit une Goutte à un très- foible degré.
L'Ouvrage complet forme actuellement
10 Volumes , avec 29 grandes Planches ,
ou ſept Années , qui ſe vendent enſemble
ou ſéparément; ſavoir , l'Année 1782 , un
Volume ; 1783 , un Vol.; 1784 , un Vol.;
1785 , un Vol.; 1786 , deux Vol.; 17879
deux Vol.; & 1788 , deux Volumes.
HISTOIRE abrégée de l'Antimoine, &
particulièrement de ſa préparation ; par
M. JACQUET , ancien Chirurgiende
S. A. S. Mgr. le Prince LOUIS DE
WIRTEMBERG. A Paris , chez
l'Auteur , rue des Saints-Pères, No. 56.
Brochure in- 12 , nouvelle édition. Pris,
liv. 10 fous!
1
HIPPOCRATE parle avec diftinction de
l'Antimoine dans ſes Ouvrages immortels.
Lies différentes préparations de ce îninéral,
faites
DE FRANCE. 121
faites & adminiſtrées par les plus habiles
Praticiens de la Faculté de Médecine de
Paris , la déterminèrent, en 1666 , à prononcer
en faveur de l'Antimoine. De nos
jours , M. Jacquet a trouvé le moyen de
le préparer d'une façon toute nouvelle , &
d'obtenir par-là des ſuccès d'une toute autre
conféquence que les premiers Manipulateurs.
Son Remède , revêtu des autorités
les plus reſpectables , compoſé ſous les
yeux des Commiſſaires de la Faculté & de
la Société Royale de Médecine , approuvé
&vanté par ces deux illuftres Compagnies,
a bien répondu aux vûes ſalutaires qu'elles
s'étoient propoſées en l'admettant dans la
pratique.
N'oublions pas ici ce que penſoit de la
nouvelle préparation antimoniale un des
hommes les plus experts en Chimie , le
fameux Macquer , de l'Académie des Sciences:
» Je la crois d'autant plus digne d'ap-
>>probation , écrivoit-il , qu'il ſeroit à ſou-
" haiter que tous ceux qui propoſent de
>> nouveaux médicamens , imitaſſent la con-
>> duite de l'Auteur de celui- ci ".
Paris , les Provinces & les Pays Etrangers
ont joui de la découverte importante de
M. Jacquet. Les Dartres même invétérées,
ainſi que d'autres maladies de la lymphe ,
comme les Gales les plus rebelles , &c .
ont cédé à ce puiſſant Remède. Les guérifons
ſe ſont multipliées, & pluſieurs per-
N°. 25. 21 Juin 1788 . F
122 MERCURE
ſonnes du plus haut rang à la Cour , ou
très connues dans la Capitale , dont les
accidens étoient fort graves, font à préfent
faines & fauves , & jouiffent de la plus
brillante ſanté,
On trouve dans la Brochure de M. Jacquet,
tout ce qu'il y a de curicux à favoit
fur l'Antimoine , tant hiftoriquement que
phyſiquement. Les Malades , en la lifant
avec attention , peuvent se conduire euxmêmes
dans le traitement. Une foule de
Certificats authentiques des plus habiles
Médecins & Chirurgiens du Royaume , &
même de pluficums Malades , fuffifent pour
prouver invinciblement que ce Remède -
guérit radicalement toute effection dartreuſe
, &c. Nous n'avons plus qu'une téflexion
à faire. N'eſt il pas certain que dans
les objets qui intéreffent la fanté , & par
conféquent la vie des hommes , la contrefaction
peut avoir les fuites les plus funef.
res ; C'eſt pour obvier à ce danger imminent,
que le Sieur Jacquet , qui avoit
choiſi un Dépôt général pour la diftribution
de ſa préparation antimoniale , vient de ſe
décider à ne la laiffer vendre que chez lui.
C'eſt donc à lui ſeul qu'il faut s'adreſſer
déformais pour en avoir( 1), à Paris, rue des
Saints-Pères , près la Croix-Rouge, Nº. 16.
(1 ) Le prix de chaque Boîte eft de 24liv,
DE FRANCE.
123
L'ELEVE du Plaisir ; par M. PRATT;
• traduit de l'Anglois fur la 4e. édition
: par M. L. D.; 2 Parties in - 12. Prix ,
2 liv. A Amsterdam chez D. J. Changuion
; & fe trouve à Paris , chez Théophile
Barrois le jeune , Lib. , quai des
Auguftins. !
CE Roman eſt plus moral qu'on ne le
croiroit d'après fon-titre. Nous allons donner
une idée du bat de l'Auteur , & du
ſujet de l'Ouvrage .
Plufieurs perſonnes avoient réfuté comme
dangereuſe aux moeurs , la doctrine qui réfulte
des fameuſes Lettres de Chesterfield.
L'Auteur de l'Ouvrage que nous annonçons
a eu le même projet ; mais il n'a
pas voulu combattre fon adverfaire par
des railonnemens. Il a choisi pour Héros
unjeune homme qui joint aux avantages
de la figure , ceux de la naiſſance & du
rang; qui , avide de jouir , charmé de l'Ouvrage
de Chesterfield , en fait ſa lecture
habituelle , met en pratique la théorie
de l'Au:cur , ſe conduit d'après ſes maximes
, & par les criminels excès dont il
fe rend coupable, démontre les conféquences
dangereuſes du ſystême de Chesterfield.
F2
124 MERCURE
Tel eſt le bur & l'idée de l'Elève du
plaifir. M. Pratt a pris pour le lieu de la
ſcène , les eauxde Buxton ; c'eſt là que fon
Héros , par la facilité de voir du monde ,
& par l'aifance qui règne dans ces fortes
de Sociétés , eſt plus à portée de choiſir fes
victimes. Cet Elève de Chesterfield annonce
la vocation la plus décidée : » Je
me décide , écrit il à ſon ami , à être pour
Chesterfield ce que Garrick étoit pour Shakeſpéar;
c'est-à-dire , un Commentaire vivant
fur un Texte éteint ". Ses grands
moyens font la diffimulation & l'hypocrifie.
On le voit preſque auſſi- tôt à la
pourſuite de trois Belles , & il parvient à
leur inſpirer à toutes trois un amour qu'il
ne fent pour aucune. Le fang froid préfide
à tous ſes projets ; il combine toutes
ſes démarches . L'Auteur ne l'a environné
que de perſonnes vertueuſes , tant en hommes
qu'en femmes ; & tous ces gens vertueux
font les dupes de ſa ſcélérateffe.
Sedley ( c'eſt le nom du perſonnage ) ,
ſe trouve en oppoſition avec un jeune
homme honnête , Belmour , ſon ami , à
qui il rend compte de ſes honteux ſuccès.
La morale de ce Belmour eſt ſimple , fans
faſte , & contraſte parfaitement avec l'audace
de ſon indigne ami. Emporté luimême
par le feu de l'âge & des paffions ,
il eſt renté un moment de féduire la femme
d'un de ſes amis ; mais fon caractère honDE
125 FRANCE.
nête le ramène bientôt à la vertu ; & la
manière dont il raconte ſa faute &fon repentir
, eft la fatyre la plus victorieuſe de
la conduite de Sedley. Ce dernier venoit
d'écrire à ſon ami une bonne action
qu'il avoit faite , en avouant qu'il avoit
eu plus de plaifir à la faire , qu'il n'en
avoit éprouvé en triomphant d'une de
ſes maîtreſſes . Belmour , en réponſe , lui
rend compte de ce qu'il a éprouvé luimême
dans un moment où ayant voulu
féduire la femme d'un de ſes amis , il avoit
renoncé à ce coupable projet. » Malgré
tout ce que je difois pour lui plaire , le
ſeul langage qui pouvoit l'intéreſſer , étoit
de parler avec tranſport de l'homme que
j'avois tant d'intérêt à bannir de fon coeur.
Ne trouvant point d'autres moyens , je
joignis mes larmes aux fiennes , & je fis
un éloge brillant des qualités de fon époux.
Cependant ces larmes & ces éloges portèrent
dans mon ame un calme raviffant ;
& je reffentis cent fois plus de plaifir ,
qu'au moment où jeles retenois pour déshonorer
le mari & perdre la femme. Ceci ,
mon cher Sedley, peut être comparé avec
ce qui r'eſt arrivé : ſi tu as trouvé plus de
bonheur en faiſant une action généreuſe
pour la fiile des bains , qu'en triomphant
de la belle Henriette , j'ai goûté à mon
tour plus de fatisfaction , en ſubjuguant
une paſſion qui auroit troublé à la fois ,
& mon repos & celui de mon ami ; j'au
F3
126 MERCURE
rois déchiré le coeur d'une femme, dont
la réputation maintenant eft pure & fans
tache «.
>> Je conclus de là , mon cher Sedley,
que nous avons fuivi tous deux la même
route du bonheur , & que nous éprouvons
une même ſenſation.... une ſenſation delicieuſe....
que nous devons à la vertu . Je
n'ai qu'une réflexion à faire à ce fujer;
c'eſt de continuer notre triomphe. Goutons
encore avec joie un plaifir fupérieur
à celui que la diflimulation peut nous procurer.
Jerons loin de nous le maſque eme
barraffant du fophifte Chefterfield : fuivons
la vraie route , & puiſqu'elle nous a dea
paru fi belle , préférons la vérité àla fauffeté
, & l'honnêteté à l'hypocrifie. Croismoi
, mon très-cher Sedley , fous quelque
nom que nous puiffions diftinguer le vice
vertu , jamais ils ne changent; ils
font toujours les mêmes : ni le fophifme,
ni l'adreſſe , vi même la mode , ne peuvent
pallier fatrocité de l'un, ni détruire
en rien la pureté naïve de l'autre. Penmen
cut embarraffer, les Philofophes peuvent
raffiner, les Poëtes colorer , & les Vifionnaires
rêver comme il leur plaît , mais
tant qu'il exiftera des traces de la Nare ,
la vertu fera belle , & le vice , horrible.
Voilà ma morale : puiffe-t-elle enfin devenir
la tienne « !
& h
Affurément cette morale eſt la bonne ;
DE FRANCE. 127
mais elle ne ſert qu'à fatiguer Sedley , qui
pourſuit toujours ſes deſſeins. Il ſe fair ais
mer des trois femmes qu'il a voulu ſéduire ;
il en déshonore deux , & il conçoit même
le projet de ſe faire aimer d'une amie
d'Henriette , pour la punir d'avoir voulu
fui dérober ſa victime par les confeils de
l'amitié. Mais le remords l'attend au bout
de ſes triomphes ſcandaleux environné
du déſeſpoir qu'il a jeté au ſein de pluſieurs
familles vertueuſes , voyant la belle
Henriette enfermée dans un cercueil avec
l'enfant qu'elle portoir dans ſon ſein , voyant
une autre de ſes victimes près d'expirer dans
la honte & le remords, il ne peut foutenir.
cer affreux ſpectacle; il prend ſa vie en
horreur , & il finit par être rué de la main
d'un vertueux époux qu'il a déshonoré.
:
La lecture de ce Roman eſt très intéreffante.
Au mérite de la moralité qu'il ren
ferme , fejoint celui de pluſieurs caractères
tracés & foutenus avec autant de force que
de variété. Nous ne doutons pas qu'il ne
foit accucilli parmi nous , comme il l'a
été en Angleterre. Nous ne préfumons pas
que le Traducteur lui ait rien fait perdre
de fon mérite ; & il feroit à défirer qu'on
tradaisît en aufi bon ſtyle tous le, Romane
qu'on fait paffer dans notre Langue.
F4
128 MERCURE
:
VARIÉTÉS
SCIENCES ET ARTS.
EXPOSITION de divers Ouvrages de Peinture ,
par Mile. DE BEAULIEU , Peintre de
l'Académie de Rome , dans fon Cabinet , rue
du Dauphin , No. 2.
Sans le fecours d'une étude approfondie, Mille,
de Beaulieu ne feroit jamais parvenue à réunir
différentes parties de fon Art , dont chacune en
particulier offre tant de difficultés à vaincre. On
voit dans ſes Ouvrages la ſimplicité des mouvemens
réunie àl'élégance des formes , l'expreffion
des plus purs ſentimens de la Nature rendue avec
autant de vivacité que de délicateſſe , la force
du coloris jointe à l'harmonie des effets , & partout
une grace fi naturelle, que l'art ne s'y ap
perçoit nullemen..
Il ſemble que cetre Artiſte s'eſt attachée ex
primer dans les traits de in plupart de ſes figures
, cette douce mélancolie qui caractériſe les
ames fenfibles. Dans fon Tableau de la Poefie
d' orant la perte de Voltaire ( 1 ) , cette triftefle ,
-
( 1 ) Ce Tableau et dans le palais de l'impératrice de
Rutlie.
DE FRANCE.
129
qui affecte l'ame ſans la maîtriſer , convenoit aux
ſentimens nobles & élevés que lon ſuppoſe
dans une Déité ; tandis que la naive Galathée, ſe
laiſſant aller à la fienne , peint bien l'état d'ur
jeune coeur qui ſe livre aux premières affections
de la tendreſſe. A cette douleur ingénue , à la
touche ſéduifante de ce Tableau , celui d'Andromaque
oppoſe la fierté des tons & cette trifteſſe
profonde que le temps ne sçauroit calmer .
En approchant de l'urne qui contient la cendre
d'Hector , les yeux s'empliffent de larmes ſans
que la beauté de ſes traits en ſoit altérée.
Cette Arrifte a ſaiſi avec le même ſuccès la
nuance de ce ſentiment qui convenoit à la douleur
de Niobé (1).
La vie & la grace reſpirent dans tous fes Ouvrages.
La légère Atalante ne laiſſe que le regret
dene pas voir en entier un corps dont les mouvemens
ſe déploient avec autant de grace que de
foupleſſe.
Parmi les Têtes de caractère de Mlle. de Beaulieu,
il en eſt de ſublimes , & il n'en eft point
dont l'expreſſion ne ſoit vivement ſentie.
Le même ſentiment anime ſes Portraits ; celui
de Madame Houdon reſpire une tendreſſe vraiment
maternelle ; & celui de Madame Dupaty ,
cette douce affabilité qui caractériſe ſi bien la
digne épouſe d'un défenſeur de l'humanité.
Mll . de Beaulieu paroît , dans toutes les parties
de for A., & principalement dans l'expreffion ,
avoir cherche à atteindre ce degré moyen en
( 1 ) Ce Tableau a few. pour la réception de l'Auteur
à l'Académie de Peinture de Rome , où il eſt refté..
FS
130 MERCURE
1
:
deçà ou au delà duquel on est néceſſairement froid
ou exagéré. Elle a égalemen: farfi dans la planar
de ſes carnations , ce juſte milieu dans kquel il
nous ſemble que l'on doive toujours fe maintenir.
Une chair moëlleufe & ferme , un ton de
couleur aimable & vrai , prouvert qu'il faut être
bien aveugle pour faire de cette Artiſte une Emule
fervilę: c'eſt la feule imitation de la Nature qui
peut procurer des fuccès auffi brillans & auli merités.
L'Académie & les Connoiffeurs ont renda
juſtice par les plus honorables fuffrages au talent
de Mile. de Beaulieu ; nous engageons les Amazeurs
à aller jouir de ſes eftimables Productions.
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
C'E'ESSTT le Samedi 24 Mai que Mlle. de
Garcins a débuté dans l'emploi des jeunes
Princeſſes , par le rôle d'Aralide, de la Tragédie
de Bajazet. Ce rôle est d'autant plus
difficile a rendre , que le caractère d'At.lide
eſt doux , fentible, paflionné fans abandon,
& jaloux fans emportement. Il fare done ,
pour y plaire , pour y exciter de l'intérêt ,
devoir à la Na ure une ſenſibilité profonde,
un organe Hexible & touchant , une intelligence
très - étendue ; il faut joindre à
ces avantages un débit pur , vrai , raisonné
DE FRANCE. 131
de manière à prouver de l'eſprit , à donner
l'idée d'une grande facilité de conception ,
& qui cependant ne ſemble être que le langage
de l'ame ; il faut enfin de la nobletſe
dans les mouveinens , de la décence dans le
maintien , & de l'expreffion dans la figure.
Il feroit fans doute très - étonnant qu'une
Débutante eût réuni tant de qualités ſi précicuſes
& fi rares : il l'eft encore que Mlle .
de Garcins en ait raontré une grande partie
à fon premier pas dans la carrière tragique .
Nous avons vu des Actrices débuter dans
ce même rôle d'Atalide , & y obtenir les
applaudiffemens que ſollicitent la jeuneffe
& la beauté ; ceux qu'on y a prodigués à
Mlle. de Garcins ont été mérités par le takont.
Jamais la modeſtie & l'amour , au
moms depuis vingt ans , ne ſe fontfferes
dans ce perſonnage fous un accord plus
henreux , & l'enthousiasme du Public a pris
à chaque ſcène un nouvel effor. Tous les
cours étoient touchés , tous les yeux verfoient
des larmes. Le triom, he de Mlle. de
Garcins eft d'aurant plus flatteur pour elle ,
que pent- être il est devenu mal aifé d'attacher
par les fecours de la fimple ſenſbilité,
des Spectateurs trop accoutumés à notre
émus que par des éclats , de l'emportement,
& des mouvemens convulsifs. Cerre Actrice
n'a pas eu moins de fuccès dans le rêve de
Zaire. Ce fuccèshri a valu de la part d'un
Amateur , homme qui joint à de grandes
connoillances dramatiques infiniment de
f
F6
132 MERCURE
graces & de délicateſſe dans l'eſprit , une
lettre pleine des réflexions les plus fages
&des avis les plus utiles. Nous l'invitons
à relire ſouvent cette lettre ,que le Jourmal
de Paris a publiée , & qui ne nous laiſſe
point d'obſervations nouvelles à faire pour
l'avantage de Mlle. de Garcins , fi ce n'est
une peut- être, & la voici .
L'ingénuité ( en ſuppoſant qu'elle doive
ici trouver la place ) & l'amour ne forment
pas ſeuls la phyſionomie du rôle de
Zaïre , & ce perſonnage demande preſque
à chaque Acte une expreſſion différente. Au
premier Acte , Zaïre eſt toute au bonheur
d'aimer& d'être aimée.Au ſecond, la douce
pitié, la générofité, la tendre humanité l'intéreſſent
d'abord en faveur du vieux Lufignan
,&elle fe livre toute entière à la fenſibilité
qu'elle lui inſpire. A la fin de cet
Acte , elle découvre le fatal ſecret de fa
naiſſance ; & fi la Nature l'entraîne , du
premier coup, aux pieds de ſon père , ce
qui lui arrive , ce qu'elle apprend la jette
dans un défordre d'idées qui ne lui permet
pas d'enviſager quel ſera ſon fort, ni de fe
perfuader qu elle peut perdre un Amant en
retrouvant unpère. Ce défordre eſt difficile
à rendre , & cependant il faut que l'Actrice
le faſſe ſentir. Au trofième Acte, les ordres
l'unpère expirant, qui lui font apportés par
fon frère , élèvent dans ſon coeur les combats
de l'amour & de la Nature , & lui font
éprouver des mouvemens de déſefpoir ; mais
DE FRANCE.
1.33
ce déſeſpoir doit avoir quelque élan fans
avoir d'éclat , parce que nos paflions , nos
mouvemens prennent néceſſairement la
reinte de notre caractère originel , & que
celui de Zaïre eſt doux & tendre.
Dans le même Acte & dans le quatrième,
l'obligation où elle eſt de diffimuler avec
Orofimane , fon embarras en ſa préſence ,
le ſouvenir d'un père mourant , l'amour
qu'elle a pour le Soudan , l'inquiétude dont
elle levobiitt agité , la pallion qui à chaque inftant
eſt prête à la faire voler dans ſes bras ,
les motifs qui la retiennent , tout contribue
à lui caufer un trouble où l'amour est pour
beaucoup , s'il ne tient pas le premier rang
entre tous les ſentimens qui l'agitent ; mais
l'ingénuité n'y eſt pour rien. Dans la Scène
où Orofmane jaloux cherche à connoître
quels font ou quels peuvent être les véritables
ſentimens de Zaïre , Scène qui porte le
Soudan à croire &à dire que ſa Favorite eft
Tranquille dans le crime ,&fauſſe avec douceur,
il y a moins d'ingénuité encore , & l'infortunée
qui s'eft enchaînée par un ferment ,
ſefait un devoirde ſe rendre impénétrable .
Nous avons mis en queſtion ſi Zaïre étoit
ingénue; nous irons plus loin,& nous dirons
que nous avons apperçu dans ce perſonnage,
de la douceur, de la paſſion , de la franchiſe
même ; mais la franchiſe n'eſt pas ce qu'on
appelle de l'ingénuité. Il nous ferable aufli
134 MERCURE
:
que dès le moment qu'un perſonnage eft
fufceptible de faire certains raifor nemens
philofophiques, il ceffe d'être ingénu. Quand
Zaïre dit à Fatime, dans la première Scène
du premier Acte :
J eufle été, près du Gange, efclave des faux Dieux,
Chrétienne dans Paris , Mafulmane en ces lieux :
L'ompreffion fait tout , & la Loi de nos pères
Agravé dans nos coeurs ces facrés caractères ,
on voit bien en elle une raifonneufe , ure
fomine même très inſtruite pour avoir été
élevée dens un Sérail, mai nous ne oreyens
pas que l'on puiffe y trouver une ingente ;
& certainement ce n'eft pas a carte de ces
vers& de quelques autics, qu'il feroit trop
Jong de citer , qu'on peut appliquer à Zale
cet autre vers de la même Tragédie :
La Nature naïve anime fus difcours.
D'a ileurs c'eſt moins par ce qu'on dit d'un
perfonnage dans le cours d'ure action dramarique
, qu'il faut juger de fon caractere ,
que par ce qu'il dit on par ce qu'il fit; &
tout ce que fait , tout ce que diu Zaïre an
nonce une femme d'un caractère dor
fenfible , foibl. , fufceptible de céder aux
impreffions cu'on lui donne , mais jamais
une ferme ingérue , les nuaires qui diftinguent
la douceur de Zave de fingenuité ,
font très fables , uès-fugitives i lon veut ;
DE FRANCE.
135
mais elles exiftent, & il n'est pas impoffible
de les faifir , fur tout quand on eft ne
comme ville . de Garcins avec le tentiment
de l'Art Dramarique , & qu'on joint à ce
grand avantage celui d'une intelligence fort
éclairée. La figure de cette Actrice eſt pleine
d'expretlion , elle s'embellit par les pleurs ;
elle rappelle ce que la tradition nous a
confervé de celle de Mlle. le Couvreur.
Au total, il ne manque à Mlle. de Garcins
que de l'habitude & de l'expérience; ainſi
à quoi ne peut- elle pas parvenir d'abord
avec tout ce qu'elle doit à la Nature , enfuite
par les conſeils du Maitre qu'elle a
choifi?
:
COMÉDIE ITALIENNE,
LEE Lundi 26 Mai , Mme. Crêru ( Mlle.
Simonnet ) a débuté dans l'emploi des
Amoureuſes par le rôle de Deife dans
PEpreuve Villageoile , & par celui de Babet
dans Blaise & Babet,
MimexCrêru jouiſſoit en Province d'une
répuration brillante. Trop de renommée
eſt ſouvent une choſe dangerenfe. Le Specrateur
exige en proportion de ce qu'il attend,
& fouvent il devient injuste. Le Parterre
du Théatre Italien ne l'a point été
avec Mme. Crêtu , il l'a bien jugée. Fort
1.36 MERCURE
applaudie dans le rôle de Deniſe , elle fa
:éré,beaucoup moins dans celui de Baber ;
tranchons le mot , elle y a paru foible.
Peut- être le ſouvenir de Mme Dugazon eft-il
ce qui lui a nui davantage. Dans celui de
Deniſe elle a montré un grand uſage de la
Scène , beaucoup de gaîté , d'eſprit , de vivacité
, d'intelligence. Nous ajouterions
même qu'elle y a mis de la grace , fi elle
ne nous avoit pas ſouvent paru maniérée.
Son jeu a dela franchiſe , mais il a quelquefois
trop de liberté, &il eſt plus décidé
que fenti (1). Son débit, dans le dialogue ,
eſt quelquefois vrai , ſouvent recherché ,
& il procède toujours fur deux tons, ce
qui la fait tomber dans des diffonances facheuſes
pour l'oreille. Sa voix , agréable dans
le médium & dans les cordes graves, l'eft
beaucoup moins dans les cordes aiguës; elle
ydevient înême aigre lorſqu'elle oublie d'y
préparer & d'y filer ſes fons. Dans laDot
& dans l'Amant jaloux , où elle s'eſt oblervée
, elle a montré beaucoup moins des défauts
qu'on a pu lui reprocher le premier
la manière
(1) Mme. Crêtu avoit paru moins familière avec
les rôles qui exigent dela ſenſibilité , qu'avecceux
qui ne demandent que de la gaîté :
dont , le Dimanche 15 , elle a joué le rôle de
Babet dans le Droit du Seigneur , principalement
an ſecond Acte , a prouvé que les reffources de
L'ame ne lui étoient point étrangères. Elle s'y eft
d'effet qu'elle
dédommagée du peu
dans la fuite des Trois Fermiers.
avoit produit
DE FRANCE.
137
jour de fon début , & elle a tiré un bien
plus grand parti des avantages qu'elle doit
tant à l'étude qu'à la Nature. On en peut
conclure qu'avec de bons modèles&de bons
avis, elle pourra ſe débarraſſer des uns &
perfectionner encore les autres. A chaque
rôle dans lequel elle paroît, Mme. Crêtu reçoit
des applaudiffemens & des encouragemens
flatteurs. Elle en eſt digne par fon
talent, comme par la docilité avec laquelle
elle profite des conſeils qu'on lui donne,
& de l'expérience qu'elle acquiert.
ANNONCES ET NOTICES.
ETRERNENNNEESS, ounouvelle ConquêtedeBacchus,
avec un avis fur fes voyages, ou nouvelles Loix
en France, en Italie , en Allemagne , en Angleterre
, & en général dans les deux Mondes : contenant
, 1º. un Projet patriotique & univerſel en
faveur de tous les pays vignobles poſſibles , du
commerce des vins ,&des consommateurs de tous
les pays : 2º. le meilleur des Procédés pour avoir
d'excellent vin , principalement dans les années
de verdeur : 3 °. la Démonstration ou les expériences
publiques & répétées , depuis pluſieurs années
, d'une nouvelle Méthode pour accélérer la
maturité&la coupe des raiſins d'environ 15 jours,
&même , à tout compter , de près de trois ſemaines
, fur-tout dans les années & les régions tardives
; par M. Maupin , Officier de la feue Reine ;
138
MERCURE
in-8°. Prix , 18 f. , avec le reçu figné de l'ha
AParis , chez l'Auteur , rue du Pont aux-C
N°. 43 .
Le titre de cet Ouvrage , que nous avonsin
tranferit en entier , en prouve l'urité &
portance ; & le nom de fon Auteur , comen d
long-temps par des découvertes dans ce gern,
engager à le lire avec confiance.
Difcours fur le Commerce , par M. Bersa
des Brofles, Membre du Collège des Pl laci
de Lille , prononcé le 20 Novembre 1787,
la Séance publique dudit College ; in-8°. de 4
pages, A.Paris , chez Or froy , Lib. rue du How
poix ; & à Lille , chez Vanackere , Lib. , auBe
reau de
l'Almanach du
Commerce .
Abrégé des Maladies des Femnes groffes
decelles
qui font accorchées ,
gles générales fur les Accouchemens , & la ma- avec quelques re
nière de foigner & traiter les enfans , depuis la
naillance juſqu'à l'âge de pubcité ; par M. Boy,
Chirurgien -Major de P'Hôpital Royal & Milltaire
de Champlitte en Franche - Comté; in-11.
Prix, 2 liv. br. A Paris , chez Croullebois , Lib. ,
ruedes Mathurias , No. 32 ; à Besançon , chez
Protha de Chamberlan , Lib. , grande rue.
Cet Ouvrage eft deftiné aux habitans des campagnes
, & fervira à les éclairer fur des dangers
auli prefians que communs parmi eux. L'Aureur
s'eft occupé des Maladies des femmes avant &
après leur grofleffe , & des foins qu'on doit aux
enfans nourris par leur mère, ou corfiés à des
Nourrices. Une expérience de quarante ans doit
prévenir en faveur des principes renfermés dans
ce
Livre
vraiment utile.
L'Art des
Accouchemens , propre aux inftrucCUR
DE FRANCE .
139
arechtions élémentaires des Elèves en Chirurgie, néceffaire
aux Sages-Femmes pour leur indiquer les
cas où elles peuvent opérer , & ceux où elles
doivent mander tes hommes de l'Art. Ouvrage
didactique , également fait pour des perfonnes qui
défirent s'inftruire des moyens de foulager Thumanité
Couffrante; par Me. Joſeph-Charles-Gilles
de la Tourette , ancien Elève de l'Ecole-pratique
de Chirurge de Paris, Maître ca Chirurgie , &
T
Démonftrateur Royal de l'Art des Accouchemens
à Loudun , Prévot en charge, de fa Compagnie.
2 Vol. in- 12 . A Paris , chez Le Clerc, Lib. , quai
des Auguſtus ; & à Angers , chez. Pavic , Imp.-
Lib. , rue S. Laud.
Cet Ouvrage traite d'un Art bien utile à Thumanité
, puiſqu'il tendà fa conferva on & à di
minuer fes fouffrances . L'Auteur , chargépar état
de faire des Cours d'Accouchemens en faveur des
Sages - Femmes de fa Province , a voulu mettre
fous leurs yeux & par écrit les leçons qu'il leur
'donnoit de vive voix ; fon Ouvrage peut être
utile aux Elèves en Chirurgie , & il s'eft ménie
efforcé de le rendre utile à tout le monde .
Syntaxe Frantsise , ou Nouvelle Grammaire
fimplifiée ; par M. Fabre , in- 12. A Paris , chez
Périfle , Libraire , Pont Saint Michel ; & chez
l'Auteur , au Café d'Artois , rue de la Harpe.
Nous citerons en faveur de cette Grainmaire
la conclufion de MM. les Commiſſaires nommés
par l'Académie de Lyon :>>> Qu'elle est écrite d'un
>> ſtyle clair & fur ; que les principes qui la fon-
>> dent font ceux de l'Académie Françoife & de
*>> nos meilleurs Grammairiens; qu'elle prouve des
connoilla es grammaticales auſi ſolides qu'e-
>> tendues ; qu'on peut la confulter avec une entière
confiance ; & que les jeunes gens qui la
> confulteront feront promptement initiés dans la
"
140 MERCURE
4C
Syntaxe de notre Langue , n'euffent-ils qu'une
intelligence ordinaire , & n'apportaffent- ils
* cette étude, trop généralement négligéc,
>> application médiocre «.
qu'une
Méthode pour apprendre à lire les Notes fur
toutes les Clefs; Brochure in-8°. de 24pages. Pris,
24 fous. AParis , chez Lecomte, Lib. , rue Saint
André-des-Arts ; Mercier, fucceffeur de Mlle. Caftagnery
, rue des Prouvaires , N°. 33 , & am
adreſſes ordinaires.
Théatre desGrecs, par le Père Brunoy , neu
velle édition, enrichie de très-belles Gravures ,
&augmentée de la Traduction entière des Pièces
Grecques, dont il n'exiſte que des extraits dans
toutes les éditions précédentes ; &de Comparat
fons, d'Obſervations& de Remarques nouvelles,
far M. Prevoſt, de l'Académie Royale des Sciences&
Belles-Lettres de Berlin ; & par M. ****
TomeX. A Paris , chez Cuffac , Lib. ,rue & carrefour
St-Benoît, ou au Palais-Royal,N. 8.
Cet eftimable Ouvrage ſe continue toujours
avec un ſuccès bien mérité.
Le même Libraise a mis en vente les Tomes
X , XI & XII de fon beau Plutarque.
Lucinde, ou les Ainans traverſés, Hiftoire
preſque véritable; in- 12. Prix , 1 liv. 4 f. br. A
Paris, chez Momoro , Libr. , rue de la Harpe ,
N°. 160.
Le ſujet de ce Roman, c'eſt le récit aſſez rapide
des longues perfécutions qu'efluyent deux tendres
Amans avant de pouvoir sunir. Ils ſe vengent de
leur perfecuteur qui est tombé en leur pouvor ;
& le joure homme, en dédommagement des maux
a
DE
141
FRANCE.
its à la belle Lucinde , l'oblige à fouf-
- elle un billet de 50,000 écus; le jeune
rouve par-là que l'intérêt de ſon coeur
point fait perdre la tête.
uve auffi chez le même Libraire, laMéla
Chirurgie des Pauvres , I Vol. in- 12.
v. 16f broché.
es Royales de Renommée , de Corref-
= & d'Indications générales des princibriques
, Manufactures & Maiſons de
e de Draperie, Bonneterie & Epicerie de
autres villes du Royaume & des pays
( En attendant celles de la Mercerie ,
= , Librairie & Papeterie , qui paroîtront
nent) . In- 8°. Prix , 4liv. 4 f. br .; par
été de Commis- Voyageurs & d'Amateurs
merce & des Arts. A Paris , chez Royez,
ai des Auguſtins ; Bailly , rue S. Honoré ;
Tue S. Jacques ; la v. Duchefne, rue S. J.
rue Haute-feuille, N°. 20 ; & au Bureau
cion générale des Négocians & Artiſtes cérue
d'Anjou-Dauphine , Nº. 14 , où l'on
us les Abonnemens , Avis , Obfervations
emens relatifs à cet Ouvrage.
