→ Vous voyez ici les données brutes du contenu. Basculez vers l'affichage optimisé.
Nom du fichier
1786, 01-02, n. 1-8 (7, 14, 21, 28 janvier, 4, 11, 18, 25 février)
Taille
29.70 Mo
Format
Nombre de pages
769
Source
Année de téléchargement
Texte
MERCURE
DE FRANCE ,
=
DEDIÉ AU ROI ,
41
PARUNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
: T.CONTENANT
LeJournal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces Fugitives nouvelles
en vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décor
vertes dans les Sciences & les Arts;les Spe
tacles; les Causes Célebres ; les Académics dé
Paris &des Provinces;; la Nocice des Edits",
Arrêts; les Avis particuliers , &c. &c.
SAMEDI JANVIER 1786 .
१६
১০
A PARIS ,
:
Chez PANCKOUCKE , hôtel de Thou ,
rue des Poitevins,
Avec Approbation & Brevet du Roi.
TABLE
Du mois de Décembre 1785 .
PLACES FUGITIVES.
LeJuge Indécis,
La Rofe&le Pommier , Fa
ble,
Impromptu,
3
4
:
Bibliothèque Universelle des
Dames, 104
Les Terriers rendus perpezuels,
132
49 Prospectusd'un Traizé d'Ana
50 tomie&de Physiologie, 115
Voyages dans les Deux-Sicites,
153
L'Harmonie imitative de la
EplireàMileAurore ,
Couplers chantés àM.leMar
quis de laFayerre, 52
Réponse àla Question , 14
A M. le Chevalier de Cu- Langue Françoise , 165
bières, 97 LesDangers dela Simpathie .
Imitation duGrec, 170 وو
LaRafe& l'Immortelle , Fa. Lettres Critiques& Politiques
ble ibid. fur les Colonies , 203
LeVers-a-Soie, 145 Procès Verbal de l'Assemblée
Quatrain , 149 Prov.deleHaute-Guyenne,
LesEpis, Fable. 150
دلو
EpitredM, D**, 193 Variétés , 10 , 173 , 219 ,
Vers fur Jeanned'Are , 197 223

AS. E. M. leC...deB....
.
SPECTACLES.
200 Concert Spirituel , 127
Roy.de Charades Enigmes&Logo- AcadémieRoy.
gryphes.5.19 , 101 , 151
deMusiq. 129,
181
201 ComédieFrançoise, 35, 89
NOUVELLES LITTÉR, Comédie Italienne ,
Discours couronné par laSo-
39,182.
216
ciétéRoyaledeMetz , 8 Annonces&Notices , 42 ,88,
Morceaux choisis du Rambler 137, 184,136
onduRadeur. روا
Pacis, de l'Imprimerie de M. LAMBERT;
enedelaHarpe près S. Cams.
Comphsets
nichhoff
7-10-31
24009
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 7 JANVIER 1786 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
MERCURE AU Roi ,
Étrennes.
QUAND Jupitercut ceffed'etre
LeDieudes Grecs &des Romains ,
Il fallucthanger mes deſtins ,
Et là-haut n'ayant plus de maltre ,
Enchercher un chez les humains.
Des Dieux laiſſant-là les caprices,
Je voulus vivre ſous un Roi ;
La France agréa mes ſervices ,
Louis, &j'acceptai l'emploi
:
Aif
4 MERCURE
Qui m'eſt plus cher ſous tes aufpices. *
Meſſager des talens divers ,
Amondos les chaftes pucelles
Couſent ſans ceffe & proſe& vers ,
Et je cours ainſi l'Univers ,
Aufſi léger qu'avec mes afles.
MAIS lorſque Janvier de retour
Au nouvel An fait un paſſage ,
Je veux que mon premier meſſage
Pour notre Roi ſoit un hommage ,
Soit les Etrennes de l'Amour.
Ace voeu je ſerai fidèle ;
Déſormais , à chaque ſaiſon
Où l'An pour nous ſe renouvelle ,
Louis ſera le premier nom
Que je porterai ſur mon alle.
Ainfi pour nous l'An doit s'ouvrir.
Le jour où par-tout à la rende
On voit les Etrennes courir ,
Pourroit-on ne pas les offrir
Aqui les donne à tout le monde ?
DIEU vétéran , je ſuis encor
Dans le ſecret des deſtinées ;
* Le Mercure de France eſt dédié à Sa Majesté..
DE FRANCE .
Les parques vont de foie & d'or
Te filer de longues années ;
Oui , le ciel, couronnant l'effor
De ta vertueuſejeuneſſe ,
De Titus paîra la ſageffe
Par le grand âge de Neftor.
Il vivra ce Fils dont l'enfance
De notre corur a les tributs ;
Etmon oeil a compté d'avance
Tous ces jours nombreux qui ſont dus
Ala Reine , amour de la France ;
Notre bonheur, notre eſpérance
Eſt l'ouvrage de tes vertus ,
Antoinette eſt leur récompenſe.
(Par M. Imbert. )
Aiij
MERCURE
OMAR , Conte, traduit des Bagatelles
Allemandes.
Dans le fiècle où les Arabes Mahométans
cultivoient l'Agriculture , les Sciences
& le Commerce ; où les Européens parrageoient
leur tems entre la Theologie & le
brigandage , vivoit, non loin de Bagdad , un
homme qui avoit la réputation d'être ſage ;
il avoit rempli des charges confidérables à
la Cour des Califes , refuſé les tréſors qu'on
lui offroit pour le corrompre , réſiſté aux
favorites qui le careffoient , & enfin réſigné
fes emplois pour aller chez les Perfes & les
Indiens étudier leurs myſtères , & s'inftruire
dans leurs Sciences. Revenu de ſes voyages,
il vivoit folitairement à la campagne , s'occupant
à en diriger les travaux , ſervant de
père à fes ouvriers , les confolant par fes
bontés , les delafiant de leurs fatigues par les
plaiſirs innocens que procurent des fetes
champêtres. Aftronome , Phyſicien , Obfervateur
& homme ſenſible , il donnoit du
pain à l'indigent , des ſecours au malheureux ,
&des conſeils à ceux qui le confultoient ;
leCalife&fes Conſeillers lui en demandoient
ſouvent , & les ſuivoient même quelquefois.
L'Hiſtoire ne nous a pas conſervé ſon nom;
mais elle oublie quelquefois ce qu'elle devroit
éternifer , & perpétue ce qu'elle pourroit
oublier. Les Chroniques que je tranfcris
, le nommoient le Philosophe, dans notre
:
DE FRANCE. 7
ſiècle cela ne le déſigneroit plus comme un
être rare , & Abudeneck ( c'eſt ainſi que je
le nomme ) l'étoit , puiſqu'il étoit heureux.
Un inconnu demande à le voir ; c'étoit
un jeune homme dans la fleur de l'âge. L'air
majestueux , les yeux pleins de vivacité , des
ſourcils noirs bien arqués ,un front ouvert ,
le coloris brillant de la ſanté. Eh ! quel
motif t'amène , lui dit le ſage étonné , (ear
ſa profonde retraite n'attiroit pas la jeuneſſe ) -
qui es-tu , & que deſires- tu de moi ? Je
m'appelle Omar , répondit le jeune homme ;
je ſuis de Bagdad, & viens te demander tes
conſeils & tes inftructions ; on m'a dit que
ton ſavoir furpalloit celuide tous nos autres
Sages. L'on t'a trompé,Omar , j'en fais moins
qu'eux; ſi je vis plus long- tems peut-être
ſaurai-je moins encore ; mais enfin , que
dois- je t'apprendre? Je voudrois ſavoir , reprit
timidement Omar , a les homines font
fits pour être heureux fur cette terre.....
-Jene le fais pas , Omar ; l'Éternel ſeul le
ſait; béni ſoit l'Éternel ! Tu ne le ſais pas !
Eh ! pourquoi donc font-ils créés , s'écria
triſtement le jeune homme? ...-Pour vivre
&faire le bien.
Omar, toujours moins fatisfait , avoit devant
les yeux le tableau de tant de mortels
vertueux , qui languiſſoient dans le malheur
ou la mifere, tandis que d'autres lui paroiffoient
jouir du bonheur ſans le mériter , que
la réponſe du Sage ne pouvoit le fatisfaire.
Mais pourquoi donc cette différence deman-
A iv
S MERCURE
da-t-il ? Le Tout-puiffant le fait; béni ſoit
le Tout-puiſfant , répondit Abudeneck...
Je n'oſe donc eſpérer , reprit le jeune
homme, que tu me diſes pourquoi je ne
fuis point heureux. Il ſe ſentit ſoulagé en
faiſant cettedernière queſtion: les autres n'en
étoient que le prélude...
Je pourrai te répondre , Omar , fi tu me
mets au fait des circonstances où tu te
trouves: ſi tu m'apprends à te connoître,
du moins pourrai -je te dire fi ton malheur
vient de toi.
Non sûrement , reprit Omar ; je fuis
riche ; j'ai des amis à la Cour les plus
belles femmes de Bagdad ne me font point,
eruelles; je jouis de tour, & cependant la
vie m'eſtà charge. Comment donc, & pourquoi
ne puis-je parvenir au bonheur? . ?! . !
-Tu le peux , Omar , fi tu veux te priver
de ce dont tu jouis , &jouir de ce dont tute
prives ... Cela dépend-t- il doncde moi , dit
Omar avec dépit? Quoi , tu n'as rien de mieux
à me dire ? .... - Non , Omar ; prive-toi , &
jouis: en ſuivant cette régle, tu ne feras pas
du moins l'artiſan de ton malheur..... Se priver
, & jouir , diſoit Omar tout bas ! .... Privation
& jouiffance , répéta le Philoſophe
en ſe levant, & laillant Omar à lui-même.
?
Très-mécontent du peu de lumière qu'il
avoit retiré du Philofophe , Omar avoit beau
réfléchir , il ne trouvoit aucun ſens à tout
ce qu'il avoit entendu : Abudeneck s'eft
moqué de moi , diſoit-il , ou n'eſt point
DEFRANCE.
9
dignede fa célébrité. Quoiqu'il s'arrêtât aved
complaiſance à cette dernière idée , il reprit
avec dépit & en rêvant la route de Bagdad .
Son ami Ali , jeune étourdi , le rencontra
abſorbé dans ſes réflexions : eh ! bon jour ,
Omar , lui dit-il en le ſecouant rudement
par le bras ; d'où viens-tu ſi mélancolique ?
une de tes belles eſt ſans doute infidelle ?
L'air enjoué d'Ali contraſtoit trop avec la
fituation d'Omar , pour ne pas augmenter
l'humeur qu'il avoit ; il répondit froidement
qu'il venoit de chez Abudeneck..... - Toi ,
Omar ! Eh , qu'as-tu à faire chez un Philoſophe
à ton âge !que veux-tu faire de la ſageſſe? ..
La ſageſſe , reprit Omar ! Non , c'étoit le
bonheur que je voulois. J'ai peine à l'avouer ,
Ali; mais je ſuis mécontent de mon fort !...
- De ton fort , Omar ! tu devrois l'être de
ta tête. Va , mon ami , prends de l'ellebore ;
c'eſt-la cequ'il te faur. Mais enfin , qu'as-tu
fait chez Abudeneck ? ....- Je l'ai confulté ,
eſpérant qu'il me diroit comment je puis
être heureux....- Eh, qu'arépondu l'oracle? ...
Je ne l'ai pas compris , dit Omar en baiffant
la voix.... Oh , je m'y attendois , reprit Ali
en riant ; voilà bien nos prétendus grands
hommes !
Omar étoit plus ſenſe qu'Ali , mais cependant
trop mécontent de fa viſite pour ne
pas avouer à ſon ami qu'il commençoit à
croire , comme lui , que la grande réputation
d'Abudeneck pouvoit bien n'être pas fondée;
car enfin, ajouta- t- il , me conſeiller des pri-
1
Av
10 MERCURE
vations &des jouiffances , je ne comprends
pas ce qu'il veut dire!.... Ni moi , dit Ali en
riant. Adieu , Omar , porte-toi bien ;;&
veuille leProphète veiller fur ta raiſon! En
diſant ces mots , Ali le quitta, s'eſtimant heureux
de n'être point un fou comme Omar
&fon Sage. Il fir viſite àune belle, & rentra
le matin malade chez lui. Omar poursuivie
lentement ſon chemin, revint chez lui mé
content de ſon fort, & fe leva fain &bien
portant.
رد
Omar avoit en apparence tout ce qu'il
faut pour être heureux : jeune , beau &
immenfément ricke; fon palais, moins vaſte
que celui du Calife , avoir plus de goût &
d'élégance : ſouvent la demeure des grands
fatisfait plus à l'orgueil qu'aux vraies commodités
; mais le palais d'Omar les réuniſſoit
toutes. Sain , vigoureux , heureux dans fes
amours, adoré des belles qu'il aimoit ; comment
Omar pouvoit-il n'être pas fatisfait !
Ali eſt reconnu pour un fou, diſoit-il ; mais
Abudeneck n'est peut - être pas aufli fage
qu'on le dit ; je n'ai tiré aucun fruit de ſes
conſeils , je ne les comprends pas même ;
voyons ſi je trouverois le bonheur dans les
bras de Fatime. Il l'alla trouver; bientôt il
ne reſpira plus que pour elle & par elle ,
jouit de toutes les voluptés de l'amour , &
s'écria mille fois : je ſuis heureux , Fatime ,
je trouve le bonheur avec toi.
Trois mois s'écoulèrent , & Omar ne
trouva plus que l'ennui. Tout Bagdad lui
DE FRANCE. 11
envioît la poſſeſſion de la belle Fatime ; il
envioit à tout Bagdad d'avoir ce deſir; la
préſence de cette belle rajeunifſoit les vieillards,
Omarbaifſoit triftement les yeux; les
jeunes gens rougiffoient de plaifir quand ils
pouvoient toucher légèrement le moindre
de ſes vêtemens , tandis qu'Omar pâliffoit à
chaque marque de tendreſſe qu'elle ſe plaiſoit
à lui donner. Elle remarqua ſa froideur;
une douleur ſecrette conſuma bientôt des
charmes qu'aucun pinceau nepourroit nous
retracer. La loi du Prophète permettoit à
Omarde chercher , avec une autre belle, les
plaiſirs que la poſſeſſion de Fatime ne lui
procuroit plus; mais trop délicat pour ajouter
cette mortification au chagrin qu'elle reffentoit
de ſon infidélité, il réſolut d'eſſayer de
l'abſence , eſpérant que ce remède rendroit
àFatime ſon indifférence & ſa tranquillité.
Il partit pour la Perſe & la Syrie , dans l'intention
d'examiner l'état de ſes plantations.
Des facteurs fidèles & intelligens les dirigeoient;
il trouva qu'on lui avoit acquis des
Commes immenfes , mais il s'apperçut qu'il
n'avoit-là rien à faire ni à deſirer. Réfléchiffant
, végétant & s'ennuyant toujours , il
reprit, après deux ans de courſes , le chemin
de Bagdad. Il en étoit à peu de diſtance ,
quand il vit un courier chargé d'aller lui
apprendre la mort de l'aimable Fatime. Victime
de ſa douleur , une conſomption qui
en étoit la fuite venoit de l'enlever. Il exiftoit
encore quelquefois àBagdad une femme
Avj
12 MERCURE
conftante , & Fatime l'avoit été juſqu'à les
derniers momens. Omar , comme frappé de
la foudre à cette funeste nouvelle , fentit
toute l'étendue de la perte qu'il venoit de
faire. Son ame , engourdie par une proſpél
rité continuelle , reprit ſon energie; Fatime
devenoit ſon plus grand bien depuis qu'il
apprenoit ſa mort. Ciel , s'écrioit-il , par
quelle fatalité ſuis-je ſon meurtier ! Moi qui
ne ferois pas de mal au moindre de mes
Efclaves , je cauſe la mort de la plus aimable
des femmes ! Fatime , toi qui ne reſpirois
qu'amour & bienveillance ! quoi ! tu étois
réfervée à expirer de douleur à la fleur de
ton âge ! & c'eſt moi qui t'ai porté le coup
mortel ! j'aurois pu te conſerver fans ce
fatal voyage ! Abudeneck , aurois- tu raiſon !
Fatime à vécu , Fatime a fait le bien ; mais
Fatime étoit - elle créée pour le bonheur !
L'Eternel ſeul le fait ! & moi j'ai tout
perdu.
Abîmé dans fa douleur , Omar revint chez
lui rendreles derniers devoirs aux reſtes chéris
de fa tendre victime ; un Mauſolée ſuperbe
qu'il lui fit ériger, éternifa ſes regrets. La
mort de l'épouse d'Omar avoit paru un
exemple rare aux habitans de Bagdad ; mais
lamanière dont il pleuroit ſa perte fut bien
plus furprenante pour eux ; il fenourriffoitde
douleur, il ſe complaifoit dans ſa triſteffe. Le
bruyantAli'vint letrouver , non pour partager
ſa douleur , mais pour eſſayer de le rendre à
lui-même..
A
DEFRANCE.
13
Toujours feul , Omar , lui dit-il? Allons,
quitte cette folitude. Par Mahomet , tu fais
tout ce que tu peux pour te rendre malheu
reux. As-tu donc trouvé le bonheur , Ali
répondit Omar en ſoupirant? ... Quelle quef
tion ! tiens , Omar , fans ma diable de goutte
&ma toux , je ne troquerois pas avec le
Calife..... Eh , dis-moi , Ali , pourquoi cette
goutte& certe toux à ton age ? .... Point de
pourquoi , s'il vous plaît , répondit Ali en
riant. Viens , Omar , fuis - moi ; je n'aime
guères à me méler des affaires d'autrui , mais
je ne puis te voir plus long-tems dans cet
état ; tout Bagdad a vu tes regrets , mais il
faut les finir.
Sans attendre de réponſe , Ali entraîne fon
ami dans une aſſemblée compoſce de tous
les élégans de Bagdad. On rioit , plaifantoit,
chantoit; l'on étoit content , ou l'on paroiffoit
l'être : en fait de plaifir bruyant , l'apparence
reſſemble ſi fort à la réalité , Omar
crut à celle-ci. Son coeur ſe réchauffa par les
rayons du plaifir qu'il crut voir briller dans
les yeux des convives ; il avoua à fon ami
qu'il ſe trouvoit mieux , il ſe livra à ſes cer
cles joyeux ; & après y avoir été quelquefois,
il embraffa Ali, & le remercia de lui avoir
appris à jouir des biens de la vie ; il forma
autli-tôt le projet d'avoir ſa maiſon , & fe
crut enfin parvenu au bonheur.:
Les cuifimiers François n'avoient pasencore
le privilège excluſif de détruire in fanté
par la fineffede leurs ragoûts. Omar fit venir
14
MERCURE
les fiens de la Cour des EmpereursGrècs. Sa
table fut ouverte; les feres ſe ſuccédoient ;
fon palais devint le temple de la ſenſualité ,
du bon goût , & la demeure de tous les
déſoeuvrés&detous les paratites de Bagdad.
Omar jouifloit , ſe trouvoit heureux , parce
qu'il n'avoit pas le temps de ſe reconnoître;
mais il avoit des Cuiſiniers ; il lui fallut des
Médecins ; ſon ſommeil étoit moins tranquille;
il ſe levoit fatigué, la tête peſante ,
embarraffee; il commença à ſe douter que
ſouvent il s'ennuieroit au milieu de cette
bonne compagnie; il devint ſpectateur quand
ſes convives mangeoient ; enfin il ſe ſurprit
à bailler au milieu de leurs éclats de rire.
Une nuit paffée à violer la loi du Prophète
mit le comble à ſes dégoûts & à ſes maux en
yajoutant les remords ; épuisé par cette débauche
que ſa complaiſance pour quelques
jeunes Seigneurs lui avoit fait faire , il ſe
trouva mal à table ; un de ſes amis voulut le
fecourir , il avala une groffe arête qui lui
coûta la vie. Tout Bagdad le pleura , parce
qu'il étoit juge, & n'avoit jamais ni accepté
de préſent , ni opprimé le pauvre.
Inconfolable& anéantı par cet événement,
Omar ſe ſeroit ôté la vie ſi cette mode eûr
regné à Bagdad comme elle règne à préſent
auxbords de la Tamiſe &du lac de Genève.
Le monde lui devint odieux; ſon coeur étoit
déchiré par l'idée affreuſe d'être le meurtrier,
quoiqu'involontaire , de la plus aimable des
femmes&du meilleur des hommes , incapa-
(
DE FRANCE 5
ble de s'étourdir encore, il allégua ſa ſanté,
ferma ſon palais ,&partit pour une campagne
peu éloignée de l'habitation d'Abudeneck.
Omar fuyoit tous les mortels; mais rencontrant
un jour le Philoſophe , il ne put ſe refuſer
à l'air d'intérêt avec lequel Abudeneck
parut le reconnoître; il lui fit le détail de la
vie qu'il avoit menée depuis qu'ils ne s'é
toient vus. L'attention compatillante que lui
prêtoit le Sage, ranima un léger eſpoir dans
Ion âme affaiffée par le mécontentement intérieur.
Lorſqu'il eut fini fon récit : viens
demain chez moi, lui dit Abudeneck , nous
tâcherons de foulager tes peines. Il le quitta
enluidiſant ces mots , & Omar, plus contentdu
Sage qu'à leur première entrevue , regagna
aufli ſa demeure. Un meſſager venoit
d'y arriver pour lui annoncer que le brillant
Ali, à la fuite d'une fète, avoit emporté avec
lui dans le tombeau la malédiction de cinquante
créanciers réduits à la misère parce
qu'il étoit mort inſolvable. Pour la première
fois Omar fentit le bonheur d'être riche , &
beniffant le Tout-Puiſſant de pouvoir redrefſer
les tortsde ſon ami , il s'engagea à payer
pour lui, dormit d'un ſommeil plus paitible ,
&ſetrouva le lendemain à l'heure preſcrite
chez Abudeneck. J'ai réfléchi, lui dit celuioi,
àce que tu medis hier. Mais quel estdonc,
Omar, le plan de vie que tu t'es formé actuellement?-
Je prie les Immortels ; je prête
&donne à l'indigent; mais je me fuis à charge
à moi-même , & je détefte mon exiftence.
t
16 MERCURE
-Cependant l'Éternel t'a créé , Omar ; tes
actions font ecrites dans ſon Livre de vie.
Eh! fuis-je le maître de mes actions , s'écria
Omar ? Moi qui ſouffre quand je vois fouffrir
le moindre de mes eſclaves, n'ai -je pas été la
cauſede la mort de deux êtres qui valoient
mieux que moi ? Nous ſommes , dit Abudeneck
, les créatures du Tout-Puiffant : beni
foit le Tout-Puiflant ! Oui , répondit Omar, je
le bénis; mais apprends-moi pourquoi je ne
puis étre heureux ! Prive - toi pour jouir,
Omar. Tu me l'as déjà dit, répondit celui- ci ,
&je ne l'ai pas compris. Mes affaires me
demandent,dit le Philoſophe; mais mapetitefille
te l'apprendra.
Omar avoit entrevu Rémire; elle lui avoit
paruune enfant jolie, pleine de grâce , mais
fi jeune encore! En vérité , dit-il , le Philofophe
abuſe dema confiance ! Me renvoyer à un
enfant pour m'inſtruire ! Dans l'état où je ſuis
elle ne pourra pas même me diſtraire. Il hefitoit
s'il ne s'en iroit pas quand Rémire vint
au - devant de lui. Sans Thumeur qu'avoit
Omar dans ce moment, il auroit éré frappé
de la franchiſe modefte, de l'élégance ſimple.
&propre qui diftinguoit & ſes manières &
fon habillement ; elle étoit chargée par fon
grand-père de retenir Omar à dîner. Il aura un
convive peu agréable , dit Omar , qui defiroit
s'en aller. Ilne le croit pas, répondit Remire
en riant; viens, Omar, pendant qu'il eſt à ſes
affaires parcourons mon petit jardin. L'ingénuité
, les graces de Remire rendirent à
DE FRANCE 17
Omar fa complaifance ordinaire ; il la ſuivit
dans le petit enclos qu'elle cultivoit; il admira
méme avecplaifir l'ordre qui y régnoit ,
lavariété des plantes &le goût de la diftribution.
Deuxplanches étoient dégarnies; il faut
les bécher, dit- elle; fi tu voulois m'aider ,
avantde nous mettre à table cela feroit fait. Il
✔ confentit. Ce travail étoit nouveau pour
lui,& lui parut amuſant. Mais le ſoleil dardoit
ſes rayonsardensſur la tête des deux ouvriers.
Omar demanda s'il n'y avoit pas de
fource aux environs. Oui , dit Remire ;
mais fansdoute tu n'aurois pas le courage de
boire avantd'avoir fini. Omar pria. Rémire ,
avec le fourire des grâces , fut inexorable.
Mais l'ouvrage fini , elle courut elle-même lui
chercherde quoi ſe défaltérer. Tu bois avec
plaifir, lui dit-elle d'un air malin ! Jamais
nectar në me parut aufli bon que cette eau ,
répondit Omar , qui voyoit toujours un enfant
dans Rémire. Allons , ajoure-t- il , nous
rafraîchir ſous l'ombre de ces trois palmiers.
Pas encore , Omar, dit la jolie eſpiègle; je
veux me promener , & tu en feras autant.
Quel caprice, penſoit Omar; mais il céda à
l'idée que l'enfance a ſes ſingularités , & il
accompagna Rémire malgré l'ardeur du ſoleil
qui les brûloit tous deux. Elle lui montroit ſes
fleurs, lui en faifoit l'hiſtoire , & paroiffont
préférer celles dont la culture lui avoit coûté
le phus de peine. Remarquant enfin qu'Omar
n'en pouvoit plus de fatigue , elle le condui
fit ſous les palmiers Nous y voici , lui dir
18 MERCURE
elle, comment te trouves-tu ſous cette ombre?
Dis-moi , Omar, la petite contradition
que tu as eſſuyée pour en jouir n'augmentet-
elle pas ton plaiſir ? Certainement , dit
Omar du ton de conviction , & je croirois
, belle Remire.... L'arrivée d'Abudeneck
interrompit Omar. Le Philoſophe fourioit
en lui voyant l'air fatisfait; le jeune homme
avoua que le repos paroiſſoit délicieux après
lafatigue. Bon,dit le Philoſophe !Continue ,
Omar , & tu apprendras àjouir. Comment ,
s'écria Omar, mes richeſſes , mes femmes, la
ſociété , tout prendroit pour moi autant de
charmes qu'en a cette ombre dans ce moment?
Jen'endoute pas, mon ami , lui dit le
Sage, ſi tu ſuis nos conſeils; ta maladie n'eſt
point rare chez les riches , mais elle n'eſt pas
incurable.
Mais, dit Omar , ſi tu dis vrai, ſi tu ne te
moques pas de moi , apprends moi donc commentje
dois m'y prendre?
Comme Rémire t'a fait agir ce matin pour
trouver cette ombre agréable. Souviens-toi ,
Omar , qu'il n'y a aucune jouiſſance fans privation.
L'Éternel a fait de ce principe la baſe
de notre exiftence, & notre plus grande volupté
eſt une ſuite de cette loi ; apprends ,
pour connoître le prix des jouiſſances , à fentir
lapeinedes privations. Sache deſirer ſans
impatience,&tu jouiras ſans dégoût.
Le dîner ſervi, ils rentrèrent. Une table
proprement & fimplement garnie de mets
bien apprêtésſans être recherchés,uneconverDE
FRANCE .
19
ſation agréable, & l'appétit qu'Omar avoit
gagné , lui firent paroître le diner préférable
aux feſtins les plus ſomptueux des Califes ; il
avoua qu'il n'avoit jamais été aufli content;
on le ſommade revenirde temps en temps; il
lepromit ,&tint parole.
Juſques-là Rémire & Omar s'étoient vus
comme amis , s'étoient regardés librement ,
s'étoient parlé ſans gêne , ils s'étoient même
ſerré amicalement la main ; mais Abudeneck
remarqua que depuis quelque temps Rémire
baiffoit les yeux en préſence d'Omar , & que
celui-ci parloit moins en préſence de Rémire.
It les laiſſa ſeuls un jour; laconverfation ceffa;
ils avoient trop à ſe dire pour pouvoir s'expliquer.
Omar tombe tout-à-coup aux pieds de
Rémire, prend ſa main, balbutie, & la con
jurede deviner ce qu'il n'oſe lui dire. Rémire
émueveut qu'il ſe lève. Il craint de l'avoir
offenſée , demande en tremblant un baifer
pour gage de fon pardon. Frête à l'accorder,
elle le repoufle tout- à-coup. Omar oubliant
les leçons du Sage, prie , ſupplie , ſe fache
mêmede ce qu'il appelle un caprice. Tu me
fais tort , Omar, lui dit doucement Rémire ;
jete connois , je t'aime ,je n'oſe te contenter.
Omar murmuroit , Rémire ſourioit; l'arrivée
de ſon grand-père mit fin à la ſcène rapide ,
mais énergique , qui venoitde les éclairer fur
leurs fentimens.
Atableonparlade différens ſujets. On fait
que les Grands font bien des chofes dont on
s'étonne; entre-autres , dit le Vieillard , les
20 MERCURE
étrangers ne peuvent affez admirer les ſuperbes
allées qui entourent Bagdad , & maudire
l'affreux pavé qu'il y a dans la ville. Par exemple,
Omar , je ne paffe jamais devant ton
palais, même en plein jour , que je ne m'y
démette un pied. Omar , occupé de Rémire ,
ne répondoit que par monoſyllabes , & point
à la queftion. Qu'as-tu , lui dit le Philofophe?
Omar foupiroit, baifſoit les yeux , &
avoua ce qui s'étoit paffé. Le bon Vieillard rit,
les regarda , & carefla Rémire en la remerciant
de l'éducation qu'elle donnoit à Omar.
Rémire te mène bien , lui dit- il , c'eſt d'elle
ſeuleque tu dois dépendre. Dans ce cas , lui
dit l'aimable fille , quand tu auras fait réparer
la rue où eft ton palais, je t'accorderai cette
récompenfe. Omar vole à Bagdad , obtient la
permiflion du Calife & les applaudiſſemens
de toute la ville; ſe met à la tête des travaux,
oublie ſa triſteſſe , s'occupe , compte
les heures , les minutes , revient après
deux mois , obtient un balier de Rémire ,
&avoue n'avoir jamais eu autant de plaifir. Il
endemanda un ſecond, il fallut le mériter.
Cene fur que trois ans après le premier aveu
qu'il obtint Remire pour femme. Elle lai apprit
à jouir de tout ſans ſatiete. Dix années
d'union avec Rémire n'avoient point rallenti
fon amour; elle poſſedoit l'art de le ranimer.
Prive-toi pour jouir mieux , diſoit - elle. Il
ſuivit fes conſeils, & fut heureux.
(Par uneAbonnée du Mercure. )
DE FRANCE 21
Explication de la Charade, de l'Enigme &
du Logogryphendu Mercure précédent.
Le mot de la Charade eſt Fougueux ; celui
de l'énigme eft Chaîne; celui du Logogryphe
eft Corfaire , où l'on trouve Roi , cor, or,
Rofaire,rofe.
CHARADE.
ONNmange monpremier, mon ſecond &&montour.
(ParM. Martin , Compofiteur d'Imprimerie. )
ÉNIGME.
HOLA ! Lecteur! hola !
Tu m'attends ; me voila.
!
Fort bien. J'aime à te voir ce complaiſant viſage.
Vas,cours , porte par- tout res voeux & ton hominage.
Grains , tandis que je fuis, de goûter du repos ;
Heurte , choque , renverſe , étouffe à tout propos.
Nedevant , entre nous, t'acquitter qu'en promeſſes,
Prodigue à tout venant ton crédit , tes largeffes .
Au fort de tes accès ſouviens-toi ſeulement
Qu'à ton empreſſement,
22 MERCURE
Tandis qu'à point nommé je cède ,
Quelorſqu'enta faveur toujours je me fuccède ,
Qui que je ſois , tu dois de mon retour
Ceſſer d'être témoin un jour.
(ParM. André Honoré. )
LOGOGRYPH Ε.
AVEC fix pieds je ſuisun inſtrument utile
Qu'à la campagne on voitplus ſouvent qu'à la ville;
Du ſage quelquefois je fais l'amuſement,
Je ſoigne ſon parterre&letiens proprement.
Apréſent, pour me mieux connoître ,
Ami Lecteur , décompoſez mon être ,
Voustrouverez un malpropre animal ;
Undes quatre élémens; deux notes de muſique;
Unoutil néceſſaireen plusd'une boutique;
Un endroit où l'on paſſe à pied comme àcheval ;
Sivous voulez cafin dévoiler ce myſtère ,
Apprenez que mon fort eſt de gratter la terre.
(ParM. Bouchet.)
DE FRANCE.
23
NOUVELLES LITTERAIRES.
QUVRES de M. le Chevalier DE BERT....
Nouvelle Edition , corrigee & augmentée.
A Paris , chez Hardouin , Libraire , au
Palais Royal.
L'ÉLÉGIE chez les Anciens étoit plus confacrée
aux Amours qu'à la douleur; fi on la
voyoit gémir ſur un cercueil , ce cercueil
étoit preſque toujours celui d'un amant ou
d'une maîtreffe. Tibulle vouloit que ſa foeur
ouDélie vint les cheveux épars pleurer fur
fon tombeau.
Etfleat effufis antefepulcra comis.
EtceversdeTibulle,qui fait ſeul un tableau
ſi parfait& fi touchant , traduit par Boileau ,
eſt devenu la peinture de l'Élégie ellememe.
La plaintive É'égie, en longs habits de deuil ,
Sait les cheveux épars gémir ſur un cercucil.
Mais dans Tibulle & Properce l'Élégie ne
ſait pas gémir ſeulement ; elle fait entendre
les foupirs de la volupté comme ceux de la
douleur,
Ellepeintdes amans lajoie & la triſteſſe ,
Flatte, menace, irrite ,appaifeane maîtreffe.
24 MERCURE. ,
Parmi nous , l'Élégie avoit perdu tous ces
caractères touchans ou aimabies. On ne lui
voyoit plus des mans la joie ni la trifleſſe :
Pes tombeaux fur leſquels elle pleuroit , n'étoient
point élevés par l'amour ; ſes plaintes
artriſtoient les ames ſans les attendrir : la
feule Élégie touchante que nous euflions dans
notre langue , c'étoient les vers de la Fontaine
fur la diſgrace de Fouquet. On ofe rarement
témoigner quelqu'eſtime pour un Miniftre
qui a perdu ſa place : La Fontaine verſoit
des larmes qui devoient être immortelles ,
autourde la prifon d'un Miniſtre que les Loix
menaçoientdu ſupplice, & déjà profcrit parla
colère de fon Roi , de Louis XIV.
Il eſt remarquable que les François , de tous
les peuples celui qui vit lé plus avec les femmes&
pour les femmes , foit celui dont les
Écrivains (ſion en excepte les Poëtes dramatiques)
ayent peint avec le moins de vérité
la paffion que les femmes inſpirent. Dans nos
Romans même , & nous en avons d'excellens
, c'eſt moins l'amour qu'on voit, que les
événemens qu'il fait ou qu'il peut faire naître.
Lorſqu'après beaucoup d'obstacles &de dangers
, on a fait arriver les amans près dubut
de leurs defirs,& les Ecrivains & les Lecteurs
paroiſſent perdre tout intérêt pour eux : les
fcènes charmantes de la félicité de deux
amans, reftent couvertes d'un voile que le
talent n'ofe lever. On diroit que l'amotur,
dès qu'il eſt heureux , n'a plus d'événemens:
& tant de ſentimens divers qui varient ce
bonheur ,
DE FRANCE. 2 رف
bonheur , tant de ſituation imprévues qui
le troublent ou l'augmenten , tant de tourmens
jaloux qui amènent de nouveaux triomphes
dans une conquête dès long- tems afſurée,
toutes ces révolutions qui font des mêmes
peines & des mêmes jouiſſances , un tableau
ſi changeant & fi mobile , reſtent inconnues
aux peintres de nos paffions. Tibulle & Properce
font heureux avant qu'ils commencent
à nous parler de leur amour ; & cependant
quelle inépuiſable variété dans les ſentimens
&dans les événemens de leur coeur ! Quel
charme dans les ſentimens même qu'ils
répétent ! Quand on a prononcé les noms de
ces deux Poëtes , ſi touchans & fi aimables
tous les deux, il eſt difficile de ne pas vouloir
juger lequel des deux l'eſtdavantge. Entre plufieurs
belles femmes , on veut juger quelle eſt
laplus belle , & les talens ont le fort des jolies
femmes ; & pourquoi réſiſter à ce penchant
qui nous fait beaucoup parler de ce que nous
aimons beaucoup, quinous faitmieux ſentir les
charmes que nous comparons , & perfec
tionne le goût par ſes jouiſſances mêmes? Trèspeu
d'hommes de Lettres ont balancé entre
Tibulle & Properce. C'eſt que la première impreſſion
eſt toute entière en faveur de Ti
bulle, & que les goûts de l'eſprit , comme les
paffions de l'ame , naiſſent preſque toujours
de la première impreſſion.La première Élé
gie de Tibulle eſt ſon chef- d'oeuvre ; on eſt
touché , ému en ouvrant le volume ; & le
charme de cette émotion ſe répand fur les
Nº. 1 , 7 Janvier 1786.
B
26 MERCURE
Elégies même qui ſont moins touchantes, La
muſe de Tibulle reſſemble à une femme
très-ſenſible , qui nous intéreſſe bien moins
encorepar ſa beauté, que par la douce mélancolie
répandue ſur tous ſes charmes : on
peut avoir une voix plus flexible , plus riche ,
mais non pas des accens plus doux , plus
profondément amoureux, C'eſt une de ces
ames extrêmement tendres , que le bonheur
même porte aux larmes, Toutes les images
acceſſoires que ſa muſe réveille , font les
images dont l'amour s'entretient & ſe nourrit
dans ſes rêveries ; ce ſont ces beautés de
la campagne que l'oeil & les deſirs des amans
vont toujours chercher ; ce ſont ces foins
champêtres , parmi leſquels on aime à croire
que l'amour est né , &qu'il peut être fidèle ;
ce font ces images adoucies de la mort ,
qui ont tant de rapports avec les langueurs
de l'amour fatisfait , qui ſont ſi confo-
Jantes pour l'amour gémiſſant & malheureux!
Tibulle eſt un Poëte enchanteur ; & on
oublie qu'il eſt Poëte , on oublie qu'on lit
des vers , on ne voit qu'un amant, on n'en=
tend que des foupirs. Dans Properce, au contraire
, c'eſt le Poëte qu'on remarque avant
qu'on ait entendu l'amant; ſes images choifies,
tantôtdans une mythologie favante, tantôt
dans une nature riche, éclatante & variée ,
occupent l'eſprit , enchantent l'imagination ,
& le charme de l'amour ſe fait fentir moins
promptement ; il pénètre moins vîte dans le
pcoeur, Properce eſt un Ecrivain plus habile, &
DE FRANCE.
27
pårcelamême, il paroît un amantmoins tendre.
Mais quand on s'eſt affez accoutumé avec la,
richelle de ſon imagination & de ſon ſtyle ,
pour n'en être plus frappé , combien fon
âmeparoît amoureuſe& paffionnée ! Properce
reſſemble plus qu'on ne croit à Tibulle ; &
il eſt beaucoup d'élégies de ces deux Poëtes ,
parmi leſquelles le goût le plus délicat , s'il
n'étoit pas inftruit d'avance , auroit peine à
diftinguer l'amant de Délie & l'amant de
Cynthie. Et combien la ſenſibilité de Properce
eſt plus étendue ! comme il a mieux
connucette variété inépuiſable des ſentimens
d'un même amour ! comme il a mieux tracé,
toutes ces ſcènes intérieures de la vie cachéede
deux amans ! Qu'on ſe rappelle cette
Élégie où Properce , ivre d'amour & de van,
arrive à la fin de la nuit chez Cynthie , qui
s'eſt endormie en l'attendant ; & qu'on me
cite un tableau plus charmant , plus vrai ,
qui peigne mieux l'amour tel qu'il eſt dans
unhomme & tel qu'il eſt dans une femme.
Il y a vingt morceaux du même mérite dans
Properce , il y en a même de ſupérieurs. Je
crois fentir encore que Cynthie a été mieux
aimée que Délie; elle a plusdominé ſon amant,
elle l'a plus ſubjugué , l'a rendu à la fois plus
malheureux & plus heureux. Tibulle étoit
plus népour l'amour; Properce a plus entièrement
appartenu à ſa maîtreſſe. On croira
peut-être, d'après cette eſpèce de parallèle ,
que c'eſt à Properce que je donne la préférence;
& non , c'eſt à Tibulle: je reconrois que
Bij
28 MERCURE
c'eſt à Properce peut-être qu'on la doit, mais
c'eſt àTibulle que je la donne. Je cède à mon
goût en avouant qu'il ne ſeroit pas peut-être
le plus facile à juſtifier.
Nous n'avions pas proprement de Poëtes
élégiaques dans notre langue , & cette place
reſtoit vuide dans notre Littérature. Deux
jeunes Poëtes, nés tous les deux ſous le ciel de
l'Inde , ſe ſont préſentés dans le même temps
pour la remplir , M. le Chevalier de P. & M.
Le Chevalier de Berth... , & les Gens de
Lettres ont paru jugerque tous lesdeux étoient
également dignes de la prendre. Nous avons
donc un genre & deux Poëtes de plus dans
notre langue. En imitant ſouvent Tibulle &
Properce , ce font leurs amours qu'ils pei->
gnent ; & dans l'un &dans l'autre on ſent à
chaque vers que ces amours ne font pas une
fiction . Leurs vers ſont l'hiſtoire fidelle de
leur coeur & de leur vie ; en paffant d'une
Élégie à l'autre , on retrouve les mêmes
noms d'Eucharis , d'Éléonore , de Catilie ;
& cette unité de paſſion , pour ainſi dire ,
y joint l'intérêt du Roman. Chaque Élégie
de M. le Chevalier Berth.... marque
une époque ou une révolution de ſes amours ;
&dès leur naiſſance on voit combien l'amant
&le Poëte feront paſſionnés .
C'en est fait , & mon âme émue
Ne peut plus oublier ſes traits victorieux.
Dieux ! quel objet! non , jamais ſous les cieux
Riende fi doux ne s'offrit à ma vûc.
DE FRANCE. 29
Dans cejardin ſi renommé
Où l'Amour vers le ſoir tient ſa Cour immortelle ,
De centjeunes Beautés elle étoit la plus belle ,
Elle effaçoit l'éclat du couchant enflanimé.
Un peuple adorateur , que ce ſpectacle appelle ,
S'ouvroit à ſon approche interdit & charmé.
Elle marchoit , traînant tous les coeurs après elle ,
Et laiſſoit ſur ſes pas l'air au loin embaumé.
Je voulus l'aborder.O funeſte préſage !
Ma voix , mon coeur , mes yeux parurent ſetroubler.
La rougeur malgré moi colora mon viſage.
Je ſentis fuir mon âme & mes genoux trembler.
Cependant, entraîné dans la lice éclatante ,
Oùtoutes nos Beautés, conduites par l'Amour ,
De parure &d'attraits diſputent tour-à-tour ,
Mes regards devoroient & ſa taille élégante ,
Etde ſon cou poli la blancheur raviſſante ,
:

Au murmure flatteur de ſa robe ondoyante ,
Je treffaillois ; & l'aîle des Zéphyrs
En ſoulevant l'écharpe à ſes côtés flottante ,
Au milieu des parfums m'apportoit les defirs ,
Quedis-je ? L'Amour , l'Amour même.
Quel enfant ! oui , j'ai cru le voir
Se mêlant dans la foule , à la faveur du ſoir ,
M'exciter , me pouffer , par un pouvoir ſuprême ,
Remplir mon coeur ému d'un ſéduiſant eſpoir ,
Biij
30
MERCURE
Secouer ſon flambeau ſur la Nymphe qu'il aime,
Et ſous l'ombrage épais , dans un déſordre extrême,
A mes côtés enfin les force de s'afſcoir.
Oplaiſirs ! 6 tranſports!Ômomenspleins de charmes !.
Voilà des vers tels que la paffion en inſpire
Bientôt le Poëte trace le portrait de ſa maîtreffe
, de fon Eucharis. Mais ce n'eſt pas un
de ces portraits froids où le Peintre eſt une
heure àarranger få palette , à broyer fes cou-
Jeurs, àpréparer ſes pinceaux, pour nous peindre
enfuite en détail des fourcils , des yeux,
un nez , une bouche , & ne nous faire connoître
que la froideur de ſon âme & l'impuiſſance
de fon talent. Le Chevalier Berth....
peint fur-tout fon Eucharis en traçant avec
enthouſiaſine la paffion qu'elle lui infpire.
Regardez Eucharis, vous qui craignez d'aimer ,
Et vous voudrez mourir du feu qui me dévore ;
Vous , dont le coeur éteint ne peut plus s'enflammer,
Regardez Eucharis , vous aimerez encore.
Il faut brûler , quand de ſes flots mouvans ,
La plume ombrage , en dais , ſa tête énorgueillie ;
Il faut brûler quand l'haleine des vents
Diſperſe ſes cheveux ſur ſa gorge embellie..
Un air de négligence , un air de volupté ,
Le ſourire ingénu , la pudeur rougiſſante ,
Les diamans , les fleurs , l'hermine éblouifſante ,
Et la pourpre & l'azur , tout fied à ſa beauté.
DE FRANCE.
F :
L'Amour même a poli ſa main enchantereſſe ,
Sesbras ſemblent formés pour enlacer les Dieux:
Soit qu'elle ferme ou qu'elle ouvre les yeux ,
Il fautmourir de langueur ou d'ivreſſe ;
Il faut mourir lorſqu'au milieu de nous,
Eucharis vers le ſoir , nouvelle Terpſycore ,
Danſe, ou prenant ſa harpe entre ſes beaux genoux
Mêleà cedoux concert ſavoir plus douce encore.
Quede légèretédans ſes doigts délicats!
Toutl'inftrument frémit ſous ſesdeux mains errantess
Etle voile incertaindes cordes trauſparentes ,
Même en les dérobant embellit ſes appas.
L'aimer , lui plaire enfin eſt mon unique envie,
Apoſſéder ſon coeur je borne tous mes voeux ;
Et qui voudroit donner un ſeul de ſes cheveux
Pour tous les tréſors de l'Aſie ?
L
Ce ton, le ſeul que l'Amour reconnoiffe
pour celui qu'il inſpire, eſt toujours celui du
Chevalier Berth ..... Entendez-le au moment
de ſa première victoire :
Elle est à moi ! Divinités du Pinde ,
De vos lauriers ceignez mon front vainqueur ;
Elle eſt à moi , que les maîtres de l'Inde
Biv
MERCURE
Portent envie au maître de ſon coeur.
:
1
Elle est à moi ! C'eſt bien - là le cri &
Porgueil de l'amour heureux ! Et comme des
accens plus doux ſuccèdent àces cris de joie
del'amour-propre &de l'amour ! comme des
tournures pleines de molleſſe & de langueur
expriment cet état de l'âme qui craint de ſuccomber
ſous le poids du bonheur, ces plaintesde
la volupté effrayée & accablée de ſes
délices!
:
Ah! qu'as-tu fait ? lui dis-je alors , mon ame ,
Je meurs Jamour : cruelle , qu'as-tu fait ?
De tes beaux yeux, de ces yeux pleins de flammes,
Tel eſt pourtant l'inévitable effet !
Pourquoi poſer ta tête languiſſante.
Contre ce coeur ému de tes accens ?
Au doux plaifir d'une main careſſante ,
Pourquoi cent fois ſolliciter mes ſens?
Le Poëte reproduit dans une ſuite d'Élégies
ce tableau du même amour , mais toujours
avec des circonstances qui donnent de
nouveaux charmes à fon bonheur & à fes
vers. Un fentiment ſi violent , fi délicat ne
peut être un inſtant le même ; un léger obftacle
à ſes plaiſirs , une abfence qui les interrompt
quelques jours , un mot , un rien , tout
DE FRANCE.
33
l'agite , le renouvelle ; il prête à tout l'enchantement
qui lui appartient; il n'a beſoin
que de changer de lieux pour ſe croire encore
à ſa naiſſance. Ces Élégies , qui peignent une
paffion , croiffant toujours de ſes jouiffances
même, témoignent bien que c'eſt la ſtérilité de
nos âmes qui rend les événemens & les changemens
fi néceſſaires , & qu'une âme vraiment
paſſionnée trouve dans un ſeul ſentimentde
quoi remplir toute une vie.
Comme le Poëte ici parle toujours de ce
qui lui eſt arrivé , il ne lui eſt pas toujours facilede
s'exprimer , ni avec l'élégance que la
poéſie exige , ni avec la décence que la pudeur
ordonne ; mais avec beaucoup de talent
il ſe tire preſque toujours très -bien de la pre
mière difficulté;& quant à la ſeconde..... la
pudeur pardonne au moins lorſque c'eſt la
paflion qui caufe fon embarras.
Lafin au Mercure prochain.
(Cet Article est de M. Garat. )
:
34:
MERCURE
T
SPECTACLES.
ACADEMIE ROYALE DE MUSIQUE. *
Nous ne pouvons que nous applaudir du
retard que nous avons mis à rendre comptede
l'effet de Pénélope à la ſeconde repréſentar
tion , qui avoit été ſuſpendue par l'indiſpoſition
d'un principal Acteur. Toutes les beautés
de détail remarquables ſur - tout dans le
troiſième Acte , ont produit la ſenſation la
plus vive; pluſieurs morceaux négligés la pre
mière fois par les Spectateurs refroidis , ont
été reçus avec tranſport , & les applaudiffemens
nombreux & réitérés qui ont ſuivi la
belle Scène de cet Acte, ont enfin déterminé
un ſuccès que nous annonçons avec plaiſir.
T
Une execution plus sûre , plus rapide &
mieux fondue ; un changement léger , mais
infiniment heureux dans le Poëme ; peut- être
unediſpoſition moins défavorable de la part
des Spectateurs , ou quelques autres cauſes
encoreplus cachées , ont concouru à ramener
Popinion publique fur cet Ouvrage , & nous
avouons que nous avions compté ſur ce retour.
Nous avons penſé que les beautés réelles
ne pouvoient manquer de produire tôt ou
*Cet Article, envoyé à l'Imprimerie le lendemain de
laſeconderepréſentation de Pénélope , n'a pu être inſeré
dans ledernierN°.
DE FRANCE.
35
tard leur effet ; & que quand même elle ne
procureroient pas un ſuccès complet à cet
Opera , il falloit bien qu'on leur rendit une
juſtice particulière. Nous répétons encore ici
que nous ne nous croyons pas en droit de prévenirle
Public,&que nous attendrons toujours
qu'il ait pris un parti aſſuré. Que cette elaſſe
affeznombreuſed'amateursde Théâtres,quine
ſont pas en état d'avoir une opinion à eux ,
s'empreſſent de s'en former une dans les Journaux
du lendemain , peut-être font-ils trèsbien;
mais nous ne croyons pas qu'ils doivent
faire le même honneur au nôtre. Nous nous
contentons de recueillir les jugemens de ceux
qui en ont un d'après eux-mêmes , & nous
ne propoſons le nôtre qu'à leur ſuite.
Il n'y a pas d'Ouvrage peut-être , fur-toutà
l'Opéra , dont on ait critiqué les paroles aves
autant de rigueur , avec ſi peu de ménagement.
Pour la première fois on a rendu à
l'Auteur de la muſique une juſtice affez générale
; les cris mêmes de ſes ennemis perſonnels
ne ſe ſont pas élevés très-haut contre lui.
Il ſemble que tous les efforts de la méchanceté
ſe ſoient réunis contre le Poëme , dont
on a relevé les moindres négligences avec
uneſévérité, ſouventmême avec une injuftice
dont la cauſe ne paroît pas facile à deviner.
Seroit-ce qu'en examinant les titres Litte
raires de M. Marmontel , & d'après l'idée
qu'on s'eſt faite de ſon mérite , on ne veuille
pas ſouffrir de ſa part des imperfections
qu'on pardonne à des Auteurs médiocres ? Ce
Bvj
36 MERCURE
motif, s'il étoit réel , ſeroit flatteur pour lui ;
cependant il ſeroit encore injufte. Si la médiocrité
, qui ne couvre ſes fautes que par de
la foibleſſe , a quelques droits à l'indulgence ,
pourquoi le talent qui rachette les fiennes.
par des beautés , n'en auroit-il pas de plus
grands encore ? Horace a dit :
Verum ubiplura nitent in carmine ,non ego paucis
Offendarmaculis.
Mais tout le monde ne juge pas commeHorace
; & comme on n'attend rien d'un homme
qui n'a rien promis , on eſt toujours affez
content de ce qu'il donne.
Nous fera-t'il permis de ſoupçonner une
cauſe plus vraiſemblable dans cette eſpèce
d'acharnement ? Ceux qui dans nos querelles
muſicales, ont pris ſans aucune bonne - foi, fans
jugement, fans connoiffance approfondie , un
parti décidé contre M. Piccinni , excités par
une animoſité injufte & perſonnelle , ont dû
employer toute eſpèce d'efforts pour nuire à
ſes productions. D'abord il étoit naturel qu'ils
s'élevaſſent directement contre lui. Mais
voyant que , malgré leurs attaques , la réputationde
cet habile Artiſte pouffoit des racines
de plus en plus profondes , que ſa gloire s'élevoit
au-deſſus de leurs clameurs , que leurs
ſarcaſimes étoient moins écoutés , que leurs
mépris retomboient ſur eux-mêmes , ils ont
pris un autre chemin, pour arriver au même
but. En obfervant qu'à l'Opéra la muſique
ſeule paroît avoir le droit d'intéreſſer , que les
DE FRANCE. 37
Poëmes n'obtiennent pas , à beaucoup près , le
même degré de faveur publique , c'eſt au
Poëme qu'ils ſe ſont attaches. Ils ont ſenti
que l'entrepriſe ſeroit bien plus facile , & que
leurs coups n'en ſeroient pas moins meurtriers
; mais en changeant de batterie , ils ont
changé aufli leur manière de critiquer. Dans
lemonde on juge un Ouvrage tout uniment
avec deux mots : cela eft charmant ; cela est
détestable. Mais cette formule , qui ne rend
raiſon de rien , ne perfuade pas , n'eſt pas
entraînante ; ils en ont trouvé uneplus fufceptible
d'effet.
On rencontre dans les cafés, dans les foyers,
dansles parterres un troupeaudejeunes gens à
peineéchappésdes claſſes , vifs , légers, parlant
haut&ferine pour paroître ſavoir cequ'ilsdifent;
du feu dans les regards, dans les diſcours,
mais un feu factice, une chaleur de climat qui
ne vient point de l'âme; ils font au courantde
toutes les nouveautés , dont ils croyent faire
le deſtin; ils en parlent hardiment & trèsvîte;
leur volubilité reſſemble àde l'éloquense
; il ne tient qu'à ceux qui les écoutent de
leur croire de l'eſprit; quelques-uns font des
vers, au moins à ce qu'ils diſent , mais ils ne
les diſent pas. Ces Meffieurs font dans tous
les Spectacles ; le même eſprit qui les anime
les y raſſemble ; ils ſe connoiffent tous ; c'eſt
une eſpèce d'incorporation. La guerre eft furtout
leur élément; car on ne ſe diftingue que
dans les batailles.Ces Huffards de la Littérature,
qui n'y font que du defordre , & qui
{
38 MERCURE
ont bien quelques diſgrâces perſonnelles à
venger , ne pouvant s'élever juſqu'au talent,
cherchent à rabaiſſer juſqu'à eux les hommes
qui en ont. Ils ont pris auſſi un parti en mulique
,& le hafard probablement les a décidés,
car ilsnefontpas Muſiciens, mais ilsn'en tranchent
pas moins fièrement ſur le mérite des
Compoſiteurs les plus célèbres.
Veulent-ils nuire à un morceau de muſique
? Ils interrompent l'Acteur qui le chante
pour crier à l'expreſſion , au ſentiment , à
l'effet dramatique ; tandis qu'ils ſe pâmeront
ſur l'air le plus commun du Compofiteur
protégé. Veulent - ils décrier le ſtyle d'un
Poëme d'Opéra , par exemple de Pénélope ?
Ils le ſavent par coeur ( car ils font très-allidus
aux répétitions , aux repréſentations des Ouvrages
mêmes contre leſquels ils ſe déchaî
nent. ) Ils ont donc eu ſoin de recueillir trois
ou quatre négligences réelles, échappées dans
un long Poëme ; ils y joignent huit ou dix
autres vers qu'il leur plaît de trouver déteſtables,&
pour les faire trouver tels aux autres, ils
lesdéclament avec ironie , les accompagnent
des ricanemens du mépris ; ſi vous leur demandez
ce qu'ils y trouvent de mauvais , ils
vous les répéteront avec la même caricature ;
c'eſt leur ſeule diſcuſſion ; comme les Marquis
de la critique de l'École des Femmes ,
tarte à la crême eſt leur réponſe à tout.
Cette manière n'eſt pas abſolument fans
adreſſe , elle obtient des ſuccès. Ils parviennent
à faire rire ; & quand on n'examine
DE FRANCE.
39
guères, on adopte aſſez volontiers la critique
dont on a ri. Qu'on nous pardonne cette longuedigreſſion
, qui n'eſt pourtant pas indifférente.
Il est bon de faire connoître aux Gens
de Lettres tous les Tribunaux devant leſquels
ils doivent paffer , & de dénoncer au Public
même ceux qui entraînent quelquefois pour
unmoment ſon opinion.
Oncroit bien que nous ne nous amuſerons
pas à diſcuter , à réfuter ces miférables critiques;
nous ne parlerons pas même de celles
qui ont quelque fondement. Si l'Auteur étoit
un jeune Débutant dans la Littérature , à qui
l'examende ſes fautes pût ſervirde leçon par
la ſuite, il ſeroit de notre devoir de les lui
faire remarquer. Mais M. Marmontel a bien
acquis ledroitde ſe faire pardonner quelques
négligences , &nous n'avons pas , nous , celui
de les lui reprocher.
Nous aurons donc le courage d'avancerque
le ſtyle de Pénélope nous a paru d'une fimplicité
noble , touchante , parfaitement convenable
au ſujet. L'Ouvrage eſt plein de vers
de la ſenſibilité la plus intéreſſante. Nous en
avons cité quelques-uns , mais c'eſt en liſant
tout le Poëme que ce mérite ſe fait mieux
ſentir. Il ne frappe point , il pénètre. Toute
la Scène entre Ulyſſe & Pénélope eft écritę
avec un intérêt profond. Ceux qui aiment les
vers brillantés en trouveront peu dans ce
Drame; le ton qui y règne a plus de douceur
que d'éclat. Il y a cependant quelques
momens d'enthouſiaſime que la nature de
40 MERCURE
ſujet n'a permis que rarement ; tel eſt cet air
de Télémaque annonçant l'arrivée d'Ulyſſe..
Couvert de l'Égide immortelle,
Il va rentrer dans ſes États.
: L'injure inſolente & cruelle
: Va voir punir ſes attentats.
Dans la terreur & le filence
Que tout s'abaiſſe devant lui ,
Loin de nous , coupable licences
Raſſure-toi, foible innocence ,
:
:
Les Dieux te rendent ton appui.
L'injure infolente & cruelle, eſt un des vers
que nous avons entendu critiquer plus d'une
fois de la manière qui vient d'être dépeinte.
Quand il nous eft arrivéde demander ce qu'on
ytrouvoit de mauvais , on nous répondoit :
l'injure infolente & cruelle.
:
Unautre mérite du ſtyle de cet Ouvrage,
mérite particulier juſqu'ici à M. Marmontel ,
c'eſt qu'il eſt parfaitement convenable à la
muſique; c'eſt que la forme , le rhythme , la
coupe des vers deftinés au chant proprement
dit, font tout-à-fait favorables au Muſicien ,
qui nepeut jamais en être embarraflé. Nous
avons vû avec ſurpriſe critiquer les rimes en
effe& en ains qui ſe trouvent redoublées dans
les deux premières Scènes. On n'a pas pris
garde que ces deux Scènes ne forment qu'un
feul morceaude muſique , qui ſe trouve bien
mieux lié par le retour des mêmes rimes. Le
chantdes pourſuivans n'eſt que dedeux vers ;
DE FRANCE. 41
il revient fouvent; s'il'rencontroit des rimes
étrangères , il formeroit avec elles une diſcordance
choquante. C'eſt donc une attention
pour lamuſique, dont l'Auteur ne fauroit être
que loué.
La contexture du Poëme eſt peut-être plus
fufceptible de reproches que le ſtyle. On a
trouvéque le ſujet, d'un foible intérêt par luimême
, entraînoit effentiellement de la monotonie
dans les ſituations. Ilparoît que M.
Marmontel a été ſéduit par les belles Scènes
qu'ily a d'abord apperçues , &qu'en effet fon
talent en a ſu tirer.
Le rôle de Laërte , qui tient bien aux perfonnages
, a paru tenir peu à l'action , ainſi
que le ballet qu'on lui donne. Néſus n'a pas
été trouvé moins inutile. Il vient , dit-on , annoncer
un complot contre Télémaque , &
ce complot ne s'effectue jamais. Pénélope ,
pour ſauver fon fils,lui fait offrir fa main ,&
pourtant il ne tire aucun avantage de cette
préférence. Il paroît dans la ſuite ne pas plus
compter que les autres fur fon choix.
-
Enfin on a trouvé de la langueur dans le
dénouement. Quelques motifs réels qu'ait
Ulyſſe de ne fe montrer à Pénélope que quand
ſa main pourra trouver des armes , on eft
faché que ſa Scène avec elle ne ſe termine pas
par la reconnoiſſance. Cette belle Scène en
perd une grande partie de fon effet.
Mais ces défauts , que nous avons eu auſſi
le courage d'énoncer , & qui tiennent peutêtre
plus au ſujet même qu'à la manière dont
42 MERCURE
il eft exécuté , ſont compenſés pardes beautés
bien ſenſibles . C'eft affurément une ſituation
très-intéreſſante que celle où Pénélope , qui ,
tout-à-l'heure , redemandoit aux Dieux fon
fils Télémaque , redoute de le voir victime
d'un noir complot , & craint ſon arrivée
avec autant de vivacité qu'elle la defiroit
d'abord. Mère tendre , épouſe fidelle , ne la
voit-on pas avec intérêt entre ces deux ſentimens
, devenus oppoſés l'un à l'autre , &
obligée , pour ſauver ſon fils , de manquer de
for àfon époux?
Quoi de plus touchant que le moment où
Ulyffe , inconnu , entend ſon éloge de labouche
de fon fils , d'un ſerviteur fidèle, & ſe
trouve l'heureux témoin de leur tendreſſe
& de leurs regrets ? Et la Scène du troifième
Acte , où Pénélope entend le récit
des aventures d'Ulyſſe , où ſon âme ſe
modifie ſuivant les ſituations qu'il a éprouvées,
& ſemble partager l'un après l'autre
tousles ſentimens qui l'ont agité.Et lorſqu'on
veut lui perfuader ſa mort , tout ce qu'elle
dit au vieillard, pour repouffer la certitude
decette nouvelle, pour lui exprimer la crainte
qu'elle ad'être trompée encore. Nous croyons
que cet intérêt de détail , foutenu d'une
muſique charmante , fufira pour ſuppléer à
cequi peut manquer à l'énergie du ſujet.
Nous parlerons dans le prochain Numéro
de lamuſique &de l'exécution générale.
DE FRANCE
ANNONCES ET NOTICES.
VOTOYAAGEdeM. de Mayer en Suiſſe , ouTableau
Hiftorique , Civil , Politique & Physique de la
Suiffe. A Amſterdam ; & ſe trouve à Paris , chez
Leroy, fucceffeur du ſieur Lottin le jeune , Libraire ,
rue Saint Jacques , vis-à-vis celle de la Parchemine
rie, 2 Vol. in- 89. Prix , 9 liv. reliés , & 7 liv.
4fols brochés.
Ce Voyage eſt écrit en forme de Lettres. L'Au
seury donne des détails exacts qu'il relève par des
rapprochemens heureux &des anecdotes piquantes.
Le premier Volume contient dix-neuf Lettres ,
toutesplus curieuſes l'une que l'autre , & termine le
Voyage de Suiffe juſqu'au Hafly.
Leſecond Volume contient dix- huit Lettres , &
fint par la Deſcription de la perte du Rhône.
Nous reviendrons fur cet Ouvrage intéreſſant
parſonobjet& ſon exécution. :
ORDONNANCE du Commerce de 1673 , suivie
de celles de 1669 & 1737 fur les Evocations, les
Réglemens de Juges , les Committimus , &c. en matières
civile & criminelle , avec l'indication des
Edits , Déclarations , Lettres- Patentes, Arrêts de
Réglemens ou Arrêts Notables , &c. Tome IV.
Prix, 1 liv. 1 ſols. A Paris, chez Leboucher , Libraire
, quai de Gêvres.
Cet Ouvrage formera une Collection utile aux
Gens de pratique & de commerce.
DISSERTATION fur le Café, ſa culture , fes
MERCURE
:
différentespréparations &ses propriétés tant alimentaires
que médicinales. Prix, 5 liv. avec fig. coloriées.
Differtation fur l'Ipo , eſpèce de poiſon
fubtile dont ſe ſervent les Sauvages pour empoiſonner
leurs flèches. Prix , 2 liv. avec fig. coloriées.
AParis , chez l'Auteur , M. Buc'hoz , rue de
la Harpe , au -deſſus du Collège d'Harcour .
:
Ces Differtations font ſuite à d'autres que nous
avons déjà annoncées.
HISTOIRE des Infectes utilesà l'homme , aux
animaux & aux Arts , avec les moyens qu'on peut
employerpour les multiplier & en tirer avantage, à
laquelle on ajoint un Supplémentfur la deftruction
desInfectes nuisibles , par M. Buchoz , Auteur de
différens Ouvrages économiques , in- 12. A Paris ,
chez Guillot , Libraire de MONSIEUR , rue Saint
Jacques.
M. Buc'hoz a donné l'Histoire des Infectes nuifi
bles; celui-ci en forme la ſuite& le complément.
LES Métamorphoses ou IAne d'or d'Apulée,
Philofophe latonicien , avec le Demon de Socrate,
traduits en François , avec des Remarques , nouvelle
Édition , 2 Vol petit in 8º Prix , s liv. br.
A Strasbourg , chez Am nd Lonig Libraire ; & à
Paris , chez Volland , Libraire , quai des Auguſtins.
La Vie de M de 'a Salle, Instituteur des Frères
desEcoles Chrétienes , par M. l'Abbé de Montis ,
Docteur en Théologie , Cenſeur Royal , de l'Académie
Royale des Belles -Lettresde la Rochelle , in- 12,
AParis, chez Guillot , Libraire , rue S. Jacques.
Cet Ouvrage eſt édifiant par ſon objet , & mérite
de l'indulgence à ſon Auteur , qui eſt privé de la
vûc. T
DE FRANCE.
45
PHEDRI Augusti Liberti Fabularum Libri V
cum Notis Gallicis , P. Syri Sententiis , paralleliſque
Fabulis Joannis de La Fontaine , juxta Editionem
Gabrielis Brotier , in- 12. Prix , 18 fols. Parifiis ,
apud J. Barbou, viâ Mathurinenfium .
CetteEdition eſt faite d'après celle de M. l'Abbé
Brotier, que nous avons annoncée avec de juſtes
éloges
Le même Libraire vient de mettre en verte des
Leçons Elémentaires de Méchanique, par M. l'Abbé
Jantet, Profeffeur de Philoſophie au College Royal
de Dole , qui ſe trouvent auſſi à Dole, chez Joly ,
Imprimeur - Libraire , rue de Besançon , in- 88.
Prix, 4 liv.
7
MAXIMES du Palaisfur les titres les plus utiles
des Institutes & du Code, par un ancien Magiftrat
au Parlement de Provence , avec des Obſervations
conférées avec la Jurisprudence des Parlemens de
Droit Ecrit , & particulièrement avec celle des Parlemens
de Toulouſe & de Provence , par M. G.
Bonnemant, Avocat au Parlement de Provence , in-
4°., Tome I. Prix , 9 liv. broché. ANiſmes, chez
Caftor Belle , Imprimeur Libraire , près le Palais ;
&& le trouve àParis, chez Volland , Libraire , quai
desAuguſtins.
Cet Ouvrage eſt un manuscrit d'un ancien Magiſtrat
que M. Bonnemant a enrichi d'utiles Commentaires.
Ils renferment d'importantes diſcuſſions ,
&ajoutent à l'intérêt & à l'utilité de l'Ouvrage , qui
peut guider heureuſement ceux qui ſuivent la carrière
du Barreau.
i
RAPPORT fait à l'Académie Royale des Scienees,
relativement à l'avis que le Parlement a
demandé à cette Académie ſur llaa conteſtation qui
L
1
46 MERCURE
s'eſt élevée à Rochefort au ſujet de la taxe du pain ,
extrait des Regiſtres de la même Académie , in-4°.
Prix , 2 liv. 8 fols. AParis, de l'Imprimerie Royale ,
& ſe trouve chez Moutard , Imprimeur- Libraire ,
rue des Mathurins , hôtel de Cluni.
Lamatière traitée dans cet Ouvrage eſt impor.
tante , intéreſſe l'humanité; & les Perſonnes chargéesde
cet examen doivent inſpirer de la confiance)
pour les réſultats qu'il préſente, ce ſontMM. Leroy,
Tiller & Defmareſt.
TRAITÉ de la manière defemer toutes fortes de
graines &plantes potagères , avec le Jardinier perpétuel,
qui enſeigne ce qu'ilfaut fuire chaque mois,
in-12. Prix , 15 ſols br. A Paris, chez Fournier ,
Libraire, rue du Hurepoix.
PORTRAIT de M. de Larive , Penſionnaire du
Roi , Comédien François , gravé par Augustin de
Saint Aubin , d'après le Camée , peint d'après nature
par M. Sauvage, Peintre du Roi. Cette Eftampe,
de format in- 8 °., ſe trouve à Paris , chez
l'Auteur ,Graveur du Roi &de ſa Bibliothèque , rue
dés Prouvaires , n°. 54 , & chez M. Definarets ,
rúc Thévenot , nº. 19. Prix , I liv. 10 fols.
Les mêmes Artiſtes ſe propoſent de faire dans
ce genre, & du même format , les Portraits des
Acteurs & Actrices les plus célères des trois Théâtres
de la Capitale, d'après les Camées de M. Sauvage.
CePortrait, très- bien grayé d'ailleurs , eſt d'une
reffemblance parfaite. Le Public verra avec plaiſir
le Portrait d'un Acteur qui lui eſt devenu ſi cher par
fon talent, & il applaudira aux deux Artistes qui
en ont éternifé les traits . La Collection qu'ils promettent
ne peutqu'être favorablement accueillie , &
१६
DE FRANCE. 47
sepremier Portrait en donne l'idée la plus avantageuſe.
On lit au bas le Quatrain ſuivant :
Citoyen vertueux , Adeur fublime & tendre ,
Onchérit ſes talens , on eſtime ſes incoeurs ;
Etchez les malheureux il ya tarir les pleurs
Qu'au Théâtre il a fait répandre.
(ParM. Dúviquet. )
POÉSIES du Père du Cerceau , nouvelle Edition ,
2Vol. in- 12 , A Paris , chez Eugène Onfroy , Libraire
, rue du Hurepoix , près du Pont S. Michel.
On ſera bien aiſe de voir une nouvelle Édition
exacte & bien faite des OEuvres d'un Poëte qui ,
ſans jouir de l'entière réputation qu'elle eur de ſon
temps , a conſervé néanmoins aſſez d'eſtime pour
être lû avec plaiſir parmi nos agréables Ecrivains.
On trouve chez le même Libraire le bon Jardinier
, par M. de Grace , Cenſeur Royal , Amateur c
Cultivateur. Prix , 1 liv 16 fols relié.
Cet Almanach utile remonte à une date de plus
de vingt-cinq ans. Cette nouvelle Edition eſt plus
exacte & plus étendue que les précédentes.
LE Répertoire Amusant, Etrennes dédiées aux
Gens de goût , contenant un choix de Morceaux de
Poésie & de Proſe, des Chanſons, des Contes , des
Enigmes , &c, A Londres; & ſe trouve à Paris ,
chez Fournier , Libraire , rue du Hurepoix , près du
quai des Auguſtins.
Ce petit Recueil a de la variété; il est compofe
fur-tout de divers Morceaux agréables fournis par
pluſieursdes Poëtes modernes.
NUMÉRO 12 du Journal de Violon , dédié aux
Amateurs, composé d'Airs nouveaux pour deux
Violons ou Violoncelles. Prix , ſéparément 2 liv.
Abonnement pour douze Numéros is & 18 liv. A
MERCURE
Paris , chez le ſieur Bornet l'aîné , Profeſſeur de Mufique
& Violon , rue Tiquetonne , nº. 10. :
SIX Sonates pour le Violoncelle, dédiées aux
vrais Amateurs du Chant & de l'Harmonie , par
M. Treklir , premier Violoncelle à la Cour Flectorale
de Dreſde. Prix , 7 liv. 4 ſols franc de port
par la poſte. A Paris , chez Imbault, rue & vis- àvis
le Cloître Saint Honoré ,maiſon du Chandelier ,
n°. 573 .
Nota. Les quatre premières Sonates font à
portée des,Amateurs.
TROIS Quintettis pour deux Violons , Alto &
deux Violoncelles , par Signor Boccherini , OEuvre
XXXVI. - Ariette Lifon, dormoit , avec variations
pour le Piano- Forte , par W. A. Mozart. -
Six Quatuors pour deux Violons , Alto & Violoncelle
, dédiés à M. Hayden par ſon ami M. W. A.
Mozart, OEuvre X. Six Quatuors pour deux
Violons , Alto & Baſſe , ppaarr Signor Wanhall ,
Ouvre XXXIII . A Paris , chez Leduc , au Magaſin
de Muſique , rue du Roule , à la Croix d'or , no. 6.
M
-
TABLE.
ERCURE au Roi ,
Omar, Conte,
Charade, Enigme &
* gryphe ,
3 OEuvres deM. le Chevalier de
Bert... , 6 23
Logo AcadémieRoy. deMusiq. 34
21 Annonces & Notices ,
APPROBATION.
43
J'AI In , par ordre de Mgr le Garde des Sccaux, le
MercuredeFrance , pour le Samedi 7 Janvier 1786. Je n'y
ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion. A
Paris , le 6 Janvier 1986. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLE S.
:
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 25 Décembre.
LA
A foibleſſe de la récolte de cette année
a déterminé le Roi de Pologne ,
à la ſuite d'une délibération du Confeil
permanent , à expédier des lettres exhorratoires
aux Propriétaires terriens & aux
Cultivateurs , par leſquelles S. M. les avertit
de conſerver leurs grains, dans l'appréhenfion
d'une difette abfolue.
On a appris de Pétersbourg , que le
Comte de Besborodko , celui des Miniftres
de l'Impératrice qui dirige les affaires
de Ruflie avec l'Etranger , étoit tombé
dangéreuſement malade ; mais il en eſt aujourd'hui
à la convalefcence .
La direction de la Compagnie Danoife ,
des Indes occidentales , ayant fupplié le
N. B. Des circonstances particulières obligent
de renvoyer à la fin du mois , le Tableau
politique qui accompagne le premier N°. de
chaque année.
Nº. 1 , 7 Janvier 1786 . 2
;
( 2 )
Roi de prendre pour fon compte le commerce
de la Compagnie , vu qu'elle ne pouvoit
plus le faire avec avantage pour l'Etat
& les Actionnaires , S. M. a fait , ( le 7 de
ce mois ) aux Actionnaires , l'offre de prendre
leurs actions , à raiſon de 260 rixdalers
chacune.
Le Roi s'eſt auſſi chargé de la dette que
la Compagnie de la Baltique & de Guinée
avoit contractée à laBanque .
On lit dans un Journal de commerce ,
que le commerce de la ſoirie procure au
Roi de Sardaigne , un revenu annuel de 18
millions de livre de Piémont.
Le Profeffeur Gmelin a eſſayé de teindre
la cire en jaune avec de l'acide nitreux.
Ses eſſais ont très-bien réuſſi , & la couleur
est devenue belle.
DE VIENNE , le 25 Décembre.
Dans peu de jours , le Comte Rewitzky ,
partira pour Londres en qualité de Miniftre
Plénipotentiaire de l'Empereur , de qui il a
reçu des inſtructions très- importantes.
Les Etats de Hongrie , ont ordre de
lever incontinent les trois Régimens nationaux
qui doivent être complets au printemps
prochain. On prétend que l'Impératrice
de Ruffie , ayant fait préſent à l'Empereur
d'un Corps de Coſaques-Zaporaves ,
ce Corps eſt arrivé le 12 Octobre en Tranfilvanie
, d'où il a été mis en quartier au
Bannat , ſous les ordres du Baron d'Entzenberg
, qui en a pris le commandement.
( 3 )
Il eſt arrivé de Florence vingt mulets ,
chargés de différentes préparations anatomiques
, deſtinées pour cette Capitale.
L'Empereur , dit on , ſe fait préſenter
chaque mois , une liſte des perſonnes , qui ,
malgré le droit de 60 pr. 100 , dú aux douanes
,font venir des objets de luxe de fabrique
étrangere.
Suivant un état de la Marine Ruſſe fur
la mer Noire , élu & composé des vaiffeaux
, de 74 canons , des de so can. , &
des corvettes , le vaiſſeau amiral , qui ſe
conftruit à Sebaſtopolis , ſera de 90 can. De
ſon côté , la Porte eſt très-éloignée de fermer
les yeux fur ces préparatifs, & travaille à
porter ſa marineà 70 vaiſſeaux de ligne , qu'on
diviſera en deux flottes , l'une pour la Mer-
Noire , l'autre pour la Mer Blanche & l'Ar_
chipel.
L'Empereur a établi une commiffion pré
fidée par le Général Stuart , pour examiner
les comptes & la conduite des Directeurs de
la conſtruction de la fortereſſe de Plefi, qut
font accuſés de pluſieurs malverfations.
Sur les nouvelles reques de Nimirow ,
qu'il regne dans l'Ukraine une maladie épi .
démique , qui enleve beaucoup de monde;
la Cour a expédié ſur le champ des ordres
de tirer un cordon de troupes ſur la frontiere.
Depuis que la ville de Zeng , dans la Dal
matie Autrichienne , a été déclarée por
22
( 4)
:
:
:
1
libre , le commerce y fait des progrès trèsſenſibles
. On a vu s'y établir fucceſſivement
8 Capitaines de vaiſſeaux de Ragufe , 4 de
Gênes , 2 de Naples ,& 1 de l'Etat-Ecclefiaftique.
Le 2 de ce mois , le Gouvernement de la
baſſe Autriche a fait publier un Décret de la
Cour , daté du 24 Novembre , par lequel
S. M. Imp. a jugé à propos de déroger à la
Parente deDouane, dduu 16 Septembre 1784,
pour les articles ſuivans. 1 °. Il fera permis
d'exporter en Hongrie la cendre ordinaire
, en payant un denier par boiſſeau ;
2°. le plomb du Tyrol jouira , à ſon importation
, des mêmes avantages que les
autres marchandises manufacturées dans cette
province ; 3 °. les pierres à fufil , de la fabrique
du ſieur Rieder , à Ario , dans le Tyrol ,
ne paieront aucuns droits à leur importation
dans les autres Etats héréditaires ; 4°. les
rentes ne paieront , à leur entrée , que 18
creutzers par quintal ; s . l'hydromel , 2
creutzers par eimer ; & 6°. les couvertures
de foie&demi foie , fabriquées àWartberg,
dans la Hongrie , paieront 15 creutzers par
piece, à leur importation dans les Etats héréditaires&
dans laGallicie.
DE FRANCFORT , le 27 Décembre.
Les feuilles Allemandes & autres , qui
s'étoient fi fort preilées d'annoncer la conclufion
des arrangemens définitifs , rélative(
5 )
ment à l'échange de la Baviere, font maintenant
obligées de ſe rétracter. M. Rindl ,
diſent elles,Tréſorier de Munich,y eft arrivé
de Darmſtad , où il a entretenu le Duc de
Deux Ponts , qui l'a même admis à fa table,
en l'afurant de ſa ferme réſolation de ne jamais
confentir à l'échange de la Baviere , &
en le chargeant de mettre en garde fes
compatriotes contre to it ce qu'on débite
de contraire. S. A. S. lui a temoigné en
même temps combien elle étoit fatisfaite
de la fidélité & des ſentimens des Bavarois
dans cette circonstance.
Le Roi de Pruſſe vient de perdre le
Général deHoltzendorff , Inſpecteur-Général
de l'artillerie &des magaſins ; cet excellent
Officier , né en 1714, avoit vu 12 batailles
& 9 ſieges , & poſſédoit toute la
confiance de ſon Souverain.
,
La Princeſſe de Heſſe - Darmſtadt , qui
avoit épousé , il yats mois , le Prince
Charles de Mecklenbourg - Strelitz eft
morte à Hanovre le 12 Décembre , à la
ſuite d'une couche , dans la 31. année de
ſon âge. Le 30 Novembre elle avoit accouché
d'un Prince.
La Cour de Berlin a pris, le 11 , un deuil
de trois ſemaines , à l'occaſion de la mort de
la Princeſſe de Wirtemberg , épouſe du
Prince-Evêque de Lubek , Duc de Holſtein-
Oldenbourg.
Le Roi de Prufſe a jugé à propos d'aug-
!
a 3
( 6 )
menter dans ſes Etats les droits d'acciſe fur
les vins du Rhin , & de les porter au cinquieme
de leur valeur. Un tonneau de 60
quarts, du prix de 40 rixdalers & au-deflous
payera à l'avenir 8 rixdalers & 20 grofchen
de droit , & ainſi progreſſivement pour
les autres qualités de ce vin.
M. Rieſn , fort connu en Allemagne par fon
goût pour les ſciences & ſes lumieres en agriculture
& en économie champêtre , vient enfin
de trouver le moyen de prouver aux incrédules
qu'en effet il a exiſté dans les étangs de
Kaiſerslautern un Brochet d'une grandeur extraordinaire
( de 19 pieds de long) qui yavoit
été mis en 1230 par l'Empereur Frederic II ,
& qui n'a été pêché que 267 ans après . On en
fut ém rveillé dans ce temps- là , comme on le
feroit aujourd'hui , & l'on fit peindre ce poifon
*en mettant au bas l'inſcription ſuivante , qui
exiſte ainſi que le tableau , & a été envoyée de
Lautern même à M. Rieſn : In hoc stagno propè
Lutra- Cæfaream , quod à Frederico II ftructum
fuit , Anno MCCCCXCVII , VI Novemb. Lucius
captus fuit XIX pedum longus , qui vivaria
defaftus erat per CCLXVII annos , IX Novemb .
in Auld Electoris tranflatus. Annulum habuit collarem
aneum deauratum , qui in Cimiliarcha Palasind
cum hâc Infcriptione afſſervabatur : SUM ILLE
PISCIS STAGN. OMNIUM PRIMUS INGRESSUS
PER IMPERATORIS FRIDERICI II , MANUS ,
QUINTA DIE OCTOBRIS , ANN. 1230.
Les Fêtes célébrées aux Deux Ponts , à
l'occaſion du mariage du Prince Maximilien
avec une Princeſſe de Heſſe-Darmstadt
, ont été troublées par un triſte accident.
( 7 )
Le Major d'artillerie Magnier , honoré de
l'eſtime & de l'affection particuliere de Son Alteſſe
Séréniſſime , s'étoit placé ſur une eſtrade ,
fituée au centre de l'artifice qu'il dirigeoit ;
trop occupé de ſa beſogne , il ne prit pas les
meſures néceſſaires de diriger l'éruption d'un
volcan artificiel , de façon qu'elle ſe fit foс-
ceffivement & graduellement. L'exploſion a été
fi prompte & fi inopinée , que l'infortuné Major
a été la victime de fon zele intrépide , & de
fon inattention ;un bas-Officier est devenu , ainfi
que lui , la proie des flammes , & pluſieurs canonniers&
charpentiers ont été grievement bleſſés.
Aufſi-tôt que S. A. S. a été informée de ce
déſaſtrueux événement , Elle s'eſt livrée à la
douleur la plus amere ; ſes yeux ſe ſont baignés
de larmes , & en poorrttaanntt lui même du ſecours
aux bleſſés ; voilà , dit ce Prince compatiffant
, le plus malheureux de mes jours. Dès
P'inſtant toutes les fêtes qui devoient ſuccéder..
ont été contremandées , & nous ſommes dans
la crainte que la conſternation profonde dans
laquelle eſt plongée S. A. S. n'altere ſa ſanté
ſi précieuſe à ſes ſujets dont Elle eſt l'idole , à
ſon illuſtre Maiſon dont Elle eſt le ſoutien , & à
l'humanité dont Ele eſt la confolation .
S. A. S. a réparé le malheur qui vient d'arriver
, autant qu'il eſt réparable , par des actes de
généroſités conformes à la nobleſſe de ſes ſensis
mens & à ſa grandeur d'ame.
La réponſe du Miniſtere de Pruſſe , à
l'Examen de l'Expoſé de celle de Berlin ,
justificatif d'une aſſociation dans l'Empire ,
eſt trop remarquable pour être paſſée ſous
filence ; mais , afin d'en abréger la lecture
au Public , nous réduiſons cette piece ima
4
( 8 )
portante à un précis de ſon contenu. En
voici le commencement.
Il eſt incontestable que dans les Conférences
renues à Braunau en 1778 , il fut queſtion d'un
échange de la plus grande & de la meilleure
partie du Duché de Baviere & du haut Palatitat
, contre les poſſeſſions Autrichiennes dans le
Comté de Suabe & une partie des Pays- Bas . Les
propoſitions & réponſes faites à ce ſujet de part
& d'autre ont été rendues publiques à cette
époque dans la Déclaration ultérieure du Roi , &
on a jugé à propos de les imprimer de nouveau
dans la préſente réponſe. En effet , le Roi
s'étoit alors oppoſé , non-ſeulement à l'échange
projetté & aux prétentions de la Maiſon d'Autriche
ſur la Baviere , mais il avoit auſſi déclaré
à pluſieurs repriſes , qu'un des motifs de
ſon oppofition , étoit la conſervation de l'équilibre
en Allemagne. Ainsi , le Roi a fait la
guerre pour s'oppoſer aux ſuſdites prétentions
& à l'échange projetté , & c'eſt ſur ces principes ,
que S. M. a contracté & ſigné le traité de
Teſchen.
Voici les pieces relatives à ces conférences :
1º . Propofitions de S. M. l'Impératrice Rei e ,
que M. de Thugut a remiſes aux Miniftres du
Roi, dans la Conférence tenue à Braunau le 13
Août 1778. L'Impératrice Reine , borneroit les
avantages qui doivent lui revenir de ſa prétention
fur la fucceffion de Baviere & de ſa convention
avec l'Electeur Palatin , à Pacquifition d'un revenu
d'un ſeul million de florins . La Maiſon
Palatine , en retour , céderoit à l'Impératrice
Reine , & reſpectivement échangeroit avec Elle ,
la partie de la Baviere & du haut Palatinat ,
renfermée dans les limites ci-deſſous expliquées.
La ligne de démarcation commenceroit auprès
(و)
deKufſtein,dans le Tyrol , elle ſuivroit le cours
de l'Inn juſqu'a Waſſerbourg , de- là elle feroit
continuée vers Landshut à Lanckwat , enfuite à
Berlin , Donauptauf , Nittenau , Neubourg ,
Ketz , juſqu'à Waldmunchen , le long du grand
chemin qui conduit à Themes en Boheme.-
L'Impératrice Reine , céderoit à l'Electeur Palatin
tout ce qu'elle pofféde dans le cercle de
Suabe; & fi les revenus de l'acquiſition en Baviere
excédoient le préciput de l'Impératrice
Reine , avec les revenus des poffeffions Autrichiennes
en Suabe , S. M. dédommageroit l'Electeur
Palatin , avec exactitude , ſoit par d'autres
ceffions d'un revenu égal dans les Pays-Bas , foit
en ſe chargeant d'une partie proportionnée des
dettes de la Baviere. Cette propoſition eſt conforme
à la lettre que l'Impératrice Reine avoit
écrite au Roile 12 Juillet 1778 .
Extrait de la réponſe du Miniſtre Prufſien , à
la ſuſdite propoſition de M. de Thugut .
On n'a qu'à comparer avec la carte géographique
de Baviere , la démarcation énoncée dans
cet article pour voir d'un coup d'oeil combien
cette acquifition ſeroit immenfe & d ngoreufe
pour tout l'Empire , & combien l'arrangement
propofé ſeroit préjudiciable à la Maiſon Palatine
&anéantiroit toute ſon exiſtence politique. La
Cour de Vienne couperoit la Baviere par une
ligne tranſverſale , depuis le Tyrol juſqu'à la
Boheme; elle obtiendroit non-feulement toute
la baſſe Baviere , fur laquelle elle forme des
prétentions , mais auſſi une grande partie de la
haute Baviere, fur laquelle elle n'en a formé
aucune juſqu'ici ; elle emporteroit , finon la
partie la plus grande de la Baviere & du haut
Palatinat , du moins la plus fertile , la plus riche
& la plus peuplée , contenant les rivieres da
as
( 10 )
,
Danebe , de l'Iſer , de l'Inn & de la Salza , avec
les riches falines de Reichenhall , & elle ne laifferoità
la Maiſon Palatine que la partie la plus
mauvaiſe de ces deux Duchés , qui ne confifle
qu'en bois & en ſable , qui ne peut ſe ſoutenic
fans le fecours de l'autre partie & en feroit
toujours dépen lante , & qui reſteroit pourtant
chargle d'un fardeau imm nſe de dettes.. La
partie de la Baviere dort on demande la ceffion
& dont le prix principal conſſte dans la contiguté
& les qualités intrinfeques , ne fauroit jamais
être compensée par des équivalens éloignés
, éparpillés , & d'une qualité fort inférieure
à tous égards. En général toute la méthode proposée
d'acquérir la partie de la Baviere qu'on
demande , & fur- tout l'excédant de la prétention
Autrichienne , par une évaluation en revenus ,
& par des équivalens , cit aufli nouvele qe
préjudiciable par ſes confequences. Pour fentir
de quelle dangereuſe conſequence feroit pour la
Maiſon Palatine , l'évaluation des pays à céder
par les revenus actuels , on n'a qu'à conſidérer
que la Baviere eſt juſqu'ici notoiremert le pays
le plus mal adminiſtré de toute l'Allemagne , de
forte qu'un diſtrict qui rapporte à préfent un
million de revenus , en rapporteroit bientôt le
double & le triple à la Cour de Vienne , & la
Maiſon Palatine y perdroit ce que la Maiſon
d'Autriche y gagneroit. Quand on voudra peſer
avec équité & fans prévention toutes les confidérations
qu'on vient d'alléguer en précis , on
ne fauroit trouver étrange que S. M. ne puiffe
pas donner les ma'ns à des propofitions & à un
arrangement qui démembreroit d'une maniere
énorme , l'important Duché de Bavicre qui
anéantircit preſque la Maiſon Palatine , qui procureroit
à la Mai ton d'Autriche , ſans aucun tire
,
( 11 )
valable , un agrandiffement exorbitant, qui renverſeroit
ainſi tout l'équilibre du pouvoir en Allemagne
, qui affecteroit , par ses conféquences ,
Ja liberté& la sûreté de tout l'Empire & de fon
ſyſtème , & par ſes ſuites auſſi celle du Roi , &
ſeroit par-là , directement contraire à la dignité
& aux intérêts les plus eſſentiels de S. M. , ainſi
qu'aux engagemens qu'Elle a pris , & au but
qu'Elle s'eſt propoté en intervenant dans l'affaire
deBaviere.
Quoique les Ducs de la baſſe-Baviere n'aient
point pris part au parte de Pavie de 1329 , il n'eſt
pas moins vrai qu'alors la baſſe-Baviere faiſoit
déjà une partie intégrante du Duché de Baviere
& qu'elle appartenait comme une propriété héréditaire
à toure la Maiſon de Wittelsbach , ainfi
que cela a été démontré à l'époque de la derniere
guerre , pour la ſucceſſion de la Baviere ,
dans le mémoire du Duc des Deux- Ponts , relativement
aux droits fidéi Commiſſaires de la
Maiſon Palatine , & notamment par l'acte de
réſerve des Comtes Palatins , de 1348 , fur la
fucceffion de la baſſe Baviere. Il en eſt tout autrement
dans la marche de Brandebourg ; car
ce pays a été conféré par l'Empereur Louis de
Baviere , à ſes fils, comme un Electorat particulier
qu'ils pouvoient aliener ſans le confentement
des Comtes Palatins , & fans porter atteinte
au pacte de Pavie. Ce pacte défend expreſſément
à la Maiſon Bavaro-Palatine , toute
aliénation & tout échange de ſes Etat ; les articles
10 , 11 & 12 de cette loi de famille , font
precis à cet égard. Cet ancien pacte prohibitoire
a été renouvellé & confirmé dans les années
1766 & 1771 , & tous ces pactes pris enſemble
ont étégarantis dans le traité de Teſchen.
On avoit foutenu dans lExamen des moti's ,
a6
( 12 )
&c. , que puiſque l'artic'e 14 du pacte de la
Maiſon Bavaro Palatine , de 1771 , permettoit
des aliénations & des engagemens de ſes pays
dans des cas urgens , & lorſqu'il en réſulterois
un plus grand avantage , & qu'il n'accordoit aux
Agents que le droit lignager , ou du premier
marché & celui de retrait , il en ſuivoit que
dans ces mêmes cas , cette Maiſon pouvoit auffi
faire un échange de pays contre un autre pays .
Mais cet article porte expreſſément , que les
pays compris dans l'union héréditaire , ( c'est-àdire
, tous les pays que la Maiſon Bavaro-Palatine
a poſſédé en 1766 ) , demeureront à chaque
Maiſon ſans pouvoir être aliénés. Ainfi
les ſuſdits cas d'aliénation ne fauroient être expliqués
autrement que lorſqu'il s'agiroit de certaines
parties i'olées , & c'eſt auſſi de ces parties
dont il eſt queſtion dans l'article 18 du traité de
Bade; mais dans ce cas même d'aliénation partielle
, l'autre branche avoit le droit de premier
marché & du retrait ; & une aliénation faite en
faveur d'un étranger , ne fauroit s'accomplir ,
que quand l'autre branche ne veut point exercer
fon droit lignager. Mais en général il eſt
inutile que la Courde Berlin examine s'il eſt
permis ou non , à la Maiſon Bavaro Palatine ,
d'aliéner& d'échanger ſes pays , mais Elle a droit
de foutenir en particulier , que dans le cas préfent
, & en conformité des pactes de famille
garantis dans le traité de Teſchen , cette Maiſon
ne pouvoit faire l'échange projetté de la Cour
de Vienne , qu'elle ne pouvo t lui céder ni le
Duché de Baviere en entier , ni fa majeure partie
, & que les cas de néceffité & de meilleur
avantage , n'étoient dans ce moment nullement
exiftans.
On reproche à la cour de Berlin , qu'elle ait
( 13 ) .
accuſé celle de Vienne d'avoir formé des projets,
violents d'échange , de ſéculariſation &
d'autres contraires à la Constitution Germanique
; mais cette inculpation eſt ſans aucun
fondement & ne pourra jamais être prouvée.
L'échange de la Baviere eſt impoſſible ,
politiquement & légalement , parce que les
pactes de familles & des Traités de Paix l'ont
interdit ; & fi cette défenſe n'eſt point abſolue,
au moins faut-il qu'elle ſoit levée par le conſentement
de toutes les Parties contractantes
& intéreſſées , & un pareil conſentement n'aura
jamais lieu tant que l'on pourra ſuppoſer àces
Parties la véritable connoiſſance de leurs droits
&de leurs intérêts . D'ailleurs la cour de Vienne
a déclaré qu'elle ne vouloit effectuer qu'un
échange volontaire.
L'Auteurde l'examen des motifs croit avoir
trouvé une contradiction dans les déclarations
de la cour de Berlin de 1778 & 1785 ; mais
elle n'est qu'apparente, & tombe dans ſon
néant auffi-tôt que l'on confidere qu'en 1778
la Maiſon Bavaro Palatine , n'étoit liée que par
ſes pactes de familles & les conſtitutions de
P'Empire; mais le Roi ayant maintenu par une
guerre entrepriſe pour la conſervation du ſyſtême
& de l'équilibre de l'Empire , que la Baviere
ne pouvoit point être aliénée , & ayant acquis
par la Paix de Teſchen, & pris ſur lui , conjointement
avec d'autres Puiſſances, la garantie
des pactes de la Maiſon Bavaro-Palatine , S. M.
a obtenu par là le droit de veiller à ce que les
pactes fuſſent obſervés ſtrictement ; par conféquent
le Roi peut tenir en 1785 un langage
différent de celui de 1778 , d'autant plus qu'il
eft prouvé incontestablement , que la Maiſon
Bavaro-Palatine n'eſt autorisée nulle part à aléner
entiérement le Duché de Baviere,
( 14 )
L'article 18 du Traité de Bade n'a pas ac
cordé à la Maiſon de Baviere la liberté illimitée
d'échenger , à ſa volonté , la totalité de ſes états.
Cet article porte expreffément les mots aliquam
permutationem ; & ces mots renferment une limitacion
. Il est vrai que ce Traité a été conclu
au nom de l'Empire ; mais ce n'étoit point
l'Empire qui s'étoit chargé d'une nouvelle obligation
envers la Maiſon de Baviere , relativement
à un échange de ſes états , & il n'avoit
pas non plus remis à cette Maiſon ſes obligations
réſultantes de ſes propres pactes de familles ,
de la Bulle d'Or & de la Conftitution Germanique
; c'étoit la France ſeulement qui dans le
ſuſdit article s'étoit engagée à ne point s'oppoſer
à quelqu'échange que cette Maiſon pourroit
faire. L'Empire par l'acceptation de cette
promeſſe , n'a pas délié la Maiſon de Baviere
de ſes pactes& de ſes obligations , fondées ſur
la Conftitution de l'Allemagne , & par conféquent
il n'a pas confenti que la totalité de ſes
poffeffions , ou un grand Electorat , puſſent être
aliénés fans fon agrément& à ſon grand détriment
. Si cela étoit arrivé , on l'auroit énoncé
expreſſement , & la Cour Impériale , avant &
après cette Paix , auroit conféré à ce ſujet
avec l'Empire pour avoir ſon agrément. Mais
rien de tout cela n'ayant eu lieu , on eft forcé
de dire que , ſi l'interprétation faite dans l'Examen
des motifs , &c. étoit admiſſible , la religion
de l'Empire a été ſurpriſe par un article vague
&dangereux , en général par tout le Traité de
Raſtadt & de Bade,& que cet article y a été
intéré fub & obrept cement , pour ſervir par
la ſuite de baſe à une interprétation avantageuſe
à la Maiſon d'Autriche , & très-déſavantageute
à l'Empire.
La fuite àl'Ordina'reprochain.
( 15 )
Le Prince Evêque de Wurzbourg eſt oc
cupé depuis quelque temps à améliorer l'adminiſtration
des hôpitaux & maiſons des
pauvres dans ſes Etats. Ce digne Prélat préfidelui-
même aux deux Commiflions établies
dans ce deſſe'n ; & il vient d'affigner 20,000
florins à l'Inſtitut des Pauvres de la ville
deWurzbourg.
Le ſieur Abich , Conſeiller des mines à
Schoningen , près de Helmſtadt , a trouvé
dit on , la méthode de compoſer le verd de
Brunswick , & même un verd ſupérieur. Il
fait autti une belle couleur bleue très folide.
On écrit de Breſlau , que les Négocians
de cette ville y ont établi une grande manufacture
de marchandiſes de fer & d'acier ,
& que le Roi , pour encourager ce nouvel
établiſſement , lui a accordé la permiffion ,
non-ſeulement de débiter ſes marchandifes
dans tous les Etats de S. M. , pour lesquelles
la Manufacture de Neustadt Eberwald n'a
pas de privilege excluſif, mais auſſi d'importer
librement , & fans payer aucuns
droits , les matériaux dont il aura beſoin ,
& qu'il ne pourra pas ſe procurer ſuffifammentdanslesErats
Prufſiens. Le Roi lui a permis
en outre d'exporter à l'étranger , librement
& fans droits , les marchandises qu'il
fabriquera. Les ouvriers emploiés à cette
Manufacture ſeront exempts de l'état militaire.
Le Roi de Pruſſe a de nouveau affigné300,000
rixdalers pour les améliorations
en Pomeranie,
( 16 )
ITALIE.
DE ROME , le 4 Décembre .
Le tremblement de terre qu'on a reffenti
à Terni y a ruiné deux maiſons & tout le
village appellé Pié di Lugo , avec quelques
lieux circonvoiſins. Dans la nuit du 27
Octopre il s'éleva vers les s heures un tourbillon
impétueux , qui traverſa tout le
quartier de S. Jacques de Latran , en y caufant
beaucoup de dommage. Cet orage
paſſa à Terni le même jour , & y renverſa
beaucoup d'oliviers & quelques maitons
déjà ébranlées par les ſecouſſes précédentes .
Il finit par une grê'e très abondante , dont
les grêlons préſentoient une forme quarrée ,
& pefoient de 12 juſqu'à 13 onces .
La premiere ſecouſſe de tremblement
s'eſt fait fentir auſſi dans cette ville , &
quoique peu de perſonnes s'en foient apperçues
, nous pouvons aſſurer le public ,
que les ſecouſſes ſe ſont répétées ſept fois
dans l'eſpace de quatorze jours , & qu'elles
ont eu leur direction de l'Eſt vers l'Ouest .
On a fait cette obſervation , à l'aide de
l'inftrument inventé par l'Abbé Cavalli ,
Profeſſeur de Phyſique en cette ville. Cet
inſtrument , qu'il appelle en Italien Sismografo,
ſe trouve décrit dans les Lettres météorologiques
de l'Inventeur. Cet inftrument
, fingulierement ſimplifié par l'Au
( 17 )
teur , indique non ſeulement la premiere
ſecouffe du tremblement , quelque légere
qu'elle foit , ainſi que ſa direction ,
mais encore le nombre des ſecouſſes ſucceffives
, & l'heure & la minute à laquelle
elles font arrivées.
Une lettre de Gênes , du 29 Novembre ,
s'exprime en ces termes.
Notre République confidere , non fans quelque
inquiétude , les changemens qu'ont éprouvé
le commerce & la navigation dans ces derniers
temps. La treve de l'Eſpagne avec les Puiflances
Barbareſques & les conféquences qui en réſulteront
, produiront , non-ſeulement une altération
confidérable dans la balance de notre
commerce , mais exigeront même de la part
de notre Gouvernement la plus grande vigilance
pour protéger à la fois nos côtes & notre commerce
dans la Méditerranée. On ne fauroit niee
que les Puiſſances , dont les Etats font baignés
par cette mer , doivent en grande partie la fureté
dont elles ont joui depuis trois fiecles , à
l'activité avec laquelle les Eſpagnols ont
contenir les Barbareſques . Cette puiſſante barriere
venant à manquer par les traités de paix
actuels , & le Roi des deux Siciles you'ant fuivre
l'exemple de ſon auguſte père , il eſt certainement
à craindre que nos côtes ne ſoient continuellement
en proie à ces Brigands . Charles V ,
dont le génie étoit capable de tout entreprendre
, eut la nob'e pensée de rendre au Commerce
de la Méditerranée la vie & la liberté ,
en exterminant , ou en réduisant ces pirates inhumains
, qui , avec quelques valfieaux mal
ſu
( 18 )
équippés & avec des munitions qu'ils obtiennent
par notre peu de prévoyance , mettent à
contribution les Puiſſances les plus reſpectables
de l'Europe. Soliman II régnoit alors à Conftantinople
, & les deux Barberouſſes étoient la
terreur de ces mers ; mais Charles V , accoutumé
à humilier le premier & à défarmer lès
ſeconds, ſeroit vraiſemblablement venu à bout de
ſon entrepriſe, fi la rivalité de François I n'eût fait
échouer ſes projets, en leur donnant les moyens de
pourſuivre cette guerre. Depuis cette époque
l'ardeur & l'audace des Maures s'eſt toujours
accrue par une ſuite de notre inſenſibilité. Une
telle indolence de la part de l'Europe , qui poffede
une marine capable de conquérir tout l'Empire
Ottoman , à plus forte raiſon les côtes de
Barbarie , a fait naître dans toutes lestéses muſulmanes
l'idée d'attribuer cet heureux ſuccès
à la protection particuliere de leur Prophète ,
& les rend tous les jours plus orgueilleux &
plus féroces. Il ſeroit à défirer , pour le bien
de l'humanité , que le Prince éclairé & bienfaiſant
, qui joint la fortune à la puiſſance & à
la gloi e de Charles V, s'éveillât à cet égard ,
pour éloigner des navigateurs les finiſtres images
de la mort & de l'eſclavage , & qu'il parvint
à rétablir l'ordre dont le Commerce eſt
aujourd'hui dépourvu.
GRANDE-BRETAGNE.
DE LONDRES, le 26 Décembre.
Les vaiſſeaux de ligne la Défense de 74
canons , l'Eagle , & le Worcester de 64 ,
( 19 )
ſont arrivés de l'Inde à Portſmouth , où
ils ont mouillé le 13 de ce mois. Ces vaifſeaux
, aux ordres du Commodore Mitehel
, ont relâché trois ſemaines au Cap de
Bonne Eſpérance. Le Gouverneur Hollandois
les a reçus avec beaucoup d'égards ;
il a traité en public le Commodore & les
Officiers , & il a envoyé à bord des vaifſeaux
des proviſions fraîches. Mais le vin
du Cap étoit rare & fort cher. La garni .
1on de cet établiſſement eſt nombreuſe , &
on ſe préparoit à y élever de nouvelles fortifications.
On parle d'envoyer , au printemps , 3
vaiſſeaux de ligne croiſer dans la Baltique ,
fous les ordres du Commodore Gower, &
l'on affure que l'Amirauté a de à envoyé des
ordres à ſes Commiſſionnaires à Copenhague
, pour qu'ils préparent les vivres néceffaires
à cette eſcadre. L'Angleterre n'a envoyé
, en temps de paix , des vaiſſeaux de
ligne dans la Baltique , que lorſqu'elle a
prévu quelques révolutions prochane , ou
lorſqu'elle en a été requiſe par quelque Puiffance
du Nord , en alliance avec elle .
Lundi dernier , le paquet de dépêches apportées
de Hollande occaſionna une affemblée
des Miniſtres le même foir , & le lendemain
aſſemblée à l'iſſue de laquelle on expédia
un Meſſager au Roi à Windfor.
Ceux qui détachent de l'Oppoſition le
( 20)
Comte de Carlifle & les Lords Loughborough
& Stormont , leur ont déja trouvé
des places dans l'Adminiſtration. Ils envoient
le premier de ces Seigneurs en Ambaffade
en Eſpagne , où d'autres font paffer
Lord Wailingham ; ils donnent à Lord
Loughboroug la Préſidence du Banc du
Roi cédée par Lord Mansfield. Enfin ils
ajoutent que Mylord North & fon fils font
auſſi en traité avec les Miniſtres .
Jeudi on a terminé la derniere ſeſſion de
l'Old-Bailey. 14 criminels ont été condamnés
à mort , 34 à la tranſportation , 17 à
la prifon & aux travaux publics , & 40 ont
été déchargés de l'accuſation.
Des lettres d'Amérique portent , qu'au commencement
d'Octobre dernier , un parti de
Sauvages a fait une incurſion à Kentucky. Ils
furprirent d'abord quelques maiſons & maffacrerent
tous ceux qu'ils y trouverent fans diftinction
d'âge ou de ſexe. Un feul homme eût
le tems de s'échapper de ſa grange & de fe
retirer dans ſa maiſon dont il barricada la
porte avant que les Sauvages puſſent y arriver.
Cet homine avoit deux fufils à la maison . Sa
femme, dont le courage mérite d'être rapporté ,
chargeoit un fufil tandis qu'il tiroit avec l'autre .
Pendant quelque tems , ils ſe défendirent vaillamment
; mais leurs munitions étant épuiſées ,
les Sauvages rompirent la porte avec leurs tomahawas.
L'homme & la femme , qui s'étoient
poſtés aux deux côtés de la porte , abattoient
avec deux haches ceux qui oferent entrer. Les
Sauvages , furieux , alloient incendier la maiſon ,
lorſqu'il ſurvintun parti de troupes Américaines ,
( 21 )
fous les ordres du Major Rutler. Les Sauvages
ſe retirerent à la hate , Laiffant leurs morts fur
laplace.
L'Amérique , prétendent nos Fo'liculaires,
eſt réduite as denier point de détreſſe ,
relativement au commerce. Depuis fon indépendance
, la ſituation de ſes affaires va
fans ceſſe en empirant. Voilà pourquoi elle
voudroit actuellement conclure un traité
de commerce avec nous , c'est-à-dire qu'elle
voudrost recouvrer quelque portion des
avantages dont ſa ſeſſion l'a privée.
Reſte à ſavoir fi notre Miniftere ſera fort
empreſſé de ſatisfaire à ſa demande.
Le Mémoire préſenté aux Era's Généraux
, par le Chevalier James Harris , difent
pluſieurs de nos papiers , a occaſionné beau .
coup de ſpéculations en Hollande. Les Etats-
Généraux ont donné ordre à leur Ambaffadeur
à Londres , d'en demander l'explication.
Jamais piece miniſtérielle n'a été plus
équivoque & plus embarraſſée.
Le nouveau Landgrave de Heſſe-Caſſel ,
jouit d'une penſion de 5000 liv. ſterl. fur
l'érabliſſement d'Irlande , en ſa qualité de
defcendant de la Famille Royale d'Angleterre.
Cette penſion fut donnée par
George II , à la Princeſſe Marie , ſa fille ,
mere du Landgrave , & reve:fible à ſon
fils. Le feu Roi avoit pouſſe l'attention
juſqu'à exempter cette rente de la revenue
de deux ſchelings par liv. qu'on perçoit ſur
,
( 22 )
:
:
toutes les penſions de l'établiſſement d'Irlande
, au préjudice des penſionnaires non
réſidens.
Pendant le dernier ſiege de Gibraltar , une
nuit que la garniſon s'attendoit à être attaquée
par l'ennemi , en l'absence de l'eſcadre Angloiſe ,
une ſentinelle montoit la garde à la Tour du
Diable , en face des lignes Eſpagnoles , n'ayant
dans la tête que feu , carnage , mines , brêche
& deftruction . Près de ſa guéritte , ſe trouvoit
une marmite affez profonde , dans laquelle
étoient quelques pois bouillis qui devoient faire
fon fouper. Un gros finge , ( du nombre de
ceux qu'habitent en grand nombre la cime du
rocher ) , fut attiré par le fumet des pois , &
encouragé par le filence du lieu , il s'approcha
du pot & y fourra ſa tête , de maniere à ne
pouvoir plus la retirer. Le ſoldat , dans ce
moment , s'approcha de ſa guérite en fifflant.
Le finge , effrayé , ſe débattit de toutes ses
forces , pour le débarraſſer du pot & s'enfuir.
Cette apparition terrible devint encore plus
effrayante dans l'imagination déjà trop echauffée
du ſoldat. Il s'imagina voir un vigoureux grénadier
Eſpagnol chargé d'un ér dime, honnci.
Rempli de cette idée , il fait feu , en crient d
toutes ſes forces , que : ennemiaMealadé ses
murailles . Les gardes répandent "allarme on
entend les tambours , les fignaux s'allument &
en moins de dix minutes, le Gouverneur de la
place & toute ſa garniſon ſont t armés.
Le grenadier Suppose , fort incomnodé par
bonnet & preſque étouffé par les po
bientôt attrapé & pris. On éclaircit le fait
& cette découverte rétablit partout latranquillité.
,,
ful
( 23 )
Un Bâteleur-Aéronaute , ayant porté en
Ruffie un ballon , dont la conſtruction avoit
coûte huit cent livres ſterling , lImpératrice
a défendu qu'on en fit uſage. En conſéquence
, les propriétaires ont été contraints
de l'empaqueter &de le rembarquer à bord
du vaiſſeau qui l'avoit apporté.
C'eſt une vérité reconnue par tous les écrivains
politiques que , plus le taux de l'intérêt
de l'argent eſt bas , & plus l'agriculture ,
J'induſtrie & le commerce fleuriſſent. La comparaiſon
que le Docteur Campelle a fait de
l'intérêt légal à différentes époques dans ſon
Ouvrage , intitulé : A Political Survey ofGreat
Britain , vient à l'appui de ce raiſonnement.
Le premier intérêt légal , dit cet Auteur ,
fut fixé le 31 Janvier 1545 , à dix pour cent
par Henri VIII.
Edouard IV , en 1549 , & Elizabeth , le 15
Juin 1571 , confirmerent cette ordonnance.
Mais Jacques premier réduiſit l'intérêt à huit
pour cent, le 24 Juin 1625.
Le Parlement , en 1651 , le réduifit à fix
pour cent , & neuf ans après , Charles ſecond ,
par une ordonnance du 29 Septembre 1660 ,
confirma cette diſpoſition . Enfin , le 29 Septembre
1714 , la Reine Anne le mit ſur le
pied où il eſt encore , c'est-à -dire , à cinq pour
cent. Soixante - dix ans s'étant écoulés depuis
cette époque , c'eſt au Parlement, en qui réſide
la prudence collective des citoyens , à décider
s'il feroit à propos de le réduire encore à un
taux plus modéré.
On vient de calculer qu'il ſe trouvoit à
Londres & dans ſa banlieue , 100 maiſons
1
( 24 )
de charité ; 20 hôpitaux ; 42 marchés publics;
27 quarrés ou places publiques ; 49
hôtelsde différentes compagnies; 233 écoles
de charité , où l'on éleve 5054 enfans pauvres;
447 tavernes ; si cafés ; 5975 maifons
à bierre ; 1000 fiacres ; 400 chaiſes à
porteurs; 7000 rues ; 130.000 maiſons , contenant
unmillion d'habitans. Ceux-ci conſomment
par an , 98,224 boeufs gras ;
194,760 veaux , 230,000 cochons; quatorze
millons ſept cent quarante mille maquereaux
, &c.
Le London-Magazine a publié l'érat fuivant
des exemples de longivité d'autres
Royaumes , les plus authentiques .
Thomas Parre , du Comté de Shrop , mort le
16 Novembre 1635 , âgé de cent cinquantedeux
ans.
Jacques Bowel , du même Comté , mort le
15 Août 1656 , auſſi âgé de cent cinquantedeux
ans.
F. Sagar , du Comté de Lancastre , mort en
Janvier 1668 , âgé de cent douze ans.
Henry Jenkins , du Comté d'York , mort le
8 Décembre 1670 , âgé de cent foixante-neuf
ans.
Robert Montgommery , du Comté d'York , en
1670 , âgé de cent ving fix ans.
La Comteffede Diſmond , âgée de cent quarante
ans.
M. Eclefion , d'Irlande , mort en 1621 , âgé
de cent quarante-trois ans,
M.
( 25 )
M. Lawrence , encore vivant en Ecoſſe , eſt
âgé de cent quarante ans.
Marie Gore , mourut à Dublin , en 1727 ,
âgéede cent vingt cinq ans.
M. Ellis , de Surrey , en 1748 , âgé de cent
trents-ſept ans .
Simon Safti , de Trionia , le 30 Mai 1764 ,
âgé de cent quarante-un ans.
Le Colonel Thomas Winfloe , d'Irlande , le
12 Août 1766 , âgé de cent cinquante fix ans.
François Confiſt , du Comté d'York , en Janvier
1768 , âgé de cent cinquante ans.
François Bont , François , le 6 Février 1769 ,
âgé de cent vingt quatre ans.
Chriftophe-Jacob Drakenberg , de Norwège ,
Maître d'Equipage & de la Marine Danoiſe , le
24 Juin 1770 , âgé de cent quarante- fix ans .
Marguerite Foster , de la Province de Cumberland
, agée de cent trente- fix ans , & ſa fille
âgée de cent , vivoient encore en 1770 .
John Tice , de Comté de Worcester , mort au
mois de Mars 1774 , âgé de cent vingt - cinq
ans.
John Mount , en Ecofle , le 27 Février 1776 ,
âgé de cent trente-fix ans.
Mary Yales , du Comté de Shrop , en 1776 ,
âgée de cent vingt huit ans.
John Brookey , du Comté de Devon , vivoit
en 1777 , & étoit âgé de cent trente- quatre
ans.
MiffEllis, morte en 1781 , âgée de cent quatre
ans.
M. Frrome , de Haim's-Chappel en Cheshize,
au mois de Mai 1785 âgé de cent vingtcinq
ans.
,
Marie Mac- Donid , du Comté de Down ,
No. 1 , 7 Janvier 1785. b
( 26 )
en Irlande , le 16 Juin 1785 , âgée de cent dixhuit
ans.
Marie Cameron , du Comté d'Inverneſſ , eſt
morte en Juillet 1785 , âgée de cent trente
ans.
Le Général Oglethorpe , eſt mort en 1785 ,
âgéde cent trois ans.
Miſſe Ellis , fille de M. Ellis, de Richmond,
Comté de Surrey , vivoit encore au mois d'Août
1785 , âgée de cent cinq ans.
M. Rowe , à Nutwell- Houſe , en Ecoffe ,
eſt morte au mois d'Acût , 1785 , âgé de cent
fix ans.
Donald Mackeen , Comte d'Argyle , eſt mort
en Septembre 1785 , âgé de cent neuf ans.
William Mewon , à Dalzell , près d'Hamilton
en Ecoffe , mourut , il y a environ quatorze ans,
âgé de cent foixante-dix- neuf ans. Il eſt à remarquer,
que pluſieurs années avant ſa mort , il commanda
ſon cercueil à un nommé Archihald Bronwulie
, Charpentier , & que , par un attachement
affez rare , il ne ſe ſeroit pas endormi depuis fans
l'avoir au chevet de ſon lit. Son chien qu'il
appelloit Barh , très- vieux lui- même , aſſiſta à
les obſeques , & ſe laiſſa mourir de chagrin,
La mort du célébre Cypriani eſt un événement
qui inceſſe tout Amateur des
Beaux-Arts. Quoique ſes compoſitions fufſent
en général peu étendues , la grande
variété de ſes deſſins , l'expreſſion de fes figures
, la fineſſe de ſes têtes,&la délicateſſe
de fes contours , le feront toujours regarder
comme un excellent maître. Ses nombreuſes
productions , qui ont été répandues dans
toute l'Europe par le burin de Bartolozzi ,
( 27 )
ont donné une juſte idée de la grace &de
la beauté. Cypriani a contribué plus qu'au
cun Maître du ſiecle préſent àpropager en
Anglererre le goût des Beaux-Arts. Ses ditcip'es
& fes amis pleurent encore les versus
priées qui honorent ſa mémoire.
Il a laiſſé un grand nombre d'eſquiſſes &
deſſins , dont on ne privera pas vraiſemblament
le public. Son fils , qui a hérité d'une
grande partie du génie de ſon pere , a donné
déja des preuves de ſon talent , dans ſa
copie du tableau de Copley , qui reprélents
la mort du Lord Chatham.
La réſignation précipitée du Lord Macartney
fixe l'artention du Public dans ce moment- ci.
Voici les motifs qu'on en aſſigne. Ce Lord arriva
à Madras en Juin 1781. Au mois de Décembre
ſuivant le Nabab , aſſurales revenus de la Compagnie
pour le Carnate , ſous de certaines conditions
ſpécifiées; mais bientôt il ſe plaignit qu'elles
avoient été mépriſées par le Lord Macariney .
Le Conſeil ſuprême du Bengale ordonna que le
Carnate feroit rendu au Nabab , pourvu qu'il
donnât caption à la Compagnie d'une ſomme
qu'il devoit lui payer tous les mois. Le Lord.
Macartney s'obéit point à ces ordres , & M. Haf
tings propoſa au Conſeil de le ſuſpendre du
ſervice de la Compagnie. Ce parti violent ne
fut point adopté; le Conſeil te contenta de réitérer
ſes ordres. Le Lord Macartney n'y fit pas.
plus d'attention. Le Gouverneur général , fans,
avoir égard au rang ni aux relations que le
Lord a en Angleterre , propoſa de nouveau de,
Pinterdire , mais ſes efforts furent fans ſuccès.
Dés ce moment l'affaire fut portée en Anglob2
( 28 )
terre , oû les deux partis demandoient également
la déciſion la plus prompte & la plus
abſolue . M. Haſtings repréſentoit à la Cour des
Directeurs le tort que ce manque de foi faiſoit au
nom Anglois dans l'Inde. Le Lord Macartney de
ſon côté la ſupplioit inſtaminent de ne pas le défaifir
du Carnate & faifoit valoir en même tems
les droits du Raja de Tanjaour. Le premier ſoin
de la nouvelle Adminiſtration , pour les affaires
de l'Inde , fut de régler cette affaire . Elle décida
que le Carnate ſeroit rendu à fon Souverainde
la maniere convenue par M. Haftings , &
par le Conſeil Suprême ; quant au Lord Macartney
, les Directeurs le cenſurerent légérement
pour la maniere dont il avoitagi perſonnellement
envers le Nabab , mais its applaudirent en génêral
à ſa conduite. Ces ordres furent trèscritiqués
dans la Chambre des Communes , par
MM. Fox & Burke , & depuis ils ont été publiés.
Le Général Sloper , porteur de ces ordres , arriva
dans l'Inde le 2 Juin 1781. Le Lord Macartney
réſigna auſlitôt le Gouvernement de
Madras & paffa au Bengale dans le deſſein de
s'y embarquer pour l'Angleterre. On fait que
depuis il a été nommé Gouverneur Général des
poſſeſſions de la Compagnie ; or , comme il eſt
poffible qu'il ait appris la nomination avant de
partir, on demande aujourd'hui s'il doit, ou non ,
prendre poffeffion de ce Gouvernement . Si les
diſpoſitions du Bureau du Contrôle lui ontparu
fi abturdes , qu'il ait préféré de réſigner le Gouvernement
de Madras , plutôt que d'y fouscrire ,
comment ſe retireroit- il au Bengale , où réfident
Jes Chefs du ſyſtême politique de l'Inde , & d'où
dépend le Gouvernement de Madras ? Après
avoir avoué des sentimens auſſi diametralement
( 19 )
oppoſes aux opinions qui prévalent en Angleterre,
on doit s'attendre à voir régner dans l'Inde
l'anarchie & le défordre , dans le cas , peu
probable à la vérité , où ce Lord agiroit avec aſſez
d'inconféquence pour accepter le Gouvernement
genéral du Bengale ; mais en le ſuppoſant pour
un moment , ceux qui le poſſedent actuellement
lui remettront-i's le timon des affaires ? Les circonſtances
font totalement changées. M. Haftings
ayant inftamment prié la Cour des Directeurs
de lui nommer un ſucceſſeur , celle-ci
fit choix du Lord Macartney ; mais M. Hastings
a réſigné fon Gouvernement le ver. Février
1785 , & le Lord Macartney n'a été nommé
pour lui ſuccéder que le 17 du même mois ,
époque à laquelle M. Macpherſon poffedoit de
droit le Gouvernement du Bengale. Le Lord
Macartney ne devoit paſſer au Bengale que lorf
qu'il auroit reçu avis de M. Macpherſon du
départ de M. Hastings , & alors ſeulement il
devoit quitter Madras pour prendre poffeffion
du Gouvernement général ; mais on n'avoit
pourvu à aucun accident. Il n'étoit point dit ,
dans ces ordres , que ſi M. Haflings venoit à
mourir , ou s'il avoit quitté le Bengale avant
leur arrivée , le Lord Macartney ſuccéderoit à
la perfonne qui ſeroit en poſſeſſion du Gouvernement
général , quelle qu'elle fût. Il étoit nommé
pour ſuccéder ſpécialement à M. Hastings ,
& l'on avoit même aſſigné la maniere dont
cette priſe de poſſeſſion auroit lieu. Mais toutes
ces diſpoſitions font rendues de nul effet : 1 .
Parce que M. Haſtings a quitté le Bengale 17
jours avant que la nomination du Lord Macartney
eût été faite en Angleterre : 2. parce
que ce Lord a réſigné le Gouvernement de
Madras ayant l'arrivée des ordres. Telle eſt l'inbz
( 30 )
déciſion de cette affaire , dont on attend les fuites
avec impatience.
M Lunardi , dit une lettre d'Edimbourg , a
fait encore aujourd'hui une nouvelle expérience
dans cette vile ; fon ballon eit refté très-longtemps
en vue , & a pris ſa direction vers la
mer , où l'on aſſure qu'il eſt tombé ; mais comme
it eſt muni d'un ſcaphandre , & que ſa gondole
eſt entourée & garnie de veffies remplies d'air ,
il aura pu , fans doute , recevoir les fecours
qui lui auront été envoyés. Au moment cùcet
Aéronaute s'eſt élevé , il s'eſt fait un pari de 25
guinées contre soo qu'il péricoit. Au reſts , ໔
Taffaire du gentithemime Lucquois n'eſt pas encore
décidée cette fois-ci , la lettre ajoute ,
qu'il doit s'attendre àtrouver à fon retour près
de 300 guinées provenant de la vente de ſes
billets d'entrée .
Nos Papiers publics donnent l'analyſe
ſuivante d'une Pantomime fingulière , jouée
dernièrement en cette Capitale.
Il n'ya perſonne quiayant parcouru la relation
des voyages du capi aive Cook n'ait éprouvé
au plus haut degré le defir qu'inſpirent toutes
les relations de voyages , celui de voir de ſes
yeux des objets que leur nouveauté transforme ,
pour ainſi dire , en merveilles.
C'eſt ce defir que le directeur du théâtreroyal
de Covent Garden a tenté de fatisfaire ,
autant que la magie des décorations , réunie à
Pexactitude des coftumes , le pouvoit faire. Une
pantomime qui a Omai pour héros , vient d'être
miſe à ce théâtre. Rien n'a été épargné pour y
animer les recits de l'immortel navigateur Anglois
; & la batte d'Arlequin , féconde en miracles
dans les pantomimes Angloites , comme
( 31 )
dans les pantomimes Italiennes , fait en deux
heures de temps parcourir l'univers aux tranquilles
citadins de Londres .
D'un Morai (1 ) de Taïti , où s'exécute une
opération magique , Omaï eſt tranſporté en Angleterre
, & l'oeil des ſpectateurs le repoſe ſur
les flots de la rade de Plymouth , coupée par
une partie du Mont- Edgcumbe ; là Omai eſt
volé , ſe fait reftituer ſa propriété chez un juge
de paix , te trouve à Londres , devient amoureux
dans les jardins de Kensington , trouve un
rival , & Arlequin un autre , dans une paflion
qu'il a faite à la ſuite de ſon maître : différens
incidens les promenent de lieux en lieux ; ils
enlevent leurs belles , & on les voit partir par
Margate. Iis font pourſuivis en ballon par leurs
jaloux.
Auſſicôt les rochers couverts de neige du
Kamtschatka ſe préſentent. Omaï y aborde avec
ſa ſuite &ſes perſécuteurs; ils parcourent au
gréde divers événemens les habitations d'hiver
&celles d'été; ſe trouvent de diverſes manieres
en ſcene , avec les habitans fourrés de ce triſte
climat; paffentdans une ifle de glace où les dangers
ſe ſuccedent , y rencontrent les ours blancs
&les veauxmarins ; ils en échappent pour arriver
dans la plus belle des Isles des Anis , au
milieu de fon panple.
Bientôt les Iles Sandwich offrent de nouvelles
ſcenes , d'autres peuples , d'autres événemens.
Omaï , ſa ſuite & les jaloux les quitrent
pour arriver à Taiti.
Ici les événemens ſe multiplient , & avec
eux des changemens de ſcene , qui préſentent
tout ce que le pinceau de Loutherbourg a ja-
(1) Cimetierre.
b4
( 32 )
mais créé de plus magique. Tantôt , c'eſt la
lune dans ſon plein , dont le diſque ſe répete
dans les caux tremblantes d'une mer calme , en
répandant ſur la ſcene une clarté blanche &
incertaine ; tantôt c'eſt la demeure d'une enchantereffe,
décorée des inſtrumens de ſon art ,
miſe en flammes par le génie protecteur d'Omal ;
une lueur rougeâtre éclaire la ſcene , une nuée
de fumée en couvre le fond , & ſe diſlipe pour
laiſſer l'oeil des ſpectateurs s'égarer ſur la grande
baie de Taïti , éclairée par le ſoleil couchant.
La mer eſt couverte de bateaux de guerre , &
de canois apportant les députés de toutes les
parties du monde , découvertes & viſitées par
Cock. Les habitans de la Nouvelle Zélande , de
Tanna , des Marquesas , des Isles des Amis , des
Ifls Sandwich , les Tartares Tschusky , les Ruffes .
&les Kam Schadales , les peuples de Noorka ,
d'Oonalashka , & du Sond du Prince William ,
guerriers , femmes & enfans paffent en revue
Tous les yeux des ſpectateurs. Les heureux &
élégans Taïtiens ferment la marche. Tout rend
hommage à Omoi , quand l'apparition du capizaine
Cook , peint en transparent dans les nues ,
excite les regrets des nations qui apprennent
qu'il n'eſt plus. Alors les chants ſont accompagnés
d'une de ces danſes , dont la repréſentationinanimée
forme une couple des plus intérefſans
tableaux du voyage de Cook , & qui
exécutées ici avec tout le charme de la réalité ,
font une impreſſion d'autant plus agréable , que
l'on fait qu'un ami , un compagnon du capitaine
Cook , en a dirigé lui-même les répétitions.
Afſurément , l'homme curieux & ſenſible , qui
a lu avec étonnement & émotion l'hiſtoire que
Cock nous a fait d'un autre monde , qui a eu
un plaiſic ſi vif à s'égarer dans ces forêts d'ar(
33 )
bres étrangers , à pénétrer dans ces demeures
de ſauvage conſtruction , à repoſer ſes regards
ſur ces plaines incultes , ſur ces mers non fréquentées
, telles que la gravure a pu les retracer
à l'Europe; qui eſt entré dans le Muſeum Bri-
-tannique pour y confidérer avec uue forte de refpact
, ces vêtemens; ces armes , ces meubles ,
ces inſtrumens , que l'induſtrie humaine a créés
ſans modeles dans un autre univers , & qu'un
courage ſans exemple en a rapportés : cet homme,
diſons-nous , doit avoir éprouvé un plaifir auſſi
vif que nouveau , à la pantomime de Covent-
Garden.
M. Shields , compoſiteur Anglois , connu
par legénie le plus vraiment original , a donné
dans cette pantomime des morceaux qui ſe font
applaudir vivement par celui-même qui a l'oreille
exercée à la mélodie Italienne , & à
T'harmonie Allemande. Son trio des Kamtſchadales
nous paroît un morceau diftingué pour la
convenance. Le récitatif du génie Towha , accompagné
par un orgue ſeul , lorſqu'il apparoît
dans la premiere ſcene , a quelque choſe de ſingulièrement
folemnel , & préſente une nouveauté
du meilleur genre.
Quant à l'intrigue , & aux ſcenes , elles rempliffent
leur objet , puiſqu'elles enchaînent les
tableaux , & que les principes adoptés ſur le
théâtre Anglois , en fait de pantomimes , ne
permettent jamais d'autre ſentiment que la ſurpriſe
, & d'autre intérêt que celui qui eft indépendant
de l'unité & de la conduite d'une
action .
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 28 Décembre.
Laveille deNoël , Leurs Majeſtés , accombs
( 34 )
pagnées de Monfieur , de Madame , de Monſeigneur
Comte d'Artois, de Madame Comtefle
d'Artois & de Madame Elifabeth de
France , affifterent , dans la Chapelle du Château
, aux Vêpres chantées par la Muſique du
Roi , auxquelles l'Evêque de Séez , Premier
Aumônier de Monfieur , officia. Madame
Adélaïde &Madame Victoire de France y
affifterent dans une des Chapelles collatérales.
Vers les dix heures du foir , le Roi , accompazné
comme ci-deſſus , ſe rendit à la Chapelle
, où , après avoir entendu les Matines ,
il afſiſta aux trois Meſſes , pendant leſquelles
ſaMuſique exécuta divers Noëls &Morers de
la compoſition du ſieur Mathieu , Maître de
muſique en fémeſtre. Le jour de Noël, Leurs
Majeftés & la Famille Royale entendirent ,
dans la même Chapelle, la grand'Meſſe chantée
par la Muſique du Roi , à laquelle l'Evêque
de Séez officia. La Comteſſe du Lucy fit
la quête. L'après midi , le Roi & la Famille
Royale, après avoir entendu le Sermon prononcé
par l'Abbé Gayet , aſſiſta aux Vêprés
& au Salut chantés par ſa Muſique.
Cejour,leMarquis d'Ourches & leComte
de Malet , ont eu l'honneur d'être préſentés
au Roi & à la Reine par Monfieur , en qualité
de ſes Premiers Chambellans en furvivance,
le premier du Comte d'Ourches fon pere , &
le ſecond du Chevalier Gain de Montagnac.
La Baronne du Nolſtin a eu l'honneur
d'être préſentée à Leurs Majestés & à la
Famille Royale par la Comteffe du Nolſtin,
( 35 )
Le ſieur ô Dune , ci-devant Ambaſſadeur
duRoi près Leurs Majeſtés Très Fideles , de
retour de fon Ambaſſade, a eu l'honneur de
remettre ſes Lettres de créance à S. M. , lui
étant préſenté par le Comte de Vergennes ,
Chefdu Conſeil royal des finances, Miniftre
&Secrétaire d'Etat , ayant le département
des Affaires étrangeres .
Le ſieur Tenon , Profeffeur royal au
Collége de Chirurgie , de l'Académie des
Sciences , a eu l'honneur de préſenter auRoi
unOuvrage, intitulé : Obfervations fur les obftacles
qui s'opposent aux progrès de l'Anatomie.
DE PARIS , le 4 Janvier .
Un Arrêt du Conſeil d'Etat du Roi , en
date du 18 Décembre 1785 , a défendu de
percevoir aucun droit de péage dans toute
l'étendue du Royaume , fur le charbon de
terre , qui ne ſe trouvera pas nommément
exprimé dans les tarifs ou pancartes .
La Salle de Spectacle de Montpellier a
fubi le fort ordinaire de ces bâtimens , c'eſtà
dire , qu'elle a été entiérement confuniée la
nuit du Saniedi au Dimanche 18 de Décembre.
Le feu n'étoit pas encore éteint au départ
du courier, parce que, choſe incroyable!
les caves de cet édifice étoient remplies de
bois appartenans aux Marchands de ce com-,
bustible.
:On écrit de Riom , ce que nous ne garantif
fons nullement , que le to de ce mois on a
reffenti un léger tremblement de terre dans
b6
( 36 )
toute cettepartie de l'Auvergne. Cette ſecoufſe
a inquiété non par les dommages qu'elle
auroit pu cauſer , mais par le ſouvenir que lors
des grands tremblement de Meſline , ſoit dans
le fiecle dernier , ſoit dans celui - ci , l'Auvergne
a éprouvé une commotion pareille. Il eſt
à defirer qu'une troiſieme expérience ne confirme
pas cette finguliere correſpondance , entre
l'extrémité de l'Italie , & le milieu de la
France. Ces mêmes lettres font un détail allarmant
des horreurs commiſes dans cette Province
, par des bandes de voleurs , qui à mains
armées vont dévaſtant les Campagnes & les
Châteaux. On eſt certain que la plupart de
ces ſcélérats appartiennent àdes familles honnêtes
du pays ; il faut bien que cela foit , puifqu'une
de ſes bandes a trouvé le moyen de ſe
procurer en entier l'uniforme de la Maréchauffée.
C'eſt à la faveur de ce déguisement
criminel qu'elle fe fait ouvrir toutes les portes ,
&que les Seigneurs & les Payſans trouvent
des affaffins dans ceux qu'ils croyent leurs défenſeurs.
Pour arrêter ces déprédations le pays
s'eſt armé : plus de trente de ces malheureux ont
déjà ſubi le dernier fupplice , & on eſt à la recherche
des autres.
Le 26 Décembre , M. le Baron de Breteuil,
accompagné de M. de Croſne , & du Bureau
d'Adminiſtration , ſe rendit aux Tuileries ,
pour la diſtribution annuelle des grands prix.
M. Bachelier , directeur , ouvrit la ſéance par
undifcours.
On procéda enſuite à la diftribution des
maîtriſes & grands prix mérités ; favoir , pour
la maîtriſe d'Orfévrerie , par le Sr. Dutry , fils ;
pour celle de Sculpteur- Doreur , par le Sr. Phelipaux
, & pour les grands prix , par les Srs.
( 37 )
David , Delagorſe , Peruaud , Alleaume , Bibault
& Carbonneaux.
Ils furent embraſſés pat le Miniſtre , au bruit
des fanfares & des acclamations du Public.
12 Grands acceffits & 96 prix , furent auffi
délivrés dans la même ſéance.
D'après la promeſſe de l'Adminiftration , il
a été délivré dans la même aſſemblée quatre
prix de persévérance aux éleves le plus méri
tans , qui avoient déjà remporté les grands prix
les années précédentes.
L'Académie Françoiſe anommé leComte
de Guibert à la place de M. Thomas , &
l'Académie des Inſcriptions & Belles- Lettres,
M. Paſtoret , Conſeiller à la Cour des
Aides de Provence , à la place de M. Burigny.
M. de la Blancherie ,Agent-Général de Correſpondance
pour les Sciences & les Arts , reprend
le cours de ſon voyage , en Suiffe & en
Allemagne. Il eſt ſupplée à Paris , par M.
Deflirs de Rancy , Secrétaire -Général de la
Correſpondance , pour la partie des Sciences &
des Arts , & par M. du Prat , Secrétaire - Général
de la Correſpondance , pour la partie de
l'adminiſtration de l'établiſſement . C'eſt ce dernier
qui recevra l'aſſemblée au ſalon . Toutes
les lettres , paquets & demandes , continueront
d'être addreſſées à M. l'Agent Général, au Cheflieu
de la Correſpondance , à Paris. Les feuilles
de la Correſpondance parroiſſent maintenant en
douze pages par ſemaine , prix 24 liv. pour
Paris , 33 liv. pour la Province. Toutes les
parties de cet établiſſement , acquierent tous les
jours de la confittance.
Une lettre de M. Gardanne , ſur les dangers
( 38 )
de la peinture intérieure des vaiſſeaux , inferéé
dans le Mercute de Novembre , n°. 47 , à la
fuite de laquelle eſt rapporté l'événement affreux
arrivé à M. de Marigny , commandant
la frégate du Roi , le Serin , dont preſque tout
P'Etat Major a été empoisonné par la peinture
intérieure du vaiſſeau , a engagé le fieur De-
• montpetit à faire de nouvelles tentatives pour
accréditer le moyen qu'il a proposé pluſieurs
fois pour détruire l'eſpece de méphitiſme de ces
peintures.
Depuis long tems on fait que la colique 'de
Poitou , autrement colique des peintres , a fon
principe dans les miaſmes émanés du plomb &
de fes différentes compoſitions ; on a reconnu
fur-tout que les blancs qui en font extraits ,
mêlés avec de l'huile , donnent des vapeurs
mortelles non ſeulement aux ouvriers qui les
manipulent , mais même à ceux qui habitent
-des lieux clos où cette peinture eſt nouvellement
employée.
Dès 1753 , le fieur Demontpetit a cherché à
fubitituer aux blancs de plomb des matieres
moins déléteres ; celui de Zinc a mérité la
préférence non seulement par fa blancheur ,
mais fur tout par la confiance qu'il ne peut
point altérer la ſanté & par ſon inaltérabilité :
(on l'emploie intérieurement en Médecine ).
M. de Morveau , habile Chimiſte de l'Académie
de Dijon , à qui on doit la perfection de ce
blanc, s'eſt prêté avec zele pour en établir la
fabrication dans le laboratoire de Chimie de
l'Académie de Dijon; les Artiſtes de cette ville
an font ufage , les ouvriers en impriment l'intérieur
des appartemens, & ceux qui les habitent
ſont convaincus qu'il eſt fans danger .
M. de Morveau a conſigné dans les feuilles de
( 39 )
-
,
la correſpondance des Sciences & des Arts à
Paris en 1782 , tous les faits qui doivent
periuader le public ; le ſſeur Demontpetit ,
nême a expoſé au ſalon de cette correſpondance
, un tableau d'expériences pour la comparaiton
des différens blancs, dont celui ſeul de
Zinc réſiſte à la vapeur phlogiſtique du foye
de ſoufre qui n'ircit tous les blancs extraits du
plomb. Ce tableau ſe voit chez lui , rue du
gros Chen-t , 3 .
Les Artiſtes & Savens de la capitale , à qui
ona fait part de cette heureuſe découverte , ſoit
préjugé , foit prévention , pour tout ce qui n'eft
pas d'un de leurs compatriotes , n'ent ont pas
fait un certain cas , & ne l'ont conféquemment
examiné que très-ſuperficiellement .
,
Le fieur Demontpetit , amateur zélé & Artifte
a travaillé depuis plus de quarante
ans ſur la manipulation & le phyſique de la
peinture à l'huile qu'il a analisé par une ſuire
d'expériences, rapportées dans un mémoire qui
lui a mérité en 1755 l'approbation de l'Académie
Royale des Sciences : il étoit donc en
droit de prendre parti ſur la matiere dont eft
queſtion & de combattre toutes les affertions
contraires ; auſſi a- t - il répondu à toutes les
objections dans un mémoire inſeré dans la
feuil'e de correſpondance des Sciences & des
Arts , dus Janvier 1783 ; il en a fait part aux
Magiftrats en place , on a établi un entrepôt à
Paris : malgré tout cela le mal ſe continue ,
même chez les gens aisés pour qui la crainte
d'un peu plus de dépenſe ne devroit pas l'eanporter
ſur le defir de ſe procurer des moyens
certains de falubrité. On abandonne le choix
de la matiere de l'impreſſion intérieure des
appartemens à des entrepreneurs qui ne ſuivene
( 40 )
que la routine d'uſage & la plus lucrative ,
preſque toujours aux dépens de la ſanté des
pauvres ouvriers & manoeuvres qui travaillent
dans des atteliers où ils ne reſpirent que des
vapeurs mortelles ; cette ſeule conſidération
d'humanité doit engager les riches à s'intéreſſer
à l'établiſſement du blanc de Zinc & forcer
en quelque façon les entrepreneurs à s'en ſervir
de préférence.
Quand un appartement eſt peint depuis pluſieurs
mois & qu'on lui a donné de l'air , on
s'imagine qu'il n'y a plus de danger à l'habiter ;
on eſt dars l'erreur, car une impreſſion à l'huile
ne ſeche entierement qu'à la longue , ſelon le
degré de ſechereſſe auquel elle eſt expoſée ;
une légere pellicule ſe forme d'abord à la ſuperficie
qui maſque en quelque façon l'odeur
méphitique ; il reſte toujours dans l'intérieur
un gras qui eſt quelquefois pluſieurs années à
ſe détruire: tant que dure la ſaiſon d'ouvrir les
fenêtres des appartemens , on ne s'apperçoit
preſque point de l'odeur de la peinture , mais
quand ils viennent à être fermés pendant Thiver
, que l'air eſt altéré par la chaleur des
foyers , des lumieres & des perſonnes qui s'y
raſſemblent , alors la peinture ſe rechauffe
petit à petit , la partie molle qui eſt au-deſſous
fermente de nouveau & par fon exhalaiſon ,
acheve d'empoifonner l'air qu'on reſpire ; de là
les migraines , les maladies chroniques , & autres
dont on ignore la cauſe.
Mais , dira - t - on , il n'y a donc qu'à ne
point employer de blanc de plomb ni de céruſe
, non plus que d'autres matieres'extraites
du plomb dans l'intérieur des appartemens &
s'en tenir aux autres couleurs connues , au rifque
de n'avoir ſous les yeux que des teintes
( 41 )
triſtes ; ce ſeroit fans doute une ſage précaution,
mais qui ne mettroit pas encore tout à fait à
l'abri du danger , parce que les peintres font
en uſage de ſe ſervir d'une huile defficative
qu'ils nomment improprement Graffe , cuite
avec de la litarge & autres drogues anologues :
or , cette huile , dont l'acide concentré par la
cuiſſen , tient en diſſolution beaucoup de chaux
de plomb , lorſqu'elle eſt étendue ſur une grande
fuperficie , exhale une odeur aufli pernicieuſe
que celle produite par le mélange de la céruſe
avec l'huile ordinaire , fût - elle même mêlée
avec des matieres ſans mauvaiſe qualité : dans
un lieu clos , elle produit une exhalaiſon dangéreuſe
qui trouble la digeſtion & porte violemment
à la tête ; ce qui a été éprouvé
nombre de fois depuis plus de trente ans.
Il ſeroit donc encore très-prudent de ſuppri
mer cette huile dangereuſe & ne l'employer
que dans des lieux exposés au grand air , ou
tout au plus ne s'en ſervir qu'avec difcrétion ,
comme font les peintres dans le genre précieux.
Le fieur Demontpetit donnera , quand on
voudra , les notions ſur les huiles cuites &
naturelles dont il ſe ſert , rapportées au mémoire
cité ci -deſſus avec les procédés d'employer le
blanc de Zinc & les autres couleurs analogues ;
il aura fans doute contre lui de nouveau les
marchands de couleurs & les entrepreneurs ;
mais dans une ame honnête , les détracteurs ni
les envieux n'étouffent jamais le defir d'être
uzile à l'humanité .
Il faut eſpérer , qu'enfin la ſageſſe du Gouvernement
ſe décidera à ordonner que dans
les vaiſſeaux & l'intérieur des lieux publics ,
on proſcrive de la peinture le blanc de céruſe
( 42 )
&autres compoſitions extraites du plomb , &
qu'on y ſubſtitue le blanc de Zinc; l'uſage
pour le moment ſera un peu plus diſpendieux ;
mais cette matiere , une fois accréditée , diminuera
de prix , parce qu'alors il s'établira des
manufactures en grand nombre , qui la rendront
àaufli bon compte que le blanc de plomb dont
la matiere premiere deviendra plus comraune ,
en ce que la grande quantité qui s'emploie
pour les blancs & autres compofitions , réfluera
dans le commerce pour l'uſage au profit de
l'Architecture & des autres Arts.
Les Numéros fortis au Tirage de la
Loerie Royale de France , le 2 de ce
mois , font : 56,67,38,51 , & 52 ,
PAYS-BAS.
DE BRUXELLES , le 18 Décembre.
Les Directeurs de la Compagniedes Indes-
Occidentales ont demandé & obtenu la permiflion
d'emprunter trois millions de florins,
ſous la garantie des Etats de Hollande.
Point encore de réponſe, ni de ces Erats ,
ni des Etats Généraux au Roi de Pruſſe. On
avoit annoncé le départ de M. de Thulemeyer
, Miniftre de ce Prince; annonce finon
fauſſe, du moins très haſardée. Le Mémoire
du Stathouder confirme l'opinion que S.A.S.
croit compromettre ſes prérogatives& ſa dignité
en revenant à la Haye, tant que la garnifon
de cette ville ſera ſous d'autres ordres
que le ſien. Dans la défenſe de ſes droits à ce
ſujet, le Princediftingue le pouvoir éminent
du fouverain , ſeul maître de diſpoſer des
troupes à la paye , & dans l'enceinte de la
( 43 )
province deHollande ,du commandement
effectif , inaliénable & irrévocable , qui réſide
dans ſa chargede Capitaine-Général. Il prétend
n'être pas plus en droit de donner des
erdres à l'armée , fans les réſolutions préalables
des Etats, que les Etats ne le font de déférer
à d'autre qu'à lui , la ſupériorité dans
l'exécution de ces mêmes ordres , ſoit à la
Haye , foit dans toute autre place de la province.
Il rappelle enſuite l'autorité des plus
célebres Magiftrats ou Publicistes de la République
à ce ſujet , notamment celui du céfebre
Grand Penſionnaire Slingeland , &de
Witt lui- même; enfin , il cite en fa faveur &
l'uſage conſtant , & la teneur des pouvoirs
conférés à divers temps aux Stathouders ;
pouvoirs qui lui ont été aſſurés héréditairementà
ſa majorité, comme ils le furent à ſon
pere.
Les Feuilles publiques avoient annoncé
unMémoire apologétique du Duc de Brunfwick,
dont l'une d'elles avoit même compté
Jes pages. Ce Mémoire n'existe point. Le
Duc a formellement défavoué cette prétendue
apologie.
Il s'eſt paſſé le 16 Décembre une ſcène
atroce à Verviers ; le Magiſtrat de cette ville
en a inſtruit le Public en ces termes.
Deux foeurs demeuroient en qualité de fervantes
, chez le Sr. Delmotte , riche habitant
de Verviers , & un Eccléſiaſtique conduiſot fa
maifon. Vers les quatre heures du matin , un
fcélérat , que ſon caractere mettoit à l'abri du
( 44 )
foupçon , s'introduifit chez lui , & attira hors
de la maiſon les deux foeurs , ſous prétexte que
leur mere étoit à l'extrémité & defiroit encore
de les voir avant de mourir. Mais à peine ces
filles , empreffées d'aller recueillir le dernier
foupir de leur mere , étoient- elles parvenues au
cimetiere , que leur infâme compagnon les perce
ſubitement de plufieurs coups de couteau. Après
les avoirjettées mortes ſur le carreau , le meurtrier
retourne à la maiſon du Sr. Delmotte avec
la clefde la porte d'entrée qu'il avoit trouvée
dans la poche d'une des deux ſervantes ; il entre
dans la chambre à coucher du maître , &
après lui avoir porté pluſieurs coups qu'il croit
mortels , il monte à la chambre de l'Eccléſiaſtique,
qu'il commença à traiter de la même inaniere
que ſes trois autres victimes . Mais celuici,
jeune& robuſte , parvint à ſe rendre maître
de lui & le déſarma; il le jesta enſuite hors de
ſa chambre , & s'enferma , dans la crainte qu'il
n'y eût pluſieurs ſcélérats dans la maiſon. Le
matin on trouva les cadavres des deux ſervanres
dans le cimetiere ; & M. Delmorte & fon
Ecclefiaftique nageant dans leur fang & couverts
de bleſſures. On eſpere cependant de les fauver
, quoique les bleſſures du premier foient trèsdangereuſes.
Le ſcélérat a pris la fuite. Il ſe nomme Pirlot.
Il eſt âgé de 35 à 36 ans. Sa taille eſt au-deſſous
de la médiocre. Il a la tête groffe & chauve ſur
le devant ; les yeux gris & égarés , les cheveux
preſque chatains .
Paragraphes extraits desPapiersAnglois& autres.
<«<Il n'ya riendedécidé touchant la réponſe à
faire à S. M. le Roi de Pruſſe. On fait courir
( 45 )
divers bruits , qui ſont d'une abſurdité viſible ;
tel eſt celui , par lequel on voudrait faire croire ,
que les fix autres Provinces opineront aux Etats-
Généraux , contre la Province de Hollande , &
qu'El'es la forceront de rendre au Stadhouder le
commandement de la garniſon de la Haye fur
le pied que S. A. l'avait ci - devant. Les Etats
detoutes les Provinces fouiſſent d'une Souveraineté
particuliere , abfolue & indépendante pour
leurs affaires domeſtiques , & ce n'eſt cervainement
pas la Province de Hollande qui fera la premiere
de celles de l'union à ſe laiſſer faire la Loi
chez elle , par une infraction manifeſte à l'acte
fondamental de la Conſtitution ».
« Un bruit , moins deſtitué de fondement , eſt
celui qui s'eſt répandu & qui ſe ſoutient encore :
On affure , que Mr. l'Ambaſſadeur de France au..
rait fait entendre aux Membres du Gouvernement
, que Sa Majesté Très - Chrétienne ne ſe
melerait pas des arrangemens domeſtiques que
l'Etat en général , & les Provinces en particulier
, jugeroient à propos de faire dans ces cir
conftances»,
Cause extraite du Joürnal des Causes célébres ( 1 ) .
Femme adultere & empoisonneuse de fon mari ,
condamnée à être brûlée vive.
Une femme qui , cédant aux premieres tentations
d'une paſſion crintinelle , croit demeurer
toujours libre de s'arrêter au terme où elle voudra
, eſt loin de prévoir que les forfaits & l'échafaud
font cachés derriere les nuages & Pillufion
qui offiſquent fa raiſon & l'écartent de ſes devoirs.
Après qu'elle a une fois fait le facrifice de
la foi conjugale à un penchant criminel , & qu'elle
s'eft fait une habitude du vice , le retour à l'honnêteté
& au repentir devient de plus en plus difficile:
une forte de néceſſité fatale , que S.Au
( 46 )
guſtin appelle de fer , avec autant d'énergie que
de vérité , l'entraîne , comme malgré elle , aux
derniers excès . L'iniquité , ſous la forme ſéduifante
de l'amour , s'établit dans ſon coeur , & ,
une fois entrée avec ce deux poiſon , elle le remplit
à grands flots : tout ce qui reſtoit de principes&
de bonté eſt noyé , déraciné; ſes remords
même ne fervent qu'à enfanter de nouveaux crimes
, & pour s'en délivrer , elle marche , en forcenée
, des crimes aux forfaits les plus a'roces.
Ainfi la femme, qui ne fat d'abord que foible &
vicieuſe, ſe charge en ſcélérate détermirée &
ſanguinaire. Ce n'eſt pas ſeulement dans les ames
groffieres & moirs pourvues de principes que
fe fait ce noir progrès & cette affreute révo ution.
Plus l'ame eſt honnête & élevée , plus ,
quand elle fuccombe , la chûte eſt profonde. La
honte & l'étonnement de ſon premier écart ,
s'ilsn'ont pas affez de force pour la relever courageuſement
de l'abime , l'y plongent de plus
enples: on peut dire que le remords même la
corrompt , & que le regret d'avoir abandonné la
vertu , fe change en fureur pour le crime. Ainfi
la liberté de Thomme , qui eſt tout entiere au
premier pas , ne fait plus que s'affoiblir dès
qu'on l'a haſardée,& n'a plus dans ſes ſuites qu'une
force qui ſe tourne contre elle- même , &
l'enfonce , de plus en plus , dans la dépravation
&la ſcélérateffe. L'attentat que la juſtice vient
de punir dans la femme Rivereau , confirme ces
triftes reflexions .
Née & mariée dans la ville de Jargcau , reffort
du bailliage d'Orléans , elle eût frémi à l'idée du
fort infâme qui a terminé ſa vie , & du crime
qui l'a dévouée au ſupplice; elle eût repouffé ,
avec horreur , le nommé Bouin , dit la Joye, qui
la follicitoir à l'adultère , ſi cet affreux avenir ſe
fût préſenté à ſa penſée, comme une ſuite inés
( 47 )
vitable de ſa premiere foibleſſe. Elle avoit vécu
dans ſon humble fortune , honnête & innocente
juſqu'à l'intlant funeſte où elle proſtitua ſa per-
Tonne & fa foi à ce corrupteur. Mais bientot ce
commerce coupable , au lieu d'aſſouvir ſa paffion
, ne fit que l'irriter. Elle nevitplusdans fon
époux qu'un objet importun & odieux . Elle afpira
à l'anéantillement de cet obſtacle; & trouvant
ſes jours trop longs , elle en vint, par degrès
, à former l'horrible complot d'en trancher
elle-même la trame. Malgré l'aveuglement de ſa
paffion , elle ne pouvoit te cacher l'image de la
vengeance qui devoit fuivre l'attentat qu'elle
fouhaitoir. Le fer&le ſanglaiſſent des traces trop
viſibles. Les deux complices eurent recours au
poiſon, & ſe fièrent de leur impuniré à ſa ténébreuſe
incertitude. Mais l'odieuſe Mégere voulant
trop affurer ſon affreux ſuccès , en chargeant
la doſe , perdit juſqu'au fruit de ſes noires précautions
, & déchira elle- même le voile dont elle
vouloit s'envelopper. Le ſoir du 3 Janvier 1785 ,
jour fixé pour confommer cette oeuvre atroce ,
la femme monte la premiere , une demi heure
avant les autres. Elle apprête deux ſoupes , dont
elle en deſtine une à fon mari ſeul , & dans laquelle
mêle une forte doſe d'arſenic. Bientôt
le malheureux mari, fans défiance , monte,
avec un ouvrier de ſon attelier dans la chambre
haute , où le préparoit cet homicide repas ; & ,
las du travail de la journée , il comptoit goûter
le repos , & le plaifir d'un ſouper frugal , mérité
par le travail & affaiſonné par l'appétit. Mais à
peine a-t- il touché le mets fatal , & avalé quelques
cuillerées , qu'il eſt atteint de vomiſſemens
vio'ens. Il abandonne le reſte a fon compagnon ,
qui en avale une ou deux cuillerées , malgré la
femme qui lui arrache le vaſe des mains , ne vou
elle
( 48 )
lant pas , fans doute , ſe charger d'un ſecond
crime inutile à ſes vues , & cortente du premier.
Le compagnon réſiſta à l'effet d'une doſe trop légere
, après des vom flemens confidé ables . Mais
la victime déſignée ſuccomba dès le lendemain
matin, & fa mort remplit les voeux de ſa coupable
épouse. On l'enterre , & la malheureuſe
croyant fon forfait enſéveli avec lui , ne ſongea
plus qu'à jouir de ſes dépouilles & de ſa liberté
avec ſon complice. Dès le lendemain de l'enterrement
, eile raſſemble la meilleure partie des
effets , s'évade de la maiton , dont elle laiſſe les
portes ouvertes , & s'enfuit avec le nommé la
Joye. Elle s'ôte jufqu'à la pitié qu'on accorde
aux ſcélérats, qui , ſortant de l'ivreſſe de la paſſion
àla vue du délit commis , frémiſſent de leurs excès,&
atteſtent , du moins , par le trouble & le
remords , qu'il reſte encore que'que ſentiment
humain dans leur ame perverſe. Elle prend hardiment
le nom de fon affreux amant , fait route
avec lui , ſe fait paffer pour ſa femme dans les
auberges où elle pafle , & croit échapper aux loix
comme à ſes remords ; mais ſa jouiſſance fut
courte. Tandis que ſon complice échappe , elle
eſt arrêtée & conduite dans les prifons. Trois autres
perſonnes ont été décrétées , emprisonnées ,
& le jugement de leurs procès ſurſis jusqu'après
l'exécution de la veuve Rivereau , que la ſentence
du bailliage d'Orléans , confirmée par l'arrêt
du Parlement de Paris , du 13 Septembre
1785 , a condamnée à la queſtion ordinaire & extraordinaire
, & ensuite àêtre brûlée vive ſur la
p'ace publique de la ville de Jargeau , & fes cendresjetées
au vent , après avoir fait l'amende ho.
norab'e ordinaise , avec un écriteau portant :Em
prionneuse defon mari.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 14 JANVIER 1786.
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE.
A Madame N.; Avis important donné le
jour de l'An , veille de ſa Fêt:.
En quoi ! Madame , dans Paris ,
Au ſein des fêtes innombrables
Par qui nosjours font embellis ,
Au milieu des travers aimables
Etdes vices les plus polis ,
Vous n'affichez que du mépris
Pour tous ces plaiſirs incroyables ! ....
Vous oſez ! ..... (ciel! d'où venez-vous ? )
Végérer dans votre famille ,
Aimer votre fils , votre fille ,
Et , je crois , même votre époux ! ...
Quel ton gaulois! pardon , Madame ,
N° 2 , 14 Janvier 1786. C
SO MERCURE
Vous me ſcandaliſez vraiment;
Cela doit donner à votre âme
Un orgueil rare..... Cependant ,
Cet orgueil- là n'eſt rien qu'un vice :
Peut-être l'excufera-ton;
Mais le ridicule ſe gliſſe
Sur vos moeurs & fur votre nom.
Prenez- y garde , un ridiculo?
Nous ne connoiſſons rien de pis.
Parmi nous fon empreinte brûle
Les gens , les noms & les Écrits.
Par exemple , l'on voit fans ceſſe
Rire & jouer auprès de vous
Les objets de votre tendreſſe ,
Vos enfans , dont l'un veus carefſfe,
L'autre vous offre ſes joujous.....
Et ce tableau vous intéreſſe ! ....
Moi , je vous l'avoue entre nous ,
Un plaifir fi bourgeois me bleſſe;
Il manque de délicateſſe :
Je ne vois point-là de nobleſſe.
Quand on aimebien ſes enfans ,
Et lorſqu'on veut qu'ils nous adorent ,
Des colléges & des couvens ,
(Que tous nos eſprits-forts abhorrent )
Il faut qu'ils târent dix , douze ans.
C'eſt- là que brillent les talens;
Là qu'on prendde la politeſſe,
DE
SI
FRANCE.
Là qu'on prélude à la tendreſſe ,
Etqu'on ourdit de beaux Romans.
Qu'apprendront-ils près de leur père ?
L'art d'être heureux ou l'art d'en faire
D'écrire &parler avec goût.
Que peut leur enfeigner leur mère ?
L'art de s'occuper & de plaire.
Je crois que c'eſt à-peu-près tout.
En vérité , c'eſt bien la peine ,
De les garder auprès de ſoi !
Oh ! les beaux parens que je voi
Ne ſe donnent pas tant de gêne.
Vous, Geneviève , croyez-m'en ,
Prenez un autre train de vie ;
Faites auſſi votre Roman ;
Ayez des plaiſirs qu'on envie,
Etque fans honte l'on publie ;
Ceux dont vous vous glorifiez
Et dont votre âme eft attendrie ,
Sont aujourd'hui trop décriés
Parmi la bonne compagnie.
ParM. Bérenger. )
:
C
: MERCURE
RÉPONSES A LA QUESTION :
Quelle est la poſition la plus afflige nte
pour une femme , d'aimer tendrement un
époux qui n'a pour elle que de l'averfion , ou
d'être tendrement aimée d'un mari qu'elle
n'aime pas ?
EN
I.
:
N aimant un époux , n'obtenir que fa haine ,
Pour un coeur tendre quelle peine !
Mais s'en laiſſer aimer quand on ne l'aime pas ,
C'est tout au plus un léger embarras.
(ParM. Dehauffy de Robecourt . )
II.
ADORERun époux ſans eſpoir qu'il nous aime ,
C'eſt ſans doute un deſtin affreux ;
Pourtantje penſe qu'il vaut mieux
Faire un ingrat que de l'être ſoi -même.
(ParMlle Conftance Moillet. )
IIL
IDOLE de l'époux dont elle eft adorée,
Zéphis pour ſon mari n'a pas la même ardeur ,
Un autre choix avoit diſpoſede ſon coeur
Avant qu'à cet hymen Plutus l'eût préparée.
DE FRANCE.
Pour Zéphis cependant il eſt quelque douceur 1
Du plaiſit de régner ſon âme eſt enivrée ;
Et cet empire au moins lui tient lieu du bonheur,
Mais en est-il pour vous, fenfible &jeune Iffée ,
Lorfque l'époux ingrat que votre cooeur chérit ,
Dédaignant la douleur de votre âme opprefiée ,
Fuit chaque jour les lieux où l'Amour lui ſourit ,
Et va porter ailleurs ſes voeux & ſa penſée?
Non, non. Sil eſt cruel de hair ſon mari ,
Sans doute il eſt affreux de s'en voir délaifree!
(Par M. de S ...... de la C........
Capitaine au Régiment d' Artois. )
IV.
VIVRE avec un époux qu'on ne fauroît ainter ,
Qui ceperidantvous aime & cherche àvous charmer ,
Untel hymen, fans doute,eſt un malheur extrême :
Onne peut être hemeux qu'avec l'objet qu'on aime.
Mais aimer un époux fans eſpoir de retour ,
Ce coup bleſſe à la fois l'am: ur-propre & l'amour.
(ParM.le Chevalier de Maude Monpas.)
V.
Pour la Beauté ſenſible & fage ,
C'eſt un tourinent de refuſer fon coeur
Aqui du ſien lui fait hommage ;
Mais il eſt plus affreux d'adorer un volage.
L'encens de l'Amour est flaticur :
L'indifférence eft un outrage.
Cij
34 MERCURE
J'en demande pardon au ſexe ingénieux ,
Qui de nos Troubadours attend quelque lumière;
Mais le beſoin d'aimer , ſouvent fi malheureux ,
N'eft , je penſe , chez lui , qu'après celui de plaire.
(Par M. Lebrun fils ,Avocat. )
VI.
Α ΤΟΝ époux par l'Amour enchaînée ,
De ſes dédains victime infortunée ,
L'eſpoir du moins peut adoucir ton fort.
Un coeur te reſte en ce malheur extrême ;
Ta jouiſſance eft au fond de toi- même :
Le ſentiment eſt toujours un tréſor .
Mais que je plains la coupable indolence
Qui d'un époux épuiſant la conſtance ,
Peutméconnoître ou hair ſon bonheur!
L'ingratitude est le tourment du coeur ,
Et ſon néant Pindifférence.
Par Mile *** , de la Société Littéraire
de Goven en Bretagne.)
VII.
Si de Chloé tout le malheur
Vientdu mépris d'un époux qu'elle adore,
Par fa conſtance & fa douceur
Chloé du moins eſpère un terme à ſa douleur ;
Et c'eſt jouir que d'eſpérer encore.
Que de Cleris le fort eſt différent ! :
DEFRANCE.
Sans eſpoir de changer, ſans goût, ſans ſentiment,
Dans les bras de l'objet de ſon antipathie ;
Le plaifir de l'amour pour elle eſt un tourment ,
Et les droits de l'hymen font une tyrannie.
(Par M.G. , Av. D. R. à Nantes. )
NOUVELLE QUESTION A RÉSOUDRE.
Est-ce un plus grand malheur pour une
femme, d'être jalouſe , que d'avoir un mari
ja'oux ?
Explication de la Charade , de l'énigme &
du Logogryphe du Mercureprécédent.
LE mot de la Charade eſt Poiſſon ; celui
de l'énigme eſt le Jour de l'An ; celui du
Logogryphe eſt Rateau , où l'on trouve rat,
eau , ut , ré, tarau ; rue.
CHARADE.
MON
On premier de ma Life excité par le doigt,
Heurte, poufle & reponſe une petite lance;
Mou ſecond chez ma Life éclata dès l'enfance :
On eſt loin de mon tout auffitôt qu'on la voit.
( Par M. Régnault , Commiffaire des Claſſes retiré. )
Civ
MERCURE
Du
ÉNIGME.
U potagerje paſſe ſur latable;
Quoique petite & de peu de valeur ,
Il vient un temps , choſe aſſez remarquable ,
Où ton plaifir m'appelle , ami Lecteur.
L'on me conſtruit alors un édifice
,
Pour y garder toujours l'incognito ;
Caren ce cas, fans un peu d'artifice ,
Je pourrois bien caufer du quiproquo.
Quand on me fait for ir de ma cachette ,
En paroiſſant j'inſpire la gaîté ,
Et je fais boire à plus d'une ſanté.
Aqui me tient, on doit riche épithète.
Peut- être hier , Lecteur , tu m'as fêté.
LA
Par l'Auteur des Amusemens du Jour. )
LOGOGRYPHF.
Amagie autrefois m'imita dans ſon art;
Je dérange en naiſſant l'ordre de la Nature;
Jadis du peuple Hébreu j'appaiſai le murmure ,
Etde la foi j'arborai l'étendard.
Dans mes fepe pieds je vois ce que foat les fam lles ;
Leplus chauddes oignons ; un des quatre élémens ;
Ceque voudroit certaines filles;
Et le théâtre ouvert à pluſieurs concurrens.
DE
57
FRANCE.
J'y vois encore un jeu d'adreſſe ;
D'Achille le fer deſtructeur ;
UnOfficierdu Grand-Seigneur ;
Le ſymbole de la triſteſſe ;
Ce qui diſtirgue proſe ou vers;
LaMère du Meſſie ; un des mois de l'année ;
Ce que l'enfance eſt deſtinée
A ne ſavoir qu'au prix de mille ennuis divers ;
Unbeaupréſent du ciel; trois notes de muſique ;
Ungenre de fupplice ; une ville au Mexique ;
Ceque l'on trouve dans le pain,
La garderobe du voyage;
Un nomde femme ,&des eaux l'affemblage;
Ledépôtdes liqueurs ,& l'oppoſé du bien ;
La ſainte retraite d'élie ;
Ledoux fruit d'un inſecte; un ouvrage à tranchant;
Unamas d'eau ; la célefte patrie ,
Etde Saint-Pierre un Diſciple éloquent;
Un terme de trifdras; le fond d'une galère ;
Ce qui ſur l'Océan fait veguer les vaiſſeaux ;
L'outil qui ronge les métaux;
Cequi tientnos fecretsdans leplusgrand myſtère;
Unvieux mot qui déſigne un péché capital ,
Très-familier même à l'enfance
Ce qui du labyrinthe ouvrit la route inasenfe;
Cequi fat de tout temps un inftrument fatal.
(Par F. Vernhes . Religieux Etudiant des
Grands Augustins .)
C
)
MERCURE
T
NOUVELLES LITTERAIRES.
FIN de l'Extrait des OEuvres de M. le
Chevalier DE BERT....
LES
Es vers , tantôt de Tibulle , tantôt de
Properce , ſe fondent naturellement dans les
vers de M. le Chevalier de Berth... l'imitation
eft fi exacte , qu'elle peut paffer pour une
Traduction ; elle eſt ſi heureuſe , que ceux
dont la mémoire eſt remplie des vers des deux
Poëtes latins , ne ſavent s'ils lifent de Chevalier
Berth.... ou s'ils liſent Tibulle & Properce.
Tibulle dit à Délie :
Audendum eft : fortes adjuvat ipfa Venus ;
Illa docetfurtim molli decedere lecto.;
Illapedem nullo ponerepoffefono.
Le Chevalier Berth... dit àEucharis :
Il faut ofer : Venus ſeconde le courage ;
Vénus inſtruit l'amante au milieu de la nuit
Adeſcendre en ſecret de ſa couche paiſible.
Venus enſeigne encor l'art de poſer ſans bruit ,
Sur d'inconftans parquets , un pied sûr & flexible .
Il y avoit dans la première Édition ſur des
1
DE FRANCE.
59
parquets mouvans ; & cela n'étoit pas peutétre
irréprochable ; mais. la correction nous
paroit moins heureuſe encore.
Tibulle dit à Délie :
At mihifelicem vitam.
Fingebam demens.
Rura colam , frugumque aderit mea Delia custos ,
Area dummeſſesfole calente teret ;
Aut mihifervabit plenis in lintribas uvas
Preſſfaque veloci pinguia musta pede.
Confuefcet numerare pecus, confuefcet amantis
Garrulus in domina ludere vernafinu.
IllaDev ſciet Agricola pro vitibus uvam ,
Profegete Spicas , pro gregeferre dapem.
,
Hac mihifingebam , qua nunc Eurusque , Notusque
Jatat odoratos vota per Armenios .
Num veneris magna violavi numina verbo ?
Et mea nuncpænas impia lingua luit ?
Non ego , simerui , dubitem procumbere templis ,
Etdarefacratis ofcula liminibus :
Nonegostellurem genibus perrepere Supplex ,
Et miferum fantto tondere poffe caput.
At tu , qui latus rides mala noſtra , caveto
Mox tibi : non unus ſaviet uſque Deus.
Vidi ego qui juvenum miſcros luſiſſfet amores ,
Poft Veneris vinclis fubdere colle Sonem ;
Cvj
60 MERCURE
Etfibi blanditias tremuâ componere voce ,
Etmanibus canasfingere velle comas
Stare nec ante fores puduit ; carave puella
Ancillam medio detinuiffeforo.
Le Chevalier Berth .... dit àEucharis:
J'irai, j'irai loin d'un monde volage,
De mes ayeux cultiver l'héritage ,
Tondre ma vigne & labourer mes champs.
Dans mon foyer , ma compagne filelle ,
Mon Eucharis viendradonner des loix;
Ledoux ramier reconnoîtra ſavoix ,
Et mes agneaux bondiront autour d'elle.
Elle ſaura, dans la ſaifon nouvelle,
Porter des fleurs aujeune Dieu des bois.
Elle faura , puiſſant fils de Sémèle,
T'offrir les dons du plus richedes meis ,
Et ſurcharger ta couronne immorte'le
D'un raifin mûr qui rougira ſes doigts.
Mon Eucharis fermera ma paupière.
Oui , je mourrai dans ſes embraſſemens ;
Et là, fans pompe, un jour lamême pierre
Sous des cyprès unira deux amans.
Je le difois ; quelle erreur infenſée !
Quel fol efpeir enivroit ma penſée !
Les vents, hélas! en tourbillons fougueux
Sur l'Océan ont emporté mes veoeur.
Mon Eucharis eſt trompeuſe &parjure.
Qu'ai-jerdone fait? Et quelle eft fon injure?.
2
DE FRANCE. 61
Ai-je un ſeul jour , négligeant ſes attraits ,
Aſes beaux yeux coûté de triſtes larmes ?
Dans monmalheur , fi j'ai pu l'offenfer ,
Jecours m'offriràſa main vengereſſe;
Detoutmon ſang je ſuis prêt d'effacer
Lesp!curs jaloux qu'a verſés ſa tendreffe.
Mais tremble, ô toi qui ris de mon tourment!
Tremble : l'Amour t'en réſerve un terrible!
Cenſeur malin , crains cet arc invincible ,
Qui d'un ſeul coup frappe &venge unamant.
Pour avoir ri des maux de la jeuneſſe,
Aſes chagrins pour avoir infulté ,
Que d'imprudens j'ai vus dans leur vieilleſſe ,
Tendre leurs mains aux fers de la beauté ;
Balbatier un avcu ridicule ,
Se parfumer , parer leurs cheveux blancs,
Et tout tranfis au pied d'un veſtibule ,
De leur martyre amuſer les paſſans !
Ces imitations des anciens , lorſqu'elles
font heureuſes , ont quelque choſe qui , dès
leur naiſſance même , conſacre les ouvrages
nouveaux. Ceux qui ne connoiffent pas les
anciens , y trouventla Nature telle que les anciens
ſavoient la voir, la fentir & la peindre ;
ceux qui ont le bonheur de les connoître, ont
le plaifir d'y retrouver à la fois & la Nature
& ces Poëtes enchanteurs qui en ont été les
premiers peintres , & les peintres les plus
:
A
62 MERCURE
fidèles. Des tableaux entièrement noufs peuvent
avoir plus de mérite , puiſqu'ils exigent
plus d'invention; mais ils ne ſuppoſent pas
plus de talent , & ils font ſouvent moins de
plaifir.Dans la même Élégie de M. le Chevalier
Berth.... , on rencontre quelquefois des
imitations de Tibulle, de Properce , & même
d'Horace ; & tout cela ſe fond enſemble, pour
n'exprimer que les ſentimens que le Poëte de
nos jours éprouve lui-même : tant la Nature
a la même voix dans ceux qu'elle a doués
d'une âme & d'une imagination également
ſenſibles !
Eucharis n'a pas été plus fidelle que Délie
& Cynthie ; & les douleurs de Properce &
deTibulle ont fervi encore à rendre les douleurs
de l'amant d'Eucharis. Les plaintes de
Properce font plus conftantes & plus longues :
Ce les du Poëte moderne ne ſont pas moins
touchantes. Soit qu'il veuille s'armer de fierté,
foit qu'il retombe dans les plus humbles
prières , les mouvemens de fon ar e & de fon
ſtyle font toujours ceux de la pafiion.
Oui , tout Paris ſait ta noirceur ,
Tout Paris ſait ta perfidie :
Va chercher maintenant , impie ,
Quelque ſtupide adorateur
Pour exercer ta dure tyrannie !
Je romps mes fers ; ingrate , je t'oublie :
Le déſeſpoir t'arrache de mon coeur.
Une autre au rang de ma maître le
DE FRANCE. 63
Vamonter lefront ceint d'un immortel fefton ;
Une autre jouira du glorieux renom
Que t'avoit promis ma tendreſſe.
Pour elle fur des tons divers
Montant ma voix dans mon juſte délire ,
Je veux des cordes de ma lyre
Tirer les plus aimables airs ,
Et la célébrer dans des vers
Si doux , qu'après ſoixante hivers
L'amant ſe plaife à les relire.
Pour tracer fon portrait brillant ,
Je ſuivrai , s'il le faut , ma douce fantaisie.
L'aurore , au bord de l'Orient ,
Aura paru moins belle aux peuples de l'Aſie ;
Tu pâliras , en le voyant,
De fureur & de jaloufie......
Pardonne , pardonne Eucharis ,
N'en crois pas mes dédains , n'en crois pas ma colère;
Nulle autre n'entrera dans mon lit folitaire ,
Nulle autre ne vivra dans mes derniers écrits :
Avantque ta beauté forte de ma mémoire ,
On verra l'eau ſuſpendre & rebrouffer ſon cours ,
Le foleil oubliera de diſpenſer tes jours ,
Et le peuple François de volerà la gloire.
Sois plus coupable encor : je t'aimerai toujours ,
Je t'aimerai : voilà ma destinée.
Qui , malgré ton crime odieux ,
Je ne faurois hair tes yeux ,
Ces yeux encor ſi chers à mon âme étonnée ,
:
64 MERCURE
Ces yeux, mes louverains , mes altres & mes Dieux!
Cent fois par eux , il m'en souvient , cruelle ,
Tu m'as juré de me garder ta foi ,
Juſqu'au tombeau d'être toujours à moi,
Et de mourir amoureuſe& fidelte.
Tu voulois que ces yeux charmans ,
Tout d'un coup détachés de leur double paupière ,
Puniffent ton erreur , ſi jamais lapremière
On te voyoit changer & trahir tes ſermens ;
Et tu peux les lever encore
Vers ce ciel outragé qu'indignenttes rigueurs ! ...
Ceuxqui liront l'Élégie XI du ſecond Livre ,
trouveront un exemple bien plus remarquable
encore de la verve poétique &de l'égarement
de douleur d'un amant abandonné. C'eſt
peut- être celle des deux premiers Livres à laquelle
nous donnerions la préférence ; mais
on ne peut ni la citer ici toute entière ,ni la
citer par morceaux.
Avec le troiſième Livre commence un
nouvel amour. Catilie a pris la place d'Eucharis
dans le coeur &dans les vers du Poëte.
Une femme lifoit fur le frontiſpice du premier
volume ces deux noms & les deux vers.
ſuivans:
L'une fur ma première amour;
Et l'autre ſera la dernière
Elle ferma le volume en diſant: Je ne le lirai
point. Ilfallo.t que la première & la dernière
DE FRANCE. 65
fût lamême.Cette femme auroit voulu trouver
le vers charmant de Properce :
Cynthia prima fuit : Cynthia finis erit.
mais elle ignoroit que c'étoit Eucharis qui
n'avoit pas voulu étre encore la dernière ; car
fans doute la morale la plus ſévère , & le
coeur le plus jeune , le plus ignorant de ce
qui ſe paſſe dans la vie , doit permettre le
changement à un amant abandonné. C'eſt
alors qu'il eſt permis de dire avec ce Properce
, qui ne changea point cependant malgré
ſa maxime : il est auffi des douceurs dans
un nouvel esclavage.
Sunt quoque tranſlato gaudiafervitio.
Le Poëte étoit plas jeune qu'Eucharis ;
Catilie eft plus jeune que lui ;& cette différence
entre fon âge& celui de fes deux mat
trelles en aproduit une dans la manière de
les aimer , qui ſe fait fentir dans les peintures
de ſes amours , & qui les rend plus intérefſantes.
L'amant d'Eucharis , violent , emporté
dans tous ſes ſentimens , paroît plus tourmenté
qu'heureux de ſes voluptés mêmes:
il connoît rarement , & ne peint preſque
jamais cet état délicieux d'une âme qui ſe
repoſe ſur le ſentiment dont elle eſt pénétrée.
L'amant de Catilie , plus confiant ſur la foi
d'un âge qui eſt plus encore celui de l'innocence
que de l'amour , oſe moins lui montrer
l'ivreſſe de ſes ſens , ménage la pudeur ,
même en lui retraçant des jouiſſances où elle
66 MERCURE
s'eſt oubliée , & peint avec plus de charmes
&de grâces un amour dont il jouit avec plus
de réſerve &de fécurité. Quand il aime Eucharis;
auffi rempli d'inquiétude qued'amour,
fes yeux ne peuvent & n'oſent ſe détacher
d'elle; c'eſt elle ſeule qu'il voit , elle ſeule
qu'il peint : en aimant Catilie , il regarde &
peint à la fois & Catilie & la Nature. Ici , les
ſcènes de l'amour heureux ſont plus entremélées
des images innocentes de la nature
champêtre: le Poëte environne fa jeune amie
des tableaux les plus purs de la campagne ,
comme pour lui rendre de fon innocence
tout ce qu'elle en facrifie à l'amour ; & dans
quelques-unsde ces tableaux,le Properce François
s'élève au ton de Virgile. Voyez ces vers
d'une Élégie qui a pour titre les Moiſſons.
Viens , l'antel eft paré; viens , la victime eft prête ;
Deſcends du batutdes cieux , bienfaifante Cérès!
Prends ta faucille en main, &couronne ta tête
De bluets & d'épis, tréſors de tes guérets.
Omes Lares ! ce jour doit être un jour de fête :
Des plus rians feſtons j'ornerai vos portraits.
Écartez loin de nous & la pluie & l'orage ;
D'un jour tranquille & pur éclairez nos moiſſons.
Voyez vous ces vieillards , ces filles , ces garçons ,
Tout un peuple courbé qui s'empreſſe à l'ouvrage ,
Et détonne gaîment de ruſtiques chanſons ?
Ils vont de rang en rang; ſous leurs mains diligentes
Déjà ces longs tuyaux d'énormes graius chargés ,
T
DE FRANCE. 67
Tombent ſur les fillons en faiſceaux partagés ;
Le van chaſſe dans l'air une paille indigente.
Peut-être que le Traducteur des Georgiques&
leChantre des Jardins, peut- être que
M. l'Abbé de Lille ne défavoueroit pas ces
vers ; & c'eſt le plus grand éloge qu'on en
puiſſe faire.
On rencontre les vers ſuivans dans une
autre Élégie , l'éloge de la Campagne.
Vois-tu dans ces prés verds que la faulx atondus ,
En pyramides jauniſſantes
S'élever juſqu'aux cieux ces herbes odorantes ,
Etcesfoins au ſoleil par trois fois étendas ?
Vois-tu ſous la richeſſe à leur zèle promife ,
Mestaureaux contens de plier ,
Vers la grange apporter d'une têre fouraiſe ,
Ces dons qu'un bras foigneuz en faifdeaux doit lier?
Tout le char diſparoît ſous la moiſſon trainante;
Et ſuivant à pas lents des ſentiers mal tracés ,
Laiſſe, dans ſa marche tremblante ,
De ſa dépouille au loin les arbres hérifiés.
Cemorceau ne peut être inférieur à celui
que nous venons de citer qu'en ce que le
vers libre qui a moins de dificultés a auſſi
moins de mérite,& qu'il lui manque encore
cette grande beauté du vers alexandrin , qui
peut renfermer tout un tableau dans le cadre
d'un ſeul vers. Mais les quatre derniers font
un modèle de poéſie deſcriptive.
68 MERCURE
Au milieude ſes amours pour Catilie , le
Poëte adreſſe une Élégie aux mânes d'Eucharis;
& quelques perſonnes exceſſivement
delicates ont condamné ce monument élevé
àune femme qui avoit été infidelle , & à une
pafliondès long-temps éteinte: c'eſt bien mal
connoître le coeur humain ; &une pareille délicateffe
paroît bien mal fondée. Ces longs
ſouvenirs d'une paſſion qu'on n'éprouve plus,
loind'affoiblir, entretiennent&augmententle
charme de celle qu'on éprouve encore. Une
femme ſenſible écoute avec inquiétude fon
amant , qui lui raconte l'hiſtoire d'une première
paffion dont elle n'étoit pas l'objet,
mais elle aime l'inquiétude qu'elle éprouve
elle redemande ſouvent elle-même ces récits
où elle voit tout le coeur de ſon amant ; & en
voyant comment il en a aimé une autre , elle
cherche à mieux voir comment elle -même
doit être aimée. Qui peut êtrebleſſe, qui peut
même n'être pas touché de ces vers adreſſes
aux mânes d'Eucharis !
Otoi ! jadis l'objet du plus ardent amour !
Toi que j'aimois encor d'une amitié fi tendre ;
Eucharis , ſi tu peux m'entendre
Des bords du fleuve affreux qu'on paſſe ſans retour,
Reçois ces derniers vers que j'adreſſeà ta cendre.
Lorſque du fort , ſi jeune , éprouvant la rigueur ,
Tu périffois , hélas ! d'un mal lent & fureſte ,
Moi même , tu le ſais,confumé de langueur,
Je voyois de mes jours s'évanouir le reſte.
DE FRANCE. 69
Tu mourus ; à ce coup , j'en atteſte les Dieux ,
Jedemandai la mort: j'étois prêt àte ſuivre ;
Aines plus chers amis j'avois fait mes adieux.
Catilie à l'inftant vint s'offrir à mes yeux ,
Me ferra fur fon coeur ; &je promis de vivre.
Tropheureux fous ſa douce loi ,
Elle-même aujourd'hui permet que je t'écrive.
Tout ce qui teconnut te regrette avec moi ,
Et cherche à conſoler ton ombre fugitive.
Déjà les yeux mouillés de pleurs ,
Et brifant ſon beau luth qui réſonnoit encore,
Le doux Chantre d'Eléonore
Sur tes reſtes chéris a répandu des fleurs.
Ilt'élève un tombeau: c'eſt aſſez pour ta gloire.
Moi , plus timide, tout auprès
Je choiſis un jeune cyprès ,
Etlà , je grave notre hiſtoire.
Ace mot , Eucharis , ne va point t'alarmer ;
Loin de moi tous ces noms dont un amant accable
L'objet qu'il ceffede charmer!
Le temps a dû me défarmer ;
Et ton coeur n'elit point ſi coupable.
Pour un autre que moi s'il a pu s'enflammer ,
Sans doure il étoit plus aimable....
Helas! Cavoit- il mieux aimer ?
N'importe! ders en paix , ombre toujours chérie ;
D'un reproche jaloux ne crains plus la rigueur :
Ma haine s'eſt évanouie.
70
MERCURE
Tu fis ſept ans entiers le bonheur de mavie:
C'eſt le feul ſentiment qui reſte dans mon coeur.
Les anciens diſoient du malheur , que
c'eſt une choſe ſacrée: Res eft facra mifer.
Et ce qu'ils difoient du malheur , ils le difoient
encore d'un amant. Il ſemble que la
critique littéraire ne doive pas attenter à
des vers qui font l'expreſſion fidelle d'un
amour extrême & touchant. Mais c'eſt dans
ce qu'il aime le plus que le goût exige le
plus de pureté ; & on réveille ſa ſeverité
pour avoir trop charmé ſa délicateffe. Quelques
taches ſe remarquent encore dans ces
vers que l'amour a inſpirés, que le talent a
faits, & que le bon goût a polis. On avoit
reproché ceux-ci à l'Auteur ;
OBacchus ! ton nectar divin
S'aigriſſoit ſur mon coeur & ſe tournoit en larme.
Cette image du vin qui s'agrt & fe tourne.
en larmes , peut être empruntée d'un ancien ;
mais il eſt difficile qu'elle plaiſe aux modernes:
dans beaucoup de choſes notre goût eſt plus
délicat , parce que nos ſens le font davantage.
Ah! fi d'an tendre amour la fille un jour éprife
Me confulte en ſecret ſur ſon trouble naiſſant....
Et vingt fois en ſurſaut par la mère ſurpriſe ,
Dans ſon ſein entrouvert me cache en rougiſſant ,
Je ne veux point d'autre gloire.
Il est facheux que le mot la fille gîte de
:
DE FRANCE.
7r
fi jolis vers , & l'expreilion d'un voeu qui
ſera sûrement accompli : M. le Chevalier de
Berth... aura voulu rendre le Puella de Tibulle
&& de Properce ; mais le Puella a beaucoup
de grâce , & la fille n'en a point du
tout , ce me ſemble ; la jeune filie pafferoit
mieux peut-être.
Au crépuscule &dans la vefte nuit
Mon Eucharis eſt à moi ſeul encore.
Une nuit qu'on paſſe avec ce qu'on aime
ne peut guères paroître vaſte; j'ai cru d'abord
que c'étoit querque faute d'impreſſion.
Ces faures ,&quelques autres qu'on pourroit
trouver encore en cherchant beaucoup ,
ſont des taches rares & légères ; & les vers
pleins de grâce , de volupté & de patlion
ſe préſentent entrès-grand nombre; ils compoſent
le fonds de ces trois livresd'Elégies . Boileau
adit, enparlant des Ecrivains élégiaques :
C'eſt pea d'être Poëte : il faut être amoureux .
:
On pourroit retourner le vers de Boileau
, & diré encore : C'estpeu d'être amoureux
: il faut être Poëte. M. le Chevalier de
Berth ... eſt l'un &l'autre : en parlant de ſon
amour, il amérité & obtenu une place diftin
guée dans la littérature françoiſe. Ce qu'on doit
remarquer encore , c'eſt qu'en peignant fes
paflions , il montre un caractère très- eftima- .
ble. Feú M. Dorat a imprimé dans une Préface
deses baifers , que de pareils ouvrages
font excellens pour rétablir les bonnes moeurs :
72 MERCURE
&on peut douter d'une telle maxime , &
on peut croire que de tels ouvrages n'ont
pas beſoin d'une pareille prétention; il fuffit
qu'on voye que ce délire des fens qui
trouble la raiſon , n'altère pas la pureté d'une
ame ſenſible & conftante. C'eſt aſſez qu'on
apperçoive dans les voluptés méme de la jeu
neſſe, le germedes vertus dont on doit honorer
ſon äge mûr.
Nous avons commencé cet article parune
eſpèce de parallèle de Tibulle & de Froperce;&
fi ce n'étoit pas trop de deux parallèles
pour un extrait , il s'en préſenteroit
ici un autre bien naturellement entre M.
le Chevalier de Berth.. & M. le Chevalier de
Parny. Mais on peut indiquer dans un extrait
ce qui exigeroit un morceau pour être
athevé ; & quoique les honneurs du parallèle
e s'accordent guères qu'à des Ecrivains
confacrés par le tems , il eſt difficile
de réſiſter au defir de rapprocher deux Poëtes,
nés tous les deux ſous le même climat , à
deux mille lienes de la France; toujours amis ,
quoiqu'allant à la gloire par la même route
& dans le même tems ; ſe décernant l'un à
l'autre cette gloire que tant d'autres ſe difputent
inutilement , immortaliſant chacun
dans ſes vers avec ſa maîtreſſe , la maîtreffe
encore de ſon ami; l'amant d'Eléonore, Eucharis
; l'amant d'Eucharis , Eléonore.
Le Chevalier de P... doué peut-être d'un
talent plus facile , ne l'a jamais montré que
dans ſa perfection ; en paroiſſant , ce talent
étoit
DEFRANCE. 73.
étoit pur. Celui de M. le Chevalier de Berth...
moins irréprochable peut - être à fa naiffance
, s'eſt élevé à des beautés ſupérieures
par les efforts mêmes qu'il a dû faire pour ſe
corriger. Les vers du premier font plus conftamment
doux & harmonieux. Dans ceux
du fecond , on remarque des effets plus variés
, de plus grands effets d'harmonie. La
Muſe de M. de Parny refpire plus la tendreſſe
; celle de M. de Berth... eſt plus enflammée
par la paffion. Tous les deux pleins des
anciens , ont , pour ainſi dire, confondu leurs
ames avec les ames de Tibulle & de Properce
; mais dans M. de Parny on ſent plus
leur goût ; dans M. de Berth... on retrouve
plus leur amour meme & leurs beautés. Le
premier eſt peut- être plus notre Tibulle;&
le ſecond , quoiqu'en imitant Tibulle davantage,
eſt peut-être plus notre Properce. En
fin , en épuiſant même la comparaiſon , if
ſeroit peut- être impoflible de donner une
préférence , & cela est heureux; car , entre
des talensounis d'une amitié fi tendre , on
ſeroit trop sûr d'affliger celui qui ſeroit préféré.
Les amours de M. le Chevalier de Berth ...
ne forment que le premier volume de ſes
OEuvres; & dans le ſecond on rencontre encore
pluſieurs morceaux qui fuffiroient pour
placer l'Auteurparmi nos Poëtes les plus aimables:
tels font entr'autres, un voyage de'la Bourgogne,
qui n'eſt pas fi long que celui de
Chapelle & de Bachaumont ,& qui eſt ſou-
Nº. 2 , 14 Janvier 1786. D
74 MERCURE
vent auffi agréable que celui d'Eponne par
Deſmahis; une Epître ſur les Ifles de France
& de Bourbon , où le talent a enrichi la
Roéſie deſcriptive de couleurs étrangères au
climat de l'Europe ; pluſieurs Lettres mêlées
de vers & de profe , qui font croire que
l'Auteur pourroit écrire en proſe comme en
vers. L'Auteur a trouvé , & fans doute a
auuli cherché l'occaſion de parler des talens
qui ſe ſont diftingués de nos jours ; & , dans
le même tems que l'envie les infultoit dans
une proſe plate ou dans des vers barbares ,
il les a célébrés en vers élégans & harmonieux.
M. de S. Lam &¿ M. de la Harpe ont
reçu ſes hommages ; & il ajoute :
Delille dans Marly me récitoit les vers
Oùde ce lieu charmant il vante les prodiges ;
Ses vers , qu'il marioit au murmure des eaux ,
Au doux bruit des forêts , au doux chant des oiſeaux
Beaux lieux, étoient alors vosplusheureux preſtiges.
C'eſt ainſi que parle des talens célèbres
celui qui peut aſpirer à la même célébrité ,
&on les infulte quand on ne peut s'élever
à la prétention de les égaler , ou lorſqu'on
l'a perdue,
(Çet Article eft de M. Garat. )
1
1
DE FRANCE.
75
:
Les Lunes du Cousin Jacques , Nos. 4& 5.
Abonnement pour Paris , 18 liv. par an;
pour la Province , 21 liv. chaque Lune ,
ſéparément , I liv. 16 fols. A Paris , chez
Lefclapart , Libraire de MONSIEUR , Frère
du Roi , pont Notre - Dame , No. 23 , &
dorénavant , rue du Roule , Nº. 11 , près
le Pont-neuf.
On peut ſe rappelet l'annonce que nous
avons déjà faite des trois premiers Numéros
des Lunes. Le Cousin ſe plaint de notre filence
fur les deux fuivans. Nous parlerons de la
quatrième Lune d'autant plus volontiers ,
qu'elle est très-ſupérieure aux précédentes.
Onreprochoit aux François , qui ont toujours
eu la réputation d'être le peuple le plus gai
de l'Europe , d'avoir oublié l'enjouement de
leurs ancêtres. L'accueil que l'on a fait aux
facéties du Cousin , prouve que nous aimons
toujours à rire , & que ſouvent , au défaut
du plaiſant , nous nous amuſons du groreſque.
Les grands & les petits, les gensd'efprit&
les fots , Paris& la Province ſe ſont
empreſſes de ſouſcrire pour les Feuilles trèsoriginales
du Lunatique Coufin.
Entr'autres Pièces bien fingulières , on lit
dans la quatrième Lune une converfat on entre
le Pont- Royal &le Pont- Neuf, dont
perſonne , que je ſache, ne s'étoit jamais
aviſé, ſans excepter Cyrano de Bergerac, &
d'Aſſouci de burleſque mémoire: des frag
Dij
76 MERCUREmens
d'un Poëme fur le Théâtre en vers
décaſyllabes mélées de profe , & une ſcène
curieuse entre Flegmatique & Furibond ſe
font lire avec beaucoup d'agrément ; puis
vient un Clair de Lune, dédié à M. Vernet ,
ou mon Efprit qui voyage. C'eſt un affemblage
de petits Contes pleins de grâces , de
naïveté , & quelquefois d'intérêt. Il y a auſſi
beaucoupde varieté. On trouve de plus dans
ce Numéro, comme dans les précédens , des
Scènes boufonnes , des Anecdotes , des
Chanfons, des Romances , &c. Quelques partiſans
du goût , un peu zelés , nous ont reproché
comme trop favorable l'annonce que
nous avons faite des premières folies du
Coufin de la Lune ; ils prétendent que donner
de la vogue à de telles boufonneries , c'eft
encourager le mauvais goût, Ils peuvent avoir
raiſon; mais ils conviendront du moins qu'il
faut avoir beaucoup d'eſprit pour faire trouverune
forte d'amuſement à lire ce qu'ils appellent
des faillies groteſques , & quelquefois
les plus grandes folies.
On trouve dans le cinquième & le ſixième
Numéro des Lunes le même eſprit , le même
ſtyle, la même inépuiſable fécondité de plaifanteries;
enfin , la mème fingularité & la
même variété.
11
DE FRANCE.
77
:
SPECTACLES .
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
Les repréſentations de Pénélope ſe conti
nuent avec ſuccès. Il nous reſte à parler de la
muſique & des differentes parties de l'exécution.
L'avis général paroît ſe réunir en leur
faveur. La manière ſunple , vraie & toujours
noble dont M. Piccinni a écrit la Scène , a
furpafle , s'il eſt poſlible , l'idée qu'il avoit
déjà donnée de ce talent dans Didon. Nous
avons entendu dire qu'il y avoit moins d'airs
dans cet Opéra que dans les autres du même
Auteur; mais nous ne voyons pas trop fur
quoi eft fondé ce reproche. Il nous a ſemblé
que celui-ci en contenoit tout autant , &
fur-tout qu'il y en avoit par- tout où la Scène
l'exigeoit.
L'exécution des Acteurs a obtenu tous les
ſuffrages. Il est impoſſible de montrer une
ſenſibilité plus vraie , plus profonde , que
Mme Saint-Huberty ; de concevoir un rôle
avec une intelligence plus parfaite. On ne
doit pas moins d'éloge à M. Larrivée , dont le
rôle étoit d'autant plus difficile qu'il conſiſte
preſque tout en jeu muet, & que la barbe qui
lui couvre le viſage ſemble devoir dérober à
ſes muſcles une partie de leur expreffion.
Diij
78 MERCURE
M. Lainez , dans le rôle peu conſidérable de
Télémaque , a développé ce feu , cette noblefſe
qu'on eft accoutumé de lui voir, M.
Chardini a été fort bien reçu dans le petit
rôle de Laërre. Le Public paroît avoir voulu
lui témoigner , par des encouragemens mérités,
combien il lui fait gré de fon zèle & de
fon travail. M. Châteaufort, chargé du rôle
d'Eumée , mais qui depuis a débuté avec fuccès
dans celui d'Oreſte , a dès-lors fait concevoir
beaucoup d'eſpérance de ſes talens. Ila
le maintien noble , de l'aiſance , la voix
agréable & sûre. Pafſons à quelques détails
furlamufique.
L'ouverture eſt d'un fort bon effer. On
pourroit même, fi on en avoit bien envie , y
retrouver le caractère de quelques-unes des
fituations du Drame; mais nous avouons que
nous n'avons pas eu la fantaiſie de les y chercher.
Le premier choeur , chanté par les Pourſuivans
, eft très-bien contrafté par le chant
douloureux de Pénélope. Nous fera-t'il permis
de faire une obſervation qui tient plus au
défaut de l'art qu'à celui du Compofiteur?
C'eſt que ce choeur manque de nobleffe. Ce
défaut eft encore plus ſenſible dans le choeur
que chantent les mêmes Pourſaivans à la
Scène neuvième ; mais nous ne croyons pas
que M. Piccinni doive en être accufé. Il eft
de la nature de tout morceau fyllabique ,
chanté ſur un mouvement vif par pluſieurs
voix , d'avoir un caractère plutôt comique
que tragique , à moins qu'il ne foit infiniment
DE FRANCE.
:
:
relevé par la ſituation & par la gravité des
perſonnages. Or , ces Rois , tout Rois qu'ils
font , n'en impoſent guères ; le Spectateur est
diſpoſe à partager le mépris que la Reine a
pour eux.
L'air de Pénélope: Reine captive, nousa
paru d'un beau caractère , peut-être ſeulement
trop uniforme. Il ſemble que l'Auteur
des paroles ait invité celui de la muſique à
changer de mouvement à l'endroit où luimême
a changé de rhithme , &qu'il a fi bien
marquépar le choc de deux rimes maſculines
differentes: Reviens mon fils , reviens. Il
ſemble que ſi M. Piccinni eût alors ſaifi un
mouvement plus rapide , la ſituation eût évé
mieux exprimée , & que l'air auroit eu plus
d'effet; mais nous lui ſoumettons à lui-même
cette obſervation , ſans ofer rien prononcer.
Le choeur qui ſuit : O malheureuſe mèrs ! &
qui ſe trouve répété plus loin d'une manière
très -heureuſe , eſt d'un chant délicieux &
rempli de ſenſibilité...
Unmorceau d'un plus grand effet encore,
&parfaitement exprimé par leCompofiteur,
eft l'air: Oui ,je la vois , cette ombre e rante ,
précédé de quelques vers de récitatif. Tout
ce morceau fait friffonner. Nous remarque
rons que ce n'eſt pas une poſition nouvelle à
ce Théâtre , qu'un perfonnage qui croit voir
dans ſon délire des objets qui n'exiſtent pas;
mais il nous a ſemblé que Mme St-Huberty
la rendoit d'une manière abſolument neuve.
L'air que chante Télémaque à fon ar
Div
30 MERCURE
rivée est très -impoſant , & tranche très-bien
avec la teinte générale de cet Acte. M. Lainez ,
qui le chante parfaitement , nous permettrat'il
de lui faire obſerver qu'il ne devroit pas ,
à ce qu'il nous ſemble , adreffer à la Reine ce
vers : Raffure - coi , foible innocence. Cette
apoftrophe eſt générale; & ce feroit rétrécir
l'idée que de la particulariſer. La preuve que
cen'eſt pas l'intention de l'Auteur , c'eſt que
Pénélope chante elle-même ce vers qu'elle ne
peut ainſi s'appliquer.
On atrouvé que le chant à parte des Pourſuivans
faifant contraſte avec le chant éclatant
de Télémaque & du Peuple , reffembloit
au choeur du deuxième Acte de Didon.
Mais toutes les fois qu'on fera des à parte,
on courra donc le riſque de cette reffemblance
; car nile chant ni la ſituation ne font
affurement ſemblabłest :
Au ſecond Acte , l'air de Laërre nous aparu
très bien conferver , fur-tout dans les accompagnemens
, le całactère de la vieilleſſe.
On a critiqué l'orage , qu'on a trouvé d'une
compofition faible. Il nous ſemble au contraire
que ſa foibleſſe même eſt une preuve
de goût de la part du Compoſiteur ; car enfin
qu'est-ce qui doit nous intéreſſer ? Eft-ce la
peinture de quelques météores ? Non , affurément:
c'eſt le danger que court Ulyfle qu'on
fait près d'arriver ; ce ſont ces vers : O dieux,
fimon père couroit ce danger. On doit donc
applaudir au Muſicien qui a fixé notre attention
fur ce ſentiment, plutôt que de s'être
DE FRANCE. 81
jouéfroidement avec des notes , pour peindre
ce que la muſique a peint cent fois , ou
plutôt ce qu'elle n'a jamais peint véritablement.
Si l'Auteur eût prodigué dans cet orage
une harmonie plus vigoureuſe , il eût affoibli
néceſſairement le morceau qui s'y trouve
joint.
Le choeur des Nymphes a toute la fraîcheur
, toutes les grâces qu'on en devoit attendre
, & femble digne des Divinités qui le
chantent. Nous ne dirons rien du morceau
d'Ulyfle , qui ne devoit pas avoir plus de prétention
qu'il n'en annonce; mais que d'éloges
ne mérite pas le trio où Télémaque & Eumée
déplorent la mort d'Ulyffe , & où ce Héros
jouit ſecrètement du plaifir d'être ſi bien
aimé ! comme le Compoſiteur a fenti tout le
charme de ce morceau ! il l'a écrit comme
l'eût fait l'un des perſonnages. Ceux qui l'ont
entendu trouveront fans doute que c'eſt affez
louer le ſuivant , celui qui termine l'Acte
que de dire qu'il fait encore un grand effet
après ce trio. Cette expreſſion très-muſicale:.
Quefous un voile impenetrable la vengeance
marche à pas lents, a été parfaitement ſaiſie
par le Muſicien , & a réuni tous les fuffrages.
En général , ces deux morceaux font ce qu'on
admire le plus dans cet Opéra.
,
Dans le troiſième Acte , nous pafferons
tout de ſuite à la grande Scène entre Ulyfle
& Pénélope. C'eſt-là que les deux Auteurs
ont déployé toute l'étendue de leur intelligence;
c'eſt-là que le Compoſiteur a montré
Dy
82 MERCURE
-
toute fon adrefle à écrire la Scène , a répandu
toutes les Heurs de fon chant. Eſt-il rien de
plus charmant que les airs : Je n'ai ceffé de
voir Ulyffe. Je fais mon bonheur de le croire
&c. Peut-on dire avec plus d'intérêt que ne le
fait Mme Saint-Huberti, ces mots fimples&
heureux : Vous l'avezvû?-Vous ne m'éton
Circé nezpas. !& toute la Scène qu'il
faudroit copier en entier , ou plutôt ,
qu'il faut lire , voir & entendre. Un moment
où l'Auteur , le Compoſiteur & l'Actrice ſe
font peut-être élevés encore davantage , c'eſt
la longue tirade : Vieillard , à m'accabler
peut-être on vous engage. Il nous femble
qu'après des morceaux ſemblables , un Opéra
doittôt ou tard être aſſuré du ſuccès.
Et nous n'avons rien dit encore de l'air de
Pénélope : Il est affreux , il est extrême,air
qu'on pourroit appeler le morceau du Compoſiteur
, où il a mis toutes les richeſſes de
l'harmonie, de la mélodie & de l'expreſſion.
On a eu auffi l'injustice de trouver de la
reſſemblance entre cet air & celui de Didon ;
il y a celle qu'on trouveroit entre une Scène
de rendreſſe de Racine & une autre Scène de
tendreſſe du même Racine. On y reconnoîtroit
lefaire de l'Auteur. C'eſt cependant avec
ces imputations abſurdes que les ennemis
desArtscherchent ànuire àdes morceaux dont
ils ne peuvent contefter la beauté.
Nous ne dirons rien des Ballets qui , dans
cet Opéra , ne ſauroient être remarquables .
On y a vû avec plaiſir les premiers talens de
DE FRANCE. 83
la danſe ; ils y ont été reçus avec les applau
diſſemens qu'ils font dans l'uſage de mériter.
L'Orcheſtre a fait admirer le plus bel enſemble;
toujours conduit par M. Rey , dont
on connoît le zèle& l'habileté , il juſtifie de
plus en plus la haute réputation qu'il s'eft
juſtement acquiſfe .
Les Décorations ſont très-belles. Celle du
tombeau ſur-tout a été trouvée du meilleur
goût.
COMÉDIE FRANÇOISE.
M. LE MIERRE , de l'Académie Françoiſe ,
dont les productions dramatiques ont mérité,
les unes de l'eſtime , les autres un très-grand
fuccès , a fait repréſenter , pour la première
fois , le 29 Décembre 1785 , Céramis ,Tra
gédie en cinq Actes & en vers.
Céramis , Roi d'Égypte , a été détrôné par
Aphos. Pendant vingt ans qu'a duré le règne
de l'ufurpateur, ce Prince a vécu dans un aſyle
obſcur. Après la mortd'Aphos, les Peuples ont
ſu queleurRoivivoit encore: ils le rappellent ,
& lui envoient des Députés. Hyrſal , fils de
Narbal , Miniſtre de Céramis , mort depuis la
chûte de ſon maître ; Hyrſal , dont les vues
ambitieuſes ſe portent juſqu'au trône , veut
ymonter en y plaçant , en épouſant Sérisbé ,
fille d'Aphos , dont il eſt amoureux, ainſi que
D vj
84 MERCURE
fon frère Nephtis. C'est ici que commence la
Tragédie.
Un de ces jugemens fameux dans l'Égypte ,
par leſquels le Peuple vouoit à lignominie la
mémoire des mauvais Rois, vient de flétrir
celle d'Aphos. Sérisbé veut quitter un pays
où elle ne peut plus vivre fans honte : Hyrfal
s'oppoſe à la fuite; il emploie même la violence
pour y parvenir. Il s'excuſe de cet attentat
par l'aveu de la patlion qui l'enflamme
par le détail de ſes projets hardis , & par le
voeu qu'il a formé de remettre le ſceptre aux
mains de Sérisbé. En vain la Princeffe emploie
toutes les reſſources de fon éloquence
pour rappeler Hyrſal à la raiſon , à la fidélité ,
àla foumiffion qu'il doit à ſon Roi: le faronche
Hyrfal ne voit ou ne croit voir dans le
refus qu'elle fait du diademe , que l'amour
dont il l'accuſe de brler pour Nephtis. En
effer , ce jeune Prince eſt un rival redoutable.
Doux, modefte, ſenſible , attaché à ſes devoirs
, mais fier , noble & valeureux , il a
tout ce qu'il faut pour charmer. Tant de
vertus ne paroiſſent à l'ambitieux Hyrfal
qu'un figne de foibleffe&de pufillanimité; en
conféquence il écoute les avis de fon frère,&
lui répond avec le ton d'un homme qui doit
bientôt être ſon maître.La Princeffe n'a point
encorenomméfon vainqueur Céramis revient
aux acclamations du peuple. Demeuré ſeul
avec ſon Confident , il lui déclare qu'il vient
reprendre la Couronne, non pas pour lui,
mais pourfon fils; que ce fils , confié àNarbal
DE FRANCE. 83
dès ſa plus tendre enfance , refpire encore;
mais qui des deux d'Hirfal ou de Nephtis eft
çe fils qu'il vient retrouver ? Ce myſtere eſt
impenetrable. Narbal eſt mort , & perſonne
ne paroît être dépoſitaire de ſon ſecret. Sérisbé
, fille d'un Tyran , & amante d'Hyrfal ,
devient ſuſpecte à Céramis. Ses difcours & fa
conduite ramènent bientôt le Roi àdes ſentimens
plus juſtes. Dans l'entrevue du Roi &
des deux fils de Narbal , Nephtis , toujours
foumis , fidèle & fenfible ; Hyrfal , toujours
fier , indifferent& farouche, jettent l'âme du
Roi dans une grande perplexité. Pour arrêter
l'exécution des projets d'Hyrſal, qui s'eſt déjà
fait un parti , Céramis apprend aux jeunes
gens qu'un d'eux eſtſon fils. Hyrſal ne doute
point que ce myſtère ne doive s'expliquer
en ſa faveur. La foifde régner qui le dévore,
lui en paroît un sûr garant. Le moment qui
doit dévoiler l'important fecret de ſa naiffance
, lui paroît néanmoins trop lent pour
fon impatience. A peine a-r'il quitté le Roi,
qu'il ſe détermine à faire agir ſon parti. Le
Roi eneſt inſtruit; il l'apprend à Sérisbé , qui
lui promet de ramener Hyrfal à fon devoir :
Scène où la Princeſſe fait de nouveaux efforts
pour détourner l'ambitieux de ſes deſſeins ;
nouvelle inflexibilité de la part d'Hyrſal ; nouveaux
reproches à Sérisbe de fon amour pour
Nephtis ; menaces d'aller fur le champ immoler
ſon rival. Eh bien , s'écrie Sérisbé ,
cruel! c'est toi que j'aime. Elle ſe reproche
devant lui cer amour tatal qu'elle n'a pu fur- 應
86 MERCURE
monter ; enfin , au nom de cet amour , elle
arrache de ſon amant la promeſſe, faite bien
foiblement , de renoncer à ſes projets. Cependant
un Miniſtre des Aurels , qui vivoit depuis
long-temps dans la retraite , a ſu le rappel
de ſon Roi ; il revient à Memphis.
Ce Miniſtre a reçu les derniers ſoupirs de
Narbal , & un écrit cacheté contenant le
ſecret de l'État; il a déposé cet écrit dans le
temple d'Iſis . Il le déclare. C'eſt aux yeux des
Grands & de la Nation aſſemblée que l'écrit
doit être ouvert. Hyrſal , après avoir inutilement
tenté de ſéduire le Miniſtre , veut forcer
le temple , en arracher l'écrit : à la tête
d'une troupe de gens armés , il va conſommer
fon crime; Nephtis s'y oppoſe ; & bientôt ,
ſecondé des troupes fidelles àCeramis , il repouſſe
le parti d'Hyrſal , qui lui - même eſt
fait prifonnier. Quoique dans les fers , ce
rebelle infulte à Nephtis , en lui apprenant
que l'amour de Sérisbé le dédommage du
Trône. La Princeſſe frémit des forfaits de fon
amant : elle rougit d'avoir aimé un criminel ,
d'avoir été inſenſible à la vertu de Nephtis ;
elleſepunit en renonçant à la main d'Hyrfal ,
&en s'exilant de l'Égypte. Les Grands & le
Peuple ſont aſſemblés ; l'écrit déposé dans le
temple va faire connoître le fils du Roi. Céramis
tremble , il frémit. Eft-il le père dé
Nephtis ? Est- il le père d'un ambitieux , d'un
monſtre ? Il aime mieux outrager la Nature
que de donner à l'Égypte un Roi qui feroit
fon malheur: il jette l'écrit dans le feu qui
DE FRANCE. 87
brûle ſur l'autelde laDéeſſe ; Hyrſal s'en faifit
le développe , le lit : c'eſt Nephtis qui doit le
jour à Céramis. Hyrſal ſe poignarde , &Céramis
cède la Couronne à Nephtis, qui ne
l'accepte que ſous la condition de régner avec
fonpère.
Cette Tragédie , dont le ſujet eft abſolument
d'invention , a été très-applaudie pendant
les trois premiers Actes ; le quatrième a
excité beaucoup de murmures ; & le cinquième
s'eſt reſſenti de la mauvaiſe difpofi
tion des Spectateurs. Qu'en conclure ? Que
l'Ouvrage offre des défauts & des beautés ,
& que le Public, toujours extrême en tout ,
&naturellement porté à la malignité , après
avoir remarqué juſtement des défauts répréhenſibles
, eſt devenu injuſte en proſcrivant
un dénouement raiſonnable & fuffisamment
préparé par les incidens qui l'amènent. Donnons
plus d'étendue à nos obfervations. On
ne condamne pas ſans motiver ſa critique ,
un hommequi, comme M. le Miexte , a obtenu&
mérité des ſuccès.
L'expoſition eſt un peu longue ; mais elle
eſt claire&bien entendue. L'art avec lequel
M. le Mierre a ſuſpendu & préparé l'aveu
que fait Sérisbé , au troiſième Acte , de fon
amour pour Hyrſal , mérite les plus grands
éloges. Les motifs qui forcent la Princeſſe à
cet aveu font nobles , neufs , piquans , &
ajoutent encore à l'intérêt qu'il fait naître. Le
paſſage du noeud au dénouement, les développemens
qui y conduiſent ſont triftes &
88 MERCURE
froids. L'arrivée ſubite & imprévueduMinif
tre des Aurels , qui vient ſe déclarer dépoſitaire
du ſecret de Narbal, eſt hors de la vraiſemblance
qu'on exige au Théâtre ; c'est-àdire
, qu'elle fent trop la machine , & qu'elle
annonce l'embarras dans lequel ſe ſeroit
trouvé l'Auteur pour arriver àla catastrophe ,
s'il n'avoit pas eu le ſecours de ceperſonnage,
dont la miſſion eſt aſſez importante pourmériter
d'être annoncée, ou au moins preſſentie.
Quelque beaux , quelque louables que foient
les détails dans leſquels entre ce perſonnage
fur les devoirs des Miniftres des Autels , ils
n'ont pu ſauver le quatrième Acte de la langueur
qui le caractériſe; & l'attentat d'Hirfal
contre le temple n'a paru qu'un jeu de théâtre
inutile ; nous ditions preſque une décoration
ambulante. La foibleſſe de ces moyens , la
chûte de l'intérêt ont fermé les yeux du Public
fur les beautés du dénouement. La réſolution
de Sérisbé nous a ſemblé , malgré l'humeur du
Public , igne d'une Princeſſe qui fait immo
ler ſes paſſions à ſa vertu. Quelques perſonnes
ont blamé le mouvement qui porte Céramis à
brûler l'écrit contenant le ſecretde lanaiſſance
deſon fils. Ce mouvement nous a paru &nous
paroît au contraire très-beau. L'Égypte a gémi ,
pendant vingt ans , ſous la tyrannie d'unUfurpateur
; Céramis eſt rappelé ; il ne defire que
le bonheur d'un peuple que la conftance de
fon attachement lui rend plus cher que jamais
. Si Céramis a eu le malheur de donner
le jour à un monftre dont le caractère tur
DEFRANCE. 89
bulent , audacieux & fanguinaire eſt affez
prouvé pardes attentats accumulés , donnerat'il
un pareil Maître à l'Égypte ? Non. Il eſt
Roi avant d'étre père ; ſes premiers enfans
font ſes Peuples.* Le premier voeu qu'il doit
former, c'eſt pour le repos de l'Empire ; il
immole fes jouiſſances perſonnelles àla tranquillité
générale. Oh ! qu'ils font rares , les
-Rois qui s'immolent ainfi au bonheur de leurs
ſujets ! Une Nation àlaquelle le droit héréditaire
adonné ane ſuitedebons Princes, peut
"s'effaroucher du ſacrifice de Céramis au prémier
coup-d'oeil ; à la réflexion , elle doit
fentir tout ce qu'il a de mérite , & avouer
qu'il feroit heureux que, chez quelques Nations
, on en vit quelquefois des exemples.
D'ailleurs , Céramis veut faire le ſacrifice :
Hyrſal l'en empêche ; l'ambitieux enlève
l'écrit aux flammes , il l'ouvre , il le lit; il y
trouve la condamnation , la preuve de fon
abjection ; & il ſe poignarde. Tout cela nous
paroît conçu avec autant de raifon que de
chaleur &de nobleffe. Nous voudrions pouvoir
donner les mêmes éloges au caractère
d'Hirſal; mais ce rebelle audacieux , infolent
&plus vainque fier , ne rachère ſes vices par
aucune vertu ; & c'eſt avec raifon que Sérisbé
rougit d'aimer un homme de cette eſpèce.
* Nous pourrions citer plus d'une autorité à l'appui
de notre idée; nous ne citerons que ce vers de
P. Corncille:
Un véritableRoi n'eſt ni mari ni père.
:
90 MERCUREC
Sauf quelques expreſſions trop figurées , un
peude négligence ,&quelques tirades écrites
un peu durement, le ſtyle de cette Tragédie
eſt plus ſoigné , plus correct , plus pur que
celui des autres productions Dramatiques de
M. leMierre; il ade la force , de la chaleur ,
delapréciſion &de l'énergie. Au total , nous
penſons que cette Pièce , revue avec ſoin ,
feroit digne d'un ſuccès durable , & mériteroit
les honneurs du Répertoire. * 1
ANNONCES ET NOTICES.
ON
-
N trouve chez Royez , Libraire , quai des Augustins
, au bas de la deſcente du Pont- Neuf, les
Ouvrages ſuivans : Afyle des Grâces . Etrennes
auxjolies Femmes de Paris , par un Parifien , de
quelques Académies , avec quatre jolies figures.
Prix , 1 liv. 16 fols. Almanach du Chaffeur ,
contenant le Traité de différentes eſpèces deChaffe,
le Dictionnaire des termes & les fanfares de Chaſſe,
par M. le Marquis de Dampierre , 1 Volume in-
12. Prix, 3 liv. -Almanach , ou Curiosités du Par
lais Royal. Prix , 1 liv. 4 fols Almanach Musical
, ou Choix de jolies Chansons avec la Musique ,
les noms & adresjes des meilleurs Musiciens , des
jugemensfur leurs compositions , 4 Vol. in 12. Prix ,
-
* L'Auteur s'occupe, à l'inſtant où nous liſons
cet article , des changemens & des corrections que
le Public a parn defirer ; nous en sendrons compre
àla repriſedes repréſentations....
DE FRANCE.
97
-
6fiv. reliés. Pour compléter cejoli Recueil , lemême
Libraire vient de publier un autre Volume in - 80 .,
contenant les noms des Muſiciens des trois Spectacles
de Paris, & des Notices ſur leurs meilleures
Pièces. Etrennes Françoiſes , tribut d'un Amateur
à la Nation. Cet Ouvrage périodique contient
l'état de toutes les Maiſons Souveraines de
l'Europe ; celui des Ducs & Pairs , Ducs héréditaires
&Ducs à Brevet de France; les Conſeils du Roi ,
les Membres qui compoſent l'Affemblée actuelle du
Clergé de France; les Maréchaux de France ; les
principaux Officiers des Cours Souveraines , desCor
lonies,des Académies , &c. Cet Ouvrage eſt ter
miné par pluſieurs Tableaux Hiſtoriques fort curieux:
on y remarque ſur tout celui de la République
de Gènes.-LevéritableAlmanach Liégeois
avec le Calendrier du Berger. Prix, 8 fols en papier
ordinaire , & 1 liv. 4 ſo's en papier fin doré.-Calendrier
de Philadelphie, augmenté d'une Pièce intéreſſante,
par le Docteur Franklin , in- 12 . Prix,
I liv. 4 fols broché. Calendrier de Bouillon , ou
Almanach Physico-Economique pour tous les usages
delavie, avec des Secrets éprouvés. Prix , I liv.-
Almanach du Commerce , in- 8 °. Prix , 4liv. 10 fols.
-Atlas Ecclésiastique , Civil, Militaire & Com
merçant. Prix, I liv. 10 fols.-Préface de l'Alma
nach desMuses. Prix, 12 fols.-Etrennes du Par
naffe , ou Choix de Poésies anciennes & modernes,
avec les Notices des Poëtes Grecs & Latins. -
Etrennes Italiennes , ou Grammaire Italienne à
Tufege des Dames , in- 12. Prix , 1 livre 16 fols br.
- Etrennes aux Enfans , ou l'Art de lire facilement
& en peu de temps , I Volume. Prix , I liv.
4folsbr. La première Instruction rendue facile
& agréable aux Enfans , ou l'Art de lire & d'or
tographier, in- 12 . Prix , 2 liv. On peut y joindre
le Jeu Typographique , qui facilite encore la lec
-
-
ود MERCURE
ture aux Enfans, Prix , 12 liv. - L'Art de bren
écrire & de bien parler en François , avec des
Exemples choisis , I Volume in - 12. Prix , 3 liv.
relié. Le même Libraire a fait un choix particulier
de Livres d'Education .
LE Porte- Feuille des Enfans , rédigé par une
Société d'Amateurs , Numéros 8 & 9. Prix , I liv.
4fols chaque. A Paris, chez Gogué & Née de la
Rochelle , Libraires , rue du Hurepoix; Nyon
Taîne, Libraire , rue du Jardinet ; Mérigot jeune ,
Libraire , quai des Auguſtins; Chereau , Marchand
d'Eſtampes, rue des Mathurins ; & à Versailles ,
chez Blaizor , Libraire , rue Satory.
Nous avons déjà parlé de cet intéreſſantOuvrage,
très ſoigné pour le Texte & pour la Gravure. II
continuetoujours de mériter ſon ſuccès.
TRIOMPHE de la Religion Chrétiennefur toutes
les Sectes Philofophiques , par M. l'Abbé Liga ,
in- 12. Prix , 3 liv. relié en veau. A Paris , chez
Pierre Berton , Libraire , rue Saint Victor.
ESSAI Météorologique ſur la véritable influence
des Aftres , des Saifons & changemens de temps ,
fondé ſur de longues Obfervations , & appliqué
aux uſages de l'Agriculture , de la Médecine , de
la Navigation , &c. , traduit de l'Italien par M.
Daquin , Docteur en Médecine de la Royale Univerfité
de Turin , & Membre de l'Académie des
Sciences , Belles- Lettres & Arts de Lyon.
- On y a joint la Traduction Françoiſe des Pronoſtics
d'Aratus , traduits du Grec en Italien par
M. Antoine-Louis Bricci de Vérone , I Vol. in 4.
Prix , 12 liv. br. A Paris , chez Buiſſon , Libraire ,
hôtel de Mefgrigny, rue des Poitevins , nº. 13 .
Effaifur laPhysiognomonie, deſtiné à faire connoî
:
DE FRANCE.
93
د
tre l'homme , & à le faire aimer , par Jean Gala
pard Lavater , 2 Vol. in-4°.. grand papier , avec
au moins soo Portraits. Prix , 144 liv. br.
VIE de Saint Bruno , Fondateur des Chartreux
avec diverses Remarques sur le même Ordre, par le
Père de Tracy, Théatin , in - 12. A Paris , chez
Charles-Pierre Berton , Libraire , rue S. Victor.
Nous n'avions point en François d'Histoire particulière
de Saint Bruno ; & celles qu'on avoit publiées
autrefois en latin , étoient inſuffiſantes c
inexactes . Celle-ci ſuppoſe des recherches , & elle est
rédigée avec goût ,& dans les principes d'une ſaine
critique.
:
:
:
1
ECOLE- PRATIQUE des Accouchemens, par le
Profeſſeur J. B. Jacobs , Affefſeur du Collège de
Médecine de la Ville de Gand , &c. , in - 4°. Prix ,
12 liv. br. A Paris , chez Méquignon l'aîné , Libraire
, rue des Cordeliers. ABruxelles, chez Dujar
din; & àGand , chez l'Auteur.
CetOuvrage eſt auſſi important par ſon objet que
par les ſavantes & utiles recherches qu'il renferme.
DES Maladies de la Peau, de leur cause, de
leurs symptômes , des traitemens qu'elies exigent , &
deceux qui leurſont contraires , par M. Retz , Docteur
en Médecine , Médecin ordinaire du Roi , &c. ,
in- 12. A Amſterdam; & ſe trouve à Paris , chez
Méquignon l'aîné , Libraire , rue des Cordeliers.
: Il eſt à defirer que des Médecins diftingués , tels
que l'Auteur de cet Ouvrage , s'occupent d'un genre,
de maladie très commun aujourd'hui , & dont la
négligence & la curation font quelquefois égales
ment dangercafes,
94
MERCURE
ALMANACHdes Monnoies , année 1786, Volume
in-12 de près de soo pages , avec douze Planches
gravées en taille-douce. Prix , 3 liv. broché , &
3 liv. 12 fols relié. AParis , chez Méquignon , Libraire
, au Palais.
Cet Ouvrage , qui parut pour la première fois en
1784 , eſt moins un Almanach qu'un petit Traité
des Monnoies , dans lequel les Monétaires , les Orfèvres
, & en général tous les Artiſtes qui travaillent
ou emploient les matières d'or & d'argent ,
trouveront raſſemblés beaucoup de renſeignemens
qu'il leur importe de connoître ou de ne pas perdre
de vue: les Planches que l'on y a jointes portant
les empreintes des poinçons de contre-marque de
toutes les Communautés d'Orfèvres , rendent cet
Almanach également utile à ceux qui vendent ou
achèrent des ouvrages d'or & d'argent ; onytrouve
auſſi la deſcription, le poids, le titre & la valeur
numéraire de preſque toutes les eſpèces étrangères,
leur évaluation en argent de France , & des détails
hiftoriques , tant ſur les eſpèces qui ont cours, que
fur celles qui ont été frappées ſous les différens regues
des Rois de la troiſième race. Cette nouvelle
Edition contient pluſieurs articles intéreſſans qui ne
ſe trouvent pas dans les précédentes ,& en général
ils ont tous été revus, corrigés &augmentés ; il eſtpeu
deperſonnes àqui cet Ouvragene puiſſe être de quelqueutilité,
ſur-tout dans les circonstances actuelles.
POMMADES & autres articles chez le ſieur
Dubots, Sergent en Charge des Gardes de l'Hôtel
de Ville de Paris , actuellement dans l'Abbaye Saint
Germain-des-Prés , chez le Sr Barbrau , Md. Mercier.
Le fieur Dubots s'étant apperçu que fos Pommades
&autres articles ſe détérioroient dans les différens
dépôts qu'il avoit établis en divers- endroits du
Royaume , s'est déterminé àne faire des cavois que
DEFRANCE.
95
de chez lui directement. Ge ſont la Pommade de
Ninon , à 6 liv. le pot, pour ôter les taches de
rouſſeur , blanchir , nourrir la peau & effacer les
rides ; Pommades du soir , à 3 liv. le pot, pour
ôter le rouge & rafraîchir la peau ; l'Effence de
Beauté,pour leteint des Dames & la barbe , depuis
3 liv. juſqu'à 12 liv. la bouteille ; la Pommade Céphalique,
pour faire croître & épaiffir les cheveux ,
à6 liv, le pot; l'Écorce dorme piramydal, à 3 liv.
la livre; le Rouge de Paris , fuperfin , à 6 liv, le
pot, & l'inférieur à 3 liv . ; l'Eau de Cologne ſupérieure,
à 36 fols la bouteille; la Limonade sèche,
rafraichiſſante & diurétique , à 6 liv, la livre ; l'Eau
Georgienne, qui efface les taches de rouffeur ,blanchit
le teint, &détruit les rides , à 6liv. la bouteille;
le Syrop purgatif , ftomachique emmenagogue
fébrifuge, diaphorétique& anti-vermineux , depuis
3 julqu'à 24 liv, la pinte ; le Syrop de Vie , dont
les avantages & propriétés ſont détaillés dans un
Avis qu'il diſtribue ſéparément , &qui ſe vend 48 liv,
la pinte. Il diſtribue auſſi la Poudre de Vie du ſicur
Adrien de Marſeille , dont l'Arrêt de la Cour du
Parlement, qui lui en permet lavente , fait l'apologie,
outre pluſieurs certificats authentiques. On trouve
auſſi chez lui un Cuir à Rafoir, qui diſpenſe de ſe
ſervir de la pierre , à 3 liv. & à 6 liv,; de très-bons
Rufoirs, à 4 & à 6 liv. la pièce , ainſi que toutes
les Plantes Médicinales , tant exotiques qu'indigènes,
avec une Eau pour noircir les cheveux&les fourcils.
Prix, 12 , 24& 48 liv, la pinte,
,
NUMEROS 6,7 & 8 du Journal Hebdomadaire
composé d'Airs nouveaux de tout genre , avec Accompagnement
de Clavecin , par les meilleurs Mat
tres. Abonnement is liv. franc de port pour cinquante-
deux Livraiſons qui ſe font tous les Dimata
ches. Chaque Numéro ſéparé 12 ſols. - Numé
1
१७ MERCURE :
ras so & si du Journal de Harpe , par les meilleurs
Maîtres , cinquième année , mêmes conditions. AA
Paris, chez Leduc, au Magaſin de Muſique , rue du 1
Roule , nº. 6 , à la Croix d'or. :
DEUX Concertos pour la Harpe, avec Violons ,
Haut-Bois, Flûtes , Cors , Alto & Baffe , par M.:
Ragué, OEuvre VI, Prix, 9 liv. franc de port. A
Paris, chez Mme Baillon, rue Neuve des Petits-
Champs , au coin de celle de Richelieu , à la Muſe
Lyrique.
Nota. Ces Concertos peuvent s'exécuter ſans
Accompagnement comme des Sonates. -Buffon ,
Cantate à deux voix , choeur & grand orchestre, exécutée
au Musée de Pilastre de Rozier , pour le cou
ronnement de M. de Buffon , par M. Deſaugiers. [
Prix , 9 liv. franc de port, Meme Adreſſe.
1
1
TABLE..
AMadameN..
Réponseà la Question 52 ques
49 Les Lunes du Coufin. Jac-
Charade, Enigme& Logogry Académie Roy. de Musiq: 17
phe. SS ComédieFrançoise ,
Finde l' Extrait des OEuvres de Annonces & Notices,
M.le Chevalier de Bert..58
APPROBATION.
751
83
१० :
1
J'AI lu , par ordre de Mgr. le Garde des Sceaux , le
Mercurede France, pourle Samedi 14 Janvier 1786. Jen'y
ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreffion. A
Paris,le 13 Janvier 1786. GUIDI.
A