Duvrage est vraiment utile , & doit intée
claffe nombreuſe de Citoyens. La nouine
qu'on lui a donnée pour lui procurer
endue & de clarté dans les matières & de
dans les recherches , d'après l'avis de
Négocians en différens genres , le rend
at plus recommandable.
des Eſſaisde Goldfinith , ou Recueil de
Moraux , traduits de l'anglois. A Paris ,
rimerie de MONSIEUR ; & fe trouve chez
Lib. , quai de Auguſtins.
142 MERCURE
-La réputation de Goldfraith est déjà faite en
France. It fuffit de dire pour l'éloge de ce nouvel
Efiai, que les Contes qu'il renferme font dignes
de l'Auteur du Vicaire de Wakefield.
The Elements , of the French Language , by
Mlt. de Lannoy, an Advocate in the Partiamen ,
and Profeffor ofthe French and It dian Language.
Petit forutat. A Paris , chez l'Auteur , que des
Deux-Boules , près les Gobelins ; Momoro , Lik ,
rue de la Harpe , p: Cs celle du Foia , Nº. 162.
Traité des Difpenfes , par M. Collet, 2 Vo
in-8 °. , nouvelle édition , corrigée , riordue , &
augmentée par M. C***, Prix , 8 liv. br A Parns ,
Froullé, Lib , quai des Augustins ; Savoie , rue
S. Jacques : Varin , rue du Petit- Pont.
Cette édition ajoute un nouvel intérêt à ma
Ouvrage qui étoit déja très - intérerlant. On ya
faitun grand nombre de corrections & dragmenrations
, & on y a rais beaucoup plus de méthode.
Par le jugement qu'en porte le Cenfeur , il parcit
que ceux même qui ont quelqu'une des éditions
précédentes , ne peuvent ſe pafler de parcourir
-celle-ci.
Leçons d'Histoire Naturelle, à l'uſage des jeunes
gens, par le Père Corte , &c. ; in- 12. Prix, 3 liv.
relié.
Manuel d'Histoire Naturelle , & c. par le même,
in -8°. Prix , 2 liv. 8 fous broché, A Paris , chez
Barbou , Imp. -Lib. , rue des Mathurins.
On trouve chez le même Libraire les Leçons
d'Histoire Naturelle par Demandes & Réponfes ,
àl'uſage des enfans, du même Auteur ; in - 124
Relié en carton, I liv.
DE
143
FRANCE.
érale de Jésus- Chrift & de fon Eglife ,
ion des Myſtères de ſa naiſlance , de fa
de fa réfarrection , & l'établiſſement dé
, avec les caractères de vérité qui la
Et des autres Sociétés Chrétiennes inreiné
, 3 liv. A Paris , chez Mérigot le
b. , quai des Auguftins , au coin de la
2.
s de Jurisprudence , fuivant les Loix
& celles du Royaume ; par M. Julien ,
Troffleur Royal en l'Univerſité d'Aix ,
Auteur du Nouveau Commentaire fur le
Trovence. I Vol. in- 49 . Aix, David, 1785 ,
Additions imprimées en 1787. A Aix , chez
David & Em.ric David ; & à Paris , chez
Iné & Fils , Libraires , rue du Jardinet ;
rae Saint-Jacques ; veuve Vallat-la- Cha-
Palais.
uvrage contient les Elémens de la Juriffuivant
le Droit Romain , les Ordon .
enos Rois, & les principales Coutumes.
e en a déjà été reconnu. Le Manufcrit
andu depuis trente ans dans le reflort du
t de Provence , quand l'Auteur l'a fait
Tous les jeunes Avocats commençeient
les par le tranfcrire. On le citoit au Pale
nom d'Inſtituts de Julien .
& Flora , deux Eſtampes , gravées, l'une
né, l'autre par Legrand , imprimées en
Prix , 3 1. chaque biſtre & noir , 30 f.
chez Legrand , Graveur , rue Galande ,
tite des Amusemens Militaires , contenant
d'Ouvertures & d'Airs pour deux Cla-

144 MERCURE DE FRANCE.
rinettes , deux Baffons , deux Hautbois ou Flites ,
&deux Cors; par M.Beiner, Muficien des Gardus
Suiſſes du Roi. Prix , 6 liv.
Romance Pastorale d'Estelle , muſique de M.
Torlez , de la Comédic Italienne. A Paris , chet
Mlle. Lebeau , Salle des 4 colonnes , au Palais
Royal.
Numéros 17 à 25 des Feuilles de Terpsychore,
pour la Harpe & pour le Clavecin. Prix, liv
4f. chaque N°. Abonnement pour 52Numéros ,
30 liv. AParis , chez Coufineau père & fils , Lathiers
de la Reine , rue des Poulics.
Nº. 1. Recueildejolis Airs , arrangés en Duo
Four 2Clarinettes , par M. Simonin , Muficien de
M. le Duc de Montmorency. Prix, 3 liv.A Paris,
chez M. Mercier, fucceffeurde Mile. Gaftagnety,
rue des Prouvaires , près celle S. Honoré,No.
V
TABLE.
ERS àMlledeGarcins.971 Bibliothèque Phyſico Ec. 118
LaBravoure Helvétique. 98 Histoire abrégée.
Idem. L'Elèvedu Plaisir. Cente.
A Mme. du Boscage. 99 Variétés.
110
113
118
Charade, Enig.&Log. 100 Comédie Françoise.
140
Voyage'Auvergne. 100 Comédie izatienne.
145
110 DelaMoralenaturelle. Annonces & Notices. 157
APPROBATION.
JATAt lu , par ordre deMgr. leGarde desSceaux ,
le MERCURE LE FRANCE , pour le Samedi 11
Juin 1788. Je n'y ai rien trouvé qui puiffe ca
empêcher l'impreffion. AParis, le 20Juin 1788 .
SÉLIS
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
POLOGNE.
De Varsovie , le 25 Mai 1788 .
,
,
L'on parle , depuis quelques jours , d'un
rapport envoyé au Gouvernement par le
Général de Witte , Commandant de Kaminieck
, & ſuivant lequel Choczim a été
bombardé & incendié , le II par le
Corps du Prince de Cobourg. La ville
comme on fait , ſimple faubourg de la
fortereſſe , n'eſt compoſée que de chétives
maiſons en bois , qu'il n'aura pas
été difficile de réduire en cendres. La
garniſon , forte de 6000 hommes , s'eft
retirée dans la citadelle , qui eſt en état
de foutenir un ſiége en règle. Après le
bombardement de ces cabanes , les Autrichiens
ſe ſont éloignés à quelque diftance
de la fortereſſe, dans l'eſpoir de la
bloquer , de lui couper les approvifion-
No. 25. 31 Mai 1788.
지 こいいいい
e
( 98 )
nemens , &de la forcer à ſe rendre à
difcrétion. Quelques jours avant, le Pa.
cha de Choczim avoit demandé au Commandant
de Kaminieck des fourrages &
des vivres , qui lui ont été refuſés, quoique
les Ruſſes en aient reçus pendant le
temps qu'ils ont ſéjourné fur notre propre
territoire.
L'armée du Séraskier de Beſſarabie,
forte de80 mille hommes , étoit , à la fin
d'avril, campée près de Bialogrod; celle
du Comte de Romanzof s'étoit avancée,
par une marche précipitée , au-delà de
Dubofor , fur la gauche du Nieſter , &
fon avant-garde avoit eu déja quelques
eſcarmouches avec des partis de l'armée
Ottomane. Le Prince Repnin, &le Corps
à ſes ordres , paſſe pour s'être également
porté en avant , & rapproché d'Oczakof.
Quant au Prince Potemkin , on croit qu'il
a paſſé le Bog , dans le deſſein de couvrir
la Crimée; mais toutes ces marches font
fi incertaines , fi contradi&oirement annoncées
d'un ordinaire à l'autre , par les
Nouvelliſtes , qu'il eſt difficile de ſe former
encore une idée exacte des opérations
entamées.
La Gazette de la Cour vient de publier,
encestermes, unarticlequ'on nepeutpalfer
ſous filence ;
« Le Miniſtre d'Etat & de Cabinet de S. M
( 99 )
,
>> Pruffienne , Comte de Finckenstein , fit mander
>>chez lui , le 29 ayril, par ordre exprès de fon
» Monarque , le Réſident de S. M. le Roi& de la
>>République de Pologne à la Cour de Berlin
» M. Zablocki ; & après lui avoir témoigné la
>> ſurpriſe de S. M. Pruffienne , des bruits répan-
>>dus que S. M. P. , contraire aux traités conclus
>> avec la République , avoit déſſein d'effectuer
>> une occupation dans les Etatsde Pologne,&d'y
>> faire entrer,ſes troupes , ledit Miniſtre , par
>> ordre de fon Monarque , a donné à M. Zablocki
>> l'affurance que ces bruits ſont deſtitués de tout
>> fondement , & que les intentions amicales du
" Roi de Pruffe, pour le Roi & la République
>>> de Pologne , font inaltérables. La même af-
• ſurance a auſſi été réitérée à M. Zablocki , de
>> la même manière, par le ſecond Miniftre de S.
» M. P. , le Comte de Hertzberg , ſur l'ordre
>>qu'il en avoit reçu du Monarque. »
On répand la nouvelle d'une eſcarmouche
ertre un détachement Ruffe
& un Corps de nos troupes. Les Raffes
vouloient emmener de force deux cents
jeunes Polonois ; le Général Potocki , inftruit
de ce procédé arbitraire , détacha le
Colonel Bielak avec 70 Cavaliers , pour
empêcher cette violence: on en vint aux
mains; les Ruſſes fondirent fur les Polonois
, & tuèrent le Colonel : ceux- ci furieux
, chargèrent les premiers avec tant
de vivacité , qu'il en reſta nombre fur
la place , & les autres prirent la fuite.
e ij
( 100 )
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 31 Mai.
Les divers avis de Pétersbourg confirment
le refroidiſſement ſenſible furvenu
entre les Cours d'Angleterre & de Ruffie ,
& le peu d'apparence qu'elles renouvel.
lent fitôt le Traitéde Commerce dont il
a été tant queſtion. L'aigreur est telle à
Pétersbourg contre les Anglois , que dans
la Gazette de cette ville, publiée par autorité
, on a inféré , avec une eſpèce d'affestation
, les deux articles ſuivans, ſous le
titre prétendu d'Extraits de lettres de
Conftantinople.
<< Notre flotte , eft-il ditdans le premier desar-
>> ticles , en parlant de la flotte Ottomane , n'eft
>pas encore en étatde fortirdu canal,'&manque
de munitions de guerre. Dans cet embarras, la
> Sublime-Portea reçu duſecours del'Angleterre,
» d'où il eſt arrivé ces jours derniers , à bord de
>> trois navires , une grande quantité de poudre,
>>>canons, boulets , affûts , mêches , & autres mu-
>> nitions , au moyen deſquelles l'on va pourvoir
>
non-feulementla flotte Turque, mais auffil'ar-
» mée , qui en manquoit pareillement. » Cet ar
ticle eſt de la date du 14 février. L'extrait d'une
ſeconde lettre de Conftantinople , du 26 février ,
porte : « Ces jours-ci , il eſt encore arrivé dans
>notre port un quatrième navire Anglois avec
>> des armes & autres munitions deguerre pour
notre arsenal : parmi cet attirail , il y a uneefpèce
de fufées pour mettre le feu au gréement
( 101 ) 1
» des vaiſſeaux dans un combat naval. Outre ces
" quatre bâtimens , l'on attend encore ici à Conf-
>> tantinople 4 ou 5 autres vaiſſeaux Angloi avec
>> des munitions de la même eſpèce. Le bruit
» s'est répandu , qu'à l'effet de ſe procurer encore
>> des approvifionnemens en plus grand nombre ,
>> la Porte a réſolu d'accorder aux Sujets Bri-
>> tanniques des avantages plus conſidérables
>> qu'aux autres Nations qui reſteront neutres dans
>>la guerre préſente , & même de leur per-
>>>mettre , malgré les repréſentations réitérées du
» Sherif de la Mecque , la libre navigation fur la
» mer Noire& le paſſage des Indes par Suez. -
>> La Porte a acheté la corvette Angloiſe , le
» Phénix , au prix de 75 mille piastres.>>>
Depuis que l'on a été inſtruit à Stockholm
de la marche d'un Corps de troupes
Ruſſes en Finlande , vers la fin de mars ,
& de l'établiſſement de ſes magaſins , on
a mis en mouvement la plupart des régimens
Suédois , qui , le 25 du mois dernier
, étoient en marche vers les mêmes
frontières . L'eſcadre de Carlſcrone , augmentée
de quelques frégates , devoit appareiller
, le 27 du même mois , en préſence
du Roi , qui de Carlſcrone ſe rendra
en Norwège , où il conférera avec le
Prince Royal de Danemarck , parti de
Copenhague pour ſe rendre à l'entrevue.
Le Sénat de Suède a donné , le 24 mai ,
ſa pleine approbation à toutes les meſures
priſes par le Roi , en le priant de contieij
( 102)
nuer cellesjugées néceffaires à la défenſe
de l'Etat.
Le Baron Matthias de Refen, Brigadier
des armées navales de l'Impératrice de
Ruffie , eſt mort à Pétersbourg , le 6 de
ce mois , dans la 108e, année de fon age.
Il étoit au ſervice de Ruffie depuis 1715.
Voici la lifte des vaiſſeaux de ligne Danois et
armement, laJuftitia de foixante-quatorze canons, la
Norske Lovede 70 ( Lion du Nord ) , la Louij
Augujt: de 64 , 1 Oldenbourg de 64, le Diemr's
de 64, & la Wilhelmine de 60. On arme
les trégates la Moen & le Store Beez ( grand
Belz.
De Vienne , le 30 Mai.
Le bulletin officiel du 24, s'eſt prodigieufement
étendu en détails prolixes fur
les trois dernières attaques que les Turcs
de Belgrade avoient tentées contre nos ouvrages
fur la Save, avant le 17. Des lettres
particulières rapportent ces faits un
peu différemment , & avec une briéveté
qui nous permet de mettre leur récit fous
les yeux de nos Lecteurs .
« Le dimanche 11 , vers les to heures du matin,
le canon de Belgrade commença à rontler
contre la pointe de laSave; le but des ennemis
étant de ruiner les ouvrages qu'on y a faits , &
de démonter les batteries qu'on y a établies. La
vivacité du feu de la place augmenta fuccefflivement,&
continuajuſqu'aprèsle coucher du foleil.
L'Empereur , qui étoit accouru avec le Maréchal
10
( 103 )
1
!
A
Comte de Lafcy , reſta fort près du rivage pour
donner les ordres néceſſaires ; mais fur les repréſentations
efficaces du Maréchal , il s'éloigna un
peu , & ne ſe retira qu'après que les batteries de
Belgrade eurent ceſſé deſe faire entendre. Le 12
avant le lever du ſoleil , elles recommencèrent à
jouer comme la veille , & tonnèrent juſqu'au foir ,
preſque ſans interruption. Ces deux canonnades ,
dont le nombre des coups eſt porté à 2400 , ont
bleſſé mortellement une douzaine d'hommes , environ
50 légèrement , & n'en ont tué qu'un ſeul ;
mais le feu ayant pris à une partie de la paliſſade,
il y en eat quelques toiſes de confumées. Le 13 ,
la garniſon de Belgrade ſe tint tranquille à cauſe
d'une pluie abondante qui tomba ce jour ; mais
elle ſe prépara à une vigoureuſe fortie : effectivement
, le 14 , à l'aube du jour , un Corps de
2 mille Tutes , qui s'étoient gliſſés à la faveur des
ténèbres , dans un bois fur une ifle vis-à-vis de
Belgrade , en fortirent ,& mirent pied à terre dans
un endroit protégé par le canon de la ville ; delà
ils ſe portèrent ſur les portes avancés des Autrichiens
, qu'ils attaquèrent avec un courage extraordinaire
; mais ils furent repouſſés : une demiheure
après , ils revinrent à l'attaque , qui alors
devint plus férieuſe; de forte qu'on fut obligé d'appeler
au fecours quelques eſcadrons de Cavalerie ,
&un bataillon, A leur approche ,les Tures voyant
l'inégalité de la partie , jugèrent à propos de ſe
reier , ayant laiſſé une trentaine de leurs morts
fu le champ de bataille, &emporté le reſte. On
prétend que le nombre des tués du côté des Impériaux
, ne va pas au-delà de 50 , &à 100 celui
de, bleffés . Le 15, le temps fut pluvieux , ce qui
donna du repos aux partis ; le 16 , il y eut quelques
coups de canon tirés de part&d'autre ,mais fans
aucun effet. A cette époque , il n'étoit pas quef
kiv
( 104 )
tion dans le camp de paſſer la Save, ce dont on
n'oſoitpreſque pas parler, puiſque c'étoit une ef
pècedemyſtère.»
Aprèsl'arrivéed'un courier venu, le27,
de Semlin , il s'eſt répandu que, le 23 ,
l'Empereur avoit paffé la Save pour en
trer en Servie, avec la première& ſeconde
diviſion de ſon armée, formant environ
80,000hommes. Ce paſſage s'eft exécuté
près de Beſchania , au moyen de trois
ponts jetés ſur la rivière. Le Corps de
réſerve , de 12,000 hommes, eft reſté à
Semlin ; mais cette nouvelle trouve beaucoup
d'incrédules , fur-tout depuis le filence
qu'a gardé , à ce ſujet , le bulletin
de la Cour, du 28 , chargé, comme à
l'ordinaire , de détails
d'eſcarmouches ,
dontnous n'extrairons que ce qui regarde
le fiége de Choczim.
« Ona reçu du Prince de Cobourgdes dépêches
de deux dates différentes. Les unes, du ro mai,
annoncent que les quatre bataillons Ruſſes qui
s'etoient joints à ſes troupes, ſous laconduite du
Général Ruſſe Werft: minow , ſe ſont retirés delà
fur Zbirz , dans le territoire de la République de
Pologne."
« Les ſecondes dépêches du Prince de Cobourg,
en date du 21 mai , contiennent des détails affez
amples ſur ſes entrepriſes contre Choczim. On y
voitque le 8 mai ce Général a repris poffeffion
defoncampprès de Rarence , avec les troupes à
ſesordres; que le 10 il s'eſt avancé juſqu'à Sarochin,
& le II contre Ruckzim dans l'ordre
ſuivant : le bataillon de Venzel-Colloredo , In104)
( 105 )
fanterie , avec deux diviſions des Chevaux-légers
de Lowenehr , s'eſt réuni au Corps d'armée hors
du bois de Buckowine , tandis que le Major Quietowski
, avec unediviſion des Huſſards de Burco ,
2 compagnies de Pellegrini Infanterie , 2 canons
& 112 Arquebuſiers , s'eſt avancé du poſte de
Rohatim le long de la rive droite du Nieſter , &
à travers le même bois , pour couvrir le flanc
gauche de l'armée. D'un autre côté , le Général-
Major Jordis dirigea ſa marche ſur la rive gauche
du Nieſter , avec 4 compagnies de Pellegrini &
2 diviſions de Barco , pour pouvoir au beſoin
foutenir le Major Quietowski. M. Karaiczay , au
contraire , Lieutenant-Colonel de Lovenehr , pour
couvrir l'aile droite de l'armée , paſſa le Pruth près
de Molinza avec le bataillon de Kauniz Infanterie ,
&2 diviſions des Chevaux- légers de Lowenehr ,
&s'avança par la Raja juſqu'à Sankoviſſ, au-delà
de l'alignement de l'aile droite. Comme le Corps
que commandoit le Prince de Cobourg en perſonne ,
alloit ſe placer ſur les hauteurs de Ruckzim , les
troupes qui faifoient partie de l'avant-garde , rencontrèrent
une grande partie de la garniſon de
Choczim; mais un bataillon d'Infanterie & une
divifion de Cavalerie s'étant avancés pour foutenir
les nôtres , leurs canons mirent bientôt l'ennemi
en déroute , qui ſe retira endéſordre; on le
poursuivit juſque ſous le canon de Choczim , &
onpritoccaſionde jeter quelques obuſiers dans la
place , qui y mirent le feu en pluſieurs endroits.
LesTurcs ne laiſsèrent que 2 tués ſur la place ,
ayant emporté les autres , ainſi que leurs bleſſés ;
onleur fit un prifonnier. Quant à nous , 6 tués
&26 bleſſés forment toute notre perte à cette
action.
Cependant le Prince de Cobourg ne jugeant pas
à propos de camper ſi près de l'ennemi , ſe retira ,
*
14
5-
kv
( 106 )
fur le foir , derrière Ruckzim. Le 12, tout fat tran
quille; mais le 13 , un Corps Turc , compofé de
1000 Fantaffins & 2000 Cavaliers , avec descanons
, vint attaquer le Lieutenant-Colonel K
raiczay,poſtéépprrèèss ddeeDolinany. Cette attaque fur
encore plus funeſte à l'ennemi , qui fut obligé de
lâcher priſe avec une perte confidérable. On eft
certain au moins de 200 d'entre eux que les nôtres
ont vu tomber , tandis que nous n'avons eu que
3hommes b'efles. Il ne s'eft rien paflé ni
le 14ni le 15; mais le 16, les nôtres ont commencé,
à la pointe du jour , unë vive canonnade
contrelaplace des batteries érigéés près de Braha.
Le ſuccès de cette canonnade n'est pas douteux ,
puiſqu'elle a démonté une batterie ennemie, tul
beaucoup de monde, endommagé &incendié nom
bre de maiſons. Le feu de la place ne nous a tué
qu'un Canonnier & bleſſé 2 hommés.
-
La Porte , dit-on, a nommé le Prince
Maurojeni, Hoſpodar de Moldavie, à la
place du Prince Ypsilanti , &, à ce qu'on
ajoute, il s'avance vers Jaſſy , à la tête de
20,000hommes. C'eſt Alexis Moruffi qui
l'a remplacé comme Hoſpodar de Valachie.
DeFrancfort-fur-le- Mein , le 7 Juin.
Le dernier courier Ruffe, arrivé de Pé
tersbourg àVienne , le 15 mai , a apporté
à l'Ambaſſadeur de Ruffie des dépêches ,
dont le contenu paroît d'autant plus important
, qu'après une conférence de plus
d'une heure entre ce Miniſtre & le Chancelier
d'Etas, Prince de Kaunitz , il a été
( 107 )
expédié fur le champ a l'Empereur un
courier extraordinaire .
Pluſieurs lettres particulières de Vienne
annoncent l'eſpérance d'une pacification
prochaine ; elles ajoutent que l'on n'attend
que l'arrivée de deux couriers , pour
convenir d'une armiſtice de quelques
mois. On fonde cette conjecture ſur le
départ ſecret d'un employé à la Chancellerie
d'Etat , dont le père a été Miniſtre
de l'Empereur à Conſtantinople. - La
grande armée a beaucoup de malades .
L'Electeur de Mayence a nommé le
Comte de Hazfeld ſon Miniſtre Plénipotentiaire
aux Cours de Berlin & de
Dreſde.
L'Ele& eur Palatin eſt arrivé , le 28 mai ,
de Munich à fon château de Schwezingen
près de Manheim , où l'Electrice l'avoit
précédé d'un jour.
Le 10 mai 1788, versle ſoir , les habitans du villáge
de Sunkenrod ſur l'Inn , entre Roſonheim &
WaſſerbourgenBavière,entendirent unbruit fouterrain
, ſemblable à celui de troncs d'arbres qui fe fendent
avec fracas . Le jour ſuivant, à 5 heures dumatin
, la prairie ſituée devant le village ,&autour de
laquelle étoient pluſieurs gros chênes & autres
arbres , commença à s'affaiſſer ; en moins de fix
minutes , le terrain préſenta un abyme de plus
de 10 toiſes de profondeur , dans lequel les arbres
s'enfoncèrent avec grand bruit , juſqu'à leur
fommet. On vit auſſi-tôt après dans ce précipice
une quantité d'eau dont les ſources ſe précipitèrent
,
evj
( 108 )
avec tant de force , qu'elles s'élançoient dela groffeur
du bras & de la hauteur d'un homme dans
les endroits où elles trouvoient de la réſiſtance.
Quelques minutes après , ce même terrain s'enfonça
encorede 4 à 5 toiſes , &la colline nommée
Sandberg , qui ſe trouve dans le voiſinage , commença
à s'ébranler , de manière que levillage ſitué
à peu de diſtance de cette colline court rifque
d'être englouti d'un moment à l'autre. Les payſans
confternésont tranſporté tous leurs effets à Bograreth
, & font fur le point de démolir leurs maifons.
La route qui conduit de Waſſerbourg àBograreth
s'eſt pareillement affaiffée; toutela fuperficie
du terrain a été bouleversée. Cependant cet
événement n'a été accompagné d'aucune fecoufle
de tremblementde terre. Leterrain affaillé forme
un çarré exact de 140 pas.
Une lettre de Conftantinople , écrite
par un Négociant François , le 10 avril ,
renferme, entre autres particularités déja
connues , celles qui ſuivent:
La veille du départ du Viſir , un de nos Négocians
fut attaqué , dans la rue, par un Galiongis ,
qui lui demanda ſa montre; forcé deſe défendre,
il mit l'épée à la main , & bleſſa le Turc de pluſieurs
coups : ils furent arrêtés l'un&l'autre. Notre
Ambaſſadeur réclama le Négociant , qui lui fut
rendu ſur le champ , & le Viſir fit étrangler le
Soldat. On croiroit que ces exemples ſévères devroient
contenir cette foldateſque, maisrien ne peut
réprimer fon infolence; les boutiques , les tavernes
fur-tout deviennent la proie de celui qui les attaque;
car tous ces Grecs , nation vile & eſclave ,
ne fongeant jamais à ſe défendre dans un pays où
ils feroient punis de mort s'ils ofoient lever la
( 109 )
main ſur un Ture , préfèrent de perdre une partie
de leurs biens pour ſauver le reſte.
Un des valets-de-chambre de notre Ambaſſadeur
a penſé être tué ces jours derniers ſur la place ;
unde ces miférables Soldats lui a appuyé le piſtolet
ſur la poitrine , l'amorce a brûlé , mais heureuſement
le coup n'eſt pas parti. Il avoit fous fon
bras une pièce d'étoffe que la peur lui a fait
lâcher , & dont le Galiongis s'eſt emparé : elle
feule avoit excité ſa cupidité.
Un François , nommé Toupet , établi ici depuis
30 ans , qui enſeignoit les Mathématiques aux
enfans du Prince de Valachie , étant , il y a peu
de jours , vers les 9 heures , à tabłe dans ſa
maiſon avec ſa femme & fes enfans , a été frappé
de 6 balles , par un coup de carabine parti de
la rue. M. l'Ambaſſadeur lui a envoyé ſur le
champ ſon Médecin & fon Chirurgien , mais ils
n'ont pu le fauver , & il eſt mort quelques jours
après de ſes bleſſures. Ce malheureux , âgé de près
de 60 ans , venoit de louer fon paſſage & celui
de ſa famille ſur un bâtiment François deſtiné
pour Marſeille. Son économie & fon intelligence
lui avoient valu plus de 160,000 1.,avec leſquelles
il ſe propoſoit de vivre heureux dans ſa Patrie.
On ne riſquepasd'ê re ainſi attaqué chez M. l'Am
bafi deur ; la ſituation de l'hôtel ne permet pas
qu'on puiſſe tirer des coups de fuſil par les fenêtres.
Ce qui m'a le plus frappé dans le camp du
Grand-Vifir , c'eſt le filence & la tranquillité parfaite
qui y règnent , & certes ce n'eſt pas ce qu'on
devoit attendre d'une armée aſſemblée à la hâte ,
conduite ſans difcipline ,& dont les Chefs ne peuvent
que ſe promettre une obéiſſance précaire ,
& telle qu'ils l'ont ſouvent eux-mêmes pour le
Souverain. Quoi qu'il en ſoit , cette armée est
belle ; quelques compagnies d'élite & le Corps des
( 110 )
Janiſſaires font bien vêtus , &magnifiquement ar
més ; tous ont deux piſtolets garnis en argent ,
&unfabre leplus ſouvent très-riche. Mais tout
lereſte eſt fort mal équipé. Quelques Soldats n'ont
pour armes qu'un grand couteau& un bâton , &
font à peine vêtus. Ils font tous grands & forts ,
la plupart de la taille de nos plus beauxGrenadiers
, & d'une conſtitution bienplus robuſte.
Les tentes ne font point alignées , &ne forment
point de rues comme dansnos camps; elles
font peintes , à l'extérieur , detoutes formes de conleurs
, enforte qu'elles ne reflemb'ent pas mal à
desguinguettes ambulantes. Les tentes du Vikr
font belles & riches , cepen ant beaucoup moins
qu'on le croit affez généralement en Europe. Il
eft vrai que le Viſir a voulu donner l'exemple de
la fimplicité , & bannir toute eſpèce de luxe de
l'armée , de manière que je croirois volontiers cé
que les Hiftoriens nous rapportent du faſte des
anciens grands Viſirs, lorſqu'ils fe mettoient à la
tête des troupes.
L'inégalité, labigarrure& la diverſité de toutes
ces tentes, préſentent un coup-d'oeil fort extraor
dinaire & très- pittoresque. Quand ces troupes
feront arrivées ſur les frontières , l'armée Ottcmane
fera compoſée deplus de 500,000 hommes ;
mais il s'en faut beaucoup que ce foient autant de
Soldats.
La peſte augmente ſes ravages ; nous avions été
plus tranquilles fur ce cruel fléan pendant deux ou
trois mois , au moins les accidens en étoient rares ;
inais les chaleurs nous l'ont rendu avec plus de
force. Tels font les effets de cette cruelle maladie ,
il y a huit jours qu'on n'en parloit preſque pas ,
&aujourd'hui quantitéde monde en est la victime.
La Capitale , les Villages d'alentour , Smyrne,
Scio, les Ifles même de la mer de Marmora en
(1 )
- font infectées.
On croit que deux frégates Ef
pagnoles qui ont paſſé l'hiver ici , & parties il
y a un mois , avoient la peſte à bord, & que for
cées demouiller pendant plufieurs jours aux Iſles
de la mer de Marmora , elles l'ont communiquée
aux habitans. Nous allons donc redoubler de pré
caution pour nous mettre à l'abri de ce terrible
fléau.
ITALIE.
De Rome , le 25 Mai.
Ons'tretint ici , la ſemaine dernière ,
d'une découverte fingulière , qui a occupé
l'attention du Gouvernement : voici le
fait , tel du moins qu'on le tend dans le
public.
Un Grifon d'origine , Cribleur de bled , ayant
perdu ſon épouſe depuis 17 ans , il lui en étoit
refté une fille âgée de deux ans. A la mort de la
mère , il ſe retira dans une petite maiſon , au dernier
étage , où il renferm cette innocente dans un
galetas , ne laiſſant à ſa demeure qu'une ſeule
petite fenêtre , par où il donnoit la nourriture à
Yenfant , fans jamais lui parler , & fans lui donner
aucune instruction : elle a paffé p'us de dix ans
dans cet état. Cer homme étant tombé malade ,
on le porta à l'Hôpital du Saint-Eſprit , deux
jours après il appela un domestique , & le pria
de porter à manger à ſa fille , en lut indiquant
l'end oit où elle étoit renfermée. Le domeſtique
s'y rendit avec des vivres ; ayant cherché
par toute la maifon , il arriva devant la petite
fenêtre , & fe mità appeler pour fav ir fi l'enfant
n'étoit point dans cere loge. En effet , il vit
:
(112)
:
:
avancer une figure fauvage , avec une chemiſe
fale& en lambeaux , ayant les cheveux épars &
hériſſés , les ongles des mains & des pieds trèslongs.
Lorſqu'elle vit cet homme, elle ſe mit
à hurler & miauler comme un chat fauvage ,
à courir , & à frapper la muraille. Le domeftique
ſtupéfait , jeta le manger dans ce réduit
& fe ſe retira : il ſe rendit tout de ſuite chez le
Curé de la Paroiſſe , qui , accompagné de quelques
perſonnes , ſe tranſporta à cette maiſon, fit
ouvrir la porte clouée de la manſarde, prit cette
fille , privée de la parole , & qui n'avoit de
l'humanité que la forme. L'ayant fait nettoyer
&habiller, il l'a miſe ſous la tutelle d'une honnête
Dame, où , par ordre du gouvernement, ontâche
de l'inftruire&dela faire parler , s'il eſt poſſible.
Sonpère est mort peu de jours après à l'hôpital .
La foule des curieux qui vont voir cette petite
ſauvage eſt ſi grande , que le gouvernement a été
obligé de faire mettre un garde à la porte de la
maiſon qu'elle habite.
GRANDE - BRETAGNE.
De Londres , le 10 Juin.
Suivant les lettres de Gosport , l'Amiral
Levefon Gower a mis à la voile le 8 , avec
fon Eſcadre de fix vaiſſeaux de ligne. Les
uns l'envoient dans la Manche , les autres
dans la mer du Nord : ſa deſtination re
ſera pas long-temps un problême.
Le Mercure de 28 canons , que l'on
équipe actuellement à Woolwich , doit
être avitaillé & approviſionné pour fix
( 113 )
mois ; on prétend qu'on y embarquera
des munitions , d'où l'on induit que ce
vaiſſeau eſt deſtiné pour l'Inde.
Le Prince, de 90 canons, fera lancé le 20
à Woolwich , & on fait à cet effet les préparatifs
néceſſaires . L'Euridice,de 24 can .
eft forti les du mois du même chantier ,
et on l'équipe en toute diligence pour le
dehors .
Le Bureau de l'Amirauté a envoyé des
ordres à tous les Capitaines de vaiſſeaux ,
qui ont obtenu la permiſſion de s'abſenter ,
&qui ſont portés ſur la liſte de la demipaye,
de ſe rendre à ce bureau auſſi-tôt
qu'ils feront arrivés en Angleterre .-Le
Bureau de la guerre a reçu ordre dedreſſer
pour le premier août , un état de tous les
Régimens de milice .
Le mercredi 4 de ce mois , Milord
Mansfield a réſigné la place de Chef de
Juſtice duBanc du Roi, que S. S. oecupoit
depuis 32 ans , avec une immortelle réputation
: nul Magiſtrat n'a réuni plus de
lumières , de talens&de vertus . Il eſt remplacé
dans cette charge éminente par le
Chevalier Lloyd Kenyon , Maître des
Rôles de la Chancellerie , & que le Roi
elève à la Pairie , ſous le titre de Lord
Kenyon , Baron de Gredington , dans le
pays de Galles , dont il eſt originaire.
M. PepperArden , Procureur-général , lui
(114)
:
fuccède à la Chancellerie; M. Macdonald
devient Procureur-général , & M. Scott ,
Solliciteur- général , doit avoir la place de
cedernier.
M. Sheridan a commencé la ſemaine
dernière la ſeconde repréſentation de fon
Drame fur les Princeſſes d'Oude , Drame
en trois actes , de QUATRE HEURES ET
DEMIE chacun ; le dernier ne doit être
joué que demain 11 , afin de laiffer une
trève à l'extatique admiration des auditeurs.
Ce poëme brillant , accompagné
de toutes les illufions théâtrales , étoit
ſur l'affiche des Trompettes périodiques ,
depuis deux mois ; la Reine , lifoit- on
dans les annonces , perdoit le ſommeil
d'impatience ; le Roi ne vivroit pas fi la
reſſource de l'incognito ne lui ouvroit
une porte ſecrette de la falle;les femmes
dubebellaaiirr perdoientl'appétit&négligeoient
leur toilette ; enfin, ce ſpectacle prochain
avoit acquis un fi grand relief, que les
bil'ets d'entrée ſe ſont vendus , dit- on ,
dix , vingt , trente guinées. L'Acteur fa
meux , objet d'un concours fi watteur ,
n'a point trompé l'attente publique l'a
joué fon rôle avec toute la perfettion d'un
Chef de parti , &d'un Orateuring met x
:
Tour- à-tour il a déployé avec habeté
les reffources de l'art &celles de artifice,
les farcafmes & les raifonnemens , les dé(
115 )
A
guiſemens adroits & les exagérations emphatiques
, le vrai & le faux , l'Evangile&
le Couran'n. Par-tout il a montré infiniment
d'eſprit , & l'aſſurance qui convient
àun Accuſateur public; ſouvent un talent
ſupérieur , & une imagination pétillante ;
quelquefois du génie ,& le meilleur ton
poſſible d'éloquence populaire. On n'attend
pas de nous que nous rendions
dans ce Journal un discours beaucoup
plus long que les Catilinaires de Cicéron ;
nous ſommes réduits à traveſtir M. Shé
ridan fous les lambeaux des Editeurs périodiques
dévoués à ſon parti ; ces interprêtes
ſont ſûrement bien foibles : auffi
avons nous joint quelques notes aux fragmens
de ces Editeurs , afin d'éclaircir
les paſſages dont la lumière ne nous a
pas paru affez frappante .
« Ona inſinué , dit M. Sheridan , que les Membres
du Comité ſont mus par des animoſités
perſonnelles contre l'infortuné prisonnier préſent
à la barre. Je ne puis laiſſer paſſer fans obferva
tions , une imputation ſi grave , quoique ceux
qui l'ont répandue ne l'aient fait que d'une man ère,
fivague, fi oblique , que les précautions même qu'ils
ontpriſes ontprouvé qu'ils en connoiſſoient la fauf
ſeré. Qu'il me foit permis de répéter devant vous ,
Meſſieurs , que jamais pourſuite plus déſintéreſſée
dans ſes motifs & ſes fins , plus exempte d'ani
mofités ou de vues particulières , plus ouverte ,
plus purement animée par l'eſprit de juſtice , fans
aucun mêlange de paſſions humaines , n'a été faite
( 116 )
dans aucun pays , à aucune époque , par aucun
corps , contre aucun individu. Et quelle malveil.
lance , quelle haine peuvent avoir les Membresdu
Comité contre l'accuſé ? quel intérêt perfonnel
ont-ils à le convaincre ? quel avantage particulier
peuvent-ils trouver dans ſa ruine? Quant à moi ,
(ici M. Sheridan porta la main à fon coeur ) je
fais le ferment folennel que j'ai banni de mon ame
tout ſentiment de haine , d'animoſité ou d'acharnement;
& en parlant pour moi-même, je penſe,
je crois fermement pouvoir répondre également
desdiſpoſitions intérieures de ceux avec qui je me
fuis lié. Je déclare donc qu'en vous préſentant le
tableaude ſes crimes ,je cherche à en ſéparer dans
moneſprit laperſonne duPrifonnier ; en le pourſuivant
juſqu'à la conviction , je ne ſuis animé que
parladéteftationſincère de ſes forfaits ,&la vive
efpérance d'y remédier pour l'avenir (1).
(1 ) Le ton compatiſſant que prend ici l'Orateur ,
fait un contraſte bien fingulier avec celui que M.
M. Sheridan & ſes Aſſociésont conſervé juſqu'ici. Ce
n'eſt plus ce torrent d'exécrations et d'invectives qui ont
enrichi le dictionnaire de la langue Angloiſe , c'eſt l'infortunéprifonnier
, &c. Si ce premier langage , où l'an
nedécouvroit aucun mélange des paffions humaines , a
perdu de fon patriotique emportement, la raifon en eft
claire comme le jour. Bien loin qu'on ait reproché aux
Accuſateurs leur animofité d'une manière vague & oblique,
on l'a fait ouvertement , unanimement , dans les deux
Chambres, dans la Salle de Westminster , dans les Gazettes
, dans pluſieurs Ecrits très-répandus , notamment
dans le Review of the principal Charges against W.
Haftings, contre lequel les Accuſateurs n'ont trouvé de
refſource qu'en le faiſant profcrire par les Communes ,
au nom de la liberté de la presse. Ces précautions , dont
Public, indigné, en particulier, de la ſcènejouée parM.
l'Orateur, ne font autre chose que lecrigénéral du
parti , & aux viſs regrets de M. Fox.
Adam devant la Cour des Pairs , à la honte de fon
( 117 )
«Vos Seigneuries voudront bien auffi fe rapa
peler& diftinguer la différence eſſentielle qu'il y
a entre l'impéachement pour délits capitaux, &
celui qui attaque des crimes d'Etat & des malverſations
énormes.Dans un impéachment du premier
genre , où la conviction de l'accuſé peut
expoſer ſa vie , ſans doute ily aura pour la haine
perſonnelleun intérêt , &un plaifir revoltans pour
des coeurs humains & ſenſibles à noircir & à
envenimer les faits. En pareil cas , quelque indignationquepuiſſent
exciter dans l'amedes Juges, ſes
actions vraiment criminelles , il s'y éveille en
même-temps une ſenſibilité qui protège l'accuſé
contre l'influencedes animoſités perſonnelles. Mais
quand on ne peut découvrir aucunes traces
de cette malignité ; quand on n'a pas foif de
fang; quand on follicite une juſtice plutôt, exemplaire
que ſanglante ; quand un impeachment attaque
de grands crimes & des malverſations
énormes , certes alors on ne doit point, imputer
aux accufateurs une malignité odieuſe , ſi , pour
répandre du jour ſur les crimes allégués , ils rap
pellent toutes les circonſtances qui peuvent fortifier
leurs allégations.- Et pourquoi ne le doit - on
pas? Parce que la fin qu'ils ſe propoſent ne révolte
•pas l'humanité ; parce que dans un cas tel , par
exemple , que celui-ci, tout ce àquoi ils tendent
enconvainquant le Priſonnier , c'eſt de le faire exclure
pour un temps de la ſociété de ſes concitoyens
, dont il a terni le nom par ſes crimes ,&
de lui faire reftituer une partiedesdépouilles que
ſa rapacité a accumulées (2) . »
(2) Cette fubtile diſtinction de l'Orateur n'est pas facile
à faifir. Quoi ! on devra de la pitié à un parricide , & on
n'en devra pas à un Gouverneur qui auroit été réduit à
des violences pour ſervir ſa Patrie ? Quoi ! plus les crimes
ſont énormes , plus auſſi ils font vraisemblables , &moins
( 120)
4
:
réclamions le châtiment ſans que ledélit ſoit conftaté.
Lagloire des Tribunaux Anglois eft de ne
jamais s'abaiſſer lâchement à facrifier la vie , ou
même la liberté d'un citoyen à des conſidérations
purementpolitiques.-Que nul homme ne puifle
être puni fans être convaincu ; & que cette conviction
n'existe pas ſeulement dans les coeurs des
Juges , où elle pourroit être produite par différens
moyens , mais qu'elle foit établie à la face du public,
par des preuves , & par une chaîne de te
moignages clairs , manifeſtes, légaux; de forteque
rien d'obſcur, rien d'oblique , rien d'infidieux ne
puiſſe influer au détriment d'un citoyen. Cette
providence preſque divine exiſte réellementdans
Ja législation de mon pays; je tui paye unjufte
hommage, &c'eſt à ces titres que jefuis fier d'être
Anglois:auflii rougirois -je d'appeler le châtiment
ſurlatête de l'accuſé préſent à la barre, ſije n'étois
en état de rendre ſes crimes auffi évidens que
les conféquences en font affreuſes. "
«Peut-être me demandera-t- on ſi enpréſentant
cet inførtuné àvotre Tribunal , quelques-unes des
perſonnes diftinguées qui ont été les victimes
deſesforfaits, font venues offrir leurs témoignages
contre lui mêlés avec leurs exécrations ? ....Non.!..
-Ces victimes fontdes hommes que leurs moeurs
&leurs préjugés ſéqueſtrent du reſte du monde,
&à qui d'ailleurs , quand leurs infirmités le leur
permettroient,, leur religiondéfendroitde paroître
devantvous(4). Maisdu moins , poursuivra-t- on ,
ya-t-il des témoins fans préjugés , ſpectateurs
(4) Qui empêche ces victimes de remettre leurs plaintes
&leurs requêtes au Gouverneur - général , ou de les
envoyer au Parlement ? Après le retour de M. Duplex
en France , ne reçut-on pas les réclamations des
Indiens , Gentoux ou Musulmans qui ſe plaignoient de
lui? Qui empêche la Begum de réclamer les tréfors dont
on la dit injuſtement dépouillée !
de
5
(
121
)
3
5133
22
de ces crimes odieux que le ſimple amour de la
vérité& de la juſtice amène dans ſon temple pour
ydépoſer un récit fidèle de ce qui s'eſt paſſe ſous
leurs yeux & les a revoltés ? .... Non ! .... les
témoins oculaires étoient tous ses complices dans le
crime (5). C'étoient des émiſſaires & des agens
employés & enveloppés dans ſes trames ténébreuſes.
Mais avez-vous des documens authentiques
, des témoignages par écrit , des relations
exactes & entières de ſes crimes ? .... Non ! ... les
ſeuls papiers que nous ayons , ont été écrits par
la partieadverſe elle- même , ou par ſes employés.
Prétendez-vous par-là ſolliciter notre indulgence
pour la foibleſſe de vos preuves ? Non! ...
malgré ces défavantages , ces obſtacles , je me
promets , je fuis für de darder l'éclair de la conviction
dans vos coeurs auffi fortement qu'on l'ait
jamais fait , car nul corps de preuves ne s'eſt jamais
préſenté avec autant d'évidence ; &cette évidence
, il l'emprunte de traits particuliers &caractériſtiques
(6).
....
« Le premier article d'évidence que je vous préfenterai
, &qui , je crois , vous frappera , c'eſt la
défenſe remiſe à la barre de laChambre des Communes.
Je fais que le Priſonnier s'eſt efforcé d'affoiblir
lui-même ſa propre apologie. Vos Seigneuries
ont eu un gage de ſa véracité antérieure
dans la fauſſeté reconnue de ſa conduite préſente.
J'avoue que de tous ſes procédés c'eſt celui qui
(5) Quelle latitude ! tous les Anglois exiſtans dars
l'Inde avec M. Hastings , inſtrumens de les forfaits !
(6) Sans témoignages , fans plaintes , fans preuves
écrites , faire darder l'éclair de l'évidence de traits particuliers
, dans une cauſe où il s'agit de la vie & de l'honneur
d'un Citoyen; de la vie & de l'honneur de tous les
Agens du Gouvernement Britannique à l'avenir !
No. 25. 21 Juin 1788 .
f
:
( 122 )
-
m'a le plus furpris. Je ſuis étonné qu'ayant le
bonheur de poſſeder un Confei tel que celui qu'il
a, que n'étant plus abandonné à fon propre
eſprit de vertige , il ait pu croire fage ou décent de
montrer fon mépris pour une des Chambres
duParlement,en confeſſant qu'il en avoit impoſe
à l'autre. Mais nous apprenons par le témoignage
du Major Scott , que l'accufé a mis famémoire en
commiffion. -Qu'il avoit établi une manufacture
dans laquelle un de ſes amis fourniſſoit la
matière brute,tandis qu'un autre filoit la trame à l'aide
d'untroiſièmeaffis au métier,&qu'ainſi lanavetie
alloit & revenoit avec toute la célérité dont l'art
peut aider le travail. Cet arrangement étoit en
effet affez adroit. Chacun avoit fon département.
- M. Scott étoit fon chefd'atelier ; Shore ,
fon intendant des finances ; Halhed , fon interprête
des loix Indous ou Muſulmanes.-Mais
Middleton ! Oh , Middleton , il luiavoit contié
fon humanité , ſa ſenſibilité : la befogne de ces
journaliers s'eſt trouvée ne rien valoir. Il a comparu
à la barre de Vos Seigneuries , & fa feule
appréhenſion alors a été de paroître ce pourquoi
il s'étoit donné. Il ſembloit s'écrier : « Je ne
m'inquiette pas de ce que les Membres du Comité
font ou difent; quelques-uns ont de l'animoſité ,
d'autres de l'amertume dans leurs difcours. Ce
n'eſt pas cequeje redoute; fauvez-moi ſeulement
du péril de mes propres panégyriftes. Arrachezmoi
des bras de mes propres amis. Ne croyez
pas un mot de ce que j'ai dit auparavant. Je ne
veuxplus me foumettre à être examiné, commej'en
aiporté imprudemment ledéfi , ſur le récit que j'ai
donné moi-même de mes tranſactions. » Il a ſemblé
tenir ce langage ,&par cela , il a paru que la vérité
lui coûtoit du travail&des recherches , tandis que
la faufferé chez lui couloit de ſource. On a dit
1
( 123 )
:
quela vérité étoit cachée dans un puits ,&exigeoit
dutemps & de la peine pour l'en tirer , tandis que
l'erreur , furnageant, ſe trouvoit toujours fous la
main (7). "
: a M. Shétidan s'attacha enſuite à peindre les
Begums & leurs moeurs , ce qu'il fit ainſi en peu
de mots , mais avec beaucoup de talent. >>
« Nous n'avons rien en Europe qui puiſſe nous
donner une idée des moeurs de l'Orient. Les Mahométans
n'ont que quelques traits de ce caractère ,
tandis que les Indiens ont tiré des Perſes , leurs ancêtres
, unſtyleplusépuréde préjugés, & uneſupertition
d'un genre plus majestueux (8) Rien de
groſſierdans leurgoût , riende bas ni d'aviliſſant
dans leurs plaiſirs. La clóture des femmes dans
le Zénana ne vient pas d'une mépriſable jalouſie
de la part des hommes , mais d'un excèsde délicateſſe
dans le coeur des femmes , d'une fortede
jalouſie noble , particulière au ſexe en ce pays , qui
le fait ſe dérober à la vue,, d'après cette chafte
idée qu'être contemplée & admirée publiquement ,
devient pour une femme une eſpèce de proſtitu-
(7) Il eſt ſuperflu de faire remarquer l'inconvenancede ce
perfiflage dans une cauſe de cette gravité. Que le Lecteur
ſe rappelle ſeulement que la Chambre des Communesdonna
5 jours àM. Hastings (du 26 avril au ler. mai 1786 ) ,
pour préparer cette défenſe ſur 22 charges volumineufement
compliquées , entortillées avec artifice , & furchargées
d'accufations incidentelles. Et ce ſont les Accufateurs
mêmes qui oſent aujourd'hui lui reprocher d'avoir
employé pluſieurs mains à cette défenſe abrégée & fuccincte,
de 90 pages in- folio ! En cinq jours , rendre compte
de trente années de vie publique , dans les différens poftes ,
ou à la tête d'une Adminiſtration générale d'un Empire
plus grand que la France !
(8) L'Editeur Anglois de ce diſcours prête ici ſon ignorance
à M. Sheridan ; les Mahométans de l'Inde & de la
Perſe ne diffè ent , par leurs lois & leurs coutumes , en
aucune anière des Mahométans de Contantinople .
fij
( 124 )
tion. Le rigoriſme des moeurs les aplacées dans
cette retraite pour y recevoir un culte comme
des faints , deſquels n'approche aucune paſſion qui
n'ait été épurée & annoblie par l'empire d'une
fuperftition conſacrée (9 ). "
<<Après avoir peint les moeurs de l'Orient , en
tant qu'elles regardent le reſpect religieux qu'on ya
pour le fexe , l'adroitorateur eſſaya d'en montrer
l'héroïfmedans le caractère de la Princeſſe Douaivière
, qui , par un acte de magnanimité peu commune
,ſauvaà la bataille de Buxar, Sujah Dowlah
desderniers coups de la fortune ,& adoucit par-là
fes moeurs féroces pour le reſte de ſavie.- Qui
ſauva auſſi ſon fils dela mort, au plus granddanger
de ſa propre perſonne ?- Qui donna à ce fils
un trône , & qui avoit droit , en conféquence , fi
jamais les obligations d'un filsenvers ſa mèrefont
fufceptibles de s'accroître , à exiger dela part du
ſienplus qu'un reſpect ordinaire ? Eh bien , cette
mère qui lui avoit donné deux fois la vie ,
qui y avo avoit ajouté un trône ; cette même mère
a été pillée & ruinée par ce même fils à l'infti
gationde l'homme entre les bras duquel fon époux
mourant l'avoit remife.-Cet homme que vous
voyez à la barre, a foulevé ce fils contre cette
mère ; & pourtant le fils a fon excufe.-
a dit au milieu de ſes tortures: Ce font lesAnglois
qui m'ont entraîné à cet excès d'horreur; -ils
m'ont réduit, ils m'ont forcé à être l'inſtrument
de leur rapacité ; - ils ont fait de moi un eſclave
pour en faire un monſtre (10). "
l'Orient.
( 9 ) Roman tout pur. Interrogez ceux qui ont vifité
(10) Autre ſcène dramatique. La Begum avoit eneffet
livré à Sujah-Dowlah fes bijoux , pour fubvenir à la
détrefle, lorſqu'il
orſqu'il fut accablé par les Anglois. LeNabab
II
(125 )
" Le Commiſſaire accuſateur paſſa enſuite à
l'examen détaillé de la dépoſition , en commençant
par la négociation de M. Bristow ; la garantie
&le traité folennel conclu alors , par le quels le
tréſor des Begums devoit leur être aſſuré au moyen
du paiement d'une ſomme de 560,000 liv. quelque
pût être d'ailleurs ledroit originel de l'Etat ce
tréſor. Il établit les tranſactions ſubſéquentes dans
leurordre , faiſant des obſervations fur chacune , &
en particulier ſur les déclarations extraordinaires
de M. Haftings contre M. Bristow , où il l'accuſe
de ne pas avoir completté la ruine des Begums ,
comme ſi l'excès de la rapine en effaceroit l'injuſtice!
Il en fit auſſi ſur cette déclaration encore
plus curieuſe , cùil annonce qu'étant réduit dans
le Confeil à une minorité ſans effet , ilne ſe croit
refponfable d'aucuns des actes qui en émanent ,
foit qu'il s'y foit oppofé , foit qu'il y ait confenti.
»
L'Orateur paſſe enſuite à la garantie des tréſors
des Begums, aſſuré par le conſeil de Calcurta, dont
les actes , contraires à ſes avis , avoit ditM. Haftings,
n'emportoient contre lui aucune reſponſabilité.
Ici M. Sheridan introduifit une digreffion
fur la nature des majorités dans les Conſeils.«Suppoſez
, dit-il , que dans huit ou neuf ans l'honoprit
dès lors une telle confiance en cette femme , qu'il
lui rémit la garde des tréſors qu'il amaſſa depuis : tréfors
de l'Etat, &nullementde laBegum. Elle étoit d'une fordide
avarice; gouvernée par ſes Eunuques , jamais elle ne
voulut reſtituer à fon fils ce dépôt : elle le laiſſa languir
dans les expédiens les plus miférables ; elle lui fit les plus
affreaſes menaces , s'il tentoit de reprendre ſes tréſors :
ſa vie fut en danger , il faillit perdre le trône , &c. On
verra dans peu des éclairciſſemens décififs , donnés fur
cette Cour de Sujah-Dowlah , par M. de Gentil , qui jouit
long-temps de toute la confiance de ce Viſir de l'Empire.
>
fij
( 126)
rable M. Burle , aujourd'hui membre du Comité,
parlant de M. Haflings , vint à ſeplaindre de la
sévérité avec laquelle il auroit été traité , & le
vantât comme un caractère reſpectable , bien mé
ritant , & de la plusgrande élévation; & fuppofons
que le dialogue ſuivant s'établit entre lui & un
autre membre du Parlement qui feroit étonnéde
l'entendre parler ainfi : "Quoi, Monfieur, vous qui
avez raſſemblé des chefs d'accuration contre cet
homme , qui êtes parvenu à faire porter contrelui
un décret d'impeachment, & à me convaincrede
fes délits , eft- ce bien vous qui en parlez maintenant
fur ce ton ?» Et queM. Burke lui répondit:
« Oh , Monfieur , tout cela s'eſt paſlé dans la
Chambredes Communes,où je n'étois qu'un membre
d'une minorité fans force , &par conféquent
je ne ſuis reſponſable d'aucunes des démarches ,
foit de celles quej'ai blâmées, ſoit des autresauxquellesj'ai
donné mon conſenterment. » Quelle opinion
lepublicfeformeroit-il du caractère deM. Bur
ke, s'il était poffible qu'il oubliât jamais la vérité,
T'honneur& fa confidération perſonnelle au point
detenir un jour ce langage inſenſé ? C'eſt pour
tant ainſi qu'en a agi M. Hastings , en difant qu'il
ne ſe regardoit pas comme reſponſable des me
fures auxquelles il avoit ſouſcrit durant les feuls
jours de calme qu'ait vus l'Inde , c'est-à- dire, pondant
que leGénéral Clavering, le Colone! Monfon
& M. Francis s'oppoſoient à lui dans le confeil
(11) .
cn
(a) Voilà un fingulier parallèl fi M. Burke venoit à
changer de langage fur le compte de l'Accufé , comun
l'ont fait quelques autres Membres du Comité, ilne pour
roit juftifier fon inconféquence oula mauvaiſe foi, par l'argument
que lui prête l'Orateur , puiſque lui-même a en
tamé , pourfuivi & détendu l'impeachment. M. Haftongs,
au contraire , s'étoit oppoſé auxactes de fon Cot
( 127 )
Enjuillet 1781 , M. Hastings partit pourOude...
Le Général Clavering & le Colonel Moufon n'étoient
plus . Alors , comme s'il eût eu dans ſon coeur
un principal & des arrérages de ma'faisance accus
mulés &retenus depuis long -temps , il les épancha
, & fe montra tout entier. Le premier acte .
par lequel il ſe ſignala , fut d'accepter un préſent
confiderable deſtiné à le corrompre. Il facrifia &
vendit honteusement pour 100,000 liv. fterlings , certains
intérêts de ſes maîtres, la Compagniedes Indes.
Pour prouver que ce préſent avoit tous les caractères
de la corruption., M. Sheridan infiſte ſur ce
qu'on en avoit fait mystère , & qu'il avoit été extorqué
d'un homme dont les finances se trouvoient
dans un état déplorable , & le pays ſévèrement affligé
par la Providence. Cet homme, dontles états
avoient été viſités par la famine , l'année précédente
, c'eſt précisément lui qu'il choiſit pour le
viſiter , la ſuivante, par la rapine.-Et le mystère
gardé pendant plus d'un an , quoique dans fa narration
, où il a invoqué le dieu de vérité , l'açcuſé
ait reconnu un astre petit préſent , & le
-plus important , il le reconnoît à la fin feulement
parce qu'il est trop grand pour le cacher. Toute cette
affaire eft accompagnée de particularités vraiment.
curieuſes . Il va d'abord à Luknow, &y prend du
pauvre Nabab 100.000 liv., deſtinées à rétablir les
affaine Gélabrées de la Compagnie ;-& pourtant il
les garde, il les cache,-Quand il voit enfin que
c'e une ſomme trop conſidérable pour la cateil
, dont il demande très -juſtement de n'être pas refonſable.
D'ailleurs , il a toujours regardé &déclaré regarder
la garantie comme obligatoire pour lui , quoiqu'il
fût oppofé à ſa conceffion. Le Gouverneur-général devoit
obéir à la majorité , & il l'a fait; mais peut-on lui
•mputer, avecune ombrede juſtice,les réſolutionsde cette
Lajorité, priſes contre fon fuffrage ?
fiv
( 130 )
Dans l'entrevue du Nabab & de M. Haftingsà
Chunar, le Nabab lui fit une propofition en ces
mots : « Ecartez vos Anglois de mon pays; ils
en font le malheur & ruinent mes affaires. Abandonnez-
m'en toutle ſoin ; elles feront bientôt réta
blies. »M. Hastingslepromit , bien plus, il donna
des raiſons folides de fa complaifance, enpallat
toutefois ſous filencel'excellente raiſon que lui four
niſſoit le Nabab. Mais croyez-vous qu'il lui ait
tenu parole ? Non , MM.; ceux qui le connoiflent
à fond ſaventtrop bien qu'accepter ure fomme
n'eſt pointdu tout chez lui un gagequ'il remplira
ſa promeffe , dont on lui paiel'exécution. On a
demandé à M. Middleton , ſi l'ordre d'écarter les
Anglois avoit été rempli. Il a refuſé de répondre
à cettequeſtion comme tendante à l'inculper; mais
quand il a été décidé qu'il répondroit , laterreur
s'eft fi complettement emparé de lui, qu'elle l'a
privé de toute fa mémoire. Il a pourtant cruſe
oubliéque , pour avoir fait fervir à l'uſage de fa garniſon, dans la détreffe, les débris de quelques baraquesde bois à Gibraltar , le Général Elliot a été indignement vili- pendé devant les Tribunaux , & condamné à payer40 mille 1. ft. ?A-t-on oublié que Milord Rodney vientd'être auffi condamné à reſtituer les priſes de S. Euftache, non pas auxHollandois , qui étoient en droit de les réclamer , mais aux Trafiquans Anglois , traitres à leur Patrie, qui avoient formé à S. Eustache des dépôts de munitions à l'uſage des Infurgens ? A-t-on oublié que le Capteuravoit ordreduGouvernement de ſe ſaifir des magafins, & que P'Amiral triomphant n'en a pas moins fubi les avanies d'un procès humiliant qu'il a perdu ? Il n'y a jamais de loi de néceſſité pour les paiſibles diſcoureurs parlemen- taires qui ſe divertiſſent à fairebriller leur eſprit à Lon- dres, pendantque leurs Généraux leur gagnent desvic- toires , au rifque de leur honneur &de leur vie,& aux- à leur retour , pardespériodes cicé- oniennes , qu'ils font coupables de lèze patrie pour avoir
quels on
auvé l'Etat.
prouve,
( 131)
1
1
:
rappeler qu'il n'en avoit jamais reçu l'ordre politif
de la part de M. Hastings. Mais M. Hastings
avoit-il beſoin de donner au dévoué Middleton une
réponſe poſitive, lorſqu'il s'agiſſoit de ſon ſervice ?
Un figne fuffiſoit , un coup-d'oeil étoit affez .Middleton,
atentifaux mouvemens de ce ſourcil , dont
lefroncement faisoit pâlir les princes , l'auroit prévenu
, et ſe ſeroit empreſſé d'exécuter les ordres
qu'il avoit intention de donner. Le fait eſt que
quand il ſe rendit à Calcutta , il n'avoit plus que
deux reſſources , Oude ou Benarès , & cela d'après
fon propre aveu.-Celle de Bénarès lui manqua ,
&ayant à fatis faire les injuftès déſirs d'une ame
baſſe, il défola le pays qu'il n'avoit pu piller ,
coupant & détruiſant par-tout les canaux qui
auroient ramené la proſpérité (14). Il tourna enfuite
ſes yeux vers Oude , & c'eſt probablement
là qu'il conçut la première idée de cette mémorablerébellion,
fi bien imaginée. Je toucherai quelque
choſe de la conduite de fir Elijah Impey dans cette
affaire ; mais comme je le fais dans un lieu où il
ne peut répondre , ce fera avec toute la déférence
due à ſes réclamations . Je ſuis bien éloigné de
vouloir rien dire de dur contre l'auguſte caractère
dont étoit revêtu cet homme , choisi pour porter
& adminiſtrer à l'Inde les bienfaits de la Juriſprudence
Britannique. Je ne veux ni jeter des doutes
fur la foibleſſe de ſa mémoire , ni réfuter la doctrine
qu'il a avancée , particulièrement celle-ci , que
ce qu'il étoit vraiſemblable qu'il devoit faire , il
convenoit l'avoir fait. - Mais en lui accordant
-
(14) Paystellement désolé, qu'il arendu depuis,&rend
44lacksde revenu annuel à la Compagnie ; & que Milord
Cornwallis déclare , vu le bon état de lacontrée , qu'il est
⚫ afſuré de la permanence de ce ſubſide . Voyez le dernier
Budget de l'Inde, fourni par les Miniſtres au Parlement.
fvj
( 132 )
cela, on me permettra à mon tour d'avoir quadques
foupçons qu'il n'ait pas fait ce qu'il étoit
vraiſemblable qu'il devoit avoir fait, & je fuis fur
de raiſonner juſte. Par exemple , il n'étoit pas
vraiſemblable qu'il ſe fût propoſé d'aller råder
autour de Fizabad, place très-éloignéedefa route,
au moment même où l'on difoit que la rébellion
ydéployoit toute fa rage ;-car fi la choſe avoit
été airfi , & qu'il n'eût pas trouvéde prudensamis
pour l'en empêcher , ce chef de juftice , étourdi
commeunpapillon, ſe ſeroit infailliblement allé
brûler au feu de la révolte.