:
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
POLOGNE.
DE VARSOVIE , le Is Décembre.
ES différends au ſujet des limites de la
Pologne&de la Siléfie Pruſlienne ont
été terminés ici par une convention , ſignée
du Commiſſaire de Scribenski & du ſieur de
Bucholtz , Réſident du Roi de Pruſſe .
Les Univerſaux expédiés pour prévenir
l'exportation des grains , reſteront probablement
ſans exé ution , à cauſe de la difficulté
de recouvrer les impôts , ſi l'on privoit
les campagnes du ſeul moyen de ſe
procurer quelque numéraire. Cependant on
a pourvu à l'approviſionnement de cette
Capitale, dans le cas où la cherté des grains
continueroit au Printemps.
Douze Conſuls Ruſſes ſont arrivés à
Conſtantinople , &paſſeront dans les différentes
échelles du Levant. Le Conful géné
ral réſideraà Smirne.
Nota. Des circonstances particulieres obligent de renvoyerà
la fin du mois le Tableau politique qui accompagne
le premierNuméro de chaque année,
No. 2 , 14 Janvier 1786 . C
( 50 )
ALLEMAGNE.
DE BERLIN, le 30 Décembre .
Le Roi a aſſigné un fonds de 300,000
rixdalers aux propriétaires de terres dans la
Pomeranie , qui payeront de cette fomme
un pour cent d'intérêt. Ce fonds eſt deſtiné
au défrichement de terres &à l'établiſſement
de nouvelles Colonies. Les intérêts annuels
feront également emploiés à l'avantage de
la Province. La Marche Electorale recevra
une pareille fomme pour l'établiſſement de
nouveaux Colons,
Pour la premiere fois depuis fon regne ,
leRoi ne viendra pas dans cette Capitale
pendant l'hyver. S. M. appelle ſouvent à
Potzdam des Savans avec leſquels Elle s'entretient.
M: Mérian , Directeur de la claſſe
de Philofophie , de l'Académie des Sciences ,
y eſt actuellement.
Le Roi a nommé à la place du feu Géné
ral de Holzendorff, le Colonel de Dittmar,
Chef& Infpecteur genéral du Corps d'Are
tillerie , ci devant Colonel du premier Régiment
de ce Corps .
Les quatre bataillons de troupes légeres
dont on a ordonné la levée , feront
formés entierement de ſujets Prufliens.
Deux de ces Corps paſſeront en Siléſie ,
les deux autres dans la Pruffe occidentale,
On parle auffi d'un Régiment que leve
( SI )
en Suiffe le Colonel Muller , Officier Ber
nois , employé ci-devant dans un Corps de
troupes Angloiſes deſtiné pour les Indes
Orientales. Ce Régiment , à la folde de Sa
Majefté Pruſſienne , ſera compofé , dit- on ,
de 15 à 1800 hommes tous Suiſſes , tant
Officiers que foldats. Il ſera ſur le pied des
autres corps de la même nation au ſervice
de différentes Puiſſances , & on doit le
cantonner à Cleves au Printemps prochain .
DE FRANCFORT , le 3 Janvier.
Suivant nos lettres de Caſſel , les Etats
ayant offert au nouveau Landgrave le préſent
de 100,000 rixdalers qu'ils font dans
l'uſage de faire à leurs Souverains lors de
leur avénement à la Régence , S. A. S.
les a remerciés &a refuſé le don. Ce Prince
a remis en même temps aux Etats les
ſommes qu'ils devoient encore de la guerre
deſeptans.
Laſemaine derniere le Baron d'Ompteda,
Miniſtre plénipotentiaire de l'Electeur d'Hanovre
a la Diete de Ratisbonne , a préſenté
au Directoire de l'Empire ſes lettres de
créance pour le ſuftrage de l'Evêché d'Ofnabruck.
Divers Journaux Allemands parlent en
ces termes de deux vieillards morts cette
année âgés de 118 ans , l'un en Siléfie ,
l'autre en Baviere.
C2
( 52 )
Le premier étoit né à Berthelsdorf , communément
appellé Barſdorf, village de Siléfie ,
dans le cercle de Schweidnitz . Il avoit 17 ot
18 ans , lorſqu'il ſervit , pour la premiere fois ,
au ſiege de Vienne , ſous le Roi de Pologne
Sobieski. Il quitta & reprit pluſieurs fois le fervice
, fit les campagnes contre les Turcs &
contre les François , en Italic & fur le Rhin ,
& fut fait pluſieurs fois priſonnier. Il étoit couvert
de bleſſures ; & l'on ne conçoit pas comment
ſa ſanté n'en fut pas altérée ; car pluſieurs
étoient fort dangereuſes : il fauta une fois avee
une mine qui l'enſevelit pendant quelque temps ,
ſans lui faire d'autre mal. Enfin il quista tourà-
fait le ſervice , il y a une cinquantaine d'années
, & vint à Lixhitz , où on le fit Inspecteur
des rues . Il s'acquittoit de ſon emploi avec
tivité d'un jeune homme : en proie aux douleurs
les plus aiguës que lui cauſoit la pierre ,
il fut forcé de le quitter quelques années avant
ſamort.
Гас-
Il s'étoit marié trois fois . Sa premiere femme
étoit une veuve , qui mourut au bout de deux
ans & demi , & ne lui donna point d'enfant.
Il eut deux fils & une fille de la feconde , avec
laquelle il vécut 44 ans. Il ſe maria , pour
la troiffeme fois à l'âge de plus de cent ans
avec une jeune femme dont il étoit fort jaloux ,
& qui l'a ſoigné avec beaucoup de zele & d'attachement.
Elle lui ſurvit.
Il étoit d'une force de corps extraordinaire ;
ce qui le rendoit dur & fauvage. Il buvoit beaucoup
; mais il avoit renoncé a l'eau - de- vie de
puis 30 ans , parce qu'elle l'échauffoit trop ,
&le portoit à des excès. A la guerre , il courut
un jour pendant deux lieues , ayant fur le
dos la femme & un enfant , & portant un pa
( 53 )
quet affez confidérable. Trois jeunes Huffards
Impériaux entrerent , à cheval chez un Bourgeois
où il étoit : A les chaſſa , les maltraica
tous trois , & leur fit demander grace. Lors de
fon dernier mariage , c'est-à-dire , à plus de
cent ans, il ſe battit avec un homme de 85
ans qui avoit ofé lui dire qu'il n'étoit plus
propre pour le mariage. Jamais il n'avoit pris
de médecine. Cet homme extraordinaire , mort
ſubitement , le 20 Mai dernier , ſe nommoit
Stahr.
,
Quinze jours avant , étoit mort , à Hollefchau
en Baviere , un Tiſſerand , nommé Kaf
paerek , qui avoit auffi 118 ans . En 1685 , lors
du ſiege de Vienne par les Turcs , il avoit été
conducteur de relais dans les troupes Polonoiſes.
Depuis plus de 30 ans , il ne prenoit d'autre
nourriture , le matin & le foir , qu'une foupe
au cumin , un morceau de pein , un peu de
choucroute , & quelquefois , mais rarement ,
pour un kreutzer d'eau de-vie. Il n'avoit jamais
été malade , & n'avoit ceſſé de travailler que
quatre ans avant ſa mort. Il n'avoit perdu aucon
de ſes ſens, & n'eſt mort que d'affoiblic
ſement.
:
Suitede la Réponsede la Cour de Berlin à
l'Examen de la Cour de Vienne.
Les queſtions élevées par l'Auteur de l'Examen
, ſavoir ſi la Baviere n'avoit pas étébeaucoup
plus grande anciennement qu'elle ne l'eſt
aujourd'hui , & fi le démembrement de ce Pays
ne s'eſt point fait fucceffivement , ſont très-in-
Ggnifiantes . En effet , il eſt vrai qu'autrefois
tout l'Archiduché d'Autriche , la Stirie , laGorice
, leTyrol & le quartier de l'Inn ont fait partie
de l'ancien grand Duché de Baviere , & em
c3
( 54 )
ont été détachés. Mais ces anciens démembremens
ne prouvent rien , ſoit qu'ils aient été
faits avec l'agrément de l'Empire , & par conféquent
légalement, foit par un pouvoir prépondérant
, ils n'anéantiffent nullement les obligations
de la Maiſon de Baviere & ſes pactes de
familles, & un pouvoir prépondérant ne donne
jamais le droit de faire de nouveaux démembre.
mens , échanges , &c .
Quant à la propofition de l'Auteur de l'Examen
, &c. que la Baviere à toujours été un Duché
, & que l'Electorat de Baviere s'eſt éteint en
1778 , elle eft erronée & contraire à l'Hiſtoire
de l'Empire . En confultant les Annales de l'A ! -
lemagne , on y trouvera que , depuis les tems
les plus reculés , la dignité électorale avoit été
attachée à la fois au Palatinat & au Duché de
Baviere , & que ces pays réun's avoient toujours
formé un Electorat. Par conséquent le chapitre
25 de la Bulle d'Or , qui établit Pindiviſibilité
des Ele& orats & des principautés , doit aufli s'appliquer
à la Baviere. Il eft vrai qu'en 1778 ,
la huitième dignité électorale, s'eſt éteinte ,
mais à cette époque la cinquième ou l'ancienne
dignité électorale de la Maiſon Bavaro - Palatine
s'eſt renouvellée , & a été rendue à la
Branche Palatine .
La comparaiſon entre les Electorats de Brandebourg
& de Baviere, lors de la dernière
guerre pour la fucceffion de Baviere , & renouvellée
dans l'Examen des Motifs, &c. , eſt abſolument
déplacée , & ne peut point avoir lieu
puiſque la Maiſon de Brandebourg ne s'eſt
point liée par des pactes de famille , comme
laMaiſon Bavaro- Palatine , de ne jamais échanger
ou aliéner aucun de ſes Etats. D'ailleurs
la Cour de Berlin n'a avancé dans ſa déclara
( 55 )
tion aux Etats de l'Empire , que lapropofition
ſuivante , ſavoir , que leRoi ayant fait laguerre
à la Maiſon d'Autriche , à cauſe de ſes prétentions
ſur la Bavière & de ſes projets d'échange ,
laCour de Vienne ayant renoncé par la Paix
deTetchen à toutes les prétentions , & les pactes
de famille de la Maiſon Bavaro Palatine , qui
interdiſent tout échange de ſes pays , ayant été
confirmés & garantis par ledit Traité , aucun
échange de la Baviere ne ſauroit avoir lieu ſans
lecontentement exprès des parties qui ont contracté
ce Traité , & des puiſſances qui l'ont garanti
, & nommément ſans l'agrément du Roi &
de ſes co Etats dans l'Empire , parce qu'il leur
importoit infiniment que le grand & important
Duchéde Baviere , ou la plus grande partie de ce
Duché reſtaſſert à la maiſon Palatine , & ne
paſſaſſent point à une autre puiſſante Maiſon. Le
butde la ſuſdite guerre & de la paix qui l'a fuivie
ſeroit manqué , ſi la Cour de Vienne pouvoit obtenir
actuellement, par un échange volomaire ou
forcé , ce qu'elle ne pouvoit avoir alors par des
prétentions& par la guerre.Quant à la maisonde
Brandebourg, elle a toujours confervé ledroit de
changer à fon gré ſes partisde famille , & eile
n'eſt nullement bornée à cet égard par une confirmation
impériale. Son projet eſt de réunir , à
l'extinction d'une de ſes branches , ſes pays héréditaires
à la primogéniture , & cette réunion
n'eſt point interdice dans ſes partis de famille ;
mais la maiſon d'Autriche avoit le projet d'ôter
l'important Duché de Baviere , ſur lequel elle
n'a aucun droit, à la maiſon de Wittelsbach , qui
le poſſede depuis cinq fiecles , & de ſe l'approprier
par un échange inégal, & très-préjudicia
b'e à cette Maiſon. -Il eſt vrai que la maiſon
d'Autriche a perdu des pays depuis la paix de
C4
( 56 )
Bale, mais depuis cette époque , elle en a ajouré
d'autres à fon patrimoine ,& il eſt notoire que fa
-puiſſance actuelle eft beaucoup plus conſidérable ,
qu'elle n'étoit lors de la conclufion de la ſuſdite
paix. Si la maiſon d'Autriche pouvoit acquérir la
Baviere , & le défaire des Pays Bas trop éloignés
de ſes Etats , el'e ajouteroit à ſa puiſſance en Allemagne
une nouvelle force , à laquelle les corcles&
pays voiſins ne fauroient réſiſter. C'eſt donc
avec fondement que le Roi a foutenu dans ſa décla
ation qu'une pareille acquifition intervertiroit
l'équilibreen Allemagne , & que la fûreté
& la 'iserté de l'Empire n'auroient alors d'autre
garant, que la modération des Princes de cette
Maiſon. Ma's fi cette modération ceſſoit , s'il
venoit un Prince qui eût les principes de Charles-
Quint , & de Ferdinand II , l'Allemagne ne pou --
roitplus ſedéfendre contre la prépondérance de
la maiſon d'Autriche , & elle finiroit par ſe ſoumettre
à la Monarchie de cette Maiſon ( 1 ) ; même
un Prince belliqueux & entreprenant ne s'en
tiendroit pas là ; à la tête d'une armée brave &
puiſſante , il tenteroit de faire valoir les anciennes
prétentions des Empereurs Romains , & des Rois
d'Allemagne , & d'établir en Europe une Monar-
(1) D'après le calcul de Felbinger , la part de laMaiſon
d'Autriche enAllemagne , fait une étendue de4,076 milles
quarrés , & 4,143 , d'après celui de Herrmann ( les deux
Auteurs font Autrichiens). Les pays que la Maiſon d'Ausriche
vouloit acquérir , ont 874 milles quarrés d'étendue ,
d'aprèsle calcul deWeſteinrieder , Auteur Bavarois . Ainfi ,
en ajoutant ce dernier nombre au précédent , la part que
cette Maifon obtiendroit de l'Allemagne , remonteroit à
4,927 milles quarrés . Or , comme la totalité de l'Allemagne,
d'après la Carte de Mayer , à 11,124 milles quarrés
de furface , la Maiſon d'Autriche , par l'acquiſition de la
Baviere,ſe trouveroit en poſleder près des quatre neuviemes .
( 57 )
chie univerſelle. La maiſon de Brandebourg , qui
ne s'eſt point élevée aux dépens de la maifon
d'Autriche , mais par la prudence active de ſes
Princes , qui avoit veillé à leurs droits , deviendroit
naturellement la premiere victime de laprépondérance
de la maiſon d'Autriche. D'après
cela , on ne doit point être ſurpris que le Roi de
Pruſſe tâche d'empêcher, par des moyens conſtitutionels,
un échange de pays , contraire à la
conſtitution germanique , & aux Traités de
paix.
La Suite à l'Ordinaire prochain.
DE VIENNE , le 2 Janvier.
Le Comte de Cobentzel , Ambaſſadeur
Impérial auprès de la Cour de Ruffie , eſt
attendu inceſſamment dans cette Capitale.
Avant fon départ de Pétersbourg , il a reçu
les témoignages les plus flatteurs des ſentimens
de l'Impératrice qui l'a invité à dîner
à fa table.
ITALI Ε.
DE VENISE , le 15 Décembre.
Les débordemens de l'Adige & de la:
Brenta ont fubmergé beaucoup de barques ,
à bord deſquelles ſe trouvoient pluſieurs perſonnes
qui ont péri , entr'autres un Anglois
inconnu , dont on a repêché le corps . A. Padoue
, douze maifons ont été fubmergées ,.
&on évalue la totalité des dommages à pluss
de deux milllions de ducats..
1
( 58 )
« L'attention du public , écrit-on de Ferrare ;
>> ſe porte , depuis quelques jours , for un évé-
>>> nement affez fingulier. On a dénoncé au tribunal
archiépiſcopal , que Madame Blanchini ,
>>femme d'un des plus riches Juifs , avoit été
>>>baptisée , à l'âge de trois ans , à Padoue . L'Ar-
>>chevêque- Cardinal , après avoir pris les infor-
>>mations néceſſaires fur ce fait , a mandé le
mari & la femme dans ſon palais , & après
avoir prié le mari de ſouffrir que son époule
>> y reſtat ſeule , parce qu'il avoit des choſes
>> importantes à lui dire , l'aſſurant d'ailleurs ,
> qu'il n'avoit rien à craindre , Son Eminence
déclara à ladite Dame Blanchini , auffi- tôt
>> que ſon mari fut retiré , l'objet pour lequel
>> il l'avoit fait venir, & lui fit toutes lesqueftions
convenables. Cette femme , dans la crain-
>>> te ſur-tout d'être maltraitée de ſes parens ,
refuſa d'avouer la vérité. Le Cardinal en con-
>>>ſéquence , l'engagea à demeurer quelques jours
dans ſon palais , juſqu'à ce que ſon Emi-
>> nence eût pu faire part à la Cour de Rome
>>> de ce cas certainement très-nouveau , & re-
>>>cevoir sur cela ſa réſolution, La dénoncia-
>> tion a été faite par une femme de Padove ,
>> mariée dans cette ville. Voici ce qu'elle a dé-
>> poſe. Lorſqu'elle étoit âgée de ſept ans , elle
> étoit accoutumée à jouer avec la ſuſdite
>>>Blanchini , qui en avoit alors trois: un
>>>jour qu'elle lui dit qu'elle n'iroit jamais
>>>en Paradis , parce qu'elle n'étoit pas bapti-
>>>fée ; l'enfant répondit , qu'il vouloit auffi
> aller en paradis , & fur cela ſa dénonçante ,
>>>après lui avoir fait dire combien il y avoit
>> de perfonnes en Dieu , prit de l'eau & la
>>baptifa.
( 59 )
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 2 Janvier.
Le 22 Décembre , M. Eden ſe rendit au
Palais de la Reine , où il est une conférence
particuliere avec le Roi. Il s'eſt également
entretenu chez le Marquis de Carmarthen ,
avec une Députation de Marchands , faiſant
le commerce d'Amérique , qui ont propoſé
quelques nouveaux réglemens avant le départ
de M. Eden pour la France.
L'Ami auté a ordonné , à Portsmouth &
à Plymouth , pour le commencement du
mois de Février prochain , l'équipement des
vaiſſeaux ſuivans ; ſavoir , un de 44 canons
deux de 36 , un de 28 , un de 24 , deux
floops de 16 , & un cutters de 14. On en
formera deux eſcadres , l'une pour l'Inde ,
ſous les ordres du Commodore John Gill ,
& l'autre pour les mers du Nord , commandée
par le Capitaine Levefon Gower. Le vaifſeau
de so , fur lequel le Commodore arborera
fon pavillon, fera partie de la premiere
eſcadre,&celui de 44,de la ſeconde.
On va conſtruire dans les chantiers de
S. M. les vaiſſeaux de ligne l'Achille , le Revenge
, le Newarck , l'Ajax , le Cambridge , le
Torbay&le Kent , tous de 76 canons .
L'Amirauté a pris en conſidération le projet
d'établir dans les provinces maritimes
des Ecoles nautiques pour l'inſtruction d'enc
6
( 60 )
,
fans pauvres ou orphelins , à qui de bons
matelots , tirés de l'Hôpital de Greenwich ,
enſeigneront la conſtruction , l'équipement ,
le gréemenr & la manoeuvre des vaiſſeaux
& la maniere de fabriquer des filets pour
la pêche. Ces Eleves parvenus à un certain
âge , chaque navire marchand de 150 tonneaux
, ſera obligé d'en prendre un à bord ,
&proportionnellement un plus grand nombre,
ſuivant la force du bâtiment. Par ce
moyen, on compte former en 10 ans 25,000
matelots inftruits , qui diſpenſeront, en temps
de guerre , de recourir à l'odieuſe méthode
de lapreſſe.
Des nouvelles récentes du Canada , annoncent
une grande proſpérité de commerce
dans cette Colonie. Les capitaux mercantiles
, à ce qu'on ajoute , y ont doublé depuis
quelques années : elle peut fournir aux ifles
d'Amérique tous les articles qu'avant la derniere
guerre elles tiroient des Colonies du
Continent , ce qui cependant paroît , finon
impoffible , au moins peu vraiſemblable.
Le Miniſtere doit , dit on , faire les changeinens
dans la Milice que l'on doit raſſembler
au mois de Mai prochain. Les Sergens qui font
encore actuellement dans la proportion d'un
fur vingt foldats , feront réduits à un fur cinquante
, & feront payés & habillés annuellement
ſur le pied actuel.
Les Caporaux ſeront dans la même propertion.
On affignera deux guinées par an , outre
leur paie d'un shelling par jour. Et c'eſt parmi
eux que feront choiſis les Sergens.
( 61 )
Les Tambours feront réduis dans la proportion
d'un fur cent ſoldats , & feront
habillés tous les ans. -- Le Corps de Milice
n'aura ni Sergent-Major , ni Tambour-
Major.
Il eſt tombé , ces jours derniers , une fi
grande quantité de neiges , que pluſieurs des
malles de la Poſte ont été arriérées d'une
demi-journée. Celle de Douvres à Londres a
été ſafie par l'Officier de la Douane , avec
une forte pacotille de marchandites Françoiſes
, qui a été confi quée , ainſi que la voiture.
On compte , dans le magaſin de la
Douane , à Cowes , ifle de Whigt , cent
mille gallons de liqueurs ſpiritueuſes , qui
ont eu le même fort.
On voit actuellement en Angleterre
cinq Ex Premiers Miniſtres vivans. Le
Comte de Bute, le Duc de Grafton , le
Lord North , le Marquis de Lansdowne
& le Duc de Portland.
Une femme de Red-dith ſongea qu'elle
voyoit un enfant expoſé à la rigueur des
élémens fous un arbre , dans le voiſinage de
cette Ville. Ce rêve fit une impreſſion ſi vive
ſur ſon imagination , qu'elle ſe leva pour vérifier
un fait ſi extraordinaire. Elle arrive au
lieu indiqué , & découvre le corps d'une
petite fille d'environ dix ans , flottant fur la
ſurface , d'un étang. Cette enfant, noyée depuis
quelques jours , étoit en apprentiſſage ;
&comme on n'a découvert aucune caufe
qui ait pu la porter à cet acte de déſeſpoir,
( 62 )
on ſuppoſe que ſa mort a été purement accidentelle.
On cite dans quelques uns de nos Papiers
publics , un trait rare de patriotiſme.-Vers
le milieu du quatorzieme fiecle , Marguerite
Joice , veuve extraordinairement riche &
ſans poſtérité , dépenſa preſque toute ſa fortune
à bâtirdes ponts .Elle fit conſtruire dans
le ſeul Comté de Galloway en Irlande vingttrois
ponts de différentes grandeurs. Elle
termina ſes largeſſes publiques par le pont
jetté ſur la riviere de Corrib près la mer , qui
a conſtamment foutenu ,depuis plus de 400
ans , l'énorme maſſe d'eau que fournit cette
riviere. La mémoire de cette femme généreuſe
eſt encore révérée aujourd'hui en Irlan
le , où on la déſigne par le nom de Mal
read na drehal , c'est-à-dire , Marguerite des
Ponts.
CC Les Marchands & Manufacturiers de Norwich
ont tenu une aſſemblée , la ſemaine derniere
, à l'Hôtel-de- Ville , pour prendre en
conſidération l'état de leurs manuftares . Il fat
arrêté qu'on expoſeroit à M. Pitt, les entraves
qu'éprouve notre commerce chez la plupart des
nations de l'Europe , en lui demandant de proteger
nos intérêts dans les traités de commerce
actuellement ſur le tapis. En conféquence , l'afſemblée
a fait paffer un mémore aux deux
repréſentans de la ville de Norwich , & les a
chargés de le remettre à M. Pitt . »
On a publié l'extrait fuivant d'une lettre
d'un Capitaine de vaiſſeau Anglois , datée de
Cadix le 6 Août dernier.
( 63 )
Je ne puis fermercette lettre ſans vous rendre
compte des obftacles que j'ai rencontrés dans
ma traverſée d'Angleterre , de la part des croifeurs
Algériens. Me trouvant près du rocher de
Lisbonne , je fus arrêté par un de ces croiſeurs ,
qui , après avoir bien examiné mes lettres de
mer ,me laiſſa continuer ma route. Le lendemain
j'en rencontrai un autre à la hauteur du
Cap St. Vincent. Je marcho's de conſerve alors
avec un gros bâtiment.Ce vaiſſeau ayant attiré
l'attention du chebec Algérien ,il envoya fa chaloupe
pour me donner choffe , & pourſuivit luimême
le gros vaiſſeau. Il s'éleva heureuſement
dans ces entrefaites un vent frais , qui me donna
l'avantage fur la chaloupe; elle ceſſa de me donner
chaffe , & rejoignit le chebec , qui pendant
ce temps avoit commencé à canonner le vaifſeau
, qui fut obligé de ſe réfugier ſous un fort
Eſpagnol . Le jour ſuivant , j'en rencontrai un
autre à la hauteurdu Cap Sainte-Marie , qui me
fit mettre ma chaloupe à la mer , & m'obligea
de lui envoyer mes lettres de mer ; après les avoir
examinées avec la plus grande attention , il me
laiſſa continuer ma route. A minuit, me trouvant
alors à dix lieues de Cadix , je fos arrêté par
deux autres qui ſe conduifirent à mon égard
comme le précédent, & le lendemain nou, mouil.
lâmes dans ce poat , où j'ai appris que ces barbares
gens ont établi leurs croifieres à l'ouest des
Iſles Açores , pour donner chaffe aux vaiſſeaux
Américains & Portugais.
Ily a quelques jours que le Magiftrat de
la ville de Taviſtock a examiné le corps de
Roger Bayly, vieillard infirme , âgé de plus
de 80 ans, trouvé mort ſur le grand chemin.
Lui&fon frere furent enterrés vifs dans une
( 64 )
mine d'étain du Cornouaille , pendant onze
jours &dix nuits, ſans ſubſiſtance , & cependant
ſauvés. Depuis , l'un & l'autre ont fait
une fin tragique. Voici celle de Philip Bayly.
Il fut aſſailli d'un âne furieux qui le mordit
& le renverſa. L'animal ayant dans ſa
bouche une des jambes de ce malheureux ,
traîna ſon corps l'eſpace dc 200 verges , &
le foula aux pieds. Couvert de contafions
, Bayly fur tranſporté dans ſa maiſon ,
mais nonobſtant tous les ſoins poſſibles , il
languit dans les douleurs les plus aiguës , &
mourut au bout de deux jours. Un fait étonnant
, quoiqu'atteſté ſous ſerment au Magiſtrat
, c'est que ce même âne , environ une
heure avant la mort du malade , vint à la
porte de la maiſon, quoique diſtante de trois
milles du lieu de l'accident , & s'efforça de ſe
faire paſſage , à force de ruades & de cris.
L'âne , ſelon le Droit civil d'Angleterre , devint
ce qu'on appelle en Anglois Deodand';
c'eſt -à dire , qu'il devoit être vendu , & le
produit de ſa vente donné aux pauvres , ou
confiſqué au profit du Seigneur qui , dans
le cas actuel , ſe trouve être le Duc de
Bedford.
L'Adminiſtration fait tous ſes efforts en Irlande
pour réchauffer le caput mortuum des propoſitions
deCommerce. Elle n'épargne rien pour parvenirà
ce but. Lorſqu'il vient à vaquer quelque
place dépendante du Gouvernement , ne fût-elle
que de 40 liv. ſterl d'appointemens annuels ,
elle eſt réſervée ſtrictement , &donnée à la vive
( 65 )
follicitation de quelque Membre du Parlements
ou de quelque Echevin puiſſant, dont on eſpere
employer le crédit, pour ſe ménager des adreſſes
telles qu'on les défire. Si quelque folliculaire découvre
des baſſeſſes ou des menées ſecretes , on
emploie tous les moyens poſſibles pour le corrompre
, & on l'établit à la ſolde de quelque papier
miniſtériel. Telles font les manceavres du
Miniftre populaire ( M. Orde ) qui veut perſuader
à ce peuple ſtupide (les Irlandois ) que les
meſures projetées font à ſon avantage.
Sua fi bona norint !
(Voilale langage des Gazettes de l'oppofition ;
on croira ce qu'on voudra de ces lieux communs . )
Pluſieurs fois on a parlé fort inexactement
de la poſtérité actuelle de Cromwell. Voici
la généalogie fort exacte des deſcendans de
ce redoutable Protecteur. Son plus jeune
fils ,Henri Cromwell, qui fut Lord Lieutenant
d'Irlande , laiſſa un fils , Richard Cromwell ,
dontil reſte deux filles vivantes àHampstead ,
près de Londres. Ce Richard eut auffi un
fils , que tout Londres a vu Marchand Epicier
dans Snow-Hill , & pere de M. Olivier
Cromwell , actuellement vivant , Procureur
d'une probité recommandable , & dernier
rejetton de la famille du Protecteur. Elle ne
ſera pas ſi-tôt éteinte, puiſque le Procureur a
un enfant mâle.
L'Aëronaute Lunardi n'a point péri dans
la mer , comme on le craignoit. Heureuſement,
des pêcheurs l'ont rencontré à 6 milles
au large,& lui ont donné des ſecours. It fortit
avec tant de précipitation de ſa gondole ,
( 66 )
,
qu'à l'inſtant le Ballon ſe releva & diſparut.
C'eſt un grand bonheur pour la Nation
ditun de nos Périodiſtes , d'avoir plus de
Confeillers qu'aucun autre peuple ſous le
foleil . Nous poſſédons le Conſeil du Cabinet
, le Conſeil privé , le Grand- Confeil national
, le Conſeil municipal ; outre que
chaque Anglois eſt lui-même un Conſeiller
d'Erat. Avec cette multitude de Directeurs ,
il ſembleroit impoſſible de tomber dans aucune
mépriſe , ou de prendre quelque mefure
fauſſe; mais les uns font guidés par
leurs intérêts perſonnels , d'autres par des
vues ſerviles ou bornées , de troiſiemes ſe
laiſſent aller à l'indolence ou aux égards
dangereux... L'on peut donc conclure que
le prove be , dans la multitude des Conseils
Je trouve la sûreté , n'a gueres plus de ſens
que celui ci , il est plus sûr d'avoir beaucoup
d'amis que peu.
Suivant le bill annuel des baptêmes &
mo taltés dans cette Capitale , depuis le 14
Décembre 1784 , au 13 Décembre 1785 ,
on a baptifé :
Garçons , • • .
Filles, . •
9,085.
8,834.
Total , 17,919 .
Il est mort :
Hommes , . 9,447.
Femmes , 9,472 .
Total , • 18,919.
Sur ce nombre , il eſt mort :
( 67 )
Enfans au-deſſous de deux ans... 6177
Entre deux & cinq ans
1626
De cinq à dix. 716
De dix a vingt. • 655
De vingt à trente.
1481
De trente à quarante. 1772
De quarante à cinquante. 1966
De cinquante à ſoixante.. 1586
De foixante à foixante & dix . 1399
De ſoixante & dix à quatre-vingt. 1019
De quatre vingt à quatre-vingt - dix . 454
De quatre - vingt - dix à cent . 67
De cent ans . •
. I
De cent un an . I
De cent trois ans. I
Le nombre des morts , cette année , furpaſſe
de 1000 celui des raiſſances. Répétons
ici , que dans ce dénombrement , fair ſur les
regiſtres paroiſſiaux , ne font point compris
lesNon-Conformiſtes , Preſbytériens , Anabaptiftes
, Méthodiſles , Latitudinaires , &c.
Un plaiſant vient d'énumérer & de
claſſer comme il ſuit les mariages dans cette
Capitale , en propoſant de publier chaque
année cet état , àl'instar des Bills de mor.
talité. Il compte :
Demaris qui ont fui leurs femmes, 2,348
De femmes échappées de chez
leurs maris, 1,132
D'époux en ſéparation concertée
ou légale , 4,175
-Vivants en guerre ouverte , 17,345
-En inimitié domeſtique , quoique
( 68 )
unis en apparence aux yeux du Public,
-Indifférens les uns aux autres ,
-Cenſés heureux ,
-Heureux comparativement ,
-Réellement heureux ,
Total des mariages .
FRANCE.
13,279
$5,246
3,175
127
13
96,840
DE VERSAILLES , le 4 Janvier.
Le ſieur du Freſue , Intendant général
des fonds de la Marine & des Colonies , a
prêté ferment , le 24 du mois dernier , entre
les mains du Garde des Sceaux , en qualité
de Conſeiller d'Etat.
Le 25 , la Baronne de Hunolſtein a eu
l'honneur d'être préſentée à Leurs Majeſtés
& à la Famille Royale par la Comteſſe
Louis d'Helmſtadt.
Le 27 , le Comte Rzéwuski , Chevalier
de l'Ordre du Roi de Pologne , & Petit-
Général de la Couronne, fut préſenté à Leurs
Majeſtés & à la Famille Royale avec les
formalités ordinaires. !
Les gerfaux d'Iſlande , préſent que le Roi
de Danemarck eſt dans l'uſage d'envoyer
annuellement à Sa Majeſté, furent préſentés
le même jour , & reçus par le Comte de
Vaudreuil , Grand Fauconnier de France, &
par le Chevalier de Forget , Capitaine du
Vol duCabinet du Roi.
( 69 )
Le Chevalier Delfino , Ambaſſadeur de
la République de Venise , eut for audience
de congé du Roi , & Sa Majesté l'arma Chevalier
avec les cérémonies accoutumées. Ce
même jour , le Chevalier Capello , nouvel
Ambaſſadeur de la République , eut fa premiere
audience du Roi , & remit à Sa Majeſté
ſes lettres de créance. Ces Ambaſſadeurs
furent conduits à l'audience de Leurs
Majeſtés & à celles de la Famille Royale ,
par le ſieur de la Garenne , Introducteur
des Ambaſſadeurs; le ſieur de Séqueville ,
Secrétaire ordinaire du Roi pour la conduite
des Ambaſſadeurs , précédoit.
Le Marquis d'Aumont a prêté , le 29 ,
ferment entre les mains du Roi , pour la
charge de Premier Gentilhomme de la
Chambre de Sa Majesté , en ſurvivance
du Duc de Villequier ſon pere.
Le 31 du mois dernier , le ſieur d'Houry ,
Imprimeur du Duc d'Orléans , a eu l'honneur
de préſenter à Leurs Majestés & à
la Famille Royale , l'Almanach Royal pour
l'année 17.86.
Le 1. de ce mois , les Princes & Princeſſes
, ainſi que les Seigneurs & Dames de
la Cour , rendirent leurs reſpects au Roi &
à la Reine , à l'occaſion de la nouvelle année.
Le Corps-de-Ville de Paris , ayant à fa
tête le Duc de Briſſac , Gouverneur de la
ville , conduit par le ſieur de Nantouillet ,
Maître des Cérémonies , & par le ſieur de
Watronville , Aide des Cérémonies , s'ac
( 70 )
quitra du même devoir envers Leurs Majeftés
& la Famille Royale. La Muſique du
Roi exécuta pendant le lever de Sa Majesté ,
une ſymphonie nouvelle , de la compofition
du fieur Harang , premier Violon de fa Muſique
, fous la conduite du ſieur Girouft ,
Surintendant de la Muſique de Sa Majefté.
Les Chevaliers , Commandeurs & Officiers
de l'Ordre du Saint-Eſprit , s'étant afſemblés
vers les onze heures & denie dans
le Cabinet du Roi , Sa Majeſté t'nt un Chapitre
, dans lequel elle nomma Chevalier de
l'Ordre du Saint-Esprit, Don Louis , Prince
héréditaire de Parme. Le Roi, dans le même
Chapitre , nomma auffi Chevaliers du même
Ordre , le Duc de Croy , le Prince de Robecq
, le Maréchal de Stainville , le Comte
d'Hauſſonville ,le Marquis de Caftellane &
le Comte de Coigny. Le Roi ſe rendit enfuite
à la Chapelle, précédé du Prince de
Conti, du Duc de Penthievre , & des Chevaliers
, Commandeurs & Officiers de l'Ordre;
deux Huiſſiers de la Chambre de S. M.
portant leurs maffes. Le Roi aſſiſta à la
grand'Mefle , chantée par ſa Muſique &
célébrée par l'Evêque d'Autun , Prélat
Commandeur de l'Ordre. La Princeffe
Joſephe de Monaco y fit la quête. Après
la Meſſe , à laquelle la Reine , Monfieur ,
Madame , Monſeigneur Comte d'Artois ,
Madame Comteſſe d'Artois & Madame
Elifabeth de France affiſterent dans la Tribune,
le Roi fut reconduit à fon apparte(
71 )
ment , en obſervant l'ordre dans lequel il
en étoit forti .
LeGrand-Conſeil eut l'honneur de rendre
fes reſpects à Leurs Majestés & à la Famille
Royale.
Leurs Majestés ſouperent , ce jour , à leur
grand couvert. Pendant le repas , la Muſique
du Roi exécuta différens morceaux , fous la
conduite du ſieur Girouſt, Surintendant de
la Muſique de Sa Majeſté.
La Princeſſe de Tarente a eu l'honneur
d'être préſentée à Leurs Majestés & à la
Famille Royale par la Ducheſſe de la
Trimouille , en qualité de Dame du Palais.
Le 2 , le Roi , accompagné de Monfieur ,
de Monseigneur Comte d'Artois , du Duc
d'Orléans , du Duc de Bourbon , du Prince
de Conti , du Duc de Penthievre , & des
Chevaliers , Commandeurs & Officiers de
l'Ordre du Saint-Esprit , aſſiſta au Service
anniverſaire qui ſe célebre dans la Chapelle
du château pour les Chevaliers défunts..
Le 3 , le ſieur d'Aligre , Premier Préſident
du Parlement de Paris , ainſi que les Préſidens
à Mortier & les autres Prétidens du même
Parlement, ont eu l'honneur de rendre lems
reſpects à Leurs Majestés & à la Famille
Royale , à l'occaſion de la nouvelle année.
La Chambre des Comptes , la Cour des
Aides & la Cour des Monnoies , ont aufli
eu cet honneur , anſi que le Châtelet de
Paris , à la tête duquel étoit le Marquis
de Boulainvilliers , Prévôt de cette ville.
( 72 )
Le même jour , les Députés des Etats
de Bretagne furent admis à l'audience du
Roi ; ils furent préſentés à Sa Majesté par
le Duc de Penthievre , Gouverneur de la
Province , & par le Baron de Breteüil ,
Miniftre & Secrétaire d'Etat , ayant le département
de la Bretagne. La Députation , qui
fut conduite à l'audience de Sa Majeſté par
le ſieur de Nantouillet , Maître des Cérémonies
, & par le ſieur de Watronville
Aide des Cérémonies , étoit compoſée , pour
le Clergé , de l Evêque de Saint-Brieux , qui
porta la parole; pour la Nobleſſe , du Comte
de Tremergat ; & pour le Tiers-Etat , du
ſieur Borie , Sénéchal de Rennes , & du
Comte de la Bourdonnaye , Procureur
général , Syndic des Etats : la Députation
eut enſuite audience de la Reine & de la
Familte Royale.
DE PARIS, le 12 Janvier.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , qui permet
aux Fabriquans étrangers de s'établir
dans le Royaume. Du 13 Novembre 1785.
Le Roi ayant été informé que pluſieurs négocians
& fabricans étrangers , précédemment accoutumés
à importer & faire débiter dans le
royaume différentes marchandises , dont Sa Majeſté
, pour favoriſer le commerce national , a
prohibé l'introduction par les arrêts de fon Conſeil
des 10 & 17 Juillet dernier , defireroient
former en France des établiſſemens poury fabriquer
des marchandises de la même espece ,
s'il
,
73 )
s'il plaifoit à Sa Majesté leur permettre d'y faite
entrer , outre les inftrumens & matieres prémieres
néceſſaires à ces établiſiemens , les marchandises
formant actuellement le fonds de leurs
magaſins , lesquelles auroient été deftinées pour
le commerce de France , & fi Sa Majefté vouloit
bien leur accorder dans fon royaume les
mêmes avantages dont ils jouifloient dans leur
patrie, ainſi que la liberté d'y retourner après
un certain nombre d'années': Sa Majesté trouvant
les demandes de ces négocians conformes
à ſes vues pour le progrès du commerce , &
voulant les traiter favorablement:
au
ART. I. Sa Majeſté permet à tous négocians
& fabricans étrangers de former dans fon
royaume des établiſſemens de toute eſpece-de
fabriques , de mouſſelines ,de toiles blanches ,
detoilespeintes , d'étoffes de coton , de tannerie ,
dedraperie & de toutes fortes de quincailleries ,
à condition qu'ils y prendront domicile & y
fixeront leur réfidence perſonnelle, comme auili
à la charge que leſdits nouveaux établiſſemens
feront placés à là diſtance de fept lienes
moins de la frontiere , & que ceux deſdits négocians
qui voudront jouir des avantages qui
leur feront affurés par les articles ſuivans ,
feront tenus de faire , par - devant l'Intendant
de la province où ils auront jugé convenable
de former leſdits établiſſemens , leursfommiffions
de les effectuer dans l'eſpace d'une année , à
compter da jour de cetre foumiflion. Il en fera
rendu compte par ledit Intendant au Contrôleur.
général des finances de Sa Majer 3.1
II. Accorde Sa Majesté à ceux qui auront
fait lesdites foumiffions , l'exemption de tous
droits d'entrée & de traites , pour toutes les
matieres premieres, telles que fils cotons, in-
-N°. 2 , 14 Janvier 1785. dir
( 74 )
grédiens de teintures , cuivres, aciers , machines
&outils néceſſaires à leur établiſſement qu'ils
tireront de l'étranger , même auſſi pour les
meubles qu'ils feront venir à l'uſage de leurs
maiſons, dans le terme preſcrit pour compléter
leurs établiſſemens.
III. Accorde en outre Sa Majeſté , aux négocians
& fabricans étrangers qui formeront leſdits
:établiſſemens , & aux ouvriers étrangers ame-
-nés par eux qui ſerviront à leur exploitation ,
l'exemption de toutes impoſitions perſonnelles
pendant trois ans , celle de milice , de corvées
&de logement de gens de guerre à toujours;
& pour eux , leurs enfans nés & à naître & leurs
defcendans , la jouiſſance de leur état , la liberté
deleurs uſages en ce qui ne fera pas contraire
aux loix du royaume , tous droits de ſucceſſion ,
celui d'admiſſion à la maîtriſe dans les corps
& communautés auxquels ils voudront être affiliés
, l'affranchiſſement du droit d'aubaine , &
la faculté d'acquérir tous héritages , terres ,
maiſons & autres biens - fonds , ainſi que celle
de les revendre , & de retourner dans leur
patrie après dix années de ſéjour en France.
IV. Les négocians ou fabricans étrangers qui ,
en formant dans le royaume des établiſſemens
de manufactures ; voudroient y tranſporter le
fonds actuel des marchandises qu'ils avoient
fabriquées dans la vue de les introduire enFrance,
feront tenus , quant à celles précédemment
prohibtes & non-mentionnées dans les articles
ſuivans , d'obtenir une permiffion particuliere
de les introduire , à charge de payer les droits
qui feront fixés par ladite permiffion.
V. Ceux qui voudront établir des fabriques
de mouſſelines , pourront faire entrer par le
ſeul bureau de Saint - Dizier, la quantité de
vingt pieces de mouſſeline de huit aunes par
( 75 )
chaque métier qu'ils feront foumis à établic
&autant par chaque ouvrier-fabricant , cardeuſe ,
fileuſe , brodeuſe ou tiſſerand en mouffeline
qu'ils ameneront à leur ſuite dans le royaume ,
en payant cinquante cinq fols pour tous droits
par chaque piece de mouſſeline non- brodée ,
&cent fols par chaque piece de mouſſeline
brodée.
VI. Ceux qui feront obligés à monterdes fabriques
de toiles blanches , pourront faire entrer
par les bureaux de Saint Dizier ou de Jougues
& du Pont-de-Beauvoiſin , la quantité de
vingt pieces de toiles blanches de quinze à ſeize
aunes par chaque ouvrier-fabricant , cardeuſe ,
fileuſe ou tiſferand étrangers quils auront ame.
nés dans le royaume pour travailler dans leurs
fabriques , & dix pieces de plus pour chaque
métier qu'ils auront pris l'engagement de monter
, à la chargede payer dans leſdits bureaux les
droits qui aveient lieu pour l'introduction defdites
toiles avant l'arrêt du 10 Juillet dernier.
VII. Ceux qui auront fait la ſoumiffion d'établir
des fabriques de toiles peintes , feront
admis à faire entrer par les mêmes bureaux ,
une fois ſeulement , la quantité de cent trente
pieces des mêmes aunages , dont trente au plus
entoiles peintes , pour chaque table d'impreſſion
qu'ils ſe feront engagés à mettre en activité.
VIII. Les ſoumiffions preſcrites par l'article
premier feront faites dans la forme & ſuivant le
modele qui fera arrêté au Confeil , & les négocians
étrangers qui les ſouſcriront , feront
tenus de donner une caution bonne , ſolvable
&domiciliée en France , laquelle caution ſoufcrira
la foumiffion conjointement avec eux , &
feraperſonnellementreſponſable des engagemens
quiy ſexont détaillés.
d2
(136 ))
IX. Tous, négocians étrangers qui, en for
mant des établiſſemens dans le royaume , vous
dront jouir de la permiſſion d'y introduire les
marchandiſes ſuſdites , feront tenus de fair,e
entrer les trois quarts des quantités dont l'in
troduction leur est permife , dans l'eſpace de
trois mois , à compter du jour de la publication
du préfent arrêt , & de compléter ladite intro
duction dans les trois mois ſuivans; ils feront
tenus également de mettre leurs établiſſemens
en activité dans Peſpace d'une année , après la
quelle les cautions ne feront déchargées de leurs
obligations que ſur le certificat de vérification
faite par l'Inſpecteur des manufactures de la pro
vince , qui atteffera que toutes les clauſes des
Coumiffions auront été fidelement exécutées.
X. Leſdits fabriquans étrangers qui ſe ſeroient
établis dans les provinces qui font à l'inftar de
l'étranger effectif , & ceux qui y font déjà éta
blis , pourront faire entrer dans le royaume en
exemption de droits , les toiles peintes qu'ils
auront imprimées ſur des toiles blanches tirées
des fabriques de l'intérieur du royaume ou dy
commerce & des ventes de la Compagnie des
Indes , & même fur celles qui auroient été tiſlues
& fabriquées dans leſdites provinces , à la charge
par eux de juſtifier que les toiles blanches en
font provenues : faute de quoi lesdites toiles
peintesreſteront foumites à la prohibition portée
par l'article premier de l'arrêt du 10 Juillet
dernier. N'entend néanmoins Sa Majesté priver
les négocians ou fabriquans deſdites provinces
de la faculté dontils ont toujours joui de vendre
à l'étranger les toiles d'origine étangere , fois
en blanc , foit après les avoir brodées ou in
primées. Et feront fur le préfent arrêt toutes
Ictures néceffaires expédiées. Fait au Confeil
( ( 37 )
Etat du Roi , Sa Majesté y érant , tenu à
Fontainebleau , le 13 Novembre 1785. Signé
GRAVIER DE VERGENNES .
Suivant des lettres de Bordeaux , le navire
le Persévérant , appartenant à ce Port ,
a fait nautrage fur les côtes de l'Iſle d'Aix.
Dans tous les Ports de la Méditerranée , on
continue à ſe plaindre des courſes des CorfairesAlgériens;
divers Capitaines de navires
-étrangers , arrivés à Marseille , ont été forcés
de ſe rendre à bord de pluſieurs de ces Corfaires
,&de leur donner des provifions, ainfi
quedes inſtrumens nautiques.
1
LeJournal de Montpellier, du 24 Décembre,
raconte en ces termes les circonstances
de l'incendie qui a confumé la Salle deSpectacle
de Montpellier.
30 1
2. Le Samedi 17 après que les Comédiens
eurent joué le Pere de Famille & la Servante
Maitrelle , on fit , ſuivant l'uſage , la vifite de
la falle. Le 18 à 2 heures du matin , des
voyageurs , qui apperçurent de loin de la fumée
& du feu , coururent auffi-tôt avertir la
ſentinelle du Gouvernement , & allerent à PHộ-
tel-de-Ville , qui fit fonner le tocfin . Peu de
temps après & avec toute la célérité poffible ,
MM. les Officiers du Régiment de Vermandois
firent battre la générale , & arriverent à
Ja falle, avec les foldats ,la majeure parcie en
habits de travail : les pompiers de la Ville y
étoient déjà arrivés. M. de Saint-Prieft , Intendant
de la Province , y accourut auffi , de même
que MM. de l'Etaf- Major , M. Deydé , premier
Conful, & toutes les perſonnes artachées à la
Ville. Malgré l'activité qu'ils inſpirerent aux
d 3
( 78 )
foldats& aux travailleurs , le feu fit de tels pro
grès , qu'à 3 heures toute la couverture du théâtre
, ainſi que la charpente , s'écroula avec un
fracas épouvantable ; peu d'inſtans après ,celle
du parterre & de l'amphitheatre ſuivit. Alors il
fut reconnu qu'il n'étoit pas poffible de fauver
cetre partie ; & tous les yeux ſe tournerent vers
la fallé du Concert. M. de Saint Prieft & M.
Deydé ordonnerent de couper la communication :
ce travail , quoique périlleux & difficile à exécuter
, parce que les flamines avoient déjà pénétré
dans la charpente , réuffit au point que tout
Je devant de l'édifice a été ſauvé. Il falloit en
même temps garantir 5 magafins de bois qui
étoientdans lesſouterrains de la falle ,&dont un
étoit entiérement enflammé , le feu s'y étant
communiqué par l'ouverture des contre-poids :
à force de ſoins , on parvint àcouper la commu
nication & à ſauver les 4 autres. Il ne fallut
pas moins d'activité pour garantir les maiſons
voifines .
La lettre ſuivante nous a été adreſſée par
un Militaire , d'un nom très connu dans les
hautes ſciences, & qui prouve lui même que
les lumieres ſont héréditaires dans fa famille.
Après nous avoir averti que l'opinion concernant
un ancien canal du Rhin au travers
du pays de Vaud & de la Franche Comté ,
n'étoit qu'une plaiſanterie contre les ridicules
commentaires de certains Savans, il continue
endiſant:
Mondeffein , Monfieur, n'ek point de faire de
Pérudition , mais je crois que les Nantuates n'étoient
point les peuples du Rhinthal & du lac de
Conftance;je ne vous eppoſerai d'autre autorité
( 79 )
que celle deCésar lui-même, que vous recottnoiſſez
, avec raiſon , pour un Profeſſeur deGéo
graphie , de bon ſons,d'art militaire & d'éloquence
; il nous apprend , au commencement du
troiſieme livre de ſes Commentaires , » qu'il en-
>> voya Galba avec la douzieme légion & partie
>> de la cavalerie , contre les Nantuates , les
>> Véragres , les Sédunois , qui s'étendent depuis
>>les Allobroges , le lac Leman & le Rhône ,
>> juſqu'au sommetdes Alpes ». Je ne reconnois
point ici dans les Nantuates , les peuples du
Rhinthal & de Conſtarce.
D'Aolancourt , il est vrai , p'us inſtruit que
M. de Vailly , & ne pouvant concilier la deſcription
du cours du Rhin, par Jules-Céſar , avecla
Topographie de la Suiffe , appelle les Nantuates,
peuples ou terres de Conſtance ; mais il oublie
qu'au livre premier , en parlantde la guerred'Arioviſte
,il adéſigné ces mêmes peuples de Conf
tance, d'après le mot latin harudes: d'ailleurs ,'
quand on admettroit avec lui que les peuples du
Rhinthal étoient les Nantuates , toutes les difficultés
ne ſeroient pas levées , & il reſteroit toujours
celle de la Franche-Comté & des Evêchés ,
ou le Rhin n'a jamais pu couler.
Toute plaifanterie à part , permettez-moi , de
vous offrirà ce lujet quelques réflexions,qui peutêtre
ne ſerontpas fans intérêt pour les Littéra
teurs, & fur-tout pour les Traducteurs . -
Célar connoiſſoit la Franche- Comté , & cette
partie de l'Alface qui eſt entre Berfort & le
Rhin: fa bataille contre Arioviſte le dépoſe. La
fameuſe muraille conſtruite du lac de Genève au
Jura , nous apprend également qu'il ne pouvoit
pasignorer la ſituation desNantuates. Ainſi quand
ilnous ditque le Rhin coule ſur les frontieres
des Nantuates,des Helvétiens , des Séquanois,
1
d4
( 80 )
dos Médiomatriciens , &c. Il eſt très-poſſible
que, L.ns avoir égard aux intermédiaires , il
nomme de préférence ces peuples , parce que de
ton temps, ils étoient plus connus& plus confidérables.
: L'on trouve dans ſes Commentaires quelques
exemples de cette maniere d'écrire : au livre
premier , « l'intention des Helvétiens , en ſortant
CC de leur pays , eſt d'aller s'établir chez les San-
>> tous qui ne ſont pas éloignés des Toulou-
>> ſains ». Certainement , Meſſieurs , ilya plus
Join du Languedoc en Saintonge, que du Rhin
au lac Leman , dont les bords étoient habités par
les Nantuates..
Coei me conduit naturellement à une autre
obſervation: les 'Traducteurs ne devroient jamais
fe permettre de moderniser les noms anciens
parce que les anciennes diviſions de peuples ne
répondent point du tout aux modernes; Céſar
nous apprend que les Séquanois n'étoient ſéparés
desAllobroges que par le Rhône ; il y a aujour
d'hui , entre-deux, de petites Provinces , quidepuis
long-temps n'appartiennent point à la Franche-
Comté ..
M. de Vailly fournit plus d'un exemple des
mépriſes auxquelles on s'expoſe , en molerniſant
ainfi les noms anciens ; au livre quatrieme , & à
Particle ou il eſt queſtion du Rhin , les Nantuates
deviennent le pays de Vaud , & au livre trois
fieme ils étoient le haut Vallais : >> ac nullo hofte
prohibente, aut iter demorante , incolumem le
>> gionem in Nantuates , inde in Allobrogas per-
>> duxit ibique hiemavit ». Aucun ennemi n'arrê-
>> tant , ni retardant fa marche , il traverſa
( Galba ) fans accidens , le haut Vallais , & alla
>> paſſer l'hiver en Savoie ». Traverſa le haut
Vallais , pour aller en Savoie , en partant des
(81 )
environs d'Octodure, au Jourdain Martigni , dans
Je basVallais c'eſt prendre la route de Ronen
pouraller à Lyon); cette marche ceſſe d'être ridicule,&
devient très- naturelle , lorſque fon
place les Nantuates ſur les bords du lac de Genêve:
fi d'apres d'Ablancourt ces Nantuates pouvoient
être les peuples de Conſtance , la direction
deGalba pour ſe retirer chez les Allobroges,
offriroit quelque chofe de plus extraordinaire encorequen'offre
celle que M. de Vailly lui prête
gratuitement,
M. de Vailly appelle , dans ſa préface , les
Commentaires le veni mecum de tout militaire ; il
faut convenir qu'il en a fait une affez mauvaiſe
compagnie , pour ceux d'entr'eux auxquels le
Jatin n'eſt pas familier. Je croirai avoir rempli
une tâche bien honorable , fi cette difcuffion peut
fervir à éclairer ſes ſucceſſours , fue le choix des
moyens propres à nous donner enfin une bonne
traduction de cet ouvrage immortel.
S
i
De R. Capitaine d'Infanterie , Lieutenant
au Régiment Suiffe de C.
Saintes , le 18 Octobre 1785 .
Le 24 Décembre , vers les 4 heures du
matin , le feu a pris à l'Hôpital du Roi du
Folgoet, diftant d'un quart de lieue de Leſneven
en Bretagne, avec une telle violence, que
toute la partie du bâtiment , appellée la Direction
, a été confumée dans trois heures.
C'eſt à la célérité d'un détachement du Régiment
de Breffe , aux ordres de M. le
Vicomte de Bectoz à Leſneven , qu'on doit
le falut du reſte de l'Hôpital : cet Offçier
eſt arrivé à la tête de ſes ſoldats , avant
même qu'on pût eſpérer qu'il fût averti.
ds
( 82 )
Ces braves gens ſe ſontjettés au milieu
des flammes, ont démoli , dans un inſtant, le
bâtiment contigu , & ont enlevé un bucher
, appuyé à la maiſon incendiée , avec
unepromptitude inouie. Leur Commandant
fe portant par-tout, les encourageant & leur
montrant l'exemple. Le ſeul Directeur de
'Hôpital a péri dans les flammes , regretté
unanimement.
Louis-Hubert , Comte de Champagne
eſt décédé à Paris , le 4 Décembre dernier ,
&a été inhumé le 6 en l'Egliſe paroiſſiale
de Saint-Sulpice.
Catherine- Claire de Perrin - Lengary ,
Douairiere du Comte de Benavent-Rodès ,
Chevalier de l'Ordre royal & militaire de
Saint- Louis , Chef des nom & armes de la
Maiſon de Benavent Rodès , eſt morte , le
25 Novembre , dans ſes terres en Languedoc,
au dioceſe de Caſtres. :
Charlotte - Jofephe - Albertine- Marie de
Buiſſerit-Blarenghein , épouse de Henri-
Pierre - Jacques , Vicomte de Podenas ,
Meſtre de-camp en ſecond du régiment de
Baſſigny , eſt morte à Lille les Décembre
1785 , âgée de 22 ans.
PAYS- BAS.
DE BRUXELLES , le 8 Janvier.
Un courier de Verſailles arrivé à la Haye
( 83 )
le premier de ce mois , a apporté à Leurs
Hautes Puiſſances la ratification du Traité
de paix conclu avec l'Empereur , & celle
duTraité d'alliance conclu avec S. M. T. С.
L'Empereur a fait remettre à chacun des
Secrétaires des Ambaſſadeurs de la Républi-,
que une Boëte d'or avec trois billets de mil'e
livres. Les Ambaſſadeurs eux - mêmes ont
reçu du Roi de France des boëtes enrichies
de brillans , & ornées du portrait de Sa
Majesté Très-Chrétienne.
On a lu dans l'Aſſemblée des Etats de
Hollande , du 16 Décembre , un Rapport
des meilleures meſures à prendre dans la
perception des impôts de la Province en
1786 , pour ſubvenir aux dépenſes extraor
dinaires que les circonstances paſſées ont
néceſſitées. Les Commiſſaires du Rapport
ont propoſé dans ce but une reviſion de'a
levée des deniers publics , & la plus grande
économie dans les dépenſes. Les Etats ne
tarderont pas à délibérer ſur cet objet...
La Régence d'Utrecht , enfermée parla
Bourgeoiſie , a été forcéede conſentir à l'abolition
du Réglement municipal de 1671 ,
On avoit imprimé dans quelques Feuilles
que cette priſe de poſſeſſion avoit été conduite
avec autant de décence que de modération;
mais l'on ne retrouve ni l'une ni
l'autre dans l'Expoſé ſuivant de la Gazetre
de la Haye du 7 Janvier. Voici de quelle
maniere elle raconte cet événement :
Le19, le Conſeil de Vil'e tenant 'on affem
d6
( 84 )
blée ordinaire , il fut remis par quelques-uns des
Conſtitués d'un certain nombre de Bourgeois &
Habitans de cette Ville , conjointement avec
quelques - uns des Comités de la Bourgeoiſie ,
nommément le Procureur Hocvenaar , le Marchand
de Tabac Eldek , le Boutiquier Eelfing ,
certains Joncheer , de Vry , &c. au nom de la
Bourgeoifie ( qui avoit été invitée la veille de
ſe rendre à la place ordinaire du rendez- vous , &
qui avoit enſuite marché majestueuſemet vers
Ja Maiſon de Ville , qu'ils ont entourée & renfermée
de toutes parts ( comme le jour mémorable
du 2 Août dernier éterniſé par une médaille )
il fut remis , disje , une Adreſſe ou Requête à
MM. les Bourguemaitres , contenant une prétention
ou defir que la Direction de la Régence
intérieure de la Ville ne fût point déférée à la
Commiſſion qui devoit ſe rendre à la Haye pour
entrer en conférence avec S. A. S. le Seigneur
Stadhouder Héréditaire de l'Union ; mais
qu'elle für directement réglée , & que le nouveau
Réglement de Régence qui avoit été dreſſé fût
immédiatement applani. - A la lecture de
cêtreRequête, le Conſeil réſolut de communi
quer à la Bourgeoisie aſſemblée , que la Direction
intérieure de la Régence ne ſcroit point déférée
à ladite Commiſſion , mais réglée ici- Cette Réponſe
ne fatisfit aucunement la Bourgeoifie ,
laquelle prétendit que tout devoit immédiatement
être réglé. Le Conſeil délibérant alors de nouveau
, perſiſta dans ſa réſolution ;& pendant que
M. le Secrétaire en fit rapport aux Conſtitués , le
Conſeil ſe ſepara , & les Membres ſe retirerent
chez eux. L'après- midi , vers les trois heures ,
une députation des Bourgeois ſe rendit chez M.
le Bourguemaître Préſident, exigeant que le
Confeil s'aſſemblat à quatre heures : M. Le
:
( 85 )
Bourguemaître répondit que celane ſepouvoit
en conféquence d'une reſolution du Conſeil ,
ſuivant laquelle ledit Conſeil ne pouvoit pas
s'aſſembler le foir; mais que néanmoins ils pouvoient
le demander au ſecond Bourguemaître ,
& que ſi celui- ci l'approuvoit , alors il ne s'y
oppoſeroit pas. M. le ſecond Bourguemaître leur
donna auffi une réponſe négative : mais la dépu
tation allant en faire le Rapport au Bourguemaitre
Préſident , lui dit que le ſecond Bourguemaître
l'approuvoit; ſur quoi le Conſeil fut
convoqué. - Dix huit membres parurent à
cette Affemblée. Les Conftitués de la Bourgeoifie
y préſenterent une ſeconde Requête , infif
tant fur une terminaiſon finale , en déclarant
que puiſque le Conſeil avoit fait difficulté le
matin de tedégager du ſerment fait ſur le Réglement
de 1674, la Bourgeoifie l'en déchargevit
, & que tout le Conſeil ne fortiroit pas de
laMaiſon de Ville avant que tout ne fût réglé au
gré de la Bourgeoisie. Là-deſſus le Conſeilne ſe
trouvant pas en nombre affez grand pour pouvoir
prendre une Réſolution , envoya MM. Eyk & de
Ridder , afin de voir s'il étoit poſſible d'appaiſer
les Bourgeois ; mais ce fut ſans fruit , & le Confeil
réſolut de s'aſſembler de nouveau le lende
main . - MM. Eyk , de Ridder & Smillaert furent
chargés de faire accepter cette Réſolution
par la bourgeoifie. M. le Conſeiller de Haeften
ſeplaça ſur les eſcaliers de la maiſon attenante à
la Maiſon de Ville , & louée par le Vénérable
Magiſtratau nommé Janſen qui y tient auberge ,
il adreſſa de là la parole à la multitude , qui
continua cependant à rémoigner du mécontentement.
M. de Haeften leur dit que s'ils ne ſe reti
roient point , il ſe démettroit de ſa place de
Conſeiller. On lui repliqua avec cris : faites-le
( 86 )
dabord , nous pouvons bien nous paſſerde vous, nous
neferons pas en peine pour vous remplacer. Ces paroles
inattendues émurent tellement M. de Haeften
, que ' or qu'il rentra dans la ſalle où étoient
les conſtitués , on eut beaucoup de peine à appaiſer
ſes plaintes. M. Lidt de Jeude y réuffit
cependant , & ce fut lui qui le lendemain , à la
demande & au nom de M.de Haeften , fit à la
Société Bourgeoiſe au Raiſin bleu , des excuſes
pour les expreffions inconſidérées dont il s'étoit
ſervi, &qu'il eſpéroit qu'on voudroit bien lui
pardonner. Pendant que M. de Haeften parloità
la multitude ,le Conſeil ſe ſépara : ce qui ne ſe
paſſapoint néanmoins fort paiſiblement ; carMM.
les Bourguemaîtres ne gagnerent qu'avec peine
leurs caroffes dont les Bourgeois retencient les
roues : en arrêtoit également les chevaux ; mais
ceux- ci ſe cabrant fe dégagerent& ſemirent au
galop. M. leBourguemaître Préſident y eut fon
manteau déchiré, & ce Seigneur revenu à ſa demeure
, & montant le perron , auroit été renversé
parquelques enragés, s'il n'eutété délivrédeleurs
mains.
: Le lendemain 20 le Confeil fut encore extraordinairement
aſſemblé , & la Maiſon de Ville entourée
comme le jour précédent par une multitude
de Bourgeois . A'ors il fut réſolu d'arrêter le
Réglement , auſſi-tôt que les Etats le feiolent
d'une maniere conſtitutionnelle , ce qui demandoit
au moins trois mois. Cette ouverture ayant
été communiquée aux Bourgeois , la multitude
cria à haute voix : non , non , tout doit être fini
aujourd'hui , &nous ne nous feparerons point fans
cela. Enfin le Conſeil fit publier , vers les trois
heures , que le nouveau Réglement de Régence
ſeroit regardé dès le jour même comme arrêté ,
pour autant que cela concerne l'intérieur de la
( 87 )
Ville, & que le Conſeil tacheroit dediriger les
choſes de forte que cela fût réglé d'une maniere
conflitutionnelle aux Etats dans l'eſpacede trois
mois, &que lors même que cela ne ſeroit pas ,
on ne lui donneroit pas moins ſa ſanctionpar ſere
ment réciproque.
Paragraphes extraits des PapiersAngiois&autres.
>> L'Alliance conclue entre la France & la Ré-
>> publique , & dont la ratification a déja été
envoyée à Paris , cimentera l'amitié établie
-entre les deux Nations ; mais ce qui formera
fans doute , de la part des Hollandois , une
>>baſe plus ſolide encore pour cette inclination
>> que la convenance réciproque , ce font les
ſervices qui leur ont été rendus dans la guerra
>contre les Anglois. Les noms de Suffren & de
Bouille ne s'effaceront pas aisément de leur
>> coeur reconnoiſſant.On envoitune preuve nou
>>velle par une lettre de la Direction de la Com
pagnse des Indes Occidentales , au Départe-
>>>ment d'Amſterdam. Le Repréſentant deMgr.
le Stadhouder & les Directeurs ont écrit aux
EtatsGénéraux , pour leur expofer , qu'il
(toit bien connu de L. H. Puiffances , que M.
leMarquis de Bouillé , ayant le commandement
>>d'une partie des Indes Occidentales pour S. M.
Très-Chrétienne , avoit reconquis l'ifle de Sr.
>> Eſtache fur les Anglois , & qu'il avoit rendu ,
>>dans cette circonffarce , aux Commerçans tous
les effets & l'argent qui te trouvoient dans ladite
Ifle , & fur lesquelsi's avoient pu montrer
leurs droits. -Que déja depuis long-tems,
l'exemple de ce qu'avoit fait la Compagnie
ds Indes-Orientales à l'egard de M. de Suffren,
>> ils atroient pris la liberté de ſolliciter les com
((-881 )
>> ſidérations favorables de L. H. -Puiſſances;
>> mais qu'ils avoient été retenus par l'idée qu'ils
>> ne forment pas , ainſi que la Compagnie des
>>>Indes Orientales , une Société Marchande ,
> &que par là ils ne peuvent être conſidérés
>> comme Repréſentans de cette, partie des Habir
> tans Commerçans de la République , qui ont
>>g>oûté principalementles fruits de la générór
» fié de M. le Marquis de Bouilé ; mais que les
>N gocians intéreſſés au commerce des Indes
Occidentales ne s'étant pas encore adreſſés à
>>ce ſujet à L. H. Puiſſances , & paroiſſant ainfi
>>l>aiſſer cette démarche aux Directeurs , tandis
> que le moment préſent ſembloit être le dernie
>>>auquel on pouvoit avec décence, s'acquitter de
ice devoir de gratitude, ils penſoient qu'ils
>>>ne pouvoient le différer p'us long-tems . En
conféquence , ils propoſent aux Etats-Giné-
❤raux d'envoyer à M.le Marquis de Bouillé
comme il a été fait à M. le Commandeur de
>>>Suffren , telle marque publique de la fatisfaction
de L. H. Puiſſances , & de la reconnoil-
>> fance de la Nation , qu'Elles jugeroient convenable
Au reſte , pour l'intelligence de
cet articley il faut favoir que les Directeurs
>> de la Compagnie Occidentale ſont ſimplement
>>propriétaires du territoire ,tandis que ceux de
>> la Compagnie Orientale le font & du terri-
>> toire & du Commerce dans l'Inde. (Gaz. de
Leyde , n°, 104 .
: >>Les articles les plus dificiles à arranger dans
>> le traité de commerce que M. Eden eft chargé
de négocier, fontleavin & l'eau de vie. Quant
à la batiite , la France n'en fera pas même
>>>mention , attendu qu'en ſuppoſant que Tim-
►portation de la batiſte françoiſe fût permite
→ moyennant un droit modéré , l'ufage de cet
( 89 )
>article ne pourroit devenir plus général en
> Angleterre qu'il ne l'eſt actuellement.En con-
>> ſequence notre Miniſtere en levant la prohibi-
> tion qui exiſte ſur cet article , ne ſeroit pas
>>> fondé à exiger aucune commiſſion de la part de
laFrance à titre de retour. La contrebande du
>> vin eſt plus difficile que celle de la batiſte , &
>> c'eſt relativement à cette denrée que nous pou.
vans ftipuler des avantages en notre faveur ;
>> mais la Cour de Portugal verra-t-elle de bon
>> oeil l'importation des vins de France moyennant
un droit modéré ? Ne doit-t-elle pas
craindre que cette concurrence ne porte un
> coup funeſte au commerce des vins d'Oporto
? Un moment de réflexion ſuffira pour cal-
>mer les inquiétudes que le Gouvernement Portugais
pourroit concevoir à cet égard. Quel-
>> ques ſoient les droits ſur les vins de France ,
>> ceux d'Oporto doivent , en vertu d'un traité ,
>> être moins forts d'un tiers. L'importation des
> vins d'Oporto en Angleterre, ſe monte année
>> commune à 14000 tonneaux , & la confom-
> mationdu vin vendu ſous le nom d'Oporto ,
>> mais qui dans la réalité eſt du vin travaillé à
>> qui l'on donne ce nom , ſe monte à près de
>>sooco tonneaux. En ſuppoſant donc que l'An-
>> gleterre reçoive20 ou 30000 tonneauxde vin
françois , le débit du vin d'Oporto n'en fouffrira
aucunement , & la perte eſſuyée par le
fire au moyen de la diminution des droits ſur
>> les vins d'Oporto ſera compenſée par les droits
qui ſeront perçus ſur les vins françois , dont il
le fera une importation conſidérable; mais le
>>>point le plus difficile à arranger eſt celui des
>> eaux-de- vie françoiſes ; car fi le droit auquel
>> cet article eſt aſſujetti , étoit diminué confidé-
>> rablement on ſe verroit dans la néceſſité de
( وه (
›diminuerdans lamême proportion ledroit fur
>> les rhums ; autrement nos Colonies qui à tous
> égards méritent la préférence ſeroient forte-
• mentléfées, fimême elles n'étoient entiérement
ruinées. D'un autre côté ſi l'on diminue
>> les droits fur le rhum dansda même proportion
>> que ceux fur les eaux-de-vie françoiſes , le revenu
public s'en reſſentira ; d'ailleurs la
>> France ne regarderoit pas cette modération
> dedroits comme un grand avantage pour elle,
attendu que l'importation du rhum feroit affez
>> favorisée pour que cet article entrat en con-
> currence avec ſes eaux-de-vie. Les talens re-
3 connus de M. Eden font eſpérer qu'il faura
>> concilier les intérêts de la France. Pour amener
la négociation à une heureuſe iſſue , il ſera néceffaire
que les deux parties contractantes acquiſcent
à des conceffions mutuelles. L'Angleterre
en modérant les droits ſur les eaux
> de- vie françoiſes & ſur les vins , fera certainement
fondée à exiger de la part de la
France , une réduction ſemblable dans les
>> droits levés ſur les marchandiſes angloiſes qui
>font aſſujetties à leur entrée en France , àdes
>>droits preſque équivalens à une prohibition. Si
lanégociation eft conduite habilement , il eſt
posible que le Miniſtere François conſente
>> permettre l'entrée , moyennant un droit modéré
, des marchandises angloiſes qui font
actuellement afſujetties à de très-gros droits.
>>>La France pourroit même pouffer plus loin fa
générosité , en levant ſa prohibition qui exifte
à l'égard d'autres articles réputés decontre-
> bande",
>>Nos ennemis, diſent les PapiersAnglois, nous
> ont envié la poſſeſſionde la Jamaïque. Cette
Ife fingulièrementfertile ,contient3,500,000
acres, ce qui eft près de4 fois autant deterrein
> qu'en ont toutes nos autres Iles à ſucre priſes
enſemble. On compte 600,000 acres en bois
>& en paturages , 250,000 en ſavannes. La
> partie occupée par les rochers & le lit des rivie-
>> res comprend environ 350,500 acres. Il refte
> encore 2,350,000 acres de terres non cultivées.
On pourra juger des richeſſes immenfes que
>> promet à l'Angleterre, le défrichement pro-
>>greffifde toutes ces terres,lorſqu'on ſaura que
>> le revenu annuel qu'elle tire des à preſent de
>>cette Ifle, dont à peine lequart eſt en rapport,
>> fe monte à 7,00,000 liv. ſterl.
GAZETTE ABREGEE DES TRIBUNAUX (1)
PARLEMENT DE NORMANDIE.
:
Servante accusée devolparses maîtres , condamnée
par le premier Juge au dernier Supplice , renvoyée
par la Courfans condamner ni abfoudre.
Le 7 Aeût 1784 , la nommée Marie C ...
ayant deja ſervi pendant ſeize années , tant à
Ca-n qu'à Bayeux , eſt entrée au ſervice des
fieursT..... freres, riches Négocians à ..--
Le 25 Novembre ſuivant , ſur les huit heures
du foir , les ſieurs T ..... , ayant trouvé dans
la poche de ceste fille une bouteille à moitié
vuide de vinde Malaga , crurent devoir pouſſer
plus loin leurs soupçons & leurs recherches.
Viſite faite , fan beaucoup de précaution , dans
fon coffre, ils prétend rent y avoir trouvé,
(1) On foufcrit à toute époque pour l'Ouvrage entier
dont leprix eſt de 15 liv par an , chez M. Mars , Avoca
au Parlement , rue & hôtel Serpente.
( 92 )
entre autres chofes , un paquet de mouchoirs
fortis de leur magaſin , & 504 liv. en argent .
La ſcene ſe paffa entre les ſieurs T..... Un
ſieurT..... , leur parent , une fille de L ... ,
autrefois leur fervante , demeurant encore chez
eux, & la fille C... ;delle ſe termina par la
fortie de celle-ci , & par le refus que lui firent
les heurs T..... de lui remettre ſes hardes ,
fon argent, & de lui donner un certificat de
fidélité. Le 30 du même mois , la fille C...
leur fit donner une citation par le miniftere
de Me de B .... , commiflaire , elle ſe tranfporta
même avec lui chez les fieurs T
même refus de leur part. Appellés chez l'un
des Magiftrats du parlement , nouveau refus.--
Le 8 Janvier 1785 , tout eſpoir de conciliation
évanoui , la fille C... fit affigner les ſieurs
T..... au Bailliage de Rouen , & y conclut
comme dans fa citation. Le 14 Avril fui
vant , les fieurs T ..... donnerent leurs défenfes
, & expoſferent qu'ils retenoient l'argert
de la fille C ... , parce que cette fille , leur
ayantvolé un paquet de mouchoirs , i's avoient
tout lieu de penſer qu'elle leur avoit également
volé 504 liv. trouvées dans ſa caffette , qu'ils
ne lui rendroient point cette ſomme , jusqu'à
ce qu'elle eûr justifie comment elle lui appartenoit.
Le 29 Mai , ils dénoncerent la fille
C... au miniftere public pour vol domeſtique ;
celle-ci , décrétée de priſe de corps & emprifonnée
, fut condamnée à être pendue , comme
atteinte& convaincue de vol de mouchoirs .
Appel à Minima de la part du fubftitut de
M. le Procureur- général. Dans cet érat,
l'accuſée a fait imprimer deux mémoires juftificatifs
, ſignés d'elle & de fon procureur,
dans lesquels elle a foutenu qu'elle n'avoit pris
( 93 )
dans la cave la bouteille de vin de Malaga,
qu'à la follicitarion de la fille de L... 2°. Que
lepaquet de mouchoirs avoit été mis dans fon
coffre en fon abfence , foit par le fieurT.....
le jeune , foit par la fille de L ... qui l'avoit
accompagnée. 3 °. Que des 504 livres d'argent
trouvées dans ſon coffre , un particulier lui en
avoit donné 300 en forme d'indemnité , pour
l'inexécution d'une promeſſe de mariage qu'il
lui avoit faite; que les 204 livres reſtantes ,
étoient le fruit de les ſervices.-Pour juſtifier
ces faits , elle a rapporté une lettre du curé de
la Bouille , qui atteſte que pluſieurs perſonnes
avoient vu àcette fille, paſſant par le bourg ,
pour venir à Rouen , une certaine quantité
d'argent enveloppé dans un mouchoir, Une autre
lettre d'un particulier de Caen , qui diſoit avoir
connoiffance des 300 liv. à elle données pour
Pinexécution d'une promeſſe de mariage ; enfin
un certificat du particulier qui lui avoit donné
les 300 liv. Dans le premier de ſes mémoires,
elle débute ainfi, » --- Qu'un maître, armé de
preuves victorieuses contre le domestique in.
fidele qui s'eſt rendu coupable de vol , au-lieu
de le chaffer de fa maifon , prenne le parti
de le dénoncer à la justice , pour le conduire
à la mort : ce maitre cruel , malgré ſes
preuves & l'intérêt qui ſemblent l'excufer.
» n'en eft pas moins flétri par da juſte indigna-
>> tion publique , qui lui reproche le fang de
ce malheureux , & ſe révolte de le voir fa-
>>>crifferà la vile &
R méprifable conſervation d'un
ככ meuble , l'existence inapréciable d'un homme,
22 qu'un inftant de foibleſſe a égaré&que l'inftant
d'après pouvoit ramener au repentir &
rendre à la probité ; mais ce qui doit fou
( 94 )
lever dans toutes les amos la plus révoltante
horreur, c'eſt de voir un maître qui ne pou-
>>voit ſe diſſimuler à lui - même les fautes
>> graves de ſa conduite, fâché que fa ſervante
en ait pénétré ledangereux ſecret , tremblant
>> qu'elle le révele , emploie d'abord ſes efforts
à l'éloigner de la ville, lui retient dans ce
deſſein ſes effets , ſon argent & fon certificat
>> de ſervice , ſans lequel elle ne peut trouver
>> aucune place , & qui , dans l'impuiſſance de
réuffir àécarter cette fille , dont la préſence
» l'importune & l'inquiete , parce que , forte
»du témoignage de ſa confcience , irrépro
>>>chable & pure , elle s'obſtine à reſter , finit ,
» pour s'en débarraſſer plus sûrement , par
lui imputer ſans vérité , ſans vraiſemblance ,
» le vol de quelques mouchoirs , la dénonce
lâchement au miniftere public , n'ofant ſe
rendre ſon accufateur direct , & à l'aide de
deux témoins , dont l'un eſt ſon coufin-germain,
& l'autre ſon intime ami , la livre
aux bourreaux , pour calmer , par la mort de
cette infortunée , ſes craintes & fes inquié-
» tudes. Un tel honime eſt ſans doute .....
ſouverainement odieux ; & jamais les hideuſes
>> annales de la perverſité n'avoient fourni
> l'exemple d'un tel forfait ; c'étoit au ſeur
T..... le jeune , qu'il étoit reſervé de le
>> donner. « On lit plus loin. "-La juſtice ,
dont l'allure eſt ordinairement fi lente ....
» eſt devenue , pour me perdre , d'une promptitude
qui tient du prodige ; en huit jours
l'inſtruction a été faite & une ſentence de
> mort prononcée. Pourquoi donc cette étrange
»& ſuſpecte précipitation ? Pourquoi donc
m'étonner ſubitement chaque jour Moi ,
( ور (
créature foible & malheureuſe, par un nouvel
>> acte de procédure , d'autant plus effrayant ,
» que je ne pouvois rien y entendre ! Pourquoi
» mon interrogatoire prêté , ne me pas laiſſer
>> au moins quelques jours pour tranquilliſer
mes eſprits , chaſſer l'effroi de mon ame , &
» puiſer dans le ſentiment de mon innocence ,
» la force de la défendre ? Dans un autre en
droit. La Juſtice .... ſourde aux repré-
> ſentations d'une infortunée , ne vouloit-elle
donc entendre de la victime , que les cris
>> de douleur arrachés par le ſupplice ? Ou
> l'empire du vice eſt il fi puiſſant , que le
>> ſieur T.... , en obsédant mes Juges , leur
ait fait perdre leur ſenſibilité , & fufpendre
> pour un inſtant l'exercice de vertus qui leur
> font famillieres , & qui doivent être , en tout
>> temps , le plus impénétrable égide de l'innocence.
&c. &c. - Dans le ſurplus de
ce mémoire , la fille C .... impute au ſieur
T.... , le jeune , d'avoir voulu la ſéduire ,
méme lui faire violence ; d'avoir une conduite
-ſcandaleuſe avec la fille de L.... , & d'avoir
avec celle- ci , complice , fait périr, de la ma
niere la plus horrible , le fruit de leur incontinence.
Elle impute particulièrement à la fille
de L .... , de l'infidélité dans la maison du ſieur
T .... , & des faits de méchanceté envers elle
accuſée. Enfin elle reproche à M. de B .... ,
Commiſſaire , d'avoir exercé , envers elle , des
actes de partie & de violence , lorſqu'elle s'étoit
rendue avec lui chez le ſieur T ... , le
30 Novembre 1784. Le fieur T .... , la fille
de L.... & M. de B .... , Commiſſaire , ont
donné leur requête d'intervention , & ont demandé
que les mémoires de la fille C.... fuf(
96 )
Tent lacerés par l'Huiffier de ſervice ; comme
libelles injurieux & diffamatoires , avec réſerve
de prendre la voie extraordinaire contre les
Auteurs , Imprimeurs & diſtributeurs. La Cour ,
par ſon Arrêt du 12 Août 1785 , a mis l'appellation
de ce au néant , corrigeant & réformant
, a renvoyé la fille C... , fans condamner
ni abfoudre , a ordonné que fon argent &
ſes effets lui ſeroient rendus , & que les priſons
lui ſeroient ouvertes ; ayant aucunement égard
aux requêtes d'intervention du ſieur T... , de
le fille L... & de M. de B ... , les a réſervés
à leur action contre les Auteurs , Imprimeurs
&Distributeurs des mémoires de la fille C....
ainſi qu'ils aviſeroient ; faiſant droit ſur les plus
amples conclufions de M. le Procureur général,
a ordonné que les mémoires de la fille C...
ſeroient brûlés au bas du grand efcalier du Palais
, par l'Exécuteur de la Haute - Juſtice ,
comme contenant des maximes faufſes , erronées
, ſédițieuſes & incendiaires.
ERRATA.
211
T
τ
Nº. 52. pag. 166 , le Comte de Brachet de
Floreſſac, lifez le Marquis.
Nº. 1. pag. 37 , M. Pastoret , Confeiller
à la Cour des Aides de Provences lifez de
Paris.
$
Pag, 2 , teindrree la cire; lifez lafoie.
1
:
7
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 21 JANVIER 1786.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE AUX MUSES ,
SAVANTES
Début Poétique,
AVANTES Soeurs , Nymphes toujours chéries;
Vousdontjamaisje ne ſuivis la Cour ,
Apprenez-moi quelles rives ficuries
Sont maintenant l'objet de votre amour.
Vos pas jadis errans dans les campagnes ,
Ne fréquentoient que ces doctes montagnos
Où la fraîcheur des lauriers immortels
Vous captivoit auprès de vos autels;
Mais aujourd'hui , firènes vagabondes ,
Que parcourant les Royaumes divers ,
Vous avez fu , par le charme des vers ,
Nº. 3 , 21 Janvier 1786. E
98
MERCURE
Avotre char enchaîner les deux mondes ,
Aquelle adreſſe un Rimeur indiſcret
Pourroit-il bien vous écrire un ſecret ?
Ou je m'abuſe , ou les bords de la Seine
De vous fixer ont mérité l'honneur ;
Sesflots divins font les eaux d'Hippocrène;
Ceux qui d'en boire éprouvent le bonheur ,
D'un coursléger ſentent couler leur veine.
Là, vous errez parmi vos favoris:
Recevez donc mon Épître à Paris.
Depuis long-temps je nourris dans mon âme
Le ſentiment de la plus pure flamme ;
Je ne faurois contenir mon ardeur;
1
Et c'eſt pour.... vous.... que foupire mon coeur.
Pardonnez-moi ce fincère langage ;
Daignez ſourire à mon premier hommage ;
Vous ignoreż ces refus orgueilleux
Que l'on reproche à nos Beautés mortelles ,
Et quelquefois d'un regard amoureux
Vous honorez vos ſerviteurs fidèles .
Je l'avoûrai ; dès mes plus jeunes ans
Je fus toujours ſoumis à votre empire ;
Mais je cachois mes tendres ſentimens ;
Car ( permettez que j'aſe vous le dire )
Dans nos climats vous avez peud'amans ;
La faute en eſt à l'air qu'on y reſpire ;
Mais reſpectez les arrêts du deſtin
Qui nous fit naître à Quimper- Corentin.
!
DE FRANCE.
Quoi ! ce grand nom fait ſourire Thalie !
Il eſt chanté dans la Métromanie ,
Poëme heureux qu'elle- même a dicté ;
Ce mot encore égaya le génie
De ce buveur des eaux de Caſtalie ,
Conteur charmant que vous avez garé ;
Mais convenez , trop avares Déeſſes ,
Que rarement nos climats rigoureux
Ont éprouvé ces fécondes largeſſes
Dont vous comblez ces Courtiſans heureux
Qui dans Paris épuiſent vos careſſes.
Il eſt bien vrai , l'écrivain fingulier (1 )
Que le ſavoir fit bâiller aux chimères ,
Et dont la main ſur le front des Homères
Ola flétrir leur antique laurier ,
Pour décorer de la couronné épique
Des fronts pelés par la vie afcétique :
Ce Philofophe aimable , ingenieux , (2 )
Qui de la brute expliqua le langage ,
Et qui peignit, dans un plus noble Ouvrage,
La politique aux replis tortueux;
Celui qui futd'un vol audacieux ( 3 )
S'ouvrir la route au templede Mémoire ,
Et dont la Muſe en vers mélodieux
(1) Mardouin.
(2) Bougeant.
(3) Fréron.
1
"
وو
E ij
100
MERCURE
Chanta ce jour conſacrédans l'Hiſtoire,
Où ſur le front de notre auguſte Roi ,
L'on vit enfin deſcendre la victoire ,
Long-temps douteuſe , aux champs de Fontenoi:
Ces Écrivains honorent leur Patrie ;
Mais ſubjugués par vos charmes vainqueurs ,
Dès leur printemps on vit ces déſerteurs ,
S'abandonnant à l'eſſor du génie ,
Sous d'autres cieux mendier vos faveurs.
こPour moi chétif , dont la triſte Minerve
Captive , hélas ! aux bords Armoricains ,
Ne fut jamais dans ces pays lointains
Dont l'air fécond inſpire de la verve ,
Muſes , je viens pour la première fois
Avos chanſons unir ma foible voix .
Si vous daignez de vos regards propices ,
D'un ſol ingrat honorer les prémices,
Et pour mes vers implorer Apollon ,
Je vous promets , ( foi de Rimeur Breton , )
Que tous les ans aux rives de la Seine
Vous recevrez le tribut de ma veine.
(Par M. Morvan , Avocat à Quimper.
DE FRANCE. Iof
COUPLETS à M. LETELLIER , Premier
Valet de Garderobe du Roi, à l'occafion de
JonMariage avec Mile D'ORVILLIERS ,
célébré au mois de Novembre dernier , dans
la Chapelle du Chateau de Vaux , près
Vernon en Normandie.
Surl'Air: D'ľinftant qu'on nous mit enménage.
CHHEERRGaſpard, ſi de ton Yvone
Je voulois tracer le portrait ,
En diſant qu'elle est belle & bonne ,
Tout auſſitos il feroit fair.
Maisj'aurois , mais j'auroisun peutropd'ouvrage,
Je prendroisdes ſoins ſuperflus ,
S'il me falloit rendre un hommage
Achacune de ſes vertus. bis.
Ane ſimples paquets de myrrhe
Ton Patron bornoit ſes préſens ;
Acelle qui t'a ſu ſéduire ,
Toi , tu portes l'or & l'encens ;
De ſon choix , de ſon choix ton âme eſt ravies
Mais ton bonheur , mais ton repos
Ne vont laiſſer toute ta vie
Quedes regrets à tes rivaux. bis.
E iij
102 MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Dégoût ; celui
de l'énigme eſt la Fève du Gâteau des Rois ;
celui du Logogryphe eſt Miracle , où l'on
trouve race , ail air , mari , lice , mail , arc,
Émir , larme , rime , Marie , Mai , lyre ,
ame , re, mi , la , claie , Lima , mie, mâle ,
Claire,mer, lie , mal , raie , Carmel , miel
lame lac , ciel , Marc , Carme, cale,rame,
time , cire , ire, aile , arme.
Αυ
CHARADE.
temps heureux où monpremier
Donnoit fon nom à mon dernier,
On n'éprouvoit point mon entier.
(Ear un Membre de la Seciéré Littéraire de
PLUS
Goven , près Rennes en Bretagne.)
ÉNIGME.
forla terre encor qu'en d'autres lieux ,
Mon genre , Lecteur curienx
De voir mon exiſtence à vos yeux éclaircie ,
Mon genre eft féminin ;
DE
103
FRANCE.
Mais je ſuis amphibie
Quand je ſuis mafculin.
Amphibie , à vos voeux j'apporte des richeſſes;
Et féminin, je ſers lesplaiſirsdes amans. 1
Hélas! que me font ces largeſſes ?
Je ſuis pauvre , ou je fais nombre d'indifférens.
(Par M. de Viévigne. )
DEUS
LOGOGRYPΗ Ε.
EUX Poëtes fameux ont chanté mes attraits ,
Ont célébré mon art magique ;
Je règne avec éclat ſur la Scène Lyrique ,
Grâce au talent fublime , à la touche énergique
Du moderne Amphion qu'admirent les François.
Sixpieds compoſent tout mon étre ;
Dansces fix pieds , Lecteur , fi tu veux me connoître ,
Tu trouveras un élément ,
Un ſéjour périlleux & rarement tranquille ;
Ceque cache un vieillard ; ce que cherche une fille;
Le titre qu'elle brigue avec empreſſement;
Cequ'un Rimeur pourſuit& qui le fuit ſouvent
Deux notes de muſique , un jour de la ſemaine ;
Un nom bien cher devenu trop commun ,
Qui n'offre plus qu'une apparence vaine ,
Et qu'indistinctement l'on prodigue à chacun ;
Un inſtrument terrible autant que néceſſaire ;
Ce que font mouvoir les rameurs ;
Fiv
104 MERCURE
Le lieu qui leur préſente un abri ſalutaire
Où viennent de la mer expirer les fureurs;
Un mont célébré par Homère;
Enfin ce mois charmant que Dorat a chanté
Ce mois où la Nature entière
Reprend ſa force& ſa beauté.
(ParM. Leroy fils . )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
:
ALMANACH des Muses , 1786. A Paris ,
chez Delalain l'aîné , Libraire , rue Saint-
Jacques, vis-à-vis celle du Plâtre.
:
CE Volume eſt d'ordinaire la production
deplus de foixante-douze Poëtes. Le nombre
eft encore plus grand, de ceux qui , ayant travaillépour
en groffir la liſte , ont vû tromper ,
Anon leur eſpoir pour l'avenir , au moins leur
prétention actuelle.
Au defir d'être admis , ſuccède , chez chacun
des concurrens , un affez puiſſant intérêt,
celui d'apprendre quelle part de gloire lui
fera faite par le Public & les Journaliſtes.
La tâche de ces derniers n'eſt pas facile ; bien
fou celui d'entr'eux qui aſpireroit à la remplir
d'une manière fatisfaiſante pour tout le
monde ! Ce feroit en effet un phénomène
politique des plus étonnans , que de conci
DE FRANCE. 105
lier ſoixante-douze amours-propres intéreſſes ,
& qui rivaliſent preſque tous , finon par les
talens , au moins par les prétentions ! Encore
n'avons - nous pas compris dans notre
calcul , les Poëtes anonymes , à qui il a été
plus facile de taire leur nom , que d'étouffer
leur vanité; qui ne ſe cachent bien ſouvent ,
que dans la vue & l'eſpoir d'augmenter leur
jouiſſance ; & qui ſont d'autant plus admis
à improuver notre jugement , qu'ils paroifent
eux-mêmes des juges déſintéreſſes.
Quoi qu'il en ſoit , nous allons parcourir ,
ſuivant l'uſage , cette galerie poétique ; nous
donnerons , non pas notre jugement , mais
notre opinion ſur les tableaux qui la compoſent:
mais nous demandons grace d'avance
fur les erreurs & omiffions que leur nombre
peut faire naître &doit excuſer tout-à-lafois.
Il eſt certain que l'Almanach des Muſes
a perdu , depuis quelque tems , nombre de
ſes meilleurs tributaires ; ce qui fait dire àpeu-
près chaque année , qu'il eſt plus foible
que les années précédentes. Mais en évaluant
avec juſtice les pertes réelles qu'il a
faites , peut- être ne fait-on pas affez d'attention
à ſes acquiſitions nouvelles; peut-être
ce qui contribue à faire croire que ſon mérite
décroît , c'eſt qu'on en jouit depuis trèslon-
gtems; on diroitſouvent que c'eſt un tribut
que tout même dans le moral , doit
payer au cours des années , & que rien ne
peut vieillir fans enlaidir en même - tems.
د
Ev
106 MERCURE
Au reſte, le recueil de cette année nous a
fait à-peu-près le même plaiſir que les pré
cédens.
On y lit de M. Bérenger pluſieurs Pièces
agréables ; notamment un Conte intitulé ,
le Singe & le Petit-maitre , que nous avions
inféré dans ce Journal.
Quelques poéſies qui avoient déjà annoncé
M. de Boisjoflin , nous ont fait lire avec
intérêt celles qu'il a fournies au Recueil de
cette année ;& elles n'ont point trompé l'efpoir
que nous en avions conçu. Les trois
pièces qu'on lira de lui, obtiendront le ſuffrage
des amateurs de la Poéfie. Nous nous
permettrons ſeulement une obfervation. Son
fragment fur les fleurs , qui eſt plein de détails
charmans , finit par une idée qui nous
paroît une penſée fauffe. Ily raconte que
Zéphyre aime toujours la tulipe , Nymphe
autrefois , & fouftraite à ſon amour par une
métamorphoſe. En errant parmi le Heurs ,
nous dit le Poëte , c'eſt elle feule qu'il cherche;
Et s'il paroît volage, il n'eſt plus infidèle.
Pour donner de la vérité à cette penſée,
qui n'eſt que brillante , il faudroit que
Zéphyr aujourd'hui ne reconnût plus la tulipe
: or , le contraire eft exprimé par M. de
Boisjoflin, qui le peint au moment où il veut
reſpirer Thaleine de ſon amante , devenue
fleur , mais fleur inodore.
Au reſte , cette faute peut échapper à tout
DE FRANCE. 107
le monde; & peu de perſonnes annoncent
autant de talent poétique que M. de Boisjoflin.
Ceuxqui n'ont point connu M. le Chevalier
deBonnard, liront avec intérêt fon Epitre
àMadame Sophie;& ceux qui ont eu lebonheur
de vivre avec lui, s'attendriront ſur cette
petite Pièce , où l'on retrouve la ſenſibilité
&l'aménité de cet homme eſtimable enlevé
àſes amis par une mort prématurée.
L'Ode à une Quakreffe, par M. Caftera ,
eſt moins remarquable par les détails que par
le cadre , qui est très-heureux .
Une narration vive & ingénieuſe diftingue
leConte fort gai du Chapelier , par M. de
Ch**
Ily a bien autant de gaîté dans des Couplets
de M. le Marquis de Ch *** , qui ont
couru dans le monde , & qui commencent
par ce trait:
:
:
De L.... ſuivant les leçons ,
Je fais des chanſons & des dettes :
Les premières ſont ſans façons ,
: Mais les dernières ſont bien faites.
M. de Choiſi , depuis pluſieurs années ,
contribue à l'ornement de l'Almanach des
Muſes. Parmi quelques Pièces qu'on lit de
lui dans ce Volume ,on diftinguera fon Épître
àSéraphine.
Nous avons lû fans plaifir une Élégie amoureufe
de polardeau , fur la mortd'une mai-
E vj
108 MERCURE
treffe. Cette Pièce attriſte ſans intereffer. :
Etje ſens
Desos s'entrechoquer ſous mes pas chancelans.
Tranquilles offemens , pour charmer ma douleur ,
Écartez-vous : je vois la place de ſon coeur.
Toutcela n'a rien d'intéreſſant. Même en parlant
de l'amour malheureux , le Poëte doit
s'abſtenir de certaines images. Il ne faut pas
que ſes tableaux fallent détourner les yeux de
ſes Lecteurs; il faut au contraire qu'il les attache
à ſes peintures; il faut qu'on s'attendriffe
, mais qu'on ſe plaiſe au récit de ſes
douleurs. Voilà pourquoi le Légiflateur Defpréaux
a dit , en parlant de l'Élégie , qu'il
falloit la faire gémir fur un cercueil.
M. le Marquis de C. V. , dont on n'auroit
pas dû recueillir le Madrigal trop peu piquant
à une belle Devote , a de très - jolis détails
dans une Pièce intitulée : L'Amour de l'Enfance.
On defireroit ſeulement qu'elle finît
d'une manière plus ſaillante,&que l'Auteur
ſe fût paſſe de quelques expreſſions marotiques
, qui ſemblent étrangères à la Pièce ;
car , à trois ou quatre mots près, le morceau
entier , qui eſt d'environ quarante vers , eſt
écrit en langage moderne.
Nous ſommes fachés que , dans ſa Pièce
intitulée : La piqûure d'épingle ,M.. Crignon
veuille qu'une épingle s'enfonce dans le coeur
de ſa maîtreffe,parce que les traits de l'Amour
n'ont pu l'entamer. Il faut toujours mêler un
DE FRANCE.
109
peu de raiſon , même à la paſſion des amans ,
même à l'enthouſiaſme des Poëtes .
On doit à M. C** un Conte gai & original
que nous allons citer pour égayer cette nomenclature.
Certains voleurs exerçant leur métier
Dans la Capitale du Maine,
Avoientpris pour ſe rallier
Chacun un nom des jours de la ſemaine.
Dimanche étoit celui du Capitaine;
Et Lundi , Mardi , Mercredi ,
Jeudi, Vendredi , Samedi ,
Les noms du reſte de la bande.
DEPUIS deux mois , plus d'un Bourgeois Manceau
Étoit en butte àleur bruſque demande ;
Tantôt Lundi rapportoit un manteau ,
Une peliffe , une baſque coupée ;
Mardi , par une autre équipée ,
Revenoit avec une épée ,
Une montre , unjonc , un chapeau :
Mercredi , Jeudi , de leurs courſes
Avec Vendredi , Samedi ,
Recueilloient tabatières , bourſes ,
Etcatera. Le ſeptuor hardi
Comprenoit tout dans ſon domaine.
Un beau jour Dimanche fut pris ;
Et le lendemain , ſans furſis ,
On pendit toute la ſemaine.
On trouve dans ce même Volume quatre
110 MERCURE
, Épigrammes de M. Daillant de la Touche
dont nous avons eu pluſieurs fois occaſion de
louer le talent aimable & vrai.
- Parmi quatre Pièces foibles de M. l'Abbé
Dourneau , nous avons diftingué ce quatrain :
O combien des Auteurs les deſtins font heureux !
Le laurier ceint leur front; leurs plaiſirs ſont extrêmes;
S'ils fontbons , le Public alors eft content d'eux;
Sont- ils mauvais ? N'importe! ils ſont contens d'euxmêmes.
Nous regrettons ſeulement que l'Auteur air
laiſſe ſubſiſter le premier hemiſtiche du ſecond
vers , le laurier ceint leur front , parce
qu'il ne prépare point l'idée du quatrain ,
& qu'il fait même un contrefens. En effer,
la penſée tombe fur les bons & les mauvais
Auteurs; or , le laurier ne ceint pas le front
des mauvais Auteurs. Nous aurions voulu
qu'on eût changé le vers à-peu-près ainfi :
Quels que foient leurs talens ,leurs plaiſirs font extrêmes.
Que's que foient leurs talens , auroit naturellement
amené la penſée des vers fuivans ,
parce qu'il comprend à la fois les bons & les
mauvais Auteurs.
On lit avec plaifir trois pièces de M. le
Chevalier Dupuy des Iftets ; ainſi qu'un
quatrain fort gai de M. de Z. B. à Monfieur***
DE FRANCE. 111
en lui envoyant ſa Comédie du ***.
Vous voulez à veiller accoutumer vos yeux :
Veiller ainfi long temps , ce n'est pas être ſage;
J'ai paflé quinze nuits à polir cet ouvrage ;
Lifez-le : il est bien temps que nous dormions tous
deux.
Ce quatrain qui promet du ſommeil , donne
envie de ne pas en croire l'Auteur fur fa
parole.
Quatre Fables de Mde. la Marquiſe de
la Fer *** , réclament les éloges que nous
-avons toujours cra devoir aux productions
de cet aimable Poëte. Ce font , d'ordinaire ,
les préceptes d'une morale ingénieuſe rendus
avec toute la grace d'une douce fenfibilité.
La fin de la Geniſſe & sa mère eft
touchante ; mais nous ne réſiſterons pas à
l'envie de tranſcrire ici en entier la Fable de
la Pie& l'Hirondelle.
Eh ! vous voilà , ma bonne amie ,
Diſoit la babillarde Pie
A l'Hirondelle au retour du printemps !
Vous paroiffez vous bien porter , ma mie,
Aina que votre époux & vos jolis enfans.
Vous êtes tous heureux, vous faites bou ménage ;
C'eſt aſſez rare dans ce temps.
Contez-moi donc hiftoires de voyage.
Qu'avez- vous vu de curieux ,
Et rencontré de dangereux ?
112 MERCURE
Dans nos forêts point de nouvelles :
Les criailleurs de geais ſont toujours en querelles ;
Les avides moineaux dévaſtent prés & champs ;
Les fauvettes enfin chez nous font infilelles
Sans ceſſe à leurs maris , & même à leurs amans.
Non loin de ce chêne où j'habite ,
Et près de la maſure autrefois votre gîte ,
Demeurent depuis peu detendres tourtereaux ;
Ce ſontde bons voiſins, mais de triſtes oiſeaux :
La tourterelle
Eſt douce & belle ;
Mais , entre nous , il n'eſt len de fi fot:
Elle reſte avec moi toute l'après-dinée
Sans defferrer le bec , fans me dire un ſeul mot ;
Je crois que ſans parler elle paſſe l'année :
Avez-yous connu de vos jours
Plus inſupportable femelle ? ....
Oh ! oui , repartit l'Hirondelle ,
C'eſt celle qui parle toujours.
Nous citerions de M. Guichard un Dia
logue de huit vers , auſſi piquant que laconique
, intitulé , l'Amour & l'Amitié , s'il
n'avoit déjà paru dans ce Journal , ainſi que
de jolis couplets à Mlle. de St. Léger, par
M. Hennet.
La Fable que M. Guyetond a imitée de
l'Allemand , ſous le titre de la Linote , eſt
trop alongée ; mais elle ades traits agréables.
Nous en dirons autant d'une pièce de M.
DEFRANCE.
113
Hoffmann , intitulée les plaisirs de l'hermitage,
dans laquelle on remarquera les détails
les plus heureux.
M. Fallet a donné un Hymne au Sommeil.
Le but en eſt d'engager ce Dieu à endormir
telle &telle ſorte de perſonnages qu'on
lui dénonce ; une recette contre ce voeu de
l'Auteur , ſeroit la lecture de l'Ouvrage
même.
On trouvera dans le même volume une
jolie pièce de l'Auteur des Lunes, ſous le titre
de nouvelle Suite à mes malheurs. Rien n'eſt
plus gai d'ordinaire que le récit des malheurs
du Coufin Jacques.
Nous croyons qu'on lira avec beaucoup
de plaiſir une aſſez longue Epître de M.
Imbert de Champréal à M. le Baron de
Boisbaudron. On y remarquera un perfiflage
agréable , & des tableaux de moeurs aufli
gais qu'ingénieux.
L'idée d'une pièce de M. Lalleman , intitulée,
le Couvent , qui , d'ailleurs , eſt foiblement
écrite , ne nous a pas pas paru de
bon goût. Le Poëte , très faché contre le couvent
qui renferme ſa maîtreſſe , ſe plaint
de ne pouvoir pas renverſer des murailles
par ſes pleurs , comme Amphion en élevoit
par les fons de ſa lyre.
Hélas ! s'il éleva des murs par ſes accens ,
Par tant de pleurs ne pourrai je en détruire ?
Nous croyons que , ni un Amant , ni un
Poëte ne peuvent ſe flatter de détruire des
114
MERCURE
murs par leurs larmes ; & nous conſeillons
au Lecteur de lire bien vîte du même Poete
la pièce du Corfet blanc , dont l'agrément &
la vérité le réconcilieront avec lui.
On trouve un ton de mélancholie &
une manière poétique dans la Deſcript.on de
la route de Briançon , par Mde Laugier de
Granchamp , ci -devantMlle de Gaudin ;&
on lit avec plaifir ,de M. le Bailli , une imitation
d'une Elégie d'Ovide , avec une Fable
intitulée la Métamorphose du Singe , ainfi
qu'une Epître agréable de M. Legrand à
M. de Choifi.
M. Léonard, dont le talent aimable a déjà
produit un nombre d'Ouvrages eſtimés ,
afourni pluſieurs pièces , parmi leſquelles
nous avons remarqué l'heure du Berger
le Confeil intéreffe, deux eſpèces de petits
Contes fort courts; les autres nous ont paru
foibles.
Oin diftinguera aufi une Eglogue traduite
de Virgile , par M. Notaris , pièce qui prouve
un talent marqué pour la vertification; des
vers ingénieux à une femme de trente ans ,
par M. le Chevalier de N**; plufieurs quatrains
ou fixains piquans de M. de laPlace;
une Epitre à mon meilleur amil , ingénieuſe,
faillante & d'un vrai talent, par M.
le Comte de Tilly ; & des détails heureux
dans la Métamorphose d'Acléon , par M. le
Chevalierde Pascalis.
M.Pons de Verdun eſtenpoffeffion d'égayer
ſouvent ce Recueil par de petits Contes tour
DE FRANCE .
nés d'une manière gaie, & ſouvent originale.
Quatre vers de M. de Pechmeja , rappellent
l'anecdote attendriſſante de fon amitié
pour M. Dubreuil , auquel il n'a pu
furvivre , ſentiment qui a été conſacré de
puis leur mort par des éloges ſi juſtes , &
trop rarement mérités.
M. Perez d'Uxo a chanté de la manière
la plus gaie l'aventure des filets de Vulcain ,
ſous le titre d'attrapez - nous toujours de
même, titrequi vient heureuſement en refrein
terminer les couplers. Ce font les habitans
de l'Olympe , qui, appelés par Vulcain pour
venir voir le Dieu Mars pris au piège , difent
au mari de Vénus :
Et ben , bon , bon, le piége eſt fort bon;
Attrapez-nous de même.
Unc idée piquante, mais qu'il faut chercher
un peu, a fait faire à M. de Rhulières , (qui
ſemontreunpeu trop avare de ſes ingénieuſes
productions ) une petite Pièce intitulée : le
dondu Contre-temps.
M. Nogent a fourni un morceau bien
foible , ſous le titre de mon retour à mes
foyers , avec une Fable agréable: l'Aiguille de
Montre.
Mais une Pièce qui paroît avoir fait une
vive ſenſation , c'eſt une Epitre de M. le
Comte de R *** au Roi de Pruſſe. En effet,
c'eſt avec éclat que s'annonce comme Poëte
M.de R***, dont on connoît fort peu devers,
mais qui est très- connu par un Ouvrage qui a
116 MERCURE
fait du bruit, un Difcours ſur l'Univerfalité
de la Langue Françoise, couronné à l'Académie
de Berlin. Ce qui caractériſe ſon Épître ,
c'eſt unfaire vraiment poétique , du nombre,
des expreffions brillantes , & de la variété
dans le ton. Il a ſu mêler heureuſement la
fatyre& l'éloge ; l'éloge qui s'adreſſe au Roi
de Pruffe& à Voltaire, eſt inſpiré par une
eſtime très-méritée,& la fatyre par un reffentiment
littéraire , dont nous ne chercherons
ni à deviner le ſecret ni à diſcuter les droits.
Nous allons citer deux tirades dans l'un &
l'autre genre.
Ah! je vous reconnois, mes généreux confrères ;
Vous pleurez un ſuccès: vos larmes ſont ſincères.
Mais je pourrois encore aigrir vos déplaiſirs ,
Et de votre douleur égayant mes loiſirs ,
Exciter ma pareffe à ſervir ma vengeance.
Dieu qui permet l'attaque , a permis la défenſe.
Il ſouffre qu'à l'église , au Théâtre , auBarreau ,
Une utile diſcorde allume ſon flambeau :
Le talent dormiroit ſans un peu de colère..
Ainſi n'allez donc pas , obſcur folliculaire ,
Quand vous m'inſulterez , compter ſur monmépris;
Leplus vil d'entre vous pourroit s'y trouver pris.
En vain de ſa baſſeſſe un Pradon s'environne ;
Boileaudans ſon courroux ne mépriſoit perſonne.
Ajoutons à ces vers la ſeconde tirade que
nous avons promife , & qui doit achever de
juftifier nos éloges.
DE
117
FRANCE.
Du vieillard de Ferney la main brillante & pure
Treſſa de tes lauriers l'immortelie verdure ;
Et ſur le même autel où tu reçus ſes voeux ,
Il t'offrit un encens qui brûloit pour tous deux :
Vous commerciez de gloire en vous rendant hommage;
Vos noms toujours nouveaux , rajeunis d'âge enâge,
Brillans du double éclat des armes &des vers ,
En vainqueurs alliés parcourront l'Univers ;
Et l'on dira toujours Frédéric& Voltaire ,
Comme on unit encore Achille avec Homère.
Dans l'Odefur l'Immortalité de l'Homme,
par M. Roucher, on trouve de belles , de
très-belles expreſſions,&cet os magna fonaturum
d'Horace , qui auroient décelé l'Auteur
du Poëme des Mois , quand on n'auroit pas
vû ſon nom au bas. En diſant que l'âme ne
meurt pas , il ajoute :
C'eſt d'un vêtement de poussière
Qu'elle ſe dégage àla mort.
Quand elle s'élance vers les cieux , elle va ſe
mêlerà l'Éternel;&nous pourrions citer pluſieurs
autresexpreſſionsd'une auſſirichepoéſie.
Mais l'amitié pardonnera quelques obfervations
que nous ſuggère l'eſtime. La manièrede
M. Roucher a un écueil; c'eſt unexcès de hardieſſeque
le goût condamme comme un abus
dutalent.
Ettout l'homme eſt rentré d'où l'homme étoit forti ,
forme une faute de langue. On ne dit pas
118 MERCURE
rentrer d'un lieu , mais rentrer dans un lieu.
M. Roucher ne l'ignore pas ; mais il dira qu'il
a faitune ellipfe: ellipfe foit; mais il ne falloit
pas faire une faute de françois. On dit
bien: Il eft retourné où il étoit venu; & c'eft
uneellipfe; car il faudroit dire: Il est retourné
là où il étoit venu ; mais obſervons que ces
deux verbes retourné& venu , ont le même
regime. C'eſt par la même raiſon qu'on ne
peut pas dire : J'ai profité & poflfédé votre
richeffe, quoique celui qui employeroit cette
expreffion , fût bien le maître de s'excufer ſur
Pellipse , en difant que c'eſt comme s'il avoit
écrit: J'ai profité de votre richeffe, &j'ai pof
fédévotre richeffe.
Vous élance au-delà du temps.
On dit bien lancer quelqu'un ; mais on ne
peut pas dire élancer quelqu'un , quoiqu'on
dife s'étancer; comme on dit s'évader , ſans
qu'on puiſſe dire évader quelqu'un.
:
Ou nedit pasnon plus douloureux des horreurs
du trépas , parce que douloureux n'a
point de régime ; nous n'approuverons pas
davantage animer de mots un portique. Boileau
adit :
Sur-toutqu'en vos Écrits la langue révérée ,
Daus vos plusgrands excès , vous ſoit toujours ſacrée.
Nous ſavons bien que le Poëte qui ſe perimet
ces hardieſſes la , doit juger exceffivement
timide le Critique qui ne les approuve
point ; mais nous croyons que M. Roucher a
DEFRANCE.
aſſez de talent pour concilier les intérêts de
la langue & de la poéfie, pour réunir la har
dieſſe du Poëre & la pureté de l'Écrivain .
Nous nous fommes permis ces obſervations ,
parce que l'eſtime qu'on fait de fon talent
pourroit ériger ſes licences en autorités ; &
que d'ailleurs ces inculpations paffagères ne
fauroient ni affliger ſon amour - propre , ni
porter atteinte à ſa réputation. On eſt à
l'épreuve de pareils traits , quand on eſt capable
de produire les beautés qu'on trouve
dans cette Ode, & dont la ſtrophe ſuivante
pourra donner une idée : ...
Quelle douce & pure alegreſſe !
Quel raviſſement, quelle ivreſſe ,
Quand Dieu t'aura lui- même a mis à ſes conſeils!
Lorſque tu béniras dans ta reconnoiffance
Celui de qui le temps n'a point vû la naiſſance,
Et dont la main laiſſa tomber tant de ſoleils
Comme un eſſai de fa puiffance.
Parmi les morceaux les plus remarquablesde
ceVolume, nous n'oublierons pas de compter
Építre à ma Mufe , par M. Royou. Cette
Pièce eft d'un excellent ftyle ; &ii l'Auteur ,
qui s'en plaint en effet dans cette épître , ne
confacre pas à fa Muſe autantdetemps qu'il
voudroit , on peut dire au moins qu'il ne
perdpas les momens qu'il lui donne..
On lira fans doute avec intérêt deux Pièces
de feu M. Thomas. Ily adans ſon Építre à
M. Janin de Combeblanche, des détails qui
120 MERCURE
portent l'empreinte de fon âme. Quand on
lit ce vers:
Lavie ades attraits pour des coeurs innocens ,
onne peut s'empêcher de s'attendrir en fon
geantqu'il touchoit alors à ſon dernier jour.
Nous avons lû auſſi avec plaiſir diverſes
Pièces de MM. l'Abbé Aubert , d'Arnaud,
de Mme la Baronne de Bourdic , qui a fouvent
contribué àl'ornement de ce Recueil , de
M. de C. de l ....., deMme Verdier,&deMme
Dufresnoy,quilaiſſentdes regretsdece qu'elles
ont ſi peu fourniàce Recueil,deMM. François
de Neuf- Chateau , le Marquis de Fulvy ,
Ginguené,le Chevalier de La..... , deMurville
, de Piis , Pothier de Biele , Roman ;
dejolis vers deMM. le Comte &le Vicomte
de Sé**, Théveneau , la Tour de la Montagne
, Verninuc de Saint- Maur , Vigée,
Auteur de pluſieurs Comédies qui ont reuſli,
de Châteaugiron , &c. &c.
Le Recueil eſt terminé par un Poëte dont
le nom ſeul tient lieu d'un grand éloge , par
Voltaire, qui , dans une Pièce peuconnue, intitulée:
Voyage à Berlin , a jeté ces grâces
vives & enjouées qu'il donnoit à toutes ſes
Poéſies fugitives.
A la fin ſe trouve , ſuivant l'uſage , une
Notice de tous les Ouvrages Poétiques &
Dramatiques qui ont paru dans l'année. Ces
Notices font quelquefois d'une gaîté qui plaît
au général des Lecteurs , & d'un laconifine
qui choque quelques Auteurs cenſurés. Mais
DE FRANCE. 121
fice laconiſme , que le défaut d'eſpace rend
inévitable , eſt un prétexte plaufible pour s'en
plaindre , on peut répondre aux autres mécontens
, qu'il eftprouvédumoins queleméme
Écrivain qui ne donne guères dans cette Notice
que fon opinion , en expofe ailleurs les
motifs avec autant de juſteſſe que de fagacité.
(Cet Article eft de M. Imbert. )
VARIETES.
LETTRE de M. Marmontel au Rédacteur
de l'Article de l'Opéra, dans le Mercure.
JE fuis , Monfieur, d'autant plus reconnoiffant de
la chaleur avec laquelle vous avez pris la défenſe
de l'Opéra de Pénélope , que c'eſt ſans me connoîtie
que vous m'avez donné cette marque de bienveil
lance; &je ne crois pouvoir mieux y répondre, qu'en
vous prenant pour juge de mes propres obfervations,
fur les critiques les plus graves qu'on ait faites de co
Potme. Je commence par celles qui regardent le ſtyle.
:
Dema vieilleſſe languiſſante
Je vois s'éteindre le flambeau.
On me demande ſi l'on dit le flambeau de la
vieilleffe. Se réponds qu'on ne le dit pas; mais on
ne dit pas non plus leflambeau de David; & Racire
n'a pas laiflé de dire :
Et de David éteint rallumé le flambeau .
Lerſquele motflambeau eſt iſolé , il préfente à
N°. 2, 21 Janvier 1785. F
122 MERCURE
l'eſprit l'image d'une lumière vive , qui ne convient
point à la vieilleſſe ; mais dans un flambeau qui ve
s'éteindre , on ne voit plus qu'une foible lumière ; &
cette image d'unflambeau qui s'éteint, s'accorde alors
parfaitement avec l'image d'une vieilleffe languis-
Sante.
On dit leflambeau de la vic '; &, ſelon les différeps
âges , ce flambeau s'allume , luit dans tout ſon
éclat, ſe conſume, languit , s'éteint. Rien de plus
juſte que cette allégorie. Or la vieilleſſe eſt le ſynonyme
du déclin de la vie; & , ſuivant toutes les règles
de l'analogie, ce, qui convient à l'un doit convenir à
Fautre.
J'ai déjà pris la liberté d'obſerver ailleurs que
cette déciſion tranchante , cela ne fe dit point , ne
fait pas loi dans la langue écrite; & moins encore
la langue poétique eſt -elle eſclave de l'ufage.
Je fais qu'on a dit plaiſamment que leflambeau
de la vieilleſſe étoit une lampe, que c'étoient des
lunettes. Tout cela ſans doute eſt fort ſpirituel; mais
avec beaucoup de cet eſprit là on peut manquer de
goût.
Dans la ſcène de Télémaque avec Ulyfle , Télémaque
s'écrie :
Mon père !-Enfin je vois l'auteur de ma naiſſance !
On a critiqué ce vers- là ,& je n'ai jamais ſu pourquoi.
Le premier mouvenient de l'âme du Prince eſt
direct & fimple, mon père ! le ſecond eſt de réflexion.
Télémaque étoit au berceau quand Ulyffe elt
parti . Dès fon enfance il a entendu ſans ceſſe parler
de lui avec l'enthousiasme de l'amour & de l'admiration
. Son plus ardent defir , durant vingt ans , a ét
de le voir. Il le voit enfin, Quoi de plus naturel que
cette expreffionde ſa joie, enfinje vois l'auteur de
ma naiffance?
Mais après avoir dit mon père ! pourquoi la
DE FRANCE.
123
redire en périphraſe ? Par la même raiſon que
ſi lameſuredu vers l'avoit permis , je l'aurois redit
expreſſement ; & ces deux exclamations , mon
père! enfinjevois mon père! n'auroient pas fait un
pléonaſme.
Au reſte, ſur ces deux mots qu'on avoit repris dans
mon ſtyle, j'ai conſulté les Gens de Lettres; & c'eft
fur leur avis que je n'y ai rien changé.
Un reproche bien mieux fondé m'a été fait ſur le
peu d'attention qu'Ulyſſe donnoit à ſon père au
moment où il le revoit. Cette critique partoit du
coeur ; j'en ai ſenti toute la juſteſſe , &j'ai mis dans
labouche d'Ulyſſe trois vers qui ont rempli leur
objet.
Quant aux deux rimos redoublées qu'on aa repriſes
comme une faute dans la première ſcène du premier
Acte, il faut manquer abſolument d'oreille pour ne
pas ſentirquedans un morceau d'enſemble , dont les
parties ſe correſpondent, la diverſité des déſinences
feroit une cacophonie infoutenable, & que la continuité
de la même rime eſt une difficulté de plus , que
lePoëte doits'impoſer.
J'enviens au ſujet du Poëme& au plan, que je me
fuisfait.
Je vois , Monfieur, les avis partagés entre le ſujet
deDidon& celui de Pénélope ;&en effet, ſelon les
âges, les moeurs , les caractères , Didon doit paroître
plus intéreſſanteque Pénélope, ou Pénélope plus que
Didon. Il peut même arriver que , dans un certain
monde l'amour d'une femme pour ſon mari , abſent
depuis vingt ans , paſſe pour une fable dénuée de
vraiſemblance. Mais j'aime à croire que ſur le plus
grand nombre , ni la Vertu ni la Nature n'ont
encore perdu leurs droits ; j'aime à croire qu'une
mère qui , dans le premier Acte , eſt dans la même
fituation que Mérope, lorſqu'elle tremble pour ſon
fils ; qu'un père qui , dans le ſecond Acte,catcad
Fij
1-24 MERCURE
les plaintes & voit les larmes d'un fils qui croit
l'avoir perdu ; qu'un mari qui , ſans être reconnu
de ſa femme , voit éclater pour lui , au troiſième
Acte , tout ce que l'amour , la douleur, le déſerpoir
ont de plus touchant , doivent être , dans tous
les temps & dans tous les pays, d'un intérêt univerſel.
Or, telle eſt la diviſion du plan de ce
Poëme; & fi de pareilles ſituations avoient manqué
leur effet , je ne m'en prendrois qu'à moi ſeul : j'aurois
mal peint les caractères , j'aurois mal ex.
primé ce que j'aurois ſenti .
Le complot annoncé par Néſus ne s'effectue
point;mais les Pourſuivans le méditent ; Télémaque
en eſt menacé ; & a Ulyfle n'arrive pas , le
crime va ſe conſommer ; ç'en eſt aſſez , je crois ,
pour faire frémir une mère , & avec elle tous
les coeurs. Dans ſon effroi , elle s'engage à époufer
Néfus ; & Néjus ne tire , dit- on , aucun avantage
de cette préférence. Mais on doit voir que
dans le moment même Pénélope rétracte l'engagement
qu'elle vient de prendre ; & lorſqu'on lui '
répète : O malheureuſe mère ! votre fils va mou-'
rir , elle répond : O malheureuse mère ! c'est à
moi de mourir. Alors arrive Télémaque , qui annonce
qu'Ulyſſe eſt vivant; & je n'ai pas beſoin .
de dire que Néſus n'a plus rien à eſpérer ni à
prétendre.
J'avoue , Monfieur , que le commencement du
ſecond Acte , juſqu'à l'orage , a dû paroître froid ,
en comparaiſon de tout le reſte. Mais dans aucun.
Ouvrage dramatique , l'action & l'intérêt n'ont une
chaleur fans relâche; & il eſt des momens où la
douce émotion d'une eſpérance mélée de crainte:
fuffit pour animer la Scène. Vous avez oui-dire
que le perſonnage de Laërte ne tenoit pas à l'acsion;
mais , Monfieur , l'action. de ce Poëme eft
le retour d'Ulyffe , & la délivrance de fon Ifle &
DEFRANCE.
125
:
de fa famille , opprimées par des tyrans. Télémaque
, Laërte , Pénélope ont les mêmes alarmes ,
éprouvent le même malheur , chacun ſuivant ſa
qualité de fils , de père & de femme d'Ulyſſe :
comment l'un des trois feroit-il plus épiſodique
que les deux autres ? Leur fortune eſt indiviſible
leur fituation commune , & c'eſt la plus parfaite
unité d'intérêt.
J'ai donc pu penſer que Laërte eſpérant le retour
de ſon fils , & félicité par les Paſteurs de la nouvelle
qu'il vient d'apprendre , j'ai pu penfer que ce vieillard
, ranimé au bord du tombeau par l'arrivée de
Télémaque, ſeroit un objet aſſez touchant pour le
commencement d'un Aste; & fi mon attente a été
trompée, ce n'eſt certainement pas la faute du Muficien:
l'air qu'il fait chanter Laërre eſt d'une vé
rité d'expreffion qui n'eſt peut-être pas encore affez
ſentie, mais qui ne vous a point échappé.
Enfin, Monfieur, l'on auroit voulu que la reconnoiſſance
d'Ulyffe & de Pénélope eût terminé
leur grande Scene ; & je l'aurois voulu moi-même, fi
le caractère du plus prudent , du plus diffimulé des
hommes l'avoitpermis. J'ai entendu dire autour de
moi dans ce moment : Il la fait trop long-temps
fouffrir. On ne faisoit pas attention que les
Pourſuivans , témoins de cette Scène , environnoient
& obſervoient Ulyſſe. Dès qu'ils s'éloi .
gnent , on a pu voir qu'Utyſſe , ſans ſe découvrir
, ne laiffe pas de ranimer & d'encourager
Pénélope. Mais il lui reſte deux objets à remplir ,
l'un daſſembler ſon peuple autour de lui , l'autre
-se recouvrer ſes armes : il faut pour cela qu'il
pénètre juſqu'au tombeau où ſes armes ſont fafpendues
, & autour duquel tout ſon peuple gémit.
Si Pénélope eſt détrompée avant le moment de la
catastrophe , un mot , un cri peut la trahir :
Ulyffe n'est pas sûr qu'elle ait la force de ren
Fiij
126 MERCURE
fermer ſa joie & l'art de feindre aux yeux des
Pourſuivans une douleur qu'elle n'aura plus. C'eût
donc été , j'oſe le dire , manquer abſolument le
caractère d'Ulyffe , que de ne pas lui donnerjufqu'au
bout la force de diſſimuler , & d'obéir aux
Nymphes qui lui ont dit , au nom de Minerve :
Et fur tout défends-toi des larmes de l'Amour.
Il eſt bien vrai qu'en ne terminant pas la Scène
par la reconnoiffance , il falloit la finir par un
morceau d'un grand effet; & tel eſt , ce me ſemble,
l'air , il est affreux , il eft extrême , &c. ,
l'un des plus beaux que M. Piccini lui -même ait
jamais compoſés.
C'eſt ainfi , Monfieur , que je me ſuis tendu
compte à moi-même de mon Ouvrage. Je vous
Jaiffe le ſoinde voir en quoi je me ſuis fait illufion.
Peut être n'a-t-on jamais examiné avec tant de
rigueur , comme vous l'obſervez vous-même, les
paroles d'un Opéra ; & , à vrai dire , ſi quelque
genre peut mériter de l'indulgence , c'eſt celui qui
raſſemble tant de difficultés , & qui impoſe tant de
gêne; mais quelque licence qu'on lui ait accordée
juſqu'à préſent, je veux bien m'engager à ne
jamais m'en prévaloir. Je n'ai rien travaillé avec
plus de ſoin que les Poëmes de Pénélope&deDidon ;
&jaloux de la gloire d'un Muficien que j'aime , je
nemm''épargnerai jamais aucune peine pour lui
procurer
un travail p'us facile &des ſuccès durables..
J'ai l'honneur d'ètre , avec la plus parfaite eftime ,
Monfieur ,
Votre très-humble &trèsobéiffant
Serviteur ,
MARMONTEL.
Ce 10 Janvier 1786.
DE FRANCE. 127
SPECTACLE S.
'ACADEMIE ROYALE DE MUSIQUE.
ON a remis , le vendredi 13 de ce mois ,
Dardanus, Tragédie de la Bruère , rajuſtée
par M. Guillard, & remiſe en muſique par
M. Sacchini . Ce Poëme eſt trop connu
pour que nous en préſentions l'extrait à
nos Lecteurs. Nous ne leur parlerons même
pas des changemens que M. Guillard y a
faits , ni des beautés muſicales dont M. Sacchini
l'a orné. Ce Journal même en rendit
dans le tems un compte aſſez détaillé. Nous
nous contenterons de dire qu'à cette repriſe ,
l'ouvrage eſt reſſerré en trois Actes , tel
qu'il avoit été conçu d'abord par les deux
Auteurs. L'action , qui par elle-même n'eſt
pas très-attachante , y gagne au moins de la
rapidité : & c'eſt beaucoup : auffi le ſuccès
a-t'il été infiniment plus brillant que la première
fois ; les beautés de la muſique , en
ſe trouvant rapprochées , ont été beaucoup
mieux ſenties.
Cet Opéra fait naître quelques réflexions
qui peuvent être intéreſſantes , en ce qu'elles
tiennent effentiellement aux progrès de l'art ,
& à la révolution qui s'eſt faite ſur notre
Théâtre lyrique.
Dans la première enfance de notre mu
Fiv
1
12 MERCURE
que ( époque d'où elle ne fait que de fortir)
, il s'en falloit de beaucoup que cet art
eût le pouvoir d'exprimer les paffions. Un
Ample récitatif, foutenu quelquefois d'une
#ymphonie affez pauvre ; une déclamation
fente , monotone & fans accent , étoitla ſeule
langue des perſonnages de l'Opéra. Ce qu'on
appeloit des airs , n'étoit que des chanfonnettes
refervées pour les divertiſſemens ; & fi
fon ofoirdonner à l'orchestre une forte d'expreffion
, ce n'étoit jamais que dans les mo-
Hologues. Rameau , meilleur harmonifte que
ceux qui l'avoient précédé , perfectionna les
choeurs & les airs de Danfe; il mit de l'expreilion
dans ces deux genres de morceaux;
mais il changea peu le chant. D'autres furent
:un peu plus heureux ,& donnèrent à notre
melodie des forines plus gracieuſes. Mais
de-là il y avoit loin encore à la peinture
des paflions, exprimées par le concours énergique
du chant & de la ſymphonie.
1
: Dans cet état de notre mulique , quel devoit
être le mérite d'un Poëme d'Opéra :Offrir
un Spectacle pompeux & varié , car
les Décorateurs de ce tems étoient déjà fort
habiles; des choeurs , puiſque c'étoit tout ce
que la muſique ſavoit faire, des ballets furtout
, qui achevoient d'enchanter les yeux ,
& qui ne pouvoient nuire à un intérêt qui
n'exiſtoit pas ; une poéſie plus brillante que
pattionnée ; plus de penſees que de ſentinant
, car la mélodie infignifiante n'auroit pu
que retarder la marche du ſentiment , & elle
DEFRANCE.
129
faifoit valoir au contraire les Madrigaux,
les penſees épigrammatiques qu'elle lailloit ,
pour ainſi dire , à découvert. Ce genre de
mérite ſe trouve à un haut degré dans le
Poeme de Dardanus ; il reuſſfit , & dut beaucoup
réullir dans le temps où toutes les
reſſources de la feerie dédommageoient des
vraiſemblances , où le coeur n'entroit preſque
pour rien dans le plaiſir qu'on prenoit à
Topéra.
Voilà pourquoi le Poëme de,Dardanus a
paffe long- temps pour être admirable; d'après
cette opinion confervée ſans examen ultérieur
, on preſſa M. Sacchini de le remcttré
en muſique. Étoit-ce à un étranger à combattre
le voeu de la Nation :M. Guillard , chargé
de l'ajuſter aux formes actuelles , fentit tout
le vice du ſujet & du fond ; mais il ne pouvoit
changer ni l'un ni l'autre. Il ſe contentade
motiver les Scènes autant qu'il lui fut poſſible
,&fur-tout de faire des retranchemens.
Il penſa que lorſqu'on ofte au Public des
fituations invraiſemblables, il faut ne les montrer
que rapidement au Spectateur , pour ne
pas lui en laiſſer appercevoir l'abſurdité ; c'eſt
dans cet état que le nouveau Dardanus fut
donné à la Cour. Mais quelques perſonnes
regrettèrent des Scènes conſacrées par d'anciens
fuccès ; on l'obligea de les rétablir ; &
ſa complaiſance lui fut très-nuiſible : l'Opéra
ne réuifit point. On fut tout étonné du peu
d'effet de cet Ouvrage, & on ne manqua pas
d'en attribuer la chute au Muſicien. Car ,
Év
130 MERCURE
diſoit-on , Dardanus eſt le meilleur Poëme;
le mieux écrit de ce fiècle; il a réuſſi vingt ans
avec la muſique de Rameau. S'il tombe aujourd'hui
, c'eſt donc à M. Sacchinı qu'il faut
s'en prendre.
En y regardant de plus près , on a vu que
l'Art Dramatique ayant fait de grands progrès
àce Théâtre, tout ce qui n'eſt pasd'un intérêt
véritable ne peut s'y foutenir. Or, rien ne nuit
à l'intérêt comme les invraiſemblances ; &
Dardanus en eſt plein. On a vu encore que
des vers ſouvent affez bien tournés ne font
pas le plus grand mérite du ſtyle Dramatique;
&que c'eſt pour-tant le ſeul auquel ce Poëme
puiſſe prétendre; que les perſonnages n'ydiſent
preſque jamais ce qu'ils doivent dire ; que les
caractères n'en font nullement foutenus; que
ceux de Teucer , d'Anténor , d'Iphiſe , ſe démentent
à chaque Scène , &c. On eſt revemu
fur les reproches qu'on avoit faits d'abord à
M.Guillard& à M. Sacchini; enfin on eft convenu
que l'on s'étoit trompé fur ce Poëme ;
mais on s'eft rappelé tout le charme de la mufique
, & on adécidé qu'il feroit dommage de
la perdre. On s'eſt livré davantage au détail
des Danfes du Spectacle , & l'Opéra enfin a
eu leplusgrand fuccès.
Pluſieurs morceaux ont été applaudis avec
tranſport , notamment le duo de Teucer &
d'Anténor au premier Acte, ainſique le choeur
qui le ſuit; pluſieurs airs ,&leduo entreDardanus&
Iphife dans la prifon.
Mile Dofon , dont on admire de plus en
DE FRANCE.
131
plus la voix brillante & fenfible, a rendu le
rôle d'Iphiſe avec beaucoup d'intelligence &
d'intérêt. M. Lainez n'en a pas moins mis dans
celui de Dardanus. M. Larrivée a joué celui
de Teucer avec beaucoup de nobleffe ; & ce
mérite a fait diſparoître le défaut du dénouement.
M. Chardini a été juſtement applaudi
dans le rôle d'Anténor.
Cet Ouvrage a été exécuté avec beaucoup
d'enſemble , & remis avec le plus grand foin;
les habits, les décorations ont paru très-bien
entendus. On auroit defiré ſeulement que les
mursde la priſon euffent été plus adroitement
maſqués par les nuages , lorſque les Amours y
defcendent. Le contraſte qui en réfulte ne fait
pas un effet agréable. On doit d'autant plus
d'éloges à l'Orcheſtre, que les accompagnemens
étant un des principaux mérites du
Compofiteur, il étoit plus important de ne les
pas négliger.
Tous les Ballets , qui ſont de la compofition
de M. Gardel , ont extrêmement réuffi.
On a fur-tout applaudi à un pas de Furies parfaitementexécuté
par Mlles Saunier , Pérignon
& Langlois , & groupé d'une manière neuve
&très-pittoreſque.
Mile Miller,Élève de M. Gardel le jeune ,
a débuté dans le dernier Ballet avec le plus
grand fuccès. Elle a infiniment de grâce&de
nobleffe , & elle fait eſpérer aux connoiffeurs
qu'elle ſera un jour l'un des Sujets les plus
précieux de ce Théâtre .
: Fvj
132 MERCURE
COMÉDIE FRANÇOISE.
QUELQU'UN a judicieuſement obfervé que
Kegnard a imité les Ménechmes de Plaute ,
de manière à déſeſpérer quiconque voudroit
en tenter après lui une autre imitation.
En effet, l'ouvrage de Regnard eſt un chefd'oeuvre
dans ſon genre. Eſprit , gaiété , originalité
, faillies piquantes , fituations comiques
, intérét de curiofité , contraſte entre
les caractères ; tout ce qu'on peut defirer
dans une Comédie qui n'eſt pas du genre
noble , ſe rencontre dans celle-ci. La repréſentation
n'en eſt pourtant pas fatisfaifante
pour tout le monde , parce qu'il est très-difficile
qu'il exiſte au même Théâtre deux Acteurs
ayant entr'eux une reflemblance affez
exacte pour produire une illufion complette.
Le Chevalier , en parlant de lui & de fon
frère jumeau , dit à Valerzin :
Nous nous reſſemblions, maisſi parfaitement ,
Que les yeux les plus fins s'y trompoient aifément ,
Et notre père même, en commençant à croître ,
Nous attachoit un ſigne afin de nous connoître.
Cette citation doit faire ſentir que s'il
n'y a pas entre les traits , la taille & le
fon de voix des deux Comédiens * qui re-
* Il y a vingrar s ou environ , que la feue Reine
DE FRANCE. 133
préfentent les Ménechmes , un rapport qui
paffe toute croyance , l'effet de la pièce at
diminuéde moitié ; le ſpectateur admire toujours
l'art de l'Auteur , mais la repréſentation
ne le trompe plus. Il est vraiſemblable
que c'est d'après ces réflexions, ou d'autres
à- peu - près équivalentes , que M. Paliffot
s'eſt propoſé de mettre au Théâtre les Mépriſes
, ou le Nival per reſſemblance. Cetre
Comédie , en cinq Actes & en vers de dix
fyllabes , dans laquelle les deux rôles d'amoureux
font diftribués de manière que le même
Comédien peut repréſenter ces deux perſonnages
, a été donnée pour la première fois
le 7 Juin 1762. Elle fut retirée par l'Auteur
après lapremièrerepréſentation. On l'a remife
le 31 Décembredernier; &toute l'intelligence,
toutes les reffources du talent de M. Molé
n'ont pu lui obtenir un fuccès. Ce n'eſt pas
qu'elle ne foit conduite raifonnablement ;
que le ſtyle n'ait de la correction , de la
pureté , & quelquefois de l'élégance ; mais
eile n'est pas gaie ; elle manque fur-tout de
cette force comique qu'on remarque dans
les Ménechmes , & qu'exige l'optique de la
Scène. Voilà le vice principal de la Pièce ,
fit jouer à la Cour les deux rôles des Ménechmes ,
par le célèbre Préville, & par ſon frère Champville ,
alors Acteur du Théâtre Italien. La reffemblance
des deux frères donna à cere représentation םח
charme dont on ne citera peut- être jamals deux
exemples.
134 MERCURE
:
celui qui devra toujours l'écarter du Répertoire.
On ne connoît guères au Théâtre que
deux moyens de ſuccès , l'intérêt ou la gaieté.
La raiſon nue y fera toujours froide & trifte.
Le Public ne ceſſera de dire aux Auteur's
dramatiques : " faites-moi rire ou faites-moi
pleurer",Quand un Écrivain aura inventédes
refforts qui puiffentl'attacher, il lui fera grâce
de l'oubli de la raiſon, de l'invraiſemblance
même , en faveur de l'amuſement qu'il aura
pris. Nous ne ſaurions là-deſſus étre d'un
avis différent du ſien ; car , ſi la Comédie doit
étre l'école des moeurs , c'eſt en riant ou en
intéreſſant qu'elle doit les corriger ; & , après
tout , mieux vaut une action un peu folle
&divertiſſante ſans être immorale , qu'une
action bien régulière , mais aufli bien triftement
, bien languiflamment monotone. Au
refte , nos bons Auteurs ont démontré qu'il
étoit poſſible d'allier le comique à la raifon
, & ce n'est pas prouver une vocation
bien décidée pour le Théâtre , que d'employer
un de ces refforts fans ſavoir uſer de
l'autre.
COMÉDIE ITALIENNE.
LA Comédie des trois Jumeaux Vénitiens ,
a fait beaucoup d'honneur au très-juſtement
célèbre &très-malheureux Collalto. Comme
Auteur & comme Acteur , il y a obtenu &
DE FRANCF.
135
mérité un double fuccès , ſuccès d'autant plus
flatteur qu'il eſt rare. Tout le comique de la
Pièce porteſur une reſſemblance parfaite entre
trois jumeaux , & cette reſſemblance parfaite
entre troisperſonnes nousparoîtoutrepaſſerles
bornes du vraiſemblable. Mais l'intrigue eſt
conduite avec beaucoup d'art & d'adreſſe ; les
trois jumeaux occupent la Scène & la quittent
toujours à propos : les fituations dans lefquelles
ils font placés l'un après l'autre ,
font originales , piquantes , variées ; & celle
qui forme le noeud est très- intéreſſante ,
quoiqu'elle foit un peu forcée. L'action ſe
développe & ſe dénoue d'une manière claire,
rapide & fatisfaiſante. Si un Écrivain exercé,
un homme de goût revoyoit le ſtyle de
cette Comédie , s'il en faiſoit diſparoître
quelques plaifanteries d'un très-mauvais ton ,
& qu'il motivât deux ou trois incidens
un peu bruſqués , elle y gagneroit infiniment
, & deviendroit une des plus utiles
à la recette du Théâtre Italien. En attendant
que , pour l'amour déſintéreſſé de l'art , un
amateur ſe charge de ce travail , MM. les
Comédiens Italiens auroient pu , à la repriſe
qu'ils en ont faite le 29 Novembre 1785 ,
faire diſparoître quelques rebus ordu
riers , quelques plaiſanteries que réclament
les tréteaux de la parade,& ôter aux Exempts
chargés d'arrêter les trois frères , les noms
de la Frayeur , de Tremble-toujours , &c.;
vieillesdénominations uſees, rebattues, & triviales,
qu'il faut abandonner aux nobles ſpec136
MERCURE !
:
tateurs qui ſe paſlionnent pour Janot leCommifiionnaire
, ou pour Barogo le Ramoneur.
Cetre Comédie a été remiſe avec ſoin.
Mde Verreuil a joué avec intelligence , frgeffe
& intérêt le rôle d'Eléonore. Le triple
rôle de Zanetto eſt rendu d'une manière véritablement
ſupérieure par M. Granger , dont
le talent fait prendre toutes les formes &
peindre tous les caractères. Noble & décent
dans le Vénitien; bruſque, emporté , violent ,
brûlant dans le Marin; niais & même imbécille
dans le Bergamaſque , mais avec de la
gaîté , du goût , & une grâce relative au
genre , il a obtenu dans chacun de ces perſonnages
, l'univerſalité des applaudiffemens.
Nous revenons fur cette expreſſion , la grâce
relative au genre. Beaucoup de gens confondent
le Comique bas avec le Comique
groflier ; & ils ont tort. Le Comique groffier
n'eſt point un genre à part; il eſt l'abus ,
l'écume des autres genres de Comique. Il
confifte dans l'emploi de certaines exprefſions
trop libres on trop dures, & dans l'imitation
honteuſe ou exagérée des manières.
Le Comique bas , parce qu'il peint ou les
moeurs du bas peuple , ou les inclinations
ra alées de quelques perſonnages fubalternes,
exige un certain coloris , de la fraîcheur
de la délicateffe; il eſt fufceptible d'une certaine
grice conventionnelle qui tient à l'art
& au refpect de Thonnêteté publique. Peu
de Comédiens ont fait cette obſervation , qui
ne peut fortir que d'un eſpritjuſte & reflé,
د
DE FRANCE.
137
chi ; &voilà pourquoi tant d'Acteurs ſubſtituent
au Comiqueniais , un Comique de caricature
digne du théâtre de Polichinelle. Nous
:invitons ceux de nos jeunes Comédiens qui
ne ſont pas encore gâtés ſur la charge , à
étudier M. Granger dans le rôle du Berga-
:maſque Zanetto; nous ne ſaurions leur indiquer
un modèle plus sûr pour ce genre
de Comique.
:
ENCOREune Parodie ! Quel genre , bon
Dieu ! quel genre que celui dans lequel , nous
l'avons déjà dit , on ne peut eſpérer des
fuccès qu'en tournant en ridicule les chefd'oeuvres
de la raiſon, de la morale & du
génie ! Il pourroit être utile néanmoins , s'il
ne préſentoit qu'une critique jure , fine &
délicate,des Ouvrages qu'il traveftit ; ou
bien encore, s'il étoit réſervé à devenir le
fléau des ſuccès ufurpés. Est- ce ainſi qu'il
eft viſage par ceux qui s'y livrent ? Il s'en
faut bien. Suivre ſervilement l'intrigue donnée
, choiſir quelques airs dont le refrain
ou la marche puiſſe donner lieu à des Epigrammes
graveleuſes ; jerer de tems-en- tems
quelques traits mordans , qui adreſſent où
ils peuvent: voilà quelle eſt la maſſe des
effortsque font nos modernes Parodiftes pour
ſe faire applaudir. Le Public protégera-t'il encore
long-tems un pareil genre: Il faut croire ,
ou du moins eſpérer que non. Il a donné
deja quelques preuves de ſevérité , dont
138 MERCURE
on ne peut que le féliciter : il vient d'en
donner une nouvelle , en accueillant d'une
manière affez dure , Constance , Parodie de
Pénélope , repréſentée , pour la première
fois, le 6 de ce mois. Cette Parodie n'eſt
qu'un traveſtiſſement du Poëme lyrique.
Ulyſſe eſt parodié par M. Malice ; Pénélope
par Constance ; Laërte par Alerte; Téléma
que par Lyfimaque. Ce dernier perſonnage
eſt une fille vêtue en Dragon. On trouve
le motif de ce changement de ſexe dans
le couplet ſuivant que chante Malice en
reconnoiffant ſa fille.
AIR: Babet! que t'es gentille !
C'eſtma fille en effer!
Sontein, ſon doux langage,
Tout m'affure du fait.
Elle aura pris , je gage,
Se ſentant un coeur
Fait pour la valeur ,
Les habits de ſon père.
On connoît un Héros ailleurs ,
Qui , n'ayant que le don des pleurs ,
Devroit prendre dans ſes malheurs
Les habits de ſa mère.
Le dénouement ne reſſemi le en rien à
celui de l'Opéra. Le Voici. Malice propoſe
aux Pourfuivans de Conſtance , d'allumer
leur pipe fur un barril plein de poudre à
canon : les Pourſuivans refuſent; Malice bat
DE FRANCE.
139
:
le briquet , ils s'enfuient. Conſtance reconnoît
ſon mari ; elle lui reproche ſon imprudence.
Ah ! je ne riſquois rien, dit Malice.
C'eſt de la graine , & non
De la poudre à canon.
Il faut avoir l'eſprit furieuſement gai ,
pour trouver de la gaîté dans un pareil incident:
mais fût-il aufli gai qu'il l'eſt peu ,
le ſeul reſpect qu'on doit à la mémoire de
Jean-Bart , auroit dû le faire réprouver.
Nous ne ferons pas de plus longues obfervations
fur cette Parodie, beaucoup plus décente
que les dernières Pièces en Vaudevilles que le
Théâtre Italiena repréſentées,&dans laquelle
on trouvedesidées riantes &fraîches,fortbien
rendues dans des couplets coupés avec grâce.
Ala fin on a demandé l'Auteur : les Comédiens
ont gardé le filence pendant une demiheure
, & l'humeur du Public s'eſt exaltée.
Si l'on ne fait pas une attention ſérieuſe
aux excès qui naiſſent quelquefois de cette
habitude , devenue inſultante pour les Auteurs;
ou ſi l'on ne trouve pas un moyen
prompt de fatisfaire à la tumultueuſe impétuoſité
du Public, il eſt à craindre qu'il n'en
réſulte quelque ſcène fâcheuſe , & fur - tout
que des particuliers tranquilles ne deviennent
les victimes d'un uſage que tout engage
à profcrire , & que rien ne peut faire
tolérer. La reſſource la plus sûre pour rendre
au Parterre du Théâtre Italien la tranquillité
& la décence, c'eſt de l'aſſeoir comme celui
140 MERCURE
du Théâtre François. Affis ou debout , les
Spectateurs ne changent point de manière
de voir ; ils n'en font ni meilleurs ni plus
mauvais juges ; mais étant aſtis , au moins
ne font-ils point étourdis par des clabaudeurs
en cabale ; ils ne ſont point gênés , froiffes ,
étouffés par le flux &le reflux continuel d'une
foule bruyante & ſouvent mal intentionnée ;
ils ne riſquent point, en quittantle Spectacle ,
d'être attaqués parles rhumes ,les pleuréſies ,
les fluxions de poitrine. Le goût , la raiſon ,
T'humanité , tout ſe réunit donc pour prouver
qu'il faut affeoir tous les Parterres . On
l'adéjà dit dans ce Journal , & on ne ceffera
de le répérer.
ANNONCES ET NOTICES .
L'ART de vérifier les Dates. Ce Cahier eſt la
quatrième Livraiſon de l'Art de vérifier les Dates ,
compofte, comme les trois précédentes , de quatre-
-vingt-dix feuilles. Prix , 18 liv. br. A Paris , chez
Alexandie Jumbert jeune , Libraire , rue Dauphine ,
nº. 116.
On donne dans cette Livraiſon la ſuite de la
Chronologie des Rois de Hongtie & autres Princes
de Tranſyivanie; celle des Ducs & Rois de Pologne
& de Curlande ; celle des Rois de Danemarck
& de Suède ; celle des grands Princes
Ducs, entire Tfars ou Chars , maintenant Empereurs
de Ruffie; celle des Empereurs de la Chine ,
fuivie d'une Lexique Topographique , avec les lati
DE FRANCE.
141
tades & les longitudes des principales Places de
cet Empire , & enfin la Chronologic des Empereurs
du Japon.
Vient enfuite la Chronologie des grands Fiefs
de France & d'Italie , les Ducs de France , les .
Rois François de Toulouſe & d'Aquitaine , les
Comtes ou Dacs d: Gascogne , les Vicomtes &
Princes ade Bérn , les Sires , puis Ducs d'Albret ,
les Comtes de Cousinges , les Comtes de Bigorre,
les Comtes de Fezac , les Conites d'Armagnaci,
les Vicomtes de Fizenzaguer , les Comtes & Vicomtes
de Lectoure & de Lomagne , les Comtes
d'Aftarac , les Contes de Pardiac , les Comtes &
Ducs de Toulouſe , les Ducs & Marquis de Septimanie
ou de Gothis, les Comtes de la Marche ,
d'Eſpagne ou de Barcelonne , les Comtes de
Reuergue & les Comtes particuliers de Rhodez ,
les Comres & Vicomtes de Carcaffonne & de
Rares , les Comtes de Foix , les Vicomtes de Narbonne,
les Comtes de Maguelone , de Subſtantion
&de Melgueil: les Seigneurs de Montpellier , les
Comtes de Rouflillon , les Comtes de Cerdagne
&de Béfalu , les Comtes, d'Ampurias , les Comtes
d'Urgel , les Comtes de Poitiers & Ducs d'Aquicaine
&deGuyenne , les Comtes d'Auvergne ,
les Comtes d'Angoulême , de Périgord & de la
Marche, les Vicomtes de Limoges , les Vicomtes
de Terenne , les Comtes & Vicomtes de Bourges
, les Comtes de Sancerre , les Sires & Barons
puis Ducs de Bourbon. Ces Chronologies font
précédées d'une Differtation Hiſtorique ſur les
grands Fiefs.
,
Le Cabinet des Fées, ou Collection choisie des
Contes des Fées & autres Contes merveilleux ,
ornés de figures , huitième Livraiſon, Tomes XVI
&XVH; contenant le ſecond Volume des Mile
142, MERCURE
& un Jour , les Contes Turcs & les Voyages de
Zulma.
Cette Collection formera trente-un Volumes in-
8°. , dont le prix eſt de 3 liv. 12 ſols le Volume
broché , avec trois Planches .
Le ſuccès qu'elle a obtenu a engagé l'Éditeur à
prendre des arrangemens pour une ſeconde Edition
entrente un Volumes in 12 , avec les mêmes ſigures
de l'in-8°. , dont le prix eſt de 2 liv. 8 ſols le
Volume broché, & pour une acre Edition in - 12
ſans figures , dont le prix eſt de I liv. 17 ſols le
Volume broché.
-On délivrera régulièrement deux Volumes par
mois.
On s'infcrit pour ces diverſes Éditions à Paris
chez Cuchet , Libraire , Éditeur des OEuvres de le
Sage & de l'Abbé Prevoſt ; & à Genève , chez
Barde , Manget & Compagnie, Imprimeurs-Libr.
CABINET des Modes , ou les Modes Nouvelles ,
décrites d'une manière claire & précise , & repréfentéespardes
Planches en taille-douce enluminées;
Ouvrage qui donne une connoiſſance exacte &
prompte , tant des Habillemens & Parures nouvelles
des Perſonnes de l'un & de l'autre ſexe ,
que des nouveaux Meubles de toute eſpèce , des
nouvelles Décorations , Embelliſſemens d'Appartemens
, nouvelles formes de Voitures , Bijoux
Ouvrages d'Orfévrerie , & généralement de tout ce
que la Mode offre de fingulier , d'agréable &
d'intéreſſant dans tous les genres. N°. 4.
Les Gravures de cet Ouvrage , piquant par fon..
objet , utile au commerce par ſa forme , font bien
traitées , & l'enluminure eneſt ſoignée. Les Amateurs
des Modes ne pourront que ſavoir gré aux
Éditeurs de ſervir leur goût d'une manière auſſi
agréable ; les Marchands de Nouveautés ne ſcroat
DE FRANCE.
143
pas les derniers à s'appercevoir qu'un pareil Journal
doit leur procurer les plus grands avantages.
Cet Ouvrage forme ving-quatre Cahiers par
année ; il en paroît un tous les quinze jours. Chaque
Cahier est compoſé de huit pages in -8° . de
Diſcours , & de trois Planches en taille-douce enluminées,
Le prix de l'abonnement de l'année eſt de
21 liv. pour Paris & pour la Province franc de
porr par la poſte dans tout le Royaume. L'argent
& la leure d'avis doivent être affranchis.
On s'abonne à Paris , chez Buiffon , Libraire ,
hôtel de Meſgrigny , rue des Poitevins , n . 13 .
FIGURES des Fables de La Fontaine , gravées
par Simon & Coiny , neuvième & dixième Livraifons.
A Paris , chez les Auteurs , au Bureau du
Voyage de la Grèce, rue Pagevin , nº. 16.
CetOuvrage, par la manière ſoignée & fpirituelledont
les ſujets ſont gravés , a obtenu un ſuccèsmérité;
mais la plus grande partie des Amateurs
ayant paru ne pas voir avec plaiſir le texte gravé en
italque , les Auteurs , encouragés par leur ſuccès , ſe
font déterminés à faire le ſacrifice de tout le texte
déjà livré, & ſe ſont adreſlés à M. Didot pour avoir
de lui une belle Edition à laquelle ils puiffent adapter
leurs Figures. Cependant , comme l'Edition ne
peut pas être prête ſur-le champ , on continuera de
donner les Figures par livraiſons ; & l'Edition devant
contenir fix Volumes , on diviſera les Volumes de
texte en trois livraiſons , de deux Volumes chacune.
Les deux premiers ſeront délivrés gratis à la
findu mois d'Avril , imprimés , comme les quatre
derniers , fur papier vélin d'Annonay, avec le même
caractère dont s'eſt ſervi M. Didot pour ſon petie
format de Racine . On y joindra le Frontiſpice.
Nous ne pouvons que louer MM. Simon &
144 , MERCURE
Coiny de leur zèle déſintéreſié ; ils en feront payés
fans doute par le nouveau prix que la coopération
deM. Didet ne peut que donner à leur Edition.
ANTIQUITĖS Etrufques , Grecques & Romaines,
gravées par F. A. David, imprimées avec
leurs couleurs propres , Tome I , N. 2. Prix ,
6 liv. , compofſé de douze Planches & Discours. A
Paris, chez l'Auteur , rue des Cordeliers , au coin de
celle de l'Obfervance.
CetOuvrage eſt la rédaction in-4°. & in - 8 ° .
d'un grand Ouvrage in-folio très- eſtimé , mais que
fon grand prix mettoit à portée de peu d'Acheteurs ;
c'eſt la raeme opération que M. David avoit déjà
faite avec ſuccès pour les Antiquités d'Herculanum.
Le troiſième Numéro des Antiquités Etruſques
paroîtra dans le courant de ce mois.
TABLE.
EPITRE CUXMuses , 97 Variétés, 121
Couplets à M. Letellier , 101 Académie Roy, de Musiq.12-
Charade, Enigme & Logo Comédie Françoise , 132
gryphe, 102 Comédie Italienne , 134
Almanachdes Muſes, 104 Annonces & Notices , 140
APPRΟΒΑΤΙ0Ν.
JAI In , par ordre de Mgr le Garde des Sccaux , le
Mercure de France, pour le Samedi 21 Janvier 1786. Je n'y
ai tien trouvé qui quife en empêcher l'impreffion . A
Paris , le 20 Janvier 1756 , GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 8 Janvier.
Ers le milieu du mois dernier, la Viftule
Vcharioit beaucoup de glaçons , & l'on
avoit rompu une partie du pont de Varſovie
afin de prévenir les accidens.
Selon des lettres de Pétersbourg, le Lieutenant
Général Comte d'Anhalt eft revenu
dans cette Capitale , le 16 Décembre , de
fon grand voyage vers la mer Caſpienne .
Une Feuille Allemande a rappellé les pouvoirs
des Nonces du S. Siege en Allemagne
, te's que Benoît XIV les fit expédier au
Nonce de Cologne. Ces pouvoirs étoient :
1. De viſner & de réformer les égliſes patriarchales,
primatiales , archiepifcopales , épiſcopales
, collégiales & paroiſiales ; les couvens
d'hommes & de femmes , les abbayes , chapitres
féculiers , en général tous les couvens
&hofpices quelconques , quand même ils ſesoient
exempts &immédiatement ſujets au St
N°, 3, 21 Janvier 1786. e
( 98 )
Sitge , les univerfités & les colléges , &0.
2. De changer les règlemens , ulages & ob-
-ſervances , de faire de nouveaux règlemens , &
de publier & confirmer ceux qui exiftent
déjà.
3. De fupprimer les abus.
4..De punir les délits& fautes des Prêtres ,
& de tous les Religieux fans exception , de les
exhorter à une meilleure conduite , & de les
réformer.
5. De juger & de punir les dérobéiſſants ,
les fauffaires, les uſuriers , les raviſſeurs de filles,
les incendiaires & autres criminels.
6. De prendre connoiſſance & de terminer
des procès en matière criminelle & matrimoniale,
& en général tous les procès de Jurifdiction
mixte , excepté les procès en matière
bénéficiale
7. De conférer des bénéfices ſimples dans l'étendue
de ſa Nonciature , lorſqu'ils ne vaqueront
pas dans les mois du Pape , & dont le
revenu n'excédera pas 24 Ducats d'or.
8. D'accorder des diſpenſes de mariage propter
honeftatem publicam.
9. De permettre d'aliéner des biens eccléſiaſtiques
, ou de les donner en bail héréditaire
juſqu'àla troiſième génération.
10. De remettre le ferment purgatoire.
11. De diſpenſer des cenfures ecclefiaftiques.
12. D'abfoudre les meurtres involontaires ,
les parjures , les adultères , ceux qui ſe ſeront
rendus coupables de formication , &c.
13. De faire des monitoires contre les malfaiteurs.
14. D'accorder des Indulgences.
15. De faire l'Office dans des égliſes interdires,
( و و )
16. De permettre de faire gras aux jours de
jeûne.
17. D'accorder des permiffions d'ordination.
18. D'abſoudre les accuſés du crime de
Simonie.
19. De donner des pouvoirs pour bénir &
conſacrer des Egliſes , Cimetières , Autels ,
Cloches , Calices , Paténes , &c.
20. De donner des diſpenſes de mariages de
confanguinité &d'affinité , & enfin ,
21. De faire ceffer les empêchemens de
mariages réſultans de la parenté ſpirituelle.
On a compté cette année dans l'Evêché
d'Aarhuns en Norwege 981 mariages
3429 naiſſances , dont 1891 hommes &
1743 femmes. Parmi les naiſſances il y avoit
28. jumeaux ; deux femmes étoient accouchées
de 3 enfans. Dans le nombre des
morts on a compté 2centenaires , 31 perſonnes
depuis 90 juſqu'à 100 ans , & 184
depuis 80 juſqu'à 90 ans .
DE VIENNE , le 9 Janvier.
Dans la multitude de Décrets , d'Ordonnances
, de Déclarations qui ſe ſuccédent
ici toutes les ſemaines , on diftingue un Refcrit
du 11 Décembre , concernant les Francs-
Maçons. Déſormais ils vont être foumis à
une Police & à une Inſpection , dont l'Empereur
expoſe en ces termes les motifs & la
nature.
Comme dans un état bien réglé rien ne
e 2
( 100 )
doit fubfifter fans un certain ordre , je trouve
qu'il est néceſſaire de preſcrire ce qui fuit :
« Les aſſemblées , qu'on appelle de Francs-
Maçons, dont les ſecrets me font peu connus ,
& dont je n'ai jamais cherché à pénétrer les
myſteres , ſe multiplient juſque dans les plus
petites villes. Ces aſſemblées , abandonnées ena
tièrement à elles-mêmes , & n'étant foumiſes a
aucune direction peuvent fort bien donner lieu
à des excès , également nuiſibles à la Religion ,
au bon ordre & aux moeurs ; peuvent induire ,
fur-tout les ſupérieurs , par une liaiſon fanati
que , à ne pas uſer de la plus parfaite équité ,
envers ceux qui leur ſont ſoumis , & qui ne sont
pas membres de l'ordre qu'ils profeſſent , ou
peuvent au moins donner lieu à des dépenses
inutiles . Jadis , & dans d'autres pays , on défendoit
& puniſſoit les Francs-Maçıns; on diffipoit
leurs affemblées parce qu'on n'étoit
point inſtruit de leurs ſecrets ; quoiqu'ils me
foient tout aufi peu connus , il me ſuffit de
favoir , que , par ces Loges de Francs - Maçons
, il a pourtant été fait quelque bien réel
en faveur du prochain de l'indigence & de
l'éducation , pour ordonner plus pour eux ,
qu'il n'a jamais encore été fait dans aucun
pays ; ſavoir : que , quoique j'ignore leurs ftatuts
& actions , ils feront néanmoins reçus ſous
la protection & défenſe de l'Etat , tant qu'ils feront
du bien ; par conféquent leurs affemblées
feront formellement permifes ; mais il faudra
qu'ils ſe conforment exactement à ce qui
fuit: »
,
1º. Dans la Capitale de chaque Province
on ſe trouve la Régence du pays il n'y aura
qu'une ſeule loge qui pourra néanmoins s'af
Lembler autant de fois que les membres le ju .
( 101 )
geront à propos. Il faudra que le Magiftrat
ou l'Intendant de la police ſoit informé chaque
fois du jour & de l'heure qu'ils voudront s'afſembler
; ſi , dans une grande capitale , une
ſeule loge ne ſuffiſoit pas pour tous les freres,
on pourroit leur accorder tout au plus 2 ou 3
loges , mais ces deux dernieres dépendront entiérement
du Chef de la loge principale qui indiquera
également le jour & l'heure que les
membres s'aſſembleront.
2°. Les loges de Francs - Maçons ſeront défendues
dans les villes du cercle où la Régence
du pays ne réfide pas , & à plus forte raifon
à la campagne &dans les châteaux particuliers.
Le dénonciateur de pareilles loges aura la récompenſe
promiſe à ceux qui técouvrent les
endroits où l'on joue aux jeux de hafard ; pares
que les aſſemblées formées par des perſonnes
de conditions différentes ne fauroient être abandonnées
à elles - mêmes ; il faut qu'elles foient
foumiſes à la direction de perſonnes publiques .
Les contrevenans pourront être punis perfonnellement.
3°. Les Préſidens ( ou quels que foient enfir
les titres qu'ils le donnent entr'eux ) des loges ,
zolérées à l'avenir dans chaque ville de Province
, devront remettre , fur leur honneur &
réputation , au chef du pays une liſte , contenant
les noms de tous les Freres maçons , de
quelque état ou condition qu'ils folent ; cette
lifle fera envoyée tous les trois mois ; les
mêmes Préſidens devront y joindre une note
où l'on puifle voir fi le nombre des maçons
eſt diminué ou augmenté ; il ne ſera pas néceffaire
d'y mettre les titres que les Freres ſe
donnent entr'eux; cependant toutes les fois que
le maitre de la loge viendra à être remplacé ,
€3
( 102 )
il faudra que ſon ſucceſſeur faffe part de
changement à la régence.
4°. Les loges , étant dirigées de cette façon ,
ne feront plus foumiſes à l'avenir à aucune autre
recherche , ni perquifition de quelque nature
qu'elle puiſſe être , & les Freres pourront
s'aſſembler librement & fans la moindre con
trainte ; de cette maniere , il feroit peut - être
poffible que cette confrérie , dans laquelle ſe
trouvent tant d'hommes integres qui me ſont
connus , ſe distinguat véritablement par fon
utilité pour le prochain & les lettres ; mais en
même tems , toutes les loges bâtardes & affemblées
clandeſtines, que je fais avoir donné lieu,
plus d'une fois , à des incongruités , feront trèsrigoureuſemes
tinterdites & fupprimées pour toujours.
« Je ne doute aucunement que la réſolution
préſente ne ſoit à la fatisfaction de tous les
Francs - Maçons honnêtes & bien penfans , &
qu'elle ne leur ſerve de ſureté ; dans le tems
qu'elle ſesa un moyen juſte & équitable , pour
empêcher tous les conventicules illicites , aing
que les défordres qui s'y commettoient.
L'Empereur ayant permis l'entrée de fa
Galerie de tableaux aux Artiſtes curieux de
s'inftruire , cette facilité n'eſt pas reftée infructueuse.
Il s'eſt formé ici quelques Pein
tres , dans le nombre deſquels on eſtime
M. Adam Brown qui travaille dans le genre
deGerar-Dow&de Francois Mieris . S. M. J.
a admis dans ſa Collection l'un des ouvrages
de ce Peintre , dont la plupart desTableaux
ont été achetés par l'Impératrice de
Ruffie.
Les régimens de Cobourg & de Wurm(
103 )
ſer ſont arrivés des Pays-Bas à Egra , & ils
ont repris leurs quartiers ordinaires .
Suivant quelques avis fort peu certains de
laTranſylvanie, les Régimens qui bordent
les frontieres de la Valachie ſe diſpoſent à
s'avancer , dans l'intention préſumée de
prendre poſſeſſion des diſtricts ſur la riviere
d'Unna , en conteſtation avec la Porte. On
ajoute que l'affaire de cette démarcation en
litige ne tardera pas à être terminée de gré
àgré.
Le Secrétaire d'Ambaſſade de Veniſe a
demandé à notre Gouvernement de rétablir
là contumace à Semlin ; précaution ſans laquelle
la peſte ou tout autre maladie contagieufe
pourroit gagner les Etats Vénitiens ,
par les relations de commerce entre la Hongrie&
les ports Autrichiens du Golfe Adriarique.
Un courrier arrivé ici le 24, hous a ap.
porté la nouvelle de la naiſſance d'un Prince
dont la Grande-Ducheſſe de Ruſſie eſt accouchée.
Lemontant de la Caiſſe des Pauvres étoit
au mois de Novembre de 20,555 florins
dont 12,256 ont été diftribués en aumônes.
Le nombre des pauvres penſionnés'monte
actuellement à 6012 .
On a placé dans les murs de la fortereffe
de Théréſienſtadt , à l'endroit où paſſe la
riviere d'Egra , l'inſcription ſuivante ſur une
table de marbre : Jofephus I. Aug. PP. æterni
hujus operis fundamentajecit vj. Id. Odeb.
:
€ 4
( 104 )
1780 ; providentiſſimi Principis exemplum
Mauritius Lacy , fuprem. caftror. Præf. Carolus
Fellegrini , fupr. Architect. mil. Præf.
idemque operis curator cæterique adftantes
Secuti funt.
DE FRANCFORT , 14 13 Janvier .
Le nombre des mariages dans cette ville
pendant Fannée derniere a été de 183 , celui
desnaiſſances de 824, dont 58 enfans illégitimes,
& celui des morts de 1201.
Il vient de paroître à Berlin une traduc
tion Allemande de l'excellente hiſtoire du
fer & de l'uſage de ce métal pour les Arts
& métiers , nouvellement publiée à Stockholm
par Sven Rinman. On trouve entre
autres choſes dans cet ouvrage la méthode
de bien polir l'acier , & la maniere Angloiſe
de faire les carrelets. La matiere dont elles
font compoſées eſt un mélange de 16 parties
de laiton , de 4 d'étain , de 4 de bifmuth
& d'unede fer.
Le Duc regnant de Deux-Ponts a écrit
une lettre très -touchante à la veuve du ſieur
Magnier , Major d'Artillerie , qui a péri par
l'accident arrivé au Carlsberg , que nous
avons rapporté , & lui a afſuré une penfion
viagere de 1100 florins .
Le Chapitre de Kempten a élu le 27 Décembre
pour ſen Prince Abbé le Baron Ro
bertde Nevenſtein.
Il circule pluſieurs copies de la lettre fui(
105 )
vante que l'on prétend avoir été adreſſée
aux Officiers des Régimens , en garnifon
àBerlin , par le Gouverneur de cette Capitale
, le Lieutenant-Général de Mollendorf.
>>>Depuis que le Roi m'a confié le Gouver-
>>n>ement de cette réſidence,j'ai travaillé conf
tamment à deshabituer les Officiers de vili-
>> pender les foldars , & j'ai la fatisfaction de
>>> dire que la plupart ont ſuivi mon confeil !
Quelques Officiers cependant d'un Régi-
>> ment de cetteGarniſon , que je ne nommerai
>>>pas encore, ont mépriſé ces avis , & conti-
>> nuentd'inſulter le foldat avec outrage , de le
maltraiter & d'exercer ſur lui une tyrannie
>>corporelle. Je conſeille à ces Officiers d'a-
>bandonner cet indigne procédé , & de faire
>> enforte à l'avenir , que le foldat foit con-
>> duit par l'honneur & par une ambition rai-
>>>fonnable , à faire ſon devoir & à apprendre
>>>l'art de la guerre. C'eſt la volonté du Roi
>> qui ne souffrira point que ſes Troupes foient
>> frappées & tyrannitées , S. M. n'a point de
>>v>auriens, debandits ,de chiens , &c. à fon fer
>> vice , mais de braves ſoldats , dont pluſieurs
<<<feroient auffi capables de commander que
>>nous autres Officiers. Chacun de nous devroit
donc le faire un honneur d'être le
>>>Chefde guerriers pleins de bravoure , de zèle
>>>& d'honnêteté.
M. Dohm , Confciller Privé de Sa Maj.
Praffienne au département des Affaires
étrangeres , &dont on eſt me beaucoup les
lumieres , la capaciré & les ouvrages , vient
de publie un Ecrir, ſous le titre de la Confédération
des Princes d'Allemagne. Coff
es
( 106 )
une réfutation de la Brochure du Baron de
Genmmingen , précédée d'une Introduction
où l'Auteur cherche à établir avec force la
légalité& la néceflité de cette Ligue.
Les de Décembre on a ouvert àGotha
pour les pauvres du ſexe une grande falle
de filature , qui ſera chauffée jusqu'à la
fin de l'hyver , & éclairée le foit par des
lampes de l'invention du ſieur Argand ,
achetées en Angleterre. On y fournit les
rouers , le lin & la filaffe , & les fileuſes ſeront
palées à meſure qu'elles rendront le fil.
Dans plufieurs endroits du Duché de
Wirtemberg on a eſſayé de faire de l'huile
des pepins de raiſins , que l'on aſſure être
Frès bonne. On ſépare les pepins du marc
de raitins par un crible , & quand ils font
bien fecs , on en extrait l'huile. Le marc
fert auffi à un objet économique ; on en fait
des mottes qui brûlent aufli bien que les
mottes de tanneur , & leur cendre eſt bonne
pour faire de la potaffe.
Suite de la Réponse de la Cour de Berlin.
L'Auteur de l'Examen , &c. a ofé aſſurer
qu'on avoit offert à la maiſon Palatine un équivalent
fuffifant , & même plus que ſuffisant pour la
effion delaBaviere. Pourapprécier cette affertion,
on croit ne pouvoir mieux faire que d'inférer ici
le projet d'échange , tel qu'il a été préſenté au
duc des Deux- Ponts , par le comte de Romanzou.
Le précis de la dépêche du Miniſtere Impétiat
, adreffé à M. de Lehrbach à Munich , concernent
le plan préliminaire d'un échange de la
Baviere , contre les Pays Bas Autrichiens ,tek
( 107 )
de 8
qu'il a été envoyé en copie par M. le prince deGallizio
, à M. le comte de Romanzov , & dont celui
ci par ordre de la Cour a fait lecture à S. A.
S. le duc des Deux-Ponts , & à fon Miniſtre M.
le baron d'Eſebeck , ajoutant qu'il n'étoit point
autoriſé d'en laiſſer une copie , & qu'il auroit à
demander de la part de S. A. S. une réponſedé
eiſive touchant ſon acceffion , dans l'eſpace
jours , porte les articles ſuivans : » 19. On de
mande la ceffion abſolue de la haute & baffe Baviere,
du haut Palatinat , du Landgraviat , de
Leuchtenberg , des duchés de Neubourg & de
Sulzbac , dans toute leur étendue , de maniere
cependant que la maiſon Electorale de Baviere
conſerveroit à la Diete les ſuffrages qu'elle y
exerce du chefde ces Etats ; 2°. Pour cet effet ,
la maison d'Autriche eſt prêteà céder les pof
feffions aux Pays-Bas , avec tous les avantages
que S. M. Impériale, gagnera par la paix int
tante avec la Hollande, à l'exception cependang
du duché de Luxembourg & du comté de Namur,
ſous les conditions ſuivantes , que , 3 °.chacane
des deux parties ſe chargera des destes
affectées fur chacun de ces Erats , 4°. qu'il ſera
reſervé à S. M. Impériale de faire à volonté des
emprunts dans les Pays-Bays , & de garder non
feulement toutes les Toupes & l'Artillerie qui
s'y trouvent, mais auffi les Troupes nationales
de la Baviere , l'Electeur ne devant au contraire
garder que les Troupes Palatines & étrangeres ,
&S. M. Impériale renonçant au droit qu'Elle s'étoit
réſervé d'abord de lever des recrues dans
les Pays Bas; s . par la ceßion propoſée des Pays-
Bas , on donneroit à la maiſon Electorale Palatine
deBaviere , un million de florins de plus
que ne rapporte la Baviere ; & que dans le cas
feulement où il y auroit un excédent de revenus
66
( 108
plus conſidérable, l'Electeur ſejchargeroit au prorata
des dettes de la Baviere ; 6°. on s'emploieroit
à procurer à la maison Electorale, la dignité
deRoi de Bourgogne ; 7°. on payeroit à l'Electeur,
pour fon conſentement , un million & demi
de florins , un million au Duc , & un demi- mil-
Jion au prince Maximilien. 8°. Cet échange.
ſeroit conclu ſous la garantie de l'Empereur , &
des Cours de France & de Ruffie «. Lorſque d'après
cette propofition on confidere que les pays
demandés en échange , ont une furface de 784
milles quarrés Allemands , que leur population
monte à environ 1,300,000 ames , & que leurs
revenus font un objet de ſet millions de flo
rins ; que l'on obſerve enſuite que les Provinces.
Autrichiennes , dont on a proposé la ceffion dans
les Pays Bas , n'ont en ſurface que 290 milles
quarrés Allemands , que leur population morte à
environ 1,200,000 ames , & que leurs revenus ne
font que de 2 à 3 millions de florins , & que
l'on pente en outre que les pays de la Baviere font.
ſuſceptibles d'une grande amélioration , & que
les Pays-Bas Autrichiens rendent aquellement
tout ce qui eſt poſſible qu'ils rapportent , il ne
ſera pas difficile de ſe convaincre 1º, que la valeur
aquelle & future des pays demandés en
échange, furpaffe de beaucoup celle des Pays Bas
offerts pour un équivalent , 2°. que relativement
aux rapports politiques les Pays- Bas ne pouvent
point entrer en comparaiſon avec les pays demandés
à la maiſon Bavaro Palatine. Quant à ce
dernier point , il ne peut nullement être indifférent
à cette Maiſon d'écharger ſon ancien patrimoine
, qui eſt ſitué au milieu de l'Empire d'Allemagne
, & qui lui donne beaucoup de confidé
ration & d'influence dans les aftres politiques ,
& la plus belle perspective du côté des amélio
( 109 )
rations ,contre un pays peu fertile , qui eft fitué
aux frontieres de l'Allemagne , & qui n'y a au
cune influence , & de céder des ſujets braves ,
fermes , & particulièrement attachés à la maifon
de Wittelsbach, pour des ſujets étrangers
qui lui font abſolument inconnus. Le titre vain
d'un Roi de Bourgogne , ne balanceroit pas les
avantages & les prérogatives que cette Maiſon ſe
roit obligée de facr fier. Mais Indépendamment
de ces confidérations , celle-ci mérite auffi quel
qu'attention , ſavoir : que d'après l'histoire &
les droits qui competent à la France , les Pays-
Bas Autrichiens ne peuventpoint être titrés de
Royaume de Bourgogne.
On reproche à la Cour de Berlin qu'elle avoit
projeté d'arrondir ſes Etats par l'échange de la
turface,contre les Principautés d'Anſpach & de
Bareith , & on ajoute que cette Cour croit pouvoir
tout ſe permettre lorſqu'il s'agit de ſes intérêts
, mais des que la maiſon d'Autriche a formé
un projet ſemblable ,alors cette Cour s'y oppoſe,
& trouve une difference totale. C'estbien
particulier que l'Auteur de 1 Examen , &c. faic
un reprocheà la Cour de Berlin, dans une affaire
où la Cour de Vienne afait les premieres ouvertures.
Voici les articles du projet de convention
quel'Empereur a adruffés au Roi de Priuile , dins "
une lettre darée d'Olmuz , le 13 Avril 1778, lortque
le Raiétoit avec ſon armée près de Schontvalde,
Gur les frontieres de la Bohême :
connoi S. M. Pruienne la validité de la convention
faitele 3 Janvier de l'année courante ,
entre St M. l'Impératrice Rein Apoftolique , &"
S. A. S. E Aorale Palatine, airfi que la ligiti
mitéde l'état de polleſſion des diſtricts de laBaviere
, orcupés en conféquence par S. M. Impériale
Apoftolique ; 2°. & attendu que dans cette
re(
110 )
convention les deux parties contractantes ſe fout
expreffément réſervées la faculté de faire entre
elles une convention ultérieure , ſur l'échange à
régler les convenances réciproques , ſoit des diftricts
qui font tombés en partage à S. M. Impériale
& Apoftolique , & à la maison d'Autriche ,
ſoit de la totalité du pays , ou ſeulement de quelques
parties , promet S. M. Pruffienne de laiſſer
exécuter paiſiblement les échanges en queſtion ,
bien entendu néanmoins que les acquiſitions à
faire ne puiffent porter ſur aucun pays immédia.
tement limitrophe aux Etats actuels de S. М.
Pruffienne; 3 °. en revanche reconnoît S. M. Impériale
& Apoftolique d'avance la validité de l'incorporation
des pays d'Anſpach &de Bareich, à la
primogéniture de l'Electorat de Brandebourg , &
prometde ſon côté 4°. de laiſſer conſommer paiiblement
tout échange qui pourroit être fait de ces
pays, d'après les convenancesde S. M. Praffienne,
bien entendu néanmoins que les acquifitions à
faire ne puiſſent porter fur aucun pays immédiatement
limitrophe aux Etats actuels de S. M.
l'Impératrice Reine ». Dans la réponſe que le
Roi fit à Empereur le lendemain , S. M. fans
s'occuper en aucune maniere de la propofition
d'échange qui lui avoit été faite , tâche de convaincre
S. M. Impériale de l'inadmiffioilité de ſes
prétentions, & de l'engager à un accommodement
fondé ſur l'équité. Les deux Monarques
s'écrivirent encore quelques lettres après , & ils .
convincent à la fin que le comte de Cobenzel ,
alors Minitre plénipotentiaire de l'Empereur à
Berlin , y entrât avec le Ministere de Pruffe ,
dans des négociations relativement à la fuccef-.
fion de Baviere. Les conférences à ce ſujet eurent
auſſi lieu pendant les mois de Mai & de Jaia
1778. Dans une de ces conférences le comte de .
( MI )
Cobenzel communiqua aux Ministres du Roi
la lettre du prince de Kauniz,darée du 31 Mai ,
dans laquelle le Prince établit pour principe de
la négociation , que les deux parties devoient
trouver leurs avantages réciproques dans les
échanges convenables de pays. Sur cette nouvelle
ouverture , le Ministere dePruſſe crut enfin
devoir faire mention d'un échange des Principautésd'
Anfpach &de Bareith , contre le Luſan ,
&du confentement de la Cour de Vienne , dans
un projet général d'accommodement de l'affaire
deBaviere. Mais comme le Prince de Kauniz , à
qui ce projet fut remis , ne s'eſt expliqué que
vaguement , relativement à l'échange , dans la
réponſe verbale du 24 Juin , la Cour de Berlin
Jui fit répondre verbalement le 3 Juillet ce qui
fuit : leRoi n'a beſcin que du conſentement
des Membres de la Maifon de Brandebourg ,
» pour diſpoſer du fort futur des pays d'Anſpach
> & deBareith. S. M. n'en a pas demandé lë
conſentement à la Cour de Vienne , mais
comme elle l'a offert elle-même dans ſon pre-
» mier projet de convention , que S. M. l'Empereur
a envoyé au Roi , par fa lettre du 13
> Avril; & comme elle déclare hautement qu'elle
> veut mettre obſtacle à la réunion qu'on voudroit
faire deſdits Marggraviats à la primogéniture
de l'Electorat de Brandebourg , S. M. a
> cru pouvoir profter de cette offre , pour écarter
l'oppoſition inattendue qu'onlui aannoncée,
> & fans qu'elle veuille reconnoître par- là aucun
droit d'oppofition pareille , ni compter
pour un (acrifice la rénonciation que la Cour
de Vienne voudroity faire. Il en eft en quelque
façon de même de l'échange des deux
→ Marggraviats contre la Luface. La Cour de
>> Vienne a fait naître elle-même l'idée de ce
ود
( 112 )
"troc, en effrant dans le quatrieme article de
>>>ſon premier projet de convention , ſon con-
>> fentement à tel échange volontaire que le Roi
>>>voudroit faire avec les voiſins , & enſuite ſa
>> renonciation à fon droit de rachat , & autres
>> fur la Luface. On a reçu cette offre avec ree
connoiffance , quoique le facrifice que la Cour
>>>de Vienne feroit par-là , ne feroit que très-
» médiocre , quand on confidere combien l'exer-
>> cice de ſon droit peut- être éloigné , ne pou-
>> vant avoir lieu qu'après l'extinction de la
> maiſon de Saxe en général , le Roi n'a eu
qu'une idée paſſagere de ce troc , il n'a jamais
infifté ; il l'a propoſe ſans aucune vue d'aggrandiffement
, uniquement par le motif de
>>>la contiguité de ſes Etats , &dans l'intention
>> de céder à la maiton de Saxe un pays contigu
à fon Electiorat , & à la partie de la Baviere ,
cù elle auroit pû recevoir l'équivalent de ſes
prétentions allodiales , pays égal, & non fu-
> périeur à la Luface en revenus , en fertilité &
> enpopulation ».Aux conférences de Braunau
Ja Cour de Vienne renouvella ſes propofitions
d'échange , comme on peutvoir par l'extrait fuivant
de mémoire de M. de Thugal , remis le
13 Acût aux Miniftres du Roi : « S. M. l'Im-
>> pératrice Reine s'engageroit pour Elle & fes
>> Héritiers de ne faire aucune oppofition à la
> réunion des deux Marggraviats de Bareith &
>>>d'Anspach, ala primogéniture de l'Electorat de
>> Brandebourg , & fi S. M.le Roi de Pruffe trous
voit à propos de faire un échange des pays de
Bareith & d'Aofpach , contre la haure &la
bafle Luface, l'Impératrice Reine , non- feu-
>> lement n'y apporteroit point d'obstacle, mais
>> faciliteroit plutôt cet échange , en ce qui dé
>> pendroit d'Elle , &nommément par la renen.
( 113 )
>> ciation qu'Elle feroit à ſes droits de féodalice,
>> de réverſion & autres, fur la haute & baffe
>> Luface << ; mais les Miniſtres n'y répondirent
rien,& les conférences furent rompues. Cepetit
précis hiſtorique prouve incontestablement que
la Cour de Berlin ne mérite point le reproche
qu'on lui a fait, au ſujetdudit échange , qui d'ailleurs
ne peut nullement être comparé avec l'échange
projeté de la Baviere , & que c'eſt la Cour
de Vienne qui en a ſuggéré l'idée.
Lafuite àl'Ordinaireprochain .
ITALIE.
DE MILAN, le 30 Décembre.
Notre Archevêque a reçu , dit - on , de
l'Empereur , l'ordre de fupprimer preſque
toutes les Fêtes des Saints. Dans le cas où
ce Prélat répugneroit à cette réforme , il
devra s'adreſſer au S.-Siége , conjointement
avec les autres Evêques de la Lombardie.
On parle avec beaucoup d'éloges du
nouveau plan projetté pour la réduction du
nombre des Paroiſſes dans toute l'étendue
de la Lombardie Autrichienne. Les fonds
appartenans aux Couvens fupprimés font
deſtinés , à ce qu'on croit , à augmenter la
portion congrue des Curés.
DE LIVOURNE , le 1 Janvier,
S
Suivant une lettre de Tunis du 10 Novembre
, l'eſcadre Vénitienne a mouillé par(
114 )
tie à Malthe , partie à Trapani. On efpere
un prochain rétabliſſement de l'harmonie
entre les deux Etats , & la négociation eſt
très-avancée.
J
PORTUGAL.
DE LISBONNE , le 15 Décembre.
Le 8 du mois de Novembre dernier , il
a été rendu une Ordonnance de police fort
extraordinaire contre la mendicité. Voici
de quelle maniere on a cru parvenir à l'extirper
radicalement.
Diego- Ignaciode Pina Manique , gentil-homme
du palais , intendant- général de police de
cette cour & du royaume , &c.: ſavoir faiſons
qu'ayant remarqué que depuis pluſieurs années,
la difette d'hommes ſe fait ſentir dans les carpagnes
de ce royaume , laquelle provient de
ce qu'un gran nombre de ceux qui s'occupoient
du labourage ont abandonné leurs provinces
pour venir dans la capitale , où les uns
attirés par la facilité qu'on y trouve à vivre
des aumônes journalières des couvens religieux
qui font en grand nombre , ſe livrent à l'état
de mendiant : les autres s'emparent des ouvragesqui
doivent être réſervés au ſexe féminin ;
ceux- ci ,(edeſtinant au ſervice , faute de place ,
s'abandonnent à commettre des vols , par la
néceffité de ſe ſoutenir , & ceux - là enfin vivent
aux dépens de femmes malheureuſes ; il
eſt de notre devoir d'extirper l'oiſiveté , pour
empêcher les vices auxquelles elle donne lieu,
&de rendre utiles à l'état tous les membres
( 115 )
ou ſujets qui lui font à charge , en faiſant
exécuter avec rigueur les loixqui ont été promulguées
à cette fin. Ordonnons en conféquence
à tous les mendians des deux ſexes de
ſe retirer dans leur pays natal , dans le terme
péremptoire de vingt jours , à compter de la
date de ce placard; ſous peine , à ceux qui
feront rencontrés dans cette ville à l'expiration
de ce délai , d'encourir les châtimens prononcés
par les loix ſuſdites . Ordonnons à ceux qui
ſeront nés dans cette capitale , ou à ceux qui
ſe trouveront dans les circonstances indiquées
par les ordonnances de ſe préſenter devant nous ,
avec un certificat du curé de leur paroifle , où
l'on ftipulera l'endroit où ils ont été baptisés ,
& s'ils ont rempli leur devoir paſcal l'année
précédente , afin de leur preſcrire ce à quoi ils
devront s'employer. Déclarons en outre , en
conféquencedes diſpoſitions mentionnées ci-deſfus
,qu'à compter de la date des préſentes , il
ne ſera plus permis déſormais à aucun homme,
de quelque âge qu'il ſoit , de vendre des beigners
, du firop , des fruits , du jardinage ( à
moinsque les vendeursde ce dernier ne foient aux
gages des jardiniers ), ni du fromage , du lait,
du poiſſon de rivière & de mer ,des pommates ,
de la poudre, des oublis , des allumettes, des
épingles , des habits , &des meubles vieux ou
ufés; tous ces objets étant de nature à convenir
à la foibleſſe du ſexe féminin. Les hommes
s'emploieront uniquement aux travaux des
champs , à ceux des arts & manufactures , à
la conſtruction des édifices & des maisons, au
ſervice du Roi dans les armées de terré & de
mer , ſous les peines énoncées dans les loix , &c.