Après avoir badiné quelque temps fur cet article
, M. Sheridan paſſa à la partie de la dépofition
de fir Elijah, où il accufoit l'Orateur de lui
fairedesqueſtions horsdu ſujet , ſeulementà caufe
qu'en lui demandant s'il s'étoit ſervi d'un interprète,
il fe trouvoit qu'il avoit en ce momentun
livre entre les mains. Remarquez , je vous prie,
dit M. Sheridan , que fir Elijah n'avoit point lu
les affidavits ; à la fin pourtant, ileft convenu au
bout de quelques queſtions qu'il en avoit lu le
commencement & la fin; mais iln'avoit pas vu
une ſyllabe du milieu d'aucun de ces affidavits;
ou , & par hafard il y avoit regardé , il avoit
coupé toute communication entre fon efprit &
ſes yeux, de manière que le premier n'avoit pu
tirer aucun fecours des renfeignemens fournis
par lesderniers. Cependant, après avoir fait cette
déclaration, commen'étant pas obligé de les lire...
après avoirnégligé de le faire pendant ſept ans....
il vient nous dire ladernière fois qu'il les a tous
lus .... & telle eft la perverſité de fa mémoire
ainfi rafraîchie , qu'il fait moins cequ'ils contiennent
qu'auparavant. Quant à la forme dans la
quelle ces affidavits ont été pris , fi l'on a apporté
de l'eau du Gange devant les Mufulmans ; a ce
( 133 )
d
1
,
la vérité
qui n'étoit employé que pour imprimer
qu'à leur imprimer un
redoublement de dévotion àla religion locale ,-
il n'en fait rien ;-il ſuppoſe ſimplement qu'après
avoir préſenté la Bible aux Blancs , & le Koran
aux Noirs , on leur a fait prêter ſcrment à tous
enſemble , pêle-mêle , & fans plus de cérémonie.
Dans le fait le pauvre Middleton n'en favoit pas
davantage ſur la forme& la valeur de ces affidavits;
car quand on lui a demandé s'il croyoit que
des affidavits fuſſent le meilleur moyen d'éteindre
une révolte , il a demandé la permiffion de ſe
diſpenſer de répondre, comme n'étant pas mili
taire.
Il n'étoit pas familier avec les différentes fortes
de tactiques , & ne cormoiſſoit rien de l'effet que
des opérations de cette nature avoient eu fur la
dangereuſe révolte des Begums.-Sir Elijah , de
ſon côté , n'étoit pas plus ſavant dans l'art militaire.
Il étoit auffi un pauvre fufilier afſez gauche ;
mais quand il ſe trouvoit dans un feu de peloton ,
il cherchoit comme un autre à tirer au but. (15)
Ces farcaſmes ſervirent de préface à
l'examen des Affidavits, au milieu deſquels
M. Sheridan s'interrompit, en promettant
de démontrer la fauſſeré de la prétendue
révolte des Begums. On verra au Journal
ſuivant , comment il a tenu parole dans
les deux dernières parties de fon plaidoyer,
do it nous rapporterons les paſſages effentiels.
(15) Ces facéties , dans'un examen auffi férieux , paroîtront
peut-être de fort triſtes argumens. Ceux qui veulent
en apprécier la force , n'ont qu'à recourir à l'Evidence
authentique , imprimée à l'uſage des Pairs.
2.20
adurer que le fine Pa ,
ene elleve parece de Rolle.an
grate de Conore Amara de a Face, la
generaline Officiers Angiosas ervice
de ceme Souveraine, Amal Graşta
Seur cine, a remis almirante une dece
ration lignee de nous , culis me fervrolet
more, te avec letic Paul-Jones,
condamné en Angleterre comme pizze,
& Dr Fateaux de Signe le trouvent
Lams Ciciers par cette oppofition, &h
Fiore me peat mense ala vole. Ona
incident earpiowe les promettis &a
intances le cores des Officiers,le 13 ma
peritonitramablement dans la resolution
On crois que imperance le decidera à
Ccorer a Pel-Jones un commanderens
fepare dans la merNoire, ou dansla mer
d'Aloph
Les deux Doffres familles de Beaufort
& de Courtenay s'etant reconces
dimanche damier, les deux amans fagnifi ,
Gore nous avons rapporté levañon , cot
ece maries avecles ceremonies ordinaires.
Le CapitaineTerr eft parti,le4, pour Briel &
Liverpool, où doit infpecter & mefarer les val
feaux qui le trouvent dans nos poris , & qui font
destines an commerce des efciaves. Ce Capirane
eit nommé pour voir mettre à exécution plusieurs
nouveauxreglemens , d'après san defquelsles val
feacx ferent borres as trafoort d'er certain nom
bre d'efclaves , vant leur grandeur. Le Capitaice
: ( 175 )
Teer , avant fon départ , avoit eu une longue conférence
avec M. Pitt à ce ſujet , & à laquelle a
affifté le Chevalier Middleton.
:
Parmi les curiofités du Cabinet du
Dodeur Hunter , ſe trouve un animal
apporté de l'Amérique méridionale , appelé
le Camelus pardus , dont les naturaliſtes
avoient révoqué en doute l'exiſtence .
Sa taille eft d'environ 18 pieds ; il a le
col très-droit & les jambes fort longues ,
& a beaucoup de rapport avec le chameau.
La roideur de ſes articulations l'empêche ,
dit-on , de s'accroupir ; mais la nature eft
toujours mère envers ſes créatures , il ſe
nourrit de feuilles d'arbres, auxquelles ſa
taille lui permet aifément d'atteindre.On
prétend qu'il ne prend de repos qu'en
s'appuyant contre des troncs d'arbres ou
d'autres corps folides .
FRANCE.
:
De Saint- Cloud , le 11 Juin.
M. Cayla de la Garde , élu Supérieurgénéral
de la Congrégation de la Miſion
par l'Aſſemblée générale des Prêtres de
cette Congrégation , tenue à Paris dans
la maiſon de S. Lazare , a eu , en cette
qualité , l'honneur d'être préſenté au Roi ,
le 3 , par l'Archevêque de Sens , principal
Miniſtre d'Etat , & Chef du Conseil Royal
des Finances..
( 138 )
dant ces cinq années ,rien netroublela march : &
la fuitedes opérations qu'elle a ordonnées , l'ordre
ſera rétabli , & le ſouvenir du paffé preſqu'entie
Crement effacé. »
RÉSUMÉ GÉNÉRAL des Etats des Recettes
& des Dépenses , tant ordinaires
qu'extraordinaires , pour 1788.
RECETTES.
LesRecettes ordinaires, fansdéduction
des charges dont elles font
grevées , montent à... 472,415.549
Les Recettes extraordinaires à... 168,130,500
DÉPENSES.
Les charges & dépenſes ordimaires,
affignées ſur les Revenus ,
comprisles 2,280,787 liv. pour
l'excédant des charges ſur le Languedoc.
Les charges && dépenſes extraordinaires
, ci .......
640,546,049
240,420,720
6,656,285
Les Remboursemens , ci ....... 13,629,567
Total...
Les dépenſes ordinaires à payer
260,706.572
par leTréfor royal ............ 286,834,369
Les dépenses extraordinaires . 22,739,300
Les Rembourſemens à termes
fixes& autres . 62,872,800
Total. 372,446,469
Total général ........ 633,153,041
Excédant de Recette pour 1788. 7,393.008
( 139 )
15
DÉTAIL DU DÉFICIT
Pour 1788.
Les dépenfes ordinaires
aſſignées ſur
les revenus...... 240,420,720
Celles du Tréſor
royal........... 286,834,369
527,255,089
Les Recettes ordinaires
........ 472,415,549
Déficit ordinaire . 54,839,540 54,839,540
LesRembourſemens
affignés ſur les Recettes
. 13,629,567
Sur leTréfor royal . 62,872,800
76,502,367 76,502,367
LesDépenfes extraordinaires
aſſignées
fur les Recettes .. 6,656,285
Sur le Tréfor royal . 22,739,300
29,395,585 29,395,585
160,737,492
'
RESULTAT.
Les Recettes extraordinaires monrent
à... ...
2
168,130,500
Le Déficit pour 1788 , ainſi qu'il
eſt ci-deſſus détaillé , monte à .. 160,737,492
ReſteunExcédant de Recette, pour
1788 .. 7,393,008
( 140 )
*Anne- Charlotte Diverot de Marcheville,
veuve d'Antoine , Marquisde Chor
feul-Beaupré , Brigadier des armées du
Roi , Coloneld'un régiment de fon nom,
eſtmorte , en fon château de Sommeville,
le 19mai , âgée de 93 ans.
Louis-Sextius de Jarente de laBruyère,
Commandeur de l'Ordre du S. Efprit ,
Abbé-commendataire de Saint-Vincent- du-
Mans , Evêque d'Orléans , eſt mort , le28
mai, en fon château de Meung-fur-Loire.
Les Numéros fortis au Tirage de la
Loterie Royale de France , le 16de ce
mois , font : 12,86,88,83
PAYS - BAS.
&66.
De Bruxelles , le 13 Juin 1788.
Le Gouvernement a exécuté ſes promeſſes
touchant la nomination aux Abbayes
, dont onze de filles & une d'hommes,
ont été pourvues , il y a dix jours.
Douze Députés des Etats confèreront
avec le Miniftre ſur les autres points à
régler , tels que le Séminaire Général, l'Univerſité
de Louvain , &c.
On apprend, dit la Gazette d'Amſterdam , que
leComte de Saint Priest , Ambaſſadeur de France,
a remis un Mémoire à L. H. P. , par lequel fon
Exellence repréſente : « Qu'il a paru par la com-
>> munication que l'Ambaſſadeur de cette Répu-
» blique a donnée au Roi ſon maître du traité
1
( 141 )
با
» d'alliance conclu dernièrement entre la Répu-
>>blique & le Roi d'Angleterre , que l'article VI
» de ce traité comprend des diſpoſitions contrai-
>> res au traité d'alliance qui ſubſiſte entre la
» France & L. H. P. , principalement celle qui
> donne aux Gouverneurs des établiſſemens Hol-
>> landois aux Indes , le pouvoir de ſe concerter
>> avec lesGouverneurs des Colonies Britanniques ,
» concernant les meſures néceſſaires à prendre pour
» la défenſe mutuelle des poſſeſſions reſpectives
» des deux Puiſſances , au cas que la Grande-Bre-
>>tagne fût attaquée hoftilement par quelque Puif-
>> ſance. Qu'un article de cette nature n'a d'autre
>> but que d'établir les Gouverneurs des établiſſe-
>> mens Hollandois dansles Indes occidentales,juges
>> de lajuſtice de ces attaques hoftiles , dont vrai-
>> ſemblablement ils ne fauroient démêler les rai-
" fons & les motifs. En vertu de ces conſidéra-
» tions , ledit Ambaſſadeur déclare avoir reçu
> ordre du Roi ſon maître , d'inſiſter auprès de
» L. H. P. , à ce que l'article VI du traité avec
>>la Grande-Bretagne ne ſoit pas ratifié , ou de
>> faire en forte (au cas que cela ne puiſſe avoir
>> lieu) que par voie d'alternative , ces mêmes
>> conditions puiſſent devenir le ſujet d'une con-
>>vention plus préciſe entre la Cour de France
» & L. H. P. & un ſupplément de l'alliance qui
> ſubſiſte ſi heureuſement entre la France & cet
>> Etat. >>>
4.)
L'Ambaſſadeur termine fonMémoire endécla
rant : «Qu'il eſt non-feulement autorisé de la
>> part du Roi ſon maître à traiter fur ce ſujet ,
» mais auffi àporter à conſiſtance une telle exten-
>> fion du traité, qui pourra ſervir en même temps
» à augmenter les avantages d'une liaiſon ſi con-
>> forme à l'intérêt des deux Puiſſances, n
L'ordre que M. le Comte de Saint Prieft avoit
4.3 (144)
-
bufte
L'Empereur vient d'inftititer un nouvel Ondre
Militaire C'est une médaille d'argent , avec le
de l'Empereur . Cet Ordre est destiné deftine comm
tine marque d'honneur aux fimples foldats q
ſe ſeront diftingués , & qui n'ont pas les qua
requiſes pour être avancés à quelque grade m
taire. Ils le p"Porreront àla boutonnière , attacher
un ruban bleu. En récompenſe de la bravowe
de la diviſion du premier régiment de garuilen,
quí s'eft tant diftingué à l'affaire de Rohatin,lie
Monarque a ordonné d'augmenter aufli en temps
de paix d'un creutzer la paye de chaque foldan
Sa Majesté a aufli fait diftribuer 1000
divifion de
ducats àla
Samvel Guilais, en récompenfe de la
bonne conduite à l'attaque de la digue deBelcka
nie. Gazeste d'Amfterdam , no . 46. )
N. B. (Nous ne garantiſſons la vérité ni l'exali
tude des Paragraphesci-deſſus).
20
97004
1.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 28 JUIN 1788.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A Mme. DE *** , qui ne vouloit me donner
fon Portrait qu'à condition queje lui
rendrois les Lettres qu'elle m'avoit écrites.
AH! je les lis & relis chaque jour
Ces doux écrits , gages de ton armour.....
Ils font le charme de ma vie.
Ton ame , pleine d'énergie ,
Semble ſe peindre ſous ta main ;
•Il me ſemble que dans mon ſein
J'entends encor la voix de ma Julie.
Oui , ton Portrait , ma douce amie ,
Sans doute comble mon eſpoir :
Maisà d'autres bienfaits ne dois-je plus prétendre ?
Nº. 26. 28 Juin 1788. G
148 MERCURE
CHARADE.
Mon premier tous les ans fait verdir la fougère ;
Et tu reſſens alors certain je ne ſais quoi.
Tu peux voir mon dernier ſur le cou de Glycère :
Souvent wion tout, Lecteur , t'aſſervit à la loi.
( Par M. Duriou . )
NIGME.
Sans enrichir ,je fais un don très -précieux ;
Celui qui me poſsède eſt un mortel heureux ;
J'habite avec la jeuneſiſc
Plus ſouvent qu'avec la vieilleſſe :
L'on ne me voit jamais compagne du remords ;
Je fuis également le ſéjour de la mort.
Dubonheur qui me fuit veux- tu trouver l'image ?
Ne vas pas à la Cour , mais viens voir au village.
(Par Mlle. Leclerc aînée , de Chiers. )
LOGOGRIPHE
UNde tes ferviteurs me donna la naiſſance;
Mais quoique , pourtoujours, réduit à te ſervir ,
Qui , de mon exiſtence ,
Je puis encor m'enorgueillir.
DE FRANCE. 149
!
De tous les animaux ſoumis à l'eſclavage,
Seul il a confervé ſa fierté , ſon courage.
Dans un combat ſanglans , fans crainte du danger,
Ala voix de ſon Maître on le voit s'élancer ;
Souvent au Conquérant il donne la victoire ;
A la chaffe , aux tournois il partage ta gloire ;
Intrépide, fougueux , mais docile à ta main ,
A fa bouillante ardeur il impoſe le frein .
Pour moi, trop jeune ender pour te rendre ſervice,
J'aime à folâtrer dans les prés ,
Etde ma vive ardeur ecoutant le caprice ,
Traverſer la rivière & franchir les foffés .
C'en eſt aſſez , je crois , & je pourrois me taire :
Mais pour un moment t'amufer ,
Dans mes fept piedsje vais te Joigner
Tous les enfans dont je crois être père .
Le premier eft le Roi de tous les animaux ;
Le ſecond , la terreur du Pâtre & des agneaux ;
Un autre, un aliment néceffaire , agréable ;
L'un eſt un vil infecte ; & l'autre, ton ſemblable .
Habite des pays arides , montagneux ,
Non loin de la Norwège & de Scandinavie ;
Enfin l'un'en Egypte & l'autre en Italie ,
Promènent lentement leurs flots majestueux.
(Par M. du ***. )
G3
150 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LA Viede FRÉDÉRIC, BARON DE TRENCK,
écrite par lui-même , & traduite de l'allemand
en françois par M. LE TOUR
NEUR, en 3 Vol. in- 12. Prix , liv,
10 f. pour Paris , 8 liv. 5 f. francs de
portpar la Pofte.
M. LE TOURNEUR commence ainfi.
Cet intereffant & infortuné Vieillard , ce
caractère extraordinaire dont on va lire l'in
croyable hiſtoire , n'a pas besoin que je
l'introduiſe devant le Public.On verra par
ſa Dédicace ſeule, s'il fait s'exprimer ,& l'on
eſt déjà impatient de connoître les détails
de ſa bizare deſtinée. Il eut Frédéric pour
Roi, pour maître , pour ami, à l'âge de dixhuit
ans.
Fragment de la Dédicace que le Baron de
Trenck a faite à Frédéric II.
>>ÇETOuvrage ne devoit paroître augrand
jour qu'après ma mort, lorſque la vérité
hardie auroitpu ſe dévoiler; maisje vis trop
long - temps , & j'ai beſoin du falaire de
mon travail. Il m'eſt plus néceſſaire penCEN
151 DE FRANCE.
Y
f
3.14
dant ma vie , qu'il ne le ſera lorſque je ferai
enſeveli dans le tombeau.... Bonheur , contentement
, rangs & honneurs bien mérités ,
liberté; un mot m'a tout ravi, ſans que j'aye
manqué en rien à mon devoir. Ma forte
conftitution a conſtamment réſiſté à des tour
mens infupportables , & retenu mon ame
libre de reproche , juſqu'à ce jour où je puis
parler, écrire , & me défendre.... Il eſt des
choſes que je ne révélerai point de mon vivant.
Mes héritiers les apprendront quand
je ne ſerai plus...... Peut- être cet Ouvrage
fera-t- il lu avec une eſtime compatiſſante .....
Je n'avois point d'armée pour ſoutenir mon
droit. J'aurois peut être ſu la commander.
Mais pour mendier ma grace , j'étois trop
fier , & j'avois l'ame trop grande. Si cette
vraie grandeur d'ame eſt punie comme un
crime chez le Mogol & le Sophi , elle méritoit
ailleurs l'admiration. Ni l'un ni l'autre
n'eſt arrivé...... Que Votre Majeſté a peu
connu mon coeur! Je vous chériſſois même
dans ma priſon , comme le Génie protecteur
des Sciences ; je vous reſpectois comme
mon bienfaiteur & mon père. J'ai fur- tout
à vous remercier de beaucoup de lumières
qui ont éclairé ma raiſon , & je ne défire
autre choſe que de vous convaincre dans
un entretien avec vous au delà du tembeau,
que j'aurois tout fouffert plutôt que
de m'expoſer à mériter votre diſgrace.
» L'Ouvrage étoit déjà fini ; mais Votre
Majeſté n'étoit plus ; il ne peut donc tom
G4
132 MERCURE
ber dans vos mains. Peut- être auriez-vous
fait examiner tout ce que j'ai écrit, par des
hommes d'honneur. Peut-être la vérité ma
nifeſtée dans l'apologie la plus modérée auroit
touché votre coeur, & il eût été encore
remps de me cauſer une courtejois; alors
vous n'auriez jamais cu ſujet d'éviter dans
un meilleur monde l'ombre du malheureux
Trenck; moi je m'empreſſerai avec vene
ration d'y chercher la vôtre, pour vous
convaincre que j'ai toujours été de Votre
Majesté le fidèle mais non ſervile fujet
Trenck ".
1
Son ton eft bien éloigné de celui de la
fatire & du libelle; il ſervira de règle pour
sous ceux qui croiront avoir à ſe plaindrede
l'autorité, &qui apprendrontà diftinguer les
accens de la haine toujours ſuſpects, de l'expreiſion
de la douleur toujours pardonnable.
On cherchera peut-être la cauſe du châtiment
rigoureux qu'il a ſubi. La plupart des
Lecteurs la devineront ; mais nous n'icons
pas plus loin que M. le Baron de Trenck.
Une feule aventure principale , dit- il, dans
mon hiftoire , doit être enfevelie avec mei ,
&& refter un fecret éternel. Dieu me préſerve
de paroître jamais un traître aux yeux
de mes bienfaiteurs & de mes amis !
La naiſſance de M. le Baron de Trenck
eſt auſſi noble qu'illustre. Préſenté à Frédéric
II en 1742, il fut reçu Cadet dans les
Gardes du Roi. Ce Corps étoit alors le feminaire
& l'école de la Cavalerie Pruf-
1
CUR
153
DE FRANCE.
r
sez fienne. Il obtint la confiance , l'amitié & l'efta
time du Roi , qui lui parloit & le traitoit
ica
4
10
en père & en ami. Dans l'hiver de 1743 ,
il fut nommé pour eſcorter en Suède la
foeur du Roi , qui épouſa celui de Suède.
Un filou lui vola dans la route ſa montre,
un morceau de ſa ſoubreveſte de velours
rouge , &une riche hermine.Une Dame dela
Cour lui dit : "» Trenck , je vous confo-
>>lerai de cette perte ". Ces mots , ajoute-
t- il , furent accompagnés d'un coup d'oeil
que je compris avec plaifir, &dansl'eſpacede
peu de jours je fus le plus heureux mor
tel de Berlin. C'étoit à tous les deux notre
première paſſion ; »& comme je lui étois
>>attaché par le lien du refpect le plus pro-
ود fond , je ne me ſuisjamais repenti d'au-
>> cune infortune , qui , ſortie d'une auſſi
>>honorable ſource , s'eſt par la fuite ré-
>>pandue ſur toute ma deſtinée. Men ſe-
" cret me ſuivra juſqu'au tombeau , & il
>> ſera enfermé avec moi, quoique ce filence
ود faſſe unvidedans les plus importans évé-
>> nemens de mon hiſtoire.... Elle vit en-
>>core, & elle a encore aujourd'hui pour
» moi les mêmes ſentimens qu'elle avoit
ود il y a quarante-trois ans. D'ailleurs, dans
>> mon infortune , elle ne m'a jamais trahi
>> ni abandonné , & mes enfans ſeront les
ود
رو
ſeuls auxquels je dirai à qui ils doivent
la conſervation de leur père. J'étois donc
alors heureux en tout à Berlin. Ma dé-
>> penſe fut remarquée , on commença à
ور
G
154 MERCURE
ة
" former des conjectures ; mais ma mai-
>> treffe & moi nous étions ſi prévoyans ,
>> que fûrement jamais perſonne n'aureit
>> pu nous découvrir, que le Monarque lui-
" même , qui, comme je l'ai appris depuis,
» me faiſoit obſerver lorſque je m'abſentois
> ſecrétement de Potsdam ou de Charlottenbourg
fans congé, pour faire un faut àBer-
>> lin;mais je me retrouvois exactement à la
>>parade. Je manquai quelquefois ; je dis
» au Roi que j'avois été à la chaſſe: il fou-
>> rit en m'accordant mon pardon ".
Les Lecteurs s'appercevront déjà de l'intérêt
que le Roi prenoit à l'intrigue amoureuſe
de M. le Baron de Trenck, & que
ces pardons accordés avec un fourire, annonçoient
ce Monarque inſtruit, que M. le
Baron de Trenck auroit dû deviner. Le Roi
devoit ſe taire , mais le ſujet devoit tout
preſſentir. D'ailleurs, la Dame qui honoroit
celui-ci de ſes bontés, étoit une perfonne
aimable , intéreſſante, jeune, dont le
mariage & l'alliance pouvoient concourir
aux vûes politiques du Roi.
La guerre de 1744, pendant laquelleM.
le Baron de Trenck remplit les fonctions
d'Aide-de-Camp du Roi, fufpendit untendre
& vif engagement, & montra le fujet
brave , habile , heureux dans la guerre.
Le Roi le décora de l'Ordre du Mérite fur
le champ de bataille. Revenu à Berlin, il
ne fut pas toujours exact à la parade : le
Roi, qui le faifoit fuivre , s'exprima enfin
AE
I DE FRANCE .
122
J
avec une énergie qui annonçoit que foptience
étoit pouffée à bout. C'étoit un pion
familier au Roi , qui ſervoit d'avant-coun
à fes ordres finiftres , & qu'on traduit c
françois par le tonnerre & la tempête font
furvotre tête. Il ajouta , en parlant à M. le
Baron deTrenck : Prenez garde à vous. Cer
avertiſſement nedevoit point être dédaigné.
M. le Baron de Trenck fut envoyé aux arrêts.
Tiré des arrêts pour être chargé d'une
dépêche à Dreſde , M. le Baron de Trenck
revient en rendre compte à Frédéric , qui
lui répond : D'où venez - vous ?-De Dreſde .
-Où étiez - vous avant d'aller à Dreſde ?
-Aux arrêts .-Eh bien , retournez où vous
étiez. Le Roi vouloit , à quelque prix que
ce fût , le tenir à une diſtance de Berlin
ou dans une forte de captivité qui lui répondit
de toutes ſes démarches. Il ſe mêla
dans le projet de punition qu'on inſpira au
Roi , l'intention de rendre M. le Baron de
Trenck comptable de la haine que les Pruffiens
devoient avoir contre M. le Baron François
Trenck ſon coufin , attaché au ſervice
d'Autriche , & redoutable par ſes talens militaires
& par ſon audace. On ſuppoſa une
correfpondance entre les deux coulins, pour
pouvoir accabler le brave Baron de Trenck,
qui,dansles fers n'a ceſſéd'être pénétré de refpect
pour Frédéric II. M. le Baron de Trenck
fut conduir ſous une eſcorte à la citadelle
de Glatz , d'où il tenta de s'évader. Mais
trahi par celui qu'il avoit gagné à force
,
G6
156 MERCURE
d'argent , il vit ſes fers s'appelantir. Ce fut
cependant à Glatz qu'il eut des facilitésd'acquefir
des connoiſſances &des moyens de
ſe livrer à l'étude. On lui fournit des Livres,
du papier, & des cartes géographiques. Toujours
réméraire, & impatient de facaptivité,
it ne hitſoit échapper aucune occafion de
s'évader ; & il ignoroit l'effet que ſes tentatives
produiſoient fur l'efprit du Roi , qui
avoit déjà répondu à ſa mère : - Vorre fils
doit faire fon année de prifon, pour punition
de ſa correſpondance imprudente. Il
ne fut plus queſtionde fa liberté.-Je pleure
avee vous , lui écrivit ſon amie; votre mal
eſt ſans remède; voici ma dernière: je n'ole
plus riſquer. Sauvez-vous ſi vous pouvez; je
ferai pour vous la même en tout évènement.
Adieu , malheureux ami ; vous méritez un
autre forr.
M. le Baron de Trenck trouva un Officier
nominé Schell , qui lui facilita fon évafion.
C'étoit la quatrième fois qu'il avoit voulu
recouvrer ſa liberté. Les efforts qu'il farfoit
prouvent une ame de feu, &une opiniatreté
dont un eſprit ordinaire n'eût point
été capable. On le voit ſe battre en duel
dans la prifon , travailler avec une adreffe
incroyable à percer les murs , furmonter
la foif, la faim , la fatigue. On admire en
frémiſſant ce modèle unique de conſtance ,
de fermeté , de courage , d'eſpsit , & de
cette philofophie pratique qui nous échappe
malheureuſement dans les occafions où elle
DE FRANCE.
157
C
-
devient néceſſaire , & qui ne l'abandonna
jamais : il dut auſſi ſe féliciter d'être doué
d'une conſtitution inaltérable, qui le rendit
ſupérieur à tous les maux du corps&de l'efprit.
Il ſe ſauve enfin , il franchit les paliffades
, il eſt bleffé , il porte ſon ami ſur ſes
épaules ; il réſiſte à tout, à une courſe trop
longue , à la gelée , à l'infomnie ; il paſſe
une rivière à la nage dans le mois de Décembre
, & refte enſuite dix - huit heures
expoſé au plus grand froid , afſis fur la neige
pendant la nuit. Il arrive enfin en Bohème
ſans argent , ſans appui , ſans amis , abandonné
à lui-même à l'âge de vingt ans.
Il prend le parti de rentrer en Pruſſe à
l'aide d'un traveſtiſſement , & d'y venir
chercher des ſecours auprès de ſa mère.
Nous paſſerons ſous filence fon premier
voyage à Vienne,&toutes les plaintes qu'il
fut en droit de ſe permettre contre ſon
coufin , hommebrave , il est vrai , mais dur ,
méchant & fans entrailles. Plus heureux
en Ruffie , il trouva de l'emploi , des amis ,
& un état honorable. Une grande Dame de
la Cour de l'Impératrice Elifabeth le dédommagea
de toutes ſes traverſes , & l'auroit
élevé aux plus grandes dignités , ſi ſon
étoile n'avoit pas dérangé des commencemens
aufli heureux. Il quitta la Ruffie
malgré les inſtances de la Dame qui l'y
protégegit. Il voyagea à Venise , à Rome ,
& à Florence", & s'arrêta à Dantzick ,
d'où il fut enlevé par une trahison , &
158 MERCURE
conduit àMagdebourg. Il fut enfermé dans
un cachot qui étoit une caſemare dont la
parrie antérieure avoit fix pieds de large &
dix de long. De l'eau & une livre & demis
depain de munition lui tinrent lieu de boil
fon & de nourriture. Les détails des proce
dés par leſquels il parvint à percer ces murs,
font auffi curieux qu'affligeans. Une Juive,
touchée de la rigueur de fon fort, fe charge
de ſes dépêches; elle va trouver ſa ſcoeur,
qui, devenue veuve & libre , lui donne300
Horins. Mais elle est trahie. Le Roi vint à
Magdebourg pour la revue , ſe tranſporta
au fort de l'Etoile , ordonna d'y conftruire
àla hâte unenouvelle prifon pour le Baron .
Le malheureux Trenck fut chargé de foixante-
huit livres pefant de chaînes , & l'on
marqua fur la pierre du cachot l'eſpace que
fon tombeau devoit contenir ! Quels font
les véritables auteurs de ces exceffives févérités,
c'eſt ſur quoi nous ne pouvons, il le
le faut avouer , prononcer. avec affurance.
Ma prifon , dit M. Trenck , avoit été barie
de plâtre & de chaux dans l'eſpace de onze
jours , & j'y avois été conduit tout de fuite.
Tout le monde croyoit que je ne ſupporterois
pas quinze jours l'humidité d'un aiur
neuf dans un trou fermé prefque herméti
quement.... Pendant les trois premiers mois
je ne pus jamais parvenir à me fécher.
Toutes les fois qu'on venoit faire lavifine ,
&cela arrivoit tous les jours, on étoit obligé
de laiffer quelques minutes les portes ou 1
CON
159 DE FRANCE.
م
--
vertes , fans cela la vapeur du mur éteignoit
les lumières dans les lanternes .
Malgré ſes chaînes, M.le Baron de Trenck
parvint à ſe ménager une nouvelle fuite.
Il fut furpris, ſe défendit avec des pierres ,
tua le premier qui ſe préſenta , & capitula
enfin avec le Commandant. Mais au lieu
de lui tenir parole, on pouffa la cruauté
juſqu'à pofer des ſentinelles , qui , pendant
ſon ſommeil , devoient le réveiller à chaque
quart d'heure. Jamais la cruauté d'un Miniſtre
ſubalterne ne fut auffi atroce. Mais
que fit- il pour ſe diſtraire dans ſes fers ? il
s'occupa à defliner , avec un clou tiré du
plancher , des figures ſur ſes gobelers d'étain;
il réuflit fi bien, que ſes ouvrages furent
achetés par les connoiffeurs & par
ceux qui s'intéreſſoient à fon fort : on les
vendoit juſqu'à douze ducats. Ce nouveau
genre d'induſtrie le fit paroître encore plus
digne de pirié , & piqua la curiofité des per
fonnes indifférentes ; les Puiffances étrangères
eurent les yeux fur l'infortuné , dont
elles abrégèrent les malheurs.
De nouveaux efforts , des ſecours conftamment
fournis par laDame pour laquelle
A fouffroit une aufli dure captivité , le rendirent
maître de ſa deftinée. Il pouvoit fuir ,
il le devoit ; il aima mieux braver le Gouverneur
, découvrir ſes reſſources , & prouver
qu'il étoit encore affez grand pour refter
dans les fers qu'il pouvoit briſer. On ne
lui fut point gré de ce procédé , qui fans
160 MERCURE
doute paroîtra plus bizarre qu'admirable,&
qui donne uneidée de l'exaltation de fon
caractère. La générosité eût été juſtice ; on
voulut n'être que cruel. Qui ne ſe ſentira
froiffé envoyant ſa priſon ſe refermer, après
un aveu qui prouvoit que Trenck n'eroit
point une ame commune ni un méchant
homme! Ilfut obſervé de plus près, &rout
eſpoir lui étoit interdit.SesLivres,la rére,
fon clou lui tinrent lieude tout. Jamais la
philoſophie n'a tant fait pour la conſolation
d'un infortuné. M. le Baron de Trenck retournoit
dans tous les ſens les rapports moraux
& les baſes fondamentales des Loix ,
il eſſayoit de remonter juſqu'au premier
principe : mais accablé par la plus trifte expérience,
il étoit ſouvent tenté de s'en tenir
à la définition de l'homme machine &
l'homme plance de la Métrie. Ce ſyſteme
abfurde ne le conſoloit point , & il
noit au principe confolateur dont Epictète
& Socrate furent les apôtres. Il trou
voitavec une fortede plaifir que tout n'étoit
pas auſſi mal qu'il étoit fondé à le croire.
Qu'on life attentivement les réflexions de
M. Trenck , qu'on les rapproche toutes ,
on verra un caractère inégal , un homme
bilieux , un coeur bouillant , une tête exaltée
, des fingularités qu'on remarqueroit
peut-être dans tous les individus ,s'ils-parloient
d'eux-mêmes avec la franchiſe qu'il
met à ſes diſcours , & s'ils s'étoient trouvés
dans des criſes auffi affreuſes, dans ces
reve-
1
DE FRANCE 161
F
:
criſes où l'honnête homme voit s'échapper
la ligne imperceptible qui ſépare le crime
du dernier point de la probité.O ! nous n'en
doutons point , il en eſt peu qui fe fuffent
arrêtés au terme où M. Trenck a eu l'opiniâtreté
de ſe tenir. Quelles leçons ſa vie
ne fournira-t- elle pas aux malheureux.
M. le Baron de Trenck fut mis en liberté,
à la ſollicitation de l'Impératrice Marie-
Thérèſe. Il ſortit après avoir fait le ferment
de ſe taire fur le paffé , & de ſe renfermer
dans une obfcurité qui laiſſar des doutes
fur fa vie & fa mort. Il étoit libre , il étoit
marié , & douze ans s'étoient écoulés fans
qu'àBerlin on fût que fon état avoit changé.
Ainfi , quoiqu'en liberté, il ne jouiffoit pas
encore de cet état civil , qui eſt dans l'ordre
focial le premier & preſque l'unique avantage
que l'homme , de la claſſe la plus abjecte
poſſede dès l'inſtant qu'il a vu le jour,
juſqu'à celui où il ceſſe d'être. H n'étoit plus
enchaîné; mais la crainte , la religion d'un
ferment , retinrent M. le Baron de Trenck.
Il écrivit cependant dans ſes loiſirs l'hiſtoire
attendriſſante de fes longues infortunes ; il
la dédia à Frédéric II , qui deſcendoit dans
le tombeau : il ne chargeoit point ſa mémoire
d'imprécations ni de reſſentimens ,
il rendoit juftice au grand Roi , il admiroit
fes haures qualités.
Le retour de M. le Baron de Trenck a
Berlin fait verſer de douces larmes. Rien
n'attendrit autant que ſon entrevue avec
162 MERCURE
cetteDame de laCour , qu'il voyoit, hélas
pour la dernière fois , & qui défiroit
revoir , & avec lui ſes enfans dont elle
vouloit prendre ſoin. L'audience que l'Emm
pereur lui donna à Vienne , peint égale
ment la bonté du Prince & fa fenfibilité.
Après avoir connu l'infortune, comment
auroit-il oublié cet axiome ſi touchant:
Non ignara mali, miferisfuccurrere difco.
Il entreprit de justifier la Reine Mathilde ,
& il indiſpoſa quelques Puiffances. Ses
voyages firent diverſion à ſes ſouvenirs :
en France il fut lié avec le Docteur Franklin,
Miniftre des Etats-Unis , & le Cornare
de S. Germain, alors Miniſtre de la Guerre;
ilrefuſa toutes les offres , & revint à Aixla-
Chapelle continuer ſa Feuille hebdomadaire,
connue fous le titre de l'Ami des
hommes. Un voyage fait en 1776 à Spa,
luiprocura la connoiffance de M. le Comte
deHertzberg , qui prenoit les eaux à Aixla-
Chapelle, & c'eſt à ce grand Miniftre
d'Etat qu'il a dû les réparations qui lui ont
été accordées dans la fuite. Il prit le parti
de ſe retirer en Autriche , dans le diſtrict
de Molck. Hy acheta les terres de Zwerbach
& de Grabeneck, avec le bailliage de
Koking. L'Impératrice- Reine Marie-Therèſe
lui donna des témoignages de ſa bienveillance.
La mort de l'Impératrice fut une perte
pour lui, car il ſe retrouva bientôt fans
VERCOV
163
DE FRANCE
.
perfion , devenu , avec ſa femme&fes enfans
, prefique Laboureur dans ſa propre terre,
baignant de ſes ſueurs le morceau de pain
qu'il mangeoit. II, reprit la plume pour ſe
procurer une ſubſiſtance néceffaire , & il
eut le bonheur d'obtenir les ſoffrages pu-
Fouta blics. Content de ſes ſuccès, quoique troublé
par les friponneries des Contrefacteurs
dont il ſe plaint avec véhémence & beaucoup
de raiſon, il diſoit avec une effufion
philofophique : >> Je n'aurai plus beſoin ni
de patrie , ni de titre , ni de protection ,
!
ود
" mes enni
de la faveur des Princes ; plus de
" titres, plus d'uniforme , plus de curateur
>>fideicommis. Je veux être libre , citoyen de
>> l'Univers ; mes écrits feront un héritage
que perſonne ne pourra ravit à
>> fans , & qui ne peut être confifqué «.
- Rien en effer de plus indépendant que la
penſée & les écrits de l'homme de génie ;
ils circulent d'une limite du Monde à l'autre
, ſans qu'on puiſſe les arrêter ; l'homme
puiffant qui ſévit contre eux , aime ſouvent
à les lire en fecret. M. le Baron de Trenck
eorreſpondoit par ſes écrits avec la ſaine
partie des habitans de l'Europe ; il y comptoit
des amis , & autour de lui s'élevoit une
maffe d'opinion bienveillante .
Nous finirons par ces expreſſions touchantes
qui terminent l'Hiſtoire de M. le
Baron de Treuck : >> Que ce Livre ſerve de
>> leçon aux affligés & aux déſeſpérés , qu'il
>> fortifie lestimides,&qu'il émouve le coeur
164 MERCURE
>> des Souverains. Préſentement je vais en
>> riant à la rencontre de la mort. Mes de
>> voirs font remplis : j'ai atteint mon but
» j'ai mérité la tranquillité. Mon coeurett
و د
fans reproche : ma postérité bénira ma
» mémoire. Que chaque heure qui me
>> reſte encore àvivre,ſoitdévouée àl'amout
" de mon ſemblable. Quant à moi , ja
beſoin de peu. Ma tête cherche le repos;
* & fi je n'en jouis qu'après ma mort,je
>> ne me plaindrai point ; je veux me gliller
> doucement vers cet afile , où dans ma
» jeunefle j'aurois voulu courir tambour
>>battant. Fais , Dieu tout - puiſſant , que
>> j'exécute le projet que je forme aujour-
" d'hui , & que telle foit la fin de mon
>> Hiftoire !
Il feroit fuperflu de joindre ici nos réflexions
à celles que le Lecteurferafans fort.
Nous en avons affez dit ; & nous n'avons
pas beſoin d'ajouter de nouveaux traits au
portrait fi intéreſſant & preſque unique que
nous venons de préſenterde M. leBaron de
Trenck. S'il lit nos Feuilles, il ne doutera
ni de nos fentimens, ni de l'intérêt qu'il
nous a infpiré. Il ſaura que nous n'avons
point parcouru ſon Hiſtoire avec des yeux
fecs,&que nous défirons fincérementqu'une
longue & paiſible vieilleſſe lui procure le
ſeul plaifir dont il puiffe être capable déformais,
celui de jouir de l'eſtime univerfelle.
A lafuite de ſon Hiſtoire, on trouve
i
ROU
DE FRANCE. 165
un abrégé de celle de ſon couſin François ,
Baron de Trenck, & celle d'Alexandre de
Sat Schell. Nous ne nous permettrons qu'une
ſcule obſervation ſur le Traducteur ; c'eſt
qu'il pouvoit , ſans le moindre effort ,
écrire plus correctement , avec plus de
goût , & réduire cette Hiſtoire en un
moindre volume. Le nom du Traducteur
ſembloit nous diſpenſer d'un ſemblable
reproche ; mais on ne reconnoît point
dans cette Traduction le ſtyle du Traducteur
eſtimé d'Young.
Il a paru une autre Traduction de
l'Hiſtoire de M. le Baron de Trenck , par
M. le Baron de B..... Celle- ci eſt plus
abrégée , & n'est pas auſſi complette que la
précédente ; mais elle eſt beaucoup mieux
écrite. On ſent qu'un Gentilhomme tenoit
la plume , & qu'il ſentoit qu'il parloit d'un
Gentilhomme , de la vie duquel il avoit
des traits à ſupprimer , pour le préſenter
dans un maintien convenable. Nous reprochons
cependant à M. le Baron de B.....
d'avoir un peu trop réduit fon original.
166 to
MERCURE
4
DICTIONNAIRE DE MUSIQUE , dans
lequel on fimplifie les expreſſions & les
définitions mathématiques & phyſiques
qui ont rapport à cet Art ; avec des
Remarques impartiales fur les Počus
Lyriques, les Verfificateurs , les Compofiteurs
, Acteurs , Exécutans , & c. &c.
Les difcours trop ſavans ne parlent
qu'aux oreilles.
par J. J. O. DE MEUDE - MONPAS ,
Chevalier. A Paris , chez Knapen & Fils,
Libraires - Imprimeurs de la Cour des
Aides au bas du Pont Saint-Michel.
1 Vol. in 8° . de 232 pages.
Un Journaliſte chargéde rendre compte
d'un Livre nouveau, doit y confidérer trois
choſes : 1 °. le but qui l'a fait entrepren dre ; 2º. la manière dont il eſt exécuté ;
3 °. le degré d'utilité qu'il peut avoir. C'eſt ſous ces trois rapports que jevais examiner
lenouveau Dictionnaire de M. de Meude.
Son but eft affez annoncé dans le titre
de l'Ouvrage ; il eſt mieux expliqué encore dans la Préface. Il y établit que les Ouvra- ges claſſiques & élémentaires ne font inDE
FRANCE. 167
1
1
telligibles que pour les gens déjà ſavans.
Je n'ai pu comprendre , ajoute-t- il , tous
les Traités & tous les Dictionnaires de.
» Muſique , de Phyſique , de Mathémati-
ود
ود
ود ques , &c. que lorſque j'ai été en état
>> d'en compoſer moi-même ". On eſt faché
que M. de M... tienne ſi fort à l'habitude
de ſe citer lui même, &l'on pourroir lui ob-
| jecter que de ce qu'il n'a pu comprendre ces
Traités , ce n'est pas une raiſon pour qu'ils
ne puiſſent être compris par d'autres. Au
furplus , voyons ſi M. de M... éclaircit vé.
ritablement ce qu'il y a d'obſcur dans le
Dictionnaire de Rouſſeau.
Voyons le mot corde ; c'eſt un de ceux
où Rouſſeau s'eſt cru obligé d'entrer dans
des détails élémentaires , & qui pourroient
ne pas être entendus de ceux qui ne
font pas exercés aux calculs. C'eſt donc ,
d'après le titre , un de ceux que M. de
Meude promet de rendre intelligibles à tout
lemonde,
>> Corde , ſubſt. fém. , eſpèce de fil com-
» poſé de différentes matières , telles que
ود le boyau , le fer, &c. Lorsque les che-
>> villes d'un inſtrument refferrent & ten-
ود dent les cordes , elles rendent le ſonde
» ces mêmes cordes plus aigu que ſi elles
étoient lâches ". Voilà une vérité qui
n'eſt conteſtée par perſonne.
ود
>>On appelle auſſi Corde, l'étendue dé-
• cidée de la voix humaine , & l'on dit?
» Cet homme a deux , trois , quatre belles
168 MERCURE
>> cordes, pour dire que ce différent nom-
>>bre de fons eſt égal en beauté ou réfon
» nance; auffi cette expreffion est très-éner-
>> gique ".
On eft tenté de demander à M. de M...
l'explication de ſon explication, qui manque
abſolument de préciſion & de jufteffe .
Si on dit qu'un homme a plusieurs belles,
cordes dans la voix ; ce mot n'explique donc
pas l'étendue décidée de la voix humaine,
mais ſeulement chacun des ſons partiels
que peut rendre ſa voix ; & de ce qu'un
homme a quelques belles cordes , c'est-àdire
, quelques beaux fons, cela ne prouve
pas que ces fons ſoient égaux en beauté, en
réfonnance.
La vérité eſt que tous les ſons qui appartiennent
à l'harmonie étant repréſentés
par autant de cordes ſur quelques inſtruimens
, comme le Clavecin , on a donné
auffi le nom de corde à tous ces mêmes
ſons exprimés par la voix.
Si les mors techniques ne ſont pas ceux
à l'explication deſquels M. de M... s'eſt le
plus attaché , peut-être a-t-il eu des vues
encore plus utiles , comme de corriger les
erreurs qui fe trouvent dans le Dictionnaire
de Rouſſeau. Il y en a de nombreufes
; par exemple , au mot accord. Voici
ce qu'en dit M. de Meude.
» Accord , réunion de pluſieurs fons qui
ſe fout entendre à la fois " . Voilà tout.
Il est vrai qu'il renvoic au mot harmonie;
mais
DE FRANCE.
169
mais on auroit tort de croire que ce ſoit
pour en donner les règles ; c'eſt au contraire
pour la réprouver entièrement. Il eſt curieux
d'examiner cer article.
ود Harmonie. En Muſique on nomme
→ ainſi pluſieurs notes ou fons qui ſe font
>> entendre en même temps , & je crois
» qu'on a tort ; car , dans l'ordre de la Na-
>> ture , l'harmonie n'eſt-elle pas un concours
, un enſemble parfait ? Or l'har-
» monie muſicale étant remplie de diffo-
" nances , me paroît contre nature ". En
comptant pour rien la fauſſeté des définirions
, & le peu de juſteſſe des termes que
M. de M... emploie, où a-t-il vu que des
difſonances empêchent que différentes parties
ne forment un enſemble parfait ? Le
ſyſtême de l'Univers , qu'on peut regarder
comme le modèle de l'harmonie , n'eſt - il
pas composé de parties qui , priſes ſéparémer
, paroiſſent diffonantes , & qui
n'en concourent pas moins à l'enſemble
général ?
» La réſonnance des corps ſonores ne
>> produit que des accords majeurs ; cela
>> eſt incontestable ". Cela eſt ſi conteſtable
, que cela eſt abſolument faux; car outre
la tierce mineure mi fol, contenue dans
l'accord parfait , on entend encore un fon
qui tient le milieu entre le la & le fib . , &
qui fait par conféquent une eſpèce de ſeptième
diminuée avec le générateur ; c'eſt
cela qui eſt incontestable.
No. 26. 28 Juin 1788, H
170
MERCURE
و د
De tous les fons appréciables , celui
>> de la voix n'eſt-il pas le plus naturel &
le plus pur ? Or la voix ne produit que
>> des ſons ſucceſlifs , & non pas d'accords
", Ceux qui auront pu déméler
l'idée de l'Auteur à travers ſes expreffions
ſi impropres , fentiront combien ce raifonnement
eſt puérile & même, faux : car il
n'eſt pas même vrai que la voix ne produiſe
pas d'accords ; elle en produit comme
cous les corps ſonores,
Tout le reſte de l'article eſt de la même
force pour le ſtyle & pour la logique. Je
ne rapporte que la dernière phrafe , qui en
eſt le réfumé.
>>Encore une fois , la Muſique étant un
> langage , vingt inftrumens qui exécutent
» en concert , reſſemblent à vingt perſonnes
qui parlent à la fois; la parité eſt
>> exacte " . Loin qu'elle foit exacte , il n'ya
pas le moindre rapport. De ces vingt inftrumens
qui exécutent en concert, il y en a
un grand nombre qui diſent la même partie
: or ceux là ne doivent être comptés
que comme un ſeul inſtrument , dont les
Sons ſeulement ont plus d'intenſité. Les
parties différentes doivent être réduites à
trois ou quatre au plus. Il est bien certain
que fa quatre perſonnes, difoient enſemble
des choſes différentes , on n'entendroit ni
l'une ni l'autre. Quel est l'homme au cop
traire qui ne diftingue pas un chant, malgré
les trois parties différentes qui l'accom
pagnent
DE FRANCE.
171
M. de M. qui n'a ni expliqué les mots
techniques , ni relevé les erreurs de Roufſeau
, a-t il été plus heureux dans l'explication
des mots grecs ? Il en a mis dans fon
Dictionnaire à peu près autant que le Philoſophe
qu'il appelle ſon Maître ; c'étoit
donc à deſſein de les mieux expliquer.
Point du tout ; ils font copiés mot à mot.
En voici un cependant auquel M. de M.
amis du ſfien. C'eſt le mot Nunnie. On lit
dans Rouffeau&dans M. de Meude :>>>Chez
les Grecs , c'étoit la chanson particulière
aux Nourrices ". Mais dans M. de Meude
ſeulement , » ce mot vient de Nutrix ,
ec
Nourrice " . Il est fort gai de faire dériver
un mot grec d'un mot latin , fur- touten
muſique. Il paroît que M. de M. n'eſt pas
plus fort ſur la Langue Grecque que fur
Inarmonie.
Eſt- ce dans la clarté , dans la juſteſſe
des définitions que M. de M. eſpère l'emporter
fur Rouſſeau ? car il faut bien qu'il
ait eu un but d'utilité en écrivant fon Dictionnaire
après celui de cet homme célèbre.
Vous y trouverez :
» Affai , augmentatif, qui , joint à un
» mot , ſignifie encore plus " , &c. Cela
n'eſt pas exact. Affai eſt un adverbe italien
tout ſimple , qui ſignifie beaucoup , fans
avoir beſoin d'être joint à un autre mot.
>> Brève , note de moindre valeur , car il
> en eſt des notes de Muſique come des
>> fyllabes d'un idiome : il y en a de lon
H2
172 MERCURE
" gues & de brèves ", Cette ignorance
dans M, de Meude eſt bien étrange. Brève
eſt une note de Muſique ancienne , appelée
ainſi par oppofition à la longue& àla maxime.
La trève avoit moitié moins de valeur que
la longue, & la maxime, le doublede celleci.
Cette note étoit faite comme notre
blanche.
Le mot Rhythme , dans Rouſſcau , eſt
préſenté d'une manière un peu obſcure ,
peut être , pour ceux qui ne font pas trèsfamiliers
avec la Langue , laLittérature &
la Muſique des Grecs. Voici comment
l'explique M. de Meude-Monpas.
>>Rhythme , c'eſt , dans la définition la
» plus générale , la proportion qu'ont entre
elles les parties d'un même tout. En
Muſique , c'eſt la différence 32 du caractère
d'un morceau , & celle du mouvement
» plus ou moins vite , de la longueur ou
» de la briéveté des temps , enfin du pro
» noncé plus ou moins décidé ". ( Ce prenier
Paragraphe eſt le premier de Rouf
ſeau , un peu défiguré ; le refle appartient
à M. de Meude ) ,
>>On peut mettre au nombre des par
» ties , le rhythme , les filences , & les
intervalles d'une note à une autre. Car,
comme nous l'avons déjà dit , que la
>> Muſique étoit un idiome , un langage,
* il faut donc convenir qu'elle doit oblerver
les repos , qui fervent , pour ainti
dire , à pomper la reſpiration. En effet,
1
DE FRANCE . 173
"
ود
» indépendamment de la beauté des idées
» & des expreflions d'un Orateur , on doit
s'attendre à des repos , à une reſpiration
>>néceflaire à ſa poitrine ; & ſouvent le
charme de l'éloquence vient moins de
» ce qu'on dit , que de ce qu'on fait fousentendre
par un filence énergique . Par
>> exemple , on ne peut nier que le célèbre
» Avocat Gerbier foit un Orateur du plus
" grand ordre , & peut- être unique. Eh
»bien ! il ménage tellement fes repos ,
ود
ود
ود ſes inflexions , il soupire ſi à propos , ſa
>> figure dit tant quand ſa bouche ſe tait ,
>> qu'on croiroit que fa langue est allée
» confulter fon ame , & que cette ame
» n'ayant plus d'autre moyen de rendre ſes
>>affections , s'explique par les rayonspé-
» nétrans de l'oeil,&par la vérité des gef-
> tes jamais étudiés.
» Enfin le rhythme muſical eſt à la pro-
" greffion des fons , ce que la profodie &
>> la cadence , la ponctuation&le nombre, ود
ود font à la Poéfie &au langage foutenu".
Eft- ce ici que M. de M. a abandonné la
froide régularité du ſtyle , pour ſe faire entendre
indubitablement , comme il le dir
dans ſa Préface ?
Il faut raffurer les perſonnes qui ne
favent pas la musique , & qui pourroient
croire que c'eſt leur faute ſi elles ne voyent
dans ce morceau que le travail d'une imagination
exakée , exprimé dans le ſtyle le
plus incorrect. On peut leur certifier que
H3
174
MERCURE
:
les meilleurs Muſiciens ne le trouveroient
pas plus intelligible.
M. de M. avoit-il donc véritablement
l'intention énoncée dans fon titre, de fimplifier
les définitions , d'éclaircir les termes
de l'Art ? Il l'auroit bien mal remplie. Mais
il me ſemble en entrevoir une autre , celle
d'expoſer ſur la Muſique ſes ſentimens parfalloit-
il ticuliers ; peut-être ne
pas pour
✓cela prendre le prétexte d'un Diction
naire ; mais ne chicanons pas M. de M.
Je lui ai déjà fait, & il me reſte à lui faire
des reproches affez importans.
M. de M. en veut beaucoup à la Mufique
Italienne , qu'il cherche ſouvent à dénigrer
, quoique dans d'autres momens il
lui donne une préférence marquée ſur la
Muſique Françoife.
ſemble que ſi l'on avoit bien envie de
trouver de la conféquence dans ce Dictionnaire
, on y verroit que M. de M. eftime
la Muaque des Italiens, mais qu'il défapprouve
leur manière de chanter. Chacun a
fon goût , & ce n'eſt pas fur cela que je
difpute : mais M. de Meude eſt-il en état
de juger cette queſtion ? Il a prétendu
expliquer dans fon Livre les termes techniques
de la Muſique Grecque , & l'on voit
évidemment qu'il n'a aucune teinture de
la Langue ni de la Muſique des Grecs. Il
a parlé avec auſſi peu de connoiffance de
la Muſique d'égliſe & du contre-point moderne.
Il a voulu interpréter les mots itaDE
FRANCE.
175
1
liens , & il ne fait pas l'italien , comme je
l'ai prouvé au mot Affai , & comme on
peut s'en convaincre au mot Pizziccato ,
qu'il permet d'écrire Piccicato. Il eſt probable
qu'il ne connoît pas mieux le Chant
des Italiens , que leur Langue ; & la preuve,
c'eſt qu'il en juge d'après la manière de
Madame Saint-Huberti , de M. Laïs , & de
Mademoiselle Renaud , qu'il accuſe d'italianifer
leur chant. Je n'entreprendrai pas
de défendre ces trois Virtuofes ; ce fon
feroit inutile. M. de Meude reproche à
Madame Saint- Huberti de ne pas articuler,
& il prétend que ce vice eſt inhérent à la
manière italienne : ildit que la méthode
» de M. Laïs ne produit pas de fons na-
>>> turels , mais LOURÉS ET POMPÉS A L'ITA-
• LIENNE, &que fon chant reſſemble un peu
" A LA FIGURE QUE POURROIT AVOIR UN
" GRENADIER SUISSE HABILLÉ EN FEMME “.
Il ajoute que » la manière italienne ne pourra
>> jamais s'allier à l'idiome françois , ſans
ود accent , & qui a beſoin d'une pronon-
>> ciation marquée & rapide , choſe qui ne
>> reſſemble pas aux prétendus agrémens
» italiens , ni à la méthode de porter les
" ſons à l'italienne ". Quant à Mademoiſelle
Renaud , qu'il appelle quelque part
l'exécutante Demoiselle Renaud , elle eſt le
principal objet de ſa colère ; il ne peut pas
lui pardonner d'orner ſon chant qu'il
compare >>aux procédés que la fauvette &
>>le roflignol emploient pour gazouiller
د
H4
176 MERCURE
> dans les bocages " , & qui ne plaiſent,
felon lui , qu'à des Italio- Manioques , gens
qui ont beaucoup d'oreille. Tout cela , ce
me ſemble , démontre , fans autre examen ,
que M. de M. n'a aucune idée de la ma
nière de chanter des Italiens , dont il ne
devoit pas juger d'après des François.
M. de Mende attaque par-tout & fans
relache les agrémens du Chant avec une
logique auffi tranfcendante que tout ce
qu'on a vu juſqu'ici. Il répètete fans celle
que tout agrément eſt déplacé , & nuit à la
belle ſumplicité du Chant. Cette opinion
exagérée par M. de Meude , mais adoptée
avec plus de réſerve par quelques perfonnes
, exigeroit un long développement
pour être difcutée à fond. Je me contenterai
de dire que ſi une parure de bon
goût nuit à la beauté d'une femme , que
iila richeſſe des fres dénature un tableau ,
que ſi l'élégance des draperies dépare une
ftatue , que ſi la cannelure des colonnes &
les ornemens des chapiteaux détruiſent la
beauté d'un monument d'architecture , que
fi un choix d'expreſſions pittoresques eft
contraire à la Poésie , il ſe pourroit bien
demême que les agré:nens du Chant fuſſent
oppofés à l'expreffion. Si tous les Arts tendent
à limitation crnée de la Nature , 1
pourquoi la Muſique feule devroit - elle
exclure les ornemens ?
Ces opinions particulières de M. deM.
& les éloges ou les critiques qu'il diftribue
DE FRANCE. 177
fuivant fon goût à la plupart de nos Artiftes
, font ce qui conſtitue eſſentiellement
fon Dictionnaire ; mais comme le goût de
M. de M. ne ſçauroit être la meſure & le
modèle de celui du Public, il en réfulteroir
que ſon Ouvrage ne peut être d'aucune
forte d'utilité. J'avoue que c'eſt ainſi
que j'en penſe; & fi ce jogement paroit
ſévère à quelques perſonnes , celles qui
auront parcouru le Livre , le trouveront
peut-être encore très-modéré.
Il me reſte à préſent à me juftifier de
pluſieurs choſes. Pourquoi , dira- t- on , entretenir
fes Lecteurs d'un Livre dont on
n'a aucun bien à dire ? Il n'en est pas d'un
Ouvrage fur les Arts comme de ceux de
Belles- Lettres , de Philofophie , de Politique
, d'Hiftoire , où chacun eſt en état de
ſe faire une opinion à fon gré. On ne doit
alors attizer l'attention du Public que fur
ceux qui en valent véritablement la peine ;
ma's un Livre qui traite d'un Art éranc
deſtiné à ceux qui l'ignorent & qui veulent
l'apprendre , il eſt da devoir des Journaliſtes
de les éclairer fur les fources qu'ils
doivent éviter , comme fur celles qu'ils
doivent choifr. Cependant j'avoue que je
n'aurois pas eu le courage de parler de
celui de M. de M. , 6 lui-même ne l'avoit
exigé ; ft , après lui avoir expofé mon opinion
, il ne m'avoit prić avec instance de
la rendre publique , & de faire une analyfe
détaillée de fon Dictionnaire , fans aucun
H
178 MERCURE
ménagement. A cet égard il doit être farift
fait : je n'ai point ifolé ſes articles ,j'ai
embraffé fon plan général autant qu'il en
étoit fufceptible , & j'ai dit librement ce
que j'en penſois. C'eſt pour cette raifca
que j'ai pris dans cet Extrait le ton perfonnel
, qui n'eſt pas trop à mon uſage;
comme mon jugement ne devoit pas être
favorable, il m'a ſemblé que je devois le
prendre en entier fur moi.
J'ai à craindre un reproche bien plus
grave , celui d'ingratitude; car dans ce
même Ouvrage que j'ai traité avec cette
rigueur, M. de M.... a la bonté de me
traiter avec beaucoup d'indulgence. Mais
que devois-je faire ? ne pouvant mentir à
ma confcience ni au Public , j'avois pris
fermement le parti de ne rien dire du tour :
M. de M. ne l'a pas voulu. Il ne me reſte
plus qu'un moyen de lui témoigner ma
reconnoiffance ; c'eſt de lui donner un
confeil, que je crois utile dans toute la finséritéde
mon coeur.
On ne peut contefter la bonne foi de
M. de M.; l'opiniatreté même avec laquelle
il a follicité la critique , eſt une preuve de
modeftie & de candeur. S'il s'égare dans
fes opinions , c'eſt qu'elles font nées d'une
imagination trop ardente , qui ne lui permet
pas de les approfondir. Or, pour écrire
fur les Arts, il faut d'abord les bien connoître;
& il ne fuffit pas d'exhaler fur le
papier les idées fermentées dans une tête
1
DE FRANCE. 179
M
:
E
:
t
i
bouillante , il faut les méditer , les analyſer';
il faut fur-tout les préſenter dans un
ſtyle , finon très- brillant , au moins correct
& pur , qualités qui manquent à celui de
M. de M.; & il avouera , lui qui eſt ſi
fort partiſan de la belle ſimplicité , que les
incohérences , les expreffions recherchées ,
bizarres , impropres , que les bouffonneries,
les trivialités , le néologiſme, & les
fautes de Langue , la déparent beaucoup
plus qu'aucune eſpèce d'ornemens.
Je conſeillerai donc à M. de M. d'aban
donner un genre de Littérature auquel il
ne me paroit pas appelé. Il a de l'eſprit; il
en a donné des preuves dans pluſieurs petires
Pièces de Poéfie, pour la plupart agréa
bles , qu'il a publiées dans différens Journaux
; il a des talens pour la Muſique
inftrumentale . Il a eu jadis des ſuccès fur
le violon dans des affemblées nombreufes
& brillantes ; que ne s'en tient- il à ces
talens , qui doivent le faire défirer dans la
Société ? Il nous dit dans ſa Préface , que
ces talens même lui ont caufé des chagrins
, des dégoûts. Cela peut être ; la
fupériorité , dans quelque genre que ce
foit , en occaſionne toujours , & cette
idée conſole ; mais il est bien étrange de
voir M. de M. quitter les Arts pour la
Littérature , dans l'efpoir d'y trouver le
repos. Ce n'est pas fa fupériorité qu'il y
doit craindre , mais il y rencontreroit d'autres
écueils ; & l'on n'y obtient le repos
H
MERCURE
qu'il défire , qu'à une condition bien humiliante
, celle de ne jamais fortir de la plus
profonde obſcurité.
J'ai rempli une tâche pénible auprès de
M. de Meude. Je lui ai dit durement &
publiquement , comme il le vouloit, ce
que j'ai cru la vérité. S'il profite de ces
avis , je croirai véritablement être quitte
envers lui de ce qu'il a bien voulu dire
d'obligeant ſur mon compte.
( Cet Article est deM. Framery.)
DELIA , on Hiftoire d'unejeune Héritière ,
traduite de l'Anglois par Mme. De ***.
3 Parties in- 12 . A Londres ; & fe trouve
à Paris , chez Letellier , Lib. , quai des
Théatins.
MYLADI BARTON a été mariée à un
homme qu'elle n'aime point , & qui n'eſt
point aimable , quoiqu'on n'ait aucun reproche
à la faire du côté de l'honneur &
de la probité. La jeune époufe forme des
liaiſons, & fait des conquêtes. Parmi les
perſonnes àqui elle inſpire de l'amour ou
des détirs , ſon coeur diftingue ( & longtemps
ſans le favoir) Lord Lucan , qui ,
uniflant le refpcet à l'amour, n'ofe déclarer
ſes ſentimens. Lady Barton ne fonge à
DE FRANCE. 181
5
combattre les fiens qu'au moment où il lui
eſt impotlible de les vainere. Elle les cache
au moins , & le hafard , prefque feul, lui
arrache ſon ſecret. La vertu de Lady Barton
, & la délicateſſe de ſon Amant , les
retiennent l'un & l'autre dans les bornes
du devoir; mais elles ne peuvent les garantir
de la méchanceté d'un certain Colonch,
amoureux aufli de Lady Barton, qui,
perdant l'eſpoir d'être préféré , croit devoir
te venger d'un coeur qu'il n'a pu toucher.
Affociant la calemnie à la vérité , il fair
connoître à Lord Barton le penchant de fon
époufe ; mais il a la ſcélératefie de dépoſer
contre la vertu. Le mari ſe livre à fes tranfports;
Lord Luean court demander raifon
au Colonel , le laiſſe mourant ſur le champ
de bataille ; & ce dernier n'a que le temps
de révoquer fa délation calomnicufe. Lord
Barton , accablé de remords , vient avouer
fon injustice à fa vertueuſe compagne ; mais
fon tardif repentir ne peut rien réparer
elle meurt de l'excès de fes chagrins.
Voilà l'idée majeure du fond de ce Roman.
Le perſonnage dominant après celur
de l'Héroïne , c'eſt celui de fa fooeur, Mill
Clewland, qui ayant été long temps malheureuſe
avili par l'amour, recouvre enfin
fon Ansant infidèle , qui finit par devenir
un époux aufli tendre qu'heureux.
Milord Hume , celui qui époufe Miff
Clewland, eft quelquefois mauvais plaifant,
comme lorſqu'il dit qu'Homère tiroit ſon
182 MERCURE
nom de S. Omer. On trouvera aufli dans
l'action quelques invraiſemblances ; & le
ſtyle est trop ſemé de citations de Poëtes.