I
( 116 )
GRANDE-BRETAGNE.
DE LONDRES , le 9 Janvier.
On a été alarmé pluſieurs jours ſur la vie
de la Princeſſe Elifabeth , attaquée d'une
pleuréfie. Aujourd'hui , S. A. R. eft convalefcente
à Windfor , & la nation a remarqué
avec plaifir le vif intérêt qu'a manifeſté
lePrince de Galles en cette occafion. Tous les
jours , il a étévoir la malade, qu'on neregarde
pas encore comme abfolument hors de
danger. Cet événement, joint à la perte qu'a
fait la Reine de fon frere cadet, le Prince de
Mecklenbourg-Strelitz , & de ſa belle-foeur
morte à Hanovre , a jetté de la triſteſſe à
la Cour.
Le 29 du mois dernier , le Roi s'eſt rendu
à Staines pour y voir la Manufacture de
coton, dont les inftrumens ont été perfec
tionnés depuis peu , au point que certe Ma
nufacture pafle pour un chef- d'oeuvre de
méchanique.
Le 9 , Lord Macartney eſt arrivé des Indes
- Orientales , à bord du paquebot le
Swallon . Ainſi voilà nos établiſſemens d'Afie
fans Gouverneur Général. Probablement ,
Lord Macartney n'aura pas reçu à temps
P'ordre qui lui conférolt cette importante dignité,
& il n'a pu qu'obéir à celui de fon
rappel. D'autres lui prêtent un refus abſolu
d'accepter fon Gouvernement , ce qui ne
tardera pas à être éclairci.
On a reçu la trifle nouvelle de la perte du
( 117 )
Halfew , vaiſſeau de la Compagniedes Indes,
destiné ur Madras & le Bengale , parti des
Dunes le 29 de ce mois , & échoué ſur les
cotes de l'ifle de Portland. Battu pluſieurs
jours par des vents contraires & impétueux , ce
bâtiment dans la détreſſe fut jetté vendredi
dernier fur des rochers au fud de Portland ,
près de Weymouth , & fut mis en pieces par la
violence des vagues au bout de quelques heures
Lacargaiſon entiere, felon les premiers rapports ,
leCapitaine , tous les Officiers, excepté le ſecond
maître d'équipage , & la plus grande partie des
Matelots ou patlagers ont péri. Le capitaine,
M. Pierce, étoit le plus ancien Officier de la
Compagnie; il ſe propoſoitde finir ſes jours en
repos après ce dernier voyage. On l'a vu fubmergé
tenant dans ſes bras ſes deux filles ainées
, l'une de dix ſept , & l'autre de quinze ans.
Les autres femmes embarquées ont ſubi le même
fort. Le Capitaine laiſſe une Veuve dans le déſeſpoir
& fept enfans .
Lundi dernier , l'Amirauté a reçu des dé
pêches du Commodore Sawyer , qui com
mande la ſtation de l'Amérique Septentrionale.
Au départ du bâtiment , porteur de
ces dépêches , [ le 2 Décembre l'hiver s'annonçoit
avec rigueur à Hallifax ; d'ailleurs ,
tout étoit fort tranquille dans la Nouvelle-
Ecoffe , dont les établiſſemens continuent
à proſpérer , malgré l'intermittence de commerce
entre la Colonie & les Etats Unis .
Cesjours derniers , les Papiers de l'Oppoſition
répandirent le bruit d'un Edit , récemment
publié par l'Empereur , dans le
deſſeinde profcrire toute importation d'An
( 118 )
gleterre dans les Pays Bas. Cette nouvelle,
fauſſe , ou tout au moins prémature , fema
l'alarme dans le commerce ; & la Chambre
des Manufacturiers dépêcha un Exprès à
Mancheſter , où l'on fut quelques momens
dans la conſternation. On réfléchit enſuite
qu'aucune Gazette étrangere n'annonçoit
cette prétendue proſcription; que depuis huit
mois , l'Empereur avoit interdit l'entrée de
toutes marchandiſes étrangeres en général
dans les Etats héréditaires ; enfin , qu'il falloit
attendre de plus authentiques informations.
En attendant qu'elles arrivent , les
reproches au Ministère vont leur train , &
l'on cherche à perfuader que l'acceffion du
Roi à la ligue de Berlin eſt la ſeule cauſe
de cette févérité de la Cour de Vienne.
Nous avons reffenti ici un froid rigoureux
, précédé de beaucoup de neiges dans
quelques Comtés : la Tamiſe même a été
un moment priſe juſqu'au-deſſous de Kew.
Le Miniftere s'occupe actuellement d'un plan
pour arrêter l'exportation de la laine Angleiſe,
&des moutons vivans ſur les côtes de France.
M. Rofe , Secrétaire de la Tréſorerie , a eu à
ce ſujet pluſieurs conférances avec les Commit
faires des Douanes , qui lui ont fait paffer les
rapports des Officiers des différens ports. Ce
plan aura lieu également pour l'Irlande , at endu
qu'il s'exporte des côtes occidentales de ce
Royaume beaucoup de laine pour la France.
On a vu derniérement un nouveau trait
de l'audace de nos Nouvelliſtes. Ils répandirent
qu'on avoit mis en vente à laBourſe
( 119 )
une Annuité de 1500 1. ſt. , ſignée du Chancelier
de l'Echiquier , au profit d'un grand
Seigneur , ci devant Miniſtre , & que cette
rente étoit un nouveau lien , par lequel on
avoit voulu attacher cet ancien Miniſtre aux
intérêts de l'Adminiſtration. Cette faufferé
n'a pas fait longue fortune.
Le 17 de Décembre , écrit-on de Penzance,
vers les ſept heures du matin , on vit à environ
deux lieues à l'ouest du Cap de Land's - End,
un gros bâtiment en détreſſe ; le vent étoit
alors à l'eſt , grand frais. Une trentaine de matelois
d'un petit village appellé Sunning , mirent
en mer , dans deux chaloupes pour lui
porter du fecours. Avant d'arriver à bord ils
furent rencontrés par deux chaloupes de ce
vaiſſeau. Ceux qui les montoient leur apprirent
qu'ils venoient du Port-au-Prince , deſtinés pour
Dunkerque ; que pendant leur traverſée de 56
jours , ils avoient eu fort mauvais tems ; que
leur bâtiment étoit très - avarié , qu'il avoit fix
pieds d'eau dans la calle , & qu'enfin ils s'attendoient
à le voir couler bas en moins d'un
quart d'heure. Ce rapport n'effraya point les
marins de Sunning ; ils ſe rendirent à bord &
virent que l'on avoit pris toutes les peines poffibles
pour faire couler bas le vaiſſeau. Ils trouverent
trois tarieres avec lesquelles on avoic
percétrois trous ; on avoit coupé les principales
manoeuvres du Vaiſſeau , & l'appareil de la
grande pompe avoit été caché. Ils arrêterent
auſſi-tôt les voies d'eau & ramenerent le vail
ſeau au Port de S. Mary , dans l'Ile de Scilly ,
où l'on décharge actuellement ſa cargaiſon , qui
confifte en caffé , ſucre , indigo , & eſt évaluće
10,000 liv. ſterling. La perfonne qui ſe dit le
( 120 )
Capitaine de ce bâtiment , s'appelle François
Cardon , & le vaiſſeru la Sara. L'équipage prétend
que le vrai Capitaine eſt reſté malade aux
Iles. Tout ce récit paroît fort ſuſpect aux habitans
de ce Port. Ils avoient apporté à terre
une quantité d'efpeces qui ont été dépolées en
cette ville , & qui forment dit- on , so caffes
de piastres fortes .
On effate , en ce moment, dans les chantiers
de Rotherhite , la méthode Rufle de
préparer les bois de conſtruction. Eile confiſte
à tremper le bois dans l'eau pendant
quelques jours , & à l'expofer enſuite à la
gelée. Par ce moyen , adopté dans les arfenaux
de Cronſtadt , on parvient , dit- on ,
à durcir fingulièrement les bois.
L'Hector , Capitaine Fielding , eſt revenu
deBoſton à Londondery, avec toute fa cargaifon
. L'Armateur n'a pas même tenté de
la débarquer dans ce port de la Nouvelle-
Angleterre , parce qu'il y a vu les marchandiſes
Angloiſes vendues dix pour cent moins
cher qu'elles ne ſe vendoient à Londres ,
&qu'il eût artendu un an avant de pouvoir
les expoler en vente.
Onvient de découvrir une nouvelle efpece
d'Académie Littéraire près de Tyndrum
, au Nord du lac Lomond en Ecofle .
Dans ces diſtricts montagneux ſe trouvent
des mines deplomb appartenant au Comre
de Breadalbane. Les mineurs ayant du relâche
dans leurs travaux , ont formé entr'eux
un petit capital pour acheter des livres. D'abord
( 121 )
bord ils s'étoient contentés d'ouvrages d'amuſement
; il leur en a fallu enſuite de
ſcientifiques , ſur tout de Minéralogie &
d'Hiſtoire Naturelle. Maintenant ce Muſée
fouterrain poſſede une bibliotheque de 7
à 800 volumes.
Le Loyalty , Cutter de la Douane a amené
à Waterford un gros bâtiment contrebandier
, preſque neuf, percé pour 20 canons&
en ayant dix de montés. Ce navire ,
dit-on, fut, durant la derniere guerre, ſous
les ordres de Paul Jones.
Le Roi avoit placé un Officier Allemand
dans l'un des régimens des Gardes à pied :
le jour , où ce Militaire a dû entrer en ſervice,
tous les Officiers du Corps ont porté
au Lieutenant Colonel des remontrances à
Sa Maj . contre l'intraſion de cet Etranger.
D'après une réſiſtance aufli unanime , le Secrétaire
de la guerre a retiré la commiffion.
On ne voit gueres que des Suiſſes parvenir
àſe naturaliſer dans les armées Britanniques
encore la jalouſie nationale leur faitelle
éprouver bien des déboires , témoin
ceux qu'ont éprouvé les Généraux Haldimand&
Prevoſt.
Le 20 du mois dernier ſont morts trois
centenaires, une Ecoſſaiſe, nommée M'Curcheon
, décédée à l'âge de 104 ans , une autre
femmede 100 à Liverpool,&un Rabbin
mort à Londres , âgé de 101 ans.
N°. 3, 21 Janvier 1785. f
( 122 )
Le Public Advertiſer a publié la Lettre
ſuivante.
Vous avez inſeré dans votre feuille un
acte paílé en Octobre dernier par l'Etat de la
Caroline-Méridionale , en vertu duquel les débiteurs
ont la liberté de payer leurs dettes , en
offrant telle partie de leur propriété qu'ils voudront
, qui ſera évaluée par deux de leurs
voiſins , & que les créanciers feront obligés
de prendre en paiement de ce qui leur eft
dû : ce
» Il étoit réſervé à l'Amérique de ſanctionner
publiquement une meſure fi contraire à tout
ſentiment d'honneur , & qui anéantira moralement
& politiquement tout crédit , ſoit public ,
foit particulier. Les Américains ſe privent par
cette démarche , pour l'avenir , de toute liaison
d'intérêt avec le reſte de l'univers : car , qui
voudra leur confier ſes propriétés , à moins d'être
fou , après un ate qui anéantira , au moins
indirectement , toutes les dettes contractées avec
les marchands étrangers ? Y a- t- il en effet aucune
différence entre décharger entierement
les débiteurs de leurs obligations , ou leur
donner la liberté de payer leurs dettes , en
donnant du foin , du fourage , des vaches , des
veaux , des cochons , des cabanes , des arbres ,
bois de charpente , &c. &c. , qui ſeront évalués
à la diſtance peut- être de deux ou trois cent.
milles d'un port de mer, & en diſant au mar-.
chand étranger : « Prenez ces choses en paiement
, elles ſont évaluées au montant de ce qui
vous eſt dû » . Il aura beau dire : « Je n'ai confié
mes marchandiſes que pour de l'argent , ou un
produit réel ; ce que vous m'offrez n'eft d'aucune
eſpece de valeur pour moi ». On lui ré
pondra :-Telle eſt la loi, il vous eſt libre de
prendre ces valeurs ou de les laiſſfer.
( 123 )
J'ignere quelles meſures prendront nos
marehands pour conferver leurs intérêts , trèsgriévement
léſés par cette loi , & quelle eſpece
de protection ils peuvent attendre du gouvernement
; inais il eft évident que l'acte dont il
eft queſtjon , efſt une violation , & une infractien
directe & poſitive du quatrieme article du
traité de paix , fur lequel l'indépendance de
l'Amérique est fondée ; & qui déclare ſolem .
nelement que toutes les dettes contractées ,
bonâ fide , des deux côtés , feront recouvrables
en valeur fterling .
Une lettre de la nouvelle Orléans annonce
la mort de D. Antonio Francira , celebre
Botaniſte , mort du venin d'inſerpent à fonnettes
dont il fut mordu en he boriſant près
de la Mobile. Ce Savant ellimable tua le
ferpent , & il a ordonné qu'on en portât la
dépouille à ſa famille, comme un fouvenir
de ce triſte accident.
On atrès-fouvent parlé du Sauvage trouvé
à Hanovre , & tranſporté en Angleterre.
Get individu ſingulier vient de mourir à
Nort Church , dans le Comté d'He tford ;
voici l'extraitdes Regiſtres de cette Paroiffe.
Pierre, connu ſous le nom de PIERRE LE SAU.
VAGE , gît inhumé dans ce cimetiere.
Il fut trouvé , en 1725 , dans les bois , aux en
virons d'Hamelen , ville de l'Electorat d'Hanovre;
S. M. Georges I, & fa fuite, chaſſant dans
la forêt d'Herriwo'd. On préſuma qu'il avoit a'ors
douze ans , & qu'il avoit vécu dans ces bois ,d'écorces
d'arbres , de feuilles , de fruits tauvages,
pendant un temps conſidérable. Les reſtes d'un
collet de chemiſe qu'il portoit au co' , annonce
f2
( 124 )
rent clairement qu'il n'avoit pas toujours ére
abandonné à lui-même . Comme Hamelen eſt une
des Villes où les criminels font condamnés à travailler
aux fortifications , on conjectura àHanovre
que Pierre pouvoit être né de quelqu'un d'ens
tre-eux , qu'il s'étoit écarté dans les bois , & n'avoitpu
retrouver ſon chemin , ou bien , qu'ayant
étéjugé imbécille par ſes parens, il avoit été inhumainement
abandonné , ou qu'il avoit pris la
fuite de lui-même.
En 1726, il fut conduit enAngleterre , par ordre
de la reine Caroline , alors princeſſe de Galles
,& confié aux ſoins du docteur Arbuthnot ,
avec des maîtres pour l'inßruire. Mais , quoiqu'il
ne lui manquât rien pour s'exprimer, on ne put
jamais lui faire prononcer une ſeule fyllabe , &
l'on s'apperçut qu'il n'étoit ſuſceptible d'aucune
eſpeced'inſtruction. Il fut remis entre les mains
de Miſftriff Titchbourn , l'une des femmes-dechambre
de la Reine , à laquelle on affigna pour
récompenſe une penfion conſidérable. Comme
Miſarifi Tichbourn avoit coutume de paſſer quel.
ques ſemaines de chaque été chez M. Jacques
Feun, Fermierde cette Paroiſſe , elle le chargea
de l'éducation de Pierre ,& lui affura 35 livres
ſterlings, pour ſa ſubſiſtance. Après la mort de
Jacques Feun , il paſſa ſous la direction de fon
frère Thomas Feun , qui tenoit une autre ferme
de lamême Paroiſſe , & il y vécut avec tous ceux
qui l'ont ſucceffivement occupée, recevant toujoursduGouvernement
le mêmeſecours juſqu'au
temps de fa mort, arrivée le 21 Février 1785,
lorſqu'il étoit , à ce qu'on imagine , âgé de
72 ans.
Pierre étoit bien fait , d'une taille moyenne
& n'avoit point l'air d'un idiot Il avoit de l'o
reille pour la muſique , &y prenoit tant deplai.
:
( 125 )
fit , que toutes les fois qu'il entendoit jouet de
quelques inftrumens , il ſe mettoit à danſer &
à fauter juſqu'à ce qu'il fût épuité de fatigue ; &
bien qu'on n'ait jamais pu lui enſeigner la juſte
prononciation d'aucun mot , il apprenoit tous les
airs fans aucune difficulté .
Toutes les inepties qu'on a débitées ſur l'habitude
degrimper ſur les arbres comme un écureuil
, de courir àquatre pattes comme une béte
ſauvage , ſont tout à-fait dénuées de fondement ;
car il étoit naturellement doux & timide , au
point de ſe laiffer gouverner par un enfant. Il
n'annonça jamais aucun penchant particulier pour
les femmes , quoiqu'il fût ſujet à toutes les autres
paſſions qui nous font naturelles , telles que
lajoie , la colere , &c. Aux approches du mauvaistemps,
il devenoit toujours trite& mélancoli
que ; il y avoitdes ſaiſons marquées , où il témoignoitun
deſir étrange de s'en aller dans les
bois , où il ſe nourriſſoit de feuilles de frênes , de
glands ,&d'écorce verte;ce qui prouve clairement
qu'il avoit ſubſiſté de cette maniere , tour
letemps qui avoit précédé ſa capture.
On a placé dans l'Egliſe de North-Church ,
une tablette de cuivre , au haut de laquelle eſt
une repré entation de la tête de Pierre , faite d'aprèsune
eſtampe de Bartolozzi; au- deſſous on lit
l'inſcription ſuivante :
Ala mémoire de Pierre ,
Connu ſous le nomde l'Enfant ſauvage,
Trouvé errant dans la forêt d'Herſvvod,
Près d'Hanovre , en MDCCXXV :
Il paroiſſoit alors âgé d'environ XII ans.
L'année ſuivante il fut amené en Angleterre
Par ordrede la ſeve reine Caroline.
Et on lui donna les meilleurs maîtres.
Mais
:
f3
!
( 126 )
:
Comme il ſe mentra incapable de parler,
Ou de recevoir la moindre inftruction ,
On lui affura une penſion confiiérable ,
Dans uneFoame de cette Paroiffe
Où il a demeuré jusqu'au terme de fon innocente
vie.
Omit 224 Feb. MDCCLXXXV . Supp. à l'age de
72ans.
ETATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE.
PHILADELPHIE , le 3 Novembre .
Dams le rapport du grand Comité du
Congrès, en date du 27 Septembre 1785 ,
il a été recommandé au Congrès de deman-
- der aux Etats-Unis trois millions de piaſtres
pour le ſervice de cette année , afin d'acquitter
l'intérêt d'une année des dettes étrangeres
& intérieures , & les arrérages toujours
croiffans. Le contingent de chaque Etat eſt
pour New- Hampshire , 105,416 piastres ;
pour Maſſachufett , 448,854; Rhode Island
&les plantations de la Providence , 64636 ;
Connecticut , 264,182 ; New - Yorck ,
256,486 ; New-Jerſey , 166,117 ; Penfylvanie
, 410378 ; Delaware , 44,886; Maryland
, 283,034 ; Virginie , 512,974 ; Caroline
Septentrionale , 218,012 ; Carotine méridionale
, 192,366 ; Georgie , 32060 ; to
tal 3,000,000 de piaſtres.
Le 17 Octobre , M. Samuel Hardi , l'un des
Délégués de l'Etat de Virginie en Congrès , eſt
mort à New- Yorck. Son patriotifme & ſes talens
( 127 )
ont rendu ſa perte ſenſible à laVirginie en par
ticulier , & aux Etats Unis en général. Tout
le Congrèven Corps & les Miniſtres Etrangers
ont aſſiſté à ſes funérailles , & le Congrès , par
'un Arrêt particulier , a réfola , pour honorer
ſa mémoire , de porter le deuil en noir.
Son Excellence M. Benjamin Franklin a
été élu Préſident de la Penſylvanie , le 18
Octobre , & M. Charles Dibble , vice Préfident.
Le commerce des pelleteries , dans la partie
du nord ouest de l'Amérique , eſt un objet fort
important pour les Américains. Celles qu'on a
exportées du Canada en 1784 , ont monté à la
ſomme de 130,000 liv . fterl. - On fait au
Canada de grands préparatifs pour cette ſaiſon.
Deux partis , l'un de 150 , l'autre de 200 Canadiens
, ſe ſont mis en marche avec des marchandiſes
d'un grand prix. Ils ont parmi eux des
perſonnes fort intelligentes ,& leur intention eft
'de parcourir la partie du N. O. de l'Amérique ,
juſqu'aux frontieres de la région S. E. Ils
complent que ce voyage ne ſera terminé que
dans cinq années.
Il paroît par une lettre du fort M'Intosh ,
en date du 4 Octobre 1785 , que les Sauvages
on pil é le village deTuſcaroway , à
20.lieues de ce fort. Suivant le rapport de
trois perſonnes , on n'y a même trouvé aucuns
habitans ,ce qui donne les plus vives
inquiétudes fur leur compte.
Le vaiffeau les Etats Unis , Capitaine Thomas
Bell , a appareillé de Pondichery , le 23
Février 1785 , pour ſe rendre à Philadelphie.
Il avoit intention de relâcher au Cap de Bonne
f4
( 128 )
Elpérance; mais quelques coups de vent trèsviolents
, & la ſaiſon qui étoit très - avancée,
ne lui permirent pas de remplir ce deſſein. En
conféquence il continua ſa route dans l'eſpérance
de gagner le continent de l'Amérique ,
mais un grand nombre des gens de fon équipage
étant morts ou mourans du ſcorbut &
d'autres maladies , le Capitaine fut obligé de
chercher des ſecours aux Ifles de l'Amérique ,
&il s'approcha de la Barbade en faiſant ſignal
d'incommodité. Il ſe détacha de la côte plufieurs
chaloupes , dont les Matelots conduiffrent
le navire dans la baye de Carlifle. Le
Capitaine Bell ſe rendit auſſi tốt chez le Sr.
Parry , Gouverneur de l'Iſle , qui lui fit demander
ſes papiers , par un jeune négre ſon
domeſtique. Il les lui renvoya peu
après , avec ordre de remettre à la voile ſur le
champ. Le Capitaine Bell , dont le vaiſſeau
étoit abſolument hors d'état de tenir la mer ,
demanda la permiſſion de voir le Gouverneur.
Celui- ci parut à la fin , & l'abordant d'un air
très- cavalier : « Eh bien , Monfieur , lui dit- il ,
de tems
qu'est-ce qu'il y a pour votre ſervice ? Le
Capitaine Bell lui répondit qu'il avoit relâché
dans ce port pour raiſon d'incommodité , &
qu'il lui demandoit la permiffion d'y reſter pendant
quelques jours pour ſe procurer les rafraichiſſements
& l'eau dont il avoit beſoin. Le
Gouverneur lui ordonna de mettre à la voile
avant le coucher du ſoleil , ſans quoi il devoit
s'attendre à voir confiſquer ſon vaiſſeau. Le
Capitaine repréſenta l'impoffibilité cù il étoit
de tenir la mer , faute de bras néceſſaires
pour la manoeuvre. Le Gouverneur lui répondit
qu'il ne ſavoit pas pourquoi il ne s'étoit
pas adreflé à ſos bons amis les François , &
1
( 129 )
7
ajouta que les Américains, après avoir chaffé
les Anglois de chez eux , n'avoient pas bonne
grace à venir implorer leur ſecours. Le lendemain
matin le Capitaine Bell envoya au Gouverneur
une petition , à laquelle celui - ci ne
répondit qu'à 5 heures du ſoir. Cette réponſe
contenoit un ordre d'appareiller dans l'eſpace
de 48 heures , à compter du moment de fon
arrivée , de forte que plus de la moitié de ce
tems étoit déjà écoulée lorſque l'ordre en quertion
parvint au Capitaine. Le Gouverneur pour
ajouter encore à ſes vexations & à la détreſſe
des Américains , envoye un Officier à bord du
bâtiment , pour examiner les gens de l'équipage
& enlever tous les ſujets Britanniques quả
ſe trouvoient parmi eux. Quant aux habitans
le Capitaine ne peut que ſe louer des témoignages
d'humanité qu'il en a reçus. ( C'eſt
ainſi que les papiers Américains racontent ce
fait , que nous nous gardons bien de garantir. )
On a lu ici le diſcours adreſſé au Roi
d'Angleterre par M. Adams , lors de la préſentation
de ce dernier , en qualité de Miniſtre
plénipotentiaire des Etats Unis. On
aſſure qu'il n'a pu s'empêcher de laiſſer
échapper des marques d'émotion , en prononçant
fon difcours. Le Roi s'en étant
apperçu , lui a fait la réponſe ſuivante , à ce
qu'onnousdit:
«Toute cette affaire eſt ſi extraordinaire
> que l'émotion dont vous paroiſſez affecté me
> ſemble auſſi juſte que naturelle. Avant de
>> répondre aux choſes obligeantes que vous
→ me dites de la part des Etats Unis d'Améri-
» que , je veux m'expliquer avec vous d'une
£5
( 130 )
:
:
:
» maniere qui ne vous laiſſera aucun doute fur
>> ma façon de penſer. J'ai été , Monfieur ,
>> comme vous devez bien le ſuppoſer , la
>> derniere perſonne à confentir au démembre-
>> ment de l'Empire , par l'indépendance des
>> nouveaux Etats ; & tant que la guerre a
a duré , j'ai cru que mes devoirs envers mes
>> ſujets m'impoſoient l'obligation de pourſui-
> vre cette guerre avec la plus grande vigueur ;
>> mais ayant confenti à leur indépendance , &
>> cette indépendance ayant été reconnue par
le traité ; je vous reçois actuellement comme
>> leur Miniſtre Plenipotentiaire , & vous joui-
>> rez à cette cour des attentions , des égards
>> & de la protection dont jouiſſent les autres
> Plénipotentiaires . Mais , Monfieur , comme
>> j'ai été la derniere perſonnes à confentir à
>> l'indépendance deſdits Etats. Unis , je ſerai
>>auflr la derniere à les troubler ou les inquićter
en aucune maniere dans leurs drous
>> comme puiſſance ſouveraine & indépendante ,
>> & j'eſpere que les liens du fang , la con-
>> formité de la religion & des uſages , ainfi
>> que l'habitude d'une longue correspondance ,
>> enfin j'oferois preſque dire toutes les confidé-
סכ rations imaginables , conferveront à jamais
>> l'amitié & la confiance entre les deux na-
> tions ».
Le goût de ſéparation paroiſſant gagner
de plus en plus différens diſtricts de pluſieurs
Etats, le Congrès a cru prévenir ces
démembremens par l'arrêté ſuivant , dù 12
Octobre 1785 .
Sur la motion des Délégués de la Baye de
Maſſachuffett , appuyée par ceux de l'Etat de
la Virginie , il a été arrêté qu'il ſeroit nommé
( 131 )
un Comité pour faire rapport des meſures qui
doivent être adoptées par le Congrès , à l'effet
de prévenir les funeſtes conféquences qui pourroient
réſuiter , ſi un district particulier, dans un
Etat quelconque , prétendoit avoir & reclamoit
le droit des Gouvernemens indépendans ſans le
confentement dudit Etat & des Etats- Unis .
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 11 Janvier.
Le Comte d'Altié & le Vicomte de la
Mire-mory , ont eu , le 18 du mois dernier ,
P'honneur d'être préſentés au Roi par le
Prince de Conti; le premier en qualité de
Colonel en ſecond du régiment de Conti ,
Dragons , & le ſecond en qualité de Colonel
enſecond du régiment de Conti , Infanterie.
Leurs Majestés & la Famille Royale ont
ſigné, le 6 de ce mois , le contrat de mariage
du Baron de Stael de Holſtein , Ambaſſadeur
extraordinaire du Roi de Suède en
cetre Cour , avec Demoiselle Necker ; celui
du ſieur Roger de Villers , Chevalier , Confeiller
du Roi en ſes Conſeils , Préſident de
ſa Cour des Aides avec Demoiselle de
Vernay ; & le 8 , celui du Ma quis de Chaftenay
, Gentilhomme d'honneur de Monſeigneur
Comte d'Arrois , Meſtre-de-campcomman
lant du régiment d'Aquitaine , avec
Demoiselle de Banne d'Avejan
,
, L'Abbé Deſimonceaux de Villeneuve
Penſionnaire du Roi , a eu l'honneur de
f6
( 132 )
préſenter à Leurs Majestés & à la Famille
Royale, fon Traité des maladies des yeux &
de celles des oreilles , en deux volumes grand
in 8°. avec planches , gravures & deux nouveaux
formats de petits cornets auditifs.
DE PARIS , le 18 Janvier.
Dans la nuit du 4 aus quatre maiſons
ont été incendiées au Havre de Grace ; leur
poſition fit craindre que le feu ne gagnât le
port& le baſſin où ſe trouvojent beaucoup
de vaiſſeeux. Trois édifices abattus & un
changement de vent prévinrent cet événement.
Si l'incendie n'a pas caufé de plus
grands dommages , on le doit à l'activité
des ſecours & à l'intrépidité du régiment de
Picardie & du premier Bataillon du régiment
de Poitou. Officiers & foldats ſe ſont
diftingués par leur zele, par leur dévouement
, & par leur générofité en faveur des
incendiés.
• MM. les Officiers Municipaux du Havre ,
nous écrit - on , furent le lendemain aſſurer
>>MM. les chefs de corps de la reconnoiſſant
des Citoyens , & offrirent une gratification de
>600 liv. par bataillon.
>> Le premier mouvement fut de la refufer ;
mais leur offrant un moyen de mettre le
>> comble à leur conduite, ils l'accepterent enſuite
pour en diſpoſer de la maniere ſuivante.
On préleva fur cette ſomme celle de 240
:
( 133 )
liv. par bataillon , pour remplacer les effets
>> brûlés , ou perdus , appartenants en propre
aux Soldats; enſuite les deux plus anciens
>>>Soldats de chaque compagnie furent députés ,
> pour porter à un Boulanger ruiné par l'incendie
, 360 liv. par bataillon , à laquelle
ſomme MM. les Officiers des deux régiments ,
>> joignirent de leur bourſe celle de 300 liv.
par bataillon , ce qui produifit à ce malheu-
>>reux une ſomme de mille neuf cent quatre-
>>>vingt liv. En la lui remettant , un Grenadier
lui dit : Mon ami , nous avont le plus
>>grand regret , que nos efforts n'aient pu garentir
votre perte ; mais nous sommes affez
>>>heureux , pour que MM. les Officiers Muni-
>>>cipaux de la ville , & nos Officiers nous
>>fourniſſent les moyens d'alléger votre infortune
; recevez les fecours que notre amitié
vous offre. »
)
Beaucoup de gens ne liront peut-être pas
avec le même intérêt le récit d'un acte de
bienfaisance , qu'on nous prie de mettre au
jour en ces termes :
>>>La loge de la vraie Humanité à Montpel-
>> lier , ayant été informée que le ſieur Neufville
, directeur de la comédie, a perdu dans
l'incendie de la ſalle de ſpectacle , le magasin
>> de ſa troupe , lui a fait délivrer par fon
Tréſorierune fomme de cent louis ; ce trait
> fait l'élogede tous les membres de cette ſocié
> té, & particulierement deM. d'Aigrefeuille ,
>> Procureur général de la cour des Aides de
> Montpellier qui la préſide , &qui l'a détermi-
>> née à remplir cet acte de bienfaifance. Ce
>> trait ſeul fuffiroit pour faire l'apologie de la
( 134 )
> ſenſibilité de ce magiſtrat , & pour faire
>> connoître qu'il s'intéreſſe vivement au fort
>> des malheureux , fi M. d'Aigrefeuille n'étoit
déjà connu ככ cc.
Au commencement de l'année , le froid
a été affez yif dans cette Capitale, pour faire
deſcendre le thermomètre à 9 degrés audeſſous
de zéro. La Seine a été priſe un
moment; & le dégel étant ſurvenu fubirement
, il en eſt réſulté une petite débacle de
glaces qui a briſé quelques bateaux , & occaſionné
quelques accidens , probablement
fort exagérés , ſelon l'uſage du pays . Le
froid a été beaucoup plus rigoureux en Hollande
, en Angleterre où la Tamiſe même ,
comme on l'a vu à l'article de Londres , a
été gelée preſque juſqu'à cette ville.
M. Houdon , célebre Sculpteur , chargé
par le Congrès d'exécuter la Statue du Général
Washington , eſt de retour de l'Amérique
Septentrionale , ou il a deſſiné &
modelé la figure du Libérateur de cette contrée.
On dit , ce que nous ne rapportons
que comme un bruit fort hazardé , qu'à la
Nouvelle Rochele près de Boſton, le Statuaire
François a éré témoin d'une diſpute
vive entre les Presbytériens & des Amateurs
de ſpectacles , qui alloient voir la Comédie
dans la ville pour la premiere fois. I es deux
partis , à ce qu'on ajoute , en vinrenr aux
mains dans la Salle même ; mais il eſt
trop peu vraiſemblable qu'au berceau de
( 135 )
leur liberté , les Américains en ſoient déja
au point où l'on vit les Romains eſclaves
& avilis , ſe battant pour ou contre des
hiftrions .
>>Dans la dernière aſſemblée de la caiſſe d'ef-
>> compte , le dividende des ſix derniers mois a
> été fixé à 210 liv . Cette caiſſe eſt aujourd'hui
>> établie de la manière la plus ſolide, & promet
>> aux intéreſſés les profits les plus certains ; aufſi
>> ſes actions ſont plus recherchées que jama's , &
>>>elles hauſſent à vue d'oeil .
«On peut juger de ſon utilité par la quan-
>> tité des lettres de change qu'elle a eſcomptées
>> durant le dernier ſemeſtre , qui montent à la
>> ſommede cent quatre vingt-fix millions. Son bé-
>>néfice a été de plus de 18 cent mille liv. On
>> a mis cent mille écus en réſerve , & les frais
»& autres dépenſes encore prélevés , il eſt reſté
>> à partager aux actionnaires un peu plus d'un
>>m>illion; ce qui pour cinq mille actions donne
>> à chacune , ainſi que nous l'avons dit , 210 liv.
Le premier tirage de l'Emprunt de 125
millions a eu lieu la ſemaine derniere. Le
N° . 4, c'eſt-à-dire , la quatrieme Série étant
ſortie , ce ſont les actions comoriſes depuis
le ſeizieme millier juſqu'au vin tieme nclufivement
, qui feront rembourſées cette annéz
& qui gagnent par cette fortie 15 pour
100. Ces actions étant partagées en 25 Séries
, des milliers chacune , au prochain
tirage il n'y en aura plus que 24 dans la
roue de fortune , & ani ſucceſſivement , en
'diminuant toutes les années d'un Nº.j ſuà
fentiere fortie de tous , que l'emprunt ſe
{ 136 )
trouvera éteint. C'eſt ce terme de 25 années
pour l'entier rembourſement qui doit
mettre fin à cet Emprunt.
M. Guettard , de l'Académie des Sciences,
connu par quelques Mémoires ſur l'Hiftoire
Naturelle , M. Elie de Beaumont ,
Avocat au Parlement , & M. Watelet , de
l'Académie Françoiſe, ReceveurGénéral des
Finances , font morts en cette Capitale.
Le feu a confumé , le 25 Septembre
dernier , la maiſon , grange & étable de
Jean Valdiguier , Laboureur de la Paroiſſe
de Sainte Fulalie du Candé , dioceſe deCahors.
Le Vicaire Régent & les Officiers de
la Paroiſſe ayant délivré à la femme de ce
payſanun certificat de l'incendie , elle a pris
la fuite , accompagnée d'un jeune tiſſerand ,
nommé Antoine Beſsède , avec lequel elle
fait la quête dans les Jurisdictions voiſines.
On croit les transfuges actuellement à Bordeaux
, & on avertit les perſonnes , dont ils
pourroient ſurprendre la confiance , d'être
fur leurs gardes. La femme , âgée de 25
ans , eſt d'une figure agréable. Le tifferand
qui la ſuit eſt très -marqué de la petite vérole.
Les Numéros ſortis au Tirage de la
Lorerie Royale de France , le 16 de ce
mois , font : 15,73,90 , 25 , & 9 .
PAYS - BAS.
DE BRUXELLES , le 15 Janvier.
Le Gouvernement des Pays-Bas eſt for(
137 )
on fe sement occupéde divers projets dont
promet beaucoup d'utilité. Déjà la pêche
de la morue& du hareng a reçu quelqu'accroiſſement
. Le débit des ſels rafinés à Oltende
a augmenté ; on parle de rétablir le
port de Nieuport , & de le déclarer franc ,
ainſi que l'eſt celui d'Oſtende. Quelques
Feuilles publiques nationales parlent en ces
termes d'autres entrepriſes d'une certaine
importance.
>>>Les Etats de Brabant , s'occupant auſſi con.
tinuellement du bien - être de leur province ,
viennent de conſentir à la conſtruction de quatre
nouveaux pavés. Le plus confidérable eſt celui
qui va être conſtruit de Louvein juſqu'à la
ville de Wavre , & delà à Sombref, & qui ſera
continué, par les Ecars de Namur , juſqu'à Charleroi
, ce qui augmentera conſidérablement le
débit du charbon de terre qu'on extrait aux end
virons de ce dernier endroit; charbon que l'on
éprouve être auſſi bon que la houille d'Angleterre.
Cette nouvelle chauffée facilitera confidérablement
la vente des grains du Brabant Wallon
, quartier , qui faute de débouchés , voyoit
ſes terres fertiles fans valeur; & l'on eſpere que
l'on ſe décidera dans peu à la conſtruction d'un
chemin ferré pour rendre à Jodogne , ville qui
n'a aucun débouché , & qui cependant en auroit
été facilement pourvue , fi la chauffée de
Namur à Louvain avoit été bien dirigée.
כנ
Le commerce des grains qui ſe fait dans
cette ancienne capitale du Brabant , augmentera
beaucoup par la conſtruction de ces différentes
routes. Il eſt déjà très - conſidérable depuis
l'établiſſement de ſon ſuperbe canal , dont les
vaiſſeaux ſe rendront en pleine mer par Gand ,
(138 ).
Bruges & Oftende. Le quai qui entoure le vafle
baffin de ce canal , eſt bordé de maiſons con
fidérables , & de magaſins très-vaſtes.
Il y a préfentementdes vaiſſeaux qui ſe rendent
réglierement toutes les quinzaines de Louvain
en différentes villes de Hollande , & vice verſa
de même qu'à Oſtende & à Bruges : ce qui a engagé
les négocians Liégeois à faire venir leurs
marchandiſes par la voie de Louvain. On vient
en conféquence de régler le tarif pour les tranfports
des marchandises venant de la Hollande.
>>>Quelques villes conſidérables du Brabant refuſoient
de donner leur confentement pour la
-conſtruction de ces nouvelles chauffées , & l'on fait
que ce confentement est néceſſaire lorſqu'il s'agit
de renouveller les charges : mais les Etats eccléfiatique
& noble , qui font inclinés à procurer
des avantages aux villes médiocres comme aux
grandes villes & leurs provinces , ont trouvé
un expédient qui a déconcerté deux chefs villes.
Ils ont décidé de lever l'argent néceſſaire & de
Phipothéquer ſur le produit des chauffées déjà
exiftantes , qui fournit chaque année ſoixante
-milles florins, outre toutes les dépenſes pour les
entretiens: produit , qui augmentera encore conſidérablement
par le paiement des barrieres , que
l'on percevra fur les nouvelles routes c.
Le Comte de Rice , fameux par ſes querelles
à Spa , d'où il fut exilé l'été dernier , a
obtenu , dit on , de la Chambre Impériale
de Wetzlar un ſauf conduit pour venr ſe
défendre à Liege , où il plaidera ſa cauſe inceffamment.
Dans le cours de 1785 on a baptifé à
Amſterdam 5524 enfans des deux fexes , &
il eſt mort 7108 perſonnes .
( 139 )
:
Le Vicaire général de l'Archevêché de
Cologne a adreſſé , le 19 de Décembre , des
Lettres circulaires aux Prélats , Archidiacres
, Doyens & Couvens , par leſquelles il
leur a été notifié de s'adreſſer à l'avenir à
l'Official de l'Archevêché pour toutes les
affaires portées juſqu'à préſent à la Nonciature
de Cologne.
Le 3 de ce mois , les Juges d'Aix- la Chapelle
ont prononcé la Sentence définitive
des fix perſonnes accuſées du complot formé
pour enlever les papiers du Duc Louis
de Brunswick. Après avoir conftaré l'exiftence
de ce complot , les Juges ajoutent :
•Quoique ſuivant les ordonnances pénales de
l'Empire , les deſſeins criminels , qui ſe manifeſtent
par des actes extérieurs , emportent peine
afflictive , & quoique les accuſés ſe ſoient de
la maniere ſuſdite ou rendus coupables de tels
actes, ou violemment ſuſpects d'y avoir participé ;
cependant , puiſque S. A. S. Monſeigneur le
Duc Louis de Brunswick-Lunebourg , & c. , la.
quel'e n'enviſage ces ſuſdits accuſés que comme
des inſtrumens ſubalternes , ſéduits par argent &
des promeffes , adaigné elle-même par un mouvement
de grandeur d'ame &de générofité qui
lui eſt naturelle , intercéder pour eux & réquérir
par fa très- gracieuſe lettre , nous juges &
échevins , d'exercer à leur égard ce droit de
grace , qui nous compete; déférant àcettetrèsgracieuſe
réquiſition , nous avons bien voulu
préférer , par grace ſpéciale, la clémence à la
rigueur des loix , & fur-tout à l'égard de
ainſi qu'à l'égard de ... ; de ſorse , cependant
que ce dernier , ainſi que .... & .... ;
.....
( 140 )
loient avertis fans préjudice à leur honneur
de s'éloigner pour toujours de cette ville Impériale
d'Aix - la - Chapelle & de ſon territoire :
ainſi que de la ſeigneurie voiſine de Borcerte ,
&cela en vingt- quatre heures après leur élargiffement
, & après en avoir fait la promeffe
folemnelle en juſtice : & qu'il ſoit de même
enjoint au ſuſdit .... , également fans préjudice
à ſon honneur de ne jamais approcher
cette ville , & fon territoire , ni la ſeigneurie
de Borcette , à peine en cas de contravention ,
qu'il ſera procédé contre eux ſuivant la rigueur
du droit. Condamnons les ſuſdits cinq accufés ,
chacun pour un cinquieme dans les frais de
l'enquête & de ce procès à notre due taxation &
modération.
Etquant au fixieme accuſé le Baronde ....
vû la réalité & l'exiſtence du complot dangereux
& criminel par lui au juge indiqué , ordonnons
qu'il foit maintenant relâché de ſon arrêt , &
que tous ſes effets lui ſoient reſtitués ſans aucune
déduction pour frais faits en cette enquête , &c.
La Lettre du Duc de Brunswick mentionnée
dans la Sentence , porte ;
Il vous eſt connu , Meſſieurs , que je ne me
ſuis en aucune façon ingéré dans l'affaire des
prifonniers , détenus depuis quelque temps ,
pour avoir trempé dans le complot connu ,
dont le procès eſt pendant devant votre Tribunal.
Je me ferois épargné encore , Menieurs , de
vous en parler , ſi la commiferation ne me forçoit
, pour ainſi dire , de rompre le filence.
Venant d'apprendre que vous êtes ſur le
point de prononcer la ſentence contre les détemus
, & connoiſſant votre équité, votre juf
( 141 )
tice &votre exactitude à exécuter les Loix , de
même que votre empreſſement à donner des
preuves de votre protection aux étrangers qui
viennent frequenter votre ville , & qui ont droit
de la reclamer , il n'y a pas de doute chez moi,
que les coupables ne feroient condamnés felon
la rigueur des loix.
C'eſt ce qui m'engage , Meſſieurs , de vous
folliciter de vouloir bien dans ce cas- ci préférer
la clémence à la rigueur de la Justice ,
& cela d'autant plus , que je ne confidere les
perſonnes détenues , que comme de vils intrumens
ſubordonnés , qui ſe ſont laiſſes ſeduire
& éblouir par les appas ſéduiſants qu'on leur a
fait entrevoir, & les promeſſes qu'on leur a faites.
Soyez perfuadés, Meſſieurs , de mon empreſſes
mentà faifir les occafions , où je puiſſe vous être
d'utilité , &devous convaincre de la parfaire conſidération
, avec laquelle j'ai l'honneur , &c. &c.
AAix- la Chapelle
ce 30 Déc. 1785.
Louis Duc de Bruns
vick & de Lunebourg.
Paragraphes extraits desPapiersAnglois & autres.
>>>L'on affure que leChevalier de las Casas, Miniſtre
de S. M. Catholique près du Roi des Deux-
Siciles , va ſe retirer à Rome , après avoir fait
les plus fortes repréſentations au nom de fon Maître
. Le ſujet du différend , eſt le defir que le Roi
d'Eſpagne a témoigné au Roi ſon fils , que Mr.
Acion,Ministre d'Erat & de la Marine de S. M.
Sicilienne , fût éloigné de l'Adminiſtration. L'on
dit que ce dernier Monarque avoit promis qu'il
auroit égardà la requifition, & que Mr. Afton
recevroit ſadémiſſion pendant la tournée que L.
M. Siciliennes ont faite endiverſes Cours d'Italie,
( 142 )
=
Cependantcette promefle n'ayantpas été remplie,
la Cour de Naples envoya à Madrid te Général
Pignatelli , pour faire des excuſes à ce ſujet , &
pour tâcher d'inſpirer à S. M. Catholique des
ſentimens plus favorables ſur un Miniftre que L.
M. Siciliennes paroiſſent affectionner. Mais les
raiſons duGénéral Pignatelli n'ont pas été accueillies
: il a été reçu avectant de froideur, qu'iln'eſt
reſté que peu de jours , & qu'il a repris la route
d'Italie , fans avoir pu entamer la Négociation ,
dont il étoit charge. Au contraire , Mr. de las
Cafas a eu ordre de réitérer ſes plaintes ; & à la
fin , comme nous l'avons dit , il a dû quitter Naples
, pour ſe rendre à Rome ». (Gaz. de Leyde
п. 3. )
<<<Deux Sous Officiers , l'un de Régimentdes
Gardes Holandaises & l'autre de celui des Gardes
Suifles , ont eu l'impudence de porter des
Cartes pour les viſites du premier de l'an , à
leurs Commandans reſpectifs & à quelques Membres
particuliers de la Régence , ſur lesquelles
étoient peints deux Soldats en Uniforme , l'un
du Régiment des Gardes Hollandoiſes & l'autre
de celui des Gardes Suiffes , ſéparés l'un de
l'autre , par l'Ecuſſon de Son Alteſſe Mgr. le
Prince d'Orange , qui eſt imprimé au milieu de
cette Carte. Ceci certainement ne fignifieroit
rien , fi en 1748 , on ne ſe fût pas ſervíde ces
mêmes Cartes ſous Guillaume IV ; & on fait
quel fut le réſultat de toutes ces follies & de
ces démonstrations extraordinaires en faveur de
ce Prince » . ( Gaz. d'Amst. n. 3. )
GAZETTE ABREGEE DES TRIBUNAUX,
PARLEMENT DE PARIS , GRAND CHAMBRE.
Séparation de Corps,
Le parlement de Bretagne a une jurisprudence
( 143 )
rigoureuſe relativement aux ſéparations. Le
même arrêt qui les prononce , enjoin pour
l'ordinaire aux femmes de refter au couvent
pendant la vie de leurs maris. Quoique cette
maniere de juger puiffe être regardée comme
très fage , parce qu'elle tend à diminuer le
nombre des demandes en ſéparation; cependant ,
lorſqu'unefemme n'a rien à ſe reprocher du
côté de la conduite , elle peut ſe pourvoir au
confeil , attendu qu'il n'ya pas de loi poſitive qui
aptoriſe les juges à obliger la femme ſéparée ,
mais honnête dans ſes moeurs , à demeurer au
couvent juſqu'à la mort de ſon mari : alors le
Roi peut anéantir des jugemens qui impoſent
des conditions aufi dures ; c'eſt précisément ce
qui eſt arrivé dans l'eſpece , & ce qui a procuré
au parlement de Paris la connoiffance de
l'appel d'une ſentence du préſidial de Nantes.
La demoiselle de H
deL des V
.....
..
a épousé le ſieur
au commencement
de l'année 1773 ; une fille née dans l'année du
mariage en a été le ſeul fruit, il paroît que
la paix & l'union n'ont pas été de longue
durée entre ces époux ; car dès l'année 1774 ,
l'incompatibilité des humeurs a donné lieu à une
ſéparation volontaire : ils ont préféré ce parti
àl'éclat d'une procédure en regle ; l'acte con.
tenoit des réſerves & proteſtations contre toutes
fins de non recevoir , dont les partie promirent
de ne faire aucun uſage. En 1778 , le
mari fit ſommer ſa femme de revenir demeurer ,
avec lui : cette ſommation détermina la dame
des V à former la demande en ſéparatien
de corps devant le Paillage de Nantes ;
elle ſe fonda for pluſieurs faits , dont e le demanda
à faire preuve. Sevices , mauvais traite .
mens , jalousie inſupportable & diffamation ca-
....
( 144 )
:
!
....
ractériſée : admiſe à la preuve , l'enquête ſe
trouva concluante , & la ſéparation fut prononcée.
Sur l'appel du mari au parlement de
Rennes , la ſentence fut confirmée; mais fur
les concluſions du miniftere public , & fans
aucure demande formée à cet égard, l'arrêt
enjoignît à ſa femme de demeurer pendant
toute la viede fon mari dans un couvent qui
feroit indiqué par l'évêque diocélain.-La
dame des V. préſenta une nouvelle requête
au parlement , & demanda qu'il lui fåt
au moins permis de ſortir du couvent pour
voir la famille & vaquer à ſes affaires. Un ſe.
cond arrê: lui accorda cette permiffion , deux
fois la ſemaine ſeulement , à la charge d'être
zoujours rentrée avant deux heures après-midi.
Cette févérité détermina la dame des V
à ſe pourvoir au conſeil contre ces deux arrêts
du parlement de Rennes ; elle en a obtenu la
caſſation , & a été renvoyée au parlement de
Paris , pour y procéder ſur l'appel de la ſentence
du bailliage de Nantes. Les moyens du
mari confiftoient aux reproches qu'il faifoit
aux témoins , dont il cherchoit d'ailleurs à
énerver les diſpoſitions ; mais d'après la lecture
faite de cette enquête par M. l'Avocat- général ,
il paroît qu'il a été prouvé que les reproches
n'étoient pas valables,& que les preuves étoient
concluantes ; ce magiftrat a conclu à la confirmation
de la ſentence ; & l'arrêt du 28 Novembre
1785 , a mis l'appellation au néant avec
amende & dépens.
...
20058
1
:
1
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 28 JANVIER 1786.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
SUR M. THOMAS
L'HUMANITÉ s'honora de ſavie;
Du vrai mérite il eut tous les honneurs;
Et l'on a vû toujours l'Envie
Attaquer ſes talens , & reſpecter ſes moeurs .
(Par M. R *** , Gentilhomme Ordinaire
de la Chambre du Roi. )
N° 4 , 28 Janvier 1786 . G
146 MERCURE
LA SOURIS , Fable, imitée de Lokman ,
Fabuliſte Indien.
U
NE Souris vivoit dans l'opulence
Auprès d'un dépôt de froment ;
Tous les Rats du canton venoient joyeuſement
Prendre part à ſon abondance.
Une diſette arrive : on enlève le grain
Tandis que la Souris ſommeille.
Au point du jour elle s'éveille ;
Quel changement ! ſon malheur eſt certain:
Plus de Rats , plus d'amis , (cela doit ſe comprendre )
Il ne reſte du tas
Que quelques grains qu'on n'a pu prendre ;
Tous les écorniffeurs détalent dans ce cas .
La Souris fort de ſon aſyle ;
Un Chat la guerte , ſe blotit ,
La fuit , la happe , la mutile ,
Et la mange avec appétit.
Cette ſcène eſt affez commune.
Venons au fait , ami Lecteur :
Le tas de blé, c'eſt la Fortune;
La Souris , le Diffipateur
Suivi de ſa troupe importune ;
Et le Chat ? C'eſt un Procureur.
(Par M. Crommelin de Guiſe. )
DE FRANCE. 147
BOUTS - RIMÉS ET ACROSTICHES.
COMME c'eſt pour la première fois que nous
inférons dans ce Journal des Bouts- rimés &
des Acrofliches , il ne fera pas inutile de
configner ici quelques lignes relatives à cet
objet.
Nous avons reçu une foule de ces Boutsrimes
&Acroftiches ; nous en inférons peu :
cela doit être. Mais pour confoler , s'il ſe peut ,
les Auteurs dont nous avons été forcés de rejeter
les eſſais , voici des obſervations générales
, dont quelques-uns pourront faire l'application
, & qui ſerviront d'avertiſſement à
ceux qui , dans la ſuite , voudront s'exercer
dans ce genre de poéfie.
Il ne fuffifcit pas , comme pluſieurs l'ont
fait , de raconter en vers , quelquefois affez
bien tournés , l'action génereuſe du Chevalier
d'Affas ; tout le monde la connoît : il
falloit faire entrer dans ces vers une idée au
moins qui relevât la gloire du Héros , & prouvât
le talent du Poëte. Enfermer fimplement
des mots entre la rime qui termine chaque
vers ,& la lettre qui , ſelon la règle de l'Acroftiche
, doit le commencer , voilà le métier ;
mais en faire fortir des vers bien faits , & qui ,
pour parler comme Boileau , difent quelque
choſe, voilà l'art ; &c'eſt l'art ſeul qu'on doit
accueillir.
Quant aux Bouts- rimés , (jeu d'efprit au
Gij
148 MERCURE
quel nous ne voulons pas donner plusd'importance
qu'il n'ena) nous avons obſervé que prefque
tous ceux que nous avons reçus péchoient
par le ſecond ou le derniers vers. Il paroît
qu'on a eude la peine à faire trouver une analogie
d'idée entre un vers finiſſant par bachelier
, & un autre qui doit finir par cellier.
Mais il faut ſe ſouvenir que le caractère de ce
genre de poéſie eſt la difficulté vaincue.
Une rime plus embarraſſante encore , c'eſt
pareille. Elle a fait maître à la plupart de ceux
qui ont rempli nos Bouts - rimés , l'envie de
finir parfans pareille. Il étoit d'autant plus
difficile d'employer heureuſement cefanspareille,
ridiculife par Boileau , que ſaplace eſt
àla fin des Bouts-rimés ,&que c'eſt ſur- tout
la fin d'une pièce de peu d'étendue , qu'il eſt
important de rendre ſaillante. Par la fortie
auſli fingulière que plaiſante , que l'Auteur
du dernier Bouts-rimés inféré ci-après , a
faite contre le mot pareille , on juge qu'il
avoit trouvé cette rime un peu rebelle.
Nous allons profiter de cette occafion pour
énoncer ou renouveler ici quelques réflexions
qui concernent encore l'article des Pièces
fugitives.
1º.Quoiqu'on n'exige pas que les Charades,
les Enigmes& les Logogryphes ſoient écrits
en vers excellens, encore faut- il que ce foient
des vers. Or, on ne doit pas s'étonner que de
fauſſes rimes , couſues ſans art au bout de
lignes, qui , par le nombre de leurs fyllabes ,
DE FRANCE.
149
ne peuvent former aucune forte de vers , deviennent
un titre d'excluſion.
a`
2º. Souvent en nous adreſſant un Logogry
phe qu'on juge piquant par l'idée& par l'exécution,
on ne fonge pas qu'un des mots qu'on
a tirés du Logogryphe en le décompoſant ,
une lettre qui ne ſe trouve point dans le mot
décompoſé. On s'étonne alors de ne pas le
voir paroître ; & cependant il eſt certain que
la moindre faute d'orthographe rend faux un
Logogryphe. Deux autres motifs d'excluſion
font, le choix d'un mot trop technique , prefque
étranger au Dictionnaire ordinaire du
Langage , & un mot trop facile à deviner : il
ne faut pas appeler Enigme une Pièce qui eſt
fomvent moins enigrnatique que d'autres qui
n'en portent pas le titre.
3º. Ce Journal étant extrêmement répandu,
fe trouve par-tout, paſſe dans toutes les mains ;
c'eſt ce qui nous fait un devoir d'être trèscirconfpects
fur le genre des Pièces que nous
admettons. Un enjouement un peu trop vif,
quelques expreſſions un peu libres , fuffiſent
quelquefois pour nous faire rejeter une Pièce
ingénieuſe & bien écrite.
4°.(Et cette réflexion regarde les Questions,
croftiches&Boats-rimés) le Mercure , quia
beſoin d'être ſous-preſſe long-temps avant de
Ditre, ſe trouve fermé nombre de jours auwant
, & ſouvent telle Pièce ſe trouve ex-
, non pour avoir été rejetée, mais pour
rrivée trop tard.
Güj
130 MERCURE
sº. Enfin , nous répéterons à ceux qui ſe
plaignent de notre filence fur les envois qu'on
nous fait , que de tout temps l'impoſſibilité de
fuffire à une correfpondance beaucoup trop
étendue, a forcé les Journaliſtes d'y renoncer ;
qu'à cet égard ils ſe ſont condamnés à l'oubli
des convenances, faute de pouvoir en remplir
les obligations ; &qu'il ne faut pas un grand
effort de raifon pour ne pas leur en faire un
crime.
Bouts-rimés qu'on avoit proposés.
I.
M
ON veifin Licidas , à peine . ... Bachelier,
Apour bibliothèque un très- vaſte ... cellier;
Ala fin d'un repas , ſon humeur devient tendre ;
Il preſſe avec ardeur Céphiſe de ſe. rendre;
De boire largement , il ſe fait un. konner; ...
Il traite leſtement les affaires de ... coeur ;
Atous les emprunteurs il faitla ſourde.. oreille;
Lecteur, c'eſt ſa morale, &la mienne eſt pareille.
(Par M. Dumont. )
II.
Je ne ſuis ni Docteur ni même . .... Bachelier,
Etmabibliothèque , à moi , c'eſt mon.. cellier.
DE FRANCE
. 151
Peum'importe qu'Églé me ſoit cruelle ou tendre ,
Pourvu qu'àmes defirsmon brocpuiſſe ſe
Aille enfin qui voudra mourir au lit d'honneur ;
rendre.
Quoi donc! ungrandgoſier vaut-il moins
qu'un grand coeur ?
Auteurs,Am ans,Guerriers, vous ſecouez l' oreille :
Eh bien ! le verre en main , je vous rendsla pareille.
(Par M. B... n , quai de la Tournelle , visà
vis le Port au Vin . )
III.
Sur Mile Renaud l'ainée.
Qus l'amant deBacchus , que l'humble.. Bachelier,
Pour entendre Renaud, laiſſe theſe &...
cellier;
Tout doit,juſqu'à l'Envie, avec plaifir l'en tendre;
Le Miſanthrope , aimer , le critique , ſe
Le Poëte enflammé chanter en fon .
rendre ,
.. honneur
L'homme le plus glacé ſentir battre ſon
Mais quand ſa voix flûtée enchante notre
Qui pourroiten ſes vers lui rendre la....
coeur;
oreille ,
pareille ?
(Par Mme Dufrenoy. )
IV.
En ficurettes Lyces tout au moins.
Docteur lorſqu'il s'agit de vuider un
Promène ſur le ſexe un regard vifon.
Que le ſexe à l'envi s'empreſſe de lui.
.. Bachelier ,
.. cellier,
tendre ,
rendre ; •
Giv
152 MERCURE
Il eſt jeune & bouillant, vigoureux,plein d' honneurs
Enfin parce ſeul trait connoiffez ſon grand
Certainmari jaloux le priva d'une.
Et chaque jour Lycas expoſe ſa ..
...
...
coeur:
oreille,
pareille.
(ParM. Régnault , Commiſſaire des Claffes, retiré.)
V.
Un dévot à Venus , un adroit
Aidoit ſa jeune Hôteſſe à ranger fon
Bachelier ,
Illui tintcertainjour plus d'un propos fort
Atoutes les douceurs loin de ſe laiffer p..
cellier.
tendre;
rendre,
La Dame prétendoit qu'il bleſſoit ſon .
Mais rienn'eſt plus aiſe que de ſoumettre
. honneur;
un secur!
Le rufé fait brfiler une boucled'. ... oreille:
Ah! dit-elle auſſitôt , avez-vous la. pareille?
(ParM. Montmarant. )
I.
PAREILLE: Ôciel,quel mot! paſſe pour Bachelier !
Promenez-nous encorde la cave au...... cellier;
Aux frivoles grandeurs défendez de pré..
Permettez qu'on emprunte àla charge de
Au goût , à l'équiré tout cela fait.
Mais pureille en défaut met l'eſprit& le..
Pour la gloire de l'art , pour le bien de l'
Ah ! Meſſicurs , proſcrivez une rime
tendre;
rendre :
... honneur :
coeur;
..
oreille
pareille!
( Par M. Traverfier. )
DE FRANCE . 53
Bouts- rimés à remplir pour le mois deMars.
CHEVEUX ,
CONQUÊTE ,
BORUFS ,
QUETE ,
DONJON ,
:
BÉQUILLE ,
QUILLE ,
SAISON.
Acrostiche qu'on avoit proposéfur le mot
d'Affas.
I.
Un nouveau Décius honorons la mémoire.
u champ de Cloftercamp il termina fon fort.
a voix qu'il fait d'avance être un arrêt de mort ,
✔ur le camp des François appelle la victoire.
➤ le louer ainſi je borne mon effort;
son nom mieux que mes vers atteſtera ſa gloire.
(Par M. le Marquis de Saint-Marc.* )
*C'eſt M. le Marquis de Saint-Marc , qui , dans une
Epitre aux Détracteurs de la France, imprimée en 1777 2
rappelé le premier l'action héroïque de d'Affas , oubliée
depuis près de vingt ans , & qui a donné leu par conféquent
à la récompenſe accordée par le Roi à ſa Famille ,
&aux hommages que tous les Arts ont rendus à ſa mémoise.
Gv
154
MERCURE
II.
Écius des François , dont tu cauſes les pleurs ,
uTemple deMémoire écrit comme en nos coeurs ,
ois certain que ton nom vaincra la pâle envie :
itu vécus affez , mourant pour la Patrie ,
h! la gloire eftpour toi ; pour nous font les douleurs:
ibelle fut ta mort , quelle eût été ta vie !
III.
(Par M. G **. )
ES Romains autrefois le fier patriotiſme
➤ voit au plus haut point exalté les eſprits.
serons nous donc ſurpris de tout leur héroïſme ?
i pour les tiens , d'Aſſas , volontiers tu péris ,
►ce haut fait nos moeurs ont donné plus de prix:
eul tu ſus t'oublier dans un temps d'égoïſme.
(Par ↑ Auteur de la petite Pièce de vers intitulée
le Juge Indécis , inférée dans le Mercure du
3 Décembre dernier. )
IV.
A
Écius , que l'on vante au Temple de Mémoire ,
t'il comme d'Affas mérité cette gloire ?
sur le premier l'on voit l'effet du déſeſpoir ;
ur l'autre on reconnoît l'empire du devoir.
► fſas eft le Héros , François , que l'on doit ſuivre.
achez ainſi mourir , yous ſaurez toujours vivre.
(Par un Abonné. )
DE FRANCE.
155
V.
ASSAS perditdes jours qu'eût ſauvés ſon ſilence;
uvergne étoit ſurpris ; & le camp ſans défenſe
'ouvroit de toutes parts au fer de l'éranger.
ses efforts & ſes cris écartent le danger :
nglois , vous l'immolez ; il expire , & la France
ous ſes drapeaux ſanglans ſaitvaincre & le vengor.
VI.
u perfide ennemi qui cherche à te ſurprendre ,
uvergne , un de tes chefs parvient à te défendres
ses cris , ſa réſiſtance en détournent les coups.
ur ſes lauriers ſanglans arrofés de nos larmes ,
➤nglois , foumis , confus , vous dépoſez vos armes :
a gloire, en le perdant, nous coûte autant qu'à
vous.
VIL
Es ennemis bravant les coups ,
►Cloſtercamp , jour de mémoire ,
on nom , ſignal de la victoire ,
servit à nous couronner tous;
➤ l'inftant qu'il périt pour nous ,
son dernier cri fut pour la gloire.
(Par M. de Beze , Chevalier de S. Louis ,
Lieutenantdes Maréchauxde France.)
Gvj
156 MERCURE
VIIL
u Décius François le noble dévoûment
► fſſure àGloſtercamp le ſort de la victoire ;
ses cris cauſent ſa mort, en hâtent le moment ;
sa vie eſt pour l'État , pour ſonRoi , pour la gloire.
►ſon zèle Louis élève un monument :
son nom & le bienfait honorent notre Hiſtoire.
(Par un Officier Général. )
Acroftiche pour le mois deMars.
LEOPOLD. *
** On nous diſpenſera de raconter ici la fublime action
de ce Prince , qui a retenti dans toute l'Europe , & qui
honore & fort l'humanité.
DE FRANCE. 157
Explication de la Charade , de l'énigme &
du Logogryphe du Mercureprécédent.
LE mot de la Charade eſt Orage ; celui
de l'énigme eſt Mousse; cesui du Logogryphe
eſt Armide , où l'on trouve air, mer, ride ,
mari , Dame, rime , re, mi , Mardi , ami ,
arme , rame , rade , Ida ,Mai.
A
CHARADE.
TES defirs , fi mon premier répond ,
Ami Lecteur , il donne mon ſecond ;
Quel changement! s'il eſt contraire ,
De mon tout il devient le père.
(Par M. Corbilly. )
ÉNIGME.
LA
A Beauté me voit en riant;
Chacun recherche ma figure ;
Je ne parois qu'en copiant
Celle d'autrui d'après Nature.
Je reads les mines qu'on me fait ;
Je rends grimaces pour grimaces.
L'on ne me quitte fatisfait
Que quand je montre quelques grâces.
(Par l'Auteur du ſeptième Acrostiche )
ر 18 MERCURE
JE
-LOGOGRYPΗΕ.
Efuis, ami Lecteur , unslégeerr ornement ;
Aux deux ſexes je ſers aſſez communément.
Pour les Dames changeant ma couleur naturelle ,
Chaque jour , à leur gré , j'en prends une nouvelle ,
Et , pour flatter leur nez d'une aimable ſenteur ,
Chaque plante à l'envi me prête ſon odeur.
Dans mes fix pieds l'on peut trouver avec aiſance
Ce qui , ſans les fripons , n'auroit pas d'existence ;
Le métal dont l'appât a perdu bien des gens ;
Un petit animal ennemi des enfans ;
Ceque le coeur humain ſans ceſſe devroit être ;
Ce que les aſſaſſins méritent de connoître ;
L'épithère en tout temps attribuée au fer ;
-
Un fleuve du Piémont qui , pour gagner la mer ,
Traverſe en ſerpentant un bout de l'Italie ;
Ce que n'eſt point la peau de la belle Émilie ;
Ce qu'Horace autrefois compoſoit ſans effort;
Un fleuve très- connu que l'on trouve à Francfort ;
Ce qui dans une Ville à tout fert de paſſage ;
Ce qui de nos beftiaux fournit le pâturage ;
Cequ'éprouve un poltron dans undangereux cas.
Si cette fois , Lecteur , tu ne me connois pas ,
Nous ferons chez Iris connoiſſance complette ;
Tu pourras , à coup-sûr , me voir à ſa toileue.
DE FRANCE. 159
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRES de Mme la Comteſſe de 1***
à M. le Comte de R***. A Paris , chez
Barrois l'aîné , Libraire , quai des Auguftins ,
1785. Avec Approbation & Privilége du
Roi.
CES Lettres font écrites ou cenfées écrites
depuis le 4 Juin 1674 juſqu'au 15 Août
1680 , avec quelques interruptions. C'eſt le
beau temps de Louis XIV ; c'eſt le temps des
Lettres de Mmede Sévigné. L'Éditeur decelles
que nous annonçons dit qu'il eſt facile de s'appercevoir
que Mme de Sévigné écrivoit pour
la poſtérité; c'eſt un point qui peut être conteſté
, mais qui peut auffi être foutenu. Il y a
un grand air d'abandon dans la plupart des
Lettres de Mme de Sévigné ; mais l'abandon
même s'imite & s'arrange comme tout le
refte.
Nous ne pouvons dire ſi les Lettres de
Mme la Comteſſe de L. ſont vraies ou ſuppoſées;
elles portent de grands caractères de
vérité; les événemens & les dates ſe rapportent
bien au temps ; mais il ne fautpour cela
qu'un peu d'attention, Ce qui pourroit faire
douter que les Lettres fuffent véritablement
du temps , c'eſt premièrement qu'on n'a pas
160 MERCURE
nommé les perſonnages principaux. 2°. Qu'il
y a des pertonnages épiſodiques qui rappellent
des idées modernes qu'on pourroit trouver
foiblement déguiſées , tel eft , par exemple
, un Abbé le Boſſu , homme d'un vrai
mérite , &d'un mérite aimable , qui donne à
ſes amis des leçons d'Aftronomie. Son éloge
revient pluſieurs fois dans ces Lettres , & il
fait penfer àunhomme de ce nom , qui heureuſement
n'eſt pas du ſiècle de Louis XIV.
Nous ne prétendons pas nier qu'il y ait eu
du temps de Louis XIV un Aftronome , un
Mathématicien habile &aimable , de ce même
nom , mais nous ne le connoiffons point ;
c'eſt peut-être notre faute. 3°. En y regar
dantun peu deprès , on pourroit trouverque
leſtyle n'appartient , ni par ſon mérite ni par
ſes défauts, au ſiècle de Louis XIV. Le temps
amène à cet égard des différences ſenſibles ,
fur-tout dans la proſe; car la poéſie étant une
langue à part , un Poëte de nos jours qui auroit
préciſement le génie de Racine , reffembleroit
plus à Racine que le meilleur Profateur
de nos joursne reſſembleroit au meilleur
Proſateur du dernier ſiècle; & Mme de Sévigné
elle-même , ſi elle écrivoit aujourd'hui,
écriroit, nous nediſons pas mieux, nousnedifons
pasplus mal, mais autrement,dans beaucoupde
dérails.Telles font les révolutions que
letemps produit dans tous les genres ;&pour
nous renfermerdans celuidont ils'agit, le tems
varie au moins les formes; celles du ſtyle ne
ſont plus , à beaucoup d'égards , celles du
DE FRANCE. 161
fècledernier , comme les phyſionomies n'ont
plus le même caractère que celles de ce ſiècle
auguſte de Louis XIV. Tout change en mêmetemps
dans le monde, tout s'aflortit , & la
beauté & les yeux qui lajugent , tout reffent
à-la-fois l'impreſſion des fiècles ; nos jolies
femmes d'aujourd'hui ſont plus faites pour les
yeux de leurs contemporains , que ne le ſeroient
ces fières Beautés , ornement de la
Cour de Louis XIV ;
Cesbelles Montbazon , ces Nemours ſi touchantes ,
fi elles reparoiffoient parmi nous , & elles
reparoiffent moins ſouvent. Il en eſt de
même des formes du langage, notre eſprit
ne peut être favorable qu'à celles qui nous
font familières ; les autres ſont pour nous ou
des négligences ou des tours vieillis , des modes
pallées , des parures étrangères. On en
trouveroit pluſieurs de ce genre dans Mme de
Sévigné , moins cependant que dans beaucoup
d'autres Livres du même ſiècle; car plus
un Livre a de mérite & de charme , plus on
l'aime , plus on le lit , plus on le fait, & plus
il contribue naturellement à fixer la langue ,
& ce n'eſt pas un médiocre effet du charme
toujours attirantdes Lettres de Mme de Sévigné,
qu'elles ayent réſiſté à la mobilité efſentielle
du genre; car quoi de plus mobile
dans ſes formes que le langage des gens du
monde , & de ce qu'on appelle la bonne com-
'pagnie ?
Nous diſons au reſte que pour appercevoir
162 MERCURE
dans les Lettres de la Comteſſe de L. cettedifférence
de ton qui tient à celle des ſiècles , il
faut y regarder de près ; car l'Auteur, s'il eſt
moderne, ce que nous ne pouvons ni ne voulons
décider , eft fi nourri des bons Écrivains
du ſiècle de Louis XIV; il eſt ſi bien au courant
des événemens , il s'intéreſſe & ſe paffionne
ſi naturellement pour ou contre les
perſonnages du temps , ſans s'aſſervir ſur ce
point aux idées aujourd'hui généralement reçues,
que l'illufion, fi c'en est une , eſt trèsgrande
, & qu'il y a beaucoup de mérite à
l'avoir fu produire.
,
Un artifice , ( fi encore un coup c'en eſtun )
qui contribue beaucoup auffi à l'illuſion
même en détruiſant l'intérêt , c'eſt que
pluſieurs Hiftoires , dont le Lecteur attend
& defire la fuite , trompent cette attente
& retent imparfaites , ce qui annonce une
correfpondance interrompue ; un Auteur a
rarement & difficilement le courage de
ſe priver ainſi d'un complément qui lui
procure l'avantage de plaire & d'intéreſſer ,
c'eſt un grand facrifice à faire à la vraiſemblance.
La Comteſſe de L. a été mariée jeune à un
homme d'un certain âge qui l'aime & la refpecte
beaucoup , & qui est fon meilleur ami ;
elle a un amantqui eſt le meilleur ami de ſon
mari; elle ne combat point cet amour , elle
ſe le reproche ſeulement quelquefois; mais
elle s'applaudit , & même avec ſon vertueux
amant,de ceque ce ſentiment n'a jamais rien
DE FRANCE. 163
pris ſur ſes devoirs ; c'eſt à cet amant que les
Lettres font adreſſées ; la Comteſſe eſt d'ailleurs
une femme d'eſprit , qui en a la réputation
& la conſidération dans le monde , &
qui eft à cet égard comme une rivale de Mme
de Sévigné ; elle la connoît ainſi que Mme de
Grignan , elle les rencontre dans lemonde,
& afur elles fon opinion particulière , qui ne
leur eſt pas trop favorable. Or , il eſt curieux
&piquant de voir ou l'idée qu'avoit naturellement
de ces Femmes célèbres , une femme
d'eſprit , leur contemporaine , vivant dans
les mêmes ſociétés , ou celle que s'en forme ,
d'après leurs Lettres & les Anecdotes du
temps , une perſonne qui , avec de l'eſprit ,
& un médiocre refpest pour les opinions
établies , les juge comme elle jugeroit des
contemporaines & des rivales. On fuppofe
ou on raconte ici que Mme de Coulanges ,
quoiqu'amie&alliée de Mme de Sévigné , entend
raillerie,& ſe prête àdes plaiſanteries de
ſociété ſur ſes couſines, Meſdames de Sévigné
&de Grignan, fur leſquelles on lui accorde
ici une préférence marquée. Nous croyons
faire plaiſir à nos Lecteurs en raſſemblant ici
ces jugemens épars.
ود
Lettre 39 .
" Je fus voir hier Mme de Coulanges ; elle
eſt dans la joie du retour de Mme de Sé-
» vigné des eaux de Vichy. Je lui en fis mes
>>complimens. Elle vous aimera paſſionné-
>> ment, me dit- elle.-Je n'en crois rien ,
ود lui répondis-je.-Pourquoi donc ? Oh ! je
164 MERCURE
>> gage que vous ne l'aimez pas ! je me tins
ود furles négatives: elleabeaucoup d'efprit....
» Je l'ai trop peu vue pour avoir unefaçon de
>>penfer arrêtéefurfon compte..... Enfin tout
>>ce qu'on dit lorſqu'on évite de ſe déclarer. >>
"
Lettre 40°.
" Hier, je ſoupai chez Mme de Coulanges;
Mme de Sévigné s'y trouva. Elle chercha ,
mais vainement , à me faire entrer en jeu;
>>je fus toujours fur la défenſive. Cela ne
>>l'empêcha point de m'accabler de louan-
" ges; elle en eſt prodigue; elle loua ma
>> figure , mes regards , mon filence. »
Lettre 43 .
"Je fus dineravec Mmede Villars , il y a
>> pen de jours ; Mme de Sévigné s'y trouva;
elle étoit venue de Livry pour lui faire les
adieux. Jamais je ne l'avois vue ſi brillante ,
>> ſon eſprit me parur dans tout fon éclat ;
>> cependant c'eſt de ce jour fi lucide que j'ai
ود
ود
0 fenti ce qui lui manquoit , dont, juſques-
>> là je ne pouvois trop me rendre compte :
>>>c'eſt du goût , c'eſt de ſavoir s'arrêter , ne
>> point cutrer la louange , ne point épuiſer
• laplaifanterie, ne pas facrifier les idées aux
expreffions , &c. &c. Voici ce qu'elle nous
>> dit , par exemple: Les anciensfont beaux ,
» & noussommesjolis. Que vous ſemble du
>>joli Bolfuet , du joli Deſpréaux , du joli
>> Racine ?Cette déciſion de Mme de Sévigné
> m'a fait naître une réflexion ; c'eſt que le
>>jolieſt précisément le genre qui nous man-
>>que. Pour avoir votte improbation ou vo
DE FRANCE. 165
» tre aveu , je vais vous expliquer ce que
>> j'entends parjoli , c'eſt ce quin'ani la force ,
رد
ود
"
ni l'élévation , ni la majeſté , ni la régularité
dubea'u; c'eſt ce qui n'exige ni un grand
deffein , ni un plan vaſte ; mais ce qui a de
› la facilité , de l'agrément , du naturel ,du
>>piquant ou de la grâce , de la fineſſe ou de
» la légèreté , de l'enjouement ou de la délicatefle.
Or , je vous jure que je ne connois
>> pas d'Ouvrage de ce caractère , c'eſt à vous
› à me les indiquer. »
ود
ود
Il y auroit bien des choſes à répondre à ce
défi, bien des définitions à faire , bien de dif
férens états de queſtion à poſer pour éclaireir
tout ceci. Mais n'examinons que deux points ,
1 °. Le défi de citer un Ouvrage François dans
le genre qu'on appelle joli d'après la définition
; 2°. & le partage du beau & du joli entre
les anciens& les modernes.
Quant au premier point , nous ne pou
vons citer , il eſt vrai, ni Fontenelle , ni La
Motte , ni Marivaux , ni Moncrif, ni celui
qui vaut tous les autres,&mieux encore, Voltaire
dans ſes Pièces fugitives , ſes Contes ,
ſes Romans, &c. Ce ſeroit un anachroniſme,
c'eſt à 1676 qu'il faut remonter. Eh bien !
pourquoi pas La Fontaine ? Ses Ouvrages
n'ont ni laforce , ni l'élévation , ni la majesté,
ni la régularité du beau , ils n'exigent
ni un grand deſſein ni un plan vaſte; ils ont
de la facilité, de l'agrément , du naturel ,
du piquant, de la grâce, de la fineſſe , de la
légèreté,de l'enjouement de la délicateffe.
166 MERCURE
:
( L'Auteur a prévu l'objection ; & dans une
autre Lettre , il répond que La Fontaine eft
plutôt aimable & naïf que joli : fort bien ;
mais il s'agit de la comparaiſon du beau & du
joli. Or , le genre aimable & naïf ſera plutôt
rapporté au joli , dont il eſt une nuance ,
qu'au beau dont il s'éloigne trop.
De plus , les ſuccès de Voiture, (& quels
ſuccès n'avoit- il pas alors?) ne font-ils pas dans
le genre joli ? L'Auteur dira ou diroit
qu'il n'adopte pas les ſuccès de Voiture ,
cela feroit bien aifé à dire aujourd'hui ; mais
du temps de Voiture, il n'étoit pas poffible
de ne pas citer un tel Auteur quand on parloit
du joli ; c'étoit l'oracle de la bonne compagnie
& le Héros de la Littérature au jugement
même de Boileau ; & le filence qu'on
garde ici fur lui fournit une conjecture de plus
fur la ſuppoſition de ces Lettres .
Eh ! dans quel genre font donc encore les
voyages de Bachaumont & de Chapelle , les
OEuvres de Mme Deshoulières , dont pluſieurs
font antérieures à l'époque dont il s'agit;
le Roman de Zaïde , & quelques autres Ouvrages
deMme de la Fayette ,&c. ? Ne parlons
pas de la Princeffe de Cièves , parce qu'elle
n'a paru qu'en 1678 ; la Converſation du
Maréchal d'Hocquincourt avec le P. Canaye ,
Ouvrage qui feroitſeul une réponſe ſuffifante
au défi , & divers Ouvrages de Saint - Évremont
:&c. Ne parlons pas non plus de Molière
; on nous diroit que ſes belles Comédies
font de beaux & grands tableaux des moeurs ,
DE FRANCE. 167
qu'elles ont un grand deffein &un plan vaſte;
mais ſes petites Pièces , ſes Farces , l'Amour
Médecin , Amour Peintre,le Médecin malgré
lui , l'Impromptu de Versailles , la Comreſſe
d'Escarbagnas , &c. ne font-elles pas
très-jolies?
Les Lettres Provinciales ſont un chefd'oeuvre
dans le genre que nous examinons.
" Les meilleures Comédies de Molière , dit
ود
ود
ود
M. de Voltaire , n'ont pas plus de ſel que
les premières Lettres Provinciales; Boffuet
n'a riende plus fublime que les dernières."
Paſſons au ſecond point , la comparaiſon
des anciens & des modernes caractériſés ,
les premiers par le beau , les ſeconds par le
joli.
L'exemple de Boſſuet eſt très-bien choiſi
pour attaquer cette comparaiſon ; mais M. de
Voltaire a dit que Boſſuet étoit le feul François
éloquent parmi tant d'Écrivains élégans :
voilàdonc la foule de nos Orateurs réduite à
n'être à peu - près que jolie , du moins par
comparaiſon ; Boſſuet étoit beau , Fléchier
étoit joli ; de même chez les Grecs , Ifocrate
comparé à Démosthènes ou à l'impétueux
Iſée , n'étoit peut-être que joli ; car le genre
fleuri , comparé fur-tout au genre fublime ,
ne peut être que joli ; mais les anciens pris
enmalfe , & comparés aux modernes , font ,
à beaucoup d'égards, dans la proportion du
beau au joli; en général ils ont une manière
de faireplus ſimple, plus auſtère , plus ennemie
des ornemens & de ce qu'on appelle
168 MERCURE
efprit, que les modernes. Il ſeroit ridicule
fans doute de dire abſolument',&fans y être
forcé par aucune comparaiſon,lejoli Racine;
mais il ne feroit pas abſurde de dire que les
anciens s'étoient fait de la Tragédie une idée
plus ſimple , plus forte, plus pure que Racine
lui-même ; que chez eux , dans la Tragédie,
tout eft tragique & fans aucun mêlange
d'autres genres , ce qui n'eſt pas toujours chez
Racine; que dans cette belle Andromaque , il
yapluſieurs Scènes qui ne ſont que jolies ,&
queRacinedans laſuite eûtrenvoyées au genre
du haut comique. Telle eſt la Scène d'Hermione
& de Cléone , qui ouvre le ſecond
Acte , la fameuſe Scène de Pyrrhus & de
Phoenix.
Eh bien , Phoenix , l'Amour est- il le maître?
qu'on admire avec raiſon & qui fait rire ;
telles font même dans plufieurs endroits quelques
Scènes entre Oreſte & Hermione. Oferons-
nous le dire ? Ce trait que Lekain rendoit
preſque beau ,
Etvous lehaïffez!
&tout le quatrain qui ſuit eſt fin, philoſophique
, délicat , enun motjoli; mais Sophocle
& Euripide ne trouveroient point cela
Tragique. Ils étoient beaux.
LejoliDefpréaux ! Oui , par comparaiſon
avecquelques anciens du mêmegenre. L'Iliade
eſt belle, le Lutrin eſt joli,& c'eſt encoreun
exemple fameux de joli Ouvrage au temps
dont
DEFRANCE.
169.
dont il s'agit. Deſpréaux n'eſt que joli dans 12.
Satyre à mon esprit, il n'est même que joli
dans la fatyre en général, fi on le compare à
Juvénal ; fi on le compare à Horace , il n'eſt
pas même aufli joli , à moins qu'il ne l'imite.
Concluons donc que le mot de Mme de
Sévigné , qui ne préſente plus aujourd'hui
qu'une idée ufée, étoit, dans le temps où ila
étédit, le réſultat naturel qu'une femme d'efpritdevoit
tirerde tout ce qu'elle entendoit
diredans la fameuſe diſpute ſur les anciens&
lésmodernes.
Ce qui paroît avoir trompé ſur ce point.
l'Auteurdes Lettres , c'eſt la comparaiſon du
ſiècle de Louis XIV avec le nôtre , où l'avantage
du beau eft du côté du premier , & celui.
du joli du côtédu ſecond ; & ce feroit encore
une conjecture que ces Lettres ſont ſuppoſées.
Mais c'eſt trop diſcourir ſur des opinions.
qu'il ſuffit d'expoſer pour exciter la curiofité
&l'intérêt du Lecteur. Suivons les jugemens
fur Mme de Sévigné & ſa famille.
"
Lettre 46 .
"Je fus voir hier Mme de Coulanges; elle
eſt d'un changement qui fait peine. Elle
» avoit un petit cercle très - diftingué que
Mme de Sévigné défrayoit : elle dit des
chofes fort plaiſantes ; mais je trouve tou-
>>jours ſes récits trop chargés de détails: la
2 proc fion deMme de Coulanges fait , àmon
>> gré , plus d'effet. "
ود
:
Lertre 47°.
1
>>Je fais bien bon gré au Marquis de Vence
N°. 4, 28 Janvier 1786. H
170
MERCURE
de vous avoir fait le ſacrifice du voyage de
Grignan. Sait-il qu'on en attend ici la Souveraine
? J'ai une forte curioſité de la voir,
> Mais commeje ne vais point chezMme de
» Sévigné , je mettrai Mme de Coulanges
dans mon ſecret: elle aime la mère & la
>>fille; mais elle tolère les plaifanteries ſur
la ſeconde. »
Lettre 52 .
"
"On réſerve les choſes intéreſſantes pour
lesdernières. Apprenez donc, M. leComte,
>> que j'ai ſoupé hier avec Mme la Comteſſe
>> de Grignan, à l'hôtel de Lesdiguières,Nous
>>étions vingt-deux à table ; ma bonne for-
>> tune me plaça auprès de la Divinité , dont
>> il me fut impoſſible d'obtenir un peu plus
» que des monofyllabes : je m'en égayerai
avec Mme de Coulanges , je ſoupe ce ſoir
➡ chez elle . Je ne puis donc vous dire mon
ſentiment que fur la figure de Mme de
Grignan; je la trouve fort au-deſſous de ſa
>> réputation ; ce ne ſeroit que dans une di-
> ſette de Beautés qu'on pourroit , ce mo
ſemble, s'aviſer de la trouver belle. >>
:
La Fontaine a dit cependant :
Sevigué , de qui les attraits
Servent aux Graces de modèle ,
Et qui nâquites toute belle
Avotre indifférence près ,
Lettre 53 .
د
Mme de Grignan étoit d'un çerta in ſoupé
DE FRANCE. 171
ود
que je fis chez Mime de Coulanges , quel-
>> ques jours après que je l'eus rencontrée à
P'hôtel de Lesdiguières. Mme de Sévigné
étant avec elle cette ſeconde fois , me fit
l'honneur de me la préſenter. Comme
>> j'étois arrivée avant la mère & la fille , qui
> vinrent fort tard ,je m'étois fort librement
>> expliquée ſur leur compte avec Mme de
>>Coulanges , laquelle , après avoir beaucoup
ri demes obfervations, me dit, en conti-
» nuant de rire: mon Dieu ! que vous allez
>> prendre mauvaiſe opinion de moi ! car il
" eft certain que je devrois me facher. Au
>>ſurplus , comme elle vouloit faire valoir
>> l'eſprit de ſon amie ,elle fit tant de frais de
>>gaîté , dit des choſes ſi vives, ſi ſpirituelles ,
>> queMme de Grignan dépoſant une partie
" de la dignité , fut à ſon tour ſi brillante ,
» qu'elle fixa toutes les attentions & réunit
>>tous les fuffrages...... Je confefle donc qu'il
" eſt rare d'avoir autant d'eſprit que Mime de
> Grignan ,& peut-être impoſſible d'en avoir
>> plus : c'eſt dommage qu'elle ſoit d'une aufli
>> ridicule importance. Je penſe qu'elle a rêvé
>> une nuit qu'elle étoit Déeſſe , & qu'aucun
» réveil ne l'en a juſqu'à préſent délabuſée.
Mais voici le coup de maître ; ſi les Lettres
ſont ſuppoſées , c'eſt un trait de malignité ſi
vrai, ſi naturel , ſi ſemblable à ce qui ſe
paſſe tous les jours dans le monde , déduit des
Lettres deMme de Sévigné & des Mémoires
du temps par une induction ſi ſimple & fi
Ingénieuſe , que l'illuſion eſt complette. Une
4
Hij
172 MERCURE
rivale maligne & portée au dénigrement , a
dù voir & s'exprimer ainfi.
: Lettre 60°.
- "Mme de Grignan ſe trouve fort maldu
ſejour de Paris. Je la vis la ſemaine dernière
» chez Mme de Coulanges ; je la trouvai mai
>> gre & abattue; elle ſe plaint de ſa poitrine,
Mme de Sévigné pleure tendrement
▼ ſa mort en ſa préſence , & lui dit pathétiquement
qu'elle eſt pulmonique , étique
afthmatique , & tout ce qu'il y a de plus
>> funeſte en ique;de façon que cette mourante
Beauté , que je ne crois malade que
des oppreffantes careſſes de Mme ſa mère ,
partira ces jours-ci pour Grignan, J'ai voulu
>>parier contre Mme de Coulanges , qu'on
en recevroit de meilleures nouvelles dès la
ſeconde poſte. » .
Et dans la Lettre 62
>> Madame de Coulanges s'eſt trouvée forcée
de m'avouer que la ſanté de Mme de
>> Grignan a commencé en quittant la banlieue
, à donner eſpérance ; Mme de Sévigré
s'en réjouit avec une ſorte de con
fufion,
Il étoit impoffible de parodier d'une manière
plus plaiſante & plus maligne, toute
cette effuſion de tendreſſe plus que materrelle
dont les Lettresde Mme de Sévigné font
remplies. On ne pouvoit pas non plus exagéror
plus ingénieuſement l'inégalité de tendreſſe
que le Lecteur ſuppoſe entre la mère
& la fille, peut-être uniquement parce qu'il
DE FRANCE 173
voit l'expreſſion de la tendreſſe de l'une , &
qu'il ne voit pas celle de l'autre ; car d'ailleurs
Mme de Sévigné ſe loue ſouvent des Lettres
de ſa fille & des témoignages de tendreſſe
qu'elles renferment; & dans ſes attendriffemens
on voit un coeur content du coeur qu'elle
aime.
Lettre 65 .
Après une énumération de tous ceux qui
partentpour le ſiége de Charleroy en 1677 :
<<Enfin , tanti quanti , pour parler comme
>> Mme de Sévigné : ſon petit Baron part
>> comme les autres , ſur quoi vous entendez
>> d'ici tout ce qu'elle peut dire , dont je pour-
>> rois vous rendre compte , ayant foupé avec
>> elle hier chez ſon amie. On nous y apprit
>> l'extrémité de Mme du Fleſſis Guénégaud ,
morte aujourd'hui d'une fièvre inflamma-
>> toire. Mme de Sévigné s'empara de fon
>> Oraiſon Funèbre , s'attendrit , fe confola ,
» s'égaya , je vous aſſure qu'elle fut très-
>> amusante. >>
Dans la Lettre 81., la mère & la fille font
encore très-maltraitées.
"Je ne vous ai point parlé de la divine
>> Grignan & de Mme ſa mère , parce que je
" les vois rarement. Je ſoupai cependant avec
>>elles , il y a quinze jours à peu-près. Elles
> fontinſupportables quand elles ſontréunies ;
>>certains amans que nous connoiſſons ne le
ſont pas autant,je vous jure. Ce font des
>> petits ſoins ſi importuns , des chuchotages
» ſi incivils , des plaiſanteries de ſociété ſi
Hiij
74
MERCURE
déplacées vis-à-vis des étrangers qui n'y
> peuventrienentendre.>> Voilàpourlamère.
Cecin'eſt- il pas unpeu gratuitement fuppofé ?
Eft-il bien poſſible que Mme de Sévigné ,
avec tout l'ufage du monde qu'elle avoiť ,
tombâtdans des fautes ſi groffières ,&que les
Bourgeoiſes les plus ridicules ſe permettent à
peine ? On croiroit ces Lettres écrites par
Mme de Marans ou par Mmede Lude, feules
ennemies de Mme de Sévigné &de Mme de
Grignan, que les Lettres de Mme de Sévigné -
nous faffent connoître.
Continuons. " La fille, que tout cela fatigue,
>>ſe contraint pour diffimuler fon impatience,
: > répond avec embarras ou distraction ; &
>>Mme de Sévigné , qui perd la cadence , fie
ود fait plus ce qu'elle dit le reſtede la foirée;
>>car le filence eſt un parti au-deſſus de fon
>> courage. Au reſte , lorſque Mmede Gri-
>> gnan eſt ſéparée deMme ſa mère ,& qu'elle
>> veut bien deſcendre de ſon piédeftal , je rie
fache que l'efprit de Mmede Sainte-Maure
: >>> qui puiffe , ſans riſque , entrer en concur-
> rence avec le fien. »
ود
Mme de Sévigné eſt quelquefois louée afſez
fortement dans ces Lettres de la Comteffe de
L.; mais toujours avec des reſtrictions ficheuſes.
Les Lettres à M. de Pomponne , fur
le procès de M. Fouquet , font très-juſtement
exaltées. " Je ne connois rien, dit-on , de plus
>> intereffant , & par le fond du ſujet ,& par
la manière dont Mme de Sévigné le traite.
► On nepeut porter plus loin le talent d'écri
DE FRANCE. 175
:
... re; elle rend ſenſible &préſent tout ce
>>qu'elle dit , & trouve des tours & des ex-
>> preſſions d'une nouveauté& d'un agrément
>> donton eſt ſurpris & charmé. »
ود
Mais auffi-tôt on ajoute :
رد
" Il faut que Mme de Sévigné tienne bien
fortement à la vie ; elle mande à M. de
>> Pomponne, avec des tranſports de joie qui
>> , me paroiffent inconcevables , que M. Fou-
» quet eſt condamné au banniſſement & à
>> la confiſcation de ſes biens. J'avoue que
>> j'aimerois encore mieux perdre ma tête
» que de la conſerver à ce prix. »
La réflexion peut être juſte; mais quand
il s'agit d'un ami qu'on a tant craint de perdre
, on ſe félicite de le voir confervé , &
tant qu'il vit , on eſpère pour lui un fort plus
heureux.
Mme de la Fayette n'eſt pas mieux traitée
queſon amie.
42. Lettre.
"Mmede la Fayette, que je fus voir hier ,
>> ne put me rien dire de nos affaires d'Alle-
> magne : il n'y a pas de nouvelles lorſqu'elle
>> n'en fait pas. Elle eſt dans un bien mauvais
ود
"
état de ſanté ; mais elle n'en a pas l'eſprit
» moins ſubtil. Il m'arrive quelquefois de
>>voyager avec elle dans les eſpaces imaginaires
,&de m'y perdre à tel point , que
>> je ne fais plus ni d'où je viens , ni où je
fuis. Cependant elle me trouve des diſpofitions
particulières à ces écarts d'imagina-
>> tion,&ne veut pas me croire lorſque je
رد
"
Hiv
176 MERCURE
" lui jure que je comprends auſſi peu ce
>> qu'elle me dit , que ce que je lui réponds.»
Ce portrait-là, ſi on vouloit être incrédule,
auroit l'air bien moderne.
Apropos de la difpute ſur le beau&lejoli ,
" c'eſt bien dommage , dit la Comteffe , que
*>> je n'aye pas eu le temps d'aller chez Mme
de la Fayette, elle m'auroit miſe en fonds
pour vous mieux répondre ; peut-être auili
>> m'eût-elle embrouillée. »
ود
ود
Nous ignorons ſi Mme de la Fayette avoit
réellement dans l'eſprit cette ſubrilité obfcure
dont on parle ici. Ses Ouvrages n'en
offrent pas la moindre trace. Le Marquis de
-Laffay lui fait des reproches plus graves dans
une Lettre adreſſée en 1686 à Mme de Maintenon,&
inférée dans le premier Tome de fes '
Mémoires ( de Laflay.) Il faut avouer que les
plaifanteries de la Comteſſe de L. , & les
plaintesdu Marquis de Laſſay ſont également
contraires à l'idée que donnent de Mme de la
Fayette ſes Écrits , les Lettres de Mme dè Sé-
*vigné , l'amitié de M. le Duc de la Rochefou-
'cauld&les Mémoires du temps.
Une autre victime de l'eſprit médiſant &
plaiſamment paradoxal de la Comteſſe de L. ,
eſtM. de Coulanges. On fait combien Mme
de Sévigné & Mme de Grignan célèbrent fon
aimable& inaltérable gáîté. Ici ce n'eſt guères
que celle d'un gros Bourgeois.
Lettre 14 .
"La Marquiſe de Montmorency dit qu'il
n'y a que Mme de Coulanges & moi à qui
:
DEFRANCE. 177
" il appartienne de donner des petits foupers
>> par excellence. Mais elle préfère les miens
>> par la raiſon que M. de L. n'est pas M. de
>> Coulanges , & que mon Cuiſinier eft meil-
ود leur que le fien. Elle juſtifie toujours ſoli-
>>dement ſes goûts , cette Marquiſe. »
ود
Lettre 17 .
"Nous foupâmes hier chez Mme de Cou-
>>langes; M. de Coulanges n'y étoit pas. Je
>> trouve la Marquiſe de Montmorency, un
>>peu injuſte à fon égard. Bien des gens,me
conviennent plus que lui ; mais beaucoup
>> plus encore me conviennent moins : s'il
vouloit être un peu moins plaifant , faire
moins de chanfons, ou les faire meilleures ,
>>permettre que ſa femme parlat plus que
>>lui ,je vous affure qu'il me paroîtroit fort
» aimable. »
ود
1
C'eſt M. Tibaudois , qui ſeroit fort bien
s'il pouvoit ſeulement ſe deshabituer de parler
à tort& à travers& de ne ſavoir ce qu'ildit.
Nous ſommes obligés de renvoyer à l'Ouvrage
même pour une multitude d'autres portraits
fort piquans , tels que ceux de Racine,
du P. Bouhours , du P. Bourdaloue , de Fontenelle
, conſidérés , ſoit comme Gens de
Lettres , foit comme gens du monde , & vivant
dans la Société. En général ily adans ces
Lettres beaucoup d'eſprit , &, quand le ſujet
le comporte , affez d'intérêt. Encore un
coup , nous ne pouvons pas dire fi elles font
authentiques; nous defirerions qu'elles ne le.
fuſſent pas , elles en auroient plus de mérite.
Hy
2
1
178. MERCURE
Ce ne feroit afſurémentpas une légère preuve
de talent que de ſavoir fe rendre aufli propres
les idées, les fentimens, les intérêts d'un ſiècle
où on n'a pas vécu , & d'une ſociété qu'on n'a
point connue.
ALMANACH, Littéraire , ou Étrennes
d'Apollon , par M. Daquin de Château-
Lyon. A Paris , chez tous les Libraires.
On aime les Recueils: le ſuccès de celui-ci
le prouve affez. Le Public court à la variété;
elle pique laplupart des Lecteurs plus que le
choixdu bon. Beaucoup de jeunes gens qui
font des vers &de la proſe avec cet avantage
fur M. Jourdain que s'ils n'en font guères
mieux que lui , ils ſavent du moins ce qu'ils
font , ont le plaifir d'y voir inférer leurs bribes
littéraires, & deviennent comme de raifon
les partiſans zélés de ces Collections annuelles;
ils font intéreſſes à les mettre en
vogue,& les prônent d'autant plus volontiers
qu'ils font en cela les prôneurs de leurs propres
Opufcules. Ce n'eſt pas qu'on n'y trouve
auffi des Fragmens intéreſſans & des Pièces
: excellentes d'Écrivains connus; mais n'eft -il
pas trifte pour un Auteur d'un certain ordre
d'y voir à ſon côté les Bavius & les Mavius ?
Quelle gloire pour un Officier de ſe trouver
péle-mêle avec de ſimples goujats? Les rangs
doivent être réglés au Parnaſſe comme dans
le monde : d'un autre côté , l'excès de l'indulgence
n'est pas trop blamable dans les
DE FRANCE.
179
:
Rédactenrs de ces Brochures ; un ſimple Editeur
de Pièces ne doit pas trancher du Juge
littéraire , ni affigner les places aux Beaux-
Eſprits. Si par quelque Ouvrage favoriſé du
Public un Auteur s'étoit acquis le droit de
croire qu'on a pris une certaine opinion de
fon eſprit & de ſes talens , ce ſeroit alors
qu'il pourroit ſe perfuader, ſans trop de préſomption
, qu'on le juge capable de reconnoître
dans les Écrits des autres ce qu'on a
reconnu de goût dans ſes propres Écrits. Malgré
ces réflexions, perſonne ne pourroit trouver
à redire que le Rédacteur de l'Almanach
Littéraire joignît quelquefois à ſes éloges un
peu de critique; car cette facilité à les accorder
à tout venant n'eſt pas flatteuſe pour ceux
qui lesméritent.
Au ſurplus , cet Almanach offre une ſuite
de Mélanges Littéraires affez piquante pour
juſtifier depuis pluſieurs années l'accueil du
Public , qui ne ſe rebute jamais de ce qui
lui paroît utile ou agréable. On y trouve à
l'ordinaire des Notices de tous les Livres qui
ont été publiés dans le cours de l'année ,
des Anecdotes relatives à tout ce qui mérite
de faire époque, des articles de nécrologie
fur les Gens de Lettres ou les Artiſtes célébres.
Ces articles ſe reliſent avec d'autant
plus de plaifir & d'inſtruction qu'ils font le
plus ſouvent des fragmens des Éloges prononcés
aux Séances de l'Académie des Sciences.
On fait avec quel ſuccès & quelle exactitude
M. le Marquis de Condorcet s'acquitte
Hvj
180 MERCURE
:
de l'emploi difficile d'honorer la mémoire
de ſes Confrères , c'eſt fur-tout par fes talens
& par fon zèle pour le progrès des
Arts & des Connoiſſances que l'Europe ſavante
l'a reconnu pour le digne Légataire
univerſel de l'illuſtre d'Alembert. Si dans ſes
Éloges académiques il ſe ſouvient, comme lui ,
qu'ilparle àdesAuditeurs éclairés, il n'en évite
pas avec moins de ſoin ces idées trop fines
& trop recherchées que l'on a reprochées à
quelques Académiciens.Cicéron ſemble avoir
caractériſé fon éloquence fimple & philoſophique.
Un ſtyle naturel , mais élégant ,
ود
ود
eſt moins facile à faifir qu'on ne penfe.
> Toutle monde ſe flatte d'imiter certe élo-
>> quence qui ſemble à peine mériter ce
>> nom , mais c'eſt en effet la plus inimita-
ود ble. Moins véhémente que les autres , elle
>> n'est pas moins énergique ; moins auda-
>> cieuſe, elle est peut-être plus forte. Ora-
> tor confuetudinem imitans re magis quàm
>> opinione cateris preftat. Omnes illo modo
>> se poffe dicere confidunt. Orationis autem
» fubtilitas videtur quidem , fed vix eft imi-
» tab.lis. Non plurimum fanguinis,fel ta-
» men fuccum habet aliquem , non maximis
» viribusfedintegra valetudine viget. »ود
Si la modeftie de l'Écrivain dont il s'agit
ade la peine à excuſer cette digretlion , j'efpère
du moins qu'elle ne paroîtra pas déplacée
à mes Lecteurs. Un Critique honnête ſe
refufe bien difficilement à la fatisfaction de
rendre juſtice à l'Homme de Lettres confa
DE FRANCE. 181
cré fans relâche à des travaux autli lovables
qu'utiles, lors même qu'il ſe reconnoît peu
capable de l'apprécier dignement. Pour revenir
à l'Almanach Littéraire, je renvoie aux
articles des années précédentes. Je ne pourrois
entrer dans quelques détails ſans courir
le riſque des redites. Il offre la même abondance
& la même variété de matières; les
mêmes objets ramèneroient néceſſairement
lesmêmes réflexions. L'article des bons mots
donnera pourtant lieu à deux ou trois remarques.
L'Éditeur en a tronqué quelquesuns:
par exemple, " un homme du bel air
" difoit fans façondans une affemblée : moi ,
» je n'ai jamais pu lire. " Il n'y a rien là de
piquant. Je me rappelle d'avoir lu cette petite
Anecdote dans l'Abbé Desfontaines , préfentée
d'une manière beaucoup plus ſaillante.
" J'ai vu , écrit-il dans ſes Jugemens , un
ود hommede bon ton dire fans façon dans
>> une bonne compagnie qu'il n'avoit jamais
>> pulire , comre un'autre dit qu'il n'a ja
" mais pu prendre du tabac. >> Otez ce- rapprochement
, il n'y a plus de fel.
ود
On lit l'Anecdote ſuivante dans le Courier
Lyrique : " Perſonne depuis Poinfinet ,
>> de comique mémoire , n'a eu plus que le
ſieur Do .... le talent des impromptus.
Mme C. D. B. qui avoit fait venir ce dernier
pour l'amufer demanda un quatrain
>> en acroſtiche fur le nom du Roi.-Mais ,
>> Madame , il y a cinq lettres dans Louis.
Eh bien! faites un quatrain en cinq
"
ود
-
182 MERCURE
» vers. Voici le cinquième, qui eſt fort
» drôle. »
Son image eſt par-tout, excepté dans ma poche.
On va juger fií , grâces aux additions de l'Almanach
Littéraire , l'Anecdote eſt plus gaie &
plus faillante. " Un homme ſpirituel, qui fur-
>> tout a le talent des impromptus à com-
>> mandement, s'amuſoit & amuſoit les au-
>> tres dans une ſociété choife. Une Dame
>> remplie de talens & d'eſprit le pria de faire
>> un quatrain en acroſtiche ſur le nom du
>> Roi. Madame , répondit-il , il y a cinq let-
>> tres dans le nom de Louis. Eh bien ! rẻ-
>> pliqua-t-elle en plaiſantant , faites un qua-
>> train en cinq vers , &c. » Le Rédacteur
ſeroit trop ennemi de toute cenſure s'il ne
pardonnoit pas ces légères critiques qui ne
portent que ſur des inadvertances. Mais les
partiſans de Deſpréaux, des beaux vers & de
la vérité lui pardonneront-ils l'Anecdote relative
à ce Législateur du Parnaſſe François ?
Ony remarque une envie de dénigrer ſa mémoire,
qui peut flatter les Cottins modernes ,
mais qui révoltera tous les eſprits droits. " Il
ود eft indubitable , dit-on , que ce n'eſt point
>>un zèle trop vifpour le bon goût ; mais un
>> eſprit de fatyre & de cabale qui acharnoit
ود ledur Boileau contre le tendre Quinault ,
» &c. » Quoi qu'en diſe l'anecdote, il n'y a
rien de moins indubitable. Il y a long-temps
que M. de la Harpe a répondu à ce ſujet aux
Détracteurs de Deſpréaux , dans une note
DE FRANCE. 183
très judicieuſe relative aux vers ſuivans:
Pardonnons à Boileau , dont la ſévère humeur
Du lyrique Amphion goûta peu la douceur ;
Mais qui vantoit Racine & célébroit Molière ,
Tandis que Sévigné, tandis que Deshoulière ,
Nevers, Saint-Evrément, oracles de leur temps,
Dontnotre ſiècle encor chérit les agrémens ,
Pour Corneille éclipſe ſignalant leur manie,
A côté d'Attila plaçoient Iphigénie.
" Il paroît, dit cet excellent Critique , que
Boileau étoit de bonne-foi dans ſes jugemens
furQuinault. Il excelle , écrit- ilquelque part,
àfaire des vers bons à mettre en chant. Il ne
ſentoit pas tout le mérite de ces vers , qui
font en général ce qu'ils doivent être , pleins
de facilité , de grâce & de douceur , & toujours
fans inverſions. La ſévérité de ſon caractère
ne goûtoit pas aflez ce genre de beautés
,& ne lui laiſſoit voir que les foibleſſes du
ſtyle lyrique qu'il n'aimoit pas , parce qu'il le
comparoit au ſtyle tragique de Racine, qui eft
le comble de la perfection. » Cette apologie
eft motivée , &, comme on voit , ne peut
être ſuſpecte.
184 MERCURE