Ces vers cités dans des momens pathetiques
, peuvent prouver les connoillances
littéraires du Romancier , mais ils nuifent
à l'expreflion du ſentiment.
Malgré ces reproches , on lira ce Roman
avec plaifir : il eſt vraiment moral; & l'Auteur
y a tracé une peinture fidelle des dangers
& des malheurs de l'amour.
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROY. DE MUSIQUE.
LEEMardi 17 de ce mois , on a remis à
ce Théatre Médée à Coichos , ou la Toifon
d'or , Tragédie , avec des changemens. Le
principal confifte dans l'affaffinat d'Hyplipyle
, ( que l'Auteur s'obſtine à nommer
Hyfifile ) ; Médée ne la poignarde plus fous
les yeux de Jaſon, entre les bras des Argonautes
, ce qui choquoit à l'excès toutes.
les vraiſemblances , & privoit le refte de
Ouvrage de toute eſpèce d'intérêt. Le
Choeur où Médée la menace n'en fubfifte
DE FRANCE. 183
م
:
:
pas moins , & fait toujours de l'effet. Les
autres changemens , pour la plupart néceffités
par celui - là , ont paru refroidir &
alonger l'action. Il y a deux fères trèsagréablement
compofées & exécutées parfaitement
, mais qui, dans la place où elles
font , ne pourroient que nuite infiniment
à l'Ouvrage, fi les Spectateurs y prenoient
un véritable intérêr. Il étoit difficile , pour
ne pas dire impoſſible , que l'Auteur réformât
plus heureuſement le plan qu'il
avoit adopté. C'eſt la manière dont il a
conçu primitivement ſon ſujet, qui l'a contraint
à bleſfer toutes les convenances , à
manquer au costume , aux moeurs , aux
caractères , à dénaturer les faits , les circonftances
, à s'éloigner enfin de tout ce
que l'Antiquité nous a laillé au ſujet de
Médée. Ceux qui ont lu le Poëme des
Argonautes , de Valerius Flaccus, auroient
de la peine , malgré la reflemblance des
noms , à reconnoître ni le ſite de la Scène,
ni un ſeul des perſonnages. On ne peut
que conſeiller à l'Auteur , qui ne manque
pas de chaleur dans ſon ſtyle , d'obſerver
davantage les bienséances théatrales , & de
mieux étudier les ſujets qu'il voudra traiter
à l'avenir.
Al'égardde la muſique , nous renvoyons
à ce que nous en avons dit en rendant
compre de la première repréſentation . L'Auteur
annonce beaucoup de talent , & peur
184 MERCURE
prétendre à de véritables ſuccès, lorſqu'il
voudra ſe perfuader que le mérite le plus
effentiel à la mufique dramatique est la
clarté, l'élégance & la fimplicité. Des effets
bruyans , des modulations , des marches
d'harmonie recherchée, peuvent éblouir les
perſonnes de l'Art , lorſqu'elles n'en confidèrent
que le mécanisme ; on peutméme,
avec ces moyens , en impofer au vulgaire,
& lui arracher des applaudiſſemens ; mais
ils ne font pas de longue durée. Le grand
bruit fatigue bientôt , fi harmonieux qu'il
fot , & les plus grands Maîtres ont toujours
réſervé les effets pour les grandes occafions.
M. Vogl , qui marche fur leurs
traces , nous paroît digne d'entendre ces
confeils , & capable d'en profiter,
ANNONCES ET NOTICES.
L'ART d'apprendre fans Maire & d'erfeigner
en mine temps le Lizin a'après nature , & le
françois d'après le latin.
Feu M. Lebel , Auteur de l'Anatomie de Is
Langue Latine , & d'une Rédaklion de l'Art poi
tique d' Horace , donna andi, en 1780, la première
Partie de celui-ci, mais fa fanté ſe treuva fi altérés
par fon travail continuel , qu'il for, les dernières
années de la vie, hors d'état nonſeulement
d'achever , mais même de continuer les Ouvrages
DE FRANCE. 185
qu'il avoit commencés. On peut voir à la fin de
Avis au Lecteur, à la tête de celui qui vient de
paroître , la ſuite des Manufcrits qu'il a laiffés .
L'accueil fatteur dont le Public a honoré leš
Ouvrages imprimés de M. Lebel, les demandes
de celui que nous annonçons aujourd'hui ayant
été réitérées continuellement depuis que fa première
Partic , qui n'en eſt guère que le Profpectus
, a paru ; enfin lejugement favorable que plufieurs
Savans ont porté fur cetre Méthoddee : voilà
les motifs puiffans qui ont déterminé fa fille à entreprendre
un travail qui coure infiniment cher à
fon coeur, puiſqu'il ne fait que lui rappeler fans
eeffe laperte cruelle & irréparable qu'elle a faites
mais l'envie de ſe rendre utile , & d'honorer le
mémoire de ce père reſpectable, lui a fait franchir
toutes les oppofitions que ſa ſenſibilité apportoit
à cette entrepriſe .
M. Lebel ayant conçu le projet de réfermer
des abus depuis long-temps adoptés dans la manière
d'enſeigner la Langue Latine , paroît avoir
prévu qu'il ne pourroit mettre la dernière main
àcet Ouvrage cominencé , puiſqu'il inſtruifit luimême
ſa fille , & la laiſſa en état de faire recueillir
au Public les fruits de ſes veilles .
Mlle. Lebel , accoutumée dès ſon enfance à
l'étude des Sciences & des Langues , particulièrement
à celle du Latin , s'eſt familiariſée avec
ſes meilleurs Auteurs ; enfin un travail affidu &
les matériaux que fon père a laifiés , lui ont ſervi
à mettre au jour cet Ouvrage.
Sa demeure eft chez Madame ſa mère , rue
Neuve Ste. Geneviève , à l'ancien Hôtel d'Harcourt.
Elle ſe propoſe de prendre quelques jeunes
Demoiselles en penfion , & de leur enfeigner
(ay choix des parens) les Langues Françoife ,
186 MERCURE
Latine , Italienne , Angloiſe , par principes; de
plus , l'Arithmétique , la Géographie , l'Hiftoire ,
les devors de la Religion, & les ouvrages ordi
naires de leur sexe.
On trouve-chez elle l'Ouvrage annoncé cideſſus,
ainfi que chez Belin, Lib. rue S. Jacques,
près S. Yves. Prix , 4 liv. broché.
MÉTHODE pour traiter toutes les Maladies ,
très-utile aux jeunes Médecins , aux Chirurgiens,
& aux gens charitables qui exercent la Médecine
dans les campagnes; par M. Vachier , Docteur-
Régent de la Faculté de Médecine , ancien Profeffeur
des Ecoles de Médecine de Paris , Docteur
en Médecine de l'Univerſité de Montpellier ; in-
12. Tomes IV , V , VI & VII. A Paris , chez
Méquignon l'aîné , Libraire, rue des Cordeliers ;
Didot le jeune , quai des Auguftins ; & Croullebois,
rue des Mathurins.
Procès-Verbal des Séances de l'Aſſemblée Provinciale
de l'Orléanois , tenue à Orléans au meis
de Novembre 1787 ; in-4°. Prix , 9 liv. A Orléans
, de l'Imprimerie de Couret de Villeneuve ;
& ſe trouve à Paris , chez Née de la Rochelle ,
Lib. rue du Harepoix , près du PontS. Michel.
Procès-Verbal des Séances de l'Aflemblée Provinciale
du Poitou , tenue à Poitiers en Novembre
& Décembre 1787; in-4°. Prix , 6 livres. A
Poitiers , de l'Imprimerie de Franç. Barbier ; &
ſe trouve à Paris, même adreſſe que ci-deſſus.
Procès-Verbal des Séances de l'Aſſemblée Provincialedu
Soiffonnois , tenue à Soiffons en 1787;
in-4°. A Soiffons , de l'Imprimerie de L. Franc.
Waroquier ; & ſe trouve à Paris , même adrefle.
Prix , liv .
DE FRANCE. 187
Z
1
1.3
Du Droit de Déport dans l'Eglise de Normandie
, où il eſt fondé ſur la Constitution primitive
du Gouvernement Eccléſiaſtique , conſervé encore
par le Déport ou par d'autres Droits analogues ,
dans un très-grand nombre des Eglifes de Franse ;
par J. de Pradelle , Archidiacre & Vicaire-général
de Bayeux ; in-8 ° . A Caen , chez G. Leroy ,
Imprimeur , ancien Hôtel des Monnoies ; & fe
trouve à Paris , chez Delalain le jeune , Lib. ruc
S. Jacques.
Abrégé des Causes célèbres & intéreſſantes , avec
les Jugemens qui les ont décidées ; par le Sr. P.
F. Befdel ; se. édition ; ; Vol. in-12. A Paris ,
chez Froullé , Lib . quai des Auguſtins. Prix des 3
Vol. brochés , s liv.
Le Libraire ci-deſſus vient d'acquérir de l'Auteur
cet Ouvrage intéreſſant ; on peut recourir ,
pour le connoître , an compte que nous en
avons rendu dans le N3. 47 de ce Journal , an
née 1787.
Sermons de M. l'Abbé de Caw bacérès , Prédicateur
du Roi , Chanoine & Archidiacre de l'Egliſe
de Montpellier ; nouvelle édition ; 3 Vol.
in- 12 . Prix , 9 livres reliés. A Paris , chez J. G.
Mérigot le jeune , Lib. quai des Auguftins,
Cet Ouvrage jouit d'une eſtime méritée. Un
nouveau Difcours préliminaire très-étendu ajontera
du prix à cette nouvelle édition.
Dictionnaire portatifdes Femmes célèbres , contenant
l'Hiſtoire des Femmes ſavantes , des Actrices
, & généralement des Dames qui ſe ſont
rendues fameuſes dans tous les fiècles par leurs
aventures , les talens , l'eſprit & le courage ;
nouvele édition , revue , & confidérablement
augmentée ; 2 Vol. in- 12 , très-gros. Prix des 2
188 MERCURE
Vol. , 12 liv. A Paris , chez Belin , Lib. rue St.
Jacques, près Saint-Yves ; & Volland, quai des
Auguſtins.
Chacun de ces deux Volumes eſt terminé pat
un Supplément , compofé des articles de Meldames
d'Arcouville , de Beauharnois, de Beau
mont, de Beaunoir , de Bouthers , d'Epinay, de
Sillery , Kéralio , Riccoboni, &c.; & de ceux de
Meſdemoiselles Carline , Colombe , Colombe-
Adeline , Contat, Doligny , Sainte-Huberti , St-
Val, &c.
Hiftoire Univerſelle, depuis le commencement du
Monde juſqu'à préſent , d'après l'anglois , par une,
Société de Gens de Lettres, &c. Tome XLIV,
in - 4° , contenant la continuation & la fin de
Hiſtoire de Hollande ou des Provinces - Unies ,
& le commencement de celle d'Angleterre ou de
laGrande-Bretagne. Prix en feuilles, 10 liv. A
Paris, chez Mérigot le jeune , Libraire, quai des
Auguftins, au coin de la rue Pavéc.
On trouve chez le même Libraire des exemplaires
complets de ce grand & intéreſſant Ouvrage,
ainſi que des Volumes ſéparés, vu qu'il
a acquis le tout en Hollande, & obtenu un Privilége
pour imprimer la fuite à Paris.
Le LXVe. Volume , qui eſt ſous preffe , contiendra
la ſuite de l'Hiſtoire d'Angleterre , &c.
OEuvres complètes de Madamede Graffigny ;
4 petits Volumes. A Londres ; & fe trouve à
Paris , chez le Tellier , Lib. quai des Auguftins ,
N°. 27.
Cette édition eft recommandée par le fuccès
qu'ont cu les Lettres Péruviennes , & celui de
Cénic, un de nos Drames les plus goûtés.
DE FRANCE.
159
دو
:
Vie & Amours d'un pauvre Diable ; 2 Volum .
in - 12. A Genève ; & le trouve à Paris , chez J.
Hilaire , Lib . rue Haute-fucille , Nº . 5.
Ce Roman eſt divisé en deux Parties ; la Vie
eſt une ſuite d'Aventures plaiſantes & plaifamment
is racontées , mais où la bouffonnerie eſt quelquefois
à la place de la gaîté ; les Amours , qui rempliffent
le 2e, Volume , font un Recueil de Lettres
adreſſées à une jeune Limonadière , que le pauvre
Amant délaiſſe voit paffer dans les bras d'un riche
2 vicillard,
,
Etat actuel de Paris, ou le Provincial à Paris ,
Ouvrage indiſpenſable à ceux qui veulent connoître
& parcourir Paris ſans faire aucune queftion
, en 4 Vol, in- 24 , & 5 Cartes nouvelles
i dont une contient le plan général de Paris & fes
is - quatre divifions , avec ſes accroiflemens fucceffifs
depuis Philippe - Auguſte juſqu'à Louis XVI ; &
les 4 autres , chacune une des quatre divifions
de Paris , fud-est , nord-eft , fud- oueft, nord-oueft,
A Paris , chez le Sieur Watin fils , Editeur , rue
Sainte-Apoline , Nº . 33 .
Nous avons fait connoître cet Ouvrage quand
il a paru pour la première fois; & les éloges que
nous lui avons donnés ont été justifiés par le ſuccès.
Leplan en eſt heureux , &l'exécution exacte,
Mémoire fur quelques objets qui intéreſſent plus
particulièrement la falubrité de la ville de Paris ,
par M. de Horne ; in-4°. de 16 pages. A Paris
chez J. Ch. Defaint , Imp, rue S. Jacques.
و
Tant de cauſes réunies dans les grandes villes
combattent contre la fanté des Citoyens , qu'il
eſt bien à défirer que des Savans zélés veuillent
bien y oppoſer de ſages & utiles conſeils. Tel
eſt l'objet de ce Mémoire ; le nom de fon Auteur
eſt un préjugé en faveur des moyens propoſés,
192
Forté-Piano , Violon & Contre-Baffe ad lib. Pris,
1 liv. 16 f. A Paris , chez l'Auteur , rue d'A
genteuil , Butte Saint-Roch , ancien Hôtel de la
Prévôté, Nº. 14 ; & Nadermann, Luthier , meme
rue , &c.
MERCURE DE FRANCE.
Ce morceau , qui a eu beaucoup de fucces
comme Symphonie , n'en a pas moins ſous cent
nouvelle forme. Les paroles qu'on y a mifes fort
les interprètes du ſentiment dont l'Auteur étoit
animé en le compoſant.
Julien & Colette , Comédie en un Acte & en
proſe , paroles de M. Pariſcau , repréſentée au
Théatre Italien , le 3 Mars 1788 ; dédiée à Mme.
Trial, Penſionnaire du Roi , & miſe en mulique
par fon fils , M. A. Trial, élève de M. de Saint-
Aman. Prix , 15 liv. Parties ſéparées , 6 liv. A
Paris , chez M. Boyer , rue de Richelieu , ancien
Café de Foy.
Cette jolie Muſique est l'ouvrage d'un trèsjeune
homine , qui s'annonce digne d'une famille
où les talens ſemblent héréditaires.
1
TABLE.
AMne. de ***
AM. D...
145 Dictionnairede Musique. 166
146 Délia. 180
Charade, Enig. Logog.
La Vie de Frédéric, Baron
de Trenck.
148 Académ. Roy. de Musty. 182
Annonces & Notices.
I501
184
APPROBATION.
J'Arlu, par ordre deMgr. le Garde des Sceaux ,
le MERCURE DE FRANCE, pour le Samedi 28
Juin 1788. Je n'y ai rien trouvé qui puifle ca
empêcher l'impreſſion.AParis,le27Juin 1788.
SÉLIS,
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
ه ل ل ا
POLOGNE.
De Varsovie , le 31 Mai 1788 .
La tentative des Autrichiens ſurChoczim
n'a pas eu le ſuccès qu'on ſembloit
eſpérer. Le Prince de Cobourg , avec fon
Corps de 17 mille hommes , a deux fois
( le 11 & le 15 ) inutilement bombardé
& canonné la place : le Pacha a tenu
ferme , & le 16 , les Afliégeans ſe font retirés.
Il eſt à remarquer qu'une de leurs
plus conſidérables batteries étoit montée
ſur le territoire même de la République..
Quant aux Ruſſes , ils font entièrement
ſéparés de leurs Alliés ; le détachement
du Colonel Westminow a rejoint le Corps
du Général Soltikof, qu'on croit réuni
aux Généraux d'Elmpt & de Kaminskoy,
qui ſe portent vers Oczakof.
La ville de Chelm , dans le Palatinat de
Nº. 26. 28 Juin 1788. g
( 146 )
Ruſſie , a éprouvé, le 4 de ce mois , un
incendie terrible , qui l'a preſque entièrement
détruite. Il n'existe plus de cette
ville que les Egliſes , les Chancelleries ,
les Archives , & quelques maiſons d'un
faubourg .
ALLEMAGNE
.
De Hambourg , le 7 Juin.
Le Roi de Suède , arrivé le 28 mai à
Carlscron , a fait le lendemain l'inſpection
de la flotte qui étoit en rade. Le
Duc de Sudermanie, frère de S. M. , ayant
ſous lui l'Amiral Wrangel , en a pris le commandement
. On conjecture, ſousdes
apparences affez légères juſqu'ici , que cette eſcadre ſe rendra àla radede Dantzick;
ce qui annonceroit une combinaifon
de projets avec d'autres Puiflances , qui forceroit la flotte Ruſſe à garder la
Baltique , au lieu de faire voile dans la Méditerranée
. Cette dernière flotte , au
reſte , ſemble oubliée depuis quelque
temps , & on ne parle plus du moment
où elle appareillera. Deux Exprès Suédois ont traverſé
cette ville, le 3
&le4, pour
ſerendre en
diligence de Stockholm àBerlin.L'onfup- poſe entre les deux Cours des négociations
ſecrettes , dont on ne pénètre
( 147 )
C
GNE
-
qu'imparfaitement la nature , & par conſéquent
l'iſque . Tout concourt à prouver
un grand mouvement dans les Cabinets
du Nord , & l'approche d'évènemens
férieux. Le Roi de Suède a accordé un
pardon général à tous les Déferteurs de
ſes troupes & de fa marine ; cet acte eſt
du 24 mai : le 10 avril , il en étoit émané
un pareil de la Chancellerie de Péterfbourg
, en faveur des Déſerteurs Ruſſes.
LaGrande Ducheffe de Ruſſie est heureuſement
accouchée , le 10 mai , d'une
Princeſſe , qui a reçu le nom de Catherine
Pawlona .
Il eſt queſtion d'armer à Cronſtadt une
ſeconde eſcadre compoſée de 8 vaiſſeaux
de ligne & de 18 galères , & qu'on croit
deſtinée à croifer dans la Baltique.
Voici le tableau général d'exportation
&d'importation dans le port de Péterfbourg
, pendant l'année 1787.
Exportation. Importation.
Roubles. Roubles.
Sujets Ruſſes ... 6,357,497.12,229,722
Anglois ........
Danois
8,188,324 ... 1,569,300
.. 454,074... 407,290
Impériaux .
Hollandois ......
Suédois
........
.....
Lubekois .......
9,867 ... 134,767
76,253 ... 258,010
89,918 ... 47,439
33,251 ... 106,910
gij
( 148 )
François 575.200... 152,836
ItLens. 13,203... 7,863
Hambourgeois... 33.404... 131,679
Prafiens. ... 11,667
Saxons 923... 39,468
Portugais.
66,903... 180,435
107,747... 34,011
... 49,230
12,974... 89,779
67,344... 134,138
Eſpagnols.
Meklenbourgeois.
Diveries Nations .
Patronsdenavires.
TOTAL.... 16,086,790 ... 15,664,552
De Vienne, le 7 Juin.
LeBulletin officiel publié aujourd'hui ,
continue encestermes le Journal des opérations.
«LesTurcs, campés prèsdeDubicza,envoient
journellement des patrouilles à la droite & à la
gauche de la place,&elles rentrenttous les foirs
après que la retraite a été battue; ils attaquent
auffi fréquemment la tête du pontélevé par nos
troupes; mais toujours ils fontrepouílés. Le 23
mai , ils attaquèrent , à quatre repriſes , le poſte
d'Ochigrie. Le feu continuel qui ſe faifoit de
part& d'autre, ayant attiré l'attention du Major
Mixich, poſté àDobroſzello , il envoya à Ochigrie
un ſecoursqui décida leur retraite. »
«Les dépêches du Prince de Cobourg font du30
mai.Acette époque, ſes troupesoccupoientencore
la même poſition; les forties de la garniſon de
Choczim étoient rares;elle avoitquelquefois , avec
nos troupes, de petites eſcarmouches, mais toujours
àfon défavantage.CeGénéralavoit reçu, le
--
( 149 )

:
26, avis que le Maréchal de Romanzof ſe propofoit
de paſſer le Dnieſter avec ſon armée , & d'en
faire défiler une brigade vers Choczim,pour mettre
plus à l'étroit cette fortereſſe , & lui faire fentir
les fuires de notre jonction. Le Comte de Mellene ,
Général-Major Ruſſe , lui ayant mandé qu'il avoit
reçu l'ordre d'aller lejoindre à Okopi avec quatre
bataillons des Grenadiers de Sibérie , quatre canons
& 200 Cofaques , il lui avoit répondu de prendre
ſa marche par la Pologne , près de Kaminieck ,
vers Hawrilowze , & d'y former un camp , afin
que l'ennemi , poſté à Choczim , pût s'apercevoir
de ſa préſence ſur les hauteurs qui dominent tous
les environs de la fortereſſe. Cette poſition le mettra
en même-temps en état de couper tout ſecours
de vivres qui pourroit être apporté de la Pologne
àla garniſon.>>
«Les nouvellesde l'armée du Bannat portent ,
que les Turcs , poſtés près de Semendria, enhardis
par la nouvelle de l'approche d'un renfort de
troupes avec un tranſportde munitions de guerre
&de provifions de bouche , qui marchoient vers
Belgrade , ſe ſont portés , à diverſes repriſes , vers
lesbords duDanube,pour inſulter nos poſtes avancés.
Il eneſt réſulté quelques eſcarmouches. "
<<Suivant les rapports du Comte d'Alton , le
Major Michaliewitz, poſté ſur la rive droite de
la Save , envoya , le 29 mai , une patrouille avec
ordre de reconnoître l'ennemi dans les environs
de Belgrade , & de s'emparer , s'il étoit poffible ,
des canons de la nouvelle batterie élevée devant
la fortereſſe , ou de les enclouer pour les rendre
inutiles ; & , dans le cas où il trouveroit l'exécution
de cet ordre impoſſible , d'aller attaquer le
détachement de l'ennemi qui ſert d'eſcorte aux
chevaux de ſomme & aux mulets du Gouverneur
gij
( 150)
:
de Belgrade , fur la route qui conduit au moulin
deKuafug-Ufein. Le premier plan n'ayantpu être
exécuté , la patrouille alla attaquer le tranſporn,
&s'empara de 20 mulets & de 31 chevaux.
«Des rapports certains , reçus de la Valachie ,
portent , que le Grand-Vifir eſt à Sophie à
tête de 80,000 hommes. On ignore le jour on
il continuera fa marche pour Widin ; en attendant,
il a déja fait défiler des troupes de ce côté. Un
Séraskier , qui eft à Widin à la tête de 10,000
hommes , dirige a fa marche vers Kladova ; lort
qu'il y aura pris poſte, Memis Pacha fe portera ,
avec 2000 hommes, dans la Valachie : 1400
Tarcs font poſtés à Czernecz , où leur nombre
doit être augmenté; 3000 autres le font à Krajova.
Le Pachade Romélie, àla tête de 30,000 hem. , a
pris fa direction veis Pelgrade, en marchant par
Niffa , & a été remplacé, à Sophie , par des
troupes fraîches verues d'Andrinople. Il a été
arrêté de jeter un pont à Kladova ; le diftrict de
Czernecz doitfournir le bois néceſſaire. Le premier
Aga & le Capitſchi-Pacha dirigent cet ouvrage;
lorſqu'il fera achevé, le Grand-Viſir ſe portera,
avec fon armée à Kladova. »
« Les lettres de nos Corps poſtés le long des
frontières , depuis le golfe Adriatique juſqu'au
Dniefter , affurent unanimement qu'il n'y a pas
la moindre apparence de maladies contagieuſes , &
qu'ony doitcraindre encoremoins la poſte. "
Le 26 mai, l'armée n'avoit pas encore
paffé la Save. Les 24 & 25 du même
mois, des détachemens de la garniſon de
Belgrade ont tenté de nouvelles atta
ques contre la digue de Befchania , mais
ils ont été repoullés chaque fois.
Le
( 151 )
ころ!
12
"
24
3

bruit ſe répand que le Grand-Vifir ſe porte
du côté de la Tranſylvanie. - Le Prince
de Cobourg étoit encore près de Choczim
le 26 mai ; mais juſqu'à cette date , cette
place ne s'étoit pas encore rendue.
eft entré un renfort de 10,000 hommes
dans Belgrade , fous la conduite d'un nouveau
Pacha.
I1
Le Général d'Artillerie de Langlois &
le Major-Général Comte de Nadasdy ne
pouvant plus continuer le ſervice à la
grande armée , pour cauſe de ſanté , le
premier reprendra le commandement
général des Provinces qui compoſent
l'Autriche intérieure & la haute Autriche,
& l'autre paffera au commandement des
troupes en Moravie. Le Général de Langlois
eft remplacé à l'armée par le Lieutenant-
général Baron de Gemmingen
le Comte de Nadasdy par le Colonel Baron
de Lilien , qui a été élevé au grade de
Major-général.
,
DeFrancfortfur- le-Mein, le 14 Juin .
&
A l'occafion de la revue de Magdebourg
, le Roi a fait une promotion militaire.
Les Majors-généraux de Golz , de
Bork & de Romberg ont été faits Lieutenants-
généraux d'Infanterie , & le Majorg
iv
( 152)
général de Kalkreuth Lieutenant-général
de Cavalerie. Les Colonels d'Infanterie
de Wangenheim , de Kleift & de Thadden,
& les Colonels de Cavalerie de Gilfen,
de Dalwig & de Buddenbrock , ont été
élevés au grade de Major-général .
On dit aujourd'hui qu'unetrahifon des
Tatars de la Crimée , eſt le principal motif
qui a décidé les Ruffes à changer leur
plan d'opérations. On affure que ces Ta
tars ayant demandé & obtenu de l'Impératrice
36,000 armes à feu pour la dé
fenſe de leur Patrie , ils en ont donné
fecrettement avis au Divan de Conftantinople
, & de concert avec le Ministère Ottoman
, ils étoient convenus d'un jour
pour tomber à l'improvifte fur lesRuffes,
pour les mafſacrer , ou les chaffertous le
même jour de laPéninfule. Cette confpiration
a été découverte à temps ; on étoit
fur le point d'incorporer ces Tatars aux
régimens Ruffes , & de s'emparer ainfi de
leurs armes : mais ſe doutant que leur fe
cret avoit tranſpiré , ils ont pris le parti
de ſe ſauver avec leurs chevaux dans les
montagnes. On fent qu'un pareil bruit ne
doit pas être reçu fans défiance.
Les armées de l'Empereur dans la Hongrie, la
Galicie , la Transylvanie , le Bannat , l'Esclavonie
&laCreatie , foat compoſées de 218,200 hom- mes; elles montent à 275,000 hommes , en y
comprenant lesCorps Francs , le fecondrégimene
( 153 )
degarniſon attaché à l'Etat-Major de l'Infanterie ,
l'Artillerie&les Bombardiers au nombre de 7,000;
10,000 Chaſſeurs & Arquebuſiers ; 1,000 Ingé-
Sale nieurs , 4,000 Mineurs ; 1,000 Pontonniers , 1,000
Tſchaihs ou marins ; 25,000 hommes employés
aux charrois , 4,000Boulangers & 2,000 Chirurgiens.
Chaque bataillon d'Infanterie & chaque diviſion
de Cavalerie a pour ſon ſervice 6 pièces de
canon & un obuſier ; ce qui fait pour tous les
bataillons & diviſions 1,290 canons & 215 obufiers
. Les bataillons & les divifions qui , depuis le
24 avril dernier, ont reçu l'ordre de marcher , ne
font point compris dans cette énumération.
ESPAGNE..
De Madrid, le 4 Juin .
On préſume que , moyennant le droit
de trois pour cont , l'extraction des piaftres
va être permiſe ; ce qui accrédite
cette opinion , c'eſt la réſolution qu'a pris
le Roi d'agréer celle de la Banque , qui renonce
à l'entrepriſe du canal de Guadarranea
, de faire conſtruire cet ouvrage par
régie , & d'affigner le paiement des travaux
ſur les droits à percevoir à l'exportation
des piaſtres .
?
« On nous annonce ſur la Méditerranée
, non-feulement une eſcadre Ruſſe ,
mais encore une eſcadre Danoiſe , ce qui
nous paroît extraordinaire (1 ) . Nous fa-
(1) Avec juſte raiſon , car ce bruit n'a aucun
fondement.
gv
(154 )
vons auffi que les Barbarefques , avec qui
nous fommes en paix , au lieu de prèter
comme nous des ſecours aux vaiſſeaux qui
compofent ces flottes, ſe préparent à les
moleſter & à les attaquer pour arrêter
leur marche. »
« Nous apprenons par une belandre
venue de Londres à Cadix , le 20 , que
refcadre Ruffe qui étoit mouillée à Pimouth
ſe propoſoit de lever l'ancre, pour
continuer fa marche vers le détroit (2). »
« On écrit de Cadix , qu'une fregate !
Angloiſe de 26 canons , fuivoit depuis
pluſieurs jours notre efcadre d'évolutions,
& paroiffoit examiner de fort près toutes
ſes opérations ; le Commandantl'a faitapprocher
de fon bord, a dit à l'Officier qui
la commandoit , que s'il ne s'écartoit pas ,
il l'y forceroit par les moyens d'ufage en
pareil cas: en effet, cette frégate s'eſt retirée
, & n'a plus reparu . >>
GRANDE
-BRETAGNE
.
De Londres , le 17 Juin.
L'eſcadre de l'Amiral Gowerlebornera ,
ſuivant l'opinion générale , à des évolu-
(2) Autre preuve qu'on eſt auflibien informé
àMadriddes évènemens lointains , qu'on l'est par
tout en général
( 155 )
3
:
-
tions pour exercer les équipages : manoeuvres
qui doivent ſervir à l'inſtruction
du Prince William- Henri , Capitaine de
la frégate l'Andromède, réunie à l'eſcadre .
-Depuis fon départ , les Lords de l'Amirauté
ont délivré encore des commiffions
à quelques Officiers . Dans
le courant de l'été , Lord Howe & les
autres Commiſſaires de l'Amirauté feront
la viſite des principaux ports & chantiers .
-Le Corps de la Marine a perdu la femaine
dernière , un de ſes Officiers-Généraux
les plus recommandables , le Che .
valier John Lindsay , Contre- Amiral , qui
laiffe vacant undes colliers de l'ordre de
Bath.
Le vaiſſeau Danois la Jeanne Marie ,
qui a relâché à Douvres , a apporté des
dépêches du Bengale & de la côte de Coromandel
à la Compagnie & aux particuliers
: plus de dix mille lettres font arrivées
par ce bâtiment.
,
M. Sheridan poursuivit , dans la 34 .
Séance des Pairs , le plaidoyer dont nous
avons rapporté la première partie : il reprit
l'examen des affidavits recueillis par
le Chevalier Elijah-Impey , c'est-à-dire
l'interprétation de neuf de ces dépoſitions
poſitives & affermentees ; les autres , fuivant
lui , ne contenant rien de relatif à
la révolte des Begums. C'eſt toujours la
gvj
( 156 )
tradition de ce Difcours par l'organe des
Papiers publics, & non ce Difcours même,
que nous ſommes forcés de ſuivre ; les
notes hiſtoriques que nous y joignons,
font appuyées ſur l'évidence publique.
«L'un desdépoſans, poursuivitl'Orateur, Officier
employédansundenos régimensdeCipayes , affirmaquedans
un fort où il commandoit , ilavoit en
ôtage ungrand nombrede naturels dupays,envoyés
parleCol. Hannay. Les habitansducanton vinrent
demander leurdélivrarce; mais au lieud'acqu'efcer
àleurrequête , il mità mort une vingtaine de ces
prifonniers. Quelque temps après , ayant renverfé
pluſieurs des fortifications de la place , il avoit
fait tuer encore quatre-vingt des ôrages ; & enfin
au bout de quelquesjours on avoit coupé, par les
ordres du Colonel , dix-huit têtes , entre leſquelles
ſe trouvoit celle d'un Rajah. Cetteexécution avoit
foulevé le peuple ; dans fa fureur il entouroit
le fort , & l'on avoit entendu quelques-uns de ces
Indiens dire que les Begums avoient offert cent
roupies par tête d'Européen , cent pour celled'un
Officier de Cipayes , &dix pour un fimplefoldat
noir ; mais on vit évidemment par la fuite, que
ces récompenfes n'avoient jamaisétéoffertes; car
quand le détachement du Capitaine Gordon s'étoit
misencampagne , lepeuple, enl'entourant, s'étoit
contenté delui demander de rendre armes & bagages,
en offrant de le laiſſerpaſſer lui & fes foldatsàcettefeulecondition.