SPECTACLE S.
COMÉDIE ITALIENNE.
Le goût du Théâtre devient quelquefois ,
chez les perſonnes qui s'y deſtinent , unepafſionqui
les aveugle , en leur diffimulant les
difficultés de l'art , dont il ne leur laſſe appercevoir
que les agrémens. L'impatience de
Te produire , l'eſpoir trop ſouvent mal fondé
d'obtenir des ſuccès , une confiance dangereuſe,
non-feulementdans ſes propres moyens,
mais encore dans quelques avis donnés ou pris
auhafard, &dans les encouragemens des foidifans,
connoiffeurs ,tout ſe réunit alors pour
enhardir à briguer les fuffrages publics. Qu'en
réſulte-t'il le plus ordinairement ? Que la ſévérité
des Amateurs éclairés anéantit l'illufion
en mortifiant l'amour-propre de celui qui hafarde
un Début précoce , & en le rappelant
au ſentiment de ſa foibleſſe. Voilà à peuprès,
l'hiſtoire du Début que Mile Guérin fit
le 16 Février de l'année dernière , par le rôle
d'Hélène , dans Silvain. S'il n'est pas rare de
trouver des Sujets préſomptueux, il l'eft beaucoup
d'en rencontrer d'affez ſages & d'affez
courageux pour appercevoir la vérité dès
qu'on la leur préſente, pour revenir fur leurs
pas , & pour profiter fans delai des leçons
DE FRANCE. 185
qu'ils ont reçues. Mlle Guérin eſt du nombre
de ces derniers. A peine a-t'elle été convain-
< cue de fa foibleſſe , qu'elle s'eſt propoſée de
nepas continuer fes Débuts ,& de ſe mettre ,
à force de zèle , d'étude , de travail & d'effais
réitérés , en état de reparoître devant le Public
de Paris d'une manière capable , au moins ,
de mériter ſon indulgence. En effer , elle a
reparu le 14 de ce mois par le rôle de Babet ,
dans Blaise & Babet, Opéra- Comique de
M. D. Z .;& ce qu'elle a prouvé d'efforts &
deprogrès , tant par ſon jeu que par fa manière
de chanter , lui a fait obtenir la pluralitédes
applaudiffemens. Les moyens de Mile
Guérinne font pas très-érendus ; mais il nous
paroît qu'elle fait ſuppléer à la force qui lui
manque par de l'adreſſe & par de l'intelligence.
Son organe a de l'intérêt & de la foupleſſe;
cependant il a encore beſoin d'erre
travaillé. Son débit n'a pas toute la variété
qu'on peut defirer à la Scène; mais il a de la
•fimplicité , du naturel & de la vérité. Ces
qualités ne font point indifférentes , elles
laiffent au contraire appercevoir l'eſpérance
de nouveaux progrès , & ces progrès ne peu-
⚫vent être amenés que par un exercice habi-
-tuel , par une connoiſſance du Théâtre , ſuire
de la réflexion & de l'expérience. Mlle Guérin
doit principalemens s'obſerver ſur deux objets
: la démarche & le maintien. Avec un peu
d'attention elle pourra donner de l'aiſance à
la première & de la grâce au ſecond. L'habitude
de ſe courber commune à preſque
,
186 MERCURE
toutes les Actrices de la Comédie Italienne ,
rend la reſpiration gênée ou captive, elle affoiblit
la poitrine , arrête l'effor des moyens ,
& en atténue l'effer. Que Mlle Guérin continue
de travailler , qu'elle ajoute au germe
de ſes bonnes qualités, qu'elle s'étudie à le
développer ; qu'elle combatte avec opiniatreté
les défauts qui déparent ſon jeu ;& fans
doute elle deviendra tout-à-fait digne des
nombreux encouragemens que le Public lui
adonnés.
Nous parlerons dans le prochain Mercure
de Coradin , Comédie en trois Actes &
en profesmêlée d'ariettes, jouée pour la première
fois le 19 de ce mois. C'eſt un ellai
dela partdu Poëte& de la part du Muſicien.
Il eſt à préfumer que le grand jour de la re
préſentation les aura éclairés l'un & l'autre
-ſurles inutilités, fur les invraiſemblances qui
ontnui au ſuccès de leur Ouvrage. Nous attendrons,
pour en parler , qu'ils y aient fait les
changemens&corrections que le Public leur
atrès-clairement indiqués.
ANNONCES ET NOTICES.
LE Courier Lyique & Amusant , ou Paffe-
Temps des Toilettes, ayant obtenu la faveur du Pablic
autant par la nature que par le choix des objets
qu'il renferme, on a cru devoir indiquer une
ſeconde époque de ſouſcription pour cet Ouvrage
DE FRANCE. 18
:
périodique , auquel on ne pouvoit s'abonner que
fous ladate du mais de Juin. L'on prévient donc
que l'on aura dorénavant le choix de ſouſcrire pour
le mois de Juin ou pour celui de Janvier. Cette dernière
époque paroîtra ſans doute plus convenable à
bien des perſonnes , & fur tout à ceux qui voudroient
donner en étrennes ce Journal compofé
d'Airs nouveaux, de Chanſons ingénieuſes &
d'Anecdotes choiſies & nouvelles . Le prix eſt de
14 liv. pour Paris , & de 16 liv. 8 fols port franc
pour la Province. On ſouſcrit à Paris , chez Knapen
&fils , Imprimeurs - Libraires , rue Saint-André des-
Arts, en facedu Pont Saint Michel.
Essarfur l'Éducation des Aveugles , imprimé
par eux-mêmes en noir , en un volume in-49. petit
canon, d'environ 200 pages , dédié au Roi , propoſt
par ſouſcription au ſeul bénéfice de ces infortunés.
Le prix de la ſouſcription eſt de 6 liv. le
Volume relié en baſane. On ſouſcrit au Bureau
Académique pour la Traduction des Langues , rue
Coquillière.
La nouveauté de cette ſouſcription ſuffiroit ſeule
pour la rendre recommendable ; mais ſa deſtination
yajoute un nouveau prix aux yeux de la bienfaiſance.
Il y a tout lieu d'eſpérer , d'après l'uſage auquel
on en consacrera les fonds , qu'elle aura un
plein ſuccès , fur - tout quandle Public ſaura que
c'eſt la Société Philantropique qui eſt dépofitaire de
ces fonds.
ESSAIS Historiques ſur les Moeurs des Fran
fois , ou Traduction abrégée des Chroniques & autres
Ouvrages des Auteurs contemporains depuis
Clovisjusqu'à Saint Louis , dédiés au Roi , par M.
de Sauvigny, Chevalier de Saint Louis, Cenfeur
Royal , & c. , fixième Cahier , qui contient letroi88
MERCURE
1
:
fième Livre de l'Hiſtoire des Francs. AParis, chez
Cloufier, Imprimeur- Libraire , rue de Sorbonne , &
au Bureau des Eſſais Hiſtoriques , rue Saint Guillaume,
vis-à vis l'hôtel Mortemart.
Nous reviendrons ſur cet Ouvrage, qui devient
dejour en jour plus intéreſſant.
MOUTARD , Imprimeur-Libraire de la Reine,
vient d'acquérir les deux Ouvrages ſuivans ſur
'Hiſtoire de France, compoſés par feuM. Lefebvre,
Prêtre de la Doctrine Chrétienne.
Hiſtoire de la Ville de Calais & du Calaisis, prérédéede
celledes Morins ses plus anciens habitans ,
2 Vol. in 4. Prix , 18 liv. en feuilles .
L'itiſtoire d'une Ville auſſi intéreſſante que celle
deCalais , dont l'artachement à la domination Françoiſe
a éclaté ſi glorieuſement en rant d'occafions ,
ne peut qu'exciter la curiosité d'un Lecteur Françoisqui
aime ſon Prince & ſa patrie. L'Auteur est
ent édans tous les détails poffibles pour ne laiſſer
rienàdefirer ſur la connoiffance de ſon pays. Son
Hiſtoire embraſſe tout ce qui s'eſt paſſé dans leCalaiſis
depuis la conquête des Gaules par Jules Céſar ,
& préſente une ſuite de révolutions arrivées dans
l'eſpace de dix huit ſiècles. Il en fait connoître les
anciens habitans appelés Morins ; il expoſe les
moeurs de cet ancien peuple, ſes coutumes, ſa religion,
ſes loix, ſon gouvernement civil & militaire ,
fa poffeflion par les Comtes de Flandre , de Boulogne&
de Guines ; enfin , la conquête par les Rois
de France , enlevée à ces derniers par les Rois d'Angleterre
, & repriſe ſur ceux- ci par ſes premiers
Conquérans. Outre ces grands objets , M. Lefebvre
donne encore l'Hiſtoire Naturelle du pays , ſes productions,
fon commerce & fes manufactures.
Mémoire pour servir à l'Histoire de France du
DE FRANCE. 189
quatorzième siècle , Brochure in-8". de 80 pages.
Prix, i liv. 4 fols.
Lebut de cet Ouvrage eſt de donner une connoillance
exacte des anciens Statuts de l'Ordre dit
du Saint- Esprit au Droit Defir ou du Noeud , inſtitué
àNaples cu 1352 par Louis , premier du nom , Koi
de Jérusalem, de Naples & de Sicile , & renouvelé
en 1179 par Henri III , Roi de France. M. Lefebvre ,
qui l'a fait d'une manière ſavante. a partagé cette
petite Brochure en deux parties , dont la première
renferme les anciens Statuts de l'Ordre diviſés en
vingt- cinq articles , & copiés fidèlement ſur un
manufcrit du temps , dont la République de Veniſe
fit préſent à Henri III lorſque ce Prince quitta le
Royaume de Pologne en 1574 pour ſuccéder à la
Couronne de France , qui lui étoit échue par la
mort de Charles IX ſon Frère; la ſeconde partie
contient des Remarques hiſtoriques &très-curieuſes
fur les vingt-trois tableaux peints en miniature qui
accompagnent le manufcrit, & repréſentent les cé
rémonies de l'Ordre , ainſi que le coftume des Che.
valiers& différens emblemes analogues,
ABRÉGE de l'Histoire Univerſelle en Figures.
ou Recueil d'Estampes représentant les Sujets les
plus frappans de l'Histoire , tant facrée que pro-
-fane, ancienne & moderne , deſſinées par M. Marillier,
&gravées par le ſieur Dufios le jeune , format
in- 8 °. & in - 49. , Numéro I. A Paris , chez
M. Duflos lejeune , rue Saint Victor , la troiſième
porte - cochère à gauche en entrant par la Place
Maubert.
Il y aura vingt- quatre Cahiers dans cette première
Collection , & chaque Cahier ſera compofe
de fix Estampes, ſans y comprendre le Titre ni la
Table des Epoques , format in - 8 ° . , qu'on payera
4liv. franc de port par-tout le Royaume,
190
MERCURE
Le nom des deux Artikes Auteurs de cet Ouvrage
établit ſeul en ſa faveur un préjugé favorable.
L'Edition in-4° . , dont les acceſſoires ſont dellinés
& gravés par M. Cheffard , ſera deſtinée particulièrement
pour les Amateurs qui font collection
deces fortes d'Hiſtoires , ſemblables à ce format.
Chaque Cahier imprimé ſur papier vélin , en grande
marge, ſe payera 6 liv.; ceux in 8°. , ſur même
papier, 4 liv. Il y aura des Cahiers imprimés ſur
papier de Hollande,& coloriés dans le genre de la
miniature , enrichis de filets d'or , qui ſe payeront
I liv. to fols la feuille in 8°. , & 2 liv. l'in-49.
L'on ne tirera que deux ou trois Exemplaires de
chaque format for vélin.Chaque feuille ſe payera
3 liv. pour l'in-88. , coloriće & enrichie de filets
d'or , & 4 liv. pour l'in-4°. On délivrera régulièrement
tous les mois un Cahier , juſqu'à l'entière
terminaiſon de l'Ouvrage , qui ne ſe payera
qu'en retirant les Cahiers. Alternativement il paroltra
trois Cahiers de chaque Hiſtoire , tant facrée
que profane. Les Perſonnes qui voudront jouir du
douzième Cahier gratis , payeront , en retirant lec
premier Numéro, 24 liv. pour l'in-8º. , &48 liv.
pour l'in- 4°. On leur tiendra compte du ſurplus
fur les dernières Livraiſons. Par la ſuite on donnera
le Plan raiſonné de l'Ouvrage. Le premier Numéroqui
paroît , doit intéreſſer pour cette agréable
Collection; les ſujets en ſont bien choiſis , bien
deſſinés, & gravés avec beaucoup de ſoin&de
netteté,
MEMOIRES de Jacques du Clercq , commençant
en 1448 & &niſſant en 1467, un Volume
in-8º. de 190 pages .
4
La découverte de ces Mémoires eſt due aux
recherches des laborieux Éditeurs de la Collection
univerſelledes Mémoires particuliers rélatifs à
DE FRANCE.
191
'Hiſtoire de France, Ils font imprimés pour la
première fois , & forment le Supplément au
Tome IX de cet important Ouvrage
Le douzième Volume , contenant la fin des
Mémoires de Philippe de Comines , vient auſſi
de paroître, Le prix de la ſouſcription eſt de
48 liv. pour douze Volumes. Il en paroît un
tous les mois. AParis , rue d'Anjou-Dauphine,n°, 6,
ALMANACH de la Ville & du Diocèse de Meaux,
pour l'année 1786 , petit Volume in-24 , orné
d'unefigure en taille douce. Prix , 18 fols broche
AParis , chez Bailly , Libraire , rue S. Honoré ;
LaVeuve Duchefne & Belin , rue Saint-Jacques.
TRAITE des Succeſſions , conformément au Droit
Romain & aux Ordonnances du Royaume , contenant
cequi concerne les ſucceſſions ab inteftat , les
légitimes , héritages , héritiers , bénéfices d'inventaire,
teſtamens , legs , ſubſtitutions , fideicommis ,
quartes falcidie & trébellianique, viriles , portions
viriles , inſtitutions contractuelles & droit de rever,
fion& retour; par feu M. de Montvallon , Confeiller
Clerc au Parlement de Provence , nouvelle
Edition , 2 Vol. in - 4°. A Aix ; & ſe trouve à Paris ,
chez Volland , Libraire , quai des Auguſtins,
CetOuvrage, réſultat d'utiles & longues recher
ches , eſt rédigé avec méthode & clarté. Il joint les
richeffes de l'érudition à l'avantage d'une ſaine
critique.
ERRATA pour le Mercure précédent.
Page 121 , article de l'Almanach des Muses .
ligne 3 , au lieu de aux autres mécontens , lifez aux
Auteurs mécontens.
Il a été omis auſſti , par inadvertance , une mens
192
MERCURE
rion qu'on faiſo tdans le même article deM. leMarquis
de Ximenès , avec dix vers de fon Epître à
M. le Comte de Thyard , que nous allons reftituer
ici, pour ne rien dérober aux plaiſirs de nos Lecteurs :
Cette vertu d'un Chef, cette mâle conſtance
Diftingua , ſous mes yeux , les jours de ton enfance.]
Coigny cher àfon Maître, & plus cher aux ſoldats,
Au camp de Wiſſembourg te preſſa dans ſes bras.
Je le peindrois encor.... la victoire fidelle
Sur un char teint de ſang le place à côté d'elle.
Sous ſes cheveux blanchis par quatre- vingt hivers ,
Des lauriers de Guaſtall les rameaux ſont plus verds:
Son front paroît ſerein. Sa valeur eſt tranquille ;
C'eſt Neftor ſatisfait de voir combattre Achille!
TABLE.
VERS furM. Thomas , 145'Lettres de Mme la Comteffe
de L***
Bouis rimés & Acrostiches , Alirana h Littéraire ,
LA Souris , Fable , 146
147 , 153 Lomédie Italienne,
Charade. Enigme& Logogry Annonces&Notices ,
phe, 157
APPROBATIO Ν.
159
178
184
186
J'AI lu, par ordre de Mgr. le Garde-des-Sceaux , le
MercuredeFrance, pour le Samedi 28 Janvier 1786. Jen'y
ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion. A
Pasis , le 27 Janvier 1786. GUIDL
T
TABLEAU Politique
DE L'EUROPE , en 1785 :
DEPUI EPUIS quelque tems , on remarque dans
l'Hiſtoire moderne , que les plus féricuſes révolutions
ne ſont pas le fruit des événemens
militaires. Ni les guerres , ni les batailles ,
n'ont déterminé tant de projets , de traités ,
d'alliances , d'échanges , de partages , de combinai
ons politiques ſouvent anéanties ou exécutées
par l'effet des négociations , & fans que
quinze cent mille ſoldats enrégimentés en Eu-
горе , aient concouru de leurs bayonnettes à
terminer lesdiſcuſſions agitées dans le Cabinets.
Cechangementimportant denotre politique en
a introduit de bienſenſibles dans nos Annales.
Elles ont perdu une partie de cet intérêt, qui
réſulte des ruptures ouvertes entre les Nations ;
mais fi les effets de leurs entrepriſes font moins
éclatans , ils n'en ſont que plus dignes de l'attention
des obſervateurs ; leurs cauſes même ſont
plus intéreſſantes à étudier : dans l'action de
celles ci , on voit moins ſouvent l'ouvrage du
hafard , & l'on aime à contempler des Puiffances
auxquelles les loix ou la fortune ont
foumis la terre , renoncer à l'empire de la force
devenue inſuffifante , pour débattre leurs droits
au tribunal de l'opinion , ou pour convenir
entr'elles , après de longs procès , des avanta-
N°. 4, 28 Janvier 1786. g
( 146 )
ges qu'elles redoutent mutuellement de s'arra
cher le fer en main.
Sous ce point de vue , l'année qui vient de
s'écouler , ſera peut être une des plus mémo
rabies ; elle l'eſt même à d'autres titres ; & rien
ne prouve mieux l'imperfection des dépôts conſacrés
précipitamment aux nouvelles publiques,
que leur apparente ſtérilité , depuis fix mois ,
rapprochée du fingulier état de l'Europe durant
cette époque. La Hollande , par les dangers ; la
France , par l'efficacité de ſon influence politique
; l'Autriche , par la fertilité de les
moyens; la Pruſſe, par ſa vigilance ; l'Empire
Germanique , par ſon agitation inteſtine , ont
formé ce grand ſpectacle , dont le dénouement
nous eſt encore caché , & dont par conféquent
nous préſenterons l'eſquiſſe en peu de mors.
L'Europe , il y a un an , avoit les yeux fixés
fur l'état allarmant des Provinces - Unies . Un
coup de canon tiré ſur l'Eſcaut , avoit appellé
vers ſes rivages une armée Autrichienne , au
milieu de l'hyver. Ces préparatifs menaçans
avoient mis la Hollande dans la néceffité d'augmenter,
ou plutôt de former ſon armée , & de
fubvenir à toutes les dépenſes qui précédent la
guerre. Les précautions priſes annonçcient
même le danger le plus immédiat ou l'intention
d'une opiniâtre réſiſtance. Non -ſeulement la
République achetoit des régimens de tous côtés;
elle avoit enrôlé encore les habitans de ſes
willes&de ſes campagnes; ſa frontiere du côté
de la Flandre fut inondee , ſes places fortes ravitaillées
; & ces meſures défenſives de toute eſpece ,
étoient d'autant plus néceſſaires , qu'une longue
paix par terre avoit habitué la République à les
négliger toutes. Il lui reſtoit de plus deux reffources
importantes, celles des négociations , &
( 147 )
fur-tout de l'intervention d'une Puiſſance ref
pectable , vivement intéreſſée à la tranquillité
des Provinces -Unies. Ni l'une ni l'autre n'ont
été infructueuſes , on a vu l'orage ſe diſſiper ſans
éclats; après fix mois d'incertitudes , la Hollande
s'eſt déterminée à quelques ſacrifices. Elle
a conſervé Maſtricht & l'Eſcaut fermé , en cé
dant ſes droits ſur les Forts qui bordoient ce
fleuve & fur ſa navigation intérieure , dix mil
lions de florins & quelques échanges.
C'eſt à la ſuite de ce Traité définitifavecla Maifon
d'Autriche , conclu par la médiation, ſous les
auſpices & la garancie du Roi de France , que les
Provinces-Unies ont achevé l'ouvrage d'une alliance
, qui leur donne des rapports politiques &
des intérêts nouveaux , qui les lie à la deſtinée
de la France , en leur procurant pour auxiliaire
cette Monarchie , déjà leur protearice depuis
quelques années , & qui mettant en commun
une partie des querelles politiques des deux Etats ,
leur donne par conféquent les mêmes ennemis ,
avec des moyens de défenſe reſpectifs. On fait
qu'autrefois la Hollande eut avec la Grande-
Bretagne des engagemens à peu près pareils :
en changeant d'Alliée , elle a dû ſe promettre
plus de sûreté dans ſes poſſeſſions, dans ſon commerce
maritime , & ces précieux avantages lui
ont paru préférables à l'indépendance d'une neutralité
que l'expérience lui avoit appris à regarder
comme illufoire.
Ses intérêts extérieurs ainſi réglés , cette
République n'a plus à defirer que le retour de
l'harmonie au-dedans , ſans laquelle les reſſorts
mal raffermis encore de ſa puiſſance & de ſa
proſpérité , ſe détendroient de plus en plus.
Malheureusement , ces diviſions inteſtines , tou
g2
( 148 )
:
:
jours plus graves , plus opiniâtres , plus enve
nimées ont pris un aſpect encore plus allare
mant. Le Stathouder a cru devoir abandonner
ſa réſidence ordinaire , & ceſſer de recevoir
en perſonne les atteintes portées , ſelon lui ,
à ſes prérogatives. Juſqu'ici , un grandMonarque
, allié du Stathouder , a vainement interpoſé
ſes bons offices , dans le but de prévenir le
dernier terme de ces diſſenſions . Les Etats
de Hollande , en la juſtifiant de leurs meſures ,
ont paru penſer qu'une Province ſouveraine
&indépendante ne devoit pas ſe rendre facilement
à une intervention étrangere. Quoique ,
dans unquatrieme Mémoire, remis aux Etats-
Généraux, le Roi de Pruſſe , très- meſuré dans ſeş
déclarations , & non moins invariable dans ſa
conduite , ait rappellé à la République ſes
précédentes intentions , il eſt encore douteux
fi elles feront écoutées, ſi la prudence dictera
aux différens partis ce que l'intérêt public n'a
point obtenu de leur patriotifme.
Les affaires intérieures de l'Angleterre continuent
d'offrir un tableau bien différent. Quoique
l'eſprit de parti dérive néceſſairement de la
ConftitutionBritannique , du caractere national ,
de l'ambition des hommes à talens , de l'opinion
publique , qui s'allarmeroit peut- être de voir
un ſeul inſtant le Ministere ſans contradicteurs ;
cet eſprit de parti eſt auſſi ſubordonné à cette
même opinion publique : tant qu'elle protege
l'Administration, les efforts contraires au pouvoir
exécutif, reſtent toujours infructueux. Le
Miniſtere actuel a conſervé la voix du peuple
&le fuffrage de la Couronne. L'année derniere,
ſes plans d'amélioration dans le revenu
public pouvoient être conſidérés comme des
( 149 )
effais théorétiques , d'un effet incertain; an
jourd'hui , une heureuſe expérience vient de
justifier l'adoption qu'en fit le Parlement.
Dans la recette des taxes , & dans celle des
douanes , il s'eſt trouvé un accroiffement progreffif
, réſultant uniquement des meſures priſes
contre les fraudes dans l'importation , de la vigilante
activité du Gouvernement à maintenic
ces réglemens fa'utaires dans toute leur vigueur ,
du débit prodigieux que l'abaiffement des droits
a procuré au thé de la Compagnie des Indes ,
d'une réforme courageuſe dans la perception &
dans la comptabilité des revenus publics. Aufli ,
malgré le poids terrible d'une dette énorme ,
P'Angleterre a fondé le reſte de ſa dette non
hypothéquée; elle a maintenu & affermi l'ordre
invariable de ſes payemens ; elle a pourvu à tous
ſes beſoins& àtoutes ſes dépenses annuelles , avec
le ſeul ſecours d'une avance de la banque , avance
rembourſable cette année. En pourvoyant au
ſervice annuel , le Miniſtre , en même temps ,
a montré les eſpérances de l'avenir. Il a ouvert
au Parlement & à la Nation le regiffre des
comptes publics . On y alu la preuve de l'accroif
ſement effectif du revenu ; accroiſſement qui
paſſe encemoment deux millions ſterlings , def
tinés à des amortiſſemens dont on ne tardera
pas à déterminer la nature. Les fonds publics ,
qui , au mois de Juin encore , étoient dans un
abaiffement que l'Etranger jugeoit irrémédiable ,
ſe font relevés ſans ſecouſſes ; ils n'ont point été
livrés à ces ofcillations rapides , qui , dans le
Commerce , ainſi qu'au thermometre , ſont
le préſage d'une tempête ; mais l'ordre des finances
n'a pas tout fait; l'étendue des entrepriſes
mercantiles de la nation , & leur fuccès
1
g3
( 150 )
ont amené une abondance de numéraire qui a
reflue dans les fonds publics .
La fituation extérieure de l'Angleterre n'offre
pas , fans doute , un côté auſſi brillant. L'inftant
n'eſt plus , où elle ſe flattoit , par ſon in-
Auence , d'intimider de ſes menaces , d'entraîner
par ſes invitations , & de faire fentir à tou
tes les Puiſſances le bout d'un ſceptre imprudemment
appéſanti . Immobile au milieu des
affaires générales de l'Europe , l'intérêt du commerce
national paroît abſorber l'attention de
cetre République. Avec la Ruffie , avec la
France , avec les Etats-Unis & l'Eipagne , elle
ades conventions à ménager. Dans la néceffité
de ſe réfoudre à la réciprociré des droits & àla
condefcendance , elle se détermine lentement ,
peſe& repeſe chacun de ſes ſacrifices ; craint
d'offenſer l'intérêt de ſes Manufactures & de ſes
Armateurs : dans ces négociations délicates , on
ſent quelle doit être la circonſpection d'unMiniftere
, à qui la moindre mépriſe ne ſeroit certainement
pas pardonnée.
On a vu un exemple de la difficulté de ſapofition
, dans l'arrangement commercial , projetté
avec l'Irlande , attaqué par le corps entier des
Marchands&des ManufacturiersAnglois, violemment
détattu dans la Chambre baſſe , repouflé en
Irlande même , par le même eſprit qui le combattoit
en Angleterre. Probablement, la.Sefſion
ſuivance décidera du fort de cette lutre :
fon iſſue , quelle qu'elle ſoit , ſera l'un des
plus grands événemens des Annales de la Grande.
Bretagne.
La derniere guerre avoit rendu , à quelques
égards , l'Etat de la France ſemblable à celuide
I'Angleterre ; mais les épreuves ayant été moins
fortes , les remedes l'ont été aufli, Deux em
( 151 )
prunts publics , dans le courant de cette année,
ont dû fervir à l'exécution des plans , combinés
pour améliorer les finances de l'Etat. Le Souverain
lui même a atteſté combien cet ouvrage
étoit avancé , lorſque dans le préambule d'un
Edit récent , il a rappellé au Public les ſurcroîts
de dépense auxquels on avoit été obligé de ſuffire
dans le courant de l'année , l'exactitude des
paiemens relatifs aux différens ſervices , l'anticipation
des termes de pluſieurs rembourſemens ,
la maſſe de fonds emploiés aux amortiſſemens
projettés , & les encouragemens multipliés qu'a
reçu le commerce. Peu d'Administrations femblent
s'étre occupées avec plus d'activité de cette
branche fi importante de la richeſſe publique.
Sans parler des traités de commerce en négoclation
avec diverſes Puiffances , on a fait revivre
les loix prohibitives , dont le relâchement
avoit excité les murmures des Manuf. Cturiors ,
&une multitude d'Arrêts & de Réglemens ont
eu pour objet de favoriſer de plus en plus l'in.
duftrie nationale. Le commerce maritime a reçu
des encouragemens non moins effentiels , par
une fuite des mêmes vues qui avoient relá hé
les entraves impofées aux Colonies, qui ont préſide
au maintien de la Marine, comme à la conſtruc
tion d'un nouveau port ſur la Manche , monument
de hardieſſe &de génie , fait pour immortalifer
l'Inventeur qui l'exécute & le Miniftre
que la grandeur de la tentative n'a point
intimidé. Cette dépense , noble parce qu'elle
eſt utile , n'a pas arrêté les ſecours dus à des
entrepriſes importantes , à des canaux devenus
indiſpenſables ; mais ſurtout aux campagnes
frappées quatre mois confécutifs d'une féchereſſe
dévorante. Le Souverain a fait diſtribuer à
g4
( 182 )
la foisdes foulagemens&des inſtructions : celles .
ci ſurvivront à la déſolation des provinces, &
peuvent être regardées comme un bienfait perpétuel
. Nous avons déja rappellé le rô'e décifif
qu'a joué la Monarchie dans les troubles pe .
liriques de l'année derniere. Par ſa médiation
l'incendie , dont les Pays- Bas étoient ménacés
, s'eft amorti. Les difficultés de cet arbitrage
, démontrent affez l'art qu'il falloit pour
concilier de pareils différends.
Le ſuccès de cette médiation eſt à la fois le
prix & l'effet de la confiance que le Roi a ſçu
inſpirer en ſon équité. Cette confiance s'eſt manifeſtée
avec éclat dans la facilité des Provinces.
Unies à ratifier le projet d'une alliance qui déformais
doit unir les deux Etats. Quand on ſe
rappelle la longue intimité qui les diviſa , les
préjugés & la politique qui l'entretinrent , l'inefficacité
des négociations d'un fiecle entier
pour amener les Provinces-Unies à abandonner
un ſyſtême , dont leurs diſgraces dans la guerre
de 1741 n'avoient pu les faire départir : on ſenz
combien la Monarchie doit au Miniſtre qui a
ſcu préparer & former cette Union , malgré les
obstacles qu'une expérience infructueuse pouvoit
faire regarder comme éternels .
Si la tranquillité de l'Europe fut affermie
fur les bords de l'Eſcaut , un autre projet de
la Cour de Vienne mit en fermentation l'Allemagne
entiere. C'étoit encore pour cet héritage
de la Maiſon Palatine de Baviere , deja
trois fois , dans le dix- huitieme fiecle , diſputé ,
attaqué ou envahi. Maintenant , il eſt vrai ,
il ne s'agit ni d'une ufurpation , ni d'une conquête;
c'eſt un échange à l'amiable , propoſé
aux Membres de la Maiſon Palatine , des Etats
de Baviere contre les provinces des Pays- Bas
( 153 )
,
* reſtées à la Maiſon d'Autriche , à l'exception
de Luxembourg & du Comté de Namur. Depuis
quelques mois, le ſecret de cet arrangement
avoit tranſpiré dans le public ; on parloft
d'ouvertures faites au Duc de Deux- Ponts , &
de la réſiſtance de cet héritier-préſomptif de
l'Electeur Palatin du conſentement de ce
dernier Prince , & de l'appui que la Cour de
Ruffie prêtoit à ce projet. Ces rumeurs acquirent
un nouveau degré de créance , par les allarmes
des ſujets Bavarois , par leurs repréſentations
au Souverain , qui menaçoit de les abandonner ,
& par un voyage de l'Electeur à Duffeldorp ,
dans cet inſtant critique ; voyage qu'on s'obſtinoit
à regarder comme une évaſion. Toutes ces
incertitudes ne tarderent pas à ſe diffiper ; le
Roi de Pruſſe ſe chargea d'éclairer l'Europe. Ce
Monarque , averti par le Duc des Deux-Ponts ,
s'allarma d'un événement , contre lequel ſa politique&
ſes armées avoient déja tenu l'Allemagne
en garde. De nouveau il ſe préſenta comme
le défenſeur de la liberté Germanique , c'est-àdire
d'un équilibre de puiſſance dans l'Empire .
Le grand âge de ce Prince & ſa ſanté fréquemment
ébranlée , étoient de foibles obſtaoles
aux meſures difficiles qu'il alloit embraſſer. On
l'avoit vu parcourir lui-même ſes Etats , viſitant
ſes armées , paſſant en revue en Siléſie
quatre vingt mille hommes dans un jour , &
bravant , à cheval , la fatigue , la pluie , &
l'intemperie. Lorſque ſes deſſeins furent mûris ,
il les communiqua aux diverſes Cours de l'Europe.
Il annorça qu'uni aux Electeurs de Saxe
&de Hanovre , il ſe tenoit en défenſive contre
une entrepriſe qu'il jugeoit contraire aux Traités
au droit public de l'Empire , aux conventions
les plus explicites , aux convenances
les plus importantes. En même temps il invita
,
-85
( 154 )
les Membres du Corps Germanique , à s'aſſocier
à une Ligue , dont leur repos devoit être &
le ſeul but & le ſeul fruit.
La Cour de Vienne s'irrita d'une pareille confédération
, dirigée contre le Chef de l'Empire ,
&produite par une défiance dont cette Cour ne
put s'empêcher de marquer ſon reſſentiment .
Elle fit combattre avec vivacité les imputations
& les argumens de la Cour de Berlin : ces longues
diſcuſſions ayant paffé ſous les yeux de nos
Lecteurs , il ſferoit inutile de les récapituler .
Elles ont eu l'effet généralement attendu , celui
de provoquer une réplique détaillée , dans laquelle
le Miniſtere de Pruſſe a confirmé à l'Europe
ſa fermeté , ſes intentions , & fes motifs.
Il eſtun point cependant ſur lequel les deux
Cours paroiſſent s'accorder , du moins à l'extézieur;
c'eſt que les Etats Bavarois ne peuvent
changer de maitre , fans le libre canfentement
du Prince deſtiné à le devenir un jour. Or ,
juſqu'ici le Duc des Deux-Ponis ayant été inébranlable
à rejetter toute propoſition d'échange ;
&le but de la ligue qui s'y oppoſe & le deſlein
de la Courde Vienne de le réaliſer , ſemblent
omber abfolument. Mais le Roi de Prufſe a été
plus loin dans ſes déclarations ; il a foutenu ,
que l'aveu même de l'Héritier de la Baviere
n'en rendroit pas l'aliénation plus valide. Dans
tous les cas , ce Monarque s'avance comme une
barriere qu'il faudra forcer, avant de tranſporter
à Bruxelles fa couronne des Ducs de Baviere.
Pendant qu'on diſcute ce procès , le Roi de
Pruffe travaille auprès des Membres de l'Em .
pire , & leur repréſente la néceſſité de s'unir à lui .
De ſon côté , l'Empereur emploie autant d'efforts
à diffoudre cette oppofition , dont on ne
( 155 )
connoît qu'imparfaitement les véritables forces.
Quelle que foit l'iſſue de ce différend , qui
peut mettre en péril la tranquillité de l'Allemagne
& de l'Europe , il eſt inftru&if de connoître
la valeur de l'objet de l'échange médité.
Selon les calculs préſentés par le Ministere de
Pruſſe , les Etats de Baviere ont 784 milles
d'Allemagne quarrés , 1,300,000 habitans , &
donnent au Souverain un revenu de ſept millions
de florins. La partie des Pays Bas Autrichiens
offerte en retour , contient 290 milles
quarrés , 1,200,000 habitans , & produiſent un
revenu de deux à trois millions de florins.
:
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 17 Janvier.
N fe rappelle l'Ordonnance ſomptuaire
Orendue if ya trois ans par le Roi de
Danemarck , non pour ramener une ſimplisité
de moeurs incompatible avec la Monar
6
(156 )
chie , mais pour prévenir une ruineuſe importation
d'objets de luxe étrangers dans le
Royaume. Cette Ordonnance vient d'être
modifiée le 14 Décembre dernier. Les habits
brodés & galonnés faits avant l'Ordonnance
prohibitive ſont permisjuſqu'en 1787:
la vaiſſelle d'or & d'argent eſt tolérée ; celle
d'importer l'un ou l'autre de ces métaux
travaillés ſubſiſte dans toute fa force.
Le Roi de Danemarck , projettant d'abolir
la dette nationale qu'on évalue à 25
millions de rixdalers , a affecté à cette opération
les revenus de la Douane pendant 26
ans , & l'on ſe paſſera d'impôts.
Tous les avis du Nord parlent du froid
rigoureux qu'on y a reſſenti du 20 Décembre
au commencement de cette année. Dans
cet intervalle , nul bâtiment n'avoit paflé le
Sund. A Pétersbourg, la Néva ſur laquelle on
a pu naviguer cette année pendant 223 jours
étoit gelée au 27 Novembre dernier. L'Elbe
eſt priſe de glaces ; le courier de Hanovre
l'a traverſée en traîneau le 29 de Décembre,
&depuis.
L'année derniere il eſt né dans cette ville
&ſes fauxbourgs 3,003 enfans , dont 312
illégitimes ; on a compté 3,127 morts &
951 mariages .
Le Journal politique qui s'imprime ici , fait
monter les revenus du Roi de Prufſe en Siléſſe
à 5,854,632 rixdalers ; l'entretien de l'Etat-Militaire
dans cette Province , forme un objet annuel
de 2,900,000 rixdalers , & celui de l'Etat,
Civil 1,400,00০ .
(157 )
Les revenus de la Principauté d'Oels , montent
actuellement à 80,000 rixdalers .
Les Etats du Duché de Mecklenbourg
ont accordé au Duc un don gratuit de
16000 rixdalers ; dans le but d'encourager
les fabriques de laine & les papeteries , ils
ont défendu l'exportation des chiffons , &
impoſé pendant 6 ans une nouvelle taxe de
deux ſchellings ſur chaque ſtein ( poids de
10 livres ) de laine brute portée à l'étranger.
DE BERLIN, le 15 Janvier.
Le Conate de Schwerin , Général-Major
au ſervice.de S. M. , fon Miniſtre d'Etat &
ſon Grand-Ecuyer , eſt mort à Neaſtad en
Pomeranie , dans un âge très avancé.
Les divertiſſemens d'hyver dans cette Capitale
ont été reglés de maniere que le Dimanche
& le Jeudi il y a Cour chez la Reine;
le Lundi & le Vendredi , Opéra ; & le
Mardi , Redoute. Le Roi ne quittera pas
Potzdam , où le Prince Henri , le Prince de
Brunswick , & le Poëte Gleim ont fait quelque
ſéjour. On eſt d'ailleurs ſans nouvelles
allarmes ſur la ſanté de ce Monarque .
Le célébre Métaphyſicien Mofès Mendelſohn
eſt mort ici le 4 de ce mois, dans
ſa sue. année. Ce Philoſophe , dont plufieurs
écrits ont été traduits en diverſes langues
, a honoré l'Allemagne & ſa nation.
Le jour de ſon convoi , toutes les bouriques
des Juifs ont été fermées , & un Ecri(
158 )
vain périodique de cette ville a déja invité
les amis de Mendelsohn à lui élever un monument.
Depuis l'Avent 1784, jusqu'à la même époque
1785 , lit - on dans le Journal hebdomadaire
du docteur Buſtching , on a compté à Berlin
4,952 naillances , 4,961 morts. Parmi les nailfances
, 471 enfans illégitimes , & 20 jumeaux.
Les enfans morts , font au nombre de 2,367 ; le
19. enfant venu mort au monde. 402 enfans
font morts de la dentition , & 605 de miſere ; la
petite vérole en a enlevé st , & la rougeøle 16.
On a compté 126 perſonnes mortes de la phthiſie,
224 de l'hydropiſie , 258 d'un coup de fang ,
359 à la fuite d'une apoplexie , 578 de maladies
de poitrine , 791 de consomption , & 219 de
vieilleſſe; 12 femmes font mortes en couche. Le
nombre des mariages dans la même année , a été
de 865 , ce qui fait preſque la moitié des mariages
, contractés dans toutes les Villes de la Marche
Electorale de Brandebourg , qui font au
nombre de 52 , & environ le 6º. de tous les mariages
de cette Province. Les naiſſances à Berlin
font aux naiſſances dans toute la Marche
Electorale , comme I eſt à 4. Les morts à
Berlin montent preſqu'au quart des morts de
toute la Marche Electorale. Dans la toralité des
Etats du Roi de Pruſſe , on a compté l'annéederniere
43,439 mariages , 210,732 naiffances , &
157,606 morts. Les naiſſances ont furpaſſe les
derniers de $ 3,126. Dans les ſeules Principautés
d'Halberstadt & de Quedlinbourg , les
morts ont forpaffé les naiſſances. -L Etat-
Militaire n'eſt point compris dans ces calculs .
-Suite de la Réponse de la Cour de Berlin.
- L'Auteur de l'Examen , &c. a avancé des prin
( 159 )
cipes abſolument arbitraires & erronés , relati
vement à l'équilibre du pouvoir dans l'Empire
d'Allemagne. D'après lui , tout y paroît être
fubordonné à l'arbitre d'une prétendue Suprématie.
Mais heureuſement pour l'Etat confédéré
de l'Allemagne , ſon Chef éju n'a point d'autre
Suprématie que celle que les Princes - Electeurs
lui ont conféré dans la Capitulation d'élection
que ce Chef a juré d'obſerver. D'après cette loi ,
la Suprématie conſtitutionnelle n'eſt point donnée
ſeule à l'Empereur ; mais quant à la légiflation
, elle a été conférée à lui & aux Etats ,
pris enſemble , & quant au pouvoir exécutif à
certains Etats , commis particulièrement pour
cet objet. Si un Empereur , dans ſa qualité de
Chef de l'Empire , ou comme Etat non-commis
pour l'exécution , veut exercer privativement la
Suprématie ; s'il s'efforce, d'après ſa convenance,
d'engager ſes Co Etats , moins puiſſans , à conclure
des conventions , ou à faire des échanges
illicites & préjudiciables à ces Etats ; s'il tâche
d'acquérir des grands Fiefs de l'Empire , par des
moyens anti-conſtitutionnels , fans le conſentement
des Princes & Etats de l'Empire , & contre
le ſyſteme & les loix poſitives de l'Allemagne ,
un tel Empereur détruit l'équilibre du pouvoir
établi dans l'Empire , & il abuſe du pouvoir que
les Electeurs lui avoient conféré ; mais alors , les
Princes & Etats uſent du droit que leur donnent
l'obſervance dans l'Empire , le § . 2 de l'article 8
du Traité d'Ofnabruck , & les §. 6 de l'article 3.
&§. 4de l'article 6de la Capitulation d'élection ;
ſavoir , de celui de faire des alliances entr'eux ,
& avec des Puiſſances étrangeres, pour leur sûreté
&la conſervation de leurs droits ; mais en faiſant
ces alliances , ils ne les concluent pas contre
'Empereur de l'Empire , mais contre un Co-Etat
( 160 )
qui abuſe de ſon pouvoir ; ils ne détruiſent pas
l'équilibre légal , mais le maintiennent ; ils n'établiffent
pas une Suprématie arbitrare , mais ils
s'y oppofent ; & ils ne s'arrogent pas le droit de
décider d'une affaire importante , comme celle
de l'échange de grands Fiefs, mais ils ſoutiennent
que la connoiflance & la déciſion d'une pareille
affaire appartiennent à tout le Corps confédéré.
Ainfi , ceux des Princes & Etats qui s'unitſent
légalement pour s'oppoſer à de parei's projets ,
dangereux &deſpotiques , ne font rien qui puiſſe
porter atteinte à la véritable Suprématie établie
dans l'Empire d'Allemagne ; ils tâchent au contraire
de la maintenir&de conſerver les parties
intégrantes & l'équilibre de 1 Empire , & ils ne
s'oppoſerent jamais à des acquifitions légitimes
&non prohibées par des pactes de famille , des
Traités de paix & la Conſtitution Germanique.
Le Chapitre 25 de la Bulle-d'Or porte expreffément
que non-feulement les Electeurs , mais
auſſi les Principautés dans l'Empire d'Allemagne
refteront par indivis , & feront conſervés dans
leur intégrité. D'autres loix de l'Empire ſont
conformes à cette loi , & la Conſtitution Germanique
repoſe ſur ces principes . La raiſon &
P'expérience , fondées ſur l'hiſtoire , prouvent fuffiſamment
que dans un Erat confédéré , tel que
l'Empire d'Allemagne , qui eſt compofé dePrinees
& Etats puiſſans , moins puiſſans & foibles ,
il doit fe trouver , indépendamment du pouvoir
ſouvent peu efficace des loix , un équilibre juſte
de pouvoir entre l'Empereur & les Etats , & entre
les Etats eux - mêmes , & que ces équilibre eſt
maintenu , tant par la conſervation des poffeffions
héréditaires de chaque Etat & Maiſon , que par
la protection dont un Esat moins puiſſant doit
jouircontre fon voiſin plus puiſſant , afin qu'il ne
( 161 )
foitpas écrasé des prétextes ſpécieux & faciles à
trouver. Si cet équilibre légal ceſſoit un inſtant,
on verroit bientôt ſt renouveller les ſcènes où
des Electeurs & Princes ont été dépouillés deſpotiquement
de leurs dignités & de leurs pays , &
traités comme des malfaiteurs , ainſi que cela
eſt arrivé à un Electeur de Saxe & à un Landgrave
de Heſſe ; on reverroit le ſpectacle qu'avoit
autrefois fourni le Duché de Meklembourg ,
qui fut été à ſes anciens Souverains légitimes &
donné au Général Wallenſtein. Que deviendroit
l'équilibre conftitutionel d'Allemagne , i
une Puiflance auſſi prépondérante qu'eſt celle de
la Maiſon d'Autriche pouvoit être augmentée
arbitrairement ,& fi aucun État de l'Empire n'avoit
plus le droit de s'y oppoſer par des déclarations
publiques , & des alliances conſtitutionnelles
? C'eſt l'intérêt de la Nation Allemande
que des Princes patriotiques s'uniſſent dans des
circonſtances dangereuſes , pour s'oppoſer à un
pouvoir arbitraire dans l'Empire , & pour détourner
les malheurs qui pourroient en réfulter. Si la
Courde Vienne veut prendre en conſidération
les ſuſdites réflexions , elle ne pourra pas trouver
mauvais que la Cour de Berlin ait fait mention ,
dans ſon Exposé des motifs , &c . du traité des barrieres
de 1715 , qui défend à la Miſon d'Autriche
d'aliéner les Pays-Bas à un Etranger. Il eſt permis
à tout Etat libre & indépendant d'alléguer un
Traité ſolemnel & public , quoiqu'il ne l'ait pas
conclu , & il n'a pour cet effet nullement beſoin
d'un pouvoirdes Puiffances maritimes , auxquelles
d'ailleurs la Cour de Berlin abandonne le ſoin
de s'expliquer , quand il ſera tems , ſur les propoſitions
qu'elle avoit avancées à cet égard. II
ſuffi; d'aſſurer ici que non-ſeulement les Puif
ſances maritimes , mais auſſi l'Empire d'Alles

( 162 )
magne, même toute l'Europe , ont un intérê
effentiel que ce Traité ſoit obſervé religieuſement
quant au ſuſdit point , & que la Baviere ne
Loitjamais échangée contre les Pays-Bas .
La Suite à l'Ordinaire prochain.
DE VIENNE , le 16 Janvier.
Depuis l'Edit de tolérance on a remarqué
un prodigieux accroiffement de Juifs dans
les Etats héréditaires. Comme dans leur
nombre il s'eſt trouvé beaucoup de mendians
& de vagabonds qui s'aſſocioient à
des bandes de voleurs , l'Empereur a ordonné
l'expulfion de cette claſſe d'Ifraëlites.
Aucun Juit ne pourra s'établir dans les
Erats héréditaires , ni s'y marier , fans avoir
prouvé auparavant une fortune ſuffifante
à fon entretien .
LaGazettede la Cour du 23 Décembre fue
retardée & ne parut que vers les huit heures du
for. On fut informé bientôt de l'incident qui
avoit donné lieu à ce retard. La Déclaration
touchant les Francs-Maçons devoit être inférée
dans laGazette de cejour; S. M. s'y fert de deux
expreffions Allemandes peu flatteuſes pour cette
Société. Ces deux expreffions font Gauckelei , en
François Jonglerie; &Geldſchneiderei , en François,
excroquerie , extorfion pécuniaire. Les Francs-
Maçons de Vienne firent faire des démarches auprès
du Monarque , pour le ſupplier d'adoucir
des expreffions qu'ils ne croyoient pas mériter;
les follicitations furent infructueuses ; l'Empereur
reſta inébran'able. Il ordonna que le re crit
fût publié mot-à-mot , tel qu'il l'avoit fait re
( 163 )
mettre au Bureau de la Gazette. Les Francser
Maçons en font vivement affectés ; leurs loges
qui étoient ici au nombre de huit , font déjà réduites
à trois , par ordre du Souverain.
On attribue au Baron de Born le plan de
réformation dans la diſcipline de la Franc-
Maçonnerie , dont le Prince de Dietrichftein
, Grand- Ecuyer, ſera , dit on , nommé
leChef.
On fait circuler ici des copies d'une lettre
réelle ou apocryphe , de notre Archevêque
le Cardinal Migazzi à S. S. Elle porte ce
qui fuit :
:
Très-faint Père. Des circonfiances qui ne font
plus inconnues à Votre Sainteté , me mettent
hers d'état de remplir déformais mes devoirs de
Paſteur , envers le troupeau confié à mes
Soins dans l'Evêché de Waitzen ; & je me vois
dans la néceſſité de déclarer à Votre Sainteté ,
que j'ai pris la réſolution de me démettre de l'adminiftration
dudit Evéché , je la ſupplie en conféquence
humblement de daigner regarder cette
Egliſe comme vacante , & moi comme libre des
liens, qui m'y attachoient. Je defire de toute la
fincérité de mon coeur que ce changement ne
tourne qu'à la plus grande gloire de Dieu , &
au falut du troupeau chéri , dont la conduite m'a
été confiée juſqu'à ce jour. Je fais les mêmes
voeux au Seigneur , pour le St. Siege Apoftolique,
& Votre Saintetédontje baiſe les très-ſaints
pieds , avec la plus profdade obéiſſance » .
Le Cardinal de MIGAZZI .
Le nombre des naiſſances dans cette Capitale
&ſes Fauxbourgs , eſt monté l'année derniere à
10,066 , celui des morts à 12,016 , & celui des
( 164)
mariages à 2,488. Parmi les morts , on a compte
2,709 hommes , 2,381 femmes , 3,331 garçons,
3,182 filles , & 413 enfans morts nés. 217 perſonnes
font mortes de la petite vérole , 357 à la
fuite d'une apoplexie , & 84 ont péri dans des
accidens malheureux. Le nombre des enfans måles
venus au monde vivans , étoit de 4,857 , &
celui des enfans femelles 4,796. On a compté
l'année derniere 768 morts moins que l'année
1784 ; & 472 baptêmes , 8 enfans morts nés ,
& 116 mariages plus que dans cette même année
1784.
Le nombre des Bourgeois de cette ville
reçus l'année derniere a été de 407 .
DE FRANCFORT , le 20 Janvier.
Quelques lettres de la Siléſie Autrichienne
parlent de l'établiſſement ſur les frontieres
de deux forts , chacun avec une garnifon
de 600 hommes. Le Roi de Pruſſe ,
ajoutent- elles , a défendu l'exportation des
grains de Siléſie dans les Etats Autrichiens.
Les Princes qu'on aſſure avoir accédé
formellement au Traité d'union conclue en.
tre le Roi de Pruffe & les Electeurs de Saxe
&de Hanovre , font l'Electeur de Mayence
, le Margrave d'Anſpach , le landgrave
de Heffe-Caffel , les Ducs de Deux-Ponts ,
de Saxe -Weimar , de Gotha , de Brunswick-
Wolfembutel , & les Princes d'Anhal
Deſſau & de Coëthen .
On a calculé que l'entretien des Ambaſſadeurs
& Miniftres de l'Empereur auprès des
( 165 )
Cours de l'Europe, forme un objet annuel
de 2,025,000 florins. En 1784 la dépenſe
pour les couriers étoit montée à 343,488
Horins , & l'année derniere elle a fait un objet
de près de 800,000 florins.
Le Landgrave de Heſſe Caſſel a remis au
Comté de Hanau la contribution additionpelle
qu'on y avoit établie : en même tems
il a ordonné une diminution de taxes ſur
les immeubles,
L'année derniere on a compté à Caſſel 185
mariages,754 naiſſances ,& 570 morts.
A Stutgard , le nombre des mariages eſt monté
à 145 , celui des naiſſances à 680 , & celui
des morts à 697. -A Durſeldorf on a compté
126 mariages , 338 naiſſances ,& 290 morts , & à
Munich , 282 mariages , 1,120 naiſſances , &
1,310 morts.
D'après un nouvel état de dénombrement,
la population des Etats de Brunfwick-
Lunebourg eſt de 1,188,000 ames ;
ony compte 112,000 feux.
Le Clergé dans la Baviere & le Haut-Palatinat
eſt à la population générale , comme 1 à 193 .
La population de ces deux pays eſt portée à
879,899 ames , & on fait monter le nombre de
tout le Clergé , y compris les Religieuses à
8,443 individus . Voici un état de répartition de
ees individus : 300 dans des chapitres cathé
draux ; 600 dans des chapitres collégiaux , у
compris les prêtres & les abbes qui n'ont pas de
bénéfice ; 3,179 curés , bénéficiers & vicaires ;
1,485 dans des abbayes d'hommes; 1,932 de religieuſes
mondines ; on compte 61 couvens de ces
religieux , les récollets en poſſeden. 30 ,les ca
(166 )
pucins 6, & les auguſtins 6; 276 dans des ab
bayes de femmes , 671 dans des couvens de
femmes..
ESPAGNE.
DE MADRID , le 4 Janvier.
Dans le cours de l'année derniere , il y
aeu ici 1507 mariages , 5053 naiſſances ,
4010 morts. Ce ſont 457 morts de plus ,
173 mariages & 492 naiſſances de moins
qu'en 1784.
Suivant nos lettres de Lisbonne , Don
Juan d'Alemcaſtro , nommé Viceroi des
Indes Orientales , va s'embarquer avec toute
ſa famille ſur la flotille qui va mettre à la
voile pour Goa. La Reine de Portugal a
autoriſé par un Reſcrit le Tréſor Royal &
les particuliers à refuſer les Monnoies étrangeres
en paiement; permis à chacun néan
moins de les recevoir par voie d'échange ,
mais du libre conſentement des parties.
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 16 Janvier.
Quoique très - foible encore , la Princeſſe
Elifabeth le remet inſenſiblement. La Princeſſe
Auguſta a été auſſi vivement indiſpofée.
En cette occaſion , la Reine a donné
de nouvelles preuves de la vivacité de ſa
tendreſſe pour ſa famille. S. M. s'eſt épuiſée
( 167 )
elle même de fatigues , durant la maladie
de ſa fille , au point que les Médecins l'ont
priée de fonger à elle même , & d'éviter les
dangers dont elle étoit menacée, ſi elle ne
prenoit pas du repos.
Lord Macartney , dont nous avons annoncé
l'arrivée à Portsmouth , à bord du
paquebot le Swallow , eſt en cette Capitale
depuis le 9. Cet événement occupe tous les
eſprits , toutes les cabales , tous les Nouvellifies.
Il a donné naiſſance à une nuée de fictions
& de conjectures , ſelon les vues & les
intérêts des Inventeurs. Le parti de l'Oppoſition
profite de cette circonstance pour exalter
la conduite de Lord Macartney , pour repréſenter
l'Inde jettée dans la confuſion par
lebill de M. Pitt , & pour jouer , en un mot,
le même rôle que jouerent les ennemis de
M. Fox, il y a deux ans , lors de fon fameux
projet de réglement pour les mêmes contrées.
Il ſeroit difficile de tirer la vérité de
cette foule de paragraphes contradictoires .
Dans quelques-uns , on continue d'affirmer
queLordMacartney n'a appris qu'en arrivant
auxDunes ſa nomination au Gouvernement
général de l'Inde;mais,aſſez univerſellement,
on attribue fon retour à un refus péremptoire.
Il a remis , dit- on , à M. Mocpherson
(Gouverneur du Bengale par interim ) un
Mémoire juſtificatif de ce refus. Les Papiers
publics ontdéja fait un inventaire de ſa fortune
, qu'ils évaluent à 42 mille livres ſterl.;
ſomme qu'ils trouvent fort modeſte , en la
( 168 )
comparant aux tréſors rapportés de l'Inde
par de ſimples Employés de la Compagnie.
Il paroît que M. Mocpherson , coufingerman
du Traducteur d'Oflian , & ancien
Gouverneur du Comté de Warwick , avec
lequel il a voyagé , a été traverſé dans ſon
adminiſtration par Mrs. Stables & Stewart ,
Membres comme lui , du Confeil Suprême
de Bengale. Cette oppoſition ne l'a pas empêché
, à ce qu'on ajoute , d'économiser un
million fſterl. à la Compagnie des Indes , en
pourſuivant les réductions entamées par
M. Haftings. On prétend qu'il a fu ſe concilier
l'amitié des Puiſſances de l'Inde , &
former des proviſions abondantes pour le
commerce ; ce qui n'empêchera pas la Compagnie
, à ce qu'on croit , de lui nommer
bientôt un ſucceſſeur. Nulle apparence que
ce choix regarde Lord Macartney , inébranlable
juſqu'ici dans ſa réſolution de reſker en
Angleterre. Ce Lord eſt gendre du Comte
deBute.
Le bill de M. Pitt paroît en effet avoir
caufé de l'agitation parmi ceux auxquels il
eſtdestiné. Il s'eſt formé à Calcutta des aſſo -
ciations & des aſſemblées , où l'on a pris
des arrêtés , entr'autres , celui d'une Pétition
au Roi & au Parlement , contre le nouveau
régime. Les repréſentans Anglois , domiciliés
dans l'Inde ou au ſervice de la Compagnie,
le regardent comme attentatoire à la
liberté, &c. &c. Ils vont envoyer ici desDéputés
pour en folliciter la révocation.
Le
( 169 )
Le 7, le paquebot pour New-Yorck a
porté des inſtructions à M. Temple , Conſul
Général de S. M. auprès des Etats-Unis , concernant
certaines ouvertures faites ici par
M. Adams . Sur les inſtances itératives de
ce Miniſtre , preſſé d'obtenir une réponſe ,
on lui a notifié , dit- on , que M. Temple en
feroit chargé .
Pluſieurs des principales maiſons de commerce
de Londres , à ce qu'annoncent les Feuilles publiques
, ont refuſé de fatisfaire davantage aux
demandes des Américains unis. Elles ne veulent
plus rien expédier que pour argent comptant ,
oude bons billets , juſqu'à ce que le Traité de
Commerce avec lesEtats-Unis ſoit terminé.
L'uſage prodigieux des étoffes de coton
&des mouffelines , ayant mis en fouffrance
les fabriques de ſoieries de cette ville , il
s'eſt formé une ſouſcription publique en
faveur des ouvriers , qui , en trois mois ,
arapporté 1,800 liv. ſterl . [ environ 40 mille
liv. tournois. ] La Famille Royale & nombre
de Seigneurs , touchés de la détreſſe de ces
Manufacturiers , ont fait des demandes conſidérables.
Plus de 6,000 ouvriers ſe trouvoient
ſans emploi.
M. Knox , ce génie bienfaiſant ,toujours occupé
des moyens d'enrichir ſa patrie , travaille
avec zele au perfectionnement des pêcheries ſur
les côtes de l'Angleterre & de l'Ecoffe. Il voyage
actuellement pour obſerver les changemens produits
par les dernières diſpoſitions du Parlement.
Le chien de mer abonde , dit- il , ſurces côtes ,
&ce ſeroit laiſſer le peuple dans une coupable
No. 4 , 28 Janvier 1786 .
h
( 170 )
inertie, que de ne pas l'employer à pêcher ce
poiſſon. L'huile qu'il procure eſt d'une qualité
très-bonne; ſa peau pourroit être ſubſtituée à
celle du chat marin .
Selon l'état envoié à l'Amirauté le 31 du
mois dernier , il ſe trouve en conſtruction
dans les chantiers du Roi & des particuliers,
deux vaiſſeaux de 100 canons , 4 de 98 ,
2 de 90 , 15 de 74, 1 de 64 & 2de 50 .
L'Impregnable , de 90 can.; le Leivathan ,
l'Excellent , le Coloſſus , de 74; le Vétéran ,
de 64 , & le Léopard , de so , vont être lancés.
Ceux de 100 can. ne ſeront prêts que
dans quatre ans.
Le Général Advertiſer a pub'ié le récit dé
taillé du naufrage de l'Haswel , tel que l'a
rapporté M. Mériton, Contre-Maître de l'é
quipage , échappé à la mort , ainſi que nous
l'avons dit l'Ordinaire dernier. Voici le précis
de ce triſte événement.
« L'Hafwel fit voile des Dunes le Dimanche
premier de Janvier , par un vent du nord.
Le Lundi matin , le vent ſe calma devant
Dunnage. A trois heures P. M. du même jour ,
un vend du ſud s'étant levé, le navire fut dirigé
vers le rivage , pour débarquer le pilote ;
mais le vent ayant manqué , il fallut jeter l'ancre
à dix- huit braſſes : on ferla les voiles du
perroquet ; mais la quantité de neige qui tomhoir
, & la forte gelée , empécherent de ferler.
les grandes voiles,
>>>Le Mardi , à quatre heures du matin , un
vent fort s'étant levé, le navire fut dirigé vers
ja pleine mer; à midi le pilote fut mis à bord
d'un brig qui alloit à Dublin , & nous gagnâmes
( 171 )
aufi tốt la Manche. A huit heures da ſoir, le
vent ſe rafraîchit. Adix heures P. M. un coup
de vent violent ſoufflant du fud , nous obligea de
baiſſer les voiles , pour tenir le navire loin du
rivage; en faiſant cette manoeuvre , il entra une
grande quantitéd'ean entre les ponts ; en fondant
le puits , nous trouvâmes que le navire avoit une
voie d'eau , & qu'il y en avoit cing pieds à fond
de cale. On fit alors jouer toutes les pompes.
>>>Le Mercredi , à deux heures du matin , nous
fimes inutilement tous nos effots pour trouver les
voies d'eau , nous coupâmes le mât d'artimon ,
& nous eſſayâmes une ſeconde fois de boucher
lesvoies; mais avec auſſipeu de ſuccès qu'aupara
vant; il y avoit alors ſept pieds d'eau à fond de
cale; on coupa le grand mat , le vaiſſeau commençoit
alors à s'enfoncer. Ahuit heures A. M.
le navire fut mis au vent. Nous le tinmes dans
cette portion pendant environ deux heures ,
pendant lequel tems ilgagna deux pieds ſur les
pompes , quoiqu'elles jouaſſent toutes. A dix
heures, le vent s'étoit un peu abattu , le navire
érant beaucoup travaillé , le petit perroquet
roula ſur le côté de bas-bord ; le varech s'engageantdans
la voile de devant, lamit enpieces.
A onze heures A. M. le vent changea à l'oueft ;
nous nous débarraſſames du varech , & nousapperçûmes
Barry-Head, dans le giſement du nordeft
par eft , à quatre ou cinq lieues. Nous mon
tâmes une autre voile de devant , que nous déployâmes
; nous érigeâmes un grand mât de ne
ceflité , & mimes une voile de perroquet pour
grande voile, nous élarguâmes vers Portsmouth,
&nous employâmes le reſte du jour à ériger un
nouveau grand mât.
>>> Le Jeudi à deux heures du matin , il ſouf
floitun vent frais du ſud ; à midi il devint très
ha
( 172 )
fort; nous découvrimes Portland dans le giſea
men: N. par E. A huit heures P. M. le vent du
fud ſouffla violemment ; nous vîmes les phares
de Portland , dans le giſement N. O. à la difrtance
de quatre ou cinq lieues ; nous noustenions
au large à l'ouest , dans l'eſpérance de doubler
Peverel-Point; nous apperçûmes St. Alban's-
Head , à un demi- mille ſous le vent.
Le Vendredi matin , à deux heures A. M. le
navire donna contre les rochers , & à quatre
heures on n'en voyoit pas un atome.
>> Un peu avant que le navire enfonçât , le
Capitaine Pierce , entouré de ſes deux filles ,
de ſes deux nieces , & de trois autres jeunes demoiſelles
, demanda à M. Mériton s'il n'étoit pas
poffible de fauver les femmes. Cet Officier lui
ayantrépondu qu'il n'yvoyoit point de poſibilité,
l'infortuné Capitaine ſe détermina courageuſementà
partager leur fort ; la plupart des naufragés
qui ſe retiterent fur les rochers , furent
repris par le retour des vagues , & mis en
pieces.
18 Officiers , trente Matelots , & 25 foldars
ont eu le bonheur de ſe ſauver. Les
filles du Cap. Pierce alloient ſe marier dans
l'Inde, Le bâtiment qui les portoit étoit
conſtruit depuis quatre ans , & faifoit fon
troiſieme voyage. Il y a trente ans qu'un
vaiſſeau de ligne périt ſur le même rocher.
La Compagnie a envoié un de ſes pilotes
les plus expérimentés pour ſauver ce qu'on
pourra de la cargaiſon. Cet accident eſt le
plus déplorable , & non le ſeul occaſionné
par legros temps. Pluſieurs navires dedif-
Férentes nations ont échoué près de nos cô
( 173 )
fes. APlimouth , laDouane, un des quais
des maiſons & pluſieurs vaiſſeaux ont été
fort endommagés. A ces malheurs il faut
ajouter le ſuivant que nous apprend une
lettre d'Anglesea.
Le 5 Décembre vers les 8 heures du matin ,
60à 70 perſonnes ont péri en traverſant dans un
bac la riviere Menai , pour aller de Carnavoy à
la côte d'Angleſey. On compte parmi ces infortunésunMiniſtre
& fa femme , & pluſieurs fermiers
très- riches. Le bac toucha fur un banc de
fable , & ſe remplità l'inſtant d'eau par la grande
charge qu'il portoit. Tout le monde ſauta ſur le
banc qui étoit à ſec. On entendit bientôt leurs
cris desdeux rivages. Une quantité de chalouppes
vinrent à leur affittance , mais la violence du vent
& fahoule ne permit point à ces ba: eaux d'approcher
aſſezprèsdduubanc , de peur de partager
le même ſort. Il n'y a eu qu'un ſeul homme ,
bon nageut, qui ſoit parvenu à ſe ſauver. Le
lendemainun autre bac , chargé de 40 pallagers ,
courut le plus grand danger ,& fans les efforts
extraordinairedes paſſagers , il ſe ſeroit égalementperdu.
Unparticulier revenu de Portſmouth dépeint
de la maniere ſuivante le Prince Williams
Henri.
>> En qualité de Lieutenant de la Frégate
'Hébé, il remplit exactement les devoirs de fon
poſte ,& ſe ſoumet ſtrictement à toutes les regles
de la diſcipline militaire. Il connoît également
bien la pratique & la théorie de la navigation.
Le ſervice qu'il a déjà fait , & les grands talens
de l'Officier auquel il eſt confié lui ont donné
des connoiſſances , qui , lorſqu'elles ſeront perfetionnées
par l'expérience , feront de jour ent
h3
( 174)
four , de lui , un excellent Marin. Il fuit avec
une attention particuliere les travaux des chanthers
,&s'attache ſingulierement à la conſtruction
des vaiſſeaux. Il eſt humain & affable avec les mazelots;
poli avec tout le monde ſans jamais defcendre
à une familiarité déplacée. A table il eſt
fort fobre ; il ſe livre quelquefois à une vivacité
de maniere naturelle à ſon âge , mais la ſolidité
de ſon jugement reſtreint cette vivacité dans de
juſtesbornes.
Des lettres de Gibraltar , en confirmant
la délivrance de 14Anglois conduits àAlger
par un corſaire , & dont les inftances du
Général Elliot ont briſé les fers , rapportent
un rare exemple d'amitié fraternelle.
Entre les priſonniers , ſe trouvoit un jeune
homme appellé John Williams, condamné d'abord
à des travaux fort pénibles , mais ayant obtenu
enfuite la liberté de ſe promener quelques heures
par jour. En vifitant les bagnes , Williams reconnutunde
ſes freres ainés , crâ mort depuis
longtemps , & réduit à l'esclavage depuis 12 années.
Les traits défigurés de celui-ci atteſtoient
les fouffrances qu'il avoit éprouvées. Cettetendre
reconnoiſſance fut ſuivie d'entrevues fréquentesentre
lesdeux freres.Al'inſtant où les 14 сар-
tifs Anglois devoient être relâchés , le jeune Williams
déſeſperéde laiſſer ſon frere dans une ſituazion
auſſi déplorable , lui parla en ces termes :
>>> Mon frere , votre conſtitution et affoible par
les fatigues de la captivité ; la mienne eſt
>>encore vigoureuſe ; prenez maplace & jouiſſez
>>>de la liberté que vont obtenir mes camarades ,
>>je me soumettrai à des travaux ſous lesquels
>> vous ſuccomberiez. S'il plaît à Dieu de vous
prendre vos amis , ou de vous donner les moyens
( 175 )
de me délivrer , je ſuis certain d'être bientôt
>> libre «. Après une longue réſiſtance , le frere
aîné accepta l'offre de Williams , dont le nouveau
Maître accepta ſans peine unéchange auffi avantageux.
Il exiſteprès de Hamiltons -Brawn , dans le
Comté d'Armagh en Irlande , un vieillard
appellé Daniel Cullen , âgé de 128 ans accomplis.
Il a ſervi ſous le Roi Jacques , &
s'eſt trouvé à la bataille de la Boyne. En
1704 il étoit au ſiege de Gibraltar , lorſque
cette fortereſſe fut priſe par le Chevalier
George Rooke. Il labouroit encore deux
acres de terre par jour, il y a ſept ans. Dans
un âge aulli avancé , il conſerve encore
tous ſes ſens , excepté l'ouie. Dans le même
lieu , on voit auſſi une vieille femme , âgée
de 118 ans , nommée Hannah Merchant ;
elle ſe porte à merveilles , il lui a poussé une
rangée entiere de dents en 1779. Son pere
eſt mort dans le même lieu , âgé de 120
ans. Il avoit été ſoldat dans les troupes du
Roi Guillaume III.
Ala derniere expoſition des peintures de l'Aca
démie royale des Arts , on remarqua un élégant
qui déployoit les reſſources dubel eſprit à déſigner
les différentes productions des Peintres. Un
crtique auffi profond ne pouvoit qu'être admirateur
zelé des Anciens, auſſi ne balançoit- il pas
àdéclarertous ces Modernes , de vrais barbouilleurs.
Une Dame qui l'obſervoit depuis quelque
temps, le pria alors inſtamment de lui expliquer
Pinſcription grecque qu'on voyoit fur la porte
de la falle . L'Admirateur des anciens , vous
h4
( 176 )
lant cacher ſon ignorance , tira ſa lorgnette , &
ayant examiné l'inſcription ſous tous les jours , il
s'écria : » Voyez cet animal de Peintre; il a sû-
>> rement oublié la moitié des mots , car ça n'eft
>> pas dans Homere « !
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 18 Janvier.
Le 1s de ce mois , la Comteſſe de Marnier
& la Vicomteſſe de Caraman , ont eu
T'honneur d'être préſentées à Leurs Majestés
& à la Famille Royale; la premiere par la
Ducheſſe du Châtelet , &la ſeconde par la
Comteffe de Caraman.
DE PARIS, le 25 Janvier.
Arrêt du Conseil d'Etat du Roi , du 23
Décembre 1785 , qui confirme le Privilege
de la Gazette de France , & regle entr'elle
& les autres Feuilles périodiques , la police
à obſerver pour l'annonce des Livres nouveaux.
LE ROI s'étant fait repréſenter en ſon Conſeil
l'Arrêt rendu en icelui le 16 Avril 1785, portant
réglement pour aſſurer la fourniture qui doit
être faite à la Chambre Syndicale de Paris , de
neuf exemplaires de tous les Ouvrages imprimés
ou gravés , & pour prévenir l'annonce par
P'avis des Papiers publics , des Ouvrages prohibés
ou non permis ; & Sa Majesté ayant été informée
que le Journal des Savans , & fubfidiairement
celui de Paris , auxquels étoit attribuée, pas
;
( 177 )
ledit Arrêt , l'annonce premiere deſdits Ouvra
ges , étant deſtinés plus ſpécialement , l'un à
donner l'analyse des Ouvrages ſcientifiques ,
l'autre à faire connoître ceux d'agrément , n'avoient
qu'imparfaitement rempli juſqu'à ce jour
le but qu'Elle s'étoit propoſée , Elle a jugé que
la faculté d'annoncer privativement & avant toutes
les autres Feuilles périodiques , ne devoit être
confiée qu'à celles de ces Feuilles qui étant le
plus répandues dans ſon Royaume , ſe trouvent
par cette raiſon plus propres à remplir cet objet;
& Sa Majefté a conſidéré que la Gazette de
France , dont le privilege mérite par ſon ancien
neté des conſidérations , &dont le débit s'étend
dans toutes les provinces de ſon Royaume , &
même chez l'étranger ; & enſuite le Journal de
la Librairie , qui réunit à la modicité du prix de
l'abonnement, des indications claires , préciſes &
telles qu'il convient , paroiſſent propres à rem
plirſes intentions , & que l'avantage du com
merce des nouveautés en tout genre en réſul
teroit infailliblement . Sur ce qui a été en outre
repréſenté à Sa Majesté que par l'Arrêt de ſon
Conſeil du 12 Août dernier , qui limite à dix
années tous privileges d'Almanachs , Journaux
Gazettes& autresOuvrages périodiques , le pri
vilege général de la Gazette de France & des
Feuilles périodiques qui en dépendent , paroî
troit compris dans cette diſpoſition , ce qui ſeroit
contraire aux Lettres Patentes du mois
d'Août 1761 , & à celles antérieures , relatives au
Privilege de ladite Gazette ; Sa Majesté voulant
expliquer ſes intentions ſur le tout : oui le
rapport; le Roi étant en ſon Conſeil , de l'avis
de M. le Garde des Sceaux , en confirmant la
diſpoſition de l'Arrêt de ſon Conſeil du 16 Avril
785, a fubrogé & fubroge, ſubſtitué & fubli
by
( 178 )
tue laGazette de France & le Journal de la Li
brairie , au Journal des Savans , & au Journal de
Paris , pour ce qui lesy concerne & ſous les mêmes
obligations , dérogeant pour ce ſeulementaux
articles XI & XII duditArrêt : Et interprétant
entantque de beſoin l'Arrêt de ſon Conſeil du
12 Août dernier , concernant la durée des privileges
des Almanachs , Journaux , Gazettes &
autres Ouvrages périodiques , Sa Majesté déclare
qu'Elle n'a point entendu y comprendre en au
cune maniere , ni limiter au terme de dix années
, le Privilege général de la Gazette de
France & des Feuilles périodiques qui en font
partie ; lequel Privilege continuera d'être régi
ou exploité en tout ou en partie, conformément
aux Lettres-Patentes du mois d'Août 1761. Ordonne
Sa Majesté aux Syndics & Adjoints , tant
de la Chambre royale & ſyndicale de Paris , que
des autres Chambres ſyndicales du Royaume , &
aux Inſpecteursde la Librairie établis près lefdites
Chambres,deſe conformer au préſent Arrêt ,
& de l'exécuter & faire exécuter en tout ce qui
peut le concerner. Enjoint au ſicur de Croſne ,
Maître des Requêtes honoraire & Lieutenant-
Général de Police à Paris , Commiſſaire du Confeil
en cette partie , & aux ſieurs Intendans &
Commiſſaires départis dans les différentes provinces
& généralités du Royaume , d'y tenir la
main, chacun en droit foi ,& ce nonobſtant tous
réglemens précédens , auxquels Sa Majesté a
dérogé & déroge en tant que de beſoin , en ce
qui feroit contraire aux diſpoſitions contenues au
préſent Arrêt , & ce nonobſtant toutes oppoſitions
ou empêchemens quelconques , dont , fi aucun
intervenoit , Sa Majeſté leur attribue la connoiffance,
ſaufl'appel au Conſeil , & icelle interdit
àtoutes ſes Cours & autres Juges : Et ſera le
( 179 )
préſent Arrêt imprimé , publié & affiché para
tout où beſoin ſera ,& enregiſtré dans toutes les
Chambres ſyndicales. Fait au Conſeil d'Etat du
Roi , Sa Majesté y étant , tenu à Verſailles le
vingt- trois Décembre mil ſept cent quarre vingta
cinq. Sigré, le Baron DE BRETEUIL.
Dans le N°. du 7 Janvier , nous parlames
de la nouvelle très ſuſpecte d'un tremblement
de terre en Auvergne & d'unebande
de voleurs qui dévaſtoient cette Province.
En même temps nous eumes ſoin de prévenir
que nous ne garantiſſions ce récit en
aucune maniere. Il eſt faux dans tous ſes
détails. MM. les Officiers Municipaux de
Riom ont reclamé auprès de nous contre
cette fable impertinente, qui eſt un nouvel
exemple du degré de créance qu'on doit à
tout ce qui ſe raconte, àtout ce qui s'affirme
d'un ton déciſif dans cette Capitale.
M. Turgot , zélé pour l'intérêt des Scien
ces , avoit envoié au Pérou, durant ſon Miniftere
, M. Dombey, Médecin Naturalifte
qui , à la modeſtie , à la ſimplicité des moeurs
joint les plus folides connoiſſances& ce courage
patient qui caractériſe le vrai Philofophe .
Après fix ans de courſes & de fatigues ,
M. Dombey s'eſt acquitté de ſa pénible
miſſion , & il eſt de retour depuis quelque
temps , avec ſes richeſſes en plantes , en minéraux
, en inſectes , en bois , en graines ,
en oiſeaux , en raretés de divers genres,
Cette collection déposée chez M. Dombey
avant d'enrichir le Cabinet du Roi , méri
:
h6
( 180 )
teroit un inventaire plus détaillé que celur
auquel nous ſommes forces de nous borner.
Elle reçoit un nouveau prix pour les
Amateurs , de l'extrême complaiſance de
M. Dombey qui s'eſt prêté à la curioſité
publique , & dont la converſation eſt un
fupplément très-instructif de ſon Cabinet.:
La partie la plus conſidérable eſt un Herbier
dedeux à trois mille plantes , dont plus de 1500
eſpeces étoient reſtées inconnues juſqu'ici. M.
L'Héritier s'eſt chargé de leur deſcription.
:
Dans le règne minéral , on distingue la plas
tine , dont la nature occupe & diviſe encore les
Savans ; M. Dombey en a rapporté une affez
grande quantité ; un ſable verd & cuivreux qui
produit au feu une flamme coloriće , & inconnu
juſqu'à préſent ; des échantillons de mines de
fer , ignorées des Eſpagnols eux-mêmes , obli
gés de tirer d'Europe , àgrands frais , tous leurs
inftrumens de ce métal.
Outre Con Herbier , M. Dombey a rapporté
des graines de plantes , falubres ou médicinales ,
& le fruit d'un pin du Chili , droit , fort élevé ,
&excellent pour la mâture. Les cryſtalliſations ,
les pierres précieuſes , des oſſemens minéraliſés
en argent , la véritable écorce du Kinkina , un
arbre artificiel , fait par un Indien , & fur les
branches duquel repoſent divers oiſeaux , avec
leurs brillantes couleurs , & très bien conſervés
enfin , un coquillage foſſile , trouvé au pied des
Cordelières ; découverte fingulière , & contraire
à l'idée reçue , que les montagnes primordiales
ou granitiques ne renferment aucun de ces dépôts
marins.
Outre ces divers objets , Mr. Dombey a rafſemblé
des curiofités du Pérou & du Chili , telles
( 181 )
que des armures de Sauvages , des arcs , des
farbacanes , avec leurs flèches empoisonnées ,
des vaſes péruviens , des idoles , des diadêmes ,
des ornemens des Incas & de leurs épouſes , une
chemiſe de Vierges conſacrées au Temple du
Soleil , &c. &c. M. Dombey a parcouru le Pérou
, le Chili , une partiedes bords de la riviere
des Amazones &du Broil. Pendant la retraite
de J. J. Rouſſeau en Dauphiné , ce Médecin ,
digne d'être l'ami de cet éloquent Ecrivain ,
l'accompagnoit dans ſes courſes botaniques.
Suivant le relevé des naiſſances & mortalités
dans cette Capitale , durant l'année
1785 , il y a eu 19,859 baptêmes , 5234
mariages , 6918 enfans-trouvés , 115 profeſſions
religieuſes . & 20,365 morts. En
comparant ces Etats avec ceux de l'année
dernière , on trouve 301 baptêmes , 199
mariages , 309 enfans trouvés , 7 profeffions
religieuſes de plus qu'en 1784 , &
1413 morts de moins.
M. Jeaurat , de l'Académie des Sciences ,
ameſuré , à l'Obſervatoire royal , 15 pouces
10 lignes , 7 dixièmes d'eaux de pluie tombées
en 1785. Le mois d'Août a été le plus
pluvieux , & le mois de Mars abfolument
fec.
Depuis l'Ordonnance relative à la refonte
des eſpeces d'or , il a été fabriqué à la Monnoie
de Paris pour quarante-cinq millions
de louis neufs , verſés dans le numéraire de
Ia Capitale.
Oncitedes Lettres de Provencedont nous
nemaintenons pas l'authenticité , qui annoncent
que dansla partiebaſſe de cetteProvince,
( 182 )
ileſttombé pendantquarante jours, des pluies
continuelles : à l'autre extrémité, le froid a
été ſi rigoureux , que les charrettes y ont
traverſe le Rhône entiéremenr gelé. Dans
la p'aine de la Crau , aux portes d'Arles ,
des beftiaux & des bergers mêmes ſont
morts de froid. On ne dit point ſi ce grand
froid a endommagé les oliviers.
On lit ce qui fuit dans une lettre du
Havre , du 12 Janvier.
Par le Brick le Léger , de Bordeaux , venant
de Sénégal , on apprend le malheureux événement
arrivé au Navire les Amis , du Havre ,
Capitaine le Roi , relâché au Sénégal par voie
d'eau , & depuis expédié dudit lieu pour Saint-
Domingue , avec un chargement de Negres. Le
jour qu'il alloit mettre à la voile , les Noirs ſe
font emparés du Navire .après avoir maſſacré le
Capitaine & pluſieurs de l'équipage , & ont forcé
le ſecond Capitaine à les conduire dans une baic
voiſine. Dans le trajet eſt ſurvenue une tempête ,
qui a mis le navire à la côte. Le ſecond Capitaine a
été noyé ; quatre hommes de l'équipage ont été
faits eſclaves par les Negres , & rachetés par le
Gouverneur du Sénégal .
Suivant un recenſement général de la
Martinique, au mois de Décembre 1784 , il
s'y trouvoit alors ,
10.150 blancs de tout âge & de tout ſexe;
3,472 gens de couleurs libres ; 68,598 eſclaves ,
dont 28z en marronages ; 305 ſucreries ; 134
moulins à eau; 169 àbétes& 16 à vent; 12,401
carreaux de terre plantés en-cannes ; 1,793 habitations
en café , coton , cacao & vivres ; 2,205
bêtes cavalines ; 8,681 bêtes à cornes ; 12,434
( 183 )
moutons ,cabris & cochons; 209 bourriques &&
bourriquets ; 4,773 mules & mulets.-ASaint-
Pierre 1,814 maifons.
Le 7 de ce mois, on a inauguré la Co-
Jonne élevée dans la forêt de Guiſnes à la
gloire de M. Blanchard. L'inſcription fuitine
de cette Colonne a été traduite en ces
termes :
SOUS LE REGNE DE LOUIS XVI.
M. DCC. LXXXV.
Jean-Pierre Blanchard,des Andelis, enNormandie,
Accompagnéde Jean Jefferies ,Anglois ,
Patit du Château de Douvres ,
Dans un Aëroſtat ,
Le vII Janvier , à une heure un quart ,
Traverſa le premier les ai's
Au deſſus du Pas de Calais ,
Etdeſcendit à trois heures trois quarts
Dans le lieu même où les habitansde Guiſnes
Ont élevé certe Colonne
,
Ala gloire des deux Voyageurs.
M. St. Jean de Crevecoeur , Conſul de
France à New Yorck , & Auteur des Lettres
intéreſſantes d'un Cultivateur Américain
vient devendre public un moyen ſimple de
diminuer la réſiſtance de la charge que des
hommes font obligés de traîner ; moyen
qu'emploient les Negres du Comté d'Acamack
dans la Virginie Orientale , d'après
L'idéeque leur en avoit donné M. de Cre-
Vecoeur.
Pour cela dit- il , il faut 10. fixer les deux extrêmités
de l'effiou dans le moyen des roues ,
2. arrondir le même effieu dans la partie qui
doit rouler ſous les deux brancards ; s'il eſt de
fer , ces parties doivent être garnies de plaques
( 184 )
de cuivte; s'il eſt de bois , un peu de graiffe
fera fuffifant.
3º. Cet effieu doit être contenu dans ſes.
mouvemens par deux chevilles de fer de quatre
pouces de long & placées ſuivant la groſſeur
de l'effieu , de maniere qu'il ait fix pouces de
jeu.
4°. Cet intervalle eſt eſſentiel pour donner
à l'eſſieu le jeu ſuffifant pour tourner la charrette.
Le ſeul inconvénient qui réſultera de cette
nouvelle maniere de ſe ſervir du levier des
roues eſt une plus grande difficulté dans cette
opération ; mais l'expérience d'un ſeul jour apprendra
bientôt à ces hommes comment ils doivent
s'y prendre.
Je ſouhaite qu'ils ſe trouvent auſſi bien de
mon avis que ceux auxquels je le communiquai
il y a quelques années.
Les grands Rouliers , qui vont d'un bout du
Royaume à l'autre ſans être obligés de tourner,
épargneroient à leur chevaux bien des fatigues
s'ils adoptoient ce ſimple expédient.
M. Adam , Profeſſeur Emérite de l'Univerſité
de Caën , dont on a lu pluſieurs fois
dans ce Journal des lettres inſtructives , a
adreſſé au Gouvernement un Mémoire utile
ſur la deſtruction des mans & des hannetons .
Les procédés de M. Adam étant à la portée
de tous les cultivateurs , on ne ſauroit trop
répandre ceMémoire dont voici l'extrait.
Les hannetons ſont des inſectes volans de la
claſſe des eſcarbots. La grande eſpece eſt la plus
commune& la plus vorace. Ce ſcarabée eſt long.
d'environ un pouce , large de demi -pouce; il a
le ventre noir & le dos couvert d'une écaille.
souſſatre un peu farineuſe ,& ſous laquelle M
( 185 )
replie& cache ſes véritables ailes. Il commence
àparoître& fortde terre au mois de Mai & Juin
juſqu'en Juillet , où il périt &diſparoît sout-àfait.
Les femelles font plufieurs pontes dans cet
eſpace de temps , & vont déposer leurs aufs ,
non dans les bois ni les taillis , mais dans les
champs , dans les prairies , ſous la fiente des
beſtiaux ,&dans lesterreins les plus à découvert ,
en friche & les moins tourmentés , parce que le
verou man qui en eſt produit , redoute l'humidité.
Les mans reſtent trois printemps ſous terre ;
ainſi les oeufs pondus cet été , ſont éclos au mois
de Septembre dernier ; mais ils ne completeront
leurderniere métamorphoſe en hamnetons qu'au
printemps de 1787. Ce ver emploie cet intervalle
àprendre ſon accroiſſement ; il eſt d'un blanc
jaunâtre; il parvientà la longueurde 15 à 18
lignes. La ſéchereſſe générale de l'hiver& du
printemps qui l'a ſuivi, a infiniment contribué à
ſa multiplication.
Cever ſe tient communément à un pouce ſous
terredans le printemps & l'automne , à un demipouce
dans l'été , mais il deſcend aux approches
de l'hiver; & ſelon que le froid eft long ou ri
goureux , il s'enfonce depuis dix pouces en terre
juſqu'àun pied de profondeur. A meſure que le
froid ſe relâche au printemps , il ſe rapproche
de la ſurface , & c'eſt alors qu'il recommence ſes
ravages ; il attaque indiſtinctement les graines
des plantes ſemées ou tombées en terre & leurs
racines. Ce fléau eſt même redoutable pour les
arbres fruitiers ; l'arbre périt lorſque l'abondance
de la ſeve l'invite à en attaquerles racines. D'un
autre côté le hanneton dévore au printemps les
bourgeons des arbres , leurs feuilles , leurs fleurs ,
&leurs fruits à peine naiſſans .
Lemoyen le plus sûr , le plus univerſel & le
plus économique de détruire cet inſecte , ſera de
( 186 )
1
faire ſes labours profonds au mois d'Avril & de
Mai prochains , ainſi qu'en Septembre & Otobre
ſuivans , tandis qu'on fera ſuivre la charrue par
des enfans qui ramaſſeront les mans que la charrue
aura mis à découvert ;un ſecond labour ,, ou
du moins une herſe peſante qu'on paſſera ſur le
premier , achevera de les mettre à nud. Lorſqu'on
aura ramaffé ces vers , il conviendra de les dés
truire , & le plus sûr ſera de les brûler.
Il ne ſera pas moins eſſentiel , au printemps
prochain, de déclarer une guerre vive & prompte
aux hannetons lorſqu'ils ſortent de terre; leur
voracité fait qu'ils ſe jettent par-tour dans les
campagnes ſur l'herbe jaune , ſur les haies & fur
les arbres , dont ils détruiſent les jeunes poufles ,
les bourgeons , les feuilles & enfin les fruits .
L'heure la plus commode pour les attaquer , eft
le matin au leverdu ſoleil, lorſque la fraîcheur
de la nuit les tient encore engourdis , & que la
eraintede la roſée les empêche dedéployer leurs
aîles& de voler; enſuite dans la grande chaleur
du jour , parce qu'alors ils s'accouplent , & que
leur accouplement érant fort long , l'épuiſement
quiy fuccede fait qu'il ſuffit de ſecouer les arbres
pour les détacher des feuilles & pour les faire
tomber. On ne ſauroit trop veiller à la deſtruction
de ce fléau dans ces deux états de man &
de hanneton , parce que ſi la fin de l'hiver & le
printemps prochain ne ſont pas pluvieux , il eſt
inévitable que l'abondance qui en fortira de la
terre , ne multiplie l'eſpece à l'infini & n'étende
àpluſieurs années ſes ravages.
Le premier de ce mois , une grande partie
du Couvent des Bénédictines de la ville
d'Ardres a été confumée par un incendie ,
malgré les ſecours de l'Etat- Major , des
Officiers Municipaux & du régiment des
( 187 )
Chaſſeurs des Alpes. La perte qui réſulte de
cet accident eſt évaluée à200 mille livres. Le
même jour , pluſieurs maiſons furent rédaites
en cendres dans le fauxbourg de Calais.
Les Négociants de Redon , penetrés de toute
la reconno ſfance que l'on doit à l'Auteur vrai.
ment eftimable de l'utile projet des canaux de
Bretagne , viennent de faire conftruire un des
plus grands Vaifſeaux qui ſoit forti de ce Port ,
& M. le Comte de Piré a bien voulu confentie
que ce Vaiſſeau portat fon nom. Ses armesſeront
placées fur le poitrail d'un Lion , avec cette
deviſe: Defends- toi.
CeVaiſſeau doit être lancé dans ce mois , &
fera route peu de tems après pour la Guadeloupe;
ainfi , il ira faite éclarer juſqu'en Amérique
la reconneillance due à M. le Comte de
Pire , & tranſportera directement du Port de
Redon dans le Nouveau - Monde , les fers de
Paimpont & des différentes forges qui ne peuvent
les faire circuler dans le commerce que par
Ja riviere de Vilaine ; les plombs du Ponepean",
les bois , les merrains , les feuillards , les toiles
diverſes de Bretagne , les fils de Rennes , les
Fayences , les Chauffetres de Vitré , & généralement
tous les articles commercables qui
croiffent & fe fabriquent dans la Haute-Bretagne.
( Journal de Normandie.. )
Herréde Thienville , Marquis de Montaigula
Prette , Chevalier de l'Ordre Royal&
Militaire de S. Louis , ancien Commandant
des Dragons à pied ,Colonel-Général , dernier
d'une tres ancienne & illustre Famille
de la Province de Normandie , eſt mort en
ſon hôtel à Valognes , le 4de ce mois , univerſeliement
regretté.
( 188 )
PAYS-BAS.
DE BRUXELLES , le 22 Janvier.
Les aſſertions de quelques Nouvelliſtes
Flamands , touchant la proſpérité des entrepriſes
mercantiles dans leur patrie , affertions
que nous avons rapportées l'Ordinaire
dernier , méritent quelques éclairciſſemens.
Les rafineries de ſel d'Oſtende ſont encore
dans l'enfance,& cet objet mérite peu d'être
remarqué. La pêche de la morue n'eſt guère
plus avancée dans ſes progrès , malgré la
défenſe d'importer des morues de pêche
Hollandoiſe. Il eſt peu vraiſemblable qu'on
fonge à faire de Niewport un port frane ,
celui d'Oſtende étant plus que ſuffiſant pour
le peu de commerce de tranfit qui nous
refte.
Pendant l'année dernière, le nombre des bâtimens
entrés dans la Meuſe &à Gorée eſt monté
à 1,648 , & celui des bâtimens qui en ſont ſortis
à 1,722. Dans ce nombre na ſont pas compris
les bâtimens pour la pêche de la baleine & du
hareng , ni les bâtimens allant & venant de
Rotterdam , Dortrecht , Schiedam , &c.
Le nombre des bâtimens arrivés cette année au
Texel monte à 1,761 , & celui de ceux qui ſont
entrés à Viie à 1041 .
Selonune lettre écrite à Paris par un Officier
de la frégate du Roi la Résolution , &
datéde False-Bay, le 25 Août, la traverſée
au Cap de cette petite eſcadre, ſous les ordres
de M. de la Peyrouſe, a été de 94
jours. La Vénus , commandée par M. de
( 189 )
Rofilly ,y avoit précédé la Réſolution , &
n'avoit employé que7s jours dansle voyage.
Les bâtimens & les équipages étoient en afſez
bon état , & les rafraîchiffemens d'une
cherté horrible. On les tire du Cap, à ſept
lieues de False Bay. « Nous avons trouvé
>>>ici , ajoute l'Ecrivain de la Lettre, trois
>>vaiſſeaux de ligne anglois qui retournent
>> en Europe. Leurs Officiers nous ont viſi-
>>>tés , tous les jours ont été marqués par des
>> fêtes données & rendues réciproquement.
>>>Nous sommes prêts à mettre à la voile ,
>> ainſi que la Vénus , & peut-être cette nuit
>>> quitterons nous False-Bay » . ( L'eſcadre
angloiſe dont il eſt ici queſtion venoit de
l'Inde , ſous les ordres du Commodore
Mittchell ; nous en avons annoncél'arrivée à
Portsmouth ) .
Le 30 Décembre dernier, un jeune garçon ,
âgé de dix ans , couroit à Liege ſur la glace
de la Meuſe , le long du premier quai d'Avroy :
la glace , peu ſolide encore , s'enfonce fOLS
l'enfant qui tombe dans la riviere , & il s'y
ſeroit infailliblement noyé , ſans le ſecours de
Léonard Patron , journalier Couvreur , qui ſe
trouvant heureuſement à portée de l'endroit du
naufrage , court ſur la glace , arrive où l'imprudent
jeune homme venoit d'être plongé , s'y
plonge lui- même , le ſaiſit encore en vie , le met
fur ſes épaules, & le pouſſe heureuſement ſur les
bordt de la glace.
Paragraphes extraits des Papiers Anglois & autres.
Un Miniſtre d'une Cour d'Allen agne ayant
( 190 )
été chargéde complimenter le Roide Pruſſe ſur
ſa convalefcence , répéta ſouvent que l'Empire
avoit pris le plus grand intérêt à ſon indiſpoſi
tion; que l'Empire failoit des voeux pour ſa
ſanté , &c. &c. Monfieur , lui dit le Roi , fi
vous revoyez l'Empire , vous pouvez lui dire que je
fuis touché de la part qu'il prend à maſituation ,&le
consolerſur mafin , parce que j'ai un neveu qui me
recommencera .
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX ( 1 ),
Cause entre la Demoiselle M... , légataire univer-
Jelle du Sieur R... , & les Dames de LAMOTTE ,
&du RUISSEAU , héritieres du Sr R...-Legs
univerſel fait à la fille légitime d'une Concubine ,
confirmé.
Les Ordonnances ayant déclaré les Concubins
& Concubines incapables de recevoir l'un
de l'autre des avantages entre- vifs , ou par teftament
, doit on comprendre dans cette incapacité
les enfans légitimes , nés deldits Concubins
ou Concubines , depuis que ceux- ci ont ceſſé
leur commerce criminel ? Tel étoit l'objet de
cette Cauſe . Rendons compte des faits. Le
ſieur R... , né d'une famille honnête dans la
Bourgeoiſie , avec des eſpérances de fortune ,
forma , dans l'effervescence de l'âge , une inclination
pour la Dile P ..., fille d'un loueur de
chaiſes dans une Egliſe de Paris ; il defiroit
l'épouſer , mais la Dame ſa mere ne trouvant
le parti ni avantageux , ni ſortable pour ſon
fils , refuſa ſon conſentement; il continua néan-
(1) On ſouſcrit à toute époque pour l'Ouvrage entier
dont le prix eſt de 15 liv. par an , chez M. Mars , Avoca
au Parlement , rue & hótel Serpente.
( 191 )
moins d'entretenir avec la Dile P... une liaiſon
très- intime. La ferme diſpoſition où ils étoient
l'un & l'autre d'en réparer les ſuites par le mariage
, diminuoit à leurs yeux l'irrégularité de
leur conduite. -Le ſieur R. , . poſſédoit déja
la fortune acquiſe du chefde ſon pere ; il pourvut
à tous les beſoins de la Dile P ... En 1766 ,
elle accoucha d'un fils , que le ſieur R.... fit
préſenter au Baptême , ſous ſon nom , & qui
fut nommé Adrien R... En 1769 , la Dile P...
devient encore enceinte : étoit-ce des oeuvres
du ſieur R... ? C'eſt un fait dont la préſomption
paroît détruite par le mariage qu'elle avoit contracté
, dans ſon état de groſſeſſe . avec un chef
de cuiſine ; enfin , elle accoucha , en 1770 ,
d'une fille , que le ſieur M ... préſenta au Baptême
, comme ſa fille légitime. Le ſieur R....
continua néanmoins d'entretenir avec la dame
M... une liaiſon de ſimple amitié: liaiſon que les
héritiers du ſieur R... nommoient d'un autre nom,
fans cependant articuler aucuns faits poſitifs.
La dame M... demeuroit dans une maiſon ,
appartenante au ſieur R... ; mais c'étoit à titre de
locataire ; il paroît même qu'en 1779 , on fut
obligé de la pourſuivre pour le paiement de ſes
loyers; mais ce qui tendoit néanmoins àjetterdes
nuages ſur la nature des liaiſons de la dame M...
avec le fieur R... , c'eſt que le ſieur M... s'étant
abſenté de Paris, depuis 1774, ſans donner de ſes
nouvelles , la dame M... ne laiſſa pas que d'accoucher
en 1776 , 1778 & 1779. -Enfin , le
28 Décembre 1782 , le ſieur R... fit ſon teſtament":
par cet acte , il fait à ſon fils naturel , Adrien R ...
une penſion viagere de 200 liv. , réverſitle pour
moitié ſeulement à une Dile Pingenet ; il lègue
à cette Dile Pingeret , 600 liv. de rente viagere,
reverſible pour moitié àAdrien R... , ſon fils nas
( 192 )
turel , s'il vit encore; plus , il lègue à laditeDile
Pingen llaajouiſſance de ſfaa maiſondecampagne
& du jardin ; à ſa domeſtique , une rente vizgère
de 200 l.; à une femme octogénaire , 2001.
de rente viagère ; & enfin , à ſes héritiers , ſes
propres , qui font de la valeur de 30 à 40,000 1 .;
il inſtitue enſuite pour ſa légataire univerſelle, la
Dile M... , fille des ſieur & dame M... ; nomme
pour ſon exécuteur-teftamentaire ,Me. Delegny ,
Procureur au Châtelet , à qui il donneun diamant
de 1000 liv. , en le priant de gérer &d'adminiftrer
les biens & revenus du legs univerſel , juflqu'à
la majorité ou au mariage de la DileM... ,
avec ftipulation , que dans le cas où avec l'emploi
de la ventedu mobilier , le montant du legs univerſel
ne formeroit pas un revenu de 400 liv.
net , il autoriſe ſon exécuteur-teſtamentaire à
vendre des fonds , & placer en viager ſur la tête
de ſa légataire univerſelle, pour lui former ſur
le champ un revenu net de400 liv.- Le ſieur
R... eſt mort en 1784, la dame M... a formé ,
au nom de fa fille mineure , ſa demande en délivrance
du legs univerſel. Les héritiers du ſieur
R... en ont desmandé la nullité , qu'ils faisoient
réſulter de l'incapacité portée par les Ordonnances
de tout avantage direct ou indirect desConcubins
, au profit de leurs Concubines . - Ialégataire
a foutenu en général que les diſpoſitions
univerſelles , ou particulieres entre- vifs , ou à
cauſe de mort au profit des enfans légitimes des
Concubinstou Concubines , étoient valables.
-Enfin , Sentence du 28 Acût 1985 , qui a
déclaré les héritiers non- recevables dans leur demande
, & fait délivrance à la légataire univerfelle
, du legs univerſel porté au tetamentdu Se
R... , dont l'exécution a été ordonnée ;& a condamné
les héritiers aux dépens,
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES,
CONTENANT
LeJournal Politique des principaux événemens de
- toutes les Cours; les Pièces Fugitives nouvelles
en vers & en profe ; l' Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles
; les Causes Célebres ; les Académies de
Paris & des Provinces ; la Notice des Édits ,
Arréts ; les Avis particuliers , &c. &c.
SAMEDI 4 FÉVRIER 1786 .
A PARIS ,
Au Bureau du Mercure , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins , Nº. 17 .
AvecApprobation & Brevet du Roi.
TABLE
Du mois de Janvier 1786.
PLACES FUGITIVES.
Mercure au Roi ,
Omar, Conte ,
AMadame N...
Réponse à la Question ,
Epitreaux Muses ,
Couplet àM. Letellier ,
Versfur
Le Souris Fable ,
M. Thomas ,
Bert... , 23,8
3 Les Lunes du Cousin Jac-
6 ques ,
49 Almanachdes Muses ,
52 Lettres de Mme la Comteffe
75
104
97 159
101 Almanah Littéraire ,
145 Variétés ,
178
121
deL***
146 SPECTACLES.
Bouts - rimés & Acroftiches , Académie Roy. deMusiq. 34 .
147,153 77
Charades , Enigmes & Logo- Comédie Françoise , 83 , 132
gryphes , 21,55 , 102 , 157 Comédie Italienne , 134, 184,
NOUVELLES LITTER. Annonces &Notices , 43.90 ,
Guvresde M.le Chevalier de 140, 186
A Paris, de l'Imprimerie de M. LAMBERT
quedelaHarpe , près S. Come
٢٠
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 4 FÉVRIER 1786.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS donnés à Marseille , à Mme la
Marquise DE GL *** , le jour de fa
en lui préſentant une branche de
Fête
,
laurier.
C
Ematin je vole à Cythère:
Vite un bouquet pour l'aimable Gl ***.
Vire , un bouquet! dit l'Amour en colère !
Depuis fon funeste abandon
Je la renonce pour ma mère.
Allez plutôt chez Apollon
Réclamer la pa'me immortelle
Que ce Dieu , fier avec raiſon ,

A i
4
MERCURE
Garde à ſa conquête nouvelle ;
Lemyrte qui croiffoit pour elle
AGuide , où l'Amour Jardinier
Le ſoignoit avec tant de zèle ,
Ce myrte , hélas ! eſt devenu laurier.
L'ÉTÉ , Pastorale imitée de Pope.
DANS ces fertiles prés , ſur cette rive heureuſe
Que baigne de ſes flots la Tamiſe orgueilleuſe ,
Hylas , jeune Berger, conduiſoit ſes troupeaux;
C'étoit l'heure où Phébus , du haut de ſa carrière ,
Diſpenſe à l'Univers ſa féconde lumière ;
Et ſes rayons dorés , ſe jouant ſur les eaux ,
Pénétrant les forêts , ranimant la verdure ,
Sous l'affect le plus beau préſentoient la Nature.
HYLAS D'admiroit point ce ſpectacle enchanteur :
L'Amour ſeul l'occupoit ; & ce tyran ſévère
Captivoit tous ſes ſens& régnoit ſur ſon coeur.
Épris de Lycoris , ſans avoir pu lui plaire ,
Sur ces bords il venoit , accablé de douleur ,
Confier aux échos ſa plainte ſolitaire.
Dès qu'il eut commencé le récit de ſes maux ,
Ses chants harmonieux ſuſpendirent les flots ;
En far'e autour de lui les Faunes ſe rendirent ;
De Thanide séjour les Nayades fortirent ;
DE FRANCE.
S
Pan éleva ſa tête au milieu des roſeaux ,
Et la voix du Berger , par les vents emportée ,
Frappa l'Olympe même , & fit entendre aux Dieux
Les amoureux tranſports de ſon âme agitée.
TELS étoient cependant ſes accens gracieux :
SAULES fais & toufus qui bordez ce rivage,
Aſyle impénétrable aux feux brûlans du jour ,
(Atyle, hélas! trop vain contre ceux de l'Amour ! )
Vous ne ferez point fourds , peut-être , à mon langage,
J'entends déjà l'écho de ces fombres forêts
Qui ſoupire mes chants & mes triftes regrets ;
Tout! juſques aux rochers,s'attendrit à mes larmes :
Es- ta donc , Iycoris , plus iafenfible qu'eux ?
Ah! fiton cowur eft fier, quen'as tu moins de charmes !
Du père des moiſſons précurſeur orgueilleux ,
Dans les airs enflammés l'ardent lion s'élance ,
Et de l'Été ſur nous verſe déjà les feux ;
Trois fois depuis le jour, le jour trop malheureux ,
Où l'Amour à mon coeur fit ſentir ſa puiſſance ,
Ce ſigne a reparu ſur les plaines des cieux ;
Il va paſſer encor : Pomone qui s'avance
Commencera bientôt ſon règne glorieux ;
Les mobiles ſaiſons s'écoulent en filence ,
Et tout ſubit la loi du temps victorieux ,
Excepté mon ardeur & ton indifférence.
SEURS du jeune Apollon , tandis qu'en ce ſéjour
Aiij
6 MERCURE
Hylas , privé d'eſpoir , nourrit un fol amour ,
Quels lieux habitez- vous , Muſes jadis chéries ?
Errez-vous maintenant ſur les rives fleuries
Que l'Anio limpide arroſe de ſes flots ,
Ou bien fo'âtrez- vous dans ces vertes prairies
Que la Seine embellit du cryſtal de ſes eaux ?
INGRATE , par quel ſort ai-je éprouvé ta haine?
Mon viſage , à tes yeux , eſt il privé d'appast
Cependant, au miroird'une claire fontaine,
L'autre jour, quand les vents retenoient leur baleine,
Jecontemplai mes traits , &... je n'en rougis pas .
Ma voix plaît , Lycoris , à la troupe immortelle ;
Le Satyre s'anime au ſon de mes pipcaux,
Et le Dien Pan lui-même applaudit à mon zèle ,
Quand je fais de mes chants retentir les échos ;
Souvent la jeune Eglé me treffe une couronne ,
Et les Nymphes pour moi s'empreſſent de ravir
Tous les tributs de Flore au retour du Zéphir.
Mais en vain aujourd'hui leur foule m'environne ;
Si je reçois leurs dons, c'eſt pour te les offrir ;
Toi ſeule dans moncoeur remportes l'avantage ,
Seule tu réunis à mes yeux enchantés
Des Nymphes de ces bois tous les attraits vantés :
Des prix qui te ſont dûs viens jouir ſans partage.
Ен ! pourquoi refuſer de vivre dans ros bois ?
Souvent de ce ſéjour les Dieux même ont faitchoix;
Deſcendue en ces lieux , la belle Cythérée
DE FRANCE . 7
A l'immortelle Cour préférant nos boſquets ,
Dans les bras d'Adonis ſouvent s'eſt égaré:,
Et la chaſte Diane aime auſſi les forêts,
Puiſſe à mes yeux s'offrir ton aimable préſence ,
Al'heure conſacrée au repos , au filence ,
Où l'heureux Laboureur , fier de ſon abondance ,
Le frontceintdes épis qui parent ſes guérets ,
Retourne à ſa cabane en célébrant Cérès.
Aux voeux de ton amantne crains point de te rendre,
Tes attraits , Lycoris , orneront ces déſerts ;
Sur ces jeunes gazons que Flore a recouverts ,
La foule des plaiſirs déjà ſemble t'attendre :
Du Zéphire léger , folâtre roi des airs ,
L'haleine parfumée au loin va ſe répandre ,
Et porter la fraîcheur ſous ces feuillages verds ,
Où mille arbres penchés, de leurs branches flexibles ,
Ont formé des berceaux au jour inacceſſibles :
Dans ces lieux reſpectés des venimeux ferpens ,
Aucun monftre jamais n'offrit ſatrace impure ;
L'Amour , le ſeul Amour , y cause des tourmens ;
Mais puiſſes- tu bientôt éprouver ſa bleſſure !
Car les maux dont les coeurs gémiſſent afflgés ,
N'ontplus rien de cruel lorſqu'ils font partagés .
VAINES illuſions ! trop certain de ta haine ,
Ajamais tu me fuis ô Bergère inhumaine!
PLUS tranquille jadis au ſein de nos hameaux ,
A iv
8 MERCURE
Je ſavois me livrer à d'utiles travaux;
A
Ce fut moi qui trouvai la ſcience ignorée
Des plantes dont le fuc adoucit tant de maur.
Trop malheureux Hylas ! tu guéris tés troupeaux ;
Et ton art ne peut rien ſurton âme ulcérée ! ....
:
J'ABANDONNE Ces bords; qu'un autre, plus heureux,
Se charge de guider tout l'attirail champêtre ;
Que Cérès , protégeant ſes ſoins induſtrieux ,
Rende fon champ fertile& ſes troupeaux nombreux.
Si tu fonges un jour aux feux que tu fis naître,
Tutrouveras encore aux rameaux de ce hêtre
Mes pipeaux ſuſpendus de tes chiffres parés ,
Gages d'un triſte ainour , à l'Amour conſacrés !
(Par M. Sorin. )
Explication de la Charade, de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eſt Dégoût ; celui
de l'Enigme eſt Miroir ; celui du Logogryphe
eſt Poudre , où l'on trouve dupe,or, pou ,
pur,roue dur Pô , rude , Ode, Oder, rue,
pré,peur.
DE FRANCE .
9
CHARADE.
CHACUN
HACUN dit être mon premier :
Chacunjouitde mon dernier ;
Chacun ſouhaite mon entier.
(Par un Commis de la Douane.).
ÉNIGME.
QUQAUNANDD on voudroit , cher Lecteur, m'envoyer
D'un bout du monde à l'autre , il faudroity ſouſcrire,
Mais ce qui paroît fingulier ,
C'eſt que jamais jen'ai pu publier
Un ſeul mot au delà de ceux que m'ont ſu dire
Ceux qui me font l'honneur de ni'employer.
LOGOGRYPΗΕ.
JAL
'AI neuf pieds , & je ſuis une ville fameuſe ,
Plus près du Pô que de la Meuſe ,
Ouplus loin: cela ſe peut bien;
Car , ſans mentir ,je n'en fais rien .
Quoi qu'ilen ſoit , pour me connottre ,
Joiguez à la dernière lettre
La quatrième après un , deux:
Vous trouverez un nom fa:neux
Quidéſigne un mortel unique dans le monde;
Av
10 MERCURE
Six , ſept, huit avec cing , corps de figure ronde,
Sujet àdivers changemens ,
Et centre , à ce qu'on dit , d'un des quatre élémens.
Plus d'un tiers de mes pieds ajoutés l'un à l'autre ,
Pourront dans le beſoin vous donner un Apôtre ;
Six , deux , trois, quatre & cinq , je brille dans la nuit;
Deux , huit , cinq , fredonnant ,je fais toujours grand
bruit ;
Cinq, un , deux , ſept , fix , neuf, je ſuis double en
chaque homme ;
Tro's, ſept , fix avec cinq, ce n'eſt guères qu'à Rome
Que l'on me rend certain honneur ,
Qui fit jadis , dit-on , à Rabelais grand peur;
Trois , cinq, fept, fix & cinq, ſans tempête ni foudre ,
J'écrâſe , broye& mets en poudre
DeCérès les dons précieux ;
Un, fix , ſept , trois & cinq , travaille pour les yeux ;
Quatre , deux , avec huit, maître joueur de flûre ;
Trois , deux , fix , un chacun me fuit & me rebute ;
Mais en ajoutant neuf, je ſuis plein de vigueur ,
Etdans un autre ſens utile au Voyageur ;
Trois , cinq , fix , fept & huit , une ville agréable;
Huit, denx, un, quatre, neuf, quandje ſuis ſur la table,
Je ne puis la quitter qu'à la fin du repas ,
Après ce dernier trait , qui rend l'énigme claire,
Si vous ne me devinez pas ,
Ma foi ! je ne faurois qu'y faire.
:
(Par M. Lafourniere.)
DE FRANCE. 11

NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRES fur l'Égypte , où l'on offre le
parallèle des Moeurs anciennes &modernes
de fes habitans ; où l'on décrit l'Etat , le
Commerce , l'Agriculture , le Gouverne-
- ment du pays , & la defcente de S. Louis à
Damiette,tirée de Joinville & des Auteurs
- Arabes , avec des Cartes Géographiques ;
par M. Savary. in - 8°. A Paris , chez
Onfroi , Libraire,quaides Auguſtins , 1785 .
Si le Voyageur qui parcourt le beau & fingulier
pays décrit dans ces Lettres , n'a point
été attendri , dit l'Auteur , " à l'aſpect du lieu
>> où le grand Pompée fut affailiné, en dé-
>>barquant près de Péluſe; fi les merveilles
>>de l'Égypte ne l'ont point frappé d'étonne-
>> ment & d'admiration ; s'il n'a pas gémi fur
ود
les débris auguſtes d'Alexandrie , & fur la
>>perte de 400,000 volumes dévorés par les
» Hammes; fi le feu de l'enthouſiaſme n'a
>> point embrâſe ſon coeur près des ruines
>> de Troye , de Sparte & d'Athènes , qu'il
>> ſe garde d'écrire : la Nature ne l'avoit pas
" formé pour tranſmettre à ſes ſemblables les
>> grandes impreſſions que doivent produire
> les grands objets. »
L'Auteur n'avoit point à craindre , en ren
Avj
12 MERCURE .
dant cet arrêt , de prononcer ſa propre condamnation:
il ſent vivement& il fait fentir.
La brillante imagination qui anime ſes vives
defcriptions , tranſporte le Lecteur au milieu
de l'Egypte , le fait jouir des merveilles que
inNature & l'Art ont prodiguées dans cet
heureux pays.
iL
C'eft fur- tout par ce talent de ſentir&de
peindre , que ce Voyage eſt diftingué de tous
ceux où on a déjà décrit avec plus ou moins
d'exactitude la même contrée. Ces autres Auteurs
peuvent inſtruire : celui-ci émeut ; il
remplit tour- à-tour d'admiration & d'indignation.
Irritat , mulcet , falfis terroribus implet
UtMagus , & modò me Thebis , modò ponitAthenis.
L'Égypte a pour bornes au Nord la Méditerranée
; au Midi , une chaîne de montagnes
qui la ſéparent de la Nubie ; à l'Eſt , la mer
rouge & l'Ifthme de Suez ; au couchant , les
déferts de la Lybie , au milieu deſquels étoit
bâti le temple de Jupiter Ammon. Sa longueur
depuis Syenne , ſituée ſous le Tropique
du Cancer juſqu'au Cap Burlos , pointe la
plus avancéedu Delta , qui termine preſque
le trente-deuxième degré de latitude , eſt d'environ
deux cent vingt-cinq lieues , ſa largeur
de foixante-huit.
Ondiviſel'Égypte en haute &baffe. Lapremière
n'est qu'une longue vallée , entre deux
chaines de montagnes : elle commence à
Syenne , & finit au Grand-Caire. « C'eſt-là
DE FRANCE.
13
ور
>> que le Nil promène ſes eaux entre deux
>> barrières infurmontables. Tantôt fleuve,
>> tranquille , il fuit lentement le cours que,
>> la Nature & l'Art lui ont tracé ; tantôt tor-
>> rent impétueux , rougi des fables de l'Ethio-
> pie , il ſe gonfle , franchit ſes bords , domine
fur les campagnes, & couvre de ſes
flots un eſpace,de deux cent lieues. C'eſt
dans cette vallée célèbre que les hommes
>> allumerent pour la première fois le flam-
ود
ود beau des Sciences ,dont la lumière ſe ré-
>>pandit dans la Grèce , & éclaira ſucceſſive-
>> ment le reſte de la terre. Cette vallée eſt
>> toujours auſſi féconde que dans les beaux
>> jours de Thèbes ; mais elle eſt bien moins
>> cultivée , & ſes villes fameuſes font ren-
ود verſéesdans la pouſſière. Le Deſpotiſme&,
>> l'Ignorance , aſſis à la place des Loix & des
>> Arts , les y tiennent enfevelies. >> ود
Cette juſte colère contre le Deſpotifme&
'Ignorance revient ſouvent dans cer Ouvrage,
&toujours à propos, à la vue de tant de monumens
détruits&de tant de riches contrées
incultes.
La Baffe-Égypte eft proprement le Delta.
On en trouve ici une deſcription détaillée &
magnifique.
Rien de plus célèbre dans l'antiquité que,
les fept bouches du Nil :
Etdiverfa ruensfeptem difcurrit in ora.
Etfeptemgemini turbant trepida offia Nili.
ditVigile.
:
:
!
14
MERCURE
Perquepapyriferifeptemftuaflumina Nili.
dit Ovide. On retrouve ici ces ſept bouches
exactement décrites ; les voici toutes fept,
en allant du Couchant à l'Eſt par le Nord. La
bouche Canopique , la bouche Bolbitine ou
bouche de Rofette, la bouche Sébennitique ,
la bouche Phatmétique ou de Damiette , la
bouche Mendéſienne , la bouche Tanitique ,
la bouche Péluſiaque. L'Auteur en trouve
même une huitième entre la bouche de Damiette&
la bouche Tanitique.
La plupart des branches terminées par ces
fept embouchures, étoient autrefois navigables
; il n'y en a aujourd'hui que deux qui le
foient , ſavoir , la branche de Damiette au
Levant ,& celle de Roferte au Couchant , ce
qui a occaſionné une erreur que l'Auteur ne
ſpécifie pas , mais qu'il eſt important de relever
, parce qu'elle ſe trouve dans de fort
bons Ouvrages , même dans des Livres élémentaires
; c'eſt qu'on a confondu Damiette
avec Péluſe, & Rofette avec Canope , parce
qu'on voyoit que chez les anciens la branche
la plus orientale du Nil, branche navigable
alors , étoit celle de Pélufe , & la plus occidentale
celle de Canope. Ouvrez M. Rollin,
vous y verrez Damiette appelée Damiette
ou Pélufe , Roſette appelée Rofette ou Canope,
quoique Péluſe ſoit fort à l'Eſt de Damiette
, & Canope à l'Oueſt de Roſette. En
confequence , dans la Carte de Robert , faite
pour la lecture de l'Hiftoire ancienne de M.
Rollin , on voit à l'embouchure de Damiette

DE FRANCE.
15
ces mots : Pélufe ou Damiette , & à celle de
Rofette ceux-ci : Canope ou Kofette , erreur
capitale en géographie.
M. Savary en relève pluſieurs chez les
Voyageurs modernes; mais il ſe plait à faire
remarquer l'exactitude des anciens , foit Hiftoriens
, foit Poëtes , fur pluſieurs articles
méme où on les avoit cras dans l'erreur , faute
de les avoir bien entendus , ou d'avoir bien
connu les changemens arrivés depuis le temps
où ils écrivoient. On voit qu'il ſe livre avec
goût & avec zèle à cette apologie , à cette
rehabilitationdes anciens , nommementd'Hérodote
& d'Homère ; & les Savans lui en
tiendront compte.
Pour les gens du monde & les Lecteurs ordinaires
, ils lui fauront gré fur-tout de l'agrément
, de la vivacité , de l'intérêt de ſes tableaux
; & pour qu'ils nous ſachent gré auffi
de cet extrait , nous allons mettre ſous leurs
yeux le plus que nous pourrons de ces tableaux
qui diftinguent ſi avantageuſement cet
Ouvrage , & qui vraiſemblablement feront
faire autant de Voyages en Égypte que l'Ouvrage
de M. Bridone en a fait faire en Sicile.
Deſcription du Delta.
"Le Deltaeſt actuellement dans la ſituation
» la plus favorable pour l'agriculture. Baigné
>> à l'Orient & à l'Occident par deux fleuves
>> que le Nil forme en ſe diviſant , & qui font
ود auffi larges& plus profonds que la Loire,
>>coupé de ruiſſeaux innombrables , il offre
>> l'aſpect d'un jardin immenfe , dont tous les
16- MERCURE
>> compartimens peuvent être arrofés. Pendant
les trois mois où la Thébaïde eſt ſous ود
ود les eaux , il possède des campagnes couver-
>>tes de riz , d'orge , de légumes & de fruits
"
ود
ود
ود
divers. Ce n'eſt plus, comme autrefois , la
>> mer Ægée avec les Cyclades : ce ſont de
riches moiffons dans la plaine , dont l'horizon
ſeul borpe l'étendue ; ce ſont des bois
de dattiers , d'orangers , de fycomores ; ce
>> font des eaux toujours courantes; c'eſt une .
>> verdure qui change & fe renouvelle fans
>> ceſſe; c'eſt enfin une abondance qui réjouit
ود
ود
la vue & étonne l'imagination. En perdant
l'inondation ( par l'accumulation du limon
& des fables & l'élévation progreſſive du
terrein ) cette Ifle a gagné chaque année les
ود
ود
trois mois pendant leſquels la Thebaïde eft
ſous les eaux. Aufli eſt-ce la feule partiede
» l'Égypte où le même champ donne par an
ود deux récoltes de grains, l'unede riz,l'autre
» d'orge. >>
L
Avec quelle admiration ne verra-t'on pas .
la defcription de cette fameuſe Alexandrie,
la ville de l'Occident , comme l'appeloit le
barbare Amrou , qui la prit d'affaut ſous le
Califat d'Omar ; ce lac Mareotis , qui la baignoit
au Midi comme la Méditerranée au
Nord; ces rues droites qui la coupoient pa-..
rallèlement dans ſa longueur , direction qui
laiffoit un libre paflage au vent du Nord, le
ſeul qui porte enÉgypte la fraîcheur & la falu-.
brité; cette rue de deux mille pieds de large ,
commençant à laporte de la Marine , & finifDE
FRANCE.
17
fantà la porte de Canope , décorée de temples ,
d'édifices magnifiques , tant publics que
particuliers, longue place où brilloient à l'envi
le marbre , le porphyre , & ces obéliſques qui
devoient embellir un jour Rome & Conftantinople;
cette rue , la plus belle qu'il y ait eu
dans l'Univers , coupée par une autre égale
en largeur , ce qui formoit en cet endroit un
quarré d'une demi- lieue de circonférence ,
d'où les deux portes qu'on appercevoit dans
le lointain, laiffoient voir les vaiſſeaux arrivans
à pleines voiles du Nord & du Midi ;
plus loin, le Fauxbourg de Nicopolis bordant
le rivage de la mer & paroiffant une ſeconde
Alexandrie; ce phare , ouvrage de Softratede
Cnide,& l'une des ſept merveilles du monde
Quel contraſte! aujourd'hui , dans un eſpace
de deux lieues fermé de murailles , on ne
voitque colonnes de marbre , les unes renverfees
dans la poutlière & fciées par troncons;
( car les Tures en font des meules de
moulin) , les autres debout , affermies ſur
leur biſe par l'énormité de leur poids : on ne
voit que débris de pilaftres , chapiteaux,
d'obéliſques, que montagnes de ruines entaf
fées les unes fur les autres. L'aſpect de ces
déçombres , le ſouvenir des monumens fameux
qu'ils repréſentent affligent l'âme , dit
l'Auteur, & font verfer, des larmes.
de
L'ancienne Alexandrie contenoit , fous Auguſte,
trois cent mille perſonnes libres ; ajou
tez au moins le double d'eſclaves , vous aurez
neuf cent mille âmes. La moderne Alexan
18 MERCURE
drie, bourgade d'une petite étendue, contient
àpeine fix mille habitans.
Le canal d'Alexandrie , fans lequel cette
ville ne pourroit ſubſiſter, puiſqu'elle n'a pas
une goutte d'eau douce ; ce canal, aujourd'hui
àmoitié rempli de limon & de fable , &
n'ayant de l'eau que pendant une foible partie
de l'année , qui ſuffit à peine pour remplir
les citernes de la ville; ce canal qui ne voit aujourdhui
ſur ſes bords que des fables brûlans
&des campagnes déſertes , autrefois navigable
toute l'année , arroſoit dans fon cours une
longue ſuite de jardins couverts d'ombrages
majestueux , tapifles d'une verdure éternelle.
Voici la deſcription qu'en fait un Poëte cité
parAbulfeda.
" Quelle aménité règne ſur les bords du
>> canal d'Alexandrie ! le ſpectacle qu'ils of-
ود frent fait couler la joie dans l'âme. Lesbof-
» quets qui les ombragent préſentent au na-
>> vigateur un dais de verdure. La main de
>> l'aquilon y répand la fraîcheur, en même
>> temps qu'elle fillonne en ſe jouant la fur-
ود face des eaux. Le ſuperbe dattier, dont la
" tête flexible ſe penche mollement comme
>> celle d'une belle qui s'endort , eft couronné
>> de ſes grappes pendantes. >>
Voilà de quoi on ne trouve preſque plus :
aucune trace.
Cependant , dit M. Savary , tous les ſignes
de l'ancienne magnificence d'Alexandrie ne
font pas effacés; il parle de citernes étendues
Tous toute la ville , & de nombreux conduits
DE FRANCE.
19
pour y porter les eaux , ouvrages faits avec
beaucoup d'art , & qui ſubſiſtent encore en
leur entier au bout de deux mille ans ; il
parle de quelques obeliſques ,de quelques colonnes
, de quelques monumens que la barbarie
des Turcs n'a pas entièrement détruits.
Mais , ajoute- t'il , ce qui fixe le plus fattention
des Voyageurs , eſt la colonne de
granit rouge , ſituee à un quart de lieue de la
porte du Midi. Voici la deſcription qu'il en
fait.
" Le chapiteau eft corinthien , à feuillesde
>>palmier unies &fins dentelure. Il a neuf
>>pieds de haut. Lefuſt&letore ſupérieur de
" la baſe ſont d'un ſeul morceau de quatre-
>> vingt - dix pieds de long & de neuf de
> dinmèrre. La baſe eſt un carré d'environ
>>quinze pieds fur chaque face. Ce bloc de
>>marbre , de foixante pieds de circonfé-
>> rence , repoſe ſur deux aſſiſes de pierres
>>liées enſemble avec du plomb; ce qui n'a
>> pas empêché les Arabes d'en arracher plu-
>>ſieurs pour y chercher un tréſor imagi-
>> naire. La colonne entière a cent quatorze
>>>pieds de hauteur. Elle eſt parfaitement bien
>> polie , & ſeulement un peu éclarée du
» côté du Levant. Rien n'égale la majeſté de
>> ce monument. De loin , il domine ſur la
ود ville&fertde ſignal auxvaiſſeaux.Deprès,
>>il cauſe un étonnement mêlé de reſpect.
" On ne peut ſe laffer d'admirer la beauté du
>> chapiteau, la longueur du fuſt , l'impofante
ſimplicité du piédeſtal. Je ſuis per
20 MERCURE
> ſuadéque ſi cette colonne étoit tranſportée
ود devant le palais de nos Rois, toute l'Eu-
>> rope viendroit payer un tribut d'admiration
au plus beau monument qui ſoit fur
la terre.,
ود
ود
Abulfedal'appelle la colonne de Sevère , &
M. Savary croit qu'en effet elle fut érigée en
l'honneur de l'Empereur Alexandre Sevère ,
& que c'eſt la raifon pour laquelle Strabon
&Diodore de Sicile , antérieurs à ce Prince ,
n'ont point parlé de ce monument.
La deſcription de Roſette , moins impofante
que celle d'Alexandrie , n'eft pas moins
agréable. Pour plus de variété , nous négligerons
cette fois la partie phyſique pour nous
attacher à la partie morde , & montrer le talent
de l'Auteur tous plus d'un afpect& dans
plus d'un genre : il nous repréfente au milieu
des plus violentes chaleurs ,fous des berceaux
au bord d'un ruilleau qui les arroſe , " le Turc
>> tenant dans ſes mains une longue pipe de
>>jaſmin garnie d'ambre , ſe croyant tranf-.
>>porté dans lejardin de delices que lui pro-
ود
رد
ود
met Mahomet. Froid , tranquille , penfant
>> peu, il fume un jour entier ſans ennui.
>> Vivant fans defir , fans ambition , jamais
>>il ne porte un regard curieux ſur l'avenir.
Cette activité qui nous tourmente , cette
>> activité , l'âme de tous nos talens , lui eft.
inconnue. Content de ce qu'il poſsède , il
n'invente & ne perfectionne rien. Sa vie
>>nous paroit un long fommeil; la nôtre lui
>> femble une continuelle ivreffe: mais,tandis
".
ود
DE FRANCE . 21
>> que nous courons après le bonheur qui
>> nous échappe , il jouit paiſiblement des
ود biens que la Nature lui offre , que chaque
>> jour lui préſente, ſans s'occuper du lende-
ود main. »
Les Pfylles , ces peuples de la Cyrénaïque ,
qui , au rapport de Strabon , Livre 17 , avoient
un fecret pour ſe garantir du venin des ferpens
, & fur leſquels l'Abbé Souchay a fait
un Mémoire inféré dans le Recueil de l'Académie
des Belles - Lettres , Tome 7 .; ces
Pfylles ont encore aujourd'hui des ſucceſſeurs.
" M. Savary a vu à Roſette une Pro-
ود
ود
ceffion où , à la ſuite des Prêtres , marchoit
>> une troupe de forcenés , les bras nuds , le
>> 'regard farouche, tenant à la main d'énor-
>> mes ferpens , qui formoient des replis au-
>> tour de leur corps ,& faifoient des efforts
>> pour s'échapper. Ces Pſylles les empoignant
fortement auprès du cou , évitoient leur
>> morfure , &, malgré leurs ſiſlemens, les déchiroient
avec les dents & les mangeoient
>> tout vivans. Le ſang couloit de leur bouche
impure. D'autres Pſylles s'efforçoient
de leur arracher leur proie. C'étoient des
combats à qui dévoreroit un ſerpent.
>>La populace les ſuivoit avec étonnement,
"
ود
ود
ود
:
ود &crioit miracle. Ces genspaſſent pourdes
>> inſpirés , poſſedés d'un eſprit qui détruir
l'effet de la morfure des ferpens. Ce tableau
m'a effrayé d'abord, puis il m'a fait relléchir
fur l'homme , cet étre étrange pour
"
ود
>> lequel le poifon devient un aliment ; cer
22 MERCURE
" être crédure , auquel un ſpectacle renou-
> velé tous les ans , n'ouvre point les yeux ,
» &qui, dans fon aveugle ignorance , eſt prêt
ود d'adorer comme unDieu, ſon ſemblable,
> quand il a l'art de le tromper. »
Il n'eſt peut- être pas très-exact de dire que
le poiſon devient un aliment pour l'homme,
&l'exemple des Pſylles ne le prouve pas; les
ſerpens les plus venimeux n'ont de venin
que dans lesdents , ou plutôt dans les gencives
; & vraiſemblablement les Pfylles ne
mangeoient point la tête du ſerpent. Nous
faiſons dans la Médecine des bouillons de vipère,
qui font très-ſains. Tout homme, ſans
être Pfylle, pourroit , en tenant dans ſa main
une vipère fortement ferrée par le cou , en
manger le corps peut-être impunément ; ce
ne ſeroitpas un bon mets fans doute , non pas
plus que toute autre chair crue , mais ce ne
feroit pas un mets venimeur.
La deſcription du Grand-Caire commence
par ces mots :
Depuis neufmoisj'habite le Grand-Caire ,
>> cette immenſe Cité où les Européens ram-
> pent dans la pouflière, & où le nom de
>> Franc eft un-opprobre..... Le Muſulman ſe
>> croit l'ètre le plus fublime de l'Univers :
l'Alcoran le luidit.
Ce ſeul trait ſuffit pour faire juger des lumières
d'un peuple qui n'eſtime ou ne mé
priſe les hommes que ſelon le pays qu'ilshabitent,
& la croyance qu'ils profeflent.
D'unfalonfituédansl'endroit le plus élevé
DE FRANCE.
23
de la citadelle du Caire , la vue ſe promène
ſur un immenſe horifon. " On découvre
» l'étendue du Grand Caire , une multitude
ود
ود
ود
de moſquées & de minarets. On voit du
côté de Boulak de riches campagnes cou-
>> vertes de moiffons& entre-coupées debofquets
de dattiers. Foſtat paroît au SudÕueft.
On apperçoit au-delà les plaines du
» Saïd , qui , quand elles font inondées par
→ le Nil , offrent çà & là des hameaux de-
>> venus des Ifles. Ce tableau eſt terminé par
"
ود les pyramides , qui, commedes pointes de
>> montagnes , vont ſe perdre dans les nues.
>>On ne ſe lafſe point de promener ſes re-
>> gards ſur tant d'objets variés & impoſans...
>> L'air vif qu'on reſpire dans ce lieu élevé ,
ود
23
la fraîcheur qu'on y goûte , ajoutent un
>> nouveau charme au plaifir de voir. Allis fur
>> ce riant belvédère, on ſe livre à d'agréables
méditations ; mais bientôt la mélancolie
» vient en troubler la douceur. On ſe dit à
ſoi-même : ces riches contrées où florif-
>> foient autrefois les Arts & les Sciences ,
font occupées par un peuple ignorant &
barbare qui les foule aux pieds. Le deſpo-
>> tiſme écrâſe de ſon ſceptre de fer le plus
>> beau pays du monde; il ſemble que les
R
"
ود malheurs des hommes croifſfent en pro-
>> portion des efforts que la Nature fait pour
→ les rendre heureux. >>
La deſcription ſeule que fait l'Auteur des
bains chauds , du maſſage & des heureux
effets qui en réſultent , ſuſfiroit pour engager
24 MERCURE
à entreprendre le voyage de l'Egypte. C'eſt la
volupte fuprême,&un principe de fanté que
nous ne pouvons pas nous flatter de connoître
dans notre Europe.
ود
" Les perſonnes qui prennent le bain ne
>> ſont point emprifonnées comme en France
>> dans une eſpèce de cuvier , où l'on n'eſt
jamais bien à fon aife. Couchées ſur un
ود
ود
ود
ود
:
› drap étendu , la tête appuyée ſur un petit
>> couflin , elles prennent librement toutes
>> les poſtures qui leur conviennent. Cependant
un nuage de vapeurs odorantes les
> enveloppe & pénètre dans tous les pores.
>>Lorſque l'on a repoſe quelque temps ,
>> qu'une douce moiteur s'est répandue dans
> tout le corps , un ferviteur vient , vous
preffe mollement, vous retourne; & quand
› les membres font devenus fouples & Hexibles
, il fait craquerles jointures fans effort.
Il maffe & femble pétrir la chair, ſans que
l'on eprouve la plus légère douleur.
ود
ود
ود
>>Cette opération finie, il s'arme d'un gant
>> d'étoffe , & vous frotte long-temps. Il détache
du corps..... des eſpèces d'écailles , &
>> enlèvejuſqu'aux faletés imperceptibles qui
bouchent les pores.La peau devientdoucė ود
:
ود &unie comme le ſatin.... La poitrine ſe
> dilate , & l'on reſpire avec volupté. Parfai-
>> tement maflè & comme régénéré , on ſent
» un bien-aiſe univerſel. Le ſang circule avec
facilité , & l'on ſe trouve dégagé d'un
>> poids énorme. On éprouverune foupleffe ,
une légèreté juſqu'alors inconnues. Il fen-
»ble
ود
ود
DE FRANCE.
25
→ ble que l'on vient de naître , & que l'on vit
>> pour la première fois. Un fentiment vif
ود de l'existence ſe répand juſqu'aux extré-
>> mités du corps. Tandis qu'il eſt livré auz
>>> plus flatteuſes ſenſations , l'âme qui en a la
>> confcience , jouit des plus agréables penfees.
L'imagination ſe promenant fur l'Univers
qu'elle embellit , voit par tout de
>> rians tableaux , par-tout l'image du bonheur.
Si la vie n'eſt que la ſucceſſion de nos
idées, la rapidité avec laquelle la mémoire
ود
ود
ود les retrace alors , la vigueur avec laquelle
>> l'eſprit en parcourt la chaine étendue ,
>> feroient croire que dans les deux heures du
>> calme delicieux qui fuit ces bains , on vit
>> un grand nombre d'années.
.ور
->> Tels font ces bains dont les anciens re-
>> commandoient fi fort l'uſage , & dont le
» Égyptiens font encore leurs délices. C'eſt-
>> là qu'ils previennent ou font difparoître
→ les rhumatiſmes, les catharres, les maladies
>>de la peau , qui ont pour principe le défaut
ود
de ranſpiration ,&ce mal-aiſe ſi ordinaire
>> aux autres Nations , qui n'ont pas autant de
foin d'entretenir la propreré de leur corps. >>
Nous n'avons préſenté juſqu'ici à nos Lec
teursque des motifs d'entreprendre le voyage
de l'Égypte : voici pourtant de quoi refroidir
un peu leur ardeur pour ce voyage. L'Auteur
fe promenoit dans une Ifle charmante au miliệuduNil,
entre leCaire &Gizé. « Je m'avau
>>çois , dit- il , inſenſiblement ſous un bois
>> de tamarins , d'orangers &de fycomores,
No. 5, 4 Février 1786 B
2
26 MERCURE
ود
"
& je jouiſſois d'une fraîcheur agréable
ſous leur ombrage épais. Quelques rayons
>> échappés du ſoleil dardoient dans l'ombre
> un fillon lumineux , & doroient une petite
partie du feuillage. Les émanations des
Heurs &des plantes embaumoient les airs.
> Une multitude de tourterelles voltigeoient
20
d'un arbre à l'autre ſans paroître effrayées
➤ de mon approche. L'eſprit abandonné aux
>> plus douces rêveries , les ſens livrés aux
plus flatteuſes ſenſarions , je m'avançois
>> ſans précaution vers l'endroit le plus toufu
du bocage. Tout-à- coup une voix effrayante
» me cria : Où vas-tu ? Tu es mort, ſi tu fais
>> un pas. C'étoit un eſclave qui veilloit à l'en-
- trée du boſquet pour qu'aucun téméraire
> ne vînt troubler des Dames qui repoſoient
22
ود
fur la verdure. Je retournai en arrière ,
heureux de n'avoir pas été reconnu pour
> un Européen. J'ai fu depuis que les Beys
>> venoient quelquefois avec leur Haremdins
>> cette Ifle , & qu'un étranger que la curiofité
y conduiroit dans ces momens ,
riſqueroit d'avoir la tète coupée ſur le
>>champ, >>
Il y abeaucoup d'autres inconvéniens femblables
, provenans des moeurs, des coutumes,
de l'ignorance , des préjugés , du deſpotifine!
&c. qui peuvent ralentir le defir que l'on
corçoit fi naturellement de connoître par
foi-même unpays fi curieux : ce ſont les préjugés
qui diviſent les Nations & les rendent
ennemies les unes des autres. Qui pourroit
DEFRANCE.
27
diſſiper les préjugés , réuniroit le genre-humain
, augmenteroit ſes forces, ſes reflources
, ſes jouiſſances; il ſeroit le bienfaiteur
du monde.
Cependant, ſi les moeurs des Égyptiens ont
de grands inconvéniens , ils ont auſſi de
grands avantages; & rien n'eſt plus touchant
que le tableau de la félicité domeſtique de
ces peuples , tel que l'Auteur nous le préſente.
C'eſt-là que commença l'autorité paternelle
; elle y conferve encore ſes droits
comme au temps d'Hérodote : " accablés audehors
par un joug de fer , ce n'eſt que
dans l'intérieur des familles qu'ils trouvent
la tranquillité & le bonheur. Comme
l'union des membres en fait la sûreté , l'in-
ود
ود
"
ود
وو
ود
térêt commun ſe joint à la voix du fang
» pour y conferver l'harmonie..... Un mème.
> toit renferme ſouvent une nombreuſe poftérité.
Chaque jour les enfans & les petitsenfans
viennent payer à leur aïeul un
<< tribut de vénération & de tendreſſe. Le
>> plaifir d'être aimé & reſpecté davantage à
meſure qu'il avance en âge , lui fait oublier
» qu'il vieillit. Le contentementde fon coeur
" brille dans ſes yeux. La ſérénité adoucit les
,, rides de ſon front..... Ici, le reſpectable.
„ Patriarche, dont la barbe blanche defcend .
fur la poitrine, ſourit ſous les glaces de la
>> vieilleſſe à ſes petits-fils qui viennent le
careffer. Son coeur s'épanouit à la vue de
>> quatre générations qui s'empreffent de lui
>> payer le tribut de la piété filiale. Il goûte
Bij
28 MERCURE
→ le charme de la vie juſqu'à fon dernier
> moment..... Heureux juſques ſur le bord
* du monument , il n'apperçoit point la
> mort qui vient le frapper, & s'endort au
➤ milieu des embraſſemens de ſes enfans. Ils
" le pleurent long-temps , & vont chaque
› ſemaine ſemer des fleurs fur la tombe &
y réciter des hymnes funèbres. Les Égyptiens
ont pardu l'utage d'embaumer les
>> corps; mais ils ont confervé les fentimens
qui lui donnèrent naiſſance.
L'Auteur met en parallèle & en contraſte
avec cette pureté primitive , avec cette tendre&
pieuſe obſervation des faintes loix de
laNature, nos moeurs Occidentales , ſi favorables
à lajeuneffe, fi aviliflantes , fi ingrates ,
ti dures envers la vieilleſſe. Il est vrai que ces
moeurs dont il ſe plaint , font particulières à
nos villes opulentes ,& font un des produits
du luxe & de la corruption qu'il traine à fa
fuite. Nos Provinces & nos Campagnes confervent
encore des reſtes précieux du reſpect
de l'Orient pour les vieillards & les pères-de-.
famille.
"Quant à l'éducation de l'enfance , l'être
• foible qui vient de naître , dit M. Savary ,
⚫ n'eſt point empaqueté dans un triſte mail-
⚫ lot , fource de mille maladies. Étendu nud
fur une natte , expoſé à l'air pur dans un
• vaſte appartement, il reſpire ſans gêne , &
→ déploie à volonté ſes membres délicats....
>>Baigné tous les jours , élevé ſous les yeux
maternels , il croît avec viteffe, Libre de :
DE FRANCE.
29
*" fes mouvemens , il eſſaye ſes forces nail-
>>fantes , il s'agite, ſe roule , ſe lève; & s'il
ود vient à tomber, ſes chûtes ne fauroient
ètre dangereuſes ſur le tapis ou la natte qui
>> couvrent le plancher. A ſept ou huit ans
>> on ne le bannit point de la maifon pater-
ود
"
nelle pour l'envoyer dans un college perdre
ſa ſanté& fon innocence. Il eſt vrai qu'il
>> acquiert peu de connoiffances. Son éducation
fe borne ſouvent àſavoir lire& écrire.
Mais il jouit d'une ſanté robuſte ; mais la
crainte de la Divinité , le reſpect pour la
>> vieilleſſe , la piété filiale , l'amour de l'hof-
> pitalité reſtent profondément gravés dans
>> fon coeur.
"
"
ود
>> Les filles font élevées de la même manière....
On les laiſſe nues ou ſimplement
>> couvertes d'une chemiſe juſqu'à l'âge de
fix ans. Leshabits qu'elles portent le reſte ود
ود deleur vie neferrent aucunde leurs mem-
» bres , & permettent à tout le corps de
>>> prendre ſa véritable ſtructure. Audi rien
ود n'eſt plus rare que de voir des enfans ca-
>>>cochimes , des perſonnes contrefaites. C'eſt
ود dans les contrées Orientales que l'homme
» s'élève dans toute ſa majefté , & que la
femme déploie tous les charmes de fon
fexe."
رد
ود
Dans la deſcription des fameuſes pyramides
, l'Auteur fait voir que les dimentions de
la plus grande de ces pyramides font encore
un problème ; il le prouve par les calculs
preſque tous différens , foir des anciens Hifto
Bij
30
MERCURE
mens , ſoit des Voyageurs modernes. Nous
ſommes étonnés de ne pas trouver parmi ces
Voyageurs , M. de Chazelles , qui fit en 1693
le Voyage d'Égypte par ordre du Gouvernement
,& qui , à ce titre-là même, ſemble mériter
plus de confiance que les autres. Il juge
que la grande pyramide a 77 teiſes trois quarts
dehaut; enquoi ilſe rapproche plusdu calcul
dequelques modernesquede celuides anciens.
Nous voudrions pouvoir ſuivre M. Savary
dans ſa courſe ſur la branche de Damiette,
&préſenter d'après lui à nos Lecteurs tous
ces tableaux enchanteurs d'une nature riche
&variée, énergique & féconde , où ſe trouve
raffemblé tout ce que les eaux courantes ont
d'agrément , tout ce que la verdure ade fraîcheur,
tout ce que la Heur d'orange a de parfums
, tout ce qu'un air doux , fuave , balfamique
a de volupté, tout ceque le ſpectacle
d'unbeau ciel a de raviffant.
L'Auteur écrit ſi tien quand il le veut ,
c'est-à-dire , preſque toujours , qu'on peut
impunément l'avertir de quelques endroits
ou un peu négligés ou un peu trop recherchés.
Par exemple , page 18 : Le Tigre &
l'Euphrate déchaînés des Monts Arméniens.
Ce ton eft trop poétique , & paffe le ton
d'une defcription en profe ; & même , dans
l'endroit dont il s'agit , l'Auteur a plutôt une
fimple expoſition à faire qu'une defcription.
Page 328: Cette idée peſoit fur fon coeur
comme une montagne. Ce ſtyle n'est-il pas un
peu trop priental ?
DE FRANCE.
1
Nous ne ſavons pourquoi l'Auteur emploie
preſque toujours le mot promener au
neutre, ſans le pronom perſonnel.
« Il eſt dangereux pour un Européen de
>> promenerſouvent dans ces boſquets.
»Pas une allée où l'on puiſſe promener.
» Les femmes Turques vontpromener fur
» le Nil.
ود
» Promener en bateau.
» Un bois où nous avions promené la veille.
• Enpromenant dans des ſentiers tortueux.
» Lorsqu'il promène au milieu de cette
foule d'oiſeaux. »
C'eſt la ſeule faute auſſi caractériſée & auſſi
répétée que nous ayons remarquée dans cet
Ouvrage , dont le ſtyle n'eſt pas un des moindres
mérites.
DISSERTATIONS critiques pour fervir à
l'Histoire des Juifs avant & depuis Jésus-
Chrift, & de Supplément à l'Histoire de
M. Bosnage, par M. de Boiffi, 2 Vol. in-
12. Prix, 4 liv. brochés. A Paris , chez
Lagrange , Libraire , au Palais Royal ,
n°, 123 , & Nyon l'aîné , Libraire , rue du
Jardiner. 1785 .
L'HISTOIRE DES JUIFS de Jacques Bafnage,
cet Écrivain Calviniſte né en France , réfugié
en Hollande , & dont on a dit qu'il étoit
plus propre à être Miniſtre d'État que d'une
Paroiffe , eſt miſe au rang des Livres claffiques
qu'on trouve aujourd'hui très-fatiguant
Biv
32 MERCURE
de lire, & encore plus de compoſer. Efprit
juſte, Critique habile, & Philofophe tolérant,
Bafnage détruiſit la plupart des menfonges
impertinens que le faux zèle avoit dictés ſur
la conduite des Juifs modernes ; il s'éleva
contre cette rage de perſécuter d'une main ,
de calomnier de l'autre , & fut réunir le ſavoir
à la faine philoſophie.
CetteHiftoire cependant n'eſt ni exempte
d'erreurs ni complette. Soit que l'Auteur ſe
fût épuiſé en recherches fur les Annales des
anciensHébreux, foit que les matériaux lui
euffent manqué pour ſuivre les tranfmigrationsde
ce Peuple, ſes établiſſemens, ſes misères
depuis le règne du Chriftianiſme , M.
Baſnage a rendu néceſſaire un Supplément à
fon Ouvrage; & celui que nous donne M. de
Boifli n'est pas encore affez érendu.

CE
" M'étant appliqué, dit ce Savant eſtima-
>> ble, àl'étude de la Religion, de l'Hiſtoire
>> & de la Litterature des Juifs , j'avois rafſemblé
fur ces differens objets les materiaux
d'un Ouvrage aflez confidérable....
Je l'aurois repris avec la même ardeur que
>> je l'avois commencé, ſi le goût de l'érudition
ſe fût foutenu en France ; mais le Bel-
Eſprit& une fauffe Philofophie ſont ve-
>> nus à bout de l'en bannir.... J'ai donc fenti
>> qu'il étoit inutile de continuer un travail
dont le ſuccès ne feroit pas proportionné
à la peine de mes recherches. » Il ſercit
malheureux que M. de Boifli pût avoir raifon .
Il cit très vrai qu'une immenfité de Laas
ود
ود
ود
ود
ود
:
DE FRANCE.
55
-
ne cherchent dans un Livre que ce qu'ils vont
chercher aux Spectacles , de l'amusement , & .
qu'un Auteur eft pour eux l'equivalent d'un
Comedien chargé de les diſtraire de l'ennui de
Toitiveté. Il eſt àcroire également qu'ungrand
nombre d'Ecrivains frivoles ſe chargent de ce
glorieux miniftere; mais on auroit tort de
te perfuader que le goût des connoiffances
foit généralement éteint ; comme le beſoin
s'en fait fentirde plus en plus , on re-.
viendra au defir d'apprendre quelque choſe
dans les Livres , lorſque le Public en ſaura
autant que leurs Auteurs.
Les fix premières Differtations de M. de
Poiili ont pour objet quelques fragmens de
Prliſtoire ancienne & de la Theologie Judaïque.
Si c'eſt ici la partie la moins intéreffante
de cet Ouvrage , ce n'en eſt pas la
moins favante. L'Auteur y a méme jéré des
opinions & des éclairciſſemens qui avoient
échappé aux Critiques précédens ; & ces
Traites nous paroiffent très-dignes d'être
confulres par les perſonnes de tout pays qui
s'occupent du méme genre de recherches .
Celles qu'embrafle le fecond Volume, compoſe
également de fix Differtations , font
auili curieuſes qu'inſtructives. Dans le premierde
ces morceaux l'Auteur examine l'etat
des Juifs en France ſous les deux premières
Races & dans les commencemens de
la troiſième. Quel tableau ! quelles moeurs
&quelle legiflarion ! On y voit ces transfuges
Bv
34 MERCURE
t
:
:
> extraordinaires pouffés & repouffés d'une con
trée à l'autre , habitans paſſagers d'un pays ,
&jamais citoyens , réduits pour toute défenſe
à la protection intéreſſée de quelques Souverains
; perfécutés , tolérés tour-à-tour fans
aucune meſure dans les bienfaits ni dans les
peines , ſe diftinguant toujours par l'eſprit de
cupidité & par l'opiniâtreté de leur croyance ,
ne ſe rebutant ni par l'inſtabilité de leurs
fortunes ni par celle de leur exiſtence , &
dans l'efpacedes ſiècles ,ayant compté parmi
eux à toutes les époques , des milliers de
martyrs pour un ſeul hypocrite converti.
Vers la fin du cinquième ſiècle & au
commencement du fixième , les Juifs jouiffoient
en France de priviléges importans ;
mais ces faveurs ne furent pas de longue
durée. M. de Boiffi rappelle les défenſes
qui les dépouillèrent ſucceſſivement. Le ſecond
Concile d'Orléans ; entr'autres , prohiba
les mariages entre Juifs & Chrétiens ; &
il paroît que la fréquence de ces unions
détermina le Décret du Concile. Nulle part
on ne les a vues ſe renouveler depuis.
Très - récemment à Berlin , un particulier
eflayade faire tomber cette barrière , deréunir
parles noeudsdu fang deux Religions juſqu'ici
incompatibles , de faire rentrer les Juifs dans
la ſocieté civile , finon par des droits poſitifs ,
dumoins pardes alliances. L'auteur de ce protet
fingulier le ſuivit avec courage: il ſe
préparoit à donner l'exemple en s'uniſſant
DE FRANCE . 35
avec une Juive; le conſentement des Supérieurs
étoit obtenu , lorſque des obſtacles
ont fait differer cette révolution.
Entre les faits curieux recueillis par M. de
Boiffi , il en eſt un , extrait de Joinville , qui
donne une juſte idée du fort des Juifs & de
l'eſprit du temps. Saint Louis racontoit à
Joinville qu'un jour des Eccléſiaſtiques diſputoient
avec des Juifs dans le Monastère de
Cluni , en préſence de l'Abbé. Un Chevalier
François armé d'un bâton , & qui ſe trouvoit
au nombre des auditeurs , pria l'Abbé de lui
permettre de parler. Il demanda à celui des
Juifs qui paroiſſoit le plus conſidérable , s'il
croyoit à la Vierge Marie , mère du Sauveur
Jésus- Chrift : l'Hébreu , étourdi de la
queſtion , y répondit d'une manière conforme
à ſes préjugés ; alors le Chevalier le traita de
fou & d'extravagant , & , fans lui laiſſer le
temps de répliquer , il le frappa de ſon bâton ,
&faillit l'affommer. L'Abbé s'étant aviſé de
blåmer ce genre d'argumentation , peu s'en
fallut que le doux Militaire n'en répétât
l'exercice.
A la mort de Charles-le-Chauve , les Juifs
perdirent le crédit momentané qu'ils avoient
eu ſous fon règne, & ils ne recouvrèrent plus
leurs anciens priviléges. On fait qu'ils furent
acculés d'avoir empoiſonné ce Charles-le-
Chauve mort d'une dyſſenterie au pied du
Mont-Cénis, entre les mainsdu JuifSédécias,
ſonMédecin. M. de Boiſſi fait fentir très-judi-
Bvj
36 MERCURE
cieuſement 1 abſurdité de ce prétendu empoifonnement;
& ſes réflexions à ce ſujet font
irréfutables.
Il faut lire dans cet Ouvrage les bizarres &
inconcevables perfécutions dont cette race
infortunée fut la victime preſque ſans interruption.
Jamaisonne pouffa plus loin le mépris
de l'eſpèce humaine ; la dériſion ſe joignoit
preſque toujours à la cruauté. A Touloufe
, trois fois par an , on aflujétiffoit un
Juif à être fouffleté publiquement. Hughes
Chapelain d'Aimeri , Vicomte de Rochechouart,
ayant éré chargé de ce miniftère un
jour de Pâques, fit fauter la cervelle & les
yeux du parient , qui expira ſur la minute.
L'Hiftoire des Nations les plus fauvages
n'offre pas de pires atrocites; & c'étoit un
Gentilhomme qui , par honneur & par dévotion
, devenoit ainſi un bourreau décoré !
On connoît les horreurs exercées en Allemagne
par les Croiſés contre ces mêmes deſcendans
d'Abraham , adorant le même Dieu que
: nous , fuivant la Loi Moſaïque , dont le Fondateur
eft l'objet de notre vénération.
M. de Boiffi ne recueille point ces énormités
ſans en faire fentir l'injuſtice ; il réfue
, & toujours avec avantage , la plupart
des accufations qui en fournirent le prérexte:
la raiſon de PAuteur le fert par-tout
auffi-bien que fon érudition.
Le huitième Chapitre ſur l'état des Juifs
en Afrique offre des notions épaules en
DE FRANCE. 37
divers Livres obfcurs ou dans des voyages
eftimés. Il en réſulte qu'il exiſte quatre cent
mille Juifs dans les ſeuls Royaumes d'Alger ,
de Fez & de Maroc. L'Auteur diftingue &
détaille avec exactitude les differens priviléges
dont jouit cetteNation ſous lesRégences
Barbareſques : expoſé d'après lequel on
peut s'étonner que les Hébreux s'obſtinent
à refter en Europe.
M. de Boiffi a conſacré deux Differtations
au Rabbin Ifaac Abarbanel & àUriel Ucofta ,
tous deux célèbres par leur ſavoir & par
leurs infortunes ; le premier trainant une
carrière agitée de Cour en Cour , inftrument
& victime de leurs intrigues , paſſant du
cabinet des Princes dans l'obſcurité d'un
exil, &, au milieu de ces viciffitudes, toujours
appliqué , infatigable , compoſant une infinité
d'Ouvrages où les Rabbins ont pris des
textes de diſputes , les ennemis du Chriftianiſme
des armes dont ils ſe font bien gardés
de nommer l'arſenal ; le fecond, ſceptique&
cependant apoftat , paſſant & repaffant
d'une croyance à l'autre , tantôt par
conviction , tantôt afin d'échapper au fanatifme
, entraîné lui-même par un zèle aveugle
en ſes inconftantes opinions , également
odieux aux Chrétiens & aux Juifs , fouetté
par ces derniers en pleine Synagogue , & n'echappant
à l'affaflinat tenté ſur lui qu'en
finiflant en 1647 ſa déplorable vie par le
fuicide. Ce Docteur hardi a lui même tracé
l'hiſtoire de fes malheurs dans le fameux
-
38 MERCURE
Ouvrage intitulé : Exemplar humana vita ,
publié par le Théologien Limborch. M. de
Boiffi endonne un extrait fidèle & intéreſſant.
On doit regretter que les recherches de
l'Auteur n'ayent pas embraſſe plus univerfellement
les Juifs modernes ; qu'il ne les
ait pas ſuivis en Allemagne, à Livourne , à
Londres , à Amſterdam , en Eſpagne , en Pologne
& en Afie; qu'il ne nous ait pas inftruits
de leur nombre dans ces divers établifſemens
, des droits qu'ils y confervent , de
leurs moeurs , de leurs occupations , des alté,
rations plus ou moins conſidérables qui ſe
font gliflées dans leur doctrine. M. de Boifli
doit être certain que l'Europe entière liroit
avec intérêt ce tableau complet de la ſeule
Nationqui ,durant trois mille ans , ait réſiſté
à l'erreur générale de l'idolâtrie , & dont la
légiflation , le culte , les coutumes , malgré
les efforts de dix-huit ſiècles perfécuteurs ,
ont ſurvécu aux Religions , aux Loix , à la
Puiſſance de tant de Peuples redoutables
& floriflans , dont il ne reſte qu'un éclatant
fouvenir.
(GetArticle estde M. Mallet-du-Pan. )
DE FRANCE.
39
TRAITÉ de la Cataracte , avec des Obfervations
qui prouvent la néceſſité d'incifer
la cornéetransparente & la capsule du cryftallin
d'une manière diverſe,ſelon lesdifférentes
espèces de Cataractes ; par M. de
Wenzel fils , Baron du S. Empire , Médecin
de la Faculté de Nancy, &Docteur-Régent
de la Faculté de Médecine en l'Univerſité
de Paris. in- 8°. avec fig. Prix, 3 liv. 12 f.
broché. A Paris , chez Duplain , Libraire
cour du Commerce , rue de l'ancienne
Comédie Françoife.
,
Si l'on doit regarder la Médecine comme
une Science conjecturale , il n'en eſt pas de
même de laChirurgie, dont toute la théorie
doit être appuyée ſur des faits conftans. Il n'y
adans cet Art aucun raiſonnement qui puifle
prévaloir ſur l'expérience ; & l'on employeroit
en vain la logique la plus adroite & la
plus folide en apparence , pour établir les
avantages de telle méthode d'opérer , de telle
formed'inſtrument: fi une longue ſuite d'obſervations
n'en a pas juſtifié le choix d'avance ,
on a toujours droit de s'en défier, Mais lorfqu'au
contraire un Praticien habile ne propoſe
au Public qu'après les avoir long-temps
éprouvés, ou des inſtrumens nouveaux , que
les cas différens qu'il a vus l'ont conduit à
imaginer , ou une méthode particulière , dont
une expérience ſuivie lui a toujours montré
le fuccès ; lors qu'enfin ſes obſervations con40
MERCURE
1
tinuelles fervent de baſe à ſes raiſonnemens ,
il merite alors une entière confiance ; & tel
eſt le cas où ſe trouve M. le Baronde Wenzel.
Fils d'un homme célèbre dans toute l'Eu-
⚫rope par fon adreffe & fonhabiletédans toutes
les maladies des yeux dont il s'eſt occupe uniquement;
habitué à ſervir d'aide à fon père ,
&témoin par confequent d'un nombre intini
d'opérations , exerçant lui-même cet Art dès
ſes plus jeunes années , il n'eſt point fans
dourede circonftance extraordinaire qui n'ait
paffe ſous les yeux , & fur laquelle il n'ait
étéà portée de reflechir. Ajoutons à ces avantages
celui d'avoir de bonne-heure , par d'excellentes
études, approfondi la théorie de fon
Art: tant de titres doivent affurer la confiance
publique à un Ouvrage qui n'eſt que
le réſultat des expériences nombreuſes de
MM. de Wenzel père &fils.
Iln'en faut pas moins, au reſte, pour faire
adopter ce que ce Traité a d'utile ; car c'eſt
aux Artiſtes eux-mêmes , plutôt qu'aux' malades,
que ce Livre eſt deſtiné. M. de Wenzel
leur détaille avec beaucoup d'exactitude ſa
méthode & fes inftrumens , ou plutôt ceux
de M. fon père. Il en établit tous les avantages
confirmes par trente-cinq ans de ſuccès; il
propoſe d'en rendre l'uſage général ; mais un
amour- propre mal entendu peut rendre cette
adoption difficile. A moins d'être vivement
ému par le detir du bien public , on a de la
peine à renoncer à fa méthode pour celle
d'un autre ; ce n'eſt guère quede la part des
DE FRANCE.
41
:
jeunes gens qui fe diſtiment à cettepartie ,
qu'on peut eſpérer cette docilité. Encore
maîtres de choitir, il n'eſt pas douteux qu'ils
ne préferent un procédé qu'ils reconnoîtront
aifément pour le plus utile.
* Pourquoi les gens de l'Art, dit M. de
>> Wenzel , n'adoptent-ils pas tous une méla
plus ſimple , ود
ود
ود
ود
thode uniforme......
la plus facile? Pourquoi le defir de prefenter
une nouveauté, eſt-il ſi ſouvent le
ſeul motifqui engage à inventer des inftru-
>> mens , preſque toujours moins avantageux
>> que ne l'annoncent leurs Auteurs ? Lorf-
» qu'un nouvel inſtrument eſt bon & utile ,
ود
ود
il fuffitàfon inventeur de s'en ſervirdans
les opérations qu'il pratique ; il n'a pas befoinde
l'annoncer: fes avantages reconnus
>> par les malades le font bientôt par lesChi-
>> rurgiens; &Tufagequis'en établit peu-a-peu,
ود fixe bientôt la préference qui lui eit due. »
Telle eit la marche de M. de Wenzel : il
rend hommage àM. ſon père en décrivant fes
inftrumens& fa méthode; mais cette defcripton
devient bien intéreſlante , accompagnée
de I hiſtoirede jeurs ſuccès.
Le plan de cet Ouvrage eſt ſimple & méthodique.
Après avoir défini la cataracte , &
rapporté les idées des anciens fur cette maladie
, ainſi que ſur ſes cauſes , M. de Wenzel
établit l'inutilité des remèdes employés pour
Ja quérir. Il détaille les diverſes manières de
Popérer, &prouve fort bien les avantages de
1.xtraction fur la fimple depreffion. Il examine
42 MERCURE
les cas où l'opération peut être utile& ſuivie
du ſuccès ; il preſcritles préparations néceffaires
aux malades. Ildécrit enſuite d'une manière
très -claire ſon inſtrument qu'il appelle
ceratotome , & ceux qu'il eſt quelquefois
obligé d'y joindre dans les cas particuliers. Il
fait voir avec beaucoup de juſteſſe l'inutilité ,
&même les inconvéniens des ophtalmoſtats,
fur-tout felon ſa manière d'opérer. Il indique
les différentes manières d'incifer la capfule &
la cornée , felon les différentes poſitions de
la maladie; & en rapportant tous les accidens
qui peuvent ſe rencontrer ou ſurvenir , il
préſente les moyens d'y remédier , moyens
dont les obſervations qu'il rapporte prouvent
l'efficacité. Il tersine cet Ouvrage par un
Traité des diverſes eſpèces de Cataractes ſecondaires
, & par la manière de faire une pupille
artificielle.
Le Livre de M. de Wenzel paroît ſous les
auſpices de la Faculté de Médecine de Paris ,
dont il eſt Membre , & revêtu de la plus flatreuſe
approbation. Celle de M. Louis , Cenfeur
de cet Ouvrage , & dont l'autorité dans
toutes les matières de Chirurgie eſt d'un ſi
grand poids , doit achever de le faire apprécier.
Nous ne pouvons mieux finir cet article
qu'en la rapportant toute entière.
"CetOuvrage eſt le fruit d'une longue ex-
>> périence : né du ſein de l'Art , il ne peut
ود êtrequetrès-utile à ſes progrès; & il feroit
>> inappréciable , ſi la dextérité de MM. de
>> Wenzel pouvoit être tranfmife , & qu'elle
DE FRANCE. 43
* fût ſuſceptible d'être décrite comme les
ود Obſervations intéreſſantes contenues dans
>> ce Traité. »
( Cet Article eft de M. Framery. )
ANNONCES ET NOTICES.
H
ISTOIRE Générale & Particulière de Bourgogne ,
avecles preuvesjuftificatives ; composéesurles Titres
originaux , tirés des Manuscrits de la bibliothèque du
Roi , des registres des Parlemens & Chambres des
Comptes; furles Cartulaires des Eglifes Cathédrales
& Collégiales , des Abbayes , des Monastères &
autres anciens monumens : enrichie de quantité de
figures en taille douce , de vignettes & de ſceaux ,
tant des Ducs que des grandes Maiſons , &c . par
Dom Plancher , & continuée par Dom Merle
deux Religieux Bénédictins de la Congrégation de
Saint-Maur. Quatre très-gros vol. in-fol. , du prix
de 120 liv. reliés.
tous
Cet Ouvrage contient non-ſeulement l'Hiſtoire
des deux Bourgognes , mais encore celles des Provinces
de Breſſe , Bugey , Mâconnois , Lyonnois ,
Comtatd'Avignon , partie du Languedoc , Provence ,
Dauphiné , pays Genevois , partie de la Savoie & de
Ja Suiffe , juſques ſur le haut Rhin , ainſi qu'il eſt
confiné dans les Cartes géographiques annexées à
l'Ouvrage: ces Provinces ont été pluſieurs fiècles englobées
dans l'ancien Royaume de Bourgogne , &
les Rois ont potamment fait leur réfidence dans les
villes d'Arles , d'Avignon & de Genève .
Il contient encore l'h ſtoire des Duchés de Lorraine
&de Luxembourg, des Provinces d'Artois , des Flandres
Françoiſe& Autrichienne, qui ont pareillement
44
MERCURE
été englobées dans le nouveau Royaume de Bourgogne,
& S. M. Impériale enprend encore aujourd'hui
le titre de Roi : les Rois & Ducs de Bourgogne ont
même eu leur Cour à Bruxelles &à Louvain.
On y voit encore les alliances des Rois d'Argleterre
, des Ducs de Normandie &de Bretagne avec
les Bourguignons , les ſièges & les vistoires que ces
Nations combinées ontremportées ſur les Allemands
&les Francois .
Enfin , on y trouve l'origine de quantitéde Familles
illuftres , avec les preves juftificatives , & l'indice
des titres où on les a puiſées ; ce qui peut être d'une
très-grande utilité a x Families nobles des Provinces
dont on vient de parler .
LeTome quatrième & dernier qui vient d'être im
prime ſous la protection de MM. les Elus généraux
de la Province, & honoré de la protection de S.
*A. S. Mgr le Prince d. Condé , qui a bien voulu en
accepter la dédicace, eft complet en ce qu'il contient,
&peut être vendu ſeul, parce qu'il we comprend
que l'Histoire du nouveau Royaume de Bourgogne ;
il eft indiſpenſable pour ceux qui ont les trois premiers
volumes, &il ſervira aux Curieux qui ne vo
dront voir que ce qui s'eſt paſſe ſous les règnes des
Rois & Ducs de Bourgogne des derniers fiècles;le
prix en ſera de 30 liv. br. On tiendra compte à ceux
qui ont foufcrit des 181. qu'ils ont payées d'avance ,
en produifant leur quittance. Les toines 2 & 3 fe
vendront ſéparement chacun 25 liv. en feuilles , en
s'adreſſant directement à Bidault, Lib. à Dijon , feul
proprétaire de la totalité de cet Ouvrage. On
pourra encore ſe le procurer , à l'aris , chez Moutard,
Imprimeur- Libraire, rue des Mathurins , hôrel
de Cluni ; & à Chalons , chez Deleſpinaſſe l'aîné,
Lib. , rue du Châteler.
COURS complet d'Agriculture, Théorique , PraDE
FRANCE. 4
zique, Économique, & deMédecine Rurale && ve
térinaire , ſuivi d'une Méthode pour étudier l'Agriculture
par principes, ou Dictionnaire aniverfel
d'Agriculture , par une Société d'Agriculteurs , &
rédigé par M. l'Abbé Rozier , Prieur- Commendataire
de_Nanteuil le- Haudouin , Seigneur de Chevreville
, Membre de pluſieurs Académies , &c. , in-
4°. , Tome VI. A Paris , rue & hôtel Serpente.
Cegrand Ouvrage et connu , & le ſuccès dout
il jouit eſt très-mérité. Il jetre des lumières ſur la
ſcience la plus utile a la Société ; & la manière dont il
eftrédigéle fait lire,&enétend par conséquent l'utilité.
MEMOIREfur les moyens de perfectionner les
remises propresà la confervation du gibier , & d'obvier
en partie aux dégâts qu'il cause dans les campagnes,
auquel on a joint un Catalogue des Arbres.
&des Arbuſtes exotiques qui peuvent fervir à cet
ufage, avec leurs norms latins & françois , & l'indication
du terrein qui convient à chaque eſpèce ,
ſuivi d'une Réponſe à quelques Obſervations qui .
ont été faites à ce ſujet; par M. Lebreton, Inſpecseur
Général des Capitaineries Royales , in - 16 . A
Paris , chez L. F. Prault, Imprimeur du Roi , quai
des Auguftins.
Ceste Brochure, qui n'est pas ſuſceptible d'analyſe,
n'est pas fans utilité ; elle concilie , ce qui n'eft
pas facile en pareille matière , les intérêts des campagues&
les plaiſirs desChatſeurs.
BIBLIORUM Sacrorum Vulgata Verfionis Editio,
Tomus primus, jaffa Chriftianiffimi Regis ad
inftitutionem Sereniffimi Delphini, in- 4°. fur papier
vélin de Mathieu Johannot d'Annonay. Prox ,
60 liv, brochés en carton .
La même, détiée au Clergé de France , meme
papier & même prix..
46 MERCURE
La même , papier grand raiſin ordinaire. Prix ,
21 liv. reliée en veau.
Les Éditions que donne M. Didot méritent toujours
les mêmes éloges. Il vient de mettre auſſi en
vente un petit chef-d'oeuvre de Typographie. C'eſt :
Effai , Fables nouvelles , dédiées au Roi , ſuivies de
Poésies diverſes & d'une Epitre fur les progrès de
l'Imprimerie, parDidot, fils aîné.
Nous reviendrons ſur cet Ouvrage, eſtimable
d'ailleurs du côté du talent poétique.
QUINTESSENCE , OU Eau dite de M. le Premier.
Le Public eſt depuis long-temps privé des avantages
nombreux qu'il retiroitde ce médicament ; &
la mort de M. de Boiſcaillaud , Chirurgien ordinaire
du Roi ,demeurant chez feu M. le Premier , & poflédant
ſeul le ſecret de cette Eau , ſembloit avoir ôté
toute eſpérance de jouir plus long-temps de ſes merveilleux
effets. Ce n'a été que dernièrement , & en
faiſant un examen très-exact de tous ſes papiers ,
que l'on aheureuſement retrouvé la recette de cette
Eau. S'il étoit poſſible que l'on crût pouvoir jeter
quelque doute ſur un fait atteſté par un honnête
homme, & qui n'a pas moins à coeur l'intérêt de
l'humanité, que ſon propre honneur , & le reſpect
qu'ildoitàſonCorps &à lui-même, ons'engageroit
à en prouver l'authenticité par la comparaiſon des
Ecritures de M. de Boiscaillaud. On a d'ailleurs obſervé
très- exactement tout ce qui eſt indiqué dans la
recette manufcrite, à laquelle étoit joint un imprimé
contenant les principaux effets de cette Eau ſalutaire.
1º. Cette Quinteſſence convient dans tous les cas
où il eſt néceſlaire de fortifier le coeur & le cerveau,
comme dans les foibleſſes , langueurs , ſyncopes ,
épilepsie , dans les vapeurs de l'apoplexic ſércule so
DE FRANCE.
47
dans les migraines. 2°. Dans les douleurs de colique
& ſuppreſſion des règles. 39. Pour la rétention
d'urine, & pour la colique néphrétique. 4°. Pour
fortifier la vue & la conferver , en s'en frottant extérieurement
les paupières. 5°. Elle eſt propre à réfoudre
le fang extravaſé à la tête, dans la poitrine
& par-tout ailleurs, foit par des chûtes , par des
coups ou par des efforts extraordinaires 6º Elle eſt
d'un grand uſage dans les douleurs rhumatiſmales.
7°. On s'en fert auſſi fort utilement pour la guériſon
desplaies en général , & pour celles oùles os&les
tendons ſont à découvert , & pour les panaris lorfqu'ils
font ouverts.
Le ficur Lamegie , actuellement poſſeſſeur du
fecretde cette Eau , dite de M. le Premier , s'engage
àne rien altérer dans ſa compoſition, & à la doi ner
au même prix , malgré les augmentations qu'ont
éprouvé les médicamens qui entrent dans ſa co pofition.
Le flacon , bien fermé d'un bouchon patié à
l'émeri , & contenant une pinte , 48 liv.; le demiflacon
24 liv.; le flacon d'un quart 12 liv.; (les
lacons ſe payent à part.)
Chaque flacon ſera bien bouché, ſcellé du cachet
de l'Auteur, avec une étiquette ſignée & para hée ,
pour éviter toute eſpèce de contrefaçon, On prie les
Perſonnes de Province d'affranchir les lettres & l'argent,
& d'indiquer par quelles voies elles veulent
qu'on leur adreſſe leurs demandes.
S'adreſſer à M. Lamegie, Maître en Pharmacie ,
fucceffeurde M. Lacafſaigne, Apothicaire du Roi
rue du Bac, près la rue de l'Univerſité. On trouvera
chez le même de l'Eau dire de Mme de la Vrillière,
fi connue pour la conſervation des dents &
gencives ; la Gomme pectorale dite de Strasbourg ,
& les Tablettes Péruviennes propres pour les shumes
&les mauxde poitring.
,
48 MERCURE
-
-
SIXIEME Concerto pour le Piano-Forte , Violons,
Alto , Baſſes , Haut- Bois & Cors ad libitum ,
par M. Kozeluch , Tuvre XVI . Prix , 6 liv. , formant
le Numéro 24 du Journal de Pièces de Clavecin
par différens Auteurs. Les Variétés à la
mode , quinzième Suite &Airs de différens genres
arrangés pourle Forte- Piano, par M. Cefar. Prix ,
3liv. 12 fols Première Symphonie concertante
pour Baffon & Clarinette ou Haut-Bois principaux ,
Violons, Alto, Baffe, Haut-Bois & cors , exécutée
au Concert Spirituel , compoſée par M. Vogel.
Prix , 4 liv 16 fols.-Numéro 15 , nouvelle Suite
de Pièces d'Harmonie , contenant des Ouvertures &
Airs d'Opéras pour deux Clarinettes , deux Cors &
deux Ballons, par M. Ozy, Muficien de S. A. S.
Mgr. le Duc d'Orléans. Prix , 6 liv. Premier
Pot-Pourri d' Airs connus pour deux Violons , par
M. Marchal l'aîné. Prix , 2 liv. 8 fols. A Paris ,
chez M. Boyer , rue de Richelieu , à la Clef d'or ,
ancien Café de Foy, & Mme Lemenu, rue du
Roule, à la Clefd'or .
TABLE.
-
VERS à Mme la Marquise Differtations critiques pour
deGl*** ,
L'Eré, Pastorale ,
3 ferviràl'Histoire des Juifs,
4 31
39
9 Annonces&Notices , 43
Charade, Enigme& Legogry Traitéde la Cataracte,
phe,
Letzesfur l'Egypte ,
APPROBATION.
J'AI In,par ordre de Mgr le Garde des Sccaux, le
Mercure de France , pour le Samedi 4 Février 1786. Je n'y
ai rien trend nui puiffe en meer impreffion. A
Paris , le 3 Fevrier GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
DANEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 9 Janvier.
de ce mois le
DEpuis le commencement
froid eft ici très vif. Les , au matin , le
thermometre deſcendit à 12 degrés 3 quarts
au-deſſous de zéro , le vent au nord. La plus
grande partie du Sund eſt couverte de glaces,
depuis quelques jours.
L'année derniere on a dénombré dans
cette Capitale 1053 mariages , 3591 naiffances
, dont 1686 garçons , & 2505 filles ,
& 3762 morts , dont 2022 hommes , &
1740 femmes : l'excédent des morts eſt de
571. Les fievres putrides ont enlevé 172
perſonnes , la fievre chaude 94, les maladies
de poitrine 339 , l'asthme 88 , la phthifie 83 ,
la confomption 433 , l'hydropiſie 113 , les
coups de fang 689 , les douleurs de dentition
82 enfans , & la petite vérole 472 ;
196 perſonnes font mortes de vieilleſſe.
N°. 5 , 4 Février 1786. a
( 2 )
Le nombre des malades reçus l'année
derniere à l'Hôpital Frédéric eſt monté à
1961 , dont 1763 ont été guéris , & 194
font morts. Dans l'Evêché de Ripen on a
compté l'année derniere 929 mariages ,
3403 naiſſances , dont 1734 garçons &
1669 filles ( les enfans illégiti mes étoient au
nombre de 89 ) & 3226 morts , dont 1565
hommes & 1661 femmes. Les naiſſances
ont furpaſſé les morts de 177. Parmi les
naiſſances ily avoit 12 jumeaux , parmi les
morts 61 enfans morts nés , & 19 nonagénaires.
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 24 Janvier.
Le nombre des navires entrés dans le port
de Dantzick en 1785 eſt de 684 , dont 76
Hollandois , 59 Pruffiens , 153 Anglois ,
153 Danois , 239 Suédois , 162 de Dantzick
même. Dans l'année, 857 bâtimens font
fortis du même port .
Pendant la même année ily a eu à Dantzick
419 mariages , 1304 naillances & 1633
morts.
L'année derniere , on a compté dans la
Pomeranie Prufſienne & la Principauté de
Camien 3107 mariages , 14857 naiſſances ,
& 10,250 morts. Dans le nombre des morts
il y avoit 3 centenaires , 36 nonagénaises
& 61 oftogénaires. L'état militaire n'eff
point compris dans ce calcul.
( 3 )
Un Journal de commerce offre les détails
ſuivans fur le commerce de la muſcade.
La muſcade ne vient que fur l'ifle de Banda
&fur quelques autres petites ifles adjacentes qui
appartiennent à la Compagnie hollandoiſe des
Indes orientales. On diviſe les noyers en mâles &
femelles , & encore en noyers fauvages & cultivés
. Voici ladénomination des diverſes eſpèces
des noix muſcades : ſavoir Pala Boy , Pala Bacumba
ou noix jumelle , Pala Kakerlac , ou noix Kakerlac,
Pala Padri ou noix de prêtre, PalaPalâ ou
noix blanche ou hollandoite, Pala Pintiurian ou
noix devoleur , & Pala Radia ou noix royale , qui
paſſepour être la meilleure. La récolte dos fleurs
&des noix de muſcade , ſe fait dans les mois
d'Avril , d'Août & de Novembre. - Les ifles
cù croit la muſcade font toutes réparties en
jardins qu'on appelle Perkens , dont les poffefleurs
, qui font Européens , portent le nom de
Perkeniers. On compte à l'iſle de Neira 2 perkens
de 2700 toiſes thenanes , qui fourniſſent par
an environ 2700 livres peſant de fleurs , & 8000
livres peſant de noix. A l'ifle de Lonthois 29 per.
kens de 34,330 toiſes , qui rapportent par an
142,000 livres peſant de fleurs , & 368,000 liv.
peſant de noix; & à l'ifle de Poulo ay 6 perkens
de 7,190 toiſes, qui donnent par an 52,000 liv.
peſant de fleurs, & 128,000 livres peſant de noix.
Le total des perkens eſt de 33 , qui est une fur
face de 44,220 toiſes ; leur rapport eſide 176,000
1. peſant de fleurs , & 704,000 liv. peſant de noix ,
ce qui fait 4 livres de noix ſur une livre de
Acurs. La compagnie paie 200 livres peſant
de la premiere& de la ſeconde forte des fleurs
de muſcade , à raiſon de 30 rixdalers & 100 liv ,
a 2
( 4 )
peſant de la troiſieme ou derniere ſorte , 7 rixdalers
& 33 ſtuvers , ce qui fait pour 300 livres
peſant de fleurs , 37 rixdalers & 33 ſtuvers ;
mais comme elle en déduit la dixme , elle ne
Jes paie réellement que 33 rixdalers & 45 ſtuvers ,
Ainſi la livre de fleurs ne coute à la Compagnie
pas mêmes ſluvers & demi ſur la place. Les noix
de muſcade ſont comptées 10 livres peſant pour
une livre de fleurs ; la Compagnie paie par conſéquent
2000 livres peſant de noix graffes , médiocres
& maigres , 30 rixdalers , & les noix
gâtées & en pieces mille liv peſant , à raiſon de
7 rixdalers & 33 ſtuvers , ce qui fait , déduction
faite de la dixme , 33 rixdalers & 45 ſtuvers ;
ainſi deux livres peſant de noix lui reviennent
à peu près à I ſtuver. L'importation des
fleurs de muſcade en Europe monte par an à
100,000 liv. peſant , & celle des noix à 250,000
livres peſant ; le ſurplus des récoltes reſte dans
l'Inde. Le prix de la vente dans les 6 chambres
de la Compagnie , a été depuis 1770 iuſqu'en
1780 , fayoir la livre de fleurs 20 & un huitieme
21 & un quart d'eſcalins flamands , & la livre
de noix 75 stuvers de banque; mais depuis 1783
le prix des fleurs eſt monté juſqu'à 19 florins
&un quart , & celui des noix juſqu'à 13 florins
&demi,
Le 31 Décembre dernier , les vaiſſeaux
Danois le Diseo & la Concordia ſont partis
d'Helfingor pour les Indes Orientales.
Le nombre des vaineaux qui l'année derniere
ont paſſé le Sund , monte a 10, :68 ,
dont 2535 Anglois , 2136 Suédois , 1789
Danois , 1571 Hollandois , 1338 Pruffiens ,
176 Bremois , 161 Dantzickois , 114 Rufſes
, 110 Roſtokois , 77 Lubekois , 66 Im(
5 )
périaux , 61 Hambourgeois , 28 Portugais ,
25 Courlandois , 20 François , 20 Américains
, 15 Eſpagnols & 4 Vénitiens.
DE VIENNE , le 23 Janvier.
Le Comte de Cobentzel , Ambaſſadeur
de S. M. en Ruſſie, eſt de retour ici par
congé depuis le 24 , & il a eu Thonneur d'être
préſenté à l'Empereur .
Le premier de Janvier , ce Monarque a
admis à la même diſtinction leBaron Frédéric
Le Fort , Meſtre-de- camp en ſecond du
Régiment de Bouillon. L'Empereur a accueilli
M. Le Fort & fon frere comme les
defcendans du fameux Le Fort Citoyen de
Geneve , Amiral de Ruffie , & à qui cet
Empire doit la plus grande partie des créations
qui ont fait la gloire de Pierre le-
Grand.
A la ſuite d'une quantité prodigieuſe de
neige , nous avons éprouvé ici un froid f
rigoureux , que le thermometre, il y a 12
jours , eſt deſcendu à un degré plus bas que
dans la plus forte gelée de l'année derniere.
L'Autriche , la Hongrie , la Bohême & la
Moravie ont éprouvé les mêmes rigueurs ,
& le Danube a été couvert d'une glase
épaiſſe.
L. A. R. les Gouverneurs-Généraux des
Pays-Bas Autrichiens ſont arrivés ici le 12 .
On prétend qu'il s'eſt fait un accroiſſement
très ſenſible de population dans cette
a3
( 6 )
Capitale; enforte qu'on l'évalue aujourd'hui
àplus de 250,000 habitans , non compris
les étrangers & la garniſon. On attribue
cette augmentation à la réduction des taxes
d'induſtrie , à de plus grands moyens de
ſubſiſtance pour le peuple , enfin aux Artiftes&
Fabricans étrangers, attirés per la défenſe
d'importer les marchandiſes des autres
Etats.
Voici une Note exacte des Couvens ,
Hoſpices & Chapitres de la Bohême , dont
la ſuppreffion a été ordonnée depuis quelque
tems.
Cinq dans le cercle de Bérau , 3 dans celui
Rakoniz , autant dans celui de Kaurzim , 4dans
celui de Pils , 3 dans celui d'Elbogen , 6 dans
celui de Leitmeriz ,4 dans celui de Bunglau ,
autant dans celui de Saaz , a dans celui de Konig.
græs , I dans celui de Chrudim , I dans celui de
Czaſlau , 4 dans celui de Budweis , I dans celui
de Prachim , 3 dans celui de Tabor , autant dans
celui de Klatzau , & 10 à Prague & aux environs.
Le totaldes couvens eſt de 61 , & le nombre des
individus réformés 1105.Onne compte plus actuellement
dans ce royaume que60 couvens , qui
probablement s'éteindront d'eux- mêmes , puifqu'ils
n'ont pas la permiſſion de recevoir des novices.
D'ailleurs le nombre des religieux qu'ils
renfermeront eſt borné dans les uns à 18 , &
•dans les autres à 12 & à 9. Le ſurplus des religieux
feront mis les uns à la penſion ,&lesautres
employés comme curés ou prêtres ſéculiers.
L'Empereur vient de faire de nouvelles
diſpoſitions , relativement aux Hôpitaux de
Brim , qui dorénavant feront diviſés de la
maniere ſuivante :
( 7 )
Outre l'hôpital pour les femmes en couche &
les orphelins ,il ſera encore établi un hôpital pour
les malades & une maiſon pour les fous. La deftination
de l'hôpital général des malades n'eft uniquement
que d'y recevoir des malades de l'un &
de l'autre ſexe , partie pour de l'argent& partie
gratis. On n'en exceptera que les perſonnesattaquéesde
maladies chroniques pour lesquelles on
eſt dans l'intention de conſtruire une maiſon particuliere
.
Pluſieurs malades pourront ſe trouver dans la
même chambre , de maniere toutefois que les
homines foient ſéparés des femmes. A l'égard
des malades reçus pour leur argent , le
paiement ſera de 10 kreutzers par jour , & on
devra payer une ſemaine d'avance. Pour y être
reçu fans payer , il faudra n'avoir aucuns parens
aiſes , ou être dénué ſoi-même de tout moyen
de ſubſitter.
Quand munis d'un certificat du Curé & du
commiffaire des pauvres , les domeftiques malades
de l'un ou de l'autre ſexe prouveront que
leurs maîtres ou maîtreſſes ne veulent point
payer pour eux , ou que les circonstances ne leur
permettent pas de garder chez eux leurs domef
tiques malades , ceux- ci feront reçus gratis dans
les hôpitaux .
Pour les perfonnes attaquées de maladies vénériennes
il y aura un endroit particulier ou
aucun étranger ne pourra entrer : tous les malades
ſemblabies , de l'un comme de l'autre ſexe ,
pourronts'y faire traiter&guérir ſans être obligésde
ſe faire connoître de qui que ce ſoit , &
fans crainte d'y être jamais reconnus. La ſomme
à payer par jour est également de 10 kreutzers ,
à l'exception des pauvres qui y feront reçus ,
a 4
( 8 )
:
traités& ſoignés , comme pour toute autre ma
ladie, gratis.
Dans l'hôpital des fous , autant que l'eſpace
le permettra , on y recevra toutes les perſonnes
de la ville & fauxbourg de Brim , ſoit fans rien
payer , foit à 10 kreutzers par jour. Mais ſi par
haſard il ſe trouve des Eccléſiaſtiques qui aient
le malheur de tomber en démence , on a deſtiné
des chambres pour eux dans la maiſon des Freres
de la Mitéricorde .
L'Empereur , par une nouvelle décifion ,
vient de rendre à l'Archevêque de Saizbourg
les droits Métropolitains ſur les Evêchés
de Gurk , de Seckau & de Lavant , &
il lui a foumis auſſi le nouvel Evêché de
Leoben.
Depuis le dernier Réglement pluſieurs
Grands Seigneurs ont renoncé à la Franc-
Maçonnerie , dont il ne reſte plus que deux
Loges à Vienne.
DE FRANCFORT, le 27 Janvier.
Le ſieur Favre , ancien Secrétaire de la
Légation de Pruſſe à Madrid , accuſé il y a
deux ans , de violences repréhenſibles contre
le Miniſtre de Saxe à la même Cour , ne
s'étant point rendu à la citation juridique de
la Cour de Justice de Berlin , a été déclaré
par contumace atteint & convaincu d'avoir
uſé d'actes de violence envers le Comte de
Gersdort, Miniſtre de Saxe,& contre laGarde
Eſpagnole. Outre la caſſation de ſon emploi
, il eſt condamné ,Salvá fame , à deux
ans de prifon.
(و )
La Chancellerie de Saxe a fait publier à
Weimar & dans d'autres villes , le Reſcrit
ſuivant.
>>> On a vu dans tous lespapiers- nouvelles qu'avecle
commencement de l'année prochaine 1786,
nouveaux Louis d'or su Roi de France , autrement
dits Louis neufs , auroient cours & conferveroient
le même prix que les vieux , ſavoir de 24 livres
tournois , quoiqu'avec diminution d'un quinzieme
de leur valeur intrinfeque . Comme la vraie
valeur intrinſeque de ces Louis , & le cours qu'on
leur accordera dans ce pays n'a point encore été
fixé , on diffuade le Public de l'acceptation defdits
nouveaux Louis d'or , dont on a annexé ici
Pempreinte , juſqu'à ce que leur cour ait été fixé
dans ce pays , par une autre publication . »
L'année derniere on a compté à Gotha
306 naiſſances , 323 morts , & 98 mariages
à Manheim , 634 naiſſances , 833 morts
& 197 mariages. A Hanau 381 naiſſances ,
331 morts & 96 mariages .
Fin de la Réponse de la Cour de Berlin .
D'après l'Auteur de l'Examen des motifs , &c
La Cour de Vienne perſiſte toujours dans ſon
projet d'acquérir tôt ou tard la Baviere. Cette
déclaration prouve de nouveau combien l'affo
ciation que le Roi de Puſſe avoit proposée à fes
Co-Erats dans l'Empire étoit néceſſaire. Au reſte ,
il eſt inutile d'examiner ici ſi les preuves que la
CourdeBerlin a fourni contre le projet d'échange
de laBaviere ont été anéanties dans PExamen dess
motifs , &c . On en laiſſera juges ceux qui voudront
s'occuper de cette affaire fans prévention .
D'ailleurs , comme les principaux Membres de la
Maiſon Bavaro-Palatine ſe ſont oppoſés à cer
as
( 10 )
change , on peut eſpérer , pour le repos de
Fadenerne , qu'une différence d'opinion ſur la
P ité de Fexécution d'un projet éloigné &
ſpécu'arif , n'aura pas des ſuites få:heuſes, & qu'il
fera libre à chaque partie de penter & de juger à
cet égard d'après ſes principes .
L'Auteur de l'Examen , &c. fait des reproches
amers à la Cour de Berlin , relativementau
Traité d'union conclu entre le Roi & les
Electeurs de Saxe & d'Hanovre , & ne balance
pas un moment d'aſſurer qu'il étoit offenfif &
immédiatement dirigé contre S. M. Impériale ;
mais cette affertion eſt de toute fauſſeté , puiſque
l'objet du Traité eſt d'empêcher dans l'Empire
des acquifitions foreées & préjudiciables ; que la
Cour de Vienne a déclaré qu'elle ne prétendoit
point acquérir la Baviere par la force , & que la
Maiſon Bavaro- Palatine n'a point accepté les
propoſitions d'échange qui lui avoient été faites.
Ainú ce Traité ne peut nullement être offenfif;
in'eſt qu'une meſure de précaution qui étoit
devenue néceſſaire par l'échange qui avoit été
projetté contre la teneur de la Paix de Tefchen ,
& auquel échange on n'a pas encore renoncé.
D'ailleurs , les loix de l'Empire auroritent les
Princes à faire des alliances , dès que les circonttances
leur paroiſſent les exiger.
La Cour de Berlin peut appeller au témoignage
de toutes les Cours d'Europe , & particulierement
auffi à celui des Cours d'Allemagne ,
qu'elle ne s'eſt point permiſe d'avancer des ca-
Jomnies & des déclarations odieuſes contre la
Cour de Vienne. Tout ce qu'elle a fait à l'occafion
de l'échange projetté de la Baviere , c'étoit
d'ouvrir , dans des déclarations publiques , fon
fentiment fur cet objet, & fur la néceſſité de
prendre des meſures légales pour conferver la
Conftiturior. Germanique. Au reſte, le Roi s'ern
(1 )
rapporte au jugement imparcial du monde , ſi
les meſures que Sa Majefté a priſes dans cette
conjoncture étoient pures , juſtes & néceffaires
& fi le Traité d'union , auquel un grand nombre
de Princes d'Allemagne ont accédé , étoit conforme
ou non à la Conſtitution Germaniqu..
CeTraité , dont la Cour de Berlin ne fait point
de myftere , ſera auſſi préſenté au Public dès que
les circonstances l'exigeront. LeRoi peut eſpérer
avec confiance que S. M. Très- Chrétienne
rendra juſtice à ſes ſoins pour le maintiendu ſyftême
de l'Empire , qu'elle ne voudra pas autorifer
un échange de la totalité de la Baviere. La
Cour de France s'étant ſeulement engagée , par
le Traité de Bade , à ne point s'oppoſer à quelqu'échangement
des Etats de Baviere , & que ,
comme voiſine de l'Empire , & comme garantet,
des Traités de Westphalie & de Teſchen , & de
laConſtitution Germanique , elle ne pourra pat
voir avec indifférence que cette Conftitution
& l'Equilibre de l'Allemagne , & même celui
de toute l'Europe ſoient expoſés a un danger
viſible par la réunion arbitraire de l'important
Cercle de la Baviere à la Monarchie puiffante
de la Maiſon d'Autriche . Le Roi peut
également attendre de la justice de l'Impératrice
de Ruffie , qee S. M. Impériale agira d'après les
mêmes principes , & que comme garante de la
paix de Teſchen , elle ne continuera plus à fa
voriſer l'échange dangereux de la Baviere , furtout
lorſque S. M. Imp. prendra en conſidération
que l'article XVIII du Traité de Bade n'autoriſe
pas même un échange volontaire de la totalité
de la Baviere .
Il eſt dificile de comprendre comment l'Au
teur de l'Examen des motifs , &c. ait pu avancer
la propoſition ſuivante : que le Traité d'union
a6
( 12 )
du Roi avec pluſieurs Princes d'Allemagne ayane
pour but d'empêcher , de force ouverte , les
Maiſons d'Autriche & de Baviere d'échanger tốt
ou tard quelques-unes de leurs poffeffions , étoie
non-feulement offenfif pour ces deux Maiſons
mais auffi contraire à la Conftitution Germanique,
à la Paix de Westphalie , à la Capitularion
d'élection , & nommément auſſi au Réglement
d'exécution de 1673 , qui défend auxEtats
de l'Empire de s'offenſer réciproquement , de
tamerdesconſpirations les uns contre les autres ,
&de conclure des alliances prohibées ». La Cour
de Berlin n'a jamais parlé , dans ſes déclarations ,
de l'échange de quelques poſſeſſions ,& elle ne
s'eſt oppoſée notoirement qu'à l'échange de la
totalité ou de la majeure partie de la Baviere. Au
reſte , qui a appris à l'Auteurde l'Examen le conzenu
du Traité d'union dont il oſe parler avec
tant d'affurance ? Certainement il ne le connoît
pas , & ne peut pas même le connoître ,
puiſque ce Traité , ſur lequei il porte unjugement
ſi indécent , n'a pas encore paru en public.
Mais comment regarder un Auteur qui , fous les
yeux de la Cour de Vienne , oſe ſuppoſer à la
Cour de Berlin un langage qu'elle n'a jamais
renu , qui avance des fauffetés , & qui , en alléguant
le Réglement d'exécution de 1673 , tâche
d'imprimer au ſuſdit Trai é d'union le caractère
d'une conſpiration ou d'une allance prohibée ? 11
ne devoit cependant pas ignorer que ce Réglement
qu'il cite avec tant d'affectacion n'est pas
une loi de l'Empire , mais ſeulement un projet
pour une loi concernant l'exécution. Des Electeurs
& des Princes de l'Allemagne , qui , d'après
le droit incontestable qui leur compete de
faire des upions , contractent une alliance pour
le maintien de la Conſtitution Germanique , al(
13 )
liance qu'ils peuvent montrer dès que les cir
conſtances l'exigeront , ne trament point de conf
pirations, ni ne concluent des alliances prohi
bées contre l'un ou l'autre de leurs Co-Etats ,
quand ils penſent différemment qu'eux relativement
à certains objets , & quand ils établiſſent
Feur opinion contraire , non contre l'Empereur ,
en ſa qualité de Chef de l'Empire , mais en fa
qualité d'Etat de l'Empire. La Cour de Vienne ,
ou ſes Ecrivains , devroient s'abſtenir de ſe ſervir
d'expreffions auffi démeſurées , fi elle ne veut
point s'expoſer aux reproches de vues delpotiques
, & d'empiétement ſur la Capitulation
d'élection , fur la Conſtitution Germanique , &
fur le droit fédératif des Etats de l'Empire .
On affure , à la fin de l'Examen des motifs , &c .
que la propofition d'un échange de la Baviere n'a
pas éré faite , d'une maniere menaçante , au Duc
des Deux- Ponts ; mais le peu de choſe que l'on a
cru devoir avancer dans la déclaration de la Cour
de Berlin , relativement à cette propofition , a
été tiré de bonnes nouvelles de Deux- Ponts ,
qui méritent une confiance emiere. Au reſte ,
il ne feroit pas difficile d'éclaircir ce point, fi
l'on jugeoit à propos de communiquer au Public
la correfpondance entre le Duc des Deux Ponts
& le Comte de Romanzow , & le Mémoire que
la Cour des Deux- Pon's a fait remettre , au
mois de Janvier , à celle de Pétersbourg.
Les principales circonfiances du nouveau projet
d'un échange de la Baviere , étant actuellement
éclaircies fuffisamment , & la Cour de Vienne &
celle de Berlin ayantpréſenté au Pub ic impartial
les motifs de leur conduite reſpective , ce
Publiceſt mis à portée de juger fileRoi de Prufle
n'étoit pas fondé d'ouvrir ſon avis relativement à
ce projet d'échange , non ſeulement aux autres
( 14 )
Cours de l'Europe , mais auſſi aux Etats de
l'Empire ; de propoſerà ces derniers une afſociation
contre toutes les eſpeces d'atteintes qui
pourroient être portées à la Conftitution Germanique
, & de la conclure avec quelques uns des
Etats d'Allemagne , & fi cette affociation conftitutionnelle
, qui n'offenſe perfonne , & qui n'eſt
qu'une meſure défenſive , mérite le blâme ou
l'approbation des Cours de l'Europe & des Etats
de l'Empire.
Nous apprenons de Berlin, que le Duc
de Saxe-Weimar y eſt arrivé au commencement
du mois , & y a été reçu par ordre
du Roi , avec la plus grande diſtinction. A
la même époque le froid avoit fait deſcendre
le thermometre de Réaumur à 15 degrés
au-deſſous du point de congélation.
Le 31 Octobre 1785 , l'Académie Electorale
Palatine des Sciences à Manheim , s'eſt aſſemblée
publiquement : Elle avoit publié ily a deux ans
laqueſtion ſuivante :
>> Par la forme extérieure d'une montagne , &
>> particulierement parles pierres & les roches dont
>>elle est compoſée , peut- on parvenir à connoître
>> ſi elle contient , ou non , des filons on des cou-
>> ches métalliques? Quelles sont celles de ces
>>>pierres & de ces roches qui font eſpérer plutôt
>> un métal qu'un autre ? Quelles font celles qui
>>>ſont ſtériles ? De la miniere dont cespierres font
>> diſpoſées dans l'intérieur d'une montagne , &
>>>peut- on auſſi en tirer des indices de l'exiftence
>> d'une mine ?
Parmi les Mémoires qui feront envoyés far
cette queſtion , il s'en est trouin en François ,
avec la devi'e : l'homme avide de formeje trompe
fouvent en la cherchant .
( 15 )
Au jugement de l'Académie , l'auteur de ce
Mémoire fans avoir pleinement fatisfait à ſon
attente , paroît pourtant être verſé & expérimenté
dans la connoiſſance des mines. Il n'a pas
héſité de dire qu'on pouvoit répondre affirmativement.
Cependant il ne l'a fait qu'en partie , &
cela a engagé l'Académie de partager ce prix
entre lui &un autre Mémoire écrit en Allemand ,
de maniere que le François aura une Médaille
de 30 , & l'Allemand une autre de 20 ducats ;
ainſi le prix en entier de so ducats n'ayant été
adjugé à aucun , les billets qui cachent les noms
deces deux auteurs ne seront ouverts qu'après
que ceux-ci auront trouvé bon de ſe faire connoître&
auront déclaré qu'ils accepteront le partageci-
deſſus.
Dans la même Séance , M. Lamy , Secretaire
perpétuel de l'Académie , publia deux nouvelles
queſtions pour les années 1787 & 1789. Voici la
premiere :
>>>Etant connu que l'électricité eſt du nombre
des irritans , on demande ſi elle ne pourroit
>> pas être un remede propre à rappeller à la vie
>>>les noyés , les ſuffoqués & autres attaqués de
>>>l'asphyxie ; fi elle mérite une préférence fur
>d'autres moyens ſemblables employés & qaelle
feroit en ce cas la voie la plus sûre & la plus
>>> facile de s'en fervir ?
L'autre queſtion , pour l'année 1789 , eſt
conçue en ces termes : Existe- t-il dans la
claſſe Dioique de Linnée des plantes du mês e
>> genre , qui ſoient purement femelles dont
" les ſemences aient la puiſſance ou la facu'té
> de répro fuire l'eſpece ſans la fécondation des
mâles, c
En déſignant les noms Botaniques , ſelon
Tournefort & Linnée , on devra conſtater la fertilité
ou la ſtérilité des ſemences de ces femel(
16 )
Yes mentionnées dont les mâles n'ont aucuné.
ment agi ſur leurs propres germes , par des
obfervations & par des expériences ſi exactes ,
qu'on ne puiffe pas avoir le moindre doute ſur
un ſujet auffi important à l'hiſtoire de la géné
ration des végétaux.
Un Journal de Librairie évalue le commerce
de Livres aux deux Foires annuelles
de Leipfic à 500,000 rixdalers par an .
Notre Prince Evêque , écrit- on de Hildesheim ,
eſt aavellementici ; la ſanté est très - chancelante .
Le 28 Novembre il a demandé au Chapitre La
Coadjuteur pour cet Evêché. On affure que le
Chapi re s'affemblera le 15 de ce mois pour
convenir du jour d'élection , qui probablement
aura lieu à la fin du mois de Février , ou au commencement
du mois de Mars . On préſume que le
Baron de Furttemberg , Prévôt du Chapitre , fera
élu Coadjuteur.
La récolte des grains a été très -médiocre
l'année dernière dans leDuché de Cour ande.
Cette circonstance qui fait craindre une difette
, a obligé l'Adminiftration d'en defendre
l'exportation juſqu'à nouvel ordre. L'exportation
des bleds de Mars à été defendue
à Konigsberg.
L faillite d'une forte maiſon de commerce à
Riga a déterminé le Magiſtrat de cette Ville à
rendre un nouveau réglement relativement à la
tenue des livres de commerce. Ceux des Négocions
qui ceiferont leurs paiemens ,& qui auront
négligé de ſe conformar a cette nouvelle loi , ſeront
poursuivis comme banqueroutiers fraudu
leux.
ITALIE.
DE NAPLES , le 7 Janvier.
Le 30 du mois dernier , le Roi a conféré
( 17 )
le Grand Ordre de S. Janvier au Général
Acton , Miniſtre d'Erat , de la Guerre & de
la Marine , & au Lieutenant-Général Pignatelli
, de retour de ſa députation à Madrid.
Le Commiſſionnaire qui ſe rendoit à
Lecce pour y acheter de l'huile , a été attaqué
par huit voleurs bien vêtus , qui lui ont
pris 4000 ducats. Heureuſement il a pu
ſauver de leurs recherches une caſſette qui
en contenoit 30,000 . Sur la même route ,
cette bande de voleurs a détrouflé différentes
perſonnes.
On a publié à Madrid la relation ſuivante
des expéditions ordonnées par la Cour , à
diverſes repriſes , contre les Naturels du Darien.
Nous la traduiſons littéralement.
,
Pour réprimer l'audace desbarbares Indiens du Darien,
qui s'étoient ſouſtraits dans le fiecle dernier
dela domination efpagnole , & qui , par un effet
de leur ferocité naturelle&de leur perfidie , &par
les infinuations & les Secours de quelques nations
européennes , faifoient de fréquentes incurfions
dans les provinces limitrophes , où ils comme:-
toient diverſes ccrruuaatutés & en mêmetems dans le
deffein d'occuper les poſtes les plus avantageux
fur cette côte , afin de fruſtrer l'avi ité des contrebandiers
étrangers dans ces parages où ils
avoient réſolu de s'établir , & d'y affurer leur
commerce clandestin , en l'étendant même juſqu'à
la mer du Sud , le Viceroi de Santa-Fé reçut un
ordre , le 20 Septembre 1784 , de faire enſorte
que les endroits les plus convenables & les plus
conformes aux intentions de S. M. fuffent pourvus
de monde , & fortifiés ſuffisamment , afin
d'éviter par ce moyen une guerre ouverte.
1
( 18 )
Le 23 Janvier de l'année derniere , une expédition
mit à la voile de Carthagene , aux ordres
du Brigadier D. Antoine de Arevalo , qui fondadeux
établiſſemens , l'un ſur la riviere de Mandinga,
entre la pointe San-Blas & le port de Calidonie,
fur la côte du Nord & à l'iſtimo de Ponama
, & l'autre fur la riviere de Cyïman , qui
eſt laclefdes provinces de Choco , Popayan , Antioguia
, &de tout le royaume de Santa Fé. Les
Indiens commandés , à ce qu'on ſuppoſe , par un
étranger , firent quelque réſiſtance à nos partis
avancés , & dans la riviere d'Azucar un Brigantin
,portant pavillon anglois , fit feu fur unede
nosGoulettes , qui étoit à la découverte ſur la
côte , & qui s'empara du brigantin , dont l'équipage
ſe ſauva dans la chaloupe. Nos troupes
treuverent également une réſiſtance opiniâtre de
la part des Indiens ſur la pointe de San-Blas ;
mais les ayant repouſſées , les nôtres s'empagerent
d'un poſte avantageux , &le fortifierent
de façon qu'ils ne pouvoient en être rechaffés .
On travailla d'abord à niveller le terrein fur
lequel onbâtit le village & le fort de St. Gabriel,
&enſuiteon acheva celui de St. Charles.
Le 27 Juillet , malgré le danger de la navigation
, & les terribles ouragans qui avoient précédé
, une autre expédition conſidérable ſortit de
Carthagens , aux ordres du même D. Antoine
deArevalo ; & le 2 Août il arriva au port de
Calidoine , auquel ildonna le nom de Carolina
del Darien. Nos troupes débarquerent , & les Indiens
les appercevant ſans doute en fi grand nombre
, au lieu de s'oppoſer , accoururent paiſiblement
avec des démonſtrations de joie , & aiderent
même à débarquer les équipages , l'artillerie &
les munitions; ils apporterent des vivres & offrirent
de travailler à tout ce qui pouvoit contri
( 19 )
buer au bien du nouvel établiſſement. De notre
côté on leur témoigna beaucoup de reconnoiffance
, & oubliant les juſtes raiſons de reſſentiment
, on les traita amicalement , & on leur
paya toujours les vivres & autres choſes qu'ils
apportoient àvendre , ainſi que les journées qu'ils
employerent aux travaux.
On a heureuſement réuſſi à former l'établiſſementde
Port-au-Prince très- important pour contenir
les Indiens de l'intérieur de la riviere de
Cayman , & pour la fûreté & la tranquillité des
nouveaux colons eſpagnols. Parce moyen on eſt
• parvenu ſans effufionde ſang, à rétablir la tranquillitédans
ces importantes provinces , les Indiens
étant ſoumis ſans eſpoir d'aucun ſecours
étranger; le commerce clandeſtin détruit , les
inconvéniens politiques prévenus , & ce qu'il y a
deplus confolans , le chemin est ouvert aux Miffionnaires
, qui pourront aller faire connoître à ces malheureux
leur barbare idolatrie,,&&ppaarrles traitemens
continuels de douceur & d'humanité qu'on leur
fera éprouver , on leur rendra la vie agréable , &
on pourra convertir leurs moeurs cruelles , & les
inftruire dans notre fainte Religion.
Cette nouvelle a été reçue avec beaucoup de
ſenſibilité par le Roi , qui en a fait témoigner
toute ſa ſatisfaction au Vice-Roi de Santa Fe , &
en même-tems a fait recommander aux Officiers
& aux troupes de ſe conduire toujours avec douceur
& avec humanité.
DE VENISE , le 3 Janvier.
Le Sénat a été informé des ordres réitérés
de la Porte au Pacha de Scutari , pour
qu'il ait à réparer tous les dommages cau(
20 )
fés aux territoires & aux Sujets de la République
; mais comme juſqu'à préſent ces
ordres ont été ſans effet , notre Gouvernement
continue d'envoyer dans la Dalmatie
ungrand nombre de munitions de guerre.
Il a même été réſolu de faire paſſer au Provéditeur
général de cette Province une fomme
conſidérable de féquins .
L'Empereur , inſtruit de l'énormité des
droits que paient à Verone les marchandiſes
qui paſſent de ſes Etats dans ceux de la République
, en venant duTyrol ou de Mantoue,
a ordonné à ſon Miniſtre de demander
au Sénat la diminution de ces taxes.
Il y a près de huit mois qu'un marelor embarqué
fur une frégate napolitaine tomba dans
Ja mer , au moment où le vaiſſeau fortoit du
port pour aller en courſe. La violence du vent
qui régnoit alers , ota tout moyen de le ſecourir
, & on leerut perdu. Cependant il vint à
paffer par bonheur un bâtiment anglois qui le
recueillit & l'emmena au lieu de ſa deſtination .
Afon retour , cet infortuné a retrouvé ſa ſemme
au moment où elle alloit paſſer en ſecondes
noces.
ESPAGNE.
DE MADRID , le 5 Janvier.
Dans le cours de l'année derniere, il eſt entré
à Cadix 1194 bâtimens , dont 318 Efragnols
, 180 François , y compris un vaiſſeau
de guerre , 21 Napolitains , 74 Portugais ,
231 Anglois,y compris 1 vaiſſeau de guerre,
( 21 )
83 Suédois , 99 Danois , 2 Pruſſiens, 19 Vénitiens
, 32 Ragufois , 11 Génois, 2 Toſcans,
2 vaiſſeaux de guerre Maltois , 28 Américains
, 34 Impériaux , 4 Ruſſes & 43 Hollandois.
Sa Majesté , dès le mois de Juin dernier ,
avoit chargé ſon Secrétaire d'Etat & SurintendantGénéral
des Finances de Pedro de Lavena
d'établir dans les Caſtilles le même ordre qui
règne dans le Royaume de Séville pour la perception
des impôts appellés rentes provinciales.
Mais les diſpoſitions adoptées par le Ministère ,
ayant donné lieu à quelques abus , S. M. afin
d'y pourvoir , a fait expédier , le 6 de ce mois ,
une Cédule Royale , par laquelle elle prend différentes
meſures propres à prévenir ces abus.
Son but étant d'ailleurs de foulager ſes peuples
des Caſtilles & de les aſſujettir à un ſyſtème d'impoſitions
plus légal & plus uniforme , S. M. a
jugé à propos , par un nouveau Réglement contenant
les tarifs des impôts ſur les denrées &
fur l'induſtrie , de réduire l'impôt appellé alcavala
de 14 à 5 pour cent ſeulement ; les autres
impôts qui font partie des rentes provinciales ,
font auffi conſidérablement diminués. Cette réforme
ſalutaire aura lieu , à compter du premier
Janvier 1786 pour les provinces intérieures
S. M. devant approuver un autre Réglement
pour les ports de mer de Galice & de Murcie.
GRANDE-BRETAGNE.
,
DE LONDRES , le 24 Janvier.
Toutes les lettres de l'Inde , apportées par
( 22 )
le paquebot le Swallow, s'accordent àciter les
murmures d'une partie des Officiers de l'armée
& des Employés de la Compagnie des
Indes , contre le bill deſtiné à réprimer & à
punir les brigandages des Exacteurs. Ils ſe
plaignent fur tout de la clauſe qui les force à
préſenter leurs livres de compte , à déclarer
l'état de leurs fortunes,& à être jugés par des
formes différentes de celles des Tribunaux
Anglois. M. Dallas paſſe en Europe avec les
Pétitions des Mécontens , qu'il eſt chargé
d'appuyer. C'eſt à ces démarches que ſe réduifenttous
les mouvemens &uneprétendue
révolte des Indiens même, dont on avoit fait
courir le bruit , non moins faux que les trois
quarts de ceux debités depuis l'arrivée de
Lord Macartney.
Dans leur nombre , il faut mettre le ſuivant,
avancé en ces termes par divers Papiers.
de l'Oppoſition .
Madajée Scindia , le fameux Chef des Marattes
, s'eſt avancé dla tête d'une armée conſidérable,
près des frontières desDomaines de notre allié
le Vifir d'Oude. L'Empereur Shah Allum eſt dans
le camp des Maratres . Scindia expédie toutes les
dépêches ſous le nom & avec la ſantion de l'Empereur.
Il afommé le Gouverneur général & le
ConfeildeCalcutta de payer tous les arrérages
des tributs dûs à l'Empereur , en vertu du Traité
conclu parle Lord Clive, à l'époque où le Bengale
fut cédé àla Compagnie des Indes , leſquels
arrérages ſe montent , dit- on , à trois millions A.
Le Gouverneur & leConſeil ont refuſéde payee
cette fomme, & ils ont envoyé l'ordre de re.
( 23 )
pouffer l'ennemi en cas d'attaque de ſa part.
Ces lettres ajoutent qu'à la mi- Juillet l'armée
des Marattes étoit campée àMatra , près d'Agra ,
à environ cent cinquante milles de nos poſtes
avancés .
Aujourd'hui , on regarde cette nouvelle
deſtituée de tout fondement , comme imagi
née & répandue par l'Oppofition. Aucune
des dépêches au Gouvernement & à laCom.-
pagnie ne fait mention d'un pareil événement.
On ne doit pas plus de créance aux
batailles imaginaires entre les Marattes &
Tippoo - Saib , dans lesquelles on les fait
triompher alternativement. Une nouvelle
qui ſemble prendre plus de crédit , quoique
dénuée encore de preuves ſuffifantes , eſt
celle du ſoulevement de la légion de Luxenibourg
à la folde des Hollandois , qu'on prétend
s'être révoltée contre le Gouverneur de
Columbo , dans l'ifle de Ceylan .
Il ne paroît point qu'on ſonge à renvoyer
le Lord Macartney au Gouvernement qul
a abandonné. Le 17, le bruit s'eſt répandu
que M. Haftings ſeroit de nouveau nommé
Chefde nosEtabliſſemens dans l'Inde ; & en
conféquence , les Actions de la Compagnie
ont hauffé de 3 pour 100. Rien ne prouve
mieux la confiance du Public dans ce célebre
Administrateur. Perſonne , en Angleterre ,
n'étant plus propre que lui par ſes talens &
par fon expérience , à remplir ce poſte important,
on ſe flatre qu'on ne tardera pas à le
lui rendre. Il a reçu une Adreſſe de sss Offi
(24 )
ciers de l'armée du Bengale , qui prouve la
haute eſtime & le reſpect qu'on porte a cet
ancien Gouverneur.
,
Nous avons tous lui diſent entr'autres
ces Officiers , que vous avez été à la tête du
Gouvernement de cet Empire , pendant près
de treize ans ; que vous en avez pris le fardeau
dans un tems des plus critiques ; qu'une
famine cruelle avoit désolé & dépeuplé le pays
quand vous y étes arrivé , que le tréſor public
étoit vuide , & la Compagnie chargée d'une
dette énorme ; que les plans que vous aviez propoſés
, lorſque vous n'étiez que Gouverneur particulierde
cette Réſidence , ayant été adoptés par
leGouverneur général&par le Conſeil ſuprême ,
dont enſuite vous êtes devenu le Chef, ont effec.
tué une réduction conſidérable de ladette publique
, rempli le tréſor ,& rendu au pays fa primitive
ſplendeur.
<c«Nous ſavons auſſi que , pendant cette période,
leGouvernement a éprouvé des convulfions inteſtines
par la diviſionde ſes Membres ; mais que
malgré tous ces obſtacles , vous avez , à la gloire
éternelle de votre génie , rempli votre pofte
avec honneur & fermeté; que les Indiens voulant
profiter de l'avantage prétendu que leur offroient
lesdiſcuſſions inteſtines dont leGouvernement
étoit agité s'étoient réunis & ligués pour
andantir la Puiflance Britannique dans l'Inde , en
lui ſubſtituant celle de la France , qui ſourdement
fomentoit cette révolution , & à la fin ſe joignit
ouvertement à cette confédération. Néanmoins
tous les efforts de nos ennemis ont été rendus
vains , les poffeſſions de l'Empire Britannique
dans l'Inde furent ſauvées par votre fermeté ;
J'expédition dont vous formâtes le plan, &dont
yous confiâces l'exécution au Général Goddard ,
Porta
( 25 )
porta l'armée à travers des régions inconnues,
d'une extrémité de l'Inde à l'autre , & au mépris
des efforts des ennemis , & d'obstacles inrombrables
, la fit pénétrer juſqu'à Surate , où elle s'empara
de pluſieurs provinces des ennemis de laCompagnie.
«Il eſt également à croire qu'au milieu de tous
cestroubles , les François & les E pagnols d'abord,
& les Hollandois peu de tems après , ſe réunirent
pour nous attaquer ; ſecondés puiſſamment par
Hyder-Aly , qui avant la rupture avec les Hol ardois
avoit envahi le Carnate , battu l'armée ang'oite
en bataille rangée ,& foumis à fon obeiffance
tout le pays , excepé Madras , Velore ,
&quelques petits poſtes de peude conféquence.
«Dans le moment où tout le monde regardoit
leCarnate comme perdu , votre infarig ble activité
trouva des reſſources inespérées , & fauva
ceste poffeffon importa te d'une ruine que l'on
croyoit inévitabe. Vorscûtes la noble ha diffe
deporter le théatre de la guerre dan le centre des
Etats de l'enemi; & quoique le Berg le méme
fût menacé d'une invafion , vous envoyat s un
renfort conſidérable au Gén'ral Coote , & fauvâtes,
par ce ſecours , les poffeffions angloiſes de
cette parte de l'Inde , forçant les Merartes , les
ennemis , à conc'ure une pa'x hot crable fans
avoir perdu un pouce de terre pendant une
guerre auffi dangereuſe.
«C'eſt ainfi , Monfieur , que votre adminif
tration glorieuſe ſut rendre vains & inutil s les
efforts multipliés d'ennemis nombreux & puif-
Sans : les conquêtes que vous avez faites dans
l'Inde ont fervi à racheter ce que lira ion avoit
perdu dansd'autres parties duglobe , & .
«Nous vous fupplions donc d'accepter 1"
ble aſſurance de notre eftime , de notre
No.54 Février 1786.
( 26 )
reſpect , de ros remerciemens les plus finceres,
pour nous avoir ouvert le chemin de la gloire,
&procuré les moyens d'acquérir de l'honneur ,
&de nous rendre utile ànotre patrie.
"Permettez-nous , Monfieur , de vous aſſurer
en outre de ladouleur que votre départ nous
cauſe : le tems &le ſouvenir de vos illuftres actions,
nous ont donné pour vous une eftime profondément
gravée dans nos coeurs ; le chagrin que
nous éprouvons en vous perdant , ne peut certainement
être plus vif; mais ce qui peut nous en
conſoler , c'eſt l'eſpoir que nous entretenons de
vous voir comblé , à votre arrivée en Europe ,
de tous les honneurs & des récompenfes dues à
votre mérite ſupérieur : c'eſt d'une voix unanime
que nous nous réuniffons pour vous ſouhaiter les
récompenſes qui vou's ſontdues à ſi juſte titre.
Onamis furles chantiers deWoolwich &
de Deptford trois vaiſſeaux du ſecond rang ,
percés pour 98 can. Ils feront finis dans l'Eté
de 1787. Ces trois vaiſſeaux feront nommés
le Prince , le Boyne , & le Windfor-Castle.
Au rer. de ce mois , le tableau des vaifſeaux
en ordinaire , remis à l'Amirauté , offroit
la liſte ſuivante.
V.deL. V.de 50. Frég. Sloops.
ADeptford -
-
72 6
AWoolwich 2 -
17 9
AChatam 26 5 10 6
ASheernef
4 2 12 6
A Portsmouth 50
APlymouth
2 28
9
32 2 12 9
114 II III 42
de 44 à de noà
24 can . 20 can.
Total des Vaiſſeauxde guerre ...... 278 .
( 27 )
On a retrouvé le corps du Capitaine
Pierce , & on l'a enſeveli àChriſt - Church.
La Compagnie des Indes a fait choix d'un
nouveau bâtiment , qu'on équipe en diligence
pour remplacerile Halfewell.
Par l'Etat des Comptes publics juſqu'au
s de ce mois , dreſſé à la Tréſorerie pour
être préſenté au Parlement , il paroît que
les ſommes verſées cette année dans le fond
d'amortiſſement , excedent de beaucoup
trois millions ſterlings ( environ 68 millions
tourn. ) On parle toujours d'effectuer inceſſamment
le projet d'une Tontine au
principal de 25 millions ſterl. & de 3 & 4
p. en annuités viagères. D'après les offres
dejà faites au Miniſtre, il lui ſera aiſé de
ſe procurer même le double de ce Capital.
Cette Tontine diviſée en pluſieurs claſſes ,
felon les âges , fera propoſée au Parlement ,
ainſique la vente des terres de la Couronne ,
pour leſquelles le Gouvernement prendra
en paiement des effets publics à 3 & à
4p.
La ſemaine derniere la frégate la Thisbe
eſt arrivée de Portugal , d'eù elle a ramené
l'Amiral Campbell. Elle a eſſuié la tempête
dans laquelle le Halſewell a péri. Elle
fut obligée d'arriver ſur les côtes d'Irlande.
Le tonnerre tomba deux fois à bord , &
ſans l'excellente diſcipline que le Commandant
de cette frégate aſcu y maintenir , elle
auroit été infailliblement perdue.
La Société Ecoſſaiſe , établie depuis près de
b2
( 28 )
neuf ans à Norwich , ſous les auſpices du Comte
de Roſebery , du Chevalier W. Jerningham , &
d'autres perſonnes de distinction , dont l'objet eſt
-de ſecourir les étrangers réſidans en Angleterre ,
Borſqu'ils ſe trouvent dans ladétreſſe , ayant tenu
derniérement ſon aſſemblée annuelle , il eſt réſulté
de la réviſion des comptes de l'année précédente ,
que cette Société a aſſiſté pendant cette période ,
deux cents cirquante infortunés , tant Ecoſſois
qu'Irlandois , Américains , François , & autres de
divers Nations , qui , n'appartenant à aucune
Parciffe du Royaume , n'avoient nul eſpoir de
recevoir la moindre aſſiſtance. Parmi différens
réglemens , il fut réſolu que cette Société pren
droit à l'avenir le nomde SociétédeBienfaisance
univerſelle.
Le Friendship allant de Londres à Leith ,
a fait naufrage à Thorton I och . De 17perſonnes
à bord, 7 ont péri , entr'autres le
Cap. Græme , ancien Officier du 54.me
Régiment , & ſes trois filles. Miſtreſs
Græme s'étoit auſſi embarquée , mais l'incommodité
du mal de mer la fit deſcendre
à Sheerneſs pour faire le voyage par
terre. Son malheureux époux & deux de
fes filles furent noyés dans la chambre
même du vaiſſeau , & emportés par les
lames d'eau. La troiſième fille fut trouvée
dans la cale. Les habitans de Dunbar &
des environs ont montré le plus grand
zele & la plus grande humanitédans cette
circonstance. La majeure partie de la cargaifon
a été ſauvée.
La tempête que l'on a de nierement
( 29 )
éprouvéc dans la Manche , écrit-on de Plymouth
, a caulé dans ce port beaucoup plus
de dommages qu'on ne l'avoit cru d'abord.
D'après l'état des réparations à faire , on les
eſtime à 10,000 liv. ſterl. Le ſenaut Suédois
qui avoit touché à la côte près de la Baye
de Cauſand , ſera vraiſemblablement ſaivé,
attendu qu'il eſt ſur ſon left. Pluſieurs vaifſeaux
font arrivés dans le Sound. Les paſſagers
rapportent que la tempête s'eſt fait refſentir
dans la partie du Sud Oueſt , à 100
lieues au large.
Un Officier étranger , chargé d'une femme
& de trois enfans , avoit beaucoup de
peine à vivre dans une obfcure allés de
Tothilfields , quartier de Westminster. Par
hafard l'on parla de ſa ſituation malheureuſe
dans un Palais peu éloigné de celui
de Saint James ; & la ſemaine derniere
cet Officier reçut les ſecours les plus généreux
de l'une des femmes de la Reine. Le
Public a reconnu à ce trait la bienfaiſance
ordinaire de S. M.
Des canons Eſpagnols retirés de l'eau à
Gibraltar , on s'eſt avisé ici d'en faire des
chandeliers qui orneront les tables des curieux.
Cette idée rappelle l'anecdote trèsconnue
de la Statue de Charles I , actuelle .
ment à Charing Croff. Cette Statue, pendant
les guerres civiles , fut vendue à trèsbas
prix à un Coutelier ; il annonça qu'il alloit
la fondre pour en faire des manches de
b2
( 30 )
C
couteaux de bronze , qu'en effet il expofa
envente. On ſe les arracha. Tous les Wighs
enachetoient comme autant de trophées
injurieux à leur Souverain. Le Coutelier fit
fortune en très-peu de temps; ſes manches
étant vendus dix fois la valeur du métal qui
ſe trouvoit dans la Statue . Au lieu de la
fondre , cet ouvrier l'avoit enterrée. Lorſque
Charles II. remonta ſur le trône , il la vendit
fort cher à ce Prince qui la fit placer
dans l'endroit où elle ſe trouve maintenant.
Les dernieres lettres de M. Logie , Confal
Anglois àAlger , attribuent au Bey le plus grand
defir d'entre enir la bonne harmonie entre cette
Régence & la Grande Bretagne. Le Pavillon
Anglois eft preſque le ſeul reſpecté des Corfaires
Algérien . La bravoure que leGénéral Eliot &
Hes troupes Angloiſes ont montré au dernier ſiege
deGibra'tar , femble avoir inſpiré à ces Pirates
Ja plus grande eſtime pour la nation.
Les Mémoires récens de la Société littéraire
&philoſophique de Mancheſter , continuent
une relation très-curieuſe & authentique
communiquée par M. Bew , concernant
deux aveugles remarquables , le Docteur
Henri Moyes & John Metcalf.
Le Docteur Henri Moyes , qui , accidentelle
ment , a donné des leçons de Chymie à Mancheſter
, perdit la vue par la petite vérole ,
dès ſa plus tendre enfance. Comme le Dedeur
Saunderson , célèbre profeſſeur de Cambridge ,
il ne ſe reffouvient pas d'avoir vu de ſa vie ,
& ſes ſeutes reminiscences font des idées confuſes
du ſyſtême ſolaire. Il a eu le bonheur
de naître dans un lieu où l'on cultive les con(
31 )
noillances detoute eſpece & d'appartenir àune
famille qui chérit les Sciences.
Doué de génie , & d'ardeur pour le travail ,
il fit des progrès rapides dans les differens gen.
res d'étude auxquels il s'adonna : non-feulement
il apprit les élémens de la Méchanique , de la
mutique & des langues; mais il étudia encore
les Sciences à fond , & acquit une connoiffance
générale de la Géométrie , de l'optique , de
P'A'gebre, de l'Aſtronomie , de la Chymie , &
enfinde la plupart
fophie Newtonnienne.
des branches de la Philo-
Dans fon enfance , il s'attacha principalement
à la Méchanique. Parvenu à un âge plus
avancé , il ſe familiariſa ſi bien avec l'uſage
des outils tranchans , que quoiqu'il fût abſolument
aveugle , il parvint à faire des petits
moulins à vent , & conftruisit même de ſes
propres mains un métier de tifférand : il
montroit toujours les cicatrices qu'il s'étoit faites
en travaillant dans la jeuneſſe.
Ayant vécu dans la plus grande intimité
avec cet aveugle pendant ſon ſéjour à Mancheſter
, dit M. Bew , j'ai été à portée d'examiner
en différentes circonstances la maniere
dont il combinoit ſes idées & acquéroit des
connoiſſances. Quand il étoit introduit dans une
ſociété , il gardoit le filence pendant quelque
tems ; il connoiſſoit au ſon l'étendue d'une
chambre , & aux différentes voix les perſonnes
qui étoient préſentes. Sa mémoire étoit fi heureuſe
, qu'il ſe trompoit rarement : je l'ai vu
reconnoître une perſonne à la premiere parole ,
quoiqu'il ne l'eût pas rencontrée depuis plus
dedeux ans. Il connoiſſoit , à très -peu de choſe
près , la taille de ceux auxquels il parloit par
la direction de leur voix , & il jugeoit aſſez
b3
( 32 )
fainement de leur humeur & de leur caractere
par la nature de leur converſation.
Ses yeux n'étoient pas abſolument inſenſibles
àune grande clarté. La refraction des rayons
au travers d'un priſme les rendoit affez vifs
pour les lui faire diftinguer un peu. Le rouge
lui cauſoitune ſenſation déſagréable qu'il.comparoit
au toucher d'une foie. Lorſqu'on lui
préſentoit des couleurs moins éclatantes , les
ſenſations étoient moins vives & diminuoient
progreſſivement juſqu'à ce qu'on lui préſentat
du vert , dont il étoit très agréab'ement affe dé,
&dont il comparoit la ſenſation à celle qu'on
éprouve en paſſant la main ſur une ſurface
polie. Les ſurfaces plages , le murmure des
ruiffeaux & les pentes douces étoient les figures
dont il ſe ſervoit pour exprimer. ſes idées
de beauté. Les rochers graveleux , les pointes
inégales & les élémens en courroux lui fourniffoient
les expreſſions de terreur & de dégoût.
Sa converfation étoit très-agréable ; il faifoit
des alluſions heureuſes aux objets ſuſceptibles
d'être vus , & raiſonnoit ſur la nature , ſur la
compofition & la beauté des couleurs avec beau
coup de jaſteſſe & de préciſion .
Le Docteur Moyes étoit un exemple frappant
du pouvoir des reſſources de l'eſpece humaine
pour ſe procurer des amufemens , même dans
les plus trifles ſituations . Quoi que , enveloppé
de ténebres éternelles , devant tirer ſa ſubiftance
d'une entrepriſe dont le ſuccès étoit très
douteux , n'ayant enfin d'autre confolarion que
ſongénie , & confie aux ſoins mercenaires d'une
perſonne dont il ſoupçonnoit la fidélité , il fut
en général toujours gai , & heureux en apparence.
Jolm Metcalf, né près de Mancheſter , on
( 33 ).
il est très-connu , devînt aveugle de très-bonne
heure , & de maniere à n'avoir aucune connoiffance
de la lumiere & de ſes différens effets.
Cet homme exerça dans ſa jeuneſſe la profefſion
de charetier , & par occaſion celle de guide
dans les routes différentes pendant la nuit ,
ou quand les chemins étoient couverts de neige.
Quelqu'étrange que ce fait puiſſe paroître ,
l'emploi choiſi depuis par Metcalf eſt encore
plus extraordinaire. Son état actuel eſt celui
d'Ingénieur ou d'Inſpecteur des grands chemins
dans les montagnes. J'ai rencontré cet homme
qui traverſoit les routes à l'aide d'un grand
bâton, alloit au bord des précipices , examinoit
les vallées & recherchoit leur étendue ,
leur forme , & leur fituation , de maniere à ré.
pondre fur tous ces points de la maniere la
plus exacte. Il fait ſes eſtimations & dreſſe ſes
plans d'une maniere qui lui eſt particuliere &
dont il ne peut pas expliquer le ſens bien
clairement. Son habileté à cet égard eſt cepen.
dent fi connue , qu'il eſt conftamment occupé.
Pluſieurs des routes ſur les montagnes de Derbyshire
ont été changées d'après ſes plans ,
entr'autres celles près de Buxton ; il eſt actuellement
occupé à en faire conſtruire une
autre entre Wilmflow & Congleton , afin d'établir
une communication à la grande route
de Londres ſans être obligé de paſſer par les
montagnes . Depuis le moment où ces faits
ont été recueillis & où ils ont été communiqués
à la Société. J'ai rencontré cet Ingénieur
aveugle , ſeul comme il l'eſt ordinairement ;
dans le cours de notre converſation je lui fis
pluſieurs queſtions relatives à cette nouvelle
route. Je fus étonné de l'exactitude avec laquelle
il décrivit la direction du chemin & la nature
b4
( 34 )
du terrein par où il paſſe. Je lui parlaid'une
picce de terre marécageuſe , & il me dit que
c'étoit la ſeule place fur laquelle il eût quelques
doutes , & qu'il craignoit que , contre for
avis , on y eût trop épargné les matériaux , ce
qui pourroit nuire à la ſolidité de la chauffée.
On trouve dans nos papiers publics une
lettre attribuée au Docteur Francklin
écrite au ChevalierHans-Sloane , il y a 60
ans, par cet illuftre Américain , lorſqu'il
étoit garçon Imprimeur dans le quartier
de Londres appellé la petite Bretagne .L'original
de cette lettre eſt déposé, dit on, an
Muſæum parmi les Manufcrits d'Hans Sloaner
voici la copie qu'on en a publiée.
Le 2 Juin 1725.
>> Monfieur,
> Ayant été depuis peu dans la partie Septentrionale
de l'Amérique , j'en ai rapporté une
bourſe faite d'un fragment d'asbeſte , & un morceaud'un
bois , dont le coeur eſt de même nature,
& que les hahitans appellent coron de Sala
mandre. Vous ſachant fort curieux de choſes rares,
j'ai cru devoir vous informer de ma découverte.
Si vous avez enrie d'acheter ou de voir
ces objets , vous voudrez bien m'en donner avis
par un inot d'écrit à mon adreffe , dans la Petite-
Bretagne , à l'Evantail d'or , & auffi-tôt , j'aurai
P'honneur de les tranſporter chez vous.
Je ſuis , &c.
BENJAMIN FRANCKLIN.
P. S. Comme je compte m'abſenter dans deux
ou trois jours , je vous ſupplie de me faire une
prompte réponse. >>
AM. le Chevalier Hans-Soane , King Streel ,
Bloomsbury. >
( 35)
Mardi dernier , dit une lettred'York , du 13 ,
amanqué d'être un jour fatal pour les Juges ,
Avocats&Procureurs réunis dans lagrande falle
deNewmarton ; unedes pourres principales qui
foutenoit leplancher de la ſalle , manqua toutd'un
coup , & l'Audience ſe trouva , en un clin d'oeil,
au rez-de- chauſſée. Sur environ trois cents perſonnesqui
ontfait ce ſaut périlleux, pas une ſeule
heureuſeme : n'a perdu la vie ; beaucoup de
contufions & quelques dents caſſées , forment
tous les accidens : heureuſement pour les Juges ,
le banc fur lequel ils étoient aſſis , étoit érayé
contre la muraille: lorſque le plancher s'écroula ,
ils reſterent ſuſpendus , en craignant à tout momens
d'érre forcés àprendre le chemin des Avocats
, Procureurs & Parties , qui , pêle- mêle ,
avec leurs perruques , leurs papiers & leurs écritoires,
ne ſe connoiſſoient plus entr'eux : au bout
d'un quart-d'heure , on tira les Juges de cette -
tuation gênante , en leur apportant des échelles.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 25 Janvier.
Leurs Majestés & la Famille Royale ont
ſigné , le 15 de ce mois , le contrat de mariage
du Comte de Campagne, Officier de
l'Etat-major de l'Armée , avec Demo ſelle
de Ségur Pitraye .
LeComte Louis de Rieux & le Vicomte
deMelfort, qui avoient eu l'honneur d'être
préſentés au Roi , ont en , le 17 de ce
mois , celui de monter dans les voitures
b6
( 36 )
de Sa Majesté & de la ſuivre à la chaſſe.
Le ſieur de la Blancherie , Agent général
de la Correſpondance pour les Sciences &
Arts , a eu l'honneur de préſenter au Roi
& à la Famille Royale , le Réglement concernant
la Correſpondance générale & gratuite
pour les Sciences & Arts , arrêté par
l'Adminiſtration de cet Etabliſſement.
Leurs Majestés & la Famille Royale ont
figné , la 22 , le contrat de mariage du
Vicomte Ponte de Nieuil , Capitaine au
Régiment Dauphin , Dragons , avec Demoiſelle
de la Luzerne; & celui du Comte
de Tourdonnet , Premier Maître en ſurvivance
de la Garderobe de Monſeigneur
Comte d'Artois , & Sous- Lieutenant au
Régiment d'Artois , Cavalerie , aves Demoiſelle
de Crénay.
Ce jour , le Comte de Vérac , Chevalier
d'honneur en ſurvivance de Madame Com -
teſſe d'Artois, a prêté ſerment entre les mains
du Roi , pour la Lieutenance générale du
Poitou , dont il a été pourvu , ſur la démiffion
du Marquis de Vérac ſon pere.
Le Comte Antoine de Lévis , le Marquis
de Foucquet , le Marquis du Ménil , le Marquis
de Harenc-la-Condamine , le Marquis
de Boildenemets , le Comte de Montléart ,
le Comte du Roux de Beuil , le Vicomte
de Touſtain de Richebourg , le Vicomte
de Bouillé , le Baron d'Affas & le Baron
d'Hunolſtein , qui avoient précédemment
( 37 )
eu l'honneur d'être préſentés au Roi , ont
eu celui de monter dans les voitures de Sa
Majesté & de la ſuivre à la chaſſe ; le premier,
le 13 de ce mois ,& les autres , le 23 .
DE PARIS , le 1 Février .
Arrêt du Conſeil d'Etat du Roi , du 8
Décembre , qui annulle les paſſeports expédiés
par la Compagnie des Indes , depuis
le 10 Juiilet juſqu'au 20 Août ſuivant , pour
l'introduction des toiles de coton blanches
&peintes , venant de l'Etranger , & dont
il n'a été fait aucun uſage par ceux qui les
ont obtenus.
Autre , du 26 Novembre , qui ordonne
qu'il ſera perçu un droit de 6 liv. par quintal
de ſalpêtre , & de 15 liv. par quintal de
poudre qui entreront dans leRoyaume.
Autre , du 7 Décembre , qui preſcrit la
forme & le diametre des plombs dont il
ſera fait uſage , à compter du rer. Avril
prochain , pour marquer les draps & autres
étoffes de laine ; & qui ordonne que leſdits
plombs , ainſi que les coins néceſſaires pour
Je ſervice des Bureaux de viſite , établis
dans le Royaume , feront fournis par l'Adminiſtration.
Arrêt de la Cour des Monnoies , du 14
Décembre, qui ordonne la difformation des
matrices & poinçons qui ont ſervi à la fabrication
des anciennes eſpèces d'or.
Il vient de paroître une Ordonnance qui
défend à tous ceux qui ne font pas Cheva
( 38 )
liers de Saint-Louis , de porter non-feulement
la Croix de cet Ordre , mais encore
le ſeul ruban rouge , ſous peine de 20 ans
de prifon , ou des Galeres , ſuivant la qualité
des perſonnes. Il eſt enjoint aux Orfévres
, par la même Ordonnance , de ne
pouvoir livrer une Croix de Saint - Louis ,
qu'à ceux qui auront obtenu à cet effetune
lettre du Miniſtre de la Guerre. Il ya ,
dit on, environ 15 mille Chevaliers de Saint
Louis dan's ceRoyaume.
Le 17 Janvier , versſix heures du ſoir, le ſieur
Méchaîn , de l'Académie Royale des Sciences , a
découvert une nouvelle Comete ſur l'epaulegauche
du Verſeau ; à fix heures vingt-cinq minutes
de temps vrai , l'aſcenſion droite étoitde 320degrés
52 minutes& demie , la déclinaiſon auſtrale
desdegrés 11 minutes; du 17 au 19, ou en
quarante huit heures , l'a cenfion droite a diminuéde
2 degrés 7 minutes , & la déclinaiſon a
augmenté d'un degré 43 minutes. On n'apperçoitpoint
encore cette Comete à la vue fimple ,
&elle ſe couche tout au commencement de la
nuit.
Les Affiches de Senlis , du -22 Janvier ,
racontent en ces termes un accident arrivé
en cette ville.
La nuitdugau to de ce mois , tandis que
trois enfants de M. Desmarestz , Président de
l'Election , repoſoient , avec leur gouvernante ,
dans le même appartement , l'eſcalier&&lesdeux
planchers s'écroulerent tout- à -coup avec un fracas
effroyable. La gouvernante eut la préſence d'efprit
de ſe retrancher dans l'embraſure d'une fepêtre
, avec deuxdes enfans , & d'y refter juſqu'à
( 39 )
cequ'onfit venu pour les tirer parcette fenêtre,
au moyen d'une échelle. Mais ſous les débris des
planchers &des meubles , au milieu de la plus
épaiffe pouffiere , étoit enſeveli l'aîné , âgé de
douze ans& très-aimable : lui, ſon lit & tout ce
qui l'environnoit , étoient profondément enterrés.
La chûte du haut d'un étage , l'impoſſibilité
de reſpirer , le poids d'un tas énorme de platras
&de bois de charpente , tout donnoit les plus
vives alarmes pour ſa vie. Enfin , après uneheure
&plus , employée à déblayer autour de lui les
décombres , avec précaution , on apperçut quelques
veſtiges du lit , & on vint à bout deretirer
l'enfant par les pieds. Il étoit ſans connoiſſance ;
mais il n'avoit pas la plus légere contufion. Deux
coffres pleins , formant une voûte , avoient ſoutenu
au-deſſus de lui toute la peſanteur des ruines
qui devoient l'écraſer, Il n'éprouve aucune ſuise
få heuſe de cet accident , & jouit de la meilleure
ſanté. Toute la ville s'eſt empreſſée de partager
avec cette famille reſpectable , l'intérêt & la
joie qu'inſpire une conſervation auſſi ineſpérée.
M. Jacquelin Dupleſſis , qui a fourni à
la Société d'Agriculture les documens con-
'cernant l'oiſeau- martin , nous a priés de
publier l'extrait ſuivant de l'Ordonnance
relative à la chaſſe , article 6 , rendue par
les Commandans & Ordonnateurs fucceffifs
de l'Ifle de Bourbon .
Le martin étant reconnu pour un oiſeau précieux
, en ſa qualité de deſtructeur des chenilles ,
fauterelles , papillons , & en genéral des inſetes
nuiſibles aux moiſſons & beftiaux dans cette ifle
nous exhortons chaquehabitant àveiller de tout
-fon pouvoir à la conſervation de cet oiſeau auffi
effentiellement utile aux progrès de la culture 2
,
( 40 )
&défendons àqui que ce ſoit detirer ſur leſdits
oiſeaux , mêmed'en dénicher, à peine de soo liv .
d'amende , & de plus grande peine en cas de récidive.
M. Jacquelin eſt logé chez les Peres de
Saint- Lazare , & fournira les renſeignemens
néceſſaires ſur l'emploi de l'oiſeau - martin
à ceux qui en auront beſoin.
Ledegré de perfection auquel M. Matthieu Johannotd'Annonay
a porté ſes Papeteries , laiſſe
peu de choſe à defirer. La ſupériorité de ſes papiers
à la hollandoiſe , & fur-tout de ſes papiersvelins,
garantit que , ſous peu de tems , les Papeteries
françoiſes ſeront en état de fournir , dans
tous les genres , d'auſſi beaux papiers qu'aucune
Manufacture étrangere. Le papier françois pour
l'Imprimerie eſt déja celui qu'on préfere par-tout,
même en Angleterre .
Il ne manque plus , pour mettre ce précieux
produit de notre induſtrie au deſſus de toute concurrence
, que de voir les Papeteries du Royaume
ſe communiquer leurs découvertes ſur les procédés
les pluspropres àperfectionner lepapier.
M. Matthieu Johannot offre d'en donner
l'exemple. Conſtamment occupé à augmenter ſes
connoiſſances dans l'art de faire le papier , il eft
prêt à ouvrir ſes atteliers à tous ceux qui defireront
connoîtreſes procédés , & à donner toutes les
inſtructions auxquelles ſon expérience&ſes ſuccès
l'autoriſent , pour former des Eleves , & contribuer
de tout ſon pouvoir à l'avancement des Papeteries
duRoyaume. Quand on patriotifme ne
lui feroit pas un devoir d'une communication
auſſi importante à la proſpérité des Arts & du
Commerce , il s'y croiroit obligé en reconnoif
ſancedes témoignages de ſatisfaction qu'il a reçus
( 41 )
duGouvernement , ſur l'état actuel de les Paa
peteries.
و Frédéric-Caſimir de Rathſamhauſen
Abbé- Prince de Murbach & de Lure ,
Prince du Saint- Empire , eſt mort le rer.
de ce mois à Guebwiller en Haute Alface ,
dans un âge très avancé ; il laiſſe une mémoire
également chere & précieuſe à cette
Province , par les bienfaits qu'il n'a celé
d'y répandre , & par la magnificence des
monumens qu'il y a élevés.
Haut & Puiffant Seigneur , Pierre Charles
d'Arnoult , Marquis de Rochegude ,
Lieutenant-Général des Armées du Roi ,
Commandeur de l'Ordre Royal & Militaire
de Saint- Louis , eſt décédé en fon Hôtel,
rue des vieilles Tuileries , faubourg St.-
Germain , le 16 Janvier.
Charles-Edme de Berthelot de la Villeurnoy
, Chevalier de Saint Louis , ancien
Inſpecteur Général des Milices & Grenadiers-
Royaux , &c. eſt mort à Paris , âgé
d'environ 90 ans.
Les Numéros ſortis au Tirage de la
Lorerie Royale de France , le i de ce
mois , font : 75,46,83 , 39 , & 88 ,
PAYS - BAS.
DE BRUXELLES , le 29 Janvier.
Il eſt faux que notre Gouvernement ait
promulgué aucune défenſe nouvelle d'in(
42 )
roduire dans nos Provinces des marchandiſes
Angloiſes ou autres ; mais le 4 Janvier
le Confeil des Finances a rendu l'Ordonnance
fuivante , qui regle les droits d'entrée
à percevoir ſur les ouvrages de fer &
Jacier.
Le Conſeil des domaines & finances de l'Empereur
& Roi , a pour & au nom de Sa Majeſté
, ſtatus que , par proviſion , on percevra
pourdroits d'entrée , outre les droits de convoi
& de toulieux dans les endroits & dans les cas
où ces derniers droits échoient , trois pour cent
de la valeur ſur les ouvrages de fer & d'acier
du prix de cent Horins les cent livres & audeſſus
, & trois florins du cent peſant , fur
ceux du prix au-deſſous de cent florins les
cent livres .
Le Conſeil excepte néanmoins de cette dif
poſition les fers en batteries , en chaudronnerie
& en cloux , ainſi que les limes , les faux &
les faucilles , qui reſteront afſujettis aux droits
auxquels ces ouvrages & inftrumens étoient
impoſés avant l'émanation de la préſente ordonnance;
& le Conſeil ſe réſerve au furplus
d'autorifer par des permiffions particulieres ,
fur les demandes qui pourront lui en être faites
, l'importation des autres inftrumens ſervant
à l'induſtrie des artiſtes & des ouvriers , moyennant
le payement des droits antérieurs à la
préſente ordonnance , tant qu'il fera notoire
qu'on ne pourra s'en procurer des fabriques
nationales.
La préſente ordonnance aura ſon effet dans
les départemens de Bruxelles , de Tirlemont ,
de Turnhout , d'Anvers , de Saint -Philippe ,
deSaint-Nicolas , de Gand , de Bruges ,d'Of
( 43 )
sende, de Nieuport , d'Ipres , de Courtray , de
Tournay , de Mons, de Chimai , de Charleroi ,
de Namur, de Marche , de Luxembourg &
de Saint-Vith , &c . &c.
Sur la demande de la ville d'Amſterdam ,
les Etats de Hollande ont arrêté de porter
aux Erats Généraux la propofition de faire
préſent au Roi de France de deux vaiſſeaux
de guerre , la Reconnaiſſance & l'Amitié.
Paragraphes extraits desPapiersAnglois & autres:
> L'Empereur ſe rendant dernierement un
peu après neufheures à la Chancellerie d'Au.
>> triche & de Bohême , rencontra ſur le dé-
>>gré un Conſeiller qui s'y rendoit pareille-
>> ment. Il faut avouer , lui dit S M. , que
nous arrivons aujourd hui tous les deux fort tard.
> La ſéance ayant duré ce jour- là juſqu'à près
> de trois heures de l'après - midi , un autre
>> Conſeiller regarda à ſa montre; le Monarque
>> en fit de méme & dit : Il est effectivement
>> un peu tard , mais le tems s'écoule fi vites &
> jamais je ne le trouve long en bonne compagnie.
a Nous apprenons par les dernières lettres de
Berin , que le Comte de Podewis , qui avoit
été nommé Envoyé de S. M. Pruſſienne près
l'Empereur , en étoit parti pour Stargard en
« Pomeranie; qu'on ne s'appercevoit point que
> ce Miniſtre déſigné fit des diſpoſitions pour
ſe rendre afon poße. Selon d'autres avis mems
il pourroit bien s'écouler encore, quelques
> mos , avant qu'on le vit partir pour ſa deſtina
ion; & le Baron de Schonfeld , nomméMiniftre
de l'Electeur de Saxe à Vienne , ne ſe
( 44 )
> mettroit pas non plus en route dans les
premiers mois. Comme le Comte O Kelly ,
> que l'Empereur avoit choif pour fon En-
> voyé à Dresde , reſte également à Prague ,
>> il eſt aisé d'en conclure que , fi les chofes
ne font pas diſpoſées à une rupture entre
>> la Cour de Vienne & les deux princi
> cipaux membres de la Confederation Germa-
>> nique , l'harmonie néanmoins entre les deux
>> Parties n'eſt pas des plus parfaites , nila cor-
>> reſpondance des plus actives. Il est vrai que
la Cour de Vienne paroît déterminée à gar-
>> der déſormais le filence ,& à ne point pouf-
>>> fer la guerre de plume qui s'étoit ouverte entre
elle & la Courde Berlin ». Gazette de Leyde,
n°. 7 .
Caufe extraite du Joürnal des Causes célébres ( 1 ) .
Accufation de paternité formée contre un Berger.
L'imagination , ( dit M. des Effarts ) , fe
prête difficilement à l'idée d'un Lerger infidele.
Le mot Berger rappelle d'abord ces Tyrcis fi
célèbres dans nos chansons , dont toure la vie
ſe paſſe à foupirer & à chanter les beautés de
Lifette ; dont toute l'ambition ſe borne à s'en
faire aimer. L'amour , qui les occupe uniquement
, ne laiſſe de place , dans leur coeur , à
aucune autre paffion ; tous leurs tréſors font
les faveurs de Colette; tout leur bonheur conſiſte
dans un regard de ſes beaux yeux. Mais
set amour , dit Fontenelle , eſt ſimple , parce
que ceux qu'il anime , totalement livrés à la
vie champêtre , & à la douce oiſiveté qui
remplit tout leur tems , m'ont pas l'eſprit dangereuſement
raffiné; leur amour est plus appliqué
, parce qu'ils ne ſont occupés d'aucune
autre paffion ; il eſt plus diſcret , parce qu'ils
ne connoiſſent preſque pas la vanité ; plus
( 45 )
dele , parce qu'avec une vivacité d'imagination
moins exercée , ils ont auſſi moins d'inquiétudes
, moins de dégoûts , moins de caprices.
Leur amour , enfin , eſt purgé de ce que
les excès des fantaisies humanes y ont melé
d'étranger & de mauvais. Tout le tems que
le fommeil laiſſe à leur diſpoſition , ils lemploient
à la recherche des moyens de plaire
à la bergere dont les charmes ont conquis
leur coeur; c'eſt l'unique ſujet de toutes leurs
méditations ; ils ne fongent qu'à trouver des
rules innocentes pour ſurprendre l'aveu de
l'amour que leurs foins reſpectueux & empreſſés
ont enfin ſu inſpirer. La pudeur veut ben leur
promettre une amitié plus tendre que ne ſeroit
l'amour dont ils defirent tant d'entendre
prononcer le mot par la bouche de la beauté
à laquelle ils rendent le culte le plus pur &
le plus déſintéreſſé . Ils paident les journées dans
l'impatience de voir arriver inſtant où la bergere
chérie a bien voulu donner à fon amant
Peſpoir d'un court en retien ſur la fin du jour
fuivant. Dans l'impatience de voir arriver ce
moment fortuné , Eraſte , auquel ceste promeſſe
a tant coûté d'inſtances , quitte ſon lit avant
le lever de l'aurore. Il gronde le ſoleil trop
lent à faire maître une journée que doit terminer
un bonheur fi grand. Cet aftre commence
enfin à ſe montrer. Le beger meſure
des yeux la carriere qu'il doit parcourir avant
d'arriver au point que fon Iris a fixé pour le
voir & l'entendre,
De telles occupations ne laiſſent point de
place, fans doute , à ces paſſions tumultueuſes
qui tyranniſent les habitans des villes. Le
plaifir , &le plaiſir tranquille , eſt l'objet de
tous leurs mouvemens,
( 46 )
Ces douces illuſions n'ont plus de réalité.
Elles ont pu , dans les tems reculés , en avoir
quelque apparence , lorſque les paſteurs , propriétaires
de leurs troupeaux , vivoient , à leur
maniere , dans une grande opulence; ils n'avoient
perſonne au-deſſus d'eux; ils étoient ,
pour ainſi dire , les rois de leurs troupeaux &
des pâtres qui , ſous leurs ordres , étoient chargés
du détail des ſoins groffiers de la bergerie.
Affranchisde tout travail pénible , & de toute
inquiétude fur les beſoinsde la vie , ils jouilfoient
d'une certaine joie que ſuivent l'abondance
& la liberté. Débarrallés de toute paffion
qu'aucun objet ne pouvoit exciter en eux ,
ils n'éprouvoient que celle de l'amour. Elle
devenoit leur principale occupation ; & pour
la rendre agréable , ils avoient ſubſtitué l'efpérance
& les ſoins qui l'entretiennent , à la
jouiſſance phyſique qui l'éteinn
Mais, lorſque les hommes , raſſemblés dans
les villes , s'occuperent d'intérêts qui leur parurent
plus importans , alors les habitans de la
campagne furent les eſclaves de ceux des villes ,
&les occupations paftorales érant devenues le
partage des plus malheureux d'entre les hommes,
n'inſpirerent plus rien d'agréable.
El.es font remplies aujourd'hui par des mercenaires
toujours inquiets d'une ſubſiſtance que
leur fourniffent à peine les ſalaires qu'ils reçoivent
du propriétaire du troupeau confié à
leur garde; expoſés fans ceſſe à toutes les injures
de l'air , s'ils ont le malheur d'être ſenfibles
à leur miſere , & s'ils viennent à former
le defir d'en ſortir , tous les moyens leur font
bons. Incapables de réfléchir , dénués de toute
inſtrution , n'ayant point d'honneur à ménager ,
iſolés , pour ainſi dire , de toute ſociété , à
1
( 47 )
peine ſavent-ils diſtinguer le vice de la vertus
D'après cette peinture fidele du moral des bergers
du dix- huitieme fiecle , le procès dont
nous allons rendre compte paroîtra moins révoltant
à ceux dont l'imagination ſe plaît à
ſuppoſer à cette claffe d'hommes les vertus de
l'âge d'or.
Sur la fin de l'été dernier , un berger anglois ,
nommé Dulawers , a donné un exemple d'infidélité
qui vient à l'appui des réflexions que
nous venons de faire. Depuis cinq ans ce jeune
berger étoit connu dans le canton où il conduitoit
ſon troupeau , ſous les rapports les p'us
avantageux. Les jeunes filles du village ſe
diſputoient ſa conquête., Les infortunées ne
prévoy oient pas qu'une d'entr'elles devoit être
victime de fa fauſſeté. Dulawers éprouvant ,
pour ainſi dire , l'embarras du choix , ſe détermina
à offrir ſon coeur & ſa main à celle
dont la beauté avoit fait plus d'impreſſion ſur ſes
fens. Il ne la trouva que trop facile à l'écou .
ter , & à croire aux fermens d'un berger; mais
elle ne fut pas long-tems fans s'appercevoir
que les bergers trompent comme les autres
amans.
La crédule villageoiſe s'étoit en effet preſſée
de terminer trop promptement le roman de ſes
amours. Elle avoit accordé des faveurs au ber .
ger qu'elle auroit dû lui faire defirer juſqu'au
moment où une union légitime pouvoit lui ré
pondre de la fidélité de ſon amant . Ne pouvant
obtenir par ſes larmes ce que le berger Dulawers
auroit dû s'empreſler d'accorder à l'amour ,
elle fut obligée , au mois d'Août 1785 , de
citer cet infidele devant le juge qui connoît de
l'infraction des promeſſes de mariage. Ce juge
ordonna aux deux amans de comparoître devant
( 48 )
lui , le 17 Août 1785. A l'heure indiquée ,
qui étoit celle de l'audience-publique , la jeune
fille ſe préſenta , & adreſſa au juge le diſcours
fuivant:
» Milord , lui dit- elle , j'ai aimé l'ingrat
» que j'ai cité devant vous , & il faut que
>> mon amour ait été bien violent , pour ou-
» blier ce que je devois à la religion & à
» la pudeur; mais pouvois-je imaginer que la
perfidie avoit choiſi pour aſyle le coeur d'un
>> berger ? On m'avoit dit ſi ſouvent que les
>>> bergers étoient fideles: je l'ai cru ; voilà la
>> cauſe de ima foibleſſe. Je ne demande point
>> que le pe fide que j'ai aimé devienne mon
>> époux ; je rougirois de lui donner ma main;
>> mais il eſt juſte qu'il ſoit chargé de la nour-
>> riture de l'enfant que je porte dans mon
>> fein. Milord, faites approcher le perfide , &
> ordonnez- lui de répondre , en ma préſence ,
> à mon accufation . Sil ole foutenir que j'en
mpoſe, je produirai mestémoirs , & je dé-
>>>voilerai fon caractere odieux : qu'il s'avancе
>> & qu'il parle. »
Le juge ordonna au berger Dulawers de répondre
; mais le diſcours de fa maîtreſſe lui avoit
fait une fi grande impreſſion , qu'il avoua qu'il
l'avcit trompée. Sur cet aveu , le juge le condamna
à épouſer la jeune fille dans un mois , ou
àſe rendre , a cette époque , en priſon , juſqu'à
ce qu'il lui eût payé les dommages- intérêts qui
feroient fixés après l'expiration du délai
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI II FÉVRIER 1786.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
Sur la Mort du célèbre M. M***, le
plus grand Nouvelliſte de l'Univers.
Mirra n'eſt plus : 6 couptragique
Dont ſe doit affliger tout digre Politique !
Pour lui ,je ſuis certain qu'en ce fatal moment,
Afon caractère fidèle ,
Il ſe fût conſolé d'entrer au monument ,
S'il avoit pu lui-même en donner la nouvelle.
Nº. 6 , 11 Février 1786,
so
MERCURE
AUTRE.
ENN ce lieu gît M***, le premier des Docteurs
Que la France vit onc en l'art diplomatique.
Près de ſa tombe , amis , ne verſez point de pleurs;
Ne venez pas non plus y répandre des fleurs ;
Mais parlez-y de politique.
(Parlemême. )
VERS fur le Plaisir.
To
or , que l'Univers adore,
Plaiſir , au vol incertain ,
Sans culture à notre aurore
Les fleurs naiſſent ſous la main ;
L'âge mûr en fait éclore
Qu'on voit ſe faner ſoudain :
La vieilleſſe en cueille encore ;
Mais ce n'eſt plus qu'un larcin .
( Par Mme la Comteſſe L.... Ch.... d'Arg.)
::
DE FRANCE.
SI
1
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
Le mot de la Charide eſt Bonfoir : celui
de l'Enigme eſt Lettre; celui du Logogryphe
eſt Pampelune , où l'on trouve Pape, lune ,
Paul , lampe , âne , epaule , mule , meule
(de moulin ) , plume , Pan , mal , male ,
male ,Melun , nappe.
L
CHARADE.
Es hommes & l'amour, l'ignorance & les armes
Sur la terre & ſur l'onde ont porté mon premier ;
Clémence , d'un époux ſut faire mon dernier ,
Etrépand ſur mon tout des bienfaits , non des larmes.
J
(Par M. l'Abbé de la Reynie. )
ÉNIGME.
Efurpaſſe , Lecteur ,, en élévation
Le ſuperbe palais , la plus haute maібов .
Je ne ſuis pointdévote ; &, bien qu'on en murmure,
Rarement à l'Égliſe on a vu ma figure.
Des êtres d'ici -bas loin de ſubir le fort ,
Je brave la rigueur de l'hiver le plus fort ;
Cij
52 MERCURE
1
C'eſtmon triomphe : alors je ſuis chérie
De la meilleure compagnie ;
Souvent (il faut tout dire ) on me toute le dos;
Mais c'eſt bien pis aux pays chauds :
On m'y rélègue en dédaignant ma mine ,
Sans nul égard à la cuiſine.
Hélas! pour le méchant fut- il jainais de frein!
L'homme s'arme de fer : il déchire mon ſein ;
Et celui qui commet une action ſi noire
S'élève dans les airs & chante ſa victoire.
(Par un Membre de la Société Littéraire de
Goven, prèsRennes enBretagne. )
LOGOGRYPHE A HORTENSE.
MINIINSITSTRREE de l'Hymen , j'aſſiſte à la naiſſance
Du Roi , du Labeureur , des Grands &des Petits.
J'ai vu naître ton fils ; je t'ai vu naître ,Hortenſe.
Je marche ſur deux pieds; cependant j'en ai dix.
De ces dix pieds dérange la ſtructure ,
Et tu verras l'architecture
D'un petit être aîlé fort utile aux humains ;
Un légume commun qui croît dans les jardins ;
Un bruyant inſtrument; une maſſe de pierre ;
Ce que fort rarement un Médecin opère ;
Un met qui , pris deux fois , te préſente un oiſeau,
Dontle nom , aujourd'hui de mode ,
DE FRANCE.
53
Devient le ſobriquet d'un mari trop commode ;
L'autel du Dieu d'Amour , & ſouvent ſon tombeau ;
Un vaſe qu'on deſtine à différens uſages ;
La demeure des Rois , mer fertile en naufrages;
Aux amis , aux amans un titre précieux ,
Qui, donnéparton coeur, combleroit tous mes voeux;
Ce qui portoit jadis celui dont la victoire
Avoitorné le front des lauriers de lagloire ,
Quand traînant après lui de puiſſans ennemis ,
Il rendoit grâce aux Dieux de les avoir foumis.
Ce n'eſt pas tout , Hortenſe: achève , je te prie ;
Tu trouveras la ſenſible partie ,
Oubien l'agréable fejour
De cetenfantma'in, maischer, qu'onnommeAmour,
Qui, par toi , ſur les coeurs exerce ſa puiffance,
Et content d'embellir ta Cour ,
Renonce aux vains plaiſirs que promet l'inconſtance;
Et cett: Nymphe enfin , habitante des bois ,
Qui nourrit par ſes pleurs une plaie immortelle :
Elle adore un volage à ſa flamme rebelle ,
Et le rappelle encor de ſa plaintive voix.
Mais c'eſt aſſez: mon art ne pouvant t'être utile ,
Je cours chez les Beautés qui peuplent cette ville.
(ParM. le C. de L.)
*
2
Ciij
154
MERCURE
NOUVELLES LITTERAIRES..
MÉMOIRE fur ba néceſſité de transférer &
reconstruire l'Hôtel-Dieu de Paris , fuivi
d'un Projet de translation de cet Hôpital ,
propoſé par le ſieur Poyet , Architecte &
Contrôleur des Bâtimens de la Ville , in-4º.
1785.
PEu importe au Public à qui appartient la
première idée du projet dont ce Mémoire eft
l'expofé juftificatif. Sans nous arrêter donc à
cette diſcuſſion purement perſonnelle , nous
remarquerons que les inconvéniens d'un Hôpital
immenfe,enfeveli ſur unbras de rivière ,
ou plutôt ſur un ruiſſeau preſque defſéché
la moitié de l'année , dans un quartier bas ,
humide , obftrué, étranglé de toutes parts ;
dont la pofition centrale au milieu de rues
étroites & de ponts chargés d'édifices ,
augmente le danger ; où entaflées juſqu'ici
plutôt que logées dans ce labyrinthe , la misère&
la maladie, luttant fans ceffe contre les
vices de l'emplacement , ſemblent yfixerun
foyer de contagion ; des inconvéniens , diſonsnous,
contre leſquels, Étrangers & Nationaux,
tous ſe récrient à la vûe de l'Hôtel - Dieu ,
font devenus un lieu commun.
DE FRANCE. S'S
L'Auteur de ce Mémoire eſt donc l'interprète
du cri général ; contre de grands abus ,
il a réuni de grandes forces , celles de l'éloquence
, de l'expérience & de la raiſon. On
ne peut traiter un ſujet plus important , ni le
traiter avec plus d'avantage. Malheureuſement
, les affertions , les raiſonnemens , les
preuves de l'Auteur apperçues avant lui ,
mais développées ici pour la première fois
avec l'étendue & l'énergie convenables , font
un objet de conteſtation. Les doutes , la défiance,
le refroidiſſement qui accompagnent
toujours les queſtions polémiques , ont ralenti
le premier enthouſiaſme , plus aiſe à faire
naître qu'à foutenir. Il reſte incertain fi
l'Hôtel-Dieu est le plus meurtrier ou le plus
convenable des aſyles de l'indigence. Quelle
incertitude ! & comment , avec de la candeur ,
arrive-t'on àdes réſultats aufli oppoſés !
Le principal but de ce Mémoire eſt de démontrer
l'infuffifance , l'incommodité , l'infalubrité
d'un Hoſpice monstrueux , compofé
de 1200 lits , où 4000 malades , enfevelis les
uns fur lesautres , quelquefois ſur quatre files
dans la même ſalle , ſont livrés aux ravages
du contact immédiat , aux exhalaiſons putrides
, aux embarras du ſervice , néceſſairement
auſſi compliqué que la diſtribution intérieura
de ce redoutable Dépôt. Ces détails doulou,
reux n'avoient pas encore été expoſes ſous
un point de vûe auſſi effrayant.
L'Auteur va plus loin: il eſſaye de prouver
P'impoſſibilité de rendre cet Hôpital tel qu'il
CIV
96 MERCURE
doit être , en conſervant l'emplacement ac
tuel. Si l'on achève les additions projetées ,
elles fourniront 300 lits de plus , au lieu de
3000 indiſpenſables , au prix énorme de 4 à
ود
millions. S'il s'agit de mettre l'étendue de
Hôtel-Dieu en proportion avec le nombre
de ſes triftes habitans, il faudra en quadrupler
l'enceinte , bouleverſer la diftribution actuelle
de Paris , & dépenfer 30 millions en
achats de terrein & en conftructions ? « Et
>>qu'aura - t'on obtenu , continue l'Auteur
dont nous sapportons les calculs fans les
confirmer? Autant de lits quede malades ,
il est vrai; mais un I lôpital où les conttructions
anciennes & les embarras de la
fituation géneront les diſpoſitions qu'il fe-
>> soit eiſentiel d'y établir , & qui , toujours
mal ſitué , mal diftribué , mal difpofe , incommode
à la Capitale &à lui-même , tou-
> jours ferré par ſes alentours , toujours
>> privé du plein air dont ses établiſſemens
>> ne peuvent ſe paſſer, ſera toujours infa-
>> lubre& funeſte. >>
ود
ور
σε
20
"
Si ces vérités ſont exemptes d'exagération ,
eft-il étonnant que les pauvres eux-mêmes
tremblent à la vie de cet aſyle que leur ont
ouvert la Religion & la Pitić ? L'Écrivain du
Mémoire affirme poſitivement ce fait, l'un
des plus extraordinaires que préſente dans,
aucun fiècle l'hiſtoire des misères de l'humanité.
Selon l'Auteur, voici l'idée générale que
le peuple Parifien s'eſt formée de ce refuge
deſtiné à confoler ſon existence , à le fouDE
FRANCE.
57
tenir dans ſon dépériſſement , à reculer fon
tombeau , à adoucir pour lui les deux grands
objets d'effroi de la vie humaine , la maladie
&le trépas.
" Parmi les malheureux qui l'habitent , il
>> en eſt une foule que le déſeſpoir ou la
violence y ont poufles. D'autres, plus cal-
>> mes en apparence, ſont venus y attendre
ود
ود la finde leurs peines avec cette tranquillité
>> que peut éprouver à la vue du cercueil
celui que l'excès de l'infortune a dégoûté 2
" de la vie. Beaucoup préfèrent au malheur
>> d'y refter , le danger d'en fortir à demi-
>> gueris ; & parmi ceux mêmes à qui la ſanté
» qu'ils y ont retrouvée une fois pourroit
>> inſpirer quelque confiance , il en eſt peu
>>qu'une rechûte détermine ày rentrer. Mais
-> combien d'infortunés , victimes d'un pré-
>> jugé funeſte & d'une imagination trop fen-
>> fible, aiment mieux périr chez eux , faute
de ſecours , que d'aller braver à cet Hôpital
une mort qu'ils ſe croiroient sûrs d'y
ود
ود
>>> trouver ! »
Après avoir examiné les inconvéniens d'une
tranflation de l'Hôtel - Dieu à des Hôpitaux
ſubſidiaires , tels que ceux de Sainte-Anne &
de Saint- Louis , qu'il juge non moins infuffifans
; après avoir combattu l'établiſſement
d'Hoſpices ſéparés , auxquels nous reviendrons
dans l'inſtant ; enfin , les objections réfurées
, & l'inhumanité de différer cette
réforme repréſentée avec chaleur , l'Auteur
décrit le Projet même du ſieur Poyer.
Cv
18 MERCURE
1
Pluſieurs fois l'emplacement choiſi par cet
Architecte , l'ifle des Cygnes , ſur la rivière
vis-à-vis la barrière de la Conference, avoit
été indiqué par le voeu public. Ce voeu étoitil
bien éclairé ? C'eſt ce que nient les antagoniſtes
de la tranflation ; mais avant de rapporter
leurs argumens , donnons une idée
luccincte de l'édifice projeté par M. Poyet .
Complettement ifolé fur un terrein vague ,
dont la ville , propriétaire , ne tire aucun revenu;
entre deux bras de rivière ; rafraîchi &
purifiépar le courant d'une atmoſphère libre ;
entouré d'eſpaces qui pourroient fervir de
promenades aux convalefcens ; ce bâtiment ,
de forme circulaire, feroit compoſe de 48
falles , chacune de quatre-vingt-quatre lits ,&
de quatre-vingt- ſeize chambres de douze lits.
Les extrémités des unes &des autres iroient
former la circonférence d'une cour de 270 pieds
de diamètre. Au centre de celle-ci , une Chapelle
en rotonde conftruite en colonnade ouverte
; feize grandes falles par étage , ainfi
que ſeïze petites cours deſtinées à les ſéparer
, formeront les rayons de la chapelle centrale;
les logemens des Soeurs & des gens de
ſervice feront placés dans des entreſols de
12 pieds de haut , ménagés entre les étages :
toutes les commodités , toutes les néceflités,
toutes les convenances ſe réuniſſent ſur les
deſſins de l'Architecte : il diſtribue 5000 lits
bien eſpacés dans ſes appartemens ; il loge en
outre soo penfionnaires dans soo chambres
d'entrefol au-deſſus dú rez-de-chauffée ; &
DE FRANCE. ربو
cette vaſte conception eſt encore , à ce qu'il
prétend , très-économique.
L'Inventeur &une partie du Public paroifſent
ſur-tout avoir été frappés , enivrés de la
grandeur majestueuſe du projet. " Le premier
>> avantage , dit l'Auteur du Mémoire , que
>> préſente cette forme impoſante , eft de
>> retracer l'un des plus beaux monumens de
>>>Rome , le Coliſée ; de ſe décorer d'elle-
» même ,& par-là de prévenir les dépenfes
>> en décoration dont les autres formes ont
" beſoin. » Eh ! pourquoi ce beau monument?
pourquoi un fimulacre du Coliſée ? Qu'a de
commun ladeſtination d'une Maiſon de Charite
, avec l'Amphithéâtre de Vefpafien? Autant
vaudroit bâtir une priſon ſur le modèle
du Capitole. Conſervons à chaque édifice fon
caractère propre. Que des catafal ques , des
palais , des theatres occupent les Arts & amufent
la curioſité publique par le magnificence
de leurs formes; mais trop rarement le fafte
s'eſt allié avec l'utilité , & rien ne ferre le
coeur comme de voir des miferables cachés
derrière des pilaftres corinthiens.
Cette tranflation , cette perſévérance à
conſerver un dépêt commun de toutes les
maladies , cet immenſe bâtiment à élever ,
offroient un grand nombre d'objections de
divers genres : l'Auteur les prévient , & en
diſcute quelques-unes.
Nous ne parlerons point ici de celles qui
ont pour objet le plan de l'édificemême.Le
gens de l'Art ſe ſour réſervé le privilège de
Cvj
60 MERCURE
cet examen : il ſeroit téméraire d'empiéter ſur
leursdroits exclufifs,dont l'exercice, fansdoute
défintéreflè , n'a pas ménagé juſqu'ici l'architecture
de l'Hôtel-Dieu en espérance.
On devroit peut - être garder le même
filence fur cette clafle de contradicteurs à
qui les Hôpitaux les plus infects & les plus,
meurtriers paroiffent les plus néceſſaires. Si
l'on y étoit bien , diſent-ils, les portes en ſeroient
affiégées de vagabonds & d'impofteurs.
C'eſt le même propos que celui d'une foule
d'opulens & inutiles habitans de Paris , qui ,
dans leur loge à l'Opéra, ſoutiennentphilofophiquement
la néceſſité de multiplier les taxes
pour prévenir la fainéantiſe du peuple. Rien
ne caractériſe mieux que ces diſcours l'efprit
➡ des grandes Capitales , où la molleffe eſt toujours
réunieà laduretéd'indifference.L'Auteur
duMémoires'eſtdonnélapeinedeprouverque
ſi le mal-aiſe eſt indiſpenſabledansunHôpital,
la mortalité ne l'eſt pas du tout; qu'un quart
des malades facrifié chaque année au defordre
phyſique d'une Maiſon de Charité , encore
plus qu'à l'inévitable loi de la Nature,
eſt un malheur public bien plus terrible que
l'ufurpation de quelques ſecours par des perfonnes
bien, portantes; enfin , que ſi l'on ne
doit aborder l'Hôpital que pour y mourir ,
autant vaut lui ſubſtituer un cimetière , infiniment
plus économique,
Nonobſtant ces argumens ,l'objection n'en
eft pas moins répétée tous les jours dans les
converfations. Ainsi , l'Auteur connoiffoit
DE FRANCE. 61,
mieuxle ton quel'âme de ces Docteurs de So
ciété, lorſqu'il a cru les faire rentrer en euxmêmes
, endifant :" Alléguer des raiſons pa-,
reilles , c'eſt ſe jouer dela viedes hommes; ود
" les répéter avec complaiſance & fans rou-
>> gir , prendre en les répétant le ton de la
>>perfuafion , celui même de cette ſenſibi-
ود lité de mode que les coeurs les plus durs
favent maintenant emprunter , eſt un rafi-
>> nement de cruauté ou un excès d'aveugle-
" ment. "
Il exifte contre ce Mémoire des objections
plus embarraffantes , que l'impartialité ne
nous permet pas de diffimuler. D'abord , on
l'accuſe d'erreurs dans le détail des taits qui
ferventde bâſe à ſes calculs&à ſes argumens. Il
donne à l'Hôtel-Dieu le nombre communde
3 à 4 mille malades; on veut que cet Hôtel
n'en récèle que 2400. On y a vû , eſt-il dit
dans le Mémoire , juſqu'à 6 & 7 mille habitans;
pas plus de 4800, diſent les défenſeurs
de l'établiſſement actuel . Les additions pro
jetées ne procureront que deux à trois cens
lits de plus , & coûteront quatre à cinq millions
, felon le Mémoire. Au mois de Mai
prochain , répond-t'on , 1 500 malades feront
couchés ſeuls; les additions contiendront fix
cent lits& plus , pour la modique ſomme de
600,000 liv.; en doublant cette dépenfe ,
l'année prochaine quatre mille malades auront
chacun leur fit particulier. Il périt à
l'Hôtel - Dieu le quart des malades , affure
l'un; l'autre enreffuſcite une partie , & n'en
62 MERCURE
&c. &c. * : fait mourir qu'un ſixième ,
Vérifie qui pourra ces affertions contradictoires.
M. Poyet s'occupe d'une réponſe où
fans doute il travaillera à juſtifier ſes calculs.
S'iln'y réuliſſoitpas,fadéfaiteinfirmeroitl'éloquence
de ſon Défenſeur, fans affoiblir néanmoins
la néceflitéd'unetranflation quelconque
de l'Hôtel-Dieu. Ace ſujet , nous nous permettrons
une feule remarque. Point d'idées juſtes
qui ne refultent des comparaiſons. Point d'établiſſement
qu'il ne faille confronter avec
ceux de même genre en divers temps , en
divers lieux, pour s'affurer de la perfection
relative dont ils font fufceptibles. Il faut être
forti de fa maiſon, des barrières de fa ville ,
des frontières de ſon pays , ſi l'on ne veut
s'expoſer à porter ſur les choſes comme fur
les hommes des jugemens faux &incomplets.
Or , quel objet a un plus grand beſoin de
cette expérience de tous les pays , finon la
fondationde ces domiciles que les triſtes effets
de la ſociété civile ont rendus par- tout néceffaires
? Que préſente donc l'obſervation comparée
des Hôpitaux ? Que leur but n'eft pas
ſeulement de recueillir des infirmes , mais
encorede les ſauver; & que le pire des Hofpices
ſeroit celui où un plus grand nombre
de malades expireroient fur le lit où ils font
venus cherchet la convalefcence. Il meurt
* Voyez une Brochure intitulée: Relevédes principales
erreurs contenues dans le Mémoire , &c. &c.
in-4°. de 15 pages..
DE FRANCE.
63
un quart ou un fixième des affligés reçus à
P'Hôtel-Dieu. Pas un Hôpital en Europe n'offre
peut-être une pareille proportion. Dans
ſes projets de réforme, l'Empereur a fait entrer
celle des Maiſons de Charité : avant de
ſe décider à de nouveaux arrangemens , il a
fait voyager en France & en Angleterre un
homme de l'Art , M. Hunezovsky. Celui- ci
a publié en Allemand le Recueil de fes Obſervations
ſur la forme, ſur la poſition , la
diftribution , le régime , les traitemens , les
ftatuts d'un grand nombre d'Hôpitaux. Comptable
à un Monarque vigilant de la fidélité de
ſes affertions , le Voyageur a dreffé des tables
comparatives de mortalité: il en réſulte qu'elle
eſt dans les Hôpitaux de Londres & de Portfmouth
comme 1 à 13 , & même à 15 ; dans
celui deBreft , commet à 11 ; à la Charité ,
comme 1 à 9; à l'Hôtel-Dieu , comme i às,
&même dans quelques années , comme à
3. Cet expoſe n'a pas beſoin de commentaire.
L'effrayant affemblage de trois ou quatre
milles malades , attaqués de cent maux differens
ſous le même toit , ſemble , il est vrai ,
contribuer à cette exceſſive mortalité , quel
que foit d'ailleurs l'emplacement de l'Hôpital.
L'Auteur du Mémoire n'en plaide pas
moins en faveur de cette réunion : il combat
parune foule d'argumens captieux l'idée des
Hoſpices divifes. Il ſe demande où ils prendrontde
l'eau , fans conſidérer qu'une fontaine
fuffit à un Hofpice médiocre , tandis qu'il
64 MERCURE
faut un fleuve aux beſoins d'une cité de malades&
de mourans.Et comment s'abreuvent
les Hôpitaux de Londres , preſque tous éloignés
de la rivière? Est-ce aujourd'hui, que l'on
vient enfin d'adopter le ſecours des pompes à
feu , qu'une pareille objection feroit recevable
? Quel luxe , dit l'Aureur , que 50 Hôpitaux
au lieu d'un !Quel luxe , pourroit-on
ajouter, quero chaumières au lieu d'un palais!
" A chaque nouvel Hoſpice, ce font de nou-
>> veaux frais ; frais d'acquiſition de terrein ,
ود
ود
frais de conſtruction , frais de régie & d'adminiſtration.
» Eh ! qu'importe ? Ce n'eft
pas dans les aliquotes des dépenſes , c'eſt dans
leur total additionnel qu'il faut chercher une
preuve par comparaiſons. D'ailleurs , le rétabliſſement
des malades eſt le principe des
Maiſons de Charité; l'économie n'en est qu'un
moyen.
Enſuite l'Auteur, qui veut abſolument une
Administration générale, la voit fort embarraffée
de parcourir , de viſiter, de régir so
Hôpitaux differens. Tous les inconvéniens
des grands Hôtels-Dieu difparoiſſent ſous ſa
plume , lorſqu'on aura placé un Colifée à
I'Ifle des Cygnes; enfin ilmet en parallèle les
frais de l'Hofpice de S. Jacques-du-Haut-Pas
avec ceux d'un Hôpital-Général , & trouve
unebalance conſidérable en faveur de celuici
: calcul qui , en le ſuppoſant parfaitement
jufte, prouveroit tout au plus contre l'Hofpice
particulier dont il eſt queſtion ; mais
cette difcuffion n'eſt point du reffort de ce
DE FRANCE. 65
Journal ; elle paſſeroit les bornes d'un Article
, & feroit encore imparfaite; je me contente
donc , pour le moment , d'oppoſer l'expérience
à ces raiſonnemens vagues de l'eftimable
Écrivain du Mémoire.
On me pardonnera de citer encore l'Angleterre:
comme il ne s'agit ici ni de Jockeis ,
ni de gros boutons , nide jardins baroques ,
ni de toutes les fodaiſes Anglicanes , dont
nous ſommes infatués , on ne criera pas , je
penſe , à l'Anglomanie; il n'eft queſtion en ce
moment ni de choſes de mode ni d'opinions ;
ce font des faits conftans que je rapporte ;
c'eſt l'expoſé de l'inſtitution des Hôpitaux,
relle que l'a conçue une Nation où l'eſprit
publicn'eſt pas plus rare que les lumières. Il
eſt certain que l'un dans l'autre les Hôpitaux
de Londres perdent à peine un quatorzième
de leurs malades. Quelle est donc l'économie
générale de ces aſyles conſervateurs ? Toute
idée de magnificence & d'entaflement en a
été bannie. Outre un nombre de maifons particulières
de Charité , Londres renferme ſeize
Hôpitaux conſacrés ſpécialement au traitement
des maladies. La plupart ſont diſpoſés
d'après la diſtribution des grandes Paroiffes,
oudes quartiers. Pas un ne contient 400 lits ;,
preſque tous n'en ont que 150 ou 200. Or ,
que réſulte-til de cette diviſion ?
Qu'on a pu ſéparer les maladies comme les
Hoſpices ; affecter excluſivement tel ou tel
d'entre- eux aux femmes infirmes , aux femmes
en couches, à lapetite-vérole , àl'inocula
66 MERCURE
tion , à la paralyfie, aux maladies vénériennes,
aux gens demer ſcorbutiques,&c. y introduire
le même régime que celui d'une maiſon domeſtique
; n'y livrer les malades qu'à des Gens
de l'Art , dont l'attention , les lumières , la
mémoire ne s'égarent point dans des falles
qu'un Collège entier de Médecins auroit
peine à parcourir ; iſoler chaque malade dans
un lit ſéparé , ſans étre obligé d'engloutir un
quartier pour leur affurer un logement falubre ;
choiſirles emplacemens,ſimplifier les conftructions
, ménager mille commodités impraticables
dans une édifice ſurcharge; prévenir
les abus , les déſordres , ou tout au moins les
inconvéniens d'une régie trop compliquée ;
mais , fur- tout , faciliter par-là le grand ouvragedes
fondations particulières. Un Citoyen
patriote & magnifique ( l'Angleterre en a eu
beaucoup de tels ) attribuera cent mille livres
ſterlings à un établiſſement privé , qui portera
ſon nom à la vénération de la poſtérité :
il ſe refuſera peut-être à une obfcure donation,
confondue avec mille autres dans un établiffement
dont l'étendue exige le concours
d'une cohue de bienfaiteurs. Sans doute la
compaflion & la piété font capables de facrifices
; mais les grands facrifices font l'ouvrage
de la vertu unie au jugement. Pour
animer le zèle , il faut lui préſenter les récompenfes
des âmes nobles , le pouvoir d'être
immédiatement urile chaque jour à l'oeuvre
de miféricorde qu'il veut opérer , & la certitude
du ſuccès. Les Hoſpices fondés vont à
DE FRANCE. 67
cebut. En échange de ſes bienfaits , le Soufcripteur
reçoit le droit de recommander &
de faire admettre aux ſecours le malheureux
qui viendra l'implorer; ſon fuffrage , ſa fanction,
ſes lumières , ſon influence font conſultés
; il gouverne l'adminiſtration , encore
qu'iln'y participe point. De cette multiplicité
de petits établiſſemens, nait la forme établie
en Angleterre , des comptes publics rendus
chaque année & imprimés ; impreſſion qui
donne à la régie & à ſes moindres employés
autant de Cenſeurs qu'il eſt de ſoufcrivans.
On objecte la dépenſe de cette quantité
d'Hoſpices. Sans entreprendre ce calcul , je
lui en oppoſe un dont le réſultat eſt auſſi
authentique que frappant. Il eſt tiré du Rapport
imprime de l'etat de l'Hôpital de Chefter,
dans la Comté de ce nom , du 25 Mars
1773 au 25 Mars 1774-Ce tableau , figné des
Chefs, ſe publie chaque année avec le nom
des Souſcripteurs , la note des malades', celle
de la recette &de la dépenſe. On y voit 343
malades reçus à l'Hôpital dans le courant de
l'anée , & 639 traites aux frais de l'Hôpital
dans leurs maiſons.A quel prix ? La dépenſe
totale fut de dix-ſept cent livres ſterk. ! encore
fur l'état des débourſés ſetrouvent des frais de
réparations , de conſtructions nouvelles , &
une fomme placée dans les fonds publics.
L'Hôpital , d'ailleurs , n'avoit perdu que 21
perſonnes. Pour 17 fols , en 1783 , on entretenoit
par jour chaque malade d'un Hofpice
de Paris , qui rappelle un nom doublement
68 MERCURE
cher à l'humanité. Comptez maintenant
quoi revient la journee d'un malade dans les
grands Hôpitaux , en prenant l'enſemble de
leurs dépenfes annuelles.
Pourl'exécution de fon projet , M. Poyet
ne veut que douze millions. Ses Critiques
ontcalculé, imprimé qu'il ne s'en tireroit pas
avec trente- fix. Avant que cet état de conftruction
ſoit déterminé invar,ablement , ilſe-
Foit inutiled'endéduire aucunes conféquences.
Entre les moyens de réaliſer la fomme quelconque
néceffaire, l'Auteur indique la voie
desfouſcriptionsparticulières. Pleind'uneconfiance
qu'il a raiſon de croire légitime, il invoque
la libéralité publique en faveur d'une
reffource , dont la nouveauté en France aideroit
ſans doute le ſuccès."Une ſociété reſpec-
ود table de 300 perſonnes , déclare-til , a
>> paru diſpoſée à fournir feule une contribu-
>> tion de 100 mille écus. >> Il eſt honorable
pour M. Poyet d'avoir compté , d'après ſon
coeur, fur celui des hommes bienfaifans , & il
ne l'eſt pas moins pour fon Organe , d'avoir
fervi ſes vues par un Écrit plein de ſenſibilité.
Lorſqu'on fonda l'Hopital d'Édimbourg
, des particuliers donnèrent les maté
riaux: Maçons, Ouvriers , Architectes, tous
les coopérateurs de l'entrepriſe refusèrent
leurs falaires. Si cet exemple vient à fe renouveler
en France , M. Poyet en partagera la
gloire; il confervera celle de l'avoir propoſé,
ſi ſa noble tentative reſte ſans effet.
(Cet Article eft de M. Mallet du Pan.)
DE FRANCE.
69
ACADÉMIE.
PRIX proposés par la Société Royale des
Sciences des Arts de Metz, pour les
années 1786 & 1787.
LAA
SOCIÉTÉ ROYALE avoit propoſe en 1783 ,
pour le ſujet du Prix à intribuer lejour de S. Louis
1785 :
» De déterminer la forme la plus avantageuse
» à donner à un Preſſoir ; de le compofer de façon
= qu'il occupe le moindre espace possible , qu'il
>produiſe le plus grand effet , & qu'il n'exige
> qu'une force médiocrepour le mettre enjeu
Elle demandoit, 1" . une Machine fimple & d'une
exécution facile , dont toutes les dimensions faſſent
indiquées dans un Mémoire auquel feroient joints
des Plans & Elévations.
2º. Que les Auteurs détaillaſſent les Expériences
d'après lesquelles ils auroient déterminé la force
de la nouvelle Machine , & qu'ils fiffent connoître
fes avantages fur les anciennes le plus en usage
Dans les Mémoires , accompagnés de plans ou
de modèles en relief, qui lui ſont parvenus , elle
a remarqué des idées ingénieuſes ; mais la plupart
des Machines préſentées font tellement compliquées
, qu'outre la dépenſe &l'adreſſ, néceffaires
pour les conſtruire avec préciſion , elles donnent
lieu de craindre qu'exécutées en grand, elles ne
foient trop fujettes à febrifer entre les mains grof
fières qui doivent les mette en jeu; & celles qui
paroiffent plus fimples ne peuvent pas opérer une
preſſion ſuffiſante,
1
70
MERCURE
On auroit defiré que les Auteurs , après avoir
conftaté , par des expériences, le degré de preſſion
néceſſaire pour extraire du raiſin toute la liqueur
qu'il contient , euſſent combiné les Machines de
leur invention , de manière qu'elles réuniſſent &
T'énergie ſuffiſante pour ce degré de preſſion , &
en même-temps la ſimplicité convenable pour que
leur conſtruction & leur manoeuvre puffent être
confiées aux ouvriers qu'on y emploie ordinairement.
Ces confiderations ont déterminé la Société
Royale à remettre le Prix au Concours de l'année
prochaine. Elle invite les Auteurs qui ont concouru ,
à faire de nouveaux efforts pour perfectionner
leurs Ouvrages; cet avis concerne fingulièrement
l'Auteur du Mémoire No. 12 , portant pour épigraphe:
Tractant fabrilia fabri. Il a le plus approché
du but & remplit pluſieurs des conditions
du Programme. L'Auteur du Mémoire Nº . 10 , portant
pour épigraphe : Docto ; & celui du No. II ,
dont la deviſe eſt :
Defuper incumbens , opera verfatilis expers ,
Moleſuâ, pondus molem premat , undiquefeptam ,
ont auſſi donné des preuves de connoiſſances étendues
enMécanique , & ont mérité d'être diftingués .
La Société Royale prévient au ſurplus qu'elle ne
demande que des Preſſoirs propres à exprimer le
jus du raiſin , ſaufà ceux des Auteurs qui croiront
pouvoir appliquer leur invention au preffurage d'autres
ſubſtances , à développer leurs vues dans des
notes ou appendices.
La Société Royale annonce pour le Concours de
l'année 1787 , qu'elle adjugera le Prix à la meilleure
Differtation ſur cette Queſtion :
>> Eft- il des moyens de rendre les Juifs plus
** utiles & plus heureux en France ?»
DE FRANCE.
71
Elle croit devoir rappeller que le ſujet propoſé
l'année dernière , pour le Prix de l'année prochaine
1786 , eſt conçn en ces termes :
" Quels seroient les moyens , compatibles avec
» les bonnes moeurs , d'affurer la conſervation des
>> Bâtards , & d'en retirer une plus grande utilité
» pour l'Etat ? »
: Le Prix , pour chacun des Sujets propoſés , ſera
une Médaille d'or de la valeur de 400 liv.
Toutes perſonnes , excepté les Membres de la
Société Royale , ſeront reçues à concourir pour ces
Prix. Les Auteurs mettront leur nom dans un billet
cacheté , attaché au Mémoire qu'ils enverront ,
& fur ce billet ſera écrite la ſentence ou deviſe
qu'ils auront miſe à la tête de leur Ouvrage. Ils
auront attention de ne ſe faire connoître en aucune
manière ; ſans quoi leurs Mémoires ne feront
pas admis au Concours. Les Mémoires feront
adreffés , francs de ports , au Secrétaire- Perpétuel ,
avant le premier jour de Juin de chacune des an .
nées pour leſquelles les queſtions ſont propoſées.
L'invention d'un nouveau Prefſſoir , & la
ſolution d'une queſtion de morale polítique ,
ſont deux genres d'utilité faits pour occuper
une Académie ; & on ne doit pas être étonné
de les trouver réunis dans le même Programme.
L'Académie de Metz marche avec conftance
dans la carrière qu'elle s'eſt ouverte.
Elle a couronné l'année dernière desOuvrages
fur le Préjugé des peines infamantes ; elle
propoſe pour l'année prochaine l'examen de
nos loix&de nos opinions ſur les Bâtards ; &
elle annonce pour l'année ſuivante 1787 , la
1
72 MERCURE
diſcuſſiondu fort de la Nation Juive parmi
nous. Ces queſtions font neuves, intéreſlantes
, dignes de la plus ſage philofophie &
d'une véritable éloquence. Si elles font dignement
traitées , elles formeront peut-être un
Recueil précieux à notre Légiflation. Aucune
Académie, n'a encore confacté ſes Prix à
une fi noble deſtination.
Auteur du premier des Diſcours que cette
Académie a couronné l'année dernière , de
venu l'un de ſes Membres , & leur Conci
toyenpar manaiſſance , il doit m'être permis
dem'autoriſer de tant de liens doux& honor
rables , pour m'intéreſſer particulièrement
aux ſujets qu'elle propoſe , & pour effayer
d'en préparer la difcuflion par quelques vues.
J'ai déjà écrit l'année dernière quelques idées
fur la queſtion des bâtards , lorſqu'elle a
Cré annoncée pour la première fois. Je vais
encore préſenter quelques réflexions ſur la
queſtiondes Juifs.
Eſt-il des moyens de rendre les Juifs plus
utiles& plus heureux en France ?
Onne concevra bien combien cette queftion
eſt étendue, tout ce qu'elle exige de connoiffances
, de réflexions , combien elle offre
de grands tableaux à tracer , de ſentimens à
réveiller , de vues juſtes &préciſes à développer
, qu'après l'avoir bien méditée.
C'eſt un étonnant ſpectacle que l'Hiſtoire
decepeuple , qui , dès avant la chûte de l'Empire
Romain, exiſte chez toutes les Nations
de la terre , ſans y être jamais incorporé ; qui,
étranger
DE FRANCE .
73
Stranger par-tout , n'a pas un coin dans le
monde qui ſoit ni ſa patrie ni ſonaſyle. Comment
a-t'il pu tomber dans cet état ? Comment
y est-il reſté ? Il y a dans cette deſtinéo
quelque choſe de bien étrange qui mérite
d'être remarqué & expliqué. On ne peut confidérer
ſans frémir le traitement qu'il a reçu
chezpreſque toutes les Nations. Les Juifs font
partout un peuple à part; un peuple dégénéré,
auquelni lagloire, ni l'honneur,ni riende tout
ce qui élève le coeur de l'homme ne peut appartenir.
Onne leur accorde qu'une exiſtence
précaire ; on ne leur accorde pas même le
droit de la propriété territoriale dans des
pays où ils vivent depuis des ſiècles. Des loix
infenfées ont voulu les priver de l'eau & du
feudansdes temps fanatiques ;d'autres , d'une
eruauté avare, les ont bannis pour leur faire
acheter leur retour; d'autres encore , d'une
perfidie plus lavante , dans une tolérance
momentanée , ne méditoient qu'une confifcation
plus opulente. Mais toutes ces loix ,
trop dignes des époques qui les ont vu naître .
n'ont pas toujours exercé cette proſcription
ſouvent abſurde, toujours injuſte. L'intrigue
a ſu ſouvent tromper leur colère , l'or , payer
leur filence , la patience , laſſer leur perfecution.
Ce peuple s'eſt toujours multiplié fous
Pabrimêmede cetteLégiſlationqui ledéteſtoit,
Quelsétoient les droits d'un peuple réduir
àun état ſi déplorable ? Quels étoient les intérêts
des peuples parmi lesquels il habitoit?
Nº. 6 , 11 Février 1786. D
74
MERCURE
Toutes ces queſtions , ce me ſemble , doivent
entrer dans le tableau des révolutions & des
perſécutions qu'ont éprouvées les Juifs , en
former le réſultat &comme la moralité. On
ne peut difconvenir que la baſſeſſe d'âme &
l'induſtrie mercantile ne ſoyent les deux caractères
auxquels on les reconnoît dans tous
les pays. Cette induſtrie , qui a été prodigieuſe,
ne mérite-t'elle pas de la protection ?
Les vices qui l'accompagnent ne naiffent- ils
pas plutôt de la ſituation de ce peuple que
de ſes moeurs ? Tiennent-ils à ſa religion , à fa
police, à ſes habitudes ? Est-il des vices , des
habitudes que la ſageſſe & la vigilance des
loix ne puiffent changer? Ily a ici des erreurs
bien faciles à démontrer; mais qu'il faut attaquer
avec force,parce qu'elles ſontdes préjugés
en quelque forte confirmés par l'expérience,
Cominent peut - on réformer le caractère
moral de ce peuple ? Quelles reſſources
offrent pour cela ſes beſoins , ſes malheurs
ſes diſpoſitions actuelles , les traitemens plus
adoucis qu'il a déjà ſu ſe ménager? Faut - il
tout d'un coup lui donner tous les droits du
Citoyen : Une grâce ſi entière , & qui ne
Jui laiſſeroit plus rien à defirer , ne lui laifferoit-
elle pas une partie de ſes vices dans
une nouvelle fortune ? Ne vaut-il pas mieux,
en ceffant toute oppreffion , lui offrir des encouragemens
ſucceſſifs qu'il apprendra ſans
ceſſe à mériter ? Ne fera-ce pas lui faire un
double bien , d'élever ſon âme , d'extirper fes
DE FRANCE.
75
baſſes habitudes , avant de lui rendre tout ce
qu'il a droit d'attendre ? Ceci exige un plan
d'adminiftration bien conçu , & qui puifle admettre
des variations & des modifications
relativement aux divers lieux où les Juifs one
des établiſſemens.
Je n'étendrai pas davantage ces réflexions ;
elles ſuffiront peut-être pour montrer toute
l'étendue&la beauté de ce ſujet. Je voudrois
auſſi y préparer l'attention publique par quelque
morceau de nos grands Écrivains ; mais
je n'en connois point.De tous les opprimés ,
les Juifs font ceux qui ont le moins attiré
leur compaffion. Ils ont ſeulement obtenu
une foible juſtification & quelques gémiflemens
de la part des Hiſtoriens qui ont écrit
les tyrannies qu'on a exercées ſur eux. Ils
ont cependant été affez heureux pour que
Monteſquieu ait placé dans leur bouche ſa
pathétique réclamation contre le Tribunal
Tanglant de l'Inquifition. Au défaut de meilleurs
morceaux , j'en rapporterai un que je
trouve dans un Mémoire fait il y a douze
ans pour les Juifs de Metz. Je trouve encore
ici la ſatisfaction de leur rencontrer un protecteur
de plus dans cette ville , & dans la
Compagnie même qui s'occupe de leur fort.
Il s'agiſſoit d'obtenir pour eux la liberté de
lever des brevets dans les Corps & Métiers -
établis par un Édit de 1767. Après avoir
établi leurs droits par les diſpoſitions , ou du
moins l'eſprit de cet Édit , l'Avocat qui les
défendoit examinoit la queſtion ſous unpoint
Di
MERCURE 1
de vue moral & politique , & s'exprimoit
ainſi : 事
De l'adouciſſement qu'il conviendroit d'apporteràl'état
des Juifs en France.
-Quand on embraſſe d'un coup - d'oeil
>> toute l'Hiſtoire de ce peuple, en écartant
>>même ce caractère ſacré qui lui a été imprimé
par la main de Dieu , toujours pré-
* ſente dans ſes fortunes diverſes , en ne le
> conſidérant qu'avec les yeux de la politi-
>> que humaine , on ne peut encore s'empê-
>>cher de reconnoître dans ſon fort quelque
choſe qui n'est pas des deſtinées ordinaires.
» Les Livres que Moyſe laiſſe aux Juifs,
- leur diſent que toutes les autres Na-
» tions doivent un jour leur obéir ; &
» dès - lors ils font avec elles un divorce
• éternel; ils ſont le peuple faint ; elles
font des peuples profanes & profcrits.
Soit que ces Nations leur difputent un
>> chétifterritoire, ſoit qu'elles les humilient
dans ces longues captivités fi déplorées par
>>- leurs Poëtes &leurs Prophètes ; jamais ils
>> ne renoncent aux promeſſes qui leur ont
» été faites; ils n'ont beſoin, pour entretenir,
• leur foi , que d'une ſeule choſe : c'eſt de
.. ſubſiſter.
>>Cette époque de grandes révolutions , où
>>tout change dans l'Univers , les Moeurs , les
>>Gouvernemens , les Religions ,&quiouvre
dans les faſtes du genre humain une ſeconde
:
DE FRANCE.
77
» Hiftoire , cette époque eſt précédée par la
>>dernière, la plus terrible catastrophe des
>>Juifs. Ce temple où repoſoient tant dema-
>> gnifiques eſpérances , tombe; & la Nation
> entière , fans aſyle , ſans Chef, ſans aucun
>> lien entre ſes membres , diſperſée & des-
>> héritée ſur toute la terre, ſe trouve en
>>proie , non plus à des vainqueurs qui ne
>> lui impofoient que la ſervitude, mais à
>> des Nations, à des Religions ennemies ,
>> nées dans ſon ſein , & qui la perfecutent
>> avec cette fureur qui caractériſe les haines
>> de familles. Néanmoins elle eſt debout en-
>> core , cette Nation tant opprimée ; con-
>> temporaine des Affyriens , des Égyptiens ,
>> des Mèdes , des Perfes , des Grecs , des
>> Romains , elle leur ſurvit à tous , elle ſe
>> furvit à elle-même; & fi Jerufalem renaif-
>>> foit, de tous les coins du monde ſes enfans
>> lui reviendroient ; ils lui rapporteroient les
>> mêmes loix, & preſque les mêmes moeurs
>> qui leur furentdonnées il y a plus de trois
mille ans; & cette immenfe révolution
>> de ſiècles n'y auroit pas fait plus de changemens,
que la paſſagère commotion d'un
>> tremblement deterre , qui , en détruiſant
les édifices , auroit quelque temps éloigné
les Citoyens.
>>D'autres peuples ont été inſtitués pour
>> différens genres de gloire ou de bonheur ;
celui-ci a été inſtitué pour durertoujours ,
> & ne reffembler qu'à lui -même. C'eſt que
>> tout ſetient dans ſa conftitution. Ce peu-
"
7
Diij
MERCURE
ple n'a des moeurs que par ſes loix , de lo
que par ſa Religion ; & ſa Religion , lui
➤ commandeeſſentiellement une vertu, par--
faitement compatible avec la Nature humaine
, une entière ſoumiſſion aux décrets
>> de la Divinité , ſoit qu'elle récompenſe ,
ſoit qu'elle châtie ; & cette vertu lui rend
>> tout ſupportable dans ſa misère , & conſacre
àſes yeux juſqu'à fon aviliſſement. Si
l'on remarque aujourd'hui quelque diſpo-
>> ſition dans ce peuple à entrer dans la fociété
générale des autres Nations , lorſque
>> celles - ci daigneront les y recevoir , c'eft
→ l'effet des lumières augmentées & répan-
>> dues , auxquelles il eſt réſervé, d'opérer
>> inſenſiblement de grandes révolutions dans
» le monde. Il étoit de la deſtinée des Juifs ,
>> nond'échapper à l'influence des progrès de
>> la civiliſation & des connoiffances , mais
>> de ne céder à aucun autre Gouvernement ,
>> àaucune autre Religion ; & tel eſt l'avantage
>> particulier d'un Gouvernement téocrati-
➤ que , qui s'appuie ſur la ſtabilité même de
>> l'Etre Éternel.
: >>L'eſclave qui ne veut pas ſe rapprocher
>> des moeurs & des opinions de ſes maitres ,
>> doit ſe réfoudre ſur tout le reſte à laplus
ود vileobéiſſance:celafeulexpliquelecarac
>> tère moralque l'on reproche à ce peuple.
>>Je ne craindrai pas de prévenir le por-
>> trait que l'on en pourroit faire. J'aurai le
>> droit enſuite d'examiner ſi ce peuple , tel
» qu'il eſt ou tel qu'on le croit, n'eſt pas jufti
DE FRANCE. לפ
fié peut-être par le triſte & honteux état
> où nous le retenons .
>>On obſerve que toujours moins affermi
>>qu'expoſé par ſes richeſſes , le Juif cher
>> che fans ceffe, dans ſon économe induſtrie ,
» à gagner ſur les autres peuples , & à ne
> leur rien rendre.
>>Familiariſé avec le mépris , il fait ſouvent
de la baſſeſſe la voie de la fortune.
>>Peu capable de tout ce qui demande du
>> courage , on le trouve rarement dans le
>> crime, on le ſurprend ſouyent dans la fri-
- ponnérie.
>>Exclu de toutes les propriétés , de tous
> les honneurs , l'or fait ſa paſſion unique.
>>Barbare par défiance , il ruineroit la for-
> tune, la réputation du plus honnête débiteur
pour s'affurer une ſomme chétive.
>> Sans autre reſſource que la ruſe , il ſe
>> fait une étude & un mérite de l'art de trom
» per.
ور
ود
>>L'uſure , qui ouvre les mains de l'avarice
même , pour l'affouvir davantage ,
qui épie fans ceſſe la foibleſſe , les paffions,
>> le malheur , pour leur porter ſes ſecours
>> perfides ; l'uſure paroît avoir fait du Juif,
> dans tous les temps , ſon agent fidèle.
>>Voilà , je crois , tous les titres de profcrip-
>>> tion que la haine même , dans ſes exagé-
> rations , pourroit raſſembler contre les
>> hommes que j'oſe défendre. Mais enfin ,
dans cetableaudes vices des Juifs , ne trou- ود
>> vons-nous rien qui nous accuſe nous-mê
Div
MERCURE
> mes ? Les exemples en politique , commo
dans les arts , font plusd'impreſſion que les
› nieilleurs principes. Je commencerai ici
> par offrir un faitbien énergique.
>> Il y a quelques années , dans une des
principales villes de France , un Juif fut
> ſurpris exerçant un métier interdit à fa
>> Nation. On lui en arrache les inſtrumens,
>> &on le traîne devant le Juge pour l'amen-
» de. Miniftre de la Loi , dit- il ,jen'aià vous
> offrir que fix enfans qui vont manquerde
pain. Mais ne refusez pas une triſte grâce
à un malheureux. Parlez, lui dit le Magif
» trat. Demain vous envoyez monfrère àun
gibetpour unvol auquel le besoin l'aréduit,
faites-moi pendre avec mon frère , afin
» qu'au moins je périſſe avant de devenir
coupable. Ainli il eſt poſſible que les mau-
» vaiſes loix condamnent au crime qu'elles
> châtient.
>>>Mais j'entends déjà les réclamations du
>> préjugé. N'allez pas chercher , me dit-on ,
رد lacauſedesvicesde cepeuple hors de lui-
» même. Ils tiennent à ſon caractère , & ils
>> ſont ſans remède, comme ſes masurs font
>> invariables. :
>>Quand on veut faire du bien aux hom
>>>mes , il ne faut pas commencer par en dé-
>> ſeſpérer. Qu'on examine avecplus d'impar
ود tialité la conduite dece peuple; elle inf-
>> pirera , j'en ſuis sûr ,plus de pitié que d'in
» dignation.
>>Preſque ſans reſſources dans la misère ,
DEFRANCE. 8
❤ fansconſidérationdans la richeſſe; toujours
tremblant que ſon joug ne s'appeſantiſſe
>> encore , ne recueillant par-tout que des
• affronts , des dédains , le Juif ſe rebute , &
tombe du déſeſpoir dans l'inſenſibilité.
>> Honteux de lui-même ,&toujours samené
fur lui par ſes dangers , par ſes craintes , il
>> s'avilit pour ſe conſerver. Son induſtrie ,
» qui s'accroît avec ſes maux, devient enfin
>> funeſte à ſes oppreſſeurs. Il les trompe
>> avec avidité , parce qu'il y eſt pouffe par
le beſoin de ſa ſubſiſtance ; il les trompe
avec joie, parce que c'eſt le ſeul avantage
>>qu'il obtienneſur eux.
Ne craignons pas de nous approprierune
> fituation fi déſeſpérante; ne craignons pas
de nous interroger nous-mêmes; & nous
>> apprendrons du moins à devenir juſtes ou
>>indulgens, Qui ſauroit réſiſter à cette épreu
>> ve? Qui s'enflammeroit pour l'honneur
> dans le ſeinde l'opprobre ? Qui deviendroit
>> Citoyen dans le ſein dela tyrannie ? Qui
>>connoîtroit les procédés nobles & généreux,
tandis qu'il ne peut avoir pour ré-
>> compenſe qu'une fortune ſouvent auſſi
>> pénible à conſerver qu'à acquérir ?
: >> Je viens de montrer les défauts trop
→ réels , trop puniſſables de laNation Juive .
>> Mais ne peut-elle pas auſſi nous offrir des
• qualités eſtimables?
»On leur doit une des plus heureuſes dé-
>> couvertes. Ces papiers qui , en circulant
> avec plus de rapidité & moins de rifque ,
Dv
$2 MERCURE
>> repréſentent les monnoies, ſignes de toutes
>> choſes ; cette ingénieuſe invention qui a
>>donné tant d'activité , de préciſion & de
hardiefle au commerce moderne, a été un
>>des prodiges de leur ſagacité luttant contre
• l'oppreffion .
>>Contens d'exiſter , fatisfaits quand leur
>> malheur n'augmente pas , ils n'ont jamais
>> connu ce defir inquiet des nouveautés ,
>principe des troubles & des révoltes. Au
>> milieu des révolutions qui bouleverſent les
>> Empires , regrettant les anciens maîtres,
> reſpectant les nouveaux , ils obéiffent tou-
> jours.
>>Artiſans continuels de notre luxe , ils
favent s'en garantir. Leurs moeurs font
>> fimples & religieuſes ; pauvres & retirés ,
>>>ilstrouvent ſouvent dans l'union touchante
>>de leurs familles ce bonheur que leur état
>> politique ſembloit leur dénier.
>>Bienfaiſans entre eux, rigides obfervateurs
➤ d'une loi à laquelle leur infortune les atta-
>> che encore plus, ils s'aident dans toutes
ود leurs peines ; ils ſe puniſſent dans toutes
> leurs fautes. Rebutés & infultés par tout ,
" ils n'oppoſent que la patience aux outra-
>> ges. Si nous voulons connoître ce qu'ils
>>pourroient devenir ſous une adminiftra-
>> tion plus humaine, confultons l'expérience
>> des autres Nations. Dans la Hollande , dans
>> quelques parties de l'Italie & de l'Allema-
" gne , dans les Colonies Américaines ſur
> tout , dans tous les pays où le commerce
DE FRANCE. 83
» les a un peu rapprochés de la condition
>> ordinaire des hommes, ils ſont plus hon-
> nêtes , plus fidèles dans leurs traités; fenfibles
à l'honneur , ils lui facrifient quel-
>> quefois la fortune.
ود Et nous-mêmes , moins heureux fans
> doute , comme plus injuſtes à l'égard de ce
>> peuple , n'avons - nous pas vû cependant
>>>dans la Capitale &dans différentes Provin-
>> ces pluſieurs Juifs conſacrer au ſervice pu-
" blic des richeſſes pures dans leur fource ,
>> forcer la prévention à l'eſtime , la haine an
>> filence, &laiſſer une mémoire reſpectée ?
>>Voilà des exemples qui nous invitent à
>> des loix nouvelles , & qui nous en garan-
>> tiffent le ſuccès.
ود
>>E>ſſayons donc ſur leurs coeurs le pouvoir
des bienfaits. Ceffons de demander des
>> vertus à des hommes que nous avons dégra-
» des. Acquérons , par notre clémence , le
>> droitdeles réprimer par notrejuſtice;&fen-
>> tons combien il ſeroitbeau,combien ilferoir
> doux de les arracher en même-temps à leurs
>>vices &à leur misère. Il faut bien que l'in-
>> fortune devienne lâche , ſi vous la chargez
>> d'opprobre ; mais ranimez-la par des pro-
>> meſſes confolantes ,& il n'eſt rien de noble
>> que vous n'en puiſſiez eſpérer. Ah ! peut-
> être ce peuple n'auroit beſoin que des mou-
> vemensgénéreuxdela reconnoiffance, pour
>> déraciner de ſon coeur ſes vices antiques ,
› qui tiennent tellement à ſes diſgrâces, que
Dvj
84 MERCURE
>> l'Hiſtoire ne les en ajamais ſeparés. Peuple
» trop éprouvé par notre injuftice, & trop
> méconnu par nos préjugés, votre malheur
> vous abſout aujourd'hui de tant de juſtes
" accuſations. Mais fi vous trompiez dans
>> leurs eſpérances des loix bienfaiſantes , le
> malheur pour vous perdroit&fon nom&
>> ſes droits. Ne me démentez donc pas lorfque
je promets à vos maîtres votre dé
vouement àl'honneur , pour prix de leur
> commifération. >>>
(Ces Article est de M. de L. C. )
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
4
LEConcert du 8 de ce motsa ététrès-brillant,
tant pour l'affemblée que pour le mérite
des morceaux qui le compoſoient , quoiqu'il
n'ait offert preſque riende nouveau. On
ne ſe laſſe point d'entendre Mlle Renaud
l'aînée; & c'eſt le fceau du véritable talent.
Onpeut bien , avec un faux mérite , ufurper
pendant quelque remsdes ſuffrages; mais l'en
choufiaſime qui manque d'aliments'éteintbien
tốt ; le dégoût naît à ſa place; dégoût d'autant
plus marqué , qu'il s'y joint un ſecret dépit
d'avoir étédupe d'un eclat dont en reconnoît
Pilluſion. Plus on entend Mlie Renaud, au con
traire , plus ondécouvre de qualités dans ſon
DEFRANCE. 85
chant.Ala ſurpriſe qu'elle excite la première
foisdans l'âmede ſes Anditeurs , fuccède l'admiration
réfléchie qu'on doit à la perfection.
Sa jeune foeur a chanté un duo Italien avec
elle; & quoique ſon talent paroiffe plutôt
l'appeler à la Scène , on atrouvé que dans le
chant même elle étoit digne de ſuivre un ſi
beau inodèle,dont elle s'approche deplus en
plus.Mlle Candeille afait entendre une ſymphonie
concertante de ſa compofition; elle
exécutoitelle-même la partie du fortepiano ,
M. Soler la clarinette , M. Ozy le baffon , &
M. le Brun le cor. Ce morceau , fait avec ha
bileté, ſemé d'idées agréables , quelquefois
même originales , a été fort applaudi. On a été
moins indulgent pour l'Hymne ( le bonheur
dujuſte ) dont elle a fait les paroles , &M.
ffon père la muſique. Mlle Candeille , entourée
d'hommages , de complimens , d'adorateurs
,nous pardonnera-t'elle des conſeils dictés
par un ſentiment plus ſincère ? La vérité
aquelque choſe d'apre & de dur qui bleſſe
ordinairement des oreilles amollies par la
louange. Ces conſeils cependant ne tendent
qu'à lui conſerver ces louanges ; qu'à lui
épargner des diſgrâces qui en corrompent la
douceur. Ce motif nous fervira peut - être
d'apologie auprès d'elle.
Onaime ſans doute à voir pluſieurs talens
réunis dans une femme; quand elle les joint
encore auxgrâces de la figure , leur effet en
eſt plus certain; mais on en hait la prétention.
Onvent les découvrir en elle , on ne veut pas
86 MERCURE
A
qu'elle les affiche. On eft révolté de cette ambition
qui prétend envahir tous les fuffrages;
elle diſpoſe alors à la ſévérité. Déjà très-favoriſée
par la Nature , Mlle Candeille a voulu
joindre à ſes dons des talens acquis. Elle en
a montré beaucoup pour la muſique: ils ont
été encouragés , juſtement applaudis. Elle a
paru enſuite dans la carrière dramatique ;
on a trouvé tout ſimple qu'elle cherchât à ſe
former un état ; & la faveur publique l'y a
ſuivie. Mais aujourd'hui Mlle Candeille veut
faire des vers ; & non-contente des ſuffrages
toujours certains de ſa ſociété , elle veut obtenir
du Public cette nouvelle couronne , qui
ne peut être utile ni à ſa fortune ni à ſa répu
tation. Cette prétention nouvelle appeloit
l'examen & il ne lui a pas été favorable.
Un grand talent eût pû ſeull'excufer ; elle n'a
point cette excuſe. L'art des vers , comme
celui de lamuſique , demandent chacunqu'on
s'y livre uniquement. Que cette Virtuoſe ſe
contente donc de ſon partage ; elle a affez de
moyens de plaire ſans en tenter encore de fi
haſardeux. Qu'elle regarde comme ſes enne
mis , non pas ceux dont la ſévérité a pu lui
déplaire, mais ceux dont l'extrême indulgences
l'ont trop encouragée à s'y expoſer.
Cettelonguedigreſſion, où nous a entraîné,
l'intérêt réel que Mlle Candeille inſpire , ne
nous permet plus que de dire un mot de
M. Aldée le jeune , dont les progrès ſur le
Violon juftifient de jour en jour les eſpérances
qu'il adonnées ; &de M. Lais , qui , reparoifDE
FRANCE. 87
fant après une longue maladie , a été reçu
avec tout l'intérêt que méritent ſa perſonne
&fes grands talens.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
ON continue avec le plus grand ſuccès les
repréſentations de Dardanus. Il eſt arrivé
Vendredi de la ſemaine dernière un petit événement
que nous nous croyons obligés de
rapporter.
Le Public s'attendoit que M. Chéron , qui
avoit chanté la veille au Concert Spirituel ,
rempliroit le lendemain le rôle d'Iſménor ,
dans Dardanus. Il fut un peu ſurpris de le
voir remplacé par M. Moreau; & quoique
eetActeur foit aimé du Public , & mérite
de l'être par fon zèle, ſon activité , & le grand
nombre de rôles qu'il double, il fut reçu avec
humeur de la part du Public ,&fur-toutdu
Parterre , qui continua de manifeſter ſa mauvaiſe
humeur pendant la plus grande partie
de fon rôle. Il ſaiſiſſoit avec malignité tout ce
qu'il croyoit pouvoir trouver de répréhenſible
dans le chantdu fieur Moreau ; l'Acteur enfin
fut démonté , & croyant voit un juge mal
intentionné&peu équitable dans le Parterre ,
il s'avança ſur les bords de la Scène , &
s'adreffant au Public avec le ton du déſeſpoir:
" Ingrat, ingrat, lui dit-il, vous me perdez ,
>> vous me perdez ; je ſais que j'irai en prifon
, mais vous en êtes la ccaauuſe. Ingrat, je
88 MERCURE
>> fais ce que je puis » Cette apoftrophe
inattendue interrompit la Scène , confondit
les Spectateurs , qui alors ſentirent leur injuſtice;
& le ſieur Lainez embraſſant dans ce
mème moment ſon Camarade , & cherchant
à lui remettre l'eſprit & à calmer ſondéſefpoir
, les applaudiſſemens retentirent dans
toute la falle , & l'émotion fut très-vive &
générale.On eut regret d'avoir affligé unActeur
eftimable , toujours prêt à doubler ſes Camarades
, & qui eſt obligé de jouer fi for
vent, qu'on ne conçoit pas même comment
il a le temps d'apprendre ſes rôles. Cependant
la Scène fur troublée; le ſieur Moreau
s'étant retiré, on étoit incertain s'il feroit en
étatde reparoître dans la dernière Scène : le
Public le deſiroit avec impatience ; enfin il
parut,mais on voyoit feslarmes couler le long
de ſes jones; & alors toute la ſalle s'émut ,
s'attendrit de nouveau ; les applaudiffemens
devinrent univerſels , & furent continués
pendant très-long-temps . L'Acteur re
prit courage , & put achever fon rôle.
Qu'on nous permette maintenant quelques
réflexions ſur les Parterres debout. Si
le Parterre eût été affis , il auroit pu avoir tu
inſtant de mauvaiſe humeur , en voyant que
l'Acteur fur lequel il comptoit étoit remplacé
par un autre Acteur qu'il n'attendoit pas;
mais comment veut-on que des hommes qui
font pendant trois heures, fur leurs jambes
ne foient pas toujours prêts à prendre
de l'humeur ? Et routes les ſcènes tumul
งใ
DE FRANCE. 8,
meuſes qui arrivent ſi fréquemment , ſurtout
àlaComédie Italienne , ne font toujours
occaſionnées que parce que le Parterre eſt
debout. Ne renoncera-t-on donc jamais à un
ufage barbare, deftructifde laviedescitoyens ,
quí , chaque année , fait périr peut- être cinquante
perſonnes , qui fait le fupplice des
loges,&qui interrompt continuellement le
Spectacle ; uſage qu'un intérêt mal entendu
feul conſacre ? N'est - il pas honteux qu'on
foit debout au Parterre de l'Opéra , du Théâtre
le plus brillant de l'Europe , où tout refpirele
luxe,lamolleſſe&la volupté,&qu'on
Toit alfis auxSpectaclesduBoulevard: Les bons
Citoyens neceffent d'élever leurs voix contre
unuſage dont les étrangers font révoltés;&
Adminiſtration , qui permet aujourd'hui les
repréſentations fur tantd'objets, fermera-t'elle
plus long- temps les yeux fur un point de
police qui intéreſſe la vie & le bonheur des
Sujets du Roi ? Nous ſavons que le Comitéde
laComédie Italienne avoir réſolu le Parterre
affis,&que des intérêts particuliers ſeuls s'y
font oppoſés ; nous n'ignorons pas encore
que quelques perſonnes , pour perpétuer cet
ufage cruel, s'autoriſentd'uneRequête ſignée,
dit-on , de deux mille âmes qui demandent la
continuation de ce Parterre debout, de ce Parterre
tumultueux , ſéjour continuel de plaintes
, de cris & de gémiſſemens ; mais nous
ſavons bien comment on peut parvenir à ſe
procurerde pareilles ſignatures , qui , quand
elles ſeroientbien réelles, n'en mésiteroient
१० MERCURE
que l'animadverſion de l'Adminiſtration &
des Magistrats , parce qu'une telle Requête
fignifie ſeulement qu'il y a des perſonnes qui
ne s'embarraſſent ni de leur conſervation , ni
de l'ordre public , ni de la décence des Spectacles
,&qu'elles ſe plaiſent dans le tumulte
& les orages .
Nous ſommes étonnés que MM. les Comédiens
Italiens , dont le zèle pour les plaifirsduPublic
eſt ſi connu , qui ont ſu élever
juſqu'à ſept rangs de loges pour fatisfaire les
Amateurs de ce Spectacle , qui font les plus
grands efforts & les plus grandes dépenſes
pour multiplier& les nouveautés & les bons
Acteurs , ne follicitent pas eux-mêmes un
arrangement qui les honoreroit; qui eſt praticable
, puiſqu'il avoit été décidé,& que fol
licite laplus ſaine partie de la Nation.
( Cet Article est de la même main qui a
écrit plufieurs fois dans le Mercure contre
lesParterres debout , &c. &c. )
DE FRANCE.
ANNONCES ET NOTICES.
NOUVEAU Lait de Vinaigre , à Paris , chez le
fieur Maille , ſeul Vinaigrier du Roi , de la Cour ,
&de Leurs Majestés Impériales , au magaſin général
des Vinaigres , rue S. André- des-Arcs , vis-à-vis
celle Haute- Feuille.
La célébrité des Vinaigres du ſieur Maille n'eſt
pas refferréedans les bornes de la France ni de l'Europe;
& c'eſt toujours avec un vrai plaifir que nous
avons faiſi les occafions de la rappeler au Public. Ses
'études & fes travaux viennent de le conduire à une
découverte qui lui acquiert de nouveaux droits à la
reconnoiſſance du beau ſexe. C'eſt un nouveau Lait
de Vinaigre , pour détruire ( ſi anciens qu'ils puif-
"ſent être) les maſques de couches, fortede fléau qui,
ne s'attachant que trop ſouvent à la maternité ,
ſemble en augmenter les dangers , & change ainſi en
malheur pour les femmes,leur titre le plus cher & le
plus glorieux. Ce curatif, dont on nous garantit
l'efficacité , enlève auſſi les taches de rouffeur , &
rend au teint ſa fraîcheur naturelle.
Les moindres bouteilles de ce Lait de Vinaigre ,
qui ſera en vente au premier Mars prochain , ſeront
de 6 liv.
Nous profitons de cette occafion pour un avis qui
concerne les autres compoſitions de cetArtiſte. Les
fuccès conftans & multipliés des différens Vinaigres
de ſon invention pour la toilette , ont réveillé les
deſirs intéreſſés de pluſieurs Distillateurs & Parfumeurs
qui s'efforcent en vain de les imiter. C'eſt ce
qu'a appris le ſieur Maille par différentes lettres qu'il
areçues, tant de la Province que des pays étuan92
MEREURE
gers. Mais c'eſt woe fraude qu'on peut découvrir
affez facilement
Pour ne parler que du Vinaigre de Rouge, qui
imire parfaitement les couleurs naturelles , voici
comment on reconnoîtra ſi c'eſt celui du &cur
Maille, ou s'il n'est que contrefait. En enjetant une
petite quantité ſurdu linge blanc , le Vinaigre du
SeurMaille produira un doux incarnat qui paroît ſe
fondre avec la couleus de chair ; au lieu que le Vinaigre
de Rouge contrefait produira une couleur
violette qui ne le fondra pas également ſur le linge.
L'avantage de a couleur n'eſt pas le ſeul qui
diftingue le Vinaigre de Rouge du ficur Maille ; &il
croit devoir prévenir les Dames que ces contrefactionsſont
très-dangereuſes pour le teint, tandis qu'en
inventant fonVinaigre , il n'a eu d'autre but que de
J'embellir & le conferver. Déſormais , pour éviter
soute ſurpriſe à cet égard, il fera coller ſur chaque
bouteille une étiquette aux armes du Roi , de 1 Empereur&
de l'impératrice deRuſſie.
LeVinaigre Romain , qui blanchit les dents&
lesraffermitdans leurs alvéoles , arrête les progrès
de la carie, & raffraîchit la bouche ; le Vinaigre
pour amortir le feu du raſoir; le Vinaigre rafraîchiffant
pour la garderobe , & autres encore tout
auffi eſtimés, continuent de ſedébiter avec le plus
grandſuccès.
BIBLIOTHÈQUE des meilleurs Poëtes Italiens ,
en 36 vol. in 8°. proposée par Soufcription , par
M. Couretde Villeneuve , Imprimeur du Roi àOr-
Haus , & Éditeur de cette Collection,
Il paroît ledix-huitième Volume de cette importante
Collection ,dont le mérite intrinféque , joint
àla modiciré dupriz , doit procurer un débit facileà
cette Edition , qui , d'ailleurs , ſe délivre avec adez
derapidité,Ledernier Volume qui vient deparoître,
DE FRANCE.
95
eſt le ſeconddes OEuvres Dramatiques d'Apoftolo
Zeno.
TRAITÉdes Jardins, oulenouveau dela Quintirie,
contenant laDefeription & la culture , 19. des Arbres
Fruitiers; 2. des Plantes Potagères ; 3 °. desArbres
, Arbriffeaux , Fleurs & Plantes d'Ornement ,
par M. L. B ***. Nouvelle Édition 3 vol. in-8 °.,
avec 12 figures. Prix , 12 liv. A Paris , chez Belin ,
Libraire , rue S. Jacques, prèsS. Yves; àAvranches ,
chez Lecour , Imprimeur Libraire , & à Caen , chez
Mannouri l'aîné , Libraire .
On fait que la Quintinie a le premier écrit fur les
Jardinsd'une maniere raisonnable &utile. Il a même
fait des découvertes qui out été louées avecjustice,
&dont on a profité de ſon temps; mais l'art du Jardinage
a depuis fait bien des progrès qui rendent aujourd'hui
ſon Ouvrage à peu prés inutile. Auffi le
nouveau la Quint nie l'emporte-t'il de beaucoup fur
Pancien. CetOuvrage eſt reconnu pour le meilleurde
tous ceux qu'on a écrits ſur la culture des Jardins.
L'Auteur vient d'y ajouter un Traité du Jardin d'ornement.
Cette nouvelle partie , qui eſt d'une auſſi parfaite
exécution que les précédentes , doit donner un
nouveau prix àl'Édition que nous annonçons.
En faveur desperſonnes qui om l'Édition en deun
volumes , on vendra ſéparément la troiſième Partic,
prix, 4 liv.
TRIOMPHE de la Religion Chrétiennefur toutes
les Setes Philofophiques , par M. l'Abbé Liger.
in 12. Prix, 3 liv. relié en veau. A Paris , chez
Pierre Berton , Libraire , rue S. Victor.
4 En deux mots, le Plan de cetOuvrage eſt , 1°. de
faire connoître les Philoſophes anciens & leurs opinions;
2º, de leur comparer les Philofophes modanes;
5. de comparet aux uns & aux autres los
T
94 MERCURE
Philoſophes Chrétiens. Le but de l'Auteur eſt de
prouver que le Chriftianisme est confirmé par ceuxlàmêmes
qui s'efforcent de le détruire.
L'Auteur de cet Ouvrage, pénétré des principes
de la Religion Chrétienne , les rend avec clarté , &
combat ſes adverſaires avec zèle.
OBSERVATIONS de M. l'Amateur Avec à M.
Abbé Sans , fur la néceffité indispensable d'avoir
une théorie folide & lumineuse avant d'ouvrir boutique
d'électricitémédicale, en réponse à la Lettre de
M. l'Abbé Sans à M. Marat ,fur l'Electricité pofitive
& négative publiée dans le Numéro 16 de l'Année
Littéraire. Prix , 15 ſols br. A Epidaure ; & fe
trouve à Paris , chez Méquignon l'aîné , Libraire ,
rue des Cordeliers.
LES Petits Spectacles de Paris , ou Calendrier
Historique& Chronologique de ce qu'ils offrent d'intéreſſant.
Septième Partie , pour l'année 1786. Prix ,
1 liv. 4fols broché. AParis , chez Guillot , Libr. de
MONSIEUR , ruç S. Jacques.
On a fait pour tous nos petits Spectacles ce qu'on
fait depuis long- temps pour les trois principaux
Théâtres de Paris. On y donne des détails de tous
ceux qui ſe trouvent au Palais Royal , dans les Foires
&dans d'autres Quartiers de Paris , avec une Lifte
des divers Auteurs & des différentes Pièces ou autres
objets qui ſervent à l'amusement des divers Publies
de Patis. Cet Almanach avoit été interrompu pendant
pluſieurs années ; & l'on ſent qu'il doit être
plus conſidérable & plus curieux , vû que ces fortes
de Spectacles ſont aujourd'hui en bien plus grand
nombre qu'autrefois.
HISTOIRE de France depuis l'établissement de la
DE FRANCE.
95
Monarchiejusqu'au Règne de Louis XIV, par M.
Garnier , Hiſtoriographe du Roi & de MONSIEUR,
pour le Maine & l'Anjou , Inſpecteur & ancien Profefſeur
du Collége Royal , de l'Académie des Belles-
Lettres , Tomes XXIX & XXX. Prix , 3 liv. relchaque,
A Paris , chez la Veuve Deſaint , Libraire .
rue du Foin Saint- Jacques , & Nyon l'aîné , Libraire,
rue du Jardinet, quartier Saint-André-des-
Arcs.
On trouve chez les mêmes la Collection des Portraits
des grands Hommes , dont il eſt fait meni
tiondans les trente Volumes in- 12 de cette Hiftoire
, 2 Vol. in-4°. reliés. Prix, 36 liv. On y
trouve auſſi leTome XV in - 4°. de cette Hiſtoire ,
formant les deux Volumes in - 12 que nous annonçons.
Prix, 10 liv, reliés. Le même avec les Pord
traits reliés 12 liv.
-
COLLECTION depetites Pièces & d'Airs connus
pour les Commençans , arrangés pour le Forte-
Piano , par M. Charpentier , Organiſte de l'Égliſe
deParis. Prix , 6 liv. franc de port.-TroisSonates
pour le Forte Piano , par M. Tapray , Quvre XXII .
Prix , 4 liv. 16 fols. F. D. P. - Numéros , & 10
du Journal Hebdomadaire , compoſé d'Airs d'Opéras
François , Italiens arrangés pour le Clavecin.
Numéros 51 & 52 du Journal de Harpe, par les
meilleurs Maîtres. Prix , chaque Numéro de ces
deux Journaux ſéparément , 12 fols ; & pour cin
quante-deux Livraiſons qui ſe font tous les Dimanches,
15 liv. franc de port.- Numéro 12 du Journal
de Clavecin , par les meilleurs Maîtres. Séparément
3 liv. Abonnement pour douze Numéros
Is liv. F. D. P. A Paris , chez Leduc , au Magaſin
de Muſique & d'Inftrumens , rue du Roule , à la
Croix d'or , n° . 6
96
MERCURE
2 CINQUIÈME Cahier du Journal de MusiqueMilitaire
ou de Pièces d'Harmonie , compoſées & arrangées
par les meilleurs Maîtres pour deux Clarinettes
, deux Cors , deux Baffons obligés , deux
Trompettes , deux petites Flûtes ou Fifres , Tambour
, Timbales , Triangles , Serpent ou contre-
Baffon ad libitum , contenant divers Airs d'Opéra ,
Ouvertures & Marches. Les ſept Cahiers ſuivans
paroîtront par abonnement au prix de 24 liv. pour
douze Cahiers pris à Strasbourg , ou 30 liv. frane
deport. Séparément 3 liv. & 3 liv. 12 fols. On
s'abonne en tout temps à Strasbourg , chez Storck ,
Marchand de Muſique , près le pont du Corbeau ;
&à Paris, chez Leduc, rue du Roule, à la Croiz
d'or, nº. 6.
NUMÉROS 7 & 8 des Feuilles de Terpsychore
pour laHarpe &pour le Clavecin. Prix de l'abon.
nement pour cinquante - deux Numéros de chaque
Inſtrument, 30 liv. frane de port. Séparément 1 liv.
4fols. AParis, chez Couſincau père& fils , rue dos
Poulics.
1
TABLE.
VERSfur la Mort du célèbre transférer & de reconstruire
Μ.Μ***,
-Sur lePlaifer,
gryphe,
49 l'Hôtel- Dieu de Paris, 54
soAcadémie. 69
84 Charade, Enigme & Logo Concert Spirituel ,
1 Académie Roy. deMufiq. 87
Mémoire fur la néceffue deAnnonces &Notices,
APPROBATIΟΝ.
Jar lu, par ordre de Mgr. le Garde-des-Sceaux,le
Mercurede France , pour le Samedi 11 Fevrier 1786. Jen'y
ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion. A
Paris, le to Févrice 1786. GUIDI
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES .
RUSSI Ε.
DE PÉTERSBOURG , le 10 Janvier:
Asamufent
U défaut de nouvelles , les amateurs
s'amuſent ici à faire des dénombremens.
Selon la derniere de ces évaluations hafar-,
dées qui circulent en public, on nous donne
360 mille foldats , y compris les troupes
légeres; 48 vaiſſeaux de ligne , 12 autres
dans lamer Noire; douze millions 428 mille
488 habitans mâles ſeulement , enfin 40
millions de roubles de revenu Impérial. Les
dépenſes annuelles , dit-on , ne font que de
25 millions; & depuis vingt ans , la population
s'eſt augmentée de deux millions 340
mille individus mâles ; ce qu'on peut regarder
comme un événement preſque ſunnaturel.
On nous entretient toujours de nos fuccès
contrele Tartares du Caucae Vo.cidequelle
N°.6 , 11 Fevrier 1786. C
( 50 )
:
maniere laGazette de Hambourg nous par'e
des derniers avantages de nos Généraux
dans ces contrées.
Pendant l'absence du Lieutenant - Général
Paul de Potemkin , Commandant en chef des
troupes Ruſſes , qui ſont diſpoſées vers les montagnes
du Caucaſe , preſque toutes les nations
voiſines , dont les unes avoient juré ſoumiflion
& fidélité à l'Empire : d'autres , quoique ſeulement
feudataires , vivoient dans une parfaite
tranquillité , ſe révoltèrent tout- à-coup , excitées
par un faux prophete , originaire d'un village,
vers la mer Caſpienne : cet impoſteur leur
diſoit , que ni le canon ni les fufils de l'ennemi
ne les toucheroient point , & que la valeur accoutumée
des Ruſſes n'exiſteroit plus , s'ils oſoient
ſeulement avec fermeté affronter les fortereſſes &
les nouvelles colonies de ceste nation. Leur projet
alloit s'exécuter : des hordes formidables
étoient prêtes à paſſer le Cuban & le Tureck , &
à attaquer la ligne de toutes parts . Le général ,
dont la fermeté&la ſageſſe ſont connues , inſtruit
de ces mouvemens d'abord après fon retour à la
ligne du Caucaſe , forma ſon plan& les prévint :
il entra à la tête d'un corps de troupes dans la Cabardie
& fit tout rentrer dans le devoir. Le brigadier
d'Apraxin , aide-de- camp de l'Impératrice ,
à la tête de 600 dragons du régiment , qu'il commande
, attaqua plus de 3 mille Tartares, qui par
une marche rapide avoient déjà paffé le Cuban
&ſe portoient fur les colonies Ruffes ; il les défit
: un grand nombre fut maſſacré , le reſte prit
la fuite: &, ſe voyant pourſuivis de toutes parts
par le vainqueur dans leur déroute, ils abandonnèrent
quelques priſonniers & quelque bétail ,
P
' ( sr )
dont ils s'étoient ſaiſis dans une colonie Ruſſe,
ſituée près des rives du Cuban. Le colonel de
Nogel , avec 2000 hommes d'infanterie & quelques
chevaux , poſtés au-delà du Tureck , défit le
prophete à la tête de 7 à 8 mille de ſes gens , qui
combattirent à pied , roulant devant eux des machines
de guerre , qui réſiſtoient par leur ſtruc
ture aux boulets: Mais la bayonnette & le courage
des grenadiers Ruſſes renversèrent tout obftacle.
Il fut fait un grand carnage des révoltés :
le prophete bleſſé s'enfuit dans les montagnes :
tout ſe rangea de nouveau ſous la loi des vainqueurs:
& les nations , punies par les armes Ruf
ſes , implorerent le pardon du Général : il envoya
à la cour des députés , choiſis parmi les familles
les plus diftinguées d'entre les rebelles ,
après quoi le calme & la tranquillité ont été parfaitement
rétablis. La cour , pour récompenfer
les ſervices du brigadier d'Apraxin , lui a envoyé
la croixde l'ordre militaire de St. Georges .
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 30 Janvier.
Le Prince Auguſte de Sulkowski , Palatin
de Kalitſch , Préſident du Conſeil de guerre
en Pologne , l'un des membres du Conſeil
permanent , dont on eſtimoit le plus la tête
&la dextérité , eſt mort à Varſovie , le to
de ce mois , d'une inflammation de poitrine.
Le 20 de Novembre , un ouragan effrayant
d'une heure & demie , a défolé les
côtes & l'intérieur de la Norwege. La Cathédrale
de Bergen a été entierement dé
C2
( 52 )
couverte. Un navire allant au détroit de
Davis a été englouti à 4 lieues du port de
Bergen , & d'autres bâtimens ont eu le même
fort , ou ont été pouflés à la côte.
D'après le dénombrement des habitans de
Copenhague au premier Septembre dernier ,
leur nombre eſt de 87,023 , dont 44158
hommes & 42,865 femmes .
Deux gros navires chargés de sooo tonnes
deſeigle ont péri avec leurs équipages
près de Thiſtedt en Jutlande.
L'année derniere on a exporté de Dantzick
14,167 laſts de froment, 21,379 lafts
de ſeigle , 2554 d'orge , 634 d'avoine , 715
de drêche , 227 de gruau &307 de pois.
Divers Papiers publics Allemands , rapportent
Panecdote fuivante , d'un nouveau Proſélyte
Joif, à Nicolai , perite Ville dans la ſeigneurie
de Piell. Joseph Reblizki, Membre du Conſeil
municipal de cette Ville, reçut ſa premiere éducation
dans les colléges des Jéſuites . Il avoit du
penchant pour l'érude , mais fon père , boucher ,
ledeſtina à ſon état. Menant une vie ſédentaire ,
lut ſouvent la bible , & crut y avoir trouvé le
non - accompliſſement des prédictions relatives
au Meffie. En confequence il prit du goût
pour la religion Judaïque , fréquenta la Synagogue
de l'endroit,& requità la fin le corps des
Juifs de le circoncire, & de l'admettre dans leur
Communauté. Les Juifs lui repréſenterent que
leur nation vivoit dans l'oppreſſion , qu'il feroit
des ſacrifices conſidérables , en embraſſant leurs
dogmes , & refuferent fa demande. Alors il quitta
la Ville , & fe rendit à Cracovie , dans le projet
de s'y faire circoncire ; mais il n'y fut pas
( یو (
pleshenreux quedans ſa patrie.Remplidechagrin
Reblizki etourna chez lui , & quelques temps
après ton retour , il ſe circoncit lui même. Depuis,
il profeſſe publiquement le Judaïsme , fréquente
la Synagogue , & affure hauementque fa
con'cience a opéré cette converfion néceſſaire à
fon falut. Cette conduite a déterminé le corps
municipal de la Ville à en informer le prince
d'Anhalt , Seigneur du lieu . Ce prince , dans
fon refcrit , déftitue à la vérité le nouveau Profélyte
Juifde ſon emploi de Conſeiller , mais il
enjoint en même temps au Magiſtrat de publier
queperſonnen'ait à infulter , nicet homme fingu
lier , ni quelqu'un de ſa famille.
Comme il fort actuellement peu degrains
de la Pologne , cette denrée commence à
devenir rare & chere. Le Roi de Pruffe
pour prévenir une difette de pain , a permis
aux Boulangers de Berlin de tirer des magafins
royaux , à un prix médiocre , les grains
&les farines dont ils auront beſoin.
DE VIENNE , le 29 Janvier.
La température a abſolument changé depuis
quinze jours : le dégel eſt ſurvenu ; &
ce n'a pas été fans accident. Le Danube
ayant charié des glaçons énormes , leur impulfion
a renverſé quelques arches du grand
pont. Un payſan&une payſanne de Gaunerſdorf
s'y trouvoient malheureuſement :
le mari étoit en avant de 12 pas , lorſque
l'arche en s'écroulant l'entraîna dans ſa chứ-
te. Bientôt emporté par le courant , ſa fem-
1
C3
( 54 )
me défolée qui étoit reſtée ſur la partie intacte
du pont , le perdit de vue. Par un
heureux hafard une partie de l'arche à laquelle
le payſan s'étoit cramponné , fut portée
ſur unbanc de ſable , où l'on lui porta
les ſecours néceſſaires.
C'eſt le 12 que s'eſt faite à Presbourg la
débacle du Danube. Elle a fait couler à
fond pluſieurs bâtimens. La ville de Lisko
en Gallicie a perdu 83 maiſons par un incendie
qui a cauſé un dommage de 150000
Horins .
On a réſolu d'angmenter la valeur des eſpeces;
on a fur-tout en vue par là d'arrêter l'exportation
extraordinaire des monnoies d'argent , qui a lieu
depuis la derniere augmentation de valeur des
ducats. L'augmentation ſera de dix kreutzer par
ducat; de forte que ceux de Kremnitz vaudront
à l'avenir 4 florins 32 kreutzer , ceux d'Empire
& de Salzbourg , 4 florins , 30 kreutzer ; ceux
deHoliande & autres , 4 florins 18 kreutzer.
On vient de publier dans la Gallicie un
Edit de l'Empereur , du premier Décembre
dernier , qui ordonne , àtrois ans de date ,
l'uſage de la Langue Allemande dans tous
les dieafteres de la Province. Les Juges
& autres Emploiés qui à cette époque
n'auront pas appris cette langue , perdront
leurs places.
L'Empereur a ordonné de faire meſurer
au Printemps prochain toutes les terres de
( 55 )
la Hongrie , de la Transylvanie & du reſte
des Etats héréditaires. On croit que l'objet
de cette opération eſt d'introduire l'impôt
unique.
On aſſure que l'on commencera cette année
à mettre à exécution le grand projet de
creuſer un canal dans la Hongrie , & de
réunir par ce moyen les principales rivieres
de ce Royaume. Si cette opération peut
être effectuée d'une maniere ſolide , elle
avancera prodigieuſement le commerce du
pays. La Croatie envoie beaucoup de
ble en Italie: il eſt paflé plus de 24 gros bateaux
dans l'eſpace de 14 jours,
DE FRANCFORT , le 3 Février.
Le 28 de Janvier&depuis , les Députés
du Cercle du haut-Rhin ont tenu ici une
aſſemblée , pour délibérer ſur les affaires
monétaires , & pour concerter les meſures
qu'exigent les circonstances actuelles.
On apprend de Caub , que le 10 de ce
mois , une partie des glaces du Rhin s'étant
rompue , & le fleuve ayant prodigieuſement
groffi , il s'eſt débordé & a couvert de glaçons
énormes le bourg & ſes environs.
Čette débacle a fort endommagé les vignobles
riverains. On travaille ſans relâche à
debarraſſer les routes des monceaux de glaces
qui les obſtruent.
C4
( 56 )
Le 6 de Janvier le froid fut exceffif
Manich , le thermometre de Réaumur étant
defcendu à 16 degrés & demi au deſſous du
point de congélation : mais cette température
n'a pas duré long temps. La pluie lui
a fuccédé , & le thermometre le io marquoit
trois degrés au-deſſus de zéro.
On aſſure que la Nonciature à Cologne ,
dontla Jurifdiction a été preſqu'entierement
anéantie par les meſures de l'Officialité de
P'Archevêché , falſoit paſſer à Rome chaque
année environ 100,000 forins pour les difpenfes
ſeulement.
Par une Patente du 17 Décembre dernier, Pélecteur
de Saxe a aſſujetti les Toiles blanches de
coton importées de l'Etranger , à 3 grofchen par
écu de leur valeur. Celles cependant qui feront
envoyées aux imprimeries de toile de coton ,
dans les états de S. A. E. pour y être imprimées,
feront exemptes de cette nouvelle taxe.
Le Duc de Wirtemberg vient d'acheter
à Nuremberg la belle collection de Bibles
du fieur Panzer ; elle confiile en 1645 vol .
Le Docteur Buſching, dont le Journal
hebdomadaire , toujours rempli de recherches
curieuſes ou de faits nouveaux , dédommage
un peu de la frivole ineptie de la
plupart des Ouvrages périodiques du moment,
vient de donner un extrait intéreſfant
du Journal manuscrit du grand Chambellan
de Bergholz , pendant ſon ſéjour en
Ruflie , ſous Pierre I. En voici quelques
traits.
( 57 )
Le 28 Janvier 1722 , on commença les fê
tes à Moſcou , à loccafion du Traité de Nyſtedt.
Le Czar fit diſtribuer ce jour-là un grand nombre
de médailles d'or, frappées en mémoire de
cette paix. Le même jour S. M. Impériale , déclara
majeure la princeſſe Elifabeth. Cet ade
ſe paſſa de la maniere ſuivante: le Czar donna
la main à la Princeſſe , & la conduiſit de l'appartement
de l'Impératrice , dans la ſalle où S.
M. Impériale avoit diné , avec les Seigneurs &
le clergé . Là en préſence de l'Impératrice , &
de toute la Cour , le Czar coupa avec des cifeaux
la liziere qui portoit la queue de la robe
de la Princeſſe , la remit à la Gouvernante , embraſſa
la Princeſſe & la déclara majeure. Après
cet acte , la Princeſſe baifa les mains de l'Empereur
& de l'Impératrice , & affiftée de quelques
Seigneurs , elle préſenta un verre de vin à toutes
les perſonnes préſentes à la cérémonie. Elle ſe
retira enſuite avec l'Impératrice , & toutes les
Damesde la Cour ».
>>>Le 6 Février , eft-il ditdans le même Journal
, le Czar fit une viſite au Duc de Holſtein ,
& reſta chez lui près d'une heure. Le Duc& les
autres Seigneurs ayant témoigné à cette occafion
leur ſurpriſe as M. Impériale qui prenoit unepart
ſi vive aux fêtes de la Cour , ſur ce qu'elle
s'expoſoit conſtamment à de grandes fatigues ,
l'Empereur leur répondit que les exercices & les
fatigues conſervoient ſa ſanté , & que les affaires
du cabinet n'étoient rien en comparaiſon de fes
travaux pour l'établiſſement militaire , & furtout
celui de la flotte. Autrefois , ajouta - t-il , mes
ſujets étoient des pareſſeux , il a fallu leur
inſpirer de l'amour pour les Arts & les Sciences
du courage , de la fidélité & de l'ambition . Il eſt
vrai , j'ai été quelquefois ſévère , fur-tout à
C
( 58 )
Schluffelbourg , où devant toute l'armée , fai
faitpendre les foldats qui avoient voulu ſe retirer,
mais aufli , je n'entends plus parler de déſertion.
Il eſt eſſentiel de faire des exemples quand c'eſt le
cas; il faut toujours tâcher de prendre le juſte
milieu , & de ne jamais être ni trop ſévere , ni
trop bon ; mais en général l'étude principale
d'un Souverain doit être d'apprendre à bien connoître
le peuple qu'il gouverne.
L'Hiftoire très- nſtructive du commerce
d'Allemagne , publiée récemment par M.
Fifcher , offre les détails ſuivans fur ce commerce
dans les 136 , 148 , & 1se , fiecles .
Dans le treizieme ſiecle , dit l'Auteur , ſe
forma la fameuſe ligue Anſéatique , par la
quelle les grandes villes commerçantes de l'Ailemagne&
du Nord,convinrent folemnellement
d'une alliance offenfive & défenfive pour l'avancement
de leurs entrepriſes. Ces villes s'emparerent
ſucceſſivement du commerce principal
de toute l'Europe. Elles établirent p'ufieurs
grands entrépôts : Londres fut celui des
royaumes d'Angleterre , d'Ecoffe & d'Irlande ;
Bergen celui des royaumes de Suede , de Danemark
& de Norvège; Novogorod, & enſuite
Narva pour la Ruſſie , la Livonie , la Proffe ,
Ia Pologne , la Lithuanie, la Tartarie , la pesite
Afie; Bruges & enfuite Anvers pour les
Pays - Bas , la Haute - Allemagne , la France ,
P'Eſpagne , l'Italie , la Hongrie & le Portugal.
Dans ces villes ſe fic le commerce ou l'échange
des productions de tous les pays. La diſette ,
en 1313 , & les démélés de la ligue Anſéatique
avec les Flammands , apporterent quelque
changement dans la diftribution des affaires.
On chargea du blé en Sicile & on le tranf
( 59 )
porta par les Alpes en Allemagne. Le commerce
d'épiceries des Vénitiens paſſa par le
Tyrol dans la Haute - Alemagne , cù les villes
d'Erfort &de Branſwick , devinrent les entrepôts
pour tout le commerce d'Italie , du Levant
& de la Haute - Allemagne. Le négoce
floriſſant dans l'Empire fut foutenu à cette
époque par l'exploitation des mines d'argent
de l'Ertzgebirg .
La plus ancienne mine eſt celle de Schuceberg
, découverte en 1471 : elle a fourni dans
l'eſpace des premiers trente ans de l'exploitation
324,937 quintaux & demi d'argent ; fa richeſſe
étoit étonnante ; on en jugera par les faits
ſuivans.
En 1477 , le Marggrave, Albert de Miſnie ,
fit un dîner ſur un ſeul morceau de minérai
d'argent , qui , à la fuſion , rendit 400 quintauxd'argent
fin : ſouvent l'inſpecteur de cette
mine fit tailler pour ſon amusement les mor
ceaux de minérai en tables & en bancs .
Au commencement du quinzieme fiecle , le
commerce d'Anvers étoit au plus haut dégré
de proſpérité . On vit entrer dans ſon port &
en fortir ſouvent plus de 500 bâtimens dans
un jour ; 2000 chariots de transport y arrivoient
chaque ſemaine de l'Allemagne , de la Lorraine
& de la France. A cette époque , l'uſage
des lettres de change , s'établit en Allemagne .
--- La découverte du nouveau monde bouleverſa
la face du commerce ; pluſieurs de ſes branches
enfuite furent entiéremont détruites, entr'autres
celle du Paſtel par l'introduction de "Indigo
; auffi le réglement de police de l'Empire
de 1577 , appelle-t-il cette teinture une couleur
pernicieuse ou dia bolique .
c6
60 )
ITALIE.
DE VENIGE , le 11 Janvier.
Depuis très- longues années nous n'avions
vu ici une auffi grande abondance de neige,
ni reſſenti un froid auſſi piquant. On dit le
bas des Apennins du côté de Rome également
couvert de neige. La Lagune eſt pleine
de glaces que les gondoles des Couriers
traverſent ſans danger.
Quelques lettres de Conſtantinople du 10
Décembre portent que le Pacha de Scutari
a été déclaré rébelle , & condamné à perdre
la tête. Le Grand Viſir , ajoutent ces lettres
encore pen authentiques , a communiqué
cette Sentence au Baile de la République,
dont le Pacha avoit excité les plaintes par
fon excurfion ſur le territoire Vénitien , lors
de l'expédition contre le Montenegro. Ce
qui eſt plus certain , c'eſt le parfait rétabliſſement
de Sultan Selim, neveu du Grand-
Seigneur & Héritier de l'Empire , dont
la petite vérole avoit menacé les jours dernierement..
DE NAPLES , le 11 Janvier.
Le 3 de ce mois le Marquis d'ella Sambucca
premier Sécretaire d'Etat au département des
Affaires étrangeres , a demandé au Roi ſa retraite.
Le lendemain lc Marquisd'el Marco , St(
61 )
cretaire d'Etat pour les affaires de grace& de
justice , fut mandé par Sa Majesté qui lui donna
ordrededé clarer auMarquis de laSambucca qu'Elle
acceptoit ſa démiſſion . L'ordre communiqué au
Marquis de la Sambucca eſt d'ailleurs très-honorable
à oct Ex- Miniſtre ; Sa Majeſté lui continue
ſes appointemens , ſes penſions ; en outre la diftinction
de la livrée du Palais pour deux de ſes
domeſtiques ; enfin à ſa mort , la Marquiſe aura
une penſion de 2000 ducats. Un des Vaiſſeaux
du Roi va conduire l'Ex- Miniftre en Sicile , où
il a deſſein de ſe retirer pour rétablir ſes affaires ,
extrêmement dérangées .On le dit endetté de plus
de 300 mille ducats ; on a obſervé à cette occa
fion qu'aucun de ſes parens ni de ſes amis n'eſt
venu lui rendre viſite , à l'exception du Prince
de Campo Franco avec lequel il ne vivoit pas dans
la meilleure intelligence .
Le 6 , la frégate du Roi la Minerve a mis
à la voile pour la Sicile , d'où elle doit ramener
ici le Marquis de Caraccioli , vice-
Roi de ce Royaume , & nommé par S.M.
àla place de premier Secrétaire d'Erat.
Le Prince della Sanlea , Surintendant de laMaifon
de la Reine, a pareillement demandé ſa retraite.
On croit qu'il l'obtiendra , & qu'il fera rem
placé par le Prince de Raffadale , actuellement
Ambaſſadeur du Roi à la Cour de Madrid. Le
Marquis del Vaſto , déja parti pour ſe rendre en
Portugal où il a été nommé Miniſtre Plénipotentiaire
, a reçu en chemin l'ordre de s'arrêter
& d'attendre les diſpoſitions ultérieures de Sa
Majefté. Le bruit court qu'il remplacera le Prince
de Raffadale à l'Ambeſſade d'Eſpagne ; on dit auffi
que le Prince de Caramanica , deſtiné à celle de
France ,a prié Sa Majeſté de vouloir bien faire un
( 62 )
autre choix , & qu'en conféquence cette place
fera rempliepar le Chevalier Somma actuellement
Ministre du Roi à Vienne.
1GRANDE - BRETAGNE:
DE LONDRES , le 30 Janvier.
La derniere prorogation du Parlement
étant expirée le 24 , ce jour là le Roi ſe rendit
à la chambre des Pairs à laquelle s'étoient
joints , ſelon l'uſage, les Députés de celle des
Communes ; & S. M. y fit l'ouverture de la
Seſſion par le diſcours ſuivant.
Mylords & Meffieurs .
Depuis la clôture de la derniere feffion , les
différends qui ſembloient menacer le repos de
l'Europe , ont été terminés à l'amiable , & je
continue de recevoir des Puiſſances Etrangeres
les plus fortes aſſurances de leur amitié envers
ce pays.
Au dedans , mes ſujets éprouvent les plus
heureuſes influences de la paix par l'extenfion
du Commerce , par l'amélioration des finances ,
& par l'accroiſſement du crédit public .
J'eſpere avec confiance que vous continuerez
de vous occuper de ces objets importans , avec
le zele & la capacité dont vous avez fait preuve
dans la derniere ſeſſion du Parlement.
Les réſolutions que vous avez miſes ſous mes
yeux , comme formant labaſe d'un arrangement
de commerce entre la Grande-Bretagne & l'Itlande
, ont été , ſuivant mes ordres , communiquées
au Parlement de ce Royaume ; mais
il n'a pris juſqu'ici aucune meſure décifive qui
vous mette en étatde peurſuivre cette affaire en
ce moment.
( 63 )
Meffie rs de la Chambre des Communes.
J'ai ordenné qu'on mit ſous vos yeux les
eſtimations du ſubſide de la préſente année .
Je defire fincerement la plus rigide économie
dans chaque département , & je me perfuade de
Vous trouver diſpoſés à pourvoir aux dépenses
néceſſaires du ſervice public , principalement à
l'entretien de notre Marine , quil eſt eſſentiel
de mettre ſur le pied le plus repectable. - Je
dois fur- tout vous recommander de travailler
à l'établiſſement d'un plan fixe pour la réduction
de la detre nationale. L'état floriffant du
revenu pubic me fait préſumer que vous ferez
à même d'effectuer cette meſure importante ,
ſans beaucoup ajouter aux charges nationales.
Mylords & Meſſieurs.
L'énergie & les reſſources de cetre contrée ;
prouvées avec éclat par notre proſpérité actuelle ,
vous ſerviront ſans doute de puiſſans motifs à
perſévérer dans la plus ſérieuſe attention aux
objets quelconques de l'intéret public ; particulierement
à l'examen des meilleurs moyens
d'aſſurer la ſtabilité du revenu , de favoriter &
d'étendre , autant qu'il eſt poſſible , le commerce
& l'induſtrie générale de mes ſujets.
•L'adreſſe de remerciement au discours de
S. M. fut enfuite propoſée à la Chambre
Haute , par le Comte de Morton , l'un des
ſeize Pairs d'Ecoſſe. Mylords Fitz Williams,
Stormont , Carlisle , Loughborough , ſans s'oppoſer
formellement à cette Adreſſe , ſe
répandirent en obſervations aigres ſur la
conduite des Miniſtres au dedans & au dehors;
mais ces converſations oratoires n'entraînerent
gueres plus de débats qu'à la
Chambre des Communes.
( 64 )
M. L. Smith , foutenu de M.Addington,
ŷ propoſa l'Adreſſe en commentant le difcours
, c'eſt à-dire l'éloge de l'Adminiſtration.
Lord Surrey ouvrit enſuite la petite
guerre, par une motion tendante à faire fupprimer
de l'Adreſſe , par forme d'amendement
, ce qui pourroit être relatif à l'arrangement
de commerce avec l'Irlande. M.
Fox fuivit Lord Surrey , &donna un nouvel
exemple du talent avec lequel il fait
allier infiniment d'art à beaucoup d'impétuoſité.
Après s'être plaint que la harangue du Roi , à
force de circonfpection , ne diſoit rien du tout ,
il porta d'abord ſon attention ſur les intérêts exrérieurs
du Royaume. Selon lui , dans un tems
où les négociations politiques de toute l'Europer
ont tant d'activité , de vigueur ,& d'importance
pour la Grande- Bretagne , on devoit s'attendre
àquelque choſe de moins vague qu'à des affus
rances générales d'une tranquillité très-précaire.
Quant à l'extenfon du commerce , à l'accroif
ſementdu crédit public de la Nation , & au ſur
plus qu'offrent les revenus , ajouta M. Fox ,
ce ſont des avantages bien propres à répandre
une fatisfaction générale , puiſqu'ils prouvent
le rétabliſſement & l'étendue de nos reflources.
Mais d'ailleurs , qu'a de merveilleux cet événe
ment ? Perſonne n'ignore qu'il devoit ſe trouver
un furplus dans le revenu public , tout le monde
s'y attendoit , & les opinions n'étoient partagées
que ſur la valeur de l'accroiſſement. Cetteincertitude
ſubſiſtera toujours , au moins pour les
hommes raisonnables ,tant qu'on n'aura pas expliqué
, d'une maniere nette &préciſe , en quoi
( 6 )
confite ce ſurplus. On pourroit être dans le
méme embarras fur la cauſe de ce retour de
vigueur& de proſpérité publique; ſuite de l'aug
mentation de revenu annoncée avec tant d'emphaſe
dans leDe cours. Il ſe peut qu'elle réſulte
du ſuccès des mesures de l'Adminiſtration actuelle.
Si quelque choſe doit ſurprendre , c'eſt
moins cet accroiſſement , opéré ſur-tout par
Fa&ivité renaiſſante du commerce, comme il le
fut conftamment à l'époque de toutes les paix ,
que la lenteur occafionnée par les inquiétudes&
parles dégoûts qu'avoit éprouvé ce même commerce
à la fuire des extravagans procédés du
Ministère.
M. Fox demanda enfuite d'autres éclairciffemens
fur deux points importans du Diſcours , ſavoir
: les affurances données par les Puiffances
Etranger's, de leurs difpofitions amicales envers la
Grande-Bretagne &l'arrangement projetté pour régler
le commerce avec l'Irlande . It pria le Miniſtre
de lui faire connoîre ſes intentions for ce dernier
point , par cette phrafe du Diſcouts , la
Chambreest dans l'impuiſſance de faire aucune opération
ultérieure ſur cet objet ; falloit-il entendre
que les réſolutions étoient entiérement abaהר
données , ou qu'au contraire ondévoit un jour
les reprendre , & s'efforcer de les mettre à exé
cution ?
>>>Si , en parlant de la tranquillité de l'Europe
, continua M. Fox , les Miniſtres n'ont eu
en vue que les meſures par le quelles on a prévenu
la guerre entre l'Empereur & les Etats
Généraux , l'acception de cette phraſe eſt trop
limitée , & les Miniſtres du Roi ont prodigieuſement
trompé l'attente non- ſeulement de la
Chambre , mais de tous les Citoyens qui s'occupent
des affaires politiques de l'Europe. Ils ons
( 66 )
vu avec anxiételes traités conclus entre differen
tesPuiſſancesEtrangeres , & la conduite qu'auroit
dû tenir notre Miniſtere pour contrebalancer ces
Alliances , de nature à devenir funeſtes aux intérêts
de la Grande-Bretagne. Quoique l'alliance
de la France avec l'Eſpagne & la Hollande ſoit
en apparence purement défenſive , ſon effet néceffaire
eſt de réunir les trois Puiſſances maritimes,
les plus redoutables de l'Europe , dans une confédération
contre nous. Les Hollandois n'ont pas
prouvé certainement une profonde politique en
formant des Traités ſi peu analogues à leurs vrais
intérêts ; mais comme le mal eftfait , & que nous
pourrions nous- mêmes en être les victimes , il eſt
du devoir de toutMniſtre Britannique , jaloux
de la gloire & de l'existence même de ſa patrie ,
de prévenir les ſuites funeſtes d'une telle ligue ,
par des alliances avec les autres Puiſſances maritimes
de l'Europe ; entr'autres avec la Cour de
Pétersbourg , peut- être auſſi intéreſſée que la
nôtre à former cette union; de jour en jour elle
devient plus preſſante : & il y a deux ans que
l'arrangement de la Ruffie avec la Porte , au fujet
de la Crimée , nous offrit le moment le plus
favorable de ménager avec la premiere de ces
Puiſſances un Traité avantageux. On n'a pas
jugé à propos de le ſaiſir , & l'occaſion a été manquée.
D'ailleurs les François viennent récemment
de ſe procurer la jouiſſance d'un port dans
la Baltique. Il eſl vrai qu'en tems de paix Gothenbourg
ne leur ſera pas d'une grande utilité ;
durant la guerre ils peuvent enretirer des avantages
infinis. D'après toutes ces confidérations ,
jenepuis aſſez m'étonner que nos Miniſtres n'aient
pas mis tout en oeuvre pour prévenir cet événement.
Danstoutes les guerres précédentes , la France
( 67 )
fut embarraſſée de ſa ſituation continentale , par
la crainte de ſe voir attaquée par les Puiſſances
voiſines. Elle a employé toute ſa politique à
amufer ces Puiſſances pendant la derniere guerre ,
& ſes ſuccès , dans cette entrepriſe difficile ,
Kont miſe en état d'affecter tous ſes fonds à ſa Marine
, & de la rendre reſpectable. Elle n'a point
eu de places frontieres à fortifier ; point de garniſons
à foriner , en un mot , aucuns moyens de
défenſe à ſe ménager. Il y a plus , elle s'eſt vue
en, état de réduire ſes forces de terre au milieu
même de la guerre , & d'appliquer les épargnes
qui en ont resulté au ſervice de ſa Marine. Aujourd'hui
quelle eſt ſa poſition ? Elle eſt aſſurée
de l'Eſpagne par le pacte de famille , & en dernier
lieu , elle s'eſt aſſurée de la Hollande. Elle
ne pouvoit donc plus concevoir d'alarmes que
du côté de la Cour de Vienne , qui malgré toutes
les marques d'amitié qu'elle lui a données , ma!-
gré les liens du ſang plus précieux encore , lui
canſoit des inquiétudes très- fondées . Mais l'Angleterre
a détruit àcet égard les appréhenſions
de la France , elle a trouvé le moyen de mécontenter
l'Empereur , & elle a refroidi ſon amitié.
M. Fox attribua ce mécontentement à la part
qu'avoit priſe l'Electeur de Hanovre à la ligue
formée par le Roi de Pruſſe. La France , continua-
t- il , avant cette ligue , attendoit avec impatience
quelqu'événement capable d'exciter de
laja'ouſie entre la Grande-Bretagne & l'Empereur
: l'Angleterre elle-même a haté cet événement
. M. Fox s'arrêta long-reins fur ce point ,
&ne l'abandonna que lorſqu'il crut avoir perfuadé
la Chambre de ſon importance .
M. Fox dit enſuite avoir appris une nouvelle
qui prétageoit les plus grands avantages à l'Angleterre,
favoir : le renouvellement d'un Traité

( 68 )
de Commerce avec la Ruffie. Il critiqua forte
ment l'usage d'aujourd'hui , de diftinguer les
Traités de Commerce des Traités Politiques
diftinction illuſoire & mat fondée ; les Trai és de
Commerce ayant toujours en la plus grande influence
fur les affaires politiques des Nations.
M. Fox parla auſſi du Traité que la France étoit
au moment de conclure avec cette Puffance ;
mais il dit qu'il n'étoit point sûr de l'authenticitéde
cette nouvelle. Cette difcuffion le mena
enfuite au Traité de Commerce , entamé entre
la France & l'Angleterre. Il ne balança point à
le blâmer , & affura la Chambre qu'il n'en pouvoit
réſulter aucun bien pour l'Angleterre ; l'ex
périence avcit prouvé que le Commerce de la
Grande-Bretagne n'avoit commencé à proſpérer
qu'au moment où elle avoit abandonné toute liaifon
commerciale avec la France. II blama la dépen'e
inutile qu'alloit occaſioner le ſecond Plénipotemiaite
qu'on envoyoit à Paris , & dit que
le duc d. Doríet auroit pu ſuivre cette négocia
ton, foit feul , ou à l'aide de M. Crawford ,
déjà employé dans cette affaire. A ceue occafion
il lança quelques traits faryriques für M.
Ed n & fur M. Pitt. Il accufa ensuite la Chamtre
de Commerce de trop de lenteur dans ſes opéraviors.
Il dir que lors des propoſitions de coinmerce
avec l'Irlande ce ne fut qu'au moment cừ
le Parlement d'Angleterre alloit les approuver ,
que cette Chambre penſa à examiner ſi les propolitions
étoient favorables aux deux Pays. II
obſerva que dans le Traité de Paix de 1782 , il
éreit ſtipulé que l'on régleroit le Commerce entre
l'Angleterre & la France , & que si le Traité
à faire à ce ſujet n'étoit point achevé au premier
Janvier 1786 , toute négociation feroit interrom
que. Ce n'eſt cependant qu'après l'expiration de
.
ce terme que le Ministere & le Bureau du
Commerce penſent à s'oncuper de ce Traité M
Fox , pour montrer combien peu les Miniſtres
étoientinſtruits de ce qui ſe paſſoit ſur le con
nent , parla du Traité d'alliance , conclu entre
la France & Etats-Généraux , à l'inſu du
chevalier James Harris , & il fit voir combien il
étoit ridicule d'avoir remis un Mémoireaux Etats-
Généraux pour s'oppoſer à cette alliance , lorf
que ce Traité venoit d'être ſigné.
M. Fox fixa enfin l'attention de la Chambre ,
fur les affaires de l'Inde; il obſerva que depuis
l'établiſſement du Bureau de Contrôle , on avoit
jeté un voile ſur tout ce qui s'étoit paſſé dans
cette partie éloignée des poſſeſſions de la
Grande-Bretagne .
Après un inſtant de ſilence , M. Pitt pric
laparole , & dit :
Qu'il avoit attendu des objections ſur l'adreſſe,
& que l'honorable membre qui venoit de parler
, n'en avoit fait aucunes. Il fit obſerver
avec quel art M. Fox introduiſoit dans ſes
diſcours des digreſſions favorables à ſes vues.
C'est ainfi , dit M. Pitt , qu'il a abandonné les
differens points du diſcours du Roi, afin d'en
discuter d'autres qu'il a prétendu avoir été
publiés . M. Fox , voyant tout en noir , s'étoit
attendu à trouver dans ce diſcours quelqu'aliment
à ſa mélancolie. Mais , dans toutes les
parties , la harangue du Roi , renfermant d'heureaſes
nouvelles , il s'eſt vû forcé de parcourie
P'Europe pour remplir ſon objet . Il a traverſé
les Empires d'Allemagne & de Ruffie , il
enTurquie & en Crimée; mais trouvan: l'E
rope trop bornée pour ſes recherches , At
porté fes regards ſur les parties les plus élois
a ésé
( 70 )
gnées, & a mis les Indes à contribution , pour
chercher des ſujets de plaintes & de déſeſpoir .
Quoique je ne fois point diſpoſé , dit M. Pitt ,
à ſuivre M. Fox dans tous ces écarts , je vais
cependant répondre à ſon diſcours , mais je le
préviens que j'éviterai de faire connoître mon
opinion ſur quelques-uns des objets dont il a
parlé. M. Fox a déclaré , que dans ſa poſition
actuelle , il croyoit avoir la liberté de parler
de plufieurs cours étrangeres , de leurs vues , c
de leurs intérêts , d'une maniere qui feroit contraire
au devoir d'un Miniſtre de Sa Majefté.
Quant à moi , j'admets que pour les membres du
parlement, qui ont la confiance de Sa Majesté ,
les devoirs de décence , qui enjoignent de parler
avec la plus grande circonſpection des Puiſſances
étrangeres , font les mêmes pour tous les membres
de cette affemblée. Après cette leçon à M.
Fox , M. Pitt continua : l'honorable membre a de-
Miré ſavoir à quoi ſe rapportoit le paſſage du diſ.
cours du Roi , qui annonçoit une paix générale .
Le Roi n'a voulu parler dans ce paſlage que
de l'affaire terminée par un traité de paix entre
l'Empereur & les Etats-Généranx. Ce traité
a mis fin à une dispute qui , juſqu'alors avoit
menace la tranquillité de l'Europe , & que Sa
Majesté avoit envisagé ſous ce point de vue
dans ſon difcours , prononcé à l'ouverture de
la derniere ſeſſion . Quant à la queſt on que
M. Fox a jugé à propos de me faire : s'il ne
fubfiftoit point entre les autres Princes & Etats
de l'Europe des germes de mécontentement &
d'humeur , qui pourroient par la ſuite faire
éclater de nouvelles guerres ; je crois convenable
de m'abſtenir d'y répondre. M. Fox a
témoigné auſſi ſa crainte , que certaines Puiffances
de l'Europe ne fuſſent dans des diſpoſi(
71 )
tions hoftiles contre ce pays-ci. A cela , je ne
puis répondre que dans des termes ſemblables
à ceux du diſcours du Roi , & dire que toutes
les Puiſſances nous donnent des aſſurances de
leurs attentions amicales. A l'égard du traité
avec l'Impératrice de Ruſſie , il eſt très avancé ,
& j'ai lieu d'eſpérer qu'on ſera généralement
fatisfait de la maniere dont il fera conclu .
M. Fox a parlé de la ligue Germanique à laquelle
Sa Majeſté a accédé , en ſa qualité d'E
lecteur de Hanovre , & il a demandé aux Miniſtres
de faire connoître les motifs qui les ont
déterminés à engager Sa Majeſté à faire cette
démarche. Je ne puis en aucune maniere répondre
à cette queſtion , & j'avoue que , quela
que ſoit le mérite de cette meſure , je ne ſuis
point autoriſé à en parler , non-plus que mes
collégues dans le Miniftere . M. Pitt , après
cette déclaration , s'étendit beaucoup fur les
relations de l'Angleterre avec l'Electorat d'Has
novre.
Il fit voir que quelques fuſſent les circonſtan
ces qui avoient mis la ſouveraineté de ce pays
&celle de l'Angleterre dans les mêmes mains ,
il ne devoit point en réſulter les mêmes intérêts.
Je defire que l'on ſache poſitivement , ajouta
M. Pitt , que l'Angleterre n'eſt liée ni compromiſe
en aucune maniere par les ligues dans lef
quelies l'Electeur de Hanovre peut être entré ,
&en conféquence , je crois qu'il n'eſt point du
devoir d'un Miniſtre d'Angleterre de mettre ſous
les yeux du Parlement , excepté dans les cas où
cela ſeroit indiſpenſable , les arrangemens relatifs
à l'Electorat de Hanovre, leſquels auroient
été faits d'après les conſeils des Miniftres de cet
Electorat. M. Pitt montra enſuite linconfé
( 72 )
quence de la crainte de M. Fox , de voir l'Angleterre
enveloppée dans les querelles du. Con
sinent par les territoires du Roi en Allemagne ,
& ſon idée , que l'adminiſtration du pays de Hanovre
devoit être ſuberdonnée aux MiniſtresAnglois
de S.M.
Il répondit enſuite aux parties du diſcours de
M. Fox , concernant l'Inde & l'Irlande. Si le
Roi , dit- il , n'avoit pas fait mention des affaires
de l'Inde ; c'eſt que le Parlement , dans la derniere
ſeſſion , avoit porté remede aux abus , que
depuis pluſieurs années il étoit chargé d'examimer:
ce remede ayant été trouvé efficace , il de
venoit inutile de mettre de nouveau ſur le tapis
une affaire terminée. Au ſujet des affaires de
l'Irlande , M. Pitt fit fentir combien il étoit indécent
de parler auffilégerement d'une affaire
de cette importance. Il ajouta que M. Fox n'avoit
d'autre objet que de ſouffler le feu de la
diſcorde entre les deux Nations , & de les éloigner
d'un arrangement qui contribueroit à leur
bien- être réciproque. M. Pitt ne manqua point
de relever la maniere légere avec laquelle
M. Fox avoit traité toutes les affaires de l'intérieur,&
fur tout l'heureuſe ſituationoù se troavoient
les finances du Royaume. Il affura la
Chambre qu'il lui feroit voir dans peu de jours
que l'excédant de la recette n'étoit pas d'audi
peu d'importance que M. Hox avoit voulu le faire
entendre.
Après quelques repliques de part&d'autre ,
M. Francis ſe leva , & entama ſon éternelle
difcuffion des comptes du Bengale; il fortit
de ſa poche une liaſſe de papiers de l'Inde,
&le préparoit à entretenir chaudement l'Afſemblée
de cet objet, lorſque , pour mettre
fin
( 73 )
fin à cette épiſode , la plupart des Membres
ſe leverent. Le Major Scott dit que s'il avoit
cru qu'une premiere ſéance deſtinée à délibérer
fur une Adreſſe devoit être un cours
de politique &de finances Indiennes , il ſe
fût aufli muni d'un portefeuille , &c . &c.
Après ces propos , la motion d'amendement
fut rejettée ſans aller aux voix , & la rédaction
de l'Adreſſe renvoiée au Comité. Pendant
toute la ſéance, M. Eden reſta ſur le
banc de la Tréſorerie entre M. Dundas &
M. Jenkinson .
Ala ſeconde lecture l'Adreſſe a éré agréée,
&celle de la Chambre des Pairs déjà remiſe
àS. M.
Onvient de comparer les deux partis de
la Chambre à deux batteries oppoſées de
canon , rangées dans l'ordre ſuivant.
Pitt,
Dundas ,
Mulgrave,
Jenkinson ,
Grenville ,
Eden ,
Fox.
North.
Sheridan.
Ellis.
Surrey.
Francis.
Derriere ſera placée la petite Mouſqueterie
pour les eſcarmouches.
Les Miniſtres ont déclaré , dans les deux
Chambres, que le nouveau Traité de commerce
de l'Angleterre avec la Ruffie étoit
ſur le point d'être ſigné , & les Commiffaires
à ce ſujet déja nommés.
Le Comte deChesterfield, nommé depuis
No.6 , 11 Février 1786. d
( 74 )
long temps à l'Ambaſſade d'Eſpagne , ſera
sévoqué , la Cour de Madrid. n'ayant à
Londres qu'un Miniſtre du ſecond ordre.
M. Martin , Marchand de Londres , & l'un
des Membres des Communes les plus finguliers
, remarquadans la Séance dontnous
avons rendu compte , qu'il falloit s'épargner
ladépenſe d'un Ambaſladeur fans fonctions ,
&M. Pitt promit que Mylord Chesterfield
ceſſeroit de l'êtr.e
Vu l'extenfion du commerce de laCompagnie
des Indes , les Directeurs viennent
d'ordonner la conſtruction de TI vaiſſeaux
de760à900tonneaux. La perte , occafionnée
par le naufrage du Halfewell, eſt moins
conſidérable qu'on ne l'avoit eſtimée au premier
moment. Quant à la pacotille duCapitaine
Pierce, elle étoit afſurée pour 20,000 1,
ſterl. Ainsi , la fortune de la famille de cet
Officier ſouffrira peu de ce déplorable événement.
Sur le champ, on a ouvert une ſoufcription
publique, en faveur des malheureux
échappés aunaufrage du même bâtiment.
Trois perſonnes , àce qu'on dit, ſont ſur
les rangs pour la place deGouverneur-Général
de l'inde ; M. Haftings , maître de la
reprendre , & àqui elle ne ſera pas diſputée;
LordWatfingham & M. Macpherson , Gouverneurpar
interim. Ce dernier eſt fils d'un
Miniſtre de la Paroiffe de Slate , dans l'iſle
de Skie : il fat Miniſtre lui-même , & avoit à
peine de quoi vivre. Sa fortune actuelle eſt
d'un demi million ſtert. On s'attend à'a lui
1
( 75 )
voir porter , s'il reſte Gouverneur-Général ,
à cent mille liv. ſterl. de revenu ; ſomme qui
furpaſſe le produit de tous les bénéfices de
P'Ecoſſe réunis enſemble. Aucun Eccléſiaſtique
, ſans en excepter le Cardinal Wolfey ,
n'a joui d'une pareille opulence en Angleterre.
Suivant an dernier ordre émané du Bureau de
l'Amirauté , le nombre des Vaiſſeaux de garde ,
qui n'eſt aujourd'hui que de 19 , ſera porté au
printems à 24 , par une augmentation des ,dont
un à Portsmouth , 2 à Pl mouth , & un à Sheer .
neff; cet arrangement employera 60 Officiers
deplus ,& 2000 Matelots ,indépendamment des
ſoldats de Marine , de ſorte qu'il n'y aura pas de
réduction dans les dépenſes de la Marine cette
année,&il ſera voté& alloué la même ſomme
qu'en 1785 , pour les Matelots & Soldats de Marine.
Par un relevé exact , fait à l'office des
taxes , il fe trouve enAngleterre&dans le
pays deGalles, 284,559 maiſons exemptes
de l'impôt fur les fenêtres, & 714,911 qui
la paient ; ce qui donne 999,370 maiſons
pour le Royaume , l'Ecoſſe non compriſe.
M. Baring , l'un des Directeurs les plus
accrédités de la Compagnie des Indes , a
publié, ſous les auspices du Ministère , un
Ecrit relatif à la taxe commutative. De cer
Ouvrage , qu'on peut regarder comme établi
fur les plus sûres autorités , il réſulte :
1 °. Qu'avant cette opération du Gouvernement
, la Compagnie ne vendoit que fix
millions peſant de livres de thé par année.
d2
( 76 )
Dans les 12 mois qui ont ſuivi la commutation
, cette vente a excédé ſeize millions
de livres .
2°. Que la partie des droits laiſſés ſur
le thé , a ſurpaſſé de 60,434 liv. ſterl . , dans
la premiere année ſeulement , l'eftimation
conjecturale qu'en a fait le Gouvernement.
3°. Que la ſomme totale, payée par les
acheteurs , pour le thé vendu durant le même
eſpace de temps, n'a monté qu'à 2,770,7991.
ſterl.; tandis qu'une quantité égale de thé
auroit coûté cidevant 4,826,261 liv. Real.
Par conséquent , le bénéfice du Public a été
de 2,055,462 liv. fterl.
4°. Que cet accroiſſement des ventes annuelles
de la Compagnie la force d'étendre .
fes importations à la Chine , & d'équiper
45 gros vaiſſeaux de plus, qui emploieront
un furplus de 3,450 matelors.
⚫s . Que par cela même , l'exportation des
laineries &du plomo de laGrande-Bretagne
pour laChine, augmententdepuis 111,000 1,
ſterl, à 300,000 annuellement.
6°. Enfin , que par cette opération , on
a retenu dans le pays une balance de
4,03 2,400 liv. fterl ., qu'avant l'acte de commutation
, on payoit en eſpèces aux étrangers
, par l'intermédiaire des Contreban .
diers; balance qui s'accroîtra certainement
encore, lorſque les meſures adoptées ſeront
exécutées dans toute leur plénitude.
On a cité le trait d'une Madame Marie Noble
, qui garda le lit cinquante ans &huit mois.
( 77 )
Aujourd'hui on rapporte une anecdote du même
genre. M. Napier Dutton , frere du Lord Sherburne
, actuellement réſidantau Comté deGloucester
, ne s'eſt point levé , ni même fait raſer
depuis plus de deux ans , quoiqu'il jouiſſe d'une
bonne farté , & qu'il mange tous les jours de bon
appétit . Ce qu'il y a de plus étrange , c'eſt que
M. Dutton , avant qu'il ſe fûtalité , étoit l'homine
le plus actif de la Comté. Tous les jours il alloit
àla chaſſe , ſe raſoit , changeoit d'habillement
, paſſoit ſa vie fort gaiement , & buvoit
ſa bouteille de vin. Il s'alita pour la première
fois , il y a quatre ans , & reſta au lit pendant
neuf mois de ſuite; mais un matin , ayant entendupaffer
une meute pour la chaſſe du renard ,
il ſe fit habiller & fit ſeiler ſon cheval de chaſſe.
Il alla à la chaſſe toute la journée, & reprit la
même activité , lorſqu'enfin il retomba dans ſa
manie il y a deux ans.
L'état de Connecticut a paſſé dans la
Seſſion du mois de Mai dernier un acte
contre l'adultere, trop remarquable pour
être paſſé ſous filence.
« Le Gouverneur , le Conſeil & les Repréſentans
de cet Etat aflemblés , ont ftatue , en
vertu de leur autorité , que , quiconque aura
été convaincu pardevant la Cour ſupérieure
, d'avoir commis un adultére avec une
femme mariée , devra être puni ſévérement ,
ainſi que la femme. Ils feront fouettés tout
nuds , & on leur marquera ſur le front le lettre
A, avec un fer chaud. Enſuite , chacun d'eux
porrera , tant qu'il réſidera dans cet Etat , une
groffe corde au cou par deſſus ſes vêtemens
afin qu'elle ſoit viſible , & toutes les fois qu'on
les trouvera fans ladite corde , l'Affiſtant ou te
,
d 3
( 78 )
Juge de Paix pardevant lequel le fait aura été
prouvé, les condamnera à recevoir juſqu'a 30
coups de fouet ».
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 1 Février .
Le 24 de Janvier , le Baron de Boden,
Miniftre plénipotentiaire du Landgrave régnant
de Hefle Caſſel , a eu une audience
particuliere du Roi , pendant laquelle il a
remis ſes nouvelles lettres de créance à Sa
Majeſté. Il a été conduit à cette audience
par le ſieur Tolozan, Introductour des Ambafſadeurs;
le ſieur de Séqueville , Secrétaire
ordinaire du Roi pour la conduite des Ambaſſadeurs
, précédoit
L'Evêque de Saint-Malo a prêté, le 20
du mois dernier , pendant la Meſſe, ferment
de fidélité entre les mains du Roi.
Le Comte de Roffiac de Verthac & le
Vicomte Louis de Vergennes , qui avoient
précédemment eu l'honneur d'être préſentés
auRoi, ont eu, le premier le 23 ,& le fecond
le 26, celui de monter dans les voitures de
Sa Majesté & de la ſuivre à la chaſſe.
Le 29 , la Comteſſe Charles de la Meth
a eu l'honneur d'être préſentée à Leurs
Majeſtés & à la Famille Royale , par la
Comteſſe de la Meth .
La Baronne de Staël de Holſtein , épouſe
du Baron de ce nom , Ambaſſadeur extraor(
179 )