Cespauvres gens étoient
ſipeudiſpoſés às'enrichirparle maſſacredestroupes
Angloiſes,que cedétachementduCapitaine Gordon
ayant étéréduitpar la défertion à dix hommes , dont
lavie oula liberté étoientàleur merci , lepeuple,
fatisfait dela difperfion de ce Corps, avoitpris le
parti deretoumerdans ſes foyers , fans en atta146)
( 157 )
هللا
5
-
quer les foibles reſtes; bien gratuitement celui- ci
avoit ſuppoſé dans ſon affidavit des efforts de la
part des Bégums pour encourager le peuple à fe
révolter. Il s'étoit fondé ſur ce qu'à fon arrivée
aux bords du Sanda-Nutta , fur la rive oppoſée
duquel eſt la ville de Tanda , le Fogedar ouGouverneur
qui ycommandoit pour la Bow-Begum ,
dans le Jahghire de laquelle cette ville ſe trouve
enclavée , ne lui avoit pas envoyé à l'inſtant des
bateauxpourle conduire lui & ſes gens , & même
que ce Fogedar avoit fait pointer 3 ou 4 canons
far la rivière . Mais en admettant la vérité
de ces faits , on n'en peut rien conclure contre
lesBegums , parce qu'il étoit du devoir du Fogedar
d'être surses gardes , & de ne point laiſſer entrer
detroupesdans ſon fort juſqu'à ce qu'il fût parfaitement
pour quelle raiſon elles paroiſſoient devant
laplace. De plus , rien n'indiquoit dans l'affidavit
que ce fût contre le Capitaine Gordon& fes gens
que les canons euffent été pointés. Il étoit poſſible
que cette petite artillerie eût ſervi à difperfer
ceux qui le pourfſuivoient ; car il feroit aſſez fingulier
qu'on ſe fût attaché à le pourſuivre tandis
qu'ilétoiten force,& qu'on eût abandonné l'attaque
lorſque , par la déſertion de ſes ſoldats , ſon détachement
ſe trouvoit réduit à dix hommes. Après
tout , quelle qu'ait pu être la cauſe de la difperfion
de ſes ennemis , il eſt ſûr que le Capitaine paſſa
la rivière & se trouva en fûreté ſur l'autre bord ,
dès qu'il fut entré dans une ville dela domination
des Bégums , qui l'envoyèrent enfuite avec une
eſcorte au colonel Hannay : dernière circonſtance
ſupprimée dans l'affidavit donné par le Capitaine.
Dans quelles vues ? c'eſt ce que l'Orateur ignoroit
; mais il oppoſeroit à cet affidavit tronqué ,
le récit naïfde la choſe , contenu dans une lettre
de la Bégum elle-même à M. Bristow , réſident
(158 )
de la Compagnie à Lucknow , où le Capitaine
Gordon reconnoît devoir la vie à la Begum , dass
une lettre de remerciment (1 ). »
«Commentle Capitaine , après une déclaration
ſi poſitive, a-t-il pu fupprimer enfuite toute trace
(1) Les Lecteurs qui portent quelque reſprt à la vé
rité, & qui la cherchen:, tandis que le vulgaire rend des
arrêts fans informations , fans réflexions , fans connoilfance
d'aucune des queſtions fur leſquelles il décide ou
déclame, peuvent relire , dans le Nº. 22 de ce Journal ,
pag. 213&fuivantes , le précis que nous avons été autorités
apublier touchant la déposition du Capitaine Gordor.
Ce reſpectable Officier a provoqué les Accufateurs, aca
face de l'Angleterre , de recevoir fon témoignage : is
l'ont écarté avec autant de ſoin qu'il a mis d'ardeur a la
demande. M. Sheridan fait ici l'aveu de fon refus. Or
le Capitaine Gordon a atteſté, il atteſte, il atteſtera que
fon détachement de 500 hommes , que l'Orateur fait eranouir
icipar la désertion , fut maſſacré , difperfé, ca pris
avec fon convoi , fon artillerie , ſes bagages, par les Zemindars
de la Bégum, fous les yeux du Fagedar de la
Begum, qui lai refufa le paſtage de la rivière, en lemenaçant
de tirer fur lui , & en le livrant à la merci des ennemis
, dontfon détachement fut entouré. Ce Fogedar étoit
lefils adoptifdu premier Miniftremême dela Begum, de fon
Eunuque affidé, Bahar-Ally-Cawn. Pouvoit-il ignorer
que les Anglois, chargés de la garde des Etats du Nabab ,
leur Allié ,&fouverainMaître desapanages de la Begum ,
attendoient de lui , non- feulement refuge , mais encore
affiftance ? S'il pointa fes canons, comme l'infinue dérifoirement
M. Sheridan, contre les ennemis du Capitaine
Gordon , pourquoi , fans tirer un ſeul coup, laifa-t-il
maffacrer ou prendre fous ſes yeux le corps preſque entier
de cet Officier ? Pourquoi lui refufa-t-il le paffage de la
rivière ? Si, dans la dernière guerre , un vaiſſeau François,
pourfuivi par une eſcadre Angloiſe fr les côtes d'Elpagne,
eût tenté de ſe réfugier a Cadix ou au Ferrol , &
queles Commandans de ces ports , au lieu de lui donner
afyle , l'euffent menacé de faire feu fur lui , & laitfé
prendre ou couler à fond par l'ennemi , de quel oeil la
Courde France auroit-elle envisagé cette perfidie ? Quel.
qu'un eût-ik olé faire à Paris des tours de force pour
jotifier une pareille atrocité ?
( 159 )
$
3
1
de cette faveur dans ſon affidavit ? Le Conſeil du
prifonnier a informé d'un air triomphant Vos
Seigneuries , que le Capitaine Gordon étoit dans
l'aſſemblée , & pouvoit être examiné fur ce point ;
cependant les Commiſſaires de l'impeachment ont
évité de l'appeler en témoignage à la barre , où
ils penſent qu'il ne devroit paroître que pour témoigner
fon repentir d'avoir fait injure à ſa bienfaitrice.
Je fuppoſe que quand il a rédigé fon
effidavit , il a été féduit par l'idée que le Gouverneur
général ſe propoſoit d'en faire un uſage tout
différent de celui auquel cette pièce a ſervi . Le
Dépofant peut avoir cru que cet affidavit n'étoit
deſtiné qu'à prouver de quelle manière il avoit
perdu fon bagage, & juſqu'cù montoit la perte dont
laCompagniedevoitl'indemnifer. Non , meflieurs ,
s'il avoit fu qu'on ſe prévaudroit de cette pièce
pour dépouiller la Begum de ſa propriété , il ne
l'auroit pas donnée. Je ne veux pas faire cet outrage
- à la nature humaine , de ſuppoſer poffible que le
Capitaine Gordon eût cherché à ſauver fa vie en
chargeant la Begum du crime de trahifon. Cette
vie, qu'il tenoit d'elle comme un don , ce pouvoir
qu'il avoit d'invoquer le nom du Tout- Puiſſant
comme garant de la vérité de fa dépoſition , qu'il
tenoit encore d'elle , iln'auroit jamais pu les employer
contre elle , s'il avoit cru qu'ils préparaſſent
fa ruine ; non , il n'auroit jamais eu l'audace de
dire à la face de Dieu & des hommes : « Illuftre
>> Princeſſe , le ſalut de votre ſerviteur dépend
>>> entièrement de votre faveur & de votre bien-
>> veillance ; & pourtant cette vie que je tiens
>> de votre faveur & de votre bienveillance , je
>> l'emploirai pour vous perdre. ( 2 ) »
(2) L'eftimable& digne Officier, traitéici avec fipeu de
ménagement , fera appelé par M. Haflings endépoſition , & repouſſera lui-même l'outrage de cette déclamation :
( 160 )
«Mais on a dit, on repétera peut-être que
fi la Begum a ſauvé le Capitaine Gordon , ce n'eft
pas une preuve qu'elle n'ait point pris de part à
la révolte : elle avoit appris le ſuccès de nos armes
contre Cheitfing; ſa politique lui a fait épargner
la vie d'un Officier Anglois, & par cette généroûté
apparente , elle a cru prévenir une enquête
fur ſaconduite antérieure.-Je prouve la
ſeté de ces infinuations , par la date de la lettre
du Capitaine à la Begum , où il la remercie de
lui avoir ſauvé la vie. Cette lettre eſt du 14
ſeptembre, & l'affreuſe ſituation de nos affaires
à Benarès continua juſqu'au 23 de ce mois. Elles
étoient même dans un état fi déſeſpéré , que les
plus habiles Officiers preſſoientM. Hastingsdefaire
la paix , à quelqueprix que ce fût , avec Cheitſing.
Il eſt donc évident que la Begum a ſauvé lavie
du Capitaine au moment même où les Anglois
déſeſpéroient de la cauſe de leur patrie. (3 ).
lafaufremarquons-
en feulement la logique. Le fils du Miniftre
delaBegum laiſſe maſſacrer 500 Anglois; leur Capitaîne
échappe ; il réclame la foi des alliances ; la Begum craint
àfon tour la vengeance des Anglois , & défend de tuer
M. Gordon : celui-ci , livré ſans défenſe aux mains de
cette femme, la remercie de l'avoir épargné; & parce
qu'elle n'a pas commis envers lui le dernier des forfaits,
en faifant affaffiner fon Allié défarmé , il lui doit de la
reconnoiffance ! taira dans une dépofition ſous ferment
les circonftances de fa trahison !En vérité, il faut bien
du courage ou de la crédulité pour dévorer de pareils
argumens.
(3) Ces dates font notoirement inexactes ; on ne doit
donc pas imputer ce paragraphe àM. Sheridan, La rébelliondont
laProvince deBencrès éclata au milieu d'août,
s'accrût &fe foutint avec fuccès juſqu'au 25 du même
mois. Acette époque , volèrent de toutes parts au ſecours
de M. Hastings , les divers détachemens de troupes répandus
fur les frontières. La poſition des Anglois étoit
critique , mais fi peu déſeſpérée, qu'en moins d'immois
( 161 )
31
« Je nie que les Begums aient envoyé de Fizabad
mille hommes au ſervice de Cheitſing ; ceux
qui les en accuſent n'ont jamais vu ces mille hommes
, ou ils ne les ont vus que de oui-dire. Bien
plus , la lifte des troupes de Cheitfing , ſignée par
le Commandant , ne faisoit mention de perſonne
de Fizabad , réſidence des Begums , mais bien de
mille hommes de Lucknow , réſidence du Nabab.
Les fauteurs de cette accuſation ont dit très-fagement
,& à bonne intention, qu'il y avoit erreur ,
qu'on avoit pris une capitale pour une autre , &
que puiſque ces mille hommes n'avoient pu être
envoyésde Lucknow , il falloit bien qu'ils l'euſſent
été de Fizabad. C'eſt en vérité une plaiſante afſertion
que celle que nous font-là des gens qui
n'ont jamais vu ce corps de troupes , pour infirmer
l'autorité d'une liſte ſignée par un officier
d'un haut rang dans l'armée de Cheitfing , d'un
officier ſous les ordres duquel ces mille hommes
ont fervi , & qu'on peut fuppofer avoir ſu d'où
ils venoient. En outre , bien loin qu'il ſoit impoſſible
qu'ils aient pu être envoyés de Lucknow ,
il est très-probable qu'ils l'ont été ; car M. Hastings ,
qui nous fournit toujours les meilleurs témoignages
,
la révolte fut anéantie. Le 3 fptembre , le Major Blair défit entièrement un corps de rebelles ; le 10, toutes les troupes Angloiſes & Cipayes furent raſſemblées à Chu-
Cheitfing n'avoit
nar. A cette armée confidérable
pas à oppofer 1800 hommes qu'on pût appeler foldats ; ilécrivit pluſieurs lettres de foumiffion à M. Haftings , qui , fûr de l'événement , refuſa de lui répondre. Le 20 ſeptembre,la fortereffe de Pateerah fut emportée , & les ennemis diſperſés preſque ſans combattre. A la même date , le Major Crabbe s'emparade Lora , défit un autre Corps , obligea le Rajah à ſe ſauver précipitamment de Lutteſ- poore,& avant la fin du mois , la contrée redevint par- faitement paiſible. Le Journal de ces événemens eft conſtaté par les relations des deux partis , & perſonne
n'en a contefté l'authenticité.
(12 )
contre lui-même, adit dans ſanarration queles
favoris du Nabab qui environnoient conftamment
fa perf nne, craignant l'influence desAnglois fur
leur maître , étoient réellement les ennemis des
Anglois , & fe donnoient publiquement pour tels.
Ileſtdoncbienprobable que ce font ces perfonnes ,
&non les Begums , quiont envoyé les mille foldats
à Cheitſing. (4). »
« M. Sheridan eſſaya enfuite de montrer que
leNabab n'avoit jamais entendu parler de la rebellion
de fa mère , lors même qu'on prétendoit
qu'elle fe montroit avec toute fa fureur; car ,
dit- il , à cette époque , il vint lui faire une vifite
en revenant de Chunar , & il ne prit avec lui que
600 hommes de Cavalerie , qui même ne l'ac-
(4) A cette époque , où l'Orateur fuppofe mille foldats
envoyés de la Capitale du Vifir contre les Anglois ,
ce Vifir lui-même étoit au milieu d'eux , & venoit d'accourir
à leur fecours. Ces mille hommes avoient joint
les rebelles ; M. Sheridan l'avoue : par qui furent-ils envoyés?
par les Miniftres du Vifir , donnant à l'inſtant
mêmetoute affiſtance aux Anglois , ou parles Begums, dont
les Zémindars maſſacroient le détachement du Capitaine
Gordon,& dont les Commandans facilitoient cemaſſacre?
Perſonne , je crois , ne balancera ſur la ſolution du problême.
Obfervons bien que jamais femme Muſulmane,
Sultanne ouBegum , n'a eu le droitde lever des troupes,
de commander à des Provinces , de s'approprier les tréfors
publics,d'ordonner la marche d'une armée,&c. Tous ces
actes de la Begum étoient donc autant d'illégalités &
d'ufurpations palpables. A- t - on jamais oui parler dans
aucun des Etats gouvernés par la loi de Mohammed,
d'une femme en poffeffion de la Souveraineté , même fur
un Village ? Il ſeſt vrai que , pour accorder tout , les
Gazettes, dont la plupart s'expliquent fur cette affaire
d'une manière étrange , parlent des Begums comme étant
de la religion Indous , & de la première Cafte , &c . Ces
Editeurs enfont encore à ignorer que les Begums , Sujah-
Dowla & toute fa famille , étoient & font Mogols &
Mufulmans,
( 163 )
4
L
-
compagnèrent pas juſqu'à Fizabad , parce que leur
ayant fait faire une marche forcée , il fut obligé
de les laiſſer en route ; de forte qu'il vint ſans
ſuite voir une mère que l'on prétendoit avoir confpiré
contre lui pour le détrôner ; & cette mère ,
Le Confeil de il en fut reçu comme un fils.
M. Hastings a effayé de prouver que le Nabab
s'étoit rendu à Fizabad escorté de deux mille che- vaux , parce que , dans ses voyages , iln'en emmenoit
jamais moins. J'accorde ce fait au Conſeil ; je
le regarde comme prouvé s'il lui tient tant au
coeur; il n'en réſultera autre choſe , finon que le
Nabab prit avec lui le nombre de gardes ſans lefquels
il ne marchoit jamais ; qu'ils le ſuivirent
dans cette occafion comme de coutume , comme
faifant partie du train d'un Prince,& non comme
une armée qui va étouffer une révolte. (5) » " Quant aux inſurrections dans le diſtrict deBa- rach , qui y a donné lieu ? Les oppreſſions , les cruautés du Colonel Hannay & de ſes Officiers ; atrocitéspar leſquelles un peuple qui regardoit la patience commeundevoir ,& la foumiffion comme une vertu , a été entraîné à réſiſter. Les lettres
du Capitaine Nayler nous apprennent qu'en ſe conduiſant avec douceur , équité & justice , il a défarméles Zemindars , quiſe ſont hâtés de fournir àfon camptout ce dont il pouvoit avoir beſoin , dès qu'ils reconnurent qu'il agiſſoit , lui & fes troupes , d'après les principes tout oppoſés à ceux du Co- lonel Hannay : comme c'étoit l'oppreſſion ſeule qui les avoitarmés , les bons traitemens ont prouvé qu'ils n'avoient pris les armes que pour leur dé- fenfe,& les leur ont fait dépoſer avecleurs ſujetsde plaintes . Cette marche , avouée par l'humanité , a
1
( 5 ) La révolte étoit complettement aſſoupie au retour
du Nabab.
( 164 )
fi bien reuſſi au Capitaine Naylor, il a tellement
gagné fur ces pauvres gens , qu'il s'eſt vu en état
de tirer de ſa ſituation dangereuſe le Colonel
Hannayluimême, leurcommunennemi. Les détails
contenus dans les lettres du Capitaine Naylor font
frémir l'humanité ; il a vu un grand nombre deces
malheureux , qui ne vouloient pas laiſſer panfer les
blefſures reçues en combattant contre leurs tyrans ,
étendus fur les bords des rivières; ils prioient le
ciel que leur fang montât devantle trône du père
commundes hommes , pour appeler la vengeance
divine fur les têtes de ceux qui s'étoient rendus
coupables de trahifon contre le ciel, en pillant des
créatures de Dieu , &c. "
«Quant àl'affaire de Chunar,& aux aſſertions de
fir Elijah-Impey à ce ſujet, je me fais fort , dit
M. Sheridan, d'en démontrerla fauffeté à l'homme
lemoinsclairvoyant.Toutecerte fiction aétéconçue
par lacrainte,&mife en avant par la néceſſité.Sir
El,ah&fesamis ont affirmé , que fixjours avant la
date que j'avois indiquée , il abandonna Chunar , &
quedurant cettepériode ilne vitpointM. Hastings,
ni ne s'entretint avec lui. Qu'il ait abandonné
Chunar, cela est évident; il l'eſt encore que, dans
fon voyage & au temps même dontj'ai parlé, il
étoitaccompagnédeM. Hastings. Sir Elijah &l'accufé
ont quitté Chunar pour des affaires, fans doute
très-importantes; ils l'ont quitté pour concerter
entre eux, finon la deftruction , du moins lemalheurdesBegums
: mais ilsont fi mal conçu&tracé
leurplan, quantau ſecret&àla vraiſemblance , que
lamoindre recherche a ſuffi pour en découvrir la
trame.
« M. Sheridan s'étendit ſur cette partie de fon
difcours , endémontrant la perplexité & l'inconfiftance
deM. Haflings&de ſes adhérens. Ces gens,
Adifférens d'opinions, ſe ſont pourtant réunis &

4) ( 165 )
-
e parfaitement entendus , quand il a été queſtion d'argent
ou du malheur des Princeſſ's &du Nabab : il
y avoit pour la conduitedes affaires eſſentielles , trois
perſonnages principaux , & trois fubordonnés , qui
Cant avoient l'air de vivre dans la meilleure union , mais
qui dans le fait étoient gouvernés par la crainte , la
jalouſie & l'avarice. Les trois principaux étoient ,
M. Haflings , M. Middleton , & fir Elijah ; les trois
en ſous-ordre , le Major Davy , leColonel Hannay
&Hyder Beg Khan ( 6 ) , donnoient leur ſanction
à tous les projets bas , rapaces ou cruels ; & la barbarie
qu'ils exerçoient , ils l'ont portée au point
d'imprimer une tache indélébile au gouvernement
Anglois.>>

« L'orateur parla enſuite des ſoupçons qui
avoient exiſté entre les parties.Une fois,entre autres,
dit-il , on ſuſpecta M. Middleton d'avoir reçu une
certaineſomme, parletraitéde Chunar. M. Middleton
prit l'alarme ſur ledanger que couroit ſon honneur ,
&écrivit ſur le champàM. Hastings , pour ſe laver
de cette tache ; il affirma ſolennellement , qu'il n'avoit
tiré aucun avantage pécuniaire du traité de
Chunar,affaire dans laquelle il s'étoit conduit par le
zèle le plus pur pour le bien du gouvernementAnglois.
Ilyapourtant une petite remarque aſſez plaifante
àfaire; c'eſt que tandis qu'il exiſtoit un ſoupçon
&uneaccufation, le parti accuſateur étoit actuellement
enpoſſeſſion d'une ſomme de 100,000 liv.
reçue d'après des clauſes & une influence ſecrette
dans le traitéde Chunar. C'est ainſi que , même dans
laplus brillante proſpérité,l'injustice ne peut entretenir
l'harmonie , l'amitié ſincère , ni le véritable
accord , auquel s'oppoſe l'avarice. Chaque fripon
(6) Ce dernier eſt Miniſtre actuel du Viſir - Nabab
Oude.
( 168 ) danslesGazettes,ou recueilliesdesGazettes
ſous le titre de Discours , &c., Recueils du Procès, &c. , doivent être abandonnées
à la claſſe d'hommes
, dont la crédulitéfoutient
le trafic utile des imprimeurs avec le public. La dernière partiedu dicoursdeM. Sheridan étantuneeſpècede récapitulation
dece quiprécède , nous nousabſtenons d'y revenir , d'autant mieux que la foule d'in- vectives & de métaphoresde mauvais goût dontlesEditeursl'ont chargée , ſuffit pour
en faire fufpecter l'authenticité
. C'eſt le 13 que M. Sheridan a conclu cette ſeconde Charge relative aux Be- gums : le même jour, ſur la Motion du Chancelier
, il fut arrêté , dans la Cham- bre Haute , d'ajourner la Cour & le pro- cès AU PREMIER
MARDI DE LA PROCHAINE
SESSION
.
<<Après une inſtruction de 35 jours , » dit à ce ſujet le Public Advertiſer; » après une immenſe prodigalité d'élo- >> quence , & un corps d'informationsqui >> ſurpaſſe tout ce qu'on ajamais vu dans » aucune Cour de Juſtice ; enfin , nous » voilà arrivés à la TROISIÈME CHARGE !
>> N'y a-t-il pas autant d'impertinence
que >> d'injustice dans la ſcandaleuſe conduite
» de tant de Scribblers , qui, ſans queM. » Hastings ait encore ditun mot pourfa » défenſe , ſans qu'il ait produit aucune » preuve, aucuntémoin, ſe ſontempreffés,
( 169 )
>> ſés , à chaque Séance , de le traiter avec
>>une infolence d'autant plus vile, qu'il
>>> lui eſt interdit de ſe faire entendre , &
» qu'il eſt juſqu'ici à la merci de ſes Ac-
>>>.cuſateurs ? Mais ces forties entroient
>> dans le plan d'élever la prévention pu-
>> blique contre lui. Choſe inouie dans ce
>> royaume ! choſe qui outrage le caractère
>> national , plus que l'affectation de bien-
>> veillance & de généroſité envers les In-
>> diens ne pourra l'honorer. »
Le Parlement , à ce qu'on croit , ſera
prorogé dans huit jours. Les dernières
Séances ont été trop peu intéreſſantes
pour en faire mention.
ÉTATS - UNIS.
New-Yorck , le 26 avril 1788.
Un grand nombre de Citoyens adoptent
avec zèle la nouvelle conſtitution
fédérative ; mais ce zèle n'eſt pas généra!.
Dans pluſieurs Etats , il s'eſt élevé des
partis très-puiſſans contre des innovations
qui , en attribuant au Congrès de
trop grands pouvoirs , menaceroient peutêtre
la République de tomber de l'anarchie
dans un deſpotiſme aristocratique.
Les partiſans du nouveau Gouvernement
avoient compté ſur le New Hampshire , qui
a complettement trompé leurs eſpérances.
Les Députés à la Convention de cet
No. 26. 28 Juin 1788. h
( 170 )
Etatn'ont trouvé d'autre expédient, pour
prévenir le refus de l'Affemblée, que de
l'ajourner au troiſième mardi de juin: ce
délai pourra leur donner le temps d'amener
leurs Concitoyens à d'autres ſentimens
.
Le Comté de Carl-ifle, enPenſylvanie, a fo- Jennellement
proteſté contre lanouvelle forme de Gouvernement
;le Rhode Island, qui en avoit ſoumis l'examen aux conventicules de chaque dif- trict , eſt le premier Etat qui l'ait rejetée. On ne compte guère ſur le conſentement de l'Etat de
New-Yorck. Juſqu'à préſent il n'yadonc que fix
Etats qui l'aient adoptée,New-Jerſey, Delaware, Géorgie, Penſylvanie, Connecticut& Maflachu- ſet. En attendant la déciſion de cette queſtionim- portante, le Congrès eſt dans undénuementcom plet; ſes finances font épuisées, & il s'y trouve rarement un nombre ſuffifant de Délégués pour délibérer fur les affaires publiques. Les Etats indi- viduels continuent d'exercer ſur leur territoire, tous les droits de la ſouveraineté , & à faire des loixqui ne s'accordent guère aveclesengagemens pris par le Congrès avec les Puiſſancees étrangères. Le commerce , qui , à la paix, avoit eſſuyé une grande ſecoufle, s'y rétablitinſenſiblement , quoi qu'il foit moins lucratif qu'avant la guerre.
Il s'eſt paſſé ici dernièrement
uneſcène populaire qui a entraîné quelque effufion
deſang. Des Profeſſeurs d'Anatomie ayant fait enlever, pendant la nuit , pluſieurs cadavres récemment enterrés,pour lesdiſſéquer, lepeuple s'attroupa, le 15 de ce mois, au nombre de 1500, vifita les maiſons desMédecins ,&fepermit les plusgrands
1
( 171 )
excès contre les Magiſtrats, dont pluſieurs furent
b'eilés. Le Gouverneur ne putaflensbler que quelques
miliciens pour contenir la foule ; mais il fut
repouſſé , tiré par les cheveux , & très maltraité.
La populace vouloit abfolument goud.onner &
emplumer les Médecins coupables . On ne parvint
à calmer ſa fureur qu'en lui promettant de
procéder juridiquement contre les co. pables. M.
Jay, Secrétaire des Affaires étrangères , fut dangeureuſement
bleſſé au front d'un coup de pierre;
quatre hommes du Peuple furent tués& plufieurs
autres mutilés .
FRANCE.
De Versailles , le 18 Juin .
La Cour a quitté le château de Saint-
Cloud , d'où Leurs Majeftés ſont revenues
ici le 15 .
Le Marquis de Bombelles & le Comte
de Châlon , Ambaſſadeur du Roi , le premier
près Sa Majeſté Très - Fidelle , & le
ſecond près la République de Venise , de
retour en cette Cour par congé , ont eu
l'honneur d'être préſentés au Roi par le
Comte de Montmorin , Miniftre & Secrétaire
d'Etat , ayant le Département des
Affaires étrangères .
Les Secrétaires du Roi de la Grande-
Chancellerie, ayant à leur tête le St. Tiffet,
qui a porté la parole , ont eu l'honneur de
préſenter à Sa Majesté la bourſe de jetons ,
hij
( 172 )
qu'ils ont celui de lui offrir tous les ans , à
l'occaſion de la Fête de S. Jean Porte-
Latine.
Le ſieur Deſeſſarts , Avocat , Membre
depluſieurs Académies , Secrétaire ordinaire
de Monfieur , & Député de la ville
de Cherbourg , a eu l'honneur de préfenter
au Roi & à Monfieur le cinquième
volume de fon Dictionnaire de Police *.
De Paris , le 25 Juin.
« On apprend de Cherbourg, en date
du9 , que le cone qui avoit étéplacé le 6de
ce mois , a été arraché de ſa place , &
jeté en morceaux à la côte , par un coup
de vent affreux qui continuoit encore au
moment du départ du Courier. Le cone
placé le 20 mai , avoit auffi prodigieufement
ſouffert , & on craignoit qu'il ne
cédât auſſi à la violence & à la longueur
de la tempête. Ilreſte encore fur les chantiers
trois de ces énormes maſſes à placer.
On ignore ſi l'accident arrivé aux deux
dernières ne changera rien à ces diſpoſitions
, d'autant plus que les ſimples jetées
ont étéjuſqu'ici inébranlables. >>
Dans le courant du mois dernier , il
(*) Cet Ouvrage ſe trouve chez Moutard , rue des
Mathurins.
( 173 )
-
eſt arrivé à Marseille 123 navires François
de long cours & grand cabotage , 154 de
petit cabotage & 46 étrangers , dont 17
Napolitains , 9 Génois , 1 Piemontois , 10
Eſpagnols , 2 Hollandois , 3 Suédois & 4
Anglois.
Pendant le même mois , il eſt ſorti
de ce Port 101 navires François de long
cours & grand cabotage , 160 de petit
cabotage , & 64 étrangers ; ſavoir , 5 Vénitiens
, I Ragufais , 17 Napolitains , 15
Génois , 2 Piémontois , 15 Eſpagnols , r
Hollandois , 2 Danois , 3 Suédois & 3
Anglois.
Par une corvette arrivée de Gorée à Breſt , on
a été informé par le Capitaine Doré , comman
dant le navire l'Aimable- Louise , du Havre , que
le 6 avril dernier , étant mouillé à la rade d'Albreda
, dans la rivière de, Gambie , où les François
ont un comptoir , les Noirs qui éoient à
fon bord au nombre de 114, ſe ſont révoltés ;
que trois Blancs y ont perdu la vie , & que le
refte, de l'équipage a été obligé d'abandonner le
navire & de ſe réfugier à bord de la Marie-
Victoire, de Bordeaux , commandée par le Capitaine
Giraut. Ce dernier navire a fait tirer fur l'autre ,
pour obliger les Captifs d'abandonner le pont ;
mais ces derniers ayant été protégés par les habitans
d'Albreda& des environs , qui ſe ſont repdus
à bord au nombre de roo , il s'eſt élevé entre
les deux navires un combat qui a duré plus de
trois heures. Les habitans d'Albreda ont enlevé
tous les Noirs de l'Aimable- Louise , excepté cinq
bleſſés . Ils ont pillé& volé ce qui reſtoit de marchandises
& tous les effets de l'équipage. Les
haij
( 174)
Officiers de ce navire en ont enfin repris poffeffion
avec le ſecours de la chaloupe de la
Marie- Victoire, qui a eu un homme tué. Les
Capitaines, craignant quelques nouvelles entrepriſes
dela part des Nègres, ontjogé à propos ,
ponr conferver teurs navires, d'appareiller auffitôt
pour Gorée , où ils ſont arrivés.
Le Capitaine Doré conſeille de ne pas faire
d'armement pour cette partie de la côte , le Roi
de Bar ſe promettant bien, dit-il, de s'emparer
de tous les navires François qui iront y faire la
traite. Il ajoute qu'il eſt aſſez puiſſant pour ſe
rendre maître de tout navire qui ne ſeroit pas
armé en guerre. ( Courier maritime. )
Le 30 mai , ſur les 4 heures du foir ,
écrit-on de Périgueux , un orage affreux ,
annoncé par un roulement continuel du
tonnerre , fondit ſur cette ville & fes environs.
Une grêle abondante , d'unegroffeur
énorme & fans mélange d'eau , cou
vrit en un inftant les paroiſſes voiſines ;
les arbres ſont dépouillés de leurs feuilles
&de leurs fruits, les grains hachés, les
tuiles caffées , les terres creusées par les
ravines ; & dans la ville , toutes les vitres
oppoſées au vent ont été brilées.
Le Journal de Normandie a donné , d'après
une lettre particulière , une relation
authentique & vraiment curieuſe de la
Fête de Ste. Clotilde , aux Andelys.
«Une tradition populaire, dit leNarrateur, attribue
l'originedecette fête à un miracle opéré par
Sainte-Clotilde, épouſe du roi Clovis I. Cettereine
étoit occupéeà faire bâtir au Grand-Andely , une
( 175 )
2.
L
1
égliſepourdes moines ou des religieuſes , quand les
ouvriers , venant à manquer de vin , ſe mirent à
murmurer , & voulurent abandonner les travaux ;
mais Clotilde, pleine de confiance dans le ſecours
du ciel , leur ordonna d'aller avec leurs cruches
puiſerde l'eau à la fontaine voiſine : ilsy coururent ,
&furentbien étonnés de voir qu'elle étoit changée
en vin. La nouvel'e de ce miracle s'étant bientôt sépandue,
tous les ivrognes du canton s'y rendirent
en foule; mais la Sainte , par un ſecond miracle ,
l'eau continuant d'être toujours du vin pour les ouvriers
, ne fut que de l'eau claire pour les derniers
venus.
44 Cette cérémonie eſt toujours remiſe au dimanche
le plus prochain de la fête de Sainte Clotilde.
Après l'office des vêpres , environ vers les
cinq heures du ſoir , le Chapitre , compoſé du
Doyen , des Chanoines , &c, &c , & précédé d'un
fifre , de deux tambours & de deux violons , fort
enchantantdel'égliſe collégiale & paroiffiale d'Andely.
Il eft accompagné du Corps-de-Ville , des
Officiersdela Haute Juſtice,&des quatre Confréries
dela Croix ,de la Trinité, dela Charité , &de Notre-
DamedesAnges, dont tous les membres tiennent
chacunune torche àla main. Le Doyen porte use
petite ſtatue de vermeil , haute d'environ quinze
pouces, repréſentant SainteClotilde , qui tient dans
fes mains une petite chapelle de même métal , où
eftrenfermé un morceau de ſon crâne , dont l'Abbaye
de Sainte Geneviève de Paris a fait préſent au
Chapitre. Son piédeſtal eſt un reliquaire de neuf à
dix pouces de longueur , fur cinq de hauteur , qui
renferme une côte de Sainte Clotilde, ſuivant le
procès-verbal déposé dans le Chartrier. »
"Dans cet ordre , ils parviennent à une petite
place qui domine l'endroit d'où jaillit la fontaine;
&leDoyen, perçant à peine , avec ſon cortége,la
hiv
( 176 )
:
1
fouleimmenſed'hommes &de femmes qui ſepref.
fent les uns les autres , dépoſe le reliquaire qui fert
de piédeſtal à la ſtatue , ſur une table de pierre,
foutenue par quatre colonnes d'un ordre ſimple, &
qui eſt couverted'une riche moiſſon de fleurs.Auffitôt
que le reliquaire eſt poſé , le Doyen s'avance
précipitamment versla fontaine, tenant ſeulement
la ſtatue de Sainte Clotilde ; &, quand il eſt parvenu
fur les bords du baſſfin qu'on y a pratiqué , il
laplonge trois fois dans l'eau : au même inſtant
deux hommes y verſent des brocs de vin , fans
doute pour ſervir de ſymbole au miracle de Sainte
Clotilde,& foudain les boiteux,les paralytiques,
les goutteux , &c. qui font rangés autour de la fontaine,
s'y précipitent tous enſemble ; car il eſt de
croyance que celui qui a le bonheur des'y baigner
le premier eſt iminanquablement guéri. D'un
autre côté , le Doyen est tout-à-coup tellement
aſſailli de la multitude des aſſiſtans qui ſe jettert
à corps perdu fur lui pour baifer la ſtatue , que j'ai
vu l'heure où il alloit être étouffé ou au moins renverſé
avec elle dans le baſſin: néanmoins il s'échappe
comme il peut , & retourne à la table de
pierre, où il reprend le reliquaire ,&tout le Clergé
de ſa ſuite s'achemine vers ſon égliſedans le même
ordre qu'il en eſt venu.
!
«Aufſi -tôtquele reliquaire eſt enlevé, lepeuple
s'empare des fleurs quicouvrent latable depierre;
on ſe les difpute , on ſe les arrache , on ſe bat pour
les obtenir : les coups de poings & les gourmades
voltigent ſur les joues des fidèles ; & quand il ne
s'offre plus de matière à cet objet de leur dévotion ,
hommes & femmes frottent ſurla pierre des chapeaux
, des mouchoirs, des bas, des culottes, auxquels
on attribue, après cet acte, des vertus toures
particulières. La même dévotionſe manifeſte auprès
dubaffin. On apratiqué dans le mur qui l'avoiſine
1
:
( 177 )
12
4
une petite niche , où eſt une figure en bois de
Sainte Clotilde , aſſez richement vêtues elle eft
entouréede pluſieurs douzaines de béquilles , qui
atteſtent des miracles paffés. Mais comme le peuple
ne fauroityatteindre , onſe ſert de longues perches,
au bout de quelles on ſuſpend des colliers , des
jarretières , des chapelets , que l'on fait toucher à la
figure; & ce travail occupe huit à dix bras pendant
nombre dejours. »
« Tout cela n'eſt encore rien en comparaiſon de
ce qui fe paſſe autour du baſſin . La cuve de pierre
qui le forme peut avoir neuf pieds de longueur ,
quatre de largeur , & deux & demi à trois de profondeur.
Ily a une grille de fer qui la ſépare en deux
parties.Autrefois les hommes étoient d'un côté&
Jes femmes de l'autre ; mais aujourd'hui on n'y
regarde plus de ſi près. Figurez-vous , Monfieur ,
trente à quarante hommes &femmes en chemiſe
qui ſe preſſent , ſe pouſſent ,tombent les uns fur
les autresdans le baſſin , qui ſortent enſuite de l'eau ,
courent delà vers la table de pierre , en font trois
fois le tour , paſſent trois fois deſfous , puis , traverfant
une populace nombreuſe, ſe rendent dans un
aſſezlarge foſſé qui règne le long du Grand-Andely,
où , dépaſſant ſa chemiſe mouillée devant les affiftans
, chacun ſe rhabille , à l'aide de ſes parens ou
de ſes amis , vous aurez une idée fidelle de cette
pieuſe ſaturnale. »
« J'ai vu , pendant une heure à -peu-près que
j'eus la fermeté de contempler ce fpectacle , plus
de deux cens enfans , depuis l'âge de neuf à dix
mois juſqu'à celui de deux à trois ans , plongés
dans les eaux glacées de la fontaine , tordre leurs
petits membres que preſſoient les mains noires
des hommes qui les baignoient , & pouffer des
cris perçans , qui devroient faire ſaigner tous les
coeurs ſenſibles.Auſſi ne ſuis-je plus étonné qu'id
hv
( 178 )
10
7
en meurequelques - uns chaque annéedes fuites de
cette immerfion.>>>
«Tirons le rideau ſur cette ſcène cruelle , &
repofons-nous fur un tableau moins attriſtant pour
P'humanité. Le ſoir amène une autre cérémonie.Vis
à- vis de l'égliſe on allume un feu au bruit des tambours,&
ceux des pélerins qui ont le plus de foi en
prennent toujours quelques charbons , qui les préſervent,
diſent- ils , du tonnerre , des incendies ,&c;
& quand la nuit eſt ure fois venue , on élève des
tables fous des tentes , on boit , on mange , on crie ;
lesuns ſepromènent, les autres ſe couchent , pêlemêle,
hommes , femmes & enfans. »
« Plus loin ,des pélerins moins dévots ,&quelques
viragos peu ſcrupuleuſes , forment des danſes.
Minuit fonne , les étrangers qui veulent repartir
vont entendre la Meſſe qu'on dit pour eux à cet
heure-là . »
«Autrefois on fêtoit aux Andelys le jour de
Sainte Clotilde ; mais depuis que Monſeigneur le
Cardinal de la Rochefoucauld, en fupprimant toutes
les fêtes particulières , a rendu aux pères de famille
desjours qu'ils conſacrent autravail,la ville , oùces
pélerinages , qui durent pendant cinq mois, verſent
30 à 40,000 livres , a continué de faire direune
grand'-Meſſe , pour nourrir la foi des fidèles , &
fervir d'aliment à leur dévotion . »
<«<Parmi les miracles attribués àl'eau falutaire de
cette fontaine , on en cite un, arrivé il y a quelques
années , dont toute la ville a été témoin. Une jeune
payſanne , âgée de dix-huit ans , qu'on croyoit
attaquée d'hydropiſie ,&que fon père fit baigner
dans la fontaine , devint mère , deux heures après ,
d'ungros garçon . Ce n'eſt pas en cela, Monfieur ,
quegit lemiracle, mais en ce qu'elle ne mourut pas
des fuites de l'immerfion , & qu'elle& fon fruit
n'aientpoint été les victimesde l'ignorance des Chirurgiens
& d'une piété inconſidérée. »
(179 )
Une Perſonne digne de foi, nous a fait
paſſer , revêtu de ſa ſignature , le récit
d'un procès bizarre , dont il nous atteſte
l'authenticité.
«Tout le monde ſait qu'en France les Seigneurs
Hauts Juſticiers , comme ayant la puiſſance publique&
le droit de glaive, ſont en poffeffion de ſe
faire recommander aux prières de leurs Paroiffiens
les Dimanches & Fêtes. "
« Pluſieurs Curés ſe ſont refuſés dans différens
temps à cette recommandation , &différens Arrêts
des Cours les y ont aftreints. »
« Le Curé de * * * en Champagne , où il y a
haute juftice , & dont le Seigneur a par conféquent
droit de recommandation , étoit dans l'habitude de
le recommander en ces termes : "
« Le Seigneur de ce lien , mes chers frères ,
>> ſe recommande à vos prières. »
« Le Seigneur , depuis long-temps , avoit averti
le Curé quecette recommandation n'étoit pas faite
dans les formes , ou au moins fuivant ſes titres ,
qui aftreignoient les Curés à rappeler les noms ,
furnoms , qualités des Seigneurs ; mais le Curé ,
foit par entêtement , ſoitparce qu'il croyoit le Seigneur
mal fondé dans ſa prétention , ne changeoit
pas de manière. »
« Le Seigneur le fit aſſigner devant le Juge du
lieu , pour voir dire que dorénavant il feroit tenu ,
en le recommandant aux prières, d'énoncer fes
noms de baptême , de famille , ſes qualités , &c. »
« Une Sentence contradictoire du 18 mars dernier
a condamné le Curé »
:
Appel au Bailliage de Vertus ; ſeconde Sentence
confirmative de la première.
Le Curé, effrayé par ces deux échecs fucceffifs ,
s'eſt confulté ſérieuſement. Il paroît qu'on lui a
h vj
( 180 )
7
conſeillé de ne pas porter cette affaire au Parlement
, car il a exécuté la Sentence.
Mais il exiſte aujourd'hui une ſeconde conteftation
entre le Seigneur & le Curé , ſur la queſtion
de ſavoir fi ce dernier a exécuté laSentence comme
il devoit l'exécuter.
Le premier Dimanche d'après la fignification
de cette Sentence , le Curé , à l'iſſue d'un petit
fermon , s'adreſſa en ces termes à ſes Paroiffiens :
« Mes chers frères , vous êtes tous inſtruits du
>> procès que je viens d'avoir avec le Seigneur de
>> ce lieu , & que j'ai perdu deux fois. Mon in-
>> tention eſt de fatisfaire aux condamnations qui
>> ont été prononcées contre moi. Mais pour ne
>> pas m'expoſer à de nouvelles difficultés , mes
>> chers frères , je vais vous faire part de tous les
» noms , furnoms & qualitésdeM.
» Seigneur de cette Paroiffe;je vous prie de vous
>> les graver dans la mémoire , & de me repren-
>> dre s'ilarrivoitqueje me trompaſſe. M. de ****
» ſe nomme , mes chers frères , Alexandre-Gilles
» Hérode de ***** &c. c
* *
****
*
>> Vous voilà inſtruits, mes chers frères ; je
> vais maintenant procéder à la recommandation ,
» n'oubliez pas de redreſſfer les erreurs que je pour-
>> rois commettre. »
Après un moment de filence, le Curé reprit
ainſi :
1
« Meſſire Alexandre Hérode de *****
Monfieur le Curé, vous oubliez Gilles , s'écria un
Paroiffien placé devant la chaire, & M. le Curé
profitant de l'avis du Paroiffien , s'eſt repris pour
ne plus ſe tromper .
« Le Seigneur s'eſt cru vivement offenſé par
ce lazzis du Curé. Il prétend quele Paroiffien étoit
apoſté ; il ſoutient d'ailleurs que la petite digreffion
de M. le Curé est très-ſcandaleuſe , qu'elle a
( 181 )
excité pluſieurs éclats de rire qui ont troublé le
reſte du ſervice divin. >>
>> En conféquence , affignation au Curé pardevant
le Juge de Vertus , attendu qu'il s'agiſſoit
de l'exécution de la Sentence , pour ſe voir
faire des défenſes de récidiver , ſe voir condamner
en 3000 liv. de dommages-intérêts , applicables
aux pauvres de la Paroiſſe.
Le Curé entend très- fort foutenir cette nouvelle
conteftation ; il eſt réſolu à ſuivre juſqu'à arrêt
définitif;& les curieux du canton & des environs
attendent avec impatience comment les Juriſconfultes
de la Capitale traiteront cette affaire étonnante
: pluſieurs Avocats ont déjà donné tort au
Curé.
Avis au Public & aux Militaires.
« Poudre anti-hémorragique & incomparable
du ſieur Jacques Faynard: ſa précieuſe utilité eſt
aujourd'hui univerſellement reconnue.
« Les ſuccès multipliés de cette Poudre , tant
enAngleterre qu'en France , patrie de l'inventeur ,
lui ont fait mériter de Sa Majeſté un privilége
exclufif de trente années . "
Rien n'atteſte mieux la propriété de cette Poudre
, que les fournitures qu'il continue d'en faire
dans les Hôpitaux de la Guerre , de la Marine
&des Colonies - Françoiſes ; & il vient encore
d'obtenir de Sa Majesté les ordres d'approviſionner
tous les Hôpitaux de,Chartré du Royaume : le
Roi voulant faire jouir ſes ſujets d'un ſecours auffi
précieux pour le bien de l'humanité. »
« Cette Poudre eſt ſupérieure à tout ce qui a
paru juſqu'à préſent dans ce genre. Elle a la vertu
d'arrêter toutes hémorragies , tant internes qu'externes
, vomiſſemens & crachemens de fang. Elle
arrête & guérit les pertes des femmes , les faignemens
de nez , &c. &a &c. »
( 182 )
« Dans les amputations , il ne faut pas de li
gatures , & fur toutes coupures quelconques , la
plaie ſe guérit ſans autre application que ladite
Poudre: elle ne cauſe aucune inflammation ni
irritation. »
« Combien de perſonnes terminent leur vie
ſur lechamp de bataille par la perte de leur fang !
quel grand ſecours que cette Poudrepour les Militaires
dans une bataille ou dans un combat naval !
Toute perſonne devroit avoir une boîte de cette
Poudre dans ſa maiſon , elie feroit ſa ſûreté, puifqu'elle
lui tiendroit lieu de Médecins & de Chirurgiens,
n'ayant pas ces MM. à ſa portée dans
le moment d'un accident, foit en voyage ou dans
fa maifon 12
« Cette Poudre ſe vend chez le ſieur Faynard ,
qui en eſt l'inventeur , rue iteaubourg , nº. 75 ,
àParis, "
« Le ſieur Faynard déſireroit avoir un Bailleur
de fonds qui voulût s'aſſocier avec lui , & qui fût
en état d'établir la correſpondance des dépôts de
ſapoudre anti- hémorragique dans tout le Royaume
& chez l'étranger; ils entreront réciproquement
pourmoitiédans leprofit &perte. Le fieur Faynard
donnera toute fûreté pour les fonds que ledit aſſocié
avancera, »
a Nota. Les perſonnes qui lui feront l'honneur
de lui écrire , ſont priées d'affranchir leurs lettres.>>>
» Il y a des boîtes de deux priſes , de douze
livres & de vingt-quatre livres.>>
Ontrouve le trait ſuivant confignédans
les Feuilles de Flandres .
Barthélemi Leuguet , Cabaretier au village de
Mory , terre près de Bapaume , étant defcendu
dans ſa cave , s'y ſentit ſuffoqué par la vapeur de
la bierre en fermentation , & qu'il avoit encavée
( 183 )
12
pa
laveille. Aux cris' amentables qu'iljeta , ſafemme
s'empreſſa de voler àſon ſecours , mais elle reſta
ſuffoquée elle-même. Les enfans , quelques payſans
qui étoient dans la maison , appellent au
fecours ; mais perſonne ne veut s'expofer. On va
chercher à Hervillers , vi lage diftant d'une demilieue
deory , un homme que l'on croyoit plus
en état que tout autre de réſiſter à la vapeur. Il
arrive , ilddeeſcend,& il ne peut aller juſqu'aux
derniers dégrés . Dans cet intervalle , on court chez
un ferm'er pour avoir du vinaigre ; mais le bien
s'opère toujours lentement: il fait des queſtions ,
il faut y répondre. Cependant l'Abbé Gourmez,
Vicaire de Behagnies , qui ſe trouvoit chez le
Fermier , vole à la maiſon de Leugust ; il y arrive
au moment où l'homme d'Hervillers , pâle , hors
d'haleine , & pouvant à peine ſe foutenir , fortoi
de ce lieu infect. Sur cinquante ſpectateurs aucunt
n'oſa ſe préſenter pour y deſcendre ; tous font
fourds à la voix du brave Vicaire: il ſe hafarde
enfin lui-même à vouloir pénétrer dans la cave ,
mais il eſt bientôt obligé de rétrograder. Il exhorte
de nouveau & toujours en vain. Il offrit
ſabourſe ; enfin Antoine Foly, Ouvrier Braſſeur ,
defcendit courageuſement , & bientôt après il remonta
avec la femme ſur ſes épaules : elle étoit
morte. Cette circonstance refroidit fon zèle . L'Abbé
Gourmezlepreſſe de nouveau , lui donne la bourſe
promiſe , & le force par ce motif d'intérêt , à
redeſcendre une ſeconde fois;il remontaavec leCabaretier.
Au défaut d'eſprit volatil fluor , on lui
fit reſpirer du fort vinaigre ,& adminiſtrer des frictions
; quoiqu'il eût reſté environ trois heures dans
la cave , ce malheureux donna bien tôt des fignes
de vie , & les foins d'un Chirurgien voiſin qui
avoit été appelé , achevèrent de le rétablir entiè
rement.
( 184 ) « Les Porteurs de Reconnoiſſances
à
>> échanger contre les Billets de laLoterie
>> de la Ville , établie au profit des Hô-
>> pitaux par Arrêt du Conſeil du 13 ос
>> tobre 1787 , font priés d'envoyer le
>> plus tôt poſſible à l'Hôtel-de Ville faire
» l'échange des Reconnoiffances du Tré-
>> forier. Le tirage de cette Loterie com-
>> mencera le 1. aoûtprochain , confor-
>> mément audit Arrêt. >>
er
PAYS - BAS.
De Bruxelles , le 20 Juin 1788.
LeRoi de Prufſe, parti de Berlin pour
ſes Etats de Westphalie , & paffé de-là au châteaude Loo , enGueldre, arriva le9de ce mois à Weſel , vers les dix heures &
demie du matin , accompagné du Prince
Royal. Après avoir fait le tour des rem- parts , viſité la citadelle , l'arſenal & les
nouveaux ouvrages qu'on ajoute aux for- tifications, SaMajefté admit à une audience
folennelle les Députés des Etats-Généraux
des Provinces -Unies, qui s'étoient
rendus dans cette Ville pour la compli- menter au nom de L. H. P. Le Roi donna
égalementune audience folennelle à Monſeigneur
Pacca, Nonce du Saint- Siége ,
que Sa Majefté accueillit de la manière la
( 185 )
plus flatteuſe& la plus diſtinguée. Le Roi
admit encore à fon audience les Députés
des Etats & des Duchés de Clèves , de
Gueldre, & de la Principauté de Meurs ,
de même que toutes les perſonnes qualilifiées
qui ſe préſentèrent. Le 10, après
avoir fait , dès les quatre heuresdu matin ,
la revue de la garnison de Weſel , S. M.
ſe mit en route pour Clèves , où elle arriva
versles 11 heures. Aquelque diſtance ,
au bout du jardin de Madame la Douairière
Baronne de Spaen , le Roi trouva ſur ſa
route la Princeſſe d'Orange ſa foeur , ainfi
que le Prince Stadthouder-Héréditaire &
leurs enfans , venus la veille de Loo , à la
rencontre de Sa Majefté .
Le Roi dîna au Château- du- Prince avec
la famille Stadthoudérienne & une compagnie
choifie ; & après avoir aſſiſté le
foir au cercle , chez Madame la Douairière
de Spaen , pendant que le Prince
Royal faifoit un tour dans le parc , Sa
Majefté ſe retira de bonne heure dans ſes
appartemens , & partit le lendemain de
grandmatin pour le château deLoo , où
la famille Stadthoudérienne l'avoit précédée
la veille.
Une compagnie de jeunes gens , en
uniforme & à cheval , avoit été le matin
à la rencontre du Roi , & eut l'honneurs
de conduire Sa Majesté juſqu'à Clèves ,
1
( 186)
où elle entra au milieu d'une haie que
formoit la Bourgeoiſie ſous les armes. Le
foir, la ville fut magnifiquement illuminée.
Le Chaffeur de M. le Comte de St.
Prieft, Ambaffadeur de S. M. T. C. à la
Haye , ayant été inſulté par la populace ,
comme étant dépourvu de la couleur
Orange, il en eſt réſulté une voie de
fait , dont S. E. a rendu compte àL. H.
dans un mémoire qui porte:
«L'Ambaſſadeurde France a eu l'honneur de
repréſenterà vosHautes Puiſſances, que loin que la
sûretéde ſa perſonne&de ſes gens ait émané des
ordres qu'elles ont donnés , les infultes femblent 忄
augmenter de jour en jour. »
«Le chaſſeur de l'Ambaſſadeur de France a été
attaqué par une foule infolente, qui a voulu lejeter
duhaut en bas du pontde Burgwal, en facede la
comédie; ledomeſtique atiré ſon ſabre pour dé
fendre ſa vie,&a été dans le casdebleſſerquelqu'un
des plus acharnés. »
« L'Ambaſſadeur de France s'attend qu'on accufera
cet hommed'avoir le premier ufé de violence,
mais les incidensprouventtrop lecontraire,
&d'ailleurs il eftpeu vraiſemblable qu'un homme
ſeul aille attaquer une foule degers effrénés. C'eſt
d'euxque l'Ambaſſadeurde Francedemandehautement
à vos H. P. qu'il ſoit fait une juſtice exemplaire,&
ilva en informer ſa Cour, ne doutant pas
qu'ilne foit bientôt en étatde lui apprendre qu'une
juſte ſatisfaction lui a été accordée par vos HP..
Signé, le Comtede St. Prieft.
( 187 )
veren la
TC
03
2
N
L. H. P. ont répondu en ces termes
au Mémoire de S. E.
la cor « L. H. P.ayant lieu de croire quepar
duite imprudentedes domeſtiques deM.PAmbaffadeur
(fans doute contre ſes intentions ) , il a été
donné lieu aux événemens déſagréables dont fon
Excellence ſeplaint , en ont fait prévenir le Miniftèrede
France par leur Ambaſſadeur , avec intention
de fournir les preuves ultérieures , par des
preuves que l'on fait recueillir. L. H. P. ne manqueront
pas de communiquer à M. l'Ambaſſadeur
leſdites preuves , dès qu'elles les auront reçues ; en
attendant , M. l'Ambaſſadeur peut être afſuré qu'il
a été pris toutes précautions néceſſaires pour la
sûreté de ſa perſonne, de fon caractère & de
domeſtiques : L. H. P. ne peuvent ſe difpenferde
faire connoître à M. l'Ambaſſadeur leurdéfir d'apporterpour
fa tranquillité tous leurs foins poffibles
en cette affairedéſagréable , quoique la manière
dont l'évènement a été porté à la connoiſſancede
M. le Préſident , s'éloigne entièrement de la forme
ordinaire obſervée en pareille occafion. »
fes
La Cour de Juſtice ayant remis ſonrap.
portde cette affaire aux Conſeillers-Co
mités des Etats de Hollande , L. H. P. l'ont
expédié à Paris .
Les Etats généraux ont nommé quatre
Commiffaires , chargés de conférer avec
le Chevalier Harris , Ambaſſadeur Britannique
, dans le but de régler , d'après
l'art. X du nouveau Traité d'Alliance ,
les arrangemens mutuels des deux Nations
pour les affaires des Indes orientales
, & de négocier en même temps un
Traité de Commerce.
( 188 )
:
Paragraphes extraits des Papiers Anglois& autres,
«Nous avons encore ici, écrit-on le 8 avril de
Conftantinople , environ 20 mille hommes de
troupes Afiatiques , qu'on dit être deſtinés à la
gardede la Capitale, c'est-à-dire , ày maintenir
la police & la tranquillité publique ; mais cette
milice, ne connoiſſant aucune eſpèce de diſcipline ,
commet tous les jours les plus grands désordres ;
& legouvernement eft obligé de veiller autant
contre les excès de cette foldatefque, que contre
les mouvemens de la populace. Le Caïmacan a
commencé à s'acquitter de cetre tâche d'une manière
qui lui faithonneur, & qui a fait concevoir
les meilleures eſpérances de fon adininiſtration :
par ſes foins& ſaſévérité, le bon ordre &la fûreté
publique ont été maintenus juſqu'ici. Deux
ſujetsAutrichiens, reſtés en cette Capitale, furent
maltraités par le petit peuple. L'Ambaffadeur de
France, qui a pris , de l'aveu de la Porte, fous
ſaprotectiontous les Allemands Impériaux qui ſe
trouvent dans Conftantinople, ayant été informé
du fait, en porta d'abord plaintes au Caïmacan;
&celui-ci, de ſon côté, fit des recherches ſi promptes
& fi biendirigées , que fix Turcs , principaux
auteurs de l'infulte, furent non- ſeulement découverts
, mais arrêtés. Le Caïmacan les envoya
d'abord à M. le Comte de Choiseul, pour décider
de leurfortà fonbonplaifir. Cependant cat Ambaffadeur
ſe contentantde leur faire une forte réprimande,
les renyoya au Miniſtre Ottoman , qui
donna encore en cetteoccafion une preuve de fon
difcernement. Informé de la modération dontM.
de Choiseul avoit uſé à l'égarddes priſonniers : fi
j'étoisAmbaſſadeur, dit-il ,j'en aurois agi de même;
( 189 )
1
ma'spréſentement ilfaut quejefaſſe ce que l'Ambaf-
Sadeur eûtfait étant en ma place. En conféquence
il ordonna qu'on menât les coupables à l'endroit
même où ils avoient commis le délit contre la
fûreté publique , & qu'on leur y donnât à chacun
cent coups de bâton ſur la plante des pieds : condamnation
qui fut exécutée ſur le champ fans connivence.
( Gazette de Loyde, nº. 46. ) "
Selon toutes les apparences , les Turcs , qui les
premiers ont allumé cette guerre , feront auſſi les
premiers qui agiront' offenſivement ; & parce que
laCrimée étoit le prétexte principal de la rupture ,
elle fera probablement le théâtre où ſe porteront
les plus rudes coups contre les Rufles ,& le foyer
principal des hoftilités. On apprend en effet que
tous lesCorpsTurcs &Tartares qui ſe trouvoient
fur les frontières de la Pologne , ont diſparu de
ces cantons , pour refluer tous vers les rives de
la mer Noire , afin de paſſer en Crimée , dès que
le Capitan -Pacha , qui commande 28 vaiſſeaux
de ligne , y ſera arrivé. Avec ces différens Corps ,
joints aux 1,8 mille hommes de troupes de débarquement
que l'Amiral Turc a pris à bord de fa
flotte , il pourra d'autant plus facilement venir
à bout de fon entrepriſe , que la Crimée eſt
dégarnie de troupes Ruſſes , depuis que par l'approche
d'un Séraskier vers la Baſſarabie avec 80
mille combattans , le Prince.Potemkin s'eſt vu dans
la néceſſité de ſe replier auſſi vers cette province
avec 50 mille hommes , pour foutenir au
beſoin les autres armées Ruſſes qui n'étoient pas
en forces.
Par ces différens mouvemens , les Turcs font
venus à bout de rompre tout concert d'opérations
avec leurs ennemis;&cen'eſt pas un foible avantage
pour eux de porter leurs vues offenſives
contre la Crimée , où les Ruſſes ne ſont pas
( 190 ) aimés des naturels du pays où par conféquent ils en feront bientôt abandonnés, & trouveront beaucoup de peine à fubfifter,le pays étant d'ailleurs
inculte.
N. B. (Nous ne garantiſſons lavériténil'exacti-
-tuded'aucunsdesParagraphes ci-deſſus).
GAZETTE
ABRÉGÉE
DES TRIBUNAUX
.
PARLEMENT
DE PARIS, GRAND CHAMBRE.
Cause entre Marie-Marguerite-Georges Duſſeaux , veuve du fieur Saffret , Horloger, tutrice defes enfans mineurs = & l'Abbé G ..., Prêtre de la Ville d'... Un Bénéficier doit des alimens
àfonPatron tombé dans l'indigence.
=Le fieur Saffret, Horloger , étoit Patronde laChapelledeSaint-Sulpice,fondée dans l'Eglife
de V... Diocèſe d' ... Le revenu de cette Chapelle eſt d'environ 600 livres; le Chapelaineſtexempt mptderéſidence, &fonferviceconſiſteàfairedire quelquesMeſſes, L'Abbé Damay, qui en étoit titulaire , la permuta avec la Cure de S..., Diocèſe de ... , dont l'Abbé G... étoitpourvu; ce dernier ſeré- ſerva une penſionde 100livres ſur cetteCure. Pour ſe mettre enpoſſeſſionde la Chapelle de Saint-Sulpice, l'Abbé G... follicita le conſen- tement du fieur Saffret ; avant & après l'avoir obtenu, il luiprodigua, pardifférentes lettresrap- portées, les marques les plus flatteuſes de fa re- connoiffance
&de fon dévouement
. Le ſieur Saffret eſt décédé au mois d'août 1786 , laiſſant une fucceffion inſolvable , une veuve &deux enfans fans reſſource. Le Confeil
( 191 )
buverd
de cette veuve écrit à l'Abbé G... pour l'inviter à
venir au ſecours des enfans de fon Patron , &
acquitter une dettedont la loi & la reconnoiſſance
lui impofent également l'obligation . L'Abbé G... traite cette lettre d'indécente
& peu fondée ; ſur ſon refus, la veuve le fait aſſigner
au Bailliage d'..., pour ſe voir condamner à
lui payer une penfion alimentaire de 400 liv. Voici la défenſe de l'Abbé G... contre cette
demande.
1º. Un Bénéficier ne doit point d'alimens à fon
Patron ; ſi les Canons diſent le contraire , c'eſt
moins une obligation qu'ils impoſent aux Bénéficiers
, qu'un conſeil qu'i's leur donnent.
2°. Le fieur Saffret n'étoit point le Patron de ce
Bénéfice , il n'en avoit que lanomination.
3. » La veuve Saffret est encore jeune ; les
>>enfans d'un Ouvrier dont la mère eſt en état >> de travailler , ne ſont certainement pas à confi-
» dérer comme réduits à l'indigence ;les mineurs
» Saffret'ne font point d'une condition bien re-
>> levée , leur père étoit ouvrier Horloger , leur
» aïeul , homme de peine , leur biſaïeule , une
> très-honnête Marchande d'herbes &de fruits, qui
>> étaloit ſon inventaire àla porte d'un Marchand
» de vin... ; elle avoit épousé une très - honnête
» Cocher , &c. » C'eſt avec ces traits que l'Abbé
G... exprimoit ſa gratitude envers la mémoire
du fieur Saffret , &défendoit fa caufe.
On conçoit avec quel avantage M. Bergeras ,
défenſeur de la veuve Saffret, arepouſſé ces farcaſmes
: voici l'analyſe de ſes moyens.
1°. Les ancêtres des mineurs Saffret ſont cenfés
être les Patrons & les Fondateurs de la Chapelle
de V ... , puiſque la nomination leur en appartient
depuis untemps immémorial , qu'ils n'ont point
de concurrens qui prennent la qualité de Patron
& de Fondateur de cette Chapelle.
(192)
4
2º. Un donataire doitdes alimens à fon donateur
; celui-cine donne ſes biens que ſous la condition
tacite qu'ils ferviront, en cas debeſoin , à
ſa ſubſiſtance , parce que les alimens étant aufli
inaliénables que la vie, l'homme n'eſt pointcenfé
⚫⚫les abandonner ; c'eſt par cette raifon quel'Eglife,
qui n'accepte les libéralités des fidèles que pour
les diftribuer aux pauvres , s'empreſſe de vendre
la main à ſesbienfaiteurs lorſqu'ils font confondus
dans cette claſſe, & de leur rendre àtitre dejuftice,
ce qu'elle accorde aux aures àtitre debienfaiſance.
M. Bergeras a citépluſieurs autorités pourconfir
merceprincipe: le Concilede Tolède, de671 , le chap.
30 des Décrétales , Van-Efpen , de Roye, d'Héricourt,
Ferrière , Rouſſeau de la Combe , Coquille ,
hiſtoire duNivernois,titre de la Maiſon deBourbon,
Gohard, Maréchal, Forget, les Mémoires du
Clergé ,&c. &c.
Sur ces moyens reſpectits , Arrêt du moisde
mai 1787, qui adjuge aux mineursSaffret le tiers
des revenus dubénéfice.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le