dinaire du Roi de Suède , conduit par le
fieur Tolozan , Introducteur des Ambaſſadeurs
, & le ſieur de Séqueville , Secrétaire
ordinaire du Roi pour la conduite des Ambaſſadeurs
, qui précédoit , a été préſentéc ,
le 31 , à Leurs Majestés & à la Famille
Royale. Cette Ambaſſadricea diné, le même
jour, àune table de 80 couverts , tenue par
le Marquis de Talaru , Premier Maître d'hôtel
de la Reine , & dont la Princeſſe de
Chimay , Dame d'honneur de Sa Majesté ,
afait les honneurs.
DE PARIS , le 8 Février.
Lettres Patentes du Roi , qui fixent définitivement
la prorogation du cours des
anciens louis , &c. Données à Verſailles ,le
18 Janvier 1786. Enregiſtrées du très exprès
commandement du Roi en la Cour des
Monnoies , le 27 deſdits mois & an.
Par nos Lettres patentes du 11 Décembre de
l'année derniere , nous avons prorogé le cours
des anciennes monnoies d'or jaſqu'au premier
d'avril prochain; mais l'abondance de celles que
P'attrait du bénéfice accordé par notre Déclaration
du 30 octobre dernier , a fait rentrer dans
le Royaume ou ſortir des Caiſſes particulieres
s'accroît tellement de jour en jour , que , quelque
diligence qu'on apporte au travail de nos
Hôtels des Monnoies , il eſt impoflible de fatisfaire
à l'empreſſement qu'on a de les échanger:
& comme ceux qui les poſſedent , ne veulent
s'en deſſaifir qu'au moment où ils pontront
d4
( 80 )
profiter de l'excédant de la valeur que nous
faiſons payer ſur les anciens Louis , il en réfülte
dans la circulation des eſpeces d'or , un
engorgement momentané qui pourroit devenir
d'autant plus préjudiciable au commerce , qu'il
fert de prétexte à pluſieurs débiteurs pour differer
leurs paiemens. La meme cauſe pourroit
auſſi influer ſur le mouvement des eſpeces d'argent,
& en ſuſpendre ou ralentir l'activité ,
fur-tout fi la refonte des monnoies d'or pouvoit
faire naître l'idée qu'elle feroit ſuivie de
celies d'argent , quoique cette ſuppoſition foit
abfolument dénuée de fondement, & que le principe
même qui a néceſſité l'opération fur l'or ,
exclut tout ce qui pourroit apporter le moindre
changement dans la valeurdes eſpecesd'argent.
Nous sommes auſſi informésque les Changeurs ,
beaucoup trop multipliés dans les provinces depuis
qu'il s'en eſt établi un grand nombre par
fimple Commiffion , contractent des engagemens
qu'il leur feroit impoffible de remplie
ponctuellement , fi leur ſervice & leur nembre
n'étoient réglés dansune plus juſte proportion :
Que d'un autre côté , il n'est pas moinsnéceffaire
de fixer & faire connoître l'ordre & la
meſure des diſtributions à faire dans nos Hôrels
des Monnoies , pour que le Public ,inſtruit
des quantités d'eſpeces d'or qui pourroit être
délivrées chaque jour en échange des anciennes
, & affuré de l'époque des paiemens , ne
foit plus exposé à ſe préſenter pluſieurs fois
inutilement aux Hôtels des Monnoies, & ne ſe
voye pas forcé de recourir à d'autres voies qui le
privent d'une partie de l'avantage qu'il doit
retirer de l'échange. C'eſt après avoir mirement
examiné les moyens de remédier à ces inconvéniens,
fans en faire naître de nouveaux , que
( 81 )
nous avons adopté le plan qni nous aparu le
feul propre à faire ceffer tout engorgement
dans la circulation & tout embarras dans le
ſervice de nos Monnoies , en ſuivant toujours
les vues de bienfaiſance & d'équité , par leſquelles
nous voulons que toutes les parties de
cette importante opération , continuent d'être
dirigées ; nous avons d'abord jugé convenable
d'étendre juſqu'à la fin de l'année la prorogation
du cours des anciens louis. Peut-être ne
faudra-t- il pas un terme auffi long pour achever
Ja fabrication des louis d'or neufs , mais comme
la quantité de ceux qui seront apportés aux
Changes , est encore inconnue , & qu'elle furpaſſe
certainement l'idée qu'on s'en étoit formée
, nous avons mieux aimé donner trop que
trop peu d'eſpace , afin que le public ait plus
d'aiſance pour l'échange , & les Directeurs de
nos Monnoies plus de facilité pour ſoigner les
fabrications: Nous avons ,dans les mêmes vues ,
augmenté le nombre de ceux de nos Hôtels
desMonnoies , où les eſpeces d'or feront fabriquées
; & nous étant fait rendre compte de
la quantité qu'ils en pourront produire , depuis
le premier février juſqu'au 31 Mars , nous en
avons formé deux parts , dont l'une de trentefix
millions , ſera employée aux diſtributions
de détail pendant cet eſpace , ſuivant l'ordre &
la-proportion qui feront annoncés par un tableau
imprimé & affiché à la porte de chaque Hôtel
des Monnoies ; l'autre de ſoixante-douze mil
lions , ſera réſervée pour le paiement des re
connoiffances qui feront délivrées dans le cours
de Février pour les plus fores parties , & qui
toutes feront acquittéesà échéance d'un mois
de leor dare ; ces reconnaitances , revêrue des
Signatures néceffaires pour en afferer l'authen
ds
( 82 )
ticité , feront en faveur du commerce une forte
d'anticipation ſur l'activité des fabrications qu'elles
fuppléeront momentanément : Et pour qu'étant
payables à jour préfix , elles puiſſent ſe négocier
, ſans donner lieu à aucuns fraisd'eſcompte ,
nous avons trouvé juſte de leur attribuer un
intérêt proportionné au retard du paiement. Par
ce moyen , qui pourra ſe renouveller pourune
moindre quantité , s'il en eſt encore beſoin
après le mois de Mars , lorſ ue toutes les reconnoiſſances
délivrées en Février auront été
retirées & anéanties , mais qui vraiſemblablement
ne ſera plus alors néceſſaire , puiſqu'à
cette époque , il ſe trouvera déja pour cent
cinquanre trois millions de louis neufs en circulation
; il n'y aura plus ni prétexte ni murmure
ſur l'attente du remplacement des anciennes
eſpecesd'or , ni ſtagnation dans leur cours
ni affluence déſordonnée aux Hôtels des Monnoies
, ni acaparemens & trafics déſavantageux
au public. Nos ſujets jouiront de tout le bénéfice
que nous leur avons abandonné ſur l'échange
des anciens louis ;& fi, pourleur épargner jusqu'à
l'eſcompte des réconnoiſſances , qui ne seront
qu'à un mois de terme , nous avons bien voulu
en ſupporter la dépense ,elle ne ſera point
onéreuse à nos finances , devant être compenſée
par le prix des Offices de Changeurs , que
nous avons jugé à propos de créer , en même
temps que nous avons ſupprimé tous ceuxqui
exiſtoient par imples commiffions ; ce qui produira
le double avantage de rendre leur ſervice
plus aſſuré , & de diminuer le nombre des privilégiés
. A CES CAUSES , &C.
Suit le diſpoſitif en 11 articles.
Par le premier , le cours des louis, doublelouis
& demi-louis anciens , qui devroit ceſſer
( 83 )
aupremier Avril de cette année , et prorogé
juſqu'au premier Janvier 1787. Par le fixieme ,
il eſt dit que les reconnoiſſances feront payées
àun mois de date , enſorte que toutes celles
qui auront été données en Février , feront acquittées
dans le cours du mois de Mars ſuivant;&
juſques-là , elles porteront intérêt ſur
le pied de quatre pour cent , ce qui fera un
tiers pour cent pour le mois. Le ſeptieme
ordonne que les reconnoiſſances , qui ont ετε
délivrées à l'hôtel des monnoies , payables à
termes plus éloignés que le premier du préſent
mois de Février, feront rapportées pour
être échangées contre d'autres , & payées à jour
prefix du mois de leur date . Enfin , ſuivant le
huitieme , trois jours de chaque ſemaine feront
employés à la diftribution des nouvelles eſpeces
d'or , & trois jours à celle des reconnoiſſances.
Arrêt du Conſeil d'Etat du Roi , qui
nomme les Commiſſaires du Conſeil pour
juger les conteſtations dans leſquelles la
Compagnie des Indes fera partie. Du 13
Décembre 1785 .
Il eſt entré dans le port deVendre pendant
le cours de l'année derniere 375 bâtimens
tant François qu'Eſpagnols , Napolitains
, Génois & côte d'Iralie , Portugais ,
Anglois , Hollandois , Suédois , dOftende
& Américains , indépendamment de 82 qui
s'y font réfugiés & qui ont dû leur ſalut à
de port. Le commerce y augmente fuccef-
(ivement , ainſi que la population ; & il y a
lien d'eſpérer que dans peu les alignemens
dela ville projettée ſeront occupés en partie.
d6
( 34 )
Le premier Janvier 1786 , il réſtoit dans le
port de Bordeaux 132 navires étrangers & 1ος
Français. Dans le cours de Décembre , un navire
avoit été lancé à Feau; un autre avoit été
mis en conſtruction ; 24 étoient fur les divers
chantiers , & 18 avoient été mis en coutume.
Pendant le même mois il eſt entré dans le
port de Bordeaux 16 bâtimens François , venant
des ifles françoiſes , ſavoir : 8 du Cap , 4
du Port- au-Prince , de la Martinique , a de
la Pointe-à- Pitre, I de la Guadeloupe : leurs
chargemens confiſtoient en ſucre , café , indigo ,
cacao, coton , bois de gayac, &c. Ce même
mois,il eſt entré dans le même port 52 bâtimens
de petit cabotage & 4 de grand ; ainſi que 48
navires étrangers chargés de merrain , planches
, poutres , avoine , fer , bierre , chanvre ,
beurre , fromage , marchandises , & quelquesunes
fur leur left .
Ce même mois , 22 navires ont été expédiés
du même port, ſavoir : 10 à Saint -Domingue ,
6à laMartinique , 2 à la Guadeloupe , I à Saint-
Mars , t au Cap , rà l'Ifle- de- France & Co.ed'Afrique
, à Saint-Domingue & Amérique-
Septentrionale . Leurs chargemens confittoient
en vin , farine , boeuf , beurre , bierre , cau
de vie , lard , marchandises feches , &c. Dans'
le même mo's , il eft torti 68 barques ou batimensde
petit cabotage François & 3 de grand,
ainfi que 30 navires étrangers , chargés de vin ,
eau-de- vie , fucre , café , prunes , &e.
La généroſité qui a fignate la conduite
de la garniſon du Havre , dans le dernier
incendie de cette ville, n'est pas reflée fans
exemple. La Société Littéraire du même
Port a fait un don de mille écus aux habitans
les plus maltraités par le déſaſtre.
( 85 )
I.es plus utiles fondations de récompen
ſes deviennent ſouvent les plus malfaiſantes ,
lorſque les prix , les couronnes , les éloges
ne font pas diſtribués par des mains tresimpartiales
& très juſtes. M. l'Abbé Scéimilliard
des Ovilliers , Curé de Tremblay ,
a ſagement prévenu cet inconvénient , dans
l'inſtitution qu'il vient de faire d'un prix de
vertu annuel , ( aujourd'hui de 240 liv. ) en
faveur du plus vertueux des Journaliers de
ſa Paroiffe. Cet Eccléſiaſtique , auffi prudent
que généreux , a fort bien fenti qu'en toute
choſe on n'eſt bien jugé que par ſes pairs,
&le fuffrage unanime des habitans de la
Paroiſſe adjugera la récompenſe à celui qui
s'en ſera montré le plus digne...
M. Watelet , dont nous avons annoncé
le décès depuis 15 jours , eſt mort ici le 12
de Janvier , âgé de 67 ans. Ayant hérité de
fon pere une charge de Receveur-Général
des Finances , l'opulence ne corrompit ni ſes
talens , ni fon naturel . De bonne heure , il
cultiva les Lettres & les Arts , avec l'avantage
inappréciable des fecours & de l'indépendance
qu'aſſurent la fortune. Les voyages
éren dirent fes connoiſſances & développèrent
ſon goût. Ses amis célebrent les charmes
de ſa ſociété , la politeſſe de ſon eſprit
& de ſes manieres , l'enroloi utile & honorable
qu'il fit toujours de les richeſſes , tant
que les richeſſes lui reſterent ; car un revers
qui précéda ſa mort de quelques années ,
lui donna lieu de montrer une philoſophie
( 86 )
:
qu'on acquiert rarement au ſein de l'abondance.
M. Watelet avoit acquis aſſez d'expérience
&de lumieres dans les Arts , pour en écrire
sûrement. Dans ſon Poëme , fur l'art de
peindre , il traça les principes & les effets
de la Peinture avec élégance. Les obſervations
qui ſuivent cet Ouvrage , l'emportent
fur le Poëme , où l'Anteur n'avoit pu faire
entrer les développemens , qui ſeuls font le
mérite eſſentiel du genre didactique. L'Effai
fur les jardins ouvrit en quelque forte la
carriere à cette foule d'Ecrits , dont quelques
uns bifarres & maniérés , fur la compofition
& l'ornement des habitations rurales.
M. Watelet avoit embelli lui-même
la campagne de Moulin joli , ſur les bords
de la Seine; en décrivant ſon Ouvrage , il
en jouiſſoit , & le ſentiment de cette jouifſance
a répandu ſon charme ſur le petit
Ecrit du poſſeſſeur. Le plus conſidérable
&le plus utile des travaux de M. Watelet ,
eſt celui qu'il deſtinoit à l'Encyclopédie méthodique.
Cette collection renfermera un
Dictionnaire de Peinture , de Sculpture &
deGravure , rédigé par M. Watelet , & dont
une partie eſt deja imprimée. Cette traduction
, véritablement précieuſe , en juſtifiant
les éloges que méritoient les connoiffances
de ſon Auteur , mériteront auſſi à l'Editeur
de l'Encyclopédie les remercimens de tous
les Amateurs des Beaux Arts.
L'Académie des Sciences , Arts &Belles .
( 87 )
Lettres de Dijon a tenu , le 18 Septembre
1785 , une Séance publique , dont voici
l'extrait.
M. Maret , Secrétaire perpétuel , a ouvert la
Séance par l'annonce des Prix propoſés par l'Aca
démie, dont le Programme a été diſtribué & envoyé
aux Auteurs des Ouvrages périodiques.
Il a lu enſuite le préambule de l'Histoire Littéraire
,& les parties de cette Hiſtoire oontenant ,
l'une, la notice des Ouvrages de Médecine , de
Chirurgie &de Botanique ; l'autre , celle des
Ouvrages d'Arts , de Phyſique , de Chymie &
d'Hiftoire- Naturelle .
Dans le préambule , il afait un éloge ſuccinct
de M. de Fieuletot de Beneuvre , premier Directeur
, du R. P. Verniſy , de M. le Comte de
Milly ,de M. le Baronde Rebecque , morts depuis
peu.
M. de Morveau alu des Obſervations fur une
dent foffile , trouvéeàTrevoux en Dombes , par
M. Loliere , & dont la deſcription a été publiée
dans le Journal des Savants , du mois de Janvier
de cette année.
M. Mally a fait Péloge de M. le Chevalier de
Bonnard, fi digne des regrets de l'Académie , de
ſa famille&de fes amis.
M. Caillet alu la troiſieme partie de l'Hiſtoire
Li ttéraire.
M. de Monget a fait la lecture d'uneEpître en
vers ſur le Bonheur.
M. Mally a terminé la ſéance par uneEpitre en
vers, de laRaiſon auxHommes; ouvrage poſthume
de M. le Chevalier de Bonnard .
M. Chabert , Préſident Doyen desTré(
88 )
foriers deFrance auBureau des Financesde
laGénéralité de Grenoble , eſt mort à Saint-
Marcellin le 20 de Janvier , âgé de cent un
ans , cinq mois & vingt-deux jours. Il a
toujours joui d'une très bonne ſanté , &de
ſapréſenced'eſpritjuſqu'au dernier moment.
Marie-Etienette- Caſimire de Betizy ,
épouſe d'Anne Gabriel-Pierre de Cardevac ,
Chevalier , Marquis d'Havrincour , Maréchal
des Camps &Armées du Roi , Chevahier
de l'Ordre royal & militaire de Saint-
Louis , Gouverneur des ville & château
d'Heſdin , eſt morte au château d'Havrincour
en Artois, le 21 du mois dernier.
PAYS-BAS.
DE BRUXELLES , le 5 Février.
Les Erats Généraux ont arrêté la conf
truction d'un Fort dans le Sud-Beveland,..
pour tenir lieu de celui de Lillo cédé à l'Empereur.
On placera de plus un vanſeau de
garde devant Saftingen; les droits de dosane
ſeront levés par le nouveau Fort , où
tous les bâtimens qui deſcendront
teront l'Eſcaut , feront obligés de fouffrir la
viſite& de payer les droits.
mon-
L'eſcadre Holandoiſe du Chevalier de.
Kinsbergen actuellement à Toulon . eſt
compofée de II voiles , dont fix vaiſſeaux
deligne.
( 89 )
Une Société de Magiſtrats & de Négo
tians d'Amſterdam ont donné le 27 Janvier
une Fête très brillante au Marquis de Vé
rac, Ambaſſadeur de S. M. T. C. à la Haye,
pour célébrer l'Alliance des deux Etats : entr'autres
emblêmes ingenieux , on diftinguoit
celui décrit en ces termes par le Gazetier
d'Amſterdam.
« LE DROIT DES NATIONS étoit repréſenté
>>>par la ftatue de la JUSTICE , portant la Balance
& le Glaive , affiſe majestueuſement : en voyoię
fur fon giron , unfaifeau de Bâtons de Commandement
, pour repréſenter la bonne harmonie des
deux Peuples alliés : 1 Aigle de Jupiter , polé à
- côté du pieddroit de la ſtatue principale , fou-
>> droyoit l'Env E & la courroit d'un éclair per-
> çant: à côté du pied gauche étoit un homme
>> qui paroiſſoit plein de feu &de zele , & comme
fortant d'un combat contre l'ENVIE ; ſon cha-
>> peau , marque de la LIBERTÉ , étoit auxpieds
>> de la JUSTICE , où il paroiſſoit l'avoir mis par
>>précautionpour qu'il ne pût lui être ravi:cet
>>hommeparoiſſoit frapper fortement ſa poitrine
>>>de famain droite , & de ſa main gauche , il
>> montroit un livre ouvert , où on lifoitces pa-
» roles : LE RECOUVREMENT DES DROITS & PRI-
>>VILEGES. Devant ce reſpectable Patriote , on
>> voyoit un joug caffe , & des chaînors d'une
>>chaîne épars çà & là : derriere lui étoit une
>> obéliſque pyramidale de trois pieds de hau-
>> teur , à laquelle pendoient les écuffons ref
>>> pectés des SeptProvinces . L'infcription attachée
>>i cegroupe portoit ces paroles: VINDICE JUS
>TITIA , BELGA SUA JURA TUENTUR.
De l'autre côté duTemple étoit la LIBRE
(وه )
* NAVIGATION perſonnifiée : elle étoit reprefen
tée ſous l'emblémed'unefemme aſſiſe ſur un ro
cher , & appuyée ſur un ancre: le cableatta-
>> ché à l'anneau de l'ancre étoit tenu de làmain
>>>droite de la Figure; mais de façon qu'elle le
lâchoit & l'abandonnoit ; l'extrémité du cable
>> tomboit sur une corne d'abondance , poſée à
>> côté du pied gauche de la Figure : à gauche de
>>>la Figure , on voyoit planer un oiſeau ;Nep-
**tune ſe montroit au pied du rocher : derriere
* la LIBRE NAVIGATION étoit un vaiſſeau de
>>> guerre fur le chantier , il étoit nommé l'ALLIANCE;
les voiles en étoient de ſoie blanche
* & il portoit le pavillon de la Confédération
>>ſa longueur étoit de deux piets &demi fur
>>> trois &demi de hauteur : la deviſe de ce
"grouppe , écrite fur une banderole , éτοίς
>congue en ces mots :
QUA PATET OCEANUS SECAT EQUORA
LIBERA PUPPIS.
La Régence deClèves , portent diverſes
lettres de ce Duché , a ordonné à toutes les
villes de préparer des quartiers pour y loger
des troupes. Il y en aura même dans les
lieux qui en étoient exempts , tels que Duisbourg
& Emmerich. On attend auffi 1000
hommes dans Crevelt.
On ſe rappelle les avantures du ſieur Beniowski
, Polonois , Aſſocié d'abord à la
Confédération de Bar, pris par les Ruffes ,
avec bien d'autres , exilé dans les déſerts de
la Sibérie , parvenu à en ſortit & à gagner le
)
و ا
(
Kamtſchatska, puis le Japon, au travers de
mille périls. Revenu enEurope,Beniowski
propoſa à diverſes Puiſſances de former un
établiſſement à Madagaſcar; la France lui
ayant donné quelques ſecours , il ſuivit fon
entrepriſe qu'il fallut bientôt abandonner.
De Madagascar l'infatigable Polonois paſſa .
chez les Infurgens, les quitta à la paix ; &
trouva , dit-on , une Compagnie Angloife
diſpoſée à lui confier une nouvelle tentative
fur Madagascar. Aujourd'hui l'on prétend
ſavoir par des lettres du Cap, que ce malheureux
Aventurier a été maſſacré par les
Cafres, avec 40 des ſiens , à l'inſtant où il
alloit former ſon établiſſement.
Paragraphes extraits des Papiers Anglais &autres.
»Parmi les perſonnes que le Roi de Pruſſe a
>>admiſes ces jours-ci à fon audience à Porzdam,
>> il ya eu deux Négocians de Brelu , venus
>>pour demander la permiffion d'etablir dans
>>cette Ville-là une fabrique d'acier : Sa Majesté
>> la leur accorda non ſeulement ſur le champ ,
>>>mais lorſqu'ils vinrent pour our l'en remercier ,
le Monarque , conſtamment Protecteur de
l'induſtrie& de l'activité dans ſes Etats , leur
>> fit la queſtion , s'ils ne souhaitoient rien davan-
» tage , & fur leur réponſe négative it ajouta que,
puiſqu'ils montroient tant de discrétion , & ne defiroient
ni encouragement ni récompenfe , Sa Ma-
>>jeſté leur accordoit 20 mille Thalers pour
> l'avancement de leur entrepriſe. Gazettede
Leyde , no. 82.
«Le Chevalier de Ver ** , Gentilhomme
( 92 )
s François , parlant affez bien l'Allemand , fe
trouvoit derniérement dans un café de Vienne ,
à lire les gazettes. Quelques petits maîtres
s'aviferentddeetenirdes propos ſur ſa nation , ne
>>>s'imaginant pas qu'il entendit leur langue. Le
Chevalier , fans rien faire remarquer , conti-
>> nua delive ; ayant fini , il met l'épée à la ma n,
fond fur Meſſieurs les diſcoureurs , qui étoient
plus de douze , les chaſte hors du café , & les
conduit ,àgrands coups de plat d'épée , juſques
bien avantdans la rue. Cette ſcene fait aurou-
-per le peuple, qui fe mer auffi à la pourſuite
des fuyards , tandis que les enfans les régalent
> deboules deneige. La garde qui arriva mit fin à
>>cette ſcene vraiment comique. Nouvell. d'All.
14.
« La Princeſſe Elisabeth de Wirtemberg fit der-
>> niérement venir chezelle à Vienne , une Mar-
>>>chande de mode , Françoise , à laquelle elle
>>>acheta pour deux cents ducats. Malheureuſe-
" ment l'Empereur arriva fur les entrefaites ;
>> S. M. reconnut les Marchandises pour étran
>>geres; mais n'en laifa tien remarquer , &n'en
paya pas moins les deuxcents ducats.Uneheure
> s'étoit àpeine écoulée , que les employés de la
>> ferme ſe transporterent chez la Marchande , &
>>après les recherches d'uſage , confiſquerent
>> toutes les marchandiſes , qu'ils déclarerent étre
>>>de bonne prife. Nouvell. d'Allem. nº . 15 .
« L'Empereur eſt , dit-on , réſolu à revendiquer
les droits de la Maiſon d'Est ( c'eft de cette
>>Maifon que deſcendent les Ducs de Modene ) fur
>> le Duché de Ferrare; ceDuché avant été réuni
>>>aux Etats de l'Egliſe par le Pape Clément VUI ,
lors du décès du dernier Duc d'Eft , en 1567.
Nouv . d'All. пº. 14.
Le Roi deSuede a fait remettre une lettre aux
( 93 )
בכEtats Généraux , dans laquelle ce Monarque
rappellant les anciennes liaiſons qui ont ſubſiſté
entre fes glorieux Devanciers les Rois de Surde
» & L. H. P. , S. M. offre , dans les termes les
>>plus flatteurs pour la République , de renouveller
, par unTraitéd'aliance ,l'union étroite
» qui a régné ci-devant entre les deux Eta's. La
>> lettre de S. M. Suédoise a été envoyée aux Con
>>fédérés , & l'on ne ſera pas long-tems à apprendre
le parti qu'ils prendront dans cette occa-
>> fion , où tout les invite à ſe faire de puiſſans
➤ amis au- dehors. Comme le Roi de Suede n'a
>>pas dans ce momentde Miniſtre Réſident à La
Haye , S. M. a chargé M. le Baron van der
» Borch , Envoyé de L. H. P. à Stockholm , de
>> faire paſſer cette lettre à ſes Maîtres , Meſſieurs
les Etats-Générauxde laRépublique. Le Mo-
>> narque demande une prompte réponſe , & fe
>>montre diſpoſé à faire travailler tout de ſuite
>>>au Traité qu'il propoſe; ce Traité ſera ſars
doute calqué ſur celui conclu avec la France ,
»&ne ſera probablement qu'une acceſſion qui
>> formera une tripleAlliance entre la France, la
>>>Suede & la République. Gaz d'Amst. nº.8 .
La ſemaine derniere il est arrivé un événement
aſſez fingulier à S. Jean en Grève à Paris ,
où l'on venoit de préſenter le corps de M .....
L'un de ſes neveux allant ſigner l'extrait-mortuaire
, & requis de dire ſon nom & ſes qualités,
il s'intitula Seigneur ſuzerain du Paradis ,
& Seigneur direct du Fiefde tous les Diables. Le
Vicaire , ſcandaliſé , crut que c'étoit une plaiſanterie
, & il refuſa d'écrire . On appelle leCuré ,
celui-ci refuſe à ſontour ; mais M.de .... , accoutumé
à ces difficultés , tire un papier de fa
poche ; c'eſt un Arrêt du Parlement dans lequel
on voit que lestitres qu'il prend ſont exacts &
( 94 )
conformes àla vérité; alors ils furent infoelts
tels qu'il les avoit dictés.
Cause extraite du Journal des Causes célébres (1).
Interdictiondemandée pardesCollatéraux .
- La cupidité des collatéraux , &le defir d'anticiper
lajouiſſancedes ſucceſſions qu'ils attendent ,
fourniffent à la chicannedes alimens abondans ,
occaſionnent des persécutions où l'humanité eſt
preſque toujours outragée , & les droits les plus
facrés font violés .
Cette cauſe eneſt un exemple bien touchant.
La Demoiselle Julie Provenchere de Tourville
parcît poſſéder une fortune aidée. Elle n'a qu'une
foeur qui a épousé , à Tours , un Marchand. La
demoiselle Provenchere n'a que fa foeur pour
unique héritiere : elle a voulu ſe marier ; fi ce
deſſein eût réuſſi , un contratde mariage auroit
pu , par des avantages nuptiaux , détourner
une portion de ſa ſucceffion; & les enfans .
d'ailleurs , auxquels il y avoit lieu de préſumer
qu'uneunion matrimoniale donneroit naiſſance ,
auroient formé une ligne directe , & écarté de la
fucceffion la ligne collatérale.
Pour prévenir cet événement , le ſieur Pelgé
a détourné l'établiſſement que fa belle-fooeur
vouloit former , & afin de ſe garantir , par ta
ſuite , de pareil accident , il avoulu la faire dé
clarer folle par la Justice , & fe faire nommet
[1] On ſcuſcrit en tout temps pour le Journal des
Caufes célebres , chez M. Defeſſarts , Avocat , rveDauphine,
Hôtel de Mouy , & chez Mérigot lejeune , Libraire ,
Quai desAuguſtins. Prix , 18 liv, pour Paris , & se liv
pourla Province.
( 95 )
:
f'adminiſtrateur de ſes biens . De-là toutes les
perfécutions & tous les maux qu'a éprouvés
cette infortunée.
«En 1774 , diſoit-elle, âgée de près detrentecinq
ans , je formai le projetd'un établiſſement :
des perſonnes intéreffées à me fairegarderle célibat
, rompirent le mariage que j'allois contracter:
j'enconviens ,je fus affectée au- delà de toute
expreffion : je ſuccombai ſous le poids de ma ſenſibilité
je tombai malade , j'éprouvai quelque
altération d'eſprit. Auſſi ſenſible que cette nouvelleClémentine
, dont les papiers publics nous
ont entretenus il y a quelque tems ( 1) , qui ,
en perdant ſon amant , perdit pour jamais la
raiſon , maisdont les Magiſtrats reſpecterent le
matheur, puiſqu'ils ne voulurent ni l'interdire ,
ni l'enfermer : j'ai été plus infortunée qu'elle ;
carune ſaignéedu pied m'a rendu la raiton & la
ſanté; & néanmoins mes parens m'ont fait enfermer
, & ont voulu me faire interdire.
>>>A peine avois-je été frappée du coup qui
altéra ma ſanté , que le ſieur Pelgé , mon beaufrere,
fans effayer s'il n'y auroic pas quelques
remedes à rua maladie, fans conſulter ni Médecins
, ni Chirurgiens , préſenta , le 16 Août
1774 , une Requête au Lieutenant - Général
d'Orléans , dans laquelle il expoſa que , depuis
quelques jours , j'étois tombée dans la fituation
la plus affligeante; que j'avois perdu la raiſon ;
qu'il étoit néceffaire de m'interdire : il le ſupplicit
de l'autoriſer àfaire emploidsdeniers comptansque
je pouvois avoir, à toucher tous mes revenus
&lesremboursemens qu'onpourroit mefaire.
(1) Cette histoire est rapportée par M. d'Arnaud ,
danslepremier volumedesDélaſſemens de l'homme
ſenſible.
( 96 )
:
ود >> Le Magiftrat , en répondant la Requête, dit
qu'il ne falloitrien précipiter: il connoifſoit la
cauſeduvif chagria qui venoit de m'accabler :
jel'aidit : du repos &une ſaignée du pied me
rendirent la ſanté du corps& de l'efpric.
>>Sept années ſe ſontécoulées ſans que j'aie
éprouvé, ni au moral , ni au phyſique , la moindre
altération. Un événement très-ordinaire , qui
m'arriva en 1781 , fut le prétexte qu'employa
men beau- frere , pour demander de nouveau mon
interdiction.
Nousn'entrerons point dans tous les détails de
cette affaire. Nous nous bornerons à dire que la
demoiselle Provenchere , après avoir été enfermée
dans des maisons de force , eſt parvenue à
2271 faire entendre lesplaintes. Elles ont été accueillies
contre fon beau- frere ; & ſi ſa Juſtice ne
lui a pas rendu l'exercice entier de ſa liberté ci-
87 vile, elle fa mise à l'abri de
161
nouvelles perſécutions
, en lui dennant un autre Conſeil que ſon
beau-frere. Voici les diſpoſitions de l'Arrêtrendu
dans cette affaire , le 17 Août 1785 , ſur les
concluſions de M. Séguier. La Cour met les appellations
& les jugemensdont il avoit été appellé
, au néant , en ce que le fieur Pelgé avoit
éténomméConſeil dela demoiselle Provenchere;
émendant , quant à ce , ordonne que , pardevant
le Lieutenant-Générald'Orléans , commis à cet
effet, il ſera nommé Conſeil à la demoitelle Provenchere
, qui eſt autorisée àſortirdes Dames de
la Croix ; ordonne que le ſieur Pelgé rendra ſes
comptesdansquinzaine du jour de la ſignification
de l'Arrêt ; qu'il reſtituera l'argent comptant ,
les meubles , effets & argenterie; Gnon le condamne
envingt mille livres pour la valeur ; le
condamne en tous lesdépens qu'il ne pourra em
ployer en frais de compte.
81
20711
62
24
771 A
MERCURE
DE FRANCE .
SAMEDI 18 FÉVRIER 1786 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
QUATRAIN mis par un Membre du Salon
des Arts, au bas d'une magnifique Médaille
exposéepar M. Lorthier , célèbre Graveur,
& portant l'empreinte de Mgr. le Comie
DE VERGENNES.
Laliberté d'un hémisphère
Eſt le moindre de ſes travaux ;
La tendre Humanité reconnoît ſon Héros
Dans le Sage qui veille au repos de la terre.
(Par M. A. C. R. ) :
:
i
7
Nº. 7 , 18 Février 1786.
E
98 MERCURE
ADIEUX à Madame G***.
HELAS ! que des adieux font un pénible ouvrage!
Mon coeur , plus que ma muſe, en connoît le danger.
Parler de ton départ.... en a-t'on le courage
Quand on n'oſe même y fonger ?
(ParM. Dehauſſy de Robécourt.)
COUPLETS Anacreontiques , chantés par
MileI******** , à une Fête de Mariage.
Andantino.
2
AVEC deux Envoyés d'Hymen qui
des coeurs al-loient à la quête ,
j'eus l'au-tre jour un entre - tien; ils
vouloient fai -re ma conquête. Suivi
:
DE FRANCE.
وو
d'un cor -te - ge bril- lant , l'un a-voit
un riche équi - page: moins faftu-
eux, plus é - lé- gant, l'autre me
plaifoit davan-ta - ge.
DANS la foule des curieux
Ayant ſur moi jeté la vue ,
Ils s'approchèrent tous les deux.
Je rougiffois , j'étois émue.
Le plus âgé dit: « Sur ma foi ,
* On ne peut être plus gentille.
> De mon compagnon ou de moi,
» La belle , augmentez la famille.
>> IL faut faire un choix entre nous :
> Que chacun expoſe ſon titre. »
Le plus jeune, d'un ton plus doux,
Demandemon coeur pour arbitre.
?
:
Eij
GO MERCURE
:
* Quelques talens , beaucoup d'amour ,
>> Sont , dit-il , mes ſeules richeffes .>>>
L'autre promet que chaque jour
Il me comblera de largeſſes .
-DES plus ſuperbes diamans
Je veux lui faite une couronne.
-Des fleurs , des oiſeaux , des rubans ,
Sont les préſens que l'Amour donne.
-J'ai des terres & des châteaux ;
Mes chars font voler la pouſſière.
-Chez moi l'ombre de mes berceaux
Attire la jeune Bergère.
- A MES banquets délicieux
Le nectar fait tourner la tête .
- Mes petits ſoupés ſont joyeux;
L'amitié ſouvent les apprête.
-Je fais entendre à mes concerts
Les timbales & la trompette.
-Je fais jouer de tendres airs
Sur mon haut-bois & ma muſette,
- MES boudoirs , de la volupté
Offrent les plus vives images.
Le bonheur en réalité
Vient ſourire à mes payſages.
-L'or éclate ſur mes habits.
-- Ma jeuneſſe fait ma parure.
:
DE FRANCE. 101
-De l'art ne ſuis-je pas le fils?
- Et moi celui de la Nature ?
Acas débats pour mettre fin ,
• Meſſieurs , dis-je , il eſt inutile
> De vous arrêter en chemin ;
>> Je veux reſter libre & tranquille. "
Au plus jeune je dis tout bas :
• Au retour de votre voyage ,
>> Beau pélerin , ne manquez pas
> De venir à mon hermitage. >>
1
>
(Paroles de M. Lablée, Muſique deM. Guichard. )
L'APOTHÉOSE du Chevalier D'ASSAS,
proposé au Concours, avec une Couronne
d'Immortelles pour le Vainqueurs par
une Dame de Province.
1
Aux AUTEURS DU MERCURE.
Vo
4
ous conviendrez , Meſſieurs , qu'une femme
née,& nourrie parmi les armes , parce qu'elle est à
la fois fille , forur , nièce , épouse d'anciens Militaires
, * & mère de pluſieurs fils qu'elle élève pour
les remplacer; qu'une femme qui , mettant tous ſes
* L'Auteur a onze frères , beau frères ou oncles vivans ,
dont neuf, en comptant fon mari , font Chevaliers de
S. Louis , & ont enſemble plus de 320 ans de fervice ;
elle a fept enfans , dont l'aise n'a que ſept ans & demi ,
&qu'elle a preſque tous nourris .
Eij
102 MERCURE
1
plaiſirs &toutes ſes eſpérances dans les ſoins qu'elle
prodigue à ſa jeune & nombreuſe famille , pour la
rendre plus utile à l'Étar , dont elle éprouve les bienfaits
, ne peut qu'avoir l'âme d'un Citoyen & le coeur
d'un Soldat.
Comme telle , je vous avouerai donc , Meſſieurs ,
avecma franchiſe ordinaire, que je me ſens dans l'efprit
une certaine élévation qui me rend peut - être
trop exigeante ſur les honneurs dûs au vrai courage
comme aux vrais talents . Les hauts faits & les chefd'oeuvres
m'enchantent , me raviffent , &j'ai l'orgueil
de préſumer, d'après ce que j'éprouve moi-même ,
que les grands Hommes n'attendent pour ſe multiplier,
que des encouragemens dont l'éclat leur affure
les égards du ſiècle& la vénération de la poſtérité,
Oui , l'amour-propre , ce reffort ſi puiſſant du
coeur & du génie , ne demande qu'à être latté pour
opérerdes prodiges. Mais en vain en produiroit-il ;
Ala récompenſen'eſt illuſtre comme l'action , en perpéruera-
t'elle le ſouvenir ? Ce n'est qu'en conſacrant
dignement les grands exemples , qu'on fait naître les
grandes vertus , &qu'onpeut far-tout les éternifer.
D'après ces principes , Meſſieurs , qui outrent peutêtre
ma délicateſſe , quelqu'ingénieux que foit le
moyenque vous propoſez pour célébrer le Guerrier
généreux qui facrifia ſa vie au ſalut de l'armée , il ne
me paroît pas répondre à ce que nous lui devons.
Ce n'eſt auſſi qu'avec regret que j'ai vu le nom du
braved'Affas , lui dont l'éloge auroit dû être le ſujet
d'un concours au Lycée comme au Parnaſſe ; lai
dont la ſtatue élevée au champ de Mars , ne pourroit
que concourir à prématurer dans ſes Elèves le
patriotiſme_& l'éducation ; ce n'eft , dis je , qu'avec
regret que je l'ai vu , ce nom , qui méritoit en effet
d'être éternifé par les chants immortels de l'Ode & de
l'épopée, réduit à l'honneur fugitif de l'Acrostick.c &
desBouts-rimés.
DE FRANCE .
103
1
D'abord, piquée d'une plus noble émulation , &
croyant ce Héros trop au-deſſus d'un culte fi frivole ,
je ſentis de la répugnance à couvrir ſa tombe àjamais
glorieuſe , de fleurs éphémères : je voulois lui rendre
un hoinmage non moins durable qu'affectueux.
Joſai donc , Meſſieurs , concevoir & même ébaucher
unmonument plus digne de celui qui eût jadis obtenu
des autels. Mon ardeur impatiente ſembloit agrandir
mes facultés , mes idées , & m'aſſurer les plus brillans
ſuccès. Dans cette douce illufion , j'eſpérois remplir
une tâche que j'avois tant à coeur parce qu'elle étoit
non-ſeulement plus convenable à la haute deſtinée,
mais encore plus conforme à ma ſollicitude maternelle;
car, en employant le charme des vers pour
confacrer ſa mémoire , mon premier deſir étoit de
développerdans mes enfans, par une leçon touchante
&énergique de grandeurd'âme , le ſentimentde leur
naiſſance ;je n'aspirois qu'à leur communiquer l'enthouſiaſme
qui m'animoft , en leur peignant un fi
grand exemple du dévouement qu'ils doivent àtant
de titres au Prince & à la Patrie.
Non , Meſſieurs , je ne pourrois vous dire avec
quelle émotion j'eſſayois , pour exalter leur âme , de
retracer cette nuit ſombre & terrible , où notre
Armée, ſur le point d'être ſurpriſe , dut , comme
vous ſavez , ſon ſalut au Génie tutélaire qui veilloit
à ſa sûreté; à l'intrépide & vigilant d'Aſſas , qui étoit
alors de garde . O ciel ! avec quel effroi je me le repréſente
encore , lorſqu'allant ſeul reconnoître des
Troupes qu'il ne croyoit pas ſuſpectes , & qui , à la
faveur de l'obſcurité , s'avançoient vers notre camp
àgrands pas & fans bruit , il eſt tout à-coup arrêté
par vingt bayonnettes , la pointe au corps, & furtout
lorſqu'une voix furieuſe & fourde , faiſant retentir
à ſon oreille l'alternative effrayante du filence
oude la mort , il ne déféra à cette menace qu'en
criant à ſes Soldats: feu ; c'est l'Ennemi !
٠٢١٠
E iv
504
MERCURE
Hélas! Meffieurs , fi ce cri de l'Héroïsme , qui
me frappe encore de terreur & d'admiration , fut en
amême-temps le ſignal d'une défenſe heureuſe pour
notre armée , & d'une prompte déroute pour les
Alliés , il fut auſſi le dernier met , ou plutôt le dernier
ſoupir de ce mortel magnanime , qui tomba ſur
le champ percé de miile coups.
Quel trait offriroient les faſtes Républicains , plus
capable d'échauffer la verve de nos Poëtes & le
courage de nos Guerriers Mais pour moi , quoique
vivement pénétrée de ce trait ſublime , j'eprouvai
bientôt , Meffieurs , en voulant m'élever juſqu'à
mon ſujet , que trop reſſerrée dans la ſphère étroite
que les devoirs de mon état & les bornes de mon
efpritm'ont preferite je ne pourrois ſuffire à une ti
grande entrepriſe. Pourquoi faut il donc que le zèle
ne puiffe pas toujours ſuppléer le talent ,& que nous
autres femmes , nous foyons plus faites pour manier
l'aiguille , que pour emboucher la trompette ?
Cependant , Meflieurs , je n'étois pas encore découragée
par mon inſuffisance ; j'avois un motif
trop louable&trop preſſant, celui d'enflaminer mes
fils par un ſi beau modèle. Déjà voulant m'embrafer
moi-même de plus en plus de l'ardeur qui fait les
Virgiles & les Scipions , j'invoquois les manes illuftres
de cette victime de l'honneur , lorſque , pour
remplir mon plan , je cherchai en vain dans le Dictionnaire
Hiſtorique , les détails néceffaires ſur ſa
vie, fur ſa famille , & les circonstances que j'ignorois
, de l'action mémorable que je voulois chanter.
Indiguée d'une pareille omiffion , je jettai le Livre de
dépit , & je renonçai à mon projet.
Je me borne donc , Meſſieurs , à offrir par votre
entremife , s'il vous plaît de me l'accorder , une
Couronne d'Immortelles à l'Auteur qui , ſelon
vous , célébrera le mieux , dans un Poëme héroïque,
ce Chevalier auffi recommandable que Bayard par
DE FRANCE.
105
:
ſavaleur ,& plus heureux par ſa mort. Puiffe l'ingénicux
Coneurrent que cette foible récompenſe
animeroit aſſez pour l'emporter ſur ſes rivaux , entrer
dans mes vues , dans mes ſentimens , & terminer
ſon ouvrage par le tableau pathétique d'une
femme qui , patriote auſſi généreuſe que mère tendre ,
verroit ſans foibleſſe nos légions triomphantes , mais
endeuil , déplorer ſur leurs trophées ſanglans , la
pertede ſon fils le plus chéri , & le proclamer comme
leur libérateur !
Non , Meſſicurs , une femme ſenſible & forte
n'eſt point , pour de vrais Philoſophes , un être de
raiſon : vous aimez trop à vous perfuader , moins
encore par l'Hiſtoire que par ce qui vous environne ,
qu'il en exiſte qui fauroient réunir la ſenſibilité nationale
à la fermeté Athénienne. Eh , quelle Françoiſe
, quoique conjurant chaque jour le ciel d'écarter
à jamais la circonftance fatale qui exigeroit d'elle
un pareil facrifice , n'imiteroit pas dans l'occafion
une mère fi reſpectable ?Heureuſe & fière d'un titre fi
-Batteur & fi facré , quelle est la Françoiſe qui , malgré
la frivolité ridicule de nos moeurs , toujours fidelle
-à la gloire ſans trahir la Nature , n'embraſſeroit pas
avec tranſport, ne loueroit pas avec orgueil le digne
objet de fon admiration & de ſes larmes , fon fils
enfin expirant ſur ſon bouclier, comblé des bénédictions
de l'Armée , & couronné des lauriers de la
victoire ?
Enfin , Meſſieurs , c'eſt ſur ce tableau , fi fufceptible
d'être enbelli par la poéfie comme par l'éloquence
, que je voudrois fixer les yeux & le coeur de
mes fils , pour leur élever les ſentimens ,& les fami-
Jiariſer avec les dangers. Ne pouvant par moi-même
leur offrir ce moyen d'inſtruction , j'ai cru pouvoir
profiter des reflources que me fourniroit à cet égard
leconcours. On a établi des jeux en l'honneur de ce
Héros , & fa gloire exigeoit des monumens. Mais
Ev
106 . MERCURE
vous voyez , Meſſieurs , que pour m'y conformer
de mon côté autant que je le puis , je ne m'adreſſe
point à ces Auteurs dont l'âme vénale ne connoît
que la valeur intrinféque des récompenfes , & dont
il faut tenter la cupidité pour exciter l'émulation. Le
ſeul amour de la Panie &de la gloire peut donner
du mérite à la Couronne que je propoſe , & la faire
diſputer dignement. C'eſt dans vos mains fur-tout,
Meſſicurs , qu'elle prendra ſon véritable prix , fi vous
voulez vous en rendre les arbitres, ff , après l'avoir
faitbriller aux regards des combattans , vous devez
en décorer le front du vainqueur. Alors je quitterai
le voile de l'anonyme , pour vous remettre ce gage
de l'honneur qu'il aura ſi bien mérité , & applaudir
àla fois à votre zèle&à ſon triomplre.
AArc en Barois, le premier Janvier 1786 .
Les ſentimens que renferme cette Lettre , & la
manière vive & animée dont ils ſont exprimés,
doivent inſpirer l'impatience d'en connoître l'Auteur.
Bien sûrs de ne pouvoir compromettre que ſa modeſtie
, nous oferons nommer Mme la Baronne de
Thomaffin deJuil'y. Nous espérons qu'elle nous pardonnera
upe indiſcrétion dont nos Lecteurs nous
fauront gre , & qui ne peut que concourir à ſes vues;
car c'eſt donner un aiguillon de plus à l'émulation
des concurrens.
Explication de la Charade, de l'Énigme &
du Logogryphedu Mercure précédent.
Le mot de la Charade eſt Malheureux ;
celui de l'énigme eſt Cheminée , celui du
Logogryphe eſt Accoucheur , où l'on trouve
ruche, chou, corroche, cure, cou , couche
cruche , cours cher char coeur , Echo.
د
DE FRANCE. 107
CHARADE. *
CHERCHE
HERCHE mon premier dans la gamme
Par mon ſecond on a ce métal enchanteur
Qui corrompt en tous lieux l'homme ainſi que la
femme ;
Mon tout eſt un fléau dont le nom fait horreur.
(Par M. Briffat , Peintre, & Profeſſfeur de
Deffin & d'Ecriture à Roanne. )
* Il s'eft gliffé , No. 6 , une faute d'impreſſion effentielle
dans l'explication de la Charade , inférée No. 5 t
au lieu de bonfoir; liſez bonjour.
J
ÉNIGME.
E fuis ſouvent d'un grand prix par-devant;
Je vaux toujours afſez peu par-derrière ;
Mais je ſuis haute , j'aime à briller par-derrière
Et je me cache par-devant.
Tel gros Fermier me garde par-devant,
Qui rougiroit de m'avoir par-derrière ;
Ettel faquin m'étale par-derrière ,
Qui voudroit bien me tenir par-devant.
Chez quelques uns je ſuis également
Etpar-devant & par-derrière ;
Mais chezle plus grand nombre on ne mevoirſouvent
Par-derrière ni par-devant.
(ParM.H.. de F.... ).
E vj
108 MERCURE
LOGOGRYPHE.
JEEdéplais aux enfans , toujours je les tourmente;
Etquoiqueje ne ſache rien ,
Dirigée à- propos , j'enſeigne, j'argumente
Mieux que ne fit Quintilien.
Plus d'un Docteur couvert de gloire
Ne doit qu'à mes leçons fon art & ſes talens.
J'ai conduit maint Élève au Temple de Mémoire ;
Mais auprès de beaucoup j'ai bien perdu mon temps
Si parmi ces derniers vous ne faites point ſecte ,
Mon voile ſans effort ſera bientôt percé.
Un métal , un article , une plante , un inſecte
Vont me montrer d'abord à votre oeil exercé.
(ParM. Sant... ).
NOUVELLES LITTÉRAIRES
ÉTRENNES Lyriques , Anacreontiques
pour l'année 1786 , préſentées àMADAME.
Les vers ſont enfans de la lyre :
Il faut les chanter, non les lire. LaMotte.
A Paris , chez l'Auteur , rue des Nonaindières
, N°. 31 .
RIEN de plus facile que de rimer uneChanfon
médiocre. On rencontre dans le monde
DE FRANCE 109
depetits Abbés qui ont foin , quand ils dînent
quelquepart,de ſe faire engager parquelqu'un
de la ſociété , à compoſer au deſſert une
Chanfon. Ils font d'abord ſemblantde ſe défendre;
& fi par hafard on n'inſifte pas , ils
n'en quittent pas moins la table , en diſant
qu'ils cèdent aux inſtances ; ils s'enferment
dans un cabinet , & reviennent un quartd'heure
après avec une demi - douzaine de
couplets. Perſonne ne penſe plus à eux quand
ils rentrent; il faut qu'ils engagent de nouveau
quelqu'un à les prise de chanter les couplets
qu'on les a priésde compoſer. Ce n'eſt
point ainſi que s'y prenoit feu M. Collé. Je
lui ai entendu dire qu'il avoit quelquefois
cherché un mot heureux ou une rime origi
nale pendant plus d'une ſemaine. Auſſi ſes
couplets font- ils toujours très-piquans par la
forme qu'il leur donne; mais ils ſont trop
libres , & de plus dépourvus de grâces; défaut
eſſentiel qui empêche que ſes Chanfons ,
eſtimées des Gens de Lettres , ne foient dans la
bouche des jolies femmes. Le véritable mérite
du Chanfonnier ne conſiſte pas , comme
quelques - uns ſe le font imaginé , dans un
choix pénible de rimes difíciles bizarrement
clouées à la file les unes des autres , mais dans
lametreté , dans la grâce des détails , & dans
le charme d'une facilité harmonieuſe. Je ne
prétends pas diſconvenir pour cela que la
Chanfon ne foit une bagatelle littéraire trèsfacile,
pour peu qu'on ait porté ſon talentde
ce côté. La marche de l'air amène ſans nulle
110 MERCURE
combinaifon la meſure du vers , indique les
repos , &diſpenſe de l'acceſſoire des idées &
du ſtyle. Les Chanſons à refrain font encore
plus faciles que les autres ; fon retour naturellement
amené ſupplée à l'efprit , & en
tient lieu. Il ne faut donc pas s'étonner que
tout le monde ſe mêle d'en faire. Mais en
même-temps tout le monde ſe répère. En général,
rien de plus fade &de plus monotone
qu'une Collection un peu volumineuſe de
couplets ; on eſt sûr d'y trouver à chaque
page:
De ces lieux communs de morale lubrique.
qui , dénués du mérite du ſtyle, ne peuvent
guères plaire qu'aux Iris & aux Phrynés auxquelles
ils font adreſſes. C'eſt-là , pour citer
un paſſage charmant de l'Ombre de Duclos ,
Pièce comparable au Pauvre Diable , c'eſt
là que
D'aimables libertins ,
Fripons charmans , petits Auteurs badins ,
Viennent chantant. Comme une ſerinette
Inceſſamment leur voix fiffle& répète
Les mêmes ſons; Iſmène , Iris , Doris ,
Phylis , Rofis , & Zulmis & Cloris ,
Thémire , Elmire ,& Roſette & Lifette ,
Et tous ces noms que leur fécondité
Heureuſement créa pour la Beauté..
Si ces Recueils , appelés anacréontiques, ne
font pas meilleurs , ce n'eſt pas tout-à-fait
DE FRANCE. III
la faute des Rédacteurs. Une année ne peut
produire un volume de bonnes Chanfons.
D'ailleurs , ſi l'Éditeur de celui-ci recherche
avec ſoin les Pièces échappées à nos modernes
Anacreons , il y insère avec trop de complaiſance
les couplets anodins des petits Rimeurs
de ſociété; qui ſe croient, avec quelque
raifon , trop honorés d'y avoir place.
Delà des Chanſons où tout , juſqu'à la rime ,
eſt défectueux. En jetant les yeux ſur la liſte
des Auteurs de ſa Collection , on eſt étonné
d'y chercher en vain la plupart des noms des
favoris des Muſes , tandis que les noms les
plus ignorés y fourmillent. Ce n'eſt pas qu'il
faille exclure toutes les piècesqui ne viennent
pas d'un faiſeur de vers de profeſſion :
Ona vu le vin &le haſard
Inſpirer quelquefois une Muſe groſſière ,
Et fournir ſans génieun couplet à Linière.
La meilleure Chanſon du Recueil de cette année
, eſt de M. François , Peintre. Elle est réellement
du bon temps &du bon genre. Ce ne
font point des bluettes d'eſprit ; c'eſt de la
verve lyrique ; c'eſt de l'imagination puiſée
dans le coeur. Elle eſt intitulée : Ode Anacréontique
à Glycère. Elle est fort longue ;
mais le Poëte n'a pas perdu haleine une mi
nute. En voici quelques couplets.
PUISSIONS-NOUs de lajeuneſſe
Conſervei le ſentiment ,
:
112
MERCURE
:
Etjuſque dans la vieilleſſe
Nous aimer ſi conftamment
Qu'un jour la parque trompée ,
Voyant nos tendres amours ,
Penſe être encore occupée
Afiler nos plus beaux jours !
Sans cette amoureuſe ivreſſe
Qui conſole l'Univers ,
L'homme au ſein de la pareſſe
Cède au poids de ſes revers.
N'éprouvant que peine au monde,
L'ennui bientôt le vieillit ;
Mais Vénus paroît ſur l'onde :
Il aime; & tout s'embellit.
LES Dieux dont la bienfaiſance
Enfin daigna nous former ;
Malgré toute leur puiflance.
Ne pouvoient nous aninger :
Et la Nature endormie ,
Privéc à jamais du jour ,
N'auroit pas connu la vie
Sans un ſoupir de l'Amour.
Vous , qui n'aimez que la gloire ,
Sachez qu'Artiſte ou Guerrier ,
Tous ceux qu'avantés l'Hiſtoire ,
Ontjoint le myrthe au laurier ;
DE FRANCE. 113
Et fi le fils de Bellonne
Par la gloire eft tourmenté ,
C'est qu'il veut une couronne
Des mains de la volupté.
On avoit reproché à l'Éditeur d'avoir oublié
que les Muſes ſont Vierges , & qu'il ne
faut pas en faire des courtiſannes. Il a eu
égard à ce reproche , & fon choix eſt plus
épuré. S'il préféroit les bonnes Chanfons impriméesdans
le cours de l'année,aux médiocres
abſolument nouvelles ; fi dans la ſuite on ne
pouvoit pas dire des Etrennes Lyriques ,
Là , tous les vers font bons pourvu qu'ils foient nou
veaux ,
elles pourroient entrer en concurrence
avec PAlmanach des Muſes & les Étrennes
d'Apollon.
PROJET du Nobiliaire dela Haute-Guienne ,
où l'on n'emploiera que des titres originaux
dédié à Noffeigneurs les Adminiſtrateurs
de la Haute -Guienne , par
M. Lavaiflière , Prêtre , Prieur d'Efcamps ,
au Diocère de Cahors avec cette épigraphe
:
:
L'un a dételé le matin ,
L'autre l'après dînée.
د
A Villefranche de Haute-Guienne , de
l'Imprimerie de Védeilhé.
ILne faut pas, ainſi qu'on le verra bientôt ,
114 MERCURE 1
regarder comme un ſimple Profpectus le
Projet ſur lequel nous allons nous arréterun
moment.
M. l'Abbé Lavaiſſière , très - exercé dans la
ſcience généalogique , ſe propoſe d'écrire le
Nobiliaire de la Haute-Guienne ; & l'on ne
peut qu'applaudir aux motifs qui lui en ont
infpiré le projet. Combien de Gentilshommes
enſevelis dans une oiſive obſcurité , parce
qu'une pauvreté abfolue leur rend preſque
impotlibles des preuves de Nobleffe, trop fouvent
difpendieuſes ! M. l'Abbé Lavaitſière
prétend porter la lumière ſur leur antique
berceau ,&leur reftituer leurs anciens droits
à la conſidération publique. Le tableau qu'il
trace de la Nobleſſe pauvre , eſt touchant&
plein d'intérêt.
Mais aux yeux de la philoſophie , cet Ouvrage
pourroit offrir moins d'avantages que
de dangers; il pourroit n'ètre qu'un monument
érigé à la vanité ; il pourroit ne rendre
que fiers des Citoyens qu'on voudroit
voir heureux ; en un mot , mettre un dangereux
orgueil à la place d'une tranquille
pauvreté. Aufli l'Auteur ne borne-t'il pas fes
vues à donner une ſimple nomenclature ;-il
fera moins connoître leshonneurs de l'ancienne
Noblefle que les ſervices qui les lui
ont acquis ; enfin il s'efforcera d'inſpirer aux
fils inconnus de nos antiques Chevaliers , le
noble projet de recueillir , non l'héritage de
leur nom , mais celui de leur gloire.
L'AflembléeProvincialedeHaute-Guienne,
DE FRANCE.
enapplaudiſſant au zèle de M. l'Abbé Lavaif
ſière , a accepté ladédicacedefon Ouvrage ; &
par une délibération qui atteſte une active
bienfaiſance , elle a arrêté que lorſqu'un pauvreGentilhomme
aura fait devant M. l'Abbé
Lavaiſſière preuve d'ancienne Nobleſſe , le
Préſident de l'Adminiſtration en écrira au
Miniſtre de la Province , & emploiera tous
les moyens que fon zèle lui inspirera pour
attirer les regards du Souverainjur cette intéreſſfante
victime du malheur& delapauvreté,
Cette réſolution , en prouvant l'humanité
de l'Aſſemblée Provinciale, prouve en même
temps la confiance que lui inſpire M. l'Abbé
Lavaiſſière. Il faut l'avouer, les Ouvrages de
ce genre trouvent aujourd'hui dans l'opinion
publique un préjugé défavorable qu'on n'a
que trop ſouventjuſtifié ; les Généalogiesne
font quelquefois que des titres ſollicités par
l'impoſture , & accordés par labaſſeſſe; elles
atteſtent moins la Nobleſſe d'une Famille que
la vénalité de ſon Généalogiſte. M. l'Abbé
Lavaiſſière paroît diſpoſé à combattre ce pré
jugé , non par ſes raiſonnemens , mais par
ſon Ouvrage même ; & en effet , le Projet
qu'il vient de publier reſpire par- tout un
amour courageux pour la vérité.
ود
ود
" Ce n'eſt pas , dit-il , ſur le plan desNobiliaires
ordinaires que je me propoſe de
travailler ; je ſerai l'Auteur , & non pas
ſeulement l'Éditeur de mon Ouvrage. Ce
ne ſont pas des Mémoires généalogiques
qu'on doit m'envoyer ; c'eſt une preuve
116 MERCURE
>> par titres qu'on doit faire devant moi. Je
• veux pouvoir garantir la vérité de tout ce
» queje dirai , &je jurede ne rien écrire que
> ce que j'aurailudansdes actesdignes de foi. >>
M. l'Abbé Lavaiſſière s'attend bien à des
indifcrétions , à des importunités , à des perſécutions
; mais pour s'en affranchir , il ſe
propoſe de ſubſtituer aux formes honnêtes ,
fi elles ne réuffiſſent point,la fermeté la plus
poſitive. Cette idée ſeule anime fon ftyle; &
il ajoute , en parlant du faux Noble qui infifteroit
: « Si cethomme , malgré mes refus ,
> faifoit encore de nouvelles inſtances; s'il
> me connoiffoit allez peu , s'il s'oublioit
> affez lui-même pour ofer me folliciter , à
>> prix d'argent , de mettre ſon menfonge
» dans mon Livre , la plus cruelle vengeance
>> ſuivroit de près cet outrage fait à ma déli-
>> cateffe; je le dénoncerois à toute la No-
> bleffe du Jaume ;; publierois fans mé-
> nagement , & fa fable & les infames pro-
> poſitions qu'il auroit oſé me faire; je ledé-
» vouerois à jamais au ridicule , au mépris
> public; & la menace que je configne dans
> cetÉcrit, eſtune barrière queje veux élever
» entre monLivre&de pareils ſéducteurs. >>
Enfin M. l'Abbé Lavaiſſière , pour ſe prémunir
contre la féduction , ou plutôt pour
n'avoir pas à la combattre , prend des précautions
qu'il exprime avec la plus grande franchiſe:
"Je prie, dit-il, les Gentilshommes qui
>> voudrontmefaire parvenirleurs titres,dene
• pasmelesporter eux-mêmes; ils me feroient
DE FRANCE. 117
>> perdre beaucoup de temps , & leur voyage
>> ſeroit inutile , parce que j'ai fait voeu de ne
>> parler de genéalogie que par écrit. >>
:
:
Mais quand cet Ouvrage ne feroit pas affez
intéreſſant par lui-même, il feroit bien ennobli
ſans doute par l'objet auquel l'Auteur
en a conſacré le produit. Son Nobiliaire fe
vendra au profit des pauvres de fon bénéfice
, qui s'étend ſur un territoire de treize
lieues de circonférence , fur le fol le plus
ingrat de cette Province. " Je ſerois sûr, dit
» M. l'Abbé Lavaiſſière , d'exciter la commiſération
de l'homme le moins ſenſible , en
lui montrant le pain que mangent les meilleurs
habitans de cette terre infortunée. »
*
ود
ود
ود
C'eſt pour adoucir leur triſte ſituation , qui ,
dans ce moment , eſt plus affligeante que jamais
, qu'il demande une modique rétribution
à chaque Gentilhomme, pour prix de fa
généalogie;&c'eſt un motifdeplus qui fait
defirer le ſuccès de ſon entrepriſe. *
* On peut écrire à M. l'Abbé Lavaiſfière , à
Lauzerte , en Querci ; & en attendant qu'il puiffe
indiquer les voies dont on ſe ſervira pour lui faire
parvenir les papiers de tous les points de la Province ,
on pourra les dépoſer chez M. Rames , Curé de
Concots, ſur la route de Villefranche à Cahors , &
chez M. Cathiat , Greffier en Chef du Séné hal à
Lauzerte , qui donneront un reçu de ce qu'on leur
remettra. Quant à la ſomme de la rétribution , elle
ne doit point parvenir juſqu'à M. l'Abbé Lavaiſſière.
On eſt prié de l'adreſſer à Cahors , à l'adreſſe de
M. Rames , qui la verſera directement ſur les inforrunés
à qui on la deſtine.
118 MERCURE
:
VARIÉTES.
LETTRE au Rédacteur du Mercure.
;
Du Château de la Muette , for Décembre.
MONSIEUR ,
Le compte avantageux que, dans le N°. 18,
vous avez rendu des Aventures d'Ab-dal-Mazour,
fuite des Contes Orientaux , * leur a donné une
célébrité qui néceſſite une nouvelle Edition; je ſonge
àl'augmenter de quelques Lettres;mais auparavant,
je ſouhaiterois preffentir le goût du Public , qui doit
diriger le mien. Un court Préambule (il faut me le
permettre ) rappellera Caleb à mes Lecteurs : pleins
d'indulgence pour un étranger, un vieillard , ils ont
pardonné ſa morale , ſon enthousiasme , ſes fré-
-quentes comparaiſons : je ne me ſépare plus de cet
heureux Caleb; comme Historien ou comme Editeur,
je compte ſur ſa fortune , &je lui abandonne
lamienne.
J'ai l'honneur d'être très-parfaitement ,
Monfieur ,
Votre très-humble ſervante.
MONNET.
Caleb avoit vu ſes amis s'amufer du Conte de la
Femmebien Corrigée, s'attendrir à celui de la Bien-
..و
* Le premier & le ſecond Tome des Contes Orientaux ,
ou Récits du ſage Caleb , par MmeMon. ſe vendent
enſemble ou téparément chez Gueffier , rue de la Harpe ,
&Mérigot , vis-à-vis l'Opéra.
DE FRANCE.
119
faiſance; des larmes de douleur & de joie avoient
coulé ſur leurs joues en écoutant les furprenantes
Aventures d'Ab- dal- Mazour. Aujourd'hui , dir le
ſage Vieillard à la troupe aſſemblée , qui le preſſoit
de commencer un nouveau récit , nous lirons les
Lettres de Jenny Blein- More , dont je garde un précitux
ſouvenir. Ce fut à Surate , où ſe raſſemblent
les Hommes de toutes les Nations ,que je vis cette
Jenny ſi aimable & fi aimante; je ne ſais ſi c'eſt
elle , ſimple, ingénue & modefte , que j'aime dans
ces Lettres , ou la paſſion chère à tous les coeurs ,
qu'elle y a peinte en traits de flamine; mais je ne
les lis poinntt,, & je crois que vous ne les entendrez
pas avec indifférence. Je pense que le développementdes
orages du coeurd'une Européenne en proie
'à l'amour, mais vertueuſe ; que ces peintures intéreſſantes,
dont nos Ecrivains ne nous offrent point
l'idée , vous amaſeront davantage , en piquant
votre curiofité , que des aventures qui , priſes au
milieude nous, ne vous préſenteroient que le tableau
connu de nos moeurs.
PREMIÈRE LETTRE de Jenny de Bleinmore
à Caleb, de la plaine de Cambaye , au
lever dufoleil.
SageCaleb ! je m'éveille avec lejour; vous avez...
vous n'avez que ma ſeconde penſée , je l'avoue ; mais
vous êtes lapremière perſonne à qui j'écris ; celle à
qui j'ai le plus beſoin de parler , & la ſeule à qui
j'ai l'aſſurance de tout dire. Que de choſes j'aurois à
vous révéler ! ... Si je ne vous ſavois pas autant d'affaires
qu'a paffé de nuits la Sultane Sthevazade à
conter de belles hiſtoires au fublime Calife fon
époux ; & mille & une occupations ne vous enchaînoient
dans votre cabinet , ou dans celui de Sadi ; fi
je ſongeois plus à ce qui me flatte qu'à ce qui vous
120 MERCURE
convient , je vous dirois : Venez me trouver fous ce
berceau que vous aimez tant, &là, nous caulerons....
De quoi donc, Caleb , voudrois-je ſi matin
cauſer avec vous ? -Mon excellent ami , ne devinez
point ce que je ne vous dis pas , ce que moimême
j'ignore , ce que je ne veux pas ſavoir.-Ne
puis je donc pas vous parler de vous , & de vous
ſeul? Ce ſujet manque-t-il d'intérêt pour moi ? Je
recherche vos entretiens ; ils m'inſtruiſent : vos
récits piquans & variés m'intéreſſent toujours. Vos
coutumes&vos moeurs, l'effroi de nos Européennes,
ontdes charmes pour moi, & plufieurs de ces minutieuſes,
mais falutaires pratiques recommandées
par votre habile Législateur , moi , profane , je les
obſerve avec affez de ſoin J'aime vos campagnes ,
auſſi vives que les nôtres font froides , vos boſquets
touffus , vos fleurs éclarantes , vos fruits favoureux;
jemeplairois ſous le beau ciel qui vous a vu naître;
je voudrois y fixer ma demeure; qu'elle fût près de
la vôtre; qu'un toit touchât l'autre; qu'une méme
terraſſe les joignit tous les deux.-Si Sadi , qui fajt
chérir tout ce qu'il aime, & donne ou fait eſpérer
lebonheur à tout ce qui l'approche, vendit nousy
trouver! ... Caleb, vous n'en feriez pas fâché ?-11
faudroit bien l'y recevoir.... J'aimerois alors juſqu'à
ces hautes & fortes murailles des Sérails , fi difficiles
à franchir pour la penſée même : l'imagination
s'étonne , s'arrête, ſe briſe là,& l'ame, fans diſtraçtions,
peut s'occuper d'un ſeul objet , d'un ſeul! s'en
occuper fans cefle & toujours ! Avec quelles délices
je me verrois renfermée pour la vie, où tant de
femmes frémiroient de paſler plus d'un jour ! J'échangerois
contre ce bien inappréciable à mes yeux ,
&fi deſiré de mon coeur , toutes les fortunes , tous
les royaumes de ce monde, tous les mondes de cet
anivers , fi je les avois à ma diſpoſition.
Adieu,Caleb ; à ce foir. Sadi fera-t- il avec vous ?
-Je
DE FRANCE. 121
Je ne relis pas ma Leitte; je n'oſerois la remmcture
aux mains de Betſy : cette extravagante Lettre ne
partitoit pas , fi je la reliſois. Adieu ; aimez un peu
Jenny Blein-Morc.
II LETTRE à Caleb.
Notre promenade dans la Vallée des Peupliers ne
ſe fera pas ce ſoir, comme je me l'étois propoſé. Je
ne fortirai point; je ne ſaurois marcher. Ma tête me
père &me fatigue; un léger mouvement de fièvre
agite mon fang; un autre mouvement.... je le crois
moins léger , agite auſſi mon ame.... Ses pensées
fugitives , & trop ſouvent les mêmes.... Je ne la
reconnois plus. Le caline, la fraîcheur des champs.
du ciel & de la terre , ce repos de la Nature à fon
réveil, contraſte fortement avec ce trouble que je
porte partout. Les oiſeaux diſperſés ou réunis ,
chantent ſous les tilleuls ; moi , folitaire ,je ſoupire....
Vous , ſage & heureux Caleb , que faites-vous ?
-Le Soleil dore la cîme des platanes du petit bois ;
le doux reflet de ſes rayons n'éclaire que d'un jour
foible & fombre la chambre où je vous écris , où
je vous attends. Betſy l'ajonchée de fleurs ; l'air en
eſt embaumé , & des cuvettes pleines d'une eau ſouvent
renouvelée , entretiendront la fraîcheur dont
j'ai fi grand beſoin . -Il me feroit doux de la re(-
pirer avec vous ! -Je ne vous preffe cependant pas
de me venir trouver: je reſpecte vos travaux , vos
loiſirs même : ils ſervent à votre gloire , & font
chers & utiles au monde; mais, du moins , quand
la nuit vous forcera d'interrompre vos études , venez
vous repoſer auprès de moi. La préſence d'un ami
augmente le charme des douces jouiſſances , & le
mal s'appaiſe ou ceſſe devant lui,
Sage Caleb ! verez me rendre wa ſanté perdue;
le repos, qui commence à me fuir , queje ne crains
Nº. 7 , 18 Février 1786 . F
122 MERCURE
pas affez de perdre , & qui , peut- être , vaut la ſanté.
Jevous montrerai le buſte du grand homme que....
que nous aimons tous deux. Je ne l'ai que depuis
hier. Il eſt à moi ! L'Egyptien Houdo-Phanès ,fi
juſtement célèbre , s'eſt ſurpaflé lui-même, enflammé
par ſon modèle. L'acier poli répète cette image ché
rie ; elle eſt là, fur ma table , tout près de moi ,
livrée à mes regards avides ; ils la dévorent; ils ne
peuvent plus s'en détacher. Le ſavant Artiſte n'a pas
ſeulement tiré d'un bloc informe les traits de Sadi
une ame.... Eh ! quelle ame brille ſur ſon front,
étincelle en ſes yeux! une flamme céleste , celle du
génie, anime cette compofition divine. Ce marbre
eſt vivant pour moi. C'eſt un être qui penſe , qui ....
peut ſentir. Je lui parle.... Non , il n'a que du génie
&de l'eſprit; il ne me répond point; il ne m'entend
pas. Sadi lui - même ne fait pas m'entendre.... Je
l'ai couronné de roſes & d'une légère branche de
myrte ..... En vérité , je crois quej'ai rougi .-Dieu !
je ne voudrois pas pour rien au monde , que Sadi
pût ſavoir... qu'il pût même ſoupçonner... En effet ,
cette parure ſemble étrangère à cette tête , belle
certainement & gracieuſe , mais plus impoſante encore
; & ce front eſt fi majestueux , qu'il ne faut pas
l'ombrager même de roſes. Ne le penſez-vous pas ,
mon ſage ami ? C'eſt vous que j'en veux croire.
Vous voyez à toutes les heures, vous vivez familièrement
avec ce Sadi , que moi , bien ſouvent ,
j'oſe à peine regarder. Il eſt à Surate , où rien
ne l'intéreſſe , parce que vous l'y aveż amené ; il n'y
reffe que parce qu'il vous aime ; il ne peut vous
Quitter.... Heureux Caleb! vous le connoiſſez done
bien; répondez-moi , & ne me dites jamais que la
vérité: j'aurai la force de l'entendre. Faut-il que
j'arrache de ſon front cette guirlande que ma timide
main& mes timides voeux.... Je n'en aurai point la
force; j'ai beſoin de votre ſecours, de vos confcils
DE FRANCE.
123
je les demande , je les attends. Venez ce foir , que
je ſache.... Je fais ce que vous avez à me dire....
Malheureuſe Jenny ! -Adieu , Caleb. Tenez donc
toute prête une couronne de laurier pour votre incomparable,
votre immortel ami;il n'aime que
celles-là.
III LETTRE à Caleb , à minuit.
Quelle foule d'importunes viſites ! Cruelle gene !
dans quelles tortures m'ont tenue ces Etrangers; car
tout m'eſt étranger , hors Caleb & ſon ami! -Que
nous ſavons peu le matin (c'eſt votre doctrine , devenue
la mienne) ce que le Ciel nous réſerve pour
le foir ! Quel déluge d'ennuyeux &d'ennuyeuſes par
faites! ... Ici , comme dans ma Patrie , en bien , en
mal, les femmes me ſemblent être, plus que les hommes,
complétement ce qu'elles font. Je m'étois flattée
que le bruit de mon indiſpoſition répandu dans la
Ville , chaſſeroit de chez moi ces Maiſſouviennes
' indolentes , qui , ayant paſſé la moitié de la journée
fur leur lit & dans leur bain, cherchent à perdre
l'autre dans des amuſemens qu'on ne rencontre
guères chez une malades je croyois que nous ſerions
feuls , &, qu'encouragée par vous , je pourrois
verſer dans votre ſein des ſecrets que le mien me
peut plus contenir. Je vous aurois confié peut-être...
Je ne faurois me réſoudre à l'écrire.... Quelle contradiction
! Pourquoi cette eſpèce de trombe est-elle
venue fondre ſur ma ſeule tête ? Eliſabeth , ma vieille
nourrice , qui ne me quitte pas , m'obſerve ſans
ceffe, & lit dans ma pensée mieux que moi- même ,
aparfaitement démêlé au travers de l'effroi , l'étonnement
que me cauſoit ce Météore humain. Elle
prétendque ſa ſondaine apparition eſt une politeffe ,
&qu'aufli long tems que je ſerai indiſpoſée , cette
maſſe enfonçant maporte.... M'en préſerve leCicl
Fij
P24
MERCURE
Quoi ! parce que je ſouffre , le Siamois & le Turc ,
àqui je rends l'indifférence qu'ils ont pour moi ,
s'impoſeront le religieux devoir de me faire ſouffrir
davantage ! parce que je ſuis malade , il faut qu'on
me tourmente ! Je ne le ſouffrirai pas , &lafolitude
ſera du moins pour moi le dédommagement de la
douleur. Je prétends m'enfoncer à mon gré dans la
retraite& le filence. Je les aimai toujours.Oui ,mon
ſage ami , lors même que mon ſang & mes humeurs
circulant enſemble ſans déſordre, ne faisoient battre
que d'un mouvement uniforme & doux ce cooeur ,
qui , maintenant immobile , s'il n'eſt violemment
agité , n'éprouve plus que des langueurs ou des convulfiors
; lors même , dis -je , que la ſanté portoit
unejoie vive dans mon ame plus calme , je craignois
le grand jour; je fuyois le monde : il m'attrifte , me
rend ſtupide, m'ôte à la fois ma penſée & ma gaieté :
-J'ai refaifi l'une & l'autre dès que la foule s'eſt
diffipée &, parce qu'elle ne m'obfède plus , je me
trouve infiniment heureuſe.... Hélas ! l'absence du
mal eſt peut-être le bien le plus doux d'ici -bas !
-Mais cet enjouement qui m'étonne , & que je
ſens croître à mesure que je m'entretiens avec vous ,
n'auroit- il point une double cauſe ? Mon ami , je
m'examine & me ſurveille tropbien, pour ne l'avoir
pas cherchée au fond de mon coeur.... C'eſt bien la
plus folle eſpérance! Je rougis de ma confiance , de
ma crédulité , de ma joie inſenſée .... Ecoutez , écoutez
, & foyez indulgent. Dès que j'ai été libre , j'ai
couru àmonbuſte chéri ; les roſes qui le couronnent
encore, font belles & fraîches ; & , tranſportée , j'en
ai conclu.... Senſible Caleb ! vous devinez! j'ai baiſé
légèrement fon front , fes qu'une ame céleste
2
,
fait ſeintiller. La triſteſſe fui loin de moi; c'eſt le
foleil diffipant les nuages que le matin amaſſe dans
le ciel. Me voilà rêvant , déraiſonnant , confultant
de frivoles oracles. Ce myrte qui ſemble verdir ;
DE FRANCE.
125
:
ces roſes vives , ſont pour moi ce qu'étoient pour
'ces Romains à jamais célèbres , les oiſeaux facrés ;
j'obferve , j'interroge ces fleurs ; je crois ce qu'elles
annoncent , parce que ce qu'elles annoncent feroit
ma fuprême félicité.
On confulte le vol des
corneilles , les entrailles des genifics , & les roſes
qui pendent au front qu'on adore; on voit ce qu'on
eſpère; on croit tout ce qui flatre. Avant d'avoir vu
Sadi , lorſque je jouiffois de tonte ma raiſon , il y a
quatre mois , je ne croyois certainement pas aux
augures. Adieu , Caleb je vous dis bon ſoir. Le
fommeil , ou plutot l'épuiſement, me force de vous
quitter; mais je ne me ſépare pas entièrement de
vous; je ſuis fûre de vous retrouver dans mes rêves.
IV LETTRE au même.
Mavie ſe confume dans les alternatives de la
joie & de la douleur , les ſecouſſes répétées de la
crainte, de l'eſpérance ; des deſirs fatiguentmon ame
épuisée; j'ai beſoin de l'épancher : il me faut un ami
qui l'entende , qui la conſole; ce ſera vous , ſage
Caleb : venez à mon ſecours ; venez aider une infortunée
à recouvrer ſa raiſon.... Il eſt trop tard.
Quel feu circule dans mes veines , & allume mon
fang! qui fait battre mon coeur avec cette violence!
qu'a-t- il ? que veut- il , que peut-il eſpérer? Imprudente
Jenny, ferois - tu réſervée au malheur affreux
d'aimer un indifférent ? Suis-je venue de ſi loin pour
fouffrir , me plaindre , brûler ? Oui , brûler ! je ne
crains plus de l'écrire ; vous le ſavez , vous l'avez
vu. Pourrois-je vous dérober tant d'amour ? Cache-
-on à ſes voiſins l'incendie de la maiſon ? Vous avez
furpris hier encore mes regards attachés ſur Sadi,
Fiij
126 MERCURE
qu'ils cherchent toujours.... Il ſembloit détourner
les ſiens , & les vôtres paroiſſoient interroger mon
ame, & ine plaindre. Mon tendre ami , j'ai besoin ,
en effet, de toute votre pitié : j'aime ſeule.... Moi !
j'aimerois ſcule! je ſerois deſtinée à cette humiliation!
Oui , Caleb , cette épouvantable diſgrace m'attendoit
ici.... Croyez-vous , réellement , qu'il ne
puiſſe pas aimer ? Se verra-t- il l'objet de mes penſées,
de mes ſentimens , de toutes mes affections ,
fans en être touché , ſans en être ému , ſans y répondrejamais
? Il en ſera flatté , du moins. Qui peut
être inſenſible à l'inexprimable bonheur d'être aimé
Souverainement ?... Qui vous a dit que Sadi fût inſenſible
? l'avez vous connu dès fa jeuneſſe? l'avezvous
ſuivi par-tout ? n'a- t- il pu feindre , & ſe cacher
de vous ? la Nature ſe ſeroit trompée ou vengée àce
point! elle lui auroit donné , la cruelle , un génie
ardent & une ame de glace ! Quoi ! Sadi , ce ſage
aimable , auffi connu , auffi admiré de l'Europe ,
quede l'heureuſe contrée qui lui donna le jour; Sadi,
plein de penſées &d'images , le plus éloquent de vos
Ecrivains ,le premier de vos Poëtes , l'Auteur de tant
de Fables ingénieuſes , où règne la plus douce&la
plus profonde ſenſibilité ; Sadi n'aima jamais ! Sadi
-ne fauroit aimer! Dieu! à quelle condition il auroit
reçu tant de talens , de génie & de charmes ! Je le
plains. Mes agitations, mes inquiétudes , mes craintes
, valent mieux encore que cette incurable infenfi-
-bilité... Mais il n'a pu la perdre , peut-être ! L'objot
rare qui doit toucher ſon ame , cet objet à qui je
prête, pour enflammer un ſage, l'eſprit & la beauté
d'unAnge , ne s'eſt point encore offert à ſes regards...
Ah! tant mieux! ... où ſeroit-il en effet ? Quelle
femme peut se flatter, quelle femme mérite d'en
être remarquée ? S'il ne diftinguoit dans la foule !
fi .... Dieu ! grand Dieu! ... les expreſſions & la force
me manquent à la fois. Il eſt des raviſſemens qu'on
DE FRANCE. 127
:
he fauroit rendre.... Ces raviſſemens ne font point
deſtinés , ne ſauroient convenir peut- être aux habitans
débiles de ceterreſtre ſéjour. Les malheureux! un
froid langage ſuffit affez , fuffit de reſte pour exprimer
leurs tranquilles deſirs , leurs languiſſans tranſports ,
leurs communes jouiſſances ! Mille fois plus abondans
en paroles qu'en affections , ils peuvent peindre tout
ce qu'ils fentent.... ils ſavent même l'exagérer ! ...
Que me veut-on ? C'eſt votre eſclave. Un billet !
de vous! aimable comme vous ! charmant ! charmant!
Vous me promettez le bonheur , vous m'annoncez
Sadi ! je l'attendrai .... je veux me préparer.
Ma lettre.... je ne l'acheverai point , je ne le pourrois
pas. Je le vois déjà , je l'entends , je l'écoute , je
lui réponds : Adieu , Caleb: je ne fais plus m'occu
per d'autres choſes.
V LETTRE ù Caleb.
Qu'est- il donc arrivé ? que fait- il ? pourquoi ne
lai-je pas vu ? je le ſouhaitois ſi ardemment! je fis
défendre ma porte : j'étois ſeule. Je me promenois ,
je m'aſſeyois ; je me levois , pour me raſſeoir encore.
Je comprois triſtement chaque minute de ma
longue journée , & cependant j'en redoutois la fin.
Elle eſt venue , &ne m'a laiſſé que des regrets.
Il eſt minuit. La folle eſpérance qui me charmoit
& me tourmentoit à la fois , s'eſt évanouie; mon
coeur a vainement defire , demandé , appelé cet
homme indifférent; mes regards inquiets ne ſe ſont
point repoſes ſur lui; mes yeux vont ſe fermer ſans
avoir rencontré ſes yeux ſi doux , fi beaux , fi expreffifs
, que j'ai cru quelquefois qui cherchoient les
miens , & les fixoient avec complaiſance. L'amour ,
l'eſpoir animoient mes traits; d'aſſez beaux cheveur
(j'en ai déroulé les treſſes avec dépit) relevoient
ma figure , qui ne m'occupe guères , & que je ne
Fiv
128 MERCURE
glige trop : enfin , j'avois aujourd'hui travaillé ma
parure , & j'aurois , je l'avoue , ſouhaité qu'il pût
voir.... Sadi , comme vous , eſt un ſage , je le crois ,
& j'aime en lui cette ſageſſe autant , & plus
peut-être , que ſon génie & ſes talens ; mais je connois
auſſi la frivolité, la foibleſſe dece ſexe, qui fe
piquede tant de force & de raiſon; les qualités les
plus brillantes de l'ame &de l'eſprit n'arrachent que
fon eftime , & trop ſouvent ( il a beau le diffimuler ,
je l'ai vu ) elles n'excitent que ſa jaloufie. Pour aimer,
il'veur, il exige des charmes : on ne le captive
point fans beautés réelles ou empruntées : j'attendois
celui que je voulois charmer ; je me fuis parée.
J'éprouvois à ce travail , lafſitude & dégoût. Hélas!
depuis quatre ans, triſte , malade , errante , importunée
de la vie , je ne m'occupois guères de l'inutile
foin de conferver on de relever de vains attraits .
J'avois perdu avec le defir de plaire , toute envie de
me parer. Mes femmes , enchantées d'être appelées
àcette eſpècede ſervice qui nous les rend fi necef
faires & fi chères , ſe ſont empreffées autour de moi.
Jamais je ne leur vis tant de zèle& de confiance. La
vieille Elifabeth droit chargée de fleurs & de parfums.
Betly effaçoit d'un léger pinccau , cette pålear
qu'ont la fiée ſur mes joues ,
Les ennuis , leschagrins , les regrets &l'amour....
Je ne cite point , ſans trouble, ce vers qu'un de
nos Poëres met dans la bouche de la Reine de Carthage,
cette illuftre victime d'un amour dédaigné.
Hélas! telle que Didon , j'aime avec idolâtrie un inſenſible,
un ingrat ; & , plus malheureuſe , je n'ai
peut- être pas le droit de diſpoſer de mon coeur.
Je devine votre étonnement , vous me croyez
libre; ſouvent je le crois moi-même : connoiffez
yetre amie , Cachez tous ſes malheurs. Liée dans ma
Patrie, on peut m'y rappeler demain... Je ſuis prête ;
DE FRANCE.. 129
dufléje mourir après ; je tiendrai ce que j'ai promis...
Mais , lifez juſqu'à la fin. Mon père , ( il m'aimoit
cependant ) plus occupé de ma fortune que de mon
bonheur , m'avoit promiſe en mon enfance , à Sire
Foxters , alié aux plus grandes Maiſons , & le plus
riche parti de l'Angleterre. Il compte 20 ans plus que
moi, mais la figure eſt encore une des plus belles
que j'aye vues , & la taille eft parfaite. A ces avan
tages , il joint une vaſte mémoire; il connoît nos
bons Auteurs , & lit , dans leur langue, ceux d'Athènes
& de Rome. Il ne manque même pas d'ef
prit , mais d'agrément dans l'eſprit, de douceur dans
les manières ; & fon ame , exempte de vices, n'a
point auſſi les vertus impoſantes qui devoient en
chanter & captiver la mienne. Je voulus & je ne pus
l'aimer. Je réſiſtai long-temps à la volonté du père
leplus tendrement cheri ; mais il s'affo blifſoit tous
les jours ; une maladie de langueur le conduiſoit
fourdement dans la tombe; & ſouhaitant donner ſa
fille unique à fon ancien ami , il nous fit approcher
tous deux de ſon lit de mort. Je n'ofai refuſer encore;
j'aurois excité ſa colère , & empoisonné ſes
derniers momens. Je cachai mes pleurs , j'étouffai
mes ſoupirs ; & , renversée fur ſon ſein, éperdue ,
ne voyant rien , n'entendant rien , je reçus & je fis ,
je crois , des ſermens. Un père unit nos mains ; mais
nos coeurs , nos eſprits , trop différens , reſtèrent à
jamais ſéparés.-N'importe , j'accomplirai le plus
ardent de tes voeux , cher auteur de mes jours : ne
'élève point contre ta fille ! ... Mon père mourut. Je
he quittai ni fon nom, ni ſa maiſon ; j'y reçus les
ſoins du Baron , mais fans remplir ſes eſpérances. Il
ne m'en preſſa point ; il ne le devoit pas: j'étois affligée
& mourante. Long-temps on craignit pour ma
vie; elle m'étoit infipide , & ſouvent odieuſe. Je
tremblois de guérir . Les Médecins , ne fachant plus
qu'ordonner , conſeillèrent le voyage d'Italie : j'ap
Fv
130
MERCURE
plaudis à cette ordonnance , qui me promettoit des
diftractions. Mon tuteur (vous ſavez s'il chérit fa
pupille ? il chérit auſſi tendrement les arts, étrangers
encore à la Grande-Bretagne ) voulut m'accompagner.
J'étois inſenſible à tout: je ne le fus pas au
plaifir de quitter Londres ; Sire Foxters , toujours
froid& févère , me vit partir avec une indifférence
preſqu'égale à la mienne. Ilne me rappela pointnos
fermens; mais je vis , je crus voir qu'il s'en reſſouvenoit;
& quant à moi , j'eſpérai que la mort ne
tarderoit pas à les rompre. Je me trompai : ma ſanté
devint meilleure. Je pus jouir des beautés qui s'offroient
fur ma route. Les Alpes , & leurs fites pittoreſques
m'enchantèrent. Les jardins de l'Italie me
rappelèrent ces campagnes d'Eden, dont les tableaux
m'avoient tant de fois charmée.
6
Je vis avec plaiſir Naples , Gènes , Capouë ;
mais Rome , embellie des prodiges des Arts , me
parut le ſéjour enchanté des Fées& des Génies....
Je me diſtrais de mes ennuis en vous entretenant ,
ô Caleb! des douces émotions préſentes encore à
ma mémoire.
Les ſtatues , les tableaux ,les temples de Rome ,
&les arcs de triomphe , ces obéliſques ſe perdant
dans les nues , créoient de nouveaux ſentimens , de
nouvelles &grandes idées dans l'ame agrefte & ardente
de monMentor ; ils le frappoient d'un profond
étonnement. Je l'ai vu muet , ſaiſi de reſpect , & ,
ije peux le dire , ivre d'admiration à l'aſpect de ces
chef-d'oeuvres .
Les Antiquités du territoire de Rome , ces débris
précieux de ſagrandeur éclipſée ; ces reftes difperfés,
cachés , perdus tous les jours davantage ſous la
mouſſe que la main des ſiècles entaſſe ſur les ouvrages
de l'homme & ſur les générations , attiroient
DE FRANCE.
131
plusparticulièrement, & fixoient fon regard obſervateur.
Ces ruines firent naître en lui le plus ardent
defir de viſiter celles de la Grèce : j'en fus ravie. Le
golfe de Venif: nous porta bientôt en Épire , & je
pus voir de près , battu des vagues en courroux , ce
mont redouté , célèbre dans les faſtes du cruel
amour. L'aſpect de Leucate me fit friffonner; je détournai
la tête , & je ſentis mes yeux mouillés de
larmes. La beauté du climat de laGrèce m'enchanta,
&ſes décombres impoſans charmèrent bien davantage
le bon Tuteur , devenu plus inftruit. Il les examinoit
avec l'attention ſcrupuleuſe & inquiète que
je donnerois à peine au Château que je voudrois acquérir.
Je l'ai fuivi quelquefois dans ces champs
dévaſtés , jadis la Patrie des Arts & des Sciences ;
dans ces lieux où régna Sparte , où fleurirentAthènes
& Corinthe ; & fon geſte , & les yeux , que
j'obſervois , exprimoient tout-à-tour l'étonnement
de l'admiration & le recueillement du reſpect. Je le
furpris une fois à l'approche du ſoir , aſſis ſur des
ruines , qu'il croyoit celles d'un temple ; il rêvoit,
&ne me voyoit pas . Je l'appelai long-temps. Enfin ,
il jette de longs regards autour de lui , comme au
fortir d'un fonge, ſe lève lentement , & vient audevant
de moi ; mais ſes pieds ſembloient appréhender
de toucher cette terre ſacrée ; il craignoit , en la
foulant, de diſperſer la pouſſière qui cachoit ces décombres
religieux.
Une autre fois , je le vis le corps penché ſur une
colonne briſée , l'embraſſer , frémir & pleurer. Cet
homme, qui ſent ainsi , eſt le frère de ina mère;
c'eſt de ſon ſang que le mien eſt formé.
Tant de beautés , tant de richeſſes, nous ocси-
pèrent deux années. Alep , Damas , Iſpahan , plufieurs
autres Villes de Perſe, nous reçurent à leur
tour. Ma ſanté s'étant fortifiée dans ces voyages , &
notre curioſité croiſſant toujours , une courſe aux
Fvj
132 MERCURE
foit
y
Indes , qui d'abord m'avoit effrayée, ne m'épouvanta
plus. J'arrêtai le jour du départ ; je le vis s'approcher
avec une émotion ſi vive ! .. Qu'on me diſe
qu'il n'eſt point de preſſentimens ! Un eſpace immenſe
me ſéparoit de Sadi , & mon coeur le ſentoit
déjà ; Sadi étoit préſent pour moi. Peut- être encore ,
ce qui m'arrêtoit loin de ma Patrie , ce qui m'en
écartoit davantage , flattoit en ſecret mon coeur infortuné.
Quelle que fût la cauſe de cet empreſſement
à partir , de ce trouble agréable , il exiſtoit en
moi , & je me vis ſur la route d'Ormus , avec une
joie qué depuis long temps je ne connoiſſois pas.
Quelle étrange coinbinaiſon du fort conduiit
enſemble Caleb, Sadi, nés tous deux à quinze
cens lieues de moi ! Qui l'auroit ofé dire , que fur
la mer des Indes , un même vaiſſeau nous réuniroit
un jour! quels jeux bizarres du deſtin ?... Ledeſtin
n'est qu'un mot. Puiſſante Providence ! tu fais, & tu
fais tout ! Les mouvemens du coeur de l'homme ,
cachéà l'homme même , & ſes pensées , & les évé
nemens, ton oeil déjà les a découverts ,& ta volenté
ne leur a pas encore donné l'existence ! Je ne chercherai
pas à ſonder tes deſſeins. Hélas ! aucun de
nous ne les connoît : nul ne fait les prévoir; qui
pourroit s'y ſouſtraire ? Quelques heures plus tard ,
Je vaiſſeau où je vous trouvai l'un & l'autre , partoit
fans moi,& vous emportoit loin de moi pour toujours!-
Je rougis ,je m'en ſouviens , en regardant
votre ama qui m'obſervoit... Quel trouble me caufa
fon regard! & cette première parole échappée de ſes
levres ? Elle retentit encore à mon oreille & dans
mon coeur. C'étoit une louange ; elle dut me flatter :
Sazi n imaginoit pas qu'une Européenne pût l'entendre.
Mon ſéjour en Grèce & en Perſe m'avoit
rondue votre langue familière; je n'en prononçois
pas, mais j'en comprenois tous les mots. Affiſe à fes
cotés, j'écoutois avec enchantement Sadi, qui ne
DE FRANCE .
133
s'en doutoit pas. Il ne vous dit jamais rien qui ne
fatisfitou ma raiſon, ou mon eſprit , ou mon coeur.
Je recevois, je prenois ſes opinions peut être; mais
il me ſembloit àmoi , qu'il me déroboit les miennes.
Le ſentiment échappé à ſon ame , je le retrouvois
dans mon ame; ce qu'il penſoit, je l'avois peníé ;
ce qu'il diſoit , je ſentois que je l'aurois dir. Ces
rapports, des reſſemblances dans les habitudes, dans
les goûts , même dans la phyſionemie , tout ce qui
peut lier un être à un autre être , m'attache à Sadi ;
vénération , amour , amitié , confiance ; ce que l'ame
peut ſentir de plus doux, je le ſens pour Sadi. Je
m'abandonne ſans réſiſtance au penchant qui me
domine. Je ne le combats point; je ne le pourrai
pas.... Eh! pourquoi le combattre ? Qui le ſouhaite
au monde, qui l'exige ? Penſez-vous que Sire Foxters
me fût quelque gré , qu'il me tint le moindre
compte d'un ſacrifice... impoffible? Non , now . Que
lui importe qui j'aime , quand lui-même ne m'aime
pas! Jamais un tendre ſentimentn'a pénétré au fond
de cette ame ambitieuse & lauvage. Profondément
occupé du ſoin de ſon avancement , & des partis &
des diſputes qui s'élèventdans les Aſſemblées de la
Nation entrelesChefs qui s'efforcent de la dominer,
il ne s'embarraffe guères des affections d'un coeur
qu'il n'a pas fu connoître, qu'il ſe ſeroit attaché,
s'il avoir voulu , & qu'il eſt incapable de regretter.
Privé d'imagination , (doux préſent du Ciel , faculté
fublime , qu'il ofe mépriſer!)peut- il connoître l'amour
, qui en emprunte tous les charmes ! l'amour !
une flamme divine ! l'amour comme je le conçois ,
comme je le ſens, le croit- il quelque choſe ? Il lui
faudroit mon ame pour ſe peindre , pour m'envier ,
&pour devinerjuſques dans les tourmensde l'amour
ſes délices ſuprêmes! Ah qu'il me laiſſe un bien
qu'il n'a pu me donner , quit ma pas le droit deme
ravir. Eteindre tant de flammes eft au-deſſus de fon
134 MERCURE
pouvoir , bien au deſſus du mien; je ne ſais fi la
mortmême en auroit la puiſſance....
Mais , je l'ai dit , je reſpecterai mes fermens ;
voilà ce que je puis: je les tiendrai s'il le faut , s'il
l'exige ; voilà mon devoir. Sage Caleb ! vous ne me
verrez point m'en écarter. L'amour est vraiment
pour moi une divinité qui m'élève , m'enflamme ,
m'agrandit à mes propres regards. Il peut me rendre
malheureuſe , il ne fauroit me rendre coupable ;
mon coeur m'en répond.-Voyez qui j'aime. Son
ame eſt belle comme fon génie : c'eſt le premier des
mortels .... Mais , s'il doit ne jamais aimer ? Eh !
qu'importe! je ne l'en aimerai pas moins-; je l'aimerai
toujours. Ce bien eſt à moi , dans moi ; je le tiens
de l'amour: ce n'eſt même pas l'ouvrage de Sadi .....
Arbitre de mes jours! ſouverain de mes pensées !
Sadi! tu ne les connois point; tu ne les partages pas ,
ces vives émotions que tu donnes ! C'eſt un larcin
que je te fais. Ce ſecret doux& terrible , j'ai fu le
tenir caché dans mon coeur , qu'il agite quelquefois
avec une violence ! ... Non , tu ne ſais pas combien
tu es aimé ! Dois je le lui dire ? ne puis-je pas laiffer
entendre? ... Si vous,Caleb, ô mon ami ! mon ami !...
ouvrez-moi votre ſein , que j'y cache ma rougeur
&ma honte. Que ce ſecret fatal n'échappe point de
vos lèvres; qu'il teſte au fond de mon ame : il vaut
mieux mourir mille fois.... Je crois , en effet , que
j'en mourrai. Je me ſens fingulièrement affoiblie ;
imes forces diminuent tous les jours ....'elles ſemblent
en cemoment m'abandonner tout-à-fait. --Le jour
commence à paroître : j'ai peut- être écrit trop longtemps.
Adieu , mon ami. Ce que j'éprouve reſſemble
aux foibleſſes de l'agonie , à cet anéantiſſement qui
précède la mort. Sa vue ne m'épouvanteroit guères,
Adicu , j'appelle pour qu'on me mette au lit.
Lafin auMercure prochain,
DE FRANCE.
135
४८
ود
"
SPECTACLE S.
COMÉDIE FRANÇOISE.
ON ne repréſente d'autre Médée à Paris
» que celle de longepierre , Tragédie à la
vérité très-médiocre , & où le défaut des
Grecs , qui étoit la vaine déclamation , eft
>> pouffé à l'excès ; mais lorſqu'une Actrice
>> impoſante fait valoir le rôle de Médée ,
>> cette Pièce a quelque éclat aux repréſen-
>> tations , quoique la lecture en ſoit peu fup-
» portable. » Cette phrafe de Voltaire * apprécie
à la fois & le mérite de la Tragédie de
Longepierre , & le talent de l'Actrice qui fait
lui donner une ſorte d'intérêt. En effet , il
y apeu d'Ouvrages au Théâtre qui ſoient plus
médiocres que Médée ; non-feulement Jaſon
n'intéreſſe point , mais encore il eſt odieux
&mépriſable. Le Roi Créon n'est qu'un inconféquent
, qui marche de ſottiſes en ſottifes
, & qui ſe précipite de la manière la plus
déraiſonnable dans le gouffre de maux que
Médéeprépare tantàlui qu'àſa filleCreüſe. Le
caractère de cette jeune Princeſſe eſt d'une
foibleſſe , & même d'une langueur fi abfolue
, qu'ilcommunique à l'action , déjà froide
*Commentaires ſur Corneille , Préface de Médée.
136 MERCURE
par elle-même , une partie de ſa trifteffe paffive.
Le moment où Médée , entrainée par
le ſentiment toujours imperieux de l'amour
maternel , héſite à poignarder ſes enfans , eſt
le feul véritablement attachant ; il inſpire
tour-à-tour la terreur & la pitié ; cependant
cette ſituationperd une partie de ſon mérite
quand on confidère avec attention la baſe ſur
laquelle elle eſt établie. Pourquoi la Médée
de Longepierre veut-elle égorger ſes fils ? Pour
les ſouſtraire à l'eſclavage , au malheur de
ramper dans la Cour de Créon*. Ce motif eft
tout-à-fait condamnable ; car la puiffance de
Médée peut tout auſſi facilement enlever ſes
fils à la haine de Créon, ou de ſes ſucceſſeurs
au Trône , qu'elle lui eſt utile à elle-même
pour échapper à la fureurde Jaſon. Pour que
Médée, malgré ſon parricide , fût encore intéreſſante
, il falloit que l'Auteur , après avoir
place ſes enfans dans une pofition affreuſe ,
irrémédiable , l'eût réduite à envifager la
mort de ſes fils infortunés comme un crime
horrible , mais néceffaire; & H ne fauroit
l'être à Médée , mère tendre , fenfible , & entourée
de routes les reſſources de l'art ima-
* Vous vous confumerez dans un vil eſclavage ,
Effuyant chaque jour quelque nouvel outrage :
Quel fort! ... Ah! cetre idée irrite ma douleur ,
Et l'amour maternel redouble ma fureur.
Pour les fils du Soleil quel indigne partage !
Acte quatrième , Scèneseptième.
DE FRANCE.
137
gique. Ainſi , dans la ſituation où Médée eſt
placée par Longepierre, elle eſt plus odieuſe
encore comme Magicienne , qu'elle ne le
feroit comme une femme ordinaire , une
femme bornée à l'unique & atroce fatisfaction
d'une vengeance dont frémit la Nature. Une
grande partie de ces réflexions a été imprimée
il y a long-temps ,&n'appartient point
à l'Auteur de cet Article. On les remet ſous
les yeux du Public,parce qu'elles font dic
tées par le goût , & qu'elles peuvent fervir à
combattre d'autres réflexions beaucoup plus
modernes , qui nous paroiffent plus brillantes
que juftes , plus ſpirituelles que raifonnables.
Si tout ce qu'on vient de lire eft fondé ſur
les convenances& fur la vérité , on ſe convaincra
fans peine que plus la Tragédie de
Longepierre eſt médiocre , plus le rôle de
Médée eft équivoque , & plus on devra d'éloges
à l'Actrice qui aura ſu peindre & manier
habilement toutes les paffions qui déchirent
le coeur de cette Magicienne ; qui aura ſu la
faire patler , avec intérêt , de l'amour à la jaloufie
, de la jalouſie à la fureur , de la fureur
à la feinte , de la feinte au projet d'une affreuſe
vengeance , de ce projet aux remords ,
enfin des remords au crime , & au crime le
plus abominable ; c'eſt ce que vient de faire
Mlle Raucourt, à la repriſe de la Tragédie de
Médée , le 3 de ce mois. A l'exception de
quelques détails un peu négligés , elle a rendu
ce rôle très- difficile avec une grande ſupériorité.
La majesté de la taille , la beauté no
138 MERCURE
blede ſa figure , la vérité de ſon coftume ,
l'intelligence de fon jeu , tour-à-tour réfléchi
&paflionné , tout s'eſt réuni pour lui concilier
les fuffrages des véritables connoiffeurs ,
les ſeuls qui puiffent honorer, les ſeuls enfin
qui puiffent établir invariablement la réputation
d'une Comédienne.
Nous avons déjà remarqué que les intrigues
de nos Comédies modernes étoient , la
plupart du temps , fondées ſur de petits faits
qui auroient à peine fourni aux Auteurs du
fiècle dernier ou du commencement de ce
lui-ci , la matière d'un incident. La première
repréſentation des Coquettes Rivales , qui a
été donnée le Lundi 6 de ce mois , nous force
àréitérer cette obſervation. Cette Comédie ,
en cinq Actes & en vers , eſt très-peu de
choſe par le fond; mais les détails en font
très-nombreux. Il eſt vrai qu'ils font quelquefois
brillans d'eſprit, mais auſſi ſont-ils trèsrarement
comiques , & bien ſouvent froids
ou déplacés. Nous ne nous étendrons pas fur
l'action des Coquettes Rivales , dont voici
peu-près la fable.
Deux Coquettes ont publié quelques couplets
ſatyriques contre une femme nommée
Mélife. Cette Méliſe eſt aimée du Marquis
de Champfleur , qui ſe propoſe de la venger ,
enfaiſant la cour aux Coquettes , en obtenant
d'elles l'aveu vrai ou fauxde leurs tendreſſes ,
en ſe faiſant accorder des preuves de leurs
DE FRANCE.
139
bontés pour lui , en écartant d'elles les amans
qui les entourent , enfin en les abandonnant
lui-même. Il n'y réuffit qu'à moitié , car une
d'elles , dont l'eſprit a égaré le coeur , & qui
a conſervé quelques bonnes qualités , eſt aimée
d'un M. Clairfonds , perſonnage grave
& indulgent, qui croit à ſes remords , &qui
l'épouſe à la fin de la Pièce.
Des vers heureux; de la facilité, de la grâce ,
plus ſouvent de la diffuſion dans le ſtyle; des
fituations hafardées; des moeurs légèrement
obſervées , jamais approfondies ; une intrigue
lente & noyée dans des détails inutiles ; un
dialogue quelquefois piquant , preſque tou
jours vague , & un défaut abfolu d'intérêt :
tels font en peu de mots les vices & le mérite
de la Comedie des Coquettes Rivales , que
l'Auteur , dit- on , a retirée du Théâtre le lendemain
de ſa première repréſentation.
COMÉDIE ITALIENNE.
Lorsque nous avons rendu compte en 1783
de la première repréſentation de Céphiſe ,
nous avons obfervé que l'action de cette Comédie
ne pouvoit fournir à l'étendue de deux
Actes , mais qu'elle avoit été jugée trop rigoureuſement.
L'Auteur alors retira modeftement
ſa Pièce. Après l'avoir réduite en
un Acte , il l'a fait repréſenter , avec ſuccès ,
fur quelques Théâtres de Province , & s'eſt
enfin déterminé à la faire reparoître fur le
140
MERCURE
Theâtre de la Comédie Italienne. On l'a remite
, pour la première fois , le Mardi 31
Janvier,&. lle a été vue avec plaifir.
Céphiſe eſt une veuve jeune , aimable ,
fpirituelle; mais elle a la manie du bel-efprit
;& cette manie , qu'elle porte très-loin ,
change inſenſiblement fon caractère , & nuit
à ſa réputation. Elle eſt aimée d'un M. Sodange
qu'elle aime aufli , mais dont le caractère
noble , franc & auſtère bleſſe quelquefois
fon amour-propre; en conféquence elle rompt
avec lui à la fuite d'une converſation trèsvive.
Un Chevalier de Roſemont , un fat , un
étourdi qui parlede tout ſans ſavoir rien , fait
fa cour àCéphiſe ,& en eſt bien reçu , même
écouté; mais bientôt il s'explique avec tant
de légèreté & d'indécence , qu'il ſe fait connoître
tout entier, & que Céphiſe commence
à regretter Solange , que d'ailleurs elle n'a
jamais ceffé d'aimer. Une lettre du Baron ,
père de Céphiſe , dans laquelle il ſuppoſe le
projet de l'abandonner ſeule à ſes goûts, &
d'accompagner Solange dans ſa retraite ,
rappelle fon coeur à la vérite& à la nature :
elle pleure , ſe defeſpère; mais Solange& le
Baron fe montrent; tout s'oublie , & Solange
reçoit la main de Céphife.
Onpourroit retrancher de cette Pièce quelquesdétails
àpeu-près inutiles , & qui retardent
la marche de l'action ; l'intérêt & la
gaieté y gagneroient. Il feroit aufli à defirer
que le projet du départ ſuppoſé de Solange
&du Baron, ne fût pas fi elairement énoncé ;
DEFRANCE. 147
le dénouement ſeroit moins prévu & plus
fatisfaiſant. Au reſte , l'Ouvrage eſt agréable;,
le dialogue a de la préciſion& de la rapidité ,
&onydiftingue pluſieurs ſituations vraiment
comiques. Le ton du ſtyle est bon , facile &
clair : c'eſt celui de la bonne coinpagnie. La
Pièce eſt très bien repréſentée. M. Reymond
joue d'une façon piquante le rôle du Chevalier
de Rofemont ; Mme Reymond répand
du comique & de l'intérêt dans le rôle de
Rofine; M. Granger joue avec nobleffe &
ſenſibilité celui de Solange , &Mme Verteuil.
montre autant d'eſprit que de grâces & de
talent dans le perſonnage de Céphiſe , rôle,
vraiment difficile , & qui paroit fort aifé, tant
Mme Verteuil a ſu lui donner une phyſionomie
intéreſſante & naturelle.
ANNONCES ET NOTICES.
LAdix feptième Livraiſon de l'Encyclopedie , fera
miſe en vente Lundi prochain , 20 du courant. Cette
Livraiſon estcompoſée du Tome deuxième , première
Partie de la Marine , & du Tome sixième des
Planches. Le Prix de cette Livraiſon eſt de 35 liv. en
fcuilles , & 36 liv. 10 fols brochée.
Le cinquième volume des Planches , contenantla
ſuitede la première Partie des Arts & Métiers Méchaniques,
ne pouvant paroître que dans un an, on
acru devoir publier ce ſixième volume de Planches ,
relatif aux deux volumes de la treiziène. Livraiſon ,
quicomprennent la Partie des Manufactures , Arts &
142
MERCURE
Métiers qui emploient dans leurs fabriques le chanvre,
le lin, la laine, le poil, la foie : ces Arts forment
la ſeconde diviſion du Dictionnaire des Arts
Méchaniques , ainſi que nous l'avons annoncé dans
laPréface qui eſt à la tête du Tome premier de Dif
cours des Arts & Métiers.
La Souſcription de l'Encyclopédie ſera fermée
pour toujours & irrévocablement à la fin de Mai
prochain ; & à cette époque , chaque volume de
Diſcours ſera de 12 liv. , &chaque volumede Planches
de 30 liv.
L'AMI de l'Adolescence , par M. Berquin';
huitième volume.
Les quatre derniers volumes de cet intéreſſantOuvrage
paroîtront ſucceſſivement de mois en mois. Le
prixde l'Abonnement eſt de 131. 4 f. pour Paris, &
de 16 liv. 4 f. pour la Province , franc de port par la
poſte. S'adreſſer à M. Leprince , Directeur , au
Bureau de l'Ami des Enfans, rue de l'Univerſité ,
àParis , Nº. 28 .
A MON FILS , par M. Dufriche de Valaze.
Brochure in- 8°. de 109 pages. A Alençon , chez
J. Z. Malaſſis le jeune , Imprimeur , place du Cours ;
& à Paris , chez Mérigot le jeune , Libraire , quai
desAuguſtins
Nous reviendrons ſur cette Brochure .
FIGURES de l'Histoire de France , quatorzième
Livraiſon , gravées d'après les deſſins& fous ladirection
de M. Moreau le jeune , Deſſinateur &
Graveur du Cabinet du Roi & de fon Académie
Royale de Peinture& SSccuullppttuurre. AParis , chez l'Auteur
, rue du Coq S. Honoré.
Le Public & les Amateurs voyent avec grand
plaiſur un Ouvrage auſſi intéreſſant pour la Nation
fc continuer fans interruption & avec les mêmes
DE FRANCE.
143
Coins & la même célérité de la part de l'Auteur. Ses
compoſitions , toutes variées& foumiſes au coſtume
leplus exact , tant pour les habits que pour le ſtyle
des bâtimens du temps où chaque ſiène ſe paſſe ,
rendront toujours cette Collection très- précieuſe.
Les Graveurs ſecondent parfaitement bien l'Auteur
des deſſins & le Continuateur de cette entrepriſe,
Cette Livraiſon eſt compoſée de 12 Eftampes ,
Lavoir: Soins de S. Louis pour l'administration de
La Justice; sa mort ; entrepriſes du Sacerdoce fur
l'Empire; Vêpres Siciliennes ; duel célèbre proposé
par le Roi d'Arragon; prife du Prince de Salerne ;
altération des monnoies; premiers Etats Généraux
tenus en 1302 ; le Parlement rendu sédentaire à
Paris;abolition de l'Ordre des Templiers ; défordre
de la Famille Royale ; Procès criminel d'Enguerrand
deMarigny. Cette Livraiſon eſt , comme
les précédentes . du prix de 12 liv.
PORTRAIT de François-Réné Molé , Comédien
François , Penſionnaire du Roi , & Prof ffeur à l'Ecole
Royale de Chant , de Danſe & de Déclamation .
Ce Portrait , vu de face &de format grand in 4°.
eſt gravé par Augustin de Saint Aubin , d'après le
tableau original de feu M. Aubry , Peintre du Roi,
Il ſe vend à Paris , chez l'Auteur , rue des Prouvaires,
Nº. 54. Prix , 3 lix. 1
CePortrait doit exciter l'empreſſeinent du Public
par la beautédu burin , leméritedela reffemblance ,
&les talens rares de l'original ,
PLUSIEURS nouvelles Cartes Géographiques &
Généalogiques , à Paris , chez M. Perrier , Géographedu
Roi , à l'hôtel de Soubiſe.
Il s'ytrouve entre- autres unTableau de la Maiſon
Royale de France, avec les affinités on conſanguin
nités en ligues maſculines & féminines.
144
MERCURE
JOURNAL de Violon, dédiéaux Amateurs, contenane
des Airs de Panurge, d'Hayden & de Cambini , pour
deux Violons ou deux Violoncelles. Numéros 1 & 2 ;
ſéparement , prix , 2 liv.; abonnement , 15 liv. & 18
liv. A Paris , chez M. Borner l'aîné , Profeſſeur de
Muſique & de Violon , rue Tiquetonne , nº 10.
Ce Journal, faitavec ſoin & d'un joli choix d'airs ,
paroît depuis 1784 , & ſe continue avec exactitude
&avec ſuccès.
DEUXIEME Livre de trois duos pourdeux harpes,
accompagnement de Violon au défaut de la deuxièmé
partie; par M. L. C. Ragué , OEuvre 7. Prix, 9 liv.
AParis, chez Coufineau , père & fils , Luthiers de la
Reine , rue des Poulics.
Ces Duos , qui ne ſont pas moins agréables que
les autres Ouvrages du même Auteur peuvent
auſſi s'exécuter ſur le Clavecin , &c.
,
TABLE.
QUATRAIN fur Mgr. le' Etrennes Lyriques , тов
Comtede Vergennes , 97 Projetdu Nobiliairede la Fau
-Adieux àMme.G*** 98 teGuienne, 113
Couplets Anacreontiques , ib. Leure au Rédacteur duMer-
L'Apothiofedu Chev. d'Affas , cure ,
101 Comédie Françoise ,
Charade, Enigme& Loxogry Comédie Italienne.
phe. 107 Annonces&Notices ,
APPROΒΑΤΙΟ Ν.
118
135
139
141
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 18 Février 1786. Je n'y
ai rien trouvé qui puifle en empêchet l'impreffion. A
Paris , le zy Février 1986. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLE S.
ALLEMAGNE.
DEHAMBOURG , le 5 Février.
Ide
L eſt entré l'année derniere dans le port
Stettin 1123 bâtimens ,&il en eft forti
1228. En 1784 on compta 1160 navires
entrés dans le même port, & 1209 qui en
fortirent.
Il s'eſt élevé en Pologne des conteſtations
très- ſérieuſes entre les Diſſidens des deux
Communions Luthérienne & Réformée ;
ainſi qu'entre les Bourgeois & les Gentilfhommes
de la premiere de ces Croyances ,
au ſujet des Elections ſynodales , dont la
Nobleffe Proteftante voudroit écarter la
Bourgeoisie . Cette prétention aristocratique
a généralement indigné les roturiers : ils
ont préſenté des Manifeſtes au Conſeil permanent
: laRuffie, comme garanteduTraité
de 1768 eft intervenue , & d'après une note
remiſe par fon Ambaſſadeur au Roi & au
N°. 7 , 18 Février 1786. e
Conſeil permanent , on a publié l'Univerſal
ſuivant :
STANISLAS AUGUSTE , &c. &c.
Faiſons ſavoir àtous ceux à qui il appartiendra
, qu'étant parvenu à notre connoiſſance & à
celle de notre Conſeil permanent , que les habitans
& bourgeois de la Confeſſion d'Ausbourg ,
établisdans notre ville de Warſovie , ont commencé
de nouveau une conteſtation fur des objetspurement
Eccléſiaſtiques , & qu'ils ont porté
ces objets devant des Tribunaux civils; Nous, pour
prévenir toutes les diſſenſions parmi les habizans
, ordonnons , de l'avis dudit Confeil , que le
§. 5 de l'article 2 du Traité de 1768 fera obſervé
ſtrictement , & qu'en conféquence , toutes
les affaires de doctrine , d'or're , de difcipline ,
de rits , de conduite des Prédicateurs , de diſpenfes&
de divorces ſeront portées devant les Synedes,
& les confiftoires des diffidens & décidées
par cesTribunaux Eccléſiaſtiques , à l'excluſion
de tout autre Tribunal civil ; Nous voulons que
tous les membres des Communions de la Confeffion
d'Ausbourg , le conforment pour les fufdits
cas aux Loix ſynodales de cette Confeffion ,
&nous enjoignons à tous les Tribunaux civils , de
zenvoyer à la Jurifdi&ion Eccléſiaſtique toutes
les fufdites affaires , & cela conformément à la
conftitution de 1784 , qui n'accorde à nos Tribunaux
affefforiaux que la connoiffance des affaires
pécuniaires&d'impoſitions. Nous enjoignons, de
L'avisde notre dit Conſeil , aux habitans & bourgeois
de la Confeffion d'Ausbourg , établis en
cette ville, de ſe conformer au Traité de 1768 ,
& à la Conſtitution de 1784,de ſe ſoumettre pour
les ſuſdits cas à leur Jurisdiction Eccléſiaſtique ,
de ne s'arroger aucuns droits qui ne competent
( وو (
pas au Tiers -Erat , & de ſe contenter des privilegesqui
avoient été accordés aux bourgeois Diffidens
parle ſuſdit Traité. Les contrevenans feront
punis comme rebelles aux Loix , & comme perturbateurs
du repos public .
Donné à Varſovie le 3 Janvier 1786 .
Vraiſemblablement cette affaire ſera portée
à la prochaine Diete. En attendant , les
Bourgeois continuent à s'oppoſer avec vi.
gueur au deſpotiſme de la Nobleſſe .
Extrait d'une Lettre particuliere de Berlin ,
du 2 Janvier.
L'on a ſçu par les dernieres nouvelles de
Berlin , que le Roi a fait depuis peu pratiquer
Tousles planchers de ſes appartemensà Potsdam ,
des tuyaux dans leſquels on entretient continuellement
de l'eau échauffée , au point de maintenir
l'air deſdits appartemens dans une temperature
toujours uniforme & moyenne. Ce Monarque ſe
trouvant depuis quelques ſemaines en meilleure
ſanté que ci-devant , commence à donner plus
de croyance qu'il n'avoit coutume de faire aux
avis des Médecins . Ceux - ci attribuoient les violentes
attaques de goute auxquelles S. M. étoit
ſujette dans cette ſaiſon , aux fréquens voyages
qu'Elle faiſoit à Berlin , & aux occupations
inconſidérées qu'Elle s'y permettoit , vifitant ſans
précaution & pendant les temps les plus rudes
jes Places d'armes , les Arſénaux , les Manufactures
, &c. Ils ajoutoient que ſi S. M. vouloit
ſe réſoudre à reſter à Potsdam pendant les hivers
& s'y tenir bien chaudement dans les appartemens
qu'Elle y occupe , ils oſoient lui promettre
encore dix années & même plus de vie.
Tous les hommes y font naturellement attachés,
à plus forte raiſon un Monarque puiſſant
C2
( 100 )
&heureux. La promeſſe des Médecins fit fon
effet, le Roi les ccrruutt, & il paroît s'en bien
frouverce.
, que
>>>Telle eſt la ſeule & unique cauſe du ſéjour
conflant que S. M. fera à Potsdam pendant
cet hiver. Ainſi ce qui a été dit que le bruit de
ceste retraite n'étoit qu'une feinte pour cacher
une viſite que S. M. avoit deſſein de faire dans
le plus grand incognito , à l'un des Princes les plus
puiſſans de l'Allemagne , paroît abſolument controuvé.
Il est très-certain au contraire
sotre Auguſte Souverain ne quittera point juſqu'au
printems le Palais où il eſt actuellement ,
& c'eſt delà qu'il continuera d'avoir les yeux
fixés fur tous les mouvemens de l'Empereur.
C'eſt delà que , conjointement avec S. M. Britannique
, il reglera tout ce qui peut conduire
ultérieurement à affermir la conſtitution de l'Empire
Germanique , ſes libettés & les intérêts des
Proteftants. Ce vigilant Monarquene s'eſt déterminé
que dans cette vue aux grandes dépenſes
qu'il vient de faire pour l'augmentation de ſes
troupes , par la levée de pluſieurs Régimens
Suiſſes , qui feront repart's dans les quartiers de
Cranenbourg , Crevell, ſur les frontieres de la
Hollande. En politique fin & ruſé qui a ſes
vues cachées dans tout , iladonné à ſon Départementde
la guerre , les ordres les plus précis
de payer ces Suiſſes plus largement , & de les
traiter en tout beaucoup mieux que ne le ſont
Ceux au ſervice Hollandois a .
1
DE BERLIN, le 4 Février.
Le 27 Janvier, le Duc de Saxe-Weymar
prit congé de la Reine & de la Famille
( 101 )
Royale , & fe rendit à Potzdam, doù il a
repris la route de ſes Etats.
Le même jour , le Général de Ziethen ,
Général de Cavalerie , Chefdu Régiment de
fon nom, & Chevalier de l'Ordre de l'Aigle-
Noir , eſt mort ici dans la 87e. année de fon
âge. Il étoit entré au ſervice militaire en
1715 , & fit toutes les campagnes du Roi
avec la plus grande distinction. Il emporte
les regrets de fon Souverain , qui l'eſtimoit ,
de la Famille Royale & de tout le Militaire.
On ecrit de la Siléfie , que la Princeſſe
d'Anhalt Coëthen , épouse du Prince regnan:
de Carolath , eſt morte , âgée de 58
ans .
La foie recueillie l'Eté dernier dans les
Etats du Roi n'a monté qu'à 6,723 livres
pefant ; on avoit obtenu 13,432 dans
l'Eté de 1984. Il faut attribner cette grande
diminution tant au froid du dernier hyver ,
qui a détruit pluſieurs milliers de muriers ,
qu'aux pluies continuelles pendant les mois
de Juin &deJuillet....
DE VIENNE , les Février.
Deux Edits récens ont occupé l'attention
publique. Le premier , en date da 12 Janvier
, fixe de la maniere ſuivante la valeur
des monnoies d'or dans les Etats de l'Empereur.
Du premier Février 1786 : Le ducat Impérial
vaudra 4 10. 30 k,; le fouverain d'or 13 11. 20 k
e3
( 102 )
še ducat de Kremnitz 4 A. 30 k. 2) j ſqu'à la fin
de cette année . Le zecchino de Milan 4 fl . 22 k.;
adoppiade Milan 7 fl. 12 k.; le gigliato Florenin
4 fl. 22. k .; le zecchino Vénitien 4 fl . 22 k.;
le ducat Palatin-Baviere & de Saltzbourg 4 fl . 20 ;
leducatde Hollande & autre ord. 4 fl 18 k.; les
Jouis neufs de 1726-1784 9 ft. 12 k.; les louis de
1785 8 fl . 37 k.
Letdites eſpeces étrangeres , après avoir été
miſes hors decours avec l'année 1786 , feront regardées
commé marchandise , d'après le tarif
fuivant:
Le zecchino de Milan 4 fl . 26 k. 2 d.; la doppiade
Milan 7 1. 19 k. 2 d.; le gigliato Florentin
4 fl . 26 k. 2 d.; le zecchino Vénitien 4 fl . 26 k.
2.d.; le ducatdeBaviere & Saltzbourg 4 fl . 24 k ; le
ducat de Hollande & autre ord. 4 fl . 23 k.; les
louis neufs de 1726-1784 9 fl . 22 k.; les louis
neufs de 1785 8 fl 47 k. Les derniersdoivent renfermer
la valeur & peſer deux ducats onze grains.
Le ſecond Edit , du 9 Janvier, a pour
objet les jeux de haſard ; en voici la teneur :
JOSEPH , par la grace de Dieu , &c. &c. &c.
ART. I. Les Edits émanés ci -devant fur cette
matiere , & nonmmémentcelui du 29 Novembre
1745 , qui ſera réimprimé & republié à la ſuite
du préſent Edit , refieront dans toute leur force
&vigueur , pour autant qu'il n'y aura pas été innové
par celui-ci.
II. Nous interdiſons en conféquence de nouveau
àtoutes perſonnes , de quelque état ou condition
qu'elles ſoient , de jouer ſoit en public ou
enparticulier aux jeux de hafard , tels que Pharaon
, Bafferte , Dez , Paſſe- dix , Lanſquenet ,
Quinze ou Quindeci , Trente & Quarante, Ranfchen,
Farbelen , Strafchack-fincere , Brenten ,
1
( 103 )
Molina , Walacho , Maceao , Moitié-Douze , ou
Mezzoduodeci , Vingt- un& tous autresjeux ſemblables
, ſous quelque nom que la manie du jeu
puiſſe les avoir inventés , ou pourroit les inventer
encore pour éluder la loi .
III Les tranfgreffeurs de cette loi , tant les
joueurs eux- mêmes , que ceux dans les maiſons
deſquels on aura joué , ſeront pun's en particu
lier , & pour chaque contravention d'une amende
de 300 ducats , dont un tiers ſera à notre profit ,
un autre tiers au profit de l'Officier exploiteur ,&
letiers reſtant au profit du dénonciateur , dont le
nom fera tenu ſecret , & qui , s'il eft du nombre
des joueurs , ou de ceux chez qui on aura joué
ſera en outre exempté de toute peine.
IV. Nous ordonnons tant à nos Conſeillers Fif
caux , qu'à tous autres Officiers de Juſtice , de
veiller ſoigneuſementdans leurs reſſorts reſpectifs
à la conſervation du préſent Edit , & déclarors
que nos Confeillers Fiſcaux pourrontagir contre
les contrevenans par prévention avec les autres
Officiersde Juſtice .
L. A. R. Madame l'Archiducheſſe , Marie
-Chriſtine , Gouvernante des Pays Bas
Autrichiens , ſon époux le Duc de Saxe-
Teſchen, & les Généraux de Seckendorf &
de Kempele qui les accompagnoient , ont
couru le plus grand danger dans leur voyage
ici . Près de Vilshofen en Baviere , leur
voiture traverſoit une chauſſée étroite , légerement
convexe , & rendue gliffante par
la gelée. Les roues s'écarterent ſuivant Finclinaiſon
de cette eſpece de digue , élevée
de 12 pieds au-deſſus de la ſurface d'un étang
très profond : à l'inſtant où les poſtillons
e 4
( 104 )
1
,
s'apperçurent du danger ils fouetterent
les chevaux pour les pouſſer en avant ;
mais la fecoaſſe n'en devint que plus violente
, & le carroſſe fut renverſé dans l'étang
, qui heureuſement ſe trouvoit gelé. La
glace réfifta; L. A. R. fortirent de la voiture
ſans être ni bleſſées , ni meurtries ; le
ſeul Général de Kempele reçut quelques
contufions. Quelques minutes après la retraire
des voyageurs , la glace ſe rompit.
LeTraité de commerce entre notre Cour
& celle de Pétersbourg , ratifié de part &
d'autre le 12 Novembre dernier , vient d'être
rendu public dans une Patente de l'Empereur:
les articles doivent dès-à-préſent fervirde
regle au commerce réciproque des
deux nations. Voici la teneur de ces articles .
Nous JOSEPH II . &c . &c .
ART. I. Notre volonté eſt que dans tous nos
pays héréditaires il foit accordé toute l'aſſiſtance
&les fecours poſſibles àtous les ſinjets de l'Empire
de Ruffie , à l'égard de tout ce qui peurcontribuer
à favorifer & augmenter leur commerce.
II. En conformité des principes de tolérance
univerſelle , introduite & établie dans nos Etats
béréditaires , leflies ſujets Ruſſes jouiront d'une
entiere&parfaite liber é de confcience , & pour
ront profeffer & exercer librement leur religion ,
foit dans leurs propres inaitons , foit dans les
ba imens ou Egliſes , que Nous leur accorderons à
cet effet& que Nous deſtinerons à cet uſage , &
ce , ſans pouvoir être en aucune maniere genés,
troublés , ni empêchés à cet égard.
III. Nous accordons de meine à tous les ſujets
( 105 )
de S. M. l'Impératrice de Ruſſie , les mêmes
droits,avantages & libertés dont jouiffent les nations
Européennes les plus favoriſces dans nos
Etats héréditaires. En conséquence nous voulons
que les ſuſdits ſujets jouiffent& profitentde tous
les avantages qui peuvent contribuer à l'augmentation&
l'extenfionde leur commerce; bien entendu
cependant qu'à l'exception de tous ces
droits , libertés & privileges , en tant qu'ils leur
fontexpreffément& nommément accordés par ce
qui fuit, dans toutes les autres parcies , concornant
leur négoce & commerce , ils ſe conformeront&
feront foumis au tarifgénéral des droits
établisdans nos ſuſdits pays héréditaires , & à
toutes les ordonnances & loix promulguées à cet
égard.
IV. Nous conſentons que dans toutes les villes,
havres & ports de nos pays héréditaires
où le commerce& la navigation ſont permiles; ils
puiſſent ſans aucun empéchement tranſporter ,
faire tranſporter , par mer & par terre , acheter &
vendre toutes eſpeces de marchantiſes , dont l'importation,
la conſommation intérieure , & l'exportation
n'ont été ſoumiſes à aucune prohibi
zion , obfervant toutefois , qu'ils en payeront tous
les mêmes droits & péages , ordonnés par les ta
rifs actuels & futurs.
V. Pourfavoriſer encore davantage le commercedes
ſujets Ruſſes , nous ordonnons & voulons ,
qu'à l'avenir il ne ſoit payé pour les cuirs Ruffrens
, connus ſous le nom de cuirs de roufſi , ſoit
qu'ils ſoient importés par quelques-uns de nos
fujets , ou pardes Ruſſes , que 6 fl . 40 kreutzers ,
dedroits d'entrée par quintal , qui fait environ
137 livres de Ruffie. Mais tous ceux qui voudrone.
profiter &prendre part , à cette diminution de
droit& avantage de payement pour les cuirs de
:
( 106 )
:
: ,
rouli , feront tenus de prowver chaque fois parutt
certificat , enbonne forme , du Magiſtrat du lieu
oudu bureau de Dowane, d'où proviennent& ou
auront été fabriqués leſdits cuirs , qu'ils appartiennent
véritablement à des propriétaires des
pays héréditaires , ou Ruffiens , & qu'ils feront
immédiatement expédiés pour leur compte de la
Ruffie dans les pays héréditaires. A l'égard des
Pays-Bas Autrichiens, ou tous autres endroits ,
dans lesquels on payeroit actuellement un meindre
droit pour ces fortes de cuirs , on continuera
de s'en tenir au tarif actuel du droit à
payer.
La Suite à l'Ordinaire prochain.
Le 22 Décembre on apporta à Semlin
deux citrons d'une groſſeur extraordinaire ,
envoiés à l'Empereur par ſon Miniftre à
Conſtantinople. Le plus gros de ces citrons
peſe 3 liv: & 12 onces.
La ſalle de ſpectacle de Brinn vient d'être
entierement confumée , mais on ignore encore
les circonstances de cet incendie. 1
Juſqu'à préſent les contributions du Royaume
deHongrie n'étoient affectées qu'aux terres roturieres
, & faifoient un objet annuel de quatre
millions de florins. Les terres de la Nobleſſe ne
payoient rien ; & c'eſt à cette circonſtance qu'il
faut attribuer les droits conſidérables auxquels
les marchandifes de Hongrie fout aſſujetties à
leur entrée dans l'Autriche. On s'occupe actuellement
d'un projet d'impoſition des terres apparrenantes
à la Nobleſſe ,& on aſſure qu'elles feront
taxées à huit millionsde florins paran, &quepour
cet objet toutes les marchandises du crû de ce
Royaume pourront entrer librement dans les autres,
( 107 )
Etats héréditaires. Si ce projet eſt adopté , les
revenus publics de Hongrie monteront à la fomme
annuelle de treize millions de florins &demi,
favoir , taxe des terres roturieres , quatre ; celles
des terres de la Nobleffe , huit; revenus du filc ,
un ; & droits de douane du côté des Provinces
Ottomanes , 500'000 florins.
La Tranſylvanie & la Croatie ,dont le revenu
public monte à près de trois millions de Horins par
an , ne font pas compris dans cette répartition .
DE FRANCFORT , le 10 Février.
Le 19 Janvier , le Roi de Pruſſe reçut a
Potzdam le Duc de Saxe-Weymar accompagné
du Prince Frédéric de Brunswick , &
conféra au premier l'Ordre de l'Aigle-Noir.
Les fêtes pour l'Anniverſaire de S. M. &
du Prince Henri , ont été célébrées comme
à l'ordinaire.
Dernierement M. de Bentivegni , Capítaine
au régiment Prufſien de Kroclau , pria
S. M. de préſenter au Baptême l'un de ſes
enfans; le Roi donna au nouveau - né les
noms de Frédéric-Antoine , & écrivit au pere
le billet ſuivant :
A mon Capitaine de Bensivegni , du Régiment de
Kroclau.
>> Je me félicitede la naiſſance de votre fils ,
parce qu'elle me procure l'occaſion de vous être
utile. Les premieres graces que vous me demanderez
pour lui, vous feront accordées . Je veux bien'
en êtrele Parrain;&la conſervation de ſa ſanté ,
&ſa bonne éducationme feront dans tous lestems
еб
( 108
beaucoup de plaifir. Je prie Dieu qu'il vous conſerve
en ſa ſainte garde «.
Portzdam le 31 Octobre 17
FREDERIC.
On a calculé qu'il ſe trouve actuellement
80 Princes d'Allemagne au ſervice de différentes
Puiſſances ; favoir, 33 au ſervice de
l'Empereur ; 7 à celui de Ruflie; ir à celui
de France ; 9 en Pruſſe; 8 en Danemarck &
12 en Hollande.
Le Landgrave de Heſſe-Caffel continue
ſes utiles réformes. On a congédié de Caffel
ſans exception tous les aventuriers Français
& Iraliens , les Comédiens , les Virtuoſes ,
les Baladins , l'Orcheſtre , la Comédie , les
Ballets , l'Opéra- Comique ; la Salle de ſpecracle
eft convertie en place d'armes. Par ces
retranchemens , le Landgrave s'eft facilité la
réduction déja effectuée des impôts ,& l'augmentation
des forces militaires de ſes Etats ,
qui , dit on , ne tarderont pas à former une
armée de 25 mille hommes des meilleures
troupes de l'Allemagne.
Les fabriques d'Oſterode , dans l'Electorat
dHanovre, occupent 200 métiers & près
de2000 perſonnes. Les principales marchandiſes
qu'elles fourniſſent ſont des camelots ,
ferges , flanelles , toiles de coton , bonneterie
, &c. La plupart de ces marchandifes ,
qui montent par an à environ 130,000 rixd.
font envolées à J'Etranger. Leur principal
débit ſe fait aux foires de Francfort & de
Brunswick.
L'Auteur d'un nouveau Traité ſur la
( 109 )
grandeur & fur la population des Etats de
Europe , prelente dans cet ouvrage l'état
fuivant qui nous ſemble approcher beaucoup
de l'exactitude.
Le Portugal • •
L'E pagne .
LaFrance
Surface enmilles
Population. carrès.
1,800,000 ames
. 10,000,000
25,000,000
1,715
• 9,277-
t
L'Italie & fes Iſles 16,00০,০০০
10,000
5,472
La Suiſſe 1,840,000 • . 956
La Grande-Beragne
& l'Irlande 12,000,000 6,179
→ Les Provinces-
Unies 2,360,000 525
LaRuſſie d'Europe 20,500,000 74,686
L'Allemagne 27,401,579 12,796
Le Danemarck &
Etats en Ecrope
• 2,200,000 •
La Suede
2,700,000 ,

11,676
12,967
La Pologne & la
Lithuanie
9,000,000 • • 10,050
La Turquie d'Europe
• 7.00 000 . 11,410
La Pruffe
1,500,000 . 1,393
La Hongrie & la
Tranſylvanie
La Gallicie & la
• 5,500,000 4.408
Lodomerie • 2800,000 1,280
Total ... 147,70179 ames. 4,17090
M. de Boehmer , Miniſtre du Roi de
Pruſſe , ayant terminé ſes conférences à
Mayence avec l'Electeur & ſes Miniſtres ,
( 110 )
eſt parti de cette Capitale pour ſe rendre à
Deux-Ponts.
Les louis d'or de 1785 & les écus de 6 1.
de France des années 1784 & 1983 ont été
mis hors de circulation dans ce même Electorat
de Mayence , & dans quelques autres
Etats voiſins.
Par un Décret récent , l'Electeur Palatin
vient de fupprimer l'Académie des Sciences
&Belles- Lettres de Munich . Peut-être ferat-
elle réunie à celle de Manheim ; en atten
dant , ſes fonds ſeront emploiés à l'établiſſement
d'un attelier de filature.
La brochure la plus temarquable qui ait paru
après celle de M. Dhom, Conſeiller privé du
Roi de Pruffe , au département des Affaires étran
geres , concernant l'échange projetté de la Baviere,
& l'union du Roi de Pruſſe avec pluſieurs
Princes de l'Allemagne , eſt celle qui porte pour
titre : Confidérations ſur l'échange des paysde l'Empire
d' Allemagne , avec une explication de l'article
XVIII du Traité de Bade. Quant à cet article , qui
d'après la déclaration de l'Impératrice de Ruſſie ,
permettoit l'échange projetté ,l'Auteur de ceMémoire
prouvè d'une manière incontestable ;

1º. Que dans les négociations de ce Traité , il
n'avoit jamais été queſtion d'un échange des pays
électoraux de Baviere contre d'autres ; mais que
l'Electeur de Baviere devoit avoir d'abord le
Royaume de Sardaigne , & enſuite les Pays-Bas ,
avec reſtitution de tous ſes autres Etats , àl'exception
du haut Palatinat ; les Pays -Bas devoient
lui être donnés par forme d'indemnité.
2°. Que l'Electeur Palatin devoit garder le
haut Palatinat.
( 1 )
-4°. Que lorſqu'on ne pouvoit pas convenir de
Findemnité à accorder à l'Electeur de Baviere , il
fût laiſſé libre à cet Electeur d'abandonner le haut
Palatinat à l'Electeur Palatin pour un équivalent
donné par la Maiſon d'Autriche dans les Pays-
Bas.
4°. Que l'Empereur & l'Empire avoient pu
confirmer le ſuſdit article; ſans porter par-là aucuneatteinte
aux pactes de famille de la Maiton
Bavaro - Palatine , parce que le haut Palatinat
n'avoit jamais été diſtrait du fidéicommis de fa
mille.
:
ESPAGNE.
DE MALAGA , le 10 Janvier.
Dans le courant de l'année derniere nous
avons vu entrer dans notre port 804 navires
de diverſes nations : 197 Eſpagnols ; 110
François , dont 4 vaiſſeaux de guerre; 25
Napolitains ; 11 Portugais: 4 Tofcans ; 178
Anglois , parmi leſquels on en a compté 17
armés en guerre ; 67 Danois ; 21 Autrichiens;
67 Suedois ; 19 Hollandois , dont
10 de guerre ; 15 Genois; 50 Vénitiens ;
24 Ragusains ; 3 galeres de Malthe; un des
Etats-Américains ; & 2 Marocains.
Dans la même année le port d'Alicante a
reçu 874 bâtimens ; ſavoir :
Trois cents quatre-vingt-dix- fept Nationaux
dont59 deguerre , 121 François ; 75 Anglois ,
parmi leſquels un vaiſſeau de guerre; 77 Holiandois
dont deux armés en guerre ; 74 Suedois ;
49 Napolitains , dont sarmés enguerre ; 6 Pora
( 112 )
rugais ; 30 Danois ; 5 galeres Maltoiſes ; 16Autrichiens
; 11 Vénitiens; 15 Ragusains ; 2Tof
cans ; 6 Genois & un corfaire d'Alger.
DE MADRID , le 24 Janvier.
Le 29 Décembre dernier , la Banque na
tionale de S. Charles a tenu fon aſſemblee
générale de 366 Actionnaires , & a pris les
arêtés ſuivans .
1°. Que la ſuſpenſion de l'article XXXIX de
la Cédule royale de création touchant les prêts à
faire aux Actionnaires fur les actions qu'ils dépoferoient
à la banque , ſoit prorogée, & que l'on
accorde à la Direction la faculté de prêter juſqu'à
la concurrencede cinq cents réaux feulement par
action ; Sa Majesté devant avoir confirmé préalablement
la fufpenfion proviſoire dudit article.
2º. Conformément à l'arrangement fait par
JaDirection avec les propriétaires des actions
déposées entre les mains das ſieurs Lecouteulx de
Paris , ces actions ſeront payées par la Banque ,
au prix de 2200 réaux par action (le dividende
actuel devant être retenu à ſon profit ) à tous
ceux qui préféreront de les vendre lors du remboursement
qu'ils auront à faire le 15 Février
prochain.
3°. L'aſſemblée non foulement a approuvé
d'une voix unanime qu'il fût afſigné au Secretaire
les mêmes appointemens qu'au Teneur gépéral
des livres , & au Caiffier général , mais elle
a chargé la Direction de ſolliciter S. M. en ſon
nom , pour qu'Elle daignât accorder à D. Benito
Briez, Secretaire actuel , auendu ſon mérite &
( 113 )
les lumières , les mêmes honneurs qu'Elle avoie
daigné accorder auxdits Teneur & Caiffier généraux.
4°. La Direction ayant propoſé que les Actionnaires
accordatient des fecours aux quatre fils
qu'a laiffés le Brigadier d'Artillerie D. Carlos le
Maur , en récompenfe des travaux que cet Officier
& fes fils avoient faits pour arrêter le plan
du canal de navigation de Guadairama , que la
Banque avoit projetté d'entrepren ire ; elle ajouta
que ! Aſſemblée générale pouvoit conſacrer à cet
objet une fomne de foixante quinze mile réaux,
répartie au taux d'un demi real par action ; ma's
Parfembite , afin de prouver combien elle étoie
ſa isfaite des travaux de cette famille , a jugé à
propos de porter la fomme à cent mille réaux.
5°. L'aſſemblée, dans la vue de faciliter le
commerce , &de mettre les Fabricans à portéé
d'acheter en leur tems les matieres premieres ,
pour les payer enſuite avec le produit de leurs
Manufactures , a adopté pour Madrid Pordre établi
à la caiffe d'eſcompte de Cadix , pour l'admiffion
des billets à ordre que la Cédule roya'e
de création avoit fixés à trois mois de terme ,
& à trois fignatures ; en conféquence ils feront
admis à fix mois d'échéance , & avec deux fignatures
ſeulement , dont l'une devra être d'un
Négociant accrédité. Bien entendu que cette dérogation
, aiinnffii que toute antre , devra être approuvée
par S. M. avant d'être miſe à exécu
tion.
6°. L'aſſemblée a arrêté , qu'afin de dédommager
laBanque des frais deBureau qu'occafionnoit
Peſtompre , on augmenteroit d'un demi poar cent
l'eſcompte de quatre & cinq pour cent que l'on a
fast juſqu'ici àMadrid & à Cadix.
( 114 )
7º. Elle a prorogé d'une voix unanime , pour
le tems de deux ans , les feurs Marquis d'Aftorga&
de Toloſa , Directeurs honoraires & triennaux
, dont l'exercice vient de finir; ſans que
pour cela l'on néglige de placer leur portrait dans
laſalled'aſſemblée , ainſi qu'il a été arrêté par la
derniere affemblée générale.
8°. Elle a nommé , à la pluralité des voix , pour
une place de Directeur des approvisionnemens ,
vacante par la démiſſion du Comte de Carrion de
Calatrava , les ſieurs Marquis de las Hormazas ,
& D. Francifco Xavier de Larumbe , afin que
Sa Majefté choiſiſſe celui des deux qu'Elle jugera
à propos.
9°. Elle a également nommé , à la pluralité
des voix , le fieur D. Juan de Pigna y Ruiz , pour
remplacer celui des deux Directeurs honoraires
que S. M. choiura pour Directeur des approvi
fionnemens.
10. La Direction ayant fini par folliciter que
l'on nommåt une commiſſon pour examiner les
livres & les comptes de la Banque , & pour juſtifier
ſes individus des calomnies répandues fur
leur compte , l'Aſſemblée s'eſt refuſée aux inf
tances réitérées des Diracteurs , & a témoigné
unanimement toute ſa ſatisfaction de leurs tra
vaux & de la proſpérité de cet établiſſement.
Pendant l'année 1785 , la Banque a fait un bénéfice
total de 16 18 centiemes pour cent , dont 7
ont été convertis enAaions de la Compagnie des
Philippines , & les 9 18 centiemes reſtans feront
payés aux Actionnaires. Les 7 pour cent formeront
un capital de vingt-un millions , que la
Banque a placés dans ladite Compagnie.En conſéquence
chaque action de la Banque adans la
Compagnie des Philippines un intérêt de 140
réaux, ce qui porte la valeur réelle de l'action à
( 115 )
1
2140 réaux , indépendamment de lavaleur ſupérieure
que peut lui donner l'opinion publique .
Les Ationnaires ont à recevoir un dividende
de 183 réaux , fans autre diminution que celle
des frais occafionnés par l'Aſſemblée générale.
La relation de cette Aſſemblée , & les dividendes
feront diſtribués , à compter du premier
Février prochain , jour pendant lequel les livres
de la Banque feront expoſés à l'examen des Actionnaires.
: Le Roi , après avoir approuvé les arrêtés cideſſus
, a nommé pour Directeur des approviſionnemens
, le Marquis de Las Hormazas . S. M. a
accordé à D. Benito Briz le titre de ſonSecretaire,
&a témoigné aux Directeurs de la Banque toute
fa fatisfaction des heureux effets de leur adminiſ
tration,
ITALI E.
DE FLORENCE , le 9 Janvier.
On a ſouvent parlé de la donation faite
au Pape par Don Amazio Lepri : cette donation
a fait naître un procès , dont la Gazette
Univerſelle de cette ville rapporte en
ces termes l'origine & les circonstances.
" Le 25 Décembre dernier , mourut fubitement
Mgr. Dom Amanzio Lepri , dans la 73e.
année de ſon âge. Im médiatement après fa mort ,
le neveu du Pape ſe tranſporta à la maiſon du défunt
avec un Notaire , pour y faire lecture d'une
donation que Mgr. avoit faite en faveur de S. S.
deux ans auparavaanntt ,, précisément le25Décembre.
Mais ayant trouvé tout fermé & ſcellé , ils
furent obligés de ſe retirer. Le lendemain la pu
( 116 )
pille & les autres parens dudéfuntyvinrent à leur
tour , accompagnés auffi d'un Notaire , qui lut en
leurpréſence un autre teſtament que leur parent
avoit fait le 25 Août de l'année derniere , entre
les mainsde cemême Notaire. Le teſtateur laiffoit
à la pupille un fidei- commis , & à fon neveu Jo
ſeph-Ambroise Lepri le droit de primogéniture ;
il léguoit également à un autre neveu , l'Abbé
Curti ,une prélature de 50 mille écus Romains ,
&le reſtede fon bien à ſa ſoeur &à ſes autres parens
par portions égales . Par lemême acte le teſta
seur annuiioit ladonation entre-vif , qu'il avoit
faire au Pape & à Dem Lovis- Braſchi ; & il prioit
Sa Sainteté d'y donner ſa rénonciation , vû qu'il
avoit été forcé à cette donation par les rufes &
tromperies de feu M. Nardini & autres perſonnes.
Il nommoit enfin pour ſes exécuteurs teſtamentaires
les Cardinaux Caſale & Borromée , qui héſiterent
long-tems de ſe charger d'une commiffion
qui devenoitd'unenature ſi délicate a.
>> Deux actes auſſi contradictoires fourniſſoient
fans doute la matiere d'un procès important . On
pourroit du moins s'y attendre entre particuliers.
Mais le Pape lui-méme devenant la partie adverſe
des pupilles que la donation dépouilloit , il y
atout lieu de croire que S. S. ne balancera pas à
y renoncer. Cependant juſqu'ici l'affaire n'eft
pointterminée; les Jurifconfultes les plus habiles
ſont partagés , & l'on paroît s'obſtiner àplaider
des deux côtés. Il s'eſt tenu à la vérité quatre
conférences particulieres à ce ſujeten préſence du
St. Pere , mais onn'y a rien décidé ,& la cauſe cit
renvoyée au 5 Mars, pour être propoſée, par devantle
tribunal dela Rote. Enattendant , comme
nous l'avons dit , l'autorité eſt venue à la traverſe
des diſcours imprudens ; & la Chambre ApoftoliqueapubliéunMonitoire
contre tous ceux , qui
( 117 )
parleroient ou qui écriroient , pour infirmer la
validité dela donation, faite par Mgr. Lepri , en
faveur du Souverain Pontife Pie VI .
DE TURIN , le 16 Janvier .
On a publié le premier de ce mois , un
tarifqui augmente la valeur des monnoies
d'or , & diminue celle des monnoies d'argent.
On regarde ici cette opération comme
intéreſſant la circulation intérieure des
eſpeces dans tous les Etats de S. M.
DE VENISE , le 14 Janvier.
Le Roi de Maroc a demandé à notre République
un bâtiment pour le Prince fon
fils , qui defirant faire levoyage de la Mecque
, s'embarquera fur ce navire àTanger ,
& ſe rendra àAlexandrie. Le Sénat a auffitôt
deſtiné le vaiſſeau la Bella Venezia avec
60 hommes d'équipage & autant de foldats.
On parle beaucoup de la ſuppreſſion des
Dominicains. Suivant des lettres de Rome,
le Pape s'occupe de cette affaire importante,
relativement à laquelle il eſt vivement follicité
par pluſieurs Cours.
DE ROME , le Is Janvier.
Les Officiers du Régiment de Calabre ,
en garniſon à Capoue , ont temoigné de la
maniere la plus éclatante leur ſatisfaction de
( 118 )
la grace qu'a fait le Roi de Naples au Général
Acton , en le décorant de l'Ordre de
S. Janvier. Ils ont donné à cette occafion ,
le premier de ce mois, un bal ſuperbe , où
toute la Nobleſſe & les perfonnes les plus
conſidérables tant de cette ville que de Caferte
ont été invitées. Le Prince Don Fabrizio
Pignatelli , Colonel de ce Corps ,
voulant que les ſoldats priffent part à l'allégreſſe
de leurs Chefs , a fait diſtribuer le même
jour à ſes frais une double paie à tout le
Régiment , que d'autres Officiers ont régalé.
GRANDE-BRETAGNE.
DE LONDRES , le 7 Février. :
Hajée Abdrahman , Envoyé du Dey de
Tripoli , a eu , le 27 du mois dernier, ſa premiere
audience du Roi , & lui a remis ſes
lettres de créance. En même temps , il a
préſenté à S. M. , de la part du Dey , un
ſuperbe cheval , richement enharnaché , &
dont les étriers ſont d'or maſlif.
Dans la ſéance des Communes du 27 Janvier ,
M. Jenkenſon demanda la permiffion de préſenter
un Bill pour régler la maniere dont l'Iſſe
de Terreneuve ſeroit approviſionnée de fleur de
farine, de ſon & de pluſieurs autres articles
venant des Etats-Unis, Ce Bill , dit-il , devoit
erre ſemblable à celui paſſé dans la derniere
ſeſſion ,& n'en différer que pour la durée qu'on
fixeroit à deux ans ; terme probable auquel un
( 119 )
nouveau Bill de même genre ſeroit inutile. Il fit
une motion pour que la Chambre ſe formât en
grand Comité à l'effet d'examiner ſa premiere
motion. L'Orateur de la Chambre lui obſerva
qu'il ne Ini paroiſſoit pas néceſſaire que
cette motion fût portée devant un grand Comité.
M.Taylor , le repréſentant de la Ville
qui eſt principalement intéreſſée au commerce de
Terre Neuve , dit qu'il n'avoit aucun motif
pour s'oppoſer à ce que le Bill en queſtion fût
préſenté à la Chambre. Il ajouta qu'il ſe flattoit
qu'à l'expiration des deux années , il feroit
jugé convenable de défendre abſolument l'importation
dans l'Iſle de Terre-Neuve ,d'aucun
article d'approvisionnement venant des Etats-
Unis de l'Amérique .
Le 31 Janvier , M. Charles Marsham fit
une motion qu'il avoit annoncée le 24 , à
l'effet de réunir en un ſeul Acte du Parlement
toutes les loix relatives à la Milice.
Il fit ſentir combien il étoit important de mettre
la Milice ſur un pied reſpectable. Il obferva
que ſi les Puiſſances maritimes de l'Europe ſe
réunifſoientjamais pour diriger toutes leurs forces
contre l'Angleterre , un corps d'Anglois bien difcipliné
& nombreux ſereit ſon plus ferme appui.
Il rappella que dans l'avant-derniere guerre ,
Jorſque la France menaçoit de faire une invaſion
dans la G. B. , les Anglois mécontenis de voir
en garniſon , dans leurs Villes , des troupes Hanovériennes
, propoſerent de s'incorporer pour
ſe défendre eux- mêmes. De-là l'origine de la
Milice . On auroit dû encourager un établiſſement
auſſi utile , mais au lieu d'applaudir au patriotiſme
qui l'avoit créé , il fut mépriſé &avili.
M. Marsham ne déguiſa pas la néceſſité où le
( 120 )
Parement ſe trouvoit de ſuivre une autre conduite.
Il propoſa en conféquence pluſieurs regle.
rens nouveaux qui devoient tendre à dorner plus
de confidération à ce Corps & augmenter les
forces. Il appuia fur-tout fur la nécefité de l'afſembler
tous les ans ,&de le faire manoeu vrer &
exercer conformément aux principes qui ſeroient
adoptés pour les troupes réglées de Sa
Majeſté.
M. Pitt approuva la motion deM . Marsham ,
& il afſura ce Membre qu'il contribueroit au ſaccès
des opérations qu'il propoſoit autant qu'il
feroiten ſon pouvoir , mais il l'engagea à ne pas
infifter ſur la réunion annuelle de la Milice , les
dépenses que cela occaſionneroit étanttrès confidérables
& au-deſſus des facultés aquelles de
l'Etat.
M. Marsham répondit à M. Pitt. , que fi la
Milice n'étoit aſſemblée que tous les deux ans ,
il ſeroit impoſſible d'en tirer , dans le beſoin , un
parti avantageux , & il ſupplia M. Pitt de
donner àce ſujetune attentionplus particuliere .
La motion fut propoſée & paffée d'une voix
unanime.
C'eſt le 9 que M. Pitt doit préſenter à la
Chambre des Communes ſon plan de réduction
& d'amortiſſement de la dette nationale
, fondé fur l'excédant du revenu
public , dont il mettra les états détaillés fous
les yeux du Parlement. On a expédié des
lettres de la Tréſorerie aux divers Membres
de cette aſſemblée , afin qu'elle foit aufſi
nombreuſe que le mérite un objet de cette
importance. En faiſant ainſi connoître fon
projet à l'avance, le Miniſtre mettra le Public
en
( 121 )
en état de lebienjuger , de le corriger , s'it
en eſt beſoin , enfin , de l'admettre ou de le
rejetter en parfaite connoiſſance de cauſe.
D'après la note qui doit être préſentée à la
Chambre des Communes , il paroît que le
furplus des taxes ( celle des boutiques non
compriſe a été , l'année derniere , de
1,793,476 liv. fterl. 16 f. 3 d. On ignore
encore quel a été l'excédent dans le produit
desDouanes.
L'Amiral Barrington a été nommé Lieutenant
général des troupes de la Marine , à
laplace du feu Chevalier Thomas Pye, Amiral
de l'eſcadre Blanche.
On aſſure que M. Jenkinſon entrera inceffamment
à la Chambre des Pairs ſous le
titredeBaron d'Addiſcombe au Comté de
Surrey; & qu'il ſera nommé Secrétaire d'Etat
à la place du Marquis de Carmarthen ,
qui fuccédera à Lord Chesterfield dans l'Ambaſſade
d'Eſpagne. Mais comme ce dernier
nedoit point être remplacé , ſi , comme on
l'a dit , la Cour de Madrid n'envoie pas ici
d'Ambaſſadeur , ces prétendus arrangemens
neméritent pas encore grande confiance.
Ily a des paris conſidérables qu'avant un
mois M. Haftings ſera nommé de nouveau
Gouverneur général du Bengale , & que fes
pouvoirs feront beaucoup plus étendus qu'ils
ne l'ont été juſqu'à préſent.
I Suivant des lettres de la Jamaïque , du
20 Décembre , apportées par le paquebot le
N°. 7 , 18 Fevrier 1786.
f
( 1.22 )
Thynne , les troupes revenues de la côte
des Moſquires en ont apporté des maladies
qui les ont réduites à l'état le plus déplorable.
Preſque tous les foldats ont la peau
couverte de pustules , & les hôpitaux font
remplis de ces malheureux. Les vaiſſeaux
qui les ont tranſporté avoient à bord deux
Chefs d'Indiens qui doivent reſter quelques
mois à la Jamaïque. On leur fera de ma
gnifiques préféns , lorſqu'ils retourneront
chez eux; par cette conduite on eſpere attacehr
leurs compatriotes au Gouvernement
Britannique.
Ala demande du Miniſtre Plénipotentiaire
des Etats-Unis, difent la plupart de
nos Feuilles publiques , le Roi a permis à
tous les bâtimens des Etats-Unis qui toucheroient
à Gibraltar, d'y prendre des paſſeports
,& de porter le Pavillon Anglois , afin
de ſe mettre à l'abri des Corſaires Barbarefques.
Les bâtimens des Etats-Unis, feront
tenus de ſe conformer ſeulement à certains
Réglemens , & à payer à Gibraltar les droits
de port , &c.
D'après un état remis au Gouvernement , il
paroît que la totalité des ſommes levées pour le
foutien des pauvres de la Grande-Bretagne depuis
vingt ans, monte , année commune , à deux
millions cent foixante-treize mille livres ſterk.
La moitié de cette fomme ſeroit plus que foffi
ſante pour le foulagement des vrais pauvres , &
le ſurplus pourroit être appliqué aux dépenses
publiques. Le Gouvernement est réſolu à déli
( 1234) ;
vter la nation du fardeau de cette taxe des pauvres
, qui dans certaines Parpiſſes eſt presquer
double de celle des terres .
و
Le
Les corps flottans des infortunés qui ont
péri dans le Halfewell , dit une lettre de
Chrift Church , viennent tous les jours
s'arrêter ſur le rivage. 14. de ce
mois , les corps de Miff Pierce , fille du
Capitaine & de Miff Blackburne ont
été trouvés ſur la grève , & tranſportés
èn cette ville. Le ſamedi ſuivant , le cercueil
de la premiere a été déposé dans le cimetiere
, par les ſoins de M. Charles Bill ,
Ecuyer ; le poële , ſupporté par fix jeunes Demoifelles,
futaccompagnédes Notables dela
ville& des environs. Les corps de M. Schutz,
Ecuyer , & de M. Charles Webber , jeune
homme de 13 ans , fils du feu Amiral de ce
nom , ont été également recueillis & enter- ,
rés avec le cérémonial dû à des perſonnes de
leur rang.
Lord Newhaven vient de publier'une
Adreſſe au Public , relative aux moyens de
réduire la dette nationale & de fimplifier les
taxes. Dans cet Ouvrage , il expoſe les deux,
projets ſuivans , très ſéduiſans en apparence.
Si les revenus annuels de la Grande-Bretagne
en terces, m iſons , &c. ſe montent à centmillions
ſterlings ( ce qui eſt au-dellous de ce que
plufieurs Ecrivairs politiques lui ont fuppofé ) ils
donneront , au denier vingt, un capital de 2000-
millions. En impofant annuellement un, pour
cent fur ce capual , on aura done tous les ans ,
juſqu'à ce que la dette nationale ſoit liquidée, une
f2
( 124 )
1. 6. d.
fommede : • 20,000,000
Il faut déduire de cette
Tomme l'intérêt annuel de
Jadette fondée , ainſi qu'il
eſt porté par les Commiffairesdans
les comptes publics
, ci •
,

Plus la dette non fondée
juſqu'au premier Octobre
1783 , ci
Pour les frais d'adminiſtration
de la Banque &
de la Compagnie de la
mer du Sud, ci
m
Total des déductions à
faire .
Reſte pour former un
fonds d'amortiſſement ,un
excédent annuel de
٤٠
9,951,930
612,742
134,291 13 I
8,698,663 11
11,301,036 5 11
20,000,000
Cet excédant paieroit entrès-peu de tems la
dette nationale , même en aboliſſant toutes les
autres taxes intérieures, y compris lataxe des
terres , après le premier paiement d'un pour
cent fait àl'Echiquier. D'après ce plan , aucun
individu ne paieroit , à beaucoup près , autant
qu'il paie actuellement ſur ſes rentes ou fesrevenus
,& il feroit en outre délivré des importunités
des Receveurs de toute eſpece.
Par exemple , une perſonne qui dépenſe un
revenu annuel de 1000 liv. ft. provenant de
terres , de maiſons , ou de ſes bénéfices dans le
commerce , paie tous les ans , entaxes de toure
eſpèce, non compris la taxe des terres , au
( 125 )
moins :
Elle paie en outre pour la taxe des
terres, ſur le pied de trois ſchellings
gar livre ſterling
Total ...
D'après le projet ci-deſſus , ce même
revenu de 100 liv . ft. au denier
vingt, formeun capital de 20,000 1 .
qui , à un pour cent , donnent
Epargne
...
: 270 liv.
150
370
200
170
On voit donc que cette ſomme épargneroit
tous les ans 170 liv. & feroit exempte de toute
autre taxe , la taxe unique d'un pour cent ne
devant même continuer à être perçue que juſqu'à
ce que l'excédant annuel des 11 millions &
plus , eût totalement liquidé la deste nation
nale.
En ſuppoſant qu'il ſe trouvat dans laGrande-
Bretagne le nombre ſuivant d'individus qui ,
l'un portant l'autre , fuſſent en état de payer annuellement
les ſommes ſuivantes , on aboliroit
tous les ans , en proportion des ſommes qui ſeroient
verſées dans l'Echiquier , une certaine
partie des taxes les plus onéreuſes , telles que
celles du ſavon , des chandelles , du cuir , des
fenêtres, la taxe des terres & des maisons , &c.
ſavoir :
Deux millions de perſonnes
, à la liv, 106.
Un million de perſonnes
, à 25 1. ft..
Cinq cents mille perfonnes
, à 100 liv .
Deux cents cinquante
mille perſonnes , à2001 ...
formeroient une
ſomme annuelle
de 25 millions ſt .
f3
( 126 )
... De maniere qu'il ſuffiroit de trouver aucon
des nombres de perſonnes ci-deſſus ,qui payaſſent
les fommes reſpectives , pour que l'on pût payer
deux dents millions de la dettenationale en hait
ans de tems .
Mais pour affeoir ces impoſitions avec certi
rude , & les proportionner aux moyens de chacun
, il faudroit connoître , avec autant de précifion
qu'll feroit poffible, les richeſſes de la
Grande-Bretagne en terres & en maiſons.
Lès biens des particuliers pourroient ſe calculer
fur la rente de la maiſon qu'ils occuperoient.
Pour parvenir à cette connoillance individuelle ,
on pourroit metre ſous les yeux de la Chambre
des Communes copie des regiſtres des Commiſſaires
de la taxe des terres , laquelle ſcroit
"tiréedu Bureau de l'Echiquier , appellé theKing's
* remembrancer's office, dans lequel , en vertu d'un
acte de la trentieme année de George II , les Commiffaires
de la taxe des terres font obligés de dépoſertons
les ans un duplicata de leurs rôles , en
patchemin , revêtu de leurs ſcel & fignature ,
contenant la cote affi'e refpectivement fur chaque
Pa oife d'Angleterre . du pays de Galles &
de Berwick furla Tweed .
2
Il ſe trouvoit ici environ 250 Negres ,
* amenés , foit des Indes- Orientales , foit des
"Ifles , foit du continent de l'Amérique , &
plongés dans la mifere. Sur le champ , une
Soufcription s'eſt ouverte en faveur de ces
malheureux. La Duchefſe de Devonshire a
figné pour to guinées ; & le produit des
différentes libéralités a fufti au foulagement
de cette claffe infortunée. Plus de 100 de
ces Negres ont offert de fervir ſur les vaifſeaux
de Sa Majefté.
(
( 127 )
--On écrit de Bafle en Suiſſe, que depuis envi-
Ton neufmois, un particulier , quiſe diſoit Anglois
, rendait dans cette Ville , fans communiquer
ave perfonne ; un matinten domestique entrant
daes fa chambre à l'heure ordinaire , le
trouva pendu à la porte d'un cabinet. On trotrva
dans ſes effiesden iron 600 liv. ft . en argent , &
un grand nombre de bijoux ; mais aucun papier
qui pûr faire connoire en aucune maniere ſon
vrai nom, fa famille , ou ſes relations. En confé
quence, rous les effets qu'il a laiſſés ont été dépofés
entreles mains du Magiftrat.
Join Mackie , Fermier du Comté d'Air
en Ecoffe , eſt mort derniérement , âgé de
103 ans. Il fur conduit au Cimetiere par
fon fils aîné , âgé de 70 ans , & par 13 autres
fils ,'fuivis de 30 de les petits - fils , St
de 20 arrieres petits fils .
9
-
La Ban que étoit vivement occupée de
découvrir les auteurs de divers faux réitérés
depuis quelques années, lorſqu'enfin ces recherches
ont conduit à la véritable fabrique
de ces billets contrefaits . Le fauffaire foit
un Buralifte de Loterie , nommé Price ; on
l'a arrêté au milieu des inftrumens de fon
délit , & pour en évérer la pene , il s'eft
pendule 24 Janvier dans sa prifon .
Lorfque is.Geoller le descendit de plafond ,
11 trouva for trois lettres :J'une adreſſye anx
Directeurs de la Banque , auxquels ilavouoitles
faux , & rendoit compte de tous les détails de
leur exécution ; upe autre à ſa f mme , & écrite
cu ftile le plus touchant la derniere enfin au
Geolier même, qu'il remercioît de fon humani
té. Price étoit àgé de 12 ans . On a expofé lón .
f4
( 128 )
corps empâle ſur un pieux , dans Torhifieldsde
vant la prifon ; c'eſt la peine ordinaire du ſuicide,
qui ne s'exercejamais quedans les cas pae
reils à celui-ci.
On afſure que le f uſſaire n'avoit aucun coopérateur
pour contrefaire ſes billets , & que fa
femme igner.it même qu'il eût embraffé cet
odieux métier. Aufi a-t-elle été élargie le jour
même de la mort de ſon mari , Price avoit fait
lui même le papier , gravé la planche , imprimé
lesbillets&contrefait les fignatures fi parfaiter
ment que les perſonnes même dort les noms
étoient forgés ne pouvoient pas les diftinguer.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 8 Février.
Le Comte deCaſtries, lePrince deBrogliede
Revel, le Vicomte de l'Eſpinaffe , Maréchal de
Camp , le Chevalier de Laizer , le Marquis de
Villeneuve-Flamarens, le Marquis de Montleard
du Rumont,le Marquis du Roux de Sigy , le
Marquisde Pontavia de Rouffligny , le Marquis
deBeaumont la Balnonie , & le Comte du Chaf
tel * , qui avoient précédemment eu l'honneur
d'être préſentés au Roi , ont eu , le premier, le
26du mois dernier; le ſecond, le 30 , & les auires,
le 3 du préfent, celui de monter dans les
voitures de Sa Majesté , &de la ſuivre à la chaffe.
Le premierde ce mois l'Univerſité de Paris ,
* Ce dernier est de la Maiſon qui a fourni ple-
Aurs grands hommes& des grands Officiers de la
Couronne.
:
(129
ayant à ſa tête le ſieur Delneuf , Roteur , eve
Ihonneurde préſenter au Roi , ſuivant l'uſage ,
le ciergede la Chandeleur.
Le 2, jourde laPurification de la Vierge , les
Chevaliers,Commandeurs & Officiers de l'Ordre
du Saint-Elprit - s'étant aſſemblés vers les onze
heures& demie du matindans le grand cabinet
du Roi , Sa Majesté ſortit de fon appartement
pour ſe rendre à la Chapells , précédée du Prince
de Conti , du Duc de Penthievre , & des Chevaliers
, Commandeurs & Officiers de l'Ordre ,
entre leſquels marchoient , en habits de Novices,
le Duc de Croy , le Prince de Robecq ,
le Maréchal de Stainville , le Comte d'Hauſfonville,
le Marquis de Caſtellane , & le Comte de
Coigny ; deux Huiſſiers de la Chambre du Roi
portant leurs maſſes , marchoient devant Sa Ma.
jeſté. Le Roi , après la grand'Meffe , chantés
par ſa mufique , & célébrée par l'Evêque de Senlis
, premier Aumôniar de Sa Majesté , Prélat-
Commandeurde l'Ordre du Saint-Eprit , à laquelle
la Dacheſſe de Choiteul fit la quête ,
monta ſur ſon Trône,& reçut le Duc de Croy ,
Je Prince de Robecq , le Maréchal de Stainville ,
le Comte d'Hauffonville , le Marquis de Caſtel
lane & le Comte de Coigny , Chevalier de l'Ordre
du Saint-Eprit. Sa Majesté fut enfuite reconduite
à ſon appartement dans le même ordre
qu'elle en étoit fortie.
La Reine , Monfieur , Madame , Monseigneur
Comte d'Artois ,Madame Comteſſe d'Artois , &
Malame Elifabeth de France, ont affifté à la
grand'Meſſedans laTribune.
L'après -midi le Roi & la Famille Royale ,
après avoir entendu le Sermon prononcé par
l'Abbé Rouſſeau , Chanoine de Chartres , Prédicateur
du Carême , aſſiſtèrent aux Vepres ,
fs
( 130 )
:
:
chantées par la Muſique de Sa Majefté, auxquelles
FAbbé de Ganderarz , Chapelain de la grande
Chapelle , officia .
Le Comte d'Adhémar , Ambaſſadeur du Roi ,
près le Roi de la Grande- Bretagne , a eu , le
même jour , l'honneur de prendre congé de Sa
Majeté pour retourner en Angleterre , étant
-préſenté par le Comte de Vergennes , Chef du
Confeil Royal des Finances , Miniſtre & Secre
taire d'état , ayant le département des Affaires
étrangeres.
G
1
Le 5 de ce mois , Leurs Maj ſtés & la Famille
Royale ont figné le contrat de mariage du Baron
de Berhane , Mefire-de-Campde Cavalerie , avec
demo ſelle le Vavaſſeur ; & celui du fieur d'Agay,
Maitre des Requétes , Adjoint à l'Intendance de
Picardie , avec demoiselle de Launay.
Le même jour , la Comteſſe Hypolice de Chabrillant
, la Comteffe de Tourdonnet & la Marquiſe
de Chaſtenay , ont eu l'honneur d'être préfentées
a Leurs Majestés & à la Famille Royale ;
la premiere par la Marquiſe de Morton de Chabrillant;
la ſeconde par la Marquiſe de Tourdonnet
, & la troiſieme par la Comteffe de Chaftenay.
Le Comte d'Aubuſſon , qui avoit précédemment
eu Thonneur d'être préſenté au Roi , a eu ,
le 7 , celui de monter dans les voitures de Sa Majesté&
de la ſuivre à la chaffe .
LeRoi , en conſidération des ſervices du ſieur
Richard, ancien Contrôleur général des Poſtes
aux chevaux , & l'un des Adminiſtrateurs actuels
des Poſtes aux Lettres,lui a accordé un brevet de
Conſeiller d'Etat .
DE PARIS , le 14 Février.
On a appris par le CapitaineJn.Ant. Roux,
qui a quitté Bonne llee 3 Janvier, que le bâtiment
le Poftillon d'Afrique , commandé par
le Capitaine, Lieutaud , ayant une partie de
blédans fon bord , a naufragé à la Calle , &
que l'Equipage s'eſt ſaavé. Le mêmejour un
navire Maure a péri ſur la côte , dans la rade
de Bonne.
:
Le Capitaine Dominique Titis , parti de
Bizerti de 11 Janvier , y a appris qu'un navire
dont on igtioroit la nation , avoit péri
le 8 du même mois às lieues à l'orient de
Bizerti , fans qu'il eût pu ſe ſauver quelqu'un
, il ajoute que le is ſe trouvant entre
Bizersi & Tilende. Sasaigne , il avoit va
Hotensfar.dicauiunemprature à hune , qui lui
a para complette 2 qa'il ajugé appartemir
à tir Vailleau à trois mars [ Journal de
Provence. ].
1
Nous avons parle de la découverte des
tombeaux du Loroux Botereau près Nantes,
& publié la lettre de M. Duboueix , Médesin.,
fur; l'eſpece de pierre à coquilles que
renferment ces tombes fepulcrales. Aujourd'hui
, on nous envoie de nouveaux éclairciſſemens
à ce ſujer. D'après une analyſé
chymique , M. Duboueix avoit cru voir cette
pierre , formée entiérement de coquillages
marins , affez groſſiérement pilés , & il finifſoit
par obſerver qu'on ne rencontre ni coquillage
foſlile , ni pierre calcaire dans les
environs du Loroux. Là-deſſus , le nouvel
Obfervateur dit : :
f6
( 132 )
Des tombeaux formés à grands frais , d'une
pâte dé coquillages marins , à treize lieues de la
mer,paroîtront fans douteaux Savans & aux Antiquaires
, un objetdigne de recherche . Onfait
que les Anciens en contruiſoient avec de la tere
cuite qu'ils tailloient au ciſeau comme la pierre
ordinaire & le marbre. Cette matiere réuniffcit
l'économie& la folidité. Ma's quel était lelien
dont on réuniſſoit les differentes parties de cete
compofition , & qui lui donnoit de la confiftance
? Je m'occupois de ces réflexions , lorſque
le hafard me procura un échantillon des tombeaux.
Jobſervai d'abord que cette pierre contenoit
du ſable mêlé avec des fragmens de coquillages
marins& de madrépores ; qu'elle étoit légere ,
poreuſe , & feréduitoic aisément en poudregrofhere
ſous les doigts , qu'en la plongeant dans
l'eau , elle faisoit une légere effervescenceque je
crus être l'effet de quelque diſſolution , mais qui
étoit produite par le dégagement de l'air athmofphérique
logedant les pores oucavités de lapierre,&
dont l'eau prenoit la place. Je fis tremper
dans l'eau un morcean de cette pierre réduite en
poudre , en agitantde tems en temis le mélange;
au bout de deux jours je filtrai la liqueur , &j'y
verſai de l'acide crayeux , il n'y eut point de précipité;
preuve certaine que la pierre ne contenoit
rienà l'état de chaux. Enfuite je la traitai par les
acides minéraux , & premiérement par l'acide
vitriolique (tendu de quatre parties d'eau. Ladiffolution
ſe fitd'abord avec beaucoup d'effervercence&
de chaleur ; mais peu àpeu elle ſe ralentit,
& ceffa bientot tout-à- fait , quoiqu'il n'y
eûr qu'une perite quantité de matiere d'attaquée
par le diffolvant; j'ajoutai de l'acide en agitant
le mélange; la diſſolution recommença , mais
( 133 )
avec moins d'énergie , & ceffa beaucoup plus
vite ; pour lors j'eſſayai l'acide nureux ,& dans
un inſtant la matiere fut diffoute , a l'exception
du ſable qui y étoitcontenu. En examinant le réfidu
de la premiere opération par l'acide vitrion
lique , je le trouvai recouvert d'une couche ſéléniteuſe
, formée par la combinaiſon de l'acide
&de la terre calcaire , la quelle , à raiſon de fon
peu de ſolubilité , empêchot l'action du diſſolvant
ſur la portion recouverte ; effet qui n'a pas
lieu par les autres acides , parce que les ſels qu'ils
forment avec la terre calcaire ſont très - fo
lubles.
,
Une analyſe qui ne m'offroit que de la chaux
&du ſable en trop petite quantité pour un ciment
artificiel me fit loupçonner que cette
pierre étoit l'ouvrage de la nature ; maiscomme
je ne l'avois encore vue qu'en petits fragmens
plus ou moins a'térés , je voulus la voir en
grande maſſe avant d'affeoir mon jugement. En
conféquence , je me rendis au Loroux , avec
un des Seigneurs veiſins de cette Paroiffe ; nous
fimes fouiller dans un endroit où l'on nous dit
qu'il y avoit un tombeau bien conſervé , & l'en
parvint , avec beaucoup de précautions , à le
retirer entier , excepté la tombe qui étoit briſée
aux deux tiers ,&dont il ne reſtoit que l'extrémité
inferieure. La premiere fois qu'on ouvrit
ce tombeau , qui a cinq pieds & demi , on y
trouva un ſquelette entier , ayant la plante des
pieds relevée & appuyée contre la pierre. Il
portoit a la main gauche une bague de troisboutons
de verre montés en cuivre : auffi-tôt qu'on
l'eut touché , ce ſquelette tomba eu pouffiere.
Le particulier qui poſſede la bague nous la fic
voir, &nous jugeâmes à ſa petiteffe que le ſojec
à qui el'e aroit appartenu étoitunefemme.
( 134 )
J'ai fait tranſporter chez moi le morceau de
sombe briféé , & le plus léger examen m'a convaincu
que certe pierre ,comme toutes les pierres
coquillieres , a été travaillée par le mouvement
des eaux. Les coquillages groffiérement brifés
qui la compoſent font en remélés d'un peu de
fable crystallin de , mica en très-petites lames
&réunies par un ciment de craie diffoute dans
Pacide méphitique j'y ai trouvé des fragmens
'de ſpath calcaire régulièrement cryſtallités ..
,
Un particulier très inſtruit , qui connoît la
Paroifle de Loroux , aſſure qu'on y trouve en
pluſieurs endroits de la terre calcaire & du falun.
Il paroît hors de doute que la pierre en queſtion a
été priſe ſur les lieux mêmes , ou dans les environs
. Sicette eſpece detombeaux ne ſe trouve
que dans un canton particulier du bourg , il faut
croire qu'on enterra d'abord dans la partie où il
y avoit du roc , & que celui- ci venant à manquer
, on tira par la ſuite cette pierre des carrieres
voifines pour en faire des tombeaux
à l'uſage même du peuple ; car les anneaux
de cuivre qu'on y a trouvés proevent que
ceux qui les portoient n'étoient pas d'un rang
fort élevé , & que la pierre dontils ſont conſtruits
n'étoit pas rare .
Laiffons à ceux qui s'occupent de recherches
hiſtoriques le ſoin de porter la lumière dans la
nuitde ces monumens qui paroiffent d'une grande
antiquité , puiſque le bourg du Loroux eſtdéja
fort ancien . Il ya vingt ans qu'en travaillant à
l'applaniſſement du terrein pour la confection
du cours des Etats à Nantes , on trouva beaucoup
de tombeaux dont l'origine eſt également
ignorée. Nous ne pouvons , pour ainſi dire ,
faire un pas ſans fouler les cendres de nos pères ,
mais les caractères propres à les faire reconnoître
:( 135 )
:
font couverts par le tems , qui dans fa marche
éternelle , étend en filence un voile impénétraole
ſur ce qui n'eſt plus ; par-tout laterre recele tes
débris des âges , & l'homme qui ne fait que paſſer
fillonne à peine ſa ſurface pour s'alimenter ſur la
route .
Tout le monde connoît l'hiſtoire, vraie ou préten
lue d'une fucceffion immenſe , délaiffée par un
nommé Jean Thierry , de Château- Thierry , mort
å Veniſe en 1676 .
Le Roi, inſtruitdes conteſtations qui s'étevoient
à ce ſujet pardevant pluſieurs Tribunaux , a , par
Arrêt du 31 Mai 1782, évoqué à ſon Conſeil toutes
les pourſuites qui pouvoienty être relatives ; & a
nommé pour cet objet une Commiffion compoſée
de Maîtres des Requêtes , pour juger fur fimptes
Memoires , Généalogies ,& fans frais , des droits
de tous les prétendans, qui n'étoient tenus qu'à
remettre leurs titres à Me. de Launay , Maître des
Requêtes , & Rapporteur en cette Commiſſion.
,
Le nombre des doffiers, produits par les prétendans
, s'eft monté à 366 , & la Commiſſion a
rendu , le 29 Décembre 1784 un Arrêt qui
déboute tous les prétendans , excepté ceux compris
ſous les numeros 20,69 & 361, fur lesquels il
a été réſervé de ſtatuer contradictoirement .
Cependant , dans les provinces, nombre de perſonnes
abuſent encore de la crédulité , pour engager
à des recherches & à des pourſuites très-coûteufes.
Il eſt done important de donner à cet avis
la plus grande publicité .
PAYS - BAS.
DE BRUXELLES , le Février.
Le Baron de Reiſchach , Envoyé extraorf136
)
dinaire &Miniftre Plénipotentiaire de l'Empereur
auprès des Etats-Généraux, eſt arrivé
àla Haye , le 4de ce mois. 1
Extrait d'une Lettre particuliere écrite par
un Officier Anglois du cortege des Voyageurs
qui se rendent par terre au Kamtschatka
Suivant les ordres de l'Impératrice de Ruffie.
Mofcou , le 18 Décembre 17858
<< Notre détachement , composé de 630 per
ſonnes , eſt arrivé de Pétersbourg en cette Ville
le to de ce mois , après un voyage de cinq lemaines
, dans lequel nous n'avons pas perdu un
ſeul homme. Les bêtes de ſomme qui portent
notre bagage, font en bon état. Nous attendons
icide feconddétachement qui a dû partir de Pé
zersbourg peu de jours après nous , & qui deit
arriver incefamment. Nous nous rendrons auffi
tôt à Kalan , en deſcendant le Volga fur des radeaux
que l'Impératrice a fait préparer pour notre
arrivée. Ce ſera un trajet de 3 à 400 milles
anglois. Nous nous repoſerons en cette Ville;
&, fi le temps s'oppoſe à notre marche , nousy
attendrons le retour du printemps. De-là , laiſſant
la Mer Caſpienne à notre droite , nous ferons
route à l'eſt juſqu'à Saiungoudt , où nous ferons
une autre halte , pour continuer enfuite notre
rouse un peu plus au nord. Ce trajet eſt de
1400 milles , dont la majeure partie eſt inconnue.
Le temps nous apprendra le ſuccès & les
avantages de cetre expédition ; mais ce qu'il y a
de certain , c'eſt qu'on n'épargne ni ſoins ni dépenfes
pour la faire réuffir. Nous ferons preſque
toujours obligés de nous conduire à l'aide de la
bouſſole &d'obſervations aſtronomiques ».
F
( 137 )
Dans le nombre des petites hiſtoriettes
qui circulent à Paris , on cite la ſuivante que
nous invitons nos Lecteurs à lire avec autant
de défiance que nous la rapportons.
- ex-
Le danger des inhumations précipitées a été
expoſé dans une infinité d'ouvrages. En voici un
nouvel exemple affez fingulier. Il eſt conſigné
dans une Lettre écrite de Châteaudun , par le
M de in qui a été témoin de ce fait très
traordinaire , & dans lequel il a joué le rôle d'un
acteur principal . UnR ligieux de cette Vile, de
fort bonne fociété, étoit reçu par tout , & fes
abfences du Couvent avoient excité affez de jalouſie
de la part de ſes confrères , pour l'avoir
engageà ſe mettre en garde contredes punitions
injuſtes de leur part ; en conféquence il devoit
ſe préſenter toutes les ſemaines devant le Subdélégué.
Le Moine étant tombé malade , M. d'Eftrées
, Médecin , fut appellé & le ſoigna pendant
deux jours , ſans que fa maladie offrit aucundanger
apparent. Le troisième jour, le Médecin
étant arrivé pour faire ſa viſite , on lui dit que
fon malade (toit mort ; mais il voulut ab o'ument
le voir , & s'étant tranſporté dans l'Eglife , il
fe trouva réellement couché dans ſa bière , à
viſage découvert , dans l'attitude d'un mort : il
le toucha , il lui paroît froid ; mais , en l'examinant
avec plus d'attention , il crut découvrir un
reſte de chaleur vers la région du coeur. Auffitôt
il emploie les alkalis & autres remedes indiqués
pour les aſphyxies ; ils ne produiſoient aucun
effet. Alors il eut recours à lharmonie qu'il
fit approcher. Ilappella la muſique du Régiment,
en garniſon à Châteaudun , qui joua differents
airs ; enfin , après quelques heures de travaux
&de fecours de toute eſpèce , le mort donna
( 138 )
:
quelques fignes de vie , & fut rapporté, dans ſa
chambre.
1
Paragraphes extraits desPapiers Anglois & autres .
« L. H. P. avoient chargé Mrs.' les Ambaffadeurs
de la République à Paris , de faire des
>> vives inſtances auprès de Mr. le Comte de
>>>Mercy , Ambaſſadeur Impérial , & auprès de
>> M. le Comte de Vergennes, afin que par leurs
*>> bons offices , ils obtinflentde l'Empereur la ré-
> vocation de deux Ordonnances , dont l'une dé-
>> fend l'importation du harang hollandois , &
i
:
l'autre celle de la morue ſallée dans tous lespays
>> hérédi aires . M. le Comte de Vergennes , après
>> en avoit conféré avec le Roi ſon maitre , a fait
>> à nos Ambaſſadeurs uneRéponſe qui prouve de
> plus en plus combien nous pouvons compter fur
la fidélité & la bienveillance de notre auguſte &
puiffant allié : Voici cette Réponte remarqualle
. Le Roi , pour donner å L. H. P. une maras
que de fon amitié , s'eſt empreſſé de faire paſſer
àVienne les instances , conformément au defir
de L H. P. S. M. apprendra avec d'autant plus
>> de plaifir le ſuccès heureox de ſes bons offices.,
qu'elle prend l'intérêt le plus vif àtout ce qui
peutcontribuer àlaproſpérité delaRépublique.
(Gazette &Amferdam , nº: 11') .
On a aujourdheiquelque effoir qué l'affaire
entre les Erats de Hollande &le Prince Stadhou
* der , re'ativement au copimanlenient de la garifon
de laHaie, pourra s'accimfnodef; on dit
en effet dans lePúblic que les Frars n'attendent
* qu'one fimple démarche de S.A, qui annonce
* un rapprochement , pour lui rendre immédiatemelltle
conimandement dont on croit qu'elle
* ne peut être privée , lihat Pfur les lieux, Il
( 139 )
: s'agit don: de ſavoir qui fera le premier pas :
>> on ne voudroit pas qu'il fût dit que l'aſſemblée
->>> ſouveraine ſe ſeroit portée aux premieres
> avances. Malgré cet eſpoir , il eſt encore fort
>> douteux fi , parmi les différentes voies qui peu-
>>>vent reſter au Prince Stadhouder pour le raccommodement
de cette affaire , il choiſira celle
>>> dont on parle , ſavoir , de ſe rendre le premier à
>> la Haje , le 6 Février , ſous promeffe qu'on lui
>>>offriroit d'abord de reprendre ledit comman-
: > dement. » ( Courier du Bas Rhin , nº. 10. )
: ca Des avis poſtérieurs , que nous venons de
>> recevoir , aſſurent que le Prince Stadionder
>>s'eſt formellement refuſé à la démarche qu'on
>> demandoit de lui, de ſe rendre à la Haie pour
• >> y recevoir l'offre de reprendre le commande-
> ment de la garnison. » ( Iden. )
CC M. Acion , M piſtre de la Marine à Naples,
• est né à Besançon ; il eſt fi's d'un Angris qui
>> s'étoit établi en cette ville , où il profiloit la
>> Médecine avec ſuccès. Sa mere eſt des envin

rons de Dôle en Franche-Comté ; Elle a été
>> long - temps connue à Besançon , autant par
" les graces de ſon eſprit , que par les cha mas
>>>de ſa perſonne . M. Acton fortit de bonne heure
アde fon pays natal , & il fut élevé en It lie par
>> un de ſes oncles , qui le plaça dens la Marine
> duGrand Duc de Toscane. Sa réputation & fa
fortune datent de l'époq e où , commandant
les deux frégates de Tofane , il s'échowa fur
la plage d'Alger , & protégea la retraite des
troupes Espagnoles , lors de la malheureuſe
Croisade , entrepriſe ſous les ordres du Général
O- Reily. Ce ſervice important en faifont
connoître M. Acton , ne pouvoit ( quoiqu'il l'eût
> dû) ſervir à ton avancement. Il n'y eut bientôt
plus de fregates en Toscane , celles qui re-
,
( 146 )
• venoient d'Alger ayant été dépecées quelque
temps après,»
« Ne pouvantdonc plus eſpérer de ſe diſtir-
>>> guer & de s'avancer en Toscane , M. Acien
>> chercha à entrer dans la Marine de France ,
> mais il demandoit le grade de Chefd'escadre.
>>> M. de Sartine , alors Miniſtre du département ,
>étonné de cette prétention , ainſi que la pla-
>>>part des Officiers , auxquels il en fit part ,
offrit au poftulant le grade de Capitaine de
vaiſſeau . M. Acton le reſuſa ;& il continuo't
>>> de s'ennuyer à Florence & à Livourne , ſans
>> eſpérance de voir améliorer ſon fort , lorſque
>> la fortune ſe plût à le tirer de l'ebſcurité où
> il étoit retombé , pour le placer au faitedes
grandeurs. Le Roi de Naples voulant remon-
>> ter ſa Marine , cherchoit un Officier intelli-
>> gent & actif, qui put ſeconder ſes vues. On
>> lui indiqua M. Acton. Nous ne déciderons pas
> fi ce fut leGrand-Duc ou l'Empereur qui le
> propoſerent : Il ſuffit de ſavoir qu'à peine M.
Acion parurà la Cour de Naples , qu'il fut fait
Lieutenant Général , Miniftre de la Marine,
>>>de la Guerre , Premier Miniſtre . » ( Idem. )
Cause extraitedu Joürnal des Causes célébres (1 )
Ufurier condamné.
L'uſure ſembloit avcir choiſi pous aſyle l'enceinte
des Villes. Elle n'oſoit pas autrefois en
franchir les limites. Aujourd'hui cet ennemi capital
de la ſociété ſe répanddans les campagnes ,
où , s'il n'eſt arrêté dans ſes progrès , il réduira
les habitans à la plus profonde mifere ; apprendreà
ceux qui se trouvent pourvus de quelques
petites ſommesd'argent,qu'ils peuvent lesgrob
1
1
1
( 141 )
fir à leur gré , ſans le ſecours de travail ; & à
ceux que la débauche ou d'autres cauſes réduiſent
au dépourvu , qu'ils pourront trouver des
refſources funeftes & momentances pour le befoin
de l'iuftant , ou pour fatisfaire une fantailie
inſpirée par le luxe , la vanité , ou quelqu'auare
paſſion auffi meurtriere. Telle eſt l'influence
des moeurs de la Capitale &des grandes Villes ,
où la néceſſité du débit de leurs denrées attire
les ma'heureux h bitans de la campagne , qui
n'ont déja , chez eux-mêmes que trop d'exemples
d'oiſiveté , de libertinage & de faſte inutile
dans les domeſtiques qui accompagnent leurs
maîtres dans leurs châteaux& dans leurs maiſons
deplaiſance.
11 paroît même que , dans ces lieux où l'ina
nocence , la fimplicité dans les moeurs & la fri
galité fembloients'être réfugiées , l'ufure s'y montre
avec auſſi pen& peut être moins de ménagement
que dans la Capitale. L'Harpagon de
Moliere auroit pu prendre des leçons du cabaretier
de village , que le Parlement de Paris a
puni depuis peu.
Tout convenoit à cet homme avide. Les haillons
de la miſere, les habits de la médiocrité &
Jes objets de luxe étoient reçus dans ſon arſenal
d'uſure. Mais les manoeuvres de cet homme qui
zenoit une auberge à Chantilly , ont été réprimées
par Arrêr rendu en la chambre des vacations
, le 14O&obre 1785. Par cet Arrêt , Jean-
Baptifte Petit fut condamné au blame , ce qui
fur exécuté ſur-le-champ; en cent 1. d'amende ,
à prendre ſur ſes biens , enversM. le Prince de
Condé, Seigneur haut-juſticier de la châtellenie
de Chantil'y . L'Arrêt ordonne , en outre , que
les effets donnés en nantiſſement à Petit par les
particuliers dénommés au Procès, feront remis
(142 )
auxdits particuliers , en payant & reftituant pac
eux les ſommes qu'ils ſe trouveront ayoir réel-,
lement & véritablemen empruntées ; & ce , fans
aucun intérêt , & en affirmant par eux la fiancé
rité du prêt & de leur nantiffement; les ſommes
qui feront reft tuées par les différens particuliers ,
ont été corfiſquées , pour le montant d'icelles
être appliqué aux pauvres de la Paroiffe de Chan- ,
tilly ; & à l'égard des effets trouvés chez ledit,
Petit , & non réclamés , il a été ordonné qu'ils
demeureront déposés au greffe de le châtellenie
de Chantilly pendant l'eſpace d'un an , pendant
lequel temps its pourront être réclamés , & paffé
lequel temps ils feront vendus en la manière accoutumée
, & le prix d'iceux confifqué au profit
des pauvres de la Paroiffe de Chantilly. It a été
ordonné , en outre , qu'à la requête du Procu
reur- général du Roi , le préſent Arrêt ſera imprimé
& affiché , tant à Chantilly & lieux circonvoifins
, que dans la ville , fauxbourgs & ban
lieue de Paris , & par- tout où beſoin ſera.
GAZETTE ABRÉGEE DES TRIBUNAUX (1)
PARLEMENT DE PARIS .
Tournelle Criminelle
Cause entre le fieur Bureau , Exécuteur- teftamen
taire& Legataire particulier du fieur Rancourt
de Trou , Appellant & accufi-Et les fieur &
dame Poterat , héritiers du défunt , plaignans &
in'imes. Accusation de captation &Suggestion de
testament & spoliation de ſucceſſion , récélé &
divertiſſement .
On a peine à ſe perfuader qu'un teſtament fait
( 143 )
& figné de la main du Teſtateur , puiſſe être le
fruit de la captation &de la ſuggeſtion ; & il
paffe. pour conſtant en Jurisprudence , que la
preuve de pareils faits contre un acte de cette
nature , n'eſt recevable qu'autant qu'elle eſt ap,
puyée d'un commencement de preuve par écrit.
-Malgré une multitude de déciſions toujours
'uniformes en pareille matiere, des héritiers dé
pouiliés ne ſe laſſent point de porter leurs plaintes
dans les Tribunaux.-Le ſieur de Rancourt
de Thou , ancien Moufquetaire du roi , demeurant
àGien , avoit une foeur mariée au fi ur Potherat
, Garde-du Corps du Roi. Des démelés d'intérêts
, depuis la mort de leur pere & mere , les
avoient éloignés l'un de l'autre. Le ſieur de Rancourt
avoit été lié d'une amitié inti ne avec le ſieur
Bureau , ci - devant Notaire & Procureur fi cal
au bourg de Saint Amand en Puifaye ; celui ci
avoit rendu des ſervices eſſentiels au fi ur de Rancourt
dans toutes ſes affaires. Le fieur de Ran
cour eft mort le 23 Juin 1781 , aapprrèèss avoir fait
un teftament olegraphe , daté de Gienle 21 Mi
précédent. Par ce teftament , il fait différens legs
particuliers , tant à ſes domeſtiques qulà des fi
leuls ; il nomme pour ſon Légata're univerſel
Antoine-Pierre Mogé , l'un d'eux , à quillege
après ſes dettes & legs payés , tout ce dont il
peut diſpoſer ,
coutumes cù ſes bi rs
font fitués . Enfuise il nomme pour fon Exécu
teur- teftamentaire ic fieur Bureau . Bourgeo
de Saint-Amand , à qui il légue , par préférence
au legs univerſel , un diamant de 12,000 liv. &
Ta montre d'or à répétition , garnie de diamans ,
avec chaîne & breloques d'or , ſans préjudice de
ce qu'il peut devoir audit fieur Bureau , dont il
faitla reconnoiffance . Le Teſtateur veut en ontre
qu'il foit délivré audit Exécuteur une fomme de
felon les
( 144 )
24,000 liv. pour être par lui donnée aux perfona
nas qu'il lui a dénommées , & fans être tenu de
juſtifier de l'emploi de cetre ſomme à qui que
ce foit. Le fisur Bureau , dépositaire de ce
teftament , après la mort du ſieur Rancourt , en
fit faire l'ouverture par un Notaire deGien: dans
lepremier moment , les ſieur & dame de Poth
rat ,héritiers du Teſtateur , incertains do fi
qu'ils prendroient , furent d'avis de payer au fisur
Bureau fon legs de 12,000 livres; its lui en firentmême
une promeſepar écrit: maisdepuis,
ayant été inftruits , par l'inventaire , qu'il y aver
four plus de 10,000 liv. de billets tous teing
privé, ſcuſcrits par le défunt au profit de divers
particuliers , dont 3 billets de valeur de 79,000 !.
au profit du ſieur Bureau , ils ont douté de la fin -
céritédeces billets , & ont rendu ſucceſſivement
troisplaintes en ſpoliacion de ſucceſſion, récélé
divertiſſement, captation & ſuggeſtion de teſtament.
I's ont fur-tout prétendu que le teftament
&les billets portantdiverſes dates , avoient néan
moins été faits la furveille de la mort de ſieurde
Rancourt. Sur ces plaintes , il y eut pluſieurs informations
, d'après leſquelles le fieur Bureau
fut décreté d'aſſigné pour être oui , ainſi que
d'autres particuliers. Sur l'appel en la Cour ,
Arrêt rendu le 21 Septembre 1782 , qui a mis
les appellations au néant ; émendant & evequant
le principal & y faisant droit , a déchargé le
fieur Bureau des accuſations contre lui intentées ,
a condamné les héritiers en 30 liv. de dommages
& intérêts & aux dépens , & a permis de faire
imprimer & afficher l'Arrêt ; ſur le ſurplus des
demandes des Parties , les a renvoyées en la
Grand Chambre..
-
PA
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 25 FÉVRIER 1786.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A Madame N.... ; envoi d'une Estampe
de M. MULLER , qui représente la
tendre Mère.
1
:
Entraçant un ſujet ſi touchant , & moral ,
L'Artiſte a dans ſon coeur puiſé tout ſon génie;
Le goût, pour t'en offrir cette épreuve choiſie ,
De la pure amitié s'eſt montré le rival.
Ornes- en ton boudoir , Mère tendre & chérios
Et ce charmant original
Ne ſeraplus que ta copie.
21
(Par M. Bérenger. )
)
N°. 8 , 25 Février 1786 . G
146 MERCURE
A une jeune Demoiselle , qui avoit défendu
à l'Auteur de luifaire une Chanfon.
AIR : Tous les goûts font dans la Nature.
ATHATS j'obéisdebon coeur :
De la peindre elle me diſpenſe;
Plus elle a d'appas & de fraîcheur ,
Moinsj'atteindrois à la reſſemblance ;
Moins je rendrois l'enſemble heureux
De ſon eſprit, de ſa figure ;
Car il n'est rien dans la Nature
Qu'on craigne autant , qu'on aime mieux.
OUBLIONS qu'aux grâces du maintien
Thaïs joint celles du langage :
Elle eft petite , mais on voit bien
Qu'elle en intéreſſe davantage.
Si vous en exceptez les yeux,
Tout eft chez elle en mignature.
Non, il n'eſt rien dans la Nature
Qu'on craigne autant , qu'on aime mieux.
OUBLLONS juſqu'aux charmes divers
Decette voix qui nous enflamme;
Combien elle cimbellit tous les vers
Qu'enchantant elle imprime en notre âme !
!
DE FRANCE. 147
:
:
Lo
De la voix qui nous porte aux cieux ,
Que la magie eſt prompte & sûre !
Il n'en eſt point dans la Nature
Qu'on craigne autant , qu'on aime mieux.
MAIS c'est trop s'occuper d'un tableau
Où Thaïs veut que je l'oublie:
En effet ,je ſens qu'il eſt trop beau ,
Trop reſſemblant pour ſa modeſtie .
Ainfi , pour céactà ſes voeux,
Il faut l'oublier , & conclure
Qu'Amour n'a rien dans la Nature
Qu'on craigne autant , qu'on aime mieur.
(Par M. Damas. )
QUATRAIN préſenté avec l'Almanach des
Grâces, à Mme BERNIER , jeune & belle ,
par M. fon fils , âgé deſept ans ,& beau
comme l'Amour.
PoO
UR S'introduire auprès de vous,
Les Grâces ont ſuivi leur frère;
Elles viennent àvos genoux
Vous reconnoître pour leurmère.
(Par M. l'Abbé de la Reynie. )
Gij
148 MERCURE
!
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe duMercureprécédent.
Le mot de la Charade eſt Famine ; celui
de l'énigme eft Bourse ( à argent & de cheveux
) ; celui du Logogryphe eſt Férule , où
l'on trouvefer, le , rue ( plante ) , ver.
Q
CHARADE.
UAND mon premier est trop fur inon dernier ,
Il ſe repent d'avoir fait mon entier.
Du
(Par M. le Chevalierde Meude- Monpas.)
ENIGME.
Umalade alité compagnon affidu ,
Je ſuis de la triſteſſe un embleme connu ;
Étre nocturne & fuyant la lumière ,
Sitôt que le ſoleil commence ſa carrière ,
Je ſuis reclus & deviens odieus.
Malgré cela , Lecteur , je me crois très-heureux.
Je fus ſouvent témoin de tes bonnes fortunes ;
Etdifcret confident de l'infidélité ,
Très- ſouventje te vis , pour des vierges communes ,
DE FRANCE.
14
Abandonner une tendre moitié.
L'artiſan fatigué goûte un plaifir extrême
A me trouver fur la fin d'un long jour ;
Et couronné des myrthes de l'Amour ,
Pour le nouvel époux je vaux un diadême ;
Mais ſur cela motus,je n'en parle jamais.
Si quelquefois dans un heureux ménage
Entre coujoints il s'élève un nuage ,
Le ſoir j'aſſiſte à leur traité de paix.
Sur ma difcrétion que rien ne t'effarouche,
Je te ſerai fidèle , & juſques au tombeau ; 1
Je ſuis privé d'ailleurs & de langue & de bouche ,
T
Etporte ſur les yeux un aſſez grand bandeau.
Si ſous tant de rapports tu ne pouvois connoître
Ce que je fuis ou ce que je peux être ,
Vas te coucher; & demain au matin ,
Ent'éveillant , ſur moi tu porteras la main.
1JAL
LOGOGRYΡΗΕ.
AI quatre pieds &ne ſuis que bipède ;
Coupez en un , me voilà quadrupede.
Par un Abonné. )
:
1.
Güj
so
MERCURE
NOUVELLES LITTERAIRES.
ESSAIS Historiques fur les Moeurs des
François, &c. Par M. de Sauvigny , Chevalier
de S. Louis , Cenfeur Royal , &c. A
Paris , chez Cloufier , Imprimeur-Libraire ,
rue de Sorbonne , & au Bureau des Effais
Historiques , rue S. Guillaume , vis-a-vis
P'hôtel de Mortemart.
1
EN rendant compte des premiers Cahiers
de cet important Ouvrage , nous avons prévu
l'intérêt qu'il acquerroit dans les mains de fon
Auteur. Les Livraiſons qui , juſqu'ici , ſe ſont
fuccédées avec exactitude , ont pleinement
juſtifié nos conjectures. C'eſt un vrai ſervice
que M. de Sauvigni rend à notre Littérature ;
& nous lui devons d'autant plus de reconnoiffance
, que peu de perſonnes auroient éré
tentées de ſe charger d'un ſemblable travail,
foitpar la difficulté de réuſſir, foit par le peu
d'attrait qu'il offre à ceux qui voudroient en
effayer.
Tirer de la pouſſière des bibliothèques les
Livres originaux de notre Hiſtoire; les étudier
pendant une vingtaine d'années , les traduire
fidèlement , les rajeunir, & leur donner en
quelque forte le charine de la nouveauté : tel
eft le genre d'occupation auquel s'eſt dévoué
DE FRANCE.
15
M. de Sauvigny ; tel eſt l'objet qu'il remplit
avec autant de courage que de goût ; fachons-
Ini gré de ſes efforts , & n'en diffimulons pas
le fuccès.
De cinq Cahiers qui ont déjà paru , trois
font conſacrés à la vie de Grégoire de Tours ,
&deux à l'Hiſtoire des Francs ; ce qui forme
deux Ouvrages ſéparés qui tendent au même
but; c'est-à-dire , à nous faire connoître tout
ce qu'il importe de ſavoir fur les premiers
temps de la Monarchie. Nous avons déjà parlé
de la vie de Grégoire de Tours , en nous réſervant
la liberté d'y revenir dans un autre
Numéro ; nous n'entretiendrons aujourd'hui
nos Lecteurs que des Cahiers relatifs à l'Hif
toire des Francs.
Ala tête du premier , M. de Sauvigny caractériſe
ſon Auteur ( Grégoire de Tours )
avecune préciſion & une ſagacité qui prouvent
qu'il en a fait une étude approfondie :
cet Avertiſſement du Traducteur eſt ſuivi
d'une Préface de S. Grégoire , dans laquelle
on retrouve l'énergie de Salufte & de Tacite.
"
"
" L'amour des Lettres , dit- il , s'eſt éteint
dans le coeur des Gaulois; il n'a puſurvivre
à la licence , à la ferocité des Nations con-
>> quérantes , &à la fureur des Rois , plus re-.
doutable encore. Quoi! nos Égliſes luttant
ſans ceffe contre les héritiques , quelques-
>> unes par un zèle particulier des fidèles ,
ſeront devenues riches & floriſſantes ; les.
autres , dépouillées ſans pudeur , auront
été les victimes de l'avarice &de la per-
"
ود
ג
Giv
152 MERCURE
ود
"
«
fidie; & nous ne trouverons perſonne affez
inſtruit dans l'art d'écrire , pour peindre
>> en vers ou en profe tant d'événemens mémorables
? Ils ne ceſſent d'en gémir , ceux
>> qui nous diſent : malheur à notre ſiècle, où
> l'ignorance eſt ſi générale , que nul de nous
>> ne fauroit même tracer par écrit les faits
> qui ſe paſſent ſous nos yeux !
>>Eh bien, j'oferai l'entreprendre; je ferai
>> connoître les générations qui ne font plus ,
>>pour l'utilité des générations à venir : mon
>> eſprit eſt ſans culture , je l'avoue ; mais je
>> ne ſouffrirai point que nos guerres fan-
>>> glantes , les crimes des méchans & la vie
رد
ود
des gens de bien , aillent s'enſevelir dans
l'oubli. On convient affez , & j'en ai honte
>> pour nous , que l'Écrivain Philoſophe est
entendu de peu de perſonnes: au moins
>>>le ſtyle familier eft àla portée du plus grand
>>> nombre; & voilàce qui ſoutient mon cou-
ود
>> rage..... 22
L'Hiſtorien remonte enfuite à l'origine des
Francs; il rapporte ce qu'en ont dit Sulpice ,
Alexandre & Frigéridus , dont les écrits ne
font point parvenus juſqu'à nous. Le Traducteur
apris foin de rétablir par-tout les dates :
ilen réfulte un tableau chronologique des
premiers Rois juſqu'à Clodion. Ce n'eſt proprement
qu'à celui-ci que commence l'Hiftoire
des Francs : Mérouée & Childéric lui
ſuccèdent.
" Childéric , devenu Roi des Francs , ne
>> mitplus de bornes àla fougue de ſes deſirs;
DE FRANCE.
153
>> telle étoit la dépravation de ſes moeurs ,
qu'il prenoit plaifir à corrompre & à ravir
les Vierges de ſa Nation. Les Francs indi-
> gnés ſe révoltèrent , & le chaſsèrent du
» Trône. »
Il fallut céder aux circonstances : Childéric
alla chercher un aſyle en Turinge , chez le
Roi Bizin. En partant , il laiſſoit un ami sûr ,
« qui pouvoit, par la douceur infinuante de
fes diſcours ,défarmer la fureur des hom-
#mes."
Il convint avec cet ami d'un ſigne , au
moyenduquel celui-ci l'informeroit du moment
favorable à fon retour. Ils divisèrent un
anneau d'or en deux parts égales: le Roi emporta
l'une; l'autre reſta entre les mains de
ſon ami, qui lui dit : " Remarquez çelle qui
>> me reſte; lorſque je vous l'enverrai , ſi elle
> ſe rapporte à la vôtre , de manière à former
» un anneau entier , revenez ; alors vous
>> pourrez réparoître en sûreté. Huit ans
après , cette promeſſe fut réaliſée , & Childéric
remonta ſur le Trône.
ود
Cependant Bazine , femme de Bizin , avoit
pris du goût pour le Roi fugitif; c'étoit au
point qu'elle quitta ſon mari pour aller le
rejoindre; Childéric crut devoir l'époufer , &
en eut un fils à qui elle donna le nom de
Clovis.
Telle eſt l'origine de ce Roi , qu'on regarde
comme le vrai fondateur de la monarchie ,
&dont la mémoire ſeroit ſans doute flétrie
aux yeux de la poſtérité........
(
Gv
154
MERCURE
On retrouve dans Clovis toute la diffimu
lation & toute la cruauté de Tibère & de
Louis XI: peut - être même l'a-t'il emporté
fur eux. Jamais perſonne ne fut mieux que
lui digérer un affront juſqu'au moment favorable
à la vengeance : traître & perfide à
l'excès , il abuſoit par les plus tendres carefſes
ceux dont il avoit réſolu de faire ſes victimes.
A is ans il monta ſur le Trône; à 20, il
avoit déjà déclaré la guerre à Siagrius , Roi
des Romains ; dans cette guerre , il avoit pour
alliés deux de ſes parens , Ragnachère&Chararie;
celui-ci , dans l'attente de l'événement ,
gardoit une forte de neutralité , ſe propoſant
d'embraſfer le partidu vainqueur. Clovis s'en
apperçut , mais il n'eut garde de faire éclater
fon reffentiment ; au contraire, il laiſſa tou
jours ignorer àChararie qu'il eût pénétré ſes
deſſeins ; ce ne fut qu'après un intervalle de
23 années qu'il vengea cette injure , en faifant
périr Chararie&fon fils.
Siagrius fut obligé de prendre la fuite& de
fe retirer auprès d'Alaric , Roj des Goths ;
Clovis le fit demander à ce Prince , qui n'oſa
le lui refuſer. Le malheureux Siagrius fut
renvoyé chargé de chaînes. « Maître de ſa
perſonne,Clovis le fit garder ſoigneuſement;
&dès qu'il fut en poffeffion des États de fon
ennemi , il donna ordre qu'on le fit mourir
enſecret.>> ر ود
Tout le monde connoît l'anecdote du yafe
de Soiffons : on fait que dans le partage du
DE FRANCE.
155
butin , un Soldat ofa le diſputer à Clovis ,&
lui dit en frappant le vaſe: " Vous n'aurez
> que ce que le fort vous donnera. » Toute
l'armée étoit ſurpriſe de cette témérité ; le
Roi ſeul y parut tout- à-fait inſenſible.
" Cependant l'année de ſa victoire s'étant
écoulée , Clovis ordonna que l'armée s'affemblât
au Champ de Mars, dans tout fon appareil
guerrier ; c'étoit-là qu'il devoit faire
l'inſpection générale des armes. Comme il va
paffer de rang en rang , voici qu'il s'adreſſe
au profanateur du S. Vaſe:-Nul ici n'a des.
armes auſſi mal tenues que les tiennes; ton
javelot , ton épée, ta hache ſont hors d'état
de fervir.- Il dit , & fait tomber la hache
des mains du Soldat : celui- ci s'inclinoit pour
la ramaller , Clovis lève la fienne , & en lui
fendant la tête' : C'eſt ainſi qu'à Soiffons
tu frappas le vafe.-Dès que le Soldat fut
mort , le Roi congédia l'armée. »
-
Ce ſang-froid, cette profonde diſſimulation
, cette cruauté réfléchie doivent paroître
bien extraordinaires , fur-tout dans un âge où
les paflions n'cat pas encore acquis l'habitude
de fe concentrer; c'eſt peut-être un phénomène
unique dans l'Hiſtoire
Après les faits que nous venons de rap,
porter , on trouve dans Grégoire de Tours
des détails intéreſſans ſur le mariage de Clovis
avec la pieuſe Clotilde ; ſur la converfion
de ce Prince à la Religion Chrétienne , &
ſur la cérémonie de ſon baptême. Il fir encore
de nouvelles conquêtes , & vint établir
Gvj
156 MERCURE
à Paris le fiége de fon Empire: alors ſon am-
Lition ne connut plus de bornes; tous ceux
qui pouvoient la contrarier devinrent ſes
ennemis. Tous les moyens de s'en affranchir
lui parurent légitimes ,&preſque toujours il
eut recours à la trahifon , ainſi qu'on le voit
dans la mort de Sigibert&de fon fils Chloderic.
-
" Clovis, de retour à Paris , fit dire fecrètement
à Chlodéric : Voici que le Roi
Sigibert eft déjà dans ſon automne ; il boîte
toujours de fa bleſlure; s'il mouroit , comptez
fur fon Royaume & fur mon amitié.->>
>> Séduit par l'appât du Trône , Chlodéric
conçut le projet d'être parricide. De vils
atlaflins furent chargés de l'exécution du
crime ; ils n'eurent pas grand peine à réuffir ,
après quoi le fils dénaturé fait porter au Roi
Clovis , par des Ambaſſadeurs , la nouvelle
de la mort de Sigibert. -Mon père n'eſt
plus , lui écrit-il ; fon Royaume & ſes tréſors
font dans mes mains ; qu'il me vienne de
votre part des perſonnes de confiance , & de
fes richeffes , tout ce qui vous fera plaifir , je
vous l'enverrai volontiers ."
" Je vous remercie de vos offres, répond
Clovis; je vous prie ſeulement de montrer
votre tréfor à ceux que je vous adreffe; vous
enjouirez enſuite paiſiblement. - "
" Chlodéric s'empreſſa de l'étaler à leurs
yeux dès qu'ils arrivèrent ; & tandis qu'ils le
contemploient : - C'eſt dans ce petit coffre ,
leurdit-il, que mon père enfermoit ordinaiDE
FRANCE.
157
-
rement ſes pièces d'or.-Eh bien , lui répliquent
les Envoyés de Clovis , pour les ravoir
toutes , portez la main juſqu'au fond.->>
"Ce qu'ils propoſoient , Chlodéric alloit
l'exécuter; au moment où il s'inclinoit , un
d'entre-eux leva ſa hache , & lui fendit la
tête...... »
>>Cependant Clovis , en apprenant à-lafois
le meurtre de l'un & le châtiment de
l'autre , arrive ſur les lieux , convoque l'afſemblée
du peuple ,& lui dit :
"Jevoguois fur le fleuve de l'Eſcaut , lorfque
Chlodéric, fils d'un de mes parens , tramoit
la mort de ſon père , & vouloit faire
tomber ſur moi l'horreur de ſon parricide.
Cependant le malheureux Sigibert étoit ſans
défiance dans la forêt de Buchane , & voici
fon barbare fils qui lâche contre lui de vils
affaffins: il le fait cruellement égorger ; puis
tout enivré qu'il eſt de ſes nouvelles richeſſes ,
il les montre àje nefais quelles gens qui l'ont
tué; quant à moi , je n'ai donné mon confentement
à aucunde ces crimes; je ne ſuis point
fait pour fouiller mes mains du ſang de mes
proches ; cette idée me fait horreur : mais la
circonſtance où vous vous trouvez exige que
je vous donne un conſeil; s'il vous paroît
bon , profitez-en : c'eſt de me choifir pour
être votre chef& votre appui. »
>>Les peuples , à ce difcours , applaudirent
de la voix& des mains , & l'élevant fur un
bouclier , le reconnurent pour leur Roi. »
Les réflexions que Grégoire de Tours place
158 MERCURE
:
àla ſuitede cet événement , méritent d'être
rapportées.
" Ainfi , dit-il , paſsèrent au pouvoir de
>>Clovis les tréſors & les états de Sigibert.
ود Ainfi Dieu chaque jour , ſous ſa main puif-
>>ſante, faifoit tomber les ennemis deClovis,
» & reculoit les limites de ſon empire ; car
>> ce Roi marchoit dans les voies du Seigneur
>> avec un coeur droit , avec une foi ferme&
ود
ود
fincère , & ſes actions trouvoient grâce
devant ſes yeux.>>
Quand on rencontre de tels paſſages dans
les anciens Auteurs , peut-on ſe diſpenſer de
bénir la philofophie dont l'influence a fi heureuſement
rectifié nos idées ? N'eft- on pas
force de dire , avec M. de Sauvigny :
<< Plaignons le fiècle où des hommes tels
>> que S. Grégoire , pouvoient errer ſur les
>>principes de la morale; & ne nous plai-
>>gnons pas tant des ſiècles qui produiſent
>> moins de miracles & moins de crimes ? >>
Clovis ne borna point ſes cruautés à la
mort de quelques individus ; on fait qu'il fut
le bourreau de toute ſa famille; enſuite il ſe
plaignoit de n'avoir plus de parens , il avoit
l'air de regretter les liens du ſang , les fecours
mutuels & les tendres affections qui en réfultent;
mais Grégoire de Tours lui-même n'a
pu déguifer le motifde ces plaintes : le barbare
Clovis ne les faiſoit qu'afin de découvrir
s'il exiſtoit encore quelqu'un de ſa race auquel
il pût faire fübir le méme fort.
Rien ne le prouve
DE FRANCE.
159
autant que la lettre que lui adreſſa Clovis ,
lettre qui n'avoit jamais été traduite , & dont
M. de Sauvigny enrichit les notes ſavantes&
judicieuſes qu'il met au bas de chaque Cha
pitre. C'eſt la ſeule de Clovis qui ſoit parvenue
juſqu'à nous.
On trouvedans le même Cahier deux lettres
à Clovis ; l'une de S. Remi , l'autre de
S. Avir: nous regrettons que les bornes d'un
extrait ne nous permettent pas de les placer
ici ; mais nous invitons nos Lecteurs à les
lire dans l'Ouvrage même.
Clovis occupe une grande partie des deux
Cahiers que nous annonçons ; on y trouve
une infinité de détails intéreſlans dont nous
n'avons pu rendre compte , & qui méritent
d'être lus. Ce Prince , qu'on a trop épargné
dans nos annales , y eſt par-tout caractériſé par
fes propres actions ; la naïveté même de l'Hiftorien
ne ſert qu'à mieux faire reſſortir ſes
traits.
Il mourut âgé de quarante-cinq ans , après
en avoir régne trente , & laiſſa quatre fils :
Thiéri , Clodomir , Childébert & Clotaire.
C'eſt par eux que cominence le ſecond Livre
de l'Hiſtoire des Francs. Ils eurent entre- eux
des guerres ſanglantes , dans leſquelles Thiéri
fur-tout fe montra le digne fils de Clovis.
On abeaucoup écrit ſur l'Hiſtoire de France.
Les compilations&les ſyſtèmes ſe ſont multipliés
à l'infini; mais ce qui les rend moins
utiles , c'eſt qu'on a trop négligé de recourir
aux véritables fources: on ne les a confultées
160 MERCURE
que pour les altérer. * L'eſpèce de pyrrhoniſme
qui en eſt réſulté, rend plus précieuſe
fans doute la traduction des livres originaux.
Nous ne pouvons qu'exhorter M. de Sauvigny
à perſiſter avec le même zèle dans une entrepriſe
auffi heureuſement commencée.
1. * On en trouve pluſieurs exemples dans l'Ouvrage
de M. de Sauvigny , qui ne laiſſe jamais échapper
l'occafion d'éclaircir les points les plus importans de
notre Hiftoire , & de marquer les erreurs dans lefquelles
ſont tombés nos Hiſtoriens. Le Père Daniel
foutient que Clovis porta ſes armes en Bretagne ; il
s'appuie d'un paſſage de Grégoire de Tours , qui ne
ditrien moins que cela. L'Abbé Véli a cru qu'il
étoitde ſon devoir de renchérir ſur Daniel; il ajoute:
<<Clovis d'abord tenta de les ſoumettre par les armes
; cette voie n'ayant pas réuffi , il eut recours à
1 négociation; elle fut fi heureuſe , que les Bretons
conſentirent à lui remettre toutes leurs places. >>>
Copiant une faute d'impreſſion du Père Daniel ,
Véli cite à ce ſujet le quatrième Livre de la Gloire
desMartyrs ; & ce Livre n'a jamais exifté.
DE FRANCE. 161
e
DÉLASSEMENS de l'Homme Sensible ,
par M. d'Arnaud. Tome IV , partie 8
Tome V , parties 9 & 10° , Tome VI ,
parties 11 & 12 .
e
C'EST ſans doute concourir au but que ſe
propoſe M. d'Arnaud , que de faire voir principalement
cet Ouvrage ſous ſon aſpect moral.
Il ſemble en effet dans cette production
courir bien moins après, des jouiſſances
d'amour-propre qu'après la douce fatisfaction
d'avoir préſenté d'utiles leçons à la jeuneſſe.
Dans cet eſprit il s'emparede tout ce que l'Hiftoire
ancienne & moderne , la tradition &les
papiers puplics peuvent lui offrir d'anecdotes
intéreſſantes , & propres à tourner vers la
vertu les élans de la ſenſibilité. Les Délaffemens
ſont donc une eſpèce de cours de mo
rale qu'on peut mettre dans les mains des
jeunes gens qui entrent dans le monde.
Comme il y a de la folie à s'embarquer
fur une mer dont on ignore les écueils , il y
auroit la même imprudence à laiffer arriver
un jeune homme dans le monde ſans lui en
avoir fait connoître les dangers. Il faut avoir
mis dans ſon coeur des ſemences de vertu ;
mais il ne faut pas lui laiffer ignorer qu'il
exiſte- des vices. Il eſt donc important d'offrir
à la jeuneſſe la peinture des paſſions ;
mais il eſt néceflaire auffi de l'avertir que les
dangers dont elles ſont accompagnées ſont
ſouvent cachés ſous l'attrait du plaifir ; &
162 MERCURE
:
c'eſt ce qui réſulte de la lecture de cet Ou
vrage.
L'Auteur , tantôt en amuſant l'eſprit , tan
tôt en intéreſſant le coeur, préſente toujours
à ſes Lecteurs des exemples à ſuivre ou à
imiter. Il y a de l'intérêt dans Eugénie , ou
l'Orpheline ;une fingularité piquantedans les
Titres réels; la jeune Zélandoise , tirée du
troiſième Voyage de Cook, eſt digne , comine
le dit M. d'Arnaud lui-même,des crayons de
Albane,
Souvent l'Auteur s'interrompt pour raiſonner
fur ce qu'il raconte ; c'eſt ainſi qu'en
parlant de la bienfaiſance , & fur-tout de ce
qu'il appelle la ſcience d'obliger , il ajoute
que les Gens en place , les Grands & les Riches
doivent ſe faire un devoir " d'écarter
>> tout témoin du peu de bien qu'ils font
* affez heureux de pouvoir répandre ſur l'in-
>> fortuné; de ne point le faire paſſer par
ود des mains qui, en quelque forte , dégra-
>>dent le bienfait , & le métamorphofent en
>> un affront , un outrage ſanglant fait à la
>> pudeur de l'indigence & du beſoin; de ne
» pas abandonner , par une négligence cou-
>>pable & preſque barbare , à la curiofité
>> de leurs parafites &de leurs vils valets , ces
>>écrits qu'un malheureux a arroſés de fes
>>larmes , où il expoſe les détails de fa trifte
>>fituation , implore en un mot des ſecours ;
>> de ſurveiller ſans ceſſe ce vil troupeau
>> d'eſclaves dont la caricature annonce pref-
* que toujours le perſonnage du maître.
DE FRANCE. 163
>> Pour peu que celui-ci ait une teintede hau-
>> teur , ils étaleront l'impudence , & même
ود
l'inhumanité dans tous les excès révoltans ;
» & il eft fi aifé de bleſfer le malheureux !
» la même portion de ſenſibilité qui lui fait
>> regarder la plus légère atteinte comme un
>>coup mortel , ouvre ſon ame aux tranf-
>> ports de la reconnoiſſance , j'ajouterai , à
>> un moment de félicité pour le moindre
>> égardqu'on lui témoignera ; un refus même
>> accompagné de ces égards , eſt une eſpèce
>> de bienfait qui adoucira ſes peines, s'il ne
>>les guérit point. Et n'eſt-ce rien que de
>> marquer une forte de reſpect à la créature
>>humiliée par l'adverſité , d'eſſuyer ſes lar-
>> mes, de luidonner des confolations ? Tous
» les hommes jouiffent de cette faculté ſi
» précieuſe ; il n'eft donc perſonne dans le
monde qui ſoit expoſé à la triſte néceffité
de ſe plaindre qu'il eſt hors d'état d'être
utile àl'infortuné. »
ود
ود
M. d'Arnaud recueille les faits intéreſſans
fans acception des perſonnes. Il ſemble même
fe plaire à déterrer les traits de vertus cachés
, pour ainſi dire , dans les dernières claffes
de la fociété. C'eſt dans cet eſprit qu'il
raconte une anecdote du nommé Joseph
Chef-de-moi,Cocher de Fiacre.Ayant trouvé
dans ſon carroffe un ſac de 650 liv. , qu'un
particulier y avoit oublié, il n'hésita pas à
P'aller rendre auſſitôt qu'il s'en apperçut. Le
maître du fac , touché de cette preuve rare de
probité , lui préfente quelques louis ; mais
164
MERCURE
le Cocher les refufe, avec ces mots d'une
fimplicité qui touche& fait fourire enmêmetemps
: Tout ce quejevous demande,Monfieur,
c'est,lorsque vous aurez besoin d'une voiture,
fipar hafardj'étoisfur laplace, de me don
ner la préférence.
Lapremière année de cetOuvrage intéreſ
ſant étant maintenant complettée , l'Auteur
ouvre la Souſcription de la ſeconde , qui
paroîtra de mois en mois.*
: J
ÉLOGE de Maximilien- Jules-Léopold, Duc
de Brunswick - Lunebourg , par M. le
Comte de la Cépède , Garde du Cabinet
du Roi , des Académies & Sociétés Royales
de Dijon , Lyon , &c. Rome, Stockholm ,
&c. AParis , de l'Imprimerie de Monfieur.
1785.
CET Éloge eſt celui du généreux Prince.
mort à Francfort ſur l'Oder, le 27Avril 1785,
en s'efforçant de ſauver des malheureux près
depérir.Quelſujet pour un Orateur, pour un
Poëte ſenſibles ! En attendant que l'Académie
Françoiſe ait à couronner un Poëme digne
de tranfimettre aux fiècles les plus reculés le
ſouvenir de cette mort, la plus glorieuſe qui
ait jamais terminé la carrière d'un grand
*On ſouſcrit chez Buiſſon , Libraire , hôtel de
Meſgrigny , rue des Poitevins. Le prix cit toujours
de 18 liv. pour Paris,&de 21 liv. pour la Province.
DE FRANCE. 165
Prince , un homme éloquent a déjà fait fondre
en larmes un auditoire éclairé , en joignant
naturellement l'Éloge de ce Prince à
celui de Saint-Louis , ou plutôt à celui de la
Charité ; & M. le Comte de laCépède s'empreſſe
auffi d'acquitter l'humanité envers celui
qui en fut le Héros & la victime .
:
Ce ne fera point ( & à Dieu ne plaiſe! )
accuſer M. le Comte de la Cépède de plagiat,
que d'obſerver qu'il nous paroît avoir ſuivi
un excellent modèle dans le plan général &
dans la marche de ce Diſcours ; ce modèle ,
c'eſt l'éloge de Marc- Aurèle, par M. Thomas .
Nous avons d'abord été frappés de cette conformité
générale entre ces deux Difcours ,
d'ailleurs diverſement éloquens , mais tous
deux très-éloquens ; car pour ne parler que de
celui-ci , quand il faudroit convenir que le
récitatif, pour ainſi dire, de cet Ouvrage n'offriroitque
de l'élégance,de la nobleſſe, qu'une
fimplicité tendre & majestueuſe , ce qui ſeroit
déjà un affez grand mérite , on ne pourroit
méconnoître les plus beaux & les plus
grands caractères de l'éloquence dans le morceau
que nous allons tranfcrire , & qui n'eſt
pas le ſeulde ce genre .
"Mais pendant que l'Orateur affligé cherchoit
ainsi à exhaſer ſa douleur & à foulager
celle de ſes concitoyens par le récit de
-, la vie d'un Prince magnanime ; une mère ,
une veuve éplorée perce la foule , s'élance
> preſque ſans vie au pied du monument du
* deuil; elle appelle à grands cris le Prince
166 MERCURE
» qui n'eſt plus; elle le nomme ſon ſauveur,
ود fon père.Ellealloit périrde misère , elle&
» un enfant infortune; un inconnu avoit
ود ſauvé ſesjours, la vie de fon fils ,fon hon-
>> neur peut-être ; elle avoit découvert que
>> cet inconnu étoit le Prince: elle a tout
>> perdu par ſa mort; elle couvre de pleurs,
>> elle embraſſe avec tranſport le marbre qui
>> ne peut l'entendre ; fon fils à genoux auprès
>> d'elle , devenu orphelin pour la ſeconde
>> fois, tend ſes mains innocentes vers l'Etre
>>des êtres. O! qui nous rendra, s'écrie-t'elle ,
دو le bienfaiteur qui vientde nous être ravi ?
>> Onne peut l'ariacher d'auprès de la pierre
>> funéraire; elle veut mourir ſur le tombeau
>> qui renferme Léopold. Le peuple en larmes
>> croit perdre de nouveau ce Prince infor-
>> tuné; il ſe trouble, ilſe précipite avec effroi
» autour de cette mère désolée : tous les
>>> Ordres ſont émus; les Guerriers rangés en
>> filence autour de l'appareil funèbre , &
>> dans l'attitude d'une triſteſſe profonde ,
>> obéiſſent maintenant au mouvement qui
ود
ود
"
entraîne le peuple ; ils ſe rappellent avec
>> tranſport la valeur & l'humanité de leur
malheureux Chef; &pleins d'un enthouſiaſme
ſublime , ils tirent leurs fabres ; ils
>> jurent ſur le tombeau & fur les triftes
» dépouilles du Prince Léopold , d'imiter à
>> jamais ſes vertus bienfaiſantes , &de tem-
>> pérer les horreurs de la guerre par l'amour
>> del'humanité. Jurez , valeureuxGuerriers!
>> laDivinité reçoit le plus beau ferment qui
DEFRANCE. 167
ود
>> puiſſe être fait devant elle : jurez d'être
bienfaiſans ! vous n'avez pas beſoin de
>> jurer d'être braves ; jurez par les vertus de
>> ce Prince qui conduiſoit vos armes , &c. »
L'Orateur qui trouve dans ſon âme ces
mouvemens pathétiques & fublimes , eſt vraiment
digne de célébrer le nom ſacré de -
Léopold de Brunswick.
VARIÉTÉS.
Suite des Lettres deJennydeBleinmore.
VI LETTRE au même.
-
JALLOI 'ALLOIS vous écrire ; il eſt venu; je ne l'eſpérois
pas. Je l'ai vude loin ; ma tête s'eſt renversée : je
ſuis accourue ſur la terraſſe; j'étois prête à deſcendre;
Eliſabeth m'a très- heureuſement arrêtée. -Que
voulez-vous faire ? -Il arrive ! nourrice , appelez
Betſy : c'eſt lui !-Qui don ?- Sadi , fans doute :
je vous dis que c'eſt lui. Eh bien ! j'ouvrirai , remonteż.
J'ai rougi ; je ſuis rentrée. Il a frappé :
j'ai fenti alors que je pâliſſois ; une fueur froide
couvroit mon front; mon corps trembloit ; je ne
pouvois plus me foutenir. Appuyée contre une colonne
, immobile comme elle , je ne reſpirois pas :
j'allois mourir. Sadi eſt entré. Je n'aurois pu parler :
il a ferré ma main , ſa bouche l'a preſſée... En vérité,
il a bailé ma main,
J'ai vu de l'embarras fur l'aimable viſage' , dans
les regards , dans le maintien de Sadi; & ce tou-
4
168 MERCURE
chant embarras m'a ravi dans les cieux. Il eſt
refté long-temps fans parler. Ses moindres mots
m'enchantent; mais ſon ſilence !... Ah ! Dieu ! il n'y
a point d'expreffions dans aucune langue pour rendre
la joie qu'il m'a donnée , l'enivremet où il m'a tenue;
j'aurois voulu que ce ſilence , qui diſoit tant de
choſes, durât éternellement. Ses yeux ( vous connoiffez
ſes yeux remplis de charmes ) cherchoient &
ſembloient craindre de rencontrer les miens. Dix
fois j'ai eſſayé d'y lire.... il les a baiſſés. Que doisjecroire?
Impénétrable avenir , que me réſerves tu?..
Quoi qu'il m'apporte , je peux ſoutenir , fans me
plaindre, dix années de tourment. Je me fuis , dans
un ſeul jour , nourrie de bonheur pour le reſte de
ma vie.... mais je peux m'être trompée; & fi Sadi ,
toujours le même ! .. Je ne ſais ce que je dois penſer,
ceque je dois faire, ce que je fais , ce que je dis ....
J'étois au Ciel , abymée dans les délices; & fon abfence,
& mes doutes , & mes craintes me plongent
dans les Enfers. J'éprouve quelquefois leurs tortures
horribles. Un épais nuage voile mes yeux & mon
intelligence ; ma raiſon... je n'en ai plus. Mes ſentimens,
comme mes voeux , ſont ſans ordre & fans
ſuite; ils naiſſent en foule , & ſe heurtent , ſe combattent
violemment, & ſe détruiſent l'un par l'autre.
Ils reffemblent aux ſables que la mer agite ,
pouffe, amoncèle&diſperſe ſur le rivage.... Cependant,,
je l'avouerai , cetteagitation qui me tue ,je
ne la changerois pas pour ce calmeddeell'amefi cher
àSadi. Cet effrayant repos , dont il vante les charmes
, il le préfère à tout : j'ai vu qu'il appréhende de
le perdre. Ah ! fans cette crainte (elle ſera plus
difficile à détruire que ſa prétendue froideur) , croyez
qu'il aimeroit déjà. On ſe méprend fur Sadi; luimême
ſe trompe le premier; mais moi !j'ai dû , plus
attentive.
.Oh ! .. .que ſon air en ce
moment m'a révélé de choſes je le connois àpré-
Tent
DEFRANCE.
169
ſenti mieux que vous-même. Il m'aimera , ſoyez-en
für. J'en ai l'eſpoir, le preſſentiment , la certitude.
Je ſuis laplus heureuſe des mortelles. Adicu , enviez.
mai.
:
: VII LETTRE à Caleb.
Mon ami, je relis votre lettre, je me ſuis levée pour
la relire. Elle répond à tout , & rappelle dans mon
ame épouvantée l'eſtime de moi-même , que j'allois
perdre,& queje n'aurois point perdue fans mourir.
Qui , mon généreux confolateur , je penſe comme
yous, vous fentez comme moi; l'aimer eſt une néceffité;
vous pouviez ajouter une vertu : vous n'auriez
pas trop dit.
Il étoit très -aimable ce ſoir , très -gai ... Moi ſeule ,
je ſuis trifte ! Le bon Tuteur, qui le cherche&le
trouve toujours , l'a rencontré à la promenade : ils
font rentrés àfix heures; mais il n'a paru chez moi
qu'àhuit ; ces deux heures m'ont ſemblé deux années.
J'ai placé ſon ſiége près du mien , afin de ne
pas perdre un mot de ce qu'il alloit dire. Rien de
plus animé que ſa converſation , de plus inſtructif,
de plus ſéduisant. Je le contemplois en filence; j'écoutois
, je paroiffois immobile; mais combienmon
ecoeur étoit agité ! mon pied touchoit ſa robe , & il
trembloit. Ma langue embarraſſée, ne proféroit que
des mots malarticulés ; & mes regards , & toute ma
phyſionomie, à qui vous trouvez tant d'expreffion
ne diſoient rien du tout . Ce n'eſt pas la première fois
que je demeure devant Sadi dans un pénible filence...
Comment , avec tant d'amour , m'inſpire-t il tanp
de crainte? Mon ignorance eſt bien plus à fon aile
avec vous, Je vous parle avec afſurance & liberté ;
jevous demande ou vous confie toujours quelque
choſes, Survient il? j'obſerve s'il me remarque; je
N°. 8 , 25 Février 1786, и
170 MERCURE
fonge à devenir aimable; je ceffe de l'être , je le
fens; je m'en afflige ,&je m'embarraſſe davantage:
mon eſprit ſe trouble, mon coeur eft oppreffé, mes
penſées en déſordre.... quel érat ! Cette Perfane , qui
fait du bruit , qu'on rencontre par- tout , qui ſe plait
àergorger les carrefours de Surate, de la longue
fuite de ſes femmes & de ſes eſclaves , eft venue
augmenter mon chagrin : elle a forcé ina porte,
J'aurois voulu me fauver, fuir à l'autre bout du
monde , à Londres même pour y chercher un abri...
Je me fuis avancée au- devant d'elle, j'ai tâché de
fourire , & j'avois envie de pleurer. Elle n'est plus
jeune : elle n'eſt ni blanche , ni fraîche; elle manque
dedignité, mais elle a des graces , un ſon de voix
touchant ; on n'eſt pas plus aimable. Son col& fes
bras , fort beaux ,j'en conviens, étoient couverts de
perles; elleétoit ſans voile, ou cevoile fibien rattaché,
que je ne l'ai pas vu. Cette grande parure , cee
air libre, confiant , fatisfait , formoient un merveilleuxcontraſte
avec mon négligé ,matimidité &ma
trifteffe.
Jamais je ne me fuis tourmentée pour avoir de
l'eſprir , certes , on le voit bien: je ne trouve point
mauvais qu'un autre en ait plus que moi , &je ne
fouhaite celui de perſonne; mais combien ce ſoir ,
j'ai ambitionné la vivacité , le piquant enjouement ,
les faillies heureuſes de cette femme extraordinaire ,
fi fûre de ſon eſprit , fihabileàfaire remarquer ſes
charmes , qui fe montre & qui féduit ! Sadi , qui ne
ſe ſoucie point des femmes , écoutoit avec plaifir ;
répondoit , l'écoutoit encore; elle en a paru fière ,
&n'a parléqu'à lui. Qu'elle est heureuſe , de pouvoir
dire tout ce qu'elle veut , & de paroître tout ce
qu'elle vaut! C'eſt la première fois que je m'afflige
du mérite d'autrui , & la première femme à qui je
porte envie.... Je ſuis réſervée à toutes les humiliaDE
FRANCE . 171
4
& à des tourmens que jene ſoupçonnois pás ,
dane ne concevois même pas.-Je l'ai vu, trop
fen vu
il n'aime pas; il n'aimera jamais. La douce
sperance qui m'a un moment enivrée , eſt loin de
moi... Je ne reſterai point.je pars , je fuyerai Sadi...
Malheureuſe ! le pourras-tu ? Hélas ! que je parte ,
que je reſte , il ſera toujours-là ,préſent à mesyeux,
préſent à ma penſée ;je le verrai ſans ceſſe ,je l'aimerai
toujours....
Dix heures ont ſonné; cette femme eſt ſortie.
Sadi l'a reconduite à ſon palanquin , du moins je le
préfume. Peut- être , mêlé & confondu dans la foule
deſes eſclaves, l'a til accompagnée juſques chez elle..
que m'importe ?... Mes ſoupirs , juſques,là étouffés
dans mon ſein, ſe ſont ouvert un paſſage : mes
larmes ont coulé ! j'en étois inondée: je les efſuyois
d'une main , de l'autre je voulois écrire. OCaleb !
j'avois beſoin de vous ouvrir mon coeur. Ce coeur
trop ſenſible étoit imbibé de chagrins. Je les ai dévorés
, mais je n'ai pu les peindre. Il m'a été impofible
de lier deux idées dans ma tête , & de mettre
quatre mors ſur le papier. Mes pleurs m'ont foulagée.
Je me fuis jetée ſur mon lit; & contre mon
attente , j'ai dormi : je me trouve mieux. Mais cette
forte de ſtupiditédouloureuſe ou , ſans s'en appercevoir
, Sadi m'a plongée, dure encore. Ma lettre que
j'ai priſe & quittée dix fois ,s'en raſſentira. Je ne la
recommencerai pas , je ſuis fans vanité avec vous;
je m'y trouve toujours bien. C'eſt l'amour -propre ,
c'eſt l'amour qui font le fouci , le tourment de la
vic. Adieu , mon meilleur ami ; adieu : ne ceſſez
point de m'aimer,je ſerois trop malheureuſe.
1
1
Hi
172
MERCURE
*
:
VIII LETTRE au même. Le mati. le
jour leplus heureux . 3
Sadi eſt l'objet de mes pensées , de mes rêves ,
de mes occupations & de mes amuſemens : je m'entretenois
avec lui , j'arrangeois un ſélams * lorſqu'il
eſt entré. Applaudiffez- vous des leçons que vous
m'avez données; il n'eſt point d'odaliſques fi adroi-
⚫tes ou fi tendres , qui , dans aucun de vos Serrails ,
s'appliquent avec plus d'ardeur à ces deſſeins emblêmatiques
, & qui les compoſent plus ſavamment que
moi.... Mais ſoyez attentif à ce qui va ſe paſſer.
Voyez-nous bien tous deux. D'abord je tire , par un
*mouvement tout machinal ,& que je ne peux expliquer
, le coin d'un voile ſur un ouvrage que je
meurs d'envie qu'il découvre ; lui s'approche.-Un
félams , je crois?-Ce n'est pas le premier. -Il
doit être ingénieux ? >> Je n'ai ſu que répondre.
-Heureux qui en eſt l'objet!-C'eſt vous ». Caleb ,
vous me blâmez peut être ? Je ne devois jamais....
-Mon ami , vous n'aimez pas ! J'aurois vu la foudre ,
lamort ſuſpendue ſur ma tête , prête à ine frapper
pour ce mot , je l'aurois dit. Un long filence a fuccédéà
ce mot, qui.... qui fera déſormais le deſtin de
ma vie. Je ſentois mes joues enflammées; je ne favois
que faire de mes yeux; j'ai repris , d'une voix
mal afſurée , à peine il devoit m'entendre.-Je tiens
du ſage Caleb , qu'avec les couleurs , infinies
* Caleb a donné , en ces termes, la définition du Sélams ,
dans l'Histoire d'Ab-dal-Mazour.
«C'eſt une eſpèce d'hieroglyphe ou quipos , affez ref-
» temblant à ceux dont ſe ſervoient les Peruviens ; mais le
>> fensen eſt plus arbitraire : un Selams peint tout aux coeurs
>> qui ſont d'intelligence , & rien à l'oeil jaloux qui los
» épic.»
::
DE FRANCE. 173
4
:
dans leurs nuances , on peut peindre à l'oeil , ſans le
fecours des figures , tous les mouvemens du coeur.
-Ce n'est pas trop de nuances infinies pour tant
de ſentimens divers ! mais , belle Jenny , vous vous
bornez à deux couleurs ?-Elles diront deux choſes,
au moins.... ce je ſens , &....
que
ce que je fais ....
trop bien.-Deux choſes ! c'eſt peu! -C'est trop !
ch! plût à Dieu n'en avoir qu'une à exprimer ! » Je
me ſuis levée ; j'ai prodigieuſement rougi , & je ſuis
retombée dans ma chaiſe en me cachant le viſage
de més mains. Voyons l'enſemble,a-t- il dit. -Vous
le voulez bien ? >> Il m'a cruellement embarraffée...
Falloit- il encore que je l'engageafſe à regarder ? ſa
main a levé enfin le voile jeté ſur les nooeuds & les
Acurs.... Pas la moindre ſurpriſe ! ah ! Caleb ! il favoit
mon ſecret avant de l'avoir lu ! un léger ſowrire
, de la joie , je crois , & puis de l'embarras . Mon
embarras, ma joie , à moi , étoient à leur comble.
-Charmante Jenny , entends-je bien votre fable ?
-Des fables ! ... moi ! -eſt- elle bien dans les règles
de l'art ? je crains de vous mat lire.-Ah ! ne
liſez donc pas ! -Pardonnez- moi ... je veux... des
roſes vives , épanouies , & puis de blanches encore
en boutons ! Pas autre choſe ? -pas autre choſe .
-C'eſt de Caleb que vous tenez votre méthode ?
-Qui , de lui . Je commençois à prendre de l'humeur.
C'eſt un grandMaître : vous êtes dans les
bonsprincipes. Je crois , en vérité , qu'il perfiffloit.
Votre pauvre Jenny n'a point répondu , point levé
Ics yeux; j'étois tout d'une pièce. Il a repris : -Le
rouge , fi je lis bien , dit:j'aime; leblanc : tu n'aimespas....&
ce ſélams étoit pour moi >> ? j'étois ſur
des épines ardentes. Je me ſuis levée; &, fans ſavoir
ce que je faifois , je ſuis allée me cacher au fond de
mon cabinet, que j'ai fermé ſur moi . Je l'obſervois ,
&j'ai vu au travers de la croiſée , qu'il écrivoit : il a
pliélebilletdansun ruban pourpre, (vous entendez ,
Hiij
174 MERCURE
la plus vive couleur ) & l'a mis à la place des roſes
blanches , que je n'ai plus revues. L'intention eſt
marquée.... je ne fais peut-être que lui prêter la
mienne! ... Caleb ! j'étois tranſportée de joie. On
n'en meurt pas , très-aſſurément; autrement , vous
n'auriez plus d'amie. Eh! pourquoi ai-je ſurvécu à ce
raviſſanttranſport?... l'avenir ne m'en promet point
un ſemblable Non , jamais , ce que j'ai fenti en ce
moment fuprême, on ne l'éprouve ſans doute qu'une
fois, & c'eſt beaucoup pour de fimples, mortels !...
Mon Tuteur est entré , me cherchant , m'oubliant,
dès qu'il a vu Sadi ; l'un d'eux a propoſe la promenade;
ils n'avoient pas encore defcenju la terraſſe,
je terois , j'avois lu le billet. Charmant en vérité !
ce font des vers... Hé! pourquoi des vers ? Mais
faits fur l'heure, enun moment; le coeur ſeul a pu
ſi vîte les dicter , n'en doutez pas. Jeles copie,jene
faurois m'en ſéparer , ne fût-ce qu'une minute. Les
voilà:
:
Hé quoi , par-tout lavérité bannie !
Quoi ! vous aufſi , peuple aimable des fleurs ,
Vous tromperiez par les couleurs !
Qui , fi j'en crois Caleb & ſon génie ,
Le rouge fait flatter, & le blanc calomnie.
N'est- ce pas qu'ils font aimables , ingénieur ?....
qu'en pensez-vous ? J'aurois mieux aimé vous les
rendre moi- même; c'eſt la première impreſſion qu'il
faut voir. Nous les aurions lus , relus , expliqués ,
commentés, relus encore. Que vous m'enlevez de
douces jouiſſances ! arrivez donc , que je vous conte
tout ce que j'ai écrit. Adien, Caleb , je retourne à
mon ſélams: je le défais , je le recompoſe, à préfent,
il dira... des folies , fi vous n'accourez bien
vite m'enempêcher. Adicu.
1
1
DE 175 FRANCE.
IX LETTRE. Jenny Blainmore à Sady.
نا
Le rouge fait flatter : vous avez raiſon; il eft
Ratteur en effet , pour Padmirable Sadi lui-même ,
d'être tendrement aimé. C'eſt le premier des biens ,
leplus grand; c'eſt.... je n'ofe dire le ſeul ; maisje
lepenſe&jele ſens. Les plus beaux dons que leCiel
puiffe faire à la terre, vous les réuniſſez ... Vertus ,
génie, zalens , objets ſacrés de ma vénération , vous
commandez l'eſtime profonde , Padmiration , le
reſpect; mais l'amour! ... l'amour , Sady, qui pourroit
l'exiger ?.. Celui qui aime auroit des droits ,
peut être?... Ils ne ſont pas toujours écoutés. Nul
mortel , quel qu'il foit,' ne peut, avec l'eſpoir d'être
obéi , dire à un autre: Aimes moi. Vos deſpotes,
fürs &enivrés de leur puiſſance , ne commandent
point à l'amour; les Dieux , les Dieux eux-mêmes
Je preſcrivent, &lear pouvoir ſe borne-là, Aimer ,
être aimé , voilà la vie, la félicité de l'homme dans
ce monde , affez pou connu , & fans doute aufli
dans cet autre monde qu'on ne connoît pas du tout.
Mon adorable ami , vous avez des qualités éminestes,
des talens diftingués , un eſprit tranſcendant
&pleinde grâces; moi .... je vous aime; me voilà
tour d'un coup élevée à votre niveau; je ſuis dovenue
votre égales &fi vous ne pouviez pas aimer...
ce feroit moi que la Nature auroit plus favoritée
que vous. Mon Souverain ! ina Divinité! je te re
veresstimais je t'adore. Je t'apporte,je viens t'offiit
ce que l'Univers entier ce que l'hommage de tout
P'Univers ne vaur past, beaucoup de candeur &
d'amour..... Sady , ſage & juſte , doit m'accueillir
avettransport. 3
Hiv
176 MERCURE
Ilm'eſt ſi naturel , il eſt ſi profondément empreint
dans mon âme , cet amour , ma vie & mon exifrence
, qu'il me ſemble qu'il étoit en moi avant de
vous avoir connu. Il fait partie de mon étre; je ne
le diſtingue pas de cet autre amour qu'on reffent
pour ſoi : pareils en leurs effets ,je les confonds ,&
je croirois qu'ils ont commencé enſemble. Je ſuis
bien sûredu moins que cet attachement n'aura point
d'autre terme que celui de l'affection que je me
porte à moi même; il ne finira comme elle qu'avec
ma vie. Sage & tranquille Sady , que tant d'amour
ne vous alarme pas. Je ſuis deſcendue dans mon
âme , je l'ai méditée; j'en ai obſervé &ſaiſi tous les
mouvemens : l'âme des anges , je le jure , celle de
vos chattes péris , s'il eſt des péris , & qu'elles alent
une âme , n'ont pas plus d'innocence. Trop aimable
Sady , de quelque, pou de retour que vous vouliez
&que vous puiſſiez payer ma tendreſſe, vous ne me
verrez point défiante ou exigeante , vous fuivre ,
vous importuner ; fenfible à l'excès , mais fière aur
tant que ſenſible , vous ne m'entendrez point ve
plaindre... C'eſt vous que je plaindrai ,& je ne vous
Jedirai pas. Si ce coeur a des orages , ils ne feront
que pour moi. Je ne fais point injurier les hommes,
ni blaſphémer les Dieux , ni m'empoisonner , ni
aſſaffiner perſonne. Toute à l'amour ,je fais être par
lui infiniment heureuſe ou malheureuſe , voilà
tout. Mon fort, indépendamment des circonstances ,
des lieux , de vos préjugés, de nos convenances,
de mes engagemens , des vêtres , fi vous en avez,
eft tout dans votre coeur, il n'est que là. Auprès de
Sady indifférent , dans le climat le plus fortuné , &
comblée de tous les biens , je pourrois ſouffrir , gémir
, pleurer : à mille lieues de vous , ſous le ciel
nébuleux de laGrande-Bretagne , dans un désert,
dans un antre , sûre même de ne vous revoir jamais ,
DE FRANCE.
177
je peux être encore , aimée de Sady , la plus fortunée
des femmes . *
ACADÉMIE.
ACADÉMIE FRANÇOISE...
LA Séance publique du Lundi 13 de ce
mois , pour la réception de M. le Comte de
Guibert , qui fuccédoit à M. Thomas , est
une des plus brillantes qu'on ait encore vues ;
& l'enthoufiafine avec lequel on s'y étoit
porté , a été prolongé par les Pièces qu'on y a
entendues.
La double eſtime que M. Thomas avoit
acquiſe par ſes talens & par ſes moeurs, les
profonds regrets qu'il a latifés en mourant ,
avoient inſpiré un defir impatient de l'entendre
célébrer. Mais ſi le ſujet étoit propre
à enflammer l'imagination de l'Orateur , il
lui donnoit auſſi des Auditeurs plus exigeans:
* Nous engageons l'Auteur à publier inceffamment
une correſpondance qui doit être lue de ſuite ,
& à laquelle nous ſommes fachés de ne pouvoir
donner ici une plus grande étendue.
Hy
178 MERCURE
il eft difficile de louer un homme dont l'éloge
eſt dans toutes les bouches. M. de Guibert a
fatisfait à l'attente& aux prétentions de ceux
qui étoient venus pour l'entendre. On a trèsvivement
applaudi dans ſon Difcours une
éloquence flexible & variée , des beautés de
tous les genres. Il a trouvé dans ſon eſprit de
quoi célébrer les talens deM. Thomas,&
dans ſon coeur , de quoi louer & faire aimer
ſes vertus.
Des traits ingénieux , rendus en très-bon
ftyle, ont fait juſtement applaudir le Difcours
de M. le Marquis de Saint-Lambert , qui ,
en qualité de Directeur actuel , répondoit an
Récipiendaire. Il a raconté , avec autant de
grâce que de ſenſibilité, quelques anecdotes
de la vie de M. Thomas. Il a rapporté comment
ce célèbre Académicien , né fans fortune,
ayant été appelé auprès d'un Grand qui
s'intéreſſoit à lui perdit ſa faveur par un
trait de defintéreſſement &de delicateffe. II
refufa de ſouſcrire à des follicitations qu'on
faifoit en ſa faveur , parce qu'il jugea qu'un
de ſes amis avoit des droits antérieurs aux
honneurs qu'on briguoit pour lui-même. Ce
refus caufa ladiſgrâce de M. Thomas , qui
ſe retira en vrai Philoſophe ; & depuis cemoment
, a dit ingénieuſement M. de Saint-
Iambert , il craignit plus les protecteurs que
lapauvreté.
DE FRANCE.
179
Après les deux Diſcours , * M. Ducis , ami
intime de M. Thomas, & qui a été le témoin
de ſa mort, a lu ume Épître qui a reçu les
plus grands applaudiſſemens. La moitié de
cette Epître eft conſacrée, à louer l'amitié ,
& l'autre à pleurer ſon ami. On fait que
M. Ducis, dans un voyage en Piémont , a
failli périr lui-même ; cette circonſtance , &
ſon amitié connue pour M. Thomas , ne
pouvoient qu'ajouter à l'intérêt de cette lecture.
Il a vivement touché par la peinture
qu'il a faite à- la-fois de la mort de ſon ami
&de fes propres dangers.
:
Leprix propoſé pour l'Éloge deM.d'Alem
bert, a été remis à l'année prochaine.
}
Au récit de ces hommages rendus à M.
Thomas , ajoutons-en un autre qui ne ſera
pas moins glorieux à ſa mémoire.
* Ces Diſcours ſe trouvent chez Demonville
Imprimeur de l'Académie Françoiſe , rue Chrif
tine.
:
H
180 MERCURE
Au Dieu Créateur & Redempteur.
CI - GIT LEONARD-ANTOINE THOMAS,
l'un des Quarante de l'Académie Françoiſe, Aſſocié
de celle de Lyon , né à Clermont en Auvergne ,
le premier Octobre 1732 , mort dans le Château
d'Olins , le 17 Septembre 1785 .
Il cutdes moeurs exemplaires ,
Ungénie élevé ,
Tous les genres d'eſprit ;
Grand Orateur , grand Poëte ;
Bon , modefte , ſimple&dour,
Sévère à lui ſeul;
Il ne connut de pattions
Que celles du bien , de l'étude ,
Et de l'amitié.
Homme fare par ſes talens ,
Excellentpar ſes vertus ,
1couronna ſa vie laborieuſe & pure
Par une mort édifiante &chrétienne.
C'eſt ici qu'il attend la véritable immortalité.
:
:
:
Sesécrits&les larmes de tous ceux qui l'ontconns
honorent affez ſa mémoire; mais M. l'Archevêque
de Lyon, ſon Ami & ſon Confrère à l'Académie
Françoiſe, après lui avoir procurépendant ſa maladie
tous les ſecours de l'amitié&de la religion , a voulu
lui ériger ce foible monument de ſon eſtime &de
fes regrets.
DE FRANCE. 181
SPECTACLES .
COMÉDIE ITALIENNE.
EN 1746 , Marivaux fit repréſenter à la
Comédie Françoiſe, une Comédie en un Acte
& en vers , qui a pour titre : Le Préjugé
Vaincu. Ce petit Ouvrage offre l'orgueil de
la Noblefle aux priſes avec l'Amour. L'Héroïne
de la Pièce eſt une fille noble , qui aime
un ſimple Bourgeois qu'elle épouſe au dénouement.
On donne rarement cette bagatelle
, où l'on trouve beaucoup d'efprit &
très-peu d'intérêt. Dès l'expofition on prévoit
que l'orgueil ſe défendra mal , & que
Amour ſera le vainqueur. Nous rappelons
cette Pièce , parce qu'elle a quelque rapport
, au moins par le titre , avec la Prévention
Vaincue , Comédie en trois Actes
& en proſe , repréſentée pour la première
fois le Vendredi 17 de ce mois
Un Marquis ,dontle véritablenom eft incon
nu, & qui a pris celui de Dalincourt a ignoré
fon rang& fa richeſſe juſqu'à la mort d'unTuteur
qui a diſſipé fes biens , en même- temps
qu'il lui cachoit leſecret de fa naiſſance.Réduit
àunemédiocre fortune, il a épouſéune femme
belle & fage. Un homme puiffant s'eſt pafſionné
pour elle , & s'eſt vengé de fa refifrance
enabuſant de fon pouvoir , pour l'accabler
de perſécutions ainfi que fon époux.
182 MERCURE
Le chagrin a bientôt conduit la Marquiſe au
tombeau , & le Marquis a conçu pour la Nobleſſe
en général un mepris &une haine qui
l'ont engagé à renoncer à fon rang, à ſe retirer
à la campagne , & à y vivre en fimple
Bourgeois avec ſa fille Cécile , fruit unique
& cher de fon malheureux hymen. Le Marquis
de Florville , jadis fat, ſeducteur , homme
àbonnes fortunes , mais rendu à la raiſon
parun amour vrai , pur& déſintéreſſé , a pris
lenom de Dorval & la miſe d'un Bourgeois
ſage pour ſe lier avec Dalincourt. Il a ſu mé
riter l'eſtime du père& l'amour de la fille; Dalincourtſemontremêmetrès-
diſpoſe àle choifir
pourgendre,quand le ComtedeGrandville,
parent de Dalincourt , & Seigneur du village
où ce dernier a choiſi ſa retraite , revient à
ſon château , accompagné de ſa femme , avec
laquelle il s'eſt tout récemment réconcilié.
Cet heureux retour de deux époux réunis , &
qui vivoient auparavant dans une méſintelligence
ouverte , dans une déſunion qui , grâce
à la liberté actuelle de nos moeurs , n'eſt plus
regardée comme ſcandaleuſe,doitêtre célebré
par une fete, dans laquelle le père de Gécile
aconfenti que fa fille jouât un rôle. Le Marquisde
Florville eſt connu de M. de Grandville
&de ſa femme , avec laquelle il a eu
une liaiſon très-particulière : comme il redoute
que fon déguiſement ne rende ſes intentions&
fon ſéjour ſuſpects à M. de Grandville,
il ſe hâte de reprendre les habits d'un
homme de fon rang,&de ſe préſenter au
DE FRANCE. 183
château. Il y est très-bien reçu,on lui propoſe
même de prendre un rôle dans la fête. Après
l'avoir un peu vivement perfifflé ſur ſon ancien
genre de vie, auquel il ne paroît pas
avoir renoncé , on lui parle de la jeune
perſonne avec laquelle it doit jouer la Co
médie , & on la lui preſente. Sa confuſion
eſt extrême quand il reconnoît Cécile ;
&la ſurpriſe douloureuſe de celle - ci eft
inexprimable : elle augmente encore quand
Mme de Grandville peint le Marquis ſous
les couleurs de l'homme le plus aimable ,
mais auſſi le plus dangereux & le plus familier
avec le langage comme avec les reffources
de la ſoduction. Une explication entre
les deux amans , où la franchiſe , la
bonne- foi & la tendreſſe de . Florville éclatent
dans toute leur pureté , ramènent
Cécile fans peine àl'indulgence &à l'amour ;
mais comment gagner M. Dalincourt , comment
vaincre ſa prévention invétérée contre
les Nobles ? A l'aſpect de Florville , fuperbement
vêtu , il s'imagine voir un
Acteur couvert de l'habit de fon rôle; les
diſcours de M. de Grandville ne tardent
pas à le défabufer& à lui faire connoître le
véritable rangdu faux Dorval. Il exhale toute
ſa colère , toute fon indignation , & répond à
tous les diſcours du Marquis , à toutes fes
propoſitions d'hymen &de fortune par l'af
furance laplus formelle qu'il ne ſera jamais
fon gendre. Florville au déſeſpoir fe retire ,
avec le projet de renoncer à la main de Cé
184 MERCURE
cile , & de parvenir au moins à conferver
l'eſtime de fon père. M. de Grandville n'abandonne
pas le deſſein de rendre Florville heureux
; il parle à Dalincourt avec l'éloquence
de l'amitié; il lui peint Cécile amoureuſe de
Florville , confumant ſa vie , par obéiſſance,
dans les larmes &dans ladouleur.A ce tableau
, à l'aveu que Cécile fait de ſa tendreffe
pour le Marquis , Dalincourt fe laiffe toucher
, le ſentiment de l'amour paternel l'emporte
ſur l'habitude d'une longue prévention;
& lorſque Mme de Grandville ramène Florville
dans l'intention d'employer auprès de
Dalincourt tout ce qu'elle peut avoir de crédit
fur fon âme , elle trouve tout diſpoſe pour le
bonheur de fon jeune ami , qui reçoit lamain
de Cécile.
On trouve dans le troiſième volume des
Délaſſemens d'un Homme Senfible , parM.
d'Arnaud, une Anecdote intitulée : leMifan
trope estimable , dont le fonds a une analogie
affezmarquée avecceluide laPrévention vaincus.
Dans l'un &l'autre Ouvrage , un Gentilhomme
a quitté fon rang , fon nom & fes
titres pour vivre à la campagne en ſimple
Cultivateur ,& marie ſa fille à un Noble déguiſé
, après avoir vaincu l'aſcendant de la
prévention par celui de la Nature. Mais les
morifs des deux Perſonnages, & la concluſion
des deux Fables ne ſont pas les mêmes.
La réconciliation de M. & de Mme de
Grandville, dont le premier donne tous les
détails au premier Acte , eſt très-exactement
DE FRANCE. 18
imitée d'un joli Conte de M. Imbert , qui a
été inféré dans ce Journal en 1782 , &
qu'on trouve dans un Recueil de Contes en
proſe , imprimé en 1783 .
Il y a de l'adreſſe & de l'intelligence dans
la manière dont l'Auteur a fondu ces deux
Anecdotes l'une dans l'autre. La marche de
l'Ouvrage eſt claire ; mais elle eſt quelquefois
un peu lente , & chargée de détails qui détournent
trop long-temps de l'intérêt principal.
Le fecond Acte offre des ſituations piquantes
; la plus remarquable eſt celle que nos
Lecteurs ont déjà diftingué ſans doute , où le
Marquis de Florville rencontre Cécile dans
la jeune perſonne avec laquelle il doit jouer
la Comédie , & où il entend Mme de Grandville
s'expliquer tout haut fur fon caractère ,
demanière à le rendre ſuſpect , & même mê
priſable aux yeux de ſon amante. La répé
tition que les deux amans font d'une Scène
analogue à leur ſituation , préſente une
ſituation intéreſſante , quoiqu'un peu forcée,
elle finit très-gaiment ; mais cette fin
n'eſt qu'une réminiſcence de la Métromanie.
Le troiſième Acte laiſſe plus à defirer que les
deux premiers. Les raiſons que Dalincourt
allègue pour ſe retuſer à l'hymen de Florville,
font foibles & vagues ; quand il cite fa
propre expérience pour motiver ſon éloignement
à l'alliance d'un Noble , il fait une
grande inconféquence ; car il eſt Noble luimême
, il a été bon mari , il eſt bon père ,
&fon expérience perſonnelle parle contre fa
186 MERCURE
prévention. Il nous ſemble qu'il auroit fallu
réſerver pour le dénouement une partie des
idées fortes&même énergiques, que l'Aureur
aplacées au premier Acte dans la bouche de
Dalincourt; mettre l'opiniâtretéde la prévention
aux priſes avec l'amour paternel; enfin ,
après un combat violent,&qui étoit fufceptible
d'un grand intérêt , rendre ce dernier
triomphant.
Ces obſervations ne nous empêcheront
pointde convenir que cet Ouvrage a du mé
rire , de la gaieté, ſouvent de l'intérêt ; qu'il
annonce une connoiffance très-étendue du
Théâtre ; que le ſtyle en est bon , fain &
facile , malgré quelques tirades qui annoncent
de la prétention , & quelques expref
fionsunpeu trop recherchées. Ilfautremettre
ſouvent fous les yeux de nos Écrivains modernes
ce vers de Greffet, qu'ils paroiſſent
avoirbanni de leur mémoire :
L'eſprit qu'on veut avoir gâte celui qu'on a .
ANNONCES ET NOTICES.
:
COLLECTION des meilleurs Ouvrages François
composéepardes Femmes; dédié aux Femmes tran
çoifes , par Mlle de Kératio.
CerteCollection, annoncée aumois deJuindernier,
aparuplaire affez pour qu'on s'occupe de la mettre
àexécution, & d'expoſer le plan qu'on ſe propoſe
de fuivre..
1
On remontejuſqu'à la célèbre Héloïfe , lapremière
DE FRANCE. 187
des Femmes Françoiſes qui poſa les fondemens de leur
gloire en Littérature. Sa vie & fes Ouvrages font
précédés d'un Abrégéde l'Histoire des Lettres dans
lesGaules, depuis leur établiſſementju qu'au onzième
Gècle. La vie & les Anecdotes concernant chaque
Aureur , feront placées à la tête de les Ouvrages ;
Fordre des temps ſera ſuivi relativement aux Auteurs
&aux premièresEditions.
Cette Colection ſera compoſée de40 vol. in 8°.
des à 6 cent pages , imprimées fur carré fio de Limoges,
orues chacun d'une Gravure , composée&
exécutée par des Artiſtes eſtimés , & repréſentant le
fujet le plus intéreſſant que le vo'ume pourra fournir
On donnera deux volumes pat mois. Le prix de chacun
ſera de 4 liv. to fols pour les Souſcripteurs , en
tout 180 liv. &des liv. 10 fols pour ceux qui n'auront
pas foufcrit. Ainſi l'on aura dans un ſeul format
une Collection nouvelle en France , cù l'on
trouvera les meilleurs Pièces de Pocfie, Théâtre
Komans , Lettres , Hiſtoire des Femmes dont on ne
pouvoit réunir les OEuvres détachées qu'avec beau
coup de peine , des frais confidérables & des recher
ches ſouvent inutiles .
,
La Souſcription ſera ouverte juſqu'au mois de
Janvier 1787 On payera 6 liv. en ſouſcrivant , &
7 liv. 10 fols en retirant les deux premiers volumes,
defortequ'il y aura toujours un volume payéd'avance.
Onpeut ſouſcrire chez l'Auteur , rue de Grammont
Nº. 17 ; chez Lambert , Imprimeur-Libraire , rue
de la Harpe, près S. Côme; Cuchet , rue & hôtel
Serpente; Lagrange , au Palais Royal , N°. 123 ,
côtéde la rue Neuve des Bons-Enfans ; Leſclapart ,
rue du Roule , Nº. II , près le pont- neuf, & chez
les principaux Libraires de l'Europe.
Onprévient auſſi que l'Histoire d'Elifabeth,Reine
d'Angleterre, dont l'impreſſion a été retardée par des
raiſons perſonnelles à l'Auteur , paroîta en catier au
188 MERCURE
mois de Juin prochain. D'autres raiſons obligeant à
n'y inférer que le ſeul portraitde la Reine Elifabeth ,
on a réuni les quatre volumes en trois beaucoup
plus forts que n'auroient été les quatre deja annoncés,
afin que le Public n'ait pas à ſe plaindre de la
privation des gravures,& que les frais d'impreſſion
étant exactement les mêmes , les Soufcripteurs ne
payentque is liv. ce qui leur en auroit coûté 20 liv. ,
& le Public 18 liv. ce qu'il auroit payé 24 liv. On
peut se faire inferire auſſi chez l'Auteur , rse de
Grammont. No 17; chez Lagrange , au Palais
Royal , Nº. 123 , & chez les principaux Libraires
de l'Europe.
De l'État natureldes Peuples , ou Effai fur les
Points les plus importans de la Sociélé Civile, &
de la SociétéGénérale desNations. 3 vol. in 8°. br.
Prix , 12 liv. A Paris , chez la Veuve Herifſant ,
Impr. - Libr , rue Neuve Notre-Dame.
Cet Ouvrage, dontnous rendrons compte incef-
Ament , est très-important par ſon objet ; & une
Approbation très - avantageuſe du Cenſeur qui l'a
examiné, prévient en faveurde ſon exécution.
CINQUIEME Livraiſon des OEuvres deM.Geffner,
en 3 vol. grand in - 49. , ornés le 74 eſtampes ,
&autantde culs -de-lampes , de la compofition de
M. Barbier l'aîné , Peintre du Roi. A Paris, chez
l'Auteur; la Veuve Heriſſant, Impr. -Lib. rue Neuve
Notre-Dame , & Barrois l'aîné , Lib. , quai des Auguftins.
:
CetOuvrage eſt exécuté avec un foin qui doit le
rendre précieux aux Amateurs. Il eſt à la fois recom
mandable par l'impreſſion, le deſſin & la gravure.
Le nom de l'Artiſte qui en eſt l'Auteur , étoit un
garant du ſuccès. Le caractère de l'eſtampe y est
toujours relatif au ſujet ; on voit que le Peintre a
DE FRANCE. 189
:
changé de ſtyle comme le Poëte. Comme aux ſujets
antiques , Geffner en a mélé quelques- uns de modernes
, M. le Barbier a changé de manière avec lui.
On peut citer pour exemple l'Idylle intitulée : le Souhait.
Le Peintre n'a pas manqué dedonner le coſtume
d'un payſan Béarnois au Villageois rencontré par
Thomine bienfaiſant.
:
Enfin le mérite réel de cet Ouvrage , bien digne
afſurément des honneurs Typographiques , doit en
faire un des ornemens de nos Bibliothèques.
CABINETdesModes , ou les Modes nouvellement
décrites d'une manière claire & précise , & représentées
par des Planches en taille- donee enluminées ,
trois Cahiers.
L'idée de ce Cabinet est heureuſe , &il a dû réuf-
Gr . On ſouſcrit pour 21 liv. pour Patis & pour la
Province franc de port par la poſte , chez Buiffon ,
Libraire, rue des Poitevins, hôtel de Meſgrigny.
LECTIONES Theologia de Matrimonio quas in
fuis fcholis habet facra Facultas Nancencis. Nanceii
apud viduam Bachot , Regis & Univerfitatis
Typographum Bibliopolamque Juris , in- 12. Pari-
Gis, apud Carolum-Petrum Berton , Bibliopolam
via ſancti Victoris.
-
Une ſaine doctrine , de la méthode, de la clarté
&de la précifion forment le mérite de cet Ouvrage.
TESTAMENT de Jerôme Sharp , Profeffeur de
Physique amusante , où l'on trouve parmi pláſieurs
tours de fubtilité qu'on peut exécuter ſans aucune
dépenſe, des préceptes & des exemples ſur l'artde
faire des chanſons impromptu , pour ſervir de conplément
à la Magie blanche dévoilée , par M. Decremps,
duMusée de Paris , avec 69 figures. Prix ,
٢٠
190
MERCURE ..
3liv. franc de port par tout le Royaume. AParis ,
chez l'Auteur , rue des Rats , près la place Maubert,
N°. 5 .; & chez Granger , Bailly , Lagrange & Lefclapart
Libraires.
Les Amateurs liront avec plaiſir dans le premier
Chap. de cet Ouvrage , l'Histoire d'une Devinereſſe
qui avoit l'induſtrie de débiter ingénieuſement des
Oracles toujours vrais , fans que les raiſonnemens
d'un Philoſophe inſtruit& peu crédule puſſent jamais
ladéconcerter. Le ſecond Chap. démontre , parmi
pluſieurs tours de cartes nouveaux , ou nouvellement
perfectionnés ,le moyen preſque sûr de gagner des
paris , &le danger de jouer au brelan ou à la triomphe
avec des perſonnes dont la probité eſt équivoque.
Dans le troiſième Chap. M. Decremps , après avoir
amuré le Lecteur par des tours d'adreſſe clairement
décrits, l'inftruit par des digreſſions intéreſſantes , &
finit par exercer l'eſprit , ſoit en démontrant l'art de
rimer impromptu , ſoit en expliquant le moyen de ſe
formerune mémoire artificielle , &c. &c. Le dernier
feuillet enſeigne une manière bien fimole pour entretenirune
cors ſpondence fecrette; c'eſt de la muſique
qui par la manière de préſenter le papier , n'offre aux
yeux que de l'écrirure ordinaire .
Au reſte , M. Decremps , ſous letitre de Teſtateur ,
offre à les Lecteurs , qu'il appelle ſes héritiers , plufieurs
exemples par leſquels il prouve que ſes inftructionsſontdesbiens
réels, puiſqu'elles tendent à lacon
ſervation des autres biens.
ESQUISSE d'un Tableau général du genre-humain,
où l'on apperçoit d'un feul coap - a'oeil les Religions
& les Moeurs des différens Peuples , les Climats ſous
lesquels ils habitent , & les principales variétés de
forme& de couleurs de chacun d'eux. Par Mlle le
Maffon-le Go'ft , du Cercle des Philadelphes , &c.
Mile le Maffon- le- Golft , déjà connue par plus
DE FRANCE.
191
fieurs Ouvrages , enoffre un bien intéreſſant pour
l'Éducation. Ce Tableau repréſente au premier coupd'oeil
l'homme phyſique & moral fixé fur nos deux
hemisphères. On y remarque la couleur olivâtre
de l'Afiarique ; la noire&bafannée de l'Africain:
lablanche de l'Européen; enfin cellede l'Américain
ſous la zône torride, qui étoit , avant la conquête de
ce nouveaumonde, de la couleur du cuivre rouge, &
ſous leszones tempérées , balannée , jaunâtre & olivâtre.
Si l'on confidère l'homme phyſique & moral, il
eſtdiſtingué par des ſignes qui le caractériſent; c'eſtà-
dire, s'il eſt Catholique Romain, par une croix ; féparé
de l'Eglise, par une croix renversée ;Mahométan,
par un turban ; idolâtre , par un ſoleil ; s'il efti
grand, par trois lignes parallèles ; très grand , par
quatre; moyen , par deux lignes parallèles ; petipar
une ligne horizontale ; bienfait , parune ligne perpendiculaire;
malfait, par un z ; beau, par un ovale,
laid, par un quarré anguleux ; humain , par unpoignard
la pointe en bas ; cruel,par un poignard
la pointe élevée; Sivant, par un triangle;vivant en
fociété, par une mouthe: Sauvage , par une flèche ;
nud, par un ver de terre ; poligame , par quatre
points , &c. Cet extrait annonce un travail fort étendu&
neufen ſon genre, mais en même-tems il doit
occuper ſa place dans tout ce qu'on a publié fur la
Géographie , &c.
Ce n'eſt que chez M. Moitey ,Ingénieur Géographe
du Roi, Profeſſeur de Mathématiques & d'Architecture
Militaire de MM. les Pages de LL. AA. SS.
Mgr. le Prince & Madame la Princeſſe de Conty ,
rue de la Harpe , la porte cochère No. 109 , que l'on
pourra ſe procurer cette Carte. Prix , 2 liv. 8 fols.
TROIS Sonates pour le Clavecin ; les deux
dernieresavec Violon obligé, parM. Amédée Rafetui:
1
702 MERCURE
Ce- re-4, priz , 6 liv. A Paris, chez l'Auteur ,rue
S. Lazare , maiſon de M. Renard , nº, 6. bis.
RONDEAU pour le Forte-Piano , par Mme Desmaiſons.
Prix, 3 liv . AParis, chez le ſieur Sieber , rue
S. Honoré , vis-à- vis l'hôtel d'Aligre , nº . 92 .
DEUXIEME Recueil des Etrennes d'Euterpe , ou
Romances- Vaudevilles , &c. Dédiées à la Jeuneffe,
paroles &muſique par M. Ducray ; acompagnement
deGuittare du même Auteur , OEuvre 3. Prix, 2 liv.
8fols. A Paris , chez Robin , quai de Gêvres , aux
deuxAnges ; de Rouliède, rue S. Honoré, près l'Ora
toire ; Mile Lebeau , Mlle Rivet , toutes deux au
Palais Royal .
FEUILLES de Terpficorepour laHarpe & le Clavecin,
Nos. 9 , 10 , 11 , 12 & 13. Prix ſéparément
1 λιν.4fols; abonnement pour chacun de ces Journaux,
30 liv. port franc pour sa Livraiſons qui ſe
font chaque Lundi. AParis , chez Couſfineau , père
&fils , Luthiers de la Reine , rue des Poulies.
AMmeN.....
TABLE.
145 Eloge de Maximilien-Jules-
AunejeuneDemoiselle, 146 Léopold , Duc de Brunf-
Quatrain , 147 wick- Lunebourg , 164
Charade, Enigme & Logo- Suite des Lettres de Jenny de
gryphe, 148 Bleinmore ,
Effais Historiques fur les Académie Françoise ,
Moeurs des François , 150 Comédie Malienne ,
Delaſſemens del'Homme Sen Annonces & Notices ,
fible , 161
APPROBATION.
167
177
181
186
J'AI lu, par ordre de Mgr. le Garde- des-Sceaux , le
Mercurede France , pour le Samedi 25 Fevrier 1786. Je n'y
ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreffion. A
Paris,le 24Février 1786. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
:
:
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 12 Février.
ر
E 9 du mois dernier, le Sund entre Cof-
L✓ mar & Oelande étoit entierement termé
par les glaces , & on le paſſoit en traîneau .
Le 25 Janvier , la Compagnie d'Affurances
maritimes de Copenhague a fixé dans
fon Aſſemblée le dividende à 2 pour cent,
ou 20 rixdalers pour chaque ancienne Action.
Onportela quantité de grains qui ſe trouve
encore actuellement à Dantzick dans les
magaſins des Négocians à 5000 laſts de froment&
à environ 3000 de ſcigle .
On écrit de la Pomeranie Suédoiſe, que
le Roi de Suede a fupprimé la torture dans
fes Etats d'Allemagne. Le Décret de fuppreſſion
eſt du 12 Novembre 1785 . t
DE VIENNE , le 12 Février...
De longues féances de S. M. I. à la Chan-
N°.8 , 25 Fevrier 1786. g
( 146 )
:
sellerie de Hongrie ont fait renouveller les
bruits qui circuloient depuis quelque temps
fur l'état futur de ce Royaume. On croit
peu , il eſt vrai , à la prochaine tenue d'une
Diere Hongroife & à la nomination d'un
Palatin , annoncées ſans fondement ; mais
au lieu de ces opérations politiques , l'on
s'attend à un arrangement qui permettra à
laHongrie la libre exportation de ſes denrées
dans les Etats héréditaires , fans payer
de droits de Douanne , moyennant 9 millions
de florins qui feront ajoutés à la contr.
bution annuelle du Royaume,
On attribue à l'Empereur le projet de
ſupprimer les primogenitures ; les Etats ,
dit on , ont été prévenus de s'occuper des
meſures à prendre pour ſubſtituer au droit
d'aîneſſe un partage égal des héritages entre
les enfans des ſujets de S. M,
Un jeune homme de qualité perdit au
jeu l'année derniere une fomme confidérable.
Nonobſtant les avertiſſemens du Monarque
, il vient de perdre encore 18000 fl.
dans une foirée. L'Empereur en étant inftruit
, lui a adreſſé une forte réprimande , &
Fa interdit,
Suite du Traité de commerce entre l'Empereur
& l'Imperatrice de Ruffie.
VI. Nous ordonnons & voulons pareillement,
qu'à l'avenir il ne foit payé aucun droit d'engréede
plus que de dix pour cent, pour foures
Jes pelleteries qui ferontimportées de la Ruſſie
dans nos états , pour le compte des propriétai
1
(147 )
res de nos états héréditaires , ou de la Ruffie:
VII . Pareillement dorénavant , & de ce moment
, il ne ſera pas payé pour l'entrée du
Kaviar que cinq pour cent du quintal poids ,
ditSporko .
-VIII . Tous les ſujets de la Ruffie , par rap
port au droit & à la liberté de décharger & de
dépoſer dans les magaſins des ports d'Oftende
& de Nieuport, leurs effets & marchandises &
enfaite de conduire plus loin ces mêmes marchandises
, feront traités de la même maniere
que toutes les autres nations les plus favoriſées .
IX. Toutes eſpeces de denrées , productions
des arts & fabriques de la Ruſſie , ou de la
Chine , immédiatement importées des ports de
Cherfon , de Théodéfie & Sewaſtopolis , par
des Ruffens tant ſur leurs propres vaiſſeaux que
fur ceux des pays héréditaires , auffi bien que
les mêmes productions nationales qui feront ex
portées par eux dans ces mêmes ports , jouiront
d'un quart de diminution des droits à payer en
vertu des tarifs actuels ou futurs. Cette diminution
aura également lieu dans les mêmes cas
à l'égard des ports de Trieſte & de Fiune ,
dans le cas que pendant l'eſpace des douze années,
fixées par le troiſieme article du préſent ,
il arrivât qu'il y fut établi des droits.
X. Dans le cas que des navires Ruffiens
fuflent forcés , ſoit par quelque tempête , ſoit
par la pourſuite d'un corſaire , ou pirate , ſoit
enfin pour tout autre événement de chercher
un refuge dans quelque port des pays héréditaires
, nous voulons qu'il ſoit permis de les y
faire reparer , qu'ils y foient pourvus de tout
cedont ils auront beſoin, & qu'ils en puiſſent
repartir & faire voile fans aucun empêchement;
& nous défendons expreſſement , qu'aucuns nas
g2
(148 )
vires en pareils cas foient tenus par les ema
ployés des dovanes dans nos ports à aucune
vifitation ou recherche ou payement de droits ,
ſous condition cependant qu'il ne pourra être
rien déchargé de leur cargaison , ni aucunes de
leurs marchandises mises en vente , & qu'au
furplus ils ſo conforment & ſe ſoumettent en
tout aux loix , ordonnances & uſages établis :
dans le cas cependant qu'ils vouluſſent mettre
en vente quelques-unes de leurs marchandiſes ,
alors ils doivent ſe conformer , à cet égard ,
aux ordonnances & à ce qui eſt preſcrit par le
tarif des douanes.
XI . Nous defendons pareillement de retenir
dans aucuns de nos ports aucun vaiſſeau de
guerre ni navire marchand Ruſſien, ni aucune
perfonne des équipages deſdirs navires , cu d'en
faifir & arrêter les marchandises ; cependant
nous refervons le pouvoir à nos Cours de Juſ
tice de procéder conformément aux loix & aux
formalités judiciaires d'uſage contre les propriétaires
des navires , (tant à leur égard qu'à l'égard
de leur cargaison ) qui auront fait quelques demes
perfonnelles dans le pays , auffi bien que contre
les proprietaires , ou autres personnes que
ce puifle être de l'équip ge , qui auront commis
quelque crime , ou quelque action puniflable
, dans lesquels cas ceux qui s'en feront
rendus coupables feront traités ſuivant les ordonnances
& les loix exiſtantes dans le pays.
XII. Nous défendons à tous commandans dans
les ports de nos pays héréditaires d'arrêter jamais
, ſous quelque prétexte que ce ſoit , par
violence , foit pour le fervice de guerre , cu
pour quelque affaire de tranſport que ce puiffe.
étre , aucun navire appartenant à un lujet
Ruffe.
:
1
( 149 )
Xill. Tous nofdirs commandans, en outre ,
& en général tous & un chacun de nos fuj -ts ,
dans le cas que quelque navire , appartenant
à un ſujet de S. M. l'Impératrice de Ruſſie ,
vint à échouer ou à faire naufragé ſur les
cores de nos états , employeront toute l'attention
& les foins necellaires , pour qu'il foisprêté
toute Paffiſtance , l'aide & le ſecours poſſibles ,
tant aux navires qui ſe trouveront dans ce cas ,
que pour fauver les perfonnes & les effen qui
s'y trouveront. Bien entendu toutefois qu'ils auront
à payer dans de ſemblables cas , tous les
memes frais & dépens à quoi font , dans tous
ces mênits cas, obligés nos propres ſujets, par
les loix & ordonnances.
XIV. Convaincus de plus en plus de l'avanrage
& du but falutaire des principes , que ,
durant la derniere guerre de mer , nous avons
adoptés , unanimement avec S. M. l'Impératrice
de Toutes-les-Ruffies , par rapport au ſyſteme
d'une neutralité armée , nous sommes conſtamment
décidés non ſeulement à porter l'attention
la plus foigneuſe à ce qu'elle ſoit (cette
neutralité ) ſcrupuleuſement , univerſellement
obſervée, mais nous voulons en outre Pobferver
& la faire obſerver envers tous les ſujets
de S. M. l'Impératrice de Rufie. S'il arrivoit
que par la fuise nous nous trouvaſſions en guerre
avec d'autres états , notre volonté eſt que pour
cela le négoce & le commerce libre entre ces
états& les ſujets Ruffiens, ne foit aucunement
interrompu. Bien plus dans tous ces cas nous
voulons que les avantages ſpécifiés dans les
quatre principaux points ſuivans , leur foient
accordés. Savoir 1º. Chaque navire pourra librement
naviguer de port en port , & faire
voile pour les côtes des nations de guerre. 2°.
83
(150 )
13
Tous les effets des ſujets d'une Puiſſance en
guerre , pourront & devront être libres fur des
vaifleaux neutres; les choſes de contrebandes
fules exceptées. 3°. Pour déterminer ce qu'on
doit entendre par une place maritime bloquée ,
aucune place ne pourra être réputée ni appe,
lée bloquée , que , lorſque les vaiſſeaux de la
Puiſſance qui la fera attaquer , le trouveront
dans une telle proximité & dans une telle dilpofition
& fituation , que l'entrée dans ce port
ſe trouve expoſée à un danger évident. 4°.
Jamais aucuns navires neutres ne pourront être
retenus & arrêtés que pour des cauſes abſolumene
juftes , & fondées ſur des faits publics.
Le jugement à porter dans ce cas doit être
rendu fans aucun dé'ai ; laprocédure àGet égard
toujours uniforme , promite & conforme aux
loix, & non-ſeulement le dédommagement convenable
doit être adjugé à ceux qui , fans leur
faute , en ont fouffert quelque perte , mais en
outre pleine & entiere fatisfaction être faite à
la nation , dont le pavillon aura été inſulté.
XV. Tous les vaiſſeaux appa tenans àdes ſu
jets Ruffiens , qui naviguent fans eſcorte , dans le
cas qu'ils folert rencontres , foit fur les côtes ,
ou en pleine mer, par quelqu'un de nosvailleaux
de guerre , ou par quelque navire d'un armateur ,
feront obligés de ſe ſoumettre à la viſite ,& dans
ces cas aucuns papiers du navire ne pourront être
jettes hors du bord. Par contre nous ordonnons
que les fufdirs navires de guerre ou d'armateurs
s'entiennent toujours dans un au fli grand éloignement
que celui où peuvent atteindre les canons
du navire Ruffe marchand, & que même , pour
obvier à tous défordres , jamais ils n'envoient
plus de deux ou trois hommes dans leur canor ,
à bord da navire Ruffe , pour faire la viſite&
2
:
( 151 )
l'examen des paſſeports & lettres , par lesquels
ſe doit juftifier la propriété du vaiſſeau & de,
la cargaiſon . Dans le cas au contraire que ces
navires marchands ſe trouvaſſent envoyés par .
un , ou pluſieurs navires de guerre , la déclaration
pure & fimple de l'officier qui commandera
le convoi, que les ſuſdits navires ne font char
gés d'aucune choſe de contrebende , ſera confidérée
comme parfaitement ſuffifante; & alors i
n'y aura plus l eu à aucune eſpece de viſite.
XVI. Auſſi- tốt que , de la déclaration verbale
du Commandant du convoi , oude la repréſenta
Lion des documens , il apparoîtra évidemment que
de pareils navires , rencontrés ſur mer , ne font
chargés d'aucune contrebande , alors ils pourront
continuer librement leur route , fars être plus
long- tems retenus , & tous vaiſſeaux de guerre ,
ou navires d'armataur , qui , malgré cela , tenteroient
d'occaſionner à ces navires , de quelque
maniere que ce ſoit , quelques poives ou dommages
, en répondront de corps & de biens ,
aufli bien que pour la fatisfaction due pour l'ins
ſulte faite au pavillon .
XVII. S'il arrivoit qu'un navire ruffien , lors
de la visite , fût trouvé chargé de contrebande ,
nous defendons que pour cette raiſon on puifle
enfoncer ou ouvrir par force aucunes caiffes ,
caiflons , coffres , ballots qu tonneaux , ou s'em
parerde la moindre choſe des marchandises ; mais
celui qui ſe ſera emparé d'un tel navire , eſt averti
de le conduire dans un port de mer , où immédiatement
après l'inftruct on du procès par les Cours
de Juſtices commiſes à cet égard , il ſera rendu ,
conformément aux réglemens & aux loix pref.
crites à ce ſujet , unjugement décisif, en vertu
dnquel les marchandiſes prohibées , ou reconnues
pour contrebande, ſeront confiſquées ; mais au
84
( 152 )
reſte toutes les autres marchandises& tous autres
effets du naviredevront être exactement rendus ,
fans que , dans aucun cas , le navire , ou aurre
choſe de ſa cargaiſon , puiffent être retenus ſous
Je prétexte de dépenses faites , ou d'amende, à
payer. Le Capitaine d'un navire trouvé dans ce
cas , auffi- tôt après qu'il aura livré la marchandife
reconnue pour contrebande , ne ſera point
tenu d'attendre, contre ſavolonté, la fin du procès;
nous ordonnons & voulons au contraire qu'il
puiſſe , auſſi tôt que bon lui semblera , remettre
àla voile avec la partie reſtantede ſa cargaiſon :
dans le cas même qu'un navire marchand Ruffien
fût pris parunde nos vaiſſeaux de guerre , eu un
denos armateurs , & que ce navire étant chargé
de marchandiſes reconnues pour contrebande ,
voulût d'abord remettre ces mêmes marchandi es ,
dès ce moment il aura ſon entière liberté , &
pourra fans aucun empêchement continuer ſa
route. Le Capitaine qui aura fait la prife ſeratenu
de ſe contenter de cet abandon volontaire , fans
pouvoir , en quelque maniere que ce foit , arrêter
, troubler , moleſter ni le navire ni l'équipage.
XVIII . Sous la dénomination de contrebande
de mer , on ne doit compter que les objets faivans
; ſavoir , toutes fortes de canons , mortiers ,
armes à feu , piſtolets, bombes , grenades , gros
&petits boulets , fufils , pierres à feu , meches ,
poudre , falpêtre , foufre , cuiraffes , hallebardes,
ou piques, épées, ceinturons, gibernes , felles ,
brides : de toutes leſquelles choſes on doittoutefois
excepterla proviſion néceſſairepour la défenſe
du navire& de l'équipage. Mais pour tous autres
articles noncompris dans la déſignation de ceux
ci-deſſus ſpécifiés , ils ne doivent en aucune facon
être conſidérés comme munition de guerre
7-153 )
ou de mer, ni être ſujets à confiſcation;aucontraire,
on doit les laiffer paffer ſans aucun empê
chement.
XIX. Quoique maintenant on ait clairement
déjadéterminé dans l'article précédent tous les
objets de contrebande , & déclaré tous ceux qui
n'y font pas nominémentdésignés comme libres &
devant être affures contre toute falfie , ou arrêt
cependant nous nous trouvons dans la néceflité , à
cauſe des difficultés quiſe ſont élevées dans la derniere
guerre de mer , concernant les droits des
peuples neutres , par rapport à la vente qu'on
peut fairs de navires aux Puiflances en guerre,
pourprévenir tous doutes qui pourroient naître
à ce ſujet ,de conclure& arrêter ce qui ſuit:
Savoir que dans le cas que nous nous trouvions
enguerre avec une Paillance étrangere , il n'en
fera pas moins toujours permis aux ſujets de S, M.
l'impératrise de toutes les Rufies de vendre a
cetre Puiffance , ou de faire contruire pour fon
compte , autant de navires que bonlui ſemblera ,
Iins que nous puiſſions , non p'us que nos vaifſeaux
de guerre , ou ravires d'armateurs , y apporter
aucun empêchement. Cependant il deit
s'entendre de foi même , que de ſemblables navires
doivent être pourvus de tous les documens
néceſſaires , pour prouver & juftifier que la propriété
en appartient à des ſujets Ruſſes , ſoit qu'ils
l'aient conftruit pour leur compte , ou qu'ils
l'aient légitimement acquis.
XX. Notre volenté el , en outre , que tous
les ſujets d'une Puiſſance en guerre avec nous ,
qui font entrés en ſervice dans les Etats de la
Ruffie , ou qui y feront naturaliſés , ou quiy ont
acheté le droitde bourgeoiſie , quand même cela
ſeroit arrivé pendant la guerre , foient confidérés
parnos Officiers de mer comme tous autres parti
85
(154)
culiers nés Ruffiens , & qu'en conféquence ils
foient traités de la même maniere.
Lafuite à l'Ordinaireprochain.
L'Empereur a ordonné d'ariner à ſes frais
dans le port de Trieſte deux cutters de 20
canons chacun . Leur destination eſt de croiſer
ſur les côtes de la Dalmatie , & de pro
téger le commerce des ſujets Autrichiens.
Le régiment de Léopold de Tofcane-
Dragons , de retour des Pays-Bas dans les
environs de cette ville, a continué le 28 fa
marche pour ſe rendre à fon quartier de cantonnement
dans la Hongrie. On apprend
de Linz que le regiment d'Infanterie deTillier
y est arrivé des Pays-Bas le 19 & le 22
de ce mois.
On croit ici géneralement que l'Ordonnance
qui hauſſe la valeur des eſpeces d'or
dans les Etats héréditaires , ſera ſuivie inceſſamment
d'une ſeconde qui hauſſera aufi
les eſpeces d'argent , parce que , ſi on laiffoit
ſubſiſter l'ancienne proportion entre les
eſpeces d'or & d'argent , il feroit à craindre
que celles ci ne fuſſent exportées.
DE FRANCFORT , le 17 Février.
Par une Ordonnonce du Magiſtrat de
cette ville , les nouveaux Louis d'or de
France ſont mis hors de cours , & les écus
de 6livres de 1784 , baifſés au prixde 2 flor.
40 kreutzers .
Il ſemble que plus le Roi de Pruſſe ap-
1
1
( 155 )
proche de ſa fin, plus l'intérêt qu'inſpirent
les moindres actions de ce Monarque fe fortifie.
Les Papiers publics Allemands font
remplis depuis quelque temps de dérails à ce
ſujet; détails qui ne ſont pas tous fort authentiques
ni bien nouveaux : mais les circonfiances
politiques de l'Empire les font lire
avec une eſpece d'enthouſiaſme. Une Feuille
Allemande , entr'autres, préſente de la maniere
ſuivante l'emploi des journées de Fré
déric II.
Ce Monarque , qui a donné le ton à fon fiecle ,
ſe leve pendant l'été à quatre heures & pendant
l'hiver à cinq heures du matin. Toutes les lettres
qu'on lui a écrit , tous les placets qu'on lui prés
fente font rangés la veille ſur ſa table par ordre ,
&c'eſt par leur lecture qu'il commence la journée.
Il ouvre toutes les lettres ; il lit tous les
érits attentivement , & enſuite il en fait trois
paquets différens. Dans le premier ſont ceux dont
il veut lui-méme faire la réponse; il met dars
le ſecond tous ceux qui doivent être renvoyés au
Miniſtre , aux Conſeillers & aux Tribunaux ; le
troiſieme enfin contient tous ceux qui n'ayant ni
rime ni raiſon , ne ſont bons qu'à être jettés au
feu ; & c'eſt le Monarque qui fait lui- même ce
facrifice. Le Secretaire d'Etat vient un peu plus
tard & travaille avec ſon maître aux expéditions
les plus preſſées. Eufuite celui-ci monte à cheval,
viſite ſes légions , & rentre au Palais pour y recevoir
1s étrangers qui viennent lui faire leur
cour . Vient l'heure de la table ; il y paroît toujours
gai , & dit une infinite de choſes dont la
juſteſſe & la vérité ſont de tous les fiecles. Après
diner , le même Secretaire d'Etat revient pour
g6
( 156 )
continuer &achever le travail do matin , ce qui
dute ordinairement jusqu'à quatre ou cinq heures.
Alors le Monarque ſe livre au repos ; & ce
repos confifte dans la lecture de quelques bons
ouvrages anciens ou modernes , qu'il lit ou qu'il
ſe fait lire par ſon lecteur. Un Monarque qui
fait remplir ſes journées de cette maniere , peut
bien exiger de tous tes Miniſtres , Généraux ,
Officiers civils & militaires, qu'ils ne ſoient point
auſſi prodigues du tems qu'ils ont coutume de l'ê
tredans biendes pays.
Lejour de fon Anniverſaire , ce Prince a
faitpluſieurs cadeaux pécuniaires aux Prin-
'ces de ſa maiſon. Il adonné au Prince Henri
10,000 rixdalers&une montre de lamême
valeur ; à la Princeſſe Amélie sooo rixdal.
2000 au Prince Royal , autant au Prince
Ferdinand de Prufſe, & 1000 rixd. au Duc
Frédéric de Brunswick.
Outre le Général de Ziethen , le Roi de
Pruſſe a perdu le Colonel de Trofcki dont il
avoit diftingué les talens militaires. Il a
même donné une preuve touchante de ſa
haute eſtime pour cet Officier , en écrivant
à ſa veuve la lettre ſuivante :
La mort a enlevé bien fubitement le Colonel
de Troſcki votre mari. Je perds en lui un trèsbon
& brave Officer. C'était un cri général , &
je ſavois bien apprécier ſes talens peu ordinaires.
L'Ordre du mérite deſtiné à votre brave époux
& renvoyé de votre part , & la reconnoiffance
que vous me témoignez pour les bienfaits qu'il a
reçus de moi, doivent être pour vous& vos enfans
un témoignage éternel de l'eſtime juſtement due,
que j'avois pour ſes ſervices. Je ne veux point
(157 )
cependant en reſter là , &vous pouvez être per
fuadée que la veuve auſſi bien que les enfans d'un
Officier fi mérirant , ne feront jamais oubliés.
C'eſt pourquoi vous pouvez avec confiance &
fans délai m'envoyer le détail circonſtancié de la
fituation dans laquelle il vous a laiſſée , ainſi que
le nombre & l'âge de vos enfans , afin que je
voie par- là ce que peut & doit faire pour vous
&pour eux votre affectionné Roi.
Potzdam le 21 Janvier 1786 . FRÉDÉRIC .
Poft-fcriptum de lamain du Roi. J'avois honoré
beaucoup votre mari , comme le modele d'un
parfait Officier ; mais puiſqu'à mon grand regret
la more vient de me le ravir, je veux du moins
le remplacer asprès de ſes enfans , & faire pour
eux & leur mere ce que je me propoſois de faire
pour le pere. Envoyez- moi donc au plutôt la liſte
de tous vos biens; je vous promets de faire enforte
, que toute la famille ſoit contente.
FRÉDÉRIC .
Peu après l'envoi de cette Lettre , le Roi
fit ſavoir àMadame Troſcki qu'il lui accordoit
the penſion de soo rixdalers , & une
terre de 20 mille rixdalers pour ſes enfans.
S. M. P. s'eſt également chargée de marier
l'aînée des filles du défunt , de procurer un
Canonicat à la ſeconde , & de placer les fils
àl'Ecole Militaire .
Un Journal politique offre le dénombrement
ſuivant de la population actuelle de
l'Allemagne , & le calcul de la furface de
chaque Cercle.
ames.
Le Cercle d'Autriche 4,150,318
milles carrés
deSuperf.
2,161
( 158 )
de Bourgogne , 1,000,000 :: 469
deBaviere , 1,899,593 • 1,020
de Franconie , 1,000,000 484
de Souabe , 1,855,890 729
de Westphalie , 2,207,687 1,160
du Bas-Rhin , 1,182,057 458
du Haut-Rhin , 1,474,487 502
de la Baſſe Saxe , 2,175,690 1,280
- de laHaute Saxe, 3,920,689 2,160
La Bohême , 2,265,867 961
La Moravie ,. 1,137,227 396
La Siléke , 1,828,000 770
LaLuface , . • 394.000 180
Total ,. 27,401,579
Etat détaillé de la popularion du Cercle de la
12,796
Haute- Saxe.
Pomeranie Pruffienne ,
Suédoiſe ,
Brandebourg ,
Anhalt ,
Saxe Electorale ,
Gotha ,
Cobourg ,
Erfort ,

Schawartzbourg ,.
Hohenstein ,
Lobenstein& Ebersdorf ,
Les autres pays du Cercle ,
Total ,
ames.
• 487,979
100,547
1,097,232
100,000
1,400.000
85,138
65,000
36,000
100,000
, 30,800
13,500
404,500
3,920,689
On écrit de Vienne , que l'Empereur ſe
propoſe d'ôter aux Abbés & Prieurs des
Abbaies & Couvens l'adminiſtration du
temporel , & de la confier à des Abbés
commendataires .
( 159 )
Nous donnâmes l'année derniere l'état
détaillé de l'armée du Landgrave de Heſſe-
Caſſel : voici maintenant celui des troupes
de l'Electeur d'Hanovre. On verra que ces
deux Princes unis par le ſang, par le voiſinage,
& par les alliances, pourroient former
une armée combinée de so mille hommes
des meilleurs foldats de l'Allemagne.
CAVALERIE , 17 Régimens;
SÇAVOR :
hommes.
Le Régiment des Gardes , 386
du Corps , 380
de Hammerstein ; 380
de Bremer , 380
- de Sprengel , 380
Les Dragons de Ramdor , 383
de Buſch , 383
de Fréderic , 383
d'Eſtorf, 383
de laReine , 382
du Prince de Galles , 382
Total 4,202
INFANTERIE , 17 Régimens ;
SÇAVOIR :
Le Régiment des Gardes , 789
de Stokhauren , 764
du Prince Frederic , 796
de Rheden , 765
deBorck , 787
delaMorte , 787
de Sydow , 787
deBufch , 787
du Prince Erneft, 787
de Saxe-Gotha , 787
L
( 160 )
deVieux Linfing , 787
de Taube , 787
de Linfing le jeune , 787
d'Ahlefeld , 787
de Reinhold , aux Indes orientales.
1,035
de Wangenheim , aux Indes
orientales , 1,035
d'Artillerie , 670
Irgénieurs & Mineurs , 37
Total 13,762
Milice réglée.
hommes,
Le Bmaillon d'Hanovre , 550
deCelle , SSO
de Ca'enberg , 550
:
de Lunebourg , 550
de Grubenhagen , 550
de Wenden , 550
de Hameln , 550
deHoya , 550
deGottingue, 550
de Diepholz , 550
Total 5,500
BataiNon de Ratzebourg ,
de Harbourg ,
Bataillons de Garnison composés d'Invalides.
Premier Ba aillon de Hamelo ,
Second Bataillon de Hameln ,
Compagnies de Clausthal & de Neuflade , 60
Artilleriede Garnison ,.
600
600
600
600
Cavalerie,
124
2,584
• RESUMÉ.
4,202
( 161 )
Infanterie, 13,762
Milize , 5,500
Bataillons deGarniſon , 2,584
• Total général 26,048.
La deſcription géographique du Cap de
Bonne - Eſpérance , publiée à Glogau par
M. Menzel , renferme diverſes particularités
fur cet établiſſement Hollandois , mal connues
juſqu'ici des voyageurs .
Ricbeck achera le terrein appartenant auxHol-
Jandois , non pour 50,000 florins , comme on le
dit , mais pourdes couteaux , miroirs & verreries
de la valeur d'à- peu - près mille forins. Tout
le pays appartenant à la Compagnie,ſe diviſe en
trois grands diſtricts & aurant de petits. La partie
de la côte Sud Oueſt , habitée parles Hollandois,
comprend à pu-près 100 milles d'Allemagne ;
lacôte Sad Eft 150,& les bornes du paysauNord
font à 250 heures de chemin duCap.
Le hautGouvernementconnſte en un Gouverneur
, quatre Chefs du commerce , quatre Marchands;
le Gouverneur n'a que 6000 flarins , les
Chefs du commerce 1200 & 420 réales de penfion
; & les Marchands 720 forins & 288 reales;
mais l'Auteur ſe garde bien d'apprécier leurs revenus
cafuels. Enfin les dépenfes de la Comgagnie
en appointemens font un total de 394,965
Horins.
Les revenus du Gouvernement , qui ſont également
détaillés dans l'ouvrage , font un total de
467,637 florins. Les quarante Leggersde vin rouge,&
les 80 Leggers de vinde Confiance , que la
Compagnie retire du Cap ,donnent ſeulsunprofit
congdérable.
Pour faciliter le commerce avec les vins
( 162 )
du Palatinat &de la Moſelle , on a le projet
de faire une grande route depuis Simmern
, ville du Hundsruck , juſques dans
les PaysBas Autrichiens.
ITALIE.
DE TURIN , le 28 Janvier.
L'Edit publié ici concernant une nouvelle
fabrication de monnoies dor & d'argent,
renferme en ſubſtance les difpofitions
ſuivantes.
La valeur des monnoies d'or étrangères étant
augmentée , il eſt ordorné de frapper une nouvelle
piſtole de même titre & valeur que celle qui
avit cours précédemment ; au moyen de quelque
diminution dans ſon poids , elle ſe trouvera
dans un rapport plus exact avec les autres nonnoies
courantes. Quant à la diminution du prix
de l'argent , elleeft reſteinte aux monnoies étrangeres,
afin que les eſpèces du pays continuent
d'avoir la même valeur , fans aucune altération
ni dans le titre , ni dans le poids. Les piſtole, acteetles
, ainſi que leurs diminutions& augmentations,
ceſſeront d'avoir cours au premier Mars
prochain , & l'échange s'en fera juſqu'au premier
Juillet , ſur le pied de 24liv. 166. Ledit
terme expiré , elles ne feront plusreçuesque fur
le piedde 24 liv. 14f.;& dans le cas où elles ſe
trouveroient ne pas avoir leur poids complet,il ſera
fait fur leur prix , tant avant qu'après ledit tems ,
unediminution proportionnelle. Toutes les monnoies
étrangeres compriſes dans le nouveau tarif,
auront cours dans les Etats du Roi de Sardaigne .
(163 )
fur lepředdefigné dans cetarif. Celles qui feront
frappées par la fuite aux Hôte's des Monnoies de
l'étranger , n'auront cours qu'après que la Chambre
des Comptes aura fait connoître leur poids &
leur valeur par la voie d'une Déclaration. Dans
le nouveau tarif, la valeur du ſequin de Milan
&de Florence eſt portée à 9 liv. 18 6.8 d. monnoie
de Piémont; celle du ſéquin de Veniſe eſt
fixée à 9 liv. 19 f. 3 d. Les ducar's d'or d'Autriche
& de Cologne auront cours ſur le pied de
9liv. 16f. 7d. & ceux de Kremnitz ſur le piedde.
9liv, 17 6.
On écrit deMilan que le Gouvernement
de la Lombardie va procéder àune réforme
de la même nature.
GRANDE - BRETAGNE:
DE LONDRES , le 14 Février.
Juſqu'ici les féances du Parlement n'ont
pas eu d'objet aſſez intéreſſant, pour piquer
la curiofité des Etrangers ; nous nous
bornerons en conféquence à l'extrait fommaire
des opérations de cette aſſemblée depuis
le 6 au 9 de ce mois.
Le 6 Février,la Chambre des Communes s'étant
formée encomité de ſubſide , prit les arrêtés
ſuivans .
« Qu'il ſeroit accordé une ſomme de 150,000
livres , pour le remboursement d'ure pareille
ſomme avancée ſur des billets de l'Echiquier ,
délivrés en vertu d'un acte de la derniere teffion,
laquelle ſomme devoit être applicable au ſervice
de 1785
( 164)
" Qu'il feroit également accordé une ſomme de
1,000,000 1 v. ft. pour acquitter des billets de
l'Echiquier. Le rapport de cesdeux arrêtés s'eſt
faitle lendemain.
Lord Hood préſenta une pétition des boutiquiers
de Weſtminſter , par laquelle ils demandentla
révocation de la taxe ſur les boutiques.
M. For appuya cette pétition , qu'il dit avoir
été fignée parplus de 4000de ſes commettans.
La Chambre ordonna que la pétition für miſe
furlebureau .
M. Thornton & M. l'Alderman Sawbridge
préſenterent chacun une pétition pareille;le premier,
pour le bourgde Southwark , & le fecond
pourla cité de Londres. M. Pite étant alors abfent,
Lord Surrey s'adreſſa à M. Rofe , Secretaire
de la Tréforerie , pour ſavoir si le Gouvernement
étoit dans l'intention de laiſſer fubfifter
les taxes fur les boutiques; mais M. Roſe refula
de s'expliquer .
Le Chancelier de l'Echiquier érant arrivédans
Ja Chambre , M. Marsham , remit fun le tanis
Paffaire de la milice. Il demanda à M Pittas'il
étoit prêt à entamer cette diſcuffion. La Chambre,
dit-il , doit ſe rappeller qu'il exiſte un ade
du Parlement qui ordonne expreſſément que la
milice ſoit convoquée & exercée tous les ans . Il
s'étoit cependant écoulé deux années fans qu'elie
cût même été paſſée en revue. Il eſpéroit donc
que la Chambre ne différeroit pas plus longtems
à prendre en conſidération un objet auffi
important que l'étoit celui de la défenſe naturelle&
conftitutionelle de ce pays. Il defiroit par
cette raiſon , avant de préſenter ſon Bill, d'apprendre
de M. Pitt s'il comptoit faire convoquer
la milice cette année.
M. Pitt dit qu'il étoit ſurpris que M. Marsham
(165 )
différât de préſenter fon Bill , & cela parce qu'un
individu de la Chambre n'avoit pas eu le tems
de mû ir įſes idées ſur cette affaire. Il ſembleroit ,
ajouta- t il , que l'hono able Membre ait voulu
intinuer à la Chambre que je ne voyois pas la
milice d'un bon oeil ; mais loin d'avoir aucune
averſion pour ce corps , j'ai le plus grand defir
qu'il foit mis fur le piedle plus reſpectable ; mais
je ſouhaite en mêmetems qu'il en coute le moins
poſſible à la nation pour effectuer ce plan. Je
conviens qu'il exiſte un acte du Parlement relatif
à la convocation annuelle de la milice , mais cet
acte n'a pas pourvu aux dépenses qu'entraîne un
tel objet. Il finit par obſerver que s'il étoit poffiblede
rendre la milice également utile , fans
que cela augmentat les chargesde l'Etat , il pen-
Loitqu'on ne devoit pas hésiter à adopter unplan
qui réuniroit autant d'avantages .
Le 7, M. Pitt annonça à la Chambre baſſe que ,
conformément au Diſcours du Roi , l'intextion
des Miniſtres étoitde manifeſter àla Nation l'état
exact des finances , auſſi tốt que l'on auroit rafſemblé
tous les relevés néceſſaires. Cet état doit
êire divifé en deux parties ; la premiere préſen
terala proportion entre les revenus&lesdépenses ;
la ſeconde , ce qu'il fera poſſible d'affecter à l'extinction
de la dette publique. Lorique cet expoſe
aura été mis ſous les yeuxde la Chambre , M. Pitt
en propoſera l'impreſſion , & le choix d'un comité
chargé de rendre compte à la Chambre de
labalance des différentes caitſes , à différentes
époques.
Le 8 , le Secretaire de la Guerre fitune mos
tion pour que la Chambre ſe formår engrand co
mité , à l'effet d'examinerles fubides de Parmée.
Mais le Capitaine Minchin s'y oppoſa , & refuſa
de voter des ſubſi les pour l'année , avant que
( 166 )
Tonſe fût occupé de laMilice. Les raiſons d'économie
alléguées par M. Pitt pour s'oppoſerà la
réunion annuelle de la Milice , parurent ridicules
à M. Minchin. Selon lui , la véritable é onomie
conſiſte à employer l'argent de l'Etat de maniere à
procurer à laſociété le plusgrand avantage poſſible ,
& non à épargner quelques millions de livresfterlings.
Depuis que la France a réuni aux forces de
la Maiton de Bourbon cel'es de la Hollande , il ne
faut plus conſidérer notre Marine , dit M. Minchin,
comme le plus fort rempart à oppoſer à nos
ennemis. Ondoit donc fonger ſérieulement à des
moyens de défenſe ſur terre , & iln'en eſt pas de
plus für que notre Milice ».
M. Minchin parut diſpoſéà retirer ſa motion,
fi -M. Piet s'expliquoit plus clairement qu'il ne
l'avoit fait dans une des ſéances précédentes.
M. Witt n'ayant rien répondu , M. Sheridan prit
la parole , & obferva qu'il étoit contraire aux
réglemers de propoſer les ſubſides de l'armée
avant ceux de la Marine , & il ajouta qu'il étoit
dautant plus intéreſſant de ſe conformer dans
ce moment à cet uſage, que les Miniftres , felon
le bruit général , devoient propoſer d'augmenter
confidérablement cette année les ſubſides . M. Pitt
garda encore le filence. Alors Lord North , fans
entrerdans la diſcuſſion de l'affaire de la Milice ,
releva la faute commiſe, en propoſant les fubfider
de l'armée avant ceuxde la Marine.
Enfin M. Pitt le leva; il exprima ſa ſurpriſe
des argumers employés par les membresdu parti
del'oppofition. Il ſe référa à tout ce qu'il avoit
ditdansunedes dernieres ſeſſions , ſur la motion
de M. Masham , & il répéta qu'il ne feroit conroître
ſon opinion ſur les nouveaux arrangemens
propoſés pour la Milice , que lorſqu'il auroit pu
( 167 )
profiter des lumieres qui naitroient de ladiſcuſ
fionde cette affaire .
Les débats ſe dirigerent enſuite ſur la prétenduefaute
desMiniſtres , relativement à la forme
fur lepeu de tems qu'ils avoient laiſſe pour régler
les comptes. M. Fox inſiſta ſur ce dernier point
&dit , qu'il feroit du plus grand dangerde laiſſer
fubfifter un exemple ſi contraire aux réglemens ;
mais M. Bitt ayant fait lire au Greffier le journal
de l'année 1784 , où l'on vit que le Lord North
avoit fait paſſer à cette époque les ſubſides de l'armée
avant ceux de la Marine , quatre jours après
que les comptes en avoient été dépofés ſur le
bureau , il mit finà tous ces diſcours , & apprit
aux membres de la minorité à ne pas être fi hardis
dans leurs afſertions. L'oppoſition de M. Minchin
n'eut aucuneffet , & la Chambre s'étant formée en
grand comité , arrêta que l'on accorderoit
17638hommes.
647,006 livres ft. pour l'entretien des garnis
fons.
6,358 liv. ft. pour la différence de la paieangloiſeà
la paie irlandoiſe pour fix Régimens,
24,378 liv. ft. pour la demi-paie des Officiers
invalides. :
8,230 liv. ft. pour la paiedes troupes qui ſont
dans l'Inde.
7,320 1. ft . pour les appointemens du Tréſorier
général delaguerre , du Secretaire de laGuerre ,
&desdroits de l'Echiquier.
11,409 liv. ft, pour les penſions des veuves
d'Officiers.
** Il eſt ſérieusement queſtion d'aggrandic
le port de Douvres & de le fortifier.
La conſtruction des bâtimens de commerce
a conſidérablement augmenté , &
( 168 )
l'on compte actuellement dans les chantiers
de laTamiſe 40 gros navires qui feront lancés
dans le courant de l'année.
Les 100 criminels , condamnés à être
tran'portés aux colonies, & à so deſquels
le Roi avoit fait grace de la vie , viennent
d'être tirés de la priton de Newgate , mis
fur 3 chariots , & conduits à Post mouth ,
où ils y feront embarqués. Le Salisbury ,
de so canons , & la frégate la Winchelsea ,
de 32 can. , font en équippement dans le
même port , pour retourner au mois d'Avril
àla ſtation de Terre Neuve. L'Amiral Campbell
en a réſigné le commandement , qui fera
donné , à ce qu'on croit , au Commodore
Elliot. 1
Il eſt queſtion de créer pour M. Jenkinfon
une nouvelle place de Secrétaire
d'Etat, dont le département comprendra
toutes les affaires relatives au commerce.
Un entretien particulier de Lord North
avec M. Pitt avoit fort intrigué les différens
partis; mais cette conférence n'aleu pour
objet que la Compagnie de Turquie , dont
1 ord North eſt Gouverneur. Il s'est rendu
avec quelques-uns des Directeurs chez le
Miniftre avec lequel ils avoient des points
à régler; & cette entrevue n'a duré que 15
minutes , & non 2 heures, comme on l'avoit
annoncé.
Suivant une lettre de New- York , en dare du
15 Novembre , les Négocians Américains ont
réſolu de ſuivre avec laplus grande activité te
commerce
( 169 )
commerce de l'Inde , dont ils ſe promettent des
avantages conſidérables . On équipe actuellement,
tant dans ce port qu'à Philadelphie , 6 vailieaux
deſtinés pour l'Afie . Un de ces bâtimens doit ſe
'rendre à Batavia , le principal établiſſement des
Hollandois dans l'Inde. Cette flotte partira dans
le courant de Décembre prochain , ou au plus
tard en Janvier.
On lit dans pluſieurs de nos papiers une
lettre d'Edimbourg , du 31 Janvier dernier ,
dont voici l'extrait.
Le bâtiment la Marie , Capitaine Cruden , eſt
arrivé aujourd'hui à Leith , venant dePhiladelphie
, avec ſoixante douze paſſagers à bord; ils
font tous des fermiers irlandois qui avoient émigré
en Amérique avec leurs familles ; depuis la paix
ayant trouvé dans les Etats-Unis peu d'encouragemens
, ils ont pris le partide revenir dans leur
parrie.
Ils s'accordent à dire que ſi le territoire
des Etats-Unis peut convenir à certains émigrans
, jamais ilne pourra fatisfaire les émigrans
agriculteurs , attendu le haut prix des ſalaires
d'ouvriers ,& la ſtérilité du fol. Lorſque la Marie
a mis à la voile de Philadelphie , deux autres
bâtimens deſtinés pour Greenock prenoient auſſi
des pallagers ,& étcient preſque remplis.
On apprend de la Caroline du Sud que
les Colons Anglois reſtés dans la Floride
Occidentale depuis la conquête par les
Eſpagnols , l'ont entiérement évacuée , &
que le dernier convoi de ces émigrans s'eſt
embarqué , il y a trois mois , à Pensacola
pour ſe rendre aux ifles Bahama.
M. Nicolas Fontana de Crémone , Pro-
No.8 , 25 Février 1786 .
h
( 170 )
feſſeur de Phyſique, maintenant àCalcutta,
fut témoin , le 21 Novembre 1784 , du facrifice
d'une femme jeune & belle , épouse |
d'un Bramine , qui ſe brûla ſur le bucher
de fon mari. La cérémonie commença au
coucher du ſoleil. Pendant que l'on préparoit
le bucher , les femmes encouragèrent la
veuve & lui donnèrent beaucoup d'opium.
Enſuire elles la déshabillèrent & la plongèrent
dans la rivière , afin de la purifier ,
pour qu'elle pût jouir de l'état auquel elle
étoit deſtinée , c'est-à-dire , vivre heureuſe
avec fon époux , pendant 3,500 années.
Lorſqu'elle fut retirée de l'eau , on la revêtit
des habits préparés pour cette cruelle
cérémonie. Elle marcha avec courage vers
le bucher , ſe plaça aux pieds de fon mari ,
diſtribua ſes habits à ceux qui l'entouroient ,
& embraſſa le cadavre. Sur le champ , on
mit le feu au bucher. Lorſque les flammes
atteignirent la victime , elle jetta quelques
cris , mais étouffés par les chants des ſpectateurs
: plus ſes cris devenoient perçans ,
plus les voix du peuple s'élevaient. Lorique
les deux corps furent réduits en cendre ,
chacun ſe retira chez foi .
Une riche héritiere du Comté de Kent , accompagnée
d'une confidente , s'enfuit , il ya
quelques jouts , à minuit , de la maiſon paternelle
, avec un Officier des troupes de'a Marine.
Les jeunes amans ſe marierent auffi-tôt. Le lendemain
, ils furent très ſurpris d'entendre uno
voiture s'arrêter à la porte,& de voir entrer le
( 171 )
pere de la jeune perſonne , qui leur parla dans
cestermes :«Mesenfants,je neviens point pour
>> vous faire des reproches ; ce n'eſt point par des
>> motifs d'intérêt que je me ſuis opposé à votre
>> union . Le bonheur de ma fille étoit tout ce
>> que j'avois en vue ; & quoique j'étois perfuadé
>> que c'étoit y contribuer que de vous refuſer
mon confentement , je ſuis maintenant con-
» vaincu que je ne ſaurois lui cauſer plus de cha-
>> grin qu'en conſervant un reſſentiment mal
>> fondé ; revenez donc avec moi; ma fortune
> ſera la vôtre , & j'espere que mon gendre me
>> prouvera par ſa conduite future qu'il avoit plus
>>>d'amour pour ma fille que pour mes biens ».
Les appartemens qu'on avoit arrêtés furent außitô:
payés, & le jeune couple revint dans la ma ſon
paternelle avec encore plus de ſarisfaction qu'il
n'enétoit parti.
On vient de renouveller l'inſcription des
bains de Bath , dont on a derniérement
reconſtruit la pompe. L'inſcription porte :
« Toi , qui t'abreuves de cette eau 'aluaire ,
arrête , qui que tu fois , ſi ton coeur eft échauffé
>des rayons de la divi e humanité. Penſe au
>> Pauvre , à qui l'éloignement refue ce bien-
33 fait; fonge que peut étre il eſt étendu dans
› une miférable cabane , ſans fecours , mourane
>de froid & de beſoin. Amene ici le malheu-
>> reux , de quelque pays qu'il foir ; adoucis fes
maux , & laiſſe couler res bienfaits , comme
>> cette ſource laiſſe cou'er pour toi ſes eaux
abondantes & falubres. Puſſe enſuite le
>> cours de ta vie étre exempo de maladies ,
*> de beſoins & de chagrins ; & puiſſe Dieu ,
>> te rendre mille fois ce que tu auras fait pour
> l'Indigent >> !
h2
( 172 )
On raconte l'anecdote ſuivante du célèbre
Docteur Burnet , Evêque de Salisbury , dont
la distraction habituelle auroit pu être regardée
comme de l'étourderie.
Vers 1680 , on arrêta à Paris p'uſieurs
femmes de diftinction accuſées d'empoifennemens
, entr'autres la Comteſſe de Soiffons ,
niece du Cardinal Mazarin , & mere du Prince
Eugène. Sur la fin du regne de la Reine Anne ,
lorſque ce Prince vint en Angleterre , l'Evêque
Burnet ne put réfifter à ſa curiofité , & demanda
au Duc de Marlboroug la fatisfaction de voir un
héros dont la renommée étoit répandue dans toute
P'Europe. Le Duc ſe rendit à ſa priere , à condition
qu'il feroit attentifà ne rien dire de déplacé,
& le ret'nt à diner chez lui , avec le
Prince & quelques autres perſonnes. L'Evêque
bien réſolu d'être diſcret , garda le plus parfa's
filence pendant tout le diner. Peut-être même
Tauroit- il gardé totalement , file Prince , voyant
à table un Eccléſiaſtique reſpectable , n'avoit demandé
qui il étoit. Ayant appris que c'étoit
l'Evêque Burnet , dont il avoit ſi ſouvent entendu
parlé, il lia converſation avec lui, & lui demanda
depuis quand il avoit quitté Paris, Burnet , troublé
parcette queſtion inattendue , & plus encore par
le defir d'y répondre avec préciſion , répondit für
Je champ qu'il ne ſe rappelloit pas bien l'anrée ;
mais que c'étoit dans le tems que la Comteſſe de
Soiffons avoit été arrêtée. Apeine eut- il achevé ,
que ſes yeux rencontrerent ceux du Duc. A
L'inſtant il s'apperçut de ſa bévue , & perdit à la
fois le peu de prudence qui lui reftoit encore.
Pour achever la ſcène, il ſe répandit enexcufes
vis-à-vis du Prince , & voyant toute lacompagnie
dans Tembarras , il ſe retira rempli de confue
бор.
( 73 )
ETATS- UNIS DE L'AMÉRIQUE.
DE NEW- YORCK , le 24 Décembre.
t
L
Le Congrès a reçu les nouvelles les plus
fatisfaiſantes de la Virginie , & de l'activité
du Miniſtre des Etats Unis à la Cour de
Londres. On eſpère qu'il parviendra incef
ſamment à conclure unTraité de commerce.
Tuſqu'à préſent , le trafic direct des Etats-
Unis avec la Grande Bretagne , n'a pas langui
, & les réglemens du Conseil de S. M.
Britannique n'ont fervi qu'à l'encourager.
En vertu de ces réglemens , les productions
desEtats-Unis, tranſportées dans laGrande-
Bretagne , font exemptes des droits étrangers
, payés par les autres Puiſſances. La
ſeule condition , miſe à cette faveur , eſt
que les bâtimens , chargés de ces articles
doivent être de conſtruction américaine ,
appartenir à des Américains , & avoir les
trois quarts de leurs équipages de Matelots
Américains . Les bâtimens non conftruits en
Amérique , quoiqu'appartenans à des Américains
, paient le droit étranger. La Grande-
Bretagne a donc forcé les Etats Unis être
eux mêmes les voituriers de leurs produc
tions , & lesa , par conféquent , elle même
invité à augmenter leur marine , en leur
donnant la certitude de l'employer utilement
& tous les avantages d'un com
merce exclufit ?
,
h 3
(174
Oncraint beaucoup que la Province de
Massachusett ne laiſſe amortircet efprit vraiment
républicain , qui long - temps dirigea
fes Confeils. Elle a déja eu la lâcheté de
fouffrir les entraves mises à la liberté de la
preffe dans cette Province , & fa Chambre
d'Aſſemblée vient de rendre un Acte , pour
permettre aux Réfugiés , c'est-à dire , aux
plus cruels ennemis des habitans , de revenir
partager avec eux les droits & les avantages
de citoyens des Etats -Unis. Cependant
, comme cet Acte a excité un mécontentement
général , on eſpere que le Sénat
ne donnera pas ſa ſanction à une loi aussi
peu réfléchie, qu'elle eſt déſagréable aux vrais
patriotes. [ Suivant des nouvelles ſubſéquentes,
le Sénat ou la Chambre-Haute de l'Afſemblée
générale a en effet rejetté cetActe
de révocation. ]
Juſqu'ici , les Etats deMassachuffett & du
New - Hampshire , ſont les ſeuls qui aient
paſſé des loix de navigation qui excluent
totalement les bâtimens Anglois.
Extrait d'une Lettre de Philadelphie , du 28
Octobre 1785.
Les Etats-Unis ont paffé dernierement un
Acte , par lequel les Manufactures en fer groffier
&toutes fortes de marchandises en cuir, telles
que les ſelles , ſouliers , &c. feront taxées depuis
fept&demiejuſqu'à douze pour cent , à compter
du premier Janvier 1786. Les marchandiſes Angloiſes
de toute eſpece abondent & ſe vendent à
très-bas prix. LaGrande-Bretagne a fait paffer
( 175 )
auxEtats-Unis plus de marchandises qu'ils n'en
peuvent payer. Toutes les Provinces ſont dans
la même poſition , & les ſeules marchandiſcs
consommées dans les Etats ſont Angloiſes . Il pa
roît que les François & les Hollandois ont abandonné
tout commerce avec les Américains. Le
prix des vivres eſt ſi bas , & celui de la maind'oeuvre
ſi haut , quede long-temps les Manufac
tures de ce Pays ne pourront entrer en concur
rence avec celles d'Europe. On avoit propofé
aux Directeurs de la Banque de l'Amérique feptentrionale
établie en cette ville, d'augmenter
leurs capitaux par la voie des ſouſcriptions , mais
ils ont refuſé ; en conféquence , on va fonder une
aurre Banque , qui ſera appellée la Banque de
Philadelphie , &dont le capital ſera de 333 000
plaftres.
Le différend qui s'étoit élevé entre les Profeffeurs&
le Principal du Collège de Carlifle a éclaté
ouvertement, & le Principal , qui eſt le Docteur
Nisbet , Ecoffois , a réſigné fon Office, dans le
deſſeinde s'embarquer pour Greenock à la premiere
occafion,
C'eſt une choſe inouie , dit une autre Lettre
d'Alexandrie en Virginie , que la rapidité avec
laquelle cette ville s'eſt étendue & peuplée. Un
terrein où l'on ne voyoit il y a trente ans que
deux chétives cabanes , habitées par de miférables
pêcheurs , eſt aujourd'hui couverte d'une in.
finité de maifons , auifi commodes qu'élégantes ,
& deviendra probablement une Cité ſuperbe , &
la premiere de cette partie de l'Amérique. C'eft
un avantage dont elle ſera redevable à ſa pofition
, qui lui donne néceſſairement le grand
Commerce de tous les Etabliſſemens formés fur
les derrieres de certe Colonie. Alexandrie eft fituée
fur la riviere de Potomack , navigable a
h4
( 176 )
plus de 200 milles dans l'intérieur des terres,
Elle eſt bâtie for le plan de Philadelphie, les rues
yfont auffi larges , & les maiſons auffi agréables à
zous égards.
On ſçait, à n'en pas douter , que les Indiens
établis fur la rive occidentale de l'Ohio , font
très - déterminés à ſoutenir avec vigueur leurs
droits ſur les territoires reclamés par les Etats
Unis , à moins que ceux ci n'en traitent avec
eux par un traité régulier. Les différentes Nations
qui occupent ou avoiſfinent cette vaſte contrée
, ont tenu depuis peu à ce ſujet un grand
conſeil , oà tous les Chefs de ces Sauvages ont
réſolu de mettre en oubli leurs anciennes animo-
Gités , pour réunir leurs forces contre cette priſe
de poffeſſion qu'ils traitent d'injuſtice & d'uſurpation.
L'Angleterre , ſelon eux , n'étoit pas
autoriſée à ceder des pays qui ne lui appartenoient
pas , & ils font très-étonnés que les Etats
d'Amérique aient jamais pu concevoir l'idée de
ſe prévaloirdu dernier Traité de Paix , comme
d'un titre qui aſſure leurs droits fur des pays qui
ne font ni à eux ni aux Anglois , mais aux Indiens
, leurs anciens & uniques poffeffeurs. En
conféquence , ils n'ont pas permis à l'Ingénieur
en chef, envoyé par le Congrés , d'exécuter ſes
ordres ; & cet Officier a été forcé de revenit ſans
avoir rempli ſon objet.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 15 Février.
Le Roi a nommé à l'Abbaye réguliere
d'Hafnon , Ordre de Saint-Benoît , diocèſe
1
( 177 )
d'Arras , Dom Pinquet , Religieux-profés de
la même Abbaye ; & à celle de S. Amand ,
même Ordre , dioceſe de Rouen , la Dame
de la Guiche , Abbeffe de Beaumont- les-
Tours.
Leurs Majestés & la Famille Royale ont
figné , le 29 du mois dernier , le contrat de
mariage du Comte de la Pallu , avec Demoifelle
de Miroménil.
Le ſieur Longuer , Négociant & Propriétaire
de la Manufacture de chapellerie du
fieur Oubtil , de Caen , a eu l'honneur de
préfenter au Roi deux habits d'étoffe feutrée,
dont un uni , & l'autre à bordures imftant
celles de martre.
:
DE PARIS , le 22 Février.
:
Le famedi 11 de ce mois , l'Oraifon funebre
de feu M. le Duc d'Orléans fut prononcée
dans l'Egliſe de Belle-Chaffe par M.
l'Abbé de Vauxcelles. Le 14 , on a célébré
à Notre -Dame pour le repos de l'ame du
même Prince un Service folemnel, auquel
ont aſſiſté le Duc d'Orléans , le Duc de
Bourbon , le Duc d'Enghien. L'Abbé Maury
a prononcé l'Oraiſon funebre.
L'Académie Françoiſe a tenu le 13 de ce
mois , une féance publique , pour la réceptiondu
Comte de Guibert , à la place vacante
par la mort du ſieurThomas. Le ſieur
( 178 )
de Saint Lambert a répondu au Diſcours du
Récipiendaire , & le ſieur Ducis a terminé
la féance par la lecture d'une Epître en vers
fur l'Amitié. Le ſieur Marmontel , Secréraire
perpétuel , a annoncé que le prix fondé
pour l'éloge du ſieur d'Alembert , eſt remis
à l'année prochaine. ( Extrait de la Gazette
de France.)
M. Bourget , Chirurgien de Mauzé, nous
mande un événement trop extraordinaire
pour être raconté , ſans l'autorifer du nom
même de l'Hiſtorien. Le 14 Octobre 1785
une Payſanne enceinte , de la Parouffe d'Amilly
en Aunis , fut bleſſée par un boeuf,
dont la corne ouvrit tranſverſalement le
bas-ventre de cette malheureuſe femme , à
trois doigts au deſſous du nombril, & d'une
hanche à l'autre. Revenue d'un évanouiflement
occaſionné par la douleur & par l'hémorragie,
elle eut la force de ſe rendre chez
elle , chancelante , pâle & enſanglantée. M.
Bourget fut appellé ; depuis 34 ans qu'il
exerce la Chirurgie, il ne s'étoit pas préſenté
à lui une plaie aufli effrayante. Cependant
elle a été parfaitement guérie , au point que
la Payſanne a accouché d'un enfant vivant
le 8 Janvier dernier. L'animal avoit pénétré
& déchiré les muſcles du bas -ventre , fans
offenſer l'embryon. Dix jours après fon accouchement,
cette Payſanne a fait une liene
à cheval , pour apporter fa petite fille à M.
Bourget.
Parmi les droits anciens , il y en a d'onei
1
---
1
( 179 )
reux , & encore plus de finguliers , de ridicules
, d'indecens même. En voici un qui n'eſt
que pueril ...... Le Village de Fourgerolle ,
qui avoiſine cette Abbaye , doit lui fournir tous
les ans , à la Pentecôte , des Neiges , & à défaut
de Neiges deux Boeufs. On fent bien qu'on
préfére toujours les premieres. La température
trop douce de l'hyver de 1783 , n'ayant pas
permis aux habitans de ce hameau de prendre
les précautions néceſſaires pour payer ſa redevance
en Neige ; & le prix des deux Booeufs ,
qui devoit la remplacer , étant une charge trop
forte pour la pauvre Communauté , ils ont tenu
une aſſemblée pour aviſer aux moyens d'y remedier
, & ils ſe ſont tirés d'affaire par une de
ces tournures ſpirituelles & gaies qui reuſſiſſent
toujours une fois , & jamais deux. Ils ont préſenté
au Chapitre un plat d'oeufs à la neige , avec
les vers ſuivans , adreſſes à l'Abbeſſe , comme le
repréſentant :
DAIGNEZ , Madame , accepter notre hommage
Cefimple mets par les gourmets vanté :
D'un tribut dû , c'est la trop faible image :
Mais la figure , auxyeux trompés duSage ,
Vautfouvent mieux que la réalité.
L'Abbeiſe a trouvé la defaite ingénieure & a
agréé la redevance , avec la réſerve cependant
que ce ferait fans tirer à conféquence.
(Affi.hos de Toulouſe. )
Le navire la Marie de S. Jean de Luz, venant
de la pêche de la morue , fut jetté ſur
la côte le 9 Décembre ; 21 matelots qui formoient
l'équipage , échapperent au naufrage.
Le nommé Jean Harriet , matelot de Saint-
Jean de Luz , accouru avec beaucoup d'au
tres au ſecours de l'équipage ,a été la vic
h6
( 180 )
time, de fon zele&englouti ſous les flots.
Le Roi a accordé une gratification de 150
liv. à la mere de cet infortuné.
On a inhumé dernierement , à Saint- Vigorlès-
Moutiers , près de Villedieu , une fille qui ,
pendant quarante cinq ans de vie , a toujours
porté les habits d'homme , & dont on n'a reconnu
le ſexe qu'après ſa mort. Orpheline de
bonne heure , ſe trouvant dans un abandon abfolu
, elle imagina qu'en paſſant pour garçon ,
elle ſeroit moins expoſée & gagneroit plus facilement
ſa vie; elle fervit d'abord chez divers Fermiers
en qualité de Berger ; devenue plus forte ,
elle alla à Paris , & travailla aux pavés des rues
avec tant de zele & d'intelligence , qu'elle fur
Bientôt miſe à la tête de l'atelier . Tous les ans
elle revenoit paſſer l'hiver à Saint-Vigor-lès-
Moutiers ; où elle s'occupoit des travaux de la
campagne , & retournois au beau temps chercher
de l'ouvrage à Paris. Pour mieux cacher
ſon ſexe , elle a fait ſouvent des propofitions
de mariage à diverſes filles : fon fecret n'a jamais
tranſpire; & peut- être , fi l'on confidere
l'âge auquel elle eſt morte , auroit-elle reculé fa
fan , fi elle avoit eu un Médecin auquel elle en
eût fait confidence. Elle a laiſſe pour 1400 liv. de
billets.
Les Affiches du Maine du 16 Janvier
contiennent une notice , dont on nous a
priés de publier l'extrait ſuivant.
Une Déclaration du 23 Septembre 1784 , a
exempté du droit de Francs Fiefs , dans l'érendue
de la Coutume du Grand- Perche , les Tenures
hommagées , connues ſous la dénomination
de Fiefs burfaux . Cene Loi jufte & Lienfaiſante
, en déchargeant d'un tribut onéreux ,
( 181 )
les deux tiers & plus , des Biens fonds de cette
Province; en augmente , au moirs d'un quart
la valeur intrinféque. Elle eft particulièrement
due aux foins de MM. le Chevalier DE FONTENAY
, Député de la Ville de Belême , & BER
THEREAU , Lieutenant-Général du Grand- Perche
, au Bailliage de Mortagne , Député de cette
Ville.
Les Officiers Municipaux de Bellême décernérent
au premier une Couronne civique : el'e
fut placée au -deſſus de la principale porte de
fon Hotel , avec cette Inſcription , dont le cri
public donna Pidéef: hic verus Miles & verus
Civis. Ils ont fait de plus frapper une Médaille
repréſentant d'un côté l'effigie du Roi ; de l'autre
, les Armes de la Ville", avec cette Inf
cription : Perticus à F. Feudi tributo , ope D. D.
P. DE FONTENAY , & ANT. F. BERTHEREAU
exoneratus. Bellimenfes , anno 1784 .
Pareils honneurs ont été rendus au Magiftrat
député de Mortagne : tous ſesConcitoyens s'empreſſerent
de rendre hommage aux rares talens
& aux belles qualités que lui affurent leur eftime
& leur confiance : Ils firent placer audeſſus
du portail de fon Hôtel, cette Infcription
: his Urbis & Provinciæ Pater . L'Hôtelde-
Ville l'a de plus prié d'accepter un ſervice
complet d'argenterie.
Le Monument qu'on voit dans l'Auditoire
de la Ville de Mortagne , repréſente une Pyramide
en bas relief , de laquelle Clio , Muſe
de P'hiſtoire , ornée de ſes attributs , ajoute dans
Phiſtoire du Grand- Perche , qu'elle tient ouverte
la Déclaration du 23 Septembre 1784 , concernant
les Fiefs burfaux . 1
L'inauguration de ce magnifique Monument ,
n'a pu ſe faire que le 8 Novembre dernier. Ce
( 182 )
:
-
jour- là , M. le Lieutenant Général fut de nou
veau complimemé ; la Bourgeoifie prit les ar
mes, la Ville fut illuminée , & les Officiers
Municipaux firent diftribuer aux pauvres trois
mille livres de pain.
M. C. Curé d'Aulnou-le-Fau'con , dioceſe
de Séez , nous a adreſſé la Lettré ſuivante
ſur un objet qui nous paroît devoir
être pris en conſidération.
J'ai lu avec le plus grand plaiſir dans votre
Mercure du 31 Décembre dernier , nº. 53 , la
reflexion patriotique de M. le Curé de Tournam
en brie , elle eſt digne d'un bon citoyen
& d'un Pasteur zelé. Il feroit bien à déſirer que
le Gouvernement adoptat un moyen de prévenir
les erreurs qui te gliffent tous les jours dans
les régiſtres des Paroffes , & qui mit les ſujets
de Sa Maeſté à portée de faire leurs généalogies
, qui font ſouvent impoſſibles .
L'idée de M. le Curé de Tournam , excellente
en elle-même , ne paroît pas allez dévélopée.
Je lui demande la permiſſion d'obſerver que la
Loi qu'il defire , par laquelle il ſeroit enjoint
aux Curés du Royaume de faire mention dans
les actes de mariages du lieu de la naiſſance des
Epoux , de la datte de cetre naiſſance , du Diocese
du lieu où leurs Pere & Meres ont contracté mariage,
enfin devant quel Notaire ils ont arrété leurs
conventions matrimoniales , feroit une Loi infufiſante
, s'il n'étoit préalablement enjoint aux
parties contractantes de leur déclarer avec certitude
tous ces renſeignements. La déclaration
de 1736 enjoint bien aux Curés d'inſcrire exactement
les noms de baptême , de famille & les
qualités des Peres & Meres ; mais comme la
Loi n'oblige pas le Pere ou la famille de por(
183 )
ter aux Curés les véritables noms , il réſu'te
qu'ils ne peuvent exprimer que ceux qu'on leur
déclare , & M. le Curé de Tournam a pu ré
marquer , en compulſant ſes régiſtres , que trèsſouvent
on ne lui déclare pas les véritables noms,
encore moins la maniere d'écrire le nom de famille.
Cela vient de ce que les Peres abſents ,
ou malades , ou retenus par un mauvais préjugé
, n'aſiſtent preſque jamais au baptême de
leurs enfants. Ils ſe contentent de les envoyer
à l'églie par une Sage- Femme , un Parrein &
une Marreine , quelquefois enfants ou étrangers
àla famille , qui ignorent les véritables noms des
Pere & Mere , leur ordre , s'ils en ont pluſieurs,
& l'orthographe du nom de famille.
Il eſt aiſé de voir d'après cela , que fi leGouvernement
faiſoit une Loi , elle devroit avoir
pour objet principal de forcer es ſujets de Sa
Majeſté de donner aux Curés des certitudes fur
leurs véritables noms , toutes les fois qu'ils feroient
rédiger à l'Eglise des actes de baptêmes ,
mariages ou fepultures. Etje ſuis perfuadé que
le zele des Curés du Royaume les porteroit à
faire fur cet objet toute l'attention qu'il mérite.
Voici celui que j'ai imaginé il y a fix ou ſept
ans , & dont je fais uſage dans ma paroiſſe ,
après l'avoir communiqué à mes ſupérieurs eccléſiaſtiques
, & à M. le Procureur-Général du
Pariement de ma Province. Je le ſoumets bien
volontiers au jugement du Public , & je déſire
bien fincerement qu'il en faſſe trouver un
meilleur.
Je voudrois que par une Déclaration du Roi ,
envoyée à tous les Curés , avec injonction de
la lire au Prône de tems - en - tems , pour en
donner au peuple une plus ample connoiffance ,
( 184 )
il fût ordonné à tout citoyen de ſe munir d'une
copie en forme de ſon acte de baptême , & de
le préſenter au Curé , toutes les fois qu'il ſeroit
queſtion de rédiger un acte à l'Eglife.
A ce moyen , celui qui ſe marieroit , préfenteroit
à fon Curé fes véritables noms ; ils
feroient par conféquent infcrits fans erreur.
Au baptême des enfants , le Pere porteroit
ou feroit porter au Curé ſon extrait de baprême
, avec celui de ſa femme ; leurs noms de
baptême & de famille ne feroient point encore
changés.
A leur mort , leurs enfants ou héritiers porteroient
pareillement au Curé l'extrait de baptême
du défunt , & l'acte de ſépulture y ſeroit
conforme.
D'où refulteroit une uniformité entre les
noms de baptême & de famille , les ades fe
rapporteroient les uns aux autres , ce qui affuferoit
aux citoyens la jouiſſance paiſible de
leur érar.
On pourroit tirer de ce moyen un autre
avantage confidérable.
De tous les hommes , il n'y en a peut- être
pas la moitié qui ſolent baptifés , mariés & inbumés
dans le même lieu , ce qui met quancité
de citoyens dans la néceffité de parcourir
quelquefois route une Province , en cherchant
au hazard les actes dont ils ont beſoin. Recherches
pénibles , coûteu'es & finalement inutiles ,
Jer qu'il se trouve des erreurs dans les régiſtres
par rapport aux noms. On pourroit remédier à
cet inconvénient , ſi les actes de baptême éteient
exactement repréſentés , lorſqu'il s'agit de rédiger
un acte à l'Eglite. Voici comment. Repre
nons l'exemple ci-deſfus .
Vous fentez à merveille , Monfieur , l'utilisé
( 185 )
de ce projet pour les générations futures. Car :
1º. toutes ces notes ajoutées aux extraits de
baptêmes , ſerviroient de renſeignements que
les citoyens garderoient chez eux , & leur indiqueroient
en un inſtant tous les endroits où
ils trouveroient les actes dont ils auroient befoin;
2. dans le cas où ils égareroient ces notes,
il ſuffiroit d'avoir l'acte d'inhumation d'une perfonne
, pour connoître le jour & le lieu de fon
mariage , ainſi que le jour & le lieu de ſa naic
fance; & celui de ta naiſſance indiqueroit le jour
&le lieu du mariage de ſes Pere & Mere. Et
ainfi de ſuite .
Il ne seroit donc queſtion pour exécuter ce
projet , que de mettre à la main de chaque citoyen
, fon extrait de baptême , en lui ordonnant
par une Loi particuliere , de le préſenter
aux Curés du Royaume toutes les fois qu'il ſeroit
queſtion de faire un acte à l'Eglite.
Pour que tous les ſujets de Sa Majesté fuf
fent porteurs de leurs extraits de baptême , il
faudroit ordonner au Pere de l'enfant à batifer
, de porter au Curé , avec leur extrait de
baptême & celui de leur femme une feuille de
papier de formule en blanc , & ordonner par la
meme Loi aux Curés , de délivrer gratis l'extrait
de baptême de l'enfant , pour le remettre
fur-le-champ , avec les extraits du Pere & de la
Mere , au Pere s'il eſt préſent , ou au Parrein ,
ou Sage- Femme , pour rendre le tout à la
famille.
۱۰
L'Académie des Belles-Lettres , Sciences
& Arts de Marseille vient de publier un
programe dont voici l'extrait .
: M. l'Albé Raynal ayant offert à l'Académie
une ſomme de 1200 livres , pour le Mémoire
( 186 )
qu'elle jugera avoir le mieux traité du Commerce
de Marſelle , l'Académie a accepté ,
reconnoiffance avec , l'offre de M. l'Abbé
Raynal , & elle propoſe pour ſujet du prix:
>>>Quelles font les cauſes de l'accroiſſement du
Commence de Marseille ?
>> Quels font les moyens d'aſſurer &maintenir
la proſpérité de ce Commerce ? »
Le prix fera adjugé à la Séance du jour de
la St. Louis 1788.
Tous les Mémoires doivent être envoyés
avant le premier Avril de la même année : le
terme eſt de rigueur.
L'Académie , dans ſes dernieres Séances publiques
, a annoncé les Programmes ſuivants.
Pour la partie des Belles-Lettres,
Eloquence 1786. « L'Éloge de Cook , cé
> lèbre Navigateur Anglois ». Prix triple , &
300 liv. que Madame la Princefle de Linange
à fait remeure à lAcadémie.
Poésie 1786. « L'Életricité , Ode ou Poëme.
Pour la partie des Sciences.
1786. « Quelles sont les especes de Vers
» Marins qui attaquent les Navires dans les
>> divers Ports de la Provence ? Et quelle ſe-
>> roit la méthode de les en préſerver: >>>
1786. « L'Éducation des Abeiles , adaptée
>> au cimat de Provence , & la cauſe de leur
>> dépopulation ? »
1787. CC L'Hiſtoire Naturelle du Caprier ,
>>> Putilité de la culture de cet arbuſte en Pro
vence , la meilleure méthode pour en ren-
>> dre les récoltes plus abondantes ; & quelles
>> font les préparations les plus convenables
>> pour en conſerver & rendre propres au traní.
>> port , foit les Boutons ou Capres , ſoit les
( 187 )
> fruits , avant qu'ils soient parvenus à leur
>> état de maturité ? »
1788. Si la plante vulgairement nommée
>>>Barbe de Renard , connue des Botaniſtes ſous
» le nom de Tragacantha Maffi.ienfis , qui croît
>> naturellement for les bords de la mer de
>> Provence , eſt la même que celle qu'on cul-
>> tive dans le Levant , pour extraire la Gomme
>> Adragan ; & quelle ſeroit la manière de la
>> cultiver avec ſuccès pour en extraire cette
>>> Gomme ? »
Les Ouvrages doivent être adreſſés , francs
de port , à M. BERTRAND , Directeur de la
Compagnie Royale d'Afrique , Secretaire de
l'Académie , avant le 15 Mai , pour la partie
desBelles- Lettres ; & avant la fin de Décem
bre , pour celle des Sciences.
Le nom de la Paroiſſe dans laquelle a été
célébrée la mémoire de M. le Duc d'Orléans
, dans un Diſcours dont nous avons
donné un fragment au No. 52 de l'année
derniere , eſt Evry ſur Seine. Cette Paroiſſe
eſt dépendante de la Seigneurie de Petit-
Bourg , où Madame la Ducheſſe de Pourbon
a établi un Hoſpice en faveur de huit
vieillards de l'un & l'autre fexe .
Les Numéros ſortis au Tirage de la
Loterie Royale de France , le 16 de ce
mois , font : 81,4,18,52 , & 74 .
Paragraphes extraits des PapiersAnglois & autres.
« Les nouvelles arrivées par la voie de France
>> for la révolte de lagarnisonde Columbe, dans
> l'ifle de Cey'an , avoient cauté des alatunes
( 188 )
>> d'autant plus vives , qu'il s'en faut beaucoup
>> que cet établiſſement foît dans l'état de défenſe
>> dont ileſt ſuſceptible; mais des lettres particu-
>> lieres do Cap de Bonne-Eſpérance, en date
>> du 27 Novembre 1785 , ont raſſuré les eſprits
>> fur ce ſujet : elles portent qu'en effet la légion
>> de Luxembourg avoit annoncé un plan de révolte
à l'ifle de Ceylan , mais on en avoit été
> inſtruit affez à tenis pour en prévenir les effets;
> que les inſtigateurs & principaux chefs avoient
» été arrêtés , & quelques uns même déji en-
>> voyés aux fers à Batavia ( Gazette de Leyde ,
n°. 12. ) ».
t «Pendant que toutes les Puiſſances de l'Europe
ont les yeux fixés ſur la Baviere , & atstentent
avec une impatience mêlée d'inquiéstude;
la déciſion qui doit aſſurer la conferva-
>> tion de la paix , on a rendu depuis peu à Mu.
nich , une proclamation contre de certaines
>> énormités dans l'orthographe , qui font des
>>>progrès alarmans. Les lettrés Bavarois , la
>> Chancellerie même & les autres Cours de juſ
tice , ſembloient depuis quelques tems avoir
>> pris en haine tout ce qui pouvoit avoir une ex-
" tration Italienne ; & ils avoient réfalu en con-
>>>féquence l'extirpation de la lettre Cde tous
> leurs livres , écrits , actes publics , regiſtres ,
>> &c. dans tous les domaines de l'Electorat . Non
contens par exemple d'écrire KARL & KHUR
EURSTenemployant le K Allemand au lieu
>>>du C Latin , ils avoient ( ncore projetté d'ex-
>> clure la même lettre des mois , qui en vertų
>> de toutes les loix de preſcription , étoient fa
>> propriété incontefable & légale , même des
> mots Latins & de ceux qui en dérivoient . Ainfi
pils écrivoient EXZEPTION au lieu d EXCEP
>> TION. Onn'a pu tolérer plus long-tems ces im
1
( 189 )
novations dangereuſes , & afin de ne plus les
>> laiſſer impunies à l'avenir , on a rendu une dé-
>> claration qui rétablit la lettre C dans tous ſes
>> droits , poffeffions, privileges , franchites &
>> immunités ; & ordonné qu'a dater du 5 Jan-
> vier dernier , cette déclaration feroit lue &
>> publiée à la Cour de la Chancellerie , & aux
>>>autres Colleges de Juſtice , afin que perſonne
>> ne puiſſe en prétendre cauſe d'ignorance, »
Il vient de paroître , à Londres , une eſtampe
qui peut en même tems ſervir de Dict onnaire de
finance & de memento , pour empêcher les Miniftres
futurs d'imiter leurs prédéceſſeurs , & de
p'onger la Nation dans de nouvelles calamités ,
pardes guerres qui peuvent toujours être évitées ,
quand l'intérêt particulier de quelques individus
ne s'y oppoſe pas.
Le Breton né Libre ou Perspectives ds
Taxes , - eſt le titre de cette eſtampe : on y
voit le Free Briton monté fur une butte, for laquelle
font écris ces mots : taxesfur les terres 4
Schelings par livre , ſes ſouliers ſont bordés du mot
ex ife ; on le retrouve for ſes genoux & en ceinturon
au beau milieu de ſon ventre. Les mots
timbre ſe liſent ſur ſes gants & fur fon chapeau ;
une banderolle qui lui ferme un oeil préſente le
mot commutation ( taxe commutative ) ; ſa poitrine
, des bras , ſes jambes , ſont décorés du mot
douane. Il porte ſur ſes épaules de doubles bretelles
, ſous leſquelles on le voit s'affeiffer en
ouvrant la bouche comme s'il pouſſoit des gémiſt
femens ; on voit des grouppes de tonneaux ,
de facs , de ballots d'un côté , de barils & de
bouteilles de l'autre , ſuſpendus aux crochets de
ces bretelles , ſur leſquelles on lit: tabac , fure ,
laine , charbon , fel , drap , cuir , vin , bierre , cidre,
liqueursSpiritueuses , thé , café , chocolat , poivre ,
( 190 )
Savon , chandelles , verres , ventes à l'encan , licences
, &c . &c. &c.
On voit fufpendues à la ſeconde paire de bretelles
les taxes fur les domeſtiques mâles & femelles:
fur les voitures , les chevaux , fur les
places , les dés , les cartes , les gazettes , les
drogues , le papier , les pamphlers , toutes les
eſpecesde timbre; enfin juſqu'aux almanachs ſe
trouvent dans la liaf'e funeſte qui fait courber le
Free Britom . Placé entre une maison & un monument
funèbre , on it fur la premiere : taxefur les
tuiles , ſur les briques , droits d'aſſurance im, ôtsfur
les maisons , taxe sur les fenêtres, taxeJur les boutiques.
Surle moment qui eſt en face , au bas de
Finfcription , taxes parciſſiales , on'it, taxes des
pauvres, clarté propreté, sûreté , voierie & pavé ,
&c ; l'infcription , taxes du Gouvernement eft aubas
dela premiere : fous ce titre on voit les mots ,
naiſſances , baptêmes , morts , enterremens. A la
droite du FreeBriton , on voit fortir d'un gouffre
un dragon qui fe cramponne avec ſes griffes ,
pour s'établir fur le rivage ; il porte tur ſa mâchoire
ces terribles mots : nouvelles taxes. Le
FreeBriton a fon chapeau décoré d'une cocarde ,
mais c'eſt encore une taxe qui lun rappelle qu'il
peut aller par-tout où il veut fans paſſeport ,
pourvu qu'il paie aux barrieres qu'il trouve ſur
fa route.
GAZETTE ABREGEE DES TRIBUNAUX.
PARLEMENT DE PARIS, GRAND CHAMBRE.
Instance entre la Dame le Chevalier , veuve de
M. de Jaffaud de Saint Die , & les héritiers
, neveux& nieces de M. de Jaffand
Mariage in extremis , contesté pour les effets
civils.
-
Dos Collatéraux qui comptent ſur la ſuccef
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le